Les missions militaires au service de la biodiversité 9782759808953

Ce livre aborde les effets néfastes mais aussi bénéfiques des missions militaires sur la biodiversité, et explore commen

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French Pages 132 Year 2012

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Les missions militaires au service de la biodiversité
 9782759808953

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Les missions militaires au service de la biodiversité

Sarah Brunel Préface de Ahmed Djoghlaf Postface de Sami Makki

Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-0747-5 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences 2012

À Éric

Les missions militaires au service de la biodiversité

Remerciements De chaleureux remerciements vont à Sami Makki et à Eladio Fernandez Galiano pour leurs précieux conseils tout au long de l’élaboration de ce document, ainsi qu’à Héliette Ossant. Merci à Clare Shine pour avoir bien voulu partager son expérience sur les parcs pour la paix. Merci à Jorge Orueta, Noémie Gonzales, Philippe Curry et Franck Billeton pour leurs précieux conseils et relectures. Un grand merci à Ahmed Djoghlaf pour son soutien.

Note préalable Cet ouvrage est le résultat d’un travail de recherche et de documentation effectué par l’auteur à titre personnel et n’engage à ce titre que sa propre responsabilité pour les propos qui suivent. Les documentations et sources ont été repectées, citées et référencées avec la rigueur nécéssaire et dans le respect et la déontologie de tout travail de recherche.

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Les missions militaires au service de la biodiversité

Remerciements De chaleureux remerciements vont à Sami Makki et à Eladio Fernandez Galiano pour leurs précieux conseils tout au long de l’élaboration de ce document, ainsi qu’à Héliette Ossant. Merci à Clare Shine pour avoir bien voulu partager son expérience sur les parcs pour la paix. Merci à Jorge Orueta, Noémie Gonzales, Philippe Curry et Franck Billeton pour leurs précieux conseils et relectures. Un grand merci à Ahmed Djoghlaf pour son soutien.

Note préalable Cet ouvrage est le résultat d’un travail de recherche et de documentation effectué par l’auteur à titre personnel et n’engage à ce titre que sa propre responsabilité pour les propos qui suivent. Les documentations et sources ont été repectées, citées et référencées avec la rigueur nécéssaire et dans le respect et la déontologie de tout travail de recherche.

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Sommaire

Remerciements ............................................................................................... 4 Note préalable ................................................................................................ 4 Préface ............................................................................................................ 9 Table des Acronymes ...................................................................................... 13 ■ Introduction ........................................................................................... 15 ■ La biodiversité, un enjeu international ........................................... Qu’est-ce que la biodiversité et comment la protéger ? .................................. Définition et menaces ................................................................................ Les services rendus par les écosystèmes et la biodiversité ............................. Quelles méthodes de protection de la biodiversité ? ................................... Les outils nationaux de conservation..................................................... Les traités environnementaux internationaux ........................................ Le contrôle des marchés internationaux par des méthodes volontaires... L’importance de l’opinion publique ......................................................

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Les missions militaires au service de la biodiversité

Une course à la biodiversité ? ......................................................................... Biodiversité, trafic, corruption et brigades vertes ........................................ Un possible accaparement des terres au nom de la biodiversité ? ................ L’innovation technologique grâce à la biodiversité ...................................... Les traités internationaux perçus comme un nouvel impérialisme ..............

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Quelles relations entre biodiversité, ressources naturelles et conflits ? ........... Les impacts des conflits sur l’environnement .............................................. Le rôle des ressources naturelles dans les conflits ........................................ Le rôle de la rareté ou de l’abondance d’une ressource........................... Mécanismes et interactions sociaux, économiques et environnementaux ............................................................................ Biodiversité et changement climatique ..................................................

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■ La biodiversité pour prévenir des conflits et construire la paix... Un outil de construction de la paix ................................................................ Les Nations unies, chef de file .................................................................... Les évaluations environnementales post-conflits ................................... La biodiversité comme levier économique après un conflit ......................... La reconstruction de l’Afghanistan commence par celle de son environnement .......................................................................... Générer des dividendes avec les beautés naturelles ................................ Contribuer au dialogue et à la coopération : les parcs pour la paix.............. Des législations internationales inefficaces pour protéger la biodiversité en temps de guerre................................................................................ Le projet de code de conduite sur les aires protégées transfrontalières en temps de paix et de conflits armés .................................................... Des recherches pour la prévention de conflits environnementaux .................. L’imagerie satellite pour les suivis de terrain ............................................... Un manque d’outils d’évaluation et de prise de décision en détection précoce ............................................................................. Une alliance entre environnementalistes et militaires pour les suivis de terrain .............................................................................................. Une expérience grandeur nature : l’Environment and Security initiative (ENVSEC) ........................................................................................... L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et l’environnement......... L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.................. Les missions de l’Environment and Security initiative ............................. La question toujours ouverte de l’intervention sur le terrain… ..................

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■ La biodiversité : une bonne opportunité pour les armées.......... 69 L’Inde : rentabiliser les armées à des tâches de protection de l’environnement ................................................................................... 71

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Sommaire

L’Inde : pionnière dans l’utilisation de l’armée à des fins écologiques .......... 71 Les Environmental Task Forces en Inde : un moyen d’engager un dialogue transfrontalier .................................................................... 72 Les États-Unis ou la biodiversité comme outil stratégique de communication .................................................................................... Le premier pas : le verdissement des terrains militaires américains .............. L’intégration de l’environnement aux outils de prise de décision des forces armées américaines ............................................................... Les bases militaires sur le territoire américain ........................................ À l’étranger ........................................................................................... Dans quels types d’opérations l’environnement serait-il pris en compte ? Intégration de l’environnement à la stratégie nationale sécuritaire américaine ............................................................................................ Intégration de l’environnement à la politique étrangère américaine ............ L’Agence américaine pour le développement international (USAID)..... La coopération internationale environnementale du ministère de la défense (DoD) ............................................................................. L’Army Environmental Policy Institute .................................................... Organiser des conférences pour développer des contacts… ........................ … et développer des partenariats dans les zones de commandement .......... L’agriculture et l’environnement, des cibles pour les attaques terroristes ....... Guerre biologique, bioterrorisme et biocrime ............................................. Les guerres biologiques engagées par les États ....................................... Le bioterrorisme ................................................................................... Le biocrime .......................................................................................... Les effets économiques et psychologiques des attaques biologiques ....... Un glissement vers l’écoterrorisme ........................................................ Une sérieuse prise en compte du bioterrorisme dans les réglementations internationale et nationale ....................................................................

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■ Vers des interventions et des ingérences environnementales ?... 97 Les dérapages de la militarisation de l’environnement ................................ 97 Les interventions environnementales : un concept naissant ........................ 99 Lier interventions humanitaires et écologie ................................................ 100 Conclusion ..................................................................................................... Postface........................................................................................................... Bibliographie .................................................................................................. Index...............................................................................................................

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Préface par Ahmed Djoghlaf Secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations unies Secrétaire Exécutif de la Convention des Nations unies sur la Diversité Biologique

Depuis la Révolution Industrielle, l’humanité est entrée dans une ère de changements globaux qui transforment la face de la Terre et dont les effets se feront sentir pour des siècles. Les niveaux de vie augmentent en général et puisent de façon persistante dans les ressources naturelles. L’empreinte de l’humanité n’a jamais été aussi importante. Les pressions sur les fonctions naturelles de la planète causées par les activités humaines ont atteint des niveaux qui compromettent sérieusement, et peut être irrémédiablement, la capacité des écosystèmes à satisfaire les besoins des générations futures. Il existe un lien intrinsèque entre l’état de l’environnement, la biodiversité et l’état de paix ou de conflit entre les régions à travers le monde. La biodiversité aide à maintenir l’équilibre dans beaucoup d’environnements, comme les écosystèmes marins ou les forêts. Cet équilibre est nécessaire pour maintenir la force des écosystèmes et faire face aux catastrophes naturelles ou à des questions comme la pollution et le changement climatique. Un écosystème qui n’est pas diversifié à la fois génétiquement et en terme d’espèces ne peut pas supporter des stress à long terme sans commencer à se désintégrer. Ces écosystèmes ne représentent pas seulement un habitat pour d’importantes espèces animales et végétales, mais fournissent également une variété de services rendus par les écosystèmes dont les humains profitent. Les « Perspectives mondiales de la diversité biologique 3 », basées sur les meilleures

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Les missions militaires au service de la biodiversité

preuves scientifiques disponibles et s’appuyant sur 120 rapports nationaux de Parties à la Convention, alertent sur les conséquences à poursuivre notre mode de développement actuel. La perte continue d’espèces et d’habitats, prédite pour s’accélérer sous l’impact croissant du changement climatique, a mis tellement de pression sur les écosystèmes qui soutiennent la vie de notre monde, que beaucoup risquent d’atteindre un « point de basculement ». Cette perte irrévocable des écosystèmes et des ressources génère des tensions internes et externes entre les régions, les pays et les populations qui revendiquent la propriété des habitats. Beaucoup d’opérations militaires sont précisément mobilisées et lancées avec l’unique objectif de sécuriser le peu de ressources que les pays ont laissé. Toutefois, en étudiant la relation entre sécurité et biodiversité, deux perspectives peuvent être considérées ; d’une part la dégradation des écosystèmes et les impacts qui en découlent sur la sécurité humaine, les moyens de subsistance et les conflits armés ; et d’autre part la destruction de l’environnement comme une conséquence des opérations militaires et de la guerre. Ce n’est pas la première fois qu’une connexion entre l’état global de la biodiversité, la sécurité et les implications pour la paix. Un rapport publié en 2007 par la CNA corporation concluait que le changement global représente une sérieuse menace pour la sécurité pouvant affecter les citoyens américains, avoir des impacts sur les opérations militaires et accroître les tensions mondiales. Le rapport explore les façons dont le changement climatique s’impose comme un facteur démultiplicateur dans les régions du monde déjà fragiles, exacerbant les conditions favorables à l’extrémisme et au terrorisme. Un rapport commandité en 2008 par l’ancien premier ministre du RoyaumeUni, Mr Gordon Brown, arrive à la même conclusion et mentionne pour donner un aperçu de la nouvelle stratégie de défense que « le changement climatique est potentiellement le plus grand défi pour la stabilité et la sécurité mondiales » (BBC, 2008). S’adressant à la Chambre des communes, le premier ministre Gordon Brown déclarait « la nature des menaces et des risques auxquels nous sommes confrontés ont, dans les dernières décennies, changé au-delà de tout entendement et donnent tort aux vieilles hypothèses sur la défense nationale et la sécurité internationale » (BBC, 2008) ; il a également ajouté que le changement climatique et les pandémies menacent la sécurité internationale autant que le terrorisme et que la GrandeBretagne doit radicalement améliorer ses défenses. De plus, Sir David King, conseiller scientifique de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair indiquait que « le changement climatique est une menace bien plus grande pour le monde que le terrorisme international » (King in Khor, 2006). Le Secrétaire Général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a déclaré que « parce que l’environnement et les ressources naturelles sont cruciaux pour construire et consolider la paix, il est urgent que leur protection en temps de conflits armés soit renforcée. Il ne peut y avoir de paix durable si les ressources naturelles qui soutiennent les moyens de subsistance sont endommagées ou détruites » (UNIS, 2009). La gravité de l’impact de la destruction d’origine humaine du capital de notre planète a en effet atteint un niveau tel qu’il constitue une menace majeure pour la paix et la sécurité dans le monde.

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Préface

Les dégradations de l’environnement, causées par les multiples effets du changement climatique ou les activités humaines, notamment la déforestation pour l’exploitation forestière, le développement urbain, ou l’exploitation des ressources ont été liés à des troubles politiques, créant une pression sociale sur les populations vulnérables. Il est estimé que d’ici à 2020, entre 75 et 250 millions de personnes en Afrique seront exposées à des pénuries d’eau accrues en raison du changement climatique. Aujourd’hui, 4 personnes sur 10 dans le monde vivent dans des pays connaissant de graves pénuries d’eau potable. Les Nations unies estiment que d’ici 2025, 48 nations et une population de 2,8 milliards de personnes devront faire face au « manque » et à la « rareté » en eau douce. Selon un rapport de la CIA, la pénurie d’eau constituera, dans un futur proche, l’une des principales sources de tensions et de conflits armés dans le monde. Toujours selon ce rapport, plus de 30 pays se fournissent pour plus d’un tiers de leur consommation en eau potable en dehors de leurs frontières. Une telle prédiction prend tout son sens en considérant que sur 268 bassins hydrographiques internationaux, partagés par 145 pays et alimentant 40 % de la population mondiale, plus de 158 ne sont gouvernés par aucun mécanisme de coopération entre pays voisins. Il arrive même que plus de 16 pays partagent cette ressource naturelle. C’est le cas par exemple de la rivière Congo, de la rivière Niger et même du Nil. La tension monte généralement autour de l’accès à l’eau et de sa gestion. Pour beaucoup de pays, l’abondance de ressources telles que le pétrole ou l’eau peut procurer un pouvoir régional aussi bien qu’international. Toute menace aux réserves de ces ressources est susceptible de justifier une action militaire au nom de la préservation économique et de la sécurité nationale. Un conflit international peut ainsi éclater quand les facteurs économiques et sociaux interagissent avec la disponibilité d’une ressource. Les impacts des pertes environnementales et du changement climatique affectent non seulement la situation mondiale de l’eau et les opérations militaires, mais aussi l’importance et les tendances des déplacements et des migrations qui à leurs tours affectent la sécurité alimentaire. Les conséquences sont vastes et ont de fortes implications pour la qualité de la vie humaine. Les dégradations comme conséquence de la guerre sont également intéressantes à considérer. Au fil du temps, les guerres dans le monde entier ont invariablement abouti à la dévastation des forêts et de la biodiversité. La technologie militaire moderne a engendré des impacts environnementaux sévères sur de grandes étendues, rendant le terme « ecocide » approprié. La contamination de l’eau et la destruction des sources, les entraves aux efforts de conservation et l’épuisement de forêts intactes ne sont que quelques-unes des multiples conséquences environnementales de la guerre. Les conflits armés intra et inter étatiques existants ont des effets directs et de longue durée sur la biodiversité dans les zones de conflits. De plus, les dégradations environnementales et la perte de biodiversité ne sont pas que des victimes de guerre. Des dévastations environnementales passent aussi par des actes délibérés de sabotage militaire, comme la mise à feu de puits de pétrole, la destruction ou la contamination de sources d’eau et l’utilisation de défoliants à grande échelle. Il y a une prise de conscience croissante que la sécurité nationale et la conservation écologique sont étroitement liées. L’impact de la guerre et des conflits armés sur l’environnement, et plus spécifiquement sur la biodiversité, est une préoccupation

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Les missions militaires au service de la biodiversité

importante et récurrente pour la communauté internationale. Selon l’Institut Heidelberg pour la recherche sur les conflits internationaux, les conflits dans le monde ont augmenté, passant de 272 en 1997 à 365 en 2009 (HIICR, 2009). Sur ces 365 conflits, 80 étaient directement liés aux ressources, se positionnant au deuxième rang après les conflits idéologiques. Plus de 50 % de ces conflits liés aux ressources ont été classés comme violents ou très violents. Ces conflits touchent des millions de personnes et doivent être pris en compte au niveau international. Le PNUE signale que plus de 40 % des conflits intra-étatiques sont liés aux ressources naturelles. En réponse aux conflits environnementaux, la communauté internationale a établi plusieurs accords juridiques et des lois visant à protéger les victimes de conflits et à prévenir les dommages environnementaux. Par exemple, un protocole additionnel à la Convention de Genève de 1949 a interdit, en 1977, l’utilisation de tactiques de guerre qui pourraient nuire à l’environnement d’une manière sérieuse et/ou sur le long terme (CICR, 2007). L’ouvrage Les missions militaires au service de la biodiversité reflète précisément les liens entre l’environnement et les interventions militaires. Bien que des réflexions, des études et des discussions aient été initiées dans le monde académique, les connexions entre la sécurité, la paix et les dégradations faites à l’environnement demeurent rares et rendent cet ouvrage extrêmement précieux. Les multiples effets que la destruction de l’environnement a sur les interventions militaires, et viceversa, affectent le bien-être de tous les êtres humains sur terre aujourd’hui et pour les générations à venir. Il est clair que la guerre et les conflits sont de toute pièce fabriqués par l’homme ; en tant que société globale nous devons agir maintenant pour assurer un équilibre entre les affaires politiques et l’environnement naturel. En tant que société globale, nous avons également la responsabilité de stopper la perte de la biodiversité et la destruction de l’environnement sans précédent causées par nos modes de consommation. Sous la direction du Japon, le monde a répondu dans ce sens. En octobre 2010, 18 500 participants représentant 193 Parties et leurs partenaires ont adopté le Pacte de Nagoya pour la biodiversité comprenant une stratégie globale pour la conservation de la biodiversité pour la période 20112020, connue comme les objectifs de Aichi; le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation ; le Protocole additionnel de Nagoya – Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques ; ainsi que la stratégie de mobilisation des ressources à l’appui de la réalisation des trois objectifs de la Convention. Afin de mobiliser les gens à travers le monde au-delà de 2010, la 65e session de l’Assemblée générale des Nations unies a déclaré 2011-2020 la Décennie des Nations unies de la biodiversité. Nous pouvons espérer que c’est un nouveau début à l’action mondiale contre les menaces d’épuisement des ressources et à la réduction des conflits armés pour aboutir à plus de sécurité humaine. Montréal, le 8 juin 2011

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Table des Acronymes

AEPI : Army Environmental Policy Institute CDB : Convention sur la diversité biologique CITES : Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction ENMOD : Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles ENVSEC : Environment and Security Initiative ETF : Ecological Task Forces GBIF : Centre d’information sur la diversité mondiale ICBG : International Cooperative Biodiversity Groups IES : Institute for Environmental Security IPBES : Intergovernmental Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services ONG : Organisation non-gouvernementale ONU : Organisation des Nations unies

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Les missions militaires au service de la biodiversité

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique Nord PNUD : Programme des Nations unies pour le développement PNUE : Programme des Nations unies pour l’environnement UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture UICN : Union internationale pour la conservation de la nature USAID : United States Agency for International Development (USAID)

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Introduction

La diversité biologique est aujourd’hui un sujet très populaire, l’année 2010 lui était d’ailleurs consacrée. La perte annoncée d’espèces animales et végétales fait les gros titres et inquiète un nombre croissant de personnes. En 1992 se tenait à Rio de Janeiro le Sommet de la Terre, autrement dit la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, qui aboutissait à l’adoption de nombreuses déclarations et conventions, dont la Convention des Nations unies sur la diversité biologique. La « diversité biologique », contractée en « biodiversité » a pris la place du terme « nature » et est définie comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ». En 2002, les pays signataires de cette Convention adoptaient un plan stratégique afin d’enrayer la perte de biodiversité d’ici 2010. La date fatidique est passée, et aucun pays n’a réussi à atteindre cet objectif. Anticipant cet échec, un groupe de travail de haut niveau rassemblant ministres de l’environnement et figures de la conservation se tenait en mars 2009 à Bonn afin de fournir de futurs objectifs et directions pour la protection de la biodiversité. Le groupe a globalement recommandé de développer davantage de liens entre la biodiversité et les agendas existants (ex. celui sur les objectifs du Millénaire, celui sur le changement climatique) et de créer des synergies entre la

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biodiversité et différents secteurs : la finance, l’agriculture, les pêches et les forêts1. Au-delà de ces synergies avec la finance et l’agriculture, une étape future dans l’intégration de la biodiversité à d’autres domaines connexes pourrait considérer les liens avec le secteur de la sécurité. S’inspirant d’autres modes de pensée que celui des environnementalistes – qui ont jusqu’ici échoué au moins partiellement dans leur objectif de conservation – la sécurité pourrait peut-être fournir de nouvelles pistes de réflexion pour lutter contre la perte d’espèces et d’habitats. De nouvelles idées et des approches innovantes naissent souvent du rapprochement de différentes disciplines. La biodiversité et la protection de l’environnement se prêtent tout particulièrement à l’interdisciplinarité et impliquent des aspects culturels, scientifiques, économiques, politiques et sécuritaires qui ont évolué au cours des dernières décennies. Des liens entre environnement et sécurité se tissent également depuis quelques années.

Quels liens entre environnement et sécurité ? Les préoccupations liées à la « sécurité environnementale » émergent dans les années 1970 avec notamment Lester Browna, et reconsidèrent les questions de sécurité et de défense extérieure sous un angle beaucoup plus global, sous lequel la santé humaine et les ressources environnementales sont des facteurs de sécurité. Le développement durable fait également son apparition en 1987 avec le rapport Brundtland2 (nommé ainsi du nom de la présidente Norvégienne de la commission, mais ayant pour titre Notre Avenir à Tous). Après la chute du mur de Berlin en 1989, les catastrophes naturelles puis les questions environnementales prennent de plus en plus d’importance dans le domaine de la sécurité, à tel point qu’en 1993, le Département des affaires de désarmement des Nations unies publie le rapport Possibilités d’utilisation des ressources du domaine militaire pour la protection de l’environnement 3. La guerre froide finie, le monde à venir apparaissait en paix et en harmonie. Les « dividendes pour la paix » représentaient ces financements militaires qui devaient être réalloués à des activités telles la lutte contre les catastrophes naturellesb ou la prévention de conflits environnementaux. Un début de catégorisation des conflits environnementaux sera entrepris en 1999 par le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE)4. Dans cette lignée, le monde académique va identifier les liens entre conflits et ressources naturelles, comme en attestent les travaux de Thomas Homer Dixon (1999)5, de Philippe Le Billon (2001)6, de Simon Dalby (2002)7, etc. En 2003, lors de la journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre organisée par le PNUE, Klaus Toepfer, alors directeur

a. Lester Brown est un agroéconomiste et analyste environnemental américain. Il est le fondateur de l’institut Worldwatch ainsi que du Earth Policy Institute, organisations non gouvernementales basées à Washington D.C. dont il est actuellement le président. b. C’est dans ce contexte que sera par exemple mise en place en Espagne l’Unité militaire des urgences (Unidad Militare de Emergencias) qui œuvre à la gestion des catastrophes naturelles.

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Introduction

exécutif du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE), avait lancé, avec le soutien de Kofi Annan, un appel à « faire entrer les lois de la guerre dans le XXIe siècle, celui du développement durable ». Wangari Maathai, prix Nobel de la paix en 2004, prédisait lors de la cérémonie de remise du prix que « dans quelques décennies, la relation entre l’environnement, les ressources et les conflits pourra sembler aussi évidente que la connexion que nous voyons aujourd’hui entre les Droits de l’homme, la démocratie et la paix »8. Aux États-Unis, sous l’administration Clinton (1993 à 2001), le Pentagone a pour mission de « verdir » le secteur. La première étape consiste à faire appliquer la législation environnementale sur les terrains militaires pour répondre à la demande de l’opinion publique et être en accord avec les lois nationales. Le Département d’État s’interroge également en 1997 sur la façon d’intégrer la diplomatie environnementale à ses activités9. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’intéresse elle aussi de près au sujet et produit en 1999 le rapport Environnement et sécurité dans un contexte international 10 ; l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) élabore en 2000 un état de l’art sur l’environnement, la sécurité et le développement11. L’Union européenne propose quant à elle en 199912 une résolution pionnière reconnaissant que les catastrophes naturelles et la protection de l’environnement sont des enjeux majeurs de sécurité, et qu’une partie du budget militaire devrait être allouée à ce secteur. Cette résolution ne sera jamais suivie d’effets. Les attentats du 11 septembre gèlent le rapprochement entre services gouvernementaux de la défense et de l’environnement dans tous les pays. Le sujet se voit alors relégué au second plan au profit de la lutte contre le terrorisme et de la guerre en Irak. Dans le contexte de « civilianisation »c des années 2000, les Organisations nongouvernementales gagnent en influence dans leur mission de sensibilisation du public. Outre insuffler des idées nouvelles comme celle de la « diplomatie environnementale », ces structures sont de plus en plus reconnues comme légitimes par les gouvernements qui n’hésitent plus à leur confier des étudesd. Le sujet est aujourd’hui pris en compte par un nombre croissant de think tanks e. En 2002 est d’ailleurs créé l’Institut pour la Sécurité Environnementalef qui a produit une très bonne introduction des concepts de sécurité environnementale13, ainsi qu’un inventaire des pratiques et législations dans le domaine14. Les organisations nonc. Néologisme employé pour qualifier l’ouverture de l’armée aux civils. d. La diplomatie environnementale faisait déjà en 1999 l’objet de conférences (comme par exemple la conférence « Diplomacy for the environnement » organisée par l’American Institute for Contemporary German Studies, voir Benedick R.E. (1999), « Diplomacy for the Environment », Conference report, Environmental Diplomacy, American Institute for Contemporary German Studies, 3-12. e. Un think tank (ou réservoir d’idées en français) est une institution de droit privé qui produit des études et des recommandations sur les politiques publiques. Pour plus d’informations, voir l’ouvrage de Boucher S. & Royo M. (2009), Les Think tanks cerveaux de la guerre des idées, Éditions le Félin, 2e édition, 160 p. f. Institute for Environmental Security ou IES.

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Les missions militaires au service de la biodiversité

gouvernementales spécialisées sur les sujets environnementaux investissent quant à elles peu ou différemment la thématique. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) alimente cependant le débat en explorant les aspects juridiques des dommages environnementaux en temps de conflits et ouvre le dialogue avec le secteur militaire. Ce rapprochement entre environnement et sécurité s’est fait de pair avec une prise de conscience environnementale de l’opinion publique qui tolère de moins en moins que des catastrophes humanitaires et écologiques soient perpétrées au nom de la sécurité. Dans les années 1970, l’opération Ranch Hand avait suscité un vif débat sur les dommages collatéraux de la guerre. Cette opération menée au Vietnam par les États-Unis avait conduit l’aviation américaine à répandre 70 millions de litres d’un herbicide très puissant, l’agent orange, sur 1,7 millions d’hectares. Un cinquième des forêts sud-vietnamiennes ont été détruites. Quelques 2 millions de personnes sont mortes de cancers, et les populations sont toujours victimes de malformations à la naissance et de maladies. La guerre du Golfe de 1991 a par la suite capté l’intérêt de l’opinion publique internationale sur les impacts environnementaux des conflits. Six cent (600) puits koweitiens avaient été incendiés par les forces irakiennes, leur combustion avait libéré 500 millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère. Dix millions de mètres cubes de pétrole se sont déversés, dont un million dans le golfe Persique, mettant un terme à la pêche et contaminant les nappes phréatiques. Vingt-cinq mille (25 000) oiseaux auraient été tués par la catastrophe, et des millions d’hectares de terres arables ont été contaminés15. Trente pour cent (30 %) des nappes phréatiques du Koweït étaient toujours inutilisables en 2001, soit 10 ans plus tard16. L’actualité regorge aujourd’hui de ces sujets environnementaux ayant des implications géopolitiques : du procès des peuples autochtones argentins en Cour internationale contre la construction de deux grandes usines de production de papier qui pollueraient le Rio Uruguay, à la marée noire dans le golfe du Mexique par la British Petroleum. Lier environnement et sécurité peut en outre conduire à l’utilisation de la cause environnementale à des fins politiques et stratégiques. Ken Conca (2002)17 en cite quelques exemples : la Russie aurait développé des partenariats environnementaux dans le but de supprimer l’autonomie des États caspiens ; en Asie du Sud, l’Inde aurait utilisé des initiatives environnementales pour isoler le Pakistan et améliorer ses relations avec le Bangladesh ; la coopération régionale dans les États baltes aurait largement été influencée par la recherche d’accords politiques dans le contexte de la guerre froide. D’une manière générale, l’action militaire permet le maintien de l’accès aux ressources, quelles qu’elles soient. Si l’objectif principal de l’engagement des États-Unis en Irak résidait pour une large part dans le maintien de l’accès au pétrole du Moyen-Orient, pourquoi ne pas imaginer que les gouvernements puissent faire usage de la force pour protéger des ressources naturelles comme la forêt amazonienne – qui régule le climat, sert de puits de carbone et constitue une réserve de biodiversité – dans les cas où des solutions diplomatiques ne seraient pas trouvées ? Dans la même mouvance, la reconnaissance grandissante du changement climatique et le besoin de nouvelles sources d’énergies propres occupent le devant de la scène médiatique, d’autant plus après l’accident de la centrale nucléaire de

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Introduction

Fukushima. Ces préoccupations entretiennent le caractère prioritaire et stratégique des questions environnementales, même en temps de crise économique.

Quels liens entre biodiversité et sécurité ? La question du lien entre biodiversité et activités militaires a rarement été abordée. Les conflits détruisent directement l’environnement et la biodiversité18, et la relation entre destruction de l’environnement et conflits est la première qui vient à l’esprit en rapprochant ces deux mondes. La destruction de la biodiversité lors de conflits réduit également les services rendus par les écosystèmes et appauvri encore les populations qui en sont dépendantes19. Une grande partie de la recherche en sécurité environnementale s’est attachée à explorer les liens, de façon quasi mathématique, entre environnement et conflits pour conclure que l’environnement, bien que n’étant pas une cause conduisant directement à des conflits, est un facteur qui peut favoriser les tensions. Ce n’est finalement pas la nature exacte de ce lien qui nous intéresse dans cet ouvrage, mais comment le secteur de la sécurité s’est préparé à cette mutation des menaces, avérées ou potentielles. En d’autres termes, puisque le XXIe siècle est annoncé comme environnemental – que cette annonce ait une valeur prédictive ou non est sans importance, puisqu’elle a au moins une valeur spéculative – que fait le secteur de la sécurité, connu pour son efficacité et sa rapidité de réponse aux nouveaux défis, pour s’y préparer ? Comment la biodiversité peut-elle être prise en compte lors de conflits ? La biodiversité – soit la diversité des espèces vivantes sur terre – représente une valeur éthique prônant la protection du vivant, est-il possible de faire ce grand écart consistant à concilier objectifs sécuritaires et protection d’espèces et d’écosystèmes ? Cette étude est basée sur des informations provenant de sources variées : organisations intergouvernementales, gouvernements, organisations non-gouvernementales, think tanks, presse, etc. L’analyse s’enrichit de l’expérience professionnelle de l’auteur qui connaît les acteurs de la biodiversité pour avoir exercé dans le domaine de la biosécurité à l’international. Loin d’être exhaustive, cette recherche tente de faire un tour d’horizon à la croisée des deux univers sécuritaire et environnemental et de saisir les tendances émergentes. Les différentes informations disponibles sur le sujet, par ailleurs disparates, permettent de dresser un panorama de la situation. La première partie s’attachera à expliquer ce qu’est la biodiversité et en quoi elle représente un enjeu international. La deuxième partie identifiera le lien entre ressources naturelles, biodiversité et conflits, et comment les organisations internationales font de l’environnement un outil de prévention des conflits et de construction de la paix. Enfin, la troisième partie tentera d’explorer en quoi l’environnement et la biodiversité représentent une opportunité pour le secteur de la sécurité, pour se questionner en quatrième partie sur la possibilité d’interventions environnementales.

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Qu’est-ce que la biodiversité et comment la protéger ? Définition et menaces La protection de la nature a constitué en premier lieu un phénomène culturel, qui s’est par la suite enrichi d’un argumentaire scientifique20. Aux États-Unis en 1864, la vallée de Yosemite est protégée par un arrêté présidentiel d’Abraham Lincoln, puis en 1872, le premier parc national, celui du Yellowstone, est créé. La nature sauvage n’est alors plus perçue comme un danger, mais comme l’Eden à protéger. La façon dont les Premières Nations d’Amérique sont considérées change dans le même sens : de dangereux sauvages, ils acquièrent l’aura de protecteurs de la nature mère. La protection de la nature aux États-Unis est même associée à la cause indienne et s’inscrit dans la littérature avec les récits romanesques de Jim Harrison (auteur de Légendes d’automne, de Dalva) ou de Henry David Thoreau (auteur de Walden ou la vie des bois). Ceci bien que les Premières Nations aient été chassés de ces territoires protégés. La protection de la nature a ainsi eu à ses débuts des objectifs plus moraux, esthétiques et politiques que scientifiques. En France également, la sensibilité

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environnementale a eu pour origine la peinture de paysages et la littérature. En effet, en 1861, déjà plus de 1000 ha de la forêt de Fontainebleau sont protégés juridiquement après que les peintres de Barbizon en peignent les vieux arbres. Au début du XXe siècle les sociétés naturalistes et les muséums d’histoire naturelle apparaissent et insufflent un esprit scientifique. En Europe, les parcs nationaux sont créés dès 1910, notamment sous l’impulsion des clubs alpins (français, suisses, italiens). Ces parcs nationaux sont souvent associés à la protection de grands mammifères, d’où la création des parcs français de la Vanoise, des Écrins et du Mercantour où le public peut venir observer chamois et mouflons. Une approche scientifique a légitimé a posteriori la mise en place de ces zones. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) créée en 1948 est alors chargée par les Nations unies de catégoriser et de hiérarchiser les différentes aires protégées. Les années 1970 et 1980 voient la protection de l’environnement émerger au niveau international avec la signature de conventions telles celles de Ramsar sur les zones humides (1971), de l’UNESCO sur le patrimoine naturel et culturel (1972), de Bonn sur les espèces migratrices (1979), de Berne sur la protection de la vie sauvage en Europe (1979) jusqu’à aboutir en 1992 à la Convention sur la diversité biologique. Le mot « biodiversité » apparaît pour la première fois en 1988 dans le rapport du National Forum on Biological Diversity américain, rédigé par l’entomologiste Edward Osborne Wilsona. La diversité biologique est définie par la Convention sur la diversité biologique comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ». De nombreuses menaces pèsent sur la biodiversité. L’UICN estimait en 2005 qu’entre 10 et 50 % des groupes taxonomiques (mammifères, oiseaux et amphibiens pour les animaux, conifères et cycadées pour les végétaux) sont menacés d’extinction. Plus précisément, 12 % des oiseaux, 23 % des mammifères et 25 % des conifères, et au moins 32 % des amphibiens sont actuellement menacés d’extinction21. L’Organisation de coopération et de développement économique22 (OCDE) annonçait pour sa part en 2008 une perte de 10 % supplémentaires de la biodiversité d’ici 2030, principalement en Asie et en Afrique. Les principales causes de pertes de biodiversité sont les changements d’utilisation des terres, l’exploitation non durable des ressources naturelles, les espèces exotiques envahissantes, le changement climatique, la pollution d’origine industrielle et agricole ainsi que la désertification. La biodiversité n’est pas distribuée uniformément sur le globe. Trente-quatre (34) zones biogéographiques sont actuellement recensées dans le monde comme des aires de grande valeur naturelle particulièrement menacée ou « points chauds » (Hot spots en anglais) pour la biodiversité où se concentre une grande diversité d’espèces : le bassin Méditerranéen, l’Australie du Sud-Ouest, la Californie, les Andes tropicales,

a. Le Professeur Edward O. Wilson est un entomologiste et biologiste américain connu pour son travail en évolution et en sociobiologie.

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la corne de l’Afrique, l’Himalaya, les Philippines, etc. L’organisation non-gouvernementale Conservation International a produit une carte de ces points chauds de biodiversité dans le monde, inspirée des travaux de l’équipe du chercheur britannique Norman Myers. La grande majorité de ces ressources en biodiversité est située dans l’hémisphère sud, soit dans des pays en développement, rendant d’autant plus complexe la protection de ces richesses. Au-delà d’être considérées comme autant de pièces nécessaires au bon fonctionnement des processus biologiques, les espèces et leur diversité sont depuis peu valorisées de façon économique au regard des services qu’elles rendent à l’être humain : l’approvisionnement en nourriture et en eau, la régulation des inondations, du climat et des maladies, les bénéfices récréatifs et culturels, etc.

Les services rendus par les écosystèmes et la biodiversité Aristote puis Adam Smith constataient déjà le paradoxe de l’eau et du diamant : l’eau est très utile, mais n’a pas une grande valeur, alors que le diamant a une grande valeur, mais n’est pas très utile. Il en va de l’eau comme de la nature, qui représente une ressource importante au quotidien mais dont la valeur n’est le plus souvent pas prise en compte sur les marchés. Cette absence d’évaluation étant une des causes de la dégradation des habitats et de la perte de biodiversité, une étude de 2010 intitulée L’Économie des écosystèmes et de la biodiversité (EEB)23, commanditée par la Commission européenne et le ministère de l’Environnement allemand, construit un argumentaire économique à la conservation des espèces et des écosystèmes. Cette étude établit un lien entre biodiversité, bien-être humain et ressources économiques. Elle vise à comprendre la véritable valeur économique des services fournis par les écosystèmes. Il ressort de ce rapport que ce sont les pauvres du monde entier qui tirent les plus grands bénéfices de la biodiversité au travers de l’agriculture de subsistance, de l’élevage et de la pêche informelle. Ce seront donc eux qui subiront les premiers la perte de biodiversité. Les pays du Nord ne seront cependant pas épargnés. Les recherches portant sur le coût de l’inaction montrent qu’en suivant un scénario inchangé de dégradation des écosystèmes, de graves conséquences se feraient sentir d’ici 2050 : – les zones naturelles restantes en 2000 diminueraient de 11 % à cause de la conversion des terres à l’agriculture, de l’expansion des infrastructures et du changement climatique ; – 40 % des terres actuellement exploitées par l’agriculture peu intensive seraient converties à l’agriculture intensive ; – jusqu’à 60 % des récifs coralliens disparaîtraient dès 2030 des suites de la surpêche, de la pollution, des maladies, des invasions biologiques et du changement climatique.

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La valeur des services rendus par les écosystèmes peut s’évaluer en termes économiques et comporte bien entendu des incertitudes. Une étude académique24 a estimé la valeur économique des services rendus par les écosystèmes dans le monde à 33 000 milliards de dollars US, alors que le PIB mondial est estimé à 18 000 milliards de dollars US. À titre d’exemple, la valeur associée à la protection des bassins hydrographiques assurée par les écosystèmes côtiers (tels que les mangroves et autres zones humides) est estimée à 845 dollars US par hectare et par an en Malaisie, et à 1022 dollars US par hectare et par an à Hawaï. La valeur de la pollinisation par les abeilles pour la production de café a été évaluée à 361 dollars US par hectare et par an25. L’ultime objectif de cette nouvelle approche est de fournir aux responsables politiques les outils nécessaires pour intégrer la valeur réelle des services rendus par les écosystèmes dans leurs prises de décision en vue de les protéger.

Quelles méthodes de protection de la biodiversité ? Outre les méthodes de protection in situ et ex situ au niveau national, la conservation de la nature est encadrée par de nombreux traités internationaux et s’est adaptée à la globalisation. Protéger la biodiversité implique d’intégrer les relations entre le Nord et le Sud – ce qu’a bien intégré la Convention sur la diversité biologique – ainsi que d’encadrer le contrôle du commerce d’espèces animales et végétales protégées. L’opinion publique joue également un rôle essentiel dans la protection de l’environnement. Les principaux outils de conservation sont brièvement décrits ci-dessous.

Les outils nationaux de conservation La conservation in situ de la biodiversité consiste à mettre en place des aires protégées ayant différents statuts de protection (ex. réserves naturelles, parcs nationaux) ou à instaurer des programmes de protection d’espèces spécifiques, comme par exemple celui du grand hamster en Alsace. Des programmes de conservation d’espèces ex situ consistent quant à eux à garder des exemplaires d’espèces en banque de semence ou dans des vergers pour les végétaux, ou dans des élevages pour les animaux. La protection de zones et d’espèces est considérée comme relativement efficace sur le long terme, notamment pour la grande faune et les oiseaux26. Ces succès sont particulièrement probants en Europe. En Afrique, l’existence de réserves ou de parcs nationaux a garanti de meilleurs résultats lorsqu’elle était associée à la mise en œuvre de la Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvage menacées d’extinction (CITES). Ainsi, la mise en place d’aires protégées combinée à des interdictions de commercialiser l’ivoire, les fourrures et les cornes de rhinocéros ont permis une meilleure protection des éléphants, des grands félins et des rhinocéros.

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Cependant, bien qu’efficace pour le territoire sous protection, les superficies de l’ensemble des aires protégées ne sont pas suffisantes pour enrayer le phénomène global de perte de biodiversité.

Les traités environnementaux internationaux Depuis 1980, un nombre impressionnant de conventions, traités, et accords environnementaux ont été signés, il y aurait plus de 200 textes de portée mondiale27. Ces régimes environnementaux internationaux sont fondés sur le libre consentement, et ils ne prévoient de mécanismes coercitifs de règlement de différends qu’en de rares cas, la plupart du temps pour mettre fin à des conflits sur les eaux transfrontalières28. Ces accords environnementaux multilatéraux concernent : – l’air : ex. la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le Protocole de Kyoto visant la réduction des gaz à effet de serre, le protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone ; – le vivant : ex. la Convention sur la diversité biologique, la Convention CITES sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction, la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV), le protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques ; – le milieu marin : ex. la Convention des Nations unies pour le droit de la mer ; – la désertification et la protection des écosystèmes, ex. la Convention relative aux zones humides (Ramsar) ; – les déchets et substances dangereuses : ex. la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination, la Convention de Rotterdam qui encadre la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable dans les cas de certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet de commerce international ; – les pollutions marines : ex. la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ; – ou des thèmes transversaux : ex. la Convention de Aarhus qui encadre l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice dans le domaine de l’environnement en Europe, et dont les procédures concernent tous les secteurs de l’environnement. La situation de quelques-uns de ces traités environnementaux et des pays signataires est disponible auprès du Programme des Nations unies pour le Développement29. Le traité international le plus pertinent pour la biodiversité est la Convention sur la diversité biologique (CDB). Signée lors du sommet de Rio en 1992, elle a pour objectifs la conservation de la biodiversité, son utilisation durable, et le partage juste et équitable des bénéfices issus des ressources génétiques. La CDB est gouvernée par la Conférence des Parties qui se réunit tous les 2 ans et rassemble 193 Parties en 2012 (les États-Unis n’ont pas signé cette convention). Le secrétariat de la CDB est basé à Montréal et emploie plus de 100 personnes. La mise en place de cette

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convention s’appuie sur le principe de précaution, selon lequel quand il y a une menace de perte de biodiversité significative, l’absence de certitude biologique ne peut pas être utilisée comme raison de reporter les mesures pour éviter ou minimiser cette menace. La Convention reconnaît également le rôle des populations indigènes et des femmes dans la conservation et l’utilisation durable de cette diversité biologique. Quelques mille autres accords sont en vigueur sur le plan bilatéral ou régional et constituent un énorme et complexe dispositif de droit de l’environnement. Au plan national, les instances de réglementation sont passées de la solution type « injonction et contrôle » à toute une gamme d’instruments qui se traduisent par des incitations telles que taxes et redevances antipollution afin de faire rentrer ces traités internationaux dans leur législation. Le commerce est de plus en plus associé à la protection de l’environnement, certains accords internationaux contiennent d’ailleurs des dispositions commerciales (ex. la CDB, la CITES, la CIPV, le Protocole de Montréal, de Kyoto, les Conventions de Bâle, de Rotterdam). Des méthodes volontaires de contrôle des marchés internationaux se révèlent également nécessaires.

Le contrôle des marchés internationaux par des méthodes volontaires L’expansion du commerce international a ouvert l’accès des marchés aux groupes belliqueux qui peuvent y écouler les ressources exploitées, comme par exemple le bois, le plus souvent avec le concours de compagnies privées. Le contrôle des marchés de ressources naturelles constitue un outil primordial pour la protection de ces dernières. L’opinion publique occidentale est de plus en plus alertée sur le lien entre extraction des ressources naturelles et conflits armés. Des schémas de certification sont progressivement mis en place tel l’éco label Forest Stewardship Council ou FSC pour les bois, y compris tropicaux. Ces mesures ne sont pas obligatoires, ce qui les empêche d’être pleinement efficaces, sans parler de leur efficacité contestée sur le terrain. La protection de l’environnement passe donc irrémédiablement par la reconnaissance du problème par le grand public.

L’importance de l’opinion publique La nature est maintenant placardée sur nombre de publicités, les grandes marques essayant de s’acheter une image verte. Pour preuve, les publicités utilisant un message lié à l’environnement ont sextuplé en 3 ans, passant de 1 % en 2006 à 6 % en 2009b. Certains de ces messages vantant les bonnes pratiques environnementales de compagnies privées seraient cependant faux, et qualifiés « d’écoblanchiement » (ou

b. Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ADEME) (2009), bilan 2009, Publicité et environnements, Rapport d’études, Autorité de régulation professionnelle de la publicité, Créteil, France, 19 p.

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greenwashing en anglais). Si la nature est de plus en plus prise comme argument de vente, c’est le signe qu’elle acquiert aujourd’hui une valeur au moins symbolique. Au-delà de représenter un argument de vente pour des marques, l’environnement a également acquis à sa cause des personnalités. Al Gore a promu le film Une vérité qui dérange ; Bill Clinton a créé la Fondation Clinton Climate Change Initiative ; Mikhaïl Gorbatchev a fondé l’ONG Green Cross, etc. Ce phénomène se vérifie également en France avec la consécration du film Home réalisé par Yann Arthus Bertrand et Luc Besson. Les stars aussi s’investissent pour la cause environnementale : Bjork a reversé les bénéfices de la chanson Nattura pour des actions environnementales ; Paul Mac Cartney lance la campagne Lundi sans viande, la production bovine étant une source considérable d’émissions de gaz à effet de serre ; Leonardo Di Caprio promeut les énergies propres aux États-Unis ; etc. Bien que le sujet soit très visible, la compréhension par le grand public de thématiques environnementales et du concept de biodiversité et de ses enjeux reste cependant à réaliser. Les sujets complexes, comme celui des organismes génétiquement modifiés (OGM), souffrent en effet d’un cruel manque de transparence. Alors que les associations environnementales véhiculent des informations alarmistes et parfois non fondées, les industriels envoient des messages inverses. Comment s’y retrouver ? Il est difficile de transmettre des messages scientifiques exacts, souvent complexes et emprunts d’incertitudes. Bien que les associations environnementales aient utilisé pendant des années des discours catastrophistes et culpabilisateurs pour alerter l’opinion publique, les dégradations faites à l’environnement sont toujours bien réelles. Les actualités liées à la biodiversité sont cependant légion et sont de plus en plus teintées de géopolitique.

Une course à la biodiversité ? La biodiversité fait l’objet de polémiques, que ce soit au travers du trafic d’espèces, par l’acquisition de terres dans l’hémisphère sud, pour l’utilisation d’espèces utiles et la fabrication de nouvelles molécules, ou par la mise en œuvre de traités internationaux profitant à certains pays. Ce rapide tour d’horizon au travers de quelques cas illustre à quel point la biodiversité représente aujourd’hui un enjeu géostratégique.

Biodiversité, trafic, corruption et brigades vertes L’organisation non-gouvernementale Transparency international se définissant comme « une coalition globale de la société civile contre la corruption » a rédigé en 2007 un document de travail intitulé La corruption et les ressources naturelles renouvelables 30. Ce rapport indique que la corruption à grande échelle peut empêcher la mise en place de politiques environnementales, alors que la petite corruption ou corruption administrative dévie les politiques environnementales existantes les

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mieux conçues. La corruption aurait également comme effet de réduire les ressources financières disponibles pour les programmes de conservation. Trois secteurs sont pris comme cas d’étude : le commerce de la faune et de la flore sauvage, les activités forestières, et la pêche industrielle. Le commerce mondial des plantes et des animaux implique des milliers d’intermédiaires dans différents pays. Le commerce illicite d’espèces sauvages se chiffre de 7,8 à 10 milliards de dollars US, et se place en 5e position des trafics mondiaux, après les trafics de drogue, la contrefaçon, les trafics d’êtres humains et de pétrole31. Malgré les actions menées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction (CITESc), des réseaux internationaux répondent à la demande d’espèces rares. Le prix d’une peau de tigre peut en effet s’élever à 10 000 dollars US en Chine. L’Afrique sub-saharienne et l’Asie du Sud-Est sont les plus grands pourvoyeurs de produits issus d’animaux sauvages : l’éléphant pour son ivoire, le rhinocéros pour sa corne, le tigre pour ses os réputés avoir des vertus médicinales, l’antilope tibétaine pour sa peau, les oiseaux et reptiles exotiques utilisés comme animaux de compagnie, etc. Au Pérou, les braconniers perpétuent le massacre des vigognes initié par le groupe terroriste « le sentier lumineux », la laine de ces camélidés étant plus précieuse que le cachemire32. La corruption la plus courante consiste à ce que les trafiquants versent des pots de vin aux douaniers pour faire passer la marchandise. En Thaïlande, pays réputé pour être l’une des plaques tournantes du commerce illégal d’animaux sauvages, un réseau de trafiquants était même lié aux autorités gouvernementales. L’ONG WildAid a par exemple révélé que 300 dollars US de pots de vin auraient été versés à des douaniers thaïs pour faire entrer du Cambodge 400 kg de pangolins (une espèce de fourmilier)33. Plus que menacer la survie d’espèces, des groupuscules et des milices – parfois terroristes – profitent souvent de ces trafics. Depuis 2003, le Janjaweed d au Soudan a pu se payer des kalachnikovs en massacrant des centaines d’éléphants pour leur ivoire à proximité du parc national du Zakouma au Tchad34. Autre cas, selon Interpol et le ministère américain des affaires étrangères, les seigneurs de guerre somaliens et deux groupes islamistes extrémistes indiens de la branche d’Al-Qaïda se sont financés avec le braconnage d’éléphants et de rhinocéros35. Ces marchandises illicites sont écoulées aux États-Unis et en Europe, principaux demandeurs, ou même vendues en ligne. En 6e position des trafics mondiaux après celui des espèces sauvages et se chiffrant à 7 milliards de dollars US figure le trafic de bois illégal36. Les coupes de bois illégales pourraient représenter jusqu’à 80 % de la production totale de certains pays, et la corruption toucherait entre autres le Brésil, le Cambodge, l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, etc. La corruption est présente à tous les c. La CITES (175 Parties en 2010) est entrée en vigueur en 1975 et régule le commerce d’espèces menacées d’extinction et des produits provenant de ces espèces. La Conférence des Parties a établi trois annexes listant, d’après avis scientifiques, des espèces menacées d’extinction à différents degrés. Les mécanismes de contrôle des échanges vont de la prohibition complète à un système de licence d’application partielle. d. Miliciens au Darfour.

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stades de la chaîne de production forestière : des compagnies privées qui donnent des pots de vins aux gardes forestiers pour exploiter des zones non autorisées, au traitement du bois illégal. La Chine et le Vietnam seraient les deux pays les plus impliqués dans la transformation de bois illégal, et un produit fini issu du bois illégal est très difficile à identifier. Les réseaux de trafic sont complexes, et impliquent de multiples acteurs, allant des travailleurs locaux, aux compagnies forestières, aux officiels et législateurs des pays exportateurs, jusqu’aux militaires. La vente de ce bois se fait par le biais de réseaux internationaux, et les pays importateurs sont principalement les États-Unis, les États européens et le Japon. Le commerce illégal de bois aurait même servi à financer des conflits au Cambodge, en Côte-d’Ivoire, ou encore en République démocratique du Congo. Au Libéria, le lien entre déforestation illégale et corruption sous Charles Taylor, ancien président du Libéria, reconnu coupable par le tribunal de la Haye de crimes de guerre commis durant la guerre civile de Sierra Leone (1991-2002), est d’ailleurs bien documenté37. Autre cas, la pêche illégale, non réglementée et non déclarée qui arrive en 7e position des trafics mondiaux, et pèse entre 4,2 et 9,5 milliards de dollars US38. La pêche industrielle s’est développée lors des dernières décennies jusqu’à représenter un commerce de plusieurs milliards de dollars US. À tel point que le rapport de la FAO de 2005 sur l’état de la pêche dans le monde notait qu’un quart des réserves mondiales marines sont surexploitées39. Le rapport de la FAO de 201140 notait que 80 % des ressources marines étaient surexploitées et que les tendances à la dégradation des réserves marines se poursuivaient. Philippe Curry et Yves Miserey analysent l’ampleur de cette alarmante surexploitation et de ses conséquences dans leur livre Une mer sans poissons 41. Les eaux des pays en développement sont les plus touchées, particulièrement en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud-Est. Rien ne ressemble plus à un poisson péché illégalement qu’un poisson péché légalement, et les premiers importateurs de ces poissons sont l’Union européenne, le Japon, les ÉtatsUnis, la Chine et la Corée du Sud. Des groupes criminels organisés d’êtres humains et de drogue seraient impliqués dans la pêche illégale, les navires de pêche facilitant le passage de personnes et de marchandises. Là encore, le trafic est facilité lorsque les inspecteurs de pêche ou les observateurs de quotas ferment les yeux. C’est ainsi qu’en Afrique du Sud, le directeur de Hout Bay Fishing Industry a dû plaider coupable en 2002 pour avoir versé des pots de vins à des inspecteurs de pêche, résultat de 10 mois d’investigation par le Directorate of Special Operations (aussi appelés les scorpions), agence gouvernementale contre le crime organisé et la corruption en Afrique du Sud42. Les États ont d’ailleurs compris la nécessité de se doter de brigades pour protéger la nature. En France métropolitaine, 2500 agents de la police de l’environnement, sous l’autorité du ministère de l’environnement, sont chargés de lutter contre le trafic d’espèces, le braconnage, ou les pollutions. Cette police de l’environnement est très bien représentée dans les départements français d’outre-mer qui abritent une très grande biodiversité. À Mayotte, la brigade nature assure en plus de ses missions de police de l’environnement sur terre et sur mer des suivis des populations de mammifères marins et joue un rôle important dans l’éducation à l’environnement du public. À l’île de la Réunion, la réserve naturelle marine, la brigade nautique de

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gendarmerie et la brigade nature océan Indien ont formalisé leur collaboration sur terre comme en mer en matière de formation et d’actions de terrain (notamment pour lutter contre le braconnage), dans le but d’optimiser et de coordonner leurs moyens. De telles brigades sont très actives en Amérique du Sud, en particulier au Brésil où la biodiversité est là aussi très importante. En 1989 avait été mise sur pied une police environnementale, qui devient en 2005 une brigade militaire environnementale placée sous l’autorité du ministère de la fonction publique. La brigade est présente dans 25 des 27 États brésiliens, et a pour mission de faire respecter la législation environnementale. Des activités directement liées à la protection de la biodiversité sont entreprises : contrôle de la chasse et de la pêche, d’animaux détenus en captivités ou maltraités, de l’exploitation illégale de bois, du prélèvement de plantes protégées, etc. La brigade a à son actif le démantèlement d’un trafic de chinchillas ou de tortues aquatiques. La brigade participe de plus à un projet de conservation de la forêt atlantique (Mata atlântica en portugais), formation végétale de type forêt tropicale humide du Brésil, source de biodiversité unique et dont plusieurs dizaines de millions de brésiliens dépendent. Cette forêt est menacée de disparition, son aire de distribution ayant diminué de moitié depuis 1500. La brigade militaire environnementale effectue en particulier un suivi par géo référencement de cet écosystème43.

Un possible accaparement des terres au nom de la biodiversité ? Les pratiques des firmes pharmaceutiques et agro-alimentaires pour profiter au mieux des terres et des ressources sont largement décrites dans la bibliographie – Vandana Shiva en dresse d’ailleurs une description accablante en Inde dans son ouvrage Le terrorisme alimentaire 44. On assiste également à une guerre des terres dans laquelle des États exploitent le territoire d’autres États pour assurer leur sécurité alimentaire. La location de terres agricoles à Madagascar par la Corée du Sud a ainsi déclenché le renversement du gouvernement Malgache en place. La mise en culture de terres, y compris pour la production de bioéthanol, se fait au mépris de la biodiversité en place lorsque les terres n’étaient pas préalablement défrichées, mais aussi au mépris des populations locales et de leur propre sécurité alimentaire. Des terres sont également achetées pour en protéger la biodiversité. Des clubs de riches « philanthropes » estiment pouvoir faire une différence en investissant des millions pour la protection de la biodiversité. Dans son livre Les pionniers de l’or vert 45, Dominique Nora décrit les réunions environnementales organisées par Richard Branson, ex-propriétaire du groupe Virgin, dans sa résidence privée des Caraïbes où sont conviés, entre autres invités de choix, l’ex-premier ministre britannique Tony Blair, Larry Page (le cofondateur de Google), ou Jimmy Wales (le patron de Wikipedia). Outre réfléchir à la cause environnementale, ces milliardaires achètent des milliers d’hectares dans l’hémisphère sud, notamment en Amérique latine.

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L’américain Douglas Tompkins, fondateur des marques The North Face et Esprit a ainsi acheté par conviction écologique en 1999 en Argentine puis au Chili 2,1 millions d’acres (soit une superficie égale à celle de Chypre), pour l’extraire à l’activité humaine et la rendre à la nature. Le « philanthrope » agit en adéquation avec les préceptes de la deep ecology développée par Arne Naess, philosophe norvégien, selon laquelle les besoins de l’ensemble des espèces et des écosystèmes de la biosphère doivent être pris en compte avant ceux de l’humanité. Douglas Tompkins prône donc la conservation de la riche biodiversité de la région d’Ibera et sa reconversion à des fins écotouristiques. Il a œuvré à la réintroduction d’espèces telles que le cerf des marais, le fourmilier ou même le jaguar. Le milliardaire a par ailleurs créé une compagnie, la Conservation Land Trust 46, qui emploie une centaine d’habitants et subventionne les gardes forestiers, la mairie, et des projets sociaux47. Ses démarches ne sont pas sans générer des tensions dans la région. Une fondation anti-Tompkins – Ibera, du nom de la région – a vu le jour pour lutter contre ce qu’elle considère comme une ingérence menant des activités touristiques réservées à des riches sur des terres que les agriculteurs occupent depuis cinq générations. Les locaux ainsi que les militaires argentins s’interrogent sur la finalité de ces achats fonciers. Certains estiment que ce type d’action participe de la nouvelle vague d’accaparement de la biodiversité et des réserves aquifères d’Ibera. Tompkins quant à lui assure avoir le projet de faire donation de ces terres au gouvernement argentin pour la création d’un parc national48. En Patagonie déjà, le milliardaire avait acheté le Parc Pumalin géré par une fondation de droit chilien, propriété qui reviendrait à l’État chilien à la mort de Tompkins49. Les organisations non-gouvernementales et les fondations de protection de la nature achètent également des terres pour les extraire à l’activité humaine et en protéger la biodiversité, ou reçoivent des terres en don. C’est aujourd’hui devenu une pratique courante de protection. Le World Wide Fund et The Nature Conservancy collectent ainsi des dons pour acheter ou louer des terres et tout individu en un simple clic peut acquérir virtuellement une parcelle de forêt amazonienne. Le milliardaire américain Gordon Moore, cofondateur d’Intel, a ainsi fait don de 261 millions de dollars US pour que sa fondation puisse devenir propriétaire d’une concession et préserver la biodiversité de la vallée Madre de Dios au Pérou. Michael Steinhart, philanthrope new-yorkais, a lui aussi récemment acheté les deux îles situées les plus à l’ouest des Falkland pour en faire don à l’ONG Wildlife Conservation Society. Là encore, ces achats occasionnent des tensions avec les gouvernements et le Brésil souhaite empêcher l’homme d’affaires anglo-suédois Johan Eliasch d’acquérir des forêts tropicales via son association Cool Earth. La philanthropie écologique est un phénomène marquant dans la protection de l’environnement de ces dernières années qui suscite la méfiance et l’hostilité locale50. Mais outre leurs nobles (et peut-être prétendues) motivations philanthropiques, les riches hommes d’affaires qui investissent dans les terres du sud à forte biodiversité savent parfois en retirer une forte rentabilité. Luciano et Carlo Benetton possèdent en effet 800 000 hectares en Patagonie qu’ils rentabilisent avec l’élevage de moutons, leur valant un conflit avec les Indiens mapuches51.

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Les missions militaires au service de la biodiversité

L’innovation technologique grâce à la biodiversité La biodiversité est depuis longtemps une ressource stratégique. Les grandes expéditions ont permis d’apporter en Europe la tomate, la pomme de terre, la courgette, la pintade, le maïs, etc. qui représentent des millions d’euros en production. Les militaires ont d’ailleurs joué un rôle dans l’accumulation de ce patrimoine génétique agricole. Jack Kloppenburg52 indique en effet qu’en 1819, le Secrétaire au Trésor américain donna l’instruction aux officiers consulaires de collecter des plantes ou des semences qui pourraient se révéler utiles à l’agriculture du pays ; en ouvrant l’accès des ports du Japon à la fin du XIXe siècle, les canonnières de l’amiral Perry ramenèrent également des semences et des plants de riz, de soja et de citronniers ; un aviateur américain, de retour de la seconde guerre mondiale, aurait ramené de Chine le porte-greffe nain pour des variétés de pêches contemporaines ; autre cas, un sélectionneur de plante aurait découvert puis ramené un plan de concombre qui permis le développement des concombres hybrides alors qu’il travaillait comme horticulteur pour le Commandement de l’armée américaine en Corée. Les variétés agricoles développées se basent sur un nombre restreint de gènes, les rendant vulnérables aux attaques d’organismes nuisibles et aux changements. Pour pallier ces faiblesses, la biodiversité et l’agrobiodiversité sont là encore appelées à la rescousse. Les gènes d’une espèce turque de blé ont ainsi été injectés dans les variétés américaines de blé, les rendant résistantes à la rouille jaune, évitant des pertes de rendements estimées à 50 millions de dollars US par an. Selon le même mécanisme, un gène éthiopien renforce la protection des variétés d’orge américaines contre la jaunisse, les pertes se chiffreraient autrement à quelques 150 millions de dollars US par an. Il existe de plus de nombreux exemples d’utilisation d’espèces animales et végétales à des fins technologiques ou commerciales. Francis Hallé, professeur de botanique et initiateur du radeau des cimes, estime par exemple que les plantes des canopées des forêts tropicales constituent une réserve de molécules nouvelles53. Ces molécules représentent le point de départ des parfums et des médicaments du futur. Par exemple, l’écorce du quinquina, petit arbre d’Amérique du Sud, a longtemps été le seul remède contre le paludisme. La bioremédiation fait aussi usage de la biodiversité en dépolluant les sols et les eaux avec des organismes vivants (des plantes ou des micro-organismes). Les espèces et leur fonctionnement sont également à la base de nombreuses découvertes scientifiques et technologiques. Dominique Nora, dans son livre Les pionniers de l’or vert 54, décrit quelques cas d’utilisation d’espèces pour l’innovation technologique dans le domaine de la production d’énergies propres. Des micro-organismes sont en mesure de dégrader la cellulose, matière organique la plus représentée sur terre, pour produire de l’éthanol. Un champignon des forêts de Patagonie, Gliocladium roseum (Ascomycètes), exhalerait les mêmes molécules que les diesels et les micro-algues représentent elles aussi une source d’innovation pour les énergies renouvelables. Les molécules dont recèlent ces espèces, produits de la biodiversité, servent de « modèles » une fois identifiées et sont copiées par des procédés technologiques

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La biodiversité, un enjeu international

pour produire à grande échelle énergies, médicaments, et autres biens de consommation. La première étape dans ce processus consiste à découvrir les espèces qui pourraient être à la base de telles productions, étape appelée « bioprospection ». Ces découvertes peuvent être entachées du risque de « biopiraterie ». Christian Moretti et Catherine Aubertin55 donnent un bon aperçu des stratégies de bioprospection des firmes pharmaceutiques et agro-alimentaires. Un très rapide descriptif de ce qu’est la biopiraterie est brossé ci-dessous, sans entrer dans la complexité juridique du sujet. La Convention sur la diversité biologique (CDB), selon son article 8, reconnaît que les ressources génétiques des écosystèmes – principalement tropicaux – représentent un gisement de matières premières et une source d’innovation pour les industries, notamment pharmaceutiques et agroalimentaires. En termes de chiffres, le syndicat français des entreprises du médicament estimait le marché mondial du médicament à 550 milliards de dollars US pour l’année 2004. Le marché a connu ces dernières décennies une grosse augmentation de la demande en produits naturels à base de plantes (ex. produits cosmétiques), qui s’est traduite aux États-Unis par le Dietary Supplement Health and Education Act, adopté par le Congrès en 1994, permettant la commercialisation en masse de produits à base de plantes comme compléments alimentaires. Les industries sont ainsi tentées d’effectuer des bioprospections pour identifier de nouvelles substances, en s’appuyant sur les connaissances des peuples indigènes quant à l’utilisation des espèces, principalement des plantes. L’utilisation de savoirs ancestraux indigènes par les industriels à des fins commerciales sans que les indigènes n’en perçoivent aucun bénéfice est considérée comme de la biopiraterie. La biopiraterie inclut non seulement l’utilisation non autorisée de ressources biologiques, de connaissances sur les ressources biologiques des communautés indigènes, mais aussi le brevetage de ressources biologiques sans respecter les critères de brevetabilité (exigeant la nouveauté, l’inventivité et l’utilité de la découverte). Certaines firmes pharmaceutiques se sont vues accusées de biopiraterie. À titre d’exemple, une organisation gouvernementale sud-africaine, le South African Council for Scientific and Industrial Affairs (CSIR) s’intéressait dans les années 1960 aux propriétés des plantes toxiques et comestibles de la région du Kalahari pour fournir des informations aux forces de défense sud-africaines. Le CSIR déposait en 1995 une demande de brevet en Afrique du Sud pour la découverte du composé actif P57, une substance qui supprimerait l’appétit, extraite d’un cactus du genre Hoodia. Le CSIR signait en 1998 un contrat de licence avec Phytopharm, une petite entreprise pharmaceutique anglaise, pour le développement et la commercialisation du Hoodia. Ce programme débouchait la même année sur un accord avec l’une des plus grosses firmes pharmaceutiques du monde, l’américaine Pfizer, qui après une fusion, rétrocéda la licence à Phytopharm. Toutes ces tractations ont été effectuées sans considérer que traditionnellement, la tribu San vivant autour du désert du Kalahari en Afrique du Sud utilise le cactus Hoodia comme coupe-faim lorsque les hommes partent à la chasse pendant de nombreuses heures. Aucun accord n’avait été passé avec la tribu pour l’utilisation de leur savoir, Phytopharm ayant cru que « la

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Les missions militaires au service de la biodiversité

tribu était éteinte »56. Le CSIR est alors accusé de biopiraterie. En 2001, les leaders de la communauté San armés d’avocats attaquent le CSIR en justice et obtiennent finalement 6 % des royalties sur la commercialisation du P57. Cependant, les San sont une communauté diversifiée, et il a été impossible d’entamer les négociations avec l’ensemble de la communauté. Ce partage des bénéfices soulève de plus de nombreuses questions quant à l’identité des bénéficiaires, ou la marchandisation des savoirs traditionnels57. Du fait de la durée limitée de protection des brevets et des risques de conflits auxquels elles s’exposent, les firmes ont à l’heure actuelle tendance à externaliser la bioprospection en la confiant à des intermédiaires. De nouveaux accords voient le jour entre différents acteurs, les firmes s’affranchissant des obligations liées à la CDB en demandant aux fournisseurs de s’en charger eux-mêmes. Les intermédiaires peuvent être des firmes de courtage qui collectent et vendent des spécimens biologiques, mais aussi des jardins botaniques, des associations de protection de l’environnement, des ONG ou des ethnobotanistes travaillant sous contrat avec des entreprises. Des institutions nationales s’investissent également dans la constitution de bibliothèques de cibles et de molécules : l’International Cooperative Biodiversity Groups (ICBG)e et le National Cancer Institute aux États-Unis, le Central Natural Product Pool en Allemagne, le programme de chimiothèque nationale du CNRS en France58. Ces initiatives associent des institutions de recherche publiques et des entreprises. L’ICBG, institution publique américaine, s’est elle aussi vu accusée de biopiraterie. Son objectif affiché est de « guider la découverte de nouvelles substances naturelles, la recherche en botanique, en ethnomédecine, en protection des végétaux, et l’exploration de bioénergies, pour fournir aux communautés locales, aux universités et autres organisations des pays à revenu faible à moyen, les bénéfices de leurs richesses biologiques ». L’ICBG estime que le partage des bénéfices pourrait « fournir des encouragements à la préservation et à l’utilisation durable de cette biodiversité »59. Cette institution est financée par différentes agences nationales américainesf. Au Mexique en 1999, le projet ICBG-Chiapas avait pour but la bioprospection des plantes médicinales et des savoirs traditionnels mayas et un budget de 2,5 millions de dollars US. Après 2 ans d’opposition, les peuples indigènes du Chiapas ont obtenu l’arrêt du projet qu’ils considéraient comme de la biopiraterie60. Les pays du Sud riches en biodiversité se dotent petit à petit de procédures d’accès aux ressources. Au Costa Rica, l’INBio (Institut national de la biodiversité), institution privée, n’autorise l’accès aux forêts qu’à condition qu’un contrat fixant les conditions de partage des avantages qui profitent au pays soit signé. Les

e. L’ICBG est un projet aux thèmes interdépendants qui traite de l’exploration et de la découverte biologique, des bénéfices socio-économiques et de la conservation de la biodiversité. f. L’ICBG est financée par les National Institutes of Health (NIH), la National Science Foundation (NSF), le US Department of Agriculture (USDA), National Institute for Food and Agriculture, le Department of Energy (DOE), Office of Biological and Environmental Research, et la National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA) Oceans and Human Health Program.

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communautés indigènes n’en auraient cependant pas vraiment vu les retombées. L’Indonésie instaure une taxe d’entrée, qui aurait même déjà dissuadé des entreprises d’y effectuer des recherches.

Les traités internationaux perçus comme un nouvel impérialisme La biodiversité est traditionnellement entendue comme faisant partie des ressources naturelles d’un État, et est par conséquent soumise au principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles, formant la base du droit à l’autodétermination61. Une grande partie de la biodiversité est située dans les régions tropicales et subtropicales de pays en voie de développement. L’argument selon lequel la biodiversité devrait être considérée comme un bien commun de l’humanité et non plus comme une ressource exploitable est souvent considéré par les pays du Sud comme un impérialisme du nord pour empêcher les anciennes colonies de bénéficier de leurs ressources. Les traités multilatéraux environnementaux sont ainsi parfois considérés par les pays du Sud comme une nouvelle forme d’impérialisme. L’écologiste et activiste Vandana Shiva estime que « ces instruments sont destinés à faire payer au tiers monde les dommages causés par le nord » et que « cet éco-impérialisme est une atteinte à la souveraineté ». En attestent les résistances et critiques envers les Protocoles de Montréal et de Kyoto, la Convention de Bâle et autres traités bilatéraux, pour la plupart tirés de l’article de Shiraz Sidhva62. Le Protocole de Montréal (qui compte 197 Parties en 2012) réglemente plusieurs substances connues pour appauvrir la couche d’ozone, dont les gaz CFC (ou chlorofluorocarbones, utilisés par exemple dans les réfrigérateurs). Ce protocole interdit la production et l’utilisation de plusieurs de ces substances et applique aux autres une réglementation stricte. Il se base sur le principe de précaution. Il s’appuie également sur le principe de la responsabilité commune mais différenciée, et un fond est destiné à aider les pays en développement à se libérer de la dépendance à l’égard des substances réglementées. Cependant, l’Inde et la Chine qui ont respectivement ratifié le protocole de Montréal en 2006 et 1991, ne consomment que 2 % des CFC contre 29 % pour les États-Unis qui refusent toujours de signer ce protocole. Le protocole de Kyoto (194 Parties en 2012) adopté en 1997 vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce mécanisme est perçu lui aussi comme une tentative des pays riches pour asservir les pays pauvres afin de ne rien changer à leurs comportements. En effet, en finançant des projets forestiers ou d’efficacité énergétique, les pays industrialisés se sentiraient dispensés d’avoir à réduire leurs propres émissions. Les écologistes craignent par cette pratique de voir l’Amazonie et d’autres forêts primaires transformées en « puits de carbone » absorbeurs de pollution, ce qui aurait des effets secondaires dommageables pour les pays du Sud. Autre exemple, la Convention de Bâle, entrée en vigueur en 1992, qui contrôle les mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination (179 Parties en 2010). Cette convention trouve son origine dans la crainte des pays en développement, notamment ceux

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Les missions militaires au service de la biodiversité

d’Afrique, de devenir une décharge pour les déchets dangereux qui ne pouvaient plus être éliminés dans les pays développés. La Convention de Bâle impose des restrictions au commerce des ferrailles et des matériaux recyclables, au motif qu’ils sont dangereux pour l’environnement. L’exportation de produits dangereux de pays développés membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) vers des pays non-membres de l’OCDE est interdite. Ses détracteurs estiment cependant qu’elle a eu pour conséquence d’exclure les pays pauvres du marché lucratif des composants informatiques recyclables et de la ferraille. Dans le cadre de traités commerciaux bilatéraux également, des pratiques peuvent être perçues comme un protectionnisme caché entre des pays du Nord et du Sud au prétexte de causes environnementales, les négociations étant principalement impulsées par les pays du Nord63. Les États-Unis ont été accusés de protectionnisme lorsqu’ils ont interdit l’importation de thon mexicain parce que des dauphins étaient piégés et tués dans les filets lors de la pêche. En 1996, les crevettes d’Inde, du Pakistan, de Thaïlande et de Malaisie ont également été interdites aux États-Unis au motif que ces pays négligeraient la protection des tortues de mer. Pour les pays exportateurs, les sanctions visaient en fait à éliminer la concurrence. Ce cas crevette/ tortue a d’ailleurs fait grand bruit et n’a pas donné raison aux États-Unis64. Autre cas concernant l’exploitation des forêts. Au début des années 1990, la Malaisie et l’Indonésie ont lutté contre une loi autrichienne visant officiellement à protéger les forêts tropicales humides. L’Autriche prétendait se fournir en bois uniquement dans les forêts gérées de façon durable, alors que cette restriction ne s’appliquait pas au bois des régions tempérées. L’Autriche a fini par abroger cette loi. Le trafic d’espèces, la biopiraterie, l’achat de terres, le détournement de traités internationaux démontrent que la biodiversité, de plus en plus reconnue pour sa valeur, subit les abus des logiques de marché. Les ressources naturelles et la biodiversité ont même un lien avec l’éclatement de conflits.

Quelles relations entre biodiversité, ressources naturelles et conflits ? Biodiversité, ressources naturelles et conflits sont liés à plusieurs titres. Les conflits représentent une source de destruction majeure de l’environnement et de la biodiversité, mais la perte de biodiversité et les ressources naturelles peuvent également être à la source de conflits.

Les impacts des conflits sur l’environnement Il est estimé que les missions militaires et les guerres sont les activités les plus polluantes et les plus destructrices qu’il soit pour l’environnement. Les impacts des conflits sur l’environnement sont très bien documentés65,66 et peuvent être de diverses natures : directs, indirects ou institutionnels.

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La biodiversité, un enjeu international

Les impacts directs sont causés par la destruction physique d’un écosystème ou d’espèces, ou par la pollution de l’environnement. Ces impacts sont les plus visibles et découlent de l’utilisation de produits chimiques, de mines et autres armes, de la dispersion de débris lors d’explosions ou du mouvement des troupes. Les exemples sont légion. Au Mozambique, des éléphants ont été tués par des mines terrestres. Ces impacts ne sont d’ailleurs pas limités aux pays attaqués, la pollution de l’air et de l’eau pouvant affecter les pays voisins. Le cas du conflit du Kosovo de 1999 a conduit au bombardement par l’OTAN de complexes industriels, déversant du pétrole mais aussi tout un cocktail de substances chimiques dans l’atmosphère, dont les fumées se sont déplacées jusqu’en Bulgarie et en Roumanie. Dans certains cas, les ressources naturelles telles l’eau, les forêts ou même les espèces dont dépendent les populations sont prises pour cible afin d’obtenir un avantage stratégique. Le cas du général Sheridan, décimant directement les troupeaux de bisons américains en 1865, et déstabilisant toute la stratégie de survie des Amérindiens est bien connu. La végétation peut aussi être coupée, brûlée, défoliée pour accroître la mobilité et la visibilité des troupes. En 1991, l’armée rwandaise a fauché une bande de forêt de bambou de 50 à 100 m de large à proximité du Parc national du volcan du Virunga pour réduire les risques d’embuscade67. Les impacts indirects résultent de l’action des populations locales pour survivre durant ou après un conflit. Ces impacts se traduisent par la destruction de la végétation par une population de réfugiés pour y implanter une culture vivrière. Toujours dans la zone des volcans du Virunga qui chevauche le Rwanda, l’Ouganda et la République démocratique du Congo, les conflits ont poussé les populations à migrer massivement et à couper les arbres pour subsister, conduisant à la destruction de la forêt primaire et à l’érosion des sols68. Dernier type d’impacts, ceux dits institutionnels qui découlent d’une perturbation de l’ordre politique en place et entraînent l’arrêt des initiatives environnementales, comme par exemple la fermeture de parcs nationaux. Au Rwanda, les deux tiers de l’aire du parc national Akagera ont perdu leur statut de protection durant les conflits, et des réfugiés s’y sont installés avec leur bétail, faisant disparaître de la zone des espèces d’ongulés, comme l’antilope rouanne et l’élan commun69. Ces conflits poussent de plus à l’exode les personnes qui avaient la compétence pour mener des programmes de conservation. Même une fois les hostilités terminées, les effets néfastes d’une nature dévastée persistent. La destruction d’un écosystème – dont dépendent généralement des populations – est bien souvent irréversible, tout comme les bienfaits et services qu’il prodiguait. Une rivière polluée par l’extraction du pétrole comme au Nigeria ne permet plus de se procurer de l’eau et du poisson, et une forêt tropicale une fois détruite ne fournit plus d’abris, de fruits ou de gibier. Les militaires sont également les vecteurs, involontaires ou volontaires, d’espèces envahissantes ayant des effets néfastes sur l’environnement, l’agriculture et autres activités, même longtemps après leur introduction. Les espèces envahissantes sont en effet considérées comme une cause majeure de perte de biodiversité, et les organismes nuisibles (ravageurs, mauvaises herbes, etc.) grèvent d’une lourde part la

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Les missions militaires au service de la biodiversité

production agricole. Pour ne citer que les espèces végétales, l’armée française a introduit à Fort Dauphin à Madagascar en 1768 un cactus, Opuntia monacantha, pour former des barrières autour du fort, espèce qui s’est par la suite révélée envahissante. La Seconde Guerre mondiale a particulièrement favorisé l’introduction de mauvaises herbes dans le Pacifique, certaines espèces étant véhiculées accidentellement par les équipements militaires. D’autres espèces ont été délibérément plantées comme le chiendent Cynodon dactylon, pour revégétaliser des sites dévastés par les activités militaires70. Cependant, dans certains cas, la guerre peut se révéler protectrice malgré elle. La création d’une zone démilitarisée ou l’occupation de factions armées dans une forêt rendent toute urbanisation et toute exploitation commerciale des écosystèmes impossibles, les protégeant de façon indirecte. Entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, une zone démilitarisée de 250 km de long et 4 km de large a été établie en 1953 sur le 38e parallèle, suite à l’armistice signé entre les belligérants de la guerre de Corée. Cette zone et ses abords abriteraient entre 40 % et 60 % de la biodiversité de la péninsule coréenne, qui compte des cerfs d’eau, des ours noirs, et dont les marais offrent une halte aux grues blanches et aux hérons en migration. Le futur de cet écrin de biodiversité oscille aujourd’hui entre être déclaré parc national, ou être transformé en pôle industriel71. En Colombie, les guérilleros protègent indirectement la forêt par leur présence. Le documentaire d’Éric Flandrin, L’homme aux serpents 72, retrace l’itinérance d’un vétérinaire colombien transportant des serpents dans un bus pour les montrer en spectacle à travers le pays. L’homme réussi à franchir les zones de guerre et à se rendre aux fins fonds de la jungle occupée par les guérilleros depuis plus de 50 ans. La guerre civile a protégé malgré elle la forêt primaire de Colombie qui autrement aurait été exploitée pour son bois, ses espèces, mais également son sol riche en or, en émeraude, en uranium et en nickel.

Le rôle des ressources naturelles dans les conflits Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE)73 note que depuis 1990, les ressources naturelles et/ou la dégradation de l’environnement ont joué un rôle dans au moins 18 conflits violents. L’ONG Swisspeace effectue depuis 1998 dans 20 pays du Sud un suivi des conflits et événements qui mènent à l’escalade de tensions ou à des projets de coopération. Swisspeace relativise le rôle des ressources naturelles dans les conflits. Seulement 4,5 % des événements recensés par l’ONG sont liés à un problème environnemental, et 3,5 % sont liés à une ressource naturelle. Pour des pays ayant des ressources pétrolifères comme l’Angola ou le Kazakhstan, plus de 11 % des tensions ou des actions de collaboration sont liées d’une façon ou d’une autre à l’environnement. Au contraire, ce pourcentage est quasiment nul dans le cas de l’Afghanistan ou du Kosovo. Il ressort également de l’analyse que la moitié des événements qui comprennent des aspects environnementaux sont de nature à favoriser la coopération, plutôt qu’à créer des tensions. Swisspeace, à l’instar des

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autres chercheurs, conclut que le lien entre les paramètres environnementaux et la violence n’est pas direct, mais que l’environnement joue quand même un rôle crucial pour expliquer l’escalade de violence74. Le rôle des ressources naturelles dans les conflits a par ailleurs fait l’objet de nombreuses recherches et théories abordant en général le sujet sous l’angle de la rareté ou de l’abondance d’une ressource.

Le rôle de la rareté ou de l’abondance d’une ressource Thomas Homer Dixon75 démontre que la rareté d’une ressource peut, en combinaison avec d’autres facteurs sociaux, conduire à des conflits. C’est notamment le cas pour l’accès aux terres, cause ancestrale de conflit ; pour les forêts ; pour les pêcheries ; pour l’air – dans ce cas, c’est la pollution de cette ressource plutôt que sa rareté qui est susceptible d’occasionner des tensions ; pour l’eau, ressource indispensable à la vie annoncée comme une source potentielle de conflits entre pays qui partagent un même bassin hydrographique (ex. le Nil, le Tigre, l’Euphrate, le Gange)76. Au Rwanda, la rareté des ressources naturelles aurait été sous-estimée comme cause directe du conflit et du génocide des années 1990. La dépendance de l’État et de nombreux producteurs aux exportations de café, alors que le cours de cette denrée diminuait, aurait constitué le facteur structurel conduisant à un affaiblissement de l’État et à une radicalisation puis à des meurtres de masse. L’abondance d’une ressource naturelle peut aussi devenir une malédiction pour un pays. Les pays dont l’économie dépend de l’export d’un nombre restreint de matières premières sont fragilisés, non seulement par les fluctuations des cours internationaux, mais aussi par les difficultés à développer l’emploi. Le cas est bien connu pour les diamants, les ressources minières (gaz, etc.) et le pétrole. Les ressources naturelles renouvelables comme le bois, les pêcheries, le charbon de bois, et des plantes cultivées (l’opium, le cacao, le coton, l’huile de palme, etc.) répondent à ce même schéma et ont conduit à des situations de conflit. Le bois, les pêcheries et des espèces telles le Yarsa gumba sont des ressources directement issues de la biodiversité, prélevées dans les écosystèmes. Opium, cacao, café, caoutchouc, huile de palme sont en outre indirectement issues de la biodiversité puisque cultivés, souvent au détriment des écosystèmes naturels existants. Le tableau page suivante présente des exemples de conflits nationaux initiés ou alimentés par des ressources naturelles. Non seulement la présence de ressources induit des mécanismes qui conduisent à des conflits, mais elle entretient ces conflits. Une étude rétrospective sur des conflits interétatiques indique que les conflits associés à des ressources naturelles ont deux fois plus de chances de rechute dans les cinq premières années suivant leur résolution77. Lorsqu’un pays dispose d’une ressource, ce dernier a en effet tendance à ne pas diversifier son économie et à ne pas investir dans le développement d’infrastructures. Pire, les bénéfices de l’exploitation de ressources naturelles en zone de guerre peuvent entretenir un conflit en permettant l’achat d’armes et en enrichissant les seigneurs de guerre ou les membres corrompus de gouvernements78. De manière générale, après un conflit, l’économie nationale peut s’effondrer des suites d’un dérèglement du commerce ou d’une perte d’investissements étrangers ou de

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Les missions militaires au service de la biodiversité

recettes touristiques. Une économie de guerre se met alors en place, favorisant les réseaux illicites de ressources naturelles telles que la viande de brousse, l’ivoire, les diamants, le bois d’œuvre. Une grande proportion des conflits éclate d’ailleurs dans des zones de forêt (ex. Angola, Bangladesh, Cambodge, Colombie, Guatemala, Myanmar, Népal, Philippines). Les zones boisées tendent à être inaccessibles, il est donc facile pour des groupes armés de s’y cacher, d’y pêcher et d’y chasser ; les groupes armés peuvent de plus financer leurs activités en exploitant bois, pétrole, ou produits miniers présents dans ces forêts, ou en en extorquant les bénéfices liés à leur exploitation. Pour illustrer les complexes mécanismes à l’œuvre, le cas du Soudan est souvent mentionné. Ce pays a souffert d’un protectorat armé pendant

Pays

Dates des conflits

Ressources naturelles à la base de conflits

Afghanistan

1978-2001

Pierres précieuses, bois, opium

Cambodge

1978-1997

Bois, pierres précieuses

Colombie

1984-présent

Pétrole, or, coca, bois, émeraudes

Côte-d’Ivoire

2002-2007

Diamants, cacao, coton

Indonésie - Aceh

1975-2006

Bois, gaz naturel

Liberia

1989-2003

Bois, diamants, fer, huile de palme, cacao, café, caoutchouc, or

Népal

1996-2007

Yarsa gumba (champignon ayant des vertus aphrodisiaques)g

Somalie

1991-présent

Poisson, charbon de bois

Source : Ross M. (2004), « The Natural Resource Curse: How Wealth Can Make You Poor? » In: I. Bannon & P. Collier (eds.), Natural resources and violent conflict, World Bank, Washington, D.C. dans UNEP (2009), From conflict to peacebuilding. The role of natural resources and the environment, Geneva, 44 p.

g. Le Yarsa gumba est un champignon entomopathogène qui a lui seul a déclenché des conflits entre villages au Népal entre 1996 et 2007. À la saison des pluies, ce champignon parasite les chenilles Himalayennes des prairies situées entre 300 et 400 mètres d’altitude au Népal, au Bhutan, en l’Inde et au Tibet. Le parasite ressort par la tête de la chenille et la tue. Lorsque la neige fond, ces chenilles sont récoltées par les villageois pour en recueillir le Yarsa gumba. Le champignon a de nombreuses vertus médicinales, il est utilisé en médecine traditionnelle contre les infections pulmonaires, la sciatique, le mal de dos, mais est surtout connu comme « le viagra de l’Himalaya ». Les milliardaires, notamment chinois, se l’arrachent, son prix pouvant atteindre 2000 à 6000 dollars US le kilo. Cette manne ramassée sous la neige constitue la seule source de revenus des villageois. Chaque année, des centaines de Tibétains traversent illégalement la frontière népalaise pour acheter le champignon et le revendre en Chine. Le Yarsa gumba a conduit à des meurtres, à des emprisonnements, et le gouvernement doit délivrer des autorisations pour prélever l’espèce, prélèvement qui selon la tradition locale était interdit.

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50 ans et d’une longue guerre civile. L’eau est rare dans le Sahel et la zone souffre de sécheresses à répétition, probablement liées au changement climatique. L’arrivée de réfugiés de guerre d’autres zones du sud du Soudan ont exercé une forte pression démographique entraînant un surpâturage et des déforestations ayant pour conséquence une diminution des terres fertiles. L’escalade des tensions entre agriculteurs, nomades et bergers dans cette zone où 75 % de la population dépend des ressources naturelles pour sa survie a conduit à une situation de conflit. Malgré un accord de paix signé en 2005 qui a conduit en 2011 à la partition du pays, les conflits ayant pour cause la rareté des ressources des terres arables, de l’eau, et du bois demeurent des facteurs déstabilisants au Soudan et au Soudan du Sud79.

Mécanismes et interactions sociaux, économiques et environnementaux Les rôles de la rareté ou de l’abondance de ressources environnementales dans les conflits ne sont pas simples et directs, et résultent souvent d’interactions plus complexes avec d’autres facteurs. Pour faire simple, trois courants d’idées tentent d’expliquer les interactions entre les caractéristiques sociales et environnementales des conflits ayant pour origine des ressources naturelles. Certains auteurs estiment que la rareté de ressources environnementales est un facteur-clé dans le déclenchement de conflits (ex. Robert Kaplan). C’est tout du moins pour Thomas Homer Dixon une combinaison entre rareté de la ressource, décroissance économique et migrations de populations afférentes qui serait à la source de tensions. D’autres auteurs tels Mohamed Salih, Nancy Lee Peluso, voire même Philippe Le Billon et Michael Watts considèrent que l’accès à la ressource et son contrôle ainsi que les tensions politiques sont les facteurs essentiels de déclenchement de conflits. Ce serait donc l’inégal partage des pouvoirs qui engendreraient un déclin environnemental. Enfin, d’autres auteurs comme Paul Collier et Anke Hoeffer estiment que la disponibilité en ressources financières dans des situations de mauvaise gouvernance serait la clé de ce type de conflit. De nombreux travaux existent sur le sujet, tentant de modéliser les relations entre facteurs sociaux, économiques et environnementaux d’une part, et conflits d’autre part. Mettre en évidence les mécanismes qui sous-tendent les conflits est de prime importance pour pouvoir les prévenir. Les travaux de Philippe Le Billon sont ici indiqués à titre d’exemple. Cet auteur considère que la nature du conflit change selon que la ressource est produite ou extraite. Pour une ressource extraite (comme les minéraux), la violence a de grandes chances de prendre une forme physique afin d’assurer un contrôle territorial de cette ressource, comme ce fut le cas au Congo Brazzaville en 1997 pour maîtriser les puits de pétrole. Lorsqu’il s’agit de ressources renouvelables comme des cultures céréalières, la violence prend le plus souvent une forme structurelle, comme des formes de travail coercitives ou un contrôle sur le commerce. Cette violence structurelle peut avoir comme effets secondaires des violences physiques. Les groupes rebelles auront tendance à s’établir là où les ressources sont présentes et à proximité des voies de transport. Philippe Le Billon distingue ensuite les ressources « distantes »

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ou « proches ». Une ressource proche d’une capitale aura moins de chances d’être accaparée par des rebelles qu’une ressource proche d’une frontière. Les pâtures à proximité de la capitale et de camps militaires seront alors préférées par les bergers afin d’éviter les raids (ex. Ouganda). La distinction est également faite entre les ressources situées à un point et les ressources diffuses. Les ressources « point » sont concentrées en un seul endroit (ex. ressources minières), alors que les ressources diffuses sont réparties sur des aires plus vastes (ex. agriculture, foresterie, et pêcherie). Les relations entre la nature et la géographie d’une ressource et le type de conflit sont synthétisées de la façon suivante : Ressource « point »

Ressource « diffuse »

Ressource « proche »

Coup d’État / contrôle de l’État – Gaz (Algérie) – Pétrole (Angola, Tchad, Congo-Brazzaville, Irak-Iran, Irak-Koweït) – Café (Nicaragua, Rwanda) – Rutile (Sierra Leone) – Minerai de fer (Liberia) – Caoutchouc (Liberia)

Rébellion / émeutes – Café (El Salvador) – Eau (Israël-Palestine) – Terres arables (Guatemala, Mexico, Sénégal/Mauritanie)

Ressource « distante »

Sécession – Pétrole (Angola/Cabinda, Caucase, Nigeria/Biafra, Soudan) – Cuivre, cobalt et or (R.D. Congo) – Pétrole, cuivre et or (Indonésie) – Phosphate (Maroc/Sahara Occidental) – Cuivre (Papouasie Nouvelle Guinée/Bougainville) – Marijuana (Sénégal/Casamance)

Seigneurs de guerre – Opium (Afghanistan) – Diamants (Angola, Sierra Leone) – Drogues (Caucase, Tadjikistan) – Cocaïne (Colombie, Pérou) – Héroïne (Kurdistan) – Hashish (Liban) – Marijuana et bois (Philippines, ancienne Yougoslavie) – Bananes et chameaux (Somalie) – Opium et bois (Birmanie) – Pierres précieuses et bois (Cambodge)

Source : Le Billon P. (2001), « The Political Ecology of War: Natural Resources and Armed Conflict », Political Geography 20: 561-584.

Selon cette catégorisation, le bois issu de forêts primaires correspond à une ressource diffuse et distante et la biodiversité serait plutôt considérée comme une ressource diffuse. De nombreux autres modèles tentent de comprendre l’escalade de tensions. L’équation se complique encore en considérant les effets potentiels du changement climatique.

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Biodiversité et changement climatique Bien que le sujet puisse encore parfois faire polémique, il est aujourd’hui largement admis que le changement climatique sera un facteur déterminant pour les bouleversements environnementaux futurs. Depuis la révolution industrielle, la température à la surface de la terre a augmenté d’environ 0,8 °C, et devrait encore augmenter de 0,5 °C d’ici 2030. Les régions les plus exposées sont les zones polaires du nord où la neige fond, et les forêts tropicales où la température est déjà très élevée. Les phénomènes prédits d’ici 2050, même si l’incertitude est forte, sont des sécheresses plus fréquentes, l’augmentation du niveau de la mer et la disparition de glaciers de montagne. La disparition de la forêt tropicale, source majeure de biodiversité, est également envisagée80. L’impact du changement climatique sur la biodiversité sera également majeur, des espèces, notamment végétales ne pouvant se déplacer suffisamment rapidement pour trouver de nouvelles conditions adéquates. Les résultats de recherches indiquent que sous l’impact du changement climatique, les communautés végétales vont se déplacer plus au nord, et vont localement monter en altitude. Les landes à myrtille de Norvège devraient par exemple se déplacer plus au nord et plus en altitude, avec une altitude moyenne passant de 760 m à 1160 m81. Chaque communauté végétale répondra cependant différemment aux changements, chacune de ces communautés étant composée de plusieurs espèces qui elles-mêmes réagiront de façon individuelle aux augmentations de température et aux chutes de précipitations. Bien qu’il existe des modèles pour prédire de tels changements, il est extrêmement difficile d’évaluer aujourd’hui si des communautés végétales ont déjà migré. Les observations dans ce domaine font cruellement défaut, tout d’abord parce que les définitions et les limites d’une association végétale sont floues, parce que le temps d’observation doit être long (d’autant plus dans le cas d’arbustes ou d’arbres) mais aussi parce que les habitats sont déjà très fragmentés, créant des barrières artificielles à la migration des espèces (type routes, centres urbains, espaces agricoles) et enfin parce que des barrières naturelles peuvent empêcher cette migration (les montagnes ou l’absence de cours d’eau pour les espèces aquatiques)82. Les communautés végétales qui avaient jusque-là une unité pourraient donc se voir totalement modifiées, du fait des réactions individuelles de chaque espèce qui les composent. Cinq types de communautés végétales sont considérés comme les plus propices à une réduction : celles qui sont limitées par une barrière au nord, que ce soit la mer Méditerranée, la mer du Nord, ou une chaîne de montagne comme les Alpes ; les habitats d’altitude dont les espèces ne pourront pas migrer plus haut ; les habitats côtiers menacés par l’augmentation du niveau de la mer ; les zones humides telles tourbières, marais, étangs, qui pourraient s’assécher sous l’effet combiné de l’augmentation des températures et de la réduction des précipitations ; et enfin les communautés marines qui pourraient être affectées par l’acidification des eaux due à une augmentation du dioxyde de carbone. Une espèce pourra en moyenne migrer de 500 à 1000 km83. Certaines seront plus susceptibles que d’autres aux changements climatiques : celles qui ont une distribution bien déterminée (au sommet des montagnes, sur des îles) ; celles qui ont une faible capacité de dispersion ; celles qui ont besoin d’une autre espèce pour survivre qui ne répondra pas forcément de la même façon aux changements (type

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pollinisateur) ; et celles qui sont sensibles aux extrêmes de températures ou sont inflexibles aux variables climatiques. Un avancement dans la date de floraison de plantes vasculaires dans le sud de l’Écosse a déjà été observé. Des changements sont également notés dans l’arrivée précoce des oiseaux migrateurs au printemps, suivie de leur ponte précoce. Les espèces envahissantes profiteront pour leur part du changement climatique pour prendre la place d’espèces natives, et accroître encore les perturbations faites aux écosystèmes (notamment dans le bassin Méditerranéen pour les nouvelles arrivées d’origine tropicale à qui l’augmentation de températures sera favorable). Le changement climatique n’est d’ailleurs pas qu’un problème environnemental, des conséquences sont à prévoir sur les sociétés, les économies et les équilibres internationaux. L’Afrique serait particulièrement touchée, avec 75 à 250 millions de personnes qui souffriraient du manque d’eau lié au changement climatique d’ici 2020, et des chutes de rendements des cultures de 50 % à cause du manque d’eau. Dans le delta du Nil, une hausse du niveau de la mer de 50 cm entraînerait la salinisation des terres agricoles et condamnerait 7 millions de personnes à ne plus pouvoir y pratiquer de cultures et d’élevages. Dans la région du Sahel et en Afrique du Sud, les conditions de vie déjà précaires seraient dégradées par des événements climatiques plus forts et plus fréquents tels que tempêtes, tornades, etc. En Asie, la fonte des glaciers de l’Himalaya occasionnerait en premier lieu des inondations et des glissements de terrain, et pourrait altérer la disponibilité en eau douce pour des millions de personne. Les tempêtes et les inondations augmenteraient en force et en fréquence, et la salinisation entraînerait des pertes de rendements estimées à 30 % d’ici à 2050. Combinés à une mauvaise gouvernance et à des tensions sociales et politiques déjà existantes, les risques de conflits seraient alors largement accrus. De la même façon, en Amérique du Sud, la fonte des glaciers dans la région des Andes et les changements dans les précipitations pourraient conduire à une diminution de la disponibilité en eau douce. Par exemple, au Pérou un tiers des glaciers a déjà fondu entre 1970 et 1997 et disparaîtrait dans les décennies à venir si rien n’est fait. Le changement climatique sera donc un facteur exacerbant les problèmes de développement existants. Dans ce contexte, de nouveaux conflits qui diffèrent des conflits classiques entre nations pourraient émerger. Ce phénomène s’observe déjà depuis les années 1990. Ces conflits incluent des crises pour l’accès à des ressources devenues rares, l’effondrement de l’État, l’absence de règles et de lois, et des conflits transfrontaliers comme résultats des fortes migrations. Que ce soit lors de la prévention de conflits impliquant des ressources naturelles, ou lors de la lutte contre la corruption liée au commerce d’espèces, des forces armées peuvent être amenées à intervenir. Les militaires sont donc en lien, même si cela est de façon indirecte, avec une possible protection de la biodiversité. Les effets du changement climatique tels les inondations ou les tremblements de terre, considérés comme des catastrophes naturelles, font également appel aux forces armées. Mais en premier lieu, voyons comment la biodiversité peut représenter un levier pour la construction de la paix, voire même pour la prévention de conflits.

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Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, les armées du monde se penchent sur leur reconversion. Le monde a changé, il n’est plus bipolaire et les militaires tentent de s’adapter. De nouvelles armes sont apparues (armes spatiales, biologiques, cybernétiques) et les innovations technologiques foisonnent. Les conflits sont différents et asymétriques, les nouvelles menaces sécuritaires viennent maintenant de réseaux terroristes, du crime organisé, des millions de réfugiés qui franchissent les frontières, et les besoins en ressources naturelles sont toujours plus forts. La réponse à ces enjeux ne peut plus venir seulement du secteur de la défense, mais doit être coopérative et intégrer l’expertise civile. De la sécurité des États, l’intérêt de l’armée se repositionne sur la sécurité des humains, qui inclut les aspects environnementaux. Le rapport Bruntland sur le développement durable mentionnait déjà en 1987 que « la notion de sécurité comme elle est généralement entendue – en termes de menaces politiques et militaires à la souveraineté nationale – doit être étendue pour inclure l’impact grandissant du stress écologique – localement, nationalement, régionalement et globalement ». Les institutions en charge de la sécurité peuvent désormais être appelées à protéger l’accès aux ressources naturelles et à fournir un support aux opérations humanitaires. Pourquoi n’étendraient-elles pas leurs compétences à la prévention de pollutions

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transfrontalières, voire à faire respecter les lois environnementales. Geoffrey Dabelko et al.84 notent en 2000 qu’aux États-Unis et dans de nombreux pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), des efforts ont été faits pour intégrer l’environnement aux institutions de sécurité ; certainement en partie pour conserver les budgets de la défense après la guerre froide, mais aussi pour réformer l’image négative de ces structures auprès de la communauté environnementale qui prenait une importance croissante. Le concept de sécurité environnementale a été exploré par Glenn et al.85 dans le cadre de l’activité de l’US Army Environmental Policy Institute, et comprend deux aspects : – réparer les dommages faits à l’environnement aussi bien pour le maintien de la vie humaine que pour la valeur morale intrinsèque de l’environnement ; – prévenir les dommages environnementaux d’attaques ou de toute forme d’abus. La sécurité environnementale traite en général de dommages transfrontaliers ou globaux qui nécessitent une coopération internationale. D’un côté, les États agissant seuls ne sont pas suffisants, et de l’autre, les organisations internationales n’ont pas nécessairement la capacité de faire face à ce nouvel enjeu. La question de la souveraineté de l’action en ce qui concerne la sécurité environnementale est toujours posée. L’idée d’allouer une partie des budgets militaires à l’environnement fait également route, depuis, entre autres, la publication du rapport de la Commission européenne de 1995 intitulé Utilisation potentielle des ressources à caractère militaire pour les stratégies environnementales. Une résistance au sein du secteur de la défense quant à sa compétence et à son utilité en matière d’environnement est toutefois bien présente, les logiques militaires étant par essence très éloignées de celles de la conservation. D’aucuns estiment cependant que les militaires sont les seuls à avoir la capacité logistique et financière à gérer des programmes globaux complexes en situations de conflit86. Différents acteurs se positionnent sur le sujet relativement vierge de la sécurité environnementale : les gouvernements tout d’abord, les organisations internationales, et les think tanks. Ces activités demeurent peu connues du grand public. Tout comme pour les questions de défense, les civils et les organisations non-gouvernementales ont aujourd’hui un rôle incontournable dans l’échange d’idées sur le thème de la sécurité environnementale. Une multitude de think tanks s’intéressent à la question. Tous produisent une abondante littérature. Les think tanks traditionnels de tous les continents ont intégré le sujet, comme le Woodrow Wilson International Center for Scholars à Washington, l’Institute for Defense Studies and Analyses à New Dehli, la Fundación Futuro Latinoamericano à Quito, l’International Institute for Sustainable Development en Suisse, ou encore la Sustainable Development Initiative au Liberia et ont mis sur pied des programmes spécifiquesa. Des think tanks totalement dédiés à a. Par exemple en 1994, le « projet sur les changements environnementaux et la sécurité » a été établi aux États-Unis par Klaus Toepfer (ancien directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement) et est abrité par le Woodrow Wilson International Center for Scholars. Son but est d’informer les décideurs américains sur tout ce qui a trait à la sécurité environnementale.

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la sécurité environnementale ont vu le jour. C’est le cas de l’Army Environnent Policy Institute pour les États-Unis, ou de l’Institute for Environmental Security. Cette catégorie de think tanks alimente intensément la réflexion, et a d’autant plus d’influence quand ce sont les armées elles-mêmes qui commanditent des études. L’Institute for Environmental Security (IES) a été créé en 2002 à La Haye. Son site Internet est particulièrement riche et tous les documents sont accessibles (voir par exemple, Paix et développement durable par la sécurité environnementale 87). À l’instar des évaluations post-conflits réalisées par le PNUE, l’IES réalise des évaluations en sécurité environnementale et analyse comment différents facteurs environnementaux (comme la demande en terres arables, en bois) ont des impacts sur l’homme et la nature. Des études sont actuellement disponibles pour le Kalimantan en Indonésie, les Grands Lacs en Afrique, le Mataven en Colombie, le bassin du Congo, la Corne de l’Afrique, et le bassin de la rivière Mékong. Dans ces rapports, la biodiversité est toujours prise en compte et identifiée comme un atout majeur de développement. L’IES collabore également avec le programme Environmental Security (ENVSEC) (décrit dans ce chapitre), ainsi qu’avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dans son dialogue avec le secteur militaire. Les institutions environnementales n’abordent quant à elles la thématique que marginalement, même si l’UICN a constitué un groupe d’experts spécialisé sur les questions de sécurité environnementale. En sécurité environnementale, la nature est vue comme un outil de construction de la paix. Des programmes vont plus loin et envisagent l’environnement comme un facteur de prévention des conflits. Un panel d’initiatives de différentes institutions est présenté dans ce chapitre et illustre non seulement le fait que le sujet est largement pris en compte, mais aussi la diversité des actions menées sur cette thématique en devenir.

Un outil de construction de la paix Les Nations unies, chef de file Suite à la chute du mur de Berlin en 1989 – élément historique majeur – l’Assemblée générale des Nations unies demande en 1990b à son Secrétaire général – qui était alors Javier Pérez de Cuellarc – un rapport sur les Possibilités d’utilisation des ressources du domaine militaire pour la protection de l’environnement 88. Ce rapport est publié en 1993, et donne lieu à des propositions de résolutions au sein du Parlement européen en 1999 dans le Rapport sur l’environnement, la sécurité et la politique étrangère 89. La proposition très ambitieuse du Parlement européen de transférer les budgets alloués au secteur militaire vers celui de l’environnement b. Dans la Résolution 45/58 N du 4 décembre 1990. c. Javier Perez de Cuellar (Pérou) a été le cinquième Secrétaire général des Nations unies de 1982 à 1991.

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sera vite balayée par les attentats du 11 septembre. Les Nations unies s’intéressent cependant toujours au sujet en l’adaptant aux contextes géopolitique et économique de l’époque et en 2001, l’Assemblée générale des Nations unies déclare le 6 novembre de chaque année le « Jour international pour prévenir l’exploitation de l’environnement lors des guerres et des conflits armés »90. Toujours en 2001, Kofi Annand définit lors de son discours à l’assemblée générale de l’ONU quatre sujets majeurs pour prévenir le terrorisme : la pauvreté, le sida, la prévention des conflits et le développement durable91. La répartition des rôles entre organisations internationales et États se dessine : la prévention des conflits repose sur les pays membres et sur leurs sociétés civiles, et le rôle des Nations unies est de les assister dans la mise en place de leurs propres institutions de médiation. Ban Ki Moone confirme cette position en 2007 dès son arrivée en poste. En 2008, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) établit un groupe d’experts sur « l’environnement, les conflits et la construction de la paix (Environment, conflicts and peacebuilding) » constitué de scientifiques issus du monde académique, de think tanks et d’organisations non-gouvernementales. Ce groupe a pour mission de produire des outils pour une bonne utilisation de l’environnement et des ressources naturelles lors d’efforts de construction de la paix. Les membres du groupe apportent également leur expertise aux évaluations de terrain, en particulier pour les évaluations post-conflits.

Les évaluations environnementales post-conflits L’unité d’évaluation post-conflits (PCDMB) du PNUE est en charge des évaluations environnementales post-conflits92. Concrètement, les Nations unies ont été chargées de l’évaluation d’un dommage environnemental lié à la guerre pour la première fois avec la guerre du Golfe en 1990. Le PNUE a conclu que l’Irak devait attribuer une compensation financière au Koweït de 610 millions de dollars. Suite à ces événements, l’Assemblée générale des Nations unies publie en 1992 suite à sa 47e session une résolution sur « la protection de l’environnement en temps de conflits » reconnaissant que la destruction injustifiée de l’environnement en temps de guerre est contraire aux lois internationales. Le PNUE a également effectué une évaluation environnementale des conséquences de l’intervention armée de l’OTAN en Yougoslavie en 1999. Les dommages occasionnés aux raffineries et aux usines de traitement de déchets et de fertilisants, ainsi que les fumées résultant des incendies étaient pressentis comme une pollution environnementale dans les zones urbaines du Danube. Quatre-vingt mille tonnes de pétrole se sont consumées suite au bombardement du complexe industriel de Pancevo (l’un des 50 sites bombardés), accompagnées d’un cocktail de substances chimiques : 2100 tonnes de dichlorure éthylène (une substance causant des dommages aux reins, au foie et aux glandes surrénales), 8 tonnes de mercure métallique

d. Kofi Annan (Ghana) a été le septième Secrétaire général des Nations unies de 1997 à 2006. e. Ban Ki Moon (Corée du Sud) est le huitième Secrétaire général des Nations unies depuis 2007.

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(connu pour ses impacts sur le cerveau), ou encore 250 tonnes d’ammonium liquide. La Bulgarie et la Roumanie, pays voisins, ont vu arriver ces fumées toxiques sur leur territoire. Craignant une catastrophe écologique, y compris liée à l’utilisation d’armement à uranium appauvri, ces deux pays ont demandé une évaluation environnementale au PNUE. L’OTAN, à sa décharge, faisait valoir le fait que les impacts environnementaux avaient été minimisés par l’usage d’armes de frappe chirurgicale. Le PNUE a effectué des analyses sur les sites industriels et le long du Danube, ainsi que des suivis de biodiversité. Il a été conclu que bien que l’environnement ait été contaminé, la situation ne pouvait pas être considérée comme une éco-catastrophe. En effet, sur les 50 sites industriels bombardés, seulement quatre étaient considérés comme pollués, au sein desquels le PNUE a identifié des pollutions qui dataient d’avant l’intervention de l’OTAN. Le rôle du PNUE dans les évaluations environnementales post-conflits a depuis lors été confirmé. L’unité a ensuite conduit de nombreuses évaluations de ce type, réalisées en général à la demande des pays qui ont subi des dommages. Certaines de ces évaluations considèrent clairement la biodiversité et sont présentées ci-dessous. L’évaluation environnementale dans les territoires occupés palestiniens en 20022003 a été effectuée à la demande de l’Autorité de qualité environnementale palestinienne et motivée par des observations alarmantes de pollution de l’eau et des zones côtières, d’accumulation de déchets et de destruction de la végétation93. Huit experts en environnement se sont rendus sur le terrain pour enquêter auprès de plus de 120 personnes sur place et faire l’état de la qualité de l’eau, des déchets, de la biodiversité, de l’utilisation des terres et de l’administration environnementale. La zone est située dans le bassin Méditerranéen, considéré comme un point chaud de biodiversité. Ces territoires ont pour végétation caractéristique la forêt sclérophylle méditerranéenne, le maquis, les prairies sèches et des déserts. La faune y est particulièrement variée avec 530 espèces d’oiseaux (dont certains sont migrateurs), 116 espèces de mammifères, 96 espèces de reptiles et 7 espèces d’amphibiens recensées. Parmi ces animaux, au moins 18 ont une valeur patrimoniale pour la conservation : le chat des sables (Felis margarita), le chat sauvage (Felis sylvestris tristrami), la gazelle des montagnes (Gazella gazella), l’aigle impérial (Aquila heliaca), etc. Le rapport du PNUE indique que cette biodiversité est cependant fortement menacée par les destructions militaires, la forte pression anthropique, la pollution, la construction du mur de séparation entre Israël et Gaza de plus de 300 mètres de long et de plus de 4 mètres de haut (qui outre limiter le passage de la faune sauvage fragmente encore les habitats), etc. La zone souffre d’une trop grande pression anthropique. Alors que les 1500 km² de pâtures peuvent accueillir 35 000 chèvres et moutons, ce ne sont pas moins de 200 000 bêtes qui paissent sur ces terres. Le surpâturage conduit à une disparition de la végétation, à la propagation d’espèces non-appétantes pour les animaux, et à une érosion du sol. Les 42 km de côte de la Bande de Gaza abritent l’une des plus fortes densités de population avec 3600 habitants par km², ce qui entraîne de considérables dégradations des ressources terrestres et marines. À cela s’ajoutent les mesures de sécurité israélienne limitant la distance de pêche à 12 miles qui accentuent la surpêche. De plus, les

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pollutions chimiques solides et liquides sont dangereuses pour la santé humaine mais affectent également les communautés végétales, en particuliers dans les écosystèmes arides. Cette forte densité humaine et le besoin de développement économique réduisent la surface des aires protégées comme peau de chagrin. Or, pour assurer les processus écologiques, une aire protégée doit avoir une taille suffisante. Depuis 1967, Israël a désigné 48 réserves naturelles à Gaza, couvrant 5,7 % du territoire. La plupart de ces réserves naturelles à Gaza sont contrôlées par les forces israéliennes, l’agence palestinienne en charge de la gestion de ces réserves ne pouvant pas y accéder. Les autorités palestiniennes estiment que ces réserves ont été mises en place pour assurer la sécurité et les objectifs militaires israéliens plutôt que pour des objectifs de conservation. Dans un tel contexte, les lois environnementales existantes en territoires palestiniens ne sont pas respectées, en particuliers celles concernant l’interdiction de chasse d’animaux sauvages (ex. la pose de filets pour attraper les passereaux migrateurs). L’agro-biodiversité est elle aussi menacée. Les paysans palestiniens ont développé au fil des siècles des variétés de plantes cultivées. Mais des centaines d’hectares de vieux oliviers ont été détruits, et avec eux des variétés irremplaçables de cet arbre. Cela vaut aussi pour les variétés d’agrumes, de vignes, d’amandiers, de palmiers, etc. Cette évaluation post-conflit du PNUE, outre présenter les impacts environnementaux des situations de tensions au travers d’éléments scientifiques, fait des recommandations pour améliorer la situation. Parmi nombre de propositions, il est suggéré de poursuivre la coopération entre Israël et les territoires occupés palestiniens sur la gestion des aires protégées et de renforcer la coopération régionale contre la désertification et pour la protection de la Mer Morte, mais aussi plus précisément de mettre en œuvre la protection des espèces migratrices ; de préparer un livret éducatif sur la flore et la faune de Palestine ; de reconsidérer les impacts écologiques du mur de séparation ; de stopper la déforestation, etc. Les autorités israéliennes et palestiniennes auraient d’après le rapport toutes deux indiqué leur souhait à mettre en œuvre ces pistes de collaboration. Les évaluations post-conflit entreprises en Afghanistan en 200293, au Liban en 200694, ou au Soudan en 200595 font elles aussi clairement référence à la biodiversité. D’autres analyses sont en cours d’exécution, l’une initiée en République démocratique du Congo à la demande de son gouvernement, suite aux conflits des années 1990 ; une autre au Nigeria, toujours à la demande du gouvernement, dans le but d’évaluer les conséquences de la contamination du delta du fleuve Niger par le pétrole. À l’instar de l’analyse effectuée en territoires palestiniens occupés, ces études ne se contentent pas d’énumérer les impacts des conflits sur l’environnement, mais émettent des propositions pour aider à construire la paix. Il est en effet primordial que les impacts sur l’environnement – et à fortiori les facteurs environnementaux qui ont conduit aux tensions – soient analysés et pris en compte. Comment retrouver la paix quand les ressources naturelles qui permettent la survie des populations sont dégradées ou détruites ? Bien qu’il soit admis que

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les conflits associés aux ressources naturelles ont 2 fois plus de chances de rechute dans les 5 premières années, moins d’un quart des négociations de paix prennent en considération la gestion de ces ressources. L’environnement et même la biodiversité peuvent s’avérer être un facteur important pour apporter une stabilité économique mais aussi pour contribuer au dialogue et à la coopération.

La biodiversité comme levier économique après un conflit Bien avant la recréation de l’économie d’un pays, les besoins des populations en eau, en énergie et en nourriture sont déterminants et impliquent directement les ressources naturelles. L’exemple de la reconstruction de la paix en Afghanistan illustre cet aspect.

La reconstruction de l’Afghanistan commence par celle de son environnement Après des années de conflit en Afghanistan suivies de séismes, le gouvernement afghan demande une évaluation environnementale post-conflit aux Nations unies, publiée en 200396. Malgré la grande diversité des écosystèmes alpins, des forêts de conifères, des déserts, des zones de maquis à Juniperus et à pistachier, des lacs et des zones humides du pays, aucun inventaire complet de la biodiversité n’avait à l’époque été entrepris. L’Afghanistan compte de gros mammifères rares et protégés selon la liste rouge de l’UICN : le léopard des neiges (Uncia uncia), la chèvre sauvage (Capra aegagrus), l’ours noir asiatique (Ursus thibetanus), le loup (Canis lupus), le renard rouge (Vulpes vulpes) sans oublier les oiseaux comme la grue de Sibérie (Grus leucogeranus), de nombreux reptiles et poissons. Le PNUE estime que 80 % de la population afghane dépendent des ressources environnementales et des services rendus par les écosystèmes pour vivre (ou survivre). Or, 50 % des forêts naturelles à pistachier ont été coupées durant les années de guerre. Soit pour en vendre le bois ou en faire du charbon de bois, ou parce que les fermiers, fuyant les mines, se sont réfugiés dans ces forêts pour y pratiquer une agriculture de subsistance nécessitant l’élimination des arbres. À ceci s’ajoutent le surpâturage et l’érosion des sols, qui empêchent toute possibilité de régénération naturelle de la forêt. Les populations ne peuvent alors plus vivre de la production des pistachiers. La destruction de ces forêts a également des répercutions sur le cycle de l’eau et affecte non seulement la qualité de l’eau, mais également les quantités disponibles. Dans ce contexte, le PNUE considère la création d’emplois comme un fort point d’achoppement pour reconstruire la paix en Afghanistan. Les gouvernements afghan et américain ainsi que l’UNOPS (Bureau des Nations unies pour les services d’appui aux projets) financent actuellement un programme intitulé Afghanistan Conservation Corps (ACC) ayant pour but d’améliorer la vie rurale, de protéger

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la biodiversité afghane et de restaurer les forêts, les pâtures et les cours d’eau. Ces restaurations environnementales emploient un grand nombre de personnes jugées vulnérables : réfugiés, anciens combattants et femmes. Le site Internet du projet rapporte qu’en 2009, 350 projets ont été mis en œuvre au sein des communautés dans 24 provinces, générant 400 000 jours de travail pour la population locale. Ces projets ont porté sur la plantation d’arbres. Plus de 5 millions d’arbres ont été plantés pour la production de fruits. Plus de 3200 ha de pistachiers ont été replantés dans des zones dégradées, en association avec des plantes médicinales, augmentant le revenu des fermiers de 30 %. Ces actions concrètes ont de plus un rôle pédagogique car les populations impliquées sont aussi sensibilisées à la gestion de l’environnement97. D’autres recommandations de cette évaluation environnementale post-conflit du PNUE s’appuient sur la biodiversité et proposent d’identifier les points chauds de biodiversité, d’établir des zones protégées (y compris des zones protégées transfrontalières), de gérer la faune sauvage, etc. Ces propositions ont été confortées et précisées par la branche de gestion post-conflit et des catastrophes du PNUE qui publie en 2008 un Profil de la biodiversité de l’Afghanistan 98. Cette étude décrit toutes les écorégions d’Afghanistan et fournit des inventaires de mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, papillons, lichens, etc. et identifie les aires à plus forte biodiversité et agrobiodiversité. Sur le terrain, l’accent a aussi été mis sur l’amélioration des infrastructures et des chemins de randonnée du parc national du Band-e-Amir, dans l’objectif de générer des revenus par le tourisme. En Afghanistan, comme dans d’autres pays, la nature devient un atout touristique.

Générer des dividendes avec les beautés naturelles Des espèces emblématiques, des milieux ou des paysages spécifiques peuvent être valorisés au travers du tourisme. Le cas du Rwanda est particulièrement éloquent. Le Rwanda a connu de très violents conflits dans les années 1990 et est l’un des pays les plus peuplés d’Afrique. Dans les années 1990, le gouvernement rwandais a réhabilité ses parcs nationaux et s’est orienté vers un tourisme écologique par l’observation des gorilles des montagnes. Chaque touriste paye un permis d’entrée de 500 dollars US, auxquels il faut ajouter la même somme pour l’hébergement et le transport. Les fonds générés par ces permis servent à la gestion du parc, et une partie est partagée avec les communautés locales99. L’aire de distribution des gorilles étant à cheval sur le Rwanda, la République démocratique du Congo et l’Ouganda, ces pays ont rapidement reconnu qu’une collaboration était nécessaire pour que la protection des gorilles soit efficace et ont signé en 2005 la Déclaration de Goma. Cette déclaration propose une mise en commun des patrouilles de surveillance, des informations disponibles ainsi que le partage des revenus. Le Rwanda a accompagné ce développement touristique d’une interdiction sur la production de charbon de bois en 2006 pour limiter la déforestation. De telles réserves naturelles transfrontalières présentent un avantage certain quant à la mise en commun des ressources, mais permettent aussi un dialogue entre les pays.

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Contribuer au dialogue et à la coopération : les parcs pour la paix Le concept des parcs pour la paix a émergé dans les années 1990, essentiellement à l’initiative du monde de la conservation. Les projets de parcs transfrontaliers pour la paix constituent d’ailleurs l’une des rares et des premières initiatives ayant engagé la coopération et le dialogue entre environnementalistes et militaires. L’Université des Nations unies a également relayé et promu le concept de parcs pour la paix. Que sont les parcs pour la paix ? Les aires protégées transfrontalières, sont, comme toutes les zones protégées, des espaces dédiés à la protection de la nature, mais elles ont la particularité d’être sur les territoires de deux pays voisins qui peuvent parfois être en situation de conflit. Ces deux pays se doivent de collaborer pour la gestion de l’aire protégée, et à ce titre, la protection de la biodiversité peut faciliter la coopération autour d’autres sujets, y compris ceux concernant la sécurité. De tels parcs transfrontaliers sont plus difficiles à gérer que des parcs classiques, mais présentent des avantages pour la protection de la biodiversité : les aires sont plus étendues et permettent une meilleure protection de la nature ainsi qu’une meilleure efficacité quant au contrôle des facteurs perturbateurs comme le commerce illégal d’espèces, les espèces envahissantes ou les incendies. Une telle mise en commun présente également des avantages économiques en évitant la duplication des infrastructures ou des recherches. En 2001, on dénombrait 169 complexes contenant au moins deux aires protégées divisées par des frontières internationales, répartis dans 113 pays. Les niveaux de coopération entre ces complexes sont variables et toutes ces initiatives ne correspondent pas nécessairement à des zones de conflits. Parmi les parcs engagés dans un processus de paix entre deux pays, l’initiative signée en 1994 à Aqaba entre Israël et la Jordanie pour la protection de la biodiversité marine (entre autres éléments de la collaboration) est à souligner. Dans le cadre de cet accord, l’Agence américaine pour le développement international (USAID) a financé la gestion de barrières de corail dans la mer Rouge. Autre expérience favorisant la paix, l’Afrique du Sud a pu dès les années 1990 – soit juste après la fin de l’apartheid – être considérée comme une destination touristique grâce à la création de ses célèbres parcs nationaux. Le parc des montagnes du Drakensberg réunit le Lesotho et l’Afrique du Sud, et le Parc du Kruger est transfrontalier du Mozambique, de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe. La fondation de ces parcs pour la paix a impliqué en 1996 les plus hauts niveaux des gouvernements africains ; ses directeurs honoraires sont le président Nelson Mandela pour l’Afrique du Sud, le président Sam Nujoma pour la Namibie, le président Bakili Muluzi pour le Malawi et sa majesté le roi Letsie III pour le Lesotho100. En Europe, la création d’aires protégées transfrontalières le long du rideau de fer a également constitué une opportunité de dialogue entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est. La zone de frontière où aucune activité n’était autorisée a permis, en dépit de la tragédie humaine occasionnée, un remarquable retour de la biodiversité ainsi qu’une extraordinaire variété de paysages101. L’UICN a établi un réseau écologique d’aires protégées allant des Barents à la mer Noire connu sous

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le nom Initiative Green Belt 102. Parmi les 59 projets européens d’aires protégées transfrontalières, peuvent être cités le Parc national bilatéral de Podyi/Thayatal entre l’Autriche et la République tchèque, ou la réserve de Biosphère des Carpates entre la Pologne, la Slovaquie et l’Ukraine. Des expériences concluantes existent aussi en Amérique du Sud. La frontière entre le Pérou et l’Équateur a représenté une source de conflits entre ces deux pays pendant 150 ans. Après plusieurs conflits et des séries de discussions, l’Acta Presidencial de Brasilia fut signé en 1998, appelant à la création d’une zone de protection écologique de chaque côté de la frontière de la Cordillère du Condor103. En 1999, l’Équateur créait le parc El Condor, et le Pérou constituait une zone de protection écologique avec la réserve Santiago Comaina. Le traité a conduit à des initiatives bilatérales pour gérer ces parcs, qui petit à petit ont débouché sur des discussions diplomatiques et des relations commerciales. Les communautés locales ont directement profité des bénéfices de ces efforts de conservation. Les espèces elles-mêmes peuvent ouvrir la voie à un dialogue entre pays. L’ibis chauve (Geronticus eremita), oiseau migrateur dont il ne reste que 450 individus au Maroc et 100 en Turquie (presque tous en captivité) a été réintroduit en 2010 en Syrie où il ne restait que 4 oiseaux de cette espèce. Cette dernière réintroduction a été possible grâce aux efforts de la première dame de Syrie, Asna Assad, et de la femme du premier ministre turc, Emine Erdogan104. L’oiseau a profité du réchauffement des relations entre les deux pays, et qui sait, avait peut-être même renforcé à l’époque le dialogue entre la Syrie et la Turquie. Chaque situation de collaboration représente un cas particulier, non seulement du point de vue de la richesse biologique que des éventuelles tensions politiques et sociales. Pourtant, les ressources biologiques ne font toujours pas l’objet d’une protection suffisante en situations de conflits.

Des législations internationales inefficaces pour protéger la biodiversité en temps de guerre Quelques conventions ont des règlements concernant la question de la protection de la nature durant les conflits. Question très délicate lorsque durant une guerre les vies humaines elles-mêmes ne sont pas respectées. En théorie, la convention du patrimoine mondial de l’UNESCO établie en 1972 (celle-là même qui classe des sites comme patrimoine mondial de l’humanité), pourrait constituer un outil de protection. Le premier site à être inscrit sur la liste rouge de l’UNESCO en 1994 est le parc national du Virunga en République démocratique du Congo, à cause de la guerre et des réfugiés. D’autres sites ont depuis rejoint la liste. L’UNESCO a cependant joué un rôle timide dans ce domaine, et n’a pas rempli le rôle attendu105. Trois traités internationaux pourraient être utilisés pour protéger l’environnement en temps de conflits et de guerres : la convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres

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fins hostiles (ENMOD), le protocole 1 de 1977, et le statut de Rome de la Cour pénale internationale. La convention ENMOD a fait l’objet d’une résolution de l’ONU qui est entrée en vigueur le 5 octobre 1978 et a été signée par plus de 70 pays. Cette convention porte sur l’interdiction d’utilisation militaire ou hostile de techniques de modification de l’environnement. Elle interdit la modification délibérée de processus naturels par l’usage d’armes de guerre. Alors que l’usage de produits chimiques, comme l’agent orange, sont visibles, le congrès américain s’est lancé dans les années 1960 dans des recherches sur l’utilisation du climat comme arme de guerre. En 1966, l’armée américaine teste cette nouvelle arme dans le cadre du projet Popeye au Vietnam en « ensemençant des nuages » sur la route Ho Chi Minh vers le Laos. Ce procédé rend cette piste impraticable par l’adversaire et inonde les cultures ennemies106. La convention ENMOD interdit donc la guerre « géophysique »107. Les tremblements de terre, les tsunamis, les modifications des conditions atmosphériques (nuages, tornades), les modifications des courants océaniques, la modification de l’état de la couche d’ozone, etc. ne doivent pas être provoqués par l’utilisation des techniques de modification de l’environnement. La destruction d’écosystèmes pourrait être considérée dans le cadre de cette convention, mais ne l’a jusque-là pas été. Le protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux (connu comme le protocole 1 de 1977) interdit la guerre « écologique »108. L’article 35 (3) interdit spécifiquement toute méthode de guerre qui entraînerait des dommages « étendus, durables et sévères à l’environnement naturel ». Enfin, le statut de Rome (du 17 Juillet 1998) qui a établi la Cour pénale internationale, définit dans l’article 8.2 (b) (iv) les « dommages étendus, durables et sévères à l’environnement naturel » comme des crimes de guerre. Les termes « étendus », « durables » et « sévères » ont été définis comme suit : – étendu : se déroulant sur une superficie de plusieurs centaines de kilomètres ; – durables : durant plusieurs mois, ou une saison ; – sévères : impliquant des perturbations ou des dommages sérieux et significatifs à la vie humaine, aux ressources naturelles et économiques ou à d’autres ressources. En dépit de l’existence de ces traités, aucun n’a jamais été invoqué pour protéger l’environnement ou porter des charges contre un État pour dommages environnementaux. La combustion par les forces irakiennes des puits de pétroles koweïtiens en 1991 ayant libéré quelques 500 millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère est perçue comme l’un des cas les plus flagrants de dommages environnementaux délibéré en temps de guerre109. Les États-Unis ont cependant déclaré que ces actions n’avaient en aucun cas violé la convention ENMOD ou le protocole 1, réduisant de fait le champ d’action de ces outils législatifs. De plus, ces trois traités ne s’appliquent qu’aux cas de conflits armés interétatiques, et aux dommages

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considérés comme « étendus, durables et sévères à l’environnement naturel », critères sujets à discussions. Autre cause de leur non-utilisation, ces traités autorisent « les dommages collatéraux » perpétrés dans les cas de nécessité militaire ou offrant un avantage militaire. D’autres propositions consistent à mettre un fond financier de côté pour la création d’une mission de secours environnementale et internationale chargée d’évaluer et de limiter les dommages environnementaux110. Aussi, chaque organisation humanitaire, en intervenant sur le terrain après un conflit pourrait développer des lignes directrices pour limiter ses impacts sur la biodiversité, comme l’a fait le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés pour encourager au respect de l’environnement lors d’opérations111. Pour tenter de combler ces lacunes juridiques, l’UICN a élaboré un code de conduite sur les aires protégées transfrontalières en temps de paix et de conflits armés.

Le projet de code de conduite sur les aires protégées transfrontalières en temps de paix et de conflits armés L’UICN est une association internationale fondée en 1948 constituée aussi bien de membres gouvernementaux que non-gouvernementaux. Elle est considérée comme l’institution environnementale la plus influente et fonctionne au travers de réseaux d’experts. C’est sans doute l’organisation environnementale la plus active en ce qui concerne la sécurité environnementale. Un groupe de spécialistes sur les conflits armés et l’environnement est à l’œuvre et ses activités se déclinent autour de deux thèmes : évaluer les expériences de gestion des ressources naturelles et de l’environnement en situation post-conflit et explorer les questions juridiques liées à la protection de l’environnement lors de conflits armés. En octobre 1997, l’UICN organisait la « Conférence internationale sur les aires protégées transfrontalières comme un véhicule pour la coopération internationale » en Afrique du Sud. Presque tous les participants à cet atelier appartenaient au monde de la protection de la nature, probablement parce que la gestion de parcs transfrontaliers, même dans le cadre d’une gestion interétatique, reste relativement similaire à la gestion d’un parc traditionnel et engage principalement des considérations environnementales. Cette conférence a été suivie d’autres rencontres similaires jusqu’en 2000, pour aboutir à la publication par l’UICN du guide Aires protégées transfrontalières pour la paix et la coopération112, qui propose un code de conduite pour les aires protégées transfrontalières en temps de paix et de conflits armés. De manière générale, le code de conduite suggère de formaliser le rôle des Nations unies dans la définition d’aires remarquables transfrontalières. Ce projet de code de conduite serait applicable aussi bien aux conflits nationaux qu’internationaux, et resterait indépendant d’un accord entre belligérants. Selon les principes de base de ce code, les États « qui ont un droit légal sur une aire protégée ne doivent pas l’utiliser à des buts stratégiques ou militaires. Les activités militaires ou hostiles dommageables pour l’aire protégée doivent être évitées. La démilitarisation de l’aire protégée doit être considérée ». Des évaluations environnementales (voire sociales)

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stratégiques devraient être conduites en accord avec les textes internationaux pour la mise en place de programmes, lois et activités qui pourraient avoir un impact négatif sur l’aire protégée. En temps de paix, le code de conduite recommande que les forces armées adoptent des pratiques environnementales appropriées, en particulier concernant les règles d’engagement. Les adversaires potentiels devraient réciproquement se conformer aux contraintes humanitaires et environnementales. Les États sont de plus encouragés à mettre des mesures en place pour établir des juridictions en cas de dommages. En temps de conflit armé, les mêmes règles, principes et lois internationaux humanitaires et environnementaux devraient être suivis par les parties du conflit. Dans le cas où l’une des parties du conflit installe son équipement ou son personnel militaire à l’intérieur de l’aire protégée, celle-ci perd alors son immunité contre les attaques et devient une cible. Lorsque des situations complexes échappant au contrôle des autorités en charge de l’aire protégée éclatent, ces dernières doivent en appeler immédiatement à toutes les parties du conflit pour respecter les principes humanitaires et environnementaux, de façon neutre et sans favoriser une des parties du conflit. Le code de conduite propose que les négociations soient prises en charge par le comité international de la Croix-Rouge ou par l’UICN. En cas de personnes déplacées et de réfugiés, les dégradations environnementales doivent être évitées dans l’aire protégée. Cet ambitieux projet n’a à ce jour pas été suivi d’effets, sans doute de par le vide juridique sur le sujet et le manque de coopération avec le monde militaire. Clare Shine113 rappelle que les règles de la guerre sont complexes, et que bien que ces règles aient récemment été étendues pour éviter les catastrophes écologiques, elles ne proposent toujours pas une protection suffisante. Malgré que le principe 24 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (qui n’est cependant pas une obligation) requiert des États qu’ils « respectent les lois internationales fournissant une protection environnementale en temps de conflit armé », des délibérations ont toujours lieu dans les forums internationaux pour améliorer l’efficacité de ce nouveau régime juridique. Ce projet de code de conduite apparaît néanmoins comme une base de dialogue avec le monde militaire et pourrait permettre aux environnementalistes d’être force de proposition. En amont de la construction de la paix, des chercheurs s’interrogent également sur les possibilités de prévenir les conflits environnementaux.

Des recherches pour la prévention de conflits environnementaux La nature peut faciliter la construction de la paix et le dialogue. Mais idéalement, les conflits ayant pour cause des composantes environnementales devraient être anticipés et prévenus. La première étape dans une telle entreprise est d’assurer un suivi et

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de recueillir des informations de terrain sur l’environnement. Les suivis de terrains se font par imagerie satellite. Les unités militaires sur le terrain sont de possibles observateurs de changements environnementaux critiques ; les civils sont également à même de remplir ce rôle. Les données environnementales recueillies mais aussi les données politiques, économiques et sociales doivent être ensuite intégrées. Ces informations doivent ensuite être évaluées et passées au filtre de modèle pour identifier rapidement les situations critiques et prendre des décisions. L’initiative Environmental Security ou ENVSEC, expérience de terrain conjointe des organisations internationales en charge de la paix et de la sécurité, rassemble toutes ces composantes.

L’imagerie satellite pour les suivis de terrain La connaissance du terrain est le chaînon initial. De nombreux projets de connaissance du vivant voient le jour. Alors que 1 800 000 espèces ont été décrites dans le monde, les estimations du nombre total d’espèces vivant à la surface de la terre varient de 10 à 100 millions. Quelques 15 000 espèces nouvelles sont décrites chaque année. Outre la valorisation des collections anciennes (ex. par la numérisation des herbiers), de nouveaux projets de connaissance du vivant voient le jour. C’est le cas de l’initiative GBIF (Global Biodiversity Information Facility) lancée en 1996 par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)f, organisation internationale qui s’intéresse depuis les années 1990 aux liens entre environnement, sécurité et développement. Le projet GBIF diffuse sur Internet des informations relatives à la nomenclature, aux caractéristiques écologiques, aux séquences génétiques, etc. pour f. L’OCDE a été créée en 1961 et comptes 30 pays membres (les pays européens ainsi que l’Australie, le Canada, le Japon, la Corée du Sud, le Mexique, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis) attachés aux principes de démocratie et d’économie de marché. L’OCDE a pour mission de « soutenir une croissance économique durable, de développer l’emploi, d’élever le niveau de vie, de maintenir la stabilité financière, d’aider les autres pays à développer leur économie, et de contribuer à la croissance du commerce mondial » (site Internet de l’OCDE). Bien que centrée sur des questions économiques, l’OCDE se positionne en 1971 sur la thématique environnementale en mettant en place ce qui est devenu l’actuel « Comité des politiques de l’environnement » (EPOC), offrant un lieu de rencontre aux pays sur les sujets environnementaux. Une direction est d’ailleurs dédiée à l’environnement au sein de l’OCDE et une stratégie de l’environnement a été signée par les ministres de l’environnement pour la période 2001-2011. L’OCDE et son groupe sur le développement de coopération et l’environnement se sont de plus intéressés dans les années 1990 aux liens entre environnement, sécurité et développement. Ce groupe de travail constitue un forum international réunissant des experts issus des gouvernements, des Nations unies, de la Commission européenne, du Fond monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, sur la prévention de conflits et la construction de la paix. Divers rapports ont vu le jour traitant de sécurité environnementale : Lignes directrices sur les conflits, la paix et la coopération pour le développement (1997) (OECD, 1997) et surtout, État des lieux sur l’environnement, la sécurité et la coopération pour le développement (2000) (Dabelko et al., 2000).

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des espèces allant des bactéries aux primates. Le GBIF fournit également la distribution géographique d’espèces à l’échelle mondiale. Les grandes institutions anglosaxonnes de sciences naturelles préparent une encyclopédie des 1 800 000 espèces connues, la fondation Mac Arthur apportant 10 millions de dollars US au projet. Ces initiatives sont le plus souvent américaines, tout comme les projets liés aux codes-barres du vivant114. Nul doute que ces informations sont précieuses aux scientifiques, mais le secteur de la défense s’intéresse également de près à ces données environnementales. Mais ce sont à l’heure actuelle plutôt les données des services en charge de la sécurité qui sont utiles aux scientifiques. Les services de renseignements des pays industrialisés possèdent en effet des ressources très sophistiquées, notamment en imagerie satellite qui peuvent se révéler très utiles dans le suivi et l’évaluation environnementale, mais aussi dans le développement de technologies vertes. À titre d’exemple, les données environnementales issues de l’évaluation environnementale post-conflit du PNUE au Soudan (images satellites, photographies, etc.) constituent une base de données qui sera utilisée pour la mise en œuvre des 85 recommandations du rapport115. Ces recommandations s’inscrivent dans un programme d’action de 3 à 5 ans qui se chiffre à 120 millions de dollars. Aux États-Unis, lors de la sous-présidence de Al Gore sous Clinton (1993-2001), la CIA a permis à des scientifiques du civil de consulter des archives utiles aux questions environnementales, telles que la lutte contre le changement climatique. L’imagerie satellite s’est révélée très précieuse au groupe MEDEAg, un consortium de 60 scientifiques du monde académique ou industriel, ayant pour mission de diagnostiquer l’état de santé des forêts, de faire des bilans sur la déforestation, sur les conditions des pêcheries, et de prévenir les incendies de forêts. Le groupe aurait produit une douzaine de rapports classés secrets calculant les pertes de glaciers, ou prédisant des éruptions volcaniques. Un terme a été mis au programme sous l’administration Bush, mais l’administration Obama le remet au goût du jour au travers du « Centre sur le changement climatique et la sécurité nationale » créé en 2009 par la CIA (Davidson, 2010116). Leon Panetta, directeur de la CIA, annonçait dans un communiqué de presse lors de l’ouverture de ce centre que « les dirigeants ont besoin d’informations et d’analyses sur les effets que le changement climatique peut avoir sur la sécurité »117. Cette initiative soulève des questions, laissant penser à un futur système d’imagerie satellite commercial118 et révèle l’intérêt croissant du secteur de la sécurité pour les sujets environnementaux. L’Union européenne n’est pas en reste. Elle est en train de se munir d’un système d’imagerie spatiale opérationnel et autonome, considérant « qu’avoir des informations sur l’environnement et la sécurité a des implications géostratégiques ». En 2004, le Parlement européen a alors exprimé son soutien pour la mise en place du projet GMES119 (Global Monitoring for Environment and Security), qui représente le deuxième projet spatial après Galileoh. Ce projet est une réponse au « Plan américain g. Measurements of Earth Data for Environmental Analysis. h. Galileo est un projet européen de système de positionnement par satellites.

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stratégique pour un système intégré d’observation de la Terre »120. La Russie et le Japon envisagent de faire de même. Des synergies entre civils et militaires sont d’ailleurs encouragées pour permettre une utilisation optimale de ces informations dans la prévention de catastrophes naturelles et le suivi de l’environnement et du climat. Le GMES générera ainsi des données utiles aussi bien au secteur de l’environnement que de la sécurité. En premier lieu, ces informations serviront à assurer le suivi de l’utilisation des terres, des catastrophes naturelles (incendies, inondations) et du changement climatique ainsi qu’à la recherche environnementale en général. D’autres objectifs, ceux-ci tournés vers le contrôle, sont également affichés : le suivi des superficies pour les mesures agro-environnementales, mais aussi celui des navires en mer et du respect des pêcheries, et la surveillance aux frontières. Le GMES se veut également propice à la croissance économique et fait appel aux compétences du secteur privé. Entre 2000 et 2005, 250 millions d’euros ont été dépensés pour la mise en place du projet121. Comment s’assurer que les données environnementales seront utilisées exclusivement à des buts de recherche et de protection de la nature et non pour servir des intérêts sécuritaires nationaux ? Des cas de tels glissements existent déjà. Durant la guerre du Golfe, l’armée américaine est devenue le premier consommateur au monde d’imagerie satellite, et les données étaient utilisées pour programmer des « bombes intelligentes »122. Avec l’utilisation de la reconnaissance satellite s’esquissent déjà les dangers à rediriger la compétence militaire sur des sujets environnementaux. L’étape suivant la collecte des données consiste à les analyser pour prendre des décisions appropriées à un stade suffisamment précoce pour prévenir des conflits. Des outils dans ce domaine apparaissent, mais beaucoup reste encore à faire.

Un manque d’outils d’évaluation et de prise de décision en détection précoce La détection précoce (Early warning en anglais) va au-delà de la collecte et du simple partage d’informations sur une crise imminente. La difficulté de la détection précoce réside dans l’analyse de l’information et dans la formulation de choix stratégiques appropriés123. Le but de la détection précoce est d’empêcher une escalade de violence ou au moins d’en limiter les effets. Bien qu’une multitude de recherches aient été entreprises pour comprendre les mécanismes à l’œuvre entre ressources naturelles et conflits depuis les années 1990, les méthodes d’évaluation et de détection précoce ne permettent pas encore de réellement prévenir les conflits. Beaucoup de crises environnementales ont éclaté et n’avaient pas été anticipées : les données disponibles sont encore insuffisantes, et les analyses pas assez poussées. Une initiative dans ce domaine est toutefois à souligner, l’outil FAST (Early Analysis of tensions and Fact-Finding en anglais) développé et utilisé depuis 1998 par l’ONG

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Swisspeace dans 20 paysi. FAST surveille et évalue les causes de conflits et l’escalade de violences mais aussi celles de la construction de la paix sous des angles politiques, sociaux, économiques et environnementaux. Outre suivre les nouvelles publications (journalistiques et autres), le projet établit des réseaux d’informations sur place, au travers de contacts locaux pour générer des observations originales aussi bien qualitatives que quantitatives, qui sont par la suite interprétées. Pour chaque événement reporté, l’informateur indique le lieu et la date, ce qui se produit (le but de l’événement, s’il y a des morts, des blessés, des dommages, des sanctions prises, etc.), l’initiateur (c’est-à-dire qui a initié une manifestation, une grève, etc.), et qui est destinataire de l’événement. Swisspeace dispose par ce moyen d’une source de données différente des médias occidentaux classiques, lui permettant d’avoir une vision globale et d’orienter ses suivis sur des pays qui ne retiennent pas forcément l’attention. La qualité des données est fondamentale, FAST a ainsi mis en place son propre réseau d’informateurs dans les pays. Les données sont codées par chaque informateur de façon standardisée pour assurer une homogénéité. FAST s’entoure également des analyses qualitatives d’experts internationaux. Toutes les données sont reçues par Internet et analysées au secrétariat de l’ONG, à Berne en Suisse. La rapidité de réception de l’information « en temps réel » est la clé de voûte d’une analyse et d’une réponse rapide et efficace. Une fois l’information récoltée, des évaluations du risque sont produites124. La logique de l’analyse est simple, une valeur numérique est attribuée à tous les événements considérés pertinents dans l’escalade des conflits, selon une échelle prédéterminée. Ces valeurs peuvent ensuite être ajoutées pour des intervalles de temps spécifiques et présentées sous la forme de graphes. Une autre méthodologie a été développée dans le cadre du projet interétatique CEWARN (Conflict Early Warning and Response Mechanism) pour la détection précoce de conflits pastoraux dans la corne de l’Afrique. CEWARN a été mandaté depuis 2002 par Djibouti, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan et l’Ouganda pour effectuer une surveillance des conflits pastoraux transfrontaliers et autres tensions, et pour alerter les pays d’une possible escalade de la violence. Les informations collectées concernent le vol de bétail, les rivalités pour les terres de pâture ou l’eau, les mouvements des nomades, le commerce illégal et la contrebande, les réfugiés, les mines et le banditisme. La corne de l’Afrique abrite en effet une forte population pastorale et le vol de bétail est une pratique qui mène à une montée de violence. Les données sont là aussi reçues du terrain et analysées par des instituts de recherche indépendants. À titre d’exemple, pour ce qui est du type d’informations utilisées, la migration des communautés turkana pour des terres i. Swisspeace effectue des suivis en Afrique (en Angola, Burundi, République démocratique du Congo, Éthiopie, Madagascar, Mozambique, Rwanda et Somalie), en Asie (en Afghanistan, en Inde/Cachemire, au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Népal, dans la région du nord du Caucase, au Pakistan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan), en Europe (en Albanie, Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en République de Macédoine, en Serbie et au Monténégro), et également au MoyenOrient, en Palestine. Swisspeace est mandatée par l’Agence suisse pour le développement et la coopération.

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de pâtures en Ouganda, poussées par la sécheresse qui menaçait la vie des bêtes, était reportée en juin 2008 au réseau CEWARN125. Un conflit aurait été prévenu au nord de l’Ouganda grâce au projet. Cette idée, qui se rapproche de celles des « suivis citoyens », fait donc son chemin. Cependant, les alliances et échanges d’informations entre environnementalistes et militaires sur le terrain restent encore à réaliser.

Une alliance entre environnementalistes et militaires pour les suivis de terrain Le fossé culturel entre environnementalistes et experts en conflits est énorme, et les deux secteurs ne collaborent pas de façon spontanée. L’UICN apporte sa contribution pour faciliter le dialogue. L’UICN a organisé lors de son congrès à Barcelone en octobre 2008 et en partenariat avec l’Institute for Environmental Security une rencontre intitulée « Environnement et sécurité : des défis pour le changement ». Cet atelier a réuni plus de 70 représentants des mondes de la conservation et de la défense dans le but de trouver des aires de collaboration et d’anticiper les conflits issus du changement climatique et des stress écologiques126. Il est à noter que parmi les acteurs de la défense, Mme Sherri Goodman alors directrice exécutive du conseil consultatif militaire américain participait à cette rencontre, ainsi que des représentants de l’OTAN, de la Royal Thaï Army, du ministère des affaires étrangères des Pays-Bas et du ministère de la défense d’Équateur. Il ressort de ces discussions que « les deux mondes, environnemental et militaire, ont des cultures différentes, mais que l’échange de connaissances et de compétences peut être profitable 127 ». Chaque secteur pourrait servir à l’autre. Les experts de la conservation pourraient constituer un réseau d’alerte et enrichir de leurs connaissances les jeux de guerre de la communauté en charge de la sécurité et développer des scénarios sécuritaires. Les militaires ont quant à eux « la capacité de réagir rapidement en cas de catastrophes naturelles, et leurs programmes pourraient inclure l’adaptation au changement climatique ». Des projets communs immédiats consisteraient à organiser des conférences réunissant les deux mondes pour plus de dialogue. Dans un deuxième temps, la formation du secteur militaire aux thématiques environnementales est prévue. Cette « alliance » permettrait de plus d’attirer l’attention des décisionnaires sur les sujets environnementaux. Un projet collaboratif entre les deux secteurs est de plus entrepris au travers de l’initiative Environmental security (ENVSEC).

Une expérience grandeur nature : l’ Environment and Security initiative (ENVSEC)128 Tous les acteurs intergouvernementaux ayant pour mission la paix et la sécurité se sont intéressés à la question de la sécurité environnementale et à l’intégration de cette thématique dans leurs activités respectives. L’intérêt croissant de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de l’Organisation pour la coopération

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et la sécurité en Europe (OSCE) pour les questions environnementales est particulièrement instructif quant à l’importance croissante de ces sujets. Se basant sur leurs expériences et leurs présences sur le terrain, le PNUE, le PNUD, l’OSCE, la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (UNECE), le Centre environnemental régional (REC) et l’OTAN se sont réunis dès 2002 autour d’un projet novateur : le projet Environmental Security ou ENVSEC.

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et l’environnement L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) rejoint l’ENVSEC en 2004 au travers de sa « Division de diplomatie publique » mais avait intégré les préoccupations environnementales dans ses activités depuis de nombreuses années. En 1958 déjà, l’OTAN mettait en place un « Programme pour la science », puis en 1969 un « Comité sur les défis de la société moderne » avec pour rôle la coopération transfrontalière pour la protection environnementale (au travers notamment d’un programme sur l’environnement et la société). Entre 1995 et 1998, le « Comité sur les défis de la société moderne » publiait plusieurs rapports en lien avec l’environnement, pour aboutir en 1999 au rapport d’étude Environnement et sécurité dans un contexte international 129. Ce rapport, codirigé par l’Allemagne et les États-Unis, élabore des recommandations générales pour intégrer les considérations environnementales dans les instruments de sécurité internationale. Ces deux comités se sont restructurés, et depuis 2006 le « Programme pour la Science » a été repensé et renommé « Science pour la paix et la sécurité » et se fixe pour objectif de connecter les communautés scientifiques de différents pays. Ce programme propose des subventions à la réalisation d’activités telles conférences et formations menées dans les domaines de la défense contre le terrorisme et de la lutte contre d’autres menaces pesant sur la sécurité. Ce programme dépasse d’ailleurs le champ des pays membres de l’OTAN et inclut les pays méditerranéens (Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Mauritanie, Maroc, Tunisie) et la Russie. Chaque événement est organisé en partenariat entre deux référents issus du monde scientifique, le plus souvent l’un d’un pays est membre de l’OTAN, et l’autre d’un pays nonmembre. La sécurité environnementale est au nombre des sujets qui reçoivent un soutien. Parmi les questions liées à l’environnement, l’eau est considérée comme étant la grande priorité pour les Balkans, le Caucase et l’Asie centrale. La détection rapide d’agents et d’armes biologiques, les contre-mesures à l’écoterrorisme, la gestion des ressources non-renouvelables, la sécurité alimentaire, etc. sont d’autres sujets considérés comme prioritaires. Le calendrier des événements organisés par l’OTAN dans le cadre de ce programme est très éloquent en termes d’engagement sur le thème de la sécurité environnementale. Entre mars 2009 et octobre 2010, sur 84 conférences organisées, 22 ont été dédiées à des sujets de sécurité environnementale, et l’on observe une nette augmentation pour l’année 2010. Voici quelques exemples de thèmes abordés : – assurer la sécurité de l’environnement : les services écosystémiques et le bien-être de l’homme (05 /10 juillet 2009, Newport, Rhode Island, États-Unis) ;

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– la détection d’agents biologiques pour la prévention du bioterrorisme (26 juin 2009/02 juillet 2009, Terme di Spezzano, Italie) ; – sécurité environnementale et écoterrorisme (27/29 avril 2010, Moscou, Russie) ; – gestion des menaces environnementales globales pour l’air, l’eau et les sols – Exemples en Europe du Sud-Est (28 /30 juin 2010, Ljubljana, Slovénie). L’approche de l’OTAN décrite dans sa stratégie de 1999 est fondée (et c’est toujours le cas aujourd’hui) sur une définition large de la sécurité, qui reconnaît l’importance des facteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Le nouveau concept stratégique pour la défense et la sécurité des membres de l’OTAN intitulé « Engagement actif, défense moderne » adopté par les chefs d’État à Lisbonne en 2010, définit la stratégie de l’OTAN pour les 10 prochaines années et stipule que « des contraintes majeures en terme d’environnement et de ressources, dont les risques sanitaires, le changement climatique, la raréfaction de l’eau et l’augmentation des besoins énergétiques, contribueront aussi à dessiner l’environnement de sécurité futur dans des régions d’intérêt pour l’Alliance et pourraient affecter considérablement la planification et les opérations de l’OTAN j ».

L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) regroupe 56 États situés en Europe, en Asie centrale et en Amérique et représente la plus grosse organisation en charge de sécurité. L’OSCE offre « un forum pour les négociations politiques et la prise de décision dans les domaines de l’alerte précoce, la prévention de conflits, la gestion de crise et la réhabilitation post-conflit ». L’OSCE affiche clairement dans ses activités une dimension environnementale visant à assurer un bon équilibre biologique de l’air, de l’eau et du sol. L’OSCE poursuit les priorités environnementales suivantes : la promotion de la gestion intégrée des ressources en eau, l’appui à l’élimination de déchets dangereux, la mise en œuvre de l’Initiative pour l’environnement et la sécurité (ENVSEC) dès 2003, et enfin la promotion et l’appui au dialogue pour la sécurité de l’énergie130. En 2007, l’OSCE a publié la « Déclaration de Madrid pour l’environnement et la sécurité131 » afin « d’affirmer son engagement et sa volonté d’améliorer la gouvernance environnementale en renforçant notamment la gestion durable des ressources naturelles, en particulier de l’eau, des sols, des forêts et de la biodiversité ». Au plan organisationnel, l’OSCE dispose d’un coordinateur des activités économiques et j. L’OTAN a également un centre de premiers secours en cas de catastrophes naturelles, le « Centre de coordination euro-atlantique pour les catastrophes naturelles » créé en 1998. Cette unité a déjà prodigué ses secours à la Roumanie, à la Géorgie et à la Bulgarie lors d’inondations dévastatrices, ainsi qu’au Portugal pour faire face aux incendies de forêts, et aux États-Unis suite à l’ouragan Katrina (Kingham, 2006). Kingham R.A. (ed.) (2006), Inventory of Environment and Security Policies and Practices (IESPP) An Overview of Strategies and Initiatives of Selected Governments, International Organisations and Inter-Governmental Organisations, Institute for Environmental Security. The Hague, the Netherlands, 186 p.

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environnementales, et organise des formations dans le domaine de l’écologie. En termes d’actions concrètes, les activités se concentrent surtout en Asie centrale où l’OSCE a par exemple publié une brochure sur l’environnement en Ouzbékistan en 2004. Au Turkménistan, l’OSCE a soutenu la mise en œuvre de la stratégie environnementale et aidé à la plantation de 20 000 arbres.

Les missions de l’ Environment and Security Initiative L’Environment and Security Initiative (ENVSEC) débute en 2002 et s’appuie sur le constat que les problèmes environnementaux tels l’accès non équitable aux ressources naturelles ou les mouvements transfrontaliers de substances toxiques augmentent la probabilité d’éclatement de conflits. Des préoccupations partagées, notamment environnementales, peuvent en outre favoriser les échanges entre pays et promouvoir la paix entre populations. L’objectif de ce projet est donc d’identifier les liens entre les problèmes environnementaux majeurs et les problèmes de sécurité existants ou potentiels qui touchent les populations et les États. Le projet s’intéresse alors à l’environnement comme source de stress entre les communautés, régions ou pays, et aux outils qui peuvent être utilisés pour favoriser la coopération et éviter les conflits. C’est donc une expérience grandeur nature de prévention des conflits qui est à l’œuvre, sur des aires suffisamment grandes pour embrasser des problématiques dans leur ensemble. Après consultation de représentants locaux, y compris des représentants des gouvernements, de la société civile, et du monde de la recherche, une équipe du PNUE a cartographié pour le continent européen les zones de stress environnemental auxquelles des données socio-économiques, démographiques, sanitaires et ethniques ont été surimposées. Ces cartes ont ainsi permis de représenter les régions potentiellement vulnérables, soit les points chauds de tension pour lesquelles un suivi de terrain doit être entrepris. Les projets se déroulent exclusivement dans la zone européenne et se divisent en quatre aires géographiques identifiées comme potentiellement vulnérables. Ils sont décrits ci-dessous. Le sud du Caucase, comprenant l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie représente un pont entre l’Asie et l’Europe. La région a connu de nombreux conflits ethniques et interétatiques conduisant à un manque de coopération qui exacerbe les problèmes environnementaux. La gestion des ressources naturelles et notamment le bassin aquifère de Kura-Araks, la pollution industrielle, les réseaux d’irrigation et la croissance urbaine incontrôlée constituent les principaux enjeux de la zone. L’ENVSEC a encouragé le suivi et la gestion du Kura-Araks, a ouvert des centres d’information pour le public et formé des journalistes aux sujets environnementaux132. En Europe de l’Est, la Biélorussie, la Moldavie et l’Ukraine étaient, du temps de l’Union soviétique, les pays les plus industrialisés et ont subi l’accident nucléaire de Tchernobyl de plein fouet. La situation de ces pays à la frontière avec l’Union européenne rend cette zone particulièrement stratégique. Les projets de l’ENVSEC incluent la coopération transfrontalière et la gestion durable du fleuve Dniestr, ainsi que le suivi de la pollution du fleuve Prut par métaux lourds133.

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En Asie centrale, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan sont des pays qui disposent de ressources naturelles dont l’exploitation a souvent conduit à des pollutions environnementales, notamment par l’exploitation de mines d’uranium. Dans la vallée Ferghana, un programme de gestion centré sur les ressources en eau, les pollutions liées à des déchets dangereux, les catastrophes naturelles et la biodiversité a été mis en place par l’ENVSEC. Le projet s’attache également à former les journalistes aux sujets environnementaux et à ouvrir des centres publics d’information134. Enfin, en Europe du sud-est, les projets de l’ENVSEC couvrent l’Albanie, la Bosnie Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, la Roumanie, la Serbie, le Monténégro et le Kosovo. Cette région est principalement affectée par la pollution industrielle dans les sites urbains en provenance du secteur minier et de l’agriculture intensive, mais souffre également d’un manque de technologies et d’infrastructures pour le traitement de l’eau. Le partage des lacs et des fleuves transfrontaliers et de la biodiversité des montagnes des Carpates constitue un défi mais aussi une opportunité de coopération. Les projets dans cette zone intègrent spécifiquement la gestion transfrontalière de la biodiversité, en particulier au travers du partenariat dans la région du Parc national de Prespa (situé en Grèce à la frontière avec la Macédoine et l’Albanie)135. Des cours en environnement, en sécurité et en diplomatie sont dispensés aux acteurs locaux. Un dépliant a été conçu pour informer le public des initiatives de l’ENVSEC, et présente la biodiversité des montagnes136. Dans les projets les plus récents, la biodiversité est apparue comme objet de collaboration entre pays, alors que les projets initiaux étaient plus portés sur la gestion des pollutions et de l’eau. De façon globale, l’ENVSEC se fixe de développer des indicateurs et d’intégrer toutes ces informations à une base de données et d’établir une surveillance sur le long terme. L’un des faits remarquable de cette initiative, outre son aspect expérimental à grande échelle, est la proche coopération de différentes organisations ayant des mandats en sécurité (OTAN, OSCE), en environnement (PNUE) et en développement (PNUD).

La question toujours ouverte de l’intervention sur le terrain… Une fois une zone à risque identifiée, la question reste posée de savoir quel acteur a la légitimité d’intervenir sur le terrain. La prévention et la résolution de conflits environnementaux ont été identifiées comme un nouvel enjeu pour les forces militaires par le puissant think tank de l’armée américaine, l’Army Environmental Policy Institute (AEPI). L’AEPI estime en effet qu’il est préférable de prévenir les problèmes environnementaux que d’y répondre après coup et recommande le positionnement des militaires sur la prévention de conflits environnementaux137. Les militaires pourraient en effet être mobilisés pour

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« fournir des ressources en eau là où cette opération est trop dangereuse pour des agences de développement classiques, ou pour prévenir la déforestation en Amazonie qui nuirait au maintien des équilibres biologiques ». Cette question a été débattue au sein de l’OTAN et de l’ONU en 2000, tout comme celle de l’application des lois environnementales dans un pays où les militaires sont postés138. Techniquement, de telles missions requerraient des services de l’armée qu’ils s’adaptent en formant leur personnel et en s’équipant en matériel approprié. Le positionnement des agences civiles par rapport aux militaires reste lui aussi à définir. Selon le principe de non-ingérence, de telles missions ne pourraient cependant pas être entreprises unilatéralement et devraient idéalement être définies par un mandat international des Nations unies. L’AEPI propose différentes options pour la constitution des troupes d’intervention. Des forces militaires internationales de l’ONU pourraient être établies après que leurs missions, commandements et règles d’engagement aient été clairement définis. Une alternative consisterait à constituer des troupes mises à disposition par les gouvernements pour fournir une aide rapide aux forces existantes de l’ONU. La remise au goût du jour du service militaire pourrait combler cette lacune et permettre la formation et l’entraînement d’un corps spécialisé dans la sécurité environnementale, mais reste somme toute assez illusoire. Que ce soit pour le traitement de l’imagerie spatiale à des fins environnementales, ou pour des interventions de prévention de conflits, l’utilisation des armées peut être à double tranchant. La vigilance appelle donc à envisager en quoi la biodiversité pourrait être dévoyée et utilisée comme moyen ou comme cause de guerre.

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La biodiversité : une bonne opportunité pour les armées Beaucoup d’États ont de près ou de loin intégré la sécurité environnementale dans leurs politiques ou leurs activités au travers de leurs ministères de la Défense, des Affaires étrangères ou de leurs Armées. Ronald Kingham dresse en 2006139 un inventaire des pratiques sur le sujet dans certains États incluant le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Autriche, le Japon, etc. En France, la Direction générale de l’armement se mobilise pour que ses usines d’armement soient aux normes antipollution, que ses avions soient moins bruyants, ses chars équipés de pots catalytiques, et ses cartouches biodégradables140. Le ministère de la Défense français intègre dans ses activités la stratégie nationale de développement durable élaborée en 2003, à laquelle la protection de la biodiversité est inscrite. Sur les 50 000 ha de terrains militaires (représentant 0,5 % de la surface totale de la France), 20 % sont classés en sites Natura 2000 a. Ces terrains abritent très souvent une flore et une faune remarquables, qui ont été épargnées de l’urbanisation et de la mise en culture des terres. Vingt-cinq accords de gestion écologique sont en cours avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), les Conservatoires régionaux des espaces naturels, l’Office national des forêts (ONF), a. Natura 2000 est un réseau de sites écologiques en Europe. Consulter le site Internet pour plus d’informations.

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la Ligue de protection des oiseaux (LPO), etc. Des herbivores (chevaux, lamas) broutent maintenant sur les sites de la défense, réduisant l’emploi d’herbicides. Pour protéger les populations de gypaète barbu (Gypaetus barbatus), les aéronefs militaires évitent de survoler les zones de nidification de la période d’accouplement à l’envol des jeunes141. D’autres États européens ont mis sur pied des projets de protection de la nature en partenariat avec le monde de la conservation par l’intermédiaire de Natura 2000 et de financements européens dédiés à l’environnement appelés Life. En 2005, 28 projets Natura 2000 impliquant les militaires étaient répertoriés, qu’ils consistent à mettre en œuvre les Directives oiseaux et habitats sur les terrains militaires, ou à aider à effectuer des opérations environnementales sur d’autres sites. C’est ainsi que bien que l’objectif initial des militaires ne soit pas de protéger la biodiversité, ce sont par exemple 70 % des 26 000 ha de terrains militaires en Belgique qui ont été inclus dans le réseau Natura 2000. En Hongrie, les militaires protègent la vipère d’Orsini (Vipera ursinii rakosiensis), qui chassée par les activités agricoles s’est réfugiée sur leurs sites d’entraînement. Sur l’île Alboràn, un territoire militaire stratégique situé entre le Maroc et l’Espagne, l’armée espagnole a sauvé de l’extinction une plante endémique, Diplotaxis siettiana, en la réintroduisant à partir de semences conservées dans un jardin botanique et en veillant à sa croissance. Les militaires entreprennent également de nombreux travaux de restauration des milieux : au Danemark, ils maintiennent les dunes de sable, en Angleterre ils protègent les pelouses calcaires et autres habitats d’intérêt communautaire. À Minorque, les forces armées ont aidé au contrôle de l’une des plantes exotiques les plus envahissantes sur les dunes et les rochers de Méditerranée, les griffes de sorcières (Carpobrotus spp.). En Finlande, les militaires ont donné un coup de main pour la restauration de forêts boréales en effectuant un entraînement hors de leur site et en fournissant leur expertise pour faire exploser 180 à 200 arbres. En se décomposant, ces arbres facilitent le développement d’habitats protégés tels que tourbières et marécages. Des synergies s’opèrent entre les mondes de la défense et de la conservation. Le secteur de la défense comprend petit à petit l’importance de la protection de l’environnement, allant jusqu’à internaliser au sein de ses propres services l’expertise écologique. La défense bénéficie pour la gestion environnementale de ses terrains d’un traitement spécifique, les mesures Natura 2000 tiennent en effet compte des exigences sécuritaires. Aucune mesure susceptible d’affecter l’exécution de la politique militaire ne peut être entreprise sans l’accord préalable de l’autorité militaire. Des armées ont tout de même renoncé à s’entraîner sur certains de leurs sites pour des motifs environnementaux. Ce fut le cas en Suède et en Allemagne pour des sites qui hébergent des oiseaux protégés142. Cette stratégie permet de plus le captage de financements européens et un meilleur dialogue avec le grand public, les sites militaires allant jusqu’à être ouverts au public pour leur intérêt naturaliste143. Les exemples et les situations sont démultipliés par le nombre de pays en Europe. En Inde, les militaires ont été les premiers au monde à constituer des unités dédiées à la protection de l’environnement, rentabilisant ainsi l’armée. Les États-Unis ont pour leur part abordé la question sous un angle beaucoup plus stratégique. Il n’en demeure pas moins vrai que les armées ont joué et jouent encore un rôle important dans la défense de l’agriculture et de l’environnement contre les armes biologiques.

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L’Inde : rentabiliser les armées à des tâches de protection de l’environnement L’armée indienne est la seule au monde à avoir des unités dédiées à la restauration écologique depuis les années 1980b: les Ecological Task Forces ou forces à devoir écologique en français.

L’Inde : pionnière dans l’utilisation de l’armée à des fins écologiques Le concept d’Ecological Task Force (ETF) a initialement été lancé par le Dr Norman Borlaugh, agronome américain considéré comme le « père » de la « Révolution verte », qui dans les années 1980 a perçu le besoin d’une force disciplinée pour entreprendre des travaux écologiques tels que la reforestation ou la conservation des sols. L’armée indienne dispose de 8,5 millions d’hectares répartis entre ses 192 sites militaires en Inde, au sein desquels la restauration écologique est devenue une pratique routinière. Outre gérer les terrains militaires, les ETF peuvent être déployées dans tout le pays à la demande des différents États indiens, selon leurs besoins. Les ETF sont financées par les États et le ministère de l’environnement et des forêts. Chaque unité est composée d’environ 100 hommes et est missionnée pour une durée limitée de 3 à 5 ans. Ces unités entreprennent des activités environnementales variées, adaptées aux contextes biogéographique et stratégique des zones où elles sont envoyées. Ces groupes sont d’ailleurs judicieusement déployés aux frontières. Dans la région du désert, répartie entre le Rajasthan (62 %), le Gujarat (20 %), l’Haryana et le Punjab (8 %), l’Andhra Pradesh (7 %) le Karnataka (3 %) et le Maharashtra (0,4 %), l’ETF entreprend des actions de stabilisation des dunes de sable par la plantation d’arbres, des travaux d’irrigation et facilite le dialogue entre bergers nomades et agriculteurs sédentaires. L’unité en profite également pour contrôler les frontières avec le Pakistan et le Bangladesh, deux voisins avec qui les relations diplomatiques sont tendues. Dans la région du Kumâon, non loin de la frontière avec le Népal, l’ETF entreprend des opérations de remise en état des terrasses abandonnées, remplace les forêts monospécifiques de pins par des arbres plus adaptés écologiquement, et lutte contre les plantes envahissantes. Dans l’Himachal Pradesh et le Punjab, l’ETF est complètement financée par le gouvernement local et entreprend des travaux de reforestation, de conservation des sols

b. Une description précise de leurs activités est fournie par : Gautam P.K (2010), Environmental Security, New challenges and role of the military, Institute for defense studies and analysis, New Delhi, 166 p.

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et anime des programmes de vulgarisation environnementale comme par exemple l’organisation d’un festival de la forêt. La luxuriante région du nord-est de l’Inde à la frontière chinoise est très riche en biodiversité. Cette biodiversité est menacée par le commerce illégal de bois, de plantes médicinales et d’orchidées, ainsi que par la production de charbon de bois fabriqué à partir d’arbres et d’arbustes. L’ETF lutte contre ces trafics, mais aussi contre les foyers de maladies humaines telles la malaria ou la dengue. L’unité combat également une plante aquatique exotique considérée comme l’une des plus envahissantes au monde : la jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes). Cette espèce obstrue les canaux et les points d’eaux nuisant à toute vie aquatique et aux activités agricoles et favorise les habitats propices aux moustiques, vecteurs des maladies précitées. Le rôle de l’armée dans ce domaine est de plus en plus reconnu et un nombre croissant d’ETF est réclamé par les différents États indiens.

Les Environmental Task Forces en Inde : un moyen d’engager un dialogue transfrontalier Outre résoudre d’importants problèmes écologiques, le positionnement stratégique de ces unités aux frontières permet d’engager le dialogue avec les militaires de pays voisins, élément constituant un important facteur diplomatique. Des projets de coopération entre militaires ont dans ce cadre vu le jour entre l’Inde et de nombreux pays, en voici quelques exemples. Un séminaire a été organisé en 2001 avec les États-Unis sur l’écologie de l’Himalaya. Les positions chinoise et indienne sur le changement climatique font l’objet d’un dialogue en vue d’une harmonisation pour faire poids lors des négociations internationales. Le partage de données et la conduite d’études sur l’écoulement des eaux transfrontalières, et en particulier sur la fonte de glaciers et du permafrost tibétain ont été également identifiés comme des priorités de collaboration entre la Chine et l’Inde. Avec le Pakistan, la fonte des glaciers, la dégradation écologique, les pollutions transfrontalières et la remise en état des forêts dans la zone militarisée du Cachemire devraient faire l’objet de coopérations. Concernant le Bangladesh, le partage des eaux, la gestion des cours d’eau et la remise en état de la mangrove sont des sujets communs qui pourraient rétablir la confiance entre ces deux pays. Pour ce qui est du Népal, la restauration des forêts a été identifiée comme un domaine de partenariat entre armées transfrontalières. Enfin, avec divers voisins maritimes, la pollution, notamment par dégazage des pétroliers, est l’enjeu majeur pour lequel les armées voisines auraient un rôle conjoint à jouer. La préservation des terrains militaires en Inde est exemplaire, tout comme l’image dont l’armée indienne jouit auprès du public144. L’expérience de l’armée indienne en matière de sécurité environnementale est même citée en exemple par les experts chargés de conseiller l’armée américaine sur sa stratégie environnementale.

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Les États-Unis ou la biodiversité comme outil stratégique de communication Le rapport de Ronald Kingham intitulé Inventaire des politiques et pratiques pour l’environnement et la sécurité 145 répertorie différents programmes, politiques, et stratégies qui traitent de sécurité environnementale aux États-Unis. Les principaux acteurs de ces politiques sont le Département d’État (Department of State ou DoS qui est l’équivalent du ministère des Affaires étrangères en France), le ministère de la défense (Department of Defense ou DoD), le ministère de l’énergie (Department of Energy ou DoE), et l’agence de protection environnementale (Environmental Protection Agency ou EPA). L’analyse des activités américaines en sécurité environnementale requiert donc de consulter de nombreuses sources d’information. Les initiatives sur le sujet ont surtout émergé de 1990 à 2001 sous l’administration Clinton. L’intégration de l’environnement dans les activités militaires a concerné dans un premier temps le territoire national et de nombreuses institutions publiques ont été créées à cette fin aux États-Unis, notamment l’Institut américain pour la résolution de conflits environnementauxc. Cet organe du gouvernement fédéral a été créé en 1998 avec pour mission la résolution de conflits environnementaux liés aux transports, aux énergies, à l’utilisation des terres, etc. au sein du territoire américain. À partir de 2001, le sujet a été relégué au second plan avec l’élection de G.W. Bush et les attaques du 11 septembre qui ont consacré la « guerre contre la terreur » comme priorité du gouvernement. Les activités qui avaient été engagées en sécurité environnementale ont cependant perduré lorsqu’elles étaient associées aux thèmes du développement durable, de la sécurité énergétique, de la gestion du changement climatique et des catastrophes naturelles, ou qu’elles concernaient l’intégration de l’environnement dans l’armée américaine. Dans le processus d’intégration de l’environnement aux activités militaires, les États-Unis ont d’abord naturellement commencé par conserver les ressources naturelles et la biodiversité sur leurs propres terrains militaires, et à faire en sorte que l’armée ait des pratiques en accord avec les législations nationales en vigueur. Ce « verdissement » de l’armée américaine a ouvert le champ à de nombreuses réflexions sur le rôle de l’armée dans la protection de l’environnement, y compris dans le cadre de sa politique militaire extérieure.

Le premier pas : le verdissement des terrains militaires américains La première étape d’intégration de la biodiversité aux activités de l’armée américaine a consisté à verdir les installations militaires sur le sol américain. L’idée de limiter les impacts environnementaux de l’armée américaine a débuté dès les années 1970, avec la mise en place du Commandement environnemental de l’armée américained. Ces c. US Institute for Environmental Conflict Resolution. d. US Environmental Army Command.

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efforts ont été poursuivis par l’administration Clinton avec la création du Bureau du sous-secrétaire adjoint de la défense pour la sécurité environnementalee. Bien que l’administration Bush ait fusionné ce bureau avec celui des installations, les forces armées doivent appliquer les lois environnementales, et ces obligations sont aujourd’hui enseignées dans les universités militaires américaines. Le Pentagone et l’ONG américaine The Nature Conservancy ont élaboré conjointement en 1996 un document intitulé Conserver la biodiversité sur les terrains militaires 146. Les terrains militaires représentent en effet aux États-Unis une superficie de 12 000 hectares et abritent la plus grande densité d’espèces listées dans le Endangered Species Act (soit la liste d’espèces animales et végétales menacée aux États-Unis). Historiquement, les militaires ont joué un rôle crucial dans la découverte et la conservation des ressources naturelles, que ce soit lors les expéditions de Lewis et Clarke de 1838 à 1842 ou lors de la création des premiers parcs nationaux de 1872 à 1916. Le processus législatif s’est organisé progressivement entre le ministère de la défense et les institutions environnementales. En 1994 a été décidée la mise en place de la gestion des écosystèmes. En 1996, une première initiative pour la biodiversité a réuni des représentants du Pentagone et d’ONG afin de mettre en place des outils et des recommandations pour protéger la biodiversité sur les terrains militaires. En 1997 a été signé le Sikes improvement act, législation qui instaure la formulation de listes d’espèces protégées, ainsi que la gestion d’espèces protégées, d’espèces envahissantes, d’oiseaux migrateurs, de forêts, etc. sur les sites du ministère de la défense. Entre 2002 et 2007, ce ministère a poursuivi ces actions et a signé de nombreux memoranda de coopérations pour la biodiversité comme le Migratory Bird Treaty Act pour la protection des oiseaux migrateurs ou le Marine Mammal Protection Act sur la protection des mammifères marins. L’unité dédiée aux espèces protégées du Commandement environnemental de l’armée américainef fournit un inventaire des espèces répertoriées et des actions de conservation entreprises147. Aujourd’hui, la biodiversité est affichée comme une ressource importante dans la mission militaire américaine148, et ce pour différentes raisons. Au-delà d’être une obligation légale selon le National Environmental Policy Act, la conservation de la biodiversité est montrée comme un moyen de maintenir la qualité de vie du personnel vivant sur les installations militaires et permet une gestion efficace des ressources. Elle fournit de plus des conditions d’entraînement réalistes pour les troupes qui correspondent aux différents habitats susceptibles d’être rencontrés. Sans oublier que les actions de conservation permettent de bâtir de bonnes relations avec le public.

L’intégration de l’environnement aux outils de prise de décision des forces armées américaines Pendant la seconde guerre mondiale l’armée américaine avait pour instruction de limiter les dommages aux travaux d’art, aux églises, aux monuments, aux archives et e. Office of the Deputy Under Secretary of Defense for Environmental Security. f. US Army Environment Command.

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aux bibliothèques. Ce sont maintenant les ressources naturelles (y compris les espèces protégées) qui doivent être préservées dans les opérations militaires. En 2000, le ministère des armées américaines publie un document intitulé Considérations environnementales dans les opérations militaires 149. Ce document stipule que bien que ce soit difficile, les missions doivent au maximum éviter les dommages environnementaux, les nouvelles technologies permettant des frappes plus précises. Les recommandations décrivent 3 catégories d’impacts environnementaux liés à un usage injustifié de l’armement militaire : – les impacts non nécessaires : ils correspondent à un type de dommage environnemental que les militaires ne peuvent pas justifier, et qui sont des actes de vengeance, des actes intentionnels ou de négligence. Par exemple, en incendiant les puits de pétrole koweïtiens, les forces irakiennes ont gagné un avantage stratégique en créant un écran de fumée, mais cet avantage militaire n’est pas considéré comme proportionnel à l’impact environnemental occasionné et représente donc un impact non nécessaire ; – les dommages collatéraux : ils découlent d’actions militaires dont le but est d’acquérir un avantage stratégique, opérationnel ou tactique durant les combats. L’utilisation d’incendies, qui peuvent avoir de graves conséquences sur l’environnement, ou la destruction des cibles ennemies, comme les stocks de munitions ou les réservoirs d’eaux de traitement qui peuvent conduire au déversement de substances toxiques sont considérés comme des dommages collatéraux ; – les modifications de l’environnement : l’utilisation de techniques qui modifient l’environnement (ex. l’atmosphère, les océans, les détournements de rivières, la défoliation de la végétation, etc.) occasionnent de graves dommages sur les ressources naturelles et l’économie. De manière générale et théorique, l’armée et la marine doivent se plier aux lois et traités internationaux que les États-Unis ont ratifié : la Convention sur le commerce international d’espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction (CITES), la Convention de Bâle, le Protocole de Montréal, etc. L’armée et la marine doivent également respecter les réglementations environnementales fédérales, étatiques, locales, ou du pays hôte lorsqu’elles sont engagées à l’étranger. En cas de divergences entre ces lois, les plus contraignantes font foi. Le ministère des armées précise même que l’ignorance des lois environnementales ne peut pas être prise comme excuse et ne protégera pas les services militaires d’une responsabilité juridique civile ou pénale. En conséquence, toute la chaîne de commande du personnel militaire doit être formée à ces exigences, et les considérations environnementales sont intégrées à tous les stades du processus de prise de décision militaire150 (réception de la mission, analyse de la mission, développement, analyse, comparaison, approbation en cours de mission, production des ordres). Ces exigences concernent aussi bien l’entraînement que les opérations. Les services militaires ont donc inclus des mesures environnementales dans leurs activités journalières, et du personnel spécifique est affecté aux questions environnementales sur les installations américaines. La prise en compte de ces aspects environnementaux est même standardisée, des

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lignes directrices, des schémas d’évaluation du risque et des annexes spécifiques ont été conçus à cet effet pour le territoire américain, mais aussi à l’étranger.

Les bases militaires sur le territoire américain Le point 200-1 de la réglementation de l’arméeg (AR-200-1) constitue un cadre général qui liste les devoirs et responsabilités de chaque niveau de commande dans la définition des programmes environnementaux, notamment en matière de ressources en eau, de pollution de l’air, de déchet, de bruit, de restauration environnementale et de formation environnementale. Au sein des installations de l’armée, le point 200-2 de cette réglementation (AR 200-2) met en œuvre le National Environmental Policy Act et définit cinq catégories d’actions militaires : (1) l’urgence, qui ne nécessite pas la mise en œuvre de la National Environmental Policy Act ; (2) les actions exemptes d’analyse environnementale d’après la loi ; (3) les actions exclues de l’analyse environnementale, (4) les actions requérant une analyse ; (5) les actions requérant une analyse et une possible remise en état. Les actions qui tombent dans les catégories 4 et 5 (les exercices d’entraînement peuvent en faire partie) sont donc les seules à être soumis à une analyse environnementale. Une procédure détermine si les autorités militaires doivent préparer une « évaluation environnementale » (Environmental assessment ou EA) qui est une analyse courte, ou un « état de l’impact environnemental » (Environmental impact statement ou EIS) qui constitue une analyse plus élaborée, utilisée dans les cas où les impacts attendus sont significatifs. Si les analyses environnementales démontrent que l’action proposée n’entraîne pas de dommages significatifs, un état de l’impact non significatif (finding of no significant impact ou FONSI) est alors élaboré et ouvert aux commentaires du public. Dans les cas où les impacts sont jugés significatifs, le rapport est transféré aux quartiers généraux qui diffusent le document aux agences pertinentes. Des rapports d’état d’impact non-significatif ou FONSI sont disponibles sur Internet, comme par exemple celui ayant pour intitulé Réduire les dommages aux mammifères sur le territoire et les installations de la Tennessee Valley Authority de 2003151. Quand l’action ne fait pas l’objet d’une dérogation, le niveau de prise en compte de l’environnement dépendra du but de la mission, de l’intérêt du public, et des impacts potentiels de l’opération. De nombreuses autres lois existent sur le territoire américain : le Clean Air Act, le Clean Water Act, le Comprehensive Environmental Response, le Compensation and Liability Act, l’Endangered Species Act, etc. Ces lois prennent bien sûr effet sur les installations militaires. De plus, sur les installations militaires aux États-Unis mais aussi pour celles basées à l’étranger, et dans le cadre de l’analyse de tendance de condition des terres (Land Condition Trend Analysis, LCTA), des programmes d’inventaires biologiques sont censés suivre les effets des entraînements sur les espèces protégées, les sols, la végétation, la faune sauvage et les zones humides. g. Army Regulation 200-1.

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À l’étranger Spécifiquement pour les installations militaires américaines basées à l’étranger (ex. Allemagne, Corée du Sud, Japon), les procédures que les agences fédérales doivent suivre sont édictées par différents textes de loi : l’ordre EO 12114 du 4 janvier 1979 (Effets environnementaux à l’étranger des principales mesures fédérales environnementalesh) ; les recommandations du document sur les lignes directrices sur l’environnement outre-mer élaborées en 1991i ; et les normes administratives finalesj fréquemment mises à jour depuis 1993. Si le pays hôte n’a qu’une législation environnementale restreinte, la base militaire doit au minimum satisfaire aux exigences des lois AR 200-1 et AR 200-2 énoncées ci-dessus. Sont cependant exclus de ces considérations les conflits armés, les activités de renseignement et les transferts d’armes. Spécifiquement pour la biodiversité, la protection des écosystèmes est listée comme un élément à prendre en compte lors d’un déploiement à l’étranger dans le document Considérations environnementales dans les opérations militaires 152. Il est mentionné que le fait que des espèces animales ou végétales spécifiques, des zones humides, des forêts ou des cultures soient à protéger doit être analysé avant d’envisager des actions qui pourraient les détruire sur de vastes surfaces. Le lieu d’intervention doit être décrit (y compris ses habitats, sa végétation, sa faune, etc.) et cartographié. Des aspects spécifiquement liés aux espèces rares et protégées doivent être considérés lors de la prise de décision : les manœuvres dans les aires sensibles, en particulier les zones humides puisqu’un permis spécial est requis ; la démolition, les effets des munitions, particulièrement pendant la saison des migrations ; la perturbation d’habitats d’espèces spécifiques ; la contamination par des déchets dangereux ; une mauvaise remise en état du champ de bataille ; un usage impropre de la végétation, par exemple pour le camouflage ; des dommages à la barrière de corail.

Dans quels types d’opérations l’environnement serait-il pris en compte ? Selon le bilan du ministère américain des armées de 2000153, la protection de l’environnement reçoit plus d’attention lors de l’entraînement que lors des opérations de combat, et l’intérêt accordé au sujet varie en fonction de la nature des missions. L’environnement aurait été pris en compte dans 95 % des interventions humanitaires, dans environ 50 % des opérations de maintien de la paix, dans 25 % des opérations de mise en application de la paix, et dans 25 % des opérations de combat. Un lien fort entre actions humanitaires et protection de l’environnement émerge et de nouveaux défis se font jour. La conduite d’opérations humanitaires après des catastrophes naturelles, la réponse au terrorisme et au sabotage environnemental doivent aussi réduire les impacts environnementaux en opérations. Anticiper les obligations de futurs traités internationaux est également au nombre des préoccupations militaires. L’Army Environmental Policy Institute 154 estime par exemple h. Effects Abroad of Major Federal Actions. i. Overseas Environmental Baseline Guidance Document (OEBGD), d’après le DoD 6050. j. Final Governing Standards (FGS).

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qu’à court terme, la mise en place d’un traité pour la remise en état des champs de bataille après un conflit semble inévitable. Les effets destructeurs des opérations militaires telles que les infiltrations de substances chimiques dans les eaux souterraines et la destruction de la végétation sont au cœur de ces futures préoccupations. Un tel traité impliquerait probablement le développement de nouveaux modèles et instruments pour mesurer les impacts environnementaux, de nouvelles règles d’engagement de conflits pour minimiser les impacts, ainsi que de nouvelles armes et d’une nouvelle doctrine k. En conclusion à l’analyse de ces procédures complexes, même si des outils de prise de décision censés minimiser les impacts environnementaux ont été développés et k. L’Union européenne a elle aussi mis en place une procédure globale d’évaluation environnementale. L’Évaluation environnementale stratégique (EES) est une procédure en vigueur depuis 2004 qui vise à évaluer les conséquences environnementales de programmes et de politiques. La Directive européenne 2001/42/EC exige qu’une telle évaluation environnementale stratégique soit conduite lors de tout projet pouvant avoir un impact sur l’environnement (ex. agricole, industriel, lié aux transports, au tourisme, etc.). Alors que l’évaluation environnementale stratégique est utilisée pour des considérations stratégiques et politiques, une étude plus précise pour des projets concrets consiste en une « évaluation environnementale (EE) ». Une telle étude identifie les enjeux soulevés par un projet et s’appuie sur des méthodes qualitatives et quantitatives empruntées aux sciences naturelles, physiques et sociales, à l’ingénierie, et aboutissent à un ensemble de méthodes permettant d’éviter, d’atténuer ou de compenser les impacts identifiés. Historiquement, l’EE est apparue dans les années 1970 aux États-Unis, puis en France sous la forme d’Études d’impacts environnementaux. Qu’en est-il de l’application de cette directive aux activités militaires ? Il est stipulé dans la directive 2001/42/EC (article 3.8) que les programmes dont l’objectif est de servir la défense nationale ou les urgences civiles ne sont pas couverts. Mais bien que le secteur de la défense puisse être exempté de ces évaluations, cette procédure a déjà été utilisée par les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni pour des opérations militaires se déroulant sur le sol européen. Sont respectivement évalués les impacts directs et indirects potentiels d’une décision sur l’environnement, et comment les prévenir. Après qu’une évaluation ait été conduite, un processus de consultation s’ensuit auprès des pays européens voisins. Tout comme pour les évaluations environnementales américaines, les documents produits sont ouverts aux commentaires du public et des organisations. À titre d’exemple, la Commission européenne a intenté des actions légales contre des pays européens, et notamment contre l’Italie qui n’avait pas mis en œuvre la Directive 2001/42/EC lors de l’élargissement de la base militaire à la Maddalena en Sardaigne. Selon l’analyse de l’utilisation de l’EE et l’EES dans les conflits armés de Dorsouma & Bouchard (2007), il ressort que l’EE a un rôle à jouer en situation de conflit armé en intervenant dans les actions de planification, dans les opérations humanitaires, dans les actions de reconstructions, et dans les actions en amont des conflits. Peu de travaux sur les évaluations en situation de conflits armés ont à ce jour été réalisés, mais ces analyses semblent être de plus en plus sollicitées par des organisations humanitaires pour des opérations d’aides aux réfugiés et personnes déplacées, comme ce fut le cas au Darfour en 2004. Union européenne (2001), Directive 2001/42/EC du parlement européen et du conseil relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. 24 p. Dorsouma A.H. & Bouchard M.A. (2007), Conflits armés et environnement : cadre, modalités, méthodes et rôle de l’évaluation environnementale. Développement durable et territoires, Dossier 8 : Méthodologies et pratiques territoriales de l’évaluation en matière de développement durable.

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sont de plus en plus utilisés, de nombreuses dérogations existent pour le secteur militaire. En attestent la prise en compte encore limitée de l’émission d’ondes sonores dans les océans liée à l’utilisation de sonars par la marine, qui ont des effets désastreux sur les mammifères marins et en particulier les baleines. Beaucoup d’espèces de poissons et de mammifères marins se basent sur le son pour naviguer, trouver de la nourriture, communiquer avec les autres individus de leur espèce, se reproduire, éviter les prédateurs. L’industrialisation des océans et le bruit produit pour l’exploitation du pétrole, la pêche industrielle, les expériences océanographiques et les activités militaires occasionnent une pollution sonore qui leur nuit, et peut conduire à leur mort. En mars 2000, 16 baleines se sont échouées sur les côtes des Bahamas, présentant des hémorragies autour des oreilles et des tissus liés à la conduction du son. Ces symptômes sont attribués à l’utilisation des sonars de moyenne fréquence par l’armée américaine. Le lien entre sonars et mort de dizaines de baleines, dont la plupart des espèces sont protégées, n’est plus à prouver155. L’intégration de l’environnement au sein des instances en charge de la défense aux États-Unis va rapidement s’étendre et s’inscrire dans la stratégie nationale sécuritaire.

Intégration de l’environnement à la stratégie nationale sécuritaire américaine La stratégie environnementale de l’armée américaine pour le XXIe siècle156 publiée en 1992 par l’Institut de l’armée en politique environnementalel (AEPI) affirme que « l’armée sera un leader national dans l’intendance de l’environnement et des ressources naturelles pour les générations présentes et futures, et ceci fait partie intégrante de ses missions ». Tous les soldats et tous les marins de tous rangs ont la responsabilité de mettre en œuvre la stratégie de protection de l’environnement, et non plus seulement sur les bases militaires américaines. Leurs buts et objectifs reposent sur quatre piliers157 : – la « conformité » : s’assurer que toutes les actions sont en accord avec les lois fédérales, étatiques, etc. concernant les décharges, le bruit, la qualité de l’air, les espèces protégées, etc. ; – la « prévention » : prévenir les accidents environnementaux tels que les pollutions en réduisant la quantité de déchets produits, incluant l’utilisation de doses moindres de produits toxiques, ou l’utilisation de produits moins toxiques, en réutilisant le matériel ou en recyclant des produits ; – la « conservation » : utiliser de façon contrôlée les ressources sur les terrains militaires, et préserver les ressources culturelles et naturelles (incluant les espèces protégées) ; l. Army Environmental Policy Institute.

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– la « restauration » : entreprendre les activités nécessaires à la réhabilitation des sites militaires contaminés. Par exemple, pendant le déploiement de Bouclier du Désert m, une installation aurait dépensé 1 million de dollars US pour nettoyer des déchets dangereux accumulés lors du déploiement des mines. Les préoccupations environnementales se sont de plus ancrées dans les textes stratégiques de l’armée américaine. En 1995, la Stratégie de sécurité nationale 158 mentionne que « des sujets environnementaux transnationaux émergents affectent de plus en plus la stabilité, et représenteront de nouveaux défis pour la stratégie américaine ». La protection de l’environnement est alors perçue à la fois comme ayant une valeur éthique, mais également comme un élément ayant à terme un impact sur la sécurité et la santé des populations. La Stratégie de sécurité nationale de 1995 a de cette façon intégré les valeurs environnementales dans ses missions. L’idée fait son chemin, et la Stratégie de sécurité nationale de 1998159 fait allusion à la fois à l’environnement et à l’engagement, sans que le lien (c’est-à-dire l’engagement de forces armées au nom de l’environnement) ne soit toutefois clairement affirmé : « Nous devons être préparés à utiliser tous les instruments de la puissance nationale pour influencer les actions d’autres États et d’autres acteurs non-étatiques. Nous recherchons un environnement global plus propre pour protéger la santé et le bien-être de nos citoyens. Un environnement détérioré ne menace pas seulement la santé publique, il empêche la croissance économique et peut générer des tensions qui menacent la sécurité nationale ». Un paragraphe est d’ailleurs consacré aux initiatives environnementales, l’une d’elle recommande « d’accroître la coopération internationale pour lutter contre le crime environnemental transfrontalier, incluant le trafic d’espèces protégées, les déchets dangereux et les substances qui nuisent à la couche d’ozone ». Une autre suggère « de ratifier la Convention sur la diversité biologique (CDB), d’agir pour prévenir la perte de biodiversité dans les régions clés avec les acteurs pertinents (les États-Unis n’ont cependant à ce jour toujours pas ratifié la CDB), et d’utiliser la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES) (que les États-Unis ont ratifiée en 1973) ». En 1999, l’assistante du sous-secrétaire à la Défense pour la sécurité environnementale (qui était alors Mme Sherri Goodman), confirme le sens interventionniste de la sécurité environnementale lors de son discours au comité des services armés du Sénat sur la stratégie américaine160 : « Façonner l’environnement international pour qu’il soit favorable aux intérêts américains, en promouvant la stabilité régionale au travers de la coopération entre militaires ; Répondre en soutenant les contraintes environnementales et de santé critiques pour les opérations militaires ; Se préparer en maintenant l’accès à la terre, à l’air et à la mer pour les entraînements grâce à une gestion responsable de nos installations et terrains d’entraînement ».

m. Opération des États-Unis épaulés ensuite de leurs alliés, déclenchée le 6 août 1990 après l’invasion du Koweït par l’Irak pour protéger l’Arabie saoudite d’une éventuelle attaque irakienne lors de la guerre du Golfe.

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La Stratégie de sécurité nationale du Président Obama, parue en mai 2010161 et la Quadrennial Defense Review n de 2010 publiée par le Ministre de la défense162 insistent sur des préoccupations sécuritaires de « soft security » telles que le changement climatique, la croissance de la population, la sécurité alimentaire et les dégradations environnementales, en particulier dans des États tels que le Pakistan, l’Inde, l’Afghanistan et la Somalie. L’Afghanistan est tout particulièrement mentionné comme une zone où le « soft power » peut renforcer les intérêts sécuritaires américains. L’intégration de ces différents aspects contraste avec la Stratégie de sécurité nationale de 2006 du Président Bush. Alors que cette dernière mentionnait le terme « nourriture » une fois seulement et ne faisait aucune mention des termes « population », « démographie », « agriculture » ou « changement climatique », la Stratégie de sécurité nationale du Président Obama mentionne 9 fois le terme « nourriture », 8 fois « population » et « démographie », 3 fois « agriculture » et 23 fois « changement climatique »163. Geoffrey Dabelko (directeur du Environmental Change and Security Program au Woodrow Wilson International Center for Scholars à Washington) note à ce propos que l’introduction du climat aussi massivement dans la Stratégie de sécurité nationale est nouvelle et éclipse d’une certaine façon les dimensions liées aux ressources naturelles. L’intégration des concepts de « nouvelle sécurité » dans ce document laisse néanmoins présager d’un retour de la thématique de la sécurité environnementale dans la politique intérieure mais aussi extérieure américaine. L’environnement est d’ailleurs partie prenante de la politique étrangère américaine depuis les années 1990.

Intégration de l’environnement à la politique étrangère américaine Toujours sous l’administration Clinton, le Département d’Etat américaino publie en 1997 un document intitulé Diplomatie environnementale 164. Ce rapport fait une ébauche de la politique extérieure des États-Unis sur les sujets environnementaux, et liste le changement climatique, les produits chimiques toxiques, l’extinction des espèces, la déforestation et la dégradation des océans comme les 5 priorités environnementales pour les États-Unis. Les activités de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), les actions de coopération du Pentagone, et la création de l’Army Environmental Policy Institute sont autant d’éléments qui témoignent de l’intégration de l’environnement à la politique militaire étrangère américaine.

L’Agence américaine pour le développement international (USAID) p L’Agence américaine pour le développement international (USAID) semble en partie avoir pris le relais des activités du ministère de la défense et se penche de plus en n. La Quadrennial Defense Review (QDR) est un examen législatif quadriennal de la stratégie et des priorités du Ministère américain de la défense. o. Department of State. p. United States Agency for International Development.

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plus sur le lien entre environnement et conflits, au sein notamment du Bureau de la gestion et de l’atténuation des conflitsq. Ce bureau a pour mission de prévenir et de gérer les causes et les conséquences des conflits et a reçu pour l’année 2005 un budget de 10 millions d’euros. L’USAID a alors élaboré des méthodologies d’alerte précoce et des lignes directrices qui fournissent une assistance sur les conflits liés à l’eau, les terres, les minéraux, les forêts, etc. Ces activités sont très proches de celles développées par les Nations unies (voir les pages précédentes). Le lien entre environnement et sécurité est également traité dans d’autres bureaux de l’USAID, comme le travail entrepris sur la forêt et les conflits du bureau de l’Asie et du Proche-Orientr.

La coopération internationale environnementale du ministère de la défense (DoD) Sous Clinton, le ministère de la défense engage un programme de défense autour de la coopération internationale environnementales comme effort de défense préventive. Dans le cadre de ce programme, des relations militaires bilatérales sur les sujets environnementaux ont été engagées à la fin du second mandat Clinton avec les Philippines, les États du Golfe, l’Afrique du Sud, la République tchèque, l’Union européenne, l’Argentine, le Chili, l’Australie, le Canada, les États baltes, et l’ancienne Yougoslavie. L’initiative s’intéressait par exemple à la collecte et à l’échange de données environnementales, au développement de publications, à l’organisation de conférences. Pour l’année 2001, le ministère de la défense finançait ce programme à hauteur de 2,4 millions de dollars US. Les commandes unifiées régionales, les services militaires, le Bureau du sous-secrétaire adjoint de la Défenset et d’autres agences de défense ont fourni des fonds supplémentaires pour promouvoir les efforts de coopération environnementale. Le partenariat entre les commandants en chef régionaux et les ministres de la défense de plus de 30 nations qui a découlé de ce programme a été considéré comme hautement stratégique puisque cette coopération a selon le ministère de la défense lui-même « favorisé l’interopérabilité, maintenu l’accès aux ressources telles l’air, la terre, la mer pour les entraînements, et facilité la mise en œuvre d’une éthique environnementale militaire »165. Le ministère américain de la défense prouve ainsi qu’il constitue une force responsable, capable de préserver les ressources, s’assurant ainsi les accès aux terrains d’entraînement, mais aussi aux bases étrangères. En mars 2001, le commandant en chef du Commandement central américain (USCENTCOM)u organisait une conférence environnementale pour l’Asie centrale et les États du Bassin caspien et insistait sur le fait que les États-Unis n’auraient pas eu accès aux bases d’Asie centrale pour lutter contre le terrorisme si des q. Office of Conflict Management and Mitigation. r. Asia and Near East Bureau. s. Defense Environmental International Cooperation Program, DEICP. t. Office of the Deputy Under Secretary of Defense (Installations and Environment, ODUSD(I&E). u. L’US Central Command (USCENTCOM) est l’une des 10 zones de commandement de l’armée américaine, et comprend 20 pays : l’Afghanistan, le Bahreïn, l’Egypte, l’Iran, l’Irak, la Jordanie, le Kazakhstan, le Koweït, le Kirghizistan, le Liban, Oman, le Pakistan, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Syrie, le Tadjikistan, le Turkménistan, les Émirats Arabes Unis, l’Ouzbékistan, et le Yémen.

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relations n’avaient pas été établies au travers de partenariats environnementaux166. De nombreux projets de collaboration ont ainsi été développés. À titre d’exemple, en 2004, le programme de coopération bilatérale avec les Philippines était lié de près à l’environnement et à la biodiversité. Des actions de reforestation, le développement d’une campagne de communication environnementale pour les militaires philippins, et des encouragements à la création d’un groupe de militaires en Asie du Sud-Ouest pour discuter de sujets environnementaux167 y ont été mis en place. Bien que ce programme de collaboration international du ministère américain de la défense existe toujours, le nombre de pays impliqués a fortement diminué. Cette initiative s’est cependant développée dans son contenu puisqu’elle inclut maintenant les préoccupations liées à la prolifération d’armes de destruction massive et tente d’apporter une réponse coordonnée aux désastres naturels, accidentels ou terroristes.

L’Army Environmental Policy Institute (AEPI) Fait marquant, en 1990 est créé l’Army Environmental Policy Institute (AEPI) avec pour mission « d’assister le secrétariat de l’armée dans le développement proactif de lois et de stratégies pour prendre en compte les thématiques environnementales émergentes qui pourraient avoir un impact significatif sur les installations et les opérations de l’armée »168. L’AEPI constitue en quelque sorte un think tank spécialisé sur la stratégie environnementale de l’armée américaine. L’institut est placé sous la direction du directeur adjoint au secrétariat de l’armée américaine. Le slogan de cette structure est de « connecter l’armée d’aujourd’hui au monde de demain ». L’AEPI a élaboré la stratégie de l’armée américaine pour l’environnement (Army strategy for the environment : sustain the mission – secure the future 169), expliquant à renfort de vidéos et de dépliants « pourquoi ce changement est tellement important pour l’armée, et comment cette stratégie améliore l’armée ». L’armée américaine entend par ce moyen s’adapter à un monde toujours en changement et intégrer des considérations environnementales à toutes ses unités et dans tout le spectre des actions militaires pour une armée « en laquelle le public a confiance » permettant ainsi « un retour continu sur les investissements de l’armée ». L’AEPI élabore de plus des rapports très novateurs, notamment Enjeux de sécurité environnementale future et besoins militaires potentiels pour la période 2010-2025 170, rédigé en 2001v. Les thèmes environnementaux considérés comme les plus susceptibles d’influencer les actions militaires y sont présentés et ont été identifiés par un v. Les experts de l’AEPI sont également fortement associés au Millenium project. Le Millenium project est un think tank fonctionnant par le biais d’un réseau participatif global et indépendant de quelques 2500 experts de 50 pays qui travaillent pour les organisations gouvernementales et non-gouvernementales, les gouvernements, les universités, etc. Il a été lancé en 1996 après une étude de faisabilité de 3 ans lancée par des institutions telles l’Université des Nations unies ou la Smithsonian Institution. Le Millenium project publie des États du futur, ainsi qu’une revue mensuelle de toutes les actualités et nouveautés de par le monde concernant la sécurité environnementale et pouvant intéresser ou affecter l’armée. Site Internet du Millenium project.

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panel de 88 experts, comprenant aussi bien des militaires, des prospectivistes que des environnementalistes. Les thèmes sont ordonnés du plus probable au moins probable, et les périodes approximatives auxquelles ces enjeux pourraient devenir pertinents sont indiquées entre parenthèses : – les biotechnologies sont utilisées comme nouveaux types d’armes de destruction massive (2015), y compris les organismes qui attaqueraient l’agriculture monoculturale (2020) ; – un conflit militaire majeur éclate autour de l’eau (2015) ; – la menace ou l’incursion effective d’une maladie nouvelle entraîne un conflit, une instabilité sociale ou des désordres (2015) ; – une nécessité d’utilisation durable des ressources naturelles entraîne une complète révision des opérations militaires, y compris la construction, les opérations et l’entraînement militaire (2050) ; – les effets d’armes nano-technologiques biologiques, chimiques ou un incident nucléaire nécessitent un nettoyage massif, ou d’autres actions militaires de grande échelle (2010) ; – un traité de remise en œuvre du champ de bataille post-conflit est élaboré (2015) ; – les forces militaires ont un nouveau rôle dans la prévention et/ou la résolution des conflits environnementaux (2015) ; – un État-voyou développe une doctrine ayant pour cible la qualité environnementale (2015). D’autres sujets, quoique considérés comme moins probables, avaient été identifiés : – le premier éco-sabotage a lieu contre une installation militaire (2010) ; – un tribunal international est créé pour poursuivre les criminels environnementaux (2015) ; – les espèces envahissantes deviennent un problème pandémique et incontrôlable dû aux mouvements des personnes et des marchandises, les pertes économiques dépassent les 10 milliards de dollars US (2020). Le travail de l’AEPI représente certainement à ce jour l’une des réflexions les plus stratégiques sur l’implication de l’armée sur les sujets environnementaux. Un pointclé des recommandations de l’AEPI est la bonne communication entre l’armée américaine et le public.

Organiser des conférences pour développer des contacts… Les armées en général estiment qu’elles ont un rôle à jouer dans la prévention de conflits environnementaux, et s’affichent de plus en plus comme garantes de bonnes pratiques environnementales, voire comme des forces vives en matière de protection de l’environnement. Ce nouveau message permet de s’attirer l’attention et la sympathie du public. Le document du ministère des armées américain notait déjà

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en 2000171 que le public avait maintenu une attention constante depuis 25 ans sur la question des dégradations environnementales globales et locales. L’étude de l’AEPI sur les futurs enjeux militaires de sécurité environnementale pour la période 2010-2025172 confirme le rôle prépondérant de l’opinion publique aux États-Unis en mentionnant que « l’attention croissante du public pour la cause environnementale pourrait induire à terme l’intégration des thématiques environnementales dans les processus de décision de l’armée ». Bien que les terrains militaires soient d’ores et déjà entretenus aux États-Unis en tenant compte des préoccupations environnementales de la population, l’AEPI suggère que la demande sociétale pourrait se faire plus pressante173. Les plaintes du public sur la poussière et le bruit aux abords des terrains militaires, la perception selon laquelle ces terrains sont mal gérés, et surtout la pression foncière grandissante pourraient induire la transformation des installations militaires en terrains constructibles. C’est très probablement dans cette crainte, et pour jouir d’une bonne image auprès des civils que l’armée s’implique fortement sur la thématique environnementale. L’environnement sert alors de lien entre civils (en particulier les environnementalistes) et militaires, ces deux mondes étant de plus en plus éloignés du fait que le service militaire n’ait plus lieu et que l’armée ne recrute plus que des volontaires. Dans cet effort de communication, le ministère de la défense américain délivre chaque année des prix pour la mise en place d’actions environnementales sur les installations militaires, publie de nombreux guides expliquant leurs efforts environnementaux, et organise des ateliers de travail sur la gestion de ressources naturelles associant des acteurs civilsw. Les actions engagées pour la sécurité environnementale peuvent d’ailleurs redorer l’image de l’armée auprès de la population, aussi bien dans son propre pays que dans le pays d’intervention d’après le colonel Maloff 174. C’est sans doute dans ce but que l’armée américaine en Afghanistan, en partenariat avec les ministères de l’agriculture américain et afghan, a fourni des ruches à 450 familles locales afin de produire du miel175. Concrètement, le secteur de la sécurité américaine communique déjà activement sur son implication et ses succès dans le domaine de l’environnement dans le cadre de conférences, facilitant ainsi le développement de partenariats avec des pays étrangers. Certaines présentations des services américains sont très éloquentes, en particulier celles de la 12e conférence environnementale annuelle de partenariat pour la paix sur le thème Les ressources en eau et la coopération environnementale militaire régionale – les mers Noire et Caspienne, le bassin du Danube, et les futures préoccupations de l’OTAN et de l’EU 176 qui s’est tenue en 2004 à Bucarest en Roumanie. La Secrétaire adjointe de l’US Air Force (qui était alors Mme Koetz) n’y affirmait rien de moins que « le ministère de la défense a dépensé des milliards de dollars US pour la protection environnementale », et que « le ministère de la défense est le leader mondial en amélioration de l’environnement ». Lors de cette même conférence, Mr Griffard de w. Toutes ces informations sont disponibles sur le site très fourni de l’Office of the Deputy Under Secretary of Defense Installations and Environment.

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l’US Army War College rappelait à quel point les préoccupations environnementales sont importantes, en les incluant dans une pyramide hiérarchique des besoins élémentaires de Maslov, revisitée et présentée ci-dessous : Pyramide hiérarchique des besoins élémentaires de Maslov adaptée, intégrant les préoccupations environnementales à son sommet, présentée par Mr Griffard de l’US Army War College lors de la 12th Annual Partnership for Peace Environmental Conference tenue en 2004 en Roumanie. La hiérarchie des besoins de la sécurité nationale présente les besoins suivants de bas en haut : environnement, nourriture et abris, santé et sécurité physique, croissance économique, nationalisme et préoccupations environnementales. La très forte représentation américaine dans ce type de manifestation est perceptible en consultant le programme de la conférence précédemment citée177. Bien que la manifestation soit fermement orientée sur les « futures préoccupations de l’OTAN et de l’EU », il est à souligner qu’aucun représentant de l’OTAN ou de l’EU n’est directement intervenu sur le sujet. Les présentations n’ont été faites que par des Américains, Canadiens et Lithuaniens - ou par des Roumains quand il s’est agi d’accueillir les participants et de présenter la situation régionale ou de fournir des informations sur la biodiversité et la restauration écologique et hydrographique dans la zone. En revanche, 14 institutions et agences américaines liées à la sécurité ou à l’environnement étaient représentées et vantaient leurs mérites dans la protection environnementale dont l’United States European Command, l’Air Force, l’US Geologic Survey et l’Army Environmental Policy Institute x. Cette liste illustre l’interdisciplinarité des agences et des institutions américaines impliquées, fruit de la coopération interministérielle américaine. Cette représentation massive des États-Unis tend à éclipser les initiatives d’autres nations, laissant à penser que les Américains sont leaders et qu’ils doivent être pris comme référents par le pays hôte. L’organisation de ces conférences permet ainsi aux Américains d’engager le dialogue avec des pays stratégiques et d’entamer des partenariats. x. Les 14 institutions présentes étaient les suivantes : l’United States European Command, l’Environmental Readiness & Safety, l’Office of the Deputy Under-Secretary of Defense Installations and Environement, l’Air Force (Environment, Safety, and Environmental Health), l’US Air Force Center for Environmental Excellence (AFCEE), l’US Air Forces Europe (USAFE), l’US Army War College, l’US Army Engineer Research and Development Center (Europe), l’US Army Corps of Engineers (USACE), l’US Geologic Survey, l’US Department of Homeland Security/Federal Emergency Management Agency, l’USAF Special Operations Command, l’Army Environmental Policy Institute et d’autres acteurs américains privés tels le Sphere-Group, l’AMEC Earth and Environment, et l’Environmental Ressource Management.

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… et développer des partenariats dans les zones de commandement C’est en Europe que la présence de l’armée américaine au nom de l’environnement est la plus forte. Les menaces sécuritaires de conflit classique ayant disparu après l’effondrement du bloc soviétique, ce sont des préoccupations socio-économiques et environnementales qui retiennent l’attention de l’OTAN et des organisations de défense sur le vieux continent. De nombreuses conférences sur le sujet ont donc été organisées en Europe à l’initiative des services américains, avec cependant le concours de civils européens reconnus pour leur expertise environnementale. Lors de la Conférence ministérielle sur la défense et l’environnement du sud-est de l’Europe y tenue du 10 au 13 avril 2000 en Slovénie, le lieutenant américain Hendel a présenté les opportunités de coopération entre États européens et américains (State partnership program) et de contacts entre équipes (Joint contact team program). Ces programmes visent à créer des liens entre les États-Unis et les pays hôtes et favorisent « l’interopérabilité entre les institutions civiles et militaires », tout en justifiant « d’avoir une présence américaine outre-mer » pour « façonner l’environnement international » et « promouvoir la sécurité régionale ». Les partenariats se mettent fermement en place, et chaque pays d’Europe de l’Est est associé à un État américain : l’Estonie au Maryland, la Lettonie au Michigan, la Lituanie à la Pennsylvanie, la Pologne à l’Illinois, la Hongrie à l’Ohio, la Roumanie à l’Alabama et ainsi de suite. Les pays d’Asie centrale tels le Kazakhstan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan ne sont pas laissés orphelins non plus178. Les services américains ont également mis en place une collaboration environnementale étroite avec les pays baltes. Le programme BALTDEC (Baltic Sea Region Defence Environmental Co-operation) fédère l’Allemagne, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Géorgie, la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, la Pologne, la Roumanie, la Russie, la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis autour de projets de coopération environnementale. La zone demeure stratégique puisque située à l’interface de l’Europe et de la Russie. Le groupe se réunit tous les ans et un site Internet est dédié au projet179. Cette initiative permet une présence suivie des États-Unis sur un territoire et sur un sujet où la coordination devrait logiquement être assurée par la Commission européenne ou par une institution européenne. Ailleurs dans le monde, bien que les conflits classiques restent plus prégnants, les projets et les conférences initiés par les États-Unis sur le sujet de la sécurité environnementale fleurissent. En atteste la conférence organisée en août 2003 en Afrique du Sud ayant pour thème Le monde après le sommet de 2002 sur le développement durable. En 2004, le programme de coopération internationale environnementale du ministère américain de la défensez engageait des activités dans la zone du commandement central américain (CENTCOM) (autrement dit la zone comprenant 25 pays de la péninsule arabique, de la corne de l’Afrique, du nord de la mer Rouge, y. Southeastern Europe Defense Ministerial (SEDM) Environmental Conference. z. Defense Environmental International Cooperation Program (DEICP).

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Les missions militaires au service de la biodiversité

et d’Asie centrale et du Sud). Son but était « d’améliorer la sécurité et la stabilité régionales en développant des compétences pour faire face aux désastres naturels, accidentels ou terroristes liés à l’environnement ». Dans les États du Golfe par exemple, les actions portaient « sur le suivi environnemental et médical et la réduction des menaces biologiques »180. Une telle intervention environnementale dans la zone avait d’ailleurs été envisagée de façon théorique dans un rapport du colonel Maloff en 2000181. Les principaux enjeux environnementaux identifiés étaient alors le changement climatique, la croissance démographique, les ressources en eau, les maladies, et la pollution industrielle. Le colonel Maloff recommandait que la mission d’engagement soit préparée en analysant finement les problèmes environnementaux. Une fois identifiés, ces problèmes environnementaux (actuels ou potentiels) devraient être évalués en vue des objectifs du commandant et de l’ambassadeur américains de la nation « partenaire » ; la nation partenaire devant également contribuer à la définition de ses buts et priorités. Ce cas théorique (qui a par la suite été mis en application) permettait au colonel Maloff de démontrer comment l’utilisation de sujets environnementaux comme éléments de la politique d’engagement peuvent à la fois promouvoir les objectifs stratégiques des États-Unis, améliorer la qualité de vie et l’économie d’une nation, favoriser la stabilité régionale, et renforcer la sécurité américaine en minimisant les dommages environnementaux transfrontaliers. De manière générale, la cause environnementale semble fournir une opportunité d’engagement bilatéral ou multilatéral en temps de paix là où des alliances militaires traditionnelles sont inappropriées. Le colonel Maloff indiquait de plus que cette assistance non-militaire présente l’avantage de paraître moins menaçante pour le pays qui l’accueille. Il est en revanche un domaine que les armées explorent depuis plusieurs décennies : celui des attaques biologiques.

L’agriculture et l’environnement, des cibles pour les attaques terroristes Durant la seconde guerre mondiale, l’armée américaine expérimentait comment faire des bombes avec les chauves-souris du désert du sud-ouest américain en leur attachant un dispositif incendiaire182. Heureusement pour ces chiroptères (famille comptant d’ailleurs de nombreuses espèces protégées), le projet a échoué, mais illustre le fait que des espèces peuvent être utilisées comme moyens de destruction. Les militaires se trouvent être des acteurs de premier plan pour la défense des nations contre le terrorisme environnemental. Le terrorisme environnemental implique l’utilisation des forces de la nature dans un but malveillant183. Ce concept, bien qu’assez assez flou, inclut à la fois l’utilisation de l’environnement comme moyen de destruction (comme par exemple la libération d’armes chimiques et biologiques) mais aussi les attaques contre l’environnement dans un sens large (comme la contamination délibérée de l’eau et des ressources agricoles). Le « bioterrorisme » constitue une sous-catégorie du terrorisme environnemental. Il peut être défini comme l’utilisation délibérée de

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bio-agresseurs dans le but de provoquer des dommages aux humains, mais aussi aux plantes (le plus souvent aux cultures) et aux animaux (là aussi, le plus souvent d’élevage), ou d’affecter l’emploi qui pourrait en être fait (production, commercialisation, transformation, consommation)184. Le but peut être une attaque directe des forces armées, les Vietcong faisaient par exemple exploser les ruches au passage des troupes armées185 ; l’introduction de maladies, y compris celles transmises par les moustiques ou les tiques ; ou une attaque de l’agriculture186. C’est le plus souvent contre l’agriculture que les actes bioterroristes sont menés, ils sont alors nommés « agroterrorisme ». Une nouvelle mouvance « écoterroriste » d’actions menées au nom de la protection de l’environnement émerge cependant.

Guerre biologique, bioterrorisme et biocrime Un projet de recherche européenaa a été mené sur l’agroterrorisme, permettant d’élaborer une catégorisation des actes agroterroristes187 présentée ci-dessous.

Les guerres biologiques engagées par les États De nombreux pays ont eu des programmes de guerre biologique. De telles activités menées par un État sont qualifiées de « guerre », l’appellation « action terroriste » étant réservées aux groupuscules. Le programme de l’ex-Union soviétique aurait commencé en 1928 sous la direction de l’Armée rouge et aurait mobilisé à son apogée plus de 60 000 militaires et civils répartis dans 55 instituts. Les recherches étaient consacrées à l’élaboration d’armes biologiques contre les céréales et le bétail d’autres pays, notamment les États-Unis. Le ministère de l’agriculture américainab aurait également financé des recherches sur les agents pathogènes des végétaux. Officiellement, tous les programmes militaires existants n’ont jamais été appliqués. La signature de la Convention sur l’interdiction des armes biologiques et à toxine (CABT) en 1972 coïnciderait avec l’arrêt des programmes d’armement biologique soviétique et américain, bien qu’il ne soit pas explicitement fait mention dans cette convention d’agents nuisant aux cultures et au bétail188. Différents cas de figure de guerres biologiques peuvent être distingués selon les motivations et les moyens mis en œuvre pour utiliser des armes biologiques. aa. L’Union européenne a financé de 2005 à 2008 un programme de recherche sur la biosécurité des cultures et l’agroterrorisme. Ce projet, intitulé Crop Bioterror associait des scientifiques d’Italie, de France, du Royaume-Uni et d’Allemagne, mais aussi des États-Unis et d’Israël. Le groupe a fait des propositions visant à mieux définir, évaluer et maîtriser les risques d’agroterrorisme. Un nouveau projet européen intitulé Plant and Food Biosecurity vient d’être initié et se poursuivra jusqu’en 2016. Ses objectifs sont d’augmenter la qualité des formations et de la recherche dans le domaine de la biosécurité liée aux plantes et à la nourriture, permettant ainsi de meilleures capacités de réponse et de récupération en cas d’utilisation de pathogènes contre les cultures du système agroalimentaire européen. ab. United States Department of Agriculture (USDA).

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Les missions militaires au service de la biodiversité

Premier cas de figure, un État souhaite attaquer les cultures vivrières d’un État tiers afin de l’affaiblir d’un point de vue agricole, économique ou social. Cuba est convaincu d’avoir été victime d’attaques biologiques par les États-Unis entre 1961 et 1981. En 1996, La Havane demande à l’ONU d’enquêter sur la probabilité qu’un avion pulvérisateur ait introduit à Cuba la rouille de la canne à sucre (Puccinia melanocephala), le mildiou du tabac (Peronospora tabacina) et le trips (Thrips palmi, un ravageur du palmier). Les preuves d’accusation ont cependant à l’époque été jugées insuffisantes. L’Amérique centrale estimait également avoir été victime dans les années 1980, lors de la révolution sandiniste, d’attaques biologiques américaines. L’introduction de la rouille du caféier (Hemileia vastatrix) avait à l’époque fortement affecté la production de café destinée à l’export, affaiblissant l’économie du pays. Il est de plus avéré que les États-Unis ont lancé des programmes de recherche dans les années 1940 et 1950 pour identifier des bio-agresseurs qui pourraient nuire au riz japonais, au blé soviétique ou coréen, et au café guatémaltèque. L’URSS a à son tour cherché des bio-agresseurs contre le blé américain. Les autres pays ne sont d’ailleurs pas en reste : la France a par exemple voulu lancer l’offensive contre les pommes de terre allemandes pendant la guerre de 39-45, et la réciproque est probablement vraie. De nombreux autres exemples de guerre biologique sont reportés et décrits dans la bibliographie, dont certains sont indiqués dans le tableau ci-dessous. Les auteurs potentiels d’actes de guerres biologiques, l’aire géographique visée, la date, la culture cible et le nom du bio-agresseur ainsi que la véracité de l’acte (avéré, probable ou considéré comme une allégation) sont listés ci-dessous : Auteur potentiel

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Aire Date géographique visée

Culture cible

Bio-agresseurs

Véracité

États-Unis

Japon

1940

Riz

La pyriculariose (Magnaporthe grisea)

Avéré

Japon

Chine

1940

Riz

La pyriculariose (Magnaporthe grisea)

Avéré

France

Allemagne

1940

Pomme de terre

Le mildiou de la pomme de terre (Phytophthora infestans)

Avéré

Royaume-Uni

Allemagne

1940

Pomme de terre

Le doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata)

Probable

Allemagne

France

1940

Pomme de terre

Le doryphore de la pomme de terre (Leptinotarsa decemlineata)

Probable

URSS

États-Unis

1950

Blé

La rouille brune du blé (Puccinia triticina)

Avéré

États-Unis

URSS

1950

Blé

La rouille brune du blé (Puccinia triticina) La rouille des tiges du blé (Puccinia graminis f. sp. tritici)

Avéré Avéré

La biodiversité : une bonne opportunité pour les armées

États-Unis

Corée

1950

Blé

La rouille des tiges du blé (Puccinia graminis f. sp. tritici)

Avéré

États-Unis

Guatemala

1950

Café

La rouille du caféier (Hemileia vastatrix)

?

États-Unis

Cuba

1970

Canne à sucre

La rouille de la canne à sucre (Puccinia melanocephala)

Allégation

États-Unis

Cuba

1970

Tabac

Le mildiou du tabac (Peronospora tabacina)

Allégation

Irak

Iran

1980

Blé

La carie commune du blé (Tilletia tritici) La carie lisse du blé (Tilletia laevis) Les aflatoxines produites par les moisissures d’Aspergillus sp.

Avéré

Thrips palmi

Allégation

États-Unis

Cuba

1990

Divers

Avéré Probable

Sources : Suffert et al. (2008)185, d’après Foxwell (2001)187, Madden et Wheelis (2003)188, Suffert (2003)189 et Zilinskas (1999)190.

Autre possibilité, l’utilisation par un État d’un agent de lutte biologique afin de nuire à une culture considérée comme illicite dans un État tiers, comme les plantes narcotiques. Les États-Unis, en partenariat avec l’ONU développaient dans les années 1990 déjà un programme ayant pour objectif d’identifier des agents biologiques (des champignons) qui s’attaquent aux cultures de cocaïer dont on extrait la cocaïne, mais aussi au chanvre et au pavot. Les zones d’Asie centrale et d’Amérique du Sud contrôlées par les narcotrafiquants sont visées. Il suffirait en théorie de disséminer par avion des grains de riz ou d’orge contaminés par les champignons pathogènes sélectionnés pour compromettre la culture de ces drogues pour une longue période et sur un vaste territoire. L’innocuité du lâcher de tout agent biologique pour les autres cultures et plantes sauvages demeure cependant toujours empreinte d’incertitude. Ces exemples sont synthétisés ci-dessous : Auteur potentiel

Aire géographique visée

Date

Culture cible

ONU (UNDPC), Asie centrale OTAN, États-Unis, (Afghanistan) Royaume-Uni

1990

Pavot à opium

L’helminthosporiose du pavot (Pleospora papaveracea)

États-Unis, Colombie

2000

Cocaïer

La fusariose vasculaire Avéré (Fusarium oxysporum f. sp. Erythroxyli)

Amérique du Sud (Colombie)

Bio-agresseurs

Véracité

Avéré

Sources : Suffert et al. (2008), d’après Foxwell (2001), Madden et Wheelis (2003), Suffert (2003) et Zilinskas (1999).

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Les missions militaires au service de la biodiversité

Le bioterrorisme Le bioterrorisme consiste en des attaques contre la santé humaine, animale ou végétale par des groupes terroristes, voire même par ce que l’on nomme des « écoguerriers ». Depuis la montée en puissance contre le terrorisme, le risque d’utilisation d’armes biologiques par des groupes isolés préoccupe, tout particulièrement après l’épisode des enveloppes piégées à l’anthrax aux États-Unis en 2001. Plusieurs groupes terroristes basés à l’étranger ont, depuis le milieu des années 1970, menacé ou tenté de contaminer les exportations alimentaires destinées à des consommateurs d’Amérique du Nord et d’Europe. En 1970, les commandos de l’armée révolutionnaire palestinienne altèrent les agrumes en provenance d’Israël avec du mercure liquide. En 1989, le Chili perd des millions de dollars en exportation quand les États-Unis découvrent que son raisin est contaminé au cyanure191. En 1994, 15 personnes décèdent au Tadjikistan après avoir bu du champagne contenant du cyanure192. Pour ce qui est de l’utilisation de bio-agresseurs par des « bioterroristes », rien n’a été prouvé à ce jour. Les services secrets américains auraient découvert en 2002 dans des caves en Afghanistan des documents indiquant qu’Al-Qaïda préparait une attaque ciblant l’agriculture américaine avec la rouille brune du blé (Puccinia triticina). Autre cas, des « ecoguerriers » œuvrant pour une certaine conception de la protection de la nature recommandent sur un site Internet l’introduction d’agents pathogènes pour s’attaquer au mélèze et au pin, essences forestières exotiques jugées indésirables en Europe par ces « ecoguerriers »193.

Le biocrime Le biocrime est défini comme l’utilisation d’organismes nuisibles pour s’assurer un avantage. Rentrent dans cette catégorie des agriculteurs qui voudraient affecter la production de concurrents, des vengeances, ou des firmes agroalimentaires voulant rendre des agriculteurs dépendants de leurs produits. Vandana Shiva194 prétend par exemple que Monsanto aurait introduit en Inde une plante envahissante toxique, l’absinthe marron (Parthenium hysterophorus). Monsanto aurait, par ce moyen, imposé la vente de son huile de soja transgénique en interdisant la production d’huile locale de moutarde indienne par les petits fermiers, moutarde qui constitue le moyen de dissémination de l’absinthe marron. Les grandes firmes agroalimentaires américaines sont également suspectées par des associations écologistes d’avoir volontairement introduit en Europe dans les années 2000 la chrysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera virgifera) un ravageur redoutable195. La présence de cet organisme faciliterait la vente sur le marché européen de maïs transgénique produit par Monsanto, qui a la particularité de résister à ce ravageur. Ces accusations restent cependant des allégations et n’ont pas été prouvées.

Les effets économiques et psychologiques des attaques biologiques Le bioterrorisme semble à première vue relativement facile à mettre en œuvre : les systèmes de production ne sont en général pas protégés, les matières infectieuses

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La biodiversité : une bonne opportunité pour les armées

sont faciles à se procurer et ne semblent demander aucun système perfectionné de propagation. Réussir une inoculation en plein champ demeure néanmoins une opération délicate, même pour un spécialiste196. Le développement d’armes biologiques nécessite non seulement de longues recherches mais aussi des moyens. L’avantage de ce type d’attaques est en outre la difficulté de démontrer que l’introduction d’un organisme nuisible est issue d’une action volontaire avec intention de nuire, comme en attestent les exemples d’accusations qui restent non confirmés. À l’inverse, il est facile d’accuser des États, des firmes ou des groupuscules sans preuve. Néanmoins, dans les faits, les organismes nuisibles sont introduits dans la très grande majorité des cas de façon involontaire, en conaminant des marchandises importées. L’impact de tels actes malveillants n’est finalement pas tant sanitaire, mais surtout économique, social et psychologique. L’introduction de nouvelles maladies est à même de miner la confiance de l’opinion publique dans les productions alimentaires. Cette perte de confiance peut engendrer de lourdes déperditions pour les marchés de consommation, entraînant une augmentation des contrôles, et des restrictions à l’importation197. La contamination à la dioxine des aliments destinés au bétail qui s’est produite en Belgique en 1999 a entraîné le bannissement des produits alimentaires de ce pays pendant 6 mois. Le secteur a alors dû encaisser de lourdes pertes économiques, et la défaite électorale du gouvernement pourrait en partie être imputable à ce scandale. Dans une situation de tension psychologique, la seule menace d’une attaque bioterroriste par des maîtres chanteurs pourrait avoir le même effet qu’une attaque réelle et détourner les consommateurs d’un produit. Les cultures de blé et de riz représentent les plus gros enjeux de par leur large production. Des ravageurs de ces cultures couplés à des problèmes de sécurité alimentaire comme observés en 2008 seraient d’autant plus dévastateurs. En Occident, les organismes nuisibles pourraient d’ailleurs occasionner d’autant plus de dommages que l’agriculture est standardisée. Une même espèce est plantée en monoculture sur de grandes surfaces, réduisant la résistance que permet la diversité génétique. Le rapport de l’AEPI identifiait à ce propos « l’utilisation des biotechnologies comme nouveaux types d’armes de destruction massive, y compris les organismes qui attaqueraient l’agriculture monoculturale d’ici à 2020 » comme l’un des enjeux majeurs de sécurité environnementale future198.

Un glissement vers l’écoterrorisme Des actes terroristes « traditionnels » sont de plus en plus perpétrés au nom d’une cause environnementale. Les militants de la cause animale sont très actifs. À titre d’exemple, le chalet du PDG du groupe Novartis a été incendié en août 2009 en Autriche, après que les tombes de ses parents aient été profanées. Ces actes ont été revendiqués par les militants de la cause animale dans le but de dénoncer la collaboration de Novartis avec Huntington Life Science, premier laboratoire européen d’expérimentation animale199. Le Front de libération des animauxac créé en Angleterre

ac. Animal Liberation Front (ALF).

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Les missions militaires au service de la biodiversité

dans les années 1970 utilise lui aussi des méthodes radicales : bombes incendiaires aux Pays-Bas, saccages d’abattoirs en France, incendies d’établissements, etc. Le phénomène, bien que semblant se radicaliser, n’est cependant pas nouveau. Simon Dalby (2002)200 considère que les actes de terrorisme ou de sabotage environnemental (aussi appelé ecotage en anglais) tels que ceux perpétrés par le Front de libération des animaux ou la destruction de stocks de cultures transgéniques, appartiennent aux protestations politiques classiques contre les changements. Ce ne serait en somme rien de plus que de la désobéissance civile classique. La politique de la terre brûlée lors de guerres (ex. la combustion des puits de pétrole au Koweït en 1991) et l’attaque des ressources naturelles ne sont eux non plus pas des faits nouveaux, et appartiennent de longue date à l’histoire militaire. L’OTAN explore cependant la piste de l’écoterrorisme de très près. Plusieurs ateliers ont été organisés en 2009 et 2010 sur le sujet : Sécurité environnementale et écoterrorisme ; Les innovations technologiques en matière de détection des agents CBRN (chimique, biologique, radiologique et nucléaire) et terrorisme écologique ; ou encore Éthique, morale et la loi : la gestion des menaces en bioterrorisme. Au-delà de protestations en faveur de l’environnement par des groupes militants, des groupes terroristes classiques pourraient-ils envisager d’occasionner des dégâts écologiques ? À l’instar de la destruction des bouddhas de Bamiyan par les talibans en 2000, des groupes terroristes pourraient-ils s’attaquer à des espèces animales ou végétales ou à des habitats symboliques ? L’un des rares cas de ce type est fourni par Mario Vargas Llosa, dans son roman Lituma dans les Andes. Il y décrit la guérilla du Sentier lumineux au Pérou, et prête une idéologie anticolonialiste aux guérilleros dans le massacre des vigognes (espèce de camélidé emblématique des Andes). L’un des guérilleros explique en effet au garde de la réserve Pampa Galeras qui fut saccagée par le Sentier lumineux en 1983 : « ceci est la réserve de l’ennemi. Le nôtre et le tien. Une réserve inventée par l’impérialisme. Dans sa stratégie mondiale, ceci est le rôle qui a été imposé aux Péruviens : élever les vigognes. Pour que leurs scientifiques les étudient, pour que leurs touristes les prennent en photo. Pour eux, tu vaux moins que ces animaux ». La destruction définitive d’habitats ou d’espèces reste toutefois un acte plus technique que la destruction d’un site patrimonial, car espèces et habitats peuvent être dispersés sur de grandes superficies morcelées.

Une sérieuse prise en compte du bioterrorisme dans les réglementations internationale et nationale Au plan international comme au plan national, les protections de la santé humaine, animale et végétale sont très élaborées. Le département de sécurité alimentaire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rédigé en 2008 un document d’orientation destiné aux gouvernements et aux industriels de l’agroalimentaire au sujet du bioterrorisme201. L’Office international des épizooties (OIE) traite de santé animale, l’Organisation mondiale de la santé, de santé humaine. La

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La biodiversité : une bonne opportunité pour les armées

réglementation internationale en matière de protection phytosanitaire est encadrée par la Convention internationale sur la protection des végétaux (CIPV), et de nombreux organismes nuisibles sont réglementés. Depuis 10 ans, le nombre de conférences et de publications spécialisées sur le thème du bioterrorisme (par exemple les revues Biosecurity and Bioterrorism ou Biodefense Stategy, Practice and Science) se multiplient. Au plan national, les protections végétale et animale sont respectivement prises en charge par les services vétérinaires et les services de protection des végétaux (généralement au sein des ministères de l’agriculture dans les États). Les outils et les compétences nécessaires sont à l’œuvre, et un cortège de lois internationales et nationales et de procédures d’analyse de risque, de suivi, de diagnostic, d’éradication sont en place. Dans le contexte actuel de grande mobilité des personnes et des marchés, les services de protection animale et végétale traitent le nombre toujours croissant d’introductions accidentelles d’organismes nuisibles, qui reste à ce jour la cause avérée des risques. Les États-Unis demeurent sans doute l’État qui intègre le plus les aspects de terrorisme à la thématique de biosécurité. Ce pays reste également précurseur en termes de coopération entre les différents services gouvernementaux (par exemple, les ministères de l’agriculture et de la défense). Une unité antiterroriste a été mise sur pied au sein du service de recherche agricole du ministère de l’agriculture (USDA) ayant pour objectif la prévention du terrorisme agricole et environnemental. Le ministère de la défense conduit de plus avec le ministère de l’agriculture des exercices conjoints de simulation d’attaque bioterroriste contre les réserves alimentaires américaines. En 2005 et 2006 le FBI a organisé deux conférences sur l’agroterrorisme, sous le patronage du ministère de l’intérieurad, avec la participation des ministères de l’agriculture (USDA) et de la santé (FDA). À l’issue de la seconde conférence ayant réuni plus de 1000 personnes (scientifiques, personnel de la police, de l’armée, des services de contrôle des produits végétaux, entreprises privées), les inspecteurs de l’USDA ont été chargés d’intégrer la thématique « agroterroriste » à leurs inspections usuelles, et une campagne de sensibilisation a été lancée auprès des agriculteurs et des entreprises202. Un travail de traçabilité sur les filières est également entrepris aux États-Unis. Le Bioterrorism Act adopté par les autorités fédérales américaines en 2003 avait pour but d’élaborer des registres « de ceux qui fabriquent, traitent, conditionnent, transportent, distribuent, reçoivent, conservent ou importent des produits alimentaires ». En 2004 a également été proposé un projet « d’Ecoterrorism Act » à la chambre américaine des représentants. Le but affiché de cette loi était « de protéger la sûreté publique et le commerce interétatique en établissant des peines criminelles fédérales pour les conduites violentes ou menaçantes qui seraient menées à l’encontre des entreprises liées aux plantes et aux animaux ». Cette loi avait pour cible des groupes comme le Front de libération des animaux ou le Front de libération de la Terreae. Cette proposition ad. Department of Homeland Security. ae. Earth Liberation Front.

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n’a pas été suivie d’effet, mais en 2007 a cependant été signé par George Bush l’Animal Enterprise Terrorism Act, dont le but est de « fournir au ministère de la justice l’autorité nécessaire pour appréhender les individus commettant des actes de terreur contre les entreprises liées aux animaux ». Des regards critiques s’élèvent aujourd’hui contre la politique du ministère américain de l’intérieuraf suite aux attentats du 11 septembre qui constitutaient à réaffecter des scientifiques initialement responsable de la prévention contre les espèces envahissantes à la lutte anti-terroriste. Les inspections de produits agricoles ont alors fortement diminué, conduisant à une recrudescence d’invasions biologiques très coûteuse pour l’agriculture et l’environnement. À titre d’exemple, une invasion de la pyrale brun pâle de la pomme (Epiphyas postvittana) s’est déclarée en Californie, faute de prévention ; le gouvernement a alors engagé un programme d’éradication à hauteur de 110 millions de dollars US en bombardant massivement la Baie de Monterey avec des pesticides. Le programme d’éradication a échoué, l’utilisation massive de pesticides a cependant tué de nombreux oiseaux et occasionné des plaintes des riverains quant à des problèmes respiratoires. Le ministère de l’intérieur reconnait avoir fait des erreurs et s’attache aujourd’hui à rétablir les inspections sanitaires aux points d’entrée des marchandises. Ce sont cependant les consommateurs qui assument les erreurs de la guerre sur la terreur en payant plus cher les produits agricoles et en subissant les effets des produits chimiques utilisés pour combattre les organismes nuisibles203. Au final, ces divers positionnements des armées sur les sujets liés à la nature conduisent à s’interroger sur la possibilité de voir émerger des interventions environnementales.

af. Department of Homeland Security.

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Vers des interventions et des ingérences environnementales ? Dans la nouvelle mouvance de sécurité environnementale, de nouvelles interventions sont envisagées, non plus pour protéger les personnes en danger à cause de problèmes environnementaux, mais directement pour conserver des espèces ou des écosystèmes menacés de disparition.

Les dérapages de la militarisation de l’environnement Alors que certains estiment que la protection de l’environnement bénéficie de l’implication des armées, d’autres considèrent que cette appropriation est dangereuse et pourrait conduire à une utilisation de l’environnement pour des raisons de défense nationale. Les données d’imagerie satellite destinées aux suivis environnementaux pourraient être détournées pour être utilisées à d’autres fins par les militaires : pour effectuer des frappes stratégiques ou pour organiser une surveillance. En considérant la biodiversité comme une ressource stratégique, ces données pourraient aussi servir à déterminer quelles zones recèlent des espèces utiles pour développer des biotechnologies ou des substances actives. La conservation de l’environnement prend déjà dans certains pays une forme coercitive et privilégie la protection des espèces plutôt que celle des populations. Nancy

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Lee Peluso indique déjà en 1993 que pour répondre aux exigences des traités internationaux de conservation, la protection d’espèces et d’habitats sauvages, notamment des éléphants au Kenya ou des forêts en Indonésie, se fait presque de façon militaire204. Les concepts de conservation développés en Occident sont en décalage avec l’utilisation des terres et les pratiques de gestion dans ces pays. Pire, des plans de conservation ont conduit à la mort de centaines de personnes : Roderick Neumann indique que depuis 1988, des gouvernements africains luttent contre le déclin des éléphants et des rhinocéros en permettant de tirer à vue sur les braconniers dans les parcs nationaux205. Des rangers auraient abattu des centaines de personnes sur les territoires des parcs et réserves naturelles, au prétexte d’une « cause juste ». En mai 2011, trois braconniers chassant le rhinocéros ont ouvert le feu sur l’armée patrouillant dans le parc du Kruger et ont été abattus. La ministre de la défense sud-africaine rapportait commentait l’événement de la façon suivante : « l’armée fera tout pour protéger notre patrimoine national. Nous ne permettrons pas à des criminels d’agir à leur guise dans nos parcs »206. Andrew Ross dénonce par ailleurs la théâtralisation d’interventions au nom d’une « cause juste »207. Les médias ont fait la part belle à l’armée américaine lors de son intervention en Irak pendant la guerre du Golfe. Les Américains y auraient sauvé les fragiles écosystèmes de la destruction par Saddam Hussein, alors déclaré « terroriste environnemental ». Les effets des bombardements des B-52 et des mouvements de troupes américaines sur les habitats du désert, ainsi que les décharges de produits toxiques n’ont cependant pas été mentionnés par ces mêmes médias… Des dérapages peuvent s’observer également dans le cadre de l’utilisation d’armées privées. L’accès à des terres, que ce soit à des fins de production, d’exploitation de ressources naturelles, ou même de conservation génère des conflits d’intérêt avec les populations locales. Ces tensions pourraient-elles conduire jusqu’à l’intervention de forces armées gouvernementales ou privées ? Le rôle croissant des firmes paramilitaires dans les enjeux de sécurité classique (ex. Blackwater en Irak) pourraient-ils s’étendre aux enjeux de sécurité environnementale ? Quelques exemples en lien avec la biodiversité sont déjà rapportés. En Colombie, selon Jean Ziegler – rapporteur spécial pour le droit de l’alimentation des populations du Conseil des droits de l’homme de l’ONU de 2000 à 2008 – les sociétés multinationales du bioéthanol engagent des forces dites paramilitaires pour chasser des milliers de paysans de leurs terres208. Ces terres sont ensuite rachetées une bouchée de pain pour y planter des palmiers à huile pour la production de bioéthanol. Deborah Avant rapporte que le World Wildlife Fund (WWF) aurait fait appel aux services d’une société privée militaire en République démocratique du Congo pour former et protéger les gardes du parc national où étaient présents des rhinocéros209. Un autre dérapage liant protection de l’environnement et action militaire consiste à utiliser les réserves naturelles comme argumentaire territorial. Le cas opposant le Nicaragua et le Costa Rica illustre cette nouvelle pratique. En octobre 2010, des militaires et des civils du Nicaragua entreprennent des travaux hydrauliques sur le fleuve San Juan. Ils approfondissent le canal et coupent une partie de la forêt sur

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l’île de Calero appartenant au Costa Rica. Ils effectuent ces travaux dans une réserve naturelle classée comme zone humide d’importance internationale. L’événement entraîne un différend entre le Costa Rica et le Nicaragua, faisant intervenir la Cour internationale de justice, mais aussi la Convention sur les zones humides d’importance internationale (Ramsar)210. La Convention Ramsar, chargée d’évaluer à la demande du Costa Rica les dommages environnementaux liés à cette intervention dans la zone protégée, conclut que d’après les informations transmises, les caractéristiques écologiques de la zone ont changé211. Cette dispute a fait grand bruit, et c’est une convention de protection de l’environnement qui a été invoquée dans ce cas pour résoudre un problème de souveraineté territoriale.

Les interventions environnementales : un concept naissant L’Holocauste a ouvert la voie à l’acceptation de la nouvelle catégorie de « crimes contre l’humanité », et plus récemment à la création de la Cour pénale internationale. Pourquoi les extinctions massives d’espèces et d’écosystèmes ne pourraientelles pas être considérées comme des « crimes contre la nature » qui soutiendraient de nouvelles normes d’interventions écologiques ainsi qu’une Cour environnementale internationale ? Les perspectives et les limites de possibles interventions écologiques ont été analysées par Robyn Eckersley212. Cet auteur étend ainsi le concept des interventions humanitaires aux interventions écologiques et explore la moralité, la légalité et la légitimité d’actions qui auraient comme objectif la préservation de l’environnement. Les interventions humanitaires, bien réelles, ont d’ailleurs encore un statut émergent dont la doctrine est toujours en cours de définition213. Par intervention écologique, Robyn Eckersley entend « la menace ou l’usage de la force par un État ou une coalition d’États contre un autre État et sans le consentement de cet État, dans le but de prévenir de graves dommages environnementaux ». Le sujet n’a reçu jusqu’à présent que peu d’attention, les dommages environnementaux n’étant pas immédiats, et les interventions militaires étant un moyen de réponse pouvant paraître totalement inapproprié pour des problèmes si complexes. Le fait que les interventions militaires occasionnent près de 20 % des dégradations environnementales questionne quant à la pertinence d’utiliser les militaires à des fins d’interventions écologiques214. Les multiples interventions de forces armées occidentales dans la gestion des conséquences de catastrophes naturelles (par exemple lors du tremblement de terre en Haïti, lors de l’ouragan Katrina aux États-Unis, du déversement de la nappe de pétrole dans le golfe du Mexique) sont cependant autant de signes de changements manifestes d’interventions au nom du bien commun. Beaucoup d’environnementalistes voient très peu d’avantages et des dangers considérables à « sécuriser » les problèmes écologiques, même si cela permettait d’élever le sujet au rang de priorité stratégique en politique étrangère. Les interventions écologiques sont donc à aborder avec précautions. Quelques hypothèses méritent néanmoins d’être considérées.

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Les massacres perpétrés contre des espèces en danger, telles que les dernières populations de gorilles des montagnes menacés par les braconniers en sont un exemple. L’anticipation ou la prévention de cas potentiels d’interventions écologiques, dont la fréquence devrait vraisemblablement augmenter, pourrait permettre d’éviter des actions militaires unilatérales. La guerre du turbot de 1995 constitue un cas d’intervention militaire unilatérale. Durant cette guerre, les forces navales armées canadiennes ont arraisonné un navire de pêche espagnol dans les eaux internationales et arrêté son équipage pour limiter la surpêche de poissons migrateurs, essentiels à l’industrie des pêches canadiennes. Le droit d’ingérence humanitaire pourrait alors être élargi à la cause environnementale. L’ingérence humanitaire trouve son fondement dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. L’idée réapparaît en politique internationale au cours de la guerre du Biafra (soit la guerre civile du Nigeria ayant eu lieu entre 1967 et 1970) pour dénoncer l’immobilité des chefs d’États et des gouvernements au nom de la non-ingérence, malgré la terrible famine que le conflit avait déclenchée. Plusieurs ONG, dont Médecins sans frontières, ont par la suite été créées sur la base de ce principe. Depuis 1988, la notion d’ingérence humanitaire est reconnue par le droit international. Ainsi, plusieurs États occidentaux sont intervenus au Kurdistan irakien en avril 1991 après que le Conseil de sécurité ait invoqué une « menace contre la paix et la sécurité internationales » (résolution 688 du Conseil de sécurité). Autre cas, en mars 2011, les États occidentaux avec le soutien de la Ligue arabe ont organisé une zone d’exclusion aérienne en Libye pour venir en secours aux insurgés du régime du colonel Kadhafi, en accord avec la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU. Il existe toujours un risque que les interventions humanitaires ne soient que des prétextes servant d’autres intérêts215. En attestent les débats animés autour de l’opération Turquoise menée par la France au Rwanda en 1994, les interventions armées en Bosnie-Herzégovine en 1994-1995 ou encore l’envoi d’une force d’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999.

Lier interventions humanitaires et écologie Mark Woodsa estime en réponse à Robyn Eckerlsey que des interventions écologiques ne sont pas prêtes d’être cautionnées par des États. D’un point de vue légal, le Conseil de sécurité de l’ONU a le pouvoir de déterminer ce qui constitue une menace à la paix ou un acte d’agression, et d’autoriser les interventions militaires pour restaurer la paix et la sécurité (chapitre VII de la charte de l’ONU). Cependant, la paix et la sécurité ne sont pas définies dans la Charte de l’ONU et la sécurité environnementale n’est pas inscrite dans la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Le sujet est néanmoins considéré par les plus hautes instances. En 1992 déjà, a. Mark Woods est professeur associé de philosophie à l’Université de San Diego aux États-Unis, voir Woods M. (2007), Some Worries about Ecological-Humanitarian Intervention and Ecological Defense. Ethics & International Affairs, Volume 21.

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John Major, premier ministre britannique, déclarait en sa qualité de président du Conseil de sécurité de l’ONU que « les sources non militaires d’instabilité dans les domaines économiques, sociaux, humanitaires et écologiques sont devenues des menaces à la paix et la sécurité ». L’étude de l’évaluation de la sécurité environnementale en Indonésie effectuée par Elizabeth Borelli216 illustre cette nouvelle position. Le rapport démontre en effet comment les problèmes environnementaux en Indonésie entraîneraient une instabilité dans la région, pouvant potentiellement conduire à une nécessaire intervention américaine. Dans le futur, des interventions militaires « éco-humanitaires » pourraient être entreprises. L’association des thématiques humanitaire et environnementale est d’autant plus pertinente que les atteintes à l’environnement s’accompagnent souvent d’atteintes aux personnes, et vice et versa. En atteste l’assèchement des marais riches en hydrocarbure, situés entre le Tigre et l’Euphrate en Irak, qui a entraîné la persécution des personnes vivant dans cet écosystème. L’ONG Human Rights Watch rapporte à ce sujet que ces zones de marais abritaient une communauté hostile à Saddam Hussein dont la population est passée de 250 000 personnes en 1991 à 20 000 personnes en 2003217. Cette zone de marécage de plus de 31 000 km², l’une des plus grandes zones humides d’Asie de l’Ouest, était une halte pour les oiseaux migrateurs et a été détruite à 85 % avec les espèces qu’elle abritait218. Lier les causes humanitaires et écologiques présenterait également l’avantage théorique de ne pas commettre de discriminations sociales dans le cadre d’interventions écologiques, et réciproquement. Le contexte juridique actuel ne permet cependant pas de telles interventions. Ces interventions pourraient en outre être perçues par les pays qui en seraient les victimes comme un impérialisme occidental et un prolongement du colonialisme. Cette même question des interventions environnementales a fait l’objet de réflexions au sein du think tank de l’armée américaine sur les questions environnementales (l’Army Environmental Policy Institute, AEPI). Dans leur rapport Sécurité environnementale : la doctrine des Nations unies pour prendre en compte les questions environnementales dans les actions militaires, les experts219 formulent un scénario selon lequel des pays engagent leurs troupes dans un pays étranger pour stopper la destruction de la forêt, et s’intéressent à la réponse de la communauté internationale. D’après leur analyse, le chapitre 7 du Conseil de sécurité sur les « actions liées à la paix et aux actes d’agression » pourrait être invoqué. Le pays envahi pourrait faire intervenir les forces de maintien de la paix de l’ONU. Le pays envahi gagnerait ainsi du temps pour négocier de meilleures pratiques quant à l’exploitation de ses forêts, et pourrait demander des aides financières. L’étude conclut que de telles interventions écologiques relèvent de la souveraineté nationale, ce qui limite l’action de l’ONU et de toute organisation internationale. L’ONU peut en effet promulguer des résolutions condamnant des actions néfastes à l’environnement et attirer l’attention du public sur le sujet, mais ne dispose d’aucun cadre juridique qui oblige les pays à changer leurs pratiques. Les auteurs proposent alors que des mécanismes d’autorisations par l’ONU soient établis afin de pouvoir envoyer des équipes pour documenter les menaces à la sécurité environnementale dans un pays qui pourraient affecter d’autres pays. D’autres propositions constructives ont vu le

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jour. L’ambassadeur des États-Unis, John McDonald, avait déjà suggéré en 1997 la mise en place de programmes de médiation environnementale par l’ONU pour former des médiateurs, établir des centres nationaux de médiation environnementale, et créer un panel d’experts internationaux sur le sujet. L’ONU, au travers des diverses initiatives du PNUE et du programme Environmental Security (ENVSEC) a partiellement répondu à ces objectifs. Des ONG n’hésitent pas à combler les vides et à déployer des trésors de créativité. L’Environmental Investigation Agency s’est par exemple missionnée pour envoyer des « espions environnementaux » sur le terrain. Les militants infiltrent alors des trafiquants de ressources naturelles (ex. de bois) armés de caméras avec l’objectif de démanteler les filières illégales. Les experts de l’AEPI posaient en 2001 la question suivante « Sous quelles conditions des impacts environnementaux seraient-ils considérés dommageables pour l’humanité toute entière au point qu’une intervention soit autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU ? » En guise de réponse ils estimaient que « les militaires doivent continuellement évaluer la réponse à cette question, en constant changement, et développer leurs positions en fonction des réponses possibles ». Dans un tel cadre, la biodiversité peut tout à fait représenter un élément important de sécurité environnementale.

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Toutes les organisations internationales ayant une mission sécuritaire ou de maintien de la paix ont intégré les préoccupations environnementales à leurs activités (ex. PNUE, OTAN, OSCE). Le concept de biodiversité a lui aussi été intégré dans ces nouvelles activités, même s’il n’est pas toujours affiché ou nommé comme tel. Les pays ont fait de même. L’armée américaine dispose certainement des réflexions les plus stratégiques en matière de sécurité environnementale. L’administration Obama semble d’ailleurs avoir remis la sécurité environnementale au goût du jour, tout particulièrement sous l’angle des préoccupations climatiques. Au vu de tous les programmes mis en place, de toutes les publications sur la sécurité environnementale, sur le verdissement des armées, sur les projets de collaboration militaire autour de sujets environnementaux, il est légitime de s’intéresser au lien entre biodiversité et activités militaires. La biodiversité représente un outil de prévention des conflits et de construction de la paix par le dialogue, au travers de parcs naturels transfrontaliers ou de projets bi ou multilatéraux. C’est la thématique à l’intersection des mondes environnementaux et militaires que les environnementalistes ont le mieux exploré. La biodiversité représente de l’avis commun une ressource à préserver, y compris lors d’actions militaires. Cet élément a été intégré par les armées, au moins en théorie, puisque des procédures détaillées d’évaluation environnementale sont en place. Des espèces

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peuvent être utilisées comme armes biologiques et représenter un moyen de guerre. L’agriculture et l’environnement peuvent également être pris pour cibles par des attaques terroristes, une nouvelle menace potentielle étant « l’écoterrorisme ». Les institutions en charge de la sécurité se préparent à ces nouvelles menaces, et l’OTAN se positionne fermement sur l’organisation d’ateliers sur le sujet. La cause environnementale sert également les intérêts des secteurs militaires et sécuritaires. L’environnement et la biodiversité permettent en effet aux armées de faire valoir leurs activités et d’entrer en communication avec le grand public sur leur territoire, et avec les populations locales lorsqu’elles sont engagées à l’étranger. La biodiversité pourrait même potentiellement être utilisée pour justifier des engagements et des interventions militaires dans des pays étrangers. L’intérêt du secteur de la sécurité pour la biodiversité, semble alors, outre « la valeur intrinsèque morale que revêt la nature »220, être motivé par des raisons stratégiques.

La protection de la biodiversité : une nouvelle mission militaire ? Beaucoup de militaires ont des réticences quant à l’engagement de l’armée sur des sujets environnementaux, préserver la nature étant aux antipodes de la logique guerrière et sécuritaire. Les multiples sources documentaires présentées dans cet ouvrage font cependant émerger un lien étroit entre militaires et environnement. Les organisations sécuritaires internationales telles l’OTAN, l’OSCE mais aussi les armées des gouvernements affichent explicitement des activités écologiques. Protéger la biodiversité n’est certes pas pour les militaires une mission première, ni peut-être une mission en laquelle ils croient, mais constitue au moins une contrainte qui peut être optimisée à des fins utiles. À une époque où groupes industriels, politiques et stars font tout et n’importe quoi en y apposant un discours environnemental, pourquoi les militaires ne surferaient-ils pas eux aussi sur la vague écologique ? La militarisation de l’environnement pourrait ne représenter qu’un nouveau discours politiquement correct de l’industrie militaro-industrielle pour s’imposer sur de nouveaux marchés où le développement durable fait loi. Le secteur de la défense a tout intérêt à intégrer l’environnement dans ses activités. L’environnement représente au plan national un formidable moyen pour les militaires de rentrer en communication avec les civils. L’environnement acquiert une aura grandissante auprès du grand public, alors qu’au même moment le rôle des forces armées est constamment remis en question. L’opinion publique avait perçu très négativement l’utilisation de l’agent défoliant dit « orange » sur les forêts vietnamiennes par l’armée américaine, ou encore la combustion des puits de pétrole au Koweït. L’armée justifie sa présence (sur les terrains d’entraînement), son engagement (à l’étranger) et ses dépenses auprès du public en mettant en avant son utilité et son efficacité sur des questions de protection de la nature. Elle trouve un argumentaire là où elle a péché par le passé, cet élément se vérifie particulièrement avec l’armée américaine. Au plan financier, des milliers de soldats sont engagés par l’armée. Les coûts pour la protection de l’environnement augmentant, certains États envisagent de

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rentabiliser leurs dépenses et d’utiliser les militaires pour la protection de l’environnement. Par ailleurs, le secteur militaire se doit d’être en conformité avec les lois en vigueur, y compris celles liées à l’environnement. Les lois environnementales se font de plus en plus complexes et pressantes. Les armées affichent même une anticipation de futurs traités et lois environnementaux (développement durable, etc.) en mettant en œuvre de « bonnes pratiques environnementales ». L’armée américaine s’est par exemple mise en conformité sur ses terrains militaires avec les lois de protection environnementale (c’est du moins ce qu’elle annonce). De plus, sous couvert de verdissement, l’armée se lie avec tous les services nationaux et améliore son interopérabilité. Les liaisons interministérielles participent d’un effort plus global de partenariats inter-agences aux États-Unis. L’interdisciplinarité permet une coopération accrue avec les chercheurs civils, en particulier les environnementalistes disposant d’une expertise qui pourrait être utile aux militaires. Outre les bénéfices en termes d’image et d’éthique, la biodiversité a une valeur économique au travers des services rendus par les écosystèmes, ou d’espèces utilisées par exemple comme médicaments. Cette raison s’ajoute certainement aux précédentes, mais n’est probablement pas la cause première de l’engagement des forces armées dans le champ environnemental. Enfin, au plan international, l’environnement demeure un formidable outil de dialogue entre militaires de différents pays, et aide au développement et à la diplomatie. Des partenariats ont ainsi été instaurés entre les États-Unis et des pays européens, ou entre l’Inde et le Pakistan.

« Une extraordinaire opportunité d’engagement » Le colonel Maloff rapporte en 2000221 que la présence des États-Unis dans un pays suscite généralement des questions quant à ses objectifs. L’engagement environnemental des forces armées est limité par la préférence des pays hôtes pour une assistance civile plutôt que militaire. Il y a alors fort à parier qu’un rapprochement entre militaires et civils œuvrant pour les causes environnementales rendrait cet engagement plus efficace, comme cela a été le cas entre humanitaires et militaires pour les récentes interventions humanitaires. Les informations environnementales représentent le premier maillon de l’engrenage. Les gouvernements ont d’ailleurs validé en juin 2010 la création d’une plateforme intergouvernementale entre science et politique sur la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes (IPBES). Le fonctionnement de cette plateforme ressemblera à celui du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). L’IPBES animera un réseau d’experts jusque-là épars sur la biodiversité, et permettra l’élaboration de rapports standards sur la diversité biologique. Ces données constitueront une source d’informations de choix pour les services de sécurité, que ce soit pour éviter les dégradations et réaliser des évaluations stratégiques militaires, que pour trouver des motifs d’engagement. À ce sujet, l’Army

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Environmental Policy Institute (AEPI) a suivi le développement de l’IPBES et avait déjà noté en novembre 2008 qu’un rapprochement avec la future structure serait à envisager222. La conséquence sous-jacente de cet intérêt pour l’environnement par le secteur de la sécurité est la possible émergence d’interventions écologiques. Les blocages à la pleine mise en œuvre d’interventions au nom de l’environnement demeurent juridiques, par peur de représailles des organisations internationales et de la communauté internationale. L’armée américaine, très intéressée par le lien entre sécurité et environnement prépare toutefois sa stratégie et sa position, forme son personnel, s’équipe en technologies appropriées et prépare l’opinion publique en vue d’un potentiel engagement environnemental. Outre anticiper de nouveaux traités internationaux, les États-Unis paraissent attendre de nouveaux outils législatifs qui leur permettront d’intervenir au nom de la sauvegarde de la forêt tropicale ou des récifs coralliens. L’environnement constituerait une cause idéale pour s’engager dans des pays stratégiques et/ou riches en ressources en temps de paix sans susciter la méfiance, et sans menacer directement le pays convoité. La sécurité environnementale est, selon le colonel Maloff une « extraordinaire opportunité d’engagement pour les vingt prochaines années, un investissement à long terme qui rapporte des bénéfices, non seulement en terme de stabilité régionale, mais aussi en terme de promotion de la prospérité économique, favorisant la qualité de vie et les objectifs stratégiques de sécurité américains ». Autrement dit, la cause environnementale pourrait devenir le portedrapeau de l’interventionnisme américain pour promouvoir le capitalisme et les intérêts des États-Unis. Le sujet peinerait également à prendre toute son envergure car les pays en développement ne sont pas dupes et voient dans la défense forcenée de la nature un nouveau prétexte à l’impérialisme occidental et une raison de limiter leur croissance223. Aucune intervention écologique n’a encore eu lieu. Le sujet et l’idée sont précurseurs, il suffira de suivre l’actualité et les productions des think tanks pour voir comment cette hypothèse militaire de la biodiversité évoluera. Les environnementalistes pourront suivre les développements dans ce domaine et juguler toute utilisation abusive du concept de protection de la nature. Qui aurait dit il y a vingt ans que les militaires entreprendraient des interventions humanitaires ? La militarisation de l’humanitaire décrite au début des années 2000 par Sami Makki224 est aujourd’hui un fait bien réel et documenté.

Une solution : le dialogue entre environnementalistes et militaires ? Le positionnement du secteur de la sécurité sur les questions environnementales interroge sur les liens et les dialogues établis avec le secteur de l’environnement et ceux à venir. Le monde de la sécurité organise des conférences où sont conviés des acteurs environnementaux choisis et forme son personnel militaire sur cette thématique. Les environnementalistes sont en revanche peu conscients de ces nouveaux enjeux, et peu préparés à un dialogue avec le secteur de la défense. Les relations entre environnementalistes et militaires restent occasionnelles, et les militaires sont

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beaucoup plus avancés sur la question environnementale que les environnementalistes sur la question sécuritaire. Le lien entre biodiversité et sécurité ouvre très certainement un champ d’étude encore relativement vierge et tout à fait pertinent. La prise en compte grandissante de l’environnement devrait d’ailleurs voir très prochainement la biodiversité de plus en plus considérée en sécurité et en médiation environnementale. Qui du secteur de la sécurité ou de l’environnement sera leader sur cette thématique ? La façon dont le sujet sera traité et la qualité des considérations techniques dépendront très certainement de l’initiateur du rapprochement entre les secteurs. L’équilibre à trouver pour contrer tout risque de dérive se situe sans doute dans le leadership que prendront les organisations internationales. Plus qu’une option, l’implication des militaires dans le champ de la protection de la biodiversité apparait comme une nécessité. Thor Hanson et al. (2008)225 ont comparé les zones où des conflits ont éclaté entre 1950 et 2000, et les zones de hot spots de biodiversité. Leur étude identifie que sur les 146 conflits recensés, 81 % (ou 118) se sont déroulés totalement ou partiellement dans des hot spots de biodiversité. Seulement 11 des 34 hot spots ont été épargnés par des conflits armés. Les raisons de l’éclatement de conflits dans ces zones riches en biodiversité n’ont pas été identifiés. Ce lien significatif identifie toutefois clairement le fait que protéger la biodiversité doit invariablement se faire dans des zones où des conflits éclateront, et que les programmes de conservation ne doivent pas se cantonner aux pays stables. Cette découverte bouscule les méthodes et les programmes de conservation ayant cours à l’heure actuelle, et appelle à une indispensable collaboration avec les forces armées, seules expérimentées et compétentes pour intervenir dans de telles zones. L’opinion publique, maintenant convaincue et rassasiée des messages alarmistes et de l’urgence à « sauver la planète », apparait elle aussi mûre et prête au déploiement de « l’artillerie lourde ». Le public soutient et appelle même de ses vœux des interventions environnementales musclées voire féroces, sans toutefois se questionner sur leurs fondements éthiques, sans approfondir sur la relation Homme-Nature. Plus qu’être missionnés pour protéger la biodiversité, les militaires pourraient représenter un rempart à la montée du mercenariat et des extrémismes environnementaux.

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Postface par Dr Sami Makki Historien et sociologue, Maître de conférences associé et responsable du Master de sécurité internationale à l’Institut d’études politiques de Lille. Chercheur associé au centre d’études africaines (CEAF) à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et coordinateur du programme « Transformation des guerres » (2007-2011, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR)).

Jeter des ponts entre disciplines scientifiques, éclairer le citoyen Les missions militaires au service de la biodiversité de Sarah Brunel constitue une excellente illustration, parfaitement réussie, précise et stimulante, de l’existence de nouvelles pistes de recherche, restées inexplorées dans la littérature scientifique francophone, en relations internationales. Elle y décrit le fonctionnement d’acteurs et d’institutions régionales et internationales dans les domaines de la biodiversité et de la sécurité internationale et cultive une réflexion très riche née de la rencontre entre une expertise reconnue sur la scène internationale dans le domaine de la biodiversité et des recherches exploratoires en sciences sociales. Son analyse fine des débats contemporains et des institutions créées depuis la fin de la Guerre froide permet de bien cerner les futurs enjeux des crises climatiques et environnementales de demain qui seront aggravées par des situations de détresses humanitaires, politiques et sociales. Nous sommes donc au croisement de plusieurs champs de compétences car les événements complexes auxquels nous ferons face exigent une multitude de savoir-faire, notamment des forces armées et des acteurs civils présents sur les théâtres d’opérations de notre planète.

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Les relations civilo-militaires, au cœur de la gestion des futures crises environnementales La multiplication des crises depuis la fin de la guerre froide s’est accompagnée du déploiement de plus en plus fréquent d’un nombre croissant d’acteurs civils (agences gouvernementales, organisations internationales, organisations non gouvernementales et secteur commercial) et militaires (forces de maintien de la paix onusiennes, coalitions d’États ou organisations régionales, telles que par exemples l’OTAN ou l’Union africaine) pour essayer de mettre fin à des crises et des conflits et pour reconstruire les sociétés. Dans une grande majorité des sorties de crises des années 1990, la communauté internationale est intervenue sans maîtriser parfaitement le scénario de l’engagement dans la phase de reconstruction et la stratégie de retrait du territoire de l’État reconstruit. La mise en œuvre d’une coopération entre acteurs sur le terrain et à un niveau politico-stratégique s’est alors avérée nécessaire. Contribuant aux opérations de paix et de stabilisation des Nations unies, l’Armée américaine, suite aux difficultés opérationnelles des années 1990, avait lancé une réflexion pour améliorer la cohérence des réponses multidimensionnelles aux crisesa. En créant un système plus cohérent par une coordination avancée, l’acteur militaire établit une interdépendance entre les dynamiques civile et militaire dans la gestion de l’après-crise. En militarisant la gestion des opérations de sortie de crises et d’assistance aux victimes civiles, cette approche dite intégrée confond la gestion des systèmes d’intervention – selon des critères d’efficacité technique et budgétaire, de rentabilité ou de retour sur investissement – avec une assistance réelle aux pays dévastés pour leur permettre de se reconstruire et de retrouver leur autonomie.

Un dialogue civilo-militaire nécessairement équilibré : éviter la confusion des genres Ainsi, dans les interventions actuelles en Afghanistan et en Irak mais aussi dans le dispositif d’assistance à Haiti suite au tremblement de terre de janvier 2010, les forces armées sont aux commandes des opérations et la mise sous tutelle de l’État affaibli par la crise demeure une recette à la mode, malgré les échecs. Dans l’urgence, priorité est donnée à la mise en œuvre de cette approche intégrée, sous contrôle militaire, qui est le signe de dérives renforçant une confusion entre acteurs et missions civils et militaires. Cette situation de confusion signifie surtout une insécurité grandissante pour les travailleurs humanitaires des grandes organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières ou Action contre la faim présentes dans les a. Pour ces opérations, comme pour de nombreuses autres missions de reconstruction/stabilisation durant ces vingt dernières années, il s’agit de mettre fin à des situations de crises humanitaires dans un contexte de rétablissement de la paix par les Nations unies ou par une organisation régionale.

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crises internationales. Les débats passionnés dans les revues spécialisées comme « Humanitaire », éditée par Médecins du Monde à Paris ou « Disasters » du think tank londonien Overseas Development Institute, montrent qu’il est déjà trop tard pour réagir malgré les nombreuses mises en garde sur le terrain et aux sièges de ces organisations. Les acteurs de l’environnement devraient tirer les enseignements de cette crise du secteur humanitaire, qui face à ses dilemmes, n’est pas parvenu à préserver son identité et son indépendance d’action. Autant de tensions et de risques qu’il s’agirait d’éviter aux acteurs de l’environnement.

Des relations à risques pour les environnementalistes et les populations Mais nos sociétés occidentales, si souvent donneuses de leçons aux pays en développement y compris en matière de normes environnementales, se montrent très peu soucieuses de transparence et de gouvernance lorsqu’il s’agit des politiques de défense et de sécurité. Le dialogue politique et stratégique, en matière de dispositifs d’assistance humanitaire et d’opérations civilo-militaires, n’a jamais été très développé et ouvert, les décisions étant élaborées au sommet de l’État sans que les parlementaires ne soient réellement consultés. Il y a fort à craindre que ces mauvaises pratiques se retrouvent dans le domaine de la sécurité environnementale. L’urgence des situations de crises complexes sert trop souvent de prétexte à imposer des logiques sécuritaires de contrôle des acteurs civils au nom de l’intérêt national ou de grands principes qui sont instrumentalisés. Les sociétés civiles, informées et alertées par la communauté des experts de l’environnement et de la biodiversité ont donc un rôle à jouer pour s’approprier ces enjeux climatiques et environnementaux et conserver une capacité d’évaluation et de contrôle de ces politiques internationales qui seront menées en leur nom, pour « le bienfait de l’humanité ». Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce qui peut être nommé « militarisation de l’humanitaire » n’est pas tant le résultat d’une volonté malfaisante des forces armées que la conséquence logique d’une absence de réflexion civile aboutie en matière de gestion de crises internationales. Face à une passivité et au manque d’imagination des agences civiles dans la recherche de solutions innovantes et d’efforts de planification, le militaire se doit d’être proactif pour penser tous les scénarios possibles et se préparer à gérer des situations extrêmement complexes.

Penser en avance pour préserver son identité, son mode de pensée et d’action Les réflexions, encore balbutiantes, au sein de nos institutions nationales et européennes soulignent l’importance de cette analyse prospective de Sarah Brunel. Ses chapitres conclusifs soulignent l’urgence et la place grandissante de ces thématiques complexes peu connues. Et comme cela est souligné par ailleurs, ce ne sont plus tant les États et leurs agences gouvernementales qui doivent être placés « sous contrôle démocratique » mais leurs partenaires commerciaux de plus en plus présents dans ces crises internationales par le biais de très officiels partenariats public-privé.

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En 2012, il ne s’agit plus en effet de la relation traditionnelle entre ONG et forces armées comme au début des années 1990. On constate une forte croissance de la présence d’opérateurs privés aux côtés des forces armées, avec notamment le développement du secteur privé spécialisé dans les services de défense et de sécurité. Les acteurs privés, proposant des compétences techniques et des services de sécurité, remplissent des fonctions indispensables à la reconstruction d’États sortant d’une crise. Cette évolution devrait être rééquilibrée par des dispositifs institutionnels, parlementaires notamment, pour imposer une transparence, une ouverture des débats et des processus démocratiques d’évaluation de ces enjeux complexes. De nombreux praticiens et experts des relations internationales évoquent la nécessité de développer de « nouvelles intelligences » pour rendre possibles de véritables stratégies de prévention des crises. Ceci nécessite un renouvellement des dispositifs d’analyse. De nouveaux standards s’établissent, de nouvelles normes apparaissent qui favorisent l’autorégulation, privant les États d’un contrôle effectif de ces opérations. Face à cette privatisation rampante et à cette industrialisation des services d’urgence et d’assistance technique à l’expertise très élevée, l’émergence d’une véritable « culture de la prévention » des crises climatiques et environnementales nécessiterait sans doute de développer une approche alternative plus respectueuse de l’identité et du mandat des acteurs civils pour éviter toute fuite en avant hasardeuse (l’ingérence environnementale) et toute confusion des genres (la militarisation). En cela, l’ouvrage de Sarah Brunel est essentiel pour dialoguer avec tous les scientifiques et pour ouvrir les yeux du citoyen sur des enjeux peu connus des relations internationales.

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Index

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A Abondance d’une ressource 11, 39, 41 AEPI 66, 79, 83, 101 Afghanistan 38, 39, 42, 50, 51, 81, 85, 91, 92, 110 Afrique du Sud 29, 33, 44, 53, 82, 87 Agrobiodiversité 32, 50, 52 Amazonie 18, 31, 35, 67 Amérique du Sud 29, 54, 91 Asie centrale 63, 64, 66, 82, 87, 91

B Balkans (Europe du Sud-Est) 63, 66 Biopiraterie 33, 35 Bioterrorisme 64, 88, 89, 92, 94

Bois 26, 28, 29, 30, 36, 39, 40, 42, 51, 72 Brigades vertes 27

C Caucase 63, 65 CDB 22, 24, 25, 80 Changement climatique 18, 22, 23, 41, 43, 59, 60, 62, 64, 72, 73, 81, 88 CITES 24, 28, 75, 80 Commerce illégal d’espèces 28, 53, 72 Colombie 38, 40, 42, 47, 91, 98 Corée du Nord 38 Costa Rica 34, 98, 99

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Les missions militaires au service de la biodiversité

D Diplomatie environnementale 17, 81

E Eau 23, 25, 37, 39, 41, 42, 44, 49, 51, 61, 63, 64, 66, 72, 76, 82, 84, 85, 88 Espèces rares, protégées, menacées 24, 25, 28, 74, 75, 77, 79, 80, 97, 98, 99, 100 Ecoterrorisme 93, 104 ENMOD 55 ENVSEC 47, 58, 62, 63, 64, 65, 102 Espèces envahissantes 22, 38, 44, 53, 70, 71, 72, 74, 84, 92, 96 États-Unis 17, 18, 36, 55, 59, 73, 74, 79, 81, 82, 83, 84, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 95, 105, 106 Évaluation environnementale 48, 49, 51, 52, 59, 76, 78, 103

K

F

P

Forêts 11, 18, 22, 29, 30, 31, 32, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 42, 51, 59, 64, 71, 72, 98, 101, 106, France 21, 27, 29, 34, 69, 78, 90, 93, 100

Parcs pour la paix 53 Pêcheries, surpêche 23, 28, 29, 36, 39, 42, 49, 59, 60, 100 PNUE 16, 17, 38, 48, 49, 51, 52, 59, 65, 102 Points chaud ou « Hot spots » de biodiversité 22, 107 Pollution 9, 22, 23, 25, 29, 37, 39, 45, 48, 49, 50, 65, 66, 72, 76, 79, 88 Prévention des conflits 19, 47, 48, 57, 65, 103 Protocole 1 de 1977 55

G Gorilles 52, 100 Guerre froide 16, 18, 46 Guerre du Golfe 18, 48, 60, 80, 98

H Humanitaire 18, 45, 56, 57, 77, 78, 99, 100, 105, 106

I Imagerie satellite 58, 67, 97 Impérialisme 35, 94, 101, 106 Inde 18, 28, 30, 35, 36, 70, 71, 72, 81, 92, 105

130

Indonésie 28, 35, 36, 40, 42, 47, 98, 101 Ingérence 31, 67, 97

Kosovo 38, 39, 66, 100

N Natura 2000 69, 70 Nicaragua 42, 98, 99

O Oiseaux 18, 22, 28, 44, 49, 51, 54, 70, 74, 96, 101 OTAN 17, 37, 46, 48, 49, 62, 63, 67, 85, 86, 87, 91, 94, 100, 104 ONU 47, 48, 55, 67, 90, 91, 98, 100, 101, 102 OCDE 17, 22, 36, 58 OSCE 63, 64, 104

R Rareté d’une ressource 39, 41 République démocratique du Congo 29, 37, 41, 42, 46, 50, 52, 54, 98 Rwanda 37, 39, 42, 52, 100

Index

S

U

Soudan 28, 41, 42, 50, 59, 61 Sécurité alimentaire 11, 30, 63, 81, 93, 94 Services rendus par les écosystèmes 19, 23, 37, 51, 63, 105 Statut de Rome de la Cour pénale Internationale 55

USAID 53, 81 UICN 18, 22, 47, 53, 56, 62

V Vietnam 18, 29, 55, 89, 104

T Terrains militaires 17, 69, 70, 71, 72, 73, 79, 85, 105 Territoires occupés palestiniens 49, 50

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