Les chapiteaux romans de Bourgogne: Themes et programmes (Culture & Sociaetae Maediaevales) 2003100951, 2503512992, 9782503512990

In the 11th and 12th centuries, churches in Burgundy saw an extraordinary development in decorated capitals. This detail

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Les chapiteaux romans de Bourgogne: Themes et programmes (Culture & Sociaetae Maediaevales)
 2003100951, 2503512992, 9782503512990

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LES CHAPITEAUX ROMANS DE BOURGOGN E

LES CHAPITEAUX ROMANS DE BOURGOGNE THEMES ET PROGRAMMES

Marcello Angheben

Photographies: Ivan Verzar

@! BREPOLS

,Cf mç, QLATERNITF5 D.\N"> LF5 TEXTES ET D.\1\5 Lf OF COR OLS LGLl'-,èS

2. 3.

CHAPITRE

III: 1.

2.

3. 4. 5. 6. 7.

a. Les texte~ b. Le décor de~ église~ LFS QL' ATE R"ilTF.., DE: Cu. N'Y LE:S Qll .\ 1 E:RNITlS DE: CLUNY HORS DE CLUNY a. Le programme du chœur de Mozac b. Les quatre fleuves du paradis LES AUTRES THEMES Les PAIRES LES ATLANTES a. Les anges b. Les hommes-atlantes LES LIONS AFFRONTES LES AIGLES LE BAISER SUR LA BOUCHE LES PELERINS D'EMMAUS LA LIBERATION DE SAINT PIERRE

29 29 33 33 39 39 39

47 47

58 58 68 79 85 96 105 111

DEUXIEME PARTIE: L'EGLISE MENACEE

117

CHAPITRE IV: LE CONCEPT DE COMBAT SPIRITUEL ET SES RAPPORTS AVEC L'ESPACE ECCLESIAL 1. COMBAT SPIRITUEL ET COMBAT PHYSIQUE a. Le combat spirituel

119 119 119

7

Table des matières

b. Le combat physique 2.

L'EGLISE: UN LIEU DE PAIX PERPl::TUELLEMENT MENACE

a. Les menaces spirituelles b. Les menaces physiques CHAPITRE V: L'EGLISE DEFENDUE PAR LES ANGES

1. 2.

LES COMBATS DES ANGES CONTRF llN DIABLE OU UN DRAGON LES ANGES DEFENSEURS DE5 ÂMES

CHAPITRF VI: LES AUTRFS PARADIGMfS BIBLIQUfS DU COMBAI WIRJfUFL

1. 2. 3. 4. 5.

DAVID ET SAM50N DANIEL Dalem céle~te ( Tractatus de ded1wt10ne ec clesiae; P.L. 131, 862 D; et PRG XXXV, 54, ed VOGEL et ELZE, 1, p. 117) Au IXe 1ècle, le Tractatus de ded1catwne eccleswe, que l'on attnbuatt autrefois a Remi d'Auxerre, est le seul commentaire sur lente de la ded1cace qm ait cté consene avec celui d'Almanne d'Hautv11lers qui n'a pas été édité, cf. JeanPaul BOUHOT, «Les sources de l'Expositw nmrne de Rémi d'Auxerre», Revue des études augustiniennes, 26, 1980, p. 118-169, et en particulier p. 133. 16 Sacr greg 441 *,éd DESHUSSES, I, p 718· Domme iern chrzste qw zntroitum portarum hierusalem sa/vans sanct1ficast1. dum ,p/endore gemmarum duodec1m tot1dem aposta/arum nomma praes1gnast1. et qui per organum prophet1cum prom1s1st1 Lauda h1erusalem dommum quia confortavzt seras portarum tuarum et henednlf fi/10~ tuas m te, te quaesumus ut panas omnes fines domus 1st1us sanctae marzae et rnnct1 petrz pacem, ut velouter currens mterzus sermo tuus adipe frument1 sat1et eos. sprzrztus sanctus defendat 11/os. ut numquam e1s nocere praevaleat m1m1cus, sed omnes habitantes mterzus voce corde et opere decantent d1centes Magnus dommus noster 1esus chrzstus, et magna v1rtus e1us et sap1entiae e1us non est numerus Qui cum patre et sp1rztu sancto vivzs et regnas deus, per omma saecula saecu/orum. 17 RUPERT DE DEUTZ, Liber de d1vzn1s offic11:-., VII, 24; CCCM 7, p. 254. 18 Chnsta IHM, Die Programme der chrzsthchen Aps1smalere1 vom vierten Jahrhundert bis zur mlfte des achten Jahrhundertfro non est mendacmm mventum neque m corde do/us, sed pzas laudes aptantes d1gna carmma ante thronum dei die noctuque conc1mt1s per md1cza vtrg1mtat1s et cast1tat1s corpons arque amme que m vob1s rex vester super omma d1lzg1t Dans sa b10graph1e de samt Hugues, Renaud de Vézelay raconte qu'un morne vit un Jour dans le chœur de Cluny le Rédempteur portant une cithare et psalmodiant devant tous les frères. L'antienne d1sa1t ceci: Sederr; autem mecum non est meum dare vobts, 5ed quzbus paratum est a patre meo. RENAUD DE VEZELAY. V1ta sanctt Hugoms (B.H.L. 4008), XIII; CCCM 42, p. 44. let 11 s'agit d'une v1s1on ponctuelle, mais elle présente l'intérêt de situer clairement le Chnst dans l'éghse et d'associer sa présence à la psalmodie qut s'effectue dans le chœur. Dans son traité sur la hturg1e, WALAFRID STRABON, Lzbellus de exordus et mcrementts quarundam m observatwnibus eccleswst1c1s rewm, 10, éd. A. BORETIUS et V. KRAUSE, MGH Legum 1112, p. 485, confirme que les anges sont présents dans l'éghse. HONORIUS AUGUSTODINENSIS, Gemma ammae, l, 140;

26

Chapitre !: L'église comme e;,pace ;,ymbohque

perspective, les commentaires de l' Apocalypse affirment que le ciel dans lequel apparaît l 'Anonyme (Ap 4, 1) est une figure de l 'Église 25 . Les programmes figurés des espaces liturgiques devaient donc rappeler que les deux composantes de l'Égli~e terrestre et céleste étaient réunies au moment où la communauté des croyants se rassemblait pour prier. Un exemple extrêmement éloquent montrera que la pratique liturgique pouvait entrer en résonance avec le décor des espaces liturgiques et encourager ce sentiment de communion entre les chrétiens et les habitants du ciel. À Cluny, pour la fête de l'octave de la Pentecôte, on lisait le début du chapitre quatre de l' Apocalypse. Le Liber tramitis, le coutumier composé sous l'abbatiat d'Odilon, indique que, pour cette solennité, sept candélabres doivent être disposés devant l'autel et trois derrière 26 . Les sept candélabres matérialisent à l'évidence les sept lampes de la vision et, comme le suggèrent les commentaires, les trois autres font sans doute allusion à la Trinité, et plus particulièrement au baptême qui est administré à la Pentecôte 27 . Ainsi, durant cette célébration qui rappelait la fondation de l'Église, les moines écoutaient les paroles de l' Apocalypse et pouvaient contempler simultanément le Christ entouré par les quatre Vivants peints dans le cul-de-four28 et les sept candélabres brûlant devant l'autel. Cette assimilation du chœur liturgique au ciel effectuée par le décor et la liturgie se retrouve également dans les textes. Ainsi dans l 'Épître aux Hébreux, les cieux où siège le grand-prêtre, à savoir le Christ, sont comparés au Saint des Saints (He 9, 124 ). De même, les exégètes ont fait du Saint des Saints du temple de Salomon une image du ciel 29 . Or, dans l'esprit des hommes ap1entwm. et coelum sedes est Dei, ut1que Ecclesia e.st coe/um m quo zpw ;,edet 26 L.T. 76.5; CCMon. X, p. 120. 27 Pour HA YMON, in Apoc, II, 4, 5-6; P.L 117, 1008 B, par exemple, le'> '>ept candelabreOnt les quatre partie.., du monde auxquelles parvient l'enseignement de l'fghse repre..,ente par les lettres mscntes sur le sol 13 . On trouve la même expltcat10n sous la plume d' Ademar de Chabanes qui aJoute que la croix de samt André formee par les lettre"> est aussi la prem1ere lettre du nom du Chnst Or. c'est par et pour le Chnst que la chret1ente s'est repandue dans les quatre direct1ons 14 . Pour Honorius enfin. les quatre angle-. de 1\:glt..,e signifient egalement les quatre régions du monde 1~. Plu.., avant dan'> la ceremome. l'evêque trempe ses doigts dans l'eau bemte et fait un signe de croix a chaque angle de l'autel 16 L'autel a etc mterpréte comme une image de l'Eglise et les quatre angle.., sont les quatre directions dans lesquelles elle s'est etendue 17

11 A.go . . tino COLL 1. «La Gerusalemme cc leste ne1 ciel! apocahtt1c1 altomedievah e l'affresco d1 San Pietro al Monte d1 c IV ale». Cal11u s ard1Coloi;11111t'S, 10, 1982. r 107-124, et en particulier p 118. ou l'auteur signale qu'il ne wnnait qu'une représentation de la krusalcm LCleste, outre cellec1, ou apparaît le nom des vertus cardinales Il .,;'agit d'un manuscrit provenant de Ratisbonne, et daté de 1165 (Munich. Bayem.che Staatsb1bhothek. cod lat 11002. f' 4) 12 0 R XLI. 5. ed ·\NDRIEL'. IV. p 140-141et119-120, pour le commentaire. et PRG XXXIII. 8, ed \OGEL et ELZE. 1. p 81 11 Trauatm de dedu atwne eu le\we, P L 131, 8'i 1 B. et PRG. XX XV. 15, cd VOGH et Ll.ZL, 1. p 1OO .4l pnmum \Uemlum quod q11attum ang11/J bu.\J/Jce q11attuor dn1grwnt plagm mund1 ad qua\ penemt dolfnna eufr\llHflla q1we pu /Jtteras \lg111/icatw "'tena de\cttptas 14 MORTfT, Rerneil, p 82 1 ~ HONORIUS AUGUSTOD!Nf NSJ5, Gemma an111we, L 154, P L 172. 591 D Q11atuor eccle\we anguli rnnt quatum plagae mwu/1 16 0 R XLI, 11, ed ANDRIEU, IV, p 142 et 124-126. pour le commentaire, et PRG XXXIII, 15, ed VOGEL et ELZF. 1, p 84 Trauatu\ de ded1wt1one euln1ae. PL 111, 854 C 4/twe namque Ecde~we /igwam praefert Quod quatuor wrn11a habet. q111 per quat11or m11nd1 cardme\ d1/atat11r [ ] Même rdee dan'i le PRG, XXXV, 25, ed VOGfL et E:L/f. L p 104 Pour HONORIUS A.UGLSTODINE-NSIS. Gemma ammae, I, 160, PL. 172, 593 C-D, l'autel est l'Eglise pnm1t1ve et le'> quatre angle" '>Ont les quatre partie~ du monde que le Chr l'>t a sauvees par la crorx tula 74, IO; CSEL 3/2, p 785; et AUGUSTIN, De ClVltate Dez, 13, 21; B.A. 35, p. 310-313. Ces deux références sont citées par P.-A. FÉVRIER, «Les quatre fleuves du paradis>>, Rlvista d1 archeo/ogza cnstzana, 32, 1956, p. 179-199, et en particulier p. 194-195. D'autres auteurs, dont Raban Maur, sont cités par SCHLEE, Dze Ikonographie der Paradiesjlüsse (op. c1t.), p. 28-36

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

espnt5 9 . Sur le plan allégorique, poursuit l'auteur, ce sont aussi les quatre Évangiles qui ont été envoyés pour la prédication destinée à toutes les nations 60 . Ainsi, l 'exégèse a associé les quatre fleuves à deux autres quaternités. Très tôt, le thème est également apparu comme une figure baptismale, à la fois dans les commentaire s et dans la liturgie 61 . Dès son apparition dans l'art chrétien, la figuration des fleuves semble avoir reçu cette même signification 62 . C'est ce que suggère sa présence dans certains baptistères, ainsi que la représentatio n du Jourdain dans lequel se jettent les quatre fleuves. La transposition de cette symbolique aux représentations paléochrétien nes a cependant été remise en question avec de solides arguments63. Pour l'époque romane en revanche, son application ne pose guère de difficultés. L'interprétat ion baptismale apparaît avec une évidence particulière sur les mosaïques absidiales de Saint-Cléme nt de Rome (XIIe siècle) où deux cerfs viennent se désaltérer aux sources du paradis, figurant ainsi les âmes régénérées par les eaux du baptême et nourries par les Évangiles. Ces deux cerfs et celui qui, plus haut dans la composition, lutte contre un serpent, rappellent par ailleurs le psaume 41 qui était chanté lors de la cérémonie du baptême 64 . Dans le décor des absides, une fonction essentielle du thème est d'assurer que les figures qu'il accompagne se situent bien au paradis, ce qu'atteste également la présence d'un palmier, d'un phémx ou d'un parterre de fleurs. Il est d'ailleurs doublement lié au paradis puisque le baptême qu'il évoque y conduit et que le Jourdain, avec lequel Il est quelquefois associé, est censé s'y jeter65 . Ce paradis peut être compris comme celui de la Genèse, celui qui est promis aux justes 66 , mais aussi comme une image de l'Église présente, ce qu'affirme ouvertement I'exégèse6 7 . L'introductio n des quatre fleuves dans l'abside contribue ams1 à faire de cet espace une image du paradis et de la communauté des croyants. Le programme de Samt-Cléme nt est à cet égard

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RABAN MAUR, De unnerso, XII, 3, PL 111, 334 C-D Quod quatuor flun11mhus de paradzso egred1ent1hus terra ngatur rnlzdum mentis nostrae aed1fiuum prudentza. temperantw. fortztudo, 1ust1tw contznet quza quatuor i1rtut1bm tota bonz opern strulfura conwrgzt 60 lh1d; P L. 111, 334 D· Item allegonœ quatuor parad1s1 flumzna quatuor sunt Evange/za ad praed1cat10nem zn cunlf1s gent1bu\ m1ssa. 61 CYPRIEN, Ep1stula 74, IO, CSEL 312, p. 785 62 Jean-Louis MAIER, Le haptzstere de Naples et .'>es mosmques Étude h15tonque et 1conograph1que, Fnbourg, 1964, p. 134-140, POESCHKE. «Parad1esflusse»; dan~ Lnzkon, 3, col. 382; et V AN DER MEER, L '4powlypse dam l 'at t (op c1t ), p 51 sq. 61 Pour SCHLEE, Dze l/...onographze der Paradzesflwse (op c1t ), p 50-52, les flemes du paradis n'ont revêtu, à l'epoque paleochrét1enne, aucune s1gmficat10n symbolique Il signale, notamment, qu'à sa connaissance, à !'exception de la lettre 74 de samt Cypnen, les textes contemporains n'ont pas fait le hen entre les fleuves et le baptême Pour FÉVRIER, «Les quatre fleuves .» (op c1t ), p. 196-197, les fleuves sont une image de l'Église et de la parole de Dieu, et le sens baptismal ne se serait greffé sur cette s1gn1ficat10n première qu'ulténeurem ent Les fleuves du baptistère de Naples ne seraient d'ailleurs pas ceux du paradis, cf. 1b1d, p 189 64 TOUBERT, Un art dzngé, p 281 et 283. 65 FÉVRIER, «Les quatre fleuves .. » (op. c1t.), p. 194-195. 66 Ibid., p 179-180 67 En se fondant sur d'autres textes, CASSAGNES , «Géographie ... » (op. c1t.), est amvée à des conclus10ns s1m1laires, sauf que pour elle, ce sont les monastères, et non l'Église tout entière, qu'évoque le paradis. '

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Chapitre Il: Les quaterniti>s

particulièrement éclairant dans la ~esure où il vise précisément à exalter l'Église en l'assimilant à la fois à un nouvel Eden et à la Jérusalem céleste 68 .

La syntaxe En Bourgogne, les cinq occurrences du thème apparaissent dans la partie orientale des églises qui les abritent. Les chapiteaux de Cluny et Autun ont été installés dans le chœur, et plus particulièrement dans l'abside. Celui d' Anzy-le-Duc est le dernier que l'on aperçoit, à droite, avant de pénétrer dans la croisée du transept où se prolongeait le chœur liturgique 69 . De même, lorsqu'ils étaient au complet, les fleuves de Berzé-la-Ville s'offraient au regard des moines à l'entrée de l'abside. Seul le chapiteau de Vézelay ne se trouve pas dans le chœur liturgique ou à J' entrée de cet espace. Il n'en est toutefois pas très éloigné puisque J'espace liturgique se prolongeait dans la dixième et dernière travée du vaisseau central de la ner 0 . Or, le chapiteau des quatre fleuves se trouve, dans le bas-côté sud, au niveau du huitième pilier, autrement dit à une travée seulement du chœur liturgique. Le chapiteau qui se situe à l'entrée de cet espace, c'est-à-dire au niveau du neuvième pilier, présente des problèmes iconographiques qui n'ont pas encore été complètement élucidés. On y voit notamment des animaux affrontés de part et d'autre d'éléments végétaux, lesquels étaient peut-être surmontés d'une croix. Cette croix, pour autant qu'elle ait existé, devait vraisemblablement conférer une dimension eucharistique à l'iconographie du chapiteau71 . Quant aux animaux affrontés et aux feuillages, ils faisaient peut-être référence au thème de l' Arbre de Vie et, par conséquent, au paradis ou à la Jérusalem céleste qui possèdent tous deux un arbre conçu comme tel 72 . Ainsi, même si l'on considère que la croix ne figurait pas initialement dans l'axe de la composition, on peut

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TOUBERT, Un art dirigé, p. 279. PENDERGAST, Anzy-le-Duc, p. 145, suggérait déjà que le chapiteau faisait allusion à la sacralité du chœur. 70 Une observation des bases de la nef permet en effet de détermmer que le rnveau de la d1x1eme travée était plus élevé que ce lm des précédentes et, par conséquent, que le chœur hturg1que '> 'étendait jusque là, si ce n'est au-delà. V01r à ce sujet DIEMER. Véze/av, p. 31-32, et SAULNIER et STRATFORD, Vé:::elay, p. 1IO. 71 Le chapiteau v1S1ble aujourd'hm dans le bas-côté sud (nef 9) est moderne. L 'ongmal, tres mutile. est conservé au musée lap1daITe de Vézelay. Les lacunes ont été complétées avec du plâtre, cf SAULNIER et STRATFORD, Vézelay, C. 140, p. 122-123 Sur la copie, on v01t deux quadrupedes affrontés, dressés sur leurs pattes amères et séparés par un disque crucifère. Demere chaque arnmaL un homme semble désigner ce disque du doigt. Pour Jean Adhémar, cf. SALET, Vézela_i, p 182, ce chapiteau illustre un passage de Luc (3, 6): Et videb1t omms caro salutare Dei (Et toute chmr ierra le salut de Dieu). DIEMER. Vézelay, p. 278-280, attire l'attention sur le fait que le mterprétat1om, dont celle de Jean Adhémar, reposent sur des éléments du chapiteau dont !' authcnt1c1te n 'c-.t pa assurée. Le disque marqué d'une cr01x, notamment, n'est peut-être pas ongmal Or, c'e-.t cette md1cation iconographique qm permettrait de défendre l'hypothèse d'une symbolique euchanst1que 72 Sur I' Arbre de Vie, flanqué ou non d'ammaux, volf notamment J. FLEMMING, article «Baum, Baume»; dans Lexikon, 1, col. 260-264, et SKUBISZEWSKI, Momac p 57 !>q FLEMMING, 1bui. col. 260, fait remarquer que I' Arbre de Vie figure souvent sur les ~hancel et que, ur ce». Bulletm monumental. 158. 2000, p 109-117. 17 REICHE, Gourdon. 18 Une brève notice de la revue Zodwque ( 111, 1976. p 16) rapporte les mformat10ns fournies par Raymond Oursel au ~u3et de~ chapiteaux de 801:,-Samte-Marie Ce dernier a en effet retrome la soumission ~e l'entreprise Corbel, 22 rue Samt-Plactde à Pam. datant de 1860 Outre le tympan de la Fuite en Egypte. cette entreprise a fourni :,1x chapiteaux pour l'ab:,1de, en fait pour le che\et, dont celm de:, «Damné::. enchaîné~». quatre pour le mur du deambulato1re, deux pour les arcs doubleaux et deux pour la façade occidentale BESSON. A arme\ eKale\. II. p 375, se fondant sur ces renseignements. considère que les chap1team des grande'> arcades :,ont authentiques STRA TFORD, Neut!~i·-en-Don;on, p 324. a3oute que le:, chapiteaux non remplace" ont eté lourdement retaillés par Millet le restaurateur. Cela ne l'empêche pas de dl'>tmguer deux style::. correspondant à deux campagnes celui des chapiteaux de la cro1see qu'il qualtfie de chapiteaux von Lucl.en. et ce lut de dix chapiteaux de la nef qu '11 attribue à l'atelier du Donjon La même analyse a été faite par HAMANN, AnzJ-le-Duc, 11, p. 2-12 Pour Jens Re1che, les chapiteaux modernes semblent toutefois beaucoup plus nombreux. Ce serait le cas, notamment, d'un des grands chapiteaux de l'abside ( 19). Il est donc possible qu'à l'angine, Il n'y ait eu qu'une patre symétnque dans cet espace Jens Retche pense egalement que les chapiteaux romans de la nef, à l'exception de ceux qm se situent à la contre-façade, sont l'œuvre de l'atelier du DonJOn. 19 Dans la travée droite du chœur, les chapiteaux n° 15 et 24, ne se d1fférenc1ent que par la présence, à côté des grands feu1llages, de fleurs au nord ( 15) et de colonnettes au sud (24 ). Dans la croisée, les chapiteaux n° 27 et 28, ne présentent que des différences mm1mes. Un cinquième chapiteau pourrait s'a3outer à cette séne, même s1 les différences sont un peu plus accusées. Il se situe sur le p1her nord-ouest de la croisée ( 10). 16

52

Chapitre Ill: Les autres thèmes

en place à la croisée, elle est rapidement abandonnée par l'atelier qui a œuvré dans la net2°. On compte en effet dans cet espace trois paires et trois chapiteaux identiques. Pour la commodité, je parlerai de demi-paires: on peut donc compter quatre paires et demie. Aucune n'est symétrique et aucune direction ne semble privilégiée. Les chapiteaux de deux paires et demie sont très proches les uns des autres, comme si on les avait taillés simultanément ou presque, et utilisés dès leur achèvement. À Bussy-le-Grand, le chœur qui a disparu devait être peu profond. On pense qu'il était composé d'une travée droite, très courte, et d'une abside. La croisée du transept, dont le sol se situe au même niveau que celui de la nef, ne devait sans doute pas faire partie du chœur liturgique. C'est pourtant là que se concentrent trois paires symétriques pour un total de huit chapiteaux. Dans la nef, l'emploi des paires n'est pas abandonné: sur un ensemble de seize chapiteaux, huit forment quatre paires. Mais, au niveau des grandes arcades, les deux paires se correspondent désormais suivant l'axe longitudinal de l'édifice. Neil Stratford pense que l'on a utilisé ces chapiteaux en fonction de l'avancement des travaux 21 . Il faudrait donc supposer, comme à Iguerande, une production quasi simultanée des deux chapiteaux de la paire, à moins que l'un des deux n'ait été taillé bien avant l'autre, ce qui me paraît peu probable. Mais il est encore plus significatif à mes yeux que, comme à Iguerande, le changement d' orientation des paires a été opéré par des sculpteurs qui semblent avoir appartenu au même atelier22 . Les deux autres paires de la nef se situent au niveau des arcs doubleaux, mais là, les chapiteaux se correspondent suivant l'axe nord-sud. Comme à Anzy-le-Duc et surtout à Gourdon, on a donc rétabli l'usage des paires symétriques à la fin de la construction. Au terme de cette longue description, il importe de préciser que les églises de Bourgogne ne sont pas les seules à présenter ce type de structure. On le rencontre dès la seconde moitié du XIe siècle dans le Poitou. Le programme de Notre-Dame-laGrande à Poitiers en est l'exemple le plus éloquent puisque le système des paires symétriques a envahi toute la partie centrale du chœur, avant d'être totalement abandonné en deçà de cet espace. Une disposition analogue se retrouve à Saint-Savin-surGartempe et à Saint-Hilaire-le-Grand (Poitiers), mais le contraste y est moins net 23 . L'Auvergne a également connu ce type de syntaxe différenciée: à Saint-Austremoine d'Issoire notamment, les paires symétriques demeurent beaucoup plus nombreuses dans le chœur que dans la nef, alors que le rond-point est occupé exclusivement par des chapiteaux historiés.

20

VIREY, Les églises romanes, p. 302-308, ne mentionne pourtant pas cette différence de style Pour HAMANN, Anzy-le-Duc, II, p. 12-21, ce sont bien deux groupes différents qm y ont travaillé 2 i STRATFORD, Bussy-le-Grand, p. 29. Les chapiteaux n° 5 et 6 sont en symétne frontale dans la tr01s1ème travée, au nord. Les chapiteaux n° 16 et 17 sont placés dos à dos sur le deuxième p1her ménd1onal. 22 STRATFORD, Bussy-le-Grand, p. 32 a envisagé la poss1b1hté d'une mtervenhon d'un autre ateher, tout en ms1stant sur la continuité stylistique existant dans toute la sculpture de Bussy-leGrand. 23 À Saint-Savin-sur-Gartempe, le chvage est le même qu à >J'otre-Dame-la-Grande, mais 11 est quelque i;>eu perturbé par la présence de chapiteaux à feuilles lisses et pemtes dans les trois premières travées. A Samt-H1latre, les seules palfes symétnques se trouvent dans le rond-pomt, mais elles sont composées de chapiteaux à femlles hsses identiques et recouverts d'un decor pemt asymétnque.

53

Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

En Bourgogne enfin, il existe de très nombreuses paires de chapiteaux dans l 'embrasure des portails. Leur syntaxe se distingue de celle qui semble régir une partie des paires situées à l'intérieur des églises. Aussi, pour des raisons de clarté, ne sera-telle abordée que dans les sections suivantes.

Analyse L'examen minutieux et presque statistique de la syntaxe des chapiteaux a donc permis de déceler dans le chœur liturgique de dix églises bourguignonnes une concentration particulière de paires symétriques. Dans huit d'entre elles, cette concentration contraste nettement avec ce que l'on peut voir dans le reste de l'édifice: un recul du nombre de paires et de la symétrie, voire, comme il semble que ce soit le cas à Bois-Sainte-Marie, une absence totale de paires. Les paires de la nef se caractérisent parfois par des correspondances qui suivent 1' axe longitudinal: c'est le cas à Bussyle-Grand, dans une certaine mesure à Anzy-le-Duc, et dans l'œuvre du premier atelier d'lguerande, à la croisée du transept. On peut également noter à Bussy-le-Grand, Gourdon et dans la dernière travée d' Anzy-le-Duc, un retour aux paires symétriques dans le haut du vaisseau central. Elles sont enfin très nombreuses aux portails où elles constituent également, au moment où le chantier arrive à son terme, un retour à cette pratique qui a souvent connu une éclipse dans la nef. Éliane Vergnolle a expliqué le désordre des patres par la diversification du répertoire ornemental et l'apparition des chapiteaux figurés ou historiés 24 • Quant à Neil Stratford, il a proposé deux explications pour l'abandon de la symétrie dans la nef d' Anzy-le-Duc sans toutefois se prononcer: soit on a cessé d'utiliser la symétrie à des fins esthétiques, soit les besoins du chantier ont obligé l'architecte à placer les chapiteaux dès qu'ils étaient achevés. L'auteur constate au demeurant qu'au XIIe siècle, lorsque l'on érigeait la nef d' Anzy-le-Duc, la tradition des paires était largement abandonnée, même si elle s'est prolongée dans certaines églises comme à Gourdon, MontSaint-Vincent et Bussy-le-Grand 25 . Les différentes causes invoquées par ces auteurs ont certainement dû jouer un rôle capital dans l'abandon progressif de la symétrie d'abord, et des paires ensuite. À l'évidence, l'arrivée de thèmes nouveaux et d'artistes capables de les transposer dans la pierre a rendu désuet l'emploi des paires, provoquant ainsi leur abandon temporaire ou définitif. Cela paraît indubitable à Bois-Sainte-Marie où les paires ont été écartées au profit d'un répertoire singulièrement varié. À Gourdon, l'irruption d'un chapiteau d'un style plus achevé et aux thèmes diversifiés a entraîné, à l'entrée du chœur liturgique, une interruption des paires symétriques, rapidement remises à l'honneur dans la croisée et surtout dans la net2 6 . Le recul des paires et de la symétrie ne peut

24

VERGNOLLE, «Le rôle architectural...» (op. cit.), p. 64. STRA TFORD, Romanesque sculpture, p. 241. L'idée d'abandon des paires au XIIe siècle a fait l'objet d'un consensus lors de la d1scuss10n qui a suivi la commumcatlon de l'auteur, cf. ibid., p. 251. Pour Bussy-le-Grand, voir STRA TFORD, Bussy-le-Grand, p. 32, qui considère ! 'emploi des paires dans cette église comme un archaïsme. 26 Il s'agit du chapiteau n° 59, situé sur la face nord du piher sud-est de la croisée. On y volt trots figures qui représentent vraisemblablement des vices. Il faut préciser que les chapiteaux c;ui le précèdent dans le chœur hturg1que (45-58) marquent déjà une rupture dans la série de six patres symétriques. 25

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Chapitre III: Les autres thèmes

toutefois pas être attribué exclusivement à l'apparition et au développement du chapiteau historié. À Anzy-le-Duc, la première phase de construction et de décoration s'est achevée avec les dernières colonnes engagées de la nef. L'atelier qui semble avoir taillé tous les chapiteaux correspondant à cette campagne à l'exception de celui de fleuves a abandonné le système des paires pour faire place à un chapiteau, celui du baiser sur la bouche et des lutteurs (14), dont l'iconographie est infiniment plus complexe que celle des chapiteaux du chœur liturgique 27 . Contrairement à ce que laissaient penser leurs premières œuvres, les sculpteurs de cet atelier étaient parfaitement capables de traiter un sujet élaboré, mais ils ont attendu la fin de la première phase de construction pour l'installer. Ce n'est donc pas un changement d'atelier qui est à l'origine de l'introduction du chapiteau historié dans le programme d' Anzy-le-Duc. Le chapiteau qui lui est symétrique, celui des fleuves, n'appartenant pas au premier atelier, on pourrait supposer que le programme initial prévoyait un dédoublement du chapiteau des lutteurs dans le but de constituer une septième paire 28 . Toutefois, dans le monde roman, les paires sont généralement composées de chapiteaux végétaux ou simplement figurés, et non de chapiteaux historiés. Il est probable dès lors que l 'interruption de la série des paires symétriques fut prévue dès l'origine, toujours par le même atelier. L'apparition d'un chapiteau historié et l'arrêt brutal des paires symétriques semblent donc découler avant tout de la nature du lieu dans lequel cette œuvre s'inscrit, à savoir le point de contact entre le chœur liturgique et la nef, et non pas de l'évolution des pratiques artistiques. Dans les travées deux et trois de la nef d' Anzy-le-Duc, l'absence de paires peut s'expliquer par la présence de quatre chapiteaux historiés, mais dans les trois autres travées, leur mise à l'écart paraît au contraire délibérée. En effet, si l'on considère que le chapiteau aux félins affrontés de Baugy a réellement été prévu pour former une paire avec le chapiteau n° 11 d' Anzy-le-Duc, on peut supposer que le responsable du chantier a volontairement écarté les paires aux grandes arcades septentrionales. L'introduction des quelques chapiteaux historiés ne saurait en tout cas justifier à elle seule l'abandon total des paires symétriques par le deuxième atelier. Il convient dès lors d'envisager une autre explication. Je pense pour ma part que, dans certaines églises, on a utilisé l'expédient technique des paires à des fins syntaxiques et symboliques: elles auraient servi à souligner la préséance hiérarchique du chœur liturgique par rapport à l'espace destiné aux laïcs ou au déambulatoire, et de la partie haute du vaisseau central par rapport au niveau des grandes arcades. Dans trois églises en effet, Gourdon, Iguerande et, comme on vient de le voir, à Anzy-IeDuc, le changement s'est produit en deçà du chœur liturgique, sans qu'il y ait eu de modification profonde dans la composition de l'atelier. À Bussy-le-Grand, ce chan-

27

Pour l'attnbution de ce chapiteau au premier atelier, voir HAMANN, Anzy-le-Duc, L p 134 et 137. PENDERGAST, Anzy-le-Duc, p. 194 sq., attribue également au premier atelier le chapiteau des fleuves. Pour VERGNOLLE, Recherches, p. 62-64, la d1mens10n de ces chapiteaux et la symétne de leur décor les rattachent au chœur, tandis que leur épannelage établit un hen avec la nef. ('est pourquoi cet auteur inscrit ces deux chapiteaux dans un groupe mtennéd1aire. 28 En revanche, le chapiteau des fleuves requérait la mise en œuvre d'un chapiteau identique et symétnque pour compléter le nombre de fleuves, mais 11 semble bien que cette œuvre n'ait pas été prévue m1tlalement pmsqu' elle n'appartient pas au premier ateher

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

gement est intervenu à l'ouest de la croisée alors que, là non plus, il n'y a pas eu de solution de continuité du point de vue stylistique. Les explications liées aux aléas de la construction nç peuvent donc aucunement s'appliquer ici. Au contraire, on peut observer à Bussy-le-Grand, comme à Iguerande, que la symétrie transversale n'a été abandonnée qu'au profit d'une symétrie longitudinale. Ce nouveau type d'organisation me paraît hautement chargé de sens, il faudra y revenir. On constate également qu'à Gourdon et Bussy-le-Grand, on est revenu aux paires symétriques sous les arcs doubleaux et, à Gourdon seulement, au portail. C'est aussi ce qui, dans une certaine mesure, s'est produit à Anzy-le-Duc. Certes, c'est le troisième atelier qui est revenu aux paires symétriques sous le premier doubleau. Il n'empêche que c'est bien le deuxième atelier, celui de la nef, qui est responsable d'un retour de ce type de symétrie au portail occidental 29 . Il semble donc qu'il existe à Bussy-le-Grand, Gourdon et Iguerande, un contraste significatif entre, d'une part, l'ordre rigoureux qui a été mis en œuvre dans le chœur liturgique ou, dans le cas de Bussy-le-Grand, à la croisée, et d'autre part un relâchement de cet ordre ou un passage, parfois timide, à des correspondances longitudinales, dans le reste de l'édifice.L'observation peut être étendue aux programmes sculptés de SaintLaurent-en-Brionnais, Cluny et Tournus. Il est en revanche périlleux de transposer cette hypothèse à l'église de Bois-Sainte-Marie où le contraste est peut-être dû uniquement au changement d'atelier. À Anzy-le-Duc, le retour aux paires symétriques dans la partie occidentale et surtout le clivage nord-sud plaident en faveur d'une mise en place délibérée d'un contraste entre l'ordre du chœur liturgique et le chaos relatif des paires de la nef. On verra d'ailleurs que la thématique des chapiteaux des grandes arcades septentrionales contraste de façon plus évidente encore avec celle de leurs vis-à-vis. La présence de Cluny dans cette liste interdit en outre de lier systématiquement l 'abandon des paires à l'introduction d'un répertoire plus évolué, puisque le chœur de la grande abbatiale comporte des thèmes qui comptent parmi les plus complexes. On peut faire le même constat dans l'église, pourtant assez tardive, de Saint-Austremoine d'Issoire (vers le milieu du XIIe siècle?): la présence de nombreux chapiteaux historiés et figuratifs n'a pas empêché la mise en place de paires symétriques. Au contraire, le clivage est-ouest opéré par ces dernières double celui qui oppose les chapiteaux historiés du rond-point aux chapiteaux simplement figurés répartis dans les autres secteurs de l'édifice. En Bourgogne, le retour aux paires dans le haut du vaisseau central, évident à Bussyle-Grand et Gourdon, est également révélateur. Il établit une sorte d'équivalence ontologique entre cette partie de l'église et le chœur, et semble ainsi cristalliser le concept symbolique qui veut que l'espace réservé aux clercs et les voûtes soient des images du ciel. On observe une progression hiérarchique comparable à Mont-Saint-Vincent et Toulon-sur-Arroux où les seuls chapiteaux élaborés sont situés dans les parties hautes, alors que les arcs des grandes arcades reposent sur des chapiteaux dont la surface est simplement épannelée 30 . Le retour des paires symétriques aux portails pcr29

PENDERGAST, Anzy-le-Duc, p 243 sq.; et HAMAN'N, Anzy-le-Duc., I, p. 158-159 et 171-172. REICHE, Gourdon, p. 244, a Justement observé qu'à Mont-Samt-Vmcent, ces différences sont dues à I'amvée d'un ou deux sculpteurs appelés du Bnonnais. À Bragny, les chapiteaux les plus travaillés se situent au niveau des grandes arcades, alors que ceux des parties hautes sont très simples. Il semble toutefois que ces derniers soient modernes. On ne peut donc nen en dédmre. Je remercie Jens Re1che de m 'av01r signalé cet ensemble et ses part1culantés. 30

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met également d'établir une équivalence symbolique avec le chœur liturgique, mais ces rapports apparaîtront plus clairement lorsque les thèmes de ces chapiteaux seront abordés. La valeur symbolique de la symétrie L'étude des paires permet ainsi de confirmer qu'il peut exister une interdépendance d'ordre esthétique entre des chapiteaux symétriques et que ce lien revêt quelquefois une dimension symbolique, liée notamment à l'importance du lieu. Ces paires contribuent également à faire du chœur liturgique, ou exceptionnellement de l'ensemble de l'espace ecclésial comme à Gourdon, un véritable microcosme car, comme le monde, il a été conçu avec ordre et harmonie. Cette notion, bien connue au Moyen Âge, se fonde sur un passage du livre de la Sagesse: Omnia in mensura, et numero, et pondere disposuisti (Sg 11, 21 ). Les constructions décrites dans l'Ancien Testament ont été érigées suivant les mêmes principes, puisque c'est Dieu lui-même qui en a dicté la disposition31 . Dans cette perspective, la simple symétrie peut être considérée comme un élément participant à cette harmonie. Dans le vestibule du temple de Jérusalem par exemple, Salomon a fait ériger deux colonnes de bronze surmontées de chapiteaux parfaitement identiques (1 R 7, 1322). Pour Bède, ces colonnes sont placées devant le temple pour en augmenter la beauté. Étant au nombre de deux, elles évoquent par ailleurs les apôtres et les doctores d'une part, les juifs et les Gentils d'autre part 32 . Si cette interprétation ne fait pas explicitement le lien entre symétrie et beauté, elle montre néanmoins que des préoccupations d'ordre esthétique peuvent parfaitement se combiner avec une approche symbolique. Les colonnes du temple de Salomon ont inspiré plusieurs monuments romans. On pense en effet que les formes des porches italiens supportés par deux colonnes en découlent 33 • À la cathédrale de Würtzburg, en tout cas, aucun doute n'est possible puisque les colonnes du porche (XIIIe siècle) sont accompagnées d'inscriptions qui les désignent comme étant celles du temple de Jérusalem: Jachin et Booz34 . Les mêmes noms se retrouvent dans l'église romane de Champeix (Auvergne), non pas à la façade, mais sur les chapiteaux symétriques et pratiquement identiques qui marquent l'entrée du chœur35 . Cet ensemble original est extrêmement riche d'enseignements pour la

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Bruno REUDENBACH, «Saüle und Apostel. Überlegung zum Verhaltms von Architektur und arch1tekturexegetischer Literatur im Mlttelaltern, Fruhm1ttelalterbche Studien, 14, 1980, p. 310351, et en particulier p. 315, fait également le rapprochement entre ce passage du Livre de la Sagesse et les idées développées dans le T1mée de Platon. 32 BÈDE, De Temp/o, II, 263-603; CCSL l 19A, p 198-207. Vou également RABAN MAUR, Commentaria m lzbros IV Regum, II, 7; PL. 109, 166 B-171 A; et RUPERT DE DEUTZ, De sancta Tnmtate et operibus etus. In ltbro.\ Regum Ill, 19-20; CCCM 21, p. 1319-1323. L'exégèse de ce passage a été étudiée par REUDENBACH, «Saüle und Apostel...» (op. ctt.), p. 331-332. 33 ANGHEBEN, Animaux stylophores. Une vers10n revue et augmentée de cet article paraîtra prochainement dans la revue Arte medievale, sous le titre «Les animaux stylophores des églises romanes apuliennes: étude 1conograph1que». 34 Walter CAHN, «Solomomc Elements m Romanesque Art», dans The Temple of Salomon Archeolog1cal Fact and Medieval Tradition in Chnstwn, lslamrc and Jew1sh Art, éd. J. GUTMANN, M1ssoula, 1976, p. 45-72. 35 SWIECHOWSKI, Auvergne, p. 33; et C.I.F.M, 18, p. 157.

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

questio n des rappor ts entre symétr ie et espace sacré Il montre pour comm encer que Je seuil du chœur est bien un lieu limina l pmsqu 'il peut être assimi lé à l'entré e de l'édific e. Le décor et les inscript10ns qui lm donne nt son sens contnb uent ainsi à renforcer l'auton omie symbolique de cet espace. Les chapite aux de Champ eix confirment par ailleurs le lien qui semble exister entre la symét ne et l'impo rtance hiérarchique du lieu qu'elle occupe. Cette concep tion de la symétn e devait souven t être d'applicat10n dans l'art roman où elle est ommp résente 16 . Je pense en tout cas que, lorsque la .,ymétrie est utilisée de manière sélective dans le chœur liturgique, elle revêt une valeur syntaxique et symboliqu e qm vient se superp oser à sa valeur e.,thétique, a moms qu'elle ne l'ait précédée.

2. LES ATLA NTES En Bourgogne, le thème de l'atlan te présen te une récurre nce except ionnel le et sa distnbut10n montre qu'on lm a attnbu e une importante fonct10n syntax ique, en rapport avec les espace s liturgiques et les portails C'est pourqu oi il leur sera consac ré un long dévelo ppeme nt dan-; lequel les anges-atlantes et les .,impies homm es, dont les pos1t10ns hiérarc hiques respectives sont fortement éloign ées, seront abordé s séparément17.

a. LES ANGES Description Les exemp les d'ange s-atlan tes ou canat1 ce

travail ~ont toutefois sujettes à caution 18 Francis SALET , Clunv, p 80, a daté le grand portail de Cluny des annee~ 1130 Le portail de Charlie u a eté situé dans les années 1130-11 40 par ZINK, Charlteu, p 128, et dan~ les années 11401150 par CHRIS TE, L 'Apowl ypse, p 175, et les sculptu res d' A\ allon des annees 1170-11 80, cf Roland RECHT , «Sculpt ures découve rtes a Samt-L azare d'Avall on», Bulletin monumental, 141, 1983, p 149-163 , et en particul ier p 158, ou des années 1160-11 70, cf Bernard POULA IN, «Décou vertes à Samt-L azare d'Avall on», Zodiaque, 151, 1987, p. 31-36, et en part1cuh er p. 31. 39 Les fragmen ts se trouven t actuelle ment au musee Och1er et dan~ une collecti on pnvée, cf. CO NANT, Cluny, p. 102, et fig. 199; et SALET , Cluny, p 66.

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Chapitre III: Les autres thèmes

fig. 4. Charlieu, grand portail septentrional, coussinet de gauche, deux anges-atlantes.

bune d'orgue. À chaque angle, un chapiteau surmontant un culot supporte la voûte qui couvrait autrefois l'avant-nef. Les culots sont occupés par des bustes d'atlantes hommes et femmes. Sur les chapiteaux on peut voir, à l'est, des oiseaux becquetant des grappes de raisin et, en face, deux paires d' anges. Trois d' entre eux portent respectivement un phylactère, un livre et une fleur. Le quatrième applique une main sur le feuillage situé sous la crosse d'angle et peut dès lors être considéré comme un ange-atlante40 . De plus, comme au portail de Charlieu, il forme avec ses homologues une quatemité. Les anges de Combertault enfin ont été peints dans un espace qui, étant en légère saillie par rapport au chœur, peut être assimilé à un transept ou à sa croisée. Ils figurent au-dessus des quatre colonnes engagées d'où partent les arcs des arcades aveugles, c'est-à-dire à l'emplacement des chapiteaux qui font ici défaut et leurs ailes déployées à l'horizontale occupent toute la surface des écoinçons. On ne saurait toutefois affirmer avec certitude que ces anges supportent symboliquement la voûte sur leurs ailes41 . Bien que cette série soit à la fois restreinte et disparate, deux raisons incitent à lui accorder une grande attention: tout d'abord, il y a la présence de Cluny parmi les quatre églises qui accueillent le thème; vient ensuite la distribution de ces quelques 40

Il faut ajouter que l'ange-atlante semble soutenir le bras porteur avec l'autre main. La découverte de ces sculptures date de 1979-1981 . Voir à ce sujet RECHT, «Sculptures ... » (op. cit.) et POULAIN, «Découvertes ...» (op. cit.). Ce dernier ne parle toutefois pas de l'ange-atlante. 41 Ces anges sont simplement mentionnés par Frédéric DIDIER, «Combertault, église SaintHippolyte», dans D 'Ocre et d 'Azur, p. 128-129; et «L' église Saint-Hippolyte de Combertault», Congrès archéologique de France, 152, 1997, p. 101-110, et en particulier p. 108.

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

occurrences dont on verra qu'elle peut être rapprochée de celle des hommes-atlantes. Pour rendre à ces œuvres l'intérêt qui leur revient, il me paraît donc indispensable de retracer les grandes lignes de la tradition iconographique dans laquelle elles s'inscrivent, avant d'en aborder les éventuelles correspondances textuelles et la syntaxe.

La tradition iconographique Le thème de l'ange-atlante est très ancien puisqu'il figure déjà dans les premières églises paléochrétiennes. li apparaît au milieu de Ve siècle, sur la voûte de la chapelle Sainte-Croix du Latran, aujourd'hui disparue, où quatre anges supportaient une croix42 . Cette composition a ensuite connu un grand succès pwsqu'elle a été repnse à Ravenne - chapelle archiépiscopale (vers 500)41 et Samt-Vital (début VIe)-, à Rome, à SaintePraxède (début 1Xe)44 , et enfin dans la cathédrale de Torcello (Vile ou XIe siècle)45 . En général, ces anges ont les pieds poses sur le sol, mais à Samt-V1tal, Ils s'appuient sur des globes qui représentent la terre. En France, le décor peint des églises romanes a également mtégré des anges de ce type dans le voisinage de l'autel majeur. Les pemtures de Notre-Dame de Charly (Cher) sont à ma connaissance les plus proches des modèles italiens: sur la \>OÛte de la travée droite du chœur, quatre anges ont les pieds posés sur le sol, tandis qu'ils soutiennent le médaillon central que dom me I' Agneau chnstlque 46 . En dessous de ces anges et dans le cul-de-four, deux fois quatre écomçons accueillent également des anges aux ailes horizontales, semblables à ceux de Combertault. On retrouve une composition analogue à Samt-Semm de Toulouse, mais -.ur une \Oûte du transept et non dans le chœur47 . Dans l'abside orientale de la cathédrale de Ne\ ers, les anges, peut-être des séraphins, se tiennent de part et d'autre d'un Chnst en gloire entouré par les quatre Vivants 48 . Leurs deux ailes supéneures, comme celles de l'aigle et du hon, suppor-

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Cette chapelle a eté corn.truite par le pape Hiid1re (461-468) et detru1te au XVIe '>lecle Son decor en mo~aique e~t toutefois connu grâce a de~ document'> ancien-., cf Philippe LA UER, Le palms du Latran Etude historique et arl heolog1que, Pan-., 1911. p 57-58, et fig 27 41 La chapelle a eté éngee ~ou~ I' drche'v êque Pierre II ( 494-519) \' 01r notamment Fnednch Wilhelm DEICHMANN, Raienna. Hauptstadt de' spatantil..en 4benlandes, W1e~baden, 1969, 1, p 202 et 204 44 Il -.'agit de~ mo-,aique-. de la chdpelle Samt-Zenon, cf Rotraut WISSKIRCHEN, «Zur Zenokapelle m S Pras (b 6. 2) On noterà enfin que la presence de lacunes empêche de comprendre comment les ailes du haut. vue~ de profil, ont pu se rattacher au corps qm est vu de face. Votr egalement au '>UJet de ce~ pemturee, p. 111. Voir aussi DE MUS, Peznture murale, p. 108-110; Anna C. ESMEIJER, D1vzna quatermtas A prelumnar} study m the method and app!tcatzon of vzsual exegeszs, Assen et Amsterdam, 1978, p 46, et Vmcenzo GATTI, «Arte e hturgta nel complesso monast1co di Ctvate», Arte Cristiana, 78, 1990, p. 91 102, et en part1cuher p. 1OO. 68 Les deux anges de droite tiennent un hvre ouvert, ceux de gauche un disque marqué d'une croix, vraisemblablement un pam euchansttque Franco SCHETTINI, La bas1ltca d1 San Nicola dz Ban, Ban, 1967, p. 75-76, date le ciborium du rectorat d'Eustase (1105-1123 ), le premier successeur d'Éhe. Voir aussi BELLI D'ELIA, Powlles romanes, p. 189. Un ange tenant un pam euchanstique fait aussi partie du programme sculpté du c1bonum de R1poll, cf. Xavier BARRAL 1 ALTET, «La sculpture à R1poll au XIIe siècle», Bulletm monumental, 31, 1973, p. 311-359, et en particulier p. 321 et 326329. Deux quatem1tés d'anges sculptés figuraient sur le c1bormm de Samt-Jacques de Compostelle, aUJOurd'hm disparu, mais connu par une description ancienne. Quatre anges sonnaient de la trompe, quatre autres étaient assis au sommet de l'édicule, cf. MORALEJO, «Ars sacra et sculpture romane ... » (op. cit.), p. 210-221. D'après cette descnpt10n, aucun de ces anges ne peut être assimilé à un atlante m à une canatide. 6

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

Tous portent une figure du ciel dominée en son centre par une représentation anthropomorphe ou zoomorphe du Christ: le tympan pour les premiers, le médaillon central de la voûte pour les seconds. Dans cette perspective, les anges-atlantes de SaintRévérien (Nièvre) sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils constituent une sorte de fonnule intennédiaire par rapport à ceux qui viennent d'être évoqués: situés sur l'intrados de l'arc du portail occ1dental, ils soutiennent, bras tendus, un médaillon qui abritait autrefois une figure du Christ69 . Leur attitude et leur charge rappellent les anges des voûtes, mais leur emplacement correspond structurellement à celui des coussinets. Si les anges supportant un lmteau demeurent extrêmement rares, on s'aperçoit à l'analyse qu'ils sont fonctionnellement et symboliquemen~ très proches des autres anges-atlantes et de ceux qui portent la mandorle divine. A Cluny et à Charlieu, cette homolog1e a d'ailleurs été maténalisée par la superposition d'angesatlantes et d'anges porteurs de mandorle. Les quater11aires angéliques Le nombre quatre semble avoir JOué un rôle important dans 1'1conograph1e des anges-atlantes. À l'exception de ceux de Cluny, les anges bourguignons envisagés ici sont groupés par quatre. C'est encore le cas sur les mosaïques, les ciboria, à Ancône et peut-être à Chalivoy-M1lon. En revanche, ceux de Nevers, sans doute en raison des contraintes imposées par le support, ne sont que deux, tout comme les anges de Cluny. Le regroupement en quatemités se vénfie sou-vent pour les autres anges. Ceux du fmtigium constantm1en du Latran sont peut-être les premiers à avoir fonné une quaternité. Ce sont aussi deux paires d'anges qui flanquent le Christ à Samt-Apolhnairele-Neuf70, et l'Agneau sur les arcs tnomphaux de Samts-Cosme-et-Damien et de Sainte-Praxède 71 . Sur les tympans des portails romans, la mandorle du Chnst est généralement tenue par deux anges, mais il arrive parfois que quatre d'entre eux se partagent cette tâche: c'est le cas, en Bourgogne, pour un des portails de Samt-Bénigne de Dijon et pour celui d'Autun 72 . Dans ces deux compositions, ce sont les anges du bas qui semblent supporter l'essentiel de la charge, comme le suggère la flexion de leurs Jambes. Au portail de Conques, quatre quatem1tés d'anges ont été distribuées sur le tympan où elles font écho à deux autres quatem1tés angéliques disposées symétriquement sur

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DUPONT, Ntvernws Bourhonnat\ romans, p 105 Pour H. LECLERCQ, article «C1bonum», dan:-. D4.CL, II, 2, col 1592, la compos1t1on du Latran pourrait ne pas avoir d'antécédents Il a également fait le hen avec Samt-Apollmaire. 71 Pour Samts-Cosme-et-Dam1en, voir CHRISTE, L 'Apoc ahp,e, p 79-81 Pour Samte-Praxède le motif a été emprunté, Jusque dans les moindres détails, à Samts-Cosme-et-Dam1en, vmr Guglielmo MATTHJAE, Plttura romana . . (op. c1t ), J, p. 162; et surtout WISSKJRCHEN, S Pra'l\ede, p. 5758. Pour Rotraut W1sskirchen, le Chnst Enfant, flanqué par quatre anges, et la Vierge entourée de cmq anges, qui figurent sur l'arc triomphal de Samte-Mane-MaJeure, est un antécédent possible pour les mosaiques de Samts-Cosme-et-Dam1en et celles de Samte-Praxède, cf 1hul., p 58. 71 . ~ Pierre QUARRE, «La sculpture des anciens portails de Samt-Bémgne de D1Jon», Ga::ette des Beaux-Arts, 50, 1957, p. 177-194, et en particulier p. 177-185, date ce tympan d'avant la consécration de 1147; Nell STRATFORD, «Remarques sur les quatre tympans du XIIe siècle de Samt-Bémgne de DiJOn», Congrès archéolog1que de France, 152, 1997, p. 225-237, et en part1cuher p. 232-236, le situe pour sa part vers 11 70, v01re plus tard. 70

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Chapitre Ill: Les autres thèmes

deux chapiteaux de la croisée 73 . Ces chapiteaux semblent d'ailleurs avoir inspiré de nombreuses œuvres auvergnates, mais la distribution de ces dernières ne paraît pas significative 74 . En tant qu'image de la Jérusalem céleste, l'encensoir est généralement orné d'une ou plusieurs quatemités, panni lesquelles on peut rencontrer des anges 75 . Lorsque les anges ne sont pas des atlantes ou des colonnes symboliques, ils peuvent être regroupés en quaternités pour des raisons différentes. À l'époque paléochrétienne, on s'est peut-être inspiré des habitudes de la cour impériale 76 , mais dans l'art roman, ce sont sans doute des raisons symboliques qui ont prévalu 77 . En tout cas, pour les anges-atlantes ou colonnes, le nombre quatre s'accorde parfaitement avec la vision du monde suivant laquelle les quatre angles de la terre reçoivent les quatre supports du ciel7 8 . La confrontation des anges-atlantes de Bourgogne à la tradition iconographique du thème montre qu'ils s'y confonnent parfaitement à la fois par leur symbolique et par leur distribution. Ils figurent en effet aux deux pôles opposés de l'église que sont le portail ou l'avant-nef d'une part et la crmsée du transept ou le cul-de-four d'autre part, si toutefois l'on intègre à cette courte série les deux anges géographiquement marginaux de Nevers. D'autre part, lorsque l'espace disponible le pennet (trois ensembles sur quatre), les anges de cette série constituent comme tant d'autres des quaternités. L'observation de ces caractéristiques est d'autant plus importante qu'on les retrouve dans la série des hommes-atlantes dont il va être question à présent.

.,, Il :,'agit respectivement de" ch.ip1te.iux n° 146-147 et n° 228-229, cf. DURLIAT, La sculpture romane, p. 441. Pour cet auteur, le:, ange:- portant les noms des évangeh:,tes seraient eux-mêmes ces évangéh~te:-. BONNE, Conque~. p 63, a déJa établt ce parallèle entre l'mténeur et l 'exténeur de l'église 74 SWIECHOWSKI, Auvergne. p. 221-224 75 Sur les vmgt exemples etud1é:- par Mane-Thérèse Gou:,set, trois en comportent· Bntlsh Museum (m 1-35 et m 1033) et collection Octave Pmcot (n 95 ), cf GOUSSET, Encen::,otr.s, p. 83-84. 76 Voir notamment Andre GRABAR, le.\ rn1n de lu uéutwn en 1conogruph1e Ghrét1enne Ant1qwte et Moyen Âge, Pam, 1979, p 33-57 sq.; IHM, Dte Programme ... (op. c1t.), p. 28; et Piero PICCfNINI, «lmagm1 d'autontà a Ravenna», dan~ Stonu dt Ruvennu Il 2 Euleswlogw, cultura e arte, éd. G. SUSINI, Yemse, 1992, p 31-78, et en particulier p 46. Ce dernier a examme avec som les rapports entre les images et le pouvoir dans les programmes 1conograph1ques de Ravenne. Pour DE BLAAUW, Cultu.s et dewr. (op. c1t ), 1, p. 124, les anges du fa.st1g1um du Latran constituent la garde céleste du Christ. Récemment, MATHEWS, The clash of god::,,.. (op. c1t.), a remis en question ce type d' mterprétatton qui met en relation le premier art chrétien et l'art 1mpénal. Il n'a toutefois pas abordé en part1cuher le thème des quatre anges entourant le Chnst. Pour WISSKJRCHEN, S Prassede, p. 57, les anges de l'arc tnomphal de Samte-Praxède seraient les archanges Michel, Gabnel, Raphaël et Unel. 77 BONNE, L'art roman, p. 27 et 33, a m1~ les quatem1tés de Conques en rapport avec celles de Raoul Glaber. 78 Le poème consacré à Samte-Soph1e d'Édesse par Maxime le Confesseur est part1cuhèrement éclairant à ce sujet: la coupole de cette église est comparable aux cieux et ses arcs représentent les quatre côtés du monde. En revanche, cet édifice ne possédait pas de colonnes. Yotr à ce sujet GRABAR, Martyrium ... (op. c1t.), J, p. 377-378; et ROSSI et ROVETfA, lndagmt, p. 85. Cette structure apparaît clatrement sur une enluminure du lect1onnatre de Zw1efalten où les évangélistes sont ass1m1lés, par le b1a1s d'un lltulus, aux quatre colonnes du ciel (Stuttgart, Landesbibl., Brev. 128, fO 10; m1heu du XIIe); cf. ESMEIJER, Dtvina quatermtas . .. (op. c1t.), p. 70.

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

fig . 5. Anzy-le-D uc, chœur. chapiteau n° 21, trois atlantes et deux singes.

b. LES HOMME S-ATLAN TES Description En Bourgogn e, l'identifica tion des hommes-a tlantes ne pose en général pas de problèmes majeurs 79 . L'atlante a le plus souvent les bras tendus vers le haut et les paumes appliquées contre l'abaque. Les jambes fléchies confirmen t qu'il porte réellemen t une charge (type I). Sur les coussinets, cette attitude peut parfois devenir très acrobatique80 . En Bourgogn e, la plus ancienne occurrenc e d'un atlante de ce type est certainem ent celle de la crypte de la rotonde de Saint-Bén igne de Dijon 81 . À côté de ces atlantes, apparaisse nt quelquefois des figures, le plu~ souvent masculine s, accroupies , une ou deux mams posées sur les genoux (type 11). Leur situation, la flexion des jambes et la proximité d'atlantes de type I permettent de les considérer également comme des atlantes. 79

li est pourtant amvé que l'on ~e méprenne sur leur 1denhte On y a vu notamment des «orants», cf. DICKSON, Dwœse de Chalon , p. 184, pour Lancharre, et p. 2 14, pour Mont-Samt- Vmcent 80 Les atlante~ figurent sur les cous~mets des porta Ils d' Anzy-le-Du c (ouest), de Charlieu (ouest), Lancharre, Mont-Samt-Vmcent (2 et 3), et Semur-en-Bnonnais (4 et 5), et sur les chapiteaux d' Anzy-leDuc (20 et 2 1), Autun (50), Commagny (13), et Gourdon (2 et 100; 48 et 55, et 40). L' atlante du portail occidental de Châteauneuf (2), s'apparente également au type 1, même s1 ses Jambes ne sont pas _flédues. 81 Von, notamment, ADHEMAR , lnfiuences antique s, p 187, Jurg1s BALTRUSA ITIS, Format1om, déformat1ons La stylistique ornementale dans fa 5culpture romane, Pans, 1986, p. 58; Carol HEITZ, La France pré-romane Archéologie et architecture rehg1eu:, e du Haut Moyen Âge !Ve siècle - An Mille, Pans, 1987, p 243; et Mayhs BA YLÉ, «Les sculptures de la rotonde de DtJOID>, dans Guillaume de Volpwno et /'arch1tecture des rotondes. d1r. M. JANNET et C. SAPfN, Dijon, 1996, p. 59-72 Ici, on ne v01t toutefois que les bras levés de l'atlante, et non ses Jambes.

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Chapitre III: Les autres thèmes

fig. 6. Commagny, chœur, chapiteau n° 13, cinq atlantes.

L'exemple d'Anzy-le-Duc est certainement le plus complexe de la série (20 et 21, fig. 5). Un atlante de type I occupe la face principale, tandis que deux atlantes du second type ont été disposés à chaque angle: ils ont posé une main sur Je genou correspondant et l'autre contre la Joue. L'ensemble est complété par deux singes relégués sur les petits côtés et représentés de profil. Ils ont adopté l'attitude des atlantes de type II, si ce n'est qu 'ils ont appliqué leurs deux pattes antérieures sur les genoux82 . Le chapiteau n° 13 de Commagny semble dériver directement de ce modèle mais, comme les singes d' Anzy-le-Duc, les atlantes situés aux angles ont posé les deux mains sur les genoux (fig. 6). De plus, les faces latérales sont occupées par un atlante de type I et non un singe comme à Anzy-le-Duc. Bien que les deux églises soient assez éloignées l'une de l'autre, il semble que des sculpteurs d'Anzy-le-Duc se soient rendus à Commagny pour y exécuter une série de chapiteaux, dont celui des atlantes, ce qu'explique largement le rattachement commun de ces deux prieurés à Saint-Martin d'Autun 83 . Le modèle d'Anzy-le-Duc semble d'ailleurs avoir donné naissance à une autre variante à Saint-Pierre-le-Moûtier qui était également un prieuré de Saint-Martin d' Autun84 . Le schéma de Commagny se retrouve, bien qu'incomplet ou déformé, non loin de là, à Sémelay (35), ainsi qu 'aux portails de Gourdon (2 et 1OO) et de 82

PENDERGAST, Anzy-le-Duc, p. 140-141 . Ce lten a été fait par STRATFORD, Romanesque sculpture, p. 237-238, qm considère que les atlantes de Commagny ne sont qu'une vers10n rustique de ceux d'Anzy-le-Duc. HAMANN, Anzyle-Duc, I, p. 265; suivi par REJCHE, Gourdon, p. 250, pense plus précisément qu ' un ou deux sculpteurs sont venus d' Anzy-le-Duc. 83

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

fig. 7. Semur-e n-Brionn ais, portail occident al, chapitea u n° 6. Beaumo nt (2) 81 . Il faut noter égaleme nt qu'à Commag ny, Gourdon et Sémelay , les atlantes du second type sont entièrem ent nus et qu 'à Gourdon, il est possible d'y reconnaître des femmes. Compte tenu de l'anténo rité, de la complex ité et de la qualité des chapitea ux d ' Anzy-le- Duc, il est probable qu ' ils ont servi de modèle pour les autres chapitea ux de la série. Au portail de Semur-e n-Brion nais, un des deux atlantes de l'ébrasem ent de droite a un sein mordu par un serpent, l'autre par un crapaud (6, fig. 7) 86 . Ceux qui se situent 84

let le personnag e central porte une couronne et un sceptre, et tl est flanqué de deux fi gures mascul mes qui le des1gnent du doigt Le rapproche ment a ete fait par PEN D ERGAST , Anzy-le-D uc, p. 223 L' 1dee a éte repnse par STRA TFORD, Romanesq ue sculpture, p 237 Il faut toutefois noter que, s1 la structure est semblable a celle des chapiteaux d 'Anzy-le-D uc, 1' 1conograph1e en est sensiblement différente Une autre vanante existe aussi sur l' unique chapiteau figuré d'Yzeure (Aliter), mais aux angles apparaisse nt des têtes dépourvues de corps, et non pas des atlantes complets. Cette église n 'est toutefois pas IIee à Samt-Mar tm d ' Autun , cf. OURSEL . Autunois, p 317; et Maylis BA YLÉ, «Yzeure. Église Samt-P1erre», Congrès anhéolog1que de France, 146, 1991 , p. 477-493, et en ~art1cuher p. 485-489, pour la sculpture. 85 A Sémelay, l'atlante de type 1 n 'a pas les Jambes fléchi es, et semble porter un bandeau honzontal (ou une banderole. cf. SALET, Sémelay, p. 245), ce qm md1quera1t que l'artiste n 'a pas compns 1' 1conograph1e de son modèle. En réalité, sa charge est l'abaque du chapiteau. Les faces latérales sont occupées par des arbres. À Beaumont, les deux faces sont occupées par un atlante de type 1, mais sur les angles exténeurs, les atlantes de type II ont été remplacés par deux quadrupèd es, peut-être des lions. La figure située sur l'angle qui sépare les deux atlantes a malheureusement disparu. 86 OURSEL, Autunois, p. 294.

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Chapitre Ill: Les autres thèmes

dans le chœur de cette église sont également d'un type très particulier. Si c'est bien un atlante qui figure sur le corbeau de gauche, celui droite est occupé par un diable comu 87 .

Signification du thème Se pose à présent la question de la valeur de ces nombreuses figures. Tous les indices iconographiques, ou presque, tendent à les dévaloriser. On observera pour commencer que, contrairement aux anges, les hommes-atlantes expriment souvent par leur attitude - fléchissement des bras et des jambes, inclinaison de la tête - l'effort qu'ils déploient pour porter leur fardeau. Le contraste est particulièrement sensible à A vallon où les anges des chapiteaux dominent par leur position et leur dignité les atlantes humains des culots. Il y a ensuite la nudité de certains d'entre eux - en particulier des femmes présumées de Gourdon - et dont on peut penser qu'elle était dévalorisante. D'autres atlantes, parfois les mêmes, ont une main posée sur la joue, un geste qui peut facilement être interprété comme un signe d'affliction 88 . Les chapiteaux d' Anzy-le-Duc, dont il faut rappeler qu'ils ont sans doute servi de modèle à plusieurs œuvres de la région, fournissent un autre indice iconographique extrêmement significatif. En marge de l'espace occupé par les hommes-atlantes, se tiennent en effet deux singes qui semblent imiter l'attitude de leurs voisins. Cette association n'est pas exceptionnelle puisqu'on la retrouve dans la deuxième Bible de SaintMartial de Limoges 89 , sur un chapiteau de la cathédrale de Jaca et au portail de SaintGilles-du-Gard90. Dans la littérature médiévale, les singes sont fortement dépréciés en raison notamment de leur propension à imiter le comportement humain 91 . Or, c'est

87

Il s'agit d'une œuvre relativement tardive par rapport aux autres atlantes, cf. OURSEL, Autunoz., p 64-65 L'auteur expnme la même idée dans son commentaJre sur l'Evangile de Luc: },J..pos1t10 Evangiln secundum Lucam, VIII, 54; S.C. 52, p 123. II y compare aussi les aigles aux trois Sam te!> Femmes et aux apôtres entourant le tombeau du Seigneur, am si qu'à ceux qw 1' entoureront lorsque a" ec le!> nuées spmtuelles viendra le Fils de l'homme (Ap 1, 7) 166 AMBROISE , De sacrament1s, IV, 7, SC. 25 bis, p 104-105 167 GRÉGOIRE LE GRAND, Dzalog1, IV, 26, S.C 265, p. 84-85, même idée dans Mora/ra ln lob, XXVII, 29; XXIX, 4; et XXXI, 105, CCSL 143B, p. 1352-1353, 1437 et 1622. 168 HAYMON, ln Apoc, IV, 12; P.L. 117, 1083 C. [ .. ]sic quot1die, 1mo omm hora, stat dzabolus ante sanctam eccleswm, ut passif eus dec1pere, qu1 fonte hap!lsmat1s renatz, effic1untur filu Dez, sed non praevalet, quza rap1untur ad Deum: a quo proteguntur , ;uxta 1llud Ub1cunque fuent corpus, Ilhc congragabuntur et aqmlae. Pour BEDE, Apoc, II, 12; PL. 93, 168 B; AMBROISE AUTPERT, ln Apoc, VI, 12, 14, CCCM 27A, p. 470; BRUNO DE SEGNI, m Apoc, IV, 12; P.L. 165, 672 B; et RUPERT DE DEUTZ, m Apoc., VII, 12; P.L. 169, 1061 B, les deux ailes de l'aigle sont les deux Testaments. Aucun de ces quatre auteurs ne cite Matthieu.

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Chapitre III: Les autres thèmes

du moins donner un sens à la présence d'aigles sur certains autels, d'autant plus qu'Ambroise rattache explicitement les aigles à l'autel. La dimension eucharistique pourrait également s'appliquer aux chapiteaux bourguignons puisque dans huit églises, les aigles se situent à proximité de l'autel majeur. L'hypothèse est fortement corroborée par l'indice supplémentaire que comporte le programme analogue de NotreDame-la-Grande de Poitiers. Dans la chapelle axiale du déambulatoire, autrement dit dans le prolongement immédiat du rond-point, les deux chapiteaux qui encadrent la fenêtre sont peuplés d'oiseaux qui, à droite, plongent leur bec dans un calice. Étant donné l'homologie structurelle des deux espaces, on peut légitimement en déduire que les oiseaux du rond-point ont revêtu la même signification eucharistique. La dimension baptismale développée dans les textes n'est peut-être pas exclue des programmes bourguignons. À Anzy-le-Duc et à Berzé-la-Ville, les fleuves du paradis figurent à l'entrée du chœur liturgique, mais cet indice demeure insuffisant. Les aigles ont encore pu faire allusion aux âmes reçues au paradis. L'espace dans lequel ils ont été regroupés est en effet assimilé à ce lieu céleste. Il faut rappeler à cet égard la collecte Via sanctorum que 1'on prononçait parfois en arrivant dans le chœur de l'église: elle évoque, pour commencer, le temple du Seigneur que lui-même a consacré avec le sang des martyrs. Elle sollicite ensuite la rémission des péchés et l'accès à la «demeure princière du paradis», l'au/a paradisi 169 . Cette oraison rappelle donc les martyrs d' Apocalypse 6, 9-1 l, qui ont demandé à Dieu de venger le sang qu'ils ont versé. Elle fait également de l'église, et en particulier du chœur, une figure du paradis où se rendent les âmes des élus. Or, dans les Beatus et sans doute sur les autels du Midi et dans les peintures de Saint-Quirce de Pedret, les âmes des martyrs qui se réunissent autour de l'autel ont reçu une forme d'oiseau. On pourrait donc penser que les aigles bourguignons ont revêtu une signification analogue. Un argument de poids est fourni par le chapiteau de Saint-Révérien consacré au jugement de l'âme: les élus se tiennent sous une arcade dont un des chapiteaux est occupé par un oiseau. Ainsi, dans huit églises de Bourgogne, un thème aussi simple que celui des lions ou des atlantes a été intégré de manière significative dans la syntaxe du chœur liturgique. Les caractéristiques de l'aigle et notamment sa qualité de roi des oiseaux suffisaient largement pour justifier la position prééminente qu'il a reçue: à l'écart du danger, près de l'autel et plus à l'est par rapport aux lions. Certains textes scripturaires et exégétiques ont pu motiver ou conforter ce choix et, dans le même temps, donner au thème une signification eucharistique et/ou baptismale. Ces mêmes textes ont également pu inspirer une assimilation des aigles avec les âmes des élus qui se rendent au ciel. Mais, quelle que soit leur signification précise, la présence d'aigles parfois regroupés en quatemités dans le chœur de ces églises ajoute une dimension supplémentaire à l'atmosphère d'ordre et de paix déjà introduite par la théophanie absidiale et par la symétrie, voire le sujet de certains chapiteaux: elle y introduit une idée d'élévation qui fait écho à la surélévation du chœur liturgique, et renforce la symbolique céleste et paradisiaque qui se rattache à cet espace.

169

Sacr greg. 4288; éd DESHUSSES, III, p. 239.

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P1 c1111i:re partie le\ theme\ speu/iq1œ-. llll\ c hœun liturgiques

5. LE BAISER SUR LA BOUCHE De.\cription Le ba15er 5ur la bouche ne figure que sur quatre chapiteaux du corpus. Le thème mente pourtant d'être traité dans une section séparée, tant son intérêt est grand pour I' 1conograph1e 'ipec1fique au chœur liturgique, mais aussi pour celle de sujets qui qm , cf V IRE Y, le\ eg/i\e\ 10mane\, p 394-397, et HAMANN, 4nz}-le-Duc, II, p. 30-32. Je n 'cvoqucra1 pas 1c1 le'> figure'> trc-, vanee-; de-; ba'>e'> de le chœur de que pa1 leur p051t10n, elle -;ont a'>-.u1ett1e-, a celle-, de-. chapiteaux ' ' Pour les lien-; avec Cluny, voir 1hul On peut voir de eccleia-.tJque pemtures de Berze-la-V1lle, en re'vanche, montrent tks abbe-; clun1s1ens portant une c.rossc cp1 fresques de Berze-la-Ville »(op c1t ), p 174 "

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Chapitre III: Les autres thèmes

fig. 14. Saint-Laurent-en-Brionnais, croisée du transept, chapiteau n° 17, scènes d'accolade.

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Premiere partie. Le'i thèmes ~péc1/iques aux chœurs liturgiques

fig . 15. Vauban, chœur, chapiteau n° 3, scènes d'acco lade et deux quadrupèdes. de quadrupèdes affrontés, sans doute des félins. Le premie r a saisi la patte de l'un de ses agresseurs, le deuxième tient une crosse (19, fig . 92). Il s'agit d'une variante du thème du maître des animaux dont il sera question plus loin. Il convient toutefo is de le prendre déjà en considération, car il constitue la contrepartie des chapiteaux voisins: ici, l'animalité semble vaincue par les deux clercs, alors qu 'en symétrie diagonale, deux pécheurs subisse nt des morsu res de la part de deux quadrupèdes, celui de droite étant également mordu par un serpent qu' il a craché (4, fig. 103). À Vauba n , une petite église paroissiale située à quelqu es kilomè tres de SaintLaurent-en-Brionnais, le programme sculpté est nettement plus modeste. Il compr end pourtant un chapiteau essenti el pour la bonne compréhension du thème (3, fig. 15) 172 . Cette œuvre, qui s'inspire certainement des chapiteaux de Saint-Laurent-en-Bri onnais, se trouve sur une colonne engagée du mur méridional du chœur 173 . L 'empla cement est donc structurellement très semblable à celui de son modèle supposé (17). Sur la face principale apparaissent deux scènes d'acco lade directe ment issues des précédentes. Deux différe nces minimes les distinguent toutefois de l' original: pour commencer, seuls les bras des figures situées au centre ont été représentés. Cela s'expli que

172

HAMA NN, Anzy-le-Duc, II, p 80-82, situe l 'éghse et ses sculptu res vers 1115-11 30. Le" analogie.,, formelles et 1conogr aph1que s qui existent entre les chapite aux de Samt-L aurenten-Bnonna1 s et ceux de Vauban ont dejà été relevée s par STRA TFORD , Romane sque sculpture, p 237, et HAMA NN. Anzy-le-Duc, II, p 82 Il se peut toutefois qu ' un même modèle ait servi pour les chapiteaux de Vauban et de Samt-L aurent-e n-Bnonna1.,, 171

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Chapitre III: Les autres thèmes

par le fait que les personnages placés aux angles regardent vers le centre, tandis que leurs corps sont tournés vers les faces latérales. Là, un quadrupède assis, sans doute un lion, semble leur lécher la main: c'est la seconde différence que présente ce chapiteau par rapport au modèle présumé. On a donc réuni sur un seul chapiteau deux sujets qui, à Saint-Laurent-en-Brionnais, étaient traités sur trois chapiteaux: le baiser de paix et le maître des animaux. A Saint-Laurent-en-Brionnais, la distribution des chapiteaux laissait déjà supposer un lien sémantique entre les deux sujets. La réunion et la contraction de ces mêmes thèmes sur le chapiteau de Vauban corroborent fortement cette supposition. Dans cette perspective, l'attitude des clercs qui se tournent vers un félin tout en étreignant leur vis-à-vis est particulièrement instructive dans la mesure où ces personnages ne semblent pas craindre la morsure de l'animal 174 . Si, comme je le crois, il s'agissait effectivement de maîtres des animaux, cela confirmerait que leurs homologues de SaintLaurent-en-Brionnais (19) dominent eux aussi les bêtes qui les entourent, même s'ils semblent quelque peu submergés par leur nombre. Toujours à Vauban, un chapiteau de la même colonne engagée montre une tête animale crachant des feuillages qui reviennent contre ses oreilles ( 1, fig. 115). Comme on le verra plus loin, ce schéma correspond au motif, ici dénaturé, du serpent craché qui revient mordre l'oreille de celm qui l'a engendré 175 • Sur la même paroi, mais à l'entrée du chœur, un chapiteau aurait dû accueillir trois figures en pied tenant une crosse, mais les deux faces du chapiteau ont été coupées, sans doute pour l'adapter à un emplacement non pressenti par le sculpteur (2). Restent visibles deux bras tenant une crosse et la totalité de la figure centrale qui, de la main droite, fait un geste d'allocution. Les chapiteaux n° 1 et 2 de Vauban complètent donc le chapiteau n° 3, de sorte que tous les thèmes de Saint-Laurent-en-Brionnais sont présents: les scènes d'accolade, les maîtres des animaux, les péchés de la langue et les ecclésiastiques portant la crosse. En dépit d'un manque de moyens flagrant, on a donc choisi, voire commandé, des chapiteaux reprenant tous les termes du programme de l'église voisine. On peut en déduire que le maître d'œuvre a parfaitement compris la signification des sujets traités à Saint-Laurent-en-Brionnais et qu'il a souhaité affecter au chapiteau n° 3 un emplacement équivalent à celui de son modèle présumé 176 . La quatrième occurrence du thème, plus élaborée que les précédentes, figure sur un chapiteau d'Anzy-le-Duc (14, fig. 16) situé sur le dernier pilier nord de la nef, à l'entrée du chœur liturgique. Il appartient à la première campagne de construction qui s'est arrêtée précisément au niveau de ce chapiteau 177 . Sur la face latérale gauche, On notera que sous les patte~ des quadrupèdes apparaît une silhouette serpentlforme. On verra également que cet ammal crache ces feuillages, plutôt qu'il ne les avale. 176 Il faut signaler une contraction analogue au portail ménd10nal de Châteauneuf: on y v01t, traités dans le même style, deux ecclésiastiques Le premier porte une crosse, le second dompte d'un bras le quadrupède qm se tourne vers l'mténeur de l'éghse. Le thème du baiser de paix est donc absent, mais on a regroupé sur un espace assez exigu un clerc «maître des animaux» et un autre portant une crosse. Voir à ce sujet C. Edson ARMI, «La porte latérale de l'éghse de Châteauneuf», dans Paray-le-Momal Bnonnms-Charolais Le renouveau des étude romanes, Paray-le-Momal, 2000, (IIe colloque scientifique mternational de Paray-le-Momal, 2-3-4 octobre 1998), p. 227-238 Cet auteur a également signalé les analogies formelles entre ces sculptures et celles de Samt-Laurent-enBnonnais et Vauban. 177 PENDERGAST, Anzy-le-Duc, p. 143-144; et HAMANN, Anzy-le-Duc, I, p 134 174 175

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

fig. 16. Anzy-le-D uc, nef, chapiteau n° 14, la concorde et la discorde (?). tournée vers le bas-côté nord, deux hommes barbus s'enlacent et se donnent un baiser sur la bouche et, sur la face principale, deux hommes, peut-être les mêmes, se battent en se tirant la barbe et les cheveux. Ces deux scènes sont complétée s, sur la face latérale droite, par une figure dont la tête est démesurée par rapport à la taille de son corps - peut-être un nain - et, aux angles, par deux têtes barbues dont la langue est ostensible ment tirée 178 . Ce chapiteau très complexe devra également être abordé dans les séries consacrées aux «luttes entre égaux» et aux «péchés de la langue», mais il faut déjà relever que les laïcs de la face latérale gauche semblent se réconcilie r en se donnant un baiser sur la bouche, peut-être après le conflit qm les a opposés sur la face principale. Deux différence s importante s séparent les antagomst es d' Anzy-le-D uc des précédents: d'une part, il s'agit de laïcs; d ' autre part, ils sont mis en relation avec des hommes qui se battent entre eux et non avec des «maîtres des animaux». Il reste néanmoins deux points communs, à commenc er par l'associati on d'un combat et d'une scène d'accolade . Vient ensuite l'emplace ment du chapiteau qui rappelle celui des trois premières occurrence s, si ce n'est qu ' il se situe à l'entrée du chœur liturgique - au même niveau que les fleuves du paradis - et non à l'intérieur.

178

PENDERGA ST, 1b1d ; et HAMANN, ibid. Pour JACOBY, The Beard Puller~ , p. 68, le personnage de la face latérale droite est un mome.

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Chapitre III: Les autres thèmes

Le baiser de paix et son iconographie bourguignonne À Saint-Laurent-en-Brionnais et à Vauban, tout porte à croire que les accolades correspondent bien à des baisers de paix. Ces représentations étant, à ma connaissance, sans équivalent pour l'époque romane, leur sens ne pourra pas être éclairé par des comparaisons 179 . L'iconographie de ces scènes est toutefois suffisamment explicite. D'une part, elle implique uniquement des ecclésiastiques dont certains semblent porter un livre. L'action peut donc difficilement se situer dans un autre contexte que celui de la liturgie. D'autre part, les chapiteaux concernés ont été disposés à l'intérieur du chœur, à proximité de l'autel majeur. On peut donc supposer que le choix de cet emplacement correspond au lieu dans lequel se déroule cet acte rituel. À SaintLaurent-en-Brionnais, l'iconographie des deux chapiteaux figuratifs de l'abside, qui sont organisés en paire symétrique (9 et 12), semble d'ailleurs confirmer ces rapports entre les personnages et leur emplacement. On y voit en effet quatre hommes, deux par chapiteau, réduits à leur plus simple expression, dans une attitude qui pourrait être celle de l'orant 180 . On verra, en outre, que l'hypothèse du baiser de paix présente le mérite d'être cohérente par rapport au reste du programme iconographique.

Le baiser de paix dans le canon de la messe La pratique du baiser sur la bouche au Moyen Âge a fait l'objet d'une étude exhaustive par Y annick Carré auquel j'emprunte ici les considérations relatives au baiser de paix. Cet acte rituel occupe pour commencer une place importante dans la liturgie. À la fin du canon, avant la communion, le prêtre dit: Pax domini sit semper vobiscum, et on lui répond: Et cum spirito tuo. L'officiant «prend» alors la paix et la transmet d'abord à l'évêque et ensuite aux clercs, selon l'ordre hiérarchique. Depuis le IXe siècle, un clerc transmet également la paix à l'assemblée et, toujours à la même époque, le baiser de paix commence à remplacer progressivement la communion. Le système de pénitence était en effet très lourd et éloignait le fidèle de l'autel durant de longues périodes. Aussi la privation de l'eucharistie était-elle compensée par le baiser de paix qui était «pris» à l'autel et ensuite transmis au fidèle 181 . Ce geste devint

179

Pour Yanmck CARRÉ, Le baz.ser .sur la bouche au Mo} en Âge Hz.stozre, pratique et symbolique du baiser du XIe au XVe Siècle, à traven le.s document~ écrztç et l 'zconographze, Thèse de doctorat, Umvers1té du Marne, 1990, p. 147-172 et 846-852, le baiser de paix n'a pas été représenté avant le XIIIe siècle. Un chapiteau du musée Samte-Cro1x de P01t1ers, provenant peut-être de SamtH1la1re, montre deux scènes comparables à celles du chapiteau d' Anzy-le-Duc deux hommes se battent sur la face principale tandis que deux autres - ou les mêmes - s'étreignent sur la face latérale gauche. Il semble cependant que ces dermers se battent: celui de gauche a d'ailleurs pose sa Jambe de bois sur le pied de son v1s-à-v1s. Vo1r à ce sujet JACOBY, The Beard Pullers, p. 67-68. À SamtPierre-le-Moûtier et à Nevers (musée archéologique, chapiteau provenant del 'éghse Samt-Sauveur), l 'mterprétatlon du chapiteau des lutteurs est plus délicate pmsque ceux qm s'étreignent semblent constituer un couple d'amoureux, cf. 1b1d., p. 69-70. 180 De ces figures, on ne v01t que la téte et les bras levés qm partent de leur menton. On pourrait avoir l '1mpress1on que, sur la face pnnc1pale, leurs poignets sont liés, mais en réahté, le trait honzontal que l'on aperç01t à ce mveau correspond aux manches des deux personnages qm ont fusionné. Il faut également noter que certames de ces mams se sont transformces en palmettes. 181 CARRÉ, Le baiser sur la bouche ... (op c1t.). L'auteur a résumé sa thèse dans un ouvrage imprimé: Le baz.ser sur la bouche au Moyen Âge Rzte.s, symbole.s, mentalzté.s, XIe-XVe .siècles, Pans, 1992. V01r également F. CABROL, article «Baiser»; dan1' DACL, II, 1 B, col. 117-120.

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

alors le signe d'une union collective dans le corps du Christ et l'expression de l'amour la charité chrétienne qu'éprouve le fidèle à la fois pour ses frères et pour Dieu 182 . Les scènes d'accolade sont par conséquent doublement liées au chœur et plus spécialement à l'autel: d'abord parce que c'est là que les clercs officient et échangent le baiser de paix, juste avant la communion, et ensuite parce que ce baiser est chargé d'une signification eucharistique. Un passage de Matthieu précise au demeurant que l'on ne peut apporter son offrande à l'autel qu'après s'être réconcilié avec son frère (Mt 5, 23-24) 183 • Ce même passage est évoqué dans la Psychomachie, au moment où Prudence fait parler Concordia après sa victoire sur Discordia 184 • Le chapiteau d' Anzy-le-Duc qui implique uniquement des laïcs et qui oppose un antagonisme à un baiser de paix, a donc pu constituer, à l'entrée du chœur liturgique, une exhortation destinée à ceux qui s'approchaient de l'autel pour y communier.

Le baiser de paix dans la liturgie clunisienne La liturgie clunisienne, telle qu'elle fut codifiée par Odilon (994-1049), mentionne un usage à la fois original et éloquent du baiser de paix. Le Liber tramitis stipule en effet qu'à la fin d'une cérémonie célébrée durant le carême, l'officiant doit recevoir la paix, sortir du chœur pour faire la paix avec le premier laïc qu'il y rencontre, et retourner ensuite dans le chœur 185 . Ce geste hautement symbolique s'explique par les prières, les lectures et les chants qui 1'ont précédé et dont la thématique est des plus cohérentes. On y demande à Dieu de protéger son peuple contre tout type d'ennemi, on rappelle son intervention en faveur des trois jeunes Hébreux plongés dans la fournaise et l'on invite la communauté des fidèles à vivre en paix 186 . La référence récurrente aux ennemis du peuple de Dieu laisse supposer que la cérémonie visait principalement à stigmatiser la violence physique et en particulier les agressions perpétrées par certains laïcs. Il est également remarquable que, dans une telle situation, on rappelle à Dieu un paradigme biblique de délivrance: les trois Hébreux dans la fournaise. Le baiser de paix qui clôt la cérémonie semble donc traduire, par un geste symbolique, le désir de paix que nourrissaient les moines. L'acceptation de ce baiser par les

182

CARRE, le b», dan~ Leukon , 1. col. 622-626, et SCHILLER, lfonograph1e, III, p 99-104. 19

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

fig. 18. Laizy, chœur, chapiteau n° 19, le repas d'Emmaüs. 106

Chapitre III: Les autres thèmes

fig. 19. Gourdon, peinture du chœur, le repas d ' Emmaüs.

(l 9, fig. 18), ur le peinture de Gourdon (fig. 19), sur le tympan du portail septentrional de la nef de Vézelay et sur le coussinet droit du petit portail nord de Charlieu. Dans le deux prerruères occurrence~ , très semblables, les trois protagonistes sont représentés de face, a 1s de ant une table. À Chalon-sur-Saône, le Christ a déposé derrière lui ce qm emble être un bâton de pèlenn, constitué de deux éléments attachés par des liens. De la main gauche, il tient un pam qu ' il bénit de l'autre main. Le disciple situé à droite le désigne de l' mdex, indiquant amsi qu ' il a reconnu le Christ 196 . À Laizy, le Seigneur bnse encore le pain, tandis que ses disciples lui saisissent les poignets. À Gourdon, la scène qw s'inscnt dans une arcade aveugle du chœur montre Jésus distribuant le pain aux disciples qui s'inclinent vers lui et tendent les mains dans sa direction197. À Vézelay, le cadre est comparable à celui de Gourdon, mais ici l'arcade où appa-

196

Ce chapiteau est à peine mentionné par DICKSON, Diocèse de Chalon, p. 112; et A. SALIS, Cathédrale Saint-Vincent de Chalon-sur-Saône, Chalon-•mr-Saône, 1965, p. 40. Une inscnptton court au-dessus de la scène: «Apparaissant aux deux pèlenns après Pâques, le Seigneur assis entre eux leur donna le pain en les bémssant Il échappa à leurs regards», cf. C.l.F.M., 19, p. 76-77. 197 Une inscription désigne le seul d1sc1ple nommé par saint Luc: CLEOPAS, pour Cléophas (Le 24, 18). Le monogramme IHS apparaît au-dessus de la tête du Christ. Voir à ce sujet Michel DUFOUR et André PERNETTE, «Le décor peint de l' église de Gourdon (Saône-et-Loire)», Revue de la Physiophtle, 113, 1990, p. 41-57, et en part1cuher p. 50-51.

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Première partie: Les thèmes spécifiques aux chœurs liturgiques

fig. 20. Autun, chœur, chapitea u n° 2, les pèlerins d'Emma üs.

raissent les trois figures assises désigne l'auberge et, comme à Laizy, le Christ est représenté au moment où il brise le pain 198. La composition de Charlieu, enfin, montre simplement les trois convives assis sur un fond d'architecture et les deux disciples tendant une main vers le Christ 199• Quant au voyage à Emmaüs , il figure au portail de Vézelay où la scène du repas est complété e par deux tableaux qui montren t, à gauche, la rencontr e sur le chemin d'Emma üs et, à droite, les deux disciples continua nt leur route après la dispariti on du Christ. On rencontre égaleme nt le voyage sur deux chapitea ux dont le style et l'iconographie sont très proches: le premier se trouve dans le chœur d' Autun (2, fig. 20), le second, qui ornait autrefois l'église de Moutiers-Saint-Jean (4), est actuellem ent conservé au Fogg Art Museum à Cambrid ge (Massac husetts). Sur ces deux chapiteaux, la scène est beaucou p plus complex e qu ' à Vézelay et comport e des personnages que ne mentionn e pas le récit200 . Bien que certains aspects de ces deux chapi198

SALET, Vézelay, p. 180-181 ; et Cluny, p. 108- 109. ZINK, Charlieu, p. 101 -103; et Moissac, p. 165. 200 À Autun, on voit de gauche à droite: un ange dont la tête est moderne, le Chnst portant une besace et un bâton identique à celm de Chalon-sur-Saône, deux figures nunbées et un petit personnage qui ouvre la porte d' un édifice qui occupe toute la face latérale droite. Cet édifice s'ouvre sur l 'exténeur par des arcades superposées sur deux mveaux et 11 est surmonté d' un toit en tuiles. De là surgit, sur la face pnncipale , la tête (restaurée) d' un autre personnage de petite dimens10n . Le chapiteau de Moutiers- Samt-Jean ne présente que des différence s mm1mes par rapport à celui d' Autun: la tête de l' ange - authentique - est mmbée, les deux d1sc1ples portent un bâton, le personnag e qui 199

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Chapitre III: Les autres thèmes

teaux posent encore quelques problèmes d'interprétation, il ne fait guère de doutes que leur sujet soit effectivement la rencontre sur le chemin d'Emmaüs 201 •

La syntaxe Dans cette série, la distribution est particulièrement cohérente. La destination du chapiteau de Moutiers-Saint-Jean est inconnue, mais les quatre autres occurrences qui se situent dans un espace intérieur ont été disposées dans un chœur architectural. À Chalon-sur-Saône, Laizy et Gourdon, les convives sont tournés vers ! 'intérieur du chœur. À Autun, le chapiteau est situé sous l'arc de la dernière grande arcade septentrionale et établit de ce fait la transition entre le bas-côté gauche et la partie centrale du chœur. Il me paraît significatif que les scènes statiques se trouvent entièrement dans le chœur alors que celle qui montre les trois protagonistes en mouvement figure sur un support qui marque le passage entre deux espaces. D'autant plus que les trois compagnons de route qui se préparent à entrer dans l'auberge viennent du bascôté et se dirigent vers le chœur. Le chapiteau d'Emmaüs s'inscrit par ailleurs dans la continuité d'un cycle de l'Enfance composé de quatre chapiteaux. Il semble donc que l'on a interrompu délibérément cette succession d'épisodes contemporains dans le but d'introduire une scène située à l'autre extrémité de la vie du Christ, mais qui présentait l'avantage de souligner à la fois le passage du bas-côté au vaisseau central du chœur architectural et la fonction liturgique de cet espace. Un chapiteau du rondpoint de Saint-Austremoine d'Issoire occupe une position intermédiaire entre celui d' Autun et les deux autres chapiteaux de la série: ici, c'est le voyage et non le repas qui a été tourné vers l 'autel 202 • Bien qu'elle se situe également dans le chœur, l'occurrence de Gourdon est plus difficile à comprendre dans la mesure où le programme y est incomplet. La paroi septentrionale a conservé une Annonciation et une Nativité, mais le mur opposé sur lequel figure le Repas d'Emmaüs a perdu la scène qui décorait la deuxième travée. On se limitera donc à constater que, comme dans l'ensemble composé par les trois portails de la nef de Vézelay, une image théophanique une majesté du Christ à Gourdon et la Pentecôte à Vézelay est flanquée de scènes liées à l'Incarnation d'un côté et aux derniers instants de la vie terrestre du Christ dont le Repas d'Emmaüs - de l'autre. Cette observation est extrêmement précieuse puisqu'elle montre une fois de plus que le programme d'une façade peut correspondre à celui de l'espace liturgique. Sur le portail de Vézelay, la scène se déroule de surcroît dans un cadre qui n'est pas sans rappeler l'abside d'une église et son autel de pierre. À Charlieu enfin, le thème s'ins-

ouvre la porte est absent et ce lut qm y figure tend une corne devant lm. De plus, 1'ed1fice de la face latérale droite possède trots mveaux: au premier, deux têtes humames se tournent vers le haut, au centre figure une porte fermée et, en haut, un homme et une femme apparaissent entre deux arcades, peut-être des fenêtres. 201 Pour ZARNECKI et GRIVOT, Autun, p. 57-58, 11 s'agit de la rencontre des pelenns d'Emmau'> avec le Christ et le petit personnage qui, à Autun, tient la porte serait l'aubergiste Cette opm1on a été su1v1e notamment par SETLAK-GARRISON, Autun, p. 97-98, et STRATFORD, Moutten-SaintJean, p. 166-167. L'mterprétation s'oppose à celle de Victor TERRET, 4utun, II, p 42, qm y a vu la représentation de deux miracles du Chnst: la guénson de l'aveugle de Jencho (Le 18, 35-43) et la rencontre avec Zachée (Le 19, 1-10). 202 SWIECHOWSKI, Auvergne, p. 75.

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Pu!mtet e partu.: Les themcs spéufique' aux chœur'i liturgiques

cnt dam. un programme ambitieux qm comprend deux préfigurations du sacrifice cuchan\ttque: un ~acnfice antique, sans doute vétérotestamentaire, et les Noces de Cana 2c pour la lecture rclatl\ e à cet ep1sode ms1ste plutôt sur l'hosp1tahté comme devoir du chrétien GREGOIRE LE GRAND, XL homilwrnm m evangelia, II, 23, PL 76, 1181 B-1183 C. :un L ·a-,pcct fortifie de l"auberge de Vézelay, et dans une momdre mesure de celles d'Autun et \1out1cr-.-Samt-Jean. pourrait également 'expliquer par le fait que, dans la Vulgate, Emmaüs est quahfü: de ul\tellum "()-. "' - fTlf,!\E DE B.\GE, Twuatu\ de wcramento a/tans. P.L 172, 1273-1308. èo.i 20 '

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Chapitre Ill Le\ autrn rheme'

Le thème du Repas d'Emmaüs a également occupé une place con-,1derable dan-, les débats relatifs à la question de la présence réelle. On le rencontre notamment dan5 le"i œuvres de Geoffroy de Vendôme et de Guitmond d' Aver-,a. Hélcne Toubert en a déduit que, dans les milieux favorables à cette idée de la présence rcelle, et en particulier sur les peintures de la salle capitulaire de la Trmité de Vendôme et sur un de-,sin conservé dans le trésor de la cathédrale d'Auxerre, la transposition du ge"ite de l'élévation au Repas d'Emmaüs a été conçue comme une réponse visuelle aux doutes formulés par Bérenger de Tours sur cette question 208 . À Gourdon, le Chnst effectue le même geste que dans ces deux représentations. Il me paraît cependant délicat d'interpréter cette scène dans la même perspective, dans la mesure où elle s'm5cnt dan-, un milieu intellectuel différent 209 . Abstraction faite de cette question de la présence réelle et de son applicab1lite aux œuvres bourguignonnes, on conservera à l'esprit que ces dernières ont reçu une de-,tination adaptée à la signification du thème. Les occurrences de Vézelay et de Charlieu s'intègrent dans les programmes complexes des portails auxquels elles appartiennent la première se fond dans un cycle christologique et la seconde vient compléter deux préfigurations du sacrifice eucharistique. Les cinq autres occurrences concernent des œuvres situées à l'intérieur de l'église. La corrélation entre le thème et son emplacement est évidente pour les quatre œuvres dont la destination est connue, pmsqu' elles se trouvent toutes dans un chœur architectural. Elle rappelle ainsi que le Repas d'Emmaüs réitère l'épisode de la Cène et renvoie au sacrement de l'euchanstle dont cet espace est le théâtre. Il existe enfin une concordance des plus révélatnces entre la disposition de ces quatre images et leur caractère statique ou dynamique.

7. LA LIBÉRATION DE SAINT PIERRE Description En Bourgogne, la libération de saint Pierre a été représentée sur deux chapiteaux Le premier se situe dans la nef de Vézelay. et plus précisément Stud1e~ in 4 t t and L llu atw t fi11 Belh da Cfl\ta (j1 pmtuel». dan-. D). 2. col 1136 et 1140 20 Voir par exemple Yves M -J C Of'.IGAR, «ÜHta\ Dei et lu les ra (,hez -.aint Augustin». Rerne de\ etudes augu\f1n1ennes, 3, 1957, p 1-14 12

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/ Jeuul me pw lle I cgf1w mc1wu'e

est menec contre ce-, ennemi.;, de l'Eglise est-elle également considérée comme un combat spmtuel les cr01-,ades en sont les exemples les plus connus. Les soldats chrétiens qui sont partis pour la Terre Samtc ont cté appcles à mener une guerre juste, qm porte en elle la grâce du martyre, et qui sera pour eux une source de salut21 . Les guerriers et, except1onnellement, les ':iimple-; laïcs, a\ aient toutefois mille autres occasions de defendre l'Eglise ou ':les biens. Les agress10ns contre les institutions religieuses étaient extrêmemen t frequentes, cc qm s'explique d'autant plus facilement que des mona-,teres, comme Tournus et Cluny, ou des sièges épiscopaux, comme celui de Macon, a\ aient ete amenés à prendre la responsabilit é de seigneunes distinctes 22 . Tou1ours dans le contexte bourgmgnon , deux exemples montreront que, comme partout ailleurs. la v10lence de,,a1t être l 'obJet d'une préoccupatio n majeure. Cluny, pour commencer, a œuvré durant deux siècles dans le but d'assurer la protection de 'le'> h1em et de '>es momes 21 . Elle a par ailleurs été fortement secouée par une grave cn'le mteme que l'on a convenu d'appeler l'affaire Pons. Cet abbé, élu en 1109, est depose en 1122 par une partie des momes qm lm reprochent une mauvaise gestion. \pres le bref abbat1at d'Hugues Il, les mornes choisissent à leur tête Pierre le \'enerable Un parti fa\'Orable à Pons se forme alors, s'oppose au nouvel abbé, et mult1p1Ie les mtrus1ons v 1olentes à Cluny. La cnse s'apaise en 1126, mais elle connaîtra de'> prolongemen ts Jusqu'en 1131-1132 24 . L'abbaye de Vézelay a connu une crise beaucoup plus longue et \ 10lente durant toute la première moitié du XIIe siècle. Elle a commence en 1106, avec l' assassmat de l'abbé Artaud par les habitants de Vézelay qui s'etaient révoltés en raison d'une augmentatio n de l'impôt qu'exigeait d'eux l'abbaye Elle "'est poursmvie ensmte par un conflit, dont il serait trop long de rappeler les nombreux épisodes, qui a opposé les moines à l'évêque d'Autun, au comte de ~evcr">, et plus tard à la commune de Vézelay. Les habitants de Vézelay sont allés 1usqu'a v10ler le «temple samt», dit le chromqueur, placer des garnisons dans ses tours, temr les morne'> enfermés, piller leurs terres, leurs fermes, etc. 25 Contre la v10lence physique, l'Église dispose de nombreux moyens de défense qu'il convient d'evoquer rapidement. Pour commencer, il y a les armes spirituelles qui peuvent être ut1h">ées pre\ent1vem ent ou après que l'acte répréhensibl e a été commis. En effet, avant qu'une possess10n ou un privilège ne soit attaqué, on les protège en mserant, dans le"> documents écrits les attestant, des formules de malédiction: elles menacent l'cventuel agresseur de pemes symboliques , l'ira Dei, et parfois de l'intervention d'une autonté JUndique constituée 26 . En cas de menace ou d'agression, les ·' (!UIBERT DE NOGE~T. Dei ge\tapet Franws, I, 1, et II, 4, CCCM 127A, p. 87 et 113, trad Mon1que-lcu le GARAND, (,e\te de Dieu par le\ Franu Hnto1re de la prem1ere cronade, Turnhout 1998 p 'i 1 et 79-80 \! 01r egalement Jean FLO RI, L'essor de la chevalerie XIe-XIIe 'it~clcs Gene\ e. 1986. p 201 '.-Philippe CONTAMINE . La guene au Mm·tn Age, le ed, Pan'>, 1992, p 123-127 - \ 01r Barbai a H ROSE NW FIN, !Vegottattng Space Poi.ter Restramt, and Pnvtleges of lmmu111t1 111 fwh .\fultna/ Lurope, lthaca (~ew York), 1999, p 156-183 :.i PA( A Ul L ou/11: dt C/11m, p 194-204 > Cl111111il111( ck I ahhaH de i·e:::elai, IL CCCM 42 p 418 On trome dam cet ouvrage, outre 1 cdit1on de la d11oni4ue. la re1mpre.,,'i1on de l'etude h1'>tonque d'A.1mc-Alexan dre CHFRFST, i·ezelu-y F 11 1,dc hi., 1111 Il/lit IS61 et l 86h 1 'ep1sodc dont il C!>t que.-.,t1on 1c1 e5t evoque a la page 81 -' I.e:-. ter k.. LITT L [ «La morphologie des maledKtlün'> mona'>t1que'>», 4nna/es t S C , 14, 1979, r 4 ~-60 et en pdrticulier p 47-49

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Chapitre IV: Le concept de combat spirituel

moines pouvaient lancer contre leurs ennemis des formules de malédiction ou, ce qui est plus grave, des formules d'excommunication ou d'anathème 27 . L'excommunication est considérée comme une arme qui remplace celles dont les hommes que France, Ithaca et Londres, 1993, p. 30-44. 28 Chronique del 'abbaye de Vézelay, Il, 945-947; CCCM 42, p. 438-439: Data ergo 5ententw [cardinales] malefactores lilas atque sacron1m vwlatores 5wque prodztore.5 a corpore Chnstz, quod e5t ecclesia catholica, anathematzs gladw prec1derunt. Votr aussi CHÉREST, Vézelay ... (op. c1t ), p 83 29 PACAUT, l'ordre de Cluny, p. 123; LITTLE, «La morpholog1e des maléd1ct1ons. »(op clt ), p. 53-58; et Benedzctme Maled1ct1ons ... (op. c1t.), p. 20-29; Glauco Mana CANTARELLA, I monau di Cluny, Tunn, 1993, p. 136; et D1d1er MÉHU, Paix et communautés autour de/ 'abbaye de Cluny (Xe-XVe szècle), Lyon, 2001, p. 247-251. Ce nte est décnt dans le Liber tramltls 174, CCMon. X, p. 244-247. Cet ouvrage décrit aussi un autre nte destmé à se défendre contre les persécuteurs. On y lit notamment les anathèmes et les maléd1ct1ons de l'Ancien et du Nouveau Testament, et on chante cmq psaumes dans lesquels est mvoquée l'mterventton d1vme, cf. ibid. 175, éd 1b1d., p 247-248 Une autre version du nte de la clameur figure dans le coutumier de BERNARD, Rttu.5 et wnsuetudines clumacenses, I, 40; éd. HERRGOTT, p. 230-231. 3 CONTAMINE, la guerre au Moyen Âge (op. c1t.), p. 434-435 31 PACAUT, l'ordre de ClunJ', p 129.

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Deuxième partie: /'église menacée

Mais, comme ces tentatives d'imposer la trêve et la paix de Dieu se sont généralement soldées par un échec, les institutions religieuses ont dû compter principalement sur la protection des protectores et des advocati 32 . C'est dans cette perspective qu'Odilon, avant même d'œuvrer en faveur de la trêve de Dieu, s'était déjà employé à faire entrer des seigneurs dans sa vassalité afin, notamment, qu'ils lui fournissent une aide militaire. Il a également cherché à imprégner leurs mœurs de rudiments d'ascétisme monastique, en leur proposant le mariage chaste et la piété conjugale 33 . Maieul, le prédécesseur d'Odilon, avait déjà suscité 1'intervention armée de laïcs au moment de son enlèvement par les Sarrasins venus de la Garde-Freinet (972) 34 . L'abbaye de Vézelay a également eu recours à la force militaire de laïcs. Au paroxysme de la querelle qui l'a opposé à la commune de Vézelay, l'abbé Pons de Montboissier a levé une armée d'étrangers pour s'emparer des hommes qui s'étaient rendus coupables d'avoir construit illégalement un pressoir. Il s'est ainsi donné les moyens d'exercer son droit de justice, infligeant aux coupables la captivité et des châtiments corporels. Plus tard, il fera appel à une foule de campagnards pour imposer son autorité dans la ville de Vézelay 35 . Il est également arrivé que des moines prennent directement part à la guerre ou à d'autres actes de violence. Raoul Glaber rapporte par exemple qu'en Espagne, à cause du manque de soldats, certains moines ont été contraints de prendre les armes pour défendre leurs frères 36 . Cet exemple demeure toutefois isolé. En règle générale, les hommes cheveux longs, cf. Carl Arnold WILLEMSEN , L 'emgma d1 Otranto, Lecce, 1980, fig. LI; et Mana Teresa LEZZl , La mosaïque de pavement de la cathédrale d'Otrante. Étude 1conograph1que, Thèse de doctorat, Uni versité de Po1t1ers, 1999, p. 3 19-320. 8 THOUMIEU, D1ctwnna1 re, p. 345, pl. 9 et 10. Samson porte les cheveux longs, tandis que David a la tête couverte d ' une pièce de tissu.

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Deuxième partie: l 'église menacée

fig. 3 7. Vézelay, chapiteau ychomachza, 284-304, et 386-387; éd. LA VARENNE, p. 60-61 et 64. 26 Ce texte sera exammé plus longuement dans le chapitre smvant. 27 ODON, De vlfa sanct1 Gera/di Aurihacens15 comttt5 hbn quatuor(B.H.L. 3411), I, 8; P.L. 133, 646 C-D, et 647 B: lg1tur ad insolentzam vwlentorum repnmendam se jam exercebat [... ] Cum vero rnexpleb1hs mahtza quorumdam pac1jicum hominem 1rnderet, ;am tune cord1s acnmoniam exerens, conterebat ma/as lnlqui, ut de dent1hus eorum. ;uxta 11/ud lob, auferret praedam Et plus lom: Nonnulh namque Patrum cum et sanct1551m1 et pat1ent1ss1m1 fuennt ;ustlfzae tamen causa eügente vmliter rn adversarus arma cornpiebant· ut Abraham. qui pro eruendo nepote rngentem hostium multlfudlnem Judit. Et rex David. qw etzam contra filwm legwnes d1rex1t. 28 SYRUS, Vita sanct1 Mawh, II, 11; éd. IOGNA-PRA T, p. 227. Verum nos eas [virtutes] ln eo laudare debemus quas tata novlf /tafia, non 1gnorat Germama, ln qwbus tata exsultat Ga/lia, restauratwnem scilzcet cenobwrum, pacem ecc/e511s redd1tam, regum et pnnc1pum concordzam, lntemeratam regule observantwm, lucrum animarum quas. ut quondam David manu fort1s, a sev1ss1m1s ursorum brach11s abstrax1t et a cruent1s leonum faucibus enpu1t easque domino 1ta rest1twt ut cum iusto vira d1cere po5set: Conterebam molas miqm et de denhbus Iihus auferebam predam (Jb 29, 17). Totiens emm ex 1mqu1, hoc est dzabolz, dent1bus predam tulzt, quotiens ex errons morsu ammam predicando dtripuit [... ] Perpluribus quoque veneno serpentis tumid1s per ant1dotum subvemt .we exhortatioms.

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Deuxième partie: l'église menacée

ment, la prédication et les exhortations. L'exemple de David, contrairement à celui des anges, ne semble toutefois pas s'appliquer à ceux qui luttent pour leur propre salut, mais plutôt à ceux qui cherchent le salut d'autrui 29 • Enfin, la figure de David et ses exploits ont été mis en relation avec des personnages ou des conflits contemporains. Charlemagne s'était déjà identifié au roi d'Israël. Odilon a prolongé cette assimilation en comparant un autre empereur - Otton Ier à David. L'abbé de Cluny a également écrit à son sujet que, comme Salomon, il était un ami de la paix et, comme Job, il apaisait le rhinocéros. De plus, quand il faisait la guerre, c'est le diable qu'il repoussait30 . L'exploit des soldats qui, en 1087, sont allés combattre les musulmans de Tunisie a aussi été rapproché des victoires de David 31 .

Un paradigme biblique de délivrance? Le personnage de David est également un paradigme biblique de délivrance. C'est à ce titre qu'il figure dans les listes utilisées dans les prières destinées aux défunts, dans les formules d'exorcisme ou encore dans l'hagiographie. On rencontre en effet dans ces textes, des énumérations plus ou moins longues de noms et d'épisodes empruntés aux deux Testaments. Tous ceux qui sont cités ont été sauvés par une intervention divme et sont invoqués dans le but d'obtenir le salut d'un défunt, celui d'un saint ou encore la guérison d'un possédé. Plusieurs de ces paradigmes sont des images de victoire sur Satan: Moïse triomphant de pharaon ou d' Amalech, ou encore tuant 1' Égyptien, etc. Il était donc naturel de les invoquer aussi dans les Passions de saints puisque le martyre était considéré comme la bataille suprême contre l'ennemi spirituel. Les paradigmes bibliques du salut étaient donc invoqués pour tout type de lutte contre le diable, qu'elle s'effectue avant ou après la mort 32 . David est présent dans plusieurs de ces listes, principalement à cause de sa victoire sur Goliath. On J'évoque notamment dans la Commendatio animae, une prière desti-

29

Dans son bestiaire, Pierre Damien affinne que c'est Dieu lut-même qui defend ses brebis. Il explique aux mornes du Mont-Cassm qu'ils ont eté cho1s1s par Dieu pour lut rendre grâce et que, pour ce fatre, 11 les a soustraits à la violence de ce monde Un pasteur, ecnt-Jl, n'hes1terait pas, en effet, à arracher ne serait-ce qu'un membre d'une de ses brebis aux bêtes sauvages qui cherchent à la dévorer. De la même manière, quand le Chnst a ch01s1 les moines qm entreraient à son service, 11 les a arrachés de la gueule du bngand ass01ffe de sang. Pierre Damœn ne cite toutefois pas l'explo1t de David, mais un passage du prophète Amos (Am 3, 12), cf. PIERRE DAMIEN, Ep1stola 86; éd. REINDEL, p. 461. 30 ODILON, Ep1taph1um Ottonis magm 1mperatons, v. 2-3, et 13-19; PL. 142, 967 B-C-968 B-C: Forll.\ in 1mpeno, Dai·1d ut tempore pn\co / Clarus ut 1pse sophus Salomon et pacis am1cus / [ .. ] Tumidum studwse rinocerotem 1 Et mitem redd1t, qw plunma regna subeglf, / Sarmatas edomulf. Chnsto serv1re coeg1t / Pellere demomum. cruc1s inszgnere tnumphum / Ungros debellans, v1tnua signa reportans, 1 Enpwt fide1 ~acrae vocztamme d1gnos, / Jnnumeros populos, d1ro d1scremme pressos La comparaison entre l'empereur et David a été évoquée par IOGNA-PRAT, Agm immaculat1, p 367. Pierre le Vénérable a comparé les v1ctoues des croises à celles de l'Ancien Testament, et en particulier à celles de Moïse et de Josué. Il n'a cependant pas fait directement référence à David, cf. PIERRE LE VÉNÉRABLE, Ep1stola 130; éd. CONSTABLE, p. 327. 31 TOUBERT, Un art dmgé, p. 178. 2 ' NTEDIKA, L'évocation de /'Au-delà, p. 72-77.

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Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spirituel

née au salut des morts33 . Parfois, on y rappelle la victoire de David sur Saül3 4 . Invoquer les exploits de David permet donc de lutter efficacement contre le diable et de sauver tant les vivants que les morts. Il n'est en revanche pas question du combat contre le lion. Cette victoire et celle qu'il a remportée contre Goliath sont toutefois sémantiquement très semblables 35 . Dans le récit biblique, la première annonce la deuxième et dans la pratique liturgique, les deux épisodes faisaient l'objet d'une lecture commune36. En outre, dans plusieurs commentaires, les deux combats sont abordés conjointement et ont reçu la même interprétation 37 . Rien ne certifie pourtant que la lutte contre le lion ait été conçue comme un paradigme de délivrance.

2. Samson À l'instar du combat de David, celui de Samson a été interprété comme un prototype de la victoire du Christ sur le diable et sur la mort, et plus particulièrement de celle qu'il a remportée lors de la Descente aux Enfers; il est aussi une image du combat spirituel livré par le chrétien 38 . Les victoires obtenues par Samson sur les Philistins

11

Dans la Commendatw ammae, on rappelle que David a été libéré de la mam du rot Saül et de celle de Goliath, cf. LE BLANT, Le' ha\-rehef.,, p. 241. Dans la Pass10n de Julienne, le Mzssale Gall1wnum Vetu\ et dans le sacramentatre de V1ch (XIe siècle), on évoque la v1ctotre de David contre Goliath, cf NTEDIKA, L 'éi ocatwn de /'A 11-delà, p 77 et 79, tableaux A et B. Il en va de même dans le sacramentatre de Ge li one (VIIIe), le sacramentatre de Rhemau (VIIIe), le sacramentaire de R1poll (XIe), dans le pontifical romam du XIIe siècle, et dans onze autres manuscnts anténeurs au XIIIe siècle. cf SICARD, La liturgie de la mort, p 367. 14 Sacramentatre de Rhemau et sacramentaire de V1ch, cf NTEDIKA. L 'évocatzon de/ 'Au-delà, p. 79, tableau B. 15 Goliath est soment une image du diable vamcu par le Chnst. Votr par exemple ISIDORE, Quae.1,t zn Vet Te.1,t ln Regum pnmum, X, 1, P.L. 83, 399 C-D; et RUPERT DE DEUTZ, De wncta Trznztate et openhw elll.\ ln hhros Regum, Il, 5; CCCM 22, p. 1243 et 1245 (cf. 1S17, 40, et 18, 7b) C'est aussi une image de l'orgue1l des hérétiques, cf. GREGOIRE LE GRAND, Moralza zn lob, XVIII, 26; CCSL 143A, p. 901. Pour AUGUSTIN, Enarr zn ps, CXLIII, 1; CCSL 40, p. 2072, Goliath est une image à la fois de !'orgueil et du diable. Pour PIERRE DAMIEN, Sermones, 74. Fratnbus eremi de .1,pmtah certamzne, 4, CCCM 57, p 445-446, Goliath est une figure des vices. V01r également RÉAU, lconograph1e, p. 254-255, J. DANIÉLOU, article «David»; dans Reallexikon fiir Antzke und Chnstentum, III, col. 599; et R. L. WYSS, article «David»; dans Lo.1kon, 1, col. 487. 36 À Cluny, on hsa1t 1 Sm 17, 1-51 le tro1t1v1tatlbu~· sanct1 patm Bened1ct1 (B.H.L. 1106): P.L. 139, 868 C, a comparé samt Benoît, qu'il qualifie de mzle\ Chnstt, à plusieurs personnages vétérotestamentaires dont Samson, en raison de ses combats contre les Philtstms. Voir également RÉAU, lconograph1e, II, l, p. 240; et W.A BULST, article «Samson», dans Lex1kon, 4, col. 30-32. 39 La v1cto1re de Samson sur les Ph1hstms est évoquée dans le MISsale Ga/11canum Vetu, cf. NTEDIKA, L 'évocatwn de/ 'Au-de/a, p. 77 40 Il faut toutefois envisager un lien sémantique entre le combat de David ou Samson et le sacnfice d'Abel qm occupe la face pnncipale Tous trois sont en effet des figures du Chnst et les deux scènes font référence à la Pass10n: la première met toutefois l'accent sur la victoire du Chnst, alors que la deuxième renvoie davantage à son sacnfice. Pour le sens euchansttque du sacnfice d'Abel, voir notamment Rudolf SUNTRUP, «Prafigurationen des Mef3opfers m Text und B1ld», Frühmltte/alterbche Studien, 18, 1984, p. 468-528, et en part1cuher p. 470-474. BRAUDE, «Cokkel in oure Clene Corn .. » (op. cit.), p. 20-21, a plutôt mis l'accent sur le rôle de Caïn comme image deSJutfs, et peut-être de l'hérésie. Quant au combat de Samson(?), il serait rattaché sémant1quement à la scène centrale et évoquerait la victoire du Chnst ou de l'Église sur le diable, et donc sur l'hérésie.

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Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spirituel

Une figure typologique du Christ et de sa Résurrection Il est vraisemblable que les combats de David et Samson aient rappelé la victoire que le Christ a remportée sur le diable et sur la mort lors de la Résurrection 41 . Dans le psautier Tiberius, on a clairement montré ces rapports typologiques en réunissant dans l'illustration du manuscrit deux combats de David (contre le lion et contre Goliath), la troisième Tentation du Christ, la Crucifixion, l' Anastasis, le combat de saint Michel et le Christ écrasant les animaux du psaume 90, 13 (le Christus Victor) 42 . En Bourgogne, le seul thème associé qui puisse être interprété dans ce sens est la Tentation du Christ. On verra cependant que ce combat livré par le Christ est également, et peut-être principalement, un paradigme du combat spirituel. Un paradigme du combat spirituel Que les représentations du combat de David et Samson aient été considérées comme des modèles du combat spintuel ne fait pratiquement aucun doute. Sur l'ivoire du psautier de Mélisande (1131-1144 ), on a intercalé plusieurs scènes issues de la Psychomachie de Prudence entre des médaillons consacrés à des épisodes de la vie de David, parmi lesquels on peut citer son combat contre l'ours et le lion, et celui qu'il a livré contre Goliath 43 . Sur la crosse de Willelmus, on a également rapproché un cycle dédié à David et une représentation de vertus terrassant des vices44 . Ces deux associations montrent clairement que les combats de David, comme ceux des vertus, étaient d'ordre spirituel et que leur exemple devait servir à l'édification des soldats du Christ et en particulier des évêques. Cette association se retrouve également dans des compositions monumentales: sur un chapiteau du cloître de la cathédrale de Jaca45

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C'est l'opm10n formulée par FAVREAU, Le thème 1conograph1que du lion, sur la base des mscnptlons qm accompagnent certaines représentations des combats contre le hon. 42 Psautier T!benus, Londres, Bntish L1brary, ms. Cotton T!benus C.VI (vers 1050). L'excellente étude de Kathleen M. OPENSHA W, «The battle between Chnst and Satan m the T1benus psaltern, Journal of the Warburg and Courtauld fn:,t1tute:,, 52, 1989, p. 14-33, a montré la parfaite cohérence de ce programme 1conograph1que, ams1 que ses relations avec les fonctions attnbuées aux psaumes, en particulier en m1heu msulaire. Ces derniers étaient en effet ut1hsés pour chasser le péché, se défendre contre le diable ou encore dans les pratiques pémtent1elles. Ce type d'association se retrouve dans le psautier de Southampton (Cambndge, St John's College ms. C.9; vers l'an Mii): y ont été représentés les deux combats de David et la Cruc1fix1on, cf. OPENSHA W, «Weapons in the da!ly battle ... » (op. c1t), p. 19 43 Cet 1v01re est conservé au Bntish Museum, ms. Egerton 1139. Voir à ce sujet Adolph GOLDSCHMIDT et Kurt WEITZMANN, Die byzant1m:,chen Elfenbeinskulpturen des X-XIII Jahrhunderts li, Berlm, 1934, n° 224, p. 79-80, et pl. 73. Six scènes sont consacrées à la vie de David. Entre ces scènes apparaissent les sept paires de combattants de la Psychomach1e auxquelles s'ajoutent cmq autres vertus. Pour KATZENELLENBOGEN, Allegones of the v1rtues and vices, p. 9, le rapprochement avec la vie de David serait motivé par le fait que, dans le récit de Prudence, David est mentionné à deux repnses. Pour NORMAN, Metamorphoses of an Allegory, p. 147-159, certames scènes de psychomach1e ont été disposées de mamère à constituer une sorte de commentaire d'une ou deux scènes de la vie de David. 44 Mane-Madelerne GAUTHIER, Émaux du moyen âge occ1dental, Fribourg, 1972, catal. 113, p. 361-362. 45 Soma C. SIMON, «Un chapiteau du cloître de la cathédrale de Jaca représentant la Psychomach1e», Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 12, 1981, p. 151-157.

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Deu\leme parfle / 'ég/t1,e menacée

et a la porte du réfectolfe de Samt-Aubm d 'Angers46 À la cathédrale de T oumai47 et au portail nord de la façade d'Autun (53, 54 et 55), c'est le combat de David contre Goliath qui a été rapproché de scènes de psychomachie. Quant aux antagonismes de cette ~éne, Ils ont été associés à d'autres combats spirituels: un antagonisme angedemon à Anz\'-le-Duc ( 8 ), la lutte de Jacob contre l'ange à Vézelay (nef 29), et la Tentation du Christ à Autun (28) et Saint-Léger-sur-Vouzance (6). Dans toutes ce~ associations. les deux combats ~ont visibles simultanément et, dans les cas d' AnzyJe-Duc et de Vézelay, ils sont orientés de )a même manière. Il apparaît ainsi qu'en Bourgogne comme dans les autres exemples cités, le combat de David a bien revêtu la dimension paradigmatique que lui prêtent les textes. La fonctwn apotropafque L 'onentat10n des antagonistes suggère que les combats de David et Samson ont parfois remph une fonction apotropaïque. Dans le schéma iconographique adopté, David et Samson chevauchent le fauve dont ils écartent les mâchoires. A Anzy-leDuc et dans les deux occurrences de Vézelay, David ou Samson se situe en position mtérieure et le lion est repoussé vers l'extérieur. À Vézelay, le héros contraint le fauve à se tourner vers l'ouest, autrement dit vers la sortie; à Anzy-le-Duc, il le repousse vers le bas-côté. Il est probable dès lors que, dans ces deux églises, le choix de l 'orientation s'est effectué en connaissance de cause. À Anzy-le-Duc, l'hypothèse est corroborée par le fait que, dans la travée suivante, le chapiteau correspondant (8) montre l'ange qui a été évoqué dans le chapitre précédent, repoussant un diable dans le bascôté. Dans l'avant-nef de Vézelay, il a fallu inverser la composition qui avait été adoptée pour le chapiteau de la nef, afin d'orienter les antagonistes vers l'extérieur de l'édifice, ce qui tend également à montrer l'mtentionnalité d'un tel agencement. À Saint-Léger-sur-Vouzance, l'orientation est sans doute moins significative, puisque le chapiteau se situe dans l'abside et, qui plus est, pratiquement dans l'axe de l'édifice. À Autun en revanche, rien ne semble expliquer pourquoi Samson et son adversaire se dirigent vers le vaisseau central de la nef. On peut en tout cas observer. dès à présent, que les deux chapiteaux de cette église consacrés à la Tentation du Christ (3 et 18) et celui de la chute de Simon le Magicien (38) ont également reçu une orientation inadéquate. Des tendances très différentes émergent ainsi progressivement de ces différents programmes. Alors qu'à Autun, l'on n'a manifestement pas prêté

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A Anger, c'est toutefot Samson et un autre homme, non 1dent1fié, combattant un hon qm ont ete a::.soc1es a des scènes de psychomach1e V01r à ce su3et Pascale BRUDY, L '1conographte des '>l u!ptw e' de la porte du réfectoire de /'abbaye Sarnt-Aubtn d'Angers, Mémoire de maîtnse, um\crtte de Poitiers. 2000 NORMAN, Aletammpho~e' of an Allegory, p. 159, a pour sa part établi un lien entre la \ 1ctolfe de David sur Goltath qm figure a la porte du chapitre de Samt-Aubm, et le" autre" '>UJeb guerner:,, qm lm ont eté a:,,soc1és 4c A 1a porte Manttle de la cathedrale de Tournai. le cycle de David ne semble en effet paftmufo mtus aciem contemplatwms offodmnt, fons hom111em zn c1rcwtum labarum m1ttunt Quod s1 aliquando idem homo agendo pœmtenttam redeat, llli velut coma reducllur, 1d e~t. gratia reflore>. ÉtudeUJCt H LECLERCQ, article «Damel»; dans DACL, IV, 1, col 223, DFONNA. «Daniel »(op c1t ), p 122, GROSSET,'«L'ongme du thème roman de Daniel» (op c1t ), p 147, J DANlrLOL. art1c.le «Daniel».

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Deuxième partie: l'église menacée

L'exégèse et la polysémie du thème de Daniel Pour comprendre la fonction remplie par le thème à l'époque romane, il convient toutefois de questionner d'autres sources. L'exégèse a notamment fait de l'épisode de Daniel épargné par les lions un prototype du triomphe du Christ sur ses ennemis et de la Résurrection 74 . On a également comparé le prophète à Adam, car tous deux ont reçu la faculté d'exercer un certain pouvoir sur les animaux 75 . C'est aussi, comme dans les prières qui viennent d'être évoquées, une promesse de salut: celui qui sera jeté dans la fosse sera protégé par un ange et participera à la Résurrection 76 . C'est sans doute pour cette raison que la figure de Daniel a régulièrement servi d'emblème protecteur77 . Quant aux lions, ils sont souvent désignés comme des images du diable, de la mort et de l'enfer78 . Dans son commentaire, Jérôme considère, d'entrée de jeu, que Daniel doit son salut aux bonnes œuvres qu'il a accomplies avant l'épreuve. li enjoint ensuite tous ceux qui auront été arrachés à la gueule des lions invisibles et à la fosse de l'enfer de prononcer les paroles que Daniel a adressées au rot après sa libération (On 6, 22) 79 . Le modèle du salut obtenu par Daniel s'étend ainsi à l'ensemble des fidèles. Il faut encore mentionner que l'irruption d'Habacuc venu apporter du pain à son homologue, a été interprétée dans un sens eucharistique 80 , et que cette lecture semble avoir suscité au moins une transposition iconographique à l'époque paléochrétienne 81 . Il se dégage de ces considérations un point essentiel: comme dans la Commendatio ammae, la libération de Daniel est avant tout une image du salut de tous les chrétiens, mais elle apparaît aussi comme une figure typologique du Christ et de la Résurrection.

dans Real/e'nkvn /î"tr Ant1ke und Chmtentum, III. col. 583-584, NTEDIKA, l 'ewwtwn de l'Aude/à, p 72-73, et FA VREAU, le theme 1wnograpl11q11e du lion, p 450-451 74 Pour le~ commentaires de Dame!, "oir Mark A ZIER, «The med1eval Latm Interpretatton of Dam el. Antecedents to Andrew of St V1ctorn, Rec hen hfl de Theolog1e wu 1enne et med1évale, 58, 1991, p 43-78. Cet auteur n'aborde cependant pa respectivement à la punit10n des péchés de la langue (5) et aux agressions du Malm (9, fig. 125 ). ont été repoussés sur le côté. On aurait ainsi établi une hiérarchie entre le triomphe du Bien et la victoire ou la menace du Mal. Cette hypothèse e~t renforcée par la frontalité de la scène de Dame] dans laquelle le prophète semble a~~I'> ~ur un trône, pieds et poings liés. Le dé situé au milieu de l'abaque et décoré d'une fleur de lys constitue, en outre, une sorte de couronne posée sur sa tête. Le~ textes cités et le contexte iconographique montrent ainsi que le thème de Daniel dans la fosse aux lions n'est pas seulement une image du salut, mais aussi celle du combat hvré contre le diable dans le siècle comme dans l'au-delà. Daniel est pour commencer un maître des fauves, au même titre que David, Samson et cette figure anonyme de Gourdon auxquels il a été associé. À Autun, cette association a montré que des corrélations peuvent exister entre des chapiteaux situés de chaque côté du vaisseau central. À Anzy-le-Duc et Vézelay, ces figures ont été disposées en symétrie longitudinale de manière à pouvoir être vues ensemble. Daniel figure également à proximité de la Tentation du Christ (Autun et Saint-André-de-Bâgé) et du combat de l'ange contre un démon (Anzy-le-Duc). Il en résulte que, dans ces églises, Daniel a certainement dû apparaître à la fois comme une figure du salut et comme un paradigme du combat spirituel. Dans six églises, le thème entretient des rapports antithétiques avec des représentat10ns de damnés torturés et apparaît donc davantage comme une image du salut. Daniel ne cesse toutefois pas d'être un combattant, ou du moins un dompteur. C'est ce que suggèrent plus particulièrement les programmes d' Anzy-le-Duc et Saint-Andréde-Bâgé dans lesquels le thème de Daniel a été associé concurremment à des paradigmes du combat spintuel et à des représentations de péchés et/ou de peines infernales. À Samt-André-de-Bâgé et à Melay, la présence d'Habacuc à proximité de l'autel majeur ajoute vraisemblablement à ces deux significations principales une dimension euchanstique. Quelquefois, l'emplacement du thème de Daniel et des scènes de torture met en évidence leur opposition. autant que leur complémentarité. À Bussy-le-Grand, cette d1stnbut1011 établit un clivage entre le côté nord et le côté sud de la nef. À Neuillyen-Donjon, elle dépend visiblement de l'économie générale du programme du portail qui dé\eloppe également un clivage gauche-droite. À Saint-André-de-Bâgé enfin, les deux thématiques semblent s'orgamser autour d'un axe central occupé par Daniel.

3. JONAS ET LA BALEINE La tradition iconographique Dan-, l'art paléochrétien, le thème de Jonas fut, avec celui de Daniel et des trois 1eune-, Hebreux dan~ la foumabe, l'un des plus souvent représentés 104 . À l'époque rom.me en re\ afü.:he, 11 est devenu extrêmement rare, à l'mverse de celui de Damel dont l'e\traordma1re d1ffus1on a été é\oquée dans la ~ect10n précédente. En dehors de 194

Chapitre VI: Les autres paradigmes bihliques du combat spzntuel

la Bourgogne, les principales occurrences se trouvent sur un chapiteau de Mozac, une voussure du portail de Ripoll, une importante série d'ambons de Campanie et les mosaïques de pavement de Sant'Evasio à Casale de Monferrato et de la cathédrale d'Otrante 105 . Cette différence considérable entre la pérennité du thème de Daniel et celle du thème de Jonas découle peut-être du fait que le premier pouvait être réduit à une image emblématique et symétrique, facilement adaptable à l'espace de la corbeille, alors que le second imposait plutôt un découpage en deux ou trois séquences, comme dans les compositions des catacombes ou des sarcophages. La transposition de l'histoire de Jonas aux chapiteaux présentait donc aux sculpteurs des difficultés qu'ils ne rencontraient pas lorsqu'il s'agissait de représenter le thème de Daniel: ce dernier pouvait encore être traité sur des chapiteaux simplement figurés, comme ceux du groupe von Lücken - Anzy-le-Duc, Charlieu et Vézelay (nef 34) -, tandis que le thème de Jonas devait être conçu comme un chapiteau historié. On comprend dès lors plus facilement que les chapiteaux ne l'ont accueilli qu' exceptionnellement et, de surcroît, tardivement. Les ambons de Campanie constituent une exception notoire dans la diffusion du thème de Jonas à l'époque romane, mais contrairement aux chapiteaux, ces supports mettaient à la disposition des artistes deux surfaces triangulaires symétriques qui pouvaient recevoir d'un côté la scène de l'engloutissement et de l'autre celle de l'expulsion106. Il me semble par conséquent que les caractéristiques structurelles des supports expliquent, en partie du moins, le décalage entre la rareté du thème sur les chapiteaux et sa diffusion exceptionnelle sur les ambons de Campanie.

Description et analyse En Bourgogne, il semble que Jonas n'ait été représenté qu'à deux reprises, ce qui paraît d'autant plus étonnant que deux programmes - Vézelay et surtout Autun - ont réuni un grand nombre de paradigmes bibliques de délivrance. L'une de ces deux occurrences - celle de Gourdon - concerne de surcroît non pas un chapiteau mais un programme peint. Elle est cependant très précieuse dans la mesure où l'identification de Jonas y est attestée par une inscription. L'arc absidial montre en effet, à gauche, un grand poisson qualifié de baleine: CETE. La figure de Jonas sortant de la bouche de ce poisson ou y pénétrant a malheureusement été effacée. À droite, on devine le~ formes d'un personnage nu, couché au milieu d'une végétation abondante: il s'agit de Jonas se reposant sous le ricin que Dieu avait fait pousser durant la nuit, après avoir été recraché par le cétacé (Jon 3, 5-8) 107 , une scène qui, dans les cycle~ paléochrétien~, succède presque systématiquement à celle de l'expulsion. La scène de gauche mon-

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PRJGENT, L'art de!. prem1en lhrét1ens. p 159-178 105 J. PAUL, article «Jonas». dans Le:ulwn, 2, col. 414-421 Pour le pavement de '>ant'[ vaf emm luctan cum deo nrn v1rtut15 wsc1pere certamen et cum rnpenore longred1 potwrque cetens 1m1tatorem fierz dei J 142 AUGUSTIN, Sermones de Vetere Testamento, 5, 6; CCSL 41, p 57. 143 JÉRÔME, Hebrazwe quaestwnes m hbro Geneçeos, 32, 28-29; CCSL 72, p. 41 · Sz autem mecum, qui deu!> sum szve angelw (quonzam plenque vane 111terpretantur) pugnare potuzstz, quanta magzs cum homznzbu!>, hoc e!>t cum Esau, quem form1dare non debes 144 BRUNO DE SEGNI, Ex:posztw in Geneszm, XXXII; P.L. 164, 213 D: Merzto autem Jacob. postquam separatus est a Laban. ohvzam angeloç habuzt quonzam quz mundum relznquunt, max: zn Dez mzlztza computantur, et quz castrajugzunt saeculz. vzdere et habztare merentur castra Dei. Il faut toutefois préciser que cette mterprétat10n s'accorde assez mal avec ce qm smt. Bruno de Segm considère en effet que, quand 11 combat l'ange, Jacob est une image des JUlfs qm ont persécute le Chnst.

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Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spirituel

d'Auxerre. On la rencontre pour commencer dans deux commentaires du sixième chapitre de ]'Épître aux Éphésiens, le texte fondateur de la notion de combat spirituel. Pour Raban Maur, Jacob n'a pas lutté contre un adversaire de chair et de sang, mais bien contre les esprits du Mal (Ep 6, 12 ). De plus, lors de cet affrontement, le patriarche a reçu l'aide bienveillante de l'ange 145 . Raban Maur ajoute que le combat de David contre Goliath et tous ceux de l'Ancien Testament sont de même nature 146 . On retrouve la même idée chez Haymon d'Auxerre, dans un passage où il s'interroge sur la manière dont le chrétien peut lutter contre les démons alors que ce sont des esprits invisibles 147 . La réponse lui est fournie par l'exemple de Jacob car c'est avec des armes spirituelles - la prière, le jeûne, les veilles et les bonnes œuvres qu'il a triomphé de son adversaire et qu'il a mérité sa bénédiction. De même, le chrétien qui a vaincu le diable mérite d'être béni par le Seigneur 148 . Chez Remi d'Auxerre enfin, mais cette fois dans un commentaire qui porte sur le récit de la Genèse, Jacob n'a pas lutté corporellement comme on le fait dans les palestres, mais avec la ferveur des prières, à la manière des saints qui combattent les diables 149 . Il ne fait dès lors aucun doute que la lutte de Jacob contre l'ange est un paradigme biblique du combat spirituel. Cette lecture s'accorde pourtant mal avec 1' interprétation qui rattache cet épisode à la victoire éphémère que les juifs ont remportée sur le Christ. C'est pourquoi il faut chercher à déterminer laquelle des deux a prévalu sur les chapiteaux bourgmgnons.

La syntaxe Dans son interprétation du chapiteau d' Autun, Hélène Sylvie Setlak-Garrison a retenu principalement l'idée de vision de Dieu face-à-face. Elle a également rappelé que la lutte de Jacob fait partie des paradigmes bibliques du salut utilisés dans la liturgie funéraire 150. À partir de là, el1e a établi une corrélation entre ce chapiteau et le linteau du portail occidental, situé de l'autre côté de la paroi. Le face-à-face avec Dieu dont a joui le patriarche préfigure en effet celui qui attend les élus au Jugement dernier. De mon point de vue, cette hypothèse est des plus pertinentes et se trouve renforcée par l'allusion qui est faite, sur la face latérale droite du chapiteau, au songe de l'échelle

145

RABAN MAUR, Expos1tio m epl\tolam ad Ephes10s, VI; P.L. 112, 469 A: Talem collucationem et ad Jacob putamus fwsse, quod sclilcet non adversus carnem et .rnngumem contendent, quando remanslt solus. et luctabatur cum eo homo ad1uvans eum et roborans adversus almm, sudore mmio dlmicantem. 146 RABAN MAUR, zbid.; P.L. 112, 469 B. 147 HA YMON, Exposltlo in ep1stolas sanct1 Pau/1 ln ep1stolam ad Ephesws, VI, PL. 117, 733 A. 148 Ibid.; P.L. 117, 732 B-C: Nonne ommbus patet contra spmtum amm matenahbu.\ non pm!>e pugnare, quia spmtus sunt mv1s1bile!>? Quapropter neces!>e est ut arma spmtaha fàrmentur. i·1delzcet supra memorata, et decertemus eo modo quo leg1mus luctatum esse Jacob cum angelo, orando, 1ejunando, vigilando, caetens boms operibus m.H.Hendo, ut !>icut tl/e merwt ab angelo \ancto bened1c1. cum quo luctabatur orando, 1ta et nos, superato dwbolo, a Dommo bened1u mereamur. 149 REMI D'AUXERRE, Expos1tio !>uper Genes1m, 32, 23, CCCM 136, p. 163. Chez BRUNO DE SEGNI, ibid.; P.L. 164, 215 D, la victoire de Jacob est comparée à celle des samts (cf. He 2, 33). 150 On la rencontre en effet dans la Passion de samt Phthppe qui réumt non moms de qumze paradigmes, cf. NTEDIKA, L'évocation de/ 'Au-delà, p 75 et 77.

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Deur:tème partie / 'ég/i.se menacée

céleste. Dans la sculpture romane, le thème de la lutte est généralement associé à celui du songe: on peut citer à cet égard un chapiteau de Saint-Révérien, et les reliefs du cloître de Gérone et du portail occidental de Trani 151 • Il semble donc que dans ces exemples comme à Autun, on a voulu mettre l'accent sur cette idée de vision béatifique. Hélène Sylvie Setlak-Garrison n'écarte cependant pas la notion de combat spirituel puisqu'elle considère que le chapiteau de Jacob sert de point de départ à la thématique du combat livré pour le salut qui se développe dans la nef152 • Il me semble pour ma part que l'idée de combat spirituel est au moins aussi importante que celle de vision face-à-face 153 • Tout, sur la face principale du chapiteau, évoque cette idée: on se rappellera en effet que l'ange combat encore, alors qu'à Vézelay, il bénit son adversaire. De plus, Jacob a revêtu une cotte de mailles identique à celles que portent saint Eustache (52b), Goliath (54) et les combattants du chapiteau n° 55, qui se situent tous à la façade occidentale de la nef154 • Cet indice constitue, à mes yeux, un argument décisif en faveur de cette hypothèse. Il me paraît en revanche difficile d'établir un lien sémantique avec les chapiteaux les plus proches, dans la mesure où les trois chapiteaux conservés sur les piliers de la première travée sont exclusivement consacrés au diable et à la menace qu'il fait peser sur les hommes. Il existe donc un hiatus entre la lutte de Jacob et les autres combats spirituels de la nef. C'est pourquoi l'hypothèse d'une corrélation avec le portail occidental, avancée par Hélène Sylvie SetlakGarrison, me paraît particulièrement judicieuse. À Vézelay, les deux chapiteaux de Jacob s'intègrent davantage semble-t-il dans leur environnement iconographique immédiat. Pour commencer, tous deux ont été associés à des représentations de David et/ou Samson combattant le lion. Le fidèle qui entrait dans l'avant-nef par la porte nord pouvait voir successivement, sur sa droite, le combat de Jacob et celui de David ou Samson; et en remontant le bas-côté sud, il apercevait sur le cinquième pilier le chapiteau de David et, deux travées plus loin, après le second chapiteau de Daniel (nef 27), celui de Jacob. Les liens entre les deux thèmes sont donc quelque peu relâchés: dans l'avant-nef, ces derniers sont séparés par le mur de façade et, dans le bas-côté sud, par un pilier. Le dédoublement de cette association suggère cependant qu'elle n'est pas fortuite. C'est d'autant plus vraisemblable que, dans les commentaires de l'Épître aux Éphésiens mentionnés plus haut, Jacob et David étaient cités conjointement en tant que paradigmes du combat spirituel 155 . Ils ont également été réunis dans le cloître de Gérone où le cycle ~ 1 Pour le cloître de Gérone, voir Edouard JUNYENT, Catalogne romane, II, La-Pierre-qui-Vire, 1961, p 98, fig 14, et l'article d'Imma LORÉZ I OTZET; dans Catalunya Romémica, V, p. 1191

131, et en particulier p 125 Pour le portail de Tram, vou BELLI D'ELIA, Pouilles romanes, p. 289, fig 97 Le chapiteau de Samt-Révénen montre également la bénédiction d'Isaac, cf. DUPONT, Vnernms Bourbonnais romans, p 108. 1 2 ' SETLAK-GARRISON, Autun, p. 21-23. 1 1 ' Victor TERRET, Autun, Il, p. 1-2, a soutenu l'hypothèse selon laquelle l'idée de combat spintuel ~era1t dominante Dans cette optique et d'après les auteurs chrétiens, la fmte de Jacob serait une image de la persécution des chrétiens par Je démon (Ésaü), et le repos sur la pierre qm sera omte annoncerait les consolat1ons que les chrétiens persécutés recevront du ciel 1 4 " On notera egalement que sur les faces latérales du chapiteau de Jacob, ce dernier ne porte pa5 cette cotte de mailles 1 "" 11 faut toutefois conserver à I'espnt que, dans ces commentaires, c'est la victoire sur Gohath qut e-,t e\oquee, et non le combat contre le hon

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Chapitre VI: Les autres paradigmes hihhques du combat sp1ntuel

de David, qui commence avec la lutte contre le lion, succède directement à celui de Jacob1s6. Un autre indice montre qu'à Vézelay, les chapiteaux de Jacob et de David et/ou Samson ont été associés volontairement: sur les quatre chapiteaux concernés, le héros biblique repousse son adversaire vers l'extérieur. Ce qui a été observé pour les deux maîtres des lions se vérifie en effet pour Jacob. La position intérieure du patnarche valorise fortement ce dernier et fait de lui un champion du combat spirituel plutôt qu'une figure de la victoire éphémère des juifs sur le Christ au moment de la Passion. Il résulte paradoxalement de cette orientation des antagonistes que l'ange est rejeté à l'extérieur de l'église. Le récit biblique explique cependant que c'est l'ange qui s'efforce de s'enfuir avant le lever du jour et que Jacob ne cherche pas à l'anéantir mais au contraire à le retenir afin de recevoir sa bénédiction et de connaître son identité. De plus, dans les commentaires qui mettent l'accent sur la dimension paradigmatique du combat, et en particulier chez Raban Maur, Haymon et Remi, l'adversaire de Jacob n'est pas l'ange mais bien l'ennemi invisible. On peut dès lors considérer que l'orientation des deux scènes de Vézelay est significative. Compte tenu de cette orientation et de la double association qui a été effectuée entre la lutte de Jacob et les combats de David et/ou Samson, il y a tout lieu de penser que le thème de Jacob a été conçu principalement comme un paradigme biblique du combat spirituel. Il n'a en tout cas pas été associé à des thèmes qui évoqueraient l'idée de vision béatifique ou qui, à l'inverse, suggéreraient que le personnage de Jacob fait référence aux juifs qui ont crucifié le Christ. La double association de combats bibliques incite par ailleurs à interpréter la scène du chapiteau de l'avant-nef (a.n. 16) comme le combat de David et non celui de Samson. Enfin, dans la nef de Vézelay, la lutte de Jacob a été directement rapprochée d'un autre épisode de la vie de ce patriarche, à savoir sa bénédiction par son père Isaac. Ce chapiteau sera examiné dans la section suivante, consacrée aux autres scènes bibliques de Vézelay.

5. LES AUTRES SCÈNES BIBLIQUES DE VÉZELAY La nef de Vézelay comporte un grand nombre de scènes bibliques qm, pour la plupart, sont empreintes d'une part plus ou moins importante de violence, et qui ont été interprétées comme des affrontements entre le Bien et le Mal. Le champ sémantique de ces différents sujets ne saurait se réduire à cette seule dimension, mais c 'e':it ce point commun qui a motivé leur regroupement dans la présente section. Il faudra toutefois mentionner les autres significations qui leur ont été attnbuées, et en part1cuher celle qui en fait des paradigmes de délivrance. Seront également décnte"> le':i -;cène-, vétérotestamentaires qui ne peuvent pas être assimilées à des combats ':ipmtuels.

a. LES CHAPITEAUX DES PILIERS MÉRIDIONAUX Les chapiteaux qui surmontent les colonnes engagées du ba">-côté ">Ud et qui comptent parmi les plus anciens de la nef, ne comportent aucune -,cène qui pu1..,-,e être 1den-

~ 6 AIN AUD DE LASA RTE, Catalogne romane, p 154-155, et l'artKle d' lmma L OREL 1 OTZET, dan~ Catalun-ya Romaniw, V, p 119-131, et en part1rnher p 124-125 1

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Deuxième partie: l'église menacée

fig. 51. Vézelay, chapiteau «nef 22», Lamech tuant Caïn. tifiée avec certitude à partir d'une source biblique 157 . Seuls les fleuves du paradis (8) - qui ne constituent pas à proprement parler une scène - se rattachent à l'Ancien Testament. En revanche, six chapiteaux des piliers ont accueilli cinq sujets vétérotestamentaires dont trois ont été examinés dans les sections précédentes: David (24), Daniel (27 et 34) et Jacob (29). La mort de Caïn (nef 22) Le premier des deux autres sujets vétérotestamentaires (quatrième pilier, fig. 51) montre Lamech tuant involontairemen t son aïeul Caïn (Gn 4, 23-24) 158 . Les commentaires ont mis l'accent sur le péché de Lamech qui s'apparente à celui de Caïn, mais dont la gravité est accrue par le fait qu'à l'inverse de ce dernier, il n' ignorait pas les conséquences inhérentes au péché 159 . De plus, en tuant Caïn, il l' a empêché de

157

Les parois des bas-côtés ont en effet été élevées avant les piliers, cf ARMI, Masons and sculptors .. (op. c1t.), p. 177- 179, sq.; et SALET, Cluny, p. 88. 158 Pour l ' 1conograph1 e de ce chapiteau, voir SALET, Vézelay, p . 184; et DIEMER, Vézelay, p. 303-304. 159 Pour AMBROISE, De Cam et Abel, II, 9, 38; CSEL 32/ 1, p. 408-409, la faute de Lamech est plus grave que celle de ca·m , car t1 savait que le péché de ce dernier avait été pum. Pour BÈDE, ln Geneszm, IV, 24; CCSL l l 8A, p. 90, Lamech est une fi gure du genre humain qut est frappé par le péché ongmel et qui frappe à son tour par ses péchés quot1d1ens. C'est amsi que cette faute a écrasé les hommes jusqu' à l'amvée du Chnst. ISIDORE, Quaest in Vet Test. ln Geneszm, IV, 23; P.L. 83, 227 D-228 A, ms1ste sur le fait que le péché de Lamech sera pum beaucoup plus durement que celui

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Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spirituel

confesser sa faute et de racheter son fratricide par la pénitence 160 . Ainsi pour Raban Maur, l'homicide commis par Caïn a été vengé après sept générations, au moment du déluge, mais celui de Lamech n'a été absout que lorsque le Christ versa son sang, après soixante-dix-sept générations 161 . Lamech est également accusé d'avoir commis le péché de luxure en épousant deux femmes et en devenant ainsi le premier homme qui ait pratiqué la bigamie. Il est assez révélateur à ce sujet que dans un de ses sermons, Julien de Vézelay n'associe à Lamech que le péché d'adultère et attribue celui d'homicide à Caïn 162 . Le chapiteau de Vézelay, dont la composition a été reproduite dans ses grandes lignes sur une corbeille de l'avant-nef (a.n. 12), fait intervenir la victime, son meurtrier, mais aussi le jeune Tubalcaïn qui indique à Lamech la présence d'une proie dans les feuillages. Une différence essentielle entre les deux chapiteaux vient de ce que, dans la nef, Caïn porte sur la tête des bois de cervidé qui correspondent au signe avec lequel le Seigneur l'a marqué pour qu'on ne le tue point (Gn 4, 15) 163 . Kristin Sazama a voulu voir dans ces deux chapiteaux une allégorie de la confession qui ici demeure inaccomplie 164 • En réalité, cette interprétation s'applique au péché de Caïn puisque Lamech, à l'inverse de son ancêtre, a avoué sa faute 165 . Il me semble dès lors que si l'on avait souhaité exprimer cette idée de pénitence non accomplie, on aurait montré, comme à Autun (14 ), Caïn interrogé par Dieu au sujet de son frère. Sur les deux chapiteaux de Vézelay en revanche, c'est le parricide de Lamech qui est mis en avant, Caïn étant plutôt présenté comme une victime. Ce dernier porte de surcroît la marque divine qui était censée le protéger, et qui n'est pas sans rappeler les bois du cerf qui apparut à saint Eustache et qui figure sur le pilier précédent (nef 17) 166 . Sur les reliefs de la façade de la cathédrale de Modène, qui comportent l'unique représentation sculptée de la mort de Caïn anténeure à celles des chapiteaux bourguignons, Lamech est

de Caïn, c'est-à-d1re durant s01xante-d1x-sept générations, autrement dit Jusqu'à l'amvée du Chnst. Même idée chez RABAN MAUR, Commentana in Genes1m, II, 2; P.L. 107, 509 A-B; REMI D'AUXERRE, Expo, p 239 Ce paradigme se trouve dans la Pas510n de sainte Julzenne, dans le sacramentaire de Rhemau et dans le sacramentaire de V1ch, cf NTEDIKA, l 'évocatwn de /'Aude/à, p. 77 et 79, tableaux A et B. SICARD, La /Jturg1e de la mort, p. 366, cite quatorze autres manuscnts anténeurs au XIIIe siècle. NTEDIKA, 1b1d, p. 74, con~1dere, en outre, que le meurtre de l'Égypt1en fait partie des miracles bibliques de délivrance. 182 L'idée a déjà été développée par HILAIRE, Tractatuç mystenorum, 1, 29; CSEL 65, p. 23: Vemt enzm [Chnstus] ad oves perdztas domus Israhel (Mt 15, 24) Nonne domznantem eorum drabolum pro5trav1t et viut Voir à ce sujet NTEDIKA, 1h1d. On retrouve cette idée chez ISIDORE, Quaest zn Vet Test ln Exodum, VI, 1, P.L. 83, 289 A: Interea Moy5es peregnnum fratrem, ab Aegyptw m;unam pat1entem, znultum esse non ferem defendzt, et eumdem Aegyptwm occ1d1t. Cu;us figura fac1llime occurnt, in;uno!>um in hac peregnnatwne drabolum a Domino Chnsto, nob1s defenSl5, ocud1. Repns dans la Glossa ordznarw L1her Erodus, Il, 12, P L 113, 190 8-C. Pour BRUNO DE SEGNI, Expm1t10 zn Exodum, II, P.L 164, 236 A, le Chnst a tué plusieurs Égyptiens, c'est-àd1re plusieurs esprits malins. Le commentaire d'AUGUSTIN, Quae5t10num m Heptateuchum lzbn VII Quaest zn Exodo, 2; CSEL 28/2, p. 93-94, ne va pas dans ce sens. Cet auteur pense au contraire que le geste de Moïse est un péché qm ne saurait être justifié. 181

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Deuxième partie: /'église menacée

fig . 53. Vézelay, chapiteau «nef 49», Moïse tuant l'Égyptien.

fi g. 54. Vézelay, chapiteau «nef 50», David et Goliath.

se dirige toutefois du bas-côté vers le vaisseau central, ce qui signifie qu'il se situe en position extérieure.

David et Goliath (nef 5 0) La victoire de David sur Goliath a été représentée sur un chapiteau du quatrième pilier (fig. 54). Ce thème biblique (lS 17, 48-51) a reçu une interprétation voisine de celle qui a été développée au sujet de la lutte contre le lion, et dont il a été question dans la section qui lui a été consacrée: la victoire de David est celle du Christ lors de la Tentation et au moment de la Résurrection, mais elle est aussi celle du chrétien dans son combat spirituel quotidien. C'est le cas en particulier dans la Psychomachie de Prudence, dans les commentaires de Raban Maur et d'Haymon sur le chapitre six de !'Épître aux Éphésiens, et dans le sermon que Pierre Damien a consacré au thème du combat spirituel. Chez Julien de Vézelay, le combat contre Goliath est même l'un des rares paradigmes du combat spirituel destinés à illustrer les propos de saint Paul (Ep 6, 11-12) 183 . Il convient d' ajouter ici que l' iconographie même du combat biblique invite à s'interroger sur son éventuelle dimension historique. On a vu en effet que le personnage de David a été rattaché à la fois au combat spirituel d'un prélat - l'abbé Maieul - et aux 183

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JULIEN DE VÉZELAY, Sermo XXVI; S.C. 193, p. 596-597.

Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spirituel

fig. 55. Vézelay, chapiteau «nef 53», la mort d' Absalon.

batailles physiques menées par un bon chevalier comme Géraud d'Aurillac. De plus, dans la Psychomachie, Goliath apparaît comme un paradigme de l' orgueil qui est le péché par excellence de la noblesse. Or, à Vézelay comme à Chissey-lès-Mâcon (2), Goliath porte une cotte de mailles et un casque dont les caractéristiques correspondent à l'armement des guerriers des XIe-XIIe siècles. On pourrait donc se demander si ici, l'ennemi de ce combat spirituel n'a pas pu faire également allusion aux ennemis physiques de l'Église et au péché qui leur est le plus souvent reproché. Il se peut toutefois que cet équipement constitue non pas une allusion à des agresseurs réels et contemporains de l' image, mais plus simplement une actualisation de l'armement des guerriers, une pratique largement répandue dans l'art roman. Si l' hypothèse d'un combat qui serait à la fois spirituel et matériel est mieux fondée pour ces deux chapiteaux que pour d'autres sujets, elle reste donc relativement fragile. Du point de vue de la syntaxe enfin, on se limitera à l'observation de la position des antagonistes: le David de Vézelay n'est pas en position intérieure au moment de la confrontation avec Goliath sculptée sur la face latérale gauche, mais c'est bien cette place qu' il occupe sur face principale qui montre la décollation du géant 184.

La mort d'Absalon (nef 53) L'exécution d'Absalon qui s'était rebellé contre son père, David (2 S 18, 9-15), figure sur l'unique chapiteau historié du cinquième pilier (fig. 55). L'exégèse a assi-

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La scène qui montre le combat entre David et Goliath est presque entièrement moderne, mais ce qui reste de David suffit pour mdiquer qu' il se trouvait en position exténeure, cf. SALET, Vézelay, p. 187; DIEMER, Vézelay, p. 330; et SAULNIER et STRATFORD, Vézelay, p. 126

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Deuxième partie: l'église menacée

fig. 56. Vézelay, chapiteau «nef 56», Moïse et Je veau d'or.

milé Absalon à la fois à Judas et au diable 185 et, en ce sens, son exécution peut être considérée comme une victoire sur le diable. Dans la Vita de saint Géraud d 'Aurillac, on l'a vu, la guerre menée par David contre son fils justifie la répression exercée par le saint chevalier contre les excès des violents 186 . Dans les textes, la mort d ' Absalon évoque donc à la fois la défaite du diable et celle des ennemis physiques de l'Église. Comme l'a bien observé Kristin Sazama, le passage biblique et ses rares transcriptions iconographiques indiquent que Joab a tué Absalon au moyen de trois lances, mais pas avec son épée et encore moins en le décapitant comme on le voit sur le chapiteau de Vézelay 187. Le choix de cette iconographie ne peut donc être que significatif. J'ajouterais que c'est Joab qui , à juste titre, se trouve en position intérieure.

AUGUSTIN, Enarr ln ps ' m, 1, CCSL 38, p 7. [... ]non m1rum S I fi/tus hommes: Dieu y a mis un terme et Il a mtégré dans l'Église ces même~ homme~ qui ont cté bn'>C'> a leur tour par la pémtence, cf. RUPERT DE DEUTZ, De :-,ancta Tnnitate et open/ms e1m ln Ewdum, IV, 26; CCCM 22, p. 783: Cap1ta namque dracon1cs, \IVe wput i 1tuh, per quod dwhoh c ultum llC et zntelhgz, ecce Deus Moysz confregzt atque zn pulverem redactum populo sua Ill potum ded1t, qllla eos quz ex parte vel regno erant dwboh per paenitentwm confraaos et zn puherem humi/1s umsuentwe redactos eccleswe :-,uae per bapt1sm1 aquam zncorporav1t 191 NTEDIKA, L 'évocatzon de/ 'Au-de/a, p. 77, tableau A

°

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Deicer le Chn'>t et David ou 5am-,on dan-; l "1xe et repartir le" autres

chapiteaux dont le'> theme'> evoquent le peche a gauche et a droite On aurait arn ... 1 obtenu un clivage comparable a celui de Sarnt-Andre-de-Bâge On aurait même pu d1-.po'ier le-; deux paradigmes du combat -.pmtuel de telle '>Orte que le" vamqucur-. repou-;-.ent leur .td\er-.a1rc \cr-. l'extcncur Pour v parvemr, Il aurait fallu donner a la Tentat10n du ( hn-;t la place occupee par le chapiteau n · -t . .1 gauche de la fenêtre axiale, et au combat de David ou '-,amson la place du chapiteau n · " à droite de cette tenêtre

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Deuxième partie: l'église menacée

Les associations avec d'autres paradigmes du combat spirituel Les représentations bourguignonnes de la Tentation ne s'inscrivent pas dans la continuité d'un cycle consacré à !'Enfance, comme on peut le voir ailleurs, mais elles côtoient presque toutes d'autres paradigmes du combat spirituel 252 . C'est particulièrement frappant à Autun dont le programme comporte sept chapiteaux relatifs à ! 'Enfance du Christ, dont quatre ont été regroupés dans le collatéral nord des travées droites du chœur. L'association la plus significative se situe de toute évidence au portail de 1'ancienne cathédrale de Mâcon où le combat de l'ange contre un démon répond, sur l 'alette symétrique, à celui que mène le Christ contre le même adversaire. Or, dans les commentaires d' Apocalypse 12, qui est la source de la scène de gauche, le dragon qui menace la femme revêtue du soleil est parfois comparé au démon qui a cru pouvoir tenter le Christ ou le faire mourir comme les autres hommes 253 . De même, la Tentation du Christ a été rapprochée du combat du chapitre douze de l' Apocalypse 254 . Les textes ont donc établi une relation très étroite entre ces deux paradigmes du combat spirituel et l'on peut affirmer qu'ils ont été relayés par l'iconographie. Le portail de Mâcon d'abord et deux églises auvergnates ensuite Saint-Nectaire et Notre-Dame-du-Port - ont en effet reproduit cette association dans I' espace 255 . L'exemple de Notre-Dame-du-Port est particulièrement instructif puisque les deux chapiteaux concernés sont visibles simultanément par le fidèle qui entre par la porte sud, non pas sur les piédroits de cette porte, mais sur les piliers qui leur succèdent, à l'intérieur de la nef. Cette disposition suggère donc qu'à Clermont-Ferrand comme à Mâcon, ces deux thèmes ont rempli une fonction apotropaïque 256 . À Mâcon, cette lecture est amplement confirmée par l'inscription du coussinet de gauche et par l'orientation des antagonismes disposés sur les alettes. Si les deux chapiteaux d' Autun ne sont, au contraire, pas onentés de manière significative, leur intégration dans leur contexte iconographique semble en revanche cohérente. Celui qui se situe sur le quatrième pilier septentrional de la nef a perdu son visà-vis. En revanche, le chapiteau qui lui correspond en symétrie transversale, sur le quatrième pilier sud, a été conservé et montre le Lavement des pieds (31 ). Cet épisode de la vie du Christ a reçu une interprétation pénitentielle qui pourrait expliquer son rapprochement avec la Tentation, mais l'intentionnalité d'un tel rapprochement

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~ La Tentation prolonge un cycle de !'Enfance sur les peintures de Brmay, à la façade de la cathédrale de Plaisance (cf. VERZAR BORNSTEIN, Portais an palmes, p. 63) et sur un chapiteau de Chauvigny. 1~' . . - JEROME, Commentanus m Apocalypsm, 12, 2; CSEL 49, p. 109. Même idée chez HAYMON, m Apoc., 12; P.L. 117, 1083 B. 254 PASCHASE RADBERT, m Mat., III, 4, 1; CCCM 56, p. 238, cite Ap 12, 4, 13, 14, 15 et 17, et 11 établit un hen entre la guerre que le dragon fait à la descendance de la femme revêtue du soleil et celle que livrent quot1d1ennement les soldats du Chnst. 255 À la Sauve-Majeure, le programme du chœur comporte deux représentations du combat de l'ange (samt Michel?) contre le dragon, mais ces dernières figurent dans l'abside alors que la Tentat10n se trouve dans la chapelle sud. 256 Cette mterprétat1on apotropaïque des chapiteaux de Notre-Dame-du-Port a déjà été proposée par SWIECHOWSKI, Auvergne, p. 34.

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Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spmtuel

me paraît difficile à démontrer 257 . Le seul argument qui pourrait être 1moqué e-.t la position inférieure du Christ par rapport au diable: ce rapport de force, tout à fait mhabituel dans l'iconographie de la Tentation, a peut-être eu pour vocation de rappeler l'attitude humble du Seigneur aux pieds de saint Pierre 258 . De l'autre côté du quatrième pilier nord, qui accueille la Tentat10n, figure Dam el dans la fosse aux lions, lui-même disposé en symétrie transversale avec le combat de Samson contre le lion. Dans l'abside de Saint-Léger-sur-Vouzance, la v1ct01rc du Christ est également complétée par celle de David ou Samson contre le lion, et à Saint-André-de-Bâgé, elle a été associée au chapiteau de Daniel, même s1 ce dernier figure dans l'abside et non dans le transept comme celui de la Tentation. Il faut dès lors rappeler une fois encore que dans les textes et dans les programmes iconographiques, ces thèmes sont intimement liés. Dans l'exégèse, le combat de Samson contre le lion a été comparé à la Tentation du Christ 259 , et dans certams commentaires relatifs à la Tentation, dont une homélie d'Héric d'Auxerre, on rappelle la victoire de David sur Goliath 260 . Mais c'est Haymon d'Auxerre qm, dans le sermon qu'il a consacré à ce même sujet, a réuni le plus grand nombre de paradigmes vétérotestamentaires de la victoire du Christ. L'auteur y cite notamment David, à cause de son combat contre Goliath, mais aussi Daniel dans la fosse aux lions et même les trois Hébreux dans la foumaise 261 . On constate donc à nouveau que paradigmes du combat spirituel et paradigmes de délivrance se confondent parfois dans l'esprit des théologiens. Il en va de même semble-t-il dans certains programmes iconographiques déjà mentionnés: la Tentation a été associée à David dans le psautier Tiberius, à Daniel au portail de Beaulieu262 , et à la fois à Samson et Daniel à la Sauve-Majeure. Les autres thèmes associés Même s'il ne fait guère de doutes que ces différentes associations sont fortement chargées de sens, il convient d'examiner de plus près l'environnement iconographique de ces programmes, à l'exception de celui de Mâcon qui se limite aux deux thèmes déjà évoqués. À Autun (28) pour commencer, les travées de la nef qm précèdent la Tentation présentent, du côté sud, deux autres affrontements contre un diable: le premier dans la chute de Simon le Magicien (38), le second dans la scène du \eau

257

V01r Pierre GRELOT, «L 'mterprétat10n pémtentielle du lavement de'> pied'>», dan'> L homnll devant Dieu Mélange5 offerts au Père Henri de Lubac, Pan-., 1963, p 75-91, et P1er franco BE'\TRICE, La lavanda de1 pied1 Contnbuto alla stona delle ant1che htur?,1e u 1stiane, Rome, 1983 2 8 '> SETLAK-GARRISON, Autun, p 95-96, a propo'>é cette lecture pemtentielle pour la Tentation, matf> pas pour le Lavement des pieds 259 Vo1c1 ce qu'écnt RUPERT DE DEUTZ, De sancta Tnmtate et openhu\ e111.\ ln lihfllm Jud1cvm, 15, CCCM 22, p 1172, avant de citer Mt 4, 2-3 Catulus leom5 saeim 1 ug1ens qw ou w-

nt 1lh. f}pum praetuht diahoh. qui vere ut catulus leoms saeius al fll~1ens whatm 1s no.\tw ou 111 nt, cum adamatam comugem accepturus enet. 1d est cum qnagogam sua /Jlaeffntw doc t111us wht ms set Ub1 pnmum occurnt 1/11 J ln deserto 1e1unant1 et e\wient1 Cum emm 1e1Unas-;et quadraginta d1ebuf> et quadragmta nochbus po-;tea e!>umt 260 HERIC, Hom1hae per urculum anm, l, 28, CC C\1 116, p 23 3 261 HA YMON, Homilwe de tempore, XX\'Ill, P L 1 18, 194 C et 198 D-199 A 262 KLEIN, Programmes e\chatolog1q11es, p 311- 314

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Deuxième partie: /'église menacée

d'or (30). Ces trois chapiteaux n'ont pourtant pas été rapprochés de manière significative263. La seconde occurrence d' Autun (3) semble un peu mieux intégrée dans son environnement iconographique. La distribution des chapiteaux du chœur architectural présente en effet un clivage évident entre les deux bas-côtés et semble de ce fait plus cohérente que celle que l'on peut observer dans la nef2 64 . Dans le bas-côté septentrional de la partie droite du chœur, la violence est pratiquement absente - elle n'est en effet représentée que sur une corbeille (4) - tandis que cinq chapiteaux y ont été consacrés à la vie du Christ: les quatre premiers se rapportent au cycle de l'Enfance (5, 10, 11 et 12) et le dernier montre le voyage à Emmaüs (2). Dans le bas-côté sud en revanche, la violence ne s'arrête qu'au départ de l'abside. Or, c'est précisément à cet endroit que se situe le second chapiteau de la Tentation. Son emplacement constitue donc à la fois un lieu charnière entre les travées droites du chœur et l'abside, et une limite pour l'aire menacée par le diable. Si le Christ avait été établi en position intérieure, il aurait pu donner l'impression qu'il retenait dans le bas-côté sud des travées droites du chœur les êtres diaboliques qui s'y pressent. L'entorse qui a été faite à la logique relative à la position des antagonistes est donc plus lourde de conséquences ici qu'ailleurs. Abstraction faite de cette incongruité, il faut observer que là où il est situé, le chapiteau de la Tentation pourrait constituer un point de départ pour le combat spirituel qui va se développer dans la nef. Ce combat commence, en effet, au baptême. Or, deux chapiteaux de l'abside semblent faire allusion à ce sacrement: les quatre fleuves du paradis et la piscine probatique. À l'abside correspondrait donc l'état de sainteté conféré par le baptême, rapidement menacé par le diable qui, d'après Ambroise, se plait à triom-

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Il ne peut donc pas être quest10n d'oppos1t10n entre le nord et le sud comme l'a défendu Hélène Setlak-Gamson. St elle a pu développer cette hypothèse, c'est notamment parce qu'elle a mterprété la Tentation du Chnst sans temr compte de l'ensemble de l'exégèse. Se fondant sur le fait que, sur le chapiteau de la nef, le Chnst est représente assis et l'ange tient une épée, elle a étabh un hen avec le portail occidental et la hturgie funéraire, cf. SETLAK-GARRISON, Autun, p. 93-96. Il n'est pourtant pas rare que le Chnst soit assis. Pour la Bourgogne, j'ai déjà mentionné les deux exemples de Mâcon et celui de Samt-Léger-sur-Vouzance. Le Chnst est également assis sur un chapiteau de l'église de Plaimp1ed, en Berry, cf. THOUMIEU, D1ct10nnaire, p 351. Pour RÉAU, lconograph1e, Il, 2, p. 307, le Chnst est assis pour montrer que c'est par la pnère que l'on tnomphe de la Tentation. Pour SCHILLER, lkonograpl11e, 1, p. 154, c'est un signe de ce que la figuration ne se réfère pas httéralement au texte. À Autun et peut-être ailleurs, ce choix 1conograph1que a pu se référer à l'exégèse relative à la deuxième Tentation (Mt 4, 5 ). Pour PASCHASE RAD BERT, m Mat, III, 4, 5; CCCM 56, p. 251, le sommet du temple est le sedes doctorum. C'est là en effet que l'on éngea1t un siège afin que le doctor pmsse parler au peuple· [... ] sedes doctorum super pmnam templi engebatur ut eunde quas1 m emmentwn posltus loco doctor ad populum loqueretur. La position assise a aussi pu être ch01sie simplement pour souligner la majesté du Chnst et accuser le contraste entre ce dernier et le diable. 264 W1lham J. TRA VIS, «The Iconography of the Ch01r Captta!s at Samt-Lazare of Autun and the Anagog1cal Way m Romanesque Sculpture», Konsthistonsk Tidskrift, 6814, 1999, p. 220-249, a proposé une mterprétat10n du programme du chœur qui met très Justement l'accent sur la concentration de chapiteaux !tés à 1' Enfance à proximité du portail nord, mais qm, en dehors de cette constatation, soulève de nombreux problèmes de méthode Je remercie vivement William J. Travis de m'av01r commumqué son article.

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Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spirituel

fig. 66. Saulieu, nef, chapiteau n° 6, Balaam arrêté par un ange.

pher dans sa lutte contre des saints, et s'est avancé jusque dans le bas-côté sud de la partie droite du chœur. Cette interprétation reste toutefois largement hypothétique. Les liens sémantiques qui rattachent la Tentation du Christ aux chapiteaux voisins sont, au contraire, plus solides. Même si ces chapiteaux seront examinés dans les deux chapitres suivants, il convient de signaler dès à présent que deux d' entre eux (7 et 9) montrent peut-être des émules du Seigneur et que les trois autres (6, 8 et 24) font vraisemblablement allusion aux différents vices qui composent l'arsenal offensif du diable 265 . Il apparaîtra également que ces deux groupes antithétiques présumés n'ont pas été rassemblés de manière à établir un clivage rigoureux entre le Bien et le Mal. À Saulieu, une seule scène, celle de Balaam arrêté par un ange (6, fig. 66), semble pouvoir se rattacher à celle de la Tentation. Son orientation laissait déjà supposer un lien sémantique avec le chapiteau du pilier suivant; son interprétation permet de le confirmer. Balaam est, il est vrai, un personnage ambivalent: il compte parmi les prophètes qui ont annoncé la venue du Messie266 , mais dans les commentaires, il appa-

265

TERRET, Autun, II, p. 17-23, avait déjà établi un rapprochement entre les péchés évoqués par la Tentation et les chapiteaux du bas-côté sud des travées droites du chœur, mais les correspondances qu' il a établies ne sont pas toutes 1dent1ques à celles que Je propose. Selon cet auteur, le chapiteau dit «du basihe» évoquerait la luxure et la sirène la lascivité. Quant à la gourmandise, c ' est tout simplement la première Tentation qui s'y référerait. 266 Une de ses prophéties (Nb 24, 17- 19) a, de fait, été rapportée à l' Incamat10n. On a également fait de Balaam l' ancêtre des Rois Mages. Vorr par exemple PASCHASE RADBERT, in Mat. , II, 1,

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Deuxième partie: ! 'église menacée

raît également comme une figure diabolique ou pécheresse. Ainsi, pour certains exégètes, son nom signifie populus vanus, ce qui fait de lui une alJégorie des hérétiques, des esprits malins ou encore des prêtres indignes 267 . Lorsqu'ils entendent présenter Balaam comme un prophète, les sculpteurs romans le figurent en pied et portant un phy lactère 268 . L'épisode de l'ânesse en revanche renvoie à l'autre facette du personnage. C'est aussi ce que laisse supposer l'orientation que la scène a reçue à Saulieu, et que l'on retrouve au portail occidental de la cathédrale d' Autun où l'ange arrête Balaam au niveau du seuil de l'édifice 269 . À Saulieu, l'association de la Tentation avec l'épisode de Balaam paraît donc significative, mais leur thématique commune ne se poursuit apparemment pas au-delà du troisième pilier et ne semble dès lors pas dominante dans l'économie générale du programme 270 . Dans les deux dernières églises de la série enfin, comme dans le chœur d' Autun, les différents thèmes associés ont été distribués sans ordre apparent. À Saint-Légersur-Vouzance, l'environnement du chapiteau de la Tentation est composé du thème complémentaire de David ou Samson, mais aussi de thèmes qui s'inscrivent dans un

1-2; CCCM 56, p. 150-153. Ilene H FORSYTH, «L'Âne parlant. The ass ofBalaam m burgundian romanesque sculpture», Gesta, 20, 1981, p. 59-65, a étudié les trots chapiteaux bourgutgnons consacrés à ce thème. Une troisième occurrence figure en effet à La Rochepot (2). Ilene H. Forsyth cite à ce sujet un sermon de Juhen de Vézelay qui évoque un mome éclairé et un abbé stupide, qu'il compare respectivement à l'ânesse et à Balaam (sermo XXI; S.C 193, p. 476-477). Il y aurait amsi, dans la figurat10n de ce thème, une allus10n à la réforme grégonenne. L'allusion à cette réforme est, toutefois, beaucoup plus nette dans le commentaire de Rupert où Balaam est une figure du prêtre mcolaïte et s1momaque (RUPERT DE DEUTZ, m Apoc, II, 2: P.L. 169, 877 B-879 B). Il me paraît cependant pénlleux de transposer cette interprétation aux chapiteaux bourgmgnons, même s1, comme le pense llene H. Forsyth, le tau que porte la figure de Salaam peut donner l'impress10n qu'on l'a assimilé à un ecclésiastique. Pour l'iconographie de Salaam, voir notamment J. J. TIMMERS, article «Balaam»; dans Lex1kon, I, col. 239 267 On rencontre cette mterprétat10n dans deux commentaires de l' Apocalypse où il est en effet question de Balaam (Ap 2, 14). AMBROISE AUTPERT, ln Apoc., II, 2, 14; CCCM 27, p. 129130; repns par HA YMON, ln Apoc, 1, 2; P.L. 117, 974 A. Même idée chez RUPERT DE DEUTZ, zn Apoc, II, 2; P.L. 169, 877 D. Ce dernier s'attache surtout à montrer que Balaam est une figure des prêtres vénaux et mcolaïtes, cf. 1b1d.: P.L. 169, 877 B-879 B. 268 À la fenêtre abs1d1ale de la cathédrale de Plaisance, Balaam est présenté comme un prophète et figure à côté d'Isaie et d'une Annonciation, cf. VERZÀR BORNSTEIN, Portais an polit1cs, p. 68; et S. KLEIN, Dœ Kathedrale von Pzacenza ... (op. c1t. ), p. 217 sq. 269 Il faut ajouter à cela qu'au portail occidental d'Autun, le chapiteau de Balaam (49) se situe à proximité de celui qm a éte con~acré à la conversion de saint Eustache (52b ). Or, 11 se trouve que dans la pnnc1pale Vtta de samt Eustache (B.H.L. 641; Acta sanctorum Sept. VI, p. 124), l'apparition de la croix entre les bois du cerf a été rapprochée de l'appant1on de l'ange dans l'histoire de Balaam. Il se pourrait donc que le rapprochement des deux thèmes fasse référence au texte de la Vita et soit par consequent s1gn1ficattf, mais pour en être certam, il faudrait pouvoir établir l'existence de hens avec les autres chapiteaux du portail, ce qm me paraît extrêmement d1ffic1le. On rencontre par ailleurs une autre association entre l'h1sto1re de Balaam et des combats spmtuels. Au portail nord de San Leonardo de Siponto, dans les Pouilles, un ange terrasse un dragon, tandis qu'un deuxième ange arrête Balaam. Ce dernier se dmge pourtant vers l'extérieur de l'éghse, cf. BELLI D'ELIA, Pouilles romanes, fig 135. En revanche, sur un chapiteau du cloître de Samt-Troph1me, à Arles, Salaam vient de l'exténeur et 11 est arrêté par un ange qm brandit son épée, cf. ROUQUETTE, Provence romane, p. 297, et fig. 93. 270 Pour être complet, il faut préciser qu'à La Rochepot, Balaam se dmge vers le bas-côté.

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Chapitre VI: Les autres paradigmes bibliques du combat spirituel

registre sémantique antithétique, à savoir des pécheurs torturés ou accomplissant encore leur forfait. Ces deux thématiques n'ont pourtant pas fait l'objet de regroupements qui auraient permis de rendre leurs caractéristiques respectives plus apparentes. À Saint-André-de-Bâgé, le chapiteau de la Tentation se situe à la croisée du transept où figurent la luxure (2), une évocation des péchés de la langue ( 11, fig. 116) et la colère désignée par une inscription, sans doute complétée par deux autres vices ( 12, fig. 146). Ce regroupement de péchés rappelle vraisemblablement le lien qui existe entre la Tentation et les vices ou les péchés qu'elle concerne, mais comme à SaintLéger-sur-Vouzance, la distribution n'établit aucun clivage entre les thèmes antithétiques. En conclusion, cinq occurrences de la Tentation du Christ ont été associées à d'autres paradigmes du combat spirituel - David et/ou Samson, Daniel et l'ange d' Apocalypse 12 - et celle du chœur d' Autun est accompagnée de combats de guerriers dont on verra qu'ils représentent peut-être les milites Christi qui ont suivi son exemple. La septième occurrence - celle de Saulieu - a été rapprochée du personnage de Balaam qui semble ainsi revêtir une valeur négative, au même titre que le diable tentateur. Dans le vaste champ sémantique que recouvre le thème, c'est donc bien la notion de combat spirituel qui a été retenue. Sa récurrence exceptionnelle, qui dépasse largement celle des autres épisodes de la vie du Christ, montre par ailleurs que cette notion occupe une place centrale dans les programmes des cinq églises concernées. Le respect de la position des antagonistes à Saint-André-de-Bâgé, Saulieu et surtout au portail de Mâcon - sur l'occurrence de l'alette - semble indiquer que, dans ces églises, et peut-être par extension à Autun et Saint-Léger-sur-Vouzance, ce combat possède également une valeur apotropaïque. Enfin, dans le chœur d' Autun, à SaintLéger-sur-Vouzance et à Saint-André-de-Bâgé, la Tentation côtoie également des représentations de péchés ou de vices, rappelant ainsi que la Tentation a été interprétée comme une lutte du Christ et de tous les chrétiens contre ces mêmes péchés, mais les thèmes complémentaires n'y ont pas été opposés clairement aux thèmes antithétiques.

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CHAPITRE VII LES COMBATS NON BIBLIQUES OPPOSANT DES HOMMES À DES MONSTRES, DES DIABLES OU D'AUTRES HOMMES

Les thèmes qui seront étudiés dans ce chapitre se caractérisent par la présence d'au moins un homme et par la non-appartenance des combattants à l'histoire biblique. Certains d'entre eux s'opposent à des hommes, d'autres à des diables ou à des monstres. Dans les affrontements dont il a été question jusqu'à présent, le vainqueur était un représentant des forces du Bien. La majorité des antagonismes du présent chapitre appartiennent encore à cette catégorie: il s'agit de combats que livrent des vertus contre des vices, des chevaliers contre des monstres, des maîtres des animaux anonymes contre des fauves ou des serpents, et des saints contre des hommes ou des diables. Ces quatre thèmes seront abordés dans les sections trois, quatre, cinq et six. Les scènes qui seront examinées dans la première section semblent appartenir, en revanche, à un autre type d'antagonisme: celui qui oppose des membres des forces du Mal à des égaux et qui ne désigne pas toujours clairement un vainqueur. La deuxième section enfin sera consacrée à des lutteurs dont la valeur est incertaine. ,

1. LES LUTTES ENTRE EGAUX Un nombre relativement important de chapiteaux bourguignons douze au total présente des antagonismes entre deux adversaires dont le statut social est identique ou équivalent: ils concernent tantôt des chevaliers ou du moins des guerriers professionnels dotés d'un équipement lourd, tantôt de simples laïcs, probablement des vilains. Ces deux types de combats seront abordés séparément, en commençant par les luttes entre simples laïcs qui sont les plus nombreuses et qui permettent, par là même, de développer une étude comparative plus représentative. a. LES LUTTES ENTRE SIMPLES LAÏCS

Description Les combats de cette section se distinguent par l'absence d'armes nobles et de chevaux: les antagonistes sont à pied et luttent corps à corps avec leur adversaire ou au moyen d'une arme non noble. En Bourgogne, on compte dix combats de ce type distribués sur neuf chapiteaux: celui de Bois-Sainte-Marie (33) en comporte en effet deux. Six chapiteaux, sur les neuf que compte la série, ont été sculptés par des membres de l'atelier du Donjon. Ils se situent respectivement à Neuilly-en-Donjon même (1, fig. 67), au portail sud d' Anzy-le-Duc (1, fig. 68), dans la nef de BoisSainte-Marie (33, fig. 69), à l'entrée du chœur de Gourdon (59, fig. 70) et dans 245

DeU'ueme partie l 'eglise menacée

fig. 67. Neuilly-en-D onjon, portail occidental, chapiteau n° 1, un diable arrachant la langue d'un pécheur et deux hommes se combattant. l' abside de Saint-Léger -sur-Vouzan ce (5). Le sixième chapiteau appartient à une église paroissiale d' Anzy-le-Duc , aujourd'hui disparue (3) 1• Il existe entre ces œuvres, en plus de leur parenté formelle, de nombreuses analogies sur le plan iconographique2 . Face à cet ensemble homogène, les trois autres chapiteaux de la série paraissent isolés à la fois par le style et, dans une moindre mesure, par l'iconographie. Les deux premiers appartiennent à l'église de Sémelay: le premier se situe dans la nef (7), le second dans le chœur ( 17, fig. 71 )3 . Il se peut qu'une troisième scène de lutte ait figuré sur le chapiteau n° 2 de cette église, où figurent trois têtes humaines dépourvues de corps et un homme saisissant le cou d'une de ces têtes. Il semble cependant que le sculpteur y a reprodmt partiellement l' antagonisme aux formes enchevêtrées du chapiteau du chœur ( 17) sans en comprendre l'organisation et, par conséquent, le sens4 . Si les scènes de lutte de Sémelay peuvent encore être rapprochées de celles du premier ensemble, la dernière 1

Ce chapiteau ainsi que troi s autres ont été retrouvés dans une collection pnvée. Cette éghse qw se troma1t a prox1m1te du pneuré a été offerte à C luny au XIe siècle, cf. PENDERGAS T, New romanesque wp1tals, p 47-48, pour qui cette éghse a pu être desservie par des moines du pneuré. Voir au'>'> I HAMANN, 4nzy-le-Duc, Il, p. l 04- 106 2 Elles ont dep été signalées par STRATFORD , NeuLllr-en-Don1on, notamment p. 333 . 1 Sur le chapiteau n° 7, un homme qui sembl e voler en écrase un deuxième, lequel marche sur la tête d'un tro1~1eme personnage Sur le chapiteau n° 17, quatre hommes luttent deux à deux Sur le chapiteau n° 2 enfin, un homme serre dans sa main gauche le cou d 'un personnage dont on ne voit que la tête SALET, Sémelay, p 242, signale seulement la présence de «Damnés». 4 C'et d ' autant plus probable qu 'à l' instar du chapiteau du chœur (17), celui de la nef (2) a 3'>'>0C1e le theme des lutteureront e\oquees au chapitre huit, lorsqu'il sera question du châtiment de la luxure par des ammaux 2 -l La bour'>e n'est pas repré~entée a\ ec beaucoup de préc1s10n, mais la comparaison avec le chapiteau de Gourdon permet de corroborer cette lecture 21

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Chapitre VII: Les combats non biblique\

sur une même corbeille confirme que l'association qui, ailleurs, a été faite sur deux chapiteaux séparés, n'est pas indifférente. À Sémelay, un pécheur dont la faute semble également se rattacher au mauvais usage de la langue est, pour sa part, torturé par un serpent qui lui mord l'oreille (23, fig. 114). Ainsi dans quatre ensembles - Neuilly-en-Donjon, Bois-Sainte-Marie, Sémelay et sans doute Anzy-le-Duc - des scènes de lutte ont été associées à des composit10ns évoquant les péchés de la langue. Dans les deux premières, la langue du pécheur e~t arrachée avec une tenaille. Il se pourrait donc que ce châtiment ait été inspiré par la Psychomachie dans laquelle Discordia proclame que son autre nom est «Hérésie» et prononce un discours blasphématoire, provoquant aussitôt une réaction de la F01 qui lui transperce la langue au moyen de sa lance 25 . L'influence de la Psychomachie sur les programmes de Neuilly-en-Donjon et de Bois-Sainte-Marie est toutefois impossible à prouver. Il se peut que le concepteur ait simplement cherché à rapprocher plusieurs péchés ou vices. Les autres peines infernales associées aux lutteurs ne se rattachent pas à un péché en particulier. À Sémelay, les lutteurs de la nef et ceux du chœur côtoient des animaux dévorants: dans la nef, les deux félins dévorants se trouvent sur le chapiteau adjacent (6, fig. 102), tandis que dans le chœur, l'animal - représenté seul en raison du manque de place - partage la même corbeille que les lutteurs et la femme luxurieuse. Trois chapiteaux de la nef ont donc développé les trois thèmes qui, dans le chœur, ont été regroupés sur une seule corbeille: la punition de la femme luxurieuse, l'animal dévorant et les lutteurs. À l'entrée du chœur de Gourdon, le chapiteau aux trois vices fait face à des félins qui menacent deux têtes humaines (44 ). Dans l'abside de Saint-Léger-sur-Vouzance, les lutteurs sont également flanqués, d'un côté par la punition de la femme luxurieuse déjà évoquée et, de l'autre, par un pécheur hurlant, peut-être à cause des sévices que lui inflige l'oiseau tricéphale qui le jouxte ( 7, fig. 138). À Bois-Sainte-Marie, le même personnage a été sculpté deux fois sur un chapiteau du troisième pilier méridional (27). Au portail sud d'Anzy-le-Duc enfin, l'alette de gauche est occupée par un animal dévorant (2) 26 et, sur le chapiteau symétrique, un homme est suspendu à une corde, à la fois par le cou et par les jambes (6, fig. 145). L'étranglement que subit le personnage pourrait correspondre à une peine infernale, comme dans 1'Apocal_ip\e de Paul (40c) où les parents qui ont fait périr leurs enfants endurent éternellement un supplice analogue, mais il ne me paraît pas possible de préciser la nature de ">On péché 27 . 25

PRUDENCE, P!irchomach1e, 709-718, éd LA VARENNE, p 74-75 PENDERGAST, Anzv-le-Duc, p. 179, ne con~1dere pa'> que le quadrupede aux long'> poil-; s'attaque à l'homme dont le corps est étendu face a lui De cc dernier, Il ne re'>te d aillcur'-> que deux membres. Pour cet auteur et HAMANN, 4nzi-le-Duc, 1, p IM, Il iambe'> dupersonnage. Pour ma part, Je crois que ce sont se~ bra'>, et que le quadrupede . , 'attaquait a ..,a tête dont on devme encore le tracé. 27 BOVON et GEOLTRAIN, Écnt\ apocnphe\ chret1en\, p 814 Deux mdKe"> pamettent de penser par ailleurs que ce per~onnage ee qui caracten~e cette caté~one de pécheu r~ 2 ~ Pour JACOBY, The Beatd Pui/en , p 70, DE MERINDOL, «Du Livre de Kelb »(op c1t ), r 291. et Peter KL E 11\i, «l aterdar-;tellung und Bu;,Implement représenté au-des:-.u-; d'un pol'ivrn. et J/)J(J. p 134, 140-141et143 - 11 com u.::ndra1t C\ 1demment de mener une enquête beaucoup plu, The 4rt Bulletm, 53, 1971, p 161 176, et en particulier p 174-175, et OPENSHAW, «Weapons m the daily battle . (op. c1t )», p 17-18 On notera cependant que ncn ne d1ffcrenc1e les t désigne Un ba-reltef du musee Och1er montre egalement deux cavaliers qui s'affrontent. accompagnes 1c1 d'un dompteur de Iton. peut-être Da\ 1d. Dans ce cas, I'assoc1at10n serait comparable à celle du psautier En tout cas, ces deux images semblent entretemr un rapport d'oppos1t1on totale, rune evoquant le bon combat. l'autre le mauvais Même idée chez BESSON,