Les fluctuations du produit de la dîme: Conjoncture décimale et domaniale de la fin du Moyen Age au 18. siècle. Communications et travaux [Reprint 2018 ed.] 9783111413822, 9783111049823


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French Pages 396 [400] Year 1972

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Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
Présentation
Du bon usage des dîmes dans la région parisienne
A la recherche d'un indicateur de la conjoncture Baux de Notre-Dame de Paris et de l'abbaye de Montmartre
La production céréalière dans une région frontalière : le Cambrésis du XVe au XVIIIe siècle. Bilan provisoire
Pour un indice de la production céréalière à l'époque moderne : la région de Namur
Dîmes alsaciennes
Pour une étude sociale de la dîme Esquisse de la tenure de la dîme en Alsace XVIe-XVIIIe siècles
La production des céréales à Beaune d'après les dîmes, XVIe-XVIIIe siècles
Rente foncière et dîmes dans le Lyonnais aux XVIIe et XVIIIe siècles: leur concordance
Les revenus décimaux à Genève de 1540 à 1783. Premiers résultats
Les dîmes auvergnates du XVe au XVIIIe siècle
Dîme et production agricole Remarques méthodologiques à propos de la région toulousaine
Les rendements du blé au pays d'Arles XVIIe -XVIIIe siècles
Une expérience Les revenus décimaux en France méditerranéenne XVIe-XVIIIe siècles
Les rentes seigneuriales et domaniales dans les Commanderies de l'Ordre de Malte de la Langue de Provence XVIIe et XVIIIe siècles*
En Sicile: Dîmes et comptabilités agricoles
En Andalousie occidentale: Les fluctuations de la production du blé sous l'Ancien Régime
Réflexions tardives et conclusions prospectives
Première esquisse d'une conjoncture du produit décimal et domanial Fin du Moyen Age-XVIIIe siècle
ANNEXES
TABLE DES GRAPHIQUES
TABLE DES FIGURES
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Les fluctuations du produit de la dîme: Conjoncture décimale et domaniale de la fin du Moyen Age au 18. siècle. Communications et travaux [Reprint 2018 ed.]
 9783111413822, 9783111049823

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LES FLUCTUATIONS DU PRODUIT DE LA DIME Conjoncture décimale et domaniale de la fin du Moyen Age au xvin e siècle

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES — SORBONNE SIXIÈME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES CENTRE DE RECHERCHES HISTORIQUES

CAHIERS DES ÉTUDES RURALES ni

P A R I S

MOUTON & CO MCMLXXII

LA HAYE

ASSOCIATION FRANÇAISE DES HISTORIENS ÉCONOMISTES PREMIER CONGRÈS NATIONAL - PARIS 11-12 JANVIER 1969

LES FLUCTUATIONS DU PRODUIT DE L A DÎME Conjoncture décimale et domaniale de la fin du Moyen Age au XVIIIe siècle

Communications et travaux rassemblés et présentés par

JOSEPH GOY ET EMMANUEL LE ROY LADURIE

PARIS

M O U T O N & CO MCMLXXII

LA HAYE

Library of Congress Catalog Card Number: 78-149075

CET

OUVRAGE

PUBLIÉ

AVEC

LE

DU

CENTRE

LA

RECHERCHE

A

ÉTÉ

CONCOURS

NATIONAL

DE

SCIENTIFIQUE

© 1972 École Pratique des Hautes Études and Mouton & Co. Imprimé en France

TABLE

E . L E ROY LADURIE

et J .

DES

GOY.

MATIÈRES

Présentation.

9

bon usage des dîmes dans la région parisienne.

25

J.-P. D E S A I V E . A la recherche d'un indicateur de la conjoncture : baux de Notre-Dame de Paris et de l'abbaye de Montmartre.

44

M . BAULANT. DU

H. J.

N E V E U X . L a production céréalière dans une région frontatalière : le Cambrésis du x v e au x v m e siècle. Bilan provisoire. RUWET.

58

Pour un indice de la production céréalière à l'époque

moderne : la région de Namur. B . VEYRASSAT-HERREN.

67

Dîmes alsaciennes.

83

Pour en uneAlsace, étude xsociale dîme : esquisse de la tenure de la dîme v i e - x vde m elasiècles.

103

S I L B E R T . L a production des céréales à Beaune d'après les dîmes, xvi e -xvin e siècles.

134

A.-L. H E A D - K Ô N I G . Rente foncière et dîmes dans le Lyonnais aux x v n e et XVIIIe siècles : leur concordance.

153

A.-L. H E A D - K Ô N I G et B . V E Y R A S S A T - H E R R E N . Les revenus décimaux à Genève de 1540 à 1783. Premiers résultats.

165

P.

Les dîmes auvergnates du x v e au x v m e siècle.

180

Dîme et production agricole : remarques méthodologiques à propos de la région toulousaine.

214

GOY. Les rendements x v i n e siècles.

245

J . VOGT.

A.

CHARBONNIER.

G. FRÊCHE.

J.

du blé au pays

d'Arles,

xvil e -

et A . - L . H E A D - K Ô N I G . Une expérience : les revenus décimaux en France méditerranéenne, xvi e -xvin e siècles.

J . GOY

255

Les rentes seigneuriales et domaniales dans les Commanderies de l'Ordre de Malte de la Langue de Provence, x v n e et x v m e siècles.

G . GANGNEUX.

M . AYMARD.

En Sicile : dîmes et comptabilités agricoles.

En Andalousie occidentale : les fluctuations de la production du blé sous l'Ancien Régime.

M . PONSOT.

M . MORINEAU.

Réflexions tardives et conclusions prospectives.

avec la collaboration de J . G O Y . Première esquisse d'une conjoncture du produit décimal et domanial, fin du Moyen Age - x v m e siècle.

273 294

304 320

E . L E ROY LADURIE

334

ANNEXES

375

T A B L E DES GRAPHIQUES

395

T A B L E DES FIGURES

397

E M M A N U E L

L E

R O Y

L A D U R I E

E T

J O S E P H

G O Y

Présentation

En octobre 1963, la Commission d'histoire moderne et contemporaine du Centre national de la Recherche scientifique, dans un rapport de conjoncture, formulait le vœu que fût mise sur pied une recherche sur le mouvement de la production agricole durant l'Ancien Régime. Ernest Labrousse était l'un des promoteurs de cette proposition, dont le thème, depuis longtemps, lui tenait à cœur. Il envisageait comme document de base essentiel les dîmes, les baux et comptabilités décimales. Trois ans plus tard (1966), l'Association française des Historiens économistes reprenait à son compte le vœu du C.N.R.S. Une enquête sur le mouvement de la production agricole, tel qu'il est réfracté à travers les dîmes, du x v e au xviii e siècle, était décidée par les spécialistes d'histoire économique. La responsabilité en était confiée au Centre de Recherches historiques de la VI e Section de l'École Pratique des Hautes Études. Les délais qui nous étaient impartis étaient brefs : un premier rapport était en effet prévu pour le Congrès français d'Histoire économique qui devait se réunir à Toulouse au début de l'été 19681. Le sujet étant encore assez peu défriché, sauf par quelques thèses d'histoire régionale, toutes relatives au Midi de la France, il convenait de se mettre à la besogne, sans plus tarder : une équipe, constituée par des chercheurs qui se rattachent au Centre de Recherches historiques de la VI e Section, inaugura le travail. Elle comprenait M. Desaive, M m e Head-Kônig, M. Silbert, M m e Veyrassat-Herren, et nous-mêmes ; auxquels se joignit M m e Baulant, du C.N.R.S. Très vite, il s'avéra que le sujet passionnait maint travailleur scientifique, en France et à l'étranger (chacun sait qu'en tout historien français, sommeille un chercheur rural, prêt à s'éveiller à tout instant)... MM. Aymard, Charbonnier, Devèze, Dupâquier, Frêche, Gangneux, Lemarchand, Morineau, Neveux, Perrin, Poitrineau, Ponsot, Ruwet nous 1. Finalement, cette réunion, pour des raisons de circonstances, fut reportée à plus tard, et se tint à Paris les 11 et 12 janvier 1969.

10

E. LE ROY LADURIE ET J.

GOY

apportèrent à leur tour une aide désintéressée, envoyant chacun leur contribution à l'enquête décimale, sous forme de communication au Congrès d'Histoire économique. Recueil collectif de toutes ces recherches, le présent livre est une étape initiale : on y trouvera, bilan provisoire, l'ensemble des réactions que suscita, en une première vague de réponses, la question posée par l'Association des Historiens économistes. Nous avons tenté de faire la synthèse de celles-ci, nullement définitive, dans un exposé d'ensemble qu'on trouvera à la fin de cet ouvrage. Quant à cette présentation, qui ouvre le recueil, elle ne prétend qu'à poser quelques problèmes généraux, et à résumer, par avance, certaines conclusions. *

Interrogation préjudicielle : qu'est-ce que la dîme ? La réponse est connue de tous : la dîme est un pourcentage de récolte (8 % , 10 % , etc., selon les lieux) livrée à l'Église, chaque année, en fonction d'une ancienne coutume, par les agriculteurs d'Ancien Régime. La dîme peut être levée directement : par le clergé, ou par des exacteurs salariés, que celui-ci commet à cet effet. Ou bien elle peut être affermée par les prêtres chaque année, en nature, à la veille de la récolte, aux bons soins d'un fermier décimal : celui-ci fait lui-même la levée du produit, conserve par-devers lui un profit ou revenu d'entreprise qui constitue sa rémunération, et verse la différence sous forme de « rente », stipulée par le bail, à ses bailleurs cléricaux. Cette seconde formule (l'afferme) peut elle-même comporter plusieurs variantes. D'abord : variante-argent, ou variante-nature. Le fermier, comme 11 a été dit, peut s'acquitter de son dû en biens réels (blé, vin, huile...). Ou bien il peut vendre tout ou partie du produit décimal, qu'il a perçu sur le champ moissonné ou sur l'aire, et rémunérer ses bailleurs avec une somme d'argent (prévue par le bail) qu'il a retirée du fruit de cette vente (tout en se réservant, sauf perte imprévue, un profit qui constitue le mobile de son opération). En second lieu : variante temporelle ; le fermier peut arrenter la dîme pour une seule récolte (dans ce cas, le bail intervient généralement à la veille de celle-ci) : cette procédure rend l'afferme annuelle. Ou bien il peut prendre la dîme à bail pour plusieurs années, deux, cinq, six, neuf ans (dans cette version, la dîme inclura souvent tous les types de récoltes d'un terroir, blé, vin, huile, laines, etc. ; au contraire, selon l'hypothèse précédente, celle du bail annuel, on aura souvent affaire à des dîmes d'un produit particulier, dîme du vin, ou de l'huile, ou du blé, etc.). A u total, on est donc en présence de cinq variantes importantes :

Dîme versée à l'Église E n nature E n argent

Dîme levée par un fermier pour plusieurs récoltes

Dîme levée directement par le clergé

Dîme levée par un fermier pour une récolte

1

2

4

3

5

LE P R O D U I T D E LA D Î M E

11

Côté archives, les variantes 2, 3, 4, 5 se rencontrent soit dans les comptabilités décimales tenues par le clergé (série G ou H des Archives départementales) ; soit chez les notaires laïques (série E), ou chez les tabellions ecclésiastiques (séries I I E, ou bien G ou H) ; soit enfin dans ces deux sources à la fois, la trace des chiffres de la dîme étant conservée doublement, et dans la stipulation du notaire et dans la comptabilité du clergé. Cette redondance archivistique, réalisée de temps à autre, représente évidemment l'idéal — dans la mesure où elle permet des contrôles, éventuellement des interpolations, les a trous » de l'une des deux séries étant comblés par les données de l'autre, et réciproquement. La variante 1, elle, ne se trouve en principe que dans les comptabilités ecclésiastiques (séries G et H), ou autres documents qui relèvent du seul clergé, à l'exclusion des notaires : ceux-ci — on le sait — ne sont pas, sauf exception, des comptables de la dîme, au moins en ce qui concerne la tenue de leurs « minutes ». Certaines des variantes qui viennent d'être mentionnées offrent des difficultés spécifiques. La dîme en effet, quand elle se présente notamment sous les formes 4 et 5, est souvent confondue avec les divers types de « rentes foncières ». E t a n t donné que dans ces hypothèses 4 et 5, elle est affermée, elle se décompose, par définition, en fermage (ou te rente ») qui est versé au décimateur, et en profit ou revenu d'entreprise qui reste dans la poche du fermier. Nos sources en une telle situation ne connaissent que la fraction, certes majoritaire, qui v a vers la « rente ». Qui plus est, dans cette hypothèse « fermagère », une dîmerie peut être arrentée en bloc, dans un bail collectif qui inclut, outre la dîme, la « rente foncière » proprement dite, issue des locations d'un domaine terrien, d'une seigneurie, d'un château, etc. Si le fait se produit, il convient de recueillir simultanément, pour les distinguer si possible, les deux types de renseignements entrelacés : ceux de la « rente foncière », et ceux de la « rente » de la dîme. Même quand la distinction entre ces deux catégories de revenus n'est pas réalisable, en raison de l'amalgame indivisible opéré sur eux p a r le document, la collecte de l'information qui les concerne en bloc reste un b u t valable pour le chercheur. E t de toute manière, qu'il s'agisse de revenus mixtes ou distincts, c'est la mise au jour de séries longues embrassant un ou plusieurs siècles, qui demeure l'objectif premier de l'investigation décimale. Celle-ci est d'abord concernée par les dîmes en nature, qui sont versées au clergé, directement, sous forme d'une prestation matérielle (en grains, vin, huile, etc.). Il faut, dans le cas de ces dîmes, noter le m o n t a n t chiffré de la prestation, bien sûr, mais aussi la métrologie, la durée du bail, la signature ou non du preneur (comme contribution marginale à une histoire de l'analphabétisme). L'étape suivante de la recherche consiste à dresser u n tableau de chiffres annuels et successifs, et à présenter le graphique correspondant. Celui-ci s'inscrit naturellement sur un papier semi-logarithmique, dont l'immense avantage est de rendre n'importe quelle courbe immédiatement comparable avec n'importe

12

E . L E ROY L A D U R I E E T J . GOY

quelle autre. Pour que cette comparabilité devienne plus totale encore, il conviendrait aussi que les chercheurs se missent d'accord sur des conventions graphiques de chronologie. Nous proposons donc que les cent années d'un siècle quelconque soient représentées par cent colonnes consécutives du quadrillage, ni plus ni moins. Quant aux moyennes mobiles, elles ne paraissent pas toujours indispensables, du moins dans une première étape, pour la confection des diagrammes décimaux ; parfois ces moyennes sont inutiles, comme dans le cas des dîmes en grains, dont il n'est nul besoin de lisser les graphiques pour les rendre lisibles. Parfois elles sont déformantes, quand il s'agit de récoltes « en dents de scie », dont la variabilité bisannuelle est extrêmement forte : il en va ainsi, par exemple, pour l'huile d'olive. Le mieux, c'est encore de dessiner le diagramme brut de la prestation en nature, année par année, car il énonce tout : il dit le mouvement court, tout comme le trend long et très long. Par la suite, pour une étude plus poussée, il pourra être avantageux de calculer et tracer les moyennes mobiles. Celles de dix ans sont les plus pratiques, du fait de la simplicité enfantine de leur mise au point. Quant aux moyennes décennales (non mobiles), elles ont aussi leur utilité ; certes, elles donnent des diagrammes en marche d'escalier, dont chacune représente dix ans, et qui brisent, par leur raideur, le flux vivant de l'histoire réelle. Mais elles ont l'avantage de permettre la lecture rapide d'une évolution séculaire. Les dîmes arrentées en argent témoignent également sur l'histoire du produit net agricole. Il convient de les graphiquer, mais aussi de les déflater 1 , si possible au moyen d'un indice général des prix, ou, à défaut, grâce à l'emploi, comme déflateur, d'un prix-pilote (par exemple, celui du grain). La série des prix utilisée pour ces calculs doit être adoucie par le biais d'une moyenne mobile de sept ans, neuf ans, dix ans, au maximum treize ans. Les dîmes en argent, dans les cas les plus nombreux, proviennent en effet de baux étalés sur plusieurs années, et il ne serait pas raisonnable de les déflater au moyen de prix qui demeureraient strictement annuels. Enfin la source géographique des prix mis en œuvrepour cette opération déflationniste doit être proche de l'emplacement des dîmeries qui sont l'objet de la recherche du moment : la mercuriale de Toulouse, par exemple, étant utilisée comme déflatrice des dîmes en argent du Haut-Languedoc. D'une façon générale, il convient de renoncer au procédé utilisé de temps à autre, et qui consiste à juxtaposer simplement, sur un tableau unique, la courbe nominale des dîmes en argent et la courbe des prix 1. Déflater : en d'autres termes, étant donné un revenu, dont on connaît les valeurs successives en monnaie, calculer l'équivalent de ces valeurs sous forme de biens réels ; supposons par exemple — chiffres arbitraires — que le revenu d'une dîme en l'année 1599 soit de 100 livres tournois et que le prix courant de l'hectolitre de froment année commune, c'est-à-dire dans les années 1594-1605, soit de 10 1. t. : la valeur déflatée de la dîme en question sera équivalente à. 10 hl de froment. Le même calcul sera répété pour les années suivantes, ou précédentes.

LE PRODUIT D E LA D I M E

13

nominaux, sans déflater celles-ci par ceux-là. Agir ainsi, c'est en effet supposer que les lecteurs de ces graphiques jumelés seront en mesure de déflater à vue de nez la courbe décimale, par simple confrontation visuelle avec le diagramme des prix qui est accolé à celle-ci. Cette supposition est illusoire, nul historien n ' é t a n t tenu d'être un calculateur prodige. Il v a u t mieux fusionner totalement les deux courbes : donc prendre le temps de faire le calcul déflateur, et construire patiemment la courbe unique du produit effectif et sous-jacent de la dîme monétaire, exprimé en un bien réel tel que le blé 1 . Si possible, il f a u t aussi faire des t o t a u x : par exemple, les t o t a u x successifs, année par année, de toutes les dîmes villageoises d'un diocèse donné. Néanmoins, ces totalisations sont souvent impraticables, car beaucoup de séries de base sont lacunaires, et rendent les additions incomplètes. On se contentera dans ce cas d'élaborer des moyennes, locales ou régionales. L'idéal (encore lointain) sera même, pour certaines époques privilégiées, d'aboutir à quelques moyennes nationales. E n vue de rendre possible la mise au point future de ces moyennes, il convient de stocker les informations au f u r et à mesure qu'elles sont mises au jour. Nous suggérons donc que soient conservés, puis versés à une collectivité d'historiens 2 , tous les chiffres relatifs aux dîmes, chiffres qui seraient ainsi regroupés dans une « banque de données ». *

Avant d'en venir à l'exposé des trouvailles qu'ont réalisées les nombreux auteurs de ce livre, il convient, préalable ultime, de rappeler quelques notions de base : conceptuellement en effet, la dîme est ambiguë. Dans la mesure où elle concerne à la fois le produit b r u t et le produit net. D'abord toute dîme, par définition, représente u n flux de produit net, qui coule du décimable au décimateur. Mais toute dîme est simultanément une fraction du produit brut, puisque chaque récoltant prélève chaque année, à l'intention des prêtres, 1 /8 e , 1 /10 e ou plus ou moins de sa moisson ; selon le t a u x local de la taxe. Plus précisément, la dîme, envisagée quant au mouvement long des quantités livrées, sur plusieurs décennies, sur un siècle ou davantage, nous paraît avoir un triple niveau d'évidence historique. Premier niveau : la dîme est l'instrument de mesure, important, intéressant, et dont l'étude s'impose de toute façon, d'un revenu ecclésiastique ; à ce titre elle fait partie, plus généralement, du « produit net » de la société, versé par les producteurs à la classe propriétaire 3 . 1. Sur la déflation souhaitable par un indice de prix, cf. infra, p. 335. 2. Par exemple, le Centre de Recherches historiques, dont l'équipe envisage de s'élargir au plus grand nombre de chercheurs français ou étrangers et de poursuivre cette enquête dont les premiers résultats sont présentés dans cet ouvrage. La coordination des travaux sera assurée par J. Goy, E. Le R o y Ladurie et H. Neveux. 3. Pour des définitions et références plus précises, cf. infra, pp. 335-336.

14

E . LE ROY LADURIE ET J . GOY

Deuxième niveau, déjà plus sophistiqué : la dîme est un instrument de mesure de la conjoncture agricole. Soit par exemple une période de hausse du produit des baux successifs des dîmes : celle-ci peut s'expliquer (du côté de la causalité objective) en fonction de trois facteurs : a) essor de la production, sur laquelle est prélevée la dîme ; b) enrichissement des fermiers susceptibles de prendre la dîme à bail, et capables au fil des baux, du fait même de cet enrichissement, de verser de plus en plus d'argent ou de grain au bailleur ecclésiastique ; c) montée démographique, qui multiplie le nombre des candidats fermiers et donc accroît la concurrence entre eux, ce qui élève le niveau des enchères. Or il est bien évident que ces trois facteurs, par exemple au x v m e siècle, n'interviennent pas isolément les uns des autres. Ils sont liés entre eux : les montées de la production, de la richesse paysanne, et du nombre des hommes sont trois phénomènes inséparables, reliés mutuellement par un réseau, complexe et auto-entretenu, d'inter-relations. En ce sens la hausse du produit de la dîme est bien l'indicateur précieux, le reflet valable d'une conjoncture globale. E t de même, en sens inverse, la baisse. Enfin troisième niveau, qui du reste est inséparable du second : le mouvement de la dîme fournit des présomptions capitales sur la marche de la production agricole, présomptions qui se transforment en certitudes au fur et à mesure que le nombre des séries mises en œuvre, et concordantes entre elles, augmente ; au fur et à mesure aussi que des séries fines et vérifiées dans tous leurs éléments, comme celles qui ont été mises au point, respectivement en Camargue et en Hainaut 1 , viennent valider les assomptions tendancielles, issues d'un plébiscite indispensable de courbes à la fois plus frustes et beaucoup plus nombreuses. De ce point de vue, la situation, en matière de dîmes, n'est pas tellement différente de ce qu'on connaît en démographie historique : là aussi on a, d'un côté, les comptages globaux « agrégatifs », générateurs de certitudes chronologiques et massives ; de l'autre, les monographies parcellaires à base de reconstitutions de famille, qui apportent à ces certitudes initiales l'évidence supplémentaire des vérifications microscopiques. Cette stratigraphie décimale à trois étages nous imposait une double stratégie. Double stratégie qui découlait aussi des délais relativement courts dont nous disposions. (De toute façon, il n'était pas question d'aboutir en vingt-quatre mois, entre 1966 et 1968, à une description exhaustive du sujet qu'on nous proposait : on pouvait seulement tenter et tester un certain nombre d'approches.) Première approche : nous avons lancé une reconnaissance en force aux deux niveaux supérieurs de la stratigraphie décimale : niveau 1 (pro1. Cf. M. MOHINEAU, « Y a-t-il eu une révolution agricole en France au XVIIIE siècle ? », Revue historique, 1968, CCXXXIX, avr.-juin, pp. 299-326 ; et infra, Annexes, 6, p. 378 ; 16, p. 387. Cf. aussi infra, art. GOY, pp. 245-254.

L E PRODUIT D E LA DÎME

15

duit net — revenu ecclésiastique), et niveau 2 (conjoncture globale). Cette reconnaissance, opérée sur un large front géographique, nous a permis de recueillir toute une série de gros dossiers décimaux : à ceux-ci nous avons uniquement demandé de proclamer, au fil des décennies et des siècles, et sans aucune addition ni présupposition extérieures, le mouvement pur et simple des chiffres bruts (ou par nous déflatés) qu'avaient inscrits les scribes de la dîme au long de leurs registres. Il s'agissait en somme de « donner à voir » un document ; de présenter, tel qu'en lui-même, le phénomène décimal se produisant. Cette procédure, positiviste et globale, est pleinement légitime, puisque nous ne prétendons pas, ce faisant, reconstituer nécessairement le mouvement du produit brut, mais simplement dessiner pour elles-mêmes les fluctuations d'un certain type de produit net, à travers le temps. Grâce à cette technique, les membres de notre groupe ont pu réaliser quelques beaux coups de filet archivistiques ; citons à ce propos les dîmes d'Auvergne, de Bourgogne, de Suisse, du Cambrésis, d'Alsace : ces dîmes d'Alsace où, en dépit de telle ou telle objection qu'on peut faire au document lui-même, les plus myopes retrouvent sans peine l'abîme des guerres de Trente Ans ; tandis que les plus raffinés diagnostiquent les accidents du x v m e siècle que découvrent, par d'autres méthodes, dans la Lorraine voisine, les recherches de M. Morineau. Les résultats neufs, qu'ont obtenus ces investigations du premier type, apportent dans le domaine du produit net, un acquis massif du savoir, acquis dont l'historiographie française à ce jour n'avait pas connu l'équivalent 1 . Dans le domaine du produit brut en revanche, ces beaux travaux ne représentent que des pierres d'attente : il est donc futile 2 de les critiquer pour ce qu'ils ne sont pas et ne prétendent pas être : des représentations exhaustives du mouvement du produit brut. Nul ne contestera en revanche que les flexures chronologiques, et le trend général, dévoilés par cette prise de possession globale des gros dossiers décimaux, fournissent en fin de compte les hypothèses de travail et les points d'attaque grâce auxquels une histoire en profondeur de la production agricole pourra ultérieurement trouver et tester sa périodisation, et jalonner ses scansions temporelles. C'est en cela que ce premier axe de notre stratégie répondait, pour une étape initiale, aux questions difficiles que nous posait l'Association des Historiens économistes. Le deuxième axe, lui, inaugure largement ce travail en profondeur qui demeure, pour l'avenir, la finalité ultime de notre enquête. La première vague de recherches, précédemment évoquée, était extensive et géographique. La seconde, elle, est intensive et monographique. Certes, nous ne pouvions absolument pas en cette étape des jalons initiaux, et dans les deux ans qu'on nous avait donnés, procéder, pour toutes les séries 1. Cela dit sans étalage de vanité puisque l'essentiel de ces acquisitions est dû à tous les coauteurs de cet ouvrage. 2. Cf. infra, pp. 214-244.

16

E. LE ROY LADURIE ET J. GOY

dévoilées, aux vérifications monographiques qui eussent permis dans chaque cas de passer des niveaux 1 et 2 (produit net et conjoncture globale) au niveau 3 (produit brut) : nous sommes donc restés, bien souvent, à la porte entrebâillée du mystère. Cependant, sur quelques terrains bien choisis, privilégiés, des sondages, monographiques et pertinents, ont été réalisés. Ces sondages répondent aux règles d'or de la fiabilité décimale, règles que nous nous permettrons de rappeler ici même, en l'espace d'une brève digression : 1) Toute dîme véritable du fait même de son existence, est influencée, en son flux temporel, par le mouvement sous-jacent de la production. Toute dîme réfracte les fluctuations du produit brut. E n ce sens, chaque étude décimale sur le produit net apporte ipso facto des informations potentielles sur la tendance du produit brut. 2) De très nombreuses dîmeries font plus que réfracter : elles reflètent avec une exemplaire fidélité le mouvement du produit brut. Ce sont celles pour lesquelles le t a u x du prélèvement décimal est resté stable, par exemple à 8 % , d'un bout à l'autre de la période étudiée ; celles aussi, et simultanément, dont le territoire agricole visé par les décimations n ' a pas bougé entre les mêmes dates. 3) Une comparaison avec les registres paroissiaux fera mieux comprendre les deux points qui précèdent. Transportons-nous pour un inst a n t des graphiques de la dixième gerbe, caractéristiques de nos dossiers décimaux, aux courbes des baptêmes et des sépultures, typiques de l'état civil d'Ancien Régime. Auteurs et lecteurs de ces courbes admettent volontiers que celles-ci sont p a r elles-mêmes intéressantes du point de vue démographique ; qu'elles sont objet de démographie, qu'elles révèlent quelque chose sur la population : voilà pourquoi on encourage de toute façon les chercheurs à faire des comptages « agrégatifs » de baptêmes et de décès dans les registres des paroisses, comptages dont on sait par avance qu'ils réfracteront la démographie. Cependant, on fixera immédiatement, à cette affirmation, des bornes précises. Car les courbes longues des décès ou celles des baptêmes réfractent, mais elles ne reflètent pas à 100 % le flux sous-jacent du peuplement : puisque d'une p a r t les migrations, et, d'autre part, les t a u x de natalité et mortalité varient sans cesse, année après année, décennie après décennie, siècle après siècle. Ces variations étant du reste beaucoup plus impressionnantes et surtout plus incessantes que celles, souvent minimes et maintes fois inexistantes, qui affectent les t a u x de prélèvement décimaux ou les territoires des dîmeries. Pour qu'on puisse passer du mouvement des baptêmes et décès au mouvement de la population elle-même, avec ses contours globaux et ses t a u x intimes, il f a u t donc disposer de données supplémentaires ; et par exemple, il f a u t posséder le chiffre initial du peuplement en début de séries, et les données migratoires, à partir duquel et desquelles on calculera les soldes positifs ou

LE PRODUIT DE LA DIME

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négatifs, et donc le flux démographique lui-même. Ou bien, autre itinéraire possible, on aura recours à la reconstitution des familles, qui permet d'accéder à la productivité des couples, en termes d'enfants conçus et grandis. Dans ces divers modèles de réflexion systématique, on passe logiquement en démographie historique d'une première étape, celle des comptages globaux et massifs, au deuxième stade qui, lui, est à base de sondages ponctuels et profonds. On est en mesure alors, au terme de ces deux phases successives, d'opérer la percée scientifique, le breakthrough, en direction d'un savoir qui n'est plus seulement réfraction mais véritable reflet des données de base d'une population villageoise ou régionale. Cependant, si cette deuxième étape représente de toute façon l'objectif à long terme, le premier stade (celui des comptages) est par luimême extrêmement fécond ; il est d ' a u t a n t plus fertile qu'il permet de défricher rapidement un vaste secteur, d'y planter des repères et des jalons, lesquels orienteront ensuite les sondages et investigations les plus fines, caractéristiques du second mouvement. A ce titre, la première étape, à base de comptages, est indispensable, et il ne viendrait à personne, démographe ou non, l'idée baroque d'en condamner l'exercice, sous le prétexte que les résultats qu'elle obtient sont seulement indicatifs et tendanciels ; sous le prétexte aussi qu'en dépit de leur ampleur et de leur couverture géographiques, beaucoup plus vastes que celles qui caractérisent les sondages plus fins du deuxième mouvement, ces résult a t s n'ont ni la pertinence ni la précision des t a u x obtenus au terme de cette seconde démarche, laquelle est à la fois très coûteuse en temps et en énergie, fâcheusement ponctuelle, mais admirablement raffinée. Cet excursus, que nous proposons brièvement à propos d'une discipline voisine, souligne le caractère de double approche — amples comptages, puis reconstitutions minuscules en quelques lieux — qu'on rencontre généralement dans les bons ouvrages de démographie historique 1 . Cette double approche, réalisée de façon homologue, mais sur un terrain différent, c'est aussi la nôtre, dans ce livre sur les dîmes. *

Donc puisque nous voulions mener à bien la tâche qu'on nous proposait, notre seconde approche (menée parallèlement à la première, laquelle était fondée sur la stratégie des défrichements massifs) f u t celle des monographies. Ces monographies — faut-il le préciser ? — ont été opérées de façon conforme à l'exigence la plus stricte de la fiabilité décimale. D'une part, elles intéressent des dîmeries dont les limites géographiques et les t a u x de prélèvement sont restés stables au travers des siècles mis en cause ; d'autre part, intérêt non négligeable, elles se trouvent localisées en des territoires déjà largement prospectés par l'enquête extensive, ty-

1. Par exemple, P. GOUBERT, BeauvaU et U Beauvaisis de 1600 à 1730, Paris, 1960. 2

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piques de la première approche. On pourra donc, grâce à elles, tester au niveau du produit brut les tendances et périodisations décimales enregistrées massivement (selon le premier axe de notre stratégie) dans le domaine d u produit net. Les monographies en question, qui sont à la recherche décimale ce qu'Auneuil et Crulai sont à la démographie historique, f o r m e n t deux groupes : voici d ' a b o r d le vaste terroir de Camargue 1 (immenses dîmeries d'Arles de plusieurs dizaines de milliers d'hectares, a u x bornes décimales constamment stables ; prélèvement de dîme, p o u r les 4 / 5 e de la dîmerie, « éternellement fixé » au 1 /40 e , d u x i n e au x v m e siècle ; contrôle const a n t des données enfin, grâce à une courbe unique en France des productivités céréalières, qui dit les rendements à la semence, stabilisés, d u début d u X V I I e siècle à la Révolution) ; voilà d ' a u t r e p a r t d e u x villages de la frontière belge, soigneusement observés p a r M. Morineau 2 , dans des conditions analogues, impliquant la stabilité des paramètres de la dîme 3 . Or les propositions qu'on tire de ces divers sondages sont t o u t à fait rassurantes : a u x deux extrémités du royaume, ils valident, dans la perspective d u produit b r u t , les tendances globales, enregistrées sur u n e échelle beaucoup plus vaste pour des dizaines et des centaines de terroirs, au niveau d u produit net. Les conclusions générales qu'on p e u t inférer d u multiple faisceau des courbes décimales de la première approche —• stabilité majoritaire des livraisons (dans le très long terme), inflexions chronologiques bien caractérisées, décollage tardif et partiel, avorté parfois, du X V I I I e siècle — , ces conclusions émergent de nouveau, identiques à elles-mêmes, absolument intactes, à p a r t i r des savants échantillonnages mis sur pied : Arles, étudiée monographiquement, confirme les tendances — trends et chronologie — des centaines de terroirs groupés en grappes a u t o u r de Narbonne, Béziers, Montpellier, Nîmes, Aix, Nice, Vaison-la-Romaine ; ces très n o m b r e u x villages f u r e n t explorés, eux, macroscopiquement en fonction d'une approche extensive. C'est tellem e n t vrai qu'on a pu synthétiser en une courbe unique les diagrammes d'Arles et ceux des autres terroirs du Midi : ce travail qui a b o u t i t à la mise en perspective du flux décimal sur deux siècles et demi, j e t t e une lumière neuve sur la stagnation longue d u produit provincial des campagnes, a u sud de la France 4 . D a n s u n style t o u t à fait semblable les deux courbes minces, mais infrangibles q u ' a constituées M. Morineau en ses paroisses jumelles, à l ' a u t r e extrémité du royaume, servent d'arcb o u t a n t s similaires a u x puissantes ogives bâties de dizaines de dia1. Cf. infra, art. Goy, p. 245 ; et Annexes, 16, pp. 387 sq. 2. Cf. M . Mobineau, art. cit. ; et infra, Annexes, 7, pp. 378-379. 3. Notons que des recherches monographiques du même type, et tout aussi exemplaires, pourraient être entreprises à propos de dîmeries aux paramètres instables. Il suffirait de tenir compte (pour l'obtention du produit brut à partir des chiffres du produit net) des distorsions subies de temps à autre par les taux de prélèvement, et / ou par la surface des dîmeries. A supposer, bien entendu, que ces distorsions soient parfaitement connues quant à leur amplitude et quant à leurs dates. 4. Cf. infra, art. G o y et Head-Kônig, p. 255.

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grammes qu'ont édifiées, selon les règles d'une approche extensive, MM. Neveux, Ruwet, et, plus au nord, M. Van der Wee. Les deux branches de notre stratégie se rejoignent donc : les enquêtes extensives, de par l'amplitude des matériaux qu'elles mettent en œuvre, abolissent le hasard qu'implique toujours et par définition le coup de dé archivistique propre aux monographies isolées ; inversement, ces monographies ratifient les chronologies qui dérivent de l'approche extensive. Dans les régions les mieux desservies par les recherches (extrême-Nord, et surtout France du Sud), il devient légitime d'extrapoler, du produit net au produit brut. *

En deux ans, la tâche qui nous était prescrite a donc fait l'objet d'accomplissements de grande ampleur. Non pas exhaustifs, bien sûr. Beaucoup reste à faire. Du moins, on le verra dans les diverses études que groupe ce livre, les deux directions essentielles (extensive et intensive), pour la première fois, sont solidement mises en place ; des jalons, souvent définitifs, sont désormais plantés. Il reste, dans le cadre de cette brève introduction, à poser quelques questions subsidiaires ; à résumer aussi, brièvement, notre chronologie d'ensemble ; cette chronologie dont on trouvera plus loin les divers aspects dans les chapitres qui suivent, sous la plume des différents auteurs ; et dont on lira d'autre part la configuration détaillée dans le rapport de synthèse qui clôt cet ouvrage. *

Nous avons raisonné jusqu'ici comme si la dîme était l'unique mode d'accès à l'histoire du produit agricole. Il va de soi qu'un tel monopole n'est qu'une chimère ; bien d'autres techniques d'enquête sont à la disposition des chercheurs. Nous ne mentionnerons ici, brièvement, que deux d'entre elles, symbolisées par les noms de MM. Slicher Van Bath et Toutain. La méthode de M. Slicher Van Bath est basée sur l'évolution du rendement des grains à la semence. Ce type d'approche est remarquable, et même génial de simplicité dans son principe. Mais les résultats publiés à ce jour n'emportent pas toujours la conviction, du moins pour la France. Les chiffres du chercheur hollandais sous-estiment parfois les rendements du Moyen Age ; et surtout ils surestiment ceux des xvi e et XVII siècles1. Ils aboutissent ainsi à la vision jaillissante d'un essor soutenu des rendements français, du x m e au x v n e siècle. En fait, cette surestimation grandiose n'est pas réaliste : les rendements vrais sont stabilisés des xin e -xiv e siècles jusqu'au x v n e siècle, voire même au E

1. Cf. E. LE ROY LADURIE, Rapport au Congrès international d'Histoire économique de Bloomington (1968) (à paraître).

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: 6 à 8 pour 1 dans les très bons terroirs du Nord, 4 ou 5 pour 1 dans le Midi. La « Révolution agricole », pour une part du moins, fait figure de mythe 1 . Quant à la méthode de M. Toutain, elle apporte, indirectement, quelques chiffres suggestifs sur les récoltes françaises : 58-67 millions de quintaux de grains vers 1700-1710, 87 millions vers 1780-1789. Mais dans l'ensemble et quant au point de départ (1700-1710), cette méthode se fie par trop aux intuitions « bergsoniennes » de Vauban et de King, pour qu'on puisse bâtir à partir de celles-ci un tableau de la croissance française au X V I I I e siècle. L'idée de base (essor agricole au temps des Lumières) demeure valable ; mais elle préexistait à l'ouvrage de M. Toutain. Ce sont les chiffres initiaux (1700-1710), supportant tout l'édifice, qui reposent sur le sable. Car la lieue carrée de Yauban surestime les blés et les vignes, et sous-estime les bois. Quant aux budgets français de Gregory King (1696), ils surestiment grandement, dans le produit agricole français, la part relative des vins, viandes, laits, beurre, œufs, volailles et fromages. En revanche, ils sous-estiment énormément les totaux absolus du produit français de l'agriculture. Tout le travail est à reprendre, avec Yauban peut-être, mais rectifié ; et sûrement pas avec Gregory King2. En attendant que soit opérée cette révision, les enquêtes à base de dîme demeurent pour nous une source essentielle. Leurs résultats, provisoires, s'inscrivent dans les grandes lignes, ci-dessous résumées, d'une chronologie plusieurs fois séculaire. XVIIIe

*

Cette chronologie suppose une observation initiale. Sur la périodisation : il va de soi que notre découpage par périodes cinquantenaires n'a qu'une valeur de commodité. Ensuite sur la géographie : l'absence de l'Ouest français, dans nos données, représente une lacune fâcheuse, et qu'il conviendrait de combler. Voici maintenant un schéma d'ensemble, dont on trouvera le détail, indispensable, dans notre exposé à la fin de ce livre : a) 1400-1450 : on note une chute dramatique du produit net dans les campagnes parisiennes, entre 1420 et 1445. Une évolution analogue est probable en beaucoup d'autres régions françaises (mais dans leur cas, Provence et Forez mis à part, nous ne disposons pas encore de séries décimales). En revanche, l'Artois et la Flandre ne sont guère atteints par cette crise des te guerres de Cent Ans », et se trouvent alors dans une phase relative de haute production. 1. Cf. M. Mobineau, « Histoire sans frontière : prix et ' révolution agricole ' », Annales, E.S.C., 1969, 24E année, 2, pp. 403-423. 2. Cf. E. Le R o y Ladubie, « Les comptes fantastiques de Gregory King » , ibid., 1968, 23 E a n n é e , 5, p p . 1086-1102.

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b) 1450-1500 : une remontée d'ensemble, qui n'est peut-être, pour tout ou partie, qu'une récupération plus ou moins réussie du niveau d'avant-guerre ou d'avant-Peste enregistré au x i v e siècle, intervient dans toute la France connue... ou mal connue. E n revanche, une grosse crise régionale sévit dans le Gambrésis et la Flandre autour de 1480 (date large), à cause peut-être des opérations armées menées par le Téméraire, et surtout par Maximilien. c) 1500-1550 : cette époque est marquée par un apogée « national » , le premier qui soit précisément connu et mesuré, du produit des dîmes et des rentes foncières. Cet apogée concerne les territoires actuels de la France et de la Belgique, simultanément. Des sommets du produit net sont enregistrés vers 1510-1520, et vers 1540-1550, dans la région parisienne, la Bourgogne, le Cambrésis, le Namurois, la Flandre, le Languedoc. Une crise grave, mais passagère, sévit vers 1530, notamment en Languedoc, où la production animale en sera durablement affectée. Pendant ce demi-siècle de 1500-1550, l'Alsace est, apparemment, un peu moins brillante que le reste de l'hexagone actuel (est-ce en raison de la « guerre des paysans » ?), mais son niveau demeure néanmoins honorable. E n dépit de ces constatations optimistes dans l'ensemble, l'apogée de 1500-1550 a ses limites : dans l'Ile-de-France par exemple, vers 1520, les revenus nominaux des dîmes et des rentes n'atteignent même pas, en monnaie pourtant dévaluée, aux chiffres correspondants d'avant la Peste noire 1 , ces chiffres si élevés de la période 1300-1340 qu'on a parfois qualifiée, non sans humour, de « période de crise ». E n Flandre et Cambrésis, on ne dépasse pas, vers 1550, le niveau record des années 1420 ; la notion de plafonds multiséculaires est donc perceptible dès la cc Renaissance » économique. d) 1550-1600 : les guerres civiles atroces, après 1560, accompagnées de grèves décimales, aboutissent simultanément à déclencher la tornade, et à détraquer l'anémomètre ; l'instrument de mesure que constitue, pour l'historien, le prélèvement au titre de la dîme, est en effet mis parfois hors d'usage en raison de la grève perlée des décimables. E n tout cas, il est hors de doute que le produit domanial et décimal tombe partout, et parfois très bas. Notamment en Languedoc, Camargue, Bourgogne, région parisienne, Cambrésis, Namurois ; et en Flandre, après le sac d'Anvers. L a baisse du produit net peut commencer fort tard (après 1580 dans la région parisienne) ; les minima sont atteints au cours de la décennie 1580 et surtout de façon plus générale à partir de 1590. Seule l'Alsace, en dépit de quelques fluctuations négatives, semble nettement moins touchée que le reste de la France actuelle : cette province une fois de plus fait bande à part. Rien d'étonnant à cela : étrangère encore au royaume, l'Alsace reflète probablement les conditions particulières qui dominent dans la nébuleuse germanique. 1. Cf. G .

p. 481.

Foobquin, Les

campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Age, Paris, 1964,

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e) 1600-1650 : au début (1600-1625), c'est une belle montée. Toute la « Gaule » (la France actuelle et la Belgique) se trouve en état d'expansion plus qu'honorable du produit net agricole, jusque vers 1625-1630. Il faut noter cependant que les maxima de décimations ou fermages céréaliers atteints vers 1625 ne dépassent guère, sauf en Alsace, les plafonds, eux-mêmes assez modestes, qui furent égalés une première fois lors du « beau » X V I e siècle d'avant 1560. Après 1630, un nouveau cyclone se déplace lentement sur le nord-est du territoire : l'agriculture alsacienne s'effondre la première, engloutie dans le tourbillon et la fureur des guerres de Trente Ans. Puis, quelques années après, si l'on en juge par les courbes décimales, c'est au tour de la Bourgogne, du Cambrésis et du Namurois de faire le plongeon. La Fronde secoue rudement la Picardie et l'Ile-de-France ; mais dans cette dernière région, les dîmes et les fermages ne connaissent, aux années frondeuses, qu'un effondrement passager. A plus forte raison le Midi se maintient-il assez bien sur sa lancée du temps de Sully, jusqu'au début de l'époque de Colbert1. Cette bonne tenue des courbes méridionales n'est interrompue, sans plus, que par quelques bourrasques assez violentes, dues aux guerres et aux pestes, notamment vers 1630 et 1650. D'une façon générale, c'est la géographie des guerres de Trente Ans, et aussi celle de la Fronde, qui créent la démarcation des conjonctures. L'effondrement des productions au milieu du siècle, dans le Nord-Est, fait contraste avec leur maintien solide, parfois même avec leur essor, dans le reste du royaume, de l'Auvergne au Languedoc, en une série de provinces nombreuses où l'expression « crise du xvn e siècle » n'a qu'un sens atténué. Et si « crise » il y a, dans le Nord-Est précisément, vers 1630-1635, elle est due aux conflits belliqueux plus qu'à la « famine monétaire » : les ravages hypothétiques de celle-ci et ses effets supposés négatifs sur le produit brut devraient, si l'on en croit la théorie classique, être portés à leur plus haut degré d'intensité pendant la phase de baisse des prix qui accompagne le ministère de Colbert. Or c'est tout le contraire qui est vrai : les moissons sont dans l'ensemble assez belles et généreuses, pendant cette période, qui marquerait pourtant, si l'on se fiait aux idées reçues, le point le plus typique de la « phase b » du xvn e siècle. f) 1650-1700 : la décennie du « jeune » Colbert (1660-1670, voire même jusque vers 1675-1680) est en effet presque partout favorable, et qui plus est, brillante. On note un apogée du produit net en Languedoc et Provence, Bordelais, Périgord, Lyonnais, Auvergne, Haute-Normandie. Ailleurs c'est une culmination, ou une récupération d'après-guerre et d'après-Fronde en Ile-de-France, Picardie, Cambrésis, Namurois ; ou bien encore, c'est une reconstruction très vive en Alsace et en Bourgogne. L'expansion du produit des céréales à cette époque bat rarement, 1. Ces expressions « Sully » et « Colbert » ne sont pour nous qu'une commodité chronologique. Elles n'impliquent aucun jugement de valeur sur l'influence de ces ministres, qui fut sans doute à peu près nulle, quant au phénomène étudié.

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sauf parfois dans le Midi, les records des siècles passés. Elle est néanmoins en mesure de conjurer la famine (après 1662) pour l'espace d'une génération, ou peu s'en faut. Ces relatives pléthores frumentaires, qui font suite à la famine momentanée de l'Avènement, coïncident avec la période brillante du Roi-Soleil. Elles contribuent aussi, c'est évident, à faire basculer vers la baisse les prix du grain. Elles permettent de nourrir plus facilement, grâce au pain bon marché, les soldats des gros bataillons et les ouvriers des grands chantiers, comme ceux des quelques manufactures récentes. Après 1680, la vraie crise commence, jalonnée par la baisse du produit des dîmes, en Languedoc et Provence, Bordelais, Périgord, Aquitaine, Lyonnais, Auvergne ; ou bien elle recommence, comme une rechute ; comme une répétition plus ou moins violente des désastres jadis enregistrés pendant la guerre de Trente Ans, et conjurés un moment lors de la rémission colbertienne. Ce rebondissement de la crise, à la fin du X V I I e siècle, est sensible, notamment aux frontières du royaume : en Cambrésis, Namurois, Wallonie ; en Ile-de-France aussi, mais surtout après 1700. Il est impossible d'expliquer cette baisse du rendement des dîmes, après 1680, par la résistance larvée des décimables, puisqu'on est au contraire en pleine période de réaction catholique, symbolisée par la Révocation. L a fin du « règne » de Louis X I V est donc mauvaise — mais non désastreuse —, presque partout, de Cambrai à Narbonne, et de Bordeaux à Lyon et à Namur. Une exception doit être faite néanmoins pour la Bourgogne et l'Alsace : là, sur la longue lancée des reconstructions d'après la guerre de Trente Ans, une vague de hausse du produit net continue à se faire sentir jusqu'au commencement du X V I I I e siècle ! g) XVIIIe siècle : après 1720 c'est un peu partout la reprise et la mise en place d'une prospérité de récupération. Puis après 1750 (sauf dans la France de l'Est, Alsace et Bourgogne, qui deviennent paradoxalement stagnantes à partir du milieu du siècle), c'est l'essor. Un essor qui rejoint, et qui parfois dépasse sensiblement les records spasmodiques des époques passées, et notamment les plafonds du temps de Colbert. Cette percée finale, sous Louis X V vieillissant, n'implique pas qu'il y ait eu révolution agricole, au sens technique du terme. Mais on voit se produire effectivement, si l'on en juge par les dîmes et fermages, un petit décollage post1750, qui s'opère dans le cadre global de la technologie existante, par le jeu plausible de divers facteurs. Parmi ceux-ci figurent sans doute : la diminution du nombre de jours chômés dans l'année par tête de travailleur agricole ; certaines plantations ; quelques défrichements ; de petits perfectionnements techniques, etc. Au total, à en juger par les courbes décimales et de fermage d'une part, et par les critères de vraisemblance démographique d'autre part, la hausse du produit agricole réel ou déflaté paraît se situer autour de 25 % au minimum, 40 % au maximum, dans la période globale qui v a

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de la décennie 1700-1709 à la décennie 1780-1789. Le chiffre « + 60 % » propose par M. Toutain semble trop élevé. Dans l'ensemble, du xiv e siècle au premier XVIII e siècle, et jusqu'en 1750, on se trouve en présence de ce qu'on pourrait appeler, en paraphrasant C. Lévi-Strauss1, une économie froide : le produit net agricole est sans doute agité de fluctuations, parfois gigantesques, mais il n'est pas animé, dans le long terme, d'un mouvement d'essor durable. Il oscille, ayant beaucoup de peine à s'élancer définitivement ; et il se heurte de temps à autre à des plafonds qui s'avèrent, sauf exception régionale, rigides et presque infranchissables : ainsi vers 1520,1550, 1625, 1670. Une vraie croissance ne se dessine un peu partout dans la France du Nord, mais de façon souvent timide, qu'après 1750. Le grand progrès du XVIII e siècle, c'est que l'amplitude catastrophique des oscillations décroît. Cet amortissement progressif précède le décollage ; et il en prépare peut-être les conditions profondes. Il convient d'opérer, pour l'histoire du produit campagnard, les mêmes révisions que pour celle de l'industrie : la nouveauté d'après 1750 n'est pas la Révolution agricole, c'est l'amorçage de la croissance, sans bouleversement technologique.

1. C. LÉVT-STRAUSS, Bace et histoire, Paris, 1961.

MICHELINE

BAULANT

Du bon usage des dîmes dans la région parisienne

E n regard de la simplicité méridionale, le système des dîmes dans la région parisienne apparaît complexe : les droits des chapitres, des abbayes, des curés s'enchevêtrent à l'extrême ; le taux de la dîme, le mode d'exploitation varient de village à village, parfois de siècle à siècle. Est-il possible dans ces conditions d'épurer les séries de b a u x de dîmes que l'on possède des accidents qui les dénaturent ou tout au moins de chiffrer l'incertitude qui résulte du glissement des institutions 1 et — question essentielle — ces séries traduisent-elles le mouvement de la production? Nous nous bornerons à examiner quelques obstacles concrets rencontrés dans la région parisienne. Deux groupes de problèmes : t a u x de la dîme et matière décimable, répartition et exploitation des dîmes.

I . — T A U X D E LA DÎME E T M A T I È R E D É C I M A B L E

A défaut d'une enquête sur la dîme dans la généralité de Paris analogue à celle de l'intendant Bouchu par exemple, nous avons pu relever le t a u x de prélèvement pour environ 80 localités de Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne 2 . Ces indications, en majeure partie de la fin du x v m e siècle, permettent — quoiqu'un peu clairsemées — d'ébaucher une carte de la dîme autour de Paris à la veille de la Révolution. Elle serait, dans son ensemble, valable pour tout le X V I I I E siècle et, avec quelques réserves 3 , pour le x v n e . A cette époque, de vastes zones où la dîme se percevait à la 13 e gerbe (ou à 8 gerbes sur 100) subsistaient au nord de 1. Par exemple modifications dans l'assiette de la dîme, ou dans le gros du curé. 2. Une recherche systématique dans les fonds de la série S aux Archives nationales permettrait probablement de doubler ce chiffre. J e dois un certain nombre des renseignements ici recueillis à l'obligeance et aux connaissances de J.-P. Desaive. 3. Cf. infira, pp. 27-28.

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Paris 1 et surtout à l'est (Bouillancy, Oissery, région de Rozoy) 2 et à l'ouest (Andrésy, Mézières, Poissy, Bezons) 3 ; cependant, çà et là, de larges taches apparaissaient où la dîme était sensiblement plus légère : en « France », le taux de la 17 e gerbe ou de 6 gerbes sur 100 semble avoir été courant de Bonneuil à Villeneuve-sous-Dammartin 4 , il descendait même à 5 gerbes du cent au Belloy, Chennevières, Yilliers-le-Sec et au Mesnil-Amelot 5 ; en Brie, on payait 6 gerbes du cent à La Queue-en-Brie 6 , 6 gerbes « après le cent » à Sucy et Noiseau, la 17 e gerbe à Soignolles, la 19 e au Vaudoué 7 , la 18 e ou la 24 e , suivant les cantons, à Larchant 8 . Au sud de Paris, au lieu d'une dîme proportionnelle à la récolte prévalait communément une dîme à l'arpent : 4 gerbes couramment en Hurepoix 9 et jusqu'à Bagneux, 4 également à Brie-Comte-Robert 10 ; 3 gerbes à Guyancourt près de Versailles11 ; 2, 3 et 4 gerbes dans une bonne partie du Loiret 12 . En revanche, autour de Meaux, le chapitre cathédral avait réussi à maintenir des taux très lourds : 11 e gerbe à Isles-les-Villenoy, Boutigny, Nanteuil, Fublaines, Trilport, Quincy, Etrépilly et même 10 e gerbe à Barcy et à Marcilly13. A côté de ces écarts de paroisse à paroisse, générateurs de conflits, des différences pouvaient exister à l'intérieur d'une même paroisse : à Rungis, on payait 7 gerbes du cent sauf sur une petite dîme 14 ; à Orly, deux taux : 11 e gerbe, 4 gerbes l'arpent 15 ; à Soignolles : 17 e gerbe en général mais 4 gerbes l'arpent sur 1. Précy-sur-Oise : 8 gerbes du cent (Arch. nat., S 458) ; Sarcelles (S 382). 2. 8 gerbes du cent à Bouillancy, Oissery, Condé ; 7 1/2 gerbes du cent à Brégy (ibid., S 198), Saint-Mard (S 6765) ; 13 e gerbe à Vernou, Machault, Rosoy-en-Brie, Voinsles, Nesles-laGilberde, La Chapelle-Iger, Villeneuve-la-Hurée (S 458), Chelles (P. GAGNOL, La dîme ecclésiastique en France, Paris, 1911, p. 331) ; 8 gerbes sur 108 à Damart (Arch. nat., S 457). 3. 8 gerbes du cent à Andrésy, Jouy-le-Moutier, Aubergenville (ibid., S 456), Épône, Mézières, La Villeneuve, Maule près Mantes, La Falaise (S 457), Achères, Poissy (P. GAGNOL, op. cit.), Bezons (Bibl. nat., ms. français 18.808, f ° 28). 4. 6 gerbes du cent à Aulnay, Blanc-Mesnil, Bonneuil, Gonesse (Arch. nat., S 456), Goussainville (S 294), Moussy-le-Neuf (S 457), Villeron (S 458), au Tremblay et à Mitry (S 324A), à Pierrefitte et Villetaneuse (S* 7068, f° 73) ; 6 gerbes sur 102 à Mory et Compans (S 329) ; 17 e gerbe à Villeneuve-sous-Dammartin (S 5009) ; aux abords de Paris : 17 e gerbe à Passy (S 458). 5. Le Belloy (ibid., S 456) ; Chennevières (S 7535 et S 457) ; Villiers-le-Sec (S 420) ; MesnilA m e l o t (S 324A).

6. Ibid., S 458. 7. Sucy, Noiseau, Soignolles, Le Vaudoué (ibid.). 8. Arch. nat., S 457. Au sud de Paris 7 gerbes du cent à Fresnes, Rungis (S 380A), Chevilly et L ' H a y (S 457). 9. Corbreuse (ibid., S 456), Lardy (S 317A), Leudeville (S 317» et S 457), La Norville (S 343E et S 458), Massy (S 457), Orly (S 458), Bagneux (S 167 et S 456). 10. P . GAGNOL, op. cit., p p . 3 3 0 - 3 3 1 .

11. Arch. nat., S 457. 12. P. GAGNOL, op. cit., pp. 284-290. Spécialement les districts d'Orléans, Beaugency, Pithiviers. 13. Arch dép. Seine-et-Marne, G 42, pp. 67 et 150 ; G 43, pp. 56, 160, 470 ; G 44, pp. 67,148, 400 ; pour Isles-les-Villenoy : Arch nat., S 5009. 14. Ibid., S 458. 15. A Orly en 1679, il y a procès entre le receveur de la terre et seigneurie d'Orly et u n laboureur du pays pour 8 arpents en deux pièces de terre sur lesquelles le receveur entend percevoir la 11 e gerbe « et les a toujours dixmées sur ce pied depuis plus de vingt ans qu'il est receveur », tandis que le laboureur ne veut payer que 4 gerbes par arpent qu'il a laissées sur le champ. Or, il existait une déclaration de 1617 des pièces de terre soumises à la 11 e gerbe et les deux pièces

LE PRODUIT D E

LA

DÎME

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une ferme 1 ; faubourg Saint-Marcel : 6 gerbes l'arpent pour les te héritages » du couvent de Saint-Victor mais 4 gerbes pour les terres appartenant à d'autres propriétaires 2 . A l'origine de ces discordances se rencontraient le plus souvent, soit des arrangements particuliers : à Puisieux, par exemple, la ferme du Petit-Poligny était franche de dîme, mais payait par abonnement chaque année 1 muid de grain (8 setiers à l'abbé de Chaage et 4 setiers au curé de Puisieux) en vertu d'une convention mentionnée dans les baux à partir de 1583 3 , soit des règles implicitement admises comme celle qui voulait que les parcelles chargées d'un champart très lourd ne paient qu'une portion de dîme : à Moussy-le-Neuf, sur les terres sujettes au champart, on ne levait que demi-dîme, il y avait même des pièces « où l'on ne prend rien, parce qu'ils doivent 18 gerbes de champart par cent, ce qui fait beaucoup de tort à la dîme » 4 . A Goussainville, à Yilliers-le-Sec s'était établie toute une échelle allant de la pleine dîme à la franchise totale 5 . Par contre, à Marcilly, le champart, qui était léger (2 gerbes du cent), s'ajoutait à la dîme (qui était lourde : 10 e gerbe) 6 . Deux types d'erreurs sont possibles : a) Le taux de la dîme a pu changer à travers les siècles. Partout où les t a u x rencontrés au x v m e siècle sont lourds : 13 e , 11 e , 10 e gerbe, il y a peu de chances pour que la dîme ait été encore plus lourde à une époque antérieure ; aucun exemple de dîme qui soit allée en s'appesantissant. Mais il n'est pas exclu que les dîmes plus légères de 5 et 6 gerbes sur 100 dans la plaine de France, de 4 gerbes par arpent au sud de Paris ne soient le terme d'une évolution. Cette évolution est attestée dans deux cas : à Villiers-le-Sec la dîme se payait au X V I I I e siècle à raison de 5 gerbes du cent ; le t a u x montait à 6 du cent en 1619 et sans doute à 8 au x v i e siècle7 ; au Belloy et à Chennevières où existait un droit de suite réciproque

de terre en question n ' y étaient p a s comprises (ibid., T 1722 2 6 ). D ' a p r è s la déclaration de 1790 (S 458) on prélèverait une gerbe sur onze sur les terres qui ne p a y a i e n t p a s lods et ventes et 4 gerbes pour arpent sur les autres. 1. Ibid., S 458. 2. Ibid., P 159 1 : déclaration du temporel de l'église collégiale de Saint-Marcel de Paris du 7 septembre 1674. 3. Arch. dép. Seine-et-Marne, Hôtel-Dieu de M e a u x , I I B 33 et I I B 35 ; Comptes de l'HôtelDieu : passim. L e s dîmes du Petit-Poligny appartenaient à l ' a b b a y e de Chaage ; en 1574, elles étaient baillées à Nicolas Clément, fermier du Petit-Poligny pour le compte de l'Hôtel-Dieu de Meaux moyennant 12 setiers de grains dont 4 setiers à payer a u curé de Puisieux. C'est ce bail qui a servi de b a s e à la convention ultérieure (Arcb. dép. Seine-et-Marne, H 203). Il s ' a g i t de Puisieux en Seine-et-Marne, arr. M e a u x , c. Lizy-sur-Ourcq. 4. Arch. nat., S 3 4 3 » . 5. Pour Goussainville : ibid., S 457 et S 294 ; pour Villiers-le-Sec : S 420. U n e pièce de ce dossier note que quelques particuliers s'étant soustraits au c h a m p a r t , ont p a y é de n o u v e a u pleine dîme. B i e n entendu, la liste que nous donnons des exemptions pour c h a m p a r t est loin d'être exhaustive. 6. Arch. dép. Seine-et-Marne, G 43, p. 470. 7. Arch. nat., S 420 ; le t a u x de 8 gerbes p a r cent figurant dans une assignation signifiée à la requête du chapitre et de son fermier n'est mentionné que dans u n inventaire du x v m e siècle ; la pièce a disparu du dossier.

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M.

BAULANT

avec Villiers-le-Sec, le processus a pu être le même. Autre exemple : le 7 juin 1518, le chapitre renouvelait au fermier des dîmes de Guyancourt son bail pour 6 ans à charge de poursuivre à ses frais les habitants dudit lieu pour qu'ils paient 8 gerbes du cent comme les habitants des villages voisins. A la suite de quelque protestation (le fermier, les habitants ?), une nouvelle convention fut conclue le 18 : le bail était renouvelé au fermier pour 3 ans à charge de faire payer aux habitants « 8 gerbes par arpent et autres charges accoutumées ». A la fin du X V I I I siècle — les étapes intermédiaires nous restent inconnues — on ne percevait plus à Guyancourt que 3 gerbes par arpent1. Il n'est pas question de jeter la suspicion sur toutes les dîmes. Le taux de beaucoup d'entre elles est attesté depuis le début du X V I I siècle, parfois avant (1539 à Fresnes et Rungis)2. Sans doute un léger adoucissement dans l'interprétation de la règle est-il possible, çà et là, à la fin du xvin e siècle : à Chennevières par exemple, on prenait la dîme sur le pied de la 20e gerbe d'après une déclaration de 17283, de la 21 e d'après celle de 17904. Ce qui explique peut-être les variations rencontrées autour des taux classiques de la 13e gerbe (8 gerbes sur 100, ou sur 104, 105, 108)5 et de la 17 e (6 gerbes sur 100 ou sur 102 ou après le cent)6. Pourtant un rétrécissement caractérisé de la dîme a dû rester exceptionnel à l'époque moderne7, même à la charnière des xvi e et X V I I siècles où la perception ne s'est interrompue que peu de temps. Il est plus vraisemblable après la fin de la guerre de Cent Ans. Dans deux cas où nous connaissons le taux de prélèvement à une période ancienne : 11 e gerbe à Bagneux en 12688, 10 e gerbe à Lardy en 13539, il est sensiblement plus élevé qu'au X V I I siècle : 4 gerbes par arpent dans l'un et l'autre cas. Par conséquent, peuvent être incorporées sans arrière-pensée à un indice régional les dîmes lourdes, celles dont — à coup sûr — le taux s'est maintenu et celles qui — à coup sûr — ont fondu, à condition de pouvoir E

E

E

E

1. Ibid., LL 133 et S 457. 2. Mentionné dans les baux de 1539,1576,1584, et dans tous les baux de 1600 à 1767. 3. Arch. nat., S 7535 : déclaration de M. Jarlier, curé de Chennevières-en-France, du 14 juin 1728. 4. Ibid., S 457. 5. Entre autres, 8 gerbes sur 100 à Wissous (pour les grains) et Sarcelles, sur 104 à Vernou, sur 105 à Wissous (pour la luzerne), sur 108 à Damart. (Sarcelles : ibid., S 382 ; les autres taux : S 457 et 458.) 6. Entre autres, 6 gerbes sur 100 à Moussy-le-Neuf, Tremblay, La Queue-en-Brie ; 6 gerbes sur 102 à Mitry, Mory et Compans; 6 gerbes après le cent à Sucy et Noiseau (Mitry : ibid., S 329 ; les autres taux : S 457 et 458). 7. Pour le x v i e siècle, il est souvent impossible de constituer des séries à partir des dîmes appartenant au chapitre Notre-Dame de Paris ; à ce sujet, cf. infra, art. DESAIVE, p. 44. Par ailleurs, parmi les dossiers épluchés, le seul dîmage rencontré, outre Villiers-le-Sec et Guyancourt, où le taux de prélèvement semble avoir diminué est celui de Moussy-le-Neuf. Au XVIIIE siècle, le taux y est de 6 gerbes du cent, mais un inventaire des titres de 1270 à 1664 mentionne un exploit d'ajournement aux Requêtes du 31 août 1574 à Antoine Le Coincte, laboureur à Vémars, pour raison de la dîme d'une pièce de terre à Moussy-le-Neuf à raison de 8 gerbes du cent. Là encore, la pièce originale manque (Arch. nat., S 343 D ).

8. Ibid., S 167.

9. Ibid.,

S 317 A .

LE

PRODUIT

DE

LA

DÎME

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rétablir leur produit si elles étaient demeurées à un t a u x constant 1 . Pour les autres, si l'examen des dossiers 2 ne nous a rien appris, on peut tenter un test de concordance avec les séries les plus assurées ; même s'il n'est pas entièrement probant, il permettra cependant d'éliminer quelques séries particulièrement aberrantes 3 ; pour celles qui résistent à l'expérience, il reste la possibilité de calculer une fourchette : à supposer qu'une dîme sur 8 ou sur 104 soit passée de la 13 e gerbe à la 20 e gerbe, ce qui, pour la région, semble une hypothèse maxima 5 , l'erreur possible serait de 6 à 8 % si toutes les dîmes nous étaient inconnues, marge plus ou moins réduite par le nombre de dîmes bien connues entrant dans le calcul de l'indice. b) Dans tous les terroirs où la dîme n'est pas proportionnelle à la récolte mais à la surface cultivée, il n ' y a pas — à proprement parler — de risque d'erreur (sauf celui d'y voir une dîme partiaire) mais impossibilité de conclure : dans ce cas, il devient illusoire de demander aux courbes décimales de refléter la production. Leur examen, pourtant, est au premier abord troublant. P a r moments, durant la première moitié du x v i i e siècle notamment, leur parallélisme avec des courbes de dîmes à la quotité est f r a p p a n t ; les deux catégories de courbes divergent ensuite si bien que l'appartenance d'une dîme à l'une de ces familles se distingue au premier coup d'œil 6 . Cette ressemblance passagère n'est cependant pas inexplicable, des deux facteurs concourant à une augmentation de la production, le premier : l'amélioration du rendement ne peut laisser de traces dans ce genre de dîmes, l'autre au contraire : l'extension des emblavements apparaît d ' a u t a n t mieux que la dîme n'est pas abonnement, elle est perçue sur les terres réellement ensemencées et portant récolte chaque année, comme en témoigne ce procès-verbal de 1631 qui nous montre les pertes du fermier du chapitre Notre-Dame à La Norville, mal payé de son droit de dîme parce « qu'il n ' y a — dit le procès-verbal — en la présente année que environ le tiers de ce qui debvroit estre ensemencé sur led.[it] territoire » 7 . 1. C'est-à-dire, de pouvoir dater avec un minimum de précision leurs taux successifs. 2. Cet indispensable examen n'entraîne qu'un léger surcroît de travail, les dossiers en général bien classés, bien écrits se parcourent rapidement. Malheureusement, dans un certain nombre de cas — pour les dîmes du chapitre cathédral de Meaux par exemple — les dossiers sont inexistants, ou squelettiques, ou muets sur le taux de la dîme. 3. Quelles que soient les raisons de leur anomalie. 4. Les chances sont plus ou moins grandes suivant les régions ou les décimateurs ; les dîmes de Vémars ou de Belloy-en-France, par exemple, sont plus suspectes que celles de Chambry ou de Penchard. 5. Il semble difficile de croire que les courbes ne trahissent pas une dévaluation supérieure. 6. A c e s u j e t , c f . infra,

a r t . DESAIVE, p . 4 4 .

On peut donc, sans optimisme excessif, espérer éliminer toutes les dîmes à l'arpent, soit par examen des dossiers, soit par l'observation des graphiques. 7. « Tant en bledz que mars, d'autant que la plus grande partye des terres n'ont peu estre ensemencés en bled ou mars à cause des grandes eaues quy sont survenuz tant en la saison des bledz que depuis et aussy que les bledz ensemencez ayant esté noyez, les propriétaires ou fermiers les ayant fait labourer et semé en mars, n'ont peu lever à cause des eaues et de la saicheresse survenuz » (Arch. nat., S 343 e ).

30

M.

BAULANT

En outre (la remarque ne vaut pas pour La Norville où la dîme du vin appartient au curé, mais elle peut compter pour Bagneux où le vignoble est important), si l'on dîme à l'arpent grains et fourrages, la dîme du vin est presque toujours proportionnelle à la récolte 1 . Dans tous les cas, il faut éliminer ces dîmes ambiguës des calculs concernant la production tout en retenant le témoignage qualitatif qu'elles peuvent porter sur certaines périodes de prospérité ou de stagnation. Je n'ai pas pu vérifier si ces dîmes existent très tôt : on les trouve un peu partout attestées au début du X V I I E siècle (Bagneux, 1598 ; Lardy, 1606 ; La Norville, 1631) 2 . Yvonne Bézard mentionne le cas de Yanves où, au X V I E siècle, les décimables devaient 4 gerbes par arpent à la demoiselle de Vaudetart qui y possédait des dîmes inféodées 3 . La plupart doivent apparaître à la fin du x v e siècle ou au début du X V I E ; à Bagneux, selon un mémoire de 1765, dès 1452 un procès sur le taux de la dîme était en cours et sans qu'aucune décision judiciaire ait été prise, l'usage de payer la dîme à l'arpent se serait consolidé au cours du x v i e siècle à la faveur des baux viagers accordés à des chanoines et — dit le mémoire — en raison du grand nombre « d'abonnements particuliers en argent pour la dixme » 4 . Matière de la dîme. En règle générale dans la région parisienne les dîmes des gros fruits (céréales, vin) appartenaient aux gros décimateurs tandis que revenaient aux curés les menues dîmes (agneaux, cochons de lait, oisons et autres animaux domestiques « qui croissent dans les cours des habitants »), les vertes dîmes (pois, fèves, vesces, dragée, lentilles et sans doute chanvre) et les novales. C'était une règle générale, mais qui souffrait d'innombrables exceptions : —• à Achères, le chapitre Notre-Dame de Poissy avait la dîme de tous 1. Seule exception rencontrée : à Sucy-en-Brie, le droit de dixmes sur le vin est à 12 pintes l'arpent en 1710 « sur les héritages situez dans les cantons désignés par la sentence du 7-9-1674 » (ibid., LL 345, f° 52). 2. Ibid., S 162, S 317A, S 343E. 3. Y. BÉZARD (La vie rurale dans le sud de la région parisienne de 1450 à 1560, Paris, 1929, p. 289) signale aussi les protestations des habitants de Châtenay et de Bagneux qui, dès 1446, trouvaient que la 11e gerbe exigée par le chapitre Notre-Dame était une charge trop lourde et ne voulaient donner que 4 gerbes par arpent. Les travaux de J. Jacquart sur le Hurepoix nous apporteront plus de lumière sur ce point. 4. Arch. nat., S 167. A coup sûr, ces dîmes à l'arpent exercent un vif attrait sur les habitants des villages voisins : à Fresnes et à Bungis où le taux est de 7 gerbes sur 100, certains prétendent ne payer la dîme qu'à raison de 4 gerbes à l'arpent (cf. P. GAGNOX., op. cit., p. 330). En 1789, plusieurs paroisses expriment le vœu de ne payer la dîme qu'à ce taux : à Chartres-en-Brie, à Grez, à La Houssaye et à Tournan, Brie-Comte-Robert est le modèle envié ; à Chevilly et à L'Hay, on observe que la dîme de 7 gerbes du cent charge les habitants de 15 à 18 gerbes par arpent de plus que leurs voisins (ibid., p. 330). A Wissous, dès 1789, les habitants font signifier aux chanoines qu'ils n'entendent payer la dîme qu'à 4 gerbes de l'arpent au lieu de 8 du cent (Arch. nat., S 458). Bien entendu, cette généralisation de dernière minute n'altère en rien les courbes décimales ; elle est intéressante parce qu'elle révèle combien ce type était courant au sud de Paris ; elle nous montre aussi que, jusqu'en 1789, les décimateurs ont su résister aux pressions des décimables.

L E P R O D U I T D E LA

DIME

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charriages et lainages : veaux, cochons, agneaux, oisons, dindons, canards, toisons, mouches à miel1 ; — à La Norville, le chapitre Notre-Dame dîmait les grains, pois, fèves ainsi que les sainfoin, luzerne et bourgogne, menues et vertes dîmes ; le curé avait le vin, la filasse et le charnage 2 ; — à Bagneux, les menues dîmes appartenaient au chapitre comme les grosses3 ; — l'abbaye de Saint-Denis prélevait la dîme de cc poireaux, naveaux et autres verdurages » à L a Courneuve et Crèvecœur, celle des grains, foins et légumes à Pierrefitte et Villetaneuse 4 . E n fait, dans les paroisses à dominante céréalière très accusée où les gros décimateurs abandonnaient d'assez bonne grâce au curé la dîme des choux ou des navets, où tous les changements se réduisaient à l'éventuelle mise en culture de quelques arpents de pré ou de bois taillis 5 , ces minuties sont sans grande conséquence mais tous les villages n'avaient pas une vocation aussi affirmée. Dès le X V I I e siècle, dans les banlieues, surtout dans la proche banlieue de Paris, les maraîchages remplacèrent les labours et même parfois les vignes. Or, dans beaucoup de terroirs les dîmes vertes et menues dîmes se payaient en argent à tant l'arpent 6 . Fort révélateur à cet égard est le procès qui éclata, au milieu du x v n e siècle, entre habitants et décimateurs de Montreuil-sous-Bois (curé, religieux minimes de Vincennes, chapitre Notre-Dame) 7 , à cause des changements apportés par les habitants dans la culture de leurs terres « autrefois ensemencées en grain et plantées en vignes... à présent ensemencées et plantées en asperges, fraises et framboises qui se cueillent en verd », bon prétexte pour en refuser la dîme. E n 1668-69, on aboutit à un accord : les habitants paieraient 40 sous par arpent planté en fraises, framboises ; pour les terres ensemencées en pois et fèves, ils auraient le choix entre le paiement des 40 s. par arpent ou l'obligation de laisser un canton de pois et fèves

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i Cambrésis appartenant au chapitre de Saint-Géry (compte tenu des arrérages et des rabais), te, en muids de Saint-Géry et de Cambrai.

1740/1

1750/1

1760/1

1770/1

1780/1

1790/1

GRAPHIQUE E.P.H.E.

6!

L E P R O D U I T D E LA D Î M E

nnée-Récolte

« Blés »

« Avoines »

Année-Récolte

« Blés »

1599-1600 1600-01 1601-02 1602-03 1603-04 1604-05 1605-06 1606-07 1607-08 1608-09 1609-10 1610-11 1611-12 1612-13 1613-14 1614-15 1615-16 1616-17 1617-18 1618-19 1619-20 1620-21 1621-22 1622-23 1623-24 1624-25 1625-26 1626-27 1627-28 1628-29 1629-30 1630-31 1631-32 1632-33 1633-34 1634-35 1635-36 1636-37 1637-38 1638-39 1639-40 1640-41 1641-42 1642-43 1643-44 1644-45 1645-46 1646-47 1647-48 1648-49 1649-50 1650-51 1651-52 1652-53

66 89 116,5 124,5 131 132 132 134 122,5 114 134 130 136,5 127 134 135 135 119 144 138 146 140,5 135 131 141 134 134 140,5 135 137,5 140,5 140 121,5 152 146,5 137 115,5 98 68 68 65 68 40,5 53 72 68 81 75 74 70 0 18,5 23,5 43,5

35 50,5 69 76 71,5 79,5 85,5 87 80 85 84,5 79,5 82 77,5 78,5 80,6 67 86 79,6 80,5 81,5 78,5 82,5 77 79,5 79 76 79 77 77 80 84,5 80 80,5 86 80,5 48,5 33,5 27 22,5 21 13,5 14,5 27 26,5 31 30,5 33 34,5 22,5 0 16 7,5 14,5

1653-54 1654-55 1655-56 1656-57 1657-58 1658-59 1659-60 1660-61 1661-62 1662-63 1663-64 1664-65 1665-66 1666-67 1667-68 1668-69 1669-70 1670-71 1671-72 1672-73 1673-74 1674-75 1676-76 1676-77 1677-78 1678-79 1679-80

51 60,5 28,5 27,5 12,5

15 11,5 13 11 5

18,5 39 92 97,5 85,5 121 98 111 83,5 87 98 79 92 128,5 99 87,5 98 41,5 77 121,5 117

8 37,6 34,5 61,5 65,5 63,5 69 59,5 27 46 34,5 43 56,5 38 49,5 35 47 12,5 22 42,6 61

1700-01 1701-02 1702-03 1703-04 1704-05 1705-06 1706-07 1707-08 1708-09 1709-10 1710-11 1711-12 1712-13 1713-14 1714-15 1715-16 1716-17 1717-18 1718-19 1719-20 1720-21 1721-22 1722-23 1723-24 1724-25 1725-26

155 151 155 156 152 149 153 147 147 103,5 114 102,5 50 94,5 125,5 151,5 146 146 137,5 146 154,5 156,5 162 170 172 164

78,5 78,5 75 78,5 77,5 73 76 77 77

« Avoines

69 11,5 9 66,5 77 79,5 80 79,5 78 54,5 79 78 80,5 76 82,5 81 5

66

H. NEVEUX

Année-Récolte

« Blés »

« Avoines »

Année-Récolte

« Blés »

« Avoines »

1726-27 1727-28 1728-29

159 172,5 160

76 82,5 76,5

1733-34 1734-35 1736-36 1736-37 1737-38 1738-39 1739-40 174041 1741-42 1742-43 1743-44 1744-46 1745-46 1746-47 1747-48 1748-49 1749-50

167,5 163

80,6 78,5

164 162 161,5

80 83 79,5

175 180 181,5 183,5 179,5 192 192 192

91,5 160 164,5

80,5 79 80,5

171 173

81,5 82,5

138 (?) 185,5 185,5 192 193 191 191 190 195 197,5 197,5

80,5 82,6 81,5 82,5 82,5 81,6 80,6 83 82,5 75 82,5 82,5 81,5 82,5 82,5 82,6 82,6 82,5 82,5 83,5

1762-53 1753-54 1754-55 1755-56 1756-57

169,5 171,5 172,6 169,6 171,5

1760-61 1761-62 1762-63 1763-64 1764-65 1765-66 1766-67 1767-68 1768-69 1769-70 1770-71 1771-72 1772-73 1773-74 1774-76 1775-76 1776-77 1777-78 1778-79 1779-80 1780-81 1781-82 1782-83 1783-84 1784-86 1785-86 1786-87

201 215 207,6 224 225 225

83,5 86,5 89,5 89,5 89,5 91,5

81 79,6 82 81,5 80,5 81,5 81,5 80,5

JOSEPH

RUWET

Pour un indice de la production céréalière à l'époque moderne : la région de Namur

Il n'est pas toujours facile de démêler l'écheveau des productions agricoles sous l'Ancien Régime et d'identifier tous les fils qui le composent. D'en prendre une mesure l'est beaucoup moins encore, comme aussi de suivre leur évolution. Qui pourra chiffrer le produit des élevages bovin, ovin et porcin? Comment évaluer l'importance du fromage, du beurre, des œufs, des fruits, voire des légumes dans le budget d'un ensemble d'exploitations pour lesquelles aucune statistique n'a été dressée, aucune comptabilité tenue ou conservée ? On trouvera certes, de-ci de-là, des données fragmentaires, disparates et momentanées. Mais pour reconstituer de véritables séries, il n'est guère de sources directes. Et les moyens indirects d'approche ne valent que pour quelques produits souvent secondaires (laines, agneaux, etc.). Sans doute dans des régions naturelles telles que la Hesbaye et le Condroz, ce ne sont pas là les postes les plus importants d'une production agricole qui est habituellement considérée comme essentiellement céréalière. Sont-ils pour autant négligeables ? Il n'est pas sûr non plus qu'au cours de l'époque moderne leur importance respective n'ait pas varié. En ne retenant ici que le produit de la culture céréalière, le seul qui paraisse accessible globalement, on s'interdit donc des conclusions non seulement sur la production agricole totale, mais aussi sur la place qu'occupent les cultures vivrières dans l'économie rurale. Notre objectif immédiat est d'ailleurs plus limité. On se propose d'étendre l'aire géographique d'une enquête commencée dans la principauté de Liège 1 . On voudrait combler des lacunes d'informations et trouver par extrapolation des tests de valeur pour des données déjà réunies, principalement pour le xvi e siècle, soit dans une période où les contrôles à partir des comptes de récoltes étaient impossibles dans le 1. J . RUWET, « Mesure de la production agricole sous l'Ancien Régime » , Annales, 1964,19 e année, 4, pp. 625-642.

E.S.C.,

68

J.

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Exploitations : Ponty : Bougt Simili» : Mont Wiz : Wiirda Huy V'Bonntvilli Chitaau J 20 km Trahit : Villars-laz-Heait

FIG. 1. — Croquis de localisation*.

pays de Liège. On tentera par la même occasion d'esquisser, pour les campagnes hesbignonnes et condrusiennes du pays de Namur, l'évolution générale de la production céréalière du xvi e au X V I I I e siècle. A plus longue échéance, on espère déborder ces cadres et récolter assez de renseignements chiffrés pour dresser un atlas des zones de production du blé dans les campagnes des anciens Pays-Bas. Puisque ce genre de curiosité est relativement nouveau, les problèmes de méthode et du choix des sources prennent le pas sur les commentaires des résultats. L'historien sait qu'il n'existe pas de source parfaite, que la bonne source est rare et que, dans la meilleure hypothèse, celle-ci ne permet de saisir qu'une réalité trop exiguë ou dans un temps trop court. Il en est réduit la plupart du temps à choisir parmi les sources les moins mauvaises celles qui, plus nombreuses, augmentent son champ d'observation géographique et chronologique. Depuis qu'il a commencé à découvrir les secours que la statistique peut lui porter, il s'est fait moins sévère à l'endroit de données qu'il aurait écartées auparavant. * Ce croquis ainsi que les Graph. 13-15 ont été réalisés par l'auteur. [N.d.l.R.]

LE PRODUIT DE LA

DÎME

69

L a méthode et la sélection des sources seront dictées par le souci de cumuler les avantages de la précision détaillée que fournit la micrographie et de la vérité statistique qui émerge forcément d'un grand nombre de séries de données plus grossières mais fondues. D e celles-ci, on espère une image moyenne et représentative de la région. D u travail à la loupe sur des aires géographiques réduites, on attend les nuances et aussi des confirmations. L a comparaison des résultats doit permettre de déceler et d'éliminer les accidents locaux et particuliers. Il v a de soi enfin que si les deux séries de résultats accusaient une contrariété tendancielle, il n ' y aurait plus grand-chose à en tirer. *

Comme il fallait s ' y attendre, les sources directes ne sont pas nombreuses. Elles concernent deux censes hesbignonnes et quatre condrusiennes. E t encore, les informations directes sur le volume des récoltes sont-elles loin de couvrir toute l'époque moderne, dans chacune des exploitations. Quant a u x sources indirectes, on n'a pas trouvé trace de comptes de dîmes perçues directement en nature par le décimateur. E t surprise plus gênante, de celles qui furent affermées au plus offrant, les belles séries, auxquelles les chapitres de la cathédrale et des collégiales de Liège nous avaient habitués, sont moins longues, plus hétéroclites et moins bien conservées. S'il s'avère impossible de les fondre en une série unique pour les trois siècles d'Ancien Régime, on essayera pourtant de les utiliser séparément, moyennant des précautions critiques supplémentaires et après un triage plus sévère. Affermée au plus offrant au moment où la moisson est bien visible (en juin ou dans la première quinzaine de juillet), la dîme ne traduit pas exactement une quotité de la récolte. Elle est une rente foncière versée au décimateur. L e profit du fermier de la dîme naît de la différence entre cette rente et la dîme effectivement p a y é e par les paysans. Or ce profit reste inconnu. Utiliser la rente foncière comme indice de l'évolution de la production agricole repose donc sur une hypothèse assez contestable, selon laquelle la proportion prélevée par le fermier pour son profit demeure constante dans l'ensemble des quantités réellement payées. E n outre, les rabais consentis certaines années au fermier pour faits de guerre, intempéries ou mauvaises récoltes constituent toujours des amputations de la rente ; mais ils ne coïncident pas nécessairement ni exactement avec la baisse des quantités produites ni avec la perte de profit du fermier. L e rabais est une donnée mixte, sans qu'il soit possible de chiffrer ses deux composantes. Il n'empêche qu'il v a u t mieux tenir compte de tous les rabais dans l'établissement des séries. L e montant de la dîme affermée d'une seule paroisse peut fournir une première approche de l'évolution générale de la rente foncière dans la localité et, peut-être mais de façon plus approximative, des quantités pro-

70

J.

RÏÏWET

duites. Il faut pour cela que le taux de la dîme soit resté inchangé, ce qui paraît le cas des échantillons retenus. Seule la comparaison de plusieurs séries de dîmes mettra en lumière les accidents locaux et les tendances dominantes au plan régional. Après avoir rassemblé et passé au crible une trentaine de grosses dîmes paroissiales — les « menues dîmes » étant écartées d'office —, on a dû en éliminer la plus grande partie, dont les séries étaient par trop lacunaires, pour lesquelles il n'était pas certain qu'elles avaient été affermées au plus offrant ou dont on n'avait pu établir qu'elles frappaient les mêmes superficies pendant toute la période envisagée. Sept seulement ont mieux résisté à la critique (Tabl. 1). TABLEAU

Localisation Sclayn-Bonneville 1 1 Ohey Strud Fleurus Ambresinb

Décimateur Souverain

1

Portion de grosse dtme

Nature

1/2

du

paiement

« Tiercé »*

1/4 Chapitre de Sainte-Begge à Andenne

1

P a r t i e en espèces, p a r t i e en n a t u r e

Burdinne Thisnes * Soit 2/3 épeautre et 1/3 avoine. Sources : a. A.G.R.B., Chambre des Comptes, domaine de Samson, Beauffort et Wasseiges, reg. 11.20911.377 ; domaine de Bouvigne, Poilvache et Montaigle, reg. 10.508-10.510 et 10.697 ; domaine de Fleuras, reg. 10.845-10.899 et 10.902-10.908. b. A.E. Namur, Archives ecclésiastiques, comptes du chapitre d*Andenne.

L'expression commune choisie est l'épeautre qui, dans la région namuroise, apparaît le plus fréquemment. Les réductions en épeautre sont basées sur le rapport des prix de chaque céréale et de l'épeautre. Le rapport est établi à partir des moyennes mobiles de 9 ans (4, 1, 4) (cf. Graph. 13, infra, p. 75). L a souplesse et la sensibilité des courbes sont évidemment fonction de la variabilité des valeurs. Elles augmentent avec la fréquence des données, différentes chaque année. Elles diminuent avec le nombre de baux contractés pour plusieurs années consécutives et avec l'allongement de la durée de ces baux. Les valeurs retenues sont celles qui ont été effectivement payées et non celles que prévoyaient les termes du bail. Ainsi, dans le cas d'une dîme affermée pour 9 ans, si le décimateur consent une réduction au fermier la troisième année, on a considéré trois valeurs distinctes, qui couvrent respectivement 2, 1 et 6 ans. On a procédé de même façon pour les loyers des censes (Tabl. 2 et 3).

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BEATRICE

VE YRA S S A T - H E R R E N

Dîmes alsaciennes

A ce stade, il ne saurait être question d'une enquête systématique. Deux démarches concurrentielles s'offraient : aller dès l'abord au plus précis du sujet et en asseoir l'étude sur un cas particulier, ou accumuler les séries décimales pour les proposer à la comparaison interrégionale, provisoire synthèse. J'ai retenu cette deuxième perspective. M'y incitait l'envoi massif de comptabilités bâloises par M. l'Abbé J . Perrin, d'Enschingen (Haut-Rhin) ; des séries denses et nombreuses allaient témoigner de la production agricole en Haute-Alsace. Hypothéquées sans doute par les lourdes investigations qu'elles nécessitent encore... mais quelques courbes seraient là. Raccourci superficiel, cependant l'ouverture d'un dossier graphique national ne peut que susciter les hypothèses de travail et préciser les méthodes d'une seconde phase de recherche.

LES

SOURCES

Dans dix-huit villages du Sundgau oriental, central et du Jura français, année après année, pour une période de trois siècles, M. Perrin a récolté le produit décimal en nature de diverses communautés alsaciennes et surtout bâloises, communautés ecclésiastiques ou laïques1. Notons que celles-ci prédominent parmi les décimateurs retenus pour l'étude, car les couvents de Bâle passèrent presque tous à la ville lors de l'introduction de la foi réformée (1529). Il s'agit en l'occurrence de dîmes semi-réelles, c'est-à-dire mises aux enchères publiques. Ainsi les comptes font généralement apparaître les recettes annuelles amputées du profit de l'enchérisseur (cf. infra, p. 84 : « Mode de perception »). 1. M. PEHBIN, très aimablement, a communiqué au Centre de Recherches historiques de l'E.P.H.E., VI E Section, ses dix-huit séries de chiffres, accompagnées de précieux éclaircissements (géographiques, historiques, métrologiques, etc.) et de toutes références utiles.

84

B.

VEYRASSAT-HERREN

Les principales sources de M. Perrin sont les documents comptables des anciens couvents de Bâle (Saint-Alban, Gnadental, etc.) conservés aux Archives d'Etat de cette ville. Quelques séries de l'ancien Evêché de Bâle, à Porrentruy, les complètent1. La multiplicité des sources a produit des séries doubles, vexatoires quand les données parallèles ne concordent guère2. Néanmoins, dans l'ensemble des sources utilisées, se dessine une remarquable homogénéité. Faveurs documentaires sur lesquelles se greffe une continuité sérielle tout aussi remarquable. Un début de X V I E siècle généralement criblé de lacunes (révoltes antidécimales, perte des registres ou désordres provoqués par la substitution d'une administration laïque à l'administration ecclésiastique ?) ; cependant, dès 1530, une cadence annuelle, régulière jusque dans la dernière décennie du x v m e siècle, interrompue çà et là par l'absence insignifiante de quelque notation annuelle. Voilà un premier acquis. C'est, hélas, l'écume des choses... un stade bien superficiel dans la connaissance des mouvements de la production d'une région ; car il manque encore de précieux paramètres : constance de l'assiette décimale ou variation des terrois dîmés ? Invariabilité du taux de prélèvement ou perturbation ? Il faudrait établir ces quelques séries interlocales sur un terrain plus solide, soit élucider principalement, pour toute la période envisagée, le problème des superficies soumises à la perception.

L A DÎME DANS DIX-HUIT VILLAGES D E

Mode de

HAUTE-ALSACE

perception.

La dîme y est généralement affermée par voie adjudicative au plus offrant, chaque année — rarement pour trois ou six ans 3 . Il est rare aussi que la perception indirecte s'efface devant la régie directe. Toutefois, pour quelques villages (Stetten, Kappelen et Brinckheim), le passage d'un système à l'autre s'est produit assez fréquemment. Dans une perspective courte, cela fausse sans doute les courbes, car — en temps normal — les recettes sont évidemment plus élevées si la communauté fait ramasser la dîme par ses propres administrateurs, ce qu'elle juge nécessaire chaque fois que les dîmeurs offrent trop peu à son goût. Par ailleurs, la régie directe devient la règle pendant les désordres de la guerre de Trente Ans. Ce mode de perception entraîne des frais assez élevés (salaires pour ramassage et battage, parfois incorporés dans le chiffre des recettes, parfois non...). Il n'est pas possible d'en établir le coût avec préci1. 2. sentés 3.

Cf. les références précises en annexe, infra, pp. 101-102. Quelques hésitations surgissent ainsi pour certains villages du Sundgau central, reprédans le Graph. 18, infra, pp. 92-93. Ce qui se traduit dans les courbes par quelques moments horizontaux.

L E PRODUIT D E LA

DÎME

85

sion 1 , non plus que de calculer le profit du dîmeur en cas d'adjudication. Ainsi, dans les trois séries mentionnées, se juxtaposent produit décimal net (dîme ramassée par le décimateur même, frais déduits), produit décimal brut (frais non déduits) et recettes d'adjudications (dîme brute, moins le profit revenant au dîmeur). Tout cela est certes gênant. De plus, est-il interdit de supposer que le profit relatif des adjudicataires ait varié — non seulement d'une année à l'autre, mais encore à plus long terme? On suppose rigoureux le contrôle annuel de la récolte par le décimateur ; et ce doit être une règle générale sans doute. Mais est-ce toujours le cas ? (Cf. infra, p. 94.) Quelques sondages sur les circonstances et les conditions d'affermage (concurrence entre offrants, par exemple) seraient bien utiles, car ils permettraient de confirmer, ou de nuancer, le caractère invariable de la relation suivante : profit net des décimateurs (généralement seuls chiffres envisagés ici)/prélèvement total sur les paysans. Céréales. Dans les dix-huit villages envisagés, la dîme se chiffre en grains, en diverses espèces de grains. Elle est généralement levée en épeautre 2 et en avoine — en seigle et en avoine dans les seuls cas de Niffer et de Kembs. Cependant d'autres céréales apparaissent parfois dans les registres ; en temps de guerre et à peu près chaque fois que le décimateur ramasse lui-même la dîme. On lui livre alors seigle, orge, méteil, petit épeautre et, en moindres quantités, divers légumes 3 . Les comptables bâlois ont pris le soin d'additionner ces diverses espèces sur la base de leur valeur relative (cf. infra : « Procédés comptables »). Par conséquent, les montants annuels de la dîme intègrent deux ou plusieurs céréales, et leur ventilation nous est dûment signalée. Belle constance dans les proportions ; l'épeautre occupe généralement les 2/3 du produit décimal, l'avoine 1/3 4 . Cet équilibre des trois céréales dîmées n'est perturbé qu'en cas de mauvaises récoltes ou de déprédations militaires. Procédés comptables bâlois. Pour additionner les différentes sortes de grains, les comptables ont imaginé de pondérer chaque quantité de céréales ou de légumes par leur valeur marchande relative et approximative, en leur affectant, à quantité 1. Le salaire des valets dîmiers semble très variable : l / 5 e , l / 6 e , 1 /14 e de la dîme, selon les cas. 2. Il s'agit d'épeautre en balle (Dinkel), c'est-à-dire non égrugé (ungerolh). L'égrugeage le réduit à 40 % de son volume initial ; on désigne par Kernen le gain proprement dit. 3. Lentilles, pois, fèves (Muess), vesces (Wicke), Batschi (mélange d'avoine, de vesces et de pois). 4. A Kembs et à Niffer, 50 % de seigle et 50 % d'avoine ; à ZSssingue, 50 % d'épeautre, 50 % d'avoine.

86

B.

VEYRASSAT-HERREN

égale, un certain nombre d'unités (Stück)1. Bien que le rapport de leurs prix demeure assez stable du xvi e au x v m e siècle, ce système de comptabilité est grossier. Par exemple, l'épeautre non égrugé vaut généralement davantage que le même volume d'avoine. Si dans la dîme la proportion des deux céréales se modifie (et c'est le cas pour Huningue où elle est de 50 % d'épeautre et 50 % d'avoine de 1529 à 1536 et, depuis 1537, de 2/3 épeautre et 1 /3 avoine), la dîme augmente •— ou diminue — en valeur sans que varie le nombre d'unités. Mesures. Variables d'un lieu à l'autre, elles posent de pénibles problèmes. Il faut d'abord distinguer entre Rittermass, Klostermass (mensura claustralis) et Biirgermass. La première compte en Viernzel (Vierntzel, Viertzel ; verencella) et, à Bâle, cette « mesure des Chevaliers » est légèrement supérieure à celle dite « des Bourgeois ». Celle-ci est pratiquée surtout dans le commerce, alors que celle-là vaut pour la perception de rentes foncières2. C'est en Rittermass que l'on calcule généralement les dîmes bien que cela soit rarement indiqué dans les documents. Cependant ce principe souffre quelques déviations ; dans les comptes décimaux de Huningue, Kembs, Niffer et Hegenheim, le Rittermass semble se réduire, dans la pratique, au Biirgermass3 ; on l'utilise également pour les dîmes de Zässingue alors que la grande mesure prévaut dès 1500 à Stetten, Brinckheim et Kappelen (avant, petite mesure). Ainsi, éclaircissements et vérifications s'imposent encore. L'idéal serait de transformer en hectolitres toutes les quantités de céréales. Mais sait-on si cela est possible ? Pour l'établissement des graphiques, j'ai tenu compte de toutes les 1. 1 Viernzel d'épeautre (non égrugé).. 1 — d'avoine — de petit épeautre 1 1 — de seigle 2. 1 Viernzel 1 sac (8 Sester)

1 Stück 1 — 1 — 2 —

1 Viernzel de blé 1 — d'orge 1 — de légumes..

Rittermass

Bürgermass

290,394 1 143,197 1

273,314 1 136,657 1

(6 Sester « Rittermass » = 17 Sester « Bürgermass

2 Stück 2 — 2 —

»)

Source : H. MULSOW, Mass und Gewicht der Stadt Basel bis zum Beginn des 19. 1910.

Jahrhunderts,

1 Vz = 16 Sester (boisseaux) : unité utilisée pour l'épeautre non égrugé et l'avoine. 1 sac = 8 Sester : unité utilisée pour le seigle, l'orge, le blé, les légumes. 1 Viertel = 6 Sester. Le Sester ou boisseau est une mesure très commune dans la région, dont la valeur varie entre 15 et 20 litres (environ 18 1 Rittermass bâlois, 17 1 Bürgermass bâlois). 3. Dans les comptes de la recette de Bâle de l'évêque (Ä.A. Évêché de Bâle), le Rittermass de Kembs est toujours converti en Bürgermass.

LE PRODUIT DE LA DÎME

87

indications réunies par M. Perrin, qui a tenté de résoudre ces problèmes aussi raisonnablement que possible. Les courbes

décimales.

Elles sont construites à l'aide des « unités » comptables définies ci-dessus et représentent par conséquent l'évolution commune des trois principales céréales (épeautre, seigle et avoine). Sundgau

oriental.

(Huningue, Kembs, Niffer, Hegenheim, Kappelen, Stetten, Brinckheim, Zässingue, Jettingen) Les quatre premiers villages sont situés en bordure du Rhin sur un sol d'argiles alluviales récentes (cf. Graph. 16) ; Kappelen, Stetten et Brinckheim à une quinzaine de kilomètres de Bâle 1 ; Zässingue et Jettingen à 20-22 km de cette ville (cf. Graph. 17) sur les plateaux lœssiques du Sundgau oriental : sols très favorables à la culture céréalière. Les dîmeries ont pu varier, mais les documents utilisés le signalent dûment, ce dont j'ai tenu compte dans la réalisation des graphiques2. Le signalent-ils toujours ? Des obscurités subsistent 3 . D'autre part, Louis X I V chargea Vauban de construire, dès 1678, une forteresse sur le territoire de Huningue, à côté de l'ancien village. Celui-ci fut démoli et ses habitants transférés à Saint-Louis et à Neudorf (Village-Neuf de Huningue). Frustrés de 500 journaux de terres, ils en défrichèrent de nouvelles, exemptes pendant douze ans de la dîme. Il y a là une brutale perturbation dans le territoire dîmé qui empêche une lecture rigoureuse de la courbe. Quelle est la proportion des terres perdues lors de cette construction ? Et que représentent les dîmes novales (Village-Neuf) dès leur perception par la ville de Bâle ? Sundgau

central.

C'est d'un terrain moins fertile qu'il s'agit ici : les plateaux calcaires où s'inscrivent les vallées de l'IIl (Hirsingue, Henfiingen, Grentzingen, Oberdorf, WaldighofFen) et de la Largue (Hindlingen) sont recouverts d'un lœss lehmifié, plus argileux que celui du Sundgau oriental. Les villages contigus de Henfiingen, Grentzingen, Oberdorf et Waldig1. Ces trois villages voisins furent longtemps groupés en une seule paroisse, si bien que leurs chiffres respectifs n'étaient alors pas indiqués dans les registres. 2. Dès 1673, par exemple, Saint-Alban ne touche plus que la moitié de la dîme de Jettingen, alors qu'il en possédait les 3/4 auparavant. Dans la courbe, la proportion des 3/4 est maintenue. 3. A Kembs et à Niffer, formant longtemps une seule paroisse, la ville de Bâle (monastère de Saint-Alban) avait droit au 1 /4 de la dîme. Mais elle levait encore une dîme spéciale sur certains biens nommés Montagsgüter (20 journaux). Celle-ci ne se distingue clairement de la dîme ordinaire qu'en 1655 et 1674 ; serait-elle comprise dans le 1/4 ordinaire pour les autres années?

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1630

GRAPH. 16. —

hoffen furent longtemps groupés en une seule paroisse. J'ai établi une courbe unique pour les quatre, détaillant l'évolution particulière de deux d'entre eux, dès le milieu du X V I I e siècle (cf. Graph. 18).

1640

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LE PRODUIT DE LA DÎME

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Les courbes obtenues sont d'autant plus intéressantes qu'elles sont doubles : l'une représente le revenu décimal du monastère Sainte-MarieMadeleine de Bâle (sécularisé), possédant une moitié du droit de dîme

90

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LE PRODUIT DE LA DIME

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Sundgau oriental.

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L E P R O D U I T D E LA D Î M E

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94

B.

VEYRASSAT-HERREN

dans les quatre villages ; l'autre, le revenu de Saint-Ulrich sur la Largue, bénéficiaire du quart de la dîme1 dans ces mêmes villages. A Hindi in gen, le produit décimal se partage également entre deux communautés : Sainte-Claire de Bâle (1/4) et Saint-Ulrich (1/4). On constate dans ce dernier cas une différence de niveaux assez étonnante (alors qu'elle est pratiquement nulle ailleurs). L'impôt semble avoir été perçu avec moins de rigueur par le couvent bâlois (Sainte-Claire), mais la situation change apparemment lors de la création du Direktorium der Schaffneien2. Les courbes jumelles de Hindlingen esquisseraient-elles, au X V I siècle, une divergence tendancielle, ce qui serait grave pour notre objet ? Malheureusement, les lacunes sont trop importantes pour le déceler nettement. Il est évidemment dans l'intérêt des historiens d'observer de près — chaque fois que cela est possible — la (t politique décimale » du décimateur. Si celui-ci n'effectue pas régulièrement un contrôle rigoureux de la récolte, sa comptabilité risque de fausser notre image de la production céréalière locale. e

Alsace

méridionale.

Seuls trois villages nous la présentent : Kœstlach, Mœrnach (voisins formant longtemps une seule paroisse) et Réchésy (cf. Graph. 19), tous trois au pied du Jura, à quelques kilomètres de l'actuelle frontière suisse. Ici, c'est l'évêque de Bâle qui lève la dîme et son receveur de la circonscription de Porrentruy qui comptabilise3. Déployons, maintenant, l'éventail de ces courbes. Ce qui frappe dès l'abord, c'est une amplitude relativement faible de leurs mouvements jusqu'à la veille de la guerre de Trente Ans 4 . Les écarts sont beaucoup plus violents par la suite. De quel phénomène cela peut-il être le reflet ? Faut-il mettre en cause le système de culture, les troubles du X V I I et du début du X V I I I siècle (guerres de Trente Ans, du Palatinat, de Succession d'Espagne) ? e

e

1. L e s chiffres ont été doublés, ce qui permet de « coller » les courbes l'une sur l'autre. 2. Sorte de « Chambre des Blés » (Frucktkammer), chargée d'administrer les biens et revenus des anciennes institutions catholiques, sécularisées p a r la ville de Bâle. 3. Porrentruy a ses propres mesures : une petite mesure pour les céréales lourdes (blé, épeautre égrugé, seigle, orge), soit « petit bichot » , équivalent de 24 « petits boisseaux » ou « j é n a u x » (1 j é n a l = 17,5 1.) ; une grande mesure pour céréales légères (épeautre non égrugé, avoine), le « grand bichot » , c o m p t a n t 24 « grands boisseaux » ou « quartes » (1 quarte = 26,3 1.). N o s trois dîmes sont payées en bichots d'avoine et d'épeautre non égrugé ; la proportion des deux céréales demeure invariable j u s q u ' e n 1751 (moitié de l'une et moitié de l'autre p o u r Réchésy, 2/3 épeautre, 1/3 avoine pour K œ s t l a c h et Mœrnach). D è s 1752, cette proportion change et le paiement s'effectue désormais en avoine et « blé » (froment ou épeautre égrugé qui représente environ 40 à 45 % du volume de l'épeautre en balle, non égrugé ; aussi vaut-il d a v a n t a g e ; son prix est celui du froment). P o u r les additionner, M. Perrin a imaginé, selon le s y s t è m e des comptables bâlois, de pondérer les quantités de céréales, m a i s en t e n a n t compte, m i e u x q u e ceux-ci, de leur valeur marchande relative. Il a p u se baser sur les prix des diverses céréales t e l s que les ont enregistrés, pour le x v r a e siècle, les comptes des Archives de Porrentruy. 4. Cf. surtout Graph. 16 et 17.

LE

PRODUIT

DE

LA

DÎME

95

Je ne vais pas entrer ici dans des considérations de court terme, car une étude connexe serait alors nécessaire (système de culture : les fluctuations annuelles sont en partie fonction de l'assolement triennal — pratiqué dans le Sundgau alsacien — ; défrichements modifiant l'équilibre des soles, etc.). L'observation à long terme présente un intérêt plus immédiat. Une grande coupure fondamentale, se répercutant de courbe en courbe : la guerre de Trente Ans. Dès 1632, l'Alsace est envahie par les armées suédoises : nombreux passages de troupes, semailles perturbées, soulèvement des paysans contre les Suédois (1633), villages abandonnés, années bien difficiles (surtout 1638 et 1639). Sans cesse, les registres, quand ils existent, signalent alors les déprédations subies1. Autre fait indéniable : un renversement tendanciel aux abords de 1740. La forte hausse de la production, au sortir de la guerre, s'essouffle un demi-siècle après et se meut en développements linéaires. C'est un phénomène quasi général : il faut attendre la fin du X V I I E siècle (ou le début du x v m e ) pour voir atteints les niveaux des années précédant la guerre (premier tiers du X V I I E siècle). En un peu plus d'un demisiècle, la Haute-Alsace réalise un immense effort de rattrapage (exception faite d'Hirsingue qui n'y parvient plus). Lente progression encore de 1700 à 1740 environ (sauf à Huningue où elle s'immobilise), puis déclivité générale, stabilisation dans certains villages. Enfin — cas étonnant ou aberrant? — celui de Réchésy qui récupère tardivement les niveaux d'avant-guerre (années 1740) mais qui, maintenant son élan, accuse une croissance vigoureuse et sans défaillance jusqu'à l'extrême fin du X V I I I E siècle... En bref, dès la guerre de Trente Ans et jusqu'à la fin du x v m e siècle, les tendances étudiées s'harmonisent de manière satisfaisante. (Oublions Réchésy !) Ce qui n'est pas le cas pour les cent cinquante ans qui précèdent, où elles accusent certaines divergences. Les débuts du X V I E siècle demeurent incertains (renseignements très fragmentaires). Partie notamment du Sundgau, dès 1525, c'est l'insurrection des paysans qui voient dans la Réforme l'occasion de se libérer des charges féodales. Une hausse progressive légère, s'étirant jusqu'à la guerre de Trente Ans caractérise les courbes du Sundgau central (il n'est cependant pas possible de l'affirmer pour Hindlingen). Ailleurs la même tendance ne se retrouve que pour Jettingen, Zâssingue, et très marquée à Huningue. Les hors-la-loi enfin : courbe stationnaire — suspecte — à Kembs, légèrement déclinante à Niffer, Kcestlach et Mœrnach (toutefois pour la seconde moitié du X V I E siècle), soulevée par une vague (gonflement, puis dépression) à Stetten, Kappelen, Brinckheim et Réchésy peut-être. Au cœur du X V I E siècle, le phénomène qui cependant met d'accord entre elles la majorité des courbes est une dépression plus ou 1. Cf. l'article à paraître de J. PERRIN, « Les destructions de la guerre de Trente Ans en Haute-Alsace d'après le produit des dîmes ».

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GRAPH. 19. — L'Alsace

moins bien marquée entre 1560 et 1600 (dès 1550 à Stetten, Kappelen et Brinckheim)1. Voilà donc un beau paradoxe : des courbes relativement nombreuses, relativement satisfaisantes et dont l'interprétation laisse pantois (cf. Graph. 20). Jusqu'ici, les variations locales ou régionales de la production agricole furent maintes fois mesurées. Mais on s'interroge face aux 1. Malgré l'absence d'une tendance prédominante pour le XVIe siècle haut-alsacien (paroisses et dîmeries supplémentaires devraient apporter leur suffrage), j'ai hasardé un indice moyen de la production agricole (cf. Graph. 20). Jusqu'en 1530, il ne repose que sur un nombre limité de villages (tout au plus 1/3 des dîmeries envisagées par l'étude).

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L E PRODUIT D E LA DÎME

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courbes surgies. Et l'on se prend à regretter les fascinantes concordances régionales et interrégionales observées dans le domaine des prix. C'est le problème d'une conjoncture intimement liée aux événements. Événements différents ; diverses obédiences. Arrivera-t-on néanmoins à définir une conjoncture véritablement agricole ? Si dans cette intention, la hâte l'emporte sur une analyse approfondie, on risque d'être abusé par les comparaisons graphiques. Des tendances semblables en effet peuvent recouvrir des réalités trop diverses. D'où provient l'augmentation ou la baisse du rendement décimal ? De contrôles accrus ou d'un relâchement de la rigueur du décimateur, de l'augmentation des surfaces cultivées (défri7

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164C

GRAPH. 20. — L'indice moyen Base 100

chements) ou de changements de culture (la vigne au détriment du blé, les prés aux dépens des champs), d'une amélioration de la productivité ou de négligences paysannes, du désintéressement de la terre, d'abandons ? Une enquête systématique doit envisager toutes les coordonnées du problème. L a principale, celle qui ouvre la première voie à suivre : la superficie des emblavures, l'étendue des terroirs dîmés. Ce travail n'est que dans une première phase d'exécution ; la seconde étape consisterait à réunir toutes les indications sur le nombre d'hectares touchés par la dîme et, partant, sur le rendement à l'hectare, puis sur les rapports semences-récoltes. Alors seulement, les hypothèses de croissance (productivité accrue) ne seront plus entachées de doutes.

A N N E X E

DÎMES ALSACIENNES

Année

Indice moyen

Année

Indice moyen

Année

Indice moyen

1484 1485 1486 1487 1488

59 60 50,3 67 84

1489 1490 1491 1492 1493

63,7 75,7 75,3 76,3 85

1494 1495 1496 1497 1498

69, 80 7 74,7 70,7 100,3

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LE PRODUIT D E LA DIME

1650

1660

1670

1680

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1700

1710

1720

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1740

1750

1760

1770

1780

1790

des dîmes alsaciennes. = 1764.

Année 1499 1500 1501 1502 1503 1504 1505 1506 1507 1508 1509 1510 1511 1512 1513 1514 1515 1516 1517 1518 1519 1520 1521 1522 1523 1524 1525 1526 1527 1528

Indice moyen

59 75 71 68 111 70 88 85 91 109 84 70 86 99 82 83 73 83 103 93 104 108 112 83 77 94 103 81

Année 1529 1530 1531 1532 1533 1534 1535 1536 1537 1538 1539 1540 1541 1542 1543 1544 1545 1546 1547 1548 1549 1550 1551 1552 1553 1554 1555 1556 1557 1558

Indice moyen

60 68

61 68 73 58 79 63 76 78

80 82 88 70 74 54 67 85 84 77 79 107 90 84 88 74 78 75 85 79

Année 1559 1560 1561 1562 1563 1564 1565 1566 1567 1568 1569 1570 1571 1572 1573 1574 1575 1576 1577 1578 1579 1580 1581 1582 1583 1584 1585 1586 1587 1588

Indice moyen 76 80 86 87 93 90 78 84 83 91

82 81 84 91 82 64 95 87 74 72 77

88 93 90

80 79 82 73 84 82

100

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VEYRASSAT-HERREN

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Indice moyen

1589 1590 1591 1592 1593 1594 1595 1596 1597 1598 1599 1600 1601 1602 1603 1604 1605 1606 1607 1608 1609 1610 1611 1612 1613 1614 1615 1616 1617 1618 1619 1620 1621 1622 1623 1624 1625 1626 1627 1628 1629 1630 1631 1632 1633 1634 1635 1636 1637 1638 1639 1640 1641

1642 1643 1644 1645 1646 1647 1648 1649 1650 1651 1652 1653 1654 1655 1656 1657 1658 1659 1660 1661 1662 1663 1664 1665 1666 1667 1668 1669 1670 1671 1672 1673 1674 1675 1676 1677 1678 1679 1680 1681 1682 1683 1684 1685 1686 1687 1688 1689 1690 1691 1692 1693 1694

7 20 8 13 31 30 31 38 49 37 42 36 42 32 42 43 40 51 48 49 50 53 46 47 63 79 66 72 70 69 75 68 62 58 57 18 18 47 55 47 71 65 57 72 82 80 80 59 68 62 66 64 70

1695 1696 1697 1698 1699 1700 1701 1702 1703 1704 1705 1706 1707 1708 1709 1710 1711 1712 1713 1714 1715 1716 1717 1718 1719 1720 1721 1722 1723 1724 1725 1726 1727 1728 1729 1730 1731 1732 1733 1734 1735 1736 1737 1738 1739 1740 1741 1742 1743 1744 1745 1746 1747

78 77 72 74 87 96 87 97 79 103 98 84 102 91 76 91 79 64 84 95 86 92 106 83 94 109 119 112 94 105 129 97 113 120 95 111 104 96 130 132 106 139 121 109 116 126 122 127 110 121 116 132 99

LE PRODUIT

LA D Î M E

Année

Indice moyen

Année

Indice moyen

1748 1749 1750 1751 1752 1753 1754 1755 1756 1757 1758 1759 1760 1761 1762

108 126 130 99 118 100 111 110 109 102 105 99 104 93 98

1763 1764 1765 1766 1767 1768 1769 1770 1771 1772 1773 1774 1775 1776 1777

105 100 106 99 136 115 99 93 99 88 102 100 109 116 114

101

Année

Indice moyen

1778 1779 1780 1781 1782 1783 1784 1785 1786 1787 1788 1789 1790

111 102 108 112 110 111 111 107 109 116 108 128 90

SOURCES ARCHIVES D'ÉTAT DE BÀLE

Sankt Alban CC 1 Rechnungen CC 2 Rechnungen DD 1 Corpora DD 2 Corpora

ZSSST

1641-1685. 1667-1669. 1476-1692. 1672-1693.

Direktorium der Schaffneien J 1 « Zehnten insgemein » (dîmes en général). J 2 « Zehntenverleihungen » (adjudications de dîmes). J 3 « Fruchtzehntencorpus » (livres de dîmes ; 12 vol., 1692-1806). Q 82 Huningue—Village-Neuf. Q 83 1 à 5 Jettingen. Q 89 1 à 4 Kappelen. Sankt Leonhard Q Rechnungen 1493-1668. R Corpora 1476-1570 (dîmes de 1484 à 1552). S 17 paroisse de Kappelen 1285-1684. Prediger M 2 Corpora 1668-1692. Kartons P Corpora 1562-1792. Q 40 Zässingue 1517-1672. Gnadental H Corpora 1559-1672.

102

B.

VEYRASSAT-HERREN

Sankt Peter GGG

Corpora 1630-1653.

Maria-Magdalena LL 1 Corpora 1530-1693. Sankt Klara R Corpora 1500-1666. ARCHIVES DE L'ANCIEN ÉVÊCHÉ DE B Â L E À PORRENTRUY

Comptes de la recette de Bâle, 1451-1665. Comptes de la recette de Porrentruy, 1501-1790 (quelques lacunes, surtout au début du xvi e siècle). Pièces justificatives des comptes de Porrentruy, 1755-1758. A 47

Decimœ episcopales, en particulier : A 47/1 (dîmes épiscopales en général). ^

J (dîmes de l'Elsgau).

A 47/35 (dîmes de Kœstlach et Mœrnach). A 25/5 Paroisse de Kœstlach. A 25/11 Paroisse de Réchésy. B 239 (Elsass) 1 (généralités sur les fiefs communs de l'évêque en Alsace). UNIVERSITATSARCHIV F R E I B U R G IM BREISQAU

III d 121

Dîmes de Saint-Ulricli et de Saint-Morand, 1532-1534,1600,1605,1622-1677 (lacunes) ; Tableau des dîmes de Saint-Ulrich et de Saint-Morand, 1678-1746 (lacune : 1702-1715). I I I d 131 Comptes de Saint-Ulrich, 1536-1603 (lacunes importantes). I I I d 132 Comptes de Saint-Ulrich, 1604-1611. III d 133 Comptes de Saint-Ulrich, 1612-1619. I I I d 134 Comptes de Saint-Ulrich, 1620-1661 (lacunes). I I I d 135 Comptes de Saint-Ulrich, 1661-1668. III d 136 Comptes de Saint-Ulrich, 1669-1675 (lacunes). III d 137 Comptes de Saint-Morand, 1620-1632. III d 138 Pièces de comptes de Saint-Ulrich, Saint-Morand et Œlenburg, 1470-1773 ; Tableau des dîmes de Saint-Ulrich et de Saint-Morand, 1617-1686. ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DU HAUT-RHIN, COLMAR

Saint-Morand 5 Tableau des dîmes de Saint-Morand (dont celles de Hirsingen, 1716-1766).

J E A N

VO

GT

Pour une étude sociale de la dîme Esquisse de la tenure de la dîme en Alsace XYIe-XYine siècles

Saisir les rapports de forces qui régissent la vie des campagnes a u x et x v n i e siècles, tel est encore, malgré quelques t r a v a u x d ' a p proche, l'un des problèmes m a j e u r s de l'histoire sociale alsacienne. Il est certes malaisé d ' a t t a q u e r de f r o n t u n aussi vaste problème et c'est en premier lieu p a r le biais d ' u n e étude approfondie de la tenure des terres qu'il serait possible de saisir la réalité sociale des campagnes de la plaine d'Alsace. Or, l'évolution des tenures n ' a encore guère retenu l ' a t t e n t i o n des historiens et des géographes strasbourgeois 1 . Seuls quelques jalons ont été posés ces dernières années dans la région strasbourgeoise 2 et l'Outre-Forêt 3 . Sans préjuger des résultats d'une étude systématique des tenures, Vétude sociale de la dîme est cependant susceptible d'éclairer de nombreuses facettes d'histoire et de sociologie rurales. La dîme alsacienne a certes été examinée à divers points de v u e p a r l'un ou l ' a u t r e historien et les géographes lui ont porté quelque intérêt pour suivre l'évolution des cultures 4 , mais elle ne semble guère avoir été considérée jusqu'ici d ' u n point de v u e social. Or, la dîme se présente sous u n j o u r très divers : dîme jalousement surveillée, perçue avec soin p a r le décimateur lui-même ; dîme louée à quelque spéculateur des villes ou XVIE, XVIIE

1. D'une manière générale, historiens et géographes négligent l'évolution des campagnes, situation sur laquelle l'attention est attirée par diverses notes parues ces dernières années dans la Revue d'Alsace, le Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Saverne, l'Annuaire de la Société historique et littéraire de Colmar, les Cahiers de l'Association interuniversitaire de l'Est, la Revue géographique de l'Est, etc. 2. J. VOGT, « Problèmes de tenure au cœur de Basse-Alsace », Cahiers Assoc. interuniv, de l'Est, 1963, V : « Histoire sociale ». 3. En dernier lieu, J. VOGT, Recherches agraires rhénanes, thèse de 3E cycle inédite, Strasbourg, 1963.

4. En dernier lieu, E. JUILLARD, « Les sources de la géographie régionale aux archives du Bas-Rhin », Revue d'Alsace, 1960, 99. Un bon exemple de méthode est donné par J. RTJWET, « Mesure de la production agricole sous l'Ancien Régime : le blé en pays mosan », Annales, E.S.C., 1964, 19E année, 4, pp. 625-642.

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des campagnes ; dîme affermée, voire abonnée par les communautés... Nombreuses sont les nuances de la tenure de la dîme... Comme la grande propriété, la dîme multiplie les tensions et les conflits qui permettent de saisir sur le vif le degré de sensibilité et de cohésion des communautés. Aussi bien le contrôle de la dîme est-il au cours des siècles l'une des grandes préoccupations des communautés vivaces. C'est au hasard de diverses recherches agraires que l'intérêt de cette direction de recherches nous est progressivement apparu. Sans nous attarder à de longs préliminaires, nous mettrons rapidement en œuvre quelques glanes que l'on jugera bien hétéroclites, pour dégager les grands traits de l'évolution de la tenure de la dîme et préciser l'intervention des divers groupes et corps sociaux, des communautés surtout. PERCEPTION DIRECTE, FERMAGE ET ABONNEMENT

Du xvi e au xvm e siècle, la perception directe est certes fréquente, mais la plupart des décimateurs n'en usent pas d'une manière continue. Que de frais ! Quelle perte de temps ! Quels tracas sans commune mesure avec le produit de la dîme î1 Selon les circonstances, les valets se font prier ou sont pléthore. D'une manière caractéristique, l'abbé de Lucelle se heurte en 1667 au mauvais vouloir des notables de Niedermorschwiller : « M. l'abbé... ayant offert une demie tinne de vin, huit livres de bœuf et huit sols pour le pain... en raison d'un banquet au cabaret pour donner serment à celui qui doit porter la dîme... nonobstant cette offre les... jurés ont refusé d'assermenter. » 2 A Marlenheim, les valets de l'abbaye de Haslach sont en 1680 des étrangers qui ignorent tout du terroir et des coutumes du lieu3. En revanche, l'hospice de Stephansfeld se plaint en 1775 d'une abondance de valets dont l'intervention rend très coûteuse une médiocre dîme en vin : « Suivant l'usage ou pour mieux dire l'abus », dix, douze ou quinze valets sont nommés année par année4. La perception de la dîme est souvent régie par de minutieuses procédures. C'est ainsi que la dîme des terres plantées d'oignons, des précieux Zwiebelstiicker de Meistratzheim donne lieu chaque printemps à un tirage au sort « pour savoir à quel bout de champ la dîme sera enlevée » 6 . 1. A propos de la dîme d'Imhsheim, les protocoles de la Kirchenschaffnei du comté de HanauLichtenberg livrent en 1673 une remarque significative : « mehr Versäumnis und Unkosten davon haben ». E t la décision est prise de louer cette dime pour six ans (Bad. Generallandesarchiv, 61/5815). E n 1788 encore, c'est pour mettre un terme aux frais et à d'autres inconvénients de la perception directe : « zu Evitierung derer durch selbstiges Einnehmen sich ereignenden Unkosten und anderer Inconvenientien », que la Kirchschaffnei de Bouxwiller décide de louer ä la communauté sa dime de Duntzenheim (Arch. dép. Bas-Rhin, Consistoire de Bouxwiller, 49). 2. Arch. dép. Haut-Rhin, Lucelle, 100. 3. « Lauter fremde Schweitzer oder andere unbekannte Leute darzugezogen, die weder Brauch noch Gelegenheit gewusst » (Arch. mun. Strasbourg, V I 107). 4. Ibid., Hôpital, 11 593. 5. Arch. comm. Meistratzheim, déposées aux Arch. dép. Bas-Rhin.

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Bien souvent, la multiplicité des décimateurs pose de redoutables problèmes. Telle est l'une des raisons des difficultés évoquées à Colmar en 1693 : « Divers abus considérables... se sont glissés et se glissent tous les jours dans la perception de la dîme au préjudice des... décimateurs, surtout depuis qu'ils ont souffert que les valets dîmiers fassent leur partage dans la campagne à chacun suivant la part et portion qui leur appartient. m1 A la fin du x v n e siècle, la Ville de Strasbourg avance les frais de la perception de la dîme du vin à Dorlisheim, mais éprouve de grandes difficultés à obtenir des co-décimateurs le paiement de leur quote-part 2 . D'une manière générale, les campagnards sont hostiles à la perception directe qu'ils cherchent à entraver par tous les moyens. E n période de crise surtout, les décimateurs ne cessent de se plaindre de la mauvaise volonté des paysans. D'après les curés du chapitre de Betbur, la fraude serait fréquente au Kochersberg vers 1630 3 . A la même époque, un long mémoire met en garde l'abbaye de Haslach contre la perception directe de la dîme de Marlenheim. Sans doute une telle décision tournerait-elle rapidement au désavantage de l'abbaye : « ... hätte... sich ein ehrwürdiges Stift ihres Zehntens wann sie solchen selbst sammelte, wenig zu erfreuen. » E t de décrire par le menu tous les procédés de fraude nés de l'imagination de paysans roublards parfois pressés par le besoin. Quoi que l'on fasse, le paysan trouvera toujours une parade : « Man mache es wie m a n wolle, ist m a n doch der Bauern Gefangener. » 4 E n 1650, la communauté de Wintzenheim refuse de laisser la menue dîme dans les champs®. Même refus à Pfaffenhofen et Niedermodern en 1657®. Vers 1665, c'est dans l'anarchie que la grosse dîme est prélevée dans ces deux terroirs : les uns laissent la dixième gerbe dans les champs, d'autres n'hésitent pas à engranger toute la récolte pour proposer ensuite quelque arrangement au décimateur 7 . Au X V I I I e siècle, les conflits se multiplient au f u r et à mesure que s'étendent les terres labourables et que les cultures envahissent les saisons de jachère. Au milieu du siècle, les paysans de Muntzenheim refusent de faire la moindre mise lors de l'adjudication de la dîme des cultures de jachère, dîme dont ils n'admettent pas le bien-fondé. E n 1. I l est décidé q u e le p a r t a g e se f e r a à n o u v e a u à la grange e t a u pressoir ( B . N . U . S t r a s b o u r g , ms. 1614). 2. « D e r H e r r S t a d t k i e f e r v o n H a u s zu H a u s d a s Geld gleichsam b e t t e l n m u s s » (Arch. m u n . S t r a s b o u r g , Conseil des X V , 1697, f ° 262). 3. A r c h . m u n . Sélestat, C h a p i t r e de B e t b u r , sans cote. 4. « E i n e r h o l t b e i T a g , d e r a n d e r e b e i N a c h t , w e r will in solcher W e i t e n e r w e h r e n , geschieht d a n n einem... S t i f t ein solcher S c h a d e n , d a s t e h e n d a n n die B a u e r n , so ihres e i n g e b r a c h t , f r e u e n sich u n d l a c h e n in i h r F a u s t h i n e i n u n d sprechen, es geschieht d e n geizigen P f a f f e n e b e n r e c h t , g ö n n e n u n s n i c h t ein H a n d v o l l S t r o h , j e t z t verliefen sie die F r u c h t n o c h d a z u , g e r a t e t also d e r B a u e r n u n d P f a f f e n Geizigkeit m i t e i n a n d e r i n ein D u e l l » (Arch. m u n . S t r a s b o u r g , V I 106/4). Ce r e m a r q u a b l e t a b l e a u de m œ u r s m é r i t e r a i t d ' ê t r e p u b l i é i n t é g r a l e m e n t . 5. A r c h . Gayling, déposées a u x A r c h . m u n . F r i b o u r g - e n - B r i s g a u . D ' u n e g r a n d e richesse, ce f o n d s est difficilement utilisable. I l n e p e u t ê t r e d o n n é de cote. 6. A r c h . Gayling. 7. Ibid.

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désespoir de cause, l'administration wurtembergeoise décide de procéder à la perception directe. Le valet dîmier nommé pour la circonstance se heurte à une hostilité telle qu'il se contentera le plus souvent de « marquer les refusants M1. E n particulier, la perception de la dîme des pommes de terre suscite de violents remous dont les insultes et les menaces proférées en 1769 par les femmes de Weckolsheim donnent une bonne idée 2 . De la même manière, la dîme du trèfle déclenche à la veille de la Révolution de nombreux conflits, en particulier dans la région de Wissembourg et en Haute-Alsace. Pour ne prendre qu'un exemple, les paysans de Réguisheim font preuve d'une fermeté telle que « les valets dîmiers intimidés n'ont pas voulu dresser des rapports » 3 . D'innombrables conflits sont enfin provoqués par la perception directe des dîmes novales. Ainsi, l'administration wurtembergeoise se heurte en 1773 aux pires difficultés en exigeant des communautés de SundhofFen et Andolsheim la dîme des prés convertis en labours. Redoutant les réactions des paysans, les fermiers habituels se dérobent en effet. Une fois de plus, le décimateur n'a d'autre ressource que de tenter la perception directe. E n vain : « Personne... n'a voulu être valet dîmier de la seigneurie pour cette partie. » Les nominations d'office ne suffisent pas à briser la mauvaise volonté des défricheurs de prés. Nombreux sont les décimateurs qui préfèrent échapper aux frais et aux tracas de la perception directe et s'assurer un revenu plus ou moins régulier, le plus souvent en nature, plus rarement en espèces, en amodiant les dîmes 4 . Un décimateur averti comme le Direktorium der Schaffneien (Directoire des Fondations) à Bâle pratique au X V I I I E siècle une politique dîmière subtile. Pour choisir entre la perception directe et l'amodiation de gré à gré ou au plus offrant et fixer la durée des baux, il est tenu compte de nombreux facteurs 5 . Voici d'abord la distance : c'est ainsi que la dîme de Neudorf, village proche de Bâle, est souvent perçue directement. Une 1. Arch. nat., K 2322. 2. « Kommen die sämtlichen Weckolsheimer Weiber teils mit Schuss und Ofengabeln und teils mit Sicheln [...] in vollem Geschrei herbei zu laufen und sagen was machst du allda, du Hvmgersleuter, du Schelm und so weiter, man hat uns das Eckrich hinweggenommen, willst du auch uns die Erdäpfel nehmen — Packt euch gleich aus unserem Bann oder wir hauen und stechen alles nieder » (Arch. dép. Haut-Rhin, I E 83/44). 3. Ibid., E 151. Une note sera consacrée prochainement à ces conflits. 4. C'est pour une somme d'argent que le chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux amodie en 1570 à deux fermiers sa dîme d'Offendorf (Arch. mun. Strasbourg, Contrats, 1570, f° 118). Après avoir stipulé des fermages en grains, en 1593 par exemple (bail d'un an ; cf. ibid., Contrats, 1593, f° 250), les baux conclus entre l'abbaye d'Eschau et la communauté de Kork, outre-Rhin, fixent des fermages en espèces, en particulier en 1603 (bail de 5 ans ; cf. ibid., Contrats, 1603). Bien entendu, un tel choix n'est pas propre à l'Alsace. C'est ainsi que Rey de Planazu souligne à la fin du XVIIIe siècle les avantages d'une amodiation des dîmes aux communautés : « Ce moyen d'affermer les dîmes aux propriétaires... m'a toujours paru plus avantageux pour éviter toutes les difficultés auxquelles cette perception est sujette » (REY DE PLANAZU, Œuvres d'agriculture et d'économie rurale, Paris, 1786 ; (rééd. Paris, 1801). 5. Propos significatifs d'un mémoire de 1765 : « Bei einigen Zehnten ist der Aufruf verträglicher, bei anderen die Verpachtung und bei anderen die Einsammlung » (Bâle, Staatsarchiv, Direktorium der Schaffneien, J 2).

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grande attention est prêtée à la mentalité et à la solvabilité des villageois 1 . Le risque d'une intimidation par le seigneur et les notables prompts à accaparer la dîme est mesuré soigneusement 2 . Le lieu des enchères est choisi de manière à attirer le plus d'amateurs possible. Si certaines dîmes sont adjugées à Bâle même, c'est à la poste de Helfrantzkirch que sont amodiées la plupart des dîmes que le Direktorium possède au Sundgau. Mais aussi que d'hésitations, que de regrets ! Certains décimateurs se réservent de prélever dans les champs la dîme de récoltes particulièrement précieuses. A Melsheim et à Wilwisheim, la dîme est amodiée en 1651 à la communauté, à l'exception du chanvre et des oléagineux pour lesquels la perception directe est maintenue 3 . Au milieu du x v i n e siècle encore, l'administration wurtembergeoise s'obstine à faire ramasser dans les champs la dîme du colza à Muntzenheim 4 . D'autres ne dédaignent pas la dîme réelle d'une récolte de qualité exceptionnelle. Parfois aussi le haut prix des grains encourage quelque décimateur à engranger lui-même la dîme. Une franche politique d'amodiation n'exclut d'ailleurs pas le recours occasionnel à la perception directe comme moyen de pression sur des fermiers coriaces. L'un ou l'autre petit décimateur pratique le chantage à la dîme réelle. C'est ainsi que vers 1740, le curé de Lauterbourg exige 5 louis de la dîme d'un certain canton, sous peine de perception directe 5 . Inversement, des communautés habiles administrent de temps à autre une leçon à des décimateurs âpres au gain en se dérobant aux offres d'amodiation, en boudant les enchères et en acculant les malheureux à une perception directe d'autant plus coûteuse qu'elle est improvisée et que la malveillance des paysans se donne libre cours. C'est ainsi que les communautés compromettent une perception directe épisodique en refusant de louer au décimateur la grange qui lui serait indispensable pour serrer ses gerbes. E n 1749, c'est faute d'une grange que l'administration wurtembergeoise ne peut tenir tête à la communauté d'Andolsheim. Pour la même raison, la perception directe de la dîme de Muntzenheim, redoutable entreprise décidée en 1750 à la suite de l'un de ces inévitables « complots », lui coûtera très cher. Les fermiers étrangers se heurtent bien entendu aux mêmes difficultés qui inspirent d'ailleurs, d'une manière quelque peu paradoxale, à une époque où le fermage spéculatif bat son plein, un projet de construction de granges dîmières. Ces hésitations, ces retours en arrière, ces harcèlements sont cependant balayés par la solution héroïque de l'abonnement. De longue date, 1. « Wann ein Zehntenbann von der... Stadt weit entlegen, wann sich, in demselben Einwohner von geringem Vermögen und einer liederlich Aufführung befinden, so macht sowohl diese Entfernung als die Beschaffenheit der Einwohner den Aufruf bedenklich » (ibid.). 2. Un exemple : « Gemeiniglich von der Herrschaft selbst und einigen Mitconsorten in Bestand genommen wird, sodass andere nicht einmal bieten dürfen » (ibid.). 3. Arch. dép. Bas-Rhin, E 919. 4. Arch. nat., K 2322. 5. Bad. Generallandesarchiv, 75/861.

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certaines terres soumises à u n e culture intensive sont taxées à l ' a r p e n t , soit en espèces soit en n a t u r e . Dès le X I V e siècle, u n e telle formule est adoptée p a r les terres de L a Robertsau 1 et de l'EIsau 2 dans la banlieue strasbourgeoise. Au x v m e siècle, les terres encloses de Muntzenheim échappent à la dîme réelle et sont grevées de deux boisseaux de grains p a r joug 3 . Au X V I e siècle déjà, cette manière de dîmer s'étend à des terroirs entiers. C'est ainsi que l'abonnement individuel en nature est a d o p t é p a r le Grand Chapitre à I t t e n h e i m 4 . De plus en plus, l'abonnement collectif, de fait ou de droit, se substitue dans u n certain n o m b r e de communautés, soit à la perception directe, soit à l'amodiation, soit à l'abonnem e n t individuel. Cette dernière évolution se dessine à I t t e n h e i m : « L a dîme qui en 1577 s'acquittait p a r les particuliers comme possesseurs des héritages... est devenue une charge de la c o m m u n a u t é », nous dit-on a u x v n i e siècle 5 . Cette dernière expression est cependant discutable. L'abonn e m e n t , c'est à proprement parler la victoire de la communauté, l'abdication du décimateur qui se contente désormais de percevoir u n e rente. Telles sont les grandes options qui s'offrent a u x décimateurs. Quel est leur choix a u x x v i e , X V I I e et x v m e siècles, selon les circonstances, selon le contexte économique et social ?

L E S GRANDS TRAITS D E L'ÉVOLUTION D E LA T E N U R E D E LA DÎME

A v a n t les troubles du x v n e siècle, le fermage de gré à gré serait fréquent. Si quelques décimateurs donnent quelque publicité à l'amodiation des dîmes et suscitent l'émulation pour en tirer u n prix convenable®, la p l u p a r t des décimateurs de quelque envergure passent des b a u x à l'amiable, de préférence avec les communautés. A propos des dîmes des environs d ' E n t z h e i m , cette ancienne h a b i t u d e sera rappelée en termes très clairs a u XVIII E siècle : « L'indulgence d u Chapitre de Basse-Alsace les a portés à presque t o u j o u r s amodier les dîmes a u x c o m m u n a u t é s qui avaient ces fermes à meilleur compte que les particuliers. » E t voici l'une des raisons d'une telle politique dîmière : « Une c o m m u n a u t é est t o u j o u r s en é t a t de payer. » 7 Le fermage de gré à gré s'accompagne souvent d ' u n e remarquable durée des b a u x . E n 1533, c'est pour 30 ans que l ' a b b a y e de Schwarzach loue à la c o m m u n a u t é de Drusenheim la dîme des foins 8 .. 1. 2. 3. 4.

Arch. Arch. Arch. Arch.

5. Ibid.

mun. Strasbourg, Conseil des XV, 1687, f ° 123. mun. Bas-Rhin, Notariat Strasbourg, IV 203. nat., K 2321. mun. Strasbourg, VII 64/1.

6. Wihr-en-Plaine (1617) : « Verkauft die Herrschaft Rappoltstein... ihr Quart auf Zeit und Tag wann es ihr gefällig und damit zugleich den Zehnten zu Andolscheim und Bischweyer und lässt der Schultheiss von Weyer solche in... beiden Orten ausrufen, dass man zu Weyer zusammenkommt » (B.N.U. Strasbourg, ms. 1614). Une réduction des « dépenses publicitaires » a pourconséquence de détourner les amateurs des amodiations (cf. ibid.). 7. Arch. mun. Strasbourg, Hôpital, 3162. 8. Arch. dép. Bas-Rhin, H 487.

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E n 1599, c'est pour 30 ans aussi que la communauté de Heerdt emporte le bail de la dîme de Saint-Michel et de Saint-Pierre (Strasbourg) 1 . Après l'avoir louée en 1591 pour 20 ans seulement 2 , c'est pour 31 ans que les communautés de Bischheim et Hœnheim s'assurent en 1611 le contrôle de la dîme du Grand Chapitre 3 . Bien entendu, les baux de 18 ans sont fréquents. Quant aux baux de brève durée, une année ou plus, ils sont souvent reconduits avec une remarquable régularité. A partir de 1532, c'est pendant un siècle environ que la famille Sturm von Sturmeck loue régulièrement la fraction de dîme que le chapitre de Saint-Thomas possède à Breuschwickersheim 4 . Vers 1550, la dîme d'Eckwersheim est amodiée à la communauté qui ne lâchera pas prise avant longtemps 5 . De la fin du x v i e au milieu du x v n e siècle, la dîme des prés est affermée tous les 5 ou 10 ans par le magistrat de Riquewihr 6 . La remarquable continuité de la tenure de la dîme de l'abbaye de Haslach à Marlenheim est soulignée à plusieurs reprises au début du x v n e siècle, à une époque où la communauté est menacée d'en perdre le contrôle 7 . A la fin du x v i i e et au début du x v m e siècle, la continuité des anciens baux sera rappelée à tout propos, non sans nostalgie d'ailleurs. Jadis, nous dit-on en 1701, la dîme de l'abbaye de Schwarzach à Quatzenheim et Dossenheim était invariablement louée aux communautés pour un fermage de l'ordre de 160 sacs de grains, moitié blé, moitié seigle 8 . E t le souvenir de l'heureux temps où la dîme était régulièrement louée à la communauté survit longtemps à Oberhoffen 9 . Bien entendu, baux de longue durée et baux régulièrement reconduits finissent par faire naître un état d'esprit voisin de ce que nous avons appelé la mentalité emphytéotique, mentalité qui joue un si grand rôle dans la psychologie agraire rhénane 10 . Nombreuses sont les communautés qui finissent par considérer le fermage des dîmes comme une espèce de droit inaliénable et s'opposent par conséquent à toute modification du statu quo. E n louant sa dîme de Marlenheim à un bourgeois de Strasbourg, l'abbaye de Haslach scandalise profondément la communauté 11 . Tel sera aussi le réflexe du magistrat de Riquewihr le jour où le décimateur des prés cherchera non pas à le priver de son bail, mais à en tirer un meilleur prix 12 . 1. Arch. mun. Strasbourg, Contrats, 1599. 2. Ibid., Contrats, 1591. 3. Ibid., Contrats, 1611. 4. Arch. Gayling. 5. Arch. mun. Strasbourg, Hôpital, 3186. 6. Arch. nat., K 2352. 7. 1613 : « Vor 30,40, 50 und mehr Jahren, ja länger als sich Menschengedenken erstrecken mag » (Arch. mun. Strasbourg, VI 106/1). 1630 : « melden... auf 70 — und 80 jährige alte Männer allhie... dass ihnen ganz nichts zu Wissen, auch von ihren lieben alten Eltern seligen nie gehört, dass ein ehrwürdig Stift den Zehnten selbst gesammelt, sondern jederzeit der Gemein, bisweilen auch nur etlichen Bürgern, verliehen » (ibid., VI 106/4). 8. Bad. Generallandesarchiv, 105/135. 9. Arch. dép. Bas-Rhin, G 4190. 1 0 . En dernier lieu, J . V O G T , art. cit. 11. « Uns aber ganz fremd und beschwerlich... dass eine Privatperson einer ganzen Gemeinde von den Stiftsherren vorgezogen werden will » (Arch. mun. Strasbourg, VI 106/1). 12. Propos caractéristique : « eine Gerechtigkeit » (Arch. nat., K 2352).

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De telles tendances sont consacrées par l'abonnement de la dîme. Dite beständiger Zehnt, ewiger Zehnt, Zehntgült1, stählerner Zehnt, Stahlzehnt ou stählerne Gült, la dîme abonnée est proprement figée. Parfois calculée par arpent, à la suite d'une minutieuse enquête 2 , s'inspirant du produit moyen de la dîme réelle ou des fermages, prolongeant souvent quelque bail 3 , l'abonnement fait l'objet d'un contrat ou résulte d'un accord tacite. A la différence des baux, l'abonnement de droit ou de fait prive les campagnards de toute réduction en cas de calamités (grêle, souris, etc.) 4 . Le plus souvent, c'est année par année que les communautés livrent au décimateur une même quantité de grains, comme on le note à Pfulgriesheim 5 , Ebersheim 6 , etc. Dans le domaine de l'assolement biennal, quelques-unes de ces dîmes figées présentent cependant la particularité d'être régulièrement alternes en raison de l'inégalité des deux saisons, vouées alternativement aux grains et à la jachère 7 . D e telles dîmes alternes sont connues au cours de la première moitié du x v i e siècle à Batzendorf 8 , Rottelsheim 9 et Eckwersheim 10 . Si nous connaissons quelques exemples de politiques dîmières rigoureuses 11 , si les dîmes sont parfois adjugées au plus offrant 12 , si leur amodiation donne lieu à quelques opérations spéculatives 13 , s'il est fait allusion à de brutales hausses de fermage 14 , il s'établit cependant dans 1. Une expression plus précise est employée à propos de la dîme figée de Pfulgriesheim au début du XVIIe siècle : « auf den Zehnten anfallenden Gülten » (Axch. mun. Strasbourg, SaintThomas, 1914). 2. Tel est le cas à Ittenheim et Handschuhsheim au x v i e siècle. Il en résultera au X V I I I e siècle des problèmes inextricables (ibid., VI 161/1, VII 64/1 ; Arch. c o m . Ittenheim, déposées aux Arch. dép. Bas-Rhin, 23). 3. Tel est le cas à Eckwerscheim : « Depuis 1546, il n'y a plus eu de bail et l'hôpital s'est contenté de percevoir jusqu'ici [c'est-à-dire jusqu'à la Révolution] le fermage stipulé dans le susdit bail » (Arch. dép. Bas-Rhin, Q 3067). 4. Le Conseil des XV répond en ces termes à une demande de réduction de la communauté d'Ulwickersheim : « Welcher (Zehnte) wie ein stählerner Zehnte zu considerieren sei und darauf man auch zu halten hätte » (Arch. mun. Strasbourg, Conseil des XV, 1689, f ° 233). Au milieu du X V I I I e siècle, Haenle confirme ce point de vue : « Der einmal stipulierte Kanon durch nichts diminuiert... werden kann [Chr. Hœnle] Kurze... Beschreibung derer Früchte und Getreide... welche... in der Provinz Elsass gehauen werden » (B.N.U. Strasbourg, ms. 630). 5. Arch. dép. Bas-Rhin, 19 J 570. 6. Ibid., 19 J 569. 7. En dernier lieu, J . VOGT, « A propos de l'ancien assolement biennal alsacien... », Société d'Histoire et d'Archéologie de Saverne, 1965. 8. J . VOGT, « L'ancienneté de l'assolement biennal alsacien », Revue géographique de l'Est, 1963, III, 3. 9. J. VOGT, « Questions agraires rhénanes (xvi e -xvm e siècles) », Revue d'Alsace, 1962. 10. J. VOGT, « Un nouvel exemple d'assolement biennal au début du x v i e siècle », à paraître dans la Revue d'Alsace. 11. Tel serait localement le cas au Kochersberg au début du XVIIe siècle (Arch. mun. Sélestat, Chapitre de Betbur, sans cote). 12. Des fermages très élevés sont signalés dans le comté de Horbourg (Arch. nat., K 2352). 13. C'est ainsi que la dîme de Marlenheim est louée en 1613 à un bourgeois de Strasbourg, au grand dam de la communauté (Arch. mun. Strasbourg, VI106/1). Cette affaire sera exposée plus loin avec quelque détail. 14. C'est ainsi qu'une hausse brutale et unilatérale du fermage de la dîme de Pfaffenhofen provoque en 1581 un litige entre les codécimateurs : « Für sich selbst ohne Vorwissen und Zutun des klagenden Junkers den Zehnten gesteigt und solchen auf die Dörfer ausgeheben, als dass sie

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l'ensemble un compromis entre l'intérêt bien compris des décimateurs et des paysans et surtout des communautés. En particulier, la formule de l'abonnement permet à un certain nombre de ces dernières d'organiser à leur guise et à bon compte le prélèvement de la dîme. Les troubles du X V I I e siècle bouleversent ces habitudes, de même qu'ils modifient la tenure des terres. Sans doute des abonnements de droit ou de fait survivent-ils à la crise, sans doute certaines communautés restent-elles maîtresses de la dîme, mais un rapide survol des sources laisse l'impression d'une recrudescence de la perception directe, de baux plus brefs et d'un caractère de plus en plus spéculatif du fermage de la dîme, à très court terme il est vrai. Choisis au hasard, quelques exemples illustreront un processus dont nous ne pouvons encore que soupçonner la complexité. Abonnée de longue date, la communauté d'Ittenheim est « forcée de prendre la dîme en ferme » en 16201. En 1656, la communauté d'Ichtratzheim se plaint amèrement d'être privée par le seigneur d'une fraction de dîme qu'elle affermait habituellement : « Dadurch ihnen ein ziemliches abgehe. » Faute de réserves de grains, la communauté de Meistratzheim renonce en 1640 au traditionnel fermage de la dîme et se résout à laisser dans les champs la dixième gerbe 2 . En 1646, la perspective d'une belle récolte encourage le chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune à engranger la dîme de Holtzheim et à éconduire non seulement la communauté, mais aussi, par des exigences savamment calculées, le bailli Keller qui guette la bonne affaire 3 . Vers 1690, une expérience de perception directe est tentée par le magistrat de Strasbourg dans les terroirs du bailliage de Wasselonne 4 . Parmi les circonstances qui contribuent à rendre compte d'un recours fréquent à la perception directe, notons l'irrégularité du cours des grains. En 1709 encore, la hausse des grains décide l'abbaye de Schwarzach à engranger elle-même sa dîme de Quatzenheim 5 . La même année, les difficultés dans lesquelles se débattent les campagnes ne permettent à la communauté de Kleinfrankenheim de ne faire que de modestes offres de fermage, raison de plus pour passer à la perception directe 6 . A ce propos, il n'est sans doute pas exagéré de parler d'une perception directe spéculative, pratique péniblement ressentie par des communautés qui avaient été maîtresses de fait des dîmes. Ce serait cependant une erreur que de mettre ces tendances sur le compte des seules circonstances. Certains décimateurs n'exploitent-ils nunmehr in die 70 F... für ihren Teil mehr empfangen dann der klagende Junker empfangen » (Bad. Generallandesarchiv, 72/Windeck/l). 1. Arch. mun. Strasbourg, VI 161/1. 2. « Das Feld so hoch geschätzt, dass der Schultheiss und Geschworene... den Zehnten haben nicht können beschaffen und haben den Zehnten auch nicht kauft, sondern die ganze Bürgerschaft habe den Zehnten auf dem Feld liegen lassen... » (Arch. comm. Meistratzheim, déposées aux Arch. dép. Bas-Rhin, I). 3. Arch. dép. Bas-Rhin, G 4911. 4. « Es... eine neue Sach ist » (Arch. mun. Strasbourg, Conseil des XV, 1689, f ° 135). 5. « Dies Jahr wird der Zehnte angesehen die Früchte in einem ziemlichen hohen Preis stehen... auf eigene Kosten eingetan » (Arch. dép. Bas-Rhin, H 537).

6. Ibid.

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pas habilement la crise du X V I I e siècle pour tenter de mettre un terme à des habitudes jugées néfastes, pour empêcher les communautés trop entreprenantes de faire la loi ? Voici, en 1639, une prise de position d'une remarquable netteté : si la dîme était à nouveau louée à la communauté de Dorlisheim, cette dernière s'empresserait d'avoir une nouvelle fois recours à des pratiques préjudiciables aux décimateurs1. Sans doute est-il fait allusion aux « complots » et au chantage au moyen desquels nombre de communautés louent la dîme à bon compte pour l'accaparer de longues années. Pour mettre un terme à un désordre croissant, la dîme de la Robertsau est strictement réglementée par le magistrat de Strasbourg : à la suite d'un arpentage, il est demandé en 1652 aux paysans de cette banlieue de choisir entre une dîme en nature ou une taxe par arpent2. De telles mesures annoncent localement la politique dîmière du x v n i e siècle, politique caractérisée par des tentatives de « reprise » de dîmes abonnées, par l'adaptation des fermages à l'évolution des cultures et par les progrès d'une amodiation spéculative des dîmes. A la fin du x v n e siècle, la situation de nombreux décimateurs est en effet loin d'être brillante. C'est ainsi que le chapitre de Saint-Thomas éprouve les pires difficultés à tirer un parti convenable de sa dîme de Breuschwickersheim, alternativement louée et prélevée dans les champs. Faute de grange dîmière, la perception directe est particulièrement coûteuse3. Sans doute en raison des « complots » des paysans, les fermages sont médiocres4. En fin de compte, le chapitre cède cette malheureuse dîme à un personnage mieux placé pour la faire valoir et acquiert en échange de solides rentes en grains. Au lieu de se dérober de la sorte, d'autres décimateurs agissent au contraire avec quelque brutalité. Il se pose d'abord le problème des dîmes abonnées en droit ou en fait. D'anciens abonnements subsistent sans doute jusqu'à la Révolution, quelques abonnements apparaissent certes à la fin du x v n e et au début du X V I I I e siècle, en particulier à Dorlisheim5 et à Oberhausbergen6, mais les décimateurs virulents cherchent plus souvent à exploiter la moindre faille pour reprendre le contrôle de dîmes qui leur échappe de plus en plus. Les abonnements mal fondés en droit, issus de quelque ancien bail tacitement reconduit, se prêtent particulièrement à de telles entreprises. Le revenu des dîmes figées est en effet le plus souvent faible, anachronique, sans rapport avec la répartition des cultures du x v i n e siècle. C'est d'abord pour les louer à leur guise, au prix fort, que les décimateurs 1. « Zu besorgen, wann der Zehnt der Gemeinde... wieder sollte gelassen werden, sie die alten Griff wieder zu gebrauchen unterstehen dürften » (ibid., 1720). 2. Arch. mun. Strasbourg, Conseil des XV, 1687, f° 123. 3. « Mangel einer eigenen Zehntscheuer und darausentstanden en grossen Einerntungskosten » (ibid., Contrats, 1698). 4. « Unglückliche Lehnungen » (ibid.). 5. « Il y a environ cent ans que... la dîme n'a plus été en nature sur les arpents mais elle a été fixée par une certaine quantité de grains que l'on mesurait avec le boisseau » (Arch. dép. BasRhin, Q 4664, 1791). 6. Ibid., Notariat Strasbourg, VIII/65.

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entreprennent de s'en ressaisir. D'autre part, l'effacement du décimateurrentier facilite le grignotement des districts dîmiers. C'est ainsi que le chapitre de Saint-Pierre-le-Jeune se plaint en 1734 de l'amenuisement de ses droits à Gries et Kurtzenhausen : « Cette perception serait des plus constantes aujourd'hui si dans le temps passé les requérants et leurs auteurs n'eussent point eu la facilité d'affermer leur dîme... aux communautés... lesquelles pour ne point déplaire au... comte leur seigneur l'ont laissé usurper... la dîme de plusieurs cantons, m1 La reprise de telles dîmes apparaît donc aussi comme une entreprise de sauvegarde des droits des décimateurs. C'est pendant de longues années que le chapitre de Saint-Léonard poursuit inlassablement la reprise des dîmes de plusieurs terroirs à l'ouest de Strasbourg. Les communautés estiment « que sous le prétexte que depuis longtemps on avait accoutumé de recevoir un canon... uniforme, on avait fait avec elles des abonnements ». La plupart d'entre elles finissent cependant par céder. Seuls les notables d'Entzheim cherchent à sauver par tous les moyens leur fructueux « abonnement ». Comme il est habituel en Alsace, le problème est porté sur le plan religieux : le pasteur d'Entzheim est soupçonné d'encourager la résistance opposée par les villageois au décimateur catholique. Cette communauté rétive finira cependant par s'incliner elle aussi. E n 1744, un bail de trois ans, enlevé par le plus offrant, prend la suite des baux communautaires de 1487, 1582 et 1648 dont la tacite reconduction avait alimenté pendant deux siècles et demi une mentalité emphytéotique2. E n 1722, c'est sans autre procédure que la dîme de Nordheim, louée jusqu'ici à la communauté, est adjugée au plus offrant, le S r Lacroix, en commission. La communauté tempête et rappelle « la possession » plus qu'immémoriale « en laquelle ils sont de ne payer chaque année que 150 sacs de grains pour laquelle quantité toute la dîme a été délaissée... il y a plus de cent ans... » 3 L'issue du conflit nous échappe. E n 1724, un conflit comparable s'élève entre le chapitre de SaintPierre-le-Jeune et la communauté de Gimbrett. Après avoir longtemps loué la dîme à la communauté qui la considère « comme une espèce d'emphytéose », le chapitre en obtient un prix plus élevé de deux laboureurs non pas étrangers, mais du lieu. Une fois de plus, la communauté crie au scandale : « De là l'indignation des habitants, lesquels se voyant frustrés d'un profit clair et portés d'ailleurs à chagriner un chapitre catholique, cherchèrent tous les moyens de le forcer à leur passer un nouveau bail. » 4 Une vive discussion s'élève en 1746 entre M. de Gail et la communauté de Vendenheim au sujet d'une fraction de dîme 5 . Le même pro1. Ibid., G 4730.

2. 3. 4. 5.

Arch. Arch. Arch. Arch.

mun. Strasbourg, Hôpital, 3162. comm. Nordheim, déposées aux Arch. dép. Bas-Rhin, 41. dép. Haut-Bhin, coll. Corberon, 23. dép. Bas-Rhin, E 1329.

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blême se pose à Illkirch en 1760 : la fondation Saint-Marc s'attaque à une dîme figée appelée fort à propos Stahlzehnte et dont la communauté paie un même prix depuis le milieu du xvi e siècle1. Fertile en rebondissements, un interminable conflit oppose la communauté d'Ittenheim au Grand Chapitre qui ne désespère pas d'accroître le produit d'une dîme fixée jadis à l'arpent2. D'ailleurs, les juristes n'apprécient guère les baux communautaires. A propos d'une indélicatesse, le subdélégué de Haguenau estime vers 1760 qu'il est mal à propos de faire « une affaire de communauté de celle qui est privée et particulière à chaque habitant qui possède des biens ». Et d'ajouter : « On ne peut... empêcher les particuliers... de s'abonner avec le décimateur. » 3 Sans être abonnées, de nombreuses dîmes n'en sont pas moins « sclérosées », au grand bénéfice des fermiers. Fréquemment, des baux de brève durée stipulent des fermages anachroniques. C'est avec un surprenant retard que certains décimateurs routiniers prennent conscience de l'évolution des cultures et des possibilités de gain qui en découlent. Ce n'est qu'au milieu du XVIII e siècle que l'administration wurtembergeoise découvre avec quelque étonnement que l'avoine n'est plus guère cultivée dans la région de Colmar, qu'elle est remplacée par l'orge qui « vaut toujours la moitié de plus » et que les fermiers de la dîme font une bonne affaire en achetant au loin une médiocre avoine destinée au décimateur4. C'est avec un retard comparable que la même bureaucratie se rend compte des progrès de la culture du froment. Jusqu'en 1750, les fermiers de la dîme de Muntzenheim, « la plus considérable du comté d'Horbourg », ne livrent en guise de céréales d'hiver que du seigle. Désormais, le fermage sera stipulé partie en seigle, partie en froment. Par un réflexe qui nous est familier, les villageois se refusent à la moindre mise. Refusant de céder au chantage, l'administration wurtembergeoise engrange une fois de plus la dîme « pour être en mesure de découvrir les tours et ruses des paysans » 5 . En matière de dîme, le XVIII e siècle est surtout caractérisé par le développement d'un fermage spéculatif de plus en plus perfectionné. A la veille des troubles du x v n e siècle, l'adjudication de la dîme au plus offrant n'est pratiquée, semble-t-il, que d'une manière exceptionnelle6. Il n'en a pas été trouvé trace pendant la plus grande partie du x v n e siècle. Ce n'est que vers 1675 que quelques décimateurs commencent à découvrir les vertus des enchères. D'une manière significative, la communauté d'Uttenhofen proteste alors contre innovation jugée scandaleuse7. Cette pratique se répand au cours des dernières années du siècle et surtout 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Arch. min, Strasbourg, Hôpital, 1281. Arch. comm. Ittenheim, déposées aux Arch. dép. Bas-Rhin, 22. B.N.U. Strasbourg, ms. 848. Arch. nat., K 2322. Ibid. Arch. mun. Sélestat, Fonds Betbur, sans cote. Arch. Gayling.

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au début du XVIII e siècle. Après un épisode de perception directe, le bailliage de Wasselonne fait en 1693 une première expérience à Crastatt. Le résultat dépasse toutes les espérances1. Au hasard, notons des enchères à Busenberg (vallée de la Lauter) en 1701, à Langensoulzbach en 1704, à Batzendorf en 1714, à Wilwisheim en 1716, à Breuschwickersheim en 1714... Jusqu'en 1738, la Kirchschaffnei d'Ingwiller perçoit à Menchhofen la dîme réelle. Cette année-là, elle l'adjuge au plus offrant, en prenant soin d'attirer des amateurs d'Ingwiller et des villages du voisinage2. Rapidement, cette pratique s'étend à une grande partie de l'Alsace. Au milieu du siècle, tel est le mode d'amodiation habituel des dîmes seigneuriales du comté de Horbourg : « On ne les relève point, elles s'amodient presque chaque année par adjudication publique au plus offrant et dernier enchérisseur. » 3 « Presque chaque année » ! Ces mots sont lourds de signification ! Après les premiers succès des décimateurs, les paysans s'ingénient en effet à freiner la hausse des fermages. Pour de nombreux décimateurs, les « complots » des campagnards deviennent une véritable obsession. C'est à propos du fermage des dîmes que l'administration wurtembergeoise évoque au milieu du XVIII e . siècle les « collusions et complots... fort répandus parmi les paysans » 4 . Une telle entente est soupçonnée en 1778 lors de l'adjudication de la menue dîme d'Ingenheim et Schaffhouse, en Basse-Alsace5. Quelles sont les réactions des décimateurs ? Pour mettre au pas une communauté particulièrement rétive, pour faire un exemple, les décimateurs de quelque importance prennent de temps à autre la décision d'engranger eux-mêmes la dîme, pratique à laquelle il a déjà été fait allusion. En 1781 encore, la médiocrité des offres de la communauté de Weckolsheim fait envisager une telle solution. D'autres cherchent à briser la solidarité paysanne par de subtiles manœuvres dont l'amodiation des dîmes de la recette haguenovienne de l'abbaye de Wïssembourg nous livre quelques remarquables exemples. Au début du XVIII e siècle, ces dîmes sont louées à vil prix par le bailli Mannebach, fermier des revenus de l'abbaye6. En 1722, le receveur de Haguenau se heurte à d'énormes difficultés pour en tirer un fermage plus substantiel. Pour briser les « complots » des communautés, il prend l'initiative de faire participer aux enchères des étrangers et surtout des amateurs de Haguenau. En vain. Dès que les gens de la ville hasardent des mises, les villageois se font menaçants7. En désespoir de cause, le rece1. Arch. mun. Strasbourg, Conseil des XV, 1693, f ° 101. 2. Arch. dép. Bas-Rhin, Consistoire d'Ingwiller, 37. 3. Arch. nat., K 2360. 4. Ibid. 5. « Zu glauben, dass dieser Zehnte etwas höher würde gesteigert worden sein, wenn nicht gemeine Einverständnis wäre vermerkt worden, dass niemand diesen letzten Steigerer übersteigen sollte » (Arch. mun. Strasbourg, Hôpital, 458). 6. A propos de la dîme d'Ohlungen : « Hat Administrator Mannebach um ein Bagatell et quasi pro nihilo an Geld der Gemeinde hingeben » (Arch. dép. Bas-Rhin, G 5931). 7. « Ich hab... Fremde von Hagenau und auch anderen Orten mitgenommen gehabt, als aber diese darauf gesteigt, haben jene diese mit Schlägen abweisen wollen » (ibid.).

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veur surenchérit en personne1. Pour faire une leçon, il finit par céder la dîme aux Haguenoviens au prix offert en fin de compte par les villageois2. Ailleurs, ces procédés échouent lamentablement. Mieux avertie, une autre communauté soudoie les amateurs haguenoviens qui n'interviennent que pour la forme3. La dîme est enlevée pour une bagatelle 4 . Malgré les effets de surprise des décimateurs, l'obstination et l'ingéniosité des communautés ralentit considérablement le processus de hausse généralisée qu'ils espéraient de l'amodiation au plus offrant. A vrai dire, l'adjudication ne peut répondre pleinement aux espoirs des décimateurs dans la mesure où elle porte sur la totalité d'une dîme. C'est pour multiplier les offres, mettre un terme à l'emprise des gros laboureurs, rompre la solidarité des communautés, attirer les spéculateurs des villages voisins et surtout les petites gens du lieu, que certains décimateurs prennent rapidement la décision de diviser la dîme en lots. Dès 1736, la Kirchschaffnei de Bouxwiller adjuge séparément la dîme des céréales d'hiver et celle des grains d'été à Bischholtz 5 . En 1742, l'avocat strasbourgeois KäufHin, qui tient en gage la dîme d'Uttenhofen, procède à des enchères distinctes pour le blé, l'épeautre et le seigle6. En 1743, la dîme de Roppenheim comprend « trois classes », selon le degré de maturité des récoltes7. Vers la fin du xvni e siècle, cette manière de faire est particulièrement fréquente dans le Ried méridional. C'est culture par culture, céréales d'hiver, grains d'été, chanvre, pommes de terre, tabac, etc., que la dîme de Boofzheim est adjugée au plus offrant 8 . Enfin, c'est canton par canton que l'hôpital de Bouxwiller loue en 1790 sa dîme de Hattmatt. Les résultats ne se font pas attendre. Au milieu du siècle, les enchères sont poussées à un point surprenant à Roppenheim, village du Ried septentrional9. A la veille de la Révolution encore, ce mode d'amodiation permettra au décimateur d'exploiter au maximum la conjoncture démographique et sociale et d'obtenir des fermages invraisemblables10. 1. « Um aber die Bauern nicht Heister sein zu lassen, habe ich zuletzt noch 70 Malter... gesteigt und behalten » (ibid.). 2. « Habe solchen (Zehnten) ihnen Hagenauern um das nämliche was die Uhrweiler geben wollten überlasser » (ibid.). 3. Durrenbach : « Hätte die Gemeinde mit denen... Steigern... sich heimlich unterredet und... 20französischeneue Thaler bar bezahlt, worauf diese Hagenauer Steigerer mit denen Dörrenbacher Gemeindsleuten abermals nur pro forma gesteigt » (ibid., H 1110). 4. « Solcher Zehnte abermals auf ein Bagatell... getrieben worden sei » (ibid.). 5. Ibid., Consistoire de Bouxwiller, 52. 6. Ibid., E 890. 7. « In drei Klassen wie die Früchte nacheinander zur Zeitigung (kommen)... ein jeder darauf steigen möge » (Aich. mun. Bischwiller, CC 363). 8. Arch. dép. Bas-Rhin, E 846 et Q 4664. Pour Saasenheim, cf. ibid., Q 4668. Nous retrouvons le même procédé sur la rive droite, par exemple à Nonnenweier (Arch. Gayling). 9. « Weil der grosse Fruchtzehnte sehr hoch getrieben wurde und viele von denen in zahlreicher Versammlung anwesenden Personen auf die übrigen Zehnten ferner Lust bezeugt, man mithin von diesen Umständen profitiert... » (Arch. mim. Bischwiller, CC 363). Une fois de plus, les enchères sont im franc succès : « Gleich erstere über die Maassen ihren guten Fortgang gehabt» (ibid.). 10. Ibid., GG 7.

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Bien entendu, le perfectionnement du fermage spéculatif est lié aux progrès de l'information des décimateurs. C'est ainsi que les problèmes posés par l'amodiation des dîmes sont à l'origine d'une vaste enquête agricole, certes qualitative, conduite en 1789 par l'administration wurtembergeoise dans la région de Colmar1. Pour amodier en connaissance de cause ses dîmes du Kochersberg, l'abbaye de Schwarzach fait établir année par année une statistique agricole sommaire d'un certain nombre de terroirs2. Dans le Ried méridional, le fermage de la dîme par lots est souvent précédé de relevés minutieux portant de préférence sur les cultures précieuses. Schématisés à l'extrême, tels seraient les grands traits de la tenure de la dîme et de son évolution du xvi e au x v m e siècle. Cette évolution est loin de se dérouler au même rythme. Selon la nature et l'importance des décimateurs et la continuité de leur politique dîmière, selon le degré de cohésion et l'esprit d'initiative des communautés, selon l'emprise des spéculateurs sur les campagnes, bref, selon les nuances d'un subtil tissu de relations économiques et sociales, cette évolution admet d'une petite région et d'un village à l'autre de nombreuses survivances, à telle enseigne qu'une carte des tenures de la dîme à la veille de la Révolution se présenterait sans doute comme une mosaïque inextricable. Pour mieux saisir cette évolution d'ensemble, il reste à examiner avec quelque détail de nombreux points, parmi lesquels l'importance et les caractéristiques de la dîme figée, l'apparition et la routine de l'adjudication au plus offrant et le perfectionnement progressif du fermage spéculatif occupent une place de choix. Il conviendrait aussi de choisir quelques décimateurs typiques pour définir diverses politiques dîmières. Parmi les décimateurs de quelque importance, le Grand Chapitre de Strasbourg, les chapitres de SaintPierre-le-Jeune et de Saint-Pierre-le-Vieux, l'abbaye de Schwarzach et l'hôpital de Bouxwiller en Basse-Alsace, l'administration wurtembergeoise et le Direktorium der Schaffneien de Bâle, en Haute-Alsace, se prêteraient sans doute à une telle étude.

T E N U R E D E LA DÎME E T T E N U R E D E LA T E R R E

Ces réserves faites, les données recueillies jusqu'ici se prêtent à l'esquisse d'une comparaison des tenures de la dîme et de la terre. Pour une telle étude comparée, la dîme figée présente un grand intérêt. Qu'elle soit réglée par un contrat d'abonnement en bonne et due forme ou qu'elle découle de quelque bail anachronique, la dîme figée fait en effet songer à l'emphytéose collective, parfois même communautaire, 1. J . VOGT, « Notes agraires sur la région d e Colmar au X V I I I e siècle » , Annuaire de la Société historique et littéraire de Colmar, 1967. 2. J . VOGT, « Statistiques agricoles du Kochersberg au XVM E siècle » , Bulletin de la Société d'Histoire de Saverne, 1967.

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plus souvent de fait que de droit, si fréquente dans la plaine de BasseAlsace surtout 1 . De même que les « collecteurs » rassemblent la quotepart d'un chacun pour former des « fermages » figés, dispersés à l'extrême, assimilables à un cens emphytéotique, les communautés forment année par année des dîmes, elles aussi immuables à la manière de quelque cens. De la même manière, propriétaires et décimateurs finissent par devenir à proprement parler des « rentiers » , prompts à négocier des fractions indivises de « fermages » ou de « dîmes », assimilés les uns et les autres à des rentes et dont la répartition et le recouvrement leur échappent bien souvent 2 . Groupes de paysans et communautés se considèrent sincèrement comme les « possesseurs » de terres et de dîmes qu'ils croient grevées d'un cens ou d'une « rente », sentiment qui entretient cet état d'esprit d'emphytéote qui est l'une des forces de certaines campagnes rhénanes. Une contre-épreuve nous est d'ailleurs fournie par le parallélisme de la reprise de certaines emphytéoses de fait et de la mise en question de certaines dîmes figées. Inspirées par un même réflexe de « réaction seigneuriale », ces entreprises sont fondées sur les mêmes arguments : existence d'anciens baux à ferme tacitement reconduits ; remises de fermages accordées en particulier au cours de la crise du X V I I siècle et incompatibles avec des contrats emphytéotiques. Persuadés de leur bon droit, les paysans considèrent volontiers de telles reprises comme des spoliations pures et simples. A cet égard, une étude approfondie de la dîme figée contribuerait certainement à éclairer un aspect essentiel d'une psychologie rurale qui n'a encore guère retenu l'attention des historiens des campagnes rhénanes. De même que ces reprises, les étapes du développement du fermage spéculatif des terres et des dîmes présentent à première vue un parallélisme remarquable. C'est à la même époque que propriétaires et décimateurs découvrent les vertus de l'amodiation au plus offrant, mesurent les obstacles qui s'opposent à la hausse des fermages et cherchent à tirer parti de la conjoncture démographique, sociale et économique pour accroître le produit de leurs terres et de leurs dîmes. Un même effort est entrepris pour adapter les fermages à la réalité des terroirs et en particulier aux progrès de la culture du froment. Il convient cependant d'insister sur le caractère essentiellement qualitatif des informations qui nourrissent de tels rapprochements. Les aires occupées par les diverses tenures de la terre et de la dîme aux principales étapes de leur évolution et le rythme de cette dernière, à l'échelle de la petite région et du village, nous échappent en effet en grande partie. S'il est possible d'esquisser le domaine des terres soumises à un régime emphytéotique de fait, la répartition des dîmes figées reste inconnue, à E

1. Cf. J . VOGT, travaux cités supra. 2. Un exemple : en 1613, Rudolf von Breitenlandenberg vend à Hans Heinrich Hüffel 13 sacs de blé et de seigle, fraction d'une « rente dîmière » perçue à Achenheim (Arch. mun. Strasbourg, Contrats, 1613).

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quelques jalons près. Il ne fait pas de doute que le fermage spéculatif des dîmes déborde largement l'aire du fermage perfectionné de la terre, fermage qui ne triomphe véritablement que dans l'extrême nord de l'Alsace. Faut-il s'étonner de telles divergences ? Si l'affermage des terres ne suscite le plus souvent qu'un intérêt local, à l'échelle du village et tout au plus du groupe de villages, l'amodiation des dîmes attire une clientèle de spéculateurs des villes et des campagnes et se fait souvent à l'échelle de la petite région. L'ombrageuse sensibilité dont les campagnards font preuve lors des enchères est à la mesure de l'enjeu. E n revanche, le lotissement spéculatif des fermes et des dîmes, étape tardive qui n'apparaît souvent qu'à la veille de la Révolution, s'étendrait à première vue à un même domaine. Au total, nous avons cependant le sentiment que l'évolution des tenures de la dîme est le meilleur enregistreur psychologique et social. Subordonnée il est vrai à la collecte de données quantitatives qui font si cruellement défaut et en particulier à l'exploitation de séries continues de baux, une confrontation systématique des tenures de la terre et de la dîme serait certes fructueuse.

L A POLITIQUE DÎMIÈRE D E S COMMUNAUTÉS

La discussion des tenures et de leur évolution nous a fait entrevoir la politique dîmière des communautés. A vrai dire, la communauté est au centre du problème du faire-valoir de la dîme. Au risque de nous répéter, c'est d'abord du point de vue de la communauté qu'il convient d'apprécier les problèmes posés par la succession ou l'alternance de la perception directe, du fermage de gré à gré et du fermage spéculatif. Qu'elle soit le fait du décimateur lui-même ou de quelque fermier, seigneur du lieu, riche laboureur ou spéculateur de la ville, la perception directe ne présente généralement que des inconvénients pour les campagnards. Tempérée il est vrai par de nombreuses fraudes, elle tend à lui faire porter tout le poids de la dîme. E n outre, le prélèvement d'une partie de la paille menace un fragile équilibre. Si la communauté de Merxheim insiste en 1623 pour avoir la préférence de l'amodiation de la dîme, c'est qu'elle a besoin de toute la paille pour fumer ses terres 1 . Au Kochersberg, la communauté de Gimbrett reproche à la perception directe de l'avoir privée d'une paille précieuse 2 . X. Arch. dép. Haut-Rhin, C 238. 2. « So lang das Spital den Zehnten selber eingescheuert, grossen Mangel an Stroh gelitten » (Areh. mim. Bouxwiller, Cm 9). Nous apprenons en 1760 que la paille exerce un grand attrait sur les fermiers des dîmes de la région de Colmar : « Bekannt, das die meisten um des Strohes willen steigern, für ihr Vieh des Winters Fütterung zu haben » (Arch. dép. Haut-Rhin, E 695). C'est un aspect très fréquent de l'amodiation de la dîme. A propos de la crise des fourrages qui sévit en 1785 en Champagne, nous apprenons que « quantité de ces dîmes sont affermées à des particuliers qui ne résident pas dans les lieux où elles se perçoivent » (Arch. nat., H 1625).

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Sans cesse, les communautés dignes de ce nom, cohérentes, sûres d'elles-mêmes, cherchent à mettre la main sur la dîme. L'amodiation à la communauté met un terme au laborieux et tracassier ramassage des gerbes. Chacun engrange librement ses récoltes et c'est en grains, parfois en grains d'une autre année ou achetés ailleurs, ou encore en espèces, que chacun fournit sa quote-part. Obscurément, le règlement de la dîme par sacs, par l'intermédiaire de la communauté, est considéré comme une espèce d'émancipation. E t le contrôle de la dîme contribue à consolider des communautés sans cesse menacées d'éclatement. Inversement, le retour à la perception directe irrite profondément les communautés, comme le montre la colère des paysans de Marlenheim lors de l'amodiation de la dîme de l'abbaye de Haslach à un fermier strasbourgeois1. C'est avec prédilection, répétons-le, que certains décimateurs traitent, au cours de la seconde moitié du xvi e et au début du x v n e siècle surtout, avec les communautés. Certaines d'entre elles ont en quelque sorte le monopole de l'amodiation de la dîme. Cette dernière donne lieu à tout un rituel. A l'appel de la cloche, la communauté se réunit pour discuter d'un fermage ménageant les intérêts des deux partenaires et désigner les notables qui se mettront en route pour soumettre une offre au décimateur. Les archives conservent la trace d'un grand nombre de telles assemblées, à Boofzheim en 15762, à Elsenheim en 15873, à Heerdt en 1599 4 . Au terme d'une discussion menée rondement, l'on s'arrête le plus souvent à un fermage avantageux pour la communauté, acceptable pour le décimateur. Bien que les sources soient moins explicites, ce rituel subsiste sans doute au x v m e siècle. Le 14 juillet 1789, c'est au nom de la communauté de Reichstett que quatorze paysans louent la dîme des Boisgautier, famille de robe de Colmar5. Sans doute une « assemblée » précède-t-elle, comme au xvi e siècle, la signature du bail. Mais c'est la dîme figée qui est véritablement le triomphe de la communauté. De génération en génération son poids s'allège. Elle finit par devenir anachronique. Au x v m e siècle, voici des dîmes figées qui sont le reflet de la répartition des cultures et des rendements du xvi e siècle. Aussi la dîme figée assure-t-elle à un certain nombre de communautés 1. « Nicht vermeint, dass sie könnten von solcher Lehnung abgetrieben werden — Der Zehnte... auf dem Feld wider alt Herkommen eingesammelt werden sollte — Es haben... die... Untertanen geklagt, dass ihnen grosse Beschwerden und verleidentliche Neuerungen von der Herren Einsammler widerfahren — Die gemähte Gerst sei ihnen in dem besten Ort des Stücks... genommen worden, das es doch wie sie sagen heisst Zehnten geben und nicht nehmen. » E t si les abus se poursuivaient, les villageois prendraient leurs intérêts en main : « Wann ihnen den Herrn Einsammler nicht abgewehrt werden sollte, würden sie verursacht werden, wie sie sagten, ihre Heugabeln zu gebrauchen » (Arch. mun. Strasbourg, VI 106/1). 2. « Sie gesandt wären von den Leuten und ganzer Gemeind gemelten Dorfs B„. die Gemeind deshalben mit läutender Glocken zusammen beruft und beieinander versammelt gewesen » (ibid., Contrats, 1576). 3. « Sie von allen Leuten und ganzer Gemeind des Dorfes... ausgefertigt und ihnen vollkommene Gewalt verliehen » (ibid., Contrats, 1587, f° 95). 4. « Die ganze... Gemeind läutender Glocken zusammen versammelt worden » (ibid.. Contrats, 1599). 5. Arch. dép. Bas-Rhin, O, Affaires diverses, Reichstett.

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une véritable rente. Un ordre de grandeur nous en est donné vers le premier quart du x v m e siècle à propos d'une dîme litigieuse à Entzheim. Par rapport aux baux usuels ou à la perception directe, les laboureurs « prétendent gagner plus du double m1. Rappelons le « profit clair » tiré par la communauté de Gimbrett d'un bail régulièrement reconduit2. A cette « rente » s'ajoute d'ailleurs le bénéfice d'une subtile répartition de la dîme figée, pratique dont quelques exemples seront examinés plus loin. Ainsi certaines communautés disposent-elles d'une confortable « marge bénéficiaire » qui ne serait pas étrangère à la relative prospérité que l'une ou l'autre d'entre elles connaissent au x v m e siècle. Enfin, quelques communautés profitent des ennuis financiers des décimateurs pour entrer en possession de dîmes. Longtemps l'abbaye de Schwarzach engage la dîme de Kleinfrankenheim à la communauté, avant de la reprendre, pour la lui louer il est vrai, au grand déplaisir des paysans3. Au début du XVIII e siècle, les Turckheim s'eflorcent en vain de reprendre la menue dîme engagée en 1561 à une communauté qui n'entend pas lâcher prise4. L'une ou l'autre communauté réussit d'ailleurs à faire l'acquisition définitive d'une fraction de dîme ou de la dîme de quelque canton. Au lendemain des troubles du X V I I e siècle, la communauté de Roggenhouse possède le quart de la dîme, par une « usurpation indigne », est-il insinué aussitôt5. A la Révolution, la communauté de Lipsheim est propriétaire d'un douzième de la dîme6, tandis que les gens d'Olwisheim prétendent posséder la dîme de 25 arpents7. L'origine de ces « dîmes communales » nous échappe cependant, encore qu'il soit permis de songer à des acquisitions récentes. Avant même les troubles du x v n e siècle, cette tendance à la mainmise des communautés sur la dîme est cependant contrecarrée de temps à autre par quelque incident. Ainsi les négligences et la mauvaise foi de la communauté de Marlenheim finissent par faire perdre patience au décimateur, l'abbaye de Haslach. Un violent conflit oppose le chapitre strasbourgeois de Saint-Pierre-le-Jeune à la communauté de Geipolsheim. En pareil cas, quelles sont les réactions des communautés ? Sans exception, elles s'estiment spoliées. La dîme est-elle amodiée à un fermier étranger, voilà qu'elles invoquent un droit de préférence ou de priorité (Abtrieb, Einstand), celui-là même qui réserve aux indigènes le fermage des terres. Mauvais payeur, la communauté de Riedwiller est privée, au profit d'étrangers, du bail de la dîme de l'abbaye de Neuwiller. Aussitôt elle tente de faire jouer le droit de préférence pour se débarrasser des 1. 2. 3. (Bad. 4. 5. 6. 7.

Arch. mun. Strasbourg, Hôpital, 3162. Arch. dép. Haut-Rhin, coll. Corberon, 23. « Von unerdenklichen Jahren... der Fruchtzehnt der Gemeind allda... versetzt worden » Generallandesarchiv, 105/135). Arch. dép. Bas-Rhin, minutes notariales (Courtz) et G 4910. Arch. nat., K 2334. Arch. dép. Bas-Rhin, Q 3064. Ibid., Q 3066.

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intrus. L'affaire est portée jusqu'à Wetzlar î1 Telle est aussi la réaction des paysans de Merxheim lors de l'amodiation de la dîme à deux fermiers de Bergholtz 2 . E t à défaut d'arguments, les communautés ne reculent ni devant les menaces ni devant les voies de fait, à Geispolsheim par exemple et à Merxheim précisément 3 . Les événements du x v n e siècle, l'évolution démographique et sociale du XVIII e siècle et la virulence croissante des décimateurs mettent à rude épreuve de nombreuses communautés et menacent de plus en plus les baux collectifs. La cohésion des communautés est menacée en particulier p a r les progrès du fermage spéculatif. Pour sauvegarder non seulement u n bail avantageux, mais aussi, semble-t-il, le traditionnel esprit communautaire, le prévôt de Rheinzabern (sud du Palatinat) n'hésite pas à interdire aux paysans de participer, sous peine d'amende, aux enchères 4 . Prise de court, la communauté de Gimbrett sévit en 1715 contre deux brebis galeuses qui ont l'audace d'amodier à leur seid profit la dîme du chapitre strasbourgeois de Saint-Pierre-le-Vieux, dîme traditionnellement louée à la communauté 5 . De telles parades ne peuvent cependant être que très exceptionnelles. Souvent les progrès du fermage spéculatif font apparaître au grand jour des intérêts contradictoires. C'est ainsi que le désaccord des paysans et des artisans rend malaisée l'amodiation collective de la dîme de Wasselonne en 1692. Sous la menace de la perception directe, les deux partis finissent cependant par s'entendre 6 . Dans les villages, l'amodiation de la dîme facilite la cristallisation de factions qui cherchent à s'emparer d'elle non seulement pour faire un honnête bénéfice, mais aussi pour affirmer leur puissance. Aux communautés qui échappent à cet insidieux processus de désagrégation, il reste à faire face aux enchérisseurs étrangers. Quelques-unes d'entre elles ont certes une réputation telle que personne n'ose s'y frotter 7 . Le plus souvent, seule une subtile politique dîmière, à la mesure de l'habileté du décimateur, permet aux communautés d'écarter cet autre danger et de sauvegarder la traditionnelle mainmise sur la dîme. Il est possible de trouver la trace de délicates tractations avec les villageois du voisinage. E n 1739, ces derniers ne participent que pour la forme à l'ad1. Ibid., Wetzlar, 540. 2. Arch. dép. Haut-Rhin, C 238. 3. En 1623, les fermiers de la dîme de Merxheim se heurtent à la communauté en armes : « Die von Merxheim sie mit... Spiess und anderen Waffen... mit gewehrter Hand verhindert » (ibid.). 4. 1720 : « Hat der alte Schultheiss jederzeit den Gemeindleuten verboten... zu steigen, damit... solcher Zehnt der Gemeinde bleibe » (Arch. dép. Bas-Rhin, G 5928). 5. Arch. dép. Haut-Rhin, coli. Corberon, 23. 6. « Der Gemeind Uneinigkeit, dann einige lehnen wollen, etliche nicht — Das Privatinteresse der Ackerleute gegen die armen Handwerksleute... » (Arch. mun. Strasbourg, Conseil des XV, 1692, f° 153). 7. Tel serait le cas de Wittersheim en 1785, à propos de la dîme du trèfle : « Kein Mitbürger noch weniger ein Fremder es wagen dürfte noch wollte, solchen an sich zu steigen » (Arch. dép. Bas-Rhin, Consistoire de Bouxwiller, 49).

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judication d'une dîme à Reitwiller 1 . E n 1761, les paysans de G i m b r e t t , d o n t nous connaissons l ' a t t a c h e m e n t a u bail collectif, dissuadent le prév ô t de Rumersheim de faire monter le fermage de la dîme de l'hôpital de Bouxwiller 2 . Il est certes plus malaisé d'affronter le spéculateur v e n u de la ville. Si la dîme est enlevée p a r u n bourgeois, la c o m m u n a u t é s'efforce parfois de la sous-louer pour sauver une fois de plus le fermage traditionnel et prévenir u n e redoutable intrusion dans la vie d u village. Cette dernière p a r a d e se t r a d u i t p a r d'étranges cheminements. C'est ainsi q u ' à la veille de la Révolution la dîme de Griesheim (Kochersberg) est amodiée p a r Apprederis, fermier d u Grand Chapitre de Strasbourg, à u n laboureur de Truchtersheim qui la loue à son t o u r a u x notables de Griesheim, porteparole de la communauté 3 . De la même manière, 77/256 e de la dîme de Duntzenheim sont loués en 1762 p a r u n e demoiselle de Kirchheim au boulanger strasbourgeois Sébastien K o n r a d , qui sous-loue aussitôt à des villageois cette même fraction de la dîme 4 . E n outre, la multiplicité des décim a t e u r s impose a u x communautés u n e politique de regroupement d o n t on devine les difficultés. A u total, il est exceptionnel q u ' u n e c o m m u n a u t é a tienne » la dîme d ' u n e manière continue, directement ou p a r l'intermédiaire d ' u n groupe de notables. Sans doute l'exploitation de nombreuses séries de b a u x ferait-elle apparaître dans la p l u p a r t des cas u n e alternance des communautés avec les laboureurs et les spéculateurs des villes. Il convient cependant d'éviter l'écueil de l'idéalisation de la commun a u t é . Il est certes permis de soupçonner de véritables « c o m m u n a u t é s ». A Cosswiller, l'esprit d'égalité est tellement ancré que la dîme est louée alternativement à l'une et à l'autre moitié des paysans 5 . A mesure que la différenciation sociale s'affirme, a u x x v n e et X V I I I e siècles surtout, la c o m m u n a u t é devient de plus en plus l'affaire des laboureurs. Si personne n'ose se f r o t t e r a u x gros paysans de Wickersheim, ces derniers n ' a d m e t t r a i e n t jamais, à leur tour, que les petites gens s'intéressent à u n e dîme à leur portée 6 . A cet égard, l'examen de la répartition des dîmes « tenues » plus ou moins longtemps p a r les communautés ne m a n q u e pas d'intérêt. Le t e r m e même de répartition (Austeiler) a p p a r a î t souvent dans les textes. Le plus souvent, les paysans sont imposés en n a t u r e , au p r o r a t a des terres soumises à la dîme qu'ils cultivent, selon u n e t a x e immuable ou variable selon les circonstances 7 . A Marlenheim, il est bien précisé a u 1. Arch. mun. Bouxwiller, Cm 10. 2. « Die Gimbretter Bauern ihn von höherem Steigen abwendig gemacht » (ibid., Cm 9). 3. Arch. dép. Bas-Rhin, Q 3928. 4. Ibid., Notariat Strasbourg, II 1. 5. « Alle Jahr die Bürger... umgewechselt und je ein Teil ein Jahr um das andere diesen entlehnt und also eine gute Gleichheit hierin gehalten » (Arch. mun. Strasbourg, VI 169/10). 6. 1785 : « Eine Gemeinde wie diese ist, wo die Bauern den Meister spielen und keiner der dasigen wenigen Taglöhner sich daran wagen dürfte » (Arch. dép. Bas-Rhin, Consistoire de Bouxwiller, 49). 7. Voici, à titre d'exemple, le tarif de Nordheim en 1664 : « Ist der Acker Winterfrucht auf 5 Vierling halb Weizen und Korn und der Acker Sommerfrucht auf ein Sester halb Gersten und Habern gelegt worden » (Arch. comm. Nordheim, déposées aux Arch. dép. Bas-Rhin, 41).

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d é b u t d u X V I I e siècle que la dîme est prélevée mit dem Mess1. Les archives communales d ' I t t e n h e i m 2 et de Nordheim 3 conservent de remarquables états d'emblaves ( x v n e et x v m e siècles) qui servaient d'assiette pour la répartition de la dîme 4 . Il est cependant malaisé de serrer cette formule de près. A Ebersheim, au d é b u t du X V I I e siècle, chacun dépose sa quote-part à la Bürgerstube5. A Bischheim et H œ n h e i m , u n certain nombre de notables dits Zehntbürger sont chargés en 1611 de rassembler et de livrer le fermage de la dîme d u Grand Chapitre 6 . E n 1726, le m o d e de répartition de la dîme est évoqué avec quelque détail à Gries 7 . Bref, ces notations p e r m e t t e n t d'entrevoir une solide organisation favorable à la survie d ' u n esprit communautaire menacé de t o u t côté. Il s'en f a u t cependant que cette répartition soit parfaite. D ' a b o r d , elle ne semble tenir aucun compte des différences de rendement liées soit a u mode de culture des divers groupes sociaux soit à la n a t u r e des sols. D ' u n e manière remarquable, l'accent est mis sur cette inégalité p a r u n mémoire consacré vers 1630 à la dîme de Marlenheim, mémoire d o n t nous avons tiré p a r t i à plusieurs reprises déjà 8 . Cas certes extrême, la dîme figée finit parfois p a r ne plus grever la récolte, mais la terre, processus de fixation classique qui pose certes de délicats problèmes. Les communautés ne réclament-elles pas la dîme de terres en friches ? C'est ainsi que Pfulgriesheim exige en 1715 de la Commanderie de S a i n t - J e a n à Strasbourg la dîme d'une cinquantaine d ' a r p e n t s restés en friches pend a n t quelques années. La c o m m u n a u t é d ' I t t e n h e i m perçoit sur les terres en friches la quote-part de la dîme abonnée versée au Grand Chapitre. Problème ancien d'ailleurs : au d é b u t du X V I I e siècle, u n conflit s'élève entre les héritiers du bourgeois strasbourgeois H a n s Ingold, co-propriétaires d ' u n e dîme figée, au s u j e t de la n a t u r e c o m m u n a u t a i r e de cette dernière 9 . Cette réserve faite, la « t a x e » en n a t u r e présente parfois d'étranges inégalités. A la suite d ' u n e évolution t r o p complexe p o u r être retracée ici, les paysans d ' I t t e n h e i m et Handschuheim d o n t les terres sont cependant grevées p a r u n e même dîme abonnée, ne sont pas imposés de la même manière : trois Vierling les uns et les autres, certes, mais formés de deux tiers de blé et d ' u n tiers de seigle à I t t e n h e i m et a u 1. Arch. m m Strasbourg, VI 106/1. 2. Arch. comm. Ittenheim, déposées aux Arch. dép. Bas-Rhin, 29. 3. Arch. comm. Nordheim, ibid., 41. 4. Ces états présentent bien entendu un très grand intérêt. Ils seront exploités prochainement. 5. Arch. dép. Bas-Rhin, 19 J 569. 6. Arch. m o i . Strasbourg, Contrats, 1611. 7. « Hat die Gemeinde schon lange Zeit her den Zehnten von dem Stifte zum jungen St. Peter... gelehnt gehabt welcher dann nicht auf dem Felde gezehnt, sondern von jedem Eigentumsherren heimgemacht und hiernach von Stabhalter und Gericht ein Austeiler, was jeder Bürger zu dem Quanto... beitragen sollte, angelegt worden » (Arch. dép. Bas-Rhin, E 1689). 8. A propos de la dîme de Marlenheim, au début du XVIIe siècle : « E s nur über den Armen geht, der aus Armut seine Acker übel bauet und noch dazu an bösen Orten hegen hat, der muss mit dem Sester eben so viel als der Reiche von seinem guten Acker, er habe gleich geblümt oder nicht, geben » (Arch. mun. Strasbourg, V I 106/4). 9. Arch. dép. Bas-Rhin, 19 J 570.

L E P R O D U I T D E LA D I M E

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contraire d'un tiers de blé et de deux tiers de seigle à Handschuheim1. A proprement parler, les gens d'Ittenheim subventionnent leurs voisins. Cette inégalité est ressentie d'autant plus que ces derniers sont des « conquérants » qui ne cessent d'arrondir leurs terres 2 . Seule la crainte de favoriser une fois de plus les entreprises du Grand Chapitre de Strasbourg retient les paysans d'Ittenheim d'exiger une égalisation des contributions à la dîme commune. Quant aux juristes colmariens, ils en perdent leur latin : « Leur manière de dîmer... est si extraordinaire qu'on peut la dire sans exemple, n'étant parfaitement connue que d'euxmêmes. » 3 Dans certains cas, le prélèvement de la dîme par la communauté se prête à des abus caractérisés. C'est ainsi que « la saine et majeure partie de la communauté » de Nordheim exige en 1773 que soient redressés « les abus qui ont été pratiqués jusqu'à présent au préjudice de la communauté » 4 . Au milieu du x v m e siècle, le curé de Wingersheim loue à la communauté la menue dîme pour la somme de 80 â. « qui se paie par répartition » et une fourniture de bois. Cette répartition produit un excédent dont une partie a passe par la gueule des préposés », dont une autre « tombe dans la poche du prévôt et des dits préposés » et dont le surplus entre dans la caisse commune. Pendant de longues années, personne n'ose se plaindre ouvertement de tels abus pour la simple raison que « le curé... et le prévôt son frère sont la terreur de Wingersheim » ! 5 Nous voilà loin de la « démocratie rurale » qu'il est parfois permis de soupçonner au xvi e siècle et dont il a été fait trop grand cas, nous semble-t-il, au X V I I I e siècle. Enfin, il est permis de se demander de quelle manière les communautés imposent les cultivateurs des villages voisins. A Marlenheim, la cc taxe » en nature est réservée au début du X V I I e siècle aux indigènes, tandis que les étrangers laissent dans les champs la dixième gerbe6. Cette pratique contribue encore à alléger le poids de la dîme. Aux portes de Strasbourg, l'abonnement se prête à une entreprise d'une habileté consommée. En 1712, Oberhausbergen s'abonne à la dîme du Grand Chapitre. Bientôt, la communauté adjuge au plus offrant la dîme des récoltes des forains, parmi lesquels les jardiniers strasbourgeois sont nombreux. A lui seul, ce fermage permet à la communauté de régler l'abonnement « à peu de chose près » et d'exempter les villageois « sinon pour le tout, du moins pour la plus grande partie de leurs terres » 7 . Et pourquoi les villageois ménageraient-ils les cultures riches de jardiniers •qui ne cessent d'envahir leur terroir ? Arrêtons-nous là. Quelques bribes, de nombreux points d'interroga1. Arch. comm. Ittenheim, ibid., 23. 2. 1788 : « Immer mehrere Acker an sich erheiraten, erkauften und ererben » (ibid.). 3. Ibid. 4. Arch. comm. Nordheim, ibid., 41. 5. B.N.U. Strasbourg, ms. 848. 6. Arch. mun. Strasbourg, V I 106/1. 7. Cette affaire est très complexe dans le détail (Arch. mun. Strasbourg, Notaires, 515 ; Arch. •dép. Bas-Rhin, Notariat Strasbourg, V I I I 65).

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t i o n , m a i s q u e d e p e r s p e c t i v e s p o u r u n e é t u d e détaillée, p a r le biais d e la tenure de la dîme, de la m e n t a l i t é e t d e l ' o r g a n i s a t i o n des c o m m u n a u t é s ou d e ce q u i en r e s t e !

L'ACCAPAREMENT D E LA DÎME PAR LES SEIGNEURS

C o m m e d ' a u t r e s p r o p r i é t a i r e s , c e r t a i n s seigneurs c h e r c h e n t à l o u e r la d î m e q u i g r è v e leurs p r o p r e s récoltes. D ' a u t r e s v o n t p l u s loin e t p r a t i q u e n t u n e politique d'accaparement de la dîme. N o n s e u l e m e n t l ' a m o d i a t i o n de la d î m e c o n t r i b u e à asseoir t r è s c o n c r è t e m e n t leur a u t o r i t é , m a i s elle f o u r n i t aussi des bénéfices s o u v e n t s u b s t a n t i e l s . L e s e i g n e u r n ' e s t - i l p a s p a r f o i s le m i e u x placé p o u r p e r c e v o i r la dîme, d a n s les meilleures c o n d i t i o n s possibles, p o u r é v i t e r les f a u x f r a i s , p o u r f a i r e e n t e n d r e r a i s o n à des c o m m u n a u t é s d o n t le m a u v a i s vouloir f a i t le désespoir d e t a n t de décimateurs ? P o u r a c c a p a r e r les d î m e s , les seigneurs u t i l i s e n t les p r o c é d é s les p l u s d i v e r s . Les u n s s ' h u m i l i e n t p o u r a r r i v e r à leurs fins. A u d é b u t d u x v n e siècle, J a c o b zu R h e i n m u l t i p l i e les bassesses p o u r o b t e n i r d e l ' a b b é de Lucelle le bail d e la d î m e d e N i e d e r m o r s c h w i l l e r . T o u t a u s s i r é g u l i è r e m e n t , il sollicite à t o u t p r o p o s des « d i m i n u t i o n s ». A l'occasion, il n ' h é s i t e p a s à r é c l a m e r l ' e x e m p t i o n de d î m e de ses p r o p r e s terres 1 . Se c r o y a n t fin j u r i s t e , le seigneur de B l œ s h e i m exige à la fin d u x v n e siècle u n d r o i t de p r é f é r e n c e p o u r le b a i l de la d î m e d ' u n c h a p i t r e s t r a s b o u r geois 2 . A g i t a n t le d r o i t d'Einstand, il envisage de s ' e m p a r e r s a n s p l u s d e la d î m e 3 . D e violentes p r o t e s t a t i o n s n e m a n q u e n t p a s de s'élever d e toute part. D ' a u t r e s a c c a p a r e n t b r u t a l e m e n t des dîmes. Sous p r é t e x t e de disposer d ' u n e g r a n g e , le seigneur de S t u t z h e i m i n t e r d i t en 1629 à la c o m m u n a u t é d e louer la d î m e d u c h a p i t r e de S a i n t - P i e r r e - l e - J e u n e 4 . A u d é b u t d u XVIIIE siècle, les j é s u i t e s de C o l m a r se p l a i g n e n t a m è r e m e n t des a g i s s e m e n t s de M a d a m e de M o n t j o i e , seigneur de H i r s i n g u e : « Sous p r é t e x t e qu'elle m a n q u e de paille p o u r sa bergerie e t la q u a n t i t é d e b e s t i a u x qu'elle n o u r r i t », elle exige r é g u l i è r e m e n t la p r é f é r e n c e p o u r le b a i l de la d î m e . Les p a y s a n s p r o t e s t e n t - i l s ? A d e u x reprises, elle m e n a c e de p r i s o n « c e u x q u i se p r é s e n t e r a i e n t p o u r l ' a m o d i e r . . . d e s o r t e q u e p e r s o n n e n ' o s a i t l ' e n t r e p r e n d r e » 5 . Vers 1772 encore, la l i b e r t é d ' a c t i o n d u D i r e k t o r i u m d e r S c h a f f n e i e n de B â l e sera l i m i t é e p a r de telles interventions6. 1. Arch. dép. Haut-Rhin, Lucelle, 100. 2. « Er ist... auf dem irrigen Gedanken geraten, sie möchten ihren Zehnten geben wem sie wollten, so hätte er als Obrigkeit die Einstandsgerchtigkeit » (Arch. dép. Bas-Rhin, E 843). 3. « Er sich durch einige favorable Indicia angefrischt, verlauten lassen, dass er seinen Teil Zehnten durch seine Domestiques auf dem Feld enlevieren lassen » (ibid.).

4. Ibid., G 4910.

5. Ibid., Jésuites de Colmar, 252. 6. Bâle, Staatsarchiv, Direktorium der Schaffneien, 2 J.

LE PRODUIT D E

LA

DÎME

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Quels que soient ses motifs, quels que soient les procédés mis en œuvre, la mainmise seigneuriale sur les dîmes est le plus souvent redoutée a u t a n t d u décimateur que des paysans, tous deux à la merci de seigneurs habiles ou autoritaires. F a u t e de concurrence, le revenu d u décimateur s'amoindrit inévitablement. La t e n t a t i v e d'accaparement d u seigneur de Blaesheim fournit ainsi une bonne occasion d'affirmer la libre concurrence en matière d'amodiation des dîmes 1 . « D a m e t r o p intéressée », nous disent les jésuites de Colmar, Madame de Montjoie « ne v e u t j a m a i s livrer la dîme à u n e valeur correcte » 2 . Sans cesse, les paysans p r o t e s t e n t contre l'accaparement des dîmes p a r les seigneurs. A deux reprises, en 1626 et 1629, la c o m m u n a u t é de Stutzheim se plaint de ne pas être autorisée p a r son seigneur à louer la dîme 3 . Q u a n t à la c o m m u n a u t é de Bliesheim, elle refuse catégoriquement de négocier le compromis que lui propose son seigneur 4 . Les intérêts des décimateurs et des paysans convergent parfois d ' u n e manière si remarquable qu'ils se m e t t e n t d'accord p o u r chasser l'intrus. Reprenons deux de nos exemples. Exaspérée p a r les jérémiades et les exigences de J a c o b zu Rhein, l ' a b b a y e de Lucelle finit p a r louer la dîme de Niedermorschwiller à u n groupe de paysans dont le seigneur réussira cependant à se faire a d m e t t r e comme associé 5 ... La politique d'accapar e m e n t de Madame de Montjoie, seigneur de Hirsingue, fait perdre patience a u x jésuites de Colmar qui décident en 1705 de louer la dîme a u x paysans : ils sont mieux payés que jamais ! 6 Que valent ces exemples glanés au hasard des dépouillements ? Si de telles tentatives d'accaparement étaient nombreuses, l'amodiation de la dîme présenterait sans doute u n grand intérêt p o u r Yétude concrète de la seigneurie alsacienne, en particulier à la fin d u X V I I e et a u début du X V I I I e siècle.

L E S SPÉCULATEURS D E S CAMPAGNES

E n grand nombre, les notables des campagnes p o r t e n t u n vif intérêt au fermage de la dîme. Il convient cependant de distinguer deux cas. A.u X V I I I e siècle surtout, les b a u x ne p e r m e t t e n t pas t o u j o u r s de savoir si les laboureurs agissent pour leur compte ou s'ils représentent discrètem e n t une c o m m u n a u t é . Il ne fait cependant pas de doute que la p l u p a r t des aubergistes, meuniers, bouchers, etc., et de n o m b r e u x laboureurs 1. « J e d e m einheimischen und fremden solchen zu bestehen erlaubt gewesen » (Arch. dép. Bas-Rhin, E 843). 2. Ibid., Jésuites de Colmar, 252. 3. 1626 : « Die Untertanen... beschweren sich, dass ihr Herr, der v o n U l m , den Zehnten bestehe, sie begehren, ihn selbst zu lehnen » (ibid., C 4910). 1629 : « Sie hätten den Zehnten gern, wenn es die Obrigkeit zuliesse » (ibid.). 4. « Sie hätten nichts m i t uns, sondern den Decimatoribus, welchen der Zehnt allein zukäme, zu t u n » (ibid., E 843). 5. Arch. dép. H a u t - R h i n , Lucelle, 100. 6. Arch. dép. Bas-Rhin, Jésuites de Colmar, 252.

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considèrent l'amodiation de la dîme non seulement comme une opération fructueuse dans l'immédiat, mais aussi comme un moyen parmi d'autres de tenir sous leur coupe soit des communautés entières, soit les petites gens. Le plus souvent, meuniers, aubergistes, bouchers, etc., agissent d'ailleurs seuls. En 1700, c'est à un meunier qu'est louée une fraction de la dîme d'Adolsheim à Ensisheim1. A la même époque, la Direktorium der Schaffneien amodie à l'aubergiste de « La Clef » la dîme de Kembs 2 . En 1715, la dîme de Schaffersheim est aux mains d'un aubergiste d'Erstein3. L'année suivante, une dîme bourgeoise, Küglerischer Fruchtzehnte, à Mutzig, est louée au meunier de la Schlossmühle4. En 1728, c'est pour neuf ans que le chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux amodie la dîme d'Offendorf à l'aubergiste de « La Charrue » s . Vers 1740, la dîme d'Uttenhofen est adjugée au meunier de l'Uttbrûckenmiihle. Gschwind, maître de poste à Helfrantzkirch, est en 1775 fermier de la dîme de Winkel6. En 1783, l'aubergiste de Wieboisheim se fait adjuger une dîme à Fegersheim7. De temps à autre, ces personnages ont cependant des associés. En 1773, la dîme de Meistratzheim est amodiée pour neuf ans au boucher et cabaretier à l'enseigne du « Bœuf », associé à un laboureur. En 1788, l'aubergiste du « Lion » à Brumat s'associe à de petits nobles pour louer la dîme de Gries et Kurtzenhausen8. Parmi les notables villageois, voici aussi, de temps à autre, quelque curé entreprenant, tel, en 1745, le curé de Grenzingen qui loue la dîme du Direktorium der Schaffneien à Grenzingen même et à Henflingen9. En 1789, c'est encore le curé du même village qui cumule les dîmes de Henflingen, Oberdorf et Waldighoffen10. Ce n'est que d'une manière très exceptionnelle que les laboureurs s'attaquent seuls à une dîme. Ainsi c'est à Loyson, riche laboureur de Wingersheim, que le subdélégué Hatzel loue en 1712 les dîmes qu'il possède dans les environs11. Les laboureurs forment volontiers des associations. En 1715, deux laboureurs de Gimbrett affrontent la communauté pour emporter la dîme du chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux 12 . C'est au prévôt ou à son prédécesseur que l'abbaye de Schwarzach loue vers 1705 la dîme de Quatzenheim et Dossenheim13. En 1700, le Direktorium der Schaffneien amodie à 4 laboureurs la dîme de Grenzingen14. Six laboureurs, 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.

Aich. dép. Haut-Rhin, Notariat Ensisheim, Baux. Baie, Staatsarchiv, Direktorium der Schaffneien, 3 J . Arch. Gayling. Arch. dép. Bas-Rhin, E 9X8. Ibid., G 4871. Bâle, Staatsarchiv, Direktorium der Schaffneien, 3 J . Arch. dép. Bas-Rhin, E 1127. Ibid., G 4871. Bâle, Staatsarchiv, Direktorium der Schaffneien, 3 J . Ibid. Arch. dép. Bas-Rhin, Notariat Haguenau, 150. Arch. dép. Haut-Rhin, coli. Corberon, 23. Arch. dép. Bas-Rhin, H 485bis. Bâle, Staatsarchiv, Direktorium der Schaffneien, 3 J .

L E PRODUIT D E LA DÎME

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quatre du lieu et deux de Niedernai, sont en 1739 fermiers de la dîme de l'abbaye de Moyenmoûtiers à Meistratzheim. Au milieu du siècle, la dîme de Kembs est louée « à 8 ou 10 des plus opulents de l'endroit M1. Certaines communautés sont divisées en factions qui se disputent le bail de la dîme. A Roppenheim, une vive concurrence se manifeste au milieu du x v m e siècle déjà 2 . E n 1788, nous assistons à une lutte serrée entre deux « compagnies ». Les anciens adjudicataires mettent tout en œuvre pour empêcher leurs rivaux, dirigés par un riche laboureur (Arnoldische Compagnie) 3 , de s'emparer de la dîme. Après l'échec de plusieurs tentatives de compromis, les premiers pratiquent une surenchère forcenée pour garder le contrôle de la dîme dont le fermage passe de 1 800 à 2 300 fl., 3 000 avec les frais 4 . C'est le triomphe du décimateur ! Il est malaisé de savoir de quelle manière laboureurs et autres notables, isolés à l'origine ou associés, exploitent leurs baux. Pratiquent-ils la perception directe avec tous ses inconvénients ? Taxent-ils les villageois à l'arpent ? Sous-louent-ils ? Concluent-ils des accords avec les communautés ? Quels sont, d'une manière générale, leurs rapports avec ces dernières ? Conflit ouvert dans certains cas, à Gimbrett par exemple 5 . Ailleurs, il s'établit une entente, du moins pour les affaires brûlantes. C'est ainsi que les sous-fermiers de la dîme de Réguisheim refusent de percevoir la dîme des pommes de terre. Pour le décimateur, il ne fait pas de doute qu'ils « colludent avec leurs concitoyens pour acquérir la prescription » 6 . Dans certains cas, les notables pratiquent une politique très personnelle qui aboutit à dénaturer la dîme, au grand dam du décimateur. Prenons l'exemple de Kembs. Au milieu du X V I I I E siècle, les superficies de maïs et de tabac diminuent. A l'insu du décimateur, les fermiers abandonnent au curé la perception de la dîme, et à condition pourtant que les amodiateurs... qui possédaient la plus grande partie des champs de blé de Turquie et de tabac n'en paieraient rien au curé » 7 . Pour terminer, notons que quelques laboureurs réussissent à devenir maîtres de l'une ou l'autre dîme. Une telle acquisition est signalée à Sermersheim en 1786 8 .

L E S SPÉCULATEURS DES VILLES

C'est de deux manières que les bourgeois, au sens large du terme, s'intéressent à la dîme. Quelques-uns d'entre eux possèdent des dîmes 1. Ibid., Q 91/5. 2. Aich. mun. Bischwiller, CC 363. 3. Arnold nous est présenté en ces termes : « Ein notorisch reicher Mann — Halb Neuhäusel gehört ihm » (ibid., GG 7). 4. « Die alten und die neue Zehnten-Compagnien haben alles erschöpft, um einer der anderen diesen Zehnt zu verteuern » (ibid.). 5. Arch. dép. Haut-Rhin, coll. Corberon, 23. 6. Ibid., E 151. 7. Bâle, Staatsarchiv, Q 91/5. 8. Arch. dép. Bas-Rhin, Q 3066. 9

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et singulièrement des « rentes dîmières jj1. Bourgeois des grandes villes et bourgeois des petites villes, proches des notables des campagnes, pratiquent volontiers la spéculation dîmière, à laquelle les personnages les plus divers participent d'une manière occasionnelle ou habituelle. Voici d'abord le monde des affaires, grandes et petites, du négoce à la boutique. A la fin du xvi e siècle, un exemple suffira : c'est à un Prechter que l'abbaye de Moyenmoûtiers loue en 1586 sa dîme de Niedernai2. Vers le premier quart du x v m e siècle, Sarcelle, changeur et homme d'affaires, porte un grand intérêt aux dîmes des environs de Strasbourg. Vers 1720, il est fermier du chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux pour sa dîme de Geispolsheim3. En 1726, c'est pour quatre ans qu'il loue, à raison de 300 sacs de blé, seigle et orge, la dîme de Holtzheim4. En 1714, le Stabhalter de Breuschwickersheim n'offre que 90 sacs, mi-blé mi orge, pour une partie de la dîme. Aussitôt deux négociants strasbourgeois, Spindler et Lerse, proposent l'un 132, l'autre 140 sacs, fermages véritablement révolutionnaires et défiant toute concurrence5. Autre marchand strasbourgeois, Jean-Michel Essig déploie une grande activité. C'est ainsi que l'abbaye de Schwarzach lui amodie de 1734 à 1742 les trois quarts de la dîme de Mommenheim. Le fermage est stipulé en espèces. Il est vrai que notre homme fournit à l'abbaye diverses denrées, Krâmerei, ce qui simplifie les comptes6. En 1754, nous retrouvons Essig comme fermier de la fraction d'une dîme que les Zorn de Plobsheim possèdent à Gebolsheim7. A deux reprises, en 1749 et 1754, le Conseiller Wild emporte le bail d'une dîme à Breuschwickersheim, à l'ouest de Strasbourg, région où il s'efforce d'ailleurs de regrouper des terres 8 . Vers le milieu du x v m e siècle, c'est au négociant mulhousien Zetter que M. de Brinighofen loue sa dîme d'Illzach 9 . En 1720, le chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux amodie ses dîmes de Niederschseffolsheim et Weitbruch à Samuel Lirot, marchand de bestiaux et riche boucher de Bischwiller 10 . Le haut personnel administratif ne néglige pas cette occasion de défendre ses intérêts. Vers 1700, le grand prévôt Calmet participe au bail de la dîme du chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux à Oberhoffen. Au milieu du x v i n e siècle, l'hôpital de Strasbourg loue non seulement des terres, mais aussi sa dîme d'IUkirch au préteur Klinglin qui est d'ailleurs seigneur du lieu 11 . Le personnel moyen et la faune des économes sont sou1. Ce patrimoine sera discuté en marge d'une étude de la propriété foncière de la bourgeoisie alsacienne. 2. Arch. mun. Strasbourg, Contrats, 1586. 3. Arch. dép. Bas-Rhin, G 5064. 4. Ibid., G 5251. 5. Arch. Gayling. 6. Bad. Generallandesarchiv, 105/949. 7. Arch. dép., E 1285. 8. J . VOGT, « A propos de la propriété bourgeoise en Alsace », Revue d'Alsace, 1961. 9. Arch. nat., K 2335. 10. Arch. dép. Bas-Rhin, G 5064. 11. Arch. mun. Strasbourg, Hôpital, 1281.

LE PRODUIT DE LA DIME

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vent sur les rangs. Associé au bailli Keller, l'économe Reiss propose, en 1645,150 sacs de grains pour la dîme de Holtzheim, estimée à 200 sacs, et ne cesse d'intriguer pour enlever l'affaire 1 . C'est à son propre économe strasbourgeois que l'abbaye de Schwarzach loue à l'occasion sa dîme de Furdenheim. En 1717, Graf, procureur du magistrat de Colmar, est fermier de dîmes à Sainte-Croix-en-Plaine et Aiidolsheim2. En 1738, Schulmeister, procureur à Bouxwiller, se fait amodier pour six ans la dîme de l'abbaye de Schwarzach à Mommenheim3. Un dernier exemple : lors des adjudications, lot par lot, de la dîme de Boofzheim, Gillot, Amtsschreiber à Benfeld, emporte en 1777 le bail des grains d'hiver et l'année suivante celui des céréales de printemps4. Il ne serait pas sans intérêt d'examiner le rayon d'action des fermiers des différentes villes. C'est ainsi que les bourgeois des petites villes du vignoble seraient particulièrement tentés par l'amodiation des dîmes des terroirs de grande culture de la plaine. C'est à deux bourgeois de Kaysersberg que l'abbaye d'Alspach loue en 1581 un bel ensemble formé par les trois quarts de la grosse dîme du Rheinfelderhof, de Nambsheim et de Balgau5. En 1625, Yalentin Vogel, bourgeois de Thann, est fermier de la dîme de Fessenheim6. Il est sans doute permis de penser que de tels baux facilitent l'approvisionnement du vignoble en grains. En outre, il conviendrait de préciser de quelle manière ces amodiations s'intègrent dans l'ensemble des entreprises financières, commerciales et foncières des bourgeois. Une fois de plus, se pose la question de savoir de quelle manière les fermiers tirent parti des baux que leur consentent les décimateurs. D'abord, nous retrouvons le forfait. En 1700, c'est en espèces et par fauchée que les paysans de Weitbruch règlent le fermier de la dîme du foin 7 . D'une manière significative, le bail conclu au milieu du x v i n e siècle par M. de Brinighofen avec l'un de ses fermiers mulhousiens au sujet de la dîme d'Ulzach laisse à ce dernier le choix entre la sous-location et la perception directe8. Le sous-fermage est certes tentant. Sans grand risque, il permet bien souvent de faire un honorable bénéfice. C'est ainsi que le boucher Lirot et un associé gagnent 50 sacs de grains et 60 fl. en souslouant à une communauté une dîme qu'ils tiennent du chapitre de SaintPierre-le-Vieux. La découverte de cette confortable « marge bénéficiaire » ne manque d'ailleurs pas d'indisposer ce dernier et de le rappeler au sens des réalités9. De la même manière, le receveur strasbourgeois de Schwarzach s'empresse de sous-louer à la communauté la dîme de 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

Arch. dép. Bas-Rhin, G 4911. Arch. nat., K 2352. Bad. Generallandesarchiv, 105/185. Arch. dép. Bas-Bhin, Q 4664. Arch. dép. Haut-Rhin, AIspach, 4. Arch. nat., K 2322. Arch. mun. Bischwiller, CC 360. Arch. nat., K 2335. Arch. dép. Bas-Rhin, G 4341.

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J . VOGT

Furdenheim que l'abbaye vient de lui amodier1. Après l'avoir évincée, les fermiers bourgeois sont tout heureux de se décharger sur la communauté des tracas de la perception de la dîme... En 1779, les fermiers juifs de la dîme de la garance à Pfaffenhofen sont moins heureux : la défaillance de leurs trois sous-fermiers les oblige à la sous-louer à d'autres. En 1782, à Bischwiller, Isaac Bertrand, négociant entreprenant et riche, tire des progrès du fermage spéculatif la leçon qui s'impose. C'est par adjudication publique qu'il sous-loue une dîme à lui amodiée par le chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux. Quant à la perception directe de la dîme par un fermier bourgeois, elle ne cesse de poser de redoutables problèmes. A des communautés déjà indisposées par la surenchère bourgeoise, elle ne laisse en effet aucune échappatoire si ce n'est la mauvaise volonté générale, la fraude et la violence. C'est le moment de revenir rapidement sur l'affaire de Marlenheim, au début du x v n e siècle. En 1613, rappelons-le, l'abbaye de Haslach, de guerre lasse, prive la communauté du bail de la dîme. Par l'intermédiaire du receveur de l'abbaye d'Altdorf, est amodiée au Strasbourgeois Robert Kœnigsmann, dit der Engelländer, personnage entreprenant et attachant, père de la culture du tabac dans la région de Strasbourg. Notre homme n'hésite pas à choisir la perception directe, solution dangereuse entre toutes. Mal lui en prend. Tous ses efforts d'organisation sont contrecarrés par une fraude prodigieuse2. Imperturbablement, les villageois lui refusent la dîme des cultures de jachère 3 . Sans cesse, ils protestent contre ses procédés cavaliers 4 . Victime de paysans entêtés, abandonné par le décimateur lui-même, Kœnigsmann échoue dans son entreprise avant même que son bail n'expire5. Au milieu du x v m e siècle, les fermiers colmariens se heurtent à de grosses difficultés. Une fois de plus, la perception directe est rendue malaisée et coûteuse par le refus obstiné des communautés de louer des granges : cc L'on a souventes fois observé que lorsqu'un étranger s'avise d'enchérir, ceux du lieu lui refusent des granges quand même il voudrait payer le loyer au triple et qu'ils n'eussent pas besoin desdites granges. » C'est à cause de l'opiniâtreté de ceux qui y en ont des vides » que le fermier colmarien de la dîme d'Andolsheim en est réduit, en 1749, à la faire voiturer en ville à grands frais. De telles difficultés ne manquent pas de décourager les amateurs, au grand dam des décimateurs. Aussi l'administration -wurtembergeoise songe-t-elle au milieu du X V I I I e siècle à 1. Ibid.,

H 481.

2. Plainte caractéristique : « Sie von dem Weizenfeld zum Teil alles hinweggefühlt und gar nichts davon geben, zum Teil aber von 20 und bis in 30 Garben nur eine für den Zehnten liegen lassen, welche sie unter dem Haufen am allerkleinsten mit Fleiss gebunden und zum Teil inwendig mit leeren Stoppeln ausgefüllt » (Arch. mun. Strasbourg, VI 106/1). 3. « Hat mit Hilfe des Stifts stark gesucht, aber wegen... alten Herkommens nicht erlangen können » (ibid.). Cette affaire fera prochainement l'objet d'une note. 4. « Sind sie mit ihren Fuhren gar viel bei Nacht über ihre Früchten gefahren » (ibid.). 5. « Admodiatores als weltliche Personnen mit Bereitung der Felder, rennen, laufen und klagen, sowohl bei hohen und niederen Standspersonen der Bauern Bosheit und Schalkheit, so jedweder pfeifend zu seinem Vorteil betrüglich hinter seinem Pflug erdicht, nicht können hintertreiben noch erzwingen » (ibid.).

LE

PRODUIT

DE

LA

DIME

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construire et à mettre à la disposition des fermiers étrangers un réseau de granges dîmières, « moyen le plus sûr pour empêcher les complots que les paysans sont accoutumés de faire entre eux lors de l'adjudication des dîmes, car ces granges seigneuriales mettraient chacun à même d'amodier la dîme sans qu'il aurait besoin d'entrer au préalable en composition avec les paysans pour s'assurer d'une grange M 1 . N O U S retrouvons ainsi les problèmes qui ont servi de point de départ à notre esquisse.

PERSPECTIVES

En esquissant quelques aspects de la tenure de la dîme, nous avons certes mis la charrue devant les bœufs. Que savons-nous de la dîme ellemême ? Il reste à l'inventorier, à la cartographier, à préciser la place qu'elle occupe dans le revenu des décimateurs les plus divers, bourgeois compris. Du moins pensons-nous avoir montré qu'une étude approfondie de la dîme ne saurait être entreprise en vase clos, d'une manière formelle, d'un point de vue institutionnel. Pour être fructueuse, une telle étude ne peut que déboucher sur la vie sociale et économique au sens le plus large du terme, au moyen d'une discussion serrée de l'évolution de la tenure de la dîme, elle-même confrontée avec la tenure de la terre. Conçue de cette manière, l'étude de la dîme est sans doute l'un des meilleurs moyens dont nous disposions pour nous attaquer à la psychologie et à la sociologie des campagnes. Nous espérons avoir fait sentir combien l'examen de la tenure de la dîme permettait de suivre l'évolution de la communauté dont l'examen est trop souvent faussé par des clichés et des abstractions. Bien que moins fréquente que le fermage communautaire, l'amodiation de la dîme aux seigneurs ouvre des horizons insoupçonnés sur l'économie et la psychologie de la seigneurie alsacienne dont l'étude souffre des même vices de méthode. A mesure que faiblit l'emprise des seigneurs et surtout des communautés, les baux nous familiarisent avec une foule de spéculateurs recrutés parmi les notables des campagnes et les bourgeois. Quelle est l'ampleur de ces spéculations ? Quels en sont les risques et les bénéfices ? De quelle manière s'insèrentelles dans l'ensemble des opérations financières et commerciales de ces personnages ? L a discussion de l'emprise des villes sur les campagnes ne peut que bénéficier d'un examen approfondi non seulement de la propriété, mais aussi de la tenure de la dîme. Perspectives encourageantes pour de jeunes historiens qui auraient la patience de passer au peigne fin des sources d'une extraordinaire richesse, le courage de jeter par-dessus bord une foule d'idées reçues et tout un « rituel » qui tient lieu de méthode et, enfin, la sagacité de déceler les riches nuances d'une sociologie et d'une vie économique qui continuent de nous échapper en grande partie. 1. Arch. nat., K 2322.

ALBERT

SILBERT

La production des céréales à Beaime d'après les dîmes, XVIe-XVIIIe siècles*

La possibilité de reconstituer une série longue des dîmes perçues par l'église collégiale Notre-Dame de Beaune paraît offrir une occasion assez exceptionnelle ; celle d'avoir une idée précise de la production des céréales pendant près de trois siècles dans une zone géographique bien délimitée. Pour que cette possibilité se concrétise, il est essentiel que l'on soit fixé sur la valeur de la série. L'histoire statistique se doit de ne pas succomber au vertige que risque d'entraîner la découverte des chiffres. Il lui appartient de déterminer le degré de probabilité de ses conclusions. Nous n'hésiterons donc pas à nous attarder sur l'étude critique des sources. Ces sources se trouvent dans la série G des Archives départementales de la Côte-d'Or. Deux groupes de documents donnent un relevé des dîmes de la collégiale de Beaune.

a) G 2915, n os 2-10. Ce sont des documents d'origine notariale rendant compte soit du déroulement des enchères par localité (« montées »), soit des contrats d'amodiation effective, soit des deux à la fois. En cas d'absence de contrat, on peut considérer que le dernier enchérissement permet de connaître le taux réel de l'amodiation. b) G 2927, n°s 1-187. Il s'agit cette fois des comptes de la grèneterie. Le comptable enregistre à part, chaque année, les quantités perçues au titre des dîmes, céréale par céréale. Chacune des deux sources présente des lacunes quelquefois importantes. Mais il se trouve que la juxtaposition des deux permet de recons» MME VEYBASSAT-HERREN et M M E HEAD-KÔNIG ont dépouillé une partie des sources utilisées pour cet article. M m e Head-Kônig a dressé les graphiques et calculé l'indice global.

LE PRODUIT D E LA DÎME

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t i t u e r u n e série très satisfaisante. L a première année sur laquelle on possède des renseignements est 1509, la dernière 1788. Il v a de soi cepend a n t que la continuité n'est pas identique p o u r toutes les localités concernées. Si l'on considère l'ensemble, on r e m a r q u e que le nombre d'années pour lesquelles on ne dispose d ' a u c u n renseignement est e x t r ê m e m e n t faible. La lacune globale la plus i m p o r t a n t e v a de 1658 à 1661. Plusieurs localités p e u v e n t être groupées dans u n m ê m e dîmage. La liste alphabétique des dîmages est la suivante : Beaumont Beaune Bligny et Curtil Chassagne Comblanchien

Gigny La Queue-du-Vernoy Les Houëttes Mandelot, Mavilly et Lauxey Montagny, Le Poil, La Borde-au-Bureau

Pommard Santenay Serrigny Travoisy Volnay

Nous laissons de côté quelques rares dîmages qui n'apparaissent que très épisodiquement. La m a j o r i t é des localités est située dans la plaine. Sont situés sur la côte : P o m m a r d , Volnay, Chassagne, S a n t e n a y . Mavilly et Mandelot sont sur l'arrière-côte. I . — V A L E U R D E LA SÉRIE

La valeur de la série ne p e u t être appréciée que si l'on se pose plusieurs questions. 1. Dîme et production. La première est une question de principe. Celle d u r a p p o r t e n t r e la production réelle et la dîme. Les contrats d'amodiation sont faits a v a n t la récolte, sur le v u des apparences. La récolte véritable pourrait être différ e n t e de celle prévue p a r le preneur. E n fait, le danger de discordance est limité p a r la date des enchères qui ont lieu très généralement en juillet, au plus t ô t fin juin. Des incidents météorologiques sont évidemment encore possibles in extremis, mais des diminutions peuvent s'ensuivre qui sont enregistrées sur le contrat. Ainsi en 1684, les amodiateurs d u grand dîme de Beaune n ' o n t versé que 24 bichets 6 mesures d'avoine a u lieu des 37 bichets 6 mesures prévus, « à cause des chaleurs » et après visite des terres d u image p a r deux p r u d ' h o m m e s , u n avocat et u n laboureur. E n 1691, à Travoisy, le contrat d u 8 juillet accorde u n a b a t t e m e n t de 1 bichet, sur le prix de la m o n t e (6 bichets 6 mesures), commencent les vendanges avant leur I Indice nominal ouverture officielle, afin d'éviter le paieIndie« argent "deflate" ment de la dîme du vin 4 , refusent le paiement de la quotité établie. Ainsi, en 1789, lors d'un procès-verbal de tournées, le paysan auquel on demanda s'il n'avait laissé que 11 petites gerbes pour la dîme de sa grande quantité de blé et sur quel t a u x il avait payé le droit de la dîme, « lequel t e n a n t à sa main u n bâton d'environ deux pieds de long sur trois pouces au moins de grosseur, nous a répondu qu'il n'était pas fait pour nous dire sur quel t a u x il avait payé la dîme de sa récolte, qu'il avait fait laisser ses 11 gerbes, que nous les prendrions si nous voulions, mais que si nous ne sortions pas bien vite de sa terre, il allait nous en faire repentir, 1. Ibid., p. 32. 2. COCHARD et D'AIGUEPERSE, « Notice sur le canton de Beaujeu », Archives statistiques et historiques du Rhône, 1825, 2 ; cité par A. CHOLLEY, op. cit.-, p. 34. 3. Ainsi le vin, dans le Lyonnais, est souvent soumis à une quotité plus légère que celle des céréales. 4. Aich. dép. Rhône, 10 G 1947, n° 28.

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DÎME

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accompagnant ces menaces de jurements atroces qui blessent non seulement la décence, mais la religion m1. Ces trois hypothèses peuvent expliquer l'allure des indices décimaux, considérés en eux-mêmes. Mais une autre réflexion s'impose cependant. Nous n'avons, pour l'instant, raisonné que sur des indices décimaux, déflatés en blé. Est-il légitime d'analyser les courbes ainsi produites en termes de hausses et de baisses de production agricole ? Une alternative est-elle possible, suggérée par la confrontation des courbes décimales 1. Ibid., 10 G 1948. A u t r e cas, celui de Charles B u r d e l , f e r m i e r d ' u n e t e r r e c o n t e n a n t e n v i r o n 30 bicherées m o i t i é e n f r o m e n t e t l ' a u t r e en trèfle e t e n c h a n v r e . L e f e r m i e r des d î m e s d ' A n s e , F r a n ç o i s V a r a m b o n , a c o m p t é q u ' i l lui r e v e n a i t 16 gerbes. É t a n t r e v e n u u n e d e u x i è m e fois a p r è s d e u x heures, il c o n s t a t e q u ' i l n e r e s t e q u e 8 gerbes p o u r la d î m e . I n t e r p e l l é , Charles B u r d e l r é p o n d « q u ' i l est f â c h é d ' e n avoir a u t a n t laissés, interpellé de signer sa r é p o n s e , a r e f u s é de le faire » (ibid.).

11

162

A.-L. HEAD-KÖNIG

2001S0 CHAPITRE ST-JEAM : DIMES

807060-

50-

CHAPITRE St.JEAN : RENTE FONCIÈRE

8070~ 6050-

200-

150CHAPITRE SI.PAUL : DÎMES.

GBAPH. 25. — Dîmes

et rentes. base 100 = 1731-1745

CHAPITRE St.PAUL : RENTE FONCIÈRE200-

150-

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- f = Indice nominalIndice argent "deflate"

1540

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1610

1620

et des courbes de rente foncière (Graph. 25) ? Les quatre courbes analysées ont, en effet, un comportement quasi identique, avec quelques divergences mineures, pour le chapitre Saint-Jean, dans les périodes 1664-1689 et 1778-17831 et pour le chapitre Saint-Paul dans la période 1736-1741. Est-il trop hardi alors, dans le cas du Lyonnais, d'admettre que les indices décimaux construits à l'aide de baux en argent, souvent décennaux, ne reflètent plus guère le mouvement de la production agricole ? Il me semble que le correctif de la « déflation » appliqué à la valeur 1. La divergence de la période 1664-1669 s'explique sans doute par les lacunes dans la construction de l'indice.

1630

L E PRODUIT D E LA

163

DIME

- r t ï Fin

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nominale des baux ne permet pas, en fait, de remédier à l'inconvénient de baux en argent pluriannuels que je qualifierai de « neutres » dans le cas du Lyonnais, parce que leur critère est loin d'être exclusivement celui de la rentabilité agricole et qu'ils sont pratiquement inflexibles par nature. Ils ne témoignent jamais d'une baisse importante du prix nominal d'un bail, pendant toute la durée de celui-ci. Les baisses sont des phénomènes isolés de faible amplitude, ne portant que sur un nombre restreint d'années, rarement supérieur à deux ans, et qui ne sont accordées, après coup, que lors de crises frumentaires particulièrement graves, telles qu'en 1709. La faible élasticité des prix nominaux des baux dans le sens de la

164

A.-L.

HEAD-KÔNIG

baisse, ne leur permet donc pas de neutraliser les fortes variations des prix du blé. De sorte que les courbes du Lyonnais, tant décimales que de rente foncière, ne sont en fait que le reflet inversé des soubresauts violents du mouvement du prix du blé. Or, le prix du blé ne s'établit pas seulement en fonction du volume de la récolte. « A un niveau déterminé de la production ne correspond nullement un niveau déterminé des prix, M1 Si le traitement par la déflation des courbes en argent du Lyonnais ne nous a pas permis d'aboutir à l'établissement d'un indice de la production agricole lyonnaise, il nous a néanmoins fourni quelques renseignements sur l'évolution du revenu ecclésiastique aux X V I I et X V I I I siècles. e

X. C . E . LABBOUSSE, Esquisse P a r i s , 1932, p . 392.

du mouvement des prix et des revenus en France au X

e

A N N E - L I S E ET

B E A T R I C E

H E A D - K Ô N I G

V E Y R A S S A T - H E R R E N

Les revenus décimaux à Genève de 1540 à 1783 Premiers résultats

Genève protestante a sa dîme également. Pour Genève aussi, et son petit territoire rural, elle représente le seul indicateur possible d'une conjoncture céréalière locale. Il s'agit donc ici d'une dîme laïcisée : la Réforme a fait de la ville un État souverain se substituant aux droits féodaux de l'évêque, héritant des biens et revenus ecclésiastiques. Il est amusant de noter ce que suggère à ce propos François-Gratien Micheli du Crest dans une lettre à la Société économique de Berne (1761)1 : « Si après avoir ozé hazarder quelque chose en politique sur les Causes de la liberté Helvetique, J e ramène mes regards sur notre petit Etat ; J e dirai aussi que la stérilité de notre Terrein a pû contribuer à préparer les evenements qui ont operé notre liberté Temporelle et Spirituelle ; si dans le Tems de la Reformation, notre Evêque eut été plus riche, et ses possessions d'un meilleur revenû, Il se seroit defendû parce qu'il auroit eu de quoi se defendre, et si lorsqu'il parût ceder ses droits a la maison de Savoye, le morceau eut parû plus friand, et que nos Environs eussent été alors comme ils le paroissent aujourd'hui, brillantez par les engrais du Commerce, Ces Princes auroient probablement fait de plus grands efforts pr saisir leur proie : heureusement dans le Tems qu'ils auroient pû les faire, Le Tableau de la Ligue leur presenta de plus grands objets, Ils saisirent l'ombre pr le Corps ; Les Victoires d'Henri quatre et la paix de Vervins dans laquelle on fit mention de notre Indépendance nous enleverent a nos Ravisseurs ; Mais il n'est pas moins vraisemblable que si notre Petite Vallée eut reçu de la nature un terroir aussi fertile que celles du Milanez nous ne nous serions pas soustraits a la puis1. Citée par Jean-Daniel CANDAUX, « François-Gratien Micheli du Crest et l'agriculture genevoise de son temps. Documents et notes pour servir à l'histoire des idées physiocratiques

h o r s d e F r a n c e » , i n Mélanges

Babel, Genève, 1963, II, p. 84.

d'histoire

économique

et sociale en hommage

au professeur

Antony

166

A.-L. HEAD-KÔNIG ET B . VEYRASSAT-HERREN

sance Ecclésiastique ou a ses défenseurs aussi aisement que nos Peres le firent. » Territoire restreint, dont la fertilité est mise en question par ce physiocrate genevois, territoire morcelé, enchevêtrement des juridictions, partages, échanges occasionnels de terres : telles sont les caractéristiques de notre terroir étudié, du terroir dîmé. Il n'est pas utile de décrire dans ses détails une situation où l'ancienne suzeraineté épiscopale, puis la Réforme et l'indépendance, les conquêtes genevoises et bernoises et les prétentions des ducs de Savoie n'ont pu créer les conditions d'un territoire homogène et d'une perception fiscale simple. Il suffit de dire que les séries décimales retenues couvrent les quatre parties d'origines diverses du territoire genevois : la ville et son auréole suburbaine (s'étendant jusqu'au Petit-Saconnex, à Chêne et à Cologny), soit les anciennes « franchises », les terres qui avaient appartenu à l'Évêché (mandement de Peney — Bourdigny, Choully, Satigny, Peissy, Dardagny, Russin, etc. — et mandement de Jussy), celles du chapitre cathédral de Saint-Pierre et du prieuré Saint-Victor (Moëns, Collex, Pregny, Feuillasse, Meyrin, Yernier, Lancy, Onex, Bernex, Petite-Grave, Troinex, terroir de la Champagne).

I . — L E S SOURCES

Le point initial de nos courbes (1540) se confond pratiquement avec la date de naissance de la République (1536). Les troubles du temps et le premier désarroi administratif se sont gravés dans le matériau fiscal conservé aux Archives d'État de Genève. Cependant la multiplicité des sources qu'elles nous révèlent, dans ce domaine, de provenance ainsi que de qualité diverses, nous a permis de remédier à un certain nombre de lacunes. Mais pourquoi, dans la série des recettes décimales, y a-t-il solution de continuité en amont de 1540 ? Nous avons multiplié nos investigations dans les sources comptables existantes ; en vain. Ces documents furentils détruits, perdus ? Nous n'avons en définitive que la dîme levée par la Seigneurie de Genève. C'est un des revenus de l'Etat, un revenu important, appartenant à la Chambre des Comptes et versé au receveur des grains. Aussi avonsnous recouru au fonds des Finances de la Seigneurie. Le document principal sur la perception de la dîme consiste en une suite de sept cartables : ils renferment, pour la période allant de 1436 à 1779, les Actes des amodiations annuelles des —

50-

\AA

4030i-

Sl-GUILLAUME ET LAS PÉROUSAS

80-

70h605040-

10070— 60-

504030-

GRAPH. 32. — Séries du

« Pays coupé ».

1390 1400 1410 1420 1430 1440 1450 1440 1470 1480 1490 1500 1510 1520 1530 1540 1550

1560 perçue seulement en seigle. Elle a été réévaluée « tout seigle » pour rétablir l'unité de la série.

Manson, Thèdes, Champeaux. Altitude intermédiaire. Au début du XVIe siècle, est tiercée ; mais dès 1559, est en seigle ; exceptionnellement s'y ajoutent un ou deux setiers d'avoine. Autre exception : 1541 est accensée moitié seigle et moitié avoine. L a série a été réévaluée « tout seigle » .

207

LE PRODUIT DE LA DÎME



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Il semble, du moins au x v n e siècle, que les années paires aient des acenses toujours plus fortes que les impaires. Sans doute la dîmerie de Saint-Alyre était-elle plus étendue dans la sole récoltée les années paires. Séries concernant Bravant. Dans le texte on a déjà parlé de ce village situé dans la paroisse d'Olby et dont la seigneurie appartenait aux prémontrés de Saint-André. L'ac-

208

P.

CHARBONNIER

tion de ces derniers au milieu du X V I I e siècle a profondément bouleversé le mouvement des revenus : cependant il est possible de constituer pour la période ultérieure deux séries exemptes de variations intrinsèques. 1) La série de la dîme-percière à la cinquième partie des fruits de l'ensemble du image du village (domaine de Saint-André excepté) depuis 1680, année qui marque la fin de la formation de ce domaine. Dîmes accensées, puis affermées. Comportent une part de seigle qui varie autour de deux tiers, le reste en avoine. On a unifié la série en comptant le setier d'avoine à la moitié du setier de seigle. 2) La série du domaine de Saint-André qui ne commence qu'en 1710 car auparavant le domaine était en métayage et ses revenus sont mal connus. Les fermes comportent une part en argent assez faible qui représente les revenus de l'élevage et une part en grains. Il n'a été tenu compte que de celle-ci, unifiée selon le principe énoncé ci-dessus. Séries de la

Plaine.

Dîme du Port (cf. Graph. 31, supra, pp. 204-205).

Cette dîme recouvre essentiellement la paroisse du Port, une des trois grandes paroisses du Clermont d'Ancien Régime. Elle s'étendait notamment sur l'espace séparant Clermont de Montferrand, et vers Le Puy-de-Crouelle. C'est donc une dîme péri-urbaine. Sols riches de Limagne. Le chapitre du Port en est le propriétaire. Au X V I e siècle, il y avait plusieurs petites dîmeries, généralement accensées séparément. Le fonds du chapitre du Port renferme des livres de baux d'accenses qui permettent de construire une série assez continue aux X V I e et x v n e siècles1. Malheureusement la dîme est lacunaire pour le x v m e siècle, malgré des recherches dans l'Enregistrement qui n'ont donné que deux ou trois chiffres supplémentaires. — Dîme en froment puis conseigle. Au début du xvi e siècle, vers 1532, la dîmerie a été étendue : à la suite d'une transaction avec l'abbaye de Chantoin apparaît l'accense des te dîmes nouveaux ». L'augmentation très marquée du début de la série est donc due en partie à un élargissement de l'assiette. Par la suite, cette dîme a fait l'objet d'assez nombreuses transactions avec des décimateurs voisins et aussi de procédures contre des redevables récalcitrants. Cependant sa base ne semble pas avoir été modifiée. Ennezat.

Gros village de la Limagne dont la dîme appartenait par moitié au chapitre cathédral qui la partageait avec le chapitre d'Ennezat. 1. 4G, 100-102 et 215 pour les feuilles de baux.

209

LE PRODUIT D E LA DÎME

Sources semblables à Ternant ; toutefois pour la période 1563-1609, on dispose en outre d'un précieux mémoire de dîmes 1 . Entr aiguës. Village proche d'Ennezat dont la dîme était aussi au chapitre cathedral, mais seulement vers la fin du XVE siècle 2 . Séries du Pays coupé. Mareuge (cf. Graph. 32, supra, pp. 206-207). Dîme située vers Romagnat au pied du plateau de Gergovie. C'est une dîme du chapitre cathédral 3 . Il y a eu quelques démêlés vers 1526 avec la Charité de Romagnat et vers 1660 avec le seigneur d'Aubière. Dîme en froment puis conseigle. Saint-

Guillaume.

Dîme située dans le terroir (et quartier actuel) de Vallière dans la paroisse de Beaumont ; encore une dîme du chapitre cathédral. On y a joint la petite dîme de Las Pérousas (10 setiers env.) accensée à part aux x v e et X V I E siècles4. La dîme de Saint-Guillaume était accensée au XVE siècle : 1 /2 froment, 1 /2 « autres blés » (en fait, surtout fèves et pamoule, parfois du seigle). Au X V I I I E siècle, elle est accensée : 2/3 conseigle, l / 6 e fèves, l / 6 e orge. Exception : 1682, t o u t conseigle. Les corrections étant difficiles à faire et d'assez faible ampleur, on a donné le chiffre global sans le modifier. Ceyrat. Cette dîme du chapitre cathédral dans la paroisse de Ceyrat est située vers Boisséjour, donc sur les premiers contreforts de la Montagne. Elle est cependant perçue en froment, puis conseigle 5 .

L E S RÉSULTATS

Unité de la période XVe-XVIIIe

siècles.

Si l'on met à part la première moitié du x v e siècle et si l'on écarte naturellement les années exceptionnellement basses, on aboutit à une 1. 2. 3. 4. 5.

3G, suppl. 651B. Pour Feuilles de baux, 3G, Feuilles de baux, 3G, Feuilles de baux, 3G, Feuilles de baux, 3G,

Ennezat, feuilles de baux, 3G, suppl. 797. suppl. 798. suppl. 768 ; procès dans 3G, arm. 9, sac A. suppl. 762. suppl. 769. 14

210

P.

CHARBONNIER

conclusion fondamentale : la production reste du même ordre de grandeur depuis 1450 jusqu'à 1789. On n'enregistre entre ces deux dates que de faibles oscillations. A considérer les séries du chapitre cathédral les plus étalées dans le temps, on peut dire que dans presque toutes les dîmeries, un candidat à l'accense de la fin du x v e siècle aurait pu, sans paraître « déphasé », participer aux enchères des années précédant la Révolution ; ainsi pour : Ennezat Mareuge Montrodeix

médiane fin x v c médiane fin x v e année commune fin x v e

80 32 60

afferme fin x v m e médiane 1770-1790 médiane 1770-1790

78 25 62

Les quatre siècles considérés présentent donc une réelle unité quant à la production des grains. Division en sous-périodes. Si l'on veut cependant découper des tranches chronologiques, on peut distinguer : 1) Une période d'augmentation rapide et généralisée correspond à la première moitié du XVe siècle ; c'est l'époque de la remise en valeur après la crise de la seconde moitié du x i v e siècle. Il s'agit donc d'un rattrapage et non d'une augmentation. On manque malheureusement d'éléments de comparaison avec la première moitié du X I V e siècle. On ne dispose en fait que d'un seul chiffre mais il est très probant : en 1352, avant l'invasion anglaise en Auvergne la dîme de Saint-Guillaume vaut 115 setiers 1 ; or, elle n'atteint ce niveau dans aucune des années connues du XVe et du début du x v i e siècle. 2) Suit une période d'augmentation lente puis de palier à un haut niveau qui dure jusqu'en 1560-1565. Il est difficile de se montrer plus précis car les chiffres sont peu nombreux pour cette époque. 3) Une période de crise vient ensuite. Le point le plus bas se situe généralement vers 1590-1595, moment où la Ligue bat son plein. De 1565 à 1590, il y a baisse progressive et de 1595 à 1620 remontée. 4) L a majeure partie du x v n e siècle, entre 1620 et 1690, correspond à un second palier de haut niveau. La plupart des séries atteignent leur maximum pendant cette période, notamment dans les années 1670-1690. Toutefois cette suprématie du x v n e siècle tient peut-être surtout à l'état de la documentation. L a comparaison entre le x v i e et le x v i i e siècle est malaisée car aucune série ne couvre convenablement les deux siècles. Cependant pour presque toutes les séries qui comportent d'assez nombreuses années de la première moitié du X V I e (et non pas deux années seulement comme les séries du chapitre cathédral), c'est justement dans ces années que se situe le point culminant de la série, le maximum du 1. Dîme levée « en setier blé comme à l'accoutumée », 3G, suppl. 828A.

LE

PRODUIT

DE

LA

211

DÎME

siècle étant inférieur à celui du x v i e (Grande Dîmerie de Saint Genès, Berzet ; dîmes de la région d'Herment, Le Port). 5) Une nouvelle crise occupe le tournant des X V I I et X V I I I siècles. Elle est marquée notamment par les disettes de 1693-94 et 1709-10, bien connues par leurs graves répercussions démographiques et sociales mais qui n'apparaissent pas très nettement dans les séries. 6) Le reste du X V I I I siècle est une époque difficile à caractériser. A. Poitrineau, dans sa thèse 1 , adoptait lui aussi une attitude très nuancée en disant que dans la région proche de Clermont, la mieux connue, les mouvements se compensent : certaines dîmes sont « en croissance très notable » mais « la tendance à la décroissance n'est pas rare ». Dans le paragraphe suivant, il semble admettre une différenciation entre les zones géographiques. E n s'appuyant sur la comparaison avec le x v n e siècle, que A. Poitrineau ne fait pas, on peut se montrer moins favorable pour le X V I I I : on remarque en effet que le haut niveau du X V I I siècle n'est presque jamais rejoint ; la hausse, quand elle existe, ne doit être considérée que comme un rattrapage et même un rattrapage incomplet 2 . Toutefois, dans ce recul relatif des dîmes au X V I I I siècle il faut sans doute faire la part des variations intrinsèques des dîmes et ne pas oublier que certains défrichements leur échappaient. On peut cependant remarquer que la relative stagnation du x v m e siècle apparaît aussi dans les fermes du domaine de Bravant qui progressent moins que les percières du même lieu qui pourtant restent elles-mêmes en dessous de leur valeur des années 1680.

XVII

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Essai

d'interprétation.

Le facteur politique (guerres, troubles) est évidemment responsable de la crise très grave de la fin du x i v e siècle et peut dans une certaine mesure expliquer celle de la fin du x v i e . Mais l'Auvergne, à diverses époques, apparaît comme un havre de paix et de calme par rapport à de nombreuses autres provinces et le facteur politique ne peut suffire à expliquer toutes les variations. Du point de vue agricole deux facteurs sont à envisager : a) le rendement ; b) la superficie des terres ensemencées. a) Le rendement est malaisé à atteindre. On ne le connaît (soit par rapport à la surface, soit par rapport à la semence) que pour quelques cas individualisés dans le temps et dans l'espace. Ces cas permettent d'affirmer que le rendement est resté à peu près stable pendant les quatre siècles envisagés. Dans la région des Dômes, il est de l'ordre de 4 à 5 setiers par séterée, soit 10 à 12 qx/ha. 1 . A . P O I T R I N E A U , op. cit.,

2. Ibid.,

p. 323.

p. 321.

212

P.

CHARBONNIER

De fait, aucune transformation technique ne s'est produite. Les « domaines » avaient sans doute des rendements un peu meilleurs grâce à un meilleur ensemencement. Les caprices climatiques sont évidemment responsables de certaines années catastrophiques, mais il n'y a pas d'indice d'un changement climatique à long terme. Enfin, on peut penser à l'épuisement des sols, mais comment l'apprécier ? b) La superficie des terres cultivées n'est pas connue exactement pour chaque année mais on peut avoir une idée des traits généraux de son évolution. La crise de la seconde moitié du xiv e siècle avait entraîné une contraction de l'occupation du sol, ce dont témoignent de nombreux villages disparus 1 . La reprise du x v e siècle et la lente augmentation du xvi e s'expliquent donc par une extension spatiale dont de nombreux documents donnent témoignage. Le maximum de l'occupation est atteint au xvi e siècle : de nombreux paysans demandent l'autorisation de cultiver les sols ingrats que sont les premières pentes des puys 2 . Au X V I I I e siècle aussi, on a de nombreux témoignages de défrichements, en particulier de défrichements de communaux dans la Montagne. On a déjà noté que ceux-ci ne sont pas toujours traduits par les séries présentées qui minimisent donc un peu la production. Le cas de dîmes de la Montagne en diminution (Montrodeix) pourrait s'expliquer par un déplacement des zones de culture au profit de terres vierges avec délaissement des terroirs anciens, c'est-à-dire ceux des dîmeries. Au sujet de la médiocrité du X V I I I e siècle, on peut aussi invoquer dans le Pays coupé un développement de la vigne au détriment des cultures (38) et pour des dîmes péri-urbaines (Le Port) un progrès de l'urbanisation. Par contre pour la Montagne, les quelques séries de dîmes de charnage dont on dispose (Saint-Genès-Champanelle notamment) s'inscrivent contre l'hypothèse d'un glissement vers l'élevage. c) Enfin un dernier facteur, d'interprétation encore plus délicate, est à évoquer : la démographie. Celle-ci peut infléchir la production dans les deux sens opposés : — L'accroissement de la population augmente le travail fourni et commande donc en partie les deux facteurs « agricoles » vus précédemment de l'extension spatiale et du rendement (plus de labours). Il favorise dans une certaine mesure un accroissement de la production. — Mais une surcharge démographique peut être néfaste à la production par le biais de la quantité de semence (les textes mentionnent fréquemment les difficultés qu'éprouvent les paysans à ensemencer convenablement) et de l'épuisement des sols par cultures trop intensives (raccourcissement des jachères en terres froides notamment). Les hauts niveaux du x v n e siècle pourraient peut-être s'expliquer en partie par un allégement démographique (peste de 1631 très grave en 1. Cf. P. CHARBONNIER, « Les villages disparus de la région des Dômes » , Bulletin gique et historique, 1965, pp. 357-476. 2. Saint-André, 22B 4/1.

philolo-

L E P R O D U I T D E LA

DÎME

213

Auvergne 1 , développement de l'émigration dans la région des Dômes) et par la mise en place de nombreux domaines où les propriétaires assurent en tout cas un ensemencement correct. Au contraire une surcharge démographique peut expliquer la crise de la fin du XVIe siècle (à côté du facteur politique) et la stagnation de la seconde moitié du X V I I I e siècle (dans la Montagne la population retrouve un haut niveau dépassant de beaucoup le creux du X V I I e siècle). Évolution comparée des trois zones géographiques. L'influence du milieu géographique apparaît certes dans le détail : une mauvaise année peut n'être ressentie que dans une seule zone. Mais l'évolution générale des trois zones a été fondamentalement la même jusqu'au X V I I I e siècle. Pour ce siècle faut-il admettre une différenciation comme le suggère A. Poitrineau : Plaine plutôt en hausse par intensification, Montagne et Pays coupé plutôt en baisse par épuisement? E n fait il y a beaucoup d'exceptions à cette hypothèse. Peut-être vaudrait-il mieux parler d'une individualisation plus grande des dîmeries sans chercher à les grouper selon les zones géographiques. Variabilité. Il serait intéressant de pouvoir faire intervenir aussi ce point de vue. A certaines époques les écarts à la moyenne sont faibles : le graphique présente une allure quasi horizontale. A d'autres au contraire les variations d'une année à l'autre sont de grande ampleur et le graphique est en dents de scie (par exemple, Saint-Guillaume, Graph. 32 : comparer 1565-1595 à 1595-1620). Il est évident qu'avec une même moyenne, les conséquences économiques et sociales sont bien différentes. Malheureusement l'état discontinu de la documentation permet assez mal de juger de la variabilité, d'autant que divers facteurs peuvent, comme on l'a précédemment noté, engendrer une variabilité factice. Remarquons toutefois que la variabilité a presque toujours été forte, même encore au XVIII e siècle.

1. Cf. P. CHARBONNIER, « La peste de 1631 à Clermont », Revue d'Auvergne, 1965, 79, pp. 97128. Cette peste a frappé aussi de nombreuses localités rurales, par exemple Olby.

GEORGES

FRÊCHE

Dîme et production agricole Remarques méthodologiques à propos de la région toulousaine"

Mesurer le mouvement voire le niveau de la production agricole, d'une exploitation, d'une région ou même d'un ensemble national, est un souci des plus louables de la part des historiens économistes. Plus que les prix agricoles, simple baromètre, la croissance de la production est, avec celle de la population, l'une des variables essentielles de tout modèle économique relatif aux économies anciennes, avant le x i x e siècle. Cette constatation, au demeurant banale, doit faire sentir avec quelle précision, quel soin doivent être étalonnées, critiquées, les sources auxquelles il sera fait appel 1 . J . Ruwet en a déjà donné un catalogue, qui v a u t pour la région toulousaine 2 . Les b a u x de dîme, les baux de métayage et les états de récoltes y sont les plus fréquents, alors que les contrats de fermage sont rarissimes. L a difficulté de rassembler les comptes de métayage enfouis dans les greniers des châteaux, la rareté ou l'insécurité des états de récolte avant la deuxième moitié du x v m e siècle, nous ont primitivement incité à demander à la dîme le mouvement, même approximatif, du produit de l'agriculture. E n France, plusieurs auteurs généralement disciples d ' E . Labrousse, * L'accent a été mis ici sur les problèmes de méthode. Les quelques exemples cités ne servent qu'à illustrer le propos. Le lecteur qui souhaiterait des développements plus longs les trouvera dans notre thèse : La région toulousaine (vers 1670-1789), Paris, 1969,4 t., 1 004 p. + cxxxrv p. (Bibl.) + 147 p. (Graph. et Annexes) ; cf. II, pp. 354-356 et 604-634 (sous presse). 1. Nous ne pouvons suivre P. Ponsot qui, dans une communication ultérieure, se refusa à prendre en considération la nécessité de longues études méthodologiques (mot « noble » employé, disait-il, par MM. P. Vilar et A. Soboul), se contentant d'une « cuisine » (terme qui appartiendrait à E. Labrousse) qu'il ne serait pas nécessaire d'exposer sur la place publique. Faut-il lui rappeler que c'est E. Labrousse lui-même qui dans sa thèse sur les prix agricoles (où pourtant les difficultés sont sans commune mesure avec celles que soulève l'utilisation des dîmes pour étudier la production agricole) consacre, sur plusieurs centaines de pages, près de la moitié de son texte, justement aux problèmes méthodologiques ? 2. J . RUWET, « Mesure de la production agricole sous l'Ancien Régime », Annales, E.S.C., 1964, 19E année, 4, juil.-août, pp. 625-642 ; cf. pp. 626-627.

LE

PRODUIT

DE

LA

DÎME

215

ont défriché la voie, tels R . Baehrel pour la Basse-Provence, E. Le Roy Ladurie pour le Languedoc et plus précisément pour le Bas-Languedoc méditerranéen, A. Poitrineau pour la Basse-Auvergne et P. Deyon pour la Picardie. Dans l'ensemble, la part réservée à la critique des sources est bien mince. Quelques dizaines de lignes, deux ou trois pages au plus en tiennent lieu. Aussi ne faut-il pas s'étonner que les conclusions soient divergentes. P. Deyon, sans méconnaître la liaison entre b a u x de dîme et production agricole, se refuse implicitement tout au long de son étude des fermages et dîmeries de l'Hôtel-Dieu d'Amiens, à en déduire le mouvement de la production 1 . Les autres historiens penchent en faveur de l'utilisation malgré des réserves. E. Le Roy Ladurie conclut par l'affirmative lorsqu'il écrit : « La production des ' bleds ' (ou du moins sa tendance ou trend), on la demandera aux courbes des dîmes en grains... Matériau documentaire excellent [la dîme] est adjugée tous les ans, début juin, à la veille de la moisson et en fonction du volume présumé de celle-ci... Le mouvement de ce fermage, de cette rente d'année en année est ainsi représentatif du mouvement de la dîme et par là même de la récolte... » 2 Ces incertitudes, ces réserves, voire ces divergences invitent à approfondir l'étude des rapports entre la dîme et le niveau de la production agricole à deux niveaux bien distincts. Le premier a trait à la liaison entre les quantités dîmées et la production réelle. La fixité des t a u x du prélèvement décimal, la variation ou la stabilité des terroirs décimables, l'impact du changement des cultures sur le montant décimal selon que la nouvelle culture est « solite » ou « insolite », l'inclusion des terrains nouvellement défrichés dans la superficie dîmable, sont les principaux problèmes qui relèvent de ce premier niveau. Ils ont trait à l'histoire, à la technique et au droit des dîmes. Tout aussi important sinon plus est l'examen des rapports de la dîme avec les grands mouvements économiques, sociaux et religieux qui traversent les siècles. Les guerres, la Réforme protestante puis la Contre-Réforme catholique, l'insécurité des campagnes, le mouvement démographique, la conjoncture économique sont a u t a n t de facteurs qui peuvent perturber gravement la relation entre la production agricole et le revenu du décimateur. Voilà le second niveau de notre critique. 1. P. DEYON, Contribution à l'étude des revenus fonciers en Picardie, thèse annexe Lettres, Lille, R. Giard, 1967, 129 p. dactyl. Cf., par exemple, p. 41 (à propos de la montée du revenu décimal au début du XVIIC siècle) : « Il paraît difficile d'imaginer de 1620 à 1640 ou de 1660 à 1680, un brusque progrès de la productivité agricole susceptible d'expliquer cette hausse », ou encore p. 114 (à propos de la hausse de la deuxième moitié du x v m e siècle) : « Quelles que soient les innovations techniques, elles ne semblent pas suffisantes pour expliquer l'ascension des fermages. Toutes nos observations permettent de conclure à l'augmentation de la part prélevée sur le produit agricole par les propriétaires. » Dans le même sens, on remarquera que P. Goubert dans sa thèse sur le Beauvaisis, bien que disposant de baux de dîmes, a prudemment préféré ne pas les mettre en œuvre pour l'étude de la production agricole ; cf. P. GOUBERT, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à Vhistoire sociale de la France au XVIIe siècle, Paris, 1960. 2. E. LE ROY LADURIE, Les paysans de Languedoc, Paris, 1966,1, pp. 221 (citation) et 227 ; cf. aussi pp. 375 et 547-549. Encore convient-il de remarquer que pour la France des XVIIE et XVIIIE siècles, ces dîmes affermées annuellement sont très minoritaires.

216

C.

FRÊCHE

*

Avant de les examiner successivement, décrivons brièvement la région concernée et les séries décimales utilisées. Encore que Toulouse soit la capitale du Languedoc, la région toulousaine ne se limite point au seul Languedoc, province hétérogène qui de l'Ârmagnac aux portes de Lyon ne compte pas moins de trois régions économiques, lesquelles n'ont pour caractère commun qu'une simple unité administrative 1 . Hors de tout cadre provincial, aussi condamnable pour l'histoire économique de l'Ancien Régime, que le cadre départemental pour celle du X I X E siècle2, la « région économique toulousaine » englobe la presque totalité de la généralité de Toulouse, soit le Haut-Languedoc, le Pays de Foix, la généralité de Montauban telle qu'elle se présente après 1716 avec le Rouergue et le Quercy et enfin les cinq élections de la généralité d'Auch après 1716. C'est précisément parce qu'elle englobait ce vaste territoire, assez semblable à l'actuelle région Midi-Pyrénées, que la série des dîmes du chapitre Saint-Sernin de Toulouse a été retenue (cf. Fig. 3). Autre avantage décisif : l'historien dispose pour ces séries, non seulement des registres des recettes et dépenses annuelles des chanoines mais aussi de la copie intégrale des baux de dîmes passés par le chapitre dans toute la région aux X V I I E et x v m e siècles3. Dès le début du x v n e siècle, la grande majorité des dîmeries sont affermées en argent. Parmi les rares affermes encore en nature, la plupart seront converties en espèces monétaires au siècle suivant : Préserville en 1730 (cf. Fig 3), la métairie de Saint-Caprais en 1770. Seuls resteront affermés en nature (généralement blé et seigle) jusqu'en 1790, les dîmaires proches de Toulouse, qui pourvoient à l'approvisionnement des greniers du chapitre : dîmes de Launaguet, de Castelginest, de Gratentour, de Blagnac et de La Rouaissette. Les baux sont passés pour 3 à 4 ans entre 1650 et 1680. Ils ont tendance à être plus courts vers la fin du siècle, de 1 à 2 ans, puis s'allongent à nouveau pour se fixer en moyenne à partir de 1730, à 9 ans. Le détail des séries est présenté sur les Graphiques 34, 35 et 36. Les rares dîmes du vin sont perçues directement par le chapitre de même que la dîme du blé de Saint-Roch aux portes de la ville. Le reste est donné à bail à des fermiers. Revenons à notre propos principal : l'examen des deux niveaux où se situe la critique de l'utilisation des dîmes comme indicatrices du mouvement de la production agricole. Nos conclusions provisoires se révélant pessi1. A ce sujet, cf. le compte rendu de VHistoire du Languedoc (sous la direction de Ph. WOLFF) par P. OURLIAC dans le Journal des Savants, 1968, juil.-sept. ; et notre thèse citée, Introd. 2. P. ROUGERIE, « Faut-il départementaliser l'Histoire de France? » , Annales, E.S.C., 1966, 21 e année, 1, janv.-févr., pp. 178-193. 3. Arch. dép. Haute-Garonne, 101 H 75 (1650-1664) ; 101 H 74 (1665-1682) ; 101 H 93 (1683-1724) et 101 H 227 (1724-1787).

LE PRODUIT DE LA DÎME •

217

Valeur d e s affermes : période 1730-1740

Fie. 3. — Dîmeries dépendant du chapitre Saint-Sernin de Toulouse*.

mistes, il ne sera pas inutile de comparer les résultats fournis par les dîmes à ceux des états de récoltes, lesquels, sans être au-dessus de tout soupçon, ont au moins le mérite de mesurer directement le montant de la production.

* Cette carte ainsi que les Graph. 33-36 ont été réalisés par l'auteur. [N.d.l.R.]

218

G. F R Ê C H E

H I S T O I R E E T DROIT D E LA D Î M E 1

La fixité du taux de la dîme dans le temps est une des conditions indispensables à la validité des séries constituées. Si, en certaines régions, ces taux paraissent avoir été invariables 2 , la démonstration est loin d'être faite pour l'ensemble du royaume. R. Doucet constate au X V I E siècle, « un abaissement sensible des tarifs (taux du prélèvement décimal), résultat des résistances opposées par les décimables et de la lassitude des bénéficiaires » 3 . Plusieurs rapports présentés au cours de ce même congrès paraissent aller dans le même sens. A propos de la région parisienne, M. Baulant n'exclut pas que certaines dîmes perçues sur la base de 5 à 6 gerbes pour 100, au x v m e siècle, puissent représenter le terme d'une évolution. Et de citer l'exemple de Villiers-le-Bel où « la dîme se paie au X V I I I E siècle à raison de 5 gerbes du cent ; au X V I E siècle elle montait à 8 gerbes et se trouvait à 6 vers 1619 » 4 . Dans le Lyonnais, on relève à propos de « l'obéance de Sermoyer » que des transactions « vaines, semble-t-il, ont essayé de mettre fin aux efforts des imposables pour alléger le taux de la dîme » 5 . En Savoie, l'allégement de la quotité au X V I I I E siècle se traduit dans l'abonnement consenti par les décimateurs à nombre de communautés6. Dans une thèse consacrée à « la dîme ecclésiastique en France (au x v m e siècle) », P. Gagnol estime que cc la quotité de la dîme tend à diminuer » ' et cite l'exemple de la Lorraine. Dans le cas de la région toulousaine, la variation des quotités ne fait aucun doute. Encore que notre enquête ait été centrée sur le x v m e siècle, relevons quelques indices antérieurs. Dès le xvi e siècle, les taux de la dîme sont mis en question dans nombre de communautés dont l'ordre de Malte est le décimateur, particulièrement à Fronton 8 . Les procès à ce propos sont fréquents au X V I I E siècle9. Après 1750, l'allégement du taux 1. On s'en tiendra, bien sûr, aux difficultés ayant trait à l'objet de cette communication. (Les chiffres entre crochets, placés après les noms d'auteurs, renvoient, dans cet article, à la Bibliographie, infra, pp. 243-244.) 2. Cf., par exemple, à propos du Beauvaisis des XVIIE et XVIIIE siècles, la thèse de P. GOUBERT op. cit., p. 180, n. 142. En Languedoc, E. LE ROY LAJDURIE (op. cit., I, p. 221, n. 1) cite l'exemple de L a Bastide-Redonde où la dîme est perçue au 1 /13 e en 1586 comme en 1741. Mais dans quelle mesure ce cas unique est-il suffisant pour conclure que « le taux de la ponction décimale reste constant à travers le temps » ? 3. R. DOUCET, Les institutions de la France au XVI e siècle, Paris, 1948, II, p. 826. 4. Cf. M. BAULANT, in Rapport introductif au Congrès (cité infra : R.I.), dactyl. 5. Cf. A.-L. HEAD-KÔNIG, in ibid. 6. J . NICOLAS, « Le problème des dîmes en Savoie à la veille de la Révolution » , Révolution et économie rurale, Paris, 1965, p. 52 ( « C.H.E.S.R.F. », 9). 7. P. GAGNOL [23], p. 154 et Annexe, p. 263 (d'après Arch. dép. Gers, C 57). Par délibération du 17 juillet 1782, la communauté de L a Sauvetat (généralité d'Auch) décide « à l'exemple de plusieurs autres communautés de ne payer la dîme qu'au taux de 1/10° et non plus de 4 gerbes pour 31 ». L a quotité tombe donc de 13 % à 10 % . 8. Pour la région toulousaine, nous n'indiquerons pas les références originales, qu'on trouvera dans notre thèse citée supra. 9. Par exemple aux Arch. dép. Tarn, G 600 du 6.5.1672 ; G 269 du 23.7.1688 et G 267 du 26.6.1670. Dans ce dernier cas, des chartreux ont acquis un domaine à Viviers-les-Montagnes, près de Soual. Ils refusent de payer la dîme au 1 /10 e et n'acceptent que le taux du l/16 e . Entre

LE PRODUIT DE L A DIME

GRAPH.

219

33. — Les revenus décimaux du chapitre Saint-Sernin de Toulouse. Baux en argent.

des dîmes affecte nombre de communautés. Yoici l'exemple de Seyre, Gardouch et Vieillevigne, trois communautés du Lauragais. Elles refusent, vers 1775, d'acquitter la dîme selon l'ancien tarif. Une transaction passée en 1781, entre l'archevêque de Toulouse et les représentants de ces villages, règle le litige. Désormais « les décimables sont affranchis à perpétuité de la dîme des légumes ; la dîme du bled, du vin, de l'avoine se paiera à la quote 10 comme par le passé, celle du maïs sera payée à la 1680 et 1694, le Parlement de Toulouse publie plusieurs arrêtés généraux sur le taux des dimes. Certains de ces arrêts allègent la quotité décimale.

220

G.

FRÊCHE

Livres tournois

GHAPH. 34. — Les revenus décimaux du chapitre Saint-Semin de Toulouse. Prés, jardins et carnelages.

quote 16, qu'elle qu'ait été cette dernière par le temps passé ». Au total l'accord de 1781 entraîne un déficit b r u t de 15 % des revenus décimaux. Ce type d'arrangement, fréquent autour de Toulouse, l'est plus encore dans les Pyrénées, comme en témoigne l'enquête menée en 1786 dans le diocèse de Comminges par l'évêque de Saint-Bertrand 1 . C'est par dizaines que se comptent les communautés qui décident brutalement de modifier le t a u x de la dîme jugé trop lourd. A Yalcabrère, a v a n t 1779, la dîme des gros fruits se percevait à raison de 7 et 8 pour 1. A cette date, « les habitants ont refusé la quote et paient t o u t au 1 /10 e ». E t le curé ajoute : « on attend qu'on les oblige en justice à payer selon l'usage ». Après sept ans de « fait accompli », cette attente paraît vaine. Même situation à Tibiran et Pointis-Inard. A Valentine, chef-lieu du diocèse civil lànguedocien du Petit-Comminges, une transaction passée en 1785 ramène à 1 /10 e le t a u x . A Cirés et Caubous, la dîme autrefois payée à 4 gerbes pour 31 ne l'est plus qu'à 4 pour 40, tandis que celle des agneaux, de la laine et du fromage disparaît. Arrêtons-là cette énumération, mais

1. Publiée par A. SARRAMON, Les paroisses du diocèse de Comminges en 1786, 1968, 467 p . (« Collection de Documents inédits sur l'Histoire économique de la Révolution française »).

L E P R O D U I T D E LA

221

DIME

ietiers d« blé

n

500

BLAGNAC "

ï

PRÉSERVILLE

50

GRAPH. 35.

SAINT-CAPRA1S

LA ROUAISSETTE

100

1650

U

1700

1750

— Les revenus décimaux du chapitre Saint-Sernin de Toulouse. Baux en nature.

la liste pourrait s'allonger avec Marignac, Gaud, Burgalays, Cassagne et tant d'autres paroisses1. La cause est entendue. Le taux a pu varier au cours des siècles. Les enquêtes à venir diront quelles périodes et quelles régions sont particulièrement concernées. Dès maintenant, il paraît impérativement indispensable que chaque série décimale utilisée soit accompagnée de l'attestation de la fixité du taux. L'étude des taux de dîmes ne saurait d'ailleurs nullement se limiter à leur variation ou fixité dans le temps. L'éventail des taux, selon les produits dîmés, pose d'épineux problèmes d'interprétation. A Beauchalot, dans la vallée de la Garonne, le blé, le « carou », le seigle, l'avoine et le lin acquittent 1 pour 8,5 alors que le foin, l'orge, les pois, le gros millet ou maïs, le petit millet et la vigne ne se dîment qu'à 1 pour 12. Chaum paie le blé, le carou, l'orge et le seigle à 4/31e, le milhoc, le millet blanc, le millet menu et les légumes à 1 /8e, le lin et le chanvre à 1 /10e. Arnaud Guilhem, enfin, combine des taux spécifiques par produit et par secteur géographique. D'éventuelles transformations des cultures peuvent entraîner des changements sensibles dans les revenus décimaux, sans pour cela que les possibilités nutritives de la récolte aient varié. Dans la région toulousaine, le recul du maïs au profit du blé entre 1730 et 17902, a dû avantager les décimateurs dans la mesure où le taux de 1. De même, un sondage aux Arch. dép. du Gers dans les archives de 282 communautés de la généralités d'Auch, après 1750, situées surtout en Armagnac, révèle 73 procès de dîme, dont plusieurs dizaines refusent les taux antérieurs, par exemple : Chelan, Beaufort, Dufford, Mascaras, Saverès, Mouchés, Auch, l'Isle-de-Noé, etc. 2. Cf. G. F K Ê C H E , La ville de Puylaurens et le diocèse de Lavaur : 1598-1815 (Étude d'histoire

222

G. FRECHE P r i x du blé (ou setier de T o u l o u s e )

REVENU

NOMINAL

20 PRIX DU B L É

(moyenne

mobile de 11 termes) 10

REVENU

DÉFLATÉ

(d'après te prix du blé)

1790

Graph. 36. — Les revenus décimaux du chapitre Saint-Sernin de Toulouse.

la dîme du blé est généralement supérieur à celui du maïs. Comme le taux de la dîme, la superficie des dîmeries peut varier. Passons rapidement sur le problème, délicat mais secondaire, de la dîme des « clos et jardins » qui intéresse surtout les dîmes des légumes. En règle générale les jardins, parcs et enclos destinés à la commodité de leurs propriétaires sont dispensés du paiement. Les abus sont nombreux et la définition du mot « jardin » a considérablement varié du XVe au XVIII e siècle, autant que la superficie des villes et des bourgs. A Toulouse par exemple, la lutte entre les jardiniers du faubourg Arnaud-Bernard et le chapitre Saint-Sernin dure plus de deux siècles1. En 1603, le Parlement de Toulouse condamne les habitants à acquitter « la dîme des choux et autres fruits, sans y comprendre les jardins clos servans pour le plaisir et l'usage des propriétaires ». Les refus et les contestations entraînent de nouvelles condamnations en 1650, 1672 et 1708. La croissance de la ville, la construction d'enceintes autour des jardins, rendent les fraudes aisées. En juillet 1774, le Parlement tente de pallier les pertes causées aux décimateurs en accordant aux fermiers du chapitre et la permission d'aller dans les jardins des quartiers d'Arnaud Bernard et de

économique, démographique et sociale), th. Let. 3 e cycle, Paris-Nanterre, 1968, L + 538 p. (graph.) dactyl., (à paraître). 1. Dejouy [4], p. 74 ; Arch. dép. Haute-Garonne, B 949 et B 1744, f ° 151.

LE P R O D U I T D E LA D Î M E

223

Matabiau pendant le jour, pour fixer la portion de la dîme ». Peine perdue d'ailleurs, à cause de l'opposition résolue des maraîchers. Que penser après ces quelques remarques de la dîme des «jardins, tendrons et carnelages » que le chapitre Saint-Sernin perçoit au faubourg d'ArnaudBernard, comme mesure de la production des jardins et basses-cours ? (Cf. Graph. 34.) Le fait que certains curés et vicaires soient tantôt bénéficiers participant à ce titre à la perception de la dîme, tantôt congruistes, contribue à modifier le montant des superficies dîmées ou la part de dîme qu'est chargé de lever le fermier d'un prieuré. Ces mouvements dans un sens ou dans l'autre affectent en même temps l'ensemble du royaume. Prenons à titre d'exemple les déclarations royales de 1686 à 1695. Elles fixent le montant de la congrue à 300 livres-tournois par an pour un curé et 150 livres pour un vicaire. Conséquence, les curés dont la part du revenu décimal dans leur paroisse était inférieure à 300 1., ont tendance à remettre leur part de dîme au décimateur principal, pour se mettre à la congrue. E n 1685, J e a n Bonafous curé de Montmoussin et son vicaire laissent au chapitre Saint-Sernin leur part de dîme, ce qui explique que le bail conclu pour 4 ans et 777 1. par an en 1682 saute à 1 200 1. en 1686. Cette explication nous est fournie par la série exhaustive des contrats relatifs aux baux de dîme. L'historien n'ayant eu en sa possession que les registres annuels des recettes, aurait été amené à interpréter l'augmentation de 1685 à 1686, comme résultant au moins partiellement d'une hausse de la production agricole. Le cas de Montoussin se retrouve à peu près dans toutes les dîmeries du chapitre. Le prieuré de Vic-Dessos en Pays de Foix est un des exemples les plus typiques. E n 1684, la dîme y est affermée pour 4 ans à 4 626 1. t . l'an. E n 1686, pour se mettre à la congrue, les curés sans vicaire dont la part de dîme est inférieure à 3001. et les curés avec vicaire pour lesquels elle est inférieure à 450, abandonnent leur portion au chapitre Saint-Sernin. Le « vicaire perpétuel » de Celles délaisse pour 325 1., celui de Sem pour 250, comme celui de Salies, celui d'Oust pour 305, celui de Suc et Sentenac pour 375 et enfin celui de Vic-Dessos pour 206 1. Au total le chapitre voit s'accroître en 1 an de 1 711 livres le revenu décimable, soit 37 % du bail de 1684. Or en 1688, le nouveau bail de 4 ans est conclu pour seulement 4 525 1., bien qu'il comprenne « le dixmaire du prieuré de Vic-Dessos et membres en dépendant qui sont Signe, Mercueis, Arnirac, Miglos et les dixmaires délaissés et abandonnés par les curés de Vic-Dessos, Celles, Sem, Suc, Sentenac, Oust et Salies ». Le relatif maintien du montant du bail de 4 626 1. en 1684 à 4 525 1. en 1688, cache donc une baisse réelle proche de 40 % . Dernier exemple, celui du prieuré de Martres-Tolosane au diocèse de Rieux en Languedoc. Il est affermé 1 7991. pour 4 ans en 1684. Cette somme passe en 1688 à 2 133 1., soit «ne hausse apparente de 18,6 % si l'on s'en tient au registre des recettes du chapitre à l'article : « Prieuré de Martres ». Mais le livre des contrats révèle qu'en réalité ce total de 2 133 se décompose en 1 600 1. pour l'afferme du prieuré et 533 1.

224

G. FRÊCHE

pour « les fruits abandonnés par le Sieur curé ». Donc, de 1684 à 1688, l'afferme de ce seul prieuré a subi ime baisse réelle de 11%. Dans l'ensemble de la région toulousaine, ce mouvement de délaissement des petits décimateurs, au profit des gros, les premiers devenant congruistes, a dû être intense si l'on en juge par l'exemple du diocèse de Comminges, pour lequel on dispose de deux statistiques en 1699 et 1786, pour l'ensemble des cures, soit plusieurs centaines. Entre ces deux dates, la proportion des congruistes croît de 30 % à 65 %. Dans le diocèse de Toulouse en 1782, le quart des curés est congruiste. Le mouvement de délaissement de la fin du XVII e siècle va se retourner au xvm e . Sur une base 100 en 1724-1741, le revenu nominal des dîmes est à l'indice 78 en 1657-1690, qui comprend l'année 1686, où se produit nombre d'abandons de dîme. Mais l'indice du revenu nominal augmente. Il passe à 92 en 1699-1703 et reste à 89 en 1717-1723. Entre 1657-1690 et 1724-1741, le prix du blé à Toulouse croît de l'indice 62 à 100. Conjointement le taux de 300 1. pour la congrue reste fixe. Peu à peu des curés ont intérêt à reprendre les dîmes abandonnées au cours des années 1686-1690. Dès le mois de septembre 1696, celui de Martres passe une transaction avec le chapitre Saint-Sernin « conformément à une déclaration de 1690, le dit sieur curé peut reprendre les fruits de sa cure après estimation d'experts ». La valeur des fruits est réglée à l'amiable à 400 1. Comme le chapitre lui doit 450 1. pour lui et son vicaire, il lui versera en sus une rente de 50 1. par an1. En fait, le curé a environ 650 1. de revenus, car les revenus de sa part de dîme sont sous-estimés de près de 50 %. Voici quelques autres exemples de cette redistribution des dîmes. Une transaction du 19 mai 1710 entre le chapitre et Jean-François Boyer, vicaire perpétuel de Laroque-d'Olmes, rend à ce dernier « à la place de la congrue, la moitié des fruits décimaux de Laroque, abandonnée par son prédécesseur en 1692 ». Le 14 mai 1716, le chapitre restitue au vicaire perpétuel de Mauvaisin, a le quart de la dîme du lieu », abandonnée par l'ancien curé en 1695 pour se réduire à la congrue. Ceci explique que le bail de la dîme du prieuré de Mauvaisin tombe de 1 769 1. pour 4 ans en 1716, à 1 4301. pour 6 ans en 1720. L'abandon puis la reprise des parts des petits bénéficiers tendent à accroître en apparence le revenu nominal des dîmes à la fin du xvii e siècle et à le diminuer indûment dans les premières années du xvm e . La consultation des seuls registres de recettes des comptabilités ecclésiastiques s'avère donc insuffisante. Il est indispensable d'y adjoindre l'examen des contrats de baux de dîme dans les registres notariaux, pour s'assurer de leur homogénéité, précaution peu usitée jusqu'ici à notre connaissance. 1. Arch. dép. Haute-Garonne, 101 H 80, f° 160. On trouverait une situation également très compliquée pour la dime de Lavelanet au diocèse de Mirepoix. De 1684 à 1685, abandons de diverses parts de dime de 511, 88 et 300 1., dont celle de Labousse. Le bail saute de 1 530 1. en 1681 à 2 100 en 1685. Puis le curé récupère la dîme (ibid., f° 137 v°), laquelle tombe à 11861. en 1699, conséquence de cette transaction et aussi de la baisse des quantités décimables.

L E PRODUIT D E I A

DIME

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Si taux et superficie dîmée sont constants, la dîme, au moins lorsqu'elle est perçue en nature et en régie directe, devrait donner un reflet du produit brut agricole total. C'est là l'avantage principal que lui attribue l'un des historiens qui a le plus utilisé les baux de dîme pour l'étude de la production agricole1. Raisonner ainsi, c'est passer sous silence la distinction entre dîmes solites et insolites ou entre produits dîmables et non dîmables. Tous les fruits de l'agriculture ne sont pas dîmables en effet. Certains rétorqueront que le fait que les groseilliers ne soient pas dîmés à X et les potirons à Y importe peu. Convenons que s'il en était ainsi, notre remarque aurait peu de portée pratique ; mais en réalité la liste des produits « insolites » comporte des cultures aussi essentielles que le maïs, le tabac, les bois, les prairies naturelles, les vergers, les fourrages artificiels et les pommes de terre entre autres 2 . Les seules productions « solites » sur l'ensemble du territoire, sauf exceptions rarissimes, sont le blé, l'avoine, le seigle et le vin. En règle générale les prés, les bois et les étangs ne sont pas sujets à la dîme en France, encore que la diversité des situations locales soit infinie. En Normandie, un édit royal de décembre 1606 autorise les ecclésiastiques qui perçoivent le droit de dîme sur les ventes de bois de haute futaie et qui ont des titres valables à continuer à en jouir. Le cas demeure exceptionnel dans cette province. Les arbres fruitiers doivent la dîme dans quelques paroisses, mais y échappent généralement. Là où la dîme est prélevée, elle ne concerne que les seuls vergers spécialisés. C'est un principe assez communément admis « qu'on ne dîme pas le haut et le bas ». La plantation d'arbres fruitiers en bordure ou entre les rangs d'autres productions déjà dîmées échappe donc aux décimateurs. Remarque importante pour les pays méditerranéens, aux zones irriguées et aux cultures complantées. Le maïs, le tabac sont souvent des dîmes coutumières, perçues ici, non perçues là. L'ensemencement en maïs par exemple, d'une terre autrefois emblavée, donc dîmée, dans une localité où le maïs n'est pas dîmable, pose des problèmes délicats. En la matière, le principe fondamental est le suivant : « La dîme n'est pas due par la terre, mais par les fruits. » En d'autres termes, une terre autrefois ensemencée en produits solites, qui est chargée de fruits insolites, ne doit plus la dîme et réciproquement. Les décimateurs sont plus enthousiastes pour la seconde que pour la première conséquence. Cette interversion n'est pas une hypothèse d'école. En Normandie, un mouvement considérable se dessine au X V I I I e siècle pour le couchage des terres, c'est-à-dire la conversion des terres arables en prairies qui échappent aux décimateurs. Le Parlement de Normandie repousse les prétentions de ces derniers « pourvu 1. E . L E ROY LADURIE, op. cit., I , p. 226 : « Heureusement il y a un dénominateur commun... » et surtout p. 228 : « Ce revenu décimal en argent représente... une image en réduction (suivant le taux local des dimes) du revenu agricole total du terroir. » 2. DEJOUY [4], chap. m , pp. 54 sq. ; cf. aussi BRUNET [3] et L E MAIRE [13]. On parle parfois de dîme de droit pour les dimes solites et de dîme d'usage pour les dîmes insolites (ou coutumières). 15

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G.

FRÊCHE

que la lésion de leurs intérêts ne dépasse pas les deux tiers D1. En Savoie, les paysans développent la culture des chanvres, des blés noirs ou sarrazins, du maïs, des pommes de terre, des gesses, des fèves et des vesces aux dépens du blé et du seigle, au point que dans certaines paroisses la dîme baisse de plus d'un tiers2. La diminution est si forte pour les décimateurs, que le gouvernement royal tente d'y parer. L'article 4 de la déclaration de 1657 sur les dîmes dispose : « Parce que les possesseurs pour se décharger du payement des dixmes, introduisent un abus qui est très préjudiciable, en changeant la surface de la terre, même la convertissant en praieries, herbages ou semant des fruits qui ne sont sujets à la dixme, suivant la coutume des lieux, dans les champs de vignes, bleds et autres grains dont ils payaient la dîme, Nous ordonnons... que ce changement... ne puisse préjudicier aux Dixmeurs... » 3 En fait l'opposition est si forte, qu'aucun Parlement n'enregistre cette déclaration, lui ôtant ainsi toute portée pratique. Quelques arrêts tentent de s'en inspirer. Le 4 mars 1679, le Parlement de Paris confirme une sentence rendue en la sénéchaussée de Riom au profit des religieux de Saint-Allire-les-Clermont. Celle-ci condamnait plusieurs laboureurs de la paroisse de Saint-Bonnet de Gersac à payer la dîme des foins recueillis dans des prés auparavant terres labourables. En règle générale la déclaration de 1657 ne put s'opposer au préjudice causé aux décimateurs par ces procédés. Dès 1647, le Parlement de Normandie estime que les décimateurs n'ont pas de recours en justice, tant que le montant de leurs pertes n'excède pas le tiers de leur revenu. Peu à peu cette proportion est adoptée dans l'ensemble du Royaume. Dès le début du règne de Louis XV, la jurisprudence est unanime. « La dîme n'est pas due des fruits qui ne sont pas décimables de leur nature quoiqu'ils se recueillent sur des terres qui produisaient auparavant des fruits sujets à la dîme. » Retenons un arrêt rendu parla GrandChambre du Parlement de Paris, le 4 juillet 1742, et que citent nombre d'arrêtistes. Le sieur Jupin, curé des Chapelles-Breteuil en Brie, veut percevoir la dîme sur une pièce de pré dépendant de la ferme de Beaumarchais. Le fermier Viat s'y opposant, le sieur Jupin le fait assigner au Châtelet. La cause ensuite est évoquée aux Requêtes du Palais. Jupin fait valoir que la pièce de pré, objet de la contestation, était auparavant en terres labourables, que ce n'est que depuis quelques années que le fermier de Beaumarchais en a changé la surface en y laissant croître de l'herbe, enfin que lui et ses prédécesseurs, curés des Chapelles-Breteuil, ont depuis toujours perçu la dîme sur cette pièce. Ce fait n'est contesté ni par le 1. Arrêt du 28 février 1647. Cf. MARION [25], p. 47. Ce n'est qu'en 1749 que le Parlement fat plus favorable aux décimateurs. Il est vrai que le mouvement s'amplifiait au point de réduire considérablement les dîmes. 2. J . NICOLAS, op. cit., p. 61. Mémoire du curé de Pers (n. 27), etc. En 1790, 193 paroisses savoyardes sur 640 sont en procès de dîme. 3. Cité par DEJOUY [4], p. 85.

L E PRODUIT D E LA DIME

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propriétaire ni par Viat. Le 19 juin 1739, la première Chambre des Requêtes du Palais déboute le curé de sa demande. Après appel, la Grand-Chambre confirme la sentence des Requêtes du Palais. Dejouy peut conclure : P3

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Une expérience Les revenus décimaux en France méditerranéenne XVIe-XVIIIe siècles*

Avec la prudence, voire même la circonspection indispensables, l'historien économiste se consacrant à l'histoire agraire et utilisateur de méthodes quantitatives, se doit de dépasser le cadre de la monographie locale, en rassemblant le m a x i m u m de données mises à sa disposition pour les confronter et t e n t e r d'établir des concordances régionales, interrégionales, exceptionnellement nationales. Mais, s'il est assez courant, au prix d'innombrables dépouillements et calculs, de construire des indices de la production industrielle ou agricole p o u r les x i x e et XXE siècles, chacun sait bien q u ' à l'époque pré-industrielle et pré-statistique, les évaluations chiffrées, les données précises, les séries longues et résistant à l'épreuve de la critique, sont beaucoup plus rares et souvent lacunaires. P o u r t a n t , il est des domaines privilégiés. É v o q u e r la richesse des archives méridionales françaises p o u r l'étude q u a n t i t a t i v e des sociétés agraires, après certains t r a v a u x récents et gros de recherches futures, relève d u lieu commun 1 . Une source, en particulier, est largement représentée : les comptes de dîmes, soit en n a t u r e , soit en argent, soigneusement relevés (parfois m ê m e avec u n e copie des baux), et qui p e u v e n t livrer de belles séries. A u j o u r d ' h u i , la méthodologie décimale est assez connue p o u r qu'il soit inutile d ' y revenir longuement 2 . Rappelons simplement * Article paru dans Études rurales, 1969, 36, oct.-déc., pp. 66-83. 1. R. BAEHREL, Une croissance. La Basse-Provence rurale (fin du XVIe siècle-1789), Paris, 1961, 2 vol. ; E. LE ROY LADURIE, Les paysans de Languedoc, Paris, 1966, 2 vol. 2. Cf. notamment, à ce sujet et dans Tordre chronologique : R. BAEHREL, op. cit. ; J . RUWET, « Mesure de la production agricole sous l'Ancien Régime », Annales, E.S.C., 1964, 19E année, 4 , p p . 625-642 ; E . L E ROY LADURIE, op. cit. ; M. MORINEAU, « Y a-t-il e u u n e révolution agricole

en France au XVIIIE siècle ? », Revue historique, Paris, 1968, CCXXXIX, avr.-juin, pp. 299-326 ; B. VEYRASSAT-HERREN et E. LE ROY LADURIE, « La rente foncière autour de Paris au xvii e siècle », Annales, E.S.C., 1968, 23E année, 3, pp. 541-555 ; J. GOY, « Dîmes, rendements, états des récoltes et revenu agricole réel », Studi storici, Rome, 1968, 3-4, juin-déc., pp. 794-811 ; M. MORINEAU, « Histoire sans frontière : prix et révolution agricole », Annales, E.S.C., 1969,

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que les séries de dîmes en nature, pour être représentatives de la production agricole, doivent être caractérisées par la fixité du prélèvement décimal ou la connaissance précise des variations du taux, par la permanence de la surface de la dîmerie et par le sérieux de la perception. Quant aux dîmes en argent, généralement affermées pour plusieurs années, il est bien évident qu'elles ne s'adaptent qu'imparfaitement aux nombreuses fluctuations des prix ou de la production dans la très courte durée ; mais le montant de ces fermages en argent est le résultat des évaluations des petits et gros décimateurs. Trois éléments principaux entrent en jeu au moment des enchères : un calcul plus ou moins serré, du fait de la concurrence ; des estimations établies à partir du bilan des récoltes précédentes sur la base de l'année-commune ; une prévision de la revente des fruits de la dîme aux conditions du marché, compte tenu des frais de perception et du profit. La dîme, bien sûr, ne doit pas être considérée comme le seul moyen d'aborder la production agricole et le revenu foncier ; en rendant compte des quantités décimales, pour elles-mêmes, nous nous donnons la possibilité de découvrir des concordances dans le mouvement de revenus ou de prélèvements d'origine agraire, proches de la production agricole. S'il arrive que ces revenus s'identifient, dans certaines conditions et en particulier lorsqu'il s'agit de dîmes en nature, au mouvement de la production, il n'entre pas dans notre intention d'affirmer que la dîme est le révélateur systématique et privilégié des quantités produites. LES

SOURCES

D'entrée de jeu, précisons le sens de notre démarche : il ne s'agit pas de donner une image globale du revenu décimal de l'ensemble de la France méditerranéenne, mais d'utiliser les séries longues, actuellement publiées ou d'un accès facile1 ; elles assurent une couverture géographique très incomplète, mais que nous estimons, pour l'instant, assez représentative, d'une zone allant de la région narbonnaise aux AlpesMaritimes, et dont la limite nord passerait par Uzès, Yaison-la-Romaine et l'arrière-pays niçois. Dîmes en nature. Les séries de dîmes en nature que nous avons retenues concernent les terroirs de Nice, Yaison-la-Romaine, Arles, Béziers et Narbonne. Nice. Il s'agit de la dîme des grains (grano) des douze quartiers2 les plus importants de la campagne et de l'arrière-pays niçois, perçue en 2 4 E année, 2 , pp. 4 0 3 - 4 2 3 ; E. Le Roy Ladukte, « Dîmes et produit net agricole (xv e -xvni e siècles) », ibid., 1 9 6 9 , 2 4 E année, 3 , pp. 8 2 6 - 8 3 2 . 1. Les séries décimales ont été empruntées aux travaux de R. Baehrel et E. Le Roy Ladurie, ou établies par J . Goy en ce qui concerne Arles, Nice, Nîmes et Vaison-la-Romaine. 2. La dîmerie comprenait 39 quartiers, dont 21 de la « campagne » et 18 de la « città ».

LE PRODUIT D E LA DIME

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nature par le chapitre cathédral, au 1 /15 e et à l'aide de « collecteurs » auxquels revenaient 5 % du produit de cette dîme. La série, discontinue, va de 1698 à 1777 1 . Vaison-la-Romaine. Les livres de comptes du chapitre de Vaison-laRomaine permettent de dresser une série longue de 1604 à 1776, mais avec quelques lacunes, notamment dans la seconde moitié du x v m e siècle 2 . La dîme en nature du « bled-consegail » était levée sur le terroir de Saint-Marcellin au 11 e 1/2, le blé-froment entrant pour 80 % dans sa composition. Arles. Les données artésiennes représentent la plus grande partie du terroir de la ville d'Arles, c'est-à-dire quatre quartiers principaux (Trébon, Plan-du-Bourg, Crau et Camargue) et le terroir de Fourques. Il s'agit de la grosse dîme du froment (touzelle blanche ou rouge et saissette) rassemblant « beau bled », a soulens et soulensons », voire même « bancades » 3 . La belle série du Plan-du-Bourg commence en 1558 pour s'achever en 1788, tandis que les autres quartiers fournissent des données continues de 1662 à 1788 4 . Béziers. La « grand-dîme » du blé-froment de Béziers, en nature, était, dans la plupart des cas, arrentée, mais le chapitre la levait parfois « à sa main ». Les résultats ne sont guère différents, puisque le profit du fermier consiste essentiellement en paille, éventuellement en menus grains, orge ou avoine 6 . La série va de 1550 à 1764 avec quelques lacunes. Narbonne. La dîme des grains, levée par le chapitre Saint-Just et Saint-Pasteur de Narbonne, concerne sept localités (Cuxac, La Plaine et Livière, Salies, Ouveillan, Moussan, Greissan et Celairan). Les dates extrêmes de ces séries sont 1532 et 1776 6 . Dîmes en argent. E n argent, nous disposions des dîmes ou arrentements de prieurés dépendant des chapitres de Montpellier, Béziers, Narbonne, Arles, Aix, de l'abbaye Saint-Victor de Marseille et de quarante prieurés du

Les 9 quartiers ruraux écartés sont trop lacunaires et de peu d'importance. Quant aux 18 quartiers urbains, ils fournissaient bien sûr des quantités très modiques. 1. Archives départementales des Alpes-Maritimes : Chapitre cathédral de Nice, 2 G 100-119, essentiellement. 2. Arch. dép. Vaucluse : Comptes du chapitre de Vaison-la-Romaine, G Tl 163-167. 3. Cf. à ce sujet J. Gov, op. cit., pp. 800-803. 4. Arch. dép. Bouches-du-Rhône : Comptes de l'administration des blés et grains du chapitre Saint-Trophime d'Arles, notamment IV G 356, 357, 969-1135. 5. E. Le R o y L a d u r i e , op. cit., II, Annexes, pp. 844 sq. ; et Arch. dép. Hérault, Série G : Chapitre Saint-Nazaire de Béziers, G 67-136, 147-212, 337-348, 446-450. 6. E. L e R o y Ladtibie, ibid., pp. 996-999 ; Arch. dép. Aude : Chapitre Saint-Just et SaintPasteur de Narbonne, G 29-58. (Les données chiffrées nous ont été communiquées par E. Le Roy Ladurie ; qu'il en soit remercié.) 17

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chapitre de Nîmes. Dans ce cas, il est bien évident qu'il n'est plus question de céréales seulement, mais de tous les produits décimables de la terre. Montpellier. Nous avons utilisé les revenus des prieurés du chapitre Saint-Pierre, dont la quasi-totalité correspond au revenu décimal1. La série va, en dépit de quelques lacunes, de 1567 à 1789. Béziers. L'indice a été établi d'après la « recette ordinaire » ou « recette des prieurés », essentiellement d'origine décimale : entièrement rurale, elle résulte de l'arrentement des dîmeries de vingt paroisses ou prieurés2. Les données retenues couvrent la période 1558 à 1769, avec de nombreuses lacunes. Narbonne. La comptabilité du chapitre Saint-Just de Narbonne ne fournit pas la recette globale des revenus décimaux. Il a donc été nécessaire de reconstituer, d'après les baux de dîmes, l'indice de chacun des vingt-sept prieurés pour obtenir un indice moyen3 de 1530 à 1777. Arles, Aix et Marseille. Les prieurés de Marignane, Rognac et Velaux (Saint-Trophime d'Arles), Salernes (Saint-Victor de Marseille), Éguilles et MeyTeuil (Saint-Sauveur d'Aix) ont fourni des baux de prieurés de cinq ans en cinq ans entre 1600 et 1785, dont le montant correspond, pour la plus grande part, à la dîme des grains4. Nîmes. Les archives nîmoises nous ont fourni le montant de la dîme pour trente-neuf prieurés du chapitre Saint-Castor, à la taille et aux revenus variés et répartis irrégulièrement à travers la dîmerie. Sur ces trente-neuf prieurés, onze seulement ont fourni des données pour le XVI E siècle5. Les dates extrêmes de la série sont 1555 et 1786.

L A MÉTHODE INDICIELLE

Ces séries, malheureusement discontinues, prenant le départ ou se terminant à des dates différentes, il fallait, pour en tirer parti au plan inter-régional, les traiter par la méthode indicielle : nous avons effectué le travail en quatre étapes. Le choix de la décennie 1765-1774, comme indice 100, fut la première opération. Nous disposions là du plus grand nombre de séries continues, et cette période n'était ni trop déprimée ni trop prospère, avec une proportion raisonnable de bonnes et de mauvaises récoltes. Les revenus décimaux en nature des terroirs considérés 1. E. LE ROY LADURIE, ibid., p. 854 ; Arch. dép. Hérault : Chapitre Saint-Pierre de Montpellier, G 1765-1782 et 2398-2633. 2. E. LE ROY LASUBIE, ibid., I, p. 386 ; II, Annexes, pp. 853 sq. ; Arch. dép. Hérault : Chapitre Saint-Nazaire de Béziers, G 67-136, 147-212, 337-348, 446-450. 3. Arch. dép. Aude, G 29-58. 4. R . BAEHREL, o p . c i t . , pp. 6 3 5

sq.

5. Arch. dép. Gard : Comptes du chapitre de Nîmes, G 144-156, 586-739, 1655.

LE PRODUIT D E LA D Î M E

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ont alors été rapportés à l'indice de base, deux réajustements indiciels 1 se révélant nécessaires pour Saint-Nazaire de Béziers et pour Saint-Just de Narbonne, en raison de l'absence de données au cours de la période 1765-1774. Nous avons obtenu, ainsi, en faisant la moyenne de ces indices, un indice-nature global (Graph. 38, infra, pp. 264-265, courbe 2). E n raison du caractère plus varié des données en argent, nous avons dû recourir à des méthodes diversifiées : — Les totaux des revenus décimaux de Saint-Pierre de Montpellier et Saint-Nazaire de Béziers ont subi un traitement statistique identique à celui des dîmes en nature. — Le chapitre Saint-Just de Narbonne ne fournissant pas la recette globale annuelle des revenus décimaux, il a fallu dresser un tableau des baux de dîmes de cinq ans en cinq ans pour chacun des vingt-sept prieurés, puis calculer un indice moyen. La même méthode a été appliquée aux prieurés de Marignane, Rognac, Yelaux, Salernes, Meyreuil et Éguilles. — E n ce qui concerne les données nîmoises, il a été possible de constituer deux groupes de prieurés, vingt-trois d'une part, et seize de l'autre, fournissant deux indices partiels dont nous avons fait la moyenne. Les cinq indices ainsi obtenus ont fourni un indice global moyen des revenus décimaux en argent, qui a été déflaté 2 en blé à l'aide d'une moyenne mobile à sept termes des prix du blé de Toulouse, affectée à la quatrième année 3 (Graph. 38, courbe 3). La quatrième étape, qui ne doit pas être considérée comme le but ou l'aboutissement de cette recherche, a permis de calculer un indice méditerranéen (dans le cadre français), malheureusement très composite, du revenu décimal en nature et en argent, et dont le caractère discutable ne nous a pas échappé. Pour l'obtenir, l'indice-argent (qui avait été déflaté par le prix du blé) a dû être réaligné sur l'indice-nature : il a donc été multiplié par la valeur du rapport indice-nature/indice-argent de la décennie 1765-1774. Cette opération effectuée, il ne restait qu'à calculer la moyenne des deux indices, c'est-à-dire l'indice méditerranéen (Graph. 38, courbe 1). X. Soit une série lacunaire A : le réajustement indiciel consiste à établir pour la dernière année de A, avant la lacune, l'indice de toutes les autres séries. Le résultat obtenu est affecté alors à la dernière année de A, ce qui permet ensuite d ' « indexer » la série A lacunaire. Exemple : si la série A est lacunaire à partir de 1749 et jusqu'en 1788 alors que l'on possède, en revanche, les données des séries B, C, D, etc., pour 1750 et au-delà, on calcule, pour les séries existantes B , C, D, l'indice moyen de l'année 1749. Cet indice moyen est affecté à la série A pour 1749, ce qui permet, par rapport à l'indice fictif 100 de la période de base 1765-1774, d ' « indexer » la série A pour les années antérieures à 1749. 2. Le verbe déflater, de l'anglais to deflate (litt. «dégonfler»), s'entend au sens où l'emploient les économistes. Cf. P.A. SAMUELSON, Economies. An introduction analysis, New York, 1967, p. 173. Déflater un revenu en argent revient à en calculer l'équivalent, à un moment donné, en biens réels. 3. En dépit du relatif éloignement géographique, c'est la série toulousaine des prix du blé établie par Geneviève et Georges FRÊCHE (Les prix des grains, des vins et légumes à Toulouse (1486-1868), Paris, 1967, pp. 85 sq.) qui a été retenue. Ni les prix aixois ni ceux du marché de Béziers ne permettaient de couvrir les trois siècles étudiés.

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Deux remarques encore, a v a n t de t e n t e r une interprétation des résult a t s . T o u t d'abord, pour souligner le caractère a expérimental » de n o t r e méthode, nous avons, ultérieurement, procédé à divers essais statistiques p o r t a n t sur le n o m b r e de termes de la moyenne mobile et sur l'affectation de cette moyenne. L'indice global moyen des revenus décim a u x en argent a été déflaté, successivement, p a r des moyennes mobiles de trois et sept ans, affectées respectivement a u x quatrième et huitième années 1 . Il v a de soi que, p o u r faciliter les comparaisons, les indicesargent globaux ainsi obtenus ont été réalignés sur l'indice-nature global 2 . E n outre, des essais de déflation soit en grammes d'argent fin3, soit en termes de consommation alimentaire, c'est-à-dire p a r des « paniers de ménagère » c o n t e n a n t pain-vin-viande-huile, ne nous o n t pas permis d ' a b o u t i r à des résultats cohérents, p o u r l'instant 4 . D ' a u t r e p a r t , à aucun m o m e n t nous n'avons envisagé de pondérer les données des terroirs les uns p a r r a p p o r t a u x autres, ni les données de chaque prieuré p a r r a p p o r t à la totalité des prieurés d ' u n chapitre, ni les données globales en argent p a r r a p p o r t a u x données globales en n a t u r e . A u t r e m e n t dit, quelles que soient l'étendue et la production d ' u n terroir dîmé, ce terroir n ' a compté que p o u r 1 dans le calcul de l'indice. Ces réserves faites, il n'est pas inutile de rappeler que cette expérience avait p o u r b u t de traiter les sources décimales existantes à l'aide d ' u n e m é t h o d e indicielle susceptible d ' ê t r e largement améliorée. Interprétation

des courbes.

L ' é t u d e des cinq courbes tracées p e r m e t l'établissement d ' u n e chronologie provisoire des quelques revenus décimaux de la F r a n c e méditerranéenne que nous avons présentés ; chronologie provisoire, car la mine des sources méridionales est loin d'être épuisée ; chronologie utile dans l'immédiat, puisqu'elle porte témoignage, pour la a longue durée », d u m o u v e m e n t de deux variables confondues mais interférentes, soit, d ' u n e p a r t , les variations de revenus ecclésiastiques, et d ' a u t r e p a r t , la conjoncture agricole globale (production, richesse des preneurs de b a u x de dîmes et population). Dès le point de d é p a r t de nos courbes se dessine u n creux profond, mais dissymétrique, d o n t le point d'inflexion se redresse l e n t e m e n t , à l'aval, sous l'effet du r a t t r a p a g e régulier inauguré dans les dernières décennies d u x v i e siècle. Si l'on affecte à la décennie 1544-1553 l'in1. Soit par exemple l'année 1750 de la série des revenus décimaux en argent : on la déflatera en utilisant, dans l'hypothèse d'une moyenne mobile de 3 ans, la moyenne mobile des prix du blé de 1747, 1748 et 1749 ; et dans l'hypothèse d'une moyenne mobile de 7 ans, celle des années 1743, 1744, 1745, 1746, 1747, 1748 et 1749. Cf. Graph. 38, courbes 4 et 5. 2. Cf. Annexe, Tableau I, infra, pp. 266-271. 3 . D'après M . Baulant et J. Meuvret, Prix des céréales extraits de la mercuriale de Paris (1520-1698), Paris, 1960, 1, 1, p. 249 ; G. et G. Fbêche, op. cit., p. 131. 4. Les auteurs de l'article se proposent, d'ailleurs, d'établir un indice méridional du niveau de vie, en déflatant les courbes de salaires en unités complexes d'alimentation et en tenant compte, dans la mesure du possible, des substitutions de produits d'une époque à l'autre.

L E PRODUIT D E LA DIME

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dice 100, il apparaît qu'en nature, les décennies comprises entre 1569 et 1608 connaissent une chute de 21 à 31 % , tandis qu'en argent, nous sommes en pleine catastrophe : l'indice perd trente-neuf à soixantehuit points î1 Précisons que cette dépression apparaît d'autant plus profonde qu'elle succède à une période haute, la plus haute peut-être depuis l'an mil, si l'on veut bien admettre, dans l'état actuel des recherches, qu'elle a sans doute dépassé les niveaux d'avant 1348. Le plafond de cette période ne sera atteint à nouveau — et à peine dépassé — qu'entre 1650 et 1681. Inversement, on peut se demander si les courbes de l'indice-argent n'exagèrent pas, un peu, l'aspect catastrophique de la dépression. Pour reprendre une expression de E . Le Roy Ladurie : « Est-ce la tempête qui fait rage ou l'anémomètre qui est détraqué ? » Impossible de répondre, pour l'instant, à cette question. Deux phénomènes, au moins, justifient soit la tempête, soit le détraquement de l'instrument de mesure : les guerres de religion et le cortège de destructions et de blocages qu'elles impliquent ; et les grèves de dîmes, certes perturbatrices de notre documentation, mais qui, en période de troubles, sont davantage le reflet de l'anarchie politique et administrative que de la baisse de la production. Ces deux facteurs sont largement responsables des trois creux successifs de notre courbe demi-séculaire, affectant les périodes 1545-1555, 1571-1578 et 1581-1600. Notons, au passage, et sans préjuger de nos conclusions, que l'amplitude de ces fluctuations, notamment en argent, ne sera plus jamais atteinte au cours des deux siècles suivants. A regarder les choses d'un peu plus près, on constate que jusqu'en 1554 2 , la courbe 3 (indice-argent déflaté ; moyenne mobile de sept ans affectée à la quatrième année) évolue parallèlement à la courbe des dîmes en nature (courbe 2). E n revanche, de 1560 à 1610, les trois séries utilisées pour obtenir cette courbe, s'écartent toutes trois — et dans des proportions rigoureusement identiques — de l'indice-nature global. Pour rendre compte de cette convergence des trois sources, c'est aux phénomènes psychologiques que nous suggérons de faire appel. E n période de troubles, les enchérisseurs, donc le preneur, ne peuvent qu'hésiter, car ils courent un double risque : avancer de l'argent qui se fait rare et dont ils auront peut-être besoin au cours des périodes futures de pénurie financière que la prudence impose de prévoir ; avoir de grosses difficultés à lever la dîme « sur le champ » ou « sur l'aire », au milieu du mécontentement, voire de la révolte, des paysans en mal de grève. Au total, si l'ampleur de la crise est justifiable d'explications complexes, il y a crise, indubitablement. Mais, dès a le premier X V I I e siècle », une reprise se produit, suivie d'un essor, d'une phase conjoncturelle « heureuse », même si elle ne réussit pas à atteindre les plafonds du X V I e siècle. On peut estimer que le rattrapage est effectif avec la décennie 1610-1620 et qu'en palier, il 1. Cf. Annexe, Tableau I I , infra, pp. 271-272. 2. Cette portion de courbe n'a pu être construite qu'à partir des seules données narbonnaises.

262

J . GOY E T A . - L . HEAD-KÔNIG

prolonge ses effets bénéfiques jusqu'au milieu du X V I I e siècle. Si, dans ces conditions, on calcule les pourcentages d'accroissement (on devrait dire de décroissance) entre 1609 et 1648, la perte subie par rapport à notre décennie de référence (1544-1553) n'est que de 4 à 5 % en nature, mais de 17 à 30 % en argent déflaté. La faiblesse de cette diminution (faiblesse relative quoique plus prononcée, en ce qui concerne les données en argent déflaté) nous entraîne à affirmer que le Midi méditerranéen semble avoir été épargné par les conséquences de la guerre de Trente Ans et de la Fronde. A aucun moment la situation de ces régions méridionales n'est comparable à celle, désastreuse, du Nord, de l'Est ou du Bassin Parisien. Avec les décennies du milieu du X V I I e siècle sont atteints les niveaux les plus élevés de la période étudiée, dépassant même les plafonds du X V I e siècle. Les moyennes décennales en témoignent : entre 1649 et 1678, les pourcentages d'accroissement atteignent 9 à 17 %. Mais l'euphorie est de courte durée car, dès 1679-1682, s'ouvre une phase de régression, suivie d'une profonde dépression, que prolongent les récoltes désastreuses de 1709 et 17121. Jusqu'en 1738, l'indice-nature perd 14 à 27 points selon les décennies, tandis que l'indice-argent, qui avait retrouvé, pour dix ans, de 1669 à 1678, les hauts niveaux du X V I e siècle, enregistre des diminutions de 7 à 32 %. Cette crise, cette chute du produit décimal, rien ne peut, dans les documents utilisés, nous laisser supposer qu'elle soit due à la grève ou aux malversations des décimables. Rappelons, bien sûr, que la région étudiée est largement sous l'influence d'un climat méditerranéen, caractérisé par la fréquence des accidents climatiques : inondations en automne ou au printemps du fait d'orages extrêmement violents, sécheresses de printemps et d'été, notamment en Languedoc, invasions de sauterelles, etc. Pour prendre quelques exemples, c'est l'hiver rigoureux, en 1679 comme en 1709, qui entraîne des récoltes très médiocres, voire catastrophiques, alors que la sécheresse sévit en 1680 et 1704, se combinant même avec des inondations en 1712. Dans le pays d'Arles, les sauterelles font leur apparition en 1686, avant d'envahir, pour cinq ans, la plus grande partie du terroir, entre 1715 et 1720, provoquant une série de mauvaises récoltes et, pour la communauté, d'énormes dépenses employées au ramassage des insectes et à la cueillette de leurs œufs. Mais ne faut-il pas faire appel, au-delà des accidents climatiques, à des explications plus larges, plus difficiles aussi à justifier : les terres nouvellement conquises sur les marais, au début du X V I I e siècle, ne sont-elles pas affectées par une baisse de la fertilité due à une mise en culture intensive de sols trop neufs, à la richesse trop tôt usée? Quant aux trésoreries, elles apparaissent en déclin, d'après les 1. Voir, dans le détail, les aléas de la courbe en nature de 1706 à 1712 et, en argent déflaté, de 1706 à 1714. En ce qui concerne l'ensemble des courbes, certains creux sont beaucoup plus marqués sur les courbes des indices-argent, en raison de la déflation par le prix du blé : rappelons que les années 1629-30, 1651-1654, 1692-93, 1721-22, et 1749-50 sont des années de crise « agricole », donc de cherté générale des grains.

LE

PRODUIT

DE

LA

DÎME

263

livres de raison de l'époque 1 , tandis que le paysan croule sous le poids de la surcharge fiscale. Et pourtant, les courbes révèlent une reprise, entrecoupée de quelques mauvaises récoltes, de 1739 à 1788. Pour qui se limiterait à l'étude d'une portion de courbe, allant de 1700 à 1788, le x v m e siècle serait un « beau » x v m e , en pleine croissance. Mais cette « croissance » atteint-elle le taux d'augmentation de 60 % du produit agricole déflaté et de 5,5 qx/ha, décelée, il y a quelques années, par J.-C. Toutain ? 2 Une étude systématique du tableau « Accroissement des revenus décimaux » 3 nous permet de répondre, assez fermement, par la négative. Précisons, d'emblée, que le choix effectué par J.-C. Toutain de la décennie 1700-1710 ou 1700-1711, pèse très lourdement sur l'interprétation des résultats. Affecter à cette période l'indice 100, c'est prendre comme référence l'une des décennies les plus déprimées de nos longues séries, puisqu'il faut remonter jusqu'aux années catastrophiques de 1560 à 1595 pour retrouver la pareille ! Or, dans les cinq cas que nous avons étudiés et compte tenu de ce point de départ surbaissé, le pourcentage d'accroissement ne dépasse jamais 32 % et se tient même, pour l'indice-nature global, entre 22 et 29 %. C'est cette progression de 30 % en moyenne des revenus décimaux, que nous retiendrons, car elle est la plus vraisemblable et, jusqu'à présent, la seule qui ait fait l'objet de vérifications4. Avant de conclure, signalons encore qu'au cours de la période 15301650, les courbes de l'indice-argent déflaté se tiennent presque toujours en deçà de la courbe en nature. En revanche, dès 1660-1670, et plus nettement encore au X V I I I siècle, les deux courbes se frôlent, puis s'entrecroisent fréquemment. Simple hypothèse pour rendre compte de ces deux phénomènes : en l'absence de troubles politiques ou de guerres, l'évaluation de l'enchérisseur ne serait-elle pas plus conforme à la situation réelle de la production qu'en période agitée (et inversement) ? Quant au léger décalage dans le temps des courbes en argent par rapport à la courbe en nature, il provient, n'en doutons pas, à la fois de la durée des baux, de la date de conclusion du bail, du choix de la moyenne mobile et de son affectation. Au total, les fluctuations importantes de ces revenus décimaux, du début du X V I siècle à la Révolution française, ne sont que des soubresauts pris dans une stabilité pluri-séculaire, une stabilité entrecoupée de chutes violentes et, parfois, durables. Cette stabilité moyenne, ces plafonds qu'on ne peut crever du fait des impossibilités technologiques E

E

1. J . GOY, article à paraître dans Annales, E.S.C. 2. Dans son essai intitulé « Le produit de l'agriculture française de 1700 à 1958. I : Estimation du produit au XVIIIE siècle (Histoire quantitative de l'économie française) » , Cahiers de VJ.S.E.A., Paris, 1961, 115, juil. 3. Cf. Annexe, Tableau I I I , infra, p. 272. 4. Cf. J . GOY, art. cit. L a mise en parallèle de la courbe du produit en blé de la dîme du chapitre Saint-Trophime d'Arles et de la courbe des rendements « grain pour grain » de trois domaines gérés par les chanoines de ce même chapitre, a permis d'établir des concordances évidentes entre le mouvement des dîmes, l'évolution des rendements et les observations météorologiques d'un observateur local, le médecin Bret, correspondant de l'Académie de Médecine.

1530

40

50

60

70

80

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1600

10

20

30

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GRAPH. 38. — Indice des revenus décimaux en Fra

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4 70

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90

1700

1 10

20

30

:e méditerranéenne (milieu x v i e - fin XVIIIe siècle).

40

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SO

90

1800

E.B.H.f.

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J. GOY ET A.-L. HEAD-KÖNIG

(et le mental est inclus dans le technologique, bien sûr) de « faire mieux », d'augmenter les rendements, est l'un des aspects du modèle malthusien, de ces blocages structurels étudiés par E. Le Roy Ladurie dans Les paysans de Languedoc. Que survienne la crise aux multiples visages (démographique, climatique, due à la guerre et à son accompagnateur obligatoire, l'impôt) et le souvenir des « bonnes années » est oublié. La crise passée, une reprise s'amorce qui, à la considérer isolément, peut apparaître comme u n début de croissance. Mais dans cette France méditerranéenne, de François I e r à Louis X V I , c'est l'absence de croissance réelle des revenus décimaux qui est la règle : chaque remontée, après la chute, n'est, au mieux, qu'une récupération.

ANNEXE

TABLEAU I

Indices des revenus décimaux. I 1630 1531 1532 1533 1534 1535 1536 1537 1538 1539 1540 1541 1542 1543 1544 1545 1546 1547 1548 1549 1550 1551 1552

II

99

139

132 125 124 131 125 113 120 116 115

173 149 147 161 140 119 131 121 125

150 136 135 127 126 120 126 102 108

167 138 139 131 147 130 135 99 124

III

IV

V

64 64 59 97 92 102 101 101 110 107 110 111 106 122 133 134 130 124 104 109 117 104 92

57 54 46 65 60 77 110 136 151 123 90 78 81 122 159 170 135 99 85 100 125 115 110

72 69 60 72 66 67 72 87 92 102 101 101 99 108 111 112 107 110 105 106 103 98 94

I : Indice « méditerranéen ». II : Indice-nature « global ». III : Indice-argent déflaté (moyenne mobile de 7 ans affectée à la 4 e année). Indices-argent « globaux » \

IV :

déflaté

mobile

de

3

ans

affectée

V : Indice-argent déflaté (moyenne mobile de 7 ans affectée à la 8 e année).

LE PRODUIT DE LA DÎME

1553 1554 1555 1556 1557 1558 1559 1560 1561 1562 1563 1564 1565 1566 1567 1568 1569 1570 1571 1572 1573 1574 1575 1576 1577 1578 1579 1580 1581 1582 1583 1584 1585 1586 1587 1588 1589 1590 1591 1592 1593 1594 1595 1596 1597 1598 1599 1600 1601 1602 1603 1604 1605 1606

I

II

III

IV

V

91

98

102 81 78 83 75 89 80 80 94 90 104 96 92 58 111 68 50 58 46 54 75 90 83 60 99 78 70 66 65 63 61 59 70 68 66 66 62 74 55 79 76 76 72 88 94 85 83 79 87

117 88 83 92 78 113 86 85 109 96 128 121 124 56 168 93 58 75 48 59 104 128 108 58 130 101 91 82 80 77 80 82 101 100 98 95 86 112 73 115 104 96 85 114 119 92 92 93 109

85 77 74 74 78 87 73 73 75 72 66 75 75 79 83 79 71 60 60 55 43 42 41 45 48 47 53 58 62 69 56 49 50 50 49 42 36 40 36 34 37 38 37 38 43 48 56 58 61 68 78 74 66 65

109 104 84 69 64 68 68 91 104 93 93 72 69 67 61 58 67 91 93 70 49 36 37 39 40 46 59 69 53 53 47 49 49 44 44 36 40 50 43 42 36 31 32 34 44 45 44 39 44 62 97 102 78 61

100 107 93 82 67 82 69 78 76 76 94 87 89 81 63 56 54 65 69 61 58 51 52 46 39 42 46 50 47 51 48 49 49 45 42 36 38 46 40 40 39 37 39 36 37 39 37 39 44 48 58 61 58 62

E T A.-L. H E A D - K O N I G

1607

1608

1609

1610

1611

1612

1613 1614 1615

1616

1617 1618 1619 1620 1621 1622 1623 1624 1625 1626 1627

1628

1629 1630 1631 1632 1633 1634 1635 1636 1637 1638 1639 1640 1641 1642 1643 1644 1645 1646 1647 1648 1649 1650 1651 1652 1653 1654 1655 1656 1657 1658 1659

1660

II

III

IV

122 112 132 126 115 91 118 136 134 133 130 143 123 130 86 100 142 131 153 116 121 148 132 121 132 130 108 150 119 137 101 120 126 97 141 133 102 140 130 120 103 135 152 120 147 189 161 202 159 133 136 112 140 141

74 72 84 83 82 86 86 82 81 83 84 96 91 88 97 91 103 105 95 94 81 77 57 72 70 73 86 93 116 124 128 131 124 105 100 100 96 92 95 93 96 113 100 87 83 81 87 90 99 114 132 137 126 131

62 57 69 74 94 101 94 75 63 73 84 114 105 91 91 80 80 84 85 102 112 122 76 87 64 60 56 67 104 129 128 112 105 119 137 144 132 98 75 71 80 121 127 132 121 100 84 64 64 84 117 144 143 134

L E PRODUIT

1661 1662 1663 1664 1665 1666 1667 1668 1669 1670 1671 1672 1673 1674 1675 1676 1677 1678 1679 1680 1681 1682 1683 1684 1685 1686 1687 1688 1689 1690 1691 1692 1693 1694 1695 1696 1697 1698 1699 1700 1701 1702 1703 1704 1705 1706 1707 1708 1709 1710 1711 1712 1713 1714

D E LA D Î M E

I

II

III

IV

V

133 130 132 125 113 117 133 138 141 115 165 149 133 158 115 152 125 133 127 103 139 130 113 102 111 99 103 118 106 103 96 103 98 99 94 100 94 104 109 112 96 103 107 104 127 86 88 89 54 84 80 71 95 100

147 147 158 143 116 120 156 158 168 110 179 172 143 190 107 183 136 143 130 82 152 132 122 106 116 101 97 125 103 104 107 122 111 115 103 119 106 113 117 114 97 106 115 87 145 75 89 86 31 96 92 73 111 113

118 113 105 107 110 113 111 117 115 120 132 127 123 125 122 120 114 124 123 124 126 128 104 97 106 97 109 110 109 101 85 84 85 82 83 80 82 95 101 99 95 99 99 121 113 96 87 91 77 73 69 70 79 87

111 100 90 92 100 111 109 117 117 111 111 107 109 127 137 138 125 119 107 108 109 127 114 105 105 81 87 91 107 124 132 115 97 80 68 71 81 105 105 94 85 85 85 104 97 100 104 125 111 77 63 61 68 65

103 107 92 92 90 91 95 103 104 106 111 108 102 108 111 112 116 123 118 118 111 112 94 86 96 86 91 96 96 98 98 98 103 98 90 86 84 86 91 90 84 91 84 92 84 86 87 99 94 84 79 78 72 64

E T A.-L. H E A D - K Ö N I G

1715 1716 1717 1718 1719 1720 1721 1722 1723 1724 1725 1726 1727 1728 1729 1730 1731 1732 1733 1734 1735 1736 1737 1738 1739 1740 1741 1742 1743 1744 1745 1746 1747 1748 1749 1750 1751 1752 1753 1754 1755 1766 1757 1758 1759 1760 1761 1762 1763 1764 1765 1766 1767 1768

II

III

IV

126 90 125 105 105 138 91 83 122 102 128 92 78 94 110 110 95 103 101 71 118 80 84 135 127 115 118 124 127 124 112 90 145 100 102 124 127 130 112 129 93 91 116 109 130 113 142 109 120 119 92 73 98 68

89 94 96 95 92 88 80 79 88 97 95 84 92 94 101 98 95 95 102 99 98 92 92 93 94 95 98 106 115 107 97 93 93 88 82 82 93 106 119 124 126 124 114 111 109 107 105 107 112 111 95 99 94 97

64 75 102 115 118 101 74 75 87 98 84 70 82 94 100 87 82 90 107 107 100 91 95 91 90 80 88 94 100 102 111 119 128 102 81 73 77 85 90 102 119 155 141 131 114 98 91 95 117 129 109 109 95 97

L E PRODUIT D E LA DÎME

1769 1770 1771 1772 1773 1774 1775 1776 1777 1778 1779 1780 1781 1782 1783 1784 1785 1786 1787 1788

I

II

III

IV

V

111 112 98 112 105 103 109 122 114 130 100 122 112 111 127 127 148 118 124 141

123 129 100 125 93 97 100 123 99 120 62 112 104 100 134 140 182 126 146 127

99 96 96 99 116 109 118 121 129 141 137 132 120 121 119 114 114 111 112 155

97 97 97 95 111 95 107 111 127 141 128 127 119 127 114 101 105 112 118 117

111 99 95 95 104 96 104 104 110 119 118 122 114 112 108 102 104 107 107 106

TABLEAU

% d'accroissement* 1539-48

1544-53** 1549-58 1559-68 1569-78 1579-88 1589-98 1599-1608 1609-18 1619-28 1629-38 1639-48 1649-58 1659-68 1669-78 1679-88 1689-98 1699-1708 1709-18 1719-28

II

% indice-nature 100 — — — — — — — — — + + + — — — — —

27 31 28 27 21 4 5 5 6 15 9 17 14 16 21 27 21

% indice-argent —

3

— — — — — — — — — — — —

26 39 58 56 68 45 30 25 22 17 17 6 0 7 27 18 32 27

100

— — — — —

* Le pourcentage d'accroissement, par décennie, a été calculé pour l'indice-nature global et pour l'indice-argent déflaté (moyenne mobile de 7 ans affectée à la 4 e année). * * L'indice 100 a été affecté à la décennie 1544-1553.

272

J . GOY ET A.-L. HEAD-KÔNIG % d'accroissement

% indice-nature

% indice-argent

— 23 —10 —14 —19 —15 — 6

— 21 —19 —11 —16 — 8 — 7

1729-38 1739-48 1749-68 1759-68 1769-78 1779-88

TABLEAU

III

Accroissement des revenus décimaux de la période 1778-1788*.

Indice « méditerranéen » Indice-nature « global » Indice-argent « déflaté » (7 ans/4e année) Indice-argent « déflaté » (3 ans/4e année) Indice-argent « déflaté » (7 ans/8e année)

% par rapport à A

% par rapport à A'

% par rapport à A"

24 22

31 29

27 23

29

32

32

24

23

27

26

24

27

* L'indice 100 ayant été affecté, successivement, aux périodes : A : 1700-1710 (à l'exception de 1709) A' : 1700-1710 (y compris 1709) A* : 1700-1711 (à l'exception de 1709) on a calculé, par rapport à ces 3 périodes, et pour nos 6 indices, le pourcentage d'accroissement de la période 1778-1788 (11 ans).

GÉRARD

GANGNEUX

Les rentes seigneuriales et domaniales dans les Commanderies de l'Ordre de Malte de la Langue de Provence XVIIe et XVIIIe siècles*

Cette communication trouve son origine dans un long travail de recherche se rapportant à l'analyse du mouvement du revenu foncier, dans la Langue de Provence, de l'Ordre de Malte (Grands prieurés de Saint-Gilles et de Toulouse), pour les xvn e et X V I I I e siècles. Après avoir considéré ce revenu dans la totalité de sa masse, ignorant délibérément la diversité de ses éléments composants, c'est vers l'étude de ceux-ci que se porte maintenant notre effort. En décrivant les bases de la fortune foncière de l'Ordre en France méridionale, nous nous sommes efforcé de faire, entre elles, quant à leur origine et leur nature, la discrimination fondamentale qui s'impose. L'Ordre de Malte, dans une proportion éminemment variable selon les lieux, prélève une rente foncière qui participe d'une double situation juridico-sociale. Il est, d'une part, propriétaire, au sens le plus habituel du terme — tel que l'abolition du régime seigneurial en généralisera la notion — et perçoit à ce titre les revenus de ce que nous appelons ici le domaine proche. D'autre part, un Commandeur de Malte exerce, à peu près partout où l'Ordre est présent, la double seigneurie spirituelle et temporelle et, de ce point de vue, prélève quelques cens en argent, mais surtout une masse, souvent considérable, de dîmes et champarts en nature. On observe donc le plus souvent, pour un même lieu d'implantation maltaise, la double levée, sous la forme ultime d'un fermage en argent, d'une rente que nous appellerons domaniale (terme qui nous semble pratique, sans nous satisfaire) et d'une rente seigneuriale, désignant ici de façon assez exceptionnelle aussi bien les dîmes (ne relèvent-elles pas de la seigneurie spirituelle ?) que les cens, champarts et agriers. Nous avons déjà étudié l'évolution d'ensemble de l'une et l'autre de ces rentes, sans chercher à les dissocier. Mais, à l'intérieur d'une concordance tendan* Article paru dans Études rurales,

1970, 40, oet.-déc., pp. 80-100. 18

274

G. GANGNEXJX

cielle majeure, rente domaniale et rente seigneuriale vont-elles au même r y t h m e ? C'est le problème qui nous occupera maintenant et il est d'importance. C'est l'Ancien Régime social lui-même, dans quelques-uns de ses aspects fondamentaux, qui s'y trouve évoqué. Ce sont les rapports de classes, relativement stabilisés ou gravement altérés, de la seigneurie avec la masse de ses vassaux qui sont en cause. E. Labrousse, dans l'Esquisse1, a jadis attiré notre réflexion sur les caractères spécifiques de la rente seigneuriale : prélèvement en nature dégagé de toute participation aux frais d'exploitation, impôt de quotité, qui taxe automatiquement t o u t gain de production, voire de productivité, et qui devient en pratique une fiscalité de t a u x progressif sur la faible récolte. Magnifique possibilité pour le bénéficiaire, seigneur ou fermier, de tirer, par le jeu des prix en très forte hausse, d'une mauvaise année, une très bonne affaire. On ne saurait donc s'étonner qu'en un lieu donné, l'affermage des droits seigneuriaux dispose au départ, en raison de sa nature même, d'une certaine prime de rentabilité. *

Mais ce sont là des positions théoriques. Quand, à des fins de vérification, on se reporte au détail de la documentation maltaise, l'entreprise s'avère spécialement délicate à conduire. E n effet, qu'il s'agisse du bail en général d'une Commanderie ou de location parcellaire, le m o n t a n t de l'affermage se présente toujours globalement, ce qui interdit d'établir la p a r t respective des éléments composants. Aucun contrat ne saurait donc relever, de façon exclusive, de la catégorie domaniale ou seigneuriale. Ce n'est que par référence à la structure même de telle ou telle Commanderie, analysée de très près, d'après les procès-verbaux de Visite générale, qu'on peut en conclure que le revenu qui lui correspond est à prépondérance de droits seigneuriaux ou de domaine proche. Mais, bien entendu, dans la majorité des cas, la proportion à laquelle on finit par s'arrêter comporte une large p a r t d'approximation. Au lieu de tenter d'emblée une large confrontation d'appréciation hasardeuse, nous avons préféré opposer, à titre expérimental, u n petit nombre de situations de dimensions réduites mais nettement localisées à l'intérieur d'un milieu géographique donné, ne laissant ainsi que peu de place à l'équivoque. Afin de disposer d'affermages domaniaux à l'état presque pur, force était de s'adresser à des groupes régionaux spécifiquement méditerranéens, c'est-à-dire au Languedoc (domanial à 75 % environ) et surtout à la Camargue d'où les droits seigneuriaux sont presque complètement absents 2 . 1. E. LABROUSSE, Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle, Paris, 1933, chap. m . 2. On aura bien soin de retenir que nous travaillons sur des fermages en argent conclus pour plusieurs années et qui ne sauraient s'adapter à toutes les fluctuations des prix et de production de la très courte durée. Cependant les contrats statutairement fixés à trois ans ne dépassent presque jamais cinq ans et leur fréquent renouvellement rend moins regrettable le manque d'élasticité inhérent à leur nature.

LE P R O D U I T D E LA D I M E

275

Mais ces premières confrontations ne pouvaient se faire par le recours exclusif à la documentation maltaise. Nous nous sommes donc reporté à certains travaux récents pour compléter les données.

— Graphique 39 (I) 1. Nous disposons ici, d'une part, du revenu décimal du chapitre Saint-Pierre de Montpellier, dans la série très impressionnante, malgré quelques lacunes, que nous tirons de l'ouvrage de E . Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc 2 ; d'autre part, du revenu brut total de la Commanderie de Montpellier aux années de Visite générale ou « d'amélioration » (comportant environ 75 % de revenu domanial). Une nette coupure apparaît aux environs de 1730 : avant cette date se manifeste une situation d'alternance dans les positions relatives des courbes I (droits décimaux) et I I (domaines). L a rente seigneuriale présente une légère supériorité antérieurement à la forte progression 16471656, à l'occasion de laquelle le domaine reprend l'avantage. Il le conserve, pour l'essentiel, jusqu'au deuxième tiers du x v m e siècle, bien que se réduisant et s'annulant parfois au-delà des années 1700. Il faut observer que la Commanderie de Montpellier pour les années 1676, 1682 et 1688 se trouve dans une situation qui risque de fausser les données, son revenu se voyant gonflé pour quelque temps par la gestion particulièrement heureuse du Commandeur Henri de Thomas L a Valette. Par ailleurs, la continuité sérielle de la dîme laisse alors beaucoup à désirer. Au-delà de 1730, la courbe des dîmes prend un avantage décisif et continu qui paraît toutefois se réduire sensiblement jusqu'à s'anéantir au-delà de 1778. Après la confrontation montpelliéraine, nous avons recherché la possibilité d'un rapprochement intra-camarguais, même s'il fallait prendre quelques libertés à l'égard d'une documentation inadaptée à notre objet. -— Graphique 39 ( I I ) . Nous disposions ici, concernant le revenu décimal, du produit en blé de la dîme perçue annuellement au Terroir de Fourques par le chapitre de Saint-Trophime d'Arles 3 , de 1662 à 1789, avec quelques lacunes assez graves (courbe A). Nous avons essayé de restituer la valeur-argent du blé ainsi recensé, en utilisant le prix annuel du blé de semence en Arles, relevé pour les deux siècles dans le manuscrit du notaire Pierre Véran 4 . Nous en avons tiré la courbe I, qui ne pouvait malheureusement, étant donné les vides de la documentation dont nous disposions, remonter au-delà de 1673. 1. Pour chacun des graphiques, il s'agit de rythmes indiciels établis en fonction d'une base 100, calculée à partir de l'entière période considérée. 2. E . L E ROY LADURIE, Les paysans de Languedoc, Paris, 1966, 2 vol. ; I I , Annexe 31, n° 2, col. B . 3. E . BAEHREL, Une croissance. La Basse-Provence rurale (fin du XVI e siècle-1789), Paris, 1961 ; cf. Tabl. 47, p. 629. 4. Bibliothèque municipale d'Arles. Prix que nous avons déjà utilisés par ailleurs, antérieurement exploités par R . BAEHREL qui en a fait, dans sa thèse (op. cit.), la présentation critique.

276

G. G A N G N E U X

GRAPH. 39. — Mouvement comparé L a base 100 représente pour chaque groupe Graph. 39 (I) : Montpellier xvn e -xvxn e siècles I — Dîmes-argent du chapitre Saint-Pierre de Montpellier I I — Commanderie de Montpellier A — Blé : production décimale de Béziers

Courbe d'allure très heurtée, à laquelle, pour la facilité de l'interprétation, nous avons superposé sa moyenne mobile sur dix termes correspondant à l'écart moyen séparant ici les années de Visite générale des Commanderies camarguaises. Les résultats de ces dernières sont consignés en courbe III et concernent exclusivement un revenu de type domanial. La position de la rente seigneuriale, déprimée au départ, dénote une reprise sensible au début du x v m e , tandis que s'accuse la baisse du revenu-

LE PRODUIT DE LA DÎME

277

nes-domaines (revenu-argent), moyenne calculée sur l'entière période. Graph. 39 (II) : Fourques, Camargue - Malte I II III A

— — — —

Dîme de Fourques (valeur-argent « restituée ») Courbe I en moyenne mobile sur 10 termes (date considérée et 9 antérieures) Revenu total Camargue - Malte Blé : production du Mas Galignan-Coronade

domaine. Au-delà de 1710, apparaît un avantage limité, mais à peu près constant, de la dîme, s'annulant toutefois dans les toutes dernières années du siècle1. Ces premières expériences présentaient le grave inconvénient d'opposer des fermages domaniaux conclus pour quelques années, inaptes à 1. É t a n t donné le caractère hasardeux du procédé employé, il ne peut être question de faire un sort à chaque inflexion de nos courbes.

278

G. GANGNEUX

GRAPH. 40. — Mouvement comparé dîmes-domaines : Pour chaque groupe, le revenu moyen Graph. 40 (III) : 1 — Commanderies du Bordelais, de l'Agenais et du Périgord 2a — Groupe de Camargue 2b — Groupe du Languedoc

rendre compte de fluctuations à très court terme, à des revenus strictement annuels. Nous avons tenté de l'atténuer en ayant recours dans le Graphique 39 (II) au procédé de la moyenne mobile, tandis que pour le Graphique 39 (I), la vision de longue durée était plus aisément accessible. Mais il fallait en arriver à une confrontation directe entre fermage domanial et fermage seigneurial. Face aux groupes languedocien et camarguais, nous avons relevé les données de certaines Commanderies du Grand prieuré de Toulouse installées en Agenais, Bordelais et Périgord, où le revenu s'affirmait, dans une proportion extrêmement élevée, d'origine décimale. Pour quelques-unes de ces Commanderies (Condat, Argentins, etc.), il a été possible de mettre à profit la Déclaration demandée aux ci-devant sei-

L E PRODUIT D E LA DÎME

279

Languedoc, Camargue, Bordelais, Agenais, Périgord. de la période considérée = 100.

gneurs et décimateurs par l'Assemblée Nationale, quant au montant exact de leurs dîmes et champarts, et de cette façon, de pallier l'imprécision des Visites générales 1 . Nous disposions ainsi, sans contestation possible, d'une masse de revenus seigneuriaux atteignant une proportion de la rente totale qu'on peut très raisonnablement estimer à 80 % . Mais sans doute, sortions-nous d'un milieu agraire homogène. Il est peut-être hasardeux, en situation extrême, de rapprocher la rente seigneuriale de moyenne Garonne et Gironde où la vigne tient une si grande place, des domaines maltais du delta rhodanien exclusivement frumentaires — ou peu s'en faut — et où les conditions naturelles 1. Arch. nat., M 951.

280

G. GANGNEUX

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