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French Pages [220] Year 1993
SIECLE
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REÉMATOIR BYA\ERTO LA MACHINERIE DU MEURTRE DE MASSE
JEAN-CLAUDE PRESSAC
EDITIONS ÉCNRS
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Digitized by the Internet Archive in 2022 with funding from Kahle/Austin Foundation
https://archive.org/details/lescrematoiresda0000pres
HISTOIRE
SIECLE
OUVRAGES DE L'AUTEUR
L'Album d’Auschuilz, présentation de Peter FHellman, Random House, New York. Version française adaptée et complétée, Seuil, novembre 1983.
The Struthof Album / L'Album du Struthof, The Beate Klarsfeld Foundation, mai 1985.
Auschwitz : Technique and Operation of the Gas Chambers, The Beate Klarsfeld Foundation, New York, novembre
1989.
The Deficiencies and Inconsistenaes of “The Leuchter Report”, with a Additonnal Note, Leuchter's Videotape : À Witness lo Fraud. Textes publiés
dans
Truth Prevails, Demolishing Holocaust Denial
: the end of
“The Leuchter Report”, The Beate Klarsfeld Foundation and Holocaust Survivors & Friends in Pursuit ofJustice, New York, 1990.
LES CRÉMATOIRES D'AUSCHWITZ LA MACHINERIE DU MEURTRE DE MASSE
JEAN-CLAUDE PRESSAC
W ICNRS EDITIONS
« Histoire — 20€ siècle » La collection « Histoire - 20€ siècle » a une double vocation : d’une part,
diffuser des travaux de pointe et des textes importants mais inédits, d’autre part, faire partager ces connaissances à un public qui dépasse les rangs clairsemés des spécialistes. Ni essais rapides et superficiels, n1 thèses pointues, elle veut rassembler de vrais textes qui se lisent bien, et
donner à la pensée la place de se développer. Le politique est au cœur du projet, mais le social, l’'économique et le
culturel viennent donner à cette composante
de l’histoire toute sa
complexité. Depuis les années 1980, l’histoire politique du XX® siècle et
la notion d’événement ont été profondément réévaluées. Ce renouvellement passe par l’approche différente d’objets traditionnels, et par l'émergence de nouveaux objets : de l’analyse des rapports si complexes entre l'Etat et la société à l’étude des représentations mentales. Les bouleversements de cette fin de siècle appellent des outils de compréhension toujours plus affinés, quand les méthodes de communication les plus sophistiquées tendent à accréditer une fois de plus l’idée simpliste que les faits parlent d'eux-mêmes. Directeur de la collection : Denis Peschanski, Comité scientifique :François Bédarida, Serge Berstein, Françoise Cribier, Claudio Ingerflom, Jean-François Sirinelli, Jean Stengers.
À paraître : François Rouquet, L'Épuration dans l'administration française. Angelo Tasca, Journal de guerre, présenté par Denis Peschanski.
© CNRS Éditions, Paris, 1993 ISBN 2-271-05093-6
REMERCIEMENTS Ce livre est dédié à la mémoire de Tadeusz IWASZKO (1935-1988), conservateur des Archives du musée d’Auschwitz, à ma femme Monique et à mes enfants
Joffrey, Joëlle et Diane.
Je remercie chaleureusement Robert-Jan VAN PELT, professeur d’architecture de l’université de Waterloo (Ontario, Canada), qui m'a communiqué ses
premiers résultats sur la « Siedlung Auschwitz » et qui s’est chargé des recherches sur les anciens membres de la Bauleitung d’Auschwitz au Berlin Document Center. Je remercie tout particulièrement : Viviane DAHAN, documentaliste et assis-
tante de production du film Premier convoi, réalisé par Pierre Oscar Lévy et diffusé sur La Sept, qui m'a offert de participer comme consultant au repérage du film à Oswiecim et permis ainsi d'y apprendre que les Archives du KGB de Moscou étaient ouvertes aux étrangers, pour son aide ultérieure dans la recherche de documents décisifs à Moscou ; Barbara JAROSZ, Jan PARCER et Henryk SWIEBOCKI, du musée d’Oswiecim, qui m'ont fourni leurs notes sur la nomencla-
ture et leurs études préalables du fond « Bauleitung d’Auschwitz » aux Archives de Moscou ; Stanislawa AUGUST et Dorota RYSZKA, du musée d’Oswiecim, pour
leur aide amicale constante, Serge KLARSFELD -— ainsi que la Beate Klarsfeld Foundation — qui ayant compris l'importance historique des Archives du KGB, a soutenu et organisé mon déplacement à Moscou ; Georgette KLARSFELD, qui a
traduit bénévolement en français la nomenclature russe du fond « Bauleitung
d’Auschwitz » ; Victor Nicolaievitch BONDAREV, directeur des Archives spéciales centrales de Moscou, qui m’a salué comme étant le « premier Français venant travailler aux Archives
du KGB
», pour son
accueil cordial, les autorisations
accordées et les facilités exceptionnelles mises à ma disposition ; Ubanouna MODOYE,
interprète française et documentaliste des Archives de Moscou, pour sa
gentillesse et son efficience. Je remercie
aussi le Dr L.
NESTLER, ancien chef du Centre de documenta-
tion de l’administration des Archives d’Etat de l’ex-DDR, qui a permis mes premières études des dossiers restants de la firme Topf & Sôhne d’Erfurt ; Günther MICHEL-TRILLER, conservateur des Archives de Weimar, qui a autorisé une investigation approfondie des dossiers de la Topf & Sôhne d’Erfurt et qui m'a fourni spontanément le dossier du séquestre de la dite firme ; Barbara DISTEL, directrice du Gedenkstätte Dachau, pour la communication du dossier de la firme Walter Müller d’Allach ; Hellmuth AUERBACH, de l’Institut d'histoire contemporaine de Munich, pour la transmission du dossier de la firme Topf de Wiesbaden ; Eugène LECARDINAL, spécialiste des brevets allemands à l’antenne
documentaire de l’Institut national de la propriété industrielle de Compiègne, pour ses renseignements et Jean-Pierre NIOCHAU, pour ses conseils éclairés en informatique et son soutien permanent.
VII
LISTE DES ABRÉVIATIONS
ACM : Archives centrales [ex-Spéciales] de Moscou (Russie) ARO : Archives centrales « Révolution d'Octobre » de Moscou (Russie) AEK : Archives d'Etat de Katowice (Pologne)
AEV : Archives d'Etat de Weimar (ex-Allemagne de l'Est) AGB : Archives du Gedenkstätte Buchenwald (ex-Allemagne de l'Est) AGD : Archives du Gedenkstätte Dachau (Allemagne) APMO : Archives du Musée d’Etat d'Oswiecim
(Pologne)
AY : Archives du Yad Vashem (Israël)
BDC : Berlin Document Center (Allemagne) BAK : Bundesarchiv Koblenz (Allemagne) CCIVW : Chambre de Commerce et d'Industrie de Wiesbaden (Allemagne) CDJC : Centre de documentation juive contemporaine (Paris)
CRCP : Commission centrale pour la recherche des crimes hitlériens en Pologne, Varsovie (Pologne) [ancienne désignation] IHCM : Institut d'histoire contemporaine de Munich (Allemagne) INPI : Institut national de la protection industrielle (Compiègne)
VIII
INTRODUCTION
P: de dix années ont été nécessaires pour établir l’histoire rigoureuse des instruments de l’extermination au camp d’Auschwitz-Birkenau. Cette connaissance est fondée sur l’exploitation intensive des archives, de nouveau réunies, de l’ancienne « Direction des constructions SS » ou « Bauleitung RE » d’Auschwitz. Contrairement à un autre service du camp, _la Section politique, qui brüla en presque totalité Rene l'évacuation du complexe concentrationnaire en janvier 1945, la la
_Bauleitung laissa les siennes intactes. La raison de cet abandon en l’état s’expliquerait par la personnalité du second et dernier
directeur de la Bauleitung d’Auschwitz, le lieutenant SS Werner Jothann. Ingénieur en superstructures (« Hochbau »), ce professionnel ne s'était pas occupé personnellement de l’aménagement homicide des crématoires qui avait été mené de fin 1942 à début Bischoff.
1943 par Ignorant
le premier directeur, le capitaine SS Karl le contenu « explosif » des dossiers de
construction liés à cet aménagement, Jothann partit sans s’en soucier, ne prenant aucune mesure pour les détruire. Mais alors que, dès 1945, le dépouillement de cette masse documentaire aurait permis d’en extraire des informations techniques indiscutables sur la machinerie du meurtre de masse, CE
Fonds fut séparé en deux. Les Soviétiques, ayant libéré le camp, en saisirent comme trophée de guerre les deux tiers qui furent transportés à Moscou. Le tiers restant devint une partie des Archives du musée d’'Oswiecim. La guerre froide fit que la part moscovite des archives de la
Bauleitung
d’Auschwitz
l'Ouest, comme
devint
inaccessible
aux
historiens
de
d’ailleurs à ceux de l'Est, car leur préservation
avait été confiée au MGB,
puis au KGB.
Les dossiers
« Baulei-
tung » conservés en Pologne ne permettaient de comprendre que la moitié des faits, connaissance à peine suffisante pour lutter contre ceux qui niaient la possibilité du massacre. L’effondrement du mur de Berlin, succédant aux politiques de « Pérestroïka » et de « Glasnost », permit entre autres la localisa-
tion de ces archives « spéciales », leur ouverture aux étrangers, et la redécouverte du fonds « Bauleitung » manquant. L’exceptionnelle richesse des documents emportés par l’armée soviétique, permet une compréhension
presque parfaite de
l’ingénierie criminelle. Dans la chronologie résultant de la synthèse des correspondances échangées entre, d’une part, les orga-
nismes
SS
construction
chargés,
directement
ou
indirectement,
de
la
des installations d’abattage et, d'autre part, les en-
treprises civiles y ayant participé, la date communément admise du démarrage de la phase industrielle de la « Solution finale » se trouve repoussée. Cette étape ultime ne fut décidée par les autorités SS de Berlin qu’à partir de mai-juin 1942, pour être ensuite concrétisée techniquement par les SS de la Bauleitung d’Auschwitz et les ingénieurs de la firme J.A. Topf und Sôhne d’Erfurt. La réunion des dossiers, conservés principalement aux Archives du musée d’État d’Oswiecim (Pologne), aux Archives centrales de Moscou
(Russie), aux Archives du Gedenkstätte Dachau
(Allemagne), aux Archives fédérales de Koblenz (Allemagne), aux Archives d’État de Weimar (ancienne Allemagne démocratique) et aux Archives du Yad Vashem
(Israël), permet une recons-
titution historique enfin affranchie des témoignages
écrits, toujours faillibles et se CRERC Rat ErPS OT RE, 1m [70
oraux
ou
RTE DE l
I. LA PRÉHISTOIRE DE L’'INCINÉRATION DANS LES CAMPS DE CONCENTRATION
Le « Décret pour la protection du peuple et de l’État 28 février 1933, signé par le président Hindenburg l'incendie du Reichstag, entraîna la « détention préventive nombreux opposants, communistes pour la plupart, en prison
» du après » de et en
« camp de concentration ». Le premier d’entre eux, dit par le nouveau régime « camp de rééducation par le travail », fut établi en Bavière sous l'autorité des SS en mars 1933, à Dachau près de
Munich
{document 1]. Sa devise était « Arbeit macht Frei/Le travail
rend libre ». De nombreux petits camps « sauvages », dirigés par les SA, et qui avaient proliféré entretemps, furent fermés à partir de mai 1934. Après la nuit des « Longs couteaux » du 30 juin 1934, les SA ne jouèrent plus qu’un rôle effacé et ce furent les SS qui prirent
la direction du nouvel univers « régénérateur ». Le second camp SS fut ouvert à Sachsenhausen au nord de Berlin en juillet 1936 et, pareillement, « le travail y rendait libre ». Un an plus tard, Buchenwald, proche de Weimar, devint le troisième établissement de ce genre, mais l’inscription de sa porte d’enirée avertissait
désormais qu’« À chacun son dû/Jedem das Seine ». Le quatrième camp fut Flossenbürg à l’est de Bayreuth en mai 1938. L’Anschluss permit d'étendre cette méthode carcérale à l'Autriche avec la création de Mauthausen près de Linz. D’emblée, les « KZ » devinrent synonymes de terreur. La période « sauvage » des camps, durant laquelle les SA avaient commis de « regrettables » excès, n’y était pas étrangère. Les pays
démocratiques en furent informés et les violences dénoncées!. Autant jeter de l’huile sur le feu. En représailles, les gardiens SS, souvent de jeunes chômeurs à qui le régime offrait leur premier vrai « travail », firent comprendre de manière brutale aux détenus politiques que la société promise, d'ordre et de plein emploi, valait mieux que celle antérieure, laxiste et crève-la-faim. Pour désamorcer les critiques extérieures, des brochures où la vie dans les camps
était présentée comme rééducative et « grossissante » (poids des détenus avant et après comme
preuve à l'appui !) furent diffusées et
quelques visites « guidées », réservées aux amis politiques étrangers et aux journalistes accrédités, furent organisées. Mais, malgré de lénifiantes dénégations, un taux de mortalité plus élevé que dans les prisons classiques apparut. Les décès étaient déclarés à la mairie dont dépendait le camp et les dépouilles incinérées au crématoire de la ville la plus proche. Quand l'effectif des camps s’accrut, la mortalité fit de même.
Comme les SS voulaient éviter toute publicité intempestive sur ce point et que la capacité des crématoires civils était limitée, l’inci-
nération in situ (dans les camps) fut envisagée en 1937. Dans les années 30, un four d’incinération classique se composait d’un creuset incinérateur ou moufle incinératrice, où était
déposé le cercueil, d’un foyer chauffé au coke ou d’un dispositif à mazout ou à gaz produisant la chaleur nécessaire à l’incinération et d’un récupérateur permettant d'économiser le combustible. Le récupérateur était formé de deux circuits distincts imbriqués, l’un assurant l’évacuation des gaz de combustion du creuset jusqu’au carneau et chauffant l’ensemble, l’autre conduisant vers le creuset incinérateur de l’air froid extérieur réchauffé au fur et à mesure de son avance dans le récupérateur. Cet ensemble permettait d’arrêter le chauffage lors de la phase
exothermique de l’incinération et de la poursuivre sans nouvel apport de combustible. En octobre 1928, deux ingénieurs de Hamburg, Hans Volckmann et Karl Ludwig, déposèrent un brevet? |document 2] de four d’incinération sans récupérateur et utilisant, lors de la crémation, des jets d’air froid pulsé dans le creuset. Comme la construction d’un récupérateur, occupant
parfois jusqu’au deux tiers de la masse globale du four, était complexe et en grevait fortement le coût, ce brevet révolutionnaire cassa les prix généralement pratiqués. Il y eut lutte commerciale avec dépôts de brevets similaires et fin 1934, assez bizarrement et probablement pour raison politique, Volckmann et Ludwig perdaient la partie et leur système de four disparaissait du marché allemand. Ce fut un concurrent direct, la Topf und
Sohne d’Erfurt, qui l’'emporta en implantant en 1935 dans divers
Coupe verticale d'un modèle de four d'incinération chauffé au coke el avec récupéraleur, monté jusque dans les années 1930-1935. [inspiré du crématoire de Zurich (Suisse)] Coupe A -B
Ac : Air chauffé coke MOUFLE
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Voir en annexe n° 1 les plans complets de ce modèle de four dont la complexité de constuction souligne les avantages commerciaux offerts par la simplicité du brevet des ingénieurs Hans Volckmann et Karl Ludwig.
crématoires d'Allemagne sept fours de son modèle 1934, sans ré-
cupérateur, à air chaud pulsé et chauffé au gaz. Le créateur de ce
modèle,
l’ingénieur
Kurt
Prüfer
[document
3], inscrit
au
NSDAP , et ses directeurs, Ludwig et Ernst-Wolfgang Topf, copropriétaires de l’entreprise et eux-mêmes membres du Parti, pouvaient considérer l’avenir avec sérénité. En mai 1937, le camp de Dachau fit procéder par sa direction SS de Munich à un appel d'offres pour un four d’incinération. Une firme locale, la Walter Müller d’Allach, bien introduite au-
près des SS puisqu'elle avait déjà équipé en chauffage central le
camp d’entraînement SS de Dachau, les casernes SS de Munich et travaillé pour l’école SS de Bad Tôlz, soumit en juin un devis
de 9 250 RM
(1 Reichsmark = 20 F 1992) pour un four mono-
moufle [document 4], avec un dispositif d’air pulsé. Sa masse était
conséquente et répartie sur deux niveaux. Chauffé au coke, sa consommation dépendait de son utilisation, au coup par coup ou
en série. Le four froid demandait 175 kg de coke pour effectuer une première incinération alors que s’il avait déjà fonctionné la veille, 100 kg seulement suffisaient. Le constructeur indiquait, impliquant ainsi la possibilité d’incinérer en série, que les deuxième et troisième incinérations
ne réclamaient
aucun
combustible
supplé-
mentaire et que les suivantes pouvaient se pratiquer presque sans apport de combustible, uniquement par insufflation d’air dans le creuset. Il estimait à une heure et demie la durée d’incinération d’un corps de 70 kg dans un cercueil en bois de 35 kg 4. A partir de ces données, les SS en déduisirent qu’incinérer un corps sans cercueil
permettait de gagner une demi-heure et que le matin, 100 kg de coke leur suffisaient pour réduire en cendres une vingtaine de corps dans la journée. La proposition de la Müller ne fut pas retenue, probablement parce que à cette époque, le nombre des décès parmi la popu-
lation du KL Dachau
(comptant 2 500 à 3 000 détenus sur un total
d'environ 10 000 pour l’ensemble des camps5) ne justifiait pas encore l'emploi d’un four d’incinération et que le réseau des camps était
en pleine réorganisation. « Régénérer par le travail » les détenus était certes un concept louable, mais sa mise en œuvre pouvait conduire à des pratiques et à des résultats l’étant moins. Epuiser les détenus à transporter
chaque jour le même tas de pierres d’un bout à l’autre du camp était improductif et devenait mortel à la longue. Employer les détenus au maraîchage et dans des ateliers semblait une méthode intéressante et surtout lucrative. Expérimentée à Dachau, cette
formule néo-esclavagiste fut élargie à la production de matériaux de construction, indispensables pour concrétiser les projets architecturaux
de Hitler — rénovation
des villes, autostrades,
ou-
vrages de défense — qui devaient glorifier le renouveau allemand et servir à résorber le chômage. Plus les entreprises SS et les camps fourniraient de pierres et de briques, plus la SS s’enrichi-
rait et conforterait sa puissance. Afin de gérer ce potentiel économique naissant, Himmler débaucha à Kiel un commissaires administratif de la Marine, ancien du corps-franc Lôwenfeld, Oswald Pohl. À partir de février 1934, ce dernier, promu colonel,
dirigea toutes les sociétés commerciales
SS, mis à part les KL
dont la direction était alors indépendante. En vue de l’utilisation progressive de la main-d'œuvre concentrationnaire par les entreprises civiles SS, Pohl fut placé en avril 1939 à la tête de deux
services : — l’« Office central SS Budget et Constructions » (SSHauptamt Haushalt und Bauten ou SS-HHB), chargé des Waffen-SS
et des camps ; et — l’« Office central SS Administration et Economie » (SS-Hauptamt Verwaltung und Wirtschaft ou SSHVW), coiffant les entreprises SS.
La branche « Constructions » du SS-HHB, dirigée personnellement par Pohl, s’occupait des bâtiments à édifier dans les camps
avant
que
ne
le fassent
des « Directions
des construc-
tions » (Bauleitungen) autonomes et propres à chaque camp. Le SS-HHB avait les ressources financières et les services requis pour concrétiser ce qui avait été souhaité en 1937 : l'édification de crématoires dans les camps. À cette fin, il fit appel à des sociétés spé-
cialisées dans ce genre d'installations. Des firmes allemandes
intéressées par ce marché
mortuaire,
deux s’imposèrent auprès du SS-TIFIB de Berlin : la Topf und Sôhne d’Erfurt et la Heinrich Kori de Berlin. L’incinération des
dépouilles humaines ne représentait qu’une faible partie de l’activité de la Topf, surtout versée dans les foyers industriels. Sa division « construction de crématoires » ne réalisait en moyenne que 3 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise7. La Kori était plus spécialisée dans la destruction des déchets et détritus
combustibles. On ignore si ce fut par relations ou à la suite d’un appel d'offres que les deux firmes furent agréées. Pour Dachau, la Topf se fit attribuer le marché sans qu’on sache
comment. Mais l’astuce de l'ingénieur Prüfer fut de saisir que le milieu concentrationnaire ne réclamait pas un four civil inusable et orné d’un fronton néo-grec en marbre comme celui proposé par la Müller, mais un modèle simpliflié, performant, usable (réparations fréquentes) et d’un prix modeste. Un four mobile (sans isolation interne et revêtu de plaques de fer) à deux creusets incinérateurs, à air pulsé, chauffé au mazout et avec tirage forcé, fut sa réponse. Ce modèle, ayant été accepté par le SS-HFHB au prix de 8 750 RMS, fut installé fin 1939 à Dachau. Son rendement incinérateur était estimé à deux corps par heure. Puis vint le tour de Buchenwald qui, dès juin 1938, alors que presque 8 000 détenus y étaient enfermés, avait demandé l'installation d’un crématoire10. Le camp, situé entre Weimar et Erfurt, siège de la
Topf, deviendra la « chasse gardée » de Prüfer et le banc d'essai de deux de ses modèles de four. Fin 1939, l'ingénieur proposa à la Bauleitung de Buchenwald un four fixe (avec isolation et en briques) à deux creusets incinérateurs, à air pulsé, à chauffage au mazout ou au coke pour 7 753 RM et avec un tirage renforcé de 1 250 RM à placer dans la cheminée, soit 9 003 RM en tout 11. Le chauffage au mazout fut préféré et le four monté ainsi, avec l’accord du SS-HHB
en janvier 1940. Le prix de ce four était moindre que celui de Dachau, bien que sa masse füt plus importante. Ce dernier avait été fa-
Four Topf fixe bimoufle chauffé au mazout installé à Buchenwald
M>=2,5PS M : motor/moteur
Dig : Drucklüftgebläse/ soufflerie d'air pulsé L : Leichen/cadavres m : Muffel/moufle (creuset) 6 : Olbrenner/brüleur
à mazout Rk : Rauchkanal/carneau Zv : Zugverstärkung/
renforcement du tirage K : Kamin/cheminée
briqué et monté en usine avant d’être livré, alors que celui de Buchenwald fut édifié sur place par un contremaître de la Topf aidé de trois détenus fournis par les SS et ne coûtant rien à la firme. Prüfer avait compris les possibilités crématoires offertes par les « Konzentrationslager », domaine qu'il voulut monopoliser à son profit (il touchait une prime de 2 % sur le bénéfice de ses ventes 12), et anticipé sur le rôle de fournisseur de main-d'œuvre qui devien-
dra le leur, ce qui lui permit de baisser progressivement le prix de ses fours, l’aide fournie étant gratuite de même que certains matériaux courants,
tels ciment,
chaux,
sable et briques.
Prüfer contrôlait déjà Dachau et Buchenwald.
Début
1940,
II. LE « DRANG NACH OSTEN » ET LE DUEL COMMERCIAL TOPF-KORI
1
campagne de Pologne fut déclenchée le 1er septembre 1939. Varsovie capitula le 27. Le pays fut dépecé entre les
Allemands et les Soviétiques. L'Allemagne recouvra sa frontière orientale d’avant 1914, annexa en sus le reste du Wartheland
et
restaura la Silésie dans son état prussien. Le reliquat du territoire
polonais fut appelé « Gouvernement général » et administré par Hans Frank. En d’Oswiecim, dite
haute Silésie, la petite ville polonaise Auschwitz lorsqu'elle était autrichienne,
comptait 12 000 habitants et surtout se trouvait à la jonction de lignes
ferroviaires
venant
de
Kattowitz,
Cracovie
(Krakow),
Skawina et Bogumin (Oderberg) 15. Ainsi d'Oswiecim redevenue Auschwitz, on pouvait par le train se rendre facilement à Berlin,
Varsovie, Lwow (Lemberg) ou Vienne et, tout aussi aisément, en
venir.
Son
d’artillerie
faubourg de
de
l’armée
Zasole
comportait
un
polonaise,
déserté
depuis
casernement la fin
des
hostilités.
Le 21 février 1940, était prise la décision d'aménager dans ces casernes abandonnées, après avoir réparé et assaini la vingtaine de bâtiments les composant, un camp de quarantaine pour 10 000 détenus polonais. Un four d’incinération fut prévu et la Topf à nouveau sollicitée, doublement,
puisque le SS-HHB voulait en sus un
four pour Flossenbürg. Dès le 29, la firme établissait un devis collectif pour la livraison de deux fours mobiles à double creuset au mazout
comme
à Dachau,
l’un
pour
Auschwitz,
l’autre
pour
fut acceptée par le SS-HHB de Ber-
Flossenbürg. La commande
lin en mars au prix de 18 000 RM (9 000 RM par four) 14. Bientôt
Prüfer contrôlerait les crématoires de quatre camps. Mais Sachsenhausen lui échappa. Ce fut la Kori qui y installa en avril deux unités de son zout [document 5], four qui au moins une quinzaine fut (cinq, plus ou moins bien
modèle mobile monomoufle au maconnut une grande diffusion puisque vendue au réseau concentrationnaire conservés, existent encore en Polo-
gne). Prüfer échoua devant Sachsenhausen parce qu'il est difficile de lutter avec un concurrent à proximité immédiate du client. La Kori était une firme berlinoise respectable, et ses repré-
sentants côtoyaient les « faisans dorés » du régime et les hauts gradés SS qui géraient les camps. La Topf, firme provinciale, n'avait
que l'énergie et le savoir de son spécialiste en crémation, Kurt
Prüfer, vice-adjudant de réserve et familier des secrétaires sousofficiers SS qui effectuaient le travail administratif et le tenaient au courant des projets ou marchés susceptibles d'intérêt. La Kori entrait par la grande porte ; Prüfer, ancien ouvrier-maçon devenu ingénieur à force de volonté, passait par l'office.
Le capitaine SS Rudolf HSss, adjudant15 au KL Sachsenhausen, était choisi le 29 avril pour être le commandant
du futur
camp de quarantaine à aménager dans les casernes d’Auschwitz. Hôss, malgré son grade subalterne, n’est pas n'importe qui dans la hiérarchie nazie. Engagé volontaire à quinze ans lors du premier conflit mondial, il le termine en Turquie comme un des plus jeunes sous-officiers de l’armée allemande, décoré de la Croix de fer de 1re classe et du Croissant de fer (Etoile des Osmans). Rentré en Allemagne, sans travail, il rejoint le corps-franc Rossbach, participe aux combats du « Baltikum », casse du « Spartakiste » dans la Ruhr et défend la haute Silésie contre les Polonais. C’est durant ces années troubles et violentes que Hôss
rencontre le lieutenant Leo Schlageter, qui appartient au corpsfranc Lôwenfeld
(comme
Oswald
Pohl), et dont il se dit l’ami.
Après la dissolution des corps-francs, Hôss est embauché
comme
garde de grandes propriétés agricoles près de Parchim dans le Mecklemburg et s'inscrit au NSDAP en 1922. Quant à Schlageter, il se rend à Munich,
y devient
membre
du NSDAP
en novem-
bre1922, puis gagne la Ruhr dès son occupation en janvier 1923 par les Français. En avril, il y fait sauter un pont de chemin de fer, est dénoncé, arrêté et fusillé le 26 mai. Schlageter est devenu un héros pour les Allemands et encore plus pour les nazis. Cinq jour après, à Parchim, sur ordre de Martin Bormann (futur secré-
taire de Hitler), Hôss
et cinq anciens
corps-francs
lectivement un ancien instituteur, Walter Kadow,
10
tuent
ex-membre
coldu
détachement Rossbach, et renvoyé de celui-ci pour escroquerie. Une carte de membre desJeunesses communistes aurait été trouvée sur lui avant le meurtre 16. Le crime est dénoncé
par un des
participants. Hôss écope de dix ans de prison, en effectue cinq et
est libéré en 1928. Il se justifiera de ce crime en accusant Kadow d’avoir livré Schlageter aux Français, ce qui est plus que douteux. Hôss devient ensuite fermier et constitue bénévolement un peloton de cavaliers SS. Cette initiative est remarquée par Himmler. Ce dernier, au courant de son passé, lui propose une carrière de SS actif, dans un domaine qu’il connaît bien de l’intérieur, l’univers carcéral. HGss est affecté à Dachau en 1934 et bénéficie d’un avancement rapide. Il passe officier en 1936, puis il est nommé
en 1938
à Sachsenhausen. Quand l'Inspection des KL demande un chef de camp pour Auschwitz, Hôss est désigné. Le 30 avril 1940, il était sur place avec cinq SS et s’attelait aussitôt à sa tâche avec ardeur. Ancien de Dachau et de Sachsenhausen, Hôss plaça son KL sous leur devise commune, « Arbeit macht frei », qui fut affichée au-dessus du portail d'entrée du camp. Comme dans les autres KL et afin d’en planifier le développement, fut créée une nouvelle Bauleitung, dont le premier chef fut le sergent SS Schlachter 17. Le 10 mai, les forces armées allemandes attaquaient à l’ouest.
La campagne de France débutait. Les combustibles liquides (essence, pétrole, mazout) furent rationnés en Allemagne. Or, tous les fours des camps fonctionnaient au mazout. Leur arrêt était prévisible, à plus ou moins long terme selon les possibilités d’approvisionnement locales. Seule la Kori avait senti venir le vent. En avril, sur sa lancée de Sachsenhausen, elle avait aussi négocié la vente d’un four fixe monomoufle à Mauthausen, mais chauffé au coke. Il fut opérationnel le 5 mai et devint le seul four des camps à pouvoir fonctionner. À la suite à ce rationnement, la
Topf essuya les réclamations des Bauleitungen de Dachau et de Buchenwald, dont les fours n'incinéraient plus faute de mazout 18, et elle s’interrogeait sur le devenir de la commande
Flos-
senbürg-Auschwitz. La solution était de remplacer le mazout par le coke. D'un point de vue technique, c'était une régression : l’air pulsé avait permis de se passer du récupérateur, le chauffage au mazout ou au gaz évitait la construction de foyers à coke. Mais, il y avait pas d’autre issue. Car fin mai, la Bauleitung d’Auschwitz avait refusé que soit chauffé au mazout le four mobile lui
étant destiné et demandé qu'il le soit au coke!®. Début juin, à partir de l’expérience acquise à Buchenwald,
la division de Prü-
fer redessina ce four fixe bimoufle en y adaptant deux foyers à coke [document 6] et le proposa à Auschwitz qui l’accepta ainsi. La Bauleitung de Buchenwald, parfaitement informée de la
11
modification envisagée puisqu'elle avait été étudiée sur son four,
donna aussi son accord. Prüfer se rendit en juin à Sachsenhausen pour tenter de s’y implanter. Il n’y décrocha qu’une misérable commande de 310 RM de matériel d’incinération 2 et perdit tout espoir d’y placer le moindre four. La Kori avait mis son grappin sur le camp, comme sur sa filiale de Ravensbrück, à laquelle venait d’être livré un four
mobile monomoufle, et le maintiendra jusqu’à la fin de la guerre. Les travaux à Buchenwald et Auschwitz furent menés conjointement dès juillet 1940. Le four de Buchenwald fut modifié en ajoutant deux foyers extérieurs
à coke à l’arrière des creusets, de
part et d’autre du carneau souterrain reliant le four à la cheminée (1 000 RM de foyers et environ 1 000 RM de main-d'œuvre) 21.
Four Topf bimoufle de Buchenwald modifié pour le chauffage au coke
G : [Koks] generator/
foyer [au coke]
Quant à Auschwitz, il fut décidé que le four bimoufle (type Buchenwald
modifié)
serait installé dans l’ancienne
poudrière du
casernement que les SS nommèrent initialement « Bunker ». Les travaux d'aménagement préparatoires commencèrent le 28 juin
et le montage du four fut entrepris le 5 juillet par deux contremaîtres de la Topf (l’un était Wilhelm Koch), dont les équipes se
relayaient. L'édification fut rapide et le 25, le four était achevé 22. Le temps qu'il sèche, la Bauleitung édifia une cheminée,
haute
d’une dizaine de mètres#3, couplée avec un tirage forcé équipé d’un moteur électrique de 3 CV assurant la sortie de 4 000 m3 de fumée par heure. Chaque creuset du four était équipé de fins tuyaux pulsant quatre jets d’air froid, venant d’une soufflerie
12
mue par un moteur électrique de 1,5 CV2. La Topf précisa ultérieurement que ce dispositif permettait de réduire la durée d’incinération 5. La toute première d’un détenu mort « naturellement » fut pratiquée le 15 août 1940 à Auschwitz%. D’autres
Four Topf fixe bimoufle chauffé au coke, type Auschuritz
Extraction :
À + 000 m° de fumées par heure
S : Schieber/registre (dans le carneau)
Sz : Saugzug/tirage induit (forcé) Sch : Schornstein/cheminée
suivirent sans difficulté. A la mi-septembre,
le SS-HHB
que l'installation crématoire
Schlachter
informait
n'avait pas le moindre
défaut?7. Ce four fut une réussite esthétique et technique, dont la Topf et Prüfer étaient très fiers, au point que ce modèle, bimoufle avec isolation, à air pulsé et à deux foyers à coke, devint
le type « Auschwitz ». Son rendement incinérateur fut estimé par les ingénieurs Fritz Sander et Paul Erdmann, fondés de pouvoir dont Prüfer dépendait, de 30 à 36 corps en dix heures 8, soit en-
viron 70 corps par jour pour une vingtaine heures d’activité, l’entretien du four nécessitant trois heures. Malgré le changement radical de modèle de four et un prix de revient réel d’environ 10 500 RM, la Topf n’en demanda que le prix initialement convenu, soit 9 000
RM, qui furent payés fin 1940 par le SS-HHB. En ne réclamant pas les 1 500 RM dus et en laissant parler pour elle la qualité de son four, la Topf avait agi finement et venait de faire ouvrir par Prüfer
un marché potentiel que jamais personne n'aurait osé imaginer. Restait encore pour la Topf à trouver une solution pour Dachau et
Flossenbürg. Flossenbürg aurait pu être équipé comme Auschwitz, mais cette proposition n’arrangeait pas la firme, qui se serait retrouvée dans ce cas avec un four mobile bimoufle à mazout inem-
ployé, car déjà fabriqué. C’est alors que, début juillet 1940, la
nouvelle Bauleitung de Mauthausen informa la Topf que, pour
12
son camp annexe de Gusen qui en avait un besoin urgent, le SSHHB lui avait attribué le four destiné à Flossenbürg#0. Ce changement et cette demande pressante convenaient à Prüfer. Il perdait temporairement Flossenbürg — en fait définitivement, car
il fut équipé d’un four Kori fixe monomoufle à coke — mais prenait pied à Mauthausen, camp d'influence Kori, et surtout trouvait enfin l'emploi d’un four à mazout, inutilisable à cause du rationnement, à condition de le chauffer au coke. La largeur de ce four étant moindre que celle du four de Buchenwald, il était
impossible de mettre les deux foyers à l’arrière. Il fut décidé de les placer latéralement de part et d’autre du four en perçant des
orifices d’accès aux creusets, ce qui doublait la largeur de la façade.
Four Topf bimoufle chauffé au mazout, monté à Dachau, puis modifié pour le chauffage au coke, et monté directement chauffé au coke à Gusen (Manthausen)
Le
Le M : Motor/moteur
1
Dig : Drucklüfigebläse/ soufflerie d'air pulsé
c2
QU
Hill[TI
nn sms
#
#
L : Leichen/cadavres m : Muffel/moufle
(creuset)
G : Generator/foyer (au coke)
ô: Olbrenner/
. Trajet des
brûleur à mazout
2
R : Rauchkanal/carneau
fumées :
a
Zv : Zugverstärkung/ renforcement du tirage K : Kamin/cheminée
:
tor)
.
Kamin ô1
4 Muffel—
Chambre à gaz => Morgue> Sas > Salle du four à 8 moufles Les crématoires IV et V ayant un rendement incinérateur moitié moindre que celui des II et IT, leurs chambres à gaz devaient être plus modestes. Les SS conjuguèrent leur besoin de chambres à gaz
de faible
capacité
pour
m?)
(100
« traiter » de petits
groupes de victimes à l’idée de marche alternative et établirent ainsi le 11 janvier 1943 le plan définitif du crématoire V) 26 (schéma simplifié) :
* Vestiaire
|
|Chambre à gaz n°1 PRE (500 inaptes) pe Couloir (500 inaptes) Chambre à gaz n° 2
67
IV (et
1
Salle —
Morgue —
Sas
—
dufouras8 moufles
qui, en termes industriels, peut se résumer comme suit : Unité de transformation n° 1 Réception — dupro- | duifbrut
(500 unités)
, (Marche alternative)
Stochage
——+
Utilisation
(500 unités)
Unité de transformation n° 2
===)
En fait, cette conception nécessitait la construction d’un vestiaire extérieur, qui n’était pas indispensable par beau temps, les victimes se déshabillant dehors (été 1944), mais l’était en hiver. Pour éviter de le bâtir, les SS attribuërent à la salle centrale une
double fonction, de vestiaire et de morgue, en alternance. Les victimes y pénétraient, s’y dévêtaient, puis, nues, passaient dans les deux chambres à gaz. Après avoir été tuées, elles étaient traïnées dans la salle centrale et entreposées là avant d’être inciné-
rées. L'aménagement
criminel
du crématoire
IV (et V), établi
exclusivement par les techniciens et les ingénieurs de la Baulertung, se révéla si aberrant que, sans l’intervention de la Topf, qui eut par ailleurs sa part de responsabilité dans le mauvais fonctionnement des fours, son exploitation en aurait été presque impossible. En comparaison, le nouveau crématoire de Dachau, qui comportait une chambre à gaz homicide, fut construit selon un schéma longiligne, comme le crématoire IV de Birkenau. La
succession des pièces était rationnelle (schéma simplifié) :
Entrée
|
—
"
Vestiaire
chauffé
Chambre à gaz
chauffée et Que
Cane
fausses douches)
t
La chambre
|
.
IL]
— Morgue |
eu
ed
— Salle des quatre | fours monomoufle 25 li FombiEbr
t
t
à gaz, centrale, ne devenait pas dangereuse
au mo-
ment de l’extraction du gaz, parce qu’une désaération mécanique l’équipait. Elle ne fut, heureusement, jamais mise en service. Kammler, informé par Bischoff des dates prévues d’achèvement des crématoires, insista pour qu’elles fussent respectées et
demanda un rapport hebdomadaire sur la progression des travaux, qui devait lui être transmis par radio27. L’adjudant du commandant Hôss refusa l’autorisation de transmettre les rap-
ports ainsi, en s'appuyant sur une directive de Himmler et ils partirent par la poste?8.
Bischoff mit tout en œuvre
pour que le
crématoire II soit achevé le 31 janvier 2%. Or, c'était utopique. La maçonnerie des cinq fours était achevée et en cours de séchage, mais les souffleries d’air pulsé, dont dépendait la vitesse d’inciné-
68
ration, n'étaient pas installées. Messing commença leur montage le 26 janvier et le termina le 7 février. Pourtant, il fallait satisfaire Kammler en lui annonçant que le crématoire II serait prêt à temps, des SS chwitz Les
et même avant le 31 janvier, ce qui lui montrerait le zèle de la Bauleitung. A cette fin, Prüfer fut convoqué à Auspour le 29. chantiers 30, 30a, 30b et 30c furent inspectés à cette date
par Bischoff, Prüfer, Kirschneck et certainement Janisch. Kirschneck
établit un rapport
détaillé sur l’état des chantiers.
En
s'inspirant de celui du sous-lieutenant SS et en y gommant les points gênants, Prüfer rédigea le sien, qui fut envoyé à Kammler. Alors que le crématoire II n’était pas opérationnel, Prüfer le dé-
clarait presque comme tel et pleinement pour le 15 février. Dès réception, Kammler promut Bischoff au grade de commandant SS. Bischoff,
dans
sa lettre du 29, par laquelle
il adressait
le
compte rendu de Prüfer à Kammler, commit une bévue énorme en
désignant
la Leichenkeller
1 du crématoire
II de « Verga-
sungskeller » (cave à gazage) 210, Lors de ce passage à Auschwitz, Prüfer dut exiger de Bischoff la vérité sur le Birkenwald et sur la destination exacte des quatre crématoires pour éviter que l’atmos-
phère de l’usine d’Erfurt ne s’alourdisse quand on y parlait d’Auschwitz. De plus, comme vis à vis de Kammler Prüfer avait couvert Bischoff, celui-ci devait l’aider à museler ses détracteurs en lui fournissant des commandes, qui apporteraient du travail à tous. Bischoff accepta le marché et lui commanda : un four à ordures pour le crématoire III (5 791 RM) 211, un ascenseur provi-
soire de 1 500 kg de force portante toujours pour le IT (968 RM) et deux ascenseurs définitifs pour les crématoires IT et IT (deux fois 9 371 RM) 22, un nouveau crématoire (le futur VI) fondé sur le principe de l’incinération à ciel ouvert (25 148 RM) ?5 et enfin quatre chambres à air chaud pour épouiller les effets au « Zentral Sauna » (39 122 RM) 2" (préférées à une installation équivalente, équipée de deux calorifères, proposée par la Kori et ne coûtant que 5 000 RM 215) ; soit, en tout, pour 90 000 RM de contrats, sans compter les retombées en main-d'œuvre. Le « Zentral Sauna », qui n’en portait que le nom, était un complexe sanitaire
performant, devant être équipé de quatre chambres d’épouillage à air chaud [document 23], de trois autoclaves industriels [document 24], d’une pièce pour la tonte des cheveux, d’une d'examen médical et de cinquante douches. Par son édification, les SS vou-
laient contrer « définitivement » toute résurgence du typhus à Birkenau.
Les détenus y seraient rasés, examinés,
désinfectés et
douchés pendant que leurs effets étaient épouillés. Malheureuse-
ment, l’installation ne fut opérationnelle que fin janvier 1944.
69
Bischoff avait confié à Prüfer le soin de trouver des ascenseurs
parce que les SS n'avaient pu s’en procurer. Lors de l'inspection du 29 janvier, un plateau rudimentaire reliait le sous-sol au rezde-chaussée du crématoire
tée, mais
n'avait
réussi
II. La Huta avait d’abord été sollici-
à récupérer
dans
la région
qu'un
monte-charge assez puissant, usagé mais correct, qu’elle installa en lieu et place du plateau, début février. C’est pourquoi la commande faite à Prüfer portait sur ce qui manquait : un provisoire pour le III à livrer immédiatement et deux définitifs pour les IT et IL, livrables dans sept mois (septembre 1943). Prüfer trouva rapidement chez une firme d’Erfurt, la Gustav Linse, ce
qu'il cherchait, un montecharge électrique de 750 kg de force portante qui pouvait être portée à 1 500 kg en doublant les cà-
blages [document 25]. L’entente entre la Topf et la Bauleitung était alors telle que cette dernière demanda que Prüfer vienne deux à trois jours par semaine à Auschwitz pour surveiller les chantiers. Il ne semble pas que Prüfer y ait consenti, mais en contrepartie, deux autres contremaîtres furent détachés début février à Auschwitz : Martin
Holick et Arnold Seyffarth. Prüfer s’engagea à envoyer un second maître-serrurier
pour
accélérer
l'installation
des
ventilations,
mais ne put tenir sa promesse. Et puis, il eut de fâcheux contretemps
dans
la fabrication
de
la ventilation
du
crématoire
II,
parce que la Topf trouvait avec peine chez ses fournisseurs le matériel nécessaire. Quelques éléments avaient déjà été expédiés le 8 novembre
1942. Un second envoi suivit le 25 janvier 1943, mais,
quand Messing inventoria le contenu du wagon le 3 février, il découvrit que la moitié des pièces manquait216. Il ne put entreprendre le montage de l’aération et de la désaération de la Leichenkeller 1 le 8 février comme il l'avait prévu. Pour ne pas
rester inactif, il travailla avec Koch à l’ancrage du four du crématoire IV. Les pièces manquantes, qui étaient parties en express d’Erfurt le 6, arrivèrent le 11. Le jour même, Messing abandonna
Koch et retourna au crématoire II. Ces trois jours d’arrêt avaient irrité Bischoff, qui s’en plaignit à Kammler, surtout que, dans la dernière expédition de la Topf, le moteur de la désaération de la
Leichenkeller 2 brillait par son absence. Dans les lettres et télé-
grammes échangés les 11 et 12 février entre la Bauleitung et la Topf au sujet de cette livraison incomplète, est mentionnée une soufflerie de bois 217 destinée à la Leichenkeller 1, dont le rôle était de la désaérer, comme Prüfer le précisera plus tard2?18, Indiquer
que cette soufflerie était de bois engendra une bavure technique inévitable : cela prouvait que l'air extrait n’était plus celui d’une morgue, chargé de miasmes, mais de l’air mélangé à un produit
70
agressif ne devant être aspiré que par une soufflerie ne pouvant être corrodée, donc entièrement de bois (de préférence en cy-
près) [document 26]. Le toxique gazeux utilisé dans les chambres à gaz homicides était de l’acide cyanhydrique à forte concentration (20 gr/m5) et les acides sont corrosifs. Schultze, affranchi par Prü-
fer sur la destination particulière de l’aération et de la désaération de la morgue 1, avait prévu l'évacuation d’acide gazeux, d’autant qu’à la mi-février, la Topf avait reçu un appel ou une lettre de la
Bauleitung la priant de se procurer des détecteurs pour mesurer des traces d’acide cyanhydrique dans le crématoire II. Les responsables de Prüfer et de Schultze, Sander et Erdmann, furent informés
de cette singulière demande et Sander commença les démarches auprès de plusieurs entreprises spécialisées dans ce type de matériel. Pour des ingénieurs comme Sander, Erdmann et Schultze,
l'emploi de gaz cyanhydrique dans une morgue de crématoire était techniquement insensé, sauf s’ils savaient que la morgue était devenue une chambre à gaz. La révélation de la défaite de Stalingrad et l'affirmation que, désormais, pour chaque goutte de sang allemand
versé, serait versé autant de sang juif, durent balayer les scrupules des ingénieurs de la Topf— s'ils en eurent — de participer à une opération criminelle. Un
nouveau
déplacement
à Auschwitz
fut prévu
le 15 fé-
vrier 1943 pour Prüfer, afin qu'il y apporte les plans de dispositifs
pour alimenter les fours en coke et pour en retirer les cendres. Il semble que ce voyage ne se fit pas, parce que la Bauleitung résolut seule cette question en faisant fabriquer par les détenus de la serrurerie des DAW les charriots adaptés à ces usages?19, Il se peut
aussi
que
Prüfer,
malgré
les charmes
mercantiles
d’Aus-
chwitz, ne tint plus à séjourner dans un lieu si malsain. Depuis la fin de janvier, de nouveaux cas de typhus se manifestaient. Une seconde épidémie menaçait. Si des milliers de cadavres « zebra »
allaient encore joncher les rues du camp, cette fois, nombre de
gardes SS ne seraient pas épargnés. Au point que, le 9 février, l'inspecteur des camps de concentration, le général de brigade SS Richard Glücks, imposa l'isolement total du camp où des chantiers étaient arrêtés, faute de surveillance 22. Le mal culmina
début mars et s’éteignit en avril. Dès que les travaux de montage de Messing furent suffisamment avancés [document 27], la Bauleitung adressa à la Topf le 26 février
un télégramme portant sur l’envoi immédiat des 10 détecteurs de gaz, déjà demandés, pour le chantier 30 (crématoire Il) 21. Les SS voulaient vérifier si la puissance de ventilation de la Leichenkel-
ler 1 compenserait sa disposition d’origine, aération haute et désaération basse prévues pour une morgue, et qui aurait dû être
71
inversée pour une chambre à gaz, requérant aération basse et désaération haute. Sander et Prüfer répondirent ainsi le 2 mars |document 28] : Objet : Crématoire [IT], Erfurt, le 2.3.43 Détecteurs de gaz. Nous accusons réception de votre télégramme disant:
« Envoi
immédiat
de 10 détecteurs
de gaz comme
convenu. Devis à fournir plus tard ». A cet effet, nous vous communiquons que, depuis déjà 2 semaines, nous avons demandé auprès de 5 firmes différentes
l'appareil que vous désirez indiquant les restes d'acide cyanhydrique [Anzeigegeräte für Blausäure-Reste]. De 3 firmes, nous avons reçu des réponses négatives et attendons encore les réponses des 2 autres.
Quand nous recevrons une information à ce sujet, nous vous le ferons savoir immédiatement afin de pouvoir vous mettre en relation avec la firme fabriquant cet appareil.
Heil Hitler! JA. TOPF & SÔHNE par procuration Sander
par délégation Prüfer
La Bauleitung reçut la lettre le 5 mars. Ce document constitue la preuve définitive de l’existence d’une chambre à gaz homicide dans le crématoire Il. Schultze se rendit à Auschwitz le 1er mars pour assurer une livraison conforme de l’aération et de la désaération de la chambre à gaz??2. Il fut rejoint le 4 par Prüfer, venu
plantation
des chambres
Sauna et tester ses fois, les cinq fours en présence de SS SS hauts gradés de
d’épouillage
discuter de l’im-
à air chaud
au
Zentral
fours. En effet, ce jour-là et pour la première du crématoire IT [document 29] furent essayés de la Section Politique et de la Bauleitung, de Berlin et de Prüfer et Schultze. Quarante-cinq
cadavres d'hommes gras avaient été sélectionnés au Bunker 2 et transportés au crématoire IT où ils furent enfournés, à raison de
trois par moufle. L’incinération des quinze charges dura, selon l'estimation au juger d’Henryk Tauber (un « chauffeur » du Sonderkommando),
quarante
main, chronométraient
minutes.
Les officiels qui, montre
en
la durée des incinérations, constatèrent
qu’elle durait plus que prévu. Après cet essai, Prüfer estima que les fours n'étaient pas assez secs et recommanda qu'ils fussent chauffés pendant une semaine, sans être utilisés 233.
72
Les trois tirages forcés, disposés autour de la cheminée, se trouvaient chacun dans une petite pièce. Le défaut d’un tel ar-
rangement était l’étroitesse des locaux. Lorsque les tirages marchaient, la température des pièces s'élevait dangereusement. Dès le 19 février, Prüfer avait signalé ce vice et suggéré d'y remédier en se servant de la chaleur excédentaire dégagée pour chauffer la morgue 1 du crématoire 11224. Conseiller cette solution entraînait une nouvelle bavure technique, puisqu'une morgue est un endroit devant, par définition, rester frais. Vouloir la chauffer
indiquait que la fonction de la salle avait changé. La chaleur devait assurer une diffusion plus rapide de l’acide cyanhydrique, se vaporisant à 27° C, dans la chambre à gaz. Le projet avait été accepté immédiatement par les SS et la Topf avait expédié le 22 fé-
vrier en petite vitesse une soufflerie en fer forgé n° 450 avec un moteur de 4 OV d’une puissance extractrice de 9 à 10 000 m3 par heure, qui coûtait 522 RM?%. Restait à fabriquer la conduite de liaison métallique, en forme de trident, placée au grenier entre
les plafonds des pièces du tirage forcé et la soufflerie, qui donnait dans la cheminée de sortie de l’air de la chambre à gaz. En
plaçant un registre à tiroir dans cette cheminée, entre son extrémité supérieure et la soufflerie, en le fermant et en actionnant cette dernière, le flux d’air chaud empruntait le conduit maçonné d’évacuation de l’air toxique, en sens contraire, et arrivait dans la chambre à gaz qu'elle préchauffait avant emploi. La commande de la conduite de liaison fut passée officiellement le 6 mars au prix de 1 070 RM et était à fabriquer dans la semaine 2#, Le 10 mars et durant seize heures, Schulize et Messing éprou-
vèrent l’aération et la désaération de la chambre à gaz du crématoire II. Apparemment,
l'installation n'était pas encore au point,
puisque Messing y travailla encore onze heures le 11 et quinze heures le 13227. Des essais avec introduction préalable de Zyklon-B furent pratiqués. La mesure du gaz cyanhydrique résiduel aurait été effectuée par une méthode
tecteurs de gaz, demandés
chimique, et non avec les dix dé-
trop tardivement pour être livrés à
temps. Dans la soirée du samedi 13 mars (entre 22 et 23 heures), après quinze heures d’épreuves, la ventilation fut déclarée en service. Bien qu’une attestation, délivrée le 11 par Bischoff, indique que Schultze fut présent à Auschwitz du ler au 12 mars, l’ingé-
nieur dut rester sur place une journée de plus, jusqu’à la réception finale de sa ventilation. A peine Schultze et Messing avaient:ils terminé que, dans la nuit du 13 au 14 mars 1943, les 1 492 inaptes au travail (femmes, enfants et vieillards) d’un convoi de 2 000 Juifs, venant du ghetto de Cracovie, après s'être déshabillés dans une bara-
73
que-écurie édifiée dans la cour du crématoire, « inaugurèrent » le nouvel instrument de mort des SS228. Six kilos de Zyklon-B fu-
rent déversés dans quatre colonnes grillagées, implantées entre les piliers de soutien du plafond et communiquant avec le dehors par de courtes cheminées sortant du toit, obturées de clapet en bois22%, Le gazage homicide étant considéré par le commandant Hôss comme une mise à mort « humanitaire », il fallait obligatoirement que quatre SS versent ensemble le contenu d’une boîte de 1,5 kilo de Zyklon-B [document 30] dans chacune des quatre cheminées pour que la mort fût foudroyante. Si un SS — et ce fut le cas le plus fréquent -— introduisait seul et en prenant son temps, le toxique dans les cheminées, la mort survenait par vagues, provoquant des scènes de panique épouvantables et insoutenables, que les SS désignèrent de « lutte pour la vie » (Lebenskampf). En cinq minutes, toutes les victimes avaient succombé. L'’aération
(8 000 m3/h) et la désaération (8 000 m3/h) furent mises ensuite en marche et, au bout de quinze à vingt minutes, eurent purifié suffisamment l’atmos-phère (renouvelée pratiquement toutes les 3 à 4 minutes) pour que les membres du Sonderkommando
puissent pénétrer dans la chambre à gaz où régnait encore une chaleur étouffante. Lors de ce premier gazage, des masques à gaz furent portés, à titre préventif?3%0. Les cheveux ayant été tondus [document 31], les dents en or arrachées, les alliances et les bijoux
enlevés, les corps dégagés au fur et à mesure furent tirés vers le monte-charge [document 32]. Une fois hissés dans la salle des fours, les corps étaient traînés sur une large rigole mouillée, juste devant les moufles, et enfournés [document 33]. L'incinération des 1 492 « Stück » (morceaux) dura deux jours. Le dimanche 14 mars, Messing travailla à la désaération de la Leichenkeller 2. Il découvrit alors le résultat de ses efforts, un bon millier de cadavres paraissant comme endormis. Dans la soirée, en rédigeant son attestation de temps de travail hebdomadaire et encore sous le choc de ce qu'il avait vu, Messing lança une bouteille à la mer en notant que, les 8, 12 et 14, il avait travaillé, non dans la « cave à cadavres 2 », mais dans la « cave à déshabillage IT » [document 34]. Il n’eut pas le cran d’écrire que, les autres jours, il avait parachevé la ventilation de la « cave à ga-
zage I », à la place de « cave à cadavres 1 », alors qu’un contremaître de la Riedel und Sohn l'avait fait pour le crématoire IV.
Messing acheva le 31 mars la fixation du tuyau de désaération de la Leichenkeller 2. La baraque-écurie fut démontée et les victimes se dévêtirent désormais dans la morgue 2 [document 35], y accédant par un escalier percé à son extrémité ouest. Messing
continua de désigner la morgue 2 des crématoires II et III de
74
« vestiaire » jusqu’au jeudi 22 avril. Après un arrêt de quatre jours pour une cause inconnue, il reprit ses montages le 27. De
cette date jusqu’à son départ d’Auschwitz le 10 juin, Messing n’écrivit plus aucun mot critique. C’est probablement à cette époque que le médecin-chef du camp,
le Dr Wirths, qui initialement était contre
les sélections,
obtint, pour raisons éthiques et pour épargner plus d’arrivants, que cet acte soit pratiqué exclusivement par les médecins SS. Il s’en chargea personnellement, en montrant l'exemple et en organisant les tours de service de ses médecins à la rampe puis, quand le flot des arrivants s’enfla, imposa aux dentistes et aux
pharmaciens SS cette obligation « médicale » à laquelle :il contraignit ensuite les médecins bactériologistes SS de Raïsko. Désormais, les Juifs furent assurés qu’on ne les envoyait plus à la mort à la légère, mais dans le respect des directives de Berlin et sous contrôle médical.
X LIVRAISONS ET AVATARS DES CRÉMATOIRES DE BIRKENAU
Le crématoire IV fut prêt le premier. L'administration du camp le réceptionna le 22 mars%5l [document 36]. Il avait coûté
203
000
RM?%.
Comme,
sur
le plan
définitif,
la salle
centrale et les deux pièces avec couloir de l'extrémité ouest ne reçurent aucune indication de fonction, les pièces furent désignées par des numéros durant la construction pour situer les travaux des maçons. Le 28 février, un contremaître de la Riedel
und Sohn, dont l’équipe finissait l'aménagement intérieur de la partie
ouest,
eut
à poser
ses
«
fenêtres
»,
en
bois
plein
et
calfeutrées. Dans son compte rendu journalier, il nota « Poser fenêtres étanches au gaz. » Le 2 mars, ayant à bétonner le sol de la partie où avaient été posées les fenêtres
étanches,
il écrivit :
« Sol à bétonner dans chambre à gaz »?%3. Les SS se jetèrent sur le crématoire IV comme des enfants sur un nouveau jouet. Le premier gazage fut catastrophique. Un SS devait, masque sur le visage, monter sur une petite échelle pour accéder à une « fenêtre », l'ouvrir d’une main et de l’autre verser le Zyklon-B.
Sa prestation
tenait
du
numéro
d’équilibriste
et devait
être
répétée six fois. La mort dans les chambres à gaz était atroce. Lorsque les portes étanches furent ouvertes pour évacuer le gaz, on s’aperçut que l’aération
naturelle était inefficace et il fallut
percer d'urgence une porte dans le couloir nord pour provoquer un courant d’air 31, Quant au four à 8 moufles, s’il fonctionnait bien au début, il se dégrada brusquement parce que Prüfer, dans
76
sa course pour réduire le prix de la moufle, l’avait trop simplifié. En février 1943, au moment où, à Birkenau, le four 8 moufles du
crématoire IV était en construction et celui du V pas encore commencé, Prüfer fut informé que le four prototype de Mogilew avait des ennuis. Il se fissurait. Prüfer comprit que ces fissures provenaient de la structure trop centralisée qu'il avait privilégiée pour rendre l'édification plus simple, et donc moins chère. Dans l’unité constitutive de ce modèle de four, deux moufles et un (M1) entre le foyer (G) et le conduit foyer, la moufle
d'évacuation des fumées
(C) était nettement plus chauffée que
l’autre moufle (M2), plus éloignée du foyer. La distorsion thermique engendrait des tensions dans la chamotte qui, à la longue, se brisait et se crevassait.
four
en
construction
connaîtrait les même
Ne pouvant
agencé
qui,
intervenir
sur le
prototype,
le
comme
déboires, Prüfer décida de sauver celui du
crématoire V. Il en redessina
la structure, en regroupant
les
moufles et en les encadrant de deux conduits (C1 et C2), placés
en périphérie. Ce nouvel arrangement « épaississait » le four, qui devenait « renforcé » 2% (schéma page suivante). Mais Prüfer ne put remédier au vice majeur du four 8 moufles, son foyer latéral, cause principale des fissures. Après deux semaines de marche intensive, le four du crématoire IV se crevassa. Koch colmata les fentes avec du pisé réfractaire, mais elles réapparurent. Prüfer,
ayant
que
prévu
ces
dommages
deviendraient
bientôt
irréparables, n’avait garanti le four que pour deux mois, jusqu’au 22 mai2%. À la mi-mai, le four était hors d’usage et le crématoire IV cessa d’être utilisé, définitivement?237.
Prüfer
mit en avant
la
piètre qualité des matériaux pour expliquer aux SS le « crash » du four et en omit la véritable raison, une mauvaise structure.
Après la liquidation des 1 492 juifs de Cracovie, le crématoire Il resta inactif jusqu’au 20 mars, jour où 2 191 Juifs grecs de Salonique furent « traités »258, Durant leur incinération
un incendie chauffe.
se déclara au niveau
Prüfer
et Schultze,
du 20 au 22,
des tirages forcés, en sur-
convoqués
d’urgence,
constataient
les dégâts le 24. Le 25, à la suite d’une réunion à la Bauleitung en vue de remédier aux défauts apparus au crématoire II, les SS
décidaient : - de démonter son tirage forcé et de conserver les moteurs ; - de ne pas installer le tirage forcé du crématoire II, mais de conserver le matériel pour un autre usage ; - d’abandonner, en conséquence, le préchauffage de la chambre à gaz ; - de
remplacer la soufflerie de bois de la désaération de la chambre à gaz par une soufflerie de métal (Schultze ayant exagéré le danger de corrosion) ; - de faire installer le monte-charge provisoire du crématoire III par Messing ?#2.
A7
Unité constructive du four à huit moufles Type initial, du crématoire IV
carneau de fumées Es : Einsteigschacht/ puits de visite
S : Schieber/ registre à tiroir
M : Muffel/ moufle ou creuset Fk : Feuerungshanal/ carneau de chauffage G : Generator/foyer K : Koksanwurf/ alimentation en coke
À : Absperrschieber/ fermeture guillotine
[EC : conduit central d'évacuation des fumées,
reliant les deux moufles au carneau de fumées souterrain]
Unité constructive du four à huit moufles Type renforcé, du crématoire V
i
[CI et C2 : conduits périphériques d'évacuation des fumées, reliant
u de fumées souterrain)
[»,
78
4,
À
: trajets des fumées]
Le crématoire II fut enfin livré officiellement le 31 mars 1943 240
et revenait à 554 500 RM?11. Dans les bordereaux de réception du
bâtiment, il fut indiqué que la morgue 1 était équipée d’une porte étanche au gaz, de quatre « dispositifs d'introduction en treillis de fil de fer (Drahtnetzeinschiebvorrichtung) » [colonnes grillagées de versement du Zyklon-B] et de quatre « obturateurs de bois (Holzblenden) »2#. La désaération de la morgue 2, sans intérêt dans la fonction
vestiaire, ne fut pas équipée de moteur
[document
37].
Messing avait monté une installation ne servant à rien et montera tout aussi inutilement celle du crématoire III ! Le crématoire V fut livré le 4 avril?243 [document 38], sans être
opérationnel. Les portes étanches de ses chambres à gaz ne furent posées que les 16 et 17 avril par une équipe de la Huta?241. Le 12 avril, Messing, qui travaillait au crématoire I, dut, sur
demande des SS, réparer le monte-charge du crématoire II, posé par
la Huta
et tombé
en
panne.
Puis
il retourna
au
créma-
toire III, dont l’aménagement progressait tant bien que mal. Début mai, il équipait sa chambre à gaz. Koch réparait régulièrement le four du crématoire IV en attendant la fin de la
garantie et les maladies de jeunesse du crématoire IT n’étaient plus que souvenir, ce qui en permettait une exploitation soutenue. Tout était contrôlé superfiellement de temps à autre jus-
qu’au jour où on s’aperçut que les registres à tiroir fonctionnaient mal. Une investigation plus poussée fut menée début mai et on découvrit que le revêtement intérieur des trois conduits de la cheminée collective s’effondrait. La Bauleitung téléphona à
Prüfer en lui demandant que faire. L'ingénieur promit d’expédier de nouveaux plans de cheminée et partit en voyage d’affaires en Rhénanie, se désintéressant totalement de la question :
la Topf n’ayant pas édifié la cheminée, ce ne serait pas elle que les SS chargeraient de sa réfection. Les plans n’arrivant pas, la Bauleitung envoya télégramme sur télégramme pour les réclamer. De plus, avant la construction du four à ordures du créma-
toire III, un membre
de la Bauleitung eut la lumineuse
idée
d'utiliser la chaleur dégagée pour chauffer l’eau d’une centaine de douches 24. Une étude de ce projet était exigée. Enfin, Messing réclamait le schéma de montage du monte-charge de la Gustav Linse. Le 15 mai, Prüfer était enfin joint et promit de se rendre à Auschwitz le 17. Il arriva le 18 ou le 192%, apaisa les SS, promit pour bientôt les plans d’une nouvelle cheminée à Robert Kochler, constata a-
vec une tristesse feinte que la garantie du four du crématoire IV était expirée et qu’il ne pouvait plus réparer un four édifié avec des matériaux de second choix, estima néanmoins que ses chambres à gaz étaient encore utilisables à condition de les ventiler
79
mécaniquement, empocha une commande
de deux installations
de désaération pour les crématoires IV et V se montant à 2 510 RM?4, et repartit le 20.
Le crématoire II fut arrêté le 22 ou 23 mai et la Koehler fit dé-
blayer par les détenus de la Bauleitung les gravats de la cheminée?48,
ce qui fut achevé
le 2924.
Elle ne
put commencer
la
réfection parce que les plans de Prüfer n'étaient toujours pas là. Ils n’arrivèrent que le 21 juin, au terme d’une correspondance aigredouce entre la Bauleitung, la Topf et la Koehler, où chacun rejetait la responsabilité des dommages et des retards sur l’autre. De plus, la capacité incinératrice du KL venait de chuter brutalement. Fin mai, la situation des crématoires s’établissait comme suit : le IV, hors service ; le IL, arrêté ; le III, en travaux et inutili-
sable. Ne restaient en activité que le I du Stammlager et le V, avec un four fragile, pouvant flancher à tout instant s’il était trop poussé. Jusqu’à l’achèvement du IT, un mois durant, la Bauleitung redouta une panne au V, qui, si elle s'était produite, aurait
exposé au grand jour son incompétence. Le crématoire III fut livré le 24 juin 19432 [document 39]. Son four à ordures fut édifié sans serpentin pour produire de l’eau
chaude, le projet des 100 douches ayant été délaissé. Les bordereaux de réception mentionnent que sa morgue | comportait une porte étanche au gaz et quatorze (fausses) douches #1, association
incompatible sauf si la fonction du local avait changé, devenant une chambre à gaz. Comme
au crématoire II, on ne
posa pas le moteur
de la désaération de la morgue 2 (vestiaire) que Messing avait dési-
gné deux fois en avril de « cave à déshabillage ». Fin juin, la Bauleitung informait le SS-WVHA de Berlin que les cinq crématoires d’Auschwitz-Birkenau étaient en fonction et indiquait leur rendement incinérateur journalier (en 24 h)2%, qui, en pratique civile, se calculait généralement en prenant
comme
«unité » un cadavre d'animal de 70 à 100 kg : Officiel
pratique
crématoire I : crématoire I] : crématoire III :
340 1 440 1 440
250 1 000 1 000
crématoire IV : crématoire V :
768 768
500 300
réel
0 (arrêté fin juillet 1943) 1 000 1 000
0 (hors d'usage) 0 (sans emploi)
Ces chiffres officiels sont de la propagande mensongères et pourtant sont valables. Leur validité apparente repose sur le fait
que la durée d’incinération de deux enfants de 10 kg et d’une femme de 50 kg est égale à celle d’un homme de 70 kg, ce qui introduit un coefficient mutiplicateur variant de 1 à 3, et rend alé-
80
atoires tous les chiffres de rendement crématoire. La propagande apparaît dans le rendement des crématoires IV et V, calculé à partir de celui du II (ne pouvant être inférieur à celui prévu en octobre 1941) en fonction du nombre de moufles :
1 440 X8
RTE
TIGE)
et sans fondement pratique. Le mensonge est et sera patent dans la marche réelle des crématoires : fin juin, le IV est hors d’usage et le IT est arrêté ; fin juillet, le I sera neutralisé sur demande de la Section politique ; quant au V, il ne sera plus exploité à partir
de septembre, parce que le IT (réparé) et le III suffiront ensuite à
« traiter » le flux quotidien des convois de Juifs. La Bauleitung remplit aussi un questionnaire du SS-WVHA dans lequel elle indiquait qu'aucune des cheminées des cinq crématoires n’était é-
quipée de tirage forcé et que l’utilisation des fumées avait été prévue pour alimenter des installations de bain dans les crématoires (projet des 100 douches), mais non réalisée (le Comman-
dant Hôss écrivit à ce sujet, en confondant et mélangeant tout : « D'autre part, on voulait que les crématoires ne soient pas trop éloignés du camp parce que, une fois l’action d’extermination achevée, on devait utiliser les chambres à gaz et les chambres de
déshabillage comme installations de bains?53 »).
La Koehler attaqua la réfection de la garniture intérieure de la
cheminée du crématoire II le 22 juin. Les travaux durèrent un mois. A la mijuillet, la Bauleitung demanda à la Topf la réparation des carneaux de fumées souterrains dont les voûtes s'étaient aussi détachées. Comme ils avaient été construits par la firme d’Erfurt et bénéficiaient
de sa garantie, elle était tenue de les remettre en état?51. La Topf contesta furieusement
ce détachement
des voûtes, déclarant qu'il était
imaginaire, puisque Willi Koch, avant de partir d’Auschwitz début juillet, avait tout inspecté et n’avait rien constaté d’anormal. Elle avança ue les SS confondaient avec l’effondrement de la garniture inté-
rieure de la cheminée. La Bauleitung, passant outre aux dénégations de la Topf, aurait fait réparer en août les carneaux par la Koehler, qui
devait ensuite en facturer le coût à la Topf. De son côté, la Bauleitung fit fabriquer par la serrurerie des DAW de nouveaux registres qui marchaient mieux que les anciens. Les travaux se poursuivirent jusqu’à fin août, voire début septembre. Le crématoire IT fut alors remis en marche, après trois mois d'arrêt.
Restait à savoir qui paierait la nouvelle garniture de la cheminée et la réfection des carneaux, réalisées par la Koehler. La question fut débattue les 10 et 11 septembre. D'abord, la Bauleiï-
tung régla avec Prüfer la prétendue
81
chute des voûtes des car-
neaux. Après une inspection du crématoire II et un entretien avec les capos-chefs des crématoires le 10 septembre, Prüfer reconnut la réalité du fait. Le lendemain, l’ensemble de l'affaire
fut mise en discussion. La Bauleitung estimait la Topf responsable des dégâts, croyant à tort que les 1 769,36 RM payés pour l’étude du crématoire à deux fours trimoufle simplifiés (projet écarté par Kammler en mars 1942) représentaient le prix des plans et calculs statiques réalisés pour la cheminée du crématoire IL, et dont le véritable auteur était Robert Koehler. La Topf s’en défendait, tout en accusant Koehler d’avoir utilisé des matériaux inadéquats, ce que celuici niait avec véhémence. Du fait qu’en juin 1943, c'était la Topf qui avait fourni à Koehler, contre paiement,
les plans de la nouvelle
contrôler la gée de toute Koehler eut mages de la
garniture,
mais sans
pouvoir en
bonne exécution, la firme d’Erfurt s’estimait dégaresponsabilité antérieure et future. Seul l'ingénieur le courage de dire la vérité, à savoir que les domcheminée venaient de la surexploitation du créma-
toire II par les SS. Personne n'étant d'accord, la Bauleitung divisa par trois les frais occasionnés, s’élevant à 4 863,90 RM, et chacun dut débourser sa quote-part de 1 621,30 RM 25%.
Dès l’arrêt de la deuxième épidémie de typhus, le Dr Wirths, avait envoyé à Berlin, courant avril, un rapport sévère sur l’insuffisance des moyens d’épouillage au KE, détaillant la mortalité des détenus et des SS provoquée par ce manque. Il y prévoyait un retour du typhus si des « mesures spéciales » (Sondermassnahmen) pour améliorer la situation sanitaire n'étaient pas prises d’urgence 3%, Il exposa qu'il ne servait à rien d'imposer aux médecins SS de sélectionner les arrivants, si les aptes au travail retenus étaient aussitôt fauchés par le typhus, et qu’envoyer tout le monde au gaz à
la descente du train éviterait ce gâchis. Quant aux usines de haute Silésie, sans main-d'œuvre concentrationnaire, autant les fermer immédiatement, conclut-t1l. Comme pour lui donner raison, une
troisième épidémie de typhus se déclara en mai dans le camp des Tziganes à Birkenau (BIT e) #7, ouvert depuis février 1943. Localisée à un seul secteur de Birkenau — secteur comptant alors environ
15 000 Tziganes -— l'épidémie y fut contenue. Début juin #58, elle sévissait encore, puis s’éteignit, probablement vers la fin du mois. Ce fut la dernière épidémie de typhus ayant frappé le KL Auschwitz Birkenau. Elle entraîna le montage forcené par la Boos d’une installation d’épouillage composée de huit cellules à air chauffé électriquement
(120° C) [document 40], couplée avec des douches,
dans le camp des Tziganes 25, Le Dr Wirths fut entendu en haut lieu, et ce, parfaitement. Le 15 mai, le SS-WVHA décidait de doter le camp d’Auschwitz de la
82
plus récente des techniques d’épouillage mises au point en Allemagne. Il s'agissait d’une installation d'épouillage fixe à ondes ultracourtes (décimétriques ou centimétriques). Le domaine des ondes courtes et très courtes avait été exploré à des fins militaires
dans les années 30 pour repérer divers objets lointains (avions,
banquises, etc.). La « détection et télémétrie par radio/Radio De-
tection and Ranging » ou « Radar » avait été fortement développée
aux États-Unis. On avait pu constater aussi qu’à proximité du champ d'émission de gros appareils de radiodiffusion à ondes courtes les mouches avaient des problèmes de vol et parfois même, s’abattaient, comme foudroyées. S’inspirant du phénomène, de nombreux inventeurs voulurent le reproduire, et trouver ainsi un
miraculeux « rayon de la mort », efficace sur l’homme. Apparemment, leurs expériences n’aboutirent pas. Les ondes hertziennes utilisées, courtes ou ultracourtes, n’affectaient en rien les animaux supérieurs. Mais certains métazoaires y étaient plus sensibles, leur
système nerveux semblant atteint par les ondes. La firme Siemens-Schuckertwerke AG de Berlin avait étudié la possibilité de tuer les parasites, en particulier les poux, en les soumettant à de tels champs hertziens. Sous certaines conditions, le
résultat était probant. Siemens proposait deux versions de son matériel expérimental, une mobile et une fixe. Auschwitz avait été choisi pour être équipé de la troisième station fixe en cours de
montage. Cette décision fut notifiée à la Bauleitung le 10 juin. Le rendement annoncé frisait l'incroyable : 16 000 jeux d'effets traités en 24 heures?®, En quatre jours, les effets des quelques 60 à 65 000 détenus du camp à cette date auraient pu être débarrassés
de leurs poux. À ce sujet, se déroula le 30 juin à Auschwitz une
grande réunion qui dura sept heures. Y partcipaient : le capitaine SS Dr Ing. Willing et le sous-lieutenant SS Erich Pambor, tous deux de la division technique du SS-WVHA, Bischoff, Kirschneck etJähr-
ling pour la Bauleitung, le Dr Wirths et enfin l'ingénieur Franke de Siemens.
Le SS Willing, promoteur
enthousiaste
de la méthode,
expliqua qu'après un passage de 11 à 12 secondes dans un champ d'ondes ultracourtes, tous les petits organismes vivants étaient tués, les lentes des poux de même, ainsi que les bactéries et les bacilles. Il
avança alors une capacité de traitement plus faible : 13 à 15 000 habits par jour. La station devait être implantée dans le bâtiment de réception du Stammlager. Plus précisément, elle occuperait l'emplacement de quatre des dix-neuf chambres à gaz de l'installation d’épouillage au Zyklon-B [documents 55 et 56] qui, le gros-œuvre des cellules ayant pourtant été achevé depuis janvier 1943, restait inutilisée car inutilisable faute d'équipement [documents 42 et 43]. La sta-
tion devait être opérationnelle dans deux mois (pour la mi-août). À
83
l’épouillage des effets, s’associait le lavage obligatoire des détenus. Les douches du bâtiment de réception devaient donc être fonctionnelles,
en
même
temps.
Or, comme
l’eau chaude
des
douches provenait de l'installation de chauffage à grande distance [document 44] et que cette dernière était loin d’être prête, Bischoff devrait trouver une solution provisoire, ce à quoi il était
habitué. Enfin pour compléter cette merveille de l’épouillage, une station identique, mais mobile et destinée au KGL, arriverait
fin juillet à Birkenau #1. Les délais ne purent être respectés. Fin juillet, Siemens négociait toujours avec ses fournisseurs 262. I] fallut demander au pied levé à la Boos le montage urgent de deux ballons d’eau chaude pour les douches?65. C’est pourquoi les devis de la station Siemens (75 000 RM), des ballons de la Boos (8 200 RM) et des transformations à réaliser (14 800 RM) ne fu-
rent établis qu’à la mi-août?64. La classification « urgence spéciale SS », c’est-à-dire le plus haut degré de vitesse de réalisation qui avait été attribué au projet, ne valait plus rien à cette date. En juillet 43, la Section politique fit effectuer des réparations sur ses deux baraques de bois situées près du crématoire I. Du-
rant le temps des travaux, le crématoire I fut arrêté, pour éviter que des escarbilles sortant de la cheminée ne mettent le feu aux planches. Lorsque les travaux furent achevés, le crématoire devait être réactivé. Pourtant, Grabner, de peur de périr dans un
possible incendie, exigea sa mise hors service. L'exploitation du crématoire I fut abandonnée fin juillet 1943 265. Le 22 juillet, le capitaine SS Hans Aumeier fit informer par son adjoint la Kommandantur du camp que, dans l’infirmerie du premier camp des hommes (BI b) de Birkenau qu'il dirigeait, existaient
encore 47 cas de typhus déclarés et 22 suspectés. Avant le transfert des détenushommes dans leur nouveau camp (le BIT d), il demandait leur épouillage complet et que le secteur BIT d soit équipé d’une baraque d’épouillage et de bains identique à celle prévue
pour le camp des Tziganes?66, Début août, la Bauleitung répondait en annonçant l’arrivée prévue de la station d’épouillage mobile (aux ondes ultracourtes) destinée à Birkenau et que pour l'instant le Dr Wirths tenait à la disposition du secteur BII d la station mobile de l'Armée (type autoclave) fonctionnant dans le camp des Tziganes 267, Ainsi, dès la fin de l’été 1943, tout danger d’épidémie de ty-
phus au KL était écarté et seuls des cas isolés y furent recensés. Himmiler répugnant à inspecter de nouveau Auschwitz, la corvée échut à Oswald Pohl. Le chef du SS-WVHA arriva le 16 août,
mais son inspection ne débuta que le lendemain à 8h 30, après que Bischoff eût ordonné à ses subordonnés que tous les chantiers
fussent nettoyés plus qu’à fond?68. Ils durent y passer la nuit. La vi-
84
site commença traditionnellement à la Bauleitung où Pohl s’enquit de l’avancement de la grande station d’ épuration des eaux de Broschkowitz, qui ne progressait guère en raison d'énormes difficultés. Puis il partit en tournée d’ inspection automobileà travers la zone d'intérêts du camp. Pohl se rendit à l’abattoir, au Stamm-
lager où Bischoff lui montra
les travaux
d’agrandissement
des
cuisines. Le bâtiment de réception des détenus ne fut pas oublié, pas
plus que l'emplacement de la future installation d’épouillage à ondes ultracourtes. Il visita les ateliers de menuiserie et de serrurerie des DAW et, à côté, les nouvelles écuries [document 45] où le commandant Hôss, un passionné des chevaux, lui fit admirer de superbes demi-sang provenant du Schleswig-Holstein 269 [document 46], l’usine Krupp en cours d'achèvement |documents 47 et 48], le camp
d'hébergement des travailleurs civils. Le convoi de voitures franchit le pont surplombant les gares ferroviaires, s’arrêta à la gare de marchandises pour y voir les nouveaux entrepôts de pommes de terre, bordés par la rampe
de sélection des Juifs [document 49], et repartit à toute vitesse vers Birkenau. « Ont alors été inspectées en détail les 1re et 2° tranches de construction du KGL ainsi que les crématoires et les logements de la troupe. A cette occasion, fut particulièrement apprécié l’intérieur propre des logements des détenus dans la 2e tranche de construction, venant d’être emména-
gée » indique le passage du rapport portant sur Birkenau. Les SS passèrent par la station de traitement des eaux {document 50], les deux entrepôts de pommes de terre en chantier du KGL, et foncèrent vers Harmense où se trouvaient des élevages de canards et de poulets et une pêcherie à proximité de
la nouvelle digue sur la Vistule. Un léger accident de voiture ne modéra
en rien la course folle de l'inspection qui s’abattit
sur le récent camp des détenues-femmes de Budy, avec ses porcheries [document 51], ses écuries et son école forestière. Fut ensuite empruntée à toute allure la « Reichsstrasse » menant à
Raïsko dont l’Institut d'hygiène SS et l’Établissement de recherches agricoles avec ses dépendances {document 52] furent explorés de fond en comble. On parcourut au pas de charge les serres de maraîchage, l'installation d’une « production spéciale » (culture pour estimation
de la teneur
en caoutchouc
des racines d’une variété russe de pissenlit, dite koksaghyz) et le laboratoire
d’agriculture
où, enfin,
on
fit une
brève
pause
désaltérante. Pohl repartit vers la Bauleitung où il commenta sa visite. Ayant découvert que la menuiserie des DAW fabriquait des meubles pour les SS du camp, ce qui était loin d’être urgent et interdit depuis peu, il ordonna
85
que cette acti-
vité cesse et ce, le 15 septembre au plus tard, quitte à finir les
meubles en cours en travaillant jour et nuit. Pohl repartit pour la meunerie
et la grande station d’épu-
ration et de gaz de digestion de Broschkowitz |document 53], où il se fit particulièrement expliquer les procédés de clarification des
eaux d’égout et de production du gaz. Il retourna aux écuries de Budy où Hôss tenait à lui montrer d’autres chevaux. L’inspection s’acheva là, à 13 heures. Pohl passa l’après-midi à Golleschau (à 70 km au sud-ouest d’Auschwitz), où se trouvait un dépôt de
matériaux de construction et une fabrique de ciment. Il y resta jusqu’à 19 heures et, après avoir constaté que tout y était en ordre, revint à la Bauleitung d’Auschwitz et y prit les décisions suivantes : construction d’un foyer d’enfants (allemands), aménagement d’une maison pour la responsable du camp des femmes, aménagement d’un logement pour le Professeur Dr Clauberg (expériences de stérilisation sur les détenues juives), création d’une maternité (pour femmes allemandes) dans l’hôpital militaire des SS. Pour finir, Pohl déclara aux membres de la Bauleitung que toutes leurs demandes de départ pour le front se-
raient refusées, ce qui provoqua une bruyante manifestation de désappointement,
masquant mal un lâche soulagement général.
La réunion fut suivie d’une grande soirée à la « Haus der WaffenSS » (en face de la gare). On y fit bombance. Le « Chef»
partit à
22 h 30270. Vu « l'importance » des décisions que prit Pohl ce 17 août, il aurait mieux fait de rester à Berlin. Quant à l’inspection « en détail » des crématoires, inactifs ce jour-là, si Pohl est passé devant à toute allure, c’est le maximum de temps qu'il put
y consacrer. Ce que souhaitait Bischoff, pour éviter de lui présenter le IT avec des carneaux
en réparation et le IV avec un four
inutisable. En effet, Pohl ne disposa que de quatre heures pour effectuer sa visite ce qui est, quand on connaît les lieux où il se rendit, insuffisant et explique la vitesse des déplacements et l’ac-
cident intervenu entre Harmense et Budy. Il ne vit du camp de Birkenau probablement qu’une baraque d’habitation du nouveau camp des hommes (le BIT d) [document 54] et dont il s’extasia sur la propreté, normale puisque la baraque était neuve.
XI
HORREUR, MESQUINERIES ET DÉBANDADE FINALE
irÉ relations privilégiées entre la Topf et la Bauleitung se dégradèrent nettement après septembre pour plusieurs raisons. La Bauleitung reprochait à la Topf l'échec du four du crématoire
arrêt
de
IV et l'affaire de la cheminée
trois
mois.
La
du II, ayant imposé un
Topf commençait
à s’apercevoir
du
bourbier où l'avait entraînée Prüfer. Si les 500 employés allemands et « Volksdeutsche » de la firme étaient globalement au courant de la liquidation des Juifs à Birkenau avec le matériel qu'ils avaient fabriqué, il se turent pourtant et aucun des 300 travailleurs étrangers de l’entreprise ?71, sauf exception, ne le sut. Mais, vu la situation militaire de l’Axe, franchement critique,
et l’Italie capitulant le 8 septembre, certains membres de la Topf osaient penser qu’en cas de victoire alliée boulimie commerciale du nazi Prüfer,
et à cause de la les lendemains déchanteraient encore plus pour eux que pour les autres. Surtout, la Topf se rendit compte que travailler avec les SS n’était pas une sinécure. D'abord les SS épluchaient la moindre facture.
Ensuite il payaient mal. Au 20 août 1943, la Bauleitung devait presque
90 000 RM
à la Topf?72.
Des
dizaines
de
lettres
de
relance étaient parfois nécessaires pour toucher son dû. Enfin, ils étaient velléitaires et inconséquents
jours entiers
les cerveaux
de
: ils faisaient plancher des
la Topf sur
délaissaient ensuite sans explication, comme
un
projet qu'ils
le crématoire VIT qui
n’avait jamais vu le jour, le préchauffage des morgues
87
1 des
crématoires II et III, les 100 douches du IIT qui restèrent sur le papier ; ou bien, ils commandaient des installations dont ils n'avaient plus besoin une fois fabriquées, telle la désaération du crématoire I ou celles des IV et V dont ils ne voulaient plus. Concernant ces dernières, la Topf, qui avait trouvé difficilement un moteur électrique adéquat, expédia quand même une des deux désaérations en petite vitesse le 21 décembre. Elle fut stockée au
Bauhof le 1 «r janvier 1944273 et laissée ainsi jusqu’en mai 1944. À la mi-octobre
1943, comme
rien n’était prêt pour épouiller
aux ondes ultracourtes, le nouveau chef de la Bauleitung depuis le début
du
mois,
le lieutenant
SS Werner Jothann,
convoqua
une deuxième réunion pour le 28 octobre avec l'ingénieur Franke, le SS Pambor, Dejaco et Jährling. Depuis juillet, le projet avait été modifié. Au lieu d’un champ d'exposition, deux étaient désormais prévus et occuperaient la surface de huit chambres à gaz [document 41]. Franke avertit que les champs chauffaient l'air ambiant qui sortirait à 60° C dans les cheminées d'évacuation.
Six plans de montage Siemens furent remis à la Bauleitung et chacun d’eux fut expliqué par l'ingénieur. Le matériel Siemens devait être livré vers le 20 novembre
et l’alimentation
en
eau
chaude être en place début janvier 1944274, Le 11 décembre, une troisième réunion se tint entre Pambor,
Bischoff, Jothann, Dejaco etJährling. Les matériels et appareils Siemens étant arrivés, le 15 janvier fut retenu comme date d’achèvement des travaux. Mais, si celle-ci était encore différée, Pambor devait en être informé 5, II le fut, car les travaux préparatoires traf-
nèrent jusqu’au 15 février 1944. Pambor fut alors prévenu par télégramme, réclamant d'urgence la présence des monteurs de la Siemens 276. Le montage
de la station Siemens
étant en
bonne
voie, Bis-
choff, qui avait pris la tête de l'Inspection des constructions « Si-
lésie », mais gardait le contrôle de la Bauleitung d’Auschwitz, ordonna fin février à Jothann de faire compléter par la Boos l'équipement des onze chambres à gaz restantes afin de les mettre en service rapidement.
Aussitôt, Jothann
prévint la Boos par
télégramme?77. Mais la firme ne répondit pas. Un second télégramme partit début mai. Friedrich Boos renâclait manifestement à poursuivre cette affaire. Contacté en juillet 1942 pour installer dix-neuf chambres à gaz, Boos avait appris, un an après, que leur nombre
était réduit à quinze et, maintenant,
qu'il chu-
tait à onze. Boos ne comprenait plus ce que voulaient les S$ et le leur dit?8, Et puis, de l’incompréhension, involontaire ou non,
aggravée par des interventions extérieures, enraya les démarches. Boos soutenait que la profondeur des niches contenant l'appareil
ëä8
de ventilation avait changé ?%. La Tesch und Stabenow (ou Testa) de Hambourg s’en mêla. Le Dr Wirths aussi, en rappelant que, selon une ordonnance en vigueur, le Zyklon-B ne devait plus être employé en épouillage au profit d’un autre gaz, l’Arginal, dont l’utilisation entraînait une adaptation de l’appareillage des chambres à gaz 2%, À cette occasion, l'employé civil Jährling commit une extraordinaire bévue dans une lettre destinée à la Testa. Il désigna les chambres à gaz d’épouillage de « Normalgaskammer » mot souligné et mis entre guillemet?81, comme s’il existait des chambres à gaz « normales » et d’autres « anormales ». L’appellation fut reprise par la Testa, qui affirmait d’abord que la conversion à l’Arginal n’était obligatoire que dans le cas d'installations nouvelles, et insistait surtout pour que le personnel s’occupant des chambres à gaz
normales à l'acide cyanhydrique fût particulièrement bien formé, sous-entendant que leur fonctionnement était nettement plus complexe que le simple déversement de Zyklon-B dans des chambres à gaz « anormales » 28, La firme Ewald Berninghaus de Duisburg, qui, sur demande des SS, avait soumis en juillet 1942 un devis pour la fabrication de trente-huit portes étanches au gaz (deux par cellule) 285 sans recevoir la moindre réponse, se vit brutalement re-
lancée par Jothann pour une commande de vingt-deux portes début mai 1944284, Un nouveau devis fut établi en mai et accepté par Jothann en juin, avec livraison exigée en juillet?85. Fin novembre, les portes étanches n'ayant toujours pas êté livrées par la Berninghaus,
Jothann avouait à Bischoff son impuissance à mettre en activité les onze cellules au Zyklon-B et lui demandait s’il devait vraiment en poursuivre l'aménagement « eu égard à la situation actuelle 26 »... Le 25 mai 1944, Kammler informait par télégramme la Bauleitung que la station mobile d’épouillage Siemens partait de Breslau pour Auschwitz 87. Elle fut placée à Birkenau ?58. En prévision de la déportation des Juifs hongrois vers Auschwitz, Jothann se préoccupa de faire réviser les crématoires IT et III, et de réactiver les IV et V, inutilisés depuis septembre 1945. I]
demanda à la Topf d'installer les ascenseurs toires II et III et de monter les désaérations des crématoires IV et V, car sans elles, tout impossible. Après d'énormes difficultés et recte du SS-WVHA auprès du Ministre du ment
et
les
munitions,
les
deux
définitifs des crémades chambres à gaz gazage en série était une intervention diReich pour l’arme-
ascenseurs
furent
livrés
à
Auschwitz en mai 194428. Mais le temps manqua pour les poser. L'installation
de
désaération,
en
magasin
depuis janvier,
fut
montée en mai au crématoire V2, dont le four fut jugé capable de fonctionner correctement. Pour les deux chambres à gaz et le
couloir, représentant un volume de 480 m3 presqu'égal à celui
89
des morgues 1 des crématoires II et III, Schultze avait prévu une désaération de même puissance : une soufflerie n° 450 avec un moteur de 3,5 CV extrayant 8 000 m3 par heure?1. La seconde ventilation aurait été livrée en juillet, mais ne fut pas montée.
Désaération des chambres à gaz du crématoire V, conçue par Karl Schultze en juin 1943 el monté en mai 1944
Soufflerie
N° 450 8 000 m3/h
O P X S C
: Orifices de versement du Zyklon-B : Porte étanche au gaz : Poële de chauffage : Cheminée de poêle : Conduit d'évacuation de l'air vicié
RE
Coupe À -B:
BIIITELIETTITTTEL LLLLLLLLELELELELELEEE air chaud
L'élimination de 200 à 300 000 Juifs hongrois qui commença en mai et juin 1944 fut l’épisode le plus dément de Birkenau. I] se pratiqua essentiellement dans les crématoires II, III et V. Le four du V fut rapidement débordé et des petites fosses furent
creusées à côté de ses chambres à gaz pour y incinérer les victimes en pein air [document 57]. Le Bunker 2 fut réactivé pour la
90
circonstance pour de petits groupes, dont les corps étaient brûlés dans une fosse d’incinération de 30 m 222. Vers la fin de l’été, comme le Zyklon-B vint à manquer, les inaptes des convois, qui étaient encore dirigés vers Auschwitz, fu-
rent précipitées directement dans les fosses ardentes du crématoire V et du Bunker 229.
En plein massacre, Oswald Pohl inspecta pour la troisième et dernière fois Auschwitz le 16 juin 19442, accompagné par Hôss (revenu au camp pour superviser « l’action hongroise »), Bischoff,
Jothann et le Dr Wirths. Après la visite, on se réunit vers 18 heures. Les discussions portèrent sur les difficultés d’approvisionnement en ciment avec la fabrique de Golleschau, ce que Pohl promit de régler, sur l’IG Farben qui en pleurait mille tonnes auprès de la Bau-
leitung, et enfin on parla des projets. On planifiait encore parce que les convois hongrois qui affluaient représentaient la maind'œuvre qui bâtirait les installations, effectuerait les modifications, réaliserait les constructions soumises à Pohl. Le « chef » fut géné-
reux, trop généreux. Il accorda vingt-neuf demandes de travaux supplémentaires pour l’ensemble du KL, plus cinq sur lesquels il donnerait sa réponse après étude. Un seul fut refusé. Parmi les tra-
vaux accordés, était prévu le camouflage des quatre crématoires par l'édification d’une seconde clôture intérieure, afin de dissimuler les bâtisses à la vue des détenus. Pohl savait qu’il promettait du vent, mais la situation générale ne lui permettait rien d’autre. Pourtant, il avait besoin de la reconnaissance de ses subordonnés, de lillusion
de sa puissance, en déclarant urgent et en autorisant des réalisations qui ne l’étaient guère et ne seraient jamais entreprises ou achevées. Car Pohl venait d’être affecté durement. Lui qui, lorsqu'il
arriva au camp, restait sur ses agréables souvenirs d’août 1943, plongea alors dans l’abominable. Hôss, devenu un familier de l'horreur
au quotidien, montra à Pohl le camp des Tziganes. Il ne lui épargna rien. Outre le cortège habituel du manque de place, des déficiences
sanitaires, de la prolifération des malades et du taux de mortalité excessif,
les enfants
tziganes
atteints
de
« noma
», aux joues
nécrosées et aux yeux fiévreux, souriant de gangrène fétide, fouaillèrent Pohl. Avec devant lui les regards brillants de ces petits hérons dépenaillés, immobiles devant les portes des noires baraques-écuries, et au-dessus d’eux dans le ciel d’azur, à gauche, deux cheminées trapues crachant des flammes et, à droite, une nuée blanchâtre montant du Birkenwald, Pohl dut comprendre
que son administration avait transgressé l'éthique courante et en serait stigmatisée. Se remémorant le lundi 22 mai 1933, jour où il avait, dans lesjardins du casino de Kiel, rencontré Himmiler, il le maudit. Mais le pire était à venir. Hôss lui demanda l'autorisation
91
de liquider le camp des Tziganes, c’est à dire d’en extraire Îles aptes au travail et de gazer le reste. Ce qui n’était pas légal, parce que les Tziganes n'étaient en détention préventive que pour la durée de la guerre. Il est possible que Pohl refusa d’en prendre la responsabilité et que l’ordre d’en finir vint de Himmler. Quoiqu'il en soit, l'opération eut lieu dans la soirée du 2 août 1944 et
tourna à la tragédie. « L'installation d’épouillage à ondes courtes de l'Est n°3 », titre officiel de la station Siemens du Stammlager, fut mise en activité le 30 juin, soit avec dix mois de retard sur les prévisions, mais ne fonctionna à plein régime qu’à partir du 5juillet. Aussitôt le Dr Wirths en expérimenta les possibilités, rendement et ef-
ficacité. Il fit le point le 6 août, après 32 jours de marche. D'abord le rendement était beaucoup plus faible que celui avancé par le capitaine SS Willing : 1 441 linges de corps et tenues plus 449 couvertures par jour, en gros 2 000 effets en 24 heures
et non 13 à 15 000. L’épouillage était pourtant rapide et sûr. Des problèmes
techniques
(variations
du
champ
hertzien)
ou
un
manque d’humidification des effets provoquèrent parfois la survie de poux et de lentes. Un nouveau passage dans le champ les tuait. Mais le Dr Wirths reconnaissait que le procédé d’'humidification préalable des effets était trop compliqué et prenait beaucoup de temps. Le point faible du système Siemens résidait dans cette humidifation
préalable, dont l'ingénieur SS Willing n’avait
pas tenu compte dans ses calculs initiaux. Wirths, ayant passé un accord avec l’Institut d'hygiène de Raïsko, se mit à étudier la des-
truction courtes.
des
micro-organismes
Il fut constaté
sac d’effets de détenu
par
qu'après
le champ
trois minutes
d'ondes
ultra-
d'exposition,
un
(renfermant quatre effets divers) ne con-
tenait plus aucun staphylocoque, ni germes typhique et diphtérique. En 45 secondes d’exposition par effet, ces germes étaient détruits, en milieu sec comme en milieu humide. Wirths expérimenta sur les collibacilles (détruits), le bacille de Koch (résultats dans quelques semaines), les bactéries sporulées (résistantes).
Wirths joignit à son rapport le résultat de ses expériences [non retrouvé]?%5.
La station Siemens révèle indirectement quelle fut
l’attitude adoptée par le Dr Wirths dans l’entourage fou et criminel d’Auschwitz auquel il participait pour les opérations de sélection : il se consacra à la microbiologie,
évitant ainsi de voir
ce qui se passait hors du champ de son microscope. Et pendant que des milliers de femmes, d'enfants et vieillards,
disparaissaient jour après jour dans les flammes, la Bauleitung et la Topf réglaient encore leurs comptes. La Bauleitung avait règlé pratiquement toutes les factures en souffrance en deux fois, lors
92
du dernier trimestre 1943 et début février 1944. Mais en contre-
partie, elle désirait que la Topf paie les travaux qu’elle avait fait réaliser par la serrurerie des DAW et les diverses petites choses lui manquant sur les chantiers et que la Bauleitung lui avait procurées. Ainsi, le coût d’une bouteille d'oxygène, prêtée pendant deux mois, se montait à 2,10 RM ; l'huile de moteur empruntée revenait à 8,25 RM, etc. La Topf à son tour contestait, retardant le paiement d’un total de 9 000 RM, qu’elle fit réduire à 7 500 RM. Mais la ques-
üon la plus épineuse restait le règlement des deux fours à 8 mouîles. La Bauleitung de Russland-Mitte
avait commandé
à la Topf
quatre fours pour 55 200 RM et payé, en deux acomptes, 42 600 RM. La Bauleitung d’Auschwitz avait commandé deux fours pour 27 600 RM et versé un acompte de 10 000 RM. La Topf crut qu'elle avait vendu six fours de 13 800 RM pièce (82 800 RM). Mais comme les deux
fours de Birkenau avaient été prélevés sur la livraison de Mogilew, les deux Bauleitungen ne lui devaient pas un reliquat de 30 200 RM (sur six fours), mais de 2 600 RM (sur quatre fours), que celle d’Auschwitz
accepta de régler. En réalité, la Topf n'avait édifié en tout que deux fours et demi (un demi à Mogilew et deux à Birkenau), soit pour 34 500 RM et devait rendre 18 100 RM, encaissés indûment En acceptant un avoir supplémentaire de 2 600 RM, elle réalisait sur cette
opération un coquet bénéfice de 20 700 RM, qui la dédommageaient de ses démêlés avec les SS d’Auschwitz?%. Le dindon de la farce était la Bauleitung de Russland-Mitie, qui, en août 1944, quand Jährling
accorda 2 600 RM de crédit en gommant ainsi l’indélicatesse de la Topf, s'était repliée à Posen, réduite à un service de liquidation 27. Le 7 octobre, les membres du Sonderkommando, sentant leur
fin proche, se révoltèrent. Le crématoire IV, où logeait la majorité d’entre eux, fut incendié. L’insurrection fut brisée par les SS. Le bâtiment fut démantelé et les éléments métalliques du four furent récupérés et entreposés au Bauhof?8 |document 58].
Fin novembre, sur ordre verbal d'IHimmler, les gazages homicides furent arrêtés. Un commando de démolition, formé début décembre, démantela alors les crématoires IT et 12%. Le crématoire V continua d’être utilisé, mais désormais de manière « nor-
male
»,
pour
l'incinération
des
morts
«
naturels
PiunA
a
mi-janvier 1945, ne subsistaient des crématoires IT et HI que leurs carcasses bétonnées. Le complexe concentrationnaire fut évacué
par les détenus le 18 janvier. Le 20 janvier à midi, les SS faisaient sauter à l’explosif les structures restantes des crématoires IT et III 500, Le V, intact, fut dynamité dans la nuit du 21 au 22 janvier à
une heure du matin %1 et le 27 janvier, les soldats soviétiques découvrirent ses gravats enneigés, tels que les S$ les avaient laissés [document 59].
05
Durant l’existence du complexe concentrationnaire d’AuschwitzBirkenau, 400 000 détenus — 200 000 Juifs et 200 000 non Juifs — y furent enregistrés et environ 130 000 d’entre eux périrent. Sur les 830 000 Juifs déportés au camp, 630.000, déclarés inaptes, fu-
rent gazés. Ce furent, bien sûr et comme toujours, les plus faibles qui furent éliminés, les enfants, les femmes et les vieillards. Selon nos
connaissances
actuelles
800 000 vies humaines en annexe n° 2).
et
2ntramuros,
Auschwitz
(voir l’étude sur le nombre
coûta
des victimes
+ "TT ÉPILOGUE
a IIIe armée de Patton libéra Buchenwald
le 11 avril 1945. Le
15, le général George S. Patton Jr visita le camp. Les deux
fours trimoufle du crématoire assurèrent à la Topf une célébrité immédiate [document 60]. Le IIIe Reich capitula le 8 mai. Le 30, après une enquête bâclée, la Police Militaire américaine n’arrêtait qu’une personne : Prüfer 302. Suite à cette arrestation et
craignant que l'ingénieur ne parle trop, Ludwig Topf se suicidait dans la nuit du 30 au 313%, inutilement, puisque le 13 juin Prüfer était libéré 304, ayant même décroché des Américains une commande de four !3%%5. Les enquêteurs américains, obnubilés
par les fours et faute de perquisition au siège de la firme, ne réussirent pas à percer le vrai secret de la Topf, son rôle dans
l'aménagement des chambres à gaz homicides d’Auschwitz. Du 14 au 20juin, Ernst-Wolfgang Topf et Prüfer détruisirent tous les contrats
passés avec les SS d’Auschwitz3%,
Le 21, le cadet Topf
s'enfuit dans les fourgons des Américains%07 comme
seule
richesse,
industrielle%%8.
que
de
en n’emportant,
la documentation
Le 3 juillet, les Russes
occupaient
technique
Erfurt.
Le
11 octobre, Gustav Braun, le directeur d'exploitation de la firme,
fut interrogé par un militaire russe sur Prüfer et les deux frères Topf3®%.
Le
4
mars
(devenu
entretemps
1946,
les
directeur
Soviétiques provisoire),
arrêtaient Sander,
Braun
Prüfer
et
Schultze 310. Erdmann échappa à l’internement parce que inscrit à un syndicat communiste 3l!. Les Soviétiques, ayant discerné très tôt le rôle-clef de Prüfer 312, le questionnèrent dès le lendemain
de son arrestation. Puis ce fut le tour de Sander le 7 mars. Quatre
interrogatoires suffirent aux Soviétiques pour régler le cas de Prüfer. Sander n’en supporta que trois et mourut d’un arrêt cardiaque avant ou pendant le quatrième, le 26 mars. Schultze et, semble-til, Braun ne furent interrogés que deux ans plus tard, en 1948. Prüfer, Schultze et Braun furent condamnés à 25 ans de
Goulag. Prüfer y succomba d’une hémiplégie en octobre 1952. Schultze
et Braun
furent libérés en
octobre
1955, à la faveur
d’une amnistie générale concernant les prisonniers allemands 315. Ernst-Wolfgang Topf essaya de recréer sa sociêté à Wiesbaden à partir de 1947, mais ses moyens financiers étant réduits, cette tentative tourna court et la Topf de Wiesbaden fut dissoute en
1963314, Il ne fut jamais inquiété par la justice, malgré le faux pas de son unique ingénieur, Martin Klettner, qui eut l’inconscience de déposer en 1950 un brevet de four d’incinération315 —
pourtant à l’antipode des conceptions de Prüfer et ne reposant pas sur l'expérience crématoire acquise dans les camps de concentration ; cette
imprudence
inspira un auteur anglais, Wim
fit un
certain
bruit
: s’en
van Leer, pour une pièce de
théatre Patent pending jouée à Londres en 1965. Kammler se serait fait abattre par son aide de camp le 9 mai
1945 en Tchécoslovaquie 316, Quant à Bischoff, il vécut une aprèsguerre tranquille jusqu’à sa mort en 1950. Seuls deux membres autrichiens de la Bauleitung, les sous-lieutenants SS Walter Dejaco
et Fritz Ertl passérent devant les tribunaux. Dejaco, en tant que chef de la section des plans et parce qu’il contrôlait tous les plans, y compris ceux des crématoires. Ertl, parce qu'il eut le malheur de présider la fameuse réunion du 19 août 1942 et de
contresigner quelques plans du nouveau crématoire
(alors sans
chambre à gaz). Le procès des deux « architectes des crématoires » s’ouvrit à Vienne en janvier 1972 et se termina par la relaxe des accusés, vu que personne, juges ou prétendus experts, ne fut capable à l’époque d’exploiter l'excellent matériel historique fourni par les Polonais et les Soviétiques 817.
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1 : coupe verticale
Abb: I a : maconnerie
& b : moufle,
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de revêtement,
| : porte, m : buse d'alimentation
en gaz combustible,
£ g : carneau (fumé
à
o et p : buses d'alimentation en air pulsé,
=
OC TEASER n : ae d'air
d : enceinte de post-combustion Set cu
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atmosphérique,
As
k : canal d'air,
f : collecteur {pour les cendres),
rets : ouvertures . de service,
i : autel du foyer,
q : ouverture
fermant à clé,
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LU
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(fumées), : d : enceinte de post-combustion
|
| |
PT
|
3
o et p : buses d'alimentation
|
en air pulsé,
v : robinet d'arrêt (air pulsé),
Document 2 : VOLCKMANN sont présentées des modèles de
U : tuyaux (air pulsé},
Brevet allemand n° 506 627 déposé le 30 octobre 1928 par les ingénieurs Hans et Karl LUDWIG de Hamburg et intitulé « Procédé et dispositif d'incinération ». Ne que les coupes de leur four chauffé au gaz, n'occupant plus que le tiers du volume fours antérieurs équipés de foyers au coke et de récupérateurs. (Institut national de
la propriété industrielle allemands).
(INPI), antenne
documentaire
de Compiègne
(France), section Brevets
Document
3 : L'ingénieur principal Kurt PRÜFER,
chef de la division D IV
« Construction de crématoire » de la firme J.A. TOPF und Sôhne d'Erfurt, alors âgé d'environ quarante-cing ans [Archives d'état (ex-DDR) de Weimar, dossier 2/ 3B8al
Document 4 : Le four monomoufle à air pulsé chauffé au coke de la Walter MÜLLER d'Allach. N'est visible que la partie supérieure du four (moufle). Les fondations et le foyer se situaient à l'étage inférieur (Archives du Gedenkstätte Dachau, dossier 943).
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Document 9 : Réunion de deux plans Bauleitung du nouveau crématoire du Stammlager d'Auschwitz, dessinés par DEJACO le 24 octobre 1941 et basés sur les schémas fournis par l'ingénieur Prüfer : en haut, la façade ouest, en
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bas le plan du rez-de-chaussée avec les B- et L-Keller, futures L-Keller 1 et 2
du crématoire II de Birkenau (Plan du rez-de-chaussée : ACM, dossier 502-2146. Plan de façade : ACM, dossier 502-1-285).
3
Documents
10-11 : Plans du SS-HHB de Berlin du nouveau crématoire du Stammlager
d'Auschvwitz, réalisés par l'architecte WERKMANN
en novembre
1941 et inspirés des
schémas de l'ingénieur Prüfer. Premier plan : façades ouest et nord, sous-sol. Second
lan : façades est et sud, rez-de-chaussée et coupe (de la salle des fours) (pour les deux
plans : ACM, dossier 502-2-146).
LT
à UPS DEA ER AaEN VC Ho D SR
Document 11 : Façades est et sud, rez-de-chaussée et coupe de la salle
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