Les Arts Poetiques Du Xiiie Au Xviie Siecle: Tensions Et Dialogue Entre Theorie Et Pratique (Latinitates) (English and French Edition) 9782503529912, 2503529917


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Les Arts Poetiques Du Xiiie Au Xviie Siecle: Tensions Et Dialogue Entre Theorie Et Pratique (Latinitates) (English and French Edition)
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LES ARTS POÉTIQUES DU XIIIe AU XVIIe SIÈCLE

culture et littérature latines à travers les siècles latin culture and literature through the ages

X Comité de Rédaction – Editorial Board

Perrine G aland – Wim V erbaal

2017

LES ARTS POÉTIQUES DU XIIIe AU XVIIe SIÈCLE TENSIONS ET DIALOGUE ENTRE THÉORIE ET PR ATIQUE

Études réunies par Grégory E ms et Mathieu M inet

2017

Publié avec le soutien de l’Institut Universitaire de France univ Lille Nord de France, E59000 Lille, France UdL3, STL, F-59653 Villeneuve d’Ascq France, CNRS UMR 8163

© 2017

(Turnhout – Belgium)

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2017/0095/53 ISBN 978-2-503-52991-2 DOI 10.1484/M.LATIN-EB.5.107420

Grégory E ms Mathieu M inet

INTRODUCTION L e colloque qui s ’est tenu à B ruxelles les 27 et 28 octobre 2011, et dont ce volume constitue in fine un lointain avatar, se proposait d’étudier par différents biais la problématique de la création poétique dans la perspective très particulière de la tension qui s’y instaure entre innovation de l’auteur et conformité aux modèles préétablis. Par là, il s’agissait principalement de considérer la pratique de poètes à l’aune de modèles théoriques, les fameux « arts poétiques » censés guider la composition, formaliser les genres, bref canoniser des normes esthétiques. L’objectif subsidiaire, mais d’où procédait au fond l’originalité du colloque, était d’appliquer ce cadre d’analyse sur des « domaines » d’étude habituellement isolés les uns des autres par les structures – canoniques elles aussi – des études littéraires : en décloisonnant les périodes médiévale et renaissante d’une part, les langues latine et vernaculaires de l’autre, nous espérions mettre en lumière des habitus poétiques indépendants de nos catégories, ou au contraire observer les glissements qui s’opèrent en la matière dans un continuum historique et linguistique. Entre notre ambition initiale et le présent ouvrage s’est toutefois creusé un inévitable et heureux hiatus. Les différentes contributions collectées ici révèlent en effet le caractère naïf voire dangereusement réducteur d’une démarche articulée uniquement en termes d’innovation, de soumission ou de subversion par rapport à des modèles préexistants : d’une part, ces notions de distanciation-sujétion se subordonnent ellesmêmes à des motivations et des contingences conditionnant de façon plus prégnante et plus évidente la pratique du poète ; d’autre part, il y a dans la terminologie « auteur », « composition », « normes », etc., nombre d’a priori qui en font, pour notre sujet d’étude, des catégories parfois inopérantes. Pour ne pas déflorer la teneur des articles, nous ne ferons qu’évoquer, dans cette introduction, quelques réalités impor5

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tantes qui sous-tendent la création et la théorisation poétiques, et – en négatif – les quelques mythes qui ne doivent pas embuer la compréhension de ces phénomènes. Premièrement, il convient de se méfier du paradigme trop évident qui présente la praxis comme résultant nécessairement (et chronologiquement) de théories et modèles : si le prestige ancestral de l’Épître aux Pisons, canon du genre, nous convainc de la valeur prescriptive des arts poétiques, ces ouvrages sont souvent produits dans un « après-coup » afin de décrire ou de légitimer une pratique. Cette question de l’antécédence, comme le démontrera l’article de Michel Jourde, n’a pas été sans impact sur la conception même de l’émergence de la poésie. Ce constat nous amène naturellement à un deuxième point, à savoir la définition d’« art poétique » en tant que genre : la « poétique des arts poétiques », si l’on ose dire, est comme tout autre genre fonction de conditions humaines et matérielles qui entourent sa production. Ainsi, selon qu’un auteur écrive dans le cadre d’une cour princière, d’une école ou parmi ses pairs, son métadiscours revêtira des tours différents : déployée sous la forme d’une préface, d’un traité ou d’une correspondance, la théorie poétique relèvera d’aspirations bien distinctes. Non nécessairement destinée à baliser la pratique, elle se proposera parfois tout au plus d’aiguiser le sens critique du lecteur ou de rendre hommage aux œuvres d’un poète. À ces contingences contextuelles sont liées celles qui ont trait, troisièmement et plus prosaïquement encore, à l’« objet-livre » lui-même : produit d’un éditeur-libraire, manuel scolaire, le support du texte est l’enjeu de dynamiques qui dépassent souvent, et de très loin, son auteur. Le cas des anthologies annexées pour raison mercantile à des arts poétiques, évoqué par Jean-Charles Monferran, est à ce titre exemplaire. On songera que, jusque tard, les différents intervenants dans la production du livre, qu’il s’agisse – selon les époques – du commanditaire, du copiste, du scholiaste, de l’auteur du frontispice (voir l’article d’Annelyse Lemmens) ou de l’imprimeur, entretiennent avec l’« auteur réel » des rapports complexes, qui parfois contribuent à le déposséder de son œuvre. Ces dernières considérations, qui mettent littéralement en jeu la notion d’ « autorité » dans notre compréhension du statut de l’auteur, doivent nous amener à garder, par rapport aux principes d’ « intentionnalité », d’ « innovation » ou de « créativité », une distance critique. Et partant de repenser les catégories d’influence, d’imitation (voir le décryptage que Tom Deneire propose de l’imitatio), de tradition, de subversion, etc., que l’on voit à l’œuvre, notamment, dans l’analyse de

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la pratique d’auteurs dans le cadre d’un genre codifié (voir sur ce point les analyses d’Aline Smeesters et de Virginie Leroux). Outre qu’elle rassemble les communications qui furent présentées lors du colloque précité, cette publication comprend aussi plusieurs contributions de chercheurs qui ont accepté de s’investir dans notre projet, qu’ils ont à leur tour enrichi. L’unité de l’ensemble ainsi obtenu est garantie par les nombreux points de contact thématiques et méthodologiques entre les différents articles. Ces lignes de force nous ont d’ailleurs semblé, pour l’organisation du volume, constituer des critères plus opérants qu’une distribution purement chronologique distinguant – parfois artificiellement – Moyen-Âge et Renaissance. Quatre groupes ont ainsi pu être dégagés. Cinq articles, rassemblés dans la section « enjeux critiques de la relation entre théorie et pratique », proposent une réflexion sur la place et le statut des Arts poétiques au regard de la pratique poétique. En dressant un panorama des textes théoriques normalisant la poétique en moyen français, Olivier Delsaux (« Défense et illustration des arts ‘poétiques’ français de la fin du Moyen Âge ») montre bien les limites des « arts poétiques » médiévaux (s’il est permis de dénommer ainsi les textes normatifs), qui échouent « à rendre compte de la richesse et de la diversité des pratiques ». Sur base d’une sélection d’auteurs représentatifs du Moyen Âge central (xi e-xiii e siècle), Elsa Marguin-Hamon (« Entre conservatoire et espace de liberté : la poésie médiolatine et ses implications théoriques en question ») examine comment s’est opérée la symbiose entre héritage et innovation, entre une volonté de faire des traités des « conservatoires » de pratiques attestées et d’intégrer les nouveautés les plus récentes. L’Art poétique n’est dès lors jamais en retrait des enjeux poétiques de son époque et des préférences esthétiques qui la traversent. C’est que, comme le rappelle Adrian Armstrong (« Théorie et pratique, aller et retour : l’art de rhétorique et la poésie de Jean Molinet dans deux recueils manuscrits »), les théoriciens sont en général aussi et avant tout des praticiens. D’où la pertinence mais surtout l’intérêt d’analyser les considérations théoriques d’un auteur tel que Jean Molinet au regard de ses propres productions poétiques, particulièrement lorsque les deux types d’œuvres sont rassemblés au sein d’un même manuscrit. Jean-Charles Monferran (« De l’anthologie et de l’art poétique français à la Renaissance ») s’intéresse pour une autre période, la Renaissance, à des questionnements similaires à ceux d’Adrian Armstrong et d’Elsa Marguin-Hamon, à savoir d’une part les relations entre les arts poétiques et les recueils de poésies, et d’autre

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part le statut de l’art poétique qui ne prescrit pas tant qu’il entérine une pratique et intègre des innovations. Toujours concernant la Renaissance, Michel Jourde, pour sa part, insiste d’emblée sur le fait que la poésie est à la confluence de deux sources : la lecture des poésies antérieures et la compulsion des Arts poétiques, qui fournissent les règles et partant systématisent un art. La question de savoir qui de la poésie ou de la poétique a l’antécédence a pourtant été posée par les auteurs de la Renaissance. C’est ce que M. Jourde examine chez quelques auteurs du x v i e siècle et, en particulier, chez Jacques Peletier du Mans en pointant les enjeux qu’un tel questionnement fait émerger (« La poésie avant la poétique : enjeux d’une antécédence chez Jacques Peletier du Mans »). Une deuxième section (« par-delà la problématique théorie-pratique ») réunit les articles qui envisagent le rapport entre théorie et pratique par le biais d’une approche latérale, ou articulant cette problématique avec des questions qui la mettent en jeu. Annelyse Lemmens (« Le frontispice, mise en scène de la poésie néo-latine… ») envisage les frontispices des Arts poétiques ou des recueils de poésies, et met au jour les différents rôles qu’ils jouent au sein de l’œuvre : liminaire de l’œuvre, le frontispice invite le lecteur à y pénétrer mais en propose aussi un programme synthétique, marqué par des considérations politiques ou faisant prévaloir certaines préférences esthétiques. Jane H. M. Taylor (« A Grammar of Legibility… ») insiste sur l’importance d’une étude de la « mise en texte » des Arts poétiques, en envisageant le cas particulier du Grant et vray art de pleine Rhetorique de Pierre Fabry, dont le paratexte fournit aux lecteurs un appareil facilitant une consultation ponctuelle de l’ouvrage. Travaillant sur un corpus de textes produits ou traduits au sein d’univers culturels différents, mais toujours dans un contexte polémique et dans une visée politique, Nathalie Hancisse (« ‘I’ay mis la main au papier pour escrire / d’un different que i’ay voulu transcrire’: translation, politics and Mary Stuart’s poetical voice ») envisage l’influence des poésies en langues étrangères sur la production anglophone, en analysant les interactions entre le texte-source et ses traductions. Enfin, Tom Deneire (« Reconsidering Imitatio Auctorum. A dynamic-functionalist approach to imitation in neo-latin poetry ») interroge cette notion d’influence et d’innutrition sous l’angle de l’imitatio, processus dont il décortique la complexité, et dont l’étude déborde largement le cadre de la simple recherche de loci similes. Une troisième et dernière section est consacrée à l’« étude des pratiques à l’aune des théories », avec un focus d’une part sur quelques auteurs et d’autre part sur quelques genres. Ludmilla Evdokimova (« L’art de la parole et la gradation des styles dans les poèmes lyriques de

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Deschamps ») propose d’examiner l’œuvre d’Eustache Deschamps sur la base des préceptes et doctrines en vigueur au Moyen-Âge. Michiel Verweij (« La comédie scolaire néo-latine ou comment écrire des textes classiques sans modèle théorique ? »), Aline Smeesters (« Le genethliacon Salonini et le genethliacon Lucani comme modèles pratiques [et théoriques ?] du poème généthliaque néo-latin ») et Virginie Leroux (« Théorie et pratique de l’élégie latine au x v i e siècle ») envisagent trois genres qui ont été l’objet d’un nombre restreint de prescriptions. Une étude des œuvres se révèle dès lors être le seul moyen pour en dégager des « modèles pratiques » (A. Smeesters) qui ont influencé les poètes néo-latins dans la rédaction de leurs œuvres. Mais cette influence est souvent multiple et polymorphe : nombreux sont les auteurs-jalons et les filtres qui marquent de leur empreinte les différentes formes d’un genre (V. Leroux). Une analyse des pratiques peut aussi déboucher sur le constat que les auteurs avaient une conception assez superficielle des critères qui font le genre (M. Verweij). Perrine Galand s’interrogera pour terminer (« Jean Salmon Macrin éditeur et lecteur de Vida ») sur l’attitude ambivalente de Macrin, qui promeut la diffusion de la poétique de Vida tout en s’en démarquant radicalement en tant qu’auteur. Au fil de ces travaux, il apparaît que l’analyse de la relation entre théorie et pratique poétiques ne peut se réduire à la confrontation entre les arts poétiques d’une part et les poésies de l’autre ; qu’en outre, l’étude des textes « canonisant » la création poétique ne constitue qu’une perspective parmi de nombreuses autres approches possibles du phénomène. C’est que l’« art poétique », genre ou du moins type d’écrits à part entière, entretient avec la praxis des rapports variés, qui vont de la complémentarité à la discordance, avec entre ces deux extrêmes divers degrés de compatibilité, et doivent en cela se comprendre hors du cadre strict de leur prétention à la normalisation. Avant de clôturer cette introduction, nous tenons à exprimer notre gratitude aux institutions et aux personnes qui nous ont soutenus dans l’organisation du colloque, puis dans sa publication. Notre projet initial d’organiser une journée d’étude et d’y réunir autour de la question poétique quelques doctorants dans le domaine de la littérature néo-latine s’est rapidement transformé en un colloque international ouvert à des chercheurs de divers horizons et disciplines, et ce grâce aux encouragements – renouvelés lorsqu’il s’est agi de publier les actes – de Perrine Galand, que nous remercions chaleureusement. Les deux journées du colloque n’auraient pas été possibles sans le soutien financier et logistique du Fonds national pour la Recherche

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scientifique (via un Financement FSR en soutien aux Écoles Doctorales du FNRS), des groupes de recherche « Rome et ses Renaissances » de l’EPHE (Université de Paris-Sorbonne) et du GEMCA (Group for Early Modern Cultural Analysis, Université catholique de Louvain, dont la directrice, Agnès Guiderdoni, nous a particulièrement aidés), mais aussi l’Académie royale de Belgique, qui a accueilli le colloque dans ses murs. Il nous faut enfin remercier les auteurs qui ont participé au colloque ou ont rejoint l’aventure en cours de route, ainsi que les « figures tutélaires » qui nous ont, avec Madame Galand, accompagnés durant toute l’élaboration du présent ouvrage : les Professeurs Aline Smeesters (UCL, FNRS) et Lambert Isebaert (UCL), notre promoteur commun, à qui nous avons confié le mot inaugural.

Lambert I sebaert

DISCOURS INAUGUR AL « Tout

v ér itable chef - d ’œu v r e a v iolé la loi d ’un genr e les historiens et théoriciens de la littérature connaissent bien cette phrase nettement tranchée de Benedetto Croce (1902), qui est un rejet de la classification formelle et de la définition générique a priori des œuvres littéraires. Une telle déclaration a du moins le mérite de faire ressortir très clairement l’idée-force, qui anime et sous-tend la rencontre de ces deux jours sur les Arts poétiques et qui peut se résumer, selon les termes mêmes de l’annonce du colloque, par la « tension entre licence poétique et codification », c’est-à-dire entre liberté créatrice et rigueur normative, entre originalité et tradition. Face aux règles du code en vigueur se situent donc, en s’opposant comme des pôles extrêmes, la transgression audacieuse des frontières et la soumission servile aux règles. Cette antinomie peut encore s’énoncer à un niveau plus profond, qui se rapporte alors au processus même de la création littéraire : l’opposition de l’intuition et du calcul méthodique, de la spontanéité et de la raison ordonnée, de la nature et de l’effort, du génie et de la maîtrise technique. À vrai dire, la tension marquée entre le savoir donné et la compétence acquise, entre la grâce de l’inspiration et le labeur de la création, bref tout ce qui différencie le poeta vates et le poeta faber, se lit déjà, dès le commencement de l’histoire de la littérature grecque, chez Homère et plus encore chez Hésiode, qui nous livre, au début de la Théogonie, des réflexions proprement métapoétiques. En effet, le poète s’y présente comme le serviteur des Muses (Μουσάων θεράπων, v.  100), qui lui accordent, en retour de sa dévotion, le don de l’inspiration ; grâce à ce privilège, qui lui permettra notamment de distinguer le vrai et le faux, Hésiode peut désormais chanter les réalités du passé et de l’avenir : « Pour bâton, elles m’offrirent un superbe rameau par elles détaché d’un olivier florissant ; puis, elles m’inspirèrent des accents divins, pour que je glorifie ce qui sera et ce qui fut » (v. 30‑32). Mais, d’autre part, le favori des Muses est aussi un ouvrier du verbe : chez Homère, éta bli  » :

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l a m bert iseba ert

le poète est désigné comme un « charpentier de paroles » (ἐπέων τέκτων) ; et Hésiode encore, dans un passage significatif des Travaux et des Jours, associe dans une même énumération potiers, charpentiers et chanteurs (v. 25‑26). C’est que l’activité du poète est aussi un travail d’artisan, comme l’ouvrage du potier (κεραμεύς) ou le métier du charpentier (τέκτων) : chacun, dans son domaine propre, s’adonne à un agencement, une mise en forme, une articulation ordonnée de la matière brute. La technique littéraire est ainsi comparable à la technique de la charpente ou de la menuiserie : le poète ajuste ses paroles comme l’ouvrier du bois ajuste les pièces qu’il assemble. La conception de la poésie comme un travail d’agencement, d’ajustement des mots plonge d’ailleurs ses racines très loin dans l’histoire : la comparaison linguistique a démontré qu’elle remonte à l’époque proto-indo-européenne ; elle détermine aussi l’étymologie du nom grec de l’art, τέχνη, qui désigne le « savoir-faire », le « métier », la « maîtrise » se rapportant à l’origine au travail du bois. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer le mot ars, l’équivalent latin de la τέχνη grecque, tire semblablement son nom d’une vieille racine *ar- signifiant « adapter, ajuster, ordonner ». Il convient de noter à ce propos que, pour Hésiode et les Anciens en général, les deux pôles que représentent le poeta vates et le poeta faber ne sont pas antinomiques par nature, mais s’appellent l’un l’autre pour former une synthèse. La métaphore de l’art poétique comme maîtrise technique révèle ainsi la nécessité d’organiser et de travailler la matière, encore informe et désordonnée, qui jaillit de l’inspiration. On peut aussi dire que l’œuvre littéraire a, pour les Anciens, d’autant plus de vigueur et de force expressive qu’elle est orientée et canalisée par les règles et les lois qui en assurent l’excellence technique. Pour revenir à l’association du poète, du charpentier et du potier, le passage déjà cité des Travaux et des Jours énonce celle-ci dans un contexte de rivalité et de jalousie : « le potier en veut au potier, le charpentier au charpentier, le chanteur au chanteur » (v. 25‑26). Comme l’ouvrier et l’artisan, le poète élu des Muses est mû par une saine jalousie (ἀγαθὴ ἔρις), qui le pousse à rivaliser avec ses collègues et à les dépasser par son art. L’émulation des chanteurs donnera lieu, en Grèce archaïque, à des concours poétiques, comme celui de Chalcis, où, selon la légende, Hésiode triompha d’Homère. Plus tard, le lien intrinsèque entre émulation et excellence technique se manifestera plus clairement encore dans la figure du poeta doctus, qui cherche à égaler ou à surpasser les modèles traditionnels qu’il se propose d’imiter. Aemulatio et imitatio sont ainsi un nouvel avatar de l’opposition décrite il y a quelques instants en termes de liberté et de contrainte.

discours inaugur a l

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Si, comme on le dit souvent, l’essence de l’humanisme est la poésie et la rhétorique1, alors le prototype de l’humaniste doit être précisément le poeta doctus, tel que nous venons de le caractériser et dont l’ambition artistique majeure est l’imitatio et aemulatio veterum, ce qui implique entre autres le rejet des formes typiques de la poésie médiévale (rime, rythme accentuel). En général, le respect des normes et usages de la tradition littéraire classique a empêché, à partir des x v i e et x v ii e siècles, la création de genres nouveaux et n’a laissé que peu d’espace pour l’expérimentation, la modification des formes poétiques traditionnelles (notamment métriques) ou l’influence des littératures nationales. Quant aux Arts poétiques dont le nombre augmente considérablement à partir de la Haute Renaissance, ils sont de nature normative ou prescriptive, dans la mesure où ils définissent des règles strictes et se livrent à la critique des productions des poètes contemporains. Leur but déclaré est d’ailleurs souvent didactique : ils veulent former et instruire le futur poète, qui sera précisément doctus par le fait que sa maîtrise de la technique littéraire nécessite une formation exigeante. Une telle conception de la poésie, si elle répond à un horizon d’attente indéniable, demande au lecteur d’être aussi savant que l’auteur, afin de goûter et d’apprécier à leur juste valeur toutes les finesses et les trouvailles relevant de l’aemulatio et de la variatio.

1  J. IJsewijn, D. Sacré, Companion to Neo-Latin Studies. Part II (Literary, Linguistic, Philological and Editorial Questions), Leuven, 19982 (Supplementa Humanistica Lova­ niensia, 14), p. 315.

Olivier D elsaux

DÉFENSE ET ILLUSTR ATION DES ARTS « POÉTIQUES » FR ANÇAIS DE LA FIN DU MOYEN ÂGE L a seule a mbition de cette contr ibution est de dresser un panorama des arts poétiques français au Moyen Âge et d’offrir quelques balises à qui désire les étudier. Au vu de la problématique du colloque, l’on tâchera aussi de mettre en évidence les éléments qui éclairent la façon dont ces traités envisagent la mise en pratique du code par les écrivains1. Il faut d’emblée préciser que l’emploi du terme art poétique pose problème quand on travaille sur le français médiéval. De fait, à l’époque, ce que l’on entend aujourd’hui par « art poétique » se nommait art rhetorique ou art de rethorique ; rhetorique y désignant l’art de s’exprimer en suivant des règles2 . Par contre, poetique désignait alors l’art d’écrire des fictions3. Néanmoins, pour la facilité de l’exposé, nous appellerons « arts poétiques » ces arts de rhétorique du Moyen Âge, qui contenaient d’ailleurs des listes de poetries, fictions et histoires mythologiques servant d’exempla aux écrivains4.

1  Cf. bibliographie

sélective. exemple, au chapitre I, § 11 de l’Archiloge Sophie, Jacques Legrand définit la rethorique comme la « science qui aprent a bien et bel parler » (Jacques Legrand, Archiloge Sophie / Livre de bonne meurs, éd. E. Beltran, Paris Champion, 1986 [Bibliothèque du x v  e siècle]). 3 « Pour tant a parler des choses divines a la forme des choses humaines, comme les prophetes souvent l’ont fait en leurs escriptures, a l’exemple de Boëce et de Alain et d’autres poetes catholiques, je prendray une telle figure et ymaginacion poetique pour plaisamment expliquer la verité de ceste concepcion. » (Jean Gerson, Sermon sur la Fête de la Conception de la Vierge (L. Mourin, Six sermons français inédits de Jean Gerson, Paris, 1946, p. 387‑429 [Études de théologie et d’histoire de la spiritualité 8], p. 389.) Partout, c’est nous qui soulignons, par des italiques. 4  Sur ces listes, voir G. Di Stefano, Multa mentiere poetae. Le débat sur la poésie de Boccace à Nicolas de Gonesse, Montréal, 1989 (Inedita & Rara 6) ; pour des exemples de 2 Par

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oli v i er del sau x

En soi, l’on peut dégager trois dimensions des codes poétiques. Premièrement, les arts poétiques qui théorisent ces codes. Deuxièmement, les commentaires métadiscurifs des écrivains sur les codes. Troisièmement, les pratiques poétiques, c’est-à-dire, d’une part, la façon dont les écrivains appliquent ou non les codes théoriques dans leurs œuvres et, d’autre part, la façon dont les écrivains mettent en place de nouveaux codes par leurs pratiques5. Cette contribution se concentrera sur la dimension théorique. Celleci est encore aujourd’hui difficile à étudier en raison d’un désintérêt, encore récent, de la critique pour les arts poétiques médio-français. Ceux-ci sont la plupart inédits ou mal édités – faute d’étude matérielle récente sur la tradition manuscrite et imprimée de ces textes – et il n’existe aucun ouvrage de synthèse sur le sujet6. L’écrivain médiéval était pourtant un facteur (ou factiste), un artisan du verbe. L’on jugeait ses textes à l’aune de ses qualités esthétiques et de la mise en œuvre d’un certain nombre de règles formelles ; non en fonction de l’originalité du sujet7. Vu cette conception de la rédaction d’un texte, le nombre d’arts poétiques en français devrait être important. Pourtant, ceux que l’on a conservés sont rares, tardifs et bien différents des arts poétiques latins et de ceux du x v i e siècle. C’est ainsi qu’en 1521, dans ce qu’il intitulait significativement le Vray art de rethorique, Pierre Fabry pouvait souligner que :

telles listes, Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Paris, 1902, p. 39‑48, 65‑72, 97 et Jacques Legrand, Archiloge Sophie, éd. E. Beltran. 5  L’on ne suivra donc pas une voie archéologique, qui consisterait à reconstituer les codes connus pas les auteurs et observer leur mise en place dans leurs œuvres. Edmond Faral a appliqué une telle démarche pour les textes en ancien français, en montrant comment les écrivains français ont convoqué dans leurs textes la plupart des figures rhétoriques proposées par les arts poétiques latins (E. Faral, Les arts poétiques du x ii  e et du x iii  e siècle. Recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris, Champion, 1971 [Bibliothèque de l’École des Hautes Études 238]). Une telle étude resterait à faire pour les textes en moyen français. À ce propos, l’on se réfèrera à Cl. Thiry, « Rhétorique et genres littéraires au x v e siècle », dans Sémantique lexicale et Sémantique grammaticale en Moyen Français, éd. M. Wilmet, Bruxelles, 1979, p. 23‑50. 6  Sans nul doute, les travaux du GDR / CNRS 3063 « Théories du Poétique » dirigé par Michèle Gally permettront de combler certaines lacunes, en particulier pour ce qui concerne l’Instructif de seconde rhetorique. À ce propos, l’on se réfèrera à : Le poétique et ses normes, section du n° 21 (2011) des Cahiers de recheches médiévales et humanistes (introduction de M. Gally, J.-Ch. Monferran et J.-Cl. Mühlethaler, p. 203‑304). 7  Sur cette question, voir Original et Originalité. Aspects linguistiques, historiques et littéraires, Louvain-la-Neuve, mai 2010, éd. O. Delsaux et H. Haug, Louvain-la-Neuve, 2012.

défense et illustr ation des arts

« poétiuqes

fr a nçais  »

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en nostre langage vulgaire aucunes rigles et ordonnances de rethorique tant en prose qu’en rithme […] ont esté eu paravant fort celees par les avoir tenues secrettes, ou n’en avoir que l’usage pour tous livres, a celle fin que ceulx a qui il viendra a plaisir de composer en françoys, en prose ou en rithme, en puissent plus facillement ouvrer avec l’aide de nature et usage et des autres sciences8.

Au début du x v e siècle, le traducteur français et poète latin Laurent de Premierfait souligne également la difficulté de prolonger en vernaculaire les codes poétiques utilisés par un auteur latin : Et combien que le fardeau dont vous m’avez chargié [la traduction du De senectute de Cicéron] surmonte la petitesse de mes forces, toutevoies en rendend l’obeissence que je vous doi je me suy essaié a le porter sur mes floibles espaules en gardand deux choses : l’une, pour ce que en langaige vulgar ne puest estre pleinement gardee art rhetorique, je userai de paroles et de sentences tantost et promptement entendibles et cleres aux liseurs et escouteurs de ce livre, sanz riens laissier qui soit de son essence ; l’autre chose iert que ce qui samble trop brief ou trop obscur je le allongirai en exposend par mots et par sentences9.

À la fin du x v e siècle, dans l’Altercation des trois dames attribuable à Octovien de Saint-Gelais, lors de la description de Dame Elegance, en particulier de ses différentes couronnes, l’acteur semble souligner l’infériorité du code poétique français par rapport au code latin : La seconde estoyt de lorier / Qui signifioyt rethorique. / Tulles en fut le tresorier, / Mais Virgille en eust la pratique, / Qui fut poete en sa cronique / Et parlant plus doulx que myel / Il avoyt engin angelique / Oncque ne fu ne sera tel. Plusieurs l’ensuyvent en françoys / En convertissant vers en rime, / Des quieulx j’ay ouy nommer troys ; / Je ne scay qui est le quatrisme. / Tant y a que pas le dixesme / Ne vault le françoys du latin, / Mais quoy ? Qui ne se lieve à prime / Face de tierce le matin. [Glose latine marginale conçue par l’auteur :] Hii sunt magisteri Johanes de Meum, Alanus Charetier et Christina de Pisis, quos et in admirabiliter inventis, et incongruenter dispositis, et in decentissimo sermone prolatis super ceteros quos agnouerim compari precellentes (Saint-Petersbourg, BNR, Fr. F v XIV 11, fol. 9r-v [nous préparons une étude du texte inédit de ce manuscrit unique]).

8  P. Fabri, 9  Éd. St.

Le grand et vrai art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Rouen, 1890, p. 8. Marzano, Turnhout (Texte, Codex & Contexte 10), 2009, p. 43‑45.

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En dressant le panorama des arts poétiques français au Moyen Âge, l’on sera conduit à s’interroger sur les enjeux et les motifs de cette discontinuité entre codes poétiques latins et français10. P r émisses d’une

théor isation poétique

Avant la fin du xiv e siècle, les seuls textes qui s’apparentent à des arts poétiques sont des traductions plus ou moins libres des traités de rhétoriques cicéroniens ou pseudo-cicéroniens. Premièrement, dans la seconde moitié du xiii e siècle, au troisième livre de son Livres dou tresor, œuvre encyclopédique écrite en français, le florentin Brunetto Latini traite de la poétique. Il y traduit librement des extraits de Cicéron et de Geoffroy de Vinsauf 11. Ces passages auront une influence notable sur tous les écrivains français médiévaux qui se réfèreront à ce sujet. Brunetto Latini exige de fonder son écriture sur l’apprentissage d’un code auquel il faut se conformer : « Or est il donc prové que la escience de retorique n’est pas dou tout aquise par nature ou par us, mais por enseignemens ou por art » (éd. S. Baldwin et P. Barrette, p. 292). Deuxièmement, à la même époque (1282), Jean d’Antioche traduit le De inventione de Cicéron et la Rhétorique à Hérennius12 . Concrètement, le traducteur fond les deux traités latins cicéroniens en un seul ouvrage, qu’il divise en six livres. Cependant, cette traduction d’un niveau technique indéniable a eu un impact très limité. Rédigé à Acre, ce texte n’a pas circulé en dehors de la sphère du commanditaire de

10  L’on

se réfèrera également à l’article d’E. Marguin-Hamon cité à la note 1. Li Livres dou Tresor, § III le livre de bone parleure, qui enseigne a bien parler (1266‑1268) (environ 87 manuscrits recensés). Éditions : Fr. J. Carmody, Brunetto Latini. Li livres dou Tresor, Berkeley, Los Angeles, 1938‑1948 (University of California Publications in Modern Philology 22) ; J. Bolton Holloway, Il Tresoretto, New-York, London, 1981 ; S. Baldwin et P. Barrette, Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, Tempe, 2003 ; P. G. Beltrami et al., Li Livres dou tresor, Torino, 2007. Travaux : P. Messelaar, Le vocabulaire des idées dans le ‘Trésor’ de Brunetto Latini, Assen, 1963 ; Fr. Vielliard, « La tradition manuscrite du Livre dou Tresor de Brunet Latin. Mise au point », Romania, 111 (1990), p. 141‑152 ; J. Bolton Holloway, Brunetto Latino, Maestro di Dante Alighieri : An Analytic and Interactive Bibliography http://www.florin.ms/BrunLatbibl. html, 2006. 12 Jean d’Antioche, Rectorique de Marc Tulles Cyceron (1282). Manuscrit : Chantillly, Bibl. du Château, 433. Éditions : L. Delisle, « Notice sur la Rhétorique de Ciceron traduite par maitre Jean d’Antioche, manuscrit 590 du Musée Condé », Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, 36 (1899), p. 207‑265 ; E. Guadagnini, La Rectorique de Cyceron tradotta da Jean d’Antioche, Pisa, 2009 ; W. Van Hoecke, La Rhétorique de Marc Tulles Cicéron, Leuven, en préparation. 11 

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l’œuvre, Guillaume de Saint-Étienne, chevalier de l’Hôpital de SaintJean de Jérusalem. Contrairement à Latini, Jean d’Antioche souligne que pour écrire, il faut disposer d’une certaine capacité innée, indépendamment des codes et de leur apprentissage : tant est ores l’art de rethorique […] copiousement et enterinement faite, qui parfaitement la sauroit et fust de bon enging et la metroit en usage, il seroit si enluminé de lengue et de raison que creature humaine ne le porroit vaincre par force de paroles et de raison, et sembleroit avis qu’il seroit devenus de muet home enparlé (éd. L. Delisle, p. 217).

Dans un long prologue, une postface et un épilogue, il justifie son travail. Il y situe l’art poétique du côté de la grammaire, ce qui annonce la direction dans laquelle les arts poétiques français se développeront : La science sermocinale est mise en la devision de practique, porce qu’ele est especiaument necessaire à la conversacion et à l’araisonement des homes. Quar gramaire nos enseigne covenablement et droitement parler. Logique nos enseigne veritablement parler sanz fausseté ou desgarder le voir dou faus. Rethorique nos fait atraitablement et aorneement parler aveuques raison. […] Rethorique est plus jointe à gramaire que n’est à logique (éd. cit., p. 217).

Cependant, contrairement aux théoriciens qui suivront, Jean d’Antioche estime qu’il existe une applicabilité directe des arts poétiques latins pour le domaine français (éd. cit., p. 217‑218). Ces deux textes excentriques par rapport au territoire français constituent les deux seules entreprises de traduction dont les textessources traitent entièrement ou partiellement de poétique. Certes, ces traductions attestent d’une certaine « conscience poétique », mais pas réellement d’un désir de clarifier et de classifier les pratiques poétiques propres au vernaculaire. Ce qu’il faut surtout souligner, c’est que des rhétoriciens latins majeurs, tels qu’Horace ou Quintilien, ne seront pas traduits au Moyen Âge bien que les écrivains français du x v e siècle connaissaient leurs textes13. Il faut attendre le moyen français, en particulier la fin du xiv e siècle et les mutations apparues dans les pratiques grâce à Guillaume de Ma13 D. Cecchetti, L’evoluzione del latino umanistico in Francia, Paris, CEMI, 1986 (Rubricae. Histoire du livre et des textes) ; E. Ornato, « La redécouverte des discours de Cicéron en Italie et en France à la fin du x i v e et au début du x v e siècle », dans Acta Conventus Neo-latini Bononiensis. Proceedings of the Fourth International Congress of Neo-Latin Studies. Bologna 26 August to 1 September 1979, ed. R. J. Schoeck, Binghamton, 1985 (Medieval & Renaissance Texts and Studies 37), p. 564‑576.

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chaut, pour qu’apparaissent les premiers arts poétiques en tant que tels. En effet, bien que ne se nommant pas arts poétiques, quelques textes du xiv e siècle, au statut peu ou mal défini par leurs auteurs, offrent une réflexion sur le texte poétique en français, qui se distingue de celle des arts poétiques latins14. Ainsi, le plus grand poète français du xiv e siècle, Guillaume Machaut, n’a jamais rédigé d’art poétique proprement dit. Cependant, son Remède de Fortune, recueil de poèmes écrit vers 1342, donne un tableau complet des formes poétiques alors en usage et des types génériques d’après lesquels ils devaient se régler, mais il n’a fait suivre ces exemples d’aucun commentaire15. E ustache D escha mps Dès lors, l’on considère généralement que le premier art poétique français est l’Art de dictier d’un des disciples rebelles de Machaut, Eustache Deschamps16. Par une succession d’extraits et de conseils pratiques, cet art poétique, adressé à un noble seigneur, offre une description des voyelles et des consonnes ; puis des types de rime et de vers ; enfin, des différents types de pièces à forme fixe. 14  Cl. Thiry,

« Première partie », La poésie française du Moyen Âge au XX e siècle, éd. M. Jarrety, Paris, 1997, p. 62‑67. 15  Guillaume de Machaut, Œuvres, éd. E. Hoepffner, Paris, 1908‑1921 (Société des anciens textes français), t. 2, p. 1‑157. Cette promotion de l’imitation de la pratique du poète plus que le respect de la théorie qu’il établit se retrouve chez un contemporain de Deschamps, Christine de Pizan, qui dans un manuscrit destiné à la reine de France Isabeau de Bavière précise que la pièce qu’elle a rédigée permet d’apprendre à rimer : « Ci s’ensuit une assemblee de plusieurs Rimes auques toutes leonimes en façon de lay pour apprendre à rimer leonimement » (Londres, British Library, Harley 4431, fol. 25b). 16  Eustache Deschamps, Art de dictier et de fere chançons (1392). Manuscrits : Paris, BnF, fr. 840 et Paris, BnF, nafr. 6221. Éditions : Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. Marquis de Queux de Saint-Hilaire et G. Raynaud, Paris, 1878‑1904 (SATF), t. 7 ; D. M. Sinnreich, Eustache Deschamps’ « L’art de dictier », Ph.D., City University of New York, 1987 ; Eustache Deschamps, L’art de dictier, éd. J.-Fr. Kosta-Théfaine, Clermont-Ferrand, 2010 ; Clotilde Dauphant (éd. et trad.), Eustache Deschamps, Anthologie, Paris, Librairie Générale Française, 2014 (Lettres gothiques / Le livre de poche n° 32861). Travaux : R. Dragonetti, « ‘La poesie… ceste musique naturele’ : essai d’exégèse d’un passage de l’Art de dictier d’Eustache Deschamps », dans Fin du Moyen Âge et Renaissance. Mélanges de philologie française offerts à Robert Guiette, Anvers, 1961, p. 49‑64 ; G. Lote, « Quelques remarques sur l’Art de dictier d’Eustache Deschamps », dans Mélanges de philologie romane et de littérature médiévale offerts à Ernest Hoepffner par ses élèves et ses amis, Paris, 1949 (Publications de la Faculté des lettres de Strasbourg 113), t. 1, p. 361‑367 ; K. Varty, « Deschamps’ Art de dictier », French Studies, 19 (1965), p. 164‑168 ; Cl. Dauphant, Varier dans l’ordre : la composition des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (manuscrit Bnf fr. 840), thèse de doctorat soutenue en 2010 (Paris, Université de Paris IV) et publié chez Champion en 2016.

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Ce traité est particulièrement audacieux. Premièrement, il se limite aux seules règles de versification et traite de facto des questions les plus spécifiques à la codification poétique du français. Deuxièmement, il convoque dans son traité les pratiques poétiques les plus novatrices, notamment le rondeau et la ballade. Troisièment, il dissocie pour la première fois le discours poétique du discours musical. Par cette dissociation, d’une part, ce traité affirme les potentialités mélodiques spécifiques du français. D’autre part, ce code poétique marque une rupture avec toute la pratique poétique française antérieure, où la poésie était chantée. Il faut noter que les exemples qui illustrent le traité sont tirés des propres textes de Deschamps. Autrement dit, celui-ci aurait pu vouloir montrer que sa propre pratique suit la théorie, l’exemplifie voire qu’elle l’anticipe, mais également que la politique de l’écart par rapport aux codes qu’il cultive dans ses textes est, selon lui, théorisable, généralisable et actualisable par d’autres écrivains. L’écrivain est autorisé à innover par rapport aux codes, ces pratiques d’innovation anticipant les codes futurs17. De plus, les deux seuls manuscrits de l’Art de dictier conservés (Paris, BnF, fr. 840 et Paris, BnF, nafr. 6221) présentent ce texte au milieu d’une anthologie des pièces du poète18. Vu l’origine de ces deux codex, peut-être, du moins pour l’un d’eux, produits à partir de manuscrits contrôlés par Deschamps19, il est possible que cette insertion du code poétique au sein de ses poèmes soit un choix de l’écrivain et non celui d’un scribe. D’une certaine manière, Deschamps y déligitimerait l’autorité des codes théoriques à analyser au profit de l’imitation des pratiques. Cette mise en avant des pièces du poète pourrait également montrer que le code ne serait pas applicable en dehors de certaines pratiques du théoricien lui-même. En effet, malgré l’utilisation par Deschamps de ses propres poèmes dans son traité, certaines règles de l’Art de dictier sont en désaccord 17  Cl. Thiry, « Eustache Deschamps, ou le changement dans la (fausse) continuité lyrique », dans Convergences médiévales. Épopée, lyrique, roman, éd. N. Henrard, M. Tyssens, P. Moreno et M. Thiry-Stassin, Bruxelles, 2000, p. 511‑526. 18  Dans le manuscrit Paris, BnF, fr. 840, Raoul Tainguy n’a pas reproduit entièrement les pièces, qui étaient copiées ailleurs dans le manuscrit. 19  G. M. Roccati, « La réception de l’œuvre d’Eustache Deschamps aux x v e et x v i e », dans L’écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, Turnhout (Texte, Codex, Contexte 1), 2006, p. 277‑302 ; Cl. Dauphant, Varier dans l’ordre… ; O. Delsaux, « L’humaniste Simon de Plumetot et sa copie des poésies d’Eustache Deschamps. Une édition génétique au début du x v e siècle », Revue d’Histoire des Textes, nouvelle série, 9 (2014), p. 273‑350 ; 10 (2015), p. 141-195.

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avec les principes qui guident d’autres de ses poèmes ; Deschamps ne justifie pas ces entorses aux règles qu’il adopte dans ses propres textes. La critique considère souvent que ces écarts entre le code et certaines pratiques du théoricien sont autant de preuves que cet ouvrage a été écrit rapidement, sans grande réflexion. Cependant, Deschamps aurait pu parfaitement assumer ces licences, pour différentes raisons. Premièrement, en écrivant ce traité, Deschamps ne cherchait pas réellement à écrire un manifeste poétique, reflet de la complexité théorique de ses propres pratiques poétiques. Il cherchait plutôt à répondre à la commande du prince à qui il dédie ce texte et à lui offrir un manuel destiné à faire de lui un poète amateur20. Deuxièmement, la perspective de l’Art de dictier n’est pas de présenter une théorie prescriptive ou normative exhaustive. Il s’agit plutôt de décrire les pratiques les plus courantes et les plus communes en un moment donné. Son art poétique n’y fait que décrire un moment, figé dans l’évolution des pratiques poétiques réelles. Le montre la description du Serventois, pour lequel il précise qu’on « n’y souloit on point faire de refrain, mais a present on les y fait » (éd. Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud, p. 281). Troisièment, ce que la critique considère comme des préceptes, contradictoires avec ses propres pratiques, ne sont en réalité que des commentaires sur les pièces qui sont insérées dans l’Art de dictier et qui ont donc une portée très limitée. En effet, les explications sont souvent trop courtes et trop laconiques pour qu’elles puissent réellement servir de guide au futur rimeur. Par exemple, pour le laiz, il est uniquement précisé que « c’est une chose longue et malaisiée a faire et trouver » (éd. cit., p. 281). Seul l’exemple d’un des lais de Deschamps qui suit permet de comprendre le principe de fonctionnement de ce type de pièce. Dans ce contexte, il n’y a pas lieu de s’étonner des discontinuités entre les préceptes théoriques et les pratiques poétiques du théoricien Deschamps. Avant d’aborder un autre traité, il est nécessaire d’insister sur un fait important. Deschamps affirme au début de son traité que l’art poétique ne saurait s’enseigner à un être humain, si la nature ne l’y a pas disposé. Contrairement à la musique, décrite comme la simple mise en œuvre d’un certain nombre de règles apprises, la poésie est un don inné, qui se fonde sur une compétence non maitrisable et indépendante 20  « a esté [fait] du commandement d’un mien tresgrant et especial seigneur, auquel pour mon petit engin ne autrement, pour l’obeissance que je lui doy » (éd. cit., p. 292).

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de l’apprentissage de règles21. Cette présentation de l’intuition comme prérequis à toute pratique poétique professionnelle montre que les arts poétiques français en général n’étaient pas destinés aux écrivains euxmêmes, mais plutôt à des poètes amateurs et définitivement amateurs, s’ils n’avaient pas l’engin soubtil : L’autre musique est appellee naturele pour ce qu’elle ne puet estre aprinse a nul, se son propre couraige naturelment ne s’i applique (p. 270) ; Item, semblablement et finablement pourra sçavoir un chascun qui de son noble couraige avra la musique naturele bien estudié faire et amender, par cest present art, avecques son noble engin, toutes manieres de balades, rondeaulx, chançons baladees, serventois, sotes chançons, laiz, virelais et pastourelles, eu regart aux exemples et articles cy dessus escrips et autres que l’on peut veoir en tel cas (p. 291).

Deschamps rejoint d’ailleurs sur ce point son maître Machaut22 , pour qui il n’est pas possible de faire de la poésie sans don, comme il l’affirme dans son célèbre prologue au manuscrit de ses œuvres complètes : Je, Nature, par qui tout est fourmé / Quanqu’a ça jus, et seur terre et en mer, / Vien ci à toy, Guillaume, qui fourmé / T’ay à part, pour faire par toi fourmer / Nouviaus dis amoureus plaisans23.

Malgré l’importance de l’Art de dictier de Deschamps pour l’étude de la poétique française, l’on doit souligner que ce texte n’a peut-être jamais été mis en pratique. De fait, les deux seuls manuscrits conservés présentent des fautes qui le rendent inutilisables24. Du reste, ces manuscrits ont davantage eu une fonction de rassemblement et de thésaurisation des poésies de Deschamps que de support à une lecture. Jacques L egr a nd Moins d’une dizaine d’années après l’art poétique de Deschamps, un religieux parisien, Jacques Legrand, rédige un traité encyclopédique, 21  L’on citera également ce passage du prologue du traducteur Laurent de Premierfait au De amicitia de Cicéron : « Cest art rethorique, dont Tulle fut le prince en langaige latin, avient a l’omme par trois manieres : assavoir par naturel engin, par doctrine que l’en reçoit des saiges et par usaige de souvent parler ou escrire latin ou autre langaige. » (Paris, BnF, nafr. 6220, fol. 17r ; voir notre édition publiée chez Champion [Classiques français du Moyen Âge], 2016). 22  J. Cerquiglini-Toulet, ‘Un engin si soutil’. Guillaume de Machaut et l’écriture au x iv  e siècle, Genève, Paris, Slatkine, 1985 (Bibliothèque du x v  e siècle 47), p. 20. 23  Éd. E. Hoepffner, t. 1, p. 1, v. 1‑5, Paris, 1908‑1921 (SATF). 24  Par exemple, à deux reprises, le titre Serventoys est donné à un virelai dans les deux manuscrits (p. 281 et 282).

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l’Archiloge Sophie25 . Ce texte est adressé au duc Louis d’Orléans, cousin du roi de France Charles VI. La provenance des quatre manuscrits de luxe conservés confirme que le public visé était un public curial. Les chapitres qui y sont consacrés aux regles de rethoriques, science moult prouffitable et necessaire, non mie tant seulement en latin, mais en françois (éd. E. Beltran, p. 85), constituent l’art poétique français le plus complet puisqu’il est le seul à envisager à la fois la prose et le vers. Il est également le plus systématique : s’inspirant de la Rhétorique à Herrenius, il est l’unique art poétique à offrir un catalogue des couleurs de sentences et des couleurs de parole, c’est-à-dire aussi bien ce qui concerne l’ornement des idées (description ; louange ; vituperacion ; magnificacion ; depression ; supplicacion ; exhortacion ; benecion ; narracion…) que celui des formes (repétition ; gradation ; exclamacion ; interogation, opposicion ; continuacion ; mesure ; ponctuation ; premission ; certificacion ; correction ; simulacion ; excitacion…). En réalité, son texte est une autotraduction de son traité latin, le Sophilogium26. Au moment de s’auto-traduire, il ne retient volontairement que 13 des 34 couleurs du texte latin, en insistant sur la versification. Il affirme d’ailleurs clairement que cette focalisation sur ces .xiij. couleurs qui souffisent à qui bien en scet user en françois cadre parfaitement avec la spécificité de l’art poétique vernaculaire (éd. cit., p. 140). Il est totalement convaincu que la langue française possède pleinement le droit de disposer d’arts poétiques spécifiques pour s’adapter aux structures métriques des pratiques poétiques françaises, beaucoup trop différentes de celles du latin. Par contre, pour ce qui est de la grammaire, il estime que le latin reste le modèle à suivre pour le français et que que la logique pose des problèmes en langue vernaculaire27. Pour ce qui est de la tension entre théorie et pratique, Jacques Legrand insiste sur l’importance de suivre a priori des codes : « Mais oultre plus les manieres de rimer sont diverses, pour les quelles savoir c’est bon de donner aucunnes rigles » (éd. cit., p. 142). 25  Jacques Legrand, L’Archiloge Sophie, § 11 Ci s’ensuit rethorique (c.  1400). Manuscrits : Grenoble, BM, 871 ; Paris, BnF, fr. 143 ; Paris, BnF, fr. 214 ; Paris, BnF, fr. 508 ; Paris, BnF, fr. 24232. Édition : Jacques Legrand, Archiloge Sophie. Livre de Bonnes Meurs, éd. E. Beltran, Paris, Champion, 1986 (Bibliothèque du x v  e siècle 49). Travaux : G. Di Stefano, « J. Legrand, lecteur de Boccace », Yearbook of Italian Studies, 1 (1972), p. 248‑264 ; É. Beltran, « Jacques Legrand. Sa vie et son œuvre », Augustiniana, 30 (1967), p. 148‑209. 26  Éd. inédite par E. Beltran, 1984, sous la dir. de G. Ouy. 27  Sur ce point, voir S. Lusignan, Parler vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux x iii  e et x iv  e siècles, Paris, 1986, p. 176‑188.

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Cependant, il est conscient qu’il existe un large écart entre les règles qu’il présente et la diversité des pratiques en usage. Aussi doit-il très souvent se contenter de distinguer un usage privilégié plutôt que de définir une règle contraignante. Par exemple, pour les rondeaux, il reconnait qu’ils se font de diversses manieres, puis affirme qu’a [s]on advis il existe une commmune façon (p. 143). De toute manière, l’innovation personnelle doit prédominer. L’écrivain devant versifier en [s]oy et à [s]on plaisir (p. 141 et 144). A rts

de seconde r hétor ique

Envisageons désormais les arts poétiques rédigés au cœur du et constituant un corpus cohérent appelé « arts de seconde rhétorique ». Si les mentions « art » et « rhétorique » se comprennent facilitement (ils désignent respectivement la méthode et l’objet de ces traités), le qualificatif « seconde » se laisse moins facilement appréhender : quelle est, en effet, la rhétorique « première » avec lequel il marque l’opposition ? la prose ou la rhétorique latine ? Malgré ces tendances communes, il est important de ne pas construire une vue trop monolithique de ces traités. Ils varient considérablement en sophistication et en technicité. Décrivons très rapidement les sept arts de seconde rhétorique actuellement conservés. Les Regles de la seconde rhetorique ont été rédigées entre 1411 et 1432 dans le Nord ou Nord-Est de la France. Elles sont conservées par un seul manuscrit (Paris, BnF, nafr. 4237)28. Ce traité énumère les principaux rhétoriqueurs, offre de riches tables de rimes, une liste de vocables obscurs et des notices mythologiques. Le Doctrinal de seconde rethorique a été rédigé en 1432 par Baudet Herenc, originaire de Châlon-sur-Saône et auteur d’une des « suites » de la Belle dame sans mercy de Chartier (Accusation contre la Belle Dame sans mercy)29. Il reprend et simplifie le traité précédent. Ce texte est également conservé par un seul manuscrit (Vat., BAV, reg. lat. 1468)30. x v e siècle

28  Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, p. 11‑103. L’on pourrait souhaiter une étude codicologique et philologique précise de la transmission manuscrite de ces arts de seconde rhétorique. 29  Le Cycle de ‘La Belle Dame sans Mercy’. Une anthologie poétique du x v  e siècle (BNF MS FR. 1131), éd. D. Hult, Paris, 2003 (Champion Classiques. Moyen Âge). 30  Édition : Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, p. 104‑198.

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Le Traité de l’art de rethorique a été rédigé à Metz dans la première moitié du x v e siècle. Il n’est également conservé que par un seul manuscrit (Paris, BnF, nafr. 186931). L’Instructif de seconde rethorique a été écrit en 1470 et imprimé plus de sept fois entre 1500 et 1530 par des imprimeurs variés, au sein de l’anthologie poétique qu’est le Jardin de plaisance et fleur de rethorique. Malgré son succès à l’époque, ce texte n’a toujours pas fait l’objet d’une édition critique32 . Ce texte est entièrement versifié et les règles sont énoncées dans des pièces à forme fixe qui les exemplifient. Composé vers 1490, l’Art de rhetorique vulgaire est généralement attribué à Jean Molinet, poète et chroniqueur du duc de Bourgogne. L’on en a conservé plusieurs éditions du début du x v i e s. et deux manuscrits (BnF, fr. 2159 [manuscrit monotextuel] et fr. 2375 [manuscrit recueil du x v i e])33. Le Traité de rhetorique, rédigé à la fin du x v e s., met en vers et obscurcit le traité de Molinet34. Enfin, l’Art et science de rethorique vulgaire a été composé vers 1525 ; il suit pas à pas le traité de Molinet. Il est connu par un seul manuscrit (Paris, BnF, fr. 1243435). Certains incluent le Grant et vray art de pleine Rhetorique de Pierre Fabry dans les arts poétiques médiévaux. Rédigé en 1521, ce traité a été réimprimé six fois, de 1521 à 1544 (Le grand et vrai art de pleine rhétorique de Pierre Fabri, éd. A. Héron, Rouen, Cagniard, 1890). La critique a trouvé ces textes tout à fait désarmants voire décevants, à cause de leur caractère laconique et énumératif. Partant, elle les a peu étudiés. Néanmoins, ils constituent une contribution tout à fait originale à la codification des pratiques poétiques36. C’est pourquoi ils méritent d’être présentés ici. 31 

Édition : ibidem, p. 199‑213. Fac-similé : Le Jardin de Plaisance et Fleur de rethorique, éd. E. Droz et A. Piaget, Paris, 1910/1925 (SATF). Travaux : S. R. Kovacs, « Staging lyric performances in early print culture : Le Jardin de Plaisance et Fleur de Rhetorique (c. 1501‑1502) », French Studies, 55 (2001), p. 1‑24 ; Fr. Suard et J. H. M. Taylor, « ‘A rude heap together hurl’d’ ? Disorder and Design in Vérard’s Jardin de Plaisance (1501) », in De sens rassis. Essays in Honor of Rupert T. Pickens, ed. K. Busby, Amsterdam (Faux Titre 259), 2005, p. 629‑644. Une édition est en préparation sous la direction de Michèle Gally, avec la collaboration de Jean-Charles Monferran et Jean-Claude Mühlethaler. 33  Édition : Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, p. 214‑252. 34  Manuscrit : Paris, BnF, fr. 2375. Imprimé : Lyon, 1500. Édition : Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, p. 253‑264. 35  Édition : Recueil d’Arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, p. 265‑426. 36  Cl. Thiry, « Première partie », dans La poésie française du Moyen Âge au x x  e siècle, éd. M. Jarrety, Paris, 1997, p. 62‑63. 32 

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Tout d’abord, il est important de ne pas se méprendre sur la nature et les fonctions de ces arts poétiques. En effet, il s’agit de textes utilitaires au propos souvent très laconique, plus proches des grammaires que des arts poétiques latins. Ils se réduisent à une série de conseils et de définitions assez sèches, qu’illustrent de nombreux exemples tirés des pratiques poétiques de l’« extrême contemporain ». Le lecteur d’un de ces arts de seconde rhétorique se voyait armé d’un dictionnaire de rimes, d’un manuel de mythologie classique et de quelques modèles pour un rondeau ou une ballade correcte. Ces exemples sont glosés çà et là sans jamais être mis en perspective dans un exposé général. Leur terminologie est souvent imprécise, incomplète ou ambiguë. Par exemple, le mot vers peut aussi bien désigner la ligne versifiée ou le couplet, la strophe, la tirade. Comme le suggérait Cl. Thiry37, il est possible que le caractère assez fruste de ces Arts soit délibéré. Pour les théoriciens, le poème français, dans sa matérialité sonore, rythmique, parfois même graphique, est conçu comme une totalité insécable, dans laquelle ils se refusent à distinguer des parties. Les unités constitutives, qui sont distinguées par souci didactique, ne sont décrites que sur le plan formel, en termes quantitatifs (nombre de syllabes, de lignes, de couplets). En réalité, seule l’observation et l’imitation des pratiques d’écrivains professionnels permettraient d’assimiler les techniques de l’écriture poétique – non l’étude d’une théorie et de règles qui atomiseraient le fait poétique. Globalement, ces traités ne constituent que des cadres où la contrainte créatrice reste assez souple par rapport aux pratiques : Les serventois servent pareillement aux puis royaulx, ausquelz il y a certaines regles que les princes desdis puis y mettent, affin de constraindre le facteur sans trop ouvrer à sa plaisance (Art de rhetorique vulgaire, éd. cit., p. 244).

Le premier art consacre ainsi un chapitre aux balades faites à la plaisance et à la volenté de l’ouvrier. Plus que prescrire des règles universelles, ces arts de seconde rhétorique décrivent des usages, comme l’indique la fréquente précision : la coustume plus commune c’est. C’est ainsi que le Traité de l’art de rhetorique précise d’emblée que : pour sçavoir l’usaige de moderne retorique laie, je conseille à user et hanter les facteurs de ballades et rondel, car en cest art y falt mettre moult usaige. (éd. E. Langlois, p. 203)38. 37  Cl. Thiry,

« Rhétorique et genres littéraires au x v e siècle », p. 30. exigence d’un écolage par un praticien de l’écriture poétique est confirmée par l’approche métadiscursive. Par exemple, dans le Voir Dit de Guillaume de Machaut, 38  Cette

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Ces traités remettent donc d’une certaine manière en cause le principe même de l’art poétique puisqu’ils affirment que l’imitation des pratiques permet de se passer des codes eux-mêmes. Par définition, les usages décrits sont toujours limités dans le temps et dans l’espace. C’est ainsi que Molinet précise dans le prologue de son traité « tout chaudement forgié » qu’il présentera des formes modernes, qui sont maintenant en usage (éd. cit., p. 214). Pour le rimeur amateur, la limite à ne pas transgresser n’est pas le code, mais les usages. L’art de rhetorique vulgaire s’insurge ainsi contre les rimeurs qui prétendent « avoir auctorité de imposer contre l’usage » (éd. cit., p. 221). Ces usages ont été trouvés ou inventés par l’écrivain professionnel. L’Instructif précise ainsi que les vrais poètes, « de plus ample engin et exquis », écrivent sans avoir étudié : Pour ce l’Infortuné requis / D’aucuns licenciez en loix / De plus ample engin et exquis / Que luy. Neantmoins touteffois / Souvent il advient à la fois / Que les aucuns si ont acquis / Ce que plusieurs souventeffois / N’ont estudié ne parquis (fol. a ij v°).

Ces derniers n’ont pas à étudier et mettre en pratique des codes, mais à innover par rapport aux modèles reçus. Dès lors, implicitement, les arts de seconde rhétorique cautionnent les écrivains contemporains qui innoveraient par rapport aux codes proposés par l’art poétique. L’écrivain n’est pas celui qui met en pratique un code, mais celui qui trouve. En témoigne également ce passage : Aprés vint maistre Guillaume de Machault, le grant retthorique de nouvelle fourme, qui commencha toutes tailles nouvelles, et les parfais lays d’amours. (Regles de la seconde rhetorique, éd. cit., p. 12)

Dans ce contexte, l’art poétique n’est qu’une sorte de matrice pour les poètes amateurs, qui permet ensuite de créer, de trouver de noula dame de l’amant-poète estime qu’elle n’a pas le don, l’engien, nécessaire pour écrire des textes. Elle demande à Machaut de lui envoyer, non pas un art poétique, mais un « tutorat » constitué d’échantillons de ses poésies : « Et sur ce je vous envoie un virelay lequel j’ay fait ; et se yl y a aucune chose a amender, si le veuilliez faire, car vous le sarés miex faire que je ne fais, car j’ai trop petit engien [sic] pour bien faire une tele besongne. Et aussi ne eu je unques qui rien m’en aprist ; pour quoy je vous pri, treschiers amis, qu’il vous plaise a moy envoier de vos livres et de vos dis, par quoy je puisse tenir de vous à faire de vos bons dis et de bonnes chansons, quar c’est le plus grant esbatement que je aie que de oÿr et de chanter bons dis et bonnes chansons, se je le savoie bien faire. Et quant il plaira a Dieu que je vous voie (laquele chose je desire tant que je ne le vous porroie escrire ne vous ne le porriés penser), s’il vous plaist, vous les m’apenrez a mieulz faire et dire ; quar je en apenroie plus de vous en un jour que je ne feroie d’un autre enj. an » (éd. P. Imbs, Paris, 1999 [Lettres gothiques], p. 48).

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velles formes, comme le dit Évrart de Conty dans son Livre des Eschez amoureux moralisés : La siziesme Muse est soubtilesse et adinvencion, c’est-à-dire quant on a bien apris et bien estudié en aucune science et que on a tout bien imprimé en sa memoire, on se doit asoutillier et adjouster du sien et de nouvel trouver aucunes choses, pour la science acquise plus aussi embelir et parfaire39.

Dès lors, l’art poétique fonctionne davantage sur la mise en évidence des pratiques des écrivains que sur celle des règles des théoriciens. C’est ce qui est précisé à l’ouverture du premier art de seconde rhétorique conservé : Et affin que quiconques voulra soy introduire à faire aucuns diz ou balades, il convient que on les face selon ce que donnerent les premiers rethoriques, dont aucuns s’ensuyvent : Guillaume de Lorris, Jean de Meun, Machaut, etc… (Regles de la seconde rhetorique, éd. cit., p. 11).

Il importe de souligner que les écrivains dont on cite les usages innovants et ceux dont on donne les poésies comme exemples sont des écrivains français récents. Excepté quelques allusions aux théoriciens Cicéron, Horace ou Aristote, aucune pratique d’un écrivain latin ou bilingue n’est citée comme illustration. C’est pourquoi ces arts de seconde rhétorique semblent réellement avoir pour fonction de fonder, justifier et légitimer une tradition poétique proprement française. La poétique française s’enrichit de ses propres inventions, sans dépendre du modèle latin. On le voit dans un des arts de seconde rhétorique où Cretin est loué pour avoir, comme il est dit, enrichi la technique du couplet à rimes plates. Cette pratique devient alors un précepte : De ceste maniere de rhethoricque est composé le Rommant de la Roze par dix et onze, et par huyt et neuf sillabes. Semblablement, les translations des Eneydes de Virgille, les Epistres d’Ovide et plusieurs autres histoyres en sont plaines. La quelle façon de rime est à present bien enrichie par monseigneur Cretin, pere des orateurs modernes, le quel en ses compositions a trouvé ceste digne et nouvelle manière qu’il use en telle ryme de deux vers masculins et deux aprés feminins. Et à la verité ceste mode et invention sonne beaucoup myeulx et a tres parfaict et entier accent plus que toutes les autres susdites compositions de ceste rime de doublette, car il est notoyre que opposita juxta se posita magis eluescunt. Et de ladicte invention icelluy Cretin a usé en son oeuvre qu’il fait sur le Recueil des Cronicques de France et autres ses oeuvres. (Art et science de rethorique vulgaire, éd. cit., p. 270). 39  Éd. Fr.

Guichard-Tesson et Br. Roy, Montréal, 1993, p. 98.

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Dans ces arts de seconde rhétorique, il n’y a pas de rapport d’émulation ou de concurrence avec la poétique latine, mais un net clivage. Contrairement à ce qui caractérisera le plein x v i e siècle, l’imitation des modèles s’opère à l’intérieur d’une même langue. On le voit encore plus clairement dans l’Instructif de seconde rethorique. Dans le chapitre consacré au servantois, l’Instructif commence par évoquer les figures de Aymagora, Tyles, Quintilien, Virgile, Horace, Sénèque, qui ont produit tres notables rethoricale utile. Il rend compte ensuite d’un processus de translatio vers le domaine français (« Pource est elle de present advenue / En la langue galicane fertile / Par pluseurs bons clers engins retenue » [fol. b v v°). Et d’alors énumérer les noms d’Alain Chartier, Christine de Pizan, Jean Castel, Pierre de Huron, écrivains français par qui cet art, se monstre et verifie. Plusieurs de ces arts de seconde rhétorique soulignent d’ailleurs, comme Deschamps ou Jacques Legrand, la nécessité de forger un art poétique adéquat pour ce matériau linguistique spécifique et surtout distinct des arts poétiques latins : Rethorique vulgaire est une espece de musique appellée richmique et ja soit ce que toute diction latine ait parfait son, touteffois en langaige rommant, qui l’ensieut ce qu’il puet, sont trouvéez aucunes dictions ou sillabes imparfaittes, c’est à dire qui n’ont point parfaitte resonnance (L’Art de rhetorique vulgaire, p. 216).

Cette volonté de créer, défendre et illustrer des outils poétiques propres au français semble aussi forte au Moyen Âge qu’au début du x v i e siècle, voire plus forte. En 1521, un Pierre Fabry n’insistera plus sur la spécificité de l’art poétique français ; il conseille même aux écrivains de recourir « aux livres de latin » pour les rigles de rethorique qu’il n’aura pas expliquée (Regles de la seconde rhetorique, éd. cit., p. 11). Il n’est d’ailleurs pas anodin que trois des arts poétiques français conservés aient été rédigés par des poètes (à savoir Eustache Deschamps, Jean Molinet et Baudet Herenc). Cependant, l’écriture des arts de seconde rhétorique n’est pas influencée par le style des poètes ; elle reste didactique. Par ailleurs, ces poètes-théoriciens médiévaux insèrent leurs propres poèmes dans l’art poétique lui-même. Ce procédé atteste davantage d’un désir de cautionner la validité et la pertinence de la théorie que d’une volonté de rédiger un manifeste poétique pour défendre ses propres œuvres. Au départ, ces arts de seconde rhétorique n’étaient pas destinés à des bourgeois, notamment ceux des puys. Il ne s’agissait pas non plus

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de manifestes d’écrivains destinés à d’autres écrivains ; ces traités ne s’attardent d’ailleurs guère à une doctrine générale de la poésie et ils n’expliquent pas les genres complexes. Selon Jane H. Taylor40, ces arts auraient eu pour fonction de donner une « compétence créative » à des rimeurs amateurs et vivant dans les milieux de cour. Ainsi, l’un de ces arts est adressé au roi de France Charles VIII et un autre, au seigneur de Croÿ, pour qu’il « passe temps aucunesfois faisant dictiers, rondeaux joyeulx » (éd. E. Langlois, p. 215). Ces arts se concentrent d’ailleurs sur des textes brefs et des genres liés à la poésie de cour, à savoir les pièces à forme fixe. Ces traités auraient permis à des courtisans de devenir des rimeurs efficaces et non à des écrivains excellents de se perfectionner, comme il apparait dans le titre du traité attribué à Jean Molinet : Cy commence un petit traittié, compilé par maistre Jehan Molinet, à l’instruction de ceulx qui veulent aprendre l’art de Rethorique.

En effet, ces manuels de seconde rhétorique se limitent à formuler des recettes assez simples. L’on voit ainsi un des arts de seconde rhétorique préciser qu’avec la longue liste de rimes qu’il donne, « on pourra facillement arenger et coucher ses termes de ryme très richement » (Art et science de rethorique vulgaire, éd. cit., p. 322). Le choix qu’ont fait certains théoriciens de rédiger leur traité en vers présenterait aussi des avantages pour un public d’amateurs. En effet, ce système familiarisait le lecteur avec les formes à assimiler et permettait d’apprendre par l’observation plus que par des prescriptions théoriques. Le choix de fournir de nombreux exemples confirmerait également cet objectif didactique : Autre taille de vers huytains, autrement appelez françois, est assez commune en pluiseurs livres et traittiez, comme en la ‘Belle dame sans merci’, l’‘Ospital d’Amours’ et le ‘Champion des dames’. Desquelz la croisure des metres, ensemble la quantité des sillabes, est notoire par cest exemple (Art de rhetorique vulgaire, éd. cit., p. 220)

Enfin, comme l’indiquent les adjectifs laie, vulgaire, maternelle ou seconde qui caractérisent le mot rethorique dans ces traités, leur lecteur ne pourrait compter que sur sa langue maternelle et il n’a pas suffisamment de maîtrise du latin pour utiliser ses arts poétiques. Selon J. Taylor toujours, l’objectif de ces arts serait de donner la possibilité au courtisan poète amateur de réussir dans le champ cultu40  J. Taylor, The Making of Poetry. Late-Medieval French Poetic Anthologies, Turnhout (Texts & Transitions 1), 2007.

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rel de la cour, en rédigeant les poèmes ad hoc. On peut notamment l’observer dans la fréquente caractérisation sociale de certains emplois. L’Instructif précise ainsi que cette taille n’est que « pour les ruraulx et lourdois / Qui riment feve contre pois » (fol. a iij v°). Les arts poétiques s’intéressent davantage aux contextes d’énonciation des formes qu’à la construction des énoncés. Ils proposent donc plus une pragmatique qu’une poétique. C’est d’ailleurs peut-être en raison de cet objectif social que par la suite, les arts de seconde rhétorique virent leur public s’élargir. En effet, ces traités furent diffusés dans des milieux désormais bourgeois, notamment grâce à l’imprimerie41. Ce nouveau public aurait voulu disposer des moyens de se distinguer et d’accéder au champ culturel exclusif de la sociabilité courtoise. En particulier grâce à l’acquisition des règles des textes typiques de cette société, les pièces à forme fixe. Nous achèverons ce panorama des arts de seconde rhétorique français au Moyen Âge par l’Instructif de seconde rethorique. À première vue, ce texte est similaire aux autres arts de seconde rhétorique. Cependant, plusieurs éléments en font un texte spécifique. Premièrement, il est le seul « art poétique » français à présenter une liste explicite de vices du discours à prohiber : Mais premiers des vices produire / La condicion et maniere / Ainsi comment on les doit fuire / En chascune matiere // Erreur n’est pas vices scavoir / Mais est erreur qui de vice use (fol. a iij r°).

Deuxièmement, les mises en garde contre les écarts par rapport aux règles sont nombreuses et plus fortes que dans les autres traités : De redicte on se doit garder / Que ne soit en cinquante vers / Du moins se doit contregarder / Qui plus pres la met à revers / Il produit les vers et compose / Soit en romans ou en misteres / Mal fait qui autrement dispose / En ditz de quelzconques matieres (fol. a iiij v°).

Troisièmement, l’Instructif est également le seul à parfaitement distinguer le vice, c’est-à-dire la transgression du code, et la figure, c’est-àdire un vice en usage, qui bénéficie de l’autorité d’un écrivain français reconnu et qui est utile, en particulier pour le compte des syllabes42 : 41  D’ailleurs,

le fait que l’on ait conservé peu de témoins, copiés dans des recueils à visée thésaurisante et dans des supports assez fragiles, est peut-être l’indice d’une diffusion malgré tout importante, mais sur des supports provisoires à valeurs d’usage. 42 Sur ces trois particularités du texte, voir E. Marguin-Hamon, « Arts poétiques médiolatins […] ».

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De diffinitione figure. Figure est improprieté, / Licencïee et approuvee / Par us ou par auctorité, / Et semblablement alouee / Des docteurs expers et louee ; / Ou pour aucune utilité, / Pour ornacion comprouvee / Causant belle sonorité (fol. a iiij r°).

Il faut noter que l’écrivain qui sert de caution à la licence est toujours un écrivain français. On le voit a contrario avec le vice d’innovacion, dont l’Instructif précise qu’il s’agit bien d’un vice car « ne s’en mesla Maistre Alain  ». Quatrièmement, l’Instructif est le seul art de seconde rhétorique à traiter d’autres formes que les pièces à formes fixes. Plusieurs paragraphes sont ainsi consacrés au théâtre et au roman43. Cinquièmement, l’Instructif offre à l’écriture poétique une légitimité inconnue des autres arts, puisqu’il esquisse une théorie de l’inspiration44. En effet, comme chez Deschamps ou Machaut, dès les premières lignes du traité, l’auteur affirme qu’aucune œuvre poétique ne verrait le jour sans un don extérieur. Cependant, les instigateurs de cette fureur ne sont désormais plus Dieu, Amours ou la Nature, mais les Muses : Recevez les impressions / De Clio et de Fronesis, / Dames de grans discreciens, / De Minerva aussi choisis / Et du dieu Appolo saisiz. / Les clers raiz fulgens d’eloquence / Par manipules grans merciz / L’on rende à la divine essence (fol. c iij r°).

Sixièmement, et enfin, l’Instructif se distingue des autres arts de seconde rhétorique par sa fonction. C’est là l’hypothèse de J. Taylor. Contrairement aux autres arts de seconde rhétorique, l’Instructif ne cherche pas à orienter la compétence productrice du lecteur, mais seulement une compétence réceptrice. Ainsi, l’Instructif serait moins une théorie destinée à permettre la pratique poétique qu’un ouvrage destiné à sensibiliser un public amateur par rapport à des pratiques poétiques récentes et donc peu connues. Autrement dit, l’objectif de l’Instructif ne serait pas de créer des poètes amateurs, mais de leur permettre de reconnaitre un poème écrit de façon correcte et élégante. L’Instructif chercherait à donner des clés de lecture dans un contexte où les pratiques semblent changer trop

43  J. Cerquiglini-Toulet, J.-Cl. Mühlethaler et J.-Y. Tilliette, « Poétiques en transition. L’Instructif de la seconde rhétorique : balises pour un chantier », Études de lettres, 4 (2002), p. 9‑22. 44  Fr. Cornilliat et J.-Cl. Mühlethaler, « L’inspiration (x v e siècle) », dans Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au x v i  e siècle, éd. P. Galand-Hallyn, F. Hallyn, Genève, 2001, p. 91‑109.

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vite vu que « Chascun s’en mesle en tous quartiers / Dieux ! que de nouveaulx charpentiers ! » (fol. x r°). L’indiquerait, par exemple, le mépris qu’a l’Instructif pour les rimeurs occasionnels, qui constituent pourtant le public habituel des arts de seconde rethorique : La science s’abatardit […] Quant de rimer chascun en dit / A plaisir : soit soir ou matin, / L’on rime chien contre matin.

De plus, l’on ne retrouverait pas dans ce traité le souci pseudopédagogique des autres arts. Il n’y a pas de liste de rimes, pas de mode d’emploi pour faire des ballades et des rondeaux. Concrètement, un amateur qui se reporterait à ce texte pour se faire poète serait nécessairement déçu. Par exemple, l’Instructif prétend « advertir seulement / Aucuns qui ne le sont encore / Du tresprecieux vestement / De rethoricque qu’elle a ore, / Dont c’est une mondaine glore / De le veoir presentement » (fol. aij v°). Selon J. Taylor, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’en 1500, parmi les autres arts poétiques, l’imprimeur Antoine Vérard aurait choisi l’Instructif pour ouvrir la célèbre anthologie de poèmes amoureux de cour qu’est le Jardin de plaisance et fleur de rethorique. Cette anthologie destinée à un public bourgeois avait pour but explicite de recréer l’atmosphère de la culture aristocratique du siècle passé en rassemblant les textes écrits par ses écrivains. Concrètement, avec son anthologie, Vérard aurait voulu élargir le lectorat de ces poèmes courtois, en attirant un public peu au fait des règles qui contraignent ces pièces à forme fixe, dont l’intérêt était plus technique que thématique. En ajoutant l’Instructif à son anthologie, Vérard donnait au lecteur des modèles pour qu’il puisse juger de l’efficacité, de la précision et de la sophistication du Jardin de plaisance, où ces régles seraient mises en pratique. Néanmoins, Vérard n’a pas un objectif philanthropique, mais avant tout économique. Pour que son anthologie de poèmes courtois du x v e siècle soit vendue en 1500, il fallait que ces textes plaisent, autrement dit que ses lecteurs soient techniquement capables de les comprendre et les apprécier45. De plus, en plaçant l’Instructif de seconde rethorique en tête de l’anthologie du Jardin de Plaisance, Vérard semble avoir voulu offrir une légitimité à son recueil. Il aurait voulu faire croire à ses lecteurs que l’auteur de l’Instructif avait rédigé les pièces de l’anthologie. Par cette 45  J. Taylor, « La double fonction de l’Instructif de la seconde rhetorique : une hypothèse », dans L’écrit et le manuscrit, éd. T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, Turnhout (Texte, Codex & Contexte 1), 2006, p. 343‑352.

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insertion de l’art poétique dans un recueil de poèmes, l’on sent donc, encore une fois, un désir de faire de la théorie une caution de la pratique et vice versa. C onclusion Nous voudrions, pour finir, mettre en évidence une manifestation d’une « conscience poétique » à la fin du Moyen Âge en rupture avec les traités déjà présentés, à savoir les Douze dames de rethorique. Ce texte permet de s’interroger sur la place du code poétique dans le processus de rédaction d’un texte littéraire français, notamment par rapport à l’inspiration. En effet, émerge chez plusieurs écrivains français du x v e siècle une conception de l’écriture fondée sur un don spontané, indépendament de la mise en pratique de règles46. Six manuscrits de luxe conservés dans des milieux curiaux conservent aujourd’hui ce texte. Il s’agit du compte rendu d’un débat littéraire auxquels participèrent en 1463 des poètes et des dignitaires de la cour de Bourbon et de Bourgogne47. Au fil d’un échange épistolaire, les poètes Chastelain et Robertet défendent chacun leur conception de la poésie. À un moment de leur correspondance, les deux poètes voient apparaître les douze dames de rhétorique, à savoir : Science, Eloquence, Profundité, Gravité de sens, Vieille Acquisition, Multiforme Richesse, Florie Memoire, Noble Nature, Clere Invencion, Precieuse Possession, Deducion loable, Glorieuse Achevissance. Dans un premier temps, ces dames défendent Robertet contre Chastelain. En effet, Robertet, marqué par un séjour en Italie, opte 46 J.-Cl. Mühlethaler, « Un manifeste poétique de 1463 : les Enseignes des Douze dames de rhétorique », dans Les Grands rhétoriqueurs. Actes du V e Colloque international sur le moyen français (Milan, 6‑8 mai 1985), Milano, 1985 (Centro Studi sulla letteratura medio-francese 3), p. 83‑101. 47  Manuscrits : Cambridge, U.L., Nn. 03. 02 ; La Haye, KB, 71 E 50 ; Munich, BSB, Cod. gall. 15 ; Paris, BnF, fr. 1174 ; Rouen, BM, 1234 ; * Tournai, BM, 105. Édition : Les douze dames de rhétorique, éd. L. Batissier, Moulins, 1838 ; George Chastelain, Jean Robertet, Jean de Montferrant, Les douze dames de rhétorique, éd. D. Cowling, Genève, 2002 (TLF 549). Travaux : D. Cowling, « Figures for text and author in late medieval Burgundy : Les Douze Dames de Rhétorique (1463) », in Forms of the ‘Medieval’ in the ‘Renaissance’. A Multidisciplinary Exploration of a Cultural Continuum, ed. G. H. Tucker, Charlottesville, 2000, p. 121‑141 ; C. J. Brown, « Du nouveau sur le Mistere des Douze dames de Rhétoricque : le rôle de Georges Chastellain », Bulletin de la Commission Royale d’Histoire, 4 e série, 153 (1987), p. 195‑201 ; E. Doudet, « Le tain du miroir : l’art poétique dérobé des Douze Dames de Rhétorique », PRIS-MA, 17 (2001), p. 43‑54 ; M.-R. Jung, « Les Douze Dames de Rhétorique », dans Du mot au texte. Actes du III e Colloque international sur le moyen français (Düsseldorf, 17‑19 septembre 1980), ed. P. Wunderli, Tübingen, 1982 (Tübinger Beiträge zur Linguistik 175), p. 229‑240.

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pour une poétique culturelle et pré-renaissante, basée sur l’imitatio. Selon lui, pour écrire, il est nécessaire de disposer d’une limitacion, bien riglée selon vieille doctrine48. Par contre, Chastelain est qualifié par les douze dames de rhétorique d’homme indoct, gros et mal propre à doctrine, peu nourri de nos fruits (éd. D. Cowling, p. 123‑124). Cependant, celles-ci doivent bien reconnaître qu’il a accédé au royaume des dames de rhetorique, mais, précisent-elles, non pas grâce à l’acquisition d’un art et le respect de règles, mais par enclinement naturel, sans art (p. 122). C’est alors que Chastelain est conduit à décrire par des vers chacune des douze servantes de rhétorique, leur discours et leurs attributs. Sa description lui permet de proposer sa propre théorie. Comme l’a souligné J.‑Cl. Mühlethaler, il y précise les conditions de la pratique poétique, qui ne serait possible que grâce à une prédisposition innée49. Ces personnifications allégoriques et leur description formulent une poétique qui annonce à bien des égards celle de la Renaissance et de l’Inventio. Contrairement à ce que l’on trouve dans les arts de seconde rhétorique, les deux poètes-théoriciens, Chastelain et Robertet, s’adressent à d’autres poètes et non à des amateurs. La rupture d’avec les arts poétiques antérieurs est d’autant plus visible que pour la première fois le poète qui établit un art poétique français le fait en poète et non en théoricien. En effet, le style de la description des dames par Chastelain est fondé sur l’ornatus difficilis. Son texte se maintient à un très grand niveau d’abstraction. Il recourt en particulier à des termes rares, que l’on ne trouve nulle part dans les arts de seconde rhétorique. Enfin, il n’utilise pas la structure « règle + exemple », mais annonce la poétique de l’emblème, en jouant sur les images, les devises en latin et les citations bibliques. Un des correspondants, Jean de Monferrand, poète de cour amateur, déclarait d’ailleurs : Ce me semble hebrieu à moy (éd. D. Cowling, p. 131), affirmant ainsi la rupture d’avec la tradition médiévale des arts de seconde rhétorique, rédigés dans un style pédagogique et fondés sur l’imitation des pratiques. Avant de terminer, il convient de s’interroger sur les raisons de l’émergence d’arts poétiques français. À la fin du Moyen Âge, succédant aux artes poetriae et se superposant à eux, des traités rédigés en

48  Complainte sur la mort de messire George Chastelain, éd. M. Zsuppán, Genève, 1970, v. 178‑187. 49  J.-Cl. Mühlethaler, « Un manifeste poétique de 1463… », p. 90‑91.

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français prennent pour objet l’écriture versifiée et les complètent par des préceptes spécifiques au discours poétique formulé en français. La volonté de distinction avec la tradition des poétiques latines est liée à la conscience de la spécificité non seulement linguistique, mais également stylistique, du français. L’affirmation de cette spécificité expressive a pour truchement le vers. D’où la nette orientation de ces arts poétiques sur les textes versifiés. En effet, les textes en vers témoignent le mieux du fait que le français est une réalité linguistique substantiellement différente, qui amène à conditionner le résultat esthétique à d’autres types d’effets verbaux et à codifier autrement les moyens d’obtenir ces effets esthétiques50. Les arts poétiques français, si modestes et déroutants qu’ils nous paraissent, témoignent d’une prise de conscience de ce que les théories poétiques latines ne répondent pas ou plus à la pratique poétique vernaculaire51. C’est d’ailleurs pourquoi les arts poétiques n’apparaissent qu’à la fin du xiv e siècle, au moment de l’émancipation du français comme langue politique, administrative, intellectuelle et culturelle à part entière52 . Dans ce contexte, comme l’a souligné M. Gally, en tant qu’art, l’art poétique signe d’une manière ou d’une autre la reconnaissance d’une production légitime issue d’une langue créatrice de formes poétiques et esthétiques dont il importe de codifier et de hiérarchiser les usages53. De plus, ces arts poétiques apparaissent au moment où la vie littéraire elle-même se modifie, avec en particulier le développement de l’activité littéraire dans les cours et une plus grande mobilité sociale dans celles-ci. Enfin, il est indéniable que l’émergence d’une figure d’auteur à la fin du Moyen Âge a contribué à l’apparition de ces traités. Ces arts poétiques autorisent certains écrivains, en effet, à promouvoir leurs œuvres et celles de leurs maîtres. Ces traités leur permettent également de commenter leurs propres textes et de s’assurer qu’ils seront compris et appréciés. Cette volonté promotionnelle, qui est centrale aux arts poétiques français, explique d’ailleurs peut-être l’écart entre théorie et pratique. L’art poétique aurait moins pour fonction de guider réellement 50  D. Kelly, The arts of poetry and prose, Turnhout (Typologie des sources du Moyen Âge occidental 59), 1991. 51  J. Cerquiglini-Toulet, J.-Cl. Mühlethaler et J.-Y. Tilliette, « Poétiques en transition  (…) ».  52  S. Lusignan, Parler vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux x iii  e et x iv  e siècles, Paris, 1986 (Études médiévales), p. 35 et 106. 53  M. Gally, « Archéologie des arts poétiques français », p. 9.

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les pratiques futures que de mettre en valeur les pratiques existantes, en particulier celle du poète lui-même ou de ses maitres. Nous avons surtout envisagé la dimension théorique des codes poétiques, c’est-à-dire les arts poétiques. L’on a pu montrer que fidèle à ses origines, la poétique française semblait se fonder sur la transgression et l’innovation par rapport aux codes, perçus comme un moteur indispensable au développement de la tradition poétique française en marche. Il resterait à étudier les discours des écrivains eux-mêmes, ce que nous avons appelé la dimension métadiscursive. Quelques sondages témoignent qu’une enquête plus systématique pourrait être productive. Par exemple, dans certaines de ses ballades, Eustache Deschamps souligne l’exigence de lier théorie et pratique : Qui de parler a belle rethorique, / Tant qu’avoir a, par beau rethoriquer, / Et enrichist par sa bonne pratique (pièce n° 161, éd. marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud, v. 2‑4).

Certains auteurs offrent des commentaires sur les fonctions et l’utilité des codes, qui peuvent recouper les propos de certains arts poétiques. Ainsi, l’Instructif de seconde rhetorique dénonçait une dérive possible de l’ornatus vers un langage séducteur et trompeur. À la même époque, l’on assite à une prise de conscience des limites du pouvoir de la rhétorique, notamment dans le Sejour d’honneur d’Octovien de Saint-Gelais54. Comme l’a souligné Virginie Minet-Mahy, trois personnifications du monde curial, tâchent de convaincre l’Acteur avec leur rethorique, perçue comme une arme de destruction/séduction, sans morale ; d’où la comparaison de leur langage à celui des sirènes55. L’idée sous-jacente est que la rhétorique est détournée de sa fonction une fois que l’on se trouve dans un contexte curial : En telles plaisantes parolles et doulx attraictz fut tellement ma cognoissance aveuglee, mon entendement forvoyé, mon vouloir converty au gré de luy et d’elle que tout peril me fut soulas, tout dangier asseurance, toute peine plaisir, tout travail reconfort […] (II, 1, éd. Fr. Duval, p. 194).

Seule la suppression de la rhétorique permet d’atteindre la sincérité. C’est ce que semble montrer la Complainte sur la maladie d’Anne de Bretagne d’Octovien de Saint-Gelais : 54  Éd. Fr.

Duval, Genève, 2002 (Textes littéraires français 545). ce passage, voir V. Minet-Mahy, « Pouvoir et critique de la rhétorique d’Alain Chartier au Sejour d’Honneur d’Octovien de Saint-Gelais », Medium Aevum, 76 (2007), p. 285‑304. 55  Sur

défense et i llust r at ion des a rts

« poét iques

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Quant à par moy ce meschief considere / Et que ce deuil angoisseux je digere, / Merveilles n’est si j’oblye les sons / Melodieux et les doubles chansons, / Mectant à part tout oeuvre poetique / Et sans garder couleur de rethorique / Usant de motz de tristesse couvers, / De piteulx cris et de douloureux vers, / Pleins de regretz, de souspirs et de lermes (Paris, BnF, nafr. 1158, fol. 24r56).

Octovien revient sur cette question dans un texte dont nous préparons l’étude et l’édition, l’Altercation des trois dames (c.  1500). Il s’agit d’une intervention de Dame Utilité, qui répond à Dame Elegance. Elle estime que la rhétorique et le rhétoricien trompent ; ils ne font que séduire en enjolivant le contenu de son message. Leur discours est détaché de la vérité, voire de la réalité (vu le caractère inédit du texte, nous citons de longs extraits de son intervention) : Ce qu’on touche et qu’on voyt à l’oeil, / Respondist Dame Utilité, / N’est pas si vain comment orgueil. / Elle ne dist pas verité. / Tel procés qu’elle a recité / Plain de rethoricque saulvaige / Doibt mieulx estre dist vanité / Que mon vray et commun langaige. Pour ce non obstant que je soye / Bien poy expert en rethoricque, / Par quoy mes motz je ne pourroye / Appliquer coment elle applicque, / Il suffira bien que je explicque / La substance de mon propos, / Car vostre engin est angelicque / À bien entendant pou de motz (fol. 27r-27v). […] Pareillement celle science / De parler rethoricquement / Que aulcuns appellent eloquence, / Vestue si pompeusement, / Il ne sert rien que quant on ment / Pour les simples gens decepvoir / Car tant plus parlon simplement / Tant mieulx vault qui vueult dire voir (fol. 29v-30r). […] La premiere qui est nommee / Logique generalement / Est en troys membres divisee. / Et grammaire premierement / Logique especiallement / Rethorique, mais toutes troys / Ne servent qu’à congruement / Orner vray latin ou françoys. Parler ainsy c’est pou de chose. / Aulcunes foys mieulx vault se taire. / Tel parle qui rien faire n’ose. / Mieulx vauldroyt mains dire et plus faire / La parole n’est que exemplaire / De la pensee et le myreur. / Ung simple homme aussy bien declaire / Sa volunté que ung orateur (fol. 31r).

Destinées à un public d’amateurs, ces arts poétiques ne se prêtent pas à une analyse « archéologique », qui consisterait à déterminer l’incidence des arts poétiques sur les pratiques des poètes. Cependant, quelques chercheurs ont déjà tenté de telles confrontations, par exemple 56  Cité

dans l’édition de Fr. Duval du Sejour d’honneur, p. 411.

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chez Eustache Deschamps57. Plus souvent, à défaut d’arts poétiques, les médiévistes cherchent à dégager eux-mêmes les codes implicitement mis en œuvre par les poètes. Bref, tout utiles qu’ils soient pour l’histoire des pratiques de versification en moyen français, les arts poétiques médio-français n’arrivent pas à rendre compte de la richesse et de la diversité des pratiques poétiques des écrivains français de la fin du Moyen Âge. BIBLIOGRAPHIE B erthon , G. et al. (éd.), La Muse et le Compas : poétiques à l’aube de l’âge moderne – Anthologie, Paris (Textes de la Renaissance 196), 2015. C or nilli at, Fr., Or ne mens. Couleurs de l’éloge et du blâme chez les grands rhétoriqueurs, Paris (Bibliothèque littéraire de la Renaissance 3e série, 30), 1994. C or nillat, Fr. et J.‑Cl. Mühletha ler , « L’elocutio au x v e siècle », dans Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au xvi  e  siècle, éd. P. Galand-Hallyn et F. Hallyn, Genève, 2001, p. 509‑530. Ev dok imova , L., « Natura, ars, imitatio. L’image du ‘poète parfait’ dans les Douze Dames de Rhétorique », Le moyen français, 51‑53 (2003), p. 263‑277. G a lly, M., « Archéologie des arts poétiques français », Nouvelle revue du Seizième siècle, 18 (2000), p. 9‑23. Jung , M.‑R., « Poetria. Zur Dichtungstheorie des ausgehenden Mittelalters in Frankreich », Vox Romanica, 30 (1971), p. 44‑64. K elly, D., The arts of poetry and prose, Turnhout (Typologie des sources du Moyen Âge occidental 59), 1991. M arguin -H a mon , E., « Arts poétiques médiolatins et arts de seconde rhétorique. Convergences », Revue d’Histoire des Textes, nouvelle série, 6 (2011), p. 99‑137. M échoula n , E., « La musique du vulgaire. Arts de seconde rhétorique et constitution de la littérature », Études littéraires, 22 (1990), p. 13‑22. M ey enburg , R., Alain Chartier Prosateur et l’Art de la Parole au xv  e  siècle. Études littéraires et Rhétoriques, Berne (Romanica Helvetica 107), 1992.

57  Cl. Thiry, « Eustache Deschamps, ou le changement dans la (fausse) continuité lyrique ».

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ENTRE CONSERVATOIRE ET ESPACE DE LIBERTÉ LA POÉSIE MÉDIOLATINE ET SES IMPLICATIONS THÉORIQUES EN QUESTION S’il est, à toute époque , marqué par une antériorité de la pratique sur l’élaboration théorique, le dialogue entre la production poétique et sa prise en compte normative est loin d’obéir toujours aux mêmes modalités. De ce point de vue les arts poétiques, dans la disparité même des positions qu’ils adoptent, sont un révélateur intéressant de ce que des praticiens du vers latin entendent retenir prioritairement de leur expérience. Entre symbiose et contradictions, ces relations oscillent, les traités eux-mêmes se contentant de faire état de pratiques supposées ou réelles, ou tentant au contraire d’y trouver une cohérence esthétique et d’en dégager des principes directeurs utiles pour régler et améliorer les usages des versificateurs1. La difficulté tient à la nécessité d’embrasser un corpus représentatif au plan typologique et chronologique sans pour autant se noyer dans la masse d’une production qui redouble d’importance pour la période qui nous occupe, à savoir celle qui court de la fin du xi e au milieu du xiii e siècles latins – cette croissance exponentielle, inouïe, de la production poétique confortant par ailleurs les choix chronologiques énoncés, en ce qu’elle marque une ère nouvelle dans les traditions littéraires. Il s’agit en outre, au plan géographique, de retenir une zone de production correspondant au domaine linguistique d’oïl qui constitue une entité culturelle et littéraire déjà définie. Sur ces bases, retenons trois 1 On se référera utilement, pour la période considérée, aux synthèses suivantes : Pascale Bourgain, « Le tournant littéraire du milieu du x ii e siècle », dans F. Gasparri (dir.), Le x ii  e siècle. Mutations et renouveau en France dans la première moitié du x ii  e siècle, Paris, 1994, p. 303‑323 ; ead., « Théorie littéraire. Le Moyen Âge latin », dans J. Bessière, E. Kushner, R. Mortier, J. Weisberger, dir., Histoire des poétiques, Paris, 1997, p. 34‑55 ; J. Martin, « Classicism and Style in Latin Literature » in R. L. Benson, Giles Constable, with C. D. Lanham (éd.), Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, Toronto-Buffalo-Londres, 1982, repr. 1999, p. 537‑568.

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pôles, trois moments marquants dans l’histoire de la réflexion poétique et des rapports qu’elle entretient avec la poésie contemporaine : le premier se constitue autour de ce qu’on appelle le cercle angevin, au sein duquel Marbode de Rennes compose son de ornamentis verborum ; le second est à considérer au prisme de l’œuvre, littéraire et théorique, de Mathieu de Vendôme, auteur d’une ars versificatoria dont le conservatisme contraste avec les innovations poétiques contemporaines ; le troisième est marqué par une réactualisation des données normatives, sensible, sur divers chapitres, dans les traités respectifs de Geoffroy de Vinsauf, Évrard L’Allemand et Jean de Garlande. Autour

du

De

ornamentis verborum de

M arbode

de

R ennes :

le cercle angevin

Par « cercle angevin » il est convenu de désigner une communauté de goûts, de culture et de vues entre plusieurs prélats liés d’amitié et proches de la cour angevine. Ils partagent, à cause de leurs fonctions, de leur rang, une forme de familiarité avec la société nobiliaire des provinces nord-ligériennes, et tout spécialement avec de grandes dames lettrées de l’époque. De ce cercle, il est d’usage de distinguer trois noms : Marbode, évêque de Rennes, Hildebert de Lavardin, évêque du Mans puis archevêque de Tours, Baudri, abbé de Bourgueil et évêque de Dol. Ils sont représentatifs d’une société marquée, à l’orée du xii e siècle, par l’existence de plusieurs berceaux de développement de la culture de cour, toujours dominée alors par la langue latine. La culture urbaine, celle des écoles et des clercs qui s’y illustreront, reste encore embryonnaire, si bien que les cours et les centres ecclésiastiques gardent une forme de monopole des lettres. Les échanges culturels tiennent dans ces conditions en grande partie d’un va-et-vient entre ces deux types de pôles. L’art épistolaire et l’éloge, qu’il soit funèbre ou pas, sont des lieux de la sociabilité aristocratique et lettrée et jouent le rôle de conservatoires d’éloquence ; concomitamment se développent les artes dictandi et s’étend la pratique des « rouleaux des morts », sur les versants respectifs de la prise en compte théorique et de l’expression publique qui marquent ces pratiques « mondaines », du moins sociales voire politiques, de l’écriture. La poésie des trois auteurs qui nous occupent est, elle aussi, étroitement liée à la forme épistolaire – à l’adresse en général, mais ciblée, dédiée à des personnages identifiables. L’influence d’Horace, dans la forme même de l’épître mais aussi dans les thèmes, dans le ton adop-

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tés, y est sensible. À cela s’ajoute l’épigramme, forme plus brève, mais adaptée aux usages de nos auteurs, et l’épitaphe (qu’elle trouve place ou non dans un rouleau mortuaire), qui prend également bien souvent la forme d’une adresse au défunt. Comme ses deux contemporains, Hildebert de Lavardin est l’auteur de vers de circonstances et d’épitaphes2 . Marbode3, Baudri4 de Bourgueil et lui sont aussi les auteurs de distiques élégiaques plutôt en prise, chez Baudri du moins, avec une actualité touchant son réseau de sociabilité, et occasionnellement chez Hildebert consacrés à la déploration des maux de l’époque (sur les ruines de Rome). Chacun sacrifie à la topique de la déploration, de la louange, ou de l’évocation de figures mythiques (Pâris et Hélène, la Rome antique…), mais d’une manière qui lui est propre. L’œuvre théorique de Marbode constitue à cet égard un lieu où s’éclairent les traits communs entre les trois œuvres. Elle semble résulter d’une synthèse habile entre un fond rhétorique ancien bien maîtrisé (Rhétorique a Hérennius) et le fruit d’une expérience, la sienne et celle de ses amis (ils s’envoient mutuellement leur production, qui prend la forme d’échanges épistolaires, comme je l’ai indiqué). C’est pourquoi ce traité se présente sous la forme d’un prosimètre : la règle est énoncée en prose, très brièvement et clairement, et l’exemple, plus copieux, suit, en vers – il doit être directement utilisable par le versificateur. Le traité met à plat, sans distinction ni hiérarchisation, un certain nombre de procédés qui relèvent de l’ornatus facilis, exclusivement. Ce choix peut correspondre de la part de Marbode à une pratique poétique, qu’il partage avec Hildebert et Baudri : les poèmes de circonstances où il s’illustre ne relèvent pas de l’ornatus difficilis, non plus que les pièces de Baudri et dans une moindre mesure d’Hildebert.

2 Hildebertus Cenomanensis, Carmina minora, rec. A. B. Scott, Leipzig, 2001. Concernant les problèmes d’attribution des pièces éditées, voir aussi B. Hauréau, Les mélanges poétiques d’Hildebert de Lavardin, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, 1878, p. 289‑448 ; Dom A. Wilmart, « Le florilège de SaintGratien. Contribution à l’étude d’Hildebert et de Marbode », Revue Bénédictine, 48 (1936), p. 319‑321. 3 R. Leotta, C. Crimi (éd.), De ornamentis verborum ; Liber decem capitulorum : retorica, mitologia e moralità di un vescovo poeta, secc. x i -x ii , Florence, 1998. Des poèmes de Marbode sont accessibles dans Migne (éd.), P.L. 171 ; voir aussi Marbode de Rennes, Carmina varia, présentation et traduction par J.-G. Ropartz dans Bulletin et mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, t. 8, 1873. 4 Baudri de Bourgueil, Poèmes, texte établi, trad. et commenté par J.-Y. Tilliette, Paris, 1998 (t. 1), 2002 (t. 2).

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Les procédés qu’élisent, au plan théorique et pratique, Marbode et ses contemporains « angevins », tiennent essentiellement de l’écho ou de la répétition, voire de la répétition inversée (emploi de termes en chiasme, négations…), au service d’un signifié qui se veut simple, naturel, non métaphorique, et peu porté aux métonymies et synecdoques. Échos, rimes, assonances Les rimes léonines consistent à placer des désinences identiques (rime) à la fin des deux hémistiches d’un même vers, la césure variant de position d’un vers à l’autre (hémistiches irréguliers). Il s’agit d’un usage très répandu chez les poètes du cercle angevin : Baudri et Marbode l’utilisent. Ce dernier l’inclut dans la liste de ses « ornements verbaux » – distinguant rime verbale (similiter desinens) et nominale (similiter cadens5). SIMILITER DESINENS Similiter desinens est, cum, tametsi casus non insunt verbis, tamen similes exitus sunt, hoc modo : Censu ditari, virtute petis vacuari (…)6.

Marbode pratique la rime, finale ou léonine, dans ses propres poèmes, de même qu’Hildebert, qui use notamment de l’alternance de rimes plates dans la pièce suivante : Est aliquando bono bene, ne gravibus superetur Est male quo maculas lavet, adversisque probetur.7

Dans cette pièce, en distiques élégiaques, comme beaucoup des poèmes d’Hildebert, celui-ci se plaît à varier de manière irrégulière rimes finales (dominantes) et léonines. De manière plus générale, Hildebert fait de la rime un usage raisonné, l’excluant par exemple des

5 Marbode de Rennes, De ornamentis verborum 12 (éd. R. Leotta). «  Similiter cadens exornatio appellatur, cum in eadem constructione verborum duo aut plura sunt verba, quae similiter isdem casibus efferantur » ; « Similiter cadens se dit de l’ornement qui fait revenir dans la même construction deux ou plusieurs mots, dont les cas sont semblables à l’ouïe. » 6 Marbode de Rennes, De ornamentis verborum 13 (éd. R. Leotta). « Désinences semblables / Il y a désinence semblable quand, bien que les verbes ne comportent pas de cas, les finales sont malgré tout semblables, par exemple : / ‘Censu ditari, virtute petis vacuari’… (tu cherches en or à t’enrichir, en vertu à t’appauvrir) ». 7  Hildebertus Cenomanensis, Carmina minora 3, v. 1‑2 (éd. Scott). « Il est parfois bien que le bon ne succombe par sous le fardeau, / il est mal qu’il nettoie la souillure et soit éprouvé par l’adversité. »

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pièces qui sont des pastiches manifestes, et brillants, du chant amébée, bucolico-élégiaque, hérité de l’antiquité. Il est intéressant de noter que Baudri use plus volontiers de la rime léonine que de la rime finale – dont il fait, pour reprendre le propos de son éditeur et traducteur Jean-Yves Tilliette un « usage très parcimonieux »8, différent en cela d’Hildebert et Marbode : Aggregat absque mora non extricabilis hora Seruos nobilibus et pueros senibus9.

De l’écho ou répétition relève également la figure dite complexio, qui consiste à encadrer les vers successifs d’une même initiale et d’une même finale : Complexio est, quae utramque complectitur exornationem, quam ante exposuimus, ut et repetatur idem verbum saepius et crebro ad idem postremum revertamur, hoc modo : Qui sunt qui pugnant audaciter ? Andegavenses. Qui sunt qui superant inimicos ? Andegavenses. Qui sunt qui parcunt superatis ? Andegavenses. Egregios igitur livor neget Andegavenses10.

D’un usage certes moins itératif et systématique que dans l’exemple ici mentionné, la complexio est empoyée par Baudri : elle sert à mettre en relief les qualités essentielles du personnage auquel est dédié l’éloge (ici funèbre) : Plus animo ualidus quam possent membra tenella Militis, ante dies assumpsit militis arma. Militis arma gerens neque passus militis arma, Dormiit in Christo puer altae nobilitatis11.

8  J.-Y. Tilliette

(éd.), Baudri de Bourgueil…, p. x x i x . de Bourgueil, n° 26 (éd. et trad. J-Y. Tilliette, p. 45‑46), v. 1‑4. « Sans traîner, l’heure inéluctable mêle les serfs aux nobles et les enfants aux vieillards. » 10 Marbode, De ornamentis verborum 3. « La complexio est un embrassement, elle embrasse deux ornements, que nous avons exposés antérieurement, si bien que tout à la fois un même mot est assez souvent répété et que nous revenons fréquemment au même mot à la fin, comme par exemple : / Qui sont ceux qui combattent avec audace ? les Angevins. / Qui sont ceux qui vainquent leurs ennemis ? Les Angevins. / Qui sont ceux qui épargnent les vaincus ? Les Angevins. / Que la peur ignore donc les magnifiques Angevins. » 11  Baudri, n° 53 (épitaphe d’un jeune chevalier, éd. et trad. Tilliette, p. 58‑59), v. 3‑6. « Son cœur chevaleresque plus vaillant que n’étaient puissants ses membres délicats, il a endossé avant l’heure l’armure du chevalier. Revêtu des armes du chevalier, cet enfant de noble parage s’est endormi dans le Christ sans succomber aux armes d’un chevalier. » 9 Baudri

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Un peu différent, mais relevant d’une recherche semblable, l’emploi qu’en fait Marbode, hors contexte théorique, consiste à répéter, en début et en fin de vers, une même séquence. Il s’agit ici de la séquence rumpitur invidia, en référence à Martial, Épigramme IX, 97, dont le premier distique est littéralement cité et sert de modèle et de matrice aux autres : Rumpitur invidia quidam, charissime Juli. Quod me Roma legit, rumpitur invidia. Rumpitur invidia, quod sim jocosus amicus. Quod conviva frequens, rumpitur invidia12 .

Chez Hildebert, tous les ressorts de la rime, de l’anaphore et de l’épiphore, et par conséquent de la complexio, qui le conjuguent, sont mis à profit dans des pièces dont le caractère incantatoire est fortement marqué : cuius esse summum bonum, cuius opus quicquid bonum13

À la complexio se mêlent ainsi d’autres procédés, que l’on retrouve ailleurs chez nos trois poètes, et bien au-delà, et qui tiennent de la répétition de mots ou de la paronomase14. L’annominatio ou paronomase, qui consiste à saturer le propos de mots phoniquement proches, paronymes, constitue l’un des ressorts les plus prisés d’un grand nombre de poètes15, spécialement au Moyen Âge où certains voient là le moyen de démontrer leur copia verborum et leur habileté à agencer la masse lexicographique qu’ils prétendent embrasser. A nnominatio Annominatio est, cum ad idem verbum et nomen acceditur commutatione vel additione unius litterae vel litterarum, ut ad res dissimiles similia verba accommodentur, hoc modo : 12 Marbode, Carmina, n° XII («  Contra invidum  », P.L. 171, col. 1719D). « Quelqu’un se ronge d’envie, très cher Jules / parce que Rome me lit, il se ronge d’envie. / Il se ronge d’envie, que je sois un ami joyeux, / convive sollicité, il se ronge d’envie. » 13 Hildebert, Carm. 55, « De sancta Trinitate », v. 5‑6 (éd. Scott). « lui dont relève le souverain bien, / lui dont toute œuvre est un bien ». Cet extrait s’insère dans une série de vers anaphoriques. 14 Tous procédés au demeurant listés par Curtius et relevant selon lui d’un maniérisme chronique qui, alternant durant la période médiévale avec des œuvres relevant d’un classicisme rigoureux, se retrouve dans des littératures vernaculaires de la période moderne. Voir E. R. Curtius, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, t. I, Paris, 1956, p. 429 sq. 15 Il s’agit d’une des figures qu’E. R. Curtius fait participer d’une forme de maniérisme médiéval. Voir E. R. Curtius, La littérature européenne…, p. 435‑437.

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Hic qui magnanimum se vult fortemque videri Corde pavet leporis, cum territet ore leonis, Sicut damma fugit, quasi bos ad vulnera mugit. Curia, curarum genitrix nutrixque malorum, Iniustis iustos, inhonestis aequat honestos16.

L’annominatio tient donc de la paronymie proprement dite (emploi de termes quasi homophones mais distincts sémantiquement) et de la répétition ou de l’emploi de termes parents étymologiquement – dans lequel cas la figure approche et se confond avec la traductio. Marbode privilégie la première option : Opto tuum vultum, mi praesul, cernere multum, Amplectique senem quem colui juvenem. Sacratasque manus cano conjungere canus, Colloquiumque tui, dulcis amice, frui17.

En revanche, Hildebert manifeste un goût plus prononcé pour la traductio, privilégiant la répétition de mots semblables aux flexions différées ou de mots de même origine étymologique : Quem modo miratur, semper mirabitur orbis, Ille Berengarius non obiturus obit.18

Au-delà d’une pure fantaisie verbale, la répétition des verbes diversement conjugués concourt au paradoxe lapidaire sur lequel se fonde pour grande part la tradition poétique de l’épitaphe latine. Identité et variation des termes sont mises au service de l’expression antithétique, entre passé et présent, mort et vie. Paronymie et répétition de termes parents participent aussi du planctus où s’illustre, comme les deux autres, Baudri de Bourgueil : Sed quasi pro nichilo fieret de morte querela, 16 Marbode, De ornamentis 15. « Paronymie / La paronymie se produit quand pour un même verbe et un même nom il arrive, par inversion ou addition d’une lettre ou de plusieurs, que des mots semblables s’appliquent à des choses différentes, comme par exemple : / Celui qui veut paraître magnanime et brave / tremble d’un cœur de lièvre au lieu d’effrayer de sa face de lion, / au moindre sang, comme un daim il fuit, comme un bœuf il mugit. / La cour, mère de tracas et nourrice de maux, / relègue aux mêmes rangs justes et injustes, honnêtes et malhonnêtes. » 17 Marbode, Carmina, n° XXI (À Samson, évêque de Wincester, éd. P.L. 171, col. 1658B). « O mon cher évêque, comme je désire au plus haut point voir ton visage / et serrer le vieillard dont j’ai cultivé la jeunesse. / Et joindre, chenu, à toi, chenu, des mains consacrées, / et jouir de ta conversation, mon doux ami. » 18 Hildebert, Carm. 18, « De morte Berengarii », v. 1‑2 (éd. Scott). « Ce Bérenger qu’il admire aujourd’hui, le monde l’admirera pour toujours. / Il meurt, lui qui ne mourra point. »

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Praesertim cum sit mors Christi nostra medela : Nec deerit medicus, nisi desit cui medeatur. O felix morbus, mors Christi cui medicatur !19

Proche de la paronomase en terme d’effet sonore, la répétition de termes, à l’identique ou déclinés (traductio) aux fins d’enjoliver le discours, de créer à l’intérieur du vers un mouvement de balancier, est un procédé extrêmement répandu dans la poésie médiolatine. Marbode et, dans une moindre mesure, Baudri n’y échappent pas. Voici ce que Marbode range sous le vocable : TRADUCTIO Traductio est, quae facit uti, cum idem verbum crebrius ponatur, non modo non offendat animum, sed etiam concinniorem orationem reddat, hoc pacto : Si nihil in vita iucundius est tibi vita, Indecorem vitam perages virtute relicta. Cur illum curas, qui multas dat tibi curas ? Semper amare velim, si quid nihil insit amari20.

Il s’agit, précise-t-il, d’une répétition qui non seulement « ne blesse pas l’oreille », mais rend plus plaisant le discours. En pratique, Marbode mêle volontiers ce procédé à l’annominatio évoquée précédemment : Non quia sim talis, qui vobis sim specialis, Sed quia vos talem scio, quem faciam specialem. Nec mihi quid detis, plus vos amo quam quod habetis. Et quod habetis amo, sed non ea bona reclamo. Munera nolo dari mihi, sed volo pauper amari. Sufficit ad munus, si nos amor alliget unus21. 19  Baudri, n° 73 (éd. et trad. Tilliette, p. 67‑68) v. 3‑6. « Mais gémir sur la mort ne devrait servir presque à rien, puisque la mort du Christ est notre médecine. Le médecin ne fera pas défaut, à moins que ne fasse défaut le malade. Bienheureuse maladie, dont la mort du Christ est le remède ! » 20 Marbode, De ornamentis 4. « La traductio est ce qui fait que, lorsque le même mot est répété un peu trop souvent, non seulement il ne blesse pas l’esprit, mais en plus il rend le discours mieux lissé, selon le modèle : / si rien dans la vie ne t’est plus plaisant que la vie, / achève une vie indigne, exempte de vertu. / Pourquoi te soucier de qui te donne de nombreux soucis ? / Je voudrais aimer toujours, si rien ne s’y trouvait d’amer. » 21 Marbode, Carmina, n° XXXII (« À Odon, comte-évêque », P.L. 171, col. 1724CD). « Non pas que je sois de telle sorte que vous m’ayez pour ami intime / mais parce que je vous sais de telle sorte que je fais de vous mon ami intime. / Ne me donnez rien, je vous aime plus que ce que vous avez. / Et ce que vous avez je l’aime, mais je ne réclame pas ces biens. / Je ne veux pas que me soient donnés des présents, mais je veux être aimé pauvre. / Il me suffit comme présent qu’un même amour nous lie. »

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La traductio, plus appuyée, se lit de manière particulièrement nette chez Baudri : In Maio, vernante rosa, rosa marcuit ista : Quinta dies a fine finem sibi clausit et annos22 .

Il en va de même chez Hildebert : Qui petis unde malum, cum sit bona cuncta creata ? Defectu proprio sunt mala que mala sunt. Cum radix vitio caret, vitium tamen ex se Et per se citius dulcia poma trahunt23.

Chez Hildebert, répétition-traductio et homonymie déguisée se conjuguent pour produire un effet de brouillage sémantique. De cette apparente confusion doit surgir une vérité supérieure, celle dont les mots et les identités sonores donnent la clef 24. Autre procédé fondé sur la répétition : la conduplicatio. Si la définition qu’en donne Marbode est assez générale, le procédé tient en grande part de l’anaphore. CONDUPLICATIO Conduplicatio est, cum ratione amplificationis aut miserationis eiusdem unius aut plurium verborum iteratio fit, hoc modo : Tune patrem gladio, crudelis nata, necasti ? Tune patrem, pro quo fuerat tibi mors obeunda ? Num refugis lucem, fex et contagio vitae ? Num refugis ? Numquid si iudex parcere vellet, Non tibi deberes manibus consciscere mortem ?25 22  Baudri, n° 53 (épitaphe d’un jeune chevalier, éd. et trad. Tilliette, p. 59), v. 9‑10. « Quand fleurit la rose de mai, cette rose s’est flétrie. Le cinquième jour avant la fin du mois a vu le terme de ses jours et de ses années. » 23 Hildebert, Carm. 5. « Tu demandes d’où vient le mal, alors que toutes choses créées sont bonne ? / Il y a des maux qui sont des maux en raison de leur défaut propre. / Alors que leur principe est dépourvu de vice, / ces doux fruits ont tôt fait de tirer le vice d’eux-mêmes et par eux-mêmes. » Le vers 2 comporte très certainement, au-delà du sens qu’impose la métrique et dont la traduction rend compte, une référence implicite au jeu de mots devenu topique entre mălum, le mal, et mālum, la pomme (associée au péché). 24  Selon un principe cher à la pensée médiévale et appelé à une grande fortune durant le XIIe siècle chartrain, selon laquelle tout signe visible ou audible, en particulier le mot, est signe d’un intelligible invisible voulu par Dieu. Sur ce point voir Hennig Brinkmann, Mittelalterliche Hermeneutik, Tübingen, 1980, p. 45‑46. 25 Marbode, De ornamentis 25. « Il y a conduplicatio quand au nom de l’amplification ou de la plainte se produit la répétition d’un même ou de plusieurs verbes, sur le mode : / Et toi n’as tu pas tué de ton glaive, enfant cruelle, ton père ? / Et toi ne l’as-tu pas tué, lui au nom de qui la mort devait t’échoir. / Est-ce que tu fuis la lumière, ordure et contagion de la vie ? / Est-ce que tu fuis ? Est-ce que si un juge voulait t’épargner / tu ne devrais pas te donner la mort de tes propres mains ? »

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Comme le précise Marbode dans le De ornamentis, cette figure participe en premier lieu de l’écriture de la désolation (miseratio), du planctus. Les exemples extraits d’œuvres des trois « angevins » en témoignent. Prenons Marbode et Hildebert : Hic villas decimat, hic vectigalia fraudat. Hic silvas vendit, hic prata virentia tollit. (…) Heu dolor ! heu luctus ! o detestabile tempus ? Heu facinus mirum ! cur tanta potentia furum ? Dic ubi rex, ubi lex, ubi jus, ubi regula vindex ?26 Cur igitur placuit ? Quid honesti vidit in illo Quem iam nulla sequi preter honesta pudet ? Cur inquam placuit ? Dignusne placere puellis Qui non exilio, sed cruce dignus erat27

On trouve dans les élégies mortuaires ou les épitaphes de Baudri des exemples comparables, qu’il serait fastidieux d’énumérer tant leur usage est proche de ceux-ci. Relevant là encore d’une esthétique de la répétition, la commutatio consiste à opposer les termes en les plaçant dans des fonctions syntaxiques inversées au sein d’un même vers. Plus difficile à mettre en œuvre, et requérant toute l’habileté des versificateurs, cette forme de chiasme n’en est pas moins un ressort privilégié de la poésie médiévale. COMMUTATIO Commutatio est, cum duae sententiae inter se discrepantes ex traiectione ita efferuntur, ut a priore posterior contraria priori proficiscatur, hoc modo : Nulla tacenda loqui vel nulla loquenda tacere, Qui sapiens iubeat, cum supra nos sit utrumque ? Quisve iubens sapiat, cum quod iubet, hoc nequit ipse ?28

26 Marbode, Carmina, n° XLIV («  Versus canoniales », P.L. 171, col. 1734C, 1735A). « Il décime des domaines, il pille les ressources, / il vend les bois, il enlève les prés verdoyants. / O douleur, o deuil ! Quelle est cette époque détestable ? / O crime étonnant ! Pourquoi une telle puissance aux voleurs ? / Dis, où est le roi, où est la loi, où est le droit, où est la règle vengeresse ? » 27 Hildebert, Carm. supp. 3, v. 25‑28 (éd. Scott). « Pourquoi donc a-t-il plu ? Qu’a-telle vu d’honorable en celui / que désormais nulle n’a honte de suivre au-delà de ce qui est honorable ? / Pourquoi, dis-je, a-t-il plu ? Est-il digne de plaire aux jeunes filles / celui qui était digne, non de l’exil, mais de la croix. » 28 Marbode, De ornamentis 26. «  Il y a commutation quand deux propositions discordantes à l’origine sont ainsi prononcées que la seconde émane de la première mais lui est contraire, par exemple : / ne dire rien de ce qu’il faut taire et ne taire rien de ce qu’il faut dire, / quel sage pour l’ordonner, alors que, dans les deux cas, cela nous

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Un tel procédé a la faveur d’Hildebert : Preconem decuit, Domino presente, silere, Necnon et Dominum, precone silente, iubere29

Si le chiasme syntaxique est moins évident dans les exemples qui suivent (trouvés chez Marbode et Baudri), ceux-ci tiennent néanmoins de la commutatio par la volonté manifeste de leurs auteurs d’opposer terme à terme, d’inverser chacun d’eux par la négation ou par une construction particulière. Le mouvement singulier qui s’en dégage, balancier un peu monotone lié à la césure qu’impose cette construction oppositionnelle du vers, lui confère là encore un caractère paradigmatique, exemplaire, à la manière d’une maxime ou d’un adage. Qui dolet, aut metuit, patet hunc non esse beatum ; Qui perdit quod amat, vel amat quod perdere possit, Hic dolet aut metuit ; sed non est ulla voluptas Rebus in extremis, quam non cito perdere possis30.

Notons concernant cet exemple, comme le précédent, qu’ils usent de la figure dans un contexte syntaxique proche : l’usage anaphorique, dans les deux cas, d’une relative, à l’instar de l’exemple donné dans le De ornamentis. Les vers de Baudri qui suivent offrent une variante à ce modèle : Ad ripam uenio neque ripam prendere possum. Saxa tamen prendo, de saxis eueho saxum31.

À côté de ces figures qui tiennent d’un jeu sur les mots et les sonorités, plus que sur le sens et l’organisation du discours poétique, Marbode range, suivant en cela la tradition, parmi les couleurs de rhétorique, un ornement qui procède plus nettement des stratégies argumentatives propres à l’art oratoire : la persuasio.

dépasse ? / Ou qui serait sage qui l’ordonnerait, lorsque, ce qu’il ordonne, il en est incapable ? » 29 Hildebert, Carm. 39. « Versus cuius supra de Petro Pictaviensi episcopo », v. 17‑18 (éd. Scott). « Il convint qu’en la présence du Seigneur, le héraut se tût, / mais aussi que, face au silence du héraut, le Seigneur commandât. » 30 Marbode, Carmina, n° XXVIII (« Sermo de vitiis et virtutibus. — Petendam esse solitudinem », P.L. 171, col. 1667A). « Celui qui souffre ou a peur, il est évident qu’il n’est pas heureux ; / celui qui perd ce qu’il aime, ou qui aime ce qu’il pourrait perdre, / il souffre ou il a peur ; mais en ces extrêmes il n’y a pas de plaisir / que tu ne puisses aussitôt perdre. » 31  Baudri, n° 2 (éd. et trad. Tilliette, p. 6), v. 55‑56. « J’atteins la rive et ne puis m’y accrocher ; c’est alors aux rochers que je m’accroche, et je détache de ces rochers un roc. »

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Persuasio On trouve chez ces auteurs, et particulièrement chez Baudri, dans les lettres versifiées qu’il attribue à Pâris et Hélène et par lesquelles il fait, conformément à la tradition ovidienne, dialoguer les futurs amants, une forte emprise rhétorique. Les missives que l’on vient de citer, et particulièrement celle de Pâris, ressortissent totalement à l’art du plaidoyer. Les procédés choisis s’en ressentent, et notamment ce que Marbode consigne, conformément à la Rhétorique à Hérennius (I,  23 : ex ratiocinatione controversia constat…), au chapitre intitulé ratiocinatio. Celle-ci consiste pour Marbode à construire le discours, monologique, autour d’une succession de questions et de réponses : R atiocinatio Ratiocinatio est, per quam ipsi a nobis rationem poscimus, quare quidque dicamus, et crebro nosmet a nobis petimus uniuscuiusque propositionis explanationem, hoc modo : Dives avarus eget. Per quid ? Quia, cum petit usus, Tangere parta timet. Cur ? Ne minuatur acervus. Cur metuit minui ? Quia mavult crescere. Quare ? Non esset vitium, si non ratione careret32 .

Les questions bien entendu servent d’introduction, de faire-valoir aux réponses, les mettent en relief de manière argumentée et persuasive : Qui memorare situm memoratae desinat urbis ? Est siquidem Troie situs ipse saluber et aptus : Diues enim tellus cerealia farra quotannis, Vomere culta leui, cupidis messoribus affert. (…) Quis praetermittat Simoentis clara fluenta ? Quis Xanthi uitreas non admirabitur undas Cui, preter Ligerim, nullus similabitur amnis, Et qui Burgulii rigat ortos Cambio felix ? Hic quoque piscose sapor est et copia predae Et resonant unde stagnantes alite multa. Pinus auricomas quis non miretur in Ida, 32  Marbode de Rennes, De ornamentis 7. « Ratiocination / La ratiocination est la figure qui nous fait nous demander à nous-mêmes la raison pour laquelle nous disons quelque chose, et aussitôt nous réclamer à nous-mêmes l’explication de chacune de nos propositions, comme par exemple : / Le riche avare est dans le besoin. En quoi ? Parce que quand l’usage le réclame, / il craint de toucher à son butin. Pourquoi ? Pour que sa réserve ne diminue pas. / Pourquoi craint-il qu’elle diminue ? Parce qu’il préfère l’accroître. Pourquoi ? / Ce ne serait pas un vice, si ce n’était pas irraisonné. »

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Quercus glandiferas, tangentes sidera cedros ? Fraxinus in silua rigidis hastilibus apta.33

Les questions sont là aussi pour balayer par anticipation toute objection au discours, celui-ci visant à convaincre, à persuader un interlocuteur identifié (Hélène), ou anonyme, voire collectif. C’est à la comtesse Ermengarde que Marbode s’adresse, dans une exhortation à l’humilité qui tient du memento mori, d’autant plus mémorable du fait de l’annominatio qui renforce la rime léonine : Mollities lecti quid confert murice tecti ? Aufert quippe tori gaudia posse mori. (…) Quem laudis titulum dant tibi post tumulum ? Quid maris et terrae properem bona cuncta referre, Quae quasi te ditant, et tibi suppeditant ? Divitiae tales sunt nulli perpetuales, Cum mundo vadunt, cumque cadente cadunt34.

Toutes ces figures ressortissent à une esthétique unique, qui place le mot en tant qu’entité sémantique minimale, dans sa plénitude phonético-morphologique, au cœur du dispositif poétique. Or la réduction de la rhétorique marbodienne à l’ornatus facilis cantonne le champ d’expérimentation poétique à un réseau complexe de jeux de mots, de jeux sur les mots et la langue. En cela, l’énoncé normatif est en plein accord avec la production elle-même, pour le moins à époque et milieu constants. En est-il de même pour d’autres des grands traités poétiques qui marquent le xii e siècle, à commencer par l’ars versificatoria de Mathieu de Vendôme ? 33  Baudri, n° 7 (« Pâris à Hélène », éd. et trad. Tilliette, p. 20‑21), v. 187‑214. « Qui ne célébrerait sans fin le site de cette ville célèbre ? Le site de Troie est en effet salubre et commode : une terre fertile, qu’une charrue légère cultive, procure tous les ans le froment de Cérès au désir des moissonneurs. (…) Comment passer sous silence l’onde claire de Simoïs ? Qui manquera d’admirer les flots cristallins du Xanthe, auquel nul cours d’eau ne saurait être comparé, fors la Loire, et le bienheureux Changeon, qui baigne les jardins de Bourgueil ? Le pêcheur y trouve aussi abondance de poissons succulents et les étangs résonnent du vol de maint oiseau. Comment ne pas admirer sur l’Ida les pins aux cheveux d’or, les chênes porte-glands, les cèdres qui touchent les astres de leur cime ? Le frêne forestier est bien propre à donner des javelots solides. » 34 Marbode, Carmina, n° XXIII («  M. évêque à la comtesse E.  », P.L. 171, col. 1660A-B). « Qu’apporte la mollesse d’un lit couvert de pourpre ? / La possibilité de mourir ôte en effet les joies de la couche. / (…) Quel titre de gloire te donnent-elles après le tombeau ? / Que me hâterais-je de rapporter tous les biens de la mer et de la terre, / lesquels, en t’enrichissant pour ainsi dire, te suffisent ? / De telles richesses ne sont éternelles pour personne, / elles s’en vont avec le monde et tombent avec ce qui tombe. »

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M athieu

de

Vendôme ,

entr e conservatisme théor ique et

innovation poétique

Les écoles d’Orléans qui, au milieu du xii e siècle, constituent un des centres les plus importants de transmission du savoir en Europe occidentale, forment l’élite culturelle d’une vaste zone géographique qui s’étend de l’Allemagne à l’Angleterre en passant par une grosse moitié nord du royaume de France. C’est cette élite qui occupe les charges et a l’oreille des puissants. Ses ressortissants sont liés par un sentiment d’appartenance à un même corps, par un langage commun, enfin par une volonté patente de briller devant leurs pairs. À quoi s’ajoutent, corollaire de cet esprit de fraternité et d’émulation, des rivalités haineuses et durables, entre Mathieu et Arnoul d’Orléans par exemple, rivalités entretenues par des enjeux de transmission et d’hégémonie scolaires. Mathieu s’illustre avant tout par son Ars versificatoria (avant 1175)35 dont le parti est ambitieux. L’Ars versificatoria se veut en effet une œuvre complète, récapitulant les apports des sources rhétoriques et poétiques (Rhétorique à Hérennius, Ars poetria) – moment d’actualisation et de synthèse donc, en principe du moins, et ce bien que Mathieu fasse le choix d’exclure la composition (disposition, amplification, abréviation), soit l’achèvement de l’art oratoire selon Quintilien, de son champ d’action. Tout le reste du processus de création (depuis l’inventio) y est en revanche mentionné, sinon passé en revue. L’ornement occupe une place privilégiée dans le dispositif créatif : Siquidem sicut in constitutione rei materialis ex appositione alicujus margaritae vel emblematis totum materiatum elegantius elucescit, similiter sunt quaedam dictiones, quae sunt quasi gemmarum vicariae, ex quarum artificiosa positione totum metrum videbit festivari. Earum enim multiformis ornatus aliis dictionibus collateraliter suae venustatis impertit beneficium et quasi socialiter cujusdam festivitatis accommodat blandimentum36.

35  Matthieu de Vendôme, Ars versificatoria, éd. F. Munari, Rome, 1988. Sur les arts poétiques latins du x ii e siècle, voir Edmond Faral, Les arts poétiques du x ii  e et du x iii  e siècle, Paris (Bibliothèque de l’École des Hautes Études, 238), 1924. 36 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 11 (éd. F. Munari). « Assurément, comme, dans la constitution d’un objet matériel, l’objet tout entier s’illumine plus élégamment de ce que l’on y dispose quelque perle ou quelque emblème, de même il y a certains mots, qui sont comme des substituts de perles, et qui, artistement disposés, feront que tout le mètre se verra égayé. Leur ornement multiforme, en effet, distribue le bénéfice de ses charmes aux autres mots alentour, et, comme en société, leur administre les agréments d’une certaine gaieté. »

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Pourtant, s’il inclut bien les figures de pensée, à savoir l’ornatus difficilis, à la différence de Marbode, Mathieu ne fait que donner la liste des couleurs de rhétorique (à savoir les figures d’ornatus facilis), considérant que d’autres (peut-être est-ce précisément une allusion à Marbode) les ont expliquées avant lui37. Cela révèle sans doute une ambition supérieure, celle de s’adresser par son traité à tous les poètes qui entendent s’illustrer dans les genres nobles, c’est-à-dire ceux précisément qui, selon les classifications anciennes, relèvent de l’ornatus difficilis. En parallèle à cette activité théorique, ressortissant à des fonctions pédagogiques, Mathieu s’illustre par sa pratique du vers latin. Il est principalement l’auteur de comédies et de poèmes satiriques. Or son œuvre théorique, dans les choix de présentation qu’elle opère, semble faire fi de l’expérience poétique elle-même. Insistons sur le caractère puissamment aporétique de l’énoncé théorique de Mathieu, qui ne fait pas mystère d’un certain conservatisme. Ainsi condamne-t-il l’usage des vers léonins : Amplius a praesentis doctrinae traditione excludantur versus inopes rerum nugaeque canorae, sicilicet frivolae nugarum aggregationes, quae quasi joculatrices vel gesticulatrices auribus alludunt solo consonantiae blandimento, quae possunt cadaver exanimatum imitari, promptuarium sine [vino], manipulum sine grano, cibarium sine condimento, quae vesicae distentae possunt comparari, quae ventoso distenta sibilo sine venustate sonum distillans ex sola ventositate sui tumoris contrahit venustatem : scilicet versus leonini, quorum venustas sicut ratio nominis ignoratur ; in quibus quidam tibicines et imperiti in exercitio leonis morum maxime gloriantur38.

Cette position contraste avec des pratiques largement en usage et qu’attestaient Marbode et ses compères ‘angevins’. Un silence gêné, motivé par la tension existant pour Mathieu entre une volonté de se conformer aux modèles poétiques anciens et la nécessité de rendre 37  E. Faral,

Les arts poétiques du x ii  e et du x iii  e siècle, Paris (Bibliothèque de l’École des Hautes Études 238), 1924, p. 90‑91. 38 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 43 (éd. Munari). « Plus largement, que soient exclus du rapport du présent enseignement les vers indigents et les balivernes poétiques, c’est-à-dire les frivoles agrégats de balivernes, qui, comme les jongleurs et les acrobates, se jouent de l’ouïe par le seul agrément de leur harmonie, qui imitent, peutêtre, le cadavre inanimé, la crédence sans vin, le manipule sans grain, la nourriture sans assaisonnement, qui se peuvent comparer à une poche distendue, qui, distendue par un sifflement venteux, distillant un son sans charme ne retient de charme que celui que produit le vent de son enflure : c’est le cas des vers léonins, dont j’ignore le charme tout comme la raison de leur nom ; ceux qui en tirent le plus de gloire sont des joueurs de flûte qui ignorent tout de la pratique des mœurs léonines. »

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compte d’un foisonnement contemporain, eût été plus explicable que cette condamnation, qui correspond à un mouvement de réaction au léonin depuis plusieurs décennies révolu39. Un tel conservatisme apparaît en d’autres lieux du traité. Mathieu amène, sous forme d’une allégorie que lui inspire une tradition issue du De nuptiis de Martianus Capella, un exposé sur les genres littéraires, servantes de la philosophia. C’est à cette occasion que se révèlent des incohérences par rapport à la production poétique ambiante, dont celle où s’illustre Mathieu lui-même. Genres et formes : distorsions et hiatus Mathieu de Vendôme identifie, dans le contexte énoncé précédemment, les genres suivants : tragédie, comédie, élégie, satire. Trois de ces genres hérités des corpus antiques figurent encore, sous une forme qu’il s’agit d’étudier dans ce qu’elle a de conservatoire d’une part, de nouveau de l’autre, au rang de ceux que les poètes médiolatins et les théoriciens (souvent les mêmes) élisent par-dessus les autres : la comédie, la satire et l’élégie. La comédie La relative liberté dont disposent les auteurs s’illustrant dans ce genre tient au peu de préceptes qui le régissent. Rappelons qu’il n’est défini qu’en termes référentiels par Horace, qui au plan de la forme s’en tient à quelques allusions à la tradition (qu’il réprouve en partie). Mathieu de Vendôme n’ajoute aucune donnée technique précise à la définition antique, se contentant de présenter en ces termes la comédie (une des servantes de philosophia) : Tertia surrepit comoedia, cotidiano hiatu, humiliato capite, nullius festivitatis praetendens delicias40.

Il perpétue ainsi et consolide une forme de doxa – théorique – en matière de comédie : humilité de l’expression, langage quotidien, sans apprêt délicat. 39  D. Norberg, Introduction à l’étude de la versification latine médiévale, Stockholm, 1958, p. 40‑41. L’auteur y rappelle l’usage répandu des rimes léonines depuis le i x e siècle. Il précise que le début du x ii e siècle est marqué par une réaction « classicisante », bien qu’assez marginale, et qui touche des auteurs qui se sont eux-mêmes largement essayés aux vers léonins, comme Marbode ou Gilon de Paris. 40  Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 7. « Surgit en troisième la comédie, quotidienne dans l’expression, humble de visage, nullement avide de gaies voluptés. »

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L’énoncé est très sommaire, déconnecté d’une pratique vivante très en vogue au milieu du xii e siècle. Ce qu’il décrit là, c’est une comédie qui pouvait prévaloir, à la rigueur, à l’époque antique et tardo-antique. On est bien loin du renouveau générique dans lequel lui-même s’illustre. Dans les faits, et pour en dégager de manière générale les principales caractéristiques, tous auteurs confondus, la comédie du xii e siècle est le genre de l’ornatus facilis, de la traductio et de l’annominatio en particulier. L’excroissance des genres usant de l’ornatus facilis se vérifie à l’époque de Mathieu. Antithèses et allitérations s’ajoutent aux figures précédemment nommées, constituant un ressort très courant dans la poésie médiévale. Un des principes de cette nouvelle comédie consiste par ailleurs dans une forme d’hybridation stylistique, relevant de la variatio énoncée par Horace. Loin de tout cotidiano hiatu, l’expression est réglée et mesurée, comme en témoigne l’usage du distique. L’exemple que nous avons délibérément choisi en dehors de l’œuvre de Mathieu, parce qu’il est, plus qu’un autre, emblématique du genre (ne serait-ce que pour son succès, notamment outre Manche), est le Babio41 (écrit sans doute dans le dernier quart du xii e siècle). En dehors des caractéristiques communes listées plus haut, et ressortissant, on l’a dit, à l’ornatus facilis, l’auteur, mais il n’est pas seul en cela, y développe particulièrement, d’une part, le jeu signifiant-signifié, d’autre part, le détournement de figures topiques liées à la description. Les jeux de mots y sont nombreux. Ainsi les noms des deux jeunes amoureux du Babio, tous deux empruntés à des fleurs, permettent-ils des digressions piquantes, référant à la topique courtoise : Sit Croceo Viola : flos hunc, flos denotat illam ; Sit dissimilis simili ! Consona nulla magis. Non negat hoc Petula ; non hoc nego42 .

Par ailleurs, la description que fait Babio de Viola, qu’il convoite, joue des codes du portrait amoureux, que ce faisant elle subvertit : Eius in ore fauum mellificatis apes. 41  La « comédie » latine en France au x ii  e siècle, G. Cohen (dir.), t. 2, Paris, 1931, p. 3‑59 (éd. et trad. H. Laye). Voir, pour une édition actualisée et une étude qui le replace dans le contexte littéraire des comédies latines de son temps, Ferrucio Bertini (dir.), Commedie latine del x ii e x iii secolo, Gênes, 1980, t. 2. 42  Babio (trad. H. Laye), v. 157‑159. «  Que Viola soit à Croceus ! Une fleur le désigne, une fleur la désigne. Que le semblable soit au semblable ! Il n’y a pas mieux assorti. Petula n’y contredit pas ; moi non plus je n’y contredis. »

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Sidera sunt ocli ; quales fers, Phebe, capilli ; Phillis inest digitis, in pede pes Thaidis. Fert Helene faciem, gracilem precincta Corinnam ; Meridiem risu, dente coequat ebur. Talem cum uideat, felix cui tangere fas est43.

Sont listés ici tous les lieux consacrés de la description éroticoélégiaque, avec ses associations topiques : bouche-miel, yeux-étoiles, dents-ivoire, sourire-soleil, à quoi s’ajoutent des figures référentielles très souvent convoquées pour leur légendaire beauté : Phoebus, Phillis, Thaïs, Corinne et surtout Hélène. Celle-ci constitue le paradigme de la belle femme à laquelle, en guise d’exemple de description, Mathieu lui-même dédie quelques distiques de son Ars versificatoria : Stellis praeradiant oculi Venerisque ministri Esse favorali simplicitate monent. (…) Oris honor rosei suspirat ad oscula, risu Succincta modico lege labella tument. Pendula ne fluitent, modico succincta tumore Plena dioneo melle labella rubent. Dentes contendunt ebori, serieque retenta Ordinis esse pares in statione student44. Vel si deliciosus erit auditor, dicens quod in multiloquio pretium non est, membrorum descriptionem sic comprehendat : Respondent ebori dentes, frons libera lacti Colla nivi, stellis lumina, labra rosis45.

43  Babio, v. 34‑39 (trad. Laye). « Dans sa bouche, vous faites, abeilles, votre rayon de miel. Ses yeux sont des astres, ses cheveux sont tels que tu les portes, Phoebus ; Phillis est enclose en ses doigts, comme en son pied le pied de Thaïs. Elle présente le visage d’Hélène, avec la taille de la fine Corinne. La clarté de midi est égalée par son sourire, comme par ses dents l’ivoire. À la voir telle, heureux celui à qui il est permis de la fléchir ! » 44  Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, I, 56, 15‑16, 23‑28. « Ses yeux rayonnent plus que les étoiles et par leur faveur / simple s’annoncent pour être des serviteurs de Vénus. / (…) / La gloire de son visage de rose aspire aux baisers, d’un rire modeste ses lèvres s’enflent, soutenues selon l’usage. / Pour qu’elles ne soient pas laissées ballantes, retenues par un modeste renflement ses lèvres rougissent, pleines du miel de Dioné. / Ses dents le disputent à l’ivoire et dans l’alignement parfait / de leur ordonnance ont soin d’être toutes de semblable tenue. » 45 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, I, 57, 1‑2. «  Et si l’auditeur est un voluptueux, qui dit n’accorder aucun prix aux longs discours, qu’il apprécie une telle description physique : / Ses dents rivalisent avec l’ivoire, son front dégagé avec le lait, / son cou avec la neige, la lueur de ses yeux avec les étoiles, ses lèvres avec les roses. »

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Ces exemples de description donnés par Mathieu lui permettent d’exemplifier la règle qu’il édicte, et qui consiste à mettre en relief les attributs des personnes afin de donner corps à l’œuvre poétique, comme il l’affirme dans les vers suivants, d’inspiration nettement horatienne (ut pictura) : Materiam picturat opus praedulce, venusto Materiae pretio materiata placent46.

Pour autant Mathieu ne préjuge pas là du genre dans lequel ces descriptions sont employées. Faut-il en conclure que ses propos ont une valeur générale, ou plutôt trans-générique ? Le manuel favorise, mais il n’est pas le seul à y contribuer, la fixation de figures obligées, de loci communes (figures de femmes, ici, Thaïs, Hélène, Corinne etc.). Ces descriptions s’expriment en distiques, forme érotico-élégiaque par excellence. La reprise par l’auteur comique de ces codes (blason et formules consacrées) participe d’un jeu, d’un second degré que révèle le contexte dans lequel ils sont convoqués. Le poète s’approprie en effet ces éléments topiques pour les détourner et user de la subversion comme principal effet comique – ce qui suppose, soit dit en passant, une culture commune à l’auteur et son lectorat, censé comprendre à quel système de références de tels modes de descriptio renvoient. Les ressorts listés plus haut, et relevant de l’ornatus facilis – répétition, paronomase etc. – servent de cadre, d’écrin, à ces procédés de variatio qui consistent à détourner des figures d’un registre plus élevé. Plus uiola Viola, plus florens flore recenti, Plus precio prestans, plusque decore decens ; Et quem deuoui Croceo plus inclita flore47.

À ces variations qui sont autant d’emprunts à l’univers de la poésie élégiaque et érotique, celui des Héroïdes essentiellement, s’en ajoutent d’autres, plus directement liées au genre épique. Le décalage, d’autant plus grand, n’en est que plus risible. Prenons le passage où Babion ourdit sa vengeance :

46  Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, I, 57, 15‑16. « La douceur de l’œuvre met en image la matière, / et l’objet matérialisé jouit du charme qu’apporte tout le prix de la matière. » 47  Babio, v. 51‑52 (trad. Laye). « Tu es plus éclatante que la violette, Viola, tu l’es plus que fleur qui éclôt, tu l’emportes par le prix, tu l’emportes par la beauté ; et en regard de Croceus, que je maudis, tu es plus distinguée que la fleur de safran. »

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Non Paridi flammas clades minuere, tot enses, Non patris aut Troie siue ruina sui48.

Le lexique, la construction rappellent certains passages de l’Énéide : Hoc equidem occasum Troiae tristisque ruinas solabar, fatis contraria fata rependens ; nunc eadem fortuna viros tot casibus actos insequitur49.

Pour autant, rien dans l’Ars versificatoria ne laisse à penser que Mathieu puisse préconiser, théoriser de là la variatio autrement que pour la condamner (Mathieu, Ars versificatoria I, 36). Un décalage existe donc bel et bien entre le genre comique tel que Mathieu le lit, le voit, le pratique et ce qu’il consent à en dire dans son œuvre normative. Il oblitère ainsi totalement la dimension subversive de la comédie, dont un des ressorts les plus sûrs dans la production contemporaine tient à la transposition de topoï poétiques caractérisant les genres plus nobles (panégyriques, élégies, épopée etc.). Plus largement, le découpage générique présenté par Mathieu ne prend pas en compte l’hybridation opérée au xii e siècle entre poésie satirique, comédie et vers élégiaques50. L’élégie L’élégie est le genre que l’ars versificatoria définit le plus précisément : il est celui de l’apprêt, quand les trois autres, pour des raisons diverses, se caractérisent selon lui par leur sobriété. C’est au chapitre où il traite de l’élégie, et donc pour celle-ci en premier lieu, que Mathieu dresse une critériologie des genres poétiques qui couvre : le contenu – les idées, d’une part, la forme des mots et leur ornement, d’autre part, la qualité de l’expression enfin. Cette critériologie s’applique certes à l’ensemble des genres, et fait appel à des exemples

48  Babio, v. 311‑312 (trad. Laye). « Pâris n’eut pas sa flamme amoureuse diminuée par les désastres, par tant d’épées, ni par la ruine de son père, celle de Troie ou la sienne propre. » 49 Virgile, Énéide I, v. 238‑241 (trad. J. Perret). « Cet avenir me consolait de la chute de Troie et de ses ruines lamentables ; je compensais par de nouveaux destins ceux qui nous furent contraires. Mais la même fortune poursuit encore ces hommes, chassés par tant de misères. » 50 G. Orlandi, «  Classical Latin Satire and Medieval Elegiac Comedy  », in P. Godman, O. Murray (éd.), Latin Poetry and the classical Tradition, Oxford, 1990, p. 97‑114.

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non élégiaques (Stace, Lucain), mais c’est à l’énoncé des règles prévalant pour l’élégie que, selon l’économie et l’ordre du traité, il l’accroche51. Il y fait l’éloge du déséquilibre : Quarta [Ov. Rem. 379] Pharetratos Elegia cantat amores, Favorali supercilio, oculo quasi vocativo, fronte expositiva petulantiae, cujus labella prodiga saporis ad oscula videntur suspirare ; quae ultima procedens non ex indignitate, se potius ex inaequalitate pedum : tamen in effectu jocunditatis staturae claudicantis vendicat detrimentum, juxta illud Ovidii : [Am. III, 1, 10] In pedibus vitium causa decoris erit52 .

Le beau est à trouver dans le défaut lui-même : c’est la leçon que tire Mathieu du vers d’Ovide, poète remis à l’honneur, on l’a dit, depuis le début du siècle, mais que Mathieu associe essentiellement à une tradition élégiaque, celle des Héroïdes, et amoureuse (l’allégorie de l’Élégie ressemble étrangement aux modèles féminins célébrés, en distiques précisément, par Mathieu lui-même), plutôt qu’aux Métamorphoses. Notons à cet égard que si c’est Ovide que l’ars versificatoria cite à l’appui du passage consacré à l’élégie, les préceptes d’Horace font foi en matière de tragédie, mais aucun auteur (Auctor) ne vient étayer le propos de Mathieu concernant la satire et la comédie. Le distique élégiaque est la forme métrique à laquelle émarge une grande part de la production poétique latine lettrée. De fait, un certain nombre de poètes s’y sont illustrés – on l’a vu plus haut pour le cercle angevin. Le genre élégiaque est aisément identifiable car il s’attache traditionnellement une forme caractéristique, celle du distique : cette adéquation (apparente) forme-genre en fait un paradigme poétique dont un théoricien à l’esprit systémique comme Mathieu aime à se saisir. Amplius, in praefatis exemplis, per pentametros versus potius quam per hexametros fuit procedendum, ut Elegiae denotaretur epithetum, quod in elegis et pentametris obtinet monarchiam, et etiam quod in praefata visione praesentia documenta et exempla meae visa est instil51  Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 8‑9 : Elegia audita est mihi propalare tripartitam versificatoriae facultatis elegantiam. (9) Etenim sunt tria quae redolent in carmine : verba polita, dicendique color, interiorque favus. 52 Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, II, 8. « Quatrième, / [Ov. Rem. 379] l’élégie chante les amours au carquois, / sourcil favorable, œil presque aguicheur, front exprimant l’audace, lèvres prodigues de saveurs qui semblent aspirer aux baisers ; elle est la dernière à s’avancer, non qu’elle soit indigne, mais plutôt parce que ses pieds sont inégaux : et pourtant elle se venge du défaut de sa claudication par l’effet de son heureuse allure, en témoigne Ovide : [Am. III, 1, 10] Le défaut de ses pieds l’embellira. »

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lare audientiae. Et iterum, quia levius est inferre vulnera quam sanare, initiari quam versus terminare, item pentameter terminalis debet esse sententiae quae in hexametro continetur, auditori levior pars debuit familiariter praesentari, ut suis hexametris praecedentibus pentametros quasi modo insitionis adaptaret53.

L’adoption des distiques dans des contextes génériques autres (jusque dans la comédie, on l’a vu) permet-elle pour autant de conclure à l’extension du domaine élégiaque, à l’introduction d’un univers référentiel et normatif propre à l’élégie au sein de genres qui n’en relèvent pas ? Rien n’est moins sûr. La poésie de la plainte, ce que notre sens moderne range, au plan référentiel, sous le genre élégiaque est bien loin, au xii e siècle, de se cantonner à la forme du distique. L’inter-influence entre poésies latine et vernaculaire favorise en effet l’efflorescence d’une forme syllabique et rimée, dont le chant est très perceptible à l’oreille, qui s’impose comme lieu privilégié d’expression de la peine et du regret54. L’œuvre de l’Archipoète (vers 1159‑1169) en témoigne, qui déplore une époque faste où il était aimé et riche, et qu’il confronte à la (prétendue) condition misérable où il se trouve au moment où il écrit. Sepe de miseria Conqueror in carmine Laici non capiunt Et nil michi tribuunt,

mee paupertatis viris litteratis ; ea que sunt vatis, quod est notum satis.

Poeta pauperior Nichil prorsus habeo Unde sepe lugeo, Nec me meo vicio

omnibus poetis, nisi quod videtis, quando vos ridetis ; pauperem putetis55.

53 Mathieu, Ars versificatoria, II, 40. « Plus largement, dans les exemples susdits, il fallut s’avancer en pentamètres plutôt qu’en hexamètres, pour que fût relevé le qualificatif d’Élégie, parce que dans les élégiaques et les pentamètres elle détient la couronne, et aussi parce que dans une évocation susdite elle sembla instiller à mon oreille les présents enseignements et exemples. Et de nouveau, parce qu’il est plus aisé de porter les coups que d’y remédier, d’entamer plutôt que d’achever les vers, de même le pentamètre doit être au terme de la phrase qui est contenue dans l’hexamètre, et à l’auditeur devrait être présentée naturellement une partie plus légère, pour que sur le mode de la greffe il adaptât les pentamètres aux hexamètres qui les précèdent. » 54  Sur la prédominance de la poésie rythmique dans ce type d’usage, voir P. Bourgain, Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000. 55  Archipoète, vers goliardiques (H. Krefell [éd.], Der Archipoeta, Berlin, 1992, IV, p. 54‑56). « Souvent de la grande misère de ma pauvreté / je me lamente en vers auprès des hommes lettrés. / Les laïcs n’entendent rien aux problèmes des poètes / et ils ne me donnent rien – cela se voit de reste ! / Poète le plus pauvre entres tous poètes pauvres, / je n’ai absolument rien que ce que vous me voyez, / aussi souvent je me morfonds

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Ici, rime et isosyllabisme ont remplacé les mètres alternés du distique (une seule rime, donc très présente, isosyllabisme complet, hémistiche toujours stable, après la 7e syllabe). Pour l’auditeur du temps, cette apparente monotonie s’accorde sans doute au propos – la complainte – mieux que ne pourraient le faire hexamètre et pentamètre alternés. Il s’agit en réalité d’une tendance antérieure à l’Archipoète : le planctus rythmique est sans doute aussi ancien que le vers isosyllabique56. Plus intéressante encore est l’application par la tradition du terme elegia à des vers rythmiques, tels ceux d’Hilaire, disciple d’Abélard, se plaignant de son maître : Lingua servi, lingua perfidiae, Rixae motus, semen discordiae, Quam sit prava sentimus hodie, Subjacendo gravi sententiae. Tort avers nos li mestre57.

Les strophes y sont toujours construites sur ce même modèle : un quatrain isosyllabique et monorime suivi d’un envoi toujours répété à l’identique, et en français, refrain qui là encore évoque le caractère répétitif, presque litanique, de la plainte. La pièce (c. 1126‑1127) témoigne en outre de la réalité d’échanges linguistiques latin-langue d’oïl dès le premier quart du xii e siècle. Les influences mutuelles entre corpus poétiques vernaculaires et latins ne peuvent donc être exclues. Il existe un décalage, dont Mathieu ne rend pas compte dans son ars, entre genres et formes consacrées. Il s’agit d’un déplacement des frontières et de la disparition d’anciennes équations : le distique élégiaque n’est plus l’exclusive de l’élégie, mais se trouve être le mètre privilégié d’une forme nouvelle de théâtre latin, destiné à un public lettré. A  contrario, la veine élégiaque s’épanouit dans de nouvelles formes. Le seul dénominateur commun entre l’élégie telle que la définit Mathieu, au plan formel, et l’élégie telle qu’elle se pratique sous la plume de poètes contemporains, c’est cette notion même de déséquilibre, mais qui ne s’applique pas forcément au rythme : on le voit dans le poème de l’Archipoète précédemment cité, à moins que l’on ne prenne en compte tandis que vous, vous riez ; / mais n’allez pas penser que je suis pauvre par ma faute. » (traduction P. Bourgain, Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000, p. 305) 56  D. Norberg, Introduction à l’étude de la versification latine médiévale, Stockholm, 1958, p. 150‑151. 57  Hilarius (N. M. Häring [éd.], Studi medievali, 1976, p. 936). « Langue de serf, langue de perfidie, / source de trouble, graine de zizanie ! / Nous voyons bien aujourd’hui sa bassesse / en subissant une grave sentence ! / Envers nous le maître a grand tort. » (traduction P. Bourgain, Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000, p. 177)

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l’effet d’attente que crée l’imparité des hémistiches et le caractère un peu insolite des vers de treize syllabes. Si déséquilibre il y a, il est à rechercher dans le contenu même des vers. Le planctus peut jouer au contraire d’une forme de monotonie du rythme et de la rime. Et l’hexamètre ? Mathieu, s’appuyant sur l’art poétique d’Horace, rappelle que l’hexamètre est le pied de la tragédie : (…) Tragoedia [Horace, Ars poet. 97] Projicit ampullas et sexquipedalia verba. et pedibus innitens coturnatis, rigida superficie, minaci supercilio, assuetae ferocitatis multifariam intonat conjecturam58.

Portrait peu avenant, qui trahit le désamour du bas Moyen Âge pour le genre tragique, peut-être. Il faut dès lors inverser la perspective et se demander où se réfugie, pour Mathieu, l’hexamètre. L’auteur de l’ars versificatoria (qui par ailleurs préfère nettement utiliser le distique, dans son traité comme dans son œuvre poétique) ne nous l’apprend pas. Pourtant, l’hexamètre dactylique reste abondamment utilisé au xii e siècle, dans la littérature normative par exemple, mais surtout dans quelques « imitations » assumées des grands modèles épiques, et presque contemporaines de l’œuvre de Mathieu : l’Alexandréide, et son envers, l’Anticlaudianus, dont le succès est immense et durable. Mathieu, en réalité, ne fait pas grand cas de la production littéraire en vogue, autant pour le grand genre que pour ce qui concerne une production très prisée et plus populaire, dont l’essor profane au xii e siècle est considérable : la poésie rythmique. Cette relative inadéquation du traité à des réalités poétiques contemporaines contribue peut-être à justifier l’efflorescence, une génération plus tard, et au-delà, de nouvelles artes plus en contact avec la production médiolatine « moderne ». Vers

une poétique r enou v elée et plur ielle  : la poésie

latine à la croisée des influences et des nou v eautés

Les années 1210‑1220 voient l’émergence de vraies synthèses actualisées en manière poético-rhétorique. C’est l’époque où s’organise le tissu 58 Mathieu, Ars versificatoria, II, 5. « La Tragédie / [Horace, Ars poet. 97] rejette le style ampoulé et les mots d’un pied et demi (trad. F. Villeneuve) / et ses pieds appuyés sur des cothurnes, d’aspect raide, le sourcil menaçant, fait résonner de toute part des prédictions dont la sauvagerie est de mise. »

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scolaire parisien en une université qui va en régler les enseignements et en agréer les maîtres. De ces milieux relèvent Geoffroy de Vinsauf (Documentum, Poetria nova), Évrard l’Allemand (Laborinthus) et Jean de Garlande (Parisiana Poetria)59, auteurs des trois plus importantes poétiques produites pendant la période et dans l’orbite intellectuelle ici considérées. Du genre au style Contrairement à Mathieu, ni Geoffroy, ni Évrard, ni Jean de Garlande ne voient l’intérêt de consacrer un chapitre aux genres. Ce sont les modalités d’écriture qui priment : nature de la matière, des ornements mis en œuvre, de la forme également – la roue de Virgile est fondée sur la notion de style et non de genre. Le principe en est beaucoup plus englobant, car il part de la matière élue (l’ensemble du réel pris comme champ référentiel en son entier), hiérarchisée en trois catégories, mais, pour cette raison, est censé embrasser tout le prisme de la création poétique. Prenant acte de ce changement de paradigme, il nous faut interroger la présence, sous forme de citations ou d’imprégnation moins avouée et plus profonde, dans les artes, d’une production poétique contemporaine, en posant la question suivante : la roue de Virgile, et le basculement vers la notion de style est-elle le résultat d’une prise en compte, avec une génération de décalage, de l’expérience épique des Gautier, Joseph, Alain… ? Prenons celui qui le premier vient à conjoindre la notion littérale de « style » (stylus) et la hiérarchie des trois univers référentiels repérés par Servius chez Virgile, Geoffroy de Vinsauf : De stylis nihil dicit Horatius, nisi quod vitia stylorum. Ideo nos dicamus de stylis, et postmodum de vitiis quod dicit Horatius. Sunt igitur tres styli, humilis, mediocris, grandiloquus. Et tales recipiunt appellationes styli ratione personarum vel rerum de quibus fit tractatus. Quando enim de generalibus personis vel rebus tractatur, tunc est stylus grandiloquus : quando de humilibus, humilis ; quando de mediocribus, mediocris. Quolibet stylo utitur Virgilius : in Bucolicis humili, in Georgicis mediocri, in Eneyde grandiloquo60. 59  Geoffroy de Vinsauf, Documentum, éd. E. Faral, p. 194‑262 ; Geoffroy de Vinsauf, Poetria nova, éd. E. Gallo, La Haye-Paris, 1971 ; Évrard L’Allemand, Laborintus, éd. E. Faral, Les arts poétiques…, p. 336‑377 ; Jean de Garlande, Parisiana Poetria, éd. T. Lawler, 1974. 60 Geoffroy de Vinsauf, Documentum 145 (éd. Faral). « Sur les styles, Horace ne dit rien, si ce n’est sur les vices des styles, c’est pourquoi nous devons parler des styles,

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Geoffroy élabore sa théorie des styles dans un contexte littéraire nouveau : le succès retentissant de l’épopée alexandrine composée en hexamètres par Gautier de Châtillon au début des années 1180. En presque vingt ans (c’est l’intervalle qui sépare l’Alexandréide de la Poetria nova de Geoffroy), l’œuvre a eu le temps de se diffuser et de s’affirmer comme le grand succès littéraire médiolatin de son temps : nouvelle Pharsale et nouvelle Énéide tout à la fois. Le réinvestissement du grand genre épique, et d’un style « noble » qui sied à la matière et au personnel traités, est un événement dans ce que l’on pourrait, au prix d’un anachronisme assumé, appeler le « monde des lettres » du milieu du xii e siècle. Il donne un coup d’envoi à un courant littéraire où s’illustrent Joseph d’Exeter (Ylias), Jean de Hanville (Architrenius) et Alain de Lille (Anticlaudianus), ces derniers adoptant un mode plus allégorique et moins martial. Avec le genre épique et le style élevé, sont à l’honneur tous les procédés relevant de la translatio : métaphore, métonymie, synecdoque, soit l’essentiel de l’ornatus difficilis, que requiert tout particulièrement la veine allégorique de certains des poèmes précités (Architrenius, Anticlaudianus). L’Alexandréide (la chronologie relative le donne soit un peu antérieur soit à peu près contemporain de l’Anticlaudianus) constitue donc la renaissance de l’hexamètre épique, plutôt virgilien dans sa forme61. Contrairement à la plupart de ses contemporains et prédécesseurs basmédiévaux, Gautier de Châtillon maîtrise en effet l’ensemble des règles qui prévalent à la versification antique. Il pratique ainsi largement

puis, concernant les vices, dire ce que dit Horace. Il y a donc trois styles, l’humble, le médian, le grandiose. Et de tels styles reçoivent leur dénomination de l’importance des personnes, ou des objets dont il est traité. Quand on traite en effet de personnes ou d’objets nobles, alors le style est grandiose ; quand on traite d’humbles personnes ou objets, il est humble ; quand c’est de personnes ou d’objets de statut médian, le style est médian. Virgile se sert de n’importe lequel de ces styles : dans les Bucoliques de l’humble, dans les Géorgiques du médian, dans l’Énéide du grandiose. » 61  G. E. Duckworth, « Variety and repetition in Virgil’s Hexameters », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 95 (1964), p. 9‑65 ; Id., « Horace’s Hexameters and the Date of the Ars Poetica », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 96 (1965), p. 73‑95 ; Id., « Studies in Latin Hexameter Poetry », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 97 (1966), p. 67‑113 ; Id., « Five Centuries of Latin Hexameter Poetry : Silver Age and Later Empire », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 98 (1967), p. 77‑150 ; J.-Y. Tilliette, « Insula me genuit. L’influence de l’Énéide sur l’épopée latine du x ii e siècle », dans Lectures médiévales de Virgile. Actes du colloque de Rome (25‑28 octobre 1982), Rome, 1985 (Publications de l’École française de Rome 80), p. 121‑142, spécialement p. 126‑127.

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l’élision, contrairement aux poètes plus anciens (Baudri, Marbode)62 , preuve d’une digestion achevée des modèles anciens, voire d’une reviviscence assumée d’un usage disparu. Il joue de surcroît de la double référence Virgile – Lucain63. L’Énéide figure à tout le moins au premier rang des poèmes auxquels Gautier emprunte des séquences de vers64. À ces influences s’ajoute celle de certains modes versificatoires propres à Ovide65. Cette maîtrise de la technique et du mètre antiques est mise au service d’un matériau épique qui place le héros, vir, au centre d’un univers référentiel parfaitement symphonique : attributs (guerriers), animaux (sauvages), qualités (viriles et martiales) s’expriment en un choix lexical qui est celui de la force et de la fougue, voire de l’audace inconsidérée. En témoigne le passage suivant :   50           55        

Qualiter Hyrcanis si forte leunculus aruis Cornibus elatos uidet ire ad pabula ceruos, Cui nondum totos descendit robur in armos, Nec pede firmus adhuc nec dentibus asper aduncis Palpitat, et uacuum ferit inproba lingua palatum, Effunditque prius animo quam dente cruorem, Pigriciamque pedum redimit matura uoluntas : Sic puer effrenus totus bachatur in arma, Inualidusque manu gerit alto corde leonem, Et preceps teneros audacia preuenit annos66.

De tels exemples semblent nourrir les développements que donne, à partir de l’idée énoncée par Geoffroy de rota Virgilii, la Parisiana Poetria de Jean de Garlande, déclinant, de l’inventio au choix du lexique selon les styles, l’éventail des règles de convenance qui s’attachent à chacun d’eux. 62  D. Norberg, Introduction à l’étude de la versification latine médiévale, p. 32‑33, sur la tendance des poètes, depuis l’époque tardo-antique, à éviter l’élision. 63 J.-Y. Tilliette, « L’Alexandréide de Gautier de Châtillon : Énéide médiévale ou ‘Virgile travesti’ ? », Médiévales, hors série, 1999, p. 3 sq. 64  Tilliette, « Insula me genuit… », p. 131. 65  Ibid., p. 129. 66  Gautier de Châtillon, Alexandréide I, 49‑63 (éd. M. L. Colker, Padoue [Thesaurus mundi, Bibliotheca scriptorum latinorum mediae et recentioris aetatis 17], 1978). « De même que si, par hasard, dans les plaines d’Hyrcanie, le jeune lion / voit aller aux pâtures des cerfs aux larges bois, / lui dont la vigueur n’atteint pas encore la totalité des membres, dont la patte n’est toujours pas ferme ni les crocs tranchants, / il tremble, et frappe d’une langue méchante son palais vide, / et par son esprit plus que par ses crocs répand le sang, / et sa volonté mûre rachète la paresse de ses pattes : / ainsi l’enfant sans frein s’enivre tout entier aux armes, / et de sa main fragile tient haut la corde au lion, / et son audace empressée devance ses tendre années. »

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Deux passages, concernant précisément, d’une part l’inventio, d’autre part le choix des vocables ad hoc, donnent des clefs et des conseils pratiques pour écrire conformément à chacun des styles. L’ordre dans lequel nous les présentons n’est pas celui du traité, mais suit l’enchaînement habituel inventio – dispositio. La description des hommes renvoie aux liens de dépendance et de domination qui unissent êtres et choses au sein de la société féodale : De quarto , et Tribus stilis. Item sunt tres stili secundum tres status hominum. Pastorali vite convenit stilus humilis, agricolis mediocris, gravis gravibus personis, que presunt pastoribus et agricolis. Pastores divicias inveniunt in animalibus, agricole illas adaugent terram excolendo, principes vero possident eas inferioribus donando. Secundum has tres personas Virgilius tria composuit opera : Bucolica, Georgica, Eneyda. Potest gravis materia humiliari exemplo Virgilii, qui vocat Cesarem Titirum uel seipsum, Romam fagum ; potest et humilis materia exaltari, ut in gravi materia coli muliebres vocantur ‘inbelles haste.’ (…) In hoc stilo eligenda sunt nomina significancia instrumenta posita in superiori ordine ; in mediocri, instrumenta posita in mediocri ordine ; in humili, instrumenta posita in humili ordine67.

Cet appareil hiérarchique se traduit par un choix lexical précisément codifié, par une hiérarchie et une répartition stricte dans le choix des mots : De arte inveniendi nomina sustantiva. Sequitur de arte inveniendi nomina substantiva et adjectiva et verba, habita et excogitata materia. Excogitanda sunt omnia nomina illa que pertinent ad talem materiam ; ut, si materia sit de pastore, excogitanda sunt huiusmodi nomina : pascua, grex, ouis, aries, lupus ; que possumus facere exemplo Virgilii, dicentis de epytaphio Julii Cesaris : Daphnis ego in silvis, hinc usque ad sidera notus, Formosi pecoris custos, formosior ipse. (Buc. V, 43‑44) 67 Jean de Garlande, Parisiana Poetria V, 45 (éd. et trad. T. Lawler). «  Sur le quatrième vice et sur les trois styles. De même il y a trois styles selon les trois statuts d’hommes. À la vie pastorale convient le style humble, aux agriculteurs le style médian, le grave aux personnes importantes, qui viennent avant les bergers et les agriculteurs. Les bergers trouvent leur richesse dans les animaux, les agriculteurs l’augmentent en cultivant leur domaine, les princes en revanche la possèdent en en faisant don à leurs vassaux. C’est selon ces trois types de personnes que Virgile composa ses trois œuvres : les Bucoliques, les Géorgiques, l’Énéide. La matière grave peut être rendue humble, à l’exemple de Virgile, qui appelle César ou soi-même Tityre, Rome le hêtre ; la matière humble peut de même être exaltée, et les colons femelles sont appelées comme en matière grave ‘lances pacifiques.’ (…) Dans ce style il faut élire des noms désignant les instruments préposés à l’ordre supérieur ; dans le médian, des instruments préposés à l’ordre médian ; dans l’humble des instruments préposés à l’ordre humble. »

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Quia Virgilius posuit hic nomen pastoris, scilicet Daphnis, dicit « formosi pecoris » et cetera. Eodem modo contingit invenire de Salvatore Incarnato Ex ove procedit pastor, procedit ab agna Dux aries, agnum mistica lana parit68.

L’exemple créé par Jean à la fin de ce passage est intéressant car il ouvre le système stylistique précédemment décrit à une production poétique particulièrement en vogue, et que consacre l’Anticlaudianus, à savoir le genre allégorique. Notons que l’idée de transposition même, de translatio, est un ressort de l’ornatus difficilis en soi. L’œuvre d’Alain appelle ainsi ses lecteurs à la nécessité de lire, derrière les topoï épiques et hérités du corpus poétique classique, un enseignement intellectuel, spirituel et moral spécifiquement chrétien. C’est dans ces conditions qu’il nous faut replacer l’idée d’actualiser les grilles de lecture traditionnelles du stock littéraire, ancien et moderne, dont témoigne l’évolution qu’opère Jean de Garlande dans la théorie tripartite des styles. Précisons que, ce faisant, il réaffirme le caractère central de la notion de style, mais aussi sa complexité, son ambivalence, à la fois socio-référentielle et technique. Il est plus que probable que les réflexions que Jean inclut dans son traité sur l’ars dictaminis, autrement dit essentiellement les règles qui prévalent aux échanges épistolaires, entre pairs, mais aussi entre des correspondants issus d’ordres et de classes différents, l’ont amené à la redéfinition qui suit. Pour autant, elle prend une valeur générale, usant du terme même de style qui sera repris lors d’une description « traditionnelle » de la roue de Virgile (voir supra) et précisant qu’il existe un lien direct entre les deux descriptions. De surcroît, elle s’ancre résolument dans une perspective poétique, avec la référence à Virgile : Tria genera personarum et tria genera hominum. Tria genera personarum hic debent considerari secundum tria genera hominum, que sunt curiales, civiles, rurales. Curiales sunt qui curiam tenent et celebrant, ut Dominus Papa, cardinales, legati, archiepiscopi, et eorum suffraganei, 68  Jean de Garlande, Parisiana Poetria I, 381 sq. « Sur l’art de trouver des substantifs. Il s’ensuit de l’art de trouver des substantifs et des adjectifs et des verbes, une fois établie et pensée la matière. Il faut penser tous les noms qui conviennent à telle matière ; de sorte que, si la matière concerne un verger, il faut penser des noms du type : prairies, troupeau, mouton, bélier, loup ; ce que nous pouvons faire à l’exemple de Virgile, qui dit dans l’épitaphe à Jules César : / Moi Daphnis dans les bois, jusqu’ici connu jusqu’aux cieux,  / Gardien d’un beau troupeau, moi-même encore plus beau. / Parce que Virgile a disposé un nom de berger, à savoir Daphnis, il dit ‘d’un beau troupeau’, etc. De la même façon il arrive de trouver, concernant le Sauveur incarné : / Du mouton procède le berger, procède de l’agnelle / Le chef, le bélier, la laine mystique engendre l’agneau. »

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sicut archidiaconi, decani, officiales, magistri, scolares. Item, imperatores, reges, marchiones, et duces. Civiles persone sunt consul, prepositus, et cetere persone in civitate habitantes. Rurales sunt rura colentes, sicut venatores, agricole, vinitores, aucupes. Secundum ista tria genera hominum invenit Virgilius stilum triplicem de quo postea docebitur69.

Outre le contexte épistolaire, quels exemples littéraires Jean a-t-il en tête lorsqu’il procède à cette actualisation, qui fond en une même classe dite curialis princes, pontifes et simples clercs (diacres, « officiers », maîtres, étudiants) ? Deux hypothèses : le monde des écolâtres, étudiants, de tout ce que recouvre dans une société sécularisée, urbaine et mêlée le terme de clerc, et son émanation poétique, d’une part (que l’on se rappelle les écolâtres d’Orléans, mais cette classe recouvre en fait tout le monde latin), l’univers référentiel propre au chant en langue vernaculaire (chevaleresque et/ou courtois), d’autre part, l’un et l’autre n’étant pas des sphères étanches. À la première hypothèse correspondent les mentions des hiérarchies ecclésiastiques, fréquemment convoquées voire dénoncées par des poètes comme Gautier Map ou l’Archipoète au xii e siècle. Autre élément accréditant l’hypothèse : la présence dans la liste des « personnes curiales » des maîtres et des écoliers, ce que l’on peut interpréter comme une affirmation corporative que sont prompts à relayer les goliards et leurs successeurs. La distinction établie entre ce peuple de clercs savants et les « bourgeois » tire encore du côté d’une tradition intellectuelle et poétique marquée par les affrontements qui ont ensanglanté les premiers temps de l’université de Paris entre étudiants et citadins. Le classement des souverains et des nobles dans la même catégorie que les prélats et les clercs semble d’autre part, et pour accréditer la seconde hypothèse, renvoyer à la communauté étymologique évidente entre curia-curialis et les termes d’oïl, « cour » et « courtois », termes qui sont au cœur d’une inspiration poétique en pleine efflorescence dans les langues vulgaires. Il existe donc une tension, chez Jean de Garlande plus peut-être que chez d’autres poéticiens, entre une volonté d’assumer un héritage théo69  Jean de Garlande, Parisiana Poetria I, 124 sq. « Trois genres de personnes et trois genres d’hommes. Trois genres de personnes doivent être ici considérés selon trois genres d’hommes, qui sont les curiaux, les civils, les ruraux. Sont curiaux ceux qui tiennent la curie et font des célébrations, comme Monseigneur le Pape, les cardinaux, les légats, les archevêques, et leurs suffragants, comme les archidiacres, les diacres, les officiaux, les maîtres, les écoliers. De même, les empereurs, rois, marquis et les ducs. Les personnes civiles sont le consul, le prévôt, et les autres personnes qui habitent la cité. Les ruraux sont ceux qui cultivent les champs, comme les veneurs, les agriculteurs, les viticulteurs, les oiseleurs. C’est selon ces trois genres d’hommes que Virgile invente un style triple, dont il sera question plus tard. »

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rique sédimenté et la nécessité éprouvée de rendre compte du processus créatif, en particulier en matière d’inventio, dans toute son actualité. La prise en compte poétique de réalités extra-poétiques, ou du moins « méta-poétiques » se traduit par une actualisation des références portées par les artes, de manière très nette chez Évrard l’Allemand. Rénover les références et les définitions L’entreprise touche des domaines divers : elle concerne l’actualisation des corpus littéraires cités, mais aussi la définition des genres, voire la place faite à des formes nouvelles, chaque auteur manifestant une attention plus particulière à tel ou tel autre de ces différents aspects. Extension et actualisation « officielle » du corpus des classiques chez Évrard l’Allemand Les Auctores constituent une liste non limitative, mais au contraire évolutive durant tout le Moyen Âge. Aux « classiques » se sont ajoutés très tôt des auteurs du Haut Moyen Âge70. Évrard l’Allemand adopte à son tour une attitude ouverte, englobante, en comptant parmi les Auctores (Laborinthus, v. 600), après Caton, Théodule, Avien, mais aussi Virgile, Ovide, Lucain… les auteurs des grands poèmes épiques précédemment cités71. Or Évrard est un pédagogue (ce dont témoigne l’ordre même dans lequel il fait la liste des auctores, commençant par les plus accessibles aux jeunes latinistes débutants), ce qui permet de supposer que cette ouverture est largement admise à l’époque où il enseigne. Ne prenons pour exemple que les passages qui renvoient successivement à l’Architrenius, puis à l’Alexandréide et enfin à l’Anticlaudianus : Circuit et totum fricat Architrenius orbem, Qualis sit vitii regio quaeque docet72 . Lucet Alexander Lucani luce ; meretur Laudes descriptus historialis honor73. Septemnas quid alat artes describit Alanus, Virtutis species proprietate notat74. 70 Curtius,

La littérature européenne…, p. 101‑110. l’Allemand, Laborinthus, v. 599‑686 72  Évrard l’Allemand, Laborinthus (éd. Faral), v. 629‑630. « L’Architrenius fait le tour et se frotte à la totalité de l’orbe, / et chaque région lui enseigne de quel type de vice elle relève. » 73 Évrard l’Allemand, Laborinthus, v. 637‑638. « Alexandre luit de la lumière de Lucain ; il est digne / de louanges, lui que l’on décrit comme l’honneur de l’histoire. » 74  Évrard l’Allemand, Laborinthus, v. 661‑662. « Qu’est-ce qui nourrit les sept arts, Alain le décrit, / et désigne par ses propriétés chaque espèce de vertu. » 71  Évrard

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À la rénovation des corpus poétiques répond une volonté de revisiter des définitions jugées obsolètes par certains. Geoffroy de Vinsauf est à cet égard le plus radical. Il ouvre ainsi la voie à des réflexions sur la comédie qui témoignent de la perméabilité des artes à l’évolution des genres et aux influences vernaculaires. Pour une définition moderne de la comédie Geoffroy a conscience que les anciennes définitions ne sont plus d’usage : Sic ergo habemus quicquid boni Horatius docet in Poetria sua, tam de vitandis quam de faciendis, nisi quod quaedam docet de pronuntiatione et comoedia. (163) Sed illa quae condidit de comoedia hodie penitus recesserunt ab aula et occiderunt in desuetudinem. Ad praesens igitur omittamus de comedia. Sed illa quae ipse dicit, et nos de jocosa materia dicamus qualiter sit tractanda75.

Et s’il s’en tient encore à prescrire un style dépourvu d’apprêt, sinon quotidien (même adjectif que chez Mathieu) pour le comique, Geoffroy use d’exemples qui laissent largement place aux vers assonancés, voire léonins, et contredisent, de facto, la position de Mathieu : Attamen est quandoque color vitare colores, Exceptis quos sermo capit vulgaris et usus Offert communis. Res comica namque recusat Arte laboratos sermones : sola requirit Plana ; quod explanat paucis res ista jocosa : Tres sumus expensae socii pueroque caremus. Hoc pro lege damus, ut prandia nostra paremus76.

Le mot d’ordre qui prévaut ici se résume à : de la légèreté en toute chose. Mais l’exemple présenté tient de l’ornatus facilis (similiter de75 Geoffroy de Vinsauf, Documentum 162‑163 (éd. Faral). «  Ainsi donc nous disposons de tout ce qu’Horace enseigne de bon dans sa Poétique, tant ce qu’il faut éviter que ce qu’il faut faire, à l’exception de ce que sur certains points il enseigne sur la prononciation et la comédie. / Mais ce qu’il a établi pour la comédie, aujourd’hui est devenu totalement obsolète dans les cours et est tombé en désuétude. À présent donc, oublions ce qui concerne la comédie. Mais ce qu’il dit lui-même concernant ce qui donne matière à rire, nous aussi, disons de quelle façon il faut le traiter. » 76  Geoffroy de Vinsauf, Poetria nova, v. 1883‑1889. « Et pourtant c’est parfois une couleur que d’éviter les couleurs, / en dehors de celles que choisit le discours populaire et / qu’offre l’usage commun. Le comique en effet récuse / les discours artistement élaborés : seul il requiert / le plat ; ce qu’exprime en peu de mots la plaisanterie que voici :  /  Nous sommes trois compagnons de dépense et manquons d’un jeune page. / Nous nous donnons pour loi de veiller à nos propres repas. »

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sinens + annominatio) plutôt que du sermo vulgaris et de l’usus communis. Geoffroy se trouve là en plein accord avec la production comique du xii e siècle (celle considérée précédemment), et, en négatif, avec une définition du style grave comme dépouillé des procédés d’ornatus facilis (c’est-à-dire conforme aux modèles que constituent l’Alexandréide et ses émules du dernier xii e siècle). Avec Jean de Garlande se poursuit la mise à jour de l’appareil théorique et normatif concernant la comédie. Le passage de la Parisiana qu’il y consacre témoigne de ses conceptions : il s’agit là d’un genre orné, et non dépouillé de tout artifice. Bien au contraire, Jean a la malice de présenter le motif comique sous forme prosaïque, puis d’en transposer le dialogue en vers hexamétriques, comme pour montrer de quelle conception, de quel artifice au sens étymologique du terme, fabrication qui requiert une expertise technique, relève le genre. Il part d’un thème déjà présent dans des recueils d’exempla (Jacques de Vitry), dans des fabliaux postérieurs et peut-être, au reste, pour certains, contemporains de la Parisiana : celui de Guinehochet. L’histoire est bien connue. Un démon, Guinehochet, affirmant son omniscience, est mis au défi par un paysan de lui révéler le nombre d’enfants qu’il a. Guinehochet répond deux, à quoi le paysan objecte qu’il en a quatre. Guinehochet rétorque que deux des quatre enfants sont ceux du prêtre. À la question du paysan lui demandant desquels il s’agit, le diable tourne les talons en conseillant au demandeur de continuer de nourrir les quatre. Citons un passage du dialogue, que précède un prologue en vers aux rimes alternativement léonines et finales : R. Maxime fatorum reserator, quot puerorum, Dic mihi, uiuo pater, quos seruat adhuc sua mater ? G. Esse tuos ego dico duos quos pascis in ede. R. Mentiris fabricasque uiris hac frivola sede !77

Le principe est de faire rimer deux à deux les répliques consistant chacune en un seul vers, quand les passages plus longs échappent à cette règle, et privilégient la rime léonine. Dans les deux derniers vers cités, en outre (et c’est le cas encore des deux vers qui leur font suite dans le dialogue), une rime secondaire vient s’insérer à la double césure trihémimère et hepthémimère, formant ce que les théoriciens nomment

77 Jean de Garlande, Parisiana Poetria IV, 445. «  Le paysan. Alors, suprême pourvoyeur de destins, combien ai-je d’enfants, / dis-le, compère, moi vivant, que garde encore leur mère ? / Guinehochet. J’affirme qu’il en est deux à toi que tu nourris en ton foyer. / Le paysan. Tu mens et de ce siège tu forges pour les hommes des billevesées ! »

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trinini salientes versus78. Notons en outre qu’ici, l’usage démultiplié de la rime (plate quoi qu’il en soit) révèle, autant qu’il la favorise, l’imposition, sur le schéma quantitatif, hexamétrique, d’une superstructure syllabique relativement stable. Rimes plates et répétitions des schémas syllabiques concourent à rapprocher cet exemple de ce que seront les grandes compositions du théâtre médiéval en langue d’oïl – pour prendre l’exemple d’Adam de la Halle qui use d’octosyllabes à rimes plates. Par-delà la rupture linguistique, force est de reconnaître qu’il existe là des similitudes qui nous éloignent d’autant des modèles comiques latins du siècle précédent. Il s’agit d’un des traits essentiels de la poétique garlandienne : prendre en compte l’existence d’une poésie dont les frontières génériques et formelles ont débordé les cadres normatifs antiques, tout en en canalisant les principes dans un schéma raisonné, ou se voulant du moins systématique, ordonné et exhaustif. Jean procède de même quand il s’agit d’offrir une assise théorique à la description de la poésie rythmique. Poetria rithmica79 Le Laborinthus et la Parisiana Poetria donnent un coup d’envoi à la prise en compte de cet aspect dans un contexte normatif scolaire et parisien. Pour autant, de tous les auteurs cités jusqu’à présent, Jean de Garlande est le seul (Évrard l’Allemand reste plus modeste en ce domaine) à consacrer toute une partie de son traité (censément tripartite) à la poétique rythmique, qu’il distingue d’une première partie prosaïque et d’une seconde métrique. En réalité, des traités existent avant cela, pour ne prendre que l’exemple d’Albéric du Mont-Cassin, dès la fin xi e siècle. Pourtant, ces textes appartiennent à des circuits de diffusion un peu en marge de notre ère géoculturelle : une influence mutuelle avec la production poétique ici visée est dans ces conditions plus difficile à identifier80. Cette ultime partie de la Parisiana énonce un certain nombre de règles et de définitions introductives, pour beaucoup empruntées aux corpus théoriques musicaux, puis recense différents types de rythmes, jalonnant son propos d’encarts consacrés à la composition des strophes, et autres, mais aussi aux couleurs de rhétorique.

78 Norberg,

Introduction à l’étude de la versification latine médiévale, p. 66‑67. I trattati medievali di ritmica latina, Milan, 1899. 80 P. Bourgain, «  Le vocabulaire technique de la poésie rythmique », Archivum Latinitatis Medii Aevi, 51 (1992‑1993), p. 139‑193. 79  G. Mari,

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Il est intéressant, dans l’exemple qui suit, de voir que Jean reprend de manière claire et illustrée la liste des procédés de l’ornatus facilis qui conviennent à la poésie rythmique, manière d’affirmer que le rythme relève de plein droit du champ poétique tel que l’organisent les artes et leurs normes. Il s’agit en effet là, pour une grande part, des couleurs données par Marbode un siècle avant : rime finale et léonine, paronomase, traductio, exclamatio, repetitio (rythmique et lexicale), etc. actualisées en tenant compte, notamment, de l’isosyllabisme en quoi consiste en partie la notion de rythme. De coloribus rethoricis. Item colores rethorici necessarii sunt in rithmo sicut in metro, et isti precipue : Similiter Desinens, Compar in Numero Sillabarum, Annominatio et ejus species, Traductio, Exclamatio, Repetitio. Similiter Desinens est color rethoricus continens rectas consonancias in fine dictionum […]81.

Après cette énumération préalable sont développés définitions et exemples. Ces derniers sont en immense majorité des créations de Jean de Garlande lui-même. Taillées pour s’adapter à la variété du corpus de formes recensées méthodiquement, ces pièces correspondent néanmoins à la réalité de la production rythmique, tant profane que sacrée (quelques hymnes figurent dans la sélection), des décennies qui précèdent. Virgo, Mater Salvatoris, Stella maris, stilla roris, Et cella dulcedinis : Da spiramen ueri floris, Florem fructus et odoris, Fructum fortitudinis. In hoc mari sis solamen Nobis cimba, dux, tu tamen, Remex, aura, statio. Aura perfles in hoc mari, Que prefulges singulari Semper igne previo82 . 81 Jean de Garlande, Parisiana poetria VII, 863 sq. « Sur les couleurs rhétoriques. De même les couleurs de rhétorique sont nécessaires au rythme comme au mètre, et principalement celles-ci : la rime finale, l’isosyllabisme, la paronymie et ses différentes espèces, la traductio, l’exclamatio, la répétition. La rime finale est une couleur rhétorique qui contient des convergences exactes de son en fin de mots etc. » 82 Jean de Garlande, Parisiana poetria VII, 917 sq. « Vierge, Mère du Sauveur, / étoile de la mer, goutte de rosée, / et berceau de douceur : / prodigue ton souffle de vraie fleur, / la fleur d’un fruit et d’un parfum, / le fruit de la bravoure. / Dans cette mer sois nous réconfort / barque, malgré tout, / rameur, souffle, refuge. / Souffle tu te répands en cette mer, / toi qui te distingues par l’éclat toujours singulier / d’un feu précurseur. »

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Si le schéma des rimes change, d’une première strophe monorimée à une seconde qui fait rimer deux à deux les vers de même rythme, la structure rythmique et accentuelle reste la même pendant les neuf premières strophes (sizains présentant une structure redoublée de deux octosyllabes puis un heptasyllabe), selon le schéma 2 (8 p.) + 1 (7 p.) + 2 (8 p.) + 1 (7 p.). Et ce avant qu’intervienne un changement conséquent : des quatrains à rimes croisées ou monorimes, soit exclusivement heptasyllabiques soit alternant heptasyllabes et hexasyllabes et croisant paroxytons et proparoxytons finaux, remplacent les sizains. Dans sa régularité comme ses variantes, la pièce est exemplaire, se veut telle du moins, dans une optique didactique assumée. C’est le cas des autres exemples hymniques et rythmiques que Jean invente, aux deux sens du terme, dans le cadre de son traité. Énoncer la variété, voire la complexité et la souplesse des constructions rythmiques, tout en en manifestant la rigueur, la régularité, la cohérence : tel est en effet l’objectif que se fixe la dernière partie de la Parisana Poetria. Il importe avant toute chose à Jean de Garlande de normaliser une matière dont la pratique est vivante et dont l’expression reste relativement empirique en un discours qui se veut savant et systématique (allant pour ce faire piocher si besoin dans les boîtes à outils de disciplines ne relevant pas du trivium). Cette démarche a pu, dans une certaine mesure, faire école, puisque de telles tentatives se trouvent relayées dans le courant du xiii e siècle par d’autres théoriciens du rythme – on pense tout spécialement à Nicolas de Dybin, dont les prologues avouent la dette contractée à l’égard de Jean de Garlande. S’opère alors vraiment la refonte des modèles traditionnels, antiques, encore véhiculés par un Mathieu de Vendôme, une prise en compte de données poétiques jusque-là laissées dans l’ombre, données de nature musicale qui vont structurer la réflexion des vernaculaires en quête de nouvelles matrices pour penser et ordonner leur propre production. Plus largement, la Parisiana Poetria tient, sans conteste, d’une volonté de satisfaire des attentes plurielles. À celles-ci, la réponse se veut sériée, mais cohérente, participant d’une logique, d’une poiesis globales : prose et dictamen en particulier, poésie rythmique comme métrique, de forme et d’inspiration diverses, doivent trouver dans le traité des modèles applicables, en même temps que des principes théoriques aisés à mettre en œuvre. Entre mise au clair, réaction conservatrice et tentative d’actualisation et de projection de normes nouvelles, le rapport entre pratique

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poétique et expérience normative fluctue considérablement durant le très long siècle que couvre la renaissance des lettres et des études (fin xi e-début xiii e), du moins en ce qui concerne l’aire géographique correspondant au domaine vernaculaire de langue d’oïl. Ce rapport tient pour Marbode et les angevins d’un dialogue, d’échanges ininterrompus avec une pratique vivante, alors que, quelques décennies plus tard, Mathieu de Vendôme semblera rétif à un tel dialogue dans son ars versificatoria. Chez Geoffroy, Évrard et Jean, c’est la somme conjuguée des expériences et des lectures qui doit aboutir à des poétiques actualisées, en prise avec des évolutions contemporaines. Notons, dans ce panorama diachronique, que la figure du théoricien gagne, progressivement, en relief et en ambition programmatique. BIBLIOGRAPHIE Textes Baudr i de B ourgueil , Poèmes, texte établi, trad. et commenté par J.-Y. Tilliette, Paris, 1998 (t. 1), 2002 (t. 2). B ertini ,  F. (dir.), Commedie latine del xii e xiii secolo, Gênes, 1980, t. 2. B ourgain ,  P., Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000. Év r ar d L’A llema nd , Laborintus, éd. E. Faral, Paris, 1924. G autier de C hâtillon , Alexandréide, éd. M. L. Colker, Padoue (Thesaurus mundi, Bibliotheca scriptorum latinorum mediae et recentioris aetatis 17), 1978. G eoffroy

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Adrian A r mstrong

THÉORIE ET PR ATIQUE, ALLER ET RETOUR L’ART DE RHÉTORIQUE ET LA POÉSIE DE JEAN MOLINET DANS DEUX RECUEILS MANUSCRITS Da ns les « arts de seconde r hétor ique  » de langue française, les chevauchements entre théorie et pratique sont patents. En règle générale, les arts comprennent des exemples formels, qu’il s’agisse de poèmes entiers ou d’échantillons. La majorité des auteurs sont des poètes et certains arts sont même composés en vers1. Il est donc tentant de voir les arts comme autant de sommes poétiques (tout au moins en matière de versification) qui enrichiraient la lecture de poèmes produits dans le même milieu, tant en permettant d’en évaluer l’exactitude formelle qu’en signalant les valeurs associées à des formes données. À cet égard, la tradition textuelle de l’Art de rhétorique de Jean Molinet (1435‑1507) présente deux recueils manuscrits d’un intérêt exceptionnel, dans la mesure où l’Art y figure aux côtés de nombreux poèmes de la même plume2 . Il s’agit d’une part de BnF, fr. 2375, qui transmet soixante-dix-huit pièces dont l’Art et dix-sept autres compositions de l’indiciaire, et d’autre part de Cambridge, Gonville and Caius College 187 : 220, grand recueil où sont conservées plus de soixante-dix œuvres de Molinet3. Dans la présente étude nous nous proposons d’examiner 1  Voir surtout A. Armstrong et S. Kay, Knowing Poetry : Verse in Medieval France from the Rose to the Rhétoriqueurs, Ithaca, 2011, p. 137‑140. 2  J. Molinet, L’Art de rhétorique, dans Recueil d’arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Paris, 1902, p. 214‑252. Sur la transmission de l’Art, voir surtout A. Armstrong, « Vers, prose, technologie : ponctuer l’Art de rhétorique de Jean Molinet, du manuscrit à l’imprimé », dans La Ponctuation à la Renaissance, éd. N. Dauvois, J. Dürrenmatt, Paris, 2011, p. 57‑70. 3  Sur ces recueils, voir respectivement N. Dupire, Étude critique des manuscrits et éditions des poésies de Jean Molinet, Paris, 1932, p. 56‑66 ; A. Armstrong, « The Shaping of Knowledge in an Anthology of Jean Molinet’s Poetry : Cambridge, Gonville and Caius College 187 : 220 », Revue d’Histoire des Textes, nouvelle série, 4 (2009), p. 215‑275.

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dans quelle mesure l’Art permet aux lecteurs de ces manuscrits d’évaluer les aspects formels des « co-textes » qui l’accompagnent4. Il n’en va pas seulement de la poétique de Molinet, mais aussi de la relation entre la théorie et la pratique du vers français à la fin du Moyen Âge. L’A rt

de r hétor ique et ses contextes

Dans son Art, que l’on peut dater entre 1482 et 1492, Molinet ne se contente pas de présenter différents mètres, rimes et strophes, ni d’indiquer l’emploi qu’en font les poètes contemporains : ses exemples et explications reflètent des principes sous-jacents qui, pour être implicites, n’en sont pas moins pertinents ; principes que résume la tournure sur laquelle commence l’Art proprement dit : « Rethorique vulgaire est une espece de musique appellée richmique5 ». Philipp Jeserich en a exposé magistralement les implications : cette conception de la « rethorique », autant dire de la versification, est nourrie de théories musicales spéculatives dans la tradition boécienne, selon lesquelles les règles numériques qui gouvernent la composition expriment une harmonie cosmique6, prêtant une dimension métaphysique à la versification. Cette dernière repose sur des équivalences, telles l’isométrie des vers ou la similitude sonore des rimes, qui sont motivées plutôt qu’arbitraires, les chiffres possédant une vérité à laquelle les signes linguistiques ne peuvent prétendre. La valorisation de la complexité dans l’Art, ainsi que dans l’esthétique des rhétoriqueurs en général, traduit cette notion de la forme : en construisant des rimes de plus en plus riches et largement étendues (rimes batelées, rimes enchaînées, rimes entre français et latin, etc.), les poètes rendent le principe d’équivalence de plus en plus manifeste. À l’accroissement de la complexité correspond celui de la qualité esthétique, voire d’une intensification du plaisir que produit le texte, toutes ces tendances exprimant un même ordre transcendant. L’Art de Molinet propose ainsi une tacite métaphysique de la virtuo4  Sur la notion du « co-texte » et sa valeur pour la lecture de la poésie médiévale, voir surtout C. Guimier, éd., Co-texte et calcul de sens, Caen, 1997 ; J.-Cl. Mühlethaler, « Gardez vous bien de ce Fauveau ! Co-textualisation et symbolique animale dans un rondeau de Pierre d’Anche », Reinardus, 11 (1998), p. 131‑148. 5 Molinet, L’Art, p. 216. Dans deux manuscrits (dont Paris, BnF, ms. fr. 2375) et certains exemplaires de la première édition, un prologue dédicatoire précède cette formulation. Voir C. J. Brown, Poets, Patrons, and Printers : Crisis of Authority in Late Medieval France, Ithaca, 1995, p. 117‑123 ; M. B. Winn, Anthoine Vérard, Parisian Publisher, 1485‑1512: Prologues, Poems and Presentations, Genève, 1997, p. 94‑95. 6  Ph. Jeserich, Musica naturalis : Tradition und Kontinuität spekulativ-metaphysischer Musiktheorie in der Poetik des französischen Spätmittelalters, Stuttgart, 2008, p. 389‑416.

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sité, qui fonde et éclaire la versification recherchée de telle ou telle composition particulière. Voilà l’enjeu de la relation entre l’Art et la poésie, relation mise en valeur par la compilation des manuscrits qui nous occupent et que nous traiterons successivement. Certes, ni l’un ni l’autre recueil n’affiche pleinement les liens entre ces différents domaines de la production de l’indiciaire. Dans BnF, ms. fr. 2375 l’Art est attribué à Molinet mais tous les poèmes sont adespotes : seule la Complainte de Grece permet aux lecteurs de deviner sa paternité, en s’achevant sur la signature métaphorique « Molut d’ung gros molinet7 ». Bien que les attributions soient plus fréquentes dans Gonville and Caius College 187 : 220, le nom de Molinet est associé à moins de la moitié de ses pièces, que ce soit dans le titre ou dans le texte (le plus souvent sous une forme figurée). Cela dit, si les premiers lecteurs de ces manuscrits ignoraient l’auteur de certaines œuvres – ce que l’absence d’attributions n’indique pas forcément –, cette ignorance ne les aurait pas empêchés d’établir des liens significatifs entre l’Art et les poèmes qui l’accompagnent. B nF, ms .  fr .  2375 : L es l’ A rt

pr emiers co -textes et les limites de

La possibilité de lire l’Art en vade mecum est d’autant plus forte dans BnF, ms. fr. 2375 qu’il est une des premières pièces du recueil : figurant aux folios 14v-38r et suivi immédiatement d’un bref art de seconde rhétorique en vers, il précède tous les poèmes de Molinet8. Dès le premier poème, il s’avère pourtant que l’Art ne rend pas compte de la gamme de formes strophiques qu’exploite l’indiciaire. De nus de Nuz (fol. 46r-50r), adressé aux habitants de Neuss assiégés par Charles le Téméraire, vante la supériorité bourguignonne et assure les Allemands de leur défaite inévitable : Nobles, rustres, hedas, et gens de Nuz Grans et menus, habandonnés d’amis, 7 BnF, ms. fr. 2375, fol. 164v. Les textes que fournissent les manuscrits diffèrent, parfois sensiblement, des éditions modernes, auxquelles il nous a semblé pourtant utile de renvoyer pour permettre aux lecteurs une plus grande accessibilité aux textes. Dans les citations de manuscrits, i/j et u/v sont dissimilés, les abréviations et signes diacritiques résolus, les apostrophes et cédilles introduites, etc. Les signes de ponctuation et les capitales suivent l’usage moderne. BnF, ms. fr. 2375 est folioté ; Gonville and Caius College 187 : 220 est paginé, sauf pour une trentaine de feuillets dont la foliotation date du x v i e siècle (voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 216). 8 Le deuxième art de seconde rhétorique (fol. 38v-41r) est édité dans Recueil, éd. E. Langlois, p. 253‑264.

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N’aiés espoir d’avoir secours de nulz : Tamps est venus qu’estes de tous biens nuds Et parvenus ou orgueil vous a mis, Dieu a permis que soyés brief remis, La mort vous attend au passaige : On est a le fois trop pau saige9.

Rien d’inattendu sur le plan idéologique. Que dire toutefois de la strophe, qui semble particulière à Molinet10 ? L’agencement des rimes ainsi que la « batelure », système de rimes intérieures à la césure, rappellent de près un huitain décasyllabique qu’emploie fréquemment l’indiciaire, surtout dans ses pièces de circonstance11. L’Art prête à ce huitain un caractère novateur et signale sa présence dans nombre d’importantes compositions de Molinet : En pareille forme de vers witains se fait rectoricque bratelée [sic], et est ditte batellée pour ce que avecq ce qu’elle a sa vollée de resonance en la finable comme dessus, elle a ung aultre son et reson à la IIIIe sillabe, à maniere de batelaige. De ceste nouvelle mode sont coulourés La Complaincte de Grece, Le Trosne d’Honneur, Le Temple de Mars, Le Nauffrage de la Pucelle et Le Resourse du Petit Peuple. Exemple Povres gens sont à tous letz reversés, Tencez, bersez, confaissiez, confundus, Tappés, trompés, toumentés, trondelez, Bruslés, rifflez, tempestez, triboulez, Pelez, choulez, espantez, esperduz, Passez, perduz, martelez, morfondus, Rongnés, tonduz, poussez, patibulez, Pris et soupris, pilez et pestelez12 .

9  Les Faictz et dictz de Jean Molinet, éd. N. Dupire, Paris, 1936‑1939, t. 1, p. 59‑64, v. 1‑8. Ce manuscrit est le seul témoin connu de ce texte. Sur le discours politique du poème, voir J. Devaux, Jean Molinet, indiciaire bourguignon, Paris, 1996, p. 212‑214, 226‑228 ; nous modifions la ponctuation du v. 5 suivant les remarques de ce dernier (p. 227, n. 230). 10 Ni H. Chatelain, Recherches sur le vers français au x v  e siècle : rimes, mètres et strophes, Paris, 1908, p. 102, ni N. Dupire, Jean Molinet : la vie – les œuvres, Paris, 1932, p. 336, n’en relève ailleurs que chez Molinet. 11  Sur ce huitain chez Molinet, voir surtout Cl. Thiry, « Prospections et prospectives sur la Rhétorique seconde », Le Moyen Français, 46‑47 (2000), p. 541‑562 (p. 552‑559). 12  BnF, ms. fr. 2375, fol. 18v-19r ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 222. La strophe citée à titre d’exemple est adaptée de Complainte sur la mort madame d’Ostrisse, v. 369‑376 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 162‑180.

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L’exemple dans l’Art diffère légèrement du schéma selon lequel Molinet compose l’écrasante majorité de ses strophes à batelure : aabaaaabb_ bbcc13. En comparaison avec celui-ci, que l’on est en droit de désigner le schéma « classique », la strophe employée dans De nus de Nuz présente deux particularités : les deux vers en –c sont des octosyllabes, dont le premier ne comporte pas de batelure. Les préceptes de l’Art ne permettent pas aux lecteurs de BnF, ms. fr. 2375 d’interpréter clairement ces divergences. Bien qu’il signale la fréquence du phénomène de l’hétérométrie dans des compositions à forte valeur affective, l’Art n’en expose pas les connotations14. Cependant, le principe d’équivalence qui sous-tend la poétique préconisée dans l’Art implique qu’il faudrait préférer l’isométrie en règle générale, et que l’hétérométrie est employée pour la « perturbation » qu’elle produit15. Les vers en –c sont ainsi distanciés du reste de la strophe, comme un distique quasi autonome. L’absence de batelure au septième vers, là où ceux qui connaissent la forme « classique » s’y seraient attendus, intensifie l’écart entre le distique final et les vers qui le précèdent. C’est un contraste qui ne peut manquer d’importance dans le contexte de ce poème, où les rimes batelées jouent un rôle politique en martelant les arguments de Molinet16. On en vient à se demander si l’octosyllabe remplit une fonction précise, identifiable sur le plan idéologique, par rapport aux décasyllabes. Cependant, rien dans l’Art n’indique que les deux mètres ont différentes valeurs ; on sait pourtant que le vers plus long était souvent tenu pour plus prestigieux selon la poétique de l’époque, et que l’octosyllabe ne se prêtait pas bien aux ornements à l’intérieur du vers tels la batelure. À cela s’ajoute que dans la strophe qui nous occupe, le vocabulaire et la syntaxe sont plus simples dans les octosyllabes. S’agirait-il donc de strophes à deux registres, les décasyllabes véhiculant un discours politique qui de sa gravité finit par chuter, grâce aux octosyllabes, dans le mépris et la dérision à l’égard des Allemands ? Hypothèse séduisante, mais qu’il faudrait nuancer à la lumière d’un autre phénomène formel : l’épiphonème, c’est-à-dire l’emploi d’expressions proverbiales en fin de 13  Voir le répertoire dans Cl. Thiry, « Prospections et prospectives », p. 554‑555. Les lettres en exposant indiquent les rimes batelées. 14  BnF, ms. fr. 2375, fol. 30r ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 241. 15  Pierre Fabri explicitera cette qualité en affirmant que dans un « lai », c’est-à-dire un poème hétérométrique, « l’en ne traicte que matieres de grande ioye ou de excessiue douleur, et, quasi, comme en furie, les lignes sont ou courtes ou longues, a la volunté du facteur » ; P. Fabri, Le Grand et vrai art de pleine rhétorique, éd. A. Héron, Rouen, 1889‑1890, t. 2, p. 51. 16  Voir à ce sujet l’analyse remarquable de Fr. Cornilliat, « Or ne mens » : Couleurs de l’éloge et du blâme chez les « Grands Rhétoriqueurs », Paris, 1994, p. 720‑731.

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strophe. C’est une technique que l’Art n’évoque qu’en passant, dans une courte description du septain d’heptasyllabes « dont la derraine [ligne] chet en commun proverbe », mais qu’affectionnait l’indiciaire, pour la raison sans doute qu’elle lui permettait de mieux étayer ses arguments politiques en y intégrant une sagesse commune relevant de la tradition17. Suivant son habitude et à l’instar de Michault Taillevent qui avait élargi l’usage de l’épiphonème au sein de la poésie didactique, Molinet lie étroitement un proverbe au reste de la strophe sur un plan tant thématique que formel18. Dans De nus de Nuz, par contraste, la relative autonomie formelle des vers en –c fait ressortir les proverbes, invitant les lecteurs à réfléchir aux liens entre proverbes et strophes et, partant, à les réconcilier. Ainsi la pratique formelle de ce poème dépasse-t-elle largement les éléments théoriques que l’on peut dégager de l’Art. Parallèlement, l’Art permet d’apprécier à quel point De nus de Nuz détourne une forme connue, et d’entrevoir quelques effets du détournement. La forme de la pièce suivante de Molinet, Les Eages du monde (fol. 59v-65r), ressemble à celle qu’emploie l’indiciaire dans De nus de Nuz, à ceci près que le septième vers de chaque strophe comporte une rime batelée, si bien que la séquence des rimes est identique au schéma « classique » : aabaaaabbbbcc19. Bien que la batelure au septième vers relie plus étroitement le distique final au reste de la strophe, ce distique garde une certaine autonomie du fait de son mètre octosyllabique. Ce qui met en valeur, encore une fois, l’épiphonème. Les strophes racontent des épisodes de l’histoire universelle, glosés à chaque fois par un proverbe approprié : Cesar fondu, le pesant monde chut ; Si le rechust Octovïen Auguste. Entre ses bras dormit en paix et jut. Dieu fut conchut, son facteur, qui perchut Qu’on le dechupt pa diablerie auguste. Le monde injuste reforme est [sic] adjuste.

17  BnF, ms. fr. 2375, fol. 16v ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 218. L’importance des expressions proverbiales chez Molinet est indiquée par l’ampleur de l’index que son éditeur y consacre : Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 3, p. 1217‑1231. 18 Sur l’épiphonème chez Michault Taillevent, voir A. Armstrong, The Virtuoso Circle : Competition, Collaboration, and Complexity in Late Medieval French Poetry, Tempe, 2012, p. 57‑58. 19  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 588‑596. À part De nus de Nuz, c’est le seul poème où Molinet utilise ce type de strophe.

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Fort et robust alors devient : Si hault crie on Noël qu’i vient20.

Les octosyllabes attirent ainsi l’attention des lecteurs sur le travail qu’accomplissent les proverbes. Ceux-ci légitiment le savoir historique communiqué par les strophes, en signalant quelles leçons il faut tirer des différents événements21. B nF,

ms .  fr .  2375 :

L’utilité

partielle de l ’A rt

Si l’Art permet seulement d’amorcer la réflexion sur la versification des deux premiers poèmes de Molinet, il fournit pourtant des explications assez complètes et explicites de certaines formes rencontrées plus avant dans le recueil. La Journée de Therouenne (fol. 70v-76v), qui fait un emploi sporadique de la strophe « classique » avec rimes batelées, est composée essentiellement de huitains sans batelure, schéma que l’Art présente comme variante d’une strophe octosyllabique abaabbcc développée par George Chastelain : Aultre thaille de vers witains se fait par aultre croisure, de laquelle Monsieur l’Indiciaire fut principal inventeur. […] Pareille tailhe de vers witains est maintenant en usaige, et n’y a de difference si non que les mettres sont de X et de XI piedz22 .

On trouve le même huitain décasyllabique dans le Dictier sus Franchois et Gantois (fol. 148r-150v)23. L’Art permet aux lecteurs d’associer la strophe à une certaine tradition bourguignonne (c’est une descendante formelle de Chastelain), ce qui sied aux sujets de ces pièces : la victoire de l’archiduc Maximilien à la bataille de Guinegatte en 1479 et l’ingérence française dans le conflit entre Gand et Maximilien en 1484‑1485. Les rimes batelées du schéma « classique » constituant un 20  BnF, ms. fr. 2375, fol. 63r-v ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 593, v. 145‑152. Sur la périodisation de l’histoire du monde et sa moralisation dans ce poème, voir J. Devaux, Jean Molinet, p. 70‑72. 21  Sur la légitimation du savoir dans la poésie au bas Moyen Âge, voir A. Armstrong et S. Kay, Knowing Poetry, p. 19‑20. 22  BnF, ms. fr. 2375, fol. 18r ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 220‑221. Les « mettres […] de XI piedz » sont des décasyllabes à rimes féminines. La Journée de Therouenne figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 127‑136 ; voir sur ce poème Cl. Thiry, « La Poésie de circonstance », dans La Littérature française aux x iv  e et x v  e siècles : Partie historique, éd. D. Poirion, A. Biermann, D. Tillmann-Bartylla, Grundriss der romanischen Literaturen des Mittelalters, t. 8.1, Heidelberg, 1988, p. 111‑138 (p. 131‑134) ; A. Armstrong, The Virtuoso Circle, p. 135‑151. 23  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 205‑208. Voir J. Devaux, Jean Molinet, p. 459‑460.

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raffinement formel, on peut aisément interpréter leur emploi ponctuel dans la Journée de Therouenne : elles visent à rehausser les strophes où elles se trouvent, trois huitains où Molinet énumère les tribulations infligées aux Français à Guinegatte, et deux huitains finaux où l’éloge de Maximilien atteint son paroxysme24. Quant à la strophe octosyllabique qu’avait employée Chastelain, elle figure dans deux poèmes très différents : le Dictier à monseigneur le conte de Nassau (fol. 113v-115v), qui encourage Englebert de Nassau à mener à bien les négociations francobourguignonnes qui aboutiront dans la paix de Montils-les-Tours en octobre 1489 et la Supplication pour Jehan Voisin (fol. 158v-160v), opuscule familier dont on n’a pas pu identifier le destinataire25. L’Art implique la pertinence du huitain pour le Dictier, qui marque le séjour que fit Englebert de Nassau à Valenciennes – ville où Molinet exerçait sa fonction d’indiciaire, comme l’avait fait Chastelain. Le choix de cette forme pour la Supplication ne se laisse pourtant pas expliquer si clairement. Les octosyllabes en rimes plates représentent, selon l’Art, le degré zéro du vers français : « La plus facille et comment [sc. commune] taille de rimes est la doublette, qui se peult faire en toute quantité de sillabes, et le plus souvent en huit et en IX 26. » C’est une « taille » que les lecteurs de BnF, ms. fr. 2375 trouvent dans nombre de compositions de Molinet, dont le Dictier des quatre vins franchois (fol. 116r-121r), qui commémore la bataille de Montlhéry en 1465, et Gratias (fol. 158rv), une grâce parodique27. Toutefois, il est évident que l’intérêt de ces pièces réside davantage dans leur ingéniosité linguistique que dans leur versification : le Dictier joue sur les noms de différents vins pour représenter la Guerre du Bien public, tandis que Gratias prie Dieu de créer un monde à l’envers où « Soient saintes les curatiers »28. Il en 24 

Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 129‑130, v. 49‑72 ; p. 135‑136, v. 225‑240. Ibidem, t. 1, p. 251‑254 ; t. 2, p. 772‑774. Sur le Dictier, voir J. Devaux, Jean Molinet, p. 144‑145, 539‑542. La Supplication n’est attestée que par ce manuscrit. 26  BnF, ms. fr. 2375, fol. 16r ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 217‑218. 27  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 27‑33 ; t. 2, p. 547. Dupire présente Gratias comme la dernière partie (v. 55‑78) de Graces sans villonnie, qui précède Gratias dans tous les autres témoins. Sa transmission indépendante dans ce recueil, et la presentation des pieces dans Gonville and Caius College 187 : 220, suggèrent pourtant qu’il s’agit de deux poèmes : voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 250. Sur le Dictier, voir J. Devaux, Jean Molinet, p. 309‑310 ; A. Armstrong, « Boire chez (et avec) Jean Molinet », dans Jean Molinet et son temps : actes des rencontres internationales de Dunkerque, Lille et Gand (8‑10 novembre 2007), éd. J. Devaux, E. Doudet, E. Lecuppre-Desjardin, Turnhout, 2013, p. 237‑248 (p. 239‑240, 245, 247‑248). 28  BnF, ms. fr. 2375, fol. 158r ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 547, v. 65. 25 

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est de même du Cri des monnoies (fol. 150v-151v), poème « joyeux » en décasyllabes à rimes plates, qui exploite le sens littéral des noms de monnaies tels « tournois » et « escus »29. Deux autres poèmes octosyllabiques en rimes plates, les épîtres plaisantes À Maistre David Walle (fol. 126v-127v) et Lettre à Maistre Guerard de Watrellet (fol. 157r-v), présentent un intérêt formel tout autre30. Ce sont des pièces bilingues où Molinet fait alterner et rimer vers latins et vers français, et qui manifestent ainsi ce principe d’équivalence étendue qu’implique la poétique au cœur de l’Art. Il ressort de ces exemples que, même là où l’Art traite une forme de manière explicite, il est loin d’en épuiser les implications dans la pratique. Il est des cas où l’apport de l’Art à la compréhension des vers de Molinet est d’autant plus malaisé à déterminer que le manuel signale certains éléments formels mais en passe d’autres sous silence. Dans BnF, ms. fr. 2375, trois pièces de circonstance appartiennent à cette catégorie. L’Épitaphe du duc Philippe de Bourgogne (fol. 81r-v), en alexandrins à rimes plates, ne reflète pas l’emploi typique de ce mètre selon l’Art : Vers alexandrins de XII ou de XIII sillabes pour le mettre, et n’a que une seulle termination. Le nombre des lignes est à la voulanté de l’acteur. Et sont nommés alexandrins pour ce que l’Estoire de Alixandre fut traictie en ceste manière. Plusieurs romans de bataille trennent [sc. tiennent] cest taille ; mesmes l’Abregiét de Troye ensieut le train31.

Bien que l’explication mette en valeur la résonance épique de l’alexandrin, qui convient à la commémoration de Philippe le Bon, elle associe le vers à la laisse monorime. Faudrait-il donc que les lecteurs de l’Épitaphe en interprètent les distiques comme une entorse significative aux principes qui gouvernent l’usage de l’alexandrin ? L’Art ne permet pas d’en décider. Deux autres textes emploient le huitain de décasyllabes « classique » avec batelure conjointement avec des formes strophiques absentes de l’Art. Dans le Bergier sans solas (fol, 96r-108r), allégorie qui commente l’instabilité en Flandre suite au décès de Marie de Bourgogne, le huitain « classique » alterne avec un dizain de pen29  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 766‑767 ; les termes cités figurent aux v. 23 et 27. Voir Fr. Cornilliat, « Or ne mens », p. 188. 30  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 817‑819, 812‑814. Dupire dispose la Lettre en quatrains suivis d’un sixain final ; dans ce recueil elle forme pourtant une séquence ininterrompue de distiques. 31  BnF, ms. fr. 2375, fol. 19v ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 223. L’Épitaphe figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 34‑35 ; voir sur ce poème A. Armstrong, « Avatars d’un griffonnage à succès : L’Épitaphe du duc Philippe de Bourgogne de Jean Molinet », Le Moyen Âge, 113 (2007), p. 25‑44.

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tasyllabes rimant aaaabaaaab32 . Ni la strophe ni le mètre ne sont traités dans l’Art de Molinet ; le bref art en vers qui suit celui-ci contient différentes strophes de pentasyllabes, mais en commente les formes strophiques plutôt que le mètre33. Il n’empêche que les vers courts revêtent certaines connotations : leur usage dans la poésie de l’époque indique qu’ils convenaient à un registre humble, voire rustique. En effet, les trois premiers dizains du Bergier sont dominés par des diminutifs, autre trait caractéristique du style bas : Les belles flourettes Aux pastouriaux prestes Avec les propettes Fœulles des caulrettes S’en volent au vent. Pommes et poirettes, Jadis trop tendrettes, Nous sont fort durettes : Amours amourettes Deviennent souvent34.

Pour les lecteurs avertis, le poème entremêle deux registres, la gravité représentée par les huitains décasyllabiques et l’humilité par les dizains pentasyllabiques. Il fond aussi deux métaphores du politique : le pastoral et la cosmologie antique. Un commentaire latin qui suit le poème, et qui ne figure que dans ce manuscrit, signale l’allégorèse nécessaire : More poetico, stillo humili pastoralique, et super corpora celestia, aerea, marina hoc opusculum adimplevi, ipsi litigium Brabantinorum Flandrigenarum, sed propter allegoriam capessendam necesse est ut per Pan intelligam regem Francie, […] per Jovem comitem Flandrie, per lunam ducissam Mariam […] et cetera intelligas35.

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Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 209‑224. Recueil, éd. E. Langlois, p. 256. 34 BnF, ms. fr. 2375, fol. 96r ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 209, v. 9‑18. 35  BnF, ms. fr. 2375, fols 107v-108r : « J’ai achevé cet opuscule, à savoir Le Conflit des Brabançons et des Flamands, sur le mode poétique [sc. allégorique] et dans un style humble et pastoral, en le remplissant de corps célestes et de phénomènes de l’air et de la mer. Afin d’en comprendre l’allégorie, il faut pourtant entendre par ‘Pan’, le roi de France ; […] par ‘Jupiter’, Philippe, comte de Flandre ; par ‘Luna’, la duchesse Marie ; […] etc. ». Sur la notion du « poétique » en moyen français, souvent équivalent d’« allégorique », voir A. Armstrong et S. Kay, Knowing Poetry, p. 9‑13 ; M.-R. Jung, « Poetria : Zur Dichtungstheorie des ausgehenden Mittelalters in Frankreich », Vox Romanica, 30 (1971), p. 44‑64. 33 

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La glose en dit plus long que l’Art non seulement sur le langage du Bergier, mais aussi sur les connotations de sa versification. L’autre pièce de circonstance où Molinet emploie le huitain « classique » est la Complainte de Grece (fol. 160r-164v), prosimètre qui exhorte la noblesse bourguignonne à soutenir le projet que nourrissait Philippe le Bon de venir en aide à la Grèce conquise par les Turcs… et dont ce recueil, comme la majorité des autres témoins manuscrits, ne transmet que les sections en vers36. Il s’agit de la plainte de la Grèce personnifiée, en huitains « classiques », et de deux douzains hétérométriques où l’« acteur » présente sa composition et exprime son espoir que la Grèce sera bientôt secourue. Ceux-ci riment 7a3a3a7b7a3a3a7b3b3b7c7c, les rimes b étant féminines. Schéma peu commun, qui semble avoir induit le copiste de BnF, ms. fr. 2375 – comme ceux de quelques autres manuscrits – en erreur. Les vers trisyllabiques sont transcrits à raison de deux vers par ligne, pour produire des hexasyllabes ou heptasyllabes selon les rimes et variantes. Le résultat ressemble à deux neuvains d’heptasyllabes, avec quelques vers hypométriques : Gresse que Turcqz vont gastant Estoit ainsy regrettant La region où demeure Le fort lyon très puissant, Rugissant que cessant Fut sa doleur sans demeure. Viengne l’heure que il y queure Et demeure [sc. deveure] le tirant Qu’ainsi le va detirant37 !

Ces strophes ne se laissent pas interpréter à la façon des strophes hétérométriques, au sujet desquelles nous avons précédemment remarqué que l’Art suggère leur puissance affective et perturbatrice. L’Art n’exposant pas les connotations de l’heptasyllabe et ne traitant pas le neuvain, tout lecteur qui désire évaluer l’apparente forme strophique doit faire appel à sa connaissance éventuelle de la poésie contemporaine. 36  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 9‑26. Sur le discours politique de la Complainte, voir J. Devaux, Jean Molinet, p. 588‑590. Sur la transmission du texte, voir A. Armstrong, « Dead Man Walking : Remaniements and Recontextualisations of Jean Molinet’s Occasional Writing », in Vernacular Literature and Current Affairs in the Early Sixteenth Century : France, England and Scotland, ed. J. Britnell, R. Britnell, Aldershot, 2000, p. 80‑98. 37  BnF, ms. fr. 2375, fol. 164r-v ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 25‑26, v. 1‑12. On trouve une mise en page assez semblable dans Bruxelles, KBR, ms. 21551‑69 (fol. 149r) et Paris, BnF, n.a. fr. 10262 (fol. 105v-106r).

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L’heptasyllabe est employé dans des contextes qui l’associent surtout au manque et à l’instabilité ; le neuvain est moins répandu que le huitain et le dizain, et l’agencement des rimes fait qu’il ressemble au huitain « bourguignon » rimant abaabbcc, auquel le poète aurait ajouté un vers initial38. Ainsi la strophe est-elle marquée à la fois par l’excès (nombre de vers) et par le manque (nombre de syllabes par vers) ; double entorse aux conventions de la seconde rhétorique, à laquelle il est tentant de prêter une valeur mimétique, comme si la strophe reflétait sur le plan formel le tort que constituait, aux yeux de la chrétienté, la domination ottomane sur la Grèce et le Proche-Orient. Si l’Art ne suffit pas pour élucider la versification du Bergier et de la Complainte, pièces à deux formes strophiques, il n’aide pas non plus à interpréter certaines compositions à forme unique. Le titre « Balade et chanson », à laquelle est assortie la Response à monseigneur Anthoine Busnois (fol. 123v-126v), suggère que le copiste n’a pas pris en compte les explications et exemples que l’Art fournit sur la ballade39. Il est vrai que l’Art traite la forme strophique de la Response, des dizains décasyllabiques rimant ababbccdcd, sous la rubrique de la « balade commune » (fol. 25v) : Si le refrain a X sillabes, les couplés de balade sont de X lignes, dont les IIII premieres se croisent ; la Ve pareille à la IIIIe ; la VIe, VIIe et IXe de pareille termination ; et la VIIIe et Xe egale en consonance40.

Le poème n’a cependant rien d’une ballade : c’est une pièce à dix dizains, sans envoi ni refrain, et dont chaque strophe s’achève sur le vers d’un rondeau que le compositeur Busnoys avait envoyé à l’indiciaire41. Le rondeau manque au recueil, de sorte que l’exploit formel de Molinet 38  Sur l’heptasyllabe en moyen français, voir A. Armstrong, « Printing and Metrical Naturalisation : Jean Molinet’s Neuf Preux de Gourmandise », in Essays in Late Medieval French Literature : The Legacy of Jane Taylor, ed. R. Dixon, Manchester, 2010, p. 143‑159. Pour un neuvain semblable chez quelques rhétoriqueurs français, voir A. Armstrong, The Virtuoso Circle, p. 128, n. 27 ; p. 159. 39 La Response figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 798‑801 ; l’Art traite différents avatars de la ballade aux fol. 25v-29v du recueil (cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 235‑241). 40  BnF, ms. fr. 2375, fol. 25v ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 235. 41  Le rondeau figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 797, et dans les autres témoins qui transmettent la Response. Sur les relations entre Molinet et Busnoys, voir D. Fallows, « Jean Molinet and the Lost Burgundian Court Chansonniers of the 1470s », dans Gestalt und Entstehung musikalischer Quellen im 15. Und 16. Jahrhundert, ed. M. Staehelin, Wiesbaden, 1998, p. 35‑42 (p. 37) ; D. Fallows, « ‘Trained and immersed in all musical delights’: Towards a New Picture of Busnoys », in Antoine Busnoys : Method, Meaning, and Context in Late Medieval Music, ed. P. Higgins, Oxford, 1999, p. 21‑50 (p. 43‑44).

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est imperceptible pour les lecteurs. Les douzains décasyllabiques de la Bataille des deux deesses (fol. 135v-139r) n’ont aucun équivalent dans l’Art : l’exemple des « vers douzains » (fol. 19r-v) est octosyllabique et l’agencement des rimes y est différent42 . On en vient à se demander si un autre type de douzain remplit la même fonction de la strophe dont l’Art nous informe qu’en « sont faictes plusieurs histoires et horoisons richement decorées » (fol. 19r)43. Mais rien n’autorise à prêter cette qualité d’agrément à la strophe de la Bataille, même si son mètre décasyllabique, plus prestigieux que les octosyllabes dans l’exemple de l’Art, suggère qu’il en soit ainsi. L’art en vers s’avère plus flexible et instructif, signalant que les douzains, quel qu’en soit le mètre, conviennent à émouvoir un destinataire : Vers douzains sont de plusieurs piedz : V, VI, VII, VIII, dix enlachés, Comme on le puet voir à present ; Et sont à le fois bien prisiés Quant de beaulx termes sont chergiés, Coulourés aourneement. Pour parler amoureusement, Pour supplïer très humblement, Pour avoyes [sc. avoyer] les desvoiés, Pour outroyer begninement, Et pour langagier doulcement Il y sont des plus avanchiés44.

Ces préceptes ne conviennent pourtant guère à la Bataille, récit en vers où Molinet réalise un tour de force de « poetrie » – terme qui sert de titre au poème dans le manuscrit – en bourrant ses vers de noms mythologiques. Les quatorzains d’Oroison à la Vierge Marie (fol. 169r-174v) sont encore plus opaques à qui se fie à l’Art, le manuel ne signalant aucune strophe à quatorze vers45. Faudrait-il supposer que le quatorzain, plus long que le douzain, revêt encore davantage de gravité, comme le requiert la poésie dévotionnelle ? L’aspect le plus remarquable de l’Oroison consiste en l’intégration de l’Ave Maria latin aux vers français, chaque strophe commençant avec un mot de la prière : ce que signale explicitement le titre du poème dans ce recueil, Aultre salut fait sur Ave Maria. Bien qu’il ne s’agisse pas de faire rimer des syllabes 42 Cf. Les

Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 709‑713 ; Recueil, éd. E. Langlois, p. 223. 43 Voir ibidem. 44  BnF, ms. fr. 2375, fol. 39v ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 259. 45  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 483‑490.

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latines et françaises, comme dans À Maistre David Walle et Lettre à Maistre Guerard de Watrellet, la coïncidence phonémique des langues est parfois évidente, surtout au début du troisième douzain : « Gratia [sc. grace y a] en vous tant fort monde » (fol. 169v)46. En basant la versification sur l’équivalence des sons et des nombres, l’Art permet de voir à quel point l’emploi de l’Ave Maria manifeste ce principe. G on v ille

a nd

C aius C ollege 187 : 220 : P r ésentation

Ainsi, dans BnF, ms. fr. 2375, les implications formelles et idéologiques des vers de Molinet s’étendent au-delà des commentaires de l’Art. Plusieurs pièces recueillies dans le manuscrit figurent également dans Gonville and Caius College 187 : 220, où l’Art se trouve au quart du recueil. Le texte du manuel présente davantage de similitudes avec la version imprimée qu’avec celles des autres manuscrits : il y manque le prologue dédicatoire, ainsi que la formule préliminaire qui qualifie la versification d’« espece de musique appellée richmique »47. Cette dernière lacune n’empêche toutefois pas d’apprécier l’importance de l’équivalence et de la complexité dans la poétique de l’indiciaire, les exemples et commentaires laissant transparaître ces principes. Les œuvres présentes dans le recueil de Cambridge ainsi que dans BnF, ms. fr. 2375 sont : La Journée de Therouenne (p. 36‑43), Epitaphe du duc Philippe de Bourgogne (fol. 86v-87r), Dictier des quatre vins franchois (p. 268‑274), Gratias (p. 371‑372), Oroison à la Vierge Marie (p. 496‑502), Les Eages du monde (p. 502‑508), La Bataille des deux deesses (p. 509‑511), À  Maistre David Walle (p. 513‑515), Dictier à monseigneur le conte de Nassau (p. 521‑523), Lettre à Maistre Guerard de Watrellet (p. 525‑526), et Le Bergier sans solas (p. 526‑530)48. Nous avons déjà fait valoir la diversité des relations entre ces compositions et l’Art : le manuel tantôt explique assez clairement la forme que l’on rencontre en lisant un poème, tantôt ne le fait pas, tantôt les précisions qu’il donne ne suffisent qu’en partie. Ce qui permet d’élaborer 46  Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 484, v. 29. On rencontre la graphie « Grace y a » dans certains témoins, par exemple Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 2734, fol. 13r ; Louenges à Nostre Seigneur, Paris, s.d. (BnF, Rés. Ye 831), sig. nn2v. 47  Voir ci-dessus, n. 5. Sur le texte et la mise en page de l’Art dans ce manuscrit, voir A. Armstrong, « Versification on the Page in Jean Molinet’s Art de rhétorique : From the Aesthetic to the Utilitarian », TEXT, 15 (2002), p. 121‑139 (p. 130‑131, 139). 48  Certaines pièces sont incomplètes. Il manque les v. 161‑168 et 193‑224 aux Eages du monde, et les v. 1‑64 à la Bataille des deux deesses, tandis que Le Bergier sans solas ne comporte que les v. 1‑162. Le Dictier des quatre vins franchois a été remanié pour commémorer la bataille de Guinegatte : voir A. Armstrong, « Dead Man Walking », p. 93‑95.

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une grille de lecture pour expliciter les relations entre l’Art et les autres pièces de Molinet dans le manuscrit de Cambridge, pièces qui peuvent se répartir en trois catégories. G on v ille explique

a nd

C aius C ollege 187 : 220 : C e

que l ’A rt

La première catégorie, celle des poèmes dont l’Art rend bien compte de la versification, comprend deux principaux sous-ensembles. Il y a tout d’abord différentes compositions à forme fixe, notamment celles qui illustrent la « ballade commune » et le chant royal dans tous les témoins de l’Art excepté dans ce manuscrit même, et qui figurent parmi les derniers textes de Gonville and Caius College 187 : 22049. Ensuite, les pièces composées exclusivement en huitains tels que l’Art les expose : le huitain « classique » de décasyllabes avec ou sans batelure, le huitain octosyllabique partageant son schéma de rimes avec celui qu’avait développé Chastelain, et le huitain octosyllabique rimant ababbcbc dont Molinet reconnaît le caractère traditionnel : Aultre taille de vers huittains appellez vers franchois, qu’ilz sont assez communs en pluseurs livres et traictez, comme en La Belle Dame sans merchi, L’Hospital d’Amours et Le Champyon des dames50.

Le huitain décasyllabique est de loin le plus fréquent : outre la Journée de Therouenne, que nous avons déjà signalée, cette forme stro49 « Des Mirmidons la hardiesse emprendre » (p. 511‑512) et « Quant Terpander sa harpe prepara » (p. 515‑517) ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 236‑237, 243‑244 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 857‑858, 447‑449. D’autres poèmes correspondent aux différents schémas de la « ballade commune » exposés dans l’Art : « Pour chiere faire et demener grant  » (p. 246‑247), « Manne du ciel, douche fleur de con » (p. 247‑248), « Souffle, Tyton, en ta buse argentine » (p. 368), Ballade de la maladie de Naples (p. 414‑415), « Humblesse blesse aigneau qui s’humilie » (p. 512‑513), et Ballade adreschant à messeigneurs de Foix, Monpensier et Vendosme (p. 524‑525). Ces ballades figurent respectivement dans ibidem, t. 2, p. 864‑865 ; t. 1, p. 345‑346 ; t. 2, p. 851‑852 ; t. 2, p. 853‑854 ; t. 2, p. 855‑856 ; t. 1, p. 392‑393. Il faut également signaler deux ballades attribuables à Molinet, « Chantez, Palas, Echo, Mercurius » (p. 130) et « O toy, Venus, et Juno la deesse » (p. 253‑254) ; sur ces pieces, voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 233, 238. 50  Gonville and Caius College 187 : 220, p. 134 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 220. Huitains octosyllabiques rimant abaabbcc : le Dictier à monseigneur le conte de Nassau (p. 521‑523), et une strophe extraite de la Complainte sur la mort madame d’Ostrisse (v. 465‑472), intitulée à tort Rondeau (p. 393). Huitain octosyllabique rimant ababbcbc : « L’aultrier on me rapporta par  » (p. 348). La mise en page de ce poème-rébus n’en obscurcit pas l’agencement des rimes, mais constitue bien sûr un raffinement dont l’Art ne rend nullement compte : voir A. Armstrong, « Two More Rebus-Poems by Jean Molinet ? », Scriptorium, 51 (1997), p. 76‑80.

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phique est la seule que l’on trouve dans la Complainte des trespassés (p. 241‑243), les Lamentables regrés pour le trespas de monseigneur Albert duc de Zassen (p. 249‑252), Dictier à ung prebstre (p. 326‑328), La très desirée et prouffitable naissance de Charles d’Austrice (p. 374‑379), La Nativité madame Lienor (p. 404‑407), L’Alliance matrimoniale des enfans d’Austrice et d’Espaigne (p. 416‑421), et Epitaphe de monseigneur Henry de Berghes (p. 464‑466)51. Autant vaut pour Le Voiage de Napples (p. 260‑266), où les huitains sont cependant précédés d’un passage en prose – moyen d’expression exclu, par définition, de l’Art52 . Cas semblable mais beaucoup plus complexe : La Ressource du petit peuple, important prosimètre allégorique où Molinet commente les difficultés auxquelles font face les Pays-Bas bourguignons depuis la débâcle de Nancy53. Les sections en vers sont détachées des passages en prose. Ceux-ci sont transcrits plus avant dans le recueil (p. 310‑325), avec des renvois à celles-là54. L’éparpillement du texte exige la relecture des vers, que le copiste principal du manuscrit avait présentés comme trois compositions indépendantes. Il est clair, à la lumière de l’Art, que les huitains « classiques » avec batelure expriment le sérieux d’une reprobation de la ghuerre, adressant aux prinches de ghuerre, composée par ledit Molinet (p. 74) ; mais, ayant découvert que ce poème constitue la première section versifiée de la Ressource et qu’il s’agit d’un discours prononcé par la Vérité personnifiée, les lecteurs seront obligés d’y attribuer une importance plus profonde. La strophe ne convient plus seulement à l’œuvre de l’indiciaire, d’un commentateur qui fait autorité ; grâce à la personnification, elle participe d’une vérité supérieure à celle que les êtres humains peuvent percevoir et exprimer. En ce qui 51  Ces poèmes figurent respectivement dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 433‑435 ; t. 1, p. 362‑366 ; t. 2, p. 425‑427 ; t. 1, p. 352‑358 ; t. 1, p. 347‑351 ; t. 1, p. 335‑340 ; t. 1, p. 383‑385. Il faut y ajouter Epitaphe de Hubin son chien (p. 472‑474), pièce attribuable à Molinet : voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 260. 52 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 277‑283. La prose de l’indiciaire est représentée par plusieurs autres pièces dans le recueil, surtout des pronostications : des sections de Prenostication des gouverneurs de la terre (p. 267‑268, fol. 121v-p. 280) et d’Encoires prenostication (p. 285‑287, fol. 127r, p. 288), ainsi que Prenostication de la guerre des grands (p. 280‑284), Aultre prenostication (p. 284‑285) et Lettre missive à venerable et cathefumineuse personne, Jo. de Wisoc, president en Papagosse (p. 287-fol. 127r). Ces textes figurent respectivement dans J. Molinet, Les Pronostications joyeuses, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, 1998, p. 125‑128, 121‑125, 175‑179, 176‑177, 203‑229, 77‑82 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 915‑917. 53 Voir ibidem, t. 1, p. 137‑161. 54  Voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 243 ; A. Armstrong, « The Practice of Textual Transmission : Jean Molinet’s Ressource du Petit Peuple », Forum for Modern Language Studies, 33 (1997), p. 270‑282 (p. 274‑277).

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concerne la section finale de la Ressource, intitulée ici la complainte de Justiche (p. 62), l’Art permet d’identifier les six premières strophes comme une « ballade fatrisée » (p. 142). Justice s’y lamentant sur son sort, ces strophes semblent illustrer à merveille l’Art, selon lequel cette forme serait « convenable à faire regrez » (p. 142)55. Toutefois, la « ballade fatrisée » est suivie de deux huitains octosyllabiques (de forme traditionnelle avec rime ababbcbc) où l’« acteur » de la Ressource clôt le récit : la relation de ces strophes aux précédentes ne peut être entièrement clarifiée qu’à la lecture des sections en prose. Une Aultre complainte de la dicte Justiche (p. 64), deuxième section versifiée de la Ressource, est composée en seizains hétérométriques : bien que la forme n’en corresponde pas aux exemples d’hétérométrie reproduits dans l’Art, il est clair qu’elle partage le caractère fortement affectif que le manuel prête à des strophes semblables. À part les formes fixes et les huitains isométriques, l’Art recouvre les octosyllabes en rimes plates du Nouveau calendrier (p. 290‑293) et des Graces sans villonnie (p. 370‑372), pièces où l’intérêt principal réside pourtant dans des jeux de mots56. Enfin, dans cette première catégorie, La Robe de l’archiduc (p. 341‑346), qui survole l’histoire des terres bourguignonnes depuis la mort de Marie de Bourgogne, adopte la forme que l’Art baptise « riqueracque » : Richracque est une magniere de longue chansons, faicte par coupplez de VI ou VII sillebes la ligne, et chascun coupplet a deux diverses croiséez : la premiere ligne et la IIIe de sillebes imparfaictes, la IIe et la IIIIe de parfaictes ; et pareillement le seconde croisée, distinguée et differentes en termination57.

Autant dire des huitains d’hexasyllabes rimant ababcdcd, les rimes a et c étant féminines et les rimes b et d masculines. En indiquant l’importance de l’alternation systématique des rimes « imparfaictes » et « parfaictes », et de l’effet musical (« chansons ») qu’elle est censée produire, l’Art rappelle aux lecteurs que la Robe est plus travaillée que le seul agencement de rimes ne le suggère. L’impression de facilité, un 55 Cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 239. Cela dit, la mise en page de l’exemple dans l’Art (p. 142‑143) brouille la séquence des strophes. Le texte est transcrit à raison de deux vers par ligne et les huitains sont groupés deux par deux. 56  Voir J. Molinet, Pronostications, p. 51‑76 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 545‑547. Sur la relation entre les Graces sans villonnie et les Gratias, voir ci-dessus, n. 27. 57  Gonville and Caius College 187 : 220, p. 148 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 247. La Robe figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 258‑264 ; voir J. Devaux, Jean Molinet, p. 525.

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poète ne devant trouver que deux rimes sur une même syllabe, s’avère trompeuse : la « riqueracque » a sa propre rigueur. G on v ille a nd C aius C ollege 187 : 220 : C e n ’explique pas

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Parmi les poèmes de la deuxième catégorie, ceux dont l’Art ne commente nullement la versification, le groupe le plus important consiste en des débats strophiques. Le manuel s’en approche au plus près en traitant les « vers sizains » : Aultre taille de vers sizains qui se font en moralitez et jeux de personnaiges, en responses ou redargutions, et sont communement de III lignes, et de VI lignes et de IIII lignes composé de VI sillabes. Exemple J’ay bruyt, regne en cours En champs et en cours, En l’aultre et en l’unne.

La guerre

Je suis sans secours, Mais apprez decours Voit on prime lunne58.

La paix

Si quelques leçons erronées rendent l’explication confuse, le principe fondamental est clair : dans cette forme bien adaptée aux besoins du théâtre contemporain, deux interlocuteurs partagent des rimes et/ou des strophes. Les débats de Molinet recueillis dans le manuscrit de Cambridge manifestent des tendances très semblables, mais leurs strophes sont très différentes des « vers sizains » et des autres formes décrites dans l’Art. Dans Le Débat de l’aigle, du harenc et du lyon (p. 124‑129), en effet, tout se passe comme si Molinet avait multiplié les « vers sizains » par deux, sur l’axe horizontal (longueur des vers) comme sur l’axe vertical (longueur des strophes), pour produire des douzains décasyllabiques rimant aabaabbbabba. Rien d’inouï à cet agencement, qui figure dans le douzain exemplaire de l’Art, mais les strophes sont partagées : l’aigle en prononce la première moitié, le hareng et le lion en prononcent la deuxième alternativement59. Le Débat d’apvril et de may (p. 163-fol. 63r) est composé en douzains de décasyllabes rimant abbcbbccdded, que les mois personnifiés prononcent alternativement : 58  Gonville

and Caius College 187 : 220, p. 133 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 218. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 628‑635. Pour l’exemple du douzain (octosyllabique) dans l’Art, voir ci-dessus, n. 42. 59 Voir

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la rime e de chaque strophe est reprise comme la rime a de la prochaine60. Une structure semblable est employée pour Le Débat du viel gendarme et du viel amoureux (p. 422‑433) et Le Débat du poisson et de la chair (p. 476‑485), tous deux en septains rimant abaabbc (respectivement octosyllabiques et décasyllabiques), chaque strophe commençant sur la rime c de la précédente61. La partie dialoguée du Débat du leup et du mouton (p. 486‑495) manifeste le même principe : les interlocuteurs prononcent des sizains octosyllabiques rimant ababbc, la rime c constituant la rime a de la prochaine strophe62 . Sont absentes de l’Art non seulement les strophes de ces débats, à l’exception partielle du Débat de l’aigle, du harenc et du lyon, mais aussi la technique dont elles font toutes emploi : la « rime mnémonique », typique du théâtre français à la fin du Moyen Âge, où deux répliques partagent une même rime63. D’autres pièces dans la deuxième catégorie : Dictier poetical (transcrit deux fois, p. 71‑73 et 518‑520), en douzains de décasyllabes rimant ababbccddede avec refrain ; Le Present d’ung cat nonne (p. 333‑334) et Lettre à maistre Loÿs Compere (p. 517), en octosyllabes à rimes croisées ; L’Epitaphe Hotin Bonnelle (p. 337‑340), en quatrains d’octosyllabes monorimes ; et Epitaphe de monseur de Montygny (p. 402‑403), pièce attribuable à Molinet, en cinquains de décasyllabes rimant aabab64. Les onzains d’Oroison à Nostre Dame (p. 89‑90), alternativement décasyllabiques et octosyllabiques et rimant abaabbccdcd, ne figurent pas non plus dans l’Art ; l’aspect le plus remarquable de ce poème consiste pourtant en son emploi de citations lyriques profanes pour commencer chaque strophe, comme l’indique son titre dans le manus-

60 Voir ibidem, t. 2, p. 607‑615. La première strophe est un onzain rimant aabaabbccdc ; la dernière est un treizain rimant abbcbbccddede. 61 Voir ibidem, t. 2, p. 616‑627, 636‑648. La strophe finale de chaque pièce est un huitain rimant abaabbcc. 62 Voir ibidem, t. 2, p. 656‑669. Le débat est encadré de strophes prononcées par un « acteur » : six dizains de décasyllabes (v. 1‑40, 294‑313) rimant aabaabbcbc. 63  Voir L. Burgoyne, « La Rime mnémonique et la structuration du texte dramatique médiéval », Le Moyen Français, 29 (1991), p. 7‑20 ; G. Di Stefano, « Structure métrique et structure dramatique dans le théâtre médiéval », in The Theatre in the Middle Ages, ed. H. Braet, J. Nowé, G. Tournoy, Louvain, 1985, p. 194‑206. Encore une fois, Le Débat de l’aigle, du harenc et du lyon fait partiellement exception : la rime mnémonique figure à la moitié de chaque douzain (aabaab / bbabba), mais ne relie pas les douxains entre eux. 64 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 714‑717, 739‑741, 779, 762‑765. Sur l’attribution de l’Epitaphe de monseur de Montygny, voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 254‑255.

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crit : S’ensieult une oroison à la Vierge Marie, composee sur chanssons wulgaires d’amours (p. 89)65. G on v ille a nd C aius C ollege 187 : 220 : C e n ’explique pas pleinement

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Comme dans BnF, ms. fr. 2375, la catégorie la plus diverse et intéressante comprend les pièces dont l’Art traite la forme de manière partielle ou indirecte. Nous avons remarqué ci-dessus le statut ambigu des alexandrins à rimes plates de l’Épitaphe du duc Philippe de Bourgogne. On trouve le même schéma, qui soulève les mêmes questions, dans un Épitaphe de Philippe le Beau attribuable à l’indiciaire (p. 335‑336) et dans Complainte d’ung gentilhomme à sa dame (p. 454‑457)66. L’élément formel le plus frappant de la Complainte est pourtant son emploi soutenu de rimes équivoques, au moyen desquelles le « gentilhomme » tempête contre la dame qui lui a, croit-il, transmis la syphilis : Belle aux biaux yeux, pour qui plus de mal je comporte Que pour femme aujourd’huy qui sur terre con porte […]67.

Le poème illustre ainsi une technique que l’Art recommande pour produire des rimes riches : Pareillement doibt le facteur querir aulcuns vers composez proportions [sc. verbes composez de propositions], comme a, de, re, com, par, sus, car lesdis verbes enchaynent en riche rigme68.

La préfixation systématique rend explicite le principe sous-jacent d’équivalence optimale qui sert de fondement à l’Art. Le même prin65 Cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 468‑475. Le texte est lacunaire et l’ordre des strophes perturbe parfois l’alternation des metres : voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 230. 66  Voir H. Servant, Artistes et gens de lettres à Valenciennes à la fin du Moyen Âge (vers 1440‑1507), Paris, 1998, p. 319‑322 ; Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 729‑731. Sur l’attribution de l’Épitaphe, voir aussi A. Armstrong, « The Shaping », p. 244. 67  Gonville and Caius College 187 : 220, p. 454 ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 729, v. 1‑2. Le jeu des rimes est rehaussé par la mise en page du manuscrit. La syllabe finale de chaque couplet est transcrite en exposant ; le préfixe « com » qui la précède dans les vers impairs est représenté par la graphie cō, tandis que le mot « con » des vers pairs est représenté par l’abréviation latine 9 (voir A. Armstrong, Technique and Technology : Script, Print, and Poetics in France, 1470‑1550, Oxford, 2000, p. 36). Sur les rimes de la Complainte, voir surtout Fr. Cornilliat, « Or ne mens », p. 67‑68, 72‑74, 271‑277. 68 Gonville and Caius College 187  : 220, p. 155 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 251‑252.

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cipe est manifesté dans l’intégration du latin au français dans Letania minor (p. 1‑3) et Ung dictier joyeux (fol. 121r). Les heptasyllabes qui constituent la majeure partie de Letania minor, du moins dans cette version tronquée du texte, semblent pourtant avoir posé certains problèmes pour le copiste, qui a modifié presque la moitié de ces vers pour en faire des octosyllabes. Étant donné que l’Art ne consacre pas de discussion explicite à l’heptasyllabe et que les premiers vers de Letania minor sont octosyllabiques, on en vient à se douter que le copiste ait cru devoir corriger des octosyllabes hypométriques69. L’état d’un autre poème heptasyllabique, Les Neuf Preux de gourmandise (p. 274fol. 121r), suggère que c’est surtout la coprésence d’octosyllabes dans Letania minor, plutôt que la seule présence d’un vers peu commun, qui a motivé ces changements. Les vers des Neuf Preux, convertis en octosyllabes dans nombre d’éditions imprimées, sont résolument heptasyllabiques dans ce recueil70. L’équivalence phonémique, si insistante dans les textes franco-latins, joue également un rôle crucial dans les rimes de Petit traictiét de la harpe (p. 68‑70), surtout dans la deuxième strophe qui rime sur « ‑corder », « ‑corda », « ‑corde » et « ‑cordé ». La dimension métaphysique de l’équivalence y est d’une importance primordiale, la harpe figurant la Trinité71. Ainsi des éléments formels traités explicitement dans l’Art – l’emploi de mots préfixés pour enrichir la rime, le schéma des dizains décasyllabiques qui figure dans l’explication de la « ballade commune » – assument-ils une pertinence inattendue. Le discours religieux de Molinet a pour effet de motiver les rimes, de démontrer leur appartenance à un ordre universel… et, par conséquent, de rappeler aux lecteurs à quel point les préceptes de l’Art transcendent la versification française72 . 69 Noter que la séquence des signatures (A. Armstrong, « The Shaping », p. 217) suggère que les trois premiers cahiers du recueil, dont les pages où se trouve Letania minor, sont peut-être postérieurs aux cahiers où l’Art est transcrit. 70 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 536‑539. Sur la version octosyllabique, voir A. Armstrong, « Printing and Metrical Naturalisation ». 71 Voir Ph. Jeserich, Musica naturalis, p. 397. Le poème figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 439‑442. 72 Autres poèmes où la rime riche joue un rôle majeur : une version remaniée de Lettre de recommanchon (p. 10) et Domine mi reverende (p. 10‑11), qui riment tous les deux sur « ‑dé » et « ‑table » ; en plus, Domine mi reverende fait rimer mots latins et mots français. Voir ibidem, t. 2, p. 808‑809, 775‑776. Une ballade que le copiste attribue à Molinet, « O toy pecheur, que folle oultrecuidanche » (p. 91), emploie la rime enchaînée, signalée dans l’Art (p. 152 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 224‑225). Les huitains décasyllabiques de la ballade ne reflètent pourtant pas les structures décrites dans le manuel, selon lequel « doibt chascun coupplet avoir, par rigueur de examen, autant de lignes que le refrain contient de sillebes » (p. 139 ; cf. ibidem, p. 235).

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Lire les compositions de Molinet à la lumière de l’Art pose différents problèmes lorsqu’il s’agit de longues pièces à formes multiples. Surtout là où certaines formes sont traitées dans le manuel et d’autres ne le sont pas, on est obligé de réfléchir aux relations qu’échangent les formes. La Complainte sur la mort madame d’Ostrisse (p. 49‑62) consiste en grande partie de strophes familières, le huitain décasyllabique « classique » et, pour les strophes finales où l’« acteur » présente son poème et s’excuse de ses éventuels défauts, le huitain octosyllabique « bourguignon ». L’emploi de ceux-ci n’est pas trop difficile à clarifier : les associations bourguignonnes des strophes conviennent au sujet du poème, et le passage au mètre plus court correspond à un changement d’ordre ontologique, l’« acteur » quittant le domaine de l’allégorie pour se tourner vers le monde quotidien qu’habite le public de l’indiciaire. Parmi les huitains « classiques », un raffinement formel signal une autre distinction ontologique : la tirade de Noblesse, seule personnification qui parle dans le récit, est rehaussée par la batelure. Cependant, l’Art n’éclaire pas le choix de vers latins pour un dialogue entre le veuf Maximilien et la voix spectrale de sa femme décédée (passage enlevé du recueil de Cambridge, d’où il manque un feuillet à cet endroit)73. Aucune équivalence entre latin et français dans ce cas : loin d’être assimilées à la versification vulgaire, les répliques latines sont en distiques élégiaques, distinction formelle qui creuse l’écart entre les langues. Comment évaluer ce contraste ? Le latin serait-il la langue des morts, le seul moyen d’expression dont disposerait Marie de Bourgogne ? Le Temple de Mars (p. 78‑88) est, du premier abord, plus facile à gloser à l’aide de l’Art, qui en décrit les deux formes strophiques74. Mais que signifie l’alternance de ces formes, huitains décasyllabiques « classiques » avec batelure et huitains octosyllabiques « bourguignons » ? L’Art implique que ceux-là ont plus de gravité que ceux-ci, mais la distribution des mètres ne correspond pas à une distinction fonctionnelle75. En effet, l’opposition est atténuée par la présence de l’épiphonème dans les deux strophes. Les mêmes formes figurent dans Le Débat des trois nobles oiseaux (fol. 63v66r) – où, à la différence des débats traités ci-dessus, Molinet ne se

73  Voir A. Armstrong, « The Shaping », p. 227‑228. Le dialogue en latin occupe les v. 401‑448 de la Complainte. 74 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 65‑76. Sur ce poème largement diffusé, voir Fr. Cornilliat, « Or ne mens », p. 660‑675 ; J. Devaux, Jean Molinet, p. 480‑486. 75  L’alternance des dizains et huitains est brouillée dans ce manuscrit : voir A. Arm­ strong, « The Shaping », p. 229.

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sert pas de la rime mnémonique76. Le cadre narratif est en huitains décasyllabiques « classiques », sans batelure, tandis que les répliques des oiseaux sont en huitains octosyllabiques « bourguignons » : c’est en quelque sorte le contraire de la Complainte sur la mort madame d’Ostrisse, les personnages adoptant une forme moins grave que celle de l’« acteur ». La distinction ontologique se double d’un contraste formel, mais non selon la hiérarchie implicite des mètres. Le Hault Siege d’Amours (p. 294‑308), allégorie dominée par deux tirades d’un Amant et un débat entre celui-ci et Espoir, fait preuve d’une diversité formelle déconcertante. Le cadre prononcé par l’« acteur » est en huitains décasyllabiques « classiques », sans batelure au début mais avec batelure à la fin ; la première tirade de l’Amant est en huitains octosyllabiques « bourguignons », qui commencent et finissent par des incipit de chansons, suivis de dizains hétérométriques rimant 7a7a7a3a7b7a7a7a3a7b avec quelques « rimes à double queue » ; la structure du débat ressemble à celles du Débat du viel gendarme et du viel amoureux et du Débat du poisson et de la chair, c’est-à-dire des septains (heptasyllabiques en l’occurrence) rimant abaabbc et un huitain final, dont chaque strophe commence sur la rime c de la précédente ; la deuxième tirade de l’Amant est en dizains d’heptasyllabes rimant aaaabaaaab et huitains décasyllabiques « classiques » avec batelure ; et un bref discours d’Amours est un « double fatras »77. L’existence de l’Art encourage une lecture qui chercherait à justifier chaque forme par rapport aux gloses que propose le manuel ou, à défaut, par des parallèles ou contrastes avec les gloses les plus proches. Les explications pertinentes sont pourtant trop peu nombreuses, et trop sujettes à la variation locale (notamment dans le cas des incipit de chansons), pour qu’une telle approche puisse réussir. Qui plus est, l’Art s’avère parfois d’une inutilité frappante : l’affirmation selon laquelle les fatras seraient « convenables en matieres joieuses » est carrément démentie par son emploi dans le Hault Siege, où Amours, assiégé par l’Amant, implore l’aide de ses demoiselles78. Il faut recourir aux compositions de Molinet, plutôt qu’à son manuel, pour élucider certaines strophes, par exemple les septains à 76 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 649‑655. Voir aussi J. Devaux, Jean Molinet, p. 310‑312. 77 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 569‑583. Sur la façon dont l’Art de Molinet expose les « rimes à double queue » et le « double fatras », voir Gonville and Caius College 187 : 220, p. 152‑153, 137‑138 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 225, 234‑235. 78  Gonville and Caius College 187 : 220, p. 137 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 234. Sur le décalage entre la théorie et la pratique du fatras chez Molinet, voir P. Uhl, « Les Fatras ‘entés’ de Jean Molinet : l’aboutissement du ‘processus de rectification’ et la poésie

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rime mnémonique. Mais, face à cette gamme formelle si étendue, on se demande si la signification attestée de telle ou telle strophe donnée ne fait pas que brouiller les pistes. La profusion des formes a peut-être sa propre justification, selon un principe de varietas tel qu’Anne Schoysman a pu l’identifier chez Jean Lemaire de Belges79. Les prosimètres de l’indiciaire, comme La Ressource du petit peuple l’a déjà illustré, témoignent de la complexité des interactions entre prose et formes strophiques, dont les explications de l’Art n’épuisent pas la richesse signifiante. Nous avons démontré ailleurs combien les sections versifiées du Trosne d’Honneur (fol. 66v-76v) et de l’Arbre de Bourgonne (fol. 76v-86r) dépassent les préceptes du manuel grâce à leur caractère novateur, leur distribution dans le récit, ou leurs résonances intertextuelles80. Il en est de même du Naufrage de la pucelle (fol. 87vp. 240), allégorie qui raconte les difficultés qu’éprouva Marie de Bourgogne après Nancy81. Comme dans la plupart des autres prosimètres de Molinet, la première section en vers est consacrée à l’articulation d’une crise – il s’agit ici d’une plainte que prononce la Pucelle – en huitains décasyllabiques « classiques » avec batelure82 . Les dernières strophes du Naufrage ne sont guère moins familières dans ce contexte narratif : l’« acteur » clôt le récit en huitains octosyllabiques du type traditionnel, rimant ababbcbc, comme dans La Ressource du petit peuple et Le Chappellet des dames83. Mais les huitains décasyllabiques « classiques », toujours avec batelure, font une deuxième apparition dans la bouche de Communauté, représentation du peuple des Pays-Bas bourguignons, qui vitupère contre l’égoïsme de Noblesse Debilitée. Unique dans les prosimètres de Molinet, la récurrence exacte d’une forme strophique du non-sens », dans Jean Molinet et son temps, éd. J. Devaux, E. Doudet, E. LecuppreDesjardin, p. 249‑261 (p. 260‑261). 79 A. Schoysman, «  Prosimètre et varietas chez Jean Lemaire de Belges », dans Le Prosimètre à la Renaissance, Paris, 2005, p. 111‑124. 80 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 36‑58, 232‑250. Voir A. Armstrong, « The Manuscript Reception of Jean Molinet’s Trosne d’Honneur », Medium Ævum, 74 (2005), p. 311‑328 ; A. Armstrong, « Prosimètre et savoir », dans Le Prosimètre, p. 125‑ 142 (p. 130‑134). 81 Voir Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 77‑99. Sur ce texte, voir surtout J. Devaux, Jean Molinet, p. 313‑317, 351‑364, 399‑406. 82 Voir Cl. Thiry, « Au Carrefour des deux rhétoriques : les prosimètres de Jean Molinet », dans Du mot au texte : actes du III e colloque international sur le moyen français (Düsseldorf, 17‑19 septembre 1980), éd. P. Wunderli, Tubingue, 1982, p. 213‑227 (p. 216‑217). 83  Ce dernier prosimètre, absent du recueil de Cambridge, figure dans Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 100‑126.

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exige d’être expliquée ; et ce n’est pas l’Art qui en fournit l’explication, mais le discours idéologique du Naufrage. Le réemploi des huitains a pour effet d’aligner Communauté sur sa princesse, la Pucelle, et par conséquent de démontrer sur un plan formel que le peuple est plus proprement bourguignon que certains secteurs de l’aristocratie, tentés par les avances de Louis XI. En outre, la récurrence fait du huitain « classique » la seule strophe employée par les personnifications bourguignonnes : Noblesse Debilitée et le troisième compagnon de la Pucelle, Cœur Leal, ne s’expriment qu’en prose. Solidarité qui souligne l’altérité du chant des sirènes, figures de la propagande française, qui séduit Noblesse Debilitée. Le chant passe rapidement d’une forme à l’autre : d’un huitain décasyllabique ababbcbc à des « rondeaulx jumeaulx » ; ensuite à deux paires de strophes décasyllabiques rimant abaaa bbbaba, dont quelques hémistiches sont répétés ; et, enfin, à une séquence de pentasyllabes sur deux rimes à refrains sporadiques84. Seuls les « rondeaulx jumeaulx » sont traités explicitement par l’Art ; en effet, l’écart entre théorie et pratique est producteur de sens. Ce qui compte ici, c’est précisément la qualité partiellement insolite des vers, ainsi que leur instabilité (succession des formes, récurrence irrégulière de vers et d’hémistiches). Miroitement de mètres et de mots qui traduit à la fois la surface fascinante et le fond trompeur du chant85. Reste à signaler dans le recueil de Cambridge quelques courtes pièces ludiques, telles des huitains octosyllabiques que les lecteurs peuvent transformer en strophes décasyllabiques, en répétant certaines syllabes suivant les instructions fournies en rubrique : Canon. Doublez le tierch et le VIIIe ; vous arez IIIIe et Xe. Molinet sans bruict ne sans non ; Il a son et, comme tu voidz. Son doulz plet mieulz que ne faict ton  ; Ton vif art plus cler que charbon bon [sic]. Tes tranchans perchent ses paroix  ; D’entregent ont nobles Franchoys . 84  Ibidem, t. 1, p. 90‑92. Pour l’explication des « rondeaulx jumeaulx » que fournit l’Art de Molinet, voir Gonville and Caius College 187 : 220, p. 154‑155 ; cf. Recueil, éd. E. Langlois, p. 228‑229. Dans le manuscrit de Cambridge, la mise en page du chant des sirènes (fol. 231r-233r) simplifie quelques formes. Les « rondeaulx jumeaulx », en tétrasyllabes et octosyllabes, sont disposés comme un rondeau isométrique en octosyllabes ; les paires de cinquains et sizains sont transcrits comme un seul bloc de décasyllabes. La diversité formelle du chant demeure toutefois patente. 85  Sur les sirènes, voir Fr. Cornilliat, « Prosimètre et persuasion chez Jean Molinet, ou l’art de consoler à demi », dans Le Prosimètre, p. 51‑74 (p. 71‑72).

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a dr i a n a r mst rong

Se ne doibz bouter en son let , Car souvent vient au molinet 86.

Selon le procédé de répétition exigé des lecteurs, l’expansion des vers produit des « rimes à double queue » et/ou des rimes enchaînées. Ainsi Molinet combine-t-il des formes et rimes que l’Art présente sous des rubriques distinctes, comme pour brouiller la typologie proposée dans son manuel. Dans d’autres opuscules la versification est en grande partie familière à ceux qui connaissent la poésie de l’époque, mais une technique singulière constitue l’aspect formel le plus frappant. Les alexandrins à rimes plates de Response à ung rebus (p. 245) commencent et terminent par des chiffres : la première lettre de chaque vers est représentée au niveau pictural par un chiffre arabe (« 1 » équivaut à « J », « 6 » à « G », etc.), tandis que les rimes sont représentées au niveau phonémique par des chiffres romains (il faut prononcer « I » comme « un », « II » comme « deux », etc.)87. La Recommendation à Jehan de Ranchicourt est divisée en deux pour produire un échange factice de douzains décasyllabiques à rimes plates (p. 347) : les notes de l’hexacorde fournissent les rimes de la première strophe et les débuts de vers de la deuxième88. L’intérêt de ces pièces par rapport à l’Art réside dans leur incongruité : d’une part, le manuel associe les distiques à la facilité ; d’autre part, la virtuosité tape-à-l’œil des schémas numériques et musicaux évite toute codification. En

guise de conclusion

Dans les deux recueils, la lecture de l’Art de rhétorique en co-texte des œuvres de Molinet révèle à quel point la poésie de l’indiciaire dépasse les affirmations du manuel. À côté des pièces dont l’Art élucide la forme, et celles dont il la tait, se trouvent de fort nombreux poèmes sur lesquels le manuel jette un jour intéressant tout en révélant ses propres limites. L’écart entre théorie et pratique est surtout évident à la lecture de longues compositions à formes multiples, telles les prosimètres, l’Art se contentant de commenter des techniques en isolation. Faudraitil donc voir dans le manuel un ouvrage à courte portée, ouvrage d’un maître artisan qui ne veut pas révéler de secrets de fabrication ? Tout 86  Gonville and Caius College 187 : 220, p. 308 ; cf. Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 2, p. 838, v. 1‑8. Des huitains semblables figurent à la même page du manuscrit et à la p. 348 ; cf. ibidem, t. 2, p. 838‑839, v. 9‑16 ; p. 849. 87 Cf. ibidem, t. 2, p. 780. 88 Cf. ibidem, t. 2, p. 804‑805. Sur le remaniement dans ce manuscrit, voir A. Arm­ strong, « The Shaping », p. 245.

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en admettant cette possibilité, nous sommes enclin à y voir plutôt une relation dialectique entre le traité et la poésie, relation facile à concrétiser à la lecture des manuscrits étudiés mais dont on pourrait avancer qu’elle caractérise le fonctionnement des arts de seconde rhétorique en général. La complexité d’un poème nous encourage à chercher un principe dans l’Art qui l’expliquerait ; que l’Art s’avère insuffisant à cette fin (comme d’habitude) ou non, la tentative d’établir une relation cotextuelle fait ressortir les implications du manuel avec plus de profondeur et de nuance. En définitive, c’est donc la pratique de Molinet qui fait théoriser ses lecteurs89. BIBLIOGRAPHIE Textes Molinet   J., Les Faictz et dictz, éd. N. Dupire, Paris, 1936‑1939. —, Les Pronostications joyeuses, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Genève, 1998. Recueil d’arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois, Paris, 1902. Études critiques A r mstrong , A., « The Shaping of Knowledge in an Anthology of Jean Molinet’s Poetry : Cambridge, Gonville and Caius College 187:220 », Revue d’Histoire des Textes, nouvelle série, 4 (2009), p. 215‑275. A r mstrong , A. et S. K ay, Knowing Poetry : Verse in Medieval France from the Rose to the Rhétoriqueurs, Ithaca, 2011. C or nilli at, Fr., « Or ne mens » : Couleurs de l’éloge et du blâme chez les « Grands Rhétoriqueurs », Paris, 1994. D evaux , J., Jean Molinet, indiciaire bourguignon, Paris, 1996. D upir e , N., Étude critique des manuscrits et éditions des poésies de Jean Molinet, Paris, 1932. Jeser ich , Ph., Musica naturalis : Tradition und Kontinuität spekulativmetaphysischer Musiktheorie in der Poetik des französischen Spätmittelalters, Stuttgart, 2008. Thiry, Cl., « Prospections et prospectives sur la Rhétorique seconde », Le Moyen Français, 46‑47 (2000), p. 541‑562. 89  La présente étude a été rédigée dans le cadre d’un projet collectif, « Transcultural Critical Editing : Vernacular Poetry in the Burgundian Netherlands, 1450‑1530 », subventionné par l’Arts and Humanities Research Council (AHRC).

Jean-Charles Monfer r an

DE L’ANTHOLOGIE ET DE L’ART POÉTIQUE FR ANÇAIS À LA RENAISSANCE Je voudr ais pr éciser d’emblée que je ne traiterai pas dans cette contribution de deux sujets qui, d’une certaine manière, sont très proches de celui annoncé. Une première optique aurait consisté à regarder comment celui qui rédige un art poétique à la Renaissance a presque toujours en ligne de mire sa propre pratique poétique : l’art poétique constitue en effet presque à tous coups la préface, la postface ou le commentaire plus ou moins distant d’une œuvre poétique personnelle, laquelle peut suivre le traité ou l’intégrer par manière de fleurs, d’extraits ou de références. C’est du moins le cas en France où l’art poétique en langue vulgaire est écrit pour l’essentiel par des poètes, non par des polygraphes ou des érudits. Ayant déjà eu l’occasion d’aborder ce lien de la théorie et de la production personnelle1, j’ai préféré plutôt m’intéresser ici à la manière dont les poéticiens s’appliquent à lire et à collecter d’autres œuvres que les leurs. À cet égard, et c’est là le second sujet que j’écarterai en partie, je ne m’intéresserai pas ici directement à la manière dont l’art poétique, par le choix de ses exemples ou de ses illustrations, oriente l’institution littéraire, en créant un canon ou un palmarès des poètes et de leurs productions. De façon plus étroite, je souhaiterais m’intéresser aux relations, encore peu étudiées, qui s’élaborent au cours du x v i e siècle entre l’art poétique français et les anthologies de poésie en langue vulgaire. Dans un premier temps, je regarderai comment a pu se nouer parfois leur destin éditorial (et pourquoi). Dans un second moment, je voudrais, à partir de l’exemple de Sébillet, montrer comment certains poéticiens utilisent la lecture des recueils collectifs de leur temps, et proposer une réflexion sur ce que ces usages nous apprennent de l’art poétique renaissant.

1 J.-C. Monferran, L’École des Muses, Les arts poétiques français à la Renaissance (1548‑1610), Genève, 2011, p. 193 sq. (« Théorie et pratique : l’art poétique et son double »)

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D estins

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croisés

Deux des grandes poétiques françaises du x v i e siècle ont en effet été diffusées avec à leur suite des recueils collectifs de poésies2 . C’est le cas de L’Instructif de seconde rhétorique qui ouvre une anthologie de six cent soixante-douze poèmes, « la première de toutes les anthologies imprimées », le Jardin de Plaisance et fleur de Rethoricque3 : l’ensemble est publié chez Antoine Vérard en 1501 et connaîtra un succès considérable pendant près de trente ans (sept éditions parisiennes ou lyonnaise en plus de l’édition princeps, qui s’échelonnent du tout début du x v i e siècle jusqu’à la fin des années 1520). C’est aussi le cas de l’Art poétique françois de Thomas Sébillet, plusieurs fois réédité au cours du siècle : d’abord publié seul à Paris en 1548 (chez Gilles Corrozet ou Arnoul L’Angelier), il est réimprimé dès 1551 à Lyon chez Jean Temporal, avec à sa suite le Quintil Horatian, mais aussi, dans certains exemplaires conservés, le Recueil de Poesie Françoise, prinse de plusieurs poëtes les plus excellentz de ce regne4. En 1555, lors d’une nouvelle réédition, parisienne, chez la veuve de François Regnault, est inséré à la suite de l’Art poétique Françoys et du Quintil Horatian, comme l’indique cette fois la page de titre, « un recueil de Poësie Françoyse, pour plus facilement entendre ledict art » : cette édition joint donc systématiquement aux textes doctrinaux le même Recueil de Poesie Françoise, prinse de plusieurs poëtes les plus excellentz de ce regne qu’elle fait toutefois précéder d’une nouvelle anthologie, de taille modeste, le Recueil de plusieurs poésies joyeuses pour recréer le lisant5. À partir de 1556, les rééditions de Sébillet se passeront en revanche des recueils poétiques pour privilégier un autre type de livraison6. 2  Je reprends ici le titre de l’ouvrage de F. Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies du x v i  e siècle, du Jardin de plaisance (1502) aux Recueils de Toussaint Du Bray (1609), Paris, 1922, qui recense et décrit précisément l’ensemble de ces recueils. 3 Voir L’Instructif de la seconde rhetorique dans Le Jardin de plaisance et fleur de rhétorique, Paris, Antoine Vérard, s.d. [1501]. Reproduction en fac-similé (t. 1), introduction et notes par E. Droz et A. Piaget (t. 2), Paris, 1910 et 1924 [Gallica NUMM-4289]. L’expression entre guillemets vient de F. Lachèvre, Bibliographie, p. 3. 4  Ce n’est par exemple pas le cas de l’exemplaire du Fonds Rothschild 428, IV.5. 179, ni de l’exemplaire du CESR de Tours (SR/10A). Parallèlement, on trouve parfois seul Le Recueil de Poesie Françoise, prinse de plusieurs poëtes les plus excellentz de ce regne sans l’art poétique, Lyon, 1550 (Arsenal 8° BL 9907 Res). 5  Sur ce second recueil, voir F. Lachèvre, Bibliographie, p. 57. 6  Voir J.-C. Monferran, L’École des Muses, p. 87‑88 et 182‑183. On peut supposer que le recueil poétique a pu paraître assez vite daté. Proposant plutôt un échantillonnage de la poésie d’hier, il avait alors l’inconvénient de faire de l’ouvrage de Sébillet un livre sans prise sur l’actualité poétique.

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Ces deux entreprises mises en parallèle sont sans doute très différentes, dans la mesure déjà où la poétique ne constitue pas la pièce maîtresse du premier volume, au contraire du second (ainsi que l’indiquent les titres respectifs des ouvrages). Elles soulignent avant tout le rôle joué dans ces livraisons par les hommes du livre, et le poids des impératifs économiques. Jane Taylor a ainsi pu montrer que l’Instructif ne sert pas vraiment à former un poète et qu’il possède d’abord une fonction publicitaire ou promotionnelle7. En ouvrant l’anthologie par un art de seconde rhétorique, Antoine Vérard cherche à susciter à la fois une compétence et un goût pour la poésie courtoise auprès d’un public large, essentiellement bourgeois, peu familier de cette littérature. Il s’agit de « créer les conditions d’une consommation » d’une telle poésie8. La formule de Jane Taylor s’appliquerait assurément moins bien à l’ouvrage de Sébillet. Il n’empêche que les imprimeurs-libraires se servent de son succès pour mettre en valeur l’anthologie poétique et la cautionner comme, à l’inverse, ils profitent du succès des anthologies poétiques pour faire acheter les ouvrages doctrinaux. En effet, le principal recueil joint à l’Art poétique français de Sébillet n’est rien d’autre que la réimpression du Recueil de vraye Poesie Françoyse prinse de plusieurs poëtes les plus excellentz de ce regne, publié d’abord chez Denis Janot en 1543, puis chez le même éditeur en 15449, et qui connaîtra, après avoir intégré le volume de poétique réuni autour de Sébillet en 1551 et 1555, une nouvelle édition séparée en 1559 (Poesie facetieuse extraite des œuvres des plus fameux Poëtes de notre siècle, Lyon, B. Rigaud, 1559)10. Ces anthologies poétiques, qui se plaisent aux poésies récréatives, ont assurément trouvé leur public au milieu du siècle, comme en témoignent leur multiplication et le délai serré de leurs réimpressions11. 7 J. Taylor, « La Double Fonction de l’Instructif de la seconde rhétorique : une hypothèse », dans L’écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, 2006, p. 343‑351 (disponible à l’adresse http://dro.dur. ac.uk/733/1/733.pdf à la date du 17/1/2013). J. Taylor s’y interroge sur la manière dont L’Instructif aurait pu être « mis au service d’un projet strictement commercial » (p. 346). Voir aussi, du même auteur, « Mise en mélange au quinzième siècle : feuilleter le Jardin de Plaisance », Cahiers du Léopard d’Or : Le Goût du lecteur à la fin du Moyen Âge, 11 (2006), p. 47‑63. 8  J. Taylor, « La Double Fonction », p. 350. 9  Ces publications se trouvent respectivement à la Bayerische Staatbibliothek de Munich et à la bibliothèque de l’Arsenal (8°BL 9905 Rés). 10  Pour une mise au point sur les éditions et les variations de cette anthologie, voir F. Lachèvre, Bibliographie, Paris, 1922, p. 56‑57 et surtout M. Huchon, « Le Recueil de vraye Poesie Françoyse (1543) et ses avatars », Cahiers V.-L. Saulnier, 29 (2012), p. 89‑99. 11  Ou, parmi d’autres, leur utilisation par Rabelais dans le prologue du Quart Livre (éd. M. Huchon, Paris, 2005, p. 67 et 68). En effet, le dizain « Grand Tibault se voulent

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Au x v ii e siècle, on trouverait autour de Toussaint du Bray une opération commerciale à la fois analogue et plus subtile. En effet, celui-ci fait paraître en 1620 une Introduction à la poësie, court art poétique anonyme, qui utilise dans bien des cas des pièces présentées dans les anthologies poétiques qu’il a publiées précédemment, les Délices de la poésie françoise, ou recueil des plus beaux vers de ce temps12 , créant ainsi implicitement un jeu de va-et-vient, de valorisation d’un ouvrage par un autre, et de vente conjointe. Mais les impératifs économiques n’expliquent pas tout, et la réunion de la pratique poétique et de sa mise en art a évidemment d’autres fonctions, quand bien même les pièces du Jardin de plaisance ou du Recueil de Poesie Françoise prinse de plusieurs poëtes les plus excellentz de ce regne ne constituent pas toujours, loin s’en faut, les illustrations les plus heureuses ou les plus fidèles des préceptes livrés par L’Instructif ou par Sébillet. Peu importe, au fond, l’ensemble des hiatus qu’on pourrait être amené à relever entre la règle et l’exemplier (la présence dans le recueil de genres non répertoriés par Sébillet comme la « généalogie » ou le « compte nouveau », ou au contraire l’absence dans le cahier d’exercices d’un genre abondamment traité par l’art poétique, comme le sonnet), l’essentiel n’étant pas là13. Ce que souligne avant tout la confrontation de la leçon et du cahier d’exercices (même quand ce dernier est réalisé par un élève étourdi ou désobéissant), c’est d’abord bien sûr le lien indissociable de la « Teorique » et de « la Prattique », ces « deux sœurs si gemelles » dont aime à parler Jacques Peletier, qui « ont une conspiration si amiable ensemble : que l’absence de cette-ci rend cellelà sans profit, et l’absence de celle-là cette-ci sans raison »14. Toutefois, coucher / Avecques sa femme nouvelle » constitue une variation à partir d’une pièce qui se trouve dans Le Recueil de vraye Poesie Françoyse (« Un mary se voulant coucher ») comme dans toutes ses rééditions, de même que l’autre pièce citée par Rabelais (« S’il est ainsi que coignée sans manche / Ne sert de rien ») provient de La Fleur de poesie française, Paris, 1543. 12  Voir quelques éléments dans L’École des Muses, p. 298‑299. 13  Ces distorsions sont d’autant plus compréhensibles que, dans le cas de Sébillet, il est à peu près assuré que l’auteur de l’art poétique n’est pour rien dans la compilation de l’anthologie, comme sans doute dans son insertion à la suite du traité. Il est plus difficile de se prononcer sur le cas de « l’Infortuné », auteur de l’Instructif et dont rien ne nous dit qu’il ait été (ou non, ou en partie) le compilateur du Jardin de Plaisance. Voir à ce sujet la mise au point de J. Taylor, « La Double Fonction », p. 345. Pour une belle analyse qui va au contraire dans le sens d’une cohérence forte du traité inaugural et du Jardin de Plaisance, voir E. Buron, « De la théorie de l’Instructif à la pratique du Jardin de Plaisance », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 21 (2011), p. 205‑222, spécialement p. 219‑222. 14  Jacques Peletier, « Proeme sur le second livre », L’ Algèbre, Lyon, 1554, p. 120 (orthographe modernisée).

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cette solidarité étroite des deux sœurs vaut d’autant plus quand cellesci choisissent la langue vulgaire. Au fond, ce que disent ces livraisons, c’est la capacité qu’a désormais la poésie vernaculaire à s’organiser en art et à proposer des modèles qui soient contemporains, l’anthologie constituant l’aboutissement nécessaire de l’art poétique vernaculaire et de sa défense linguistique. Pas de théorie, donc, sans pratique ; en tout cas, pas d’art de poésie française sans son appendice. Aussi, quand le traité doctrinal ne recourra pas aux exemples ou aux citations, ou ne sera pas suivi d’une anthologie, il sera en quelque sorte complété, dans le cas de la Deffence, par le recueil poétique du printemps 1549, constitué notamment de l’Olive et des Vers lyriques, et dans le cas de l’Art poétique de Peletier, accompagné des Opuscules du Manceau. Il n’est pas sûr qu’on puisse observer les mêmes pratiques dans l’édition des arts poétiques néo-latins, en grande partie étrangers à ce militantisme linguistique et à cette volonté de reconnaissance : ont-ils pu être euxmêmes édités avec des florilèges ou avec divers types de cahiers d’exercice15 ? À bien y regarder, un certain nombre d’anthologies françaises de poésie répètent les arts poétiques, en circonscrivant à leur manière le champ des lettres françaises. Elles prônent l’expression poétique (et une expression collective) en langue vernaculaire, mettent en place un canon des poètes français, et sélectionnent certaines de leurs œuvres (la tendance qu’elles ont en outre à s’inspirer les unes des autres accentue de fait la mise en avant de certains textes) ; elles servent, enfin, pour certaines, à un premier travail de catalogage ou parfois d’étiquetage des productions vulgaires. Contrairement au Jardin de Plaisance, dont le titre rappelle un cadre, spatial et narratif, comme le lien de la poésie et du plaisir, les anthologies ultérieures mettent en effet souvent l’accent sur la promotion de la poésie en langue vulgaire, ainsi des Fleurs de Poesie françoyse (Paris, Galiot du Pré, 1534) ou de La Fleur de poesie françoyse (Paris, Lotrian, 15  Je n’ai pas mené de recherches en ce sens. L’Art poétique de Vida ouvre en 1527 un volume des poésies de ce dernier (Rome, apud Ludovicum Vincentum, 1527). Aline Smeesters me signale que les Poeticarum Institutionum Libri Tres de Jacobus Pontanus (Ingolstadt, 1594) sont suivis d’un « Tyrocinium Poeticum » de Pontanus lui-même. Sur la réception anthologique de la poésie néo-latine, souvent méconnue, voir l’article très utile de John Sparrow, « Renaissance Latin Poetry : Some Sixteenth-Century Italian Anthologies », in Cultural Aspects of the Italian Renaissance. Essays in Honour of P. O. Kristeller, ed. C. H. Clough, Manchester, New-York, 1976, p. 386‑405 ainsi que L. Forster, « On Petrarchism in Latin and the Role of Anthologies », in Acta Conventus Neo-Latini Lovaniensis, Leuven, München, 1973, p. 235‑244. Merci à Aline Smeesters de m’avoir signalé ces parutions.

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1543), du Recueil de vraye poesie françoise, déjà évoqué, mais aussi des Traductions de latin en françois (Paris, Groulleau, 1550), ou bien encore des Muses françaises ralliées de diverses pars (Paris, M. Guillemot, 1599). Dans leur grande majorité, ces anthologies optent pour une production délibérément monolingue, où le latin n’a aucun droit de cité. Par ailleurs, quand bien même elles reposent pendant longtemps sur un régime d’anonymat, celui-ci peut avoir tendance à se fissurer, faisant apparaître les noms les plus saillants (parfois aux places les plus saillantes) : ainsi du Recueil de vraye Poesie françoyse qui s’ouvre sur le nom de Clément Marot, seul poète à être renommé par la suite, mais qui distingue aussi Antoine Macault, Des Essarts, Charles de Sainte Marthe et le Cardinal de Tournon. Au cours du siècle, et parallèlement à l’assignation de plus en plus courante du livre au nom de son auteur, les poèmes ou extraits seront également référés à leur auteur, comme dans le Parnasse des poètes françois (Paris, G. Corrozet, 1571 [Gallica NUMM-70725]), ou bien encore Le Parnasse des plus excellens poètes de ce temps (Paris, M. Guillemot, 1607 [Ars 8° B 9912])16. Enfin, le parcours à vocation narrative du Jardin de Plaisance peut laisser parfois place à des classements plus nettement génériques : ainsi de La fleur de poesie francoyse (Paris, Lotrian, 1543), déjà évoquée, dont le sous-titre rappelle qu’il s’agit d’un recueil joyeulx contenant plusieurs huictains, dixains, quatrains, chansons et aultres dictez de diverses matieres mis en nottes musicalles par plusieurs autheurs et reduictz en ce petit livre et qui organise en effet son parcours en distinguant les formes employées, du huitain au rondeau, mais qui, plus discrètement, ordonne les pièces selon des variations tonales, proposant des séquences en général non mêlées de poésies courtoises puis de poésies paillardes et suscitant parfois

16 Corrozet a choisi un agencement qui fait se succéder, suivant un ordre alphabétique, des vers illustrant tel ou tel lieu commun (Aage doré / Ame bien heureuse / Ame image de Dieu / Ame vient du Ciel, etc.) ; mais chaque citation (de taille variable) est référée à son auteur comme à l’œuvre dont elle est issue. À la suite de la préface de Corrozet est enfin ajoutée la liste des « noms des poetes desquelz ont esté recueillies les sentences de ce livre ». Le Parnasse des plus excellens poetes de ce temps ou Muses francoises r’alliées de diverses pars, réuni par D’Espinelle, et paru chez M. Guillemot en 1607 propose un parcours plus libre où la grande majorité des pièces sont attribuées. Il semble que ce soit Toussaint du Bray qui, pour la première fois, classe les textes recueillis par noms d’auteur dans son Nouveau Recueil des plus beaux vers de ce temps (1609) : les trois premières sections de l’ouvrage sont ainsi consacrées à Du Perron (p. 1‑63), Bertaut (p. 65‑164) et Malherbe (p. 165‑212). Dans son épître aux lecteurs, sans s’expliquer sur le réaménagement de son classement, il tient toutefois à souligner qu’« il n’y a rien icy qui soit sans adveu et sans le nom de son Autheur, comme il advient ordinairement en ces ramas que l’on fait de diverses poësies » (p. 5‑6).

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des regroupements thématiques17. Enfin, le compilateur de l’anthologie est souvent amené à désigner la pièce sous un titre ou une catégorie générique, étiquetage qui peut parfois lui sembler propre. Les tables et les index qui se multiplient à la fin du siècle permettent selon les cas de faire plus clairement apparaître ces classifications génériques. On ne s’étonnera donc pas de voir certains poéticiens français s’intéresser d’assez près à ces anthologies où ils pouvaient puiser des textes contemporains comme certains éléments de taxinomie. Dans le cadre imparti, je ne m’intéresserai qu’au cas de l’Art poetique françois de Thomas Sébillet, même si une enquête analogue pourrait être menée notamment à partir de l’Académie de l’Art poétique de Pierre de Deimier18. S ébillet,

lecteur d ’a nthologies poétiques

Commençons par une analyse de détail, seule susceptible d’accréditer notre propos. Dans son dixième chapitre consacré au « Blason, et à la définition et description », Sébillet cite, au titre de la définition, une longue pièce de Saint-Gelais, « Qu’est-ce qu’Amour ? est-ce une Deité ?19 ». Toutefois, le fait que Sébillet ne nomme pas l’auteur de la pièce laisse supposer que le poéticien ignore qu’il s’agit là d’un texte de Saint-Gelais. Ce n’est donc sans doute pas dans les Œuvres de ce dernier publiées à Lyon en 1547 qu’il va chercher ce poème, d’autant que, dans ce recueil, ledit poème a pour titre « Description d’amour » ! Aussi est-ce dans les Fleurs de Poesie Françoyse parues chez Galiot du Pré en 1534 que Sébillet trouve son exemple : dans cette anthologie, la pièce, anonyme, apparaît sous le titre « Ung autre Autheur diffinit Amour »20. De plus, l’examen comparatif des différents états du poème ne laisse subsister aucun doute : Sébillet respecte scrupuleusement le 17  Ainsi, dans la suite des huitains, le lecteur peut lire cinq pièces consécutives liées par le motif de l’œil (Cvr°-Cvir°). Sur les effets de composition dans ces recueils, voir N. Dauvois, « Formes lyriques et sociabilité de cour. L’exemple des recueils poétiques », Cahiers V.-L. Saulnier 29 (2012), p. 121‑136. 18  Une enquête sur l’Académie de Deimier montrerait sans doute que celui-ci utilise abondamment les anthologies dont il peut disposer au début du xvii e siècle. Il est en tout cas assuré que, s’il ne se sert pas de L’Académie des modernes poetes françois (Paris, 1599), il a sous la main le second tome du Parnasse des plus excellens poetes (Paris, 1607). Voir, sur ce point, mon article, « Le Commentaire sur Desportes… de Pierre de Deimier », dans Philippe Desportes (1546‑1606). Un poète presque parfait entre Renaissance et Classicisme, éd. J. Balsamo, Paris, 2000, p. 397‑398. 19  [Thomas Sébillet], Art poétique françoys [1548], Paris, éd. F. Gaiffe, 1910, II, X, p. 171. 20 Voir Les Fleurs de Poesie Françoyse. Hecatomphile, éd. G. Defaux, Paris, STFM, 2002, p. 42‑44.

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texte de l’anthologie, légèrement différent de celui des Œuvres de 1547, comme des divers manuscrits conservés et recensés par Donald Stone21. Particulièrement attentif à la prosodie, Sébillet s’écarte à une reprise de sa copie d’origine pour rectifier de façon pertinente un vers qui déroge au système des rimes tierces ici mises en place22 . Par ailleurs, dans les Fleurs de Poesie Françoyse, la pièce en question fonctionne avec la précédente (« Iceluy disciple commence à descrire Amour par ce Dialogue »23). Cette description d’amour, que l’on peut attribuer à Victor Brodeau, est en fait la traduction d’une épigramme de Marulle (« Quis puer hic ? Veneris »). Or, Sébillet, pour illustrer le genre de la description dans son chapitre, va justement choisir la même pièce de Marulle, mais en en proposant une nouvelle traduction. C’est donc bien à partir de le lecture de ce recueil anthologique que Sébillet élabore sa distinction entre la « définition » et la « description » et l’illustre avec l’amour. Il reprend les deux textes, tout en inversant logiquement leur ordre (il fait passer la définition avant la description) et se plaît possiblement à composer sa propre variation autour de l’épigramme de Marulle24. Enfin, quand l’on sait qu’à partir de 1536, ces Fleurs de Poesie Françoyse sont suivies des Blasons du corps femenin25, on comprend 21  Voir le poème et ses variantes dans Mellin de Saint-Gelais, Œuvres poétiques françaises, éd. D. Stone Jr., Paris, STFM, 1993, I, p. 8‑15. Toutefois, le relevé des variantes discriminantes entre le texte tel qu’il apparaît dans les Œuvres de 1547, p. 23‑24 et celui des Fleurs de poesie y est incomplet. On notera comme Stone la variation du vers 24 (« Quand plus prochain de la fin on le pense », O// « Quand plus prochain de sa fin on le pense » F) et du vers 47 (« Qu’on ne peult taire » O// « Qu’on veut celer » F), mais aussi la variation graphique du vers 13 (ombre O//umbre F), et surtout la variation de titre (« Description d’amour » O// « Ung autre Autheur diffinit Amour » F). Sébillet suit à chaque fois le texte de F. 22  Il s’agit du vers 30 (« Rendant au cœur inconstance infinye »), rectifié par Sébillet (« Rendant le cœur en inconstance ferme »). Le vers 27 est également corrigé à raison : « Faisant le sens gouverneur de raison » devient « Faisant les sens gouverneurs de raison ». 23 Voir Les Fleurs de Poesie Françoyse, éd. G. Defaux, p. 40‑42. 24  Rappelons que Sébillet est avant tout un traducteur. En tous les cas, cette nouvelle traduction se retrouve dans La Louange des femmes, Lyon, J. de Tournes, 1551, p. 29‑30, opuscule qu’on attribue en tout ou partie à Sébillet (voir L’École des Muses, p. 209, n. 80). Il jouxte alors un texte qui a pour titre « Definition d’Amour », et qui est une variation libre autour du texte de Saint-Gelais. Sébillet a pu lui-même trouver cette pièce néo-latine soit, comme signalé par F. Gaiffe, dans une édition de Marulle (Epigrammata et Hymni, Paris, C. Wechel, 1529, lib. I, fol. 11v-fol. 12r, « De amore »), ou bien encore dans l’anthologie de Cornarius où la pièce est donnée sous le nom de Marulle : Selecta Epigrammata graeca latine versa, ex septem Epigrammatum Graecorum libris, éd. J. Cornarius, Bâle, 1529, p. 376. 25  Voir l’exemplaire de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, R 102 895.

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que c’est l’ensemble du chapitre consacré par Sébillet au « blason », à la « définition » et à la « description » qui est redevable à la lecture de l’anthologie poétique. Que nous apprend une telle analyse ? Elle aide déjà à comprendre comment et avec quels outils travaille un auteur comme Sébillet, ce que l’annotation des éditions modernes tend régulièrement à masquer. En référant en effet chaque extrait cité par Sébillet au poète qui en est l’auteur, les éditeurs donnent une image fausse du savoir d’un poéticien, qui a bien moins de livres sur sa table (et pas les mêmes que ceux que l’on allègue). Ainsi, quand Sébillet cite par exemple un lai et un virelai d’Alain Chartier, il ne les tire pas, comme l’indique d’abord la note de Felix Gaiffe, du Livre de l’Espérance, mais les recopie (encore une fois, l’analyse des variantes ne laisse aucun doute à ce sujet) du Grand et Vray Art de pleine Rhetorique de Pierre Fabri qu’il a sous les yeux26. De même, quand il cite de nombreuses pièces de Saint-Gelais, Sébillet ne suit jamais la lettre des Œuvres de ce dernier, parues en 1547, recueil qu’il n’a sans doute alors pas eu le temps de consulter. La plupart des pièces qu’il reprend se trouvent dans les différentes éditions de la Deploration de Venus sur la mort du bel Adonis (dont la première édition date de 1545) ou, pour certaines, dans La Fleur de poesie française (1543). Quand il cite encore, pour clore son chapitre sur l’énigme, la longue pièce « Trois compagnons de Basle bien en ordre », il ne la reprend pas des Œuvres de Bonaventure des Periers (Lyon, Jean de Tournes, 1544), qu’il connaît pourtant par ailleurs27 : Sébillet ne donne en effet pas le nom de Bonaventure. Le texte qu’il suit n’est pas exactement celui des Œuvres, où il apparaît en outre sous le titre de « Prophétie ». C’est plutôt là encore dans une anthologie qu’il trouve son exemple : le texte apparaît de façon anonyme sous le titre d’ « Autre enigme » dans le Recueil de vraye Poesie Françoyse prinse de plusieurs 26 Sébillet, Art poétique françoys, II, XIII, p. 181 (Lay, « Trop est chose avanturée ») et p. 183 (Virelay, « Qui pourroit descrire »). Voir les mêmes textes dans P. Fabri, le Grand et Vray Art de pleine Rhetorique, éd. A. Héron, Rouen, 1889‑1890 (Slatkine Reprints, 1969), II, p. 52‑53 et 58‑59. Les références à Fabri n’ont pas échappé à la vigilance, rarement mise en défaut, de F. Gaiffe, mais ce dernier n’arrive pas à concevoir que Sébillet tire ces textes directement de Fabri, comme en témoigne sa note 2 p. 183 sur le virelai : « Cet exemple, déjà cité par Fabri est également tiré du Livre de l’Espérance (et Gaiffe de signaler les variantes). Dans les Œuvres d’Alain Chartier, il n’est pas intitulé virelai ». Cette appellation, Sébillet la tire bien évidemment de Fabri. L’annotation de Francis Goyet (in Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, 1990, p. 179, n. 232 et 234) est ici beaucoup plus claire. 27 Sébillet, APF, II, XV, p. 193 (éd. F. Goyet, p. 148) : « tu liras aus œuvres de Bonaventure dés Périers la Satyre d’Horace qui commence, Qui fit, Moecenas, ut nemo quam sibi sortem, etc. tournée en vers de huit syllabes non riméz ».

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poëtes les plus excellentz de ce regne (1544). Toutefois, il semble que ce ne soit pas exactement ce texte non plus qu’ait suivi Sébillet. Comme on le voit, l’enquête amorcée ici trouve ses limites, tant il est vrai qu’il est difficile d’élaborer cette « annotation génétique », au vu déjà du nombre des éditions de recueils collectifs et de leur éparpillement dans les bibliothèques. Au vu aussi de l’enquête qu’il faudrait parallèlement mener sur les recueils manuscrits qu’a évidemment pu consulter Sébillet, ou sur sa connaissance des anthologies musicales28. Quoique pour la plupart imparfaites et insatisfaisantes, ces analyses ne font pas que nous renseigner sur la fabrique du poéticien : elles peuvent aussi nous permettre de préciser certaines idées touchant à l’anthologie poétique, comme à l’art poétique. Elles rappellent en effet à quel point le recueil collectif permet de faire sentir une diversité, mais aussi souvent de faire émerger des nouveautés (et ce sera peut-être encore plus vrai à la fin du siècle)29. C’est bien le cas avec les genres du blason, de la définition et de la description poétiques, qui semblent s’épanouir à la fin des années 1530 et dans les années 1540, sans doute aussi de l’énigme. Sébillet s’en fait le témoin. Parlant de la définition et de la description, il signale que « ces deux sortes de Pöémes sont trouvées de nouveau, et encore peu usitées, toutesfois élégantes », et il rappelle que « l’énigme est aujourd’hui fort receu »30. C’est dire que contrairement à une idée reçue encore fort répandue, l’art poétique n’est pas à tous coups un ouvrage normatif, cherchant à définir des lois et à faire respecter des principes. Plutôt qu’édicter des règles, le poéticien peut chercher d’abord souvent simplement à enregistrer et à 28 Ainsi, comme le signale F. Gaiffe, p. 56, deux vers anonymes cités par Sébillet, « M’amie un jour le dieu Mars desarma. Comme il dormoit soubs la verte ramee » (éd. F. Goyet, 74) sont mis en musique par Certon (puis par Gardane) et se retrouvent dans le Douzieme livre contenant XXX chansons nouvelles, Paris, 1543. 29  Voir Marie-Madeleine Fragonard, dans Histoire de la France littéraire, éd. F. Lestringant et M. Zink, Paris, 2006, p. 796 : « La poésie s’épanouit, invente, se libère, nargue au fond ses premiers catalogueurs. On parierait que le rôle des anthologies est plus actif, éduque plus, donne plus l’appétit de la diversité : à la fin du siècle, tout le modernisme passe par elles. Mais du Jardin de Plaisance et fleurs de rhétorique de 1501 et de l’anthologie italienne de Giolito (1547) qui fait connaître les néo-pétrarquistes aux anthologies successives de la poésie ‘moderne’ à la fin du siècle, Académie des modernes poètes françois (1599), Muses ralliées (1603), Parnasse des plus excellens poètes de son temps (1607) où paraissent Sponde, Du Perron, Bertaud, Laugier de Porchères ou aux collections théâtrales éditées par Raphaël du Petit Val, ces ‘bouquets poétiques’ en échantillons accélèrent le sentiment d’une vraie diversité, interne aux recueils selon les principes antiques, mais aussi constitutive d’une écriture contemporaine ». 30  APF, II, X, p. 170‑171 et II, XI, p. 175 (éd. Goyet, p. 136 et 139). Ainsi, Le Recueil de vraye poésie française (1544) propose deux « Enigmes », mais aussi une « Description des graces et beaultez recueillies par un amant » suivie d’un « Blason des cheveux ».

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consigner la pratique poétique de son temps et à recueillir les nouvelles fleurs de poésie. Ici, ces dernières lui donnent même l’occasion d’un regroupement typologique spécifique. Le cas de Sébillet reste toutefois sans doute singulier, tant ce dernier est particulièrement sensible à l’histoire de la poésie et de ses formes, au fait surtout que son ouvrage, pour être un conservatoire, doit aussi se tenir au plus près des inventions du moment. Art poétique anthologique, l’ouvrage de Sébillet est d’abord et avant tout le travail d’un fureteur comme d’un vrai lecteur et d’un réel amateur de poésie contemporaine. BIBLIOGRAPHIE L’Instructif de la seconde rhetorique dans Le Jardin de plaisance et fleur de rhétorique, Paris, s.d. [1501]. Les Fleurs de Poesie Françoyse. Hecatomphile (Paris, Galiot du Pré, 1534), éd. G. Defaux, Paris, STFM, 2002. Recueil de vraye Poesie Françoyse prinse de plusieurs poëtes les plus excellentz de ce regne, Paris, 1543. [S ébillet, T.], Art poétique françoys (Paris, G. Corrozet ou A. L’Angelier, 1548), éd. F. Gaiffe, Paris, 1910 et éd. F. Goyet dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, 1990. L achèv r e , F., Bibliographie des recueils collectifs de poésies du xvi  e  siècle, du Jardin de plaisance (1502) aux Recueils de Toussaint Du Bray (1609), Paris, 1922. Monfer r a n , J.‑C., L’École des Muses, Les arts poétiques français à la Renaissance (1548‑1610), Genève, 2011. Tay lor , J., « La Double Fonction de l’Instructif de la seconde rhétorique : une hypothèse », dans L’écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck et C. Van Hoorebeeck, 2006, p. 343‑351.

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LA POÉSIE AVANT LA POÉTIQUE ENJEUX D’UNE ANTÉCÉDENCE CHEZ JACQUES PELETIER DU MANS e ET QUELQUES AUTEURS DU XVI   SIÈCLE L es pages qui suiv ent prolongent un tr avail , conduit avec Jean-Charles Monferran, d’annotation et de commentaire de l’Art poëtique de Jacques Peletier du Mans (Lyon, 1555)1 et veulent témoigner d’un sentiment de surprise, presque de gêne, éprouvé au commencement de ce travail. Ma propre lecture de l’Art poëtique s’était faite dans le cadre de ce qui est désormais, depuis quelques décennies, la pratique commune des enseignants et des chercheurs seiziémistes : nous avons appris – et nous apprenons aux étudiants – que pour bien lire la poésie du x v i e siècle, cela vaut toujours la peine d’aller regarder les arts poétiques. En amont des poèmes, se trouvent des concepts, des doctrines, un système des genres ou des styles, tout ce qui a pu donner naissance aux poèmes : pour lire les poèmes, nous devons apprendre à remonter vers les sources non seulement textuelles (l’imitation) mais aussi conceptuelles (la poétique), voire, pour reprendre une expression qu’on rencontre chez Marc Fumaroli, chez Jean Lecointe ou chez Francis Goyet2 , nous efforcer de nous hisser vers un « ciel des idées » poétiques ou rhétoriques. Or, au début de son premier chapitre, Peletier dit tout autre chose du rapport entre la poésie et l’art poétique, en racontant ainsi la naissance de la poésie :

1  J. Peletier du Mans, Œuvres complètes, t. 1, L’Art poétique d’Horace traduit en Vers François [1541] et L’Art poëtique departi en deus Livres [1555], éd. M. Jourde, J.-C. Monferran et J. Vignes, avec la collaboration d’I. Pantin, Paris, 2011. 2  M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, 1980, p. 47‑76 (« Le ‘ciel des idées’ rhétoriques ») ; J. Lecointe, L’Idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, 1993, en part. p. 15‑22 ; F. Goyet, « Commentaire », dans J. Du Bellay, La Deffence, et Illustration de la langue françoyse, Paris, 2003, p. 370.

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[…] il n’à jamęs etè (j’antàn de/ la memoęre/ des Siecle/s) que/ les homme/s n’e/t contè, me/surè, chantè, silogizè, c’ę´t a dire/, ręsonnè, se/lon le/ plus e le/ moins. Qui pourroęt dire/ ni a peine/ panser qu’un homme/ ´e¸t le/ pre/mier parlè Grec, Latin, Françoęs ? qui sont chose/s ancore/s moindre/s que/ les Discipline/s. Le/ grand miracle/ de/ Nature/, ęt de/ pouvoęr tousjours augmanter ses chose/s sans fin. E pource/ ęle/ à donnè pre/miere/mant a l’homme/ une/ me/sure/ e nombre/ de/ parler, sans consideracion toute/foęs d’artifice/ poëtique/. Puis par curiosite e par imitacion, les homme/s trouvans la chose/ bęle/, an ont fęt un usage/ : apręs, l’ont redigè en Art peu a peu einsi que/ les espriz ont commancè a s’ouvrir3.

Le récit se déroule donc en trois temps : la nature a donné aux hommes « une mesure et nombre de parler », quelque chose d’ordonné inhérent à la parole ; puis, collectivement, les hommes ont fait un « usage » particulier de ce don naturel et cet « usage » constitue un premier âge de la poésie comme praxis, mettant à profit l’aptitude des hommes à s’imiter les uns les autres, leur désir de bien faire et de mieux faire ; enfin, les hommes ont fixé cet usage sous la forme d’un « art » – et c’est alors le temps de l’art poétique, où une technè vient se joindre à une praxis. À la première lecture, le propos peut paraître anodin, topique, et il ne faisait d’ailleurs l’objet d’aucune annotation particulière dans les éditions d’André Boulanger ou de Francis Goyet4. Nous avons voulu montrer, dans notre édition, que ces lignes exprimaient au contraire avec netteté une double prise de position de Peletier. D’une part, Peletier prend position contre une manière d’écrire l’histoire de la poésie aussi bien que celle des autres arts. Cette portée polémique est explicitée dans les premières lignes du chapitre : Il me/ samble/ que/ pour neant les Ecriteurs se/ sont voulùz travalher a re/chœrcher les pre/miers invanteurs des Ars. Car ce/ sont chose/s trop celeste/s, pour de/voęr ´ętre/ atribuee/s a l’imaginacion humeine/. Les se/mance/s an sont an cete/ grandeur de/ Nature/ : laquele/ oculte/mant e insansible/mant les à fęt antrer an l’esprit des mortę´z5.

Quel que soit le domaine qu’il aborde, Peletier ne cesse d’exprimer son dédain pour cette manière de raconter l’histoire des hommes qui 3 Peletier, Art poëtique, I, 1 («  De/ l’antiquite e de/ l’excęlance/ de/ la Poësie/ »), p. 256‑257. 4  A. Boulanger, L’Art poëtique de Jacques Peletier du Mans, Paris, 1930, p. 65‑66 ; Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. F. Goyet, Paris, 1990, p. 240‑241. 5 Peletier, Art poëtique, I, 1, p. 256.

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consiste à prétendre nommer les « premiers inventeurs des arts ». C’est à propos de l’algèbre qu’il développe le plus longuement l’argument : […] je/ ne/ panse/ point que/ cet Art, ni la plus part des autre/s, doęve/nt leur invancion a un seul auteur. Me¸s bien, que/ quelcun an à fę´t l’ouvęrture/ toute/ rude/ e malpolie/, peùt ´ętre/ sans panser qu’il s’an dút ou pút fe¸re/ un Art : E puis de/ mein an mein, e par longue/s circuicions de tans et continue¸lles exe¸rcitacions d’esprit, les homme/s ont donnè forme/, regle/, e ordre/ a ce/ qui n’avoęt rien de/ tel. E an fin les Ars se/ sont trouvèz redigèz e uniz : me¸s par tant d’inte¸rmissions (car la longue/ duree/, à be/soin de/ long ouvrage/ e de/ long ache/ve/mant :) que/ nul des mortę´z n’an peùt avoęr seul la preeminance/. Me¸s ce/ci ´ęt de/ plus grande/ e de/ plus opportune/ disputacion, que/ pour ce/ lieu ci.6

L’anonymat (« quelqu’un »), l’importance de la vie sociale et de la communication, la « longue durée », l’antériorité de la pratique par rapport à l’art, la progressivité : ce sont là les convictions que Peletier oppose résolument au goût de son temps pour l’identification et la glorification des « inventeurs » de toutes choses7. L’hypothèse d’une participation de Peletier à la rédaction, sans doute collective, des Discours non plus melancoliques que divers, qui paraissent à Poitiers en 1556, a d’ailleurs été élaborée en raison de la présence, dans ces Discours, d’une polémique analogue8. En ce qui concerne la poésie, Peletier ne refuse pas seulement de concevoir le nom de son « premier » inventeur : le même refus s’applique aux inventions « particulières » que constituent les différents genres et formes de la poésie. Peletier se plaît ainsi, dans les lignes qui suivent notre première citation, à juxtaposer différentes versions de la naissance de l’élégie ou de la lyre. Sur ces points, comme sur beaucoup d’autres abordés par Peletier, c’est assurément l’Art poetique françois de Thomas Sébillet (1548) qui est ici visé en premier lieu. Dans son pre6  J. Peletier

du Mans, L’Algebre/, Lyon, 1554, p. 2‑3. ce goût, dont le meilleur témoignage est l’ouvrage à succès de Polydore Vergile, De rerum inventoribus (1499), voir B. P. Copenhaver, « The Historiography of Discovery in the Renaissance : the Sources and Composition of Polydore Vergil’s De Inventoribus Rerum, I-III », Journal of the Warburg and Courtauld Institute, 41 (1978), p. 192‑226 ; J. Céard, « Inventions et inventeurs selon Polydore Vergile », dans Inventions et découvertes au temps de la Renaissance, éd. M. T. Jones-Davies, Paris, 1994, p. 109‑122. 8  Voir M.-L. Demonet, « La singularité lyonnaise vue d’ailleurs », dans Lyon et l’illustration de la langue française à la Renaissance, éd. G. Defaux, B. Colombat, Lyon, 2003, p. 345‑360 ; S. Arnaud, « Peut-on attribuer à Jacques Peletier du Mans la paternité des Discours non plus melancoliques que divers des choses qui appartiennent à notre France ? », dans Les Grands Jours de Rabelais en Poitou, éd. M.-L. Demonet, S. Geonget, Genève, 2006, p. 359‑378 ; M.-L. Demonet et T. Uetani, « “Rabelaiseries” : la présence de Rabelais dans les Discours non plus melancoliques que divers (1556) », ibid., p. 379‑413. 7  Sur

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mier chapitre, Sébillet décrivait l’origine « céleste » et « divine » de « l’art Poétique », précisant qu’il pourrait tout aussi bien nommer celui-ci « divine inspiration » : l’histoire commençait alors, avec « Moïse premier divin prestre, premier conducteur du divin peuple, et premier divin Poëte », pour se poursuivre avec David ou Jérémie, plus tard Amphion ou Orphée, plus tard encore Homère, Hésiode ou Pindare9. Sébillet combinait ainsi le vocabulaire du néo-platonisme et la tradition antique des récits sur les nomothètes, ces premiers législateurs de l’humanité ayant fait sortir cette dernière de la sauvagerie, deux sources soigneusement tenues à distance par le texte de Peletier10. D’autre part, ce récit des commencements permet aussi à ce dernier de situer sa poétique sur un arrière-plan philosophique déterminé, en mobilisant les souvenirs du cinquième livre du De rerum natura dans lequel Lucrèce raconte la naissance du langage parmi les hommes11 : avec l’usage du feu, a commencé le temps de la vie en commun, et ce sont « la nature » et « le besoin » (natura et utilitas) qui ont donné naissance au langage, à la variété des sons (varii linguae sonitus) qui est au fondement de la communication verbale. On reconnaît la thèse à la 9  T. Sébillet, Art poétique françois (1548), I, 1 (« De l’antiquité de la Poësie, et de son excellence »), éd. F. Gaiffe, mise à jour par F. Goyet, Paris, 1988, p. 7‑15. À la fin du siècle, Pierre Laudun d’Aigaliers agencera les deux sources, Peletier (on ne peut rien savoir de l’invention de la poésie) et Sébillet (Moïse et Salomon « premiers inventeurs de poësie »), sans sembler percevoir leur contradiction. P. Laudun d’Aigaliers, L’Art poëtique françois (1597), I, 1 (« De la poësie, de son antiquité et excellence »), éd. J.-C. Monferran, Paris, 2000, p. 10‑11. 10  Le terme nomothète vient d’un passage de Platon (Cratyle, 389d) et des récits de ce type, visant à célébrer le pouvoir de l’éloquence ou de la poésie parmi les hommes, se trouvent chez Cicéron (De invention, I, 2 ; De l’orateur, I, 8), chez Quintilien (Institution oratoire, II, 16) ou chez Horace (Art poétique, v. 391‑401). 11 Lucrèce, De la nature, V, v. 1028 sq. La phrase de Peletier commençant par « Qui pourrait dire ni à peine penser qu’un homme ait le premier… » reproduit le mouvement des v. 1041‑1043 de Lucrèce : « Proinde putare aliquem tum nomina distribuisse / rebus et inde homines didicisse uocabula prima / desiperest » (« Penser qu’un homme ait pu donner alors les divers noms aux choses, les autres apprenant de lui les premiers vocables, est folie ». Trad. J. Kany-Turpin, Paris, 1998, p. 372‑373). Sur la dimension polémique du passage de Lucrèce, voir P. H. Schrijvers, « La pensée de Lucrèce sur l’origine du langage (DRN. V 1019‑1090) », Mnemosyne, 27‑4 (1974), p. 337‑364 ; K. Kleve, « The Philosophical Polemics in Lucretius », dans Lucrèce, éd. O. Gigon, Genève, 1978, p. 39‑71. Peletier choisit ici Lucrèce contre l’hypothèse cicéronienne du uir civilisateur (De l’invention, I, 2) : Quo tempore quidam magnus uidelicet uir et sapiens cognouit quae materia esset et quanta ad maximas res opportunitas in animis inesset hominum, si quis eam posset elicere et praecipiendo meliorem reddere (« À cette époque un homme manifestement supérieur et sage comprit les capacités que contenait l’esprit humain et l’aptitude remarquable de celui-ci à exécuter de très grandes choses, si l’on parvenait à faire apparaître ces qualités et à les améliorer par l’éducation ». Trad. G. Achard, Paris, 1994, p. 57‑58).

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fois « biologique et sociale » sur l’origine du langage, qui remonte à la « Lettre à Hérodote » d’Épicure12 , thèse dont Marie-Luce Demonet13 a montré que Peletier la reprenait encore en 1581 dans sa Louange de la parole14. Pour ce qui concerne la naissance de la poésie elle-même, associée à la danse et à la musique, Lucrèce insistait déjà sur l’existence de ces « mouvements » premiers, du corps et de la voix, n’obéissant d’abord à aucun rythme déterminé (extra numerum, v. 1401), jusqu’à ce que les hommes aient appris à « observer la différence des rythmes » (numerum seruare genus, v. 1409). Marie-Luce Demonet a insisté à ce propos sur l’originalité philosophique de Peletier, en distinguant soigneusement son récit de celui qui ouvre, par exemple, les Poetices libri septem de Scaliger (1561), et qui implique, lui, « une exclusion totale de la Nature », non seulement « au sens cratylien [la motivation du signe linguistique] mais encore au sens épicurien » : d’abord un langage informe (sermo inconditus) ; puis le temps de la loi (dicendi certa lex), autrement dit de la grammaire ; enfin des usages diversifiés de cette loi impliquant les notions de rythmes et d’imitation et constituant autant d’« ornements » d’une « matière » désormais « formée », et, parmi ces usages, les rythmes poétiques15. L’insistance de Peletier sur la « grandeur de Nature », dont témoigneraient à la fois le donné rythmique premier et l’aptitude humaine à en tirer des usages divers, ne saurait donc être surestimée. Il est possible que Peletier ait trouvé le modèle de son récit en trois temps chez Vitruve, qu’il cite ailleurs dans l’Art poëtique16 et qui lui était familier : son ami Jean Martin – un des interlocuteurs de son Dialogue de l’orthographe – avait traduit le traité d’architecture quelques années plus tôt et l’imprimeur-libraire Jean de Tournes, qui publie l’Art poétique, venait de faire reparaître les Annotationes consacrées au même traité par Guillaume Philandrier. Au début du deuxième livre du De architectura, Vitruve raconte ainsi la naissance de l’architecture : d’abord, après la naissance accidentelle du feu et la naissance du lan12 Épicure, Lettre à Hérodote, §  75‑76, dans Épicure, Lettres et maximes, éd. M. Conche, Paris, 1992, p. 121 et 177‑181. Au x v i e siècle, le texte était connu par les Vies de Diogène Laërce (Livre X). 13  M.-L. Demonet, Les Voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480‑1580), Paris, 1992, p. 293‑294. 14  Peletier, « Louange de la parole  », v. 157 sq, Euvres poëtiques intituléz Louanges / / / / / / (1581), Œuvres complètes, t. X, éd. S. Arnaud, S. Bamforth, J. Miernowski, Paris, 2005, p. 97 sq. 15  Jules César Scaliger, Poetices libri septem (1561), I, 1 (« Orationis necessitas, ortus, usus, finis, cultus »), p. 1. Voir Demonet, Voix du signe, p. 393‑397. 16 Peletier, Art poëtique, p. 290 et 396.

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gage (I, 1), le temps des premiers groupements humains, de la station debout et des premières cabanes imitées des nids des hirondelles (I, 2) ; puis, l’amélioration par l’imitation et le souci de perfectionnement, dont Vitruve trouve un témoignage dans une documentation ethnographique qu’il emprunte à ses lectures et à ses propres voyages (I, 3) ; enfin, la constitution d’un « art » à proprement parler, en l’occurrence celui de l’architecture17. Ce récit de Vitruve pouvait sans difficulté s’harmoniser, aux yeux de Peletier, avec la source horatienne dont son Art poëtique, dans sa conception comme sa mise en œuvre, demeurait largement tributaire. On pourrait dire en effet que Peletier rectifie ici les vers canoniques de l’Épître aux Pisons (v. 391 sq) dans lesquels Horace recourt à Orphée pour décrire le passage de la sauvagerie à la civilisation, par le souvenir de la Satire I, 3 du même Horace, dans laquelle le poète décrit la vie des premiers hommes, se battant pour des glands, d’abord avec les ongles, les poings, puis des bâtons, enfin avec « les armes que l’usage avait fabriquées18 ». Dans ce récit de Peletier, c’est donc bien la poésie qui est en amont de la poétique. D’où la surprise et la gêne dont je parlais. Comment lever cette gêne ? Rien de plus simple, peut-on d’abord penser : cette antécédence, dans le récit des premiers temps de l’humanité, n’a pas nécessairement d’implication quant à l’ordre dont il convient d’envisager, aujourd’hui, la relation entre la poésie et la poétique. Même si la poésie est née, comme le feu, par l’usage d’abord dépourvu d’art que firent les hommes de ce que la nature leur offrait, l’art poétique est désormais constitué : il possède depuis longtemps ses hommes de métier et ses règles, et c’est en fonction de ces règles que l’on écrit les poèmes – nous avons donc bien raison de dire ce que nous disons aux étudiants. L’Art poëtique de Peletier n’entend-il pas former lui-même des poètes à venir, être lui-même un amont pour les poèmes qui s’écriront en son aval ? Nous voudrions pourtant montrer que ce premier récit oriente le discours de Peletier dans des directions particulières, nouvelles en 1555 et peut-être encore aujourd’hui, et surtout qu’il questionne à l’avance les 17 Vitruve, De l’architecture, Livre II, éd. L. Callebat, P. Gros et C. Jacquemard, Paris, 1999, p. 4‑8. La source lucrétienne du récit de Vitruve était parfaitement identifiée dans le commentaire de Guillaume Philandrier (Annotationes, Lyon, 1552, p. 42). 18  v.  102 : Pugnabant armis quae post fabricauerat usus. Traduction tirée de Horace, Satires, éd et trad. F. Villeneuve, Paris, 1980. Denys Lambin commentant ces passages d’Horace renvoie au livre V de Lucrèce, mais ne mentionne pas Vitruve : Q. Horatii Flacci Sermonum libri quattuor […] a Dionysio Lambino Monstroliensi ex fide novem librorum manu emendati, ab eodemque commentariis copiosissimis illustrati, Lyon, 1561, p. 52.

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limites de l’art poétique, en l’invitant à se confronter à d’autres formes de discours possibles concernant la poésie. Jacques P eletier  : 1555

la poétique universelle et ses limites en

La première de ces orientations est signalée par le poids que Peletier donne, tout au long de son Art poëtique, au mot usage. Suivant en cela encore son maître Horace, qui faisait régner l’usus en maître dans les domaines de la langue et de la poésie, Peletier le dépasse pour en tirer des conséquences inédites quant à la manière d’écrire sur la poésie, d’une part en réduisant son « art » à des « maniere/s de/ Memoe¸re/s, qui eveilhe/t le/ Lecteur pour aler pratiquer parmi le/ monde/ des Auteurs19 », d’autre part en confrontant sans cesse l’idéal qu’il propose à la réalité constatée des usages. Cela se traduit par une sensibilité singulière à l’historicité de ces usages : l’histoire de la poésie, pour Peletier, est également faite de modes imprévues, comme celle qui consiste « maintenant » à alterner rimes masculines et féminines dans les sonnets20. Le poéticien doit savoir enregistrer cette temporalité propre à l’usage, sans prétendre avoir prise sur ce dernier pour le consacrer ou le réformer, « bien sachant quele/ fasche/rie/ c’ę´t que/ d’antre/prandre/ a donner loe¸ a ce/ qui ´ęt antre/ les meins de/ l’usance/ : e qui ´ęt quasi tel qu’il doęt de/meurer21 ». Savoir que la poésie n’est pas née toute formée, s’imposant par la force de ses « lois secrètes », comme le pensait par exemple un Politien22 , mais que, dès sa naissance, elle a progressivement dégagé ses lois des tâtonnements de l’usus, cela apprend à être un poéticien nuancé. Vu par Peletier, le « ciel des idées » poétiques n’est donc pas un ciel pur et n’a pas vocation à l’être ; il est troublé par des formations nuageuses qui sont un effet de l’histoire, et cette histoire est celle des usages poé19 Peletier, Art poëtique, I, 2, p. 268 (nous soulignons). Sur la relation entre théorie et pratique dans les arts poétiques français issus d’Horace, voir J.-C. Monferran, L’École des Muses. Les arts poétiques français à la Renaissance (1548‑1610). Sébillet, Du Bellay, Peletier et les autres, Genève, 2011, en part. p. 165‑246. 20 Peletier, Art poëtique, II, 4, p. 356. 21 Peletier, Art poëtique, II, 5, p. 362. 22 A.  Politien, Les Silves, éd. P. Galand, Paris, 1987, «  Nutricia  », v. 77‑81, p. 302‑303 : […] refugas tantum sonus attigit aures, / Concurrere ferum uulgus : numerosque modosque / Vocis et arcanas mirati in carmine leges / Densi humeris : arrecti animis, imota tenebant / Ora cateruatim […] (« lorsque les accents eurent seulement effleuré les oreilles des hommes qui s’apprêtaient à fuir, leur foule sauvage accourut et se rassembla : émerveillés par les rythmes et les mesures, par les lois secrètes de la poésie, ils se tenaient là par groupes, serrés épaule contre épaule, l’esprit en éveil, ils gardaient le silence […] »).

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tiques, une histoire qui, pour Peletier comme pour Lucrèce ou Vitruve, a commencé autour des premiers feux, avant que les arts ne soient établis, une histoire qui se poursuit même au temps des arts poétiques, et toujours un peu indépendamment de ces derniers. L’autre orientation propre à Peletier, qui est une conséquence logique de ce premier récit, constitue une singularité dont il est particulièrement conscient, puisque c’est de cette manière qu’il résume son Art poëtique en 1579 dans un texte autobiographique23 : il n’a pas écrit un art poétique pour les Français seulement mais pour « absolument toutes les nations ensemble ». Son titre (Art poëtique) qui revient au strict modèle horatien (Ars poetica), sacrifie ainsi sans remords l’adjectif « français » qui caractérisait les publications de Sébillet (Art poetique françois) ou de Du Bellay (Deffence, et Illustration de la langue françoyse). Surtout, c’est selon ce principe que Peletier choisit d’organiser son ouvrage en deux livres, dont il présente le second en ces termes : Apre¸s avoęr tretè les precepcions unive¸rse¸le/s de/ la Poësie/, me/ samble/ ´ętre/ tans d’antre/me¸ler les particularitez de/ la Françoe¸se/ : Dequele/s la pre/miere/, ´ęt la Rime/ […]24.

À ce qu’il appelle ailleurs la poésie « en général »25, succède donc la poésie nationale, mais celle-ci n’apparaît pas, contrairement à ce qui se passait dans la Deffence de Du Bellay, comme la résultante nécessaire d’un mouvement de l’histoire. Elle vaut comme exemple local, attestant d’un principe affirmé dans le premier livre : Ce/lui qui veùt former un Poëte/, an doęt donner les precepcions generale/s pour toute/s nacions : sans avoęr respet a cete/ci, ni a cete/la. Autre/mant, ce/ ne/ se/roę´t qu’anseigne/mans imparfe¸z. La Poësie/, comme/ les autre/s Ars, ´ęt un don ve/nant de/ la faveur celeste/, pour ´ętre/ de/partì a toute/s g’ans par communaute. Notre/ intancion ´ęt de/ former ici un Poëte/ pour toute/s Langue/s unive¸rse¸le/mant. Me¸s si ´ęt ce/ pourtant, qu’il se/ doęt tousjours antandre/, que/ les precepte/s doe¸ve/t ´ętre/ pratiquèz an la Langue/ native/26.

Que la poésie et ce qu’on peut en dire doive concerner de manière égale « toutes les nations », cela renvoie encore à notre récit des commen23 J. Peletier, Oratio Pictavii habita, in praelectiones mathematicas (Poitiers, 1579), dans P. Laumonier, « Un discours inconnu de Peletier du Mans », Revue de la Renaissance, 5 (1904), p. 290 : insuper de arte Poëtica Libros duos, etiam soluta oratione : quibus non Gallis tantummodo hominibus, sed cunctis prorsus nationibus, Poëseos praecepta dedimus.  24  Peletier, Art poëtique, II, 1 (« De la Rime Poëtique  »), p. 339. / / / 25 Peletier, Art poëtique, I, 4, p. 281. 26 Peletier, Art poëtique, I, 7 (« D’ecrire an sa Langue  »), p. 305. / /

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cements, au temps où, selon les termes mêmes d’Épicure, une même nature s’exerça différemment « dans chaque peuple » (ethnos), la naissance du langage humain coïncidant avec celle de la diversité des langues27. Chacun possède un « langage naturel »28 et la poésie ne saurait être autre chose qu’un usage réglé et heureux de ce langage, ce qui justifie le silence dans lequel Peletier tient la production poétique latine de son temps, alors qu’une partie de son œuvre savante est elle-même latine29. En toute logique, ce mode de valorisation de la poésie en vulgaire devrait donc s’élargir à une forme de comparatisme, sur le modèle de l’ethnographie vitruvienne. Or, de ce point de vue, l’ouvrage de Peletier est particulièrement décevant. Dès le premier livre, le désir de parler « universellement », « pour toutes nations », se heurte à la sélection des exemples, qui proviennent presque exclusivement du domaine français, avec quelques emprunts, attendus, aux domaines grecs, latins et italiens. L’universel vers lequel tendait la poétique de Peletier30, sa prise en compte de la variété de la poésie produite par les hommes, cela ne se réalise pas ici, et sans doute nulle part ailleurs au x v i e siècle. Peletier publie pourtant son livre en 1555 à Lyon, à l’instant même où l’on importe – depuis Venise, pour l’essentiel – une nouvelle forme de savoir géographique, consistant, selon l’expression de Jean-Marc Besse, en « la révélation de l’universalité terrestre », en l’« irruption des lointains dans le proche »31 : en 1552, Denis Sauvage a traduit pour Guillaume Rouillé les Histoires de Paolo Jovio Comois Evesque de Nocera, sur les choses faictes et avenues de son temps en toutes les parties du monde32 ; en 1556, paraît la version française d’une Histoire du nouveau monde 27 Épicure,

Lettre à Hérodote, p. 121. Art poëtique, I, 7, p. 307. 29  Peletier s’est exprimé sur ce point dès sa traduction de l’Art poétique d’Horace en 1541 (Œuvres complètes, t. I, p. 34‑37, 92‑104) et il a consacré un poème à cette question dans ses Œuvres poetiques (Paris, 1547, sig. Lii v°) : « A un poete qui n’escrivoit qu’en Latin ». 30  L’utilisation du terme par Peletier mériterait une étude en soi (le dernier mot du livre est « Univers »). Pour Peletier, comme pour Pontano ou Fracastor avant lui, la poésie se distingue de l’éloquence par sa vocation « universelle ». Sur ces questions, voir F. Cornilliat, Sujet caduc, noble sujet. La poésie de la Renaissance et le choix de ses « arguments », Genève, 1999. 31  J.-M. Besse, Les Grandeurs de la terre. Aspects du savoir géographique à la Renaissance, Lyon, 2003, p. 310‑318 ; Id., « La géographie de la Renaissance et la représentation de l’universalité », Rivista geografica italiana, 112 (2005), p. 63‑79. 32  Histoires de Paolo Jovio Comois Evesque de Nocera, sur les choses faictes et avenues de son temps en toutes les parties du monde [Paolo Giovio, Historiarum sui temporis libri, 1550‑1552], traduictes de Latin en François par le Signeur du Parq Champenois [Denis Sauvage], Lyon, 1552. 28 Peletier,

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descouvert par les Portugaloys, tirée des œuvres de Pietro Bembo33 ; enfin, lorsque paraît l’Art poëtique de Peletier, le libraire Jean Temporal est en train de préparer la traduction française des deux premiers volumes de Navigationi et Viaggi réunis à Venise par Giovanni Battista Ramusio à partir de 1550 et c’est dans ce cadre que la Description de l’Afrique due à Jean Léon l’Africain va paraître en français en 155634. Cet « universel » avait donc son public, à Lyon, en 1555. Les libraires de cette nouvelle géographie était parfois les mêmes que ceux de la nouvelle poétique : Jean Temporal publie tout à la fois Jean Léon l’Africain et le Quintil horatian de Barthélemy Aneau. Charles Fontaine, acteur éminent de la poésie lyonnaise des années 1550, est aussi l’auteur d’un recueil de traductions intitulé Les Nouvelles et antiques merveilles (Paris, 1554), qui reparaît à Lyon en 1559 sous le titre de Description des terres trouvées de nostre temps35 : le nouveau savoir géographique concernant les « terres trouvées seulement de nostre temps, et pour la plus grant partie depuis soixante et dix ans36 » y est joint à une vulgarisation du savoir antiquisant, issu en particulier du De asse de Guillaume Budé. Tout était donc en place pour que s’ouvre le temps d’une prise en compte de l’universalité de la poésie. Pourtant, quelques décennies plus tard, c’est une tout autre forme d’universalité qu’envisagera la poétique européenne, issue cette fois de la source aristotélicienne, une universalité qui se passe très bien de la diversité des langues et des cultures, des différences et des ressemblances observables entre les différentes « parties du monde37 ». Le traité de métrique arabe rédigé à 33  L’Histoire du nouveau monde descouvert par les Portugaloys, escrite par le seigneur Pierre Bembo [Pietro Bembo, Rerum Venetarum Historiae Libri XII, 1551, extrait du Livre VI], Lyon, 1556. Sur ce texte, dont l’attribution à Bembo a été parfois – à tort – contestée, voir C. H. Clough, « Pietro Bembo’s L’Histoire du Nouveau Monde », British Library Journal, 4 (1978), p. 8‑21. 34  Description de l’Afrique, tierce partie du monde (…) escrite de nôtre tems par Jean Leon, African (…). Plus, Cinq Navigations au païs des Noirs, avec les discours sur icelles  […], Lyon, 1556 ; De l’Afrique, Contenant les Navigations des Capitaines Portugalois, et autres, faites audit Païs, jusques aux Indes, tant Orientales, que Occidentales (…), Lyon, 1556. 35  La Description des terres trouvées de nostre temps, avec le sommaire de plusieurs belles antiquitez, contenant une partie de l’excellence et magnificence des richesses, triumphes et largesses des anciens, Lyon, 1559 (rééd. de Les Nouvelles et antiques merveilles, Paris, 1554). 36 Épître dédicatoire à « M. d’Ivor secretaire du Roy », citée par R. L. Hawkins, Maistre Charles Fontaine parisien, Cambridge, 1916, p. 204. 37  On se souvient qu’au chapitre 4 de la Poétique (1448b-1449a), les deux « causes naturelles » de « l’art poétique » (ê [technê] poiêtikê), le plaisir de l’imitation d’une part, celui de la mélodie et des rythmes de l’autre, sont immédiatement rapportées à une histoire strictement grecque de cet « art poétique », inscrite dans les caractères propres de

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Bologne par Jean Léon l’Africain au début des années 1520, alors qu’il collabore avec Jacob Mantino, médecin juif d’origine catalane désirant étudier les sources arabes, demeurera manuscrit jusqu’en… 1956 !38 Et il sera longtemps légitime de dire que « la poétique ne voyage pas », comme Rousseau le dit de la philosophie dans la longue note du Discours sur l’inégalité, où il montre comment le discours sur l’homme est un discours sur l’homme européen, alors que « depuis trois ou quatre cents ans […] les habitans de l’Europe inondent les autres parties du monde, et publient sans cesse de nouveaux recueils de voyages et de relations »39. Claude Fauchet :

les

« simples

gens  » et l’origine de la rime

Est-ce à dire que la poétique de Peletier et le choix de son récit fondateur constituèrent une précaution sans conséquence, une voie sans issue ? À l’échelle de l’histoire de la poétique, c’est à peu près indiscutable. Mais il est un autre domaine où, quelques années plus tard, on va rencontrer des récits du même type : ce domaine ne sera pas celui des arts poétiques, mais celui de l’histoire de la poésie40. Si cette histoire s’est d’abord inscrite dans un cadre national41, elle a cependant eu besoin de se poser la question des commencements. Le Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans publié par Claude Fauchet en 1581 est on ne peut plus éloigné de l’Art poëtique de Peletier dans ses intentions : il ne s’agit pas ici d’universalité de la la langue grecque. Seul le passage sur les possibles « prédécesseurs d’Homère » (1448b) et les discussions sur l’origine sicilienne de la comédie (1449b) pourront servir de supports à une discussion élargie, comme chez Tommaso Campanella, qui cherche à inscrire sa poétique dans son projet « universaliste ». Voir T. Campanella, Poetica, testo italiano inedito e rifacimento latino, a cura di L. Firpo, Roma, 1944, p. 262‑263. 38  « Il trattato dell’arte metrica di Giovanni Leone Africano », ed. A. Codazzi, Studi orientalistici in onore dei Giorgio Levi Della Vida, 2 vol., Roma, 1956, vol. 1, p. 180‑198. Voir N. Z. Davis, Léon l’Africain. Un voyageur entre deux mondes, Paris, 2007, p. 98‑103. 39 J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Note X, éd. J. Starobinski, Paris, 1969, p. 142. Sur les difficultés épistémologiques rencontrées par les projets d’« ethnopoétique » ou de « poétique comparée », voir M. Beaujour, « “Ils ne savent pas ce qu’ils font.” L’ethnopoétique et la méconnaissance des “arts poétiques” des sociétés sans écriture », L’Homme, 111‑112 (1989), p. 208‑221 (t. 29 n° 111‑112. Littérature et anthropologie). 40  Sur la tension entre ces deux approches du fait poétique, voir C. Esteve, La Invenció dels orígens. La història literària en la poètica del Renaixement, Barcelona, 2008 ; Id., « Origins and Principles. The History of Poetry in Early Modern Literary Criticism », dans The Making of Humanities, vol. 1., Early Modern Europe, éd. R. Bold, J. Maat and T. Weststeijn, Amsterdam, 2010, p. 231‑248. 41  Pour la France, voir E. Mortgat-Longuet, Clio au Parnasse. Naissance de l’« histoire littéraire » française aux x v i  e et x v ii  e siècles, Paris, 2006.

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poésie mais d’amour de la patrie et d’antiquités nationales. Mais pour écrire l’histoire de la poésie française rimée, Fauchet éprouve le besoin de commencer par un « Sommaire discours de l’origine de la poesie », qui s’ouvre par ces mots : Il est aussi difficile de monstrer l’origine de la poesie, que nommer le premier poëte. C’est pourquoy me rapportant à ce que je sçay qu’un mien ami en a faict, et qu’il entend publier un de ces jours : je diray seulement, que la poësie a esté estimée en Asie, Afrique, et Europe. De sorte qu’elle a esté employée aux principales sciences, voire aux loix divines, humaines, et autres actes de memoire. Ce que je croy avoir esté fait, à cause de la mesure : laquelle par son harmonie, aide merveilleusement à la memoire, qu’elle rafraischit par la cadence du vers.42

Notons d’abord qu’en 1581, trois ans après la publication de l’Histoire de Jean de Léry faisant l’éloge des chansons tupinamba43, un an après la célébration par Montaigne de la poésie « tout à faict Anacreontique » des Cannibales44, la curiosité de Fauchet ne va pas jusqu’à lui faire tourner les yeux vers l’Amérique. Cette curiosité, surtout, n’a rien de personnel, puisque les connaissances sur le statut de la poésie « en Asie, Afrique, et Europe » sont censées être celles d’un « ami » de Fauchet. Selon Janet Espiner-Scott45, il doit s’agir de Filippo Pigafetta. On sait du moins que ce diplomate italien, homme de guerre et polygraphe, « homme connu par ses longs voyages » selon l’expression de Jacques-Auguste de Thou, a traduit dès 1582 l’ouvrage de Fauchet, avec l’aide de ce dernier, et qu’il a augmenté cette traduction d’« alcuni discorsi […] d’intorno a tutte le favelle che nacquero dalla latina ed alla Poesia, Rima, belleza e perfezione loro »46. Ni la traduction ni 42  C. Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, ryme et romans. Plus les noms et sommaire des œuvres de CXXVII. poetes François, vivans avant l’an M. CCC., Paris, 1581, I, 6 (« Sommaire discours de l’origine de la poesie, et que c’est que les anciens appelloyent Rhythmos, et vers Rhythmiques anciens »), p. 49. 43  J. de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil (1578), chap. XVI, éd. F. Lestringant, Paris, 1994, p. 403‑405. 44 Montaigne, Essais, I, 31 (« Des Cannibales »), éd. J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, 2007, p. 220. 45  Janet Girvan Espiner-Scott, Claude Fauchet, sa vie, son œuvre, Paris, 1938, p. 75‑79. 46 Filippo Pigafetta, Lettre à Gianvincenzo Pinelli, Paris, 13 septembre 1582, dans Opere di Torquato Tasso colle controversie sulla Gerusalemme, ed. G. Rosini, vol. XXIII, Pisa, 1828, p. 92‑100 (p. 96). D’autres sources indiquent ce titre : Origine de Versi, & delle rime, & de Poeti antichi, Provenzali, Italiani, Francesi, & Spagnuoli, e della Maggioranza di queste tre lingue. Voir « Œuvres de Filippo Pigafetta », dans Le Royaume de Congo et les contrées environnantes (1591), éd. W. Bal (1963), Paris, 2002 (1ère éd. 1963), p. 340.

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ces « discours » n’ont jamais paru47. Quoi qu’il en soit, c’est dans ces mêmes réseaux italiens, auquel Fauchet accède par l’intermédiaire de Jacopo Corbinelli, que fut rédigé un des ouvrages les plus originaux qui furent consacrés à la poésie au cours du x v i e siècle, celui de Gianmaria Barbieri, Dell’origine della poesia rimata, où l’auteur défend la thèse d’une origine arabe de la poésie rimée des langues romanes. Janet Espiner-Scott48 considérait que, le livre de Barbieri étant demeuré manuscrit jusqu’à la fin du x v iii e siècle49, Fauchet ne pouvait en avoir pris connaissance, mais on a appris depuis que les manuscrits légués par Barbieri à son fils Ludovico avaient circulé à Paris, grâce à Corbinelli, enrichissant ainsi les recherches lexicographiques d’un Jean Nicot50. Que cet « ami », quel qu’il soit, ait envisagé ou non la publication d’un tel livre, le savoir historique ou ethnographique que ce livre aurait pu contenir demeure tout à fait absent du livre de Fauchet et l’on en est réduit à imaginer en quoi aurait consisté un tel savoir. Pigafetta a publié en 1591 un ouvrage de nature ethnographique, consacré au « royaume de Congo », fondé sur le témoignage du navigateur portugais Duarte Lopes : on y lit des informations précises – exceptionnelles au x v i e siècle – concernant différents aspects de la pratique musicale africaine, en particulier une description détaillée de la kora et de son utilisation, description qui vise à produire chez le lecteur le sentiment d’une « maîtrise », la reconnaissance d’un « art » du « rythme » et de l’« expression »51. De telles expériences auditives, qu’on retrouve 47  Selon G. Lumbroso (Memorie italiane del buon tempo antico, 1889, p. 158, cité par Espiner-Scott, p. 78), le manuscrit aurait été perdu lors d’un naufrage le 5 février 1584. Nous n’avons pas identifié la source de ce récit. 48 Espiner-Scott, Claude Fauchet, p. 139. Sur les relations de Fauchet et Corbinelli, voir p. 74‑75. 49  G. Barbieri, Dell’origine della poesia rimata, opera di Gianmaria Barbieri Modenese, pubblicata ora per la prima volta e con Annotazioni illustrata dal Cav. Ab. Girolamo Tiraboschi, Modena, 1790. Sur l’œuvre de Barbieri, voir G. Bertoni, Giovanni Maria Barbieri e gli studi romanzi nel sec. x v i , Modena, Vicenzi, 1905 ; S. Debenedetti, Gli studi provenzali in Italia nel Cinquecento e Tre secoli di studi provenzali, ed. C. Segre, Padova, 1995 (1ère éd. respectivement 1911 et 1930) ; C. Esteve, La Invenció dels orígens, p. 228‑238. Sur le contexte de sa publication au x v iii e siècle, voir J. L. Teodoro Peris, Vida i mort de la llengua llatina. Una polèmica lingüistica al segle x v iii , València, 2004 ; R. M. Dainotto, « Of the Arab Origin of Modern Europe : Giammaria Barbieri, Juan Andrés, and the Origin of Rhyme », Comparative Literature, 58‑4 (2007), p. 271‑292. 50  Voir R. Rosenstein, « Miquel de la Tor’s Songbook in Sixteenth-Century France. From Barbieri’s mss via Corbinelli to Nicot’s Thresor », dans Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Herman Braet, éd. C. Bel, P. Dumont et Fr. Willaert, Louvain, 2006, p. 925‑943. 51  Relatione del realme di Congo, regione dell’Africa, tratta per Filippo Pigafetta dalli ragionamenti del Signor Odoardo Lopez Portoghese, Roma, 1591, p. 69 : « […] percuo-

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chez d’autres voyageurs et qui les conduisent aussi parfois à mettre en question les définitions apprises et les préjugés52 , n’ont pas pénétré, au x v i e siècle, les discours européens reconnaissant pourtant l’universalité du fait poétique. L’« antiquaire » Fauchet ne s’engage pas plus dans cette voie que ne le faisait le poéticien Peletier. Cependant, savoir que la poésie n’est pas née toute formée permet à Fauchet d’écrire l’histoire de la poésie à sa manière d’« antiquaire », c’est-à-dire en mettant en avant les témoignages et leur incomplétude. Voici ce qu’il dit de l’apparition de la poésie rimée : À tout le moins on peult remarquer, que depuis l’an DC. les vers rymez ont eu plus de vogue : voire se sont tournez en art. L’autheur est jusques icy incertain, comme de presque toutes inventions […].53

Ce constat d’historien scrupuleux actualise les observations « générales » que faisait Peletier. L’usage précéde l’art et les usages sont toujours affaire collective : Or les Rhythmes estans, comme j’ay dit, plus faciles à trouver par les simples gens, qui ne sçavoyent pas les loix que les Grammairiens (qui sont les maistres et juges des Poetes) ont données aux syllabes, pour les rendre longues ou briefves : il est fort croyable qu’au declin de l’Empire (lors que le meslange de tant d’estrangers eut encores plus gasté la prononciation, et accents Romains) que les Rhythmes furent d’avantage frequentez54.

tono maestrenolmente il leuto, dal quale escen non so io se dica melodia ò romore tale, che diletta al senso loro. Di più (cosa admirabile) mediante quell’ordigno significano i concetti del l’animo suo, et fansi intendere tanto chiaro, che quasi ogni cosa, la quale con la lingua si puore manifestare, con la mano dichiarano in toccando lo stromento […]. Hanno eriando flauti, e piseri soffiati con arte […] » (« ils pincent magistralement le luth, produisant ainsi une mélodie ou un son – je ne sais ce qu’il faut dire – qui délecte leur oreille. De plus [chose admirable], au moyen de cet instrument, ils expriment leurs pensées et ils se font comprendre si clairement que, presque tout ce qui peut s’énoncer par la parole, ils peuvent le rendre au moyen des doigts, en touchant de cet instrument. […] À la cour du roi, on a aussi des flûtes et des fifres dont on joue avec art […] ». Trad. W. Bal, p. 194‑195). 52 Nous avons analysé ailleurs différents exemples de telles expériences auditives : M. Jourde, « Autopsie et réalités sonores au seizième siècle : contribution à une histoire de l’expérience auditive », dans Esculape et Dionysos. Mélanges en l’honneur de Jean Céard, éd. J. Dupèbe, F. Giacone, E. Naya et A.-P. Pouey-Mounou, Genève, 2008, p. 375‑391. 53 Fauchet, Recueil de l’origine, p. 52. 54 Fauchet, Recueil de l’origine, p. 61.

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Cette « anthropologie du rythme »55 n’a assurément pas les mêmes fondements que celle de Peletier. Elle emprunte moins à Lucrèce et Vitruve qu’au traité de métrique de Bède le Vénérable56. Fauchet, dont rien ne peut prouver qu’il ait lu Peletier, partage simplement avec lui un intérêt pour des processus collectifs dans lesquels ils voient les véritables acteurs de l’histoire. Cet intérêt se traduit par la place que tous deux accordent au « vulgaire » et par la parenté des récits, incertains mais nécessaires à leurs yeux, que chacun élabore : la nature offre aux hommes une expérience du « rythme » ; puis ils font un usage particulier de ce rythme ; enfin, cet usage « se tourne » ou « est rédigé » en art. G eorge P uttenha m  :

art poétique et

« bar bar ie  »

Quelques années plus tard, c’est semble-t-il en Angleterre que ces deux perspectives, celle du poéticien et celle de l’antiquaire, eurent l’occasion de se rapprocher, à la faveur d’une polémique qui visait à défendre la poésie nationale, rimée et accentuelle, jugée « barbare » par ceux qui promouvaient une poésie strictement modelée sur le modèle antique. Carlo Ginzburg, relisant récemment ce dossier57, a montré ce que les arguments produits pour cette « défense de la rime » devaient à une histoire « antiquaire », dont il a expliqué par ailleurs qu’elle avait puissamment contribué à questionner les limites – dans le temps et l’espace – que s’assignait ordinairement la connaissance historique dans l’Europe du x v i e siècle58. C’est ainsi que George Puttenham, dans The 55  Sur les problèmes posés par cette expression, associée aux travaux de Marcel Jousse, voir H. Meschonnic, « Critique de l’anthropologie du rythme », dans Id., Critique du rythme. Anthropologie historique du langage, Lagrasse, 1982, p. 643‑702 ; P. Michon, « Marcel Mauss retrouvé. Origine d’une anthropologie du rythme », Ruthmos, 2010 (http://rhuthmos.eu/spip.php ?article13). 56 Fauchet, Recueil de l’origine, p. 61‑63. Voir Bède le Vénérable, Libri II De arte metrica et De schematibus et tropis, ed. C. B. Kendall, Saarbrücken, 1991. Sur les glissements sémantiques subis par ce lexique dans la poétique médiévale et renaissante, voir P. Zumthor, Langue, texte, énigme, Paris, 1975, p. 125‑143 (« Du rythme à la rime ») ; K. Meerhoff, Rhétorique et poétique au x v i  e siècle en France. Du Bellay, Ramus et les autres, Leyden, 1986 ; C. Doutrelepont, « “Rythme”, “nombre”, “mètre” », dans Métriques du Moyen Âge et de la Renaissance, éd. Dominique Billy, Paris, Montréal, 1999, p.  99‑115 ; Oc, oïl, si. Les langues de la poésie entre grammaire et musique, éd. M. Gally, Paris, 2010, en part. p. 367‑369. 57 C. Ginzburg, Nulle île n’est une île. Quatre regards sur la littérature anglaise, Lagrasse, 2005 (1ère éd. 2002), p. 48‑74 (« Identité comme altérité. Une discussion sur la rime pendant la période élisabéthaine »). Voir déjà : M. Hodgen, Early Anthropology in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, Philadelphia, 1964, p. 340‑343. 58  C. Ginzburg, Le Fil et les traces. Vrai faux fictif, Lagrasse, 2010 (1ère éd. 2006).

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Arte of English Poetry (1589), entreprend, à la manière d’un Claude Fauchet, de réunir tous les témoignages disponibles sur l’apparition de la rime dans la latinité tardive, apparition due selon lui, comme l’aurait dit Fauchet, au « déclin de l’Empire » et au « meslange de tant d’estrangers » (« the barbarous conquerors invading them with innumerable swarms of strange nations59 »). Il suffit alors à Puttenham de revendiquer pleinement le caractère « barbare » de la poésie anglaise, qu’elle partage avec la poésie de « toutes les nations » demeurées étrangères à l’héritage grec et latin. Il se fonde pour cela sur « le témoignage des marchands et des voyageurs » qui nous ont appris que « les Américains, les Péruviens et les Cannibales eux-mêmes chantent et disent les choses les plus élevées et les plus sacrées au moyen de vers rimés et non pas en prose ». Il y voit la preuve que la poésie anglaise ressortit à « la première poésie, la plus antique et la plus universelle60 » : […] which proves also that our manner of vulgar poesy is more ancient than the artificial of the Greeks and the Latins, ours coming by instinct of nature, which was before art or observation, and used with the savage and uncivil, who were before all science or civility, even as the naked by priority of time is before the clothed, and the ignorant before the learned61.

Une telle formulation engage la promotion de la poésie et de la poétique vulgaires sur la voie d’un primitivisme sans doute étranger à Peletier lorsqu’il formulait des conceptions similaires concernant l’antériorité de la poésie sur la poétique62 . De manière significative, dans la 59  G. Puttenham, The Art of English Poesy [1589], ed. Fr. Whigham, W. A. Rebhorn, Ithaca, London, 2007, I, 6, p. 100‑101. 60 Puttenham, The Art of English Poesy, I, 5, p. 100 : « […] it appeareth that our vulgar rhyming poesy was common to all the nations of the world besides, whom the Latin and the Greeks in special called barbarous. So as it was, notwithstanding, the first and most ancient poesy, and the most universal, which two points do otherwise give to all human inventions and affairs no small credit. This is proved by certificate of merchants and travelers, who by late navigations have surveyed the whole world and discovered large countries and strange peoples wild and savage, affirming that the American, the Peruvian, and the very Cannibal do sing and also say their highest and holiest matters in certain rhyming versicles and not in prose […]. » 61 Puttenham, The Art of English Poesy, p. 100. (« […] Voilà qui prouve aussi que notre forme de poésie vulgaire est plus ancienne que la poésie artificielle des Grecs et des Latins, parce que notre poésie vient d’un instinct naturel qui précède l’art ou l’observation et qui se retrouve chez les sauvages et les peuples incivils, bien antérieurs à la science ou à la civilisation, tout comme le nu est antérieur au vêtement et l’ignorant antérieur au savant. » Trad. C. Ginzburg, Nulle île n’est une île, p. 62. 62 Ginzburg insiste à ce sujet sur l’influence possible de Montaigne : elle demeure hypothétique en ce qui concerne Puttenham, mais elle est plus probable chez Samuel

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France du x v i e siècle, ce sont seulement des poètes de langue gasconne ou languedocienne qui s’orienteront de la sorte vers la revendication d’une poétique du « barbare »63 : la poétique de langue française résistera, elle, à ce qui était pourtant une conséquence logique de l’argumentation en faveur des langues vulgaires, également pertinente, selon les mots de Peletier, « pour toutes les nations », y compris celles qui sont les plus éloignées de l’Europe et de son héritage gréco-romain. D’autres détails, dans le texte de Puttenham, peuvent conduire à supposer que, parmi ses lectures françaises64, les formulations de Peletier avaient pu particulièrement retenir son attention. Ainsi, lorsqu’il semble reprendre, dans ses premiers chapitres, la tradition du nomothète et de la poésie civilisatrice, il introduit les mêmes nuances que Peletier : c’est la poésie en tant qu’« usage » (« the profession and use of poesy ») qui est d’abord apparue et cette apparition n’est pas due à un inventeur quelconque ; certes, on a « imaginé » que tel avait été le rôle d’Orphée ou d’Amphion (« Whereupon it is feigned that Amphion and Orpheus »65…) et de leurs successeurs grecs, mais « selon toute vraisemblance » on produisit de la poésie dans bien d’autres lieux et dans bien des périodes plus anciennes, même si le souvenir nous en est perdu66. Le point de départ de Puttenham est le même que celui de Peletier : l’expérience de la poésie est antérieure à sa constitution en un Daniel (A Defence of rhyme, 1603), beau-frère de John Florio, le traducteur anglais des Essais. Voir Sidney’s “The Defence of Poesy” and Selected Renaissance Literary Criticism, éd. G. Alexander, London, 2004. 63 Cette catégorie du « barbare » est présente chez Pey de Garros, Du Bartas ou Auger Gaillard. Voir Ph. Gardy, La Leçon de Nérac. Du Bartas et les poètes occitans (1550‑1650), Bordeaux, 1998 ; J.-Fr. Courouau, « Les apologies de la langue française (x v i e siècle) et de la langue occitane (x v i e-x v ii e siècles). Naissance d’une double mythographie », Nouvelle Revue du Seizième Siècle, 21‑2 (2003), p. 35‑51, et 22‑2 (2004), p. 23‑39 ; Id., « Moun lengatge bèl ». Les choix linguistiques minoritaires en France (1490‑1660), Genève, 2008. 64 Puttenham, The Art of English Poesy, « Introduction », p. 40‑41 : les éditeurs nomment Du Bellay, Ronsard, Sébillet et Peletier. En ce qui concerne le savoir le plus technique sur la poésie, c’est surtout à Scaliger qu’emprunte Puttenham. 65  Le chapitre de Peletier était rythmé par des formulations du même genre (Art poëtique, p. 257‑259) : « les anciens ont fęt Apolon e les Muse/s presider a la Poësie/ », « L’un dira qu’Orfee/ trouva la Lire/ : l’autre/, que/ Line/ : e l’autre/ ancor que/ ce/ fut Anfion », « E Æt ce/ qui à etè dìt d’Anfion e d’Orfee/ : que/ par le/ son de/ leur Lire/, iz tiroÆt les Arbre/s e les Pie¸rre/s apre¸s soe¸ ». Les formulations de Puttenham sont beaucoup plus proches de Peletier que de celles de Philip Sidney, qui reprend sans réserve la tradition des nomothètes : voir Sidney’s “The Defence of Poesy”, p. 4‑5. 66 Puttenham, The Art of English Poesy, I, 3, p. 96 : « […] by all likelihood had more poets done in other places and in other ages before them, though there be no remembrance left of them by reason of the records by some accident of time perished and failing. »

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art et c’est ce qui le conduit à vouloir écrire l’art poétique de la poésie anglaise telle qu’elle existe67. À l’échelle de la poétique renaissante, l’histoire que ces pages ont tenté d’esquisser demeure assurément secondaire, accessoire. C’est celle d’un questionnement, suscité par la valorisation de la notion d’usage, sur les limites de l’« idéalisme littéraire », par la double voie de la réception du matérialisme antique et de l’histoire naissante des littératures vernaculaires. On pourrait presque dire que cette histoire n’existe pas, puisque la Renaissance européenne n’a pas produit de « poétique comparée », malgré l’abondance et le renouvellement des matériaux dont elle disposait. En repensant aux formulations de Claude Lévi-Strauss lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, notant que l’histoire aurait été différente si l’on avait offert à Jean de Léry, dès son retour du Brésil en 1558, une chaire de lecteur royal en « anthropologie sociale », on pourrait dire que c’est l’histoire de ce qui aurait pu être. Ou alors, si cette histoire existe, ce n’est pas celle de la poétique, mais celle de la poésie elle-même et l’on a donc raison de dire ce qu’on dit aux étudiants : il faut aller voir les arts poétiques, mais ensuite, vite revenir vers les poèmes. L’argument de Jacques Peletier revient à rappeler que la parole poétique demeure incommensurable à ce qui entend la mesurer. Ronsard redira la même chose dix ans plus tard au début de son Abbregé de l’Art poëtique Françoys, mais ce sera pour mieux mettre en valeur la « singuliere veneration » due à une profession si « sacrée », à son art « plus mental que traditif » et qui échappe donc presque à toute forme d’enseignement68. Chez Peletier, qui n’est guère attiré par ce lexique, il s’agit surtout de mettre en valeur l’expérience des poètes – chacun, à tout jamais, dans sa langue quelle qu’elle soit – en même temps que celle des lecteurs de poésie, qu’ils soient « doctes » ou « moins savants » : Il faut sus toute/s chose/s qu’un Ecrit soęt louable/ anve¸rs les docte/s : e ce/ pandant qu’aus moins savans il donne/ de/ prime/ face/ quelque/ aprehansion de/ beaute, e quelque/ esperance/ de/ le/ pouvoęr antandre/69.

67 Puttenham, The Art of English Poesy (1589), I, 2, p. 95 : « Then as there was no art in the world till by experience found out, so if poesy be now an art, and of all antiquity hath been among the Greeks and Latins, and yet were none until by studious persons fashioned and reduced into a method of rules and precepts, then no doubt may there be the like with us. » 68 P. de Ronsard, Abbregé de l’Art poetique françoys, dans Œuvres complètes, t. 2, éd. J. Céard, D. Ménager et M. Simonin, Paris, 1994, p. 1174. 69 Peletier, Art poëtique, I, 10, p. 334.

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Peletier sociologue et psychologue de la lecture : qui pourrait raisonnablement prétendre que c’est après avoir étudié la poétique qu’on apprend à aimer la poésie ? L’antériorité de la poésie sur l’art poétique s’éprouve sans doute d’abord dans l’expérience la plus subjective de la poésie, dans le goût qu’on a pour elle et dans le prolongement que ce goût peut trouver en une pratique. Dans le dernier poème de son dernier livre, Peletier décrit longuement sa propre pratique d’auteur, son rythme singulier, qui le pousse à sans cesse commencer un nouveau travail, à le reprendre, relire et corriger sans fin sans rien produire de parfait. Pour le consoler de cette imperfection, la Muse vient lui redire, une dernière fois, la grandeur de la poésie, en lui rappelant la célébrité d’Orphée, Amphion, Hermès Trismegiste et Homère. Mais ce rappel vient en second : Jadis an ve¸rs les Oracle/s se/ dire/nt : Par ces beaus Chans, les Homme/s se/ randire/nt Ansamble/mant, a la Civilite, Se/ re/tirans de/ la Brutalite. Le/ grand Orfee/, Anfion, Trismegiste/, E de/puis eus, Homere/, le/ Legiste/ De/ la Nature/, an te¸rre/ sont vantéz Pour les hauz fe¸z, qu’an Ve¸rs iz ont chantéz.70

La célébrité accordée « en terre » aux nomothètes est seulement une manière de rappeler la capacité « civilisatrice » de l’aptitude à la poésie, aptitude partagée par tous « les hommes » et qui s’actualise dans le labeur quotidien – même insatisfaisant – du poète. En revanche, Peletier n’a pas laissé de récit sur l’origine de son goût pour la poésie. Mais il n’a sans doute rien trouvé à retrancher à celui qu’a donné Joachim Du Bellay dans la seconde préface de l’Olive (1550). On y trouve l’équivalent autobiographique parfait du récit anthropologique ternaire qui ouvrira cinq ans plus tard l’Art poëtique. D’abord, la découverte d’une « naturelle inclination » pour la poésie, et « singulierement nostre poësie françoise, pour m’estre plus familiere », celle-là même dont la Deffence, l’année précédente, a pourtant vigoureusement contesté la valeur. Ensuite, le choix raisonné d’une application en conformité avec ce goût : Depuis, la raison m’a confirmé en cete opinion : considerant que si je vouloy’ gaigner quelque nom entre les Grecz et Latins, il y fauldroit employer le reste de ma vie, et (peult estre) en vain, etant ja coulé de mon 70  Peletier, « Re montrance , A Soe¸mÆme  », Euvres poëtiques intituléz Louanges, / / / / / / p. 337‑339.

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aage le temps le plus apte à l’etude : et me trouvant chargé d’affaires domestiques, dont le soing est assez suffisant pour dégouter un homme beaucoup plus studieux que moy. Au moyen de quoy, n’ayant où passer le temps, et ne voulant du tout le perdre, je me suis volontiers appliqué à nostre poësie : excité et de mon propre naturel, et par l’exemple de plusieurs gentiz espritz françois […].71

Enfin, le temps de l’art poétique lui-même, élaboré d’ailleurs, comme Du Bellay le précisera un peu plus loin, en dialogue avec Peletier luimême, qui publia le premier poème de Du Bellay dans ses propres Œuvres poetiques en 1547 : Voulant donques enrichir nostre vulgaire d’une nouvelle, ou plustost ancienne renouvelée poësie, je m’adonnay à l’immitation des anciens Latins et des poëtes Italiens, dont j’ay entendu ce que m’en a peu apprendre la communication familiere de mes amis72 .

Si on est seulement sensible, dans le début du récit, au caractère plus ou moins divin de la « naturelle inclination », l’insistance sur le fait que le goût pour la poésie a d’abord conduit vers la « poësie françoise » semble anecdotique ; c’est pourtant seulement là que, dans les premiers temps, la « nature » pouvait pleinement s’exercer, antérieurement à toute forme de savoir. Ce type de récit de vocation poétique possède une longue histoire, qui remonte au moins à Boccace, justifiant à la fin du De genealogia deorum gentilium sa passion pour la poésie par un récit autobiographique, qui témoigne de la naissance précoce d’un goût, antérieur à tout apprentissage et même à toute compréhension véritable73. Jean Lecointe a montré comment ce récit transférait dans le domaine de la poésie profane les codes et le lexique du récit de l’élection chrétienne (vocatio)74. Mais cette transposition n’a été rendue possible que parce que le maître de Boccace, Dante, avait au préalable élaboré un récit articulant première enfance et grandeur de la poésie, en décrivant, dans des termes neufs, la relation entre langue « vulgaire » – celle qui est reçue de la nourrice « sans aucune règle » – et langue « artificielle » – en l’occurrence le latin et sa grammaire : si la première est nécessaire71 

J. Du Bellay, L’Olive (1550), « Au lecteur », éd. E. Caldarini, Genève, 2007, p. 229. Ibidem p. 230. 73 Giovanni Boccaccio, Genealogie deorum gentilium libri, ed. V. Romano, Bari, 1951, t. II, p. 776‑777. 74 J. Lecointe, L’Idéal et la différence, p. 246‑270 ; Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au x v i  e siècle, éd. P. Galand-Hallyn, F. Hallyn, Genève, 2001, p. 114‑117. 72 

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ment « plus noble » que la seconde, c’est à la fois parce qu’elle fut « la première en usage parmi le genre humain » et parce que, dans l’expérience de chaque homme et chaque femme, elle continuera toujours de précéder la langue apprise75. Dans le Banquet, Dante rapprochait même cette langue vulgaire d’un « feu » premier, préalable au geste de l’homme de l’art : Questo mio volgare fu congiugnitore de li mei generanti, che con esso parlavano, sì come’l fuoco è disponitore del ferro al fabbro che fa lo coltello ; per che manifesto è lui essere concorso a la mia generazione, e così essere alcuna cagione del mio essere. Ancora, questo mio volgare fu introduttore di me ne la via di scienza […]76.

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75 Dante,

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Annelyse L emmens

LE FRONTISPICE, MISE EN SCÈNE DE LA POÉSIE NÉO‑LATINE ÉTUDE DE CAS e DE LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVII   SIÈCLE D’a bor d destiné à r ehausser le titr e , à le rendre plus visible par l’apposition d’un cadre figuré, le frontispice devient au cours des x v i e et x v ii e siècles un véritable lieu de célébration où le livre se transforme en monument offert à la vue du lecteur1. Imprégné par la métaphore architecturale jusque dans son étymologie, laquelle l’associe à « la face et principale entrée d’un grand bâtiment qui se présente de front au spectateur2 », le frontispice connaît une évolution largement tributaire de ce répertoire, notamment par l’apport d’un ensemble de formes inspiré des portails et façades d’édifices, ou encore d’architectures éphémères comme les arcs de triomphe, autant de modèles capables de servir l’idéal de solennité qui caractérise le livre imprimé tout au long de la « première modernité ». Ce dernier se pare en ce sens d’un important paratexte, ensemble « hétéroclite de pratiques et de discours de toutes sortes […] fédérés au nom d’une communauté d’intérêt, ou convergence d’effets3 ». Ainsi, le frontispice est généralement suivi par une adresse au lecteur, d’un privilège ainsi que de divers poèmes 1 On

trouvera différents éléments de synthèse sur l’évolution du frontispice aux et x v ii e siècles dans L. Febvre et H.-J. Martin, L’apparition du livre, Paris, 1999, p. 124‑128 (Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité 33) et J. M. Chatelain, « Pour la gloire de Dieu et du roi : le livre de prestige au x v ii e siècle », dans La naissance du livre moderne (x iv  e-x v ii  e siècles) : Mise en page et mise en texte du livre français, éd. H.-J. Martin, Paris, 2000, p. 354‑363. L’aspect « monumental » que confère le frontispice au livre est tout particulièrement souligné dans R. Dekoninck, « Au seuil du livre-monument. L’imaginaire architectural du frontispice entre les anciens Pays-Bas et la France », dans La gravure de la Renaissance dans les Pays-Bas méridionaux, éd. G. Denhaene, Bruxelles, 2010, p. 15‑27 et M. Fumaroli, L’école du silence. Le sentiment des images au x v ii  e siècle, Paris (Champs 633), 1998, p. 421-444. 2 A. Furetière, « Frontispice », dans Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et des arts, t. 2, Paris, 1695, p. 918. 3  G. Genette, Seuils, Paris, 1987, p. 8 (Poétique). xvie

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liminaires tenant notamment lieu de préface, de commentaire ou de dédicace, instances qui, tout en renvoyant l’une à l’autre, participent à l’instauration du livre4. Cet ensemble ménage en ce sens un véritable seuil à l’avant de l’œuvre, dont la fonction est, en plus de la simple mise en évidence d’une limite, d’établir le dialogue entre l’œuvre et le lecteur ou, comme le résumait Gérard Genette dans l’introduction de son essai Seuils, le paratexte « constitue, entre texte et hors-texte, une zone non seulement de transition, mais de transaction : lieu privilégié d’une pragmatique et d’une stratégie, d’une action sur le public au service, bien ou mal compris et accompli, d’un meilleur accueil du texte et d’une lecture plus pertinente5 ». Qu’il soit lu ou plus simplement parcouru, le paratexte s’apparente donc à un « exorde6 » ou encore un « rituel d’ostension7 » duquel le livre tire son statut de merveille. En vertu de sa place inaugurale, il revient tout particulièrement au frontispice d’exalter la nature précieuse, voire sacrée, du livre. À cette fin, il déploie une véritable rhétorique visuelle alliant texte et image dans une composition unique. Tirant toute sa force de cette hybridité, le frontispice doit s’aborder tant comme un « cadre » dont la vocation serait de mettre en évidence la valeur du livre que comme un support où ce dernier serait mis en représentation. Son interprétation requiert de ce fait une approche plurielle, allant de l’analyse iconographique stricte, pouvant mettre en évidence les figures qui « condensent » le sens, jusqu’à la lecture croisée du texte et de l’image, tant sur le plan interne de la page que sur celui, plus large, du livre, qui permet notamment d’identifier les « bonnes dispositions » dans lesquelles envisager la lecture8. On trouvera dans le frontispice qui orne l’édition de l’Imago 4  Nous renvoyons tout spécialement à la définition première du paratexte selon Gérard Genette (ibid. p. 7) : « Le paratexte est donc pour nous ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs ». 5  Ibid., p. 8. 6  Selon la formule de M. Fumaroli, L’école du silence…, p. 421. 7 Le terme est repris à C. Liaroutzos, « ‘Quand verray-je le temps sans estre pluvieux ?’ Le poème liminaire encomiastique aux x v i e et x v ii e siècles », dans De la grande rhétorique à la poésie galante. L’exemple des poètes caennais aux XVI e et XVII e siècles, éd. M. G. Lallemand et C. Liaroutzos, Caen, 2004, p. 103 (Centre de recherches « Textes/ Histoire/Langages »). 8  Notre méthodologie se base notamment sur les travaux de Louis Marin. On trouvera dans L. Marin, Études sémiologiques. Ecritures, Peintures, Paris, 1971, p. 36‑37 une explication de la figure de condensation. Les liens qui lient le frontispice au livre sont quant à eux analysés à travers l’exemple des Contes de Perrault (1697) dans L. Marin, « Une lisière de la lecture », dans Lectures traversières, Paris, 1992, p. 21‑22 : l’auteur y propose de voir le frontispice comme « scénario » de lecture, capable de définir des types de lectures et de lecteurs.

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Primi Saeculi9 un exemple aussi éminent que représentatif des enjeux que peut endosser cet appareil liminal (ill. 1). Edité en 1640, ce livre se donne pour objectif de célébrer le centenaire de la Compagnie de Jésus « par toutes les méthodes capables de captiver l’imagination et marquer les esprits10 », but en vue duquel se succèdent six volumes d’exercices rhétoriques, de poèmes variés et d’emblèmes. L’affirmation de cet ouvrage en tant que monument destiné à la postérité trouve sa traduction visuelle dans le frontispice, où une personnification de la Compagnie prend place au centre d’une architecture, sorte de façade sur laquelle sont disposés six médaillons contenant chacun un emblème, en référence aux différents volumes du livre11. Si, au niveau de la page seule, les choix iconographiques permettent d’indiquer certains des idéaux qui animent les différents auteurs de cet ouvrage12 , c’est surtout par le recours à une structure particulière que le livre se voit exalté car l’architecture, en s’apparentant à un retable, intime au lecteur-spectateur d’observer la révérence requise13. En outre, cette composition révèle le plan de l’ouvrage et dirige de la sorte la lecture : visualisé tel une église dotée de six chapelles latérales que représentent les médaillons, le livre se parcourt comme un déambulatoire balisé par autant de stations, un chemin par lequel le couronnement de la Compagnie se voit autorisé14. 9 

Imago Primi Sæculi Societatis Iesu, Anvers, 1640. M. Praz, Studies in Seventeenth-Century Imagery, Rome (Sussidi Eruditi 16), 1975 (première édition 1939), p. 190. 11 Pour un détail de l’iconographie des emblèmes et leur référence aux livres qui composent l’Imago, voir M. Fumaroli, « Baroque et classicisme : l’Imago Primi Saeculi Societatis Iesu (1640) et ses adversaires », dans Questionnement du baroque, éd. A. Vermeylen, Louvain-la-Neuve, Bruxelles, 1986, p. 86‑87 ; D. Sacré, Sidronius Hosschius (Merkem 1596 - Tongeren 1653). Jezuïet en latijns dichter, Kortrijk, 1996, p. 123‑124 et L. Salviucci Insolera, L’imago Primi Saeculi e il significato dell’immagine allegorica nella Compagnia di Gesù. Genesi e fortuna del libro, Roma (Miscellanae Historiae Pontificae 66), 2004, p. 109‑111. 12  On pensera par exemple aux attributs de la Societas Iesu qui, portant un brasier surmonté d’une croix ainsi qu’un livre, réfère d’une part à la vocation au martyre pour le Christ et, d’autre part, évoque le prolongement de l’enseignement du Christ dans l’histoire et les écrits de la Société. La mitre et le chapeau cardinalice délaissés mettent en image son dédain pour les honneurs terrestres tandis que la présence d’une personnification du Temps assoupi traduit son désir d’éternité en Dieu. Un détail plus complet des éléments iconographiques et de leurs significations est donné dans M. Fumaroli, « Baroque et classicisme… », p. 84‑85. 13 R. Dekoninck, « Du frontispice emblématique au frontispice théâtral dans les éditions anversoises au tournant des x v i e et x v ii e siècles », dans Polyvalenz und Multi­ funktionalität der Emblematik. Akten des 5. Internationalen Kongresses der Society for Emblem Studies, ed. W. Harms et D. Peil, Frankfurt am Main, 2002, p. 902‑904. 14  M. Fumaroli, « Baroque et classicisme… », p. 83. 10 

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Objet attisant la curiosité du lecteur, annonçant le livre et révélant la « merveille » à la manière d’un parergon tout en étant capable de diriger la lecture, le frontispice endosse donc des fonctions multiples qui, chacune, peuvent révéler les enjeux de l’imprimé. Dès lors, s’intéresser au message qu’il véhicule pourrait être l’occasion de porter un regard différent et complémentaire sur la question des Arts poétiques. En effet, la mise en valeur de la poésie et, par extension, de l’auteur dans les livres par le biais d’une représentation des imaginaires qui y sont liés constitue un observatoire privilégié duquel il serait possible de déterminer le crédit accordé ou non à l’inventivité du poète dans le processus de valorisation. Pour ce faire, nous avons choisi, tout en puisant dans le corpus des frontispices anversois de la première moitié du x v ii e siècle15, de limiter nos recherches aux recueils de poésies en latin. Qu’ils rassemblent diverses pièces sous le titre général de Poemata ou, plus spécifiquement, qu’ils soient dédiés à un genre poétique particulier, adoptant alors un intitulé de type epigrammata, epistolae ou encore sylvae, ces derniers constituent de véritables « florilèges » dont le but est de diffuser « le meilleur de la production d’un auteur16 ». Pensé d’emblée dans une optique de célébration du poète, ce genre éditorial est largement tributaire du contexte dans lequel il s’insère. Profitant d’abord du statut international de la langue latine, laquelle porte également des connotations aussi nobles que celles d’immortalité ou de pérennité, il bénéficie ensuite de la place accordée à la poésie dans les milieux lettrés qui, pratiquée de tous et en toutes circonstances, représente une part non négligeable de la littérature de la période « Early modern »17. Plus particulièrement, elle constitue l’un des fondements du cursus proposé dans les collèges jésuites18, où l’apprentissage de la poésie antique, puis son imitation sous forme d’exercices, forme l’une des bases de la formation rhétorique19. Ainsi instruits aux « humani15  Cette contribution s’insère dans le cadre d’une thèse de doctorat centrée sur l’évolution du frontispice anversois entre 1585 et 1650 et intitulée Le livre mis en scène. Statuts, fonctions et usages du frontispice dans les anciens Pays-Bas entre 1585 et 1650. 16  A. Smeesters, Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les auteurs néolatins des anciens Pays-Bas entre la fin du x v  e siècle et le milieu du x v ii  e siècle, Leuven, 2011, p. 12‑13. 17  A. Smeesters, Aux rives de la lumière…, p. 3, 11 et A. Thill, La lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (1620‑1730), Genève (Travaux du Grand Siècle XIV), 1999, p. 1. 18  Nous nous permettons de prendre l’exemple de l’enseignement jésuite dans la mesure où la moitié des poètes liés à notre corpus sont issus de cet ordre. 19  Le cursus académique jésuite, fixé dès 1599 dans les Anciens Pays-Bas par la Ratio Studiorum, prévoit cinq classes d’humanités où l’apprentissage du latin est à la fois le but et le moyen de l’enseignement : aux trois classes de grammaire (dites Figura, Grammatica et Syntaxis) succèdent une classe de poétique (centrée sur l’apprentissage des

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tés », les jeunes élèves pouvaient ensuite s’engager dans la Compagnie et poursuivre leur apprentissage par l’étude de la philosophie puis de la théologie. Cependant, l’accès à ce dernier niveau supposait du novice la reprise générale du cursus d’humanité en une année (il était alors qualifié de repetentes humaniora) avant d’occuper le poste de professeur dans un (ou plusieurs) collège(s)20. Dès lors, tout en assurant leur progression dans la hiérarchie de l’ordre, les jeunes enseignants continuaient d’approfondir leur connaissance des auteurs antiques et d’exercer leur plume21. Ils composaient ainsi de nombreux poèmes qui, bien que relevant généralement de la circonstance, pouvaient rencontrer l’intérêt d’un public assez large. Alors rassemblées en recueils, ces poésies pouvaient non seulement servir à l’édification des élèves, mais également collaborer à la notoriété de l’auteur22 . En ce sens, la présence d’un « Classiques ») et de rhétorique. Voir H. Van Goethem (ed.), Antwerpen en de Jezuïten. 1562‑2002, Anvers, 2002, p. 51‑52 et A. Poncelet, Histoire de la Compagnie de Jésus dans les Anciens Pays-Bas, t. 2, Bruxelles, 1927, p. 37‑40. Ainsi intégrés au cursus, la lecture et l’apprentissage des auteurs antiques fournissaient aux élèves un éventail de thèmes, formules et phrases dans lesquels il leur était possible de puiser afin de nourrir leurs discours. Le lien entre la poésie et la rhétorique est plus spécifiquement développé dans J. Lecointe, L’idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève (Travaux d’Humanisme et de Renaissance 275), 1993, p. 76‑77. 20  C. Nativel (éd.), Centuriae Latinae. II. Cent une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières, Genève, 2006, p. 404. 21  Au « collège d’humanités » succède le « collège de plein exercice », lequel avait pour but de former aux arts libéraux (dialectique, philosophie et mathématiques). Pouvant remplacer le cursus universitaire de Faculté des arts, ce cursus permettait aux novices d’accéder directement aux Facultés supérieures (droit, médecine et surtout théologie, laquelle participait à la progression du novice vers la nomination au sacerdoce). Avant d’entamer son cursus universitaire, le novice devait accomplir une période de régence, soit la tenue des classes dans un collège depuis la classe de grammaire jusqu’à celle de rhétorique. A ce sujet, voir notamment L. Giard « Le devoir d’intelligence, ou l’insertion des jésuites dans le monde du savoir », dans Les jésuites à la Renaissance. Système éducatif et production du savoir, éd. L. Giard, Paris (Bibliothèque d’histoire des sciences), 1995, p. lv ii - lv iii  ; A. Poncelet, Histoire de la Compagnie de Jésus…, t. 1, p. 449 et t. 2, p. 24‑25 ; A. Smeesters, Aux rives de la lumière…, p. 406. 22  Le but didactique de la poésie est notamment relevé par C. Liaroutzos, « ‘Quand verray-je le temps sans estre pluvieux ?’… », p. 97 : « La plupart du temps, ces poèmes, explicitement adressés aux ‘juvenes’, ont une fonction didactique. Mais, on s’en doute, cette fonction didactique n’est pas totalement désintéressée, puisqu’il s’agit de convaincre les étudiants de la valeur du volume ». De plus, il semble que la poésie néo-latine produite au x v ii e siècle dans les Pays-Bas méridionaux « devienne de plus en plus académique et strictement religieuse, ou du moins pieuse ; en réalité, la plupart des auteurs étaient des membres du clergé ou d’ordres religieux tels les Jésuites et les Augustins ». D’après J. Ijsewijn, Companion to Neo-Latin Studies. Part I. History and Diffusion of Neo-Latin Literature, Leuven, 1990 (première edition 1977), p. 154. De façon plus générale, voir M. Hermans, « L’enseignement des jésuites sous l’Ancien Régime à Mons », dans Les jésuites à Mons. 1584‑1598‑1998. Liber memorialis, éd. J. Lory, A. Minette et

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frontispice, élément d’apparat assez coûteux et réservé, encore au début du x v ii e siècle, aux publications les plus prestigieuses, devait d’autant plus y participer. Qu’ils soient reconnus sur la scène internationale ou qu’ils bénéficient d’une diffusion plus locale, nombreux sont les poètes dont l’œuvre a été, au moins en partie, éditée sous cette forme de « miscellanées poétiques ». Parmi les auteurs les plus plébiscités, on compte Matthias Casimir Sarbiewski (1595‑1640), dont les Lyricorum, édités pour la première fois à Cologne en 1625, furent réédités plus de quarante fois jusqu’au x v iii e siècle23. Jacob Balde (1604‑1668), également reconnu pour ses adaptations du style horatien, fut quant à lui honoré par les publications et rééditions de ses sept livres de Sylves (Münich, 1643) ainsi que de quatre livres de Lyriques et un livre d’Épodes (Münich, 1643), recueils auxquels s’ajoutent encore ses Sylvae lyricae (Cologne, 1646), chacun des ouvrages étant dotés, à défaut d’un frontispice, d’une large vignette sur la page de titre24. On soulignera également l’existence de recueils liés à des auteurs au rayonnement moindre, ou dont la production poétique s’avère plus secondaire. Prenons ici l’exemple de Bernard van Bauhuysen (1575‑1619), prêcheur jésuite actif à Anvers25, dont les cinq livres d’Épigrammes furent édités dans l’officine plantinienne en 1616 et en 1620. Paru sans frontispice malgré la requête expresse de l’auteur26, ce n’est que dans une version augmentée des poèmes de Baudouin Cabilliau (1568‑1652) et de Charles Malapert (1581‑1631)27 qu’un tel élément sera adjoint. Ainsi, bien qu’ils participent de près ou J. Walravens, Mons, 1999, p. 98‑100 et A. Smeesters, Aux rives de la lumière…, p. 12‑13 et 407. 23  J.-C. Polet (éd.), « Matthias Casimir Sarbiewski », dans Patrimoine littéraire européen : anthologie en langue française, vol. 8, Bruxelles, 1996, p. 272‑273 et A. Thill, La lyre jésuite…, p. 46. Les Lyricorum libri III. Epigrammatum liber unus de M. C. Sarbiewski furent notamment réédités à Anvers chez Jan Cnobbaert en 1630. Le recueil fut également augmenté et édité sous le titre Lyricorum libri IV Epodon lib. unus alterque epigrammatum par les soins de Balthasar Moretus en 1632 (in-24°), puis en 1634 et 1646 (in-4°). Ces quatre versions anversoises sont chacune dotées d’un frontispice. 24  J. P. Murphy (éd.), Jesuit Latin Poets of the 17th and the 18th centuries. An anthology of neo-latin Poetry, Wauconda, 1989, p. 96‑100 et A. Thill, La lyre jésuite…, p. 102. 25  A. Thill, La lyre jésuite…, p. 63. 26  Dans une lettre adressée à Balthasar Moretus datée du 1er août 1617, Bernard van Bauhuysen argumente comme suit : In fronte libri, mi Morete, plures sunt, qui iconem aliquam desiderent […]. Mire enim lectorem recreat, Emtorem allicit, librum ornat, neque pretium multum auget. Édité dans J. Judson et C. Van De Velde (éd.), Corpus Rubenianum Ludwig Burchard, part XXI, vol. 2, London, Philadelphia, 1978, p. 366‑367, n° 8‑9. 27  B. Van Bauhuysen et B. Cabilliau, Epigrammata et C. Malapert, Poemata, Anvers, 1634.

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de loin à la notoriété des auteurs, les recueils de poésie peuvent recevoir une attention plus ou moins importante de la part des éditeurs, les impératifs économiques ayant souvent leur importance. Il en résulte une certaine disparité dans le choix des formats et de la « qualité » des ouvrages, dont la présence d’une page de titre illustrée peut être un indicateur28. Dans ces conditions, si la perspective de rassembler les frontispices ornant les recueils de poésies en latin nous paraissait a priori riche, force a été de constater que seuls dix-sept d’entre eux, en ce qui concerne l’édition anversoise de la première moitié du x v ii e siècle (Annexe 1), en furent finalement dotés, ce qui est peu en comparaison avec l’ensemble des publications que compte ce genre éditorial. Mis à part les quelques in-quarto d’auteurs aussi illustres que Matthias Casimir Sarbiewski, Maffeo Barberini (1568‑1644) ou encore Fabio Chigi (1599‑1667), notre corpus rassemble plus largement des éditions de formats plus réduits et dont les auteurs sont très souvent proches du milieu enseignant. Ce constat ne change toutefois en rien la fonction de ces frontispices qui, inaugurant des anthologies de poèmes disparates, doivent proposer au lecteur une image suffisamment générale de la poésie, à la fois capable de révéler toute la grandeur de l’œuvre par son attrait et d’en ponctuer la lecture future. Tandis que les poèmes liminaires qui accompagnent généralement les publications n’ont de cesse de louer l’ingéniosité et la virtuosité des auteurs, la glorification de ces derniers au niveau des frontispices se fait de façon plus détournée. Ainsi, contrairement à Horace qui, en poète lauréat, délaisse son bouclier pour lui préférer le luth et chanter ses Opera sur scène29 (ill. 2), les poètes du x v ii e siècle ne seront jamais directement représentés au niveau de la page de titre, tout au plus bénéficieront-ils d’un portrait placé à sa suite, comme on peut en trouver dans l’édition plantinienne des Poemata de Maffeo Barberini30. Loin de posséder un statut équivalent à celui des auteurs anciens, c’est plutôt par le biais d’une célébration générale de l’ouvrage, auquel leur nom est associé, que ces poètes reçoivent leur consécration. En ce sens, le 28  L. Febvre

et H.-J. Martin, L’apparition du livre, p. 224‑226. Opera, Anvers, 1630. Le frontispice met en réalité en scène plusieurs épisodes de la vie d’Horace. Le bouclier délaissé fait ainsi référence à la jeunesse du poète qui, enrôlé dans l’armée de Brutus et Cassius, fut parmi les vaincus à la bataille de Philippes (42 av. J.-C.). Il dut alors son salut à sa poésie qui sut charmer les vainqueurs, et plus particulièrement le futur empereur Auguste dont une représentation est visible dans la partie gauche du frontispice. La partie de droite laisse quant à elle place à Mécène, lequel fut le protecteur du poète. Voir R. Nisbet, « Horace : life and chronology », dans The Cambridge Companion to Horace, ed. S. Harrison, Cambridge, p. 8 et 10. 30  M. Barberini, Poemata, Anvers, 1634. 29 Horace,

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registre le plus couramment utilisé est celui de la mythologie. Apollon, Mercure, Minerve ou encore les Muses sont fréquemment représentés et se font les chantres d’un des topos littéraires les plus usités : celui du poète élu des dieux31. Il en va alors de la définition de la poésie comme langage inspiré, voir sacré, à laquelle répond la fonction « célébrante » du frontispice qui insiste « sur le livre comme lieu, espace, contenant destiné à abriter et préserver des ‘choses’ précieuses ou même sacrées32 ». Dans ce cadre, on peut retenir l’exemple des Poemata33 de Corneille de Corte (vers 1590‑1638), lequel figure le titre de l’œuvre et le nom de son auteur comme gravés sur une « stèle » placée au centre d’une représentation du mont Hélicon, comme le suggère la présence de Pégase révélant une source, l’Hippocrène, dans la partie supérieure de l’image (ill. 3). S’articulent ensuite autour des différents bras du fleuve divers héros de la poésie, parmi lesquels Orphée, David ainsi qu’Arion, lui-même entouré de sept cygnes couronnés de lauriers34. Présenté au centre de ces exempla, le livre permet donc, par son lien métonymique avec le poète, de hisser celui-ci au rang des plus éminents personnages mythologiques et de lui assurer par la même occasion son passage à la postérité. Dans d’autres cas, un parallèle plus particulier entre le poète et Apollon sera établi, comme pour l’édition des Tragédies et poèmes35 de Michel Hoyer (1593‑1650) où le dieu, tel un rhapsode, chante les œuvres présentées sur un voile tendu devant lui, encouragé par une Renommée soufflant dans une double flute (ill. 4). Par ces jeux métaphoriques, qui consistent en un rapprochement du recueil poétique avec la sphère divine, le frontispice place le poète dans un rapport privilégié avec le sacré, plébiscitant par là le caractère inné de l’inspiration poétique et, en corollaire, la liberté créatrice du poète en vertu de laquelle sa reconnaissance semble possible. 31  Voir notamment F. Joukovsky, Poésie et mythologie au x v i  e siècle. Quelques mythes de l’inspiration chez les poètes de la Renaissance, Paris, 1969, p. 52. 32  M. Fumaroli, L’école du silence…, p. 421. 33  C. de Corte, Poemata, Anvers, 1629. 34  Plusieurs images antiques sont ici figurées en parallèle : Orphée charme Cerbère par son chant, preuve de son pouvoir, tandis que David, avec sa lyre, domine un lion et incarne ainsi la supériorité du poète sur la nature. Dans la partie inférieure de l’image, Arion de Methymne est sauvé par un dauphin grâce aux sons de sa cithare (ici un luth). Sept cygnes nagent autour de ce dernier, lesquels valent comme modèles du poète majestueux, et ici vainqueurs puisqu’ils sont couronnés de lauriers. Ils réfèrent également à Apollon, dont la naissance a été marquée par le vol de sept cygnes au-dessus de l’île de Délos. L’intericonicité de ces références permet d’autant mieux la mise en avant du caractère divin et prophétique de la poésie, et plus particulièrement des poésies de Corneille de Corte. 35  M. Hoyer, Tragœdiæ aliaque poemata, Anvers, 1641.

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Le frontispice des Lyricorum libri IV Epodon lib. Unus alterque Epigrammatum36 de Matthias Casimir Sarbiewski fournit encore un bel exemple du rapprochement établi entre l’auteur et les divinités tutélaires de la poésie (ill. 5). Le lecteur est ici plongé dans un paysage dont la configuration évoque le mont Hélicon : on y reconnaîtra notamment la source Hippocrène, coulant entre deux rochers, creusant une vallée dans laquelle poussent palmiers et lauriers, végétation chère à la symbolique apollinienne. Au centre de cet environnement bucolique, le livre est présenté sous la forme d’un autel autour duquel gravitent les trois figures éminentes que sont Apollon, dieu de la poésie, Erato, plus spécifiquement associée à la poésie lyrique, et Pindare sous la forme d’un nourrisson, poète antique référant à l’Âge d’or de la discipline. Si ces personnages peuvent recevoir une fonction programmatique37, l’ensemble du groupe situé au premier plan de l’image, tourné vers les armes du pape Urbain VIII, renvoie plus largement à la dédicace située au début du recueil, laquelle précise « Ad sacros pedes tuos, Beatissime Pater, venerabundi deponimus hoc Musarum delicium ». Objet d’affection offert par les Muses, évoqué tel un édicule à la fois sacré et pérenne, encore couronné et consacré par Apollon lui-même qui y pose sa lyre, le livre est donc un présent qui doit tout particulièrement son éminence à l’élection divine dont il bénéficie38. En outre, la place centrale accordée à l’autel, métaphore du livre, ainsi que sa position audessus de l’Hippocrène permet d’instaurer un lien entre la source miraculeuse et les armes du dédicataire, lui-même poète reconnu et loué par l’auteur39. Cette mise en scène dans laquelle le livre est présenté, sorte d’opus connecté au monde divin et offert à l’un des représentants 36  M. C. Sarbiewski, Lyricorum libri IV Epodon liber unus alterque Epigrammatum, Anvers, 1632. 37  Erato, muse de la poésie épique, évoquerait ainsi les nombreuses parties du recueil relevant de ce genre, tandis que Pindare, qui excelle par ses odes, en symbolise l’une des formes poétiques les mieux représentées. Voir R. J. Judson et C. Van De Velde, Corpus Rubenianum…, part XXI, vol. 1, p. 266, n° 62. Il semble cependant que les principales sources d’inspiration de Rubens en ce qui concerne l’iconographie soient les poèmes de dédicaces présents à la fin de l’ouvrage. Voir E. Mc Grath, « Rubens’s Musathena », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 50 (1987), p. 237, note 34. 38 Sur l’attitude d’Apollon, voir E. Mc Grath, «  Rubens’s Musathena », p. 237 : « Here he had shown Apollo placing his lyre on an altar which bridges a stream at the foot of twin-peaked Parnassus, while looking to the Barberini arms […] perhaps in the face of this combined clerical talent Apollo is dedicating his lyre to go into retirement ». 39  Le renom dont bénéficiaient les poésies du pape Urbain VIII, ainsi que l’admiration que lui portait M. C. Sarbiewski sont notamment soulignés dans J.-M. Valentin, « L’or et le fer », dans M. C. Sarbiewski. Choix de poèmes lyriques, Paris (Travaux et Recherches des Universités rhénanes 9), 1995, p. x i -x ii .

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les plus éminents de la chrétienté mais aussi de la poésie, permet donc d’évoquer Sarbiewski en tant qu’interlocuteur privilégié des Muses, sorte de vates dont l’œuvre constitue une « vitrine » chargée d’en rendre évidents le prestige et le renom. Dans cette entreprise, la rhétorique visuelle déployée dans ce frontispice ne laisse aucune place aux considérations touchant le travail d’émulation qui, pourtant, marque bien l’activité poétique. Jusqu’ici reléguée dans l’ombre des imaginaires mythologiques qui dominent l’iconographie des frontispices, il existe pourtant une « norme » dont l’essence réside dans l’étude et l’imitation des poètes anciens. Contrairement à ce que l’encomiastique de la page de titre suggère, le poète n’est pas cet « esprit » qui, touché par la grâce des Muses, développerait un don particulier à travers la composition de vers. Dans la pratique, le poète s’apparente plutôt à un artiste dont l’activité est marquée par une union aussi profonde que conflictuelle entre deux « pôles », celui du « génie » et celui des traditions poétiques. Pourtant, si la part de liberté créatrice est mise en tension avec le travail d’émulation dès l’Antiquité, il existait alors un consensus selon lequel la Natura, malgré son énergie propre, restait subordonnée à l’Ars40. C’est surtout à partir de la Renaissance, fortement marquée par la relecture des « Classiques », que les théoriciens, pour beaucoup italiens, développeront l’idée du furor platonicus comme apanage du poète vates, sorte d’énergie qui le pousse à la création, renversant de la sorte l’ancien équilibre41. Bien qu’il permette de reconnaître à l’auteur une place centrale dans la création, ce statut de « poète enthousiaste » sera cependant relativisé au cours du x v i e siècle, laissant alors place à la notion de calor, soit une conception de l’inventivité telle « une sorte d’affectivité, une émotion sincère qui est le déclencheur de l’inspiration42 ». De son côté, le génie platonicien continuera de caractériser la définition des « âges de l’inspiration », où il marque l’activité des poètes de l’Âge d’or tels Horace, Virgile ou Ovide, lesquels, parce qu’ils incarnent la poésie dans sa quintessence, seront les modèles à imiter43. Cette réévaluation de l’activité du poète, plus rationnelle, s’inscrit alors dans la parfaite continuité d’une poésie insérée dans le parcours académique, 40  J. Lecointe,

L’idéal et la différence…, p. 58‑62. L’idéal et la différence…, p. 220 sv et P. Galand-Hallyn et F. Hallyn (dir.), Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au x v i  e siècle, Genève (Travaux d’Humanisme et de Renaissance 348), 2001, p. 114 sv. 42  Ibid., p. 134. 43  Ibid., p. 140‑145. 41  J. Lecointe,

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où l’innutrition des auteurs de l’Antiquité faisait guise de « protreptique » à l’apprentissage de la rhétorique. Dans ce cadre, la poésie était pensée d’emblée telle une démarche intellectuelle capable de toucher le lecteur moins par les affects qu’elle suscite que par l’ingéniosité de son jeu avec son « intertexte classique »44. Lire et apprécier la poésie nécessitait donc une certaine érudition, d’autant plus qu’elle était souvent composée en marge d’une activité d’enseignement45. S’adressant à un public ciblé, le poète pouvait dès lors trouver la reconnaissance de ses pairs pour son adaptation remarquable d’auteurs classiques, tel Sarbiewski surnommé « l’Horace polonais46 ». Représenter les modèles auxquels se réfèrent les poètes n’entre donc pas, a priori, en contradiction avec les visées encomiastiques du frontispice. Pourtant, force est de constater que ceux-ci mettent plus volontiers l’œuvre en relation avec les grands héros et divinités antiques protecteurs de la poésie qu’avec ses éminents représentants historiques. Quelques exemples semblent toutefois se conformer à cette vision de l’inspiration poétique centrée sur l’imitation et le dépassement de ses modèles, comme le frontispice qui accompagne les Lyricorum sive odarum47 de Jean-Baptiste Masculi (1582‑1656), où le lecteur est invité à passer au travers d’une arche à la suite de Pindare et Horace (ill. 6)48. La notion de passage instaurée par le choix du motif iconographique de l’arc cristallise ici, par un fonctionnement différent de celui des pages envisagées précédemment49, l’idée d’un statut « à part » du poète. En 44  La formule est de A. Smeesters, Aux rives de la lumière…, p. 9 ; J. Lecointe, L’idéal et la différence…, p. 86‑87. 45  Nous avons en effet constaté que la plupart des auteurs représentés dans notre corpus ont assuré une charge d’enseignement pendant une période significative. Si certains ont pu publier leurs poésies avant d’occuper ce type de poste, comme Augustin Mascardi, qui fut professeur de rhétorique à Rome et Gênes dès 1628, d’autres composèrent des poésies en parallèle de leur travail d’enseignant, tels Baudouin Cabilliau, régent et préfet aux études dès 1611, Corneille de Corte, professeur de théologie à Bruxelles et Louvain après 1608, Jean van Rivieren, professeur de philosophie au couvent des Augustins de Bruxelles à partir de 1624, ou encore Jacques Bidermann, professeur de philosophie et de Théologie à Dillingen puis Rome. 46  J.-M. Valentin, « L’or et le fer », p. x i x , x x ii . 47  J.-B. Masculi, Lyricorum sive odarum, Anvers, 1645. 48  Ce frontispice copie librement celui utilisé pour la première édition de ce volume à Naples, en 1626. 49  Les frontispices anversois peuvent se décliner selon trois modalités : les frontispices possédant une structure architecturale formant une arcade dans laquelle s’inscrit le titre, ceux qui adaptent plus ou moins librement le motif d’un socle monumental portant le titre sous forme d’inscription, et enfin la catégorie dite des « pages-tableau » construites sur le modèle pictural, où l’écrit tend à être évacué. Les exemples vus précédemment relèvent des deux dernières catégories tandis que celui des Lyricorum sive odarum de

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effet, l’arcade, tout en matérialisant la limite du livre, pose l’auteur et son œuvre en rupture avec l’espace du lecteur, scission que la présence des différents éléments iconographiques disposés autour de l’arc pourront expliquer. Les deux poètes antiques, tout particulièrement reconnus dans le genre des odes, balisent un itinéraire dans le sillage duquel le poète prend place, établissant avec ce dernier un rapport de quasi filiation. Plus précisément, cette participation de l’auteur au Génie antique se traduit par la « digestion », les reprises et adaptations de vers selon un « usage qui a toujours été celui des hommes instruits50 », comme le précise la Scriptoris institutum, sorte d’adresse au lecteur qui succède à la page de titre. Mais, s’il est effectivement célébré en tant que poeta doctus, le poète doit également son « élection » au don qui lui a été accordé, d’où la présence de Pégase, d’un cygne et d’une lyre dans la partie supérieure du frontispice. Tous convoquent l’idée du poète abreuvé des eaux de l’Hippocrène qui, dialoguant avec Apollon sur l’Hélicon, se transformerait en cygne, symbole de la noblesse et de la perfection de son art comme Horace le chantait lui-même dans ses odes51. Les constellations présentes en surimpression complètent encore cette vision « enthousiaste » du poète, dont la destinée et la vocation poétique sont déterminées par les astres52 . Au final, le frontispice semble confronter deux visions complémentaires de la poésie, partagée entre art et prédisposition : inscrits dans la continuité des Classiques, l’œuvre et son auteur sont également placés dans un espace distancié en vertu d’une vocation poétique capable de transformer le texte en chef-d’œuvre, conversion qu’opère l’arche à la manière d’un arc de triomphe53. Si ce caractère cosmique de l’inspiration nous éloigne un Jean-Baptiste Masculi appartient à la première. Sur le développement structurel du frontispice, voir R. Dekoninck, « Au seuil du livre-monument… », p. 21‑22 et J. M. Chatelain, « Pour la gloire de Dieu et du roi… », p. 354‑363. 50 Le Scriptoris institutum précise notamment : Ego igitur hunc ipsum sequor, hunc exprimo ; eius numeris tantum utor, et in primis usurpo eum, in quo ille crebrior, quia grandior atque plenior, et mihi accomodatior ad diuina eandem item materiam aliquando uestire sententiis ac verbis aliis non dubitaui, ut ille saepe, in quo iniquem carpitur a Scaligero ; nec ueritus sum in uerbis ipsis aliquid eius ostri atque purpurae, quod splendorem uideretur accersere, interdum data opera carmini meo attexere in loco : fuit semper hic mos doctissimorum uirorum. 51 Horace, Odes, II, 20, v. 9‑12 : Iam iam residunt cruribus asperae / pelles et album mutor in alitem / superne nascunturque leues / per digitos umerosque plumae. 52  Sur le lien de la poésie avec le thème astral, voir J. Lecointe, L’idéal et la différence…, p. 211‑213. 53  Les arcs de triomphe pouvaient recevoir une portée multiple, depuis la matérialisation d’une limite géographique jusqu’à l’instauration d’un temps particulier, celui de la fête. À ce sujet, voir P. Fortini Brown, « Measured Friendship, Calculated Pomp : The Ceremonial Welcomes of the Venetian Republic », dans “All The World a Stage…” Art

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peu de la notion de calor, l’invitation au passage qu’opèrent les deux poètes musiciens témoigne cependant de la place première accordée au travail, voie par laquelle l’auteur rencontre son public. Dès lors, plutôt que d’annoncer les contenus du livre à la manière d’une « table des matières » illustrée, le frontispice conforterait plus le lecteur dans une approche « érudite » du livre, où la lecture s’apparenterait à l’appréciation de la filiation annoncée par la page de titre. Cette fonction « directrice » est encore plus manifeste dans le frontispice des quatre livres de Silves54 d’Augustin Mascardi (1590‑1640) (ill. 7). Réalisé par Rubens, il se construit tel un « tableau » dans lequel le titre, le nom de l’auteur et celui du dédicataire sont mis en représentation, présentés telle une inscription épigraphique gravée sur un autel sépulcral. C’est sur cet élément, métaphore du livre évoquant à la fois le lieu du sacré et de la mémoire, que vient se placer un médaillon portant l’effigie de Virgile entouré de lauriers, symbole d’élection du poète, ainsi que d’instruments de musique, écho au caractère bucolique de ses vers. Par sa présence, ce portrait inscrit l’œuvre dans un rapport de filiation similaire à celui déjà relevé précédemment et, plus spécifiquement, il indique au lecteur un type de lecture à privilégier : celui d’une appréciation de la reprise des thèmes et de la maîtrise des formes métriques « virgiliennes » (l’hexamètre dactylique) tout au long de l’ouvrage55, aune à laquelle l’ingéniosité du poète pourra être évaluée. Cette mise en évidence de la poésie comme processus d’émulation s’arrête toutefois à ces seuls motifs. Lesquels, à certains égards, entrent en concurrence avec le reste de l’iconographie. Alors que les deux putti et les deux masques jouent un rôle principalement programmatique56, nous nous intéresserons au décor qui se développe à l’arrière-plan, où le palmier et les lauriers, végétation typique à l’Hélicon, insèrent l’œuvre dans une perspective plus mythologique. La présence d’un cartouche zoomorphe qui accueille, entre des pattes et des ailes and Pageantry in the Renaissance and Baroque. Part I. Triumphal Celebraions and the Rituals of Statecraft, ed. B. Wisch et S. Scott Munshower, 1990, p. 137‑138. 54  A. Mascardi, Silvarum libri IV, Anvers, 1622. 55  Voir la notice de l’ouvrage dans R. J. Judson et C. Van De Velde, Corpus Rubenianum…, part XXI, vol. 1, p. 216‑217, n° 48. 56  Ibid. : le putti de gauche, jouant de la lyre, symbolise la poésie épique, laquelle caractérise le premier livre de silves. À droite, le putti soufflant dans une double flute symbolise la poésie élégiaque, duquel genre relèvent les silves des deuxième et quatrième livres. Quant aux masques, ils pourraient référer à la tragédie, présente dans les trois premiers livres, et à la comédie, bien que ce dernier genre ne soit pas représenté. Le second masque pourrait donc plutôt faire allusion au genre héroïque présent dans le second livre, ou encore être un jeu autour du nom de l’auteur.

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de cygne, un médaillon où Pégase est représenté évoque de façon plus probante encore le caractère inné de la création poétique. De ce fait, la position médiane de l’autel semble replacer la poésie et l’inspiration poétique dans la dialectique ars-natura, entre imitation et génie. Plus spécialement, la perspective et la dynamique ascensionnelle de l’image, qui dirigent le regard depuis Pégase à l’avant-plan jusqu’à Virgile dans la partie supérieure, entre en résonnance avec le genre même des silves, poèmes censés trouver leur genèse dans la spontanéité de l’inspiration et leur consécration par un travail sur le texte où seul persiste, au final, une « impression » d’improvisation57. Cette présentation de l’inspiration poétique s’inscrit plus fondamentalement dans l’optique du calor subitus, où « si l’inspiration reste à l’origine de la création poétique, […] elle laisse la part belle à l’érudition et au travail d’émulation58 ». Faisant une place tant au « labeur » qu’à la spontanéité du poète, on pourrait se demander pourquoi ces deux exemples ne rencontrent qu’un développement limité dans l’édition anversoise de la première moitié du x v ii e siècle. Ils semblent pourtant correspondre de façon plus décisive à la réalité de la création poétique, tout en participant à la glorification du livre et de son auteur. Nous avons déjà relevé en ce sens le public « érudit » que ces recueils visaient, invitant notamment le lecteur au jugement des reprises et imitations de vers classiques, et ce quel qu’en soit l’imaginaire associé par le biais du frontispice. Il est toutefois possible de trouver, dans les buts assignés à ce dernier, une objection à la mise en évidence des sources antiques. En effet, loin de proposer un discours complet sur le livre, le frontispice se doit de ne mettre en avant que les informations les plus adaptées, soit celles qui sont susceptibles d’attirer le public cible et de susciter en eux suffisamment d’attrait pour inciter à l’achat. Dans ce cadre, délivrer l’identité des modèles pris par le poète, si cela pouvait contribuer à son renom, dévoilait également ce que seule une lecture érudite avait la capacité de révéler. Choisir un modèle plus générique, tel Apollon, permettrait donc au frontispice d’affirmer l’existence d’une grandeur poétique chez un auteur tout en en laissant au lecteur le choix des raisons de l’application. Dès lors, on pourrait éventuellement voir dans le frontispice des

57  P. Galand-Hallyn et F. Hallyn (dir.), Poétiques de la Renaissance…, p. 133‑134. De plus, « the title of Mascardi’s publication was very likely inspired by the Sylvæ of Publius Papinius Statius (c. 45‑96 A.D.) which is a collection of topical poems partly based on Virgil », dans R. J. Judson et C. Van De Velde, Corpus Rubenianum…, part XXI, vol. 1, p. 216, n° 48. 58  P. Galand-Hallyn et F. Hallyn (dir.), Poétiques de la Renaissance…, p. 136.

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Epistolarum, Heroum et Heroidum Libri Quatuor59 de Baudouin Cabilliau (1568‑1652) une voie médiane où Apollon, sortant d’une nuée, confie une palme à Mercure dont le caducée est doté d’un voile marqué des indications bibliographiques (ill. 8). Si ce dernier est traditionnellement évoqué comme protecteur des voyageurs, ce qu’appelle au moins en partie la mention Epistolarum dans le titre, c’est aussi en tant que dieu de l’éloquence qu’il s’impose, incarnant alors la part rhétorique de la poésie, laquelle consiste à « arranger » les mots dans le but de toucher son lecteur. À travers une dichotomie ciel-terre, cette image pose donc la poésie comme un langage situé à la croisée de deux chemins, l’un émanant du divin et l’autre dérivant de l’intellect, un langage qui n’en reste pas moins l’apanage d’êtres d’exception. ANNEXE Liste des recueils de poésies publiés à Anvers avec un frontispice Selectae PP. Soc. Iesu. Tragoediae, Anvers, apud Ioan Cnobbarum, 1634. Bar ber ini , M., Poemata, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti 1634. C a billi au, B., Epistolarum, Heroum et Heroidum Libri Quatuor, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1636. C higi , F. (= P hilomathes), Musae Juveniles, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1654. D e C orte , C., Poemata, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1629. D e P utte , E., Epistolarum selectarum apparatus, Anvers, typis Ioanni Cnobbari, 1637. H oy er , M., Tragoediae aliaque poëmata, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1641. G uiniggi , V., Allocutiones Gymnasticae, Anvers, apud Ioannem Cnobbarum, 1633. —, Poesis, Anvers, apud Ioan Cnobbaert, 1633. —, Poesis heroica, elegiaca, lyrica, epigrammatica aucta & recensita : item dramatica, nunc primùm in lucem edita, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1637. M ascar di , A., Silvarum libri IV, Anvers, ex officina Plantiniana, 1622.

59  B. Cabilliau,

Epistolarum, Heroum et Heroidum Libri Quatuor, Anvers, 1636.

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M asculi , J.‑B., Lyricorum sive odarum, Anvers, apud Iohannes Meursium, 1645. S ar biewsk i , M. C., Lyricorum libri tres Editio tertia auctior. Epigrammata liber unus, Anvers, typis Ioannis Cnobbari, 1630. —, Lyricorum libri IV Epodon liber unus alterque Epigrammatum, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1632. S ar biewsk i , M. C., Lyricorum libri IV Epodon liber unus alterque Epigrammatum, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1634. Va n Bauhu ysen , B. et B. C a billi au, Epigrammata – C. M a lapert, Poe­ mata, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1634. Va n R i v ier en , J., Poemata, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1629.

BIBLIOGRAPHIE Textes Imago Primi Sæculi Societatis Iesu, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1640. Bar ber ini , M., Poemata, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti 1634. C a billi au, B., Epistolarum, Heroum et Heroidum Libri Quatuor, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1636. D e C orte , C., Poemata, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1629. H or ace , Opera, Anvers, apud Ioannem Cnobbarum, 1630. H oy er , M., Tragoediae aliaque poëmata, Anvers, apud Henricum Aertssens, 1641. M ascar di , A., Silvarum libri IV, Anvers, ex officina Plantiniana, 1622. M asculi , J.‑B., Lyricorum sive odarum, Anvers, apud Iohannes Meursium, 1645. S ar biewsk i , M. C., Lyricorum libri IV Epodon liber unus alterque Epigrammatum, Anvers, Ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1632. Va n Bauhu ysen   B. et B. C a billi au, Epigrammata – C. M a lapert, Poe­ mata, Anvers, ex officina Plantiniana Balthasaris Moreti, 1634. Études critiques C hatelain , J. M., « Pour la gloire de Dieu et du roi : le livre de prestige au x v ii e siècle », dans La naissance du livre moderne (xiv  e-xvii  e  siècles) : Mise en page et mise en texte du livre français, éd. H.‑J. Martin, Paris, 2000, p. 354‑363.

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Ill. 1 : Imago Primi Saeculi Societatis Iesu Antuerpiæ, 1640. Frontispice. (Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 797)  Museum Plantin-Moretus.

Ill. 2 : Q. Horatii Flacci Opera ab obscœnitate expurgata Antuerpiæ, 1630. Frontispice. (Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. B 1146.16)  Museum Plantin-Moretus.

Ill. 3 : C. Curti Poemata Antuerpiæ, 1629. Frontispice. (Bibliothèque Royale de Belgique, Bruxelles, inv. VB 6300 A)  Bibliothèque royale de Belgique.

Ill. 4 : M. Hoyeri Tragoediae aliaque poëmata Antuerpiæ, 1641. Frontispice. (Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 271.2)  Museum Plantin-Moretus.

Ill. 5 : M. C. Sarbievii Lyricorum livri IV Epodon liber unus alterque Epigrammatum Antuerpiæ, 1632. Frontispice. (Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 828)  Museum Plantin-Moretus.

Ill. 6 : I. B. Masculi Lyricorum sive odarum Antuerpiæ, 1645. Frontispice. (Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience, Antwerpen, inv. C 1481)  Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience.

Ill. 7 : A. Mascardi Silvarum libri IV ad Alexandrum principem estensem S.R.E. cardinalem Antuerpiæ, 1622. Frontispice. (Museum Plantin-Moretus, Prentenkabinet, Antwerpen, inv. A 322)  Museum Plantin-Moretus.

Ill. 8 : B. Cabiliavi Epistolarum, Heroum et Heroidum Libri Quatuor Antuerpiæ, 1636. Frontispice. (Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience, Antwerpen, inv. C 43.190)  Erfgoedbibliotheek Hendrik Conscience.

Jane H. M. Taylor

A GR AMMAR OF LEGIBILITY * PIERRE FABRI’S GR ANT ET VR AY ART DE PLEINE RHETORIQUE AND ITS MISE EN TEXTE Interim tamen lexicorum […] utilitatem non negligit, non ut a principio ad finem perlegat, quod operosius quam utilius fieret, sed ut consulat ea per intervalla1 .

P ier r e Fa br i ’s Gr ant et vr ay art de pleine r hetor ique , published in 1521, is, says the title-page with a touch of self-importance and an eye to advertising, « utille, proffitable, et necessaire a toutes gens qui desirent a bien elegamment parler et escrire2 » – as of course was only to be expected from a writer with such credentials: Maistre, tresexpert, scientifique, et vray orateur3. About Pierre Fabri – or Pierre Lefèvre (Fabri is simply the Latinised version) – little is known4. The title page to the Grant et vray art tells us that by 1521 he was dead: he *  The phrase was coined by M. Parkes, in « The contribution of insular scribes of the seventh and eighth centuries to the grammar of legibility », in Grafia e interpunzione del latino nel medioevo, ed. A. Maierù, Roma, 1987, p. 15‑31. 1  C. Gesner, Historia animalium (1551) ; quoted by A. M. Blair, Too much to know : managing scholarly information before the modern age, New Haven, London, 2010, p. 117. Her translation reads : « The interest of such lexica lies not in reading them from beginning to end – something that would be more tedious than useful – but rather in consulting them from time to time ». 2  Published in Rouen for Symon Gruel ; see Paris, BnF, Rés. X 1252 ; a facsimile, from which I shall quote, was published by Slatkine Reprints, Genève, 1972. The Grant et vray art also exists in a modern edition, with an introduction and notes in vol. II, by A. Héron, 2 vols, Rouen, 1889‑1890. Note that in quoting from this and other medieval and Renaissance texts, I have normalized punctuation and orthography in accordance with standard editorial practice. 3  Fabri’s publisher Symon Gruel is accorded a three-year privilege, to protect his investment in having the Grant et vray art « dict[é] et corrig[é] » – perhaps following the death of Fabri himself ; on the privilège system in France, see E. Armstrong, Before copyright : the French book-privilege system, 1498‑1526, Cambridge, 1990. 4  The fullest account – although now rather dated – comes from Héron’s edition of Fabri’s Grant et vray art, II, p. i-xi ; see also, more briefly, Abbé J. A. Tougard, Les trois siècles palinodiques, ou Histoire générale des palinods de Rouen, Dieppe, etc., 2 vols, Rouen and Paris, 1898, I, p. 282‑285.

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had, apparently, been en son vivant curé de Meray et Natif de Rouen5 ; he is known otherwise to have been one of the judges for Rouen’s Puy de la Conception in 1486, the year of its foundation, and Prince of the same Puy in the following year, 14876 ; Héron speculates accordingly that he may have been one of the founders of the festival7. He was not, it seems, especially prolific: in about 1514 he had been the author of a dialogue, or debate, on the Immaculate Conception of the Virgin Mary, the Defensore or Defensoire de la Conception8 ; he produced a handful of poems, including some Epithaffes fais a Rouen du feu Roy Loys par maistre Pierre Fabri found in a miscellany manuscript now in the Bibliothèque nationale de France9 ; finally, and I am most grateful here to Professor Denis Hüe of the Université de Rennes for this information, he may have been the author of a treatise on Saint Anne, now in Paris, BnF Arsenal10. By far his most substantial, and certainly his most well-known and widespread work is however the Grant et vray art de pleine Rhetorique, the mise en texte of which, and in particular its use of finding aids, is the subject of the present paper. It enjoyed considerable success, and far beyond Rouen where it was published and which, as we shall see, prompted its composition: there were, says the most recent count, no fewer than twenty-two further editions and printings before 1550, principally in Paris and from some of the more prestigious libraires, but also in Lyon and Caen11. It is divided into two sections, the first, 5  In his edition of Fabri’s Grant et vray art, p. iv-vi, Héron discusses, at length, the location of Méray – is it Mérey in the Berry, or Mérey in the Eure ? – but without being able to come to a conclusion. 6  See G. Gros, Le poète, la Vierge et le prince du Puy : étude sur les Puys marials de la France du Nord du x iv  e siècle à la Renaissance, Paris, 1992, p. 120‑121, 125‑127, and cf. Id., Le poème du Puy marial : étude sur le serventois et le chant royal du x iv  e siècle à la Renaissance, Paris, 1996, and D. Hüe, La poésie palinodique à Rouen (1486‑1550), Paris, 2002. 7  In his edition of Fabri’s Grant et vray art, p. viii. 8  Petit traité dialogue fait en l’honneur de Dieu et de sa mère, nommé le Défensore de la conception, published by Martin Morin in Rouen, with a privilège (see Paris, BnF, D 7602) dated 1514 ; see most fully D. Hüe, La poésie palinodique à Rouen, p. 114‑128, and G. Gros, Le poème du Puy marial, p. 160‑162. The topic, of course, would become vitally important to a Puy dedicated to the Immaculate Conception. On the publisher, Martin Morin, see E. Frère, De l’imprimerie et de la librairie à Rouen, dans les x v  e et x v i  e siècles, et de Martin Morin…, Rouen, 1843. 9  Paris, BnF, fr. 24315, fol. 20r-24r. 10  See http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55005729x.r=.langFR ; Professor Hüe is intending to make a study of this text. 11  French vernacular books : books published in the French language before 1601, ed. A. Pettegree et al., Leiden, 2012, I, p. 263.

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rather larger, devoted to rethorique prosaique12 , the second to rethorique de rithme. The preface to this second book is revealing: La science ja dicte en prose, j’ay intention de traiter de l’art de rithmer, lequel pour aulcun cas est plus plaisant que la prose, car les propositions et mesures delectent plus l’entendement que simple prose, et aussi a celle fin que les devotz facteurs du champ royal du Puy de l’Immaculee Conception de la Vierge ayent plus ardant desir de composer de tant qu’ilz en congnoissent la maniere, par laquelle leur devotion croistra, et affin que noz treshonnorez seigneurs et maistres les princes et poetes laurez d’iceluy Puy ayent aulcune recreation. (II, fol. 1r)

His treatise is designed, therefore, primarily for local and pedagogical purposes (that is, specifically for the practitioners of the Puy in Fabri’s city of Rouen): firstly for the facteurs du champ royal, so that they can acquire a full understanding of la maniere in which a chant royal was to be constructed, and secondly, as a handbook for the princes et poetes laurez. By facteurs, he means the aspirant poets who might submit a chant royal to the judgement of the Puy13 ; the prince of a Puy, Gros explains with admirable succinctness, is « une sorte de protecteur des lettres, législateur en matière de poétique14 » ; and the poetes laurez are, it seems, those whose poems have already been awarded the annual prize. The treatise accordingly makes no particular claim to originality: on the contrary, it is intended normatively, designed to reinforce existing patterns of verse production in the face of what he implies are defiant individualists. There are, he says, aulcuns ignorans who imagine that they can construct ballades or rondeaux according to their own preference ; they would do better to consult someone – someone presumably like Fabri himself – having a certain authority, and experience. It comes as no surprise, therefore, to realise that his own Grant et vray art is dependent on existing arts ; indeed he makes no particular claim to originality, and regularly names and quotes, or more precisely draws examples from, two illustrious predecessors: from L’Infortuné, from whom he borrows a wealth – perhaps the majority – of his 12  It will, he promises, instruct readers in the art of composing, elegantly, « toutes sortes de oraisons, requestes, procez, sermons, lettres missives, epistres etc ». My focus in this paper is on such material things as page layout ; I shall quote therefore from the 1972 facsimile, here Book I, fol. 1r (references henceforward in the text). I also quote from Héron’s edition of the Grant et vray art (see above). 13 A footnote to the Rhetorique prosaique which precedes Fabri’s second livre explains : « la ou l’en trouvera facteur, il fault entendre orateur » ; mutatis mutandis, in the second livre itself, the sense is simply « poet ». 14  Le poème du Puy marial, p. 192.

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examples and whom he refers to as an acteur elegant (fol. 2v)15, and from Jean Molinet, also repeatedly referenced as « Moulinet excellent orateur » (see for instance fol. 23r)16. To say this, however, might give the impression that Fabri’s is a cut-and-paste job, and it is important to see that on the contrary, his methods are selective, and critical. L’Infortuné is, of course, the anonymous author of the treatise in rhyme known as the Instructif de seconde rhétorique, which prefaces Antoine Vérard’s monumental Jardin de Plaisance published in 150117 – and I stress « in rhyme », here, because Fabri, writing in prose, necessarily paraphrases and edits, so that the chief function of the Instructif is, as I suggested, to provide much of the wealth of examples that Fabri uses to illustrate his pronouncements. « Moulinet excellent orateur » refers us to the prose Art de rhétorique which was published by the great Parisian libraire Antoine Vérard in 149318. But it would be wrong to underestimate the critical distance which Fabri maintains from both his sources. His edito15  See fig. 1 for Fabri’s insistence on his debt to L’Infortuné : on fol. 7r, for instance, he cross-refers to him no fewer than four times… 16 On Fabri’s relations with L’Infortuné and Molinet, see T. Mantovani, « Pierre Fabri et la poétique des Puys dans le second livre du Grand et vrai art de pleine rhétorique », Nouvelle revue du seizième siècle, 18 (2000), p. 41‑54. 17 Which I quote from the facsimile of the editio princeps done by E. Droz and A. Piaget, 2 vols, Paris (Société des anciens textes français), 1910‑1914. The Instructif occupies fols a.ii.v-e.ii. ; references henceforward in the text. On the Instructif itself, see my « La double fonction de l’Instructif de la seconde rhétorique ; une hypothèse », dans L’écrit et le manuscrit à la fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck and C. Van Hoorebeeck, Turnhout (Texte, Codex & Contexte, 1), 2006, p. 343‑352, and particularly J. Cerquiglini-Toulet, J.-C. Mühlethaler, J.-Y. Tilliette, « Poétiques en transition : L’Instructif de seconde rhétorique : balises pour un chantier », dans Poétiques en transition : entre Moyen Âge et Renaissance, Lausanne (Études de lettres, 4), 2002, p. 9‑22. I have been unable to consult P. Mitzel Whitney’s thesis, A  Study of L’Instructif de la Seconde Rethoricque, unpublished thesis, University of Oregon, 1963. Note, finally, that editions of the Instructif and of Molinet’s Art de seconde rhétorique, edited by J.-C. Mühlethaler et al. under the direction of J.-C. Monferran, have appeared in La Muse et le Compas : poétiques à l’aube de l’âge moderne. Anthologie, Paris (Textes de la Renaissance, 196, série Rhétorique et poétique de la Renaissance), 2015 : too late, unfortunately, to be used as reference-texts here. 18 Published in Recueil d’arts de seconde rhétorique, éd. E. Langlois (Paris, 1902), p. 214‑252 (references henceforward in the text, prefixed Molinet, Art). Some confusion arises from the fact that Antoine Vérard, publishing this treatise in 1493, attributes it to a certain Henry de Croÿ ; for questions of authorship and printing history, see Langlois’s edition, p. lvi-lix) ; A. Armstrong, « Versification on the page in Jean Molinet’s Art de rhétorique : from the aesthetic to the utilitarian », Text, 15 (2003), p. 121‑139 ; Id., « Vers, prose, technologie : ponctuer l’art de rhétorique de Jean Molinet, du manuscrit à l’imprimé », dans La ponctuation à la Renaissance, éd. N. Dauvois and J. Dürrenmatt, Paris, 2011, p. 57‑70. These two articles give the essential codicological information on Molinet’s Art, which Fabri could have accessed from any of a number of printed editions.

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rial procedures give his own treatise a specificity which we should not underestimate: however rudimentarily, however unsuccessfully, he has reflected on the norms propagated by illustrious predecessors. Accordingly, he is eager that his readers should understand the art of verse as a developing science, where the latest authorities (the modernes) have instituted new and exciting prescriptions: introducing a section on the importance of matching lexicon to metaphor, he gives an « addition selon les facteurs et orateurs modernes pour bien composer ung champ royal » (fol. 36v)19. Rime equivoque, he says « a esté fort usitee es vielz livres, et par les modernes delaissee… » (fol. 8v) ; the longest lines are of « treize [syllabes] selon les anciens et selon les modernes de unze » (fol. 1v). And indeed he feels free, regularly, to edit, or take issue with L’Infortuné. Take, for instance, from the Instructif, L’Infortuné’s remark on the rondeau: Par et pour, mais, doncq, par, car, quant Ne se doibt rondeau commencer… (Instructif, fol. b.ii.r)

Fabri is judiciously sceptical ; this is a blanket prohibition which does not seem to him appropriate: L’Infortuné declare aulcuns termes par lesquelz on ne doibt point commencer rondeau, pource qu’ilz sont tresdifficilles a recueillir substance. Mais tous termes sont louables a qui l’en les applique. (fol. 24r)

And he certainly abrogates the right to edit and adapt – take, this time deriving from Molinet’s prose Art de rhétorique, Fabri’s rather unsuccessfully revised explanation of the verse-form known as a rique­ raque: Fabri borrows Molinet’s example, and, in part, his predecessor’s exposition: La ricqueracque est en maniere d’une longue chanson faicte par couplets de six ou de sept sillabes la ligne, et chascun couplet a deux diverses croisees, la premiere ligne et la tierce de sillabes imparfaictes, la seconde et la quarte de parfaictes, et pareillement la seconde croisee distinguees et differentes en termination. Et doit tenir ceste mode de sillabes en tous ses couplets affin qu’elle soit convenable. Au champ de ceste taille couloura messire Georges Chastellain ses Croniques abregies. (Molinet, Art, p. 247) 19  Here his focus is the lexis of metaphor. The modernes, he says, prescribe appropriateness : if the poet « veult parler de la mer il doibt user de termes marins et de choses propres ». On Fabri’s originality in this context, see Gros, Le poème du Puy marial, p. 344‑357.

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But he radically abbreviates it: Il est une maniere de chansons que les Picartz appellent riqueraque, de ligne a six ou sept syllables ; et chascun couplet a deux lysieres20 ou croisees, la premiere et la tierce feminines & et la seconde et la quarte masculine ; & doit avoir plusieurs clauses. (Fabri, Grant et vray art, fol. 35r)

The result, it must be admitted, is considerably less clear than Molinet’s original – and lacks some crucial information: for instance that each quatrain should have its individual rimes croisées, abab rhymes. But both these examples show a Pierre Fabri who likes to feel that his treatise is modern, state-of-the-art – and, especially, complete. What I want to explore in this paper, however, has as I suggested earlier less to do with poetics than with state-of-the-art publishing: with the mechanisms involved in making Pierre Fabri’s treatise available, and accessible, to a reader, and what these may suggest about the readership that he intended21. I want to suggest that Fabri himself, or perhaps, after his death, his publisher Symon Gruel, have invested time and energy, and money, in devising methods to manage an unruly miscellany of textual information, and that this is a process of textual management that reflects, rudimentarily but remarkably, in an obscure publishing house22 , a developing intellectual culture in early modern France and beyond, in Europe. Fig. 1 shows a double page, fols 6v-7r, dealing with varieties of rhyme. These are very busy pages, slightly cramped, not necessarily well-planned or consistent, not always easy to decipher, but we can nevertheless, I believe, see paratext23, layout and typography here as being designed to provide an aid for easier intelligibility, and in particular, and I return to this point below, for selective reading. 20  Lysiere appears, like croisee, to mean a group of four lines rhyming abab (…) ; I find no trace of the word in, for example, the Dictionnaire du moyen français. 21  I am not, in other words, intending to discuss, other than obliquely, the content of Fabri’s Grant et vray art : in his « Prospections et prospectives sur la Rhétorique seconde », Le Moyen Français, 46‑47 (2000), p. 541‑562, C. Thiry points out how much remains to be done to systematise our understanding of the arts de seconde rhétorique ; Armstrong, « Vers, prose, technologie », shows in the case of Molinet’s Art how much valuable information can be derived from mise en page. 22 The libraire Symon Gruel is virtually unknown ; the BnF catalogue lists just one other publication (De Morte immatura atque lamentabili obitu reverendi patris domini Guillelmi Guerini, abbatis Beccensis, Rouen, 1515 – also, incidentally, printed for Gruel by Thomas Rayer). 23 On paratext, see G. Genette, Paratexts  : thresholds of interpretation, trans. J. E. Lewis, Cambridge, 1997, but also, more recently and on the early modern period in particular, F. Von Ammon and H. Vögel, Die Pluralisierung des Paratextes in der Frühen Neuzeit : Theorie, Formen, Funktionen, Berlin, 2008.

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Typographically, each page here, as throughout the book, has a header: here, « Rithme faicte de plusieurs termes », which labels the overall topic of this section of the text. Below that, and below, on fol. 6v, the quatrain in alexandrines which, it turns out, completes an example demonstrating incision (caesura) from a poem by Le moyne alexis24, our page embarks on a new topic, signalled by an indent, a pied-de-mouche, and a capita ; a marginal printed header, « Differences de rithme en fin de ligne », draws attention to, and labels, a new subcategory of rithme, and beyond that points to two sub-sub-categories, « rithme leonine » and « rithme equivocque25 » (fig. 4). The text-block proper uses further pieds-de-mouche, indenting, centring ; it uses key reference-terms like nota and ite ; some attempt is made to use white space to indicate the hierarchies of entries, headings, and subheadings. On fol. 7r, he seems even to interpret the lexeme moust, « must », « new wine », with the Latin hint « pro vino ». Despite the fact that the pages nevertheless are difficult to interpret – that so much text is packed into the text block – this layout is nevertheless an interesting initiative. I shall return later to comparisons with Molinet’s Art and with the Instructif, but first I want to draw attention to another striking initiative undertaken by Fabri himself or his publisher Symon Gruel: an alphabetical index, headed Tabula (see figs. 2, 3). Once again, we should not be dismayed by the cramped page or by the inconsistencies that seem to have arisen because the indexer seems not altogether to have understood the principles of subalphabetization, that is, that in the category B, and reading vertically, « ballade » should precede « baston », and in the category C, « chanson » should precede « chappelletz », and « baguenaudes » « boutechouque ». Nor should we be too dismayed by the fact that entries here do not each appear at the beginning of a new line, but rather are run on to a previous line (presumably to save space, and hence paper) ; this is not uncommon in early indexing26. The mere fact that an alphabetical index has been essayed is remarkable ; to my knowledge, no surviving previous art poétique attempts such an enterprise – and it is, 24  That is Guillaume Alexis, author of Le martilloge des faulces langues and Le débat de l’homme et de la femme, among other notable moralistic works. I have, however, been unable to identify this specific reference, in Alexis’ Œuvres poétiques, ed. A. Piaget and Emile Picot, 3 vols, Paris (Société des anciens textes français), 1906‑1908, not least because in none of the contents does Alexis use the alexandrine. 25  It is not clear how significant is the use of capitals in the marginal heads : are the lower case initials of what I have called « sub-sub-heads » intended to indicate hierarchies… ? 26  See Blair, Too much to know, p. 90‑93.

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interestingly, something which the art of print had made comfortably possible, and which was therefore, in 1521, at the forefront of reference-book technology.27 I do not, of course, mean to imply that alphabetical indexes were an invention of the printing press ; on the contrary, as early as the thirteenth century, they had become a useful tool for the sermon-writer and were therefore sometimes included, for instance, in manuscript florilegia28. But print made it possible to make accurate page references across a large number of identical copies – and an index based on a printed volume offered a distinct and valuable service to a reader hoping to look up, or extract, material29. An index, in theory, provided a powerful and versatile finding-aid which could manage the most miscellaneous textual information, and it facilitated access to the sort of reference text which demanded consultative, rather than consecutive, reading. Because of their perceived value, publishers might commonly advertise the inclusion of an index as a marketing device on the title page30 – precisely, of course, as Pierre Fabri and Symon Gruel do, in the prefatory remarks (fig. 2) to their Tabula: Ensuit la table du livre de la rethorique de rithme, laquelle nous avons mise a part, pour plus facillement trouver les termes et figures contenues en icelle.

27  In an excellent and ground-breaking article, Susan Kovacs addresses the paratextual functions in the index in general, illustrated largely with reference to Boileau’s Art poétique in 1674: see « Discourse analysis and book history : literary indexing as social dialogue », in Textual scholarship and the material book, ed. Wim Van Mierlo, Amsterdam, New York, 2007, p. 243‑262 ; she stresses particularly the communicational role of the index, as a dialogue between author or publisher, and reader. 28  On indexing and other finding aids designed to facilitate rapid and accurate consultation, I am very much dependent on A. M. Blair’s recent, and excellent, Too much to know (see above, n. 1) ; on alphabetical indexes in florilegia in particular, see p. 124‑126 (and see also her earlier « Annotating and indexing natural philosophy », in Books and the sciences in history, ed. Marina Frasca-Spada and Nick Jardine, Cambridge, 2000, p. 69‑89). See on the same subject R. H. Rouse and M. A. Rouse, « Thirteenth-century sermon aids », in their Preachers, florilegia and sermons : studies on the Manipulus Florum of Thomas of Ireland, Toronto, 1979, p. 3‑42. Alphabetical indexes nevertheless remained intermittent even here : see Blair, Too much to know, p. 152‑160. 29  See W. J. Ong, Ramus, method, and the decay of dialogue : from the arts of discourse to the art of reason, New York, 1974, p. 75‑91. 30 See A. M. Blair, « Annotating and indexing natural philosophy », and see also A. Moss, Printed commonplace-books and the structuring of Renaissance thought, Oxford, 1996, p. 194‑195. In the context of index-as-marketing-tool, it is instructive, for instance, to enter the search item « index locorum communium » into the BnF catalogue : it produces 63 notices from the 1500s and 1600s…

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Now, the mechanics of the process. The pages reproduced in figs 2 and 3 show something of the indexer’s habits. The majority of his entries derive from the marginal statements for which he is, perhaps, himself responsible: he has, for instance (fig. 3), picked up from fol. 6v (fig. 1) the marginal statement that we noted earlier: thus the single entry « rithme leonine et rithme equivoque » – and he has picked up (fig. 2), from fol. 7r, the marginal summary « impropre equivoque31 » ; he or she32 , in other words, is here attempting to capitalise on existing finding aids to construct the overall glossary of topics. Admittedly, the indexer here is not especially expert, or coherent: with the latter phrase, « impropre equivoque », the logical headword is of course equivoque. But the marginal statements are not the only source from which he quarries entries, and it would underestimate his conscientious efforts at completeness not to note that other items indexed emerge from an indexer’s reading of the text itself. Take, for instance, in fig. 3, the list of varieties of rhyme: Varieties

folio ref in index

Source of index entry

rithme croisee

fol. xv

Text (fol. 12r)

rithme enchainee

fol. xv

marginal statement

rithme entrelachee

fol. xvi

marginal statement

rithme annexe

fol. ibidem

marginal statement (fol. 16v)

rithme couronnee

fol. xvii

marginal statement (fol. 17r)

rithme retrograde

fol. ibidem

marginal statement (fol. 17v)

rithme de deux et ar

fol. xix

marginal statement (fol. 19r)

rithme barbare ou diphtongue picarde

fol. xlii

marginal statement (fol. 43v)

His methods are, admittedly, sometimes suspicious ; on fols 46v and 47r is a catch-all list of autres figures, marked not this time by marginal statements but by rubrics. The indexer has harvested these – but again not consistently, so that, for instance, we have no tautologia (fol. 46v)… What is remarkable, however, is the fact that he has made some at31  These entries are not, of course, well designed : better headwords might have been leonine and equivoque… 32  By « indexer » I do not imply a specific role in the print-shop, nor that the author himself might have been responsible : an index, usually thought of as no more than a mechanical exercise, might be delegated to amanuenses, or to one of the correctors or jobbing writers employed, more or less permanently, by the libraire. I concede that by calling the indexer « he » and « him », I am pre-empting possible female candidates – but I suspect that the prime suspects will be either Fabri himself, or Symon Gruel, or one of their (in all probability male) correcteurs.

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tempt at lemmatisation of the original, with a rudimentary subjectindex and occasional thematic entries: for instance, the entry (fig. 2) « Differences de escripture et non de pronunciation » summarises the question of pronunciation or non-pronunciation of final s and z, or the difference between ouy venu de ita (one syllable) and ouy descendu de audio (two syllables), and is not indicated by a marginal statement, or a running head. Now it is important to note that this wealth of finding aids is not made available in either of Fabri’s sources, Molinet’s Art or the Instructif. Vérard’s elegant edition of the former – however faulty the text – is wonderfully spacious, especially by comparison with Fabri’s crowded page ; it is remarkable for its visual clarity ; it has hierarchical indenting and centring, paraph marks (coloured in the BnF’s vellum copy), headings ; but the reader in search of specific modes or figures would have difficulty in navigating it33. There is no index, no table of contents ; there are no typographical devices used to indicate the topic as opposed to the presence of an exemple (so for instance, on fol. b. ii.r, nothing in the mise en page indicates that the page treats rime ruralle, rime goret, redictes, etc.). The Instructif, similarly, has no index ; its finding aids are confined to Latin head-words and headings within the text (« Diffinitio sinalimphe », « Diffinitio sincope », « De sinonimia », or, as in fig. 5, simply repeated « aliud notabile ») which are of course equivalent to Fabri’s marginal statements, but which require the reader wishing to consult a particular entry to leaf through the text as a whole in search of it. What is assumed in both of these, I believe, is « consecutive reading »: that is, a predominantly intensive reading from end to end, no doubt permitting, ultimately, and once the reader is very familiar with the text, consultation or reference reading, that is, skimming, browsing, extracting. By contrast, Fabri’s Grant et vray art, with its index and its multiple finding aids, seems to assume a priori a consultation reading: that it will serve as a convenient, and economical, reference text for a specific environment: the Puy, with its aspirant poets and busy, norm-driven judges. 33  Paris, BnF, Réserve Vélins 577, one of Vérard’s presentation copies, is available on Gallica. Note that there exist three manuscripts of Molinet’s Art : Paris, BnF, fr. 2159 (on which see Armstrong, « Versification »), Paris, BnF, fr. 2375, and Cambridge, Gonville & Caius College ms. 187:220 ; Fabri could of course have been consulting any one of these, or another now lost, with finding aids as in his 1521 edition. Fabri could also have consulted the four editions of Molinet’s Art that preceded his own publicatio ; in none of them, however, are finding aids devised on the scale, or with the rigour, described here.

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What I am suggesting, here, is that Fabri, or Pierre Gruel, are, as it were, professionalising the art poétique, knowing the intended readership: as Mantovani says, « [Fabri] ne raisonne pas simplement en tant que théoricien de la seconde rhétorique, mais aussi comme représentant d’une institution34 ». I italicise this last phrase because it may, I believe, be precisely what explains the very particular mise en texte of Fabri’s Grant et vray art35. Denis Hüe has explored the question of the milieux palinodiques: that is, of the juries and princes of, and participants in the Puy36. It would, he points out, be impossible to make a complete study without years of work in the archives – but he is able to draw some interesting provisional conclusions. The vast majority of jurymembers are churchmen: abbés, but also curés and other members of the churches ; the « socio-professional status » of the poets is slightly different, in that although they are principally churchmen, they are also jurists, officiers royaux, merchants and craftsmen. Might it be, then, that a milieu of non-poets, and especially of those promoted to the position of judge or prince, was felt to require a compendium which would be particularly easy of reference ? It is possible to imagine Molinet’s Art or the Instructif being read consecutively (and it is, as we have said, difficult to see their being used as reference books) ; Fabri’s Grant et vray art, on the contrary, seems designed for consultation, and has been supplied with all the finding aids with which printers experimented, for reference genres, as from 1500 or so37. The title page says 34  Mantovani, « Pierre Fabri », p. 54. See also Gros, Le poème du Puy marial, p. 98, suggesting that Fabri’s was one of the rhetorical treatises emanating from « une association dont ils fixeraient le règlement ». Hüe, La poésie palinodique à Rouen, p. 897, wonders : « Fabri a-t-il contribué à fixer les règles du Puy, ou s’est-il contenté de les enregistrer ? » If indeed Fabri was partially responsible for setting the « rules » for the Puy de la Conception, then the efforts made to promote effective navigation of a text of this sort would also seem particularly rational. 35  I borrow the term mise en texte (as opposed to mise en page) from R. Chartie ; by it he means the strategies by which a book is remodelled, modernised, simplified, abbreviated, supplied with paratextual information, and thereby acquires the means which publishers employ to ensure a « lecture correcte » (see « Du livre au lire », dans Id., Pratiques de la lecture, Marseille, 1985, p. 62‑88). 36  La poésie palinodique à Rouen, p. 332‑377 ; Hüe, p. 343‑357, studies a particular family of notable poets, the Le Lieurs, but many remain merely names ; see also Hüe’s earlier paper, « La Fête aux Normands », dans Provinces, régions, terroirs au Moyen Âge : de la réalité à l’imaginaire. Actes du colloque international des Rencontres européennes de Strasbourg, Strasbourg, 1993, p. 9‑56, and Gros, Le poète, p. 200‑201, p. 246‑248. Gros also (ibid., p. 128‑131) gives a list of the princes and their social station. For descriptions of the manuscripts containing poems presented at Rouen, see Gros, Le poète, p. 219‑248, and D. Hüe, Petite anthologie palinodique (1486‑1550), Paris, 2002, p. 373‑414. 37  See Blair, Too much to know, p. 117 sq.

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that the Art has been compillé et composé by Pierre Fabri – and this need mean no more than that he has assembled the materials and woven them together. But as Blair points out, Latin compilare has a wider range: « compilers selected, summarized, sorted, and presented textual material to facilitate its use by others38 ». The cramped, awkward pages of Fabri’s Grant et vray art are, I believe, designed, however inexpertly, for easy reference – just as the florilegia and the commonplace books were designed for hurried and immediate consultation by sermon-writers. The facteurs and the princes are not necessarily professional poets: did Fabri, did his publisher, see an opportunity for good sales in the preparation of a handy compendium that would be, according to the latest thinking on page design, easier for an amateur to consult than would continuous text ? We should, in any case, salute the effective means of textual navigation provided here by writer or publisher – and recognise a pioneering attempt to capitalise on the technical possibilities offered by print in 1521… BIBLIOGRAPHY Primary sources Fa br i , P., Cy ensuit le grant et vray art de pleine rhétorique : utille, proffitable et nécessaire à toutes gens qui désirent à bien élegamment parler et escrire, Rouen, Symon Gruel, 1521 ; facsimile, Geneva, 1972. —, Le grant et vray art de pleine rhétorique, ed. A. Héron, 2 vols, Rouen, 1889‑1890. Recueil d’arts de seconde rhétorique, ed. E. Langlois, Paris, 1902. Studies A r mstrong , A., « Versification on the page in Jean Molinet’s Art de rhétorique: from the æsthetic to the utilitarian », Text, 15 (2003), p. 121‑139. B lair , A. M., Too much to know: managing scholarly information before the modern age, New Haven, London, 2010. C erquiglini -Toulet, J. et J.‑C Mühletha ler , Poétiques en transition : entre Moyen Âge et Renaissance, Lausanne (Études de Lettres 4), 2002. G ros , G., Le poète, la Vierge et le prince du Puy : étude sur les Puys marials de la France du Nord du xiv  e siècle à la Renaissance, Paris, 1992. 38  Ibid., p. 175 ; I should point out, however, that Molinet also talks of having « compiled » his Art : see Paris, BnF, fr. 2159, fol. 1r (quoted by Armstrong, « Versification »).

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Hüe , D., La poésie palinodique à Rouen, 1486‑1550, Paris, 2002. M a ntova ni , T., « Pierre Fabri et la poétique des Puys dans le second livre du Grand et vrai art de pleine rhétorique », Nouvelle revue du seizième siècle, 18 (2000), p. 41‑54. Monfer r a n , J.-Ch. (dir.), B erthon , G., B uron , E., Fr ieden , Ph., H a lév y, O., L ombart, N. et Mühletha ler J.-Cl. (éd.), La Muse et le Compas : poétiques à l’aube de l’âge moderne. Anthologie, Paris (Textes de la Renaissance, 196), 2015. Thiry, C., « Prospections et prospectives sur la Rhétorique seconde », Le Moyen Français, 46‑47 (2000), p. 541‑562.

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Fig. 1: Fabri, Grant et vray art (1521), varieties of rhyme, fol. 6v-7r.

Reproduced after the facsimile by Héron (BnF 447.02 LEFE c) © Copyright Bibliothèque nationale de France.

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Fig. 2: Fabri, Grant et vray art (1521), « Table of contents » (no page no.).

Reproduced after the facsimile by Héron © Copyright Bibliothèque nationale de France.

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Fig. 3: Fabri, Grant et vray art (1521), « Table of contents » (no page no.).

Reproduced after the facsimile by Héron © Copyright Bibliothèque nationale de France.

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Fig. 4: Fabri, Grant et vray art (1521), varieties of rhyme, fol. 16v.

Reproduced after the facsimile by Héron (BnF 447.02 LEFE c) © Copyright Bibliothèque nationale de France.

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Fig. 5: Le Jardin de plaisance (Vérard, 1501‑1512), ambiguous headwords, fol. 7v. Reproduced after the facsimile by Droz and Piaget © Copyright Bibliothèque nationale de France.

Nathalie H ancisse

« I’AY MIS LA MAIN AU PAPIER POUR ESCRIRE  /  D’UN DIFFERENT QUE I’AY VOULU TR ANSCRIRE » TR ANSLATION, POLITICS AND MARY STUART’S POETICAL VOICE* The first artes poeticae wr itten in E nglish were not published until the end of the sixteenth century, with Sir Philip Sidney’s An Apology for Poetry in 1595, shortly preceded by George Puttenham’s The Arte of English Poesie in 1589. Their aim was to establish characteristic traits of a specifically English poetical identity, in contrast to the overall influence of classical models. Similarly to other treatises on poetry published in European countries, Philip Sidney’s and George Puttenham’s books made their intentions very clear from their title pages on: The Arte of English Poesie and An Apology for Poetrie both sought to further English claims of poetical achievement(s) in the vernacular worthy of the classical masters, as Joachim Du Bellay’s La Deffence, et Illustration de la Langue Francoyse famously had done for the French language some forty years earlier. Both their texts voice common concerns about translation and display what Neil Rhodes identifies as “status anxiety”, characterised by the use of an apologetic style – a feature largely shared by authors of such treatises1. Early modern English was still struggling to be considered as beautiful and artistic a vernacular as the Italian and French tongues which had long been celebrated for having successfully integrated their Greek and Latin inheritance. And yet, instead of exclu*  Je voudrais remercier sincèrement Grégrory Ems et Mathieu Minet, à la fois pour l’organisation du colloque à l’occasion duquel une première version de cet article a été présentée et l’excellent suivi qu’ils en ont assuré. J’adresse mes très chaleureux remerciements au Prof. Ingrid de Smet (University of Warwick) pour sa relecture attentive de ce texte et ses conseils précieux, et à mes collègues de littérature anglaise de l’Université catholique de Louvain pour leurs corrections linguistiques. 1  N. Rhodes, « Status anxiety and English Renaissance translation », in Renaissance Paratexts, ed. Helen Smith et Louise Wilson, Cambridge, 2011, p. 108.

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sively presenting English as an achieved language with its unique words and sounds, or as a medium that was well-suited to a faithful reproduction of classical models, Sidney emphasised the genetic hybridity of the English language and the fundamental richness that this hybridity imparts to the vernacular. As he comments, “I know some will say it is a mingled language. And why not so much the better, taking the best of both the other ?2” In his view, the excellence of English is thus grounded on its capacity to extract the best of the other languages it has been built on. In a de facto multilingual literary environment, practitioners of poetry were inevitably confronted with translation issues that have been little explored so far. The (sometimes underestimated) interactions between art, translation and politics, and the influence of translation and translated poetry on the development of English artes poeticae were considerable, as exchanges between different cultural and linguistic areas allowed for foreign trends to put down deep roots in England. Still regarded as a second-rate language unworthy of great poetical achievements – not least by its own users – English relied heavily on translation of poetry from other European vernaculars to shape its own new poetical forms. This paper will explore different aspects of the interactions between the development of literary (poetical) theory, multilingualism and politics, and their subsequent tensions. This will be illustrated by a study of some poems attributed to Mary, Queen of Scots, with a special focus on the poems included in the so-called “Casket Letters”, which have been used as a major piece of evidence in the questioning of the legitimacy of her reign in Scotland, although the authenticity of these poems could never be firmly established. Poetry

as

P ersuasiv e : Monarchs ’ Poetry

a nd

Politics

Sidney and Puttenham shared similar opinions on the inherently functional nature of poetry. They both linked poetry to rhetoric and stressed its greater efficiency than everyday speech in persuading its readers, as expressed in Puttenham’s book: Utterance also and language is given by nature to man for persuasion of others, and aide of them selves, I meane the first abilitie to speake […]. It is beside a maner of utterance more eloquent and rethoricall then the ordinarie prose, which we use in our daily talke: because it is decked 2  Sir Philip Sidney, Un Plaidoyer pour la Poésie (trad. Maurice Lebel), Québec, 1965, p. 98.

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and set out with all maner of fresh colours and figures, which maketh that it sooner inuegleth the iudgement of man, and carieth his opinion this way and that, whither soever the heart by impression of the eare shalbe most affectionatly bent and directed […]. So as the Poets were also from the beginning the best perswaders and their eloquence the first Rethoricke of the world3.

By means of “fresh colours and figures” and a playful articulation of sounds and accentuation, poetry is thus recognised as a potent tool that will “carr[y man’s] opinion this way and that.” As Julian Lamb comments in his study of Puttenham’s treatise, “[p]oetic beauty is purposive by nature […] and therefore intrinsically political4.” Puttenham considered his treatise a didactic tool to be used by ambitious courtiers, and provided an army of notable examples to illustrate his points. The “purposive nature” of poetry was, however, also well grasped by those who, perhaps paradoxically, most needed to make an impression on their contemporaries to reassert their power. As Peter C. Herman’s survey shows, Renaissance monarchs often took to the pen to articulate their feelings in verse, taking part in what he terms, echoing Stephen Greenblatt’s seminal book, “monarchic self-fashioning5.” In fact, contemporary poetry critics were well aware of the importance of monarchical verse. In his book, Puttenham quotes a famous poem by Elizabeth I, “The doubt of future foes”, written on the occasion of the discovery of Mary, Queen of Scots’ new plots against her: The doubt of future foes, exiles my present ioy, And wit me warnes to shun such snares as threaten mine annoy. For falshood now doth flow, and subiect faith doth ebbe, Which would not be, if reason rul’d or wisdome wev’d the webbe. But clowdes of tois vntried, do cloake aspiring mindes, Which turne to raigne of late repent, by course of changed windes. […] No forreine bannisht wight shall ancre in this port, Our realme it brookes no strangers force, let them elswhere resort. Our rusty sworde with rest, shall first his edge employ, To polle their toppes that seeke, such change and gape for ioy6. 3  George Puttenham, The Arte of English Poesie, ed. G. D. Willcock and A. Walker, Cambridge, [1936] 1970, p. 8. 4 J. Lamb, « A Defense of Puttenham’s Arte of English Poesy », English Literary Renaissance, 39‑1 (Winter 2009), p. 29. 5  P. C. Herman, Royal Poetrie. Monarchic Verse and the Political Imaginary of Early Modern England, Ithaca, London, 2010, p. 14. 6  George Puttenham, The Arte of English Poesie, p. 248.

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In addition to embodying what Puttenham deems the most exquisite sample of energeia – in his opinion the acme of all stylistic devices – Elizabeth I’s lines vividly illustrate poetry’s power to express political ideas. In the opening stanza, she vigorously warns of the possible danger of foreign invasion and of “falshood”, secret designs of “aspiring mindes” dissimulated behind dark “clowdes” in order to hatch their treacherous plots. By contrast, her last lines reassure her readers as to her ability to tackle these rebellious “aspiring mindes” and to prevent “forreine banisht wight” from casting anchor English ports. By using unambiguously political lines to illustrate the most celebrated stylistic device on his list, Puttenham’s treatise takes part in on-going contemporary polemics. The publication of the poem in a widely distributed practical manual of poetry furthers Elizabeth’s cause, praising and displaying her not only as the brilliant and responsible ruler who can aptly manoeuvre her state through hardships, but also as one of the most talented poets of the time. Elizabeth’s poetical voice is trumpeted across the reading world by means of the printed press, literally giving publicity to her unequivocal intentions. The C ask et L etters S onnets : “Multilingual” C oexistence a nd Tr a nslation P olitics Considering the particularly refined artistic background which Mary Stuart had enjoyed, with no less a tutor than Pierre de Ronsard, it is astonishing to notice the fate of her poetical voice compared to that of her royal cousin. Mary’s apparent failure in this respect was caused in particular by the publication and translation of the infamous Casket Letters. In 1567, one of her servants was caught in possession of documents contained in a silver casket, consisting of eight letters from Mary to the Earl of Bothwell, two promises of marriage, and twelve sonnets. Some of these documents – all written in French and/ or Anglo-Scots – were translated into Latin to be used in the 1568 York and Westminster conferences that investigated Mary’s guilt in the murder of her second husband, Henry Darnley7. James Hepburn, the Earl of Bothwell, was one of the chief suspects of the attack against the king, and his precipitated marriage to Mary Stuart only five month after Darnley’s death only increased the mood of general indignation among the Scottish population. Then, in 1571, three of Mary’s letters 7 J. E. Phillips, Images of a Queen. Mary Stuart in Sixteenth-Century Literature, Berkeley, Los Angeles, 1964, p. 62.

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appeared in an anonymous tract, De Maria Scotorum Regina8. This first published version of the pieces of evidence against the Queen of Scots was nonetheless soon associated with George Buchanan, who was privy to the material evidence gathered for Mary’s trial9. The book was afterwards translated, first into a pseudo Anglo-Scots edition in 157110, with the totality of the Casket Letters and the sonnets, and then into French, including seven of the eight letters and all the poems11. Historians are still divided on the status of these Casket Letters. Because of the mysterious circumstances surrounding the sudden reappearance of the casket and the purpose for which the letters were used in the first place, heavy doubts still weigh on their authenticity, and will probably never dissipate12 . What were presented as passionate love poems written by the Scottish Queen’s own hand were suddenly hurled into the public sphere, their publication de facto denying their initial private destination. The following lines epitomise the scandal caused by their circulation in Scotland, particularly when Mary literally declares that she would totally subject herself to Bothwell: Entre ses mains, & en son plain pouvoir, Ie mets mon fils, mon honneur, & ma vie, Mon païs, mes subjects, mon ame assubjetie Est toute à luy, […]13

To sixteenth-century Scottish readers, these lines conveyed an unbearable twofold betrayal, as Mary not only seemed to reject her status 8 [George Buchanan], De Maria Scotorum Regina totaque eius contra Regem coniuratione, foedo cum Bothuelio adulterio, nefaria in maritum crudelitate et rabie, horrendo insuper et deterrimo eiusdem parricidio, plena et tragica plane historia… Actio contra Mariam Scotorum Reginam in qua ream et consciam esse eam huius parricidii, necessariis argumentis evincitur, London, 1571. 9  J. Durkan, Bibliography of George Buchanan, Glasgow, 1994, p. xiv. 10 B[ucha na n] G[eorge], Ane Detectioun of the duinges of Marie Quene of Scottes, touchand the murder of hir husband, and hir conspiracie, adulterie, and pretensed mariage with the Erle Bothwell. And ane defence of the trew Lordis, mainteineris of The Kingis Graces ctioun (sic) and authaoritie (sic). Ane oratioun, with declaration of evidence against Marie the Scottish Quene, etc. [By Thomas Wilson?]. The writynges & letters found in the sayd casket, which are aouwit to be written with the Scottishe Quenis awne hand. Translatit out of the Latine Quhilke Was Written by G. B., [transl. Thomas Wilson and George Buchanan], Edinburgh? [London]: John Day, 1571. 11  George Buchanan, Histoire de Marie Royne d’Escosse, touchant la conjuration faicte contre le Roy, & l’adultere commis avec le Comte de Bothvvel, histoire vrayment tragique, traduicte de Latin en François, trans. (Th. Waltem ?) Felipe Camuz, (Édimbourg ?) La Rochelle, 1572. 12  See A. E. MacRobert, et al., Mary Queen of Scots and the Casket Letters, London, 2002 et Hans Villius, « The Casket Letters : A Famous Case Reopened », The Historical Journal, 28‑3 (1985), p. 517‑534. 13  George Buchanan, Histoire de Marie Royne d’Escosse (…), sig. T.iiv.

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as a ruler, but also to transgress what befitted a woman of her position. The author of this scandalous stanza, whoever he/she may have been, was certainly aware of the detrimental impact their publication would have on the reputation of the Scottish Queen. Moreover, the sonnets are significantly introduced as “[a]utres lettres en rime Françoise” in the French translation14. Their presentation as “letters” strengthens the claim to authenticity of the poems. Moreover, these introductory lines insist not only on the fact that Bothwell was still married to Lady Jane Gordon at the time of the redaction of the sonnets, but also that they were written when Darnley was still alive, which incriminates Mary even more, as she is openly accused of premeditated crime: “(…) qu’elle luy escrivit avant que de l’espouser, voire durant que le Roy vivoit encores, & au paravant le divorce d’entre luy & sa femme15.” Three pairs of words are juxtaposed (“mon fils // mon païs”, “mon honneur // mes subjects”, “ma vie // mon ame assubjetie”) and, as they are combined, add weight to the symbolic implications of Mary’s submission to Bothwell. By pairing “mon fils” with “mon païs” in particular, the lines emphasise the danger that Mary’s physical and mental surrender to Bothwell would mean for the country, as her abandonment of the heir to the throne together with her realm symbolises giving up on Scotland altogether. What is at stake with the publication of these sonnets is thus nothing less than Mary’s legitimacy as a monarch. Would it be profitable for Scotland to keep a ruler who herself denies her status and betrays her people ? If the head of state loses her mind, then by extension the whole nation seems threatened with the same madness and inconstancy that characterise their queen. The sonnets thus strengthen the conclusion that the Anglo-Scots translator reached some pages earlier, when he declares of Mary: […] and quhom by right we might for hyr haynous deides haif executit, hir we haif touchit with na uther punischment, but onely restraynit hyr from doing mair mischief16.

This interweaving of poetry and polemic discourse can be here considered “purposive”, devised as it was by the publisher of this version as a powerful tool to convince the readers of Mary’s guilt in the murder of her husband. However, it is worth stressing here that the initiator of the pursued aim is not the author of the poems herself. In stark 14 

Ibidem, sig. Tii. Ibidem. 16  George Buchanan, Ane Detectioun of the Duinges, sig. O.i. 15 

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contrast to Elizabeth I’s carefully controlled lines, the Casket sonnets were used against Mary, notwithstanding their status or doubtful authenticity, already attacked by contemporaries. The anonymous author treatise written in defence of the Queen of Scots, L’Innocence de la tresillustre très-chaste, et debonnaire Princesse, Madame Marie Royne d’Escosse, vividly expresses his suspicions about the legitimacy of using the Casket sonnets as pieces of evidence against Mary: Eh bien, vous dictes que ce sont les lettres de Marie Stuard jadis royne d’Escosse: Mais sa majesté le nie, & nous n’avons garde de le vous accorder, pour les raisons vrayes, & legitimes ja par nous deduictes: car il n’y a surscription, nom, sellé, ny signé ny de celuy, ou celle qui les, escrit ny à qui elles sont adressées, & ne se trouve date quelconque d’an, de moys, de jour ou d’heure qu’elle ont été dressées: & ne se parle du porteur, ny qui fut celuy qui les livra, ou receut, ou en quel lieu est ce que le Conte de Bothuel les avoit receues, car c’est à luy, à qui ce paquet royal estoit adressé, ainsi que porte la parolle des calomniateurs17.

The sonnets thus denote two types of tension, one between author’s and publisher’s intention – viz. between the private and the public sphere – and one caused by the deep ambiguity about where to draw the line between authenticity and forgery. Translation further heightens this twofold tension as the poems, whose meaning remains otherwise the same, undergo significant changes in form depending on the language of the book. The following section examines the treatment of the sonnets in the vernacular versions of the treatise. First, on the formal level, major differences strike the eye when looking at the two versions. Whereas in the French version, the sonnets are only given in French, in the Anglo-Scots version they are first printed in French and then followed by an English translation. The reader will thus read the poems twice, with what is presented as the original version giving authority to the lines in translation. This claim for authenticity is highlighted by the title in larger type, reading “The writynges and letters found in the sayd casket, which are avowit to be written with the Scottishe Quenis awne hand18.” The use of a variety of typographies also enhances this “reality effect”19 carefully constructed in the Anglo-Scots edition – by means of typographically coding the languages, with the French lines printed in italics and the English in black17 [François de Belleforest ?], L’Innocence de la tresillustre très-chaste, et debonnaire Princesse, Madame Marie Royne d’Escosse. (…). Rheims (?), 1572. 18  George Buchanan, Ane Detectioun of the duinges, sig. Q. iiii. 19  R. Barthes, « L’effet de réel », Communications, 11‑11 (1968), p. 88.

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letter20 – in contrast to the running roman types of the French edition. In a chapter where she focuses on the interaction of print and textual performance in Ane Detectioun of the duinges (…), Tricia McElroy points out similar elements about this play on typography and language. As she explains, “[j]uxtaposed with the italic French, the Scots version of the sonnets, with its grave return to blackletter, wrenches the words away from ‘Mary:’ the voice becomes that of the prosecution, (…)21.” The combination of two linguistic versions of Mary’s poems therefore increases the effect created by the presence of the poems, giving twice as much room for the reader’s indignation when reading these outrageous lines. Secondly, as regards the content of the sonnets, it is significant that the tension earlier mentioned between authenticity and forgery, and by extension between truth and fiction, is also present at a thematic level. Mary repeatedly accuses her rival, Lady Jane Gordon, to be “full of fictions” in her love for Bothwell, using dissimulation as a guile to keep her husband under her charms: […] Et voudroit bien mon amy decevoir Par les escrits tous fardez de sçavoir Qui pourtant n’est en son esprit croissant Ains emprunté de quelque auteur luisant, A faict tres bien un envoy sans l’avoir. Et toutesfois ses paroles fardées, Ses pleurs, ses plaincts remplis de fictions, Et ses hauts cris & lamentations Ont tant gaigné que par vous sont gardées Ses lettre’ escrite’ auquels vous donnez foy, & si l’aimez, & croiez plus que moy22 .

The Queen of Scots denounces her rival’s blatant lack of authenticity in her love pursuit, which in the context of a competition between two equals amounts to cheating, having (allegedly) sent fake love letters (“escrits tous fardez de sçavoir”) to Bothwell. Interestingly, a similar distaste for imitation is expressed in theoretical treatises on poetry 20  G. Armstrong, « Reading between the Lines : Coding English Continental Books in the 1580s and 1590s ». Conférence prononcée lors de l’Annual Meeting de la Renaissance Society of America à Washington, D.C., le 24 mars 2012. 21  T. McElroy, « Performance, Print and Politics in George Buchanan’s Ane Detectioun of the duinges of Marie Quene of Scottes » in George Buchanan. Political Thought in Early Modern Britain and Europe, ed. C. Erskine and R. A. Mason, [Farnham], 2012, p. 49‑70 (p. 59). 22  George Buchanan, Histoire De Marie Royne D’Escosse, sig. Tiiii.

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of the time, echoing Mary’s accusation that her rival has borrowed her arguments from someone else: “Qui pourtant n’est en son esprit croissant / Ains emprunté de quelque auteur luisant.” Here, Mary likens borrowing to what would be considered as plagiarism today, as she blames her opponent for not being able to write her letters herself 23. The English translation renders these accusations as clearly as the French sonnet: And wald fayne deceive my love, By writinges and paintit learning, Quhilk nat the lesse did not breid in hir braine, But borowit from sum feate authour, To fayne one sturt and haif none. And for all that hyr payntit wordis, Hyr teares, hyr plaintes full of dissimulation, And hyr hye cryes and lamentations Hath won that poynt, that you keip in store, Hir letters and writinges, to quhilk you geif trust, Ye, and lovest and belevist hyr more than me24.

Even though the French rhyme scheme is lost in translation, the translator apparently tried to compensate it with more typical AngloSaxon poetical features, for instance alliterations (“did not breid in hir braine”) or idiomatic expressions (“To fayne one sturt and have none”, “keip in store”). In terms of ideas and meaning, the English translation closely follows the source sonnet. “Fardez” is twice translated by “paintit”, which conveys the same idea of a negative view of fiction seen as unnaturalness and forgery, compared in both languages to no more than female make-up or painting. The French word “fictions” is significantly rendered by “dissimulation”, again identifying fiction not with the noble art of literary creation, but more basically with cheating. With hindsight, the intense irony of the whole process is to be stressed, as the language used for translation of the poems and of the whole treatise was itself a scam. Fearing to be directly associated with the propaganda against Mary Stuart, Elizabeth I and her councillors attempted to produce what should have looked like a Scottish version of the text, published in Edinburgh and consequently under the responsibility of the Scots25. The trick was however soon discovered, and Mary’s angry reaction against her cousin’s policy shook for a while Elizabeth’s so carefully composed image of the ideal monarch26. 23  Voir P. Kewes,

Plagiarism in Early Modern England, London, 2003. Buchanan, Ane Detectioun of the Duinges, sig. Riiii. 25  J. E. Phillips, Images of a Queen, p. 63. 26  Ibidem. 24  George

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Truth

a nd

L ies : S har ing B et ween Poetry

a nd

H istory

Furthermore, Mary’s accusation brings up key issues of authorship and authenticity, a growing concern across early modern Europe. Her use of the word “fictions” epitomises the period’s anxiety about fake copies, lies and false pretences, and a deepening confusion about determining a document’s authenticity. This stanza thus echoes contemporary debates on the tension and interplay that underpin the uses of truth and fiction in both theory and practice of poetry. In his Defence, Philip Sidney claims that poetry is definitely better than history at disclosing truth: I aunswere paradoxically, but, truely, I thinke truely, that of all Writers under the sunne the Poet is the least lier, and, though he would, as a Poet can scarcely be a lyer. […], for the Poet, he nothing affirmes, and therefore never lyeth. […] Hee citeth not authorities of other Histories, […] ; in troth, not labouring to tell you what is, or is not, but what should or should not be […]27.

Well aware of going against prevailing views about the roles of Poet and Historian, Sidney boldly states that “the Poet (…) never lyeth”, thus going further than defending the idea of a truth specifically belonging to, or conveyed by, poetry (a so-called ‘poetic truth’). Not only able to lay claim to a veracity of the same nature as that of the Historian, the Poet is also more authentic a writer than the latter. This, Sidney posits, is caused by the difference of purpose at the basis of each of their writings. Unlike the Historian, bound by convention to a faithful representation of true events, the Poet writes with more freedom and therefore with more authenticity. As Robert E. Stillman points out about Sidney’s vision in the Defence, “[p]oetry better remedies history’s ills because it escapes confinement to the historical – hence its seeming triviality and its real potential for grandeur28.” This is based on Sidney’s concept of Ideas, or “fore-conceits”, and on the greater value he attributes to those created by poetry, in contrast to the Ideas exploited by historians or philosophers. For Sidney, as Stillman further explains, “Ideas have […] a rhetorical, rather than just as conceptual power, rendering them superior both to the always conditioned examples of unsatisfying history and to the abstractions of philosophical thought29.” 27  Sir

Philip Sidney, Un Plaidoyer pour la Poésie, p. 73. R. E. Stillman, « The Truths of a Slippery World : Poetry and Tyranny in Sidney’s “Defence” », Renaissance Quarterly, 55‑4 (Winter 2002), p. 1296. 29  Ibidem, p. 1312. 28 

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As a consequence, readers should definitely turn to poetry, instead of history, when they look for truth: And therefore, as in Historie, looking for trueth, they goe away full fraught with falsehood, so in Poesie, looking for fiction, they shal use the narration but as an imaginative groundplot of a profitable invention30.

Just as the present time, the Renaissance was an age where boundaries between truth and fiction were questioned over and over, with consequences for the definition of the areas customarily allotted to Poetry and History, as William Nelson argues31. Moreover, the opposition that Sidney makes between the roles of Poet and Historian, and his doubts about the historian’s methods, are interestingly resonant with Buchanan’s own views and practice of historiography. Although the Scottish humanist strongly criticised the inclusion of Arthurian lore in history books in his Rerum Scotticarum Historia32 , Buchanan’s De Maria Scotorum Regina and the Casket Letter’s sonnets have to be interpreted in the context of an early modern redefinition of history and poetry as separate genres. Long considered as part of the liberal arts together with poetry, history progressively acquired the status of a scholarly discipline, but historiographers still continued to use the quasi-historical mode in their writings, “because of a persistent feeling that ‘true’ examples have more force than fictional ones […]33.” In his treatise Buchanan makes use of a variety of documents and genres where he fully displays his outstanding mastery of rhetoric, by means of fictional examples and inclusion of sonnets to back up his argument. When we then consider the use that was made of these sonnets, the closing lines of the stanza read a posteriori as an ironic metatextual commentary on the fate of Mary Stuart’s own writing: “[…] par vous sont gardées / Ses lettre’ escrite’ auquels vous donnez foy.” The Queen of Scots’s letters and poems, certainly published against her will and without any certainty as to their authenticity, struck a final blow against her ambitions as Queen of Scotland. As a result of this publication, Mary’s voice sounds so unbecoming to a ruler by divine right, and her lines so assertive, that they spiral out of control, stand30  Sir

Philip Sidney, Un Plaidoyer pour la Poésie, p. 74. « The Boundaries of Fiction in the Renaissance : A Treaty Between Truth and Falsehood », English Literary History, 36‑1 (March 1969), p. 30‑58. 32  J. E. Phillips, « George Buchanan and the Sidney Circle », Huntington Library Quarterly, 12 (1948), p. 50. 33  W. Nelson, « The Boundaries of Fiction in the Renaissance », p. 58. 31  W. Nelson,

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ing in stark contrast to her cousin’s carefully ordered verse. The form of the last of the Casket poems illustrates this unwitting hijacking of her poetic voice, as the usual sonnet is replaced by a sextet giving the impression that Mary stops short after she started to comment on the purpose of her poems: “I’ay mis la main au papier pour escrire / D’un different que i’ay voulu transcrire34.” Mary’s purported words bear witness to the dangerous sides of poetry writing, both caused by possible cross-lingual misinterpretations and tense political contexts. English theorists have indeed subsequently reflected on these tensions in their treatises on poetry, as explored in the next section of this paper. The B irth of E nglish A rtes Poeticae Tr a nslation

a nd

(Tensions

w ith)

The development of a distinctively sixteenth-century “English” art of vernacular poetry is linked to the paradox that its growth and maturity first relied on the intense import – or in other words, translation – of foreign vernacular poetry. As Anne E. B. Coldiron explains in her article on translation of verse from French in the early English Renaissance, almost fifty percent of English verse printed in the first half of the sixteenth century was translated, mainly from French35. Jean-Claude Carron writes on the links between a Renaissance poetical ideal and its (involuntary) recourse to the medieval practice of translatio studii. In his article, he argues that the classical precept of imitatio was combined with models imported from other vernaculars. The practice of imitation was thus transformed to adapt to early modern sensibilities, giving rise to new poetical practices, as he points out: “[t] he sixteenth century will add […] the concept of voluntary imitation focused exclusively on the unique value of poetry and on the claims of those imitators to choose their own models and thereby control their ‘intertext’36.” The classical precept of imitatio by means of translation was thus in full bloom at the beginning of the century, strengthened by a necessity to forward a new, national vernacular, as Carron further highlights:

34  George

Buchanan, Ane Detectioun of the duinges, sig. V. « Translation’s Challenge to Critical Categories : Verses from French in the Early English Renaissance », The Yale Journal of Criticism, 16‑2 (Fall 2003), p. 315. 36  J.-C. Carron, « Imitation and Intertextuality in the Renaissance », New Literary History, 19‑3 (Spring 1988), p. 567. 35  A. E. B. Coldiron,

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[…] when imitation assumes a nationalistic character through its close relationship with the defense and illustration of vernaculars, […] such a linguistic triumph offers to the poet a modern and adequate means of expression for the poetic manifestation of his own national, social, or personal identity37.

English poetry was thus imitating Latin or Greek models in order to expand its own prestige, but it is important to stress that its models were in large part mediated by other European vernaculars. Therefore, a majority of poets and early critics were confronted with translation issues and resulting tensions between acknowledging the inherent foreignness of their language and breaking free from imported models. In his treatise, Puttenham acknowledges the reliance of English on Latin and French imports: Such extreme licentiousnesse is utterly to be banished from our schoole, and better it might have been borne with in old riming writers, bycause they lived in a barbarous age, & were grave morall men but very homely Poets, such also as made most of their workes by translation out of the Latine and French toung, & few or none of their owne engine as may easely be knowen to them that list to looke upon the Poemes of both languages38.

The critic makes a sharp distinction between the “barbarous age” of “old riming writers” and his own new age. In the past, a large freedom in borrowing from foreign languages was acceptable, as the language was not yet ripe for an adequate expression of poetic feelings. However, as the English of Puttenham’s time has started to stand on its own linguistic feet, an excessive recourse to fancy coining of words has to be avoided, which is manifest in Puttenham’s rejection of so-called “inkhorn” terms, superfluous foreign imports in the language: […] of clerks and scholers or secretaries long since, who not content with the usual Normane or Saxon word, would convert the very Latine and Greeke word into vulgar French […] which are not naturall Normans nor yet French, but altered Latines, and without any imitation at all: which therefore were long time despised for inkhorne termes, and now be reputed the best & most delicat of any other39.

Puttenham is arguing in favour of homemade poetry, not so much out of dislike for foreign words and borrowings as such, as his acknowl37 

Ibidem, p. 569. Puttenham, The Arte of English Poesie, p. 82. 39  George Puttenham, The Arte of English Poesie, p. 117. 38  George

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edgement of “the usual Normane and Saxon word” shows, but rather for fear of too heavy a dependence on artificially crafted words, compounds not yet recorded by usage that did not sound “natural” and homely enough according to his taste. In that respect, the very first sentence of his treatise significantly highlights the difference between the poets’ and the translators’ methods, when he claims that “[e]ven so the very Poet makes and contrives out of his own braine, both the verse and matter of his poeme, and not by any foreine copie or example, as doth the translator, who therefore may well be sayd a versifier, but not a Poet40.” In his view, poet and translator stand worlds apart, on the one hand the creator and on the second hand, a “versifier”. However, when we consider the widespread Renaissance poetic ideal of writing beautiful verse by means of imitating the Classic masters, there is a distinction to be made between Classical imitatio as a means to aemulatio, and imitatio understood as an excessive copying of “foreine example” that introduces aberrations into the language. Furthermore, theoretical discourses on poetry were the new vehicles for national and ideological concerns which their authors sought to champion, as Philip Sidney’s example shows. As James E. Phillips pointed out, Buchanan was part of the same intellectual circle as Sidney41. In his poetical treatise, Sidney defends poetry as the best suited vehicle to stand up for his own political stance, i. e. liberation from tyranny, and Buchanan exposed similar considerations on tyranny and the people’s right (and duty) to tyrannicide in his 1579 De jure regni apud Scotos, as Robert Stillman explains42 . Both Elizabeth I and Mary Stuart’s poetical productions have thus to be situated within a context of political and religious activism. In her article on Elizabeth I’s translation of Boethius’ Consolation of Philosophy, Lysbeth Benkert shows how the Queen’s textual productions paralleled the militant translation activity of the Countess of Pembroke – Philip Sidney’s sister –, who was famous for her translation of the Psalms. As Benkert indicates, the translation of Psalms was characteristic of Protestant sympathies: “[t]hroughout the Reformation in Europe, the Psalms had been used by militant Protestants as a battle cry for radical reform and holy wars against the Catholics. When the Catholic Mary, Queen of Scots

40 

Ibidem, p. 3.

41 Voir J. E. Phillips,

« George Buchanan and the Sidney Circle », Huntington Library Quarterly, 12 (1948), p. 23‑56. 42  R. E. Stillman, « The Truths of a Slippery World », p. 1302.

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returned to Scotland to rule, she was greeted by fervent Protestants who stood outside her windows all night long singing psalms43.” The examples of Elizabeth I and Mary Stuart’s political and polemical poems, which we studied earlier, illustrate how the tensions between nature and artifice, foreign and local, found expression in the period’s poetical productions. Poems written by rulers echo ongoing debates in poetical treatises on more political terms, as they voice similar concerns with authenticity and control of foreign imports. Despite Elizabeth I’s strong opposition to the “ancre[ing] of ‘forreine banisht wight’ in English ports, cultural imports and the exchange of ideas made possible by translation contributed to an important change of status of the English language, first and foremost in the eyes of English native speakers whose anxiety about the prestige of their vernacular would soon decrease. However, translation could also prove detrimental to an author’s image, all the more so when the author is a monarch. The fate of Mary Stuart’s and of her poetical voice highlights the ways in which translation could be used as a powerful tool for propaganda and manipulation. Buchanan’s undisputed mastery of rhetoric and of the blurred lines between historical and fictional modes, combined with the interventions of translators and printers, finally made readers of the English and French versions of his treatise adhere to the Scottish humanist views on tyrannicide and the urgency of deposing – if not executing – a sovereign who had manifestly already lost her mind. The Scottish queen’s alleged will to explain what she calls in her poem the “different que i’ay voulu transcrire” demonstrates the importance of keeping one’s image under control. The comparative analysis of different versions of these fatal lines across a variety of vernaculars thus highlights the high degree of intricacy in the interaction between poetry, translation and politics in early modern England, France and Scotland. BIBLIOGRAPHY Primary Sources B ucha na n , G., De Maria Scotorum Regina totaque eius contra Regem con­ iuratione, foedo cum Bothuelio adulterio, nefaria in maritum crudelitate et rabie, horrendo insuper et deterrimo eiusdem parricidio, plena et tragica plane historia… Actio contra Mariam Scotorum Reginam in qua 43 L. Benkert, « Translation as Image-Making : Elizabeth I’s Translation of Boe­ thius’s Consolation of Philosophy », Early Modern Literary Studies, 6‑3 (January 2001), § 12.

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ream et consciam esse eam huius parricidii, necessariis argumentis evincitur, London, 1571. —, Ane Detectioun of the duinges of Marie Quene of Scottes, touchand the murder of hir husband, and hir conspiracie, adulterie, and pretensed mariage with the Erle Bothwell. And ane defence of the trew Lordis, mainteineris of The Kingis Graces ctioun (sic) and authaoritie (sic). Ane oratioun, with declaration of evidence against Marie the Scottish Quene, etc. [By Thomas Wilson?]. The writynges & letters found in the sayd casket, which are aouwit to be written with the Scottishe Quenis awne hand. Translatit out of the Latine Quhilke Was Written by G. B., [transl. Thomas Wilson and George Buchanan], Edinburgh? [London]: John Day, 1571. —, Histoire de Marie Royne d’Escosse, touchant la conjuration faicte contre le Roy, & l’adultere commis avec le Comte de Bothwel, histoire vrayement tragique, traducite de Latin en François, transl. [Felipe Camuz], Édimbourg [La Rochelle/London?], Thomas Waltem, 1572. [de B ellefor est François?], L’Innocence de la Tresillustre Très-Chaste, et Debonnaire Princesse, Madame Marie Royne d’Escosse. Ou sont amplement refutées les calomnies faulces, et impositions iniques, publiées par un livre secrettement divulgue en France, l’an 1572 touchant tant la mort du seigneur d’Arley son espoux, que autres crimes, dont elle est faulcement accusée. Plus ample discours auquel sont descouvertes plusieurs trahisons, tant manifestes, que iusques icy, cachées, perpétrées par les mesmes calomniateurs. Imprime en l’an 1572, transl. [François de Belleforest et al.?], [Rheims?], 1572. P uttenha m , G., The Arte of English Poesie (éd. G. D. Willcock and A. Walker), Cambridge, [1936] 1970. S idney, Sir Philip, Un Plaidoyer pour la Poésie (trad. Maurice Lebel), Québec, 1965. Books & Articles Barthes , R., « L’effet de réel », Communications, 11‑11 (1968), p. 84‑89. B enk ert, L., « Translation as Image-Making: Elizabeth I’s Translation of Boethius’s Consolation of Philosophy », Early Modern Literary Studies, 6‑3 (January 2001), 20 § . C ar ron , J.‑Cl., « Imitation and Intertextuality in the Renaissance », New Literary History, 19-3 (Spring 1988), p. 565‑579. C oldiron , A. E. B., « Translation’s Challenge to Critical Categories: Verses from French in the Early English Renaissance », The Yale Journal of Criticism, 16‑2 (Fall 2003), p. 315‑344. D ur k a n , J., Bibliography of George Buchanan, Glasgow, 1994. H er ma n , P. C., Royal Poetrie. Monarchic Verse and the Political Imaginary of Early Modern England, Ithaca, London, 2010.

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RECONSIDERING IMITATIO AUCTORUM A DYNAMIC-FUNCTIONALIST APPROACH TO IMITATION IN NEO-LATIN POETRY Saepe mihi placet antiquis alludere dictis, Atque aliud longe verbis proferre sub iisdem. (M. G. Vida)1

I mitatio is argua bly the most importa nt liter ary tech of Neo-Latin poetics. Indeed, both in humanist criticism and in present-day scholarship the concept continually resurfaces as the key aspect of Neo-Latin, and in general, Early Modern literariness. It is discussed at length in the rhetorical and poetical tradition, for instance, in seminal works such as Johannes Sturm’s oratorical De imitatione libri tres (1574) or Gerardus Johannes Vossius’ poetical De imitatione (1647)2 . Moreover, the concept of imitatio has been a veritable fil rouge throughout the past decades of Early Modern and Neo-Latin literary studies, from Hermann Gmelin’s notable 1932 paper on ‘Das prinzip der Imitatio’, which offers an extensive survey of the humanist meta­ literary tradition, over Thomas Greene’s fascinating The Light in Troy from 1982, which is arguably the best theoretical introduction to the notion, to the Dutch publication by Jeroen Jansens Imitatio from 2008, which among other things offers an excellent bibliography of secondary literature3. nique

1 

Poetica, 3, 257‑258. Ioannes Sturmius, De imitatione libri tres, Strasbourg, 1574, and Gerardus Johannes Vossius, De imitatione cum oratoria, tum praecipue Poetica, Amsterdam, 1647. For more information on the vernacular reception of imitational poetics, see A. Moss, ‘Literary Imitation in the sixteenth century : writers and readers, Latin and French’, in The Cambridge History of Literary Criticism. Volume III : The Renaissance, ed. G. P. Norton, Cambridge, 2006, p. 113‑118. 3 H. Gmelin, ‘Das Prinzip der Imitatio in den romanischen Literatur der Renaissance’, Romanische Forschungen 46/2 (1932), p. 83‑360 ; Th. M. Greene, The Light in Troy : Imitation and Discovery in Renaissance poetry, London, 1982 and J. Jansen, Imitatio. Literaire navolging (imitatio auctorum) in de Europese letterkunde van de renaissance (1500‑1700), Hilversum, 2008 (bibliography : p. 488‑517). 2 

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In essence, the working definition of imitatio is quite clear: imitatio auctorum is a label for the creative use of previous literary models (authors, texts, genres, etc.)4. This is not to say, however, that literary scholarship has not spawned a long tradition of problematising the nature, definition and terminology of the concept5. Still, such fundamental considerations do not detract from the spontaneous evidence and practical relevance of imitatio for the study of Renaissance literature. In this way, it has become an indispensable tool in philological and literary Neo-Latin Studies. The main challenge, however, which imitatio as a critical notion presents, is to maximalize its potential. Indeed, especially in a (generally) philologically-oriented discipline as Neo-Latin Studies, research on imitation seems to remain rather limited, that is to say, not in size, but in perspective6. In this way, the general status quaestionis of the Historisches Wörterbuch der Rhetorik points at a particular methodological desideratum in the entry ‘Imitatio’: Die Bedeutung von I(mitatio) in der literarischen Praxis von Renaissance und Humanismus darstellen zu wollen, ist aufgrund ihrer Omnipräsenz in der lateinischen wie nationalsprachen ein von vornherein aussichtloses Unterfange ; zudem ist in diesem Bereich für eine methodisch reflektierte Forschung, die über positivistische Identifizierung von Vorbildern herausgeht, noch eine weite terra incognita zu erschließen7.

4 This paper will not address imitatio naturae or mimesis, even if the distinction between both is ultimately artificial. Cf. G.-W. Pigman, ‘Versions of Imitation in the Renaissance’, Renaissance Quarterly, 33 (1980), p. 1‑32 (p. 2): ‘I have intentionally excluded discussions of literary representation deriving from Plato and Aristotle, although they also go by the name of imitation and even though this more philosophical tradition often mingles with the rhetorical theories about models, as in the cases of Phoebammon and Giovanfrancesco Pico della Mirandola. Consequently the common distinction between philosophical and rhetorical imitation is somewhat misleading because it obscures the distinctions among the varieties of rhetorical imitation’ (Pigman refers at this point to A. J. Smith, ‘Theory and Practice in Renaissance Poetry : Two Kinds of Imitation’, Bulletin of the John Rylands Library, 47 [1964], p. 212‑243). 5  See Jansen, Imitatio, chapter 2. 6 A short, but interesting speculation on the functionality of Neo-Latin imitatio (together with a rejection of ‘the mechanical pursuit of classical parallels’) is found in H.-J. Van Dam, ‘Taking Occasion by the Forelock : Dutch Poets and Appropriation of Occasional Poems’, in Latinitas Perennis. Volume II : Appropriation and Latin Literature, ed. Y. Maes, J. Papy, W. Verbaal, Leiden, Boston (Brill’s Studies in Intellectual History 178), 2009, p. 95‑128 (p. 111‑112 and n. 65). 7 N. Kaminski, ‘Imitatio’, in Historisches Wörterbuch der Rhetorik, ed. G. Ueding et al., Tübingen, 1992-…, IV, p. 235‑303 (col. 265).

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Indeed, this equation of imitatio-research and Quellenforschung or source criticism is also acknowledged in Jansen’s recent state of the art of imitatio in Renaissance literary studies8. Accordingly, the goal of this paper is to investigate the origins of this rather one-sided interpretive perspective and to formulate an alternative approach, illustrated by some examples of imitatio in Neo-Latin poetry. I mitatio

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Quellenforschung

Quite obviously the connection between imitatio and Quellenfor­ schung is one of instinctive logic. If imitation is the creative use of literary models, then identifying these models is a conditio sine qua non for any research about imitatio. Accordingly, it will be immediately clear that there is nothing wrong with Quellenforschung in itself. However, the point this paper wishes to make is that Quellenforschung should not be an end in itself, but only a stepping-stone in the interpretation of imitatio as function of literary language. Nevertheless, as the quote from the Historisches Wörterbuch der Rhetorik has illustrated, it seems that the scholarly tradition has experienced difficulties in transcending this step of Quellenforschung. There are good reasons for such a methodological predisposition. In the following two will be identified in more detail: (1) the fact that the Early Modern metaliterary tradition operates from an essentially didactic viewpoint, and (2) our contemporary preconceptions of Renaissance literature as dominated by the aesthetics of identity. If one considers the history of our present-day use of imitatio auctorum, it becomes immediately clear that we have inherited the concept from humanist literary criticism, which in turn took it over from the classical tradition of rhetoric and poetics9. Now even though this metaliterary tradition comprises very diverse works10, they all share 8 Cf. the methodology implicit in Jansen, Imitatio, p. 51, n. 14: “Onderzoek naar bronnen of mogelijk ontleende passages in de renaissancistische letterkunde heeft zich al sinds lang op een warme belangstelling mogen verheugen”. 9 On imitatio in classical literature, see A. Reiff, Interpretatio, imitatio, aemulatio. Begriff und Vorstellung literarischer Abhängigkeit bei den Römern, Düsseldorf, 1959 ; D. Russel, in Creative imitation and Latin literature, ed. D. West, T. Woodman, London, New York, 1979, p. 1‑16 and A. N. Cizek, Imitatio et tractatio. Die literarischrhetorischen Grundlagenden der Nachahmung in Antike und Mittelalter, Tübingen (Rhetorik-Forschungen 7), 1994. 10  See Pigman, ‘Versions of Imitation’, p. 2: “Writers discuss imitation from so many different points of view : as a path to the sublime (‘Longinus’), as a reinforcement of one’s natural inclinations (Poliziano) or a substitute for undesirable inclinations (Cortesi), as a method for enriching one’s writing with stylistic gems (Vida), as the surest or

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one basic feature, namely their essentially didactic perspective. Indeed, both in classical and in (medieval and) humanist times, the whole metaliterary tradition was meant to aid the production, not the analysis of artistic language11. In this way, imitatio has never been a theoretical concept, but always a didactic prescript12 . If we look at Quintilian’s discussion of imitation, for instance, we notice this didactic viewpoint regarding imitatio (but also in general) clearly in the modality of his statement: Ex his ceterisque lectione dignis auctoribus et verborum sumenda copia est et varietas figurarum et componendi ratio, tum ad exemplum virtutum omnium mens derigenda. Neque enim dubitari potest quin artis pars magna contineatur imitatione13.

Indeed, the gerundives sumenda and derigenda are quite telling for the fact that Quintilian is not analysing imitatio, but arguing for the necessity of the notion in learning rhetoric. The same is noticeable in the Neo-Latin tradition. Vossius, for instance, opens his book De imitatione by intimately connecting imitatio with practice (usus) and exercise (exercitatio). Magnus in eo veterum est consensus tribus esse opus ad comparandam eloquentiam sive eam quae est oratorum, sive illam poetarum. Eorum primum statuunt naturam, quae incipit, alterum artem, quae dirigit, tertium vero usum, qui perficit. Unde solum hunc artifices facere ait poetarum ingeniosissimus. Usus vero nomine hic intelligitur omnis illa exercitatio quae artis praecepta consequitur quaque dicendi vel carminis pangendi firma quaedam facilitas comparatur. (…) nunc ea persequar quae pertinent ad usum, quo nomine complector tum imitationem eminentium virorum, tum etiam conatum meliorum, si consequi liceat.

only way to learn Latin (Delminio), as providing the competitive stimulus necessary for achievement (Calcagnini), and as a means of ‘illustrating’ a vulgar language (Du Bellay)”. 11 See H. C. Gotoff, Cicero’s elegant style. An analysis of the Pro Archia, Urbana, Chicago, London, 1979, p. 38. 12  See also Moss, ‘Literary Imitation’, p. 107: ‘The history of literary criticism in our period is therefore to a large extent a history of which models were recommended for imitation, of instructions as to how they were to be imitated, and of the side-effects of such prescriptions’. 13  “It is from these and other authors worthy of our study that we must draw our stock of words, the variety of our figures and our methods of composition, while we must form our minds on the model of every excellence. For there can be no doubt that in art no small portion of our task lies in imitation.” Quintilianus, inst., 10, 2, 1 (translation from The Institutio oratoria of Quintilian, with an English translation by H. E. Butler, 4 vols, London [The Loeb classical library], 1921‑1922).

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Imitationem appello operam qua nos componimus ad exemplum alterius quo similes reddamur14.

From this quote, imitatio again appears to be an essentially didactic principle, a guideline not so much for the understanding of good Latin poetry, but for learning how to compose it15. Accordingly, this didactic perspective on imitatio has important consequences for the way humanists conceived the notion in general. For starters, it explains why the humanist tradition tends to specify certain stages of imitation, such as imitatio puerilis and virilis, or certain degrees of it, such as imitatio servilis and ingenua16. More importantly, it also explains why these didactic, and therefore prescriptive, treatises invariably shied away from exploring imitatio as a theoretical notion in favour of asking the question which authors ought to be imitated in practice. Therefore, it is only logical that the modern scholar of literature who wants to recuperate imitatio as a hermeneutical tool will use it in the same spirit as this metaliterary tradition, i. e. primarily by analyzing a text’s sources or influences, in other words, for Quellenforschung. In this way, the modern scholar has inherited a preconceived notion of imitatio from the ancient and humanist tradition. In addition to this historical bias, there is a second, but equally important predisposition that further stimulates the equation of imitatio and Quellenforschung. Much of the research in the humanities departs from a fundamental literary notion forwarded by Yuri Lotman, namely the distinction between the aesthetics of identity and the aesthetics of opposition. This is essentially a cultural typology which divides all kinds of works of art and literature in two classes: those that follow preexisting artistic structures, rules, etcetera and therefore use identity as a normative fac14  “On this point there is a great consensus among the ancients that three things are necessary to acquire eloquence whether that of the orators or that of the poets. They constitute the first of these in nature which starts, the second in the art that directs, but the third in practice that makes perfect. Hence the most talented of the poets says that this alone gives skills. But by practice I understand all that exercise that follows the rules of the art and by which one acquires some stable facility in speaking or in making verse. (…) now I will continue with aspects related to exercise, a term in which I comprise both the imitation of eminent men and the aspiration to acquire a high level if possible. I call imitation the effort by which we form ourselves to the example of someone else to make ourselves like him.” Text and translation from Gerardus Johannes Vossius, Poeticarum institutionum libri tres / Three Books on Poetics, ed. J. Bloemendal, in collaboration with E. Rabbie, Leiden, 2010, p. 1956‑1959. 15 On the didactic dimension of imitatio, see the first section of Jansen’s book (‘Onderwijs’, in Jansen, Imitatio, p. 15‑20). 16  For instance by Sturmius, Vossius or Justus Lipsius (see Jansen, Imitatio, p. 56‑57).

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tor in the artistic system, and those that put forward their own artistic structures, codes, etcetera and therefore use originality as a normative factor17. In this view, Greek and Roman authors – and with them their medieval successors and humanist admirers – are clearly part of the first system, which views good literature as that which succesfully follows previous models. With the aesthetic revolution of Romanticism, however, a new criterion of artistry was then introduced, namely the unique style and substance of the work18, which implies that good literature should break with or even oppose previous models. The logical consequence is that modern scholars tend to approach imitatio, the aesthetic notion of identity, from their own aesthetic predisposition of originality19. Accordingly, it is almost inevitable to think of imitation in terms of original versus borrowed material. Therefore, the research question again boils down to analyzing what is original and what has been borrowed, i. e. Quellenforschung. Surely, it seems, the aesthetics of identity justify, nay necessitate, a method of identifying ? Still, for all its general value, it seems that Lotman’s typology is simply too rigid and binary. First of all, it is incorrect to oppose imitatio and originality both in ancient and in humanist literariness. In the abovementioned paragraph on imitatio Quintilian immediately goes on to put the notion in perspective by saying: [a]nte omnia igitur imitatio per se ipsa non sufficit, vel quia pigri est ingenii contentum esse iis, quae sint ab aliis inventa (“The first point, then, that we must realise is that imitation alone is not sufficient, if only for the reason that a sluggish nature is only too ready to rest content with the inventions of others20”). In the humanist tradition, which incidentally coincides with the rising importance of ingenium (originality) in the metaliterary debate, this is further explored. Time and again, it is stressed that imitatio consists precisely in the harmony of imitation and creativity, hence its almost ubiquitous connection, even identification with aemulatio21. Secondly, modern literary theory, especially postmodern 17 See Y. Lotman, The Structure of the Artistic Text, translated from the Russian by G. Lenhoff and R. Vroon, Ann Arbor (Michigan Slavic Contributions 7), 1977, p. 289‑292. 18 See e.g. R. Mortier, L’originalité : une nouvelle categorie esthétique au siècle des lumières, Genève, 1982. 19  Cf. Jansen, Imitatio, p. 49 and n. 7. 20 Quintilianus, inst., 10, 2, 4 (translation from The Institutio oratoria of Quintilian, IV, p. 77). 21  See e.g. J. Omphalius’s concept of imitatio as discussed by Moss, ‘Literary Imitation’, p. 109: ‘Imitation, he claims, is not a prescription for servile copying or a license to plagiarize, but a spur to emulation, as the imitator strives not only to reproduce the

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and poststructuralist criticism, has shown that this hierarchy of identity versus opposition will automatically deconstruct itself. Critics like Roland Barthes, Jacques Derrida and Julia Kristeva have put forth the view that all texts can be characterized as bricolage, thus dispelling the myth of originality (opposition) and at the same time also questioning the possibility of merely repeating (identity). In this way, we have analysed both the metaliterary tradition and our modern aesthetic predisposition as two deeply rooted reasons why imitatio is readily connected with Quellenforschung in current research. At the same time we have to admit that, while tempting, these reasons might be false. For one, it appears we should be very much aware of the historical and conceptual distance between imitatio as a didactic concept in the production of classical and humanist literature on the one hand, and imitatio as a tool for modern literary criticism on the other hand. And moreover, we have shown that our temptation to view imitatio as a question of (non-)originality, is in fact based on a very black-and-white view of cultural history. High time, it seems, to explore an alternative approach that can transcend our instinct to equate imitatio with Quellenforschung. Preemptively I must stress that alternative is a debatable choice of word. Additional would perhaps have been better. Indeed, what will be suggested below is not an attempt to eradicate and replace Quellenforschung as a method of philological research. It is meant as a way to maximalize the results of Quellenforschung. On the other hand, this does not mean that this approach is merely a ‘supplement’ to the standard methodological toolbox. It does imply a fundamental change of critical perspective, since it places full emphasis on the interpretation of imitatio as a function of Neo-Latin poetics, rather than on the analysis of it as a literary phenomenon. Structur alist Poetics The abovementioned word ‘function’ is not a haphazardly chosen term. It stems from the structuralist tradition of literary criticism, which lies at the basis of the approach this paper will employ. Now why is that ? Most pressingly, it seems from the above, we need to find a way to transcend the particularity of the research results Quellenforschung leads to. As said, there is nothing wrong – in fact, it is quite achievements of his forerunners, but to surpass them’. Some humanists, however, did explicitly distinguish between imitatio and aemulatio, for instance Erasmus (see Pigman, ‘Versions of Imitation’, p. 18‑29).

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vital – with identifying an imitation of Virgil in Sannazaro for instance, but it is also necessary to interpret this instance of imitatio, either in the context of Sannazaro’s text or œuvre, or in the context of a larger framework of Neo-Latin poetry. The question, it appears, is not only ‘Which models does an author imitate ?’, but also ‘What role does imitatio play in a poem or in Neo-Latin poetry in general ?’. This kind of questioning is typical for the structuralist project as for instance presented with due diligence in Jonathan Culler’s Structuralist Poetics22 . In Culler’s words, structuralism “effects an important reversal of perspective, granting precedence to the task of formulating a comprehensive theory of literary discourse and assigning a secondary place to the interpretation of individual texts23”. This means that if we would approach imitatio from such a perspective, we could succeed in studying imitatio not as individual source criticism, but as an element that produces meaning within a Neo-Latin poem or within the Neo-Latin literary system as a whole. Such an approach views imitatio as a ‘code’ of literary language as Jakobson would have put it, or as a ‘function’ of poetics in Culler’s terms. It is not the first time imitatio has been viewed as a function of literary language. Several previous studies have suggested interpretations of imitatio that come close to such an approach. Especially when trying to subdivide imitatio into categories scholars have approached the identification of such functions24. Cizek, for instance, in his book Imitatio et tractatio has interpreted our phenomenon within the categories of transformation as distinguished in the rhetorical tradition. Imitation, then, produces one of four possible transformations in literary language – adiectio (addition), detractio (omission), immutatio (substitution) and transmutatio (rearrangement) – and is therefore a poetic function. Another attempt was made by Greene, who in The Light in Troy has described what he calls ‘textual strategies’ of imitation. The first of these strategies is so-called reproductive or sacramental imitation, which is the ahistorical, almost liturgical repetition of an earlier text. Secondly, eclectic or exploitative imitation treats all traditions as stock22  Kaminski, ‘Imitatio’, col. 265 suggest four other strands of literary theory which offer a methodological perspective for imitatio research : ‘Rezeptionsästhetik, Intertextualität, Dialogizität (im Sinne von M. Bachtin), Dekonstruktion’. 23  J. Culler, Structuralist Poetics. Structuralism, linguistics and the study of literature, London, New York (Routledge Classics), 2002 (first published 1975), p. 138. 24  There are many more ways to define subcategories of imitatio than will be discussed in the following (see also Jansen, Imitatio, p. 61‑63). Moss, ‘Literary imitation’, p. 111‑112 also touches on some functions of imitation, yet without attempting to theorize or systematize these.

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piles which one can draw from at random. Heuristic imitation, thirdly, is the kind of imitation that is open about its model, but at the same time distances itself from it. The fourth type, which is admittedly almost a species of the third, is dialectical imitation, which more or less equals parody25. Pigman, finally, has discussed different versions of imitation through the lens of the metaphors humanists used to speak about imitatio. He distinguishes transformative, dissimulative, and eristic metaphors and although “(t)hese classes do not strictly correlate with the three types of imitation26”, one can still use them to understand the processes involved in imitation. The first category often uses apian imagery (Bie­nengleichnis), which illustrates not only transformative imitation (turning one thing into another as bees turn nectar into honey), but also non-transformative following, gathering, or borrowing. Dissimulative imagery refers to concealing or disguising the relation between text and model, while eristic metaphors (from the Greek ἔρις) represent “an open struggle with the model for preeminence, a struggle in which the model must be recognized to assure the text’s victory27”. Yet however close these interpretations of imitatio come to it, none of them is a truly structuralist interpretation of imitatio as a function of poetic language. In the case of Cizek the matter is simple. His approach is just too formalistic, which means it is in fact only one small step away from Quellenforschung. After all, what do we really know about the function of imitation when we see a humanist author adding a word to a quotation from Virgil in his imitatio ? Greene, on the other hand, does not succeed in converting his strategies into general functions of poetic language either. Indeed, most reviewers place his merit with the analysis of individual authors28, which is precisely the opposite of what we are hoping to discover through a structuralist perspective. Accordingly, Greene’s method been dubbed proto-structuralist by one reviewer29. 25  Based on the reviews of Greene by S. K. Heninger Jr., Renaissance Quarterly, 37/1 (Spring, 1984), p. 113‑118 and J. Fitzmaurice, The Sixteenth Century Journal, 14/2 (Summer, 1983), p. 240. 26  Pigman, ‘Versions of imitation’, p. 3. 27  Pigman, ‘Versions of imitation’, p. 4. 28  See Heninger, (review), p. 118: ‘His achievement, which is considerable, is best discerned in the readings of individual Renaissance poems’ or Fitzmaurice, (review), p. 240: ‘A great strength of the book is Greene’s treatment of individual authors’. 29 Heninger, (review), p. 114 (taking issue with Greene’s post-Saussurian inspirations): ‘The theoretical stance of Greene, strongly conditioned by his subject, may be

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Pigman, finally, puts forward promising notions but has difficulties translating his metaphors into actual functions of imitation, as he struggles with the notion of authorial intention30 – at least in the first two categories. Since these types of imitation can represent an unconscious relation between text and model, Pigman wonders if there can be any communicative intent in it. In other words, if there is no intention to imitate, it is difficult to interpret such imitation as a function of the text. Only in the third category of eristic metaphors there is this possibility, according to Pigman31. Pigman touches upon an important aspect here, which can nevertheless be resolved by considering it from the angle of the well-known intentional fallacy32 . Indeed, it seems Pigman has made things difficult for himself by assuming that the intention of the author of the literary work is of primary importance for the interpretation of the work or its literary function. On the contrary, it seems that it should be possible described as proto-structuralist. Repeatedly he speaks of the “transitive role” of the Renaissance poet, of his self-imposed responsibility to transmit and interpret the cultural past, thereby becoming at once both the preserver of that culture and a part of it. To use the now-familiar vocabulary of Eliot, Greene must consider how a new work takes its place in the order of literary monuments, confirming that order while modifying it. History bestows a diachronic dimension upon the imitation, while the contemporary circumstances of the poet impose synchronic constraints. But dissatisfied with this structuralist attitude, Greene courts some of the more recent literary theories based upon post-Saussurian linguistic philosophies’. 30  The same problem is noticeable in J. DellaNeva, ‘Reflecting Lesser Lights : The Imitation of Minor Writers in the Renaissance’, Renaissance Quarterly, 42/3 (Autumn, 1989), 449‑479, which departs from Pigman’s insights : ‘These arguments have farreaching implications on virtually every aspect of literary imitation in the Renaissance. They call into question what most scholars have cited as the imitator’s whole purpose in imitation, whether it be the presumed constant desire to compare oneself to a great master, the interest in augmenting the authority of one’s writing by alluding to an authoritative text, or the will to elicit the reader’s pleasure in recognizing the source that is being imitated.’ (p. 479) 31  Pigman, ‘Versions of imitation’, p. 4 : ‘The doctrines conveyed by these two classes pose serious problems for the interpreter who tries to understand imitations and allusions, because they advise the effacement of resemblance between text and model’ and p. 15 : ‘So far an examination of the transformative and dissimulative aspects of imitation has produced only difficulties, all relating in some way to the major hermeneutical problem of the possibility and importance of assessing authorial intention. (…) So far there is very little evidence, from the theorists of imitation, to justify imitation as anything other than an element in the genesis of a text. The third class of analogies for imitation, however, eristic metaphors, does open the possibility of regarding an imitation as an important function of the text itself ’. 32  See William, K. Wimsatt, M. C. Beardsley, ‘The Intentional Fallacy,’ The Sewanee Review, 54 (1946), p. 468‑488, revised and republished in The Verbal Icon : Studies in the Meaning of Poetry, Lexington, 1954, p. 3‑18.

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to discard such notions of intent. Even Pigman concedes that “an imitation’s concealment, therefore, does not necessarily imply absence of function33”. After all, if an author is not consciously aware of using an echo from Horace, should it then be useless to consider this reminiscence as a part of what makes his text poetry, in other words to study this imitatio as a function of Neo-Latin poetics34 ? D y na mic Functionalism : Polysystem Theory In order to bypass the notion of intention we can turn to another structuralist theory, or rather a descendant of structuralism, i. e. dynamic functionalism35 and a specific form of it, namely polysystem theory as developed by the Israeli theorist Itamar Even-Zohar36. For the time being, three aspects of the polysystem theory are relevant for our structuralist interpretation of imitatio. Firstly, PS theory is not only a structuralist theory in the sense that it studies literature as a system and the general rules governing that system, it is also a functionalist theory. This means that PS theory does not so much consider literature as single literary observables (such as texts, authors, readers, etc.), but rather as a network of relations between these observables. The radical change in perspective, here, is that literature becomes a semiotic phenomenon, because only through the relations themselves ‘meaning’ is created in the system. Quite similarly to the linguistic (Sausurean) model it was based on, in which a word like ‘two’ only has meaning through the functional relations between ‘two’ and ‘one’, and ‘two’ and ‘three’, PS theory stresses that literature only has meaning through the relations between literary observables and not through the observables themselves. In this way, this function33  Pigman,

‘Versions of imitation’, p. 14. it is quite possible for an item to have a canonized status (and thus possibly to serve as a model) in the literary system, without it being read very much at all (R. Sheffy, ‘The Concept of Canonicity in Polysystem Theory’, Poetics Today, 11/3 (Autumn, 1990), p. 511‑522 [p. 517]). 35  On the history of dynamic functionalism, see I. Even-Zohar, Polysystem Studies, Durham, 1990 (= Poetics Today, 11/1 [1990]), p. 2‑6. 36 On the polysystem theory, see Even-Zohar, Polysystem Studie ; Id., ‘Polysystem­ theorie’, in Deskriptive Übersetzungsforschung : Eine Auswahl, ed. S. Hagemann, Berlin, 2009, p. 39‑62 ; Id., Papers in Culture Research, Tel Aviv, 2010 (= electronic publication http://www.even-zohar.com) ; D. De Geest, Literatuur als systeem, literatuur als vertoog. Bouwstenen voor een functionalistische benadering van literaire verschijnselen, Leuven (Accent), 1996 ; Id., ‘Systemtheorie und Diskursivität’, Kulturrevolution, 50 (2006), p. 70‑77 ; and Canadian Review of Comparative Literature / Revue Canadienne de Littérature Comparée, 24/1 (1997). 34  Besides,

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alist approach can transcend Pigman’s problem of authorial intention and in general perform the aforementioned reversal of perspective from studying one particular imitation to studying imitatio as a general poetic function. Secondly, an important component of this literary system is what Even-Zohar calls its repertoire37, which “designates the aggregate of rules and materials which govern both the making and use of any given product 38”. In other words, the notion repertoire covers anything from lexicon over grammar to style, genreconventions and models. For the system to function, i. e. for functional relations to be possible at all, a minimum of pre-knowledge and agreement of the repertoire is thus of key importance for any exchange between the members of the system. Therefore, the core of the repertoire is not optional, but rather a socially generated normative framework39. The rules of the game, so to speak. Thirdly, it is obvious that such rules will change over time. Indeed, PS theory stresses that it studies the network of relations in literature both in synchrony (in principle) and in diachrony (in time), which makes it dynamic. Hence the term dynamic functionalism. Such changes in the system can occur through a variety of different processes, such as interference or transfer between systems, and canonization or stratification within the system. This implies that the system’s repertoire is also dynamic and indeed within it two different tendencies can be distinguished: one is called ‘primary’, the other ‘secondary’40. Even-Zohar explains that “(t)he primary vs. secondary opposition is that of innovativeness vs. conservatism in the repertoire41”. In this way, primary models in the repertoire are those which seek to restructure, augment

37  See Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 39‑43. See also D. De Geest, ‘Cultural Repertoires within a Functionalist Perspective : A Methodological Approach’, in Cultural Repertoires. Structure, Function and Dynamics, ed. G. J. Dorleijn, H. L. J. Vanstiphout, Leuven, 2003, p. 201‑215. 38 Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 39. 39  Even-Zohar himself refers to Pierre Bourdieu’s notion of habitus to account for the ‘behavioural’ dimension to explain this dimension of repertoire (Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 42). 40  Even-Zohar calls this primary and secondary ‘types’, but his use of the word type is unclear. In his general discussion of the opposition (Polysystem Studies, p. 20‑22) he reserves it for ‘products’ and ‘models’, yet it seems the notion also applies to systemic processes (general operations within the system), procedures (particular operations of production or consumption), or conversions (movement within the system’s stratification) as well. 41 Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 21.

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or change the repertoire, secondary models are those that attempt to conform, conserve or perpetuate. It is especially this opposition, which offers us an important new way of thinking about imitatio. Again departing from Lotman’s cultural typology, we might be tempted to identify imitatio with a secondary repertoire, with perpetuating tradition, as if re-using models always implies a status quo. Which is not the case. Imitatio can definitely perform both a secondary and primary function in a literary system: it can just as well aim to perpetuate the system’s repertoire as try to innovate it. I mitatio

as a pr imary or secondary function

This point is easily illustrated with an example of imitation on a macro-level, namely Catullan imitation in Neo-Latin poetry42 . It is, of course, a very well known fact that the Roman poet Catullus has inspired generations of Neo-Latin poets. Quellenforschung allows us to discover imitations of Catullus in poets as different as the Quattrocento Italian humanist Giovanni Pontano (1426‑1503) or the late sixteenth-century Leuven professor Justus Lipsius (1547‑1606). Such an analysis of source criticism will reveal many loci that show the influence of Catullus on their poetry. Bluntly stated, however, this is where Quellenforschung ends. Yet the dynamic-functionalist interpretation does not stop at this analysis of a shard particularity in both poetical repertoires. Through the notion of primary and secondary repertoires, we can now better understand the differences in general poetic function that separate both instances of imitatio Catulli. In a interesting article on Justus Lipsius as a Neo-Latin poet, Papy departs from the observation that Lipsius cannot be considered to be a very original poet43. Indeed, even in his own mind, Lipsius, who left a poem On himself, a non-poet (De se non vate), merely follows the canonized poetic tradition. One conspicuous result of this is that his poems are often close to being centos, consisting of strings of quotations. In this way, it is safe to say that from a systemic point of view Lipsius was not trying to change the system’s repertoire with his poetry. His literary activity consists in following a canonized poetic tradition, 42  See

e.g. J. Haig Gaisser, Catullus and his Renaissance Readers, Oxford, 1993. ‘La poésie de Juste Lipse. Esquisse d’une évaluation critique de sa technique poétique’, in, Juste Lipse (1547‑1606) en son temps. Actes du colloque de Strasbourg, 1994, éd. Chr. Mouchel, Paris, 1994, p. 163‑214 (for a markedly Catullan poem, see p. 168). 43  J. Papy,

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in some cases that of poetry in the Catullan vena, knowing that this will at least render his poetry acceptable for the contemporary audience. Therefore, Lipsius’s imitation of Catullus is obviously a secondary product, which perpetuates existing structures and norms of the system’s repertoire. On the other hand, when the poeta vates Giovani Pontano imitated Catullus, we have quite a different situation. Pontano’s daring poetry that owes much to Catullus was clearly quite innovative in the contemporary field of the Neo-Latin erotic lyric44. In comparison with the rest of the Italian lyric scene Catullus’ hendecasyllables and Pontano’s reception of them differ on all levels of the repertoire (lexicon, syntax, genre, etc.). Therefore, Pontano’s imitatio Catulli is clearly a primary product vis-à-vis the system’s repertoire. He is trying to change the system’s repertoire and to canonize Catullus as a model for love poetry. In this way, this example illustrates how the dynamic-functionalist interpretation of imitatio as a primary or secondary element of the literary repertoire, adds to our understanding of the general poetic function of imitatio. Indeed, in the differences between Lipsius’s and Pontano’s imitation of Catullus we see the importance of combining Quellenforschung – which reveals which author is imitated – with the dynamic-functionalist approach of imitatio – which reveals the poetic nature of the relationship between a text and its model. R isu

cognoscer e matr em

Finally, as a more elaborate example of the interpretative potential of the dynamic-functionalist approach to imitatio, a very specific, but well-known locus of imitation will be studied, namely the reception of Virgil’s famous verse Incipe parve puer risu cognoscere matrem (ecl. 4, 60). As one of the most celebrated lines of Latin poetry it is quite easy to assemble a collection of Neo-Latin imitations of it. Those stated below are perhaps the most renowned, but are obviously only the tip of the iceberg45.

44 Gaisser,

Catullus and his Renaissance Readers, p. 177 sq. parallel places, see St. Maizony de Lauréal, Les Bucoliques de Virgile. Traduction nouvelle en vers français, avec tous les passages des auteurs grecs et latins imités par Virgile, et des auteurs des divers nations qui ont imité Virgile, Paris, 1821, and J.-P.-E.  Pétrequin, De l’intervention de la physiologie dans l’interprétation d’un passage fort controversé des Eglogues de Virgile (Paris, 1864), which includes several references not mentioned here (including many from the 18th century as well). 45 For

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Incipe parve puer risu cognoscere matrem (J. Sannazaro, De partu Virginis, 3, 231)46 Ergo age, care puer, risu cognosce parentes (J. Passerat, Genethliacon Henrici Memmii Nepotis)47 (…) ille complexum petens / et e pudico dulce subridens sinu / matrem fatetur (D. Heinsius, Herodes Infanticida, actus 2)48 Parvulus (…) qui risu nosse parentes / incipiat (I. Pontanus, Poemata)49 Incipe, nunc dulci matrem cognoscere risu (G. Becanus, Elegiae, 1, 3)50 Dumque suam vultu matrem ridente fatetur / natus (R. Rapin, Eclogae sacrae, 11)51 Coepisti tandem risu cognoscere matrem ! (G. Pascoli, Thallusa, 194)52 donec avet risu maternos noscere sensus (M. Pisini, Lallum, 19)53

However quick it may be, such a glance already reveals the prolific influence of Virgil’s splendid line. In Renaissance Italy we find it in Jacopo Sannazaro’s Christian epic De Partu Virginis (1526) where he just copied the full verse, thus imitating it maximally54. In France it is present in Jean Passerat’s Genethliacon for his patron Henri de Mesmes’ grandchild, dated on 1 January 1586, and also in the eleventh poem of René Rapin’s Eclogae Sacrae (1659). Finally, in the Low Countries we find it in Daniel Heinsius’ play Herodes Infanticida, published in 1632, but written several years earlier, in Isaac Pontanus’ Poemata (1634), 46  Iacopo Sannazaro. De Partu Virginis, ed. Ch. Fantazzi, A. Perosa, Firenze (Istituto Nazionale di Studi sul Rinascimento. Studi e Testi 17), 1988, p. 71. 47 Ioannis Passeratius, Kalendae Ianuariae et Varia quaedam Poemata. Quibus accesserunt eiusdem Authoris Miscellanea nunquam antehac typis mandata, Paris, 1606, p. 59‑62. 48  Danielis Heinsii Herodes Infanticida, Tragoedia, Amsterdam, 1632, p. 20. 49  ‘Epithalamium in Nuptias (…) Frederici Sandii (…) eiusque Sponsae (…) Evermoet ab Essen’, in IIsaci (sic) Pontani Poematum libri VI, Amsterdam, 1634, p. 42‑45 (p. 45). 50  ‘Elegia III. Invenietis infantem pannis involutum, et positum in praesepio. Lucae 2’, in Sidroni Hosschii e Societate Jesu Elegiarum libri sex. Item Guilielmi Becani ex eadem societate Idyllia et Elegiae, Antwerp, 1667, p. 333‑335 (p. 335). 51 ‘In Virginem Expiatam Ecloga XI. Laudes’, in Renati Rapini, Multo elegantissimi poetae, Hortorum Libri, Ecolgae, Liber de Carmine Pastorali, Odae, Leiden, 1672, p. 35‑38 (p. 36). 52  Pascoli. Tutte le poesie, ed. A. Colasanti, trad. N. Calzolaio., Roma (I Mammut 72. Grandi Tascabili Economici Newton), 2001, p. 1064‑1073 (p. 1070‑1072). 53  M. Pisini, Album, Cortona, 2006, p. 16. 54  De partu Virginis contains numerous references to Vergil’s fourth ecloga in this specific part (see The Major Latin Poems of Jacopo Sannazaro, transl. into English prose with comment. and selected verse transl. by R. Nash, Detroit [Mich.], 1996, p. 14).

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and some decades later in Gulielmus Becanus’s Elegiae, published together with Sidronius Hosschius’ poetry. However, the imitation lives on even further. Most notably we come across it in the nineteenthcentury Latin poet Giovanni Pascoli (1855‑1912), who imitated it in his award-winning poem Thallusa (1912). Even in contemporary Latin it is found, for instance in the 2006 poem Lallum by university professor and Latin poet Mauro Pisini (1962). To be thorough, it is also important to realise that Virgil’s line did not come falling from the sky. It probably goes back to Catullus55 and most likely also to Lucretius56. They, in turn, will probably have had even older Latin, or quite possibly Greek, sources. nec ratione alia proles cognoscere matrem nec mater posset prolem (…) (Lucr. 2, 349‑350) Torquatus volo parvulus matris e gremio suae porrigens teneras manus dulce rideat ad patrem semihiante labello (Cat. 61, 216‑220)

So far for the necessary Quellenforschung. To illustrate the potential of our dynamic-functionalist perspective, let us analyse the imitatio in Pisini’s case. First of all, this example points at an important difficulty traditional Quellenforschung will struggle with. In some cases – even quite often in the long history of Neo-Latin literature – Quellenfor­ schung will offer us different possibilities to identify sources. Indeed, we could ask ourselves, does Pisini imitate Virgil, Sannazaro, Heinsius, Pascoli or anyone else here ? There seems to be no way of telling, as Pisini’s version is stylistically quite far removed from the other instances. To determine the exact function of the instance of imitation in question we need to consider the functional relations this poem might have with the other poems. Now while there is little to nothing connecting Pisini with Sannazaro, Heinsius or any of the others, there is a marked connection with Virgil’s ecloga 4 and Pascoli’s Thallusa. In this way, it is viable that our instance of imitatio should connect Pisini’s text to a Virgilian model. Obviously, the Mantuan poet 55  See M. B. Skinner (ed.), A  Companion to Catullus, Oxford (Blackwell companions to the ancient world) 2008, p. 379‑380. See also Th. K. Hubbard, ‘Intertextual Hermeneutics in Vergil’s Fourth and Fifth Eclogues’, The Classical Journal, 91/1 (Oct.-Nov., 1995), p. 11‑23. 56  T. Lucreti Cari De rerum natura libri sex, ed. W. A. Merrill, New York (Morris and Morgan’s Latin series) 1907, p. 423.

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is still highly valued even in the repertoire of contemporary Neo-Latin poetry. Circumstantial evidence that points in this direction could be other classic allusions (such as an Ovidian reminiscence in attonitis… genis57 and perhaps in the final line58) and two additional Virgilian echoes. Indeed, both Postquam prima quies and mens agitat are found in the Aeneid59. Judging from this refined Quellenforschung, our passage all of a sudden appears most classical and the interpretation that Pisini plays on classical literature here and alludes to Virgil seems almost inevitable. Still, from a dynamic-functionalist perspective this would mean that Pisini’s poem is a secondary product of contemporary Latin literature, which merely aims to connect itself with the authority of Virgil as a ‘classic’ author. And it remains to be seen whether this is the fullest or the only explanation for the function of Pisini’s imitatio. Indeed, there is also a different interpretation of this poem and its imitatio. All in all, Pisini’s use of the Virgilian layer of the repertoire does not seem to fit very well with his place in the contemporary Neo-Latin literary system. Indeed, Pisini is very conscious of precisely his status as a contemporary Neo-Latin poet and his poetry is anything but classic (see appendix). He does not strive to be like Virgil, but writes present-day Latin poetry. In this way, it would make more sense to interpret the imitatio in verse 19 as representing a functional relationship between Pisini and a model of modern poetry. And, as a model for modern Neo-Latin poetry written by an Italian such as Pisini, there is scarcely any model with more authority than Giovanni Pascoli – who is recognized as one of the greatest Italian-Latin poets ever, winning many first prizes at the Certamen Hoeufftianum, including for Thallusa in 191260. The functionalist approach shows that the link between Pisini and Pascoli is quite likely to be more relevant than the link between Pisini and Virgil. It can explain his imitatio not as a secondary operation to perpetuate the classic repertoire, a repertoire which is quite distant from Pisini, but as a self-conscious attempt to achieve a more central position within the hierarchical structure of the contemporary Neo-Latin system in Italy – an operation which characterizes the whole of Pisini’s poetic activity.

57  Cf. Ovidius,

Pont., 2, 3, 90: gutta per attonitas ibat oborta genas. Fast., 4, 138: nunc alii flores, nunc nova danda rosa est. 59  Postquam prima quies : Vergilius, Aen., 1, 723 and Mens agitat : Aen., 6, 727 ; 9, 187 (see also Lucanius, 6, 415 and Statius, Theb., 2, 177). 60 On the certamen, see D. Sacré, ‘‘Et Batavi sudamus adhuc sudore Latino’. Het Certamen Hoeufftianum’, Hermeneus, 65 (1993), p. 120‑124. 58  Cf. Ovidius,

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Again the circumstantial evidence does not refute such an interpretation, quite the contrary. For starters, the imitatio in Incipe parve puer is markedly Pascolian as Pascoli used it as his anonymous motto to send in Thallusa to the Certamen Hoeufftianum61. Moreover, Pisini’s title Lallum or ‘Lullaby’, which is a very rare word, is also present in Pascoli’s Thalussa. Indeed, the poem hinges on a famous Saturnian lullaby with strophes ending in the line Lalla ! Lalla ! Lalla ! 62 . Furthermore, the rare word momina (in momina frontis) may well echo Pascoli’s momine from verse 181 and in the Saturnian lullaby Pascoli also uses the phrase Genis tuis tegaris twice, which could have inspired Pisini’s line et rubor attonitis decidit absque genis. Indeed, when studied meticulously, it seems Pisini’s poem is completely infused with subtle echoes of Pascoli’s Thalussa63. C onclusion In the end we see that while Quellenforschung furnishes the necessary elements for discussions of literary interpretation such as the above one, the dynamic-functionalist approach of PS theory is able to offer interpretative options and to argue about their likelihood. As always, it is not a question of being right or wrong in such interpretations, but a question of finding an interpretation that explains as much of the observed literary object as possible. In this way it should also be clear from the above that this paper is by no means a denial of the value of Quellenforschung or an attempt to stir up a methodological querelle des anciens et modernes, as if old philology should be replaced by modern literary theory. It aims for methodological symbiosis and self-criticism, if anything, and does so in a conscious attempt to take note of the recent outcry for more methodological reflection in Neo-Latin Studies64 – methodological reflec61 

Pascoli. Tutte le poesie, p. 1072. ‘The Saturnian Lullaby in Pascoli’s Thallusa’, Humanistica Lovaniensia, 51 (2002), p. 311‑321 (p. 314). 63  Cf., for instance, v. 1‑3a : Iam sopor ad cunas vigil adstat, corde serenus / en catulus dormit, dum tenera ulna movet / vestem, exinde labrum and Pascoli, Thallusa, 78‑79a : Adstitit illa domus anceps in limine, gestans / ulnis infantem, or consider the similarities between v. 17‑18: postquam prima quies velavit momina frontis / et rubor attonitis decidit absque genis and Pascoli, Thallusa, v. 151b-154: Ut prope lectum / serva levis venit, pueris semihiantibus albas / demulsit frontes et sparsum rore capillum (see also v. 14‑16a : Omnia pupillis tacitis sibi vindicat alter sistraque praedatur crepitacillisque potitur attonitus). 64 See T. van Hal, ‘Towards Meta-Neo-Latin Studies ? Impetus to Debate on the Field of Neo-Latin Studies and its Methodology’, Humanistica Lovaniensia, 56 (2007), p. 349‑365. 62  A. Mahoney,

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tion which is quite necessary as already the quote from the Historisches Wörterbuch der Rhetorik pointed out. Finally, in the context of this collection of essays, it should be clear that this exploration of imitatio as a critical concept calls for caution in recuperating notions from classical and humanist artes poeticae. They are not works of literary theory, but handbooks for writing poetry, as Thomas Greene has pointed out on occasion65. And perhaps it was no coincidence that such an obervation should come from the scholar who devoted so much attention to the topic of imitatio…

65  Cf. Th. Greene, ‘The Flexibility of the Self in Renaissance Literature’, in The Disciplines of Criticism : essays in literary theory, interpretation, and history, ed. P. Demetz, Th. Greene, L. Nelson Jr., New Haven, 1968, p. 241‑264 (p. 250), who views such treatises as part of the ‘institute-genre’, ‘one of the most popular and typical of the Renaissance’, comprising not only artes poeticae but also works like Machiavelli’s Il Principe, Castiglione’s Il Cortegiano and even Erasmus’ devotional Encheiridion.

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APPENDIX risu cognoscere matrem (Pascoli vs Pisini) Pascoli, Thallusa, 156‑194 66 Pergit ad infantem queribundum serva nec illum tranquillare valet quatiens cunabula balbisque infractisque sequens fluitantem vocibus alveum. Namque heu! fluctivagus capit aegrum lembus homullum, nil supra servi, nil infra regis alumnos, cuiusvis opera, cuiusvis rebus egentem. Tum sonat ex animo qua iam sedare suum, qua abreptum puerum suerit sopire querela. Idem vagitus, puer idem, mater eodem naviculam pellens solatur carmine nautam. Ocelle mi, quid est quod vis apertus esse? Nihil potes videre, namque iam cubat sol, nec aureum grabatum luna pigra linquit. Genis tuis tegaris: plusculum videbis. Lalla! Lalla! Lalla! Ocelle mi, quid est quod usque me tueris? Dolesne quod dolentem cernis, inque, mammam? Sum servuli quidem vix mater, ipsa serva. Genis tuis tegaris: liberam videbis. Lalla! Lalla! Lalla! Ocelle, qui tueris usquequaque lugens velut foras ituram perdite procul me… noli tuam perisse tunc putare matrem: genas tuas remitte, semper et videbis. Lalla! Lalla! Lalla! Flet Thallusa canens, aeque memor, immemor aeque. Ecce puer leni pacatus momine cymbae et dulci cantu, iam cessat flere nec idem singultit: tranquillus hiat patulisque canentem sub tremula lychni flamma miratur ocellis. Tum stupet in varia, quae lumine lampadis icta labilis a cilio Thallusae pendet et ardet, lacrimula. Tandem crispatur buccula. Ridet. « Ridet! » ait Thallusa furens, oblita sui, nil percipiens oculis aliud, nil auribus, omnis in puero, risum lacrimans, deperdita « Ride! Coepisti tandem risu cognoscere matrem! » Mater adest sed vera redux auditque loquentem. « I cubitum: primo cras surgas mane necesse est ». Primo mane domo servam novus emptor abegit. 66 

Pascoli, ed. A. Colasanti, p. 1070‑1072.

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risu cognoscere matrem (Pascoli vs Pisini) Pisini, Lallum

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Iam sopor ad cunas vigil adstat, corde serenus en catulus dormit, dum tenera ulna movet vestem, exinde labrum: veniens per lintea verus, murmuris instar aquae, membra tuetur amor, matris ubi lallum leve lecti e margine fingit reges, historias, oscula pura, iocos atque hilares gestus, quibus ardet stella supernis e spatiis, iterat luna remota melos… tum pugnis vigilat restincti luminis echo quam regit angelicus, voce cadente, chorus, tellus item recipit. Tranquilla ad ad somnia pupi divae conveniunt et sua dona ferunt, si legit umbra cutem, vel nox palatur ocellis, ut videat furtim quod videt ille sibi, cum scius insequitur portenta recondita rerum, quae magica in clausis imprimit aura coris, postquam prima quies velavit momina frontis et rubor attonitis decidit absque genis, donec avet risu maternos noscere sensus: quidquid mens agitat, floret in ore, rosa est.

67 Pisini,

Album, p. 16.

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BIBLIOGRAPHY Culler , J., Structuralist Poetics. Structuralism, linguistics and the study of literature, London, New York (Routledge Classics), 2002 (first published 1975). Ev en -Z ohar , I., Polysystem Studies, Durham, 1990 (= Poetics Today, 11/1 [1990]). Ja nsen , J., Imitatio. Literaire navolging (imitatio auctorum) in de Europese letterkunde van de renaissance (1500‑1700), Hilversum, 2008. P igma n , G.‑W., ‘Versions of Imitation in the Renaissance’, Renaissance Quarterly, 33 (1980), p. 1‑32.

Ludmilla Evdokimova

L’ART DE LA PAROLE ET LA GR ADATION DES STYLES DANS LES POÈMES LYRIQUES DE DESCHAMPS L’hér itage poétique d’E ustache D escha mps est varié tant du point de vue des thématiques de ses poèmes que des moyens lexicaux, rhétoriques et rythmiques qu’il utilise. Or, la question de savoir s’il existe un lien entre ces poèmes divers et les doctrines des styles connues au Moyen Âge n’a pas été suffisamment étudiée, bien que des remarques aient été faites à ce propos1. Pour répondre à cette question, il faudrait décrire d’une manière plus complète les idées de Deschamps concernant l’art du langage et notamment ses jugements sur la différentiation des styles. Deschamps fut auteur de l’Art de dictier, mais ses idées sur l’art d’écrire ne s’y réduisent pas. Dans ses poèmes on trouve des traces d’autres doctrines qui, selon nous, non seulement lui sont connues, mais exercent encore une influence sur sa pratique littéraire. Parallèlement, il ne faut pas considérer l’Art de dictier comme son unique manifeste poétique2 . 1  Voir en particulier notre article : « Rhétorique et poésie dans l’Art de dictier », dans Autour d’Eustache Deschamps. Actes du colloque (Amiens, 1998), éd. D. Buschinger, Amiens, 1999, p. 93‑102 où nous mettons certains poèmes de Deschamps en rapport avec le style élevé. Voir aussi : M. Lacassagne, « Eustache Deschamps, praticien du style moyen », Centaurus. Studia classica et medievalia, 7 (2010), p. 151‑165 qui souligne le lien entre d’une part les poèmes de Deschamps consacrés à la louange d’une forme de mediocritas horacienne et d’autre part le style moyen. À notre avis, les frontières du style moyen chez Deschamps sont plus larges et moins précises, puisque, comme nous allons le voir, l’influence des diverses doctrines des styles se reflète dans son œuvre poétique. 2  De toute évidence, l’Art de dictier fut écrit suite à une commande de Louis d’Orléans, protecteur du poète (voir Eustache Deschamps, l’Art de dictier, éd. D. M. Sinn­ reich-Levi, East Lansing, 1994, p. 139 ; plus loin nous citons le traité de Deschamps d’après cette édition). Deschamps répète en plusieurs endroits que l’Art de dictier est le fruit d’une commande, même s’il ne découvre pas le nom de son mécène. Ainsi, en particulier : « car ce qui fait en est a esté du commendement d’un mien tresgrant et especial seigneur et maistre, auquel pour mon petit engin ne autrement, pour l’obeissance que je lui doy, excusacion n’eust pas eu lieu, quant a moy » (l’Art de dictier, p. 102‑104). Il se peut que l’explication de la locution « ars liberaulx » qu’il fournit au début du traité – ces arts, dit-il, sont destinés aux gens libres, c’est-à-dire, nobles, issus des bonnes familles – soit citée pour signaler la noblesse du commanditaire et souligner que la lecture

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Il est impossible de dire par ailleurs si les doctrines des styles que nous allons évoquer sont applicables à toutes les œuvres du poète sans aucune exception ; dans l’ensemble de son œuvre, on constate plutôt des tendances diverses qui permettent de situer certains poèmes dans la hiérarchie des styles hauts ou bas, alors que d’autres restent, semble-t-il, en dehors de cette classification. Par ses vues sur la littérature et sur la manière d’écrire, telles qu’elles imprègnent ses poèmes, Deschamps est éclectique et il est difficile de réduire ses jugements à un système cohérent. Il n’est pas exclu que des contradictions entre les doctrines qui apparaissent dans ses poèmes s’expliquent par le fait que ceux-ci soient écrits à des moments différents de sa vie alors même que les datations ne sont pas toujours faciles à établir. Deschamps connaît les gradations ternaire et binaire des styles. Il mentionne la doctrine du premier type, en particulier, dans son poème ironique D’un beau dit de ceuls qui contreuvent nouvelles bourdes et mensonges daté de 16 et 17 octobre 1400 (n° 1404)3 ; dans ce cas la doctrine en question fait partie de l’exposé détaillé des arts de la rhétorique et de l’art poétique. Ce poème appartient au cycle de ses œuvres adressées à ses amis et collègues qui l’entouraient lorsqu’il était au service du roi. À en juger par les poèmes eux-mêmes, c’était une sorte de société littéraire semblable à l’entourage arrageois d’Adam de la Halle ou encore plus, peut-être, à la confrérie de Basoche4. Deschamps appelle ses amis « fude ce traité lui convient (l’Art de dictier, p. 54). Plus loin, lorsqu’il définit le serventois consacrée à la Vierge, Deschamps, contrairement à son habitude, n’illustre sa définition d’aucun exemple et assure que les « nobles hommes n’ont pas accoutumé de ce faire » (l’Art de dictier, p. 82). D’une manière analogue, le bref paragraphe consacré aux sottes chansons et pastourelles ne comporte pas d’exemples ; cette fois Deschamps avoue qu’il les omet à cause de la « briefte » à laquelle il vise (l’Art de dictier, p. 94). Pourtant Deschamps lui-même a composé des poèmes de ce genre. On a ainsi l’impression que Deschamps adapte son exposé de l’art de versification aux goûts et aux exigences de son destinataire. Voir à ce sujet : Cl. Dauphant, La Poétique des Œuvres complètes d’Eustache Deschamps (ms. BnF fr. 840). Composition et variation formelle, Paris, 2015, qui consacre à l’Art de dictier de Deschamps et à son accord avec l’œuvre du poète un chapitre de son livre (p. 92-134). Notre point de vue ne coïncide pas avec le sien ; à notre avis, de plus, Cl. Dauphant exagère beaucoup l’originalité du traité de Deschamps, car elle ne tient pas compte des traités de la rythmique latine (I trattati medievali di ritmica latina, éd. G. Mari, Milano, 1899), tradition à laquelle Deschamps est directement lié. 3  Ici et plus loin les poèmes de Deschamps sont cités d’après l’édition suivante : Eustache Deschamps, Œuvres complètes, éd. du marquis de Queux de Saint-Hilaire et de G. Raynaud, t. 1‑11, Paris, 1878‑1904 ; les numéros des poèmes renvoient à cette édition. 4 P. Unruh, « Fumeur » Poetry and Music of the Chantilly Codex : a Study of its Meaning and Background. A Thesis Submitted in Partial Fulfilment of the Requirements for the Degree of Master of Arts, the University of British Columbia, 1983, p. 51‑71. Pour les lettres et les chartes de Deschamps, voir l’ouvrage récent de K. Becker, Le lyrisme d’Eustache Deschamps. Entre poésie et pragmatisme, Paris, 2012, p. 52-61.

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meux » ; cet adjectif (dont l’une des significations est « colérique5 »), est proche par son sens de « mélancolique6 » ; au Moyen Âge l’état de la mélancolie est considéré comme propice à la création poétique. Dans plusieurs poèmes de ce cycle, Deschamps utilise les adjectifs « fumeux » et « mélancolieux » pratiquement comme des synonymes7. Dans le poème en question Deschamps convoque – en tant que prince des « fumeux » – l’assemblée burlesque, en ordonnant à ses sujets de s’y rendre et d’y réciter leurs œuvres ; il expose en même temps les règles que ses sujets doivent suivre et les fondements de la science qu’ils doivent maîtriser. Il s’agit sans aucun doute de la rhétorique et, plus précisément, d’une version spécifique de cet art. Bien que le ton du poème soit ironique, cet exposé contient une part de sérieux, car, comme nous le montrerons, une conception analogue de la rhétorique est évidente dans d’autres œuvres du poète où l’ironie n’a pas de place. De plus, cet exposé reflète les connaissances qu’a Deschamps dans ce domaine et permet d’établir les sources auxquelles il a recours. D’une part, Deschamps y formule des thèses énoncées aussi dans l’Art de dictier et dans la ballade sur la rhétorique (n° 1367) qui lui est proche : c’est une science pratique qui demande pourtant une préparation théorique8 ; l’orateur doit parler « hardiment »9. Deschamps y utilise le syntagme « parler en habobdance » qui remonte probablement à la définition de la rhétorique formulée par Isidore10. Le prince des fumeux expose à ses sujets des règles qui concernent l’inventio et l’elocutio. Dans la plupart des cas, ces règles coïncident avec celles, généralement connues : il faut éviter les sujets bas, préférer 5 

Dictionnaire du Moyen français en ligne : http://www.atilf.fr/dmf/. « Fumeur » Poetry, p. 3‑5. 7  Ainsi, par exemple, dans La charte des fumeux datée de 9 décembre 1368 (n° 1398) : « Jehan Fumée, par la grace du monde / Ou tous baras et tricherie habonde / Empereres et sires des Fumeux / Et palatins des Merencolieux / A tous baillis, prevost et seneschaulx / Dus, contes, princes […]. / Vous esclarcirons leur manière / Et leur condicion premiere. / Ilz parlent variablement / Ilz se demaines sotement ; / […] / Plain sont de grant merancolie… » (Œuvres complètes, t. 7, p. 312‑312). 8  « Et que ceuls ou loquence habonde / Et qui ont belle theorique / Et de parler bonne pratique / En faiz de beaus comptes compter, / Choses nouvelles rapporter… » (Œuvres complètes, t. 7, p. 351‑352). 9  Œuvres complètes, t. 7, p. 347. Telle est la définition de la rhétorique dans l’Art de dictier ; pour l’analyse, voir notamment notre article : « Rhétorique et poésie dans l’Art de dictier », p. 93‑97. 10  Œuvres complètes, t. 7, p. 347. Cf. Isidore, Etymologiae, II, 1 (http://www.thelatinlibrary.com/isidore/2.shtml) : Rhetorica est bene dicendi scientia in civibus quaestionibus, [eloquentiae copia] ad persuadendum justa et bona (« La rhétorique est l’art de bien parler dans les questions civiles, [l’abondance de l’éloquence] qui sert à persuader de ce qui est juste et bon »). La locution « parler en habondance » évoque également l’Art de dictier où Deschamps parle de la « facunde des diz » (l’Art de dictier, p. 64). 6  P. Unruh,

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le choix des mots propres, faire usage de l’amplification et de l’allégorie. Ainsi, celui qui récite son œuvre… … s’aidera De la langue soutivement Et par beaux moiens proprement, Sanz touchier matere villaine, Et qu’il ait tousjours grant alaine Pour parler en multipliant, Et qu’il voist ses comps employant De loing et sanz eschaufeture […] Pour sçavoir qui mieulx sentira Et qui mieux mettra en fourme Verité couverte de bourde11.

D’autre part, la rhétorique que Deschamps décrit ici est différente de celle qu’il définit dans l’Art de dictier et dans la ballade qui lui est proche. Contrairement à la version romaine de cet art, selon laquelle le domaine de la rhétorique est limité aux questions civiles, dans le Dit il s’agit de la rhétorique universelle, qui apprend à parler de tous les sujets ; le thème social, bien qu’il ne soit pas exclu, se trouve au second plan et est évoqué à la fin du poème12 . Dans cette orientation universelle de la rhétorique, on trouve un écho des idées d’Aristote : Le prince de haulte eloquence […] Seigneur des choses incredibles […] Saichans dire toutes nouvelles, De qui ce vient, de l’afermer Des grans merveilles de la mer, Des sciences et de la guerre, De tous animaulx de la terre, De l’air, des merveilleus poissons, Des vendenges et des moissons, 11 

Œuvres complètes, t. 7, p. 356‑358. Comparer à la fin du Dit la mention des questions civiles qui évoque la rhétorique romaine : « Et, par maniere de requeste, / Baurra chascun a celle feste / Ou dira devant tous de bouche / Nouvelle chose ou escarmouche / Ou de guerre ou de paix estrange, / Pour avoir los, pris et louenge / Pour veoir le sens de chascun, / Pour adviser que no commun, / Ensemble la chose publique, / Ne puist par quelque voie oblique / Estre mise a destruction. / La se fera l’instruction / Comment l’en devra gouverner, / Et la voulrons nous ordonner / De nostre estat, et de nos gens / Faire baillis, prevost, sergens, / Receveurs, procureurs et maires […] / Grans conseillers et advocas, / Selon ce que verrons leurs cas, / Leur sens et leur bonne pratique » (Œuvres complètes, t. 7, p. 354). 12 

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Des chiens et des oyseaulx volans Et des grans rivieres courans…13

Une énumération semblable des thèmes dont la rhétorique apprend à parler se rencontre plus d’une fois dans le poème14. Il s’ensuit de ces énumérations que pour Deschamps la rhétorique représente l’art du mensonge et qu’il l’identifie au métier de l’écrivain (voir, par exemple, dans la note 14 les vers consacrés à l’éloge des dames, un des thèmes que le prince des « fumeux » recommande à ses sujets). Brunet Latin transmet sous une forme plus simplifiée et succincte des idées semblables sur la rhétorique, pour les rejeter cependant par la suite : selon lui, c’est un art moralement nuisible qui apprend à mentir et à donner de la force aux arguments incroyables15. Pourtant, il est plus vraisemblable que cette vision de la rhétorique est suggérée à Deschamps par la traduction de la Politique d’Aristote faite par Nicole Oresme ; il est prouvé que Deschamps a consulté cette traduction16. Nous savons qu’Oresme enrichit sa traduction de nombreuses gloses, dont plusieurs sont assez longues. Les chapitres consacrés aux démagogues (livre 4, ch. 7 ; livre 5, ch. 8‑10) en contiennent quelquesunes. Oresme identifie les démagogues aux rhéteurs, et parfois il fait référence à la Rhétorique d’Aristote et explique pour quelles raisons le peuple est porté à croire les démagogues. Le traducteur souligne que la 13 

Œuvres complètes, t. 7, p. 347‑348. aussi « A tous ceuls qui scevent fonder / Nouvellement et recorder / Chose nouvelle et merveilleuse, / Qui ont paroles gracieuse, / Parlans des voyages estranges, / Qui donnent aux dames louenges, / Qui parlent d’armes et d’amours, / Qui scevent faire soutilz tours / Et eulx getter par beau langaige / De maint peril, de maint dommaige, / Qui scevent de tous cas parler, / Qui scevent venir et aller / Entre gens et si scevent tendre / Que ce qu’ilz donnent a entendre / Soit tenu vray des escoutans, / Qu’en son parler ne soit doubtans / Et moustre ses choses possibles / Par subtils moyens inpossibles, / Creables par ce que nature / Desire en tout et met sa cure / En choses nouvelles ouir / Ou maint se seullent resjouir / […] / Salut, vray amour et concorde ! » (Œuvres complètes, t. 7, p. 349‑350). 15  « Aristotles dist k’ele [rhétorique] est art, mais mauvaise, por ce que por parleure estoient avenu as gens plus de mal que de bien. […] Et d’autre part s’accorde bien Tuilles a ce k’Aristotles dist de parleure, qu’elle est mauvaise art ; mais ceste parleure sans sapience, quant uns hom a bone langue dehors et il n’a point de conseil dedens, sa parleure est fierement perilleuse a la cité et as amis » (Livres dou Tresor de Brunetto Latini, ed. J. Carmody, Berkeley, 1948, p. 317‑318). 16 Voir en particulier, notre article : L. Evdokimova, « Ethique, économique, rhétorique. La classification aristotélicienne des sciences et la poésie didactique de Deschamps », dans Les « Dictiez vertueulx » d’Eustache Deschamps. Forme poétique et discours engagé à la fin du Moyen Âge, éd. M. Lacassagne et T. Lassabatère, Paris, 2005, p. 57‑72.  14  Voir

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vertu n’accompagne pas nécessairement l’éloquence et que l’effet que cette dernière exerce sur l’État est extrêmement nuisible17. À part la maîtrise des procédés littéraires, les membres de la confrérie doivent savoir dûment réciter leurs œuvres : il faut que ces dernières soient « prononcees comme Euvangiles / De voix moyenne ». Des termes analogues (vox media, vox mediocris) sont en usage dans différents livres consacrés aux rites de l’Église en Occident médiéval. Ils se rencontrent notamment dans le Pontificale romanum de Guillaume Durand, évêque de Mende, ainsi que dans les livres décrivant le déroulement de la messe chez les Frères mineurs. Le Pontificale de Durand composé sur base d’un ouvrage plus ancien – le Pontifical de la Curie romaine – décrit les rites ecclésiastiques auxquels participent les évêques et les cardinaux. Il est connu que durant les xii e-xiii e siècles le culte catholique devient de plus en plus réglementé ; c’est d’abord le Pontifical de la Curie romaine, dans une rédaction tardive, qui devient le plus répandu et le plus influent ; dès la fin du xiii e siècle, il est concurrencé et, ensuite, progressivement évincé par le traité de Guillaume Durand18. Ce dernier réglemente, en particulier, la manière de lire et de prononcer les textes, en établissant une gradation complexe des tons ou des hauteurs de voix lors des différents rites du culte catholique : ainsi, la voix moyenne (vox media, vox mediocris, vox plana) s’oppose à la voix haute (vox alta, vox clamans) et à la voix basse (submissa). Sans prétendre décrire cette gradation de manière exhaustive, signalons que la hauteur de la voix (caractérisée tantôt comme haute, tantôt comme moyenne) sert à souligner le contraste entre le prélat qui dirige le déroulement du rite (l’évêque ou le cardinal) et les autres participants qui doivent lui répondre d’une voix plus basse ; la voix moyenne ou 17  Ainsi, dans le livre 5, chapitre 8 : « Et aussi ne sont pas tousjours ensemble belle facunde et bonne prudence […]. Marcianus Capella fist ung livre intitulé De nuptiis Mercurii et Philologie. Or appert doncques comment ou temps passé ont deceu le peuple par leur beau parler et par leur eloquence. Et comment par leur malice perissoient les polices [sic dans cette édition]. Et de ce recite Tules ou commencement de rethorique en proposant une question et met que la chose publicque de Romme avoit esté grandement dommagee et grevee par eloquence. Et que moult de grandes citez ont souffert anciennement miseres et calamitez par gens tresdissers en parler et de grande facunde et tels estoient ceulx que Aristote appelle demagoges et de ce fut dit ou VII chapitre du quart et comment les adulateurs decevoient les princes anciennement par leur beau parler. Et decevoient de jour en jour sicomme il est exprimé et dit elegaument et noblement en la saincte Escripture Hest. XVI. Multi bonitate principum etc. » Nous suivons l’édition : Livre de Politiques d’Aristote, éd. A. Vérard, 1489, p. cl x x v i . 18 M. Andrieu, « Avant-propos », dans Le Pontifical romain au Moyen Âge, Citta di Vaticano, t. 1 (1938), p. v-v iii  ; M. Andrieu, « Introduction », dans Le Pontifical romain au Moyen Âge, t. 2, p. 263‑315 ; A.-G. Martimort avec la collab. de R. Cabié et al., L’Église en prière, t. 1, Paris, 1984, p. 69‑70 ; voir en outre : A.-G. Martimort, Les « ordines », les ordinaires et les cérémoniaux, Turnhout, 1991.

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intelligible sert également à réciter certains textes, alors que quelques formules solennelles doivent être proclamées d’une voix haute19. Ainsi, 19  Une gradation analogue des tons des voix n’est pas absente du Pontifical de la Curie romaine, où elle est pourtant moins complexe : la voix élevée y est opposée à la voix plus basse. Dans le Pontificale de Guillaume Durand, cette gradation devient ternaire. Comparer en particulier : De examinatione, ordinatione et consecratione episcopi : Tunc electus sedet super faldistorium, in medio chori post episcopos contra faciem consecratoris sibi paratum, assistentibus sibi archidiacono, archipresbitero et canonicis suis. Predicti vero duo episcopi ad faldistoria sua redeunt ad sedentum. Et consecrator media voce, in modum lectionis, incipit sequentem examinationem Cartaginensis concilii. Ceteri vero episcopi prosequuntur submissa voce et dicunt quecumque dixerit consecrator (M. Andrieux, Le Pontifical romain au Moyen Âge, t. 3, p. 379) – « De l’examen, de l’ordination et de la consécration de l’évêque : Alors l’élu s’assied sur un siège, au milieu du chœur derrière les évêques, en face de son consécrateur, assisté de l’archidiacre, de l’archiprêtre et des chanoines. Les deux évêques mentionnés plus haut retournent à leurs sièges pour s’asseoir. Et le consécrateur commence à procéder à l’examen du Concile de Carthage qui suit, à la manière de la lecture effectuée de voix moyenne. » Voir aussi : Tunc ordinator imponit utramquemanum super caput illius dicens : Accipe spiritum sanctum. Idemque faciunt et dicunt omnes episcopi […] Quo facto, illo genu flectente, dicit ordinator media voce et alii episcopi, submissa tamen voce, cum ipso : Oratio. Propitiare, Domine, supplicationibus nostris […] Deinde consecrator dicit voce mediocri, iunctis manibus […] Quod sequitur dicit plane legendo. Per dominum. Et respondeant omnes : Amen » (ibidem, p. 382‑384) – « Alors le consécrateur pose ses deux mains sur la tête [de l’élu] et dit : ‘Reçois le Saint Esprit’. Tous les évêques font de même et prononcent ces paroles […] Lorsque cela est fait et l’élu se met à genoux, le consécrateur dit à voix moyenne et d’autres évêques répètent avec lui, cependant à voix basse. Oraison. Sois favorable à nos supplications, Seigneur […] Ensuite le consécrateur, les mains jointes, dit à voix moyenne […] Ce qui suit se prononce de manière intelligible en lisant. Au nom du Seigneur. Et les autres répondent : ‘Amen’. » En outre : Ordo in sabbato sancto : Deinde dicit mediocri voce super fontes, iunctis manibus ante pectus : Per omnia secula seculorum (ibidem, p. 590) – « La Cérémonie de Samedi saint : Ensuite il dit d’une voix moyenne, sur les fonts baptismaux, les mains jointes devant la poitrine : ‘Aux siècles des siècles’. » Pour le rôle de la voix haute, cf.  De ordinatione presbiteri : In ordinatione itaque procedit hoc modo. Diaconibus enim ad sedes suas reversis, archidiaconus clamat alta voce dicens : ‘Accedant qui ordinandi sunt ad ordinem presbiterii’. […] Tunc episcopus ad altare conversus flexis genibus incipiat ante medium altaris alta voce : Alleluia (ibidem, p. 364 ; 369) – « De l’ordination du prêtre : Pendant l’ordination on procède de la façon suivante. Lorsque les diacres retournent à leurs sièges, l’archidiacre dit de voix haute : ‘Que ceux qui doivent être ordonnés prêtres viennent […] Alors l’évêque, étant à genoux au milieu de l’autel et tourné vers lui, commence de voix haute : Alleluia. » De plus : De examinatione, ordinatione et consecratione episcopi : Tunc consecrator stans ante cathedram incipit excelsa voce hymnum Te Deum laudeamus (ibidem, p. 391) – « De l’examen, de l’ordination et de la consécration de l’évêque : Ensuite le consécrateur, debout devant la chaire, commence de voix haute l’hymne ‘Nous te louons, Seigneur’. » Comparer, enfin, le bréviaire des Frères mineurs (1243‑1244) : Incipiunt orationes divini officii. […] Cum autem perventum fuerit ad lectiones lector petat benedictionem, inclinato capite versus altare, et sacerdos sedens […] mediocri voce eam devote conferat (S. J. P. Van Dijk, Sources of the Modern Roman Liturgy, t. 2 (1963), Leiden, p. 339‑340) – « Commencent les oraisons du saint office : Lorsque vient le moment des lectures, le lecteur demande la bénédiction, en inclinant la tête vers l’autel, et le prêtre assis […] la lui donne en disant dévotement de voix moyenne. »

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dans ce contexte la voix moyenne est le signe, semble-t-il, de la dignité du locuteur, ainsi que de la sobriété de ses émotions. Deschamps pouvait-il avoir en vue cette gradation des tons de voix et du rôle que la voix moyenne y tient ? À notre avis, le vers cité de son Dit qui met en rapport la lecture des Évangiles et la voix moyenne indique clairement cette possibilité. Il se peut que Deschamps réunisse dans ce Dit des idées diverses en employant une terminologie propre à la célébration du culte chrétien pour décrire la gradation des styles formulée par les traités rhétoricopoétiques médiévaux. En effet, déjà dans la rhétorique classique le lien entre, d’une part, les modulations de la voix, ainsi que sa force et, d’autre part, le contenu du discours et les émotions qu’elle provoque, est évident. Ainsi, selon la Rhétorique à Herennius, la voix de l’orateur doit être souple pour être capable de traduire des émotions diverses et être en harmonie avec le contenu du discours, en changeant selon la nature de ce qui est prononcé à chaque moment (III, 24). Dans son Documentum de arte versificandi, Geoffroi de Vinsauf souligne encore plus directement l’accord entre les modulations de la voix et la thématique du texte récité : on prononce de manières différentes ce qui est sérieux, triste, gai ou ironique ; chez Geoffroi la manière de prononcer s’accorde, pour ainsi dire, à un style, en devient l’équivalent. Dans le traité d’Albertano da Brescia, intitulé De arte tacendi et loquendi et où les règles de la rhétorique forment une partie entière du traité didactique consacré aux modes d’expression auxquels le chrétien doit se conformer dans sa vie quotidienne, le rapport entre la manière de prononcer et le style est mis en évidence : lorsqu’il s’agit de ce qui est grand, il faut parler gravement, de ce qui est petit humblement, de ce qui est médiocre avec sobriété, affirme Albertano20. Dans un autre 20  Dicenda quoque sunt submissa leniter, matura graviter, inflexa moderate. Quum magna dicimus, graviter proferenda sun ; quum autem parva dicimus, humiliter ; quum mediocria, temperate. Nam etiam in parvis causis nihil grande, nihil sublime dicendum est ; sed levi ac pedestri more loquendum est. In causis vero majoribus, ubi de Deo vel hominum salute referimus, plus magnificentiae et fulgoris est exhibendum. In comparatis vero causis, ubi nihil agitur, nisi ut auditor delectetur, moderate dicendum est. Sed notandum est quod, quamvis de magnis rebus quisquam dicat, non tamen semper magnifice dicere debet (Albertanus Brixiensis, « Ars loquendi et tacendi », in Brunetto Latinos Levnet og Skrifter, ed. T. Sundby, Kjøbenhavn, 1869, p. cx iii) – « Il faut parler tranquillement de ce qui est petit, de ce qui est mûr avec énergie, de ce qui s’approche de la mort avec réserve. Lorsque nous parlons de ce qui est grand, nous prononçons énergiquement ; de ce qui est humble, de façon quotidienne ; de ce qui est intermédiaire entre les deux, avec sobriété. En effet, il ne faut pas donner à ta voix de la grandeur et du sublime quand tu touches aux sujets infimes, mais il est préférable de parler avec facilité et de façon quotidienne. Lorsqu’il s’agit de sujets importants, comme de Dieu ou du salut des humains,

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passage du même traité, en soulignant la nécessité de l’accord entre ce qui est dit et la façon de l’énoncer, Albertano insiste sur le fait que la manière de parler du chrétien doit être raisonnable et sobre21. La doctrine rhétorique consacrée à la prononciation acquiert une forme analogue dans certains artes predicandi. Ainsi, Thomas de Chobham souligne dans sa Summa la nécessité pour le prédicateur d’accorder les modulations de sa voix au contenu du sermon, tout en signalant qu’il doit garder la modération de ses gestes et que l’expression de son visage et celle de sa voix doivent être discrètes, pour éviter de ressembler à un histrion22 . Il n’est pas exclu que Deschamps connaisse la doctrine on demande de la magnificence et de l’éclat. Lorsqu’il s’agit de ce qui est moyen et doit plaire à l’interlocuteur, le ton doit être modéré. Pourtant il est à souligner que même dans les questions importantes le discours ne doit pas être toujours emphatique. » 21  Pronuntiatio est verborum dignitas, rebus et sensibus accomodata, et corporis moderatio. Hæc enim intantum excellit, ut, secundum sententiam Marci Tullii, indocta oratio laudem consequatur, si optime feratur : et quamvis expolita sit, si indecenter dicatur, contemptum irrisionemque mereatur. […] se pressim et aequaliter vel leniter et clare pronuntiata, ut suis quaeque litterae sonis enuntientur, et unumquodque verbum legitimo accentu decoretur, nec immoderato clamore vociferetur, nec ostentationis causa frangatur oratio. Verum pro locis, rebus, causis et temporibus dispensanda est. Nam aliqua simplicitate narranda, aliqua auctoritate suadenda, alia cum indignatione deprimenda, alia miseratione flectenda, ita ut vox et oratio semper suae causae conveniant (Albertanus Brixiensis, « Ars loquendi et tacendi », p. cx ii) – « La prononciation correspond à la dignité des paroles, adaptée au discours et aux sentiments, et un équilibre dans les gestes. Selon le dit de Marcus Tullius, la prononciation est tellement importante, qu’un discours sans art méritera une louange s’il est bien prononcé et, au contraire, celui qui est poli ne méritera que moquerie et mépris s’il n’est pas prononcé correctement. […] Il faut que les mots soient prononcés à la suite les uns des autres avec régularité, calme et clarté, de sorte que chaque son corresponde à sa lettre et que chaque mot soit correctement accentué sans que le discours soit crié en un hurlement démesuré ou interrompu pour faire impression. Mais il faut tenir compte de l’endroit où le discours est prononcé, de son sujet, de ses causes et du temps de la prononciation. Car il y a des choses qu’il faut raconter avec simplicité, des choses qu’il faut conseiller avec autorité, d’autres qu’il faut exprimer avec indignation, d’autres encore qu’il faut fléchir par la pitié, de sorte que mot et discours s’accordent toujours à ce qui les motive. » L’analogie entre la hauteur de la voix et la hauteur du style ne passe pas inaperçue dans la poétique médiévale : ainsi, dans l’Ars versificatoria de Matthieu de Vendôme, la tragédie et la satire sont personnifiées comme des femmes criardes ; ce qui indique d’une façon ironique la hauteur du style des deux genres. 22  Debet etiam predicator conformare vocem suam materie de qua loquitur. Ut si utitur comminationibus Dei vel detestatione rerum turpium, debet habere vocem graviorem. Si autem agit de misericordia vel de hiis que pertinent ad misericordiam, debet vocem suam aliquantum attenuare. Si autem agit de rebus terribilibus debet habere vocem aliquantum tremulam et timenti similem. Valde etiam est necessaria moderantia vultus et gestus, videlicet ut non habeat oculos inflammatos et manus vagabundas admodum pugnantium vel gesticulantium. […] manifeste patet quod qui in predicaione tales gestus faciunt, stulti reputantur, et magis videntur esse histriones quam predicatores (Thomas de Chobham, Summa de arte paedicandi, ed. F. Morenzoni, Turnhout, 1988 [Corpus Christianorum,

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rhétorique exposée par les artes predicandi ou par Albertano da Brescia, proche de cette tradition moralisante. Or, il existe d’autres coïncidences entre le traité d’Albertano et les poèmes de Deschamps. Il est curieux que la locution utilisée par Deschamps – voix moyenne – se rencontre dans le Traictié d’une vision faite contre Le Roman de la Rose de Jean Gerson ; le contexte dans lequel cette locution est citée indique clairement qu’il y est question de la tradition de la prononciation caractéristique du sermon. En effet, c’est l’« Eloquence Theologienne » qui parle de voix « moyenne », lorsqu’elle prononce un long monologue didactique pour défendre Chasteté : Eloquence Theologienne (qui est avocat de la court chrestienne) a la requeste tant de Conscience comme de Chasteté sa bien aimée et a cause de son office, se leva en piés a belle contenance et maniere attrempee ; et par grande autorité et digne gravité, il, comme saige et bien appris depuis qu’il ot un pou tenue sa face encline bas en guise d’un homme aucunement pensif, se souleva meurement et seriement, et en tournant son regart a Justice et environ tout son barnaige, ouvry sa bouche, et a voye douce raisonnant et moyenne, tellement commensa sa parole et sa cause…23

Le traité de Gerson est écrit en 1401 ; le poème de Deschamps le précède de quelque mois. On sait que Jean de Montreuil, un des participants de la querelle du Roman de la Rose, essaie d’obtenir le soutien d’un poète célèbre qu’on identifiait à Deschamps24. Il est probable donc que la locution de « voix moyenne » fut en vogue dans le milieu littéraire de Deschamps et qu’elle soit associée au style moyen, c’est-à-dire, neutre, modéré, ainsi qu’au contenu didactique. Malgré le ton ironique du poème, il est impossible d’affirmer, comme nous l’avons déjà signalé, que Deschamps refuse la doctrine litcontinuatio medievalis 82], p. 301‑303) – « Le prédicateur doit adapter sa voix au sujet dont il parle. S’il s’agit de menaces divines ou du dégoût pour les choses odieuses, la voix doit être grave. S’il s’agit de la miséricorde ou de sujets analogues, la voix doit être un peu plus atténuée. S’il s’agit de choses terribles, la voix devient tremblante et semblable à celle de la personne qui est en proie à la peur. Il est tout à fait nécessaire que les expressions de son visage et ses gestes soient discrets, c’est-à-dire, qu’il n’ait pas les yeux enflammés, qu’il n’agite pas ses bras comme celui qui se bat ou fait des exercices. […] Il est clair que ceux qui font de pareils gestes, passent pour des sots, car ils ressemblent plus aux histrions qu’aux prédicateurs. » 23 J. Gerson, « Traictié d’une vision faite contre le Roman de la Rose », dans Le débat sur le « Roman de la Rose ». Christine de Pisan, Jean Gerson, Jean de Montreuil, Gontier et Pierre Col, éd. E. Hicks, Genève, 1996. Comparer la mention du terme en question dans l’article de J. Cerquiglini-Toulet, « Conscience de style, conscience de soi chez Christine de Pizan », Centaurus. Studia classica et medievalia, 7 (2010), p. 142. 24  E. Hicks et E. Ornato, « Jean de Montreuil et le débat du Roman de la Rose », Romania, 98 (1977), p. 207‑210.

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téraire qui y est exposée. Il se peut que l’ironie avec laquelle le métier de l’écrivain y est décrite, s’explique par le fait que le poète s’adresse à une confrérie d’amis et réunissant dans son activité les principes burlesque et sérieux, comme d’autres associations artistiques médiévales. Cette tradition, qui est inséparable de l’image du poète bouffon, dont la sottise et la folie servent de masque à la sagesse, ne disparaît pas à l’époque de la Renaissance ; Deschamps lui-même construit sa propre image en accord avec ce masque. L’ironie avec laquelle le métier de l’écrivain est présenté s’explique aussi, probablement, par les doutes du poète quant au rôle positif de l’éloquence pour la vie de l’État. Dans la ballade n° 43, Deschamps caractérise – à nouveau d’une façon ironique – une gradation analogue des modes de parole semblables aux styles : d’une part, le cri et la prolixité, d’autre part, les paroles prononcées à voix basse et le silence s’opposent ici au discours modéré, construit « par maniere ordonnée » et que le poète croit le plus parfait. La possibilité d’identifier cette opposition à la gradation des styles est confirmée, en particulier, par les épithètes qui en accompagnent la chaîne intermédiaire : en effet, il s’agit du discours bien « ordonné » ; le verbe « ordonner », ainsi que son participe passé sont utilisés dans le sens de « composer une œuvre littéraire en accord avec les règles », en particulier, dans le Prologue de Guillaume de Machaut25. Comme chez Albertano da Brescia, la hauteur du style est associée chez Deschamps à la force de la voix : le cri, la voix modérée ou basse correspondent aux styles élevé, moyen et humble. La mention du silence comme composante de la situation communicative rapproche aussi Deschamps et Albertano. La caractéristique de ces stratégies de langage constitue chez Deschamps une partie du tableau satirique de la société. Deschamps semble affirmer : dans la société où il vit, les lois qui règlent la façon de parler perdent leur sens initial et changent de signification. Par trop parler est haine engendree, Et en pert on du sien en pluseurs cas ; Le dire voir a mainte gens n’agree, Et qui le dit, il convient parler bas. Qui trop se taist, on ne lui donne pas, Mais lui toult l’en ; lors fault crier et braire. Muiaux n’ont rien ; sachiez aux advocas Lequel vault mieulx : ou parler, ou soy taire ? Soit sur ces deux vo sentence donnee. 25  Voir : Dictionnaire du Moyen français en ligne : http://www.atilf.fr/dmf/, s.v. ordonner.

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– Tresvoulentiers : parler fault a compas, Ne trop ne pou, par maniere ordonnee ; Ou il fait dur, qu’on eschive le pas, Qu’om soit muyau, tant c’om ne die : las ! Par trop parler, aussi par le contraire. Quant temps sera, lors parole diras Lequel vault mieux : ou parler, ou soit taire ?26

Il existe chez Deschamps une autre gradation ternaire des styles – il y fait référence dans sa ballade amoureuse n° 417. La hiérarchie des styles dont il s’agit dans ce cas est fondée sur d’autres principes que dans les textes que nous avons analysés ; Deschamps y semble subir l’influence des différentes doctrines de langage et de style. Belle, blanche, blonde, agreable, Jeune et gente, de tous biens aournee, Saige en voz faiz, treshumble et honnorable, De chascun est vo maniere loee […] Car vous avez la maniere acointable, Doulce et plaisant, qui pas ne se desree, A genz d’onneur la parole amiable, Et aux moyens maniere entremellee ; Rien ne faictes qui aux povres n’agree, Vostre humble voult les orguilleux consomme ; […] Telle dame estre emperereis de Romme27.

Le discours de la dame se modifie en fonction du destinataire : d’un côté, elle parle aux « genz d’onneur », de l’autre aux « moyens » ; le troisième membre de la gradation est défini moins clairement : ce sont, semble-t-il, les pauvres gens qui sont contents de la manière de parler de la dame. Notons que Deschamps insiste sur le fait que cette façon de parler est toujours en conformité avec un comportement social convenable ; d’une manière analogue, dans la ballade n° 532 il adresse l’éloge à une autre dame, puisqu’elle est capable de se comporter comme il faut avec des personnes des divers états28. Les stratégies de langage qui sont décrites dans cette ballade évoquent le système des styles caractéristique des artes dictaminis et des 26 

Œuvres complètes, t. 1, p. 129‑130. Œuvres complètes, t. 3, p. 220‑221. 28  « Vo sens oir est precieuse escole, / Et bon vous fait chascun jour regarder ; / Qui vous croira fol ne sera ne fole, / Bien vous savez en tous estas garder » (Œuvres complètes, t. 3, p. 369). 27 

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artes predicandi où le style dépend de la situation communicative, du statut social des interlocuteurs, tout autant que du niveau de leur érudition. Ce système des styles exerce son influence sur le célèbre traité d’André le Chapelain intitulé De amore. Selon cet auteur, les dialogues amoureux des deux vilains, du vilain et de la dame noble, etc. se modifient en fonction du statut social de leur(s) interlocuteur(s). Il est probable que Deschamps se souvienne de ce traité lorsqu’il loue son héroïne pour sa capacité à parler différemment avec les représentants des divers états – possibilité qui est d’autant plus grande que le poème en question se rapporte aux ballades amoureuses et donc est proche du traité d’André le Chapelain par sa thématique. D’autres sources cependant sont également possibles dans ce cas : le traité de Gerson que nous avons mentionné témoigne aussi de l’importance de la situation communicative pour la rhétorique à l’époque de Deschamps. Ainsi, Eloquence Theologienne accuse Jean de Meun de ne pas connaître les règles suivantes de cette science : Mais je reprans mon propos et dy que se le personnaige de Raison eust parlé a sage clerc et rassis, aucune chose fust. Mais non ! il parle a Fol Amoureux. Et ycy garda mal l’acteur les riegles de mon escolle (les riegles de la rhetorique) qui sont a regarder cil qui parle et a qui on parle, et pour quel temps on parle29.

La mention de la « maniere entremellee » – chaîne intermédiaire de la gradation – mérite un commentaire particulier. En effet, qu’est-ce que le poète a en vue ? D’une façon générale, durant presque tout le Moyen Âge, le mélange d’éléments divers – soit thématiques, soit verbaux – est considéré comme un défaut du discours30. À cet égard, les 29  J. Gerson,

« Traictié d’une vision faite contre Le Roman de la Rose », p. 84‑85. chez Geoffroi de Vinsauf : Sunt igitur tres styli, humilis, mediocris, grandiloquis. Tales recipiunt appelationes styli ratione personnarum vel rerum de quibus fit tractatus. Quando enim de generalibus personis vel rebus tractatur, tunc est stylus grandiloquus ; quando de humilibus, humilis ; quando de mediocribus, mediocris (Geoffroi de Vinsauf, « Documentum de arte versificandi », dans E. Faral, Les arts poétiques du x ii  e et du x iii  e siècle : recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris, 1924, p. 312) – « Il existe donc trois styles : l’humble, le moyen et le grandiose. Ils reçoivent leur dénomination de style en raison des personnages et des objets dont ils traitent. Lorsqu’il s’agit de personnes et de choses de haut rang, le style est grandiose ; lorsqu’il s’agit de personnes et de choses humbles, il est humble ; lorsqu’il s’agit de personnes et de choses moyens, il est moyen. » Nous utilisons partiellement la traduction d’E. Marguin-Hamon publiée dans son article « La théorie des styles selon Jean de Garlande et sa mise en application dans l’œuvre poétique », Centaurus. Studia classica et medievalia, 7 (2010), p. 27. Chacun des styles impose pourtant le choix d’un certain vocabulaire et de certains procédés rhétoriques. Il découle du traité de Geoffroi que le haut style est métaphorique et obscur (puisque son défaut est l’obscurité excessive), alors 30  Ainsi,

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traités médiévaux consacrés à l’art poétique et à la rhétorique héritent d’une des traditions de l’Antiquité qui est manifeste notamment dans la Rhétorique à Herennius : le style moyen, affirme l’auteur de ce traité, est défectueux, lorsque le discours semble « flotter ici et là », c’est-àdire, emprunte des éléments tantôt au registre plus élevé, tantôt au registre plus humble31. C’est de cette manière que Geoffroi de Vinsauf interprète ce passage de la Rhétorique à Herennius32 . Dans son Documentum de arte versificandi, Geoffroi de Vinsauf consacre quelques paragraphes à l’interdiction de mêler les styles : lorsqu’on commence à écrire dans un style, il faut s’y tenir jusqu’au bout33. D’une façon analogue, Joffre de Foixà, auteur de la grammaire catalane du xiii e siècle, conseille de ne pas mêler dans un poème des thèmes et des langages divers ; ainsi, faut-il toujours continuer d’écrire

que le style bas est trop simple et plat ; en ce qui concerne le style moyen, il oscille entre ces deux extrêmes. 31  Qui in mediocri genus orationis profecti sunt, si pervenire eo non potuerunt, errantes perveniunt ad confine genus eius generis, quod appellamus dissolutum, quod est sine nervis et articulis, ut hoc modo appellem fluctuans eo quod fluctuat huc et illuc nec potest confirmate neque viriliter sese expedire (IV, 16) – « Ceux qui ont visé le style moyen et qui n’y sont pas parvenus, en se fourvoyant, aboutissent au style voisin : celui-ci nous l’appelons flasque, parce qu’il n’a ni nerfs ni articulations : je pourrais de même l’appeler ondoyant parce qu’il flotte ici et là et n’arrive pas à se développer d’une manière nette et virile. » Nous citons la Rhétorique à Herennius, texte établi et traduit par G. Achard, Paris, 1989, p. 144. 32  Dissolutus et fluitans est ille qui nescit tenorem mediocris styli observare, id est qui nescit observare proprietates mediocrium personarum vel rerum, sed ita loquitur quandoque de mediocribus sicut loquendum est de humilibus, quandoque vero sicut loquendum esset de grandibus personis, vel de grandibus rebus, et ita, quia nescit tenere in medio et stylum suum moderari, dissolvitur et fluit, tum inferius ad humilem stylum, tum superius ad grandiloquum stylum (Geoffroi de Vinsauf, « Documentum de arte versificandi », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 313) – « Le style qui ne sait pas garder la teneur du moyen, c’est-à-dire, observer les propriétés des personnages et objets médiocres, est flasque et flottant au hasard ; alors on parle quelquefois des personnes et des objets médiocres comme il faut parler des humbles et quelquefois des grands ; et de cette façon, puisqu’il ne sait pas se tenir au juste milieu et devenir modéré, il devient flasque et coule tantôt en bas, vers le style humble, tantôt en haut, vers le grandiose. » 33  Tertio considerandum est ut stylum materiae non variemus, id est ut de grandiloquo stylo non descendemus ad humilem. Quod notat his verbis : / amphora coepit / Institui currente rota : cur urceus exitur ? (Geoffroi de Vinsauf, « Documentum de arte versificandi », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 315) – « Troisièmement, il faut veiller attentivement à ne pas varier le style du sujet, c’est-à-dire à ne pas descendre du style grandiose à l’humble. Ce qu’il [Horace] exprime en ces mots : ‘Tu as commencé à tourner une amphore : la roue tourne ; pourquoi ne vient-il qu’une cruche ?’ » Nous citons la traduction de l’Art poétique d’Horace par F. Richard : http://bcs.fltr.ucl.ac.be/hor/ PisonsTrad.html.

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de la même « manière » tout au long de l’œuvre (sous le terme « manière » il entend la mesure du vers et la structure de la strophe)34. Pourtant, dans la même Rhétorique à Herennius, le paragraphe consacré aux styles se termine par une invitation à passer d’un style à l’autre, pour ne pas ennuyer les auditeurs. D’autres auteurs anciens (Horace dans l’Art poétique, Cicéron dans l’Orateur) développent la doctrine selon laquelle il est nécessaire de mêler les différents styles. Chez Quintilien, cette doctrine acquiert la forme la plus articulée et la plus argumentée : il existe selon lui un style intermédiaire qui réunit les propriétés des styles élevé et humble et qui, pour cela, est capable d’exprimer plusieurs nuances ; l’orateur doit savoir varier le style, pour se conformer aux nécessités du moment35. Au Moyen Âge, les deux traités – De l’institution de l’orateur de Quintilien et l’Orateur de Cicéron – ne sont connus que de manière fragmentaire ; la doctrine de la variation des styles se répand en Occident principalement au x v e siècle et devient surtout importante à l’époque de la Renaissance36. Toutefois, même au xiv e siècle, l’art de mêler les styles est parfois connoté d’une façon positive – ainsi, dans certaines œuvres de Pétrarque : pour louer Laure, écrit-il, Virgile et Homère ont dû mêler leurs styles (sonnet CLXXXVI)37. On peut supposer par conséquent que dans cette ballade de Deschamps les différentes doctrines des styles se superposent : il s’agit, d’une part, de la gradation ternaire des styles, dans sa version communicative ; d’autre part, en accord avec les nouvelles influences venant de l’Italie, le mélange des styles n’est plus perçu comme un défaut : la « maniere entremellee » ne représente pas une erreur, mais devient l’équivalent du style moyen. Comme nous l’avons déjà signalé, la confrontation de plusieurs poèmes de Deschamps ne permet pas de supposer qu’il fasse référence à une gradation ternaire des styles ; il a davantage en vue, semble-t-il, une opposition binaire. Parmi ces poèmes – à thématique amoureuse ou didactique –, il y a ceux où le poète mentionne les « bos mos », sous 34  P. Meyer, « Traités catalans de grammaire et de poétique », Romania, 9 (1880), p. 51‑70, surtout p. 54‑55. 35  De l’Institution de l’orateur, XII, 10 ; voir : P. Gallyn-Hallyn et L. Dietz, « Le style au Quattrocento et au x v i e siècle », dans Poétique de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au x v i  e siècle, éd. P. Gallyn-Hallyn et F. Hallyn, Genève, 2001, p. 532‑538. 36 P. Gallyn-Hallyn et L. Dietz, «  Le style au Quattrocento et au x v i e siècle », p. 548‑555. 37  « Se Vigilio et Omero avessin visto / Quel sole in qual vegg’io con gli occhi miei / Tutte lor forze in dar fama a costei / Arian posto, e l’un stil coll’atro misto ».

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lesquels il entend les paroles ornées et polies en accord avec les règles de la rhétorique. Dans la ballade n° 1363, à part les « bos mos », un autre terme de la rhétorique apparaît : la « matere basse », appelée, de plus, « orde » (c’est-à-dire, vilaine). À en juger par le titre, Deschamps s’adresse dans cette ballade à Renaud d’Angennes (1379‑1415), chambellan et conseiller de Charles VI38 ; pourtant, dans l’envoi, un autre personnage, sous un nom semblable, est directement cité – Renaud de Trie. Il y a lieu de croire que le titre, ajouté par le copiste, identifie d’une façon erronée le destinataire véritable de la ballade – Renaud de Trie – à Renaud d’Angennes. En effet, la ballade de Deschamps semble être écrite en réponse au poème de Renaud de Trie. Ce dernier apparaît dans la Réponse au recueil des Cent ballades attribué à Jean Le Seneschal. Le recueil représente, comme l’on sait, une longue dispute du chevalier et de la dame : le premier défend la fidélité dans l’amour, la seconde la légèreté. Les auteurs des poèmes qui constituent la Réponse se joignent à la première ou à la deuxième opinion ; Renaud de Trie apparaît comme partisan de Gignarde, c’est-à-dire, de la dame39. Le poème de Deschamps est un blâme grossier et obscène adressé à son adversaire. Selon lui, Renaud parle sans arrêt des sujets vulgaires – ces vers sont une allusion évidente aux propos de Renaud qui recommande aux chevaliers de solliciter l’amour de toutes les belles sans exception. Deschamps le comble d’insultes et l’accuse, en premier lieu, d’avoir usé des « bos mos » pour parler des sujets vilains et bas. Ce faisant Deschamps conteste l’essence de la poésie courtoise : l’objet dont elle parle est bas. Pourtant, les paroles utilisés par les poètes sont belles, élevées ; elles ne correspondent donc pas à leur objet. Deschamps insiste donc sur la nécessité d’employer les mots dans le sens qui leur est propre. Les mots bas conviennent aux sujets bas, alors que les « belles paroles » demandent un thème approprié : De melin meleche, Regnault, Et de l’orde matere basse Parlez voulentiers bas et hault 38  Le poème est intitulé Sote balade de Messire Renault d’Angenne (Œuvres complètes, t. 7, p. 201). Outre cet homme de cour, la base de données Opération Charles VI (http:// www.vjf.cnrs.fr/charlesVI/) enregistre aussi un des membres de la soi-disant Cour Amoureuse de Charles VI, pratiquement sous le même nom et avec les dates de vie identiques. Selon les créateurs de la base, il n’est pas exclu qu’il s’agisse de la même personne. 39  Les Cent Ballades, poème du x iv  e siècle, composé par Jean Seneschal avec la collaboration de Philippe d’Artois, comte d’Eu, de Boucicaut le jeune et de Jean de Cresecque, éd. G. Renaud, Paris, 1905. Pour Renaud de Trie voir G. Renaud, « Introduction », dans Les Cent Ballades, poème du x iv  e siècle, p. lv ii - li x . Pour le poème de Renaud de Trie voir : Les Cent Ballades, poème du x iv  e siècle, p. 201‑202.

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Aux dames et en toute place, D’estront, de bran ou de poitrace De lechier le boyau cullier Melin devant, leche derrier ! En tel trou fussiez vous repos ! Boutez vo nez en ce bourbier : En vostre bouche a de bos mos ! Merde par la gueule vous sault ; Mieulx restoupez vostre besace Et vostre cul qui est herault. Faictes restraindre sa crevace : Tousjours poit, vesse et se soulace De faire truies approchier, Et se sent par tout au flairier […] En vostre bouche a de bos mos ! […] Dames, mauvais feroit couchier Avecques ce bon chevalier Regnault de Trie, qui n’ot clos Le cul depuis un an entier ; Dictes lui : « D’ordures rentier, En vostre bouche a de beaus mos ! »40.

Les gradations des styles que les poèmes lyriques de Deschamps permettent de dégager convergent avec sa propre pratique littéraire ; parfois des systèmes ternaires semblent tendre vers une simplification, se transformant donc en une opposition des deux styles. Ainsi, les deux premiers systèmes des styles analysés plus haut (qui en effet ont beaucoup d’analogies entre eux) permettent de mettre certains poèmes de Deschamps en rapport avec le style élevé, d’autres, par contre, avec le style moyen. Parmi les poèmes de la première sorte sont ceux, en particulier, dont le ton est caractérisé par le poète comme fort et clair : Deschamps annonce qu’il crie, qu’il fond en pleurs ou gémit – comme, par exemple, dans quelques plaintes ou pleurs écrits à l’occasion de la mort de personnes célèbres ou liés à des événements tragiques. Des poèmes où le poète n’est pas en proie au deuil, à l’indignation ou à d’autres émotions fortes, mais où il s’adresse à son lecteur ou auditeur avec un discours moral prononcé d’une voix modérée et raisonnable, évoquent plutôt le style moyen. Certains thèmes s’accordent bien à cette intonation : ainsi, l’éloge de la raison, du comportement sage 40 

Œuvres complètes, t. 7, p. 201‑202.

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et prudent, des règles qu’on doit suivre dans chaque affaire. Quelques poèmes de ce genre sont appelés « enseignements ». Le contraste des styles élevé et moyen peut être illustré, par exemple, par la ballade n° 46 où Deschamps invite les habitants de Champagne à pleurer à l’occasion du décès de leur évêque et par la ballade n° 99 où il adresse au prince un enseignement. Ce dernier poème confirme une fois de plus que Deschamps a lu la Politique d’Aristote traduite par Nicole Oresme : son refrain évoque les entretiens d’Aristote et d’Alexandre le Grand ; le prologue d’Oresme à la Politique en fait également mention. En apprenant au monarque de bien gouverner le pays et, ensuite, en faisant référence aux entretiens d’Aristote avec Alexandre, Deschamps s’assimile lui-même au Philosophe41. En ce qui concerne le style bas de ce système, il n’est pas représenté, semble-t-il, dans l’œuvre poétique de Deschamps ; cette gradation des styles se réduit donc à une opposition binaire de l’élevé et du moyen, avec d’une part le cri et d’autre part un discours modéré, calme et didactique. Au contraire, toutes les chaînes du système ternaire des styles décrit par Deschamps dans la ballade n° 417 trouvent leur correspondance dans son œuvre poétique. En effet, ses ballades amoureuses où il utilise le vocabulaire et les procédés du registre aristocratisant sont en conformité avec le style élevé. Les ballades n° 515 et n° 516 dans lesquelles les deux amants qui se séparent et échangent des répliques peuvent servir d’exemple : tout au long de ces deux textes le poète ne s’écarte pas de ce registre. De plus, la dénomination générique de « pleur » indique dans la première ballade la hauteur du style (les pleurs de Deschamps, comme nous l’avons déjà signalé, appartiennent au style supérieur). Dans la seconde ballade les épithètes mises au superlatif sont un marqueur complémentaire de la hauteur du style : elles sont utilisées dans le discours de la dame qui dit adieu à son amant. Les auteurs des artes dictaminis conseillent d’utiliser les épithètes de cette sorte, lorsqu’on s’adresse au destinataire noble. Adieu, adieu, tresdoulce creature, Adieu, mon bien, m’esperance et m’amour, Adieu, biauté, toute parfaite et pure, Adieu, gent corps, adieu, dame d’onnour, Adieu, regart plain de toute douçour, Adieu, adieu, franc cuer et plain de joye : Je n’aray bien jusques je vous revoye. 41  Voir également les ballades n° 50 et n° 76. Pourtant parfois Deschamps ironise sur les effets que peut produire un discours raisonnable et didactique ; dans ces cas leur style semble inférieur (ainsi, dans la ballade n° 100).

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[…] Or vueille Amour, Pitié, Raison, Droiture […] Concevoir mon tresdouleureux plour42 . Adieu le bel, le bon, le gracieux, Le noble cueur, de tous bien renommé, Gens corps, puissant en tous fais, vertueux, Humble, hardy, courtois et bien amé, Larges en dons, Alixandre nommé, De qui renoms et gentillesce estrive, Adieu, adieu, l’un des meilleurs qui vive ! Pour vo depart est mes cueurs douloureux Qui au vostre est parfaitement fermé, Comme au meilleur et au plus amoureux Et le plus vray qui oncques feust formé43.

Les poèmes dans lesquels Deschamps joint aux moyens lexicaux et rhétoriques du registre aristocratisant des mots et des locutions à signification concrète et humble semblent correspondre à la définition de la « maniere entremellee » qui représente la chaîne intermédiaire de ce système ; de tels poèmes sont nombreux chez Deschamps. Quelquefois le refrain formé par un proverbe ajoute des significations concrètes au poème, tandis que le corps essentiel de la strophe reste fidèle à la tradition courtoise (n° 490) ; parfois, au contraire, le vocabulaire de la strophe est bourré de vocables concrets, tandis que le refrain représente une formule courtoise (n° 544) : J’ay en amours si grant desir eu C’oncques mais homs n’y pot si grant avoir ; Mais ce desir m’a trop fort deceu, Car il m’a fait un plaisir concevoir Dont je ne puis guerredon recevoir. Car quant je cuide estre bien avancié, Je me treuve toudiz, au dir voir, Que j’ay un pié deschaux, l’autre chaucié44. Se tous les biens que Fortune promet, Et tous les dons qui sont en sa puissance Estoient miens, et eusse a mon souhait Honneur, deduit, estat, force et vaillance, 42 

Œuvres complètes, t. 3, n° 515, p. 347. Œuvres complètes, t. 3, n° 516, p. 348. 44  Œuvres complètes, t. 3, n° 490, p. 314. 43 

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Beauté de corps, jeunesce, or et finance, Chiens et oisiaux, grans chevaulx pour jouster, Plasans joyaulx, tout ce c’om puet penser Pour corps humain, a tout renonceroie Pour un seul point que vous vueil declarer : Se ma tristesce estoit tournee en joye45.

En ce qui concerne la dernière chaîne de cette gradation des styles, elle correspond, semble-t-il, en particulier, à la ballade n° 425 formée de brèves répliques de l’amoureux et de la dame. À part l’union du lexique abstrait et concret, caractéristique de la « maniere entremellee », elle contient un autre élément du registre inférieur : le dialogue composé des répliques succinctes qui coupent parfois les vers. Au Moyen Âge ce type de dialogue est considéré comme ironique et fin : Geoffroi de Vinsauf conseille de l’utiliser dans les poèmes de style comique46. Secourez moy ! – De quoy ? – Des maulx d’amer. – Et quelz sont il ? – Ilz passent toute rage, Ils sont ardans, ilz font coulour muer, Ilz font un fol estre d’un hom saige, Ilz font trembler et paier le musaige, Aller, venir, penser et pou dormir, 45 

Œuvres complètes, t. 3, n° 544, p. 386‑387. Si materiam ergo jocosam habemus prae manibus, per totum corpus materiae verbis utamur levibus et communibus et ad ipsas res et personas pertinentibus de quibus loquimur. Talia namque poscit talis materia, qualia sunt inter colloquentes et non alia nec magis difficilia. Et cum perveniemus ad illum principium materiae, ubi jocus reponitur et reservatur, scilicet ad fines materiae, quanto expressius poterimus sequamur unum idioma per aliud, scilicet ut ita sedeat jocus in uno idiomate sicut in alio. Verbi gratia, ponamus in exemplum hanc materiam jocosam : « Lex fuerat sociis…, etc. ». Ecce aliud exemplum jocosae materiae : / Conscii, quid iter rapiamus ? – Quia placet ire / Ad sacra. – Quando ? – Modo / – Quo ? – Prope. – Fiat ita… (« Documentum de arte versificandi », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 317) – « Si nous avons affaire à un sujet comique, nous devons user constamment des paroles intelligibles et communes qui sont parfaitement adaptées aux objets et aux personnes dont il s’agit. Et en effet, un tel sujet ne demande que ce qui est en usage entre les interlocuteurs, et non pas ce qui est plus difficile. Et lorsque nous venons à l’endroit de notre sujet où se trouve et se cache la plaisanterie, c’est-à-dire, à sa fin, nous essayons de faire que les phrases qui se suivent soient les plus expressives, de sorte qu’il semble que la plaisanterie soit dans chacune d’elles. Prenons, à titre d’exemple, ce sujet comique ‘Les amis avaient une loi…, etc.’. Et voici un autre exemple du sujet comique : – Amis, pourquoi part-on ? – On veut aller aux lieux saints. – Quand ? – Tout de suite. / – Loin ? – Tout près. – D’accord… » (Lex fuerat sociis) – c’est le début de la comédie élégiaque de Geoffroi lui-même intitulée De tribus sociis. Pour Geoffroi de Vinsauf le dialogue en vers est associé à la comédie qui, quant à elle, représente un genre bas. Ce point de vue est, semble-t-il, partagé par Deschamps qui composa un certain nombre des ballades dialoguées, à caractère quasi-dramatique ; voir : S. Bliggenstorfer, « Les ballades dialoguées d’Eustache Deschamps », dans Autour d’Eustache Deschamps, éd. D. Buschinger, Amiens, 1999, p. 15‑26. 46 

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Cent fois le jour tourmenter le couraige. – Dont sont ce maulx que nul ne puet guerir ? – Si fait. – Comment ? – Par doulx confort d’amer. – De qui ? – De vous, tresbelle et doulce ymaige. – Par quel moyen ? – De baisier, d’acoler Et de souffrir au doulx pelerinige Offrir celui qui s’i veue et enraige Quant il ne puet d’amours a chief venir. – C’est trop avant et requis a oultrage. – Dont sont ce maulx que nul ne puet guerir ?47

À part les gradations ternaires des styles, on remarque dans l’œuvre poétique de Deschamps les exemples de l’opposition de l’élevé et du bas, traditionnels pour le Moyen Âge ; ces deux styles s’associent chez lui aux mêmes thèmes, formes ou genres poétiques que chez d’autres auteurs de son époque. Ainsi, la ballade n° 1363 que nous venons d’analyser, illustre elle-même les thèses que le poète y défend. En jetant à son confrère le reproche d’avoir appliqué les beaux mots à un sujet bas, Deschamps évoque des objets et des phénomènes obscènes et scabreux. Par conséquent, il donne à sa déclaration poétique la forme du style bas, en le liant à l’obscénité et au corporel, au blâme, ainsi qu’au genre de la sotte chanson. Le pôle opposé de cette échelle des styles peut être reconstruit à partir du même exemple : à l’autre extrémité se trouvent la louange et la bienséance, ainsi que les moyens verbaux qui y correspondent. Le poète fut, comme l’on sait, auteur des louanges nombreuses – ainsi, notamment de celles dédiées aux villes ou à des personnes en vue, en particulier, aux défunts connus ; dans le dernier cas, la louange et le pleur se réunissent48. Dans ces pleurs Deschamps utilise parfois le verbe « crier » – marqueur de la hauteur du style ; le même marqueur se rencontre dans ses prophéties49. L’usage des allégories contribue aussi à la noblesse de ces dernières : il importe, dans les arts poétiques néo-latins, que l’allégorie soit décrite comme une figure de l’ornatus difficulis ; 47 

Œuvres complètes, t. 3, p. 229‑230. la ballade n° 170 (l’éloge de Paris) et la ballade n° 172 (l’éloge de Reims). Dans les deux poèmes des noms propres nombreux attirent l’attention ; Matthieu de Vendôme recommande de les utiliser en guise d’épithètes – comme un moyen de l’ornatus (« Ars versificatoria », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 132). 49  La ballade n° 26 comporte, à part l’allégorie prophétique, la mention du cri : « J’ay tant crié, com le viel Symeon, / Et lamenté, comme fist Jeremie, / En esperant, que la redemption / De Gaule en grec sur la terre d’Albie / Voy approuchier… » (Œuvres complètes, t. 1, p. 106). Comparer, de plus, les ballades n° 46 et n° 162 – les pleurs ou les cris y sont également mentionnés. 48 Comparer

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Geoffroi de Vinsauf et Évrard l’Allemand à sa suite rapprochent l’ornatus difficulis et le haut style50. Chez Deschamps il existe d’autres poèmes fondés sur l’usage des allégories – ceux, par exemple, où il résume des passages de l’Ovide moralisé ; ces poèmes sont aussi probablement à mettre en rapport avec le style supérieur51. Il n’est pas exclu que l’évocation des noms propres mythologiques – même si elle ne sert pas l’allégorie – indique chez lui sur une certaine hauteur du style ; notons que cette évocation ne s’unit pas dans son œuvre à la thématique basse ou obscène52 . Ainsi, la dichotomie des deux styles traditionnels pour le Moyen Âge conserve encore toute sa signification pour Deschamps. Les formes qu’elle prend dans son œuvre sont habituelles pour cette période : les

50  Ainsi, Geoffroi de Vinsauf assure dans sa Poetria nova que le sermo levis est privé de toute gravité : Si sermo velit esse levis pulchrique coloris, / Tolle modos omnes gravitatis et utere planis, / Quorum planities turpis ne terreat aures ; « Poetria nova », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 231. – « Si le discours veut être facile et orné de belles couleurs, / Enlève toutes les figures graves et use celles qui sont intelligibles, / Mais toutefois de sorte que leur platitude n’offense pas les oreilles. » À sa suite, Évrard l’Allemand oppose de la même manière l’ornatus facilis à l’ornatus difficilis : Prima curro via plana, gravitate relicta omni… (« Laborintus », dans E. Faral, Les arts poétiques, p. 351) – « D’abord j’emprunte ce chemin plat, en laissant derrière tout ce qui est grave. » Pour l’Antiquité et notamment pour la Rhétorique à Herennius le caractère grave est le trait distinctif du haut style : In gravi consumetur oratio figura, si quae cuisque rei poterunt ornatissima verba reperiri, sive propria sive extranea, unam quamque in rem adcommodabuntur, et si graves sententiae, quae in amplificatione et conmiseratione tractantur eligentur et si exornationes sententiarum aut verborum, quae gravitatem habebunt, de quibus post dicemus, adhibebuntur (IV, 11) – « Un discours aura un style de type élevé si l’on applique à chaque idée le vocabulaire propre ou figuré le plus beau que l’on pourra trouver, si l’on choisit des pensées nobles qui se prêtent à l’amplification et à l’appel de la pitié et si l’on emploie des figures de pensée ou de mots qui ont de la grandeur – figures dont nous parlerons plus loin. » (Rhétorique à Herennius, p. 138‑139). Jean de Garlande appelle le style le plus haut « grave », puisqu’il demande la présence des personnages importants par leur statut social : Item sunt tres stili secundum tres status hominum. Pastorali vite convenit stilus humilis, agricolis mediocris, gravis gravibus personis que presunt pastoribus et agricolis (Parisiana poetria, ed. T. Lawler, New Haven, London, 1974, p. 86) – « De même il y trois styles selon les trois statuts d’hommes. À la vie pastorale convient le style humble, aux agriculteurs le style médian, le grave aux personnes importantes qui viennent avant les bergers et les agriculteurs. » Nous citons la traduction d’E. MarguinHamon publiée dans son article « La théorie des styles selon Jean de Garlande et sa mise en application dans l’œuvre poétique », p. 27. 51  Par exemple, la ballade n° 129 : « Ballade sur Poeterie : Princes d’enfer, o ta forsennerie / Au monde voit on porter Cerberus / O ses III chiefs monstrant ta seignerie ; / Des trois Raiges y est fait tes escus : / C’est d’Aletho, Thesiphone et Megus », etc. (Œuvres complètes, t. 1, p. 251). 52  Comparer les ballades n° 8 (« De Nepturnus et de Glaucus me plain / Qui contre moy font la mer felonnesse… » ; Œuvres complètes, t. 1, p. 80) et n° 35.

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styles supérieur et inférieur s’associent aux certains thèmes, moyens verbaux et rhétoriques ou genres poétiques. D’autre part, Deschamps connaît, grâce à des sources diverses, qu’il existe des systèmes plus complexes des styles ; leur influence est aussi manifeste dans son œuvre. Certains de ces poèmes incarnent, semblet-il, sa vision du style moyen – comme ceux, par exemple, ou le poète discute un problème moral ou donne à son destinataire un conseil, tout en s’adressant à lui avec modération, sans trop élever le ton ; dans d’autres cas le style moyen apparaît comme un mélange des moyens lexicaux et des topoï hauts et bas. Ces gradations plus complexes des styles perdent parfois une des leurs chaînes et l’opposition se réduit alors au contraste du haut et du moyen. BIBLIOGRAPHIE Textes A lberta nus Brixiensis, « Ars loquendi et tacendi », in Brunetto Latinos Levnet og Skrifter, éd. T. Sundby, Kjøbenhavn, 1869. A ndr ieu, M., Le Ponifical romain au Moyen Âge, 4 vols, Citta di Vaticano, 1938. Les Cent Ballades, poème du xiv  e siècle, composé par Jean Seneschal avec la collaboration de Philippe d’Artois, comte d’Eu, de Boucicaut le jeune et de Jean de Cresecque, éd. G. Renaud, Paris, 1905. Le débat sur le « Roman de la Rose ». Christine de Pisan, Jean Gerson, Jean de Montreuil, Gontier et Pierre Col, éd. E. Hicks, Genève, 1996. E ustache D escha mps , l’Art de dictier, éd. D. M. Sinnreich-Levi, East Lansing, 1994. —, Œuvres complètes, éd. du marquis de Queux de Saint-Hilaire et de G. Raynaud, 11 vols, Paris, 1878‑1904. Far a l   E., Les arts poétiques du xii  e et du xiii  e siècle : recherches et documents sur la technique littéraire du Moyen Âge, Paris, 1924 (Genève, Paris, 1982). Livres dou Tresor de Brunetto Latini, ed. J. Carmody, Berkeley, 1948. Livre de Politiques d’Aristote, éd. A. Vérard, trad. Nicole Oresme, 1489. Thom as de C hobha m , Summa de arte paedicandi, ed. F. Morenzoni, Turnhout, 1988 (Corpus Christianorum, continuatio medievalis 82). Va n D ijk , S. J. P., Sources of the Modern Roman Liturgy, 2 vols, Leiden, 1963.

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Michiel Verweij

LA COMÉDIE SCOLAIRE NÉO-LATINE OU COMMENT ÉCRIRE DES TEXTES CLASSIQUES SANS MODÈLE THÉORIQUE ? À l’in v erse de la tr agédie ou du discours r hétor ique , la comédie n’a pas fait l’objet d’un traité systématique ou théorique durant l’Antiquité. Seul le commentaire de Donat sur les œuvres de Térence offre quelques réflexions sur la nature des pièces et sur leur structure. Pour le reste, les humanistes disposaient seulement des textes littéraires de Plaute et de Térence, ainsi que de quelques remarques plus générales chez des auteurs comme Cicéron ou Quintilien. Par conséquent, chaque tentative pour écrire une comédie à l’antique devait se baser essentiellement sur les exemples concrets offerts par les pièces des deux principaux auteurs de comédies latines. De plus, si Térence a été un auteur scolaire bien lu et étudié pendant tout le Moyen Âge, Plaute ne fut découvert qu’au x v e siècle dans un manuscrit de la collection du cardinal Nicolas de Kües qui, d’ailleurs, l’a longtemps tenu caché des humanistes avides de connaître l’œuvre de Plaute. Il fallut d’ailleurs attendre la permission du cardinal pour que son manuscrit soit étudié, et le comique redécouvert. L’absence de tout traité théorique antique a contribué considérablement à la diversité du genre de la comédie néo-latine. Si d’autres genres littéraires, telles la tragédie, l’épopée ou l’ode, sont plus homogènes, la dénomination de « comédie néo-latine » comprend des textes de natures fort différentes. Le seul élément commun de ces œuvres, qui se disent inspirées par Plaute ou Térence, est qu’en générale, elles suivent la présentation des comédies romaines : autrement dit, la création de nouvelles comédies est essentiellement liée à la recréation des œuvres classiques. La redécouverte de Plaute au x v e siècle entraina une vogue pour les comédies plautiniennes dans les cours italiennes. Ce théâtre, qui procède à l’évidence d’une culture humaniste érudite, repose sur une base 243

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théorique inspirée par la rhétorique et le commentaire de Donat1. Une telle forme de théâtre « de cour » fait par contre défaut dans les pays transalpins : là, l’existence du drame néo-latin se limite essentiellement aux universités et aux écoles dites « latines », où Térence était le premier auteur que les élèves côtoyaient pendant leur curriculum, avant Ovide, Virgile ou Cicéron. C’est donc en contexte scolaire que s’épanouit la comédie dans ces régions, au début du x v i e siècle. Cette comédie des écoles latines ou secondaires est l’œuvre de maîtres d’école qui, n’ayant pas suivi d’études universitaires, étaient par conséquent moins versés dans la théorie littéraire et rhétorique que les humanistes italiens ou universitaires. À cet égard, il n’est pas surprenant de lire des passages comme celui qui suit, puisé dans le prologue des Sacrae comoediae sex (1592) de Cornelius Schonaeus (1541‑1611), où l’auteur déplore l’absence de comédie suivant le modèle classique : Neque interim ignorabam, quam procul a felicissimo veterum comicorum stylo phrasique nostra abesset oratio. Sed quia videbam in rebus profanis, ludicris frivolisque, ne dicam obscoenis pulcherrimam illam collocatam esse operam, ex animo dolui frequenter atque ideo apud amicos liberalium disciplinarum studiosos conquestus sum nullos extitisse inter Christianos, qui sacris historiis in comicas actiones redigendis similem ingenii gloriam essent consequuti. Neoterici enim qui in hoc studio sibi elaborandum putaverunt, quanquam sua laude minime sunt frustrandi, tamen nemo non videt opinor, quantum eorum etiam praestantissimi ab admirabili illa Plauti ac Terentii elegantia absint, quam frigeant, si cum his conferantur. Quin nihil fere in recentiorum reperitur actionibus aut venuste aut eleganter aut emendate dictum, quod non ex horum fabulis tanquam ex uberrimo nitidissimoque Latinae eloquentiae fonte desumptum atque mutuatum esse depraehendatur. Quod quidem adeo nemini neotericorum vitio vertitur, ut illi prae caeteris eruditorum suffragiis maxime commendentur, qui suam orationem Plautinis ac Terentianis flosculis tanquam emblematis quibusdam insigniverint et decoraverint maxime2 . 1 

Voir M. T. Herrick, Comic theory in the Sixteenth Century, Urbana (Illinois), 1950. n’ignorais pas dans quelle mesure notre langage est éloigné du style très heureux et de l’élocution des anciens auteurs comiques. Mais à voir le très beau travail que l’on a investi dans les choses profanes, frivoles, pour ne pas dire obscènes, je regrette souvent qu’il n’y ait eu personne parmi les chrétiens qui ait obtenu pour son talent la même gloire pour faire passer les histoires saintes dans des pièces comiques et je m’en suis plaint aux amis des Belles Lettres. Les auteurs récents qui s’y sont adonnés, même s’ils ont bien leur mérite, sont loin de cette élégance admirable de Plaute et de Térence, il faut bien l’avouer, et ils sont froids si on les compare à ces deux auteurs classiques. On ne trouve rien dans les œuvres récentes qui soit dit d’une façon élégante ou agréable 2  « Je

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Il est évident qu’un auteur comme Schonaeus cherche aussi (et surtout) à valoriser sa propre entreprise, qu’il présente – notamment à des fins commerciales – comme innovante. De plus, un passage comme celui-ci, écrit après un siècle d’efforts de maîtres d’école, et à un moment où circulait une production impressionnante de comédies scolaires, atteste l’incertitude qui demeurait à propos des buts et de la nature du genre, et rappelle l’absence de manuels à même de guider les auteurs comiques de l’époque. Le

début d ’un genr e aux a nciens

Pays -Bas

Pour trouver les premiers signes d’un intérêt des humanistes des anciens Pays-Bas pour le genre de la comédie romaine, il faut remonter au début du x v i e siècle. Tout commence avec la représentation de deux pièces de Plaute à Louvain par Martinus Dorpius (c. 1485‑1525)3. En 1508, les étudiants de la pédagogie du Lys (Diestsestraat) jouèrent l’Aulularia, avec un nouveau prologue et une conclusion de la main de Dorpius lui-même, suivie par le Miles gloriosus en 1509. C’est à peu près de la même époque que date la première pièce écrite par un recteur de l’école latine de Gand, Eligius Eucharius (Grisellis). Comme Dorpius, Eucharius avait fait jouer des pièces de Plaute avant d’en écrire lui-même. Le genre ne se développa réellement que quelques années plus tard : à partir des années 1520 et surtout dans les années 1530, les recteurs des écoles latines firent représenter des comédies partout dans les anciens Pays-Bas. C’est l’époque de Guilielmus Gnapheus de La Haye (1493‑1568) avec son Acolastus, de Cornelius Crocus d’Amsterdam (1500‑1550) avec son Iosephus4, et surtout du brabançon Georgius Macropedius (1487‑1558), actif à Liège, Utrecht et qui ne vient pas de leurs comédies comme d’une source riche et claire de l’éloquence latine. Sans vouloir reprocher rien aux auteurs modernes, ce sont bien ceux qui ornent leurs œuvres avec les fleurs de Plaute et de Térence qui sont recommandés le plus. » Voir M. Verweij, « An author in search of support : Preliminary texts for the Tobaeus (1569) of Cornelius Schonaeus », in Neo-Latin Drama. Forms, Functions, Receptions, ed. J. Bloemendal, P. H. Ford, Hildesheim, Zürich, New York (Noctes Neolatinae – NeoLatin texts and studies 9), 2008, p. 133‑164. 3 Pour le théâtre néo-latin aux Pays-Bas largo sensu voir les études fondamentales de J. IJsewijn, « Annales theatri Belgo-Latini. Inventaris van het Latijns toneel uit de Nederlanden », in Liber amicorum Prof. Dr. G. Degroote, ed. J. Veremans, Brussel, 1980, p. 41‑55, et « Theatrum Belgo-Latinum. Het Neolatijns toneel in de Nederlanden », Academiae analecta. Mededelingen Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België. Klasse der Letteren, 43 (1981), p. 69‑114. 4 Sur Crocus, voir E. Kearns, «  Pagan wisdom, Christian revelation : two Latin Biblical plays », Humanistica Lovaniensia, 36 (1987), p. 212‑238.

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Bois-le-Duc, et auteur de douze pièces dont les Rebelles, le Bassarus, l’Asotus et le Hecastus. Parmi ces « comédies », figurent aussi bien des farces que des pièces bibliques : ce qui frappe, surtout, c’est l’absence d’imitations directes du théâtre de Plaute ou de Térence, et même le caractère non-classique de ces pièces. Le fait est d’importance, et mérite une digression. Il convient de souligner d’abord le fait que ces comédies étaient destinées à être jouées par les élèves à une occasion spéciale où l’école latine, normalement entretenue par la ville, devait se présenter en public. En fait, il est extrêmement important de ne jamais oublier qu’il s’agit, avant tout, d’un drame scolaire et non d’un genre littéraire en tant que tel. En tant que genre pédagogique, la comédie scolaire vit grâce à l’école et à l’enseignement latin. Dès lors, les caractéristiques essentielles du drame scolaire procèdent de réalités pédagogiques, et plus particulièrement de ces deux exigences : d’un côté, les élèves devaient apprendre à parler le latin, langue universelle du moment, et cela, de préférence, sur le modèle du latin classique ; d’un autre côté, les maîtres d’école en ont profité pour moraliser et édifier tant le public que leurs élèves. Pour ce qui est de la langue ils se sont inspirés du langage des auteurs comiques, surtout de Térence, plus « classique » que Plaute. Térence figurait depuis déjà plusieurs siècles au programme de lecture élémentaire dans les écoles. L’explication de la teneur biblique de ces pièces est moins évidente : selon quelques auteurs, il s’agirait d’une tendance consciemment anticlassique5. Nous pensons pour notre part que c’est la volonté de conférer une morale à ces représentations publiques qui conduisit les auteurs à préférer un contenu religieux, sans qu’il faille pour autant y voir une position prise à l’encontre de la littérature classique. Une autre donnée mérite aussi d’être précisée : dans les pièces italiennes du Quattrocento l’atmosphère n’est pas tellement « classique ». Les allusions (surtout sexuelles) sont beaucoup plus prononcées (il suffit de lire le Chrysis d’Enea Silvio Piccolomini) que chez Plaute ou Térence. C’est sans doute à la tradition médiévale qu’il faut imputer ce phénomène ; en ce qu’elle instaure une proximité plus importante avec le public que le genre lyrique ou épique, entre autres, cette tradition exclut un caractère trop classique et, par là, peut-être aussi moins compréhensible. Les drames scolaires des premières décennies du x v i e siècle revêtent encore un caractère fortement médiéval qu’on distingue très clairement dans 5  C’est la thèse de J. A. Parente, Religious drama and the humanist tradition. Christian theater in Germany and in the Netherlands 1500‑1680, Leiden, New-York, 1987 (Studies in the history of Christian thought 39), p. 7.

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les farces (comme l’Aluta ou l’Andrisca de Macropedius). Parallèlement, les pièces bibliques, elles aussi, s’inscrivent dans la tradition médiévale des mystères. L’influence classique est pour sa part surtout présente dans la langue et le style. Cet état de choses explique pourquoi Cornelius Schonaeus a pu se plaindre de ce que la comédie n’eût pas encore trouvé de vrais auteurs modernes qui suivaient l’exemple classique, même si, lui aussi, pensait surtout à une comédie au contenu biblique et de langage térentien. Le concept de ‘comédie’ semble moins important : ce genre consiste surtout en la récupération du langage des auteurs comiques classiques en combinaison avec un contenu pédagogique. Le

théâtr e de

M acropedius

Parmi les auteurs de comédies scolaires de la première période, Georgius Macropedius est sans doute l’écrivain le plus intéressant6. Né à Gemert dans le Brabant-Septentrional, il rejoignit les Frères de la Vie commune et enseigna dans plusieurs écoles de cette communauté, d’abord à Liège, puis à Utrecht et finalement à Bois-le-Duc. La plupart de ses pièces ont été écrites pour l’école d’Utrecht. Sa première comédie, Asotus, date d’environ 1508 et fut probablement écrite pour l’école de Bois-le-Duc. Sa production comprend douze pièces, dont la moitié de contenu biblique ou religieux. Parmi ces drames religieux on trouve de vraies pièces bibliques comme l’Asotus, basé sur l’histoire du fils prodigue, le Lazarus mendicus ou le Josephus, mais aussi une réinterprétation de l’Elckerlyc moyen-néerlandais, drame allégorique où le protagoniste est, au moment de sa mort, délaissé par tous ses amis, demeurant avec la seule Dueght (la Vertu) pour compagne. Ce 6 Voir sur Macropedius : I. Hartelust, De dictione Georgii Macropedii, Traiecti ad Rhenum, 1902 ; R. C. Engelberts, Georgius Macropedius. Bassarus, Tilburg, 1968 ; T. W. Best, Macropedius, New York, 1972 ; F. Leys, « De Middelnederlandse klucht, de Romeinse komedie, de bijbel en Georgius Macropedius : vier polen in Macropedius », Handelingen Koninklijke Zuidnederlandse Maatschappij voor Taal- en Letterkunde en Geschiedenis, 32 (1978), p. 139‑154 ; F. Leys, « Macropedius (…) leves et facetas fecit olim fabulas. Een opmerkelijke evolutie in de toneelstukken van Georgius Macropedius », Handelingen Koninklijke Zuidnederlandse Maatschappij voor Taal- en Letterkunde en Geschiedenis, 40 (1986), p. 87‑96 ; H. Giebels, Georgius Macropedius, 1487‑1558, een biografische schets, Gemert, 1987 ; H. P. M. Puttiger, Georgius Macropedius’ Asotus, Nieuwkoop, 1988 ; H. Giebels, F. Slits, Georgius Macropedius 1487‑1558. Leven en werken van een Brabantse humanist, Tilburg, 2005 ; J. Bloemendal (ed.), Georgius Macropedius, Verzameld toneel, Amersfoort (Scaenica Amstelodamensia 3), 2008 ; J. Bloemendal (ed.), The Latin playwright Georgius Macropedius (1487‑1558) in European context, Turnhout, 2009 (European medieval drama 13).

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Hecastus (1539) est souvent considéré comme l’œuvre principale de Macropedius. D’ailleurs, un autre maître d’école, Christophorus Ischyrius à Maastricht, en a donné une autre version, Homulus, en 1536. Les dernières pièces de Macropedius semblent avoir perdu toute leur force dramatique : il s’agit d’une série de scènes, sans lien narratif (Iesus scholasticus et Hypomone). Hormis l’Asotus qui se situe au début de sa carrière dramatique, les pièces « religieuses » datent de la deuxième moitié de l’activité créatrice de Macropedius. Les pièces « profanes » les précèdent. Parmi celles-ci on distingue des vraies farces dans la tradition médiévale comme l’Aluta, le Bassarus ou l’Andrisca et des comédies « d’école » où figurent un maître réputé trop sévère et des élèves trop licencieux qui, vers la fin du drame, préfèrent se soumettre à la férule bienfaisante du recteur plutôt qu’à la corde du bourreau, sanction moins commode. Ces dernières pièces contiennent des scènes surprenantes en raison des personnages, des garçons de treize, quatorze ans qui sont esquissés avec détails : des scènes de jeu, de tavernes et même de prostituées (meretrices), dans lesquelles on peut reconnaître des influences classiques. Cependant, ce n’est pas dans ces passages qu’il faut trouver l’essentiel des modèles de Plaute et de Térence. L’influence antique se situe, en fait, à un niveau purement formel. Les drames de Macropedius (et de ses collègues) consistent en une succession rigoureuse d’un prologue, d’un argumentum, de cinq actes (sous-divisés en scènes) et d’un épilogue, conformément à la structure des comédies romaines. C’est dans les prologues, argumenta et épilogues que l’on remarque les éléments les plus typiques : ainsi, on constate très clairement l’influence des œuvres de Térence, qui, dans ses prologues, propose une défense de son œuvre ou formule des critiques à l’égard de ses adversaires littéraires. Les maîtres d’école ont suivi l’exemple de Térence, même si leur propos n’invite pas forcément à la controverse littéraire. Le début du prologue du Bassarus (v. 1‑12) illustre bien le genre7 : Priusquam agant res histriones ludicras, Quiddam volunt spectantibus me serium, Quod in omnium rem sit futurum, proloqui. Mensis agitur duodecimus quod ultimos Exhibuimus de more ludos scenicos. Cuius rei explicabo causam duplicem. Anno fuere superiori malevoli 7  Les citations du Bassarus ont été empruntées à l’édition de R. C. Engelberts, Tilburg, 1968.

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Qui garrientes publice et privatim eo Dementiae venere ut et blataverint Nos quoslibet tum ecclesiasticos viros, Tum seculares praesides taxare, ad haec Veterem instituere denuo Comoediam8.

On reconnaît plusieurs thèmes typiques des prologues de Térence : l’élément le plus apparent est évidemment constitué par les malevoli qui peuplent les prologi térentiens. Surtout, on y retrouve ce ton sérieux et autoritaire avec lequel, chez Térence, Ambivius Turpio défendit l’œuvre de l’auteur dans le troisième prologue de l’Hecyra, après que les deux premières représentations avaient été chahutées par le public, plus friand de jeux de gladiateurs. Dans le prologus du Bassarus, Macropedius fait, lui aussi, référence à de tels problèmes : en l’occurrence, l’auteur y évoque la rumeur selon laquelle il critiquait le clergé ou des personnages politiques, restaurant ainsi l’ancienne comédie (grecque) et son caractère ouvertement politique. Dans le contexte particulier des années 1540, ces rumeurs n’étaient pas inoffensives. Le ton agressif de ce prologue macropédien est aussi typique pour le genre : déjà Térence attaquait ses adversaires et les accablait de reproches d’incompétence. Le fait que Macropedius prenne ses distances de l’ancienne comédie (grecque) ne fonde pas de distinction théorique : sans doute a-t-il emprunté son allusion à un texte plus général. Personne n’ignorait que la comédie d’Aristophane eût un autre caractère que celle de Ménandre, Plaute ou Térence. Ce qui frappe, c’est plutôt la connotation négative qu’il donne à la comédie ancienne, assimilée à une forme de critique politique. L’épilogue (qui se ne trouve pas chez les dramaturges romains qui terminaient leurs pièces par un simple Plaudite) sert de pendant au prologue, et fournit souvent l’occasion de répéter la leçon morale de la pièce. Ce qui surprend le plus au niveau de la structure, c’est la présence de l’argumentum, un résumé du fil de l’histoire ou de la narration. Cet argumentum est, en fait, emprunté aux « arguments » qui précèdent les drames de Térence et qui avaient été ajoutés par le grammairien romain Sulpice Apollinaire. Nous savons que, dans plusieurs comédies 8  « Avant que les acteurs ne jouent la comédie, ils veulent que je vous parle sérieusement, spectateurs, d’un sujet qui est dans l’intérêt de tous. La dernière fois que nous avons présenté une pièce, c’était il y a douze mois. Je vous expliquerai la double raison de cela. L’année passée il y avait des personnes de mauvaise volonté qui en bavardant, en public et en privé, en étaient arrivé à un tel point de folie qu’ils racontaient que nous voulions attaquer le clergé et les dirigeants de la ville et, en fait, que nous voulions restaurer l’ancienne comédie. »

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néo-latines, ces argumenta étaient récités par un acteur, annoncé vers la fin du prologue. À côté de cette structure classique inspirée des pièces de Plaute et de Térence, mais sans fondement théorique, s’ajoute une autre influence formelle, à savoir dans la langue et le style9. Aussi bien Plaute que Térence écrivaient dans une langue pré-classique. Plusieurs de leurs prétendus « archaïsmes » se retrouvent dans les textes dramatiques des maîtres d’école. Il s’agit notamment de l’usage des diminutifs (aussi très pratique pour remplir le vers !), le remplacement du futur simple par le futur antérieur (qui a le même avantage), ou des formes « archaïques » comme siem, sies, siet, faxo, faxit, ou l’infinitif passif se terminant en -ier (delerier, audirier, curarier). L’usage que les dramaturges néo-latins font de ces formes est certainement exagéré, mais il servit apparemment à donner un cachet « comique » (et par là, « authentique ») à leurs pièces. Ces phénomènes linguistiques sont partagés par tous les auteurs du drame scolaire néo-latin. À cet égard, l’œuvre de Macropedius se caractérise de deux manières : une créativité dans la composition des mots et la prépondérance de l’influence de Plaute vis-à-vis de Térence. C’est sans doute la découverte relativement récente des œuvres de Plaute (et par là leur nouveauté) qui explique cette importance, ainsi que la nature plus mobile, plus bouffonne des pièces plautiniennes. Pour illustrer ces phénomènes linguistiques, nous citons un fragment du Bassarus (v. 74‑84), qui constitue le début de la scène I, 1 (Bs = Bassarus ; Ba = Bassara) : Bs. Prodi uxor. Ba. Hem. Bs. Memento adire tempori Forum cupedinarium et mercarier Capos duos anatesque totidem et anserem Armumque arietis dexterum. Nam vesperi Epulari et exporrigere frontem destino. Scis nempe carnivalia. Ba. Atqui paucula Nostrae familiae sufficere equidem reor Quae ex corte nostra facile suppeditavero. Bs. Apage cohortales aves. Nam et optimos Mihi quosque cum suis uxorculis viros Accivero. Ba. Num pastor aderit ? Bs. Quid rogas10 ? 9 Sur la langue de Macropedius voir surtout : Hartelust, De dictione ; Engelberts, Bassarus, p. 49‑58 ; Puttiger, Asotus, p. 96‑129. 10  « Bs. Viens, ma femme ! Ba. Me voilà. Bs. N’oublie pas d’aller à temps au marché pour faire des achats, deux chapons, deux canards et une oie, ainsi que la patte droite d’un bélier, parce que j’ai l’intention de manger bien et de me délasser ce soir. Tu sais que c’est le carnaval. Ba. Mais je crois qu’une petite quantité suffira pour notre famille et je peux bien le prendre dans notre jardin. Bs. Loin d’ici ces oiseaux de basse-cour !

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Le Bassarus est un Fastnachtspiel, un jeu pour le carnaval, comme l’indique le v. 79. D’où le caractère festif du drame ainsi que l’évocation des victuailles dès l’entame de la pièce. Cette scène n’est pas sans rappeler des passages de Plaute, comme Menaechmi, I, 4, où Erotium envoie Cylindrus pour faire des achats pour le repas avec Menaechmus et son parasite Peniculus. L’invitation à sortir de la maison constitue également un lieu commun de la comédie romaine. Cette scène s’inscrit vraiment dans les traditions du théâtre comique classique, même si l’intrigue elle-même relève plutôt du drame vernaculaire avec une combinaison de différents motifs des farces moyen-néerlandaises. Dans ces vers on reconnaît facilement l’infinitif passif en -ier mercarier, le diminitif paucula et les futurs antérieurs pour des futurs simples suppeditavero et accivero. Dans les vers suivants, on trouve encore glomerarier (v. 95) et pauxillulum (v. 98). D’autres formes qui appartiennent au langage parlé de la comédie romaine sont l’interjection hem (v. 74) ou la particule nempe (v. 79), qui est assurément cicéronienne, mais qu’on trouve aussi souvent chez Plaute. D’autres éléments formels ont un caractère beaucoup moins classique. Macropedius utilise un mètre ïambique qui ne correspond absolument pas au mètre de Plaute et de Térence11. En fait, ses vers sont des trimètres ïambiques où chaque syllabe brève des pieds impairs peut être remplacée par une longue, avec pour corolaire que, souvent, on obtient une sorte de segmentation du vers en trois parties de deux pieds chacune. Plaute et Térence se permettent davantage de substitutions dans le vers ïambique, lequel ne consiste pas nécessairement en un vers de six pieds. La métrique de la comédie romaine est, à vrai dire, assez compliquée : ses reprises au x v i e siècle ont certainement induit des simplifications. Un autre élément qui distingue la comédie néo-latine de la comédie classique est la présence des chants de chœur. Un certain nombre de pièces se caractérise par la présence de ces chants, tandis qu’une autre partie les omet. Il s’agit de chansons, composées habituellement dans une forme lyrique (strophes saphiques, hymne ambrosien), chantées par l’ensemble des acteurs ou des élèves participant à la pièce. Dans ces chants, le chœur commente l’action, l’illustre, ou formule à son propos des réflexions morales. Quelquefois il s’agit de vraies pièces lyriques qui empruntent leur modèle à la poésie lyrique classique latine (surtout Je vais inviter les notables du bourg avec leurs femmes ! Ba. Le curé, il sera là aussi ? Bs. Pourquoi demandes-tu ? » 11  Sur la métrique de Macropedius voir surtout Engelberts, Bassarus, p. 45‑48 ; Puttiger, Asotus, p. 129‑132.

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Horace) ; en d’autres cas, les chants sont moins développés. On trouve même des pièces de Macropedius où le rôle du chœur se résume à une répétition de cris (par ex. de diables). Le chœur n’est pas un vrai personnage comme dans la tragédie grecque : il ne figure jamais dans un dialogue avec les personnages de la pièce. Du reste, son identité tantôt demeure indéfinie, tantôt évolue selon les circonstances, si bien que le chœur d’une même pièce peut prendre la forme d’un groupe de diables, de pauvres mendiants, etc. L’origine de ces chants a tracassé les érudits dès le début des recherches sur le drame scolaire12 . Certains y voient une évocation des chœurs de la tragédie grecque. Cette explication souffre néanmoins une objection majeure : le chœur de la comédie fonctionne de tout autre façon. En plus, il n’est pas sûr que les maîtres d’école aient vraiment connu la tragédie grecque (en dehors de la traduction de quelques pièces d’Euripide par Érasme). On ne trouve pas ce type de chant dans la comédie latine, ni dans une grande partie du drame vernaculaire. Peut-être s’agit-il d’une tentative d’imiter les cantica de Plaute, dont les auteurs ne savaient au fond que fort peu de choses. Une autre explication de l’origine de ces pièces lyriques insérées dans les drames serait la tradition des chants d’école, régulièrement présentés dans plusieurs établissements (comme justement celle d’Utrecht où travailla Macropedius) par l’ensemble des élèves (par ex. pendant les manifestations des proclamations ou lors de certaines fêtes chrétiennes). L’insertion de ces chants dans les pièces de théâtre répondrait à un double objectif : premièrement, faire participer davantage d’élèves à la pièce, et ainsi accroître le public en attirant plus de parents dans l’optique de délivrer à plus grande échelle un message moralisant, mais aussi d’augmenter l’apport de fonds, puisque les pièces étaient jouées en public aux frais de la ville ; en second lieu, introduire une forme de variation pendant la représentation, pour un public qui ne connaissait pas toujours le latin. À titre d’exemple, nous donnons le premier chœur du Bassarus (v.  287‑298) : Qui edit bibitque sordide, Is stultus est, is stultus est, is stultus est, Geniumque fraudat proprium, Is stultus est, is stultus est, is stultus est, is stultus est. Qui creber in conviviis Dementior, dementior, dementior, Ventrem refercit crapula, 12  Voir

sur ce problème Engelberts, Bassarus, p. 41‑46.

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Dementior, dementior, dementior, dementior. Qui perit ob escam corporis, Stultissimus, stultissimus, stultissimus, Mentis salutem negligens, Stultissimus, stultissimus, stultissimus, stultissimus13.

Il est évident qu’on ne peut pas parler ici de grande poésie. Le message moral, cependant, est clair et repose sur la répétition dans les vers pairs des degrés de comparaison du mot stultus (adapté dans la deuxième strophe à cause de la longueur du vers). Il s’agit de strophes de quatre tétrasyllabes ïambiques. Les autres chants de chœur sont dans la même veine, quoique le refrain de la deuxième strophe y soit devenu is stultior. Le dernier chœur fournit une alternative sage avec le refrain prudentis est. La musique accompagnant ces chants a été transmise dans les anciennes éditions. Dans ce cas, nous aurions clairement un élément nouveau par rapport du genre classique, qui prouve l’indépendance vis-à-vis de la tradition classique ou des manuels littéraires, mais qui se base probablement sur les habitudes et considérations de la vie des écoles ou pour le dire autrement sur des considérations purement pratiques, sans lien avec les arts poétiques classiques. Ces chants de chœur sont probablement à la base des interludes et entractes dans le drame scolaire des jésuites (à partir de la seconde moitié du x v i e et surtout au x v ii e siècle) et, par là, dans les pièces en vernaculaire comme les comédies de Molière. Les chants de chœur qu’on trouve dans les tragédies vernaculaires du x v ii e siècle empruntent leur modèle probablement davantage à la tragédie grecque, même si l’on ne peut pas exclure une influence de la tradition des drames scolaires. L’existence de ces chants scolaires constitue un exemple intéressant d’un ajout non-classique dicté par d’autres motifs sans recours à un manuel ou modèle littéraire et montre, de nouveau, la connexion étroite entre ce type de théâtre et la vie quotidienne des écoles. En rassemblant toutes les données, on constate que le drame de Macropedius, comme celui de ses contemporains et collègues, emprunte certaines particularités formelles à la comédie classique romaine : divi13  « Celui qui mange et boit salement, il est fou, il est fou, il est fou, et il nuit à son propre caractère, il est fou, il est fou, il est fou. Celui qui, souvent aux fêtes, il est plus fou, il est plus fou, il est plus fou, remplit son ventre de vin, il est plus fou, il est plus fou, il est plus fou. Celui qui meurt à cause de la nourriture, il est le plus fou, il est le plus fou, il est le plus fou, et néglige le salut de son âme, il est le plus fou, il est le plus fou, il est le plus fou. »

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sion en cinq actes, présence du prologue et de l’argumentum, quelques caractéristiques linguistiques du latin archaïque. Ces concordances ne cachent cependant pas le fait que ces comédies constituent davantage la mise en latin (à coloration classique) d’un genre propre à la langue vernaculaire plutôt qu’une tentative de renouer avec un humanisme classique. En absence d’un manuel ou d’un guide théorique, les auteurs du drame scolaire se sont basés surtout sur la tradition vivante qu’ils ont dotée des aspects classiques mentionnés. L es

comédies de

C or nelius S chona eus

Après les premières décennies du x v i e siècle qui constituent une sorte de floraison du genre, le drame scolaire connut des développements différents et divergents, dictés surtout par des circonstances extra-littéraires comme les guerres de religion. Les Calvinistes furent plutôt réticents face au théâtre, scolaire ou autre. Les Luthériens avaient une préférence marquée pour la langue vernaculaire afin de pouvoir transmettre le message moral et religieux d’une façon plus directe. Du côté catholique, c’est surtout l’organisation de l’enseignement qui a fortement changé dans cette seconde moitié du siècle. Au début du x v i e siècle, l’enseignement était le domaine des écoles latines, souvent municipales, quelquefois soumises aux chapitres des églises collégiales (comme à Bois-le-Duc). La Contre-réforme vit l’apparition de plusieurs ordres religieux s’occupant d’enseignement, comme c’est notamment le cas (et en premier lieu) des jésuites. La Compagnie de Jésus investit beaucoup dans les représentations théâtrales : les collèges étaient quasi obligés de donner des spectacles chaque année ; ce qui contraignait les professeurs à devoir écrire une nouvelle pièce pour l’occasion. Au x v ii e siècle, ces représentations devinrent de plus en plus grandioses jusqu’à devenir une sorte de « spectacle total », avec interludes, ballets, etc. Les sujets traités ne partageaient que peu de points communs avec les comédies romaines : dans leur drame, les jésuites privilégiaient les histoires de saints, les motifs bibliques, ou encore les sujets historiques. Il existe d’ailleurs toute une littérature théorique de ce drame, qui s’inspira de plus en plus de la tragédie de Sénèque. Certes, l’ancienne tradition du théâtre scolaire subsista, mais au prix de changements sur différents plans. L’élément le plus notable a déjà été mentionné à propos des pièces jésuites : les comédies deviennent de plus en plus sérieuses, même si elles continuent à être appelées comoediae. On remarque une certaine perte de fraîcheur (qui caractérisa fortement les productions de Gnapheus ou Macropedius). Sur le plan littéraire,

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on remarque l’apparition, à côté de motifs directement empruntés à la comédie romaine, d’éléments puisés dans la tragédie de Sénèque. Dans les anciens Pays-Bas, l’auteur le plus représentatif du drame scolaire latin pendant la deuxième moitié du x v i e siècle est sans doute Cornelius Schonaeus (1541‑1611)14. Né à Gouda dans l’actuelle province de Hollande méridionale, Schonaeus fit des études universitaires à Louvain, avant de devenir professeur à l’école latine de Haarlem. Il resta dans cette ville, sauf pour un bref séjour à La Haye, et mourut alors qu’il était recteur de l’école. Fait intéressant et même surprenant : Schonaeus demeura catholique toute sa vie bien que la ville de Haarlem avait choisi le calvinisme comme religion officielle. À partir de 1569, il publia quelques drames bibliques, avant d’interrompre longtemps sa carrière d’écrivain, qu’il ne reprit qu’àprès 1590 : sa production rassemble dix-sept pièces, presque toutes à sujet biblique (Tobaeus, Nehemias, Iosephus, Saulus conversus, Susanna), ce qui lui valut le surnom de Terentius Christianus. Certes, son style n’est pas sans évoquer Térence. Qui plus est, ces pièces parurent dans des recueils rassemblant six comédies, soit le nombre des œuvres conservées de Térence. Mais ce surnom provient surtout d’une opération publicitaire : l’attente d’un Térence chrétien hantait les esprits depuis des siècles, si bien qu’un imprimeur d’éditions pirates de Cologne, Grevenbroicher, vit dans les œuvres de Schonaeus l’occasion d’utiliser cette dénomination, gage d’un grand

14  Voir sur Schonaeus : H. van de Venne, Cornelius Schonaeus Goudanus (1540‑1611), vol.  1 : Leven en werk van de Christelijke Terentius. Nieuwe bijdragen tot de geschiedenis van de Latijnse Scholen van Gouda, ’s-Gravenhage en Haarlem, Voorthuizen, 2001 ; vol.  2 : Vriendenkring, Voorthuizen, 2002 ; vol. 3 : Bibliography, Voorthuizen, 2004 (publiés aussi dans le Haerlem-reeks sous les numéros 15‑1, 15‑2 et 15‑3). La bibliographie a été publiée séparément : « Cornelius Schonaeus 1541‑1611. A Bibliography of his Printed Works », Humanistica Lovaniensia, 32 (1983), p. 367‑433 ; 33 (1984), p. 206‑314 ; 34B (1985), p. 1‑113 ; 35 (1986), p. 219‑283 ; M. Verweij, Het thema Tobias in het Neolatijnse schooltoneel in de Nederlanden in de 16de eeuw. De Tobaeus van Cornelius Schonaeus (1569) en de Tobias van Petrus Vladeraccus (1598), thèse de doctorat soutenue à la Katholieke Universiteit Leuven, à Louvain, en 1993, p. 66‑281 ; Id., « An author in search of support : Preliminary texts for the Tobaeus (1569) of Cornelius Schonaeus », in Neo-Latin Drama. Forms, Functions, Receptions, ed. J. Bloemendal, Ph. Ford, Hildesheim, Zürich, New York (Noctes Neolatinae – Neo-Latin texts and studies 9), 2008, p. 133‑164 ; Id., « The Terentius Christianus at work : Cornelius Schonaeus as a playwright », in The early modern cultures of Neo-Latin drama, ed. Ph. Ford, A. Taylor, Leuven (Supplementa Humanistica Lovaniensia 32), 2013, p. 95‑105 ; Cornelius Schonaeus, Iosephus (1590). Een bijbelse komedie van de Christelijke Terentius uit Haarlem, editie, vertaling, inleiding en aantekeningen door een werkgroep studenten GLTC en Latinistiek aan de Universiteit van Amsterdam onder leiding van J. Bloemendal en J. Groenland, Amersfoort, 2008.

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succès commercial. Notons que Schonaeus lui-même ne dédaigna pas cette appellation. Si l’on compare les pièces de Schonaeus avec celles de Macropedius, on constate plusieurs différences sur le plan formel. Si Macropedius a subi l’influence linguistique de Plaute, Schonaeus emprunte plus volontiers phrases, tournures et formulations aux œuvres de Térence. Ses œuvres sont comme une mosaïque de citations des différentes pièces de Térence. Contrairement à Macropedius, les comédies de Schonaeus suivent une métrique classique, tandis que les chants de chœur y sont absents. En général, les œuvres de Schonaeus ont une apparence plus classique, et attestent un penchant pour la tragédie. Schonaeus aime à mettre aux prises deux personnages ou à développer les pensées et les sentiments d’un personnage par un monologue, techniques mises à l’œuvre par Sénèque dans ses tragédies. Ces passages suivent les règles de la rhétorique, témoignant de l’introduction de systèmes littéraires dans la comédie néo-latine, même s’il s’agit plutôt de la poétique de la tragédie. Les exemples des auteurs comiques côtoient les pièces de Sénèque. Les comédies tendent de plus en plus vers la tragédie, mais toujours sous les dehors linguistiques de la comoedia palliata. Dans ces comédies peu comiques, Schonaeus a inséré quelques scènes qui sont délibérément de nature humoristique15 ; comparé à la verve de Macropedius, leur caractère reste plutôt timoré. On constate souvent les réticences de Schonaeus à présenter une vraie action sur la scène : il l’évite autant que possible. Dans ce sens, il est beaucoup moins térentien que Térence. Autre différence entre Macropedius et Schonaeus : ce dernier est beaucoup plus classique dans la métrique. En fait, Schonaeus suit son modèle avec une variation plus grande (iambes et trochées, sénaires, septenaires, octonaires) que le dimètre de Macropedius. Cette allure plus classique est confirmée par l’absence des traits propres à la veine scolaire, tels que les chants choraux. Encore, tandis que Macropedius puise dans le drame vernaculaire, Schonaeus cherche davantage son modèle dans la rhétorique et la tragédie (Horace, Ars poetica), même s’il imite souvent l’humour et la langue de Térence. Pas plus que Macropedius, Schonaeus n’a eu l’idée d’essayer d’écrire une vraie comédie à l’antique. Quand Schonaeus déplore l’absence d’une vraie comédie « classico-chrétienne », comme dans le passage cité plus haut, il ne pense pas à une imitation littéraire de la comédie romaine, mais à une adaptation du genre au contenu chrétien : il évoque la nécessité d’avoir 15  Voir M. Verweij, « Comic elements in 16th-century Latin school drama in the Low Countries », Humanistica Lovaniensia, 53 (2004), p. 175‑190.

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des textes qui présentent une morale chrétienne dans une langue et une forme classique. Même si Schonaeus, en dépit de la manifeste influence térentienne précisée plus haut, n’est pas un auteur comique à nos yeux, le succès qu’ont connu ses œuvres réimprimées jusqu’en 1778 prouve qu’il a atteint son but. Pour illustrer l’œuvre de Schonaeus, nous citons un passage du prologue de sa première pièce, le Tobaeus de 1569, ainsi qu’une partie d’une scène de ce drame. Comme d’habitude, le prologue n’insiste pas sur le contenu de la pièce, mais réclame surtout le silence. Après quoi, l’auteur commente la nature de sa comédie : ce passage constitue un bel exemple des différences entre la comédie romaine et le drame scolaire (v. 1‑17 et 31‑41) : Salvete, spectatores candidissimi, Huc quotquot accessistis, actiunculam Novam hanc vestra decoraturi praesentia. Priusquam noster hic grex in proscenium Se conferat, rogatos unum hoc vos velim Maximopere, ut mihi quae ad hanc rem attinent, Pauca locuturo paulisper dignemini Accommodare aurem patientem ac benevolam. dum nuper haec in lucem prodit fabula, A malevolis quibusdam nostram industriam Sentimus improbarier, qui ipsi tamen Ignavia torpescentes, nullum suae Quam ubique venditant scientiae specimen Unquam edidere, sed in canum mordacium Morem bonorum diligentiam suis Conviciis dicteriisque identidem Lacerant, nihil ipsi proferentes doctius. … Nunc quam sumus acturi, cognoscite fabulam, Ex mysticis vobis depromptam literis. Non hic amore demens adolescentulus Pudenda coram iactitabit crimina Nec fabulosus quispiam deus, viri Mentitus formam, amantem fallet coniugem Nec miles adversa ostentabit vulnera Nec servus argento emunget senem, nihil Horum nostra exhibebit actiuncula ! Nil hic profanum aut ludicrum, verum sacram Piamque grex repraesentabit historiam16 ! 16  « Spectateurs si radieux, qui êtes venus ici pour rehausser cette nouvelle comédie de votre présence, je vous salue ! Avant que notre troupe ne vienne sur scène, je voudrais

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Il va de soi qu’on trouve dans ce passage des formes propres à la langue « comique » : le lecteur y reconnaîtra sans problème le diminutif actiuncula ou l’infinitif passif improbarier. Les malevoli n’y manquent pas non plus : mais son but est de concentrer l’attention du public bien plus que de fustiger des critiques de pièces précédentes. En effet, le Tobaeus est la première pièce de Schonaeus ; toutefois, l’allusion à un échec récent est tellement enracinée dans le genre du prologue de comédie que l’auteur ne pouvait pas éviter ce topos. Quant à l’accusation lancée aux détracteurs de n’avoir jamais rien composé eux-mêmes, elle a aussi une couleur très térentienne, de même que le fait que le récitant du prologue se distingue de la troupe des acteurs (la grex) : on reconnaît le ton du troisième prologue de l’Hecyra. Plus intéressant, peut-être, est la façon dont le prologus annonce la pièce elle-même. Sans faire aucune référence à la tradition du drame latin scolaire, le texte énumère une série de motifs empruntés à la comédie romaine (on reconnaît des allusions précises au Miles gloriosus ou à l’Amphitryo) qui, in fine, sont absents de la pièce en question. C’est comme si Schonaeus faisait abstraction de la tradition du genre au x v i e siècle, comme il le fera d’ailleurs dans sa lettre de dédicace pour l’édition de 1598 que nous avons citée plus haut, et qui ne tenait compte que des comédies de Plaute et de Térence. A priori, on pourrait interpréter ce paragraphe comme une sorte de programme anticlassique. Mais il convient de bien comprendre la nature de ce passage : le prologue s’adresse à un public mêlant les élèves, leurs parents et d’autres citoyens. Même s’il évoque des éléments que sa pièce ne contient pas, Schonaeus sait que ceux-ci sont bien connus des élèves, qui sont habitués par leurs leçons à la lecture des comédies de Plaute et de Térence. Si, comme nous l’avons déjà souligné, Térence a toujours été le premier modèle pour ce qui concerne la langue, Plaute n’était pas en reste : nous avons vu que Macropedius s’inspira surtout du langage plautinien, et Christophorus Vladeraccus publiera encore en 1597 ses Plauti flores. Dans cette perspective, on peut expliquer la vous demander une chose surtout : de me prêter une oreille attentive et bienveillante quand je vous parle ! Quand cette pièce fut présentée récemment, nous avons senti que certaines personnes de mauvaise volonté, qui par paresse n’ont jamais donné un échantillon de leur érudition, ont condamné notre effort. Oui, comme des chiens, ils ont lacéré notre travail avec leurs insultes, sans rien présenter de plus intelligent. (…) Maintenant, apprenez l’histoire que nous allons présenter, prise de l’Écriture sainte. Ici il n’y a pas de place pour un jeune amant fou qui se vante de ses crimes scandaleux, ou pour un dieu mythologique qui, prenant la forme d’un homme, trompe l’épouse qui l’aime ou pour un soldat qui montre ses plaies ou pour un esclave qui vole l’argent de son maître, oh non, rien de tout ça dans notre pièce ! Ici vous ne trouverez rien de profane ou de ridicule, mais la troupe présentera une histoire sainte et pieuse ! »

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présence de ces allusions plautiniennes et térentiennes par la volonté de Schonaeus de souligner en négatif le caractère édifiant de sa pièce. S’il est vrai que l’on peut constater un mouvement de plus en plus moralisant et moins tolérant de scènes « lascives » au cours du x v i e siècle, ce courant n’est pas tellement la conséquence d’une attitude anticlassique littéraire, mais d’un développement général de la culture de l’époque, caractérisée par la relation et les influences de la Réforme et de la Contre-réforme plus stricte en matière de moralité. C’est ce même développement général qui explique partiellement la tendance tragique du drame scolaire à partir de 1550‑1560, comme dans le cas de Schonaeus. Pour illustrer ce mélange surprenant de contenu « tragique » et langue « comique », nous citons un fragment de la scène I, 7, où Tobias, le père, discute avec sa femme Anna de ce qu’il doit faire après la découverte du corps d’un Hébreu assassiné dans la rue (v. 350‑367) : (An.) Cedo !                                 (To.) Quo sub nocte clam sepeliam.                           (An.) Ah demens, Sepelias ? (To.) Quid ni, timida ?    (An.) Vide quid inceptes. Non te latet quantopere interminatus sit Assyriae rex ne quis nostratium tentet Israelitarum cadavera usquam clam Defodere. Idcirco, si sapis, cave ne et nos Simul omnes tecum perdas ! (To.) Nihil agis. Numquam Vita defunctos hoc obsequii genere desistam Prosequi, etiamsi mille tyrannus intentet Cruces. Quamvis mortem minitetur, in morte Nihil est, quod me magnopere metuam, mali ! (An.) Mi vir, Si tibi consultum vis, sententiam muta. Ah, Quam vereor ne hoc quantum nunc tibi sedet cordi, Tantum nobis propediem incommodet ! (To.) Pergin’ Mulier esse ? Ullamne unquam ego volui rem in qua Tu mihi non fueris adversata ? Quod si nunc Quaeram quid sit quod peccem, nescias in qua Re tam confidenter restas mihi. (An.) Ehui, quid17 ? 17  « An. Hein ! To. C’est pour l’enterrer en secret pendant la nuit. An. Tu es fou ! L’enterrer ? To. Pourquoi pas, peureuse ? An. Regarde ce que tu fais. Tu sais que le roi

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Un débat sur les conséquences d’une désobéissance aux lois d’un prince ou sur la nécessité de suivre les préceptes moraux de Dieu n’a rien de comique. La discussion est bien développée, les personnages sont correctement dessinés : Tobaeus le juste, obéissant toujours aux lois divines éternelles, Anna, plus humaine, plus craintive aussi et plus enracinée dans la réalité du monde. À première vue, rien n’annonce la comédie de Térence. Et pourtant : cedo (v. 350) se trouve souvent dans la comédie latine (soixante-quatorze fois chez Plaute, vingt-cinq fois chez Térence), comme aussi quid ni (v. 351) ou si sapis (v. 355, dix-sept fois chez Plaute, cinq fois chez Térence) ou nihil agis (v. 356 ; cf. Plaut., Trin., 917 et 976 ; Merc., 459, 728 et 1000, Rud., 996 ; Ter., Ad., 935). D’autres vers semblent inspirés de passages plus précis : vide quid inceptes (v. 351) reprend le vers vah, vide quod inceptet facinus (Ter., Heaut., 600), tandis que sententiam muta (v. 361) forme un écho à Ter., An., 393 (ne is mutet suam sententiam) (autres parallèles éventuels : Ter., Hec., 569 : nec qua via sententia eius possit mutari scio ou Plaut., Mil., 1234 : ne oculi eius sententiam mutent). Outre ces loci similes, figure une vraie citation de Térence (Heaut., 1006‑1009), qui a servi de modèle pour les v. 363‑367 : Oh pergin mulier esse ? nullamne ego rem umquam in vita mea Volui quin tu in ea re mi fueris advorsatrix, Sostrata ! At si rogem iam quod peccem aut quam ob rem hoc facias, nescias ; In qua re nunc confidenter restas, stulta.

Il est clair que ce passage peu comique quant à son contenu, est en fait une mosaïque de locutions empruntées à l’ancienne comédie romaine. La question pour Schonaeus n’était pas de savoir comment écrire une vraie comédie à l’antique ou comment faire revivre le genre de Plaute et de Térence, mais de comment écrire dans la langue de Térence des pièces dont le contenu soit convenable (parce que chrétien et moral).

d’Assyrie nous a menacés de ne pas enterrer en secret les corps des Israélites. Voilà pourquoi si tu as du bon sens, veille à ne pas me perdre avec toi ! To. Balivernes ! Cela ne m’empêchera jamais de continuer ce genre d’obsèques, même si ce tyran nous menace de mille tortures ! Même s’il nous promet la mort, elle n’a rien de mauvais qui me fasse fort peur ! An. Mon époux, si tu as du bon sens, change d’avis. Ah, combien je crains que cette résolution ne nous soit sous peu préjudiciable ! To. Tu continues d’être une femme ? Ai-je jamais voulu quelque chose pour laquelle tu ne m’aies pas contrarié ? Si je cherche maintenant ce que je fais de mal, tu ne pourrais pas dans cette affaire garder avec autant de confiance ta position. An. Eh bien, quoi ? »

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C onclusion Ce qui est remarquable dans les œuvres de Macropedius, de Schonaeus et de leurs collègues, c’est que les auteurs du drame scolaire n’ont pas essayé de créer ni une vraie comédie classique ni une théorie de la comédie. Leur intérêt était ailleurs. Ils se sont avant tout préoccupés de la langue utilisée, c’est-à-dire d’écrire dans le style de Plaute et/ou de Térence. Ils ont adapté la forme de la comédie pour diffuser un message édifiant dans un cadre pédagogique. On constate que l’imitation touche à des aspects superficiels (division en cinq actes, présence d’un prologue et d’un argumentum, imitation de certains motifs de l’ancienne comédie comme pour le servus currens), mais, pour le reste, les auteurs s’orientent plutôt vers un théâtre vernaculaire ou s’appuient sur les théories existantes de la rhétorique et de l’Ars poetica d’Horace. Écrire une comédie scolaire revenait essentiellement à essayer d’écrire un drame en cinq actes avec un prologue, un argumentum, (éventuellement) un épilogue, de terminer sa pièce sur le mot magique Plaudite et d’utiliser des formes linguistiques empruntées au latin archaïque, telles que puisées chez Plaute et Térence, et en cela unanimement considérées comme des formes typiquement « comiques ». Tous ces éléments proviennent d’une lecture et d’une étude des textes sans théorie, ce qui explique que la comédie néo-latine apparaît, de prime abord, comme un mélange bizarre du langage de la comédie romaine et d’un contenu biblique. Ce n’est que dans un second temps que le genre commence à tendre vers la tragédie, surtout celle de Sénèque ; un développement qui annonce la grande tragédie, en latin et en vernaculaire, du x v ii e siècle. Le drame scolaire trouvera un refuge chez les jésuites et les autres ordres religieux qui y reconnaîtront un outil de moralisation exploitable à grande échelle, avec des interludes et de la musique. La matière sera plutôt empruntée à l’histoire et le théâtre scolaire deviendra de plus en plus tragique. L’absence de manuel concret pour la comédie, le but essentiellement pédagogique du genre, le fait que les auteurs devaient s’appuyer sur la pratique du théâtre vernaculaire et les pièces des auteurs classiques, ont été les facteurs dominants qui ont donné au drame scolaire néo-latin son caractère particulier et qui ont marqué, finalement, son développement vers un classicisme plus pur et vers la tragédie. Le théâtre sérieux que constitue la tragédie était mieux adapté aux exigences pédagogiques. Car, enfin, le drame scolaire a d’une certaine façon toujours souffert de cette ambivalence entre ces deux buts principaux : formation linguistique et moralisation chrétienne. Cette dernière n’était pas servie par le langage comique qui, en même temps,

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était considéré comme le modèle du latin parlé. Ce dernier impératif pédagogique avait conditionné le genre à ses débuts, mais l’aspect linguistique perdra au fur et à mesure de son importance. Parallèlement à ce développement, on verra la disparition de Térence du programme des écoles, où Tite-Live prendra la relève, avec, plus tard, le De viris illustribus de Lhomond. À partir du xi x e siècle, Lhomond sera remplacé par César et les Commentaires de la guerre des Gaules. Ce changement radical du programme, avec une réorientation fondamentale, reste encore peu étudiée. Un vrai canon de la littérature latine n’a jamais existé ; chaque époque a eu ses préférences. Une histoire de ces canons constituerait sans doute une histoire culturelle en soi. BIBLIOGRAPHIE E ngelberts , R. C., Georgius Macropedius. Bassarus, Tilburg, 1968. H artelust, I., De dictione Georgii Macropedii, Traiecti ad Rhenum, 1902. IJ sew ijn , J., « Annales theatri Belgo-Latini. Inventaris van het Latijns toneel uit de Nederlanden », dans Liber amicorum Prof. Dr. G. Degroote, ed. J. Veremans, Brussel, 1980, p. 41‑55. —, « Theatrum Belgo-Latinum. Het Neolatijns toneel in de Nederlanden », Academiae analecta. Mededelingen Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België. Klasse der Letteren, 43 (1981), p. 69‑114. P uttiger , H. P. M., Georgius Macropedius’ Asotus, Nieuwkoop, 1988. Verw eij , M., « An author in search of support : Preliminary texts for the Tobaeus (1569) of Cornelius Schonaeus », in Neo-Latin Drama. Forms, Functions, Receptions, ed. J. Bloemendal, P. H. Ford, Hildesheim, Zürich, New York (Noctes Neolatinae – Neo-Latin texts and studies 9), 2008, p. 133‑164. —, « The Terentius Christianus at work : Cornelius Schonaeus as a playwright », in The early modern cultures of Neo-Latin drama, ed. Ph. Ford, A. Taylor, Leuven (Supplementa Humanistica Lovaniensia 32), 2013, p. 95‑105. va n de Venne , H., Cornelius Schonaeus Goudanus (1540‑1611), vol. 1  : Leven en werk van de Christelijke Terentius. Nieuwe bijdragen tot de geschiedenis van de Latijnse Scholen van Gouda, ’s-Gravenhage en Haarlem, Voorthuizen, 2001 ; vol. 2 : Vriendenkring, Voorthuizen, 2002 ; vol.  3 : Bibliography, Voorthuizen, 2004 (publiés aussi dans le Haerlemreeks sous les numéros 15.1, 15.2 et 15.3). La bibliographie a été publiée séparément : « Cornelius Schonaeus 1541‑1611. A Bibliography of his Printed Works », Humanistica Lovaniensia, 32 (1983), p. 367‑433 ; 33 (1984), p. 206‑314 ; 34B (1985), p. 1‑113 ; 35 (1986), p. 219‑283.

Aline Smeesters

LE GENETHLIACON SALONINI ET LE GENETHLIACON LUCANI COMME MODÈLES PR ATIQUES (ET THÉORIQUES ?) DU POÈME GÉNÉTHLIAQUE NÉO-LATIN L e généthliaque , poème (ou discours) de circonsta nce célébrant ou commémorant une naissance, est un genre littéraire peu attesté dans l’Antiquité et complètement désaffecté aujourd’hui, mais qui connaît un relatif succès chez les néo-latins. Ceux-ci fon­dent principalement leur compréhension du genre sur quatre textes de référence hérités de l’Antiquité : deux textes théoriques et rhétoriques grecs (la Τέχνη ῥητορική  du pseudo-Denys d’Halicarnasse et le Περί ἐπιδεικτικῶν de Ménandre le rhéteur) et deux textes poétiques latins : la quatrième bucolique de Virgile (qualifiée par Servius de Genethliacon Salonini) et la silve II, 7 de Stace, intitulée Genethliacon Lucani et adressée à Polla, la veuve de Lucain, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de son défunt mari1. Les traités du pseudo-Denys et de Ménandre sont diffusés en Italie dans le courant du x v e siècle ; le texte des Silves est retrouvé par Poggio Bracciolini au début du Quattrocento ; Virgile quant à lui n’a jamais cessé d’être présent. Jusqu’au milieu du x v i e siècle, les poéticiens ne traitent quasiment pas le généthliaque, genre trop spécialisé. Par contre, dans la pratique, de nombreux généthliaques sont composés par les poètes néo-latins, que ce soit pour célébrer la naissance d’un enfant, pour fêter leur propre anniversaire ou celui d’un ami, ou encore pour commémorer l’anniversaire de la naissance d’un grand homme (ou même parfois d’une ville). 1  Il existe d’autres textes antiques portant l’intitulé « généthliaque », mais ils semblent avoir exercé une influence bien moindre sur la théorie et la pratique des néolatins : ainsi en va-t-il de l’Ἀπελλᾶ γενεθλιακός d’Aristide, du Genethliacos ad Ausonium nepotem d’Ausone ou encore du Genethliacus de Mamertin. Pour plus de détails, voir A. Smeesters, Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les auteurs néo-latins des anciens Pays-Bas entre la fin du x v  e siècle et le milieu du x v ii  e siècle, Leuven (Supplementa Humanistica Lovaniensia 29), 2011, p. 14‑16.

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Le plan type fourni par les rhéteurs grecs (conseillant de traiter successivement le temps et le lieu de la naissance, puis les différents aspects de la personnalité de la personne fêtée) a pu fournir aux poètes des lignes générales, qui coïncident d’ailleurs avec les grandes orientations de la rhétorique épidictique ; mais ce plan est rarement appliqué tel quel. Par contre, certains poètes ont clairement choisi de prendre directement modèle sur les textes de Virgile et de Stace. Le généthliaque de Virgile est une églogue à tonalité prophétique, annonçant les futurs hauts faits de l’enfant nouveau-né au fil des étapes de sa vie à venir. Au début et à la fin du poème, deux brèves allusions renvoient à des personnalités vaticinatrices bien connues : la Sibylle de Cumes (v. 4 : Ultima Cumaei venit jam carminis aetas) et les Parques (v.  46‑47 : « Talia saecla » suis dixerunt « currite » fusis / Concordes stabili fatorum numine Parcae) ; mais pour le reste, le texte prophétique est mis directement dans la bouche du poète. Dans le généthliaque de Stace, nous trouvons également un long passage prophétique, où les grands événements de la vie de Lucain (la composition de ses œuvres poétiques, son mariage, sa mort précoce) lui sont prédits au moment de sa naissance (il s’agit bien évidemment d’une prophétie à posteriori, puisque l’occasion du poème est l’anniversaire de la mort de Lucain). Dans ce second exemple, contrairement au premier, la prophétie (en discours direct) est encadrée par une petite fiction mythologique : Stace met en scène la Muse Calliope qui accueille Lucain à sa naissance. Ce motif (la divinité qui accueille le nouveau-né et prophétise son avenir) va connaître une certaine faveur chez les auteurs de généthliaques néolatins. Certains vont d’ailleurs le combiner avec une prophétie dont le contenu est plus « virgilien » – renvoyant ainsi de manière combinée aux deux grands genethliaca antiques. Ce choix s’inscrit évidemment aussi dans les débats sur l’imitation, puisqu’il implique une prise de parti par rapport aux grandes questions qui agitent les poètes et poéticiens néo-latins : Virgile doit-il être le seul modèle en poésie ? Est-il souhaitable d’imiter des auteurs tardifs comme Stace ? Cet article tentera de retracer le parcours de ce motif typiquement « généthliaque » au fil de la production des poètes néo-latins et du discours théorique des poéticiens. Avant d’entrer dans le vif du sujet, un avertissement s’impose cependant : je ne voudrais pas donner la fausse impression que tout texte généthliaque avait forcément une tonalité prophétique et devait nécessairement inclure ce motif mythologisant. Il existait une infinité d’autres manières de composer un généthliaque, comme le prouve suffisamment la pratique des poètes néo-latins, qui produisent aussi bien des élégies d’anniversaire à la manière d’Ovide

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ou de Tibulle, que des poèmes familiers livrant des récits réalistes d’accouchements, des hymnes d’actions de grâces rendues à Dieu pour la progéniture accordée, des épigrammes plaisantes jouant sur le lieu, le temps ou les circonstances particulières d’une naissance… Il me semble pourtant que l’imitation (structurelle, thématique et/ou lexicale) de ce motif précis du Genethliacon Lucani de Stace a pu constituer un indice, un marqueur générique tendant à suggérer que tel poème (ou une portion de ce poème) avait été conçu comme un généthliaque par son auteur, et/ou a pu être identifié comme généthliaque par les lecteurs de cette époque (quand bien même le mot « généthliaque » n’était pas donné dans le titre). Le

motif de

Stace

Commençons par considérer plus en détail les vers 36‑41 et 105‑6 de la silve II, 7 de Stace, c’est-à-dire les vers qui encadrent l’intervention prophétique de Calliope : Natum protinus atque humum per ipsam Primo murmure dulce vagientem Blando Calliope sinu recepit. Tum primum posito remissa luctu Longos Orpheos exuit dolores Et dixit : « Puer o dicate Musis, […] » Sic fata est leviterque decidentes Abrasit lacrimas nitente plectro2 .

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Cinq étapes peuvent être distinguées dans la progression du récit : l’enfant vient tout juste de naître ; une divinité (ici, une Muse) le prend dans ses bras ; elle est prise d’une inspiration prophétique ; suit le discours direct de la prophétie, commençant par une apostrophe à l’enfant ; après la prophétie, la divinité pose un geste significatif. Remarquons que les étapes 1 et 2 (l’enfant nouveau-né accueilli par une « nourrice divine ») ont été identifiées, dans un récent article de François Ploton-Nicollet3, comme un motif typique des Silves de Stace, 2 Traduction d’H. J. Izaac (édition des Belles Lettres, 1944) : « Dès sa naissance, quand il reposait encore sur le sol et au premier bruit de ses doux vagissements, Calliope le reçut affectueusement sur son sein. Alors pour la première fois, oubliant sa douleur et se reprenant, elle dépouilla le long deuil d’Orphée et dit : ‘Enfant consacré aux Muses, […]’ Telles furent ses paroles, et, vivement, elle essuya de son plectre brillant les larmes qui tombaient de ses yeux ». 3  F. Ploton-Nicollet, « La topique de la ‘nourrice divine’ : un motif récurrent dans la poésie d’éloge depuis Stace (i er s.) jusqu’à Sidoine Apollinaire (v e s.) », dans La lyre et la

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régulièrement imité ensuite dans la poésie d’éloge de l’Antiquité tardive, notamment chez Claudien. Cette topique remplirait entre autres une fonction métapoétique, servant à ancrer les compositions des poètes qui y ont recours dans la tradition silvaine d’héritage stacien. Concrètement, elle s’accompagne d’un vocabulaire stéréotypé, que l’on retrouvera régulièrement aussi dans le corpus ici pris en compte : la naissance de l’enfant se trouve évoquée par les verbes nasci, oriri ou le plus imagé cadere, souvent au participe et volontiers accompagnés de l’adverbe protinus ; la description des soins prodigués par la nourrice divine inclut régulièrement les substantifs gremium et sinus ainsi que les verbes excipere, recipere et fovere.4 Le motif que je souhaite développer dans cet article inclut donc la topique identifiée par François Ploton-Nicollet, mais en la prolongeant et en la complexifiant avec trois ingrédients supplémentaires  − l’ensemble pouvant être considéré comme typique du genre du poème généthliaque. Sur base de la trame ici décrite, diverses variations de détail vont pouvoir être développées ou introduites par les émules néo-latins de Stace – outre bien sûr l’énorme latitude qu’ils pourront s’accorder quant au contenu même de la prophétie. Les poètes vont ainsi jouer, d’une part, sur l’identité de la ou des divinité(s) entourant l’enfant (parfois les rôles sont dédoublés, et la divinité qui prend l’enfant dans ses bras n’est pas la même que celle qui prononce la prophétie) ; et d’autre part sur les gestes posés avant ou après le discours prophétique, que ce soit par la divinité vaticinatrice, par l’enfant lui-même ou par le public présent. D eux

cas italiens

(1480-1510)

Notre parcours débutera par deux textes qui présentent un certain nombre de caractères communs : ils ont été composés par deux grands noms de l’humanisme italien et ont connu une large diffusion européenne ; ils s’inscrivent dans une démarche d’imitation en premier lieu virgilienne ; ils présentent très clairement le motif stacien, mais en le complexifiant, en le variant, en le contaminant avec d’autres sources ; et enfin, ils ne portaient pas à l’origine le titre de genethliacon, mais pourpre. Poésie latine et politique de l’Antiquité tardive à la Renaissance, éd. N. CatellaniDufrêne, M. J.-L. Perrin, Rennes, 2012, p. 33‑57. 4 Sur base du catalogue des occurrences du motif proposé par F. Ploton-Nicollet, p. 53‑57, je relève les exemples suivants dans les Silves de Stace (outre la silve II, 7 déjà citée) : Stace, S., I, 2, 109‑110 : …tellure cadentem / excepi fovique sinu ; S., I, 2, 260‑261 : At te nascentem gremio mea prima recepit / Parthenope ; S., II, 1, 121 : …et gremio puerum complexa fovebat ; S., V, 3, 121 : Protinus exorto dextrum risere sorores.

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ont reçu (en tout ou en partie) cette appellation lors de réimpressions ultérieures, aux x v i e et x v ii e siècles. Ange Politien et la silve Manto (1482)5 Parmi les célèbres silves de l’humaniste Ange Politien, poèmes d’ouverture préludant à ses cours au Studio de Florence, figure la silve Manto, portant sur le poète Virgile. Cette silve fut lue par Politien en introduction à son cours sur les Bucoliques au début de l’année académique 1482‑1483. Pour présenter à son auditoire la vie et les œuvres du poète de Mantoue, Politien a choisi de mettre en scène la déesse Manto qui aurait prophétisé tous ces événements au moment de la naissance de Virgile6  − une anecdote mythologique à fonction récréative, mais qui offre aussi un bel exemple d’« imitation créatrice des images et des rythmes virgiliens7 ». Virgile n’est cependant pas l’unique modèle auquel se réfère Politien : à l’imitation virgilienne se combine également l’imitation de Stace, auquel renvoie le titre même de Silve. Politien était en effet un adepte de la varietas stylistique ; favorable à une imitation éclectique, il prenait volontiers la défense des auteurs mineurs ou tardifs8. C’est d’ailleurs lui qui donna une publicité européenne aux Silves de Stace à la fin du x v e siècle, grâce à son travail d’imitation (la composition de ses propres silves) mais aussi et d’abord de commentaire : les Silves avaient été le sujet de sa première année de professorat au Studio de Florence en 1480. Remarquons que pour expliquer les Silves de Stace, Politien fit appel à la théorie épidictique de l’Antiquité tardive, telle qu’exposée dans les traités de Ménandre le Rhéteur et du pseudo-Denys (par exemple pour la technique de l’épithalame)9. Mais s’agissant de la méthode de composition des généthliaques, les notes conservées de Politien signalent simplement, en commentaire à la silve II, 7 de Stace : Dionysius et Menander methodum 5  Éditions  modernes : Ange Politien. Les Silves, texte traduit et commenté par P. Galand, Paris, 1987 ; Angelo Poliziano. Silvae, ed. F. Bausi, Firenze, 1996 ; Angelo Poliziano. Sylvae, ed. and transl. by C. Fantazzi, Cambridge, 2004. 6 Remarque : la silve Ambra présente également un récit romancé de la naissance d’Homère. 7  P. Galand, introduction à l’édition des Silves, 1987, p. 127 ; voir aussi p. 79. 8 P. Galand, « La poétique latine d’Ange Politien : de la Mimésis à la métatextua­ lité », Latomus, 47 (1988), p. 146‑155 (p. 152). 9  P. Harsting, « More Evidence of Menander Rhetor on the Wedding Speech : Angelo Poliziano’s Transcriptions in the Statius Commentary (1480‑81). Re-edited with a Discussion of the Manuscript Sources and Earlier Editions », Cahiers de l’Institut du Moyen-Âge Grec et Latin, 72 (2001), p. 11‑34.

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genethliacorum scribunt10, sans davantage de précisions. Il faut bien reconnaître que le pseudo-Denys et Ménandre le Rhéteur n’offraient pas une clé d’explication très efficace pour le Genethliacon Lucani de Stace. Et lorsque, deux années plus tard, Politien choisit d’évoquer dans ses vers la venue au monde du grand poète de Mantoue, c’est au modèle généthliaque de Stace plus qu’aux instructions des rhéteurs grecs que l’humaniste fit appel. La fiction mythologique encadrant la prophétie de Manto rappelle en effet par de nombreux points le Genethliacon Lucani stacien. Nous y retrouvons les cinq étapes mises en évidence ci-dessus : en premier lieu, la mention selon laquelle l’enfant vient tout juste de naître (v. 47 : te nascente11) ; en second lieu, l’arrivée de la Muse Calliope qui prend l’enfant dans ses bras (v. 49 : blandis sustulit ulnis, avec la reprise de l’adjectif blandus déjà présent chez Stace) – Muse qui, chez Politien, pose aussi d’autres gestes affectifs et prophétiques auxquels le chiffre trois, trois fois répété, confère une connotation magique ; en troisième lieu, le délire prophétique qui s’empare d’une divinité (il s’agit ici d’une autre divinité, Manto, arrivée entre-temps) ; en quatrième lieu, une prophétie en discours direct ; et enfin, en cinquième lieu, une série d’attitudes et de gestes significatifs faisant suite au discours prophétique, de la part de Manto elle-même (elle recompose son visage, sourit, embrasse l’enfant et lui transmet un souffle sacré, avant de disparaître), mais aussi des Muses, des Nymphes et de Faunus (qui applaudissent, le dernier en secouant ses cornes) ainsi que des Parques (qui mettent la prophétie par écrit) : Te nascente, Maro, Parnassi e culmine summo Adfuit Aonias inter festina sorores Calliope blandisque exceptum sustulit ulnis Permulsitque manu quatiens terque oscula junxit. Omina ter cecinit, ter lauro tempora cinxit12 . […] Venit et Elysio venturi praescia Manto, Manto quae juvenem fluvio conceperat Ocnum, Ocnum qui matris dederat tibi, Mantua, nomen. Venit et horrentes quatiens vittamque comasque, Sanguineamque rotans aciem, sic ora resolvit

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10  A. Poliziano. Commento inedito alle selve di Stazio, a cura di L. Cesarini Martinelli, Firenze, 1978, p. 509. 11  Avec également un rappel de la quatrième bucolique de Virgile, vers 8 : Tu modo nascenti puero. 12  Comparer avec Ovide, Fastes, IV, 550‑551 : Triptolemum gremio sustulit illa suo / terque manu permulsit eum, tria carmina dixit.

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Plena Deo, et veras excussit pectore voces : « Dicebam, memini13… […] » Haec ubi veridico fudit de pectore Manto, Composuit vultum teneroque arrisit alumno Osculaque ore legens sacrum inspiravit amorem Afflavitque animum tenuesque recessit in auras14. Plauserunt hilares ad tanta oracula Musae. Plauserunt Nymphae, quique alto e vertice montis Affuerat capripes concussit cornua Faunus Et triplices carmen scripsere adamante sorores15.

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La prophétie en elle-même (que je ne reproduirai pas ici) combine pour sa part des rappels de la prophétie de Calliope chez Stace16 et de la prophétie de la quatrième bucolique de Virgile17  − trait particuliè13  Pour l’ouverture de la prophétie, cf. Stace, Silves, IV, 3, 124 : Dicebam, veniet… (la Sibylle se rappelle avoir prophétisé la naissance de Domitien). 14 Cf. Virgile, Énéide, II, 790‑791 : Haec ubi dicta dedit… / …tenuisque recessit in auras. 15  Traduction de Perrine Galand (1987) : « À ta naissance, Maron, quittant le sommet du Parnasse, Calliope vint en toute hâte, parmi ses sœurs aoniennes, et te prit, te porta dans ses tendres bras et tout en te berçant te caressa de sa main et trois fois elle t’embrassa, trois fois elle chanta des présages, trois fois elle ceignit tes tempes de laurier. […] De l’Élysée arrive aussi Manto qui connaît l’avenir ; Manto qui d’un fleuve avait conçu le jeune Ocnus, Ocnus qui t’avait donné le nom de sa mère, ô Mantoue. Elle vient ; agitant ses bandelettes et ses cheveux hérissés, roulant des yeux sanglants, telle, elle ouvrit sa bouche pleine de dieu et sous le choc exhala du fond de son cœur des paroles véridiques : ‘Je te disais, je m’en souviens […]’ Quand Manto eut proféré ces prédictions arrachées à son cœur véridique, son visage s’apaisa et elle sourit au tendre nourrisson ; cueillant sur sa bouche des baisers, elle lui inspira l’amour sacré et lui insuffla l’ardeur spirituelle ; puis elle se retira dans les airs légers. À de si beaux oracles, en riant, les Muses applaudirent, les nymphes applaudirent, et celui qui était venu du sommet élevé de la montagne, le faune aux pieds de chèvre, agita vigoureusement ses cornes ; et les trois Sœurs gravèrent le présage avec leur stylet d’acier. » 16  Par exemple, aux vers 78‑80, la Manto de Politien prédit que Virgile surpassera les auteurs grecs tels qu’Hésiode, Théocrite et Homère, tandis que chez Stace (Silves, II, 7, 75‑80), Calliope prédisait que Lucain surpasserait Ennius, Lucrèce… et Virgile luimême. Aux vers 81 et suivants, Manto retrace ensuite la carrière poétique de Virgile, en partant de ses œuvres de jeunesse, ainsi que Calliope l’avait fait pour Lucain aux vers 54‑72 de la silve de Stace. 17  Quelques convergences remarquables : chez Politien, le jeune Virgile est supera missus ab arce (v. 69), en écho au caelo demittitur alto de la quatrième bucolique (v. 7) ; devenu poète, il est admiré par Linus et Orphée (v. 72, en écho aux vers 55‑56 de Virgile : non me carminibus vincet nec Thracius Orpheus / nec Linus) ; au vers 82, l’expression incipe magne puer renvoie évidemment à l’incipe parve puer virgilien (v. 60, 62) ; enfin, les vers 121‑131 de la silve Manto sont dédiés précisément à l’évocation de la quatrième bucolique de Virgile (interprétée par Politien comme une prophétie de la naissance du Christ).

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rement remarquable puisqu’à travers ce jeu intertextuel, Virgile se présente à la fois comme l’objet et l’auteur de la vaticination. Les silves de Politien connurent un énorme succès et furent reproduites à de multiples reprises, ensemble ou séparément, notamment en raison de leur apport pédagogique18. Si la silve Rusticus fut la plus populaire, Manto connut elle aussi son lot de rééditions. Je n’en citerai que deux, au paratexte révélateur. En 1577, l’ensemble des silves de Politien sont réimprimées à Paris dans le second tome des Carmina illustrium poetarum Italorum de Joh. Matthaeus Toscanus. Elles y sont précédées d’un petit texte défendant Politien contre les critiques de Scaliger : Scaliger aurait reproché à Politien d’avoir imité Stace plutôt que Virgile ; mais l’éditeur rétorque que pour écrire des Silves, Stace était bien le modèle qui s’imposait ; en outre, Politien aurait surpassé son modèle en donnant par endroits à son style une Maroniana majestas. Une trentaine d’années plus tard, en 1608, Gruterus reproduit une énième fois les silves de Politien dans ses Delitiae Italorum poetarum19. La silve Manto débute à la page 296 du second tome des Delitiae ; l’arrivée de Manto tombe à la page 298. Or, dans l’index général, une entrée Manto, silva Politiani renvoie à la page 296, tandis qu’une autre entrée Genethliacon Virgilio dictum renvoie à la page 298. Ainsi, le concepteur de l’index a bien identifié cet extrait de la silve comme un genethliacon en bonne et due forme ; et le lecteur recherchant des modèles de généthliaques par le biais de l’index de cette anthologie se voyait renvoyé à ce passage de la Manto de Politien. Andreas Naugerius et le lusus XLIV (c. 1508‑1509)20 Andreas Naugerius ou Andrea Navagero est un aristocrate et humaniste vénitien, connu pour son recueil de Lusus ou jeux pastoraux, inspirés globalement des églogues de Virgile et qui ont participé au renouvellement du genre bucolique à la Renaissance21. Au sein de ces Lusus figure un poème célébrant la naissance d’un fils de Bartolomeo 18  A. Coroleu, « Angelo Poliziano in print : editions and commentaries from a pedagogical perspective (1500‑1560) », Cahiers de l’Humanisme, 2 (2001), p. 191‑219 (spécia­ lement p. 208‑219). 19 Janus Gruterus, Delitiae CC Italorum poetarum huius superiorisque aevi illustrium. Pars altera. Collectore Ranutio Ghero, prostant in officinâ Ionae Rosae, 1608. 20  Éditions  modernes : Andrea Navagero. Lusus, ed. Alice E. Wilson, Nieuwkoop, 1973 ; Giovanni Cotta. Andrea Navagero. Carmina, Torino, 1991 ; Andrea Navagero. Lusus (Playful Compositions), ed. and transl. with commentary by A. M. Wilson, Cheadle, 1997. 21  F. J. Nichols, « Navagero’s Lusus and the Pastoral Tradition », dans Acta Conventus Neo-Latini Bariensis, ed. R. Schnur, Tempe, 1998, p. 445‑452.

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d’Alviano, ami de Naugerius, patron de l’académie de Pordenone22 et homme de guerre. Les indices internes permettent de dater la pièce aux environs de 1508‑150923. À nouveau, comme dans le cas de la silve de Politien, l’imitation virgilienne est première et évidente : le poème présente de très clairs échos de la quatrième bucolique (annonce d’un âge heureux, d’une terre spontanément fertile etc.) ; néanmoins, l’inspiration stacienne, quoique plus discrète, est indiscutablement présente. Cependant Naugerius, connu pour être un grand admirateur de Virgile24, ne semble pas avoir partagé la tolérance de Politien envers les poètes post-augustéens. Dans le seizième lusus, il est même question de brûler des vers inspirés des Silves de Stace, sous le prétexte que ces « forêts » font de l’ombre aux bonnes plantations, et que la terre brûlée n’en sera que plus fertile25. À en croire les Prolusiones academicae de Famien Strada, cette épigramme concernerait des compositions de Naugerius lui-même, qu’il aurait jetées au feu, irrité de s’être écarté du modèle de Virgile, après qu’un ami lui eût fait remarquer leur caractère stacien26. Cette prévention n’a apparemment pas empêché Navagero de reprendre pour son poème de naissance (le lusus XLIV) une structure générale très proche de celle proposée par Stace dans son Genethliacum Lucani  – mais en prenant soin de composer son texte en hexamètres dactyliques, de lui conférer une tonalité hautement classique et de le 22 L’académie regroupait surtout des lettrés de Venise et de Padoue, notamment Naugerius et Fracastor : Andrea Navagero, ed. Alice Wilson, p. 91. 23  Andrea Navagero, ed. Alice Wilson, p. 93 ; Andrea Navagero, ed. A. Wilson, p. 659 et 671. 24  En témoigne le Naugerius sive de poetica de Fracastor, où Navagero apparaît lisant d’une voix inspirée le texte des Bucoliques de Virgile – livre qu’il garderait toujours sur lui : Naugerius… e sinu correpto pugillari Maronis, quem numquam dimittere consueverat, tanto impetu, sed et tanta harmonia legere coepit (erat enim, ut scis, mirae suavitatis in legendo) ut nobis videretur et ille quasi furens effectus, et nos nihil umquam suavius audisse. Remarquons pourtant que la lecture est soudain interrompue par un geste inattendu de rejet : Qui, cum Bucolica fere dimidia eo furore legisset, postremo exclamans libellum a se projecit (Andreas Naugerius, Opera omnia, Venise, 1754, p. 206, cité d’après F. J. Nichols, « Navagero’s Lusus », p. 448). 25  Has Vulcane dicat silvas tibi villicus Acmon : / Tu sacris illas ignibus ure, pater. / Crescebant ducta e Stati propagine silvis : / Jamque erat ipsa bonis frugibus umbra nocens. / Ure simul silvas, terra simul igne soluta / Fertilior largo foenere messis eat. / Ure istas ; Phrygio nuper mihi consita colle / Fac, pater, a flammis tuta sit illa tuis. Texte cité d’après l’édition d’A. Wilson, 1997, p. 108. 26 […] cum Silvas aliquot ab se conscriptas legisset, ut solebat, in concilio poetarum, audissetque Statiano characteri similes videri, iratus sibi, quod […] declinasset a Vergilio, cum primum se recepit domum, protinus in Silvas conjecit ignem, ejusque calore succensus versiculos prope extemporarios fudit… (F. Strada, Prolusiones academicae, livre 2, Oxford, 1631, p. 216, cité d’après Andrea Navagero, ed. A. Wilson, p. 324).

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parsemer de nombreux motifs virgiliens. Dans la progression du récit, nous retrouvons à nouveau nos cinq étapes : la naissance toute récente (e matre cadentem, vers 4) ; la présence des Muses qui prennent l’enfant dans leurs bras (avec le sinu de Stace, l’ulnis de Politien) − comme chez Politien, les Muses couronnent également le bébé, mais cette fois de baccar et non plus de laurier ; l’arrivée d’autres divinités prophétiques – il s’agit en l’occurrence des Parques, qui après avoir embrassé la mère et l’enfant, se mettent à leur fuseau et prennent la parole ; la prophétie en discours direct, avec une interpellation à l’enfant (v. 31‑32 : o nate puer, rappelant le puer o de Stace) ; et enfin, après la prophétie, un geste significatif : c’est ici Jupiter qui sanctionne les paroles prononcées par des phénomènes atmosphériques (tonnerre et éclair dans la partie gauche d’un ciel serein). Dicite Pierides ! Vos illum e matre cadentem Excepstisque sinu, et vestris fovistis in ulnis, 5 Et tenerem molli cinxistis baccare frontem. […] Protinus ecce Iovis magni de limine Parcae, Antiquae Parcae, niveo queis corpore amictu, 25 Canaque chaonia velantur tempora quercu. Hae postquam et matrem complexae, et fronte serena Oscula junxerunt parvo felicia nato ; Candida versato torquentes vellera fuso, : 30 Fatidico tales fuderunt pectore voces27  « O fausto nimium caelo, divisque benignis, Nate puer, cresce… […] » Finierant Parcae. Tum Juppiter aethere ab alto 102 Intonuit laevum28 et caeli de parte serena Perspicuus multo fulgor cum lumine fulsit29. 27  Le passage peut évoquer la description des Parques aux noces de Thétis et Pélée, chez Catulle, LXIV, 305‑322. 28  Intonuit laevum : cf. Virgile, Énéide, IX, 630‑631. 29  Traduction personnelle : « Dites-le moi, Piérides ! Lorsque l’enfant est sorti de sa mère, c’est vous / Qui l’avez recueilli sur votre sein, qui l’avez réchauffé dans vos bras, / Qui avez ceint son tendre front d’une souple guirlande de baccar. / […] / Aussitôt, voici que du seuil du grand Jupiter sortent les Parques, / Les antiques Parques, au corps drapé d’un vêtement couleur de neige, / Aux tempes blanches couronnées des feuilles du chêne de Chaonie. / Après avoir embrassé la mère et, le front serein, / Donné d’heureux baisers au petit garçon nouveau-né, / Filant une laine immaculée sur leur fuseau mis à tourner, / Elles tirèrent de telles paroles de leur poitrine fatidique : / ‘Ô enfant né sous un ciel si favorable, sous des dieux / Si bienveillants, grandis… / […]’ / Les Parques en avaient fini. Alors Jupiter, du haut de l’éther, / Tonna à gauche ; et dans la partie sereine du ciel, / Un éclair bien visible brilla, répandant une grande lumière. »

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Dans son édition de 1997, Allan Wilson constate les nombreux rapprochements (thématiques et lexicaux) entre ce poème de Naugerius et ce qu’il appelle « le généthliaque virtuel » de Politien pour Virgile dans la silve Manto. Il conclut : « I think the influence was vague and more a matter of some general inspiration than specific debts30 ». Je serais d’avis que d’une part, Naugerius connaissait bien la silve de Politien, et que d’autre part, tous deux s’inspiraient des deux mêmes modèles principaux : les genethliaca de Stace et de Virgile ; par ailleurs, tous deux ont évidemment aussi fait appel à d’autres sources antiques et à leur inspiration personnelle. Dans l’édition princeps des Lusus (1530)31, les poèmes ne sont pas numérotés et la plupart ne portent pas de titre. Le poème qui nous intéresse y est donc offert au public sans numéro ni intitulé. Les Lusus connurent ensuite plusieurs rééditions et furent en outre inclus dans des anthologies. Celle de Jean de Gannay (vers 1546)32 est la première à donner des titres à tous les poèmes ; mais la moitié sont des titres assez verbeux qui ne seront pas retenus par la postérité. Notre poème s’y voit intituler Omen Parcarum de puero recens nato33. D’autres titres sont ensuite proposés dans l’anthologie déjà citée de Joh. Matthaeus Toscanus, Carmina illustrium poetarum Italorum (Paris, 1576‑1577) : c’est là que le lusus XLIV se voit pour la première fois qualifier de Genethliacon (t. 1, p. 213). C’est donc, comme pour l’extrait de la silve de Politien, à l’occasion d’une réédition tardive et posthume que le poème de Naugerius est identifié par ses éditeurs comme un généthliaque. Dans les Delitiae de Gruterus (Francfort, 1608) – qui pour les Lusus de Naugerius se basent principalement sur Toscanus −, le poème est également intitulé Genethliacon (t. 2, p. 131), tandis que dans l’index figure l’entrée Genethliacon bellatoris. Le titre aujourd’hui le plus courant, Gene­ thliacon pueri nobilis, apparaît dans l’édition des frères Volpi en 171834. 30 

Andrea Navagero, ed. A. Wilson, p. 661‑662. Andreae Naugerii Patricii Veneti Orationes duae, carminaque nonnulla, Venise, Tacuini, 1530. Pour le parcours éditorial du recueil, voir Andrea Navagero, ed. A. Wilson, p. 33‑85. Une première liste des éditions avait été fournie par C. Griggio, « Per l’edizione dei ‘Lusus’ del Navagero », Atti dell’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, Classe di scienze morali, lettere ed arti, 135 (1976‑1977), p. 87‑113 ; p. 97‑101. Voir aussi D. Sacré, « Andrea Navagero, Lusus : Three Textual Notes », Humanistica Lovaniensia, 36 (1987), p. 296‑298. 32  Jean de Gannay (Gagnaeus), Doctissimorum nostra aetate Italorum epigrammata, Paris, s.d. (vers 1546). 33  Andrea Navagero, ed. A. Wilson, p. 660. 34  Andreae Naugerii… Opera omnia, curantibus J. A. et C. Vulpiis, Padoue, 1718, p. 220‑223. 31 

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Q uelques

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exemples européens

(1500-1650)

À qui parcourt le vaste corpus des généthliaques néo-latins parus dans le reste de l’Europe entre 1500 et 1650, il n’est pas rare de rencontrer d’autres exemples frappants d’imitation de ce motif stacien déjà si bien développé par Politien et Naugerius. Ainsi, le poète néo-latin allemand Petrus Lotichius (1528‑1560) est l’auteur d’un poème Ad Gregorium Schetum de natali suo35, dans lequel il évoque son propre anniversaire sur le modèle de l’élégie III, 13 des Tristes d’Ovide. Lotichius y raconte que, dès sa naissance (protinus infantem, v. 37), Apollon l’a pris dans ses bras (Phoebus in ulnis fovit, v. 37‑38) tandis que les Muses couronnaient son berceau de baccar (thorum cinxerunt baccare Musae, v. 39) ; Uranie, après avoir scruté le ciel, a prédit son avenir (la prophétie, s’ouvrant sur les mots Salve, parve puer, couvre les vers 43‑58). Après son discours, Uranie a purifié la mère du poète nouveau-né (pura matrem circumtulit unda36, v. 59) sous les applaudissements d’Amour (plausit et argutum candidus omen Amor, v. 60). Ce dernier vers est à rapprocher d’un passage de Properce (II, 3a, 23‑24) : Nam tibi nascenti, primis, mea vita, diebus / candidus argutum sternuit omen Amor (à la naissance de la bien-aimée du poète, « Amour éternua en un présage au son clair »). Remarquons que d’autres auteurs de généthliaques néo-latins ont exploité ces mêmes vers de Properce d’une autre façon, en leur empruntant plutôt le motif de l’éternuement-présage (motif que l’on retrouve aussi chez Catulle, 45, 9 et 18). En France, le jésuite François Vavasseur (1605‑1681) publia au début de l’année 1639 un long poème en hexamètres pour le Dauphin français (le futur Louis XIV) né le 5 septembre précédent. Dans les Delphini marinus et coelestis37, ce sont deux Dauphins, l’animal marin et la constellation, qui viennent saluer leur frère. Le Dauphin marin rejoint le bébé à travers les voies d’eau des fontaines du parc ; après avoir parlé, il asperge le bébé d’eau salée (cum dicto, aspergine salsa / Lustravit puerum, et medicato contigit imbri, v. 86‑87) : le bébé frissonne, reconnaît le Dauphin marin et, faute d’être capable de lui parler ou d’esquisser 35  Élégie II, 8 dans les Opera omnia, Heidelberg, Vögelin, 1603. Le poème a notamment été étudié par S. Faller, « Astronomisches in Lotichius’ Elegien 2, 8 und 2, 13 », dans Lotichius und die römische Elegie, ed. U. Auhagen, E. Schäfer, Tübingen, 2001, p. 115‑134. 36  Cf. Virgile, Énéide, VI, 229 : Idem ter socios pura circumtulit unda. 37  Référence complète : F. Vavasseur s.j., Delphino Gallico, Delphini marinus et coelestis xenia, vitalem ambo, ut crescat, iste humorem, hic calorem, Paris, Camusat, 1639.

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un geste vers lui (il est emmailloté), il sourit, tourne aimablement les yeux et incline la tête (v. 88‑93). Le Dauphin astral quant à lui rejoint le bébé en se camouflant parmi les feux de joie ; après son discours, il transmet à l’enfant une flamme qui pénètre jusqu’au plus profond de ses os (Dixerat ; atque facem puero injicit : altius illa / Ad vivum persedit, et ossa sub intima venit, v. 224‑225) ; suite à quoi l’enfant éternue deux fois à gauche, ce que les personnes présentes interprètent comme un présage (Munere quo primum bis laevum sternuit infans. / Accepere omen matres, et conscia turba, v. 226‑227). Du côté des anciens Pays-Bas, et plus précisément des ProvincesUnies, le grand poète Daniel Heinsius (1580‑1655) célébra en distiques élégiaques le jour anniversaire de la naissance d’Ovide (In natalem P. Ovidii Nasonis diem38, élégie II, 9 dans les éditions de 1640 et 1649)39. Selon Heinsius, la déesse Vénus accueillit Ovide dès sa venue au monde (protinus excepit nascentem, v. 9) ; l’une des Muses prononça ensuite une prophétie (v. 15‑56), à la suite de laquelle les divinités présentes versèrent des larmes. Dans les Pays-Bas espagnols enfin, le jésuite Jacobus Wallius (1599‑1690) composa un long genethliacon en hexamètres pour la naissance du fils héritier du comte de Schwartzenberg, à Bruxelles en 165240. Nous y retrouvons Uranie qui, souriant à l’enfant nouveau-né et l’embrassant trois fois (ter dulce adridens, ter oscula jungens, v. 203), prédit son avenir à partir de la position des astres ; elle oint ensuite l’enfant de parfum avant de disparaître (Dixit, et ambrosio puerum perfudit odore / Demulsitque manu, tenuesque recessit in auras, v. 290‑291). Comme s’il avait compris la prophétie, l’enfant sourit alors trois fois à sa mère, et celle-ci répond joyeusement à son sourire (v. 292‑294). À travers ce rapide parcours, nous pouvons constater que le motif issu du Genethliacon Lucani de Stace est désormais bien construit : il 38  Le poème est étudié dans un article de G. Manuwald, « Daniel Heinsius’ Elegie auf Ovids Geburtstag (Eleg. 2, 9) [1649]. Eine aitiologische Dichter-Biographie », dans Daniel Heinsius. Klassischer Philologe und Poet, ed. E. Lefèvre, E. Schäfer, Tübingen, 2008, p. 381‑398. 39  Pour les dates de première parution et le classement des élégies de Heinsius dans les différentes éditions de ses Poemata (1603, 1606, 1610, 1613, 1617, 1621, 1640 et 1649), voir l’excellent tableau de synthèse proposé par E. Rabbie et H.-J. van Dam dans le volume Daniel Heinsius, p. 190‑202. 40  Titre complet : Ferdinando Philippo Guilielmo, Joannis Adolphi Comitis Schwartzenbergii etc. aurei velleris equitis filio genethliacon. Le poème est paru dans les Poemata de Wallius, Anvers, 1656, p. 76 sq. Édition et traduction française dans A. Smeesters, Aux rives de la lumière, p. 470‑490.

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présente un certain nombre d’ingrédients à la fois reconnaissables et susceptibles de variations significatives (dans lesquelles les poètes donnent libre cours à l’imitation d’autres sources, conformément à la composante intertextuelle très marquée de la poésie néo-latine). Comme je l’avais annoncé en début d’article, les poètes néo-latins jouent sur deux variables principales (outre le contenu même de la prophétie) : l’identité de la/des divinité(s) présentes, et les gestes posés (par la divinité, le « public » ou l’enfant lui-même) avant ou après le discours prophétique. Le choix de la divinité peut servir à illustrer le futur champ d’activité de l’enfant (comme une Muse ou Apollon pour un futur poète, Vénus pour un auteur amoureux…) ; la divinité peut renvoyer au lieu de naissance de l’enfant (Manto pour Virgile)41 ou à son titre (les Dauphins pour l’héritier au trône de France) ; le poète peut aussi opter, plus simplement, pour une divinité du destin (comme les Parques, Uranie…)42 . Quant aux gestes posés, il peut s’agir, soit de gestes d’affection et d’émotion ; soit de gestes visant à transmettre quelque chose à l’enfant (des qualités sont ainsi conférées par un souffle, un baiser, un liquide, une flamme…) ; soit encore de gestes, paroles ou attitudes sanctionnant la prophétie, ayant valeur d’omen, ou prouvant que l’enfant a entendu et compris le discours. Du

côté des théor iciens

(1550-1700)

Le généthliaque, genre très spécialisé, n’apparaît dans les traités de poétique néo-latins qu’avec les Poetices libri septem de Jules César Scaliger (Lyon, 1561)43. Scaliger, dans un souci d’exhaustivité, exhume en effet toutes sortes de genres mineurs, en allant puiser notamment chez les rhétoriciens grecs tardifs comme le pseudo-Denys ou Ménandre le rhéteur : c’est sans doute par cette voie qu’il récupère le généthliaque. La description du genre généthliaque par Scaliger est très touffue, truffée de traits d’érudition censés fournir de la matière aux poètes (épisodes mythologiques, divinités mineures…)44. Le poéticien annonce d’emblée que le généthliaque est multiforme. Il propose deux grandes voies aux poètes : l’éloge des majores, et les espoirs suscités par l’enfant (ce qui permet des comparaisons entre vertus passées et futures : sic po41  Selon

Virgile, la nymphe Manto est la mère d’Ocnus, fondateur de Mantoue. Sur le choix de la divinité placée par le poète aux côtés du nourrisson, voir aussi les analyses de F. Ploton-Nicollet, « La topique de la ‘nourrice divine’ », p. 37‑40. 43  Édition moderne : J. C. Scaliger. Poetices libri septem. Sieben Bücher über die Dicht­ kunst, t. III, ed. L. Deitz, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1995, p. 100‑105. 44  Présentation plus détaillée dans A. Smeesters, Aux rives de la lumière, p. 22‑27 ; Ead., « Le généthliaque selon les Scaliger, père et fils », Eidolon, 112 (2015), p. 333-349. 42 

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tuit Statius Lucanum celebrare) ; les espoirs peuvent être tirés d’oracles, augures, songes, mirabilia, prophéties… éventuellement inventés pour l’occasion (ici Scaliger évoque la quatrième bucolique de Virgile : Divinus poeta eruit e Sibyllinis vaticinationibus laudes Salonini). Suivent des considérations sur le jour et la saison de la naissance (le passage est inspiré du Pseudo-Denys qui, dans une perspective rhétorique, envisageait systématiquement les aspects liés au temps et au lieu), sur les divinités associées aux naissances (Scaliger suggère notamment de faire intervenir les Parques dans un poème héroïque) et sur les naissances de divinités et les anecdotes qui leur sont associées. Le chapitre se clôt sur des considérations plus philosophiques, décrivant la génération comme moyen de perpétuer éternellement les espèces, par-delà la mort des individus, et par opposition avec l’existence éternelle de Dieu. Le motif qui nous occupe se laisse bien deviner entre les lignes, mais il n’est pas explicitement décrit. Pendant le siècle suivant, à peu près tout poéticien (et même rhétoricien) s’aventurant à parler du généthliaque le fera à partir de Scaliger – en le résumant sur certains points, le complétant sur d’autres… À travers Scaliger ou en remontant directement à cette source, les théoriciens s’inspirent aussi régulièrement du pseudo-Denys. Mais au cours du x v ii e siècle, apparaît chez certains poéticiens, notamment jésuites, une volonté de refonder la théorie du généthliaque sur la pratique poétique, antique et néo-latine, et en particulier sur le double modèle de Virgile et de Stace – ce qui va entraîner une définition de plus en plus précise du motif stacien qui m’intéresse. Dans son De arte poetica paru à Rome vers 1630, le jésuite italien Alessandro Donati se base exclusivement sur les modèles de Virgile et de Stace pour proposer deux plans types du généthliaque45. L’évocation du motif ici envisagé est cependant rendue floue à dessein, pour l’ouvrir à une infinité de variations. Décrivant les ingrédients présents chez Virgile, Donati indique que le poète peut « joindre un présage des événements futurs, qu’il appuyera, s’il le souhaite, sur le témoignage de quelque dieu » (Attexitur deinde praesagium futurorum, Divi, si libet alicujus testimonio roboraturum). Dans le plan basé sur le modèle de Stace, le poète est invité à « prédire avec force louanges les hauts faits destinés à être accomplis par l’enfant, soit à travers une prophétie, soit d’une autre façon » (Tum sive per vaticinium, sive alio modo res a puero gerendas cum laude praedices ; Donati précise en marge : Statius per vaticinium). 45  Alexander Donatus s.j., De arte poetica libri tres, s.l.n.d. (approbation de 1630), p. 332. Voir A. Smeesters, Aux rives de la lumière, p. 31‑33.

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Nous trouvons par contre des indications beaucoup plus précises dans les Observationes poeticae exemplis illustratae (Anvers, 1685) d’un autre jésuite, Johannes Dekenus46. La description du poème généthliaque y est entièrement basée sur la pratique, antique mais surtout néo-latine. Dekenus commence par séparer le généthliaque de naissance (quod canitur in nativitate alicujus) du généthliaque d’anniversaire (quod recurrente natali die vel poetae ipsius, vel alterius cujuspiam canitur). Dans la catégorie du généthliaque de naissance, il distingue six motifs types, tirés à l’origine de la quatrième bucolique de Virgile ou du Genethliacon Lucani de Stace, et ensuite développés par les néo-latins. Or, sur ces six motifs, trois nous intéressent directement : le premier, le cinquième et le sixième. En premier lieu, Dekenus signale que « les Poètes invoquent Lucine, Vénus, les Grâces, les Muses, Apollon pour qu’ils assistent à la naissance de l’enfant ; ou ils déclarent qu’ils ont été présents, qu’ils ont soulevé l’enfant, qu’ils l’ont lavé47 ». Ce motif est tiré à la fois de Virgile (nascenti puero… fave Lucina) et de Stace (natum protinus… Calliope sinu recepit) ; parmi les exemples qui suivent, nous retrouvons les passages de Lotichius et Heinsius déjà évoqués (plus un passage de Claudien). Dekenus mentionne ensuite successivement l’émotion de la terre natale et des terres ennemies (motif n° 2, tiré de Stace)48, l’interpellation du nouveau-né par le poète (motif n° 3, tiré de Virgile et de son fameux incipe parve puer)49 et la promesse d’un nouvel âge d’or (motif n° 4, tiré

46  Édition consultée : Johannes Dekenus s.j., Observationes poeticae exemplis illustratae. Editio altera auctior et emendatior, Antverpiae anno 1688 edita, nunc in usum scholarum et poeseos cultorum recusa cum praefatione Danielis Georgii Morhofii, Kiel, Richelius, 1691. La préface de Daniel Georgius Morhofius compare l’ouvrage de Dekenus avec les poétiques alors classiques de J. C. Scaliger, A. Minturnus, I. G. Vossius, T. Gallutius, L. Le Brun, Masenius et al. Ces derniers sont critiqués pour leurs exposés copieux et minutieux à l’excès, qui rebutent les lecteurs et ne leur donnent même pas toujours ce qu’ils cherchent (deterrere facile legentes possint ; multa subtilius et tenuius deducta sunt, quam necesse est ; in praeceptis tam copiosis saepe multa requiras). En comparaison, Dekenus apparaît clair, bref, élégant et finalement plus complet. 47  Lucinam, Venerem, Gratias, Musas, Apollinem invocant Poetae, ut nascenti puero adsint ; aut dicunt, eos adfuisse, puerum suscepisse, lavisse. 48  Laetari dicunt in ortu talis pueri terram natalem, coelum seu aerem natalem, fluvios urbem interfluentes, aut vicinos, silvas vicinas, montes, etc. quae etiam felicia vocant tali puero ; contra, terras hostiles tremere et timere. (« Ils disent que la terre natale se réjouit de la naissance d’un tel enfant, ainsi que le ciel ou l’air natal, les fleuves qui traversent la ville ou coulent tout près, les forêts voisines, les collines etc. ; ils les déclarent en outre heureux d’avoir été le théâtre de la naissance d’un tel enfant ; à l’inverse, ils présentent les terres ennemies en train de trembler et de craindre. ») 49  Per apostrophen orationem convertunt ad puerum recens natum. (« À travers une apostrophe, ils tournent leur discours vers l’enfant nouveau-né. »)

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de Virgile)50. En cinquième lieu, les poètes, affirme Dekenus, « chantent ses destins à l’enfant, et prédisent son avenir, ou en tout cas son avenir probable ; ou ils déroulent la liste des actions qui échoiront à cet enfant lorsqu’il aura atteint l’âge adulte51 ». Ce motif, à nouveau tiré de Virgile, est notamment illustré par le Genethliacon Schwartzenbergii de Wallius. Le sixième motif enfin est très proche du cinquième, sauf qu’il se fonde sur Stace et non plus sur Virgile (le poème déjà cité de Lotichius est donné en guise d’exemple moderne) : « Ou ils font voir la prophétie ou le chant du père, d’un Dieu ou d’une Déesse, ou d’une Muse, auprès du berceau, touchant les actes qui devront être posés par l’enfant nouveau-né lorsqu’il aura grandi, laquelle prophétie est ensuite accueillie par l’applaudissement des Parques, etc.52 ». Ce à quoi Dekenus ajoute non sans humour : « Il faut noter que les poètes prédisent généreusement l’avenir et se montrent pleinement inspirés, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou des autres, quand les faits se sont déjà déroulés, et qu’ils feignent d’avoir eu la vision de toutes ces choses tant d’années auparavant53 ». Signalons pour finir que dans la catégorie du généthliaque d’anniversaire, Dekenus distingue neuf motifs, pour la plupart tirés des poèmes d’anniversaire de Tibulle, Properce et Ovide, et où le culte du Genius joue un rôle important (points 5, 6 et 7). Mais le point 4 reprend à nouveau le motif qui nous intéresse, avec d’ailleurs un renvoi à la première catégorie, motifs 1 et 5 : « Les poètes rappellent comment Apollon etc. ont réchauffé le nourrisson dans leurs bras, et comment les Muses ont couronné son berceau de vert baccar, en prédisant l’avenir à partir de cet enfant. Voir ci-dessus, le généthliaque chanté pour la naissance de quelqu’un, points 1 et 554 ». Ainsi, avec Dekenus, la théorie poétique reconnaît et décrit enfin, dans les années 1680, un motif bien attesté dans la pratique des poètes depuis les années 1480 − c’est-à-dire deux siècles plus tôt. 50  Spondent puero nato omnia fore felicia, omnia mutanda in melius ; aquas in lac ; terram fore fertilem. (« Ils promettent à l’enfant nouveau-né que tout lui sourira, que le monde deviendra meilleur, que les eaux se changeront en lait, que la terre sera fertile. ») 51  Puero fata sua canunt, et futura praedicunt, ea nempe, quae probabiliter futura sunt ; seu seriem rerum ab eo adulta jam aetate gerendarum pandunt. 52  Vel adhibent vaticinationem aut cantum patris, Dei vel Deae, Musaeve ad cunas de rebus a puero nato maturiori aetate gerendis, quam vaticinationem excipit applausus Parcarum etc. 53  Et quidem liberaliter ac pleno spiritu futura illa praedicunt vel ipsi per se poetae, vel per alios, quando facta illa contigerunt, ac si omnia tot annis praevidissent. 54  Referunt, quomodo Apollo etc. infantem foverint in ulnis, Musae viridi baccare cunas cinxerunt, praedicentes ab isto puero futura. Vide sup. Genethliacum, quod canitur in nativitate alicujus, num. 1 et 5.

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pr eu v e par la parodie (c .  1678)

La valeur emblématique du motif considéré est confirmée par un poème en vers sénaires datant de la fin du x v ii e siècle, le Tuberonis genethliacon de Nicolas Chorier55. Ce texte n’est autre qu’une parodie de généthliaque : or il est bien connu que les parodistes, dans leur travail de détournement comique, exploitent généralement les traits les plus typiques et les plus reconnaissables du genre qu’ils prétendent pratiquer. Quelques mots d’abord sur le contexte de rédaction et l’histoire éditoriale assez complexe du poème. Le Français Nicolas Chorier, ancien élève des jésuites et avocat Dauphinois, est notamment connu pour être l’auteur d’une très respectable Histoire du Dauphiné 56. Son Carminum liber unus, paru en Grenoble en 1680, inclut le Tuberonis genethliacon, dont Chorier raconte ainsi la genèse dans l’épître dédicatoire du volume (adressée à François Boniel, second prieur de Treffort) : « Je composai le Tuberonis genethliacon alors que j’étais à Paris, irrité, exaspéré contre certain fourbe, du nombre des personnages les plus haut placés. L’horrible perfidie de cet hypocrite stimulait mon indignation ; je me laissai donc aller un peu trop librement, par la licence des expressions, à une Satire violente et insultante, ce qui d’ailleurs convient le mieux à la Satire. » Après avoir évoqué un second poème au contenu tout aussi discutable, Chorier poursuit : « J’ai appris qu’il y a deux ans l’un et l’autre de ces poèmes avaient été publiés : j’eusse mieux aimé les condamner à une nuit éternelle. […] C’est pourquoi mon intention était de renier et d’anénatir, si je le pouvais, ces […] fruits de ma Muse […] L’amour paternel fut plus fort. Je préférai laisser à ces innocents la vie que je leur avais donnée. Mais j’ai châtié, expurgé le Genethliacon, de façon qu’il n’y ait plus rien d’offensant et qu’il ne puisse me susciter aucune haine57 ». 55  Édition  moderne : Aloisiae Sigeae Toletanae Satyra sotadica de arcanis Amoris et Veneris, sive Joannis Meursii Elegantiae Latini sermonis – auctore Nicolao Chorier, introduzione, testo e appendice critica a cura di Bruno Lavagnini, Catania, 1935. Traduction française par Alcide Bonneau dans : Les Dialogues de Luisa Sigea sur les Arcanes de l’Amour et de Vénus ou Satire Sotadique de Nicolas Chorier, prétendue écrite en Espagnol par Luisa Sigea et traduite en Latin par Jean Meursius, texte latin revu sur les premières éditions et traduction littérale, la seule complète, par le traducteur des Dialogues de Pietro Aretino. Tome quatrième. Imprimé à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis, Paris, 1882, p. 350‑363. 56  P. Hamon, « Chorier, Nicolas », dans Dictionnaire de biographie française, t. 8, éd. M. Prévost, Roman d’Amat, Paris, 1959, p. 1256. 57  Tuberonis vero Genethliacum, Parisiis cum essem irato et percito in mendacissimum quemdam de numero Optimatum animo confinxi : Indignationem saeva cavillantis

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La personne visée sous le surnom de Tubero (« le moignon ») doit sans doute être identifiée à un certain Lamoignon, maître des requêtes à Paris auquel Chorier fut confronté lors d’un procès dans les années 167058. Quant au volume dans lequel le genethliacon est paru en 1678, soi-disant sans le consentement du poète, il s’agit d’une collection de dialogues érotiques dont Chorier a toujours nié être l’auteur, mais qui est fort vraisemblablement de sa plume59. Cette collection se présente sous plusieurs états et est parue sous plusieurs titres. La première édition, intitulée Satyra Sotadica de arcanis Amoris et Veneris, date des années 1650 ; elle se donne pour la traduction latine par l’érudit hollandais Meursius d’une œuvre espagnole d’Aloisia Sigea. Le corpus de l’œuvre s’étoffa progressivement, comptant cinq, six puis sept dialogues, accompagnés, à partir de l’édition de 1678 (Genève), de deux petits poèmes (dont le Tuberonis genethliacon) et d’une lettre dédicatoire. À partir de 1680, le titre fut modifié en Meursii Elegantiae latini sermonis. L’œuvre, aussi connue en français sous le titre d’Académie des Dames, devint bientôt un classique de la pornographie ; elle fit encore l’objet d’innombrables éditions et traductions pendant tout le x v iii e siècle. Un exemple suffira à attester ce succès : Casanova, dans ses mémoires, raconte avoir appris très jeune les choses du sexe « par la théorie, ayant déjà lu Meursius en cachette60 ». L’œuvre se signale par la coexistence d’une obscénité très crue et d’une érudition classique très pointue, avec de nombreux jeux intertextuels renvoyant aux œuvres de l’Antiquité classique61 ; en outre, non content d’être érudit, l’auteur aime « les phrases obscures à dessein, les mots presque inconperfidia stimulabat. Igitur paulo liberius exultanti et insultanti Satyrae, quod maxime Satyra amat, per verborum licentiam, indulseram. […] Et utrumque, duos abhinc annos, exiisse in lucem poematium accepi. Sempiternae mallem nocti damnata. […] Quapropter abdicare […] atque adeo etiam abolere, si possem, Musae illos meae partus in animo erat.  […] Paternus vicit amor. Insontibus, quam dederam, servari vitam malui. Sed castigatum expurgavi Genethliacum, ita ut nihil jam offensionis habeat, nec mihi quicquam creare invidiae queat (p. 8‑11). Traduction d’Isidore Liseux dans « Éclaircissements sur la Satire Sotadique de Nicolas Chorier, connue sous les noms d’Aloysia, de Meursius et, en dernier lieu, de Dialogues de Luisa Sigea », La curiosité littéraire et bibliographique, 3e série, 1882, p. 177‑234 (p. 187‑188). 58  Sur cette question : I. Liseux, « Éclaircissements », p. 226‑227. 59  Sur cette œuvre : voir notamment l’analyse de L. Leibacher-Ouvrard, « Transtextualité et construction de la sexualité : la Satyra sotadica de Chorier », L’esprit créateur, 35 (1995), p. 51‑66. 60  G. Casanova, Histoire de ma vie, éd. 1960, vol. 1, p. 23 ; cité par L. LeibacherOuvrard, « Transtextualité », p. 62. 61  L. Leibacher-Ouvrard, « Transtextualité », p. 61 : « L’érudition déployée ici souligne (…) de manière exemplaire le caractère livresque, savant, élitiste, tourné vers le passé classique mais aussi éminemment européen, de la pornographie telle qu’elle naît au

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nus, qui se trouvent à peine dans les meilleurs lexiques, les antithèses, les pointes, les rapprochements de termes ayant le même son et un sens différent62 ». Toutes ces caractéristiques se retrouvent également dans le genethliacon Tuberonis. Voici donc ce que Chorier a fait du motif désormais traditionnel de Stace, appliqué à la naissance du petit Tubero. Dans sa parodie, l’enfant nouveau-né est accueilli, non par Junon Lucine (qui crache au visage de la parturiente avant de s’enfuir), mais par trois dieux assez particuliers : Laverne, déesse des voleurs (citée notamment par Horace dans ses Épîtres, I, 16, 60) ; Cotytto, déesse de l’impudicité (citée par Juvénal, 2, 92) ; et Mercure, qui apparaît ici en tant que dieu de la fraude ; chacun de ces dieux à son tour va émettre une prophétie. Chorier, conformément aux variations observées dans notre corpus de généthliaques néo-latins, joue donc lui aussi sur l’identité des dieux présents autour du berceau, mais avec des intentions tout autres que laudatives ; le lecteur peut penser à cet égard au modèle de l’In Rufinum de Claudien, où Rufin nouveau-né est accueilli par Mégère63. Le contenu des trois prophéties, comme l’on peut s’y attendre, est hautement satirique voire (s’agissant de Cotytto) salace ; quant aux gestes posés par les dieux et l’enfant avant et après chaque monologue, ils sont eux aussi assez significatifs et cocasses. Laissons parler le texte, qui servira de conclusion à cet article : Cum parturiret fessa mater pondere : « Lucina Juno, fer bonam favens opem », Clamat. Gementis luridum in vultum exspuit Aversa Juno, gannit et retro fugit. Laverna venit : « hae meae partes erunt », Dixit renidens, et manus lavit Styge. Obstetricatur, ac cadentem suscipit De matre. Prima vagienti basia Impingit, ebria gaudio et spe praescia.

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début de la période moderne » ; à la p. 64, il est question d’un « antiquaire brillamment pervers ». 62  I. Liseux, « Éclaircissements », p. 199. 63 Les vers 13‑14 de Chorier, ac cadentem suscipit / de matre, rappellent d’ailleurs Claudien, In Rufinum, I, 92‑93 : Rufinus, quem prima meo de matre cadentem / suscepi gremio. F. Ploton-Nicollet (« La topique de la ‘nourrice divine’ », p. 47‑49), analysant cet extrait de Claudien, en tire trois conclusions qui valent également pour le poème de Chorier : le blâme y procède « du détournement des topiques de l’éloge » ; pour être efficace, ce détournement « doit s’accompagner d’une exagération poussée jusqu’à la caricature » ; et enfin, ce procédé burlesque ne fonctionne pleinement que si le public peut clairement reconnaître qu’il a affaire à une topique détournée (donc à une sorte de pastiche) (p. 49).

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Venit Cotytto usquequaque pruriens. Venit loquendi filius Maiae artifex, Catusque technas fingere et caecos dolos. Et hac et illac pervolant species vagae, Simulatio, Fraus, Sanna, Spes, Perjurium. 20 Levibus micantes increpat alapis nates Procax Laverna, ringit, et plaudit sibi. Io triumphe ! « clamat » et saliens citos Tollit cachinnos. « O meum, puer, decus, […] » Hic sternuit ; pedit puer : ita omen capit64. 56 Ridet Cotytto, plaudit et teretes manus. Vultus lepore vivido floret nitens : Oculi procaces excitent salaciam Vel dormientem, vel gravi stupidam situ. Nudae papillae, nuda sunt et brachia, Et femora ficta vivo e marmore et nive Viva. Sed alvi qua latet timide abdita Sexus honestas, sericum partem igneam Male tuetur : lucidam nubem putes. Animi libido suasit ; amens improbe Rapidis fatigat agilis artus motibus. Oestroque caeco percita ultro diffluit Resoluta, et alba tabe conspuit femora. « Pulcher puelle, dixit, ô gaudii apex, […] » Silet ; puellus arrigit : ita omen capit65.

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64 Traduction d’Alcide Bonneau (1882) : «  Comme sa mère accouchait, lasse du fardeau : / ‘Lucine-Junon, prête-moi, secourable, bonne assistance !’ / S’écria-t-elle. Sur le blême visage de l’éplorée cracha / Junon, se détournant ; elle ricana et s’enfuit. / Laverna vient : ‘Ce sera mon affaire’, / Dit-elle en riant, et elle se lave les mains dans le Styx. / Elle sert de sage-femme et reçoit le faix, tombant / De la mère. À l’enfant qui vagit, elle applique / Les premiers baisers, ivre de joie et d’espoir préconçu. / Arrive Cotytto, de toutes parts en rut ; / Arrive le fils de Maïa, habile à parler, / Expert à ourdir des ruses et d’obscures fourberies ; / Et de-ci, de-là, voltigent de vagues fantômes : / La Dissimulation, la Fraude, la Moquerie, l’Espoir, le Parjure. / De tapes légères caresse les fesses dodues / La friponne Laverna ; elle grogne et s’applaudit. / ‘Oh ! triomphe !’ crie-t-elle, et, sautant, elle jette / Des éclats de rire. ‘O cher enfant, mon honneur, / […]’/ Ici, elle éternua ; l’enfant péta : ainsi accepta-t-il l’augure. ». 65  Traduction d’Alcide Bonneau (1882) : « Cotytto rit et, de ses mains délicates, applaudit. / Son brillant visage fleurit d’une vive beauté, / Ses yeux fripons exciteraient la lasciveté, / Même sommeillante, même engourdie par l’âge. / Elle a les seins nus, nus aussi les bras / Et nues les cuisses taillées dans un marbre vivant, / Dans de la neige vivante. Mais où se cache, timidement blottie au bas du ventre, / L’honnêteté du sexe, un voile de soie protège mal / La partie en feu : tu jurerais un nuage transparent. / Le dé-

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« Meas tibi omnes ingeram plenis opes Manibus, Stygis spes, ô puelle », subjicit Virgam coruscans auream Cyllenius. « […] » Ungues adunci pruriunt puero ; capit Sic omen ille. Gaudet Atlantis nepos : Strepit Laverna rancidum quid succinens : Mollis Cotytto flexiles lumbos agit66.

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BIBLIOGRAPHIE Textes C hor ier , Nicolas, Carminum liber unus, Grenoble, 1680. —, Les Dialogues de Luisa Sigea sur les Arcanes de l’Amour et de Vénus ou Satire Sotadique, prétendue écrite en Espagnol par Luisa Sigea et traduite en Latin par Jean Meursius, texte latin revu sur les premières éditions et traduction littérale, la seule complète, par le traducteur des Dialogues de Pietro Aretino. Tome quatrième. Imprimé à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis, Paris, 1882. —, Aloisiae Sigeae Toletanae Satyra sotadica de arcanis Amoris et Veneris, sive Joannis Meursii Elegantiae Latini sermonis, introduzione, testo e appendice critica a cura di Bruno Lavagnini, Catania, 1935. D ek enus , Johannes s.j., Observationes poeticae exemplis illustratae. Editio altera auctior et emendatior, Antverpiae anno 1688 edita, nunc in usum scholarum et poeseos cultorum recusa cum praefatione Danielis Georgii Morhofii, Kiel, 1691. —, De arte poetica libri tres, s.l.n.d. (approbation de 1630). G agna eus , Joannes, Doctissimorum nostra aetate Italorum epigrammata, Paris, s.d. (vers 1546). G ruterus , Janus, Delitiae CC Italorum poetarum huius superiorisque aevi illustrium, Francfort, 1608.

sir libertin l’aiguillonne ; éperdue, avec rage / Elle fatigue ses membres agiles de rapides mouvements ; / Piquée du taon occulte, spontanément elle coule, / Fondue en eau, et d’une blanche liqueur souille ses cuisses. / ‘Joli enfant’, dit-elle, ‘ô comble de ma joie, / […]’/ Elle se tait ; l’enfant bande : ainsi accepte-t-il l’augure. » 66 Traduction d’Alcide Bonneau (1882) : « ‘Moi, je te prodiguerai à pleines mains tous mes trésors, / Espoir du Styx, ô cher enfant !’ ajoute / En brandissant la verge d’or le Cyllénien. / ‘[…]’ / Ses ongles crochus démangent à l’enfant : ainsi / Acceptet-il l’augure. Le neveu d’Atlas se réjouit ; / Laverna hurle, chantonnant je ne sais quoi d’aigre ; / La molle Cotytto remue ses reins flexibles. »

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Virginie L eroux

THÉORIE ET PR ATIQUE DE L’ÉLÉGIE LATINE AU XVIe  SIÈCLE E n ou v ertur e de l’exposé qu ’il consacr e à l’élégie , Francesco Robortello constate que « nul type de poème n’a subi plus de modifications si bien qu’il est difficile de lui attribuer une matière déterminée et de la réduire à un genre poétique » : d’abord décrite comme flébile, elle fut utilisée dans la poésie funéraire ; puis pour formuler les lois (par Solon), pour décrire des faits de guerre (par Tyrtée), pour exprimer des préceptes moraux (par Théognis) et enfin pour les amours1. Si les élégies érotiques latines sont fortement réflexives et métapoétiques, la théorie antique du genre est peu abondante et plutôt source de confusion2 . Quelques vers de l’Art poétique d’Horace sont consacrés au distique : Versibus impariter junctis querimonia primum, Post etiam inclusa est voti sententia compos ; Quis tamen exiguos elegos emiserit acutor, Grammatici certant et adhuc sub judice lis est3.

Le genre est d’abord caractérisé par sa forme boiteuse et par deux thématiques, plainte et satisfaction d’un vœu exaucé, qui correspondent 1  Nam nullum poema plures mutationes recepit quam elegia, atque ideo difficile est ei certam attribuere materiem aut ad genus aliquod poematis redigere […]. Explicatio eorum quae ad elegiae antiquitatem et artificium spectant, Explicationes de elegia, in Trattati di poetica e retorica del Cinquecento, ed. B. Weinberg, Bari, 1970, t. 1, p. 531. 2  Sur le genre dans l’Antiquité, voir notamment les ouvrages de P. Veyne, L’Élégie érotique romaine, Paris, 1983 ; A. Videau-Delibes, Les Tristes d’Ovide et l’élégie romaine, Paris, 1991 ; E. Delbey, Poétique de l’élégie romaine. Les âges cicéronien et augustéen, Paris, 2001 ; P. Pinotti, L’elegia latina, Roma, 2002. Pour ce qui est de la théorie à l’époque néo-latine, on consultera la synthèse de J. A. Sánchez Marín, « La elegía, de la antigüedad a Julio César Escalígero », in Retórica, poética y géneros literarios, dir. J. A. Sánchez Marín et M. N. Muñoz Martín, Granada, 2004, p. 387‑396. 3 Horace, Art Poétique, v. 75‑78. « Dans l’union de deux vers inégaux on enferma d’abord la plainte, puis la satisfaction d’un vœu exaucé. Quel créateur pourtant inventa la brièveté des vers élégiaques ? Les grammairiens en disputent et le procès est encore pendant » (traduction CUF).

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respectivement à la poésie funéraire et aux épigrammes votives, mais que les commentateurs humanistes cherchent à appliquer à l’élégie érotique latine en distinguant, comme le fait Landino, des sujets tristes et des sujets gais ou en appliquant, comme le feront Robortello, Minturno ou Scaliger les plaintes et les vœux au domaine érotique4. Les humanistes interprètent l’adjectif exiguos par la comparaison avec l’épopée (comparatione heroici5) : selon Bade, il caractérise la brièveté des poèmes élégiaques, en particulier des épigrammes, par rapport à l’ampleur de l’épopée6 ; selon Luisini, il fait référence à l’humilité du style élégiaque qu’il distingue du sublime de l’épopée7. Un passage de l’Institution oratoire de Quintilien identifie des modèles élégiaques opposés selon une conception agonistique de la littérature : Elegia quoque Graecos provocamus, cujus mihi tersus atque elegans maxime videtur auctor Tibullus. Sunt qui Propertium malint. Ovidius utroque lascivior, sicut durior Gallus8.

Il reviendra aux humanistes de gloser les adjectifs tersus et elegans et de préciser ce qui distingue Properce et Ovide de Tibulle9. Diomède enfin cite comme modèle deux vers de la première élégie de Tibulle et mentionne les représentants antiques du genre en mettant l’accent sur les élégiaques latins et les modèles qu’ils revendiquent, mais il insiste ensuite longuement sur l’étymologie du mot élégie qui associe le genre à la déploration funéraire, d’où par exemple l’argumentation acrobatique d’un Luisini qui, pour concilier le caractère funéraire du genre 4  Horatii Flacci opera, ed. G. Fabricius, Bâle, 1555, p. 920. F. Robortello, Explicationes de elegia, p. 533 ; S. Minturno, De poeta, Venezia, 1559, p. 405 (chap. V) ; J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, III, 124, ed. L. Deitz, G. Vogt-Spira, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1994, t. 3, p. 200. 5  C. Landino dans Horace, Opera, 1555, p. 920. 6  Versus elegiacos exiguos. i. modicos respectu heroicorum vel quia epigrammata epithalamia et alia breui hoc carmine scribunt vel quia sententiae non in multos versus extenduntur. J. Bade, Horace, Paris, 1503, fol. 8r. 7  Exiguos elegos] Tenues, si cum heroico, de quo proxime dixit, conferantur. Non enim tam alte se attollunt, nec tam grauiter sonant, nec omnino tam sublimi stylo conficiuntur. Francesci Lovisini, dans Horatii Flacci opera, ed. G. Fabricius, Bâle, 1555, p. 1058. 8 Quintilien, Institution oratoire, X, 1, 93. « Pour l’élégie aussi, nous défions les Grecs, et Tibulle me semble être l’auteur le plus châtié et le plus élégant. Certains préfèrent Properce. Ovide est plus léger que les deux autres, Gallus plus sévère » (traduction CUF). 9  Voir notre communication « Quintilianus « censor in litteris acerrimus » : postérité des jugements de Quintilien sur les poètes antiques (inst., X, 1, 46‑72 et 85‑100) dans les poétiques latines de la Renaissance (1486‑1561) », dans Quintilien ancien et moderne, éd. P. Galand, F. Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal, Turnhout, 2010, p. 351‑382.

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et son exploitation érotique, explique que les amants sont tout à fait semblables à des morts puisqu’ils semblent être dépourvus de leur âme dont on dit qu’elle a migré dans le corps aimé10. On constate donc un hiatus entre les modèles proposés – les élégiaques latins – et les caractéristiques spécifiées qui ne concernent que partiellement l’élégie latine et qui se réfèrent surtout à l’épigramme grecque. L’élégie, essentiellement caractérisée par une structure métrique aux potentialités variées et par une élégance stylistique dont la nature spécifique n’est pas précisée, devient donc quasiment une « forme ouverte », loin de posséder une structure et une thématique nettement identifiables comme c’est le cas pour la satire ou l’épopée11. Les productions poétiques et théoriques du Moyen Âge ont accentué la malléabilité du genre, si bien que chez Matthieu de Vendôme, l’élégie en vient à incarner l’élégance poétique. Jean-Yves Tilliette a montré à quel point les arts poétiques médiévaux brouillent les frontières entre le discours théorique et sa réalisation pratique, comme si la seule façon d’énoncer ce que doit être un poème était d’énoncer ce poème même12 . Comme le fait Geoffroy de Vinsauf, Matthieu de Vendôme intègre dans son Ars versificatoria de nombreux exemples antiques ou originaux, or les exemples originaux sont toujours en distiques élégiaques. Le livre II s’ouvre par une fiction en prose, inspirée d’Ovide, plusieurs fois cité, qui décrit l’apparition d’allégories dans un jardin que Flore printanière a revêtu de fleurs : sont présentes Philosophie, Tragédie, Satire, Comédie et enfin Élégie plus longuement décrite13. Mathieu met l’accent sur l’invite érotique de cette dernière, mentionnant notamment ses œillades et ses jolies lèvres, prodigues de leur saveur, qui semblent appeler les baisers (cuius labellula prodiga saporis ad oscula videntur suspirare). Il rend compte de la spécificité du distique qu’il traduit, comme Ovide, 10 Diomède, in Grammatici latini, éd. H. Keil, Leipzig, 1857, I, p. 484 : Amantes autem mortuis dissimiles admodum non sunt, siquidem sine anima semper uidentur esse, quae in amatum corpus migrare dicitur. Apud Laertium Plato de se ipso libro tertio et de Agathone sic inquit. Francesco Lovisini dans Horace, 1555, p. 1058. 11  Sur le genre élégiaque comme paradigme de l’intersection des genres, voir P. Fedeli, « Le intersezioni dei generi e dei modelli », in Lo spazio letterario della Grecia antica, ed. G. Cambiano, L. Canfora, D. Lanza, Roma, Salerno, 1992, I, p. 380. Voir aussi C. B. Conte, Generi e lettori. Lucrezio, l’elegia d’amore, l’enciclopedia di Plinio, Milano, 1991. 12  J.-Y. Tilliette, Des mots à la parole. Une lecture de la « Poetria Nova » de Geoffroy de Vinsauf, Genève, 2000. 13  Matthieu de Vendôme cite à deux reprises l’élégie III, 1 des Amours, une fois pour caractériser Tragédie, une fois pour élégie, mais il cite aussi le vers 379 des Remèdes à l’amour. Voir Mathieu Vindociensis opera, vol. 3, ars versificatoria, éd. F. Munari, Roma, 1988, p. 132‑137 (136 et 137 pour la description d’Élégie et ses propos sur l’élégance).

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par la démarche boiteuse d’Élégie, mais il lui attribue aussi un exposé sur l’élégance poétique qui tient à trois éléments (tripartitam versificatorie facultatis elegantiam) : la forme des mots, la qualité de l’expression et le contenu de la pensée. On voit comment Elegia est quasiment assimilée à Poetria. La malléabilité du distique et son usage exclusif par certains poètes contribuent de même à la diversité et à l’ambivalence génériques des premiers recueils d’Amores du Quattrocento14 : la Cintia d’Enea Silvio Piccolomini associe lyrisme amoureux, épigrammes satiriques et funèbres, fable et chanson goliardique15 ; il est difficile de trancher si la Xandra de Landino relève de l’élégie ou de l’épigramme16 et, dans ses deux Hecatelegia, Pacifico Massimi d’Ascoli contamine élégie et satire. Si l’écriture élégiaque cultive des thèmes multiples et revêt des formes variées tout au long du seizième siècle, on assiste cependant chez certains poètes à l’exhibition d’une conscience générique qui va de pair avec la théorisation du genre à l’œuvre dans les Arts poétiques contemporains. Je vais donc m’interroger sur la nature des interactions et des convergences entre théorie et écriture élégiaques à la lumière de quelques exemples qui m’ont paru significatifs. Giovanni Pontano a joué un rôle important dans l’affirmation du genre élégiaque à la Renaissance17. Son parcours poétique manifeste 14  Voir G. Albanese, « ‘Civitas Veneris’ Percorsi dell’elegia umanistica intorno a Piccolomini », in Poesia umanistica latina in distici elegiaci. Atti Convegno Internazionale Assisi, 15‑17 maggio 1998, ed. G. Catanzaro, F. Santucci Assisi, 1999, p. 125‑164. Pour expliquer l’ambivalence générique de l’Hermaphroditus d’Antonio Panormita, Donatella Coppini note d’une part le caractère labile des frontières entre épigramme et élégie dès l’origine des deux genres, mais attribue aussi à l’incompétence métrique du Panormite son usage exclusif du distique élégiaque qui contribue à un brouillage générique, « I modelli del Panormita », in Intertestualità e smontaggi, ed. R. Cardini, M. Religiozi, Roma, 1988, p. 1. 15 Voir P. Galand-Hallyn, « Pie II, poète élégiaque dans la Cinthia », in Pio II e la Cultura del suo tempo, ed. L. Rotondi Secchi Tarugi, Milano, 1991, p. 105‑117 et « La poétique de jeunesse de Pie II : la Cinthia », Latomus, 52 (1993), p. 875‑896. Sur la Cinthia, on consultera aussi A. R. Baca, « Propertian elements in the Cinthia of Aeneas Silvius Piccolomini », The Classical Journal, 67 (1972), p. 221‑226 ; G. Paparelli, « Properzio nelle poesia giovanile di Enea Silvio Piccolomini », in Properzio nella letteratura italiana, Atti del convegno nazionale, Assisi 15‑17 nov. 1985, ed. S. Pasquazi, Rome, 1987, p. 65‑70 et J.-L. Charlet, « Eros et érotisme dans la Cinthia d’Enea Silvio Piccolomini », dans Eros et Priapus, érotisme et obscénité dans la littérature néo-latine, éd. I. de Smet et P. Ford, Genève, 1997, p. 1‑23. 16  Voir Chr. Pieper, Elegos redolere Vergiliosque sapere. Christoforo Landinos « Xandra » zwischen Liebe und Gesellschaft, Hildesheim, Zürich, New York, 2008, p. 70‑71. 17 Je vais résumer ici des analyses que j’ai plus amplement développées dans un précédent article : « Renaissance de l’élégie latine de Pontano à Minturno », dans La

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une spécialisation qui s’opère au sein de son premier recueil, le Parthenopeus, le pluralisme métrique du livre I cédant la place à un deuxième livre presque exclusivement en distiques élégiaques. La spécialisation générique se traduit par une appropriation de plus en plus personnelle du genre et l’armature et l’affichage génériques, très marqués dans le recueil du De amore conjugali sont beaucoup moins présents et moins explicites dans l’Eridanus. Le livre I des Parthénopées constitue un exemple significatif, parce qu’il s’agit d’un recueil polymétrique : les élégies, disséminées parmi des poèmes appartenant à d’autres genres et cultivant d’autres mètres, sont particulièrement codées afin d’être identifiées comme élégies et d’assurer la variation générique qui structure le recueil18. Ainsi, deux élégies relèvent du topos de la recusatio (I, 6 et I, 18)19, deux sont des paraclausithyron (I, 3 et I, 16)20, motif emblématique de l’élégie antique, cinq sont des plaintes amoureuses (I, 9 ; I, 10 ; I, 16 ; I, 19 et I, 20)21 et les deux autres sont des vœux (I, 2 et I, 17). Certes l’élégie érotique latine Renaissance des genres. Pratiques et théories des genres littéraires entre Italie et Espagne (x v  e-x v ii  e siècles), éd. P. Bravo, C. Iglesias et G. Sangirardi, Dijon, 2012, p. 65‑81. L’ensemble de ses œuvres poétiques est édité par B. Soldati, Carmina, Firenze, 1902 et par J. Oeschger, Carmina, Bari, 1948. Pour une présentation générale de l’œuvre poétique de Pontano, voir E. Paratore, La poesia di Giovanni Pontano, Roma, 1967 ; L. Monti Sabia, Poeti latini del Quattrocento, ed. Fr. Arnaldi et al., Milano, Napoli, 1964, p. 305‑783 et ses articles dans L. Monti Sabia, S. Monti, Studi su Giovanni Pontano, ed. G. Germano, Messina, 2009 ; G. Parenti, Poëta Proteus alter. Forma e storia di tre libri di Pontano, Roma, 1985 et la synthèse de D. Coppini, « Carmina di Giovanni Pontano », in Letteratura italiana. Le Opere, ed. A. Asor Rosa, vol. 1, Dalle Origini al Cinquecento, Torino, 1992, p. 713‑741. 18  Voir G. Parenti, « Contaminatio di modelli e di generi nel ‘Liber Parthenopeus’ di Pontano », in Intertestualità e smontaggi, ed. R. Cardini, M. Religiosi, Roma, 1988, p. 47‑75. Sur le recueil, on consultera aussi C. Dionisotti, « Juvenilia del Pontano », Studi di bibliografia e di storia in onore di Tammaro de Marinis, Città del Vaticano, Verona, 1964, II, p. 181‑206 ; W. Ludwig, « Catullus renatus : Anfänge und frühe Ent­ wicklung des catullischen Stils in der neulateinischen Dichtung », in Litterae neolatinae. Schriften zur neulateinischen Literatur, ed. W. Ludwig, München, 1989, p. 162‑194 et A. Iacono, Le fonti del Parthenopeus sive Amorum libri di Giovanni Gioviano Pontano, Napoli, 1999. 19  L’élégie I, 6 a été étudiée par J. Nassichuk, « Plaisir sensuel et inspiration poétique chez Pontano (Parthenopeus, I, 6) », dans Le plaisir, de l’Antiquité à la Renaissance, éd. P. Galand-Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal, Turnhout, 2008, p. 213‑235. Il aborde aussi l’élégie I, 18 dans « Bacchus dans l’œuvre élégiaque de Giovanni Pontano », International Journal of the Classical Tradition, 17‑1 (mars 2010), p. 1‑21. 20  L. Parra García, « Pervivencia de los tópicos de la elegía latina en la poética pontaniana : a propósito de Parthenopeus I, 3 », in Homenaje al profesor Antonio Fontán, ed. J. M. Maestre Maestre, Madrid, 2002, p. 827‑841. 21  Sur les élégies I, 9 et I, 19, voir U. Auhagen, « Pontano als Catullus Ovidianus : am. 1, 9 », in Pontano und Catull, ed. T. Baier, Tübingen, 2003, p. 123-134 et D. Gall,

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se caractérise par une modalité plaintive et optative, mais l’influence de l’Art poétique d’Horace me paraît ici décisive en raison de la majoration de ces thématiques par rapport aux recueils élégiaques antiques ; en particulier, l’intégration du verbe queror dans le titre de trois élégies (I, 6 ; I, 16 ; I, 19) ne me paraît pas anodine. Ceci dit, j’ai exclu du corpus élégiaque les pièces en distiques très courtes qui m’ont paru relever de l’épigramme ; certes, cette exclusion est discutable. L’élégie liminaire du De Amore coniugali est aussi fortement codée, mais pour des raisons différentes. Elle est le manifeste d’un genre nouveau, l’élégie conjugale et familiale, nourrie de l’expérience personnelle du poète et destinée à incarner un modèle éthique digne des fonctions politiques de Pontano, qui occupe désormais une place importante dans l’administration de la cour aragonaise22 . Je ne reviendrai par sur les éléments par lesquels Pontano infléchit le genre antique pour lui conférer une dimension conjugale, mais je me concentrerai sur quelques éléments descriptifs qui ont une valeur métadiscursive, pour montrer dans quelle mesure ces éléments concordent avec la théorie antique du genre et nourrissent la théorie postérieure. Pontano multiplie les allusions à la douceur du genre en utilisant dans ses descriptions les adjectifs molle, lenis, dulcis, tener 23. Ce sont ces « Zwischen Tibull und Catull : Pontano, Amores, 1, 19 », Pontano und Catull…, p. 135‑147. 22  Sur les problématiques génériques du De Amore conjugali, voir notamment P. Nespoulos, « Giovanni Pontano, poète de l’amour conjugal », in Acta Conventus NeoLatini Lovaniensis 1971, ed. J. Ijsewijn et E. Kessler, Leuven, München, 1973, p. 437‑ 443 ; L. Monti-Sabia, « Un Canzoniere per una moglie : realtà e poesia nel De Amore Conjugali di Giovanni Pontano », in Poesia umanistica in distici elegiaci. Atti del Convegno internazionale Assisi, 15‑17 maggio, ed. G. Cortanzaro, F. Santucci, Assisi, 1999, p. 23‑65 ; W. W. Ehlers, « Libes-, Lebens-, Ehepartner, Pontanos Amores coniugales », Mittellateinisches Jahrbuch, 35 (2000), p. 81‑99 et J. Nassichuk, « La chevelure d’Élégie dans le De Amore Conjugali de Giovanni Pontano », dans La chevelure, dans la littérature et l’art du Moyen Âge. Actes du 28 e colloque du CUERMA, 20, 21 et 22 février 2003, éd. Ch. Connochie-Bourgne, Aix-en-Provence (Senefiance, 50), 2004, p. 291‑308. Nous avons aussi consulté avec un très grand profit l’article que ce dernier consacre aux « Images de l’union conjugale dans l’œuvre poétique de Giovanni Pontano », dans Aspects du lyrisme conjugal, éd. P. Galand et J. Nassichuk, Genève, 2011, p. 37‑58. 23  Molle micet, I, 1, v. 5 ; Quaque moues, Arabum spires mollisima nardum / lenis et Assyrio sudet odore liquor, I, 1, v. 11‑12 ; (…) sed pectine molli / sed moueas dulci lenia fila sono, I, 1, v. 23‑24 ; hic potes e molli uiola iunxisse coronam, I, 1, v. 35 ; molliaque ad teneros membra mouere modos, I, 1, v. 40 ; in molli iunxit candida membra toro, I, 1, v. 44 ; deque sine fluxere rosae mollesque hyacinthi, I, 1, v. 52 ; tum mihi mollis eat uersus, tam laeta sonabunt / carmina, tum dulcis profluet ore sonus, I, 1, v. 133‑134. Ces adjectifs figurent chez les élégiaques antiques, mais ils les utilisent avec moins d’insistance : voir notamment Horace, Odes, II, 9, v. 17 ; Properce, I, 7, v. 19 et II, 1, v. 2 ; Ovide, Tristes, II, v. 307 et 349 ; Pontiques, III, 4, v. 85 et IV, 16, v. 32.

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adjectifs, présents dans les élégies latines antiques, qu’utiliseront Crinito, Robortello et Minturno pour décrire le style élégiaque24. L’adjectif lascivus par lequel Pontano qualifie Elégie personnifiée au vers 15 et les eaux du Clitumne au vers 33 caractérise Catulle chez Properce et la manière d’Ovide chez Quintilien25. L’adjectif candidum qui loue chez Pontano la blancheur éclatante d’Élégie (candida nympha, I, 1, 18), puis celle des membres de son jeune amant (in molli iunxit candida membra toro, I, 1, 44) traduit la limpidité du style élégiaque chez Crinito et chez Minturno26. Pontano signale enfin comme le fera Bartolomeo Fonzio27 la facilité ( facilem cantum, v. 42 ; facilem chelyn, v. 128) et la variété du genre, symbolisée notamment par les fleurs variées que la nymphe tressera dans ses cheveux (et flauam uario flore ligare comam, I, 1, 36) et par celles qui s’échappent de son sein lorsqu’elle répond à l’appel du poète (v. 53‑54) : des roses, de tendres hyacinthes, des violettes et des lis mêlés au safran orangé. On songe aux fleurs qu’Amour et Grâce répandent sur Stella dans l’Épithalame de Stace, intertexte important dans un recueil qui vise à fonder l’élégie conjugale, mais ces fleurs variées remplissent aussi une fonction iconique comme les violettes de l’Élégie In violas de Politien ou les roses de Sappho dans la silve Nutricia (v. 620‑622) : elles représentent, comme l’a montré P. Galand-Hallyn, le style orné et leur tressage renvoie au tissage du texte28. Ces fleurs font probablement référence à la caractérisation du style élégant par Démétrios qui associe les jardins des nymphes et les chants d’hyménée parmi les sujets gracieux29. Enfin, l’invention my24  Quintilianus censor in litteris acerrimus, cum Tibullum maxime commendauerit, non deesse tamen inquit, qui Propertium malint, cum sit Ovidius lasciuior, Gallus in elegia durior. Ovidius certe cum saepe de ipso Propertio agat, blandum, tenerum, ac dulcem appellat (…), P. Crinito, De poetis Latinis, [Venezia], 1505, p. 170 [Vie de Properce]. Orationem requirit elegia lenem, perspicuam, neque elatam nimis, neque rursus nimis humilem (…). F. Robortello, Explicatio…, p. 535. Iam uero sic in Elegiaca oratione aequabile, ac lene in primis requiritur (…), Minturno, De poeta, 1559, p. 410. 25 Quintilien, Institution oratoire, X, 1, 93 et Properce, II, 34, v. 87. Pontano utilise aussi l’adjectif dans l’élégie I, 6 dans le Parthenopeus (v. 18). 26  Libros quatuor Elegiarum, siue amorum composuit, in quibus facile probatur quam elegans, et candidum sit eius carmen, ut in eiusmodi caloribus describendis […] Crinito, Vie de Tibulle, p. 93 et Minturno, De poeta, 1559, p. 410. 27  In quis plurimum facilitas, mundities, titillatio, affectus et varietas commendatur. B. Della Fonte ou Fonzio, De poetice ad Laurentium Medicem libri III, resté manuscrit, Florence, 1490‑1492, éd. C. Trinkaus, « The Unknown Quattrocento Poetics of Bartolommeo della Fonte », Studies in the Renaissance, 13 (1966), p. 118. 28 P. Galand, Les yeux de l’éloquence. Poétiques humanistes de l’évidence, Orléans, 1995, p. 249‑266 (« L’élégie In violas »). 29  « Les grâces (χάριτες) résident, pour certaines, dans les matières traitées ; par exemple les jardins des nymphes, les chants d’hyménée, les amours, bref toute la poésie

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thopoïétique par laquelle Pontano fait d’Eurymie la mère d’Élégie rappelle Hermogène qui fait de l’eurythmie le fondement de la beauté et accorde comme Démétrios et, comme Pontano lui-même dans l’Actius, une place centrale à la collocatio verborum30. Or, chez Pontano, la beauté d’Élégie ne réside pas seulement dans sa limpidité harmonieuse, mais aussi dans le raffinement de sa parure31. Pour distinguer Elégie de Tragédie, Ovide met l’accent sur le caractère boiteux du distique élégiaque et sur la légèreté et l’humilité du genre, opposées à l’enflure et à la grandeur du style tragique32 . Stace la décrit « plus fière que d’habitude », mais insiste de même sur « sa démarche inégale ». Pontano néglige l’aspect métrique, mais substitue à la « robe très légère » décrite par Ovide (vestis tenuissima, Amours, III, 1, 9) une robe en soie (serica vestis, v. 8), dont les franges sont cousues de fils de Sappho. De tels sujets, même traités par un Hipponax, ont de la grâce : la matière est enjouée par elle-même. Nul ne saurait, en effet, chanter un hyménée sur un ton de colère, ni faire de l’Amour, par le moyen du style, une Erinye ou un géant, ni changer le rire en pleurs ». Du Style, 132, trad. P. Chiron, CUF, p. 40‑41. 30  « Après avoir traité de la clarté et de l’autorité du discours empreint de grandeur, il conviendra de traiter de l’élégance et de la beauté de ce discours. Car le discours qui possède de la clarté, de l’ampleur et de l’autorité a toujours besoin d’une certaine beauté et d’une certaine eurythmie, pour éviter de devenir quelque chose d’âpre. (…) La beauté du discours sera au sens propre une heureuse combinaison et une juste proportion de tous les composants, pensées, méthodes, expressions, etc., de chacune de ses catégories stylistiques  (…) ». Les catégories stylistiques du discours, p. 296 et 298, trad. M. Patillon, p. 397. Pour l’Actius, voir Dialoge, ed. H. Kiefer, München, 1984, p. 279‑511 ; P. Laurens, « Trois lectures du vers virgilien (Coluccio Salutati, Giovanni Gioviano Pontano, JulesCésar Scaliger) », dans P. Laurens, La dernière muse latine. Douze lectures poétiques, de Claudien à la génération baroque, Paris, 2008 (Les Belles Lettres/essais), p. 126‑138 et H. Casanova-Robin, « De l’Actius au Jardin des Hespérides : les vertus imitatives du langage poétique selon Giovanni Pontano », dans Clément Janequin, un musicien au milieu des poètes, éd. O. Halévy, I. His et J. Vignes, Paris, 2013, p. 117-130. Rappelons que M. Deramaix prépare actuellement une édition du texte. 31  On songe encore une fois à Hermogène : « Nous appellerons beauté du discours au sens propre celle que nous venons de dire. Mais il existe souvent dans le discours certains éléments qui se distinguent clairement des autres, un certain ornement plaqué sur lui de l’extérieur pour lui donner une parure, et à qui seul certains ont donné le nom de beauté du discours ». Les catégories stylistiques…, trad. M. Patillon p. 399. 32  Ce sont ces passages que cite Robortello (Explicatio…, p. 533‑534). : Hinc, quia elegia amores complectitur, Ovidius ait libro III Elegiarum : Forma decens, vestis tenuissima, vultus amantis, / In pedibus vitium causa decoris erat. [9‑10] Nam hoc posterius dictum est propter impares versus. Canebatur autem noctu, querula voce, ante fores amicarum. Hinc idem Ovidius ait : Quam tu non poteris duro reserare cothurno, / Haec est blanditiis ianua laxa meis. [47‑48] Versus in ea impares de qua, praeter Horatium, etiam Ovidius ita inquit : Venit odoratos elegeia nexa capillos / Et puto pes illi longior alter erat. [7‑8] Idem libro primo, elegia prima : Sex mihi surgit opus numeris, in quinque residat ! (…) / Musa per undenos emodulanda pedes ! [27 et 30] Et libro III : Et longis versibus adde breves. [66].

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d’or (aureaque in limbo fila rigente micent, v. 10). En hommage à Properce, des pierres précieuses issues de la mer Rouge scintillent entre ses seins délicats (Quae legitur Rubro lucida gemma mari, v. 6 et Properce, I, 14, 12 : et legitur Rubris gemma sub aequoribus) ; elle porte des colliers en or, une fibule d’or, et émet un parfum suave. Or, Robortello et Minturno décrivent de même le style élégiaque comme un style particulièrement raffiné et orné. Le premier énumère les figures suivantes : In ea commiserati frequens esse debet, conquestio, exclamatio, apostrophe, prosopopeia, seu fictio personarum, excursus seu παρέκβασις praeter rem propositam, in quam etiam narratio desinat, sicuti saepe apud Tibullum est videre. Is enim in primis artificiose utitur et apte quidem huiusmodi genere παρεκβάσεως, ut quilibet poterit, etiam me non proferente exempla, per se rem totam in illius elegiis perspicere. Debet vero in primis elegia conspersa esse ac tincta aliqua antiquitatis significatione, saepe etiam occulta, ac, dum aliud narratur, interposita. (…) Huiusmodi igitur eruditione et antiquitatis cognitione conspergenda est elegia33.

Comme Robortello, Minturno insiste sur l’élégance et l’éclat du style élégiaque qu’il associe aux emprunts faits à l’Antiquité et à une érudition recherchée : Nec pauca ex interioribus reconditisque literis deprompta, atque ex memoria veterum conquisita asperguntur. Iam uero sic in Elegiaca oratione aequabile, ac lene in primis requiritur, et elegans, candidumque genus dicendi ; ut purum in Iambica, pressumque et acutum34.

Il met l’accent sur deux procédés : les comparaisons, en particulier mythologiques, et les sentences. Or, non seulement l’invention mythologique de Pontano est remarquable35, mais il accorde aussi une place 33  « Dans ce genre, on doit fréquemment utiliser l’appel à la pitié, la plainte, l’exclamation, l’apostrophe, la prosopopée ou création de personnages, la digression ou parekbasis en dehors du sujet, dans laquelle même le récit cesse, comme on peut le voir souvent chez Tibulle. Celui-ci utilise avec un art et un à propos particulièrement remarquables ce genre de digressions, de sorte que chacun pourra percevoir par lui-même l’usage qu’il en fait dans ses élégies, même si je ne fournis pas d’exemples. L’élégie doit avant tout être parsemée et teintée d’évocations de l’antiquité, souvent même cachées et intervenant pendant que l’on raconte autre chose. (…) Il faut parsemer l’élégie d’érudition et de connaissance mythologique ». Explication..., p. 535. 34  De poeta, 1559, p. 410. « Ils sont parsemés de nombreux emprunts à des œuvres littéraires d’un caractère spécial et peu connues, et puisés chez les Anciens. En effet, le style élégiaque doit avant tout être égal, doux, élégant et limpide, de même que le style iambique doit être simple, concis et piquant ». 35  Voir H. Casanova-Robin, « Des métamorphoses végétales dans les poèmes de Pontano : mirabilia et lieux de mémoire » et D. Coppini, « Pontano e il mito domestico »,

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importante aux sentences, en particulier dans ses élégies métadiscursives (voir par exemple les vers 14 à 17 de l’élégie 1, 6 du Parthenopeus ou les vers 60‑61 et 83 de l’élégie liminaire du De Amore coniugali). Ainsi, pour ce qui est de l’analyse stylistique, les choix de Pontano ont manifestement influencé les théoriciens : Robortello et Minturno mettent l’accent sur un raffinement sophistiqué et érudit, approprié à la fin que Pontano assigne à la poésie dans l’Actius : susciter l’étonnement admiratif. En ce qui concerne Minturno, la filiation avec Pontano n’est pas fortuite : dans le De poeta, il confie la caractérisation du genre élégiaque à Pietro Summonte, qui rassembla, avec Sannazar, les œuvres de Pontano après la mort de ce dernier et les édita à Naples chez Sigismund Mayr, en 150536. De même que l’on peut identifier une filiation entre les élégies et la théorie poétique de Pontano et la caractérisation du genre élégiaque par Minturno, son héritier au sein de l’Académie napolitaine, les élégies du poète flamand Jean Second présentent des parentés avec la théorie contemporaine du genre37.

dans La mythologie classique dans la littérature néo-latine, éd. V. Leroux, ClermontFerrand, 2011, p. 247‑269 et 271‑292. 36  Se fondant sur les interventions de ce dernier sur les manuscrits autographes de la Lyra (Vaticano Reginense lat. 1527) et sur ceux des Tumuli (Vaticano lat. 2842) utilisés pour la première édition des poèmes de Pontano de 1505 (Sigismondo Mayr, Napoli), Liliana Monti Sabia émet de forts doutes sur l’authenticité de l’héritage pontanien pour l’ensemble de l’œuvre éditée par Summonte. Voir L. Monti Sabia, « La ‘Lyra’ di Giovanni Pontano edita secondo l’autografo codice Reginense latino 1527 », Rendiconti dell’Accademia di archeologia, lettere e belle arti di Napoli, nuova serie, 47 (1972), p. 1‑70 ; « Pietro Summonte e l’editio princeps delle opere del Pontano », in AA.VV., L’Umanesimo umbro. Atti del IX Convegno di studi umbri (Gubbio, 22‑23 settembre 1974), Perugia, 1977, p. 451‑473 ; « Manipulazioni onomastiche del Summonte in testi pontaniani », in Rinascimento meridionale e altri studi in onore di Mario Santoro, ed. M. C. Cafisse, F. D’Episcopo, V. Dolla, T. Fiorino et L. Miele, Napoli, 1987, p. 293‑320. 37  Les Élégies de Second ont d’abord paru dans l’édition princeps des œuvres complètes, préparée par ses deux frères, Nicolas Grudius et Hadrianus Marius (Ioannis Secundi Hagiensis Opera. Nunc primum in lucem edita…, Utrecht, Hermanus Borcuous, 1541). On consultera aussi M. Rat, Jean Second. Les Baisers et l’épithalame, suivi des Odes et des élégies, traduction nouvelle (en prose), Paris, 1938 ; P. Murgatroyd, The Amatory Elegies of Johannes Secundus, Leiden, Boston, Köln, 2000 ; le volume 1 l’édition des Œuvres complètes de Jean Second, dirigée par R. Guillot, Paris, 2005. Signalons enfin que W. Gelderbloom a réalisé une précieuse étude génétique du premier livre, voir Secundus’ versies. De Tekstgenese van Janus Secundus’Julia en Basia, Utrecht, 2012. Les analyses ici proposées seront approfondies dans l’édition commentée des Élégies que je prépare en collaboration avec Émilie Seris, pour une nouvelle édition des Œuvres com­ plètes dirigée par P. Galand, à paraître à Genève.

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Comme son modèle Pontano, le flamand majore les motifs de la plainte et du vœu exhibés dès la première élégie du recueil dans laquelle Second transpose le poème liminaire des Amours d’Ovide. Comme l’a montré Michel Jourde, si, dans le poème liminaire des Amours d’Ovide, c’est Cupidon qui détourne le poète de l’épopée vers l’élégie, chez Second le dieu ne fait que hâter la décision déjà prise. Second met donc en scène la satisfaction du vœu déjà exprimé par Ego aux vers 5 et 6 ; cependant, la réaction de Cupidon ne répond pas aux attentes du poète qui cherche à l’émouvoir et illustre cette fois le caractère pitoyable du genre, en imitant notamment la seconde élégie des Amours38. Comme Pontano, Second précise, tantôt par des paysages métastylistiques, tantôt dans des listes de modèles antiques et néo-latins, des caractéristiques du genre mentionnées par les théoriciens contemporains (variété, raffinement, douceur), mais c’est la proximité de Second avec la Poétique de Jules-César Scaliger qui a frappé la critique : Walther Ludwig a ainsi montré que les Élégies de Second illustrent une interprétation d’Horace que l’on retrouve chez Scaliger39. Les deux hommes ont pu se rencontrer lors du séjour de Jean Second en France, de mars 1532 à mars 1533, et Scaliger disposait peut-être des élégies de Second lorsqu’il rédigea sa Poétique40. Prenons la liste d’arguments élégiaques définis par Scaliger : Argumenta : commemoratio diei a quo initium amandi factum fuit, eiusdem laudatio aut exsecratio, querela, expostulatio, preces, vota, gratulatio, exsultatio, furti narratio, fletus, convicium vitii aut flagitii, obiectio, recantatio, propriae vitae explicatio, sui cum rivali comparatio, comminatio, amicae alterius propositio ; ianuae, ianitori, ancillae, matri, marito, tempestatibus, caelo ipsi convicium ; convicium Cupidini, Veneri, sibi ipsi, mortis exoptatio, exsilii ; amicae absentis detestatio, praeterea desperatio cum imprecationibus, cuiusmodi sunt in Ibin, etsi alia

38  Voir M. Jourde, « Ego et puer. Subjectivité et mythe dans les Elégies de Jean Second », dans La Poétique de Jean Second et son influence au x v i  e siècle, éd. J. Balsamo et P. Galand-Hallyn, Paris, 2000 (Les Cahiers de l’Humanisme, série 1, vol. 1), p. 57. 39  W. Ludwig, « Petrus Lotichius Secundus and the Roman Elegists : Prolegomena to a study of Neo-Latin Elegy », in Litterae Neolatinae. Schriften zur Neulateinischen Literatur, ed. W. Ludwig, München, 1989, p. 206. De même, Clifford Endres note qu’en plus de l’influence directe de ses modèles antiques, l’écriture élégiaque de Second a été influencée par la conception humaniste du genre élégiaque ; il se fonde lui aussi sur la Poétique de Scaliger ( Joannes Secundus. The Latin Love Elegy in the Renaissance, Hamden, Connecticut, 1981, p. 67‑69.) 40  Sur la genèse de la Poétique de Scaliger, voir L. Corvaglia, « La Poetica di Gulio Cesare Scaligero nella sua genesi e nel suo sviluppo », Giornale critico della filosophia italiana, 3e série, vol. 13, t. 38 (1959), p. 214‑239.

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causa ; epicedia quoque et epitaphia et epistolae hoc genere poematis recte conficiuntur41.

On ne peut qu’être frappé par la conformité de cette liste avec les sujets choisis par Jean Second, et en particulier par la place que Scaliger accorde à la commémoration du jour où l’amour a commencé, sujet des trois élégies solennelles de Second. Par ailleurs, Scaliger définit le style élégiaque comme un style « doux, limpide, coulant et naturel » : l’élégie doit viser les émotions et non les traits recherchés, pas plus qu’elle ne doit être obscurcie par des fables précieuses42 . La recommandation formulée au livre III, lorsque Scaliger traite des genres littéraires, est de nouveau formulée au livre VI à propos de Properce : PROPERTIUS facilis, candidus, uere elegiacus ; tersior tamen quam existimatus est a Criticis ; nam et amat quaedam quae minime sunt uulgaria et quibusdam locis paucorum iudicium sequutus uidetur ; nam et principium operis tum elegans est, tum compositum. In primo tamen libro apparet ambitio quaedam claudendi pentametrum uocabulis multisyllabis ; qui numerus mollior iudicatus est etiam in iambicis. Pene igitur conquisisse atque corrogasse uoces existimatur, quibus obnoxias efficeret sententias ; id quod manifestius deprehenditur ad calumniam consituendam, quod in sequentibus libris aliter instituit, quasi defecerit eum similis materia ; aut forte castigatus uel ab amico, uel a seculi iudicio elimatiore, quod iam probarat et Ouidium et Tibullum, frequentius alterum utentem bisyllabis, alterum longis illis pene numquam. Sequutus uero Corinnae consilium est, quod illa Pindaro dederat, ne sine fabulis poetama conderentur : esse namque eas illorum animam ; inculcat igitur quantum potest. Caeterum cum ea omnia iam sint uulgata, nostrum poetam uehementer tum a ipsis, tum ab ignotis abstinere iubeo ; nam quemadmodum in illis nulla gratia, ita in his etiam odium

41  J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, III, 124, ed. L. Deitz et G. Vogt-Spira, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1994, t. 3, p. 202. « Arguments : commémoration du jour où l’amour a commencé ; éloge ou exécration de ce jour ; plainte, demande pressante, prières, vœux, actions de grâces ; transport de joie ; récit d’amour illégitime ; pleurs ; invectives en raison d’un défaut ou d’une action ignominieuse ; reproche ; rétractation ; récit de sa propre vie ; comparaison avec le rival ; menace ; décision d’avoir une autre amie ; reproches à la porte, au gardien, à la servante, à la mère, au mari, aux circonstances et même au ciel ; reproches à Cupidon, à Vénus, à soi-même ; souhait de la mort, de l’exil ; haine de l’amie absente ; désespoir mêlé à des imprécations comme dans l’Ibis, même si la cause est autre ; des épicèdes, des épitaphes et des lettres peuvent être composées dans ce genre de poème ». 42  Ibidem, p. 202 : Candidam oportet esse, mollem, tersam, perspicuam, atque ut ita, ingenuam. Affectibus anxiam, non sententiis exquisitis. Non conquisitis fabulis offuscatam.

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subesse arbitror. Pro his igitur sententiae sunto dulces, luculentae, non languidae, non affectatae, non nimis frequentes43.

L’excès d’ornementation est un défaut que Scaliger reproche précisément aux élégies de Pontano dans l’Hypercriticus : Sequitur Pontanus qui cum illa quatuor complecti summa cura conatus sit : Neruum dico, numeros, calorem, venustatem. Profecto est omnia consequutus. Quintum autem illud, quod est horum omnium vita velut quaedam : modum intelligo : penitus ignoravit. Aiunt Virgilium cum multos versus matutino calore effudisset, pomeridianis horis novo iudicio solitum a paucorum numerum revocare. Contra quidem Pontano evenisse arbitror. Quae primaquaque inventione arrisissent : iis plura postea, dum recognosceret addita atque ipsis potius carminibus, quam sibi pepercisse. Itaque candidus ille, amoenus venustus, nervos numeris ubi quaesivit, longis ambagibus eorum amisit contentionem. Ergo effusus, exuberans, exultans, ita sibi ipse instans, ut in se recurrat a quo uitio sit revocandus, facile ostendit44. 43  Poetices libri septem, VI, 7, Lyon, 1561, p. 329b-c. « Properce est un poète au style aisé, naturel, vraiment élégiaque ; il est toutefois plus soigné que ne l’a jugé la critique ; car d’une part il aime ce qu’il y a de moins vulgaire et d’autre part en certains endroits il semble s’adresser au goût d’une élite ; et en effet le début de son œuvre est à la fois élégant et harmonieux. Toutefois au livre I on peut noter une certaine complaisance à fermer le pentamètre sur des termes de plusieurs syllabes, type de vers jugé plus amolli même dans les iambes. D’où l’idée qu’il a délibérément cherché et réuni ces mots de façon à rendre ses expressions pénibles. Mais il est assez clair que c’est là pure calomnie, étant donné que dans les livres qui suivent il en usa autrement,  − comme s’il n’en avait pas eu l’occasion ! Peut-être se corrigea-t-il sur le conseil d’un ami, ou sous la pression du goût plus cultivé d’un siècle qui estimait déjà et Ovide et Tibulle : l’un use plus fréquemment de mots de deux syllabes ; l’autre n’emploie presque jamais de ces termes longs. Il a d’autre part suivi le conseil que Corinne avait donné à Pindare, de ne jamais composer des poèmes sans fables, car elles en étaient l’âme : il en insère donc autant qu’il peut. Mais comme toutes ces fables sont désormais archiconnues, je conseille vivement à notre poète de les éviter, et tant celles-ci que celles qui ne sont pas connues ; car si les unes sont dépourvues d’agrément, les autres, à mon avis, ne peuvent que provoquer l’irritation. Qu’au lieu de cela, il utilise des traits agréables, brillants, qui ne manquent pas de force, qui ne soient pas affectés ni trop nombreux », trad. C. Caillou, Le livre VI de la Poétique de Jules César Scaliger (Hypercriticus), traduction et étude, thèse de 3e cycle présentée sous la direction du professeur P. Laurens, Poitiers, octobre 1988, p. 165‑166. 44  Poetices libri septem, VI, 4, 1561, p. 311b-c. « Suit Pontano, qui a mis tous ses efforts à réunir ces quatre qualités, j’entends le nerf, le rythme, l’éclat naturel, la grâce ; et assurément il les possède toutes. Cependant il en est une cinquième qui est comme la vie de toutes les autres, je veux dire : la mesure ; il l’a complètement ignorée. On dit que Virgile, après avoir dans le feu de l’inspiration matinale jeté sur le papier bon nombre de vers, avait coutume l’après-midi de les revoir avec un jugement neuf et d’en réduire considérablement le nombre. Or je pense que Pontano faisait exactement l’inverse. Satisfait de son premier jet, il y faisait lors de la relecture, maintes additions. Il avait plus d’égards pour ses vers que pour sa réputation. C’est pourquoi plein d’éclat, charmant, gracieux,

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Or, en traduisant les Elégies de Second, il m’est apparu que le flamand use plus modérément de l’érudition mythologique que ses prédécesseurs, et en particulier que Pontano. Second utilise les figures recommandées par Robortello et par Minturno : il multiplie les apostrophes, à Cupidon, à ses maîtresses, mais aussi à son lit (II, 8) ou au sommeil (II, 9). Il introduit des prosopopées, notamment celle de la Dyle (III, 10). Les prières sont souvent articulées dans un style formulaire emprunté aux anciens et évoquent des offrandes ou des rituels antiques. Les digressions qui miment la discontinuité des sentiments sont fréquentes, comme la longue digression sur l’âge d’or dans l’élégie I, 7 ou les comparaisons mythologiques. Cependant, chez Second, cette érudition mythologique est mesurée. Un autre élément de convergence entre Second et Scaliger concerne l’usage des traits brillants. À propos des Héroïdes d’Ovide, Scaliger relève des pointes « pleines de finesse et dignes de n’importe laquelle épigramme »45. Or, Second cultive à l’occasion l’antithèse précieuse dans la veine ovidienne et pétrarquiste, par exemple dans l’élégie II, 4 qui imite le fameux « dizain de neige »46. La critique de Scaliger témoigne au même titre que les productions poétiques de Second des tendances popularisées par la poésie en langue vernaculaire. On peut s’étonner que Second ne soit pas évoqué dans la section de l’Hypercriticus qui rend compte des poètes contemporains (Poetices libri septem, VI, 4), alors que Scaliger mentionne par exemple les Emblèmes d’Alciat. La convergence entre la pratique poétique de Second et la théorie de Scaliger paraît cependant indéniable. Outre une rencontre des deux hommes ou la connaissance par Scaliger des poèmes de Selorsqu’il recherche la vigueur du rythme, il perd sa vivacité par de longs détours. Et alors il se répand, déborde, s’abandonne, se talonne lui-même, au point de revenir sur ses pas ; le défaut dont il devrait se corriger se voit à l’évidence », trad. C. Caillou (légèrement modifiée), p. 79‑80. 45  Illa uero plane Ouidiana, id est arguta, ac digna quouis Epigrammate, Poetices libri septem, 1561, p. 330b. 46  Ce poème illustre le couple antithétique du feu et de la neige, hérité de l’Anthologie grecque (A.P. V, 160, 176, 279, 281, 288, 291), dont Leonard Forster a fait l’emblème du pétrarquisme (The Icy Fire, five studies in european petrarchism, Cambridge, 1969 et « On Petrarchism in latin and the role of anthologies », Acta Conventus Neolatini Lovaniensis [1971], München-Leuven, 1973, p. 235‑244). Il s’inscrit dans une série d’imitations d’une épigramme intitulée Niuis globulus, généralement attribuée à Pétrone, mais que Pierre Laurens suggère d’attribuer plutôt à Ovide L’abeille dans l’ambre, Paris, 1989, p. 178‑182 et 401‑405. Il étudie ces imitations dans « Le Dizain de neige, Histoire d’un poème, ou : Des sources latines du pétrarquisme européen », A.C.N.L. Turonensis, Université François Rabelais 6‑10 sept. 1976, éd. J.-C. Margolin, Paris, 1980, vol. 1, p. 557‑570.

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cond, on peut aussi imaginer un intertexte poétique ou théorique commun aux deux auteurs. Cet intertexte pourrait être le développement sur le genre élégiaque que Josse Bade intègre à son commentaire des vers 75 à 78 de l’Art poétique d’Horace47. Bade cite d’abord Diomède et consacre ensuite un long développement au decorum du pentamètre, inspiré des remarques du grammairien Sulpitius Verulanus, membre du cercle de Pomponio Leto. Puis il énumère des prescriptions concernant l’usage des adjectifs, et indique des enchaînements métriques qui lui plaisent. Or, il cite ensuite Quintilien qui recommande d’éviter un excès d’ornements pour privilégier l’adaptation du style au mètre choisi : At ut Quintilianus monet nimius fucus exquisitusque ornatus vitandus est. Quoniam aiunt pulcherrimum est ut verba rebus quadrent48.

On voit comment une veine française plus éthique et plus mesurée, à laquelle on est tenté de rattacher Jean Second, se distingue de l’esthétique napolitaine. Je terminerai cette étude par l’exemple des Élégies de Muret qui illustre les deux veines, la plus éthique et la plus ornée. Au moment où Du Bellay définit de nouvelles conventions esthétiques en marge de la « génération Marot » et prescrit l’imitation des Anciens, le jeune professeur de la Brigade est particulièrement attentif au code générique49. Muret a, par ailleurs, publié des commentaires philologiques des Élégiaques antiques, qui fournissent des indications précieuses sur sa conception du genre. Je me contenterai d’un exemple emprunté à l’épître dédicatoire de ses Scholies sur Properce, adressée à François de Gonzague50. Muret reprend à son compte la perspective comparative de Quintilien, et fait de Tibulle et de Properce les champions de deux styles distincts. Il s’oppose en cela à Scaliger qui, lorsqu’il traite de Tibulle et de Properce dans l’Hypercriticus (Poetices libri septem, VI, 7), tend à gommer la différence entre les deux modèles élégiaques51. Alors 47  J. Bade,

Horace, Paris, 1503, fol. VIII. « Cependant, comme Quintilien le conseille, il faut éviter le fard ou une ornementation trop recherchée. Puisque l’on dit que le plus beau consiste dans l’accord des mots et des choses ». Voir Quintilien, Institution oratoire, XII, 10, 75. 49  Voir notre édition : Les Juvenilia de Marc-Antoine de Muret (1552) : édition, traduction et commentaire, Genève, mars 2009. 50  Catullus et in eum commentarius M. Antonii Mureti. Ab eodem correcti et scholiis illustrati, Tibullus et Propertius, Venetiis, apud Paulum Manutium, 1558. Les enjeux de la publication de ce commentaire ont été étudiés par J.-E. Girot, « Une correspondance d’humanistes. Paul Manuce, Marc-Antoine Muret et l’édition des élégiaques latins de 1558 », dans L’Épistolaire au x v i  e siècle, ed. J. Lallot, Paris, 2001, p. 141‑163. 51  Voir notre article « Quintilianus « censor in litteris acerrimus »… », p. 369‑371. 48 

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que Scaliger fait des deux poètes élégiaques antiques les représentants d’un même idéal stylistique qui met l’accent sur la composition et sur l’harmonie, Muret met au contraire l’accent sur la spécificité de chacun des auteurs : Summa in Tibullo elocutionis elegantia, et proprietas : summa in Propertio eruditionis poeticae copia, et varietas : in illo Romana propre omnia, in hoc pleraque transmarina. Illum, nativa quaedam et incorrupta Romani sermonis integritas, in media urbe natum et altum esse, perspicue ostendit : hunc praeter cetera, forma et character ipse dicendi in Graecorum poetarum scriptis assiduissime versatum esse demonstrat. Cumque a sapientissimis viris traditum sit, duo esse praecipua poeticae dictionis ornamenta, to saphes kai to xenikon, illo Tibullus, hoc Propertius excellere videtur. Mollior ille, et delicatior : nervosior hoc et accuratior. Illo magis oblectere : hunc magis, ut opinor, admirere52 .

Pour développer la formule de Quintilien sunt qui Propertium malint, Vadian et Giraldi attribuent à Properce des qualités qui s’opposent point par point à celles attribuées par Quintilien à Tibulle : ainsi à l’ingenium sont opposées l’eruditio et la doctrina ; à l’élégance est opposée la grauitas ; au naturel l’usage abondant de figures qui rendent parfois Properce plus obscur53. Muret, de même, fait de Tibulle un représentant de la pureté et de l’intégrité romaine, tandis que Properce se distingue par son érudition et par l’imitation des grecs. Plus loin dans le discours, il précise cette distinction par l’opposition entre la nature (natura) et l’art, l’application (industria) et indique que les deux élégiaques pratiquent deux types d’imitation différents : Tibulle incarne la mimesis et rivalise avec la nature, tandis que Properce préfère l’imitatio et se veut un nouveau Callimaque. Il ne s’agit pas là d’un jugement original. Crinitus fait la même analyse dans ses Vies des poètes latins, qui figurent en tête de la plupart des éditions des élégiaques à 52  Catullus et in eum commentarius, 1558, Propertius, fol. A2r-A3v. « Tibulle se distingue par une remarquable élégance de l’expression et par la propriété des termes ; Properce par l’abondance et par la variété remarquables de son érudition poétique. Chez le premier, presque tout est Romain ; chez le second la plus grande part vient d’outre-mer. La pureté quasi primitive et intacte de son latin montre clairement que le premier est né et a grandi à Rome même ; les tours et les particularités de son expression prouvent que le second a fréquenté de façon particulièrement assidue les écrits des poètes grecs. Alors que selon les hommes les plus sages, les deux principales qualités du style poétique sont la clarté (to saphes) et la couleur étrangère (to xenikon), il semble que Tibulle excelle en la première et Properce en la seconde. Le premier est plus doux et plus délicat, le second plus vigoureux et plus sophistiqué. On est davantage charmé par le premier, tandis qu’à mon avis, le second suscite davantage l’étonnement ». 53  Institution oratoire, X, 1, 93 et « Quintilianus « censor in literis accerrimus »… », p. 371‑373.

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la Renaissance54. L’originalité de Muret est de transcrire cette opposition en utilisant les catégories stylistiques de la rhétorique antique et en particulier les catégories d’Aristote. Il conserve les termes grecs pour signaler sa source qui est probablement le livre III de la Rhétorique55 : Ce qui fait la clarté du style (σαφῆ), c’est la propriété des noms et des verbes ; ce qui en relève la platitude et en fait l’ornement, c’est l’emploi de tous les autres mots énumérés dans la Poétique : s’écarter de l’usage courant le fait paraître plus noble ; la même impression que les hommes éprouvent à l’endroit des étrangers et de leurs concitoyens, ils la ressentent à l’égard du style ; ainsi faut-il donner à son langage une couleur étrangère (ξένην), car on est étonné de ce qui est éloigné, et ce qui excite l’étonnement est agréable56.

Comme Aristote, Muret associe la couleur étrangère à l’ornementation et aux figures qui s’écartent de l’usage courant et suscitent l’étonnement. De même que Cicéron ou Quintilien, il allie la pureté du style à la latinité57. Ainsi, la clarté et la limpidité de Tibulle en font un représentant de l’ingenium proprement romain, tandis que Properce cultive au contraire l’étrangeté et privilégie la sophistication. Après avoir établi cette distinction, Muret recommande les deux auteurs et indique qu’il les a lui-même abondamment lus et imités dans sa jeunesse58. Conformément à une tradition pédagogique héritée des Anciens, il associe la lecture des poètes à la production poétique, qui exige une connaissance approfondie des codes. Or, l’opposition théorique 54 Dans sa vie de Tibulle, Critinus insiste sur l’élégance et la limpidité du style, Petri Criniti de poetis latinis, III, fol. 37v. La présentation de Properce met en valeur l’imitation de Callimaque et de Philétas (De poetis latinis, III, fol. 38r). 55 III, 2, 1404 b, mais voir aussi les livres 20 à 22 de la Poétique (1456 b 20 1458 a 17). 56  Trad. M. Dufour et A. Wartelle, Paris, 1980, p. 41. Nous avons remplacé « admirer » par « étonner ». 57  Voir Cicéron, Orator, 79 ; De oratore, III, 48 sq. et Quintilien, Institution oratoire, VIII, 2. 58  Propertius, 1558, fol. A3v. Satius fuerit, utrunque studiose ac diligenter evolvere, utriusque virtutes accurate perpendere, utrunque sibi ad imitandum proponere, si quando forte nos ad tentatum idem poematis genus aut voluntas adducet, aut naturae impetus feret. Quae ego omnia in me fuit, summo studio adolescens factitavi. Non enim facile concesserim multis, qui hos poetas saepius, aut accuratius legerint, aut vero plus operae posuerint in eorum virtutibus imitando exprimendis. « On se contentera de les lire tous deux avec ardeur et attention, d’apprécier soigneusement les qualités de chacun et de les imiter tous deux si la volonté ou la nature nous conduit à faire l’essai du genre élégiaque. C’est ce que je n’ai cessé de faire de toutes mes forces, avec la plus grande ardeur, lorsque j’étais jeune. Il serait, en effet, difficile de trouver beaucoup d’hommes qui aient lu ces poètes plus souvent ou avec plus de soin, ou qui aient consacré plus d’énergie à reproduire leurs qualités en les imitant ».

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établie dans le commentaire est illustrée dans le recueil élégiaque. Dans la troisième élégie, Muret feint d’abandonner le domaine littéraire pour formuler un idéal de vie qui se caractérise par le refus des richesses et la volonté de mener une vie tranquille auprès de sa maîtresse. Ce motif est commun à toute la génération élégiaque, mais Muret adopte la persona de Tibulle, ce qu’il signale en adoptant le canevas de la première élégie et en intégrant selon la technique du centon de nombreuses expressions de la troisième élégie du livre III : Scire cupis, quae sit votorum summa meorum, Et qua praecipue vivere sorte velim ? Non ego tecta mihi Phrigiis innixa columnis, Diuitis aut auri pondera mille petam, Non ab Erythraeo repetendas littore conchas, Aut quae centenus jugera taurus aret, Sed tecum longae traducere tempora vitae, Securúmque tuo semper amore frui59.

Comme Tibulle, Muret se dit prêt à participer aux travaux agricoles (v. 16) ; comme lui, il met en œuvre une rhétorique du désir et du fantasme qui donne peu à peu réalité à la femme aimée par l’accent mis sur des détails symboliques – la blancheur des bras (v. 11), la douce chaleur du sein (v. 12), les mots doux comme le miel (v. 13) – et des mises en scènes de la femme aimée – la course dans les montagnes (v. 19‑20), le repos sur l’herbe (v. 21‑22), le baiser (v. 22‑23). Insensiblement, par l’intermédiaire de la forme ambiguë curram, les visions acquièrent plus de réalité et passent du subjonctif au futur. Comme le poète antique, il suscite un univers bucolique qui présente tous les caractères du locus amoenus (v. 29‑32) et il imagine ses funérailles et la douleur de sa maîtresse (v. 35‑38). L’inscription funéraire qui clôt le poème fonctionne comme une métonymie du fantasme, puisque le simple fait de la graver 59  Juvenilia, élégie III, v. 1‑8 : « Tu désires savoir quel est de mes vœux le plus cher, / Et quelle destinée j’aimerais le mieux vivre ? / Ce ne sont ni des toits posés sur des colonnes Phrygiennes / ni mille livres d’or précieux que je rechercherais, / ni les coquillages qu’il faut aller chercher sur les rivages Erythréens, / ni les arpents labourés par cent bœufs, / mais passer avec toi tout le temps d’une longue vie, / et, à l’abri, jouir pour toujours de ton amour ». Le vers 3 reprend Tibulle, III, 3, v. 13 : Quid domus prodest aut Phrygiis innixa columnis, le vers 4, Tibulle, III, 3, v. 11 : Nam graue quid prodest pondus mihi diuitis auri, le vers 5, Tibulle III, 3, v. 17 : Quidue in Erythraeo legitur quae litore concha, le vers 6, Tibulle, III, 3, v. 12 : arua si findant pinguia mille boues. On reconnaît en outre dans les vers 4 et 6 une transposition de Tibulle, I, 1, v. 1‑2, Muret conservant la position métrique des mots empruntés : « Diuitias alius fuluo sibi congerat auro / et teneat culti iugera multa soli (…) ». Enfin, le vers 8 imite Tibulle, I, 1, v. 77 : « ego composito securus aceruo ».

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dans la pierre suffit à présenter l’union du couple comme une réalité, l’effet de réel étant renforcé par l’usage de l’imparfait et la triple répétition de l’adjectif unus : Cor fuerat binis unum, mens una, viator, Quorum nunc unus contegit ossa lapis60.

En composant cette élégie, Muret avait peut-être en tête la caractérisation du genre par Diomède. En effet, les premiers vers imitent les vers de Tibulle cités par Diomède au début de sa définition, tandis que l’inscription finale renvoie à l’origine funéraire du genre dont témoigne l’étymologie du mot élégie développée par le grammairien : Elegia est carmen compositum hexametro versu pentametroque alternis in vicem positis, ut Divitias alius fulvo sibi conserat auro Et teneat culti iugera multa soli. Quod genus carminis praecipue scripserunt apud Romanos Propertius et Tibullus et Gallus imitati Graecos Callimacheum et Euphoriona. Elegia autem dicta sive παρὰ τὸ εὖ λέγειν τοὺς τεθνεῶτας (fere enim defunctorum laudes hoc carmine conprehendebantur), sive ἀπὸ τοῦ ἐλέου, id est miseratione, quod θρήνους Graeci vel ἐλεεῖα isto metro scriptitaverunt61.

Si l’élégie 3 illustre le rêve pastoral à la manière de Tibulle, l’élégie 5 est une déclaration de fidélité probablement inspirée de l’élégie II, 20 de Properce. Comme dans l’élégie précédente, Muret signale son modèle par des emprunts textuels. Ainsi le vers 24 (Vna dies uitam finiet, una fidem : le même jour mettra fin à ma vie et à ma foi) imite le vers 18 de l’élégie antique (ambos una fides auferet, una dies : un seul lien, un seul jour nous ravira tous deux). La transposition manifeste une grande familiarité avec le poète antique : Jean-Paul Boucher a, en effet, montré que Properce n’utilise que le nominatif, l’accusatif et l’ablatif du nom fides et que deux fois sur trois ces dissyllabes sont utilisés pour termi60  « Ils n’avaient à eux deux qu’un seul cœur, qu’une seule âme, voyageur, / ceux dont cette pierre unique couvre à présent les os ». 61 Diomède, ars, in Grammatici latini, éd. H. Keil, Leipzig, 1857, I, p. 484. « L’élégie est un chant composé en une alternance d’hexamètres et de pentamètres, comme ‘Qu’un autre amasse un trésor d’or fauve et possède des milliers d’arpents d’un sol bien cultivé’. Chez les Romains, ce genre fut tout particulièrement illustré par Properce, Tibulle et Gallus qui imitaient les Grecs Callimaque et Euphorion. Le nom élégie provient soit de παρὰ τὸ εὖ λέγειν τοὺς τεθνεῶτας (les éloges funéraires étaient presque tous composés en ce mètre), soit ἀπὸ τοῦ ἐλέου, c’est-à-dire de la pitié, parce que les Grecs ont écrits des thrènes ou ἐλεεῖα ce mètre ».

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ner un pentamètre62 . En plaçant fidem à la fin du pentamètre, Muret respecte donc l’emploi métrique de ce terme chez son modèle. De nombreuses autres sources antiques sont intégrées à l’éthopée, mais leur intégration respecte la manière de Properce telle qu’elle est décrite dans l’épître à François de Gonzague. Muret cultive ici, en effet, un art fondé sur l’érudition et l’allusion, qui illustrent la qualité de l’étrangeté (to xenon). Le poème s’ouvre ainsi sur la formule elliptique des « années du sable de Cumes » (Cumaei (…) pulveris annos, v. 1), qui fait référence au mythe selon lequel Apollon accorda à la Sibylle de Cumes de vivre autant d’années qu’elle pourrait tenir de grains de sable dans sa main. C’est l’exemple qu’utilise Properce lorsqu’il souhaite que la vieillesse n’altère pas les traits de Cynthie (II, 2, 16). De même, les Parques ou la mer sont respectivement désignées par les expressions : « sœurs que la nuit a fait naître de l’Érèbe antique » (sorores, / Quas nox antiquo sustulit ex Erebo, v. 7‑8), puis « prés de Neptune » (Neptunia prata, v. 15). Comme Properce et selon la plus ancienne tradition poétique grecque, Muret utilise à plusieurs reprises les substitutifs allusifs du nom propre : ainsi, Hélène et Ariane sont nommées par leur patronyme, respectivement Tyndaride63 et Minoi64, tandis que Cupidon est désigné par l’adjectif Idalius, en référence à la ville de l’île de Chypre, qui révérait sa mère. Au contraire, l’élégie 3, dont Tibulle est le modèle dominant, se distingue par sa limpidité et sa fluidité. Aucune allusion mythologique, mais une utilisation mesurée de l’épithète géographique : « Phrigiis (…) columnis » (3, 3) ; « Erythraeo (…) littore » (3, 5) ; « Chaonias (…) aues » (3, 24). Pas d’ornementation voyante, mais une attention particulière portée aux modulations harmoniques et de discrets jeux d’échos dans l’attaque des hexamètres : non ego (v. 3), non ab (v. 5), non ego (v. 27) ou sed tecum (v. 7), sic tecum (v. 15), tecum ego (v. 19). Or, une scholie de Muret portant sur la première élégie de Tibulle rattache explicitement le procédé à la catégorie stylistique de l’élégance : Apparet, hunc poetam elegantiam quandam putasse esse in eiusdem syllabae continuata repetitione. Vt supra, Me mea : et nunc ipse seram : et mox poma manu : et infra, multa tabella : et sicca canis, et tam multis locis denique, ut constet, hoc non casu, sed dedita opera factum65. 62 

Études sur Properce, Paris, 1965, p. 86, note 3. Enéide, II, v. 601. 64  Catulle, 64, v. 60 ; Tibulle, III, 6, v. 41 ; Properce, III, 19, v. 27 ; Ovide, Métamorphoses, VIII, v. 174. 65  Propertius, 1558, fol. 40r et v « Il apparaît que notre poète a pensé qu’il y avait une certaine élégance à répéter plusieurs fois de suite la même syllabe. Comme plus 63 Virgile,

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La remarque est mentionnée par le jésuite Pontano dans ses Poeticarum institutiones : Praeterea Tibullus, vt Muretus animadvertit, elegantiam quandam judicauit esse in eiusdem syllabae continuatione. Lib. 1, eleg. 1 : Me mea paupertas […]66.

Ces deux poèmes des Juuenilia illustrent donc les particularités stylistiques mises en valeur dans le commentaire philologique : d’un côté, la simplicité d’une rhétorique de l’enargeia ; de l’autre, la sophistication d’une poésie érudite et allusive. Les convergences entre théorie et pratique sont indéniables. On peut ainsi identifier une influence de la théorie, antique et humaniste, sur le codage du genre par certains poètes. Les commentaires humanistes de l’Art poétique d’Horace conduisent ainsi Pontano et Jean Second à majorer les motifs de la plainte et du vœu par rapport aux élégiaques antiques et à les exhiber dans leurs élégies métadiscursives. De même, l’imitation de Tibulle par Muret, dont l’œuvre illustre une parfaite continuité entre le commentaire des auteurs et la composition poétique, a été orientée par les prescriptions de Diomède, relayées par les théoriciens humanistes. On trouve des épitaphes chez les élégiaques antiques, mais l’insistance des théoriciens sur l’origine funéraire du genre contribue à la sélection de ce motif par le poète humaniste. Il faut aussi prendre en compte l’influence de la praxis humaniste sur la théorie, les poèmes néo-latins ont parfois servi de filtre et ont à leur tour nourri la théorie humaniste : Pontano, poète élégiaque et promoteur d’une élégie très ornée, mais aussi théoricien de l’admiratio dans l’Actius, a joué un rôle indéniable dans la caractérisation du genre par Robortello et par Minturno. Bien qu’il ne mentionne pas Second dans l’Hypercriticus, Jules-César Scaliger semble tenir compte des Élégies du flamand lorsqu’il caractérise le genre élégiaque. En tout état de cause, on peut distinguer l’esthétique napolitaine, qui prône une ornementation et une érudition mythologique recherchées, de la modération prescrite par Josse Bade et illustrée par Jean Second.

haut : Me mea : et nunc ipse seram : et mox poma manu ; et plus loin, multa tabella : et sicca canis. On peut citer de si nombreux passages qu’il est évident que ces exemples ne sont pas le fruit du hasard mais d’un travail conscient ».  66  Poeticarum institutionum libri III, II, 25 : « Virtutes et artificium elegorum », Ingolstadt, 1600 (3e ed.), p. 126.

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Perrine G aland

JEAN SALMON MACRIN ÉDITEUR ET LECTEUR DE L’ART POÉTIQUE DE JÉRÔME VIDA (1527) L e 5 juillet 1527, l’huma niste or léa nais Nicolas B ér auld (1470-c. 1555) publia à Paris, chez Robert Ier Estienne, en collaboration avec le poète Jean Salmon Macrin (1490‑1557), le De arte poetica de Girolamo Vida (c. 1485‑1566), sous le titre M. Hieronymi Vidae Cremonensis De arte poetica libri tres. Parisiis ex officina Roberti Stephani e regione scholae decretorum, MDXXVII. La première version manuscrite de l’ouvrage1, qui avait sans doute commencé à circuler vers 1517 et fut envoyée en 1520, à leur demande, aux Patres de Crémone pour les écoles de la ville (comme en témoigne une lettre de l’auteur), ne fut éditée pour la première fois qu’en mai 1527 à Rome2 , après de multiples suppressions et corrections, sous le contrôle de Vida lui-même. Le texte 1  Cette version beaucoup plus longue que celle de l’édition romaine nous a été conservée dans le codex dit Venturi : au x i x e siècle, le manuscrit était encore en la possession du Baron Vernazza, mais il brûla en 1904. Une copie de ce manuscrit avait été faite par Giovanni Battista Venturi et Francesco Novati en 1818. C’est ce texte que Ralf G. Williams a édité en appendice de l’édition romaine de 1527, en le datant de 1517 (The ‘De arte poetica’ of Marco Girolamo Vida, translated with commentary and with the text of 1517, ed. R. G. Williams, New York, 1976). Pour une synthèse de la genèse du texte (très controversée), voir S. Rolfes, Die lateinische Poetik des Marco Girolamo Vida und ihre Rezeption bei Julius Caesar Scaliger, München-Leipzig, 2001, p. 37‑42 et, plus récemment, la riche thèse de M.-F. André, Nicolas Bérauld, laissé pour compte des ‘Bonnes Lettres’. Monographie sur l’humaniste orléanais Nicolas Bérauld (c. 1470-c. 1555), thèse de doctorat sous la direction de P. Galand, Université de Paris-Sorbonne, novembre 2011, t. II, p. 444 et s. Il existe deux autres éditions modernes de l’Art poétique : Marco Girolamo Vida : l’‘arte poetica’, ed. Raffaele Girardi, Bari, 1982 et Marco Girolamo Vida. De arte poetica, Art poétique, édition et traduction de Jean Pappe, Genève, 2013, dont j’userai ici. Voir aussi le mémoire de master de G. Mérot, Entre imitation et détournement : quelques aspects du De arte poetica de Marco Girolamo Vida (1527), soutenu sous ma direction en 2009 à l’EPHE. 2  Marci Hieronymi Vidae Cremonensis de Arte poetica Libri III, eiusdem De Bombyce lib. II, eiusdem de Ludo scacchorum lib. I, eiusdem Hymni, eiusdem Bucolica, Romae, 1527.

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publié par Bérauld et Macrin avait été probablement envoyé au poète par Guillaume Du Bellay3, son grand ami et protecteur, qui séjourna en Italie de mars à juin 1527 ; il s’agit certainement d’une édition pirate, publiée sans que son auteur en ait eu connaissance. Le texte parisien est plus proche de l’édition romaine que du manuscrit (le codex dit Venturi), mais il n’est pas complètement identique et représente sans doute une version intermédiaire4. Les poèmes de Vida n’y figurent pas, la dédicace du Crémonais à Angelo Dovizzio, neveu et secrétaire du cardinal Bibienna, proche de Léon X, a été reprise du codex Venturi – pourtant cette dédicace avait été remplacée dans l’édition de Rome par une adresse au Dauphin François. Béraud a rédigé lui-même l’épître introductive adressée à Louis de l’Estoile5, où il mentionne, comme on le verra, le désir qu’avait Macrin de voir diffuser en France les œuvres de Vida. Au moment où il édite l’Art poétique, Jean Salmon Macrin n’est pas encore une gloire nationale. Après des débuts prometteurs dans la poésie religieuse, le Loudunais, entré au service de l’archevêque Antoine Bohier, puis précepteur des deux fils de René de Savoie, voyageant sans cesse, avait cessé d’écrire pendant treize ans. En 1525, la rencontre avec Guillonne Boursault, plus jeune que lui de vingt ans, qu’il épousa en août 1528, raviva vigoureusement son inspiration. Il publia, à la fin de 1528 ou au début de 1529, le Carminum libellus, suivi en 1530 des Carminum libri quatuor, recueils consacrés à la célébration, après Pontano, de l’amour conjugal. Ces recueils connurent un grand succès, et pendant plus de vingt ans, jusqu’à la mort de Guillonne (1550), Macrin continua d’éditer des volumes d’odes autobiographiques consacrés à sa famille, à sa carrière et à la religion6. Le cas de Macrin me semblait particulièrement intéressant dans la perspective de ce colloque : l’humaniste érudit, qui allait devenir le plus grand poète latin de la première moitié du x v i e siècle, publie, juste au moment de s’engager dans l’activité de poète de cour, le second art poé-

3  Selon G. Soubeille dans J. Salmon Macrin, Epithalames et odes, éd. et trad. G. S., Paris, 1998, p. 40. 4  En 1522 selon S. Rolfes, Die lateinische Poetik, p. 42 et n. 169. Il existe sept exemplaires de cette édition, à Leyde, à Rome, à Venise, au Vatican, à Harvard et à la Mazarine : 20808 (4) et 21274 (2). Voir M.-F. André, Nicolas Bérauld, p. 446. 5  Texte analysé par M.-F. André, Nicolas Bérauld, p. 447‑448. 6  Sur l’importance de Macrin en France, voir par exemple mon article « Quelques orientations spécifiques du lyrisme néo-latin en France » [Lecture plénière pour la France au Congrès international de l’International Society of Neo-Latin Studies, Bonn, août 2003], in Acta Conventus Neo-Latini Bonnensis, ed. R. Schnur, Tempe (Medieval and Renaissance Texts and Studies), 2006, p. 299‑320.

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tique de la Renaissance7, qui devait être lu encore pendant des siècles8. Peut-on en déduire pour autant que la pratique poétique macrinienne constitue une illustration des théories de Vida ? La réponse n’est pas si simple, bien entendu, et le rapport de Macrin à Vida mérite d’être étudié sous des angles différents. Je m’intéresserai d’abord aux raisons qui ont pu pousser Macrin à éditer son collègue italien malgré la différence de leurs contextes politiques et littéraires, puis je tenterai de confronter les choix poétiques des deux auteurs en reprenant les points successifs (empruntés à la rhétorique comme dans bien des arts poétiques) traités par Vida dans son art poétique : genre et aptum, imitation-inspiration, disposition, style. Pour que cette comparaison soit vraiment complète, il faudrait aussi mettre en parallèle la propre pratique poétique de Vida et ses préceptes9, mais je n’en ai pas ici le loisir. Jea n Salmon M acr in tone (1515)

et

Nicolas B ér auld

éditeurs de

Sué -

L’édition de l’art poétique de Vida n’a pas été, pour Macrin, la seule occasion de collaboration avec l’humaniste Bérauld, pilier du cercle de Budé, qui, sa vie durant, se consacra à transmettre l’héritage du Quattrocento aux Français, et notamment les théories littéraires d’Ange Politien. Autour de 1515 déjà, Macrin (alors âgé de 25 ans) et Bérauld (son aîné de 20 ans) avaient uni leurs compétences lors d’un cours sur les Vies des douze Césars de Suétone, donné aux petites écoles de la Sorbonne. Les deux amis suivaient les traces de Politien, qui avait également commenté, en 1482‑1483, puis en 1490‑1491, le texte suétonien et publié la magistrale praelectio du second cours, où il analysait, autour de Suétone, les enjeux de l’historiographie10. Bérauld publia le texte des Vies, précédé de sa propre praelectio, puis de celle de Politien. Dans la préface de l’édition, il indique que « son associé et presque collègue » Macrin, « commentateur docte et soigneux », socium ac pene collegam doctum et accuratum interpretem, s’était chargé du cours à part égale, 7  Le premier art poétique publié à la Renaissance est celui de Joachim Vadian (Vadianus), à Vienne en 1518. Voir mon article sur « Quelques aspects de l’influence de Quintilien sur les premières poétiques latines de la Renaissance (Fonzio, Vadian, Vida) », dans Quintilien ancien et moderne, coll. P. Galand, F. Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal, Turnhout (Latinitates 3), 2010, p. 303‑350. 8  Voir S. Rolfes, Die lateinische Poetik, p. 30‑36. 9  Voir M. Di Cesare, Vida’s Christiad and Vergilian Epic, New York, 1964 et G. Mérot, Entre imitation et détournement. 10  Voir P. Galand-Hallyn, « La leçon d’introduction à Suétone de Nicolas Bérauld (1515) : développement de l’èthos et poétique de la mémoire », dans Autour de Ramus. Texte, théorie, commentaire, coll. K. Meerhoff et J. C. Moisan, Québec, 1997, p. 235‑267.

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laborem hunc sibi nobiscum ex aequo partientem (il avait sans doute aussi aidé à la révision du texte suétonien) et qu’il avait su séduire les étudiants par une très élégante praefatio, ce qui avait incité Bérauld à écrire la sienne. Dans ce volume, les deux amis visaient donc à mettre à la disposition des étudiants et des lettrés le texte d’un historien important (sans lui apporter d’améliorations philologiques notables), mais tout autant sans doute, avec les deux praelectiones de Politien et de Bérauld (qui s’inspirait peut-être de Macrin), une réflexion théorique approfondie non seulement sur l’écriture historique elle-même, mais sur sa place exemplaire dans les artes. Les qualités principales attribuées à l’histoire, entendue comme discipline du passé au sens large, comme poétique de la mémoire, à l’instar de la philologie, se trouvaient projetées sur les autres domaines de l’encyclopédie ; mon élève Marie-Françoise André, dans sa riche monographie toute récente sur Nicolas Bérauld, montre bien comment l’humaniste, au fil de ses nombreuses et diverses préfaces ou annotations, a cherché à constituer un ensemble normatif cohérent au service de la communauté intellectuelle groupée autour de Budé. Politien avait surtout souligné la nécessité, en matière d’écriture, de la fides et de l’enargeia ; Bérauld essayait quant à lui d’aller plus loin – tout en empruntant au Florentin lui-même ses conceptions esthétiques originales de la varietas et de l’innutrition – en faisant l’apologie d’un style « intermédiaire » capable de subsumer et de varier les diverses qualités des autres styles. Dans sa cohortatio finale, l’Orléanais développait sa vision de la pédagogie humaniste : il définissait les auteurs à lire, recommandant essentiellement les poètes (avec une préférence pour les auteurs anciens), esquissant une brève apologie de la poésie selon les lieux du genre depuis Albertino Mussato, louant la comédie et la satire pour leur fides ; il identifiait, après Augustin, l’éthique de l’épopée virgilienne à celle de l’histoire, faisant – en un glissement de la fides à la mimesis – de l’historia épique une histoire instructive par son exemplarité ; il faisait aussi intervenir l’Horace des Epîtres (I, 2, v. 69‑70 et v. 17‑26) pour présenter l’épopée homérique comme réservoir d’allégories morales. La cohortatio se concluait par une exhortation à travailler imitée de Quintilien (XII, 11, 21 et s.), et par un démenti de certaines calomnies. Macrin, sous l’égide de Bérauld, dans le cercle et avec l’aval de Budé, s’est ainsi trouvé associé dès ses débuts à une entreprise à vocation multiple, qui peut jeter quelque lumière sur son appréciation et son utilisation ultérieures de Vida : constituer un trésor de textes formateurs pour les humanistes français débutants ; mettre au point des normes intellectuelles et littéraires, une « poétique » au sens large, clairement

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empruntée à la « révolution » anti-cicéronianiste de Politien et à Quintilien avant lui, et visant à la formation et à l’épanouissement du génie individuel, dans les limites, toutefois, de la foi et de la morale chrétienne, dont le Quattrocento florentin était nettement plus affranchi. La reprise, en 1527, de l’association Bérauld-Macrin à l’occasion de l’édition de Vida doit être examinée à l’aune de cette première édition commune. Vida

et le cercle de

la poétique  ?

M acrin :

deux conceptions opposées de

Le De arte poetica est, comme l’indique la lettre de Vida aux patres de Crémone, un manuel de pratique poétique à l’intention des étudiants, plus qu’un traité théorique élaboré. Il est rédigé en hexamètres dactyliques, sur le modèle de l’Épître aux Pisons d’Horace, des Géorgiques de Virgile11, poèmes didactiques, et peut-être des Silves de Politien, discours poétiques sur la poésie. Bien que la version romaine de 1527 (parue quelques jours avant le sac de Rome) soit dédiée, dans une perspective d’alliance politique contre Charles Quint, au Dauphin François, alors retenu en captivité comme otage, la poétique de Vida s’inscrit d’abord dans la perspective d’une célébration de Rome et de la translatio imperii et surtout studii, telle que les règnes de Léon X, puis de Clément VII l’avaient conçue. Léon X, comme on sait, avait voulu réinstaurer un âge d’or analogue à celui d’Auguste, mais christianisé ; tel était le mot d’ordre des écrivains et des artistes de son temps, qui ont maintes fois développé la comparaison12 . Dans cet esprit, Léon X luimême, plein d’admiration pour les premières œuvres de Vida (c.  1512 : deux poèmes didactiques l’un sur le jeu d’échecs, Scacchia ludus, et l’autre sur l’élevage du ver à soie, Bombyx), lui avait commandé une épopée virgilienne à la gloire du Christ, la Christiade, qui ne paraîtra qu’en 1535, dédiée finalement à Clément VII, son successeur et connaîtra un succès international. L’art poétique, composé parallèlement à cette épopée, est ainsi centré principalement sur le genre de l’èpos, présenté, conformément à la tradition, comme supérieur aux autres, même si Vida précise au début du poème que ses conseils pratiques sont également valables pour tous les autres genres (I, v. 40‑43) – le livre I est consacré très largement à la pédagogie ; au livre II, où le poète traite de 11  Voir

l’introduction de Jean Pappe à son édition de l’art poétique. Voir la thèse de doctorat de S. Charbonnier, Rhétorique et poétique chez les peintres et les poètes dans la Rome de Léon X, soutenue sous ma direction à l’université de ParisSorbonne, 2011. 12 

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l’inventio et de la dispositio, il vante l’inspiration qu’il assimile à première vue au furor tel qu’il a été décrit depuis le néo-platonisme ficinien ; au livre III, Vida détaille l’elocutio, le style (il ne dit rien de la métrique), et définit les critères de l’imitatio-aemulatio, en posant Virgile comme le modèle majeur – quoiqu’inégalable –, semblant offrir, en matière de poésie, le pendant du cicéronianisme romain en prose. La relation personnelle de Vida, auteur de la Christiade, à Virgile est celle d’un disciple et même, malgré la nécessaire modestie qu’il affiche, celle d’un émule, comme l’a bien montré J. Pappe13. La doctrine contenue dans l’art poétique de Vida apparaît donc, à première vue, en totale contradiction avec les choix poétiques de Macrin et de son cercle, tels que le paratexte de l’édition de Suétone, par exemple, les présentait : très désireux de laver les Français de l’accusation de barbarie que l’Italie faisait peser sur eux depuis Pétrarque, le Loudunais et ses amis désirent récupérer pour leur compte la grandeur de Rome14 ; ils préfèrent la poétique du temperamentum individuel – léguée par Quintilien et Macrobe, rénovée par Politien et relayée par Érasme –, qui privilégie les petits genres d’expression personnelle, où il se sentent plus à l’aise, et délaissent l’épopée conçue comme trop peu modeste15 ; ils sont adeptes d’une imitation éclectique qui débouche sur l’affirmation d’un génie individuel, et tendent à rationaliser fortement par l’ars, comme Politien après Horace et Stace, la notion de furor, à laquelle ils substituent celle de calor, d’inspiration liée à la virtuosité et à l’émotion autant ou plus qu’à une intervention divine. Bref, ils suivent plus volontiers l’école de Florence (dans le but de l’égaler) que sa rivale, l’école de Rome. Si, de plus, on observe dans ses grandes lignes la nature des œuvres de Macrin publiées peu après le De arte poetica de Vida, on ne retrouve a priori aucune des orientations majeures du Crémonais : Macrin n’a jamais montré la moindre inclination pour l’épopée ou les genres à coloration héroïque16 ; les recueils de 1528, 1530, 1531 jettent les bases 13  Voir

l’introduction de Jean Pappe, p. 19 et s. dans les Hymnes de 1537 (éd. S. Laburthe-Guillet, Genève, 2010), le poème I,  30 : Ad poetas Gallicos qui célèbre l’avènement de la translatio studii en France. 15 Voir mes articles « Marot, Macrin, Bourbon : “Muse naïve” et “tendre style” », dans La Génération Marot. Poètes français et néo-latins (1515‑1550), Actes du Colloque international de Baltimore – 5‑7 décembre 1996, éd. G. Defaux, Paris, 1997, p. 211‑240 et « ‘Médiocrité’ éthico-stylistique et individualité littéraire », dans Eloge de la médiocrité. Le juste milieu à la Renaissance, éd. E. Naya et A.-P. Pouey-Mounou, Paris, 2005, p. 103‑120. 16 Voir S. Provini, Les Guerres d’Italie entre chronique et épopée : le renouveau de l’écriture héroïque française et néo-latine en France au début de la Renaissance, à paraître. 14  Voir,

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de ce que sera sa poétique au long de sa carrière jusqu’en 1550, à savoir une collection d’odes autobiographiques (plus rarement d’élégies ou d’épigrammes) rédigées dans un esprit et un style qui doivent beaucoup à Catulle et plus encore à Horace, comme l’indique le titre de Carmina attribué aux volumes de 1528 et de 1539. Bien vite, Macrin deviendra, pour ses compatriotes admiratifs, l’« Horace français »17 et il ne modifiera jamais la formule très individualiste de ses écrits, même si, avec l’âge et les malheurs, sa production sera moins centrée sur le thème de l’amour conjugal et davantage sur la recherche d’une sagesse de vie chrétienne, inspirée par Érasme et sa lecture de la devotio moderna. Comment, dans ses conditions, comprendre l’intérêt de Macrin pour Vida ? Une lecture attentive de la dédicace de l’édition parisienne à Louis de L’Estoile, confrontée à des analyses récentes de l’Art poétique, qui en soulignent bien l’ambiguïté, peut nous apporter quelques éléments. L’épître (fol. 2r-2v) est rédigée par Bérauld, mais elle évoque l’importance du rôle de Macrin dans la publication : Nicolaus Beraldus Ludouico Stellae, Petri Stellae iurisconsulti filio, S P D. Verum quidem illud est, iucundissime Ludouice, quod « a summis eruditissimisque hominibus accepisse se Cicero testatur : caeterarum rerum studia, doctrina, praeceptis et arte constare. Poetas natura excitari, et quasi diuino spiritu inflammari ». Sed non minus uerum quod Flaccus scripsit : « non ingenio modo laudabile carmen fieri, sed arte quoque uique adeo ; alterius altera poscit opem res, et coniurat amice ».

Ex quo itaque in te adhuc puero perspexi non uulgare ingenium, teque ad antiqua illa ac uera studia natum, ac factum intellexi, non destiti hortari, diligenter ut caueres, ne quum sese tibi benignam, atque adeo beneficam natura praestitisset, tu tibi ipse aliquando defuisse uiderere.

17  Voir

Nicolas Bérauld à Louis de L’Estoile, fils du jurisconsulte Pierre de L’Estoile, salut. C’est assurément vrai, très cher Louis, ce que Cicéron atteste « avoir appris des hommes les plus éminents et les plus érudits : l’étude de toutes les autres disciplines nécessite un savoir, des règles et une technique. Les poètes sont inspirés par la nature et c’est comme par un souffle divin qu’ils sont enflammés » [Pro Archia, 18]. Mais ce n’est pas moins vrai, ce qu’Horace écrit : « ce n’est pas seulement par le génie qu’un admirable poème est créé, mais c’est aussi par la technique et par une certaine compétence ; la tâche réclame l’aide de l’un et de l’autre et les unit comme des amis » [Art Poétique, v. 408‑411]. À partir de là, donc, chez toi qui es encore un enfant, j’ai repéré un génie qui n’est pas commun, j’ai compris que tu étais né et fait pour l’étude véritable de l’Antiquité, je n’ai cessé de t’exhorter à faire soigneusement attention, alors que la nature s’était montrée à ton égard bienveillante et bénéfique, à ne pas, toi, sembler parfois lui manquer.

l’édition de G. Soubeille, p. 67 et s.

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Ob id praeceptorem tibi dedi graece lati­neque doctissimum, ac praecipiendi peritissimum, qui utriusque linguae te praeceptis institutisque formaret, et oratorum poetarumque assidua, cotidianaque lectione perpoliret.

Ipse uero, quoties istuc mihi per domesticas occupationes ac curas ire licuit, tibi quid sequerere coram praescripsi saepe, et posthac saepius, ut spero, praescribam. Interim Hieronymi Vidae poetica praecepta, quibus † mihi†  seculis aliquot elegantius prodiit, ad te mitto non legenda modo, sed ediscenda etiam, assidueque decantanda. Volo enim te et poetas legere et carmina graece latineque meditari ac pangere, sed ἐναρμόσω συνθέσει id quod tam belle praestitit Vida noster, ut haud sciam an alius quispiam felicius unquam, suauiusque cecinerit. Cuius rei fidem facient et alia eius scripta Salmonii nostri cura atque auspiciis propediem exitura.

Quicumque uero hos tam suaueis tamque diu expetitos libellos in manus sument, Salmonio ipsi se debere fateantur necesse est, qui missos ad sese ex Italia, non passus est inter blattas tineasque putrescere. Vale, Luteciae, Calendis Iulii 152719.

Pour cette raison, je t’ai alloué un précepteur très savant en grec et latin et très versé en pédagogie [Melchior Volmar, 1496‑1560, futur précepteur de Théodore de Bèze et de Calvin, enseignait le grec dans le pensionnat de Bérauld à Orléans, après avoir été lui-même l’élève de Bérauld], pour te former aux deux langues par ses préceptes et ses cours, et te perfectionner par la lecture assidue et quotidienne des orateurs et des poètes. Quant à moi, chaque fois que mes activités et mes soucis domestiques m’ont permis de me rendre chez toi, ce à quoi il fallait s’attacher, je te l’ai indiqué souvent de vive voix, et par la suite, plus souvent encore, j’espère, je te l’indiquerai. Cependant, les préceptes poétiques de Girolamo Vida, en comparaison desquels on n’a rien produit de plus élégant pendant plusieurs siècles, je te les envoie non seulement pour que tu les lises, mais aussi pour que tu les apprennes et les répètes inlassablement. En effet, je veux à la fois que tu lises les poètes et que tu conçoives et composes des vers en grec et en latin, mais « comment composer une œuvre harmonieuse »18, notre cher Vida l’a si bien montré que je ne sais si quelqu’un d’autre l’a jamais chanté avec davantage de bonheur et de charme. Ses autres écrits en feront foi aussi : ils vont être édités sous peu grâce au soin et sous les auspices de mon cher Salmon. Donc, quiconque prendra en main ces petits livres si agréables et si longtemps réclamés, il est forcé d’avouer qu’il le doit à Salmon lui-même, qui a refusé que les ouvrages qui lui ont été envoyés d’Italie pourrissent au milieu des blattes et des teignes. Adieu, de Paris, le premier juillet 1527.

Le dédicataire, Louis de L’Estoile (c. 1514‑1559), était le fils de Pierre de L’Estoile, grand ami de Bérauld et professeur de droit à Orléans, où il avait eu Calvin comme élève ; lui-même allait devenir président aux Enquêtes au parlement de Paris et engendrer le fameux chroniqueur appelé comme son grand-père Pierre de L’Estoile. À l’époque de l’édi18  Littéralement : 19  Texte

« je composerai une œuvre harmonieuse ». retranscrit d’après M.-F. André.

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tion de Vida, le jeune homme, âgé de 13 ans, est un élève prodige, qui deux ans plus tard, sera capable d’expliquer publiquement Lucien20. Le choix de ce dédicataire et le début de la dédicace placent d’emblée l’entreprise – à l’instar de celle de Vida lui-même dédiant sa poétique au dauphin François ou de Quintilien s’adressant à son fils – sous le signe de la relation pédagogique. Bérauld s’appuie sur l’auctoritas d’Horace contre Cicéron pour donner en exemple la méthode qu’il a appliquée à Louis de L’Estoile : constatant chez le jeune homme un « génie peu commun » (non vulgare ingenium), il a multiplié les procédés de l’ars pour cultiver ce talent naturel, qu’il juge comme Horace et Politien, insuffisant en soi, en lui procurant un précepteur de haut niveau et en intervenant lui-même21. La poésie tenant une place particulièrement importante dans la conception béraldiennne de l’éducation, le manuel de Vida apparaît comme un complément indispensable aux leçons de Volmar et de l’Orléanais. Plusieurs avantages du livre sont ainsi mentionnés : il peut être mémorisé aisément, sans doute en partie parce qu’il est en vers et aussi parce qu’il est « harmonieusement composé » ; il est d’accès plaisant ( felicius, suavius) mais également plein d’élégance, elegantius, sans doute aux deux sens du terme comme chez Valla, écrit à la fois dans un excellent latin et dans un style raffiné. Le texte combine ainsi judicieusement l’énoncé de préceptes poétiques et l’illustration d’une manière d’écrire appréciable. Il donne donc une très bonne idée des qualités de la pratique poétique même de Vida, qui se signale également par sa suavitas (suaveis… libellos) ; nous apprenons de plus que Macrin a reçu les autres poèmes du Crémonais et se propose de les éditer comme l’Art poétique. Bérauld, et de toute évidence Macrin, poursuivent donc ici – comme lors de l’édition de Suétone – leur tâche de formateurs du premier humanisme français, en sélectionnant un manuel pour ses qualités de clarté et d’agrément. Mais les éloges accordés de surcroît à Vida en tant que poète indiquent que les deux Français peuvent également accepter sa doctrine. La dédicace passe sous silence les éléments apparemment les plus importants de la théorie de Vida 22 : la prédilection pour le genre épique, l’imitation de Virgile ; l’épître se focalise en revanche sur la question de l’inspiration et du lien ars-ingenium ; tout en admettant la théorie (ici cicéronienne) du furor platonicien, Bérauld l’équilibre par l’exigence horatienne de l’ars. Les deux éditeurs taisent ou altèrent sans 20  Voir M.-F. André, 21  Voir M.-F. André, 22 

Ibid.

Nicolas Bérauld, volume des annexes, p. 902‑903. Nicolas Bérauld, vol. 2, p. 448 et s.

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état d’âme ce que, jusque là, la critique moderne avait dans l’ensemble considéré comme les caractéristiques majeures du traité ; il ne s’agit pas, à mon avis, d’incohérence ou d’opportunisme commercial, car la politique éditoriale de Bérauld est au contraire assez bien dessinée. Simplement, une lecture plus nuancée de Vida était possible. On commence à la trouver du reste chez les critiques les plus récents, comme Susanne Rolfes, qui compare les théories de Vida et de Scaliger, Jean Pappe, qui vient de publier le texte romain de 1527 en traduction française, Guillemette Mérot, dans un mémoire de master (2009) sur l’imitation chez Vida, ou encore dans une étude comparative entre Vida et Quintilien que j’ai publiée il y a peu23. Il est ainsi loisible de montrer que la théorie du furor chez l’Italien est loin d’être purement conforme au néo-platonisme. Au livre II, v. 395‑454, Vida décrit le processus de l’inspiration en évoquant, à côté de la possession divine, les émotions changeantes du poète, les altérations de son corps, l’influence des astres, et insiste sur la nécessité de résister à l’élan créateur ; il me semble ici suivre de près le livre X, 7 de l’Institution oratoire, où le rhéteur, à la fois fasciné et effrayé par la dimension quasi surnaturelle du calor, de la faculté d’improvisation, cherche à rationaliser le phénomène, à le placer sous le contrôle de la volonté et du labeur. En cela, Vida rejoint clairement les théories de Politien, influencé par Stace, à propos de la poésie du kairos. Quant au « virgilianisme » de l’Art poétique, une lecture attentive du texte permet d’en marquer les limites. Malgré l’admiration incontestable de Vida pour le poète de Mantoue, le poète n’impose pas à son disciple son unique imitation ; il s’agit d’une mesure pédagogique réservée aux élèves les plus jeunes (I, v. 208‑215) et l’Italien ne veut pas dissuader son lecteur d’explorer et d’imiter les autres écrivains (III, v. 193‑201). Par ailleurs il conçoit bien l’imitatio, à la façon de Quintilien et Politien, comme une émulation ostentatoire, qu’il qualifie non sans quelque provocation de furtum. Comme Vida insère cette perspective dans un schéma historiographique cyclique, qui affirme la supériorité de Virgile sur Homère, on peut aisément supposer, avec Jean Pappe, que Léon X attendait de l’auteur de la Christiade qu’il surpassât à son tour le Mantouan24. Si le Crémonais ne pouvait admettre un éclectisme aussi audacieux que celui de Politien, il n’était pas non plus le puriste virgilien qu’on a pu décrire. Profondément épris de docta varietas à tous les niveaux (cette variété même qu’il admire chez Vir23  Références 24  J. Pappe,

données dans les notes qui précèdent. introduction, p. 18.

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gile comme Pontano) – Jean Pappe va même jusqu’à trouver dans son écriture un certain « baroquisme » alexandrin25 –, Vida rejoint aussi sur ce plan l’esthétique de Politien. Finalement, comme le remarque justement Gregor Vogt-Spira, l’originalité de l’Art poétique ne consiste pas dans sa présentation de Virgile comme modèle (ce qui avait déjà été fait au Quattrocento), mais dans la manière dont il extrait de l’œuvre virgilienne des principes d’écriture pratiques, accomplissant « einen Übergang von Auctoritas zu Methode », « un passage de l’autorité à la méthode »26. Reste le Vida champion de Léon X et de la translatio imperii et studii romaine. Il ne semble pas non plus que l’Art poétique ait eu, à cet égard, de quoi gêner l’humanisme patriotique de Bérauld et Macrin. Nous savons que l’auteur de la Christiade avait souvent trouvé sa tâche pesante ; il écrira, dans son De republicae dignitate (au milieu des années 40), qu’il avait composé son èpos « contraint et forcé », iussus ne dicam coactus, que le poème était plus l’œuvre de Léon X que la sienne, rectiusque fere Leonis X (decimi) poemata quam mea dici possunt, qu’une fois éteinte la chaleur de l’inspiration, il était retourné, plus tard qu’il ne l’aurait voulu, à lui-même et à ses études antérieures, restincto in me calore illo, sine quo negabat Democritus, quemquam poetam magnum esse posse, serius quam uoluissem, ad me ipsum redii meque retuli ad pristina studia27 ; dès le début de l’Art poétique (I, v. 50‑53), il mettait déjà en garde le futur poète contre les œuvres de commande et le pouvoir des rois. J’ai essayé de montrer ailleurs28 que les arts poétiques latins de la Renaissance ont eu tendance à ériger en véritable dogme moral le conseil donné par Horace dans l’Épître aux Pisons, lorsqu’il incite son lecteur à choisir un sujet adapté à ses capacités ; certains théoriciens estimaient aussi que l’inspiration héroïque n’était plus adaptée au génie moderne, incapable de maintenir le souffle inspirateur très longtemps. Vida ici se présente en filigrane comme un anti-modèle, contraint par son souverain à forcer son tempérament jusqu’à l’altérité, en se lançant dans une entreprise qui le dépasse. Voilà pourquoi peut-être, au début de son Art poétique (I, v. 39‑43), il rappelle justement à son lecteur qu’il lui faudra adopter un genre conforme à ses forces et que, si l’épo25 

Ibid., p. 23‑29.

26  G. Vogt-Spira,

« Von Auctoritas zu Methode. Vergil als literarisches Paradigma in der Poetik des M. G. Vida », in Seculum tamquam aureum. Internationales Symposium zur italienischen Renaissance des 14.‑16. Jahrhunderts (Akademie Mainz), ed. C. Zintzen, Hildesheim, 1997. 27  Ed. Williams, I, p. x i x-x x . 28  P. Galand, « ‘Médiocrité’ éthico-stylistique ».

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pée reste le poème le plus prestigieux, ses préceptes fourniront de l’aide pour tous les autres genres. Jean Pappe, en une fine analyse29, suggère même que le Crémonais fait discrètement l’apologie d’un abandon de la geste héroïque traditionnelle, liée à une vision catastrophique de l’histoire, au profit d’une poétique moins hautaine et moins inaccessible, dont les Géorgiques, poésie intermédiaire selon Macrobe et Politien auquel l’Art poétique doit beaucoup, seraient finalement un modèle plus adéquat que l’Énéide elle-même. À la lumière d’une telle relecture, la lettre dédicatoire à Louis de L’Estoile s’explique mieux. Vida y apparaît non comme le chantre héroïque de la nouvelle Rome – il déguise mal son pessimisme politique –, mais comme un reflet des pédagogues-écrivains, fidèles à Horace et Quintilien, qui s’activent autour de Budé, érudits, dévoués, auteurs d’œuvres à la dimension humaine et à la tonalité modeste, telles ce que Bérauld nomme les suaves libelli de Vida. L’influence

de

Vida

sur

M acr in

L’Art poétique de Vida n’entrait donc pas en conflit avec la doctrine poétique du cercle de Budé. Peut-on pour autant trouver dans l’œuvre macrinienne les traces d’une influence précise du traité ? Georges Soubeille rappelle qu’en 1531, dans ses Lyricorum libri duo, Macrin se compare lui-même aux grands poètes lyriques latins et néo-latins (Vida, Molza, Euryale et Camillo) (p. 22)30. Il relève dans les recueils de 1528‑1531 plusieurs imitations ponctuelles du De arte poetica31. On observe par ailleurs, dans la doctrine des deux poètes, un certain nombre de points de concordance. Macrin n’a que faire, bien évidemment, dans ses recueils lyriques qui évitent le plus possible les allusions à la guerre, des préceptes directement liés au genre épique, tels que l’intéressante et originale théorisation narratologique du suspens que Vida procure au livre II consacré à la dispositio. En revanche, on le sent proche à bien des égards de l’èthos adopté par le Crémonais. Dans ses Hymnes de 1537 (p. 118), Macrin a rédigé un art poétique miniature à l’intention de son neveu Pacifique Salmon, dans lequel il condense sa doctrine. Il

29  J. Pappe,

introduction, p. 32‑36. (éd. cit., p. 41) estime qu’après sa publication, l’Art poétique « devint le bréviaire du Loudunais », mais il veut simplement dire que l’exemple de Vida autorisait Macrin à pratiquer l’imitatio et ne pousse pas davantage l’analyse. 31  Ibid., n. 5. 30  G. Soubeille

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s’y souvient manifestement de Vida, en même temps que d’Horace et de Quintilien32 : Instas, Pacifice, et molestus urges, Praescribam ut tibi diligenter ecquid Evadas uti doctus est agendum Et scribas numeros venustiores, Quales Caesius et Saleius olim Tersusque edidit ante Flaccus illos, Flaccus Pindaricae decus Camoenae. Non certe mihi id otii relictum est Haec ut fusius explicare possim, Nec doctrina ea, Musicae vel artis Consummatio ut erudire quenquam Perfecte valeam bonumque demum Certis redder regulis poetam. Qui, quod non habeam, dare ipse possim ? Hoc dicam modo pauculisque verbis Explanabo uti patrui Macrini Sis ob hanc memor institutionem, Dictis promoveas domesticisque. Si credis mihi, cum stylum parabis Accingeris et aemulationi, Duntaxat veteres leges poetas : Nec cunctos tamen, ast eos recepta Qui carmen feriunt probum moneta. Non est hic opus indicare qui sint, Quivis e trivio docebit istud. Posthaec schemata sedulo notabis Illorumque phrasim, tropos, figuras Et foeliciter ordinata verba. Siquid historicum poeticumve, Aut siquid physicum erues et acri Attendes studio anxiaque cura. Postremo quoniam artium magister Est usus, iubeo ut subinde carmen Componas numero modo hoc, modo illo, Assuetudine robores Camoenam Atque exercitio stylum fatigues. Tum si forte tibi poema felix Phoebi compositum faventis oestro est, Ne tu propterea tumore vano

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Tu insistes, Pacifique, et importun tu me presses, Pour que je t’indique avec diligence ce qu’il te faut faire Pour devenir savant Et pour écrire des vers pleins de charme, Tels que Caesius33 et Saleius jadis, Et le soigneux Flaccus avant eux en produisit, Flaccus la gloire de la Camène pindarique. Assurément je n’ai pas assez de loisir Pour développer ce sujet plus amplement, Ni une science ou une pratique De l’art des Muses suffisantes pour pouvoir parfaitement Eduquer quelqu’un et enfin faire de lui un bon Poète à l’aide de règles bien définies. Comme pourrais-je donner ce que je ne possède pas moi-même ? Je te dirai seulement et, en bien peu de mots, T’expliquerai, pour que tu te souviennes que ton oncle Macrin t’avait instruit Et pour que tu avances grâce aux paroles d’un parent. Si tu m’en crois, quand tu aiguiseras ta plume Et quand tu te seras muni de l’émulation, Tu liras seulement les antiques poètes Pas tous cependant, mais ceux Qui frappent leurs vers honnêtes d’un coin de bon aloi. Point n’est besoin ici d’indiquer qui ils sont, N’importe qui dans la rue pourra te l’enseigner. Ensuite tu relèveras soigneusement leurs figures, Leur style, leurs tropes, leurs expressions

32  Je donne le texte de l’édition de S. Laburthe Guillet et ma traduction s’inspire par endroits de la sienne. J’ai analysé ce poème dans « L’ode latine comme genre “tempéré”: le lyrisme familial de Macrin dans les Hymnes de 1537 », Humanistica Lovaniensia, 50 (déc. 2001), p. 221‑265. 33 Caesius Bassus, poète lyrique de l’époque de Néron et Saleius Bassus, poète de l’époque post-augustéenne (Quintilien, X, 1, 96 et X, 1, 90). Voir les notes de l’édition Laburthe Guillet, p. 704‑705.

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Infleris, tibi neve ineptus uni Credas, Quintilios adi severos, Ipsorum et tua subde scripta limae. Hoc si consilium sequere nec te Praebebis monitis meis rebellem, Vix certe effluet integellus annus, Cum iam commoda luculenta cernes Sementis patruae uberemque messem Et Iulii paries decus colonis.

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Et leurs arrangements de mots réussis. Tout sujet historique, poétique Ou physique, tu leur arracheras et d’un zèle Ardent, avec un soin attentif, tu t’y essaieras. Enfin, puisque de nos disciplines le maî­ tre Est l’habitude, je veux que souvent tu com­poses Des vers tantôt en ce mètre, tantôt en cet autre, Que tu fortifies ta Camène par la prati­ que, Et que tu fatigues ta plume par l’exercice. Alors, si d’aventure tu obtiens un poème réussi, Composé sous l’effet de la fureur du bienveillant Phébus, Ne vas pas pour autant te gonfler D’une vaine enflure, ne te fie pas, sottement À toi seul, mais va trouver de sévères Quintils Et soumets tes écrits à leur lime. Si tu suis ce conseil, si tu Ne te montres pas rebelle à mes préceptes, Assurément il ne faudra pas une année entière Pour que tu voies la brillante production Des semailles de ton oncle, leur féconde moisson, Et que tu fasses la gloire de la colonie de Jules34.

L’art poétique apparaît lié à une discipline, à une morale de vie, dans la tradition de l’Institution oratoire et aussi des écrits érasmiens contre la philautie. Aux vers 37‑42, Macrin évoque l’inspiration poétique dans des termes proches de ceux de Vida (II, v. 445‑454)35 :

34  C’est-à-dire la ville de Loudun, dont Macrin prétend qu’elle fut fondée par Jules César. Voir P. Galand, « Jean Salmon Macrin compatriote de Jules César : pour l’amour de ‘Iuliodunum’ », dans L’image de la ‘petite patrie’ provinciale chez les écrivains de la Renaissance. Actes du colloque organisé à l’Université de Dijon, 15‑17 mars 2012, éd. S. Laigneau-Fontaine, Genève, 2013, p. 309‑318. 35  Ed. Pappe. Je reprends la traduction versifiée de J. Pappe en la modifiant très légèrement au besoin.

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Ne tamen ah nimium, puer o, ne fide calori ! Non te fortuna semper permittimus uti Praesentique aura, saevum dum pectore numen Insidet ; at potius ratioque et cura resistat ; Freno siste furentem animum, […] Atque ideo semper tunc exspectare iubemus, Dum fuerint placati animi, compressus et omnis Impetus. Hic recolens sedato corde revise Omnia, quae caecus menti subiecerit ardor.

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Prends garde cependant, ô enfant, ne te fie pas trop à cette chaleur ! / Tu n’as pas permission de toujours te laisser aller à la fortune, / au souffle qui te prend, quand la divinité se déchaîne, en ton cœur / installée  ; que plutôt la raison, l’attention opposent résistance ; / mets un frein au délire agitant ton esprit […] / Et pour cette raison toujours, dans ces cas-là nous conseillons d’attendre / jusqu’à ce que ton âme ait retrouvé la paix et qu’elle ait réprimé / tous ses élans. Alors, d’un cœur rasséréné, retourne voir, reprends / tout ce qu’à ton esprit est venue proposer une passion aveugle.

Là où Vida se souvient de Quintilien au livre X, 7, 14 et X, 3, 6, Macrin évoque le Quintil horatien de la fin de l’Épître aux Pisons, v. 434‑452, mais tous deux reconnaissent une part divine dans la création poétique, qui garantit au poète les lauriers du vates, tout en appelant l’élève à contrôler l’enthousiasme – quelle que soit son origine exacte – par le labeur et la volonté. Un peu avant, aux vers 19‑36, Macrin traitait de l’imitation dans un esprit également proche de l’Art poétique de Vida, III, v. 185 et s. : Quo fieri id possit, veterum te semita vatum Observata docebit. Adi monimenta priorum Crebra oculis animoque legens, et multa voluta. Tum quamvis longe si quis supereminet omnes, Virtutem ex illo ac rationem discere fandi Te iubeam, cui contendas te reddere semper Assimilem atque habitus gressusque effingere eunQuantum fata sinunt et non aversus Apollo. [tis Haud tamen interea reliquum explorare labores Abstiteris vatum moneo, suspecta dita Sublegere et variam ex cunctis abducere gazam.

Comment y parvenir ? Observe le chemin qu’ont pris les vieux poètes : / il te l’enseignera. Va voir les monuments des anciens : que tes yeux, / ton esprit les parcoure souvent, tourne et retourne un bon nombre d’entre eux. / Alors, s’il en est un qui se montre de loin supérieur à tous, / apprends auprès de lui les vertus, la méthode qui font un écrivain, / si tu veux m’écouter, et fais tous tes efforts pour parvenir à être / toujours semblable à lui et calquer ton allure et tes pas sur sa marche, / autant que le permet le sort et qu’Apollon ne s’y oppose pas. / Mon but n’est pourtant pas de te dissuader d’aller pendant ce temps / reconnaître les œuvres des autres écrivains, recueillir au passage / des phrases remarquables et de puiser chez tous un trésor varié.

Le modèle commun aux deux poéticiens est évidemment, là encore, le livre X de Quintilien, même si Vida conseille de s’attacher à un auteur principal, dont l’influence sera complétée par d’autres lectures. Macrin, lui, place son art poétique sous les auspices d’Horace et de

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deux poètes vantés par Quintilien, le lyrique Caesius Bassus, ami de Perse, et le poète épique Saleius Bassus, récompensé par Vespasien36. Le compendium de Salmon témoigne ainsi clairement de la parenté des doctrines de Vida et Macrin sur les deux questions capitales de l’inspiration et de l’imitation. Au fil des recueils du Loudunais, on peut relever d’autres affinités moins explicitement formulées, mais assez frappantes. L’aspiration à la liberté intellectuelle et morale qu’exprime Vida avec insistance, en déconseillant le travail sur commande, trouve un pendant dans la pratique macrinienne de l’éloge ; j’ai essayé de montrer jadis37 que Macrin emploie la rhétorique épidictique de manière à préserver le plus possible sa dignité, en recourant au langage des affects et du contre-don, pour établir entre ses mécènes et lui-même une égalité fondée sur une communauté d’intérêts intellectuels et éthiques. Lorsque Vida traite du genre épique, il fait montre d’une sensibilité envers les victimes des guerres qui vient rencontrer celle de Macrin ; aux vers I, 115‑122, il décrit par exemple le premier contact de l’élève-poète avec l’épopée, ému surtout par le destin tragique des jeunes comme lui, emportés prématurément : les héros virgiliens Ascanius, Pallas, Lausus et Euryale ; pour Guillemette Mérot38, « cette expérience de l’empathie constitue en quelque sorte la première étape de l’initiation à la poésie ». Du reste, le poète doit être avant tout un « témoin », comme le suggèrent les nombreuses occurrences de la métaphore de la paideia-voyage dans l’Art poétique39 ; Vida préfère le voyageur au guerrier, présenté de façon négative40, il préfère Ulysse et Enée, en quête d’une sagesse, à Achille. Ce rôle de « témoin sensible et directement concerné » est précisément assigné au poète lyrique par Daniel Poirion41 et G. Soubeille reconnaît là l’èthos même de Macrin42 . Face aux horreurs de la guerre et au péril turc, par exemple, le Loudunais oscille entre l’expression horrifiée de l’indignation et le parti-pris de l’indifférence résignée43. Enfin Macrin 36  Voir

ci-dessus, n. 33. « Jean Salmon Macrin et la liberté de l’éloge », in Cultura e potere nel Rinascimento [Actes du IXe colloque international de l’Institut Pétrarque, ed. L. Secchi Tarugi, Chianciano-Pienza, 21‑24 juillet 1997], Firenze, 1999, p. 515‑529. 38  G. Mérot, Entre imitation et détournement, p. 73‑74. 39  Ibid., p. 44. 40  Ibid., p. 45. 41  D. Poirion, Le poète et le prince, l’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, Paris, 1965, p. 107, cité par G. Soubeille, éd. cit., p. 71 et n. 3. 42  Ibid. p. 71. 43  Ibid., p. 75. 37  P. Galand-Hallyn,

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retrouvait assurément chez Vida, prêtre catholique, futur évêque d’Albe (Piémont), une foi chrétienne commune, qui nourrissait et expliquait leur penchant identique pour une poétique de la maîtrise de soi et de la modestie. Cette foi génère sans doute leur semblable conception de la vocation poétique comme sacerdoce détaché de la cupidité et des ambitions du monde. Il s’agit là, bien sûr, d’un topos, inauguré par Boccace à partir de l’élégie autobiographique IV, 10 des Tristes d’Ovide, qui oppose la carrière du poète, désargenté mais serein, à celle des juristes ou des hommes politiques, riches mais tourmentés44. Vida le traite au livre I, 290‑311 en décrivant le sort misérable de l’élève-poète dont la vocation est contrariée par des parents sévères, l’obligeant à « aller habiter / les demeures altières des rois et diriger les affaires publiques », atria ut alta / Incoleret regum, rebus praefectus agendis (I, v. 308‑309), malgré sa rébellion pareille à celle d’un cheval qui cherche à échapper au mors. Macrin, dans les Odes de 1530, II, 23, v. 57‑80, dépeint au contraire avec reconnaissance la prévoyance de son père qui, dédaignant les conseils des siens et méprisant les « métiers lucratifs », lucrosas artes, « les sceptres et les carrosses dorés », sceptra inauratosque currus, autorise son fils à fréquenter les Muses45. En publiant le De arte poetica de Vida, qui apparaissait comme le symbole de la glorieuse suprématie de l’Vrbs et de son nouvel âge d’or, et pouvait constituer le pendant poétique du cicéronianisme romain, Macrin et Bérauld semblaient, à première vue, déroger à la doctrine poétique éclectique et française qu’ils avaient élaborée et transmise depuis bien des années, sur la base des écrits de Quintilien, Stace, Politien et Érasme. En réalité, l’épître dédicatoire de l’édition parisienne, qui gomme purement et simplement les éléments de la translatio imperii tout comme les aspects trop « virgiliens » du traité, pour insister sur ses qualités techniques et pédagogiques à la lumière d’Horace et de Quintilien, propose à ses lecteurs une approche orientée de l’ouvrage qui n’est pas seulement commerciale. L’Art poétique de Vida offre de nombreux points d’intersection avec l’esthétique florentine christianisée adoptée par Macrin et ses amis. Il reste difficile d’évaluer la part exacte de l’influence de Vida sur la poétique macrinienne, en raison de l’importance de leurs modèles communs, Horace et Quintilien. Il est évident toutefois que les positions des deux poéticiens sur des points 44  Sur

la question de la vocation à la Renaissance, voir la synthèse de P. Galand et J. Lecointe dans Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au x v i  e siècle, dir. P. Galand et F. Hallyn, Genève (Travaux d’Humanisme et Renaissance 348), 2001, p. 114‑117. 45  Cf. P. Galand, « Marot, Macrin, Bourbon… ».

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théoriques importants (l’inspiration, l’imitation, le style) diffèrent beaucoup moins qu’on aurait pu le croire et que, de surcroît, leurs personae respectives paraissent de nature à s’accorder aisément. Il est fort probable que Macrin avait perçu, longtemps avant nous, les fêlures et les inquiétudes secrètes qui minaient la glorieuse charpente du traité du nouveau Virgile et le rendait apte à être absorbé et consommé, comme bien d’autres ouvrages importés d’Italie, par le cercle de Budé. BIBLIOGRAPHIE A ndr é , M.‑F., Nicolas Bérauld, laissé pour compte des ‘Bonnes Lettres’. Mono­ graphie sur l’humaniste orléanais Nicolas Bérauld (c. 1470-c. 1555), thèse de doctorat sous la direction de P. Galand, Université de ParisSorbonne, novembre 2011. C har bonnier , S., Rhétorique et poétique chez les peintres et les poètes dans la Rome de Léon X, mémoire de master soutenu sous la direction de P. Galand, Université de Paris-Sorbonne, 2011. D i C esar e , M., Vida’s Christiad and Vergilian Epic, New York, 1964. G a la nd , P., « La leçon d’introduction à Suétone de Nicolas Bérauld (1515) : développement de l’èthos et poétique de la mémoire », dans Autour de Ramus. Texte, théorie, commentaire, coll. K. Meerhoff et J. C. Moisan, Québec, 1997, p. 235‑267. —, « Marot, Macrin, Bourbon : “Muse naïve” et “tendre style” », dans La Génération Marot. Poètes français et néo-latins (1515-1550), Actes du Colloque international de Baltimore – 5‑7 décembre 1996, éd. G. Defaux, Paris, 1997, p. 211‑240. —, « ‘Médiocrité’ éthico-stylistique et individualité littéraire », dans Eloge de la médiocrité. Le juste milieu à la Renaissance, éd. E. Naya et A.‑P. Pouey-Mounou, Paris, 2005, p. 103‑120. —, « Quelques orientations spécifiques du lyrisme néo-latin en France » [Lecture plénière pour la France au Congrès international de l’International Society of Neo-Latin Studies, Bonn, août 2003], in Acta Conventus Neo-Latini Bonnensis, ed. R. Schnur, Tempe (Medieval and Renaissance Texts and Studies), 2006, p. 299‑320. —, « Quelques aspects de l’influence de Quintilien sur les premières poétiques latines de la Renaissance (Fonzio, Vadian, Vida) », dans Quinti­ lien ancien et moderne, coll. P. Galand, F. Hallyn, C. Lévy et W. Verbaal, Turnhout (Latinitates 3), 2010, p. 303‑350. M acr in , Jean Salmon dit —, Epithalames et odes, éd. et trad. G. Soubeille, Paris, 1998 (1ère éd. 1978).

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M érot, G., Entre imitation et détournement : quelques aspects du De arte poetica de Marco Girolamo Vida (1527), mémoire de master soutenu sous la direction de P. Galand, E.P.H.E., 2009. Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au xvi  e siècle, dir. P. Galand et F. Hallyn, Genève (Travaux d’Humanisme et Renaissance 348), 2001. P rov ini , S., Les Guerres d’Italie entre chronique et épopée : le renouveau de l’écriture héroïque française et néo-latine en France au début de la Renaissance, thèse de doctorat soutenue sous la direction de J. Vignes et P. Galand, Université de Paris 7-EPHE, 2009, à paraître chez Droz. R olfes , S., Die lateinische Poetik des Marco Girolamo Vida und ihre Rezeption bei Julius Caesar Scaliger, München-Leipzig, 2001. Vida , G. : Marci Hieronymi Vidae Cremonensis de Arte poetica Libri III, eiusdem De Bombyce lib. II, eiusdem de Ludo scacchorum lib. I, eiusdem Hymni, eiusdem Bucolica, Romae, 1527. —, The ‘De arte poetica’ of Marco Girolamo Vida, translated with commentary and with the text of 1517, ed. R. G. Williams, New York, 1976. —, L’arte poetica, ed. Raffaele Girardi, Bari, 1982. —, De arte poetica, Art poétique, édition et traduction de J. Pappe, Genève, 2013. Vogt-S pir a , G., « Von Auctoritas zu Methode. Vergil als literarisches Paradigma in der Poetik des M. G. Vida », in Seculum tamquam aureum. Internationales Symposium zur italienischen Renaissance des 14.‑16. Jahrhunderts (Akademie Mainz), ed. C. Zintzen, Hildesheim, 1997.

LES AUTEURS A drian A rmstrong , Centenary Professor of French à Queen Mary University of London, se spécialise dans la littérature et, en particulier, la poésie de la fin du Moyen Âge ainsi que dans la « mise en livre » et la culture visuelle. Il prépare une édition critique des œuvres poétiques de Jean Molinet. School of Languages, Linguistics and Film, Queen Mary University of London, Mile End Road, London E1 4NS, Great Britain [email protected] Docteur en langues et lettres et Chargé de Recherches au Fonds National de la Recherche Scientifique belge auprès de l’Université catholique de Louvain (Groupe de recherche sur le moyen français), O liv ier D elsaux consacre ses recherches à l’étude de la transmission des textes français des xiv e et x v e siècles ainsi qu’à leur édition. Sa thèse de doctorat, consacrée aux pratiques et aux manuscrits autographes en moyen français, en particulier chez Christine de Pizan, a été récemment publiée. Rue Dekens, 14, 1404 Bruxelles, Belgique [email protected] Tom B. D eneir e , Ph.D. (2009) in Classics (Katholieke Universiteit Leuven), researched Neo-Latin epistolography and stylistics at that university, and was part of the NWO-project Dynamics of Neo-Latin and the Vernacular at the Huygens ING (The Hague). His research interests include stylistics, rhetoric, diglossia, literary theory, and, more recently, book history and library science. He is Curator of the Special Collections of the Antwerp University Library, specializing in seventeenth-century material, in particular Jesuit literature, and digitization projects. Special Collections Curator, Antwerp University Library, Prinsstraat 13, 2000 Antwerpen, België [email protected] Aspirant FNRS, docteur en Langues et Lettres de l’Université catholique de Louvain, puis assistant de recherches dans le cadre d’un projet du « Fonds de la Recherche Fondamentale Collective » (Fonds National de la Recherche Scientifique belge), G r égory E ms est philologue classique et plus particulièrement néolatiniste dix-septièmiste. Il a publié plusieurs articles consacrés aux emblèmes composés en grec ancien et en latin par les élèves des collèges

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jésuites de Bruxelles et de Courtrai au x v ii e siècle ainsi que l’édition critique (avec traduction française) de récits de fêtes jésuites latins dans le cadre du projet « Cultures du Spectacle Baroque. La fête baroque entre Italie et Anciens Pays-Bas (1585‑1685) ». Collège Érasme, bte L3.03.21, Place Blaise Pascal, 1, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique [email protected] L udmilla Ev dok imova , docteur ès lettres, directeur de recherches, travaille à l’Institut de littérature mondiale de l’Académie des sciences de Russie (Moscou) ainsi qu’à l’Université orthodoxe Saint-Tikhon. Spécialiste de la littérature française médiévale, elle a effectué des recherches dans quatre domaines essentiels : la poésie à la fin du Moyen Âge, l’opposition de la « forme-prose » et de la « forme-vers » du xiii e au x v e siècle, les arts poétiques et la pratique littéraire, et enfin la traduction. Parmi ses publications récentes, il faut compter le livre Du sens à la forme. La traduction en France au xiv  e siècle : vers une typologie, Moscou, Institut de littérature mondiale, 2011 (en russe). 5-1-14, 2e Pougatchevskaïa, 107553, Moscou, Russie [email protected] P er r ine G a la nd , Normalienne, ancien membre junior de l’Institut Universitaire de France, est professeur émérite de l’École pratique des Hautes Études. Elle est l’auteur de nombreux livres et articles sur la poétique de la Renaissance en Italie et en France. École pratique des Hautes Études, 17, rue de la Sorbonne, 75005 Paris, France [email protected] N atha lie H a ncisse a été collaboratrice scientifique à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve). Au terme de son mandat d’aspirante du Fonds National de la Recherche Scientifique (Belgique), elle a obtenu le titre de Docteur en Langues et Lettres en septembre 2014. Dans sa thèse, intitulée « Veritas Armata/Maria Stevarta, or Truth on Dis-Play : Mary, Queen of Scots in Translation (1565‑1652) », elle s’est intéressée à la question de la vérité et de sa mise en jeu dans les traductions de textes polémiques concernant Marie Stuart à l’époque pré-moderne, publiés en anglais, français, néerlandais, allemand et latin.  Rue Gustave-Jean Leclercq, 23, 1160 Bruxelles, Belgique [email protected] L a mbert I seba ert enseigne la philologie latine et la linguistique comparative indo-européenne à l’Université catholique de Louvain (Louvain-laNeuve). Ses recherches portent notamment sur l’histoire de la grammaire

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comparée dans l’Europe prémoderne et moderne (1450‑1900). Dernières publications : De Tuin der Talen. Taalstudie en taalcultuur in de Lage Landen 1450‑1750 (Orbis Linguarum. Studies op het gebied van de taalbeschrijving, de taalfilosofie, en de taal- en cultuurgeschiedenis, 3), Leuven, 2013 (avec P. Swiggers et & T. Van Hal) ; Poésie latine à haute voix (1500‑1700) (Latinitates, VI), Turnhout, 2013 (avec A. Smeesters) ; Heureux qui comme Ulysse… Hommage à Monique Mund-Dopchie, Louvain-la-Neuve (Transversalités 7), 2013 (avec A. Cheyns) ; À  l’origine des études sanscrites. Les œuvres de Heinrich Roth, Johann Ernst Hanxleden & Jean-François Pons s.j. (1660‑1740), éditées, traduites et annotées par P.‑S. Filliozat, L. Isebaert, J.‑Cl. Muller, T. Van Hal & C. Vielle (Mémoires de l’Académie des Inscriptions et BellesLettres), Paris (en préparation). Chaussée de Namur, 40, 1315 Roux-Miroir (Incourt), Belgique [email protected] M ichel J our de , Maître de conférences en littérature française du x v i e siècle à l’École Normale Supérieure de Lyon. Membre de l’Institut d’Histoire de la Pensée Classique (UMR 5037). Auteur, avec Jean-Charles Monferran, d’une édition de l’Art poétique de Jacques Peletier (Champion, 2011) et d’un volume sur Le Lexique métalittéraire français (xvi  e -xvii  e siècles) (Droz, 2006). 17, rue Justin Godart, 69004 Lyon, France [email protected] A nnelyse L emmens est aspirante du Fonds National de la Recherche Scientifique belge depuis octobre 2010 et travaille sur une thèse intitulée « Le livre mis en scène. Statuts, fonctions et usages du frontispice dans les anciens PaysBas entre 1585 et 1650 ». Attachée à l’Université catholique de Louvain, elle est membre du Group for Early Modern Cultural Analysis (GEMCA). Collège Érasme, bte L3.03.13, Place Blaise Pascal, 1, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique [email protected] Virginie L eroux est Maître de Conférences de littérature latine à l’Université de Reims. Elle travaille sur la poésie et la poétique néo-latines et s’est consacrée récemment à l’imaginaire du sommeil et de la nuit. Parmi ses ouvrages, on peut citer son édition des Juvenilia de Marc-Antoine de Muret (Genève, Droz, 2009) et annoncer la parution prochaine chez Droz de l’Anthologie des poétiques néo-latines qu’elle co-dirige avec Emilie Séris. 10, rue de Fontenay, 94130 Nogent sur Marne, France [email protected] Conservateur du patrimoine aux Archives nationales, chargée de cours à Paris IV Sorbonne, E lsa M arguin -H a mon , après une thèse et des travaux

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consacrés aux théories linguistiques et grammaticales du Moyen Âge central, consacre ses recherches aux théories poétiques médiolatines et à leur mise en œuvre entre le xii e et le xiv e siècles. 28, rue Louis Morard, 75014 Paris, France [email protected] Docteur en Langues et Lettres de l’Université de Louvain, chargé d’enseignement invité à l’UNamur, Mathieu M inet s’intéresse à la poésie néo-latine, notamment en milieu protestant. Il prépare l’édition-traduction des œuvres latines du poète tournaisien Louis Des Masures. 48, Avenue Reine Astrid, 5000 Namur, Belgique [email protected] Jea n -C har les Monfer r a n , Maître de conférences en langue et littérature françaises de la Renaissance à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) s’intéresse tout particulièrement à la poésie et à la poétique du x v i e siècle. 125, boulevard Brune, 75014 Paris, France [email protected] A line S meester s -L elubr e , chercheuse qualifiée du Fonds National de la Recherche Scientifique de Belgique auprès de l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve), poursuit des recherches sur la poésie néo-latine (en particulier la poésie de circonstance) des x v e-x v ii e siècles, sous différents angles d’approche (histoire des genres littéraires, histoire sociale, histoire des représentations) et en lien avec l’anthropologie et l’épistémologie du temps. Elle donne également différents cours universitaires, portant notamment sur l’histoire de l’humanisme et sur la traduction littéraire des textes latins. Collège Érasme, boîte L3.03.31, Place Blaise Pascal, 1, 1348 Louvain-laNeuve, Belgique [email protected] Ja ne H. M. Tay lor is Emeritus Professor of Medieval French at Durham University. She is the author of books on The Poetry of François Villon (2001) and on Late Medieval French Poetic Anthologies (2007) ; more recently, of Rewriting Arthurian Romance in Renaissance France (2014). Garth Head, Penruddock, Penrith, Cumbria CA11 0QU, Great Britain [email protected] Ancien élève de Jozef IJsewijn, M ichiel Verw eij (Oirschot, 1964) a défendu en 1993 sa thèse de doctorat, consacrée à deux drames scolaires néolatins et intitulée Het thema Tobias in het Neolatijnse schooltoneel in de Nederlanden in de 16de eeuw. De Tobaeus van Cornelius Schonaeus (1569) en de Tobias

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van Petrus Vladeraccus (1598). Il a participé à plusieurs projets scientifiques à Louvain, Louvain-la-Neuve, Rome et Nimègue, et il est l’auteur de nombreuses publications sur le théâtre néo-latin, sur la correspondance de Cranevelt et d’Érasme, sur le pape Adrien VI, ainsi que sur les manuscrits médiévaux. En 2002‑2003 et, à nouveau, en 2010, il a occupé la charge de professeur invité à la KU Leuven. Depuis juin 2004, il est conservateur adjoint du Cabinet des manuscrits à la Bibliothèque royale de Belgique. Afdeling Handschriften – Département des Manuscrits, Koninklijke Bibliotheek van België – Bibliothèque royale de Belgique, Keizerslaan 4 – Boulevard de l’Empereur, 4, 1000 Brussel – Bruxelles, België – Belgique [email protected]

TABLE DES MATIÈRES Grégory E ms & Mathieu M inet Introduction . . . . . . .   5 Lambert I seba ert Discours inaugural . . . . .    11 Olivier D elsaux Défense et illustration des arts « poétiques » français de la fin du Moyen Âge . . . . . . . . .   15 Elsa M arguin -H a mon Entre conservatoire et espace de liberté. La poésie médiolatine et ses impli cations théoriques en question . . .   41 Adrian A r mstrong Théorie et pratique, aller et retour. L’Art de rhétorique et la poésie de Jean Molinet dans deux recueils manuscrits   79 Jean-Charles Monfer r a n De l’anthologie et de l’art poetique français à la Renaissance . . .   107 Michel Jour de La poésie avant la poétique. Enjeux d’une antécédence chez Jacques Peletier du Mans et quelques auteurs du x v i e siècle . . . . . . .   119 Annelyse L emmens Le frontispice, mise en scène de la poésie néo‑latine. étude de cas de la première moitié du x v ii e siècle . . . .   143 Jane H. M. Tay lor A grammar of legibility. Pierre Fabri’s Grant et vray art de pleine rhetorique and its mise en texte . . . . .   161 Nathalie H a ncisse « I’ay mis la main au papier pour escrire / d’un different que i’ay voulu transcrire ». Translation, politics and Mary Stuart’s poetical voice . . . . . .   179 Tom D eneir e Reconsidering Imitatio Auctorum. A dynamic-functionalist approach to imitation in neo-latin poetry . . . . .   197 337

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Ludmilla Ev dokimova L’art de la parole et la gradation des styles dans les poèmes lyriques de Des champs . . . . . . . .   219 Michiel Verweij La comédie scolaire néo-latine ou comment écrire des textes classiques sans modèle théorique ? . . . . .   243 Aline S meesters Le Genethliacon Salonini et le Genethliacon Lucani comme modèles pratiques (et théoriques ?) du poème géné thliaque néo-latin . . . . .   263 Virginie L eroux Théorie et pratique de l’élégie latine au x v i e siècle . . . . . .   287 Perrine G ala nd Jean Salmon Macrin éditeur et lecteur de L’art poétique de Jérôme Vida (1527) . . . . . . . .   311 L es

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