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French Pages 7 [9] Year 2001
LETTRE AUX AMIS DES FRÈRES ET DES SŒURS DE SAINT-JEAN
N° 62
TRIMESTRIEL
Septembre 2001
20 F le numéro
Sommaire Septembre 2001 Nouvelles de la Communauté -Editorial (p.JEAN-PIERRE-MARIE).................................................................................................................... p. 1 - Lettres et chroniques Le message du père Marie-Dominique PHILIPPE........................................................................................ p. 3 Chronique des sœurs apostoliques................................................................................................................. p, 4 - La naissance au ciel de sœurFaustine...................................................................................................................... p. 6 - Ordinations à Vézelay (23 juin 2001) Mot d'accueil de Mgr GeorgesGILSON, Archevêque de Sens-Auxerre....................................................... p. 10 Mot de Mgr Louis-Marie BILLÉ, Archevêque de Lyon, Primat des Gaules................................................. p. 10 - Maisons et prieurés Rimont : Homélie du p. JEAN-EMMANUEL lorsde la Messe d'enterrement de sr. Faustine........................... p.11 Pellevoisin........................................................................................................................................................... p.13 Troussures........................................................................................................................................................... p.14 Bucarest (Roumanie).......................................................................................................................................... p.16 -Engagements............................................................................................................................................................... p.20 - Foru?n de la famille Saint-Jean (Souvigny , 2-4 juin 2001) Conférence du p. M-D PHILIPPE, o.p. :"Le mystère de la Famille"...........................................................p.23 Témoignages - sr MARIE-ODILE, pèresJEAN-PIERRE-MARIE, PHILIPPE-MARIE, MARIE-ALAIN: " Celui dont nous témoignons, c'est le Christ "..................................................................................... p. 32 - Les 'Enfants de la rue", Saint-Jean Education, un jeune couple, une oblate : "Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures" ........................................................ p. 39
Vie de l’Association Le mot du trésorier (André DAVID)................................................................................................................. encart
Enseignement - Homélie de S.E. le Cardinal Louis-Marie BILLÉ (Ordinations, Vézelay, 23 juin 2001)................................... p. 56 - Homélie du p. M-D PHILIPPE (Professions perpétuelles, Souvigny, 3 juin 2001).......................................... p. 59 - Homélie du p. M-D PHILIPPE (Professions simples, Souvigny, 4 juin 2001)..................................................p. 61 -Vivre du mystère du Cœur blessé de Jésus (p. JEAN-PIERRE-MARIE)............................................................. p. 65 -Avec saint Jean, contempler le visage de Jésus (p. M-D PHILIPPE, o.p.)......................................................... p. 70 - Pour nous, la sainteté c'est le Christ (p. M-D PHILIPPE, o.p.)......................................................................... p. 77
"Rencontres” - Ecole Saint-Jean Prieurés - Troussures........................................................................................................................................................... p. 86 - Orléans : Sessions............................................................................................................................................... p. 89 Cours d'iconographie.......................................................................................................................... p. 92 - Libramont (Belgique)........................................................................................................................................ p. 91 Associations amies - C.E.PHI.................................................................................................................................................................... p.93 -JeunesseJohannique............................................................................................................................................... p.94 - CJ3A- .Alliance Saint-Jean.........................................................................................................................................p.97 Pèlerinages - Irlande......................................................................................................................................................................p.98 - Ile-Bouchard, Notre-Dame de la prière.................................................................................................................. p.99 - Sinaï.................................................................................................................................................................. p. 101
- Publications -Je suis venu jeter un feu sur la terre (p. M-D PHILIPPE , o.p.) .......................................................................p. 22 - De Vilnius à Pondichéry (J-F. VIVIER) , Éd. du Triomphe.............................................................................. p. 54 -A l'écoute de la Sagesse (Cassettes / conférences du p. M-D PHILIPPE)........................................................ p. 75 - L'écho d'Abel (fr. FRANçOIS-NOEL Deman), Éditions Grégoriennes............................................................ p. 75 -Aletheia (École Saint-Jean).............................................................................................................................. p. 103 «Lettre aux Amis des frères et des sœurs de Saint-Jean» ISSN 1266-5452
Pour nous la sainteté c’est le Christ1 Le Saint-Père, dans sa lettre apostolique, nous montre le grand élan nouveau dont l'Eglise a besoin au point de départ de ce troisième millénaire, et c'est l'attraction de Jésus sur nous qui doit réaliser en nous ce grand élan : élan personnel et élan communautaire, puisque Dieu a voulu que dès le point de départ l'homme ne soit pas seul, qu'il y ait la communauté familiale - c'est une volonté de Dieu. Et Jésus, après les quarante jours au désert, a fondé une nouvelle famille en choisissant les Apôtres ; et on peut dire en effet que les Douze forment une véritable famille apostolique, et toute famille religieuse apostolique doit ressembler à cette première petite communauté. Et on voit que ce n'était pas facile, qu'il y avait des petites discussions et des petites difficultés entre les Apôtres ! Je n'en citerai qu'une : lorsque la mère des fils de Zébédée, Jean et Jacques, fait une demande à Jésus avec toute son ardeur de mère2. On comprend très bien cela : quand une mère voit son fils entrer dans une communauté, elle a le désir qu'il soit Abbé, qu'il soit à la tête de la communauté... ou au moins à côté de celui qui y est ! La mère de Jacques et Jean demande à Jésus que ses fils soient, dans son royaume, ses ministres. Cela scandalise les autres Apôtres, et on voit comment Jean lui-même s'est sanctifié, lentement mais aussi rapidement, parce que le Saint-Esprit est très rapide ! Il l'est bien plus que nous tous et bien plus que le T.G.V. ! il veut que les choses se fassent vite. Et en même temps il est doux et sait que les hommes ont besoin de réfléchir, et de réfléchir beaucoup, avant de prendre des décisions profondes. C'est pour cela, du reste, que l'Eglise veut des premiers vœux, puis d'autres au bout de quatre ans. Il faut beaucoup réfléchir... Le Saint-Père, dans sa lettre apostolique, nous rappelle l'urgence, pour nous, de vivre en présence du Christ3 : le visage de Jésus doit être imprimé au 1. Conférence du père Marie-Dominique Philippe à Souvigny, le 4 juin 2001. 2. Mt 20, 20 sq. 3. Voir Novo millennio ineunte, 16 : ""Nous voulons voir Jésus" (Jn 12, 21). Cette demande, présentée à l'Apôtre Philippe par quelques Grecs qui s’étaient rendus en pèlerinage à Jérusalem à l'occasion de la Pâque, résonne aussi spirituellement à nos oreilles en cette Année jubilaire. Comme ces pèlerins d'il y a deux mille ans, les hommes de notre époque, parfois inconsciemment, demandent aux croyants d'aujourd'hui non seulement de "parler" du Christ, mais en un sens de le leur faire "voir". (...) Notre témoignage se trouverait toutefois appauvri d'une manière inacceptable si nous ne nous mettions pas d'abord nous-mêmes à contempler son visage. Le grand Jubilé nous a assurément aidés à le faire d'une manière plus profonde. Au terme du Jubilé, tandis que nous reprenons le chemin de la vie ordinaire, conservant en nous la richesse des expériences vécues en cette période toute spéciale, notre regard reste plus que jamais fixé sur le visage du Seigneur ". - Et dans son homélie de l'Ascension (messe de clôture du Consistoire, le 24 mai 2001), le Saint-Père insistait : " L'altum vers lequel l'Eglise doit aller, n'est pas seulement un engagement missionnaire plus profond, mais, plus encore, un engagement contemplatif plus intense. Nous sommes également invités, comme les Apôtres témoins de l'Ascension, à fixer le regard sur le visage du Christ, enveloppé par la splendeur de la gloire divine " (L'Osservatore romano, 2676, 29 mai 2001). 77
plus intime de notre âme. On pense ici au geste de Véronique essuyant le visage du Christ durant le chemin de Croix : le visage du Christ reste fixé sur ce voile... Que ce soit historique ou légendaire, peu importe, c'est un très beau symbole que l'Eglise a toujours maintenu. Et le vrai voile de Véronique, c’est bien le cœur de Marie. Dans le cœur de Marie s'est fixé le regard du Christ portant sa Croix. Et cela, c'est vrai pour chacun d'entre nous : le vrai visage du Christ s'imprime dans notre cœur, et il faut que pour nous ce soit la présence dominante, celle qui prenne tout, qui nous aide et nous soutient. Que ce soit le visage du lion ou celui du jeune taureau, ou le visage le plus attirant et le plus fort que puisse avoir un homme, ou le visage de l'aigle en plein vol (selon l'Apocalypse4) ce sont là les quatre aspects dominants du Christ pour nous, et il faut que ce visage nous reste toujours présent. C'est notre unique référence, c'est notre unique fin, c'est lui qui doit constamment nous attirer. Après nous avoir rappelé cela, le Saint-Père montre comment ce renouveau va pouvoir se réaliser en nous, dans nos familles : familles de la terre, familles humaines, chrétiennes (union de l'homme et de la femme, de l'époux et de l'épouse dans une grande amitié) ou familles religieuses : dans une communauté religieuse, c’est Jésus qui a choisi chacun des religieux ou des religieuses et les a appelés par leur nom, comme il avait choisi chacun des Apôtres. A tous le Saint-Père rappelle d'une manière très forte : "Et tout d'abord je n'hésite pas à dire que la perspective dans laquelle doit se placer tout le cheminement pastoral est celle de la sainteté"5. C'est très émouvant, d'entendre cela. Le Saint-Père nous rappelle que le cheminement de toute la pastorale, et donc le chemin que nous devons suivre (ce chemin qui estJésus lui-même1') doit être la sainteté. Pour nous la sainteté, c'est le Christ, c'est notre amour du Christ, c'est notre intimité avec le Christ. Nous n'avons qu'une seule sainteté, c'est Jésus. "Les parcours de la sainteté sont personnels'^ La sainteté est essentiellement personnelle. Nous disons, en parlant de la Très Sainte Trinité : "le Dieu trois fois saint"8. Il y a donc la sainteté du Père, la sainteté du Fils et la sainteté de l’Esprit Saint, du Paraclet. Nous ne disons pas "le Dieu trois fois parfait", ni "le Dieu trois fois sage", ni "le Dieu trois fois intelligent", mais nous le disons "trois fois saint". La sainteté est caractéristique de la personne. C'est une personne qui est sainte, il faut bien se rappeler cela. La sainteté du Christ, c'est la sainteté de sa personne, du Verbe, Fils du Père, qui s'est incarné. La sainteté de Marie, c'est d'être Mère de Dieu. La plus grande chose que Dieu ait réalisée dans sa créature, c'est la maternité divine de Marie9. Jésus est Dieu, sa sainteté est celle du Verbe de Dieu ; tandis que la sainteté de Marie est participée, elle est une participation à celle de Dieu, à celle du Christ. Elle est sainte dans sa maternité divine ; et nous ? quelle est notre sainteté à 4. Ap 4, 7. 5. Novo millennio ineunte, 30. 6.Jn 14, 6. 7. Op. cit., 31. 8. Ap 4, 8 ; cf. Is 6, 3. 9. Voir saint Thomas, Somme théologique, I, q. 25, a. 2, ad 4.
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nous ? c'est une sainteté d'enfant de Dieu, une sainteté d'enfant du Christ et de la Très Sainte Vierge. Nous avons en Jésus un modèle et il est pour nous le terme, le but, la fin ; mais il ne fautjamais oublier que Dieu nous a donné Marie. Et pour nous la sainteté de la petite Thérèse est très importante parce qu'elle est très simple ; cela ne veut pas dire qu'elle soit facile à acquérir ! mais elle est très simple. Nous nous faisons une image idéale de la sainteté, atteinte à force d'actes héroïques ; quand on parle de sainteté, on voit tout de suite un saint dans une niche, quelque chose d'exceptionnel. Le Saint-Père vient nous rappeler que ce n'est pas exceptionnel, que cela doit être pour tous les chrétiens ; par le baptême, par notre filiation divine, nous sommes tous appelés à être saints. Mais chacun d'entre nous est appelé à une sainteté spéciale, même à l'intérieur de la Communauté Saint-Jean : la sainteté de ceux qui feront profession simple tout à l'heure est un premier pas vers la sainteté, et un pas très sûr ; quant aux professions perpétuelles d'hier, ce n'est pas un terme, c'est un nouveau départ, et la sainteté de ces nouveaux profès perpétuels se caractérisera dès le lendemain de leur profession. Voyez si demain ils sont encore de bonne humeur, et s'ils cherchent encore la sainteté ! S'ils disaient : "La sainteté, maintenant que j'ai fait profession, ça y est, c'est arrivé !", ils se tromperaient, comme s'ils étaient arrivés sur un haut-plateau et que, regardant de là les autres, ils disaient : "Moi, j'ai fait profession perpétuelle !". Non, il n'y a pas de hautplateau, on doit toujours gravir, monter pour atteindre le haut de la montagne. Il peut y avoir parfois un petit moment de haut-plateau, huit jours de hautplateau, mais vite il faut se reprendre. II.y a aussi la sainteté des gens mariés, de tous les chrétiens qui se dévouent dans le monde, du laïcat consacré, des veuves, des veufs : ils sont tous appelés à la sainteté. Et que veut dire "être appelé à la sainteté" ? Cela veut dire : être appelé à aller toujours plus loin dans l'amour. La petite Thérèse avait découvert cela spontanément, sous le souffle de l'Esprit Saint : "Dans le cœur de l'Eglise, ma Mère, je serai l'Amour""’. La sainteté, c'est aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute son intelligence et de toute sa force, et c'est le premier commandement". Ce n'est pas facile, et en même temps c'est ce qu'il y a de plus simple, parce que c'est ce qu'il y a de plus enraciné en nous. On ne peut pas aimer quelqu'un de meilleur que Jésus, que le Père : Dieu est souverainement bon, infiniment bon. Notre sainteté est celle du Fils La sainteté du Fils est d'être tout entier relatif au Père par l'amour. C'est cela, la sainteté du Fils ; parce que le Fils de Dieu n'est pas comme un fils humain qui grandit et puis, une fois devenu entièrement autonome, vient dire bonjour à son père de temps en temps mais il n'a aucune envie de rester toujours relatif à son père - il ne le peut pas, du reste. Si notre sainteté est celle du Fils, elle consistera à être de plus en plus relatif au Christ, à faire en sorte qu'il soit de plus en plus présent pour nous, que 10. Ms B, 3 v°, in Œuvres complètes, éd. du Cerf, Desclée de Brouwer, 1996, p. 226. 11. Voir Mt 22, 37-40 ; Mc 12, 28-31 ; Le 10, 25-27. 79
toutes nos actions soient ordonnées au Christ pour que nous soyons plus proches de lui. Ainsi notre travail, qui prend tant de place dans notre vie, ne doit pas être fait uniquement pour répondre à des besoins matériels. C'est très bien, de travailler pour gagner l'argent nécessaire pour élever une famille, mais ce n'est pas le but dernier, car le chrétien travaille pour glorifier Jésus, pour lui montrer qu'il l'aime ; c'est par amour pour Jésus, et pour son épouse et ses enfants, qu'il travaille. Le travail est ainsi un moyen merveilleux de sanctification, et il prend une grande place dans notre vie. La détente, se reposer, c'est quelquefois nécessaire. Dieu a repris notre frère Théophile pendant qu'il jouait au football ! C'est extraordinaire, cela, pour nous rappeler que même quand il y a des détentes, Dieu est là, et que tout doit être offert à Jésus. C'est pour aimer plus Jésus qu'on se détend, qu'on se repose. Quand on se repose, ce n'est pas uniquement pour retrouver des forces, c'est pour aimer plus Jésus, et à ce moment-là on doit lui donner plus de temps (parce que quand on travaille, on n'a pas toujours assez de temps). La sainteté, c'est vivre relatif à Jésus comme lui est relatif au Père. Voilà la sainteté de notre personne : tout ce que nous faisons par nous-mêmes doit être relatif àjésus. On a appris cela quand on était petit, on l'a oublié quand on a grandi, et on doit le retrouver. Le Saint-Père désire que toute l'Eglise retrouve cela, que tous les foyers retrouvent cela, que toutes les communautés religieuses reprennent radicalement ce pour quoi elles existent. Si un religieux ne cherche pas la sainteté, sa vie est vaine, c'est-à-dire qu'elle n'a pas de fin. Et c'est vrai : faire de gros sacrifices, si ce n'est pas pour devenir saint, cela n'a pas de sens. Tous les sacrifices que nous faisons dans notre vie (et il y en a I), toutes les luttes par lesquelles nous passons, tout cela doit être ordonné àjésus en vue de l'aimer plus, d'être plus proches de lui, pour qu'il prenne une place plus grande dans notre vie et que nous soyons plus relatifs à lui. Notre sainteté est personnelle. Nous n'avons pas à imiter un tel ou un tel dans notre vie ; on n'imite que Jésus, on n'imite que Marie. Et c'est directement ce lien avec Jésus et Marie, dans la foi, qui fait notre sainteté. La prière : un cœur à cœur avecJésus Cette sainteté, pour être vraie dans notre vie, a besoin de la prière, et pas seulement du travail quotidien, du travail matériel. Certes, on peut se sanctifier en faisant la cuisine, mais il faut par moments déposer le tablier et prendre la tenue de prière ; et la tenue de prière, c'est quoi ? c'est être revêtu du Christ12, et chacun de nous est, par son baptême, revêtu du Christ - c'est ce que manifeste le vêtement religieux. Il faut prendre du temps pour la prière, brûler du temps pour Dieu. C'est cela, la prière, l'oraison : un temps qu'on brûle pour Dieu, un temps où on désire vraiment un cœur à cœur avec Jésus. La charité est une amitié avec Jésus ; or, entre amis, on a besoin de temps en temps de se retrouver seul avec son ami, de pouvoir parler d'une façon intime, fraternelle, dire ce qu'on porte dans son cœur, dire à son ami lajoie qu'on a de le retrouver, de pouvoir lui dire : "Je t'aime". Et c'est grand, dans la vie, de pouvoir dire : 12. Gai 3, 27.
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"Je t'aime". AJésus on peut toujours le dire, et on pourrait ne faire que cela dans la prière. On connaît l'histoire que raconte le Curé d'Ars. Etant au confessionnal toute la journée, il regardait de temps en temps ce qui se passait dans l'église, et il avait remarqué un homme, un paysan, qui tous les jours, après son travail, venait à l'église en tenue de travail, montait tout près de l'autel, tout près du tabernacle, et restait là dix minutes ou un quart d'heure, puis repartait. Cela avait intrigué le Curé d'Ars ; alors, un jour, sortant du confessionnal au moment où ce bon paysan quittait l'église, il est lui-même sorti pour demander à cet homme : "Qu'est-ce que tu fais ?". Et l’homme a répondu simplement : "Il m'avise, je l'avise". C'est une merveilleuse définition de la prière : Dieu, actuellement, me regarde, Jésus actuellement me regarde, Marie actuellement me regarde ; dans la foi je le sais, et c'est la grande réalité de ma vie : Jésus s'occupe de moi. Etant Dieu, il peut s'occuper du monde entier et s’occuper de moi d'une façon très spéciale, tout à fait personnelle. Entre le cœur de Jésus et mon cœur, il y a un lien unique. Entre le cœur de Jésus et le cœur de chacun ou chacune d'entre vous, il y a un lien unique. Lejour où on découvre cela, où on le découvre vraiment, la prière devient toute simple ; c'est venir auprès de Jésus, c'est s’arrêter et le regarder parce qu'il me regarde : le regard du Christ est sur moi, je l'aime ; le regard du Père est sur moi, je l'aime, etje désire l'aimer de plus en plus. C'est reposant, c'est pacifiant. On a besoin de prier tous les jours : dix minutes, un quart d'heure, une demi-heure, et parfois seulement cinq minutes pour un acte d'adoration. Il faut faire un acte profond d'adoration dès le réveil, en se levant, tout de suite, pour offrir àjésus, à Dieu, toute la journée, en disant : 'Je sais que maintenant, actuellement, tu crées mon âme". Car l'acte de création étant éternel en Dieu, est à chaque instant actuel pour moi : actuellement Dieu crée mon âme ; puisqu'actuellement il la crée, je le remercie etje l'adore, etje sais qu'il est mon Père et qu'il m'aime, etje sais que Jésus est mort sur la Croix pour moi, et que tout le mystère de la Croix est pour ma sanctification. Je suis revêtu du sang du Christ. Et c’est pour cela que la prière me conduit directement auprès du tabernacle. Jésus est présent là, pour moi, etje fais comme ce bon paysan ; etje le fais même chez moi, car je ne peux pas courir tout de suite à l'église mais je peux toujours, n'importe où, rejoindre Jésus. Jésus passe les portes fermées, cela nous est dit dans l'Evangile13 ; pour le Christ il n'y a plus de distance. C'est cela qui est merveilleux : il n’y a pas de distance entre Dieu et nous - et là il y a trois modalités de présence : Dieu, en tant que Créateur, est "omniprésent", il est intimement présent à moi, plus présent à moi-même que je ne suis présent à moi-même14 ; les trois personnes divines sont présentes au plus profond de mon cœur par la grâce, et pour vivre davantage de cette présence (celle de la grâce) 13. VoirJn 20, 19. 14. Voir Confessions, III, VI, 11 (Bibliothèque augustinienne 13, p. 383) : " En suivant le sens de la chair, c'est toi que je cherchais, mais toi tu étais plus intime que l'intime de moimême et plus élevé que le sommet de moi-même (interior intimo meo et superior sumnio meo). " Cf. V, II, 2 (p. 465) : "Tu étais devant moi, mais moi j'étais parti loin de moi et ne me trouvais plus moi-même, et moins encore, oh combien ! toi-même". X, XXVII, 38 (BA 14, p. 209) : "Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors (...). Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi...". 81
je viens auprès de Jésus qui se donne à moi dans l'Eucharistie (présence sacramentelle). L'Eucharistie doit être pour tous les chrétiens la lumière du monde, la lumière dans le monde... et dans ce petit monde que je suis. Làje trouve la lumière et l'amour, et je me repose auprès de lui, et je veux être là. Et Marie est là pour nous apprendre à prier. Une vraie mère apprend à son petit enfant à prier ; elle se met à genoux à côté de lui, et quand l'enfant voit sa mère se mettre à genoux à côté de lui, il se dit : "Ah, il doit y avoir quelqu'un là !". Et il est important pour l'enfant de voir son père à genoux, et le père doit prier avec lui quelques minutes ; un enfant n'est jamais gênant, et quand il grandit on l'invite encore à prier. Peut-être ne viendra-t-il plus, il y aura des éclipses, pendant un certain temps il ne viendra plus ... il faudra le laisser libre, il ne faudra pas le forcer, car il faut prier librement, autrement ce n'est pas la peine. Si on prie pour lui il reviendra, parce qu'il a prié quand il était tout petit. Quand on a prié, étant tout petit, à côté de sa mère, cela reste pour toute la vie. Notre mère a été pour nous, quand nous étions petits, le visage de Marie, et Marie prie toujours avec nous. Chaque fois que nous faisons l'effort de prier, Marie est là, et cela nous aide beaucoup. La prière doit s'accompagner du témoignage, nous l'avons vu hier, et il faut découvrir cela dans sa vie. Il faut toujours avoir un pauvre qu'on visite : découvrir un vieillard, découvrir une vieille femme, quelqu'un qui est malade et qui n'a aucune visite. On peut toujours découvrir cela près du lieu où on habite, et si on ne le découvre pas on va à l'hôpital et on demande de pouvoir visiter la personne la plus abandonnée. Nous devons être témoins dans notre vie. Etre témoin, se donner aux autres, cela fait partie de la sainteté. La sainteté a deux mouvements : un mouvement à l'égard de Dieu - l'adoration (sans laquelle nous ne sommes pas vrais) et l'amour pour Dieu -, et un mouvement à l'égard du prochain. Le prochain, il faut l'aimer, il faut pouvoir l'aimer vraiment, et il faut savoir rencontrer le prochain qui est sur notre route, le pauvre qui se dresse à côté de nous et qu'on doit aider, soutenir. Il faut en avoir au moins un, parfois deux, parfois trois. Il faut être témoins du Christ auprès de personnes, et se donner personnellement. Donner pour les " bonnes œuvres ", c'est très bien, mais ce n'est pas suffisant, il faut donner de sa personne. La sainteté est personnelle. Or notre porte-monnaie n'est pas personnel, l'argent que nous avons n'est pas personnel. Ce qui est personnel, c’est ce qui sort de notre cœur et de notre intelligence, ce qui exige de nous de donner un peu de notre temps, par exemple faire une démarche pour visiter un pauvre. C'est très important, de comprendre que la sainteté, c'est communiquer aux autres ce que nous avons de meilleur, donner au pauvre quelque chose de nous-mêmes, une partie de notre cœur. La sainteté, c'est à la fois la pureté du cœur et la communication de l'amour, de notre amour au prochain, à celui que la Providence a mis proche de nous. Le chrétien doit être missionnaire, il doit aller à la conquête de ceux qui, autour de lui, proches de lui, ont quitté Jésus ; il doit au moins essayer de s'approcher d'eux et de leur rappeler que Jésus est mort pour eux, que Jésus est quelqu'un qui les voit et qui les aime. On peut faire cela surtout quand les gens souffrent, quand ils sont malades ; car lorsqu'ils ont besoin d'un soutien, d'un visage humain, ils écoutent mieux. Il faut commencer ces visites aux pauvres très vite dans notre vie. Ne disons pas qu'il n'y a plus de pauvres. Un jour, quelqu'un me disait : "Il n'y a plus 82
de pauvres aujourd'hui, il y a les assurances sociales". Alors je lui ai dit : "La pauvreté matérielle n'est pas la seule pauvreté, et en plus il y a partout des pauvres. Rien d'étonnant à ce que vous n’en rencontriez pas : vous descendez dans les meilleurs hôtels, vous sortez de l'hôtel pour reprendre votre voiture, puis vous roulez et vous ne faites attention à personne ! Vous veillez à n'écraser personne, mais quand vous voyez un pauvre sur la route, qui n'en peut plus, vous ne descendez pas de votre voiture !". Il faut avoir le courage d'être témoin. Attendre le retour du Christ La sainteté, c'est aussi, dans notre espérance, attendre le retour du Christ et ne pas en avoir peur ; le Christ revient, et nous devons savoir, dans notre cœur, dans notre foi et notre espérance, qu'il revient ; nous devons appeler ce retour du Christ, cela fait partie de l'espérance chrétienne. Beaucoup de chrétiens ne tendent plus vers la sainteté parce qu'ils n'attendent plus le Christ : "Voilà deux mille ans qu'on dit que le Christ reviendra et il n'est toujours pas revenu ! alors on a le temps. On commence le troisième millénaire : encore mille ans !". Non, pas du tout ! Il est dit dans les Psaumes que pour Dieu mille ans sont comme un jour15, cela peut donc venir beaucoup plus vite qu'on ne le pense. Nous devons attendre le retour du Christ, cela fait partie de notre vie chrétienne, cela fait partie de notre sainteté : attendre le retour du Christ comme Marie l'a attendu, parce qu'il est l'Ami, il est le Sauveur, il est notre Dieu. Et le Christ reviendra dans un amour d'une miséricorde infinie. Il faut que, dans notre vie, il y ait des moments où nous soyons capables de dire : "Oui, il revient". Car pour chacun d'entre nous, il revient. Et il reviendra peut-être beaucoup plus vite qu'on ne le pense... tant mieux ! Le chrétien doit attendre le retour du Christ avec un très grand amour. Demandez à Marie de vous donner cette espérance-là, et que Marie enveloppe toute votre vie chrétienne, qu'elle transforme votre cœur et qu'elle vous donne toujours une grande force, la force de tout reprendre avec une générosité toujours plus grande. fr. Marie-Dominique Philippe, o.p.
13. Ps 90. 4 ; 2 Pe 3, 8.
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