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French Pages [393] Year 2016
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BEITRÄGE ZUR SCHELLING-FORSCHUNG
Gérard Bensussan Lore Hühn Philipp Schwab (Hg.)
L'héritage de Schelling / Das Erbe Schellings Interprétations aux XIXème et XXème siècles / Interpretationen im 19. und 20. Jahrhundert
VERLAG KARL ALBER
https://doi.org/10.5771/9783495808146
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B
VERLAG KARL ALBER
A
https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Ce volume se consacre à l’importance de Schelling pour la philosophie du XIXème et du XXème siècles jusqu’à nos jours. Les thèmes et les questions abordés dans la philosophie médiane et tardive de Schelling portent bien au-delà de l’idéalisme allemand. Ils laissent des traces notamment chez Kierkegaard, Rosenzweig et Heidegger, mais ont aussi des répercussions, de manière moins visible, chez Marx et dans la philosophie française du XXème siècle. Der Band widmet sich Schellings Bedeutung für die Philosophie des 19. und 20. Jahrhunderts bis hin zur Gegenwart. Themen und Fragestellungen von Schellings mittlerer und später Philosophie deuten weit über den deutschen Idealismus hinaus. Sie hinterlassen Spuren etwa bei Kierkegaard, Rosenzweig und Heidegger; sie reichen in weniger sichtbarer Weise aber auch zu Marx und bis hin zur französischen Philosophie des 20. Jahrhunderts.
Die Herausgeber: Gérard Bensussan, Professor für Philosophie an der Université de Strasbourg. Lore Hühn, Professorin für Philosophie an der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg. Präsidentin der Internationalen Schelling-Gesellschaft. Philipp Schwab, Emmy Noether-Nachwuchsgruppenleiter an der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg.
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Gérard Bensussan / Lore Hühn / Philipp Schwab (Hg.) L’héritage de Schelling / Das Erbe Schellings
https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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BEITRÄGE ZUR SCHELLING-FORSCHUNG
Herausgegeben von Lore Hühn (Freiburg) Paul Ziche (Utrecht) Philipp Schwab (Freiburg)
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Gérard Bensussan / Lore Hühn / Philipp Schwab (Hg.)
L’héritage de Schelling / Das Erbe Schellings Interprétations aux XIXème et XXème siècles / Interpretationen im 19. und 20. Jahrhundert
Verlag Karl Alber Freiburg / München
https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Publié avec le concours de l’Université de Strasbourg et de la Deutsche Forschungsgemeinschaft. / Gedruckt mit der Unterstützung der Universität Straßburg und der Deutschen Forschungsgemeinschaft.
Originalausgabe © VERLAG KARL ALBER in der Verlag Herder GmbH, Freiburg / München 2015 Alle Rechte vorbehalten www.verlag-alber.de Satz und PDF-E-Book: SatzWeise GmbH, Trier ISBN (Buch) 978-3-495-48691-7 ISBN (PDF-E-Book) 978-3-495-80814-6
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Avant-propos
Depuis longtemps déjà, la recherche sur la philosophie classique allemande de ces dernières décennies a abandonné le modèle d’un accomplissement téléologique en trois étapes Fichte – Schelling – Hegel, tel qu’il avait été proposé de façon canonique par Richard Kroner par exemple. Les contributions du présent volume n’ont pas pour but de simplement retourner ce triptyque en remplaçant Hegel par le Schelling tardif comme celui qui aurait ‹ vraiment accompli › ‹ l’idéalisme allemand ›. Ce volume s’intéresse plutôt aux potentialités de la philosophie du jeune Schelling, du Schelling intermédiaire et du Schelling tardif, qui portent au-delà de l’idéalisme allemand. L’image d’un Schelling qui ‹ prendrait peu à peu ses distances avec soi-même comme idéaliste › ne peut pas être mieux décrite qu’au miroir de sa réception. Certes, à la différence de Hegel, Schelling n’a fondé aucune ‹ école ›, et aucun conflit n’a éclaté après sa mort afin de déterminer quelle serait l’‹ interprétation juste › du maître. Et pourtant – ou peutêtre en est-ce justement la raison – les traces de Schelling marquent de façon durable la philosophie du XIXème et du XXème siècle, précisément dans ses courants post- ou anti-hégéliens, là donc où la pensée cherche à se détacher de l’idéalisme de façon critique. On peut clairement repérer un ‹ héritage de Schelling › notamment chez Kierkegaard, Heidegger et Rosenzweig, mais aussi, de manière souvent secrète et indirecte, dans le marxisme, la psychanalyse ou la philosophie française du XXème siècle. Les contributions de ce volume entendent retracer et soumettre à la discussion différentes phases de cette histoire de la réception qui s’étale en un large éventail et selon diverses strates, précisément aussi dans ses ramifications, ses déplacements, ses différences et ses interruptions. De la sorte, Schelling doit pouvoir être lu à nouveaux frais comme un interlocuteur pour la philosophie moderne et contemporaine. C’est tout un faisceau de structures, de concepts et de motifs qui présentent des points de rattachement possibles pour la philosophie VII https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Avant-propos
du XIXème et du XXème siècles : ainsi par exemple les motifs du retrait, de l’incommensurable, de l’obscur et de ce qui échappe à toute prise, du sans-fond (Ungrund) et du fond sans fond ; le concept schellingien de l’existence par opposition à l’essence (Wesen), ou les aspects de sa pensée liés à l’‹ empirique › et l’‹ inconscient ›, à la finitude et la temporalité, la théorie de la liberté et du mal, son idée du Dieu à venir comme ‹ futur ouvert › ou les conceptions de la providence et du pardon ; et pour finir, on peut ajouter les remarques de Schelling sur l’État, qui peuvent être interprétées en direction de l’‹ anarchisme ›, ou encore sa théorie de la créativité artistique. * * * Le volume se compose de trois sections. Les contributions de la première section sont consacrées à la philosophie tardive de Schelling et à ses relations à l’idéalisme (I.). La deuxième section se tourne vers le XIXème siècle et thématise les résonances de Schelling en particulier chez Kierkegaard, Schopenhauer et Barbey d’Aurevilly ; les différentes contributions tracent déjà des lignes en direction de la réception plus tardive, par exemple vers Sartre, Heidegger et Pareyson (II.). Les contributions de la troisième section s’intéressent à la réception très variée dont Schelling a fait l’objet au XXème siècle. Elles sont consacrées aux lectures de Schelling par Freud, Lukács et Rosenzweig, mais aussi Deleuze, Derrida et Agamben ; l’accent est mis sur la confrontation répétée de Heidegger à Schelling (III.). * * * Les contributions rassemblées ici ont fait l’objet de conférences tenues lors d’un colloque ayant eu lieu à Strasbourg. L’objectif de ce colloque était tout particulièrement de créer des liens entre les perspectives françaises et allemandes concernant la réception de la pensée de Schelling. Nos remerciements vont à toutes les personnes et institutions qui ont contribué à la réalisation du colloque et de ce volume. La Deutsche Forschungsgemeinschaft et le Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine de l’Université de Strasbourg ont généreusement soutenu l’impression de ce volume. Nous remercions David Carus, Christoph Rüßler, Georg Spoo et Sören Wulf pour leur aide active à l’établissement du volume et à la correction des contributions. Nous remercions vivement Sylvaine Gourdain pour la VIII https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Avant-propos
vérification finale des contributions en langue française. Sans l’engagement actif de Philipp Höfele, qui a mis ses compétences à profit lors de la mise en forme du manuscrit et de la réalisation des index, le volume n’aurait pu prendre cette tournure ; les éditeurs tiennent à le remercier tout particulièrement. Fribourg, Strasbourg et Munich, été 2015, Gérard Bensussan, Lore Hühn et Philipp Schwab
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Vorwort
Längst hat sich die Auseinandersetzung mit der Klassischen deutschen Philosophie in den letzten Jahrzehnten von der teleologischen Vollendungsfigur eines Dreischritts Fichte – Schelling – Hegel verabschiedet, wie er kanonisch etwa von Richard Kroner formuliert wurde. Die Beiträge des vorliegenden Bandes haben nicht im Sinn, diesen Dreischritt einfach umzukehren und nun den späten Schelling als ›eigentlichen Vollender‹ des ›Deutschen Idealismus‹ an die Stelle Hegels treten zu lassen. Das Interesse gilt vielmehr denjenigen Potenzialen in Schellings früher, mittlerer und späterer Philosophie, die über den Idealismus hinausweisen. Nirgends gewinnt das Bild Schellings als eines sukzessive ›sich von sich distanzierenden Idealisten‹ schärfere Kontur als im Spiegel seiner Rezeption. Zwar hat Schelling, im Unterschied zu Hegel, keine ›Schule‹ hinterlassen, auch ist nach seinem Ableben kein Streit um die ›korrekte Auslegung‹ des Meisters entbrannt. Gleichwohl – oder vielleicht eben deshalb – prägen sich die Spuren Schellings nachhaltig in die Philosophie des 19. und 20. Jahrhunderts ein, und zwar gerade in ihren post- oder antihegelianischen Strömungen, dort also, wo das Denken sich vom Idealismus kritisch abzustoßen sucht. Ein ›Erbe Schellings‹ wird deutlich sichtbar etwa bei Kierkegaard, Heidegger und Rosenzweig, es zeigt sich in oftmals untergründiger und indirekter Weise aber auch im Marxismus, in der Psychoanalyse und der französischen Philosophie des 20. Jahrhunderts. Die Beiträge des vorliegenden Bandes machen es sich zur Aufgabe, verschiedene Stränge dieser breit gefächerten und vielschichtigen Wirkungsgeschichte nachzuzeichnen und zu diskutieren – auch in ihren Verästelungen und Verschiebungen, in ihren Differenzen und Unterbrechungen. Auf diesem Wege soll Schelling als Gesprächspartner für die Philosophie der Moderne und Gegenwart neu lesbar werden. Dabei ist es ein ganzes Bündel von Strukturen, Begriffen und Motiven, die der Philosophie des 19. und 20. Jahrhunderts im Denken XI https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Vorwort
Schellings Anknüpfungspunkte bieten: so etwa die Motive des Entzugs und des Inkommensurablen, des Unverfügbaren und des Dunklen, des Ungrundes und des Grundlosen; Schellings Begriff der Existenz in der Unterscheidung von der Essenz (Wesen), die Aspekte des ›Empirischen‹ und des ›Unbewussten‹, der Endlichkeit und Zeitlichkeit in seinem Denken, Schellings Theorie der Freiheit und des Bösen, sein Gedanke eines kommenden Gottes als ›offener Zukunft‹ oder die Konzeptionen der Vorsehung und Vergebung; schließlich auch etwa Schellings ›anarchistisch‹ interpretierbare Bemerkungen über den Staat und seine Theorie künstlerischer Kreativität. * * * Der Band gliedert sich in drei Sektionen. Die Beiträge der ersten Sektion widmen sich Schellings später Philosophie und ihrem Verhältnis zum Idealismus (I.). Die zweite Sektion wendet sich dem 19. Jahrhundert zu und thematisiert die Nachwirkung Schellings insbesondere bei Kierkegaard, Schopenhauer und Barbey d’Aurevilly; dabei ziehen die Beiträge im Einzelnen schon Linien zur späteren Rezeption aus, so zu Sartre, Heidegger und Pareyson (II.). Die breit gefächerte Rezeption im 20. Jahrhundert untersuchen schließlich die Beiträge der dritten Sektion. Sie widmen sich den Schelling-Lektüren von Freud, Lukács und Rosenzweig bis hin zu Deleuze, Derrida und Agamben; ein Schwerpunkt liegt auf Heideggers wiederholter Auseinandersetzung mit Schelling (III.). * * * Die hier versammelten Beiträge gehen auf eine Tagung in Straßburg zurück, deren besonderes Anliegen ein ›Brückenschlag‹ zwischen französischen und deutschen Perspektiven auf die Rezeption von Schellings Denken war. Gedankt sei allen Personen und Institutionen, die zum Zustandekommen der Tagung und des Bandes beigetragen haben. Die Deutsche Forschungsgemeinschaft und das Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine der Université de Strasbourg haben den Druck des Bandes großzügig unterstützt. Gedankt sei David Carus, Christoph Rüßler, Georg Spoo und Sören Wulf für Ihre tatkräftige Unterstützung bei der Einrichtung und Korrektur der Beiträge. Ein herzlicher Dank gilt Sylvaine Gourdain für Ihre abschließende Durchsicht der französischsprachigen Beiträge. XII https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Vorwort
Ohne den tatkräftigen, engagierten und kundigen Einsatz von Philipp Höfele bei der Erstellung der Druckvorlage und der Register läge der Band nicht in dieser Form vor; ihm sei seitens der Herausgeber besonders gedankt. Straßburg, Freiburg und München, im Sommer 2015, Gérard Bensussan, Lore Hühn und Philipp Schwab
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Table des matières / Inhalt
Section I La dernière philosophie de Schelling et l’idéalisme / Schellings Spätphilosophie und der Idealismus Miklos Vetö (Poitiers) La monstration de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3
Franck Fischbach (Strasbourg) Schelling et le problème de l’empirisme . . . . . . . . . . . .
25
Marc Richir (Grenoble) Hyperbole dans la philosophie positive de Schelling : Approche phénoménologique . . . . . . . . . . . . . . . . .
41
Marcello Ruta (Bern) Schelling – le dernier des post-kantiens . . . . . . . . . . . .
53
Section II Schelling et le XIXème siècle / Schelling und das 19. Jahrhundert Jochem Hennigfeld (Landau) Freiheit und Charakter Das Problem der intelligiblen Tat bei Schelling, Kierkegaard und Sartre . . . . . . . . . . . . .
71
Giusi Strummiello (Bari) Liberté de l’homme, liberté de Dieu: l’héritage schellingien . .
85
Jad Hatem (Beyrouth) L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly .
105
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Table des matières / Inhalt
Section III Schelling et le XXème siècle / Schelling und das 20. Jahrhundert Gérard Bensussan (Strasbourg) Intériorité, inconscient et structure du temps Schelling et la psychanalyse . . . . . . . . . . . . . . . . .
125
Wilhelm Schmidt-Biggemann (Berlin) Schellings und Rosenzweigs spekulative Philologie der Unverfügbarkeit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
141
Petar Bojanić (Belgrade) ›wäre er nicht mehr Staat‹ Schelling and Rosenzweig on the State and Beyond the State .
173
Alexandra Roux (Poitiers) Schelling irrationaliste ? Critique de la critique lukácsienne de Schelling . . . . . . . .
185
Philipp Schwab (Freiburg) Ungrund und Metaphysik des Bösen Von Heideggers erster zu Derridas letzter Auseinandersetzung mit Schelling (1927–2002) . . . . . . . . . . . . . . . . . .
209
Pascal David (Brest) L’existence au cœur du départage des voix – l’interprétation du traité de Schelling de 1809 dans le cours de Heidegger de 1941
257
Dietmar Köhler (Bochum) Von der »Metaphysik des Weltgrundes« zur »Metontologie« Untersuchungen zum Interesse Heideggers an Schelling . . .
273
Joseph Cohen (Dublin) Du Dieu à venir à l’ultime Dieu De Schelling à Heidegger . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
289
Antonia Birnbaum (Paris) Alles dreht sich … Une lecture deleuzienne des Âges du Monde . . . . . . . . .
309
Marc Maesschalck (Louvain-la-Neuve) La philosophie positive de l’histoire relue par Giorgio Agamben Une réception postmoderne de Schelling . . . . . . . . . . .
331
XVI https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Table des matières / Inhalt
Auteurs / Beiträgerinnen und Beiträger
. . . . . . . . . . . 355
Abréviations et éditions / Siglen und Werkausgaben . . . . . Index des noms propres / Namensregister Index thématique / Sachregister
359
. . . . . . . . . . 363
. . . . . . . . . . . . . . . 367
XVII https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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Section I La dernière philosophie de Schelling et l’idéalisme / Schellings Spätphilosophie und der Idealismus
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La monstration de Dieu Miklos Vetö (Poitiers)
Abstract The concept of God grounds and overshadows Schelling’s thought, at least from the system of identity onwards. In the Inquiries into the Essence of Human Freedom and the Ages of the World, ‘God’ will enable philosophical speculation to contemplate and to expound the mysteries of existence. And finally, in the Spätphilosophie, after admitting its utter dependence on the sheer fact of Being, reason will recover the sense and meaning of the world by analysing and showing how God is the truth of Being. The classical philosophy of the West has incessantly worked on demonstrating that God is the cause of all existence, for the late Schelling the ‘proofs’ of God operate by showing the meaningfulness, the intelligibility of nature, and history.
1. L’idéalisme allemand a été souvent considéré – et jugé, critiqué avec virulence – comme une philosophie en dernière instance théologique, une succession de systèmes construits par d’anciens théologiens et qui continuent à développer des thèmes théologiques camouflés, masqués, dans le meilleur des cas, en thèmes onto-théologiques. Si l’on en croit Heidegger, la question de la possibilité de la proposition ‹ Dieu est › serait l’aiguillon secret qui met en branle toute la pensée de la Critique de la Raison Pure et les œuvres qui suivent. La seconde philosophie de Fichte tourne autour de la relation entre l’Absolu et son Apparition. Et Hegel, lui, ne voulait pas seulement restituer au peuple allemand la métaphysique qui lui a été dérobée, il entendait également reconstruire la théologie abandonnée, trahie par ses praticiens contaminés par l’héritage des Lumières. Quant à Schelling, « le philosophe in Christo » (Engels), à partir de son Tournant, il ne cesse d’insister sur le fait que « l’existence de Dieu […] est l’objet ultime de la 3 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Miklos Vetö
philosophie » (SW VIII, 82). 1 Or contrairement au kantisme, qui ne fait qu’introduire le concept de Dieu par la porte-arrière de la raison pratique, « Dieu ou l’Absolu est le principe de la philosophie schellingienne tout entière », 2 de cette philosophie qui, pendant les longues décennies de Munich et Berlin, ne cherchera – à travers la dualité des deux savoirs négatif et positif – qu’à montrer, à démontrer, à déduire Dieu. Dans le savoir négatif, elle parvient à en clarifier et à en définir l’idée, dans le savoir positif, elle procèdera à sa monstration. La Philosophie négative serait une métaphysique de l’essence, la Philosophie positive, une ontologie de l’existence. La Philosophie négative aboutit à Dieu dans l’Idée, la positive, elle, saisit, « touche » Dieu, le Seigneur de l’Être. Cerstains théologiens et philosophes de l’existence du vingtième siècle portent aux nues les enseignements de la Spätphilosophie. Les premiers « tombent » sur l’exposé spéculatif des mystères chrétiens, quant aux seconds, ils célèbrent en elle une mise entre parenthèses ou au moins une suspension de l’analyse conceptuelle en faveur d’un recours à l’expérience, d’un dépassement de l’analytique de l’essence vers une thétique de l’existence. Or si Schelling préconise dès le Système de l’Identité de commencer la philosophie « par l’idée devenue vivante de l’Absolu » (SW VI, 27), il mettra en garde la spéculation devant le court-circuitage du négatif qui peut conduire – comme ce qui arrive chez Jacobi – à une véritable « hectique (Hektik) philosophique ». 3 Le schellingisme veut, certes, accéder à Dieu, c’est-à-dire au Dieu personnel, 4 mais son édifice doit constituer « un théisme scientifique » (SW VIII, 55). On ne saurait atteindre le positif « immédiatement », 5 faire l’économie de ‹ la patience du concept ›. Si la Spätphilosophie naît et s’élabore à partir de la réalisation de l’impuissance de la raison, de son naufrage devant les mystères de l’existence, elle ne cesse de dire et de redire que la raison ne saurait se relever qu’en appliquant au positif qu’elle « touche » des méthodes et des procédés qu’elle avait appris et utilisés pendant sa démarche négative. Sans doute, « le système positif peut commencer par lui-même » (Schelling 1832/33, 118), mais à la condition qu’il se reconstruise comme une Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de l’auteur. Les traductions citées sont parfois légèrement modifiées. 2 Schelling 1810, 107 / SW VII, 423. 3 Schelling 1983, 195 / SW X, 176. 4 Cf. Schelling 1980, 181 / SW VII, 399. 5 Schelling 1989, 95 / SW XIII, 74. Cf. Hutter 1996, 167. 1
4 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
La monstration de Dieu
véritable métaphysique conceptuelle. Walter Schulz a eu raison de vouloir cerner le moment essentiel de la Spätphilosophie dans la réalisation par la raison de son impuissance essentielle, à savoir le pouvoir qu’elle a de tout ‹ médiatiser ›, excepté elle-même. Redit dans un langage phénoménologique : chez le dernier Schelling « la raison comprend les conditions générales en fonction desquelles quelque chose apparaît, mais elle ne peut jamais déduire pourquoi quelque chose se donne ». 6 Or la rupture existentielle qui aboutit au savoir positif veut précisément expliquer à la raison d’où et comment obtenir les éléments du discours d’un savoir médiatisé concernant les moments du réel effectif. Ce discours porte sur l’existence de Dieu, or il faut noter – et c’est absolument essentiel – que Schelling ne parle pas de la démonstration de Dieu mais plutôt de sa monstration, il n’entend pas « beweisen » mais « erweisen ». 7 Et la différence est immense. Si le dernier savoir prétend à la déduction de l’Idée de Dieu comme Cause suprême et Principe de sens et de structure de l’être tout entier, ce Dieu n’est qu’un « Dieu […] dans son Idée ». 8 Le savoir négatif construit l’idée de Dieu, mais il ne saurait encore rien dire de son existence effective. Il arrive à définir le concept de Dieu, c’est-à-dire comment Dieu serait s’il existait, mais il ne parvient pas à démontrer, à déduire si ce Dieu existe actuellement, effectivement. La déduction sera la tâche du seul savoir positif. Le savoir positif commence avec l’ouverture de la raison devant l’Être absolu désigné désormais comme l’Être Imprépensable. Imprépensable car il précède toute pensée, car il est antérieur à tout concept. L’Être Imprépensable n’est le contenu d’aucun concept : il n’est qu’une « représentation » 9 qui s’impose à la raison s’étant mise à l’écoute de l’Expérience. Cependant si la Raison admet avec humilité son impuissance absolue à conjurer l’Imprépensable, à lui donner une définition, une description conceptuelle, elle entend néanmoins se relever, sortir de son abîme et aller plus loin. La représentation de l’Imprépensable peut conduire au concept de Dieu et le savoir positif n’est que le déploiement appliqué et patient du processus par lequel le Dass, cette « enveloppe » du Très Haut (Schelling 1841/42, 194), se trans-
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Bellantone 2012, 336n. / Cacciari 2001, 134. Cf. Schelling 1991, 97 / SW XIII, 248 ; Schelling 1998, 525 sq. / SW XI, 571, etc. Schelling 1998, 517 sq. / SW XI, 562. Schelling 1989, 199 / SW XIII, 173.
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Miklos Vetö
substantie en Was suprême, c’est-à-dire en Dieu. 10 Sans doute, si cette « seconde science », 11 la Philosophie positive, doit commencer ellemême un nouveau développement métaphysique, elle partira avec et à partir des éléments que la Philosophie négative aura livrés pour cette construction. Le savoir négatif déploie sur un plan encore seulement noétique les structures mondaines qui conduisent vers un Dieu, cause et sens suprême, et le savoir positif n’aura qu’à scruter l’expérience, la nature et l’histoire pour discerner en elles, pour confirmer par elles la réalisation, l’actualisation effective des structures conceptuelles. Si au terme de ses investigations, il aura pu vérifier que les traces de Dieu se retrouvent dans l’histoire naturelle et humaine, plus précisément, si le monde de la nature et le monde de l’homme correspondent effectivement à ce qui devrait être l’œuvre d’un Dieu cause et principe, alors la représentation de l’Être Primordial, de la substance première, ne pourra que céder la place au concept de la Divinité. La raison a été terrassée par l’expérience fulgurante et subjuguante du Dass brut et sauvage. 12 Or si elle n’abandonne pas la partie mais reprend à nouveaux frais l’investigation, elle finira par voir que ce qui l’écrasait et l’aveuglait au commencement comme une puissance irrésistible et inarticulée, l’attendra « à la fin » comme un Esprit ou plutôt comme une Personne. Autrement dit : si la Philosophie négative était le parcours de la démonstration de la divinité comme l’essence, l’idée ultime, la Philosophie positive serait sa monstration comme le Dieu actuel, effectivement existant. La voie de la Philosophie positive est compliquée, elle passe par des développements paradoxaux, fantasques mais d’un point de vue proprement métaphysique, elle ne constitue qu’une nouvelle version de l’antique preuve ontologique, plus exactement, une preuve ontologique à rebours, une preuve ontologique renversée. « La preuve d’Anselme » à travers ses avatars chez Descartes, chez Leibniz, chez Hegel n’est finalement que la démonstration de l’Existence à partir de l’Essence. Ce qu’elle dit et redit, c’est tout simplement que l’être dont le concept se définit comme ce dont on ne pourrait penser plus grand doit exister effectivement car l’existence est un prédicat et privée d’un de ses prédicats, cette ‹ réalité › ne saurait être la plus grande, la plus parfaite. La preuve ontologique comme elle se présente dans la 10 11 12
Cf. Schelling 1991, 241 sq. / SW XIII, 385. Schelling 1998, 345 / SW XI, 367. Cf. Schelling 1998, 512 sq. / SW XI, 556 sq. ; Schelling 1989, 188 / SW XIII, 162 sq.
6 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
La monstration de Dieu
tradition de la pensée occidentale revient alors à ‹ extraire ›, à herausklauben l’existence de l’essence. Or Schelling entend renverser la déduction. Il part de la représentation de l’Être primordial imprépensable pour en déduire Dieu. Autrement dit – renvoyant à L’unique preuve de la démonstration de l’existence de Dieu du Kant pré-critique – au lieu de prouver l’existence de la divinité, il montrera la divinité de l’existence (cf. Schelling 1830, 89 sq.). La preuve ontologique dans la philosophie classique célèbre l’aboutissement de l’essence à l’existence, chez Schelling elle sera l’instrument et le noyau d’un discours d’essence. C’est elle qui permet qu’en dernière instance, comme toute véritable Philosophie de l’Existence, celle qui accomplit l’idéalisme allemand, soit un discours de concept, un exposé d’essence. 13
2. Les deux grands énoncés classiques de la Philosophie positive, à savoir l’Introduction de Berlin et l’Andere Deduktion ont l’ambition d’un ‹ élargissement › inédit de la raison. 14 Dieu est l’alpha et l’oméga de la pensée de Schelling, mais au commencement du savoir positif, il faut pour ainsi dire laisser tomber le concept de Dieu. En fait, on ne doit pas ‹ s’occuper › de Dieu, mais de l’« indubitablement existant » et on doit essayer de voir si du « simple[ment] existant », on peut parvenir à « la divinité ». 15 La divinité est le Was, la Potenz, le Wesen, et la démonstration, plus précisément, la monstration ne part pas de la potentia vers l’être, l’actualité, mais de l’être, de l’actualité vers la potentia, le concept. L’être est le prius, la puissance le posterius. 16 Comme on vient de le dire, il s’agit d’une preuve ontologique à rebours où la pensée ne va pas de l’essence à l’existence, mais de l’existence à l’essence. La preuve ontologique selon son acception traditionnelle n’aboutit qu’au concept de l’être nécessairement existant, or l’être nécessairement existant n’est pas Dieu. 17 La philosophie classique avec son accomplissement en Spinoza a cru pouvoir identifier
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Pour une anticipation de cette problématique dès les Recherches cf. Vetö 2010. Cf. Schelling 1989, 170 / SW XIII, 145. Schelling 1989, 184 sq. / SW XIII, 158. Schelling 1989, 184 sq. / SW XIII, 158 sq. Cf. Schelling 1983, 29n. / SW X, 17.
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Miklos Vetö
l’Être et Dieu, or l’Être ne correspond aucunement à ce que le sens commun relie à la divinité. 18 L’Être n’est pour ainsi dire que « le concept préalable de Dieu ». 19 Les lecteurs de Schelling exultaient de trouver sous sa plume des expressions vigoureuses allant apparemment en direction d’un procès du rationalisme. Or si l’auteur des Recherches et de l’Exposé de l’empirisme philosophique va jusqu’à parler d’un ‹ principe irrationnel ›, 20 de « l’être aveugle, illimité, sauvage » (SW X, 242), il ne s’agit pas de concessions faites à une Weltanschauung opposée à la clarté apollinienne de l’ontologie classique. Quand la Philosophie positive clame l’effondrement de la raison devant le Dass absolu, c’est pour marquer l’incompatibilité – au moins provisoire – de l’Être Premier avec toute articulation conceptuelle. Schelling énumère toute une gamme de synonymes de cet être absolu, qui vont d’une allusion à « la face » du Dieu de l’Exode, « ce qui […] consume tout […] concret » 21 jusqu’à la substance de Spinoza, 22 mais l’essentiel n’est pas l’illimitation sauvage du Premier. La Spätphilosophie lit l’Être Premier comme l’« existentia fatalis », 23 comme « l’Absolu […] aveugle et sourd ». 24 Or précisément, « aveugle » ne signifie pas seulement l’absence d’une vision discernant et prudente, une opposition à la noble clarté de « la liberté », 25 mais aussi et surtout une condition ante-conceptuelle. L’ante-conceptualité du Premier, de l’Être nécessaire s’inscrit dans le discours de la Philosophie positive sous forme « chronologique », à savoir comme négation de toute précédence, de toute antériorité par rapport à soi-même, or cela signifie surtout l’absence de toute véritable structure et de toute distinction noétique. L’esprit est comme « surpris de l’être aveugle » auquel aucune pensée ne peut revenir, par rapport auquel la conscience « perd[…] […] toute liberté ». 26 Sans doute, l’être premier a eu un commencement, mais il apparaît comme ayant « englouti[…] » son commencement 27 et comme s’installant 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27
Cf. Schelling 1983, 34 / SW X, 21. Cf. Schelling 1992, 67 / SW XII, 59. Cf. Schelling 1980, 216 / SW VII, 435 ; Schelling 1980, 159 sq. / SW VII, 374 sq., etc. Schelling 1991, 140 / SW XIII, 289. Cf. Schelling 1998, 518 / SW XI, 563. Schelling 1983, 48 / SW X, 35. Schelling 1989, 130 / SW XIII, 106n. Schelling 1983, 33 / SW X, 20. Schelling 1983, 48 / SW X, 35. Schelling 1983, 48 / SW X, 35.
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dans une indistinction ultime. La célèbre dernière leçon du Système de philosophie purement rationnelle déclare que « le Daß pur n’est aucunement une proposition synthétique ». 28 En fait, on pourrait dire qu’il ne correspond pas même à une proposition analytique, et ceci pour la bonne raison qu’il n’est pas le contenu d’un concept mais d’une simple « représentation ». 29 Schelling ne développera jamais une doctrine quelconque de « la représentation », il s’en sert simplement pour se démarquer de toute tentative d’attribuer une conceptualité quelconque au Dass. Quant au « terme technique » pour définir le Dass, c’est l’Être Imprépensable, une expression que le philosophe revendique comme sa trouvaille la plus propre. 30 L’Unvordenkliches, l’Imprépensable signifie littéralement ce par rapport à quoi on ne saurait penser rien d’antérieur, rien qui le précède, et effectivement il s’agit de cela. L’Imprépensable est « ce qui est avant tout concept », « inattendu » 31 et « imprévisible ». 32 Bien sûr, son caractère imprévisible ne renvoie pas à un simple état de la conscience qui le perçoit, mais dénote une condition ontologique. L’Imprépensable est le Dass exempt de tout Was, 33 l’être exempt de toute « Idée ». 34 Être dépourvu de toute idée signifie l’absence radicale de toute distinction dans cette réalité première. Elle est là et elle ne peut être là qu’en tant que donnée « sans principe [Grund] » préalable. 35 Schelling fait remarquer que Kant avait eu un sens profond de la sublimité de l’Être précédant tout concept, même s’il n’est pas parvenu à articuler sa relation à l’Idéal Transcendantal. 36 Cependant précisément, le noeud du discours de la Philosophie positive tourne autour du rapport entre l’Imprépensable Schelling 1998, 518 / SW XI, 563. Schelling 1989, 199 / SW XIII, 173. 30 Cf. Schelling à K. F. Dorfmüller, 10. Juin 1838, Plitt III, 139. La difficulté de la traduction a été déjà perçue par Kierkegaard qui n’a que le mot allemand dans ses notes rédigées en Danois du cours de Schelling de 1841/42. Voir pour cela l’excellent apparat critique de Z. Gyenge dans sa traduction hongroise de Kierkegaard 1841/42 : Kierkegaard 2001, 120 sq. 31 Schelling 1991, 117 / SW XIII, 267. 32 Schelling 1994, 362 / SW XIV, 342. 33 Cf. Schelling 1989, 187 / SW XIII 161. 34 Schelling 1998, 298 / SW XI, 314 ; cf. certains textes du jeune Schelling, qui anticipent les positions tardives : « Il y a un absolu […] parce qu’un absolu […] est donné » (Schelling 1987, 20n. / AA I,1, 271n.) ; « Il [l’inconditionné, M. V.] est purement et simplement parce qu’il est » (Schelling 1987, 68 / AA I,2, 90) ; cf. aussi AA I,10, 166sq. 35 Schelling 1989, 194 / SW XIII, 168. 36 Cf. Schelling 1989, 193 sq. / SW XIII, 167 sq. 28 29
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et Dieu. La condition sans Was, sans concept et sans idée de l’Imprépensable signifie en dernière instance sa nature « sans soi ». L’être brut – lit-on dans l’Andere Deduktion – va devant soi sans réflexion, 37 une formule qui rappelle un texte du Système de l’Identité sur « la nécessité d’une nature qui s’aime soi-même sans réflexion ». 38 Il s’agit de l’être sans soi, 39 une condition sans ipséité. 40 Or si Dieu est l’Absolu, l’Être Primordial, il est aussi et surtout Ipséité.
3. L’Imprépensable est la désignation du Premier vu à partir de la conscience, sa définition d’une perspective pour ainsi dire épistémologique. Quant à sa vérité ontologique, elle se situe dans l’univers de l’actus, de l’actualité. L’acte pur, l’actualité comme telle – c’est l’enseignement de toute la tradition de la philosophie occidentale – précède la potentialité, même si dans chaque cas donné, le devenir-actuel, l’actualisation se fait à partir d’une potentialité préalable. Or Schelling qui entend « déduire » Dieu à partir de l’Être imprépensable, devra passer par une déduction de la potentialité à partir de l’actualité, faire apparaître l’actualité comme enceinte de potentialité, bref comprendre l’actus comme « potentia potentiae ». 41 La Philosophie positive conduit son exposé sur deux plans, ou plutôt, à travers le déploiement de deux thèmes métaphysiques apparemment très différents. Elle insiste d’abord sur l’absence radicale de toute potentialité au sein de l’actualité, pour développer par la suite la déstabilisation de l’actus par l’avènement de la potentialité, mais un avènement qui lui advient du dedans, de lui-même. Schelling décrit avec emphase, avec éloquence, l’actualité pure du Premier que ne menace ni ne nuance quelque chose qui lui serait antérieur dans le temps ou dans le concept. L’être primordial n’a pas de fondement antérieur, il est absolu et ultime (cf. Schelling 1832/33, 127). L’Esprit – la terminologie des premiers cours de Munich est encore très hésitante – « est sans principe, il est sans nécessité préalable » (Schelling 1831/32, 69).
37 38 39 40 41
Cf. Schelling 1994, 366 sq. / SW XIV, 347. Schelling 1980, 76 / SW VII, 199. Cf. Schelling 1992, 91 / SW XII, 88. Cf. Schelling 1992, 64 / SW XII, 55. Schelling 1994, 366 / SW XIV, 347.
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On ne saurait concevoir aucune puissance en lui ou en dehors de lui (cf. SW X, 284). Si l’Absolu est, il ne peut être que « l’existant en et avant lui-même […] non pas la transition a potentia ad actum » (Schelling 1830, 89). Ces définitions qui ont leur point d’ancrage dans le thème de ‹ l’originalité › sans faille du Premier, rappellent encore la notion kantienne du génie, appropriée par le jeune Schelling, à savoir de l’« absolument contingent » (cf. SW VI, 522), avec toutefois une différence ou plutôt une élaboration, une avancée essentielle qui s’impose à travers la longue genèse de la Philosophie positive. Si la théorie de l’originalité du génie semble s’accommoder d’une contingence qu’elle ne cherche pas à surmonter en concept, la Philosophie positive est précisément la tentative suprême de reconnaître la contingence, tout en la réintégrant dans l’univers de la rationalité et du sens. Selon l’Introduction de Berlin, l’apparition d’une contingence délivre l’Absolu de son être imprépensable, 42 or cette apparition, aussi fortuite et contingente qu’elle paraisse, ne ‹ tombe pas › comme Deus ex machina sur l’Absolu. L’Absolu n’est précédé par aucune puissance, néanmoins il est potentia potentiae, possibilité de concept et de sens. Schelling ne parvient à présenter en bonne et due forme cet enrichissement ex post facto, rétroactif de sa notion du Premier, que dans ses cours de Berlin, mais il le prépare à partir du Tournant des Recherches à travers l’opposition entre Seyn et Seyendes. Depuis les Recherches, en fait depuis Philosophie et Religion, Schelling aspire à dissocier la Nature et son « successeur » l’Être de l’Absolu 43 pour accéder à une conception de la divinité qui en sauvegarde la Transcendance. Les Recherches s’exclament avec pathos « Dieu est une vie, pas seulement un être », 44 mais dès Stuttgart, une distinction ontologique s’impose, celui de Seyn et du Seyendes. La facture verbale du terme est appropriée pour préparer l’avènement de la potentia au sein de l’actus. Schelling met l’accent incessamment sur la différence entre l’Être et l’étant, une différence qui est aussi et surtout expression d’une hiérarchie. Le discours se développe d’abord sur un plan de Weltanschauung où « l’être » dénote la sphère de l’extériorité, « l’étant » celle de l’intériorité (WA I, 39 ; SW IX, 58, etc.). Avec, bien sûr, la survivance d’une forte dose d’éléments d’origine de philosophie transcendantale : extériorité et intériorité correspondent à 42 43 44
Cf. Schelling 1991, 117 / SW XIII, 268. Cf. Schelling 1810, 140 / SW VII, 440. Schelling 1980, 185 / SW VII, 403. Cf. SW VI, 27.
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être et à étant comme non-position à position (cf. SW IX, 75). Or le philosophe, tout en conservant des ponts vers sa spéculation antérieure, entend aussi dramatiser les ruptures et il va jusqu’à opposer « le non-étant de la nature » à « l’étant absolu […] Dieu », 45 en attendant de déclarer expressis verbis dans un texte de Munich que l’être est « un non-étant » (SW X, 262). Schelling essaye d’exprimer, de définir la notion de Dieu, et au lieu d’adopter la voie de la théologie négative, il abonde plutôt dans le sens du superlatif, de l’emphase. La Spätphilosophie se complaît à recourir à des formules avec sur-, über-, or il s’agit ici de davantage qu’une haute rhétorique en manque de concept. Le sur-, le supra- ne traduisent pas une espèce de poétique spatialisante, mais possèdent un sens proprement métaphysique. Sans doute, encore pendant les cours de Munich, il y aura des imprécisions, des rechutes dans un discours qui utilise « l’être même » au lieu de « l’étant », 46 mais dès les textes de la Philosophie intermédiaire, Schelling désigne avec clarté et détermination « le Dieu étant » comme « Dieu sensu eminenti ». 47 Et la Spätphilosophie ne cessera de parler de ce qui, se situant « au-dessus de l’être », est « l’Étant lui-même », 48 de celui dont « la divinité éternelle » consiste dans ce « Seyende-seyn ». 49
4. La désignation étant représente une haute tentative conceptuelle de dissocier la Divinité de l’Être et de l’ériger en catégorie métaphysique sui generis. 50 Elle est relayée par – ou plutôt utilisée en même temps que – diverses désignations d’ordre ontologique qui constituent autant de synonymes du Transcendant ultime. L’idéalisme absolu déploie la nature et l’histoire, construit l’être et l’essence à travers l’échelle des Potenzen, et pour exprimer l’altérité radicale de l’Absolu, Schelling 1980, 236 / SW VII, 458. Cf. Tilliette 1992, 216. 47 Schelling 1980, 216 / SW VII, 435. Cf. Dieu « in der Natur das Seyende, die Natur aber von Gott nur das Seyn » (SW IX, 75). 48 Schelling 1989, 147 / SW XIII, 148. 49 Schelling 1989, 200 / SW XIII, 174. 50 En fait, il se trouve de nombreux passages où Seyendes apparaît indépendamment de « Dieu » et constitue une catégorie métaphysique dont Dieu peut n’être qu’une désignation parmi d’autres. 45 46
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le Système de Wurzbourg le définit comme das Potenzlose (cf. SW VI, 212). 51 Presque quarante ans plus tard, la Spätphilosophie fera écho à ce philosophème : les trois Potenzen constituent « la matière » de Dieu, mais Lui, il « flotte » entre ou au-dessus des Potenzen, de ses Potenzen. 52 Quant aux Conférences de Stuttgart, elles ont recours à la formule pseudo-arithmétique de A4 pour définir la transcendance de Dieu par rapport aux trois Puissances désignées par A1, A2, A3. 53 Mais Schelling n’est guère satisfait de ces formules abstraites, artificielles et il parlera plutôt du « singulier », 54 de ce qui n’est semblable à rien d’autre, le Saint, 55 de ce qui est « exempt de toute relation », le Transcendant (SW X, 286). Or l’apothéose de tout ce discours sera la haute métaphore du Seigneur de l’Être, une de ces tournures de la rhétorique du concept qui marquent l’histoire de la philosophie, qui restent attachées à jamais au nom de leur auteur. La notion, si l’on veut le philosophème du Seigneur de l’Être surplombe le discours de la Philosophie positive. Il est censé exprimer la Transcendance que l’idéalisme postkantien entend réaffirmer, mais une Transcendance précisément passée par le creuset de la spéculation. Être Seigneur signifie dominer, mais surtout se trouver au-delà et séparé de tout autre. Or Schelling ne s’arrête pas à ces métaphores ontologiques spatialisantes pourtant fort suggestives. Il définira plutôt le Seigneur de l’Être, Dieu en tant que transcendant comme l’« imparticipable » 56 pour mettre en lumière l’hétérogénéité radicale de la divinité par rapport à tout le reste, pour couper court à des tentatives de produire de nouvelles variantes de l’analogia entis. Toutefois, le philosophe comprend – et c’est ici que gît l’originalité profonde de toute sa spéculation tardive – que « l’imparticipable » ne revient finalement qu’à une conception pour ainsi dire négative ou plutôt relative de la Transcendance, qui l’envisage en fonction de sa relation par rapport à autre chose qu’elle-même quand la vérité de la Transcendance est intrinsèque, immanente. Le transcendant est transcendant en luiVoir encore dans un autre texte de Wurzbourg le dépassement de la « Triplizität » par « das die drei Dimensionen in sich auflösende, selbst dimensionslose göttliche Princip » (SW VII, 280). 52 Schelling 1991, 202 sq., 212 / SW XIII, 348, 356 sq. 53 Cf. Schelling 1980, 233 sq. / SW VII, 455 sq. L’A4 dénotera également la transcendance de l’Homme par rapport aux composants et au contenu de son être ; cf. Vetö 2014. 54 Schelling 1998, 539 / SW XI, 586. 55 Cf. Schelling 1992, 102 / SW XII, 101. 56 Schelling 1998, 264 / SW XI, 275. 51
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même, indépendamment de tout rapport virtuel ou actuel à quelque chose d’autre. 57 Autrement dit, Dieu est le Seigneur de l’Être non pas parce qu’Il se trouverait trop haut pour qu’autre chose puisse L’atteindre ou parce qu’Il serait trop pur pour que quoi que ce soit puisse entrer en relation avec Lui. Dieu n’est pas transcendant parce que ce qui n’est pas Lui serait trop indigent pour l’affecter, mais parce qu’Il a en lui suffisamment de ressorts et de ressources pour être ‹ inaffectable ›. La Seigneurie de Dieu signifie sa souveraineté par rapport à toute autre réalité, mais la vérité de cette souveraineté ad extra est basée sur une souveraineté ad intra. Dans ses cours sur le Monothéisme, Schelling déploie avec un luxe de détails la démonstration de l’unicité intrinsèque de Dieu. À savoir que Dieu n’est pas un et unique, parce qu’il serait – en l’absence d’autres dieux – le seul Dieu, mais parce qu’il est l’Unique, indépendamment de l’existence ou de l’inexistence d’autres dieux ! 58 L’unicité est un aspect ou plutôt un composant intégral de la notion de la Transcendance authentique que la Spätphilosophie entend élaborer à travers une vision immanente de la souveraineté divine. Et cette souveraineté immanente est à comprendre à partir de la liberté de Dieu. La Philosophie Intermédiaire est inaugurée par la Freiheitsschrift qui s’intitule comme « un traité sur la liberté humaine et les choses apparentées ». Or, les railleries d’un Feuerbach ne sont pas dépourvues de vérité : dans l’idéalisme schellingien il s’agit moins de l’homme que de Dieu, 59 et ceci vaut plus particulièrement pour la question de la liberté. La liberté est énoncée dès 1809 comme l’en-soi de tout réel, pas seulement de l’homme, 60 et toute la seconde philosophie est effectivement une métaphysique de la liberté. 61 Nous avons vu que Schelling veut desceller et dynamiser la notion abstraite de l’Absolu à la Spinoza par le passage de l’Être à l’étant et ce n’est pas fortuitement qu’une des toutes premières occurrences de l’étant contient une mise en relation essentielle avec la liberté. « Le de par sa nature étant » – entendent les membres du cercle de Georgii – « est le libre en soi ». 62 Cette intuition hante quasiment les grands exposés de la Spätphilosophie, autant d’apologies métaphysiques passionnées de 57 58 59 60 61 62
Cf. Vetö 2000, 456 sq. Cf. Vetö 2006, 201 sq. Cf. Feuerbach 1820–1850, 311. Cf. Schelling 1980, 138 / SW VII, 351. Cf. Schelling 1832/33, 377 ; Schelling 1983, 49 sq. / SW X, 36, etc. Schelling 1980, 235 / SW VII, 457.
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la liberté, et quel est le lecteur de Schelling qui ne se souvient pas de la haute rhétorique de Berlin sur la liberté comme « notre divinité » ? 63 La liberté est notre divinité, en fait, la divinité tout court, car l’être absolument libre est l’être absolument parfait. 64 Or ce discours exalté est à redire et à réarticuler par l’exposé conceptuel. La liberté de Dieu est effectivement le gond autour duquel tourne la spéculation du second Schelling, mais cette catégorie d’origine anthropologique et morale doit être pensée en stricte métaphysique. En fait, c’est d’abord à travers un discours apparemment paradoxal où la théorie de la liberté traverse une dialectique de la nécessité, puis par le recours au philosophème de « l’unité indissoluble » que la liberté confirme en concept sa situation centrale dans le discours de la Spätphilosophie. Dans ses Leçons de Munich sur l’Histoire de la Philosophie Moderne, Schelling explique que « le concept de Dieu et le concept de l’être nécessairement existant ne sont pas des concepts purement identiques », 65 et un peu loin il fera remarquer que l’existant nécessaire n’est pas libre, en revanche, Dieu doit être pensé comme libre. 66 Ces distinctions se situent dans le contexte d’une critique vigoureuse de l’argument ontologique qui aboutit, certes, – c’est une position d’ailleurs très traditionnelle, pour l’essentiel conforme à l’enseignement classique de la scolastique thomiste – à la notion d’un être nécessairement existant, mais seulement à son concept, non pas à son existence effective … Schelling, lui, croit pouvoir dépasser l’écueil de l’argument ontologique en repensant la notion de l’être nécessaire. L’Ens necessarium des Médiévaux, de la scolastique wolffienne n’est finalement que celui d’une nécessité contingente : il se trouve être nécessaire, une fois qu’il existe, mais son existence, elle, n’est pas nécessaire, elle est simplement comme « survenue » (Schelling 1837/42, 179). La véritable nécessité, la necessitas au sens strict, ne s’épuise pas dans cette nécessité seulement actuelle, elle relève d’un niveau métaphysique qui dépasse la condition finalement fortuite d’un ens necessarium effectif. L’existence suâ natura nécessaire – écrit le philosophe – est « nécessairement nécessaire ». 67 L’existant nécessairement nécessaire continue à être lui-même, même quand son
63 64 65 66 67
Schelling 1991, 105 / SW XIII, 256. Cf. Schelling 1991, 105 / SW XIII, 256. Schelling 1983, 29 / SW X, 17. Cf. Schelling 1983, 35 / SW X, 23. Schelling 1994, 368 / SW XIV, 348.
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unité est rompue (cf. Schelling 1831/32, 87), quand son actualité est suspendue. Comme Dieu reste unique, indépendamment de l’existence ou de la non-existence d’autres dieux, Il reste nécessaire, même quand l’effectivité de son être subit une éclipse, une négation. Le paradoxe ultime de l’être « nécessairement nécessaire », est bien plus radical que celui du discours le plus véhément de la théologie négative et il dépasse la théologie négative également dans la mesure où il ne se contente pas de proférer des variantes de la vision apophatique, mais entend donner raison du paradoxe en métaphysique. Le nécessairement nécessaire, que l’Andere Deduktion n’hésite pas à désigner comme le « divinement » nécessaire, 68 va être « déduit » à partir du philosophème du « lien » ou de « l’unité indissoluble », un thème venant de l’exégèse théosophique d’un passage de l’Épître aux Hébreux. 69 La Philosophie Intermédiaire oppose l’homme à Dieu : dans l’homme le lien entre la nécessité et la liberté peut être rompue, c’est ce qui arrive quand l’homme fait autre chose que ce qu’il devrait faire, quand il agit et existe autrement qu’il ne devrait agir et être. Cependant pour Dieu le lien est indissoluble : Dieu peut être autrement qu’en conformité à son essence ! Le déchirement du lien entre nécessité et liberté conduit l’homme à la contradiction, à l’effondrement, finalement, à la disparition. Quant à la divinité, de par son essence, elle est apte à aller à l’encontre de sa nature, à être en opposition avec sa nature. Depuis Platon, on sait que le Bien est au-delà de l’être, ou si l’on veut de l’Essence. La Seigneurie de l’Être du Dieu schellingien se comprend à partir de l’approfondissement et de l’articulation conceptuelle de cette intuition suprême qui inaugure quasiment la métaphysique occidentale. L’Indissolubilité de l’unité de Dieu rend raison de sa transcendance par rapport à l’Être : Dieu demeure Dieu, tout en n’étant pas l’être, en fait, sa divinité se manifeste ou plutôt s’accomplit à travers l’actualisation de la potentialité suprême de ne pas être. Toutefois, cet extraordinaire exercice d’apophatisme ne revient pas à une anarchie métaphysique, à une prolifération des formes d’être que la divinité pourrait revêtir. La Philosophie positive n’enseigne pas que Dieu pourrait être Caligula, Néron ou dix mille Turcs … Elle n’envisage qu’un seul choix, une seule option pour la divinité : être elle-même ou être le monde. En fait, l’enseignement essentiel que la Spätphilosophie ne cesse d’exposer et d’approfondir, 68 69
Schelling 1994, 370 / SW XIV, 350. Cf. Vetö 2002, 427n.
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La monstration de Dieu
c’est que la Seigneurie de Dieu consiste dans sa liberté souveraine d’assumer son propre être ou bien d’y renoncer en faveur de l’être du monde. « L’unité indissoluble de ses […] moments » constitue « l’être absolument libre ». 70 Elle fonde cette « sécurité de soi » (SW X, 260) qui permet à la divinité d’être soi-même ou d’être un autre, à savoir le monde. La prémisse ontologique de la souveraine liberté de Dieu est à chercher dans la relation entre l’actualité et la potentialité en Lui. Sans doute, le Dieu existant est un Dieu actuel, toutefois Dieu n’est pas condamné à l’actualité. Dieu demeure potentialité dans l’être, 71 puissance jaillissante au sein de l’actualité. 72 L’Être Imprépensable n’est encore que l’acte de l’actus purus, quand « le vrai concept de Dieu est […] d’être l’actus purus […] comme essence ». 73 Schelling entend sauvegarder la vérité de l’actualité devant les aléas de l’être « contingent » (SW X, 246) et multiplie de magnifiques saillies et paradoxes métaphysiques. Dès les Recherches, il énonce avec éclat : Dieu pour ainsi dire flotte entre le fondement et l’existant, il peut être de la même manière l’un ou l’autre « avec tout son être ». 74 Il est la véritable causa sui, « c’est-à-dire une cause qui demeure cause dans l’être, non pas comme celle de Spinoza qui se consume dans l’être et devient substance ». 75 Il est l’unité supérieure qui demeure en soi-même quand il est hors de soi, qui « reste […] auprès de soi » tout en s’étant aliéné et soumis à un autre que soi. 76 L’indissolubilité est la parade conceptuelle qui permet à la Philosophie positive de confirmer le philosophème du Seigneur de l’Être, c’est-à-dire de l’Être du Monde à partir de la vision de la souveraineté de Dieu par rapport à lui-même. Dieu est le Maître de l’Être, car il possède une maîtrise absolue de soi-même. Au sens le plus général, être libre c’est n’être attaché à rien, même pas à soi-même, 77 et précisément Dieu est celui qui n’est pas lié à soi-même, par conséquent « à son être » (Schelling 1837/42, 183). La divinité flotte avec une
70 71 72 73 74 75 76 77
Schelling 1994, 359 / SW XIV, 339. Cf. Schelling 1992, 65 / SW XII, 57. Cf. Schelling 1998, 485 / SW XI, 524 et n. Schelling 1994, 368 / SW XIV, 349. Cf. Schelling 1980, 187 sq. / SW VII, 406. Schelling 1992, 71 / SW XII, 64. Schelling 1992, 65 sq. / SW XII, 57. Cf. Vetö 2002, 515.
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souveraine liberté au-delà de tout être, même le sien propre, 78 et si la Philosophie positive est la monstration que l’Absolu n’est pas que l’Être Primordial, l’Imprépensable, l’actus purus enfoncé et engoncé en soi-même, mais un Dieu libre qui instaure le sens dans le monde qu’il fait être, c’est qu’elle aura auparavant approfondi la notion métaphysique de la liberté absolue, de la liberté divine.
5. La grandiose construction de la Spätphilosophie qui découvre Dieu au sein de l’Être Imprépensable s’achève par la monstration du fait qu’Il aura renoncé à son être en faveur de l’être du monde. Ce haut enseignement de la Philosophie positive trouve son origine dans les intuitions éclatantes du jeune Schelling. Au beau milieu du Système de l’Identité, Schelling profère la grande formule sur « un Dieu fini et se soumettant volontairement à la mort » (SW IV, 252). Le philosophe d’Iéna n’a jamais cessé d’être théologien chrétien et le théologoumène de la kénose continue à inspirer la spéculation de la Philosophie Intermédiaire, en attendant d’apparaître comme le nerf véritable de tout le « système positif ». 79 La kénose est repensée dès Stuttgart comme le sens et le ressort véritables de la création, qui prend son « commencement » par « un abaissement de Dieu ». 80 L’enseignement sur l’abaissement de Dieu est rendu concevable par la réflexion sur la liberté de Dieu d’être auprès de soi aussi bien que loin de soi-même, sur sa puissance à subsister en soi-même comme hors de soi-même. Toutefois, la liberté du Dieu nécessairement nécessaire ne supplée que la possibilité de cette renonciation, de cette aliénation par rapport à son propre être. Il reste encore à expliquer pourquoi la divinité opte effectivement pour un autre être que le sien propre, à savoir l’être du monde. La création du monde, c’est-à-dire l’avènement de la Nature et de l’Histoire pour ainsi dire atteste l’abaissement divin, mais qu’est-ce qui « motive » ce sacrifice suprême ? Schelling enseigne avec Platon que « Dieu n’est pas jaloux » (cf. SW VIII, 266), mais comment passer de l’absence de la jalousie à une volonté positive d’abandon de soi ? 78 79 80
Cf. Schelling 1992, 92 / SW XII, 89. Cf. Schelling 1998, 519 / SW XI, 564. Schelling 1980, 210 / SW VII, 429.
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La monstration de Dieu
La Philosophie positive ne saurait se contenter de « constater » l’existence effective de ce Monde, produit et fruit du suprême agir altruiste de la Divinité, il lui faudrait encore en expliquer en concepts les ressorts et les fins. Dieu est la Perfection Suprême, la Transcendance absolue. C’est dire que s’Il opte pour l’abaissement de soi, ce n’est pas qu’Il en a « besoin », l’abaissement ne comble pas un manque, il ne guérit pas une indigence en Lui, bref il ne Le rend pas plus parfait, il ne Lui « ajoute » pas quelque chose. La divinité n’est soumise à aucune fatalité qui la pousserait, qui la forcerait à s’aliéner. Si elle fait ce choix, elle le fait en vertu de la liberté souveraine d’un être sui securus, d’un être parfait. Or liberté ne signifie pas contingence. Autrement dit : on ne saurait concevoir aucune raison extérieure ou intérieure qui s’imposerait à la volonté de Dieu, néanmoins, Il ne pourrait vouloir que d’après un Sens, pour une Fin. Dieu n’a pas besoin de créer un miroir – lit-on dans un cours de Munich – pour s’y contempler (cf. Schelling 1832/33, 355), l’actualisation ou la non-actualisation du « processus » cosmique lui est « indifférente » (Schelling 1832/33, 469). Or – et c’est ici qu’apparaît toute la portée du Tournant de Schelling – l’indifférence de Dieu envers lui-même ne signifie pas pour autant l’indifférence envers d’autres que soi. Si Dieu opte contre l’affirmation de soi, contre l’enfermement dans son Être Imprépensable, c’est pour ‹ l’intérêt › de ce qui advient hors de Lui. Le Seigneur de l’Être crée et Il crée en vue de la créature. La création est un chiffre de cette option pour un autre être que le sien propre, un mouvement onto-théologique que le philosophe exprime par la métaphore de l’adoption. Dieu préfère un autre, des autres à soi-même, au lieu de s’adonner au déploiement de son propre être, il cède la place à la naissance d’« enfants adoptés ». 81 L’adoption veut exprimer l’avènement d’êtres effectivement différents de Dieu et cette atteinte apparente à l’absoluité de Dieu au lieu d’en compromettre la perfection, la transcendance, en exprime plutôt la plus haute vérité. L’avènement de l’être mondain confirme le pouvoir-être « von sich hinweg » dans lequel consiste non seulement « la liberté absolue » de Dieu, mais aussi « sa félicité absolue ». Sans doute, cette argumentation ne peut que surprendre et choquer ceux qui considèrent « la pensée sur la pensée » comme la plus haute définition de Dieu, 82 or précisément Dieu n’est ni la Pensée ni l’Être, mais 81 82
Schelling 1994, 370 / SW XIV, 351. Cf. Schelling 1994, 370 sq. / SW XIV, 351.
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l’Amour. 83 Cette identification de Dieu avec l’Amour n’est pas un excès de rhétorique théologico-métaphysique, elle n’a rien d’un anthropomorphisme illégitime. Elle traduit plutôt une réflexion qui conduit le discours sur Dieu à son accomplissement. La philosophie classique a rencontré des difficultés quasi insurmontables devant la conception de la création, de l’avènement d’êtres qui n’existaient pas auparavant, d’êtres autres que Dieu. Or la Spätphilosophie de Schelling croit pouvoir résoudre ces difficultés. Le philosophème hardi de l’aliénation de soi de la divinité, l’enseignement sur « l’adoption d’autres êtres » (Schelling 1841/42, 187) prend son point de départ dans la notion de Dieu, liberté-souveraineté absolue envers soi-même, envers son propre être. La souveraineté absolue permet pour ainsi dire par ricochet une conception kénotique du Très Haut et de ce fait, paraît le soumettre au devenir-moins, à la perte, à la souffrance. On croirait alors assister à l’intégration de la déperdition, si l’on veut de l’im-perfectionnement dans la notion même de la divinité. Or la vision de Dieu comme Amour fera comprendre que l’introduction de la kénose au cœur même de la divinité ne l’amoindrit aucunement, bien au contraire, l’expose selon sa plénitude. Dieu n’est vraiment lui-même qu’en dépassant son être primitif exclusif. 84 Enfermé dans son Être Imprépensable, Dieu qui est Amour a été « hors de » son concept. 85 Ce n’est qu’en appelant le Monde à l’existence, qu’Il entrera « dans son concept », 86 qu’Il paraîtra selon sa vérité de « cause », 87 non seulement de soi mais aussi d’autres choses que soi. L’aliénation de soi en faveur de l’être mondain, son abaissement pour ouvrir la voie à la création revient à la présentation de Dieu selon sa vérité, son entrée « dans son concept ». Or cet avènement de la vérité de Dieu, ce processus au terme duquel il conquiert son propre concept, son essence divine n’est que ‹ le commencement › de cette lecture de la divinité en termes de concept. En recouvrant son concept, Dieu rend possible la conceptualisation de l’être, et ceci en dernière instance, car Il s’avère comme le concept par excellence. Selon l’Andere Deduktion, en suspendant par sa liberté son être primordial
83 84 85 86 87
Cf. Schelling 1980, 219 / SW VII, 439. Cf. Schelling 1992, 71 sq. / SW XII, 64. Schelling 1994, 372 / SW XIV, 353. Schelling 1994, 372 / SW XIV, 353. Schelling 1994, 366 / SW XIV, 347.
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La monstration de Dieu
aveugle, Dieu retrouvera son être divinement nécessaire, son être « inconcevable » sera pour ainsi dire « remplacé » par un « être concevable ». 88 Or cette auto-transposition de Dieu dans la condition métaphysique de la conceptualité ne concerne pas seulement la Divinité elle-même, mais doit être plutôt comprise comme affectant le réel tout entier ou plutôt comme advenant à travers et au terme d’un processus de conceptualisation de ce réel. Pour la Philosophie positive, « le concept est la conséquence de l’être » : 89 c’est « en Dieu » que ce qui est « a priori inconcevable devient concevable ». 90 La vérité du Dass est « le Transcendant absolu » (Schelling 1841/42, 146), Dieu est l’Existant en qui le Dass est venu au concept. 91 Dieu est, certes, l’absolument Différent, mais l’impuissance de la pensée pour cerner la divinité ne signifie aucunement un irrationalisme : la Raison peut être effondrée, renversée en face de la divinité, néanmoins c’est par la divinité qu’elle se retrouvera, se rassasiera, voire « s’élargira ». 92 Et cette résurrection de la raison se fera à partir de la réalisation que la divinité n’est pas seulement susceptible d’être exprimée en concept, mais qu’elle est concept, le « concept de tous les concepts », 93 le concept par excellence. Dieu est le concept par excellence, qui est déduit par tout le cours du Système Purement Rationnel, de la Philosophie négative. Or il reste encore – et c’est l’essentiel – à prouver que ce concept suprême n’est pas confiné dans le Was, mais qu’il est actualisé, qu’il est effectivement. Ce mouvement de déduction est celui de la Philosophie positive, cette extraordinaire combinaison de la démonstration a priori et de la monstration a posteriori. Le Savoir Négatif correspond à la preuve ontologique, c’est-à-dire à la preuve par le concept, le Savoir positif, lui, correspond à la preuve à partir du Monde. Le négatif construit la notion de la divinité, le positif en retrouve l’existence à l’épreuve de la Nature et de l’Histoire. C’est l’Introduction de Berlin, le plus complet exposé de la Spätphilosophie qui présente la formule où toute cette spéculation est comme résumée dans un ultime raccourci. Si l’Être Imprépensable, « l’existant nécessaire est Dieu, alors telle et telle conséquence, alors a, b, c, etc., existent effectivement […] 88 89 90 91 92 93
Schelling 1994, 370 / SW XIV, 350. Schelling 1989, 190 / SW XIII, 164. Schelling 1989, 191 / SW XIII, 165. Cf. Schelling 1989, 196 / SW XIII, 170. Cf. Schelling 1989, 170 / SW XIII, 145. Schelling 1992, 42 / SW XII, 30.
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donc […] l’existant nécessaire est effectivement Dieu ». 94 La formule est courte et simple, mais elle exprime avec une concision unique le principe et le ressort de la sursomption de la Philosophie négative par la Philosophie positive, la monstration de Dieu, le Concept existant à partir du concept in-existant et de l’être a-conceptuel. Les « conséquences » dont parle ce cours de Berlin sont l’histoire de la nature et l’histoire de l’homme. 95 La Philosophie positive déduit le cheminement des Potenzen jusqu’à leur aboutissement au Concept suprême, la Philosophie positive discerne et confirme l’effectivité de ce cheminement dans l’Histoire. Il n’y a pas lieu ici de reprendre ces développements qu’analysent et exposent inlassablement les textes de la Spätphilosophie. Ce qui importe, c’est de comprendre que l’Empirisme Philosophique du savoir positif se veut comme l’œuvre la plus haute de la raison. L’idéalisme allemand s’accomplit effectivement dans la dernière philosophie de Schelling, non pas en intégrant l’expérience dans le rationnel, mais en retrouvant la raison au sein même de l’expérience. Le Dieu transcendant est le chiffre de ces retrouvailles, mais il n’en est pas que le chiffre. Le schellingisme n’est pas l’abandon de la métaphysique en faveur du discours de « la raison historique ». 96 Bien au contraire, c’est un élargissement de la philosophie où l’expérience et la raison n’ont pas à faire des sacrifices l’une en faveur de l’autre mais où l’expérience et la raison, toutes les deux, atteignent leur plénitude. Dieu, qui, « après » avoir été l’Être Primordial, s’accomplit comme Concept, est le ressort et le lieu de cette conciliation. Ce que « la religion publique » appelle Dieu (Schelling 1832/33, 77 sq.) est l’objet et l’accomplissement de la construction philosophique. Et le Monde selon son altérité, sa différence radicale par rapport à la Divinité en est la véritable monstration. 97
Bibliographie Bellantone, Andrea 2012 : La métaphysique possible. Philosophie de l’esprit et modernité. Paris. Cacciari, Massimo 2001 : Dell’Inizio. 2e éd., Milan.
94 95 96 97
Schelling 1989, 194 sq. / SW XIII, 169. Janke 2009, 90 sq. Cf. Hutter 1996. Cf. Schelling 1989, 153 sq. / SW XIII, 129.
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La monstration de Dieu Feuerbach, Ludwig 1820–1850 : Ludwig Feuerbach in seinem Briefwechsel und Nachlass sowie seiner Philosophischen Charakterentwicklung, t. 2 : Briefwechsel und Nachlass. 1820–1850, éd. par Karl Theodor Ferdinand Grün. Leipzig/Heidelberg 1874. Hutter, Axel 1996 : Geschichtliche Vernunft. Die Weiterführung der Kantischen Vernunftkritik in der Spätphilosophie Schellings. Francfort-sur-le-Main. Janke, Wolfgang 2009 : Die dreifache Vollendung des deutschen Idealismus. Schelling, Hegel und Fichtes ungeschriebene Lehre. Amsterdam. Kierkegaard, Sören 1841/42 : « Referat af Schellings Forelaesninger i Berlin 1841–42 over ‹ Philosophie der Offenbarung › ». In: Søren Kierkegaards Papirer, éd. par Niels Thulstrup. Copenhague 1968–1978, vol. XIII, 253–329 (III C 27). – 2001 : Berlini Töredék. Jegyzetek Schelling 1841/42-es előadásairól, éd. par Zoltán Gyenge. Budapest. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1810 : Conférences de Stuttgart. Stuttgarter Privatvorlesungen. Version inédite, accompagnée du Texte des Œuvres, éd. par Miklos Vetö. 2e éd., Paris 2009. – 1830 : « Textprobe der Mittermair-Nachschrift (von 1830) ». In : Koktanek, Anton Mirko : Schellings Seinslehre und Kierkegaard. Mit Erstausgabe der Nachschriften zweier Schellingvorlesungen von G. M. Mittermair und Sören Kierkegaard. Munich 1962, 85–97. – 1831/32 : Urfassung der Philosophie der Offenbarung, éd. par Walter E. Ehrhardt. Hambourg 1992. – 1832/33 : Grundlegung der Positiven Philosophie. Münchner Vorlesung WS 1832/33 und SS 1833, éd. par Horst Fuhrmans. Turin 1972. – 1837/42 : Philosophie der Mythologie. In drei Vorlesungsmanuskripten. 1837/ 1842, éd. par Klaus Vieweg/Christian Danz. Munich 1996. – 1841/42 : Philosophie der Offenbarung. 1841/42, éd. par Manfred Frank. Francfort-sur-le-Main 1977. – 1980 : Œuvres métaphysiques 1805–1821, trad. par Jean-François Courtine/ Emmanuel Martineau. Paris. – 1983 : Contribution à l’histoire de la philosophie moderne. Leçons de Munich, trad. par Jean-François Marquet. Paris. – 1987 : Premiers Écrits (1794–1795), trad. par Jean- François Courtine. Paris. – 1989 : Philosophie de la Révélation, livre I : Introduction à la Philosophie de la Révélation, trad. de la RCP Schellingiana (CNRS) sous la dir. de Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris. – 1991 : Philosophie de la Révélation, livre II : Première partie, trad. de la RCP Schellingiana (CNRS) sous la dir. de Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris. – 1992 : Le Monothéisme, trad. par Alain Pernet. Paris. – 1994 : Philosophie de la Révélation, livre III : Deuxième partie, trad. de la RCP Schellingiana (CNRS) sous la dir. de Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris. – 1998 : Introduction à la philosophie de la mythologie, trad. de la GDR Schellingiana (CNRS) sous la dir. de Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris.
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Miklos Vetö Tilliette, Xavier 1992 : Schelling. Une philosophie en devenir. 2e éd., Paris, vol. 2. Vetö, Miklos 2000 : De Kant à Schelling. Les deux voies de l’idéalisme allemand. Grenoble, vol. 2. – 2002 : Le fondement selon Schelling. 2e éd., Paris. – 2006 : « L’unicité de Dieu selon Schelling ». In : id. : Philosophie et Religion. Essais et études. Paris, 201–212. – 2010 : « Le rôle des Recherches dans le déploiement de la philosophie de Schelling. Perspectives métaphysiques ». In : Schelling en 1809. La liberté pour le bien et lour le mal, éd. par Alexandra Roux. Paris (Recherches sur l’idéalisme et le romantisme allemands 5), 117–137. – 2014 : « Ontologie, anthropologie, théologie dans les Conférences de Stuttgart de Schelling ». In : Revue philosophique de la France et de l’étranger 139, 451– 476 (en allemand : « Ontologie, Anthropologie, Theologie. Position und Antizipation der Stuttgarter Privatvorlesungen von Schelling ». In : Philosophisches Jahrbuch 118 (2011), 60–84).
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Schelling et le problème de l’empirisme Franck Fischbach (Strasbourg)
Abstract The transcendental Idealism of Kant and what we consider the continuation of it by the Philosophers of German Idealism never understood themselves as enemies of Empiricism. On the contrary: Kant himself thought that the knowledge of the existence of a priori notions could only come from Experience and that is the reason why he explained that transcendental Idealism leads to an empirical Realism. It must also be remembered that the first Title of Hegel’s Phenomenology of Spirit was “The Science of the Experience of Consciousness”. This historical context makes the fact that Schelling was able to consider his own late Philosophy as a “great Empiricism”, i. e. Empiricism on a grand Scale, more comprehensible. This article aims to explain what it means that the great Rationalism of the German Tradition had to finally find its own Completion and its own Limits in the Figure of a radical Empiricism which is not an Empiricism of the Facts of Perception, but an Empiricism of Acts and Volition.
Compte tenu des préjugés encore souvent entretenus au sujet des philosophes classiques allemands, ou au sujet des représentants de ce qu’il est convenu d’appeler l’Idéalisme allemand, on ne peut qu’être surpris que l’un d’entre eux, à savoir Schelling, ait pu présenter sa philosophie – en l’occurrence, il s’agit de sa dernière philosophie ou de sa philosophie tardive – comme un empirisme et même comme « un empirisme en grand ». Un tel étonnement ne peut reposer que sur l’ignorance ou du moins la sous-estimation de l’appréciation éminemment positive dont l’empirisme fait l’objet au sein de la philosophie allemande classique. Si l’on sait bien ce que le kantisme doit à l’empirisme, et plus précisément à Hume, et si l’on se souvient également de l’affirmation kantienne d’après laquelle, ainsi qu’il est écrit dans l’Introduction de la Critique de la raison pure, « [s]elon le temps 25 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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aucune connaissance ne précède en nous l’expérience et toutes commencent avec elle », on a vite fait de considérer en revanche que les post-kantiens ne se sont pas embarrassés de la subtile distinction kantienne selon laquelle, « [s]i toute notre connaissance commence avec l’expérience, elle ne résulte pas pour autant de l’expérience ». 1 On est encore souvent tenté de penser que le post-kantisme n’aurait retenu que la seconde partie de cette phrase de Kant : que toute notre connaissance ne résulte pas de l’expérience aurait conduit les postkantiens à systématiquement privilégier ce qui, dans notre connaissance, possède la capacité de précéder l’expérience et de la rendre possible a priori. Cela les aurait conduit à une forme particulièrement radicale de « fondationisme » débouchant lui-même sur l’entreprise de déduire a priori le contenu de l’expérience, et avec elle sur une forme particulièrement débridée d’idéalisme. Pourtant, Schelling s’est très clairement expliqué à ce sujet dès 1799 dans l’Introduction à son Esquisse d’un système de philosophie de la nature. Il remarque notamment, évidemment pour le déplorer, que la proposition : « la science de la nature doit pouvoir déduire a priori toutes ses propositions » a été en partie comprise ainsi : la science de la nature doit intégralement se passer de l’expérience et elle doit pouvoir générer à partir d’elle-même ses propositions sans aucune médiation de l’expérience […]. 2
C’est là, ajoute Schelling, « une proposition si absurde que même les objections qu’on peut lui opposer inspirent la pitié ». Mais puisque la confusion des esprits est telle qu’on en arrive à de telles absurdités, Schelling juge tout de même nécessaire de rappeler que « nous ne savons pas seulement ceci ou cela grâce à l’expérience ; bien plutôt, nous ne savons primitivement que grâce à l’expérience et par l’intermédiaire de l’expérience, et dans cette mesure l’ensemble de notre savoir ne consiste qu’en propositions empiriques ». 3 Mais, en rappelant ainsi ce qui lui semble être de l’ordre de l’évidence, Schelling n’entend évidemment pas pour autant nier l’existence de propositions, de principes ou de jugements a priori. Il nous incite seulement à nous demander comment nous savons et avons conscience de l’existence de propositions a priori et il répond que c’est encore par expé1 2 3
Kant 1980, 757 / KrV, B 1 ; trad. modifiée. Schelling 2001, 79 / AA I,8, 35. Schelling 2001, 79 / AA I,8, 35.
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Schelling et le problème de l’empirisme
rience que nous savons et prenons conscience de l’existence de propositions et de principes dotés d’une nécessité et d’une universalité telles qu’ils ne peuvent pas dériver de l’expérience. C’est donc l’expérience d’une force nécessitante qui nous fait dire de certaines propositions qu’elles doivent être a priori, qu’elles ne dérivent pas de l’expérience, mais la précèdent et la rendent possible. C’est donc, aux yeux de Schelling, l’expérience elle-même qui permet de faire le départ entre propositions empiriques et propositions a priori : ce sont des types de propositions que nous n’expérimentons pas de la même manière. Aussi, selon Schelling, des propositions que l’on aura d’abord considérées comme « empiriques et historiques », peuvent fort bien « être élevées à la dignité de propositions a priori », 4 et cela à partir du moment où « l’on en prend conscience comme de propositions nécessaires ». 5 Mais le plus intéressant, c’est que ce sont là des thèses auxquelles Schelling est si profondément attaché qu’il devait les reprendre trente-cinq ans plus tard, dans l’unique texte publié de sa dernière période, à savoir la Préface à Cousin, c’est-à-dire la préface que Schelling a donnée en 1834 à la traduction allemande par Beckers de la préface de Cousin lui-même à la seconde édition de ses Fragments philosophiques. Nous aurons à revenir sur ce texte aussi essentiel que bref dans lequel Schelling revendique pour la première fois publiquement le titre d’empirisme, certes pris en un sens qu’il dit « supérieur » (SW X, 216), 6 pour qualifier son entreprise philosophique, mais retenons seulement pour l’instant que Schelling y proteste à nouveau contre l’idée selon laquelle les Allemands auraient nourri le projet de se passer de l’expérience. Il rappelle à ce propos que « la première ligne de Kant explique que toute connaissance provient de l’expérience ». Et il ajoute que « si l’on avait demandé à Kant ou à n’importe quel autre défenseur de concepts a priori, indépendants de l’expérience, d’où lui venait la connaissance de l’existence de concepts de ce genre, il aurait indubitablement répondu : uniquement de l’expérience ; car si nous n’avions aucune expérience de l’universalité et de la nécessité dont ces concepts sont revêtus dans notre conscience, nous ne pourrions les distinguer de ceux auxquels ce caractère fait défaut » (SW X, 210). 4 5 6
Schelling 2001, 80 / AA I,8, 35. Schelling 2001, 79 / AA I,8, 35. Sauf indications contraires, toutes les traductions sont de l’auteur.
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L’idéalisme transcendantal de Kant et ce que nous considérons comme son approfondissement chez ses héritiers ne s’est donc jamais lui-même compris comme un adversaire de l’empirisme : Kant l’avait déjà lui-même très clairement conçu en expliquant que l’idéalisme transcendantal conduisait à un « réalisme empirique » selon lequel les choses extérieures existent tout aussi certainement que nos propres représentations, de même qu’inversement un « réalisme transcendantal », considérant les objets comme des choses en soi existant indépendamment du sujet, conduit tout aussi sûrement à un « idéalisme empirique », c’est-à-dire à un idéalisme qui considère que nos représentations échouent à certifier et garantir l’existence des choses extérieures. 7 Il est significatif que l’opposition entre idéalisme et empirisme ne soit jamais considérée ni par Kant, ni par ses successeurs comme une opposition réellement pertinente : les vraies oppositions passent selon eux bien plutôt entre idéalisme et réalisme d’une part, et d’autre part entre rationalisme et empirisme. Encore ces oppositions ne sont-elles pas elles-mêmes aussi strictes qu’on pourrait le penser tout d’abord, ne serait-ce déjà que parce que le propre de l’idéalisme de type critique ou transcendantal est précisément de ne pas être exclusif de tout réalisme, même s’il exclut néanmoins et naturellement un réalisme de type dogmatique qui attribue aux choses une existence en soi et indépendante des représentations d’un sujet. L’idéalisme transcendantal exclut un tel réalisme tout aussi radicalement qu’il exclut un idéalisme également de type dogmatique qui considère qu’il n’existe rien en dehors des représentations ou que les représentations ne renvoient à rien d’extérieur à elles. C’est aussi en ce sens que Fichte pouvait dire que la Doctrine de la science était idéaliste sur son versant théorique, dans la mesure où les représentations y sont considérées comme déterminant les objets, mais qu’elle devenait réaliste sur son versant pratique dans la mesure où le Moi pratique et agissant est confronté à la résistance que lui oppose une réalité dont il ne peut absolument pas douter. Et comme la partie pratique de la Doctrine de la science fonde sa partie théorique, on comprend que Fichte ait pu considérer que l’appellation qui convenait le mieux à sa doctrine était celle de « réalisme pratique ». Quant à l’opposition entre rationalisme et empirisme, elle n’est elle-même pertinente, estime Schelling, toujours dans la Préface à Cousin, que si l’on a affaire à un empirisme radical, c’est-à-dire à une forme de 7
Kant 1980, 1445 / KrV, A 370 sq.
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Schelling et le problème de l’empirisme
sensualisme qui entend tout dériver à partir des sens, y compris les facultés supérieures et la raison elle-même. Cela étant dit, pour véritablement comprendre comment la position idéaliste typique de la tradition allemande peut ne pas être exclusive de toute référence positive à l’empirisme, et donc également pour comprendre comment les philosophes allemands ont eux-mêmes travaillé à déconstruire ce qu’on peut considérer comme des préjugés philosophiques nationaux, consistant à attribuer l’idéalisme aux Allemands, l’empirisme aux Anglais, le sensualisme et le psychologisme aux Français, il faudrait se pencher sur le concept même d’expérience tel que l’élaborent les représentants majeurs de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Idéalisme allemand ». C’est en effet la présence d’une thématique empiriste aussi bien chez Fichte que chez Hegel qui peut certes déjà rendre moins surprenante la résurgence de l’empirisme dans la dernière philosophie de Schelling. En ce sens l’empirisme du dernier Schelling ne vient pas de nulle part et il prend sens en étant réinscrit dans une tradition de la pensée classique allemande qui n’avait jamais, depuis Kant, rompu tout lien avec l’empirisme. Mais, en même temps, Schelling recourt à l’empirisme en le prenant en un sens tout à fait différent de celui de ses prédécesseurs, et surtout en vue de lui faire jouer un rôle qui subvertit radicalement le rapport de fondement à fondé dans lequel la philosophie, chez Fichte et chez Hegel, se trouvait à l’égard de l’expérience, en tant que « science des expériences de la conscience ». Le recours à des motifs empiristes n’a d’autre sens, chez le dernier Schelling, que de contester radicalement toute possibilité de fondation et de justification de l’expérience de la conscience naturelle par la science philosophique. Selon Schelling, plus on a affaire à quelque chose de véritablement et purement expérimentable (erfahrungsmäßig, comme il dit), et plus la philosophie, et avec elle la raison, découvrent et constatent leur radicale impuissance à fonder l’expérience en raison et à la justifier. Mais cela n’est devenu possible que parce qu’un courant empiriste parcourait la philosophie classique allemande, qui devient en quelque sorte pleinement conscient de lui-même dans la philosophie tardive de Schelling, au point de porter le rationalisme de cette même tradition à sa limite ultime et de le placer devant le constat de sa propre limitation de fait. Il convient de revenir sur les raisons qui ont conduit Schelling à exposer intégralement son dernier système comme un empirisme se présentant, sur le versant négatif dudit système, comme un empi29 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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risme régressif, et sur son versant positif, comme un empirisme progressif. Lorsqu’il définit le caractère commun à tous les systèmes philosophiques modernes (y compris son propre système de l’identité), Schelling explique que ce caractère réside dans « le pur logique, c’està-dire qu’en [ces systèmes, F. F.] règne la pure connexion logique des propositions » (Schelling 1827/28, 10), si bien qu’entre Dieu et les choses finies, par exemple, il n’y a pour ces pensées pas d’autre relation que purement logique : le monde suit de Dieu aussi nécessairement qu’il suit de la nature du triangle qu’au plus grand angle fait face le plus grand côté. A ces pensées s’oppose une autre qui conçoit la relation entre Dieu et le monde comme une relation non pas logique, mais historique : « [L]orsque je dis que Dieu a créé librement le monde, je n’exprime pas un fait logique [kein logisches factum], mais un acte [eine That]. » (Schelling 1827/28, 11) Ces deux modes de considération, nous dit Schelling, « sont opposés l’un à l’autre et il est certes nécessaire de différencier [unterscheiden] et de décider [entscheiden] entre eux. » (Schelling 1827/28, 11) Mais cela ne peut se faire si l’on n’est pas tout d’abord au clair quant aux relations qu’entretiennent les deux modes de philosopher, et il est de ce point de vue insuffisant de dire simplement qu’ils sont opposés. Entre la philosophie logique ou négative et la philosophie positive, c’est d’abord, pour le dire à la façon de Derrida, une question de supplément : la seconde apporte avec elle ce qui manque à la première, mais elle ne nie pas pour autant celle-ci, ni ne la rejette dans le nonêtre de l’erreur : « Le négatif ne peut qu’ignorer le positif, mais le positif ne peut pas exclure le négatif ; le positif est aussi peu mis à l’étroit [beengt] par le négatif qu’un aveugle l’est par le voyant et un sourd par l’entendant : le positif est justement un plus [ein plus]. » (Schelling 1827/28, 22 sq.) La philosophie logique est négative en ce sens qu’elle est tout entière le manque de la philosophie positive, de même que la pauvreté ne peut se définir autrement que comme le manque de la richesse et la cécité comme le manque de la vision. Finalement, entre la philosophie négative et la philosophie positive, c’est bien (comme leur nom même l’indique) un changement de signe qui s’opère : on passe du - au +, et non pas du faux au vrai. « Les systèmes logiques », écrit Schelling, ne doivent pas être récusés en tant que faux en soi ou en tant que contradictoires avec les positifs, mais il faut seulement leur ajouter quelque
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Schelling et le problème de l’empirisme
chose – ce n’est pas quelque chose d’autre, mais quelque chose de plus [nicht ein anderes, sondern ein Mehr] qui doit être posé [aufgestellt], et ainsi résulte pour nous la philosophie au sens vrai et le plus strict du mot. (Schelling 1827/28, 12)
Ce n’est pas tout cependant d’affirmer un manque, il faut encore que celui-ci soit ressenti comme tel. Or les systèmes logiques se satisfont pleinement d’eux-mêmes et leurs auteurs n’éprouvent aucunement le sentiment de manquer de quoi que ce soit. Il revient donc à celui qui affirme ce manque de le manifester comme tel. Si l’on rend manifeste une erreur en la rectifiant, on ne peut en revanche rendre manifeste un manque qu’en commençant par le creuser. Il faut donc montrer et faire ressentir comme telle l’insuffisance qu’il y a pour la philosophie à rester une démarche seulement logique, à demeurer dans l’élément du seul penser. En demeurant cela en effet, la philosophie faillit à sa nature qui est d’être science (Wissenschaft). Définir la philosophie comme science – ce qu’ont fait ceux qui ont accompli la philosophie comme science purement logico-rationnelle, notamment Fichte, Hegel et Schelling lui-même dans sa période de l’identité – implique d’être au clair quant à la détermination de la nature du savoir. Qu’est-ce en effet que savoir quelque chose ? Savoir, c’est acquérir, à propos d’un objet, une vérité que l’on ne possédait pas auparavant. En ce sens « savoir une vérité dont le contraire est impossible, ne peut être appelé un savoir » (Schelling 1827/28, 18) : c’est le cas des vérités mathématiques qui n’accroissent pas réellement notre savoir puisqu’elles ne sont jamais que les conséquences nécessaires d’une ou de plusieurs propositions premières. En revanche, lorsque A peut être égal à B ou à C et qu’il s’avère qu’il est égal à B et non pas à C, alors nous savons réellement quelque chose que nous ne savions pas auparavant. Là est toute la différence entre un « savoir sachant [ein wißendes Wißen] » et un « savoir pensant [ein denkendes Wißen] », différence déjà introduite par Platon entre l’épistémè et la dianoia, cette dernière étant « la pensée par laquelle je ne reçois rien de nouveau mais qui consiste seulement en l’explication [Explication] de la chose. » (Schelling 1827/28, 18) En ce sens, dire que la philosophie est ou doit être Wissenschaft, c’est dire qu’elle est ou doit être un « savoir sachant » et non pas seulement « pensant », qu’elle possède un objet « dont on peut seulement dire qu’il est » et à propos duquel elle doit réellement accroître notre savoir. Qu’est-ce à dire cependant que la philosophie, en tant que science,
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doive accroître notre savoir, sinon qu’il est requis qu’elle abandonne la méthode seulement logico-rationnelle, au profit d’une démarche qui ne peut guère porter d’autre nom que celui-ci : l’empirisme. Réaffirmer maintenant, comme le fait Schelling, que la philosophie est une science procurant en tant que telle une connaissance (au sens kantien du terme), c’est lui redonner une orientation décidément empirique. A condition cependant de prendre l’empirisme en son sens véritable et de ne pas le restreindre aux seuls faits du monde sensible. L’affirmation fondamentale de l’empirisme, rappelle Schelling, est « qu’il n’y a pas d’autre savoir que le savoir de l’expérience et que seul ce qui peut être objet d’expérience peut être su » (Schelling 1827/28, 72). Toute la question est évidemment de déterminer ce qu’on entend par expérience et par « ce qui est susceptible d’être expérimenté » ou ce qui est à proprement parler « expérimentable [das Erfahrungsmäßige] ». Si l’on entend par là « ce qui tombe sous les sens externes » (Schelling 1827/28, 73), alors on désigne un champ de savoir que la physique s’est déjà approprié et qui ne peut donc plus être celui de la philosophie. Si l’on entend par expérience « l’expérience interne de la conscience », alors on désigne un champ de savoir que « la psychologie empirique des Français » (Schelling 1827/28, 73) a déjà pris pour objet. Par exclusions successives, il apparaît que l’objet de l’empirisme philosophique ne peut donc être un objet de l’expérience sensible externe ou interne. Que reste-t-il sinon « l’objet de la pensée » (Schelling 1827/28, 74) ? Mais un tel objet ne peut rien être d’autre qu’un objet posé par la pensée elle-même : autrement dit, avec un tel objet, nous ne sortirions pas de la pensée elle-même et nous retomberions ainsi du côté des systèmes purement rationnels auxquels il s’agit justement d’échapper. Nous voyons les caractéristiques paradoxales qui doivent être celles de l’objet de la philosophie si celle-ci veut sortir du seul élément de la pensée et devenir positivement une science, la science : l’objet susceptible d’expérience que nous recherchons ne peut être l’objet d’une expérience sensible (externe ou interne), « il peut donc seulement être pensé et pourtant il [doit être, F. F.] quelque chose de différent de la pensée » (Schelling 1827/28, 75), du moins si la philosophie doit pouvoir s’extraire du négatif. Le seul et unique « objet » qui, à la fois, soit objet de la pensée et pour la pensée, tout en s’étendant au-delà de la pensée, et donc tout en étant extérieur à elle et d’une autre nature qu’elle, ne peut être que de l’ordre de la volition, de la décision, de l’acte : 32 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Schelling et le problème de l’empirisme
Cet objet d’expérience [Erfahrungsmäßige] est la décision et l’acte [der Entschluß und die That] qui s’étendent au-delà du monde ; car tout ce qui est susceptible d’expérience provient seulement de la décision et de l’acte. Ils sont la fondation dernière de toutes choses [die lezte Begründung von allem]. (Schelling 1827/28, 75)
Voilà donc l’objet de cet « empirisme dans [sa, F. F.] plus haute signification [Empirism in höherer Bedeutung] » (Schelling 1827/28, 74) qu’est la philosophie proprement dite, c’est-à-dire la philosophie en tant que science ou philosophie positive. Si la question directrice de la philosophie est bien : « d’où [viennent, F. F.] toutes choses et le monde ? » (Schelling 1827/28, 18), cette question désigne quelque chose dont on exige qu’il ne soit pas seulement pensé, mais su. Autrement dit, la philosophie, dès lors qu’elle se rend attentive à l’exigence dont elle est porteuse, ne doit pas seulement chercher à penser ce qui est, à « saisir et comprendre [begreifen] ce qui est » – selon l’expression fameuse de Hegel –, mais elle doit l’expliquer (erklären). L’objet de la philosophie, c’est donc « le fait du monde [die Thatsache der Welt] » (Schelling 1827/28, 87), qu’elle ne peut expliquer qu’en le rapportant, au-delà de lui-même, à une décision et à un acte. Tel est donc l’objet auquel la philosophie se rapporte comme à quelque chose qui est certes un objet pour la pensée, mais qui n’est pas un objet de la pensée, en ce sens qu’il n’a pas son origine en elle : à cet « objet », la pensée se rapporte non pas comme à ce qui la dépasse, mais comme à ce qui inévitablement doit toujours l’avoir déjà précédée. Nous avons vu que le tournant empiriste auquel la philosophie est désormais convoquée si elle ne veut pas rester seulement négative et si elle veut pouvoir parvenir à son achèvement, que ce tournant empiriste donc confère à la philosophie un objet auquel elle doit maintenant parvenir à donner son explication : cet objet, c’est « le fait du monde [die Thatsache der Welt] ». Rapporter ce fait à un faire, à un acte et à une décision, puis cet acte et cette décision à un agissant qui agit et décide absolument par soi, et donc aurait aussi bien pu ne jamais agir, c’est là le pas que franchit la philosophie positive, ou plutôt : c’est en franchissant ce pas que la philosophie devient positive. Ce qui veut dire que le « fait du monde » est un objet pour la philosophie avant le passage à la philosophie positive. En d’autres termes, si l’expérience du prius lui-même (c’est-à-dire de l’acte libre et créateur) n’a pas jusqu’à présent été véritablement faite philosophiquement, le fait du monde quant à lui est en revanche depuis longtemps l’objet de la philosophie, même si aucune philosophie n’est encore parvenue à pro33 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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duire une explication satisfaisante de ce fait. Il est donc possible de considérer l’ensemble de l’histoire de la philosophie comme une vaste propédeutique à la philosophie positive qui, quant à elle, ne commence (ou ne va commencer) qu’avec Schelling. L’expérience sur laquelle se fonde la philosophie positive en passe de commencer suppose donc, comme son propre exercice préparatoire, l’ensemble des approches du grand fait du monde par les philosophies antérieures : L’expérience, sur laquelle repose la philosophie, ne peut être que le résultat d’efforts philosophiques. Toutes les philosophies jusqu’ici ne furent que des expérimentations [Experimente] en vue de ce résultat – l’expérience en question est une expérience qui résulte de la philosophie, toutes les philosophies antérieures n’ont servi qu’à expliquer le véritable fait [i. e. le fait du monde, F. F.]. (Schelling 1827/28, 86)
Aucune philosophie antérieure n’est parvenue à l’explication dernière du fait du monde, mais toutes y ont travaillé et leurs efforts constituent précisément la propédeutique recherchée. L’expérience sui generis qui inaugure la philosophie positive sera donc à la fois médiate et immédiate : immédiate parce qu’elle fait rupture avec tout ce qui la précède et qu’elle est l’accès effectif à ce que les autres philosophies n’ont fait que rechercher ; médiate parce que « le fait [du monde, F. F.] est le résultat d’une grande médiation scientifique [einer großen wißenschaftlichen Vermittlung] » (Schelling 1827/28, 87). Cette vaste médiation au cours de laquelle la philosophie s’est mesurée au fait du monde fut bien déjà une médiation scientifique, mais il convient de préciser la nature ou plutôt le degré de la scientificité ici en cause : cette scientificité est ou était encore seulement philo-sophique, elle témoigne de ce qui ne fut encore qu’un effort tendu vers l’explication du fait du monde. Et puisque c’est bien l’explication d’un fait qui était cherchée, la philosophie était bien déjà un empirisme, mais un empirisme non-a priori, c’est-à-dire ne prenant pas les choses à leur racine, à partir du prius lui-même qui était encore seulement cherché mais non trouvé : c’était un empirisme partant du posterius (le fait du monde) et recherchant le prius, bref c’était un empirisme a posteriori, qui plus est le plus souvent non-conscient de soi en tant qu’empirisme et cherchant dans le seul élément de la pensée l’explication du fait du monde. Cela dit, comme cet effort tendait vers l’explication de « faits d’un ordre plus élevé » (Schelling 1827/28, 88) que ceux dont les autres sciences s’occupaient, il devait arriver que cet effort de pensée conduisit les philosophies antérieures à croire être la science même, 34 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Schelling et le problème de l’empirisme
alors qu’elles n’en étaient que la préparation : « mais les faits les plus élevés ne sont toujours eux-mêmes que de simples faits et la philosophie doit aller au-delà de tous les faits [muß über alle Thatsachen hinaus], sinon elle ne serait réellement qu’une science préparatoire [nur vorbereitende Wißenschaft]. » (Schelling 1827/28, 88) En allant « au-delà de tous les faits », la philosophie devient positive en même temps qu’elle s’élève au faire lui-même, à l’agir, puis à Celui qui fait et qui agit, pour le découvrir libre de faire et d’agir, comme il est libre à l’égard des résultats de son agir qu’il aurait pu ne jamais vouloir produire. Mais une telle élévation n’étant pas, subjectivement, immédiatement possible, une préparation est nécessaire qui n’est rien d’autre que le parcours de l’ensemble des philosophies antérieures en tant qu’elles furent seulement préparatoires. Cette propédeutique peut prendre deux formes sous lesquelles Schelling la présente effectivement dès le début de son enseignement munichois : d’une part la forme d’un exposé systématique présentant pour elle-même l’élaboration du fait du monde ; d’autre part la forme d’un exposé historique présentant dans leur succession, et comme un vaste champ d’expérimentation, les philosophies modernes depuis Descartes jusqu’à la philosophie de l’identité de Schelling lui-même. Les deux formes de cette propédeutique sont indissociables et se laissent toutes deux rassembler sous la dénomination d’empirisme : l’exposé systématique est un « empirisme régressif » 8 qui part du fait du monde et remonte vers son prius, tandis que l’exposé historique est empirique en ce sens qu’il considère l’histoire de la philosophie moderne elle-même comme une expérience de la pensée en tant qu’elle n’a cessé de questionner le fait du monde. L’unité de ces deux formes de propédeutiques tient à l’identité du contenu qui est le leur. Ainsi, sur le plan historique, ce à quoi la philosophie, partant du dualisme cartésien du sujet et de l’objet, est finalement parvenue avec la philosophie schellingienne de l’identité, c’est à l’identité absolue du sujet et de l’objet. Avec l’accès à cette identité, c’était en même temps « le rationalisme philosophique qui avait atteint en lui-même son terme [Abschluß] et sa fin [Beendung] : le but d’une pure science de la raison [einer blosen Vernunftwissenschaft] était complètement Cette expression et son contraire (« l’empirisme progressif ») n’apparaissent pas encore dans le texte de 1827/28 et ne seront utilisées par Schelling qu’en 1830 dans le cours connu sous le titre d’Introduction à la philosophie (cf. Schelling 1996 / Schelling 1830).
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atteint » puisqu’en elle « la raison était conscience d’elle-même comme de tout être. » (Schelling 1827/28, 54) Mais, de son côté, le fait dont part l’empirisme régressif n’est pas autre chose que cette même identité du sujet et de l’objet. « Ce fait », écrit Schelling, se laisse exprimer comme suit : la genèse de la totalité de la nature repose sur la prépondérance qui va progressivement de l’objet au sujet jusqu’au point où l’objectif est également sujet (dans la conscience humaine) ; ce qui est posé hors de la conscience est la même chose que ce qui est posé dans la conscience. (Schelling 1827/28, 91)
Le fait du monde se laisse ainsi comprendre comme une prépondérance croissante du sujet sur l’objet qui est telle cependant que l’objet n’est jamais purement et simplement supprimé, mais toujours davantage ramené à l’état de pure latence, de sorte que la nature n’est ni pur objet, ni pur sujet, mais l’unité du sujet et de l’objet qui est elle-même sous la puissance toujours plus affirmée du sujet. Le fait du monde s’exprime donc ainsi : « le procès général du monde [der allgemeine Weltproceß] repose sur un progrès général, sur la victoire du subjectif sur l’objectif, cette victoire dût-elle n’être jamais définitive et être toujours disputée. » (Schelling 1827/28, 92) L’explication systématique du fait du monde rejoint ainsi le résultat auquel était déjà parvenu historiquement la dernière philosophie en date (la philosophie de l’identité), ce qui confirme que toute philosophie jusqu’ici n’a été qu’une explication a posteriori du fait du monde et donc un empirisme, même lorsqu’il s’ignorait en tant que tel. Il n’est pas possible cependant de s’en tenir là et l’explicitation du fait du monde « nous oblige elle-même à aller plus loin. » (Schelling 1827/28, 97) Il ne suffit pas d’avoir constaté un mouvement général allant de l’objet (B) au sujet (A) en une prépondérance toujours croissante de A sur B, il faut maintenant chercher le principe (Princip) et la cause (Ursache) – nous pouvons pour l’instant encore confondre les deux – d’un tel mouvement. C’est là le point jusqu’où peut parvenir la philosophie négative, notamment sous sa forme achevée, comme philosophie de l’identité. Cette dernière était bien parvenue en effet jusqu’à l’identité du sujet et de l’objet. Mais il lui fut impossible de penser cette unité autrement que comme l’unité substantielle du sujet et de l’objet, de sorte que, s’interrogeant sur le principe de cette même unité, elle posa que l’unité des opposés était elle-même posée par les opposés, alors que c’est bien plutôt l’unité qui pose les opposés : ce qui peut poser l’unité du sujet et de l’objet, c’est seulement un autre sujet. 36 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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Le principe de l’unité, en effet, ne peut pas être B puisque l’objet est le pôle passif subissant le mouvement qui le réduit à une latence de plus en plus grande. Mais le principe ne peut pas davantage être A, puisque le sujet n’est jamais que l’objet transformé en sujet, que B devenu A. C’est donc au-delà de A et de B qu’il faut chercher le principe de leur unité et de la prépondérance du sujet dans cette unité. Le principe de la relation A-B ne peut qu’être extérieur à la relation elle-même, ou encore la raison de la relation n’est pas dans la relation en tant que telle. Ce qui signifie seulement qu’on ne peut trouver dans le fait du monde lui-même la raison pour laquelle il en va de telle sorte en lui que le subjectif l’emporte toujours davantage sur l’objectif. Il y a donc une facticité de la relation entre A et B dans le fait du monde et « [c]ette facticité [Factische] de la prépondérance [du sujet, F. F.] constitue le fait [bildet die Thatsache]. » (Schelling 1827/28, 99) Il est impossible de comprendre, en considérant le seul fait du monde, qu’il doive y aller en lui de telle manière que le sujet l’emporte sur l’objet : [C]ette relation admise des deux principes, où la prépondérance est du côté de l’idéal, n’est pas quelque chose que l’on peut comprendre en et à partir d’elle-même, mais quelque chose de factif et de posé réellement [ein factisches und wirklich geseztes] ; c’est donc quelque chose de voulu, quelque chose qui peut être [ein Seinkönnendes], donc aussi quelque chose qui peut absolument ne pas être, et en ce sens quelque chose de contingent parce que cela présuppose une véritable cause. (Schelling 1827/28, 101)
L’empirisme régressif parvient ainsi à sa plus extrême limite, c’est-àdire au constat de l’irréductible facticité de cela même dont il a fait son objet, à savoir le fait du monde. La prépondérance dans ce monde du subjectif sur l’objectif, prépondérance dont témoigne l’activité philosophique elle-même, est un fait radicalement contingent : il est absolument impossible de démontrer la nécessité qu’il en soit ainsi. C’est donc aussi bien la raison elle-même qui trouve ici sa limite puisqu’elle vient buter sur quelque chose dont il lui est définitivement impossible de rendre compte par elle-même, quelque chose qui est hors de sa puissance de démonstration. Que l’idéal ait prépondérance sur le réal, voilà qui n’est la conséquence nécessaire de quoi que ce soit, mais seulement « la suite […] d’une volonté positive qui a posé cela », d’une « cause [Ursache] qui n’est plus agissante en tant que principe, c’està-dire comme nature » (Schelling 1827/28, 101) :
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[E]n tant que véritable cause de tout être effectif, elle doit se trouver en toutes choses et être nommée dans toutes les langues. Et cette unique appellation, partout attestée, est : Dieu. (Schelling 1827/28, 102)
Dieu est atteint ici non pas comme l’unité des opposés, mais comme la cause absolument libre qui produit cette unité. Nous atteignons donc un être dont on peut dire qu’il est, et qu’il est absolument par soimême, indépendamment et au-delà de l’unité du sujet et de l’objet jusqu’à laquelle nous avons pu nous élever par le seul effort de la pensée sur la base du fait du monde. « Nous sommes maintenant parvenus au point décisif », écrit Schelling, « où nous devons attendre toute philosophie pour voir ce qu’elle est capable de faire et de quelle nature elle est. » (Schelling 1827/28, 103) Le point est décisif, en effet : au sens propre, il est le lieu d’une décision. C’est maintenant qu’il devient possible de décider de la nature d’une philosophie, c’est-à-dire de sa négativité ou de sa positivité : ou plutôt, toute philosophie décidera ici elle-même de sa propre nature en se montrant ou non capable d’une décision pour le positif. Sera-t-elle capable de se décider en faveur de Dieu comme de ce qui est au-delà de la seule unité substantielle de l’idéal et du réal, ou bien s’en tiendra-t-elle à cette seule unité comme à l’ultime contenu qu’elle est capable de penser, sans laisser ce contenu se détacher d’elle en direction de sa cause libre ? Pour dire ce point tournant où toute philosophie est attendue, Schelling n’a plus tout à fait les mêmes accents qu’à l’époque des Leçons d’Erlangen, il n’est plus question notamment de devoir abandonner Dieu même, puisque Dieu est au contraire trouvé ici comme la cause libre qui est au-delà de l’être, au-delà de l’unité substantielle de l’idéal et du réal, et donc comme le « sur-étant » ou comme le « Seigneur de l’être ». Pourtant, en ce point où nous atteignons ce qui est positivement, l’exigence est bien toujours la même, et le vocabulaire eckhartien et/ou silesien de l’abandon ou du dé-laissement employé à Erlangen (« hier gilt es alles zu lassen » (SW IX, 379), disaient les Leçons) vient se rassembler ici dans l’expression même de Gelassenheit qui dit l’acte de tout dé-laisser et de laisser être cela seul qui est réellement : L’état d’esprit [Stimmung] dans lequel on approche la philosophie ne doit pas être la présomption et l’orgueil, mais seulement le dé-laissement [Gelaßenheit] et l’humilité, et ici en priorité vaut la Parole : à l’humble le Seigneur fait don de sa grâce, mais il résiste à l’orgueilleux. (Schelling 1827/28, 103)
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L’orgueil est en l’occurrence celui de la raison métaphysique dans sa prétention à la fondation de toute chose et à l’autofondation. Le recours de Schelling à l’empirisme en vue de briser cet orgueil n’a pas le sens kantien qui consisterait à poser que la raison ne peut connaître que quelque chose qui doit tout d’abord lui être donné et qui ne peut qu’être reçu. Cela n’a pas non plus seulement le sens d’un rappel de ce que « l’existence n’est pas un prédicat réel », qu’on ne peut déduire l’existence d’aucun concept, pas davantage de celui de Dieu que d’un autre étant. Bref, l’appel à l’empirisme n’a pas le sens ou pas seulement le sens d’un rappel de ce que la raison entre en relation avec quelque chose d’extérieur à elle, qui, dans cette relation, est posé et vaut comme simplement possible, comme réel ou comme nécessaire. Mais il ne s’agit pas non plus pour Schelling de simplement dire qu’il y a un au-delà de la raison et qu’un domaine de l’étant lui échapperait nécessairement, au moins en tant que raison spéculative et théorique. L’empirisme schellingien ne s’inscrit ni dans une problématique de l’autre de la raison, ni dans une problématique de l’au-delà de la raison. Le virage empiriste que Schelling fait subir à la raison métaphysicienne ne la confronte ni à ce qui lui est extérieur, ni à ce qui la dépasse, mais, plus radicalement, à ce qui est avant elle, à ce qui la précède absolument, à ce qui l’a toujours déjà précédée et qu’elle échoue à reprendre en elle-même en le comprenant comme un fondement. L’empirisme est donc le titre sous lequel Schelling place son entreprise d’achèvement et de dépassement du projet qui était celui-là même de l’Idéalisme allemand, à savoir le projet d’une auto-fondation absolue de la raison. Ce projet est d’une part achevé sur le versant empiriste régressif de la philosophie de Schelling, c’est-à-dire sur le versant de la philosophie négative ou purement rationnelle au sein de laquelle la raison épuise son propre contenu dans l’examen exhaustif des puissances susceptibles d’être l’étant, c’est-à-dire de fonder l’étant, jusqu’à la pensée de la cause qui met librement lesdites puissances en action. Mais le projet d’auto-fondation absolue de la raison est d’autre part dépassé cette fois sur le versant empiriste progressif de la pensée schellingienne, c’est-à-dire sur son versant positif : la cause précédemment mentionnée est en effet telle qu’elle doit d’abord être et que tout concept que la raison s’en fait ne peut que suivre cette existence absolument première. « [L]e positif », écrit Schelling, « est précisément ce dont on ne peut savoir à l’avance qu’il est, mais dont on sait seulement qu’il est par le fait qu’il est, c’est-à-dire lorsque 39 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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nous en faisons l’expérience. » 9 C’est particulièrement vrai de Dieu, qui est bien ce qu’il y a de plus expérimentable, non pas seulement parce qu’il est de la nature de l’agir et du vouloir, et non de celle de l’idée ou du concept, mais aussi et surtout parce que la raison n’en aura jamais connaissance qu’après coup, et donc a posteriori, lorsqu’il aura surmonté le monde et se sera montré comme ce qu’il est, à savoir comme le sur-étant, le « Seigneur de l’être ». L’être originaire déborde la raison de tous côtés : être immémorial, issu du déchaînement d’une volonté originaire échappant à toute maîtrise, sur laquelle la raison ne peut faire fond et dont elle peut seulement recueillir les vestiges et les témoignages dans les mythèmes – mais qu’elle ne peut rassembler en aucun système –, il est aussi essentiellement un être à venir, dont l’histoire est loin d’être achevée ; immémorial, il est aussi inanticipable. Ici la raison perd sa puissance fondatrice absolue ou sa puissance d’absolue fondation, et elle est confrontée au constat de son impuissance à maîtriser comme un fondement ce qui, précisément, n’en est pas un et qui fait bien plutôt figure d’un abîme de la raison, d’un abîme pour la raison.
Bibliographie Kant Immanuel 1980 : Critique de la raison pure. In : id. : Œuvres philosophiques, éd. sous la dir. de Ferdinand Alquié, t. 1 : Des premiers écrits à la « Critique de la raison pure ». Paris, 705–1470. Schelling Friedrich Wilhelm Joseph 1827/28 : System der Weltalter. Münchener Vorlesung 1827/28 in einer Nachschrift von Ernst Lasaulx, éd. par Siegbert Peetz. 2e éd., Francfort-sur-le-Main 1998. – 1830 : Einleitung in die Philosophie, éd. par Walter E. Ehrhardt. Stuttgart-Bad Cannstatt 1989 (Schellingiana 1). – 1996 : Introduction à la philosophie, trad. par Marie-Christine Challiol-Gillet/ Pascal David. Paris. – 2001 : Introduction à l’Esquisse d’un système de philosophie de la nature, trad. par Franck Fischbach/Emmanuel Renault. Paris.
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Schelling 1996, 49 / Schelling 1830, 25.
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Hyperbole dans la philosophie positive de Schelling : Approche phénoménologique Marc Richir (Grenoble)*
Abstract Departing from the first of two texts published in the Complete Works under the title “Other Deduction of the Principles of Positive Philosophy” (SW, XIV, 337–356) this study seeks to show that the point in question is how the potency (the hyperbolic of a “could-be” which is outside the circle) can appear to the act (that which is existent), and how the union between the two can come about such that existence can become potency and allow the possible to exist in the potency (creation).
§ 1. Introduction Comme on le sait plus ou moins clairement, Schelling s’est efforcé, dans sa Spätphilosophie, d’articuler la philosophie en deux démarches complémentaires : celle de la philosophie négative, nommée telle parce qu’elle part et travaille avec la rationalité des concepts, comme si elle était l’expression déployée de l’argument ontologique qui débouche sur l’existence, en l’occurrence l’existence de Dieu ; et celle de la philosophie positive qui doit s’efforcer de partir de l’existence pour comprendre, à partir de là, l’essence et l’existence de Dieu et du monde. Comme si le fait rationnel pur compris comme fait pensé dans la philosophie négative pouvait se retourner en fait d’exister nu, comme « existant inconditionné » dont devraient découler toutes les existences réelles ou possibles (l’idéal transcendantal kantien) conditionnées par lui. La difficulté, immense, parce qu’elle concerne le rapport du langage à la chose (Sache) dont il parle, est donc de partir du fait d’exister pur en soi, avant toute pensée – fait d’exister qui n’est
* Publié premièrement dans les Annales de phénoménologie 11 (2012), 83–92.
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donc en soi ni nécessaire, ni contingent, ou qui, pour nous philosophes, est les deux à la fois. Pour aborder à cette difficulté, nous nous inspirerons des « Autres déductions de la philosophie positive » (SW XIV, 337–356), 1 en particulier de la première, sans nous priver de jeter quelque regard sur la seconde. Dans ce texte, un peu erratique dans l’œuvre de Schelling, l’acte précède clairement la puissance, en est délié, en rupture avec la tradition qui remonte à Aristote, et la question est de savoir comment la puissance (le « pouvant-être ») peut apparaître (erscheinen) à l’acte, et comment le lien peut s’établir entre les deux, de manière à ce que l’existence puisse se muer en puissance et en puissance de faire exister le possible. C’est donc la manière de penser, ou plutôt de s’efforcer de penser l’énigme de la création, et de la création divine puisque cette mutation fait du même coup apparaître, comme en retour, l’existant inconditionné comme Dieu. Disons tout de suite que ce texte est extrêmement dense et spéculatif, souvent, pour nous, au bord du non-sens et de la contradiction, tant les termes utilisés sont flottants, emportés par la mutation qu’il s’agit de penser, tant, aussi, sont grands et incontrôlables les glissements qui ne peuvent manquer de s’y insinuer, des concepts de la philosophie négative dans ce qui est censé être philosophie positive. Car il faut comprendre, en même temps, que tout procède, qu’on le veuille ou non, d’une étrange opération de la pensée qui est bien forcée de distribuer en discursivité ce qui est censé, pour ainsi dire, « n’avoir lieu » que d’un coup, en un instant, qui est éternel. Quand Schelling nous invite à penser l’existant « avant » la pensée, il nous y invite en quelque sorte à le penser sans la pensée, donc à le penser en suspendant toute pensée, et c’est là, pour nous phénoménologues, une expression possible, quoique éminemment paradoxale, de l’épochè phénoménologique hyperbolique. Comment penser l’existant nu qui ne pense pas ? Et comment penser que ce n’est pas une pure et simple abstraction spéculative, nécessaire pour amorcer un mouvement dialectique ? Quoi qu’il en soit, cette « opération », si elle est possible autrement que par une abstraction conceptuelle, relève d’une hyperbole, peut-être la suprême hyperbole qui nous ferait toucher à quelque Un qui existe sans être mort, l’absence de pensée, au rebours du cogito, n’empêchant pas d’exister. Telle est la question que nous, phénoménologues, rencontrons au contact de Schelling. 1
Toutes les traductions sont de l’auteur.
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Hyperbole dans la philosophie positive de Schelling
§ 2. Qu’est-ce que l’épochè hyperbolique en phénoménologie ? L’épochè phénoménologique hyperbolique telle que nous la concevons est issue d’une réflexion sur le doute hyperbolique cartésien, qui va jusqu’à suspendre l’arithmétique élémentaire, et à faire l’hypothèse d’un Malin Génie « qui emploie toute son industrie à me tromper ». Hypothèse qui est celle d’une fiction, mais non pas, pour ainsi dire, d’une fiction « fantaisiste » purement rhétorique, pour les besoins d’une cause qu’on sait déjà entendue. Tout au contraire, si l’on veut donner à la pensée cartésienne toute sa profondeur, il s’agit de l’hyperbole de quelque chose qui ne cesse de hanter la pensée, et qui est le soupçon que même les choses les plus sûres pour elle ne soient que des illusions, une sortie de rêve qui la précède toujours déjà et qui la poursuivra quand elle croira s’être assurée d’elle-même. Comme si la pensée pouvait toujours être prise à revers par ce qui lui échapperait fondamentalement en demeurant, en « avant » et en « arrière » d’ellemême, hors de sa prise. Comme si, de cela, elle avait, toujours déjà et toujours encore, l’ombre qui ne serait qu’ombre de rien ou du Rien. Ce qu’il faut comprendre ici est que ni cet « avant » ni cet « arrière » ne sont de l’ordre de l’ek-stasis, parce qu’il n’y a pas, en l’occurrence, de stasis où l’ombre séjournerait, ni non plus de la protention et de la rétention, puisque ce n’est pas depuis son présent que la pensée se retiendrait ou s’anticiperait. Il y a déjà ici quelque chose de l’instant sans passé ni futur dans le surgissement de la pensée (au sens cartésien) au sein de l’hyperbole du doute. Nous appellerons écart ce qui, de la sorte, tient écartés l’un de l’autre l’« avant » et l’« après » de l’ombre « incarnée » dans le Malin Génie au cœur même de la pensée. C’est donc comme si celle-ci se découvrait, dans un « moment » de « folie », comme toujours déjà jouée, à l’instant où elle se prend pour surgissant d’elle-même, sur le grand échiquier où ce serait, en réalité, le Malin Génie qui aurait joué son coup, selon ses propres règles. En sorte que ce que je prends pour ma pensée (cogito) ne serait que la sienne, pour ce coup seulement (car le Malin génie peut changer les règles du jeu à tout instant), et que ce que je prends pour moi ne serait qu’une pièce du grand échiquier. En sorte que, dès lors, la vérité que j’accorde à ma pensée ne serait qu’illusion, ombre de cette ombre qui m’a toujours déjà précédé hors du temps et de ce qui me suivra toujours encore hors du temps. Pratiquer l’hyperbole en phénoménologie, c’est donc prendre acte 43 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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de cet écart interne de la pensée par rapport à elle-même, qui l’empêche de coïncider avec elle-même, et par lequel, précisément, se glissent la feinte et le fictum, feinte qui ne cesse de la précéder et de la suivre comme l’ombre du Rien, et fictum qu’elle vise à fixer dans l’insaisissable Malin Génie, sans projet ni retro-jet. Il en ressort que la pensée n’est rien d’autre que l’enjambement de cet écart, et que, dans cet enjambement, qu’elle ne peut en aucune manière maîtriser, la fausseté est tout aussi possible que la vérité, puisque rien n’assure que la pensée « en avance » sur elle-même soit précisément la pensée que j’effectue à l’instant, et que, pareillement, rien n’assure que la pensée déjà, à l’instant, « en retard » sur elle-même, soit précisément la pensée qui ne cesse de la hanter à cet instant même. Rien ne peut venir, en l’occurrence, fixer, c’est-à-dire déterminer, l’ombre du Rien qui tout à la fois la précède toujours déjà et la suit toujours encore. Il y a progrédience et rétrogrédience dans l’enjambement de l’écart entre « avant » et « après » qui n’ont aucune identité. S’il y a identité, c’est, à la manière de Hegel, dans le mouvement même (sans corps mobile) de l’enjambement. C’est la pensée (encore une fois au sens cartésien) en contact de soi à soi, dans sa traversée de soi à soi. La réponse classique de la métaphysique aura été, dans ce contexte, d’échapper à la menace du Malin Génie en supposant au moins, quant à la pensée, qu’il y a entre l’« avant » et l’« après » ce que nous nommons une tautologie symbolique – symbolique parce que non pas entre des identités abstraites déjà posées comme identités, auquel cas la tautologie s’obtiendrait par la logique, mais entre Sachen a priori indéterminées, au moins relativement, dont c’est précisément l’effet de la tautologie symbolique de les poser et de les identifier. Ainsi Descartes se « sauve »-t-il du Malin Génie par la perfection divine, par l’accomplissement total qui ne peut laisser le moindre interstice par lequel il y aurait en quelque sorte « du jeu » entre l’« avant » et l’« après ». Par là, c’est Dieu qui, par son acte pur, crée les idées éternelles. A l’inverse, ne pas faire cette présupposition, c’est-à-dire ne pas se donner quelque « ce qui » et « ce que » à l’« avant » et l’« après », les laisser à leur « statut » d’ombres de Rien, c’est, pour nous, ouvrir à la phénoménologie. L’hyperbole exclut l’identité pleine et la déterminité absolue, car c’est l’écart comme rien d’espace et de temps, c’est la non coïncidence qui sont premiers, et s’il y a « jeu » dans l’« avant » et l’« après », comme entre l’« avant » et l’« après », ce jeu est sans règles, comme le jeu enfantin. Et la pensée comme enjambement de l’écart est Sinnbildung bien avant de s’instituer en Sinnstiftung. Comment 44 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Hyperbole dans la philosophie positive de Schelling
lire, dès lors, la tentative de Schelling dans la « déduction » de la philosophie positive ?
§ 3. L’hyperbole schellingienne : l’acte de la création divine L’hyperbole tentée par Schelling consiste, nous l’avons dit, à s’efforcer de penser la mutation de l’exister pur en la puissance d’exister qui est puissance de faire exister les possibles qui se donnent à elle comme un monde, alors même que l’exister pur est aveugle (cf. SW XIV, 338). Ce qui est remarquable, c’est que cette puissance ou cette possibilité apparaît (erscheint) à l’exister pur, et lui apparaît à l’improviste, de manière imprévue, de telle manière que l’exister pur soit libre de la faire exister ou non – cette pensée évoque celle de Leibniz pour qui Dieu a créé le monde par distraction, comme par un « acte manqué », quitte à ce qu’il effectue après ce coup le choix du meilleur agencement des possibles, pour le faire exister. Toute la difficulté consiste donc à penser ce passage de l’exister pur, significativement qualifié par Schelling d’unvordenklich – littéralement : imprépensable ; dans l’allemand courant : immémorial –, donc de l’exister pur parce que « précédant » d’un « avant » qui ne peut être temporel et qui est donc l’« avant » de l’écart (hyperbolique) dont nous avons parlé, ou encore, par suite, de l’exister imprépensable car toujours déjà en précession dans l’absence de pensée, à un « après » qui ne peut donc, lui non plus, qu’être un « après » relevant uniquement de l’écart, et qui est la puissance (Potenz) ou le pouvant être. Du premier, on ne peut dire qu’il est nécessaire que depuis la philosophie négative, ou plus précisément seulement après le lien de l’acte à la puissance – lien qui ne peut s’établir qu’après coup –, mais que cette nécessité n’exclut pas a priori la contingence, non seulement parce qu’il n’est pas nécessaire que l’existence existe en un existant, mais encore parce que la possibilité ne peut surgir de l’acte d’exister qu’à l’improviste, avant même qu’il y ait volonté de quoi que ce soit. En quelque sorte, comme Schelling l’écrit dès le début du texte (cf. SW XIV, 337), c’est par contingence (zufällig), que l’exister ou l’être (Seyn) imprépensable est nécessaire – nous serions tenté d’ajouter : parce que j’existe, alors même qu’il est tout à fait contingent que j’existe. C’est dire que l’exister pur, sans pensée parce qu’imprépensable, suppose en toute rigueur (inaperçue, semble-t-il, de Schelling lui45 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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même) l’épochè hyperbolique de l’être (et de l’étant), mais aussi de toute pensée, celle du philosophe, bien évidemment, tout autant que de celle de celui qui n’est pas « encore » (dans l’« avant » hyperbolique) Dieu mais qui va le devenir. Donc qu’il s’agit pour ainsi dire d’un acte pur, mais intransitif et aveugle (cf. SW XIV, 338), sans commencement ni fin, sans archè ni telos, donc aussi bien éternel, en ce sens qu’il ne peut se trouver qu’en dehors de toute temporalité, sans pour autant demeurer figé puisqu’il y a de la contingence dans cet acte. Comment s’effectue donc la mutation ? Ou plutôt, comment Schelling tente-t-il de la dire ? Il faut d’abord lire : [L]’existant à l’aveugle est l’existant nécessaire de manière simplement contingente, lequel n’exclut pour cela le pouvant-être que comme antécédent, mais pas absolument. Le pouvant-être simplement comme tel n’aurait pas de droit à exister ; mais après que le nécessaire simplement en acte, i. e. le nécessaire simplement contingent est, le simplement possible peut aussi élever son appel [Anspruch], l’être imprépensable fait de la puissance qu’elle puisse dès lors apparaître. De cela s’éclaire cependant que le pouvant être entrant en scène après coup ne puisse pas être sans rapport avec le simplement étant, et que de la sorte il puisse être, non pas un autre, mais seulement le même que l’existant simple, [donc] aussi la potentia existendi qui lui fait face [entgegenstellt]. (SW XIV, 338 sq.)
Cela, donc parce que « la puissance ne peut apparaître que sous la présupposition de l’être » (SW XIV, 339), si bien qu’à l’être infini correspond la puissance infinie d’exister, qui est cependant plus que l’existant pur, puisqu’elle procède (hinausgeht) du pur acte d’exister, et lui confère en retour la nécessité de la « nature nécessaire » (SW XIV, 339). C’est donc bien le passage à l’être de l’existant pur imprépensable, lequel ne relève donc pas, comme « avant » hyperbolique, de l’être, qui fait apparaître le possible, et donc le pouvant être. Cependant, il est clair que ce passage signifie du même coup la tautologie symbolique entre l’« avant », dès lors (après le coup de l’apparaître) devenu pur étant, et l’« après », devenu la puissance d’exister, non pas de manière arbitraire, mais selon ce que cette puissance est aussi, à savoir la nature nécessaire qui, ipso facto, est en mesure de faire le « bon choix » des possibles à faire exister comme tels. D’après ce que nous avons dit de l’hyperbole, le passage à l’être est ici ce que nous appelions l’enjambement de l’écart comme rien d’espace et de temps entre l’« avant » et l’« après ». D’où il ressort que l’exister pur existe « avant » la puissance infinie d’exister, l’infini signifiant ici, comme 46 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Hyperbole dans la philosophie positive de Schelling
chez Descartes et Spinoza, l’unicité et l’indivisibilité (hors espace et temps), et que la puissance infinie d’exister est toujours encore hantée par l’exister pur. Il y a ici une sorte très paradoxale d’inversion du cogito cartésien (à condition de réduire la pensée à la liberté de choisir et d’investir les possibles), en « existo, sum, cogito » – la première personne correspondant à Dieu. Le Grand Trompeur, dans nos termes, existerait avant toute pensée, ferait les choix qui me trompent, et c’est moi qui, du fait même, n’existerais pas (je serais carrément « fou »). Mais pour Descartes, tromper ou se tromper est une faiblesse, un inaccomplissement, une imperfection, incompatible avec l’infini actuel. Par où l’on voit, au demeurant, que le « parachutage » apparent de l’infini dans le texte de Schelling n’est pas un ajout superflu. Il n’empêche que l’enjambement se fait à l’improviste, de manière imprévue, donc aussi imprépensable, et que c’est par là que la puissance peut apparaître, donc aussi le pouvant-être et la « nature nécessaire ». Cela dans l’instant même, cartésien puisque sans passé ni futur, dans la « fulguration » inopinée, eût dit Leibniz. C’est donc tout autant, par la tautologie symbolique, l’exister pur imprépensable qui s’apparaît comme un soi dont l’acte peut dès lors être transitif, par la médiation de la puissance, mais comme architectoniquement transposé, de l’aveuglement au voir qui le rend étant et libre d’une volonté de faire exister ou pas ce qui lui était dérobé comme ombre dans l’« avant ». Le passage à l’être ne va donc pas sans un changement du sens même des termes : tout glisse de l’« avant » à l’« après » hyperboliques et la tautologie symbolique entre les deux est là, sans nul doute, pour « arrêter » le glissement ; en quelque sorte, à nos yeux, pour stopper net le mouvement qui serait celui de la phénoménologie ; mais ce, selon ce qui ne peut que nous apparaître, après coup, comme une inconséquence menant le texte au bord du non-sens. Cependant il faut à l’inverse reconnaître l’extrême fluidité de la pensée de Schelling, qui lui est généralement reconnue même si c’est souvent sur le ton du reproche. C’est vrai qu’il change de monture au milieu du gué, passe, sans se justifier, de l’existant à l’étant, mais cela, selon nous, lui est imposé par la Sache qu’il s’efforce de penser. C’est donc aussi la tautologie symbolique de l’« avant » et de l’« après » qui fait le lien entre l’existant pur imprépensable et le pouvant-être comme puissance d’exister. Lien qui est celui de la nécessité du passage de l’existence ou de l’acte intransitifs à l’existence ou l’acte transitifs. Et cela, sans que soit éliminée la contingence de ce qui fait l’enjambement. Le paradoxe est bien que l’acte pur d’exister conçu par 47 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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l’hyperbole du philosophe ne soit pas un acte où l’archè coïnciderait toujours déjà et toujours encore avec le télos, pour l’éternité, mais qu’il y ait en lui de la contingence, à savoir un écart entre un « avant » et un « après », et qui laisse flotter l’apparition virtuelle du pouvantêtre dans l’« avant », alors même que c’est autant l’acte pur d’exister qui flotte virtuellement dans l’« après », puisque celui-ci est possibilité, puissance d’exister. Et le soi qui se dégage de la tautologie symbolique, « d’abord » aveugle, « ensuite » existant comme maître de ses choix (des possibles, selon la configuration la meilleure), est, selon notre interprétation, ce que Schelling désigne comme l’esprit (cf. SW XIV, 339 sq.). Le passage à l’être (au « est », « ist » de ce qui est, de l’étant) de l’existence pure imprépensable est donc extrêmement subtil parce que, et telle est l’étonnante nouveauté de Schelling, l’acte étant complètement délié de la puissance par l’hyperbole, c’est-à-dire conçu en elle comme l’« avant », l’acte ne l’est plus d’une puissance, mais doit pouvoir trouver la puissance qui est censée lui correspondre pour, tout simplement, être en mesure de s’exercer comme acte qui crée quelque chose : c’est-à-dire, encore plus simplement, pour être en tant qu’acte, pour être pourvu d’une essence (Wesen) ou d’une nature qui dès lors est nécessaire. On peut dire par là que le paradoxe est celui d’un acte pur tout virtuel (ce qui ne veut pas dire potentiel) parce qu’imprépensable dans l’« avant » de l’hyperbole, donc si l’on veut d’une ombre d’acte qui est acte de rien ou du Rien, pour passer, selon un enjambement imprévisible et donc immaîtrisable, non pas dans un acte « en exercice », mais dans une puissance qui demeure encore le suspens de cet exercice. À son tour, celui-ci exige pour ainsi dire, afin de sortir de ce suspens, le redoublement, mais cette fois en quelque sorte « raisonné », de l’acte lui-même. Cela donc, et c’est remarquable, non plus selon la contingence de l’improviste, mais selon la décision qui ne peut se produire qu’au même instant éternel, puisque le passage de la puissance d’exister à l’exister de la puissance, donc du monde, ne « prend » et ne « fait » aucun temps. Pour parler plus simplement encore, nous sommes toujours, nous philosophes, dans l’hyperbole censée nous laisser entre-apercevoir quelque chose de la transcendance de la vie divine, elle-même à « distance » incommensurable de l’immanence. Ce qui nous « prend » du temps quand nous « faisons » du temps dans la création n’a pas lieu de se produire en Dieu. Sa béatitude (Seligkeit), seule manifestation de son affectivité, est toute dans l’articulation que nous venons de déployer de ces trois 48 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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moments, dans la joie d’une création « continuée », comme chez Descartes, parce qu’elle a lieu dans le même instant éternel, sans passé, ni futur. C’est plus que la conscience de soi, car c’est le contact intime de soi à soi dans le jaillissement inopiné de l’autre que soi (le monde créé) par quoi précisément il vient à penser (cf. SW XIV, 351 sq.) : mais c’est un venir éternel, dans l’instant, de l’« après » et dans l’« après » intemporel. Tout cela est très hautement spéculatif, et le phénoménologue ne peut manquer d’être pris d’un certain malaise : il cherche en vain de la concrétude là où l’on passe, dans l’hyperbole peut-être portée trop loin, dans un excès irrécupérable, de l’exister pur imprépensable qui ne peut être, dans son irréalité ontologique, que virtuel, au pouvantêtre dont l’exercice de son pouvoir demeure suspendu, et qui ne peut lui aussi être que virtuel pour les mêmes raisons. Visiblement, Schelling reste tributaire de la langue philosophique classique puisque, selon toute apparence, il ne peut concevoir d’autre concret que celui de l’être ou de l’étant, alors même que sa pensée, si nous lui accordons la cohérence qu’elle revendique, conduit manifestement au-delà. Par exemple, nous venons de parler du virtuel, que nous distinguons du potentiel. Qu’est-ce à dire ? Qu’il s’agit d’une ombre, avons-nous dit, de quelque chose qui n’est ni simplement pensé, comme un concept, ni de quelque chose qui est (un étant), même indépendamment de la pensée, mais de quelque chose de très paradoxal, mis en avant par la physique quantique, qui, sans être rien ou néant, ne joue, hors du champ dont on se préoccupe en le thématisant comme actuel, non pas de lui-même, mais que par ses effets, c’est-à-dire rien que par ses relations avec le champ en question. Ainsi l’existant pur imprépensable, tout comme le pouvant-être éternellement suspendu comme tel, peuvent-ils être conçus mais non pas être compris (tout comme l’infini cartésien), sans pour autant se réduire à de purs concepts – ce qui, dans le cas de Schelling, nous renverrait à la philosophie négative. Avec eux, dépourvus de réalité, mais précisément pas dépourvus d’existence, nous avons en quelque sorte la matrice transcendantale de toute création. L’existant pur imprépensable est l’existant pur aveugle ou à l’aveugle, la poussée aveugle et innocente du vivre, dont a priori nous ne savons rien, et c’est bien là un concret qui n’est rien d’étant, qui est nécessaire mais pas suffisant pour être, et en l’occurrence pour être vivant, et qui, nous le savons, nous quittera un jour. Le pouvant-être suspendu est ce qui nous advient à l’improviste, dans la contingence radicale de la phénoménalisation, comme ce concret 49 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Marc Richir
purement phénoménologique qui amorce la temporalisation en langage, et qui, par là, ouvre à un à venir, à l’advenir du sens qui reste désormais à faire parce qu’il porte en lui-même une promesse à laquelle il nous revient de répondre. Dans notre refonte de la phénoménologie, ce concret n’est pas constitué par une puissance unique et massive, par une nature nécessaire, par un Wesen qui serait aussi celui de la poussée aveugle à vivre, mais par une pluralité de Wesen, que nous disons sauvages, parce que précisément l’enjambement de l’écart ne peut dogmatiquement être bloqué par la tautologie symbolique de l’« avant » et de l’« après » hyperboliques, mais est voué à glisser sans fin en une pluralité indéfinie de phénomènes – dont l’Erscheinen schellingien est une sorte de condensation –, et de phénomènes se rapportant les uns aux autres, au gré de ce qui « west » (en wesen) en eux dans leurs articulations et leurs empiètements. C’est que, par là, il n’y a plus en eux de vérité ou de fausseté, la tautologie symbolique n’étant plus que porte-à-faux dans le porte-au-vrai même, donc, à proprement parler, il n’y a plus d’être ou de néant, plus d’étant pur sans concept ou de concept pur sans étant, ni de là, d’adéquation ou d’inadéquation de l’un à l’autre, mais précisément pluralité indéfinie, non chaotique, de phénomènes et de Wesen sauvages comme concrétudes phénoménologiques. Certes, dans cette configuration, le monde n’est pas Un et est bien plus que l’intervalle réalisé entre l’existence et l’essence, l’acte et la puissance liés par un être, celui de Dieu. Par là, nous découvrons que ce qui doit être la langue de la philosophie positive ne peut être, pour Schelling, que la reduplication, à l’envers ou à l’inverse, de la langue de la philosophie négative. À cela, il nous paraît impossible d’échapper tant que l’on posera la mêmeté de l’« avant » et de l’« après » hyperboliques dans leur tautologie symbolique qui précisément y pose le même être qui ne tient son être que de cette tautologie. Il y a, entre l’existant pur imprépensable et l’existant nécessaire – la nécessité impliquant lien –, un changement de registre, un hiatus lui-même inaperçu et qui est sans doute la trace résiduelle de l’enjambement comme porte-à-faux. Subreption transcendantale qui est toute métaphysique, sous une forme encore plus subtile que celle que Kant avait décelée dans la première Critique. Céder à cette subreption en la considérant comme toute « naturelle » si on l’aperçoit, c’est céder à l’effet illusionnant d’une illusion transcendantale prise pour la vérité par la métaphysique, alors même que, s’il y a de l’existant imprépensable, il est radicalement transcendant, inaccessible car toujours déjà, pour nous, en fuite infinie, et s’il y a « vie 50 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Hyperbole dans la philosophie positive de Schelling
divine », nous en ignorons tout et nous en ignorerons tout à jamais, car à supposer qu’en elle se déploie un logos et par là un lien, absolument rien ne peut attester qu’il soit rationnel au sens où l’entendons. De la philosophie négative à la philosophie positive, et de celle-ci, en retour, qui doit redéployer la première à même la Sache elle-même, il y a une irréductible circularité, celle précisément qui est initiée par la tautologie symbolique de l’« avant » et de l’« après » en écart par l’hyperbole. Il y a, dans la métaphysique de Schelling, une sorte de confiance aveugle, mais très classique, en la rationalité, car même au registre où il se place, cette confiance est encore non critique. Il a sans doute pensé aller plus loin que Kant en logeant, avec une belle audace, de la contingence dans l’acte de création lui-même, mais ce fut sans s’apercevoir que, dès lors, cette contingence rendait impossible de concevoir l’idéal transcendantal kantien, c’est-à-dire l’existence possible du tout de la réalité des possibles, parce que la contingence fait éclater ce tout en pluralité non totalisable de phénomènes et de Wesen sauvages. Il nous resterait à montrer que cette pluralité, qui est originaire, n’a pas l’indiscernabilité indémêlable du chaos, mais la place nous manque, et ce n’est pas, ici, le lieu d’en traiter. Reste tout de même une très grande leçon : si l’existant pur et simple, imprépensable, est « passé », dans un instant éternel, à l’existant nécessaire par sa création, il n’est « devenu » nécessaire, et par là aussi sa création, que par hasard, et cette création, qui est d’abord l’apparition de l’idéal transcendantal (cf. SW XIV, 348), ne peut être saisie par nous qu’après ce coup du hasard, c’est-à-dire comme contingence dont la légalité téléologique (Kant) règle la création du monde, pour nous monde des choses (au sens kantien) – mais cela, Schelling néglige de le dire, spéculatif aussi en ce qu’il ne prend pas en compte la « posture » du philosophe. Jamais un coup de dés …
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Schelling – le dernier des post-kantiens Marcello Ruta (Bern)
Abstract Schelling’s historical position has traditionally been defined in relation to Idealism; by considering him either as the second idealist or as a post-idealist thinker. In the interpretation put forward in this article, Schelling’s late philosophy is rather to be considered as the accomplishment of post-Kantianism, while Idealism is understood as a part of it. According to this interpretation, Schelling’s late System (split into negative and positive philosophy) is capable of allowing two incommensurable structures of the Subject, developed by Kant in the first two Critiques respectively, to coexist (without trying to synthesize them). Hence, the post-Idealism of late Schelling should be understood as a radicalization of Kant’s legacy.
Le titre de cette intervention semble être en dissonance de manière explicite, presque exhibée, avec le titre de ce colloque. En effet, le titre Le dernier des post-kantiens semble pointer une dimension de la pensée de Schelling qui se réfère au passé immédiat du penseur, au postkantisme, et non pas à sa postérité. Un regard jeté en arrière, et non pas en avant, comme semble pourtant le demander le titre du colloque. D’autre part, l’idée que s’interroger sur l’héritage post-kantien de Schelling puisse aussi mettre en lumière l’influence que sa pensée a exercée sur des philosophies qui lui ont été postérieures, n’est pas du tout une absurdité, et en réalité n’est pas même une nouveauté. Prenons un des principaux spécialistes de Schelling en langue allemande depuis les trente dernières années, Manfred Frank : Schelling a caractérisé l’ensemble de sa philosophie de la maturité […] comme « Système absolu de l’Identité ». On peut dire qu’il a consacré sa vie de penseur à la formulation de cette pensée. […] À travers la superposition de la célèbre thèse de Kant sur l’être et la conception de la prédication comme identité surgit la conception, caractéristique de Hölder-
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Marcello Ruta
lin et de Schelling, de la nature de l’identité absolue comme inclusive d’un fondement, qui exclut toute conscience. Mais c’est seulement dans sa vieillesse que Schelling réalise que Kant avait relié à sa Thèse de strictes contraintes ontologiques. Elles conduisent l’idéalisme – la croyance que les structures de la réalité se fondent sur les actes de l’esprit ou se laissent déduire de l’assomption de l’évidence d’un sujet – à ses limites, jusqu’à l’effondrement. Ainsi, le Schelling tardif s’approche des vues de ses premiers compagnons romantiques et de Hölderlin, d’après lequel le sujet-même et la conscience ou respectivement le jugement, par lequel elle se connaît, se fondent sur un présupposé dont ils ne disposent pas. Schelling va le définir comme « être imprépensable ». 1
Dans ce passage, on peut identifier trois thèses qui, loin d’en épuiser les contenus, peuvent constituer à mon avis une sorte d’armature conceptuelle de la lecture schellingienne de Manfred Frank. 1. La pensée de Schelling, qu’elle soit ou non une pensée en devenir, a toujours été une pensée unique, en tant que continuelle tentative de penser l’identité absolue, identité du sujet et de l’objet, de la nature et de l’esprit, de la pensée et de la réalité. Cette tentative a porté Schelling, à travers les années, à placer, dans un effort continuel de radicalisation, cette identité dans une dimension ontologique qui se pose devant la pensée, avant la pensée, une dimension qui se pose par là comme fondement de la pensée, fondement qui, en tant que tel, se dérobe à la pensée même, en tant qu’il déborde ses pouvoirs. Il nous semble qu’il serait possible d’utiliser le mot pré-catégoriel, terme qui n’appartient pas officiellement au vocabulaire schellingien ou à celui de la littérature schellingienne, mais qui nous semble exprimer assez fidèlement l’interprétation que donne Frank (interprétation en ce sens Frank 2007a, 312 sq. Texte original : « Als ‹ absolute[s] Identitäts-System › […] hat Schelling das Ganze seines reifen Philosophierens charakterisiert. Man kann sagen, dass er der Ausbuchstabierung dieses Gedankens sein Leben als Denker gewidmet hat. […] Durch das Übereinanderlegen von Kants berühmter These über das Sein und der Identitätsauffassung der Prädikation entsteht die für Hölderlin und Schelling eigentümliche Auffassung vom Wesen der absoluten Identität als einen Grund einschließend, der alles Bewusstsein abweist. Aber erst im Alter geht Schelling auf, dass Kant mit seiner These harte ontologische Auflagen verbunden hatte. Sie führen den Idealismus – die Überzeugung, dass die Strukturen der Wirklichkeit auf Leistungen des Geistes beruhen oder sich aus der angenommenen Evidenz eines Subjekts ableiten – an seine Grenzen, ja bringen ihn zum Einsturz. So nähert sich der späte Schelling der Einsicht seiner frühromantischen Weggefährten und Hölderlins, wonach das Subjekt selbst und das Bewusstsein beziehungsweise Urteil, durch das es sich kennt, auf einer Voraussetzung beruhen, über die sie nicht verfügen. Schelling wird sie das ‹ unvordenkliche Seyn › nennen ».
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Schelling – le dernier des post-kantiens
difficilement contestable) de la notion d’identité comme das Unvordenkliche : L’expression « imprépensable » signifie, littéralement, ce avant [vor] quoi aucune pensée ne remonte pour le fonder. 2
En ce sens l’imprépensable serait un pré-catégoriel radical, en tant qu’il est aussi ultra catégoriel : pré-catégoriel qui ne se pose pas seulement avant, mais aussi au-delà de toute catégorie, ou encore de toute pensée catégorisante, en tant qu’il l’excède de façon structurelle. 2. Cette radicalisation de la dimension pré-catégorielle de l’identité, à laquelle parvient le dernier Schelling, a été rendue possible par une profonde réflexion sur les thèses kantiennes sur l’être, par sa radicale différenciation entre was et dass, entre essence et existence. La philosophie du dernier Schelling se nourrit donc d’un héritage kantien, qui, lui, permet à Schelling de penser clairement la différence ontologique, et de se poser par là à distance de l’idéalisme, distance qui lui permet de régler ses comptes avec le système hégélien dans sa totalité. En ce sens, le post-hégélianisme du dernier Schelling devrait être lu comme une critique post-kantienne de l’hégélianisme. 3. Si, d’un côté, cette radicalisation de la notion d’identité se nourrit d’un héritage kantien, de l’autre, elle va constituer un héritage schellingien qui, en se posant par-delà l’identification idéaliste entre pensée et réalité, va nourrir les pensées post-hégéliennes qui critiquent cet aspect-là du système hégélien, et in primis le matérialisme historique. En ce sens, Frank arrive à identifier une tradition matérialiste qui, de façon plus ou moins directe, se relie aux leçons berlinoises de Schelling : Il y a eu – non seulement dans le matérialisme marxien et feuerbachien, mais aussi dans le socialisme français, chez Bakounine ou Cieszkowski […] – une puissante tradition d’argumentations critiques envers Hegel, qui s’est nourrie des dernières Leçons de Schelling et en a fait ressortir la pointe matérialiste. 3
Frank 2007a, 317. Texte original : « Der Ausdruck ‹ unvordenklich › meint – wörtlich – das, vor welches kein Gedanke reicht, um es zu fundieren ». 3 Frank 2007b, 276. Texte original : « Es gab – nicht nur im Feuerbach-Marx’schen Materialismus, sondern auch im französischen Sozialismus, bei Bakunin oder Cieszkowski […] – eine mächtige Tradition hegelkritischer Argumente, die sich aus Schellings späten Vorlesungen gespeist und die materialistische Pointe ihres Einsatzes mit hervorgetrieben hat ». 2
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Marcello Ruta
Cette schématisation des Thèses de Frank sur Schelling est évidemment simplificatrice : en fait, Frank montre, dans les dernières pages de l’article cité au début, que la pensée du dernier Schelling n’est pas seulement pensée de l’être, comme ce qui se pose avant la pensée, mais qu’elle est aussi (et peut-être surtout) pensée de la liberté, comme ce qui se pose avant l’être. Si cette dernière dimension de la pensée du Schelling tardif (mais aussi, et peut-être surtout, du Schelling médian) le place, d’une certaine façon, aussi au-delà de la pensée kantienne, il reste indubitable que la formulation de la différence ontologique qui est au cœur de la dernière production de Schelling et qui est probablement la dimension fondamentale de sa postérité, qu’elle soit matérialiste ou existentialiste, se nourrit de la Thèse sur l’être de Kant. De plus, nous pensons que la continuité que l’on peut retrouver dans la pensée en devenir de Schelling n’est pas avant tout celle d’une pensée unique, ou d’un questionnement unique, mais plutôt celle d’une continuelle liaison avec la pensée kantienne, liaison qui a accompagné les différentes ruptures de la pensée schellingienne, qui a traversé le Schelling fichtéen et spinozien, et qui finalement a trouvé son expression la plus accomplie dans la dernière philosophie. Kant a donc depuis toujours constitué l’horizon conceptuel de la pensée schellingienne, au-delà de ses changements et de ses ruptures. En ce sens, nous pourrions déjà affirmer que la définition de « dernier des post-kantiens » trouve ici une première justification. Toutefois il nous faudrait encore justifier l’emploi de l’adjectif dernier, car nous ne voulons pas entendre ici dernier dans un sens purement chronologique. Prenons un exemple : Schopenhauer, qui, à notre avis, est à considérer comme un philosophe post-kantien, a survécu à Schelling. En fait il y a un autre aspect, plus important, qui fait de Schelling le dernier des post-kantiens, dans une acceptation toute différente : Schelling serait en ce sens un post-kantien définitif, pourrait-on dire, en tant que post-kantien accompli. C’est de cela que nous allons parler dans les pages suivantes. Dans ce but, il faut au préalable redéfinir aussi bien l’idée courante de post-kantisme que – et cela encore plus en profondeur – celle de la dernière philosophie de Schelling, et de sa spécificité. Dans les manuels d’histoire de la philosophie, le post-kantisme est souvent considéré comme cette période de la pensée qui suit Kant et précède Fichte : les philosophes post-kantiens par excellence, pour citer les plus connus d’entre eux, sont Reinhold, Schulze, Maimon et Beck. La publication des premières œuvres fichtéennes est interprétée 56 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Schelling – le dernier des post-kantiens
de facto comme un nouveau commencement, un nouveau point zéro de la réflexion, et ce point zéro est le commencement de l’Idéalisme, Idéalisme subjectif de Fichte qui, par l’intermédiaire de l’Idéalisme objectif de Schelling, s’achève par le système de l’Idéalisme absolu de Hegel, capable de synthétiser les deux systèmes précédents. Ce schéma est à l’origine fondamentalement hégélien, et presque tous pensent qu’aujourd’hui il n’est plus soutenable. Toutefois – c’est du moins ma conviction – il continue de facto à exercer une action à la fois cachée et puissante : on continue à penser le développement de la philosophie allemande au 19ème siècle selon ce schéma, même quand on ne le partage officiellement plus. Le signe le plus évident de cette influence est constitué, à mon avis, par la catégorie historico-philosophique de post-hégélianisme, une catégorie qui a généré plus de malentendus que d’éclaircissements, et qui est fille, elle-même, d’une périodisation fondamentalement hégélienne. Pour résumer, nous pensons qu’il faut considérer le post-kantisme comme un mouvement de pensée beaucoup plus ample que la simple suite d’œuvres philosophiques produites en Allemagne après Kant et avant Fichte à laquelle il est souvent réduit, et finalement les philosophies idéalistes comme partie du phénomène plus général que le post-kantisme constitue. Le post-kantisme ne s’achève pas avec le commencement de l’idéalisme, et il n’est même pas dépassé par lui. L’idéalisme occupe au contraire une partie de l’espace philosophique post-kantien, sans le remplir totalement. En dehors de l’idéalisme mais à l’intérieur du post-kantisme, il existe un espace occupé par des pensées comme celles de Schopenhauer et Herbart par exemple – mais on pourrait aussi bien en inclure de nombreuses autres. Même si l’on accepte la lecture hégélienne qui fait de Hegel la synthèse de Fichte et de Schelling, ce qui en tout cas est difficilement soutenable, cela ne ferait pas pour autant de Hegel le synthétiseur de l’héritage post-kantien. En effet, il y a eu dans les premières décades du 19ème siècle en Allemagne une pensée nourrie de l’héritage kantien si riche qu’elle ne saurait se réduire aux trois philosophies idéalistes. Donc quand on parle de Schelling comme du dernier des postkantiens, on se réfère à ce post-kantisme-là, que j’aime à définir comme le laboratoire spéculatif de développement du legs kantien. Mais, de plus, pour justifier une définition de cette sorte, il faut à mon avis reconsidérer la spécificité de la dernière philosophie de Schelling. En fait, la citation précédente de Frank n’a pas seulement été choisie pour l’importance de son auteur, elle a aussi été choisie 57 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Marcello Ruta
parce qu’elle représente très bien une certaine manière de caractériser la pensée du dernier Schelling, qui a été partagée par presque la totalité des commentateurs. Le dernier Schelling est le penseur de la différence ontologique, de la non déductibilité de l’existence, et dans cette pensée réside à la fois son ancrage dans l’héritage kantien, et son influence sur la postérité, plus ou moins post-hégélienne. Cette caractérisation est évidemment légitime, et nous ne voulons pas la contester. Par contre, nous voulons à présent proposer une caractérisation supplémentaire du dernier Schelling, qui, à notre sens, cerne mieux son unicité dans l’environnement philosophique dans lequel elle se place. En fait, nous pensons que son unicité ne réside pas dans le fait qu’il a pensé l’existence comme telle dans son indépendance envers le catégoriel. Cette pensée, à vrai dire, avait déjà été formulée trente ans auparavant par un autre post-kantien : Schopenhauer. Dans l’Appendice kantienne du Monde, ce dernier s’exprime de cette façon : Selon lui [Kant, M. R.], en effet, les lois qui gouvernent avec une irréfragable nécessité l’être, c’est-à-dire en somme le champ de l’expérience, ne peuvent nous révéler ni l’origine ni l’explication de cet être ; leur valeur n’est par le fait que purement relative, autrement dit elle n’existe point, tant que l’être, c’est-à-dire le champ de l’expérience, n’est encore ni posé ni donné ; par suite, de pareilles lois ne peuvent plus nous guider, du moment que nous prétendons expliquer l’existence du monde et de nous-mêmes. 4
Ici, nous ne voulons pas affirmer que Schopenhauer dit la même chose que Schelling. Ce n’est pas du tout notre idée. Mais il est vrai que le dernier Schelling n’est pas l’unique post-kantien qui a pensé l’existence comme ce qui fonde le catégoriel, et qui par-là se pose audehors de son domaine, en se dérobant à son pouvoir. Schopenhauer, avant ou avec Schelling, a pensé un je pré-réflexif et un être précatégoriel ; et lui aussi s’est nourri (même si c’est de façon radicalement différente) de l’héritage kantien. De plus, Schopenhauer a aussi eu une postérité post-hégélienne, depuis Nietzsche jusqu’à Freud. Schelling n’est pas l’unique post-kantien qui se soit posé au-delà de l’idéalisme, ou mieux, à son dehors. La définition de Schelling comme dernier des post-kantiens n’est donc pas justifiée ici par le fait qu’il ait été le seul des post-kantiens à avoir été capable de produire une pensée extra-idéaliste, ou par le fait qu’il ait eu une postérité post-hégé4
Schopenhauer 1966, 525 sq.
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Schelling – le dernier des post-kantiens
lienne. Cette définition doit plutôt être reliée à une caractérisation du dernier Schelling comme celui qui n’est pas seulement le penseur de l’existence, ou du pré-catégoriel. Ce que, en ce contexte spécifique, nous retenons du dernier Schelling, en fait, ce n’est pas qu’il ait finalement achevé sa pensée unique, mais plutôt qu’il ait été capable de formuler la coexistence de deux pensées. Ce qui, à notre avis, fait du dernier Schelling, pourrait-on dire, l’accomplissement du post-kantisme, c’est le fait qu’il a été le penseur de deux philosophies, le penseur de deux pensées, de la philosophie positive et négative : c’est cette dualité qui, il nous semble, constitue sa dimension éminemment kantienne. Le reste de cette intervention sera une justification de ces dernières affirmations. Pour commencer à comprendre pourquoi la théorisation d’une dualité structurelle de la philosophie constituerait la dimension plus spécifiquement post-kantienne de Schelling, nous pourrions nous appuyer sur le passage suivant des leçons berlinoises : Toute l’histoire de la philosophie […] montre un combat entre philosophie négative et positive. Et même Kant, dans sa Critique de la raison pure, a un développement très significatif, qu’il intitule Antithétique de la raison pure, et où il pose des Antinomies, c’est-à-dire des contradictions, dans lesquelles la raison doit tomber avec elle-même relativement aux idées cosmologiques. Mais que sont-elles d’autre, sinon autant d’expressions de l’opposition de la philosophie négative et de la philosophie positive ? En toute régularité, la thèse des Antinomies kantiennes se place du côté positif, l’antithèse du côté négatif […]. L’Antinomie prétendue n’est donc pas, comme Kant l’admet, un conflit ou une collision de la raison avec elle-même, mais une contradiction entre la raison et ce qui est plus que la raison, à savoir la science proprement dite, la science positive. 5
En réalité, l’identification immédiate faite ici entre les deux pôles de l’antinomie et les deux philosophies requerrait une intervention à part pour être commentée et justifiée. Cependant, je vais essayer d’atteindre le même résultat, quand bien même j’emprunte une autre voie. Je veux commencer par caractériser les deux philosophies du dernier Schelling, non pas par une différence ontologique, une différence d’objet (le was et le dass), mais plutôt par un principe de développement interne différent, par une méthode différente, pourrionsnous dire avec Hegel. On serait tenté d’opposer le positif au négatif, 5
Schelling 1989, 170 sq. / SW XIII, 145 sq. ; je souligne.
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comme le réel au logique, opposition déjà explicitement formulée par Schelling en 1831 : la philosophie négative serait la philosophie du logique, négation de la temporalité en tant que négation d’une succession réelle. Mais en réalité, ce n’est pas le cas. En fait, la philosophie négative n’est pas logique, mais plutôt dialectique. Et sur ce point-là, il faut donner la parole à Schelling : [C]onstituer les présuppositions et les poser n’est que le préalable, n’est qu’un aspect de la procédure dialectique. […] Elles […] sont posées immédiatement comme principes […], elles sont posées comme principes possibles, mais seulement pour être dégradées, par le pouvoir de la dialectique, en non-principes, en pures présuppositions, en degrés ne servant qu’à conduire au seul Inconditionné. […] Toutefois, les présuppositions ne sont pas supprimées en tant que présuppositions – elles demeurent telles plutôt –, mais en tant que principes, ce comme quoi elles ont d’abord été posées. C’est donc dans cette suppression [Aufheben] que résiderait ce qui est proprement dialectique, si l’on veut le distinguer nommément de ce qui est logique (car la position, nous l’avons vu, se produit selon une loi proprement logique) ; mais même ainsi les deux apparaissent indissociables et le logique n’est que l’instrument du dialectique, cheminant toujours à ses côtés. 6
Ici, on le voit, le dialectique n’est pas immédiatement le logique, il n’est pas l’apparence d’une succession réelle, une succession où tout est donné d’avance, mais il est plutôt l’apparence d’une progression réelle, donc une progression idéelle, pourrait-on dire, progression qui procède par suppressions successives. S’oppose à elle, en revanche, non pas simplement le réel, en tant que simple succession temporelle, mais plutôt la progression réelle, ou, pour utiliser le mot correct, le surmontement, comme progression qui procède par ruptures, par extases successives : Les différences que nous observons entre les choses ne consistent pas, comme il pourrait sembler à première vue, en ce que certaines seraient absolument privées de volonté, et d’autres dotées de volonté ou voulantes. La différence ne consiste que dans le mode du vouloir. Par exemple le corps dit inanimé ne veut proprement que lui, il est comme épuisé par lui-même […] saturé par lui-même […], rempli de lui-même […] vouloir rempli, car tout vouloir est proprement un vide, un manque, et comme une faim […]. L’animal, et déjà la plante vivante à qui on attribue une faim de lumière, veut quelque chose hors de soi, l’homme veut quelque chose au-dessus de soi. L’animal est tiré hors de soi par son 6
Schelling 1998, 309 sq. / SW XI, 327 sq.
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Schelling – le dernier des post-kantiens
vouloir, l’homme, dans le vouloir véritablement humain, élevé au-dessus de soi. La différence entre la résistance simplement naturelle qu’un corps fait à ce qui pénètre en lui et celle qu’une volonté humaine oppose à la contrainte des séductions, cette différence entre résistances n’est pas une différence des forces elles-mêmes ; comment pourrait-on penser cela ? La force est dans les deux cas la même, dans les deux cas elle est volonté, à cela près que dans la résistance purement naturelle, c’est une volonté aveugle, tandis que dans la résistance morale, c’est une volonté libre, réfléchie […]. 7
Ici on le voit clairement : dans la pensée du dernier Schelling, la reformulation de la différence ontologique, aussi bien que l’affirmation d’un supplément d’origine indépassable du sujet, qui se révèle comme mauvais passé radical, tout ce répertoire kantien et/ou post-hégélien ne porte pas à une dévaluation de la philosophie négative face à la philosophie positive. L’idéel comme tel n’est jamais dévalué par Schelling à l’avantage du réel, et cela constitue la grande différence entre le post-kantisme de Schelling et le post-kantisme de Schopenhauer qui, lui, fait de l’aspect idéel une simple ruse de la volonté : il fait de l’idéel une idéologie, se posant, en cela, comme le vrai père des généalogistes. Schelling, par contre, maintient l’autonomie de l’idéel, aussi bien à l’intérieur de la philosophie positive, où l’idéel est ce qui est capable d’éclairer la volonté (cette notion de volonté éclairée est inconcevable pour Schopenhauer), que dans la formulation d’une indépendance des deux philosophies, au niveau du contenu et surtout de la méthode. Or, d’un côté, nous pourrions noter que cette recherche d’une double progression, sorte de version post-kantienne de l’opposition entre ratio cognoscendi et essendi, est elle aussi un leitmotiv de la pensée schellingienne, en tant qu’elle imprègne déjà, sous des modalités différentes, le Système de l’Idéalisme transcendantal. Mais – et c’est plus important encore – c’est à partir de cette dualité que l’on peut parler d’un accomplissement schellingien de l’héritage du post-kantisme. Par là, nous voulons soutenir que cette dualité, plus qu’une dualité entre la raison et ce qui se pose au-delà de la raison, devrait être comprise comme une dualité entre raison théorétique et raison pratique. Et nous le disons dans un sens éminemment kantien. La question de l’unité de la raison a été posée explicitement par Kant dans un passage décisif de la Critique de la raison pratique :
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Schelling 1991, 53 sq. / SW XIII, 206 sq.
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Marcello Ruta
De telles comparaisons réjouiront celui qui a pu se convaincre de l’exactitude des propositions qui apparaissent dans l’analytique, car elles autorisent, à juste titre, à espérer qu’il sera peut-être un jour possible de parvenir à comprendre l’unité de la raison pure tout entière (de la raison théorique aussi bien que pratique), et à tout dériver d’un seul principe, ce qui est l’inévitable besoin de la raison humaine, laquelle ne trouve une entière satisfaction que dans une unité parfaitement systématique de ses connaissances. 8
Ce passage est tiré de l’Examen critique de l’analytique de la raison pure pratique, où les deux structures des analytiques de la raison pure et pratique sont confrontées. Il est surprenant que cette partie de l’œuvre kantienne n’ait pas été davantage commentée dans la littérature critique, même si dans ce passage, en réalité, n’est pas seulement posée la question de l’unité de la raison. Cette question est posée après examen des différences de structure des deux analytiques, différences qui reflètent, à mon sens, deux structures différentes de la raison. Et en réalité, c’est seulement après avoir détecté cette différence que Kant se pose la question de la possibilité de parvenir un jour à comprendre une unité de la raison, ce qui équivaut à affirmer une actuelle non-unité, une dualité de la raison qui a été détectée et qui pour le moment n’autorise pas à affirmer son unité comme déjà réalisée. Toutes ces questions, qui nous plongent, me semble-t-il, au cœur même du système kantien, ont été en fait beaucoup moins analysées que d’autres questions kantiennes plus spécifiques, aussi bien dans le domaine pratique que théorétique. Brandt est l’un de ceux qui ont donné une lecture significative de cette partie de la raison pratique. Donnons-lui la parole : La KpV documente dans sa structure autant la dépendance que la parité avec la première Critique. En même temps, Kant affirme clairement qu’avec cette relation entre les deux Critiques de la raison théorétique et pratique, l’unité de la raison-même n’est pas encore donnée […]. Nous pouvons ici déjà constater que ce problème n’existait pas encore en 1781, parce que […], quand Kant publia la première Critique, il n’avait pas l’intention, et, nous ajoutons, pas même la possibilité systématique, de faire suivre une deuxième (voire même troisième) Critique. La connexion mise explicitement en évidence par Kant renferme donc la question, non encore résolue : dans quelle unité supérieure cette relation est-elle aussi bien nécessaire que possible ? 9 8 9
Kant 1985, 128 / KpV, A 162. Brandt 2002, 156. Texte original : « Die KpV dokumentiert in ihrem Aufbau somit
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Il se trouve que ce passage de Brandt n’est pas seulement important pour l’affirmation d’une différence radicale entre raison pratique et théorique dans le système kantien : cette différence était déjà implicitement contenue, par exemple, dans l’affirmation d’une différence entre je pratique et théorétique, différence affirmée aussi bien par Dieter Henrich que par Henry Allison, tous deux s’appuyant en ce cas sur une importante Réflexion de Kant portant sur la distinction entre liberté logique (théorétique) et transcendantale (pratique). L’importance du passage de Brandt réside dans la connexion de l’affirmation d’une fracture entre pratique et théorétique avec les analyses développées par Kant dans l’Examen critique. En effet, dans ces analyses, on trouve aussi ce qui, aux yeux de Kant, fait des deux raisons deux structures qui ne sont pas seulement distinctes, mais qui sont aussi différentes (ce qui n’est pas du tout la même chose). Nous allons maintenant chercher à faire une esquisse de cette différence structurelle, de la façon la plus synthétique et la plus claire possible. Nous allons commencer par un passage de Kant, tiré encore une fois de l’Examen critique : L’analytique de la raison pure théorique avait affaire à la connaissance des objets qui peuvent être donnés à l’entendement et, par conséquent, elle devait commencer par l’intuition, c’est-à-dire […] par la sensibilité, passer seulement ensuite aux concepts (des objets de cette intuition), et ce n’est qu’après ce double préliminaire qu’elle pouvait finir par des principes. Au contraire, comme la raison pratique n’a pas affaire à des objets pour les connaître, mais à son propre pouvoir de les réaliser […], c’est-à-dire à une volonté qui est une causalité dans la mesure où la raison contient le principe déterminant de celle-ci ; comme, par conséquent, elle n’a pas à indiquer un objet de l’intuition, mais […] seulement une loi de l’intuition, une critique de l’analytique de la raison pratique doit […] commencer par la possibilité de principes pratiques a priori. De là seulement elle pouvait passer aux concepts des objets d’une raison pratique, c’est-à-dire à ceux du bien et du mal absolus […], et c’est seudie Abhängigkeit von der, aber auch die Ebenbürtigkeit mit der ersten Kritik. Zugleich stellt Kant klar, daß mit dieser Relation zwischen den beiden Kritiken der theoretischen und praktischen Vernunft die Einheit der Vernunft selbst noch nicht gegeben ist […]. Wir können hier schon festhalten, daß dieses Einheitsproblem 1781 noch nicht vorlag […], denn als Kant die erste Kritik publizierte, hatte er nicht die Absicht und, so ergänzen wir, auch nicht die systematische Möglichkeit, eine zweite (oder gar dritte) Kritik folgen zu lassen. Der von Kant deklarativ herausgestellte Zusammenhang birgt also die noch nicht beantwortete Frage, in welcher übergeordneten Einheit denn dieser Zusammenhang sowohl notwendig wie auch möglich ist ».
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lement ensuite qu’elle pouvait conclure […] par le dernier chapitre, c’est-à-dire par celui qui traite de la relation de la raison pure pratique avec la sensibilité […], c’est-à-dire du sentiment moral. Ainsi, l’analytique de la raison pure pratique divisait, d’une manière tout à fait analogue à celle de la raison théorique, le domaine entier des conditions de son usage, mais en suivant un ordre inverse. 10
Ce qui nous intéresse, dans ce passage, c’est l’identification explicite d’un ordre inverse (ratio cogitandi versus ratio agendi) entre les deux critiques : la sensibilité, qui est le point de départ de la KrV, est maintenant le dernier moment. Mais cette inversion se réalise sur la base d’une sorte de méta-structure de l’Analytique qui, dans les deux cas, reste identique. Les deux Analytiques commencent par ce qui est évident, par ce qui se donne immédiatement : l’intuition sensible dans la KrV, la loi morale dans la KpV. On commence par l’évidence de ce qui se donne au sujet, de ce à quoi le sujet se rapporte, les noèmes des noèses, pourrait-on dire. Les deux Analytiques commencent par une analyse non pas de l’acte intentionnel, mais de l’objet de cet acte, de sa référence externe, pour étudier dans un deuxième temps comment cet acte intentionnel se développe : c’est le passage du schématisme et de la description du respect. Permettons-nous une métaphore spatiale : nous pouvons considérer les deux Analytiques comme un voyage de la périphérie vers le centre du sujet : de la sensibilité vers le je pense, de la loi morale vers le je pratique, vers le respect comme sentiment moral. Et c’est sur cette base commune que s’opère l’inversion, à deux niveaux : 1. Au niveau périphérique, à savoir au niveau de l’objet de la représentation, dans la KpV, c’est l’intelligible qui se donne, et non le sensible, comme dans la KrV: la donation de la loi, c’est la donation d’une forme, et pas d’une matière. 2. Au niveau central, le je n’est pas un je logique, mais un je sensible, un je pathologiquement affecté ; non pas un je vide, mais un je rempli par les pulsions du sujet pratique, qui en déterminent les représentations en réduisant son libre arbitre à la liberté d’un tournebroche. Or, cette structure inversée des deux analytiques détermine aussi les différentes caractéristiques de l’acte intentionnel, de la noèse théorétique et pratique : si, dans le premier cas, on assiste, par le schématisme théorétique, à un remplissement des catégories vides par les 10
Kant 1985, 126 sq. / KpV, A 159–161.
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contenus de la sensibilité, dans le second cas, dans le cas du respect, on assiste à un vrai et propre dépouillement du sujet pratique, à un dépouillement des pulsions sensibles, de l’égoïsme, face à la donation du vide de la loi morale, vide qui a tant été critiqué par Hegel. Lyotard a bien décrit ce mouvement, finalement mouvement extatique, dans ses analyses sur le beau et le sublime : dans le respect, le je pratique sort de soi, sort de son égoïsme et de ses pulsions ; en fait, la donation de la loi, en ce sens donation érotique, produit une donation du sujet, un dépouillement du sujet, capable de sortir de son moi sensible comme de son fondement. On peut encore citer Kant : [L]e sentiment sensible, qui est le fondement de toutes nos inclinations, est bien sans doute la condition de cette sensation que nous nommons respect ; mais la cause qui le détermine réside dans la raison pure pratique, et, par conséquent, en raison de son origine, il ne faut pas dire de cette sensation qu’elle est produite pathologiquement, mais pratiquement. 11
Nous en arrivons maintenant à la thèse centrale de ce travail : à notre avis, cette dualité de mouvements, de développements, se reflète dans les notions schellingiennes de Aufhebung et de surmontement : la première action vise à métaboliser un contenu par un sujet en principe vide, et progresse, pour ainsi dire, par remplissements successifs ; l’autre action, capable de décrire un mouvement extatique, qui n’est pas simplement celui d’un mystique qui baigne dans le vide, mais qui prend son départ d’une sorte de fondement matériel, dans lequel le sujet est plongé depuis toujours, comme dans son passé radical, qui est aussi, comme le dirait Kant, mal radical, pour se développer par videments successifs, extases, révélations successives et progressives. C’est pour cela que Schelling parle de « vouloir quelque chose au-dessus de soi », en anticipant une célèbre formule nietzschéenne. Et c’est seulement maintenant que nous pouvons et voulons relier nos réflexions avec le passage des leçons berlinoises citées précédemment : si la Thèse et l’Antithèse peuvent s’identifier avec la philosophie positive et négative, ce n’est pas, à notre avis, en première instance, en tant qu’elles identifient la raison et ce qui se pose au-delà d’elle ; mais c’est parce qu’elles identifient et différencient raison théorétique et pratique, raisons de deux sujets incommensurables entre eux. Nous
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Kant 1985, 110 / KpV, A 134.
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pourrions dire : la raison pratique est la raison capable de s’extasier, d’aller au-delà de sa facticité. Nous pensons que cette dualité a été gommée par les systèmes post-kantiens les plus accomplis, à savoir ceux de Hegel et Schopenhauer : le premier, en faisant de l’acte pratique une répétition de l’acte théorétique, en tant que travail qui finalement catégorise la matière ; le second, en faisant de l’acte théorétique le serf impuissant de l’acte pratique, en faisant de la raison une idéologie de l’acte de la volonté. Mais Schelling, qui, en ce sens, n’est pas seulement le dernier des post-kantiens, mais aussi le post-kantien accompli, a été capable de soutenir jusqu’au bout cette dualité, sans sacrifier un pôle à la faveur de l’autre. Nous reprenons ici une vielle schématisation, probablement simplificatrice, de von d’Eduard von Hartmann, qui voulait faire de la dernière philosophie schellingienne la synthèse de Hegel et Schopenhauer. Cependant, nous retenons seulement la morphologie de cette schématisation, en changeant ses contenus. Ce qui caractérise la dernière philosophie de Schelling, et qui fait de cette philosophie l’accomplissement du post-kantisme, plus que le fait de synthétiser, c’est le fait de faire cohabiter le pratique et le théorétique, sans les synthétiser, mais en restant également capable de les penser ensemble, dans leur différence et leur incommensurabilité. La possibilité de trouver une unité supérieure, effort qui à notre avis a constitué le destin de toute la production médiane de Schelling, signifie, en post-kantien, essayer de trouver un nom et une place adéquats au je critique, le juge impartial, le pacificateur des belligérants. Ou, pour le dire de façon peut-être plus précise, cela signifie répondre à la question : qui parle, dans la critique de la raison ? Question qui est possiblement encore dans l’attente d’une digne postérité.
Bibliographie Brandt, Reinhard 2002 : « Kritische Beleuchtung der Analytik der reinen praktischen Vernunft ». In : Immanuel Kant, Kritik der praktischen Vernunft, éd. par Ottfried Höffe. Berlin, 153–172. Frank, Manfred 2007a : « Existenz, Identität und Urteil. Schellings späte Rückkehr zu Kant ». In : id. : Auswege aus dem Deutschen Idealismus. Francfortsur-le-Main, 312–374. – 2007b : « Schellings Hegelkritik und die Anfänge der Marx’schen Dialektik ». In : id. : Auswege aus dem Deutschen Idealismus. Francfort-sur-le-Main, 271– 293.
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Schelling – le dernier des post-kantiens Kant, Immanuel 1985 : Critique de la raison pratique, éd. sous la dir. de Ferdinand Alquié, trad. par Luc Ferry/Heinz Wisman. Paris. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1989 : Philosophie de la Révélation, livre I : Introduction à la Philosophie de la Révélation, trad. de la RCP Schellingiana (CNRS) sous la dir. de Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris. – 1991 : Philosophie de la Révélation, livre II : Première partie, trad. de la RCP Schellingiana (CNRS) sous la dir. de Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris. – 1998 : Introduction à la philosophie de la mythologie, trad. du GDR Schellingiana (CNRS) sous la dir. de Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris. Schopenhauer, Arthur 1966 : Le Monde comme volonté et représentation, trad. par Auguste Burdeau, révisée par Richard Roos. Paris.
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Section II Schelling et le XIXème siècle / Schelling und das 19. Jahrhundert
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Freiheit und Charakter Das Problem der intelligiblen Tat bei Schelling, Kierkegaard und Sartre Jochem Hennigfeld (Landau)
Abstract The following article analyses the concept of freedom in Schelling’s Philosophical Investigations Into the Essence of Human Freedom (1809), Kierkegaard’s The Concept of Anxiety (1844) and Sartre’s Being and Nothingness (1943). The methodical context of these three positions is quite different. Schelling tries to find a place for human freedom inside a system of the divine Absolute. Kierkegaard attacks any form of philosophical system and insists on individual responsibility before the God of Christianity. Sartre denies, not only the existence of God, but also the difference between good and evil, insofar as it is based on general ethical principles. However, all of them agree in setting the hypothesis of an intelligible act. This initial act of human freedom is the decision for one’s own character. Though it cannot be demonstrated in our consciousness, everyone is responsible for this decision.
Die Hypothese einer intelligiblen Tat ist für den gesunden Menschenverstand eine kaum zu überbietende Provokation. Denn gemäß dieser Hypothese fällt der Mensch in voller Verantwortung eine Urentscheidung, die empirisch nicht nachzuweisen ist und sich deshalb dem existierenden Bewusstsein entzieht. Wie soll der Mensch für etwas verantwortlich sein, dessen er sich nicht bewusst sein kann? Angesichts einer solchen Theorie legen sich besonders zwei Fragen nahe: 1. Was nötigt zur Annahme einer solchen Tat? Anders formuliert: Welchen systematischen Ort nimmt die Lehre von der intelligiblen Tat im Ganzen eines philosophischen Entwurfs ein? 2. Kann die Hypothese einer intelligiblen Tat – allem Anschein zum Trotz – mit menschlichen Erfahrungen in Einklang gebracht werden? Diesen beiden Fragen werde ich im Folgenden an drei markanten Positionen nachgehen. Der erste Abschnitt thematisiert die Funktion 71 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Jochem Hennigfeld
der intelligiblen Tat im Kontext der schellingschen Freiheitsschrift (1809). Der zweite Abschnitt behandelt das Setzen der Sünde in Kierkegaards Der Begriff Angst (1844). Abschließend gehe ich auf den ursprünglichen Entwurf unserer Existenz ein, wie er in Sartres Das Sein und das Nichts (1943) entfaltet worden ist. Dabei geht es mir vor allem um den Nachweis der These, dass auch für das Freiheitskonzept Kierkegaards und Sartres eine intelligible Tat grundlegend ist.
I. Schelling. Die Entscheidung zum Bösen Schellings Identitätsphilosophie ist Philosophie des Absoluten. Das heißt: Prinzip des Systems ist das Sein schlechthin, ohne jegliche Einschränkung. Damit ist der menschliche Erfahrungsbereich überschritten. Denn wir kennen nur Seiendes (uns selbst eingeschlossen), das in vielfältiger Weise bedingt ist: Es ist auf Ursachen und Gründe zurückzuführen; es ist dem Ablauf der Zeit unterworfen; es ist auf anderes bezogen und durch das andere bestimmt. Negiert man diese Merkmale des endlichen Seins, dann erhält man als Bestimmung des unendlichen Absoluten: Grundlosigkeit, Unabhängigkeit von der Zeit, Selbstbestimmung. Das aber sind Merkmale des freien Willens. Denn: Die freie Tat ist grundlos, weil sie nicht auf einen äußeren Grund zurückzuführen ist; weiterhin liegt sie außerhalb der Zeitreihe, weil sie sonst durch einen früheren Zustand bedingt wäre. 1 Der wirklich frei Handelnde wird schließlich nicht durch anderes bestimmt, sondern er bestimmt und bejaht im Handeln sich selbst. Auf diese Weise erscheint das absolute Sein als Wille bzw. als Wollen. Kurz und bündig stellt Schelling in der Freiheitsschrift fest: »Es gibt in der letzten und höchsten Instanz gar kein anderes Seyn als Wollen. Wollen ist Urseyn, und auf dieses allein passen alle Prädicate desselben: Grundlosigkeit, Ewigkeit, Unabhängigkeit von der Zeit, Selbstbejahung« (SW VII, 350). Prinzip des Systems ist – um es noch einmal zu sagen – das absolute Sein. Für dieses Absolute ist der Name ›Gott‹ angemessen. Dazu bemerkt Schelling in einem Entwurf zum Ersten Buch der Weltalter: »Auf keinen Fall aber wissen wir dadurch, daß wir den Namen Gott aussprechen auch gleich die Tiefen seines Wesens. Denn Gott ist kein todtes, stillsstehendes [sic] Wesen, sondern lebendig, ja das höchste Man vergleiche dazu Kants »Anmerkung zur dritten Antinomie«, KrV, A 448–451/ B 476–479.
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Freiheit und Charakter
Leben selbst« (WA III, 199). Damit ist ein entscheidender Hinblick gewonnen. Denn für alles Leben ist eine in sich gegenwendige Bewegung konstitutiv. Alles Lebendige strebt gleichsam nach außen, um sich in seine Möglichkeiten zu entfalten; zugleich aber bleibt es nach innen gewendet, um die Basis seiner Realisierung zu erhalten. Folglich hat auch das absolute Sein qua Leben und Wille zwei Momente, die zugleich mit- und gegeneinander wirken. Im Blick auf das absolute Sein Gottes bedeutet dies: Das eine Moment des Willens strebt nach Selbstoffenbarung; das andere Moment strebt in sich zurück, um die Lebenskräfte in sich zu bewahren. Dieses gegenwendige Streben der Willenskräfte gilt auch für das endliche Sein und Leben. Im Blick auf das Endliche charakterisiert Schelling diese beiden Prinzipien als Eigenwille und als Universalwille. Im Bereich der Natur bleibt der Eigenwille blind; d. h. er äußert sich als »bloße Sucht oder Begierde« (SW VII, 363) und bleibt dem Universalwillen untergeordnet. Anders verhält es sich beim Menschen. Im Unterschied zur Natur kommt der Eigenwille beim Menschen zu Bewusstsein. Im Unterschied zu Gott ist beim Menschen die Einheit von Universalwille und Eigenwille nicht fest gefügt. Das aber heißt: Der Mensch kann versuchen, das eigene Selbst gegen die göttlich-natürliche Ordnung durchzusetzen. Damit eröffnet sich für den Menschen »die Möglichkeit des Guten und des Bösen« (SW VII, 364). Ursprünglich ist der Mensch unschuldig; er steht unentschieden zwischen Gut und Böse. In dieser Unentschiedenheit kann der Mensch jedoch nicht verharren. Denn das wesentliche Sein ist Wollen; und der Wille muss sich entscheiden, wenn die freie Existenz verwirklicht werden soll. Diese Entscheidung fällt – bei jedem einzelnen von uns – zum Bösen. Ohne Ausnahme setzt der Mensch den Eigenwillen als Prinzip und strebt so danach, die Herrschaft über den Universalwillen zu erlangen. Dass es sich so verhält, kann nur von jemandem bezweifelt werden, »der den Menschen in sich und außer sich nur oberflächlich kennen gelernt hat« (SW VII, 388). Diese Entscheidung fällt – Schelling greift ausdrücklich den Begriff Kants auf – als intelligible Tat (vgl. Rel., A 22 f., 35 f./B 25 f., 40). Diese Tat muss eine eigene Tat des Menschen sein, weil es eine Entscheidung zu seinem eigenen Wesen ist. 2 Wäre dem Menschen dieses Augenfällig ist die Nähe zu Sartres Leitsatz, dass die Existenz der Essenz vorausgeht.
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Wesen vorgegeben, dann gäbe es keine Freiheit und keine Verantwortung. Vor dieser Tat gibt es eigentlich kein menschliches Sein, sondern nur »ein Ur- und Grundwollen, das sich selbst zu etwas macht und der Grund und die Basis aller Wesenheit ist« (SW VII, 385). Die Urentscheidung ist intelligibel. Das bedeutet: Sie kann kein Ereignis sein, das zeitlich zu bestimmen wäre; in diesem Sinne ist sie ›ewig‹. Obwohl selbst zeitlos, ist diese Tat jedoch zeitigend; denn sie prägt die menschliche Existenz in der Zeit. Das betrifft nicht nur das radikal Böse der menschlichen Gattung; vielmehr gilt es auch für den individuellen Charakter eines jeden Menschen. »Die That, wodurch sein [des Menschen, J. H.] Leben in der Zeit bestimmt ist, gehört selbst nicht der Zeit, sondern der Ewigkeit an: sie geht dem Leben auch nicht der Zeit nach voran, sondern durch die Zeit […] hindurch als eine der Natur nach ewige That« (SW VII, 385 f.). Damit wird deutlich – damit sei die erste Leitfrage aufgegriffen –, welche methodische Funktion der intelligiblen Tat im schellingschen System der Freiheit zukommt: Ohne diese Hypothese hätte die menschliche Freiheit in diesem System keinen Ort! Allerdings wird diese Rettung der Freiheit um einen hohen Preis erkauft, sofern diese Urtat durch die Wahl des Bösen zum Verlust der wahren Freiheit führt. In dem hier nur kurz zitierten Aufriss mag die Hypothese einer intelligiblen Tat spekulativ gerechtfertigt und im Ganzen des Systems ausreichend begründet sein. Aber – ich greife die zweite Leitfrage auf – bietet eine solche Lehre überhaupt noch Anknüpfungspunkte für die menschliche Erfahrung? Darauf geht Schelling in der Freiheitsschrift ausführlich ein. Zunächst betont er, dass die Idee einer solchen Tat für die ›gemeine Denkweise‹ unverständlich bleiben muss (vgl. SW VII, 386). Denn der Verstand könne nur Bewusstseinsinhalte begreifen; die intelligible Tat aber liege dem begreifenden Bewusstsein zuvor. »In dem Bewußtseyn […] kann jene freie That, die zur Nothwendigkeit wird, freilich nicht vorkommen, da sie ihm […] vorangeht, es erst macht« (SW VII, 386). Aber nach Schelling stimmt unser Gefühl mit dieser Tat überein. Wir fühlen, als seien wir das, was wir sind, »von aller Ewigkeit schon gewesen und keineswegs in der Zeit erst geworden« (SW VII, 386). Schelling bringt folgendes Beispiel: Jemand hat etwas Unrechtes getan. Er stellt fest: »[S]o bin ich nun einmal«, und versucht, sich auf diese Weise zu entschuldigen (SW VII, 386). Daraus ergibt sich nach Schelling zweierlei: Einerseits wird auf die Notwendigkeit der 74 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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entsprechenden Handlung hingewiesen. Andererseits gesteht man, dass die Tat nicht auf äußere Ursachen (die ›Umstände‹) zurückgeführt werden kann. Dann aber war die Handlung frei, und der Handelnde hat die Verantwortung dafür zu übernehmen. Dieses doppelte Gefühl – sowohl der Notwendigkeit als auch der Freiheit – ist nach Schelling dadurch zu erklären, dass wir im eigenen Sein keinen Zwang empfinden, sondern nur im Bestimmt-Werden durch anderes. Schelling führt noch ein weiteres Beispiel an (vgl. SW VII, 386 f.): Ein Kind zeigt sehr früh einen bösen Charakter, d. h. zu einer Zeit, da man es – vom Standpunkt der Erfahrung aus – für unfähig hält, vernünftig zu denken und frei zu handeln. Dieser Hang zum Bösen ist so stark ausgeprägt, dass man befürchten muss, auch durch Erziehung daran nichts mehr ändern zu können. Tritt nun das Befürchtete ein, wenn dieses Kind erwachsen geworden ist, dann wird dennoch die betreffende Person für ihre Taten zur Rechenschaft gezogen. Diese allgemeine Einstellung unserer Gesellschaft ist nach Schelling nur zu rechtfertigen, wenn man eine intelligible Tat voraussetzt. Diese allgemeine Beurtheilung eines seinem Ursprung nach ganz bewußtlosen und sogar unwiderstehlichen Hangs zum Bösen als eines Actus der Freiheit weist auf eine That, und also auf ein Leben vor diesem Leben hin, nur daß es nicht eben der Zeit nach vorangehend gedacht werde, indem das Intelligible überhaupt außer der Zeit ist. (SW VII, 387)
Kurzum: Ohne intelligible Tat fällt die Voraussetzung für Moral und Recht. Im Weltalter-Entwurf von 1811 hat Schelling noch einmal die intelligible Tat thematisiert. 3 Um diese Urtat des Menschen zu verstehen, muss nach Schelling die ursprüngliche Einheit von Freiheit und Notwendigkeit gesehen werden. Das ist für den in Gegensätzen denkenden Verstand unfasslich. Der Verstand versteht Freiheit nur als Gegensatz zur Notwendigkeit. Das betrifft jedoch nur den ›sekundären‹ Modus der Freiheit in der empirischen Wirklichkeit (als Gegensatz zur Naturkausalität). Obwohl für den Verstand nicht begreiflich, haben wir aber ein gleichsam fühlendes Bewusstsein von dieser ursprünglichen Einheit. Dieses aus der Freiheitsschrift bekannte Argument greift Schelling 1811 in folgender Formulierung auf:
1811 vergleicht Schelling die intelligible Tat des Menschen mit der ›unergründlichen‹ Schöpfungstat Gottes. Von diesem Vergleich wird hier abgesehen.
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Ich glaube, daß nicht leicht jemand annehmen wird, er selbst oder irgend ein anderer Mensch habe sich seinen Charakter gewählt; und dennoch unterläßt keiner, ihm die aus seinem Charakter folgende Handlung als eine freye zuzurechen. Hier erkennt also jeder eine Freyheit an, die in sich Nothwendigkeit, nicht Freyheit in jenem späteren Sinne ist, die nur da stattfindet, wo Gegensatz ist. (WA I, 93)
Das kann man sich auf folgende Weise verdeutlichen: Frage ich, warum jemand einen bestimmten Charakter hat, dann kann man dafür keinen (zureichenden) Grund anführen – es sei denn, man flüchtet in irgendeine Variante des Determinismus. Wo ich aber keinen Grund angeben kann, da bleiben nur zwei Möglichkeiten. Entweder ist der Charakter zufällig so, oder er ist Folge einer freien Tat. Die erste Antwort (Zufall) wäre eine Flucht in das Asyl der Ignoranz. Also bleibt vernünftigerweise nur: Die Entscheidung zum eigenen Charakter ist eine unvermittelte Tat der Freiheit. Die Entscheidung zum – mit Kant gesprochen: intelligiblen – Charakter bildet die Basis alles späteren Wirkens. Aus diesem ersten Willen wird nämlich ein zweiter, jetzt empirisch wirkender Wille ›gezeugt‹. Dieser zweite Wille findet im ursprünglichen Willen und Charakter den für alles Handeln notwendigen Widerpart. So kann Schelling sagen: Wir fodern von dem Menschen allerdings auch, daß er seinen Charakter überwinde, nicht aber daß er ohne Charakter sey. Eben weil er überwunden, aufgeschlossen, gesteigert werden soll, muß er eher seyn als das Ueberwindende: eben hieraus erhellt seine entschiedne Priorität in allem Handeln und Wirken. (WA I, 94)
So weist auch diese Weltalter-Fassung die zentrale Stellung der intelligiblen Tat im System auf. Sie bringt den Menschen in die größte Nähe zur göttlichen Schöpfungstat und rückt ihn durch die Entscheidung zum Bösen in die weiteste Ferne. Ändert sich diese Einschätzung, wenn der Zwang des Systems aufgegeben wird? Eine mögliche Antwort auf diese Frage bietet das Denken Kierkegaards.
II. Kierkegaard. Der Sprung in die Sünde Kierkegaards Der Begriff Angst thematisiert die unbewusste Tat direkt in dem Kontext, wo sie ihren Ursprung hat: in der christlichen Lehre von der Erbsünde. Will man dieses Dogma nicht sogleich in den 76 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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Bereich des Phantastischen verbannen, dann muss man ›Erbsünde‹ verstehen als die jeweils erste Sünde, die von jedem einzelnen Menschen gesetzt wird. »Durch die erste Sünde ist die Sünde in die Welt gekommen. Ganz und gar auf die gleiche Weise gilt von eines jeden späteren Menschen erster Sünde, daß durch sie die Sünde in die Welt kommt«. 4 Sünde ist Schuld (Schuld vor Gott). Wird Schuld durch den Menschen gesetzt, dann muss es zuvor einen Zustand der Unschuld geben. Wie soll der Zustand der Unschuld charakterisiert werden? Mit dieser Frage kommt die Philosophie ins Spiel; denn diese Frage lässt sich nur zureichend beantworten, wenn man das Wesen des Menschen in den Blick fasst. Nach Kierkegaard ist der Mensch das Wesen des Geistes. Der Geist ist kein bestehendes Etwas, sondern nichts anderes als das wissende und sich wissende Synthetisieren des Gegensatzes von Seelischem und Leiblichem, von Innerem und Äußerem. Diese Wesensbestimmung lässt sich nicht ohne weiteres auf den Zustand der Unschuld anwenden. Denn Unschuld – das greift Kierkegaard aus dem Genesis-Bericht auf – ist Unwissenheit. Folglich kann der unschuldige Mensch noch nicht geistig existieren. Er kann aber auch nicht geistlos sein, weil er sich sonst nicht vom Tier unterscheiden würde. Kierkegaard löst dieses Problem so: Im Zustand der Unschuld ist der Mensch zwar Geist, aber noch nicht wissender Geist. Das bedeutet: Unschuldig lebt der Mensch als unmittelbare Einheit von Seelischem und Leiblichem; die Gegensätzlichkeit ist zwar da, aber nicht als solche bewusst. Für diesen Zustand prägt Kierkegaard den Begriff des ›träumenden Geistes‹. 5 Man mag sich diesen Zustand als das verlorengegangene Paradies oder als die Zeit seliger Kindheit vorstellen. Aber solche Vorstellungen verkennen die unruhige Spannung dieses Zustandes. Zwar lebt die unschuldige Existenz durchaus ruhig und friedlich. Aber sie fühlt zugleich, dass es für sie noch etwas anderes gibt, das sie nicht kennt und von dem sie nichts weiß. Dieses Nichts an Bestimmtheit ängstigt. Das Beunruhigende der Unschuld ist somit die Angst, deren Dialektik Kierkegaard als ›sympathetische Antipathie‹ und ›antipathetische Sympathie‹ beschreibt. 6 Was damit gemeint ist, wird deutlich, 4 5 6
Kierkegaard 1844, 28. Vgl. Kierkegaard 1844, 40. Ebd.
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wenn man bedenkt, dass der träumende Geist von seiner möglichen Freiheit durchstimmt wird. Einerseits nämlich stößt ihn diese Freiheit ab, weil sie seine unmittelbare Einheit (und damit seine Unschuld) bedroht. Andererseits zieht ihn diese Möglichkeit an, weil die Selbstbestimmung des wissen wollenden Geistes gefühlt wird. – In Kierkegaards eigenen Worten: Seiner selbst ledig werden kann der Geist nicht; sich selber ergreifen kann er auch nicht, so lange er sich selbst außerhalb seiner hat; ins Vegetative versinken kann der Mensch auch nicht; denn er ist ja bestimmt als Geist; die Angst fliehen kann er nicht, denn er liebt sie; eigentlich lieben kann er sie nicht, denn er flieht sie. Nun ist die Unschuld auf ihrer Spitze. 7
›Die Unschuld ist auf ihrer Spitze‹. Das heißt: Der Mensch steht unmittelbar vor dem Sprung. ›Sprung‹ ist streng begrifflich zu nehmen als »eine eigne Art von Folge […], vermöge deren aus etwas sein Gegenteil hervorgeht«. 8 Im Sprung vollzieht sich somit der Umschlag von Unschuld in Schuld bzw. Sünde. Bis zu diesem Punkt kann die psychologisch-anthropologische Besinnung gelangen. Der Sprung selbst entzieht sich jeder Erklärung. Erst die Folge des Sprungs ist wieder offen für die Reflexion. In eins mit dem Sprung ist nämlich der Geist erwacht. Indem sich der Geist im Sprung verwirklicht, steht er vor der Aufgabe, den Gegensatz von Seelischem und Geistigem zu versöhnen. Diese versöhnende Synthesis ist nicht vorgegeben, sondern auf je individuelle Weise geistig zu gestalten. Denn die Verwirklichung des endlichen Geistes im Sprung setzt zugleich die Wirklichkeit seiner Freiheit. In dem Augenblick, da diese Wirklichkeit gesetzt ist, verschwindet die Unschuld »als ein Nichts, welches alle gedankenlosen Menschen anlockt«. 9 Für den Vergleich mit Schelling ist zu klären, ob der von Kierkegaard angenommene Sprung in die Sünde eine intelligible Tat im Sinne Schellings (und Kants) ist. Dazu müssten zwei wesentliche Merkmale zutreffen: Zum einen wissen wir nichts von dieser Tat, sind aber für sie verantwortlich. Zum anderen fällt diese Tat nicht in die Zeit. Das erste Merkmal trifft zweifellos auf den Sprung in die Sünde zu. Denn wissend wird der Geist erst durch den Sprung; und er weiß 7 8 9
Kierkegaard 1844, 42. Kierkegaard 1842/43, 128. Kierkegaard 1844, 48.
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sich sogleich als schuldig, auch wenn diese Schuld – weil aus nicht wissender Angst geboren – zweideutig bleibt. »Angst ist eine […] Ohnmacht, in welcher die Freiheit das Bewußtsein verliert, psychologisch gesprochen geschieht der Sündenfall stets in Ohnmacht; aber Angst ist zugleich das Selbstischste von allem«. 10 Was das zweite Moment betrifft, so ist Kierkegaards Bestimmung der menschlichen Zeiterfahrung zu berücksichtigen, wie sie im dritten Kapitel von Der Begriff Angst vorgelegt wird. Im Sprung wird nämlich nicht nur die geistige Synthesis von Leib und Seele gesetzt, sondern auch die spezifisch menschliche Zeitlichkeit. Menschliche Zeiterfahrung ist nach Vergangenheit, Gegenwart und Zukunft strukturiert. Diese Struktur lässt sich aber weder aus der Jetzt-Folge der Zeit noch aus dem Gegenbegriff des ›nunc stans‹ der Ewigkeit gewinnen. Das Problem kann nach Kierkegaard nur gelöst werden, wenn es einen herausgehobenen Moment gibt, von dem aus eine Zeitstrukturierung möglich wird. Diesen Moment nennt Kierkegaard Augenblick. Indem der Geist im Sprung die Synthesis von Leib und Seele setzt, setzt er in eins die Synthesis von Zeit und Ewigkeit im Augenblick. »Der Augenblick ist jenes Zweideutige, darin Zeit und Ewigkeit einander berühren, und damit ist der Begriff der Zeitlichkeit gesetzt, allwo die Zeit fort und fort die Ewigkeit abriegelt und die Ewigkeit fort und fort die Zeit durchdringt«. 11 Als Synthesis lässt sich auch die intelligible Tat bei Schelling verstehen, nämlich im Sinne der bereits zitierten Stelle: »Die That, wodurch sein Leben in der Zeit bestimmt ist, gehört selbst nicht der Zeit, sondern der Ewigkeit an« (SW VII, 385; Herv. v. Verf.). Man könnte einwenden, dass Schelling stärker die Ewigkeit betone, während Kierkegaard größeres Gewicht auf die Zeit lege. Aber auch hierzu gibt es eine markante Stelle im Begriff Angst, die Kierkegaard wieder an Schelling heranrückt: »Solchermaßen verstanden ist der Augenblick nicht eigentlich Atom der Zeit, sondern Atom der Ewigkeit. Er ist der Ewigkeit erster Widerschein in der Zeit, ihr erster Versuch, die Zeit gleichsam anzuhalten«. 12 Wenn nach Kierkegaard der Sprung in die Sünde der Zeitfolge enthoben, aber zeitigend ist, dann handelt es sich – wie bei Schelling – um eine intelligible Tat. 13 10 11 12 13
Kierkegaard 1844, 61. Kierkegaard 1844, 90. Ebd. Anders hingegen Ph. Schwab, für den der Sprung bei Kierkegaard »nicht im Sinne
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Auch im Blick auf die methodische Funktion ist die Parallele zu Schelling offenkundig. Kierkegaard geht es darum, die Angst als Existenzial aufzudecken. Die Angst ist jedoch nichts anderes als das ambivalente Ahnen der Freiheit; und ohne den freien Sprung in die Sünde wäre die Freiheit menschlicher Existenz nicht zu retten. Es bleibt noch die zweite Leitfrage zu beantworten, nämlich nach Anknüpfungsmöglichkeiten an unsere Erfahrung. Soweit ich sehe, gibt Kierkegaard im Begriff Angst nur zwei Hinweise: Zum einen verweist er auf die anziehend-abstoßende Angsterfahrung von Kindern; 14 zum anderen vergleicht er die Angst mit dem Schwindel, der uns beim Blick in einen jähen Abgrund erfasst. 15 Ansonsten bleibt nur die Aufforderung an jeden Einzelnen, die ›psychologische‹ Bewegung nachzuvollziehen und seinen eigenen Sprung in die Sünde als reflexiv nicht zu vermittelndes Faktum anzuerkennen. Festzuhalten bleibt: Auch da, wo die Philosophie der Freiheit das System des Absoluten aufgibt, nimmt die Hypothese einer intelligiblen Tat eine fundamentale Stellung ein. Wie aber steht es, wenn die Philosophie das Göttliche negiert und das Böse im Sinne der Sünde nicht anerkennt?
III. Sartre. Die Selbstwahl Eine freie Wahl ist nicht beliebig. Der Versuch, sie auf Zufall oder Gleichgültigkeit zurückzuführen, führt in das Dilemma von Buridans Esel. Das ist für Sartre ebenso klar wie etwa für Leibniz, Schelling oder Kierkegaard. Dann aber steht eine Philosophie der Freiheit vor folgender Frage: Wie kann eine freie Handlung auf einen Grund zurückgeführt werden, ohne dem drohenden Determinismus zu verfallen? Sartre beantwortet diese Frage durch die Hypothese einer Urwahl. Den Rückgang auf diese anfängliche Entscheidung führt Sartre an folgendem Beispiel vor: Mit Freunden unternehme ich eine ausgedehnte Wandertour. Nach einigen Stunden übermannt mich die Müdigkeit; ich gebe auf und laufe nicht mehr weiter. Sartre fragt nun: von Schellings idealistischer Herleitung als ein intelligibler bezeichnet werden« kann: Schwab 2010, 111. 14 Vgl. Kierkegaard 1844, 40 f. 15 Vgl. Kierkegaard 1844, 60 f.
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Um welchen Preis hätte ich anders handeln können? 16 Die Beantwortung dieser Frage verlangt eine genaue Analyse. Die Müdigkeit als solche kann meinen Entschluss nicht verursachen. Denn in der ersten Phase meines ermatteten Zustandes bin ich mir der Müdigkeit gar nicht bewusst. Die Müdigkeit »ist zunächst nicht Gegenstand eines setzenden Bewußtseins, sondern die Faktizität meines Bewußtseins selbst«. 17 Kurzum: Ich bin müde. Und als dieses Müde-Sein erscheinen die Wege zu lang, die Berge zu steil etc. Nach dieser ersten Phase setzt ein reflektierendes Bewusstsein ein. Das reflektierende Bewusstsein bewertet die Müdigkeit und setzt sie in einen praktischen Bezug zu meinem Sein. Im Kontext des Beispiels heißt das: Mein Bewusstsein beurteilt die Situation als unerträglich. Im nächsten Schritt der (regressiven) Analyse rücken die mich begleitenden Freunde in den Blick. Sie haben eine ähnliche Konstitution und Kondition wie ich. Sie sind also auch müde, wollen aber nicht aufgeben. Mit dem Hinweis auf äußere Umstände ist das nicht zu erklären. Verständlich wird dieses unterschiedliche Verhalten nur durch eine Wahl, durch einen ursprünglichen Entwurf, in dem ein je eigener Bezug zum Leib und zu den Dingen gestiftet wird. »Dieser ursprüngliche Entwurf [projet originel] […] ist also eine gewisse Wahl seiner selbst, die das Für-sich angesichts des Problems des Seins trifft«. 18 Für Sartre in der fingierten Rolle des resignierenden Wanderers besteht der ursprüngliche Entwurf darin, »meinen Körper und meine Anwesenheit in der Welt durch die Blicke des andern retten zu lassen«. 19 Der auf diese Weise entdeckte Urakt der Freiheit lässt sich nun allgemein so charakterisieren: 20 1. Er gibt jeder einzelnen Handlung, der ich mich genauer zuwende, ihren Sinn. Anders gesagt: Nur auf der Grundlage dieses Aktes sind die jeweiligen Handlungen zu verstehen. 2. Der grundlegende Freiheitsakt konstituiert mein Sein. Das ist nur möglich, wenn er ständig erneuert wird.
SN, 787 / EN, 531. SN, 788 / EN, 531. 18 SN, 790 f. / EN, 533. 19 SN, 793 / EN, 534. 20 Vgl. SN, 799 f. / EN, 539. Zur dramatischen Veranschaulichung und Weiterentwicklung des Grundentwurfs bei Sartre vgl. die erhellende Analyse von Margot Fleischer in Fleischer 1981. 16 17
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3. Indem ich im grundlegenden Freiheitsakt mich selbst wähle, entdecke ich zugleich die Welt. Das heißt: Von meiner Selbstwahl hängt es ab, wie mir die Dinge in der Welt erscheinen. 4. Die Urwahl konstituiert mein Bewusstsein; sie kann deshalb nicht unbewusst sein. »[D]a unser Sein eben unsere ursprüngliche Wahl ist, ist das Bewußtsein (von) Wahl identisch mit dem Bewußtsein, das wir (von) uns haben«. 21 Da Bewusstsein allererst setzend, kann diese Wahl nicht ›erwogen‹ (délibéré), d. h. nicht reflektiert sein; denn sie ist Grundlage aller erwägenden Reflexion. Oder: Die Urwahl ist Tat eines nicht-setzenden Bewusstseins (conscience non-positionelle), die wir als bestimmte Wahl nicht wissen können. 5. Der primäre Entwurf kann jederzeit revidiert oder modifiziert werden. 22 6. Die jeweilige Urwahl entfaltet Zeit und setzt zugleich die Einheit der drei Zeit-Ekstasen. Das gilt in folgendem Sinne: »Uns wählen heißt uns nichten, das heißt machen, daß eine Zukunft uns das anzeigt, was wir [gegenwärtig, J. H.] sind, indem sie unserer Vergangenheit einen Sinn verleiht«. 23 Dass diese Charakterisierung die Vermutung nahelegt, bei der Urwahl handle es sich um eine intelligible Tat, war Sartre sehr wohl bewusst. Er weist nämlich diese Vermutung ausdrücklich zurück: »Dieser Entwurf ist keineswegs instantan [geschieht nicht im Augenblick, J. H.], da er nicht ›in‹ der Zeit sein kann. Er ist auch nicht zeitlos, um sich hinterher ›Zeit zu nehmen‹. Deshalb weisen wir Kants ›Wahl des intelligiblen Charakters‹ zurück«. 24 Sartre bezieht sich hier auf Kants Darlegung der Möglichkeit einer Kausalität durch Freiheit in der Critik der reinen Vernunft (vgl. KrV, A 538–558/B 566–586). Dort heißt es u. a.: Die Causalität der Vernunft im intelligibelen Charakter entsteht nicht, oder hebt nicht etwa zu einer gewissen Zeit an, um eine Wirkung hervorzubringen. Denn sonst würde sie selbst dem Naturgesetz der Erscheinungen […] unterworfen sein; und die Causalität wäre alsdann […] nicht Freiheit. (KrV, A 551 f./B 579 f.)
Es ist klar, dass sich Sartres Philosophie der endlichen Existenz gegen Kants Setzung eines zeitlosen An-sich-Seins wendet. Aber ebenso 21 22 23 24
SN, 800 / EN, 539. Vgl. SN, 804 f., 831 / EN, 542, 560. SN, 806 / EN, 543. SN, 830 / EN, 559.
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Freiheit und Charakter
offensichtlich ist, dass Sartre vor demselben Problem steht wie Kant und Schelling und Kierkegaard. Dieses Problem besteht darin – ich greife noch einmal die soeben zitierte Stelle bei Sartre auf –, eine Tat anzunehmen, die »nicht ›in‹ der Zeit«, aber »auch nicht zeitlos« sein kann. Dieser für den gesunden Menschenverstand offenkundige Widerspruch wird bei Schelling, Kierkegaard und Sartre (auch bei Kant) prinzipiell auf die gleiche Weise gelöst – nämlich durch die Hypothesis einer Urtat, die insofern außerhalb der Zeit liegt, als sie selbst zeitigend ist, d. h. einen unvermittelten Anfang setzt. Nimmt man nun noch hinzu, dass der grundlegende Freiheitsakt auch bei Sartre nicht gewusst wird (weil Tat eines nicht-setzenden Bewusstseins), dann kann man mit Fug und Recht behaupten, dass für die Freiheitskonzeption Sartres die intelligible Tat ebenfalls von fundamentaler Bedeutung ist. Meine beiden Leitfragen – nach der methodischen Funktion und nach Anknüpfungsmöglichkeiten in der Alltagswelt – lassen sich für Sartre so beantworten: Ohne die Hypothese einer Urwahl bliebe Sartres radikaler Freiheitsbegriff grund- und bodenlos. Dass nämlich Freiheit als Selbstbestimmung zu verstehen ist – nach Schelling die unumkehrbare Einsicht des Idealismus –, gilt fraglos auch für Sartre. Im Blick auf die zweite Frage nach der Verankerung in der konkreten Erfahrungswelt behauptet Sartre, dass die am Beispiel des Wanderers durchgeführte regressive Analyse, die bei der Urwahl auf einen tragfähigen Grund kommt, von fast jedermann ausgeübt werde. »Diese rückwärtsschreitende Dialektik [dialectique remontante] wird von der Mehrzahl der Menschen spontan praktiziert, ja man kann feststellen, daß in der Erkenntnis seiner selbst oder Anderer ein spontanes Verständnis der Hierarchie der Interpretationen gegeben ist«. 25 Systematisiert und expliziert – so Sartre weiter – werde dieses Verfahren in der Psychoanalyse Freuds. Eine philosophiehistorische Betrachtungsweise wird auf die prinzipiellen Unterschiede der behandelten Positionen hinweisen: Schelling geht es um ein System des Absoluten, in dem noch ein Ort für die menschliche Freiheit sein soll. Diesen Systemgedanken bekämpft Kierkegaard mit aller Leidenschaft, um die Verantwortung des Einzelnen vor dem Gott des Christentums anzumahnen. Und Sartre negiert nicht nur das Göttlich-Absolute, sondern auch den auf eine
25
SN, 793 / EN, 535.
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Ethik gegründeten Unterschied zwischen Gut und Böse, damit sich der Mensch seiner grenzenlosen Verantwortung bewusst werde. Angesichts dieser Differenzen ist die systematische Gemeinsamkeit der drei Entwürfe umso auffälliger. Schelling, Kierkegaard und Sartre können die menschliche Freiheit nur verteidigen durch die Hypothese einer intelligiblen Tat. Der Provokation einer solchen Annahme sind sie sich durchaus bewusst. Deshalb zeigen sie – auf je unterschiedliche Weise –, dass eine intelligible Tat (ein Sprung, eine Urwahl) durchaus in Einklang zu bringen ist mit Erfahrungen und Überlegungen in der uns vertrauten Lebenswirklichkeit. Dieser Befund ist ernst zu nehmen. Er zeigt, dass wir einen dunklen Grund menschlicher Existenz akzeptieren müssen, der durch die Reflexion nicht zu erhellen ist. Wer dieses Dunkel lichten möchte, ergreift die Partei des Determinismus.
Bibliographie EN SN
Jean-Paul Sartre: L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique. Paris 1943. Jean-Paul Sartre: Das Sein und das Nichts. Versuch einer phänomenologischen Ontologie, übers. v. Hans Schöneberg/Traugott König. Reinbek 1993.
Kierkegaard, Sören 1842/43: Johannes Climacus oder De omnibus dubitandum est. Eine Erzählung. In: ders.: Gesammelte Werke, 36 Abtlg. in 26 Bdn. u. Registerbd., übers. u. hg. v. Emanuel Hirsch/Hayo Gerdes/Hans-Martin Junghans, Abt. 10, Bd. 6: Philosophische Brocken. De omnibus dubitandum est. Düsseldorf/Köln 1952, 109–164. – 1844: Der Begriff Angst. Eine schlichte psychologisch-andeutende Überlegung in Richtung auf das dogmatische Problem der Erbsünde von Vigilius Haufniensis. In: ders.: Gesammelte Werke, 36 Abtlg. in 26 Bdn. u. Registerbd., übers. u. hg. v. Emanuel Hirsch/Hayo Gerdes/Hans-Martin Junghans, Abt. 10/11, Bd. 7: Der Begriff Angst. Vorworte. Düsseldorf/Köln 1952, 1–169. Fleischer, Margot 1981: »Konkretisierte Existenzstrukturen in Sartres ›Die schmutzigen Hände‹«. In: Perspektiven der Philosophie 7, 149–173. Schwab, Philipp 2010: »Sprung und intelligible Tat. Zu Kierkegaards Transformation einer Grundfigur aus Schellings Freiheitsschrift«. In: Das Böse und sein Grund. Zur Rezeptionsgeschichte von Schellings Freiheitsschrift 1809, hg. v. Gunther Wenz. München, 99–112.
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Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien Giusi Strummiello (Bari)
Abstract Schelling’s opus, Philosophical Inquiries into the Essence of Human Freedom, represents a moment of transition between two phases of thought. One of the indications of this transition is represented by the problem of freedom, which can, indeed must, be considered from two different perspectives. In the Philosophical Inquiries (1809) the investigations focus mainly on human freedom as the concrete possibility of choosing between Good and Evil. In later reflections, attention shifts increasingly toward the freedom of the Absolute, that is, God’s freedom. The aim of this paper is to trace the different fate of these two aspects of Schelling’s inquiries into freedom, recalling briefly a few of the main junctures in which one or the other seems to emerge. Through references to Schopenhauer, Heidegger and Pareyson – thinkers whose presence is virtually mandatory in any approach to the history of the reception of Schelling’s thought – two substantially different attitudes appear in Schelling’s legacy on the theme of freedom. One is an attitude of diffidence and suspicion, as far as human freedom in the early post-Idealist period is concerned; the other is a more open theoretical engagement, as far as meta-human freedom – God’s freedom and its origins – in 20th century thought is concerned.
1. Les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine constituent, dans l’itinéraire schellingien, un moment de transition entre deux périodes de sa pensée et le premier tournant décisif en direction de la philosophie dite positive : c’est justement dans ce texte, en effet, que murissent certains des thèmes cruciaux qui feront l’objet d’une constante réflexion au sein de la Spätphilosophie. L’un des indices de cette transition est représenté justement par la question de la 85 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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liberté, qui, à mon avis, peut, et peut-être doit, être considérée à partir d’une double perspective : dans l’ouvrage de 1809, comme cela apparaît clairement dès le titre, l’enquête porte principalement sur la liberté humaine en tant que possibilité concrète de choisir entre le bien et le mal ; alors que, dans la suite, l’accent porte de plus en plus sur la liberté de l’Absolu, ou plutôt sur la liberté de Dieu – un Dieu vivant, effectif, qui se fait, et devient, tout en étant et en restant libre même par rapport à son être. Or, cette tournure de la question de la liberté s’enracine d’une certaine manière dans les Recherches de 1809, puisque c’est justement dans cet ouvrage que figure pour la première fois l’idée qu’il existe un procès par lequel Dieu se constitue à partir de son fondement : si l’intention primaire de cette doctrine est de trouver un point originaire qui justifie la possibilité humaine du choix du mal – et donc, justement, la liberté humaine – sans compromettre le cadre panthéiste, il est pourtant évident qu’elle pose un problème tout à fait nouveau et inattendu, qui reste implicite et simplement ébauché dans la Freiheitsschrift, mais qui devient de plus en plus central dans le contexte de la pensée schellingienne postérieure : qu’en est-il de la liberté de Dieu par rapport à son propre devenir ? Et jusqu’à quel point Dieu est-il libre par rapport à son être ? Je voudrais donc essayer de suivre le destin différent de ces deux aspects de la doctrine schellingienne de la liberté en rappelant brièvement les articulations principales où ils semblent remonter à la surface. Les trois figures auxquelles je ferai référence à ce sujet – Schopenhauer, Heidegger, Pareyson – représentent d’ailleurs quasiment des passages obligés dans toute reconstruction de la réception de la pensée schellingienne. Ce que je me propose dans ces pages, c’est de mettre en valeur, par les références mentionnées ci-dessus, deux manières différentes d’aborder l’histoire de la postérité schellingienne concernant le thème de la liberté : l’une (mûrie dans la première période post-idéaliste) essentiellement caractérisée par une attitude de défiance et de soupçon à l’égard de la liberté humaine ; l’autre (particulière à la pensée du XXe siècle) caractérisée par un débat plus ouvert au sujet de la liberté méta-humaine – la liberté de Dieu ou la liberté du principe.
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Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien
2. Afin de retrouver un exemple du premier ‹ moment › (celui qui du point de vue chronologique est plus proche de Schelling), et de la première attitude, il serait en effet difficile de ne pas faire référence à Schopenhauer. Dans l’essai Sur la liberté de la volonté (Über die Freiheit des menschlichen Willens) – comme cela est bien connu – Schopenhauer accuse Schelling d’avoir plagié, dans son écrit sur la liberté, la doctrine kantienne de la liberté, et en particulier la distinction entre son caractère intelligible et son caractère empirique, sans déclarer explicitement sa dette à l’égard de Kant lui-même et en cachant « habilement » son nom sous l’étiquette générique d’‹ idéalisme › ; ce qui lui aurait ainsi permis de déballer « si pompeusement comme sa propre marchandise […] la fortune de Kant ». 1 Aux yeux de Schopenhauer, la philosophie de Schelling représente une manière de philosopher vide et sophistique, qui se limite à paraphraser sans aucune originalité les idées de Kant et remplace les « concepts clairs » et « une recherche sincère » de ce dernier par des expressions et des formules énigmatiques et mystérieuses comme « intuition intellectuelle » et « pensée absolue » afin d’émerveiller, impressionner, mystifier et « jeter de la poudre aux yeux du lecteur par toutes sortes d’artifices ». 2 Pourtant, cette critique féroce et vexée que Schopenhauer adresse à Schelling apparaît excessive : prise dans sa totalité, et en dépit des apparences et des déclarations de principe, l’éthique schopenhauerienne n’est pas – semble-t-il – aussi éloignée qu’on pourrait le croire de la doctrine schellingienne de la liberté ; au contraire, elle présente par rapport à celle-ci une sorte d’affinité cachée. On devra pour l’instant rappeler que la question de la liberté du vouloir, c’est-à-dire la question de la détermination de la liberté, est pour Schopenhauer « réellement des plus considérables, et au plus haut degré », car « [e]lle s’agrippe d’une main chercheuse au plus intime de l’essence humaine » dans la tentative de l’origine de ses volitions. 3 À ce niveau, Schopenhauer s’accorde avec Schelling en ce qu’il affirme qu’il ne s’agit pas de reconnaître à l’homme la liberté de Schopenhauer 2011, 159 / Schopenhauer 1839, 462 sq. Sur ce point, cf. Barbarić 2006. 2 Schopenhauer 2011, 161 / Schopenhauer 1839, 464. 3 Schopenhauer 2011, 64 / Schopenhauer 1839, 399. 1
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l’arbitre, mais de donner raison d’une liberté qui est déterminée à partir de l’essence de l’agent elle-même. 4 Pour ce faire, Schopenhauer fait appel à deux principes scolastiques : la distinction entre essentia et existentia et le principe selon lequel l’agir dépend de la nature de chaque chose (operari sequitur esse). Chaque chose réagit aux actions des causes efficientes conformément à sa propre nature, c’est-à-dire à son essence intime. [C]haque étant doit avoir une nature propre et essentielle, par quoi il est ce qu’il est, qu’il affirme toujours, et dont les extériorisations sont suscitées nécessairement par les causes ; alors que cette nature n’est nullement l’œuvre de ces dernières, ni modifiable par elles. 5
En ce sens, le libre arbitre représente une existentia sans essentia, donc quelque chose qui, de manière contradictoire, est et n’est pas en même temps. Par conséquent, s’attendre à ce qu’un même homme puisse agir chaque fois d’une manière différente équivaudrait à s’attendre, pour reprendre l’exemple proposé par Schopenhauer, à ce « que le même arbre, qui l’été dernier portait des cerises, porte des poires le suivant. » 6 Tout ce qui arrive, donc, arrive par nécessité : « Quidquid fit, necessario fit ». 7 D’ailleurs, l’existence de la liberté morale semble certifiée par un fait de conscience évident et certain, c’est-à-dire par l’indubitable sentiment de responsabilité à l’égard de ce que nous faisons, par l’inébranlable certitude que nous sommes les auteurs de nos actions. Et là où il y a la responsabilité, il faut qu’il y ait la liberté. La voie pour résoudre cette apparente contradiction entre le dénouement nécessaire de nos actes et le sentiment de responsabilité morale qui les accompagne, et pour réconcilier la nécessité et la liberté – c’est-à-dire la coexistence d’une rigoureuse nécessité empirique de l’agir et sa liberté transcendantale – ne peut être ouverte que par la distinction kantienne entre le caractère intelligible et le caractère empirique de l’homme : le premier correspond à l’idée de cet individu déterminé ; le deuxième à son action concrète dans le monde. Comme pour Kant, pour Schopenhauer l’homme, en tant qu’il agit dans le monde phénoménal, est subordonné, de même que tous les autres étants et objets, à la loi de causalité : son agir dans le monde ne se 4 5 6 7
Cf. Schopenhauer 2011, 113 sqq. / Schopenhauer 1839, 436 sqq. Schopenhauer 2011, 114 / Schopenhauer 1839, 437. Schopenhauer 2011, 115 / Schopenhauer 1839, 437. Schopenhauer 2011, 118 / Schopenhauer 1839, 440.
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Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien
soustrait pas au déterminisme. De ce point de vue, la liberté empirique, la liberté de l’arbitre, s’avère effectivement le résultat d’une illusion. Cependant, la nécessité absolue qui gouverne nos actions semble posséder une caractérisation subjective, liée au caractère et à la personnalité de chacun. Si le caractère empirique fait partie de la sphère phénoménale, ce qui en est le fondement ou la condition – c’est-à-dire le caractère intelligible – s’avère en revanche indépendant des formes des phénomènes (temps, espace et causalité) ; et partant non seulement il est constant et invariable, mais aussi absolument libre, à cause de son absolue indépendance de la loi de causalité. Or, c’est en raison de cette liberté transcendantale que les actions de l’homme peuvent être considérées comme son œuvre. Si la volonté n’est libre qu’en soi et hors des phénomènes, il ne faut pas chercher la liberté dans les actions particulières d’un homme, qui arrivent toujours selon une rigoureuse nécessité, mais à un niveau supérieur, qui concerne son être dans sa totalité : la liberté se situe justement au niveau de l’esse, et non de l’operari. En dernière analyse, l’agir de l’homme n’est que la manifestation de sa propre nature : « En un mot, l’homme ne fait toujours que ce qu’il veut, mais le fait nécessairement. Cela tient à ce qu’il est déjà ce qu’il veut. Car de ce qu’il est, résulte nécessairement tout ce qu’il fait chaque fois. » 8 Il faut toutefois remarquer que cette liberté n’est pas entendue, de manière kantienne, comme la possibilité actuelle que chaque homme possède de se déterminer sur la base de sa raison. L’arrière-plan caché de la relecture de Schopenhauer semble en revanche être justement représenté par l’horizon des Recherches philosophiques de Schelling, dans la mesure où ces dernières postulent explicitement la thèse selon laquelle les actions que chacun accomplit dans le monde et dans le temps ne font que manifester le choix – ou plutôt la décision – que chacun a opéré par rapport à soi au niveau intelligible, hors du temps. 9 D’après le Schelling des Recherches, ce qu’est un homme ne dépend pas de ses choix en tant qu’ils sont dans le temps, puisque les vrais mobiles d’une action ne peuvent pas être retrouvés de manière mécanique dans l’action ou dans le choix précédent. Cela ne signifie pourtant pas que l’essence atemporelle de l’homme soit tout à fait indéterminée : en ce cas, on tomberait inévitablement et de nouveau dans le ‹ détestable › système de l’indifférence et de l’arbitre. La solution de 8 9
Schopenhauer 2011, 179 / Schopenhauer 1839, 477. Cf. Schelling 1988, 182–188 / SW VII, 382–389.
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Schelling consiste justement à développer l’héritage kantien de la distinction entre le caractère empirique et le caractère intelligible jusqu’à ramener tout choix temporel de l’homme à une décision éternelle et atemporelle que l’homme aurait prise pour soi. Le fait que toute action soit déterminée ou nécessitée mène ainsi à une nécessité intrinsèque, c’est-à-dire à la conformité de l’agir à la loi que l’essence ellemême s’est donnée. Cette ‹ nécessité intérieure › est le vrai point crucial, où, selon Schelling, liberté et nécessité se touchent, voire s’identifient. Certes, l’essence de l’homme est libre, et, plus encore, la liberté est l’essence de l’homme elle-même ; mais cette liberté coïncide essentiellement avec le choix absolu de soi – cette décision qui représente son premier acte, ou plutôt son acte constitutif, son autoposition. Un acte éternel, qui précède toute décision temporelle, se produit dans la création première, mais comme quelque chose qui s’en distingue. Ainsi, chacun est responsable, de manière libre, de son propre caractère intelligible, lequel se manifeste à son tour, de manière nécessaire, dans ce que chacun accomplit dans le monde empirique. Ce qui mène Schelling à radicaliser le cadre kantien jusqu’à placer à nouveaux frais le moment du choix relativement à soi dans le domaine du purement intelligible, c’est la tentative de dissoudre la tension irrésolue qui traverse la philosophie pratique kantienne au point où elle croise les résultats de la critique de l’usage théorétique de la raison : si l’on a établi que la causalité est un principe qui ne vaut que pour le monde phénoménal, comment peut-on admettre que le moi rationnel puisse déterminer librement ses actions et puisse par conséquent exercer sa liberté en tant que cause ? D’une part, si la liberté est purement nouménale, elle ne peut pas être pensée comme causalité, et par conséquent elle est une liberté inefficace. Mais, d’autre part, si les actions de l’homme répondaient au principe de causalité, elles ne seraient pas vraiment libres et tomberaient plutôt dans le déterminisme qui gouverne intégralement le monde de l’expérience en tant qu’il est organisé et réglé par les concepts de l’intellect. À cette aporie kantienne classique (au moins selon la manière dont la conçoivent les idéalistes), les Recherches philosophiques essayent de répondre par une solution qui est en même temps hardie et originale : il n’y a en réalité aucune confusion abusive de plans entre l’intelligible et le sensible, aucun empiétement direct de l’un dans l’autre. Le choix relativement à soi se produit hors de l’expérience et pour autant il n’est pas subordonné aux lois de l’expérience : l’empirique, conformément à son caractère phénoménal, ne fait que manifester dans le temps ce 90 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien
choix dans la série des actions, sans que la liberté se constitue à chaque fois en tant que cause de chacune d’elles. Sous l’apparence du sarcasme et de l’accusation de plagiat, il me semble qu’en réalité, Schopenhauer profite de la voie ouverte par Schelling lui-même : le retour à Kant signifie alors la mise entre parenthèse du cadre métaphysique que Schelling avait proposé dans les Recherches afin de justifier son interprétation de la liberté, mais en revanche, Schopenhauer ne renonce pas à la possibilité que cette dernière garantissait. Comme Schelling, et en dépit de la brusque prise de distance à l’égard de ce dernier, Schopenhauer non seulement admet que la liberté ne se constitue originairement qu’au niveau intelligible – ce qui pourrait s’avérer être un acte de fidélité à l’égard de Kant –, mais maintient aussi que les actes libres que l’homme accomplit dans le temps ne font que rendre explicite, de manière empirique, une détermination intelligible qui a été donnée une fois pour toutes. Certes, ce qui dans la pensée de Schelling reçoit les traits d’une décision métaphysique atemporelle et prétemporelle relativement à soi ne constitue chez Schopenhauer que le caractère de chaque individu. Mais il est tout autant indéniable – du moins selon moi – que Schopenhauer reprend les éléments essentiels de la solution schellingienne, qu’il purifie de ce qui à ses yeux apparaissait comme une marque idéaliste, c’est-à-dire la tentative de dissoudre cette contradiction au moins apparente dans le discours kantien entre la notion de caractère intelligible et une éthique prescriptive : la volonté, en tant que liberté, ne pourrait pas se subordonner à des lois et des commandements appartenant proprement au domaine phénoménal de l’agir et non à celui, nouménal, de l’être. À l’évidence, comme Schelling avait essayé de le montrer, le fait d’attribuer aux lois morales une nécessité absolue équivaut à confondre les deux domaines. Et c’est peut-être justement cette indication qui a nécessairement poussé Schopenhauer, quasiment malgré lui, à s’éloigner de Kant sur ce point spécifique et à mettre en place une éthique plus descriptive au lieu d’une éthique rigidement prescriptive, laquelle se contente d’enregistrer les phénomènes moraux qui s’avèrent empiriquement vérifiables.
3. Ainsi, si l’on partage cette interprétation, Schopenhauer représente un des cas où au moins l’un des éléments de la doctrine schelligienne 91 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Giusi Strummiello
de la liberté – celui qui fait référence à la manifestation empirique, chez l’homme, de sa liberté transcendantale – semble s’imposer quasiment en dépit de l’intention manifeste de s’en passer. Or, la réception du deuxième aspect que j’ai distingué plus haut, concernant la liberté de l’Absolu, me semble elle aussi tout autant stratifiée et complexe. Comme je l’ai annoncé, je n’apporterai ici que deux exemples relevant de l’histoire de la philosophie du XXe siècle : Heidegger et Pareyson. En ce qui concerne Heidegger, je ne m’arrêterai pas en détail sur le cours de 1936 consacré à la Freiheitsschrift ; 10 j’essayerai plutôt de considérer en quel sens la dynamique heideggerienne fondée sur le couple manifestation/soustraction de l’être pourrait rappeler, quoique implicitement, le problème schellingien de la liberté de l’Absolu. Afin de poser la question, peut-être faut-il montrer qu’il convient d’inverser initialement le sens de la recherche, en ne s’interrogeant pas tant sur les éléments schellingiens qui survivent chez Heidegger qu’en se demandant plutôt si Schelling lui-même peut échapper à l’interdit lancé par Heidegger contre la métaphysique occidentale comme ontothéologie. Pour essayer de répondre à cette question inversée, il est nécessaire de rappeler très brièvement ce qui peut être interprété comme une des clefs de voûte, voire comme la clef de voûte, du projet de la philosophie positive. Comme je l’ai remarqué à d’autres occasions, la principale préoccupation de Schelling à partir des Recherches philosophiques n’est plus, ou n’est pas tant, celle de garantir – me semble-t-il – la liberté de l’homme, que d’assurer la plus grande liberté de Dieu à l’égard de l’être, c’est-à-dire la liberté absolue de Dieu aussi bien par rapport au concept qu’à l’égard de la possibilité elle-même de sa manifestation. 11 La manière dont Dieu accède librement à l’être connaît, comme on sait, plus d’un changement dans l’évolution de la pensée schellingienne : si, par exemple, dans les Recherches, le mouvement décrit est celui par lequel Dieu sort hors du fondement, dans les Leçons de Stuttgart prévaut l’idée d’une contraction ou d’un abaissement originaire (Herablassung) par lequel Dieu assume l’être comme une ‹ base › inconsciente. Selon le projet des Weltalter, le thème central est celui d’un Dieu qui devient à partir d’un état originaire de simplicité, limpidité ou indifférence justement 10 Sur l’interprétation heideggerienne de la Freiheitsschrift, cf. Esposito 1988; David 2003. 11 Cf. Strummiello 2007.
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Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien
à cause de la ‹ volonté d’être ›, de cette tendance ‹ égoïste › qui pousse vers l’ipséité et la détermination. Le modèle le plus fréquemment utilisé dans cette direction, chez le Schelling tardif, est le modèle des puissances : dans ce contexte aussi, c’est la volonté d’être qui mobilise le procès tout entier. Mais cela signifie que chez le Schelling tardif le devenir de Dieu est décrit en général comme une libération à l’égard de l’être plutôt que comme une assomption de l’être : Dieu n’est que dans la mesure où il veut être, c’est-à-dire dans la mesure où il décide d’être. Ce qui est le plus important, c’est que Dieu puisse se montrer libre de tout lien ou engagement à l’égard de l’être. Cette mise de côté ou réduction de l’être présente pourtant des inconvénients, dont Schelling lui-même semble s’être progressivement aperçu. La difficulté principale est peut-être que l’insistance sur la liberté absolue de Dieu semble compromettre de quelque manière l’effectivité ou la positivité de Dieu lui-même. Un Dieu absolument libre est un Dieu qui est aussi faible et inconsistant du point de vue ontologique. D’ailleurs, le problème se fait plus aigu dans la mesure où, à partir des Recherches philosophiques et des Leçons de Stuttgart, Schelling radicalise l’exigence d’un Dieu vivant, personnel, historique. Ce qui est cherché est donc un Dieu dénoué et indépendant de l’être, mais qui pourtant, en même temps, est atteignable et présent dans l’effectivité. Dans la période de Munich, Schelling essaie d’approfondir de plus en plus la signification de la formule qui qualifie Dieu comme le Seigneur de l’être (Herr des Seyns). L’enjeu consiste donc à montrer que Dieu garde quand même un rapport avec l’être, même s’il s’agit d’une libre souveraineté. La tentative d’harmoniser ces deux aspects commence ici à correspondre progressivement à la distinction naissante entre philosophie négative et philosophie positive, ou même, dans les termes propres à la période de Munich, entre empirisme régressif et empirisme progressif. Ce n’est pas un hasard si la première voie, historiquement, aboutit à un concept de Dieu défini comme substance (ce qui constitue une détermination ontologique forte), alors que l’autre part au contraire de la considération du même principe entendu comme auteur et cause libre du monde. La philosophie négative, en ce sens, se donne donc la tâche de conférer une consistance au concept de Dieu : aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est à la positivité du concept que s’adresse dès le début la voie négative. Cette tâche est réalisée à travers la purification du concept d’étant. Les Leçons sur le monothéisme attribuent déjà à une considération correcte du concept d’étant la fonction de stabiliser la nature 93 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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divine : en effet, si Dieu est un Dieu qui devient et se fait, s’il est un Dieu futur par rapport à sa simple possibilité, si finalement il est libre par rapport à toutes les figures du procès théogonique et aux modalités historiques de sa manifestation, il est essentiel que sa nature ou son essence (déterminée justement à partir du concept d’étant) reste immuable. Ainsi, l’étant devient le point d’ancrage du devenir de Dieu, de sa manifestation historique (que l’on pense à la tentative de retrouver un rapport entre l’étant pris comme concept suprême de la raison et le Dieu vivant et historique présenté par Le monothéisme) : Dieu n’est pas libre (de se manifester et de ne pas se manifester) en dépit de sa nature, mais bien en raison de sa nature, de son essence, de son côté nécessaire. À Berlin, la tâche de la science rationnelle est d’une manière encore plus explicite celle d’éliminer progressivement tout résidu de potentialité qui pourrait appartenir au concept du simplement étant, jusqu’à le transformer dans le concept de l’indubitablement étant – le concept dernier de la philosophie négative, destiné à se renverser dans le prius de la philosophie positive. L’étant n’est pas pour autant seulement ce qui permet à Dieu d’accéder à la pensée, mais aussi ce qui assure un point de repère stable et nécessaire à sa manifestation dans le temps et dans l’histoire. C’est justement cette réintroduction d’un élément de nécessité (bien qu’elle se place au seul niveau du concept) qui rend légitime au moins en apparence la question ‹ renversée › qui avait été soulevée auparavant – soit la question relative au soupçon que la pensée de Schelling relève entièrement de l’ontothéologie. Or, si l’on vise la signification classique, kantienne, de l’ontothéologie (qui fait référence au rapport entre Dieu et l’être tel qu’il se donne dans l’argument ontologique), la réponse se trouve dans les textes schellingiens eux-mêmes : l’argument ontologique doit être renversé. C’est l’existence nécessaire qui est le vrai prius, alors que l’essence, la divinité, est le posterius. On ne peut pas déduire l’existence du concept de Dieu ; on peut prouver au contraire que l’existant nécessaire est Dieu. Si, en revanche, on vise la signification proprement heideggerienne de l’‹ ontothéologie ›, le scénario se révèle plus complexe. Premièrement, la métaphysique en tant qu’ontothéologie présuppose une confusion structurelle entre l’ens comme universel et le summum ens, entre l’étant comme entité et l’étant suprême. À ce propos, on peut remarquer que Schelling est toujours très attentif à distinguer l’indubitablement existant qui constitue le concept dernier de la science rationnelle et son renversement dans le prius de la science positive. En 94 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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d’autres termes, Schelling garde toujours clairement la distinction entre l’existence effective et le concept universel : comme en témoigne l’image de l’‹ idée renversée › (die umgekehrte Idee), la différence entre Dieu et l’étant n’est jamais mise en question. Cela permet de déterminer la position de Schelling à l’égard d’un autre des éléments que Heidegger a reconnus constitutifs de l’ontothéologie : la réduction du divin à son efficience causale. Le Deus entendu en tant que vox relativa, envisagé dans le cadre d’un rapport inévitable avec le causé, constitue pour Schelling le résidu de la philosophie négative, qui doit pour autant être dépassé. Au contraire, le choix de la philosophie positive est d’identifier Dieu avec la liberté absolue, qui est évidemment la liberté de créer et de ne pas créer, de se manifester et de ne pas se manifester. Il reste également le problème du retour au concept : dès que la philosophie rationnelle ou négative arrive à cerner le lieu d’une pure existence préconceptuelle – dès que s’ouvre un espace pour la philosophie positive – on est immédiatement contraint de passer de nouveau dans le concept. De fait, un Dieu qui ne serait pas accessible au concept serait non seulement inutile, mais effectivement inexistant. Le fait d’enfler la transcendance, comme cela arrive dans le cas de la liberté, compromet la positivité dont nous avons tout de même besoin. L’étant n’est donc pas seulement le fond ultime, mais aussi un instrument permanent de la manifestation de Dieu. Mais – et nous pouvons ainsi redresser le sens de l’interrogation, en allant de Schelling à Heidegger – c’est justement cette dernière forme de relation, cette sorte de double lien, qui rappelle de près une dynamique typiquement heideggerienne, qui consiste dans la thèse selon laquelle l’être, s’avérant inobjectivable en tant que tel, se donne toujours et seulement dans l’autre, dans la médiation, dans la mimésis. L’origine se donne toujours dans l’originé, mais toujours dans la différence qui l’en distingue. On pourrait dire la même chose, comme nous venons de le constater, du rapport entre Dieu, l’être et l’étant chez Schelling : Schelling interprète le mélange avec le concept et l’étant comme un élément décisif afin que l’absolu se donne dans l’histoire. Puisque la dissimulation – ainsi que Schelling l’écrit de manière explicite – est une stratégie divine, notre habilité sera d’en apercevoir les traces. Dieu est compris dans l’étant, mais l’excède ; Dieu est libre par rapport à l’être, mais il ne se donne que par l’être : c’est en raison de ce double lien que la catégorie de l’ontothéologie n’est pas adéquate au Dieu du Schelling tardif. 95 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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Or, selon Heidegger, ce qui vaut chez Schelling (même au cas où l’on ne ferait référence qu’aux Recherches philosophiques), c’est que l’origine – dans ce cas Dieu – commence à se manifester selon une irréductible dualité, conformément à la dynamique conflictuelle entre fondement et existence, en abandonnant toute prétention de pureté. En d’autres termes, ce qui intéresse Heidegger (et qui pourrait même expliquer son choix de se concentrer sur les Recherches philosophiques au détriment du dernier Schelling) semble être justement le problème du dédoublement de l’origine. Avec cela, on pourrait aussi signaler au moins trois autres éléments du projet schellingien qui attirent l’attention de Heidegger et qui se retrouvent – dans les Beiträge zur Philosophie, et donc toujours autour du milieu des années trente – dans la pensée qui prépare l’autre commencement et attend le passage du ‹ dernier Dieu › : 1. L’idée d’un Dieu en devenir, qui dit donc se constituer au travers d’un procès et qui peut pour autant être considéré comme ‹ historique ›. 2. La dichotomie originaire entre l’origine et ce qui au travers de l’origine vient à la présence ou existence, et surtout la description – dans les termes d’une fondation réciproque – de leur coappartenance. Sans aucun doute, dans l’usage heideggerien ce modèle ne s’applique pas tant à Dieu (ni seulement à lui) qu’au procès par lequel l’être luimême peut s’essencier. 3. La thèse selon laquelle Dieu a nécessairement besoin de l’homme pour obtenir sa ‹ manifestativité ›. Nonobstant ces éléments de continuité doctrinale, Heidegger nie à Schelling – comme on sait – le mérite d’avoir accompli le pas décisif dans le procès du dépassement de l’ontothéologie. De fait, après avoir reconnu la dualité de l’Absolu, Schelling aurait préféré, selon l’interprétation heideggerienne, recomposer cette dualité dans l’unité indifférente de l’esprit. L’esprit dont parle Schelling – il est vrai – contient en soi la distinction entre fondement et existence, mais sans en être d’aucune façon entamé. Son essence se résout entièrement dans l’indifférence, en rendant vaine, de la sorte, la dichotomie de l’origine et en en neutralisant la portée. En somme, selon Heidegger, tout en ayant atteint la séparation, le devenir, la finitude, Schelling aurait choisi finalement l’unité, l’éternité, l’infinité de l’Absolu. De l’impossibilité d’attribuer tout prédicat à l’Absolu, y compris l’être, Schelling aurait dû conclure – a contrario – que l’Absolu en tant que tel n’existe 96 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien
pas et que pour autant tout ce qui se prédique de l’Absolu, à partir de l’être lui-même, est structurellement et intrinsèquement fini. 12 Et pourtant, ici aussi, de la même manière que dans le cas de Schopenhauer, on pourrait essayer d’opérer une distinction entre la prise de distance explicite et ce qui, d’une certaine façon, résiste et échappe. Dans ce cas spécifique, le modèle schellingien de la liberté divine s’impose comme un point de repère possible surtout eu égard à la manière dont Heidegger cherche à se garantir un accès au divin (au Dieu divin, ou bien au Dieu plus divin, en opposition au Dieu si peu divin de l’ontothéologie) et cherche à penser le rapport entre Dieu et l’être d’une manière qui ne soit plus métaphysique. La tâche de la recherche d’un Dieu plus divin doit, selon Heidegger, être retrouvée hors de la théologie, hors de la foi et même (et surtout) hors de la philosophie interprétée comme métaphysique. Le Dieu dont il est question n’est pas celui qu’exige l’ontothéologie et qu’elle pose comme fondement des étants en général (et donc essentiellement et d’abord comme fondement de lui-même). Si le Dieu de la philosophie est causa sui – dans la mesure où ce syntagme exprime le concept métaphysique le plus élevé – ce qu’il faut faire, c’est essayer de penser Dieu en le dégageant de la causalité efficiente, de l’idée d’une production : on peut dépasser l’ontothéologie si l’on cesse de penser Dieu en vue d’un étant, mais surtout si l’on cesse de le concevoir en tant que placé dans l’horizon de l’être. Il s’agit sans aucun doute d’une tâche extrêmement difficile : si, en un sens, il semble plus que légitime de poser le problème concernant la manière dont Dieu peut être dégagé de toute différence simplement ontique de l’étant, bien plus complexe apparaît la possibilité de désarticuler Dieu et l’être, surtout au cas où ce dernier n’est pas interprété comme un nouveau nom pour désigner le fondement, mais comme le domaine même de l’ouverture des étants – la ‹ manifestativité › qui ne se manifeste jamais comme telle. Certes, le Dieu biblique, le Dieu des Pères, peut être aussi envisagé indépendamment de tout discours sur l’être. Mais ce n’est pas cette expérience du divin qui intéresse Heidegger : le Dieu plus divin, comme on le disait, n’est pas un objet de foi, mais une question pour la pensée ; et si cette question ouvre l’espace de la vérité de l’être, l’accès à Dieu ne peut donc être posé que dans cette ouverture. Voilà donc la tâche que Heidegger réserve finalement à la pensée de l’autre commencement. 12
Cf. Heidegger 1936, 280.
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Quel est donc le rapport qui relie Dieu et l’être alors qu’ils ne sont plus déterminés métaphysiquement ? Dans un passage célèbre des Séminaires de Zurich, Heidegger affirme que l’être et Dieu ne sont pas identiques et que l’on ne devrait pas penser l’essence de Dieu par l’être : l’être ne peut pas être considéré comme le fondement et l’essence de Dieu, même si l’expérience de Dieu et celle de sa révélation se produisent toujours dans le domaine de l’être. 13 L’être n’est pas un prédicat possible de Dieu, mais reste quand même l’horizon dans lequel quelque chose comme Dieu peut se produire et se manifester. Chez Heidegger aussi, donc, l’être s’avère essentiel afin que Dieu lui-même se donne. Cette thèse peut être interprétée en un sens strict et d’une manière plus faible : dans le premier cas, on devrait dire que Dieu diffère ontiquement de tous les autres étants et pourtant il fait toujours partie des étants. Dieu aussi, pour exister, doit traverser l’être de même que tous les autres étants. 14 Il semble ainsi que l’on se trouve face à un renversement ironique de l’argument ontologique : l’être n’appartient pas essentiellement à Dieu en tant qu’il est le plus étant des étants ; mais au contraire, en tant que Dieu est le plus étant des étants, il n’est pas l’être et ne peut pas s’en passer. Dans le deuxième cas, selon l’interprétation plus faible, on pourrait au contraire penser que, si l’être ne désigne pas un supra-étant hors de la totalité de l’étant, Dieu doit se rapporter à l’être afin que sa divinité puisse se manifester. Mais ainsi, n’admet-on pas que Dieu a également besoin de l’être ? De fait, c’est ce que les Beiträge affirment sans équivoque : l’être n’est pas une détermination de Dieu lui-même, mais ce dont la divinité de Dieu a besoin tout en en restant entièrement indépendante. Les hommes et les dieux ont besoin de l’être afin d’être reconduits à ce qui leur est particulier, mais ce besoin n’exige pas une propriété où l’on trouve une consistance : au contraire, ce n’est qu’en se soustrayant que l’être permet à quelque chose de venir à la présence. L’être est l’entre-deux (Zwischen), ce qui s’interpose entre les étants et les dieux ainsi qu’entre les dieux et les hommes : si Dieu a besoin de l’être, à son tour l’être a besoin de l’homme afin que se produise l’ouverture de l’être. 15 Nous nous trouvons ainsi face à un autre double lien : en effet, si d’un côté l’être est ce qui s’interpose entre Dieu et les étants, de 13 14 15
Cf. Heidegger 1951, 436 sq. Cf. Heidegger 1949, 77. Cf. Heidegger 1936–38, 240, 408. Cf. aussi Strumiello 1995, surtout 311–327.
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Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien
l’autre côté le Dasein est ce qui s’interpose entre Dieu et l’être. Mais c’est justement cela qui nous intéresse. Par la radicalisation de l’héritage schellingien s’évanouit définitivement toute prétention de cohérence fondationnelle : de quelque manière que ce soit, le fondement est fondé dans et par ce qui est fondé.
4. La radicalité du questionnement par lequel Heidegger oppose le Dieu biblique au Dieu divin conduit inévitablement, selon Luigi Pareyson, à un antichristianisme résolu et rigoureux. Paradoxalement, toutefois, c’est justement cette attitude antichrétienne qui en réalité empêche, selon Pareyson, que cette radicalité ne puisse elle-même être menée jusqu’au bout : le radicalisme de Heidegger reste un radicalisme irrésolu, bloqué. Au contraire, c’est justement dans le christianisme, et surtout dans la conception biblique d’un Dieu qui est liberté absolue, que Heidegger aurait pu retrouver une sortie de l’impasse dans laquelle il est tombé en tentant de considérer la coappartenance de l’être et du néant. 16 Il ne s’agit ici de poser ni une opposition pure ni une identité vide, mais un rapport simultané d’opposition et de coprésence, un déséquilibre constant, une ambigüité indécidable. La philosophie heideggerienne est une philosophie de l’ambigüité ; néanmoins, Heidegger n’a jamais expliqué le principe de cette ambigüité. Ce principe qui n’est pas atteint, selon Pareyson, ne pouvait et ne peut être que la liberté. Le néant dont parle Heidegger est toujours la négativité de l’être, son non-être un étant ; il ne désigne jamais la possibilité du négatif en tant que tel, c’est-à-dire, par exemple, la présence du mal dans l’histoire. Mais la possibilité du mal ne se fonde, à son tour, que sur la liberté, interprétée justement, comme le faisait Schelling, comme la faculté du bien et du mal. Pour autant Heidegger aurait dû suivre Schelling de plus près et jusqu’au bout, en remplaçant la centralité de l’être par celle de la liberté, ou plutôt : de l’être en tant que liberté originaire. L’être n’arrive pas à être vraiment en contact avec le néant ; depuis toujours ce contact n’est réalisé de manière originaire que par la liberté. D’après Pareyson, au sein d’une métaphysique de l’être, ce qui manque c’est l’alternative inhérente à la liberté en tant que choix : en elle il n’y a de place que pour une positivité 16
Cf. Pareyson 1995a.
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compacte, qui ne se limite pas à réduire le mal au non-être, mais ignore aussi le néant lui-même en empêchant tout rapport avec lui. Dans le contexte d’une philosophie de la liberté, au contraire, le néant est et reste fondamental. Ce qu’il faut penser, c’est la discontinuité, le vide d’être, la méontologie comme élément de l’ontologie que l’on ne peut pas éliminer. Et cela peut s’accomplir seulement si l’on prend au sérieux l’idée de la liberté de Dieu par rapport à lui-même et à son propre être. Or cette idée de la centralité absolue de la liberté, au détriment de l’être, est de prime abord chrétienne, et non grecque (la seule exception étant constituée, selon Pareyson, par Plotin). C’est le Dieu biblique qui suggère l’idée d’une source pure qui n’a d’autre origine qu’elle-même ; c’est le Dieu biblique qui se présente comme un souverain absolu qui peut faire tout ce qu’il veut, comme un Dieu qui n’a pas de liberté, mais coïncide avec cette liberté. L’expérience religieuse fondée sur la révélation biblique postule donc un Dieu qui se définit en termes de liberté absolue, liberté abyssale, illimitée et arbitraire. Mais cette liberté de Dieu a un autre sens plus profond ; et c’est à ce niveau encore plus radical que Schelling peut fournir une contribution décisive : il faut aller jusqu’à penser que c’est de la liberté de Dieu que dépend son être, au double sens de l’essence et de l’existence. La liberté de Dieu ne se manifeste pas, ou pas seulement, par la création du monde, mais à un niveau anterieur, pré-ontique, dans la racine de son être. D’après Schelling, la création du monde est postérieure à un vrai commencement absolu, qui est l’origine de Dieu ellemême. La liberté de Dieu n’est donc pas seulement liberté à l’égard de l’être en général, mais aussi et surtout à l’égard de son propre être. L’acceptation de ce principe dans sa radicalité équivaut à admettre, justement en accord avec Schelling, que Dieu est à la fois avant et après soi-même : « Dieu est déjà avant d’exister, voulant sa propre existence, et, quand ensuite il existe, on voit que son essence était précisément la liberté qui le fait vouloir exister. » 17 C’est donc cette liberté originaire qui marque le point de contact recherché entre l’être et le non-être, qui montre qu’il n’est pas d’ontologie sans méontologie et que la méontologie est possible en tant qu’elle est un aspect de l’ontologie. Plus clairement : Dieu, par définition, ne présuppose aucun être hors de lui ; si sa nature est abyssale (au sens où Dieu lui-même se tire hors de son abîme), alors il n’existe rien avant et hors de Dieu. Mais qu’est-ce que signifie cette donnée 17
Pareyson 1998, 95 sq. / Pareyson 1995b, 130.
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Liberté de l’homme, liberté de Dieu : l’héritage schellingien
apparemment banale ? Est-ce que cela signifie qu’avant Dieu il n’existe rien ou bien que le néant existe ? On ne peut se soustraire à cette alternative qu’en reconnaissant qu’ici – dans la liberté absolue de Dieu, dans son commencement absolu – se donnent ensemble, selon une coappartenance, l’être et le non-être, la réalité et le néant : « l’être avant l’être » est « cet abîme qu’est Dieu même ». 18 Avant Dieu il ne peut y avoir que Dieu ; mais non en ce sens (métaphysique, rationnel, ‹ négatif ›) que Dieu possède une existence intrinsèquement nécessaire. Le Dieu avant Dieu est « l’abyssalité même de Dieu », 19 cette fracture, en Dieu lui-même, dans laquelle la liberté divine sombre et rencontre le néant. Avant Dieu donc, aussi paradoxal et tautologique que cela puisse apparaître, il n’y a que le Dieu avant Dieu, c’est-à-dire sa liberté. Et pourtant cette liberté, qui se définit en termes de volonté d’exister, n’est telle qu’en tant qu’elle s’avère victorieuse sur le néant. La liberté originaire est une connaissance du néant obtenue par la victoire sur le néant. De ce contact originaire avec le néant, la liberté absolue tire sa troublante apparence de négativité, sans pourtant perdre son lien avec la positivité dont elle a néanmoins promu l’existence. Dans la mesure où elle représente le point de contact entre l’être et le néant, la liberté originaire a toujours une nature bivalente et double, dans laquelle l’ontologie et la méontologie s’influencent réciproquement et se superposent inextricablement. 20 Le Schelling de Pareyson est donc, comme il l’écrit explicitement, un penseur post-heideggerien, en ce sens que c’est justement à partir du « lien souterrain, mais très étroit, qui unit Heidegger à Schelling » 21 que l’on pourrait repenser le lien essentiel entre le néant et la liberté qui est la vraie tâche de la pensée. Mais cette ‹ collaboration › souhaitée entre Schelling et Heidegger, qui permet de tirer du premier, dans sa pureté et son authenticité, l’idée de la liberté, et du deuxième l’idée du néant, présuppose pourtant que l’un et l’autre soient affranchi de quelques présupposés spécifiques : dans le cas de Heidegger, il s’agit d’écarter « l’encombrant et refrénant problème de la relation entre l’être et les étants » ; dans le cas de Schelling, il s’agit en revanche de se libérer « de l’hypothèque que l’idée de nécessité fait 18 19 20 21
Pareyson 1998, 98 / Pareyson 1995b, 132. Pareyson 1998, 99 / Pareyson 1995b, 133. Sur ce point cf. Galli 2000 et 2001. Pareyson 1995a, 450 ; trad. de l’auteur.
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peser sur sa pensée ». 22 Ainsi, même le rapport entre Pareyson et Schelling s’avère bivalent et à son tour essentiellement double. D’un côté, la vision tragique de l’existence – thème central de la pensée de Pareyson – s’enracine, comme on l’a vu, dans la centralité que Schelling reconnaît au concept du Dieu-personne, qui conduit à remplacer la « contemplation sereine d’une paix métaphysique » par une « vision tumultueuse d’une relation tragique entre la liberté divine et la liberté humaine ». 23 Le tragique consiste en ce que le mal – qui est le résultat de la liberté humaine – présente une sorte de préhistoire, se détache sur un arrière-plan métaphysique très précis : le mal s’enracine dans le fondement obscur de Dieu lui-même. Et pourtant, d’un autre côté, cette considération du fondement pris comme racine du mal s’avère, d’après Pareyson, encore trop philosophique et inadéquate afin d’atteindre le scandale du mal, son irréductibilité à toute volonté de rationalisation, et, donc, afin d’aller jusqu’au bout dans cette réflexion sur la nature du mal et la différence ontologique qui trouve justement ici sa source : la possibilité de connecter le mal au Grund (quoique défini comme abyme) équivaut à placer le mal au sein d’une continuité qui est précisément celle de l’histoire du devenir et de la manifestation de Dieu lui-même. Pareyson retrouve donc chez Schelling le même privilège qu’il retrouvait chez Heidegger, c’est-àdire le privilège accordé à la fermeté et à la plénitude de l’être. Ainsi pourrait-on affirmer que, selon l’opinion de Pareyson, Schelling constitue seulement une occasion manquée dans l’histoire de la métaphysique ; ce qu’il suggère, c’est de dépasser Schelling par Schelling, c’est-à-dire de mener jusqu’à ses dernières conséquences, sans l’arrondir ni l’adoucir, la thèse centrale de la philosophie positive tout entière : Dieu n’est lié à rien, pas même à son être propre ; et ce n’est que pour cette raison qu’il est radicalement et absolument libre (« Dieu est libre aussi bien de l’être que par rapport à l’être », comme il l’écrit lui-même dans Ontologie de la liberté). 24 Ainsi, le privilège que Pareyson attribue à la doctrine schellingienne de la liberté de l’Absolu, et qui représente peut-être la dette la plus explicite à l’égard de Schelling dans la pensée du XXe siècle, constitue un héritage complexe : la fidélité de Pareyson, en d’autres termes, a elle-même un prix, qui consiste à attribuer à Schelling, à 22 23 24
Pareyson 1995a, 457 ; trad. de l’auteur. Pareyson 1974, 13 ; trad. de l’auteur. Pareyson 1998, 106 / Pareyson 1995b, 139 ; première mise en relief par l’auteur.
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travers la radicalisation de ses présupposés, davantage qu’il n’a véritablement voulu dire lui-même.
5. Je voudrais conclure par une objection que je me ferai à moi-même. On pourrait m’accuser, en effet, d’avoir présenté des cas –peut-être à l’exception de Pareyson – dans lesquels l’influence de la doctrine schellingienne de la vérité n’est pas quelque chose que l’on puisse documenter de manière explicite et positive, mais une sorte de présence souterraine, d’ombre silencieuse, voire une vraie occasion manquée, par Schopenhauer, Heidegger, dans une moindre mesure par Pareyson, pour développer ultérieurement leur propre direction de pensée sur la base de ce qu’ils auraient pu (ou dû) lire chez Schelling. En somme, on pourrait me reprocher d’avoir voulu déplacer l’attention sur le plan d’une comparaison doctrinale de nature hypothétique plus que sur celui de la réception effective des thèses au niveau textuel. C’est une objection à laquelle je ne peux pas me soustraire ici et par rapport à laquelle je ne peux que faire amende honorable. D’autre part, on pourra m’accorder que l’histoire d’une réception n’est jamais seulement une histoire pleine, cohérente et ferme, et qu’au contraire elle admet toujours des lacunes, des malentendus, des silences, voire des occasions manquées : une histoire dans laquelle, comme on le dit parfois pour les textes sacrés, les lignes vides pourraient même s’avérer aussi significatives que les lignes écrites.
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly Jad Hatem (Beyrouth)
Abstract Upon reading Joseph Willm’s work, The History of German philosophy, from Kant to Hegel, Barbey focused particularly on the part dedicated to Schelling, in whom he found a source of inspiration for his theory of artistic creation. The lecture examines the pertinence of Barbey’s interpretation of Schelling and the value of his borrowing. Furthermore, it suggests the possibility of an influence upon his literary work in regard to the thesis of dialectical identity of good and evil, and tries to bring arguments to support it.
I. Très jeune, Jules Barbey a rencontré Schelling. Il écrit à Trebutien le 23 août 1833 au sujet d’un article qu’il commit naguère sur la poésie : « Parmi quelques jeunes gens de l’École Normale, mon système avait paru une conséquence des idées de Schelling et de Hegel, et moi je ne crois point à l’absolu des Allemands. » 1 Il n’est pas trop arbitraire de conjecturer que le jeune théoricien avait tenté d’assigner la poésie au domaine de la métaphysique. Quel fut son absolu, il n’est pas aisé de le savoir. L’examen de l’influence de Schelling, parfois nettement décelable, permet d’arrêter les contours de la conception aurevillienne de la création poétique et surtout de clarifier, dans l’œuvre romanesque, le caractère dialectique de la relation qui met aux prises le bien et le mal, ce qui, on en conviendra, est de quelque importance.
J. Barbey d’Aurevilly à F. G. S. Trebutien, le 23 aôut 1833, Barbey d’Aurevilly 1980, 26.
1
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Jad Hatem
II. En feuilletant les deux cahiers de notes de Barbey publiés sous le titre d’Omnia à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, 2 je suis tombé en arrêt devant la phrase suivante : « Les passions auxquelles notre morale négative fait la guerre sont issues d’une même racine avec les vertus qui y correspondent. L’âme de toute haine, c’est l’amour et la colère. » 3 J’ai reconnu une de ces sentences lapidaires et profondes qui émaillent les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine que Schelling publia en 1809. Joël Dupont, éditeur du texte et signataire de la préface et des notes, n’y a pas découvert la frappe du philosophe et a fortiori identifié texte et contexte. Aucune remarque ne vient prévenir que le lecteur ne doit pas s’imaginer avoir affaire à un propos de l’auteur des Diaboliques. Pourtant Schelling était nommé dans les paragraphes précédents. En outre, telle qu’elle se présente, la phrase ne laisse pas d’intriguer puisqu’elle met l’amour et la colère sur le même pied. Veut-on suggérer que la haine est issue de leur combinaison ? Tel n’est pourtant pas le sentiment de Schelling. Ayant identifié l’auteur, il ne m’a pas été difficile de remonter à la source de Barbey qui avait mentionné le philosophe allemand en se référant à Willm. Manifestement, l’insatiable dévorateur de livres qu’il a toujours été alignait des notes (deux pages sur Schelling en tout et pour tout 4) puisées dans sa lecture de l’Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel que l’Alsacien Joseph Willm, auteur des premières études sur Hegel en langue française (1835–1836) et d’une traduction d’un texte de Schelling, 5 fit paraître chez Ladrange, à Paris, en 1846 (tome I), 1847 (tomes II, III) et 1849 (tome IV). Le procédé d’exécution de l’ouvrage, un monument pour l’époque, est simple : un résumé de chaque œuvre est proposé, agrémenté d’extraits souvent copieux et suivi d’une évaluation défavorable lorsque le sujet touche au théisme, à la morale ou à des questions de dogme (car l’auteur n’oublie pas tout à fait qu’il est pasteur protestant).
2 3 4 5
Barbey d’Aurevilly 2008. Barbey d’Aurevilly 2008, 87. Cf. Barbey d’Aurevilly 2008, 87 sq. Schelling 1835.
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly
Au tome III, Willm reproduit le passage où Schelling considère que bien et mal sont dialectiquement identiques. Il poursuit sa citation : […] C’est pour cela qu’on a raison de dire que celui qui n’a pas en lui de force pour le mal, est aussi incapable de bien. Les passions, auxquelles notre morale négative fait la guerre, sont issues d’une même racine avec les vertus qui y correspondent. L’âme de toute haine, c’est l’amour, et la colère la plus violente n’est que le calme troublé et excité dans son centre le plus intime. Dans une juste mesure et dans leur équilibre organique, les passions sont l’énergie de la vertu même et ses instruments immédiats. 6
Maintenant que nous possédons la bonne leçon, nous sommes en droit de nous demander si la malencontreuse coupure est le fait de Barbey. Il est probable qu’elle soit due à ces pertes de texte auxquelles l’éditeur fait allusion 7 et qui sont causées par la disparition des marges et des bas de pages. On aurait souhaité que l’éditeur les eût signalées. En l’absence d’une édition diplomatique, on est réduit à incriminer les conditions de conservation du manuscrit. Le certain est que c’est bien dans Willm que Barbey a lu Schelling et qu’il avait en perspective le contexte. Ce qu’il a retenu de sa lecture montre qu’il a été sensible à quatre problématiques, celles du panthéisme (Barbey a repris les exemples que Willm a tirés de Philosophie et religion, qui est de 1804), de la chute (encore Philosophie et religion), de la création artistique (dans le Discours sur le rapport des arts plastiques avec la nature prononcé en 1807), du mal (dans les Recherches sur l’essence de la liberté humaine de 1809). Il ne semble pas que Barbey ait eu, à part Willm, une autre source d’information sur le philosophe. Tout ce qu’il en cite en provient.
III. La question se pose alors de savoir si le philosophe a inspiré le romancier et critique littéraire. Ou sinon, enquête complémentaire, si ce Willm 1847, 333 sq. ; je souligne. Cf. Schelling 1980, 183 / SW VII, 400 sq. Je reprends pour les Recherches la traduction fournie par J.-F. Courtine et E. Martineau (Schelling 1980) sauf évidemment quand je cite Schelling d’après Willm. 7 Cf. Barbey d’Aurevilly 2008, 18. 6
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dernier a recopié la phrase de l’Allemand pour y avoir reconnu un écho de sa propre sensibilité ou une réponse décisive à ses lancinantes interrogations, bref si elle a conforté ses vues. Dans la première hypothèse, je ne devrai prendre en considération que les œuvres postérieures à l’année 1847. La deuxième, elle, m’autorise l’accès à celles qui précèdent. Quand, par exemple, nous lisons dans L’Amour impossible, roman de jeunesse sur la frigidité de cœur, qu’« il ne faut pas calomnier […] les ardents désirs », 8 l’auteur n’en fournit pas la raison profonde. La clef lui fait encore défaut. On conviendra que, lorsque Barbey conçoit que « la haine n’est jamais que l’envers de l’amour », 9 ou constate simplement leur voisinage, 10 ou observe que bien des « amours commencent par la crainte ou la haine », 11 ou fait encore dire à son personnage : « [m]a haine, c’était de l’amour encore. » 12 l’originalité du propos n’est pas flagrante et il ne suit sans doute pas la bannière de Schelling. Pas davantage quand on s’avise que la vie de l’amoureuse dédaignée devient « un enfer caché », comme cela est dit de Jeanne Le Hardouey, 13 ou que le désir fourvoyé se change en haine. 14 Évoquant la possibilité d’un emprunt ou d’un écho, ce n’est pas cette équation inversée que je considère (elle n’appartient d’ailleurs pas en propre à Schelling, l’aurait-il eu présente à l’esprit lorsqu’il écrivit que l’âme de toute haine est l’amour), mais celle dont elle est éventuellement la conséquence, proclamant que vertus et passions ont même racine en sorte que celles-ci ont plus de mérite en soi que celles-là énervées que met en pratique une morale qui mutile les individualités fortement caractérisées et ne leur propose qu’un bonheur mesquin. Il faut imaginer les étincelles que dut provoquer la déclaration de Schelling dans l’esprit d’un byronien viscéral comme l’avait été et demeura Barbey, non sous couvert de catholicisme, mais bien mêlé à sa riche pâte. Cela ne va pas sans difficulté compte tenu du contexte, car la notion de passion recoupe fâcheusement celle de vice. C’est en tout cas le glissement que la morale négative comprend et déprécie en l’homme de génie. Or Schelling, suivant en cela le Kant de la Religion Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. I, 71. Barbey d’Aurevilly 1902, 189. 10 Cf. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. I, 314. 11 Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 305. 12 Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. I, 297. 13 Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. I, 651. 14 Cf. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 40. 8 9
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dans les limites de la simple raison, condamne l’amalgame entre le mal et les appétits sensibles, 15 qui le rabat finalement sur l’animalité. Il tient que le ressort du mal, péripétie majeure de la liberté, réside dans la volonté et suppose une raison pervertie ; dynamiquement, le bien est le mal, ce qui signifie que celui-ci est un parasite de celui-là, qui a besoin de son adversaire pour se manifester dans sa pleine effectivité en emportant sur lui une éclatante victoire. Retenons l’axiome : « Chaque être » – dit Schelling – « ne peut se révéler qu’en son contraire, l’amour dans la haine, l’unité dans le conflit. » 16 Barbey ne l’a pas recopié, mais il l’a certainement lu chez Willm 17 puisqu’il a reporté dans son carnet le passage qui lui fait immédiatement suite. D’autres explications sont possibles (auxquelles je ferai allusion), certaines rejetées formellement par Schelling, d’autres, faibles, agréées par lui quelques années plus tard, comme de faire se succéder dans le même individu un acte bon et un acte mauvais (cf. WA II, 127 sq.). 18 Ce n’est en tout cas pas, empruntant ses paroles à Satan, que Schelling dirait à Barbey : Touche ma main. Bientôt dans un mépris égal Se confondront pour nous et le bien et le mal […]. 19
Loin de là, car la racine commune est l’énergie. De cette puissance supérieure encore au tempérament ardent, Barbey a depuis toujours admis la majesté, mieux : le magistère. Il l’a immédiatement reconnue chez Stendhal dont il loue la force, « la chose la plus rare qu’il y ait dans ce temps de cerveaux et de cœurs ramollis. » 20 C’est à cette lueur qu’il convient d’apprécier le verdict du docteur Torty, témoin du bonheur dans le crime, sur les « plates mœurs modernes, où la loi a remplacé la passion ». 21 L’énergie seule se mesure à l’énergie. Dans le style de Schelling : « [D]e même qu’il y a un enthousiasme pour le bien, il y a aussi une exaltation d’esprit pour le mal ». 22 Barbey va plus loin : « L’énergie seule aime l’énergie », 23 comprendre aussi qu’elle est haïe Cf. Schelling 1980, 156 sq. / SW VII, 371. Schelling 1980, 158 / SW VII, 373. 17 Chez Barbey : « Quand les contrastes crient, ils sont mieux entendus » (Barbey d’Aurevilly 1906, 53). 18 Le texte est de 1813. 19 Vigny 1824, 56. 20 Barbey d’Aurevilly 2004, 1039 (l’article est de 1856). 21 Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 105. 22 Schelling 1980, 157 / SW VII, 372. 23 Barbey d’Aurevilly 2004, 1040. 15 16
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par les apathiques. En écrivant que « ce temps-ci n’a pas même l’énergie d’être athée ». 24 Barbey insinue qu’une préférence doit être accordée à l’impie en comparaison du croyant d’occasion et de complaisance. Comme il faut une passion pour tirer l’homme de son inertie, on devra dire que, pas plus que le satanique, la modération ne fait le saint. Elle ne saurait donc pas passer pour la chaîne d’or qui relie à un salut appelé à remédier aux effets de la chute. La grandeur vient « d’une imposante manière d’être, soit dans la vertu, soit dans le talent, soit même dans le vice ». 25 Il y a péril, en revanche, que la sainteté anéantisse le modéré et sa modération, comme Barbey le suggère dans Une vieille maîtresse : « [L]es grandes passions savent vivre de ce qui tuerait de médiocres sentiments ». 26 Le devoir lui-même comme exhortation et impératif convoque avec insistance l’élément passionnel en l’homme, seul à même de le régénérer.
IV. La définition du mal comme un « schisme de l’être », que Barbey lut sous la plume de Joseph de Maistre, 27 est susceptible de variations par delà la négation de la substantialité du mal, car elle vaut également pour la dépravation de la créature suite à la chute. Mais aussi, dans la sphère de la production imaginaire, comme un principe explicatif du clivage d’une individualité en deux personnages souterrainement liés. Calixte n’est pas pécheresse en elle-même (ceci dit en contradiction avec le théologoumène de la peccabilité universelle) ; le péché de l’individualité, dont elle figure un aspect, est exprimé en Sombreval. Inversée, la sentence de L’Ensorcelée devient : « Ce qui doit nous sauver peut nous perdre. » 28 Il n’y a cependant pas trace chez Barbey de la nécessité de passer par l’enfer pour accéder au paradis. Sombreval pouvait être sauvé par sa fille (ou par l’amour porté à sa fille), non par le détour de la rébellion. De quoi rappeler l’axiome fondamental du Dessous de cartes d’une partie de whist : « [L]’enfer, c’est le ciel en creux. Le mot diabolique ou
24 25 26 27 28
Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 1634. Barbey d’Aurevilly 1906, 142. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. I, 295. Maistre 1852, 60. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. I, 592.
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly
divin, appliqué à l’intensité des jouissances, exprime la même chose, c’est-à-dire des sensations qui vont au surnaturel ». 29 Jacques Petit commente : « Phrase essentielle, puisqu’elle explique cette opposition constante chez Barbey du diabolique et du divin ; l’idée n’a d’ailleurs rien de particulièrement original, c’est l’expression la plus simple du satanisme ». 30 Je ne partage pas cet avis. Loin de monter en épingle l’opposition, le changement de signe repose sur l’identité dialectique. La proposition est si peu banale qu’elle est de tonalité schellingienne ! Examinons le contexte. Il y est question du bonheur dans l’imposture. Et voici le passage qui précède immédiatement : Les natures au cœur sur la main ne se font pas l’idée des jouissances solitaires de l’hypocrisie, de ceux qui vivent et peuvent respirer, la tête lacée dans un masque. Mais, quand on y pense, ne comprend-on pas que leurs sensations aient réellement la profondeur enflammée de l’enfer ? Or, l’enfer, c’est le ciel en creux. 31
Cette dernière séquence se présente d’abord comme un composé équivoque : si l’enfer désigne en effet le mal à l’état pur et, en l’occurrence, l’imposture dans le contraste entre le dessus et le dessous des tables (du jeu mondain et même du repas familial), le ciel, pour sa part, remplace le terme de bonheur (et non pas le bien) comme quand on fait entendre que l’amour ou qu’être libre, c’est le ciel. C’est donc le bonheur qu’on tire du port du masque imperturbable de l’innocence, égal en intensité à la béatitude, qui est signifié. Mais si l’équation ne disait pas davantage, elle se serait contentée d’asserter que l’enfer, c’est le ciel : en la conscience d’être ou de commettre le mal seraient goûtées les véritables délices comme les protagonistes incestueux d’Une page d’histoire « trouvaient le paradis terrestre dans un sentiment infernal » 32 et peut-être aussi par sa médiation. En spécifiant que l’un est l’autre en creux, Barbey convie à prendre le second terme également dans sa teneur morale (et non plus esthétique) comme la métaphore du bien. On fera l’observation que Barbey ne dit pas que l’enfer est en creux dans le ciel, ce qui aurait inclus le diable dans le bon Dieu et aurait été de nature à corrompre ce dernier ou le confondre avec son antagoniste. Le jeu du creux et du relief induit à la fois une continuité 29 30 31 32
Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 155. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 1317. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 155. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 372.
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et une discontinuité, comme d’un même paysage qui comporte vallées et collines. Toutefois, la différence est de deux natures, soit sur l’axe de la qualité (différence essentielle), soit sur celui de la quantité (différence inessentielle). La deuxième modalité, faible, concevrait, si elle était ici admise, une variation dans l’intensité, qui ferait de l’enfer une diminution du ciel, ce qui n’offrirait évidemment qu’un contresens et se trouverait invalidé par la suite, qui met les intensités du diabolique et du divin au même niveau. Il faut donc l’écarter, bien que par ailleurs connue de Barbey. 33 La première modalité, la modalité forte, permet de considérer, à la lumière de Schelling, que le creux traduit un état inversif (la vallée est l’anti-colline, et réciproquement) et non simplement dépressif (la vallée est une colline vidée). Il est d’abord à noter qu’une réalité, la terre, est exclue de l’équation inversée. L’enfer et le ciel ne croisent le fer avec la terre et ses médiocrités qu’à titre secondaire. Leur inimitié mutuelle est le préalable absolu. Quant au point de vue de la terre clamant son autonomie et sa confiance en l’homme (legs des Lumières et de Rousseau honni par Barbey), elle finit par nier la réalité du mal dès lors qu’elle le confond avec les appétits sensibles qui ralentissent l’exercice de la vertu ou la saccagent, c’est-à-dire proprement avec l’animalité. Ce que représente la terre prise en elle-même : le paganisme, susceptible certes de tenir tête au ciel et même de le contrer en virant au satanisme. Schelling, suivant en cela Kant, est hostile à cette fallacieuse tentative d’opposer au ciel la terre au lieu, « comme il se doit », de l’enfer. 34 En creusant un abîme entre bien et mal, on s’interdit d’admettre un passage en dégradé de l’un vers l’autre (soit une opposition irréelle), ce qui aurait été le cas si la dispute n’avait mobilisé que la terre, et ceci afin d’empêcher toute option intermédiaire, tiède, 35 ou carrément l’indifférence. Par l’exclusion du tiers entre le Oui et le Non, le ciel et l’enfer, l’homme est commis à la décision. Il n’y a guère de place pour les limbes ou le purgatoire. Schelling a son mot à dire (dont Barbey n’a pu prendre connaissance) sur le ciel en creux :
Barbey utilise la concavité dans ce sens lorsqu’il fait de Lamennais « un Luther attardé et affaibli, un Luther en creux » (Barbey d’Aurevilly 1972, 220), soit un affaissé par comparaison (et nullement un anti-Luther). 34 Schelling 1980, 156 / SW VII, 371. 35 Cf. Ap 13,16. 33
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly
Certes, la vertu ne procède pas du vice selon le concept et l’essence, mais en un sens réel : du vice surmonté et mis à mort. […] Partout le ciel repose sur l’enfer et l’on peut rendre cette proposition lumineuse pour chacun. Le ciel est l’accord suprême des forces, l’enfer leur discorde suprême. L’accord vivant est la discorde surmontée et subjuguée. Le ciel resterait privé d’effet sans l’enfer. Le sentiment du ciel n’existe que dans la victoire perpétuelle remportée sur l’enfer de la discorde […]. (SW VIII, 174 sq.) 36
Quand deux réalités sont corrélatives, l’une n’a point d’existence sans l’autre, en sorte que la manifestation de l’une convoque nécessairement celle de l’autre. Dormante, l’énergie s’avive de leur empoignade. L’organe de l’action vertueuse comprend son propre obstacle. Le ciel est l’enfer en creux, au sens où le ciel se définit par sa domination de l’enfer ou que le bien est le mal. Que ce soit le prêtre dont la probité chancela et qui abdiqua sa respectabilité, ce Riculf engrossé par son désir (et non Lasthénie pure de tout acte délictueux, mais condamnée par son nom à manquer de vigueur) qui sera peut-être auréolé de la gloire céleste, cela ne devrait avoir rien d’insolite ; je dis peut-être parce que rien ne l’assure : Dieu dispose souverainement, à la fois parce qu’il est le seul à sonder les reins et les cœurs, et qu’il juge selon ses vues à l’homme impénétrables. Un proverbe devrait toutefois donner l’alerte : « Il n’a pas créé le ciel pour les oies ». Retenons l’avertissement de Barbey : « Seule, la sainteté, la sainteté absolue, qui a pour caractère de produire le surnaturel dans les âmes, peut transformer à ce point la nature ». 37 Qu’il y ait mutation de l’extrême en extrême devrait si peu choquer qu’ainsi seulement s’opère un retournement total, et non par un perfectionnement graduel des facultés morales. Une conclusion s’impose qui complète le propos de Schelling : le mal à son tour ne se conçoit pas sans une lutte acharnée contre le bien. Ce faisant il est obligé de le poser : il est, dialectiquement, le bien. C’est la raison pour laquelle, en dépit de leur ferme persuasion que l’incroyance n’a que faire du blasphème puisqu’il n’offense qu’un néant de Dieu, les athées se voient contraints de s’exalter dans l’antithéisme et d’arborer sur leur front le signe de la Bête. Ne serait-ce pas une manière cérémonieuse de traduire leur incroyance spéculative non plus simplement en morale épicurienne, mais en mécréance pra36 37
Réponse à Eschenmayer de 1812. Barbey d’Aurevilly 1922, 15.
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tique ? Abriteraient-ils plutôt dans leurs âmes de vénérateurs de soi quelques parcelles de Dieu ? Barbey ne le dit pas, alors qu’il affirme de Baudelaire avec un aplomb imperturbable que « ses blasphèmes prouvent la profondeur de sa foi. » 38 Les athées en veulent à toute sainteté et la première que leur exécration ait à offenser est celle du Trois-Fois-Saint. La haine se déverse sur l’amour qui l’a jadis terrassée. La proposition qui veut que l’amour soit l’âme de toute haine a une signification ontologique (avant de pouvoir servir en psychologie). Elle formule cette identité dialectique du bien et du mal qui fait prononcer à Schelling que « le mal en soi est, c’est-à-dire dans la racine de son identité, le bien, de même que le bien est en revanche, envisagé en sa scission ou sa non-identité, le mal ». 39 Autrement dit, comme l’élément matériel dont se forment le bien ou le mal est le même, la différence reposant sur une combinaison différente, 40 dérivée d’une intention, le bien désagrégé fournit sa réalité au mal tandis que le mal doit compter sur la consistance du réel (l’identité) pour le disloquer et le subvertir. Comprenons que l’identité est l’autre nom de l’amour. Il n’y a donc de mal que de l’amour qu’il déchire. En clair : on ne met vraiment à mal que le bien (l’être, la bonté). Vient-il à disparaître, il abolit le mal par le fait même. 41 La proposition n’est donc pas à prendre, à contresens, comme si elle énonçait une plate tautologie. Elle doit plutôt rappeler la haine dont la lumière fait l’objet selon l’Écriture 42 ou bien l’irrémissible péché contre l’Esprit-Saint, consistant à accuser l’Amour de chasser les démons au nom du royaume de Satan. 43 « [L]e diable est logicien », rappelle un des athées du fameux dîner. 44 Précision : dans cette discipline, sa préférence se porte à la dialectique ! Évidemment, les conséquences qui sont tirées par saint Thomas et Schelling de la proposition de base, et même sa justification, divergent et parfois du tout au tout. Il n’en reste pas moins que c’est ici la même Barbey d’Aurevilly 1966, 332. Schelling 1980, 182 sq. / SW VII, 400. 40 Cf. Schelling 1980, 155 sq. / SW VII, 370. 41 « L’unité est-elle entièrement supprimée, l’antagonisme le sera par là même aussi. C’est la mort qui vient mettre un terme à la maladie » (Schelling 1980, 156 / SW VII, 371). 42 Cf. Jn 3,20. 43 Cf. Mc 3,28–30 ; Mt 12,24–32. 44 Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 203. 38 39
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly
équation, bien que Schelling refuse par ailleurs de définir le mal comme défaut du bien, ce qui lui permet précisément d’en reconnaître l’efficace, car non seulement il y a une différence réelle entre le bien et le mal, mais le mal lui-même est réel (ayant sa formule structurelle, on pourrait même dire sa figure sans pour autant disposer d’une consistance ontologique propre). Schelling récuse la théorie augustinienne du mal comme privation du bien (consistant à ne pas accomplir l’acte prescrit) au profit de celle (dont la mise en œuvre est portée au crédit de Baader) de la « perversion [Verkehrtheit] positive » des volontés universelle et particulière en l’homme en sorte que celle-ci se subordonne celle-là 45 ou que celle-ci se fait carrément passer pour celle-là. La première n’est pas à penser comme la totalité des volontés singulières, mais bien comme expression de l’amour divin, de ce qui ressortit à la généralité de l’entendement. La volonté propre (expression du fondement), liée dans les autres créatures (par exemple la soumission à l’instinct et l’obéissance aux décrets de l’espèce), se manifeste chez l’homme comme libre (cherchant à exister pour ellemême, en dehors de la cohésion divine, car, pour s’affirmer, elle doit exclure tout ce qui n’est pas elle, en sorte d’ordonner tout par rapport à soi) et capable non seulement de s’opposer à la volonté universelle, qui, parce qu’elle s’ordonne par rapport au tout, est lien d’amour, être-pour-les-autres ou, comme le dira le vieux Schelling, service de l’ensemble (cf. SW XI, 529), mais même de la dominer afin de l’instrumentaliser. La liberté par elle-même, en tant que posture, implique une séparation d’avec Dieu, séparation qui est condition du mal évidemment, mais aussi du bien !
V. Barbey a été impressionné par le résumé que fit Willm du Discours sur le rapport des arts plastiques avec la nature. Je reproduis ci-après le paragraphe qui a reçu ses suffrages : Il y a longtemps qu’on a compris que, dans l’art, tout n’est pas produit avec conscience, qu’à l’activité consciente doit se joindre, dans la production, une force inconsciente, et que ce qu’il y a de plus grand dans l’art est le produit du concours de ces deux facteurs. « Les œuvres qui ne sont pas marquées au sceau de cette science inconsciente, se reconnaissent à 45
Schelling 1980, 152 / SW VII, 366.
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l’absence de cette vie indépendante de l’artiste, qui l’anime à son insu, tandis que là où elle est présente l’art communique à son ouvrage, avec le caractère de la plus haute clarté, qui satisfait l’entendement, cette réalité merveilleuse par laquelle il paraît semblable à une production de la nature. » 46 Ainsi le génie est à la fois productif comme la nature et comme l’esprit : il obéit secrètement à un instinct divin, en même temps qu’il raisonne sa production : c’est une abeille intelligente. Il participe de la faculté créatrice divine, et c’est pour cela qu’il sera d’autant plus près de la nature qu’il cherchera moins à la copier matériellement, et qu’il s’inspirera davantage des idées, qui sont le type commun des œuvres de l’art et des produits naturels. Ce sont deux activités issues d’une même source. Il n’imite pas la nature dans le sens vulgaire ; il fait comme elle, ou plutôt comme l’âme divine qui l’anime et qui se manifeste en elle. 47
L’édition des Omnia reproduit l’essentiel du paragraphe, mais avec des lacunes que leur éditeur n’a su combler. 48 Suit chez Barbey cette appréciation : « Ceci de M. de Schelling est exquis ». 49 Il fera son profit de ces notes sans que cela donne à supposer qu’il avait épinglé dans son album quelques apophtegmes, comme de beaux papillons devant être lâchés dans ses articles afin d’épater la galerie – car leur citation touche à l’essentiel. Dans celui, déjà évoqué, qu’il a consacré à Roger de Beauvoir, un paragraphe nous intéresse particulièrement : Et ce n’est pas, du reste, dans des vers de cette inspiration familière, idyllique et élégiaque à la fois, que se montre et s’épuise le talent qui s’est renouvelé en se dépouillant. M. de Beauvoir, tout en gardant l’individualité de sa touche, cette individualité qui fait qu’un homme est le Corrège en traitant les mêmes sujets que Raphaël, est aussi varié dans le choix de ses sujets que peut l’être un poète lyrique, un de ces poètes qu’un philosophe allemand, poète lui-même, et même plus poète que philosophe (Schelling), appelle « les abeilles intelligentes de l’Infini ». 50
Willm renvoie évidemment aux Philosophische Schriften, tome I (cf. Schelling 1809, 354 / SW VII, 300 sq.). 47 Willm 1847, 344. 48 Pour comparer : « Le génie est une abeille intelligente … l’art, deux forces – consciente et inconsciente. Les œuvres non marquées par la force inconsciente se reconnaissent à leur absence de vie, – et quand elle est présente … ? … communique. La plus haute clarté qui satisfait l’entendement et cette réalité … ? … par laquelle il paraît semblable à une production de la nature » (Barbey d’Aurevilly 2008, 88). 49 Barbey d’Aurevilly 2008, 88. 50 Barbey d’Aurevilly 2004, 777 (l’article est de 1853). 46
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly
Il croit de Schelling la référence précise à l’abeille, alors qu’elle appartient à la glose willmienne. On notera l’ajout (qui n’est pas dans Barbey d’Aurevilly 2008, 88) : les ouvrières aurevilliennes sont des abeilles de l’Infini. Est-ce à dire qu’elles se chargent de pomper le nectar de toutes les fleurs psychiques et terrestres ou s’enhardissentelles et s’envolent-elles pour l’exploration avantageuse des champs célestes ? Cela reviendrait au même pour Schelling, guère pour Barbey. Qu’en est-il pour un authentique poète ? Rilke déclarera : « Nous sommes les abeilles de l’Invisible. Nous butinons éperdument le miel du visible, pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’Invisible. » 51 Est-ce la fonction propre du poète ou le comportement de tout un chacun qui ouvre l’espace intérieur de son cœur à tout ce qui l’entoure ? Quand bien même cette opération ressemblerait davantage à l’idéation qu’à l’archivation naturaliste, Barbey, me semble-t-il, aurait reculé devant cet infini cumulatif. Concevant, en 1858, que « [l]e génie est de l’infini », il l’en fait participant et non recueillant ou même accueillant, ce pour quoi il enchaîne : « et pour qu’il nous déborde du cœur, nous en avons assez d’une goutte. » 52 Comprenons que l’infini est immanent à l’esprit et le constitue. 53 Barbey a déjà lu l’ouvrage de Willm lorsqu’il écrit, en 1854, dans une recension d’une traduction de l’œuvre de Thérèse d’Avila : Il y a de l’infini dans toute âme, mais il y est, et même dans les plus grandes, à l’état latent, mystérieux, sommeillant, comme l’Esprit sommeillait sur les eaux, tandis que dans l’âme de Thérèse l’infini déchire son mystère, se fait visible, et passe dans le langage où la pensée déborde les mots. 54
Thérèse « est infinie dans le sens métaphysique », et cela contrairement à Pascal, qui ne l’est que par intermittences. 55 Qu’il y ait de l’infini dans le fini, les philosophes l’ont appris au romancier. 56 Que l’infini de l’âme transparaisse dans le visage, c’est toute l’affaire de l’observateur que de le découvrir et d’en tirer profit. 57 R. M. Rilke à W. v. Hulewicz, le 13 novembre 1925, Rilke 1936, 335 ; trad. de l’auteur, mise en relief dans l’original. 52 Barbey d’Aurevilly 1972, 39. 53 L’idée est récurrente chez Schelling. Exemple : SW VI, 52. 54 Barbey d’Aurevilly 1906, 58. 55 Ibid. 56 Cf. Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 216. 57 « Dieu a voulu qu’il n’y eût d’infini que la physionomie, parce que la physionomie 51
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Barbey bat le rappel d’un autre passage dans un article dédié à madame d’Aulnoy : [S]on livre où le talent se met comme le feu se met à une robe de mousseline qui flotte, est un modèle de cette force inconsciente dont parle quelque part Schelling, « laquelle – dit-il avec génie – produit cette haute clarté qui satisfait l’entendement et cette réalité merveilleuse qui rend une œuvre de l’esprit semblable à une production de la nature ». La « merveilleuse réalité » dont parle Schelling, voilà donc le caractère en saillie des Mémoires sur la cour d’Espagne par une femme qui dut à ses Contes presque toute sa célébrité. 58
Ce qui s’articule du concours des deux activités reproduit en raccourci la théorie de la création artistique mise au point dans le Système de l’idéalisme transcendantal qui remonte à l’an 1800. Willm l’a commentée en quelques denses pages 59 que Barbey a sûrement méditées. Il y a en réalité deux théories de la création artistique dans le Discours. Il est remarquable que Barbey ait été sensible à celle qui est reprise du Système de 1800 et non, selon toute apparence, à celle qui exprime la pensée de Schelling en 1807, pour laquelle l’art est une « émanation immédiate de l’absolu » 60 et qui s’appuie sur ses cours (inédits à l’époque) portant sur la philosophie de l’art. Schelling établit dans le Système que la production artistique combine les effets de deux autres types de production : 1) celle de l’Histoire commence dans la conscience librement (les sujets veulent ceci ou cela et agissent en conséquence) et finalement apparaît inconsciente pour le philosophe qui discerne à travers la multiplicité des actions un objectif que les agents n’ont pas visé et qui se dessine pour lui seul lors même que l’Histoire se poursuit à l’infini ; 2) celle de la nature a lieu de façon tout à fait inconsciente, mais là aussi un deuxième coup d’œil met au jour une finalité qui donne à penser qu’une activité consciente est à l’œuvre. La production artistique adopte cet élément de la production historique qui consiste à débuter consciemment, et cet élément de la production naturelle qui commande de s’achever dans un produit déterminé. S’explique ainsi que le génie, productif à la fois comme la nature et comme l’esprit, est une immersion de l’âme à travers les lignes correctes ou incorrectes, pures ou tourmentées, du visage » (Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 234). 58 Barbey d’Aurevilly 2009, 338 sq. (l’article est de 1853). 59 Cf. Willm 1847, 195–199. 60 Willm 1847, 336.
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly
obéit secrètement à un instinct divin, en même temps qu’il raisonne sa production en abeille intelligente qu’il est, abeille pour la production inconsciente dont le résultat est finalisé, intelligente pour la réflexion. Considérant le produit achevé, l’artiste réalise que bien des aspects qui lui paraissent sinon incompréhensibles, du moins susceptibles d’une surabondance de significations, n’ont guère été apportés par lui en toute connaissance de cause. D’où le syntagme d’« infini sans conscience » qui spécifie l’œuvre 61 et la découverte que la production a réuni la liberté et la nécessité. De là aussi le recours de l’artiste à la notion d’inspiration que l’idéalisme transcendantal, arrachant à la mythologie des muses, permet d’appréhender comme un ouvrage de son esprit en tant qu’il est cette identité du sujet et de l’objet dont le produit offre le miraculeux reflet. Barbey en parle d’autant plus volontiers qu’il connaît le phénomène. Alors qu’il peinait sur Une vieille maîtresse, il écrivit à Trebutien le 15 mai 1845 : « Il y a une telle page qui a été tracée dans une ivresse de pensée que je n’ose appeler de l’inspiration (il est des mots diablement scabreux à employer) ». 62 Serait-ce modestie ? Dix ans plus tard, le 27 avril 1854, s’adressant au même, au sujet d’un poème cette fois-ci, La Maîtresse rousse, il ne recule pas devant le recours, aggravé, à la mythologie. Il se présente comme faisant partie de ceux qui « ne font des vers que sous le viol de la Diablesse appelée Poésie, l’inspiration est une capricieuse ». 63 Que valent les deux emprunts aurevilliens à la philosophie schellingienne de la création artistique à laquelle Barbey donne cause gagnée ? Les a-t-il convenablement exploités ? Pour le premier, le critique a négligé le contexte, lequel met en jeu la théorie des deux activités issues de la même source. Il n’est pas impossible qu’il l’ait eu présente à l’esprit, quoique j’en doute, car la citation va dans une tout autre direction, insistant sur la récolte faite dans les champs de l’infini au lieu de mettre en évidence la part à la fois inconsciente et réfléchie de l’acte. Il y a comme une jolie métaphore naguère grappillée qu’il a paru utile d’employer. Le motif n’en est pas entièrement décoratif car Barbey innove lors de la rédaction de l’article. Il transforme l’image en introduisant une harmonique nouvelle. C’est sur la Willm 1847, 197. J. Barbey d’Aurevilly à F. G. S. Trebutien, le 15 mai 1845, Barbey d’Aurevilly 1982, 29. 63 Barbey d’Aurevilly 1964/66, t. II, 1590. 61 62
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diversité des sujets glanés et l’immensité du champ d’exploration qu’il fait porter tout le poids de la métaphore du poète lyrique comme aventureuse avette. Pour le deuxième emprunt, dans l’article consacré à madame d’Aulnoy, où nous retrouvons l’idée de production inconsciente, il est déplorable que Barbey ait embrouillé les choses et se soit égaré. La raison en est due, pour l’essentiel, à une prise de note défectueuse. Il mentionne une « force inconsciente » qui « produit cette haute clarté » etc. 64 Il en va de même dans les Omnia. 65 Or chez Willm, comme dans Schelling, c’est le mot science qui se lit. La bévue vient du fait que la phrase précédente, chez Willm, donne « force inconsciente ». 66 La contraction du propos par Barbey est malheureuse puisqu’elle escamote l’autre force. En effet, le philosophe met en œuvre deux forces, l’autre étant consciente. Je rappelle le texte de Willm (qui est quasiment une traduction 67) : « à l’activité consciente doit se joindre, dans la production, une force inconsciente, et […] ce qu’il y a de plus grand dans l’art est le produit du concours de ces deux facteurs. » 68 L’étourderie a de fâcheuses répercussions car elle empêche son fauteur de répartir correctement les fruits de l’acte. Il est clair que chacune des forces unifiées produit son effet propre : c’est à la consciente que se rapporte le caractère de la plus haute clarté qui satisfait l’entendement (la conscience reconnaît là son bien 69) ; à l’inconsciente appartient cette réalité merveilleuse par laquelle elle paraît semblable à une production de la nature (c’est-à-dire quelque chose qui, ayant la spontanéité de l’instinctif, est proprement inimitable et gorgé de mystère). Or c’est précisément cette dualité, dans laquelle la force inconsciente n’entre qu’au titre d’un facteur sur deux, que préserve le syntagme de science inconsciente qui compose le réfléchi clairvoyant et l’irréfléchi mystérique. Or Barbey écrit que la force inconsciente pro-
Barbey d’Aurevilly 2009, 338. Cf. Barbey d’Aurevilly 2008, 88. 66 Willm 1847, 344. 67 Manque seulement l’idée, quand même importante, de la « pénétration réciproque [gegenseitige Durchdringung] » des deux forces (SW VII, 300). 68 Willm 1847, 344. 69 Un autre de ses biens est tout le côté de la technique, ce que Barbey, pour sa part, appelle « l’art physique de faire des vers » (Barbey d’Aurevilly 1906, 296). Il reconnaît à Zola le talent de la construction et de l’étude, mais c’est pour lui dénier l’art fait d’inspiration (cf. Barbey d’Aurevilly 1902, 231). 64 65
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L’inscription de Schelling dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly
duit ceci et cela, ce qui offusque assurément la vérité et ramène la composition artistique à un délire. 70
Bibliographie Barbey d’Aurevilly, Jules Amédée 1902 : Le Roman contemporain. Paris. – 1906 : Femmes et moralistes. Paris. – 1922 : Victor Hugo. Paris. – 1964/66 : Œuvres romanesques complètes, 2 tomes, éd. par Jacques Petit. Paris (Bibliothèque de la Pléiade 175/184). – 1966 : Le XIXe siècle, choix de textes établi par Jacques Petit. Paris, t. II. – 1972 : Articles inédits. 1852–1884, éd. par Andrée Hirschi/Jacques Petit. Paris. – 1980 : Correspondance générale, t. I : 1824–1844. Paris. – 1982 : Correspondance générale, t. II : 1845–1850. Paris. – 2004 : Œuvre critique, t. 1 : Les œuvres et les hommes. Première série (Volume 1), sous la dir. de Pierre Glaudes/Catherine Mayaux. Paris. – 2008 : Omnia, préface et notes de Joël Dupont. Paris. – 2009 : Œuvre critique, t. 4 : Les œuvres et les hommes. Deuxième série (Volume 2), sous la dir. de Pierre Glaudes/Catherine Mayaux. Paris. Hatem, Jad 2012 : Barbey d’Aurevilly et Schelling. Paris. Maistre, Joseph de 1852 : Considérations sur la France. Lyon/Paris. Rilke, Rainer Maria 1936 : Briefe, t. : Briefe aus Muzot. 1921–1926, éd. par Ruth Sieber-Rilke. Leipzig. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1809 : Philosophische Schriften. Landshut, t. 1. – 1835 : Jugement de M. de Schelling sur la philosophie de M. Cousin, trad. par Joseph Willm. Paris/Strasbourg. – 1980 : Œuvres métaphysiques 1805–1821, trad. par Jean-François Courtine/ Emmanuel Martineau. Paris. Vigny, Alfred de 1824 : Éloa, ou la sœur des anges. Mystère. Paris. Willm, Joseph 1847 : Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel. Paris, t. III.
Le lecteur trouvera dans mon livre Barbey d’Aurevilly et Schelling (Hatem 2012), une analyse plus complète du rapport entre les œuvres du romancier et celles du philosophe.
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Section III Schelling et le XXème siècle / Schelling und das 20. Jahrhundert
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Intériorité, inconscient et structure du temps Schelling et la psychanalyse Gérard Bensussan (Strasbourg)
Abstract There are two essences of the human being, a dark and a conscious one which part and separate him: what is known on the one hand is darkened on the other; what is unconscious and darkened desires a form of knowledge that brings it to the light. This is how Schelling turns Socrates on his head in the Ages of the World: the knowledge that one does not know anything is only existent by virtue of the more original precondition that one does not know what one knows. Freudian “Metapsychology” appropriates the same terrain. There are striking methodological similarities between the two descriptions, namely the trust in average everyday life to the banality of certain experiential impressions – which at the same time are proof of an undeniable and inconceivable alienation in us and between us. Yet while Schelling unravels and describes the preconditions for establishing the hypothesis of the unconscious, the contrast between the two already becomes strongly apparent when Freud examines the properties of the system of the unconscious: that which the Freudian psychoanalysis determines as the unconscious “does not know of time”, whereas the unconscious in the Ages of the World is a temporal principle as well as a temporal power.
« Tant de contradictions se trouveraient-elles dans un sujet simple ? Cette duplicité de l’homme est si visible qu’il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes […]. » [Pascal] Les fous qui ont pensé que nous avions deux âmes […]. 1
Je voudrais ici proposer quelques linéaments d’une possible « approche » freudienne des Âges du Monde, ce qui emporte quasi-néces-
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Voltaire 1734, 145 (« Vingt-cinquième lettre sur les Pensées de M. Pascal »).
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Gérard Bensussan
sairement sa propre réversion, soit une proximité schellingienne avec le concept d’inconscient, proximité qui non seulement n’exclut pas de profondes différences mais au contraire s’y articule. Deux préalables sont requis pour entamer ce mouvement d’approximation. Le premier concerne les forces qui agissent le sujet, le second la notion même d’âge du monde.
1. Les projets d’« Introduction » des Âges portent tous une référence appuyée à la « dialectique ». Mais il ne faut pas s’y tromper ni se laisser induire en erreur par le contexte « spéculatif » où vient s’inscrire ladite référence. La perspective dialectique dont s’autorise Schelling est ostensiblement platonicienne : le « dialogue intime » qu’il invoque et qu’il met à la source du « véritable secret du philosophe » 2 provient à la lettre du Sophiste 3 ou encore du Théétète. 4 Toute pensée procèderait d’un rapport dialogal de soi à soi (eme emauto). Mais Schelling radicalise considérablement la figure convenue de l’entretien de « l’âme » avec elle-même, du « deux-en-un du dialogue silencieux », selon une expression de H. Arendt. 5 Il en détermine la forme comme intimité schizée, « séparation », « dédoublement de nous-mêmes », « secret commerce entre deux êtres » en nous – l’un qui ne sait pas et pose ses questions et l’autre qui sait et qui répond. 6 Le deux-en-un de l’interprétation arendtienne de Platon fait place, dans la lecture schellingienne, à son renversement, un Un cassé en Deux. A ce « dialogue intérieur », ajoute Schelling, correspondrait comme sa « réplique » « l’art extérieur » nommé affinitairement « dialectique ». 7 Il faut être ici très attentif, je l’ai dit. Le propos semble banal et paraît ne faire que répéter la définition socratique. Or, le philosopher schellingien s’est Schelling 1992, 13 / WA I, 5. Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de l’auteur. 3 Cf. Platon, Sophiste, 263e (Platon 1950, 330) : « un entretien de l’âme avec ellemême, se produisant au-dedans de celle-ci sans le concours de la voix, à cela, […] nous avons donné le nom de ‹ pensée › ». 4 Cf. Platon, Théétète, 189e (Platon 1950, 158) : « une conversation que l’âme poursuit avec elle-même […] un entretien, dans lequel elle se pose à elle-même des questions et se fait à elle-même des réponses ». 5 Arendt 2008, 72. 6 Schelling 1992, 13 / WA I, 5 et Schelling 1992, 136 / WA II, 114. 7 Schelling 1992, 136 / WA II, 113. 2
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toujours montré réticent face à l’illusion philosophique d’une intériorité féconde et originaire. Quelques années après les Âges, dans les Leçons d’Erlangen, il en fera la mise en garde en des termes quasipédagogiques : il y a tant de gens à l’esprit obtus qui invitent sans relâche le débutant en philosophie à rentrer en soi-même, à pénétrer dans ses profondeurs les plus profondes – comme ils disent –, ce qui ne signifie jamais rien d’autre que : s’enfoncer toujours plus avant en son propre être-borné. Ce qui est urgent pour l’homme, ce n’est pas de rentrer en soi, mais d’être exposé hors de soi. 8
Comment ajuster l’hypothèse de la pensée comme intériorité du dialogue de soi à soi à celle d’un être-borné de toute intériorité ? Penser, est-ce rentrer en soi ou s’exposer hors de soi ? Y a-t-il inconséquence à tenir l’une et l’autre position ? Revenons sur le propos des Introductions. Le dialogue intime signifie la pensée en dedans d’elle-même et la dialectique la modalité expressive qui la reproduirait extérieurement – d’où le risque, souligné par Heidegger notamment, d’une contrainte formelle conduisant possiblement à un égarement de la pensée réduite à son « apparence », à son « ombre ». 9 A prendre le propos schellingien avec trop de hâte, on pourrait croire qu’il y aurait une matrice autonome, le dialogue intérieur, laquelle renverrait à un sujet s’assumant pleinement dans son intériorité unitaire et bien tempérée. Il suffirait ensuite de dupliquer en l’externalisant correctement cette matrice d’autonomie pour obtenir une dialectique en bon état de marche. Or le dialogue intérieur, le texte des Âges est tout à fait explicite sur ce point, constitue bien plutôt un principe d’hétéronomie, lequel signifie et atteste rien de moins que la temporalisation du temps dans le sujet humain. Qui et que sont en effet les « deux êtres » qui séparent et animent le « secret commerce » qui nous « dédouble » ? Schelling les rapporte à des forces agissantes à l’insu du sujet dans le sujet. Ces forces, qu’il nomme aussi des principes, sont au nombre de deux : l’une sachante, l’autre nesciente, l’une supérieure, l’autre inférieure, l’une limpide, l’autre obscure et aspirant à la clarté, l’une répondant aux questions de l’autre. Les deux forces sont hiérarchiquement articulées. 10 Le principe supérieur est extérieur au monde Schelling 1980, 290 / SW IX, 230. Schelling 1992, 13 / WA I, 5 et Schelling 1992, 136 / WA II, 114. 10 On songera ici à Proust qui ne cesse de décrire les différents « états nerveux » par 8 9
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et « antérieur au commencement des temps » 11 dont il signifie la « con-science » rayonnante (Mitwissenschaft 12 en 1811, Mitt-wissenschaft 13 en 1813), savoir pur centré sur une intériorité qui s’échappe à elle-même plutôt qu’effort sachant et progressant. Il faut ici faire mention de l’œuvre très remarquable d’un disciple enthousiaste de Schelling, en particulier de sa philosophie de la Nature, G. H. von Schubert, Die Symbolik des Traumes. L’ouvrage date de 1814 et eut une forte influence sur Kleist, E. T. A. Hoffmann ou encore Heine. Il s’attache à montrer que le rêve et l’ensemble des productions inconscientes qui peuvent y être associées sont relayées par le sujet à partir de la libre circulation de son activité inconsciente structurée autour de forces – ces forces, précisément, que Schelling ne cesse, notamment dans les Âges, de vouloir nommer, déterminer, comprendre. La thèse de La symbolique du rêve qui m’intéresse ici, c’est que le rêveur en nous est comme un « poète caché ». 14 Tel est le nom schubertien de l’inconscient freudien 15 ou du savoir nescient schellingien : Cette part de notre Soi que nous nommons âme, par différence avec l’esprit, prédomine de plus en plus dans le rêve et elle se fait active à sa façon singulière, alors que l’esprit pendant ce temps demeure un spectateur plus ou moins passif qui se contente alors de suivre l’âme active depuis et selon son impulsion [Trieb] propre, dans son cours d’autant
lesquels passe son Narrateur, lequel se tient face aux « estimations de la raison » dans le même rapport que le Narratif devant le Spéculatif, en recourant au schème récurrent des « deux forces » dont « l’une s’élève de nous-même, émane de nos impressions profondes » et « l’autre nous vient du dehors » (Proust 1913–1927, t. IV, 169) et qui constituent, dans la multiplicité des situations à quoi elles nous « livrent », « notre vie […] divisée » (Proust 1913–1927, t. II, 164) car en effet « chacun de nous n’est pas un » (Proust 1913–1927, t. VI, 330). 11 Schelling 1992, 12 / WA I, 4. 12 Schelling 1992, 12 / WA I, 4. 13 Schelling 1992, 134 / WA II, 112. 14 Schubert 1814, 10. « Le poète caché » donne par ailleurs son titre à tout le chapitre V (cf. Schubert 1814, 78–95). 15 Je m’empresse d’ajouter, mais la précision est ici sans pertinence, que la conception du rêve de Schubert est plus proche de celle de Jung que de celle de Freud. En effet, le rêve n’est pas interprété comme l’expression de désirs refoulés mais comme le produit de l’inconscient le plus profond qui se manifesterait dans et par ladite « symbolique du rêve ». Il relierait ainsi le moi conscient à l’inconscient, par le truchement du « poète caché » en particulier, et détiendrait ainsi une véritable force de renouvellement psychique.
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plus léger et puissant, et non plus, comme à l’état de veille, de lui donner ses lois et son mouvement. 16
L’esprit, c’est-à-dire le sujet de la raison, est placé selon Schubert dans une position quasi-ancillaire, il suit, il est passif, il est destitué de sa fonction de commandement – c’est l’âme qui mène la danse de la vérité, c’est « le poète caché » qui constitue, dans le rêve, la force qui « prédomine ». Schelling aura donc légué à Schubert, qui en explorera l’efficience dans le rêve, le « principe » d’une extériorité supérieure et même antérieure au « commencement des temps », principe de révélation ou de manifestation d’une intériorité qui s’échappe sans cesse à elle-même. Pour Schelling, ce « principe » d’échappement 17 est à la « source » de la temporalité humaine. Il est fondateur de la thèse vectrice des Âges, « l’homme […] contient le temps à l’état d’enveloppement ». 18 S’il est agissant en l’homme, s’il est donc une force, ce principe « n’est pas libre ». 19 Le fameux « dialogue » désigne une structure langagière dynamique et non un espace d’autonomie que quêterait le « rentrer en soi-même ». Le principe supérieur/extérieur/antérieur est en effet associé et inextricablement lié à un « autre » principe, « moindre », « obscur », « non sachant », « nescient » et « jeune », « éternellement jeune ». 20 La version de 1813 est plus développée sur la question des deux principes, que je nommerai, en suivant Schelling au plus près, le principe-archétype (Urbild) et le principe de remémoration. Elle propose en effet un véritable récit, une exposition narrative du jeu et des correspondances dans quoi entrent les deux forces, l’une qui retient et enveloppe en elle « le trésor » du temps et l’autre qui en « témoigne » et y « assentit », l’une qui « garde » et l’autre qui parle et qui « éveille », l’une qui « reste muet[te] et ne peut exprimer » et l’autre qui porte « le pressentiment et la nostalgie de la connaissance ». 21 Un insondable repose en l’homme, à l’état scellé, un oracle intérieur et clos où sommeillent les archétypes des choses. Pour s’ouvrir, il lui faut rencontrer
Schubert 1814, 20. Cf. Montaigne 1595, 89 (Essais I, chap. XIX) : « je m’eschappe », à entendre bien sûr comme « mon Je m’échappe » et non pas comme la première personne du singulier du verbe « s’échapper ». 18 Schelling 1992, 134 / WA II, 112 ; je souligne. 19 Schelling 1992, 12 / WA I, 4. 20 Schelling 1992, 12 sq. / WA I, 4 et Schelling 1992, 135 / WA II, 112 sq. 21 Schelling 1992, 135 / WA II, 113. 16 17
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un autre élément qui « ramène à la mémoire » et y « puise […] la réponse ». 22 L’être le plus intime […] est originellement lié et ne peut se déployer ; mais par l’autre [principe, G. B.] il se libère et s’ouvre à lui. C’est pourquoi tous deux aspirent également à leur séparation, l’un afin d’être rendu à son savoir originel inné, l’autre afin d’être fécondé par lui et de devenir lui aussi […] sachant. 23
2. Et c’est ici que prend sens la notion d’« âge du monde ». L’homme com-prend le temps dans son intégralité – les « deux êtres » qui le partagent en sont le témoin pour l’un et l’opérateur pour l’autre. Il com-prend, c’est-à-dire qu’il connaît (mit-wissen) par l’esprit les temps qui sont les « siens », passé, présent, avenir. Ce faisant, il lui est possible d’accéder à un autre ordre du temps, celui que distribuent ses « âges », à partir du « cœur [Gemüth] » qui est en lui ce « principe qui provient […] de ce temps horigineli primitif [qui] s’étend […] pardelà la Création, par-delà la situation du monde présent. » 24 Ainsi, il co-naît depuis sa centralité temporalisée (mitt-wissen) par ce qui l’excède, « [l]e véritable temps passé [qui] est le temps qui a été avant le temps du monde, [et] le véritable avenir […] qui sera après le temps du monde ». 25 Ces architemps, ces « trois temps effectivement différents les uns des autres, que je m’autorise à nommer âges du monde » comme dit Schelling, 26 encadrent et débordent « le temps de ce monde [qui] n’est qu’un seul et même grand temps », le présent. 27 Les questions ne peuvent manquer ici de se presser : comment le seul et même grand temps du présent peut-il donner lieu aux trois dimensions de la temporalité humaine ? Le « concept d’un temps d’avant le monde » n’est-il pas « choquant », comme l’indique Schelling lui-même ? 28 Y répondre requiert l’élucidation fondamentale de la pensée schellingienne du temps, absolument décisive. 22 23 24 25 26 27 28
Schelling 1992, 135 / WA II, 113. Schelling 1992, 136 / WA II, 113. Schelling 1992, 222 / WA III, 189 sq. Schelling 1992, 220 sq. / WA III, 188. Schelling 1992, 220 / WA III, 188. Schelling 1992, 220 / WA III, 188. Schelling 1992, 226 / WA III, 192.
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La temporalité intégrale et dynamique de la conscience enveloppe le sujet, le nimbe en quelque sorte et imprègne la moindre de ses pensées, le moindre de ses actes. Schelling y rapporte toutes sortes de phénomènes, comme la sensation de déjà-éprouvé, et il recourt à plusieurs analogies qui toutes ont leur source dans l’anthropomorphisme épistémologique et méthodologique, dont font constamment usage les Âges. Méditant le statut de l’anamnèse platonicienne, mais d’une façon très singulière, Schelling, pour penser le rapport entre « le présent au sein duquel nous vivons » 29 et le « seul et même grand temps » 30 qu’est le monde présent, en noue le fil ténu autour d’un « rapport[…] » à l’« état originel », 31 soit du principe-archétype qui figure ce lien à la « nuit des temps ». Il écrit : Nous nous trouvons ici dans le cas d’un homme qui ne se souvient qu’obscurément d’une action qui a eu lieu, qui a bien le vague souvenir d’une action survenue, mais ne parvient que médiatement, par d’autres circonstances, en éloignant les représentations qui y font écran dans sa mémoire, à se la rappeler complètement, et à reconstituer ainsi progressivement, et pour ainsi dire par bribes, l’événement dont il aurait eu le vivant souvenir et qui se serait déroulé comme sous ses yeux. 32
Cette situation – dont il est remarquable que Schopenhauer l’attribue, lui, à la « remémoration par l’intuition » qui caractériserait la façon animale du souvenir 33 – témoignerait d’une extraordinaire capacité humaine à accueillir temporellement ce qui excède la temporalité dans laquelle l’homme vit, soit un « principe extra-mondain et supra-mondain ». Proust, selon un effort tout à fait semblable, se rend attentif avec la plus fine précision descriptive à ce qu’il nomme les « transitions [inconscientes, G. B.] entre l’oubli et le souvenir », en particulier la situation où nous nous trouvons lorsque nous tentons de
Schelling 1992, 240 / WA III, 205. Schelling 1992, 220 / WA III, 188. 31 Schelling 1992, 240 / WA III, 205. 32 Schelling 1992, 241 / WA III, 205 sq. 33 Schopenhauer 2009, 1232 : « [À] la vue d’une personne qu’il nous semble connaître, sans que nous ne nous rappelions quand et où nous l’avons vue ; de même quand nous pénétrons dans un lieu où nous avons été dans notre prime enfance, c’est-à-dire quand notre raison n’était pas développée et que, pour ce motif, nous avons totalement oublié, à ce moment-là, nous éprouvons l’impression du présent comme celle de quelque chose qui a déjà été là. Les souvenirs des animaux sont tous de cette nature ». Le quasidivin schellingien, la merveilleuse puissance de la remémoration, recouvre le quasianimal schopenhauerien. 29 30
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retrouver un nom sans y parvenir tout de suite. Comment saisir et comprendre ce « travail de l’esprit passant du néant à la réalité » ? 34 Sans pouvoir tout à fait dissiper le « si mystérieux » de cette opération de remémoration, qui se tient peut-être dans le refoulement, 35 Proust repère ce qui résiste à ce passage de l’oubli à la mémoire comme une véritable résistance du réel, mille fois plus fort que l’intelligence : « [t]oute action de l’esprit est aisée si elle n’est pas soumise au réel » du temps. 36 « [M]ener au-delà du concept les noms qui manquent à l’absolu », selon le mot d’Adorno, 37 ne se peut que comme tâche temporelle / supra-temporelle et comme travail de l’esprit soumis au réel. Les Âges mettent en scène, avec des bonheurs narratifs inégaux, cette dramaturgie de l’ajointement / inajointement des grands temps et des petits temps, des âges du monde et des trois dimensions de la temporalité. L’oubli y figure la case vide permettant le jeu des déplacements. Schelling commence donc par avancer, presque benoîtement on l’a dit, que le dialogue intime qui traverse le sujet signifierait une simple formation réglée, strictement dialogale, dont la dialectique constituerait la réplique, une mise en rapports externalisée de ce dialogue. Or il s’avère très vite que le dialogue est tout autre chose qu’un dialogue. Il ne s’agit pas en effet, et le propos schellingien le montre sans tarder, d’une communication intrasubjective, de soi à soi, dont la dialectique figurerait la forme intersubjective et théorétique. Il ne s’agit pas davantage d’un partage du Logos, silencieux d’abord, parlant ensuite. Le « dialogue » est un « secret commerce » et le secret commerce un jeu de forces infra-langagier qui commande la parole elle-même. En l’homme deux êtres se tiennent, un Obscur et un Conscient, qui le séparent et le dédoublent. Le jeu de forces se déploie à la manière d’un jeu d’ombres : ce qui est su d’un côté est obscurci de l’autre, ce qui est insu et obscur aspire à un savoir désobscurcissant. Schelling complète (et bouleverse) Socrate : savoir qu’on ne sait pas ne se peut que sous la condition préalable et bien plus originaire de ne pas savoir qu’on sait. Cette dynamique descriptive, heurtée et pleine d’à-coups, ne correspond guère au mouvement de « l’expérience de la conscience » qui se déploierait selon une appropriation progressive de soi, une Erfahrung par où l’étranger à soi, au terme d’un processus d’autorécupération, se 34 35 36 37
Proust 1913–1927, t. IV, 276. Cf. Freud, « L’oubli des noms propres » in Freud 2001, 7–14. Proust 1913–1927, t. IV, 276. Adorno 1965, 150 ; je souligne.
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convertirait patiemment en propre, et où tout reviendrait à Soi, de l’eme emauto platonicien au Selbst hégélien.
3. La structuration des forces qui dédouble le sujet agi selon deux principes ne peut pas ne pas faire songer à Freud, tout autant que le contre-socratisme foncier des deux pensées, selon lequel les sujets ne savent pas ce qu’ils savent ni même qu’ils savent, inconsciemment ou dans la figure d’un savoir nescient. Le rapprochement s’établit précisément sur le terrain de ce qui est déterminé par Freud comme « métapsychologique », à savoir la description d’un processus psychique « sous les rapports dynamique, topique et économique » à la fois. 38 Sont saisissantes, entre les deux descriptions, les similitudes de méthode, la reconnaissance des difficultés qu’elles peuvent soulever, et les topologies semblablement investies par le sujet clivé. Une différence fondamentale n’en est pas moins structurellement efficiente, à propos du temps, justement. Je me contenterai de l’indiquer, sans négliger la possibilité qu’elle puisse être autrement interprétée – autrement que différente. Freud entend d’abord répondre à ceux qui contestent la légitimité de l’hypothèse de l’inconscient au nom d’une conscience seule habilitée à l’établir, contradictio in adjecto. Il convoque pour ce faire l’autorité de « notre expérience quotidienne » – comme Schelling continûment dans les Âges sous le principe de l’anthropomorphie, le « tout prendre humainement ». 39 L’« expérience » la plus simple aussi bien que le « tout prendre humainement » « nous met[tent] en présence d’idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l’origine, et de résultats de pensée dont l’élaboration nous est demeurée cachée ». 40 « [Q]uelqu’un croit ne rien savoir d’événements dont il porte cependant en lui le souvenir », écrit encore Freud dans son Introduction à la psychanalyse. 41 Le rêve obéit à la même structure fondamentale que j’ai appelée contre-socratique et que Schubert impute à la figure du « poète caché » : « le rêveur sait
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Freud 1968, 89 (« L’inconscient » de 1915). Schelling 1992, 29 / WA I, 17 ; trad. modifiée. Freud 1968, 66. Freud 1972, 89.
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[…] ce que son rêve signifie, mais, ne sachant pas qu’il le sait, il croit l’ignorer. » 42 Aux évidences que l’expérience de chaque jour nous révèle s’ajoute celle de la rémémoration. Les souvenirs, dont la masse ne peut qu’excéder la contenance minimale de la conscience, obéissent à une bipartition du latent et du manifeste, de telle sorte que « [s]i l’on tenait compte de l’existence de tous nos souvenirs latents, il deviendrait parfaitement inconcevable de contester l’inconscient ». 43 L’expérience la plus élémentaire, l’impression de déjà-vu par exemple, ou l’exemple du rappel d’un souvenir latent à la mémoire manifeste qui lui rend vie conduisent donc à se poser la question de leur ressource propre. Pour établir fermement l’hypothèse de l’inconscient proprement dit, Freud en passe par la figure provisoire des deux « personnes » ou des deux « consciences » : « tous les actes et toutes les manifestations que je remarque en moi et que je ne sais pas relier au reste de ma vie psychique doivent être jugés comme s’ils appartenaient à une autre personne ». 44 Cet autre en moi prendrait pour commencer les contours d’une « conscience inconsciente ». 45 Cette indétermination et ce flou conduisent Freud à proposer de distinguer le « sens descriptif » du « sens systématique » des termes de conscient et d’inconscient et à établir des systèmes d’appartenance stricts et formellement symbolisés (Cs et Ics). 46 Ceci implique, à propos du rêve notamment, de toujours avoir à « traduire […] en paroles », 47 le travail de l’analyste pouvant donc se comparer jusqu’à un certain point à celui du traducteur, ce qui est également le cas du philosophe narratif chez Schelling, lequel doit toujours se rendre attentif aux régimes de traductibilité du divin dans l’humain. Schubert envisage en revanche, et il y insiste massivement, d’élaborer une véritable grammaire spécifique du rêve qu’il présente toujours comme une rhétorique de l’image ou des images, ce qui est très différent du « traduire en paroles » freudien: Aussi longtemps que l’âme parle cette langue [du rêve, G. B.], ses idées suivent une tout autre loi d’association qu’habituellement, et il est incontestable que cette liaison d’idées suit un cours ou plutôt un vol bien
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Freud 1972, 87. Freud 1968, 67 (« L’inconscient » de 1915). Freud 1968, 71. Freud 1968, 72. Freud 1968, 75. Freud 1972, 76.
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plus rapide, plus spirituel et plus accéléré que ce qui est le cas à l’état vigile, où nous pensons plus avec nos mots. 48
On comprend la différence effective entre Schubert et Freud. Ce dernier s’attache à traduire, à retraduire en mots, soucieux de trouver ou retrouver les justes « paroles ». Vérité traductive du rêve chez Freud, laquelle nous est si rétive, complexe, insaisissable parce qu’elle-même a justement à se transposer. Chez Schubert en revanche, expérience d’une extrême singularité imaginale et même « hiéroglyphique » selon son expression, intraductible en mots et en paroles. Où et en quoi s’avèrent les bifurcations, les différences, et peutêtre les irréductibilités entre Freud et Schelling cette fois ? Bien des éléments concordent, entre l’un et l’autre, aussi longtemps qu’est déplié le champ de la description et de la convocation d’exemples. On les aura relevés sans peine : le recours à la quotidienneté moyenne, voire à la banalité de certaines impressions vécues relevant de l’attestation d’une étrangeté en nous, incontestable et incompréhensible ; la place centrale dans cet ensemble d’expériences de ce qui ne se laisse éprouver que depuis la temporalité et l’écart du latent et du manifeste – il faudrait dire du manifesté pour en signifier précisément la différence temporelle se faisant inconsciemment et que Schelling détermine comme la différence entre le « latent » de « l’être », son « négatif » et le « manifeste et efficient » de « l’étant » comme « principe positif ». 49 Autant les préalables à l’établissement de l’hypothèse de l’inconscient sont, parfois littéralement, déjà relevés et décrits par Schelling, autant, dès lors que Freud entreprend de traiter des propriétés de l’inconscient-système, le contraste apparaît fortement. Ce que la psychanalyse freudienne détermine comme inconscient « ne connaît pas le temps » alors que l’inconscient des Âges est un principe et une force temporels, au point que les deux principes eux-mêmes ne sont pas contemporains – comme si, selon une belle expression de Rosenzweig, « l’homme avait deux dates de naissance ». Deux ou davantage. Le métapsychologique freudien est un méta-temporel, un méta-chronologique tout au moins. Je n’entre pas ici dans la discussion, interne à la psychanalyse, de ce point. Sans doute faudrait-il distinguer l’inconscient-système et l’inconscient tel qu’il s’endure dans les pulsations temporelles de la cure psychanalytique, Freud et Lacan pour résumer un peu grossièrement. 48 49
Schubert 1814, 6. Schelling 1992, 167 / WA II, 142.
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Ce que la psychanalyse détermine topologiquement comme inconscient est, dans les Âges, strictement circonscrit à titre de temps effectivement différents et se faisant à tout instant dans cette différence effective. Les forces représentent des principes actifs de temporalisation, on l’a dit, lesquels en l’homme (puisqu’elles y ont leur siège) renvoient et relient à un plus-que-l’homme (puisque l’une des deux le rapporte à un au-delà ou un en-deçà du monde). Il s’agit d’approcher, depuis « la nuit de l’inconscience », 50 la naissance disruptive des temps humains à chaque instant que le bon Dieu fait et que les hommes vivent. Pour Freud, c’est l’inconscient en tant que tel qu’il faut tenter de déterminer par-delà le paradoxe de pareille entreprise – et le non-chronologique n’est que l’un des traits qui forment la condition de fonctionnement du psychisme.
4. Je reviens à Schelling lui-même. La dynamique du secret commerce doit être saisie sous un double aspect. Elle est le chiffre descriptif de la structure d’une subjectivité incisée. Par ailleurs, en raison même de cette structure incisée qui en est la marque temporelle, elle signifie et atteste une effectivité des temps du monde lui-même, voire du temps comme monde, comme ce monde-ci. L’homme est un microchrone qui se tient en un lien énigmatique (mais simple) avec un macrochrone. La nature de ce rapport se laisse apercevoir dans le recours à l’analogie géologique et stratigraphique qu’utilise Schelling : Tout ce qui nous entoure renvoie à un passé incroyablement reculé. Les plus anciennes formations de la terre ont une apparence si étrange que nous sommes à peine à même de nous faire une idée du temps de leur genèse et des forces alors en action. Dans sa majeure partie, nous la trouvons effondrée en ruines, témoins d’une sauvage dévastation. Des temps plus calmes ont suivi, mais qui furent eux aussi interrompus par des cataclysmes pour être enfouis avec toutes leurs créations sous celles d’un temps postérieur. Dans une suite immémoriale de temps, chaque temps a chaque fois recouvert le précédent, si bien que c’est à peine si la Schelling 1992, 212 / WA II, 183. Il y a certainement une équivoque dans l’usage schellingien de ce terme d’inconscience (ou d’inconscient), ne pas avoir conscience et/ ou ne pas parvenir à la conscience, ce que l’on voit assez bien dans les Âges à propos de la décision d’une part, de la naissance de « Dieu » d’autre part.
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Intériorité, inconscient et structure du temps
terre montre encore quelque chose d’originel ; il faut défaire une masse de couches peu à peu superposées […]. 51
Il faut défaire une masse de couches superposées : le geste par là indiqué est évidemment remarquable. Sans rien dire de la Destruktion heideggérienne dont il préfigure la lettre même, sans qu’il soit non plus nécessaire de relever encore sa proximité avec la tâche de la psychanalyse, il engage la requête d’une lecture stratigraphique du rapport entre micro-chronos et macro-chronos, entre les sédiments déposés en l’homme et qui « contiennent à l’état d’enveloppement » les grands temps du monde, de l’avant et de l’après qui l’encadrent. Les Âges tentent d’effectuer les multiples coupes transversales qui permettraient de faire voir « la vérité » de la « fable » immémoriale 52 par où se dit depuis toujours qu’il y a, au plus profond de l’homme, ensommeillé, quelque chose qui provient du commencement des temps. C’est que « [l]e passé n’est pas fugace, il reste sur place ». 53 L’inconscient schellingien, si l’on peut dire ainsi, s’apparente plutôt à un oubli capable de se surmonter par la force de rémémoration, ce principe de désoubli et de désenfouissement apte, lui, à reconstituer l’événement oublié par l’autre « principe », « [c]omme dans l’effort pour nous rappeler un nom, une chanson, une phrase, il y a pour ainsi dire deux êtres en nous ». 54 « [E]n éloignant les représentations qui y font écran dans la mémoire », 55 le micro et le macro des temps s’entrerépondent au fil de cette reconstitution qui est le but de la narrativité. La dialectique s’affaire autour du concevable, « ce qui est capté par un con-cept », alors que le connaissable est « l’étoffe » même du présent, de « l’actualité la plus pure ». 56 « [C]omme il est pauvre », le temps, s’il est « [m]aintenu, dans le concept » ! 57 En revanche, celui qui est capable de « sentir » ou de « pressentir » le temps en lui, « [c]elui qui se Schelling 1992, 144 / WA II, 120; cf. Schelling 1992, 23 / WA I, 11 sq. Schelling 1992, 12 / WA I, 4 ; Schelling 1992, 134 / WA II, 112 et Schelling 1992, 222 / WA III, 189. 53 Proust 1913–1927, t. IV, 43 : « Le passé n’est pas fugace, il reste sur place […] après des siècles et des siècles, le savant qui étudie dans une région lointaine la toponymie, les coutumes des habitants, pourra saisir encore en elles telle légende bien antérieure au christianisme, déjà incomprise, sinon même oubliée, au temps d’Hérodote et qui, dans l’appellation donnée à une roche, dans un rite religieux, demeure au milieu du présent comme une émanation plus dense, immémoriale et stable ». 54 Schelling 1992, 242 / WA III, 207. 55 Schelling 1991, 241 / WA III, 206. 56 Schelling 1992, 257 / WA III, 220. 57 Schelling 1992, 24 sq. / WA I, 13. 51 52
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Gérard Bensussan
contente de prendre le temps tel qu’il se présente », celui-là « sent en lui un conflit entre deux principes » qui sont presque deux désirs, une contraction et une expansion, une résistance et un surmontement, un vouloir entrer en soi et un vouloir sortir de soi. 58 La temporalité intime du sujet est entièrement homologue à la structure même du temps « objectif », et cette homologie se signifie à chaque instant, brouillant les distinctions habituelles entre des acceptions hétérogènes et exclusives du temps. Je suis temps. Evidence d’où provient l’urgente nécessité d’arracher le temps au concept, c’est-àdire de le restituer à lui-même, soit au « grandiose poème héroïque que dicte le temps lui-même », 59 au temps que le temps impose à ses propres modes d’accès, le savoir, le connaître et le pressentir, et aux formes de leurs restitutions, la narration, l’exposition, la prophétie. Le temps est toujours-déjà hors-concept, il est le hors-de-soi du concept, originaire et fécond, « le transcendant par excellence » 60 si l’on entend ces mots au sens où ils sont dits dans Être et temps par Heidegger. Les vieilles distinctions proposées par les grandes pensées du temps, d’Aristote à Kant en passant par Augustin, pour vénérables et profitables qu’elles aient pu être, n’ont plus cours, elles sont révolues, « le temps de telles recherches abstraites est passé ». 61 Le temps lui-même les aura frappées de sa marque car rien n’y échappe, tout est son « œuvre » et c’est de lui que « chaque chose reçoit sa spécificité et sa détermination ». 62 Ainsi la définition kantienne de l’Esthétique transcendantale, soit la détermination du temps comme condition formelle subjective de l’intuition de notre état intérieur, comme forme du sens interne, donc, et aussi comme condition a priori des phénomènes, semble-t-elle relever de ce que Schelling note, à plusieurs reprises, le trop « peu d’importance » 63 accordée par les philosophes à la question du temps. On n’est pas sérieux quand on est philosophe (du temps). Alors que Freud lui-même se rapporte à Kant, jusqu’à y voir, sous certains aspects, l’analogon de la psychanalyse, 64 Schelling insiste sans relâche sur l’impossible réduction du temps à une forme de nos Schelling 1992, 146 / WA II, 122. Schelling 1992, 243 / WA III, 208. 60 Heidegger 1927, 51. 61 Schelling 1992, 238 / WA III, 203 ; trad.modifiée. 62 Schelling 1992, 23 / WA I, 12 et Schelling 1992, 145 / WA II, 121. 63 Schelling 1992, 237 / WA III, 203. 64 Freud, « L’inconscient » in Freud 1968, 74 : « De même que Kant nous a avertis de ne pas oublier que notre perception a des conditions subjectives et de ne pas la tenir pour 58 59
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Intériorité, inconscient et structure du temps
représentations, sous peine d’en faire un « simple carillon qui serait le fruit de nos pensées et qui cesserait dès que nous ne compterions plus heures et jours ». 65 Je n’entre pas dans la discussion détaillée du bienfondé de la référence lapidaire au Kant de l’Esthétique transcendantale. D’une part celle-ci ne fait pas la pensée kantienne du temps en son entier et l’on peut tenir par exemple la très forte distinction proposée dans La fin de toutes choses entre Zeitpunkt et Augenblick pour décisive, y compris pour la genèse du temps à partir de l’éternité. En outre dans la première Critique elle-même, Kant limite la validité de la représentation spatiale du temps sous la figure analogique de la ligne, laquelle ne permet pas de comprendre la succession à laquelle elle substitue fallacieusement la simultanéité. Le temps ne saurait tenir dans une forme. Le temps, c’est Moi. Non pas, on l’a compris, au sens d’un subjectivisme effréné. Kant déjà, lorsqu’il pose que le temps est subjectif, n’entend pas par là qu’il est propre à chacun d’entre nous, mais simplement qu’il n’est pas dans les choses. « Le temps, c’est Moi » est un énoncé qui ne peut prendre place et sens que dans une philosophie de l’absolu et de son temps, une philosophie de l’histoire de l’absolu dont la temporalité s’explique, se déplie et se déploie ontologiquement selon des forces. Le temps, c’est Moi devra donc s’entendre non pas comme la position d’une Identité, mais comme l’indice d’un écartement au sein même de la stratigraphie et du sujet et de la temporalité. Sous cet aspect, philosophie et psychanalyse, en certains de leurs courants en tout cas (Pascal contre Voltaire 66), auront rivalisé d’ardeur pour en saisir les subtiles connexions autant que les interminables différences.
Bibliographie Adorno, Theodor W. 1965 : « Parataxe. Sur les derniers poèmes de Hölderlin ». In : Hölderlin, Friedrich/id. : Hymnes, élégies et autres poèmes. Suivi de Parataxe, trad. par Armel Guerne/Sibylle Muller, éd. par Philippe Lacoue-Labarthe. Paris 1983, 131–180. Arendt, Hannah 2008 : Considérations morales, précédé d’un essai de Mary McCarthy, trad. par Marc Ducassou/Didier Maes. Paris.
identique avec le perçu inconnaissable, de même la psychanalyse nous engage à ne pas mettre la perception de la conscience à la place du processus psychique inconscient ». 65 Schelling 1992, 237 / WA III, 202. 66 Je renvoie à l’exergue qui ouvre ce texte.
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Gérard Bensussan Freud, Sigmund 1968 : Métapsychologie, trad. par Jean Laplanche/Jean-Bertrand Pontalis. Paris. – 1972 : Introduction à la psychanalyse, trad. par Samuel Jankélévitch. Paris. – 2001 : Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. par Serge Jankélévitch. Paris. Heidegger, Martin 1927 : Sein und Zeit. In : id. : Gesamtausgabe, section I, t. 2, éd. par Friedrich-Wilhelm von Herrmann. Francfort-sur-le-Main 1977. Montaigne, Michel Eyquem de 1595 : Les Essais, éd. par Jean Balsamo et al. Nouvelle éd., Paris 2007 (Bibliothèque de la Pléiade 14). Platon 1950 : Œuvres complètes, trad. nouvelle et notes par Léon Robin avec la collaboration de M. J. Moreau. Paris (Bibliothèque de la Pléiade 64), t. 2. Proust, Marcel 1913–1927 : À la recherche du temps perdu, 7 tomes. Paris 1954– 1968 (La gerbe illustrée). Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1980 : Œuvres métaphysiques 1805–1821, trad. par Jean-François Courtine/Emmanuel Martineau. Paris. – 1992 : Les Âges du monde. Fragments. Dans les premières versions de 1811 et 1813. Suivi d’une étude du traducteur sur La Généalogie du temps, trad. par Pascal David. Paris. Schopenhauer, Arthur 2009 : Le Monde comme volonté et représentation, trad. par Christian Sommer/Vincent Stanek/Marianne Dautrey, annoté par Vincent Stanek/Ugo Batini/Christian Sommer. Paris, t. 2. Schubert, Gotthilf Heinrich 1814 : Die Symbolik des Traumes. Mit einem Anhang : Die Sprache des Wachens. Ein Fragment, éd. par Friedrich Heinrich Ranke. 4e éd., Leipzig 1864. Voltaire 1734 : Lettres philosophiques ou Lettres anglaises, avec le texte complet des remarques sur les Pensées de Pascal, introd., notes, choix de variantes et rapprochements par Raymond Naves. Paris 1951.
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Schellings und Rosenzweigs spekulative Philologie der Unverfügbarkeit Wilhelm Schmidt-Biggemann (Berlin)
Abstract This contribution delves into the question posed by Schelling and Rosenzweig on the unavailability of that which one talks about. While the early idealistic writings of Schelling are still concerned with a theory of knowledge, which in general revolves around selfempowerment, in the Ages of the World Schelling attempts for the first time to unravel a form of speech, which does not take possession of its object; a form of speech without forceful propositionality. In a similar fashion, the Christian Logos-Theology Rosenstock-Huessy invoked against Rosenzweig is also concerned with a free, unfettered self-communication of God as a counter project to the self-referentiality both of philosophy and Judaism. Yet Rosenzweig, along with Schelling, remains sceptical about these “logies” and seeks a non logos-theological form of Speech concerning God, which he ultimately demonstrates to be a “positive philosophy” in the development of the philosophia anagogica in his Star of Redemption. This positive philosophy has the divine appear prior to the human selfempowerment of speech.
Die christlich-theologische Spekulation hat im Bezug auf das Judentum eine durchaus zweideutige, intellektuell faszinierende und lehramtlich lästige Attraktivität. Dieses Verhältnis blieb beiden Religionen erhalten, zu ihrem gegenseitigen Nutzen und zu ihrer Last. Ein Zeugnis dieser Attraktivität findet sich in Rosenzweigs Auseinandersetzung mit Schellings Spätphilosophie, einer Fassung christlicher Spekulation, die Rosenzweigs Freunde Rosenstock-Huessy sowie Hans und Rudolf Ehrenberg zur Konversion zum Christentum veranlasste, Franz Rosenzweig hingegen zu einem dezidierten Judentum anregte. Das Problem des späten Schelling, das Rosenzweig und seine Freunde faszinierte, war die Angemessenheit des Redens über das 141 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Wilhelm Schmidt-Biggemann
Göttliche, das apophantische, mystische Reden, das gleichwohl Sprache, ja geradezu wirkendes Wort bleibt. Reden über das Göttliche ist apophantisch, freilich ist auch – eine simple Dialektik – das NichtReden nur denkbar, wenn Reden möglich ist. Wie Reden über Gott möglich sei, ohne dass dieses Reden seinen Sinn verfehlt und zur menschlichen Anmaßung wird, das Göttliche fassen und sich so zum Maß des Göttlichen machen zu wollen, ist seit den Ursprüngen der jüdischen Mystik, 1 lange vor Dionysius Areopagita selbst Moment theologischen Redens. Die Frage nach der Unverfügbarkeit dessen, worüber geredet wird, ist im deutschen Idealismus, vor allem in Schellings Untersuchungen über das Wesen der menschlichen Freyheit und die damit zusammenhängenden Gegenstände, der Freiheitsschrift von 1809, als Selbstkritik der Transzendentalphilosophie virulent geworden. Schelling hat die Frage nach dem Sinn spekulativer Philosophie und Theologie neu zur Disposition gestellt. Vor Heideggers Behandlung dieser Frage in den Schelling-Seminaren 2 und den Beiträgen zur Philosophie von 1936 war es Rosenzweig, der im Stern der Erlösung die Frage nach dem Reden über das Unverfügbare in Auseinandersetzung mit Schelling neu aufgeworfen hat. Dabei ist – und das macht seine Darlegungen in besonderer Weise wichtig – das Verhältnis von Judentum und Christentum mit seinen spekulativen Dimensionen so mitbedacht worden, dass die fragile Gemeinsamkeit beider als Teil dieses apophantischen Redens erscheint.
I. Das schellingsche Dispositiv Für Schelling sind drei Positionen wichtig: 1. Der voluntaristische Anfang des Systems des transscendentalen Idealismus. Schellings System des transscendentalen Idealismus (1800) beschreibt eine Neuentdeckung in der Erscheinung des Geistes, nämlich den Geist als Bewegung. Er geht hier, wie auch Fichte in seiner Wissenschaftslehre von 1794, vom Subjekt aus, das sich setzt, erkennt 1 2
Vgl. Schäfer 2011. Vgl. Heidegger 1936. Siehe weiterhin Hühn/Jantzen 2010.
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Schellings und Rosenzweigs spekulative Philologie der Unverfügbarkeit
und damit als reflexiv existierend erfasst. Aber er fasst diesen Prozess detaillierter, in drei »Epochen«: Die 1. Epoche ist der Prozess, der von der ursprünglichen Empfindung zur produktiven Anschauung reicht: hier konstituiert sich das Ich selbst als sein Objekt. Wie ist dieser Schritt zu verstehen? Es ist sozusagen die empfundene Erwartung der Selbst-Objektivierung. Das Objekt ist noch nicht konstituiert, die Subjektivität empfindet, weiß aber noch nicht was, sie ist in sich weder aktiv noch passiv und doch beides zugleich. Das Ich ist unruhig, unzufrieden, im Status des Erwartens, will nicht in sich bleiben. Das Objekt der Erwartung ist noch nicht konstituiert, aber das Ich empfindet sich als Prozess und im Prozess der produktiven Anschauung, in der sich die Objektität, das Ding an sich, transzendental konstituieren will. Die produktive Anschauung »schwebt« zwischen Ding an sich und Ich (vgl. AA I,9,1, 118) – sie will über sich hinaus, ist aber noch bei sich. Es ist der Status vor dem In-Bewegung-Kommen des Prozesses, der Unruhe-Status der an sich haltenden Kraft, der noch nicht zustande kommenden Wechselwirkung. Der entscheidende Schritt von der Kraft zur Bewegung, das Übersich-hinaus-Gehen geschieht in der 2. Epoche: Es ist der Schritt von der produktiven Anschauung zur Reflexion. Hier reflektiert sich das Ich als reflektierend. Indem es sich selbst zum Objekt macht, geht es über sich hinaus, produziert, entscheidet und findet sich ständig in seiner Differenz zwischen Subjekt und Objekt: und diese Differenzierung wird als Bewusstsein vollzogen. Das Bewusstsein ist das Moment des produktiven Ich, das sich in dieser Produktivität als sich ständig differenzierend erlebt, denn diese Differenzierung ist sein Bewusstsein als Leben. Leben ist nun mehr als nur Bewusstsein, es ist sich entwickelndes Sein. Deshalb ist ein dritter Schritt erforderlich: 3. Von der Reflexion zum absoluten Willensakt. Der nachvollziehende Bewusstseinsakt der Produktivität des Ich und die Konstitution des Objekts in der produktiven Anschauung (»Schweben« und »Wechselwirkung«) sind nur denkbar, wenn beide, Subjekt und Objekt, im Prozess des Willens vereinigt werden. Dieser Wille ist die Produktivität des Ich, lässt das Ich über sich hinauskommen und dennoch bei sich bleiben, er ermöglicht alle bewegte Einheit. Dieser Wille, der über sich hinaus will und doch bei sich bleibt, der Alterität und Egoität ineinander schlingt, hält nicht allein das Ich des sich selbst produzierenden Bewusstseins zusammen, sondern be143 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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stimmt auch Schellings Konzept des Organismus. Ein Organismus ist ein lebendiges Ganzes, das sich seiner selbst nicht bewusst ist, sein Leben ist pulsierender Wille, der über sich hinaus gehend doch bei sich bleibt. So fasst sich der Organismus im Anders-Werden selbst immer neu. Im System des transscendentalen Idealismus konzipiert Schelling auch die Kunst nach diesem Modell: Das künstlerische Genie produziert die Kunst wie ein Naturereignis: Das Genie ist der seiner selbst unbewusste Ursprung eines organischen Produkts: des Kunstwerks. Der entscheidende Unterschied zu Fichte, den Schelling hier inszeniert, ist das Moment der Ursprünglichkeit des Willens in aller Prozessualität. Wie alle Fragen nach der Ursprünglichkeit ist auch diese theologisch. Die Theologie ist für die Frage nach dem absoluten Anfang zuständig, das zeigt der biblische Anfang (Gen 1) ebenso wie der Prolog des Johannesevangeliums. In der frühchristlichen Diskussion um das Verständnis Gottes war diese Frage als Teil der Trinitätstheologie verhandelt worden; Origenes hatte dafür plädiert, den Willen als ursprünglich zu beschreiben. Die Begründung war die folgende: Der Vater muss sich auf sein Anderes beziehen, damit er es als seinen Sohn erkennen kann. 3 Das Erkennen setzt das Beziehen – die göttliche Liebe – voraus; und dann erweist sich diese Liebe als das Band des Heiligen Geistes, der alle Verschiedenheit vereinigt.
2. Die Freiheitsschrift und die Tragödie der Transzendentalphilosophie: Vollendete Sündhaftigkeit. Die Verschärfung der Transzendentalphilosophie vollzog sich im Schritt vom »Ich denke, das alle meine Vorstellungen muss begleiten können« (vgl. KrV, B 131 f.), zum weltkonstituierenden transzendentalen Ich, das sich im spekulativen Satz selbst setzt und begreift. Urteilen ist eine Tätigkeit des transzendentalen Ich, das diese Selbstsetzung voraussetzt. Erkenntnis ist in dem Verständnis Bemächtigung, 3 Origenes, Peri Archon, I 2, 6: »Quae imago etiam naturae ac substantiae patris et filii continet unitatem. Si enim ›omnia quae facit pater, haec et filius facit similiter‹, in eo quod omnia ita facit filius sicut pater, imago patris deformatur in filio, qui utique natus ex eo est velut quaedam voluntas eius ex mente procedens. Et ideo ego arbitror quod sufficere debeat voluntas patris ad subsistendum hoc, quod vult pater. Volens enim non alia via utitur, nisi quae consilio voluntatis profertur. Ita ergo et filii ab eo subsistentia generatur« (Origenes 1976, 132–134).
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dass das Ich über sich selbst hinausgeht, auf seinen Gegenstand ausgreift und ihn zu seinem macht. Der Gegenstand ist wehrlos, denn er hat kein Ich und keinen Willen, der sich verweigern könnte: Das Objekt kann gar nicht anders, als sich – mindestens, soweit es ergriffen werden kann, als Objekt dem Erkennen preiszugeben. Das hatte Schelling schon in seiner Jugendschrift Vom Ich als Princip der Philosophie (1795) deutlich gemacht. Als er im Jahre 1809 die Freiheitsschrift veröffentlichte, geschah das im Rahmen einer Ausgabe seiner philosophischen Schriften, die auch Vom Ich als Princip der Philosophie neu abdruckte: Es sollte klar werden, dass Schelling hier sowohl von der fichteschen als auch von seiner eigenen Transzendentalphilosophie abrückte. Er stellte nämlich fest, dass ein Urteil, das das Ich fällt, es zum Richter und Herrscher über sein Objekt machte. Es handelt sich beim erkennenden Urteil um ein ErkenntnisZwangsverhältnis. Jedes Urteilen kann nur als Akt des Ich begriffen werden; und alles Wissen ist von der Struktur des Urteils: Etwas wird von etwas ausgesagt. Sofern Urteil als Zuordnung begriffen wird, wird von einem Etwas etwas ausgesagt; im Bezug auf die Erfahrung bedeutet das, dass von einem individuellen Gegenstand, der eigentlich ineffabel ist, eine allgemeine Aussage gemacht wird. Das Individuum wird gnadenlos als etwas klassifiziert. In diesem Urteil – und darin besteht die Ermächtigung – wird das Individuum als Individuum konstituiert, indem es als Individuum einer Gattung erkannt wird. Die Situation aller Erkenntnis ist von einer elementaren Paradoxie: Erst seine Erkenntnis als Gattungswesen macht das Individuum zu einem logischen Individuum, zu einer Einzelheit. Das allgemeine Prädikat macht das Subjekt logisch zu dem, was es ist, nämlich zum Individuum. Das Urteil setzt das Individuum als Realität. Das ist die Konstitution des Einzelnen dadurch, dass das »da« als Individuum gesetzt wird; und dieses Individuum ist das, von dem ausgesagt wird, welches »was« es ist. Diese Klassifikation ist solange unschuldig, als sie nicht als Akt des beherrschenden Urteilens, sondern nur als dialektische oder paradoxe Struktur begriffen wird, indem das Individuelle durch sein Gegenteil, das Allgemeine, bestimmt wird. Das ist nicht anders möglich, denn jede Bestimmung ist Differenz. Sobald diese Struktur aber als Akt des Ich, das beurteilt, begriffen wird, sobald also das Urteil als klassifizierende Handlung des Ich begriffen wird, macht sich das urteilende Ich zum Herrn des Individuums, das es prädiziert, und glaubt, in seiner Prädikation setze es das Individuum. Das ist, theologisch gesprochen, 145 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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der Sündenfall der Transzendentalphilosophie: Denn hier macht sich das Ich zu dem, was die Realität zu setzen beansprucht; aber der Herr der Realität ist allein Gott, der die Existenz schafft, und kein Urteil ist in der Lage, die Existenz, die es voraussetzt, zu schaffen. Freilich können wir von der Existenz der Dinge wissen; wir wissen durch Urteile, und wir machen so die Einzelheit zur Gattung; konstituieren die Einzelheit dadurch und heben sie zugleich auf. In diesem Sinne ist alle Philosophie tragisch: Wenn sie urteilt und erkennt, versündigt sie sich an der Eigenheit des Objekts, sie zwingt das Objekt, sich zu offenbaren, zu veröffentlichen. Ob diese erzwungene Offenbarung dazu führt, dass nur das erkannt wird, was die Intentionalität des Urteilenden erwartet, oder ob das Objekt sich frei mitteilt, ist in diesem propositionalen Urteil nicht auszumachen. Das gilt zumal in der Frage nach der Erkenntnis des Absoluten, an dem das transzendentale Ich in diesem Prozess teilzuhaben behauptet. Das Absolute ist schon dadurch, dass es absolut ist, in seiner Dialektik offenbar und verborgen zugleich: Ohne das Absolute gibt es keine Existenz, denn die Existenz ist selbst absolut, damit aber verbirgt sich das Absolute, weil es vor jeder Erkenntnis und für diese unerreichbar ist. Damit ist das Problem unmittelbar theologisch: Im Bezug auf die erkennende Teilhabe am Absoluten wird deutlich, dass es sich bei jedem Urteil um die Anmaßung handelt, man sei Teil dieses Absoluten, indem man die Individualität als allgemeine begreife, sie dadurch setze und verstehe. Und dann ist die Frage Mi ka El? Wer ist wie Gott? evident, die die Anmaßung impliziert, im Vollzug des Geistes mache sich der Mensch zu Gott. Das ist die Ursünde der Selbstermächtigung; und im Prozess der Philosophie verwirklicht sie sich ständig neu. Dieser Prozess ist die Falle der selbstmächtigen subjektiven Erkenntnis; das logische Urteil, das die Bedingung des Wissens ist, ist damit Ausdruck der »vollendeten Sündhaftigkeit«. Gibt es Remedur? Kann man dieser Tragödie von Erkennen und Ermächtigen entkommen? 3. Weltalter: Entfaltung des Willens, Gefühl und Zärtlichkeit: »Das Seyn wird sich nur im Werden empfindlich.« 4 Ist die Freiheitsschrift wegen dieser Einsicht in die theologisch-tragische Struktur der Erkenntnis nun das theologisch und philosophisch deduzierte Ende der Philosophie? Ist die Vernunft selbst der struktu4
Das Zitat stammt aus der Freiheitsschrift (vgl. SW VII, 403).
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Schellings und Rosenzweigs spekulative Philologie der Unverfügbarkeit
relle Sündenfall? Wie soll man reden, wenn alles propositionale Reden sündhaft ist und alle begriffliche Erkenntnis sich selbst ins Unrecht setzt? Gibt es kein Reden ohne Schuld? Verlangt die Freiheitsschrift ein Hamlet-Ende: Der Rest ist Schweigen? Es gibt ein Reden, das sich nicht bemächtigt – es ist nicht das philosophische Urteil, sondern die Anrede, die Erwartung, die Hingabe. Ist eine solche Rede absoluter Passivität möglich, damit sich in ihr nicht die Sünde und Tragödie ereigne, die Schelling in der Freiheitsschrift diagnostiziert hat? Es müsste der Versuch sein, das Sein selbst reden zu lassen, ohne dass es schon »als etwas« identifiziert würde – also das Reden ohne ergreifende Propositionalität. Das hat Schelling in den Weltaltern versucht; und die Form, in der er es tut, ist der Versuch, den Prozess des Werdens selbst empfindsam mit zu inszenieren, das Werden in einer erzählenden Philosophie zu Wort kommen zu lassen. Das ist nun ein Momentum, das sich, indem »es« nicht definiert und propositional bestimmt ist, als Ahnung im Gefühl meldet. Dieses Melden ist noch unbestimmt, es ist eine Unruhe, nicht bei sich bleiben zu wollen, die Unruhe, die sich noch nicht objektiviert hat, das, was als das Moment des Ungeschiedenen wirkt, das Unbewusste, das sich noch nicht Begriff geworden ist, das, was nicht bei sich bleiben will und sich doch noch nicht verlassen kann; es ist das, was sich regt, ohne es schon zu wissen. Schelling versucht hier, das Regen des Willens, der noch kein Objekt gefunden hat, zu beschreiben; das entspricht durchaus der origenistischen Trinitätstheologie, vor allem aber verwendet er hier die Terminologie Jacob Böhmes. Böhme beschreibt Gott als das Eine ohne innere und äußere Distinktionen, ununterscheidbar in seinem Sein und in seinem Nicht-Sein, noch vor dem Willen zur Selbsterkenntnis und noch vor jeder Schöpfung. Das, was in sich ohne »vntterscheide« ist, nennt er »vngrunt«. 5 Dieser Wille des Vaters kann erst dann, 5 In seinem Traktat Von der Gnaden wahl fasst er konzise zusammen: »Den man kan nicht von gott sagen / das Er dis oder das sey / Böse oder gutt / das Er in sich selber vntterscheide habe / den Er ist in sich selber Natur loß / So wol Affect vnd Creatur loß / Er hat keine Neigligkeit zu edwas / den es ist nicht für ihme / dar zu Er sich köntte Neigen / weder Böses noch guttes / Er ist in sich der vngrunt / ohne einichen willen / kegen der Natur vnd Creatur / als ein ewig nichts / es ist keine qual in ihme / noch edwas das sich zu ihme / oder von ihme köntte Neigen / Er ist das einige wesen / vnd ist nichts vor ihme / oder nach ihme / daran / oder darine Er ihme köntte einichen willen schepffen oder fassen / Er hat auch nichts das ihn gebühret oder gibt. Er ist das
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wenn er den Sohn als seinen gezeugt hat, vom Willen zum Erkennen kommen, weil sich zum Erkennen eine ursprüngliche Teilung, »Urteilung«, vollziehen muss, damit ein Objekt möglich ist. Um dieses Initialmoment geht es auch Schelling. Lässt sich der Status »vor« der Urteilung beschreiben? Natürlich zeigt sich hier auch das Verhältnis von ordo cognoscendi und ordo fiendi, man kann vom Willen nur dann vernünftig reden, wenn er sich irgendwohin richtet; und dieses »Wohin« ist dann schon die Intentionalität selbst, die auf ein Objekt zielt. Aber was ist, wenn man den Status »vorher« beschreiben will, den des Willens, der seine Richtung noch nicht gefunden hat, der noch ohne Herrschaft ist? Es ist die Unruhe des Anfangs, ehe etwas angefangen hat, die ungerichtete Unruhe, ein Chaos, ehe es gerichtet wird, vor aller Objektivität, Differenz und Ordnung, vor allem Ziel. Aber es ist zugleich das Chaos der Einheit, das – Scheiden tut weh, und Ur-Teilen ist Scheiden – die Einheit bleibt, an die man sich nach der Scheidung erinnert. Wenn man sich in der propositionalen Ordnung findet, erinnert sich das Gefühl an die ursprüngliche chaotische Einheit; das ist die Sehnsucht, die unauslöschlich ist, soviel man sie auch propositional zu rationalisieren versucht. Diese Erinnerungen sind keine propositionale Erkenntnis, sie sind Gefühl des Werdens, das sich empfindsam wird, das sich aber noch nicht zum Objekt geworden ist, es ist die Regung des Werdens, bevor die Urteilung sich vollzieht. Wie kann man von diesem anfänglichen Prozess reden? Indem man an das Gefühl erinnert, das sich einstellte, nachdem das Werden sich ereignet hatte, indem man an die Sprache als reinen Ausdruck und nicht als Proposition erinnert. Es ist die Rück-erinnerung an die Innerlichkeit, die sich genug war, die sich in dieser Selbstgenügsamkeit aber erst erwies, nachdem die Entäußerung stattgefunden hatte. Es ist die Vergangenheit, die als diese nur gewusst wird, indem man von ihr erzählt, die nur in der Erzählung inszeniert wird und dieser Vergegenwärtigung als vergangene unerreichbar wird. Hier wird deutlich, dass man sich der Vergangenheit gar nicht bemächtigen kann. In der Erzählung der Vergangenheit kommen Trauer, Sehnsucht, Liebe und die Erfahrung von Zeit zusammen. Trauer, Liebe und SehnNichts / vnd das alles / vnd ist ein Einiger wille / in dehme die welt vnd die gantze Creation ligt / in ihme ist alles gleiche ewig / ohne anfang / in gleichem gewichte / masse vnd ziel / Er ist weder licht noch fünsternis / weder liebe noch zorn / sondern das ewige Eine / darumb sagt Moses / der Herr ist ein Einiger Gott« (Böhme 1623, 13).
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Schellings und Rosenzweigs spekulative Philologie der Unverfügbarkeit
sucht hängen zusammen: Liebe richtet sich auf ein Anderes, das immer das Andere meiner selbst ist, es ist das Gefühl, das die Trennung voraussetzt und sich in die Einheit zurücksehnt, die aber nur unter der Bedingung der Selbstaufgabe zu haben ist; und es ist diese Be-Ziehung, das Gezogensein zueinander, das das paradoxe Moment der Selbsterhöhung in der Selbstaufgabe als Ziel der unerfüllten und unerfüllbaren Sehnsucht empfindlich macht. Die Paradoxie und Unerfüllbarkeit zeigt sich als Zeit, als die schlechthinnige Vergangenheit des Indifferenten, der unbestimmten Einheit, die durch das Ur-teilen verging. Nun, nach der Teilung, kann man sich an dieses Gefühl des ungeschiedenen Einen empfindsam noch erinnern, ohne es benennen zu können – denn im Benennen vollzieht man die Trennung, die man im Erinnern rückgängig machen will. Dieser Rückbezug zum Einen ist vor jeder Bemächtigung, es ist die Empfindung der Abhängigkeit, die Empfindung der Existenz vor jeder Prädikation. Diese Empfindung äußert sich in der Liebe, die besitzen und nicht besitzen will, die sich als Abhängigkeit weiß und immer die Einheit vergeblich erstrebt. Diese Unerreichbarkeit des Indifferenten konstituiert die Vergangenheit; eine Vergangenheit, an die man sich erinnert, die nie wiederholbar wird; und sie konstituiert die Zeit, weil die Zeit jetzt die der Erfahrung ist, die das Werden empfindlich gemacht hat. Hier liegt das Moment, das nur im Erzählen erfahrbar ist. Es ist die Erfahrung, dass es so war, dass wir uns in der Entzweiung nach Einheit sehnen, die nie wieder in absoluter Ungeschiedenheit sein kann. Die Sehnsucht nach der Aufhebung der Entzweiung macht die Hoffnung auf die Zukunft aus, die doch in der Vergangenheit liegt. Diese Zeitlichkeit ist keine abstrakte Messung der Wiederkehr des Gleichen, schon gar keine Anschauungsform, es ist die Realität der Erfahrung des Zeitlichen vor der Entstehung des begrifflich Objektiven, die Zeit, in der wir uns selbst in unserer Unerfülltheit erfahren. Die Gattung, in der diese Zeitlichkeit zur Darstellung kommt, ist die Erzählung. Nur die Erzählung kann das Vergangene als Vergangenes gegenwärtig machen, die Unwiederbringlichkeit des Geschehenen als der Gegenwart inhärent darstellen und daraus die Erwartung an das Zukünftige gewinnen. So erblüht die Hoffnung, dass sich die Zukunft vollende und an ihr Ziel, die Vereinigung des Geschiedenen gelange – und solange das nicht geschieht, ist die Zukunft eine Tragödie. Das wäre die Tragödie der Weltgeschichte ohne die Wiederkunft des Herrn. 149 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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Es lässt sich überhaupt nicht verhindern, dass dieser Prozess, wenn er denn als anfänglich und zugleich als ständiges Werden verstanden wird, zugleich theologisch und dann als Selbstreflexion Gottes begriffen wird. Es ist Schellings ausdrückliches Anliegen, die ursprüngliche Prozessualität als theologisch zu kennzeichnen. Er bedient alle Momente der spekulativen Trinitätstheologie: Der Vater erkennt sich im Sohn und der Sohn im Vater; im Geist sind beide eines. Dieser Prozess impliziert freilich auch die Aporien der Trinitätstheologie. Die Frage nach dem Verhältnis des Vaters, der ersten Person der Trinität, zum Indifferenten, ist dogmatisch heikel; denn der Vater ist nur Vater, wenn er Vater des Sohnes ist und wenn beide im Geist miteinander verbunden sind. Dann aber ist der Vater nicht mehr das Indifferente, er ist, indem sich Gott trinitarisch konstituierte, zum Vater geworden. Seine Vorgeschichte ist nun dunkel. Die Trinität hat, wenn sie sich denn erst konstituiert hat, eine Vergangenheit, die ihr modal ständig im Rücken ist. Zugleich ist mit der Bestimmung der Trinität, die sich selbst als Sein und als höchstes Gut liebend vollzieht, ihre Vergangenheit mitbestimmt: Es ist das Nicht-Sein und Nicht-Gute, das in der Selbstkonstitution Gottes zurückgelassen wird: Im Prozess der Theogonie wird auch das Nichts und das Böse erkennbar. Vor allem aber beschreibt dieser Prozess die Positivität der gegenseitigen Zugehörigkeit von Vater und Sohn, die der dritten Position der Trinität, dem Heiligen Geist, entspricht. 6 In dieser Affinität der Theogonie zur Trinitätstheologie liegt für Schelling selbst ein Problem: die späteren Fassungen der Weltalter schlittern in ein immer stärker logostheologisches Fahrwasser hinein, das die Trinität dogmatisch als logisches Selbstverhältnis des göttlichen Beginns beschreibt. Unter dieser Bedingung ist der Anschluss der Weltalter an die Freiheitsschrift nicht mehr plausibel. In der Freiheitsschrift war das logische Urteil, das Wissen allein grundlegte, als sündhafte Selbstbezüglichkeit des Subjekts verstanden worden. Wenn das menschliche Wissen sich anmaßte, die Selbstsetzung Gottes in der Logostheologie zu begreifen, dann war genau dieses die Pointe der sündhaften Subjektphilosophie. Schließlich ist die Selbsterkenntnis das zentrale Merkmal der transzendentalphilosophischen Inszenierung des Ichs, das sich selbst als denkend setzt. 6 Das Moment hat Schelling im Einzelnen in den Weltaltern nicht mehr ausgeführt, allerdings findet es sich, wenn auch durchaus etwas holzschnittartig, in den Stuttgarter Privatvorlesungen.
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II. Rosenzweigs Bekehrungsresistenz: »Also bleibe ich Jude« Rosenzweig hat sich mit Bedacht für sein Judentum entschieden; die Entscheidung fand nach gründlichen Diskussionen statt; entscheidend ist ein Gespräch, das am 7. Juli 1913 in Kassel zwischen Franz Rosenzweig, Eugen Rosenstock(-Huessy) und Rudolf Ehrenberg (Rudi) stattfand. Franz Rosenzweig hat von diesem Gespräch eindringlich in Briefen an Rudolf Ehrenberg 7 berichtet; sein dezidiertes und reflektiertes Verhältnis zum Christentum ist noch einmal ausführlich im Briefwechsel mit Eugen Rosenstock aus dem Jahr 1916 behandelt. 8 Dabei ist auffallend, dass die Kategorien der Diskussion so gut wie vollständig der christlich-theologischen Topik entstammen. Das ist deshalb wenig verwunderlich, weil Rosenzweig zur Zeit seiner Entscheidung noch wenig Kenntnis vom Judentum, zumal vom traditionellen, hatte. Rosenzweig zieht gleichwohl aus den eher christlich-theologischen Argumenten den Schluss, sich für sein Judentum als Selbstbehauptung zu entscheiden. Freilich ist auch noch die Attitude der Entscheidung eine kierkegaardsche Figur.
1. Die Eschatologie des omnia in omnibus Die religiöse Diskussion unter den Freunden war ganz von Schellings Argumenten bestimmt; entscheidend blieb die Christologie in allen Facetten. Rosenzweig kennzeichnet die christliche Position so: Christus ist der Mittler zum Vater, er bleibt »als der Herr bei seiner Kirche […] bis an der Welt Ende«; und für Christen gilt: »[E]s kommt niemand zum Vater denn durch ihn.« 9 Rosenzweigs jüdische Selbstbehauptungs-Variante steht dagegen: Es kommt niemand zum Vater – anders aber wenn einer nicht mehr zum Vater zu kommen braucht, weil er schon bei ihm ist. Und dies ist nun der Fall des Volkes Israel (nicht des einzelnen Juden). Das Volk Israel, erwählt von seinem Vater, blickt starr über Welt und Geschichte hinüber Vgl. F. Rosenzweig an R. Ehrenberg, 31. Oktober/1. November 1913, Rosenzweig 1935, 71–76; F. Rosenzweig an R. Ehrenberg, 4. November 1913, Rosenzweig 1935, 76–79. 8 Vgl. Anhang I in Rosenzweig 1935, 637–720. 9 F. Rosenzweig an R. Ehrenberg, 31. Oktober/1. November 1913, Rosenzweig 1935, 73. 7
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auf jenen letzten fernsten Punkt, wo dieser sein Vater, dieser selbe, der Eine und Einzige – ›Alles in Allem‹ ! – sein wird. An diesem Punkt, wo Christus aufhört der Herr zu sein, hört Israel auf erwählt zu sein; an diesem Tage verliert Gott den Namen, mit dem ihn allein Israel anruft; Gott ist dann nicht mehr ›sein‹ Gott. Bis zu diesem Tage aber ist es Israels Leben, diesen ewigen Tag in Bekenntnis und Handlung vorwegzunehmen, als ein lebendes Vorzeichen dieses Tages dazustehen, ein Volk von Priestern, mit dem Gesetz, durch die eigene Heiligkeit den Namen Gottes zu heiligen. 10
Das ist eine Topoi-Kombination von Kirche, Synagoge und heilsgeschichtlicher Eschatologie. Rosenzweig parallelisiert hier Kirche und Synagoge – mit den berühmten Bildern: die Synagoge mit zerbrochenem Stab und der Binde vor den Augen, die »alle ihre Kraft darauf verwenden [muss,] sich selbst am Leben […] zu erhalten«, und die Kirche mit starkem Stab, die, »weltoffenen Auges«, die »Weltarbeit« an den Heiden tun muss. 11 Beide, Kirche und Synagoge, werden zunächst mit Ex 19,5 f.; Jes 43,20 f. und dem 1 Petr 2,9 bestimmt: »Ihr aber seid ein auserwähltes Geschlecht, eine königliche Priesterschaft, ein heiliger Stamm, ein Volk, das sein besonderes Eigentum wurde, damit ihr die großen Taten dessen verkündet, der euch aus der Finsternis in sein wunderbares Licht gerufen hat.« 12 Den Zusatz des Petrusbriefs zu den Zitaten aus Exodus und Jesaia, »der euch aus der Finsternis in sein wunderbares Licht gerufen hat«, bezieht Rosenzweig auf die Kirche und ihre »Weltarbeit«. Beiden gemeinsam ist der Blick in die Zukunft – die Synagoge blickt starr und »verstockt« 13 in sich hinein, auf ihre Verheißung hoffend, die Kirche ist weltzugewandte heilsgeschichtliche Handlungsträgerin. Am Ende werde Gott »alles und in allem« 14 sein. Gott als »alles in allem« indiziert allerdings nicht nur einen allgemeinen jüdisch-christlichen Messianismus, sondern ist eine neutestamentliche Formel, die zugleich das Leitmotiv des eschatologischen Origenismus und seiner Lehre von der Apokatastasis Panton, der Erlösung der gesamten Welt, bildet. Dieser neutestamentliche Rahmen konturiert die Diskussion um die F. Rosenzweig an R. Ehrenberg, 31. Oktober/1. November 1913, Rosenzweig 1935, 73 f. 11 F. Rosenzweig an R. Ehrenberg, 31. Oktober/1. November 1913, Rosenzweig 1935, 74. Vgl. dazu die berühmten Statuen am Südportal des Straßburger Münsters. 12 1 Petr 2,9. 13 Vgl. F. Rosenzweig an R. Ehrenberg, 4. November 1913, Rosenzweig 1935, 78. 14 1 Kor 15,28. 10
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Rolle von Synagoge und Ekklesia auch in Rosenzweigs jüdischer Selbstbehauptung.
2. Synagoge und Ekklesia Die Typologie der weltblinden Synagoge und der weltzugewandten Ekklesia bestimmt auch noch den religionsphilosophischen Briefwechsel von 1916 mit Eugen Rosenstock-Huessy. 15 Das Thema eines Briefs von Anfang Oktober 1916 16 ist »Judenhass und Judenstolz«; 17 beides zeige sich theologisch in der »Verstocktheit« der Juden. Der Grund für den Judenstolz sei: 1. daß wir [die Juden, W. S.-B.] die Wahrheit haben, 2. daß wir am Ziel sind und 3. wird jeder beliebige Jude im Grunde seiner Seele das christliche Verhältnis zu Gott, also die Religion i. e. S., eigentlich höchst kümmerlich, armselig und umständlich finden: daß man es erst von einem, seis wer er sei, lernen müsse, Gott unsern Vater zu nennen; das ist doch, wird der Jude meinen, das Erste und Selbstverständlichste – was braucht es einen Dritten zwischen mir und meinem Vater im Himmel. 18
Das Argument Rosenzweigs ist gegen eine Vermittlungschristologie gerichtet – und es bleibt von der Christologie insofern abhängig, als der Anruf Gottes als »Vater« für spezifisch jüdisch ausgegeben wird. Aber es stellt sich angesichts der These, »daß wir am Ziel sind«, die theologisch unverzichtbare Frage nach der Erlösungsbedürftigkeit des jüdischen Volkes, die auch für Rosenzweig zentral bleibt. Aber er verschiebt das Problem einerseits auf den »starren Blick« aufs Ende, andererseits pointiert er, dass das Judentum heilsgeschichtlich autark sei. »Soll ich ›mich bekehren‹, wo ich von Geburt her ›auserwählt‹ bin?« 19 Die »Verstocktheit« hat ihren Grund in der Auserwähltheit des jüdischen Volks. »Ist es nicht mein Schiff? […] (pour faire quoi ? y vivre et y mourir)«. 20
Vgl. Anhang I in Rosenzweig 1935, 637–720. F. Rosenzweig an E. Rosenstock, Anfang Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 666– 675. 17 Vgl. F. Rosenzweig an E. Rosenstock, Anfang Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 670 f. 18 F. Rosenzweig an E. Rosenstock, Anfang Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 671. 19 F. Rosenzweig an E. Rosenstock, Anfang Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 672. 20 F. Rosenzweig an E. Rosenstock, Anfang Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 672 f. 15 16
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Welche Topoi verwendet Rosenzeig als Argumente für die Selbstbehauptung des Judentums? Das Moment der Auserwähltheit ist, mindestens im Bezug auf den je Einzelnen, ein dogmatischer Topos, der nicht nur vom jüdischen Volk in Anspruch genommen wird, sondern der vor allem die christliche Gnadentheologie seit Augustin und dann verschärft die theologische Diskussion in der Frühen Neuzeit geprägt hat. Freilich geht es im Christentum um den Einzelnen – aber den betont Rosenzweig hier auch. Die Frage nach der kollektiven Erwähltheit war gerade in den ersten Jahrzehnten des 20. Jahrhunderts Teil der öffentlichen Diskussion; 1905 war Max Webers berühmter Aufsatz über die protestantische Ethik und den Geist des Kapitalismus erschienen, 21 in der die Erwähltheit einer ganzen Denomination, nämlich der Calvinisten, thematisiert wurde. Es blieb freilich ein wichtiger Unterschied: Die jüdische Theologie der Auserwähltheit bezog sich nicht auf die göttliche Gnade, sondern auf die Tatsache des in der Thora offenbarten Gesetzes. Das Gesetz war die Gnade der Juden, das »›naiv‹ in Anspruch« genommene unveräußerliche »Recht an Gott«, dem freilich, wie Rosenzweig betont, »das ebenso ›naiv‹ aufgenommene Joch der unveräußerlichen Leiden« entspricht. 22 Im seinem Briefwechsel mit Rosenzweig konfrontiert RosenstockHuessy die These von der ursprünglichen Auserwähltheit des jüdischen Volks mit der Logostheologie. Die Fleischwerdung des Worts sei das entscheidende Moment des Christentums. Darin bestehe die eigentliche Selbstmitteilung Gottes, nicht im Besitz von diesem und jenem, und sei es auch das Gesetz. Die Behauptung, man habe etwas Göttliches als seinen Besitz, sei selbst schon menschliche Anmaßung. Rosenzweigs jüdische Selbstbehauptung, schreibt Rosenstock-Huessy (28. Oktober 1916), sei die Angst des Besitzenden, der sich um nichts als um seinen Besitz sorge. 23 Es handele sich letztlich um die Angst des Ichs, seine Stellung als konstitutiver Maßstab der Welt zu verlieren. Das ist implizit der Vorwurf, dieser Habitus sei die Sündhaftigkeit, die Schelling der Transzendentalphilosophie zugeschrieben hatte. Die Angst vor der Verrückung des naiven, Maß-seienden Ich – die betrügt den ›natürlichen‹ Geist um die Herrschaft über Raum und Zeit. Vgl. Weber 1905. F. Rosenzweig an E. Rosenstock, 7. November 1916, Rosenzweig 1935, 689. 23 Siehe E. Rosenstock an F. Rosenzweig, 28. Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 675– 680. 21 22
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Hier setzt die Logoslehre des Heilandes ein. Der Logos wird von sich selbst erlöst, vom Fluche, immer nur in sich selbst sich zu berichtigen. Er tritt in eine Verbindung mit dem Erkannten. – ›Das Wort ward Fleisch‹ – an dem Satz hängt ja wohl alles. 24
Das ist der Grund, weshalb Rosenstock-Huessy die »Dreieinigkeit«, als »rocher de bronze des Glaubens« 25 bestimmt; denn nur in seiner Selbstmitteilung sei Gott ein Gott der Menschen. Auch wenn Rosenzweig noch kontert, die Logostheologie, nach der die Welt durch denselben Logos geschaffen worden ist, der sie auch erlöst, sei »christliche Naivität, ein johanneischer Trieb, die Welt für einen mundus naturaliter christianus zu halten«, 26 so kommt er um die Frage der Selbstmitteilung Gottes nicht herum. Die Logostheologie Rosenstock-Huessys hat zwei Konsequenzen. Die erste ist theosophisch: Das Wort ist freie, ungebundene Selbstmitteilung Gottes, kein Vertrag mit einer exklusiven Gruppe, sondern Hingabe und deshalb Für-dich-Sein, nicht Für-sich-Sein. Das ist auch eine Kritik an der »Verstocktheit« des Judentums, an der Behauptung seiner auserwählten Eigenheit. Die zweite besteht in der Kritik aller Transzendentalphilosophie des Ich als dem Ausgangspunkt aller Philosophie. Diese Philosophie, die der Selbstbezogenheit des jüdischen Volks entspreche, müsse alles auf sich beziehen; sie monopolisiere das Denken als subjektiv so, wie die Juden das Gesetz als das ihre monopolisierten. Das entspricht erneut der Kritik des späten Schelling an der Emanzipationsphilosophie des Ich als »negativer« Philosophie. An dieser Logostheologie hängt sehr viel; und Franz Rosenzweig hat denn auch die gesamte logostheologische Topik im Stern der Erlösung ausgereizt. Logostheologie ist Sprachphilosophie, Selbstmitteilung Gottes an den Menschen überhaupt. Auch die Vernunft ist deshalb Gottesgabe. Rosenstock-Huessys Credo ist, »daß ich den menschlichen Geist für genau so ein bloßes Geschöpf hielt wie unsere Leiber«; 27 und hier stimmt ihm Rosenzweig zu. E. Rosenstock an F. Rosenzweig, 28. Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 679. E. Rosenstock an F. Rosenzweig, 19. November 1916, Rosenzweig 1935, 698. 26 F. Rosenzweig an E. Rosenstock, wohl September 1916, Rosenzweig 1935, 660. 27 Rosenstock-Huessy 1968, 70. Rosenstock-Huessy hat dort seine Diskussionen mit Rosenzweig so beschrieben: »Franz Rosenzweig, in dessen Elternhaus ich als Einjährig-Freiwilliger viel verkehrt hatte und der ein paar Jahre älter war als ich, studierte bei mir in Leipzig Rechtsgeschichte. Er stieß bei mir auf die eine felsenharte Tatsache, die er bis dahin den deutschen Professoren nicht geglaubt hatte, daß ich den menschlichen Geist für genau so ein 24 25
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Ist die Bekehrungsresistenz Rosenzweigs die Vermeidung der »Logien«, die sich in Logostheologie und Philosophie gleichermaßen äußern, ist es die Vermeidung der »Ontotheologie«? Ist die Vermeidung der »Logien« die Folge von Rosenzweigs Schelling-Lektüre? Die Texte, die er zur Verfügung hatte, sind das System des transscendentalen Idealismus, die Freiheitsschrift, und eine späte Fassung der Weltalter, die die zärtliche Einfühlsamkeit des ersten Entwurfs der Weltalter nicht mehr hat, sondern in die trinitarische Apologetik gerutscht ist. Hier sind zwei Momente von zentraler Bedeutung für den dezidierten Juden Rosenzweig, der zugleich Schellingianer ist: 1. Die Frage danach, ob die Trinität in der Logostheologie philosophisch unvermeidlich ist, und 2., wenn dem so ist, ob sich von Gott anders als logostheologisch, ohne Ontotheologie, reden lässt?
3. Ist die Trinität in der Theologie vermeidlich? Wenn man von der aristotelischen These ausgeht, dass Propositionalität das Wissen ausmacht, dann ist die Triadik unvermeidlich, sofern es sich in der Theologie um Wissen handeln soll. Aber soll es das? Schelling geht in seiner Triadik noch weiter – und Rosenzweig kennt diese Thematik: Für Schelling ist nicht nur die Frage nach dem Wissen trinitarisch, sondern die Struktur des Lebens schlechterdings. Er bloßes Geschöpf hielt wie unsere Leiber. Er hielt alle sogenannten Christen für bloße Griechen und las das Wort des Neuen Testaments ›Gott ist Geist‹ mit wahrem Abscheu, weil er sah, wie die Akademiker aus diesem Satz die Platonische Ketzerei: Mein Geist ist Gott, unser Geist ist Gott, unsere Ideale sind Gott, usw. usw. gemacht hatten. Wenn es aber auch nur einen deutschen Universitätslehrer gab, der das Beten für ebenso unmittelbar, nein, für viel unmittelbarer und wahrer ansah als das bißchen Kathederdenken, der einem Geheiß mehr Kraft und Sinn zuschrieb als einem Begriff, dann gab es also in der Tat einen Sieg über das Griechentum mit dem Kommen Christi. Dann gab es also nicht nur Christentum als Kampf gegen das Judentum, sondern auch gegen die akademisch-platonische Welt bloßen Denkens. Dann mußte es aber für ihn, den Juden Rosenzweig, und mich, den Christen, eine gemeinsame Sprache geben und womöglich eine gemeinsame Geschichte. Dies warf ihn in ein neues Amt, das erst künftig Juden und Deutschen ganz aufgehen wird. Er hielt seinen Stern der Erlösung, der ihn berühmt gemacht, immer für eine Erscheinung der deutschen Geschichte; und es ließ ihn eine neue gemeinsame Ordnung seiner und meiner Rede von mir annehmen, die neue Grammatik der Seelen, die zwar Verschiedenes zu sagen haben, aber deren Duette und Trios und Quartette und Symphonien erst den ganzen Gehalt der Wahrheit zusammen konzertieren« (Rosenstock-Huessy, 70 f.).
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hat diesen Gedanken, den er aus Origenes kannte, seit seiner Konzeption des Organismus, die er seit dem System des transscendentalen Idealismus entwickelt und dann beibehalten hat, stets erneut dargestellt: Es ist der Wille, der sich entäußert, über sich hinausgehen und doch bei sich bleiben will, der das Leben in seiner sich selbst gleichen Bewegung bestimmt: Als Abbild des göttlichen Lebens und aus seiner Kraft lebt die Natur, und als bewusste weiß sie sich. Aber auch dieses Wissen ist nur abbildhaft in seinem notwendigen Bezug auf das Göttliche als seinen Grund. 28 Lässt sich, dum vivimus, überhaupt anders denken und leben als in dieser Triadik? Wenn die Triadik schon unvermeidlich ist, dann stellt sich für den Juden Rosenzweig die Frage, ob die Triadik notwendig als Dreifaltigkeit des einen Gottes gedacht werden muss, der sich als sein eigener erster Grund auf sich bezieht, ehe er die Welt konzipiert – das wäre die christlich-spekulative Variante – oder ob sich Gott in Natur und Geschichte selbst fasst – das ist die Alternative des Pantheismus bzw. Panlogismus, die die Anwesenheit Gottes in Natur und Geschichte erspürt. Schelling hatte diese Alternativen in der Freiheitsschrift und den Weltaltern (vor allem in den frühen Fassungen, und später in der Philosophie der Mythologie und Geschichte) durchgeprobt. Die Idee des in die Geschichte entäußerten Gottes übernahm Rosenzweig als seine Option für die weltgeschichtliche Rolle des Judentums. Es braucht keinen Vermittler zu Gott, weil das jüdische Volk selbst der Adressat Gottes in der Geschichte ist, um dieses Volkes willen gibt es überhaupt Geschichte. Diese Adressierung Gottes an das jüdische Volk bestimmt die »Naivität«, dass es das Gesetz »besitze«. Das Gesetz ist die direkte Mitteilung Gottes an sein auserwähltes Volk, das jüdische Volk ist es, in dem er sich selbst erkennt, und deshalb hat jeder Jude ein direktes Verhältnis zu seinem Gott. »[D]as ist doch, Schellings Fassung der trinitarischen Theogonie: »Aber entsprechend der Sehnsucht, welche als der noch dunkle Grund die erste Regung göttlichen Daseyns ist, erzeugt sich in Gott selbst eine innere reflexive Vorstellung, durch welche, da sie keinen andern Gegenstand haben kann als Gott, Gott sich selbst in einem Ebenbilde erblickt. Diese Vorstellung ist das Erste, worin Gott, absolut betrachtet, verwirklicht ist, obgleich nur in ihm selbst, sie ist im Anfange bei Gott, und der in Gott gezeugte Gott selbst. Diese Vorstellung ist zugleich der Verstand – das Wort jener Sehnsucht, und der ewige Geist, der das Wort in sich und zugleich die unendliche Sehnsucht empfindet, von der Liebe bewogen, die er selbst ist, spricht das Wort aus, daß nun der Verstand mit der Sehnsucht zusammen freischaffender und allmächtiger Wille wird und in der anfänglich regellosen Natur als in seinem Element oder Werkzeuge bildet« (SW VII, 360 f.). 28
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wird der Jude meinen, das Erste und Selbstverständlichste – was braucht es einen Dritten zwischen mir und meinem Vater im Himmel.« 29 Das Judentum, repräsentiert durch Volk und Gesetz, ist dann selbst in der christologischen Funktion; in ihm und nur in ihm hat sich Gott unmittelbar geoffenbart. Als singulärer Adressat Gottes, der sich anders nicht geäußert hat, ist das Judentum selbst »schon am Ziel« und vollendet – es starrt auf sein Ende in der Erwartung, dass Gott sich ihm und in ihm als Messias in seiner Herrlichkeit äußerlich erweise. Das Christentum ist dagegen umständlicher: Es ist der Weg über immer neue triadisch logostheologische Vermittlungskaskaden. Anfänglich vermittelt sich Gott mit sich selbst: Das ist die Trinität. Die Schöpfung der Natur ist die nächste Vermittlung Gottes als seine Offenbarung ad extra – dieses Wort ist nicht die Thora und das Gesetz, das ja, jüdisch gesehen, vor aller Schöpfung existierte und das Judentum repräsentierte, dieses Wort ist im Christentum die erste Materialisierung des göttlichen Worts in der Schöpfung. Das biblische Wort wird nicht so sehr als göttliches Gesetz, sondern als Gesetz und seine Aufhebung im Evangelium verstanden. Denn in der eigentlichen und intensivsten Zuwendung zur Schöpfung und deren Krone, dem in seiner Freiheit gottebenbildlichen Menschen, wird Gott Fleisch und stirbt am Kreuz. Das ist die innigste Zuwendung und Vermittlung Gottes durch Jesus Christus. Gott ist in Christus nun selbst nicht nur der Ursprung der Schöpfung und ihres Lebens, sondern er ist nun auch Teil der menschlichen Geschichte. Durch die Verkündigung dieser Lehre, die Gott in seinem Sohn bezeugt hat, und durch den Dienst an diesem Gott sollen die Geschichte und die Welt von innen verbessert werden. Diese Veränderung ist die Aufgabe der Kirche, die deshalb die Institution der Heilsverwaltung bis zur Wiederkunft des Herrn ist. Die Kirche ist mithin eine Interimsinstitution der Weltlichkeit im Bezug auf das kommende Heil. Diese Deutung der Logostheologie ist der Grund für die »christliche Naivität, ein johanneischer Trieb, die Welt für einen mundus naturaliter christianus zu halten«; 30 deshalb schreibt Rosenzweig der Kirche, anders als dem Judentum, eine Rolle in der Geschichte zu. Die Mitteilung Gottes gilt in diesem Sinne für alle, die Sprache haben; diese Sprache ist
29 30
F. Rosenzweig an E. Rosenstock, Anfang Oktober 1916, Rosenzweig 1935, 671. F. Rosenzweig an E. Rosenstock, wohl September 1916, Rosenzweig 1935, 660.
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das Wort gewordene göttliche Leben; und das menschliche Bewusstsein bildet das göttliche ab. Die Kirche ist die Institution der göttlichen Selbstmitteilung für die Welt. Sie ist Selbstmitteilung Gottes, Institution seiner freien Hingabe; sie ist nicht für sich. Das schließt eine Exklusivität des Gesetzes aus.
4. Wie ohne Logos reden? Auch wenn man Schellings Argumente der Freiheitsschrift ernst nimmt, kann Reden ohne Sünde geschehen: dann nämlich, wenn man die Frage danach, dass man mit dem Reden über Gott wahr reden könne, als Anmaßung zurücknimmt. Die Redeformen, die übrigbleiben, sind das apophantische Sprechen und das Gebet; und wenn die Sprache versagt, bleibt noch der Kult, der zeigt, was man nicht sagen kann. Dieser Habitus ist die Folge der Einsicht, dass das Eine und das wirkliche Sein sich dem Reden über es entziehe, weil sich das Reden zwar auf das Sein bezieht, dieses aber außerhalb alles Redens bleibt und vom Reden nie erreicht wird: Individuum est ineffabile. Unter diesen Bedingungen ist Reden immer analog; es ist zum einen der unüberwindliche Graben zwischen dem Zeichen des Wortes und dem Bezeichneten, zum andern das Geheimnis des ineffablen Individuellen, das dennoch als Allgemeines in der Proposition aussagbar wird. Wissend, dass dieser Graben da ist, dass er nicht übersprungen werden kann, und dass man dennoch reden muss, weiß man, dass man nichts weiß, redet, als wisse man und weiß doch, dass sich das wahre Sein entzieht. Wir müssen also hoffen, dass »es« – was immer das »es« sei – sich zeige. Es muss das Sein, das nicht einmal als Göttliches prädiziert werden darf, sich selbst als das zeigen, was es sein wird. So kann man, wenn man die Offenbarung als die Eröffnung des Verborgenen begreift, nur von ihr reden, indem man ihre Worte verwendet und sich an den sprachlich unergreifbaren Ursprung hält: Das ist Schellings »Sehnsucht«. Religiös zeigt sich dieses Angewiesensein im Beten und im Kult, hermeneutisch ist es die anagogische Lesung alles prädikativ Erfassbaren, das nur ein Gleichnis dessen ist, was sich entzieht. Das Reden in der Gewissheit, dass die Propositionalität fehl geht, das Handeln als Reinszenierung des Offenbarungsvorgangs, der uns in seiner Realität überfordert, die Sehnsucht nach dem, was über die 159 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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Propositionalität hinausgeht, das sind die Momente, die Rosenzweig in der Diskussion mit Rosenstock-Huessy über Schelling, das Judentum und das Christentum entdeckte – und diese Topoi hat er im Stern der Erlösung verarbeitet.
III. Der Stern der Erlösung als Grammatik apophantischen Redens 1. Reden angesichts des Unnennbaren Rosenzweig war seit seiner Edition des Ältesten Systemprogramms des deutschen Idealismus in besonderer Weise mit Schelling vertraut, denn er hatte dieses Fragment, das derzeit allgemein als ein Text Hegels angesehen wird, Schelling zugesprochen. Im Systemprogramm werde die Forderung nach einer neuen Mythologie erhoben und Schelling argumentiere in seinem System des transscendentalen Idealismus ähnlich. 31 Rosenzweig war mit dem Konzept des ursprünglichen Willens, der sich als lebendiger Organismus selbst konstituierte und als dieser Prozess der Erkenntnis vorgelagert war, bestens vertraut. Gemeinsam mit Rosenstock-Huessy und den Brüdern Ehrenberg hatte er sowohl die Freiheitsschrift als auch die Weltalter durchgearbeitet. Zumal das Konzept des »dunklen Grundes der Gottheit«, mit dem Schelling den ständigen Beginn der Selbstrealisierung Gottes beschrieb,32 war in der Diskussion wichtig geworden. Dieser »dunkle Grund« war ein Begriff, der die negative Theologie, den Liber de Causis 33 und das kabbalistische En Sof allegierte. Die Weltalter, schrieb Rosenzweig 1918 an Hans Ehrenberg, »sind ein großes Buch bis zu Ende. Wenn sie fertig geworden wären, so verdiente der Stern, außerhalb der Juden, nicht, daß ein Hahn nach ihm krähte.« 34 Als er den Stern konzipierte – bekanntermaßen hat er seine Notizen auf Vgl. Rosenzweig 1914, bes. 253 f. Vgl. AA I,9,1, 329. Rosenzweig 1917, 360; vgl. oben, Anm. 28. Vgl. auch die Freiheitsschrift: Die »Geburt des Lichtes« hat »das finstere Princip als Grund« (SW VII, 377). 33 Liber de Causis, § 5: »Die erste Ursache ist erhaben über jede Bezeichnung, und zwar ist die Zunge unfähig, sie zu bezeichnen, weil sie ihr Sein nicht zu bezeichnen vermag, insofern dieses über einer jeden Ursache steht; sie kann nur nach den zweiten Ursachen bezeichnet werden, welche von dem Lichte der ersten Ursache beleuchtet werden« (Bardenhewer 1882, 69). 34 F. Rosenzweig an H. Ehrenberg, 31. März 1921, Rosenzweig 1935, 399. 31 32
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Feldpostkarten vom Balkan nach Kassel geschickt 35 – stützte sich Rosenzweig auf eine späte Fassung von Schellings Weltaltern, die Ludwig Kuhlenbeck nach der posthumen Werkausgabe ediert hatte. 36 Diese Fassung unterschied sich von der frühen Fassung der Weltalter, die Schelling 1811 in den Druck geben wollte und dann zurückgezogen hat, erheblich. Die spätere Version, die Rosenzweig in Händen hatte, identifizierte den Grund der Welt umstandslos mit Gott, ließ also die Frage nach der Unmöglichkeit der Benennung des ersten Grundes, die Schelling in der Freiheitsschrift unter dem Stichwort »Ungrund« und »Indifferenz« behandelt hatte (SW VII, 406–408), undiskutiert. Dadurch wurde das Verhältnis Gottes zur Sprache und zur Schöpfung erheblich thetischer und dogmatischer, als das in der frühen Fassung der Weltalter und in der Freiheitsschrift der Fall war – zusammen mit der Philosophie der Mythologie und der Philosophie der Offenbarung wurde in den späteren Weltalter-Fassungen ein theosophischer Kontrapunkt gegen die Transzendentalphilosophie konzipiert. 37 Die radikale Frage der Freiheitsschrift, wie denn menschliches Reden übers Göttliche überhaupt möglich sei, ohne dass sie sündhaft würde, wurde auf die Dichotomie von positiver und negativer Philosophie vergröbert. Denn dass die positive Philosophie überhaupt eine sei, die propositional formuliert werden könnte, stand nicht mehr zur Disposition. Das Verhältnis von Gott und Mensch erschien eher in einem pantheistischen Zusammenhang. 38 Die vielfältige Entäußerung Gottes, seine Verräumlichung und Verzeitlichung, schien am trinitarischen Selbstverständigungsprozess Eine andere Verschickung war schon wegen der Postzensur im Krieg unmöglich. Vgl. Del Prete 2009. 37 Während die Vorrede mit der Fassung von 1811 übereinstimmt, ist das bei Kuhlenbeck abgedruckte »Erste Buch« »Die Vergangenheit« klar theistisch formuliert: »Das ewige Leben der Gottheit als Ganzes oder die Konstruktion der Gesamtidee Gottes.« (Schelling 1913, 27 / SW VIII, 197) Im »Wollen überhaupt liegt auch allein die Kraft eines Anfangs« (Schelling 1913, 51 / SW VIII, 224); und dieser Anfang wird trinitätstheologisch als »Trias von Prinzipien in dem Notwendigen oder der Natur Gottes« (Schelling 1913, 41 / SW VIII, 197) gefasst, nämlich als »das verneinende Prinzip, das bejahende und wieder die Einheit beider, jedes von diesen dreien soll sein als ein eigenes von dem anderen geschiedenes Prinzip.« (Schelling 1913, 41 / SW VIII, 217) Dieses Prinzip wird als Grund der Natur zum »schlagende[n] Herz der Gottheit, das in nie aufhörender Systole und Diastole Ruhe sucht und nicht findet« (Schelling 1913, 190 / SW VIII, 320: »Konstruktion des Weltalls« (SW VIII, 341)). 38 Das ist im Übrigen der Grund, weshalb der Bruno-Übersetzer Kuhlenbeck die Weltalter edierte. Vgl. Schelling 1913, 236 Anm. 33. 35 36
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des Göttlichen teilzuhaben. 39 Die Frage danach, ob das Begreifen dieses Prozesses des Göttlichen nicht selbst Inbesitznahme durch das philosophierende Subjekt war, stand nicht mehr zur Debatte. – Damit war die Tragik der Propositionalität, die die Freiheitsschrift exponiert hatte, aber nicht aufgehoben. Rosenzweig musste sich so in einer schwankenden Situation sehen: Nach seiner Interpretation der Freiheitsschrift und der Weltalter war die Offenbarung die Verhältnisbestimmung von Gott, Mensch und Welt. Zugleich aber war dieses Verhältnis als Prozess der Offenbarung bedacht – und dieser Prozess bestand wesentlich darin, dass Gott die Welt und den Menschen in ihre Existenz »gerufen« hatte. Die Frage, wie der Mensch, der diesen Ruf verstand, sich zu seiner so gewordenen Existenz verhielt, war durch Kierkegaards Kritik der hegelschen Philosophie virulent geworden – eine Antwort hatte Kierkegaard aber nicht gefunden. 40 Die Antwort Rosenzweigs hieß: Gebet und Kult. 41 Die Schreibgattungen des Stern entsprechen diesen unterschiedlichen Aspekten: Wie Schelling in den Weltaltern bestimmt Rosenzweig seine Philosophie als »erzählend«, indem die Erzählung in der Lage ist, den Prozess der Entäußerung als Offenbarung darzustellen. 42 Erzählen sieht sich im Dienst dessen, was geschieht, und das Erzählen ist hier deshalb nötig, weil eine Begründung des ersten Grundes unmöglich ist und man vom Faktum der Offenbarung aus-
Schelling 1913, 197 / SW VIII, 325: »Das ist die Endabsicht, daß alles so viel möglich figürlich und in sichtbare leibliche Form gebracht werde; Leiblichkeit ist, wie die Alten sich ausgedrückt, Ziel der Wege Gottes (finis viarum Dei), der selbst auch räumlich oder an einem Ort wie zeitlich sich offenbaren will«. 40 Vgl. Rosenzweig 1921, 7 f. (Nr. 4: »Kierkegaard«). 41 Vgl. Hufnagel 1994. 42 F. Rosenzweig an E. Rosenstock, 1916, Rosenzweig 1935, 711: »Meine Unsicherheit über die Methode meines Denkens besteht darin: ich weiß nicht, wo das ›Denken‹ anfangen (bzw. auch aufhören) muß und das ›Erzählen‹ aufhören bzw. anfangen. Ich habe schon manchmal gemeint, man müßte alles ›erzählen‹ (vgl. Schelling in dem Reclambändchen ›Die Weltalter‹ in der Einleitung über historische Philosophie).« Dort: »Also erzählt wird seiner Natur nach alles Gewußte; aber das Gewußte ist hier kein von Anbeginn fertig daliegendes und vorhandenes, sondern ein aus dem Innern durch einen ganz eigentümlichen Prozeß immer erst entstehendes.« (Schelling 1913, 18 / SW VIII, 201). Diese Passage findet sich ähnlich auch in der Fassung von 1811, WA I, 5, dort heißt es: »Also erzählt wird seiner Natur nach alles Gewußte; aber das Gewußte ist hier kein von Anbeginn fertig daliegendes und vorhandenes, sondern ein aus dem Innern immer erst entstehendes.« 39
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gehen muss, damit der Grund durch die Folge fassbar wird. Diese in der Erzählung dargestellte Prozessualität ist die Erfahrung der Existenz. Zugleich ist mit dieser Erzählung der Entäußerung des ersten Grundes das Faktum der ursprünglichen Freiheit bestimmt; denn das, was schlechterdings ohne Grund geschieht, ist im radikalsten Sinne frei. Diese Freiheit ist eben nicht die Freiheit der transzendentalen Subjektivität, sondern es ist die Freiheit der Transzendenz. Diese transzendente Freiheit lässt die Schöpfung als Wunder erscheinen. Das Wunder der Schöpfung besteht darin, dass sie überhaupt da ist; und wenn Gott als ihr erster Grund angegeben ist, als die Freiheit, aus sich selbst zu handeln, dann ist das bereits ein Prädikat Gottes, das zu geben die menschliche Vernunft nicht befugt ist. Sie kann es nur daraus schließen, dass sie selbst da ist und dass sie sich diesem Grund zugehörig fühlt. Denn sie ist sich bewusst, dass sie selbst dieser Erste Grund nicht ist, der sich doch im Gefühl und im Bewusstsein der Kontingenz anzeigt. Das Prädikat Gottes als Erster Grund macht die Sehnsucht des kontingenten Wesens nach seinem Grund verständlich, dem es sich zugleich entziehen muss, damit es mit sich identisch wird. Diese Freiheit ist der letzte Grund der Folge; ohne die Freiheit des Schöpfers gibt es kein Geschöpf; es tendiert die Freiheit von ihrem Ursprung weg zur Eigenständigkeit der Geschöpfe – und sie ist doch immer mit der Sehnsucht nach diesem Ursprung verbunden, denn noch die Einheit des Geschöpfs ahmt die Einheit des Ursprungs nach. Das zeigt sich auch in den Redeformen: So gibt es neben der Gattung der Erzählung, in der die Trennung und das Nacheinander in Sätze gefasst wird, die Tendenz der Sehnsucht zur Wiedervereinigung, das zeigt sich in der Einheit jeder Proposition und der Einheit jeder Erzählung. Es ist ein anagogischer Trend, der sich in seiner theologischen Dimension in Anrufen, Gebeten, in Beschwörungen und Kulten der Verbundenheit zeigt. In dieser Bewegung west das Leben des Göttlichen in der Welt.
2. Der Aufbau des Stern Vor dem Hintergrund dieser schellingschen Erwägungen zur Unsagbarkeit wird Rosenzweigs Konzeption des Sterns der Erlösung verständlich. Das erste Buch »Die Elemente der immerwährenden Welt« behandelt den zwar prädikatslosen Gott, der etwas leichtsinnig mit dem 163 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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»dunklen Grund« identifiziert wird, 43 aber dieser Gott wird doch als der Grund der Schöpfung der Welt und seines geschaffenen Ebenbildes, des Menschen, identifiziert. Das ist mehr, als nach den Erwägungen der Schwierigkeiten, Gott zu prädizieren, zu erwarten gewesen wäre. Es handelt sich, historisch gesehen, um den Ternar der metaphysica specialis, wie ihn Christian Wolff kanonisch gefasst hatte: Gott, Mensch, Welt. Als Kenner des idealistischen Denkens ist sich Rosenzweig natürlich darüber im Klaren, dass eine solche Rede nicht möglich ist, ohne die Frage danach zu stellen, warum diese Begriffe das Ganze, das All, fassen sollten, das er zum Thema der Einleitung dieses ersten Buchs macht. Seine Antwort ist hier durchaus konventionell; das Sein Gottes, die Existenz der Schöpfung und des Menschen sind der universale Prozess, der das Sein ontologisch und geschichtlich zusammenhält. Zur Erklärung weitet Rosenzweig die Meta-Begrifflichkeit von »Meta-Physik« aus. Gegenstand der »Metaphysik« ist »Gott und sein Sein«. 44 Dabei ist die Frage, wie ursprünglich »Sein« ist und was es bei Gott heißt, ursprünglich zu sein, ein wesentlicher Teil der Argumentation. Gegenstand der »Metalogik« ist die Welt als All, sowohl als kontingente Existenz als auch als Wille. 45 Die »Metalogik« hat einen antiidealistischen Drall: Sie setzt die Existenz der Welt voraus, deren Dinge prädiziert werden können: »Die Welt und ihr Sinn oder Metalogik« kehrt die Auflösung der Welt in den Begriff um, die Hegel in der Logik, der Natur- und Geschichtsphilosophie vollzogen hatte. Die existierende Welt, deren Existenz das Wunder ist, wird prädiziert; und in dieser Prädikation liegt ihr Sinn. Es ist gewissermaßen logischer Aristotelismus als Existenzphilosophie. Gegenstand der »Metaethik« ist der Mensch; 46 auch hier ist die Existenz die Bedingung jeder Bindung: »[J]ede Ethik münRosenzweig 1917, 360: »So wie es einen Gott ›gibt‹ vor aller Beziehung, sowohl der auf die Welt wie der auf sich selbst, und erst dieses Sein Gottes, das ganz unhypothetische, ist der Keimpunkt der Wirklichkeit Gottes, das was Schelling, an den (und an Hans [Ehrenberg]) du natürlich fortwährend gedacht haben mußt, den ›dunklen Grund‹ usw. nennt, eine Verinnerung Gottes, die nicht bloß seiner Selbstentäußerung, sondern sogar seinem Selbst vorhergeht (wie es, soviel ich weiß, die Lurjanische Kabbala lehrt; ich erzählte dir mal davon)«. 44 Vgl. Rosenzweig 1921, 16–21 (Nr. 12 u. 13). »Gott muß Dasein haben vor aller Identität von Sein und Denken« (Rosenzweig 1921, 19). »Es ist die Schellingsche Spätphilosophie, in deren Bahn wir uns mit solchen Betrachtungen bewegen« (Rosenzweig 1921, 19 f.). 45 Vgl. Rosenzweig 1921, 12–16 (Nr. 10 u. 11). 46 Vgl. Rosenzweig 1921, 10–12 (Nr. 8 u. 9). 43
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dete schließlich wieder in eine Lehre von der Gemeinschaft als einem Stück Sein.« 47 Erst im zweiten Teil wird dieser als existierend vorausgesetzte Meta-Ternar in Bewegung gesetzt: »Die Bahn oder die allzeiterneuernde Welt«. 48 Es handelt sich hier durchaus um Logos-Theologie, aber auch diese wird existentialistisch emphatisiert. Diese Emphase ist auch der Versuch, die propositionale Inbesitznahme des Objekts zu vermeiden. Denn das wirkende Wort, das Schöpfungswort, das in die Existenz ruft, ist dem Menschen unverfügbar. Die metaphysische Erzfrage überhaupt »Cur potius aliquid quam nihil« wird nicht zum Grund propositionaler Erwägungen, sondern existentialistisch zum Anlass des Erstaunens – zugleich eine neue Version vom Anfang der Philosophie. Das ist die »Möglichkeit, das Wunder zu erleben«; 49 und das Wunder ist die Existenz schlechthin. Die Sprache Gottes, die diese Welt ins Sein rief, ist hier nicht als vereinnahmende Präkonzeption der Welt im Schöpfungslogos gefasst. Das Wissen um den Schöpfungslogos kommt den Menschen nicht zu; und schon gar nicht ist die vehementia essendi, die das präkonzipierte Sein in die äußere individuierende Existenz ruft, den Menschen zugänglich. Die Propositionalität, die sich sündhaft anheischig macht, das göttliche Schöpfungswerk begreifend nachzuäffen, ist vermieden. Dieses Stück erfüllt die Ansprüche an die Rede über das Unsagbare, die Schelling in der Freiheitsschrift angemahnt hatte. Die Kommunikation zwischen Gott und seiner ins Werk gesetzten Offenbarung kann nur staunend akzeptiert werden. Die Kommunikation vollzieht sich in den Urworten »ja«, »nein«, »und«. »Ja« bedeutet die Attitude, die Intention, das Gegebene zu akzeptieren; »Nein« indiziert die Kenntnis, dass ohne Negation kein distinktes Dasein möglich ist. »Und« weist auf das Faktum der Kommunikation hin, das das »Ja« und das »Nein« verbinden muss in der Hoffnung, dass sich eine Einheit beider ergebe – allemal ist es nicht mehr als die intentionale Gebärde, die Rosenzweig aufzuzeigen versucht. Zwar werden die Glieder eines logischen Urteils intendiert, aber es ist damit kein Anspruch auf die Vereinnahmung des Prädikats im Subjekt oder des Subjekts im Prädikat verbunden. »Ja« ist der Anruf Gottes an seine Schöpfung. Das »Ja« ist auch die freudige Akzeptanz 47 48 49
Rosenzweig 1921, 11 (Nr. 9). Rosenzweig 1921, 101. Rosenzweig 1921, 103.
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des je Eigenen und Andern als Liebe – mit der Tendenz zur Selbsthingabe. Das »Nein« ist die Möglichkeit, Ich zu bleiben, durchaus verstanden als irreduzibles Moment der Freiheit in jeder Kommunikation; 50 das »Und« ist die Ermöglichung der Kommunikation. »Und« ist logisch die Bedingung von Sinn überhaupt, das »Und« macht ein Urteil möglich, indem es zwei Begriffe sinnvoll miteinander verbindet. Theologisch ist es die Ermöglichung der Kommunikation zwischen Gott und Mensch. Das »Und« indiziert damit die einzige Möglichkeit, der Existenz Sinn zu geben. Dieses »Und« ermöglicht deshalb die anagogische Gebärde des Kults; die verehrende Rückwendung des Geschaffenen zum Göttlichen. Der dritte Teil zeigt »Die Bahn oder die allzeiterneuernde Welt«, die das »Und« als Verheißung begreift. Diese Verheißung ist nicht als begriffliche Vorweg-Verfügung gemeint, nicht als Utopie, sondern als Vorschein der Herrlichkeit Gottes im anagogischen Handeln. Dieses sich himmlisch beziehende Handeln ist der Kult. Mit der Vaterunserbitte »Dein Reich komme« wird zunächst die eschatologische Dimension eröffnet, die Judentum und Christentum teilen. Die »Möglichkeit, das Reich zu erbeten«, 51 ist keine magische Anweisung zur Beschleunigung der Weltgeschichte, sondern die Anrede ans Göttliche. Sie zeigt im jährlichen Rhythmus der Feste bei Juden und Christen, in heiligen Räumen, die auf das Himmlische verweisen, in der Musik in Kirche und Synagoge die vorscheinende Anwesenheit des Göttlichen. In dieser frommen Praxis muss philosophisch nichts begriffen werden; hier wird der Fromme feiernd und handelnd ergriffen. Im Kult wird die Schechina, die Anwesenheit Gottes unter den Menschen, von der Vermittlungsfunktion Christi zum Vater ununterscheidbar.
3. Theogonie In diesen drei Teilen des Stern zeigt sich die Wirklichkeit der Offenbarung, die vor jeder Syntax liegt und diese allein ermöglicht. Es ist der Schritt vom individuierenden Nein zum vereinenden Ja, den »Ich ist stets ein laut gewordenes Nein.« (Rosenzweig 1921, 193 (Nr. 154)) Transzendentalphilosophisches »Ich« »kann nie passiv, nie Objekt sein« (Rosenzweig 1921, 193 (Nr. 155)). 51 Rosenzweig 1921, 295. 50
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Rosenzweig als kultische Gebärde begreift, zugleich die Manifestation des Gottes, der sich in der Erkenntnis, im Staunen und im Kult je neu zeigt. Dieser Prozess, in dem sich Gott als der erweist, der er ist, offenbart sein Wesen. Deshalb ist der Prozess der Verwesentlichung Gottes der zentralste Punkt des Stern. Rosenzweig beschreibt diesen Prozess, indem er zunächst zwischen Nichts und Nein unterscheidet. Sein erster Gedanke ist, dass das »Nichts [dasjenige ist, W. S.-B.], aus dem das Ja hervorquellen mußte«. 52 Damit ist der Prozess avisiert, den man als Mensch nicht anders denken kann, als dass das Göttliche ist, ehe es im Denken verneint werden kann: So ist das Ja vor dem Nein. Es gibt für Rosenzweig also folgende modale Reihe: Das Nichts ist das, woraus das Ja hervorquellen muss; und dieses kann verneint werden, indem das Denken durch die Verneinung des existierenden Ja den Prozess des Anfänglichen rekonstruiert. Man kann diesen Prozess mit dem Verhältnis des ordo fiendi und des ordo cognoscendi beschreiben: Im ordo fiendi wird das Sein aus dem Nichts; das ist der Prozess, in dem Existenz wird. Der ordo cognoscendi setzt die Gewordenheit Gottes voraus, die erst negiert werden kann, wenn sie da ist. Rosenzweig beschreibt das »Nein« auch als Moment des göttlichen Werdens dergestalt, dass das »Nein des Nichts«, die Aufhebung des Nichts durch die Anwendung seiner Nichtigkeit auf sich selbst ist; das Nichten des Nichts ist dann das Zur-Realität-Kommen Gottes. Aber diese semantische Selbstapplikation von Nichts und Nicht ist noch nicht das Ja. Gottes in Freiheit werdende Existenz ist zunächst allein die Verneinung des Nichts; das ist aber nur eine negative Figur, es ist die Figur des Willens, der will. Die Existenz des Willens ist noch nicht das Wesen: Die Verneinung des Nichts ist nur der Wille zum Wesen, nicht das Wesen selbst, das als reines Dasein und stumme Tatsächlichkeit zum Objekt des Willens wird. Der Wille beruhigt sich in dem Wesen, das er als sein Ziel setzt. Indem sich der Wille dem »träge daliegenden ›Es ist‹, ›So ist es‹ des Wesens« nähert, 53 desto mehr weiß er sich als Ziel seiner unendlichen Macht und wird im »Kraftfeld des göttlichen Wesens« absorbiert. 54 Das göttliche Wesen ist nicht mehr das unendliche Begehren, sondern das befriedete Begehren; Gesetz und Struktur. »Wie die göttliche Freiheit sich zu Willkür und Macht
52 53 54
Rosenzweig 1921, 31 (Nr. 22). Rosenzweig 1921, 33 (Nr. 24). Rosenzweig 1921, 34 (Nr. 24).
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gestaltet, so das göttliche Wesen zu Müssen und Schicksal«. 55 Das göttliche Wesen ist sein Ja. 56 Hier handelt es sich um spekulative Syntax, die zugleich logostheologischer Natur ist: Ja ist kein Satzteil, aber ebensowenig das kurzschriftliche Sigel eines Satzes, obwohl es als solches verwendet werden kann, sondern es ist der stille Begleiter aller Satzteile, die Bestätigung, das ›Sic‹, das ›Amen‹ hinter jedem Wort. Es gibt jedem Wort im Satz sein Recht auf Dasein, es stellt ihm den Sitz hin, auf dem es sich niederlassen mag, es ›setzt‹. Das erste Ja in Gott begründet in alle Unendlichkeit das göttliche Wesen. Und dies erste Ja ist ›im Anfang‹. 57
Der Prozess der Verwesentlichung Gottes zum »Ja« ist durchaus mit dem Willen vergleichbar, der über sich hinaus will und sich selbst als Ziel findet – freilich vermeidet Rosenzweig diese Formulierungen, weil sie zu nah am Selbstkonstitutionsprozess der christlichen Trinität liegen. Er erzählt den Prozess des Ursprungs als Wesenswerdung, als final beruhigtes Formen des drängenden Willens vom Nichts zum Ja. Diesen Prozess analysiert er nun als Elementargrammatik: Die beiden Positionen sind die Voraussetzung jeder Prädikation, sie müssen gegeben sein und sich voneinander unterscheiden. Aber sie sind in ihrer geschiedenen Positivität noch nicht der Prozess der Prädikation; es fehlt die Verbindung, das »Und«. Der Satz, ja schon der kleinste Satzteil – wo die Sprache isoliert, das Wort; wo sie agglutiniert, die Verbindung zweier Worte; wo sie flektiert, die Verbindung von Stamm und Flexionsendung in einem Wort – setzt Ja und Nein, So und Nichtanders voraus. Damit haben wir das dritte jener Urworte, das an Ursprünglichkeit den beiden andern nicht gleich, sondern sie beide voraussetzend, dennoch erst beiden zu lebendiger Wirklichkeit hilft: das Wort ›und‹. 58
Rosenzweig 1921, 34 (Nr. 24). Es ist vielleicht sinnvoll, in diesem Zusammenhang darauf hinzuweisen, dass der Apostel Paulus im 2. Brief an die Korinther eine ähnliche Figur benutzt, sie aber christologisch fasst: »Gott ist treu, er bürgt dafür, dass unser Wort euch gegenüber nicht Ja und Nein zugleich ist. / Denn Gottes Sohn Jesus Christus, der euch durch uns verkündigt wurde – durch mich, Silvanus und Thimotheus –, ist nicht als Ja und Nein zugleich gekommen; in ihm ist das Ja verwirklicht. Er ist das Ja zu allem, was Gott verheißen hat. Darum rufen wir durch ihn zu Gottes Lobpreis auch das Amen« (2 Kor 1,18–20). 57 Rosenzweig 1921, 29 (Nr. 20). 58 Rosenzweig 1921, 35 f. (Nr. 25). 55 56
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Dieses »Und« ist die Verbindung von Subjekt und Prädikat, es macht die identifizierende Gleichung A = A aus; es bezeichnet die »unmittelbare Lebendigkeit dieser Gestalt, die Lebendigkeit des Gottes«. 59 Mit dieser Vorstellung des Lebendigen, die den Selbstbezug als ursprünglich bestimmt, bedient Rosenzweig alle Momente einer spekulativen Trinitätsvorstellung. 60 Er weiß, was er tut, aber er schert sich nicht um die dogmatischen Implikationen; vielmehr bricht er an dieser Stelle seine immer wieder Schelling allegierende »Erzählung« ab. Was leistet diese Bestimmung der göttlichen Lebendigkeit durch »Nichts«, »Ja«, »Nicht«, »Und«? Sie erzählt die Theogonie unter Vermeidung expliziter trinitarischer Terminologie; aber sie wird die Triadik nicht los. Sie verzichtet mit Bedacht auf Schellings (und Böhmes) Terminologie von »dunkle[m] Grund«, »Ungrund« und »Abgrund der Gottheit«. 61 Dagegen lässt sie die Theogonie als Wille aus dem »Nichts« zum »Ja« geschehen. Es geht Rosenzweig offensichtlich darum, dass das Verhältnis von Ungrund/Indifferenz zum Göttlichen eine klare, einheitliche Richtung bekommt; deshalb wird »Ungrund/ dunkler Grund« durch »Nichts« ersetzt. Es bleiben in diesem Prozess vom Nichts zum Ja des göttlichen Wesens keine Unwägbarkeiten übrig. Die Unwägbarkeiten bei Schelling und Böhme waren die Frage nach dem Ursprung der Materie und des Bösen. Für Rosenzweig spielt die Frage nach der Materie keine Rolle, aber die theologisch unabdingbare Frage nach dem Bösen und seinem Verhältnis zum Göttlichen ist bei ihm verdampft. Man kann das gewiss mit Rosenzweigs Entschlossenheit und Dezision zum Judentum erklären. Aber gerade in der Geschichte des Judentums ist die Realität des Bösen evident und erklärungsbedürftig. Die spekulative Frage, ob mit Rosenzweigs Festsetzung des Verhältnisses von Nichts und Ja als dem Wesen des werdenden Gottes nicht eine bedenkliche Amputation des theologischen Potentials von Schellings Freiheitsschrift vorliegt, lässt sich nur mit »Ja« beantworten. Bei Rosenzweig ist die Frage nach Gut und Böse aus dem theologischen Bereich verbannt; und die subjektphilosophische »Metaethik« stellt die Frage nach der Theodizee nicht. Deshalb ist der Stern keine verzweifelte Philosophie, die das unerklärbare Wesen Gottes anklagt, sondern im Gegenteil ein ErbauRosenzweig 1921, 36 (Nr. 26). Das »und« entspricht dem Geist, der nach dem Nicäno-Konstantinopolitanischen Symbolum »vom Vater und vom Sohne ausgeht« (vgl. Denzinger 1952, 42 (Nr. 86)). 61 Rosenzweig 1921, 28 (Nr. 19) u. 31 (Nr. 22). 59 60
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ungsbuch. Als Erbauungsbuch, als Philosophia anagogica, wird der Stern allerdings nicht zur Ontotheologie – trotz der Orientierung des ersten Bandes am Ternar der abendländischen Metaphysik Gott, Mensch, Welt. Rosenzweig erfüllt hier die Forderung nach einer positiven Philosophie, die das Göttliche vor der menschlichen Sprachermächtigung durch Syntax und Propositionalität durch die »Urworte« Nicht, Ja, Und zur Erscheinung kommen lässt, so, wie der göttliche Name die Interjektion, den Schrei derjenigen indiziert, die das Göttliche erlebten, den Urlaut, aus dem die Sprache erst wurde. In dem späten Aufsatz »Der Ewige« hat Rosenzweig diese Idee einer UrKommunikation als die eigentliche Bedeutung des göttlichen Namens Jàh verstanden: »Er wäre also eine jener Interjektionen, einer jener Urschreie, aus denen die Sprache entstanden sein muß: Wort im Urstand der Begegnung, noch vor der Vergegenständlichung, reiner Vokativ vor aller Möglichkeit andrer Kasusse.« 62 Diese Kraft Gottes, die durch die Sprache hindurch wirkt, ist existentialisierend, sie ist das wirkende Wort, das das Wunder der Existenz der Welt schafft, es ist die Kraft, die Zeit und Räume heiligt und doch unnennbar bleibt: Deshalb sind Kult, Fest, Musik die Weisen, sich die Kraft Gottes zu vergegenwärtigen, eine Kraft zu erleben, die vor jeder Syntax liegt und deshalb Subjekt und Objekt miteinander verbindet.
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Rosenzweig 1929, 193.
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Schellings und Rosenzweigs spekulative Philologie der Unverfügbarkeit Heidegger, Martin 1936: Schellings Abhandlung Über das Wesen der menschlichen Freiheit (1809), hg. v. Hildegard Feick. Tübingen 1971. Hufnagel, Cordula 1994: Die kultische Gebärde. Kunst, Politik, Religion im Denken Franz Rosenzweigs. Freiburg (Fermenta philosophica). Hühn, Lore/Jantzen, Jörg (Hg.) 2010: Heideggers Schelling-Seminar (1927/28). Die Protokolle von Martin Heideggers Seminar zu Schellings »Freiheitsschrift« (1927/28) und die Akten des Internationalen Schelling-Tags 2006, unter Mitarbeit v. Philipp Schwab/Sebastian Schwenzfeuer. Stuttgart-Bad Cannstatt (Lektüren F. W. J. Schellings 1; Schellingiana 22). Origenes 1976: Vier Bücher von den Prinzipien, hg., übers., mit kritischen und erläuternden Anmerkungen vers. v. Herwig Görgemanns/Heinrich Karpp. Darmstadt (Texte zur Forschung 24). Rosenstock-Huessy, Eugen 1968: Ja und Nein. Autobiographische Fragmente, hg. v. Georg Müller. Heidelberg. Rosenzweig, Franz 1914: Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus. In: ders.: Kleinere Schriften. Berlin 1937, 230–277. – 1917: »›Urzelle‹ des Stern der Erlösung (Brief an Rudolf Ehrenberg vom 18. XI. 1917)«. In: ders.: Kleinere Schriften. Berlin 1937, 357–398. – 1921: Der Stern der Erlösung, mit einer Einführung v. Reinhold Mayer und einer Gedenkrede v. Gershom Scholem. Frankfurt a. M. 1988. – 1929: »›Der Ewige‹. Mendelssohn und der Gottesname«. In: ders.: Kleinere Schriften. Berlin 1937, 182–198. – 1935: Briefe, unter Mitwirkung v. Ernst Simon ausgewählt und hg. v. Edith Rosenzweig. Berlin. Schäfer, Peter 2011: Die Ursprünge der jüdischen Mystik. Berlin. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1913: Die Weltalter, hg. mit Einl. u. Anm. v. Ludwig Kuhlenbeck. Leipzig. Weber, Max 1905: »Die protestantische Ethik und der ›Geist‹ des Kapitalismus, I, II«. In: Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik. Neue Folge des Archivs für soziale Gesetzgebung und Statistik 20, 1–54 u. 21, 1–110.
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‘wäre er nicht mehr Staat’ Schelling and Rosenzweig on the State and Beyond the State Petar Bojanić (Belgrade)
Abstract The surprising thing about Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus. Ein handschriftlicher Fund, one of Rosenzweig’s most documented and carefully detailed texts, is that he almost completely ignores one of the most stunning and mysterious fragments of this brief two-page manuscript that he discovers in 1914 at the Prussian State Library in Berlin. Not only that: while discussing and justifying in detail every part of this manuscript, attempting to prove that just because it is in Hegel’s handwriting, it does not necessarily mean that Hegel is its author, Rosenzweig completely sidelines the famous, completely anarchistic, and radical fragment about the state. My question therefore is: why does Rosenzweig leave out any argument about Schelling’s understanding of the state? Or more precisely, how have Schelling’s positions on the state been incorporated into and transformed in Rosenzweig’s texts? How does Rosenzweig utilize these fragments? Why does he not at any point address Schelling’s thoughts on the state or discuss what he labels “eine revolutionäre Staatslehre” and calls Schelling’s revolutionary teachings on the matter?
The surprising thing about Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus. Ein handschriftlicher Fund, 1 one of Rosenzweig’s best supported and most carefully detailed texts, is that he almost completely ignores one of the most stunning and mysterious fragments of this brief, two-page manuscript that he discovers in 1914 at the Prussian State Library in Berlin. Not only that: while discussing and justifying in detail every part of this manuscript, attempting to prove that just because it is in Hegel’s handwriting, does not necessarily mean that Hegel is its author, Rosenzweig completely 1
Cf. Rosenzweig 1917a, 3–44. Unless otherwise indicated, all translations are mine.
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Petar Bojanić
sidelines the famous, anarchistic, and radical fragment about the state. My question then is, why does Rosenzweig leave out any argument about Schelling’s understanding of the state? Or more precisely, how have Schelling’s positions on the state been incorporated and transformed in Rosenzweig’s texts? How does Rosenzweig use these fragments? Why does he nowhere thematize Schelling’s thoughts on the state, or what he labels “eine revolutionäre Staatslehre” 2 and calls Schelling’s revolutionary teachings on the matter? Here is the famous fragment from Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus. Die Idee der Menschheit voran – will ich zeigen, daß es keine Idee vom Staat gibt, weil der Staat etwas mechanisches ist, so wenig als es eine Idee von einer Maschine gibt. / Nur was Gegenstand der Freiheit ist, heist Idee. Wir müssen also auch / über den Staat hinaus! – Denn jeder Staat muß freie Menschen als mechani- / sches Räderwerk behandeln; u. das soll er nicht; also soll er aufhören. 3
Two key portions of this fragment announce a break with the state: “Wir müssen also auch über den Staat hinaus!” (“Il nous faut dépasser l’Etat!” 4; “So we must go even beyond the State!” 5), and the last part, “und das soll er nicht; also soll er aufhören” 6 (“or cela, il ne le doit pas; donc, il doit cesser” 7) (either Hegel or Schelling underlined the last word). They seem to have been quite correctly transformed in Rosenzweig’s quasi complementary fragment, on which I draw for the title of my paper – ‘wäre er nicht mehr Staat.’ Namely, in the passage of the Stern der Erlösung that deals with peoples of the world and messianic politics, Rosenzweig eliminates the need for a future existence of the state, as long as the two most important realities through which the state manifests itself are removed: war and revolution. Here is that passage:
Rosenzweig 1917a, 8. Rosenzweig 1917a, 5 f.; cf. Rosenzweig 1917a, 19. In his own text, Rosenzweig evokes this fragment on pages 18 and 38. 4 Rosenzweig 1991, 49. This is Gérard Bensussan’s translation. 5 Harris 1972, 510. 6 Rosenzweig 1917a, 19. 7 Rosenzweig 1991, 49. Lacoue-Labarthe’s and Nancy’s is a freer translation: “et c’est ce qu’il ne doit pas; il faut donc qu’il disparaisse” (Lacoue-Labarthe/Nancy 1978, 53). 2 3
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‘wäre er nicht mehr Staat’
So ist Krieg und Revolution die einzige Wirklichkeit, die der Staat kennt, und in einem Augenblick, wo weder das eine noch das andre statthätte – und sei es auch nur in Gestalt eines Gedankens an Krieg oder Revolution –, wäre er nicht mehr Staat. 8
Schelling’s imperative that the state does not correspond to the Idea, that there can be no Idea of the state, meaning that the state as man’s creation (Menschenwerk) can be replaced by something else, and Schelling’s imperative and cautious optimism for a potential alternate human creation (today we would say that Schelling announces a new form of institutionalism 9), is exchanged for a completely different strategy at the conclusion of Rosenzweig’s book. The state is reduced to only two forms (as well as two thought forms – an especially important addition by Rosenzweig), and the state does not exist or would not exist if what de facto confirmed its existence no longer existed: war and revolution. In order to defend the complementarity of these two strategies or these two kinds of argumentation for the abolishment of the state, and for Rosenzweig’s project to truly be part of the project or task developed by Schelling with his two friends in 1796, it is necessary to call into question the nature of reading and reception of a text or philosophical idea (or project, imperative, task). If Rosenzweig privileges Schelling over Hegel at the time when writing his book on Hegel and the state (whereas in his later letters and texts, Schelling and the imaginary project of Schellingianum 10 are no longer even mentioned), why then does Rosenzweig give up on or delay the thematization of the difference between the two theories of the state, of which, he says so himself, he is well aware? What are the ‘revolutionary teachings on the state’ (‘eine revolutionäre StaatsRosenzweig 1921, 370. “Therefore war and revolution are the only reality that the State knows, and in every moment where neither one nor the other would take place – and be it only in shape of a thought of war or revolution – it would no longer be State” (Rosenzweig 2005, 353). 9 Cf. Chapter “Institution und Revolution,” in Rosenzweig 1921, 268 f. 10 “Ich bin ja Antihegelianer (und Antifichteaner); meine Schutzheiligen unter den Vier sind Kant und – vor allem – Schelling. Daß grade ich das Schellingianum gefunden habe, ist ein ganz merkwürdiger Zufall” (F. Rosenzweig to A. Rosenzweig, April 15th, 1918, Rosenzweig 1979, 538). Cf. F. Rosenzweig to G. Rosenzweig and A. Rosenzweig, August 31th, 1917, Rosenzweig 1979, 433; F. Rosenzweig to M. RosenstockHuessy, November 15th, 1918, Rosenzweig 2002, 189. In a letter to Margit Rosenstock-Huessy of 26 March 1921 Rosenzweig mentions that he has to work on Schelling’s texts (cf. F. Rosenzweig to M. Rosenstock-Huessy, March 26th, 1921, Rosenzweig 2002, 742). 8
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lehre’) and in what way does Schelling, and later Rosenzweig, affirm these teachings in his texts? Finally, does the basic difficulty for Rosenzweig in thematizing Schelling lie in the existence of several different theories of the state by Schelling, or in several different Schellings? In a passage of Hegel und der Staat, in which he speaks of the affirmation of the spirituality of the state in Hegel, Rosenzweig implicitly points out that there is more than one Schelling: Mit diesem Ja trat er dann freilich in Reih und Glied der idealistischen Bewegung seit Kant; keiner mehr von diesen seinen unmittelbaren Vorgängern, den einzigen Schelling im Systemprogramm vom Frühjahr 1796 ausgenommen, hatte den Staat völlig und grundsätzlich entgeistigen wollen. 11
There are a few possibilities, which probably do not need to be elaborated in too much detail – firstly, Schellingianum was abandoned as a project, just as Rosenzweig never finished his big book on war (Kriegsopera, Kriegsgrund), since his work on the Jewish books became much more important; secondly, emulating Schelling, Rosenzweig adopts a different model of philosophizing and non-philosophizing, 12 a different form of demonstration, or more precisely, he opposes, for example, the thematization of Schelling’s thoughts on the state to their incorporation into the foundation of his own thought. Leaving those aside, it would be quite prudent to consider two quite direct influences of Schelling from the Earliest System Programme of German Idealism on the young Rosenzweig. The first of the two, which de facto comes after the second, is evident in Rosenzweig’s short lecture “Der Jude im Staat” held in December of 1920 in Kassel, and which begins with a brief analysis of the relatively new word Staat, which does not exist in Hebrew, and the meaning of which cannot be exhausted even if translated into Hebrew, given its
Rosenzweig 1920a, 359. Let us here add two well known of Rosenzweig’s considerations of Schelling. The first from a letter to Margrit Rosenstock-Huessy where he speaks of Schelling’s last work Philosophie der Offenbarung: “Ich nenne es gar nicht mehr philosophisch” (F. Rosenzweig to M. Rostenstock-Huessy, November 22th, 1920, Rosenzweig 2002, 686). The second, from a letter to Rudolf Ehrenberg: “If he [Schelling, P. B.] says in the Reclam-Ages of the World that future of philosophy is to be ‘telling’ [erzählend], so this is right also for subjective (not just objective as he meant it)” (F. Rosenzweig to R. Ehrenberg, May 28th, 1917, Rosenzweig 1979, 410).
11 12
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transformation into Nationalstaat in the nineteenth century. 13 For Jews, says Rosenzweig, the state does not represent anything existential. Der Jude ist auch in seinen “klassischen” Zeiten, auch im eigenen Land, auch vor der ersten Zerstörung, nie Polismensch oder Staatssklave gewesen, wie sonst der antike Mensch. Der jüdische Staat hat als einziger unter allen ein antipolitisches Priestertum (eine staatsfreie “Kirche”), ein metapolitisches Prophetentum (einen staatsfreien Geist). Deshalb hat es sein Staat zu nichts bringen können. […] Das ist also der tiefste Grund für die Unmöglichkeit des politischen Zionismus. 14
In debates immediately following World War I, Schelling’s revolutionary theory was certainly a buttress for Rosenzweig’s anti-Zionism. The second direct influence of Schelling’s political philosophy, and above all his early reflections on the state, we find in Rosenzweig’s very complex understanding of war, laid out in his correspondence and a few of his (invaluable) geopolitical texts, written at south Balkan battlefields. Rosenzweig’s war project endeavored to do what Hegel did not – to think war, to find and give meaning to war. Not war as the essential element which constitutes a state (any state, perhaps even just one world state), but rather war as a key factor in creating peace and a world without states and borders. 15 In this sense, his project, in its foundations and intentions, is absolutely Hegelian. However, its actualization, or Rosenzweig’s search for the reasons and Rosenzweig 1920b, 553. Rosenzweig 1920b, 554. Jean-François Courtine recently translated into French the response of Schelling, the secret advisor to Maximilian II, on the sovereign’s request from 13. November 1848 to have explained the importance of the possible passing of a law that would be the “sicherste Mittel […], die Israeliten zu ruhigen Staatsbürgern zu machen” (Maximilian II. to F. W. J. Schelling, November 13th, 1848, Courtine 2010, 448n. / Ehrhardt 1989, 78). At the end of his life Schelling speaks about Jews in Prussia, Jews in a foreign state: “C’est pourquoi selon leur nature les Juifs se tiennent face aux structures ordonnées de l’Etat dans une attitude hostile ; ils sont totalement dépourvus du moindre sens pour les institutions de l’Etat germanique, parce que le principe d’une considération supérieure sur laquelle repose cet Etat, est pour eux quelque chose d’éternellement inconcevable” (Courtine 2010, 449 / Ehrhardt 1989, 80). 15 “[A] state at war has a form which would lead it outside of its borders during peacetime, without as within; a state at war has the form of a future state yet to come about during peacetime [das Werdebild eines zukünftigen Friedensstaats]” (Rosenzweig 1917b, 294). 13 14
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aims of war, introduces completely anti-Hegelian results, and definitely distances Rosenzweig from his mentor Meinecke: Thus, this war was not politically unproductive and without aim [zwecklos], as Meinecke contends. […] Meinecke’s fundamental mistake [Grundfehler] is that malgré tout he still thinks of states [Staaten], and not unions of states/federations [Staatenverbänden]. He says: unions of states make wars useless, they introduce nothing politically creative, by which Meinecke means that wars creatively influence only the single state. However, states are no longer the carriers of history, rather it is unions of states, and it is precisely on them that war, this war in fact, has a creative influence. – The truly realpolitik source of [realpolitisch berechtigte Kern] the idea of pacifism is: overcoming the national within the federal state [die Überwindung des Nationalen im Verbandsstaat]. 16
This fragment, from a letter to his parents, is only part of Rosenzweig’s impassioned and anxious reaction to Meinecke’s pacifism and a text from September 1917 “Demobilmachung der Geister.” 17 This was not simply a good opportunity for Rosenzweig to repeat his reservations towards pacifism and in detail show the limitations, as well as the militaristic (and profane) background of pacifism, nor was it simply an opportunity to accent the mistrust he felt towards the conservatism of his teacher. Rather, it was also an opportunity to explain that there was no world peace, even if states and ‘ghosts’ (intellectuals) were to completely pacify and ‘demobilize.’ It is as if Rosenzweig counted on the war not stopping, because if it were to end its main role would not be complete – the creation of a unified world space, union of peoples, the end of states, and the movement and transformation of borders. 18 As early as World War I, Rosenzweig is able to put together a combination of Schelling’s thoughts on the state from several different works. That the state is never an end in itself, but rather a means for something else – a position Schelling varies slightly in different
F. Rosenzweig to G. Rosenzweig and A. Rosenzweig, October 1st, 1917, Rosenzweig 1979, 459. His comments regarding Meinecke continue in several letters from this period. 17 Meinecke 1917, 195–200. 18 In the introduction to “Globus,” which he writes after the whole project has been completed, Rosenzweig says: “To be enclosed [Begrenzbarkeit] by borders is the nature [of the earth and of a state, P. B.], the lack of all borders [Unbegrenztheit] is its final aim” (Rosenzweig 1917c, 313). 16
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writings, 19 and one that is only implicitly present in Earliest System Programme of German Idealism. Further, and analogous to that, the idea of humanity (‘die Idee der Menschheit’), which will in various Schelling’s books be reconstructed either as the ultimate state, a organism to be found at the end of history (cf. SW V, 316), or as an ideal universal state yet to be institutionalized, or else as a future entity purged of analogies and metaphors (mechanisms, machines, organisms, bodies, or later, personhood), 20 or even as a sort of world empire, naturally, a Christian one (“Weltherrschaft” or “Weltreich”; SW XI, 544 f.). Practically speaking, a few fragments from Earliest System Programme of German Idealism announce all these possibilities. Which is why I think it is quite ambiguous and almost impossible to understand Rosenzweig’s hesitation to write about Schelling’s revolutionary teachings on the state or to explicitly justify Schelling as the author of the fragments on the state in Earliest System Programme exclusively as a consequence of Schelling’s inconsistency (the existence of multiple ‘Schellings’). On the contrary. When it comes to this fragment, even though it is very complicated to clearly separate the hands of three friends (Hegel’s, Schelling’s and Hölderlin’s) – separate them from each other and separate them from Kant and Fichte as well – Schelling’s later writings, that is, his last writings, easily confirm the strength of his original project and the importance of his youthful vision. What is it, then, that is revolutionary (new, unique) that Rosenzweig detects in these few fragments on the state? It seems that the function of this attribute by Rosenzweig is not simply to confirm Schelling as the author of Earliest System Programme of German Idealism, or show the difference between him and other possible authors of this project. The existence of Schelling’s innovation, which somehow resists thematization, could explain the nature of Rosenzweig’s action: he organizes his own theory of political messianism
Later, at the beginning of the 24th lecture of the Philosophische Einleitung in die Philosophie der Mythologie, the state is compared to “développement supérieur [die höhere Entwicklung], […] support, hypothèse, transition [Unterlage, Hypothesis, Durchgangspunkt]” (Schelling 1998, 510 / SW XI, 553). 20 At the end of the 10th lecture in Vorlesungen über die Methode des academischen Studium, Schelling says that it is not at all a question of constructing a state as such, but quite the opposite, constructing an absolute organism in the form of a state (cf. SW V, 316). 19
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or messianic action, put forth in his main book, in harmony with Schelling’s dictum or task. Let me again quote these few lines: Die Idee der Menschheit / voran – will ich zeigen, daß es keine Idee vom Staat gibt, weil der / Staat etwas mechanisches ist, so wenig als es eine Idee von einer Maschine gibt. / Nur was Gegenstand der Freiheit ist, heist Idee. Wir müssen also auch / über den Staat hinaus! – Denn jeder Staat muß freie Menschen als mechani- / sches Räderwerk behandeln; u. das soll er nicht; also soll er aufhören. 21
The organism (which is not mentioned but is present in the program 22); the relationship between the organism and the machine in analogy with the state; the relationship between the state and freedom (freedom of the individual, which is both diminished and augmented by the state); the relationship of the church and state; various forms of coercion and force; even the state as negation, as something negative – things that Rosenzweig writes about in both his doctoral thesis and in Der Stern der Erlösung – none of these is exclusively Schelling’s discovery. 23 Later, when Schelling deconstructs his own construction attempting to possibly spare the state, to rename it into something else that can have an Idea, and can be its own end (for example in his Introduction to the Philosophy of Mythology, he says: “Sie ist z. B. nicht Construktion des Staats als solchen, sondern des absoluten Organismus in der Form des Staats”; SW V, 316), we find that the resistance to the state always wins, there is an announcing of failure in this regard, and a call to cease and give up (in his System des transscendentalen Idealismus, for example, Schelling first ‘manufactures’ the rule of law out of natural order, trying to overcome the Rosenzweig 1917a, 5 f. In the chapter “Die Polis” of Der Stern der Erlösung, when making the difference between the ancient community and the modern state, Rosenzweig does not use the word organism, but rather Organisation. Cf. Rosenzweig 1921, 59 f. 23 In his book Politische Romantik, Carl Schmitt lists Schelling’s various merits in forming a new concept of the state or a new idea of the state. It seems to me that the organism unjustly dominates in his argumentation. Cf. Schmitt 1925, 156–159. Cf. the chapter “Der Organismusbegriff in den naturphilosophischen Schriften Schellings. Hinweise auf organisches Rechts- und Staatsdenken vor Schelling” in Hollerbach 1957, 140. In light of recently published seminars by Heidegger from the winter semester of 1934/35 on Hegel’s theory of the state, it would be interesting to determine Schelling’s relation between the state and organism in relation to Heidegger’s two positions on Hegel’s understanding of the organism: Hegel does not think the organism as biological, but as a system and a sentence: “Geist als Organismus ist eben der Staat” (Heidegger 1934/35, 642). 21 22
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machine and mechanism, then imagines the ideal Staatsverfassung, then the federation, only to finally reveal the impossibility of the project 24). Rosenzweig, ‘der Jude im deutschen Staat’ and German soldier, has equally dramatic hesitations. It is of great importance, for example, to pay attention to Rosenzweig’s patriotic games, the influence of war propaganda on his texts and war project, his analysis of newspaper articles and his never-ending attempts to anticipate movements on the front and in world politics, that is, to reconcile his texts with the rhythm of the war. How do we understand Rosenzweig’s utter despair and complete loss of faith in the outcome of the war (and faith in his own text), when he finds out about the resignation of Reichskanzler Bethmann-Hollweg, a moderate patriot who was, according to Rosenzweig, aware of the importance of war in shaping the world? 25 How do we understand his numerous brutal, reckless comments, his rage at the outcome of the war (“Kriegsausgang”) (“Es [das englische Volk, P. B.] ist ein barbarisches Volk”; “It is truly a misfortune that they [the English, P. B.] have won the war” 26)? “Meine Meinung ist,” writes Schelling in his lectures in Stuttgart, daß der Staat als solcher gar keine wahre und absolute Einheit finden kann, daß alle Staaten nur Versuche sind, eine solche zu finden, Versuche, organische Ganze zu werden, ohne sie je wirklich werden zu können, oder wenigstens nur mit dem Schicksal jedes organischen Wesens, zu blühen, zu reifen, endlich zu altern, zuletzt zu sterben. Was von der Idee eines Vernunftstaats, was vom Ideal eines Staats zu halten ist, hat Plato gezeigt, wenn er gleich das Wort nicht ausgesprochen. Der wahre Staat setzt einen Himmel auf Erden voraus, die wahre πολιτεία ist nur im Himmel; Freiheit und Unschuld ist die einzige Bedingung des absoluten Staats. Platos Staat setzt ganz diese zwei Elemente voraus. Aber
“Es ist also an kein sicheres Bestehen auch nur einer einzelnen, wenn schon der Idee nach vollkommenen, Staatsverfassung zu denken, ohne eine über den einzelnen Staat hinausgehende Organisation, eine Föderation aller Staaten, die sich wechselseitig unter einander ihre Verfassung garantiren, welche allgemeine wechselseitige Garantie aber wiederum nicht möglich ist, ehe erstens die Grundsätze der wahren Rechtsverfassung allgemein verbreitet sind” (AA I,9,1, 285). 25 F. Rosenzweig to G. Rosenzweig and A. Rosenzweig, July 20th, 1917, Rosenzweig 1979, 422 f. 26 This comment was penned by Rosenzweig during a visit by family members (“die Londoner”), whom he had not seen in nine years, whereby he notices a “slight change in their being [Englischkeit des Wesens]” (F. Rosenzweig to M. Rosenstock-Huessy, July 6th, 1920, Rosenzweig 2002, 621). 24
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Plato sagt nicht: einen solchen Staat, als ich hier beschreibe, führt aus, sondern: wenn es einen absolut vollkommenen Staat geben könnte, so müßte er so seyn, d. h. so setzte er Freiheit und Unschuld voraus, seht nun selber, ob ein solcher möglich ist. Die höchste Verwicklung entsteht durch die Collision der Staaten untereinander, und das höchste Phänomen der nicht gefundenen und nicht zu findenden Einheit ist der Krieg, der so nothwendig ist als der Kampf der Elemente in der Natur. Hier treten die Menschen ganz in das Verhältniß von Naturwesen gegeneinander. (SW VII, 462) 27
Let us remember that Alexander Hollerbach informs us that precisely at this place in his lecture, Schelling uttered the following words: “Daher ist ein VernunftStaat etwas unmögliches. Die wahre Republic kann nur in Gott seyn.” 28 Regardless of the fact that in the following period Schelling witnesses the incredible development of Hegel’s system and theory of the absolute state, Schelling’s consistent anti-institutionalism could still to this day bear the name given to it by Franz Rosenzweig.
Bibliography Courtine, Jean-François 2010: “La place du Judaïsme dans la ‘Philosophie de la révélation’.” In: Schelling, ed. by Jean-François Courtine. Paris, 431–455. Ehrhardt, Walter E. 1989: Schelling Leonbergensis und Maximilian II. von Bayern. Lehrstunden der Philosophie. Stuttgart-Bad Canstatt (Schellingiana 2). Harris, Henry S. 1972: Hegel’s Development: Toward the Sunlight 1770–1801. Oxford. Heidegger, Martin 1934/35: “Hegel, Rechtsphilosophie. WS 34/35. Protokolle.” In: id.: Gesamtausgabe, section IV, vol. 86: Seminare Hegel – Schelling, ed. by Peter Trawny. Frankfurt a. M. 2011, 613–655. Hollerbach, Alexander 1957: Der Rechtsgedanke bei Schelling: Quellenstudien zu seiner Rechts- und Staatsphilosophie. Frankfurt a. M. Lacoue-Labarthe, Philippe/Nancy, Jean-Luc 1978: L’absolu littéraire: Théorie de la littérature du romantisme allemand, in collaboration with Anne-Marie Lang. Paris. Meinecke, Friedrich 1917: “Demobilmachung der Geister.” In: id.: Werke, vol. 2: Politische Schriften und Reden, ed. with an introd. by Georg Kotowski. Darmstadt 1958, 195–200.
27 28
Cf. the french translation in Schelling 1980, 239. Hollerbach 1957, 190n.
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‘wäre er nicht mehr Staat’ Rosenzweig, Franz 1917a: Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus. Ein handschriftlicher Fund. In: id.: Der Mensch und sein Werk: Gesammelte Schriften, vol. 3: Zweistromland: Kleinere Schriften zu Glauben und Denken, ed. by Reinhold Mayer/Annemarie Mayer. Den Haag 1984, 3–44. – 1917b: “Cannä und Gorlice. Eine Erörterung des strategischen Raumbegriffs.” In: id.: Der Mensch und sein Werk: Gesammelte Schriften, vol. 3: Zweistromland: Kleinere Schriften zu Glauben und Denken, ed. by Reinhold Mayer/ Annemarie Mayer. Den Haag 1984, 283–295. – 1917c: “Globus. Studien zur weltgeschichtlichen Raumlehre.” In: id.: Der Mensch und sein Werk: Gesammelte Schriften, vol. 3: Zweistromland: Kleinere Schriften zu Glauben und Denken, ed. by Reinhold Mayer/Annemarie Mayer. Den Haag 1984, 313–368. – 1920a: Hegel und der Staat, ed. by Frank Lachmann, with an epilogue by Axel Honneth. Frankfurt a. M. 2010. – 1920b: “Der Jude im Staat.” In: id.: Der Mensch und sein Werk: Gesammelte Schriften, vol. 3: Zweistromland: Kleinere Schriften zu Glauben und Denken, ed. by Reinhold Mayer/Annemarie Mayer. Den Haag 1984, 553–555. – 1921: Der Stern der Erlösung, with an introd. by Reinhold Mayer and a commemorative address by Gershom Scholem. 5th ed., Frankfurt a. M. 1996. – 1979: Der Mensch und sein Werk: Gesammelte Schriften, vol. 1,1: Briefe und Tagebücher, ed. by Rachel Rosenzweig/Edith Rosenzweig-Scheinmann, in collaboration with Bernhard Casper. Den Haag. – 1991: Hegel et l’Etat, trans. by Gérard Bensussan. Paris. – 2002: Die “Gritli”-Briefe: Briefe an Margrit Rosenstock-Hussey, ed. by Inken Rühle/Reinhold Mayer. Tübingen. – 2005: The Star of Redemption, trans. by Barbara E. Galli. London/Madison, WI. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1980: Œuvres métaphysiques (1805–1821), trans. by Jean-François Courtine/Emmanuel Martineau. Paris. – 1998: Introduction à la philosophie de la mythologie, trans. by the GDR Schellingiana (CNRS), ed. by Jean-François Courtine/Jean-François Marquet. Paris. Schmitt, Carl 1925: Politische Romantik. München/Leipzig [1st ed. 1919].
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Schelling irrationaliste ? Critique de la critique lukácsienne de Schelling Alexandra Roux (Poitiers)
Abstract In a book in which Lukács reconstitutes the history of “modern irrationalism”, Die Zerstörung der Vernunft (The destruction of reason), he blames Schelling for having ventured on the precarious path of irrationalism. I suggest highlighting the most striking points of focus of this charge to see if it resists the reading of Schelling’s texts on which it rests. When the point itself is addressed, I shall show what Lukács’ criticism owes to that of Engel’s. The following grievances will be examined successively: the idea that Schelling’s thought declined from having an immanent (dialectic) understanding of reason to employing a transcendent use; his valuation of the religious intuition; his Christian dogmatism; the irrationality of his negative philosophy; the antirationalism of his positive philosophy.
Dans son livre consacré à L’anthropologie politique et religieuse de Schelling, Marc Maesschalck nous invite à « penser Schelling dans l’entre-deux dessiné par ces deux extrêmes » que sont « l’irrationalisme » et « la victoire de la rationalité sur l’enfermement dans l’absolu du sujet ou de l’objet » ; le philosophe allemand aurait, de fait, maintenu « jusqu’au bout sa méthode dialectique et son formalisme intellectuel, mais en l’accordant à la priorité du fait, en refusant à tout a priori logique de se substituer au commencement de la pensée qui demeure l’étonnement devant l’être, l’ouverture au monde, la mise à disposition de soi dans l’existence, suscitant le mouvement créateur d’auto-appropriation de soi par la raison ». 1 Cette mise au point s’adresse aussi bien aux lecteurs qui ont pu être tentés d’épingler la présence d’un irrationalisme chez le dernier Schelling qu’à ceux qui, à l’inverse, ont cru y discerner les excès dommageables du rationalisme. 1
Maesschalck 1991, 222.
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Alexandra Roux
Je me propose ici de poser la question de l’irrationalisme présumé de Schelling, sans toutefois retracer l’histoire de ce grief tel qu’il est apparu à l’époque de Schelling pour s’épanouir ensuite. Je rappellerai seulement que ce terme est le nom d’un reproche presque invariablement associé à des termes qui composent avec lui comme une constellation de noms dépréciatifs : les termes de romantisme, de mysticisme, de vitalisme, d’intuitionnisme, d’esthétisme, d’aristocratisme, d’individualisme, d’antiprogressisme et de conservatisme. Sans m’attacher à tous, j’insisterai sur certains de ces vices présumés tels que les a épinglés l’un des plus prestigieux interprètes de Schelling, qui lui a reproché de s’être aventuré sur la voie périlleuse de l’irrationalisme – il s’agit de Lukács, à qui l’on doit un livre où il retrace l’histoire de ce qu’il appelle lui-même « l’irrationalisme moderne », Die Zerstörung der Vernunft (La destruction de la raison). Mon propos sera donc essentiellement centré sur celui de Lukács, dans lequel je tâcherai de mettre en évidence les points les plus saillants de focalisation de cette accusation pour voir si elle résiste à la lecture des textes schellingiens sur lesquels elle entend s’appuyer.
1. Une fuite devant l’histoire ? Le grief en question, quand il est adressé au tout dernier Schelling, possède une dimension qui est résolument et clairement historique. C’est sensible chez Engels, puis plus tard chez Lukács quand ce dernier s’efforce de caractériser tout « irrationalisme » : les irrationalistes seraient ces philosophes qui fuient ou qui reculent de peur et d’impuissance devant des exigences théoriques inédites qui leur seraient imposées par des difficultés historiquement nouvelles. Dans le cas de Schelling et de ses contemporains, deux phénomènes convergent pour rendre inévitable la recherche théorique d’un type d’explication de la nature et de l’histoire qui ne fasse pas appel à des forces transcendantes mais qui soit « immanente » : l’intensification de la crise religieuse liée à un développement des sciences de la nature que le capitalisme, dans son développement propre, provoque et encourage ; et l’appropriation par la philosophie d’une tendance repérable dans le domaine des sciences à ne plus faire appel, pour expliquer le monde, à des forces transcendantes. 2 Et c’est alors Hegel que l’on cite en 2
Cf. Lukács 2010, 34–41 / Lukács 1974, 94–100.
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Schelling irrationaliste ?
exemple pour dévaloriser les options théoriques qui sont celles de Schelling dans ses derniers écrits : la rationalité n’est rien hors de l’histoire ni hors de la nature où elle se trouve à l’œuvre ; et prétendre le contraire, c’est décrire un mouvement complètement rétrograde, c’est vouloir revenir à un féodalisme de la connaissance que les bouleversements politiques et sociaux directement induits par la Révolution française ont rendu périmé. Comparée au dessein proprement schellingien, une telle grille de lecture historicise l’objet de la tâche qui s’impose à la philosophie, comme si un tel objet n’était pas un objet depuis toujours voulu par la philosophie, qui plus est « historique » en ce sens qu’il s’agit pour la philosophie de proposer du monde une « explication historique », ou de comprendre qu’il est « l’effet d’une libre résolution ». 3 Si l’époque a son poids à l’époque de Schelling, ce n’est pas qu’elle impose de penser autrement par son propre contenu infra-philosophique ; c’est plutôt que s’impose en elle plus qu’en nulle autre l’urgence philosophique d’honorer ce que l’être, ainsi que la raison, doivent à la liberté. L’exigence de penser autrement n’est donc pas réclamée par un complexe nouveau de conditions concrètes, il l’est par un « vouloir [Wollen] » 4 qui est la raison d’être de la philosophie en son essence pérenne, permanente, inchangée. Dans cette mesure, Schelling n’est pas matérialiste. De son point de vue, on ne peut réclamer de l’histoire qu’elle fasse venir à soi la philosophie même ou sa définition : celle-ci se trouve donnée dans son appellation, dès son apparition ; 5 il n’y a, par conséquent, aucune histoire sérieuse du sens qu’on peut donner au mot « philosophie » ; il n’y a, en fait d’histoire, que celle des tentatives pour la réaliser, en honorer le sens. J’ai ainsi commencé par mettre en évidence, non pas que la critique adressée à Schelling ne peut qu’être erronée, mais qu’elle se place d’emblée sur un autre terrain que celui sur lequel il entend se placer. De part et d’autre, le sens qu’on donne à l’historique est irréconciliable : là où Schelling repère l’œuvre d’une liberté parfaitement absolue ou inconditionnée qui pose les conditions de sa révélation, Lukács y voit plutôt l’œuvre d’une liberté toujours conditionnée. Je n’irai pas plus loin dans la mise en relief d’une pareille divergence. Je Schelling 1989, 164 / SW XIII, 139. Schelling 1991, 48 / SW XIII, 201. 5 Sur la philosophie comme « amour, effort vers la sagesse », voir les belles pages de la leçon X (Schelling 1991, 48–51 / SW XIII, 201–203). 3 4
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voudrais pour l’instant m’attacher bien plutôt à un autre argument que nous propose Lukács pour caractériser, à partir de Hegel, le phénomène moderne de l’irrationalisme : ce dernier proviendrait de ce qu’on « absolutise » les limites contre lesquelles bute la pensée humaine quand elle est confrontée à des données nouvelles, à des problèmes nouveaux.
2. Une limitation rétrograde de la raison ? S’inspirant de Hegel, Lukács explique alors que l’irrationalisme « fige » les bornes du savoir comme si ces bornes étaient fixées par le savoir issu de l’entendement : Identifier l’entendement et la connaissance de ses limites avec des limites de la connaissance en général, recourir à un ‹ au-delà de la raison › (intuition, etc.) là où il est possible et nécessaire de progresser jusqu’à une connaissance rationnelle, telles sont les caractéristiques constantes de l’irrationalisme philosophique […]. 6
Si le dernier Schelling est irrationaliste, il faut donc qu’il se soit laissé prendre à un piège que la philosophie proprement hégélienne avait pourtant déjoué – ce qui revient à dire qu’il aurait régressé par rapport à Hegel et du même coup aussi par rapport à lui-même. Lukács part en effet de l’idée que Schelling, dans ses années de jeunesse, prit une part importante – grâce à Hegel lui-même mais sans le mesurer – à l’élaboration d’une forme d’idéalisme proposant du réel, et en particulier des êtres naturels, un type d’explication atteignant la chose même, et non pas tant la chose telle qu’elle nous apparaît. 7 Son principal mérite aurait été alors d’avoir su révéler qu’il y a une dialectique interne à la nature (« dialectique objective », dialectique « de la nature » et non pas simplement du discours déployé à propos de la nature 8), et que donc la raison n’est pas régulatrice mais bien constitutive, ou qu’elle est immanente à la réalité. Dans ses derniers écrits, Schelling aurait tourné le dos à ses acquis en ne reconnaissant pas une portée objective à la rationalité ; il aurait au contraire placé tous ses espoirs dans une explication « positive » du réel, c’est-à-dire transcendante et supra-rationnelle. Pour Lukács, ce faisant, Schelling serait coupable d’avoir 6 7 8
Lukács 2010, 26 / Lukács 1974, 86. Cf. Lukács 2010, 64 sq. / Lukács 1974, 119 sq. Lukács 2010, 65, 75 / Lukács 1974, 120, 129.
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rétrogradé vers un agnosticisme du savoir rationnel sous le poids retrouvé du diktat redoutable du savoir d’entendement. Or rien n’est plus douteux, d’abord parce que Schelling, dans ses derniers écrits, ne manque pas d’épingler, à l’instar de Hegel, ce lourd présupposé, qui hante le criticisme : que là où il n’y a pas d’application possible des concepts d’entendement, on ne peut rien affirmer du point de vue théorique. Lukács manifeste donc ici une « cécité » 9 certaine qui est l’un des travers possibles de l’interprète quand il cherche à défendre pour ou contre un auteur une thèse qui lui est chère. Lukács occulte les textes où le dernier Schelling épingle la dualité du savoir d’entendement et de la pure rêverie, autrement dit déplore tout autant que Hegel que, chez Kant, la raison soit frappée d’impuissance du point de vue théorique. Ce sont pourtant des textes qui ont été retenus par le fils de Schelling dans l’édition Cotta : on lit dans les leçons munichoises de Schelling sur la pensée moderne que la critique kantienne « atteint exclusivement » l’ancienne métaphysique, qu’elle ne connaît donc pas d’autres philosophies où la raison prétend effectivement connaître que celles d’un Christian Wolff ; 10 et plus tard, à Berlin, Schelling reproche encore à Kant de ne pas envisager d’autre philosophie que la philosophie qui s’occupe des essences où la raison se garde d’atteindre les existences. 11 Ainsi, on ne voit pas que le dernier Schelling ait lui-même reconduit l’alternative kantienne, pire encore : empêché la raison de progresser pour connaître le réel tel qu’il est en lui-même (et pas seulement pour nous). Quand il caractérise en des termes généraux cet irrationalisme qu’il repère par la suite chez le dernier Schelling, Lukács suggère pourtant qu’il doit en être ainsi. La chose est confirmée quand il souligne plus loin que la pensée de Schelling se serait rabattue ou aurait régressé vers un idéalisme proprement « subjectif » dans la science rationnelle ou la philosophie proprement négative : 12 ce que le jeune Schelling avait su proposer pour comprendre la nature serait abandonné par le dernier Schelling – et ceci n’est rien moins que l’obSur les travers de l’interprétation qu’un auteur peut donner effectivement d’un autre, voir la typologie de Guy Dupuigrenet Desroussilles (« travestissement », « cécité », « construction », « soustraction-projection », « encagement-exclusion »), in : Weiller/Dupuigrenet-Desroussilles 1974, 61 : « les phénomènes de cécité : on ne voit pas les phrases qui contredisent la thèse que l’on est en train de démontrer ». 10 Cf. Schelling 1983, 101 sq. / SW X, 85 sq. 11 Cf. Schelling 1989, 105 sq. / SW XIII, 83 sq. 12 Cf. Lukács 2010, 103, 106 sq. / Lukács 1974, 152, 155 sq. 9
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jectivité d’un type d’explication parfaitement immanent de la réalité, ou l’objectivité du procès dialectique par lequel la nature comme nature naturée se trouvait expliquée. En privant la raison d’une portée objective, le système de Schelling devait donc s’engouffrer dans l’irrationalisme s’il voulait à tout prix – au prix de la raison ! – atteindre les choses elles-mêmes, c’est-à-dire le réel tel qu’il est en lui-même. 13 « C’est là », explique Lukács, depuis Schopenhauer, la ligne générale de l’irrationalisme : une théorie de la connaissance agnostique récuse toute ambition de parvenir à la connaissance de la réalité objective, ambition qui était celle du matérialisme philosophique comme de l’idéalisme objectif, et ne concède la possibilité d’accéder à cette sphère qu’à l’intuition irrationnelle […]. 14
3. L’intuition religieuse comme méthode ? L’intuition comme méthode est l’un des autres points de focalisation de cette critique en règle de l’irrationalisme tel qu’il peut s’exprimer dans la pensée moderne. En tant que sentiment, ou bien comme intuition purement intellectuelle, l’intuition non sensible constitue un symptôme et en même temps une arme de l’irrationalisme qui en fait une méthode, et même la seule méthode qui soit finalement digne de la philosophie. Déjà chez Jacobi, comme Lukács nous l’explique, cette tendance est inscrite dans l’avantage qu’il donne au « savoir immédiat » contre le savoir médiat, la discursivité, le savoir rationnel. 15 Et chez le jeune Schelling, cette intuition fameuse, purement intellectuelle, qui se trouve à l’entrée de la philosophie dite ‹ de l’Identité › constituerait déjà une première concession à l’irrationalisme, d’une part par son contenu mais peut-être surtout par le rôle décisif qui lui est reconnu. Son contenu est un « mythe », fait remarquer Lukács, celui « de l’identité du sujet et de l’objet », 16 comme si le processus pouvait être sans reste – mythe qu’on trouve chez Hegel autant que chez Schelling. Mais l’irrationalisme ne se laisse entrevoir qu’à partir du moment où l’intuition devient, comme c’est le cas chez Schelling, 13 14 15 16
Cf. Lukács 2010, 116 / Lukács 1974, 164. Lukács 2010, 107 / Lukács 1974, 156. Cf. Lukács 2010, 46 sq. / Lukács 1974, 105. Lukács 2010, 73 / Lukács 1974, 127.
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le seul moyen d’entrer dans le système lui-même comme système rationnel (celui de l’Identité) : c’est donc ex abrupto, à la faveur d’un « saut », et non dialectiquement comme c’est le cas chez Hegel, que par cette intuition le jeune Schelling aurait dépassé l’entendement, c’est-à-dire renoncé à ses catégories. 17 Je ne discuterai pas cette interprétation qui porte sur une période des écrits schellingiens bien antérieure à celle qui nous occupe ici. Ce que je voudrais plutôt soumettre à la question, c’est l’idée que Schelling comme irrationaliste finalement avéré, donc le dernier Schelling, ferait encore valoir « l’intuition » comme méthode dans sa philosophie cette fois-ci positive. Cette idée guide Lukács mais sans être justifiée. On songe évidemment à ce que Lukács lui-même rappelle un peu plus loin : à la « priorité de l’être sur la pensée » et au « renversement » par lequel la raison s’incline pour laisser place à cette priorité et donne ainsi carrière à la philosophie proprement positive. Mais pas plus qu’il ne parle explicitement d’extase pour caractériser un tel renversement, Lukács ne parle même plus d’intuition comme méthode taillée à la mesure de l’être à l’état pur qui s’impose à l’entrée de cette philosophie. Il insiste bien plutôt sur le fait que Schelling le détermine d’emblée comme étant l’être de Dieu. Cependant, l’on retrouve l’absence de médiation que Lukács reprochait déjà au jeune Schelling et à son intuition purement intellectuelle. Ainsi, une intuition, et pas n’importe laquelle puisqu’elle serait mystique, travaillerait en sourdine, pour ne pas dire « en fraude » comme Engels le notait (Lukács lui-même le cite), le coup d’envoi donné à la science positive ; 18 c’est grâce à elle que l’être, d’« abstrait » qu’il est d’abord ou d’« indéterminé », serait déterminé sans aucune médiation comme esprit parfait : « l’être précédemment évoqué, abstrait et indéterminé, se transforme insensiblement, sans la moindre justification ou méditation, en un Dieu transcendant toute raison ». 19 C’est donc sans médiation qu’il se verrait alors imposer (apposer) un contenu, un sens « théologique ». Ceci contribuerait, toujours d’après Lukács, à lester le prius d’une certaine quiddité, donc à en faire « pâlir [verblassen] » l’absolue quoddité, 20 et non à la faveur Cf. Lukács 2010, 74, 76 / Lukács 1974, 127 sq., 129 sq. Schelling aurait, selon Engels, fait pénétrer en fraude (hineinschmuggeln) dans la philosophie « la croyance en l’autorité, la mystique du sentiment, les divagations gnostiques » (Engels 2011, 53 / Engels 1842, 181). Pour la traduction de ce texte, voir la version de La destruction de la raison (Lukács 2010, 102 sq. / Lukács 1974, 152). 19 Lukács 2010, 117 / Lukács 1974, 164. 20 Ibid. / ibid. 17 18
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et donc au bénéfice de la raison elle-même, mais bien à la faveur et donc au bénéfice d’une pensée religieuse qui ne dit pas son nom. Pour illustrer ce fait, Lukács cite un passage de la Philosophie de la Révélation où l’inconditionné se trouve identifié non pas à la raison mais à « l’esprit parfait » : « si un être rationnel est ou doit être », remarque alors Schelling, « je dois présupposer cet esprit. » 21 Et Schelling de poursuivre que « c’est seulement parce qu’existe un esprit parfait qu’il y a une raison. Or cet esprit est sans fondement, il est absolument parce qu’il Est ». 22 Sans lire tout ce qui précède, on peut sans doute comprendre que la philosophie positive de Schelling « présuppose » cet esprit, ou ce Quid absolu, autant qu’elle part de l’être ou du Quod absolu ! Ce que Lukács traduit en faisant à Schelling le reproche de plaquer sur l’inconditionné purement existentiel le Dieu du christianisme. Mais c’est là de sa part une lecture bien partiale qui fait l’économie des médiations requises que la raison déploie, dans la science rationnelle, pour aller au concept de cet esprit parfait et que Schelling rappelle juste avant le passage retenu par Lukács : « C’est moyennant la pluralité des ἀρχαί [c’est-à-dire des principes tels que les pense Schelling, A. R.] que nous fut médiatisé l’accès allant de l’unité purement substantielle et abstraite de Parménide à une unité spirituelle [c’est-à-dire au concept de l’esprit parfait, A. R.] ». 23 Lukács, encore une fois, fait preuve de cécité : il prend soin de masquer ce qui, dans ce contexte, dément explicitement son interprétation. Car il n’est pas question pour Schelling d’imposer ou de surimposer à l’être imprépensable une détermination, c’est-à-dire un concept qu’il aurait emprunté à la théologie et à la religion : ce concept il le doit plutôt à la raison et à ses médiations. Et quand il y recourt ensuite pour expliquer que l’inconditionné dont il est le concept est « cause de la raison », c’est pour marquer qu’il est justement sans fondement (grundlos) et que, dans cette mesure, il nous faut pour l’atteindre comme un Dieu effectif, comme un être existant, nous plonger tout d’abord dans le Quod absolu, dans l’inconditionné purement existentiel, et de là progresser dans l’ordre des existants pour montrer à la fin, et seulement à la fin, qu’ils ont été posés par le Quid absolu et que
Schelling 1991, 97 / SW XIII, 247. Schelling 1991, 97 / SW XIII, 248 ; trad. modifiée. Cité par Lukács 2010, 117 sq. / Lukács 1974, 165. 23 Schelling 1991, 96 / SW XIII, 247. 21 22
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donc ce dernier existe en tant que tel. 24 Quoi que l’on puisse penser de cette démonstration, Schelling est en tout cas attaché à ce fait que c’est bien la raison qui met en évidence le concept des concepts, le vrai concept de Dieu, le concept de l’esprit parfait ou absolu. On est fort loin ici d’un recours prétendu à l’intuition d’un Dieu dont la religion seule aurait instruit Schelling. Lukács a sur ce point, tout comme Engels d’ailleurs, occulté aussi bien un passage où Schelling prend soin de dénigrer l’« appel au sentiment [Berufung auf das Gefühl] » à titre de débouché possible pour obtenir la connaissance d’un Dieu dont la science rationnelle ne délivre que le concept. 25 Or c’est précisément une manière pour Schelling de protester ici contre l’irrationalisme qui guette en vérité ceux qui trouvent dans la foi le moyen d’obtenir ce que la raison seule ne saurait leur donner, ou le Dieu « effectif ». Jacobi a beau faire, ce qu’il appelle « raison » relève du sentiment, d’où se trouve en effet banni tout raisonnement. Trouver ainsi refuge dans le pur sentiment, c’est se rendre coupable d’une posture trop coûteuse pour la raison ellemême : c’est sans doute une manière de rendre supportable l’impuissance d’une raison qui ne peut pas donner plus qu’elle ne peut donner, à savoir des essences ; mais c’est une solution qui s’avère prisonnière d’une fausse alternative et que vient justement désavouer la posture qu’il s’agit d’adopter dans la philosophie proprement positive. Cette philosophie-ci et la philosophie au contraire négative ne sont pas désignées, chacune respectivement, comme une philosophie issue du sentiment ou de la religion et une philosophie issue de la raison. Avant mais également en vue d’approfondir cet aspect décisif, je noterai pour finir que quand Lukács reproche à Schelling l’empressement avec lequel il donne à l’être imprépensable la détermination de l’esprit parfait, il s’approprie un point qu’on peut lire chez Schelling mais en faisant comme si ce dernier n’en avait jamais eu lui-même la moindre idée ! C’est là un bel exemple de « soustraction-projection ». 26 On peut lire en effet, dans la 8e leçon de l’Introduction de Cf. Schelling 1989, 194 sq. / SW XIII, 169. Cf. aussi Schelling 1989, 153 sq. / SW XIII, 129. 25 Schelling 1989, 180 / SW XIII, 154 ; trad. modifiée. 26 Guy Dupuigrenet-Desroussilles, in : Weiller/Dupuigrenet-Desroussilles 1974, 61 : « opération complexe qui consiste premièrement à soustraire dans l’œuvre de l’auteur que l’on étudie, et que l’on veut critiquer, les idées que l’on considère comme justes, secondement à se les approprier, et, troisièmement, à reprocher à l’auteur en question d’avoir soutenu le contraire ». Dans le cas présent, l’opération de Lukács consiste à 24
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Berlin, que « vis-à-vis de lui [l’être précédant toute pensée, A. R.], c’est-à-dire du pur Daß, la pensée se dresse immédiatement [unmittelbar] et s’enquiert du Was, c’est-à-dire du concept ». 27 L’intention de Schelling est de marquer ici, comme il l’écrit aussi, que l’être et la pensée, l’existence et l’essence, le pur Dass et le Was « ne peuvent pas se maintenir » dans cette séparation ou dans cette « abstraction [Abstraktion] », cette exclusion mutuelle (gegenseitige Ausschließung) qui est d’abord leur lot quand il s’agit d’entrer dans la science positive ; car c’est « immédiatement », explique alors Schelling, que « chacun va vers l’autre [das eine unmittelbar zu dem andern fortgeht] ». 28 Faire grief à Schelling de ne pas se tenir à son affirmation première et résolue de la priorité de l’être sur la pensée, 29 c’est donc lui reprocher d’avoir fait quelque chose dont il avait pourtant fourni la théorie : que la pensée s’incline devant l’imprépensable, l’existant nécessaire ne pouvait signifier, dans l’esprit de Schelling, qu’elle s’incline pour toujours, qu’elle ne se relève pas dans la science positive ; pour le dire autrement, l’extase de la raison ne signe pas son naufrage.
4. Un dogmatisme chrétien ? L’« apostasie de la raison pure [der Abfall von der reinen Vernunft] » : c’est par cette expression que, dans son compte rendu de l’Introduction de Berlin, Engels ridiculise le dessein schellingien de dépasser Hegel par une philosophie enfin à la hauteur de l’effectivité. 30 Formule paradoxale puisque l’apostasie désigne à l’origine le reniement de la foi et de la vie chrétiennes, alors même que Engels veut désigner ici l’abandon de la raison en faveur de la foi et de la religion. Schelling mettrait la science « au service de la foi » dans sa philosophie présumée positive, celle-ci n’existerait qu’en fonction de la foi – donc par et « pour la foi [nur für den Glauben] » – ce qui, aux yeux de Engels, serait comme un suicide de la philosophie, en tout cas son naufrage, soustraire du texte de Schelling quelque chose qui s’y trouve et à faire comme si ceci ne s’y trouvait pas, donc à lui reprocher de ne l’avoir pas soutenu. 27 Schelling 1989, 199 / SW XIII, 173 ; trad. modifiée. 28 Schelling 1989, 199 / SW XIII, 173 ; trad. modifiée. 29 Cf. Lukács 2010, 117 / Lukács 1974, 165 : « dès qu’il se met en quête d’une transition complète de la philosophie négative à la philosophie positive, la priorité de l’être sur la pensée qu’il affirmait si résolument peu auparavant tend à s’estomper ». 30 Engels 2011, 81 / Engels 1842, 198.
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comme il l’écrit lui-même, « au port peu profond de la foi [in den seichten Hafen des Glaubens] ». 31 Un demi-siècle plus tard, dans son Manuel d’histoire de la philosophie, Windelband n’hésite pas à soutenir que Schelling aurait finalement fait de la religion même ce que, jeune, il faisait exclusivement de l’art, à savoir l’organon de la philosophie. 32 Lukács reprend ce thème, affirmant à son tour que « la Révélation chrétienne » s’acquitte de cette fonction qui, pour le jeune Schelling, revenait au génie, au génie artistique. 33 Quelques années plus tard, à l’instar de Engels, Oeser soutient de même que la philosophie positive de Schelling « n’est plus philosophie à proprement parler » mais qu’elle répond plutôt à une aspiration en elle-même religieuse, celle au Dieu effectif telle que la thématise la toute dernière leçon du fameux Exposé de la philosophie rationnelle pure. 34 Bref, cette philosophie que son auteur tenait pour la science suprême, où il apercevait l’achèvement du système de la philosophie – une telle philosophie a pu paraître douteuse : fondée sur ce que Lukács désigne comme « un recours […] à la théologie [Wendung zur Theologie] » – un recours « résolu [entschieden] » 35 mais philosophiquement dénué de tout fondement – n’est-elle pas religieuse et, pour cette raison même, indigne de recevoir le nom de philosophie ? Revenons tout d’abord à la lecture d’Oeser qui invoque, on l’a dit, un texte non pas extrait de l’Introduction de Berlin, mais de l’Introduction à la philosophie de la mythologie, et plus précisément à sa deuxième partie, laquelle demeure pour nous comme un texte-testament puisque l’année de sa mort Schelling y travaillait encore. Or telle qu’il la repense en effet dans ce texte, l’impulsion qui permet d’entrer effectivement dans la science positive est clairement religieuse : « le vouloir qui donne le signal du retournement et, par là, de la philosophie positive » 36 est alors présenté comme une aspiration qui en l’homme vient du Moi en tant qu’individu, non en tant que raison, en tant qu’universel ; 37 mais surtout son objet est la religion même en
Engels 2011, 114 sq. / Engels 1842, 218. Cf. Windelband 1912, 520. 33 Lukács 2010, 122 / Lukács 1974, 169. 34 Oeser 1969, 443. De Schelling, voir l’Introduction à la Philosophie de la mythologie (Schelling 1998, 521–524 / SW XI, 567–570). 35 Cf. Lukács 2010, 117 / Lukács 1974, 164. 36 Schelling 1998, 521 / SW XI, 566. 37 Cf. Schelling 1998, 523 / SW XI, 569. 31 32
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tant que relation à un Dieu « effectif » ou à un Dieu « actif ». 38 L’aspiration est donc religieuse avant tout quant à son contenu. Qu’elle n’engage pas seulement le Moi individuel mais qu’elle engage aussi le philosophe lui-même, c’est là ce que suppose évidemment Schelling et qui n’a pas manqué d’attirer l’attention d’un lecteur comme Oeser. La question est de savoir si Schelling fait dépendre de la religion même le passage à la science positive. Ce n’est pas trop s’avancer que de considérer que tel n’est pas le cas, et pour cette raison simple que l’impulsion ne peut provenir de quelque chose qui n’existe pas encore mais qui est réclamé ; elle provient bien plutôt du « besoin […] de – la religion [das Bedürfnis der – Religion] ». 39 Le signal du passage à la science positive n’est pas la religion, mais il est tout au plus ce que j’appellerai la religiosité – ce qui, concédons-le, manifeste que Schelling est finalement revenu sur sa propre critique de ce qu’il appelait lui-même « l’appel au sentiment » 40 (critique dont on a fait un peu plus haut état), mais qui n’implique en rien que la science positive vienne de la religion ou soit fondée sur elle. L’impulsion est donnée non par la religion mais par l’aspiration qui motive et qui meut la quête philosophique. Une lecture attentive de l’Introduction de Berlin permet de confirmer ce tout dernier aspect, mais elle permet aussi de nuancer l’idée que Schelling n’aurait fait bon accueil à ce que j’ai appelé la religiosité que dans ses derniers textes. a) Sur le fait que la science suprême ou positive n’est pas vraiment fondée par la religion même, on trouve dans le contexte de l’Introduction de Berlin au moins deux arguments, l’un qui est général et l’autre particulier. L’argument général, c’est que la religion n’est réellement connue que par et dans cette science : « c’est précisément grâce à elle » – précise alors Schelling dans sa 7e leçon – « que le véritable concept et le véritable contenu de la religion sont trouvés pour la première fois ». 41 Il s’ensuit qu’elle n’a pas pour présupposition telle ou telle religion, ou même la religion ; elle présuppose seulement le besoin de religion : « il n’est donc pas permis » – conclut de fait Schelling – « de présupposer ceux-ci [à savoir le concept et le contenu véritables de la religion, A. R.], et, dès lors qu’on ne les présuppose pas, [la, 38 39 40 41
Schelling 1998, 522 / SW XI, 568. Schelling 1998, 522 / SW XI, 568. Schelling 1989, 180 / SW XIII, 154 ; trad. modifiée. Schelling 1989, 159 / SW XIII, 134.
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A. R.] désignation [de la philosophie positive comme philosophie religieuse, A. R.] devient entièrement indéterminée ». 42 L’autre argument s’en prend à l’idée que cette science dépend du christianisme, de la Révélation, et que, dans cette mesure, elle mériterait le titre de philosophie « chrétienne ». La question est toutefois de savoir en quel sens elle pourrait en dépendre : si c’est « historique[ment] », si c’est « matérielle[ment] » comme « toutes les choses humaines », comme toutes les productions de la culture humaine, il n’y a, selon Schelling, pas lieu de la tenir pour plus chrétienne qu’une autre ! 43 Accuser son auteur d’avoir effectivement « pensé au christianisme », 44 c’est lui faire un procès qui demeure sans portée : dès lors qu’il est question de saisir non seulement le monde de la nature mais également l’histoire, on doit naturellement s’attendre à rencontrer parmi ses phénomènes celui du christianisme. 45 Pour que l’appellation de philosophie « chrétienne » soit vraiment justifiée, pour qu’une philosophie puisse recevoir ce titre, il faut que le christianisme soit pour elle davantage que l’un de ses objets, il faut qu’il soit sa « source », il faut qu’elle trouve en lui son véritable « fondement » – ce qui, précisément, n’est pas du tout le cas de la philosophie positive de Schelling : c’est pour autant qu’elle a établi son fondement qu’une telle philosophie regarde le christianisme comme l’un de ses objets ; 46 celui-ci n’a donc pas une autre autorité sur cette philosophie que celle qu’exerce aussi n’importe quel autre objet qui entre dans son domaine. 47 On ne peut donc pas dire que la philosophie positive de Schelling est une philosophie chrétienne ou religieuse. b) Sur le fait qu’elle suppose néanmoins le désir d’une relation vivante avec un Dieu vivant, ou ce que j’ai appelé la religiosité, l’Introduction de Berlin fournit quelques indices, et en particulier là où Schelling refuse qu’on appelle « religieuse » la philosophie positive. Il commence en effet par un autre argument que celui évoqué un peu plus haut ici : [B]ien qu’il soit déjà clair que cette philosophie [la philosophie positive, A. R.] a le contenu de la religion comme son contenu propre, elle refuSchelling 1989, 159 / SW XIII, 134. Schelling 1989, 161 / SW XIII, 136. 44 Schelling 1989, 160 / SW XIII, 135. 45 Cf. Schelling 1989, 160 sq. / SW XIII, 135 sq. 46 Cf. Schelling 1989, 160 sq. / SW XIII, 135 sq. : « une telle philosophie, déjà en tant qu’elle établit son fondement, doit aussi avoir pensé au christianisme » (je souligne). 47 Cf. Schelling 1989, 158 / SW XIII, 133. 42 43
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sera cependant de s’appeler elle-même ou de se laisser appeler philosophie religieuse, autrement il faudrait en effet que la philosophie négative fût par exemple nommée philosophie irréligieuse, et ainsi on lui ferait tort, même si elle ne peut contenir la religion que comme religion de l’absolue subjectivité, et non pas comme religion objective ou comme religion révélée. S’il y a une doctrine réellement irréligieuse, on ne devrait pas l’appeler philosophie irréligieuse ; ce serait ainsi trop lui accorder ; elle n’est pas plus une philosophie que ne peut l’être une doctrine immorale en vertu de son principe le plus profond. Au contraire, […] c’est d’abord parce que tous ses concepts essentiels possèdent une portée [Bedeutung] tout aussi profondément morale que spéculative qu’une philosophie mérite de s’appeler philosophie et satisfait aux exigences véritablement scientifiques. 48
De ce texte remarquable dégageons l’essentiel : – que la philosophie proprement positive trouve dans la religion son contenu spécifique n’est pas un argument suffisant pour l’appeler « religieuse » ; – une telle appellation ne peut pas résister en effet à l’épreuve de cet autre argument : elle donnerait à penser que l’autre philosophie, ou la philosophie proprement négative, doit être « irréligieuse » – ce qui est irrecevable ; – aucune philosophie, vraiment digne de ce nom, ne peut effectivement piétiner, saborder notre sens religieux comme notre sens moral sans se renier elle-même, se saborder elle-même ; 49 et c’est dans cette thèse-ci que nous retrouvons trace de la religiosité : le vouloir qui préside à la philosophie est un vouloir pratique, pas seulement théorique ; 50 il est l’aspiration à entrer en contact avec un Dieu vivant, librement agissant, en ce sens « effectif » ; aucune philosophie ne peut donc contredire à cette aspiration, c’est-à-dire faire comme si sa portée (Bedeutung) religieuse, comme sa portée morale, était facultative. Il ne fait aucun doute que Lukács ne pouvait pas admettre cette dimension, comme il ne pouvait pas admettre qu’on définisse la tâche et l’objectif de la philosophie sans égard pour l’histoire des productions sociales, scientifiques et techniques. Ce désaccord de fond rendait donc difficile l’accord sur le contenu de la philosophie : la religiosité Schelling 1989, 159 / SW XIII, 134 ; trad. très légèrement modifiée. Cf. Schelling 1991, 46 sq. / SW XIII, 199. 50 Et c’est pourquoi Schelling parle d’un « vouloir moral [ein sittliches Wollen] » (Schelling 1991, 48 / SW XIII, 201). 48 49
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commandait à Schelling de définir l’histoire comme celle de la religion, ou de la relation de la conscience humaine à un Dieu effectif ; or aux yeux de Lukács, c’était là une manière d’annuler les promesses d’une saisie immanente qu’on pouvait repérer dans l’idée d’un mouvement interne aux phénomènes, ou de la dialectique telle que Schelling lui-même en avait pourtant bien esquissé les contours et, par là, déployé les premiers résultats. À la suite de Engels, Lukács focalise donc également sa critique sur le fait que Schelling aurait rétrogradé en dés-objectivant la dialectique elle-même, ou en la confinant dans une philosophie qu’il voulait séparée de la réalité …
5. L’irrationalité de la science rationnelle ? Partons de la critique adressée par Lukács, comme jadis par Engels, à l’un des leitmotiv de la dernière philosophie de Schelling : la différence entre le fait et le concept, l’existence et l’essence, le Dass et le Was, le quod et le quid. Lukács déplore ici « l’absurdité » qu’il y a à séparer (trennen) ainsi « la raison, le concept, etc., de toute réalité [Wirklichkeit] » : 51 une telle « coupure [Scheidung] » 52 condamne à « construire le concept » de tous les existants comme s’ils n’existaient pas, tâche elle-même impossible puisque faire abstraction de l’empiricité de tout ce qui existe, c’est perdre, selon Lukács, son « objectivité » – c’est dés-objectiver la rationalité au lieu de l’enrichir comme le requiert pourtant la réalité même. 53 Et ce n’est pas du tout au bénéfice d’une science qui s’accaparerait cette objectivité ; car la philosophie positive de Schelling, à laquelle il assigne le monde des existences, et donc de l’expérience, n’a pas d’autre « contenu » que la Révélation – ce qui montre à quel point le concept d’expérience, toujours d’après Lukács, se trouve défiguré, déformé (entstellt) par Schelling. 54 En même temps, on ne voit pas quel contenu ce dernier aurait pu assigner à la science positive s’il n’était pas parti de la Révélation – c’est là ce que Lukács suggère à son lecteur puisqu’il écrit aussi que le Dass, l’existence (dont la science en question doit faire
Lukács 2010, 119 / Lukács 1974, 166. Lukács 2010, 118 / Lukács 1974, 165. 53 C’est « vider [entleeren] » ses catégories « de toute objectivité » (Lukács 2010, 120 / Lukács 1974, 167). 54 Lukács 2010, 119 / Lukács 1974, 166. 51 52
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son affaire propre) est quelque chose de vide où sombrent tous les concepts : un « abîme de néant [ein Abgrund des Nichts] ». 55 Avant de faire un sort à ce dernier aspect et, bien plus largement, au rôle de la raison dans la philosophie positive, je voudrais m’arrêter sur l’abstraction voulue de l’autre philosophie, négative, rationnelle. Schelling lui assignerait un contenu subjectif, c’est-à-dire délesté d’une portée objective. La rationalité se verrait donc coupée de l’objectivité – ce qui, selon Oeser, marquerait une véritable « crise de la philosophie ». 56 Engels avait déjà mis en relief, et avec insistance, une telle dissociation. À ses yeux, le « dualisme » de l’être et de la pensée, du fait et du concept est « des plus décevants » puisqu’il rend la raison « incapable de prouver » la moindre des existences ; si l’on en croit Engels, Schelling justifierait sa propre « inaptitude à comprendre l’univers comme un tout rationnel [als Vernünftiges und Ganzes] » ; 57 et cette inaptitude lui viendrait du refus de donner son aval à l’optique hégélienne pour laquelle, en effet, ce qui est effectif (wirklich) est aussi rationnel. En coupant la raison de l’effectivité, Schelling l’aurait privée de l’effectivité, condamnant ses concepts à tourner dans le vide, « à travers le néant [durch das Nichts] », et la philosophie proprement rationnelle à proposer comme monde seulement « le Sahara infiniment ennuyeux de la possibilité [die unendlich langweilige Sahara der Möglichkeit] ». 58 L’argument de Engels, 59 c’est que, dans l’infini, on ne peut pas séparer la puissance de son acte : la puissance est son acte. Si la raison est donc, comme Schelling le prétend, la « puissance infinie de connaître », 60 il faut qu’elle soit en acte ; et ce fait-ci implique que la puissance de l’être, qui est son contenu proprement immédiat, soit elle aussi en acte. Il faut, en d’autres termes, toujours d’après Engels, qu’elle se soit transformée en effectivité, que cette transformation ait donc déjà eu lieu – ce qui vient corriger ce que Schelling énonce au contraire au début de sa 5e leçon. 61 À moins d’être malade, la raison infinie n’est donc pas séparable de l’effectivité : elle ne la devance pas, elle l’implique au contraire et, par son existence,
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Lukács 2010, 120 / Lukács 1974, 167. Oeser 1969, 440. Engels 2011, 53 / Engels 1842, 181. Engels 2011, 63 sq. / Engels 1842, 187 sq. Cf. Engels 2011, 65 sq. / Engels 1842, 188 sq. Schelling 1989, 95 / SW XIII, 74. Cf. Schelling 1989, 96 / SW XIII, 75.
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prouve celle de la nature. 62 Ainsi, le rationnel n’est pas seulement possible, mais il est effectif. Tel qu’il serait au contraire défini par Schelling comme du rationnel « pur », le rationnel n’est pas vraiment du rationnel mais de « l’irrationnel [das Unvernünftige] », 63 et la raison, de même : comme puissance séparée de l’effectivité, elle est « la déraison [die Unvernunft] ». 64 Cette critique manifeste un grand malentendu, qui porte essentiellement sur le sens à donner à l’effectivité : alors que pour Engels, ce dernier terme désigne les manifestations concrètes de la raison, pour Schelling il désigne le fait qu’elles sont posées non pas nécessairement mais bien par liberté. L’erreur des interprètes qui reprochent à Schelling d’avoir neutralisé la rationalité en la faisant sombrer dans l’existence toute nue convoquée au début de la science positive, vient du fait qu’ils n’ont pas perçu que, pour Schelling, le Dass imprépensable ne donne pas la mesure de l’effectivité : il permet d’y entrer, mais n’en donne pas comme tel précisément l’idée. Car l’effectivité suppose la liberté de l’inconditionné, ou de l’esprit parfait, lequel est une essence, non une pure existence : Dieu est libre de l’être, ou « au-dessus de l’être ». Si la raison existe, ce n’est donc pas parce qu’elle se poserait par elle-même, comme le prétend Engels et à sa suite Lukács. « Je peux en effet toujours poser la question, note au contraire Schelling : Pourquoi y a-t-il raison et non pas déraison ? [Warum ist denn Vernunft und nicht Unvernunft?] » 65 Si la raison existe, c’est parce qu’elle est posée elle-même par liberté. 66 Déclarer que « la base de toute philosophie est l’existence de la raison », 67 que la philosophie suppose cette existence – comme Engels le déclare – c’est, du point de vue de Schelling, faire comme si la raison pouvait s’apparenter à l’inconditionné et usurper sa place, et du même coup aussi manquer la liberté en vertu de laquelle la raison est posée. La quête philosophique n’est pas seuCf. Engels 2011, 67 sq. / Engels 1842, 189 sq. Engels 2011, 64 / Engels 1842, 188. 64 Engels 2011, 66 / Engels 1842, 189. 65 Schelling 1991, 96 / SW XIII, 247. 66 Au tout début de la leçon V (Schelling 1989, 95 / SW XIII, 74), on lit assurément que « rien ne saurait précéder » la puissance infinie de connaître, à savoir la raison, mais c’est au sens où « rien d’effectif ne peut la devancer » (je souligne). Il faut donc modérer le premier énoncé, car il n’est pas exclu que quelque chose devance en effet la raison, et c’est précisément ce qu’on peut lire dans la suite : la raison est elle-même « devancée par » son contenu immédiat, par la puissance de l’être, qui n’est rien d’effectif. 67 Engels 2011, 68 / Engels 1842, 190. 62 63
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lement une quête de l’objectivité, mais également une quête de l’inconditionné, donc du Dieu effectif. Et l’on retrouve ici la raison essentielle d’un désaccord de fond, qui est irréductible : celle du matérialiste, ou de l’immanentiste, avec un philosophe qui estime au contraire qu’on ne peut expliquer l’existence du réel que par une liberté absolue qui dispose comme telle de l’existence. Derrière ce désaccord, il y a une divergence d’objectif, de projet, laquelle se manifeste dans l’approche différente de l’effectivité, de la rationalité et de leur relation. Sans doute, Schelling lui-même est-il d’accord pour dire que tout le rationnel est aussi effectif, ou que tout le possible doit devenir réel, 68 qu’il n’y a aucune raison que l’inconditionné ne fasse pas advenir tout ce qui est pensable ; mais c’est à condition que l’inconditionné décide de poser l’être, donc le pose librement : c’est seulement s’il le veut. Pour le matérialiste, c’est une explication qui maltraite la raison : en pensant le réel à partir d’une instance à la fois surréelle, étrangère au réel, et supra-rationnelle, Schelling se condamnerait à désobjectiver la rationalité à l’œuvre dans le réel. Nous voyons donc pourquoi on a pu reprocher au philosophe allemand d’être irrationaliste jusque dans son approche de la science rationnelle, de la philosophie fondée sur la raison. Il nous reste, pour finir, à explorer comment son irrationalisme a pu être également – et peut-être surtout – épinglé au cœur même de sa philosophie proprement positive, de cette philosophie qui est effectivement fondée sur autre chose que la raison ellemême …
6. L’antirationalisme de la philosophie proprement positive ? Dans son Introduction de Berlin, Schelling explique que la science rationnelle a la raison comme « source [Quelle] » et l’expérience comme auxiliaire ou comme « compagne [Begleiterin] ». 69 C’est dire Cf. Schelling 1994, 349 / SW XII, 526 : « tout ce qui est vraiment possible est aussi effectif » ; Schelling 1998, 456 sq. / SW XI, 492 : « La science dans laquelle nous nous mouvons [la science rationnelle] ne connaît qu’une loi : que toute possibilité soit accomplie, qu’aucune ne soit rejetée ; le seul vœu qu’elle prononce est que tout ce qui concerne l’ordre des êtres soit établi selon la raison ; or la raison est désintéressée, envers toutes choses elle est équitable (omnibus aequa), elle veut donc que rien ne se produise par violence, par oppression ». 69 Schelling 1989, 82 / SW XIII, 62. Quelques lignes plus haut, Schelling y repère même une « source indépendante de la raison » qui « procède à ses côtés » dans la 68
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qu’elle ne perd pas absolument de vue l’objectivité même des concepts qu’elle produit – n’en déplaise à tous ceux qui prétendent le contraire . Sans rien lui « démontre[r] [erweisen] », l’expérience lui « confirme [bestätigen] » que la réalité s’accorde effectivement avec ses constructions : 70 sans rien lui démontrer car celles-ci seraient vraies « même si rien n’existait », mais si une chose existe qui répond à ce qu’elle pense, c’est « un sujet de joie » pour la raison elle-même 71 – n’en déplaise à Engels qui n’aperçoit qu’ennui dans la science rationnelle proposée par Schelling. Qu’en est-il par ailleurs de la science positive ? La question est de savoir si en elle la raison a perdu tous ses droits, car c’est précisément ce que Lukács prétend quand il refuse de prendre au sérieux cette idée que la raison s’aliène « afin de recouvrer immédiatement ses droits » : 72 il croit pouvoir surprendre dans cette affirmation, que l’on doit à Schelling, à la fois l’expression d’une contradiction ou d’une inconséquence et d’une « ambivalence » qui serait « démagogique ». Sans s’étendre là-dessus, Lukács pointe néanmoins, et sans le mesurer, un problème véritable que je formulerai de la manière suivante : quel est donc le travail que la philosophie positive de Schelling attend de la raison ? Avant de proposer des éléments de réponse, il faut, me semble-t-il, faire crédit à Schelling d’avoir effectivement donné à la raison un rôle de premier plan dans la science positive. On trouve assurément des passages où Schelling, définissant cette science, semble sous-estimer le rôle de la raison – et nous y reviendrons. Mais sa philosophie de la mythologie et de la Révélation témoigne, dans le détail, d’un travail gigantesque de conceptualisation. D’ailleurs, Lukács lui-même reconnaît ce travail mais c’est pour le railler en des termes peu flatteurs : Schelling aurait, en somme, tenté de « faire revivre » une rationalité complètement obsolète, digne de la scolastique ; il se serait abaissé à user de la raison comme si celle-ci devait se remettre au service de la théologie. C’est le signe, pour Lukács, que Schelling n’a pas pu se tenir à sa dichotomie de l’essence et de l’existence : s’il s’y était tenu, il n’aurait pas cherché à sauver la raison, ou du moins à sauver pour elle les apparences. Cette interprétation présuppose sans le dire que Schelscience rationnelle (Schelling 1989, 81 / SW XIII, 61). Voir également dans la leçon VIII, Schelling 1989, 178 / SW XIII, 152. 70 Schelling 1989, 153 / SW XIII, 128. 71 Schelling 1989, 153 / SW XIII, 128 ; je souligne. 72 Schelling 1989, 197 / SW XIII, 171 ; trad. modifiée. Cité par Lukács, Die Zerstörung der Vernunft (Lukács 2010, 118 / Lukács 1974, 165).
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ling aurait dû maintenir séparées la raison d’un côté (c’est-à-dire du côté de la science rationnelle) et l’expérience de l’autre (c’est-à-dire du côté de la science positive) – ce qui, de son point de vue, n’était nullement tenable puisque cela aurait en somme représenté ce qu’il appelle dans ses Recherches de 1809 le « désespoir de la raison [die Verzweiflung der Vernunft] », 73 à savoir une manière franchement manichéenne de philosopher. De fait, selon Schelling, la raison ne s’incline au seuil de la philosophie proprement positive qu’afin de se reprendre : 74 c’est bien le même vouloir, la même aspiration qui anime et motive le travail de la raison dans la science rationnelle puis dans la positive ; rien de ce qui lui est cher dans la science rationnelle ne lui est étranger dans la science positive ; ou, comme Schelling l’écrit, « [s]i la philosophie négative était restée seule et pour soi elle n’aurait pour la raison ellemême aucun résultat positif, la raison connaissante resterait insatisfaite eu égard à son propre contenu et finirait dans le vide. » 75 On comprend donc par là que Schelling puisse écrire que la raison « courbée » 76 (gebeugte, du verbe beugen) dans la science rationnelle est ensuite « redressée » (du verbe aufrichten) dans la science positive : c’est par et dans celle-ci que la raison se trouve bel et bien en mesure d’« atteindre la connaissance effective de ce qu’elle a connu être son seul contenu permanent et indéfectible », 77 son contenu nécessaire qu’elle ne dégage qu’au terme de la science rationnelle, ou l’inconditionné qui, comme tel, trône au-delà du monde de l’expérience, libre vis-à-vis de lui, 78 qui est l’esprit parfait dont j’ai déjà parlé. Reste la question de savoir en quoi exactement consiste son travail dans la science positive. Dans l’expérience, cette science est dans son élément : c’est en elle qu’elle progresse et qu’elle puise ses contenus ; c’est par elle qu’elle démontre. Si la raison travaille, ce n’est donc pas comme si le monde de l’expérience n’était qu’à l’horizon de toutes ses constructions ; dans la science positive, il est pour la raison ce qui s’impose à elle, s’impose dans sa richesse et requiert de sa part qu’elle fasse siens ses contenus. Schelling 1980, 141 / SW VII, 354. Cf. Schelling 1989, 191 / SW XIII, 165. 75 Schelling 1989, 179 / SW XIII, 153. 76 Schelling 1989, 179 / SW XIII, 153. 77 Schelling 1989, 179 / SW XIII, 153. 78 Cf. Schelling 1989, 125 sq. / SW XIII, 102. Voir également la leçon VIII, Schelling 1989, 197 / SW XIII, 171. 73 74
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Quand Schelling définit la tâche démonstrative de la science positive, il ne laisse pas entendre que la raison devrait fournir en cette dernière d’autres concepts que ceux qu’elle a déjà produits dans la science rationnelle ; il met plutôt l’accent sur le rôle décisif de la seule expérience qui nous découvrirait l’existence effective de toutes les conséquences que nous avons conçues et dont on sait maintenant qu’elles existent parce que Dieu les a voulues ; ainsi, en attestant que ces dernières existent, l’expérience montrerait que Dieu lui-même existe « comme nous l’avons conçu ». 79 Schelling ne précise pas, dans le présent contexte, d’où vient la conception des conséquences ellesmêmes ; elle est présupposée, et Schelling ne juge pas utile de rappeler qu’elles sont pleinement conçues dans la science rationnelle par la raison elle-même qui les découvre par soi dans « l’organisme interne des puissances successives » 80 – chose qu’il affirme plus haut quand il parle de l’affaire de la science rationnelle : cette dernière n’a affaire, déclare alors Schelling, qu’au « contenu de l’existant » ; et il poursuit alors : « s’il y a des choses existantes, elles seront telles, et selon cette consécution, non selon une autre ». 81 Faut-il donc en conclure que l’expérience elle-même n’instruit d’aucun contenu que la science rationnelle n’a pas déjà conçu ? Il y a lieu d’en douter, ne serait-ce qu’à la lecture attentive du contexte des lignes qu’on vient de citer : car on y lit aussi que la science rationnelle « ne se porte pas garante » (du verbe gewähren) de l’existence effective des singularités, ou des « formes singulières [einzelnen] » – et Schelling souligne bien l’adjectif « singulières ». 82 Dans la partie spéciale de sa Philosophie de la Révélation, il défend la même thèse : il remarque tout d’abord que tous les philosophes s’accordent, avec raison, pour estimer que « la philosophie doit produire 79 Schelling 1989, 154 / SW XIII, 129 : « le prius, dont le concept est tel ou tel (celui du supra-étant), pourra avoir une telle conséquence (nous ne dirons pas : il aura nécessairement une telle conséquence, car nous retomberions alors dans le mouvement nécessaire, c’est-à-dire dans le mouvement déterminé par le simple concept ; il ne nous sera permis que de dire : il peut avoir une telle conséquence s’il le veut, la conséquence est une conséquence qui dépend de son vouloir). Or cette conséquence existe effectivement (cette proposition est donc la proposition qui repose sur l’expérience ; l’existence d’une telle conséquence est un fait, une donnée de fait de l’expérience). Donc ce fait nous montre – l’existence d’une telle conséquence nous montre que le prius lui-même existe aussi comme nous l’avons conçu, c’est-à-dire que Dieu existe » (je souligne). 80 Schelling 1989, 97 / SW XIII, 76. 81 Schelling 1989, 81 / SW XIII, 61. 82 Schelling 1989, 81 / SW XIII, 61.
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quelque chose de rationnel » ; le problème n’est donc pas qu’elle doive produire cela, mais il est de savoir comment elle y parvient quand elle veut s’atteler aux singularités. Dans celles-ci en effet, le rationnel n’est pas immédiatement visible, il est « médiatisé », et « tellement », dit Schelling, qu’à elle seule la raison ne peut le dégager. 83 Médiatisé par quoi ? Par des relations libres, c’est-à-dire « effectives » ou encore « historiques ». 84 Il y a, en d’autres termes, dans la réalité des liens imprévisibles, et non pas nécessaires, de sorte que la raison ne peut les révéler, les découvrir toute seule ; l’expérience est requise. Si ce qui est réel est aussi rationnel, c’est librement qu’il l’est : parce qu’il est singulier, sa rationalité se trouve médiatisée par la liberté même. La raison ne peut pas le trouver par elle-même ; l’expérience qui le donne confie à la raison la tâche d’en dégager la rationalité, ce qui revient à dire que la philosophie proprement positive demande à la raison de s’appliquer elle-même aux contenus singuliers que vient lui découvrir justement l’expérience – ou, comme l’écrit Schelling, demande à la pensée de se les « approprier ». 85 Je reprendrai ici les termes de Siegbert Peetz : si la philosophie rationnelle de Schelling « en vient à la conclusion que le rationnel doit être réel », sa philosophie positive « doit au contraire successivement ratifier ceci : que le réel est rationnel ». 86 Il n’est donc pas question de détruire la raison, mais il est au contraire question de l’élargir – ce qui témoigne du fait que Schelling est celui qui referme le chapitre de l’idéalisme allemand en ouvrant la raison à de vastes perspectives, chose que Miklós Vetö, en accord avec Schulz, montre fort bien dans son livre De Kant à Schelling. 87 C’est là la seule manière non seulement d’éviter les excès du rationalisme mais d’éviter aussi l’irrationalisme. À l’encontre du premier, Schelling fait remarquer, et en prenant l’exemple de la Révélation, que si celle-ci « ne contenait rien que ce que l’on possède déjà sans elle », c’est-à-dire « rien de plus que ce qui est dans la raison » elle-même, elle ne mériterait pas que la philosophie y prêtât attention : 88 en fait de
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Cf. Schelling 1991, 47 sq. / SW XIII, 200. Schelling 1989, 169 / SW XIII, 143 sq. Schelling 1989, 166 / SW XIII, 140. Peetz 1995, 312. Sur ce point, cf. Vetö 2000, 231 sq. Schelling 1989, 168 / SW XIII, 142 sq.
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Schelling irrationaliste ?
religion, la raison n’aurait donc tout au plus que la tâche d’en produire une qui soit simplement rationnelle. 89 Contre l’irrationalisme, Schelling montre par ailleurs que la science positive demande à la raison de ne pas baisser les bras devant les contenus singuliers de l’expérience, de ne pas les tenir pour inintelligibles, d’en produire le concept. Et c’est dans cette mesure qu’on se trompe à prétendre que cette philosophie n’argumenterait plus en usant de concepts et ne se prêterait plus alors à la critique comme le soutient Oeser. 90 Bien loin d’être sacrifiée dans la philosophie proprement positive, la raison s’est ouverte à une tâche infinie, infiniment plus large que celle dont elle devait par ailleurs s’acquitter dans la science rationnelle – à une tâche grandiose dont on mesure l’ampleur quand Schelling avertit que cette philosophie « n’est pas close sur elle-même ». 91
Bibliographie Engels, Friedrich 1842 : « Schelling und die Offenbarung. Kritik des neuesten Reaktionsversuchs gegen die freie Philosophie ». In : Marx, Karl/id. : Werke, Ergänzungsbd. 2 : Schriften, Manuskripte, Briefe bis 1844. Teil 2. Berlin 1967, 171–221. – 2011 : Anti-Schelling, trad. par Philippe Lewandowski, préfacé par Gérard Bensussan. Paris. Lukács, Georg 1974 : Die Zerstörung der Vernunft. In : Georg Lukács Werke, Darmstadt/Neuwied, vol. 9. – 2010 : La destruction de la raison. Schelling, Schopenhauer, Kierkegaard, trad. par Didier Renault. Paris. Maesschalck, Marc 1991 : L’anthropologie politique et religieuse de Schelling. Paris/Louvain. Oeser, Erhard 1969 : Begriff und Systematik der Abstraktion. Die AristotelesInterpretation bei Thomas von Aquin, Hegel und Schelling als Grundlegung der philosophischen Erkenntnislehre. Vienne/Munich. Peetz, Siegbert 1995 : Die Freiheit im Wissen. Eine Untersuchung zu Schellings Konzept der Rationalität. Francfort-sur-le-Main. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1980 : Œuvres métaphysiques 1805–1821, trad. par Jean-François Courtine/Emmanuel Martineau. Paris. – 1983 : Contribution à l’histoire de la philosophie moderne. Leçons de Munich, trad. par Jean-François Marquet. Paris.
89 90 91
Cf. Schelling 1989, 166 / SW XIII, 140 sq. Cf. Oeser 1969, 444. Schelling 1989, 157 / SW XIII, 133 ; trad. modifiée.
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Ungrund und Metaphysik des Bösen Von Heideggers erster zu Derridas letzter Auseinandersetzung mit Schelling (1927–2002) Philipp Schwab (Freiburg)*
Abstract The following article intends to reconstruct and discuss Heidegger’s and Derrida’s repeated re-readings of Schelling, mainly of his 1809 Freedom Essay, spanning quite precisely three quarters of a century. In doing so, I try to show that Heidegger’s and Derrida’s deepest affinity to Schelling’s thought is to be found in an element of ‘original withdrawal’ as put forward in Schelling’s 1809 concept of ‘nonground’ (Ungrund). In the course of this, our attention will be directed towards only recently published material, namely, Heidegger’s first reading of the Freedom Essay, taken from a Marburg seminar 1927/28, and Derrida’s final interpretation of Schelling, from a seminar held in 2001/02. In contrast to Heidegger’s famous and influential 1936 lecture course, which nearly ‘excludes’ the nonground, this concept is at the core of the two aforementioned texts. The analysis reveals, despite all interruptions and displacements, a certain line of continuity between Classical German Philosophy and 20th century thought.
»Relisez Schelling, et Heidegger sur Schelling« – »Lesen Sie Schelling noch einmal, und Heidegger über Schelling«. 1 Diese Aufforderung, die Jacques Derrida an die Teilnehmer seines letzten Seminars La bête et le souverain von 2001/02 richtet, bezeichnet das Feld der folgenden Überlegungen. Ihr Interesse gilt den mehrfachen, recht genau ein Dreivierteljahrhundert umspannenden Relektüren Schellings – und insbesondere seiner Philosophischen Untersuchungen über das * Der vorliegende Text ist die überarbeitete und ergänzte Fassung eines Aufsatzes, der zuerst in englischer Sprache erschienen ist; vgl. Schwab 2015. 1 Derrida 2015, 222 / Derrida 2001/02, 212. Übersetzungen aus dem Französischen sind geringfügig v. Verf. modifiziert. Philipp Höfele sei herzlich für seine Hilfe bei der Überprüfung der Übersetzungen gedankt.
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Wesen der menschlichen Freiheit von 1809 – durch Heidegger und Derrida. Im Hintergrund steht dabei die systematische These, dass Schellings Freiheitsschrift deshalb die wiederholte Aufmerksamkeit Heideggers und Derridas auf sich zieht, weil beide Denker in ihr ein Element oder Motiv (vor-)formuliert sehen, das für ihren jeweils eigenen philosophischen Ansatz zentral ist. Dieses Element lässt sich wohl am ehesten als ›uneinholbarer‹ oder ›ursprünglicher Entzug‹ namhaft machen; als eine Bewegung, die dem Denken und Wissen ›unvordenklich‹ vorausgeht, es aber zugleich untergründig trägt und strukturiert. Mithin ist die schellingsche Konstellation von sich entziehendem Grund und Ungrund für Heidegger und Derrida insofern von besonderer Bedeutung, als in ihr nicht das ›einfache Andere‹ des Denkens angezeigt ist, das per hiatum oder durch eine unüberschreitbare Grenze von diesem getrennt wäre; vielmehr geht der Entzug als unauflösbare Reserve noch in die Präsenz des Denkens und des Logos selbst ein. In dieser Hinsicht spricht bekanntlich Schelling in der Freiheitsschrift von dem »nie aufgehende[n] Rest«, der »sich mit der größten Anstrengung nicht in Verstand auflösen« lasse – und eben »[a]us diesem Verstandlosen«, so fährt Schelling fort, sei »im eigentlichen Sinne der Verstand geboren« (SW VII, 360). 2 Die Konstellation ›Schelling – Heidegger – Derrida‹ vermag überdies in geschichtlicher Hinsicht exemplarisch zu zeigen, dass die Philosophie des 20. Jahrhunderts keineswegs als bloße ›Überwindung‹ oder als ›Bruch‹ mit der so genannten ›Epoche der Metaphysik‹ zu verstehen ist. Vielmehr wird gerade in den Bezugnahmen Heideggers und Derridas auf Schelling deutlich, dass die Denker des 20. Jahrhunderts an Fragestellungen anschließen, die sich insbesondere in der Klassischen deutschen Philosophie ausgeprägt haben. Damit soll freilich nicht gesagt sein, Heidegger und Derrida würden einfach den Ansatz Schellings wiederholen – noch auch umgekehrt, Schellings Philosophie sei eine einfache Vorwegnahme des Späteren. Gleichwohl zeichnet sich gerade in dieser Konstellation eine sachliche Verbindungslinie ab, angesichts derer die nach wie vor verbreitete Rede von einem ›Abbruch‹ oder ›Ende‹ der ›Metaphysik‹ problematisch erscheint. Die folgende Darstellung unternimmt einen ersten Schritt in Richtung dieser Konstellation, indem sie sich den expliziten RezepDiese Passage ist insbesondere seit der Untersuchung von Žižek in der SchellingForschung präsent, vgl. Žižek 1996.
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tionen Schellings durch Heidegger und Derrida zuwendet. 3 Dabei soll zugleich die Aufmerksamkeit auf einige erst in jüngerer Zeit zugänglich gemachte Texte gelenkt werden, namentlich Heideggers erste Lektüre der Freiheitsschrift in einer Marburger Übung von 1927/28 und Derridas letzte Auseinandersetzung mit Schelling in dem eingangs zitierten Seminar von 2001/02. Es gilt zu zeigen, dass diese beiden Lektüren Schellings gegenüber der berühmten und wirkmächtigen Vorlesung Heideggers über die Freiheitsschrift von 1936 eine wesentliche und systematisch signifikante Akzentverschiebung bedeuten: Beide nämlich diskutieren wiederholt Schellings Begriff des Ungrunds, 4 den Heidegger 1936 nur ein einziges Mal und en passant erwähnt. In der Analyse dieser Texte soll die These eingeholt werden, dass gerade der Gedanke des Ungrunds die systematisch tiefste Ebene der Affinität Heideggers und Derridas zu Schelling bezeichnet. Obschon nicht ausdrücklich und nur indirekt ist diese Affinität allerdings auch der Schelling-Vorlesung von 1936 selbst abzulesen. Um also den Ungrund als (teils verborgenen) Brennpunkt der Auseinandersetzung sichtbar zu machen, ist zunächst diese Lektüre Heideggers in ihren zentralen Aspekten zu entfalten. Die Überlegungen gliedern sich mithin in vier Schritte: Der erste Abschnitt erörtert die zwei zentralen Thesen über die Freiheitsschrift in der Schelling-Vorlesung von 1936 – Heideggers Interpretation der Schrift als einer ›Metaphysik des Bösen‹ und seine Rede vom ›Scheitern‹ Schellings. In einem zweiten Schritt ist die nur marginale Auseinandersetzung mit dem Begriff des ›Ungrunds‹ in dieser Vorlesung zu diskutieren, einschließlich eines kurzen Blicks auf die Schelling gewidmete Vorlesung 1941 und die Seminare 1941–43. Vor diesem Hintergrund geht der dritte Schritt zurück zu Heideggers Marburger Seminar 1927/28. Der abschließende vierte Schritt widmet sich den – bekanntlich nur vereinzelt nachzuweisenden – Bezugnahmen auf Die Beschränkung auf die explizite Rezeption bringt es mit sich, dass der Unterschied zwischen Heidegger und Derrida – in ihrem philosophischen Ansatz im Allgemeinen und im Verhältnis zu Schelling im Besonderen – hier nicht erörtert werden kann. Gerade Derridas Bezugnahmen auf Schelling sind zu knapp, um eine präzise Positionsbestimmung zu Heidegger allein aus diesen vorzunehmen; ein solcher Versuch müsste ausführlicher auf das eigene Denken Heideggers und Derridas ausgreifen, als hier möglich ist. 4 Den Begriff des ›Ungrundes‹ selbst übernimmt Schelling von Jacob Böhme. Vgl. dazu ausführlich Brown 1977; vgl. aus der neueren Forschung, auch zu Heidegger, Friedrich 2009. 3
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Schelling im Werk Derridas, die im Seminar von 2001/02 kulminieren.
I. Schellings ›Scheitern‹ und die ›Metaphysik des Bösen‹ – Heideggers Vorlesung 1936 Heideggers Interpretation Schellings von 1936 5 hat nicht die Gestalt einer ausgearbeiteten Abhandlung. Diese Feststellung bedarf keiner subtilen Analyse; es genügt, Heidegger selbst zu zitieren: Schellings Spätphilosophie sei, so heißt es zu Beginn der Untersuchung, allein durch seine Vorlesungen zugänglich – aber »zwischen Vorlesungen und dem gestalteten und in sich stehenden Werk ist nicht nur ein gradweiser, sondern ein wesentlicher Unterschied«. 6 Der Charakter von Heideggers eigener Darstellung als Vorlesung zeigt sich bereits in den wiederholenden Zusammenfassungen, die er augenscheinlich am Ende oder Beginn jeder Sitzung gegeben hat; 7 auch bezeichnet Heidegger an einer Stelle seine Ausführungen selbst als »unverständlich« und hat den entsprechenden Passus, offenbar in der folgenden Sitzung, noch einmal modifiziert vorgetragen. 8 Insbesondere aber zeigt die Vorlesung von 1936 einen differierenden Grad der Ausführlichkeit, der wohl nur zum Teil durch die Sache selbst begründet ist: Während Heidegger die »Einleitung« der Freiheitsschrift umfänglich interpretiert (dies nimmt mehr als die Hälfte des Raums ein) und auch die für ihn zentrale Unterscheidung von ›Grund‹ und ›Existierendem‹ mehrfach und detailliert durcharbeitet, ist die Auslegung der folgenden Abschnitte in den letzten Vorlesungsstunden des Semesters äußerst gedrängt – und dies betrifft insbesondere, worauf zurückzukommen sein wird, die finalen Partien der Freiheitsschrift. 9
Vgl. zu dieser Vorlesung besonders die Beiträge in: Hühn/Jantzen 2010. Vgl. auch Vater 1975; Courtine 1980; Stambaugh 1988; Froman 1990; Scheier 1996; Vaughan 1996; Clark 1997; Buchheim 1999; Köhler 1999; David 2003; Warnek 2005. 6 Heidegger 1936, 4. 7 Vgl. z. B. Heidegger 1936, 41 f. u. 53 f. An einigen Stellen sind die Zusammenfassungen weniger als solche sichtbar, vgl. z. B. Heidegger 1936, 83. 8 Vgl. Heidegger 1936, 161–165. 9 Heidegger gibt freilich auch eine Begründung dieser Kürze aus der Sache selbst: »Dennoch müssen wir feststellen, daß Schellings anfängliche Wucht und Schärfe des metaphysischen Fragens auf den Schluß zu abklingt« (Heidegger 1936, 191). Auch diese Einschätzung wird weiter unten zu diskutieren sein. 5
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Schon aus diesen mehr äußerlichen Gründen kann die Vorlesung von 1936 schwerlich ein ›Kommentar‹ zur Freiheitsschrift genannt werden. 10 Überdies hat aber auch Heidegger selbst darauf hingewiesen, dass seine Auseinandersetzung mit Schelling keineswegs als gleichsam ›neutrale‹ philosophiegeschichtliche Darstellung zu verstehen sei. Im Gegenteil spricht er mehrfach von einer ›Einseitigkeit‹ seiner Vorlesung: Sie sei »bewußt einseitig in Richtung auf die Hauptseite der Philosophie, die Seynsfrage«; 11 es handele sich mithin um eine »auf das Eine Entscheidende gerichtete Ein-seitigkeit«. 12 Gerade die ausführliche Interpretation der »Einleitung« – namentlich von Schellings Diskussion des Pantheismus – soll herausarbeiten, dass die Freiheitsschrift keine »Sonderfrage« behandle und nicht als »eine besondere Ansicht Schellings über das Böse und die Freiheit« aufzunehmen sei. 13 Vielmehr frage sie mit der menschlichen Freiheit zugleich nach dem System im Ganzen, und das heißt für Heidegger: Sie stellt die »Grundfrage der Philosophie nach dem Seyn«. 14 Trotz dieser ausdrücklichen ›Einseitigkeit‹ unternimmt aber Heidegger 1936 über weite Strecken eine textnahe Lektüre der Freiheitsschrift und macht den spezifischen Zugriff seiner Auslegung im Ganzen nur an wenigen Stellen explizit. Bemerkenswerterweise sind mithin auch Heideggers zwei wirkmächtige Thesen nur recht knapp skizziert – denen gemäß erstens die Freiheitsschrift als eine Metaphysik des Bösen zu lesen sei und sich zweitens im Blick auf dieses Werk ein ›Scheitern‹ Schellings zeige. Im Wesentlichen sind es nur drei kurze, gleichwohl signifikante Passagen der gesamten Vorlesung, in denen Heidegger diese zentralen Thesen näher entwickelt. Dabei ist gerade in Bezug auf das ›Scheitern‹ Schellings eine gewisse Ambivalenz der Argumentation zu beobachten. Die Untersuchung wird zunächst dem spannungsreichen Textverlauf genau folgen und abschließend die Konstellation in ihrer dreifachen Dimension zusammenführend pointieren.
Für eine Diskussion dieser Frage vgl. auch Köhler 1999 und Kaufmann 2010. Heidegger 1936, 176. 12 Heidegger 1936, 128. 13 Heidegger 1936, 117. Vgl. auch Heidegger 1936, 15. An beiden Stellen grenzt sich Heidegger von Hegels Diktum über die Freiheitsschrift ab. Vgl. dazu Schwab 2016a. 14 Heidegger 1936, 117. Die ausführlichste Erläuterung zur ›Seinsfrage‹ findet sich in Heidegger 1936, 77–80. 10 11
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1. Eine erste, knappe Anzeige des Zugriffs findet sich in den »Einführenden Erörterungen der Vorlesung«. Wie oben zitiert verweist Heidegger hier auf Schellings nur aus dem Nachlass überlieferte Spätphilosophie und die »Zeit des Schweigens« nach der Veröffentlichung der Freiheitsschrift von 1809. 15 Dieses Schweigen bedeutet nun nach Heidegger »weder ein Ausruhen auf dem bisher Erreichten noch gar ein Erlöschen der denkerischen Kraft«; dass es nicht zur »Gestaltung des eigentlichen Werkes« gekommen sei, habe seinen Grund in der »Art der Fragestellung, in die Schelling seit der Freiheitsabhandlung hineinwuchs.« 16 So wirft dann für Heidegger Schellings Schweigen »ein Licht auf die Schwierigkeit und Neuartigkeit des Fragens und auf das klare Wissen des Denkers um all dieses.« 17 Und Heidegger fährt fort: »Schelling aber mußte – wenn das gesagt werden darf – am Werk scheitern, weil die Fragestellung bei dem damaligen Standort der Philosophie keinen inneren Mittelpunkt zuließ«. 18 Hier fällt erstens auf, dass Heidegger das ›harte Wort‹ des ›Scheiterns‹ bereits in Parenthese abschwächt, bevor es selbst genannt ist. Sodann ist zweitens zu beachten, dass Heidegger an dieser Stelle nicht von einem Scheitern gerade der Freiheitsschrift spricht. Zwar zeige sich bereits 1809 die ›Fragestellung‹, die Schellings ›Schweigen‹ bedinge; die Rede vom ›Scheitern‹ selbst bezieht sich aber auf das ›Ausbleiben‹ eines großen und abschließenden Werks nach der Freiheitsschrift – und mithin auf Schellings spätes Denken. In sachlicher Hinsicht ist schließlich drittens entscheidend, dass der erste Grund, den Heidegger für das ›Scheitern‹ Schellings angibt, ein geschichtlicher Grund ist: Die Fragestellung Schellings deute über seine Epoche und ihre Möglichkeiten des Denkens hinaus. Entsprechend heißt es auch wenig später: »Schelling ist der eigentlich schöpferische und am weitesten ausgreifende Denker dieses ganzen Zeitalters der deutschen Philosophie. Er ist das so sehr, daß er den deutschen Idealismus von innen her über seine eigene Grundstellung hinaustreibt.« 19 Insofern ist das ›Scheitern‹ Schellings zunächst keineswegs Gegenstand einer Kritik Heideggers; es ergibt sich vielmehr, nachgerade ›mit Notwendigkeit‹, aus den ›neuartigen‹, in die Zukunft weisenden Poten-
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Heidegger 1936, 3. Ebd. Ebd. Heidegger 1936, 4; Herv. v. Verf. Ebd.
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zialen von Schellings Philosophie. So schreibt Heidegger auch ausdrücklich, dieses »große Scheitern« sei »kein Versagen und nichts Negatives, im Gegenteil. Das ist das Anzeichen des Heraufkommens eines ganz Anderen, das Wetterleuchten eines neuen Anfangs.« 20 In dieser Perspektive erscheint zunächst Schelling – mit und neben Nietzsche 21 – als Wegbereiter für Heideggers eigenes, andersanfängliches Denken. 2. Worin aber genau dieses ›Wetterleuchten eines neuen Anfangs‹ in Schellings Denken, worin sein Hinausdeuten über den Idealismus und worin genau sein Scheitern bestehe, bleibt in dieser ersten Anzeige noch undeutlich. Erst weit in der zweiten Hälfte der Vorlesung erläutert Heidegger wieder etwas ausführlicher seinen Zugriff im Ganzen, und zwar im Übergang von der »Einleitung« zum »Hauptteil« der Freiheitsschrift. Indem Schelling, so Heidegger, wesentlich nach dem »reale[n] und demzufolge lebendige[n] Begriff der menschlichen Freiheit« frage, werfe er eine Frage auf, »die der Idealismus nicht gestellt hat, und […] die der Idealismus nicht mehr stellen kann.« 22 Als Beleg zitiert Heidegger Schelling: »Der Idealismus gibt nämlich einerseits nur den allgemeinsten, andererseits den bloß formellen Begriff der Freiheit. Der reale und lebendige Begriff aber ist, daß sie ein Vermögen des Guten und des Bösen sey« (SW VII, 352). 23 Es ist mithin die Frage nach der ›lebendigen‹ menschlichen Freiheit und die mit ihr gestellte Frage nach dem Bösen, die für Heidegger den Idealismus »an eine Grenze« führt, sofern nämlich der ›Idealismus‹, dem Wortsinne und der Sache nach, »zu seiner eigenen Möglichkeit den Begriff des Menschen als das vernünftige Ich voraussetzt«. 24 Eben dieser Begriff des Menschen werde aber durch Schellings Gedanken des Bösen fraglich – und da »das Wesen des Menschen der Bestimmungsort für die Wesensbestimmung des Seyns überhaupt« ist, so werde in eins damit auch die »ontologische und theologische Grundlage der Philosophie, die ganze Ontotheologie […] fraglich«. 25 HeiEbd. Auch Nietzsche als der »einzige wesentliche Denker nach Schelling« sei – so heißt es in paralleler Formulierung – »an seinem eigentlichen Werk, dem ›Willen zur Macht‹, zerbrochen, und das aus dem gleichen Grunde« (ebd.). 22 Heidegger 1936, 116. 23 Vgl. ebd. 24 Ebd. 25 Ebd. Es ist allerdings zu beachten, dass Schelling in der zitierten Passage spezifisch 20 21
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deggers Argument lautet folgendermaßen: Indem Schelling nach der Freiheit als dem »Vermögen zum Guten und zum Bösen« 26 fragt, muss sich zugleich das Verständnis des Systems und mithin des Seyns in der Weise wandeln, dass es das Böse in sich aufnimmt oder ›zulässt‹ : »Das Böse selbst bestimmt den neuen Ansatz der Metaphysik mit. Die Frage nach der Möglichkeit und Wirklichkeit des Bösen erwirkt eine Verwandlung der Frage nach dem Seyn.« 27 Aus diesem Grund kann Heidegger sagen, dass Schellings Freiheitsschrift »im Kern eine Metaphysik des Bösen ist« und dass »damit in die Grundfrage der Philosophie nach dem Seyn ein neuer wesentlicher Stoß kommt«. 28 In diesem Zusammenhang nimmt nun Heidegger nochmals die Rede von einem ›Scheitern‹ Schellings auf: Indem Schellings Abhandlung »von Anfang an und ständig im Lichte und in der Absicht der Grundfrage der Philosophie nach dem Seyn« gelesen werde, »begreifen wir gerade von ihr aus, nach vorn blickend, warum Schelling trotz allem mit seiner Philosophie scheitern mußte, d. h. in der Weise scheitern mußte, wie er scheiterte; denn jede Philosophie scheitert, das gehört zu ihrem Begriff«. 29 Heidegger unterscheidet mithin nun zwei Aspekte oder Hinsichten des Scheiterns. Einerseits spricht er von einem spezifischen Scheitern Schellings, das allerdings in seiner sachlichen Eigenart noch weniger erläutert wird als zu Beginn der Vorlesung. Die Rede vom ›Blick nach vorn‹ legt nahe, dass dieses Scheitern wiederum auf die Spätphilosophie und das ›Ausbleiben‹ eines ›eigentlichen Werks‹ bezogen ist. Überdies zeigt der unmittelbar zuvor gegebene Hinweis auf Hegel – Schellings Abhandlung erschüttere »Hegels ›Logik‹ schon vor ihrem Erscheinen […]!« 30 –, dass Heidegger das Scheitern Schellings abermals innerhalb der ›Grundstellung‹ des Idealismus als ein notwendiges Scheitern betrachtet. Andererseits aber – und darauf liegt der Hauptakzent der Partie – ist einen ›einseitigen‹, abstrakten Idealismus und insbesondere Fichte kritisiert. Heidegger hingegen liest den Passus als ein ›Hinausgehen‹ über den Idealismus im Ganzen und als solchen – einschließlich Schellings eigener Natur- und Identitätsphilosophie, die dieser als ›Real-Idealismus‹ selbst gewiss ausnehmen würde, und des erst später voll entfalteten Systems Hegels. 26 Heidegger 1936, 117. 27 Ebd. 28 Heidegger 1936, 118. 29 Heidegger 1936, 117 f. 30 Heidegger 1936, 117.
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das ›Scheitern‹ nun als ein Grundzug von Philosophie überhaupt ausgewiesen. Der »Philosoph«, schreibt Heidegger, folgere gerade aus dem Scheitern »die unzerstörbare Notwendigkeit der Philosophie, und dieses nicht in der Meinung, als könnte eines Tages doch dieses Versagen überwunden und die Philosophie ›fertig‹ gemacht werden.« 31 Daran anschließend verknüpft Heidegger das Scheitern direkt mit der Frage nach dem Seyn: »Vollendet ist die Philosophie immer dann, wenn ihr Ende das wird und bleibt, was ihr Anfang ist, die Frage. Denn nur indem die Philosophie wahrhaft im Fragen stehen bleibt, zwingt sie das Frag-würdige in den Blick«. 32 Paradox formuliert: Philosophie ›gelingt‹ gerade dadurch, dass sie ›scheitert‹. Sie scheitert notwendig an einer abschließenden und letzten Antwort auf die Frage nach dem Seyn – und nur indem sie derart scheitert, und die Frage offen hält, »wirkt sie mit […] am Vollzug der Offenbarkeit des Seyns«. 33 So ist zunächst zu konstatieren, dass hier weniger noch als in den einleitenden Bemerkungen die Rede vom ›Scheitern‹ eine Kritik Heideggers an Schelling bezeichnet. Gleichwohl ist bereits diese Doppelbestimmung des Scheiterns, auch wenn beide Aspekte offenkundig affirmativ gewendet werden, in sich spannungsreich. Es bleibt nämlich fraglich, wie das spezifische, geschichtlich bedingte Scheitern Schellings am ›eigentlichen Werk‹ sich zu dem ›grundsätzlichen‹ Scheitern der Philosophie überhaupt verhält: Wäre Schellings Denken – und mit ihr ›jede Philosophie‹ – als Scheitern ein uneingeschränkt ›gelingendes‹ Mitwirken am ›Vollzug der Offenbarkeit des Seyns‹, so ist nicht recht einzusehen, wie das Scheitern Schellings am ›Werk‹ geschichtlich zu begründen wäre. Heideggers ›grundsätzliche‹ Bestimmung der Philosophie steht augenscheinlich in Spannung zu seiner ›epochalen‹ Auslegung der Freiheitsschrift. In sachlicher Hinsicht geben die Erläuterungen zum Offenhalten der ›unabschließbaren‹ Frage nach dem Seyn einen Hinweis darauf, worin genauer der ›Stoß‹ besteht, den Schellings Abhandlung als Metaphysik des Bösen für die ›Frage nach dem Seyn‹ bedeuten soll. Eher beiläufig führt Heidegger einige Seiten später aus, das Böse gelte Heidegger 1936, 118. Ebd. 33 Ebd. Im hier ausgelassenen Passus heißt es bemerkenswerterweise, das Seyn sei dasjenige, »was von Grund aus das Nichts und das Nichtige überwindet und übersteigt« (ebd.). Dies steht wenigstens in Spannung zu der gleich zitierten Partie über das Nichts als das ›Ungeheuerste im Wesen des Seyns‹. 31 32
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»eingestandenermaßen als das Nichtgute, als Mangel« und somit als »Nichtdasein, Nichtvorhandensein« und als »das Nichtseiende«. 34 Diesen Begriff bindet nun Heidegger wieder zurück an die Frage nach dem System und dem Seyn: Die Schwierigkeit liegt hier im Begriff des Nichtseienden. […] Ohne hierauf jetzt einzugehen, müssen wir aus der jetzigen Überlegung das eine festhalten und in die folgenden Betrachtungen hinübernehmen, daß die Frage nach dem Bösen und damit die Frage nach der Freiheit irgendwie wesentlich mit der Frage nach dem Seyn des Nichtseienden zu tun hat. Auf das Prinzip des Systems überhaupt gesehen, d. h. auf die Seynsfrage, heißt das: Die Frage nach dem Wesen des Seyns ist zugleich die Frage nach dem Wesen des Nicht und des Nichts. Warum das so ist, dafür kann der Grund wiederum nur im Wesen des Seyns selbst liegen. Der Mangel ist als Fehlen zwar ein Nichtvorhandensein; gleichwohl ist dieses Fehlen doch nicht nichts. […] Also ist das Nichts nicht Nichtiges, sondern etwas Ungeheures, das Ungeheuerste im Wesen des Seyns. 35
Ohne dass dieser Punkt ausführlich entwickelt würde, zeigt sich doch deutlicher als zuvor, worin nach Heidegger der ›Stoß‹ von Schellings Freiheitsschrift liegt: Die Frage nach dem Bösen verwandelt die Frage nach dem System und dem Seyn derart, dass es notwendig wird, das Nichts nicht als reine Nichtigkeit und auch nicht als einfache, vom Sein ausgeschlossene Negation zu denken, sondern als einen Grundzug des Seins selbst. Zweifellos ist dies der Punkt, an dem Heidegger Schelling als Vorläufer seines eigenen Denkens der so genannten ›Kehre‹ entdeckt. 36 Das Sein ist nicht reine, ›feststellbare‹ Präsenz, sondern ein Entbergen, dem zugleich der Zug der Verbergung wesentlich ist. Die Absenz, die nie die ›reine‹ Absenz bloßer Nichtigkeit ist, liegt nicht jenseits des Seyns, sondern im Seyn selbst. In anderen
Heidegger 1936, 122. Ebd. Bemerkenswerterweise hebt Schelling gerade in der Periode nach der Freiheitsschrift seinerseits die Bedeutung des Nichtseienden hervor, so etwa in den Stuttgarter Privatvorlesungen von 1810 (vgl. bes. SW VII, 436) und vor allem in den Weltalter-Entwürfen ab 1811 (vgl. bes. WA I, 20 f.) – auch in derjenigen Fassung, die Heidegger zugänglich war (vgl. bes. SW VIII, 220 f.) und auf die er 1936 kurz verweist (vgl. Heidegger 1936, 115). Vgl. zu den hier genannten Stellen, gerade im Blick auf Heidegger, ausführlich Höfele 2016 und zu Heideggers Rezeption der Weltalter auch Höfele 2015. 36 Vgl. hierzu bereits Froman 1990, 471–476 sowie Kaufmann 2010, 202 f. 34 35
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Worten: Das Seyn selbst ist als Offenheit wesentlich und in sich Entzug. 37 3. Es ist einmal mehr auffällig, dass diese Aspekte in Heideggers folgender, ausführlicher Interpretation der Unterscheidung von Grund und Existierendem – die er bekanntlich als ›Seynsfuge‹ bezeichnet 38 – nicht näher entfaltet werden. Erst ganz am Ende seiner Vorlesungen, im äußerst gedrängten Kommentar zu den letzten Teilen der Freiheitsschrift, 39 finden sich wieder einige Ausführungen zur Interpretation im Ganzen. Zum Abschluss der Analyse des Bösen fragt Heidegger nochmals nach dem Zusammenhang des Systems mit dem Bösen und der Seynsfuge. Gemäß Heideggers Interpretation »klingt« diese Frage in den letzten Passagen der Freiheitsschrift »an«, »sie wird aber nicht ergriffen und vor allem noch gar nicht in ihrer inneren Schwierigkeit durchschaut«. 40 Hier zeichnet sich nun tatsächlich eine ›Kritik‹ an Schelling und gerade auch der Freiheitsschrift selbst ab. Heidegger zitiert Schelling: »In dem göttlichen Verstande ist ein System, aber Gott selbst ist kein System, sondern ein Leben« (SW VII, 399). Diese Passage legt Heidegger derart aus, dass durch die Frage nach dem Bösen und den Gedanken des Grundes das System »gesprengt« 41 werde: »Wenn aber das System nur im Verstande ist, dann bleibt dieser, der Grund, und die Gegenwendigkeit selbst aus dem System ausgeschlossen als das andere des Systems, und System ist, auf das Ganze des Seienden gesehen, nicht mehr das System.« 42
Vgl. dazu, in zeitlicher Nähe zur Schelling-Vorlesung, Heidegger 1936–38, bes. 293 u. 340–353. Vgl. auch hierzu, im Blick auf das Verhältnis Heidegger – Schelling, Höfele 2016. 38 Vgl. Heidegger 1936, 125–176. Vgl. zu diesem Begriff Scheier 1996; vgl. auch Barbarić 1999. 39 Bereits in der Auslegung der Teile II. bis IV. (nach Heideggers Zählung, dies entspricht SW VII, 373–394) wird Heideggers Kommentar sukzessive kürzer (vgl. Heidegger 1936, 176–191); die letzten beiden Abschnitte V. und VI. (SW VII, 399–416) legt Heidegger auf nur zweieinhalb Seiten des Erstdrucks aus (vgl. Heidegger 1936, 193–195). 40 Heidegger 1936, 193. 41 Vgl. Heidegger 1936, 118. Die Wendung, dass »durch die Wirklichkeit des Bösen das System gesprengt« werde (ebd.), verwendet Heidegger in der oben ausgelegten Partie im Blick auf das Ende der »Einleitung« (vgl. SW VII, 353–357); sie wird aber erst in dieser späten Partie der Vorlesung sachlich erläutert. 42 Heidegger 1936, 194. Vgl. für einen kritischen Einwand gegen diese Interpretation Heideggers Buchheim 1999. 37
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An diesem Punkt modifiziert Heidegger nachhaltig seine Auffassung von Schellings Scheitern: Das ist die Schwierigkeit, die in den späteren Bemühungen Schellings um das Ganze der Philosophie immer schärfer heraustritt, die Schwierigkeit, an der er scheitert. Und dieses Scheitern zeigt sich darin, daß die Momente der Seynsfuge, Grund und Existenz und ihre Einheit, nicht nur immer weniger vereinbar werden, sondern sogar so weit auseinandergetrieben werden, daß Schelling in die starr gewordene Überlieferung des abendländischen Denkens zurückfällt, ohne sie schöpferisch zu verwandeln. 43
Gegenüber beiden früheren Bestimmungen des Scheiterns hat sich offenbar Heideggers Perspektive wesentlich verschoben: Schellings Scheitern erweist sich nun, im Ganzen betrachtet, nicht mehr als produktiver Stoß, sondern vornehmlich als Rückfall. Von einem ›inneren Hinaustreiben des deutschen Idealismus über seine eigene Grundstellung‹ oder gar einem ›grundsätzlichen Scheitern der Philosophie überhaupt‹ ist keineswegs mehr die Rede. Zugleich bereitet aber Heideggers spannungsreiche und gedrängte Diktion der genauen Interpretation einige Schwierigkeiten, die vornehmlich durch die Konstruktion des zentralen Satzes bedingt sind: Das Scheitern Schellings zeige sich ›darin, daß … nicht nur immer weniger …, sondern sogar so weit …, daß …‹. Eine Spannung entsteht hier vor allem durch die Unklarheit, ob die Rede vom ›Scheitern‹ sich bereits auf die Satzperiode nach dem ersten ›daß‹ bezieht (also die Unvereinbarkeit und das Auseinandertreiben der Momente der Senysfuge), oder erst auf die Periode nach dem zweiten ›daß‹ (also die Konsequenz des Auseinandertreibens im Rückfall). Dabei wäre zunächst das ›Misslingen‹, den Grund (und mit ihm das Nichts als Grundzug des Seyns) in die geschlossene Form eines Systems einzufassen, noch durchaus mit der zuvor gegebenen, affirmativ-geschichtlichen Bestimmung des ›Scheiterns‹ zu vereinen: Schellings ›Scheitern‹ wäre genau darin produktiv, dass er zwar den Systemanspruch des Idealismus bereits sprengt – aber eben innerhalb der geschichtlichen Grundstellung des Idealismus nur auf die Möglichkeit eines ›anderen Denkens‹ vorauszudeuten vermag. Dieses Verständnis klingt in der ersten Hälfte des zentralen Satzes durchaus an, die Pointe der Textstelle scheint aber eine andere zu
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sein: Gemäß Heideggers Worten ist nämlich das Misslingen der Systemfügung nicht Schellings Scheitern; vielmehr ist dies die Schwierigkeit, an der er scheitert. Und Schelling scheitert für Heidegger offenbar letztlich darin, dass er diese Spannung und Sprengung nicht ›schöpferisch‹ zu bewältigen vermag – und deshalb in die Tradition zurückfällt, die durch den Ansatz einer ›Metaphysik des Bösen‹ doch bereits fragwürdig geworden ist. So gelesen wird aber die frühere, affirmativ-geschichtliche Bestimmung des Scheiterns geradezu unterlaufen. Im Auftakt der Vorlesung hatte Heidegger noch offen gelassen, worin genau das produktive Scheitern Schellings am ›eigentlichen Werk‹ bestehe. Wird aber nun das Scheitern am Werk in Schellings Spätphilosophie derart eng mit dem ›Rückfall‹ verbunden, so ist kaum zu sehen, worin die zukunftsträchtigen Potenziale eines solchen Scheiterns noch liegen sollen. Vor diesem Hintergrund erweist sich auch Heideggers kritische Äußerung als spannungsreich, die mit der Systemfügung gestellte ›Schwierigkeit‹ werde in der Freiheitsschrift von Schelling ›nicht ergriffen‹ und ›vor allem noch gar nicht‹ als solche durchschaut. Zunächst erschiene nämlich die Annahme durchaus einleuchtend, eben das ›Ausbleiben eines Ergreifens‹ und der ›Mangel an Bewusstsein‹ bezeichne Schellings Scheitern und bedinge einen Rückfall in die Tradition; beides wäre dann bereits in der Freiheitsschrift selbst zu lokalisieren. So klingt auch die Wendung ›nicht ergreifen‹ in der Formulierung ›nicht schöpferisch verwandeln‹ des zentralen Passus merklich wider. Heideggers Metaphorik der ›sukzessiven Verschärfung‹ weist dann allerdings Scheitern und Rückfall deutlich der Spätphilosophie zu – eben hier soll aber doch Schelling gerade zur größeren ›Klarheit‹ des Problems gekommen sein, und es bleibt ungesagt, wie beides zusammenzudenken ist. Diese mehrfache Spannung ist schließlich auch dadurch bedingt, dass Heideggers gedrängter Kommentar offen lässt, weshalb gerade das ›Auseinanderdriften‹ der ›Elemente der Seynsfuge‹ in der Spätphilosophie der Grund für den Rückfall in die Tradition sein soll – und worin überhaupt dieser Rückfall der Sache nach besteht. Trotz der Schwierigkeiten der Auslegung im Detail ist zweifelsohne Heideggers Tendenz deutlich, Schellings Scheitern nun vornehmlich im Sinne eines ›Rückfalls‹ aufzufassen. Dies zeigt sich auch in der folgenden Erläuterung zum Verhältnis von erstem und zweitem Anfang:
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Was aber dieses Mißlingen so bedeutsam macht, ist die Tatsache, daß Schelling damit nur Schwierigkeiten hervortreibt, die schon im Anfang der abendländischen Philosophie gesetzt und durch die Richtung, die dieses Anfangen nimmt, als von diesem aus unüberwindbar gesetzt sind. Das bedeutet für uns, daß ein zweiter Anfang durch den ersten notwendig wird, aber nur in der völligen Verwandlung des ersten Anfangs, niemals durch ein bloßes Stehenlassen desselben möglich ist. 44
Wiederum werden Bestimmungen aus dem Auftakt der Vorlesung verschoben, teils geradezu umgekehrt: Schellings Scheitern ist hier nicht mehr selbst und in einem affirmativen Sinne das ›Wetterleuchten eines neuen Anfangs‹ – es zeigt allein ex negativo die Schwierigkeiten des ersten und die Notwendigkeit eines zweiten Anfangs auf. Wenn auch in gänzlich gewandelter Form, so erhält auch hier das ›Scheitern‹ eine epochale Spezifität: Es erscheint als ein Scheitern an der ›Verwandlung‹ des ersten Anfangs, in dem Schelling noch befangen bleibe. 45 Damit ist zwar weiterhin Schellings Scheitern durch die ›Grundstellung‹ des Idealismus in der Geschichte des ersten Anfangs bedingt – seine über den Idealismus hinausweisende Bedeutung besteht aber nurmehr darin, dass und wie er den ersten Anfang negativ zu beleuchten vermag. In aller Kürze sei die bis zu diesem Punkt sukzessive entfaltete, vielschichtige Konstellation des ›Scheiterns‹ in Heideggers Schelling-Interpretation von 1936 zusammengeführt. Drei Ebenen lassen sich unterscheiden, die allesamt miteinander in Spannung stehen: 46 1. Heidegger spricht zunächst von einem geschichtlich bedingten Scheitern Schellings am ›eigentlichen Werk‹, welches zugleich über den Idealismus hinausweise und in affirmativem Sinne das ›Wetterleuchten eines neuen Anfangs‹ bedeute. 2. Er führt sodann einen ebenfalls affirmativen Begriff des Scheiterns als Grundbestimmung einer ›fragenden‹ Philosophie überhaupt ein, deren Vereinbarkeit mit der epochal-geschichtlichen Stellung Schellings allerdings offenbleibt. Im Kontext dieser ersten beiden Ebenen steht die These, die Freiheitsschrift sei wesentlich als ›Metaphysik des Bösen‹ zu lesen und bezeichne eine ›Verwandlung in der
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Ebd. Vgl. für eine kritische Diskussion Hühn 2010, bes. 4 f. Vgl. zur weiteren Diskussion dieser drei Ebenen zukünftig auch Höfele 2016.
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Frage nach dem Seyn‹, sofern sie einen ›(An-)Stoß‹ dazu gebe, das Nichts als Grundzug des Seyns selbst zu denken. 3. Schließlich zeigt Heidegger im Blick auf die späteren Partien der Abhandlung ein Misslingen der Systemfügung von Grund und Existierendem auf; dieses Misslingen bedingt, nun in explizit kritischer Perspektive, ein Scheitern im Sinne eines Rückfalls in die Tradition, das nurmehr ex negativo die Schwierigkeiten des ›ersten Anfangs‹ zu beleuchten vermöge. Dabei ist noch nicht abschließend geklärt, inwiefern ›Scheitern‹ und ›Rückfall‹ auf die Freiheitsschrift selbst zu beziehen sind.
II. Der Ungrund in Heideggers Schelling-Lektüren 1936 und 1941–1943 1. In systematischer Hinsicht und im Blick auf Heideggers frühere und spätere Auseinandersetzung mit der Freiheitsschrift ist es nun entscheidend, in welcher Weise er vor diesem spannungsreichen Hintergrund 1936 den finalen Abschnitt des Werks auslegt – jenen Passus also, der nach Schelling den »höchsten Punkt der ganzen Untersuchung« bezeichnet (SW VII, 406). Unmittelbar an die zuletzt zitierten Partien anschließend schreibt Heidegger, im Übergang zum letzten Abschnitt: Auf der Stufe der Freiheitsabhandlung wird es Schelling noch nicht in voller Deutlichkeit und in der ganzen Tragweite klar, daß eben die Ansetzung der Seynsfuge als Einheit von Grund und Existenz es ist, die ein Seynsgefüge als System unmöglich macht. Schelling glaubt vielmehr, die Frage des Systems, d. h. der Einheit des Seienden im Ganzen, sei gerettet, wenn nur die Einheit des eigentlich Einigenden, die des Absoluten, recht gefaßt werde. 47
Hier zeigt sich zunächst nochmals die oben benannte Spannung: Einerseits nämlich wird sich Schelling nach Heidegger in der Freiheitsschrift ›noch nicht‹ des systemsprengenden Potenzials seines Ansatzes vollends bewusst. Dies legt abermals nahe, eben dieser ›Mangel an Bewusstsein‹ provoziere den Rückfall in die ›starr gewordene Überlieferung‹ bereits in der Freiheitsschrift selbst – und der Rückfall wäre nun gemäß der zitierten Partie im ›traditionellen‹ Begriff des Absoluten ausgewiesen, dem ›eigentlich Einigenden‹ als 47
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höchstem Punkt der Abhandlung. Andererseits benennt aber Heidegger Schellings Versuch der ›Systemrettung‹ keineswegs ausdrücklich als ›Rückfall‹ – und er hatte ja diesen zuvor recht eindeutig der Spätphilosophie zugeordnet. Für die zweite Lesart sprechen dann auch mehrere kritische Bemerkungen der Folgejahre, in denen Heidegger Schellings spätes Denken als »Rückfall in die rationale Metaphysik« 48 und »›Restauration‹ der christlich-aristotelisch-platonischen Erfahrung des Seienden«, 49 als »ein gewisses Zurück in den ersten Anfang« 50 und gar als »rettende[n] Hafen für das Schiff auf der Sturmfahrt der Freiheitsabhandlung« bezeichnet. 51 Ob nun in der Freiheitsschrift selbst bereits der Rückfall oder gegebenenfalls ein ›Vorschein‹ desselben sichtbar wird – Heideggers Lektüre der Schlusspartie des Werks ist jedenfalls offenkundig kritisch. Sachlich ist es dabei von zentraler Bedeutung, dass Heidegger das Absolute mit der Einheit identifiziert, die zugleich als ›eigentlich Einigendes‹ die Einheit des Systems garantieren soll. Nun ist aber Schelling in der entsprechenden Passage bemüht zu zeigen, dass das ›Erste‹ gerade nicht als Einheit von Grund und Existierendem zu denken sei; so heißt es etwa ausdrücklich, das Absolute könne »nicht als die Identität […] beider bezeichnet werden« (SW VII, 406). Die spezifische Konzeption des ›Ersten‹ in der Freiheitsschrift wird in der Vorlesung von 1936 nicht recht deutlich, und der Grund dafür liegt in einer Eigentümlichkeit von Heideggers Kommentar zur Schlusspartie: Der zentrale Terminus in Schellings Darstellung des Absoluten fällt gänzlich aus – der Begriff des Ungrunds. Tatsächlich nennt Heidegger diesen Begriff an weit früherer Stelle ein einziges Mal, ohne intensive Kommentierung und im Vorbeigehen, um die Seynsfuge zu erläutern. 52 Einige Seiten später – immer noch in der Interpretation der Seynsfuge – zitiert Heidegger auch den Passus, der bei Schelling, in kunstvoller Verbindung eines Satzabbruchs mit einer Frage, der Einführung des Ungrunds unmittelbar vorausgeht:
Heidegger 1938/39, 263. Vgl. auch Heidegger 1937/38, 142. Heidegger 1937/38, 138. 50 Heidegger 1937/38, 139. 51 Heidegger 1937/38, 141. Vgl. hierzu auch Heidegger 1936–38, 203 f. Vgl. zu den hier zitierten Partien und weiteren, verwandten Äußerungen ausführlich den Beitrag von Dietmar Köhler in diesem Band. 52 Heidegger 1936, 147. Vgl. zum Ungrund und zu Heideggers Interpretation Ohashi 1995 sowie Friedrich 2009, bes. 98–100. 48 49
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Denn auch der Geist ist noch nicht das Höchste; er ist nur der Geist, oder der Hauch der Liebe. Die Liebe aber ist das Höchste. Sie ist das, was da war, ehe denn der Grund und ehe das Existirende (als getrennte) waren, aber noch nicht war als Liebe, sondern – wie sollen wir es bezeichnen? (SW VII, 405 f.) 53
Heidegger zitiert allerdings an keiner Stelle der Vorlesung von 1936 vollständig Schellings Antwort, die wiederum als Frage und zugleich als ›Selbstkorrektur‹ formuliert ist: »[W]ie können wir es anders nennen als den Urgrund oder vielmehr Ungrund?« (SW VII, 406) Heidegger merkt zu Schellings Frage nach dem, was ›noch nicht war als Liebe‹, nur knapp an: »Hier verläßt auch den Denker das Wort.« 54 Dieser Kommentar ist allerdings sprechend. Trotz seiner Kürze deutet er darauf hin, dass das ›unsagbare‹ Absolute der Freiheitsschrift, der Ungrund, sich der Darstellung und der Präsenz des Begriffs wesentlich entzieht – und damit gerade jenen Grundzug des Seyns bezeichnet, der gemäß Heideggers Auslegung den ›Stoß‹ des Werks ausmacht. Nirgends kommt in der Tat die Freiheitsschrift dem Anliegen von Heideggers Interpretation weiter entgegen als im fragenden Umkreisen des Ungrundes als eines uneinholbaren Entzugs, der der Differenz von sich entziehendem Grund und Existierendem noch vorausgeht. Bemerkenswerterweise wird dies auch in Heideggers Kommentierung der Schlusspassage unter der Hand sichtbar. Übereinstimmend mit Schellings Text – und in unausdrücklicher Verschiebung seiner Interpretation des Absoluten als ›Einheit‹ – führt nämlich Heidegger aus, das ›Erste‹ sei nun »nicht mehr die Einheit des Zusammengehörigen (Identität)«; das Absolute sei vielmehr »absolute Indifferenz«, und »[d]as einzige Prädikat, das ihr zugesprochen werden kann«, sei »die Prädikatlosigkeit«. 55 Keineswegs zufällig kommt Heidegger eben hier auf denjenigen Begriff zurück, den er weiter oben als zentrales Motiv in Schellings ›Stoß‹ ausgewiesen hatte, den Begriff des Nichts. Der folgende Kommentar liest sich nachgerade wie ein Echo zu Heideggers Ausführung über das ›Nichts‹ als Grundzug des 53 Heidegger 1936, 154. Vgl. zu dieser Passage der Freiheitsschrift und zur genaueren Auslegung des Ungrundes Schwab 2016a. Vgl. auch Krell 1988, 25–28 sowie Krell 2005, 94–100. Vgl. für eine Diskussion im systematischen Kontext der Freiheitsschrift und zur Forschungsliteratur Hennigfeld 2001, 127–133. Vgl. aus der jüngeren Forschung bes. Gabriel 2012. 54 Heidegger 1936, 154. 55 Heidegger 1936, 195; Herv. v. Verf.
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Seyns selbst: »Die absolute Indifferenz ist das Nichts in dem Sinn, daß ihr gegenüber jede Seinsaussage nichts ist; aber nicht in dem Sinne, daß das Absolute das Nichtige und reine Nichtsnutzige ist.« 56 Mithin verschiebt sich in Heideggers eigener Interpretation innerhalb weniger Zeilen der (ungenannte) Ungrund von einer tendenziell ›rückständigen‹ Einheit des Absoluten zum sich entziehenden Nichts, das aber gerade nicht als ›reine‹ Absenz und Nichtigkeit zu denken ist. Und selbst noch in der folgenden Kritik scheint – offensichtlich gegen die Hauptintention der Auslegung – Heideggers Affinität zum ›unsagbaren‹ Ungrund auf: Auch hier sieht Schelling nicht die Notwendigkeit eines wesentlichen Schrittes. Wenn das Seyn in Wahrheit vom Absoluten nicht gesagt werden kann, dann liegt darin, daß das Wesen alles Seyns die Endlichkeit ist und daß nur das endlich Existierende das Vorrecht und den Schmerz hat, im Seyn als solchem zu stehen und das Wahre als Seiendes zu erfahren. 57
›Wenn das Seyn in Wahrheit vom Absoluten nicht gesagt werden kann‹ – so weit reicht also Schellings Einsicht, und gerade hier wäre, gemäß Heideggers eigener Interpretationsrichtung, der ›Stoß‹ in Schellings Schrift zu lokalisieren. Statt aber den Ungrund als denjenigen Begriff auszuweisen, der dem Nichts als Grundzug des Seyns am Nächsten kommt, wird diese Nähe eher verschleiert, indem Heideggers Kommentar den zentralen Terminus im Schlussabschnitt der Freiheitsschrift auslässt und gerade an dieser Stelle die Kritik formuliert, Schelling habe ›auch hier‹ – wie anlässlich der Systemsprengung – den ›wesentlichen Schritt‹ nicht vollzogen. In einem anderen Sinn als dem von ihm selbst benannten ist Heideggers Auslegung in der Tat ›einseitig‹ – einseitig darin, dass sie Schellings Begriff des ›Höchsten‹ allein als Restabilisierung der Einheit liest und nicht zugleich die systemsprengenden Potenziale hervorhebt, die gerade der Begriff des Ungrundes in sich birgt. Gewiss führt die Entzugsbestimmung des Ebd. Die ganze Passage ist eine teils wörtliche Paraphrase Schellings, vgl. SW VII, 406: »Die Indifferenz ist nicht ein Produkt der Gegensätze, noch sind sie implicite in ihr enthalten, sondern sie ist ein eignes von allem Gegensatz geschiedenes Wesen, an dem alle Gegensätze sich brechen, das nichts anderes ist als eben das Nichtseyn derselben, und das darum auch kein Prädicat hat als eben das der Prädicatlosigkeit, ohne daß es deßwegen ein Nichts oder ein Unding wäre.« Eine verwandte, kürzere Paraphrase gibt Heidegger auch an der oben genannten Stelle, die den Ungrund zitiert; vgl. Heidegger 1936, 147. 57 Heidegger 1936, 195. 56
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Ungrundes Schelling selbst nicht zu der Konsequenz, den idealistischen Systemanspruch zu verabschieden und nun das Sein als Endlichkeit zu fassen. Zugleich aber liegt der Un-grund als entzogenes und unsagbares Absolutes, das nicht einmal mehr als ›Identität der Differenz‹ zu denken ist, der Stoßrichtung von Heideggers Interpretation näher als die Seynsfuge und selbst der Gedanke einer ›Metaphysik des Bösen‹. 2. Bevor nun auf Heideggers erste Lektüre der Freiheitsschrift im Seminar 1927/28 zurückzugehen ist, gilt es in Form eines kurzen ›Zwischenschritts‹ die Behandlung des Ungrunds in den Lehrveranstaltungen 1941–43 anzuzeigen. In der wiederholten Auseinandersetzung mit Schelling – der Vorlesung des ersten Trimesters 1941 und einer Reihe von Seminaren 1941–43 – wird der Ungrund gleichfalls selten und zumeist nur im Vorbeigehen genannt. 58 Zwei kurze Notizen sind allerdings im vorliegenden Zusammenhang bemerkenswert. Eine der letzten Eintragungen zur Vorlesung im ersten Trimester 1941 ist eine knappe und durchaus kryptische Randnotiz zur Unterscheidung von Grund und Existierendem. Sie lautet: »Es gibt keine Figuration der Einheit des Un-grundes, und das heißt ›des Überseyenden‹«. 59 Diese Bemerkung ist zu kurz und steht zu isoliert, um weitreichende Schlüsse zu erlauben. Sie deutet aber wenigstens darauf hin, dass Heidegger seine Auslegung des Absoluten als ›Einheit‹ von 1936 verschiebt: Der Ungrund ist gerade dasjenige, was nicht in der ›Figuration der Einheit‹ erscheint – Heidegger selbst hebt mithin 1941 die Entzugstendenz des Ungrundes hervor und grenzt ihn vom früher leitenden Begriff der Einheit ab. 60 Zugleich zeigt die SchreiDie Notizen zur Vorlesung 1941 und den Seminaren 1941–1943 sind auszugsweise auch im Anhang der deutschen Erstausgabe der Vorlesung 1936 abgedruckt. An zwei Stellen, an denen sich der Begriff des Ungrunds in der späteren vollständigen Edition findet, ist er allerdings in diesen Fassungen ausgelassen, vgl. Heidegger 1936, 208 u. 210; vgl. Heidegger 1941, 85 u. 89. Vgl. aus der vollständigen Edition der Seminare 1941–1943 Heidegger 2011, 223, 226 f., 240 f., 258 u. 260. – Heideggers »Späte Bemerkungen und Aufzeichnungen« zu Schelling aus den 1950er Jahren (offenkundig inspiriert von Karl Jaspers’ und Walter Schulz’ Büchern über Schelling von 1955) sind aufschlussreich, zumal Heidegger hier erstmals den Begriff der ›Ekstase‹ in Schellings Erlanger Vorlesungen berücksichtigt; der Ungrund wird jedoch in dieser letzten Lektüre Schellings nicht mehr genannt. Vgl. Heidegger 2011, 517–525. 59 Heidegger 1941, 93 Anm.; vgl. Heidegger 1936, 212. 60 Dieser Aspekt ist insbesondere bezüglich der Grundtendenz in Heideggers Interpretation 1941 von Interesse, die Freiheitsschrift als ›Metaphysik des Willens‹ und 58
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bung ›Un-grund‹ eine Aufmerksamkeit Heideggers für die eigentümliche Selbstnegation des Begriffs, der sich als ›Grund‹ verneint. In eine verwandte Richtung weist auch eine aufschlussreiche Passage in den Seminarnotizen 1941–43, die Schelling und Hegel nebeneinander stellt. Zum Ende dieses Vergleichs notiert Heidegger, Schelling gegenüber Hegel hervorhebend: »Schellings Gedanke der Identität und des Un-grundes als In-differenz ist ursprünglicher innerhalb der absoluten Metaphysik der Subjektivität; aber auch nur innerhalb; ein bloßes Ab-sagen. –« 61 Wiederum modifiziert Heidegger seine Auslegung von 1936, und hier formuliert er nun selbst die doppelte Perspektive, die er dort nicht ausdrücklich gemacht hatte: Einerseits bezeichnet gerade Schellings Gedanke des Ungrundes (in Konstellation mit der Fassung der Identität als Seynsfuge) die ›Ursprünglichkeit‹ und die tiefste Schicht seiner Untersuchung. Andererseits reicht freilich für Heidegger auch der Ungrund noch nicht über die Metaphysik hinaus; ähnlich wie in der Vorlesung von 1936 deutet sich ein ›Stehenbleiben‹ Schellings im ersten Anfang an. Als ›Ab-sagen‹ ist aber nun der Ungrund nicht mehr die Restabilisierung des Systems, sondern ein – wenngleich allein negativer – Gegenstoß zur Tradition. In eben diesem Absagen und Gegenstoß des Ungrundes wird dann auch Schelling mehr ›zugestanden‹ als ein bloßes ›Hervortreiben‹ der Schwierigkeiten des ersten Anfangs. Bereits diese beiden späteren, kurzen Bemerkungen zeigen eine größere Aufmerksamkeit Heideggers für den Ungrund als die Vorlesung von 1936 – die umfänglichste Auseinandersetzung mit diesem Begriff aber findet sich in seiner ersten Lektüre Schellings von 1927/28.
mithin Schelling als Vorgänger zu Nietzsches ›Willen zur Macht‹ zu lesen. Sofern aber der Ungrund »kein Prädicat hat als eben das der Prädicatlosigkeit« (SW VII, 406), ist es wenigstens fraglich, ob er als Wille zu bestimmen ist. Vielmehr liegt offenbar der Ungrund jenseits des Satzes ›Wollen ist Urseyn‹, den Heidegger ins Zentrum seiner Interpretation 1941 stellt (vgl. z. B. Heidegger 1941, 83–90). Insofern bedeutet gerade der Ungrund eine Herausforderung für die willensmetaphysische Interpretation. 61 Heidegger 2011, 212; vgl. Heidegger 1936, 234.
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III. ›Das schlechthin Verschwundene‹ – Heideggers erstes Schelling-Seminar 1927/28 Das erst in jüngerer Zeit zugänglich gemachte Marburger Seminar vom Wintersemester 1927/28 mit dem Titel »Schellings Abhandlung über das Wesen der menschlichen Freiheit« enthält Heideggers erste Auseinandersetzung mit Schellings Freiheitsschrift. Auf das Werk selbst hat ihn offensichtlich Karl Jaspers 1926 durch die Übersendung eines Schelling-Bandes aufmerksam gemacht. 62 Das Seminar, das als ›Übung für Fortgeschrittene‹ angekündigt war, ist im Ganzen in zwei Teile gegliedert: Für die Sitzungen zwei bis vier (7. u. 21. Dezember 1927, 11. Januar 1928) geben drei Protokolle eine textnahe Lektüre von Schellings Abhandlung wieder, zu der auch acht handschriftliche Notizzettel Heideggers vorliegen; die Sitzungen fünf bis neun wurden durch thematisch verwandte Referate zum Freiheitsbegriff von Heideggers Schülern gestaltet, so unter anderem von Hans Jonas (zu Augustinus) und Walter Bröcker (zu Leibniz). 63 Im vorliegenden Kontext ist freilich allein der erste Teil der Übung von Interesse. Hier ist im Vergleich mit der Vorlesung von 1936 zunächst dreierlei zu bemerken: Erstens unterscheidet sich schon der Zugang Heideggers von seinem späteren Ansatz. Während Heidegger 1936 die Freiheitsschrift chronologisch und – trotz der Wiederholungen und Ambivalenzen im Detail – ›in einem Zug‹ auslegt, ist das Seminar 1927/28 durch ein zyklisches Verfahren gekennzeichnet und spricht zentrale Begriffe in mehreren Anläufen und Perspektiven durch. Auch ist Heideggers Interpretation hier im Ganzen tastender und vorläufiger als die entschiedene Entfaltung der späteren Vorlesung. Dabei ist allerdings zweitens zu beobachten, dass Heidegger bereits im Marburger Seminar die zentralen Themen seiner späteren Interpretation einkreist: 64 In allen drei Protokollen ist die UnterscheiAm 24. April 1926 schreibt Heidegger hierzu an Jaspers: »Für das Schellingbändchen muß ich Ihnen heute noch einmal ausdrücklich danken. Schelling wagt sich philosophisch viel weiter vor als Hegel, wenn er auch begrifflich unordentlicher ist. Die Abhandlung über die Freiheit habe ich nur angelesen. Sie ist mir zu wertvoll, als daß ich sie in einem rohen Lesen erstmals kennenlernen möchte« (M. Heidegger an K. Jaspers, 24. April 1926, Heidegger/Jaspers 1990, 62). Es ist nicht letztlich gesichert, welche Edition Jaspers Heidegger hat zukommen lassen; allem Anschein nach handelt es sich um eine Kompilation mehrerer Schriften Schellings. 63 Vgl. im Detail Schwab/Schwenzfeuer 2010. 64 Vgl. für einen Überblick über diese drei Sitzungen Schwab/Schwenzfeuer 2010, 308–314. 62
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dung von Grund und Existierendem Gegenstand der Durchsprache, und auch das Böse tritt immer deutlicher als Kristallisationspunkt der Interpretation in den Blick. 65 Überdies ist schon 1927/28 die Auslegung an der Seinsfrage orientiert. 66 Schließlich zeichnet sich hier auch bereits Heideggers ambivalente Einschätzung ab, nach der Schelling zwar über den Idealismus hinausdeute, aber dennoch scheitere – etwa wenn er von den »plötzlich auftretende[n], schlaglichtartig erhellende[n] Sätze[n]« spricht, »die zeigen, daß Schellings Niveau weit über dem des Idealismus liegt, ohne daß es Schelling selbst gelungen wäre, dies Niveau durchgängig zu halten.« 67 Drittens aber sind, trotz aller Parallelität und Vorwegnahme des Späteren, erhebliche inhaltliche Differenzen gegenüber der Vorlesung von 1936 auszumachen. Die bemerkenswerteste dieser Differenzen besteht darin, dass 1927/28 gerade der Begriff des Ungrundes – den Heidegger, wie gezeigt, 1936 nur ein einziges Mal nennt – zentraler Bezugspunkt der Auslegung ist. Auf sehr viel geringerem Raum als 1936 fällt der Begriff in den Protokollen zur dritten und vierten Sitzung insgesamt 19 Mal und in Heideggers eigenen acht Notizzetteln fünfmal. Dieser zunächst bloß quantitativen Auffälligkeit entspricht es, dass Heidegger in systematischer Hinsicht wiederholt auf den ›höchsten Punkt‹ der Untersuchung zurückgeht, um zentrale Fragen in der Interpretation der Freiheitsschrift zu klären. Im Ganzen erweist sich dabei die Auslegung des Ungrundes Vgl. besonders die Interpretation in der zweiten und dritten Sitzung, Heidegger 1927/28, 335–337 u. 340 f. 66 Vgl. besonders die vierte Sitzung, die ausführlich die Bestimmung des ›Seins überhaupt‹ durchdenkt. Vgl. Heidegger 1927/28, 346–354. – Im Zugang zur Seinsfrage liegt allerdings bereits ein bedeutender Unterschied zur Vorlesung 1936: In seinem ersten Seminar betont Heidegger mehrfach, die Bestimmung des Seins sei bei Schelling vom Menschen her zu verstehen (vgl. bes. Heidegger 1927/28, 332, 339 u. 346 f.); 1936 heißt es hingegen (auch) umgekehrt, die Bestimmung der menschlichen Freiheit sei allein von der Frage nach dem ›Ganzen des Seyns‹ her zu begreifen (vgl. bes. Heidegger 1936, 11 f. u. 197 f.). Dem entspricht es auch, dass Heidegger 1927/28 die Einleitung der Freiheitsschrift überspringt (vgl. Heidegger 1927/28, 331), während diese in der Vorlesung 1936 gerade die ontologische Dimension der Fragestellung deutlich machen soll. Es erschiene mithin viel versprechend, diese Wandlung der Schelling-Interpretation vor dem Hintergrund von Heideggers Denkweg auszulegen, zumal das erste Seminar unmittelbar nach Sein und Zeit abgehalten wurde. 67 Heidegger 1927/28, 340. Selbstverständlich können die Protokolle nicht als wörtliche Wiedergabe Heideggers gelten. Der Vergleich mit Heideggers Notizzetteln und die weitestgehende Konsistenz der Texte lassen sie aber als recht verlässliche Quelle erscheinen. 65
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1927/28 wiederum als dreiseitig und vermag die Gründe für die nur marginale Behandlung des Begriffs in der ›großen‹ Vorlesung 1936 wesentlich zu beleuchten: Erstens versteht nämlich Heidegger bereits 1927/28 den Ungrund vornehmlich als Einheit, und dies deshalb, weil er schon hier den Begriff durchgehend von der Frage nach dem Verhältnis von Grund und Existenz her und auf diese Frage hin in den Blick nimmt. Dabei nähert Heidegger den Ungrund der ›Seynsfuge‹ in dem Maße an, dass er ihn stellenweise mit der ›Unzertrennlichkeit‹ der beiden Prinzipien in Gott oder auch mit der Liebe als abschließender ›Einigung‹ beider geradezu identifiziert. Sofern also für Heidegger später, in der Auslegung von 1936, die Einheit des Systems zum Problem wird, so muss dies auch den früh schon mit der Einheit assoziierten Ungrund einschließen. Zweitens aber zeigt sich im wiederholten Durcharbeiten der Frage nach dem Ungrund 1927/28 ein ›Irritationspotenzial‹ dieses Begriffs. Deutlicher als 1936 wird nämlich im Marburger Seminar, dass der Ungrund wenigstens nicht eindeutig als ›Figuration der Einheit‹ zu bestimmen ist. Mehrfach fragt Heidegger nach dem ›ontologischen Status‹ des Ungrundes, kommt aber zu keiner abschließenden Antwort. Obgleich damit der Ungrund innerhalb der Marburger Auslegung als hoch problematisch erscheint und von Heidegger auch kritisch kommentiert wird, so verweist doch gerade der ›fragwüdige‹ ontologische Status des Begriffs auf das Anliegen der späteren Vorlesung – und 1936 wird ja Heidegger selbst schreiben, dass gegenüber der Indifferenz des Ungrundes ›jede Seinsaussage nichts‹ sei und dass das ›Seyn in Wahrheit vom Absoluten nicht gesagt werden‹ könne. Die eigentümliche ›Unfassbarkeit‹ des Ungrundes deutet auf jenen Grundzug des Seyns als Nichts und Verbergung voraus, die Heidegger 1936 mit dem ›Stoß‹ der schellingschen Abhandlung verbinden wird. In dieser größeren Aufmerksamkeit auf den Status des ›Absoluten‹ benennt schließlich drittens die Interpretation von 1927/28 sehr viel klarer als die Vorlesung von 1936 den Entzugscharakter des Ungrundes – indem nämlich Heidegger ihn als ›das schlechthin Verschwundene‹ anspricht. Gerade diese Bestimmung aber bleibt in der frühen Auslegung, wie bemerkt, unbefriedigend, und so lässt Heidegger den Ungrund letztlich als ›unbewältigtes‹ Problem stehen. Mithin mag auch diese kritische Einschätzung des Ungrundes in der Marburger Übung ein Grund dafür sein, dass Heidegger dem Begriff 1936 wenig Beachtung schenkt. Eben diejenige Bestimmung aber, die 231 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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in der frühen Blickbahn als unfruchtbar erscheint, hätte dem späteren Zugriff produktive Anknüpfungsmöglichkeiten geboten. Diese drei Seiten der Auslegung sind anhand der Textstellen zum Ungrund – zwei Passagen der dritten Sitzung und eine Passage der vierten Sitzung – näher zu entfalten. 68 1. Die ausführlichste Erörterung des Ungrundes findet sich zu Beginn der dritten Sitzung. Hier zeigt sich sogleich ein zentrales Charakteristikum der Interpretation von 1927/28: Der Ausgangspunkt ist, wie durchgehend, die Frage nach der Einheit von Grund und Existenz – und eben zur Klärung dieser Einheit geht Heidegger auf den Ungrund zurück. Das Protokoll beginnt folgendermaßen: »Die Aussprache nimmt zuerst die Frage auf, wie Schelling das Problem der Einheit des Wesens als Grund und des Wesens als Existenz löst.« 69 Entsprechend der knappen Paraphrase in der Vorlesung 1936 und gemäß Schellings Text erläutert aber nun Heidegger, diese Einheit sei in gewissem Sinne gerade nicht als Einheit zu denken – ohne allerdings die darin liegende Spannung sogleich zu thematisieren: »Die E i n h e i t von Wesen als Grund und als Existenz ist weder das eine noch das andere, noch die Einheit des Gegensatzes beider, daher kann keine von beiden gegen die andere gestellt werden.« 70 In seinen Notizzetteln macht Heidegger den Versuch, diese Spannung von Einheit und Nicht-Einheit dadurch zu fassen, dass er den »Ungrund« als das »vor-gegensätzliche – vor-duale ›P o s i t i v e ‹« bezeichnet. 71 Heidegger setzt allerdings das ›Positive‹ in Anführungszeichen, und es ist in der Tat fraglich, ob der Ungrund derart als Positivität anzusprechen ist. Die unmittelbar folgende Passage des Protokolls enthält Heideggers am weitesten gehende Bestimmung des Ungrundes in seiner Auseinandersetzung mit der Freiheitsschrift überhaupt. Heidegger hält nämlich hier fest, es müsse mit der »Indifferenz«, also mit dem Ungrund, »absolut ernst gemacht werden«. 72 Sodann zitiert HeiDie Darstellung orientiert sich an den Protokollen; die Notizzettel werden, sofern sie zur Klärung wesentlich sind, an der entsprechenden Stelle hinzugezogen. 69 Heidegger 1927/28, 338; Herv. v. Verf. 70 Ebd. 71 Heidegger 1927/28, 324. Dieser Notizzettel gehört zwar der Gliederung nach offensichtlich zur 4. Sitzung; der hier zitierte Gedanke wird aber im entsprechenden Protokoll nicht ausdrücklich entwickelt und entspricht eher der 3. Sitzung. 72 Heidegger 1927/28, 338. 68
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degger – im Unterschied zur bloßen Paraphrase in der Vorlesung 1936 – die bei Schelling zentralen Erläuterungen zum Ungrund, nach der dieser »kein Prädicat hat als eben das der Prädicatlosigkeit, ohne daß es deßwegen ein Nichts oder ein Unding wäre.« (SW VII, 406) 73 Und Heidegger kommentiert, seine vorherige Bemerkung verschärfend: »Das ist formal deutlich, es heisst eben Ernstmachen mit der Indifferenz, mit der Idee eines schlechthin Verschwundenen.« 74 Das ›schlechthin Verschwundene‹ 75 – damit ist der Charakter des Ungrunds als Alterität und Entzug deutlicher ausgesprochen als in irgendeiner der anderen Interpretationen Heideggers. Zugleich verweist die Bestimmung auf jenen Grundzug des Nichts im Sein selbst, den Heidegger in der Vorlesung 1936 anlässlich der ›Metaphysik des Bösen‹ formuliert, aber dort gerade nicht auf den Ungrund bezogen hatte. In dieser Erläuterung kommt mithin Heidegger der Affinität, die seine Auslegung von 1936 mit dem Begriff des Ungrundes der Sache nach verbindet, näher als in dieser Vorlesung selbst. Für die Übung 1927/28 ist es aber nun charakteristisch, dass die Entzugsbestimmung des Ungrundes als unbefriedigend erscheint – und dies vornehmlich deshalb, weil sie auf Heideggers leitende Frage keine direkte und erschöpfende Antwort zu geben vermag, nämlich auf die Frage nach der Einheit von Grund und Existierendem. Dieses Irritationspotenzial des Ungrundes zeigt sich bereits in der zitierten Bemerkung, Schellings Darstellung sei ›formal deutlich‹ ; es wird noch greifbarer in den weiteren Bemühungen zur Klärung. Sogleich notiert nämlich das Protokoll, es komme »nun darauf an, dies schlechthin Verschwundene ontologisch zu erfassen«. 76 Der »Fingerzeig«, den Heidegger Schellings Text zur »ontologischen Erfassung« des Ungrundes »als Verschwundene[n]« entnimmt, führt aber von dessen eigener Bestimmung fort – erläutert doch Heidegger den Status des Ungrundes durch die »zwei gleich ewige[n] Anfänge«, in die Die Passage der Freiheitsschrift, in der der Ungrund eingeführt wird, ist allerdings im Protokoll nur abgekürzt wiedergegeben: »S. 406 (›Es muß vor allem Grund …‹)« (Heidegger 1927/28, 338). 74 Heidegger 1927/28, 339. 75 Der Begriff basiert auf einer Passage bei Schelling, die aber von Heidegger frei interpretiert wird: Schelling spricht von einem »Verschwinden aller Gegensätze« und merkt an, dass an diesem Punkt der Betrachtung »[d]ie meisten […] vergessen, daß diese [die Gegensätze, P. S.] nun wirklich verschwunden sind« (SW VII, 406). Bei Schelling sind es mithin die Gegensätze, die im Ungrund verschwinden; bei Heidegger aber bezieht sich das ›Verschwinden‹ auf den Ungrund selbst. 76 Heidegger 1927/28, 339. 73
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er »auseinandergeht« (SW VII, 408). 77 Geklärt wird mithin nicht der Status des Ungrunds selbst, sondern der Status dessen, was aus ihm ›hervorgeht‹, seine Folge. Sodann macht Heidegger den tastenden Versuch, den Ungrund ontologisch als Werden zu fassen. Dies wird auch in einer kurzen Partie der Vorlesung von 1936 widerklingen, die die »Wichtigkeit« des »letzte[n] Abschnitt[s]« der Freiheitsschrift darin bestimmt, die »Werdebewegtheit des Absoluten« zu verdeutlichen. 78 In der Übung 1927/28 heißt es hierzu: Die Art und Weise des ursprünglichen Wesens, des Ungrundes ist – sofern Wesen immer Werden ist – Werden. Seinsbestimmung in diesem Ungrunde als Wesen kann nur das sein, was ihm weder als Grund noch als Existenz zukommt, sondern was ihm als s e i n Wesen zukommt. Er – der Un-grund – west als Ganzes in jedem von beiden, also können beide – ohne different zu sein – nicht zugleich in ihm v o r h a n d e n sein. 79
In der etwas hölzernen Wiedergabe des Protokolls zeigt sich allerdings eine sachliche Spannung: Die ontologische Bestimmung als Werden ergibt sich nämlich allein durch das, was aus dem Ungrund folgt – eben das zuvor zitierte Auseinandergehen in die zwei ›gleich ewigen Anfänge‹. Nach Heideggers eigener Erläuterung aber soll eine Klärung nur dann möglich sein, wenn der Ungrund allein aus seinem eigenen Wesen erfasst wird – dieses eigene ›Wesen‹ aber bleibt in gewisser Weise ›unfasslich‹ und entzieht sich einer klaren ›ontologischen‹ Bestimmung. Dass Heidegger selbst die angedachte ›Lösung‹ nicht zufrieden stellt, wird daran deutlich, dass er die Untersuchung abbricht und nun eine Kritik am Begriff des Ungrunds formuliert: Rein abstrakt-formal (einfach auf Grund der terminologischen Bestimmung Schellings für Wesen, Grund, Existenz, Ungrund) kommt man aber nicht weiter, sondern man muß versuchen Schellings ganzen HoriEbd. Dass dieser Passus über die ›zwei gleich ewigen Anfänge‹ von Heidegger zweimal zitiert wird, verdeutlicht sein Interesse am ›Ursprung‹ von Grund und Existenz. Vgl. auch Heidegger 1927/28, 352. 78 Vgl. Heidegger 1936, 195. Diese Klärung besteht dann allerdings allein in der »Warnung, […] dieses Werden nie so zu denken, daß zunächst und zuerst nur ein Grund sei und dann die Existenz irgendwoher hinzu komme« (ebd.). 79 Heidegger 1927/28, 339 f. Hierauf kommt Heidegger auch in der vierten Sitzung zurück (vgl. Heidegger 1927/28, 348–359), wo es unter anderem heißt: »Nur unter der Voraussetzung, daß in der absoluten Indifferenz und der absoluten Identität schon Werden liegt, kann Schelling den Ursprung des Bösen aus Gott erklären, ohne Gott zum Urheber zu machen« (Heidegger 1927/28, 349). 77
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zont (Erfassung des Daseins) so zu fassen, daß uns »Grund« und »Existenz« verständlicher werden. Nach dieser Vorwegnahme des ontologischen Resultats erhebt sich die Frage, ob überhaupt noch ein rechtmässiges Problem vorliegt, wenn man auf den Ungrund zurückgeht, und wie dieser ontologisch bestimmt werden muß. Die Erörterung nimmt daher die Untersuchung Schellings wieder auf, indem sie versucht, Mensch- und Daseins-Erfassung bei ihm schärfer zu sehen. 80
Diese Bemerkungen sind vielsagend: Einerseits machen sie nochmals deutlich, dass Heidegger vornehmlich auf ein Verständnis von Grund und Existierendem abzielt. Andererseits aber bringt Heidegger selbst zum Ausdruck, dass die Frage nach der ontologischen Bestimmung des Ungrunds nach wie vor unklar und ungeklärt bleibt – und gerade diese ontologische ›Unbestimmbarkeit‹ verweist auf den Charakter des Ungrunds als Entzug. In der Fragerichtung der Auslegung 1927/ 28 kann freilich Heidegger an diesen Gedanken nicht produktiv anschließen; der ›Widerstand‹ des Ungrundes gegen seine ontologische Erfassung erscheint als problematisch und womöglich ›unrechtmäßig‹. Blickt man aber auf Heideggers spätere Auseinandersetzung mit Schelling voraus – namentlich seine Erläuterungen zur ›Metaphysik des Bösen‹ und zum Nichts als Grundzug des Seyns –, so zeigt sich gerade in der irritierenden ontologischen ›Fragwüdigkeit‹ des Ungrunds nochmals die Nähe dieses Begriffs zum Ansatz der Vorlesung von 1936. 2. Nur eine gute Seite später kommt Heidegger wieder kurz auf den Ungrund zurück. Dabei wird noch deutlicher als zuvor, dass der Ungrund je schon auf ein anderes hin und nicht als solcher in den Blick genommen wird – ist es doch die Frage nach dem Bösen, die Heidegger hier zum Ende der Freiheitsschrift führt: »Wie kommt es ü b e r h a u p t zur Erregung des Seins, zur Regung des Bösen? Zur Antwort muß man den Schluß von Schellings Abhandlung kennen: Die Lehre vom Un-grund.« 81 Es wiederholt sich also die charakteristische Bewegung der Übung von 1927/28, zur Klärung von Sachfragen der Abhandlung auf ihren ›höchsten Punkt‹ zurückzugehen. Ebenso charakteristisch ist es aber, dass sich Heidegger von dieser
80 81
Heidegger 1927/28, 340. Heidegger 1927/28, 341.
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Ebene sogleich wieder entfernt und überdies aus dem ›Ungrund‹ keine zufrieden stellende Antwort erhält. Weiter heißt es: Es liegt im Ur-sein eine totale Ungeschiedenheit. Zum Geschehen bedarf es einer Sollicitation. Wie ist diese möglich? Warum muß überhaupt die Indifferenz, die Ungeschiedenheit des Ungrundes (Urgrundes) aufgehoben werden? 82
Die Antwort wird mit einem Zitat Schellings gegeben: »Wegen des Selbstoffenbarungswillens Gottes, ›weil Gott notwendig sich offenbaren muß, und weil in der Schöpfung überhaupt nichts Zweideutiges bleiben kann.‹« 83 Diese Passage ist bei Schelling allerdings der Entscheidung im Menschen gewidmet und verweist nicht direkt auf eine ›Scheidung‹ des Ungrunds. Indem Heidegger sie aber auf den Ungrund bezieht, stellt sich nun eine erneute »Frage«, die wieder den Begriff des ›Verschwundenen‹ einbringt: [M]it welchem Recht kann Schelling dies sagen? Wo ist noch Zweideutiges möglich innerhalb der absoluten Indifferenz? Das »Sowohl-als auch« ist Ausdruck für Zweideutigkeit, sodaß es aussieht, als ob Schelling den Ungrund hier so fasst, wie er selbst es ablehnt, ihn zu fassen. Wenn alles »verschwunden« ist, dann gilt das »Weder-noch«; in ihm liegt allerdings auch noch ein l e t z t e s Zurückblicken auf das Verschwinden. Im Falle der »Zweideutigkeit« kann man eigentlich nicht so absolut vom Verschwundensein sprechen. Schelling scheidet hier nicht scharf genug zwischen »Sowohl-als auch« und »Weder-noch«. 84
Wiederum formuliert also Heidegger eine Kritik am ›uneindeutigen‹ Charakter des Ungrunds – die aber hier offenbar dadurch bedingt ist, dass er die absolute Indifferenz des Ungrundes gleichsam ›zu früh‹ ansetzt. Heidegger identifiziert nämlich, wie der Kontext des Passus der Freiheitsschrift zeigt, die Indifferenz mit der ›Unzertrennlichkeit‹ der beiden Prinzipien in Gott, 85 die allerdings bei Schelling ›noch‹ Ebd. Heidegger 1927/28, 342. Vgl. SW VII, 374. 84 Heidegger 1927/28, 342. Die Kontrastierung von ›weder – noch‹ und ›sowohl – als auch‹ findet sich als solche nicht bei Schelling und verweist auf den Eingangskommentar Heideggers zurück; dort hieß es vom Ungrund, er sei »nicht aber sowohl Grund als auch Existenz als ein Gemisch, sondern weder das Eine noch das Andere« (Heidegger 1927/28, 338). 85 Die Rede von der ›unzertrennlichen Einheit beider Prinzipien‹ in Gott und der Unterschied zum Menschen, der ›nicht in der Unentschiedenheit bleiben kann‹, bildet den Rahmen der im Protokoll zitierten Stelle. Vgl. SW VII, 373 f.: »Denn wenn Gott als Geist die unzertrennliche Einheit beider Principien ist, und dieselbe Einheit nur im 82 83
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nicht die Indifferenz des Ungrunds bezeichnet. Dabei ist im Kommentar dieselbe Zweiseitigkeit zu beobachten wie im vorherigen Passus: Heidegger kennzeichnet klar den ›Anspruch‹ Schellings, den Ungrund als das ›Verschwundene‹ zu denken – gerade dies erscheint aber im Kontext der Übung von 1927/28 als durchweg problematisch. In einer einzelnen Formulierung scheint aber auch hier in der ›Fragwürdigkeit‹ des Ungrundes die Affinität zu Heideggers Anliegen 1936 auf: Heidegger spricht von der »Dopplung innerhalb des Ungrundes als einer verschwundenen, aber gleichwohl noch beunruhigenden«. 86 Obgleich das ›Verschwinden‹ und die ›Beunruhigung‹ sich offenbar auf die ›Dopplung‹ der ›zwei Prinzipien‹ beziehen, so ist doch der Austragungsort dieser Spannung der Ungrund. Eben in dieser ›latenten Präsenz‹, im Gefüge von Anwesen und Abwesen, verweist abermals der Ungrund auf den ›Stoß‹, den Schelling in Heideggers Lektüre von 1936 für die Frage nach dem Seyn bedeutet. 3. Auch in der letzten Stelle, die den Ungrund im Seminar 1927/28 streift, wird Heideggers Tendenz sichtbar, diesen Gedanken auf seine Folge hin zu perspektivieren. In diesem Passus der vierten Sitzung gilt das Interesse dem Begriff der Liebe – und ein letztes Mal sieht sich die Klärung zurückverwiesen »auf die ganze Dimension seines [Schellings, P. S.] ontologischen Systems, bis auf das, was Grund und Existenz zugrundeliegt, den Ungrund.« 87 Obgleich Heidegger nochGeist des Menschen wirklich ist, so würde, wenn sie in diesem ebenso unauflöslich wäre als in Gott, der Mensch von Gott gar nicht unterschieden seyn; er ginge in Gott auf, und es wäre keine Offenbarung und Beweglichkeit der Liebe. Denn jedes Wesen kann nur in seinem Gegentheil offenbar werden, Liebe nur in Haß, Einheit in Streit. Wäre keine Zertrennung der Principien, so könnte die Einheit ihre Allmacht nicht erweisen; wäre nicht Zwietracht, so könnte die Liebe nicht wirklich werden. Der Mensch ist auf jenen Gipfel gestellt, wo er die Selbstbewegungsquelle zum Guten und Bösen gleicherweise in sich hat: das Band der Principien in ihm ist kein nothwendiges, sondern ein freies. Er steht am Scheidepunkt; was er auch wähle, es wird seine That seyn, aber er kann nicht in der Unentschiedenheit bleiben, weil Gott nothwendig sich offenbaren muß, und weil in der Schöpfung überhaupt nichts Zweideutiges bleiben kann. Dennoch scheint es, er könne auch nicht aus seiner Unentschiedenheit heraustreten, eben weil sie dieß ist.« Vgl. zum Zusammenhang bes. auch SW VII, 364: »Diejenige Einheit, die in Gott unzertrennlich ist, muß also im Menschen zertrennlich seyn, – und dieses ist die Möglichkeit des Guten und des Bösen«. 86 Heidegger 1927/28, 342. Sachlich verweist diese Partie einerseits kritisch zurück auf Schellings ›ungenaue‹ Bestimmung des Ungrundes und leitet andererseits über zum Ur-Sein als ›Wollen‹ und ›Drang‹. 87 Heidegger 1927/28, 351 f. In diesem Kontext zitiert Heidegger auch die Passage
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mals Partien zum Ungrund aus Schelling zitiert, geht der Kommentar nicht mehr auf den Begriff selbst ein und widmet sich der Liebe als »Einigung« der zwei Prinzipien. 88 Dass Heidegger dabei die Begriffe des Ungrundes und der Liebe in seiner Auslegung einander annähert, wird an der Ungenauigkeit eines Zitats deutlich, die – sei sie Heidegger selbst oder der Protokollantin zuzuschreiben – eine Grundtendenz in der Lektüre des Ungrundes von 1927/28 reflektiert: Das Protokoll spricht dasjenige an, was Grund und Existierendes »einigt[,] ›die Liebe – oder wie sollen wir es nennen‹«. 89 Bei Schelling jedoch fragt eben diese Wendung nach dem, was die Liebe war, als sie »noch nicht war als Liebe, sondern – wie sollen wir es bezeichnen?« (SW VII, 406; Herv. v. Verf.) Und gerade dies Erste vor der Liebe, das sich der Beschreibung entzieht, ist eben der Ungrund. * * * Überblickt man von hier aus die Interpretationen der Freiheitsschrift von 1927/28, 1936 und 1941–1943 im Ganzen, so zeigt sich, dass Heidegger in keinem der drei ›Durchgänge‹ den Ungrund als bevorzugten Begriff heraushebt. Gleichwohl lassen sich in allen drei Lektüren Passagen nachweisen, die eine – freilich nicht als solche explizit formulierte – Affinität zu eben diesem Begriff sichtbar machen: In der 1936er Vorlesung hat sich gezeigt, dass der Begriff des Ungrundes, trotz Heideggers Kritik am Schlusspassus der Freiheitsschrift, dem ausdrücklichen Anliegen seiner Lektüre des Werks am nächsten kommt; in den Notizen 1941–43 weist Heidegger im Vergleich zwischen Hegel und Schelling den Ungrund als ›ursprünglichste‹ Dimension schellingschen Denkens aus; und im Seminar 1927/28 bildet der Begriff des ›schlechthin Verschwundenen‹ gleichsam den Auftakt und Anfangspunkt dieser Linie, die allerdings durch die Engführung des Ungrundes mit der Einheit von Beginn an undeutlich bleibt. Im Ganzen ist es bemerkenswert, dass gerade Heidegger in keiner seiner Lektüren eine ›semantische‹ Analyse des ›Un-grundes‹ vorSchellings zu Gott als ›System‹ und ›Leben‹ ; die spätere Auffassung, dass sich hier ein ›Auseinanderbrechen‹ des Systems zeige, wird 1927/28 noch nicht formuliert. Vgl. Heidegger 1927/28, 350 f. und auch das frühere Zitat dieser Stelle in Heidegger 1927/28, 343. 88 Heidegger 1927/28, 353. 89 Ebd.; Herv. v. Verf. Die Passage ist allerdings auf der Seite zuvor (weitestgehend) korrekt wiedergegeben, vgl. Heidegger 1927/28, 352.
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nimmt und die Zweideutigkeit ausdrücklich macht, die schon in dem Wort selbst liegt – soll doch dieses paradoxerweise einen Grund bezeichnen, der zugleich nicht Grund ist. Dass diese Eigentümlichkeit Heidegger allerdings keineswegs entgangen ist und dass er gerade hieran in seinem eigenen Denken meint anschließen zu können, zeigt eine Marginalnotiz, die er wohl zwischen 1929 und 1931 – also nur kurz nach der ersten Beschäftigung mit Schelling – in sein Handexemplar zu Vom Wesen des Grundes einträgt: »Wo liegt die Notwendigkeit für Gründung? Im Ab- und Un-grund.« 90
IV. ›Absolute Alterität‹ und ›grundloser Grund‹ – Derrida über Schelling Vor dem Hintergrund von Heideggers wiederholter, umfänglicher und intensiver Auseinandersetzung mit der Freiheitsschrift müssen sich Derridas verstreute Bemerkungen zu Schelling geradezu zwangsläufig leicht und flüchtig ausnehmen; und im Rahmen dieser Untersuchung, die sich auf die explizite Rezeption schellingscher Texte beschränkt, kann der folgende Überblick in der Tat nur einen Appendix zur Interpretation Heideggers bilden. Trotz ihrer Verstreutheit und Kürze sind die Bemerkungen Derridas zu Schelling allerdings bemerkenswert; insbesondere ist dabei aufschlussreich, welche Stellen aus Schellings Werk Derrida zitiert und wie diese jeweils eingebracht und ausgelegt werden. Die Bezugnahmen auf Schelling lassen sich in vier ›Perioden‹ oder ›Perspektiven‹ gliedern. 91 1. Ein erstes und signifikantes Bündel von Bemerkungen zu Schelling, und zwar zunächst zu seiner Spätphilosophie, findet sich in Die Heidegger 1967, 127. Kurz zuvor verweist Heidegger im Text selbst ausdrücklich auf Schellings Freiheitsschrift, vgl. Heidegger 1967, 125 f. und hierzu Schwenzfeuer 2010, 244. Auch in Einführung in die Metaphysik von 1935 fragt Heidegger – mit deutlichem Bezug zu Schellings Terminologie, aber losgelöst von dessen Verwendung – nach dem Verhältnis von Ur-grund, Ab-grund und Un-grund. Vgl. Heidegger 1935, 4 f. 91 Angesichts der Form, in der Derridas Werke vorliegen, ist es durchaus wahrscheinlich, dass sich in entlegeneren Texten noch weitere Referenzen zu Schelling finden; der folgende Überblick kann also keinen Anspruch auf Vollständigkeit erheben. – Die Literatur zum Verhältnis ›Schelling – Derrida‹ ist bislang äußerst schmal. Vgl. Dews 1987, 19–31; Frank 1990, 465–467; Bowie 1993, bes. 67–75; Clark 1995; Skempton 2010, 33–35 u. 44–48. 90
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Schrift und die Differenz von 1967. Gegen Ende des ersten Essays »Kraft und Bedeutung« (zuerst 1963) verweist Derrida en passant und ohne Angabe der Quelle auf Schellings Formulierung, »dass ›alles nur Dionysos ist‹« 92 – offensichtlich ein verkürztes Zitat aus der Philosophie der Offenbarung. 93 Aufschlussreich ist dabei der Kontext, in dem Schelling erstmals erscheint, spricht doch Derrida hier von der Differenz im Allgemeinen und dem Unterschied zwischen Dionysos und Apollo im Besonderen. Dazu heißt es: Das Unterschiedliche [différend], die Differenz zwischen Dionysos und Apollo, zwischen dem Antrieb und der Struktur, löst sich nicht in der Geschichte auf, weil sie nicht in der Geschichte ist. Sie ist in einem ungewöhnlichen Sinn ebenfalls eine ursprüngliche Struktur: Öffnung der Geschichte und die Geschichtlichkeit selbst. Die Differenz gehört nicht einfach der Geschichte oder der Struktur an. Wenn man mit Schelling sagen muss, dass »alles nur Dionysos ist«, dann muss man wissen – und das heißt schreiben – dass Dionysos, als reine Kraft, durch die Differenz bearbeitet wird. 94
Mithin werden hier bereits, wenn auch nur in loser Verbindung, Schelling und sein Verständnis des Dionysos mit der Differenz und dem Außerhalb assoziiert – einem Außerhalb der Geschichte, das nicht in der Geschichte aufgeht, ihr aber auch nicht gänzlich entgeht, sofern es sie selbst eröffnet. Wenig später kommt Derrida auf diese Struktur zurück. Der Text zu Jabès (zuerst 1964) verbindet kurz die »Differenz« und »Negativität in Gott« mit der »›Ironie Gottes‹, von der Schelling sprach« und die sich, »wie immer, zunächst auf sich selbst […] richtet«. 95 Der ausführlichste Verweis auf Schelling im Frühwerk Derridas findet sich schließlich in dem Levinas-Essay »Gewalt und Metaphysik« (ebenfalls zuerst 1964). Hier zitiert Derrida zunächst knapp aus Schellings Erlanger Vorlesungen und der Schrift Philosophie und Religion zu den Begriffen des Wissens, der Vernunft, der Ichheit und der EndlichDerrida 1972b, 50 / Derrida 1967b, 47. Vgl. SW XIII, 463: »Nur so ist denn jetzt alles Dionysos.« Vgl. auch SW XII, 376 u. SW XIII, 425. Es ist naheliegend, dass dieser Verweis – und ebenso weitere SchellingBezüge in den ersten Werken – auf sekundärer Quelle beruht. 94 Derrida 1972b, 50 / Derrida 1967b, 47. 95 Derrida 1972b, 106 / Derrida 1967b, 103. Auch hier ist kein direktes Zitat gegeben und eine sekundäre Quelle wahrscheinlich. Von der Ironie in Bezug auf Gott spricht Schelling mehrfach, vgl. z. B. SW XII, 90; SW XIII, 304; SW XIV, 24, 151; vgl. auch Schelling 1841/42, 202, 256. 92 93
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keit. 96 Kurz vor Ende des Textes erscheint Schelling noch einmal, und zwar im Kontext des Empirismus. Diesen Begriff führt Derrida dadurch ein, dass er, im Anschluss an seine Diskussion von Levinas’ Denken des Anderen, die folgende Bemerkung macht: Aber der wahre Name dieser Verneigung des Denkens vor dem Andern, dieser entschlossenen Annahme der inkohärenten Inkohärenz, die durch eine Wahrheit inspiriert ist, die tiefer ist als die »Logik« des philosophischen Diskurses, – der wahre Name dieser Resignation des Begriffs, der a priori und der transzendentalen Horizonte der Sprache, ist der Empirismus. 97
Und in Bezug auf Levinas heißt es sodann: Indem er das Thema der unendlichen Exteriorität des Anderen radikalisiert, nimmt Levinas die Absicht auf, die mehr oder weniger geheim all jene philosophischen Gesten belebt hat, die man in der Geschichte der Philosophie Empirismen genannt hat. 98
Damit nähert Derrida, trotz der kritischen Ebene seiner Auseinandersetzung mit Levinas, den hier umrissenen Empirismus der Exteriorität seinem eigenen denkerischen Projekt an. Dies wird insbesondere in der Bemerkung deutlich, der Empirismus sei »der Traum eines in seinem Ursprung rein heterologischen Denkens. Reines Denken der reinen Differenz.« 99 Gleichwohl ist aber der Empirismus nicht als ›einfache‹ Überwindung der ›logozentrischen‹ Philosophie verstanden, schreibt doch Derrida, der Empirismus habe »im Grunde immer nur einen Fehler gemacht: den philosophischen Fehler, sich als eine Philosophie anzubieten.« 100 Insofern der Empirismus sich wesentlich Vgl. Derrida 1972b, 198 f. / Derrida 1967b, 192. Die Nachweise der Schelling-Zitate finden sich nicht im französischen Original – Derrida schreibt lediglich »(Schelling)« –, sie sind aber in der deutschen Ausgabe vermerkt. Derrida zitiert SW IX, 244 u. SW VI, 42 f. 97 Derrida 1972b, 231 / Derrida 1967b, 224. 98 Derrida 1972b, 231 / Derrida 1967b, 224 f. 99 Derrida 1972b, 231 / Derrida 1967b, 224. Dabei ist zu beachten, dass für Derrida – wie er in affirmativem Rekurs auf Hegel ausführt – »die absolute Differenz […] nur rein sein kann, indem sie zugleich unrein ist« (Derrida 1972b, 234 Anm. / Derrida 1967b, 227 Anm.). 100 Derrida 1972b, 231 / Derrida 1967b, 224. Eine verwandte Formulierung findet sich in Von der Grammatologie in Bezug auf Nietzsche, wo die Rede ist von einer »Radikalisierung der Begriffe der Interpretation, der Perspektive, der Wertung, der Differenz und aller ›empiristischen‹ oder nicht-philosophischen Motive, die die abendländische Philosophie bis heute nicht zur Ruhe kommen ließen, und die nur die eine, 96
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auf den Begriff der Erfahrung berufe, dieser aber »stets durch die Metaphysik der Präsenz bestimmt« worden sei, zeige sich eine »Komplizität von Empirismus und Metaphysik« – und dies ist nun der Ort, an dem Schelling ins Spiel kommt: »Ihr [dieser Komplizität, P. S.] wäre nachzusinnen. Schelling ist in dieser Meditation sehr weit gegangen.« 101 In der zugehörigen Anmerkung zitiert Derrida den finalen Passus aus Schellings Darstellung des philosophischen Empirismus: Gott wäre der absolut bloß in sich selbst Seyende, ganz in sich Gekehrte, im höchsten Sinn Substanz, das ganz Relationsfreie. Aber eben damit, daß wir diese Bestimmungen als rein immanente, auf nichts außer ihm sich beziehende ansehen, entsteht nun auch die Forderung sie von Ihm aus zu begreifen, d. h. ihn als ihr Prius und demnach überhaupt als das absolute Prius zu begreifen. So treibt uns also der Empirismus in seinen letzten Folgerungen selbst ins Ueberempirische. (SW X, 286) 102
Und Derrida kommentiert: »Unter ›in sich gekehrt‹ und ›in sich gewendet‹ darf man natürlich nicht endliche Geschlossenheit und egoistisches Schweigen verstehen, sondern die absolute Andersheit [altérité absolue], dasjenige, was Levinas das von jeder Relation befreite Unendliche nennt.« 103 Auch wenn der Status des Zitats durchaus zweideutig bleibt, 104 so verbindet doch Derrida deutlicher als zuvor Schelling mit dem Gedanken eines ›absoluten Anderen‹ und eines ›absoluten Außerhalb‹. 105 Offenkundig verweist die zitierte Passage auf einen Grundgedanken von Schellings Spätphilosophie, das ›unvordenkliche Sein‹ – und dieser wiederum ist zweifellos ein Nachfolgebegriff des Ungrundes aus der Freiheitsschrift. Gerade an das Motiv des unvordenklichen und entzogenen Ursprungs als Exteriorität allerdings unvermeidliche Schwäche hatten, auf dem Boden der Philosophie gewachsen zu sein« (Derrida 1974, 36 / Derrida 1967a, 31 f.). Vgl. dazu ausführlicher Schwab 2016b. 101 Derrida 1972b, 232 / Derrida 1967b, 225. 102 Vgl. Derrida 1972b, 232 Anm. / Derrida 1967b, 225 Anm. 103 Derrida 1972b, 232 Anm. / Derrida 1967b, 225 Anm. 104 Derrida scheint nämlich die Partie zunächst zu zitieren, um im Umschlag vom ›Empirischen‹ zum ›Überempirischen‹ die ›Komplizität‹ von Empirismus und Metaphysik aufzuzeigen. Sein Kommentar aber akzentuiert diejenigen alteritätstheoretischen Potenziale der Partie, durch die der Empirismus – wie es wenig später heißt – als »Einbruch des schlechthin anderen« die Philosophie nachhaltig zu »erschüttern« vermöge (Derrida 1972b, 233 / Derrida 1967b, 226). 105 Vgl. hierzu Gabriel 2006, bes. 15 u. 19 f.; vgl. zu der zitierten Passage Gabriel 2006, 10 Anm. u. 359 Anm.
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meint Derrida also in seinen ersten Bemerkungen zu Schelling anknüpfen zu können. 2. In der Nachfolge sind allerdings zunächst keine expliziten Bezüge zu Schelling mehr nachzuweisen. In Von der Grammatologie und Die Stimme und das Phänomen (beide von 1967) ist Schelling ebenso wenig Gegenstand der Diskussion wie in den Werken von 1972; allein in dem »Hors Livre« zu Dissemination fällt der Name Schellings zweimal im Vorbeigehen und ohne weitere Kommentierung, anlässlich der Schelling-Kritik Hegels in der Phänomenologie des Geistes. 106 Eine zweite Serie von Bezügen auf Schelling findet sich erst wieder zu Beginn der 1980er Jahre. Diese ist allerdings auf einen eher spezifischen Kontext und einen einzigen Text Schellings beschränkt, nämlich die Vorlesungen über die Methode des academischen Studium, die Derrida offenbar durch eine französische Übersetzung aus dem Jahr 1979 kennen gelernt hat. 107 Dem leitenden Thema dieser Vorlesungen entsprechend ist Schelling zwischen 1980 und etwa 1986 einer der Gesprächspartner in Derridas Analyse akademischer Institutionen; zugleich bezieht Derrida sich in dieser Phase auch auf Schellings Vorlesungen, um Fragen der Übersetzung und der ›Einbildung‹ zu durchdenken. Der erste Verweis auf Schelling in dieser Serie findet sich im Vortrag »Mochlos« (zuerst 1980); 108 die quantitativ ausführlichste Auseinandersetzung mit Schelling in diesem Zeitraum – und im Werk Derridas überhaupt – ist dann der zuerst 1984 in Toronto gehaltene Vortrag »Theologie der Übersetzung«, der Schellings Vorlesungen durchgehend diskutiert. 109 Beide Vorträge werden später in Vom Recht auf Philosophie publiziert; in diesem Band finden sich dann in Vorträgen der Jahre 1981–1983 noch eine Reihe weiterer, eher kurzer Verweise auf Schelling, stets auf die Vorlesun-
Vgl. Derrida 1995, 30 f. / Derrida 1972a, 29 f. In diesem Zusammenhang nennt Derrida Schellings Namen auch bereits in einem Zitat Batailles in Die Schrift und die Differenz, vgl. Derrida 1972b, 408 / Derrida 1967b, 395. 107 Diese Übersetzung wird von Derrida durchgehend zitiert, vgl. Schelling 1979. Eine erste, aber Derrida offensichtlich unbekannte Übersetzung erschien 1847, vgl. Schelling 1847. 108 Vgl. Derrida 2004, 19, 48 / Derrida 1990, 404, 429. 109 Vgl. Derrida 2005, 113–139 / Derrida 1990, 371–394. 106
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gen über die Methode des academischen Studium. 110 Ein letztes Mal bezieht sich Derrida auf dieses Werk Schellings knapp im titelgebenden Essay »Psyche« (zuerst 1984/86) des gleichnamigen Bandes. 111 Obschon Derrida in diesen Texten eine luzide Lektüre Schellings präsentiert und fruchtbare Anstöße aufnimmt – zum Verständnis der Universität und zum ›Streit der Fakultäten‹, zu Sprache und Bildung, zur ›Ein-Bildung‹ und zur Einbildungskraft –, 112 so sind doch hier keine tiefergehenden Affinitäten auszumachen, wie sie sich in Die Schrift und die Differenz gezeigt hatten. Im Gegenteil weist Derrida Schellings Auffassung der Übersetzung in »Theologie der Übersetzung« noch gänzlich der »Onto-Theologie« zu. 113 Eine Passage dieses Textes ist jedoch aufschlussreich. In Bezug auf Schellings vierte Vorlesung bespricht Derrida die dort formulierte Kritik an einer Gestalt der Aufklärung, die ›künstliche Gegensätze‹ kreiere, und fügt in Parenthese hinzu: »es gibt eine analoge Regung bei Heidegger – und dies dürfte nicht die einzige Verwandtschaft mit Schelling sein«. 114 Heideggers Verwandtschaft mit Schelling – damit ist unmittelbar der Übergang zur nächsten Serie gemacht. 3. Die dritte Serie von Referenzen auf Schelling findet sich etwa 1986/87; sie schließt also zeitlich unmittelbar an die zuvor genannte an, ist aber thematisch von ihr zu unterscheiden. Die wohl erste hierher gehörende Stelle erscheint in dem wichtigen Text »Wie nicht sprechen« (zuerst 1986). Derridas Erörterungen der ›negativen Theologie‹ wären in einer systematischen Untersuchung des Verhältnisses zu Schelling gewiss heranzuziehen; 115 eine explizite Referenz findet sich aber nur in einer einzigen Anmerkung 116 – und hier verweist nun Derrida nicht direkt auf Schelling selbst, sondern auf Heideggers 110 Vgl. Derrida 2005, 100, 110 / Derrida 1990, 362, 370 sowie Derrida 2004, 62, 95 f. / Derrida 1990, 464 f., 493 f. u. Derrida 1990, 510. 111 Vgl. Derrida 2012, 68–71 / Derrida 1998, 55–58. 112 Diese Themen stehen etwa im Zentrum des schon genannten Textes »Theologie der Übersetzung«, vgl. Derrida 2005, 113–139 / Derrida 1990, 371–394. 113 Derrida 2005, 134 / Derrida 1990, 390, vgl. auch Derrida 2005, 132 / Derrida 1990, 388. Insbesondere im kontrastierenden Vergleich mit diesen Stellen wäre allerdings die soeben genannte Passage aus »Psyche« näher zu untersuchen, in der Derrida knapp von einem ›Erfindungs-Supplement‹ und einer ›Logik des Erfindungs-Supplements‹ bei Schelling spricht. 114 Derrida 2005, 129 / Derrida 1990, 386. 115 Vgl. hierzu Clark 1995. 116 Da Derrida in den folgenden Fußnoten bereits Vom Geist (1987) zitiert, ist es
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Schelling-Vorlesung von 1936. 117 Im ›Umweg‹ über diese Vorlesung wird sodann Schelling mehrfach in Derridas Auseinandersetzung mit Heidegger in Vom Geist (1987) genannt. Allerdings ist die Reichweite der Schelling-Referenzen auch hier begrenzt, gilt doch das Interesse Derridas bekanntlich nicht Schelling oder Heideggers Schelling-Lektüre, sondern der ›Geschichte‹ des Begriffs Geist (mit und ohne Anführungszeichen) im Denkweg Heideggers. So dienen dann auch die knappen Verweise auf die Schelling-Vorlesung 1936 – etwa zum Bösen, zur Sehnsucht und zur Scheidung – durchweg dazu, Heideggers Nachdenken über den Geist zu beleuchten. 118 Gleichwohl sind diese Stellen insofern wichtig, als sie erstmals eine, wenn auch indirekte, Auseinandersetzung Derridas mit Schellings Freiheitsschrift belegen. Bemerkenswert ist dabei insbesondere die einzige Partie in Vom Geist, die durch Heideggers Lektüre hindurch direkt Schelling zitiert – handelt es sich doch um eben jene Stelle aus der Freiheitsschrift, die bei Schelling der Einführung des Ungrunds vorhergeht: »Die Liebe aber ist das Höchste. Sie ist das, was da war, ehe denn der Grund und ehe das Existirende (als getrennte) waren, aber noch nicht war als Liebe, sondern – wie sollen wir es bezeichnen?« (SW VII, 406) 119 Und Derrida zitiert auch Heideggers Kommentar: »Hier verläßt auch den Denker das Wort.« 120 Zwar behandelt Derrida diese Stelle nicht
allerdings möglich, dass auch diese Anmerkung erst nachträglich 1987 hinzugefügt worden ist. 117 Vgl. Derrida 1989, 130 Anm. / Derrida 2003, 192 Anm. Die Anmerkung bezieht sich auf das Verhältnis von Ontotheologie und Theologie bei Heidegger und einen Kommentar hierzu in der Schelling-Vorlesung (vgl. Heidegger 1936, 61 f.). Derrida nennt hier – wie in Vom Geist – im französischen Original neben der deutschen Erstedition der Vorlesung die Übersetzung Courtines (Heidegger 1977). 118 Vgl. Derrida 1988, 12, 44, 76, 85, 90, 92 f., 96 f., 120 f., 124, 135 Anm. 8, 143 Anm. 72, 152 f. Anm. 105, 158 f. Anm. 114 / Derrida 1987, 19, 23 Anm., 58, 102, 113, 120, 122–124, 127, 129, 152 Anm., 168–171, 175 f. 119 Vgl. Derrida 1988, 92 f. / Derrida 1987, 122–124. Dass Derrida hier Schelling allein durch Heideggers Rezeption hindurch wahrnimmt, zeigt sich daran, dass er das im Zitat ›Erfragte‹ umstandslos mit der Liebe identifiziert – ähnlich wie dies auch in Heideggers Seminar 1927/28 nachzuweisen war. Vor dem ausführlichen Zitat schreibt Derrida: »Schelling fragt: Wie soll man die Liebe bezeichnen?« (Derrida 1988, 92 / Derrida 1987, 122). 120 Heidegger 1936, 154. Vgl. Derrida 1988, 93 / Derrida 1987, 124. Das Zitat ist im Kontext von Derridas Untersuchung naturgemäß dadurch motiviert, dass Schelling an dieser Stelle (ebenso wie Heideggers Kommentar dazu) das Verhältnis von Geist und Liebe behandelt.
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eingehend; er greift aber geradezu ›zielsicher‹ aus Heideggers Interpretation von 1936 die einzige Passage heraus, die auf die ›Unsagbarkeit‹ des Ungrunds hindeutet. Der Begriff selbst fällt allerdings 1987 noch nicht – er bildet dann aber das Zentrum von Derridas letzter Auseinandersetzung mit Schelling in seinem Seminar von 2001/02. 4. Die wohl bemerkenswerteste explizite Rezeption Schellings findet sich im ersten Teil von Derridas letztem Seminar Das Tier und der Souverän, und hier schließt sich in gewisser Weise der Kreis: Derrida kehrt mutatis mutandis zu derjenigen Thematik zurück, die sich mehr als 35 Jahre zuvor in Die Schrift und die Differenz mit Schelling verbunden hatte. Der Kontext der fünften Sitzung vom 30. Januar 2002, die die meisten der expliziten Nennungen Schellings enthält, ist jedoch einmal mehr recht spezifisch; um Derridas Diskussion Schellings in ihrem Zusammenhang nachzuvollziehen, ist er in aller Kürze anzuzeigen. Derrida durchdenkt, im Rahmen seiner Analyse des »odd couple« 121 von ›Tier‹ und ›Souverän‹, die Semantik des französischen Wortfelds bête. Die Eigentümlichkeit dieses Wortfelds besteht darin, dass das Substantiv bête Lebewesen, Tier oder Bestie bedeutet, während das Adjektiv bête mitsamt seinen Derivativen bêtement und bêtise in etwa als ›dumm‹ und ›Dummheit‹ zu übersetzen wäre. 122 Derridas Überlegungen haben ihre Pointe darin, dass gerade diejenige Bestimmung, die ihrem Wortstamm nach auf das Tier verweist – bêtise – gemäß dem französischen Sprachgebrauch eben nicht einem Tier, sondern nur einem Menschen zugeordnet werden kann. Der ›Mittelsmann‹, der Derrida in diesem Zusammenhang zu Schelling führt, ist 2002 nicht Heidegger – obschon dessen Schelling-Vorlesung 1936 gleichfalls genannt wird 123 –, sondern Gilles Deleuze. Derrida diskutiert hier eine Passage aus Differenz und Wiederholung, in der Deleuze die bêtise behandelt und zum Schluss die ›transzendentale‹, zugleich aber die Transzendentalphilosophie konterkarierende Frage
Derrida 2015, 198 / Derrida 2001/02, 190. Für Derrida ist es freilich entscheidend, dass gerade dieses Wortfeld sich einer einfachen Übersetzung ›widersetzt‹, vgl. Derrida 2015, 201, 215 / Derrida 2001/02, 192 f., 205 f. 123 Vgl. die zu Beginn dieses Beitrags zitierte Aufforderung Derrida 2015, 222 / Derrida 2001/02, 212. 121 122
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aufwirft: »Wie ist die Dummheit [bêtise] (und nicht der Irrtum) möglich?« 124 Was nun Derrida via Deleuze an Schelling verweist, ist der Umstand, dass Deleuze die bêtise mit der Individuation verbindet, diese aber zugleich auf einen ihr vorausgehenden Grund [fond] bezieht: »Individuation als solche […] läßt sich nicht von einem reinen Grund [fond] trennen, den sie auftauchen läßt und nicht los wird«. 125 In diesem Kontext bemerkt Derrida: Ich glaube, man verstünde nichts von Deleuzes Argumentation hinsichtlich einer bêtise/Dummheit, die das Denken als menschliche Freiheit in ihrem Bezug zur Individuation voraussetzt, als Phänomen der Individuation (Vereinzelung), die sich erhebt über und bestimmt ist gegen einen Grund [fond], – man verstünde davon nichts, wenn man sich nicht den gesamten Diskurs Schellings über die menschliche Freiheit und das menschliche Böse rekonstruierte […]. 126
Die Bezugsstelle ist offenbar zunächst diejenige Passage der Freiheitsschrift, in der Schelling ausführt, das Böse könne allein im Menschen zum Vorschein kommen, sofern nur dieser »das ewige Band der Kräfte willkürlich zerreißen kann«; und Schelling ergänzt, aus Baader zitierend: »leider aber könne der Mensch nur unter oder über dem Thiere stehen« (SW VII, 373). Aus dieser ›Sonderstellung‹ des Menschen zieht Deleuze im Nachdenken über die bêtise eine Konsequenz, die zwar von Schelling inspiriert, aber in der Freiheitsschrift nicht als solche formuliert ist: Allein im menschlichen Individuum, nicht aber im Tier, bilde sich ein Verhältnis zum Grund aus; dieser Grund jedoch ist für Deleuze »das Unbestimmte, aber nur insofern er fortfährt, sich an die Bestimmung zu heften«; er ist das, was selbst »keine Form oder Gestalt an[nimmt]« und von dem es daher auch heißt, dass es »schwierig […] zu beschreiben« ist. 127 In eben diesem Zusammenprall der Individuation mit dem Unbestimmten liegt die abgründige 124 Deleuze 1992, 196 / Deleuze 1968, 197. Vgl. Derrida 2015, 211 / Derrida 2001/02, 202. 125 Deleuze 1992, 196 / Deleuze 1968, 197. Die deutsche Fassung überträgt durchweg ›fond‹ als ›Untergrund‹. Aufgrund des Schelling-Bezugs wird die Übersetzung hier und im Folgenden zu ›Grund‹ modifiziert. 126 Derrida 2015, 219 / Derrida 2001/02, 209 f. »Vereinzelung« im französischen Original deutsch. – In diesem Kontext verweist Derrida auch auf eine Partie der Stuttgarter Privatvorlesungen zum »Blödsinn« (SW VII, 469; das Wort ist bei Derrida deutsch zitiert); vgl. Derrida 2015, 222 u. 508 Anm. 25 / Derrida 2001/02, 212. 127 Deleuze 1992, 196 f. / Deleuze 1968, 197; Herv. v. Verf.
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Möglichkeit der bêtise, die nicht der bloße Irrtum ist: »Die Dummheit [bêtise] ist weder der Grund noch das Individuum, wohl aber jener Bezug, in dem die Individuation den Grund emporsteigen lässt, ohne ihm Form verleihen zu können«. 128 Offenbar weil Deleuze derart die bêtise mit der Unbestimmtheit und der Unsagbarkeit verbindet, geht Derrida in seinem Kommentar nicht allein auf den Grund, sondern als tiefste Schicht in der schellingschen Vorlage – und obgleich dieser Begriff bei Deleuze hier gar nicht genannt ist 129 – auf den Ungrund zurück. Man verstünde nämlich nichts von Deleuzes Argumentation, so fährt Derrida an der oben zitieren Stelle fort, wenn man nicht den gesamten Diskurs Schellings über die menschliche Freiheit und das menschliche Böse rekonstruierte, und insbesondere über das, was Schelling den Grund nennt, den Urgrund, der auch ein Ungrund ist. 130
Hier kündigt Derrida an, sogleich »einige Zeilen Schellings« zu zitieren, »die Deleuze nicht zitiert, die aber augenscheinlich die Quelle seiner Argumentation« 131 seien. Dabei handelt es sich um jenen zentralen Passus der Freiheitsschrift, der sich in Heideggers Lektüren nicht ein einziges Mal vollständig hatte nachweisen lassen – die ›Antwort‹ auf die bereits in Vom Geist wiedergegeben Frage »wie sollen wir es bezeichnen?« [W]ie können wir es anders nennen als den Urgrund oder vielmehr Ungrund? Da es vor allen Gegensätzen vorhergeht, so können diese in ihm nicht unterscheidbar noch auf irgend eine Weise vorhanden seyn. Es kann daher nicht als die Identität, es kann nur als die absolute Indifferenz beider bezeichnet werden. (SW VII, 406) 132 Deleuze 1992, 197 / Deleuze 1968, 197. In der Fußnote zu den »glänzende[n] Seiten« über die »Dummheit« bei Schelling spricht Deleuze lediglich von »Grund«, vgl. Deleuze 1992, 197 Anm. / Deleuze 1968, 198 Anm. Diese Anmerkung zitiert auch Derrida, vgl. Derrida 2015, 224 / Derrida 2001/02, 214. In der Tat stellt Deleuze eine Verbindung zwischen Ungrund, bêtise und Individuation her, wenn auch in einer sehr viel späteren Passage zum Schluss der Untersuchung; vgl. Deleuze 1992, 342–345 / Deleuze 1968, 351–353. 130 Derrida 2015, 219 / Derrida 2001/02, 210. Derrida nennt hier die deutschen Begriffe in Klammern: »le fond originaire (Urgrund), qui est aussi un non-fond (Ungrund)«. 131 Derrida 2015, 220 / Derrida 2001/02, 210. 132 Vgl. Derrida 2015, 221 / Derrida 2001/02, 212. Auch hier sind die Begriffe auf Deutsch hinzugefügt: »fond-originaire (Urgrund) ou mieux non-fond (Ungrund)«. – Derrida ordnet vorab das Zitat knapp in seinen Kontext ein: »Die Passage bei Schelling 128 129
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Es ist bereits bemerkenswert, dass sich Derrida – entgegen Deleuzes Terminologie im zitierten Passus – auf den schellingschen Ungrund beruft. Seine Aufnahme dieses Begriffs dient aber keineswegs allein dazu, Deleuzes Verständnis der bêtise zu beleuchten. Vielmehr verhält es sich offenkundig so, dass Derrida in der Relektüre von Differenz und Wiederholung den schellingschen Ungrund als ein systematisches Motiv ›entdeckt‹, das in seiner ersten Beschäftigung mit der Freiheitsschrift 1987, durch Heidegger hindurch, nicht sichtbar werden konnte – verwendet doch Deleuze selbst in verschiedenen Kontexten den Begriff des sans-fond oder sans fond und verbindet ihn, auch auf Deutsch als Ungrund zitiert, ausdrücklich mit Schelling. 133 Dabei strahlt Derridas ›Entdeckung‹ des Grundes, des Ungrundes und des Grundlosen bis auf die Eingangspartie der fünften Sitzung und die zwei ›Leitbegriffe‹ zurück. Weit vor den Partien, die sich explizit auf Schelling beziehen, heißt es zum Auftakt: Das Tier [bête] und der Souverän, was ist das im Grunde [au fond]? Und wer? […] Was gibt es, am Grunde [au fond] dieses seltsamen Paares, dieses odd couple, wie man auf Englisch sagen würde? Was, im Grunde [au fond]? Wer, im Grunde [au fond]? Und wenn, im Grunde [au fond], die Unterscheidung zwischen was und wer in der Unterschiedslosigkeit [indifférence] versinken, in deren Abgrund stürzen würde [s’abîmer]? […] Vielleicht werden wir, mit dem Tier [bête] und dem Souverän, gerade vom Schwindel [vertige] des Grund-losen/Un-grunds [sans-fond], des Abgrunds [abîme], des grundlosen Grundes [fond sans fond] auf die Probe gestellt. Dieser Schwindel des Grund-losen/Un-grunds [sansfond], des Abgrunds [abîme], des grundlosen Grundes [fond sans fond] über den Grund, die ich zitieren wollte, und deren Prinzip mir den ganzen deleuzeschen Diskurs hier zu stützen scheint, findet sich in den Untersuchungen über das Wesen [oder die Natur] der menschlichen Freiheit. Schelling ist gerade dabei, seine Unterscheidung zwischen dem Wesen als Grund und dem Wesen als Existenz, Existieren zu erklären und zu rechtfertigen zu suchen. Während er mit diesem Problem ringt (ich kann diese Debatte hier nicht rekonstruieren und ich verweise sie darauf), setzt er, dass es notwendigerweise ein Wesen vor jedem Grund und vor jeder Existenz, also im Allgemeinen vor jeder Dualität geben muss.« (Derrida 2015, 221 / Derrida 2001/02, 211 f.). Hier sind ebenfalls »Wesen« (bei der ersten und dritten Nennung) und »Grund« (bei der ersten Nennung) in Klammern auf Deutsch eingefügt. 133 Vgl. die Verwendung des deutschen Wortes ›Ungrund‹ und die Bezugnahme auf Schelling im selben Absatz, Deleuze 1992, 291 / Deleuze 1968, 296. Vgl. zu Schelling auch Deleuze 1992, 225 Anm., 243, 345 / Deleuze 1968, 227 Anm., 246 f., 354. Vgl. zu ›Ungrund‹ auch Deleuze 1992, 96, 125, 152, 164, 199, 214, 306, 324, 341–345, 354, 364 / Deleuze 1968, 92, 123, 151, 164, 200, 216, 312, 332, 351–355, 364, 374.
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kann, wie der Schwindel in der Wirklichkeit, einem alles im Kopf herumdrehen lassen. […] Vielleicht werden wir heute, ohne in die Tiefe zu gehen [sans profondeur], von einem gewissen Grund sprechen, einem gewissen grundlosen Grund [fond sans fond] der Dinge, jener Dinge, die das Tier und der Souverän genannt werden. 134
Diese spannungsreiche Ouvertüre der fünften Sitzung ist offenkundig von schellingscher und schelling-inspirierter Terminologie durchsetzt. Dabei zeigt sich eine signifikante Verschiebung gegenüber Deleuzes Sprachgebrauch: Während dieser stets von sans-fond oder sans fond (übersetzt als ›Ungrund‹) spricht, verwendet Derrida auch den Terminus ›fond sans fond‹, also ›grundloser Grund‹ – und unterstreicht dadurch den ›prekären‹ Status des Ungrunds, der selbst Grund, zugleich aber auch nicht Grund und in sich grundlos ist. In sachlicher Hinsicht ist zu bemerken, dass Derrida bereits am Auftakt der Sitzung andeutet, nach dem Grund der irreduziblen Vieldeutigkeit seiner Leitbegriffe und hier insbesondere des Wortfeldes bête/ bêtise zu fragen. So schreibt dann Derrida auch ausdrücklich, dass der Gebrauch des Wortes bêtise in seiner »instabilen und ambivalenten Bedeutung« sich über einem »Grund ohne Grund […] öffnet und schließt« – und dass die »Kategorie der bêtise/Dummheit«, wenn es überhaupt eine solche gibt, eine Kategorie ist, »deren Sinn […] sich nicht bestimmen lässt«, jedenfalls nicht »als ein Sinn ›als solcher‹«. 135 Eben die irreduzible Vieldeutigkeit der ›Kategorie‹, die sich der einfachen Bestimmung entzieht, verweist auf einen ›Grund‹, der sich seinerseits der einfachen Bestimmung als Grund widersetzt, auf einen ›grundlosen Grund der Dinge‹ – und eben darin besteht die systematische Anziehungskraft des schellingschen Ungrundes für Derrida. Zugleich deutet Derridas wiederholter Rückgriff auf den Ungrund, der auch keineswegs auf die fünfte Sitzung beschränkt bleibt, 136 weit über den Kontext einer Analyse der bêtise hinaus: Die Derrida 2015, 198 f. / Derrida 2001/02, 190 f. – Den Bezug zu Schelling macht Derrida selbst deutlich, indem er bei dessen erster Nennung einen Ausschnitt seiner Eingangspartie nochmals zitiert; vgl. Derrida 2015, 219 / Derrida 2001/02, 210. 135 Derrida 2015, 215 f. / Derrida 2001/02, 206 f. 136 Auch im weiteren Verlauf des Seminars kommt Derrida mehrfach auf die schellingsche Motivik zurück. Zwei Stellen seien hier im Besonderen hervorgehoben: Zu einer Partie über Celan in der zehnten Sitzung notiert Derrida ergänzend auf Deutsch das Wort »Abgrund« und fügt an, ebenfalls unter Verwendung der deutschen Begrif134
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paradoxale Konstellation eines ›unsagbaren‹, ›transzendenten‹ oder ›exterioren‹ Grundes, der zugleich nicht Grund und in sich grundlos ist, weder ›reines‹ Anwesen noch ›reines‹ Abwesen; ein Un-Grund, der jeder Präsenz, auch jeder spezifischen Differenz uneinholbar vorausgeht und zugleich ihr ›unreiner Ursprung‹ ist, ohne sie aber ›archetypisch‹ schon in sich zu enthalten – in dieser Struktur liegt zweifelsohne eine systematische Parallele zu Derridas eigenen Konzeptionen von différance und Supplement. 137 So heißt es etwa, um dies abschließend nur an einem Beispiel anzuzeigen, in Von der Grammatologie: Es kann keine Wissenschaft von der operierenden différance selbst geben, so wenig es eine Wissenschaft vom Ursprung der Präsenz selbst, das heißt von einem bestimmten Nicht-Ursprung, geben kann. 138
* * * Eine systematisch vertiefende Untersuchung hätte die Richtung des hier skizzierten Überblicks umzukehren und von der prominenten Aufnahme des Ungrunds in Derridas letztem Seminar von 2001/02 zurückzugehen zu seinen frühen Werken, um dort auszuloten, wie weit diese Parallele in Bezug auf die Sache selbst reicht. In verwandter Weise hätte eine weiterführende Analyse dem Denkweg Heideggers im Lichte seiner wiederholten Lektüre der Freiheitsschrift nachzugehen, um zu klären, wie die Auslegung Schellings sich in diese Entwicklung einfügt und sie zugleich sachlich zu beleuchten vermag. Schon bis hierhin aber sollte deutlich geworden sein, dass das Motiv des Entzugs, wie es sich insbesondere im Ungrund der Freiheitsschrift ausspricht, den tiefsten Berührungspunkt Heideggers und Derridas mit Schelling bezeichnet. fe: »(auf Schelling beziehen, Ungrund, Urgrund, usw.)« (Derrida 2015, 526 Anm. 33 / Derrida 2001/02, 359 Anm.). Hier verweist Derrida auch auf die oben genannte Partie aus Heideggers Einführung in die Metaphysik, vgl. Heidegger 1935, 5. In der knappen, finalen Partie der zwölften Sitzung deutet Derrida allerdings eine Differenzierung an: »Der Abgrund [abîme], das ist natürlich nicht der Grund [fond], der ursprüngliche Grund [fondement originaire] (Urgrund), auch nicht die grundlose Tiefe [profondeur sans fond] (Ungrund) irgendeines entzogenen Grundes [fond dérobé].« (Derrida 2015, 454 / Derrida 2001/02, 443; die beiden Begriffe in Klammern sind im Original deutsch). Vgl. auch Derrida 2015, 255 f., 262 / Derrida 2001/02, 244, 249. 137 Vgl. dazu Krell 2005, 101 Anm. Zu einer Interpretation der Freiheitsschrift und des Ungrundes mit Blick auf Derrida vgl. Clark 1995, bes. 119–140. 138 Derrida 1974, 110 / Derrida 1967a, 92.
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Philipp Schwab
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L’existence au cœur du départage des voix – l’interprétation du traité de Schelling de 1809 dans le cours de Heidegger de 1941 Pascal David (Brest)
Abstract Heidegger’s lecture of 1941 on Schelling’s treatise about human freedom is by no means a revamp of his previous lecture on the same treatise in 1936. The lecture of 1941 focuses on existence as specifically human: as the way human beings unfold their being in the dimension of time. Being and Time is the death certificate of the subject. In light of this, existence is bound to human beings and unbound from subjectivity – and cannot be confused with what Schelling, Kierkegaard and Jaspers call ‘existence’. Moreover, this lecture is an answer in advance to Heidegger’s French reception by Sartre, Gilson and Lévinas.
C’est un honneur pour moi d’avoir l’occasion de parler de Schelling à Strasbourg, et d’en parler un 27 janvier. Schelling évoque en effet dans son œuvre, plus précisément à la fin d’un texte de 1812 qui est une réponse à Eschenmayer, « das Münster zu Straßburg », « la cathédrale de Strasbourg » (SW VIII, 188), 1 il va même jusqu’à préciser que l’accès à son œuvre demande le même effort que l’approche de la cathédrale de Strasbourg, autrement dit que, toutes proportions gardées, le monument de sa pensée vaut le déplacement ! Comme d’en parler un 27 janvier, date anniversaire de la naissance de Schelling, qui vit le jour à Leonberg, à proximité de Stuttgart, le 27 janvier 1775. Après le grand cours du semestre d’été de 1936 consacré au traité de Schelling de 1809, les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine et les sujets qui s’y rattachent, Heidegger a remis sur le métier son ouvrage, à savoir l’interprétation du même texte dans un cours de 1941. Ce dernier cours a été édité en 1991 par GünPassage relevé par Vetö 1977, 27. Sauf indication contraire, toutes les traductions sont de l’auteur.
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ter Seubold comme tome 49 de l’Édition intégrale des écrits de Martin Heidegger sous le titre : La Métaphysique de l’idéalisme allemand (Schelling), et vise à proposer une « interprétation renouvelée [zur erneuten Auslegung] » du traité sur la liberté, dont le cours antérieur de 1936, paru en 1971 aux éditions Niemeyer de Tübingen, avait été publié antérieurement, en 1988, édité par Ingrid Schüßler comme tome 42 de l’Édition intégrale ou Gesamtausgabe des écrits de Heidegger aux éditions Klostermann de Francfort. Il reste à se demander pourquoi l’ouvrage a été remis sur le métier, la tentative réitérée, et il convient sans doute de s’arrêter tout d’abord, vu l’objet de notre propos, sur cette expression d’« interprétation renouvelée » – erneute Auslegung –, qui semble marquer à la fois une continuité et une rupture. S’agit-il de fouler à nouveau des chemins déjà frayés ou d’explorer de nouvelles pistes jusqu’alors insoupçonnées ? Y aurait-il des insuffisances dans le cours de 1936, des compléments à apporter, au point qu’il faudrait en 1941 choisir de nouveaux angles d’attaque, proposer de nouveaux éclairages ? L’expression erneute Auslegung ou « interprétation renouvelée » est sans doute volontairement ambiguë, car d’un auteur qui propose de renouveler une interprétation, on dit paradoxalement que précisément il ne se renouvelle pas, mais reprend, réitère du déjà dit. C’est donc à nous, lecteurs, qu’il appartient de trancher en nous livrant à une confrontation des deux cours de 1936 et 1941 – à savoir de déterminer, au sens médiéval du terme dans le traitement magistral d’une quaestio, si ladite interprétation « renouvelée » est livrée seulement de nouveau ou bien plutôt à nouveau, autrement dit à neuf. Mais comme aucune recherche ou enquête philosophique ne peut être entièrement exempte de présupposés – du moins est-ce là l’affirmation constante de Heidegger en même temps que l’expression d’une profonde divergence entre les approches respectivement husserlienne et heideggerienne de la phénoménologie, Heidegger tenant l’idée même de « commencement absolu » ou radical en philosophie, ou d’une absence de présupposés (Voraussetzunglosigkeit 2) pour un idéal chimérique – le présupposé Cf. Heidegger 1927, 411 (§ 62). Passage cité et traduit par Jean Beaufret dans Beaufret 1971, 114 / Beaufret 1986, 79 : « Il faudra attendre l’époque contemporaine pour que l’implicite devienne le lieu privilégié de la recherche. L’idée même de présupposition est analysée avec profondeur dans Sein und Zeit. On peut lire à la page 310 [édition Niemeyer, P. D.] : ‹ La philosophie ne se donnera jamais pour tâche de contester ses présuppositions, mais elle n’a pas non plus le droit de se borner à y consentir. Elle porte le concept dans les présuppositions et promeut, en coïncidence avec elles, ce
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qui guidera notre investigation, quitte à le mettre ici à l’épreuve, est que le traité de Schelling n’est pas repris de nouveau mais bien à nouveau en 1941, dans une nouvelle perspective. Remettre sur le métier ne revient pas à se contenter de réagencer autrement des matériaux déjà exploités – et même les détracteurs de Heidegger, qui n’en manque pas, nous épargneront sans doute l’argument selon lequel « il fallait bien faire cours », quitte à « resservir les plats » réchauffés pour de nouveaux auditeurs ! –, mais bien à les repenser à neuf, à nouveaux frais, à retrouver leur mode d’articulation, à faire surgir ou émerger ce qui en eux suscite le questionnement, nourrit la pensée ou la laisse sur sa faim. En d’autres termes, on l’aura compris, le cours de 1941 ne nous semble pas faire double emploi avec celui de 1936, dont la traduction française procurée par Jean-François Courtine en 1977 a marqué une date tant dans la réception française des écrits de Heidegger que dans celle des études schellingiennes. Certes, nous n’entendons pas dire par là que Heidegger proposerait en 1941 une interprétation radicalement autre ou différente de celle proposée en 1936 du traité de 1809, il y a même des invariants considérables. Une même question demeure à l’arrière-plan, qui anime d’ailleurs tous les grands cours de Heidegger consacrés à ce qu’il est convenu d’appeler l’idéalisme allemand : « Was hat der deutsche Idealismus uns zu sagen? », « Qu’est-ce que l’idéalisme allemand a à nous dire ? » 3 Selon Heidegger, la visée spéculative de l’idéalisme allemand aura foncièrement consisté à « surmonter tout ce qui porte le sceau de la finitude ». 4 Entre autres nombreuses illustrations possibles, et pour se limiter ici au seul Schelling, on peut se reporter à la page magnifique des Leçons d’Erlangen où Schelling écrit : Celui-là seul est parvenu au fond de soi-même et a reconnu toute la profondeur de la vie, qui un jour a tout abandonné, et a été lui-même abandonné de tout, pour qui tout s’est effondré et qui s’est vu seul avec l’infini […]. 5
C’est presque là une définition de la philosophie selon Schelling : s’être vu seul avec l’infini. Surmonter toute finitude, « la rude écorce en vue de quoi elles sont présuppositions vers un déploiement dont la nécessité est plus instante. › » 3 Heidegger 1929, 269. 4 Heidegger 1929, 279 : « [A]lle Besinnung im deutschen Idealismus ging darauf hinaus, alles Endliche zu überwinden. » 5 Schelling 1980, 279 / SW IX, 217 sq.
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du fini » (SW VI, 387), autrement dit surmonter ce qui a constitué un enjeu décisif de la pensée de Kant, « forteresse non conquise à l’arrière du nouveau front », 6 comme celle d’un de ses premiers et grands lecteurs, Hölderlin, dont un hymne de jeunesse à la liberté appelle les « rois de la finitude » à s’éveiller. La confrontation de l’auteur d’Être et temps et du Kantbuch, penseur de la finitude, avec l’aspiration à l’absolu, ou plutôt par l’absolu, 7 de l’idéalisme allemand ne manque pas dès lors d’être à tous égards instructive. À la pensée océanique de l’idéalisme allemand, Heidegger oppose la pensée insulaire de Kant, qui demeure à ses yeux « le plus grand penseur allemand ». 8 La pensée n’est pas pour Heidegger, comme pour Schelling, confrontation avec l’absolu ou l’infini, mais bien avec la finitude, en ses limites statutaires. Commençons par rappeler quelques grandes lignes de l’interprétation heideggerienne du traité de 1809. Loin d’être un écrit de circonstance, ce traité apparaît à Heidegger comme « ce que Schelling a fait de plus grand, et […] en même temps l’une des œuvres les plus profondes de la philosophie allemande, et par là, de la philosophie occidentale ». 9 Heidegger va même jusqu’à voir dans le traité de Schelling ce qu’il appelle la « culmination » ou « le sommet [Gipfel] de la métaphysique de l’idéalisme allemand » 10 – formule dans laquelle il est difficile de ne pas voir une appréciation de la Phénoménologie de Heidegger 1971, 70 / Heidegger 1935/36, 58 ; trad. modifiée : « wie eine uneroberte Festung im Rücken der neuen Front ». 7 Cf. Heidegger 1977, 89 / Heidegger 1936, 81 : « [L]e savoir absolu est savoir ‹ de › l’absolu au double sens où l’absolu est aussi bien le connaissant que le connu [ou : le sachant que le su], et non pas seulement l’un ou l’autre, mais aussi bien l’un que l’autre, en l’unité originaire des deux » / « [A]bsolutes Wissen ist Wissen ‹ des › Absoluten in dem gedoppelten Sinn, daß das Absolute das Wissende und das Gewußte ist, weder nur das eine noch nur das andere, sondern sowohl das eine als auch das andere in einer ursprünglichen Einheit beider ». La philosophie est pour Schelling intuition intellectuelle de l’absolu, mais celui-ci échappe précisément à la dualité Sujet / Objet. Pareille dualité laisse l’absolu pour ainsi dire de marbre, dans ce que Schelling appelle sa parfaite « indifférence ». 8 Heidegger 1973, 733 : « Der größte deutsche Denker ist Immanuel Kant. » Ce qui s’effondre ici, c’est une lecture platement évolutionniste ou progressiste de l’histoire de la philosophie, et avec elle un dogme tant répandu et martelé en France il y a une trentaine d’années, selon lequel Kant aurait été dépassé par Hegel, auquel serait revenu l’honneur, à son tour, d’être renversé par Marx. Jusqu’à la fameuse formule de Sartre sur le marxisme tenu pour « la philosophie indépassable de notre temps ». 9 Heidegger 1977, 15 / Heidegger 1936, 3. 10 Heidegger 1941, 1. 6
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l’Esprit de Hegel, voire de la Doctrine de la Science de Fichte, comme de moindres sommets dudit idéalisme allemand, contrairement à la réception française de celui-ci. Heidegger dit bien : le sommet, et non pas seulement un sommet. Rappelons que le nom de Schelling ne figure qu’entre parenthèses dans le titre du tome 49, qui s’intitule précisément, nous l’avons vu, La Métaphysique de l’idéalisme allemand. Ce qui signifie assurément qu’il y a bel et bien, aux yeux de Heidegger, une métaphysique de l’idéalisme allemand – comme il y a, mais en un sens autre et que nous n’avons pas à examiner ici, une métaphysique de Nietzsche. Le titre est donc aussi une thèse. Toutefois, l’inscription du traité de Schelling dans « la métaphysique de l’idéalisme allemand » ne va pas de soi, et il n’est pas sûr que Schelling lui-même ait souscrit à une telle caractérisation de sa pensée, même si la distinction entre fond et existence peut apparaître comme une variation sur le thème métaphysique de la différence entre essentia et existentia. C’est là du reste ce qu’établit le cours de 1941 : « L’existence se détermine au sens de la distinction usuelle en la métaphysique [in der Metaphysik] entre essentia et existentia. » 11 Les occurrences du terme métaphysique « sont relativement peu nombreuses et d’apparition assez tardive dans le corpus schellingien », 12 en un sens soit banal soit grandiloquent ; la « métaphysique », « l’ancienne métaphysique » est souvent liée sous la plume de Schelling à l’œuvre dogmatique de Wolff, à la Schulmetaphysik tenue pour périmée depuis la philosophie critique. Dans le cours de 1936 se trouve en outre, en toutes lettres, l’affirmation selon laquelle « [l]a philosophie est ontothéologie. » 13 L’élaboration à laquelle procède Schelling d’un « système de la liberté », sur fond de querelle du panthéisme dans la réception de Spinoza et de polémique contre Jacobi, est vue comme l’attestation exemplaire et « culminante » de ce qui se joue dans « l’histoire de la métaphysique » depuis Platon et plus encore Aristote, pour autant que celle-ci se trouve « structurée » ou « constituée » de manière onto-théologique, en ne cessant de se mouvoir à son insu en une sorte de cercle où l’étant en son entier, das Seiende im Ganzen, se détermine à partir du point culminant en lui (Dieu), qui à son tour se détermine à partir des traits affectés à l’étant pour autant qu’il est. L’exigence du système est celle d’un certain 11 12 13
Heidegger 1941, 17. Cf. Courtine 1990, 267 sq., citation 267. Heidegger 1977, 95 / Heidegger 1936, 88.
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ajointement au sein du savoir, qui demeure condamné sinon à ce que Schelling appelle parfois asystasie (ou non-systématicité), comme dans le cours d’Erlangen de 1820/21. Dire « je sais » n’est pas encore savoir ce qu’est le savoir, vu que c’est en ramener l’universalité à la particularité d’un moi fini et empirique. Seul le tout (se) sait en moi. Notons toutefois que là où Schelling « traduit » volontiers le mot grec systema en allemand par Zusammenhang, « connexion », ou « rattachement » comme du reste dans le titre complet du traité de 1809 – Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine et les sujets qui s’y rattachent –, Heidegger entend plutôt Gefüge, « ajointement ». « L’histoire de la métaphysique » au sein de laquelle Heidegger inscrit le traité de Schelling n’est pas toutefois simplement un cadre convenu où viendrait figurer une galerie de portraits plus ou moins hauts en couleur, car au sein de cette « histoire de la métaphysique », c’est précisément à Schelling et Hegel qu’il est revenu de penser la dimension même de l’historicité ou Geschichtlichkeit, la trame secrète qui fait de la philosophie une histoire. Le cœur du traité de 1809 est constitué selon Heidegger par la distinction schellingienne entre Grund et Existenz, entre le fond ou « fond obscur » et l’existence, analogue au rapport, dans la nature, de la pesanteur et de la lumière dont celle-là est dite « enceinte », et le cours de 1941 envisage successivement cette distinction en l’élucidant au fil de l’histoire des concepts (chapitre I), en sa racine (chapitre II), en sa nécessité interne (chapitre III), puis en ses différentes versions ou formulations (chapitre IV), du moins pour ce qui est de la Première Partie du cours, qui ne se veut qu’un ensemble de « considérations préliminaires » ou plutôt qu’une véritable entrée en matière, une Vorbetrachtung sur la provenance, le sens, la portée et les enjeux de la distinction tenue pour centrale. La Deuxième Partie du même cours, quant à elle, dépasse le stade préliminaire pour se risquer à une élucidation de la distinction, en adoptant trois angles d’attaque différents : en partant de Dieu (chapitre I), en partant des choses (chapitre II), puis en partant de l’homme (chapitre III). Les termes-clefs de Grund et Existenz ne pouvaient assurément manquer d’interpeller, en Heidegger, l’auteur de Vom Wesen des Grundes ou postérieurement de Der Satz vom Grund, comme le penseur de l’existence en son traité de 1927, d’une ontologie fondamentale se déployant à la mesure d’une analytique existentiale, des structures ontologiques de l’existence humaine qu’il appelle alors des existentiaux pour les distinguer des propriétés réservées aux choses – l’expression « existence humaine » 262 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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étant d’ailleurs quelque peu redondante ou pléonastique vu que le terme d’existence entend précisément désigner, sous la plume de Heidegger – nous y reviendrons – la manière spécifique et à nulle autre pareille qu’a l’être humain de déployer son être dans la dimension du temps, sur fond d’une structure ontologique primordiale (Urstruktur) qu’il appelle le souci ou le fait d’avoir à être. C’est pourquoi nous pouvons noter dès à présent deux différences notables entre le cours de 1936 et celui de 1941, en commençant par rappeler ce que les auteurs allemands appellent volontiers la Gliederung ou l’articulation du cours de 1936, comme nous venons de le faire pour celui de 1941. Sa Première Partie est consacrée à la possibilité d’un système de la liberté, sa Seconde Partie à la métaphysique du mal entendue comme fondation d’un système de la liberté. À se contenter de lire la table des matières du cours de 1936, on s’aperçoit que la distinction opérée par Schelling entre fond et existence n’est explicitement mentionnée que dans l’intitulé du chapitre 17 de la Seconde Partie et encore envisagée, à titre presque subsidiaire, sous l’angle de la possibilité interne du mal. D’où les deux différences saisissantes qui ne manquent pas d’apparaître d’emblée entre les cours de 1936 et de 1941 : 1) La distinction schellingienne entre fond et existence devient absolument centrale dans le cours de 1941, qui se focalise presque entièrement sur elle, alors qu’elle ne l’était pas dans le cours de 1936, où Heidegger se livrait plutôt à une grandiose situation historiale du traité de 1809, et 2) la proximité déjà relevée du vocabulaire de Heidegger avec celui de Schelling en 1809 amène celui-là, dans le cours de 1941, à démarquer son traité Être et temps de ce que nous appellerons pour faire vite les tentatives antérieures ou alors contemporaines pour penser l’existence. Antérieures : celles de Schelling et Kierkegaard ; contemporaines : celle, notamment, de Karl Jaspers. En d’autres termes : à se détacher de tout existentialisme, comme un peu plus tard dans la Lettre sur l’humanisme. En quelque sorte, on pourrait presque aller jusqu’à dire que le cours de 1941 sur le traité de Schelling de 1809 est en fait un cours sur Être et temps et relevant comme tel de la Selbstinterpretation ! Le cours de Heidegger de 1941 sur Schelling est aussi un cours sur Heidegger. C’est d’ailleurs pourquoi il s’intitule La Métaphysique de l’idéalisme allemand, comme pour mieux démarquer la problématique d’Être et temps du « jusqu’ici » de la philosophie comme oubli 263 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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de la question de l’être, que Heidegger appelle encore métaphysique. Autrement dit, il s’agit pour Heidegger de mettre en évidence que « le concept d’existence dans Être et temps […] se situe entièrement en dehors de la pensée de la métaphysique et de toute la philosophie qui a prévalu jusqu’à présent. » 14 C’est là souligner expressément l’extraterritorialité d’Être et temps par rapport à l’histoire de la métaphysique. Le cours de 1941 (mais dont il faut rappeler ici qu’il n’a été édité qu’en 1991) explicite au fond déjà entièrement les raisons pour lesquelles le recueil d’articles de Jean Beaufret initialement paru sous le titre Introduction aux philosophies de l’existence (Denoël, 1971) 15 sera réédité, selon le vœu exprès de l’auteur, sous le titre De l’existentialisme à Heidegger (Vrin, 1986). 16 La problématique de l’existence développée par Être et temps ne relève pas de l’existentialisme et ne se confond pas non plus avec une quelconque « philosophie de l’existence ». Risquons ici une analogie : le cours de Heidegger sur Schelling de 1941 est à Être et temps ce que les Prolégomènes de Kant sont à la Critique de la raison pure (analogie qui, il est vrai, pourrait également valoir pour d’autres cours de Heidegger, dans une mesure égale ou moindre). Le creusement ou l’approfondissement de la distinction entre fond et existence est du même coup l’occasion pour Heidegger de montrer que le traité de 1927 n’est pas susceptible d’être rabattu sur des problématiques antérieures – contrairement à ce qu’ont pu penser en France des auteurs aussi différents que JeanPaul Sartre, Étienne Gilson ou Emmanuel Lévinas. C’est en cela que nous pouvons souligner la singularité du cours de 1941 sur Schelling, à la fois commentaire d’un texte classique voire « légendaire » de la philosophie (qui l’est devenu en tout cas, ou ne le serait pas devenu à ce point, sans sa lecture par Heidegger), et intrusion inattendue dans les débats de notre actualité philosophique, apportant à celle-ci, à titre posthume du fait des hasards ou des contingences de l’édition, un éclairage décisif. Par-delà l’interprétation d’un traité de Schelling tenu, rappelonsle, pour « le sommet de la métaphysique de l’idéalisme allemand », ce Heidegger 1941, 45. Beaufret 1971. 16 Cf. dans la Note liminaire pour l’édition de 1986 : « La présente réédition a lieu sous un nouveau titre, conformément au vœu de l’auteur. Le nouveau titre est celui que Jean Beaufret a inscrit, après avoir barré l’ancien, sur son exemplaire de travail – il convient bien mieux pour indiquer le sens qui anime ce recueil de textes » (Beaufret 1986, 7). 14 15
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qui n’est pas peu, le cours de 1941 est aussi une pierre dans le jardin de la réception française d’après-guerre de la pensée de Heidegger, à ne nous en tenir qu’aux trois auteurs que nous venons de mentionner. Sartre détache l’analytique existentiale, ramenée de ce fait à une anthropologie, de l’ontologie fondamentale, Gilson détache l’ontologie fondamentale de l’analytique existentiale en rabattant celle-là sur la metaphysica generalis, Lévinas conjoint ces deux méprises inverses mais symétriques lorsqu’il évoque « l’anthropologie de Sein und Zeit » 17 (contresens sartrien), ou bien encore la « vénérable tradition » 18 de l’ontologie dont l’ontologie fondamentale d’Être et temps ne serait au fond que le prolongement ou la continuation (contresens gilsonien). Nous pensons au contraire qu’aucune lecture sérieuse, qu’aucune interprétation rigoureuse d’Être et temps ne saurait se dispenser de considérer que le lien qui s’y noue entre ontologie fondamentale et analytique existentiale, ou pour dire les choses plus simplement, entre Sein et Dasein, revient à tout autre chose qu’à juxtaposer ou faire cohabiter deux disciplines traditionnelles qui seraient, d’une part, l’ontologie entendue comme partie de la métaphysique et, d’autre part, l’anthropologie. 19 Notre cours de 1941 sur Schelling, ou plutôt indissociablement sur Heidegger, aura donc par avance récusé avec toute la clarté requise certaines thèses de L’Être et le néant de Sartre et de L’Être et l’essence de Gilson, parus respectivement en 1943 et 1948, à savoir deux réceptions de Sein und Zeit équivalant à deux fins de non-recevoir. En caractérisant la métaphysique comme « le projet de dégager le sens de l’être », ou encore « en tant que projet d’élucidation du sens de l’être de l’étant », 20 l’ouvrage de P. Aubenque récemment paru sous le titre Faut-il déconstruire la métaphysique ? nous semble entretenir ces mêmes confusions plutôt que travailler à les dissiper. La tentative d’interroger le sens de être, à savoir la Seinsfrage ou « question de l’être » au sens où l’entend Heidegger, au lieu de déterminer celui-ci par des « thèses » sur l’être en laissant son sens ininterrogé, est précisément ce par quoi Être et temps échappe à la métaphysique, bien plutôt que ce qui définirait celle-ci.
17 18 19 20
Lévinas 1991, 256. Lévinas 1991, 17. Cf. Lévinas 1991, 256. Aubenque 2009, 19 et 43.
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La grande nouveauté, le « renouvellement » fourni par le cours de 1941 consiste donc essentiellement dans le fait que, à la mise en perspective historiale de 1936, se substitue ou s’agrège une Auseinandersetzung, disons un départage des voix respectives, employant les mêmes vocables, de Schelling, Kierkegaard, Jaspers et Heidegger, afin de mieux faire ressortir ce qu’a d’inédit – ou d’échappant à la métaphysique – le traité de 1927, jusque dans la focalisation sur la distinction entre fond et existence. C’est là peut-être que se trouve l’un des enjeux cruciaux de l’interprétation « renouvelée » de 1941 : par commodité ou facilité, nous avons traduit jusqu’à présent Unterscheidung par « distinction », et en effet c’en est une. Mais encore faudrait-il distinguer la distinction dans la distinction. Tout le travail accompli en 1941 nous semble inviter à comprendre progressivement cette fameuse Unterscheidung non plus seulement comme une distinction mais bien comme une dissociation, comme si s’opérait, dans le même terme allemand, une sorte de mue ou de retournement de situation. Il s’agit moins d’une distinction d’entendement que d’une scission inhérente à l’étant en son entier. Le fond obscur, le Grund, dont le propre est de toujours rebrousser chemin en lui-même, sauf à revendiquer d’être lui aussi à la manière dont est ce qui en provient et s’en détache, s’en émancipe, est à partir de lui, autrement dit existe – donnant lieu ainsi à l’éclosion de la possibilité du mal comme insurrection du fond – le Grund ne se manifeste comme fond qu’à condition justement de ne pas se manifester, de résister en quelque sorte à la tentation du quant à soi. On sait que la métaphysique du mal, pour autant que celui-ci est indissociable de la liberté humaine (« pour le bien et le mal ») et trouve en Dieu la racine de sa possibilité, telle qu’elle est élaborée par Schelling en 1809, constitue une inversion radicale des termes ou des données dans lesquels se formule depuis Leibniz la problématique classique de la théodicée, à savoir non plus à demander : si Deus est, unde malum ?, si Dieu est, d’où vient le mal ? ou comment penser comme compatibles la bonté de Dieu et l’existence du mal (« ce qui ne devrait pas être, et qui pourtant est »), question parfaitement symétrique chez Leibniz de si Deus non est, unde bonum ?, si Dieu n’est pas, d’où vient donc le bien ?, mais à affirmer, avec une tout autre audace spéculative, que Dieu Lui-même ne serait pas, si le mal n’était pas. Le fond n’est fond que comme fond pour, ou soubassement à l’existence, qui n’est elle-même, à son tour, qu’à la condition d’échapper à ce qu’elle est au fond. C’est pourquoi existence est pour Schel266 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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ling foncièrement synonyme d’extase, ou être-posé-hors-de-soi. La rétraction du fond suppose que toujours il se surmonte lui-même. C’est là ce que Schelling appelle überwinden, que nous proposons de rendre par remporter une victoire sur soi, le rapport du fond à l’existence étant le rapport de soi à soi-même d’un même être (Wesen). Le mal est le fond qui ne veut pas rester au fond, le profond qui veut faire surface. Schelling a sans doute exprimé mieux que tout autre philosophe cette face sombre, nocturne, inquiétante, voilée et irrévélable de toute existence, que l’on pourrait dire dionysiaque – mais pour Schelling, « tout n’est que Dionysos » (SW XIII, 463), 21 entendons que tout s’y ramène – voire « calyptique » (par opposition à apocalyptique), à propos de laquelle V. Jankélévitch a trouvé d’heureuses formules : Le Grund, survivant à sa défaite, est là, si l’on peut dire, pour rappeler perpétuellement à l’être actuel la médiocrité de ses origines et la fragilité de son triomphe. […] L’esprit, si raisonnable soit-il, n’est pas immaculé ; en lui veille un principe sauvage et très ancien, un témoin de l’origine des temps qui menace perpétuellement notre civilisation intérieure. 22
Ou encore : Le Grund a en dépôt le secret de l’avenir ; mais il le tait jalousement, il en refuse autour de lui la confidence, et c’est ce mutisme même qui suscite le devenir. Le refus appelle le refus. A la négation opiniâtre contredit un principe nouveau qui en déjoue les réticences. Le germe est une promesse silencieuse d’avenir ; mais la promesse voudrait bien n’être jamais tenue. Le temps est là, qui l’oblige à se réaliser sans équivoque. 23
On peut voir là une grandiose variation sur le thème johannique qui est au cœur de la christologie, et par conséquent de la dialectique hégélienne : « Si le grain ne meurt, il restera seul en terre, mais s’il meurt, il portera beaucoup de fruits. » 24 A ceci près toutefois que le Grund schellingien n’est pas seulement germinal mais pour ainsi dire antigerminal, en rapport de sympathie antipathique et d’antipathie sympathique avec l’existence. Le Grund, le fond obscur, n’est pas seulement ce qui laisse place à l’éclosion du devenir, mais ce qui le rend possible en s’y opposant de toutes ses forces, en lui offrant une résis-
21 22 23 24
Il s’agit de la Leçon XXI de la Philosophie de la Révélation. Jankélévitch 1933, 44. Jankélévitch 1933, 40 sq. Jn 12,24.
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tance, et par conséquent ce qui « dé-devient [entwird] », si l’on peut reprendre ici ce mot de Maître Eckhart. La philosophie de Schelling a même pu être opposée à celle de Hegel comme une philosophie du Grund plutôt que du Keim, du fond obscur plutôt que du germe : Le propre de la pensée de Schelling est d’éprouver une tension antagoniste et comme une antipathie originelle là où Hegel ne voit qu’une évolution. Ce que Hegel interprète superficiellement comme Keim (germe), dont le propre est de s’ouvrir de lui-même à l’existence, est plus radicalement Grund, fond obscur, dont le rapport à l’existence peut être plutôt comparé à celui de la pesanteur avec la lumière. Le propre du fond n’est pas de s’ouvrir comme un germe, mais de se retirer toujours plus âprement en lui-même. Grund et Existenz ne sont pas deux moments d’un même développement, mais répondent à « une distinction très réelle ». 25
En voyant dans le Grund schellingien un germe, V. Jankélévitch n’hégélianise-t-il pas Schelling à son insu ? Dans le fond obscur continue donc à sévir une négativité essentielle, que Schelling interprète volontiers, puisant dans les ressources de sa propre langue, comme mouvement d’intériorisation croissante, en entendant l’adverbe de négation nein à partir de hinein, qui indique le reflux au-dedans de soimême. La formule de toute existence pourrait être dès lors ab alio esse, si l’on peut reprendre en sa structure formelle et en la détournant de son sens cette expression technique de Maître Eckhart. Soit : être à partir d’un autre que soi, ne pas être soi-même à la source de son être propre. Chez Eckhart, il s’agit du statut de la créature, de l’ens creatum tenant son être d’un autre que lui-même (omne ens est habens esse). Chez Schelling, il s’agit de la foncière altérité entre l’existence et le fond dont elle procède et auquel elle s’arrache. Mais c’est ainsi que l’homme, ‹ dieu créaturel ›, refait en lui ce qui, en un Dieu en devenir se défaisant à mesure qu’Il va en Lui-même se faisant, 26 ou surmontant en Lui ce qui n’était pas proprement Lui-même et remportant ainsi une victoire sur Lui-même, a permis que l’homme soit fait, à savoir advienne à son image ou comme sa réplique, la liberté humaine étant indépendance à l’égard de Dieu, vis-à-vis de lui mais aussi en lui. 27 La création, Heidegger y insiste, ne doit pas être pensée
25 26 27
Beaufret 1971, 105 sq. / Beaufret 1986, 73 sq. Cf. Schelling 1980, 213 / SW VII, 432. Cf. Heidegger 1941, 170.
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chez Schelling comme un faire, mais comme un devenir interne, en Dieu puis hors de Lui. Pas comme un Machen, mais comme un Werden. Comme Schelling avant lui, Heidegger rapproche existentia et ekstasis, 28 ou plutôt ramène le mot latin existentia à sa provenance grecque. Mais ce rapprochement ou cette reconduction est loin d’avoir le même sens dans les deux cas. S’il s’agit pour Schelling de faire valoir dans toute leur plénitude les droits du concept d’existence élaboré par la métaphysique, voire ses lettres de noblesse, il s’agit plutôt pour Heidegger d’échapper à une double ou triple détermination de l’existence : a) celle reçue en la métaphysique, jusqu’à Schelling inclus à ses yeux, et ultérieurement b) sa détermination « existentielle » chez Kierkegaard et Jaspers où, si l’existence n’appartient qu’à l’homme, celui-ci demeure pensé comme sujet ou subjectivité ; en démarquant de la dimension strictement existentielle de l’existence dans la « philosophie de l’existence » de Jaspers (ou d’autres éventuellement si nous songeons par exemple à Sartre) sa dimension existentiale élaborée au fil de l’analytique existentiale d’Être et temps. D’où la graphie ek-sistence qui signale l’échappée vers l’être ou l’appartenance à l’Ouvert. Deux passages du cours de 1941 suffiront à l’attester : Jaspers a harmonisé sa terminologie avec celle d’« Être et temps », c’està-dire compris ce dont il retourne en son sens à lui, par quoi il s’est aussi mépris. La cause occasionnelle en est fournie par le fait qu’« Être et temps » entend aussi l’« existence » en un sens restrictif qui se rapporte à l’être humain et à lui seul, mais – et tout est dans ce mais à tous égards décisif – ne l’entend pas et ne l’entend plus comme « subjectivité », mais bien comme Da-sein […]. 29
« Existence » désigne bien sous la plume de Heidegger la manière spécifique, à nulle autre pareille, qu’a l’être humain de déployer son être dans la dimension du temps, mais cet être que nous sommes n’est plus compris comme sujet, sinon comme « sujet ontologiquement bien compris [ontologisch wohlverstandene] », 30 à savoir Da-sein, être visé dans son rapport à l’être.
28 29 30
Cf. Heidegger 1941, 53. Heidegger 1941, 38. Heidegger 1927, 149 (§ 24).
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L’autre passage du cours de 1941 est le suivant, la citation est un peu longue, mais on voudra bien excuser sa longueur au vu de son importance – c’est d’ailleurs par elle que nous terminerons : Encore que le terme « ek-sistence » nomme avec un certain bonheur d’expression l’essence du Dasein dans l’horizon du caractère extatique de celui-ci, il se trouve que la « philosophie de l’existence » étant devenue de notoriété publique [K. Jaspers, De la situation spirituelle de l’époque, 1931 […]], j’ai dû rayer le mot « existence » du lexique de la pensée dans les parages de la question d’« Être et temps ». En lieu et place duquel se trouve employé le nom apparemment contraire d’« instance [Inständigkeit] ». Où se trouve doublement : se tenir instamment dans l’ouverture ekstatique du « temps » ; un se-tenir instamment qui n’en est pas moins « instant » avec insistance : « en ferme demeurance, sans désemparer au cœur du rapport essentiel à l’être de l’étant » ; l’« instance en l’être » est appelée « souci ». Mais ce terme est lui aussi tellement chargé de significations provenant de la langue de tous les jours que toute autre acception se voit entourée de méprises. « Souci » signifie toujours dans « Être et temps » : garde et sauvegarde de la vérité de l’être, et ne signifie jamais : préoccupation relative à de l’étant. Ce qui vaut pour le « souci » vaut également pour d’autres vocables auxquels l’« Analytique du Dasein » a fait un sort. 31
En conclusion : il y aurait donc quelque chose comme un risque de contamination de la question de l’être entendue comme question en quête du sens de être par la dimension métaphysique ou existentielle sur laquelle sa dimension existentiale risque toujours de se retrouver rabattue. Schelling n’entend pas l’existence d’une manière telle qu’elle se restreindrait à l’être humain, et ne serait-ce qu’en cela la problématique de Heidegger se différencie de la sienne. Kierkegaard et Jaspers entendent bien l’existence de manière restrictive, mais sans délaisser pour autant le sol de la métaphysique de la subjectivité, sans voir l’existence comme ouverture ek-statique vers l’être, et en cela aussi la problématique de Heidegger se différencie autant de celle du penseur danois que de celle de son contemporain allemand. S’il est bien question d’existence dans le traité de 1927 (pas toutefois dans son titre), le risque de méprise existentielle sur ce terme relevant du registre de l’analytique existentiale a amené Heidegger, comme nous venons de l’entendre, à rayer « le mot ‹ existence › du lexique de la pensée dans les parages de la question d’Être et temps. » Cette « rature » indique bien qu’à la croisée des chemins, dans le partage et le 31
Heidegger 1941, 54 sq. ; je souligne.
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L’existence au cœur du départage des voix
départage des voix, quelque chose d’essentiel se joue entre Schelling, Kierkegaard, Jaspers et Heidegger, à quoi le traité de Schelling de 1809, « sommet de la métaphysique de l’idéalisme allemand », n’aura pas manqué de donner quelque relief.
Bibliographie Aubenque, Pierre 2009 : Faut-il déconstruire la métaphysique ? Paris. Beaufret, Jean 1971 : Introduction aux philosophies de l’existence. De Kierkegaard à Heidegger. Paris. – 1986 : De l’existentialisme à Heidegger. Introduction aux philosophies de l’existence et autres textes, suivi d’une Bibliographie complète établie par Guy Basset. Paris. Courtine, Jean-François 1990 : Extase de la raison. Essais sur Schelling. Paris. Heidegger, Martin 1927 : Sein und Zeit. In : id. : Gesamtausgabe, section I, t. 2, éd. par Friedrich-Wilhelm von Herrmann. Francfort-sur-le-Main 1977. – 1929 : Der deutsche Idealismus (Fichte, Schelling, Hegel) und die philosophische Problemlage der Gegenwart. In : id. : Gesamtausgabe, section II, t. 28, éd. par Claudius Strube. Francfort-sur-le-Main 1997. – 1935/36 : Die Frage nach dem Ding. Zu Kants Lehre von den transzendentalen Grundsätzen. In : id. : Gesamtausgabe, section II, t. 41, éd. par Petra Jaeger. Francfort-sur-le-Main 1984. – 1936 : Schelling : Vom Wesen der menschlichen Freiheit (1809). In : id. : Gesamtausgabe, section II, t. 42, éd. par Ingrid Schlüßler. Francfort-sur-le-Main 1988. – 1941 : Die Metaphysik des deutschen Idealismus. Zur erneuten Auslegung von Schelling : Philosophische Untersuchungen über das Wesen der menschlichen Freiheit und die damit zusammenhängenden Gegenstände (1809). In : id. : Gesamtausgabe, section II, t. 49, éd. par Günter Seubold. Francfort-sur-leMain 1991. – 1971 : Qu’est-ce qu’une chose ?, trad. par Jean Reboul/Jacques Taminiaux. Paris. – 1973 : « Statt einer Rede – Zur Einweihungsfeier für das Gymnasium in Meßkirch am 14. Juli 1973 ». In : id. : Gesamtausgabe, section I, t. 16 : Reden und andere Zeugnisse eines Lebensweges (1910–1976), éd. par Hermann Heidegger. Francfort-sur-le-Main 2000, 733–735. – 1977 : Schelling. Le traité de 1809 sur l’essence de la liberté humaine, trad. par Jean-François Courtine. Paris. Jankélévitch, Vladimir 1933 : L’odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de Schelling. Paris. Lévinas, Emmanuel 1991 : Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre. Paris. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1980 : Œuvres métaphysiques 1805–1821, trad. par Jean-François Courtine/Emmanuel Martineau. Paris. Vetö, Miklos 1977 : Le fondement selon Schelling. Paris.
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Von der »Metaphysik des Weltgrundes« zur »Metontologie« Untersuchungen zum Interesse Heideggers an Schelling Dietmar Köhler (Bochum)
Abstract During his course of lectures in the summer semester of 1928, Heidegger first develops the concept of “metontology”, which emerges from the necessary transformation of the “fundamental ontology” presented in Being and Time into a metaphysical ontic regarding the whole of being. This problem leads Heidegger from the “deepest insights” concerning the position of the human being (Dasein) towards the whole of being in Schelling’s Freiheitsschrift. While Heidegger, on the one hand, appreciates the open conception in Schelling’s treatise about the essence of human freedom, he also underlines the important role of the finiteness of human existence. On the other hand, he determinedly rejects the “positive” philosophy of the later Schelling as a relapse into the rigid and dogmatic position of the occidental metaphysical tradition.
Wenn wir uns auf die Nachwirkungen von Schellings Philosophie im 20. Jahrhundert besinnen, so dürften sicherlich Martin Heideggers prominente Schelling-Auslegungen zu den ersten Adressen zählen. Heideggers viel zitierte und bisweilen hochgerühmte Schelling-Interpretationen, die bereits im Wintersemester 1927/28 einsetzten und in der Folge bis in die 40er Jahre hinein mehrfach – freilich mit unterschiedlichen Akzentsetzungen – wiederholt wurden, mögen zwar inzwischen für die »eigentliche«, historisch-kritische Schellingforschung gegenüber neueren Untersuchungen an Erschließungskraft eingebüßt haben; 1 gleichwohl könnte ihnen auf der anderen Seite für die Aufhellung von Heideggers eigenem Denkweg bleibende Bedeutung zukommen. Da Heidegger in jeder seiner Schelling-Auslegungen ausdrücklich betont hat, sich gerade nicht als »sachlichStellvertretend seien genannt: Buchheim 1997, Hennigfeld 2001 sowie Baumgartner/Jacobs 1996.
1
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Dietmar Köhler
neutraler« Interpret zu betätigen, erhebt sich doch die Frage, was genau Heidegger in den jeweiligen Phasen seiner Denkentwicklung zur konkreten Auseinandersetzung mit Schelling motiviert hat. Zwar wird die Philosophie Heideggers in Zusammenfassungen gern unter den Terminus »Metaphysik-Kritik« gestellt, doch hob Heidegger selbst in der Vorlesung vom Sommersemester 1928 über Metaphysische Anfangsgründe der Logik im Ausgang von Leibniz mit Blick auf den unlängst zuvor verstorbenen Kollegen und wiedergewonnenen Freund Max Scheler als entscheidende Gemeinsamkeit beider, über die man noch im Dezember 1927 während eines längeren Gespräches Übereinstimmung erzielt habe, die Einsicht hervor, es müsse »gerade bei der Trostlosigkeit der öffentlichen philosophischen Lage« insbesondere darum gehen, »den Überschritt in die eigentliche Metaphysik wieder zu wagen, d. h. sie von Grund aus zu entwickeln.« 2 Während Scheler jedoch nach Heideggers Einschätzung glaubte, das erstrebte Ziel sei bereits nahezu erreicht, habe man in Wahrheit noch nicht einmal das Problem radikal und total gestellt und ausgearbeitet. Jedoch sei man voneinander geschieden in der »frohe[n] Stimmung eines aussichtsreichen Kampfes«, 3 eines Kampfes, dessen Zweck also vornehmlich darin bestehen sollte, Metaphysik überhaupt wieder als philosophisches Problem zu entfalten, dessen Ausgang für Heidegger allerdings noch höchst ungewiss sein mochte. Der im Titel genannte spezifischere Ausdruck »Metaphysik des Weltgrundes« verweist auf Schelers Spätphilosophie, in welcher Scheler eine »Metaphysik der Grenzprobleme der positiven Wissenschaften«, eine »Metaphysik erster Ordnung« von einer »Metaphysik des Absoluten« im Sinne des Weltgrundes, einer »Metaphysik zweiter Ordnung« unterscheidet. Als Vermittlungsinstanz zwischen beiden Ebenen steht bei Scheler die philosophische Anthropologie, insofern der Mensch als Mikro-Kosmos zu beiden Ebenen Strukturgleichheiten aufweist. 4 Heidegger selbst glaubte zwar einerseits, Schelers möglicherweise auch von Schelling inspirierte »Metaphysik des Weltgrundes« als unzulässige Spekulation zurückweisen zu müssen, doch stellt sich für seine eigene »Metaphysik des Daseins« 5
Heidegger 1928, 165. Ebd. 4 Zu Schelers Rede von den »Metaszienzien«, der »Metaphysik des Weltgrundes« und der »Metanthropologie« vgl. Scheler 1976, 81–84 und Scheler 1979, 125–128. 5 Vgl. Heidegger 1929, 223–239. 2 3
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gleichwohl das Problem, inwiefern eine vorbereitende Fundamentalanalyse des Daseins nicht auch dergleichen wie Natur als unabdingbare Basis menschlicher Existenz je schon voraussetzen muss und sich damit unversehens auf die Thematik eines zugrundeliegenden Alls des Seienden verwiesen sieht. Ebendiese Problematik des Seienden im Ganzen fasst Heidegger in der Vorlesung von 1928 als »Metontologie«. 6 Zur Vertiefung dieser Thematik soll in einem ersten Schritt der Frage nachgegangen werden, warum und inwieweit Heidegger sich im Zuge der Ausgestaltung seiner »Metaphysik des Daseins« ungeachtet der von ihm als unstatthaft empfundenen »Metaphysik des Weltgrundes« gleichwohl auf das Problem einer »Metontologie« bzw. einer »metaphysischen Ontik« zurückgeworfen sieht. Daran anschließend wird die von Heidegger immer wieder akzentuierte Endlichkeit des Daseins sowie seines Denkens und Erkennens als möglicherweise zentraler Motivationsgrund für seine Auseinandersetzung mit Schellings Freiheitsschrift in Betracht gezogen werden. Schließlich müssen in einem dritten Punkt auch Heideggers Stellung zur Spätphilosophie Schellings sowie die Gründe für die »Verabschiedung« der Philosophie des Deutschen Idealismus im Zuge seines vielbeschworenen »Ausgangs vom anderen Anfang« zumindest ansatzweise diskutiert werden.
I. Die Metaphysik des Daseins und das Problem der Metontologie Bekanntlich ist das Hauptanliegen von Heideggers Sein und Zeit die Ausarbeitung der von Platon und Aristoteles überkommenen »Seinsfrage«, d. h. der Frage nach dem Sein des Seienden, präziser gefasst als Frage nach dem Sinn des Seins eines Seienden. 7 Den methodischen Ansatzpunkt für diese Aufgabenstellung bietet für Heidegger notwendig dasjenige Seiende, das allein mit so etwas wie »Seinsverständnis« begabt ist, d. h. Sein in irgendeiner Weise überhaupt versteht und dieses Verständnis auch artikulieren kann, das existierende Dasein. Nur diesem geht es – im Unterschied zu Tieren beispielsweise – in seinem Sein um dieses selbst. Die Frage nach dem Sein eines 6 7
Heidegger 1928, 199. Vgl. Heidegger 1927, 3–53 (§§ 1–8).
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Seienden und insbesondere die Frage nach dem Sein desjenigen Seienden, »zu dessen Seinsverfassung die Endlichkeit als Seinsverständnis gehört«, ist aber nach Heidegger Metaphysik; die Frage nach dem Sinn von Sein muss somit in einer »Metaphysik des Daseins« ihren Ausgang nehmen. 8 Gemäß der leitenden Fragestellung nach dem Sinn von Sein hat die vorbereitende Analytik des Daseins, kurz »Daseinsanalyse«, im wesentlichen zwei Aufgabenstellungen zu bewältigen: 1. Die Seinsverfassung dieses Seienden (des Daseins) muss untersucht werden und zwar insbesondere unter Berücksichtigung des Phänomens der Zeitlichkeit. 2. Die Möglichkeiten des Daseins, dergleichen wie »Sein« zu verstehen und dieses Verständnis zu artikulieren, müssen herausgestellt werden. Diese Analyse ist jedoch keineswegs Selbstzweck, sondern dient allein vorbereitend der Bemühung Heideggers um eine Grundlegung der Ontologie, der »Fundamentalontologie«, 9 d. h. die Daseinsanalyse befasst sich ausschließlich mit dem »ontischen Fundament« einer geforderten universalen phänomenologischen Ontologie, sie ist noch nicht diese selbst, wie Heidegger im abschließenden Paragraphen von Sein und Zeit zunächst als rhetorische Frage, in der Vorlesung vom Sommersemester 1928 aber dann als eindeutige Feststellung formuliert. 10 Der Fundamentalontologie also fällt die Aufgabe zu, ausgehend vom menschlichen Seinsverständnis aufzuweisen, wie vor jeder konkreten einzelwissenschaftlichen Untersuchung und auch vor der diese jeweilig begründenden »regionalen Ontologie« Seiendes in seinem Sein überhaupt aufzufassen ist. Insofern sie in dieser Eigenschaft grundlegend ist für jede weitere ontologische Fragestellung, kommt ihr der Titel »Fundamentalontologie« zu. Im Hinblick auf den Seinsbegriff sind es vor allem vier grundsätzliche Problemstellungen, die die Fundamentalontologie näher zu betrachten hat: 1. Wie ist die im Verstehen von Sein sich vollziehende ontologische Differenz zwischen Sein und Seiendem zu begreifen? 2. Worin liegt die Möglichkeit der Grundartikulation des Seins im Sinne einer Gliederung der Idee des Seins überhaupt in existentia und essentia? 3. Welcher ursprüngliche Zusammenhang herrscht zwischen Sein und Wahrheit? Was bedeutet der veritative Charakter von Sein? 4. Wie ist die EinHeidegger 1929, 230. Heidegger 1928, 196–202. 10 Vgl. Heidegger 1927, 576 (§ 83); Heidegger 1928, 210. 8 9
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heit der Seinsidee mit Rücksicht auf deren regionale Abwandlungen zu fassen? 11 Die hier in vierfacher Weise skizzierte Aufgabenstellung der Fundamentalontologie im Hinblick auf die von Heidegger gestellte »Seinsfrage« erfährt jedoch in einem Anhang der Vorlesung von 1928 über die »Kennzeichnung der Idee und Funktion einer Fundamentalontologie« noch eine Ausweitung; als dritten Punkt dieser Kennzeichnung nennt Heidegger dort: »die Entwicklung des Selbstverständnisses dieser Problematik, ihre Aufgabe und Grenze – der Umschlag.« 12 Dies bedeutet, dass die oben skizzierten Problemstellungen einer Fundamentalontologie zwar einerseits zentrale Bedeutung haben, aber für eine universale und radikale Betrachtung noch nicht die einzigen sind, die Fundamentalontologie den Begriff der Metaphysik mithin nicht erschöpft. Vielmehr verweist jene, gerade wenn sie radikal gefasst wird, auf die Notwendigkeit einer »ursprünglichen metaphysischen Verwandlung«, des Umschlagens in eine Betrachtung, die das Seiende im Ganzen im Sinne der Aristotelischen theologiké zum Thema macht. Den Grund für die innere Notwendigkeit dieses Umschlags verdeutlicht Heidegger am Phänomen der menschlichen Existenz: Nur der Mensch versteht dergleichen wie Sein, vollzieht den Unterschied zwischen Seiendem und Sein. Somit »gibt« es Sein nur, sofern Dasein Sein versteht; die Möglichkeit des Seinsverständnisses hat zur Voraussetzung die faktische Existenz des Daseins, und diese wiederum das faktische Vorhandensein der Natur. Gerade im Horizont des radikal gestellten Seinsproblems zeigt sich, daß all das nur sichtbar ist und als Sein verstanden werden kann, wenn eine mögliche Totalität von Seiendem schon da ist. 13
Diese Problematik des Umschlagens einer Ontologie qua Fundamentalontologie in eine metaphysische Ontik, die gegenüber dem Ansatz von Sein und Zeit eine weitgehend neue Perspektive in den Blick rückt, bezeichnet Heidegger, offenbar im Anschluss an Max Schelers Rede von einer Metaphysik erster Ordnung, die in den sogenannten »Metaszienzien« die Grenzprobleme der positiven Wissenschaften zu untersuchen habe, als »Metontologie«. 14 Nach Heidegger bilden Fun11 12 13 14
Vgl. Heidegger 1928, 192–195. Heidegger 1928, 196. Heidegger 1928, 199. Vgl. Heidegger 1928, 199–202.
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damentalontologie und Metontologie erst in ihrer Einheit den vollen Begriff der Metaphysik. Das hier in Rede stehende »Seiende im Ganzen« fasste aber nach Heideggers Einschätzung im Rahmen der abendländischen Philosophiegeschichte keine andere Richtung stärker in den Blick als die Philosophie des Deutschen Idealismus, deren Ausgestaltungen insbesondere hegelscher und schellingscher Provenienz er deshalb als »Ontotheo-logie« bezeichnet und zwar mit dem ausdrücklichen Zusatz »in der höchsten Vollendung«. 15 So erscheint es durchaus nicht als Zufall, wenn sich mit dem Problem der Metontologie, der Frage nach der je schon vorauszusetzenden Totalität des Seienden und seiner regionalen Unterscheidungen die genannten Autoren als »Gesprächspartner« Heideggers förmlich aufdrängen, wobei offensichtlich dem Ansatz Schellings insofern eine herausragende Rolle zuzukommen scheint, als sich gerade in der Konzeption der Freiheitsschrift die von Heidegger immer wieder herausgestellte Endlichkeit des Daseins besonders eindringlich manifestiert.
II. Die Endlichkeit des Denkens und die Freiheitsschrift Ein erster Hinweis auf Heideggers stellenweise recht emphatische Aufnahme der Freiheitsschrift ist bislang nur indirekt durch das Zeugnis Hans-Georg Gadamers überliefert; er stammt aus einem Schelling-Seminar, das Gadamer – wohl nicht ganz zutreffend 16 – auf das Sommersemester 1925 datiert. In diesem Seminar habe Heidegger den Satz aus der Freiheitsschrift »Die Angst des Lebens selbst treibt den Menschen aus dem Centrum, in das er erschaffen worden« (SW VII, 381) aufgegriffen, um dann hinzuzusetzen: »Nennen Sie mir einen einzigen Satz von Hegel, der diesem Satz an Tiefe gleichkommt«. 17 Ein wichtiger Beweggrund für diese sehr positive Einschätzung der Freiheitsschrift in den genannten Äußerungen könnte Vgl. Heidegger 1941, 94. Bekanntlich bedankt sich Heidegger erst im April 1926 für den von Jaspers erhaltenen Schellingband; im September 1927 teilt er Jaspers dann den Vorsatz mit, im kommenden Semester Übungen über die Freiheitsschrift abzuhalten. Vgl. M. Heidegger an K. Jaspers, 24. April 1926, Heidegger/Jaspers 1990, 62 f. u. M. Heidegger an K. Jaspers, 27. September 1927, Heidegger/Jaspers 1990, 79 f. Zur neueren Datierung von Heideggers erstem Schelling-Seminar vgl. Schwab/Schwenzfeuer 2010, 291–294. 17 Vgl. Gadamer 1983, 98 u. 138. 15 16
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darin liegen, dass Schellings Fragestellung mit zentralen Motiven seiner eigenen existenzialen Analytik des Daseins wie etwa der Sorgestruktur des Daseins übereinzukommen schien. 18 Offensichtlich glaubte Heidegger wichtige Einsichten hinsichtlich der conditio humana, der grundsätzlichen Verfasstheit menschlicher Existenz mit Schelling teilen zu können. Nach Heideggers Schelling-Vorlesung von 1936 trete das Spezifische der menschlichen Freiheit erst mit der Freiheits-Definition Schellings im Sinne eines Vermögens zum Guten und zum Bösen ans Licht. Allerdings erzwinge die Frage nach der Möglichkeit und Wirklichkeit des Bösen eine Wandlung der – ontologischen – Frage nach dem Sein; Schellings Abhandlung über die Freiheit werde zu einer »Metaphysik des Bösen«, insofern die Aufarbeitung des Problems des Bösen nach einer neuen metaphysischen Gesamtkonzeption verlange, welche der Verwandlung der »Seynsfrage« durch die Frage nach der Möglichkeit und Wirklichkeit des Bösen Rechnung trage. 19 Diese neue metaphysische Konzeption entfalte sich auf der Grundlage der aus Schellings Naturphilosophie entlehnten Unterscheidung zwischen dem »Wesen, sofern es existirt, und dem Wesen, sofern es bloß Grund von Existenz ist« (SW VII, 357), welche von Heidegger kurz als die »Seynsfuge« 20 von Grund und Existenz tituliert wird und den Schlüssel zu seiner Auslegung des Hauptteils der Freiheitsschrift abgibt. Entscheidend für Heideggers Auslegung der »Seynsfuge« ist die Bestimmung des Begriffs »Existenz«, welche sich eindeutig dem Ansatz von Sein und Zeit entlehnt, hier aber ohne Bedenken auch für Schelling beansprucht wird: Existenz meine nicht das übliche »Existieren« als Vorhandensein der Dinge und Gegenstände, sondern »das aus sich Heraus-tretende und im Heraus-treten sich Offenbarende«. 21 Das Heraustreten im Sinne des Sich-heraustreiben-Lassens aus dem Centro ist für den Menschen freilich jederzeit ein riskantes, insofern der Mensch sich nicht nur im Heraustreten als Geistwesen offenbar wird, sondern zugleich die Möglichkeit des Bösen entsteht. Demnach werde ausgehend von der Tatsache der menschlichen Freiheit in Schellings Abhandlung der Mensch erfah18 19 20 21
Vgl. Heidegger 1927, 240–305 (§§ 39–44). Vgl. Heidegger 1936, 167–172. Heidegger 1936, 185. Heidegger 1936, 187.
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ren »im Hinblick in die Abgründe und Höhen des Seyns, im Hinblick auf das Schreckliche der Gottheit, die Lebensangst alles Geschaffenen, die Traurigkeit alles geschaffenen Schaffens, die Bosheit des Bösen und den Willen der Liebe«. 22 In den ebengenannten Themen manifestiert sich nach Heidegger die im Rahmen der abendländischen Metaphysik kaum mehr erreichte »Tiefe« der schellingschen Untersuchung, ungeachtet des von ihm mehrfach konstatierten »Scheiterns« der Abhandlung. 23 Jenes »Scheitern« der Konzeption Schellings schmälert indes in keiner Weise Heideggers Hochschätzung der Freiheitsschrift, – im Gegenteil: Gerade die vermeintliche oder tatsächliche Offenheit der systematischen Konzeption der Freiheitsabhandlung scheint Heidegger offenbar besonders fasziniert zu haben. Jene – ursprünglich zweifellos nicht intendierte – konzeptionelle Offenheit der Freiheitsschrift manifestiert sich in zweifacher Weise: Auf der einen Seite ermöglicht das Auseinandertreten der in Gott unzertrennlichen Prinzipien von Grund und Existenz die Erhebung des Bösen. Der bis in die Gegenwart andauernde – und keineswegs entschiedene – Kampf des Guten und des Bösen kann unter geschichtsphilosophischer Perspektive durchaus als eine offene Konzeption gewertet werden, denn selbst wenn das Böse am Ende der schellingschen Abhandlung vom Standpunkt der christlichen Eschatologie aus überwunden werden kann, so ist für die conditio humana, das aktuelle menschliche Leben in seiner riskanten Verfasstheit und seiner Dramatik, primär der Kampf zwischen Gut und Böse von Bedeutung. Auf der anderen Seite zeigt sich auch aus erkenntnistheoretischer Perspektive eine gewisse Offenheit in Schellings Abhandlung. Dies äußert sich schon in Schellings programmatischer Forderung, dass das »noch von keinem ganz ergriffene System« durch Scheidung, nämlich durch »Wissenschaft und Dialektik« festgehalten und zur Erkenntnis auf ewig gebracht werden müsse (SW VII, 414). Verweist schon der im Kontext dieser Stelle von Schelling wiederholt verwendete Konjunktiv in Bezug auf die Ausgestaltung eines wissenschaftlichen Vernunftsystems auf eine allererst noch zu erbringende Aufgabe und damit abermals auf eine – noch – offene Konzeption, so wird dieser Eindruck verstärkt durch Schellings Hinweis, dass sich im göttlichen Verstande zwar durchaus ein System finde, Gott selbst aber 22 23
Heidegger 1936, 284. Heidegger 1936, 5, 37, 169 u. 279.
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»kein System sondern ein Leben« (SW VII, 399) sei. Fraglich bleibt aber, wie das »Leben Gottes« durch menschliche Vernunft, die nach Schelling ja immer auf einem »dunkeln Grunde« (SW VII, 413) ruht, in ein wissenschaftliches System soll integriert werden können. 24 Dass Heidegger diese grundsätzliche Offenheit der systematischen Konzeption der Freiheitsschrift offensichtlich nicht als Problem im Sinne einer einfachen Unzulänglichkeit, sondern als das eigentlich Wegweisende ansah, belegt eine Bemerkung aus Seminarnotizen über »Die Metaphysischen Grundstellungen des abendländischen Denkens« von 1937/38, in denen es heißt, die Spätphilosophie Schellings, die christlich-aristotelisch-platonische Welt, sei nicht das eigentlich Erregende seines Denkens sondern »nur der rettende Hafen für das Schiff auf der Sturmfahrt der Freiheitsabhandlung«. 25 Die – wohl eher resignierende – Frage folgt: »Warum ist Schelling nicht auf hoher See ›geblieben‹ ?« 26 Vor diesem Hintergrund wird deutlich, warum Heidegger in der Freiheitsabhandlung, deren Scheitern er bereits zu Beginn seiner Vorlesungen von 1936 herausstellt, das »Wetterleuchten eines neuen Anfangs« 27 erblicken konnte: Die Freiheitsschrift weist nach Heidegger ein in Perspektiven, die grundsätzlich offen gehalten werden müssen. Philosophie ist für Heidegger jederzeit eine Angelegenheit der endlichen menschlichen Existenz und somit selbst endlich. Nicht zufällig verweist Heidegger daher im »Umkreis« von Sein und Zeit – gegen die Ansprüche der spekulativen Philosophie des Deutschen Idealismus – immer wieder auf Kant und dessen Betonung der Endlichkeit menschlicher Vernunft. So heißt es in der Vorlesung vom Wintersemester 1925/26 im Hinblick auf den Zusammenhang von Seinsverständnis und Zeit: »Menschliches Verstehen, ich betone: menschliches Verstehen des Seienden ist möglich aus der Zeit. Ich betone ›menschliches‹, weil wir uns in der Philosophie abgewöhnen müssen, uns mit dem lieben Gott zu verwechseln, wie das bei Hegel Prinzip ist.« 28 An dieser eindeutigen, fast schroffen Akzentuierung der Endlichkeit des Menschen hat Heidegger fortan festgehalten; sie wird sogar noch ausgedehnt auf den Seinsbegriff selbst. Demgemäß hält Heideggers Auslegung der Freiheitsschrift
24 25 26 27 28
Zur Thematik vgl. Köhler 2006, 267–274. Heidegger 1937/38, 141. Ebd. Heidegger 1936, 5. Heidegger 1925/26, 267.
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von 1936 im Hinblick auf die »absolute Indifferenz« in Schellings Konzeption fest, dass das Seyn in Wahrheit vom Absoluten nicht gesagt werden könne; darin liege, »daß das Wesen alles Seyns die Endlichkeit ist und daß nur das endlich Existierende das Vorrecht und den Schmerz hat, im Seyn als solchem zu stehen und das Wahre als Seiendes zu erfahren.« 29
III. Heideggers Stellung zur Spätphilosophie Schellings und die »Verabschiedung« der Philosophie des Deutschen Idealismus im »Ausgang vom anderen Anfang« Spätestens seit Beginn der 30er Jahre ist im Hinblick auf die von Heidegger formulierte »Seinsfrage« eine deutliche Akzentverschiebung auszumachen: Nicht mehr der Sinn von Sein steht wie noch in Sein und Zeit im Fokus der Betrachtung, sondern die »Seynsgeschichte« und der Ereignischarakter von Sein rücken ganz und gar in den Mittelpunkt. Dies könnte Anlass dazu geben, die Konzeption des »unvordenklichen Seins« des späten Schelling gewissermaßen als »Vorlage« für diese Etappe des heideggerschen Denkweges in Betracht zu ziehen, 30 doch zeigen die bislang dokumentierten Stellungnahmen Heideggers in Bezug auf die Spätphilosophie Schellings eher eine deutliche Distanzierung, wenn nicht gar eine unüberbrückbare Kluft an. Was die bereits mehrfach erwähnte Hochschätzung der Freiheitsschrift von Seiten Heideggers anbetrifft, so stellt bekanntlich schon die Schelling-Vorlesung von 1936 die Freiheitsschrift als »Schellings größte Leistung« und zugleich als »eines der tiefsten Werke der deutschen und damit der abendländischen Philosophie« heraus, 31 so dass über die Auslegung dieser Abhandlung »ein Verständnis der Philosophie des deutschen Idealismus im Gesamten aus seinen bewegenden Kräften« zu gewinnen sei. 32 Die Freiheitsschrift ist somit nach Heidegger nicht nur geeignet, »die Philosophie Schellings […] im ganzen und in ihren Grundzügen« zu erhellen, sondern sie zeige zugleich, wie Schelling den deutschen Idealismus »von innen her über seine
Heidegger 1936, 280. Den Versuch einer Gegenüberstellung beider Seinsbegriffe unternimmt Markus Gabriel in Gabriel 2010. 31 Heidegger 1936, 3. 32 Heidegger 1936, 6. 29 30
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eigene Grundstellung« hinaustreibe. 33 Auch in der fünf Jahre später im I. Trimester und Sommersemester 1941 gehaltenen Vorlesung Die Metaphysik des deutschen Idealismus wiederholt Heidegger seine These, dass mit Schellings Abhandlung der »Gipfel der Metaphysik des deutschen Idealismus« erreicht sei. 34 Jene Einschätzung der Freiheitsschrift als »Gipfel der Metaphysik des deutschen Idealismus« indiziert ihrerseits wiederum ein Doppeltes: 1. Es eröffnet sich für Heidegger die Möglichkeit, durch eine Verschränkung von sachlichsystematischer und geschichtlicher Erörterung dieser Abhandlung das Wesen der abendländischen Metaphysik überhaupt ans Licht zu bringen. 2. Als »Gipfel« und Vollendungsgestalt des deutschen Idealismus überragt die Freiheitsschrift naturgemäß auch Schellings eigene Früh- und Spätphilosophie, weshalb ihr das Prädikat zugewiesen wird, Schellings »größte Leistung« zu sein. Auch die eigentlich programmatischen und postum unter dem Titel Beiträge zur Philosophie sowie Besinnung veröffentlichten Entwürfe Heideggers aus den Jahren 1936–1938 bzw. 1938/39 wiederholen jene entwicklungsgeschichtliche Einschätzung Heideggers, wonach Schellings Philosophie allein in der Freiheitsschrift »ihr Eigenstes« erreiche. 35 Mit der Freiheitsabhandlung, so Heidegger, habe Schelling »die tiefste Gestalt des Geistes innerhalb der Geschichte der deutschen Metaphysik« entworfen, ohne sie allerdings in sich zum Stehen zu bringen, denn die »negativ-positive Philosophie« sei ein »Rückfall in die rationale Metaphysik und Flucht in die christliche Dogmatik zugleich«. 36 In ganz ähnlicher Weise kommentierten bereits Heideggers Beiträge Schellings philosophischen Werdegang, dem zwar ein einzelner Vorstoß aus der »machenschaftliche[n] Macht der Seiendheit«, 37 also der Seinsvergessenheit des deutschen Idealismus, in der Freiheitsabhandlung gelungen sei, »die allerdings, wie der Übergang zur ›positiven Philosophie‹ zeigt, zu keiner Entscheidung führen kann«. 38 Zu fragen wäre, was Heidegger über diese eher äußerlich-schematische Kritik der schellingschen Spätphilosophie hinaus von dieser 33 34 35 36 37 38
Ebd. Heidegger 1941, 1. Vgl. Heidegger 1938/39, 263. Ebd. Heidegger 1936–38, 203. Heidegger 1936–38, 204.
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überhaupt aufgenommen hat und welche inhaltlichen Motive er in seiner Kritik zur Geltung bringt. Einen gewissen, wenngleich immer noch spärlichen Aufschluss liefern die schon erwähnten Seminarnotizen vom Wintersemester 1937/38. Dort heißt es unter Punkt »X. Schelling: Die negative und die positive Philosophie«, die Besinnung auf Schellings Spätphilosophie sei im Rahmen der angestellten Untersuchung besonders wichtig, weil dort der Leitfaden der Rationalität als Kennzeichen nicht nur der Philosophie des Deutschen Idealismus – scheinbar – verlassen werde. Doch handle es sich nicht um eine tatsächliche Abdrängung der Ratio sondern der Leitfaden werde »nur wieder unausdrücklich«. 39 Entscheidendes Motiv in Schellings positiver Philosophie sei es, das Seiende selbst als Existierendes wiederzugewinnen, dieses »Wiedergewinnenwollen« stelle sich im Stile einer »›Restauration‹ der christlich-aristotelisch-platonischen Erfahrung des Seienden als Existierenden« dar. 40 Damit aber sind die für Heidegger entscheidenden Probleme in Schellings positiver Philosophie bereits aufgewiesen: 1. Schellings unter Einschluss der »negativen Philosophie« vollzogene »Rückwärtsbewegung« bleibt trotz allem im Idealismus und seiner Dialektik verhaftet, weshalb sie die »Leitfadenfrage nicht stellt, d. h. nicht fragt nach der Wahrheit des Seyns.« 41 2. Indem Schelling bei seinem Rückgang »hinter« Descartes, Kant und Hegel die rationale Philosophie und frühere Ontologie festhalten wolle »als das nicht zu entbehrende, aber niemals hinreichende«, 42 sei dieser Versuch zwar aufzufassen als »ein gewisses Zurück in den ersten Anfang, aber aus dem Gesichtskreis seiner Folgen und nicht aus dem Grunde des anderen Anfangs.« 43 Dies führe schließlich dazu, dass der wachsende Gegensatz gegen den Rationalismus im Stile Hegels Schelling selbst von diesem immer abhängiger mache und das Positive »immer grober und rückwendiger« werde. 44 So komme es, daß gerade Schelling in der Spätphilosophie, die man zuweilen als die vorausgenommene Erfüllung von ›Sein und Zeit‹ jetzt ausgibt (weil da von ›Ontologie‹, und ›Aristoteles!‹, Faktizität und dergleichen die Rede
39 40 41 42 43 44
Heidegger 1937/38, 137. Heidegger 1937/38, 138. Heidegger 1937/38, 140. Heidegger 1937/38, 138. Heidegger 1937/38, 139. Heidegger 1937/38, 141.
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ist), am wenigsten etwas ahnt von dem, was zur Überwindung des eigentlichen ›Rationalismus‹ notwendig ist. 45
Die Gründe für Heideggers Abrücken von der Spätphilosophie Schellings sind damit zwar nicht hinreichend aber doch in Umrissen angezeigt: Methodisch bleibt auch die »Positive Philosophie« der – nicht weit genug reflektierten – abendländischen metaphysischen Tradition und deren Seinsverständnis im Sinne der Anwesenheit verhaftet; inhaltlich überspringt die Ansetzung des Existierenden im Sinne auch des Absoluten bzw. Geistigen ohne nähere Ausweisung die »PhysisAlétheia« als das ursprünglich von sich her Aufgehende und in sich Stehende. 46 Hinzu kommt, dass auch der Ursprung und die Notwendigkeit der Unterscheidung von Was-Sein und Existenz (im Sinne des Dass-Seins) bei Schelling ungefragt und somit selbstverständlich bleiben. Wenn also Heidegger einerseits zunächst glaubte an Schellings »Fuge« von Grund und Existenz, die er als »Kernstück« der ganzen Freiheitsabhandlung bezeichnet, 47 anknüpfen zu können, so steht andererseits seine Bestimmung des Wesens des Seyns als Endlichkeit der absoluten Metaphysik Schellings als einer spezifischen Ausprägung der abendländischen Onto-theo-logie in fundamentaler Weise entgegen! Gerade der Anspruch der Freiheitsschrift wie auch der Spätphilosophie Schellings bedingt für Heidegger am Ende ihr Scheitern. Letzteres zeigt sich nicht nur darin, dass die Momente der »Seynsfuge«, Grund und Existenz, sich kaum noch in eine Einheit fügen lassen, sondern »sogar so weit auseinandergetrieben werden, daß Schelling in die starr gewordene Überlieferung des abendländischen Denkens zurückfällt, ohne sie schöpferisch zu verwandeln«. 48 Die Ursachen für dieses notwendige Scheitern der Freiheitsschrift liegen für Heidegger indes keineswegs in einem bloßen »Versagen« Schellings; vielmehr treibe die Freiheitsabhandlung lediglich Schwierigkeiten hervor, die bereits im Anfang der abendländischen Philosophie »unüberwindbar gesetzt sind«, so dass zu deren Überwindung eine völlige Verwandlung dieses ersten Anfangs in einem »zweite[n] Anfang« gefordert sei. 49 Die in der Freiheitsschrift angelegte »Meta45 46 47 48 49
Ebd. Vgl. Heidegger 1937/38, 138 f. Heidegger 1941, 11. Heidegger 1936, 279. Ebd.
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physik des Bösen« bringt als Vollendungsgestalt der abendländischen Onto-theo-logie lediglich Probleme ans Tageslicht, welche schon seit der Antike den Grundansatz der metaphysischen Tradition – obzwar meist verborgen – bestimmen. Zudem gehöre es zum Begriff und Wesen einer jeden (!) Philosophie, dass sie scheitere, nämlich im Fragen stehen bleibe, so aber das »Frag-würdige« allererst in den Blick zwinge und insofern am Vollzug der Offenbarkeit des Seyns mitwirke. 50 Wenn also nach Heideggers Selbsteinschätzung von der Philosophie des deutschen Idealismus überhaupt »keine Brücke in den anderen Anfang«, also in Heideggers eigenes Denken seit Mitte der 30er Jahre, führt, 51 so bedeutet dies nur, dass Heidegger eine lineare Fortführung des schellingschen Ansatzes von seinem Standpunkt eines »seynsgeschichtlichen Denkens« aus für unmöglich hält. Darüber hinaus wird von Heidegger aber auch eine schlichte Fortsetzung der eigenen philosophischen Entwicklung wie auch der gesamten abendländischen philosophischen Tradition für unmöglich gehalten, so dass für den Neuansatz mit dem »seynsgeschichtlichen Denken« eher Dichter wie Hölderlin als der »am weitesteten Voraus-dichtende« in Frage kommen. 52 So kann die Auseinandersetzung mit der absoluten Metaphysik nurmehr auf den »Schmerz der Entzweiung mit ihr« vorbereiten, 53 wie Heidegger am Schluss einer Vorlesung über Hegels Phänomenologie des Geistes festhält. Die Frage bleibt allerdings, ob Heideggers Insistieren auf dem »Bruch« mit der Philosophie des Deutschen Idealismus und seine Betonung des »Schmerzes der Entzweiung« nicht auch den Zweck gehabt haben könnten, mögliche Affinitäten oder Parallelitäten seines Denkens zur Spätphilosophie Schellings, die ungeachtet der aufgewiesenen offenkundigen konzeptionellen Differenzen noch bestehen könnten, von vornherein auszuschließen bzw. in den Hintergrund zu rücken. Selbst wenn sich auf der Basis der derzeitigen Quellenlage meines Erachtens kein eindeutiger Nachweis einer Beeinflussung wird führen lassen, so müsste die Frage selbst – auch nach Heidegger – doch erlaubt sein: »Denn das Fragen ist die Frömmigkeit des Denkens.« 54 Heidegger 1936, 169. Heidegger 1936–38, 203; vgl. Heidegger 1941, 189 f. 52 Heidegger 1936–38, 204. Zum »Ausgang vom anderen Anfang« und der Rolle Hölderlins im Denken Heideggers vgl. Pöggeler 1994. 53 Heidegger 1942, 136. 54 Heidegger 1953, 36. 50 51
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Von der »Metaphysik des Weltgrundes« zur »Metontologie«
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Du Dieu à venir à l’ultime Dieu De Schelling à Heidegger Joseph Cohen (Dublin)
Abstract In this article, we wish to deploy Schelling’s philosophical “system”, and most particularly the development from what he had labelled as “negative philosophy” to “positive philosophy”, in relation to the possibility of thinking towards a “God to come”. Central to this deployment, according to our investigation, is Heidegger’s re-interpretation of Schelling’s Freiheitsschrift (1809). According to which law are Schelling’s and Heidegger’s philosophies engaging in the possibility of another task for thinking? And how does the idea of a “God to come” figure in this wholly other possibility for thinking?
C’est dans le Système de l’idéalisme transcendantal (1800) que Schelling pense la relation, le rapport, l’alliance entre la limite et l’illimité, la finitude et l’infinité, la séparation et l’identité dans la constitution du Moi. Citons ce texte dès à présent : « [L]e Moi comme Moi ne peut être illimité que dans la mesure où il est limité, et inversement, […] il ne peut être limité comme Moi que dans la mesure où il est illimité. » 1 Ainsi, le Moi ne peut se saisir, se comprendre, s’approprier soi-même en tant qu’illimité qu’en se pensant déjà comme un « devenir infini ». Ainsi, ce Moi, en tant que « devenir infini », est toujours activité et par conséquent ne peut se dire soi-même que s’il se confronte déjà à une limite ou à un obstacle sur lequel il œuvre pour s’en affranchir. Or, loin de se réapproprier soi-même dans et par le « travail du négatif » se niant lui-même dans l’absoluité d’un savoir accompli, ce devenir, comme Schelling aura toujours tenu à le faire remarquer, n’en finit pas de se poursuivre et de se réengager, de se perpétuer et de s’avancer en déplaçant à l’infini la limite elle-même. Chaque limite est, en ce sens, dépassée, mais ce dépassement ne fait alors qu’engendrer une 1
Schelling 1978, 46 / AA I,9,1, 73.
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autre limite, disons donc le supplément d’une altérité au-delà du Moi et devant laquelle se tient le Moi en l’appelant ainsi à un surplus de surpassement. Sans cette limite et le supplément qu’elle engage toujours, le Moi ne peut jamais se saisir soi-même en prenant conscience de son propre mouvement d’expansion. C’est pourquoi la limite ne révèle pas uniquement la résistance éprouvée par le Moi, mais aussi, et dans le même mouvement, la force de déploiement qui est puissance de constitution du Moi. Ainsi, selon Schelling, une limite ne peut se donner au Moi comme limite que si le Moi cherche aussi à la dépasser, et donc que si le Moi est par là-même pourvu d’une puissance infinie. Schelling le souligne quelques lignes plus loin : « Le Moi a la tendance de produire l’infini ; cette direction doit être pensée comme allant vers l’extérieur […], mais elle ne peut être distinguée comme telle sans une activité qui revient vers l’intérieur sur le Moi comme centre. » 2 Dans ce double mouvement, à la fois centrifuge et centripète, chacune des deux forces suppose et requiert l’autre. C’est dire rien de moins que ceci : le Moi est toujours déjà engagé dans une connaissance absolue en-deçà de l’activité de l’entendement dont l’essence demeure celle de séparer, de diviser, de partager et de départager, d’opposer en fixant unilatéralement le sujet et l’objet. Pour Schelling cependant, le Moi est une connaissance du soubassement du savoir et possède le privilège exemplaire d’être lui-même l’accès à une connaissance de soi de l’absolu. Ainsi, ce n’est jamais le Moi qui se met à la rencontre du savoir, ou encore, le Moi qui connaît dans le savoir, mais, bien plutôt, que le tout connaît en Moi. Or ce n’est évidemment pas dire que le Moi disparaît dans le tout, mais bien plutôt qu’il participe à cette connaissance dans la mesure où il est engagé, habité et traversé par le tout. Cependant, et en revanche, c’est bien dire que le sujet « entendementiel » se dissout, se perd, s’abandonne. Mais cette dissolution, cette perte et cet abandon, loin d’abolir la possibilité du penser, signifient que gît en celle-ci une autre forme de savoir, qui se vouerait à la connaissance de soi de l’absolu et que Schelling nomme la « Raison ». Certes, ce n’est que dans sa philosophie tardive, dite « positive », que Schelling l’énoncera avec force, mais il faut reconnaître que très tôt, il aura aussi pensé la « décision philosophique » du Moi comme cet acte de supplémentarité et donc en tant que cette incessante recherche 2
Schelling 1978, 53 / AA I,9,1, 83.
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Du Dieu à venir à l’ultime Dieu
d’une possibilité de sortir et de s’exproprier de son soi-même vers une altérité au-delà de ce qu’une philosophie purement logique, dite « négative », pourrait approprier ou réapproprier. C’est pourquoi Schelling fait aussi allusion à la nécessité de penser ce qui déborde et dépasse le sujet « entendementiel », comme, par exemple, dans ce passage : S’il n’y avait pas dans notre esprit une connaissance qui soit entièrement indépendante de toute subjectivité et qui ne soit plus un connaître du sujet en tant que sujet […], il nous faudrait en effet renoncer à toute philosophie absolue et nous serions éternellement enfermés dans la sphère de la subjectivité avec notre pensée et notre savoir […]. (SW VI, 143 ; trad. de l’auteur)
Le Moi est ainsi de part en part désir en étant lui-même débordé et dépassé par une altérité toujours renouvelée, devant laquelle il se tient et qu’il doit perpétuellement s’approprier sans jamais pouvoir entièrement se la réapproprier. Un désir entièrement autre que celui signifié par Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit 3 et dont l’essence était de toujours arriver à se parfaire en se réappropriant le désiré dans le geste de sa propre négation, geste le portant et le relevant en sa vérité accomplie. Or, pour Schelling, comprendre le désir dans un mouvement de réappropriation spéculative, c’est ne pas encore penser le désir. Ce serait, bien plutôt, le penser là où il ne cesse de se dénier. En effet, entre Schelling et Hegel, tout se passe comme si là où l’un entendait parfaire et accomplir les moments effectifs du vrai dans leur compréhension déterminée comme absoluité de leur vérité propre, l’autre s’appliquait, au nom même de l’absolu, à les exproprier perpétuellement hors de toute compréhension déterminée, les projetant ainsi dans l’incessante mouvance d’une supplémentarité irréappropriable. La différence entre Hegel et Schelling est patente quand, dans la Phénoménologie de l’esprit, le premier distingue la « proposition ratiocinante » de la « proposition philosophique ». Reprenons ici cette distinction hégélienne classique : là où la « proposition ratiocinante » exprime son contenu en pensant le prédicat comme accident attribué au sujet de la proposition – sujet donc qui constitue la base ou le fondement de la proposition – la « proposition philosophique » exprime le prédicat comme essence du sujet. L’exemple privilégié, selon 3
Cf. Hegel 1991, 148 sq. / Phän., GW 9, 107 sq.
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Hegel, de cette proposition où sujet et prédicat se confondent et se réconcilient en une modalité d’expression essentielle propre, une proposition « hautement spéculative », comme le rappelle l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit, est le suivant : « Dieu est l’être ». 4 En cette proposition, le prédicat « épuise » entièrement et absolument la nature du sujet. Par conséquent, là où le sujet de la proposition est relevé dans le déploiement essentiel du prédicat, il ne se signifie plus comme un support d’accidents ou un fondement fixe en lequel les accidents ne viendraient que se déposer et se recueillir. Se profile bien plutôt une identité spéculative entre sujet et prédicat là où l’un et l’autre se signifient l’un en l’autre et là où chacun est nécessaire l’un pour l’autre. Pour Hegel donc, la distinction entre « proposition ratiocinante » et « proposition philosophique », le différend entre cette proposition qui sépare le sujet et le prédicat en déterminant le lien qui les unit comme rapport entre fondé et fondant et cette autre proposition qui ne prend pas pour sujet le sujet de la proposition où ne seraient que déposés accidentellement des prédicats mais qui les déploie ensemble dans et par un devenir où se meuvent et se reprennent en soi-même toutes ses déterminations, ce différend ne peut que projeter le lecteur ordinaire dans une impossibilité de lire le texte philosophique. Il lit, ce lecteur, sans encore savoir lire, car il disjoint cela même qui est toujours déjà lié, allié, concilié. Il est donc « rejeté[e] vers la pensée du sujet » 5 et « perdu » entre la dualité des éléments qui composent la proposition et l’identité spéculative de cette dualité relevée et comprise, supprimée et niée dans le mouvement de « cette marche qui s’auto-engendre, s’emmène plus loin et revient en soi. » 6 Et Hegel de préciser, toujours dans la Phénoménologie de l’esprit : « L’abolition de la forme de la proposition ne doit pas seulement se faire sur un mode immédiat et par le seul fait du contenu de la proposition. » 7 Ce qui signifie ceci : le mouvement de la relève, de la suppression et de la négation, de la « proposition ratiocinante » dans et par le déploiement de la « proposition spéculative » doit être exprimé, pressé dans l’effectivité donc, et ne doit jamais simplement se penser dans l’intériorité enfouie et secrète d’une « intuition intellectuelle », Hegel 1991, 69 / Phän., GW 9, 44. Nous nous permettons de renvoyer à notre analyse de la distinction entre « proposition ratiocinante » et « proposition spéculative » dans notre ouvrage Le sacrifice de Hegel (Cohen 2007, 36–44). 5 Hegel 1991, 69 / Phän., GW 9, 44. 6 Hegel 1991, 71 / Phän., GW 9, 45. 7 Hegel 1991, 70 / Phän., GW 9, 45 ; trad. modifiée. 4
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là où le sujet se perdrait et s’annihilerait dans la saisie d’une substance immaculée ou d’une identité principielle. Le retour en soi-même et pour soi-même du concept doit être présenté – car la « force de l’esprit n’est pas plus grande que sa manifestation » 8 – et ce sera très précisément à la dialectique spéculative qu’il reviendra d’être la modalité depuis laquelle se déploie l’absoluité de sa présentification. D’où la critique, à peine voilée, de l’« intuition intellectuelle » schellingienne (que Hegel nomme aussi « l’intuition intérieure »), c’est-à-dire de l’intuition du principe « A = A » 9 de la « philosophie de l’identité », ce principe où, à en croire Hegel, ne se pose l’identité absolue que comme « objet » sans que ne soit par là-même engagée et déployée sa présentation explicite et expresse dans la mouvance spéculative de l’effectivité se niant et se réappropriant en et pour soi-même. Mais cette critique de l’intuition intellectuelle aura-t-elle visé juste ? Et aura-t-elle atteint ce que Schelling quant à lui nommait « intuition intellectuelle » ? Assurément non. Car si l’on saisit l’intuition intellectuelle ainsi que l’aura pensée Schelling, c’est-à-dire comme « extase », il faut y voir le mouvement, au cœur du Moi, de se poser hors de soi, hors de son lieu, et donc, de s’exporter hors de son quant à soi vers le déjà autre que soi. En ce sens, l’« intuition intellectuelle » chez Schelling doit toujours se penser, selon la très juste expression de G. Bensussan, comme une « résistance » 10 résolue et renouvelée à l’égard du mouvement spéculatif hégélien. Car l’« intuition intellectuelle » pensée comme « extase » est cette modalité du penser qui traverse toutes les formes sans pour autant se réduire à aucune d’elles et donc signifie ce mouvement signifiant qui ne se laisse jamais contenir ou enfermer en un objet particulier ou en un signifié déterminé. En vérité, l’« intuition intellectuelle » schellingienne est un signifiant toujours déjà irréductible au signifié – et ce, non pas parce qu’il n’y aurait pas de signifié, mais bien plutôt parce que le signifiant serait toujours à la recherche du signifié, s’ex-propriant incessamment vers son autre irrécupérable et déjà ailleurs que dans les paramètres d’une saisie spéculative réappropriante. Or c’est très précisément de cette modalité indéterminée et irréappropriable que le philosophique cherche à avoir un savoir. Mais il faut être attentif à la doubléité qui ici se trace : en effet, ce savoir est à la fois et Hegel 1991, 33 / Phän., GW 9, 14. Hegel 1991, 37 / Phän., GW 9, 17. 10 Cf. Bensussan 2010. 8 9
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simultanément une production et une répétition, une œuvre et une réitération. Ce savoir est donc en même temps producteur de ses propres objets tout en étant la répétition du procès d’engendrement à même chaque objet produit. C’est dire donc qu’il s’agit ici d’un « savoir génétique » mais toujours exproprié au-delà de la possibilité de s’approprier ou de se réapproprier la genèse de sa propre mouvance. Schelling l’affirme clairement dans les Leçons d’Erlangen lorsqu’il écrit : [E]n philosophie, il s’agit de s’élever au-dessus de tout savoir qui procéderait simplement de moi-même. Que faut-il donc faire ? D’où devonsnous partir ? C’est ici qu’il convient d’exprimer clairement ce qui interdit à la plupart de seulement pénétrer jusque dans la philosophie : il s’imaginent avoir affaire à une science démonstrative qui part d’emblée de quelque chose de su, pour passer, de ce premier élément à un autre, également su, puis de celui-ci à un troisième, et ainsi de suite. Or la philosophie n’est pas une science démonstrative, la philosophie est, pour le dire d’un mot, un acte libre de l’esprit ; son premier pas n’est point un savoir, mais plutôt expressément un non-savoir, un abandon de tout ce qui est savoir aux yeux de l’homme. Aussi longtemps qu’il veut encore savoir, ce sujet absolu lui sera objet, et par là même il ne le reconnaîtra pas en soi. Mais en disant : à titre de Moi, je ne peux pas savoir, Moi – je ne veux pas savoir, en se dessaisissant du savoir, il fait place nette pour cela qu’est le savoir, c’est-à-dire pour le sujet absolu, dont on a montré par ailleurs qu’il était précisément le savoir même. En cet acte par lequel il se résigne à ne pas savoir lui-même, il établit le sujet absolu comme savoir. A travers cet acte qui l’institue, je l’expérimente comme l’outrepassant. Sans doute pourrait-on nommer aussi cette expérience intime un savoir ; mais à condition d’ajouter immédiatement qu’il s’agit d’un savoir qui, eu égard à moi, est bien plutôt un non-savoir. Ce sujet absolu n’est là que dans la mesure où je n’en fais pas un objet, c’est-à-dire dans la mesure où je ne sais pas, où je renonce au savoir ; mais dès que ce nonsavoir veut s’ériger à nouveau en savoir, il disparaît, car il ne peut être objet. 11
Et immédiatement après : « On a cherché naguère à exprimer cette relation tout à fait spécifique par le terme d’intuition intellectuelle. » 12 Ce qui signifie que la philosophie doit se penser comme aspiration infinie vers l’absolu, et non plus comme science de la totalité. Et donc, l’« extase » se produit là où le philosophe tente de saisir l’absolu dans un prédicat qui exprime son essence mais où, au moment même où se 11 12
Schelling 1980, 289 / SW IX, 228 sq. Schelling 1980, 289 / SW IX, 229.
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réalise cette expression, il est déjà projeté ailleurs qu’en elle. C’est dire que l’« extase » consiste en un mouvement de suspension et de débordement où le penser est non pas, comme cela était le cas dans la Phénoménologie de l’esprit, déployé dans la proposition où le sujet s’intègre et se concilie dans et par le prédicat, mais bien plutôt là où advient une suspension en laquelle le sujet ne saurait jamais se contenir en aucun objet. En ce sens, le sujet se voit toujours déjà forcé de subir l’impossibilité de « dire » l’absoluité de l’absolu en cherchant précisément à la « dire ». L’on comprend ainsi dans quelle mesure l’« extase » engage le sujet en une doubléité infinie : le sujet philosophique est toujours hors de soi en faisant l’expérience de l’absolu et ne se laisse jamais enfermer, enclore et clôturer dans un prédicat car le débordant toujours et le supplémentant déjà. Il n’est donc pas un sujet se tenant face à un objet comme s’il se maintenait devant son corrélat. Ce qui signifie : l’« extase » est une intuition de ce qui déborde toujours déjà le vouloir objectivant. Elle ne signifie point une limite au savoir, mais l’inscrit bien plutôt dans l’expérience d’un penser se désirant toujours au-delà de ce qu’il pense en pensant. C’est pourquoi dans l’« extase », il y a une certaine résistance à l’objectivation. Car elle situe le sujet en rapport à un fait absolu inobjectivable. Or, c’est au cœur de cette tension soutenue, de cette perpétuelle aspiration qui n’est en vérité qu’un schisme entre le fond et un mouvement extatique d’ouverture que le fondement changera radicalement de sens : il n’est plus le fondamental, mais devient la réserve, la ressource, la rétraction en laquelle s’alimentent toute éclosion et toute manifestation. C’est dire que toute présence est en effet toujours présence depuis une retenue de ce qui fait ou peut se constituer en fondement. Comme si donc au fond du fond se creusait un abîme du fond depuis lequel la présence pouvait devenir présence. Car, pour Schelling, l’être ne s’épuise jamais ni ne se réduit dans le don de la présence. Il garde et sauvegarde en lui une ressource secrète en laquelle il peut toujours puiser afin de se tenir et de se maintenir. C’est précisément cette réserve et ce retrait de la présence en vue de ce qui se présente que Schelling nommera le Grund. En vérité, cela signifie qu’au cœur du Grund gît un Ab-grund, un sans-fond, depuis lequel l’être se donne sans s’y épuiser en présence. Or c’est très précisément là, au cœur de ce que Schelling nomme l’« extase », qu’il convient de penser le passage entre « philosophie négative » et « philosophie positive ». Certes, ce passage n’est jamais sûr ni assuré. Il faudrait dire qu’il opère chaque fois singulièrement 295 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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comme un événement. Car s’il est vrai que l’« extase » constitue une « résistance » à la dialectique spéculative de Hegel, à la possibilité donc de dire l’absoluité de l’absolu dans la complétude et l’amplitude de la négation et de sa relève comme procès où se déploie sa vérité propre et réappropriée, il ne s’agit jamais d’une résistance frontale ou extérieure. Il y va bien plutôt d’une force, celle de « laisser-être » la « philosophie négative » œuvrer à son propre rythme et selon son mouvement toujours déjà assuré. De la laisser persévérer dans son geste d’explicitation de la totalité du vrai et ainsi, à même son déploiement, de lui signifier qu’en elle-même, au point culminant de sa complétude et de sa détermination, elle s’évide, s’écroule, succombe dans son propre dessein. Ainsi, c’est négativement que la « philosophie négative » se construit : elle explicite et en explicitant la totalité de ce qui est, elle sombre dans l’impossibilité de se dire elle-même et d’exprimer la vérité de ce qui s’y dit. En somme, tout se passe comme si sa possibilité même et le règne qu’elle instaure, celui d’exprimer la totalité du vrai, signait par là-même sa propre impossibilité. Elle ne fait donc que se « tourmenter » en produisant tout autre chose que ce qu’elle avait cherché dans l’inquiétude de son travail à dire. Or ce qu’elle produit contre elle-même en elle-même, malgré elle-même donc, ce n’est rien d’autre qu’une certaine poussée hors d’elle-même vers, non pas son autre, mais l’autre de son autre. Elle clame donc, en se réduisant à n’être que l’explicitation absolue du possible et du pensable, l’événement où elle se déporterait d’elle-même en se délaissant de sa science pour devenir « nescience ». C’est dire qu’elle s’expulse hors de soimême pour se projeter dans l’événement d’un passage, intraduisible en termes de négativité, capable de la porter vers une pensée autre, « positive », où l’« homme retrouve sa santé », 13 c’est-à-dire aussi sa liberté, après l’avoir évidée dans la prétention de se la réapproprier dans le procès d’une réconciliation où la substance est pensée tout aussi bien comme sujet : Quand l’homme se fait un objet de cette liberté originelle, pour la porter objectivement au savoir, la contradiction suivante surgit nécessairement : l’homme prétend connaître et éprouver la liberté éternelle comme liberté, mais dès qu’il en fait un ob-jet, elle se transforme subrepticement en non-liberté, et cependant c’est en tant que liberté qu’il la recherche et la veut. Il veut devenir conscient d’elle comme liberté, et cependant il l’anéantit précisément en la tirant à lui. Il en résulte au 13
Schelling 1980, 291 / SW IX, 231.
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Du Dieu à venir à l’ultime Dieu
cœur même de l’homme un tourment, un mouvement rotatif, dans la mesure où l’homme est perpétuellement en quête de liberté, tandis que celle-ci le fuit. Ce tourment intime représente en lui l’état du doute le plus déchirant, de l’éternelle inquiétude. Non seulement la liberté se perd, mais encore celui qui prétend la connaître se trouve dans un état d’extrême non-liberté – dans une perpétuelle tension vis-à-vis de la liberté dont il est cependant en quête et qui lui échappe sans cesse. Cette tension qui apparaît ainsi du côté de l’homme […] finit par atteindre son point culminant […] qui doit nécessairement avoir pour conséquence une décharge grâce à laquelle celui qui prétendait accéder au savoir de l’éternelle liberté en elle-même, est expulsé – rejeté à la périphérie – jusqu’à devenir purement et simplement nescient. C’est alors seulement que l’homme retrouve sa santé. 14
Mais au cœur de cette transformation non-dialectique de la « philosophie négative » en l’autre de son autre, la « philosophie positive », celle-ci n’abandonne pas ni ne délaisse entièrement la « philosophie négative ». Elle en constitue bien plutôt l’éveil, le souffle, la ressource ou le don. Car la « philosophie positive », poursuit Schelling, ne brise pas le rapport, mais le pense librement ; c’est dire, en vérité, qu’elle anime, depuis son immémorialité imprépensable (Unvordenkliche) irréductible, depuis son Dire inassimilable au toujours déjà « dit » du procès toujours déjà « su », le déploiement de la « philosophie négative » elle-même. En quelque sorte, la « philosophie positive » veille sur la « philosophie négative », lui donne l’essor de sa prolifération, en se gardant cependant (et précisément parce qu’elle l’éveille) de s’y réduire et donc en se préservant de traduire le secret de son immémorialité imprépensable dans le registre de l’ordre du pensable. C’est pourquoi Schelling, toujours dans les Leçons d’Erlangen, fait une allusion à Socrate, « foyer lumineux » et « manifestation la plus resplendissante de l’antiquité tout entière », 15 et plus précisément au mot qui lui est attribué selon lequel « il sait seulement qu’il ne sait pas. » 16 Car en ce mot, Socrate ne faisait que marquer, selon Schelling, son appartenance à cet « élément » impensable où demeure sauvegardée et réservée la possibilité du pensable. Or appartenir à cet « élément » impensable veut dire ne point se satisfaire du simplement pensable. C’est pourquoi aussi Schelling prend soin d’ajouter, en poursuivant son interprétation du fameux passage de l’Apologie, 14 15 16
Schelling 1980, 291 / SW IX, 230 sq. Schelling 1980, 298 / SW IX, 239. Schelling 1980, 298 / SW IX, 239.
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qu’à même cette appartenance, Socrate affirme qu’il « n’enfante plus » 17 mais ne fait « qu’aider à accoucher et à accompagner la naissance » 18 de ce qui est pensable. C’est dire, en même temps, que si elle veille sur la « philosophie négative » en l’incitant à se déployer selon son propre mouvement (dont l’essence sera précisément d’incessamment la trahir), le regard de la « philosophie positive » est porté ailleurs. Car elle cherche et recherche un tout autre penser que celui qui se pense dans et par le pensable. Elle cherche une pensée qui ne se contenterait pas de procédures méthodiques, qui ne se circonscrirait pas aux schèmes de la contradiction, de l’induction ou de la déduction, de la négation ou de la relève, qui ne serait pas seulement ou plus uniquement performative, mais qui fraierait un autre passage, qui produirait d’autres performativités en ne s’installant jamais dans l’assurance d’une opposition simple entre performatif et constatif. Une pensée se confrontant à l’impossible et où le simplement possible ne serait pas nié mais librement possibilisé ailleurs et depuis un tout autre événement que celui de sa propre conditionalité. En ce sens, il serait quelque peu inexact de penser la « philosophie positive » comme une fondation de ce qui se pense. Sans la contredire, elle ouvrirait à un tout autre événement de pensée que celui se cantonnant à ne se dire qu’en tant que fondation. Disons donc qu’elle serait l’épreuve incessamment réitérée d’une incondition a-fondative de la pensée. Ainsi elle marquerait au cœur de la pensée son « appartenance » à l’impossible, l’obligeant à se dire en « l’impossible comme possible », pour reprendre ici une phrase à Derrida qui n’aura que très peu écrit sur Schelling mais où on pourrait ici imaginer une certaine filiation. Or il faudrait entendre dans cet « impossible comme possible » le comme à la fois en tant que cette incessante résistance à l’encontre du possible et à la fois en tant que la singulière chance de repenser un « possible » autrement possible, voire tout autre que possible, tout autre que l’ordre déjà pensable du possible. Et Schelling tient à cette dualité altérante de la pensée dans la pensée. Il la nommait déjà, dans l’Essai sur l’essence de la liberté humaine, le « second principe de ténèbre ». 19 Et c’est pourquoi Schelling écrira, dans les Leçons d’Erlangen, que « le savoir est une constante altération, il est
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Schelling 1980, 298 / SW IX, 239 ; trad. modifiée. Schelling 1980, 298 / SW IX, 239 ; trad. modifiée. Schelling 1980, 162 / SW VII, 377.
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toujours autre et cependant le même ». 20 Entendons donc : « Autre » parce qu’orientant toujours la pensée vers l’autre de ce qui s’y pense et « même » parce que toujours ouvrant, dans une inévitable trahison, à la pensée du même. Et Schelling de réitérer l’entièreté de l’aporie extatique du penser : J’en reviens donc encore une fois au procès déjà décrit, reprenant pour point de départ la crise mentionnée plus haut, à la suite de laquelle le sujet absolu et la conscience se scindent. La conscience humaine est en effet originellement le fond-intime, le substrat, le portant ou le sujet de l’éternelle liberté accédant à soi-même, mais il s’agit du fond intime en repos, c’est-à-dire nescient […], [et, J. C.] ne se détachant pas encore. La liberté éternelle accède à soi-même dans la mesure où elle se métamorphose à nouveau d’objet en sujet, de B en A. B est donc ce qui gît-aufond de A, ce qui en constitue le suppôt. Mais B est une forme ou une figure singulière – celle de l’homme. L’homme, ou la conscience humaine, est donc le tranquille fond-intime de l’éternelle liberté revenue à soi, la conscience humaine singulière n’est rien d’autre que l’assise fondamentale de la conscience absolue ou universelle. Mais le procès ne s’arrête pourtant pas là. Car sinon l’éternelle liberté se saurait assurément elle-même mais sans que l’homme ne la connaisse. Il est donc inévitable que l’homme attire à soi, qu’il veuille pour soi cette éternelle liberté […] (dont il est le sujet). Le principe particulier, la conscience humaine singulière, qui n’est rien d’autre que l’assise fondamentale de la conscience absolue ou universelle, l’homme donc aimerait voir la conscience universelle comme sa conscience individuelle. Mais par làmême il supprime la conscience universelle elle-même. […] [E]n voulant attirer à soi cette pure conscience, l’homme la détruit. C’est ici que surgit cette contradiction, que l’homme anéantit par son vouloir cela même qu’il veut. De cette contradiction résulte ce tourment intime, cette agitation, aboutissant à ce que celui qui cherche pousse en avant de soi, en une fuite sans fin, cela même qu’il cherche. D’où finalement cette crise, où l’unité que nous exprimons par B métamorphosé en A, où la conscience de l’éternelle liberté (= l’archi-conscience) se déchire. Par la crise nous sommes ramenés au commencement, A est à nouveau sujet pur, absolu, tellement sujet qu’il ne sait plus rien de soi-même. La seule nouveauté qui subsiste, pour ainsi dire à titre de ruine du procès précédent, est le B exposé et porté au non-savoir. Celui-ci est délivré par cette exposition, c’est le premier instant de sa méditation où il jouit pour la première fois de la liberté et de la félicité de la nescience. Il est à présent – pour en donner une expression positive – ce que nous pouvons nommer le libre penser. Penser, c’est renoncer au savoir ; le savoir est lié, le penser est en 20
Schelling 1980, 293 / SW IX, 234.
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pleine liberté, et le terme penser [denken] indique déjà par lui-même que tout libre penser est le résultat d’une tension, d’un écart, d’une crise surmontés. Denken vient en effet soit […] de dehnen, « tendre, étendre », soit […] du mot hébreu דוּן, soit […] de δῖνος, ce qui a réchappé d’un tournoiement. Dans tous les cas, le terme renvoie à une origine conflictuelle. On aboutit à la même conclusion en se reportant à l’usage ancien du mot denken, que l’on trouve encore dans la locution : Vornehme Leute denken lange, c’est-à-dire : leur mémoire se perpétue longtemps. Le penser est caractérisé comme être-exposé, après avoir été d’abord savoir. 21
Or cette pensée exposée, libre parce que sans-fond, sans savoir, en quoi est-elle engagée ? C’est là que s’énoncera la percée décisive de Schelling. En vérité – telle est l’hypothèse du moins que nous souhaiterions suggérer – cette percée vise un au-delà de l’onto-théologie. Car cette « libre pensée » comme volonté libre et essentiellement non-volontative, est désirante parce que depuis toujours, sans commencement ni finalité, rivée au Néant. Ce désir rivé au Néant est d’ailleurs ce que cette pensée se doit, en devenant « l’Exprimant », 22 de dire en se mutant en un certain « laisser-être », une « volonté au repos » ou « indifférente », 23 là où déjà toute appropriation ou réappropriation onto-théologique s’abîme en son geste d’appréhension même. Or cette pensée purement désirante, incessamment rivée au Néant et réaffirmant au cœur de sa volonté l’impossibilité de saisir et de comprendre en un geste ce vers quoi elle s’expose porte l’homme et Dieu au « plus haut ». 24 Schelling, dans le deuxième tirage (1813) du Livre Premier des Weltalter, « Le Passé », le souligne en effet : [S]i l’Exprimant […] est volonté qui ne veut rien, ce n’est pas qu’il n’y ait rien qu’elle serait susceptible de vouloir ; ce qu’elle a, au contraire, c’est elle-même comme éternel desideratum […], mais elle l’a comme si elle ne l’avait pas, et telle est l’unique raison pour laquelle elle est la volonté au repos, la volonté indifférente – Etre comme si on n’était pas, avoir comme si on n’avait pas : cela est en l’homme, cela est en Dieu le plus haut. Le commun des mortels n’ayant jamais éprouvé la véritable liberté, il lui semble qu’être un étant ou un sujet est ce qu’il y a de plus haut, c’est pourquoi ils demandent, lorsqu’ils entendent dire que l’Exprimant […]
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Schelling 1980, 294 sq. / SW IX, 235–237. Schelling 1992a, 157 / WA II, 132 ; je souligne. Schelling 1992a, 157 / WA II, 132. Schelling 1992a, 157 / WA II, 132.
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n’est ni étant ni être : qu’est-ce qui peut bien être au-dessus de tout être et de tout étant ? et se répondent à eux-mêmes : le néant, ou quelque chose de semblable. Assurément c’est un néant, mais comme la pure liberté est un néant ; comme la volonté qui ne veut rien, qui ne désire aucune chose, à laquelle toutes choses sont égales, et qui de ce fait n’est mue par aucune. Une telle volonté est Néant, et elle est Tout. Elle est Néant, dans la mesure où elle ne désire pas devenir elle-même efficiente, ni n’aspire à aucune effectivité. Et elle est Tout, parce que c’est d’elle seulement, comme liberté éternelle, que vient toute force, parce que toutes les choses sont au-dessous d’elle et qu’elle règne sur tout, elle sur qui rien ne règne. 25
Et un peu plus loin, Schelling ajoute, accentuant ainsi le trait de cette liberté pure de la pensée qui est à la fois Néant et Tout, au sens où en elle le Tout se pense toujours depuis et à partir du Néant : [N]ous appellerons néant cette pure liberté elle-même, au sens où aucune action ni propriété dirigée vers l’extérieur ne lui est attribuée. Nous allons même plus loin en affirmant que si seul ce qui est au moins là extérieurement ou se pose soi-même s’appelle un Quelque Chose, nous ne saurions tenir cette suprême Limpidité pour un Quelque Chose même en ce sens. Elle est la pure liberté en elle-même, la sérénité [Gelassenheit] qui ne pense à rien et jouit de son non-être. 26
Or c’est peut-être là, comme nous l’avons indiqué plus haut, qu’il devient possible d’imaginer dans la pensée de Schelling quelque chose comme une sortie au-delà et donc une percée hors de l’onto-théologie. Et ce, parce que s’y joue la possibilité de reprendre entièrement la pensée non plus en ce qu’elle cherche à justifier le fondement de son déploiement mais en tant qu’exposition sans fondement au Néant. La pensée se voit ainsi résolument confrontée et radicalement rivée à l’Impensé de l’onto-théologie – voire même exposée à l’Impensable pour la pensée. Cette pensée viendrait ainsi ouvrir à une pensée de l’événement qui ne se laisse point traduire dans le pensable mais demeurerait suspendu à l’Impossible, c’est-à-dire à l’effectivité en tant qu’impossibilisation du possible. Cette exposition de la pensée à l’Impensé/l’Impensable/l’Impossible travaillera toute l’écriture de Schelling en l’ouvrant à une temporalité inédite de l’immémorial comme futurition et donc à ce que Schelling 1992a, 157 / WA II, 132sq Schelling 1992a, 158 / WA II, 133 sq. Renvoyons ici à l’admirable lecture de la Gelassenheit que propose E. Cattin dans son ouvrage Sérénité. Eckhart, Schelling, Heidegger (Cattin 2012).
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cette écriture nommera le « Dieu à venir ». 27 Question : comment concevoir la temporalité, et donc la temporalisation de cet « à venir », sans que celle-ci ne retombe ni ne rechute dans l’effectivité de la présence, c’est-à-dire sans que celle-ci ne se réduise ni ne se détermine comme être présent ? Or c’est depuis une analyse de la temporalité comme temporalisation ekstatique que Schelling pensera la temporalisation de l’éternité en Dieu. 28 Certes, il y va d’un paradoxe : Nous sommes ici redevable à la puissante interprétation proposée par J.-F. Courtine dans son admirable ouvrage Extase de la Raison. Essais sur Schelling (Courtine 1990). C’est dans le texte intitulé Du Dieu en devenir à l’être à venir que J.-F. Courtine marque cette temporalité inédite à même l’être de Dieu – une temporalité où s’exerce la pure liberté de Dieu et en laquelle Dieu demeure à la fois « antérieur à et au-delà de l’être ». Citons ici un passage central de cette lecture, passage sous l’autorité duquel nous souhaitons inscrire notre analyse : « Si l’être de Dieu doit se dire au futur, ce n’est pas parce que le Dieu est éternellement en devenir – Schelling critique même expressément dans ce contexte, et contre Hegel, l’idée d’un Dieu en devenir et d’un devenir éternel, mais c’est parce qu’il appartient au Dieu, non seulement d’être libre de l’être (frei von dem Seyn), c’est-à-dire non contaminé par l’être, indemne de l’être (mit dem Seyn unbehaftet), mais encore, libre vis-à-vis de l’être, à l’encontre de l’être (frei gegen das Seyn), c’est-à-dire pure liberté d’être ou de n’être pas […], et qui, n’étant pas, peut être. Ce qui caractérise Dieu métontologiquement, c’est le libre rapport à l’être (freies Verhältnis zu dem Seyn), le rapport à l’être de celui qui ne se ‹ définit › que comme liberté » (Courtine 1990, 232 sq.). Et un peu plus loin dans le même texte : « Ainsi, même quand nous disons de Dieu qu’il est, qu’il est ce qui est, l’étant même, il faut toujours entendre aussi qu’il n’est jamais purement et simplement présent, existant, effectif, indépendamment de toute futurition. Si Dieu se nomme proprement : Je serai, ce n’est pas parce qu’il est encore en attente de quelque réalité effective, qu’il demeure inachevé, en gestation, mais c’est parce qu’il n’est précisément auprès-de-soi (bei sich), qu’il n’est esprit, qu’en demeurant fondamentalement ‹ antérieur à et audelà de l’être › (vor und über sem Seyn) » (Courtine 1990, 235). 28 Temporalité ekstatique comme temporalité authentique, là où, à même sa « contemporanéité originelle », se conjoignent en leur différenciation extrême l’« avoir-été » et l’« être-à-venir » dans la « plénitude essentielle du temps lui-même. » C’est évidemment à Heidegger que nous devons cette lecture : « Mais qu’appelle-t-on ‹ éternité › ? Comment faut-il la formuler et la concevoir ? Le devenir de Dieu ne se laisse pas sérier en différentes périodes selon la succession du ‹ temps › vulgaire, car dans ce devenir tout est ‹ contemporain › ; mais la contemporanéité ne signifie pas ici que le passé et le futur perdent leur essence pour se convertir et ‹ passer › en un présent. Au contraire, la contemporanéité originelle consiste en ceci que l’avoir-été et l’être-à-venir se maintiennent, qu’ils se rejoignent co-originellement à l’être-présent jusqu’à coïncider dans la plénitude essentielle du temps lui-même. C’est cette coïncidence de la temporalité authentique, cet instant qui ‹ est › l’essence de l’éternité, et non pas le présent simplement immobile et se maintenant dans cette immobilité, le nunc stans. L’éternité ne se laisse penser véritablement, c’est-à-dire poétiquement, que si nous la concevons comme la temporalité la plus originaire, c’est-à-dire à l’opposé du 27
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comment penser à la fois l’éternité et la temporalisation en Dieu ? Ou encore, depuis quelle loi penser ce qui est à la fois éternel et temporel ? Mais là est toute la force de la pensée de Schelling : c’est précisément au cœur de cette paradoxie que se pense le « Dieu vivant ». Ce qui veut dire que repenser la temporalité au-delà de la succession ou de la chronologie, c’est nécessairement penser l’éternité de Dieu depuis une irrelevable et irréappropriable disjonction dans l’ajointement du temps. Ainsi, pour répondre de cette reprise du temps, Schelling fait appel, dans la Leçon II des conférences de 1842 sur La Philosophie de la Mythologie regroupées sous le titre Le Monothéisme, aux Ecritures, et plus particulièrement au Nom intraduisible et irreprésentable de Dieu : L’Etant même n’est donc pas ce qui Est déjà, au sens que nous venons de préciser, mais il n’est pas rien pour autant : plutôt est-il ce qui sera. Cette dernière détermination éclaircira tout à fait la chose à vos yeux. Ce qui sera n’est, pour cette raison même, pas encore étant, mais il n’est pas rien. […] ‹ Dieu est l’Etant même › signifie, d’après ce que je viens de dire, autant que : Dieu, considéré en soi et avant soi-même, dans son essence pure, n’est que ce qui sera. Je vous rappellerai ici que, dans le document le plus ancien où il soit question du vrai Dieu, ce Dieu se donne à lui-même le nom : Je serai. Aussi est-il fort naturel que, parlant à la première personne, donc de soi-même, il se nomme AEJAEH, c’està-dire Je serai, et que, s’agissant de lui à la troisième personne, lorsqu’un autre parle de lui, il soit nommé JAWOH, ou JIWAEH, en bref : Il sera. 29
Evidemment, il s’agit là d’une ampliation du « EHYEH ASHER EHYEH » que Dieu exprime à Moïse dans Exode 3,14 en réponse à la question posée « Mais s’il [le peuple d’Israël, J. C.] me demande quel est son Nom, que leur répondrai-je ? » Ce qui est important et qu’il nous faut remarquer ici, c’est ceci : dans le rappel du « EHYEH ASHER EHYEH », Schelling, et ce à même le Nom par lequel Dieu se révèle, donne à penser la disjonction à même l’ajointement de la temporalité et donc l’écartèlement sans fin et l’éloignement toujours réitéré de l’être de Dieu face à la présence. Ainsi, ce rappel force la temporalité à se temporaliser autrement que dans le déploiement de la présence du présent. Et ce parce que le Nom de Dieu signe une tem-
sens commun qui se dit : ‹ l’éternité, c’est le contraire de la temporalité ; il faut donc, pour concevoir l’éternité, faire abstraction de tout ce qui est temporel › » (Heidegger 1977, 196 sq. / Heidegger 1936, 136). 29 Schelling 1992b, 44 / SW XII, 32 sq.
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poralité où chacune de ses figures (passé, présent, avenir) est toujours déjà renvoyée à une autre. D’où l’impossibilité de déterminer la temporalité éternelle de Dieu en une identité fixe et fixée, déterminée et déterminante. Car, la différence qu’est le temps joue précisément au cœur du Nom de Dieu. Et en ce sens, la temporalisation de l’éternité en Dieu est cette différenciation incessante de son Soi-même – différenciation selon laquelle Dieu lui-même ne peut se nommer que dans et par une alternance perpétuelle de sa propre temporalité. C’est dire que cette alternance perpétuelle est l’expression d’un entrecroisement du passé, du présent et du futur là où cet entrecroisement marque l’impossible contenance de Dieu dans une temporalité propre. S’ouvre alors une temporalisation toujours déjà déjouée à la fois par la rétrospection et l’anticipation. S’élabore donc ici une certaine pensée d’un Dieu à la fois et simultanément toujours à venir et déjà passé – pensée d’un « éclat inaccessible […] et inapprochable », 30 l’événementialité d’une temporalité disjointe entre un irrécupérable passé et un imprévisible avenir. Ainsi, il ne faut point penser cette temporalité ekstatique comme la succession ordonnée d’un passé, d’un présent, d’un avenir. Il faut bien plutôt penser cette succession elle-même depuis la disjonction dans l’ajointement du temps et là où chaque figure du temps est déportée dans une autre, c’est-à-dire là où nul ne peut arriver à déterminer l’essence du temps dans l’une ou l’autre de ses figures, ni non plus à marquer le commencement ou la fin de sa révélabilité. 31 En somme, il faut penser la temporalité ekstatique de l’éternité en Dieu comme l’unité dynamique et différentielle, « la plus haute contradiction », de son passé toujours à-venir: C’est ainsi qu’éclate finalement la plus haute contradiction. Car il n’y a pas ici deux volontés inefficientes, ni non plus l’une des deux qui serait inefficiente – toutes deux sont efficientes. C’est une seule et même volonté […] qui veut quelque chose (vie et effectivité). Parce que la contradiction suprême est ici inévitable, on y trouve donc également le plus haut mouvement vital, et l’on voit d’avance que sans une décision absolue il ne sera pas possible de s’en sortir. Mais si nous sommes en présence de deux volontés conflictuelles, l’une qui affirme et l’autre qui nie, la présence de l’Esprit y est elle aussi requise, ou encore il est là selon la possibilité et devrait surgir mais ne le peut pas, car il est leur libre unité et une unité s’avère impossible.
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Schelling 1992a, 200 / WA II, 172. Cf. Schelling 1992b, 53 sq. / SW XII, 43 sq.
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Nous voyons donc que le Très-Haut devient un inexprimable à l’instant même, pour ainsi dire, où il devrait s’exprimer. Que nul ne s’abuse ici, ni ne conteste cela quand bien même il serait tenté de le rejeter, c’est à cette inexprimabilité qu’il faut s’en tenir, car elle est nécessaire à la vie la plus haute. Si ce qui cherche en toute vie à s’exprimer n’était pas par nature quelque chose d’inexprimable, comment y aurait-il dès lors mouvement vital en tant qu’effort vers l’expression, l’articulation, le rapport organique ? Mais plus encore, comment y aurait-il sans cela quelque chose de tel qu’un Très-Haut, qui jamais ne devient exprimable mais demeure éternellement l’Exprimant ? Car c’est précisément en cette inexprimabilité où on ne peut pas dire que l’Eternel est la volonté ne voulant rien, ni qu’il est la volonté voulant, et pas davantage qu’il est leur unité – c’est en cette inexprimabilité précisément que devient effectif ce qui n’est aucun des trois, le Moi pur de la divinité, qui se lève alors dans l’éclat inaccessible het inapprochable à la créaturei de sa pure limpidité. 32
Or que donne cette disjonction extatique de la temporalité ? Elle donne à penser la « Seigneurie » de Dieu. Ou encore, elle donne à penser que Dieu n’est « Seigneur de l’étant » qu’en étant aussi retrait de l’étant, liberté pure vis-à-vis de l’être comme présence. C’est dire que la « Seigneurie » de Dieu n’est telle que si elle encadre la présence du présent sans cependant s’y réduire ni s’y épuiser. Ainsi, même en disant de Dieu qu’il est ce qu’il est, ce n’est jamais dire qu’il est simplement présent comme un étant. Bien plutôt, c’est signifier qu’il ne se pense jamais dans la présence du présent mais toujours déjà en réserve et donc en retrait de sa présence. Dieu est ainsi pensé au futur antérieur, comme celui qui toujours aura déjà été. Cette disjonction entre son avenir et son passé, disjonction antérieure à la présence du présent, marque que Dieu est volonté irréductible à tel ceci ou tel cela présent. Il est « pure liberté » au-delà du présent ouvrant à un immémorial où se donne à penser ce qui ne pourra jamais se réapproprier en aucune pensée déterminante, mais où celle-ci trouve néanmoins l’éveil à venir de son propre déploiement. Or c’est très précisément en ce lieu que nous voyons le rapport philosophique entre Schelling et Heidegger – c’est-à-dire à même cet Unvordenkliche. Car c’est en cette immémorialité imprépensable que se réitère pour Schelling l’exigence de penser autrement que selon l’ordre et l’ordination de l’« onto-théologie » en faisant signe vers la possibilité de penser l’événementialité d’un autre commencement
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Schelling 1992a, 199sq / WA II, 171 sq.
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pour une pensée qui ne saurait se réduire au pensable ou à la présence de ce qui est pensable, mais qui chercherait précisément à déborder à la fois la présence et le pensable. Posons donc la question où s’engagerait, peut-être, ce rapport : le Dieu à venir est-il l’adieu au Dieu de l’onto-théologie ? Et donc peut-il être approché comme le seuil vers ce que Heidegger nommait l’« ultime Dieu », qui, en restant toujours au loin, en se rétractant et en se retirant déjà de la présence du présent, fait signe et salue ? Certes, cet « ultime Dieu » se sera éloigné de ce que la tradition onto-théologique aura, quant à elle, déterminé sous le nom de Dieu. Eloigné donc de cette lignée qui se sera tissée d’Aristote à Hegel et selon laquelle le Savoir Absolu, la philosophie donc, s’accomplit en « dimanche de l’Esprit » et où la théologie n’est pas un versant de la métaphysique à côté de l’ontologie, mais est une dimension constitutive de l’ontologie et où finalement l’ontologie est théologie et la théologie est ontologie, où l’être et Dieu sont toujours pensés comme « raison d’être », cause ou fondement et où déjà une première cause nécessairement s’impose. Eloigné donc de cette ontothéologie, car c’est bien en celle-ci qu’un dieu sans déité entre dans la philosophie sous les espèces de l’Ens causa sui. Or, écrira Heidegger, – et ce pour signifier cet éloignement, le sien donc mais peut-être déjà sous la dictée du « Dieu à venir » de Schelling – « à ce Dieu de la philosophie […] l’homme ne peut ni adresser sa prière ni offrir le sacrifice. Devant la Causa sui, l’homme ne peut tomber à genoux empli de crainte, de même qu’il ne peut devant ce Dieu jouer de la musique ou danser. » 33 C’est pourquoi il aura fallu à un certain Heidegger de penser une autre pensée, radicalement a-théologique et donc capable d’abandonner le Dieu de la métaphysique, capable aussi de dégager et de démonter le fil conducteur fondamental de l’ontothéologie en vue de récupérer ce qu’il nommait – en songeant peutêtre aussi au Schelling de la « philosophie positive » – « l’originarité insoupçonnée de la foi. » Abandonner le Dieu de la métaphysique pour faire signe vers « la passée » du Dieu à venir et dont le passage serait l’« ultime » où « le sacré […] paraît, mais [où, J. C.] le dieu reste au loin. » 34
33 34
Heidegger 1990, 306 / Heidegger 1957, 77 ; trad. modifiée. Heidegger 1996, 34 / Heidegger 1943, 27 ; trad. modifiée.
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Du Dieu à venir à l’ultime Dieu
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Alles dreht sich … Une lecture deleuzienne des Âges du Monde Antonia Birnbaum (Paris)
Abstract The following text illuminates Deleuze’s judgement of a Schelling who is opposed to Hegel’s thought by virtue of his differentiation of wayward elements of the “groundless ground”, i. e. of nocturnal elements that persistently decentralize the light of the concept and in doing so focuses on a certain layer in the Ages of the World. Hereby, Deleuze’s insistence on the complete reality of the virtual, in its step by step determination, provides a magnifying effect which serves to extract an idiosyncratic dimension of the book; the problem of the genesis of darkness or of its envelopment.
Dans Différence et Répétition, Gilles Deleuze décrit Schelling comme le penseur idéaliste conséquent de l’absentement du fond, qui y discerne l’élément dans lequel s’enveloppent et se développent les potentialités. Hegel a certes posé la représentation infinie selon le mouvement, comme « vertige bachique, dans lequel il n’est pas un seul membre qui ne soit ivre, et parce que chaque membre, en se détachant, se dissout aussi immédiatement – ce vertige est tout aussi bien le repos transparent et simple ». 1 Mais justement, contre Hegel, il revient à Schelling d’avoir interrogé la manière dont l’ivresse nocturne continue d’adhérer à la lumière, la manière dont elle décentre le concept au lieu de se résorber en lui : d’avoir disjoint le fond. Lorsqu’il est cité comme adversaire de Hegel, Deleuze souligne à quel point la différenciation du nocturne schellingien tire ses déterminations de sa « progressivité » plutôt que de la contradiction. 2 Lorsqu’est épinglé son ancrage dans la représentation infinie, il souligne au contraire à quel point différence et individuation se trouvent en1 2
Hegel 2012, 90 / Phän., GW 9, 35. Deleuze 1976, 246.
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core liées chez Schelling à la forme du Je et du moi, si bien que le sansfond est nécessairement représenté comme un abîme indifférencié. 3 Les pages qui suivent s’emparent du partage deleuzien entre un Schelling philosophe de la représentation infinie et des éléments différentiels rétifs pour focaliser une certaine strate des Âges du Monde. En l’occurrence, l’insistance de Deleuze sur la pleine réalité du virtuel, sur sa détermination progressive procure un effet de loupe pour extraire la dimension la plus idiosyncrasique du livre, à savoir le problème d’une genèse de l’obscur, ou de l’enveloppement. Ce découpage se concentre sur la dimension pathique et orgique de cette séquence plutôt que sur sa logique temporelle ; il tente de dégager les forçages qui y opèrent. Schelling, on le sait, se résout à briser le primat de l’absolu identitaire dans la dissociation du fond et de l’existant, problématisée en 1809 dans les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine et les sujets qui s’y rattachent. En celles-ci, il expose comment Dieu s’engendre à partir du fond qui en lui n’est pas lui, à partir du nocturne. L’unité divine tient à cette immanence en Dieu de l’obscur, de ce que Schelling appelle nature. 4 L’immanence ne renvoie pas à la coïncidence du fond et de la lumière, mais à la libre conjonction d’une tension. Volonté de fond – volonté sauvage du réel d’être un soi, qui tend à s’imposer – et volonté de communicabilité – volonté qui connaît et ordonne conceptuellement le monde selon l’entendement – se nouent en un Dieu personnel, dans le contraste vivant d’une inséparabilité de forces. Chez Schelling, la prise au sérieux du vivant conduit à une extension de l’aire philosophique. Plutôt que de chercher à réinscrire la différence au sein du concept, il remet ce dernier au contact de « l’irrégularité initiale » (Schelling) dont il procède, de « la base insaisissable de leur [des choses, A. B.] réalité, le résidu absolument irréductible, ce qui, malgré les plus grands efforts, ne se laisse jamais défaire et reconduire à l’entendement, mais demeure éternellement au fond. » 5 Enfin, dans les premières pages du chapitre « La différence en elle-même », l’évocation du fond qui continue d’épouser ce qui divorce d’avec lui, qui monte à la surface sans cesser d’être le fond, l’éclair qui traîne avec lui le ciel noir dont il se distingue sont autant de citations indirectes de Schelling, indicatives d’une représentation orgique qui n’est pas organisée par la loi de l’identique (cf. Deleuze 1976, 43–45). 4 Qui n’est pas la matière formée de la nature existante, mais le « sans-conscience » du matériel, ou du réal, comme force divine. 5 Schelling 1980, 146 / SW VII, 360. 3
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Deleuze ne pouvait être qu’intéressé par cette « irrégularité initiale ». Il en saisit l’oscillation pour y discerner une hésitation de la philosophie schellingienne. Le fond sans fond excède certes la représentation, mais seulement par sa dissolution dans la nuit de l’indifférence. Est alors laissé intact le rapport entre la différence, son individualité et sa représentation dans l’identique. Chez Schelling, cette représentation renvoie à une duplication de la scission du fond, à la reprise de sa déliaison dans l’unité oppositionnelle qui la surmonte, et qui n’est autre que l’unité personnelle du Dieu vivant. Mais le fond sans fond excède aussi autrement la représentation : libre de s’engendrer en son fond obscur, le divin est également libre de toute contrainte, y compris celle d’avoir à se révéler. Cette liberté a pour nom éternité, une éternité au dessus du temps, ou pure limpidité, qui « ne fait qu’un avec son faire, […] est son propre faire ». 6 Cette éternité au dessus du temps est l’identité de la liberté et de l’origine, le vivant de l’origine (das Urlebendige), ce qui peut être tout et qui est en même temps libre à l’égard de tout ce qu’il peut être. On peut y discerner un nouveau foyer problématique, résultant d’un déplacement d’accent entre les deux ouvrages : les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine et les sujets qui s’y rattachent (1809) et les Âges du Monde dans ses différentes versions (1811, 1813).
D’une métaphysique du mal à la genèse de l’obscur Pour détourer le problème de l’obscur, il vaut la peine d’exposer brièvement la manière dont Schelling déplace la métaphysique du mal, le système de la liberté, vers un système des temps. Dans les Recherches, il est question de deux volontés en Dieu, la volonté de fond, d’être soi et de s’imposer, et la volonté de l’amour, d’une générosité qui prend effet dans la création ordonnée conceptuellement. C’est la volonté du fond – d’être soi – qui agit dans ce que Schelling appelle la contraction, dans la séparation par laquelle Dieu s’avère comme une force réelle. Il dispose de cette pulsion du réel comme matière de sa création, devenant le Dieu de l’amour en liant fond et existence dans l’éclat de sa générosité.
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Schelling 1992, 29 / WA I, 17.
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Schelling insiste : si la volonté d’être soi est potentiellement liée à un déchaînement de la prééminence de l’égoïté – le mal – en Dieu, alors ce mal ne se profile jamais autrement que comme ce qui a déjà été exclu, refoulé vers la potentialité qui participe de la lumière, la rend mobile. En Dieu, le mal a toujours déjà été rendu latent. Se séparant de soi, la volonté d’être soi a inscrit sa force dans la conversion qui l’unit à l’amour, tandis que se trouve expulsé de l’existant divin le fond qui reflue vers l’obscurité, s’enfuit dans la nuit. Ou pour le dire autrement : c’est depuis l’effectuation de l’amour que se conçoit la force du fond comme réel séparé de lui-même, comme potentialité entrant dans la création. Dieu laisse œuvrer le fond dans l’obscur, prend appui sur son élan. A proprement parler, ce n’est que dans l’homme que cette potentialité du fond devient le mal, selon la manière dont l’homme unit en lui-même fond et lumière. C’est l’accaparement du fond, la volonté d’être soi hors de Dieu qui fait chuter l’homme dans le fond. Or comme l’homme ne peut s’appréhender destinataire de l’amour divin qu’à partir de l’affirmation de sa propre liberté, de son indépendance à l’égard de Dieu, il ne s’en éprouve le destinataire qu’après avoir chuté. Telle est « l’heure natale » par laquelle l’homme entre en un devenir historique, dans la dramatisation des rapports entre liberté humaine et divine. On le sait, dans cette reprise métaphysique réside toute la force des Recherches. Schelling détermine le mal comme une déraison inhérente à une raison vivante, comme sa corruption positive et non comme privation ou comme l’autre de sa détermination pure. Il conçoit le rapport au mal comme dynamique : ce n’est pas l’égoïté, mais l’incapacité à s’en déprendre qui génère le mal. Selon cette lecture, la révélation de Dieu s’accompagne nécessairement de la révélation du mal en l’homme : elle renvoie à l’interlocution possible de la liberté divine avec un homme libre pour le bien et le mal. Mais si cette argumentation opère un déplacement métaphysique de la question du mal, elle fait aussi autre chose. Car la différence immanente du fond et de l’existence renvoie tout autant à une essence (Wesen) indifférente à leur opposition, une essence dans laquelle fond et existence ne se contredisent pas. Tout en soulignant que cette essence ne peut jamais être prédiquée de leur contradiction, Schelling écrit qu’elle peut être prédiquée du fond et de l’existence :
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le réal et l’idéal, les ténèbres et la lumière, […] ne peuvent jamais être prédiqués du non-fond à titre d’oppositions. Mais rien n’empêche de les prédiquer du non-fond à titre de non-oppositions, autrement dit disjonctivement et chacun pour soi, par où précisément la dualité effective des principes est posée. 7
De cette phrase complexe ressort une liberté en deçà des déterminations du bien et du mal. L’absence de rapport des ténèbres et de la lumière cerne une liberté délestée de la contrainte d’avoir à se révéler. Pour la nommer, Schelling emploie d’abord le terme de « fond sans fond » dans les Recherches, puis celui de « limpidité » dans les Âges du Monde, à laquelle correspond la phrase déjà évoquée plus haut : elle « ne fait qu’un avec son faire, […] est son propre faire ». 8 On peut marquer ici, dans le passage entre ces deux livres, le problème qui fait l’objet spécifique des Âges du Monde. Ayant dégagé le rapport des deux principes de leur opposition, les ayant tout autant dégagés de leur effectuation différente en Dieu et en l’homme, Schelling conçoit l’éternité au dessus du temps comme milieu d’une différenciation des principes hors de toute identité respective déjà établie (volonté d’être soi, communicabilité), tout autant que hors de leur contradiction. Le déplacement opéré par le livre est frappant. Alors que précédemment Schelling avait écrit une genèse de la révélation à partir de l’obscur, il se propose désormais de penser ensemble genèse de l’obscur et genèse de la révélation, de les saisir dans leur simultanéité disjonctive. Cela suppose deux choses. Ecrire une genèse de l’obscurité divine, ce que Schelling n’a encore jamais fait. Réécrire la genèse de la révélation, car celle-ci ne peut rester inchangée d’avoir été déliée tant de son fond que de son unité vivante : elle ne dispose plus ni de la pulsion du réel comme matière pour se faire existante, ni de l’efficience qui la rendrait apte à transposer le conflit entre scission et unité en communicabilité. Dans cette double genèse, il s’agit de retracer, à même la disjonction qui fait leur rapport, les « états » instables d’une différenciation potentielle qui procède exclusivement à partir du défaut de rapport. En l’occurrence, nous faisons le choix d’ignorer sciemment le filtre anthropomorphique de la démarche schellingienne, à savoir le fait qu’il prétend déchiffrer la genèse de l’obscur dans la mémoire de 7 8
Schelling 1980, 188 / SW VII, 407. Schelling 1992, 29 / WA I, 17.
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l’âme humaine. Relativement à cet organon, le diagnostic de Deleuze quant à Schelling ne peut que se confirmer : la différence du sans-fond reste prise dans une ressemblance avec ce qu’elle fonde. Focaliser ce qui y déroge requiert de mettre entre parenthèses cet accès, autant que se peut. La différenciation sera donc conçue telle qu’elle se profile dans un rapport de termes réciproques qui sont gagnés, de proche en proche, sur le défaut de rapport : comme une maturation interne de la scission. Cette maturation se distribue en deux directions, puisqu’elle génère aussi bien l’enveloppement (par lequel naît l’obscur) que le développement (par lequel naît la révélation). Si Schelling inscrit ce processus de différenciation simultané à même la pure limpidité, – liberté délestée de la contrainte d’avoir à se révéler, demeurant hors de tout rapport –, il ne cessera néanmoins d’insister sur le fait que la genèse de l’obscur hors de la révélation – l’enveloppement – ne peut que précéder l’aspiration à la révélation. Il faut d’abord une opposition, afin que l’extériorisation de l’amour puisse en « ressortir comme unité ». 9 Ou, pour redire la même chose par l’absurde : la genèse de la révélation ne saurait être tirée directement de l’absence de contrainte à se révéler. Cette configuration transforme en problème la supposition de départ qui oriente les Recherches. Dans celles-ci, l’opposition de l’obscur apparaissait d’emblée comme surmontée en l’unité du Dieu, convertie en potentialité qui entre dans la création. Dans les Âges du monde, c’est de la violence déchaînée de l’obscur, de sa prééminence, que doit naître un passage vers la révélation. C’est à mettre en exergue ce problème que se consacrent les pages qui suivent. Une telle lecture est une lecture en impasse, au sens où elle mène droit à l’échec des Âges du Monde.
Les volontés en contact : une rencontre contingente L’ambition des Âges du Monde, de ne pas présupposer Dieu comme personne, mais d’écrire la genèse de ce devenir-personnel, ou le devenir du devenir, est la plus marquée dans la version de 1811. C’est elle que nous prenons en vue. D’emblée, signalons le problème que pose la facture du texte ; les limites y sont poreuses entre l’expression proprement technique de la philosophie, le rêve, la théosophie, et l’élabo9
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ration implicite d’une dimension qui ne revient à aucun de ces discours : la dimension du sans-conscient logée en un devenir éternel. En outre, la superposition en palimpseste de plusieurs registres (celui de la science, celui de la théologie, celui du mythe antique) aggrave encore cette porosité. C’est dire que la reconstruction philosophique de la génétique des Âges du Monde, de par son effort même, contrarie l’expression du texte. Inversement, cet effort est comme entraîné dans des zones indistinctes, où, par moments, on a bien du mal à savoir de quoi il est question : d’un inconscient de la matière vivante, de l’incarnation propre à l’amour, de principes philosophiques ou de propriétés de l’amour divin. Malgré une certaine absurdité à « conceptualiser » ainsi le métarécit spéculatif de tous les récits, aucun autre chemin n’a paru praticable. Schelling nomme deux principes, celui d’une éternité essentielle, « éminence au dessus de tout temps », et celui d’un être qu’il introduit comme un « état inférieur » de l’essence. Il les désigne chacun par le terme de « volonté », la première étant une « volonté qui ne veut rien » ou limpidité, la seconde une « volonté qui veut Quelque Chose ». Dans la mesure où il s’agit de deux volontés d’un seul et même Existant, première et seconde volontés s’avèrent dans leur relation. Mais dans la mesure où il s’agit justement de saisir leur entrée en relation à partir de leur absence de relation, Schelling va traiter de chaque volonté sous ses deux aspects : dans son absence de rapport, dans sa potentialité de rapport avec l’autre volonté. Prenant en vue tour à tour chaque volonté sous son dédoublement, marquant les constellations qu’elles traversent, Schelling va distinguer une première entrée en relation constituée par l’état de jeu, puis une seconde, constituée par la bascule du jeu en conflit, puis la scission des forces, le renoncement à la réclusion par lequel la contraction s’extériorise hors de soi. Cette scansion parcourt la maturation d’un temps d’avant le monde. Le philosophe nous enjoint à appréhender ensemble narration et simultanéité : « Ces mêmes degrés qui peuvent être considérés dans leur simultanéité comme autant de puissances [Potenzen] de l’être apparaissent dans leur succession comme autant de périodes du devenir et du développement. » 10 Avant même d’en spécifier les aspects, demandons : que faut-il entendre par une « volonté qui ne veut rien » ? Il n’est pas question d’une volonté rejetant tous les objets qui se proposeraient à elle, pas 10
Schelling 1992, 38 / WA I, 25.
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davantage d’une volonté d’anéantissement. Est désigné un « état inconditionné » de suprême liberté, suprême en ceci qu’elle est délestée d’avoir à se révéler. Négation de toute contrainte, même de celle d’avoir à être, la « volonté qui ne veut rien » est l’état originaire libre de demeurer éternellement en soi. Elle est néant, parce que n’aspirant à aucune efficience. Elle est tout, parce c’est d’elle seulement que procède toute force, il n’y a rien hors d’elle ni au dessus d’elle. Au regard d’une telle autosuffisance, peut-on vraiment encore parler de volonté ? Le texte schellingien tient compte de cette objection, puisqu’il dédouble la nomination du principe d’éternité. Sous l’aspect de son absence de rapport, « la volonté qui ne veut rien » vaut comme limpidité pure. Sous l’aspect de sa potentialité de rapport, elle vaudra comme « première volonté ». Surgit alors une autre difficulté : comment la limpidité au dessus du temps peut-elle être tout à la fois absence de rapport et potentialité de rapport ? Que cette limpidité ne faisant qu’un avec son faire, rêverie sans conscience d’elle-même, soit sans rapport, cela peut s’entendre facilement. Par contre, toute amorce d’une potentialité de rapport semble par là même évacuée. A cet endroit, Schelling différencie l’absence d’efficience de l’éternité en y marquant l’écart d’un dedans et d’un dehors. Si la limpidité n’agit pas vers l’extérieur, il soutient néanmoins que son intimité coïncide avec le mouvement intransitif de sa plénitude. L’action audehors est exclue, mais un agir au-dedans semble possible, si l’on prend bien soin de distinguer cet agir de quelque effectivité que ce soit. La limpidité est en elle-même sans rapport, mais aussi sans réflexivité. Le « soi qui est un avec son faire » génère non pas un rapport, mais un « se chercher » et « se trouver » inconscient, ou encore un désir (die Lust) de s’avoir extérieurement. 11 Il est à noter que ce désir procède de la plénitude, non du manque. Avec lui, Schelling marque l’incidence d’un écart intime, la potentialité de rapport co-originaire de la limpidité pure. Le désir vaut comme « concept intermédiaire », l’ouverture à même l’éternité qui ne veut rien, d’une réceptivité pour un autre. Parcourant sa plénitude dans laquelle elle ne peut que « se chercher » et « se trouver », 12 non sentir, le désir cherche une autre volonté capable d’effectuer ce sentir pour elle. La pure essence devient réceptive pour une autre volonté, la voLe désir est tiré d’une image de la nature inséparée de son acte et séparée de la conscience. 12 Pour déjouer la suggestion réflexive de ces termes, Schelling les raie. 11
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lonté qui veut Quelque Chose. Celle-ci ne peut d’aucune façon provenir de la volonté qui ne veut rien ; elle s’engendre donc elle-même. A cet égard, le caractère successif de l’exposition est quelque peu trompeur. La seconde volonté est tout autant volonté éternelle que la première. Simplement, elle est introduite par Schelling telle qu’elle se montre pour la réceptivité de la première. Les deux volontés dissociées, sans lien, décrivent ensemble un état originaire du rapport entre éternité et pure temporalité. Cela oblige à une précision supplémentaire. Comment les deux volontés peuvent-elles être co-originaires, alors même que la limpidité ne connaît rien hors d’elle, ni au dessus d’elle ? Relativement à la rêverie de l’essence, la volonté qui veut Quelque Chose n’est pas, écrit Schelling. Cependant, ce non-étant au regard de l’éminente limpidité est, au sens où le non-être est, d’une certaine manière. 13 Les deux volontés sont égales selon l’existence, c’est-à-dire qu’a priori aucune des deux ne prend l’ascendance sur l’autre. Cependant, la limpidité suprême est supérieure selon l’essence, c’est-à-dire que l’éternité se suffit à elle-même. La disposition co-originaire des volontés se formule d’abord de la manière suivante : chacune des volontés est dépendante de l’autre pour sa différenciation, tout en étant strictement extérieure à elle. Il n’y a encore aucun troisième terme qui les lie. Force est de constater ce que le texte ne mentionne pas, à savoir que l’enclenchement de leur rapport tient tout entier dans la contingence d’une rencontre : elle peut avoir lieu ou non. Ce point est crucial pour la suite. Schelling décrit ce qui arrive aux deux volontés à même la rencontre, selon une modalité quasi dialogique, en omettant cependant d’en détourer l’ambivalence. La rencontre cristallise un rapport différentiel hors de toute unité ; ce qui s’y dessine n’indique d’abord rien d’autre qu’une correspondance possible (ou non) des deux volontés. La première volonté est volonté qui ne veut rien, tandis que la seconde, qui veut Quelque Chose, est conçue comme volonté d’existence, aspirant à la révélation. Formellement, c’est donc cette seconde volonté qui peut faire commencement, qui peut rompre la pure rêverie du limpide, y introduire du rapport. Mais il faut garder à l’esprit qu’elle n’a par elle-même aucune force, que l’infini de la profusion revient au limpide. D’ailleurs, Schelling souligne que la deuxième volonté ne pose pas un existant, mais une tension vers l’existence :
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Schelling se réfère au Sophiste de Platon.
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« Si cette seconde volonté, qui s’engendre elle-même dans la limpidité de l’essence, est la volonté tendue vers l’existence, et si l’être va de pair avec une aspiration à la révélation et au développement, alors, c’est à cette autre volonté qu’il revient de poser la possibilité d’un temps ; car de la réalité effective du temps il n’est nullement encore question. » 14 La transformation occasionnée par la rencontre altère les deux volontés à même leur constellation duelle. La première en tant que rêverie était pure autosuffisance, amour de soi. Dans son rapport potentiel, elle se différencie comme un épanchement infini, communication et effusion, que Schelling détermine comme « n’étant rien en propre ». La volonté ne voulant rien se dédouble, elle se fait à la fois volonté ne voulant rien et volonté ne voulant rien pour elle-même. Ou encore : l’amour de soi se montre aussi sous l’aspect d’un amour de l’étranger. Face à elle, la volonté qui veut Quelque Chose est la volonté dont la nature est de « contracter, borner et nier », donnant une tenue à la force. Il est plus que tentant de supposer qu’elle borne et contracte la première volonté. 15 Mais à y regarder de plus près, cela semble aporétique. Car il s’agit de permettre une effusion infinie qui ne se dissolve pas. Or si la volonté qui veut Quelque Chose contractait la limpidité, celle-ci ne serait certes plus évanescente, mais elle ne pourrait pas non plus communiquer sa profusion. En outre, la seconde volonté n’a d’elle-même aucune force, puisque toute force vient de l’amour, de la profusion. On ne voit donc pas très bien comment son aspiration vide pourrait borner ou contracter effectivement l’amour. A l’inverse, si la volonté qui veut Quelque Chose se borne ellemême au contact de l’amour, si la rencontre l’incite à retourner sa nature contre elle-même, elle peut se faire le « support » (l’expression est de Schelling) de la profusion. Plus encore, c’est en acquiesçant à l’amour qu’elle peut à son tour s’avérer dépositaire de la générosité prodiguée par la première volonté, qu’elle peut capter la force qu’elle requiert pour devenir volonté efficiente. Ainsi, paradoxalement, la seconde volonté ne pourra accomplir sa détermination formelle – agir effectivement sur un autre – que si elle ne lui correspond pas d’emSchelling 1992, 31 / WA I, 18. Plus que tentant. Dans une première version de ce travail, c’est ce que nous avions fait pour constater par la suite que cela interdisait de distinguer le sans-rapport et la potentialité de rapport dont était chargée cette volonté.
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blée. De volonté qui s’affirme, la volonté qui veut Quelque Chose devient un pâtir, ou un acquiescement. 16 La rencontre décrite ici est strictement contingente au sens où elle génère un plan quasi dialogique par lequel l’éternité « touche » au temps, sans que pour autant apparaisse un nouvel état d’unité. Il n’y a aucun vouloir au sens de l’agir, il n’y a qu’une effusion à laquelle se prête une passibilité. Cet état marque un seuil où il y a différenciation de deux volontés au sein du limpide, un intervalle de rapport. Il y va d’un contact intrinsèquement réversible, non d’un lien. Cela implique tout autant que l’inclinaison vers le rapport des deux volontés est suspendue à ce contact, et que leur dimension d’absence de rapport – ne rien vouloir, vouloir Quelque Chose – demeure pour elle-même.
L’esprit qui joue : la première volonté efficiente S’appuyant sur cet intervalle, Schelling marque une « nouvelle époque », qui commence dans le jeu. C’est l’époque d’un enveloppement (« Tout développement présuppose un enveloppement » 17) qui correspond au moment où la volonté qui veut Quelque Chose borne, contracte et nie la limpidité première. C’est l’époque où la seconde volonté devient moyen terme d’un rapport constitué entre « sujet » et « objet ». La focalisation est donc sur ce qui se passe dans la volonté qui veut Quelque Chose, en tant que celle-ci est le terme où se nouent les deux volontés précédemment décrites pour constituer ensemble la première volonté une, ou « la première volonté effective ». La volonté qui veut Quelque Chose agence limitation et contraction selon une distribution complexe. Se faisant non plus support mais objet à l’égard de la volonté d’épanchement, elle fait obstacle à l’effusion. 18 Cette dernière ne pouvant plus s’épancher librement, elle se transforme en activité effective. Or une activité effective est le mode d’être d’un étant spécifique, de la subjectivité. L’heure natale du sujet, qui n’est pas, selon les Âges du Monde, l’essence la plus haute, coïncide donc avec l’interruption du quasi-dialogique. Captant cette limitation de l’effusion à une activité, limitation que Manière de reprendre, pour l’infléchir en un sens dialogique, la Setzung fichtéenne. Schelling 1992, 37 / WA I, 23. 18 Objet désignerait ici non pas un objet de connaissance, mais un réel éprouvé comme extérieur à l’épanchement. 16 17
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sa résistance objective a occasionnée, la seconde volonté se fait à son tour activité subjective. L’objectivité qui faisait d’abord simplement obstacle à l’épanchement, reprend à son compte l’activité effective qu’elle a provoquée, mais sous un signe inversé. La seconde volonté soumet l’activité subjective à une contraction. Elle ne se borne plus elle-même, comme lorsqu’elle était simplement support de l’effusion, elle contracte l’effusion devenue activité, l’enveloppe en elle, la constitue comme être réel objectif. Cette inversion précise la distinction schellingienne entre priorité et supériorité. 19 Si l’épanchement est le principe supérieur selon l’essence, il est second selon le commencement. Le principe actif qui génère l’enveloppement est la volonté qui veut Quelque Chose. Se faisant d’abord objet, elle transforme la première volonté en une activité, puis s’appropriant celle-ci, devenant sujet à son tour, elle contracte l’épanchement essentiel en un être, devient une volonté d’existence effective. On le voit, le nocturne schellingien n’est pas un abîme indifférencié, la nuit noire où « toutes les vaches sont grises ». Bien plutôt sommes-nous en présence d’une dissociation de l’origine et du commencement, dont le rapport différentiel s’agence selon une logique contraire à l’ordre hiérarchique des essences. L’affirmation d’une volonté divine d’existence, qui tranche dans la rêverie limpide, Schelling l’appelle esprit. Il correspond à cet « état inférieur » de l’essence qui constitue son être réel. Schelling expose le passage de la rencontre quasi dialogique à l’enveloppement sans fixer ce passage. S’y déploie une torsion spécifique ; la volonté contractante ne peut pas s’approprier l’effusion, la contracter en elle, sans la transformer en activité effective. Cela implique qu’elle ne peut subordonner la limpidité qu’en sollicitant sa puissance de surmonter cette réclusion. D’une part, toute activité effective paraît d’emblée comme dérivée, un état second eu égard à la libre profusion ; d’autre part, ce nouage paraît comme instable et réversible. L’unité nouvelle qui naît de ce commencement correspond à une intensité au sein de l’intimité limpide. Il y va d’une oscillation constante entre la volonté de Quelque Chose qui se contracte en un premier être et le mouvement inverse, de déliaison, qui réinvestit le contact strictement facultatif, dialogique, avec l’éternité. Cette réverOn y reconnaît aussi une réécriture de la triade fichtéenne, Moi absolu, moi fini et non-moi, dans laquelle le Moi absolu a enfin cessé d’être conçu comme sujet.
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sibilité a le caractère d’un jeu initié par la volonté contractante. Le jeu annule le rapport dialogique en ceci que la seconde volonté se subordonne et suspend l’effusion de la première volonté. Mais cette subordination n’est qu’un jeu, parce que la volonté contractante se désiste au moment même où elle domine et s’en remet à l’effusion, si bien que le dialogue peut à nouveau s’enclencher. L’initiative reste toujours du côté de la volonté contractante, laquelle alterne sans cesse entre affirmation et désistement de soi. Schelling qualifie le jeu de contemplatif et de délicieux : Et comme ce n’est pas un lien nécessaire qui enchaîne les deux forces au sein de l’être, mais seulement l’activité libre, se répétant à chaque instant, et jouant pour ainsi dire avec elle-même, du principe contractant, le libre mouvement de ces deux forces n’est nullement enrayé : aspirant librement à chaque instant à se démarquer, et à chaque instant de nouveau paisiblement réunies, ces deux forces produisent dans l’Existant les plus pures délices de la calme contemplation, où se révèle à ce dernier la merveille de son Etre propre. 20
La contemplation schellingienne est perceptive, elle renvoie à une vision esthétique. Du jeu intime, des écarts intérieurs naît un pur sentir, le sentir d’être en relation. Ce sentir de la relation est nommé Sagesse (« miroir immaculé de la puissance divine ») parce qu’il génère et rend perceptible les idées, que Schelling conçoit comme les « organes métaphysiques » 21 d’un sentir, au sens où elles génèrent le rapport contemplatif au croisement d’un « trouver » et d’un « éprouver ». Tel est l’être réel que le jeu laisse paraître. Le jeu contractant et déliant transforme la limpidité en « première matière » de l’activité effective. La genèse des deux forces originelles, de contraction et d’expansion, va de pair avec une physicalité, ou factualité, sans laquelle on ne saurait concevoir le milieu des idées. Le texte évoque une « tendre corporéité » qui habille l’élément spirituel. L’alternance du jeu différencie matière et esprit, par potentialisation et par degré, mais sans les opposer, sans les fixer dans leur contradiction.
20 21
Schelling 1992, 44 / WA I, 30. L’expression est de Deleuze.
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Le jeu en bascule La vie suprême ne peut en rester à cet état de jeu, écrit Schelling, car celui-ci est de par trop instable, il recèle une tension contradictoire qui le fait basculer dans le conflit. Cela est pourtant rien moins qu’évident. Car dans le jeu, l’alternance entre affirmation et désistement relève strictement de la seconde volonté. On ne voit donc pas très bien ce qui pourrait la motiver de passer outre la réversibilité de son mouvement, de rendre son affirmation définitive. Ici intervient un des moments les plus extravagants du propos. Pour motiver ce passage, le philosophe fait valoir une « mémoire » de la vie suprême, une nostalgie de l’état antérieur. Cela est extravagant, car Schelling lui-même a souligné qu’en l’homme la science peut être remémoration, mais qu’en l’éternité elle ne l’est pas. C’est donc un moment strictement anthropomorphique du récit, et à ce titre, un signe d’embarras. Cela est extravagant, car Schelling produit en quelque sorte une rétrospection de l’agencement entre dialogue et jeu, dans laquelle resurgit l’élément de contingence que son premier récit avait omis de traiter. Rétrospectivement, la première volonté, après être entrée en un nouage avec l’autre volonté, après être devenue activité, aspire à « retourner » en son état suprême. L’effusion inverse alors sa direction. Au lieu de s’ouvrir à la seconde volonté, elle s’en détourne ; l’amour se sépare de l’étranger, il se refait amour de soi. Cette inversion opérée par la première volonté, qui se remémore son état de non-vouloir, provoque une réaction d’effroi dans la volonté dépositaire de la communicabilité amoureuse, unie à elle par le jeu. Schelling évoque une séparation de la part de la première volonté, son retour vers l’état paisible de son néant d’efficience. Or on ne voit pas très bien d’où il tire cette séparation, puisqu’il n’y a pas à proprement parler de réel constitué, d’unité liée dont elle pourrait se séparer. L’état de la différence est encore celui du libre jeu entre les forces, dans lequel l’alternance procède de l’effectuation et du relâchement de la volonté contractante. Il faut donc bien plutôt voir en cette séparation une aspiration à la séparation, qui interviendrait déjà en amont, sur le plan de la rencontre dialogique. Que s’était-il passé dans la rencontre dialogique ? Le rapport potentiel de la limpidité s’était avéré comme amour de l’étranger, par lequel il entrait en contact avec la seconde volonté. La dimension d’amour de soi – le sans-rapport du limpide – s’était éclipsée. Or le 322 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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récit mémoriel que nous propose Schelling altère cette version univoque de la rencontre. Dans la répétition jouée de la rencontre, l’amplitude du jeu met une nouvelle fois à jour la pure limpidité, en marquant l’incidence du détournement de la première volonté, son aspiration à retourner dans l’amour de soi. Car quand bien même le contact avec la seconde volonté a déjà eu lieu, il n’annule pas pour autant la liberté suprême, celle d’une profusion libre de demeurer éternellement en soi, hors de toute efficience. Bien au contraire ; la dimension contingente de la rencontre – qu’elle puisse avoir lieu ou non – en fait intégralement partie, l’affecte d’une ambivalence interne. Le contact déclenche une tension qui se meut dans deux directions, il potentialise et le désir de poursuivre la rencontre en une liaison, et le désir de se détourner de tout rapport. Rappelons que dans le jeu, rien n’est encore fixé, une amplitude est parcourue. Au cours du mouvement du jeu, la limpidité repasse aussi bien en deçà de sa communicabilité, elle se refait pur amour de soi en se détournant de la seconde volonté, la vidant de sa puissance. Le rapport ainsi constitué croise un élément dialogique (le retrait du contact) avec un élément ludique (la seconde volonté disposant d’une force affirmative ou de désistement). Quant à la seconde volonté, elle peut soit se laisser prendre cette puissance que lui a conférée l’amour de l’étranger, et donc persister dans l’acquiescement face au détournement, soit elle peut bloquer en elle l’amour prodigué, et en tourner la force contre la limpidité. Les paramètres du jeu se compliquent singulièrement. La dynamique du jeu ne fait pas qu’engendrer les délices de la contemplation, sa répétition du dialogique rend également perceptible la proximité du détournement et de l’effusion. L’entente dialogique décrite par Schelling comme une correspondance – celle d’une limpidité qui se fait amour de l’étranger, auquel correspond l’ouverture de la seconde volonté – est perturbée d’emblée. Ou pour le dire autrement : cette correspondance n’a jamais eu lieu sans qu’ait lieu également la soustraction de la limpidité. Il y a bien un « moment » tel celui, fictivement remémoré, de la correspondance « heureuse ». Sans le contact perméable de l’effusion et de l’acquiescement, jamais aucune « entrée en rapport » de deux volontés ne se serait produite. Mais cette porosité n’est jamais advenue comme strictement distincte de l’ambivalence ; celle-ci a d’emblée affecté l’amour de l’étranger d’une réversibilité, même lorsqu’elle ne faisait pas obstacle à son épanchement, puis à sa transformation en activité. L’amour se détournant de 323 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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l’autre volonté, aspirant à l’inefficience, est inscrit tant dans le plan dialogique que dans celui du jeu. Quel gain théorique y a-t-il à dégager ce point? Il nous semble que la distinction entre une « correspondance » dialogique originaire et une « ambivalence » qui serait exclusivement liée au jeu recouvre le problème de la contingence. Selon la différencialité qui traverse aussi bien les volontés que la répétition du dialogue par le jeu, il apparaît qu’il n’y a jamais eu de « première entente » en propre qui serait altérée ultérieurement par l’amour de l’étranger se détournant en amour de soi. Il y a la transformation d’un contact ambivalent – entre ouverture et détournement – en contraction irréversible, laquelle résulte d’un forçage de la seconde volonté. Le problème de la genèse du fond consiste à différencier cette ambivalence, à même ses répétitions, non à la surmonter ou à y retrouver une origine. Cette « première entente » n’est donc rien d’autre qu’une fiction théorique, la fiction qu’il y a une matrice intègre de la différenciation, tandis que le forçage n’en serait qu’une conséquence ultérieure. On verra quel rôle Schelling fait jouer à cette fiction.
Du jeu au conflit « intérieur » On a vu la première volonté contrariée par sa position de sujet, d’activité nouée en un être, aspirant à l’écoulement d’elle-même, hors de son atténuation en une « première matière ». La résurgence potentielle de sa dimension pure provoque l’effroi de la part de la seconde volonté, c’est-à-dire qu’elle déclenche l’action contractante de manière aveugle et contrainte. Cette contraction se rend irréversiblement autonome en tournant la force effusive contre sa source, en entrant en conflit avec la limpidité, se la subordonnant réellement. Refusant la fuite de l’effusion hors de leur unité, la bascule irréversible, générée par la soudaineté d’une pulsion, fixe le jeu de part et d’autre en des tendances divergentes, opposées. La contraction affirmative ne se désiste plus, elle se braque, niant l’effusion de la première volonté, la capturant comme activité effective liée à elle. La première volonté est « forcée » de se produire au sein de cette unité violemment contractée. C’est moyennant ce forçage asymétrique – qui noue la domination de la volonté contractante à la transformation en subjectivité de l’épanchement – que la rencontre dialogique des deux volontés s’effectue. Le forçage rend réel le dialo324 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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gique du même trait qu’elle le transpose, l’inscrit dans la différence entre sujet et objet. Leur constitution provient d’une torsion de la mobilité dialogique du jeu, de la fixation de ses pôles en des termes hiérarchiquement opposés. Elle a pour réel une unité antagonique nouvelle, qui oppose la scission de l’amour à l’emprise de la contraction. Ce renversement du jeu en conflit opère au sein d’une unité ramassée dans la contraction, dans la mesure où elle est le moyen terme des deux volontés. Cessant de jouer avec la subordination, la contraction s’est réellement soumise la première volonté, elle a pris le dessus. Se configure une circulation entre des pôles antagoniques, qui les différencie toujours davantage, et que Schelling associe au mouvement du vivant, qui informe l’inertie délicieuse de la « matière première ». L’échappée expansive est désormais celle d’un esprit conscient qui consume la matière. La contraction qui y résiste est celle d’une matière opacifiée, obscurcie, dont le ressort est inconscient. Leur divergence se redistribue aux extrêmes, génère la première opposition entre matière et esprit. Il n’y a pas encore d’extériorité à proprement parler. C’est encore l’effectivité ayant pour réel le lien contractant des deux volontés qui est l’organe de ces tendances antagoniques. Leurs rotations scandent l’intérieur, le parcourent d’une différenciation multiple, mais sans le rompre. Le processus est décrit par Schelling en termes d’un conflit pulsionnel ayant deux directions, centripètes et centrifuges, ainsi que deux modalités, conscientes et inconscientes. De manière plus imagée, il est décrit comme genèse cosmologique à partir du resserrement et de la dissolution au sein de l’organe factuel de la totalité : Mise en liberté face à la force de contraction, mais non pas pour autant relâchée par elle, la force d’expansion fait éclater dans toutes les directions l’unité hors de laquelle elle cherche à s’enfuir ; fuyant, de tous côtés à la fois, le point médian tout en restant tenue par la force de contraction, elle forme des centres parfaitement isolés qui, mus par des forces adverses, semblent doués d’une vie propre et autonome. 22
L’échappée tentée par la première volonté est sans cesse contrée par la seconde volonté, effrayée par la dissolution. Or il est apparu que cette dernière ne pouvait s’approprier l’effusion, la contracter en elle, sans la transformer en activité effective. De même, sa pulsion soudaine ne 22
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peut subordonner la limpidité qu’en exacerbant la capacité de cette limpidité à surmonter la réclusion qui la tient captive. L’effroi qui cherche à contenir la séparation aggrave par là même la puissance de scission ; il ne peut s’apaiser, bien au contraire, il augmente avec chaque nouvelle scansion de la contraction, chaque nouvelle déprise de l’expansion. La propulsion accélérée de cet antagonisme génère le mouvement du vivant. Dans cette spirale de plus en plus tendue, le se-chercher se transforme en un se-chercher pour se combattre, s’opposer. Tant que cette vitesse de rotation reste sous la prédominance de la volonté contractante, elle ne cesse d’aggraver une polarisation interne. L’effroi de la tendance contractante se transmue en peur face à l’énergie divine qui l’excède ; le limpide se détourne. A mesure que le mouvement gagne en vitesse, il gagne en intensité. Sa violence culmine dans un « temps sauvage inorganique », 23 dans l’opposition d’une mortelle réclusion et d’un déchirement tout aussi mortel : ce n’est plus seulement la pulsion objective du vivant, c’est l’angoisse mortelle de cette pulsion. 24
Point de rupture Le conflit va s’amplifiant, si bien que la prédominance de la contraction sur l’expansion perd en puissance. Mais là encore, il faut un surcroît, un élément supplémentaire pour que la rupture ait lieu. Au comble de l’ardeur, la contraction sans céder, dégage momentanément un pur éclair dévorant de l’esprit, une expansion libre qu’aucune matière ne contraint plus : Schelling la compare à une étincelle qui surgit de la scission tendue des forces, comme dans un processus électrique. Confrontée à cette liberté, la volonté agissante tente de s’en emparer, de la conquérir ; l’enveloppement contracté est saisi d’un délire divin que Schelling rapproche des orgies bachiques. Son ivresse se traduit en une violence vertigineuse, une rotation cyclique où les forCf. Schelling 1992, 70 / WA I, 53 : « Par quoi cet état est-il devenu du passé ? Telle est la question, car que cet état ne soit plus, l’extériorité de la nature, la tranquillité dont elle offre à nouveau l’apparence et sa complexion organique contrastant avec ce temps sauvage inorganique suffisent à nous en convaincre ». 24 « La sensation dominante qui est alors la sienne, et qui correspond à la lutte des tendances dans l’être, car il ne sait ni entrer ni sortir, est celle de l’angoisse » (Schelling 1992, 56 / WA I, 41). 23
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ces opposées de la conscience et de l’inconscience ne cessent de se heurter et de s’entre-déchirer à une vitesse folle, sans jamais parvenir à conquérir la limpidité. L’accélération transpose la contradiction en affect de l’esprit, telle une « espèce de folie qui représente l’état ultime du conflit et de la contradiction internes poussés au plus haut point ». 25 Se trouve ainsi décrite la séquence complète de l’enveloppement : l’ambivalence originaire du contact dialogique rendue mobile par la dynamique réversible du jeu, la réversibilité rendue conflictuelle par l’opposition de la matière et de l’esprit, cette opposition faisant éclater la domination de l’obscur, rendue ivre, transposée en une divergence des forces de l’inconscient et du conscient.
De l’intérieur vers l’extérieur : l’aporie de la nostalgie Dans cette reconstruction de la séquence consacrée à l’enveloppement, il s’agissait de montrer comment Schelling tente pleinement de rendre justice à l’élément de l’obscur, à la genèse du fond sans fond hors de son rapport à un Dieu personnel, d’un fond de « suprême conflit », qui diverge d’un fond apte à se dupliquer dans l’unité personnelle du divin : un fond qui ne suppose rien d’autre que des rapports différentiels. A partir de là s’ouvre pleinement la question du passage au développement, relativement à la contingence, au ressort inconscient, à la répétition différentielle des nouages, à la dramatisation de la peur et de la folie qui parcourt l’être primitif. Comment ce drame de la scission se répercute-t-il dans un engendrement ? Qu’en est-il de la différence inscrite au sein de la répétition que Schelling pose comme cyclique ? Pourtant, ce n’est pas tout à fait le chemin suivi par les Âges du Monde. Pour le philosophe la question est cadrée d’avance, étant donné qu’il sait où il veut et doit en arriver : à une genèse du Dieu personnel tirée de la violence dionysiaque, à la transposition de cette genèse en une constellation unifiée, apaisée des deux volontés. Le problème est alors de tirer celle-ci en immanence du « suprême conflit ». Schelling souligne ce qui y fait obstacle : il n’y a rien dans cette lutte qui puisse la faire basculer vers la scission ou l’union. Il n’est pas davantage envisageable de faire vaincre l’union, car si 25
Schelling 1992, 57 / WA I, 42.
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l’union surmontait la scission, on régresserait à nouveau vers la limpidité demeurant en elle-même, sans révélation. Et bien sûr, il n’y a pas d’élément transcendant qui puisse transformer le dionysiaque. On sait que le philosophe va élaborer cette sortie comme engendrement, ou dédoublement hors de soi du fond sauvage, de manière à retrouver le Dieu personnel conçu dans les Recherches. Le mouvement en est assez simple à décrire : apaisé, relâchant l’inclinaison colérique, la volonté agissante dissocie la contraction de l’appropriation, ou encore elle cesse de résister à la scission de l’esprit, sans pour autant cesser d’être contractante factuellement. Par là, elle laisse enfin se déployer l’activité de l’amour liée à cette contraction, jusqu’à ce que la croissance de celle-ci en l’intériorité pousse la force primitive à la dupliquer, à l’engendrer extérieurement : à la révéler. Dans la version de 1811, on passe du récit d’une genèse dionysiaque au récit de la genèse trinitaire qui lui succède. Ce qui est bien moins évident, c’est de montrer comment s’enclenche cette issue. Qu’est-ce qui, dans le suprême conflit, vertige inconscient du tumulte, pourrait occasionner un apaisement de la violence ? Comment l’appropriation forcée de l’amour peut-elle se délier, se muer en une puissance d’engendrement ? La question est d’autant plus embarrassante que Schelling insiste : la genèse du fond chaotique ne procède pas de forces particulières, mais bien à partir d’une universelle implication du rapport entre limpidité et volonté qui veut Quelque Chose. D’où il ressort que « l’Etre primitif en son effrayante solitude […] ne peut compter que sur ses propres forces pour trouver une issue dans sa lutte contre l’état chaotique ». 26 Rappelons que dans la genèse primitive, l’état chaotique des forces est né d’un forçage, d’un affect involontaire qui saisit la force agissante face à l’ambivalence de l’épanchement limpide. Lorsque cette contraction effrayée cesse de dominer, il en résulte une « espèce de folie », une auto-lacération de toute chose dans laquelle s’effectue cycliquement la lutte des forces, en une stase circulaire, une dépense éternellement répétée. Impossible de tirer un apaisement de cette spirale. Pour pallier cette impossibilité, y inscrire une bascule, Schelling ajoute un élément au récit. Il décèle une nostalgie (Sehnsucht) de la révélation à même la scission tentant de s’arracher à l’obscur. 27 La 26 27
Schelling 1992, 58 / WA I, 43. Comme l’a analysé avec précision Heidegger, la nostalgie, ou Sehnsucht, est l’es-
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nostalgie renvoie à un mouvement où les deux tendances se tournent l’une vers l’autre : s’éloigner de soi pour revenir à soi. Ici, l’aspiration au retour est censée réactiver l’entente heureuse de la limpidité, la perméabilité entre amour de soi et amour de l’étranger. Au fur et à mesure que l’esprit s’oppose à la contraction, se sépare, son impulsion de communiquer fait retour. A la peur devant la séparation de l’esprit se mêle à nouveau le désir de l’épanchement. Ce mélange rend perceptible et praticable une alternative entre colère ou apaisement de la contraction, entre conflit répété et conflit surmonté.
L’échec Or cette nostalgie découverte in extremis n’a rien d’immanent. Comme nous l’avons montré plus haut, il n’y a jamais eu de correspondance heureuse « propre » entre l’épanchement limpide et l’acquiescement à celui-ci. L’ambivalence perturbée du contact – la disjonction du retrait et de la rencontre – est présente sur tous les plans, dialogique, ludique, conflictuel. Elle est d’emblée impliquée, motrice dans la dramatisation violente des forces, et donc aussi bien altérée, emportée dans la folie générée. En conséquence, il n’y a plus de recours possible à une nostalgie intacte, aspirant à l’entente, que l’on pourrait faire revenir au sein de la folie pour en déjouer le règne. On comprend mieux à présent pourquoi Schelling a inséré la fiction théorique d’une correspondance heureuse des deux volontés. C’est pour réserver une matrice intègre du rapport entre amour de soi et amour de l’étranger, un noyau extérieur à « l’espèce de folie » qui différencie le fond sauvage. Avec cette fiction, avec l’invocation d’une nostalgie, Schelling atténue le dramatique de sa propre conception : il suppose un simple dérangement d’un rapport aimanté par le retour, là où il a pourtant montré avec rigueur et radicalité que c’est ce dérangement sans retour – la violence qui disjoint amour de soi et amour de l’étranger – qui génère la profondeur du fond. Schelling, autant sinon plus que tout philosophe, avait un sens aigu de l’échec. La seconde version des Âges du Monde en prend déjà acte : elle n’essaie plus d’exposer le devenir-personnel du divin, mais réfléchit plutôt la structure et le fait de la décision divine. Il n’emsence du fond en Dieu dans les Recherches, c’est-à-dire l’aspiration du fond à l’expression.
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pêche : en 1811 Schelling aura transformé la question du fond, y discernant un inconscient en deçà du bien et du mal, en prise avec la contingence, une différenciation de la matière et de l’esprit, une pulsion du vivant, une angoisse de cette pulsion, une folie de la pensée. Il aura conçu un fond sans ressemblance avec ce qu’il fonde, ouvrant la voie à la problématisation de leur écart, du passage de l’un à l’autre.
Bibliographie Deleuze, Gilles 1976 : Différence et répétition. 3e éd., Paris. Hegel, Georg Wilhelm Friedrich 2012 : Phénoménologie de l’Esprit, trad. par Jean-Pierre Lefebvre. Paris. Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph 1980 : Œuvres métaphysiques 1805–1821, trad. par Jean-François Courtine/Emmanuel Martineau. Paris. – 1992 : Les Âges du monde. Fragments. Dans les premières versions de 1811 et 1813. Suivi d’une étude du traducteur sur La Généalogie du temps, trad. par Pascal David. Paris.
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La philosophie positive de l’histoire relue par Giorgio Agamben Une réception postmoderne de Schelling Marc Maesschalck (Louvain-la-Neuve)
Abstract In the second volume of Homo Sacer, entitled The Kingdom and the Glory, Agamben bestows a central role upon the interpretation of this original economy of salvation in Schelling’s Philosophy of Revelation. He even writes that his research aims to “make intelligible an affirmation by Schelling that has gone unheeded until now”. According to Agamben, “if we do not understand the close link that unites oikonomia and providence, it is not possible to measure the novelty of Christian theology”. Why would it be so important today to have such a confrontation with economic theology? Is that orientation justified to better take into account the Schellingian legacy for our time? Or is it only an effect produced by a contemporary reconstruction of a supposed theologico-political background of positive philosophy of history? These are the questions our contribution will try to answer.
Qu’on s’en accommode ou pas, il y a une dimension propre à la science et à la discipline théologiques dans l’œuvre de Schelling. 1 Celle-ci a été rapidement identifiée par ses contemporains à tel point que les travaux de Schelling ont été plus débattus avec passion dans des écoles de théologie au début du XIXe siècle que dans les revues de ses contemporains philosophes. C’est en particulier le cas de certains Aufklärer catholiques recensés par le Père O’Meara, notamment Franz Berg à Würzburg, 2 Friedrich Köppen à Göttingen ou, encore, Jacob Salat à Munich. 3 L’influence de Schelling sur l’école théologique de Tübingen est particulièrement marquante chez des auteurs comme Cf. la belle note introductive de Greisch 2002, 175–206 ainsi que McCarthy 1986 ; Danz 1996. 2 Cf. O’Meara 1982, 69. 3 Cf. O’Meara 1982, 70 sq. 1
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Staudenmaier, Drey ou Kuhn, 4 ou encore Döllinger et bien entendu Möhler. 5 Cette influence s’atténue en milieu catholique à mesure que le renouveau théologique scolastique marginalise l’intérêt pour l’idéalisme romantique, mais on trouvera encore des épigones à Munich et à Bonn jusque dans le milieu des années 1870. 6 Les théologiens du XXe siècle ne s’y sont pas trompés et on retrouve des « miscellia schellingiana » dans différentes écoles à orientation incarnationiste et christocentrique ou à orientation eschatologiste et pneumatocentrique. On peut citer en particulier de grands auteurs comme Paul Tillich, Jürgen Moltmann, Hans Urs von Balthasar et Walter Kasper. En milieu francophone et sur les traces du père Tilliette, il est certain que Emilio Brito 7 est l’une des mémoires vivantes de cette tradition théologique schellingienne ! Chez les philosophes historiens des idées, cette dimension « théologique » et dès lors « dogmatique » – au sens technique d’une analyse rationnelle du dogme religieux – n’est pas toujours bien comprise. Ceux qui ne la mettent pas entre parenthèses sont souvent tentés de la traiter sur le mode de la théologie naturelle, dans l’esprit de Leibniz ou de Spinoza, tout en admettant éventuellement un intérêt plus prononcé pour la religion naturelle, à la manière de l’Enlightment ou de l’Aufklärung. Une autre voie de traitement moins privilégiée est celle qui s’intéresse au statut des âges de l’humanité à travers la théorie de l’histoire mobilisée par l’Aufklärung de Thomasius à Lessing ainsi qu’à la place accordée par cette tradition à l’interprétation des sources bibliques. 8 Plus érudit et plus rare encore, parce que déjà plus théophilosophique, le traitement qui s’intéresse à l’influence de l’eschatologie mystique sur la philosophie moderne et qui reparcourt les sources théosophiques, voire kabbalistiques, qui sous-tendent la théo-
Cf. Kessler/Fuchs 2005 ainsi que Seckler 2007. Cf. Hünermann 1965/66, 42–74 ; Scheffczyk 1987, 86–108. 6 C’est le cas notamment de Hubert Beckers à Munich et de Friedrich Pilgram à Bonn. Le cas de Pilgram est intéressant, car après avoir suivi les leçons de Schelling en 1845 sur la mythologie et la révélation, il publiera en 1860 une Psychologie de l’Eglise qui est encore considérée comme un ouvrage précurseur de Vatican II. Cf. O’Meara 1991, 29–31. Cf., également, Eschweiler 2010 (une édition par Thomas Marschler de textes du théologien Eschweiler, ami de Carl Schmitt et décédé en 1936, qui montre l’intérêt porté actuellement à cette période). 7 Cf. le maître ouvrage, Brito1987. 8 C’est le cas des travaux rassemblés par C. Danz autour de l’influence sur le jeune Schelling de l’exégèse éclairée, Danz 2012. 4 5
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La philosophie positive de l’histoire relue par Giorgio Agamben
rie de l’histoire. 9 Cette deuxième voie « élargie » s’intéresse au joachimisme 10 et rejoint les traces de Bengel, Böhme et Oetinger, pour en revenir à Hamann et Swedenborg, puis au conflit des facultés dans le sens de Kant avec la question du rapport au piétisme et à l’illuminisme. Cette dernière tradition a bien été cernée par Habermas quand il étudie le Schelling intermédiaire dans une perspective de philosophie de l’histoire et s’intéresse au corpus qui va de la dernière philosophie de l’Identité aux Ages du monde. 11 Dans la tradition marxiste, il ne fait aucun doute qu’une telle attention était préparée par les travaux de Ernst Bloch. 12 L’attention à la manière dont Schelling se situe par rapport à la tradition judaïque est aussi une voie royale supplémentaire pour éviter de réduire toute la dimension théologique aux seules préoccupations de la théologie naturelle, voire de la théodicée. 13 C’est alors le schéma eschatologique qui prime. 14 Par rapport à la division entre incarnationistes et eschatologistes 15 qui traverse les courants de pensées théologiques s’intéressant à Schelling, une dimension est donc clairement laissée de côté par la reprise philosophique de la dimension « théologico-religieuse » de la Cf. l’ouvrage emblématique à cet égard de Benz 1968. Cette orientation est reprise par Gusdorf 1983. 10 Cf. le classique Lubac 1981 et Potestà 2004. 11 Cf. Habermas 1954. Ces thèses sont synthétisées dans Habermas 1975, t. 1, 187– 240. 12 Cf. Habermas 1974a. 13 Cf., par exemple, Habermas 1974b ; lecture que l’on retrouve toujours bien ancrée chez Habermas dans son introduction à la publication en allemand de l’ouvrage de Gershom Scholem consacré à Sabbatai Zwi, Habermas 1997. 14 Les lecteurs de Rosenzweig sont des familiers des différents schémas de l’histoire religieuse avancés par Schelling. Cf., par exemple, Mosès 2006, 79 sq. 15 Dans le débat qui oppose les théologiens incarnationistes (comme M. D. Chenu et G. Thils) et les eschatologistes (comme J. Daniélou et L. Bouyer) à l’entour de Vatican II, c’est le rapport entre la création et la représentation de l’économie du salut qui est en jeu. Soit la création réalisée à l’image de Dieu dispose des ressources pour participer à son salut ; il y a en conséquence une continuité réelle entre le plan de la grâce et celui de la nature (capax Dei par une potentia oboedientialis). Soit l’économie du salut se superpose à la nature créée et lui donne accès à un plan qui dépassait ses capacités réelles ; dans ce cas, il y a discontinuité entre la grâce et la nature. La deuxième voie insiste plus sur la nécessité de dépasser le mal et sur la dimension apocalyptique du salut, alors que la première privilégie la dimension messianique de l’expérience du peuple croyant et met en avant le rôle actif du discernement humain dans le « déblocage » de l’histoire (cf. Chenu 1967, 166). De façon générale, on lira Malevez 1949. Sur la portée philosophique de ces questions, cf. l’article excellent de Breton 1971. 9
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dernière philosophie. Il s’agit de la dimension incarnationiste. La théologie du salut est comprise comme une interprétation utopiste de l’histoire humaine basée sur un processus d’auto-accomplissement conduisant le temps et le portant vers un point de saturation, d’achèvement, constituant une nouvelle et ultime révélation de la vérité de l’existence humaine dans le monde temporel. A l’opposé du « passage » que constituerait le mouvement du temps allant vers une fin imprévisible, la dimension incarnationiste insiste sur le corps, sur le « demeurer » dans le monde, sur l’immanence de la vérité de l’existence. Dans cette perspective, le présent l’emporte sur le futur, l’immédiat sur le médiat, le déjà là sur le pas encore. L’attitude croyante est tout entière dans l’acceptation du maintenant et non dans la projection de soi vers un Royaume à venir qui relativiserait totalement l’intérêt de la vie présente. C’est évidemment moins l’option unilatérale pour une de ces perspectives qui importe que l’équilibre qu’elles invitent à chercher et qu’elles proposent d’ailleurs chacune à leur manière en construisant soit une vision incarnationiste de l’eschatologie, soit une conception eschatologiste de l’incarnation. Pour l’interprétation philosophique de Schelling, il en résulte que le défaut engendré par la concentration sur un schéma eschatologiste du salut n’est pas tant de manquer l’option opposée, mais plutôt de manquer la signification de l’équilibre vers lequel tend chacune des positions et qui constitue la signification majeure de l’économie théologique à laquelle se réfère Schelling. 16 L’intérêt de la relecture que propose Agamben en filigrane de ses travaux sur la vie nue dans l’ordre biopolitique moderne est précisément de chercher un équilibre entre la voie incarnationiste, qui pose plus directement la question d’une théorie de l’être et de l’origine, et la voie basée sur l’option eschatologiste qui privilégie le schéma téléologique et une forme de providentialisme. Même si Agamben préfère se situer par rapport aux débats sur la sécularisation plus connus tant par les philosophes que par les théoriciens des sciences sociales, 17 Schelling suit, sur ce point, le théologien Petavius dont il reprend le souci de comprendre l’économie divine en fonction de l’équilibre entre la nature et la grâce. Les leçons de 1831/32 de la Philosophie de la Révélation insistent, par exemple, sur le nécessaire équilibre à maintenir dans le plan divin entre Verherrlichung et Entherrlichung : impossible de séparer dans l’intelligence théologique ce qui se joue dans l’apocalyptique chrétienne et ce qui est déjà en œuvre dans la scission de l’origine. Sur Petavius (Denis Pétau, 1583–1652), cf. Richter 2005, 610 sq. 17 Cf. Agamben 2008, 22 sq. 16
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il nous semble qu’il ne faut pas manquer la double dimension directement présente dans la question sur laquelle il fixe son attention. Non seulement le cadre interprétatif d’Agamben permet de basculer des problématiques spécifiques à la philosophie première comprise comme « théologie transcendantale » et à la métaphysique spéciale, pour s’articuler à la dimension positive du « théologico-politique » (le règne ; die Herrlichkeit) et à la philosophie de l’histoire (la gloire ou l’eschaton). Mais en plus, Agamben considère la dimension « théologico-politique » du double point de vue de l’accomplissement du temps et de son « intériorisation » en Dieu par l’écart de la révélation. Ainsi, malgré la filiation de Schelling avec le schéma joachimite à travers les références à Böhme et à Oetinger, le cadre interprétatif ne peut se limiter au présupposé téléologique des âges de l’humanité et au processus immanent de l’autoréalisation de l’esprit. Transcendance et immanence, gloire et gouvernement, action et être doivent s’imbriquer dans une représentation systématique unique du salut du monde. « Schelling pense sa philosophie de la révélation comme une théorie de l’économie divine qui introduit dans l’être de Dieu la personnalité et l’action, pour le rendre, de cette manière, ‹ seigneur de l’être › ». 18 La question interprétative doit donc se centrer sur l’articulation de deux dimensions – être et action – qui constituent en fait le nœud du problème théologique à plusieurs niveaux tant pour la vie intradivine des puissances en Dieu que pour l’action providentielle dans le monde et pour sa réception par la liberté dans l’histoire collective des humains. Pour paraphraser J.-B. Metz, le père de la théologie politique contemporaine, l’enjeu est de parvenir à ‹ mettre en relation la conscience théologique avec l’histoire sociale de la liberté ›. 19 Il faut ainsi combiner tout d’abord transcendance de l’Etre souverain et immanence de son secours permanent. Il faut en conséquence combiner la réserve en soi d’une providence garantissant la promesse du salut, repliée dans son désir implicite, en-soff (théocryptique) avec un processus théophanique explicite, engageant la volonté absolue dans l’immanence de la liberté, mise en jeu par son ouverture à l’autre que soi. Enfin, il faut encore non seulement parvenir à articuler cette Agamben 2008, 23. On lit ainsi chez Metz que « [l]a conscience théologique sera politique en mettant Eglise et théologie en relation avec l’histoire de la liberté de la société moderne » (Xhaufflaire 1972, 28 / Metz 1969, 271).
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action avec une forme de nécessité guidant l’accomplissement, mais aussi avec un principe de liberté, introduisant un moment de crise, de suspension, un kairos autorisant pour l’acteur humain l’interruption de la répétition et le pouvoir du dépassement. Deux régimes d’action se dissocient donc et pourtant se combinent sans cesse dans la théologie de l’histoire : le régime d’une volonté générale qui nous échappe et nous a toujours déjà devancés et le régime d’une volonté particulière, en fonction de nous (quoad nos), qui s’effectue en accompagnant, qui s’humanise au plus près de ce qui peut se diviniser. Ce dédoublement n’a pas uniquement valeur théologique, dans la mesure où il peut conduire à l’expression dogmatique d’un Dieu toujours plus grand et à celle d’un Dieu en même temps toujours plus intime. Ce dédoublement est aussi révélateur, sur le plan historique, de la réalisation des sujets parce qu’il éclaire, tout en l’explicitant, une sorte de processus théogonique de la conscience qui se reflète à travers ces questions. Ce qui s’exprime dans ce dédoublement pour la genèse de la conscience, c’est le rôle joué par un certain rapport de croyance avec un processus d’autoréalisation de soi dans le temps. Cette croyance semble déterminer un certain type de rapport à la vérité de soi dépendant de la réalisation possible d’une économie de l’action dans le temps. Destin cosmique et destination spirituelle s’entrecroisent dans une représentation du gouvernement du monde imposée par cette croyance qui semble chercher la garantie du salut et de sa vérité dans le lien d’une providence générale et d’une providence spéciale : d’une part, une providence générale guidant le plan du salut et assurant la liberté face à la violence du pouvoir et de la mort ; d’autre part, une providence spéciale capable d’affirmer l’unité qui lui donne, par l’extérieur de soi-même, la certitude de survivre à l’exception, à la mise au ban, la certitude du salut dans la foi. Des théologiens éminents comme Hans Urs von Balthasar ou Jürgen Moltmann n’ont pas manqué de remarquer combien ces questions étaient prises au sérieux par Schelling. Ces théologiens ont d’emblée saisi l’importance et l’originalité de la dernière philosophie de ce point de vue. Si le Schelling de l’Identité est encore marqué par la théologie de Lessing et par l’hypothèse esthétique d’une théogonie transcendantale préfigurant de toute éternité le sens d’un Dieu à venir dans l’histoire, le jeu de l’extraversion des puissances dans la dernière philosophie et l’appropriation du schéma économique des pères du IVe siècle fait basculer cette conception esthétique de l’histoire dans une perspective théodramatique qui va modifier considérable336 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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ment la conception mythogonique du christianisme dominant la première philosophie. Ce qui s’avère dans le passage vers la théogonie des Weltalter, c’est l’insuffisance de la séquence Destin – Nature – Providence présente dans le Système de l’Idéalisme transcendantal, tant d’un point de vue théogonique (conscience) que du point de vue théodramatique (histoire). Conçu d’abord en fonction d’un moment d’anéantissement de l’extériorité de l’esprit comme puissance cosmique dans l’ésotérisme des religions à mystère, le foyer du christianisme va progressivement se démythologiser pour devenir un moment d’accomplissement du monothéisme originaire et de réconciliation de la foi juive avec l’affirmation polythéiste de la différence. Le théologien Paul Tillich a noté avec minutie ces déplacements de la dernière philosophie en particulier à l’égard du judaïsme. 20 L’économie de la dernière philosophie permet de donner un traitement plus adapté et plus spécifique à la mythologie, sans la confondre ni avec une théorie générale de la Révélation (Monothéisme) ni avec une théorie spéciale de la Révélation (Christianisme). Désormais, alors que dans la mythologie se joue la fonction originaire du miroir où l’être fini tente de se saisir comme objet primitif d’un commencement, la philosophie de la religion devient la seule et unique expérience du passage comme réalisation d’une subjectivité commune par le dépassement de la volonté propre. Pour Jürgen Moltmann, dès que l’on abandonne ainsi l’idée de traiter Dieu comme l’objet possible d’une connaissance par preuves, une voie différente de celle proposée par Kant (postulation pratique) s’offre à la raison. Cette voie consiste à concevoir Dieu en fonction d’un régime pragmatique de subjectivation, c’est-à-dire comme un sujet qui se donne à connaître dans son acte subjectif de révélation. La révélation peut alors devenir le médium d’une économie relationnelle originale, celle qui ouvre un passage pour une subjectivité nouvelle (un « homme nouveau ») procédant de la « subject-objectivation » réalisée par le Verbe dans son action historique. Il y a alors « re-création » au sens fort car dans ce cas, comme l’écrit Moltmann : L’instant eschatologique correspond à l’instant originel. Il consiste dans la levée de l’autolimitation de Dieu par Dieu lui-même. Dieu s’autolibère et révèle sa gloire pour devenir tout en tout dans la création trans« Das Heidentum erweist seine Allheit und darum Identität mit allem Einzelnen, nämlich Mystik; das Judentum seine Einheit, seine Geschiedenheit von jedem einzelnen, nämlich Schuldbewußtsein » (Tillich 1912, 106).
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figurée. […] L’autolimitation originelle de Dieu qui avait rendu possibles le temps et l’espace de la création cède le pas à l’autolibération de Dieu qui englobe et pénètre tout. 21
La lecture de Schelling dans le projet d’Agamben Dans le deuxième tome d’Homo Sacer intitulé Le Règne et la Gloire, Agamben donne un rôle central à l’interprétation de cette économie originale du salut dans la Philosophie de la Révélation de Schelling. Il écrit même que la tâche que se donne sa recherche est de « rendre de nouveau intelligible une affirmation de Schelling restée jusqu’à nos jours lettre morte », 22 à savoir que la philosophie de l’histoire a pour tâche de dépasser le règne de la nécessité (philosophie de la mythologie) et d’introduire, dans le temps, une économie providentielle de l’action et de la liberté, en interprétant philosophiquement le modèle de la révélation chrétienne. « Si l’on ne comprend pas le lien très étroit qui unit oikonomia et providence, il n’est pas possible », écrit Agamben, « de mesurer la nouveauté de la théologie chrétienne par rapport à la mythologie et à la ‹ théologie › païennes. » 23 Pourquoi cet intérêt pour une confrontation « devenue [si, M. M.] improbable » aujourd’hui avec la théologie économique ? 24 Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler brièvement le projet poursuivi par Giorgio Agamben depuis une quinzaine d’années dans ses multiples livraisons de Homo Sacer. Homo Sacer, c’est à l’origine le projet de déconstruction de la représentation occidentale de l’autorité souveraine dans son pouvoir sur la vie nue. Cette déconstruction prend d’abord les allures d’une archéologie foucaldienne en revisitant les archives et en exhibant des pratiques discursives constitutives d’une forme spécifique de bio-pouvoir : celle qui met à part un sujet dépourvu de qualité pour le suspendre au pouvoir absolu d’une « autorité souveraine ». Dans les plus anciens textes du droit romain (Festus), l’Homo Sacer apparaît comme celui qui a été mis à part après avoir été convaincu de crime et que l’on peut désormais éliminer, mais sans se livrer à un sacrifice
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Moltmann 1993, 448. Agamben 2008, 23. Agamben 2008, 83. Agamben 2008, 23.
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rituel. 25 Il échappe ainsi tout autant au droit humain qu’au droit divin 26 et cette double exception fonde une autorité tierce, celle de l’assujettissement immédiat à un pouvoir de mort exceptionnel. 27 Selon Agamben, cette sphère de suspension qui travaille secrètement le droit occidental, indépendamment de sa modernisation, s’est manifestée sans réserve dans la fascisation des appareils juridiques à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Saisis par le dogme de la raison d’Etat, différents systèmes juridiques se sont alors efforcés, avec plus ou moins de succès, d’intégrer au sein de leur corpus argumentatif la justification de principe d’un état d’exception constitué par la suspension du droit et le recours temporaire à une force garantie par un pouvoir extra-juridique. L’institutionnalisation de cette sphère qui débute au XIXe siècle et s’intensifie durant l’entre-deux guerres, puis en contexte de décolonisation, vise à maintenir formellement – en le justifiant – un lien substantiel entre la violence et le droit. Pour Agamben, ce moment paradoxal d’auto-suspension du droit dans lequel la force et la norme s’identifient au point de se confondre dans leur principe d’énonciation, – ce moment est avant toute chose révélateur de la structure du biopouvoir occidental. Cette thèse, Agamben tente d’abord de la vérifier à partir de la conception du théologico-politique héritée de Carl Schmitt. C’est par ce prisme particulier qu’il aborde le sens religieux de l’autorité souveraine et y reconnaît une division propre à l’économie de l’histoire du salut qui traverse les siècles de l’époque justinienne jusqu’à nos modernités avancées. Dans la déconstruction proposée par Agamben, Carl Schmitt fournit la clé de la structure bipolaire du biopouvoir partagé entre la puissance temporelle de l’ordonnancement gouvernemental (le pouvoir constitué) et la transcendance suspensive de l’Autorité glorieuse (le pouvoir constituant), 28 une autorité glorieuse qui depuis l’absolutisme s’est d’abord comprise comme pouvoir de démettre, de déposer les ministres plus que comme pouvoir de diriger. La souveraineté comprise comme cette force naturante de l’ordre social est le pôle absolu d’une structure de pouvoir naturée qui se consacre de son côté à la gestion de l’ordre ordinaire des choses, mais qui suppose toujours 25 26 27 28
Cf. Agamben 1997, 81. Cf. Agamben 1997, 92. Cf. Agamben 1997, 93. Cf. Agamben 2003, 62.
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pour s’exercer la confiance et même l’obéissance dans le pôle absolu de l’autorité comme condition de son effectivité sociale. 29 Reste à comprendre comment cette structure bipolaire peut se stabiliser malgré sa tension interne, son incomplétude sémantique. C’est ici que la réflexion sur la théologie de l’histoire et, plus spécifiquement, sur la théologie de la providence devient essentielle pour Agamben. Dans Qu’est-ce qu’un dispositif ?, le philosophe italien donne un aperçu général de son projet de réinterprétation de l’économie trinitaire de la providence dans la théologie chrétienne. 30 Selon lui, l’économie trinitaire présente un dispositif de délégation du pouvoir qui permet de séparer l’administration du salut dans les réalités terrestres et la subsistance de Dieu dans son être éternel. Il en résulte un principe général de gouvernement selon lequel les dispositifs de pouvoir ne concernent pas l’être ou la substance, mais produisent des subjectivités ad hoc, partielles, pour atteindre des buts provisoires et donc toujours révisables. Les dispositifs de pouvoir gèrent des processus de subjectivation supposés indépendants de l’essence des vivants qui leur reste insaisissable. Cette dissociation de l’être et de l’action a une portée fondamentalement sotériologique : elle garantit dans l’économie théologico-politique la réalisation du salut. Dissocié de sa vie selon son être, l’individu humain répond à différents processus de subjectivation dont le principe est de constamment relancer la providence de l’ordre temporel en produisant de la subjectivité. Parallèlement à cette action de gouvernement, le pouvoir providentiel du Règne reste indemne : il encadre et oriente l’action gouvernementale en assurant sa destination finale. On peut soutenir en ce sens que la doctrine de la providence est le milieu théorique privilégié où la vision classique du monde, marquée par le primat de l’être sur la praxis, a commencé à se défaire […]. 31
Pour Agamben, la Philosophie de la Révélation de Schelling est une des archives privilégiées de cette théologie économique de la providence. Schelling est en effet par excellence l’idéaliste moderne qui parvient à transposer l’économie trinitaire dans une philosophie de
C’est ainsi que R. Dworkin, par exemple, considère qu’une théorie du droit suppose toujours une certaine conviction générale sur la force du droit dans « des circonstances normales » (Dworkin 1994, 125). 30 Cf. Agamben 2007, 21–27. 31 Agamben 2008, 178. 29
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l’histoire. 32 Non seulement il traduit l’eschatologie de la théodramatique du salut sous la forme d’un processus d’action transformant le temps et ses acteurs humains (ce que fait aussi la dialectique), mais en plus, il représente la croyance au salut à la manière d’une action garantie de l’extérieur par une volonté souveraine générale et de l’intérieur par une volonté spéciale unie à cette volonté générale et capable – par nature – de reproduire dans le temps les conditions de régénération du plan de la volonté générale. L’indétermination du salut est ainsi levée par une économie où la coopération des volontés célestes et terrestres est capable de s’auto-engendrer dans le temps. Il est dès lors possible d’espérer – par jugement réfléchissant – une auto-création du salut dans l’histoire par une économie bipolaire du pouvoir garantie par la dogmatique juridique. Allons plus loin dans le fonctionnement de cette médiation du point de vue thélogico-politique : c’est par le moment de l’exception souveraine où le Père sauve la vie nue en acceptant sa subjectivité niée par le gouvernement ordinaire que le système religieux providentiel assume son incomplétude ‹ de l’extérieur › et que ‹ la pierre rejetée par les bâtisseurs › 33 peut devenir à nouveau pierre d’angle et assurer la répétition de l’ordre religieux providentiel, garantir le salut. Fondamentalement, c’est ce processus de restitution (Tertullien) qui fonde la croyance économique et qui garantit la répétition en assumant de l’extérieur l’incomplétude de l’ordre ordinaire de l’action, sa finitude. Le pouvoir politique occidental s’est construit sur cette croyance en la répétition de sa capacité de salut par-delà l’affrontement de son incomplétude, de son « trou », toujours conçu dans la croyance comme temporaire. C’est dans cette croyance que réside la nature théologicopolitique et la structure économique bipolaire du biopouvoir. Cette économie bipolaire du biopouvoir trouve un équilibre en recourant à une représentation pratique du lien social pour les acteurs historiques qui se fixe dans un certain sens de la providence : que pouvons-nous espérer dans nos sociétés politiques ? Nous pouvons espérer que l’incomplétude du droit incarnée dans ses moments d’exception ne s’oppose pas à sa répétition, mais au contraire se récrée dans ces moments de violence : que l’ordre général de la révélation s’accorde avec une force spéciale dans le temps ; que le pouvoir consti-
32 33
Cf. Agamben 2008, 82. Cf. Mt 21, 42, ainsi que Ps 117,22.
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tuant coïncide avec le pouvoir constitué pour rendre possible de l’extérieur la répétition de sa réalisation. 34
L’ancrage de cette relecture théologico-politique de Schelling Essayons maintenant de relire Schelling en fonction de cette grille de lecture théologico-politique de la philosophie positive de l’histoire. Selon Agamben, 35 le projet de la philosophie de l’histoire n’est autre que de penser l’économie de la vie absolue comme centre de l’histoire ; penser le rapport entre la fin et le commencement non comme l’ordre d’un récit qui se tient par son milieu, mais comme la réalisation d’un plan, d’un programme dont les étapes préparent un point d’accomplissement et dont l’enchaînement suppose une volonté s’anticipant à travers les événements qu’elle devance et dont elle garantit la signification pour le salut : La machine providentielle, tout en étant unitaire, s’articule pour cette raison sur deux plans ou deux niveaux distincts : transcendance/immanence, providence générale/providence spéciale (ou destin), causes premières/causes secondes, éternité/temporalité, connaissance intellectuelle/praxis. Les deux niveaux sont étroitement reliés, de telle sorte que le premier fonde, légitime, rend le second, qui réalise concrètement dans la chaîne des causes et des effets les décisions générales de l’esprit divin. 36
L’effet majeur de cette structure bipolaire pour Agamben est de maintenir une forme d’indétermination entre l’exécution du pouvoir vicariant des créatures et l’orientation fondamentale donnée par la volonté divine. Les « effet[s] concomitant[s] » 37 qui peuvent se produire sont repris et assumés dans le Plan divin du salut qui supplée aux exécutions maladroites et déficientes de ses ministres : l’opus operans guide et surdétermine l’opus operatum, 38 parce que :
Cf. Agamben 2008, 179 sq. Cf. Agamben 2008, 82. 36 Agamben 2008, 218. 37 Agamben 2008, 219. 38 Agamben revient plus en détail sur cet aspect lié à l’office dans Agamben 2012, 111 sq. 34 35
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le dieu sauveur, auquel a été donné le gouvernement du monde, doit rédimer et sauver, pour un règne qui, cependant, n’est pas ‹ de ce monde ›. 39
Il est vrai que cette structure économique correspond assez bien à la version princeps de la Philosophie de la Révélation de 1831/32, éditée par W. Ehrhardt. 40 Selon la Leçon 29 de 1831/32, 41 lorsque Schelling se réfère explicitement à l’enseignement théologique sur « l’économie divine » en citant la Dogmata Theologica du jésuite Petaviaus (Denis Petau), 42 l’enjeu de cette notion est de parvenir à concevoir un Plan divin tel que le monde déchu puisse être ramené en Dieu par le fils devenu homme et posé comme existence extradivine. « Est dit devenir ‹ par économie › quelque chose qui est géré autrement qu’au titre de la représentation qu’on en a » ; 43 un mal en apparence peut devenir un bien ‹ par économie ›. Cet affairement à préparer la glorification de Dieu doit se constituer dès le commencement (Vorlesung 26) dans l’expulsion des puissances de la Trinité immanente (« aus dem actus purissimus » 44) et se confirmer dans toutes les étapes du plan jusque dans le devenir moderne de l’institution croyante, l’Eglise (Vorlesung 80). Tout concept
Agamben 2008, 217. Cf. Schelling 1831/32. 41 Cf. Schelling 1831/32, 203. 42 Schelling se réfère en fait au De Incarnatione, dans le Tome 4 de la première édition (repris au Tome 5 de l’édition des œuvres par J.-B. Fournials, Petau 1866, 151 sqq.), le Livre I du De incarnatione Verbi, Chapitre 1 (Petau 1866, 156) où Petau renvoie d’ailleurs à Jean Damascène. 43 Schelling 1831/32, 203 : « κατ’ οἰκονομιαν fieri aliquid dicitur, quod aliud quam specietenus geritur » (trad. de l’auteur). Schelling semble reprendre ici textuellement une annotation de Thomas Gataker qui visait à l’origine à distinguer les préceptes stoïciens des préceptes chrétiens : si, comme l’affirme Marc Aurèle, des choses à première vue mauvaises peuvent concourir au bien, ce n’est pas l’effet du hasard, mais bien de la manière dont les humains gèrent leurs affaires per dispensationem (traduction latine de κατ’ οἰκονομίαν), alors que pour les chrétiens, la raison ultime en est la manière même dont Dieu gouverne la réalisation du salut per dispensationem. Dans sa longue note de commentaire à la cinquième remarque du § 18 du livre XI des Pensées de Marc Aurèle, Gataker renvoie d’ailleurs aussi à Clément d’Alexandrie, à Origène et à Jean Chrysostome pour expliciter ce concept d’économie divine. Cf. Marcus Antoninus 1698, 330 sq. La référence à Gataker était connue dans les milieux théologiques spécialisés de l’époque sur la question de l’économie divine. On trouve, par exemple, la phrase que Schelling reprend sans précision de sa source, chez Beyer/ Fesler 1746, 4. 44 Schelling 1831/32, 173. 39 40
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sotériologique n’a donc de sens qu’à la lumière de ce qui se préparait déjà dès l’origine (Vorlesung 29), donc comme « re-création », renaissance ou, encore, « seconde naissance ». 45 Schelling met particulièrement bien en évidence la structure opératoire propre au leitmotiv patristique de la rédemption : il y a un processus d’analepsis par lequel restitution et destitution, renaissance et destruction peuvent s’enchaîner rétrospectivement en garantissant la suppression de l’interruption. L’une des forces de Schelling est aussi de construire, de manière proleptique cette fois, ce mode opératoire dès son interprétation du monothéisme originaire : 46 ainsi le monothéisme dogmatique ou réflexif apparaît comme la relève du monothéisme originaire de la conscience déposé par son expérience négative de la pluralité. Dans ce processus est déjà contenu le nœud dialectique de la philosophie positive en général et de la philosophie de la révélation en particulier : l’unité potentielle du Dieu en idée du théisme n’est pas une affirmation ; autrement dit, elle n’est pas un acte, 47 une opération interne à Dieu lui-même, mais uniquement la position indirecte de l’unité en fonction de la pluralité : son être s’oppose à la pluralité ; mais cela ne signifie pas qu’il se limite à une telle position indirecte de soi comme opposé à la pluralité : au contraire, positivement, il se réalise en comprenant cette pluralité : il s’affirme / se révèle comme Un à travers la récapitulation en lui de ce qui peut paraître librement comme hors de lui (praeter Deum). [S]i nous envisageons les puissances non pas dans leur relation à Dieu, mais telles qu’elles apparaissent dans leur exclusion réciproque, il nous faut alors reconnaître qu’elles sont posées comme telles hors de leur divinité, c’est-à-dire qu’elles sont posées en dehors de ce πνεῦμα, de cet actus purissimus en lequel elles sont elles-mêmes = Dieu ; […] simplement elles ne sont pas effectivement Dieu, leur divinité est suspendue, sans être supprimée –, mais […] à la fin de ce procès […] [ces éléments, Les verbes qui expriment ce mouvement sont en particulier : zurückführen, wiederbringen, wiedergeben, wiederherstellen (cf. Schelling 1831/32, 173). 46 Cf. notamment la Leçon 2 du cours de 1842 (cf. Schelling 1992, 37 sq. / SW XII, 24 sq.). Le principe du monothéisme originaire est aussi établi par les premières leçons d’introduction à la Philosophie de la Mythologie (I–III), suivant la conclusion en SW XI, 65 sq. Ce principe est aussi rappelé dans l’exposé général de la Philosophie de la Révélation quand Schelling résume le contenu de la Philosophie de la Mythologie nécessaire à la compréhension de la Philosophie de la Révélation (cf. Schelling 1991, 239 / SW XIII, 382). 47 Ce point est bien résumé dans les Leçons de Munich de 1836/37 : Schelling 1837/42, 100. 45
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M. M.] ne sont plus puissances, puisqu’ils ont été rétablis dans leur essence originelle, mais = [Dieu, M. M.] Lui-même. 48
L’histoire du salut permet ainsi de réaliser l’analepsis de la Trinité immanente en restituant l’unité suspendue des puissances intradivines en fonction de leur procession extradivine. 49 Stricto sensu, l’histoire est « épiphanique » : elle n’est pas séparée de Dieu, coupée de lui, mais elle est dissociée de son unité spirituelle, pneumatique, de telle sorte qu’elle peut se réfléchir librement dans sa différence comme opposée, comme simple puissance à réaliser, et rétablir son être originaire, naître à nouveau. Nous en revenons ainsi à ce fameux pouvoir de dédoublement que nous annoncions comme l’enjeu crucial d’une pensée historique des archives théologiques chez Schelling : une garantie de répétition donnée par l’extérieur de soi et dont nous pouvons préciser encore le mode opératoire : il y a dans l’action l’analepsis d’une unité encore uniquement posée négativement et qui par cette action s’ouvre comme exigence positive à réaliser face à la violence, pour boucher le trou de l’indétermination de la loi par la croyance en un plan providentiel du salut.
Intérêt de la relecture théologico-politique de Schelling Nous pensons qu’une telle lecture est éclairante par rapport à la manière dont il faudrait continuer à interpréter et mieux comprendre la dimension théologico-politique de la philosophie positive de Schelling aujourd’hui. Le dédoublement dont il est question provient à notre sens d’une transformation importante de la question théologique entre la première et la dernière philosophie et qui est décisive pour l’entreprise de la philosophie positive. En effet, si le théologien, voire le philosophe sont frappés par la manière dont la religion et, en particulier, la figure christique est naturalisée dans la première philosophie, et entre ainsi au panthéon des divinités à mystère, ce mouvement s’inverse avec la philosophie positive. A la lumière des mystères – notamment dionysiaques et orphiques – le Christ de la première philosophie apparaît comme le Grand Pan accomplissant le déchirement de l’ancienne alliance et in48 49
Schelling 1991, 133 sq. / SW XIII, 283. Cf. Schelling 1991, 132 sq. / SW XIII, 282.
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troduisant le principe prométhéen dans la religion révélée, pour annoncer un nouvel âge de l’esprit, celui d’une mythologie accomplie, définitivement libérée du mimétisme naturaliste de ses figures pour se produire à la lumière comme figure héroïque d’une humanité régénérée. Dans la dernière philosophie, au contraire, il n’est plus possible d’en rester à un arrière-plan mythogonique de la conscience religieuse. Désormais, tout procède d’un monothéisme originaire, dédogmatisé, libéré de l’abstraction du carcan théiste pour exprimer l’antécédence absolue de l’Un existant, la quoddité sans laquelle aucune affirmation d’existence ne peut prendre sens pour la raison. 50 Toutes les représentations de la mythologie dérivent de cette cause réelle 51 et annoncent l’épuisement de la puissance réelle au profit de l’Esprit qui transfigure la révélation du Christ. 52 A la mythologisation du christianisme succède donc une monothéisation radicale de la mythologie en général qui suspend la nécessité du geste négatif procédant inlassablement à la démythologisation du concept de Dieu. L’économie des « semina verbi » est étendue à l’extrême, à la suite de la tradition patristique. Cette « monothéisation » a une double conséquence dans la dernière philosophie : elle pose un ordre primordial de la positivité dans un cadre immanent, extérieur, et elle pose en même temps le sens de la positivité seconde de la vie dans laquelle la force positive de l’affirmation peut se comprendre en fonction de cette extériorité : 53 la libre énonciation repose dès lors sur la croyance selon laquelle son incertitude est garantie par un ordre originaire, naturant, qui donne sens à cette incertitude. 54 L’ordre de l’action qui affirme est donc posé corrélativement à une vérité extérieure de la vie pour laquelle l’essence précède la puissance, comme le souffle ou l’actus purissimus précède la vie. 55 La reprise de la théologie économique par Schelling est donc originale par la manière dont elle décale la perspective téléologique/ Cf. la philosophie spéciale de la révélation (cf. Schelling 1994, 300 / SW XIV, 280). Rappelons sur ce point la relecture fulgurante de Schelling proposée par Rosenzweig dans Rosenzweig 2001, 132–137. 51 Cf. Schelling 1994, 261 / SW XIV, 242. 52 Cf. Schelling 1994, 256 / SW XIV, 237. 53 Cf. Schelling 1991, 192 sq. / SW XIII, 338 sq. 54 Le sens anthropologique de l’affirmation trinitologique : Schelling 1991, 134 / SW XIII, 283 sq. 55 Cf. Schelling 1991, 133 / SW XIII, 283. 50
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eschatologiste vers une perspective plus incarnationiste dominée par la question de l’incorporation de l’incertitude du salut du point de vue de la conscience croyante. La conception monophysite de la médiation christique défendue par Schelling – contre ce qu’il nomme le cryptonestorianisme de la tradition théologique dominante – cette conception de la médiation sotériologique confirme ce lien entre puissance et pneuma dans l’action christique. L’action du Christ se garantit par la Gesinnung qui l’unit à l’extériorité du Père face à la crise morale engendrée par sa mise à mort : dans l’exception de sa vie nue, la foi du Fils le garantit de la répétition de la promesse générale du salut en un moment spécial de l’histoire. La représentation du gouvernement de l’histoire est fixée par ce dédoublement du régime de l’action où s’articulent un régime ordinaire dans la précarité de la violence (radio indirecto) et un régime d’exception propre à la souveraineté qui garantit la répétition du salut de l’extérieur (radio directo), parce que l’origine du pouvoir, son souffle ou son esprit, précède absolument toute effectuation de la puissance temporelle et peut la suspendre, voire la supprimer par son immédiateté. 56 L’intérêt de la lecture d’Agamben est ainsi de mettre en évidence, dans la forme économique de la raison théologico-politique, la manière dont le gouvernement de l’histoire s’est conçu sous la forme d’un procès symbolique enveloppant une violence structurelle capable de déconstruire les identités primaires pour les intégrer à l’identité symbolique d’une communauté de salut. Il vise ainsi à ébranler la suture identitaire par laquelle le paradigme absolu du pouvoir oblitère sa violence nécessaire en sacralisant son rôle sotériologique. Cependant, une lecture de Schelling pourrait encore avoir un autre intérêt dans cette ligne interprétative, car la position défendue par la philosophie positive tente aussi de dépasser ce schéma sotériologique. De fait, ce que Schelling cherche à mettre en évidence dans l’ordre économique de la révélation, ce n’est pas uniquement un savoir ou un enseignement, ni même l’intelligence d’une volonté supérieure. Ce que tente de saisir Schelling, c’est un événement, c’est-à-dire un acte transformateur de l’esprit, une modification de la relation humaine à l’Absolu. 57 Dans cette optique, il nous semble que la lecture de la philosophie 56 57
Cf. Schelling 1991, 198 / SW XIII, 344. Cf. Schelling 1994, 49 / SW XIV, 29.
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de la révélation ne peut se limiter à reprendre l’intelligence du schéma économico-sotériologique qui la dirige.
Au-delà du schéma sotériologique avec Schelling En arrière-plan de l’immense travail interprétatif de Schelling, il y a une position philosophique particulière qu’il ne cesse de revendiquer. Cette dernière procède de la partition de la philosophie négative et de la philosophie positive, laquelle se répète encore dans l’analyse du procès phénoménologique de la conscience croyante dans la partition entre mythologie et christianisme. Cette division en induit aussi une autre, particulièrement importante, entre la conscience philosophique et la conscience théologique. Il y a une dialectique interne à la dernière philosophie qu’on ne peut mettre de côté sur le plan interprétatif et qui a partie liée avec la manière dont Schelling entend se positionner par rapport au schéma économique de la théologie. S’il est ainsi possible, comme le propose brillamment Markus Gabriel, 58 de relire à partir d’une théorie du langage, le schéma pragmatique qui structure l’organon des puissances dans la Philosophie de la Mythologie, cette relecture est aussi significative de la position interprétative des mythes et du procès théogonique de la conscience construite par l’interrogation philosophique conduite par Schelling qui cherche d’emblée une « signification supérieure » de la mythologie. Que se passe-t-il lorsque le philosophe passe à la Philosophie de la Révélation ? L’opération réflexive qu’il a assumée de l’extérieur pour la Mythologie se trouve maintenant assurée de l’intérieur par la conscience théologique qui décrit réflexivement son propre processus de croyance et amène dès lors à un dédoublement du point de vue réflexif sur l’économie du salut permettant d’en interroger un « nouveau sens supérieur », mais en même temps toujours attaché à l’expression de la conscience religieuse. Se pose alors dans des termes inédits la question d’un troisième temps, celui d’une « religion philosophique » qui pourrait énoncer de « manière libre » la vérité détachée des significations antérieures. 59 Mais quelle Cf. Gabriel 2011, 134–136. Le thème récurrent de la reprise de Lessing chez Schelling, « l’élaboration des vérités révélées en vérités rationnelles » (Schelling 1980, 193 / SW VII, 412), Les recherches sur la liberté humaine, renvoyant au § 76 de L’éducation du genre humain.
58 59
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« signification supérieure » pourrait avoir une telle religion et pour quelle réflexion supplémentaire ? Ou bien ne serait-elle pas précisément libération de cette quête éperdue d’un lieu de la vérité de soi hors de soi ? Selon cette partition épistémologique, la conscience philosophique est un savoir de soi à l’intérieur de soi comme origine : en mythologie, elle agit encore face à la nécessité apparente d’un donné non réflexif pour restituer le procès théogonique de la conscience sous la forme d’une métaphysique des puissances constitutive de la pluralité interne de la vie divine. De son côté, la conscience théologique est le produit réflexif par excellence d’un savoir de soi hors de soi, décentré, produit dans l’action et pour lequel la théologie économique de l’histoire est par excellence l’explication du plan divin de réconciliation des puissances démiurgiques dans l’effectivité de son unité, ce que Paul appelle la « récapitulation universelle ». 60 Ce savoir de soi hors de soi n’a pas besoin de répétition et de surinterprétation : il doit simplement être préservé de l’intérieur. C’est cette division des tâches du point de vue du processus d’effectuation de la conscience qui permet seule de situer l’enjeu d’un rôle nouveau de la philosophie détachée de la métaphysique négative des puissances centrée sur l’élucidation de son origine, mais également relancée ou élargie par la positivité du processus de la révélation. L’enjeu devient alors celui d’une philosophie au deuxième degré, une philosophie adossée à la positivité de l’expérience de la conscience historique, donc une philosophie de l’histoire. Certes, on y retrouve cette idée de la première philosophie selon laquelle le christianisme était le centre du devenir objectif de l’histoire parce qu’il constituait la religion de l’intuition de l’univers comme histoire, 61 mais cette fois, on accède par élargissement à une philosophie au deuxième degré, médiatisée par le rapport positif qu’entretient la réflexivité croyante avec son identité économique et la garantie extérieure de son salut. Ce n’est en effet qu’à la condition d’admettre que le christianisme et donc le Christ a été ce qu’il a été dans l’historicité de son événementialité comme transformation de la relation humaine avec l’absoluité de son histoire que l’on peut adopter un style nouveau en philosophie, ‹ élar-
« ἀνακεφαλαιώσασθαι » selon Éph 1,10, repris à la Leçon 35, cf. Schelling 1994, 301 / SW XIV, 281. 61 Selon la Leçon 8 des Études académiques (1802), en SW V, 286. 60
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gir la conscience philosophique ›, 62 aller au-delà de la représentation jusqu’à la croyance dans la providence comme force capable de relever effectivement la liberté de son indétermination, de garantir le salut 63 dans et par l’histoire (et pas uniquement le salut de l’histoire). Mais cette forme économique n’est pas le dernier mot de la philosophie de l’histoire au deuxième degré à laquelle conduit la philosophie positive. Cette philosophie est en effet non seulement libérée du passé de la conscience obnubilée par la surpuissance de l’origine, mais elle est aussi libérée de la représentation symbolique de la fin de l’histoire confirmant le salut promis. 64 « La question de la signification et de la réalité de la Révélation dépend d’une crise de la philosophie ellemême ». 65 Il s’agit d’une philosophie « hors de soi – auprès de soi », sans garantie de l’origine ou de la fin, créatrice d’un nouveau rôle dans le temps, d’une philosophie dépotentiée, entièrement contenue par l’expérience de sa propre progressivité dans sa mise en question continue du rapport à l’indétermination du prius qui est au principe de la liberté 66 et qui révèle sa suture identitaire, son incomplétude. Deux éléments nous semblent donc décisifs à poursuivre au-delà de l’interprétation économique de la philosophie positive, l’un sur le plan de l’objet de la philosophie de l’histoire, l’autre sur le plan du rôle de l’intervention philosophique : – Tout d’abord, sur le plan de la philosophie de l’histoire au deuxième degré qui se détache de l’interprétation des consciences mythologiques et chrétiennes, il faut encore poursuivre dans le sens de l’explicitation pragmatique de l’assemblage constitutif de la structure de potentiation dirigeant l’arrière-plan tant de la métaphysique négative que de la théologie économique ; donc procéder à une forme de désassemblage 67 du lieu de vérité qui continue de surdéterminer l’interprétation de l’histoire comme une causalité positive, isolable, indépendante des conditions concrètes et immédiates de l’existence. C’est la tâche de la « religion philosophique » recherchée par Schelling et Cf. Schelling 1994, 250 / SW XIV, 231. Cf. Schelling 1994, 248 sq. / SW XIV, 229 sq. 64 Nous nous permettons de renvoyer ici au magnifique travail réalisé à ce sujet par Elise Deroitte sur la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin. Cf. Deroitte 2012. 65 Schelling 1994, 250 sq. / SW XIV, 231 sq. 66 Cf. Schelling 1980, 35 / SW VII, 154 (Aphorismes pour introduire à la philosophie de la nature). 67 Nous nous référons ici tout particulièrement au type de recherches menées par Jean-Luc Nancy dans Nancy 2005. 62 63
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qui ne peut être vraie selon lui qu’à la condition de comprendre les principes des religions naturelles et révélées, tout en dépassant « le désir d’une religion qui se poserait hors d’elle » 68 par décret divin ou comme nécessité naturelle. – Ensuite, sur le plan de l’intervention philosophique dans cette histoire, il faudrait encore mieux élucider le sens d’un nouveau rôle de la philosophie résidant dans le dépassement des théories de la conscience qui réduisent celle-ci soit à la logique négative de la potentialité, soit à une croyance positive dans la loi de l’histoire, pour reconnaître au principe de toute subjectivité libre dans l’histoire l’indéterminabilité des ordres relationnels. Pour parvenir à cette « dépotentiation » du processus théogonique de la conscience, la référence au « théologico-politique » qui la constitue en sujet subsumable sous un ordre « en commun », généralisé, universel, reste décisive, car elle renvoie inévitablement à la question de la résistance à une sortie d’un sens général de soi supposé nouer pour nous le social. 69 Dans la dernière philosophie, il ne faut pas mettre entre parenthèses la question la plus fondamentale, qui n’est pas celle de l’essence ou de l’être de Dieu, mais bien celle de « l’être de l’humanité » 70 et de son fondement, un concept qui n’est à portée de la main ni en philosophie, ni en théologie … 71 Ces deux orientations sont une manière d’indiquer combien la lecture d’Agamben et sa critique nous semblent aider à mieux cerner les plans nécessaires à combiner pour progresser aujourd’hui dans le chantier interprétatif de la philosophie positive. Ce chantier ne peut se contenter de prendre acte de la reprise du schéma économico-sotériologique de la patristique et de la théologie trinitaire par Schelling. Il faut interroger la signification spéculative d’un tel schéma pour Schelling à partir de son projet philosophique et la manière dont il tente à la fois de radicaliser le schéma trinitaire et de le subvertir en le reliant constamment à l’exigence première d’une « liberté authentique », 72 échappant à la passivité infinie imposée par le règne des causes et, dès lors, impossible à saisir sans ménager un écart entre la
Schelling 1997, 111 / Schelling 1837/42, 102. Nous pensons à ces belles pages de Jean-Luc Nancy sur le « théologico-politique », dans Nancy 1993, 144–147. 70 Schelling 1997, 120 / Schelling 1837/42, 110 ; je souligne. 71 Cf. Schelling 1997, 121 / Schelling 1837/42, 112. 72 Schelling 1991, 199 / SW XIII, 345. 68 69
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cause et le réel. 73 Prise dans la tension entre l’être et l’action, pour reprendre la formule d’Agamben, la question philosophique de la liberté ne peut se résoudre par l’instauration conceptuelle d’un genre spécifique de causalité, mais elle doit parvenir à déjouer la répétition en elle du mouvement qui l’amène à chercher par l’action une garantie de soi dans l’être, alors qu’il lui faudrait accepter cette absence de garantie comme étant en soi quelque chose comme une naissance.
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Auteurs / Beiträgerinnen und Beiträger
Gérard Bensussan, Professeur de Philosophie. Faculté de Philosophie, Université de Strasbourg, 7, rue de l’Université, F–67000 Strasbourg. [email protected] Antonia Birnbaum, Maître de conférence (HDR) en Philosophie. Département de Philosophie, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, 2, rue de la Liberté, F–93526 Saint-Denis cedex. [email protected] Petar Bojanić, Professor of Philosophy. Institute for Philosophy and Social Theory, University of Belgrade, 45 Kraljice Natalije Street, SRB–11000 Belgrade. [email protected] Joseph Cohen, Lecturer in Philosophy. School of Philosophy, University College Dublin, IRL–Dublin. [email protected] Pascal David, Professeur de Philosophie. Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université de Bretagne Occidentale, 20, rue Duquesne, CS 93837, F–29238 Brest cedex 3. [email protected] Franck Fischbach, Professeur de Philosophie. Faculté de Philosophie, Université de Strasbourg, 7, rue de l’Université, F–67000 Strasbourg. [email protected]
355 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Auteurs / Beiträgerinnen und Beiträger
Jad Hatem, Professeur de Philosophie. Département de Philosophie, Université Saint-Joseph Beyrouth-Liban, Campus des sciences humaines, Rue de Damas, B. P. 17–5208 – Mar Mikhael, RL–Beyrouth 1104 2020. [email protected] Jochem Hennigfeld, Professor für Philosophie. Institut für Philosophie, Universität Koblenz-Landau, Bürgerstr. 23, D–76829 Landau. [email protected] Lore Hühn, Professorin für Philosophie. Philosophisches Seminar, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, Platz der Universität 3, D–79085 Freiburg i. Br. [email protected] Dietmar Köhler, Privatdozent für Philosophie. Institut für Philosophie, Ruhr-Universität Bochum, Universitätsstr. 150, D–44780 Bochum. [email protected] Marc Maesschalck, Professeur de Philosophie. Centre de philosophie du droit, Collège Thomas More, Place Montesquieu 2 (bte 15), L2.07.01, B–1348 Louvain-la-Neuve. [email protected] Marc Richir, C/O Editions Jérôme Million, 3, place Vaucanson, F–38 000 Grenoble. Alexandra Roux, Maître de conférences en Philosophie. Faculté des Sciences Humaines et Arts, Université de Poitiers, TSA 81118, 8, rue René Descartes, F–86073 Poitiers cedex 9. [email protected] Marcello Ruta, Wissenschaftlicher Mitarbeiter (post-doc). Institut für Philosophie, Universität Bern, Muesmattstr. 45, CH–3012 Bern. [email protected]
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Auteurs / Beiträgerinnen und Beiträger
Wilhelm Schmidt-Biggemann, Professor für Philosophie. Institut für Philosophie, Freie Universität Berlin, Habelschwerdter Allee 30, D–14195 Berlin. [email protected] Philipp Schwab, Emmy Noether-Nachwuchsgruppenleiter. Philosophisches Seminar, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, Platz der Universität 3, D–79085 Freiburg i. Br. [email protected] Giusi Strummiello, Professoressa di Filosofia. Dipartimento di Filosofia, Letteratura, Storia e Scienze Sociali, Università degli Studi di Bari, Piazza Umberto I, I–70121 Bari. [email protected] Miklos Vetö, Professeur de Philosophie (émérite). Faculté de Philosophie, Université de Poitiers. 50, rue Corvisart, F–75013 Paris. [email protected]
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Abréviations et éditions / Siglen und Werkausgaben
1. Schellings Werke AA
SW
Friedrich Wilhelm Joseph Schelling: Historisch-kritische Ausgabe, I. Werke; II. Nachlaß; III. Briefe, hg. v. der Schelling-Kommission der Bayerischen Akademie der Wissenschaften. Stuttgart-Bad Cannstatt 1976 ff. Friedrich Wilhelm Joseph Schelling: Sämmtliche Werke, I. Abteilung: 10 Bde. (= I–X); II. Abteilung: 4 Bde. (= XI– XIV), hg. v. Karl Friedrich August Schelling. Stuttgart/Augsburg 1856–1861.
Weitere Siglen: WA
Friedrich Wilhelm Joseph Schelling: Die Weltalter. Fragmente, in den Urfassungen von 1811 und 1813 hg. v. Manfred Schröter. München 1946. Plitt I/II/III Friedrich Wilhelm Joseph Schelling: Aus Schellings Leben. In Briefen, 3 Bde., hg. v. Gustav L. Plitt. Leipzig 1869 f. Fuhrmans, Briefe I/II/III Friedrich Wilhelm Joseph Schelling: Briefe und Dokumente, 3 Bde., hg. v. Horst Fuhrmans. Bonn 1962–1975. Tagebücher Friedrich Wilhelm Joseph Schelling: Philosophische Entwürfe und Tagebücher, aus dem Berliner Nachlaß begr. v. Hans Jörg Sandkühler, weitergeführt v. Martin Schraven. Hamburg 1994 ff.
2. Kants Werke AA
Immanuel Kant: Gesammelte Schriften, I. Abteilung: Werke (Bd. 1–9); II. Abteilung: Briefwechsel (Bd. 10–13); III. Abteilung: Nachlaß (Bd. 14–23); IV. Abteilung: Vorlesungen (Bd. 24–29), hg. v. der Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften. Berlin 1900 ff.
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Abréviations et éditions / Siglen und Werkausgaben GMS KpV KrV KU Log. MAN MS Prol. Rel.
Grundlegung zur Metaphysik der Sitten, AA 4. Kritik der praktischen Vernunft, AA 5. Kritik der reinen Vernunft, AA 4 (1. Aufl.); AA 3 (2. Aufl.). Kritik der Urtheilskraft, AA 5. Logik. Ein Handbuch zu Vorlesungen, AA 9. Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft, AA 4. Metaphysik der Sitten, AA 6. Prolegomena zu einer jeden künftigen Metaphysik, AA 4. Die Religion innerhalb der Grenzen der bloßen Vernunft, AA 6.
3. Fichtes Werke GA
Johann Gottlieb Fichte: Gesamtausgabe der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, I. Werke; II. Nachgelassene Schriften; III. Briefe; IV. Kollegnachschriften, hg. v. der Fichte-Kommission der Bayerischen Akademie der Wissenschaften. Stuttgart-Bad Cannstatt 1962–2012.
4. Hegels Werke GW
TWA
DS Enz. I/II/III GuW
NR
Phän. Rph WdL
Georg Wilhelm Friedrich Hegel: Gesammelte Werke, in Verbindung mit der Deutschen Forschungsgemeinschaft hg. v. der Nordrhein-Westfälischen Akademie der Wissenschaften und der Künste. Hamburg 1968 ff. Georg Wilhelm Friedrich Hegel: Werke in zwanzig Bänden. Theorie-Werkausgabe, auf der Grundlage der Werke von 1832–1845 hg. v. Eva Moldenhauer/Karl-Markus Michel. Frankfurt a. M. 1969–1971 u. ö. Differenz des Fichteschen und Schellingschen Systems der Philosophie, GW 4; TWA 2. Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften, GW 13, GW 19–20; TWA 8–10. Glauben und Wissen oder Reflexionsphilosophie der Subjektivität in der Vollständigkeit ihrer Formen als Kantische, Jacobische und Fichtesche Philosophie, GW 4; TWA 2. Über die wissenschaftlichen Behandlungsarten des Naturrechts, seine Stelle in der praktischen Philosophie und sein Verhältnis zu den positiven Rechtswissenschaften, GW 4; TWA 2. Phänomenologie des Geistes, GW 9; TWA 3. Grundlinien der Philosophie des Rechts, GW 14; TWA 7. Wissenschaft der Logik, GW 11–12, GW 21; TWA 5–6.
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Abréviations et éditions / Siglen und Werkausgaben Ästh. I/II/III Vorlesungen über die Ästhetik, TWA 13–15. GeschPh I/II/III Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie, TWA 18– 20. PhGesch Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte, TWA 12. PhRel I/II Vorlesungen über die Philosophie der Religion, TWA 16–17.
5. Platons Werke Platon
Platonis opera, 5 Bde., hg. v. John Burnet. Oxford 1900–1907.
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Index des noms propres / Namensregister
Adorno, T. W. 132, 139 Agamben, G. 331, 334 sq., 338–343, 347, 351 sq. Arendt, H. 126 Aristote / Aristoteles 42, 138, 156, 164, 170, 224, 261, 275, 277, 281, 284, 306 Aubenque, P. 265 Augustin d’Hippone / Augustinus von Hippo 115, 138, 154, 229 von Balthasar, H. U. 332, 336 Barbarić, D. 87, 219 Barbey d’Aurevilly, J. A. 105–121 Beaufret, J. 258, 264, 268 Beckers, H. 27, 332 Bellantone, A. 5 Bengel, J. A. 333 Benjamin, W. 350 Bensussan, G. 174, 293 Benz, E. 333 Berg, F. 331 von Bethmann-Hollweg, T. 181 Beyer, C. A. 343 Bloch, E. 333 Böhme, J. 147 sq., 169, 211, 333, 335 Bouyer, L. 333 Bowie, A. 239 Brandt, R. 62 sq. Breton, S. 333 Brito, E. 332 Bröcker, W. 229 Brown, R. F. 211 Buchheim, T. 212, 219, 273 Byron, G. G. 108
Cacciari, M. 5 Caligula 16 Calixte 110 Cattin, E. 301 Chenu, M.-D. 333 Chrysostome, J. / Chrysostomos, J. 343 Clark, D. L. 212, 239, 244, 251 Cohen, J. 292 Courtine, J.-F. 107, 177, 212, 245, 259, 261, 302 Cousin, V. 27 Daniélou, J. 333 Danz, C. 331 sq. David, P. 92, 212 Del Prete, M. 161 Deleuze, G. 246–249, 309–311, 314, 321 Denys l’Aréopagite / Dionysius Areopagita 142 Deroitte, É. 350 Derrida, J. 30, 209–212, 239–251 Descartes, R. 6, 35, 43 sq., 47, 49, 284 Dews, P. 239 Dionysos 240, 267, 327 sq., 345 Döllinger, J. J. I. 332 Drey, J. S. 332 Dupuigrenet-Desroussilles, G. 189, 193 Dworkin, R. 340 Maître Eckhart / Meister Eckhart 38, 268, 301 Ehrenberg, H. 141, 160, 164 Ehrenberg, R. 141, 151 sq., 160, 176
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Index des noms propres / Namensregister Ehrhardt, W. E. 177, 343 Engels, F. 3, 186, 191, 193–195, 199– 201, 203 von Eschenmayer, C. A. 113, 257 Eschweiler, K. 332 Esposito, C. 92 Fesler, C. F. 343 Festus, S. P. 338 Feuerbach, L. 14, 55 Fichte, J. G. 3, 28 sq., 31, 56 sq., 142, 144 sq., 175, 179, 216, 261, 319 sq. Fleischer, M. 81 Fournials, J.-B. 343 Frank, M. 53–57, 239 Freud, S. 58, 83, 125, 128, 132–136, 138 Friedrich, H.-J. 211, 224 Froman, W. J. 212, 218 Fuchs, O. 332 Gabriel, M. 225, 242, 282, 348 Gadamer, H.-G. 278 Galli, P. 101 Gataker, T. 343 von Georgii, E. F. 14 Gilson, É. 257, 264 sq. Greisch, J. 331 Gusdorf, G. 333 Gyenge, Z. 9 Habermas, J. 333 Hamann, J. G. 333 Le Hardouey, J. 108 Harris, H. 174 Hatem, J. 121 Hegel, G. W. F. 3, 6, 25, 29, 31, 33, 44, 55, 57–59, 61, 65 sq., 105 sq., 133, 160, 162, 164, 173–180, 182, 186, 188–191, 194, 200, 213, 216, 228 sq., 238, 241, 243, 260 sq., 267 sq., 278, 281, 284, 286, 291– 293, 296, 302, 306, 309 Heidegger, M. 3, 85 sq., 92, 94–99, 101–103, 127, 137 sq., 142, 180, 209–239, 244–251, 257–271, 273– 286, 289, 302 sq., 305 sq., 328
Heine, H. 128 Hennigfeld, J. 225, 273 Höfele, P. 218 sq., 222 Hoffmann, E. T. A. 128 Hölderlin, F. 54, 139, 179, 260, 286 Hollerbach, A. 180, 182 Hufnagel, C. 162 Hühn, L. 142, 212, 222 Hünermann, P. 332 Hutter, A. 4, 22 Jabès, E. 240 Janke, W. 22 Jankélévitch, V. 267 sq. Jaspers, K. 227, 229, 257, 263, 266, 269–271, 278 Jean Damascène / Johannes von Damaskus 343 Jean l’Évangéliste / Johannes, der Evangelist 144 Jésus de Nazareth / Jesus von Nazareth 151 sq., 158, 168, 345–347, 349 Jung, C. G. 128 Kant, I. 4, 7, 9, 11, 13, 25–29, 32, 39, 41, 50 sq., 53–59, 61–66, 72 sq., 76, 78, 82 sq., 87–91, 94, 105 sq., 108, 112, 138 sq., 175 sq., 179, 189, 260, 264, 281, 284, 333, 337 Kasper, W. 332 Kaufmann, S. 213, 218 Kessler, M. 332 Kierkegaard, S. 9, 71 sq., 76–80, 83 sq., 151, 162, 257, 263, 266, 269– 271 von Kleist, H. 128 Köhler, D. 212 sq., 224, 281 Köppen, F. 331 Krell, D. F. 225, 251 Kuhlenbeck, L. 161 von Kuhn, J. 332 Lacoue-Labarthe, P. 174 Leibniz, G. W. 6, 45 sq., 80, 229, 266, 332
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Index des noms propres / Namensregister Lessing, G. E. 332, 336, 348 Levinas, E. 240–242, 257, 264 sq. de Lubac, H. 333 Lukács, G. 185–195, 198–203 Lyotard, J.-F. 65 Maesschalck, M. 185 de Maistre, J. 110 Malevez, L. 333 Marc Aurèle / Mark Aurel 343 Marcus Antoninus 343 Marschler, T. 332 Marx, K. 55, 260, 333 Maximilian II. 177 McCarthy, V. A. 331 Meinecke, F. 178 Metz, J. B. 335 Möhler, J. A. 332 Moïse / Moses 148 Moltmann, J. 332, 336–338 de Montaigne, M. E. 129 Mosès, S. 333 Nancy, J.-L. 174, 350 sq. Néron / Nero 16 O’Meara, T. F. 331 sq. Oeser, E. 195 sq., 200, 207 Oetinger, F. C. 333, 335 Ohashi, R. 224 Origène / Origenes 144, 147, 152, 157, 343 Pareyson, L. 85 sq., 92, 99–103 Pascal, B. 117, 135, 139 Paul de Tarse / Paulus von Tarsus 168, 349 Peetz, S. 206 Petau, D. 234, 243 Petit, J. 111 Pilgram, F. 332 Platon 16, 18, 31, 126, 131, 133, 156, 181 sq., 224, 261, 275, 281, 284, 317 Plitt, G. L. 9 Plotin 100
Pöggeler, O. 286 Potestà, G. L. 333 Proust, M. 127 sq., 131 sq., 137 Richter, G. 334 Rilke, R. M. 117 Rosenstock-Huessy, E. 141, 151–156, 158, 160, 162 Rosenstock-Huessy, M. 175 sq., 181 Rosenzweig, A. 175, 178, 181 Rosenzweig, F. 135, 141 sq., 151–170, 173–182, 333, 346 Rosenzweig, G. 175, 178, 181 Sabbatai Zwi 333 Salat, J. 331 Sartre, J.-P. 71–73, 80–84, 257, 260, 264 sq., 269 Satan 109–112, 114 Schäfer, P. 142 Scheffczyk, L. 332 Scheier, C.-A. 212, 219 Scheler, M. 274, 277 Schmitt, C. 180, 332, 339 Scholem, G. 333 Schopenhauer, A. 56–58, 61, 66, 85– 89, 91, 97, 103, 131, 190 Schubert, G. H. 128 sq., 133–135 Schulz, W. 5, 206, 227 Schulze, G. E. 56 Schüßler, I. 258 Schwab, P. 79 sq., 209, 213, 225, 229, 242, 278 Schwenzfeuer, S. 229, 239, 278 Seckler, M. 332 Seubold, G. 258 Skempton, S. 239 Socrate / Sokrates 125, 132, 297 sq. Sombreval 110 Spinoza, B. 7 sq., 14, 17, 47, 56, 261, 332 Stambaugh, J. 212 Staudenmaier, F. A. 332 Stendhal (H.-M. Bayle) 109 Strummiello, G. 92 Swedenborg, E. 333
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Index des noms propres / Namensregister Thils, G. 333 Thomas d’Aquin / Thomas von Aquin 114 Thomasius, C. 332 Tillich, P. 332, 337 Tilliette, X. 12, 332 Torty 109 Trebutien, F. G. S. 105, 119 Vater, M. G. 212 Vaughan, W. 212 Vetö, M. 7, 13 sq., 16 sq., 206, 257
de Vigny, A. 109 Voltaire 125, 139 Warnek, P. 212 Weber, M. 154 Weiller, J. 189, 193 Willm, J. 105–107, 109, 115–120 Windelband, W. 195 Wolff, C. 15, 164, 189, 261 Xhaufflaire, M. 335 Žižek, S. 210
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Index thématique / Sachregister
abîme / Abgrund 5, 40, 80, 100 sq., 112, 168, 200, 247, 249–251, 280, 295, 300, 310, 320 acte intelligible / intelligible Tat 71– 76, 78–80, 82–84 caractère intelligible / intelligibler Charakter 76, 82, 87–91 christianisme / Christentum 4, 18, 76, 83, 99, 137, 141 sq., 144, 151– 156, 158, 166, 168, 192, 194 sq., 197, 224, 280 sq., 283 sq., 334, 337 sq., 340, 343, 346–350 création / Schöpfung 18–20, 41 sq., 45, 48 sq., 51, 75 sq., 90, 100, 130, 136, 147 sq., 158, 161, 163–165, 178, 236 sq., 268, 311 sq., 314, 333, 337 sq., 341, 344 – artistique / künstlerische 105, 107, 118 sq. Dieu / Gott 3–8, 10–22, 30, 38–42, 44–48, 50, 72 sq., 75, 83, 85 sq., 92– 102, 111, 113–115, 117, 136, 142, 144, 146–148, 150, 152–170, 182, 191–193, 195–199, 201 sq., 205, 219, 231, 234, 236–238, 240, 242, 261 sq., 266, 268 sq., 280 sq., 289, 292, 300, 302–306, 310–314, 327– 329, 333, 335–338, 340–343, 346, 351 – Dieu à venir / kommender Gott 289, 302, 306, 336 échec / Scheitern 211–217, 220–223, 280 sq., 285, 314, 329
empirisme / Empirismus 22, 25, 27– 30, 32–37, 39, 93, 241 sq. essence / Wesen 7, 16 sq., 20, 48, 50 sq., 55, 72, 74, 77, 88, 94, 96, 100, 163, 167–169, 181, 187, 201, 215, 217 sq., 226, 232, 234, 237, 249, 267, 273, 279, 282, 285 sq., 291, 294, 302 sq., 312, 316, 345 état / Staat 173–182 existence / Existenz 3–7, 11, 14–16, 19–22, 26–28, 39, 41 sq., 45–51, 55, 58 sq., 71–74, 77, 80, 82, 84, 88, 94– 96, 100–102, 113, 146, 149, 162– 167, 170, 175, 185, 189, 194, 199– 203, 205, 212, 219 sq., 223–227, 230–238, 249, 257, 261–264, 266– 270, 273, 275, 277, 279–282, 284 sq., 310–312, 317 sq., 320, 334, 343, 346, 350 finitude / Endlichkeit 18, 30, 72 sq., 78, 82, 96 sq., 117, 226 sq., 259 sq., 262, 275 sq., 278, 281 sq., 285, 289, 341 fond / Grund 9, 40, 54, 72, 76, 80, 83, 95, 102, 157, 160 sq., 163 sq., 169, 212, 219–221, 223, 225, 227 sq., 230–239, 245–251, 261–264, 266– 268, 279 sq., 285, 295, 299, 309– 313, 324, 327–330 – fondement originaire / Urgrund 225, 236, 248, 251 – sans-fond / fond sans fond / Ungrund 161, 169, 209–211, 223–228, 230–238, 242, 245 sq., 248–251, 295, 300, 311, 313 sq., 327
367 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
Index thématique / Sachregister idéalisme / Idealismus 3, 7, 12–14, 22, 25 sq., 28 sq., 39, 53–55, 57 sq., 61, 80, 83, 87, 90 sq., 118 sq., 141 sq., 164, 176, 188–190, 206, 214–216, 220, 222, 227, 230, 259–261, 264, 271, 275, 278, 281–284, 286, 309, 332, 340 incommensurable / Unverfügbares 48, 53, 65 sq., 141 sq., 165 inconscient / Unbewusstes 76, 82, 92, 115 sq., 118–120, 125 sq., 128, 131, 133–137, 139, 144, 147, 327 sq., 330 irrationalisme / Irrationalismus 21, 185 sq., 188–191, 193, 199, 202, 206 sq. judaïsme / Judentum 141 sq., 151– 158, 160, 166, 169, 177, 333, 337 liberté humaine / menschliche Freiheit 14, 74, 83 sq., 86, 102, 213, 215, 229 sq., 247 sq., 266, 268, 279, 312 mal / Böses 63, 65, 72–76, 80, 84, 86, 99 sq., 102, 105, 107, 109–115, 147, 150, 169, 215, 218 sq., 230, 234, 237, 245, 247 sq., 266 sq., 280, 312 sq., 315, 330, 333, 343 – métaphysique du mal / Metaphysik des Bösen 209, 211–213, 216 sq., 221 sq., 227, 233, 235, 263, 266, 279, 286, 311 obscur / Dunkles 84, 102, 127, 129, 132, 157, 160, 164, 169, 262, 266– 268, 281, 310–314, 325, 327 sq.
philosophie négative / negative Philosophie 4, 6, 21 sq., 30, 36, 39, 41 sq., 45, 49–51, 59–61, 93–95, 161, 194, 198, 200, 204, 283 sq., 295–298, 331, 348 philosophie positive / positive Philosophie 4, 6–11, 13, 16–19, 21 sq., 30, 33 sq., 41 sq., 45, 50 sq., 53, 59, 61, 65, 92–95, 102, 141, 161, 170, 185, 192, 194 sq., 197, 199 sq., 203, 206, 273, 283–285, 289, 295, 297 sq., 306, 331, 342, 344 sq., 347 sq., 350 sq. preuve ontologique / ontologischer Gottesbeweis 6 sq., 21 providence / Vorsehung 331, 334– 338, 340–342, 345, 350 psychanalyse / Psychoanalyse 83, 125, 133, 135–139 puissance / Potenz 7, 11–13, 17 sq., 22, 36, 39 sq., 42, 45–48, 50, 93, 200 sq., 205, 221, 223, 226, 290, 315, 320 sq., 323, 326, 328, 335–337, 343–349 raison / Vernunft 4–8, 21 sq., 29, 35, 37, 39 sq., 59, 61–66, 82, 90, 94, 109, 128 sq., 131, 146, 155, 163, 185, 187–195, 199–207, 240, 281, 300, 312, 337, 346 sq. retrait / Entzug 210, 219, 225–227, 231, 233, 235, 251, 295, 305, 323, 329 salut / Heil 110, 158, 333–336, 338– 343, 345, 347–350 temporalité / Zeitlichkeit 46, 60, 79, 129–132, 135, 138 sq., 149, 276, 301–305, 317, 342
368 https://doi.org/10.5771/9783495808146 .
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