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French Pages 596 [597] Year 2020
Un ouvrage qui renouvelle l’historiographie des indépendances et l’histoire des mémoires en Afrique centrale. . Karine Ramondy est chercheuse-associée à l’UMR SIRICE Paris I Panthéon-Sorbonne. Ses recherches s’articulent autour de l’histoire de l’Afrique dans les relations internationales au XXe siècle, l’histoire des élites africaines et du panafricanisme et l’histoire du corps. Elle a participé à l’ouvrage collectif La mort du bourreau, paru sous la direction de Sévane Garibian aux Éditions Pétra (2016).
Etudes africaines Série Histoire Illustration de couverture : © Sapin Makengele
ISBN : 978-2-343-19829-3
39 €
Karine Ramondy
En suivant la trajectoire de quatre leaders d’Afrique centrale au temps des indépendances – Barthélémy Boganda (République centrafricaine), Patrice Lumumba (République du Congo), Félix Moumié et Ruben Um Nyobè (Cameroun) –, cet ouvrage interroge : en quoi l’assassinat politique peut-il constituer un moyen de réguler les relations internationales et être l’un des fondements de la construction nationale de leur pays d’origine ? Au fil de l’itinéraire politique de ces leaders, de façon comparée, sont évoquées leurs désillusions onusiennes et panafricaines qui resserrent sur eux l’étau mortel d’une Realpolitik, entre bipolarisation et néocolonialisme. Cette étude permet de faire émerger des invariants à l’assassinat politique sous forme de processus récurrents : arme judiciaire, arme médiatique, absence de sépulture décente, damnatio memoriae dont les leaders sont frappés. Ces processus aboutissent a contrario à une inversion symbolique et iconique. Cet ouvrage s’appuie sur de nombreuses sources complétées afin de reconstituer l’enchaînement des événements et de nouvelles interprétations : archives privées inédites, archives publiques dont certaines ont été déclassifiées pour cette recherche, sources audiovisuelles et imprimées, témoignages oraux inédits recueillis par l’auteure.
Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961
Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961
Etudes africaines
Série Histoire
Karine Ramondy
Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961 Entre construction nationale et régulation des relations internationales
LEADERS ASSASSINÉS EN AFRIQUE CENTRALE 1958-1961
Collection « Études africaines » dirigée par Denis Pryen et son équipe
Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. Dernières parutions Bernadette Clara Alvine AYO MBARGA, La mission de la femme dans le processus de réconciliation, 2020. Joseph-Éric NNOMENKO’O, Problématique foncière et trajectoires de développement en Afrique subsaharienne, L’exemple du Cameroun, 2020. Brice POREAU, Rwanda : une ère nouvelle. Comprendre le travail de reconnaissance (nouvelle édition), 2020. Holy HOLENU MANGENDA, Kinshasa. Urbanisation et enjeux écologiques durables, 2020. Jean-Claude ELOUNDOU, Afrique : ton développement en question, 2020. Boureïma Nikiema OUÉDRAOGO, Sociologie des violences contre l’État au Burkina Faso. Question nationale et identités, 2020. Jean-Fernand BÉDIA, Lumières postcoloniales, Pour un nouvel esprit critique littéraire en Afrique francophone, 2020 Simon NGONO (dir.), La communication de l’État en Afrique. Discours, ressorts et positionnements, 2020. Martin Fortuné MUKENDJI MBANDAKULU, L’éthique de l’enseignant. Le contexte de la République démocratique du Congo, 2020. Jean-Célestin EDJANGUE, Urgence climatique et développement en Afrique. Les médias en première ligne, 2020. Jean-Célestin EDJANGUE, Jeunes d’Afrique, jeunes du monde. Les combats de tous les espoirs, 2020. Cyrille MBIAGA, Diaspora et système diasporique. Moteur de développement du Cameroun, 2019. Nakpane LABANTE, La Compagnie togolaise des mines du Bénin (CTMB) et l’exploitation des phosphates du Togo (1954-1974), 2019. Pierre MOUKOKO MBONJO, Le Ghana : La marche vers la démocratie, 2019. Pierre MOUKOKO MBONJO, Armée, pouvoir et démocratie en Afrique : l’exemple du Nigéria, 2019. Odilon OBAMI, Le contentieux électoral au Congo, 2019. Joseph KOKOLO ZASSI, La démocratie en Afrique noire : les contours de son enracinement, Le cas du Congo-Brazzaville, 2019.
Karine RAMONDY
LEADERS ASSASSINÉS EN AFRIQUE CENTRALE 1958-1961 Entre construction nationale et régulation des relations internationales
De la même auteure
« Ubus africains : de l’hubris à la « belle mort », l’exceptionnalité africaine ? » in GARIBIAN Sévane La mort du bourreau, Paris, Pétra, 2016, 295 p. « La fabrique des leaders en Afrique centrale, une aventure ambiguë étude comparée (1930-1961) » in DENÉCHÈRE Yves (dir), Enjeux coloniaux et postcoloniaux de l'enfance et de la jeunesse. Espace francophone 1945-1980, Collection Outre-mers, Bruxelles, Peter Lang, 2019, 247 p.
© L’Harmattan, 2020 5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-19829-3 EAN : 9782343198293
À Juliette qui m’a offert mon premier livre d’Histoire À Monique Kalck
SOMMAIRE
PRÉFACE ........................................................................................ 11 INTRODUCTION ........................................................................... 15 Première partie – DES LEADERS ENCOMBRANTS ................... 39 Chapitre I : La fabrique du leader : « À vouloir s’assœir sur deux chaises, on est assis nulle part. » ....................................... 41 Chapitre II : Circonstances et contextes rapprochés des assassinats .................................................................................. 93 Deuxième partie – PROCESSUS D’ÉLIMINATION POLITIQUE, PHYSIQUE ET MÉMORIELLE.............................. 137 Chapitre III : L’arme judiciaire........................................................ 139 Chapitre IV : L’arme médiatique : entreprise de destruction progressive à l’encontre des leaders africains ................................. 173 Chapitre V : De la damnatio memoriae au statut d’icônes instrumentalisées : inversion symbolique des corps des leaders assassinés ............................................................................. 217 Troisième partie – DÉSILLUSIONS ONUSIENNES ET PANAFRICAINES .......................................................................... 245
Chapitre VI : L’espoir onusien ........................................................ 247 Chapitre VII : L’aventure panafricaine : des entreprises exaltantes mais avortées .................................................................. 301 Quatrième partie – BIPOLARISATION ET NÉOCOLONIALISME : UNE GÉOPOLITIQUE DANGEREUSE POUR LES LEADERS ........................................ 369 Chapitre VIII : Au cœur de la « stratégie oblique » des deux Grands… tous perdants ! .................................................. 371 Chapitre IX : Barbouzes et indics à l’affût : favoriser les hasards ........................................................................................ 411 CONCLUSION................................................................................ 461 REMERCIEMENTS........................................................................ 471 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE .................................................. 475 ANNEXES ....................................................................................... 539 INDEX DES NOMS ........................................................................ 577 LISTE DES SIGLES UTILISÉS ..................................................... 591
PRÉFACE
Aux lecteurs et lectrices de cet ouvrage je souhaite le même plaisir et le même intérêt que j’ai éprouvés moi-même à la direction et à la découverte de ce travail qui renouvelle entièrement l’histoire des pays de l’Afrique centrale pendant la période cruciale d’une dizaine d’années (1956-1965), qui fut celle de leur accession à la souveraineté internationale. Cette période, qui avait été traitée à chaud principalement par des journalistes et par des spécialistes de science politique, reçoit ici un solide et original travail d’Histoire. Sa première nouveauté consiste à traiter ensemble trois des principaux pays d’Afrique centrale trop longtemps considérés individuellement pour des raisons discutables et principalement administratives : le Congo Kinshasa, qui avait eu la singularité d’être la propriété personnelle du roi des Belges, Léopold II, dès 1885 et le tristement fameux « cœur des ténèbres », avant de devenir en 1908 une colonie à part entière, la seule colonie de la Belgique en Afrique et dans le monde ; l’Oubangui-Chari (République centrafricaine), l’une des colonies françaises en Afrique centrale (« la Cendrillon » de l’empire colonial français) ; le Cameroun enfin, une ancienne colonie allemande devenue dans sa plus grande partie un mandat de la Société des Nations, puis un territoire sous tutelle de l’Organisation des Nations Unies au profit de la France. Fondée sur des considérations administratives issues des pratiques coloniales, ces approches antérieures au présent ouvrage ne se contentaient pas de minimiser la vision et les ambitions régionales des acteurs aussi bien politiques que culturels de cette « région » (« l’Afrique centrale » perçue par les acteurs politiques panafricanistes de l’époque comme une composante singulière et décisive, en raison de sa position, de ses ressources et de ses multiples résistances aux intrusions coloniales, d’une Afrique résolue à s’unir), elles faisaient aussi trop peu de cas de la durée relativement longue des systèmes coloniaux caractérisés par des 11
violences ininterrompues et, du même coup, par des formes et des contenus de « résistance » largement similaires. Ces « résistances » combinaient le recours à la violence, la place centrale d’ingrédients religieux et l’émergence de ces figures individuelles inattendues du point de vue des colonisateurs et assassinées précisément pour ces raisons au moment de l’indépendance. La deuxième nouveauté de cette étude est de proposer un découpage chronologique original reposant sur la combinaison de plusieurs durées politiques : d’abord la durée relativement longue d’une colonisation singulière en raison de ses violences ; ensuite, le temps très court (1958-1961) de l’indépendance dont les brutalités et la tragédie vont déterminer à leur tour les difficultés toujours visibles aujourd’hui d’un nouveau temps long, celui de l’indépendance et de la « post-colonie », caractérisée à son tour par la difficulté quasi structurelle de « faire nation ». Voilà bien un travail d’histoire qui se distingue du coup par l’ampleur, la diversité et la minutie de la recherche et du traitement des « sources » les plus diverses sur lesquelles il se fonde : les archives étatiques des anciens pays colonisateurs, dont l’accès demeure aujourd’hui encore significativement problématique dans les trois cas étudiés ; des entretiens avec au moins deux générations de « témoins » directs et indirects (ce qui induit des développements originaux sur les enjeux de mémoire) ; des échanges avec d’autres chercheurs, parmi lesquels la Britannique Susan Williams, auteure d’une étude relativement récente et très remarquée à cause de ses conclusions et des rebondissements judiciaires qu’elle a suscités sur un autre assassinat, déguisé en accident d’avion, postérieur mais directement lié aux quatre disparitions brutales étudiées ici (celui du Suédois Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies) ; l’exploitation, trop souvent négligée, des archives de la commission de tutelle de l’ONU ; la relecture fine, toujours critique, des sources réelles ou supposées provenant des partis, des dirigeants et des personnalités du temps de l’indépendance. Rarement on a vu se déployer une telle minutie, une telle rigueur et une telle finesse dans l’analyse des sources relatives à cette période troublée. Ce livre retrace dans une continuité soutenue, sans cesse enrichie, la trajectoire brisée des figures de proue des indépendances dont on suit, telle une tragédie, les étapes d’une ascension irrésistible depuis « les marges » sociales d’où on les voit surgir, leurs contradictions 12
précoces et leurs embarras durables d’« évolués » « assis sur deux chaises » (suivant la belle image d’Albert Memmi), tous sujets des écoles coloniales, mais très tôt ralliés à l’anticolonialisme, leur détermination dans le combat anticolonial, enfin leur tragique lucidité, leur isolement croissant et leur assassinat devenu, pour ainsi dire, inévitable. Ces itinéraires individuels s’inscrivent dans les trajectoires plus larges des mouvements nationaux, des calculs des grandes puissances réputées anticolonialistes telles que les États-Unis d’Amérique et l’URSS, tout en illustrant les divisions, les calculs égoïstes et l’impuissance des États et leaders réputés panafricains, les lourdeurs institutionnelles et les complicités de l’ONU, l’efficacité des stratégies néocolonialistes dénoncées à chaud et avec lucidité par des dirigeants tels que Léopold Sedar Senghor et, surtout, Kwame Nkrumah dans son « Neo-colonialism : the last stage of imperialism » paru en 1965 : « The essence of neo-colonialism is that the State which is subject to it is, in theory, independent and has all the outward trappings of international sovereignty. In reality its economic system and thus its political policy is directed from outside ». On reconnait, dans ces croisements d’échelles menés avec précision et avec brio par l’auteure, la maîtrise des outils et des démarches propres à l’histoire politique ainsi qu’à celle des relations internationales. Attentive aux apports de l’anthropologie et, plus particulièrement de l’anthropologie politique, cet ouvrage consacre à juste titre, une attention soutenue et des pages très neuves au traitement des corps des quatre figures de proue des indépendances centrafricaines, toutes mortes de mort violente dans une succession d’« événements » (mort au combat d’Um Nyobé dans le maquis de l’Union des populations du Cameroun ; « accident d’avion » de Barthélémy Boganda en Oubangui-Chari ; assassinat de Patrice Lumumba, découpage et dissolution de son corps au Katanga ; empoisonnement de Félix Moumié dans un restaurant genevois) qui continuent de peser sur le devenir de ces anciennes colonies. Au lieu de clore l’Histoire des indépendances africaines, ces « achèvements » s’instituent paradoxalement comme des « événements fondateurs » d’une autre durée, visiblement très longue, qui se déploie encore sous nos yeux et dont la question centrale est posée avec force dans ce travail : dès lors 13
qu’a échoué la « damnatio memoriae » dans laquelle les régimes issus des indépendances néocoloniales ont cherché à enfermer ces personnages, comment « faire nation » dans de telles conditions ? Comment « faire nation » lorsque les « pères fondateurs » ont été violemment éliminés, que les conditions de leur mort continuent de faire débat, que des responsables de cette mort prétendent s’instituer ostensiblement comme leurs successeurs légitimes et leurs continuateurs, alors que leur corps même reste souvent introuvable ? Ce travail méritait à coup sûr d’être rapidement publié car il permettra d’élargir ces réflexions au reste de l’Afrique et d’éprouver les questions qu’il soulève, les méthodes et les démarches qu’il met en œuvre et ses conclusions les plus fortes qui, au-delà du récit minutieux des procédures de mise à mort physique et mémorielle, font de ces assassinats politiques un moment et une forme de « régulation des relations internationales » et une phase complexe de la construction des jeunes « nations » issues des colonisations européennes. Ce travail aidera, sans nul doute, à renouveler l’histoire des ces nombreux autres assassinats qui ont émaillé l’indépendance et les premiers pas de pays aussi divers que le Maroc (Mehdi Ben Barka, 1965), les colonies portugaises du Mozambique (Eduardo Mondlane, 1969) et du Cap – Vert et Guinée Bissau (Amilcar Cabral, 1973), l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid (Sharpeville, 1960 ; Albert Luthuli, 1967 ; Steve Biko, 1977) et le Congo-Zaïre (Pierre Mulele, 1968 ; Laurent-Désiré Kabila, 2001). Le 31 octobre 2019 Elikia M’Bokolo
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INTRODUCTION
« Comment avez-vous été amené à travailler sur l’assassinat politique des leaders africains ? ». Cette question m’a été posée de nombreuses fois. L’assassinat politique, à première vue, aucune notion ne semble plus claire. À l’examen, celle-ci se complexifie et un éclaircissement sémantique se révèle nécessaire. L’assassinat politique est un meurtre intentionnel d’une victime, perpétré pour des raisons liées à sa position publique éminente, commis à des fins politiques. Mon intérêt pour ce sujet m’a permis de mettre à jour, par de nombreuses lectures, une concentration d’assassinats politiques au tournant des années 60 au moment des indépendances africaines. Ainsi, de 1901 à 1980, 700 tentatives d’assassinat, dont 74 en Afrique subsaharienne, ont eu lieu et plus de 70% furent fatales1 . Dans ce « siècle de fer » 2 , le recours à la violence dans les sociétés démocratiques, où les processus d’institutionnalisation des conflits sont pourtant très développés, témoigne d’une impatience ou/et d’une impuissance à utiliser les procédures routinières de négociation et de représentation. C’est comme s’il n’existait pas d’autre moyen d’obtenir la prise en considération de ses attentes ou d’imposer ses solutions. Ainsi, une vague d’assassinats au sommet déferle sur les nouveaux États africains au début des années 60. Ali A. Mazrui, politologue kenyan, a suggéré une explication de la force du phénomène. Elle trouverait son origine dans la combinaison sans précédent d’espérances et d’occasions nouvelles mais aussi de soupçons nés de l’indépendance. Pour lui, le tracé des frontières de l’Afrique à l’époque coloniale, a été bien souvent parfaitement arbitraire3, ne tenant guère compte des différences ethnolinguistiques, ni des unités plus anciennes d’organisation sociale. Le résultat en fut le déclenchement simultané de crises distinctes, mais étroitement
1
Frankiln FORD, Political murder from tyrannicide to terrorism, Cambridge, Harvard University Press, 1985, p. 300. 2 Formule de René Rémond pour désigner la violence du XXe siècle. 3 Cette idée est vivement critiquée par P. Boilley dans de nombreuses publications. Il classe cette approche parmi les « idées reçues sur l’Afrique ».
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liées, l’une centrée sur la question de l’intégration nationale, l’autre sur la légitimité politique 4 . Dans cette optique, l’intégration est un problème de certains pays africains et encore aujourd’hui « parce que différents groupes de citoyens ne s’acceptent pas comme compatriotes »5. Pour A. Mazrui, les oppositions entre les peuples font obstacle à la quête d’une nationalité partagée, même dans des États aussi relativement avancés dans cette construction que le Kenya et le Nigéria. La crise de la légitimité implique des relations verticales et non plus horizontales en ce qu’elle procède non pas d’un refus de reconnaître une identité nationale commune, mais de l’opposition de certains citoyens rebelles à l’idée d’un gouvernement habilité à remplir le vide créé par le départ de l’autorité coloniale. Dans ce deuxième cas, il s’agit plus d’une question de dirigés contre dirigeants, que voisins contre voisins. Ces réflexions sont séduisantes, mais il reste à voir si elles se révèlent exactes dans notre étude. D’une approche biographique à une approche comparative D’emblée, il me paraît intéressant de comparer le destin de « ces assassinés des indépendances » et de circonscrire le sujet à l’Afrique centrale qui m’est familière à plus d’un titre. Le professeur Robert Frank auquel je présente le sujet accepte de diriger mon projet en cours de maturation, et ce en dépit d’une approche comparative et anthropologisante qui ne va de soi dans la recherche historique sur les relations internationales6. En effet, quelques remarques glanées lors de la révélation de mon projet de thèse à certains interlocuteurs curieux et bien intentionnés, m’ont fait prendre conscience, a fortiori lorsqu’ils étaient des historiens de renom spécialistes de l’Afrique, que la démarche 4
Ali A. MAZRUI “Thoughts on assassination in Africa », Political Science Quarterly, 83 (1968), p. 40-58. 5 Ali A. MAZRUI “Thoughts on assassination in Africa », op. cit.,, p. 52. 6 Voir Jean-François SIRINELLI, Les vingt décisives, 1965-1985 : le passé proche de notre avenir, Paris, Fayard, 2007, 323 p. et particulièrement le prélude, pages fondatrices de l’anthropologie historique du contemporain. Robert Frank s’est aussi récemment intéressé à l’anthropologie historique par le biais de l’histoire des émotions voir Robert FRANK « Émotions mondiales, internationales et transnationales, 1822-1932 », Monde(s), vol. 1, n° 1, 2012, pp. 47-70.
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comparatiste inhérente à mon sujet n’allait pas de soi. « Comment peut-on comparer l’histoire de l’indépendance du Cameroun et celle de la Centrafrique ? », « il est évident que le parcours de Patrice Lumumba n’a rien de commun avec celui de Barthélémy Boganda… ». Autant d’allégations qui révèlent la nécessité d’expliciter et de justifier ma démarche, voire l’originalité de mon travail de recherche, en l’inscrivant dans la lignée de travaux de références et dans les pas, très humblement empruntés, de maîtres ayant défendu et utilisé l’Histoire comparée avec brio. Le comparatisme comme pratique de recherche a été utilisée très tôt par les historiens grecs sans être théorisée 7 . Il a été défendu et encouragé, au XIXe et XXe siècle, par Henri Pirenne, Max Weber, Marcel8 ou Marc Bloch9, ce dernier a d’ailleurs écrit : « la méthode comparative peut beaucoup ; je tiens sa généralisation et son perfectionnement pour une des nécessités les plus pressantes qui s’imposent aujourd’hui aux études historiques ». Car comparer ne veut pas dire mettre un signe égal, la comparaison sert à mesurer les convergences et divergences entre des objets de recherche connexes. Les objectifs de la comparaison sont variés, tout comme ses méthodes. Dans cette recherche, la comparaison a pour but de combler des lacunes documentaires par analogie, de chercher un modèle d’ensemble voire la construction d’un paradigme de l’assassinat politique en tant que moyen de régulation des relations internationales au moment de la décolonisation. La comparaison a aussi pour objectif de cerner la singularité de certains aspects. Cette méthode a été très probante pour dépasser le cadre de l’Histoire nationale mais aussi biographique10, cadre souvent jugé pesant et étriqué11 à mesure que 7
Chloé MAUREL, Manuel d’histoire globale, Paris, Armand Colin, pp.10-11. Marcel DÉTIENNE, Comparer l’incomparable, Paris, Seuil, 2009, p. 19. 9 Marc BLOCH, Revue de la Synthèse historique, 1928. 10 Durant le XXe siècle, et particulièrement durant la « phase braudélienne » de l’école des Annales, la biographie est négligée, mise à l’écart au même titre que l’Histoire politique. La priorité est donnée à des travaux plus urgents, l’objectif étant globalisant : « le personnage, pourquoi pas, mais pas au centre des préoccupations » (J. Le Goff). En 1927, lorsqu’il rédige son Luther, L. Febvre, sans faire une biographie, en utilise le procédé, combinant érudition et histoire-problème pour montrer que si les hommes font l’Histoire, seul l’historien écrit l’Histoire. Puis en 1947, dans La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, F. Braudel montre l’effacement du personnage derrière un espace, une société, une économie. Les années 1970 marquent la fin de cette période de rejet. Plusieurs 8
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l’Histoire-nation s’affaiblit dans les années soixante sous l’influence de disciplines déjà comparatistes comme l’anthropologie12. G. Balandier, anthropologue de renom, avait lancé dès les années soixante-dix de nombreuses passerelles comparées entre la sociologie, la science politique et l’Histoire. L’œuvre d’historiens comme Paul Veyne est traversée par le postulat que l’Histoire doit utiliser les sciences humaines pour s’enrichir et les enrichir13. Elle détermine des invariants, conceptualise pour cerner l’originalité des choses, faire des détours. Ainsi l’enjeu de cette recherche était de cerner des connexions à l’échelle globale qu’avait interrompues le narratif national14, de mettre à jour les relations, passages, influences, transferts jusqu’ici peu étudiés. Cette recherche influencée par la méthode de la connected history utilisée par Sanjay Subramanyam a peu à peu glissé de l’approche comparative à un cadre d’analyse plus large propre à la Global History et à l’Histoire transnationale. Cette approche croisée entendait dépasser le cloisonnement national de la recherche historique afin de saisir des phénomènes, enjeux, menaces ou défis qui dépassent les frontières des États et concernent les individus au-delà de leur appartenance nationale. L’analyse de la trajectoire des leaders étudiés a permis de lire en filigrane les enjeux politiques d’une époque, de mettre en lumière « les routes possibles qui s’offrent aux
facteurs expliquent ce renversement, en particulier le dépérissement du marxisme et la crise des modèles d’explications déterministes. Dès lors, une importance nouvelle est donnée à l’individu et à la contingence. Le Louis XI de Kendall, publié en France en 1974, constitue une rupture. De nombreux historiens universitaires ont renoué avec le genre : G. Duby avec Guillaume le Maréchal (184), M. Ferro avec Pétain (1987) et J. Le Goff avec Saint-Louis (1997). 11 Christophe CHARLE, La Crise des sociétés impériales. Allemagne, France, Grande-Bretagne (1900-1940). Essai d’histoire sociale comparée, Paris, Seuil, 2001, 596 p. 12 Hartmut KAELBLE, Vers une société européenne, 1880-1980, Paris, Belin, 1988, 185 p. 13 Paul VEYNE, L’inventaire des différences, Paris, Seuil, 1976, 62 p. 14 Jean-François BAYART, « Comparer en France. Petit essai d’autobiographie disciplinaire », Politix, mars 2008, n° 83, p. 215. Robert FRANK (dir), « Histoire croisées, essai sur la comparaison internationale en Histoire », les Cahiers de l’IRICE, 2010/1, n°5. Sanjay SUBRAMANYAM, Merchant networks on the early modern world, Aldershot, Variorum, 1996.
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choix individuels, les paramètres qui pèsent sur ces choix : le hasard et la nécessité en quelque sorte15 ». Il s’agissait aussi d’appréhender le rôle des décideurs et acteurs ainsi que leur part d’initiative, d’autonomie et enfin, d’analyser les réseaux des pouvoirs politique et économique et leurs influences sur ces disparitions à toutes les échelles. Les leaders ont été des « victimes », mais l’enjeu aussi était de ne pas parler le langage des héros. Il fallait décrypter, historiciser, s’étonner de ce qui va de soi et garder en tête qu’aucun historien ne décrit la totalité de son champ, car aucun itinéraire n’est le vrai, n’est l’Histoire16. Insérer la question de la disparition de Barthélemy Boganda dans ce sujet fut le résultat de mes entretiens avec le professeur Elikia M’Bokolo auquel j’ai présenté mon projet de thèse pour une codirection en toute spontanéité. Il accepta de suivre mes recherches, je compris au fil de nos conversations, l’importance de la figure de Patrice Lumumba dans son histoire personnelle. Familière de la période Bokassa, aller à la rencontre du leader de l’indépendance centrafricaine m’a séduit. D’emblée, il peut paraître discutable d’intégrer cette figure politique considérée comme décédée dans un accident d’avion dans cette recherche mais très vite, cela apparaît stimulant car j’intègre que : « Ce qui est important, c’est que beaucoup ont cru qu’il (Boganda) a été assassiné et continuent de le croire »17. Cette étude s’est donc élargie à trois colonies d’Afrique centrale : l’Oubangui-Chari, le Cameroun français et le Congo belge et parallèlement restreint chronologiquement au tournant des années 60 et particulièrement entre 1958 et 1961. Cette restriction résulte d’une adaptation réaliste au moment d’accélération de l’Histoire que représente l’indépendance des nombreuses colonies africaines, accordées en masse au tournant des années 60. La puissance explosive de ce terme – indépendance - va se révéler pratiquement très
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Jean-François SIRINELLI, Dictionnaire de la vie politique française au XXe siècle, Paris, PUF, 1995, 1088 p. 16 Paul VEYNE, Comment on écrit l’Histoire ? , Paris, Seuil, 1979, 352 p. 17 Entretien réalisé avec Pierre Sammy Mac Foy, le 12 octobre 2012 au domicile de sa fille.
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meurtrière. De même, l’élargissement spatial paraît probant. Mes perspectives de travail me permettront de sortir d’une approche biographique, de la relation bilatérale métropole - colonies et feront peut-être émerger de nouvelles données. J’émets ainsi une série d’hypothèses : existent-ils des invariants à ces assassinats ? Dans la perspective de l’histoire globale, ces assassinats isolés dans leurs histoires nationales sont-ils connectés ? La Realpolitik menée par les puissances occidentales porteuses des valeurs de droits de l’homme a-t-elle pu conduire à des pratiques de régulation des relations internationales immorales ? Par quel type de complicités, analysées à toutes les échelles, leurs projets ont-ils pu se mettre en place ? La possibilité de faire émerger des paradigmes communs ou non, apparaît comme des axes stimulants de réflexion et de méthode de recherche, faisant sortir les leaders de l’oubli pour certains mais aussi de leur isolement national. Matériaux L’élargissement spatial de ce sujet a entraîné l’étude d’une masse archivistique très abondante et conservée dans plusieurs pays. De nombreux handicaps ont dû être surmontés pour prendre connaissance des archives nécessaires au travail envisagé. Tout d’abord la dispersion géographique de la conservation des sources : la consultation en France, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Suisse mais aussi aux États-Unis ainsi qu’en Afrique, en République démocratique du Congo, au Cameroun et en Afrique du Sud cumulée à un plein temps d’enseignant dans le secondaire ont favorisé des vacances très studieuses. La disponibilité et l’altruisme de JeanDominique Pénel m’ont permis de consulter facilement les archives nécessaires pour le cas centrafricain. Notre projet commun d’édition commune des textes et discours se rapportant à la figure de Barthélemy Boganda, s’est révélé un projet stimulant18. Ces difficultés géographiques se sont cumulées aux nécessaires démarches de déclassification de certains dossiers qui éprouvent à bien des occasions les nerfs des chercheurs tant les démarches sont fastidieuses 18
Jean-Dominique PÉNEL et Karine RAMONDY, Boganda écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition.
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et les délais de réponse très longs. Un autre handicap est rapidement apparu réel après avoir été anticipé : l’écart entre la dimension officielle de la politique menée par les gouvernements selon les accords d’indépendance et la dimension officieuse de la défense des intérêts public et privé occidentaux dans les ex-colonies. Ce décalage rendait peu probable la découverte d’archives à charge sur la responsabilité des gouvernements évoqués dans les assassinats étudiés. Dans le cas de la personnalité de Jacques Foccart, il était difficile de penser à des « révélations » écrites car la plupart des affaires étaient traitées en direct ou au téléphone avec lui. La stratégie globale du « Monsieur Afrique » a été définie par Pierre Biarnès : « Consolider le pouvoir des dirigeants qui jouaient loyalement le jeu de l’amitié franco-africaine (…) et faire sentir le mors à ceux qui regardaient un peu trop dans d’autres directions ; contrer en même temps les visées des puissances concurrentes dès qu’elles étaient jugées menaçantes19. »
Sur le terrain, cette stratégie s’est soldée par de solides moyens humains endogènes et exogènes, des ressources financières, un ensemble d’acteurs très différents bien coordonnés pour atteindre les objectifs visés au nom de la « raison d’État ». Face à ces difficultés, il y a eu des surprises archivistiques comme la mise à ma disposition, par Philippe San Marco, par l’intermédiaire de Jean-Pierre Bat, des archives de son père Louis San Marco, dont la découverte et la lecture à ses côtés fut un moment très émouvant. Je pense également à la lecture des archives de la famille Mollon et de leurs films familiaux tournés en Oubangui-Chari à la fin des années 50 et enfin, à la découverte des carnets personnels de Pierre Kaldor aux Archives du Parti communiste français à Bobigny. Malgré l’abondance de la documentation déjà disponible, j’ai cherché à la compléter en ayant recours à des sources provoquées à savoir les témoignages oraux. L’objectif était principalement de trouver des informations non fournies par les sources écrites 20 , d’approcher la mémoire non
19
Pierre BIARNÈS, Les Français et l’Afrique noire de Richelieu à Mitterrand, Paris, Armand Colin, 1987. 20 Alain BLANCHET et Anne GOTMAN, L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris, Nathan, 2005, p. 33-35.
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institutionnelle21 et d’avoir confirmation ou infirmation de certaines hypothèses. Au-delà de l’usage traditionnel des témoignages oraux en Histoire 22 , il s’agissait aussi de contrebalancer la rationalisation inhérente à la production des sources écrites et de saisir les rapports humains dans leur complexité et leur densité. Cette approche m’a permis de cerner très vite la différence entre histoire orale et tradition orale23. Le problème est souvent la traçabilité de ce type de source, surtout quand la mémoire collective est forgée par plusieurs personnes et devient une « légende urbaine ». L’histoire orale est donc une part importante du travail fourni. Sur tous les entretiens sollicités, je n’ai essuyé que très peu de refus. La prise de contact s’est faite, soit par le biais d’un tiers (un témoin ou une connaissance offre son entremise pour prendre contact avec un autre témoin dont il me donne les coordonnées)24, soit par un appel téléphonique ou un courriel spontané grâce à une adresse trouvée sur le net. Dans tous les cas, j’ai précisé le cadre de l’entretien, et expliqué à la personne sollicitée les points sur lesquels elle sera interrogée. Les entretiens sont préparés par un travail de documentation sur le témoin. J’ai pris connaissance des grandes étapes de sa vie, j’ai consulté ses publications le cas échéant. Lors de la rencontre cela me permet d’une part d’apparaître crédible, d’autre part d’atteindre plus vite un certain niveau de précision, sans que le témoin ait besoin de retracer tout son itinéraire ou de reformuler ce qu’il a déjà écrit25. Pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Azéma, cela me permet d’avoir des « biscuits » : « si vous n’avez pas de biscuits, ils ne disent rien, mais s’ils savent que vous savez alors là, ils 21
Philippe JOUTARD, Ces voix qui nous viennent du passé, Paris, Hachette, 1983, p. 172. 22 Florence DESCAMPS, L’Historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, 2001, p. 451. 23 Jan VANSINA, De la tradition orale, Essai de méthode historique, Liège, Annales, 1961. Jack GOODY, Entre l’oralité et l’écriture, Paris, PUF, 1994, 323 p. 24 À ce titre, je remercie vivement mes amis Denis Boulard et Sophie Larmoyer qui m’ont permis de rentrer en contact avec de nombreux interlocuteurs. 25 Philippe JOUTARD, op.cit., : « À demandes vagues, incertaines, réponses imprécises. À partir du moment où une personne se rend compte de l’incompétence notoire de son vis-à-vis, elle ne fait aucun effort particulier et l’entretien tourne court ».
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avancent et ils parlent26. » Ce sont donc, une trentaine d’entretiens qui ont pu être menés de façon formelle et informelle. Outre l’aspect logistique compliqué lié à l’éloignement géographique, la professionnalisation du témoignage, notamment de certains maquisards camerounais, a eu souvent raison de ma motivation. Certains témoins ont choisi de garder l’anonymat ou n’ont plus souhaité s’exprimer quand je dévoilais à demi-mot l’objet de ma recherche. Parler de certains sujets, provoquent encore l’effroi chez certains témoins dans les pays concernés et je confesse ne pas toujours avoir dévoilé de façon précise mon sujet de recherche pour éviter les rétentions d’informations 27 . J’ai essayé de veiller à ce que les entretiens se déroulent dans un climat de véritable dialogue. Il ne s’agit pas d’un interrogatoire mais d’une recherche commune de la vérité par le travail conjoint d’un intervieweur et d’un porteur d’expérience et de souvenirs parfois doublé d’un historien qui avance des pistes stimulantes. L’expérience a toujours été gratifiante sur le plan humain. Dans certains cas, j’ai l’impression que le témoin, parfois très âgé, est aussi heureux d’être écouté que je le suis d’enregistrer les informations qu’il me fournit28. Je prends des notes pour fixer l’essentiel des propos. J’essaie d’être vigilante sur les risques méthodologiques du recours à la citation29. Même si certains pièges liés à l’utilisation des témoignages oraux n’ont sans doute pas été évités, ce matériel oral collecté m’apparaît à distance comme un aspect fondamental de ma documentation. Il me semble qu’il a donné non seulement plus de « chair » au propos mais aussi qu’il a permis d’apporter des solutions à certaines énigmes posées par les archives 26
Jean-Pierre Azéma, cité par Agnès Callu, « L’Histoire du temps proche : évolution des champs, objets et matériaux » dans Agnès CALLU (dir.), Le Mai 68 des historiens, entre identités narratives et histoire orale, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, p. 279. 27 Notamment lors du remplissage des formulaires de présentation du travail de recherche lors de l’admission aux archives. 28 Ce fut notamment le cas avec Maryse Hockers, Monique Kalck, Pierre Sammy Mac Foy, Maurice Robert et Claudius Bouvard. La plupart de ces personnes sont aujourd’hui décédées. 29 Arlette FARGE, Le goût de l’archive, Paris, Seuil, 1997, p. 92-93. « La citation ne peut jamais être une preuve, énoncée bien qu’il est toujours possible de fournir une station contraire à celle convient de choisir (…) Quand on s’y fie, on avoue implicitement ne pas pouvoir trouver de mots meilleurs ou d’ajustement de phrases plus pertinents que se dénicher dans l’archive. »
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écrites et de relativiser des oppositions, des clivages évidents sur le papier. On pourra me reprocher de ne pas avoir assez rencontré les descendants des leaders étudiés : les entretiens accordés par Agnès Boganda et Daniel Um Nyobé m’ont fourni quelques rares informations utiles à l’approche scientifique. J’ai donc renoncé dans le cadre de cette recherche à rencontrer en entretien les enfants de Patrice Lumumba. Ces entretiens pourront toujours se faire dans un avenir proche. L’Afrique centrale : une Cendrillon politique et « scientifique » ? Cette étude rassemble de façon éphémère l’ancienne AfriqueÉquatoriale française (AEF), le Cameroun et le Congo belge. Le point commun de départ à cette union est la mort violente des leaders de leur indépendance, mais cette étude révèle d’autres similitudes. L’Afrique centrale fut occupée en grande partie par des populations bantouphones, dont les groupes ont construit avant la colonisation des aires de civilisation étendues, ces États ont particulièrement souffert des découpages territoriaux opérés par les puissances européennes30. Terres de souffrance formées d’espaces peu peuplés, mais riches en ressources forestières, agricoles et minières, elles ont posé aux métropoles coloniales de bien difficiles problèmes d’exploitation que celles-ci ont voulu résoudre en instituant des méthodes singulièrement cœrcitives 31 . Ce fut dans les premières années du XXe siècle que furent introduits les aménagements politiques qui devaient durer jusqu’à la décolonisation. En 1908, le roi Léopold II, souverain et propriétaire de l’État indépendant du Congo depuis 1885, le céda à l’État belge, donnant ainsi naissance au Congo belge. L’AfriqueÉquatoriale française (AEF) apparue en 1904, est composée de quatre territoires : le Gabon, le Moyen-Congo, l’Oubangui-Chari et le Tchad. En 1910, un décret a organisé le gouvernement général de l’AEF dont
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La bibliographie sur ce sujet est abondante, pour une approche synthétique : Élikia M’BOKOLO, Afrique, Histoire et civilisations du XIXe à nos jours, Tome 2, Le Seuil, 2004, 587 p. ou L’Afrique, un continent convoité, Le Seuil, 1985, 281 p. 31 Documentaire de Peter Bate, « Roi blanc, caoutchouc rouge, mort noire », Périscope production, BBC, ZDF/Arte, Ikon, VRT, RTBF, YLE, 2003, 1 h 49 min
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le représentant réside à Brazzaville. En Afrique centrale britannique, le Nyassaland, dont il sera aussi question, devient une colonie de la couronne en 1904, tandis que la Rhodésie du Nord fut organisée en 1911. Avec la Première Guerre mondiale, s’achève la présence allemande au Cameroun, alors que la présence portugaise en Angola, jusqu’alors mal assurée, en sort renforcée. L’éveil politique des Africains fut bien tardif dans cette région, car dans ces territoires la colonisation a été dominée par les grandes compagnies. En effet, les régimes coloniaux instaurés en Afrique centrale sont apparus au contemporain comme les plus oppressifs du continent : une exploitation économique effrénée, l’oppression politique la plus systématique, une volonté délibérée de figer les structures sociales et la répétition accablante de graves abus 32 . Le Congo belge offrait le modèle le plus élaboré de cette domination, dans lequel les grandes firmes, élément moteur de la présence coloniale, travaillaient en étroite collaboration avec l’appareil de l’État et avec les sociétés missionnaires33. En AEF, la France se réclamait pour sa part de sa doctrine de l’assimilation qu’elle ne chercha nullement à appliquer. En effet dans la pratique, le système économique de l’AEF s’inspira directement du modèle adopté par les Belges au cours du premier stade de la croissance de leurs colonies34. En 1898, 42 sociétés se virent concéder 70 % du territoire. 32 Témoignages de violence rapportés par Matuli et Mokolo et des sévices perpétrés par des fonctionnaires belges comme René de Parmentier ou Léon Fievez – archives du Service public fédéral Affaires étrangères (Belgique), archives africaines, papiers E. Janssens, D1366 du 22/11/1904, du 12/12 /1904 et du 5/01/1905. Harry JOHNSTON, George Grenfell and the Congo, Londres, 1908 p. 380. 33 Sur ce sujet, voir Robert HARMS, River of wealth, river of sorrow : the central Zaïre basin into the era of the slave and ivory trade, 1500-1891, New Heaven, 1981 p. 33. David VAN REYBROUCK, Congo, une histoire, Actes Sud, Paris, 2012 p. 103. Charles BLANCHARD, Le rail au Congo, 1890-1920, Bruxelles, 1993, 400 p. René-Jean CORNET, le Katanga avant les Belges, Bruxelles, éditions Cuypers, 1944, 384 p. 34 Peu d’ouvrages consacrent un développement clair au fonctionnement des institutions en AEF entre 1945 et 1960, voir Frederick COOPER, L’Afrique depuis 1940, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2012, 411 p., Guy PERVILLE, De l’Empire français à la décolonisation, Hachette Supérieur, Carré Histoire, Paris, 1991, 255 p. Jacques FRÉMEAUX, « L’Union française : le rêve d’une France unie ? », dans Pascal BLANCHARD (dir), Culture impériale 1931-1961, Autrement « Mémoires/Histoire », 2004, p. 163-173.
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Contrairement au calcul des responsables politiques, l’AEF ne réussit pas à reproduire les rythmes économiques suivis par son voisin belge. Ce fut seulement après la dépression des années 30 qu’est apparue l’économie de traite, sans toutefois atteindre le niveau auquel on était parvenu en Afrique-Occidentale française. L’AEF est donc économiquement en retard, au retard même des normes coloniales. Comme au Congo belge, la vie sociale et politique était bloquée par l’autoritarisme des administrateurs et la médiocrité de l’instruction. En 1940, uniquement trois cents Africains originaires de la fédération (AEF) étaient titulaires du certificat d’études primaires. L’équivalent de l’école William Ponty, l’école supérieure Édouard Renard a été créé uniquement en 1935. Dans la zone de transition entre l’Afrique centrale et l’Afrique australe formée par l’Angola, la Rhodésie du Nord et le Nyassaland, les Portugais et les Britanniques empruntèrent des formes de domination et d’organisation au Congo belge. Au Sud, la Rhodésie du Sud et l’Union africaine en firent de même, allant jusqu’à la création de l’apartheid. Chacun des quatre territoires de l’AEF est divisé en régions et subdivisé en districts dont les chefs sont des administrateurs de la France d’outre-mer mais parallèlement il subsiste une administration autochtone subordonnée et assurée par les chefs de village. Pour ce qui est du Cameroun, c’est un pays divisé dont la partie occidentale est administrée par les Britanniques et la partie occidentale, la plus large, par les Français depuis 1916. Jusqu’en 1946, la France exerçait les compétences internationales au nom et pour le compte du Cameroun sous le contrôle de la Société des Nations (SDN). Jusqu’à cette date, il n’y a eu au Cameroun aucune assemblée représentative à l’échelle du territoire, les Camerounais ne participaient aucunement à l’administration de leur territoire. Pourtant si les Camerounais ne sont ni nationaux, ni citoyens français, ils sont citoyens de l’Union française ce qui leur confère des droits et des devoirs. Par exemple, l’article 10 pose la liberté de pensée, de culte, de parole et d’enseignement. La loi sur la liberté de la presse de 1881 est applicable au Cameroun, mais la publication de journaux rédigés dans une langue autre que la langue française devait faire l’objet d’une autorisation préalable. Un décret du 11 avril 1946 introduit les lois
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françaises de liberté de réunion et d’association, la liberté syndicale ayant été reconnue le 7 août 194435. La fin du système de l’Indigénat le 30 avril 1946, permet aux Camerounais d’être jugés par les juridictions répondant au droit français et écartent les administrateurs des fonctions juridictionnelles. Pratiquement, sur le plan international, le régime de tutelle qui succède au mandat est plus un changement d’étiquette qu’une modification substantielle du contrôle international. Sur le plan interne, la constitution française substitue l’Union française à l’empire colonial. L’article 60, de la constitution, crée la catégorie juridique des « territoires associés » qui correspond aussi à celle des territoires sous tutelle. Ainsi, sous réserve des dispositions de la charte des Nations Unies et de l’accord de tutelle, la constitution de 1946 fut considérée comme applicable au Cameroun. Cette assimilation était d’autant plus facile que l’accord de tutelle autorisait la France à administrer le Cameroun selon la législation française comme partie intégrante du territoire français. Ainsi institutionnellement en 1946, la différence de statut entre l’AEF et le Cameroun sous tutelle est purement formelle. La constitution de 1946 ayant stipulé que la France forme avec ses territoires d’outre-mer « une union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs sans distinction de race ou de religion », les populations d’outre-mer ont reçu le droit de vote. En Afrique-Équatoriale et au Cameroun, deux collèges ont été établis, l’un pour les citoyens de statut métropolitain et l’autre pour les autochtones. Le premier collège élit deux députés et quatre sénateurs, le second cinq députés et quatre sénateurs. Pour le Cameroun, trois députés jusqu’en 1951, quatre après 1952 et deux sénateurs. Chaque territoire, est, en outre, doté d’une assemblée territoriale dont les membres sont élus par les électeurs de chacun des deux collèges. Ces conseillers territoriaux délibèrent sur toutes les questions intéressant les finances locales. Ils élisent les 20 membres du Grand Conseil de l’AEF à raison de 5 par territoire. Le Cameroun n’a donc pas de représentant au Grand Conseil de l’AEF. Les représentants de l’AEF élisent également sept représentants à l’assemblée de l’Union française : un pour le Gabon,
35 Pierre-François GONIDEC, « De la dépendance à l’autonomie : l’État sous tutelle du Cameroun », Annuaire français du droit international, volume 3, 1957, p. 597 à 626.
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un pour le Moyen-Congo, deux pour l’Oubangui-Chari, trois pour le Tchad. Le Cameroun, pour sa part, en élit 5. La loi-cadre Defferre du 23 juin 1956, sans modifier la Constitution, crée les conditions institutionnelles et politiques qui rendent effective le processus vers l’autonomie de l’ensemble des territoires de l’AOF, l’AEF, Madagascar et le Cameroun. Ainsi sont établis de nouveaux statuts pour les territoires de la France d’outre-mer. Le nouveau texte met en place une décentralisation des pouvoirs de la métropole vers les territoires, ainsi que des mesures de déconcentration administrative accompagnant l’extension des compétences des assemblées territoriales. Elle prévoit pour l’ensemble des scrutins un suffrage désormais véritablement universel - avec un collège unique d’électeurs -, ainsi que des conseils de gouvernement composés de ministres désignés par les assemblées territoriales et présidés par un représentant de la République française, accompagné d’un viceprésident africain. Pratiquement, le Cameroun devient un État sous Tutelle avec une Assemblée élue le 16 avril 1957 par un collège unique au suffrage universel mais l’État français garde les compétences internationales, la sécurité intérieure, le régime des libertés publiques, la justice, les communications intérieures, l’économie, les finances, l’enseignement, le statut des personnes et la représentation diplomatique à l’étranger. Ce qui reste aux Camerounais est donc très maigre. Ces institutions disparaissent avec la IVe République. Le retour du général de Gaulle, au pouvoir, le 1er juin 1958, est marqué par l’instauration de la constitution de la Ve République le 4 octobre 1958 mais également de la Communauté française qui est destinée à remplacer l’Union française. Le général de Gaulle est conscient de la nécessité de modifier profondément les rapports que la métropole entretient avec les peuples qui dépendent encore d’elle afin de donner satisfaction aux revendications de liberté d’égalité et d’autonomie auquel ils inspirent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale 36 . Le projet définitif de la constitution est adopté par le conseil des ministres du 3 septembre et rendu public le 4. Sa ratification doit faire l’objet d’un référendum fixé au 28 septembre 36
Pour une approche renouvelée des institutions coloniales, Mamdani MAHMOOD, Citoyen et sujet : l’Afrique contemporaine et l’héritage du colonialisme tardif, Amsterdam, Sephis/Paris, Karthala, 2004, 424 p.
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1958 lors duquel les territoires d’outre-mer auront le choix entre l’adhésion à la Communauté ou la sécession. Le Cameroun, État sous tutelle, dont le statut international et particulier ne participe pas à la consultation. Par le discours de Brazzaville du 24 août, le général de Gaulle précise qu’un territoire entré dans la Communauté pourra ultérieurement, s’il en exprime le désir, négocier son indépendance avec la France, concession qui entraîne le ralliement des dirigeants africains et le succès massif du « oui » au référendum à l’exception de la Guinée de Sékou Touré qui fait sécession et proclame son indépendance 37 . Les institutions de la Communauté deviennent en moins de deux ans caduques. La raison de cet échec institutionnel doit être recherché dans le désir d’indépendance nationale qui animait les dirigeants africains qui voyait pour la Communauté un passage est un moyen de se préparer à l’indépendance, à la manière des territoires sous dépendance britannique. De son côté, le général de Gaulle ne s’oppose pas au transfert de compétences ni même à l’indépendance que prévoyaient les articles 78 et 86 de la constitution et favorise la signature d’accords bilatéraux. Ainsi le Cameroun est le premier pays d’Afrique subsaharienne à obtenir l’indépendance le 1er janvier 1960, après la Guinée. La République centrafricaine obtient, elle, son indépendance le 13 août 1960. La Communauté devient alors une coquille vide institutionnellement parlant. Le Congo belge fut conçu par ses fondateurs comme une entreprise d’intense exploitation d’un territoire aux ressources prometteuses. Jusqu’à la fin des années 1950, la métropole refusa d’envisager l’émancipation de sa colonie. Des manifestations suivies d’émeutes éclatèrent en 1959 à Léopoldville. Des négociations tenues à la hâte, à Bruxelles, lors de la Table-ronde, l’année suivante ont permis de fixer la date de l’indépendance au 30 juin 1960. Les élections donnèrent la majorité aux partis nationalistes les moins enclins au compromis avec l’ancienne métropole. La présence belge va se maintenir de façon officieuse par le biais des conseillers occultes et des mercenaires très
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Frederick COOPER, Français et Africains ? Etre citoyen au temps de la décolonisation, Paris, Payot, 2014, p. 312 à 377. Odile GOERG, Céline PAUTHIER, Diallo ABDOULAYE (dir.), Le NON de la Guinée (1958), entre mythe, relecture historique et résonances contemporaines. Paris, Laboratoire Sedet (Université Paris-Diderot), L’Harmattan (« Cahier Afrique, 25 »), 2010, 210 p.
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actifs lors de la sécession du Katanga le 11 juillet 1960. Ce soutien s’exprime jusqu’à la chute de Moïse Tshombé en 1963. Ainsi l’Afrique centrale apparaît au regard de son histoire comme un espace politiquement moins dynamique que l’Afrique-Occidentale française qui domine au point d’imposer ses visées politiques à l’ensemble des colonies françaises. Ses nombreuses ressources naturelles, ses élites très peu nombreuses, le contexte de la guerre froide mettent ces espaces sous très fortes tensions qui étouffent les velléités politiques hors du champ des puissances occidentales. Pourtant il y a eu une politisation réelle des sociétés, dans ces espaces, après la Seconde Guerre mondiale. De même d’un point de scientifique, l’Afrique centrale apparaît quelque peu délaissée comme dans le dernier ouvrage magistral de F. Cooper38. Pourtant un renouveau historiographique avait été observé à partir des années 80, inspiré de la science politique organisé autour du groupe de Politique africaine. Ainsi la question de l’État a été largement autopsiée dans les travaux de Jean-François Bayart et de Béatrice Hibou 39 de façon empirique à partir du cas camerounais. L’ouvrage Les démocraties ambiguës de Florence Bernault 40 a renouvelé les problématiques de la décolonisation en Afrique centrale en mettant en valeur les stratégies de conquête de pouvoir des leaders de la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’indépendance. Les notions de pouvoir et d’autorité politique ont été étudiées par le biais de la sociologie politique en Centrafrique par Didier Bigo41 et au CongoBrazzaville par Rémy Bazenguissa42 mettant en valeur comment les élites avaient intégré à leur pratique politique une dimension symbolique très forte. Plus récemment, alliant la micro-histoire, 38
Frederick COOPER, Français et Africains ? Etre citoyen au temps de la décolonisation, Paris, Payot, 2014, 640 p. 39 Jean- François BAYART, L’État en Afrique : la politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, 439 p. Jean-François BAYART, Stephen ELLIS et Béatrice HIBOU, La criminalisation de l’État en Afrique, Bruxelles, Complexe, 1997, 167 p. et Béatrice HIBOU, La privatisation des États, Paris, Karthala, 1999, 400 p. 40 Florence BERNAULT, Démocraties ambiguës en Afrique centrale : CongoBrazzaville, Gabon, 1940-1965, op. cit., 423 p. 41 Didier BIGO, Pouvoir et obéissance en Centrafrique, Paris, Karthala, 1988, 337 p. 42 Rémy BAZENGUISSA-GANGA, Les voies du politique au Congo, essai de sociologie historique, Karthala, 1997, 459 p.
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l’approche biographique et l’étude des réseaux et des circulations, l’ouvrage de Françoise Blum vient redynamiser l’approche notamment de la révolution au Congo-Brazzaville dans une perspective comparative43. La crise congolaise a aussi fait l’objet de travaux récents44 mais le renouvellement historiographique vient sans conteste, des analyses effectuées au centre Woodrow Wilson, par les chercheurs du pôle russe45. Au Cameroun, les récents travaux, à la suite de l’ouvrage de Daniel Abwa46, sur la question du nationalisme et du rôle de l’Union des populations du Cameroun (UPC) ont permis une approche renouvelée et stimulante de la question en l’envisageant sur le temps long47 et par le prisme des acteurs de terrain48.
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Françoise BLUM, Révolutions africaines, Congo, Sénégal, Madagascar, 19601970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 204 p. 44 Pour un état des lieux historiographique complet voir Isidore NDAYWEL E NZIEM, « L’historiographie congolaise », Civilisations, n°54, 2006, 237-254. Jean-Claude WILLAME, Patrice Lumumba – la crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990, p. 343. 45 Sergei MAZOV, A distant front in the Cold war – the USSR in West Africa and the Congo, 1956- 1964, Stanford, Stanford University Press, 2010, XIII et p. 3-4. Sergei MAZOV, « Soviet aid to the Gizenga Goverment in the former belgian Congo (1960-61) as reflected in russian archives », Cold War History, vol. 7, n° 3, août 2007, p. 425-437. Lise NAMIKAS, Battleground Africa – Cold War in the Congo, Stanford, W.Wilson Center, 2012, p. 11-13. Lise NAMIKAS, History through Documents and Memory, p. 74. Sergei RADCHENKO, Two suns in heavens: sino-soviet struggle for supremacy (1962-1967), Stanford, California University Press, 2009, 315 p. 46 Daniel ABWA, Cameroun, Histoire d’un nationalisme, 1884-1961, Yaoundé, CLE, 2010, 412 p. 47 Philippe NKEN NDJENG, L’idée nationale dans le Cameroun Francophone (1920-1960), L’Harmattan, Paris, 2012, p. 211. 48 Voir les écrits de Yves MINTOOGUE, Savoirs endogènes et résistance nationaliste au Sud-Cameroun : le cas de l’insurrection de la Sanaga-maritime de 1948 à 1958, Mémoire de M2 Histoire, Université de Yaoundé, 2009 et sa thèse en cours intitulée « L’"indigène" comme acteur politique. Militantisme et forme de participation politique au Cameroun sous tutelle française. 1945-1960 ».
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États, nations, panafricanisme en Afrique centrale : relecture des enjeux Les États nés de la décolonisation auraient donc très largement, voire exhaustivement, puisé leur « modèle national » dans le modèle colonial dont les leaders de la première génération n’auraient su se démarquer ou s’affranchir. Par l’approche fédérale ou centralisée, les colonies, aux frontières issues des accords de partage entre les métropoles, se seraient constituées en États dont les premiers élus démocrates ont « hérité », la plupart en tant que gatekeepers, comme le rappelle Frederick Cooper. Ces États « gardes-barrières » auraient été gouvernés par une élite politique africaine distante de la population gouvernée, exerçant un contrôle étroit sur les ressources du pays utiles à l’économie locale et mondiale, leur pouvoir reposant parfois sur la menace et la peur. Il s’agit, dans cette étude, de confirmer si ces assertions se révèlent exactes pour les leaders étudiés. L’enjeu est de taille car l’incapacité de la plupart des États africains à construire des nations a été constatée par de nombreux politologues. L’indépendance n’aurait pas suffi à créer la nation sur la base de la « communauté imaginée » des indépendantistes, mais elle aurait suscité d’éphémères ou plus durables « communautés d’émotions » fondées sur la joie qui a suivi le départ du colonisateur. Pour Michel Cahen49, on a procédé à une légitimation moderne des mouvements sociaux anticoloniaux par analogie avec les révolutions nationales européennes du XIXe siècle, il écrit : « La volonté de chasser l’Européen exploiteur pour créer de nouvelles républiques et citoyennetés a été faite synonyme de nation ». Cette analogie était en adéquation avec les désirs européo-centrés des élites africaines pour lesquelles la nation ne pouvait exister que par la mort du tribalisme. Il fallait certes faire naître la nation, mais aussi l’État contre les ethnies et les identités préalablement existantes. Ce projet s’inscrivait dans des frontières imposées par l’Occident alors que le nationalisme était inexistant, porté au mieux par une élite minoritaire d’évolués comptant sur le mouvement social et anticolonial très fort de l’époque. Mais, être anticolonial est-ce forcément être pour la création d’une nation ? Pour Luis Cerqueira de Brito, le terme « nationalisme » doit « 49
Michel CAHEN, « L’État ne crée pas la nation : la nationalisation du monde », Autrepart, n° 10, 1999, p. 151-170.
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être clairement réservé à l’expression politique de ce qui était déjà national », il préfère parler dans le cas africain de nationisme50. Face à ces fragilités in utero des États africains, la réaction politique s’est traduite par une « urgence » mémorielle. La création d’un « roman national » jalonné de héros, d’une mémoire officielle, la dissimulation, l’amnésie des mémoires plurielles souvent dérangeantes à la cohésion nationale sont autant de stratagèmes inventés par les États-Nations occidentaux comme africains dont les gouvernements ont parfois usé et abusé51. Les mémoires sont aussi devenues les promotrices d’une interprétation du passé, utile à la construction nationale, à laquelle les populations devaient adhérer au détriment de toute autre. Pour certains, ces abus de mémoire auraient conduit, dans l’Afrique notamment subsaharienne, à une crise de la mémoire. Il s’agit donc ici d’étudier la place des leaders étudiés et de leur mort dans le « roman national » de leur pays respectifs tout en faisant émerger les points communs et faire ressortir les injonctions mémorielles officielles qui fragilisent et étouffent les mémoires collectives. Pourtant, à mieux y regarder, la vitalité des mémoires dans ces espaces, pourtant déstabilisés du point de vue politique, économique et social, est bien présente. Notre propos sera aussi de présenter les projets politiques d’envergure comme celui de Boganda autour d’une grande Centrafrique fédérale ou celui de Lumumba autour de l’Union Ghana-Mali-République du Congo, embryons d’associations panafricaines que les élites d’Afrique centrale ont imaginé. Le travail mené a pour objectif de questionner l’analyse de Jean-Pierre Bat selon laquelle ces projets ont été vidés de leur substance et combattus par la personnalité politique hégémonique d’Houphouët-Boigny. Ce dernier aurait favorisé la balkanisation de l’Afrique et la création d’une mosaïque d’États africains frêles et peu expérimentés, conditions propices à la mise en place d’accords bilatéraux avantageux avec les puissances occidentales néocoloniales. Cette politique se serait mise en place par le biais d’un instrument, le
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Notion inventée par l’auteur de la thèse Luis Cerqueira DE BRITO, soutenue en 1992 et intitulée « le Frélimo et la construction de l’État national au Mozambique., le sens de la référence au marxisme (1962-1983) ». 51 Hélène CHARTON, Marie-Aude FOUERÉ, (dir.), « Héros nationaux et pères de la nation en Afrique. », Vingtième siècle, n° 118, avril-juin 2013, 256 p. et plus précisément le texte introductif p. 3-14.
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Rassemblement démocratique africain (RDA) après la scission, et par un intermédiaire local et régional choisi, Fulbert Youlou au CongoBrazzaville, accompagné de sa nébuleuse de conseillers français et mercenaires. Ainsi le destin de l’ex-AOF serait bel et bien lié à celui de l’Afrique centrale au sens large. La jeune République du Congo dirigée par Patrice Lumumba et secouée par la sécession katangaise, serait-elle aussi dans l’orbite politique du « vieux » et du gouvernement français 52 . Tous les projets politiques endogènes d’Afrique centrale auraient donc vocation à être liquidés ? Cette liquidation comprenait-elle aussi celle de leurs géniteurs ? Cet ouvrage sur l’assassinat des leaders africains de l’indépendance se divise en quatre parties. Si les deux premières parties se concentrent sur l’émergence de ces self-made-men et les processus en marche qui conduisent à leurs morts, les deux dernières élargissent la focale et les font revenir « à la vie » pour évoquer, dans le cadre des relations internationales, les synergies qui ont favorisé leur disparition. Plus précisément, la première partie cherche à étudier la « fabrique du leader » et leur statut de gêneurs. Dans le contexte colonial, ces hommes ont fabriqué leur leadership en tant qu’« évolués » : ils ont mobilisé leurs acquis et les dynamiques de l’invisible avec tant de succès que leur mort était « inévitable ». « Du sauvage démuni à l’hyper sauvage suréquipé »53, les leaders sont devenus encombrants car non malléables par les puissances occidentales et les rivaux locaux. La seconde partie est focalisée sur les processus d’élimination des leaders qui, suite à cette étude, apparaissent comme communs. Les processus d’élimination politique reposent sur les armes judiciaires et médiatiques : ce sont autant de coups de canif ou de coups de butoir qui abîment avec régularité les hommes étudiés et mettent à rude épreuve leur résistance. Une fois les leaders morts, leurs dépouilles sont malmenées tout comme leur mémoire : toute parcelle d’eux doit
52 Philippe GAILLARD, Foccart parle, T.1, Paris, Fayard, 1995, p. 228. Foccart est préoccupé par la crise congolaise qui se noue aux portes de l’ex-AEF. 53 Cette formule est de Georges BALANDIER extraite d’un article, « L’ère de Lumumba », le Nouvel observateur daté du 21 janvier 1965.
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disparaître. En dépit de cela, ils deviennent, pour la plupart, des icônes. La troisième partie est consacrée aux entreprises politiques et diplomatiques des leaders qui auraient pu constituer des protections. Les dangers étaient nombreux, les adjuvants rares et leurs erreurs ont existé. La quatrième et dernière partie met à jour les méfaits de la stratégie oblique des deux Grands à l’heure de la bipolarisation des relations internationales. L’injonction à être ou ne pas être communiste se révèle mortelle alors que les actions néfastes officieuses et officielles des puissances occidentales et régionales rendent quasi impossible la survie de nos leaders.
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PREMIÈRE PARTIE – DES LEADERS « ENCOMBRANTS »
I - La fabrique du leader : « À vouloir s’asseoir sur deux chaises, on est assis nulle part54. » A - Être un « évolué » : l’aventure ambiguë55 « Je commençais l’aventure de la connaissance. Quelquefois, je pense avec effroi aux ténèbres dans lesquelles j’aurais pu vivre, aux aspects si nombreux de l’univers que j’aurais pu méconnaître. Et je ne m’en serais même pas douté ! Comme certains poissons des grandes profondeurs doivent ignorer jusqu’à l’existence de la lumière. Certes la connaissance fut peutêtre à l’origine de tous les déchirements, de toutes les responsabilités qui surgirent dans ma vie. (…) L’aventure nouvelle, je l’abordais avec confiance et violence, sûr d’avoir tout à gagner (…) j’avais le monde à conquérir56. »
Enfants des marges, orphelins ou délaissés par leurs parents d’origine très modeste dont aucun n’est issu d’un lignage ou d’une chefferie prestigieuse, les leaders étudiés ont fréquenté le plus souvent des écoles missionnaires protestantes d’obédiences différentes, plus ou moins ouvertes aux revendications anticoloniales, qui leur ont donné les rudiments d’une éducation scolaire. Barthélémy Boganda et Félix Moumié ont effectué des parcours scolaires brillants, voire d’exception, à l’opposé de Ruben Um Nyobè et Patrice Lumumba dont les parcours scolaires ont été plus compliqués. Ce dernier a été l’homme des déracinements, contraint aux déplacements, aux métiers divers, aux cours par correspondance ou du soir, aux bibliothèques improvisées, aux errances des croyances entre catholicisme, protestantisme et mysticisme. La sensibilisation politique s’est faite très tôt chez Ruben Um Nyobè par l’intermédiaire des acteurs de la Mission protestante américaine (Église presbytérienne camerounaise). 54
Albert MEMMI, La statue de sel, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1966, p. 123. Ce titre est emprunté à Cheikh HAMIDOU KANE, L’aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961, 207 p. 56 Albert MEMMI, La statue de sel, op. cit. p. 97-98. 55
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Pour les autres, l’éveil politique s’est réalisé plus tard, au gré de leurs opportunités professionnelles et de leurs rencontres amicales. L’analyse de ces trajectoires révèle des origines très modestes, une hétérogénéité des parcours scolaires avec un dénominateur commun, l’école des missions et un faible réseau de solidarités politiques au démarrage de leur carrière. Ces éléments caractérisent l’élite de l’AEF a contrario de celle de l’AOF. L’école en situation coloniale 57 a été le principal vecteur de la formation des élites dont les membres étaient appelés « évolués ». Elle leur offrait des perspectives de promotion sociale mais limitées à des emplois subalternes. Les « évolués » ont été des intermédiaires entre les colonisateurs et les colonisés. Questionner le parcours scolaire des leaders en situation coloniale revient à mettre en évidence les questions complexes, mais essentielles, d’imitation, d’acculturation, d’appropriation et d’assimilation. L’approche croisée, voire connectée des trajectoires des jeunes leaders est précieuse. Elle révèle des contradictions, des écueils communs et des spécificités dans leur parcours, démontrant que les élites sont multiples avant d’être rivales. La « mission civilisatrice » est confiée tout particulièrement à l’école, le plus souvent dans le cadre des missions58 chargées d’évangéliser les enfants des colonies et, dans un contexte plus laïc, de créer un lien de fidélité entre la métropole et la « petite patrie » que représentent les colonies59. La fonction de l’école apparaît cependant plus ambiguë. Les autorités coloniales et les missions voulaient certes éduquer les colonisés, mais en orientant l’éducation vers les tâches auxquelles les destinaient les colons, tâches qu’ils ne voulaient ou ne pouvaient pas 57
Pour une approche globale et renouvelée voir Gilles BOYER, Pascal CLERC, ZANCARINI-FORNEL (dir.), L’école aux colonies, les colonies à l’école, Paris, ENS éditions, 2013, 160 p. Antoine LÉON, Colonisation, enseignement et éducation : étude historique et comparative, Paris, L’Harmattan, coll. « Bibliothèque de l’éducation », 1991, 360 p. 58 Claude PRUDHOMME, « Mission, colonisation, décolonisation : vue d’ensemble » dans Dominique BORNE, Benoît FALAIZE, Religions et colonisation, Paris, l’Atelier, 2009, p. 64-74. 59 Jean-François CHANET, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996, 427 p. Ces termes de « petite patrie » et de « grande patrie » renvoient aussi à la réflexion de Cicéron sur son statut de citoyen à Rome et dans son municipe. Voir également Céline LABRUNE-BADIANE et Étienne SMITH, Les hussards noirs de la colonie. Instituteurs et « petites patries » en AOF, Paris, Karthala, 2018, 706 p.
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assumer, faute d’un effectif suffisant. Mieux valait ne pas éveiller trop de rêves chez les colonisés, les détacher de leur milieu pouvait se révéler dangereux. Voilà le cynisme de la situation : faire des auxiliaires de qualité mais sans trop de qualités. Néanmoins, l’émancipation a été inéluctable même si les colons n’ont eu de cesse de la faire reculer. Ces techniques de procrastination sont exposées ici par Georges Hardy : « Ne laisser parvenir que le nombre d’individus dont on aura besoin (…) prévoir pour les autres, c’est-à-dire pour la majorité, un vaste terre-plein qui restera au niveau de la vie indigène et qui la reflètera fidèlement, autrement dit, nettement séparé des écoles destinées à former l’élite, une école populaire, une bonne école toute simple, pas savante pour un sou, exclusivement occupée à améliorer dans tous les sens le genre de vie traditionnel et soucieuse avant tout de ne point dépayser, de ne point déraciner, de ne point désaxer, de ne point déséquilibrer les indigènes (…)60 ».
Par cette énumération, Georges Hardy fait transpirer les peurs de voir les élites déséquilibrer la situation coloniale. Ce numerus clausus ne suffira pourtant pas à inverser une émancipation inéluctable et l’apparition d’une élite locale parfois non notable, c’està-dire ne venant pas de lignages coutumiers. Ainsi nos leaders, grâce à leur charisme, leur ténacité et leur force de travail hors norme ont inversé le cours de leur existence. Le lieutenant Meyer, chef de circonscription de la Lobaye au Moyen-Congo, recueille en 1920 sur la terre de Bobangui à trente-huit kilomètres au nord-est de Mbaïki, un enfant ngbaka (mbaka) d’une dizaine d’années, couvert de plaies et atteint de variole, appelé Gboganda. En sango, son nom signifie : « je suis ailleurs, je suis nulle part ». Meyer le confie à l’orphelinat aménagé au poste en 1917 par son prédécesseur. Quelques années plus tard, le père G. Herriau, missionnaire spiritain venu des rives de l’Oubangui61, remarque cet 60
Georges HARDY, Une conquête morale : l’enseignement en AOF, Paris, Armand Colin, 1917, 356 p. 61 Il fut ordonné prêtre de la Congrégation du Saint-Esprit à Chevilly, en 1910 et, lors de sa consécration à l’apostolat du 9 juillet 1911, il reçut son obédience pour les missions du Congo français, sous la direction de Mgr Augouard. Le jeune
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enfant au regard vif et décide de le conduire à l’internat de la mission Saint Jean Baptiste de Bétou. Abandonnés, de nombreux orphelins erraient dans les villages dévastés par les compagnies concessionnaires de récolte de caoutchouc62 : beaucoup ne survivaient pas, tant était précaire leur état de santé. « Un orphelin en pays nègre, c’est un petit être que tout le monde repousse du pied, souvent couvert de plaies, que personne ne soigne et qui dispute aux chiens la nourriture que l’on a jetée dehors63. »
Pendant dix-huit années, Gboganda dont le nom francisé devient Boganda, est l’élève des missionnaires spiritains avant de devenir le premier prêtre oubanguien. Plus tard, il évoque facilement la continuité entre son sacerdoce et son mandat politique. À son arrivée à Bétou en 1920, il est alphabétisé en lingala. Très vite cette mission est condamnée à disparaître64 car les populations, qu’elle était destinée à évangéliser, ont été décimées par la maladie du sommeil. Le jeune Boganda est confié alors au vicaire apostolique Mgr Jean-René Calloc’h65 qui dirige la mission de Saint Paul des rapides à Bangui. missionnaire va investir les vingt-quatre premières années d’apostolat en prospectant le pays du sud au nord, apprenant au passage quelques langues : le lingala, le sango, le sara… Voici les différentes étapes de son parcours : Brazzaville (1911-1912), Liranga (1912-1917), Linzolo (1918), Bétou (1919-1922), Boundji (1923-1924), M’Baïki (1925-1928), Batangafo (1928-1930), Moundou (1930-1932) et Doba (1933-1935). À Doba, le père Herriau contracta la maladie du sommeil ; il fut soigné sur place et revint en France, en convalescence. 62 Au sujet des déstructurations des villages, de la saignée démographique en Lobaye voir Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Le Congo au temps des compagnies concessionnaires 1898-1930, Paris, Mouton and compagnie, 1972, 598 p. et plus récemment Mission d’enquête du Congo : rapport et documents (19051907), Paris, Le Passager clandestin, 2014, 320 p. 63 Pierre KALCK, Barthélémy Boganda « élu de Dieu et des Centrafricains », Paris, Sépia, 1995, p. 29-30. 64 La mission disparaît en décembre 1921. 65 Notice biographique consultée sur http://spiritains.forums.free.fr/ Reçu à la profession religieuse le 23 février 1901, le père Calloc’h fit ce jour même sa consécration à l’apostolat dans la chapelle du noviciat d’Orly, et reçut son obédience pour la mission du Congo français. Le jeune missionnaire s’embarque à Bordeaux le 15 avril, à destination de Brazzaville. Avec force ténacité, intelligence et dévouement, le jeune père obtient des résultats tout à fait inespérés car il se met tout de suite à l’étude de la langue parlée par ses enfants. Il se fait remarquer par son
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Ce prêtre-paysan, qui fait l’admiration de Boganda 66 , remarque l’intelligence du jeune enfant et son extraordinaire volonté. La pauvreté de la mission oblige maîtres et enfants aux travaux en tout genre mais en dépit de cela, le jeune Boganda accède en trois ans au baptême, à la maîtrise du français et au cycle complet des études primaires. L’enseignement dans la mission obéit aux principes directeurs de son évêque, Mgr Augouard : la régénération de l’Afrique par le travail, la critique de la colonisation vue comme bourgeoise, « laïcisante » et l’importance de l’instruction. Les écoles missionnaires entrent d’ailleurs très souvent en concurrence avec les écoles « du gouvernement », que cela soit à Bétou ou à Bangui. En 1922, il est baptisé « Barthélémy » par le père Auguste Fayet en mémoire de l’apôtre qui fut le premier à prêcher l’Évangile sur le continent africain. Sa scolarité à Saint Paul s’achève en juillet 1924 et il maîtrise désormais le latin. Aucune école secondaire n’existant à la colonie, la mission s’emploie à récolter des fonds pour l’envoyer au petit séminaire de Kisantu au Congo belge dirigé par des Jésuites belges, pour ses classes de troisième et seconde. La discipline est beaucoup plus stricte qu’à Bangui67 . Les sources biographiques les plus anciennes sont ses carnets de séminariste qui contiennent des prières personnelles rédigées en français68. Revenu en vacances en Oubangui-Chari, il est retenu par Mgr Grandin décidé à lui enseigner personnellement le programme de première tout en le chargeant d’instruire un groupe d’élèves. Cet intérêt particulier s’explique par le manque de recrues « de la trempe » de Boganda pour le petit séminaire que, depuis 1912, Mgr Augouard souhaite fonder. En 1920, il compte soixante-dix candidats au sacerdoce mais l’effectif décline brutalement suite à une épidémie de
infatigable travail dans les vastes plantations pour procurer les vivres nécessaires à la mission. Il pratique la chasse pour fournir de viande la table de ses enfants, et crée des ateliers pour y scier, équarrir, raboter, afin de former des apprentis et se procurer des ressources, en travaillant pour la ville. Le père Calloc’h travaille les langues locales, pour fournir des catéchismes traduits aux colonisés. 66 Boganda affirme qu’« une dizaine de Calloc’h aurait transformé l’Oubangui en vingt ans ». 67 Le séminaire de Kisantu tenu par les Jésuites belges. 68 Jean-Dominique PÉNEL et Karine RAMONDY, Boganda écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition.
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la maladie du sommeil et l’anémie. De plus, découragés par la longueur des études ecclésiastiques (quinze à vingt ans) et influencés par la convoitise des parents, les séminaristes abandonnent leur formation. Augouard les décrit ainsi : « païens et âpres au gain à quitter le séminaire pour entrer comme écrivains dans l’administration, téléphonistes ou agents des factories 69 ». Mgr Grandin a donc flairé qu’il serait dangereux de laisser filer cette recrue, motivée au point de parcourir des milliers de kilomètres, notamment entre Bangui et Yaoundé (mille trois cents kilomètres), qu’il faut néanmoins modérer tant son appétit d’apprendre est insatiable. Sûr de la fermeté de sa vocation, Grandin envoie le jeune homme au grand séminaire de Mvolyé à Yaoundé au Cameroun dirigé par les Bénédictins suisses d’Engelberg. Boganda y rencontre Mbida, futur Premier ministre camerounais. Entre 1931 et 1937, il se passionne pour la philosophie, la théologie et l’Histoire. Plus tard, ces discours seront empreints de ces apports culturels précieux, dont les fameuses citations latines70. En octobre 1937, il est retenu en Oubangui par Mgr Grandin pour enseigner aux petits séminaristes. Ce dernier assure lui-même la fin de sa formation après lui avoir permis à Yaoundé de passer les différentes étapes vers le sacerdoce : la tonsure (5 octobre 1934), les Ordres mineurs et majeurs (entre Pâques 1935 et 1936), le sousdiaconat (29 mars 1937), le diaconat (10 août 1937). À deux reprises, Boganda a donc été gardé par Mgr Grandin faute de cadre pour assurer la formation des séminaristes. À toutes les étapes, Boganda lui a manifesté sa gratitude et son affection : « un bon fils ne se lasse jamais de redire à ses parents (…) je sais le sacrifice que vous faites depuis deux ans pour ma formation malgré vos multiples besoins71. »
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Jean ERNOULT, Les spiritains au Congo de 1865 à nos jours, Pittsburgh, The Gumberg Library, 1993, p. 229, et le témoignage de Mgr Augouard, 28 années au Congo : lettres de Mgr Augouard, t. II, 1905, consultable du Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1044507 70 Citations latines régulièrement utilisées par Boganda. 71 Correspondance de Mgr Grandin qui évoque de façon implicite sa participation financière à l’éducation religieuse de Boganda, cf. Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951, la lutte décisive, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 72-80.
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Le 28 mars 1938 dans la cathédrale de Bangui où se rassemblent plus de trois mille fidèles, Boganda reçoit l’onction sacerdotale des mains de celui qui fut son mentor, Mgr Grandin, tout juste ordonné évêque de Bangui. Pendant toutes ces années d’études il s’était rendu compte des privilèges dont il bénéficiait. Désormais, il prend la mesure des responsabilités qui lui incombent, lui, le seul indigène à accéder à la prêtrise et à avoir fait des études secondaires et supérieures en Oubangui. Patrice Lumumba, dont en otetela le nom signifie : « foule, masse ou équipe qui bouge », est originaire du village d’Onalua au Congo belge, actuelle République Démocratique du Congo (RDC) dans le secteur de Lokombe-II, en territoire de Katako-Kombe. Il appartient au lignage Mende, clan Ewango de la tribu des Atetela. Son nom d’origine est Isaïe Tasumbu Tawosa, il est le deuxième fils de François Tolenga et Julienne Amatu. Sa date de naissance du 2 juillet 1925 est parfois contestée, elle est pourtant celle notée par son père sur un feuillet de papier72. Une situation familiale compliquée et une jeunesse marquée par la pauvreté de ses parents, le conduisent très tôt à l’autonomie. Chef de file d’une bande de garçons du village, il est surnommé « Nyumba hatshikala l’okanga » - celui qui est toujours impliqué - et remarqué pour son audace, voire son insolence. Selon la majorité des témoins, Lumumba commence sa scolarité chez les méthodistes de Wembo-Nyama avant de passer chez les catholiques à Tshumbe puis à nouveau chez les méthodistes à Tunda. À la veille de son départ pour le Maniema, il quitte son milieu d’origine sans diplôme, son parcours scolaire ayant été difficile. Son séjour à Kalima au Maniema est court : quelques mois tout au plus au cours desquels il est engagé, comme bon nombre de ses camarades du village, à la Symétain (société minière) comme commis à la cantine. Suite à sa mauvaise gestion et au détournement de certaines marchandises, il est obligé de fuir au second semestre de 1944 vers Stanleyville, il a
72 Jean OMASOMBO TSHONDA et Benoît VERHAEGEN, « Patrice Lumumba, jeunesse et apprentissage politique (1925-1956) », Cahiers africains, n° 33-34, 1998, p. 78.
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presque vingt ans73. Le parcours scolaire de Lumumba ne fut donc pas brillant, son éveil intellectuel commence avec sa professionnalisation. Né en 1913 près de Boumnyebel, en pays bassa au Cameroun, d’un père « sorcier », Ruben Um Nyobè devient orphelin rapidement et il est élevé par la coépouse de son père. Ce dernier le destinait à la magie mais sa belle-mère le convainc de l’envoyer à l’école de Makaï, puis à l’école presbytérienne à Ilega où il obtient le certificat d’études primaires. Installés au Cameroun depuis 1886, les Presbytériens américains ont été redoutés par l’administration coloniale française74. En effet, en 1946, la Commission des Églises pour les affaires internationales créée à Cambridge avait proposé de coopérer, par son action auprès des nations colonisées, au bien-être des peuples encore dépendants et à leur promotion à l’indépendance dans le jeu de libres institutions politiques. Les Églises protestantes américaines qui soutenaient le combat pour l’indépendance politique du Cameroun, entendaient donc se référer à la Charte de l’Atlantique et au principe du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et être représentées auprès des pouvoirs publics et des instances internationales comme l’ONU. Ainsi, de nombreux missionnaires de la Mission presbytérienne américaine (MPA) adoptent une position politique anticolonialiste et pro-onusienne. Leurs actions dans les missions locales au Cameroun sont des facteurs d’émancipation : savoir lire la Bible dans sa langue natale, la comprendre, fortifie l’attrait pour la liberté, le sentiment de justice et le sens des responsabilités des colonisés 75 . Le projet de l’Efulameyoung ou l’Union tribale Nkemkribi qui voit le jour en juillet 1948, regroupait ainsi des « évolués » 73
Jean OMASOMBO TSHONDA et Benoît VERHAEGEN, « Patrice Lumumba, jeunesse et apprentissage politique (1925-1956) », op. cit., p. 105. 74 Salvador EYEZO ‘O, Mission presbytérienne américaine et décolonisation du Cameroun sous administration française – entre engagement, désengagement et neutralité politiques (1945 – 1960) dans SAPPIA et SERVAIS, Missions et engagement politique après 1945, Paris, Karthala, coll. « Mémoires d’Églises », p. 127-152. ANY APA 10163, Enquêtes sur les missions religieuses. L’administration française encourage une politique de coopération religieuse entre protestants français et américains pour mieux maîtriser le contenu et les actions de la MPA. 75 CAOM GGAEF 5087, Lettre du pasteur Jean Keller secrétaire général de la Fédération des Églises et Missions évangéliques du Cameroun et de l’AEF à Monsieur le gouverneur général de la France d’outre-mer, le 18 février 1953.
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protestants formés depuis 1944 dans le cercle d’études de Gaston Donnat 76 dont la création avait été fortement soutenue par une missionnaire américaine d’origine allemande, Lucia HammondCozzens. Cette femme arrivée au Cameroun en 1919 avec son époux Henri Cozzens, ingénieur polyvalent, enseignait en langue bulu et sensibilisait les populations locales à leurs droits, aux messages anticolonialiste et nationaliste. Responsable du journal « Des nouvelles » puis, à partir de 1932 d’une imprimerie, elle prend ensuite la direction des écoles de la MPA où elle repère les élèves les plus brillants. Lucia Hammond-Cozzens, qu’on appelait « Okon Aben » (Beauté fatale), a été assassinée et démembrée à son domicile dans la nuit du 13 octobre 194977. Lors d’une visite des délégués de l’ONU, elle avait donné des informations sur des révoltes politiques qui s’étaient produites dans le pays et sur place, des témoignages évoquent qu’elle aurait été assassinée à l’instigation des milieux français pour ses actions dérangeantes. Son fils adoptif Daniel Awon Ango, dont l’influence politique était grandissante, est retrouvé mort également trois jours plus tard. Madame Hammond-Cozzens a eu pour élève Charles Assale, le futur Premier ministre de la République Fédérale du Cameroun (RFC) mais également Ruben Um Nyobè 78 qu’elle aurait fortement influencé et recommandé à Gaston Donnat. Ce dernier a fréquenté l’école normale presbytérienne de Foulassi, lieu d’émulation politique, qui était depuis 1928 sous la coupe du Pasteur Camille Chazeaud, Suisse naturalisé américain. En 1948, y est créé l’hymne qui sera adopté par l’UPC, interdit par l’administration coloniale puis repris par le premier gouvernement de l’indépendance en 196079. L’engagement religieux de Ruben Um Nyobè est-il jugé insuffisant pour qu’il poursuive sa formation comme aide-
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Voir quatrième partie, chapitre VIII. ANY 1AC 3523, la MPA au Cameroun, 1989-1953 et émission de Télésud sur Lucia Hammond-Cozzens de Patrice Ondua http://www.dailymotion.com/video/x1i0ley_l-invite-de-l-histoire-l-affaire-cozzensmeurtre-d-une-religieuse-allemande-au-cameroun-en-1949-invi_tv, consulté le 16 novembre 2016 78 Jean-Paul MESSINA, Jaap VAN SALGEREN, Histoire du christianisme au Cameroun des origines à nos jours, Paris, Karthala, coll. « Mémoires d’Églises », 2005, p. 97-123. 79 « Ô, Cameroun, berceau de nos ancêtres, Autrefois, tu vécus dans la barbarie, Comme un soleil tu commences à paraître, Peu à peu tu sors de la sauvagerie… » 77
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missionnaire à Foulassi ou est-ce une tentative de rébellion contre une punition injustifiée liée à la cantine, le fait est qu’il est exclu de l’école et ne peut passer son diplôme d’instituteur. Au tournant des années cinquante, les messages anticoloniaux portés par la MPA finissent par développer une hostilité envers tous les blancs et pas seulement envers les colons français. Le contexte de la guerre froide et la volonté de containment vont influencer l’action de la MPA au Cameroun : l’élection du pasteur Good à la tête de la Mission amorce un rapprochement avec l’administration coloniale française et une adhésion à l’option anti-communiste. Il reste que la formation religieuse de Um Nyobè est indéniable, il entre en politique avec des références chrétiennes très fortes comme l’atteste sa réponse en 1955 aux évêques qui dénonçaient l’UPC comme antireligieuse : « Si Dieu se trouvait du côté de Goliath, du Pharaon, d’Hérode ou de Pilate, il serait admis que Dieu approuve l’oppression coloniale. Mais si au contraire, comme le montrent les Écritures, Dieu est du côté de David, Moïse, de Jésus-Christ et la Palestine opprimée, nous pourrons arriver à la conclusion inverse : Dieu est avec ceux qui luttent contre le colonialisme80. »
Malgré le tournant des années cinquante, certains missionnaires ont continué à encourager la lutte des leaders de l’UPC : François Akoa Abomo qui aurait incité à voter Ruben Um Nyobè aux élections législatives de 1951 81 , le missionnaire Brook qui le soutient ouvertement lors du congrès annuel de l’Efulmeyoung à Mengomo le 17 février 1953 ou encore Mary Elisabeth Hunter, accusée de sympathiser avec l’UPC82 qui déchaîne la colère du chef de région du Nyong et de la Sanaga. En dépit de ces quelques soutiens, les instances supérieures de la MPA prennent irrémédiablement leurs distances avec le leader de l’UPC, pourtant presbytérien, mais soupçonné de « communisme athée ». Ainsi, le pasteur Anderson refuse de le recevoir lors de son séjour à New York pour éviter tout 80
Voir Lévitique, chapitre IV, verset 13 : « Tu n’opprimeras point ton prochain et tu ne raviras rien par la violence » et dans Proverbes, chapitre 22, verset 22-23, il est écrit « Ne dépouille pas le pauvre parce qu’il est pauvre, et ne pousse pas le malheureux à la porte, car l’Éternel défendra leur cause et ôtera la vie à ceux qui les auront dépouillés ». 81 ANY 11552/H, MPA. 82 ANY 1AC 19, missionnaire accusée de sympathie avec l’UPC 1953-1957.
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contact et éventuelle compromission susceptible de porter préjudice à la MPA. Um Nyobè souhaite pourtant valider son appartenance religieuse, par une attestation de membre d’Église, auprès du pasteur Joseph Tjéga de la paroisse de New-Bell à Douala. Leur entrevue est relayée dans un rapport établi avec le chef de division de Douala83. Cette attestation et la participation à la Sainte Cène lui sont refusées car selon Joseph Tjéga, « un chrétien peut critiquer son gouvernement avec un esprit de fraternité d’amour et non avec des sentiments de haine mêlés de racisme. » Il s’agit donc d’une trahison réciproque : les missionnaires regrettent d’avoir formé des élites plus attirées désormais par l’idéologie communiste que la religion chrétienne et les élites formées par la MPA ne comprennent pas le sens réel du discours, tantôt émancipateur tantôt conservateur et paternalistes, tenu par les missionnaires. Um Nyobè est donc frustré et abandonné par ses « éveilleurs » de conscience. L’avènement d’une Église presbytérienne autonome camerounaise en 1957, hâté par la MPA, scelle une rupture définitive. Félix-Roland Moumié est né en 1925 à l’hôpital protestant de Njissé à Foumban à l’est de la partie francophone du Cameroun, de Samuel Mekou Moumié, évangéliste84 à la mission protestante, et de Suzanne Mvuh. Il commence ses études primaires à l’école de Bandjoun et de 1935 à 1938, il fréquente l’école protestante de Njissé. En 1939, il s’inscrit à l’école publique de Bafoussam et l’année suivante, à l’école régionale de Dschang, où il obtient facilement le certificat d’études primaires. En 1941, il est admis au concours d’entrée à l’école supérieure Edouard Renard à Brazzaville. Classé
83 ANY 11552/H MPA, entretien du pasteur Joseph Tjéga avec le chef de division de Douala. 84 La société des missions évangéliques (SME) installée après la Première Guerre mondiale apparaît plus réactionnaire que la MPA envers les velléités d’indépendance des Camerounais. Focalisant son action dans le domaine sanitaire, la SME est prise entre deux feux : l’islam porté par le Sultan Njoya et les missions catholiques et presbytériennes. En 1955, le pasteur Christol fit dans la chapelle Messa à Yaoundé, une conférence contre le matérialisme dialectique de l’UPC qui lui valut une diatribe de Mathieu Tagny. Voir Louis NGONGO, Histoire des forces religieuses au Cameroun, de la Première Guerre mondiale à l’indépendance (19161955), Paris, Karthala, C.R.A., 1982, 208. p.
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parmi les meilleurs élèves, il est autorisé à poursuivre des études de médecine à l’école professionnelle William Ponty à Dakar, en 1945. Son passage parmi les Pontins (surnom donné aux élèves de l’École William Ponty, administrateur colonial et gouverneur général de l’AOF de 1908 à 1915) est sans nul doute un moment d’accélération de sa formation intellectuelle. La vie commune, quasi monacale de l’École, confère à ses élèves un sentiment d’appartenance à un groupe uni en dépit de leur appartenance sociale très différenciée. Cette instance est un lieu d’imposition de nouvelles normes, un lieu d’intériorisation de la culture dominante : le contenu des cours, les codes vestimentaires, les manières de table, les règles d’hygiène et les activités périscolaires comme le théâtre et le sport créent un ethos lettré. L’adhésion à cet ethos est décrite comme revendiquée par les Pontins selon Jean-Hervé Jézéquel 85 . Quand ces derniers entament leur carrière professionnelle, ils constatent pourtant une forte inadéquation entre les promesses supposées par leurs études à Ponty et la réalité professionnelle : isolement sur des postes en brousse où leur talent n’est pas reconnu, formation incomplète axée sur la pratique au détriment de la théorie, délivrance d’un diplôme non valable en métropole, écart de niveau et de salaire avec les colons, notamment dans l’administration. L’École William Ponty, au sommet de la pyramide, formait des commis de l’administration, des instituteurs, elle constituait la préparation obligatoire à l’école de médecine Jules Carde, mais son diplôme délivré aux indigènes ne permettait pas l’accès à l’enseignement supérieur. Ainsi, à son retour au Cameroun en 1947, Moumié commence une carrière professionnelle en tant que « médecin indigène » qui ne dure que huit années. Il est affecté successivement à Lolodorf (1947-1948), Bétaré-Oya (1950), Mora (1951), Maroua (1952) et enfin pour des raisons politiques à Douala (1954). À Ponty, l’élite qu’il a côtoyée va jouer un rôle central dans l’animation et l’encadrement des luttes politiques menant aux décolonisations. Gabriel d’Arboussier, qui en fait partie, le met en contact avec Ruben Um Nyobè. Le véritable éveil anticolonial de Moumié a eu lieu, dans cette école, à Dakar, car parallèlement à l’instruction d’excellence et la professionnalisation que lui offre 85
Jean-Hervé JEZEQUEL, « Les enseignants comme élite politique en AOF (19301945) », Cahiers d’Études Africaines, n° 178, 2005.
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l’école, se développe chez Moumié l’intuition d’un avenir hors du commun. Peu à peu les inégalités avérées entre « évolués » et colons éveillent en lui le désir de lutter pour la justice et l’opportunité d’appartenir au groupe-clé des futurs leaders du RDA fortifie le dessein de sa responsabilité politique. La solidarité de ces hommes ne tardera pas à se heurter aux ambitions personnelles. Malgré leurs acquis, force est de constater que Boganda, Lumumba, Um Nyobè et Moumié n’ont pas fait d’études supérieures à l’étranger contrairement à certains leaders qui deviendront leurs mentors. C’est à rapprocher du « retard congénital » de l’AEF sans école supérieure a contrario de l’AOF et de l’absence des leaders dans les réseaux internationalistes militants panafricains ou communistes drainés par Fourah Bay College de Freetown, côté anglais. Comparativement à Nnamdi Azikiwe ou Kwame Nkrumah dont ils s’inspireront plus tard, les quatre leaders étudiés sont sortis très tardivement de leur pays pour découvrir le monde, faire des rencontres et s’insérer dans des réseaux intellectuels et politiques86. En raison de leur formation et leur parcours, Patrice Lumumba, Ruben Um Nyobè, Félix Moumié et Barthélémy Boganda peuvent être considérés comme des « évolués » ou assimilés. Un évolué est un terme utilisé pendant la période coloniale pour caractériser un « native » africain qui s’est européanisé. L’« évolué » se transforme progressivement par le biais de l’éducation et de la langue des colons, adoptant leurs coutumes, valeurs, lois et comportements à l’européenne. Il obtient un poste dans l’administration, le commerce ou comme prélat et vit généralement dans les aires urbanisées des colonies. Le statut des « évolués » se retrouve donc sous une terminologie différente en Afrique centrale : « immatriculés » au Congo belge, « notables évolués » en AEF et au Cameroun, territoire sous tutelle mais administré en réalité comme une colonie française, et assimilados dans les colonies portugaises même s’il revêt des réalités
86 En 1956, pour Patrice Lumumba qui se rend à Bruxelles, en 1947 pour Boganda et pour Nyobè en 1951 qui rejoignent Paris et en 1955 pour Félix Moumié qui se rend à Genève.
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différentes selon les espaces 87 . Ce statut d’exemptés est plein de contradictions qu’il convient ici de mettre en lumière 88 . Formel ou informel 89 , il a valu de nombreuses critiques dont la plupart sont justifiées : cette terminologie renvoie au darwinisme et place l’européanisation des Africains comme une fin en soi, ce qui est en soi insultant, le terme britannique educated natives est donc à privilégier même si dans la pratique leur sort ne fut guère différent. Du point de vue historiographique, dès le tournant des années soixante donc très tôt, les critiques faites à l’impérialisme ont placé les phénomènes d’imitation des Africains au cœur de l’expérience coloniale et dénoncé le concept d’« évolué ». Les écrits de Franz Fanon 90 et d’Albert Memmi insistent sur le fait que cette auto-négation de l’indigène est vaine : « À l’effort obstiné du colonisé de surmonter le mépris (…), à sa soumission admirative, son souci appliqué de se confondre avec le colonisateur, de s’habiller comme lui, jusque dans ses tics et sa manière de faire la cour, le colonisateur oppose un deuxième mépris : la dérision (…). Au mieux, s’il ne veut pas trop blesser le colonisé, le colonisateur utilisera toute sa métaphysique caractérologique. Les génies des peuples sont incompatibles (…). Plus brutalement, il dira que le colonisé n’est qu’un singe. Et plus le singe est subtil, plus il imite bien, plus le colonisateur s’irrite91. »
Plus tard, les études postcoloniales ont refusé cette dichotomie colonisateur/colonisé et elles ont conféré à ce phénomène d’imitation une tout autre signification autour de l’affirmation d’une « hybridité » 87
Alexander Keese développe l’idée que dans les territoires portugais les assimilados avaient moins de liberté que les évolués dans les colonies françaises car les colons eux-mêmes vivaient sous le joug de la dictature de Salazar voir Alexander KEESE, Living with Ambiguity : integrating an African Elite in French and Portuguese Africa (1930–1961), chap. « Authority », Stuttgart, Steiner, 2007, 344 p. 88 Philippe BONNICHON, Pierre GENY et Jean NEMO (dir.), Présences françaises en Outre-Mer – Périodes et continents, Paris, ASOM, Karthala, 2012, p. 580-584. 89 Théoriquement le système mandataire de la France et du Royaume Uni était contraignant, mais en réalité les deux puissances administraient le Cameroun avec les mêmes méthodes utilisées dans leurs autres possessions africaines. 90 Franz FANON, Peaux noires, masques blancs, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 1975, 240 p. 91 Albert MEMMI, Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur, Paris, Payot, 1973, p. 152.
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d’une part, et le souci de rendre compte de l’activité autonome (agency) des « subalternes 92 ». C’est l’orientation privilégiée ici, d’autant que ces études envisagent les phénomènes d’imitation dans une dimension subversive car les colonisés auraient une « représentation partielle » de l’ordre colonial, parfois ironique et parodique, et ils constitueraient une « différence menaçante » pour le système en vigueur dans les colonies93. D’emblée, les leaders seraient donc dangereux pour les colons. En effet, les autorités coloniales voulaient former de nouvelles élites mais elles étaient rapidement suspicieuses à l’égard de ceux qu’elles distinguaient et ont cherché à limiter l’accès à l’éducation et aux charges politiques. Ainsi, nos leaders durent faire face à une triple menace : celle des colons, celle des « évolués » de leur entourage avec lesquels ils sont en concurrence mais aussi celles des Africains car, en accédant à ce statut, les leaders se sont aussi plus au moins coupés de « la base » en entrant dans un processus de gentryfication 94 , en devenant des « Blancs-Noirs 95 ». Certains « évolués » ont néanmoins joué à merveille le rôle de « caution indigène » auprès des autorités coloniales, ils en ont tiré une grande satisfaction personnelle en devenant à l’instar de Léon M’Ba « un politicien ambitieux coopté96 » qui passa en moins de cinq ans du statut de « dangereux subversif » à celui de « tyran-partenaire loyal » dans la lutte anticommuniste menée par le gouvernement français au Gabon et plus largement en AEF,
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Emmanuel SAADA, « Entre « assimilation » et « dé-civilisation ». L’imitation et le projet colonial républicain », Terrain, n° 44, 2005, p. 19-38. 93 Homi BHABHA, « Of Mimicry and Man : the Ambivalence of Colonial Discourse, » Discipleship : a special issue on psychoanalysis, vol. 28, automne 1984, p. 125-133. 94 Cet opprobre et cette désaffiliation sont mis en scène dans le roman de Cheikh HAMIDOU KANE, l’Aventure ambiguë, 1961. Le personnage principal Samab Diallo parti faire des études à Paris, finit par se suicider, ne pouvant trouver sa place ni d’un côté, ni de l’autre. 95 Cette expression est empruntée à Amadou HAMPÂTÉ BÂ dans, Oui, Commandant ! Paris, Actes Sud, 1994, 400 p. pour évoquer la position ambiguë des « évolués » dans la société coloniale. 96 Alexander KEESE, « L’évolution du « leader indigène » aux yeux des administrateurs français : Léon M’Ba et le changement des modalités de participation au pouvoir local au Gabon, 1922-1967 », Afrique & histoire, Paris, Verdier, vol. 2, 2004, p. 141-170.
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voire en Afrique centrale. Une telle figure constitue des contremodèles aux leaders étudiés. En AEF, au Cameroun et au Congo belge, les « évolués » n’étaient pas légion et peu impliqués dans la vie politique jusque dans les années cinquante au contraire de certains espaces dans l’Afrique de l’Ouest britannique. Le statut de « notable évolué » en AEF doit son existence à la volonté de Félix Éboué, son gouverneur général, qui, par le décret n° 377 du 29 juillet 1942, envisage de recruter des auxiliaires au pouvoir colonial. Ce statut était attribué à des « indigènes » dont le niveau intellectuel permettait de leur confier des responsabilités administratives ou des mandats municipaux dans les communes nouvellement créées 97 . Ainsi, Ruben Um Nyobè a été fonctionnaire du cadre des Commis des Services Civils et Financiers. Il a été affecté successivement à la Direction des Finances de 1935 à 1945 à Édéa, Douala, Yaoundé, puis à Babimbi, subdivision de la Sanaga-Maritime, sa région natale, de 1945 à 1947 et enfin à Ngaoundéré, en qualité d’agent spécial de 1947 à 1948. En janvier 1948, il demande sa mise en disponibilité pour assumer la tâche de secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT) au Cameroun98. Patrice Lumumba fut lui commis à l’administration du territoire de Stanleyville et à la Poste entre 1948 et 1956 99 . Félix exerça comme « médecin indigène » au Cameroun pendant huit ans. Barthélémy Boganda fut donc le seul à choisir une carrière ecclésiastique après avoir été l’élève des missions. Il songe à s’engager au moment du ralliement de l’AEF à la France Libre mais il en est dissuadé par les missionnaires qui lui rappellent leur faible effectif. Les « évolués » étaient exempts des peines prévues par le
97 JO, décret n°377 du 29 juillet 1942, l’indigène devait faire la demande de ce statut, avoir 18 ans, savoir parler, lire et écrire le français, avoir un métier ou une fonction importante. Les postulants étaient agréés individuellement par un arrêté du gouverneur général. Voir aussi Florence BERNAULT, Démocraties ambiguës en Afrique centrale. Congo-Brazzaville, Gabon (1940-1965), Paris, Karthala, 1996, p. 88 : « Les employés du tertiaire et pour la plupart des services administratifs ne forment-ils pas la seule minorité qui possède l’éducation et l’ambition nécessaires pour devenir la force sociale dominantes ? » 98 CAOM FM 2180 Dossier 1 : note de renseignements sur Ruben Um Nyobè émanant de la section de Coordination de la FOM du 19 janvier 1955. 99 Dossier Lumumba aux Archives nationales de la RDC.
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Code de l’Indigénat mais on pouvait leur retirer leur statut pour indignité : deux cents personnes environ étaient concernées 100 en AEF, ce statut a été balayé par la loi Lamine Gueye de 1946101. Si l’objectif était d’en faire des citoyens, la réalité a été différente : ils devenaient au mieux « citoyens des colonies ». Le résultat de cette politique, déjà perceptible aux élections de la première Assemblée Constituante du 21 octobre 1945 pour l’Oubangui-Chari, se confirme aux élections de la deuxième Constituante du 23 juin 1946 avec l’instauration des deux collèges représentatifs : le collège des citoyens français et de l’autre les non-citoyens. Dans ces deux élections, les Oubanguiens, certes peu nombreux à voter (environ huit mille), n’ont pas choisi des Africains ou proches de l’Oubangui comme Pierre Indo, mais le colonel G. de Boissoudy, officier d’Infanterie Coloniale, rallié à la France Libre. Barthélémy Boganda n’appartient pas à l’Amicale Oubanguienne créée en 1935, qui comprenait déjà des membres comme Antoine Darlan ou J.-B. Songomali, futurs acteurs de la vie politique après 1946. Il n’appartient pas non plus à l’Association pour l’Évolution de l’Afrique noire fondée par Jane Vialle 102 dont le président est Pierre Indo et le vice-président Songomali qui se présente contre Boganda aux élections de novembre 1946. La constitution de la Quatrième République du 27 octobre 1946 prévoit la participation des populations des Territoires d’outre-mer à la vie politique et des nouveautés de taille comme la création des partis, de syndicats et de journaux. Tous les Français sont électeurs de plein droit mais pour les Oubanguiens une grille de douze critères pour être électeurs ou se présenter aux élections est établie :
Elikia M’BOKOLO, « Forces sociales et idéologies dans la décolonisation de l’AEF », Journal of African History, Cambridge, University Press, vol. 22, n° 3, 1981, p. 393-406. 101 « À partir du 1er juin 1946, tous les ressortissants des territoires d’outre-mer (Algérie comprise) ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exerceront leurs droits de citoyens. La présente loi, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale constituante, sera exécutée comme loi de l’État, Loi du 7 mai 1946. 102 L’importance politique de Jane Vialle sera développée dans la troisième partie, pour un portrait complet voir : https://biograf.hypotheses.org/261, notice réalisée par l’auteure. 100
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« - sont notables évolués, - les membres et anciens membres des assemblées locales et des Chambres de commerce, - les membres et anciens membres des Sociétés Coopératives et Société Indigène de Prévoyance, - les membres de l’ordre national de la Légion d’honneur, - les compagnons de la Libération et les titulaires de décorations civiles et militaires, - les fonctionnaires et les agents de l’administration en fonction ou à la retraite, - les titulaires du certificat d’études primaires ou d’un diplôme supérieur, - les présidents et assesseurs des Tribunaux indigènes, - les anciens officiers et sous officiers, anciens militaires ayant servi hors du territoire et pensionnés ainsi que les engagés volontaires, - les commerçants patentés électeurs de la Chambre de commerce, - les chefs représentants des collectivités indigènes et les ministres des cultes103 ».
Ces restrictions ont exclu d’emblée les Oubanguiens des zones rurales faiblement scolarisés, mais aussi et paradoxalement, les autochtones des zones les plus peuplées comme le Ouaka-Kotto au profit de la Lobaye : sur 1 100 000 Oubanguiens environ, seul 31 000 pouvaient voter104. Boganda a pu se présenter car il est prêtre et le candidat des missions soutenu par la hiérarchie spiritaine mais aussi par une catégorie « d’évolués » dont Michel Goumba, commis d’administration, fait partie : « À Bangui, les trois quarts des électeurs sont pour M. l’abbé Boganda et nous qui sommes des partisans, espérons que vous ferez tous votre devoir en votant le 10 novembre pour lui, le seul qui, comme le savez aussi bien que moi, a toutes les garanties de mener à bien la lourde tâche de député de l’Oubangui-Chari105 ».
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Décret 45.1962 du 30 août 1945 fixant les modalités d’application de l’ordonnance 45.1874. 104 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951, la lutte décisive, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 29. 105 Ibid., p. 106-107, (Lettre de Michel Goumba, Bangui, l946).
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Dans les comptes rendus qu’il adressait à son évêque, Boganda ne cachait rien de ses divergences avec les missionnaires. Il prêchait à son peuple un Évangile dont il soulignait le caractère révolutionnaire. Après son ordination, il est chargé de la formation des petits séminaristes à Bangui et le message des Évangiles vient se superposer peu à peu à son message politique. Au Congo belge, un bimensuel subventionné par l’administration coloniale, La Voix du Congolais ou Le journal des évolués congolais, réclame dès 1945 un statut pour les « évolués ». La carte du Mérite civique est instituée le 12 juillet 1948 et est octroyée sur demande à ceux dont le casier judiciaire était vierge de pratiques « non civilisées » : la polygamie, le recours à la sorcellerie, le vol ou la fraude. Il fallait savoir lire ou attester de vingt-cinq années de bons services dans l’administration. Cette carte accordait aux « évolués » des avantages : la suppression de l’arrestation préventive, le fait d’être jugé dans une juridiction présidée par un Européen, la suppression de peines corporelles, la libre circulation dans le quartier des Européens après 18 h, l’autorisation de voyager à l’étranger après déclaration, la lecture d’ouvrages importés au Congo sauf ceux au contenu trop révolutionnaire. Des avantages importants aux yeux de ceux qui postulaient, même si leur salaire n’était pas revalorisé106. Cette carte fit d’ailleurs débat chez les « Congolais méritants » comme en atteste les articles dans La Voix du Congolais à ce sujet107 ou les discussions au sein des clubs et associations sponsorisés par les Belges. Dès 1952, ces exemptés ont eu la possibilité de demander une immatriculation valant pour leur épouse et leurs enfants : Patrice Lumumba ne verra sa demande accordée qu’en 1954108. Cette immatriculation donnait aux bénéficiaires les mêmes droits civils que les Européens et les autorisaient à scolariser les enfants dans les écoles des Européens. Au Congo belge, en 1955, les « évolués » obtenaient en plus la possibilité d’acheter des boissons alcoolisées dans les bars et l’accès aux hôpitaux, hôtels, transports et bancs de l’église réservés aux classes
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Roger ANSTEY, « Belgian rule in the Congo and the aspirations of the évolué class », dans Lewis H. GANN et Peter DUIGNAN (dir.) Colonialism in Africa, 1870-1960, Cambridge, C.U.P., 1970, p. 194-225. 107 Kadima NZUJI MUKALA, La littérature zaïroise de langue française, Paris, Karthala, p. 45-65. 108 Après un refus en 1952 pour « immaturité ».
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intermédiaires, mais seulement cent seize familles étaient immatriculées. Cette immatriculation se faisait après enquête intrusive et parfois humiliante : Lumumba s’est soumis deux fois à un examen de sa maison familiale après son mariage avec Pauline Opango. Les enquêteurs vérifiaient la présence de toilettes à l’intérieur, l’utilisation de cuillères et fourchettes lors des repas de la famille et si les enfants portaient des pyjamas la nuit. Ils posaient aux femmes des « évolués » les questions suivantes qui constituaient de vrais pièges : « En cas de dispute, retournez-vous dans votre famille ? Dînez-vous à table avec votre mari ? Vous bat-il ? (...) ». Il fallait donc être très motivé pour accepter l’humiliation d’une telle inquisition. Le statut comportait, en outre, deux inconvénients de taille : d’une part les salaires restaient modestes et suivre le niveau de vie des Blancs étaient coûteux 109 et d’autre part les mutations fréquentes, parfois disciplinaires, empêchaient la constitution d’un réseau local de relations durables comme le révèlent les parcours professionnels de Félix Moumié et Ruben Um Nyobè. Confronté à des soucis financiers, Patrice Lumumba détourna de l’argent pour payer l’école Athénée à ses enfants110. Longtemps Lumumba s’est conformé aux exigences de l’« évolué ». Dans ces articles pour La Voix du Congolais, à l’occasion de la réforme permettant l’accès des Congolais aux établissements publics, il évoque les « Congolais méritants », « les Congolais d’élite 111 », « les primitifs » pour qualifier les Congolais non « évolués », il écrit : « nous osons croire que les Européens sont venus au Congo pour nous aider à nous élever. Ils ont entrepris par là une œuvre magnifique de charité, de coopération112... » À la suite de ces propos, un lecteur lui oppose d’ailleurs que ce rapprochement entre les deux communautés est important mais « Si l’élite du pays a droit à la considération, il va 109
Patrice Lumumba consacre à ce problème une partie de son ouvrage Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ?, Office de publicité, 1961, chap. « Intégration économique », p. 23-25. 110 Lors de sa première comparution en justice le 6 juillet 1956 (voir supra), il avoue ses erreurs. 111 Bajana KADIMATSHIMANGA. « La société sous le vocabulaire : Blancs, Noirs et Evolués dans l’ancien Congo belge (1955-1959) », dans Mots, n° 5, octobre 1982 en hommage à Robert-Léon Wagner. pp. 25-49. 112 La voix du congolais, avril 1955, p. 361-362.
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sans dire que le peuple noir tout entier mérite d’être traité de la même manière. C’est bien cela que nous souhaitons tous ». Ainsi, là où Patrice Lumumba accepte son statut privilégié, d’autres de ses « frères » lui rappellent que cette situation n’est pas une fin en soi. Simple commis, il est secrétaire de l’Association du Personnel Indigène de la Colonie (APIC) puis conseiller très actif en juillet 1951 de l’Association des Évolués de Stanleyville. Il s’impose à la présidence en 1954 avec un style d’action caractérisé par la recherche d’une popularité auprès de la masse et une critique des privilégiés, un souci d’efficacité et d’organisation politique, la volonté d’utiliser l’association comme moyen de pression directe sur l’administration coloniale et le souci d’associer des Européens pour renforcer son action. Très rapidement des reproches lui sont faits sur son style d’action « dictatorial », sur ses ambitions personnelles, sur le fait qu’il ne consulte pas les autres membres du comité, sur sa tendance à prendre des initiatives imprévisibles. La nature même de son action, ses objectifs politiques et le choix de ses alliances ne font pas l’unanimité. Par exemple, les options idéologiques de Lumumba en faveur de la laïcité et du libéralisme du ministre Buisseret ne sont pas partagées par la plupart des autres membres du comité qui redoutent des ennuis avec les milieux chrétiens et missionnaires113. Des griefs sur sa gestion financière, notamment avec le Trésorier Songolo, conduisent à sa révocation et son exclusion du Comité directeur de l’AES, le 17 février 1955. L’éducation reçue, le parcours spécifique de chacun favorisent la prise de distance des leaders avec leurs compatriotes. Leur prise de conscience d’élite éduquée et leur mode de vie différent ont favorisé le rejet et suscité des inimitiés très fortes entre les « indigènes » et leurs représentants mais aussi entre membres de l’élite « évoluée ». L’expérience de l’abbé Boganda va dans le sens de cette coupure avec les « autres ». Il exerce son sacerdoce pendant huit années : trois à la mission Saint Paul des Rapides à Bangui et cinq dans le Ouaka en plein pays banda. Pour Boganda, la prédication de l’Évangile était inséparable d’une action politique en profondeur, il considérait comme son devoir de mener la lutte contre un certain nombre de Jean OMASOMBO TSHONDA et Benoît VERHAEGEN, « Patrice Lumumba, jeunesse et apprentissage politique (1925-1956) », Cahiers africains, 1998, n° 3334, p. 199-235.
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coutumes ancestrales et il affiche très vite un regard distancié sur ses compatriotes dénonçant son incapacité à vivre désormais comme les « indigènes » : « Le Congo ne change pas beaucoup. Ce sont les mêmes sauvages que tu as vus : pas les anthropophages de Monseigneur Augouard 114 , il est vrai, mais pas non plus des hommes de bonnes mœurs et de sciences. La morale ? Partout zéro ou à peu près115. »
Nommé à Bambari, il évoque sa mission en ces termes : « Je livre une bataille acharnée aux chrétiens polygames, aux jeunes chrétiens qui pratiquent d’une façon habituelle, le fétichisme comme le chef de notre village chrétien, Charles Ngamotede. Les fétiches ont été enlevés (…). Dans cette lutte j’ai mérité une série de surnoms dont voici l’énumération : Kpalakongo - scorpion qui pique sans avertir, Zaoutou celui qui tire les oreilles116. »
Mariage forcé, polygamie et anthropophagie sont des maux que le prêtre Boganda a dénoncé avec force durant ses années en mission. Cette prise de distance, en tant qu’évolué christianisé est renforcée par un épisode relaté dans les « Annales des Pères du Saint-Esprit ». Boganda a demandé quinze jours de vacances dans son village natal, il serait revenu au bout de huit jours : « On t’a mal reçu ? - Non, dit-il, au contraire. Le premier jour, on m’a tué une poule et le second une chèvre. Mais j’ai vu les gens se disputer les parts, manger à terre, mal proprement et je n’ai pas pu supporter leurs discours. Je n’ai pas voulu 114 Monseigneur Prosper Augouard (1852-1921) un des Pères du Saint-Esprit. Évêque du Congo français et de l’Oubangui, en 1890. Il crée la mission de Saint Paul des Rapides en 1893 à Bangui et celle de la Sainte Famille des Banziris en 1894. Il publia 28 années au Congo (2 volumes) en 1905 et, en 1936 (quelques mois après cette lettre de Boganda) fit paraître en 4 volumes : 44 années au Congo. 115 Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Écrits et discours 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition, Lettre de Boganda à un ami Paul, le 21 avril 1935. 116 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951, la lutte décisive, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 87. Lettre de Boganda à Mgr Grandin, le 16 juin 1942.
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non plus dormir dans la promiscuité de la case et cela me brisait le cœur de savoir une de mes sœurs prises par un ancien comme troisième femme. Me voici : ma place n’est plus au village117. »
Certes la source est sujette à caution, mais cet écart, cet entre-deux, est un sentiment exprimé par Boganda : il n’est plus à l’aise avec les siens au village, mais il reste rejeté par les Blancs comme l’atteste l’épisode de l’Hôtel Pindere à Bangui le 31 juillet 1948. Attablé avec son cousin Michel Domoloma, vice-président de l’Union Oubanguienne, Boganda est pris à partie par M. Gazuit, colon à Berbérati, l’accusant de braver les Blancs en venant manger dans leur restaurant et le traitant de « cochon, singe, malfaiteur public ». Le député a dû quitter le restaurant pour un retour au calme 118 . L’altercation intervient peu de temps après l’autorisation faite aux « évolués » de fréquenter les lieux publics des Blancs. Cette position schizophrénique rend le quotidien des leaders compliqué. Ils se retrouvent détachés de leurs racines et ancrés dans un nouvel univers qui leur est hostile. Le rapport aux femmes de ces leaders est un objet d’étude qui renforce ce sentiment d’entre-deux-mondes. Le biais androcentriste de leur parcours révèle la difficulté à trouver des épouses conformes à leurs situations, sentiment déjà exprimé par le voltaïque Ouezzin Coulibaly en 1938119, sur le terrain privé comme public, du point de vue des femmes, les leaders sont en perte de repères. À quelques heures de l’indépendance de la jeune République du Congo, Pauline, la femme de Patrice Lumumba, est inquiète : son mari va devenir Premier ministre et elle le croit tenté de prendre une nouvelle femme plus éduquée, plus européanisée, pour tenir son rôle auprès de lui dans les cérémonies diplomatiques. Elle organise une manifestation de femmes pour protester contre le potentiel 117
Ibid., p. 82, reprise d’extraits des annales des Pères du Saint Esprit de novembre 1938. 118 Ibid., p. 185-186. Lettre de Boganda au gouverneur de l’Oubangui-Chari, Bangui le 31 juillet 1948. 119 Jean-Hervé JEZEQUEL, « Les enseignants comme élite politique en AOF (19301945) », Cahiers d’Études Africaines, n° 178, 2005. Pascale BARTHÉLÉMY, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Rennes, P.U.R., 2010, 345 p.
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comportement de son mari et des futurs ministres120. Karen Bouwer met en lumière dans son ouvrage récent121, les interconnexions entre les sphères privée et publique de Patrice Lumumba à un moment-clé de l’Histoire de la jeune République du Congo. Elle revient sur la manière dont la construction mémorielle de la figure du leader congolais a participé à l’occultation des femmes et de leur rôle durant cette période, contribuant ainsi à l’émergence d’une mémoire sexuée de l’indépendance. Le décalage entre les idées théoriques de Patrice Lumumba sur les femmes congolaises, exprimées dans ses écrits, et ses propres actions envers les femmes dans sa sphère privée révélant la complexité de sa situation. Dès 1956, dans son ouvrage Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ?, il consacre de nombreuses pages à la condamnation des mariages arrangés, la déscolarisation précoce des filles, des hommes qui se comportent en « roitelets » en vivant très largement aux dépens de leur famille. Il revient également sur les nombreuses charges fatigantes qui pèsent sur les femmes, l’absence prolongée des hommes du foyer (absences que Pauline Lumumba reprocha beaucoup à son mari) et la nécessité pour les femmes de devenir les partenaires à part entière des hommes : « C’est à la recherche d’une femme correspondant plus ou moins à leur idéal ou pour mieux dire à leur niveau, que certains Congolais ont divorcé deux, trois à quatre fois. Si certains sont capricieux, il en est dont la vie en commun avec telle ou telle femme était devenue impossible et constituait un handicap certain à l’avancement de leur mari et à l’éducation des enfants (…). Quand un évolué veut éduquer ses enfants selon les normes de la civilisation occidentale, sa femme dont la mentalité est entièrement sous l’emprise des coutumes ancestrales s’y oppose et détruit toute l’action de son mari. Quand le mari dit blanc, la femme dit noir (…) malgré l’opposition catégorique de certains maris évolués, les femmes n’acceptent pas de laisser leurs enfants sans ces porte-bonheurs (amulettes, fétiches) qui préservent les bébés contre les mauvais sorts122. »
120
Anicet KASHAMURA, De Lumumba aux colonels, Paris, Buchet Chastel, 1966, p. 6. 121 Karen BOUWER, Gender and decolonization in the Congo – the legacy of Patrice Lumumba, New York Palgrave Macmillan, 2010, 262 p., et la recension faite par l’auteure pour le N° spécial du Mouvement social sur le thème « Femmes, genre et mobilisations collectives en Afrique au tournant des indépendances », 2016. 122 Patrice LUMUMBA, Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ?, 1956, p. 130 :
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Maryse Hockers a confirmé dans notre entretien que Patrice Lumumba lui a confié plusieurs fois la difficulté de ne pas pouvoir partager avec sa femme le poids de la charge politique : « Quel était son rapport avec les femmes et ses enfants ? - Chaque fois qu’il invitait c’était chez lui et sa femme faisait la nourriture. Elle était très effacée. Les enfants étaient là et il s’en occupait. - Que pouvez-vous dire de Pauline ? - C’était la mère de ses enfants mais sans instruction comme la plupart des femmes au Congo. Il a souffert de ne pas avoir une femme à sa mesure et avait un vrai programme d’instruction pour les femmes dans son projet politique123. »
Sa relation maritale avec Pauline Opango a été difficile et houleuse : elle ne le comprenait pas et Patrice Lumumba lui imposait d’aller se cacher dans la chambre jusqu’à ce qu’il ait jugé sa tenue quand ils avaient des visiteurs. Elle ne l’accompagna que très rarement dans les sorties officielles. Lumumba a été marié trois fois et a partagé la vie de cinq femmes, non polygame il a contracté trois mariages coutumiers et garda des relations avec notamment Pauline Kie. Cela fait partie des formes d’hybridité que les « évolués » ont inventé. Alphonsine Masuba sa dernière compagne avait reçu une éducation secondaire, elle pouvait taper ses courriers, arranger sa bibliothèque et « comprendre ses nombreuses absences [sic] 124 ». En 1958, il encourage la création de l’Union démocratique des femmes congolaises (Udefec) 125 . Mais parallèlement des contradictions
https://sites.google.com/site/lumumbaproject/textes-de-lumumba consulté le 17 janvier 2016. 123 Entretien réalisé avec Maryse Hockers. Belge et amie de Patrice Lumumba, elle est présente au Congo au moment de l’indépendance en qualité d’observatrice et d’enquêtrice pour l’Institut Solvay, plus précisément au Katanga. Entretiens réalisés les 14 et 15 juin 2011 à son domicile à Wibrin en Belgique. 124 Jean OMASOMBO TSHONDA et Benoît VERHAEGEN, « Patrice Lumumba, jeunesse et apprentissage politique (1925-1956) », Cahiers africains, nos 33-34, 1998, p. 141. 125 Cette organisation a pour but de mettre les femmes en synergie du point de vue politique à l’échelle nationale, contrairement à des associations comme la FABAKO (Femmes de l’Alliance des Bakongo) chargée de lever des fonds pour la campagne de l’ABAKO (Parti de Kasa-Vubu).
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persistent. Dans ses discours, Patrice Lumumba s’adresse avant tout à « ses frères » et particulièrement aux « évolués », il réaffirme dans ses écrits la place des femmes à la maison en dépit d’une potentielle éducation. En 1960, 9% des Congolaises entre 5 et 19 ans étaient scolarisées, la première diplômée, Sophie Kanza, sortit de l’université de Lovanium en juin 1961. Pauline, la femme de Lumumba, n’a pas été à l’école ; en dépit du savoir de son époux, elle n’a pas, comme lui, suivi des cours du soir. En 1956, le leader congolais a créé « l’association libérale » pour éduquer les femmes congolaises mais il n’a pas poussé sa propre femme à s’instruire (il aurait même refusé sa demande à s’éduquer) et finalement aucune de ses femmes, les confinant à des tâches domestiques dans la sphère privée126. Le rapport aux femmes des leaders camerounais est très intéressant à analyser de façon comparée. Les travaux entrepris par de jeunes chercheurs comme Rose Ndengue 127 , ont apporté de nouvelles connaissances sur ce sujet : elle réhabilite les femmes qui ont participé au combat pour l’indépendance et l’évolution de leurs droits, actions longtemps oubliées et aujourd’hui en voie d’analyse128. Félix Moumié et Ruben Nyobè ont eu un rapport à leur femme très différent, la comparaison est fructueuse. Marthe Moumié est la seule veuve à avoir laissé un témoignage écrit 129 et à avoir collaboré avec des documentaristes, comme par exemple Frank Garbély, pour évoquer sa vie avec son mari. En 1947,
126
Gertrude MIANDA, « Colonialism, education and gender relations in the belgian Congo, the évolué case » dans Jean ALLMAN, Susan GEIGER, Musisi NAKANYIKE, (dir.), Women in African colonial Histories, Bloomington, IUP, 2002, 352 p. 127 Rose NDENGUE, « Mobilisations féminines au Cameroun français dans les années 1940-1950 : l’ordre du genre et l’ordre colonial fissurés » dans Le Mouvement Social, 2016/2, n° 255. 128 Pascale BARTHÉLÉMY, Luc CAPDEVILA et Michelle ZANCARINIFOURNEL, « Femmes, genre et colonisation », Clio, Histoire, femmes et sociétés, n° 33, 2011, p. 7-22. Pascale BARTHÉLÉMY, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Rennes, PUR, 2010, 345 p. Sur le Cameroun plus particulièrement : Léonard SAH, Femmes bamileké au maquis, Cameroun (1955-1971), Paris, L’Harmattan, 2008, 167 p. et les articles de Meredith TERRETTA cités en bibliographie. 129 Marthe MOUMIÉ, Victime du colonialisme français, mon mari Félix Moumié, Paris, Duboiris, 2006, p. 46.
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au dispensaire de Lolodorf, Félix Moumié rencontre Marthe, elle a dix-huit ans et fréquente l’école de la mission protestante américaine de Bibia. Le père de Marthe a tardé à accepter le mariage. Son refus était lié notamment à l’appartenance ethnique de Marthe qui est Bulu. Obtenir le consentement de la famille de Marthe fut long : la tradition bulu oblige le fiancé à se présenter devant la famille entière pour demander la main de sa future épouse. Courant 1948, les futurs mariés se rendent à Ebom Essawo, en passant par Ebolowa. Moumié négocie pendant trois ans le mariage sans la dot exorbitante demandée au départ, le mariage est officialisé le 22 juillet 1950. Marthe indique que les entretiens se font en français avec interprète, langue mal maîtrisée par son père qui a appris l’allemand en tant que maître d’école bulu à Nsola Evouzok Bipindi. Deux filles vont naître de cette union : Annie Jacky Berthe, née le 26 mai 1949 et morte le 28 janvier 1958, et Hélène Jeanne née début janvier 1951. Moumié souhaitait une femme éduquée et de confiance, il enseigne la lecture à sa femme et l’entraîne à comprendre les informations publiées dans les journaux étrangers : Le Monde, Libération, L’Humanité, Le Canard enchaîné et les journaux d’Afrique-Occidentale française. Elle lui préparait des résumés qu’il consultait à son retour à la maison. Marthe s’est peu à peu politisée, elle devient la rédactrice en chef du journal de l’Union des femmes camerounaises (Udefec), créée le 3 août 1952 par un groupe de femmes lettrées, urbaines et proches des leaders nationalistes, autour d’Emma Ngom, la sœur de Jacques Ngom. Cette organisation avait pour but de rassembler les femmes sans distinction de « clan, de religion, de classe sociale »130 et de combattre au côté de l’UPC pour l’indépendance alors que les femmes camerounaises connaissent une double oppression coloniale et patriarcale. Très vite, les leaders nationalistes de l’UPC, mais aussi du Mouvement national congolais (MNC) au Congo belge et en Oubangui-Chari, ont eu conscience de l’importance stratégique de créer des associations féminines. La mobilisation des femmes était un atout important : elles apportaient un soutien moral et matériel aux militants, constituaient une force supplémentaire en ville et dans les campagnes et renforçaient la légitimité et l’écho du combat nationaliste en général. Marthe Moumié évoque très peu ses activités propres dans son ouvrage faisant passer celles de son mari en premier lieu. Pourtant, 130
ANY, 2AC 7035, Udefec activités 1952-1956.
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l’action des femmes de l’Udefec a été importante et diversifiée : envoi de très nombreuses pétitions à l’ONU entre 1949 et 1960, organisation de souscriptions pour assurer les services d’un bon avocat aux militants inquiétés par la justice et notamment Um Nyobè 131 . Le couple Félix-Marthe, tout comme celui d’Ernest et Marthe Ouandié, constituent des modèles de « couples d’évolués 132 », des « groupes d’intérêts communs » sur le plan intellectuel et humain qui soulignent l’importance, au sein du mouvement nationaliste, des transmissions et solidarités familiales. Marthe a été une compagne de lutte pour Félix : le combat de l’indépendance passait avant son couple et sa vie de famille. Ainsi, Félix Moumié lui arrache la promesse d’envoyer leur fille Hélène en Chine si il meurt, elle lui obéit et laisse partir sa fille. Évoquant la relation de son mari avec Liliane Frily à Genève elle affirme : « Je ne pouvais m’intéresser aux problèmes de sexualité entre une Suissesse et mon mari et ainsi reléguer au deuxième plan la cause première de son assassinat qui était évidemment politique. »
Le devoir militant l’emporte sur ses émotions personnelles. Les hommes contraints à l’exil, à l’invisibilité ou l’emprisonnement avec l’interdiction de l’UPC, les femmes ont joué un rôle déterminant dans la circulation des informations en exil ou au maquis. Ainsi, Marthe a rejoint son mari en exil à Kumba au Caire, en Guinée où elle est restée « ses yeux et ses oreilles », lui rapportant des documents en transit, des courriers, réceptionnant ceux qui arrivaient en poste restante133. Les membres de l’Udefec ont eu à se battre contre l’attitude paternaliste des leaders nationalistes 134 pour qui le leadership se conjugue au masculin : leur attitude peut sembler condescendante, elle révèle surtout une difficulté, voire une incapacité, à laisser les femmes avoir leur activité politique en propre, leur prodiguant conseils et 131
ANY 2AC 7035, note du 9 novembre 1953, Udefec, citée par Rose NDENGUE. Marthe MOUMIÉ, Victime du colonialisme français, mon mari Félix Moumié, Paris, Duboiris, 2006, p. 75. 133 Archives de Berne : E2001E-1976/17-1966 Lettre de Marthe Moumié à son mari, 1960-1963. 134 Rose NDENGUE, « Mobilisations féminines au Cameroun français dans les années 1940-1950 : l’ordre du genre et l’ordre colonial fissurés », Le Mouvement Social, n° 255, 2016/2, p. 79. 132
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avertissements. Au congrès de l’Udefec de 1954, Um Nyobè invite « les congressistes à travailler sérieusement et à démontrer la nécessité de constituer un comité directeur territorial de l’Udefec 135 ». Il fut d’ailleurs leur représentant à l’ONU lors de ces différentes missions136. Qu’en est-il du rapport d’Um Nyobè aux femmes qui ont partagé sa vie ? Ruben Um Nyobè a été marié avec Marthe Ngo Mayack qui a fréquenté avec lui l’école presbytérienne d’Ilanga où elle a appris à lire, écrire et coudre. Leur mariage civil et religieux est célébré en 1944. Celle qu’on appelle aujourd’hui « Mbombo » a été un temps au maquis avec ses trois filles Françoise Georgette Um, Hermine Um Nyobè et Léa Um Nyobè et son fils Um II Ruben : « J’étais dans le maquis avec mes quatre enfants. Durant cette période, la priorité d’Um Nyobè était de me protéger avec les enfants. Il mettait quatre gardes du corps pour me protéger et je me cachais dans mon coin, car dans le maquis, chacun essayait de se protéger comme il pouvait (…). On ne vivait pas, on survivait. On n’avait pas de vie, on s’enfuyait, selon l’avancée de l’ennemi. Je portais certains de mes enfants dans les bras, d’autres sur le dos. En journée, chacun vaquait à ses occupations. Chacun allait de son côté. Le soir, on se retrouvait tous ensemble. J’étais constamment en alerte. Dès qu’il y avait un danger, il y avait un signal. Des sentinelles sifflaient137. »
Prendre le maquis en famille était courant, comme l’atteste le témoignage de Léonie Abo138, compagne de Pierre Mulele lors de la révolte du Kwango Kwilu de 1964. Son témoignage permet de lever un certain nombre de tabous comme la vie sexuelle au maquis, les grossesses non désirées, la mort des nourrissons tant les conditions de vie sont précaires. Il persiste un écart important entre, d’une part le discours officiel des révolutionnaires sur l’égalité des sexes qui se
135
ANY 2AC 7035, note de renseignements du 12 août 1954. Voir en troisième partie, sur les difficultés de Ruben Um Nyobè pour arriver à l’ONU. 137 Voir l’entretien de Marthe Um Nyobè https://www.africanewshub.com/news/2189058-cameroun-parcours-marthe-umnyobe-raconte-le-maquis consulté le 17 janvier 2017 138 Karen BOUWER, Gender and decolonization in the Congo – the legacy of Patrice Lumumba », New York, Palgrave Macmillan, 2010, p. 101-130, voir aussi Ludo MARTENS, Abo, une femme au Congo, Bruxelles, EPO, 1995, 246 p. 136
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traduit par une participation des femmes aux tâches administratives et militaires et, d’autre part la persistance de leur sujétion à leurs maris au maquis dans la sphère domestique. Ainsi, Léonie Abo n’est jamais associée aux prises de décisions de Mulele, elle est mariée de force à lui et doit accepter sa polygamie. Elle revient sur le rôle de séduction que les hommes leur confient pour soutirer des armes ou des informations. Pour les relations homme-femme, le maquis n’est qu’une parenthèse, avant un retour à la normale de retour au village. Léonie Abo va refuser ce sort. Veuve, elle continue le combat à partir Brazzaville alors que la famille souhaitait son retour au village 139 . Marthe Um Nyobè s’est finalement réfugiée avec ses enfants chez un oncle car les conditions devenaient difficiles au maquis dans la localité de Mahole, non loin de Boumnyèbel. Pour communiquer, des intermédiaires faisaient la navette entre les deux conjoints. Au maquis, Um Nyobè a une deuxième compagne, Marie Ngo Njock, présentée souvent comme sa cuisinière. Elle lui a donné un fils, Daniel, surnommé par son père « leader ». La mère de Marie, Ruth Ngo Kom, est restée au maquis et est morte en même temps que Um, le 13 septembre 1958. Boganda a choisi de s’unir à une jeune française qu’il a rencontrée une fois arrivé à Paris en 1947 pour exercer ses fonctions de député : Michelle Jourdain. La rencontre est relatée par l’abbé Butandeau : « Fin décembre, début janvier (…) une erreur grave de conséquences a été commise à son égard (il est question ici de Boganda). Aucun prêtre, aucun missionnaire, ni religieux, ni séculier ne l’a accueilli ne s’est occupé de lui. Il n’avait pas d’appartement, ne connaissait rien de la vie de Paris, et aucune amitié sacerdotale ne s’est penchée sur lui ni pour essayer de le comprendre, ni pour l’aider. Le groupe parlementaire Mouvement républicain parlementaire (MRP) lui ayant trouvé une jeune secrétaire de 23 ans, c’est cette jeune fille qui, avec un dévouement admirable et une compréhension qui m’étonne, s’est occupée de lui pour toutes les affaires qu’il avait à régler. L’abbé Boganda a été évidemment très sensible à toutes ces attentions, et comme par ailleurs il ne connaissait pas toujours les coutumes françaises, son attitude a pu faire croire à une trop grande amitié 139
Documentaire « Abo : une femme du Congo », 1995, réalisé par Mamadou Djim Kola, visionné le 12 octobre 2015. https://www.youtube.com/watch?v=A2wOI8x1M3M
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entre lui et sa secrétaire. Mais ici, je peux vous assurer, mon père, que vraiment il n’y a rien eu de déplacé dans leurs relations, et que l’abbé est toujours resté prêtre, disant chaque matin sa messe et ayant des réactions très sacerdotales140. »
Cette lettre révèle plus loin qu’il est prévu de substituer un secrétaire masculin à Mlle Jourdain car des bruits courent au sujet de la réputation de l’abbé. Michelle Jourdain est devenue officiellement la secrétaire de Boganda en septembre 1948, elle l’accompagne en Oubangui-Chari, s’occupe de son courrier personnel, du secrétariat de la Société coopérative Oubangui-Lobaye-Lessé (Socoulolé) 141 , elle s’est adaptée à la vie en brousse et a gagné la confiance des coopérateurs. Pour Boganda, elle est la preuve vivante que « blancs et noirs peuvent et doivent se comprendre et s’apprécier pour ensemble faire l’Union française 142 ». En fait, depuis le 15 octobre 1948, la « cause » semble perdue pour les ecclésiastiques, Monseigneur Le Hunsec collecte les témoignages pour sanctions ecclésiastiques. Le 1er décembre 1949, Boganda est suspendu et réagit dans une lettre adressée à Monseigneur Cucherousset : « Votre lettre me notifiait ma suspension parce que je vivais avec une femme (…). Tout cela est exact (…). Vous me dites que ma vie est un scandale ! Ce sera pour y mettre fin que je demande au Vatican l’autorisation d’épouser Mlle J. Le bon dieu ne nous récompensera pas pour avoir fait des vœux ou fait semblant de les pratiquer. J’estime qu’il est plus digne de vivre avec une femme que de faire un vœu auquel on manque constamment. Car le peuple aéfien n’est pas dupe ! Nul n’a jamais cru à notre chasteté (…). Le célibat n’est pas une force pour le clergé missionnaire, il laisse notre action sociale incomplète. (…) La plupart des jeunes gens acceptent le célibat par enthousiasme juvénile et ignorant, ou par vantardise, plutôt que par vertu réelle (…)143 »
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Archives privées Pierre KALCK, lettre de l’abbé Butandeau adressée le 21 août 1947 au père Morandeau. 141 Coopérative créée le 22 mai 1948 par Barthélémy Boganda. 142 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951, la lutte décisive, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 237. Éditorial de Pour sauver un peuple, n° 4,1949. 143 Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition.
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Ce qui suit est très important : « En ce qui me concerne personnellement, j’ai accepté l’état ecclésiastique comme un moyen pour le redressement de mon pays et l’éducation complète de mon peuple. J’y ai compté pour libérer mon peuple de la misère physique, intellectuelle et morale. »
Le reste de la lettre se transforme en plaidoyer pour une réforme du célibat chez les prêtres en pays de missions, Boganda dénonçant nommément les agissements sexuels d’un certain nombre de pères spiritains144. Cet argumentaire demeure cependant inconnu du grand public et Boganda n’expliqua jamais les raisons de son choix ouvertement. Le 13 juin 1950, Boganda se marie avec Michelle Jourdain à Montmorency et le 23 juin 1950 naît leur premier enfant Agnès. L’ensemble des députés est informé de cette union par fairepart, le journal Climats lance une campagne de diffamation contre le député à cette occasion145. Les témoignages d’Agnès 146 , la fille de Boganda, confirme l’énorme travail réalisé par sa mère aux côtés de son père : dactylographie, revue de presse, réception des interlocuteurs, échanges sur les stratégies politiques. Elle fut également à ces côtés et emprisonnée lors de l’affaire de Mbaïki : ils formaient une véritable équipe. Néanmoins, les archives révèlent également l’importance politique prise par Mme Boganda dès 1948 et surtout après la mort de son mari. Mme Boganda écrit beaucoup et sa correspondance épistolaire donne le ton de ces « interventions », elle intercède notamment beaucoup pour son mari auprès de Louis San Marco147 au risque de paraître intrusive et déplacée. La relation entre les deux couples est très importante à ses yeux et elle alimente très volontiers 144
Lors de son sacerdoce, B. Boganda, lui-même, serait devenu père d’une fille, Alphonsine, selon le dossier « brutalité et agissements délictueux de Boganda entre 1947 et 1951 » conservé à Nantes, AEF 67 PO/1, carton 23. 145 Voir deuxième partie, chapitre IV. 146 Entretiens réalisés par l’auteure avec Agnès Boganda, fille ainée de Barthélémy Boganda. 147 Louis San Marco a été gouverneur de l’Oubangui-Chari de 1954 à 1958. En dépit de ses fonctions, il s’est lié d’amitié avec Barthélémy Boganda et leurs familles respectives se sont côtoyées. Il est le parrain de la seconde fille de Boganda, Catherine. Michelle Boganda intervient auprès de L. San Marco quand les deux hommes sont en désaccord politiquement, CAOM 216 APOM 6 et 7.
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les échanges quand son mari ne le fait pas ou plus. Ses actions sont multiples après le décès de son mari 148 afin d’être pensionnée au mieux et à l’abri du besoin financièrement. La fabrique du leader est un processus long et périlleux. Self-mademen d’origine très modeste, les hommes étudiés doivent leur réussite à une volonté de fer, une force de travail hors norme, une soif de réussir et d’inverser le cours de leur existence. Tous n’ont pas été des élèves brillants comme Félix Moumié ou de Barthélémy Boganda. Éduqués dans des missions d’obédience différente, ce dernier est le seul à embrasser une carrière ecclésiastique, mais avec Ruben Um Nyobè, il partage le fait que leurs références religieuses très fortes ont durablement influencé leur action politique : elles ont été les ferments de leurs luttes. Pour Patrice Lumumba, par le biais de ses emplois, des cours du soir et de ses responsabilités associatives, cet autodidacte s’est formé et conscientisé politiquement tout comme Félix Moumié grâce à ses études et ses rencontres à l’Ecole Ponty de Dakar. En tant qu’« évolués », ces hommes très doués deviennent très vite des menaces pour les colons suscitant suspicions et craintes. Nos leaders n’ont pas été des « tyrans partenaires loyal » des colons, ils ont choisi, dans le bref temps de leur existence politique, de rester des êtres subversifs quitte à devenir très encombrants. Lumumba et Boganda sont allés très loin dans leur volonté d’adhésion au modèle de « l’évolué ». Lumumba se faisait déjà appeler « Patrice le Blanc », usungu, dès son plus jeune âge et Boganda revendiquait en leitmotiv sa citoyenneté française et sa foi en les valeurs qu’elle porte. La position sociale et culturelle de ces quatre hommes, au carrefour de plusieurs mondes, a rendu la gestion de leur vie maritale compliquée. Leurs idées novatrices sur la place des femmes dans leur pays respectif ont été appliquées de façon différenciée dans leur vie personnelle. Félix Moumié et Barthélémy Boganda ont été les seuls à trouver une compagne partageant leur combat politique. Marthe et Michelle sont éduquées et politisées, elles aident leur époux dans leurs tâches administratives et leurs responsabilités politiques officielle ou officieuse : à une différence près, et elle est de taille à l’époque, l’une est noire et l’autre blanche.
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CAOM 216 APOM 6, fonds San Marco.
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La faiblesse des réseaux de solidarité politique dont disposent nos leaders, les conduise à se surpasser et à forger un leadership charismatique, mobilisant les dynamiques africaines de « l’invisible ».
B - Forger un leadership « à l’africaine » : mobiliser les dynamiques de « l’invisible » Les leaders étudiés ont été l’incarnation d’une modernité, les parangons du développement. Dans leur sillage, le développement de l’économie et la prépondérance des religions du Livre devaient, selon les tiers-mondistes, entraîner le déclin des superstitions et de la sorcellerie. Force est de constater qu’aujourd’hui en Afrique, dans la recherche scientifique, cette approche reste prégnante sous l’effet de la globalisation que cela soit en milieu rural ou urbain, dans la culture populaire ou celle des élites149. Ce serait tomber dans la facilité de faire du pouvoir sorcier un exotisme « à l’africaine », le faire porter aux leaders de l’indépendance conduirait immanquablement à une dévalorisation supplémentaire, les renvoyant de ce pas « vers la case ». Quelles sont les spécificités du leadership « à l’africaine » ? Dans quelle mesure leur leadership mobilise-t-il les dynamiques de l’invisible ? Délaisser la sorcellerie pourrait-il revenir à négliger une dimension fondamentale de notre recherche sur ces leaders ? Son intégration se révèle complexe pour une chercheuse occidentale, néanmoins l’expérience africaine implique tout de suite, qu’il n’est guère possible de parler du pouvoir politique, de l’échelle locale à l’échelle nationale, sans se référer aux forces occultes150.
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Jean et John L. COMAROFF, Modernity and its Malcontents. Ritual and power in postcolonial Africa, Chicago, Presses universitaires de Chicago, 1993, 272 p. Arjun APPADURAI, Modernity at large. Cultural dimensions of modernization, Minneapolis, Presse universitaire de Minneapolis, 1996, 248 p. Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres. Paris, Karthala, 1995, 303 p. et « Sorcellerie et modernité : retour sur une étrange complicité », Politique africaine, 2003/3, n° 79, p. 17-32. 150 Peter Geschiere évoque des sentiments analogues lors de son séjour chez les Maka lorsqu’il « découvre que la sorcellerie n’est pas seulement quelque chose de mauvais », ibid, p. 7.
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D’emblée, il est nécessaire de rappeler une différence de vocable sur le terme « sorcier » faite en anglais par E. Evans-Pritchard151 que le français a tendance à gommer. Le witch est un être asocial et maléfique : il agit, grâce à un pouvoir de dédoublement, de métamorphose, qui relève d’une force psychique inhérente à son corps de façon invisible et nocturne. Il dévore la substance de vie des autres. Le sorcerer est, par contre, un personnage socialement intégré qui agit le jour et utilise des substances végétales ou organiques en tant que devin-guérisseur, mais qui a aussi le pouvoir de conjurer les sorts et d’éloigner les esprits malins. Dans l’usage du terme fait par les colons, certains des leaders étudiés ont des ancêtres sorciers, au sens witch c’est-à-dire négatif du terme, ce vocable devient alors une « arme de guerre ». Ainsi, le père de Ruben Um Nyobè est un « sorcier-panthère » pour les colons ou plus exactement un grand-prêtre des sociétés initiatiques bassa qui aurait d’ailleurs souhaité initier son fils à ses pratiques152. Enfant chez les Tetela, le jour de la naissance de Patrice Lumumba aurait été annoncé par une éclipse totale du soleil à Wembo-Nyama 153 et un de ses parents maternels était doté de pouvoirs magiques capables de soumettre un léopard, symbole du pouvoir politique dans la culture mongo. Parmi les critiques faites par les colons, Patrice Lumumba est devenu cet être ondoyant et maléfique qui galvanise les foules154. Car le sorcier est craint, malfaisant, nuisible donc respecté et son engeance est hors-norme… Ce monde de l’invisible est méconnu des Blancs, ce vocable est donc péjoratif, et il renvoie les leaders à leur statut d’« indigène » duquel ils tentent de s’extirper. 151
Edward Evan EVANS-PRITCHARD, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandés, Paris, Gallimard, 1972, 648 p. Cette distinction a été discutée dans l’ouvrage collectif Max MARWICK Witchcraft and sorcery : selected readings, Londres, Penguin books, 1982, 470 p. Cette opposition a été ensuite nuancée dans le contexte africain par Marc AUGE (voir supra). 152 Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, présenté par Achille MBEMBE, Paris, L’Harmattan, 1984, p. 19. 153 K’Omalowete a djonga MANYA, Patrice Lumumba, le Sankuru et l’Afrique. Essai, préface de Jean Ziegler. Lutry, Bouchain, 1986, p. 31 et les témoignages recueillis par Alphonse Mbuyamba Kankolongo dans son village natal dans Pierre HALEN et Janos RIESZ, Patrice Lumumba entre dieu et diable – un héros africain dans ses images, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 129-136. 154 Voir deuxième partie, chapitre IV sur la diabolisation notamment médiatique de la figure de Lumumba.
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Ceci explique sans doute pourquoi ces leaders ont soigneusement, afin de rester crédibles aux yeux des Occidentaux, renoncé ou caché leurs pratiques de « l’invisible » ou les ont réservées à leur stricte intimité, quitte à se couper de leurs concitoyens tout du moins dans les apparences. Nous disposons de peu d’archives personnelles de la teneur des carnets de Ruben Um Nyobè155 ou de témoignages oraux fiables sur ces aspects intimes. Beaucoup d’ajouts a posteriori, de reconstructions mémorielles sont, par contre, à notre disposition. L’opposition politique s’est donc chargée d’instrumentaliser cette donnée « indigène ». Ainsi Boganda, dont nous avons déjà vu les positions très tranchées négativement sur les fétiches et la sorcellerie sont connues, est réassocié régulièrement à la culture populaire de la magie par ses opposants : « Post-scriptum : Boganda, hier, dans la nuit vers deux heures du matin, n’aviez-vous pas remarqué qu’une voiture suivait votre voiture alors que vous alliez au cimetière pour pratiquer votre magie ? Vous vous en étiez aperçu puisque vous aviez rebroussé chemin. C’était Georges Darlan et un autre Oubanguien qui étaient à votre poursuite, essayant de découvrir vos secrets de magie. Ils n’ont pas peur, ils veulent sauver l’Oubangui actuellement prisonnier des capitalistes et de Boganda, député en décadence. Boganda dit dans les villages qu’il est un magicien à craindre : qui ne vote pas pour lui meurt156. »
Boganda joue de cette réputation de « possédé » pour retourner ces attaques contre les colons : « Un journal colonialiste a publié le mois dernier un article dans lequel il est dit en toutes lettres : “Le malin” – c’est-à-dire le démon – “qui semblait avoir quitté Boganda l’a repris”. Je suis donc un possédé et je le reconnais. Les fonctionnaires de la rue Oudinot m’ont traité d’anté-Christ [sic]. AntéChrist ou anti-Christ, ils ne savent pas eux-mêmes ce que cela signifie. Pourquoi donc parler des choses qu’on ignore ? Je suis donc un possédé et je m’en félicite car c’est là ma force. Mais toute la question est de savoir quel est l’esprit qui me possède. (…) Je suis donc un possédé, car je n’ai 155
Voir l’étude des carnets faite supra. Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Écrits et discours 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition, tract de G. Darlan à l’encontre de Boganda, daté de 1956. 156
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jamais peur des mots. Je suis possédé, hanté par l’esprit de celui qui a déclaré : “on reconnaîtra que vous êtes mes disciples quand vous vous aimerez les uns les autres”. Je suis hanté par l’esprit des Français de 1789 qui ont proclamé : “liberté, égalité, fraternité”. Je suis hanté par l’esprit des Pères de l’Église qui ont déclaré : Omnes pariter nascuntur, omnes egaliter moriuntur157. »
Le futur président ne s’éloigne pas publiquement 158 de sa ligne de conduite d’« évolué » et de prêtre ayant adopté les valeurs de la métropole. Pourtant, aux yeux de ces concitoyens, il est doté de la force sorcière qui est le ressort de la réussite sociale et de l’enrichissement 159 . Loin de tout préjugé racial et culturel, l’association aux pouvoirs sorciers est un capital et une valeur politique pour Boganda car la sorcellerie permet d’ordonner les rapports de forces dans la réalité ou dans l’imaginaire. En cela, il est dangereux de s’en priver car elle réduit les écarts de toute nature dans la sphère domestique et sociale et d’autres peuvent s’en emparer pour en abuser 160 . Face à l’électorat centrafricain de plus en plus hétérogène, le discours de Boganda devait s’adapter en fonction des circonstances et des interlocuteurs. Aux élections territoriales de 1952, il affronte les chefs traditionnels dans l’espoir de juguler leurs pouvoirs 161 . Par ailleurs, velléitaire, il sait aussi s’accommoder de l’effet qu’il produit sur les élus. Il peut faire bonne figure devant les porteurs de la tradition et ne pas les heurter de front : une telle stratégie peut le conduire à la présidence du pays. Son statut de prêtre a facilité un syncrétisme entre pratiques de sorcellerie et
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Ibid., assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari, séance du 5 octobre 1957. (B. Boganda s’adresse à M. Guérillot, ministre des Affaires administratives et économiques). 158 Il se révèle difficile sans archive écrite ou orale de savoir si le renoncement aux pratiques traditionnelles liées à la sorcellerie ont été effectives dans l’intimité des leaders. 159 André MARY, « Sorcellerie bocaine, sorcellerie africaine. Le social, le symbolique et l’imaginaire », Cahier du LASA (Laboratoire de Sociologie et d’anthropologie de l’université de Caen), 1987, p 133. 160 Ibid., p. 167-173. 161 Voir infra l’opinion de Boganda sur le fétichisme et le semali. Le semali désigne à la fois l’association fermée et les initiés au culte de Ngakolà, le génie le plus important du panthéon banda auquel les membres de cette association vouaient un culte spécifique.
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christianisme, de façon consciente ou inconsciente chez les Centrafricains. La force intégratrice des pratiques chrétiennes dans les sociétés rurales a remplacé ou fait fusionner les fétiches aux symboles religieux, la figure du sorcier s’est cachée ou effacée derrière celle du prêtre. La situation coloniale interdisait les pratiques de sorcellerie traditionnelle comme les offrandes, les sacrifices, l’initiation aux rituels de possession, ou le recours à des moyens de défense et de protections magiques, le pouvoir missionnaire dénonçant le fétichisme. Sans défense, les Africains ont adhéré pour la plupart au christianisme, espérant que les objets sacrés, les rites et ses représentants seraient efficaces162 à leur cause. Du côté camerounais Pierre Messmer écrit que les carnets de Ruben Um Nyobè révèlent la part « africaine » et obscure du leader163. S’il évoque cela de façon péjorative, cette assertion se révèle à l’analyse néanmoins exacte. Cette source majeure sur la période du maquis a d’ailleurs nécessité un travail de recherche très particulier. Initialement ce carnet a été retranscrit par Georges Chaffard dans son ouvrage paru en 1967164, de façon fragmentaire. Le journaliste affirme que ces fragments ont été remis « en septembre 1958 par Mayi Matip à un officier français de la Zone de pacification du Cameroun (Zopac) ». Les extraits retranscrits couvrent la période entre le 4 janvier et le vendredi 25 juillet 1958. Le journaliste évoque la découverte des carnets dans son chapitre intitulé « La mort du prophète » : « Le cadavre est identifié (Um Nyobè). On bat les broussailles alentour, et l’on retrouve la fameuse serviette. Elle contient, outre d’abondantes archives de l’UPC, le carnet intime sur lequel Mpodol, depuis des mois, notait ses rêves et ses pensées quotidiennes. »
162
Cette sorte de syncrétisme entre christianisme et sorcellerie a été relayée ensuite par les pentecôtistes. Voir Joseph TONDA « Capital sorcier et travail de dieu », Politique africaine, 2000/3, n° 79, p. 48-55. 163 Pierre MESSMER, Après tant de batailles, Paris, Albin Michel, 1992, p. 217230. 164 Georges CHAFFARD, Les carnets de la décolonisation, Tome 2, Paris, Calmann-Lévy, 1965, 346 p.
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G. Chaffard ne donne aucune explication supplémentaire qui pourrait, par exemple, préciser les circonstances dans lesquelles, Mayi Matip aurait remis le carnet d’Um à un officier. Dans son avantpropos, il évoque les limites de sa démarche : « (…) Plus l’auteur (il parle de lui-même à la troisième personne du singulier) avançait dans son entreprise, et moins il pouvait se référer à des documents d’archives qui n’existent pas encore [sic]. Il a dû recourir, beaucoup plus que pour son premier ouvrage, à des témoignages oraux, dont il connaît la fragilité et dont il a mesuré les contradictions. Son vœu est que d’autres chercheurs, plus tard, partant de cette modeste et discutable contribution, reprennent l’étude des événements de la décolonisation et, s’appuyant sur une documentation plus abondante, la conduisent avec plus de rigueur. »
Cette démarche scientifique a été amorcée par de quelques historiens 165 . Achille Mbembé s’est particulièrement intéressé dans ses travaux au contenu du carnet de Nyobè. Il analyse le contenu de ce carnet dans sa thèse soutenue en 1989 sous la direction de Catherine Coquery-Vidrovitch166, puis ensuite dans d’autres publications167. Ce travail tout à fait novateur sur le contenu des carnets porte sur les mêmes extraits que ceux retranscrits par G. Chaffard. L’analyse onirique du contenu des carnets lui permet de cerner les contours de l’imaginaire et des cadres cognitifs dans lesquels a évolué le leader et d’expliciter le rapport entre l’analyse des rêves et le refus de se soumettre aux colonisateurs. Pour Achille Mbembé, cette insoumission est à interpréter en référence aux systèmes autochtones et aux idées symboliques à partir desquels les Africains élaboraient leurs images du monde et construisaient leur identité. L’auteur livre une interprétation séduisante des confessions intimes du leader en développant sur son utilisation du « domaine de la nuit », autre 165
Abel EYINGA, Introduction à la politique camerounaise, L’Harmattan, Paris, 1984, 356 p. 166 Achille MBEMBE, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, esquisse d’une anthropologie historique de l’indiscipline, 2 volumes, cote R89 40, Bibliothèque PMF, Paris I. 167 Um NYOBÉ, Écrits sous le maquis, introduction rédigée par A. Mbembé, Paris, L’Harmattan, 1989, 295 p. et Achille MBEMBE,, « Domaines de la nuit et autorité onirique dans les maquis du Sud-Cameroun, 1955-1958 », Journal of African History, n° 32 ,1991, p. 89-121.
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temporalité de son engagement, en complémentarité de son action diurne dans le « domaine du visible ». Ce qui se passait dans l’un des domaines était supposé communiquer avec ce qui se passait dans l’autre. Le sommeil et le rêve ont, à ce titre, une position privilégiée dans ce rapport de circulation et de réciprocité entre les deux domaines. Cette réflexion avait déjà été amorcée par des anthropologues comme E. de Rosny et P. Labarthe-Tolra 168 , présentant la nuit comme le temps ou le lieu symbolique de l’œuvre au noir des sorciers criminels, la nuit « transfigurante » où se joue les grands rituels, les initiations et les sociétés secrètes. La nuit est donc un lieu de puissance qu’il importe de domestiquer et de déchiffrer, un moment-clé où le double sortait de son corps visible et s’en allait dans la nuit faire la jonction avec les esprits. L’univers de la nuit est donc redoutable, il faut le maîtriser et c’est du domaine de la nuit qu’est supposé provenir la capacité de commander et de s’enrichir. Comment se faire obéir des êtres le jour sans les persuader qu’on maîtrise ceux de la nuit ? À la fois devin, Um est « celui qui voit la nuit », un montreur de choses cachées et qui peut devenir invisible des autres. Comme la colonisation est assimilée dans l’imaginaire autochtone à un événement-maladie, les leaders de la résistance à l’oppression coloniale apparaissent ainsi comme les guérisseurs. Um consigne dans ce carnet ses rêves qu’il tente sûrement de déchiffrer tant la violence coloniale pénètre son sommeil : « Samedi 4 janvier 1958 Malheur. J’ai rêvé d’une tombe. Puis, je pénétrai dans un wagon. On y a apporté un individu à l’agonie ; il sentait comme un cadavre. (…) Ces derniers rêves et ceux que je fais depuis le 25 décembre m’annoncent que la mort me menace. Vendredi 31 janvier 1958 (…) Le responsable d’Édea n’a pas pu se procurer le philtre qui doit me protéger de l’ennemi. Dimanche 16 février 1958 Rêve de pays lointain. Je voyais Fernando Po où il y avait beaucoup de lumière. J’allais y cacher mes affaires et les ennemis ne les voyaient pas.
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Éric ROSNY (de), Les yeux de ma chèvre : sur les pays des maîtres de la nuit en pays Douala, Paris, Plon, 1981, 474 p. Philippe LABURTHE-TOLRA, Initiations et sociétés secrètes au Cameroun, essai sur la religion Beti, Paris, Karthala, 1985, 443 p.
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Mercredi 30 avril 1958 Rêvé que j’entrais dans ma chambre où je voyais un cadavre étendu enroulé dans une couverture. »
« Le philtre qui doit me protéger de l’ennemi », « J’allais y cacher mes affaires et les ennemis ne les voyaient pas », ces deux phrases révèlent que Um n’est pas coupé de la pensée africaine, il pourrait être doté de pouvoirs qui l’empêchent d’être vu, il a également recours à des potions l’empêchant d’être capturé par les Français en plein maquis. L’analyse de ces carnets nécessite une digression née de l’interrogation suivante : étaient-ils écrits en bassa comme le suggèrent les quelques rares précisions et traductions de G. Chaffard ou en français ? La nécessité de voir les originaux s’est donc imposée pour découvrir cette source inestimable. Mes recherches m’ont conduite à prendre contact avec Achille Mbembé à plusieurs reprises afin qu’il précise la cote du carton de ces carnets annoncés comme conservés au SHD, mes tentatives sont restées sans réponse de sa part. Un échange aurait pourtant été utile car la lecture minutieuse de sa thèse, faite a posteriori, révèle qu’Achille Mbembé n’a pas consulté l’original de ce carnet : « Par contre, un refus nous a été opposé lorsque nous avons voulu consulter les documents entreposés au SHD. La consultation de ces dossiers nous aurait permis d’établir avec plus de précision le niveau d’engagement des forces françaises dans la répression de l’insurrection. Nous aurions également pu consulter la plus grande partie des carnets intimes dans lesquels les paysans maquisards transcrivaient leurs songes, l’activité onirique et son interprétation ayant fait l’objet d’une grande attention dans le maquis169. »
Le carnet étudié par Achille Mbembé n’est pas non plus référencé dans le volume 2 de son étude. Nous pouvons donc en déduire que l’auteur n’a pas vu les originaux de ce carnet et qu’il base son analyse sur les extraits de G. Chaffard ce qui est corroboré par le fait qu’aucun apport novateur n’est fait. Cette thèse réalisée en 1989 empêchait 169 Achille MBEMBE, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, esquisse d’une anthropologie historique de l’indiscipline, Paris, Karthala, 1996, Vol. 1, p. 28 (introduction).
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l’auteur de consulter les archives de la période encore classifiées. L’examen minutieux réalisé entre 2011 et 2014 des fonds concernant le Cameroun du SHD à Vincennes, y compris des cartons nécessitant des dérogations, ne m’a pas permis de voir ou de consulter ce carnet évoqué comme appartenant aux fonds de Vincennes. J’ai fait alors appel à mes interlocuteurs au SHD : le capitaine Lagarde, le responsable du fonds photographique, puis le chef du Centre historique des archives du SHD de l’époque, Thierry Sarmant, ses adjoints Bertrand Fonck et Frédéric Quéguineur responsables des fonds concernés. Tous ont formulé la même réponse : aucune trace de ce carnet ni dans les archives militaires de l’AEF ni dans les fonds d’origine privée 170 . La récente publication de Romain Bertrand intitulée « La colonisation : une autre histoire171 » se compose d’une double page destinée à l’étude de ce carnet. Cette publication à destination des professeurs d’Histoire en collège et lycée questionne donc à nouveau la traçabilité et la véracité de la source. Son authenticité, en dépit de mes nombreux efforts, n’a pu être vérifiée. La dernière tentative en date est le courrier adressé à l’administrateur civil au SHD, Pierre Laugeay, concernant ces carnets mais plus largement des archives saisies par le capitaine Guillou, commandant de la 1re compagnie du BTC n° 1 et récupérées par le sergent-chef Toubaro, dans la serviette de Um Nyobè. Sa réponse soutient que les carnets ne sont pas au SHD après des vérifications dans les fonds et qu’aucune pièce administrative n’atteste le versement de telles archives172. En résumé, la retranscription par G. Chaffard est très intéressante mais elle ne fait pas foi et les recherches de traçabilité doivent se poursuivre. Néanmoins, le contenu de ses carnets révèle que Nyobè comme Lumumba ont eu conscience qu’ils allaient mourir comme des martyrs, entrés depuis plusieurs mois dans ce qu’Achille Mbembé a appelé fort justement le « périmètre de la mort 173 ». Les récits oniriques d’Um sont peuplés de cadavres, de ténèbres : « Malheur. 170
Consultation des fonds 6H, 10 T, 10 R et voir Annexe 1, courriels échangés avec Thierry Sarmant et ses collègues. 171 Romain BERTRAND, « La colonisation : une autre histoire », La documentation photographique, n° 8114, nov-déc 2016. 172 Voir Annexe 2 : échanges de courriels avec Pierre Laugeay. 173 Achille MBEMBE, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, op. cit., p. 391-396.
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J’ai rêvé d’une tombe. Puis je pénétrai dans un wagon. On y a apporté un individu à l’agonie, il sentait comme un cadavre. J’ai quitté ce wagon en disant que je n’y reviendrai plus ». De même, les confessions de Patrice Lumumba révèlent dès le 10 octobre 1960 : « On veut me tuer. Je mourrai comme Gandhi. Si je meurs demain, ce sera parce qu’un Blanc aura armé un Noir174 ». Tous firent allusion plusieurs fois à la nécessité de sacrifier sa vie à l’indépendance de leur pays175 en tant que martyr. Sous la pression populaire, ils deviennent également des prophètes en leur pays, voire des messies. La façon dont les leaders ont été perçus par leurs contemporains comme des prophètes et parfois des « Christ noirs » confirme ce qu’avait inauguré les mouvements messianiques autour de Simon Kimbangu et d’André Matsoua. Définir ce qu’est un prophète renvoie souvent à une idée floue et brouillée. « Personne capable de prévoir l’avenir », « être ouvrant des voies nouvelles par leur témoignage de vie et leur engagement intellectuel, moral ou spirituel 176 », autant de définitions pouvant convenir aux leaders étudiés. Identifié au mana de l’école durkheimienne et conceptualisé ensuite par Max Weber, le pouvoir charismatique est la qualité extraordinaire, déterminée de façon magique, chez les prophètes, les sages, les chefs des peuples chasseurs, les héros guerriers et guérisseurs. En somme, une série de personnages dotés de forces de caractères surnaturels ou humains. Ce pouvoir est une potentialité que seuls certains exploiteront. Pour M. Weber, à la différence du prêtre dont le ministère se déploie dans le cadre d’une mission que l’Église lui a confiée, le prophète affirme tenir son autorité directement d’un appel divin ou d’une révélation qui le rend capable d’identifier le Mal, de le dénoncer publiquement et de proposer un avenir meilleur177. 174
La Libre Belgique du 11 octobre 1960. Peter SCHOLL-LATOUR, Mort sur le grand fleuve. Du Congo au Zaïre Chronique d’une indépendance, Paris, Presses de la Cité, 1986, p. 188-190. 176 André VAUCHEZ (dir.), Prophètes et prophétisme, Paris, Seuil, coll. « Histoire », 2012, 475 p. Voir introduction : selon A. Vauchez, Gandhi, de Gaulle ou Martin Luther King sont considérés comme des prophètes. 177 Max WEBER, Économie et société, Paris, Plon, 1971. L’étude de Weber se fait à partir d’un idéal-type du prophète en la personne de Savonarole, prêtre et prophète au XVe siècle. 175
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« Il ne faut pas oublier que Jésus appuyait entièrement sa propre légitimité sur le charisme magique qu’il ressentait en lui, sur sa prétention que lui et lui seul, connaissait le Père et que la foi en lui, Jésus, était la voie qui menait à Dieu178.
Toujours pour Weber, il existe un prophète laïc en la personne des leaders charismatiques, capables d’interpréter les signes des temps et les nouvelles aspirations de leurs contemporains. Ces personnes suscitent, dans leurs sillages, des mouvements religieux qui peuvent avoir également une dimension sociale, culturelle et politique. Le prophétisme a des liens très étroits avec le messianisme qui peut se définir comme la « croyance religieuse en la venue d’un Rédempteur qui mettra fin à l’ordre actuel des choses soit de matière universelle soit pour un groupe particulier et instaurera un ordre nouveau fait de justice et de paix 179 . » À la différence du prophète, le Messie s’identifie plus ou moins à Dieu lui-même avec lequel il revendique une parenté, il est son porte-voix parmi les hommes. Une chanson tetela affirme que : « Lumumba a délivré le Congo de l’esclavage, il est l’envoyé de Dieu, Moïse libérant son peuple180. » Chez les Bassa, on chante : « Autrefois Nyambé (dieu) envoya Mpodol afin qu’il annonce au pays une nouvelle vie, la fin des esclavages, le début de la dignité pour ceux qui marchaient le dos courbé181 ». L’assimilation de Boganda prêtre, au Christ, se fait par un glissement sémantique utilisé par les Centrafricains, il devient « celui qui marche sur l’eau182 » raillé par les colons de Bangui lors de son élection en tant que maire en 1956, mais cette phrase est sur les lèvres
178
Ibid., tome I, pp. 241-430. Ibid., p. 10. 180 Bogumil JEWSIEWICKI, « Figures des mémoires congolaises de Lumumba : Moïse, héros culturel, Jésus-Christ » dans Pierre HALEN et Janos RIESZ, Patrice Lumumba entre Dieu et diable : un héros africain dans ses images, op. cit., p. 353377. 181 Um NYOBÉ, Écrits sous le maquis, introduction rédigée par A. Mbembe, op. cit., p. 10. 182 Voir l’article d’André Fontain intitulé « Boganda sur les eaux » dans Francesoir, septembre 1956. Cet article est sous-titré « Le peuple de la brousse a dans son député une confiance superstitieuse et sans limite ». 179
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de nombreux banguissois comme l’atteste Pierre Samy Mac Foy183. En tant que prêtre chrétien africain, il fallait à Boganda une sacrée dose de confiance et de force pour oser ordonner l’abandon des fétiches à ses ouailles et s’exposer ainsi à la colère des « esprits maléfiques 184 ». Nombreux étaient les oubanguiens à l’assimiler au Christ qu’il avait fini par incarner. N’y a-t-il pas cru lui-même ? La décolonisation s’inscrit dans la temporalité ternaire des prophétismes : le temps de l’oppression, le temps de l’impatience et de la révolte, et le temps de la libération et du Salut dont les prophètes profiteront peu à dire vrai. L’apport du travail de Norman Cohn185 a permis de préciser et de renouveler la pensée sur les prophétismes. Pour lui, le prophète a une prestance physique, une confiance absolue de sa mission, un effet magnétique produit par sa parole. Il appartient aux couches inférieures de l’intelligentsia et évoque les aspirations de ces auditeurs à haute voix. Son action a d’ailleurs des effets contradictoires : ces prophètes/leaders dynamisent la contestation, ils la radicalisent mais d’un autre côté ils peinent à remettre en cause l’ordre établi et ils divisent186. Cette approche est en adéquation avec le profil des leaders, leurs actions et leurs échecs à rassembler. Ils se placent également à la suite d’autres prophètes auxquels ils font référence de façon très inégale.
183
Entretien réalisé avec Pierre Sammy Mac Foy, le 12 octobre 2012, écrivain et homme politique centrafricain. 184 Marc AUGE, Le défi du syncrétisme, Paris, Gallimard, 1982, 213 p. 185 Norman COHN, The Pursuit of the Millenium : revolutionary Millenarians and Mystical Anarchists of the Middle Ages, Oxford, Presse Universitaire Oxford, 1970, p. 36-47. Voir aussi pour une approche renouvelée qui commence cependant à dater : Jean SEGUY, « Charisme, prophétie, religion populaire » dans Archives de sciences sociales des religions, n° 57/2, 1984. p. 153-168. Henri DESROCHES, Dieux d’hommes – dictionnaire des messianismes et millénarismes, Paris, Mouton, 1969, 484 p. 186 Jean-Pierre DOZON, La cause des prophètes. Politique et religion en Afrique contemporaine, suivi de La leçon des prophètes, par Marc AUGE, Paris, Seuil, 1995, 300 p.
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Contrairement à l’approche exposée par O’Toole187 et reprise dans la thèse d’Andrea Ceriana Mayneri 188 , les archives écrites ne révèlent pas, de la part de Boganda, de référence directe à Karnou 189 . Cet homme surnommé « celui qui peut changer le monde », était un guide religieux, féticheur et médecin traditionnel Gbaya, originaire de la région du bassin du fleuve Sangha. Boganda fait plutôt référence à l’Histoire de Kongo-Wara et des violences subies par les Bayas de la part des exploitations concessionnaires : « Mon opinion sur les services judiciaires, je l’ai résumée dans un discours adressé aux Bayas de Berberati lors de l’incident du 30 avril 1954. Ce que je leur ai dit a été publié par la presse métropolitaine. Je vous en donne lecture : Peuple Baya, Il n’y a qu’un drapeau français, il n’y a qu’une loi française, la loi est audessus du président de la République, des ministres, des parlementaires, des gouverneurs et des administrateurs. Lorsque tu as volé, tu dois recourir à la loi pour trancher le palabre (…) Votre père Kongo-Wara a voulu vous libérer par la lance et la flèche, moi je vous promets de vous libérer par la seule force de la loi française190. »
187
Thomas O’TOOLE, « The 1928-1931 Gbaya insurrection in Ubangui-Shari messianic movement or village self-defence ? » Canadian journal of african studies, 18 (2), p. 329-344. Raphaël NZABAKOMADA-YAKOMA, L’Afrique centrale insurgée : la guerre du Kong-Warra, 1928-1931, Paris, L’Harmattan, 2000, 190 p. Éric de DAMPIERRE, Un ancien royaume Bandia du Haut-oubangui, Paris, Plon,, 1967 p. 575-577. 188 Andrea CERIANA MAYNERI, Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique, l’imaginaire de la dépossession en pays banda, Paris, Karthala, 2014, 264 p. 189 Barka Ngainoumbey, connu sous le nom de Karnou (ou Karinou), commençe dès 1924 à prôner la résistance non violente aux colonisateurs français à cause de la mobilisation et de l’exploitation souvent inhumaine, des populations locales, dans la construction du Chemin de fer Congo-Océan et l’extraction du caoutchouc. Pour une approche complète voir : Raphaël NZABAKOMADA-YAKOMA, L’Afrique centrale insurgée : la guerre du Kong-Wara, 1928-1931, Paris, L’Harmattan, 2000, 190 p. 190 Jean-Dominique PÉNEL et Karine RAMONDY, Boganda écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition, Discussion du 16 novembre 1955 autour de l’article premier concernant le Parquet général, la Cour d’appel et les tribunaux.
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Ainsi, Boganda se différencie de Karnou car il a échoué : il a utilisé la force, lui utilisera la loi, la loi des colons. Il ne se place pas dans la filiation de Karnou, mais il invente une nouvelle façon de faire valoir les droits des Oubanguiens par le biais de ses activités parlementaires. Il propose des lois et des résolutions ou motions, intervient à l’Assemblée nationale, pose des questions, interpelle les ministres sur la question de la propriété privée, la création de coopératives agricoles, le relèvement du prix du coton aux « indigènes », le travail forcé, la ségrégation dans les espaces publics en outre-mer191. Il n’est pas Karnou, il est Boganda : que dans l’imaginaire des Centrafricains il soit associé à la figure de Karnou voilà qui a pu lui rendre service pour ses campagnes politiques, surtout auprès des Bayas. Peut-être at-il caressé l’idée de créer une Église bogandiste proche de celle de Simon Kimbangu ? L’évocation de cette dernière figure prophétique permet un trait d’union avec Patrice Lumumba. Le jeune président de la République du Congo aurait été le premier à élever le Kimbanguisme au rang de religion officielle au même titre que le catholicisme et le protestantisme. Or, mes recherches révèlent que le 11 mars 1958, la première constitution de l’Église de Jésus-Christ sur Terre par le Prophète Simon Kimbangu (EJCSK) est promulguée 192 et qu’une demande officielle de reconnaissance adressée à la Chambre des représentants et au Sénat de Belgique aboutit enfin à la reconnaissance officielle le 24 décembre 1959. Patrice Lumumba n’est pas encore au pouvoir à cette date. Il semblerait que pour lui, le prophète Kimbangu a commencé la libération de l’homme noir au Congo 193 . De nombreux ouvrages reprennent le phrase suivante sans la référence précisément : « un kimbanguiste qui fut un intime et un compagnon de lutte de Patrice Lumumba, nous a-t-il assuré de l’admiration que celui-ci portait à la 191
Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951, la lutte décisive, op. cit., p. 36-40. 192 Le 22 juin 1958, lors du premier congrès kimbanguiste, Joseph Diangienda Kuntima est reconnu chef spirituel de l’EJCSK. 193 Thomas TURNER « Lumumba delivers the Congo from slavery : Patrice Lumumba in the minds of the Tetela », dans Pierre HALEN et Janos RIESZ, Patrice Lumumba entre Dieu et diable : un héros africain dans ses images, op. cit., p. 315324.
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figure de Simon Kimbangu194. » Difficile de savoir s’il ne s’agit pas d’une énième reconstruction historique faite a posteriori de la mort de Lumumba. Finalement, l’important est qu’aujourd’hui le destin des deux hommes est lié dans l’esprit de certains Congolais en tant que martyrs de la Nation. Mais Lumumba est une référence qui ne fait pas autant l’unanimité que celle de Simon Kimbangu, surtout chez les Bakongos. Aujourd’hui, l’EJCSK compte des millions de fidèles195 et la ville sainte de N’Kamba attire de nombreux fidèles de RDC, du Congo et aussi d’Angola. Simon Kimbangu est né en terre bakongo à Nkamba en 1887, converti au christianisme, baptiste, il envisage une carrière de pasteur qui lui est refusée. Il est arrêté et emprisonné en raison des messages véhiculés dans ses prêches. Jugé lors d’un procès expéditif 196 , il meurt exilé au Katanga en 1951, comme Patrice Lumumba. Les publications sur ce prophète qui s’inscrit dans le sillage de Kampa Vita sont nombreuses 197 . Son action se structure autour de la « mise au fleuve ou au feu » des fétiches, la lutte contre les sorciers, la polygamie et l’alcoolisme : autant de mots d’ordre qui 194
Anne MELICE, « La désobéissance civile des kimbanguistes et la violence coloniale au Congo belge (1921-1959) », Les Temps Modernes, 2010/2, n° 658-659, p. 219 et André MARY, Visionnaires et prophètes de l’Afrique contemporaine. Tradition initiatique, culture de la transe et charisme de délivrance, Paris, Karthala, 2009, 264 p. 195 En fonction des sources, les fidèles seraient à l’échelle mondiale entre 17 et 22 millions, voir également Anne MELICE, « Le kimbanguisme et le pouvoir en RDC », Civilisations, n° 58-2, 2009, p. 59-80. De nombreux entretiens avec des Congolais, de la diaspora ou pas, m’ont révélé que S. Kimbangu était une personnalité plus estimée que Lumumba. 196 Écouter l’émission sur la révision du procès de Simon Kimbangu http://www.rfi.fr/emission/20100807-simon-kimbangu-mythes-fondateurskimbanguisme du 7 août 2010, et sur sa réhabilitation http://www.rfi.fr/emission/20111224-simon-kimbangu-leproces-proces. 197 Voir Martial SINDA, Le messianisme congolais et ses incidences politiques, Paris, Payot, 1972, 300 p. Paul RAYMAEKERS, « Histoire de Simon Kimbangu prophète, d’après les écrivains Nfinangani et Ngunzu », dans Archives de sociologie des religions, n° 31, 1971, p. 14-42. Susan ASCH, L’Église du prophète Kimbangu – De ses origines à son rôle actuel au Zaïre, Paris, Karthala, 1983, 342 p. Jean-Luc VALLUT, Simon Kimbangu, 1921 : de la prédication à la déportation, les sources,, Bruxelles, Académie royale des Sciences d’outre-mer, vol. 1, coll. « Fontes historiae africanae », 2005, 306 p.
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seront repris par Lumumba et Boganda en Centrafrique. Doté d’un pouvoir de guérison, il récupère le culte des ancêtres, l’importance de la prière et favorise la confession publique des péchés. Peu itinérant lui-même, il choisit des apôtres pour diffuser son message. Il promet l’affranchissement du peuple de l’esclavage, de la maladie, de l’oppression coloniale : il prêche « un jour, l’homme noir sera blanc et l’homme blanc sera noir198 ». Autant de promesses qui seront posées par Patrice Lumumba dans nombre de ses discours. L’Église kimbanguiste utilise l’espérance chrétienne contre toutes les institutions européennes qui l’avaient diffusée au Congo. Cette figure est étudiée depuis peu par des chercheurs africains dont l’approche renouvelée est à plus d’un titre intéressante. Aurélien Mokoko Gampiot questionne l’importance des mouvements messianiques en Afrique centrale 199 et avance certaines hypothèses : cette forte concentration serait à rapprocher de la pauvreté et de la misère qui règnent en AEF et au Congo belge. La dépossession de la terre des autochtones par la puissance coloniale aurait affaibli les organisations sociales, ébranlé les mémoires et fragilisé les populations. Beaucoup auraient été très perméables aux messages d’avènement d’un ordre nouveau dans lequel l’homme noir aurait sa place. De son côté, Serge Mboukou évoque la réalité d’un monde en tensions dans lequel la logique du capitalisme violent déstructure les êtres. La figure de Simon Kimbangu y est perçue comme une figure de synthèse qui conjugue des « mondes », celui du royaume Kongo, de la sacralité des Évangiles et des pouvoirs magiques 200 . Simon Kimbangu serait un nganga, porteur d’espoir dans un monde en déliquescence et proposant une société nouvelle. Patrice Lumumba aurait pu être un
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Ibid., p. 76. Aurélien MOKOKO GAMPIOT, Kimbanguisme et identité noire, Paris, L’Harmattan, 2004, 367 p. et écouter http://www.rfi.fr/emission/20170416-afrique-kimbangu-prophete-naissancemboukou-prophetes-chretiens-evangelistes : naissance d’un prophète Simon Kimbangu du 16 avril 2017. 200 Serge MBOUKOU, La parole recouvrée : Simon Kimbangu, prophète et passeur de cultures, Paris, L’Harmattan, 2016, 312 p. et écouter : http://www.rfi.fr/emission/20170423-kimbangu-prophete-œuvre-provocationcolonisateurs un prophète à l’œuvre du 23 août 2016. 199
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élément du process rhizomique kimbanguiste 201 , mais cela n’a pas fonctionné : son absence d’attache bakongo, sa formation plus laïque que religieuse l’ont éloigné du prophète dans son action. Seule leur façon de mourir, tous les deux victimes du colonialisme, les a rapprochés. De nombreuses critiques ont été faites aux leaders : « le génie blanc » se serait emparé d’eux, c’est-à-dire l’argent à la fois Dieu et Diable, un fétiche qui est l’une des causes principales des malheurs des pays africains202. Le christianisme est arrivé en Afrique avec son cortège de produits manufacturés, de richesses matérielles et scientifiques. Les leaders sont devenus des représentants de ces objets de puissance, entraînant des jalousies et des trahisons. Ils sont devenus des consommateurs aux besoins financiers de plus en plus importants : accéder à la consommation203, c’est accéder au statut de civilisé mais c’est aussi s’éloigner des pratiques locales. Cette réponse à Boganda lors de la conférence donnée par les adhérents à son parti, le Mouvement d’émancipation sociale de l’Afrique noire (Mesan), le 12 novembre 1956 le prouve : « Tout va très bien parce que les Blancs partagent plutôt leur argent avec le député Boganda. – Le député Boganda a déclaré qu’il est pauvre. – Nous lui répondons que n’est pas pauvre le propriétaire d’un palais de 12 millions de francs, le cultivateur de sept plantations de café, le commerçant qui bloque pour lui 50 tonnes d’arachide à Bouar, le politicien qui vend pour lui des millions de cartes d’adhérents. – Le député Boganda a déclaré que les paysans de l’Oubangui lui ont envoyé des centaines d’œufs.
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La théorie du rhizome, développée par Gilles Deleuze et Félix Guattari, est l’un des éléments de la « French Theory ». Il s’agit d’une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux. Elle vise notamment à s’opposer à la hiérarchie en pyramide. Voir Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, 527 p. 202 Jean-Pierre DOZON, La cause des prophètes, op.cit., p. 166. 203 Voir supra les critiques faites à Félix Moumié sur ses dépenses réalisées sur les crédits de l’UPC et les tracts dénonçant la fortune personnelle de Boganda, voir Annexe 3.
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– Nous lui répondons et lui annonçons que c’est mauvais signe pour lui car il s’est trop enrichi au profit des Africains qui voudraient qu’il mange les derniers œufs de l’Oubangui avant la fin de son mandat. – Le député Boganda a déclaré que le mensonge est toujours dévoilé. – Nous répondons qu’il nous faudrait des milliers de pages pour dévoiler ses mensonges. Nous lui demandons seulement : où sont les cars qu’il nous a promis pour Bangui ? Ils sont entre les mains de Monsieur Rémond. Où sont les belles cases qu’il nous a promises ? Il a détruit la Kouanga et nous habitons encore des chaumières. Où sont les pauvres femmes qui lui ont payé le droit de fabriquer l’alcool ? Elles sont en prison à Ngaragba. Où sont les millions promis pour notre commerce ? Ils sont à Bobangui et en France. Où sont nos ingénieurs, nos médecins, nos professeurs ? Il les a retournés en Oubangui avant la fin de leurs études pendant que ses enfants sont encore à l’école en France (…). Où sont partis les 60 millions volés par vous, l’unique membre exécutif du Mesan, aux Oubanguiens ? Ils ont servi à construire un “château” en France, à faire sept plantations de caféiers dans la Lobaye, à obtenir un terrain de 50 hectares dans l’OmbellaMpoko pour une huitième plantation204. »
Dépenses, enrichissement personnel, accusation de corruption inaugurent le concept de la « politique du ventre » 205 qui désigne une manière d’exercer l’autorité avec un souci exclusif de satisfaire matériellement une minorité fidèle. Elle renvoie aux nécessités de la survie, de l’accumulation et à des représentations culturelles complexes. Évoquer ici cette référence bibliographique et ce concept ne revient pas à cautionner que la corruption et les prébendes sont des phénomènes spécifiquement africains ou africano-centrés. Ces leaders n’ont pas eu le temps de s’installer au pouvoir dans la durée. Peut-être auraient-ils intégré ce système ploutocrate qui ronge avec constance les relations politiques et l’Afrique centrale jusqu’à nos jours. Boganda, Lumumba, Nyobè et Moumié ont développé, chacun à sa manière, un « leadership à l’africaine ». Figures de synthèse entre plusieurs mondes, mêlant les coutumes locales aux messages des 204
Jean-Dominique PÉNEL et Karine RAMONDY, Boganda écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition. 205 Jean-François BAYART, L’État en Afrique – la politique du ventre, Paris, Fayard, 2006, 514 p. Ce « concept stigmatisant » comme l’a nommé Tessilimy Bakary, occulte les rapports multidimensionnels de dépendances ou d’interdépendances entre acteurs et États.
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Évangiles véhiculés par les missionnaires et le pouvoir magicocharismatique, ils ont navigué entre modernité et traditions. Il a été difficile de mesurer l’impact des pratiques de l’invisible dans leur vie intime faute de sources fiables. A contrario, le recoupement de diverses archives permet de réaliser la part importante des prophétismes et messianismes dans leurs actions. Le statut de prêtre de Boganda a favorisé le syncrétisme entre tradition et modernité et l’avènement d’une sorte de messianisme « bogandiste » qui lui a permis d’asseoir son autorité politique dans le sillage de Karnou. Les carnets intimes de Nyobè sont une source inestimable, précautions à part, qui révèle les ultimes pensées de celui qui se perçoit traqué, comme un martyr, en connexion avec les forces de l’invisible. Ces leaders ont tous été perçus comme des martyrs, comme des prophètes mais tous n’ont pas accédé au statut de « messie ». Au sens wébérien et cohnien, tous ont été des prophètes qui ont ouvert une nouvelle voie sans se référer forcément aux prophètes préexistants comme Karnou ou Simon Kimbangu. Seuls Boganda, Lumumba et Nyobè ont fait l’objet d’un culte messianique comme l’attestent les chansons populaires très révélatrices à ce sujet. Au jeu du charisme, Moumié est le grand perdant : il n’a d’ailleurs émergé réellement politiquement qu’à la mort de Nyobè en septembre 1958. Les sources le concernant sur tous ces aspects sont quasi inexistantes. Son ancrage bamoun de très modeste condition sociale ne lui a pas permis de trouver une place de leader charismatique déjà largement occupée par le roi Njoya dans la région de Foumban et par Nyobè à la tête de l’UPC. À l’exception de Nyobè, tous ont été très vertement critiqués pour leur enrichissement personnel et accusés d’inaugurer la « politique du ventre » très largement fonctionnelle en Afrique depuis les indépendances. Ils ont été jalousés, haïs surtout par les leurs, de violentes inimitiés ont émergé, elles ont été le terreau de complicités les menant à la mort.
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II - Circonstances et contextes rapprochés des assassinats A - La chasse à l’homme en brousse ou en ville : des prises de « choix » Certains leaders étudiés ont été chassés comme des animaux. Est-il déplacé de penser ce parallèle ? À la lumière des travaux récents en anthropologie politique sur le thème des violences coloniales, la comparaison est tout à fait justifiée 206 . Elle continue pourtant de choquer comme le prouvent les réactions à cette assertion lors de certaines conférences sur le sujet207. Pourtant très tôt, des liens entre expéditions coloniales et la chasse se sont noués. Ainsi, cette pratique est apparue comme une ressource alimentaire nécessaire à la poursuite de la conquête208. Rechercher du gibier pour se nourrir et éliminer les animaux dangereux, réaliser des réseaux d’échanges de dons et de rémunérations entre les Européens et les Africains ont été des enjeux au cœur de l’expérience coloniale. La chasse a permis aux Européens d’asseoir leur pouvoir par ces réseaux d’échanges de viande mais aussi par le commerce de l’ivoire. À cette occasion, la chasse devient 206
Voir les travaux récents de Lancelot ARZEL et notamment sa thèse soutenue en décembre dernier à Sc. Po Paris sous la direction de S. AUDOUIN-ROUZEAU intitulée « Des ‘conquistadors’ en Afrique centrale. Espaces naturels, chasses et guerres coloniales dans l’État indépendant du Congo (années 1880-années 1900) ». Lancelot ARZEL, « À la guerre comme à la chasse ? Une anthropologie historique de la violence coloniale dans l’État indépendant du Congo (1885-1908) », dans Catherine LANNEAU, Pierre-Luc PLASMAN et Patricia VAN SCHUYLENBERGH (dir.), L’Afrique belge aux XIXe et XXe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale, Bruxelles, Peter Lang, coll. « Outre-Mers », 2014, p. 145-159. Lancelot ARZEL « Anthropologie historique d’un sport violent : la chasse coloniale, prélude à la guerre ? Le cas de l’Afrique (France, Royaume-Uni, Belgique, 18701914) » dans Luc ROBENE (dir.), Le sport et la guerre (XIXe-XXe siècles), Rennes, PUR, 2013, 538 p. 207 Conférence faite par l’auteure à l’Université de Poitiers 30 novembre 2016 : « L’assassinat politique des leaders africains : polysémie de la nuit en contexte colonial ». 208 Voir la thèse de Patricia VAN SCHUYLENBERGH, De l’appropriation à la conservation de la faune sauvage – pratiques d’une colonisation : le cas du Congo (1885-1960) soutenue en 2006 à Louvain la Neuve.
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un rituel sportif et une destruction somptuaire. Elle constitue aussi un rituel d’occupation, une reconnaissance et une mise en valeur de la masculinité occidentale. La chasse établit chez le colon, à mesure qu’il la pratique en contexte colonial, un sentiment de supériorité et d’élitisme du point de vue moral et technique par rapport au chasseur autochtone. Ce dernier se voit rabaissé au statut d’amateur, de braconnier alors que le colon se voit doté de vertus comme le courage, la vigueur et l’endurance. Le chasseur « blanc » devient l’acteur idéal d’une politique d’occupation terrestre et de colonisation menée à son terme à mesure que cette pratique préfigure un entraînement utile aux combats contre les hommes209 et constitue un excellent cours de tir sur des cibles vivantes : de l’animal à l’homme il n’y qu’un pas210. La lecture de la thèse de P. Van Schuylenbergh révèle que les chasseurscolonisateurs d’ivoire ont utilisé trois pratiques successives : s’allier à des réseaux existants pour pister la proie, utiliser les intermédiaires locaux connaissant le « terrain » pour le faire plus facilement et rapidement et ensuite, consolider l’appropriation des ressources par l’application de mesures administratives et légales. Notre étude met en valeur le fait que ces trois étapes sont également identifiables quand il s’agit de traquer le leader : dans un premier temps l’infiltration dans les réseaux existants, puis la phase dans laquelle le leader est pisté à l’aide de connaisseurs du terrain comme les hikokon 211 , puis l’« abattage » ou la mise à mort et enfin la signature d’accords commerciaux et politiques entérinant l’exploitation des ressources locales avec les partenaires restants. Plus que jamais les adjuvants locaux ont joué un rôle majeur, celui de transférer à l’élite blanche leurs savoirs utilitaires, basés sur un empirisme pragmatique visant à fournir toutes les indications susceptibles de définir des endroits où le gibier peut être rencontré, signalé, ses habitudes, ses sentiers de passage, de pâture et d’abreuvoir. Le colon avait besoin de son œil perçant pour fouiller le terrain, « apercevoir le gibier et le tuer au 209
MRAC /Hist. : fonds C. GILEAIN 55.23.1- Journal de notes manuscrites Ndobo (1898-1899). 210 Lancelot ARZEL « Du gibier au colonisé ? Chasse, guerre et conquête coloniale en Afrique (France, Royaume-Uni, Belgique, 1870-1914 » dans Amaury LORIN et Christelle TARAUD (dir.), Nouvelle histoire des colonisations européennes (XIXeXXe siècles). Sociétés, cultures, politiques, Paris, PUF, 2013, 453 p. 211 Hikokon signifie « traitre » en bassa, c’est-à-dire celui qui s’est mis au service de l’armée française pour traquer les Upécistes.
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gîte212 ». En outre, les conditions climatiques, les maladies, les orages tropicaux, les dangers inconnus de la forêt et de la savane incitent les colons, en état d’alerte permanent, à ne pas trop s’éloigner de leur poste pour chasser. Ils vont déléguer à des hommes de confiance le soin de chasser pour eux, et leur confier des armes à feu. 1) Chasses à l’homme « En forêt, se cachent la bête féroce et l’homme criminel213 », ces propos du colonel Jean Lamberton visent directement Ruben Um Nyobè qui a pris le maquis quelque temps avant les émeutes de mai 1955. Le journaliste du Figaro, Max-Olivier Lacamp, raconte comment il « endosse la peau de panthère paternelle et déchaîne les tueurs », « il hurle comme un loup du fond de sa forêt214 ». L’analogie entre les militants de l’UPC qui seraient en Sanaga-Maritime comme « des poissons dans l’eau » dont il conviendrait de pomper « l’eau pour que les poissons soient au sec215 » est une comparaison connue. Toutes ces analogies renvoient au processus de zoologisation des Upécistes qui augure de futures violences de guerre 216 . Cette animalisation des leaders a d’ailleurs été très largement relayée dans les médias 217 . « Traquer », « encercler », « pister », « coursepoursuite », « traces fraîches », « aux abois », « capture », le champ lexical dévolu à la mise en récit de l’arrestation du leader est bel et bien celui d’une partie de chasse. 212
Louis HANOLET « La chasse au Congo » Bulletin de la Société d’État colonial, mai-juin 1895/3 p. 147. 213 SHD 6H 243, Jean LAMBERTON, Note de service du 15 avril 1958. 214 Max-Olivier LACAMP, « Au Cameroun, qui tirera les ficelles du Dieu indépendance ? », Le Figaro, 9-11 décembre 1957. 215 Pierre MESSMER Après tant de batailles, Paris, Albin Michel, 1992, p. 217-230. 216 Processus déjà mis en valeur par Aimé Césaire : « (…) Ils prouvent que la colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé ; que l’action coloniale, l’entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l’homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l’entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. » Aimé CÉSAIRE, Discours sur le Colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 18. 217 Voir deuxième partie, chapitre IV.
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Le cas de la traque de Ruben Um Nyobè, caché dans le maquis depuis avril 1955, est à ce titre très révélateur. La Sanaga-Maritime est un milieu peu connu et hostile aux Européens même si la chasse a été parfois un moyen de mieux connaître ces espaces peu familiers des colons. Par ailleurs, les pratiques cynégétiques se sont répercutées sur la manière de conduire la guerre coloniale contre les hommes 218 . Ainsi, en 1958, la traque est renforcée dans le cadre de la Zopac de la Sanaga-Maritime pour récupérer Um Nyobè, considéré comme une « pièce de choix ». Le commandant Lamberton est épaulé par une aide précieuse dans cette traque : Georges Conan 219 . En mai 1955, ce dernier a été nommé au poste des renseignements généraux (RG) de la Sanaga-Maritime où Ruben Um Nyobè a pris le maquis, il constitue très vite un réseau de renseignement de qualité, apprécié par sa hiérarchie et le chef de région Montout. Un poste d’Officier Principal (OP) lui est proposé dans les RG. Cet esprit pragmatique et opérationnel obtient même en 1957 le commissariat spécial d’Eséka dans un contexte militaire très particulier. L’opération en collaboration avec Lamberton, installé dans son PC à Eséka, dans l’enceinte de la société des Bois du Cameroun et diffuse son instruction générale n° 1 : soustraire la masse de la population aux
218 Lancelot ARZEL, À l’origine des maux : chasse, guerre et violence dans la conquête coloniale (Royaume-Uni, France, Belgique, 1870-1914) communication prononcée lors de la journée d’étude du 21 mars 2011 « La violence en Europe au XXe siècle » par le CHSP http://chsp.sciences-po.fr/sites/default/files/la-violenceen-Europe-textes.pdf consulté le 15 septembre 2012. 219 Jean-Pierre BAT, Nicolas COURTIN, Maintenir l’ordre colonial, Afrique et Madagascar XIXe-XXe siècle, Rennes, PUR, 2012, 212 p. et ANOM 1 C 643. Plusieurs sources le présentent comme un membre plus occasionnel de la résistance spécialisée dans le renseignement. Titularisé en 1943 Inspecteur de la Sureté nationale. Il demande très tôt à partir des colonies mais n’obtient sa mutation qu’en 1955 car la Sûreté camerounaise cherche à renforcer ses troupes en RG dans le cadre de la lutte antisubversive. Il reste au Cameroun cinq ans puis il est muté au Gabon en 1960 .Le maquis Bassa pacifié, Conan est appelé par Lamberton à poursuivre le travail en pays Bamiléké, il est félicité par Xavier Torre le 17 avril 1958 et une autre fois le 14 décembre 1959 après son action « de nettoyage » du maquis de l’UPC dans le secteur de Ngonksamba, du Mungo et Bamiléké. Le gouvernement d’Ahidjo lui décerne en décembre 1959, la croix du Chevalier du Mérite camerounais. (AN F7 intérieur, 19780646 art. 174) puis il est nommé aux RG au Gabon auprès de Léon M’Ba. L’Afrique a été un accélérateur de carrière pour Conan, elle lui a permis de gravir les échelons de la hiérarchie très rapidement.
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pressions physique et morale des chefs de la rébellion, isoler les forces paramilitaires de la rébellion, favoriser le processus de leur désagrégation et leur élimination. Cette guerre psychologique se structure par le regroupement des populations le long des axes routiers afin d’en faciliter son contrôle et sa sécurité, une propagande et contre-propagande, et la recherche et l’exploitation de renseignements. Ce dernier aspect favorise le recours à l’aide des forces de police et de gendarmerie. La police doit seconder l’armée dans la traque des maquisards de l’UPC notamment et surtout à Eséka, centre névralgique du maquis bassa. L’armée est très occupée par ses expéditions punitives contre le maquis, elle délègue intégralement la gestion de la collecte et du traitement des renseignements à la police et à la gendarmerie. Leur sont confiés les interrogatoires. Les archives révèlent peu de chose sur ces interrogatoires mais le capitaine Paul Gambini, collaborateur direct de Lamberton, juge Conan très efficace, plus efficace que la gendarmerie. Lamberton évoque un homme « si brutal que j’ai dû intervenir ». Lors de la traque en septembre 1958 de Nyobè, toutes les ressources du commissariat de Conan sont sollicitées. Le leader camerounais est considéré comme l’ennemi. Il se dérobe dans cette forêt équatoriale dans laquelle il évolue depuis son enfance, le repli dans la forêt étant une stratégie de défense séculaire220. Cet « espace vécu221 » facilite la cache dans un périmètre qui n’excédera jamais plus de quinze à vingt kilomètres autour de Boumnyébel (Limai, Modè et Mamelel) son lieu d’habitation. Mais la capture symbolique du chef est urgente pour les autorités françaises, il devient nécessaire d’avoir recours à de « fins limiers » pour le pister au plus près. Le recrutement des Dikokon (pluriel d’Hikokon) devient systématique – ces « mouchards » appelés pisteurs, ralliés, mercenaires autochtones facilitaient le travail des forces coloniales. Paul Gambini, agent de renseignement, est chargé de traquer dans la région de Boumnyébel près du village natal de Ruben Um Nyobè où on le soupçonne replié. L’arrestation d’un groupe de rebelles permet
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Achille MBEMBE, La violence dans la société Basaa du Sud Cameroun, Mémoire de maîtrise en Histoire, Université de Yaoundé, 1981, p. 47-50 Yves MINTOOGUE, Savoirs endogènes et résistance nationaliste au SudCameroun : le cas de l’insurrection de la Sanaga-maritime de 1948 à 1958, Mémoire de M2 Histoire, Université de Yaoundé, 2009 p. 87 221 Armand FREMONT, La région, espace vécu, éd. Champs essais, 2009, 288 p.
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au commandant de la 1re compagnie du Bataillon des Tirailleurs du Cameroun (BTC) le capitaine Guillou, d’obtenir des renseignements sur l’emplacement précis du maquis222. Trahi par des traces fraîches de Pataugas dans la boue, vers 14 h, une patrouille de l’armée française aidé de pisteurs ralliés, Koi Nyem de Libel Li Ngoy et un certain Luc Makon, hikokon notoirement connu et originaire du village de Makaï, localise un groupe d’hommes et de femmes 223 : Um Nyobè est identifié. Le groupe tente de prendre la fuite. Un sous-officier ouvre le feu dans la poursuite et la troupe de soldats abat sans sommation le leader « dans le dos », la mère de sa compagne et Pierre Yem Mback, chef du secrétariat administratif du bureau de liaison de l’UPC 224 . Les trois victimes ne portaient pas d’armes. Inquiété par le nombre de patrouilles militaires qui passaient près du grand maquis et sous les pressions des pisteurs et de son entourage, Ruben avait quitté son refuge de Mamélel pour se diriger vers un refuge provisoire dans un nouveau maquis, un espace moins familier (terres d’Um Ngos près de Libel li Ngoy) où il s’était perdu225. C’est donc en territoire plus hostile qu’il trouva la mort, tout comme Patrice Lumumba qui, transféré au Katanga, lieu des « possibles », fut tué à 5 h après son arrivée à l’aéroport près du village de Shilatemba, avec la complicité des gouvernements
222
Sur le rôle d’Esther Ngo Manguelé, voir Thomas DELTOMBE, Manuel DOMERGUE, Jacob TATITSA, Kamerun !, Paris, La Découverte, 2011, 290 p. 223 Selon Achille MBEMBE, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, op. cit., p. 15, le groupe était composé de Martha Ngo Njock, la compagne de Um dans la maquis qui portait leur fils Daniel né au maquis et âgé de 10 mois, d’Um Ngos, le gardien du grand maquis, Pierre Yem Mback (chef du SA/BL), Antoine Yembel Nyébel (membre du Secrétariat Administratif/Bureau de Liaison) et Ruth Ngo Kam, belle-mère d’Um. 224 Trois interprétations majeures sur le responsable du meurtre : un tirailleur sara, Paul Abdoulaye, une patrouille de tirailleurs saras conduite par un agent de renseignement bassa, ou, plus récemment, un certain sergent-chef Toubaro comme le précise le rapport du capitaine Guillou. Capitaine Guillou, compte-rendu sur l’opération du 13/09/1958 en région de Liberingoi, Makai, 16/09/1958 (SHD, 6H109). 225 ANY 2AC1543 – Procès verbal sur les circonstances de la mort de R. Um Nyobè, secrétaire général de l’UPC : (le président) : « Si vous n’aviez pas changé de maquis crois-tu que le secrétaire général aurait trouvé la mort dans de pareilles conditions ? (Um Ngos) – Non, je ne crois pas car le vieux maquis où nous nous trouvions n’avait même pas été fouillé. »
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katangais et belge226. Cette animalisation est renforcée par le poids des images et des photographies dans le cas de Patrice Lumumba227. La chasse et la constitution de trophées de chasse procèdent des mêmes principes de prise de possession du territoire. En devenant trophée photographié, l’animal/leader est doublement tué, une première fois par l’arme à feu, une seconde par l’objectif de la caméra. La photographie des trophées de chasse devient un instrument de domestication et d’ordonnancement de ce qui est sauvage : le spectacle de l’animal sauvage abattu, dompté. En cavale depuis le 27 novembre 1960, Patrice Lumumba qui s’est enfui de sa résidence surveillée de Léopoldville pour rejoindre son fief politique de Stanleyville, est arrêté le 2 décembre à Lodi, sur la rive gauche de la Sankuru, et ramené en avion par les hommes de Mobutu dont Gilbert Pongo. La chasse a été rondement menée par cet « élément exalté », ancien agent territorial qui a juré de liquider Lumumba depuis la mi-septembre228. Celui-ci est doté dans son travail d’un avion privé, conduit par un pilote spécialiste des vols de reconnaissance à basse altitude, mandaté par Mobutu. À son retour à Léopoldville, le Premier ministre est projeté dans un camion, recroquevillé sur lui-même, un soldat lui relève violemment la tête en le tirant par les cheveux « pour que nous puissions photographier son visage » témoigne Horst Faas, reporter de guerre sur place229. Ici on lui retire toute dignité, l’exhibant comme une proie, un trophée de chasse 230 . Selon J. Omasombo « c’est la coalition de plusieurs chasseurs qui vient à bout de la résistance du leader (…) le but du chasseur est la satisfaction d’un besoin mais dans le geste se lit
226
Ludo DE WITTE, L’assassinat de Lumumba, Paris, Karthala, 2000, p. 270-272. Photographie de Patrice Lumumba prise par Dietrich Mummendey à Léopoldville le 3 décembre 1960. Dietrich MUMMENDEY, Beyond the reach of reason – the Congo story 1960-1965, Washington, Manfred Rowold, 1997, 384 p. 228 G. HEINZ et H. DONNAY (pseudo), Lumumba, les 50 derniers jours de sa vie, Paris, Seuil, 1976, p. 54-55. 229 Témoignage retranscrit dans Marie-Monique ROBIN, Les 100 photos du siècle, Paris, Chêne, 1999, p. 38-39. 230 « Je n’oublierai jamais ce regard effrayé de bête traquée » citation de l’auteur de la célèbre et tragique photographie, Dietrich MUMMENDEY, Beyond the reach of reason – the Congo story 1960-1965, Washington, Manfred Rowold, 1997, p. 9092. 227
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l’appétit de domination qui conduit à supprimer l’autre, libérer l’espace qu’il occupe231. » Le tueur de Félix Moumié, Louis Bechtel 232 a pisté sa proie de longs mois, il écrit dans un cahier personnel saisi par la police suisse le 17 novembre 1960 à son domicile : « Je sais briser la nuque d’un homme sans qu’il ait le temps de crier. Je sais tuer. Mais j’ai l’air inoffensif ». Cette phrase en dit long sur le personnage. 233 C’est en tant que journaliste pigiste de l’agence Allpress, agence suisse proche des milieux anticolonialistes, dirigée par Roger Deleaval, que Bechtel effectue sous le pseudo de Claude Bonnet, dès mai 1959, ses premiers articles. Le 23 mai 1958, à Accra, il rencontre Moumié par l’intermédiaire de son père Samuel Mékou lors d’une brève entrevue à Hôtel Ringsway. Puis une nouvelle fois à Genève le 15 octobre dans les bureaux de l’agence, en compagnie de JeanMartin Tchaptchet (président de la section française de la l’UPC) avant le repas qu’ils partagent tous trois au « Plat d’argent »234, repas durant lequel le « Pernod » de Félix Moumié a été mélangé à du thallium ingéré entre 19 h et 21 h 30 selon les rapports médicaux. Il est impossible de trancher sur le versement du poison en deux fois mais il est clair que les effets se sont fait ressentir plus tôt que le meurtrier l’espérait. De nombreuses versions du scénario autour de ce dîner ont été racontées : certaines livrées sur le tard comme celle de Général Aussaresses dans ses entretiens avec Jean-Charles Deniau et Madeleine Sultan, dont le contenu ne cadre pas avec les pièces d’archives et les témoignages examinés dans cette étude 235 , de
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Jean OMASOMBO, « Lumumba, drame sans fin et deuil inachevé de la colonisation » Cahiers d’études africaines, 173-174, 2004 p. 2 mis en ligne le 08 mars 2007, consulté le 17 octobre 2012. http://etudesafricaines.revues.org/4605 232 Louis Bechtel a eu plusieurs noms d’emprunt déjà utilisés pendant la Résistance : Louis Williams, Louis Desportes, Pierre Jourdan, Charles ou Claude Bonnet. 233 Voir entretien de l’auteure accordé au blog Africa4 du journal Libération http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/ et l’émission réalisée à RFI http://www.rfi.fr/emission/20150201-assassinat-felix-moumie-lumumbacamerounais du 1 février 2015, émission rediffusée le 2 août 2015. 234 Voir Annexe 4. 235 Général AUSSARESSES, Je n’ai pas tout dit, ultimes révélations au service de la France – entretiens avec Jean-Charles Deniau et Madeleine Sultan, Paris, éditions du Rocher, 2008, 297 p., il évoque également que le Service action du Sdece aurait
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Constantin Melnik236 ou celles rédigées peu de temps après les faits comme les ouvrages de C. Osende Afana publié dès mars 1961237 ou de Jean-Francis Held238, journaliste engagé, tous deux pour dénoncer ce crime contre celui qui s’est imposé comme le leader de l’UPC239. Des plans de l’opération ont été retrouvés dans les carbones saisis chez Bechtel et des traces de thallium découvertes dans les poches de l’un de ses vestons saisi lors de la perquisition. Ingénieur-chimiste de formation, né à Épinal en 1894, il sort officier de réserve « qualifié d’un dévouement admirable » de la Première Guerre mondiale. Polyglotte, dans l’entre-deux-guerres il effectue des stages d’interprète pour le compte de l’armée et des voyages d’études en Allemagne. Présenté dans son dossier comme un résistant de la première heure, il parvient à rejoindre l’Angleterre et s’engage dans les Forces françaises libres (FFL) le 27 juin 1940. Il participe aux campagnes de Syrie, de Libye à Bir-Hakeim, se porte volontaire dans le cadre du plan interallié « Sussex » pour une mission clandestine en France. Parachuté en France le 9 avril 1944, il fournit des renseignements capitaux pour la libération de Rouen par les Alliés malgré une fracture du col du fémur lors de sa réception au sol. Sorti de l’hôpital, il se porte volontaire pour l’Indochine où il est à nouveau blessé au crâne. Plusieurs fois médaillé, il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 22 mai 1945. Le 5 décembre 1951 marque la fin de ses états de service. La perquisition faite par la police genevoise à Chêne-Bourg au domicile de William Bechtel le 17 novembre 1960 révèle une partie de sa vie clandestine très dense au service du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece) en tant que réserviste. Les archives attestent incontestablement des actions de surveillance et des plans d’action envers les militants du Front de
préparé une évasion de prison pour Bechtel incarcéré en Suisse si son avocat n’était pas arrivé à le faire relâcher. 236 Constantin MELNIK, Un espion dans le siècle, la diagonale du double, Paris, Plon, 546 p. 237 Fonds POLEX, 261J7 Afrique noire 31 Castor OSENDE AFANA, Halte aux crimes de la Main rouge, imprimerie Rose et Youssef, le Caire, 10 mars 1961, 28 p. 238 Jean-Francis HELD, l’Affaire Moumié, collection libertés, Paris, Maspero, 1961. 239 Pour une mise au point synthétique sur les différents scenarii et acteurs potentiellement impliqués voir Thomas DELTOMBE, Manuel DOMERGUE, Jacob TATSITSA, Kamerun – une guerre cachée aux origines de la Françafrique 19481971, édtions la Découverte, Paris, 2011, pp.475-477.
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libération nationale (FLN) comme Benguetta, Ferhat Abbas, Ahmed Francis ou envers les avocats du FLN comme Maître Ellenberger. Le témoignage de Roland Lévy rapporte son rôle important dans l’interception de l’avion Air Atlas le 31 octobre 1956, dans lequel se trouvaient la plupart des leaders du FLN, suite à son infiltration dans les milieux anticolonialistes nord-africains. Bechtel a utilisé un procédé similaire pour approcher Félix Moumié, il a mené une traque urbaine sans faille, pister l’homme pour l’empoisonner froidement. Disparu de Suisse dès le 16 octobre, William Bechtel a néanmoins tenté de joindre vers 11 h 30 Félix Moumié à son hôtel selon le témoignage de Liliane Frily, la prostituée à ses côtés, dont le rôle est trouble (elle a essayé de joindre Bechtel de Gstaad le 11 octobre). 2) La chasse « au mort » : localiser l’épave Le gendarme Bouvard, affecté au poste de Boda, apprend dès le lundi 30 mars vers minuit par M. Russeau, assistant sanitaire à Mbaïki, que l’avion en provenance de Berberati, sans autre indication, s’est abattu le 29 mars 1959, entre 15 et 16 h, dans un rayon de 80 kilomètres autour de Boda240. Immédiatement, le chef de poste ordonne au sergent de la section de garde de Boda, de procéder à des recherches aux abords de son poste et lui demande de diffuser cette nouvelle le plus largement possible afin de provoquer des investigations dans un champ beaucoup plus vaste. À 0 h 15, le gendarme accompagné de quatre gardes et muni de matériel sanitaire de secours détenu par la gendarmerie de Boda, part effectuer des recherches dans l’ouest et le nord du district car le sergent de garde l’avait informé que la veille, vers 18 h, un avion volant à basse altitude avait survolé Boda et poursuivi sa route en direction du pays Baya (il s’agissait d’un DC6 effectuant les premières reconnaissances). Dans les villages visités, le chef de poste invite la population à procéder à des recherches et à lui communiquer éventuellement les renseignements positifs. Au cours de l’audition de 240
La chronologie des faits a pu être établie grâce aux recoupements de plusieurs archive SHD, Inv Gendarmerie Afrique Boda carton 8884 R/2, carton 8885 R/4 mais également grâce aux entretiens avec Claudius Bouvard.
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nombreux témoins, le gendarme retrouve trace du passage de l’avion précité jusqu’à Boudjoula en pays Baya. Les témoins sont unanimes à dire que l’aéronef venait du sud-est et se dirigeait vers le nord-ouest. Sachant la région de Djoumbele fort accidentée, le gendarme s’y rend et s’informe auprès du chef de village et de ses proches si le passage et la chute d’un avion avaient été remarqués dans les parages : les réponses sont négatives. À 16 h, après deux crevaisons successives de son véhicule, le chef de poste suspend momentanément ses investigations et rentre à son poste où il apprend de M. Mistral, le chef de district, que l’avion accidenté qui transportait neuf personnes dont le président Boganda, avait été repéré par l’aviation dans la région de Bouba Ngui, district de Mbaïki, et qu’il y avait donc lieu de cesser toute recherche sur le district de Boda. À 18 h 45, la gendarmerie de Boda reçoit un télégramme officiel ainsi rédigé : « Gendarmerie Bangui-gendarmerie Boda - avion repéré 6 km nord-ouest de Banga au nord rivière Dingui STOP partez immédiatement en reconnaissance STOP deux pelotons sont dirigés sur Boda, laissez des guides. FIN ».
Aussitôt, munis de nouveau du matériel de premier secours du poste, le gendarme et quatre gardes se font transporter par M. Maindl, agent d’agriculture à Boda, dans la direction indiquée, le véhicule de la gendarmerie étant en panne de pneumatiques. Le planteur M. Hannezo, à la demande du chef de district de Boda et par l’intermédiaire du gendarme, met à la disposition de ce dernier, deux manœuvres pour renforcer l’équipe de passeurs au bac de Ngotto. Les passeurs reçoivent l’ordre de rester à leur poste jusqu’à nouvel avis en raison des nombreux passages du véhicule qui devait avoir lieu sur la Lobaye et Ngotto au cours de la nuit. Les chefs de village de Ngotto, Pouten, Baboundgi et de Grima sont requis de laisser sur la route des coureurs et des guides destinés respectivement à transmettre des plis vers Boda et à se mettre à la disposition du personnel composant les équipes de secours annoncées. En raison des difficultés rencontrées pour franchir la forêt de Poutem ou deux arbres abattus par l’orage obstruent le passage, et à gravir la côte de Baboubgi très ensablée, Banga ne peut être atteint 103
que le 31 mars, à 0 h 30. Immédiatement, les chefs de Banga et Boundara sont invités à fournir tous les habitants susceptibles d’être utilisés comme porteurs. Trente-trois porteurs sont aussitôt mis à la disposition de la gendarmerie. Cela fait une journée que les recherches ont commencée… Ne pouvant poursuivre plus avant sa marche en véhicules automobiles, le gendarme accompagné de M. Maindl, de trois gardes et des six porteurs précédemment indiqués, continue sa route dans la direction nord-ouest de Banga, laissant à la disposition des colonnes de secours devant arriver par la suite à Banga, vingt-sept porteurs et le garde Biakala. Arrivé au village de Douba-Banga, il apprend d’un nommé Youli de passage en ce lieu et domicilié à Babanga, que l’avion accidenté a été découvert la veille, vers 13 h, à proximité du village de Babanga par le chef dudit village. Immédiatement, un émissaire est envoyé à Banga pour renseigner les colonnes de secours devant y passer. Youli ajoute que le chef de terre de Batondé dont dépend Babanga, a en express, fait avisé de cette découverte le chef de district de Boda. Faisant confiance à Youli, le chef de poste et sa petite colonne se font conduire par cet informateur jusqu’à l’avion qu’ils atteignent à 6 h 30, après six heures de marche à pied, la nuit, à travers la forêt et la savane. Parallèlement à ce convoi, dirigé par C. Bouvard, le commandant de groupe de gendarmerie241, alerté à 18 h, a envoyé deux patrouilles de la brigade de Bangui. L’une à Mbaïki, l’autre à Boda, elles ont pour mission de prévenir les autorités administratives, les postes de gendarmerie de l’accident et de recueillir sur l’itinéraire suivi tout renseignement sur le passage éventuel de l’avion recherché afin de localiser le point de chute. Le Peloton Mobile Porté n° 4 (PMP) reçoit l’ordre de se tenir prêt à partir. Les villageois de Bouaka, Bokoma, Bouboua (district de Mbaïki – axe Mbaïki-Boda) signalent le passage d’un appareil se dirigeant vers Bangui à la tombée de la nuit. Cette information parvenant au commandant d’escadron, le 30 mars à 5 h, le PMP n° 4 se met immédiatement en route sur Mbaïki, ainsi qu’une section d’infanterie accompagnée d’un médecin commandant.
241
SHD GD2007ZM1/4987.
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Vers 7 h, la base aérienne militaire fait savoir qu’un pilote à bord d’un T6 242 a repéré l’épave sur le flanc ouest des monts Kouka, à 30 km environ au nord de Mbaïki. Par radio, une première colonne de secours est envoyée sur les lieux. Elle atteint le sommet des monts à 13 h et constate que l’épave atteinte n’est pas celle de l’appareil recherché, mais les restes d’un Lockeed tombé en décembre 1945. Vers 17 h, cette fois, c’est l’épave de l’avion Nord-Atlas FBGZF de la compagnie UTA qui est repérée par le même T6243 à 9 km au nordouest du village Banga à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Boda. Une première colonne composée du PMP n° 4, d’un médecin et d’une équipe d’infirmiers ainsi que du commandant de la brigade de Mbaïki est dirigée d’urgence sur Boda où elle arrive à 22 h 30. Elle a pour but de rejoindre l’épave par l’itinéraire nord (Boda-Yawa) et elle est arrivée sur les lieux le 31 mars à 6 h. Le gendarme chef de poste de Boda, les rejoint à 6 h 30 après une marche de nuit de 40 km244. La seconde colonne comprenant le Peloton Mobile de Gendarmerie Autonome (PMGA) n° 14, une section d’infanterie et un médecin, envoyée de Bangui en renfort à 18 h, emprunte l’itinéraire sud par Ngotto et Banga : elle atteint Boda vers 23 h 30. Les autorités administratives locales sont avisées à 20 h, par un télégramme expédié par le commandement de groupe, du point de chute de l’appareil. Sur les indications d’un envoyé du chef de Batondé, il est établi que le Nord-Atlas ne se trouve donc pas à proximité du village de Banga, mais entre les villages de Babanga et Boukpayanga soit à 25 km plus au nord. Après plusieurs heures de marche en terrain difficile, la seconde colonne touche les lieux de la catastrophe le 1er avril à 8 h 30.
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Le North American T6 était à l’origine un avion de reconnaissance que l’armée de l’air française a acheté aux Américains, il est ici piloté par Marcel Paquelier. Cf supra. 243 Il s’agit toujours de Marcel Paquelier accompagné de l’aspirant Farina. 244 Entretien réalisé avec Claudius Bouvard. Ce dernier a évoqué a plusieurs reprises un PV très long qu’il aurait rédigé suite à l’accident avec moults détails. En dépit de mes recherches et de celles effectuées par B. Roumens avant moi, je n’ai pas pu exaucer le souhait de C. Bouvard de le relire avant son décès.
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Ainsi, selon le procès-verbal de Lemarquis245, c’est le PMP n° 4, sous les ordres du maréchal des logis-chef Charrier, qui est arrivé le premier sur le lieu de l’accident, ce qui corrobore les propos du gendarme Bouvard. À son arrivée sur les lieux, le gendarme y trouve M. Meffre, chef de région de la Lobaye, M. Bourgeois, chef de district de Mbaïki, M. Mistral chef de district de Boda, le chef de district de Berberati, M. Mollon médecin à Mbaïki, M. Genrie maréchal des logis-chef, commandant la brigade de gendarmerie de Mbaïki, Mgr Baud évêque de Berberati, un permissionnaire de cette dernière ville, et de nombreux villageois des environs pour prêter assistance. Puis, le 31 mars, vers 12 h, selon C. Bouvard : « arrivent sur les lieux M. le président Goumba, MM. les ministres Malkombo et Gragidi, accompagnés par M. Gleize ». Le témoignage d’Abel Goumba 246 correspond à celui de Bouvard mais les noms de ses collègues sont largement écorchés : il aurait choisi de partir avec quelques ministres, Maléombo, Gbaguidi, Dacko Maurice Gouandjia, un instituteur syndicaliste et son chauffeur Dan Gaston, le 30 mars vers 1 h du matin. À Boda, Dacko a pris selon Goumba une autre direction. Il a donc fallu au minimum une journée et demie pour localiser l’avion dans lequel voyageait le leader de la Centrafrique. C’est un délai très long, trop long. Surtout que l’arrivée du président était programmée à Bangui en fin d’après-midi le 29 mars. C’est seulement vers minuit que le Haut Commissaire Bordier commence à lancer les troupes pour les recherches. La fausse piste de l’avion tombé en 1945 a fait perdre beaucoup de temps. Or le temps est très précieux dans ce contexte : les deux principales colonnes de recherche ne partent pas dans la bonne direction. Le témoignage d’A. Goumba apporte une précision importante : « Quant à Kangala, son corps était relativement conservé et même encore un peu chaud, comme s’il venait à peine de mourir 247 . » Il évoque les bruits qui ont circulé « dans le monde paysan selon lesquels un survivant de la catastrophe – probablement Kangala – aurait vainement agité un mouchoir en direction du petit avion de reconnaissance qui survolait à ce moment la région sinistrée. 245
SHD GD2007ZM1/4987, gendarmerie Centrafrique. Abel GOUMBA, Mémoires et réflexions politiques du résistant anticolonial, démocrate et militant panafricaniste, Cinia communication, Paris, 2006, p. 189-203. 247 Ibid., p. 191. 246
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Le petit avion aurait délibérément continué sa ronde dans d’autres directions jusqu’à cessation des signaux de détresse ou d’appel au secours du rescapé. Ce serait alors à ce moment-là que le Haut Commissaire, responsable des opérations de recherche aurait rendu publique la nouvelle de l’accident d’avion248. » Interrogé, Marcel Paquelier déclare avoir participé aux recherches aériennes en T6 avec l’aspirant Farina, qui ont eu lieu 2 h après l’accident. Cette première mission a été sans résultat probant : il a effectué un second vol vers 15 h 35 le 30 mars lors duquel a été localisée l’épave du Nord-Atlas (soit une heure et demie de décalage avec les informations du rapport de Lemarquis) ; le lendemain, le 31 mars, il effectue un autre vol pour guider par radio les secours au sol vers l’épave. Au sol est aussi dépêchée la première compagnie du Bataillon des tirailleurs de l’Oubangui-Chari (BTOC), le témoignage du chef de section, Michel Zone249 atteste qu’en liaison avec les T6, il « se rend sur plusieurs sites qui lui sont désignés par l’armée de l’air le plus rapidement dans l’espoir de découvrir à chaque fois des indices ou des survivants », il n’est averti du lieu du crash que le 31 mars et s’achemine ensuite sur le site. La quête du lieu de l’accident d’avion a été trop longue pour espérer trouver des survivants dans un tel contexte. La difficulté à établir une chronologie claire et fiable des faits révèle une impression de confusions entre les différents acteurs qui a clairement nuit à l’efficacité des secours et à la possibilité de trouver des survivants. Les leaders ont été chassés, traqués par l’armée française, leurs agents locaux et les agents secrets. Ces véritables chasses à l’homme en forêt tropicale, en savane boisée ou en ville, aboutissent à la « liquidation » de Nyobè, Lumumba et Moumié en l’espace de quelques mois. Les deux premiers sont exhibés : l’un mort, l’autre vivant. La mort de Lumumba a donné lieu à une commission d’enquête de la part des Belges ; procédé que les autorités françaises n’ont jamais utilisé jusqu’à ce jour. Seul le cas Boganda reste non élucidé : son assassinat n’a pas été prouvé. Mais les centrafricains continuent, de génération en génération, néanmoins à y croire. Il s’agit 248
Ibid., p. 202-203. Entretien effectué avec Michel Zone par Bertrand Roumens et retranscrit par l’auteure.
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aussi de couper court aux délires pseudo-scientifiques qui ont voie de presse. L’analyse du rapport Bellonte et des sources connexes vont révéler des failles et approximations dans la recherche de l’épave et dans la conduite de l’enquête sur l’accident d’avion.
B – Enquêtes et mises en lumière 1) Affaires katangaises et commission d’enquête : l’exception « Lumumba » Personne n’est officiellement présent lors de l’arrivée à Élisabethville de Patrice Lumumba le 17 janvier 1961. Pour cette descente d’avion, il faudra se contenter de « on-dit ». Dans le journal Le Monde du 19 janvier 1961, un encart à la page 3 titre : « Le Premier ministre destitué a été brutalisé par la gendarmerie d’Élisabethville », c’est le témoignage d’un soldat suédois présent à l’aérodrome qui décrit à l’Associated Press la manière dont a été accueilli le Premier ministre destitué : « C’était écœurant. Lumumba et ses deux compagnons (Mpolo et Okito) ont été tirés hors de l’avion, puis ligotés et attachés ensemble. Ils pouvaient à peine remuer. La gendarmerie katangaise (Européens et Africains) les a entourés et longuement frappés. Lumumba et les deux autres sont tombés à terre où ils ont été matraqués, frappés au visage à coups de crosse, à coups de pied et à coups de poing. La gendarmerie les a laissés au sol quelques instants puis a repris son passage à tabac ». Un fonctionnaire de l’aérodrome qui se trouvait également sur les lieux a déclaré : « J’ai dû faire demi-tour. C’était plus que je ne pouvais supporter. Sous les coups, M. Lumumba et les deux autres prisonniers ont gémi, mais n’ont pas eu une parole pour protester ou demander grâce250. » Le même journal daté du 21 janvier, fait état qu’à ce jour le lieu de détention du Premier ministre est toujours tenu secret par les autorités katangaises et qu’une commission d’enquête onusienne présidée par le Nigérien M. Jaje Wachuku souhaite rencontrer au plus vite le détenu. Une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) indique :
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Le Monde, le 19 janvier 1961, p. 3.
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« Dans les milieux autorisés de Bruxelles, on précise que Patrice Lumumba n’a pas été brutalisé à son arrivée à Élisabethville. L’ancien Premier ministre était en mauvaise condition physique lorsqu’il est arrivé dans la capitale du cuivre. Il n’a pas été incarcéré mais placé dans une résidence privée. On ajoute qu’un médecin a pu constater que les coups et les blessures dont souffrait M. Lumumba étaient antérieurs à son arrivée à Élisabethville. Mais tous les témoins de l’arrivée de M. Lumumba, dans la capitale katangaise et interrogés par les représentants des grandes agences de presse, soutiennent cependant le contraire251. »
Moins d’un mois plus tard, le vendredi 13 février peu avant midi, à l’occasion d’une conférence de presse, le ministre katangais Godefroid Munongo fait lecture d’un texte : « Les prisonniers se sont évadés et ils sont tombés dans les mains des villageois de la brousse, qui les ont immédiatement tués ». Il montre aux journalistes présents trois certificats de décès signés par le docteur Guy Pieters. G. Munongo ajoute que les cadavres ont été enterrés en un endroit secret qui ne sera pas révélé pour éviter d’éventuels pèlerinages. De même, le nom du village où ont été tués Lumumba et ses deux compagnons ne sera pas révélé : les villageois en question pourraient faire l’objet d’éventuelles représailles de la part des lumumbistes. Il ajoute : « Je mentirais si je disais que le décès de Lumumba m’attriste. Vous connaissez mes sentiments à son sujet : c’est un criminel de droit commun qui porte notamment la responsabilité de milliers de morts au Katanga et des dizaines de milliers au Kasaï. M. Hammarskjöld lui-même avait dit qu’il s’agissait d’un crime de génocide contre les Baluba du Kasaï. C’est pour cela que je suis certain de l’issue qu’aurait eue un procès contre Lumumba : il aurait été condamné à mort (…). Je vais vous parler franchement (…) on nous accusera de les avoir assassinés. Je réponds : prouvez-le252. »
L’ouvrage que consacre Ludo de Witte paru en 1999 à l’assassinat de Lumumba 253 rouvre le dossier des responsabilités belges et katangaises dans sa disparition. Il révèle les identités présumées des assassins de Patrice Lumumba, mort le 17 janvier 1961, et les raisons 251
Le Monde, le 21 janvier 1961, p. 4. Conférence de presse de G. Munongo citée par Jacques BRASSINNE, Enquête sur la mort de Patrice Lumumba, t. II, p. 443-450. Thèse de doctorat en sciences politiques (ULB), Bruxelles. 253 Ludo DE WITTE, L’assassinat de Lumumba, Paris, Karthala, 2000, 416 p 252
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de ce meurtre. Pour l’auteur, Bruxelles et certains dirigeants congolais étaient d’avis que la liquidation de Lumumba était indispensable à la sauvegarde des intérêts des trusts exploitant la colonie254. Écrite par le gouvernement belge de Gaston Eyskens, l’histoire de cet assassinat annoncé fut exécutée par les officiers et diplomates belges, aidés de leurs complices congolais. Se basant sur les archives du ministère des Affaires étrangères, l’auteur affirme qu’à l’époque, Bruxelles avait donné des consignes pour éliminer Lumumba alors détenu à la prison de Thysville où il avait tenté de s’évader pour revenir au pouvoir dont il avait été limogé par le colonel Mobutu. Pour le démontrer, Ludo de Witte s’appuie sur les témoignages personnels et des télégrammes diplomatiques qui révèlent que M. Pierre Wigny, ministre belge des Affaires étrangères de l’époque et M. Harold d’Aspremont Lynden qui avait en charge le portefeuille des Affaires africaines, avaient encouragé le transfert à Elisabethville de Lumumba et ses compagnons, sachant parfaitement que les sécessionnistes katangais Moïse Tshombe et Godefroid Munongo avaient juré de les tuer. Cet ouvrage a eu un grand retentissement en Belgique. L’auteur affirme que l’exécution aurait été commanditée par le ministre belge des Affaires africaines de l’époque, le comte Harold d’Aspremont. Cette publication a entraîné la décision, en mai 2000, du Parlement belge de constituer une commission d’enquête sur d’éventuelles implications du Royaume dans l’assassinat du Premier ministre congolais. Les conclusions de la Commission d’enquête sont facilement consultables 255 . Elles peuvent se résumer ainsi : dès juin 1960, le gouvernement belge n’a eu que très peu de respect pour la souveraineté du Congo. Le ministre des Affaires étrangères Wigny mi-juillet infiltre le gouvernement de Lumumba pour le renverser. 254
Il s’agit de l’Union Minière du Haut Katanga (UMHK), structure anglo-belge fondée en 1906 par la Société générale de Belgique et la Tanganyika Concessions Limited (TANKS), entreprise britannique. L’UMHK produit des milliers de tonnes de cuivre, mais aussi de l’argent, zinc, cobalt, cadmium, or, manganèse et de l’uranium. La Copperbelt représente une manne financière de taille pour ces entreprises et leurs employés. 255 Rapport de la commission d’enquête de 2000-2001 en ligne, partie sur les conclusions de l’enquête http://www.dekamer.be/kvvcr/pdf_sections/comm/lmb/312_7_page_682_to_873.pdf
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« Le ministre sans portefeuille », Ganshof envoie un agent de la sûreté de l’État au Congo afin qu’il fasse un travail de déstabilisation politique en coulisse, « pour financer la politique contre le gouvernement Lumumba, le gouvernement belge recourt à des fonds secrets (…) au moins 50 millions de francs belges (…) ont servi à subventionner la presse d’opposition, à fournir un soutien à des hommes politiques, à financer des campagnes radiophoniques et des actions undercover256. » Ces fonds étaient gérés au cabinet des ministres des Affaires africaines et leur origine est impossible à déterminer. Sur les circonstances précises dans lesquelles Patrice Lumumba a été assassiné après une analyse approfondie, la commission d’enquête conclut : « qu’il peut être admis avec un degré de probabilité que le 17 janvier 1961 entre 21 h 40 et 21 h 43, Lumumba a été assassiné c’està-dire exécuté dans la brousse (par des gendarmes katangais en présence d’un commissaire de police et de trois officiers de nationalité belge placés sous l’autorité des katangais), soit dans les cinq heures suivant son arrivée au Katanga ». En ce qui concerne l’implication éventuelle d’hommes politiques belges, la commission dit qu’il est admis que le transfert de Lumumba au Katanga a été organisée par les autorités congolaises de Léopoldville. Pour ce faire, elles ont bénéficié du soutien d’instances gouvernementales belges, et plus précisément des ministres des Affaires étrangères et des Affaires africaines et de leurs collaborateurs. La commission revient plusieurs fois sur l’absence de préoccupation de l’intégrité physique du prisonnier de la part des responsables belges, évoque l’attitude irresponsable de certains membres du gouvernement ayant opté pour la propagation de mensonges à l’attention de l’opinion publique et de ses alliés après le 17 janvier. La responsabilité morale de certains membres du gouvernement belge dans les circonstances qui ont conduit à la mort de Lumumba est admise.
256
Rapport de la commission d’enquête de 2000-2001 en ligne – partie sur les conclusions de l’enquête http://www.dekamer.be/kvvcr/pdf_sections/comm/lmb/312_7_page_682_to_873.pdf
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Malgré ses imperfections et les critiques faites a posteriori 257 le rapport de la commission d’enquête passe comme un modèle du genre : c’est la première fois qu’une ancienne puissance coloniale accepte de revenir sur un crime politique commis à l’encontre d’un leader de l’indépendance. Elle évoque aussi la question des réparations : le ministre Michel a proposé la création d’un fonds, qui porterait le nom de Patrice Lumumba, doté de 3,75 millions d’euros et qui aurait pour but le développement démocratique du Congo par le financement de projets en matière de prévention des conflits, de renforcement de l’État de droit et de formation de la jeunesse (bourses aux congolais pour venir étudier en Belgique). La famille du leader serait associée à la gestion de ce fonds. Depuis, les avocats des fils de Patrice Lumumba ont décidé de porte plainte pour « crimes de guerre » et « transfert illégal » de leur père vers Elisabethville contre dix individus de nationalité belge ayant participé à l’assassinat de leur père. La famille Lumumba a persisté dans son action en dépit des festivités du cinquantenaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo (RDC) qui se sont déroulées entre fin juin et début juillet 2010 sous le signe de la « réconciliation » entre Kinshasa et Bruxelles258. L’ouvrage de Ludo de Witte a donc été primordial dans la relance de l’enquête sur les responsabilités belge et congolaise dans la disparition du leader congolais. La présente étude a pour objectif de démontrer qu’il existe, hélas, d’autres acteurs impliqués dans l’exécution de Patrice Lumumba. 2) Le rapport « Bellonte » Au tournant des années soixante en Afrique, les avions accidentés étaient suffisamment nombreux pour qu’ils prennent le nom de « cercueils volants ». Ces accidents surviennent parfois dans un contexte d’accélération de l’Histoire et ont de lourdes conséquences
257
Colette BRAECKMAN, Lumumba, un crime d’État- une lecture critique de la commission parlementaire belge, Bruxelles 2009, éd. Aden, p. 23-72 258 Voir http://www.rtbf.be/info/belgique/judiciaire/plainte-de-proches-de-plumumba-contre-des-belges-229734
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à très long terme. L’accident d’avion du Nord-Atlas 2502 n° 2 FBGZB fait partie de ces cas d’école donnant toujours lieu à des interprétations controversées. L’analyse du dossier de cet accident d’avion constitue un apport central de cet ouvrage : le résultat n’a pas valeur à dire « la vérité » mais à s’en approcher le plus scientifiquement possible et constituer un bilan d’étape solide pour la poursuite des recherches sur le sujet. Longtemps non consultable, ce rapport d’enquête a alimenté de nombreuses rumeurs et renforcé les sentiments d’opacité autour de ce dossier. Ainsi, ses conclusions n’ont pas été publiées au Journal Officiel, renforçant ainsi les spéculations comme celle autour de Charles de Gaulle, censeur, qui se serait opposé à leur divulgation. Pourtant un courrier de P. Moroni atteste qu’une copie a été remise le 10 mai 1963 à Paris au ministre de la Justice de la République centrafricaine. Le gouvernement centrafricain possède donc, si son ministre a fait archiver ce document, un exemplaire de ce dossier depuis 1963 dans les archives gouvernementales259. La consultation des dossiers relatifs à cet accident s’est faite avec plusieurs interlocuteurs spécialisés comme Ariane Gilotte, archiviste à la Direction Générale de l’Aviation Civile, Alain Depitre, expert « boite noire » au Bureau des Enquêtes Accident, Bertrand Roumens, pilote d’Air France, né en Centrafrique et Robert Espérou, inspecteur de l’Aviation civile et historien260. L’analyse de ce rapport, des dossiers annexes à celui-ci, conduit à une série de remarques de fond. La collecte des pièces apparaît plutôt décousue car effectuée par diverses entités en charge du dossier sans grande communication interne. Selon Ariane Gilotte, les enquêtes de ce genre ne sont jamais linéaires et les différentes tâches sont distribuées et confiées à des intermédiaires différents ce qui peut donner cette impression décousue. De plus, l’analyse de ces dossiers conduit à relever un manque de persévérance globale des enquêteurs et particulièrement sur la collecte des témoignages, la
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AN 19760051/145- 3G123, courrier daté du 13 mai 1963 de P. Moroni, secrétaire général à l’Aviation civile. 260 Nous nous sommes réunis plusieurs fois dans les locaux de la DGAC en constituant une sorte de commission ad hoc informelle pour analyser de façon différenciée et synergique les dossiers liés à l’accident.
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recherche de causes humaines à l’accident, des flous sur les problèmes liés à l’adaptation technique du Nord-Atlas 2501 et sur la météo le jour de l’accident dans le secteur du crash. Pourtant, selon les experts en aéronautique les causes des accidents peuvent se classer en deux grandes catégories : les causes techniques ou conjoncturelles et les causes humaines dues à un comportement inadapté d’un être humain. Parmi ces dernières, l’être humain peut se trouver à différents niveaux de la chaîne causale : lors de la conception de l’avion, de la certification, de sa construction, de son entretien, de la préparation technique du vol, de l’action des services météorologiques, des contrôleurs de la circulation aérienne et de l’équipage. . L’accident : Le 29 mars 1959, le Nord-Atlas 2502 n° 2 F-BGZB de la compagnie UAT s’écrase vers 15 h Temps Universel (TU) à 1 km à l’est du village de Babanga et à 3 km au sud de Boukpayanga, canton de Batonde, district de Boda, région de la Lobaye, en République centrafricaine. Il s’agissait de la ligne régulière n° 86 Pointe Noire– Brazzaville-Ouesso-Berberati-Bangui. L’avion avait décollé de Berberati à 14 h 38 pour Bangui et croisait à 7 500 pieds avant l’accident, d’après son dernier contact radio à 14 h 52 avec Brazzaville auquel il donnait son estimation d’arrivée vers 15 h 45. À 16 h 14 soit 28 minutes après l’atterrissage prévu de l’avion, l’aérodrome de Bangui demande le déclenchement des phases d’urgence. Le poids au décollage était en dessous des vingt-trois tonnes réglementaires. Le 30 mars à 15 h 30 TU, l’épave est repérée. . L’appareil : L’appareil avait reçu son certificat de navigabilité le 7 février 1955 et son certificat d’immatriculation le 11 février. Il avait passé sa visite Veritas261 le 25 mars 1959 et sa visite des 125 heures le 20 mars 1959. Il totalisait 6 765 heures de vol depuis sa fabrication, 1 681 heures
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Le bureau Veritas a été fondé en 1828, c’est une société de services proposant des prestations couvrant l’inspection, l’audit, les tests jusqu’à l’analyse, touchant à de nombreux domaines. Ses activités principales sont la certification, l’évaluation de conformité, la formation et le conseil. AN 19760051/145- 3G123, fiche information d’accident de J. Schlesser pour Veritas du 11 avril 1959.
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depuis sa dernière révision générale et 21 heures depuis sa visite des 125 heures. Il n’avait jamais eu d’accident. L’appareil était donc en bon état général et régulièrement contrôlé. Il était équipé de deux moteurs Bristol Hercules n° 183149 (gauche) et n° 183107 (droit) et de deux réacteurs Marboré II n° 960 (gauche) et n° 229 (droit). Le moteur gauche avait 949 heures de vol depuis sa dernière révision générale, le moteur droit 393 heures, le réacteur gauche 43 heures et le réacteur droit 18 heures. Le moteur et le réacteur de gauche étaient donc plus vétustes qu’à droite. . L’équipage et les passagers : Le pilote commandant de bord, Henri Villemin né le 25 octobre 1932 à Paris, détenait son brevet de pilote de ligne depuis le 20 juin 1958 et sa licence était valable jusqu’au 30 avril 1959. Il avait 2 659 heures de vol au 24 mars 1959 dont 147 heures sur le Nord-Atlas 2502. Bien noté, il n’avait aucune faute pour indiscipline relevée par la compagnie. Jeune marié, H. Villemin semblait équilibré et présentait un certificat médical sans restriction psychologique. Bertrand Roumens a pu rencontrer plusieurs fois celle qui fut la très jeune veuve du pilote. Chez elle, derrière une vitrine dans son salon, divers objets ayant appartenu au défunt mari rappelle son souvenir : une montre arrêtée à « 16 h 10 »262, heure de l’accident et un petit carnet où il indiquait tous ses vols effectués et ceux à venir dont un retour à Paris de Douala, le mardi 31 mars pour rejoindre sa maison récemment acquise à Franconville. La fréquence et la longueur des vols suscitent néanmoins l’étonnement : « Jeudi 26 mars : Douala, Libreville, Port Gentil, Lambarané, Brazzaville, Pointe-Noire Vendredi 27 mars : Pointe-Noire, Brazzaville, Dolisie, Pointe-Noire Samedi 28 mars : Pointe-Noire, Dolisie, Brazzaville, Pointe-Noire Dimanche 29 mars : Pointe-Noire, Brazzaville, Ouesso, Berbérati, Bangui263.»
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15 h 10 Temps Universel Plan des vols reconstitué par Bertrand Roumens à l’aide d’une ancienne carte de radionavigation et un indicateur horaire de l’UAT datant de 1958 car le carnet original comportaient des chiffres et seulement des lettres.
263
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Le facteur humain est très important dans ce genre de crash et il est souvent difficile à cerner, l’expérience du pilote étant parfois déconnectée de son aptitude à réagir correctement en situation de danger selon Alain Depitre. Aucune enquête poussée n’a été faite sur l’équipage par les rapporteurs, ils n’ont pas investigué sur la possibilité d’une défaillance physique momentanée du pilote, sur une possibilité de surmenage du pilote, sur une mésentente entre le pilote et le radio ou un acte criminel de sa part264. À cette époque les pilotes disposaient de commandes de vol mécaniques, de paramètres de pilotages électromécaniques primaires, de moyens de navigation limités comme des balises ou des sextants nécessitant la présence d’un navigateur expérimenté et qualifié capable de gérer les différents systèmes de l’avion en cas de panne et de trouver des solutions en cas d’anomalie grave. Les conditions de vol étaient donc plus fatigantes qu’aujourd’hui, l’erreur humaine plus fatale, les pilotes et équipages étaient éthiquement moins tenus par une stricte réglementation des vols et des escales. Un départ pouvait s’envisager rapidement après une discussion avec les passagers. Ainsi, le vol en question s’est décidé au dernier moment. En ce qui concerne le reste de l’équipage, les recherches ont été minces : le radio navigant était Jean Espenon né le 11 septembre 1934 à Paris, il avait obtenu son brevet le 30 septembre 1958 et avait 928 heures de vol, dont 623 heures 29 minutes sur le Nord-Atlas 2502 et était bien noté. Le mécanicien était Jacques Stora, né le 1er février 1913 à Paris, il avait obtenu son brevet le 16 mai 1955, sa licence était valable jusqu’en août 1959, il avait 5 119 heures de vol dont 1 016 sur le Nord-Atlas 2502. Gabriel Minyemeck, le steward, était d’origine camerounaise. Aucune recherche poussée n’a été réalisée sur aucun d’entre eux. Il en est de même pour les passagers : Prosper Kangala, enseignant et adjoint au maire de Berberati, Albert Fayama, député centrafricain et grand conseiller de l’AEF, M. Duplessis, directeur de la Banque Nationale Centrafricaine à Berberati et Fernand Senez, 264
Robert GALAN, « Le pilote et l’automate », Icare n° 221, juin 2012, p. 115-117. En tant qu’expert aéronautique auprès des tribunaux français, Robert Galan a été très souvent consulté lors des enquêtes concernant de nombreuses catastrophes aériennes et a travaillé pour le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile. La dernière journée comprend 430 minutes de vol soit environ 7 heures pour 1 350 km parcourus. Les trois jours précédents étaient aussi très remplis en termes de distance et d’heures de vol.
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nommé depuis peu Directeur de l’information. Une recherche aurait pu être conduite sur le passé de chacun d’entre eux. Commencer cette recherche aujourd’hui est très fastidieuse car elle se heurte à la disparition des contemporains de ces événements et à l’absence de sources écrites et de témoignages oraux. Ainsi la personnalité de Fernand Senez aurait pu focaliser l’attention de la commission. Fernand Senez a fondé avec René Mahé le journal France Équateur Avenir qui a soutenu très activement les débuts politiques de Fulbert Youlou au Congo265. Ils sont notamment à l’origine de la rencontre entre Youlou, Guérillot et Boganda du 19 mars 1956. Ce dernier se serait réfugié à Bangui suite aux événements sanglants de Brazzaville de février 1959, accusé par Youlou de l’avoir trahi dans la façon dont il avait relaté les faits266 . C’est une piste qu’il faudrait continuer à explorer car l’homme pourrait tout à fait être un agent double de Youlou et Guérillot, placé au côté de Boganda. . Les enquêteurs : La commission d’enquête était composée d’une majorité de civils267, elle s’est réunie plusieurs fois et des comptes rendus ont été réalisés. En amont, le travail effectué sur les lieux de l’accident a été réalisé par des Européens car la colonisation a exclu des professions qualifiées la majorité des Centrafricains. L’analyse des photographies des dossiers268 sur l’accident révèle une division raciale des tâches : les hommes blancs chapeautés, vêtus à l’européenne autour de l’épave, les mains sur les hanches et donnant des ordres à une équipe d’hommes noirs à demi nus, occupés à découper et déplacer les débris de l’avion. Lors des réunions, seuls des « Blancs » sont conviés, aucun représentant du jeune État centrafricain, aucun « indigène » présent lors des travaux d’extraction des corps et de déplacement des débris. Un véritable « entre soi » observable également dans les documents de l’enquête menée par le département de l’aviation civile de la Rhodésie, suite à l’accident du DC-6B dans lequel Dag Hammarskjöld 265
Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, Paris, Nouveau monde éditions, 2015, p. 46. 266 Abel GOUMBA, Mémoires et réflexions politiques du résistant anticolonial, démocrate et militant panafricaniste, Paris, Ccinia communication, 2006, p. 191. A. Goumba est la seule source trouvée qui atteste de ce conflit entre Youlou et Senez. 267 Voir Annexe 5, organigramme sur la composition de la commission. 268 Voir Annexe 6, série de photographies.
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a trouvé la mort269. À partir de la réunion du 21 juin, les échanges ne portent plus que sur les aspects techniques, excluant ainsi toutes les autres catégories d’explication possible 270 . Le rapport final a été réalisé sous la houlette de Maurice Bellonte, un personnage respecté, qui avait réussi en 1930 la traversée de l’Atlantique Nord à bord du Bréguet XIX à moteur Hispano-Suiza 650 CV. Ancien résistant du réseau Combat, gaulliste, il est nommé par Robert Buron, ministre des transports, pour le compte du Directeur de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) à la tête de cette commission. Le but de ces enquêtes est de trouver les causes des accidents et de corriger les défauts observés sur les engins de vol. Plus pragmatiquement, ces rapports permettent aussi une indemnisation selon les dispositions de la convention de Varsovie271. Les enquêteurs officiels sont partis de Paris le 30 mars après-midi et sont arrivés à Bangui le 31 mars au matin avec le Super G d’Air France : messieurs Vigier et Couppez de l’Inspection générale de l’Aviation Civile, Loubry, directeur technique d’UAT, Estienne, chefpilote et Lesne, chef pilote à Douala. Ils se sont rendus à Boda par la route et y sont rejoints par M. Machenaud, directeur de l’aviation civile en AEF venant de Bangui par Air France. Le 1er avril ils étaient sur les lieux de l’accident, où les avaient précédés Julien Buchez Bully, commandant de l’aérodrome de Bangui et chef du service de l’aéronautique civile de l’Oubangui-Chari, J. Schlesser du bureau Veritas et Ruer agent de l’UAT. Le 2 avril, Maurice Bellonte, chef du Bureau Enquêtes Accidents, arrive à Bangui où il peut consulter un montage photographique établi par les soins de la Base de l’armée de l’air.
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Bodleian Library of Commonwealth and african studies, Oxford (Rhodes House), Roy Welensky papers. 270 Les dates sont les suivantes : le 7 avril, 11 avril, 21 avril, 14 mai et le 3 juin 1959. 271 La convention de Varsovie date de 1929 et elle régit tout transport international de personnes, bagages ou marchandises, effectué par aéronef contre rémunération. Elle a fait l’objet de nombreux protocoles modificatifs (le Protocole de la Haye du 28 septembre 1955 et le Protocole de Montréal du 25 septembre 1975) aboutissant à un régime du transport aérien international complètement morcelé. C’est dans cet objectif d’uniformisation du droit que la Convention de Montréal a été signée en 1999. http://www.idit.asso.fr/legislation/documents/Conv_varsovie_modif55.pdf
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Le 5 avril, deux techniciens de Nord Aviation dont Willaume arrivent à Bangui. Les enquêteurs évoquent des conditions de travail difficiles comme la nature du terrain, le campement dans des cases de brousse à trois quarts d’heure de marche et les débris répartis sur une large zone de savane forestière. Un hélicoptère est mis à disposition depuis Douala pour faciliter le travail des enquêteurs à compter du 12 avril. BuchezBully évoque des photographies dont la qualité n’est pas exploitable suite à une erreur de manipulation de sa part ! . L’épave : Elle se situe sur un plateau peu élevé à 500 m d’altitude en zone de savane boisée. Les débris de l’avion sont éparpillés sur près de deux kilomètres cartographiés en 11 lots 272 . Le premier lot contient la carlingue presque entière avec le poste de pilotage entièrement écrasé où se trouvait Boganda273. Il est noté que « l’épave est arrivée au sol sous un angle très faible, pratiquement à plat (…), elle s’est empalée sur plusieurs arbres et couchée légèrement sur la gauche », le pilote et mécanicien sont attachés, en place, main gauche sur le manche. Derrière Barthélémy Boganda assis sur le siège central, le radio non attaché est aussi très abimé 274 . Dans la cabine passager, les quatre hommes plus le steward sont groupés contre le côté gauche de la cellule : aucun n’est attaché sur son siège. Cet accident a été soudain et extrêmement brutal sinon tous les passagers se seraient attachés et auraient lancé un message de détresse si la situation avait duré. . Les apports scientifiques : L’enquête s’est faite sous pression politique et dans une certaine rapidité. L’accident a lieu le 29 mars 1959 et le rapport a été rendu le 20 juin 1960 après dix-huit mois d’enquête. Un billet informel daté du 9 avril 1960 du Haut Commissaire demande à Buchet-Bully :
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Voir Annexe 7. AN 19760051/145-3G123, rapport d’enquête de première information par Buchet-Bully, commandant de l’aérodrome de Bangui, le 10 avril 1959 à destination du ministre des transports. 274 Voir Annexe 8. 273
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« Une note d’informations de l’état des recherches entreprises pour déterminer les causes de l’accident du président Boganda en vue de couper court aux bruits tendancieux qui circulent tels que : L’avion volait trop bas parce que le président Boganda, qui était dans la cabine, avait voulu voir le sol de plus près. L’appareil était très ancien et quasi hors d’usage Il avait envoyé un message de détresse à Fort Archambault. De nombreuses versions de la façon dont il s’est abattu275. »
Il était donc plus que nécessaire d’ouvrir ce dossier et de procéder à une analyse la plus sérieuse et scientifique possible. Or, l’analyse et la relecture du rapport final effectuées avec A. Depitre suscitent des étonnements. Ainsi, la commission réalise un rapport final mais elle conclut avec des questions ouvertes. Traditionnellement le rapport d’enquête doit apporter des conclusions, avoir fait le tour des questions et évoquer des hypothèses de la défaillance technique. Ici il n’en est rien : « Une explosion due à un engin de très faible importance dans la partie avant des commandes semble très peu probable. Seule l’expérimentation en cours, sur l’avion de l’UAT permettra éventuellement de lever ce doute et d’écarter les appréhensions qui subsistent encore dans l’esprit des membres de la Commission en ce qui concerne un flottement d’empennage. La cause génératrice (de la dislocation) initiale reste encore incertaine276.»
Il est important face à ces conclusions évasives de revenir sur le contexte aéronautique français dans lequel cet accident survient. Dans les années cinquante, les constructeurs cherchaient à développer des avions pouvant atterrir et décoller « court » sur 300 m pour aller de centre-ville à centre-ville. Nord Aviation est une jeune société créée en janvier 1958, elle fait aménager le Nord-Atlas 2501 existant, pour 275
AN 19760051/145-3G124, billet informel du Haut Commissaire à Buchet-Bully daté du 9 avril 1959, bilan d’étape réalisé par Bellonte au ministre des transports daté du 6 mai 1959, puis un courrier récapitulant l’avancée de l’enquête au Haut Commissaire en date du 15 octobre 1959 par Bellonte évoquant la piste des conditions météorologiques et les essais en cours à l’ONERA et au Centre d’Essais en Vol. 276 Idem, voir le rapport final sur l’accident survenu le 29 mars 1959 au Nord 2502 F - BGZB de la compagnie UAT du 20 juin 1959, p. 21
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décoller « court » en faisant placer des réacteurs en bout d’ailes. La question des ailes et des réacteurs est cruciale dans ce dossier : « L’aile droite a perdu en vol les ailerons et les volets, le réacteur droit s’est séparé aux attaches. La rupture d’aile est due à une cassure de flexion vers le haut sans aucun indice de fatigue277. Il apparaît que c’est l’aile droite qui a cassé la première sous l’influence d’un moment de flexion important, puisque simultanément, il y a eu une rupture du bâti-moteur intermédiaire droit et des attaches réacteurs du même côté278. »
La découpe de l’aile est droite279 ce qui est assez remarquable, or les experts ne fouillent pas. B. Roumens, en visite au village « Boganda », découvre cette aile et pense : « Découpage à l’ouvreboîte ! (…) C’est un cas d’école de rupture brutale, d’arrachement, de cisaillement, de compression et de soufflage280. » Les causes de la rupture ont été passées en revue par les experts de la commission. Les hypothèses d’explosion sont écartées suite aux analyses faites en laboratoire d’un point de vue technique 281 . Cependant la déposition rigoureuse des témoins de l’avion en vol et au moment de l’accident aurait permis de compléter le questionnement d’une explosion en plein vol. Lors de la reprise des recherches de Susan Williams, historienne britannique, sur l’accident d’avion de Dag Hammarskjöld, la découverte d’archives sur les témoignages « d’indigènes » a permis ainsi de relancer et de compléter la relecture de l’enquête en cours282. 277
Idem p. 12. Idem p. 13. 279 Voir Annexe 9. 280 Bertrand ROUMENS, « À la recherche du F-BGZB », Icare, n° 221, juin 2012, p. 83. 281 AN 19760051/146-3G124, compte rendu du 26 mai 1959 effectué par l’ingénieur général des poudres, Henri Corbu à la demande de M. Bellonte du 7 avril 1959. Ce document indique que les dépôts sur les pièces fournies à l’expertise ne proviennent pas d’un explosif mais de la combustion d’une huile lubrifiante ou graisse. 282 Voir supra, Susan WILLIAMS, Who killed Hammarskjöld ? The UN, the cold war and the white supremacy in Africa, Royaume-Uni, Hurst, 2011, Afrique du Sud, Jacana, 2012 et États-Unis, Columbia University Press, 2012, p. 92-101. Susan Williams a pu consulter les archives de Bo Virving, l’ingénieur en chef de Transair au Congo en 1961-62 qui était observateur dans l’enquête de l’aviation civile de la fédération de Rhodésie. Parmi les 126 témoignages celui de Timothy Jiranda 278
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Le rapport évoque également que la rupture de l’aile pourrait provenir « d’un phénomène de flottement classique dont le processus de déclenchement est en général inconnu mais dont l’origine dans ce cas pourrait être l’agitation plus ou moins anarchique de l’atmosphère pouvant donner sur les gouvernes une fréquence d’excitation voisine de la fréquence d’un mode critique283. » La commission précise qu’au moment de l’accident « les réacteurs étaient coupés 284 ». Sur ce modèle, l’aile est fine, les réacteurs lourds, or les essais en conditions sont réalisés après l’accident et les résultats non intégrés au rapport. Peu de temps avant le crash, une étude succincte avait été faite par Nord Aviation pour équiper les Nord-Atlas 2501 de deux réacteurs en bout d’ailes. Faute de moyens financiers, cette toute jeune compagnie n’avait pu réaliser les essais au sol et aucun essai n’avait été fait en vol en conditions réelles. La commission a donc fait procéder de façon formelle à des essais vibratoires complets avec des calculs précis sur le Nord 2502, a posteriori du crash, suite à une réunion du 16 juin 1959285. Ces essais uniquement réalisés au sol par l’Office National d’Études de Recherches Aérospatiales (Onera) ont révélé que les formes et les fréquences mesurées étaient, à cause des masses concentrées en bout d’ailes, totalement différentes de celles du Nord 2501. Le rapport de calcul ONERA 9389 du 1er décembre 1959 montre l’existence d’un flottement de voilure du Nord 2502 à partir d’une vitesse un peu supérieure à 110 m/sec. De plus, l’explosivité est très marquée lorsque la vitesse est supérieure à 110 m/sec, phénomène non observé sur le 2501286. En dépit de ces informations, les résultats des essais en vol n’ont pas été intégrés au rapport car ils sont en cours
Kankasa, clerc du township de Twapia, qui a vu deux avions et un faisceau de lumières et entendu un bruit très fort. D’autres « indigènes » de Twapia ont été interviewés notamment des charbonniers comme Davidson Simango, Dickson Buleni, Farie Mazibisa. Seul un bref résumé sélectionnant quelques passages et omettant les lignes évoquant l’existence d’un deuxième avion et de l’éclat de lumière est disponible dans le rapport de la commission rhodésienne. 283 Ibid., p. 19. 284 Ibid., p. 11. 285 AN 19760051/146-3G124, compte-rendu de la réunion fait par M. Courtonne à M. Calvy de Nord Aviation lui demandant ce complément d’essais. 286 Idem, rapport dans le document de synthèse daté du 13 janvier 1960 reprenant les propos de M. L’Étoile, de la Société d’aéronautique.
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lors de la rédaction du rapport. Pourquoi ne pas les avoir attendus ? A fortiori quand les rédacteurs précisent : « Seule l’expérimentation en cours, sur l’avion de l’UAT, permettra éventuellement de lever ce doute, et d’écarter les appréhensions qui subsistent encore dans l’esprit des membres de la commission en ce qui concerne un flottement d’empennage287. »
Transitoirement il est proposé que des essais complémentaires soient réalisés sur le BGZA, le plus vieux Nord-Atlas, à Melun par Nord Aviation ainsi que les essais en vol dans les « mêmes conditions que celles de l’accident en question [sic (elles n’ont pas été déterminées avec précision)]. » En attendant la vitesse critique de 110 m/s est donc posée provisoirement, les représentants d’UAT émettent des doutes sur la possibilité d’une exploitation normale avec de telles contraintes. Si ce défaut était la cause de l’accident, les projets de vente en cours du nouvel avion de Nord Aviation, le Nord 2508 avec réacteur d’appoint Marboré en extrémité, proche du Nord 2502 d’UAT, auraient été voués à l’échec. Nord Aviation demande la « plus grande discrétion au sujet des résultats » afin que la compagnie puisse « affirmer auprès des diverses compagnies aériennes que les avions de ce type sont exempts de flottement ou qu’il lui soit possible d’effectuer les modifications qui s’imposent pour éviter ces phénomènes288. » À compter du moment où le rapport « Bellonte » est écrit et diffusé, les pièces complémentaires ou en attente ne sont pas intégrées au dossier existant, ni le résultat des essais effectués par Nord Aviation. Les hypothèses suivantes peuvent être posées : la pression politique sur le dossier est importante et les résultats des essais traînent comme le révèle le courrier de M. Lagarde du Ministère des Transports inquiet du désintérêt de Nord Aviation pour ce dossier, qui s’est traduit par l’envoi d’ingénieurs, certes compétents, mais subalternes289 pour effectuer les tests. Cela peut expliquer la clôture du rapport avant 287
Ibid., p. 21. AN 19760051/147 3G125 – Documents Nord Aviation et ONERA, Office National des Études et Recherches Aéronautiques, courrier de J. Calvy à l’attention de M Courtonne, directeur de la DGAC. 289 Ibid., courrier de Lagarde daté du 19 janvier 1960 au ministre des armées « Air », direction technique. 288
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la fin des essais. Les recherches entreprises afin de retrouver les archives de Nord Aviation n’ont pas permis de compléter le dossier 290 « Bellonte ». La compagnie UAT avait tout intérêt à ce que ces essais se fassent car ils permettaient à terme de rehausser le prix de vente des Nord-Atlas de leur flotte. L’accident du 15 janvier 1960 en Algérie a plongé les dirigeants d’UAT dans une vive inquiétude 291 voire une panique. Il n’a pas été possible de vérifier si les essais programmés ont eu lieu, mais quelques mois plus tard, la compagnie UAT revend les cinq Nord-Atlas 2502 (F-BGZC, F-BGZD, F-BGZE, F-BGZF et F-BGZG) aux forces aériennes portugaises 292comme si elle souhaitait se débarrasser de cette série. Les archives de l’UAT restent fermement gardées par Claude Bossu et leur accès est très limité 293 , et particulièrement sur cet accident. Cependant, un document a particulièrement attiré notre attention. Mal classé, il s’agit d’un compte rendu d’essais en vol effectués sur le Nord-Atlas 2501 n° 40 équipé de saumons lestés à un poids sensiblement égal à celui des réacteurs Marboré installés en bout d’ailes dans la version 2502. Ces essais en vol révèlent que dans « une atmosphère légèrement agitée, une amplification considérable et qu’une légère accélération du centre de gravité cause une variation d’accélération de bout d’ailes d’assez grande amplitude et ne s’amortit que lentement294. » Ainsi très tôt des réserves ont été émises sur cette innovation par les experts de Nord Aviation, dont les décideurs n’ont a priori pas tenu compte car la commercialisation s’est faite malgré leurs recommandations. La vente et l’usage des Nord 2502 dans les régions tropicales aurait dû faire 290
Nord Aviation a connu de nombreuses fusions jusqu’à devenir Airbus Group, la traçabilité des archives s’est révélée impossible. 291 Le 15 janvier 1960, le Nord 2501 n° 102 se crashe près de l’oasis de Ghardaï en Algérie officiellement à la suite d’un givrage, peu après son décollage de l’aéroport d’Alger où il avait passé la nuit. Version qui n’a jamais convaincu les familles. En plus des six hommes d’équipages, l’appareil en provenance de la base d’OrléansBricy transportait du matériel destiné aux expériences nucléaires que la France menait à Reggane dans le Sahara. 292 Sur cent soixante-dix-huit appareils en service, vingt-neuf accidents graves dont huit très graves. 293 Échange téléphonique et de mails avec Claude Bossu, responsable des archives de l’UAT qui a verrouillé toutes mes tentatives d’approches des dossiers concernés. 294 AN 19760051/146 3G124, note n° 4073 de la Société Nationale des constructions aéronautiques du Nord, qui devient Nord Aviation en 1958, service des vibrations, le 26 août 1956.
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l’objet de tests plus poussés. À aucun moment le rapport d’enquête ne mentionne ce document chronologiquement intéressant. Finalement la société Nord Aviation apparaît peu consciencieuse et scrupuleuse dans l’innovation du Nord 2501 vers le 2502 et à terme le 2508. Les enquêteurs ont peut-être eu à cœur de ménager la toute jeune société nationale. Cette analyse sur la cassure de l’aile pourrait aussi découler des conditions météorologiques au moment de l’accident. Or dans le dossier, des incohérences apparaissent rapidement. Le rapport évoque que « quelques minutes avant l’accident, l’avion a traversé une zone orageuse ». La commission a recueilli de nombreuses déclarations des habitants des localités se trouvant à proximité de Yawa, qui confirment la présence d’orages au moment de l’accident. L’instabilité modérée, voire inexistante au départ de Berberati, et la foudre constatée au nord du trajet n’auront pas surpris les équipages en début de saison des pluies. L’expertise de Gilles Perret confirme le caractère aléatoire et très local des orages en Centrafrique et souligne l’absence de précision sur la situation climatique du moment de l’accident dans le rapport 295 . Une cause d’ordre météorologique n’est donc pas si évidente. En outre, si le pilote avait rencontré une zone de mauvais temps il n’aurait pas manqué de le signaler 296 et l’aurait évitée en passant au-dessus ou sur le côté. Le naturel et l’apparente sérénité des corps trouvés dans l’avion permettent de supposer la soudaineté de l’accident. Alertés par les turbulences d’une zone de perturbations météorologiques, les passagers auraient attaché leur ceinture. À ces suppositions s’ajoute l’analyse des dépôts sur les déperditeurs 297qui révèle que ces derniers n’ont pas été foudroyés. Ainsi, le rapport
295 Entretien avec Gilles Perret directeur de la formation permanente à Météo France. 296 Pièce annexe n° 8 du rapport ci-dessus référencé. 297 Les déperditeurs statiques (ou déperditeurs de potentiel) sont semblables à de petites antennes que l’on trouve à l’arrière des ailes des avions (bord de fuite et bout d’ailes) et sur la dérive. Leur nombre varie en fonction de la taille des avions. Leur emplacement ne tient pas au hasard. Ils sont généralement en carbone et servent de conducteurs d’électricité pour faciliter la dispersion de l’électricité statique qui s’accumule sur le fuselage par le frottement de l’air avec les parties métalliques de l’appareil dans un air plutôt sec. Voir AN 19760051/147 3G125, PV n° 4967 émanant du laboratoire de métaux du service technique de l’aéronautique, attesté par Sertour et Doré, ingénieurs responsables de l’expertise.
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conclut que : « l’hypothèse du foudroiement de l’avion a été rejetée et que celui-ci a, néanmoins très vraisemblablement traversé une zone d’atmosphère fortement agitée au moment de l’accident298 ». Cette hypothèse renvoie à la question de la collecte des dépositions des témoins. Les témoignages ont été recueillis par plusieurs institutions sans véritable coordination : J. Schlesser du bureau Veritas a entendu des témoins mais de façon informelle car il n’y a aucune déposition écrite. Ces témoins sont tous deux Européens. M. Théhardy, chasseur, atteste de la présence de pluie à Berberati à 18 h le 29 mars, soit quatre heures après l’accident, et rapporte que le chef de district de Berberati a été averti que des paysans des villages de Bamara et Yamale ont vu passer l’avion se dirigeant vers la zone de pluie. L’autre est M. Conette de la Société Générale, en partie de chasse à 20 km à l’est de Boda entre 14 h et 14 h 30, qui a vu de très gros cumulo-nimbus vers l’ouest et l’apparition de pluie vers 15 h. J. Schlesser évoque la nécessité de recueillir les témoignages de M. Montraisin, planteur à Boda, chassant à 7 km du point d’impact de l’avion et de M. Kervel, planteur près du bac de la Lobaye. Cela ne sera pas fait, du moins aucune trace écrite ne subsiste dans le dossier. De son côté, Victor Archimbaud, juge d’instruction à Berberati agissant en vertu de la commission rogatoire du 8 avril 1959, a reçu la déposition de deux hommes d’Église présents lors de la constatation de la mort des passagers. Celle de Léon Gros, supérieur de la mission catholique de Berberati, qui évoque son arrivée sur les lieux de l’accident le 31 mars, vers 6 h 15. Il témoigne que « M. Boganda et les trois membres de l’équipage étaient enfermés à l’avant de la carlingue et écrasés ». Puis, Monseigneur Baud, en date du 29 avril 1959, qui atteste : « Dans la cabine, les trois membres de l’équipage à leur place et derrière eux le président Boganda. Après l’identification des corps j’ai quitté les lieux vers 9 h 45 299». Ces deux dépositions sont les seules présentes dans le dossier et qui émanent du juge d’instruction, on peut noter qu’elles ne portent aucunement sur l’accident en lui-même. Chef de poste de Boda, Claudius Bouvard et son interprète Marc Mpassi, auxiliaire de gendarmerie par commission rogatoire ordonnée 298
AN 19760051/146 3G124, rapport final p. 3. AN 19760051/146 3G124, dépositions du 29 avril de Monseigneur Baud et celle du 6 mai 1959 de Léon Gros.
299
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par Gérard Deville, juge d’instruction à Bangui, rédigent les procèsverbaux de Maurice Haoussa, manœuvre à Bagoua et de sa femme Jeanne Kodoua. C. Bouvard se souvient que le 29 mars 1959, vers 15 h « le jeune Mpassi Gabriel, âgé de neuf ans, leur neveu a été foudroyé sous leurs yeux au cours d’un violent orage au centre du village de Bagoua en Lobaye 300». Dans l’autre procès-verbal, Michel Zouago, chef du village de Bagoua, atteste que « le jeune Mpassi Gabriel âgé de neuf ans, neveu du nommé Haoussa Maurice a été tué par la foudre, au village de Bagoua, lors d’un violent orage ». Ces deux témoignages recueillis plus de quatre mois après l’accident, apportent des informations très limitées car on apprend seulement que la foudre et un orage ont éclaté à proximité de l’accident et ont fait un mort. La pièce annexe n° 12 du rapport est un résumé de témoignages pris par la gendarmerie de Boda mais aucun procès-verbal précis n’est disponible. Gaston Ngambali, chef du village Babanga, atteste la présence d’une tornade le 29 mars 1959 sans précision de l’heure et relate que trois hommes de son village, Wandoua, Zataou et Michel Danili, n’ont pas entendu l’avion voler depuis leur case où ils s’abritaient de l’orage, avant de partir le 30 mars chercher l’épave. Zataou découvre des morceaux le jour même vers 17 h et fait prévenir les autorités. Cet ensemble de témoignages est bien indigent. Pourtant, lors d’une réunion du 21 avril 1959 entre MM. Bellonte, Cailleaud, Sertour, Angelini, Courtonne et Vigier est révélée la présence de deux témoins dont les dépositions n’existent nulle part. M. Courtonne évoque : M. Courtonne. « Les témoins qui ont vu tourbillonner l’avion, est-ce qu’ils l’ont vu tourbillonner de haut en bas ? M. Vigier. – Les deux témoins sont Vandous et Vandois, ils ne parlent pas un mot de français. Ils n’ont pas l’air astucieux. On les a interrogés en quatrième position, par l’intermédiaire d’une autre personne qui lui-même parlait un français approximatif et l’interrogatoire s’est de toute façon déroulé en sango qui est la langue des gardes noirs et de l’agent en question. Dans les choses qu’on leur a demandées et dont on peut être sûr de l’endroit où ils se trouvaient, c’est très net, c’est à Boubayanka sur le côté ; l’un était à côté d’un pieu, l’autre dans la case. Celui qui était dehors était à un point qui se trouve à deux ou trois kilomètres de l’accident. Autre chose dont on n’est pas sûr, c’est la direction où ils ont vu l’avion : ça correspond pile à l’endroit 300
SHD GD2007ZM1/4987, gendarmerie Centrafrique, Procès-Verbal n° 52 et n° 54 du 23 juillet 1959 soit quatre mois après la date de l’accident
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des débris. Autre point dont on peut être sûr, c’est qu’ils n’ont pas vu l’avion en vol rectiligne. M. Vigier. – Le premier l’a vu alors que l’avion tournoyait et le second, sorti de la case, n’a pas vu que la fin (…) Ils n’ont ni entendu ni bruit de moteur ni explosion et qu’ils n’ont pas vu de pièces se détacher, et que leur tournoiement était plutôt un spirale genre feuille morte qu’une vrille. (…) Ils n’ont pas pu suivre l’avion jusqu’au sol car il y a une surface boisée qui empêchait la vue. M. Courtonne. – Ils l’ont vu jusqu’au sol ? M. Vigier. – Quand on est placé à l’endroit où se trouvaient les témoins il y a une surface boisée qui monte, par conséquent ils n’ont pas pu voir la fin et je suis incapable de vous donner une altitude. Ils nous ont indiqué que l’avion était à un certain nombre de doigts au-dessus de l’horizon. (…) M. Courtonne. – À ce moment-là est-ce qu’il y avait de nuages opaques ? M. Vigier. – Au moment où ils ont vu l’accident l’avion n’était pas dans un nuage, dans la pluie de tornade, mais sur un arrière-fond de ciel gris avec éclairs dans tous les coins, avec bruit de tonnerre. Pour eux, la pluie avait cessé (…) Il semble bien qu’au moment où ils ont vu l’accident, l’avion n’était pas dans la pluie de tornade, mais sur un arrière-fond de ciel gris avec éclairs dans tous les coins, avec bruit de tonnerre, on peut dire que eux l’ont vu à un moment où il tournoyait, que cela a duré suffisamment longtemps pour que l’un ait eu le temps d’appeler l’autre qui a vu aussi. (…) On peut dire que l’avion n’était pas masqué par un nuage, il était visible. Il est possible que ce qu’ils aient vu c’est simplement la partir principale disloquée, mais çà m’étonne qu’ils aient pas vu tomber des pièces car les pièces qui sont tombées sont importantes. Le Président (Bellonte). – Je remarque que l’épave principale était tout de même le plus gros morceau. Quand on regarde et remarque ça, l’aile droite est bien mince relativement et cela dépend sous quel angle. M. Vigier. – Avec eux, il y a du pour et du contre. Ils sont remarquablement observateurs en général. Eux l’ont vu tournoyer et disparaître derrière la ligne de crêtes, qui n’est pas très haute, mais qui représente peut-être 300 ou 400 mètres (…) M. Couppez. – En dehors de cela on a eu la déposition d’un blanc qui est le pasteur. M. Loubrie301 lui a posé la question concernant la tornade. On en a conclu que la tornade était passée beaucoup plus sur le côté. L’avion serait passé le long de la tornade d’après la déclaration du pasteur. Il se rappelait très bien, il avait joué aux boules. Ce témoin était à Boda ou dans un autre coin. Je parle de la tornade. Il n’était pas à 40 km, il était près. Il faudrait le refaire déposer. Cette question est à noter. 301
Il s’agit de M. Loubry, le directeur d’UAT.
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M. Courtonne. – Il faut savoir où était le témoin et pour l’interroger le replacer là où il était. M. Vigier. – J’ai demandé au Procureur de la République de fournir la liste des témoignages, de placer sur une carte l’endroit où se trouvaient les témoins avec un numéro se rapportant à leur déposition. M. Buchet-Bully a vu le pasteur et j’ai demandé qu’il soit désigné comme expert de la justice pour toutes les questions circonstances et on pourra attirer son attention sur ce témoignage302. »
Ce long extrait du compte rendu révèle de nombreuses négligences de la commission. Ainsi, les deux témoins centrafricains ont été d’emblée négligés et déconsidérés, « ils n’ont pas l’air astucieux », or leur apport d’informations aurait pu être fondamental s’ils avaient été traités sérieusement. Leur identité n’est pas relevée correctement, « Vandous et Vandois ? », un interprète peu expérimenté en français leur pose des questions qui ne sont pas relatées précisément. Cette situation rappelle celle des deux charbonniers témoins visuels de l’accident d’avion de D. Hammarskjöld qui avait été négligés par la première commission d’enquête303. De même, la nouvelle déposition du pasteur par M. Loubry n’a pas été réalisée, ce qui révèle un manque de persévérance et de rigueur. Quant à M. Buchet-Bully, il n’a pas laissé de traces de ces expertises. Le rapport d’enquête présente des annexes très maigres en termes de témoignages : deux sur l’épave et le corps, finalement hors sujet, et deux pour attester de la présence de l’orage et de la foudre dans le secteur de l’accident d’avion, bien que l’analyse technique révèle que l’avion n’a pas été foudroyé. L’aspect humain a été négligé dans cette enquête, que cela soit dans la collecte de témoignages oraux, la prise de photographies des corps, mais aussi dans les investigations sur le personnel navigant. L’aspect technique et la quête d’une explication technocratique ont pris le pas sur de potentielles explications à dominante humaine.
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Réunion du mardi 21 avril 1959 à 15 h 30 en présence de MM. Bellonte, Cailleaud, Sertour et Angelini, Courtonne, Couppez et Vigier. 303 Difficile de retrouver l’identité de ces témoins avec des retranscriptions pareilles en langage colonial rappelant le terme de « vaudou », voir aussi Susan WILLIAMS, op. cit., p. 96.
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Quelles traces patrimoniales de cet accident reste-t-il en Centrafrique ? Des débris de l’avion sont conservés aujourd’hui au « village Boganda » situé à proximité du lieu de l’accident. Pourtant, un courrier du 5 juin 1959, de Buchet-Bully à Maurice Bellonte, atteste qu’ils ont été remis à l’armée de l’air pour un acheminement vers la métropole, avec comme étape Fort-Lamy, aujourd’hui Ndjamena au Tchad. Après recherche, il semble que seules les pièces nécessitant une expertise ont été envoyées et entreposées à Paris, au hangar du service technique d’Issy-les-Moulineaux 304 . Faute de moyen de levage, les moteurs à demi enterrés à deux mètres de profondeur n’ont pu être extraits du sol mais ils ont été analysés sur place, autant que faire ce pouvait 305 . Toutes les pièces ont été retrouvées sauf le tableau supérieur de direction et la masse d’équilibrage du côté droit. Au total, quatorze heures de vol en hélicoptère Bell 47G sur quatre jours et de navette entre l’épave et Yawa ont été nécessaires pour récolter les débris. Ces derniers ont été remis par le Bureau d’Enquêtes et d’Analyse (BEA) à UAT selon le courrier du 19 mars 1962. Impossible de savoir si les débris ont été renvoyés par UAT en Centrafrique ou s’il s’agit des débris restés sur place. La première hypothèse semble exacte car l’aile observée par B. Roumens fait partie des pièces expertisées en France. Aujourd’hui, huit heures sont nécessaires pour couvrir la distance entre Bangui et le « village Boganda » et la route est peu sécurisée. Il est préférable de s’y rendre à la date anniversaire du 29 mars en suivant le cortège présidentiel. Sous un hangar en tôle, un amas de ferrailles bien conservées est entreposé, fort étonnant quand on sait à quel point la tôle en aluminium est prisée par les villageois centrafricains comme matériau de récupération306. Boganda fascine, il reste un mythe. Respect et superstition interdisent de se « servir » dans les débris de l’avion où il a trouvé la mort. Très sincèrement, à deuxcent-cinquante kilomètres de la capitale, cet endroit est largement « oublié » et sorti des « têtes » des Banguissois car le pouvoir
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AN 19760051/145- 3G123, note pour le ministère des transports du 30 juillet 1959 réalisée par Bellonte. 305 AN 19760051/145- 3G123, rapport final p. 5. 306 Voir Annexe 10 : photographies remises à l’auteure par M. Roumens. L’auteure devait se rendre sur place pour le 29 mars 2011 avec le cortège présidentiel de Bozizé mais le coup d’État a conduit à l’annulation du voyage, faute de visa.
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politique, hormis son pèlerinage habituel du « Boganda day », n’a pas réellement mis le site en valeur. Ainsi sur place, seule une statue de Boganda rappelle les faits. B. Roumens a fait graver une plaque en France à la mémoire des neuf victimes et l’a donnée au maire du village pour qu’elle soit apposée près des restes de l’épave. Si le rapport d’enquête est attendu par les politiques, il est aussi attendu par la compagnie UAT et Mme Boganda pour des raisons financières. Passé le choc du décès de son époux et envolés les espoirs de jouer un rôle politique en Centrafrique, Mme Boganda se sent « oubliée ». La candidature de Mme Boganda était attendue à la députation en tant que sénatrice à la Communauté dès le 5 avril 1959 pour prolonger l’action de son mari. Rapidement, une très forte opposition naît entre elle et Abel Goumba, nommé Président du gouvernement provisoire. Cette opposition conduit Mme Boganda à plébisciter David Dacko à la succession de son mari à la présidence, en faisant valoir leurs liens de parenté. Selon le témoignage d’Abel Goumba307, les divergences se nouent autour de la question du projet de loi donnant à vie une pension à la veuve du président, sur le mode de certains avantages accordés par la France aux veuves de généraux308. Leur querelle se renforce autour des fonds dont Boganda disposait au moment de l’accident et qui ont été remis à M. Dacko et en partie dépensé par lui-même. Mme Boganda exige le remboursement de la somme globale de 200 000 francs 309 . Localement, Mme Boganda fait valoir ses intérêts par Me Souquet auquel elle associe D. Dacko. Par ailleurs, la proximité entre le couple San Marco et le couple Boganda a été réelle, comme en attestent leurs 307
Abel GOUMBA, Mémoires et réflexions politiques du résistant anticolonial, démocrate et militant panafricaniste, Paris, Ccinia communication, 2006, p. 207236. 308 Ibid., annexe 26 et 26 bis, art. 2 : « Madame Barthélémy Boganda bénéficiera, sa vie durant, d’une rente annuelle égale à la pension d’un haut fonctionnaire de la catégorie « Hors échelle A », avec trois enfants, telle que déterminée par le code des pensions civiles et militaires de la République française auquel la République centrafricaine se référera en tout état de cause ». Cette ordonnance et le projet de loi ont avorté car selon Goumba, les finances du jeune État centrafricain ne pouvaient assumer de pareilles dépenses. Ce qui explique que les démarches aient été poursuivies auprès des autorités françaises. 309 Ibid., annexe 25, courrier de D. Dacko à A. Goumba justifiant, à la demande de ce dernier, le détail des sommes dépensées sur les 200 000 francs qui lui ont été remis, daté du 24 avril 1959.
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échanges épistolaires et notamment les lettres liées au décès prématuré du petit François San Marco310. Le couple a annoncé la mort de son mari à Michelle Jourdain-Boganda, San Marco est le parrain de Catherine, la seconde fille des Boganda. En février 1960, dans un courrier à San Marco, Mme Boganda lui demande, alors qu’il vient d’être nommé président de l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) où en est l’enquête. Elle évoque une demande de prise en charge des enfants par le ministère de l’Éducation nationale et les droits des enfants d’un père décoré de la Légion d’honneur : elle « a le droit de chercher à recevoir le maximum de ce qui est possible 311 » selon les conseils d’H. Rivierez, ancien collaborateur de son défunt mari. Le 5 février 1961, de Bangui, elle demande à San Marco l’adresse privée de Maurice Bellonte car en tant que parrain de Catherine Boganda, elle estime qu’il a « des droits et des devoirs », elle veut savoir où en est l’enquête et évoque un courrier qu’elle a adressé à Robert Lecourt, dont Jacques Foccart a obtenu une copie, car l’important est primum vivere : « Quand j’ai lu, la semaine écoulée, les mondiales réactions à la mort de Lumumba, je n’ai pas pu retenir un peu d’amertume… c’est humain. Que rapportera une souscription ouverte en faveur de la veuve et des orphelins de Lumumba ? Mais qui donc aujourd’hui songe à Boganda et aux siens ? Pas même le gouvernement français… »
Elle envisage de demander une compensation à R. Buron, à la Communauté… Elle évoque « une solitude tellement lourde »… Le dépouillement du fonds Foccart312 permet de comprendre comment ce dernier a géré les demandes de Mme Boganda. Robert Lecourt, ministre chargé de l’aide et de la coopération, a adressé une lettre au Premier ministre Michel Debré, afin d’obtenir que les enfants de
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Je n’ai pu consulté que les lettres rédigées par Mme Boganda présentes dans le fonds San Marco, les réponses de la dite famille ne sont pas présentes dans le fonds. 311 CAOM, 216 APOM 6, fonds San Marco. 312 AN 5AGF/630, lettre de Robert Lecourt au Premier ministre Michel Debré du 27 octobre 1959, copie Foccart. Lecourt évoque le fait qu’il n’a pas réussi à obtenir l’adoption des trois enfants par la Nation française comme il le souhaitait. Une mention « oui » pour accord de bourses en France est rédigée dans la marge par le Premier ministre.
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B. Boganda soient désignés comme pupilles de l’instruction publique de la Seine ce qui leur garantirait au moins des bourses d’études en France, même s’ils résident encore à Bangui. Pour R. Lecourt, il est nécessaire de « manifester à la fois l’estime dans laquelle Boganda était tenu et la sollicitude de la République envers sa famille ». Une lettre du 11 mai 1959 de J. Foccart à R. Janot, secrétaire général de la présidence de la Communauté, dévoile que cette demande vient de D. Dacko qui souhaite que les enfants de Boganda « deviennent pupilles de la Nation ». Les deux hommes, R. Lecourt et R. Janot, sont en opposition avec J. Foccart, conseiller technique à la Présidence, auquel ils se heurtent en permanence dans leurs tâches 313 . Cela conduit, début janvier 1960, à des protestations de Lecourt auprès de M. Debré restées sans réponse : il finit par se retirer. J. Foccart a devancé Lecourt et Janot sur le dossier de Mme Boganda. Dès août 1959, il avait écrit à Janot pour lui suggérer de « faire rentrer en France, Mme Boganda, car son action sur place diminue considérablement – consciemment et inconsciemment – l’autorité de Dacko314 ». Il a également sollicité G. Widmer, directeur du cabinet de la Présidence, pour savoir ce que touche Mme Boganda, « comme elle donne des indications toutes différentes à Bangui, il est bon que nous soyons informés ». Dès le 24 septembre, Foccart obtient une réponse chiffrée entre la prestation « capital décès » et la pension annuelle versée à Mme Boganda et ses enfants315. Le 29 juin 1961, de Bangui, Mme Boganda demande conseil à San Marco… deux ans se sont écoulés depuis l’accident et la compagnie UAT lui a fait une proposition d’indemnisation de 40 907 nouveaux francs dont la moitié lui revient et l’autre à ses enfants conformément aux articles 17 et 22 de la convention de Varsovie, évoquée plus
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Guia MIGANI, De Gaulle et la décolonisation de l’Afrique subsaharienne, 19571963 : Histoire d’une décolonisation entre idéaux eurafricains et politique de puissance, Bruxelles, Peter Lang, coll. « Euroclio », 2008, 296 p. et Philippe OULMONT, Maurice VAÏSSE (dir.), De Gaulle et la décolonisation de l’Afrique subsaharienne, Paris, Karthala, 2014, 252 p. 314 AN 5AGF/630, lettre de J. Foccart du 11 mai 1959 à R. Janot, il se base sur des informations transmises par M. Le Brun Keris présent à Bangui. 315 AN 5AGF/630, note de G. Widmer à J. Foccart relative aux prestations versées à Madame Boganda.
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haut 316 . Selon l’article 29, « l’action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans un délai de deux ans à compter de l’arrivée à destination ou du jour où l’aéronef aurait dû arriver, ou l’arrêt du transport ». Mme Boganda est hors délai. Elle hésite à mener une action en justice pour demander une plus forte indemnisation à la compagnie d’assurances d’UAT, la Réunion française, « un geste supplémentaire317 » car elle juge la proposition dérisoire. Le 24 octobre 1961, dans un nouveau courrier, elle évoque une rencontre avec Buron et Foccart et n’a toujours pas accepté l’assurance, elle est désormais hors délai. Elle va signer la quittance318 et restera en attente pour une compensation complémentaire. Mme Boganda se montre très préoccupée par son avenir financier et celui de ses enfants : elle est une femme seule avec à sa charge trois enfants entre deux continents. Elle mobilise ses soutiens en attentant les conclusions du rapport d’enquête qui sont importantes car selon l’article 25 de la convention de Varsovie : « les indemnisations ne s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du préposé fait avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement. » En résumé, si l’enquête conduit à la conclusion d’un attentat sur le Nord-Atlas il n’y aura pas d’indemnisation pour la famille Boganda. En résumé, les États français et centrafricain veulent rapidement en finir avec cette enquête, Mme Boganda et UAT veulent aussi clôturer le dossier au plus vite. Personne n’avait donc intérêt à laisser traîner les conclusions de cette enquête.
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Article 17 : « Le transporteur est responsable du dommage survenu en cas de mort, de blessure ou de toute lésion corporelle subie par un voyageur lorsque l’accident qui a causé le dommage s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes les opérations d’embarquement et de débarquement. » Article 22 : « Dans le transport des personnes, la responsabilité du transporteur relative à chaque passager est limitée à la somme de 250 000 francs. Dans le cas où, d’après la loi du tribunal saisi, l’indemnité peut être fixée sous forme de rente, le capital de la rente ne peut dépasser cette limite. Toute fois par une convention spéciale, avec le transporteur, le passager pourra fixer une limite de responsabilité plus élevée. » 317 CAOM, 216 APOM 6 – fonds San Marco. 318 Ibid. Lettre du 24 octobre 1961 au couple San Marco.
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La commission d’enquête ouverte par les Belges reste, en dépit de ses imperfections, un modèle du genre. Il existe des ouvrages fondamentaux qui ont la puissance scientifique de rendre possible la relecture d’événements historiques violents. Incontestablement, les ouvrages de Ludo de Witte, et de façon plus périphérique par rapport à notre sujet, celui de Susan Williams en font partie. La commission d’enquête belge a conclu à une participation financière des autorités d’au moins 50 millions de francs belges afin de déstabiliser, décrédibiliser Lumumba par voie de presse, radio et actions d’agents secrets ou mercenaires. Ce sont des aspects qui seront développés dans les parties deux et quatre. Elle conclut également à l’assassinat du Premier ministre, démocratiquement élu, par une équipe mixte de Belges et de Katangais dans la pratique, la logistique ayant été assurée par les autorités congolaises opposées à Lumumba, les autorités belges en Belgique mais aussi celles présentes en République du Congo par le biais des conseillers officiels ou officieux. Les développements de la quatrième partie permettront d’élargir cette analyse à un contexte géopolitique plus global et de redistribuer les responsabilités sans minimiser celles-ci. Le gouvernement français n’a jamais réalisé une telle démarche de retour sur l’Histoire coloniale dans l’Afrique subsaharienne par une commission d’enquête que cela soit au Cameroun ou en Centrafrique. Pourtant, le travail sur le rapport d’enquête de la commission Bellonte révèle, outre le manque global de persévérance des enquêteurs, des failles précises. Aucune enquête fouillée sur les membres de l’équipage mais aussi sur les autres passagers n’a été réalisée, le basculement très rapide vers des explications purement techniques de l’accident au détriment d’explications humaines conduit à délaisser la recherche de témoignages probants et non de complaisance et à mettre en avant des analyses météorologiques incohérentes voulant prouver, à tout prix, la cause orageuse. D’autres manques seront analysés en troisième partie, notamment l’absence de photographies des corps en vue d’ouvrir un dossier d’autopsie et l’absence de recours au témoignage du médecin présent sur place, le docteur Mollon. La commission d’enquête a été pressée à conclure aussi bien par les autorités politiques centrafricaines et françaises mais aussi par la femme de Barthélémy Boganda. Ce travail a été compliqué de surcroît par les intérêts technico-commerciaux des sociétés Nord-Aviation et UAT.
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Ces manques ou ces manquements ne permettent donc pas d’écarter définitivement la thèse de l’attentat. Ainsi il faudrait reprendre l’enquête, retrouver des témoins délaissés grâce à un terrain financé. Les découvertes de Susan Williams ont permis la réouverture d’une commission d’enquête mandatée par l’ONU sur l’accident d’avion mortel du secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld plus de 50 ans après les faits. L’Histoire n’est jamais close. Néanmoins, le présent travail a permis également de démontrer qu’il existe des explications techniques très plausibles à un accident potentiel sur le type d’avion utilisé par Barthélémy Boganda, conclusions auxquelles n’était pas formellement arrivé le rapport Bellonte.
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DEUXIÈME PARTIE – PROCESSUS D’ÉLIMINATION POLITIQUE, PHYSIQUE ET MÉMORIELLE
III - L’arme judiciaire A - Procédures et procès Ce chapitre se propose d’étudier, à travers les procédures judiciaires entamées à l’encontre des leaders de l’indépendance, les relations ambivalentes entre le droit et la contestation319. La légalité est le plus souvent synonyme de légitimité politique dans les sociétés industrielles avancées, le droit consistant à réprimer ou à encadrer la contestation. En contexte colonial, cette affirmation est lourde de sens : le système judiciaire n’est ni neutre politiquement ni équitable socialement. D’ailleurs dans la tradition marxiste, le droit est indubitablement du côté de la domination sociale. Le caractère bipolaire du droit, entre régulation et répression, entre demande d’encadrement et refus de l’ordre imposé, est au cœur de notre analyse. L’analyse des sources conforte l’idée que le droit peut s’imposer comme arme politique : arme défensive ou offensive, dissuasive ou factice. Indubitablement, la justice a été au service de l’État colonial, elle a favorisé le maintien de la main mise des colons sur les indigènes mais il existait une autre justice avant ce grand bouleversement. D’une manière générale en Afrique, la justice traditionnelle était l’apanage des autorités dotées du pouvoir de commandement320. Les chefs de village rendaient la justice, assistés des anciens et à un niveau plus élevé, les chefs étaient entourés de notables ou d’un Conseil formé par les chefs de famille. La justice était liée à la sacralité animiste et aux forces de l’invisible : son but était d’éviter les déchirures sociales et de débattre par le biais des palabres 321 . Nos leaders ont connu cette justice avant qu’elle ne 319
Liora ISRAEL, L’arme du droit, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 9-38. Joseph JOHN-NSAMBO, « Quelques héritages de la Justice coloniale en Afrique noire », Droit et société, 2002/2 (n°51-52), p. 325-343. 321 Jean-Godrefoi BIDIMA, La palabre, une juridiction de la parole, Paris, Michalon, 1997, 127 p. 320
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devienne, une fois aménagée, le droit coutumier réservé aux « indigènes », l’État colonial ajoutant, à la justice traditionnelle très active, de nouveaux tribunaux rendant les procédures complexes et difficiles géographiquement. La justice occidentale est totalement passée à côté de cette justice, dite traditionnelle, et elle a prôné un discours évolutionniste et diffusionniste de son modèle pensé dominant et supérieur. Ainsi elle a exporté son modèle basé sur ses lois et ses codes et a engendré une justice inégalitaire aux colonies. De façon dissuasive, le pouvoir colonial a eu recours à l’arme judiciaire pour paralyser les leaders de l’opposition récalcitrants à sa volonté politique. Ainsi les procès intentés par les différents acteurs de la colonisation ont eu pour volonté de réprimer ou encadrer les contestataires. Ces mises en procès ont un objectif triple : paralyser, museler, décrédibiliser. De ce fait, ces procédures ont réussi à entacher durablement les réputations de Patrice Lumumba et Barthélémy Boganda, jusqu’à emprisonner le premier. Au Cameroun, les procédures envers Ruben Um Nyobè et Moumié forcent l’un à se réfugier au maquis pour éviter l’emprisonnement et l’autre à l’avortement des procédures en cours avec l’exil au Cameroun britannique suite à l’interdiction de l’UPC. Si les combats judiciaires des leaders ont monopolisé une large part de leur énergie et ce, avec de faibles moyens financiers pour se défendre, leurs réactions mettent en avant le possible retournement de la force du droit, ce que Richard Abel a appelé le « droit comme bouclier 322 ». Arme offensive pour faire valoir ses droits, ou défensive, imposée par une poursuite ou une accusation, le droit est un des outils auxquels se sont confrontés, par choix ou par obligation, ceux qui ont souhaité contester une situation, un État, des adversaires. Attaqués, ils ont joué du droit contre le pouvoir dans des stratégies qui, par sécurité ou par provocation, ont mis en avant l’usage de l’outil juridique. Ainsi, ils ont profité du déclenchement de l’action publique contre eux afin de se protéger sur un plan juridique tout en utilisant le tribunal et la publicité médiatique de leurs procès, comme une plate-forme d’expression. Le recours à des avocats occidentaux pour défendre leurs intérêts a été une constante, les juristes ont permis 322 William L. F. FELSTINER, Richard L. ABEL, Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer. », Politix., vol. 4, n° 16, quatrième trimestre 1991, pp. 41-54.
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à ces hommes souvent démunis face aux machines judiciaires occidentales, de se défendre correctement. Le choix de leurs défenseurs a été minutieusement pesé politiquement par les différents leaders. Peu d’études ont été consacrées aux avocats des leaders africains 323 , à l’occasion de cette réflexion quelques éléments d’analyse seront exposés. Il sera aussi nécessaire de revenir sur le déroulement des procédures judiciaires pour cerner tous les enjeux et les nuances de la portée de l’arme juridique. Bernard De Gélis324 est arrivé au Cameroun en novembre 1949 au Service général de la région Nord-Cameroun. Entre juin 1950 et mars 1952, il est chef adjoint de la division de Maroua, puis de janvier 1953 à septembre 1953, chef de la subdivision de Babimbi où il est alors confronté au développement de l’UPC. Sa route croise celle de Ruben Um Nyobè à Song-Mbengué le 7 février 1953 alors qu’il réalise un repérage avec son secrétaire-interprète Nkom pour poser des jalons kilométriques. À l’embarcadère, se sont rassemblés les adhérents de l’UPC attendant l’arrivée d’Um Nyobè qui doit tenir une réunion publique dans le centre du village pour rendre compte de son audition à l’ONU325. De Gélis, posté en surplomb de la scène, observe un cortège d’une cinquantaine de personnes conduit par un homme qu’il se fait identifier comme Penda, le chef local de l’UPC, candidat aux élections territoriales de 1952. Ce cortège avance vers le centre, portant une banderole sur laquelle des slogans en bassa reprennent les thèmes de l’indépendance et de l’unification. Trois sources permettent de reconstituer les faits et leurs incidences : les mémoires de Bernard De Gélis, les lettres envoyées par Ruben Um Nyobè à l’ONU et au haut-commissaire du Cameroun pour faire état des brimades
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On pourra néanmoins consulter les travaux réalisés par Sylvie Thénault sur les avocats au service du FLN « Défendre les nationalistes algériens en lutte pour l’indépendance. La « défense de rupture » en question », dans Liora ISRAEL et Maria MALESTA (dir.), « Défendre l’ennemi public », Le Mouvement Social, juillet-septembre 2012, pp. 121-135. Une thèse aujourd’hui inachevée avait été commencée par Sharon ELBAZ sur « Les avocats de la décolonisation de 1945 à 1962 ». 324 Bernard De Gélis est décédé en décembre 2008, information apprise suite à un entretien téléphonique avec sa belle-fille le 19 avril 2013. 325 Voir troisième partie, chapitre V.
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dont il fait l’objet et les archives de cette affaire conservées à Yaoundé326. De Gélis fait savoir personnellement à Penda, à l’aide de son interprète, que la manifestation n’est pas autorisée et fait saisir la banderole par deux gardes régionaux. Penda l’aurait alors menacé par ces mots : « Ceux qui touchent ce drapeau, le commandant et ses gens auront des palabres ! Il y aura une grande affaire et elle ira loin ! Le chef de subdivision a encore ses bagages à Édéa. Je t’enverrai l’y rejoindre327 ! »
À la suite de cette altercation, De Gélis dresse un procès-verbal pour « manifestation non autorisée » et « menace contre un chef de subdivision dans l’exercice de ses fonctions ». Il fait réunir les notables du village et leurs amis pour les mettre en garde contre l’UPC qu’il qualifie de « parti cultivant la désinformation et la discorde » et demande des renforts de gendarmerie avec armes et munitions. La rencontre avec Um Nyobè, qui intercède pour Penda avec une délégation, a lieu quelques heures après ces événements lors de l’entretien que De Gélis lui a accordé. De Gélis décrit son adversaire comme un homme de « la quarantaine avec un peu d’embonpoint, vêtu à l’européenne avec une élégance toute ministérielle » qui « s’exprime en français avec beaucoup d’aisance ». Mais « si le ton est posé au début, il manifeste de plus en plus son impatience et sa colère au fur et à mesure que toutes ses demandes sont rejetées ». Cette rhétorique du leader qui « perd ses nerfs » est assez classique dans les descriptions faites des hommes de la contestation par les cadres des colonies ou plus largement par le personnel politique des métropoles. Les demandes de Um Nyobè sont les suivantes : la tenue d’une réunion publique dans l’enceinte scolaire, une demande d’autorisation pour la tenue d’une nouvelle réunion le 9 février à Ngambè et à ce titre la désignation d’un endroit approprié et enfin la restitution de la banderole confisquée. Ces trois demandes sont refusées par De Gélis : pas de politique à l’école, la
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Bernard DE GÉLIS, Lignes de partage - service au Cameroun 1949-1958, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 2001, 469 p., archives ONU, S-1565-0000-0084 et ANY APA 10419, Affaire De Gélis-Um Nyobè. 327 Ibid., p. 194.
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demande de réunion doit être transmise au chef de région, pas de restitution de la banderole car c’est une pièce à conviction qui sera remise aux autorités judiciaires. L’entretien est clos. Ruben Um Nyobè évoque « s’être référé aux textes de loi sur les formalités prévues en matière d’organisation et de réunions publiques ou privées » et souligne « le caractère discourtois de l’accueil réservé » à sa délégation328. Une nouvelle confrontation a lieu quelque temps plus tard. En dépit du refus, Um Nyobè et Penda organisent une réunion à la sortie de Song-Mbengué, en bordure de la route, sans l’accord du propriétaire des lieux, un certain Hohi Ngoye, alors absent329. De Gélis l’apprend par le chef de famille représentant le propriétaire ainsi que par des témoignages concordants, ce qui permet au passage de se rendre compte de l’importance de la délation dans les affaires locales. Accompagné de son interprète et des trois gendarmes arrivés quelques heures plus tôt en renfort, De Gélis se rend sur le lieu de la réunion upéciste où, selon lui « trois à quatre cents personnes stationnent en petits groupes 330 ». Il demande à Penda et Um Nyobè d’évacuer le terrain mais la foule entourant les deux hommes s’interpose et De Gélis doit rebrousser chemin vers le campement administratif, tout en avisant de la rédaction d’un nouveau procès-verbal. Le récit de De Gélis laisse entendre que la réunion s’est quand même tenue331 et il donne la teneur des trois procès-verbaux rédigés lors de cette journée dont seul le dernier concerne Um Nyobè, accusé d’opposition à l’exercice de l’autorité légitime. Selon les décrets du 23 octobre 1935 sur le maintien de l’ordre public et du 19 novembre 1947, il risque une peine d’emprisonnement de huit jours ainsi qu’une amende
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Archives ONU S-1565-0000-0084 et ANY APA 10419, Affaire De Gélis-Um Nyobè. 329 Um précise dans sa lettre qu’il s’agit de Ngoi Mahi, un pagayeur de pirogue administrative de la Sanaga qui avait lui-même participé à l’édification de la clôture pour la réunion. L’administration coloniale cherche à vérifier en ayant recours à la justice coutumière si les droits fonciers de ce dernier sont réels, voir ANY APA 10419. 330 Bernard DE GÉLIS, Lignes de partage - service au Cameroun 1949-1958, op. cit., p. 197 et ANY 1AC 306. 331 Ibid., « Vers 15 heures, j’apprends que la réunion upéciste est terminée. Um et sa suite ont gagné Bissonga, village à forte minorité upéciste, situé à 8 kilomètres de Songmbengué », p. 199.
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de 200 à 1 200 francs. Il est compliqué de comprendre le fonctionnement précis de la justice coloniale au Cameroun faute d’étude précise sur ce sujet. Mais les décrets du 31 juillet 1927 pour le Cameroun et du 25 juin 1936 en AEF ont organisé la justice sur quatre niveaux hiérarchiques : les tribunaux de conciliation, les tribunaux de premier degré et ceux de second degré et la Chambre spéciale d’homologation332. Des tribunaux exceptionnels pour juger les affaires politiques délicates pouvaient être créés et des adaptations locales sont avérées. Quelques jours plus tard, De Gélis, avec de nouveaux renforts, se rend à Ngambè pour empêcher une nouvelle réunion prévue. Il est rejoint par Lavial, le chef de région. Ce dernier est décrit par De Gélis comme inquiet et embarrassé par ses procès-verbaux précédents, car il a fait remonter à sa hiérarchie le fait que l’UPC n’a pas pu s’implanter à Babimbi 333 . Lavial cherche donc à minimiser les incidents du 7 février et à ne pas avoir à justifier la contradiction avant son départ le 10 février 1953. Pour Um Nyobè, le but de De Gélis est clair : il s’agit de l’empêcher de faire un compte rendu de sa mission à New York. Cela correspond aux craintes exprimées par le gouvernement français, plus précisément par le chef de la délégation française à la Quatrième Commission, qui s’opposait à l’audition du représentant de l’UPC à la séance plénière de l’Assemblée générale de l’ONU du 21 décembre 1952334. Le juge du Tribunal de premier degré d’Edéa rend fin février une ordonnance fixant à 1 200 francs le montant de l’amende à payer par Ruben Um Nyobè absent lors de ce jugement au motif suivant : « entrave à la bonne marche des services administratifs ». Or, fin avril, De Gélis découvre que Um Nyobè n’a toujours pas reçu notification de l’amende à payer. Le jugement condamnant à 1 200 francs d’amende Ruben Um Nyobè est confirmé le 25 août 1953, et confirmé à nouveau par un autre arrêt réputé contradictoire, cette fois de la Cour d’appel, du 3 février 1954 et ensuite par un arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 1954. Nyobè a été jugé comme un « indigène » au Cameroun. Néanmoins à mesure que grandissait sa notoriété et sa 332 Le code de l’Indigénat a été aboli le 22 décembre 1945 en théorie, mais il continua à être appliqué jusqu’aux indépendance dans la plupart des colonies. 333 Ibid., p. 201, (c’est la version de De Gélis). 334 Archives ONU S-1565-0000-0084.
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popularité, il devenait difficile de les juger comme les autres prévenus. Il a fait donc systématiquement appel des décisions épaulé par des avocats de plus en plus compétents. Il n’aurait jamais payé son amende selon B. De Gélis qui affirme à plusieurs reprises dans ses mémoires, ne pas être soutenu par sa hiérarchie : la rédaction de ses procès-verbaux et le rapport du 10 février 1953 offraient, d’après lui, la possibilité de « neutraliser » Um Nyobè si l’administration l’avait vraiment souhaité. De même De Gélis propose de préparer des « actions en dénonciations calomnieuses 335 » mais son rapport revient avec une annotation du haut-commissaire, André Soucadaux, selon laquelle l’affaire doit être close rapidement. Pendant cette période, les média conservent un mutisme total sur cette affaire. La nomination de R. Pré au poste de haut-commissaire et son arrivée au Cameroun le 30 décembre 1954 marquent un changement. Désormais, les administrateurs ont pour consigne de circonscrire au maximum les agissements des upécistes, appelés « provocateurs » par De Gélis. Pourtant, lorsqu’il fait remarquer à son supérieur Bosquet que Ruben Um Nyobè n’a pas été élu aux dernières élections, ce dernier lui rétorque : « Justement ! On aurait dû le faire élire Conseiller Territorial en 1952. Son élection n’aurait abouti qu’à la démonstration de son impuissance et il aurait perdu toute popularité ».
Mais De Gélis refuse d’abonder dans son sens : « Um aurait sans doute fait quelques adeptes à l’Assemblée qui lui aurait, au moins, offert une tribune officielle. Son élection l’aurait renforcé336. »
Lors d’un entretien avec M. Braquet, directeur général des Affaires politiques au ministère de la France d’outre-mer, ce dernier revient à la charge :
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La dénonciation calomnieuse est une infraction pénale qui suppose soit que la victime puisse se prévaloir d’une présomption de fausseté des faits dénoncés, soit qu’elle prouve que les faits dénoncés soient faux. 336 Bernard DE GÉLIS, Lignes de partage - service au Cameroun 1949-1958, op.cit., p. 265 à 266.
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« Vous dites qu’on peut obtenir une peine d’emprisonnement pour Um Nyobè, mais est-ce souhaitable ? N’en ferons-nous pas un martyr ? »
De Gélis rétorque : « Je ne le crois pas, surtout si on fait un effort pour présenter clairement les choses à l’opinion publique. D’après ce que je lis tous les jours cela ne se fera pas tout seul (…) nous devons accélérer la machine judiciaire, sinon les faits seront prescrits et l’UPC dira que les autorités ont eu peur d’un échec. »
Le directeur ne tranche pas en sa faveur. Quelque temps plus tard, l’UPC choisit l’épreuve de force en multipliant meetings et émeutes, principalement dans les régions du Mungo, du Wouri, de la SanagaMaritime et à Yaoundé. Les principaux responsables reconnus sur les lieux par l’administration sont : Félix Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingué, mais Um Nyobè reste introuvable car un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Depuis juillet 1955, l’UPC est désormais interdite. Fort de ce contexte plus favorable, De Gélis obtient communication des documents nécessaires à ses démarches devant aboutir à « une condamnation et obtenir l’exécution du jugement 337 » et il peut également porter plainte pour délit de dénonciation calomnieuse prévu par l’article 373 du Code pénal. Il découvre des pièces annotées qui le surprennent. Sur le télégramme envoyé à sa hiérarchie, le 10 février 1953, celle du haut-commissaire Soucadeaux : « Attention aux imprudences de De Gélis », puis sur la lettre du 12 février d’Um Nyobè : « Des recommandations sont à faire à De Gélis par le Chef de région Édéa, il a beaucoup à apprendre », alors que Lavial ne lui en a fait aucune. De Gélis comprend que Nyobè a été très actif et que sa hiérarchie est très « frileuse » : dès le 10 février 1953, il a envoyé un télégramme au Haut-Commissariat, le 12 une lettre338, puis une plainte le 8 avril 1953 au procureur général pour une série de motifs. Il évoque le vol de banderole « transportée pliée » commis par De Gélis, un bris de clôture délimitant le lieu de réunion de l’UPC, les violences (De Gélis aurait tiré un coup de fusil en l’air dans le but de créer un climat de terreur), des menaces et des actes arbitraires, attentatoires à 337
Bernard DE GÉLIS, Lignes de partage - service au Cameroun 1949-1958, op. cit., p. 271. 338 Archives ONU, S-1565-0000-0084 et ANY 1AC 306, Affaire De Gélis-Um Nyobè.
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la liberté individuelle. Ruben Um Nyobè a en outre demandé l’envoi au Cameroun d’une commission parlementaire d’enquête qui lui a été refusée339. Il a aussi diffusé plus de dix motions et autres textes de propagande mettant nommément en cause De Gélis. En colère, ce dernier décide à la faveur de sa mutation à Yaoundé et avec l’appui de Roland Pré, le nouveau haut-commissaire, de « concentrer ses efforts pour démontrer la mauvaise foi d’Um Nyobè, aboutir à une condamnation et obtenir l’exécution du jugement » au Tribunal de second degré de Yaoundé 340 . De son côté, quatre mois après son arrivée, Roland Pré a signé une lettre de quatre pages attirant l’attention du procureur général sur tous les aspects de l’affaire et demandant une action efficace au ministère public avec la participation du plaignant et principal témoin. Le 5 mars 1955, quand Um Nyobè débarque à l’aéroport de Douala, il s’entend notifier un mandat de comparution le 17 mars devant le juge d’instruction de Yaoundé. Ceci est corroboré par une lettre datée du 10 mars 1955 envoyée en France par Charles Benoist, député Parti communiste français (PCF) de Seine et Oise, à P. H. Teitgen, ministre de la France d’outre-mer. Relatant ces faits, l’élu dénonce : « Ces poursuites judiciaires ont un but : empêcher M. Um Nyobè de rendre compte aux populations camerounaises de sa mission à l’ONU. Il s’agit là visiblement d’une atteinte à la liberté de parole et de réunion qui fait suite aux appels à la répression lancée par divers journaux colonialistes341. »
Nyobè se présente à ces convocations mais, selon De Gélis, il refuse de répondre sur le fond et désigne deux avocats pour le représenter (l’un résidant à Dschang et l’autre à Nkongsamba). L’audience s’ouvre le 25 avril, De Gélis présente le premier président de la Cour d’appel, M. Maba, comme favorable à un abandon des poursuites342 car cette affaire est pour lui trop politique. L’affaire est 339
CAOM FM 2180 Dossier 3 Rapport Mercier et Ninine, Assemblée nationale, séances des 26/11/53 et 05/03/54. 340 Bernard DE GÉLIS, Lignes de partage - service au Cameroun 1949-1958, op. cit., p. 271 et ANY 1AC 306, Affaire De Gélis-Um Nyobè. 341 CAOM FM 3335 – incidents et organisation de l’UPC. 342 Bernard DE GÉLIS, Lignes de partage - service au Cameroun 1949-1958, op. cit., p. 273 et ANY 1 AC 306.
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renvoyée au 6 juin suite aux courriers de Maîtres Louisia, Stibbe et Braun. À cette date, Um est absent mais il est représenté par Maîtres Louisia et Cachin-Jacquier (fille du leader communiste Marcel Cachin), en dehors du palais de justice la pression populaire est forte. Unique témoin en faveur de l’accusé, Mathieu Tagny, auxiliaire médical à l’hôpital de Yaoundé, chez qui Um Nyobè a élu domicile, a reçu sa citation à comparaître, déclare : « je n’étais pas à Song-Mbembé le 7 février 1953, mais je pense que la bonne éducation et la sincérité d’Um Nyobè ne peuvent être mises en doute. » Le 22 juin 1955, Um Nyobè est condamné par défaut à six mois de prison et 100 000 francs d’amende343. La publication intégrale du jugement344 a lieu dans les quotidiens L’Humanité Le Monde et dans deux numéros successifs du Cameroun libre et du Cameroun de demain, l’affaire fait aussi l’objet d’une dépêche AFP. À l’issue du jugement, De Gélis rédige un résumé de l’audience et « des propositions à venir » à l’intention de Roland Pré qui le reçoit pour lui signifier : « Vous avez réussi, je vous félicite ! (…) Si vous voulez une subdivision, vous serez satisfaisait : on vous doit bien cela345. » De Gélis est heureux d’avoir gagné son procès contre Um Nyobè, envers et contre ceux qui, ouvertement ou non, s’opposaient à cette action. Mais le secrétaire général de l’UPC n’est pas en prison et il n’est pas sûr qu’il n’y entre jamais. « Pour tout j’ai fait de mon mieux mais j’aurais voulu faire davantage346 ». À son retour de congé, il n’obtient pas une affectation aussi satisfaisante qu’il le souhaitait. Rentré en France peu avant la mort d’Um, il ne s’exprime pas dans son ouvrage sur sa disparition en 1958. À la lumière de son témoignage, De Gélis apparaît comme un administrateur local très zélé. Il s’est montré très tenace à obtenir justice comme s’il en faisait une affaire personnelle. Il critique ses supérieurs sans tempérament, opportunistes qui hésitent devant le développement de l’UPC. Ruben Um Nyobè conscient qu’il serait bientôt arrêté, a préféré, bien avant les émeutes de mai 1955 à Douala
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Difficile de comprendre pourquoi l’amende est passée de 1200 francs à 100 000 francs car c’est la même affaire qui est jugée, il s’agit peut-être de pénalités. Voir ANY APA 10419, affaire De Gélis-Um Nyobè.
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Bernard DE GÉLIS, op.cit., p. 275. Ibid., p. 275.
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et l’interdiction de l’UPC, se réfugier dans sa région natale près de Boumnyebel pour bénéficier d’une protection efficace dans cet « espace vécu », le « maquis » où il trouve la mort le 13 septembre 1958. Voilà pourquoi il n’a pas été présent aux séances du 25 avril et le 6 juin 1955. Comme Ruben Um Nyobè, Félix Moumié autre leader de l’UPC, fut aussi victime d’un acharnement judiciaire et d’une procédure qui aboutit à son retour à Douala peu avant son exil au Cameroun britannique. Cet épisode judiciaire est révélé par l’étude de la correspondance entre Félix Moumié et Pierre Mendès France alors président du Conseil347. Dans ces lettres, qui vont générer de longs échanges entre différents membres de l’administration française, Moumié revient sur l’affaire qui l’a opposé à l’administrateur Guy Georgy. Ce moment de tensions est relaté dans une lettre du 5 novembre 1954, adressée par Félix Moumié à Pierre Mendès France l’informant « qu’il nous a été impossible de tenir (le 17 octobre dernier) une réunion publique dans Maroua voire même privée, le chef de région de M. Georgy ayant ordonné que de nous exterminer si nous nous réunissons pour un motif quelconque ». En dépit de cela, le dimanche 30 octobre, lors d’une grande assemblée prévue à Bomayo, Félix Moumié prend la parole et dénonce les agissements du 17 octobre précédent348. À l’unanimité, toute l’assemblée présente soutient une résolution en faveur de la réunification et de l’indépendance du Cameroun. Le lendemain, à l’occasion du 28e anniversaire du leader, un banquet est organisé chez un de ses amis, Mathieu Andjongo, qui se prolonge tard dans la nuit. Selon Félix Moumié : « (…) La rage des colonialistes nous guettait durant notre repas en s’offusquant derrière le bosquet à quelques mètres de la concession de notre camarade. M. Jourdain, adjoint au chef de région, s’organisa avec une bande d’Européens pour nous attendre sur le chemin du retour afin de nous provoquer. M. Jourdain réussit à pousser violemment ma femme qui portait sur son dos mon enfant ».
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CAOM FM 3335 – incidents et organisation de l’UPC. Ibid.
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M. Jourdain serait allé chercher du renfort à la concession du Lamido Yaya Dahirou, mobilisant ainsi une équipe de mercenaires. Moumié décrit une scène de course-poursuite, utilisant par deux fois une comparaison liée à la chasse : « chacun dans l’obscurité se frayait un passage, le cœur anxieux on courait comme des gibiers ayant aperçu des chasseurs », « ce détachement armé passa plus de dix minutes devant le campement pendant que les autorités nous faisaient la chasse à l’animal ». Pour lui, l’objectif est « de le trouver et de le tuer ». Par l’intermédiaire de Georgy, une information est ouverte contre les membres de l’UPC pour « sédition dans la nuit du 1er au 2 novembre ». La complicité du Lamido de Maroua est confirmée dans sa propre lettre rédigée le 2 novembre 1954 demandant au chef de région de faire revenir l’ordre et de limiter l’influence néfaste des upécistes sur les Foulbés349 : « Hier soir les autorités et moi, avons procédé à un travail dont la raison d’État n’échappe à aucun de vous. Si nous avions vu Moumié nous l’aurions tué. Maintenant nous aurons l’appui total des autorités, notre travail consiste à tuer Moumié dans la nuit. Tout foulbé qui adhérera au syndicat devra faire l’objet de notre part de violence spéciale. J’espère qu’avec votre collaboration nous réussirons à tuer Moumié350. »
Félix Moumié demande à Pierre Mendès France de prendre des mesures radicales contre Georgy et Jourdain, qui sont « pour lui, les sinistres fauteurs de la situation et qui placent leurs intérêts personnels au-dessus de ceux du Peuple de France et sèment la haine, la mort à grande main. » Il demande également que le représentant de la France au Cameroun fasse « appliquer la loi contre nos agresseurs à la lumière de toutes les précisions données351 ». Dans sa lettre du 18 décembre 1954 le haut-commissaire donne sa version des incidents du 1er novembre : « Un groupe d’individus sortant d’une réunion privée, organisée par des éléments extrémistes, a parcouru la ville de Maroua dans la nuit en proférant injures, insultes et menaces de mort ‘À mort les colonialistes, les blancs et le
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Les Foulbés ou Peuls sont des pasteurs essentiellement basés dans le nord du Cameroun même si avec l’exode rural ils émigrent de plus en plus vers les grandes villes. 350 CAOM FM 3335 – incidents et organisation de l’UPC. 351 Ibid. Voir Annexe 11.
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chef de région’. À la vue de quelques représentants de l’autorité, le groupe s’est immédiatement dispersé. Des poursuites ont été engagées352. »
Pour le chef de région, dans son rapport du 5 novembre 1954 au haut-commissaire, il ne s’agit que d’un léger incident : « M. Moumié peut poser des problèmes, il se veut menacé pour ses idées, victime de l’ostracisme administratif, persécuté sournoisement353 ». Il évoque le camion envoyé par le Lamido avec « ses gens pour se rendre compte des causes du tapage et intervenir en cas de besoin354 », mais rien de plus. Pour lui, les upécistes sont des provocateurs. Il semblerait que Pierre Mendès France n’ait pas eu les mains complètement libres sur ce dossier. Une lettre du 7 décembre 1954 qui lui est adressée par Robert Buron, ministre des Affaires d’outre-mer, lui demande de lui fournir une copie des lettres adressées par Félix Moumié et de ses réponses, afin d’étudier personnellement leur contenu. Évoquant un contexte tendu, il écrit ne pas souhaiter l’utilisation de ces lettres par les militants de l’UPC lors de la prochaine session de l’ONU où la tutelle de la France sur le Cameroun sera discutée. Le ton de sa missive peut surprendre, lourd de reproches envers Pierre Mendès France, soupçonnant le président du Conseil d’avoir également eu une correspondance avec Sylvanus Olympio355. Plusieurs lettres évoquent le « pistage » de Pierre Mendès France dans sa correspondance avec les leaders africains de l’indépendance. Ainsi il existait déjà avant la période Foccart, un réseau de praticiens de l’Afrique déjà constitués, dont Buron fait partie, veillant jalousement sur l’ordre colonial établi et préservant les intérêts de certains lobbys au Cameroun : une sorte de Françafrique embryonnaire qui s’épanouira sous la Ve République356.
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Ibid. Ibid. 354 Ibid. 355 Le Togo, devenu République autonome le 30 août 1956, organise sous contrôle de l’ONU des élections en avril 1958. Devant le succès du CUT qui remporte 29 sièges sur 46, Sylvanus Olympio est appelé par le Haut-Commissaire de la République à former le gouvernement. Devenu Premier ministre, il conduit le Togo vers l’indépendance totale en avril 1960, il meurt également assassiné en janvier 1963. 356 François-Xavier VERSCHAVE, Françafrique, le plus long scandale de la République, Paris, Stock, 2003, 379 p. 353
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Comment Moumié a-t-il eu l’idée d’écrire directement au président du Conseil ? Les deux hommes se sont rencontrés vers la mi-juillet 1954 à la Conférence de Genève, Moumié aurait donné une brochure à Pierre Mendès France intitulée : « Ce que veut le peuple camerounais ». Sa politique apparaît prometteuse pour les colonisés après les accords de Genève qui marquent la fin de la fin de la Guerre d’Indochine et le discours de Carthage du 31 juillet 1954 conférant aux Tunisiens l’exercice de leur souveraineté. Mendès France apparaît aux yeux de Félix Moumié comme un homme acquis aux idées décolonisatrices. Les réponses à ses courriers sont cependant laconiques et peu engageantes. Il ne tarde d’ailleurs pas à quitter le pouvoir suite au renversement de son gouvernement le 5 février 1955. Dans une lettre du 12 janvier 1955, Robert Buron écrit au hautcommissaire de la République du Cameroun, suite à une demande datée du 8 janvier, ne pas souhaiter l’ouverture de poursuites contre Félix Moumié. La comparution en conseil d’enquête d’un fonctionnaire lui ouvre le droit de demander communication de son dossier. Or, le dossier de Moumié contient : « (…) D’une part, des appréciations élogieuses sur sa valeur professionnelle, d’autre part des réserves de l’autorité hiérarchique sur son activité politique. Cette dualité d’annotations peut servir Moumié pour se donner le rôle de fonctionnaire persécuté pour ses convictions politiques. Il trouverait auprès de l’Organisation des Nations unies une audience particulièrement complaisante. Il me paraît donc discutable de s’engager dans une procédure disciplinaire surtout si on doit aboutir à une sanction bénigne telle que la réprimande ou le blâme. Seule la révocation serait susceptible d’avoir une valeur exemplaire357. »
Buron précise qu’il ne s’agit en rien d’un désaveu de l’action des autorités régionales ou d’un signe de méfiance et réaffirme sa confiance au chef de région et au haut-commissaire. Pour comprendre la prudence du ministre de le France d’outre-mer, il est nécessaire de revenir un peu en arrière : l’arrivée de Moumié à Maroua en 1953 était déjà le résultat d’une mutation « disciplinaire », son activité politique dans la région Bamoun contre les chefs coutumiers et l’administration française ayant entraîné la décision de l’éloigner des centres
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d’agitations Bamiléké et de Douala, de « contaminer » [sic] les régions de l’Est. Maroua a été choisi car offrant « la possibilité de neutraliser Moumié par l’inertie et le peu de réceptivité d’une masse foulbé (…) hostile à toutes les propagandes venant du Sud358 ». Félix Moumié réussit malgré cela à gagner en influence. La seule solution possible serait dès lors de le muter hors du Cameroun, dans un territoire de l’AOF en échange d’un autre trublion de ce même territoire. Ce type de procédure ne passe cependant pas inaperçu et peut entraîner des recours de la part des « mutés ». Le gouvernement français a très peur de « l’activité épistolaire décuplée de Moumié » auprès du président du Conseil, de l’ONU, des communistes et des hautes personnalités de la République : les poursuites sont donc temporairement abandonnées. Elles reprennent plus tard avec la plainte déposée le 10 mars 1955 par l’administrateur Georgy, chef de la région du Diamaré, contre les périodiques d’inspiration communiste Étoile et Lumière, suivie de l’ouverture le 28 mars d’une information confiée au juge d’instruction près du tribunal de première instance de Maroua. Cette affaire concerne le n° 8 du périodique Étoile du 1er au 8 janvier 1955 intitulé « La température politique au Cameroun » rédigé par Moumié. Le journal est accusé de complicité de diffamation à l’égard d’un fonctionnaire public, délit commis par le nommé Ekabé Fozzo, directeur de publication du périodique. Sans que les sources n’évoquent comment ni pourquoi, Félix Moumié est arrivé à Douala au moment où débutent les émeutes de mai 1955 359 . Certains courriers signés de sa main font état de sa présence dès le début du mois de mars à Douala. A-t-il pris un congé de trois mois comme il le mentionne dans une lettre du 8 janvier 1955 adressé à Um lorsque ce dernier est à Paris, pour se consacrer à la direction et à la « discipline dans le Parti » ? En mars, ce sont aussi les débuts de la création de l’École des Cadres de l’UPC vécue comme une provocation par Roland Pré. Les émeutes de mai lui donnent l’opportunité, utilisant la 358
CAOM FM 3335 – incidents et organisation de l’UPC, lettre de Spénale pour le Haussaire au secrétaire d’État à la France d’outre-mer datée du 18 décembre 1954. 359 Au printemps 1955, le gouverneur Roland Pré tente de briser le support populaire de l’UPC. Il réforme l’administration locale en faisant élire des chefs de villages modérés, organise une alliance des partis modérés et conservateurs, puis lance une politique de répression contre les Upécistes. Des émeutes éclatent dans les grandes villes, particulièrement à Douala du 22 au 27 mai 1955, elles sont réprimées dans la violence et servent de prétexte à l’interdiction de l’UPC le 13 juillet.
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loi du 10 janvier 1936, d’interdire tout mouvement qui organiserait des « groupes de combat ou des milices privées » et appellerait à « toutes manifestations armées dans la rue ». Le décret du 13 juillet 1955, signé par le président du Conseil Edgar Faure, interdit l’UPC, également exclue du Rassemblement démocratique africain. Le tribunal de Yaoundé prononce la saisie des biens de l’UPC. La répression justifiée par le décret s’accentue : Félix Moumié est contraint avec Kingué et Ouandié à se réfugier au Cameroun britannique à Kumba, terre d’exil intérieur mais en territoire « étranger ». L’heure n’est plus aux poursuites judiciaires. L’examen des archives révèle une situation originale au Cameroun avec les cas de Ruben Um Nyobè et de Félix Moumié. Jusqu’en 1955, date de l’arrivée de Roland Pré, le haut commissaire Soucadeaux et R. Buron sont très frileux face aux procédures judiciaires que souhaitent lancer les administrateurs locaux contre ces opposants. En effet, tous les deux pensaient que ces procédures avaient pour effet de « victimiser » les leaders auprès de leurs compatriotes, mais aussi leur donnaient des arguments auprès de l’ONU, notamment lors des sessions du Conseil de tutelle360. Au Congo belge, l’ordonnance du gouvernement général de Belgique du 15 octobre 1931 a séparé la justice « indigène » de celle des « Blancs » : celle-ci est structurée hiérarchiquement par des tribunaux de première instance, puis en cas d’appel par les tribunaux de district comme celui de Stanleyville, puis par la Cour d’appel de Léopoldville et enfin la Cour de cassation 361 . Celle-ci ne sera pas mobilisée par Lumumba car il sera gracié par arrêté royal le 27 août 1957. Lumumba est également tombé dans un engrenage judiciaire avec lequel il eut maille à partir. Dès 1956, les adversaires de Lumumba tiennent leur revanche avec la plainte déposée par le grand
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Voir troisième partie, chapitre V. Bérengère PIRET, La justice coloniale en procès – organisation et pratique judiciaire, le tribunal de district de Stanleyville, soutenue le 12 décembre 2016 à l’Université Saint Louis de Bruxelles. Bérengère PIRET « L’organisation judiciaire du Congo belge. Essai de synthèse », dans Patricia Van Schuylenbergh., Catherine Lanneau et Pierre-Luc Plasman (dir.), L’Afrique belge aux XIXe et XXe siècles, Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale, Bruxelles, Peter Lang, 2014, p. 163-178. 361
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magasin « SEDEC » pour détournements et faux362 avec le concours de l’administration locale qui voit d’un mauvais œil l’ascendant qu’il a pris sur les associations d’« évolués » et son dédain pour les représentants de l’administration coloniale. Une double enquête à charge avait été ouverte le 7 mai 1956 par le parquet du tribunal de district de Stanleyville, auprès de la Poste et des associations dans lesquelles il a eu un poste de dirigeant en son absence durant un voyage en Belgique. Puis le harcèlement continue avec une perquisition à son domicile le 4 juillet, décrite dans le Pro-Justicia n° 66/70 daté du 5 juillet 1960363, qui aboutit à son arrestation le 6 juillet 1956. Lumumba est contraint de vendre sa maison pour rembourser le « SEDEC » mais la somme ne suffit pas car elle lui est saisie avant remboursement, il demande l’intervention de son avocat Maître Lejeune. L’acharnement des fonctionnaires Meurer et Hembrechts364 à mettre Lumumba en difficulté en le privant du produit de la vente de sa maison et créer ainsi les conditions de son emprisonnement, peut s’expliquer par un souci de revanche à l’égard de celui qui s’était souvent montré méprisant à leur égard. Lors de sa première comparution immédiate après son arrestation le 6 juillet 1956, il avoue ces erreurs : « Je veux être sincère. Comme je l’ai dit à mes chefs, j’ai commis des irrégularités 365 . Je les avoue et je les regrette sincèrement (…) Parce que j’avais des difficultés financières. Ce que je touchais comme traitement ne me permettait pas d’élever mes trois enfants, dont deux fréquentent l’Athénée des Européens366. »
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Il lui est reproché un détournement de 125 226 francs belges au service des chèques postaux. Dossier à la Cour d’appel de Léopoldville RP 6826 Affaire ministère public contre Lumumba Patrice. 363 Archives Tervuren VII-BV/RDC/LUMUMBA n° 006/01, Pro-justicia dans la procédure belge est l’équivalent du procès-verbal, 364 Respectivement Administrateur du fonds d’avance ayant servi pour la construction de la maison de Patrice Lumumba et Représentant de l’autorité tutélaire auprès du centre Extra coutumier. 365 Archives Tervuren VII-BV/RDC/LUMUMBA n° 006/01, Pro-Justicia du 6 juillet 1956, Patrice Lumumba détournait au départ temporairement des sommes en les transférant sur son compte avant de les rembourser puis ces dépenses grandissant les remboursements ne se sont plus faits. 366 Pour le détail des irrégularités voir Jean OMASOMBO et Benoît VERHAEGEN, « Patrice Lumumba, acteur politique. De la prison aux portes du pouvoir (juillet 1956 - février 1960) », Cahiers africains, 2005, n° 68-69-70, p. 27.
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En fait, le détournement d’argent fait par Lumumba a été un bon prétexte pour écarter un homme devenu gênant pour l’administration coloniale, les missions religieuses et les évolués qu’il supplante par son dynamisme, son talent oratoire et sa popularité. Il est emprisonné à la prison centrale de Stanleyville et en tant qu’« évolué », il a droit à un traitement privilégié mais pas à la liberté conditionnelle. Ces conditions carcérales lui permettent de lire et écrire : c’est là qu’il entreprend la rédaction de l’ouvrage Le Congo Terre d’avenir est-il menacé ?367 entre août et décembre 1956. Lumumba compte trouver appui auprès des autorités supérieures368. De juillet à septembre 1956, il rédige aussi de nombreux courriers à son avocat Jacques Lejeune, au gouverneur de la province A. Schöller le 3 août 1956, au ministre des Colonies Buisseret le 20 août 1956, au juge président du tribunal de première instance de Stanleyville le 21 août 1956 et au roi des Belges et des Congolais, Baudouin 1er le 8 septembre 1956. Cette avalanche de courriers révèle l’impatience et la volonté du prévenu d’être libéré très rapidement. Les courriers qu’il rédige à son avocat, Maître Lejeune, révèlent une grande maîtrise des textes juridiques notamment sur la question de son statut ou non de fonctionnaire : « je vous saurai gré de bien vouloir examiner si mon interprétation est juste et conforme à la jurisprudence », « je n’expose ici que les idées d’un profane, c’est à vous-même d’examiner cette question avec les magistrats369 ». Le ton de la correspondance laisse
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Patrice LUMUMBA, Le Congo, terre d’avenir est-il menacé ? Bruxelles, Office de publicité, 1961. Ce livre permet de découvrir l’essentiel de sa philosophie politique que l’on peut résumer en trois points : subordonner ses intérêts personnels à ceux du peuple dont il s’estime le défenseur et le porte-parole, poursuivre cet objectif si possible dans le cadre d’une union avec la Belgique, ou sinon, dans le respect des valeurs occidentales, qui sont pour lui le modèle de civilisation à réaliser, et accepter un système économique libéral au besoin amendé ou adapté au Congo et aux pays africains- par ce qui convient le mieux. Pour lui, le socialisme et le marxisme ne sont pas adaptés aux valeurs et au mode vie des sociétés africaines. C’est un aspect important au regard des accusations dont il est porteur dès 1960 par le camp dit « occidental ». Malgré des projets de publications en 1957, le livre n’est pas retenu par les éditeurs. Il sera publié après sa mort. 368 Lumumba est un « évolué » apprécié car une lettre du 10 avril 1956 du gouverneur général Léo Pétillon le désigne pour faire partie de la délégation congolaise qui doit se rendre en Belgique du 24 avril au 24 mai de la même année. 369 Archives Tervuren VII-BV/RDC/LUMUMBA n° 006/01.
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transparaître que Lumumba doute des compétences de son avocat, d’ailleurs Lejeune devient peu réactif aux lettres de Lumumba, parfois un mois et demi s’écoule entre une question posée et une réponse donnée. Sans tenir compte de l’avis de son avocat qui lui déconseillait cette démarche, il s’adresse au juge, président du tribunal de district de Stanleyville, Guy Lemaire de Warzée pour interjeter l’appel contre sa détention, ce recours reste sans suite. Il adresse également au roi, rencontré en 1955, une longue lettre reprenant les arguments déjà mobilisés précédemment : il évoque sa faible rémunération qui ne lui permet pas d’assurer le train de vie normal d’un « évolué immatriculé » et l’acharnement des fonctionnaires de l’administration coloniale pour le mettre en défaut malgré ses offres de remboursement. Lumumba dans toutes ses démarches se défend face aux autorités qu’il juge responsables de sa situation mais il ne les attaque pas. Toutes les démarches entreprises depuis le jour de son arrestation restent vaines jusqu’à un arrêté du 12 février 1957 qui accorde une aide financière aux trois enfants Lumumba après une intervention du colonel Buisseret370. À la suite de son procès, il est condamné à deux ans de prison le 4 mars 1957, condamnation pour laquelle il fait appel devant le tribunal de Léopoldville : l’appel est rejeté. C’est le « recours en grâce » adressé par Maître Emile Jabon, son nouvel avocat, au roi Baudouin qui ramène, par arrêté royal le 27 août 1957, la peine de servitude pénale à un an et deux mois, soit la durée de la détention préventive déjà réalisée par Lumumba. Il est libéré le 7 septembre 1957 sous condition d’obtenir un emploi. Dès le lendemain, il est engagé à la comptabilité de la Brasserie du Bas-Congo : sa première préoccupation est de régler ses dettes. À sa libération, Lumumba s’installe à Léopoldville au moment où les premières élections de l’Histoire du Congo sont annoncées pour décembre 1957 ainsi que le « plan de 30 ans » d’A. Van Bilsen, la création du Manifeste de Conscience Africaine du groupe Ileo, Le Contre- Manifeste de l’Abako qui contribuent alors à créer un environnement politique dynamique et nouveau. Quelques mois plus tard, se tient le Congrès du MNC du 23 au 28 octobre 1958 à Stanleyville. Le discours de 370
Jean OMASOMBO et Benoît VERHAEGEN, « Patrice Lumumba, acteur politique. De la prison aux portes du pouvoir (juillet 1956 - février 1960) », Cahiers africains, 2005, n° 68-69-70, p. 71.
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clôture prononcé par Lumumba va déclencher des émeutes et son nouvel emprisonnement : « Nous avons placé tous nos espoirs en la Belgique, la Belgique nous a profondément déçus. Nous avons tendu une main fraternelle à la Belgique, la Belgique rejette cette main aujourd’hui, en brandissant l’épée de la répression371. » Ces propos constituent le motif factuel de l’infraction parce qu’ils mettent en péril l’ordre colonial. Patrice Lumumba est accusé d’avoir incité la population à la désobéissance civile et suscité l’abstention aux prochaines élections. Les émeutes vont embraser de nombreux endroits du district entourant Stanleyville, visant tout ce qui est officiel ou à caractère colonial. Le déploiement de la Force publique indique que la situation est tendue. Devenu une menace, Patrice Lumumba est arrêté le 1er novembre 1959 et jugé. Contrairement à son précédent procès, il nie, s’estimant victime d’une machination politique. Les charges retenues contre lui sont les suivantes : « atteinte à la sûreté de l’État, incitation à la désobéissance aux lois, défense de voter ». Le pouvoir colonial s’emploie à multiplier les preuves et les témoins à charge souvent membre du MNC comme Victor Nendaka372. L’objectif est d’isoler le leader qui se serait radicalisé au contact de Kwame Nkrumah373. La visite du roi Baudouin suscite des espoirs de libération mais son voyage au Congo du 17 au 19 décembre 1959 ne change rien au sort de Patrice Lumumba. Ce dernier rejette la proposition d’élections de décembre 1959 car il n’a aucune confiance en l’administration pour organiser cet engagement de la déclaration gouvernementale du 13 janvier. Son parti n’ayant eu ni le temps ni les moyens de s’implanter dans tout le pays et surtout dans les régions rurales, il redoute des élections rapides et souhaite aussi desserrer l’emprise de l’administration sur les chefs coutumiers et les notables. Il lui faut également ravir à Joseph Kasa-Vubu sa position de champion de l’indépendance et de martyr de la lutte anticoloniale. Le refus du gouvernement belge de le libérer de prison cristallise son
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SIMONS E. BOGHOSSIAN R. et B. VERHAEGEN, « Stanleyville 1959 : le procès de Patrice Lumumba » dans CEDAF, Cahiers africains, n° 17-18, 1995. 372 Victor Nendaka devient administrateur en chef de la Sûreté du Congo à partir de septembre 1960. Il est l’une des principales personnalités congolaises directement impliquées dans l’assassinat de Patrice Lumumba. 373 Voir troisième partie, chapitre VII.
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mécontentement et les élections communales et territoriales sont un échec pour le MNC. Le gouvernement belge a décidé de précipiter l’indépendance du Congo : est-ce par peur « d’une guerre d’Algérie belge » ? Par volonté d’acculer les leaders congolais à des responsabilités pour lesquelles ils sont à peine formés ? Difficile de se prononcer. Épaulé par trois avocats désormais dont Maître Aubertin, Lumumba est finalement condamné à six mois de servitude pénale (prison ferme) et à payer deux tiers des frais de justice. Il est transféré avec brutalité à Jadotville au Katanga, région de Moïse Tshombe qui lui est hostile374. Il ne demande pas, cette fois, de recours en grâce. Une partie de l’opinion publique congolaise compatit au sort de Lumumba et en fait un martyr : le MNC s’active à exploiter l’événement pour imposer l’image du parti et de son leader. Les acteurs de cette propagande sont surtout les jeunes et les femmes par qui le mythe Lumumba s’affirme375. Portraits, photographies, discours sont vendus et des chants populaires naissent à sa gloire. De telles manifestations de popularité sont observables autour des personnalités de Kwame Nkrumah au Ghana et de Julius Nyerere en Tanzanie376. La conférence de la Table Ronde s’ouvre le 20 janvier 1960 sans Lumumba. D’entrée de jeu, Joseph Kasa-Vubu annonce que cette réunion doit régler le problème de l’indépendance. Parallèlement, les Belges misent sur une impossible entente entre les représentants congolais qui se révèleront plus soudés et unis que prévu. La pression populaire au Congo et de la délégation du MNC conduit à la libération de Lumumba dont l’arrivée est programmée le 27 janvier. À l’annonce de sa libération Kasa-Vubu déclare, voulant marquer des points, que cette Table Ronde est Constituante. Le 27 janvier en présence de Lumumba, l’indépendance est fixée au 30 juin 1960 : le soir, la nouvelle est fêtée à l’hôtel Plazza et l’Orchestre African Jazz de Joseph Kasabelle compose « Indépendance Tcha-Tcha377 ». L’arrivée 374
Jean OMASOMBO et VERHAEGEN, Patrice Lumumba de la prison aux portes du pouvoir (juillet 1956 -février 1960), Cahiers africains, 2005, n° 68, 69, 70, p. 321. 375 Pierre LEROY, Journal de la province orientale : décembre 1958 - mai 1960, Mons, Presses de la Buanderie, 1965, 345 p. 376 Voir la biographie en préparation sur Kwame Nkrumah par Elikia M’bokolo et Marie-Aude FOUÉRÉ, Remembering Julius Nyerere in Tanzania, history, memory, legacy, Mkuki na Nyota Publishers, Dar es Salaam, 2015, 340 p. 377 http://www.youtube.com/watch?v=reModLpEloc&feature=related
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de Lumumba à Bruxelles s’est soldée par le départ de Kasa, celui-ci supportant mal que son adversaire soit « entouré » comme une star de cinéma378.
B - Briser l’immunité parlementaire À sept reprises entre 1949 et 1953, Barthélémy Boganda a été victime de tentatives de levée de son immunité parlementaire379 : deux seulement furent menées officiellement et judiciairement, les cinq autres, même non matérialisées par des actions officielles sont néanmoins révélatrices des dispositions de l’administration et des autorités coloniales envers Boganda. Dans les archives de l’administration du territoire de l’OubanguiChari figure une lettre du 16 novembre 1950 380 qui transmet une demande d’autorisation de poursuite contre Barthélemy Boganda, formulée par le procureur général auprès de la cour d’appel de Brazzaville. Le motif est le suivant : Boganda a tenu le 24 septembre 1950 une réunion publique à Bangassou sans autorisation préalable. Le procureur détient le procès-verbal de gendarmerie qui en dresse constat et permet d’entreprendre des poursuites. À la lettre était jointe une note retraçant les activités de Boganda depuis 1945, preuve que le député est l’objet d’une surveillance particulière et que l’on attend le moment favorable pour s’attaquer à lui. La lettre reste sans suite, sans que les raisons exactes qui ont empêché la procédure judiciaire aient été précisées. Cependant, le journal Climats dans son numéro du 23 novembre 1950 se fait l’écho de l’affaire en ces termes :
378
Georges-Henri DUMONT, Le Congo du régime colonial à l’indépendance, 1955-1960, La Table Ronde belgo-congolaise (janvier-février 1960), Paris, Éditions universitaires, 1961, 308 p. 379 Jean-Dominique PÉNEL, « Sept tentatives entre 1949 et 1953 pour lever l’immunité parlementaire de Barthélémy Boganda, député du deuxième collège de l’Oubangui-Chari », Civilisations, n°41, 1993, mis en ligne le 30 juillet 2009, consulté le 10 juillet 2012. Entretiens avec l’auteur. 380 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda écrits et discours (1946-1951 : la lutte décisive), op. cit., p. 285.
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« Est-il vrai qu’un dossier était transmis au cabinet du haut-commissaire à Brazzaville par le gouverneur de l’Oubangui-Chari, dossier concluant à une demande autorisation de poursuite contre l’ex-abbé Boganda, coupable d’avoir tenu des réunions sans autorisation sur la voie publique ? »
Climats tire ses sources des agents de l’administration coloniale elle-même, puisque la teneur de la lettre du 16 novembre à Bangui est communiquée dans ce journal à Paris sept jours après. Cependant, alors qu’il ne s’agissait que d’une seule réunion publique non autorisée, Climats parle de plusieurs réunions pour gonfler à dessein les charges. L’affaire du flagrant délit de Mbaïki, le 11 et 12 janvier 1951 est la tentative qui ira le plus loin et c’est sur elle que l’administration comptait pour se débarrasser de Boganda. Les élections sont prévues pour le 17 juin 1951. Un des principaux adversaires de Boganda est le député Rassemblement du peuple français (RPF) du premier collège, René Malbrant, soutenu par l’administration coloniale. Le 4 janvier 1951, il tient une réunion à Bangui avec les Oubanguiens où il critique publiquement Boganda. L’objectif de Malbrant est de l’évincer = la stratégie consiste bien sûr à présenter un candidat RPF, ce qui sera fait, mais tout risque serait évité si Boganda ne pouvait même pas se présenter aux élections par suite d’une affaire en justice qui le rendrait inéligible. Le contexte est alors particulièrement défavorable à Boganda : en rupture avec l’Église depuis sa liaison avec Mlle Jourdain, il est aussi en délicatesse avec Georges Darlan 381 et plus largement avec tous les autres conseillers oubanguiens, il s’est vu refuser par le conseil représentatif de l’Oubangui-Chari des crédits pour sa coopérative la Socoulolé, alors que les autres conseillers en ont obtenu. L’affaire de Mbaïki est liée de près à la création de cette coopérative qui entrait directement en concurrence avec une institution de l’administration coloniale, la Société indigène de prévoyance (SIP), effectuant elle aussi des achats sur les marchés de la colonie. À cette opposition de fonctionnement, s’ajoutent des conflits de personnes entre Boganda et les hauts fonctionnaires de la Lobaye, circonscription administrative de Boganda. Les heurts sont multiples, incessants et de toute nature. Cette tension est à l’origine de l’incident de janvier 1951. À la suite de la mort douteuse et 381
Voir première partie, chapitre II.
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inexplicable du chef Nzilakema dans la prison de Mbaïki, Boganda demande aux villageois de suspendre les marchés pour marquer un deuil collectif. C’était de facto empêcher la SIP d’effectuer ses achats. L’administrateur Giacomini, pris de court au premier village, a le temps de faire venir la troupe et le juge du Tribunal de premier degré de Mbaïki au second village au moment où Boganda harangue les villageois. S’en suivent altercation avec les autorités, sommation, dispersion des villageois, arrestation par suite de « flagrant délit » de Boganda, son épouse, sa fille âgée de quelques mois et deux secrétaires de la société. Ils sont retenus deux jours à Mbaïki les 11 et 12 janvier 1951. L’administration informe le ministre de la France d’outre-mer par plusieurs télégrammes382 de l’arrestation de Boganda et du fait qu’une procédure de flagrant délit a été ouverte contre lui. Boganda, à qui on a interdit l’accès à la Poste de Mbaïki, envoie depuis Bangui des télégrammes à ses amis et au président de l’Assemblée nationale. Le 19 janvier, il prend l’avion pour Paris. Le 21 janvier, il envoie à tous les députés français et au président d’Assemblée nationale un très long mémorandum 383 dans lequel il explique sa version de l’affaire. Il s’installe même quelque temps dans les locaux de la Commission de la France d’outre-mer. Boganda donne ainsi une très large publicité à l’affaire et les journaux s’en emparent. L’administration de son côté ne reste pas inactive. Le 29 mai 1951, le tribunal de Mbaïki condamne Boganda à quinze jours d’emprisonnement pour provocation et attroupement, quinze jours d’emprisonnement pour pistage et coxage 384 de produits, plus deux mois d’emprisonnement et 2000 francs d’amende pour menaces verbales sous condition. Le jugement prononce la fusion des peines. Il ne reste plus que deux mois et demi avant les élections. Boganda, qui se montre très habile à exploiter la situation et à la renverser à son profit, fait passer le message suivant par le biais de son journal : « Si l’administration, l’Église, les conseillers s’acharnent tellement contre lui, c’est parce qu’il est le seul vrai ami du peuple oubanguien, il n’a pas 382
CAOM FM 2201 Affaires politiques, dossier 12 « affaire Boganda », notes pour le gouverneur général Pignon sur les activités de Boganda (1951). 383 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda écrits et discours (1946-1951 : la lutte décisive), op. cit., p. 294-300. 384 Le coxage est la vente de produits en dehors des filières autorisées.
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peur d’accuser les exploiteurs, de braver l’administration et de dénoncer toutes les injustices et les abus385. »
La procédure suit son cours. Le jugement du tribunal de Mbaïki est notifié à Boganda le 26 mai 1951. Il fait appel le 2 juin. Il peut donc se présenter aux élections du 17 juin qu’il remporte malgré les pressions et les fraudes. La machine judiciaire n’est pas stoppée pour autant. Le jugement en appel doit avoir lieu le 6 novembre 1951 à Brazzaville mais il est repoussé au 27386. La cour d’appel condamne Boganda à quarante-cinq jours de prison ferme sous inculpation de provocation, attroupement, dépistage et coxage de produits. La procédure de « flagrant délit » n’est pas retenue. Les journaux Le Monde et L’Observateur publient le jugement. Lorsque Boganda rentre à Bangui le 23 décembre 1951, il est reçu triomphalement par la population. Le 1er février 1952, il reçoit la notification de l’arrêt de la cour d’appel. Trois jours plus tard, Me Paul Cremona, agissant comme mandataire au nom de Boganda, pose un pourvoi en cassation. Le 11 avril 1953 la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel et renvoie la cause et le prévenu devant la cour d’appel de Brazzaville mais autrement composée. Il n’y aura pas de suite. Le 1er décembre 1953, Boganda reçoit l’arrêt de relaxe de la Cour de cassation pour le jugement du 29 mars 1951, les faits incriminés étant de toute façon amnistiés par la loi du 6 août 1953 annulant les peines antérieures au 1er janvier 1953 si elles n’excédaient pas trois mois de prison ou une année avec sursis, qu’il y ait eu amende ou non387. Parallèlement, le 4 février 1952, Boganda avait remis un chèque de 55 000 Francs CFA tiré sur la banque BAO à la Société Agricole de la Mpoko pour régler l’achat de 20 000 briques. Ce chèque est sans provision. Aussi, le 29 mars 1952, c’est-à-dire juste à la veille des élections à l’assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari, la société dépose plainte contre Boganda au tribunal de première instance de Bangui. Le lendemain, 30 mars 1952, il est élu et son parti, le Mesan obtient la majorité absolue à cette nouvelle assemblée. L’affaire suit néanmoins son cours et le 10 mai 1952 est adressé au procureur 385
Ibid., p. 297 L’affaire passe directement de Mbaïki à Brazzaville sans passer par un tribunal de second degré comme celui de Bangui. 387 En dépit de nos nombreuses recherches, ces archives sont demeurées introuvables. 386
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général une demande pour lever l’immunité parlementaire de Boganda. Le 5 juin 1952, à la Commission des immunités parlementaires de l’Assemblée nationale à Paris, Jean M. Grousseaud, député RPF est nommé rapporteur de l’affaire, avec Yacine Diallo, député socialiste guinéen comme membre de la sous-commission. Boganda ne pouvant s’y rendre, la réunion a donc lieu, sans lui, le 30 octobre. Le journal Le Monde la mentionne dans son édition du 1er novembre 1952. Le 5 novembre 1952, Boganda rembourse sa dette à la Société Agricole de la Mpoko par deux chèques, l’un de 50 000 francs et l’autre de 5 000 francs. Le lendemain, à la Commission des immunités parlementaires, Grousseaud, qui avait précisément demandé la levée de l’immunité parlementaire de Boganda, démissionne de son poste de rapporteur, confié à Henri Lacaze, député MRP. Le 8 novembre 1952 devant l’Assemblée nationale, celui-ci propose de rejeter l’autorisation de lever l’immunité parlementaire puisque la dette a été remboursée. Le 13 novembre, l’Assemblée nationale renvoie à nouveau le cas de Boganda à la Commission des immunités parlementaires, car il semble que la Société Agricole de la Mpoko ait maintenu sa plainte contre Boganda, malgré le remboursement. La trace de l’affaire se perd jusqu’au 12 mars 1953, date à laquelle, toujours à la Commission des immunités parlementaires, Lacaze indique avoir posé trois questions au ministre de la France d’outre-mer au sujet du problème de Boganda, restées sans réponse. Le 25 mars 1953 lors d’une discussion générale à l’Assemblée nationale sur le problème de l’immunité parlementaire, le cas de Boganda est évoqué par le Garde des Sceaux et par Lacaze lui-même. On trouve encore mention de l’affaire à la Commission des immunités parlementaires en date du 13 mai 1953, date à partir de laquelle nous n’avons plus rien trouvé. Il semble impossible de dire à quel moment précis le dossier est clos puisque l’immunité parlementaire de Boganda n’a jamais été levée. L’étude des différentes mises en examen des leaders suscite un certain nombre de réflexions. L’administration coloniale locale tente, très zélée car en quête de promotion, de neutraliser les leaders pour des motifs toujours similaires sur le terrain politique : « tenue de réunion sans autorisation préalable », « oppositions à l’exercice de l’autorité légitime », « entrave à la bonne marche des services administratifs », « incitations à la désobéissance civile, à l’abstention aux élections », « séditions et atteintes à la Sûreté de l’État » mais 164
aussi l’utilisation de la presse à titre diffamatoire. Très bons orateurs et rédacteurs, l’objectif est de neutraliser l’influence de ces hommes et la diffusion de leurs idées dites subversives. L’autre série de motifs est plus personnelle stricto sensu : Boganda et Lumumba se sont mis en délicatesse avec la loi – chèques sans provision, détournements et faux – leurs « faux pas » sont l’occasion d’entraver temporairement leur action, de les décrédibiliser pour, à terme, ôter son immunité parlementaire à Boganda et évincer Lumumba des négociations pour l’indépendance. Le prisme judiciaire est un bon « catalyseur » des tensions suscitées par l’ordre colonial. Il met en évidence la délégitimation politique des forces politiques locales induite par un recours instrumental et purement répressif de la justice. Les peines prennent la forme d’amendes, jamais payées, de jours d’emprisonnement que seul Lumumba va effectuer. Moumié et Lumumba ont demandé de l’aide par le biais de courriers adressés à des personnalités à la tête de l’État qui reste lettre morte côté français et plus efficace du côté du roi des Belges. Le miroir colonial est instructif car il fait apparaître les failles de l’État de droit inhérentes au projet colonial et à sa justification y compris sur le plan juridique. La perception du pouvoir ambivalent du droit est rendu plus lisible dans les moments d’accélération de l’Histoire comme celui de la quête des indépendances. Le moment colonial représente aussi un sas de formation et de sensibilisation pour les leaders, les juristes et les futurs juristes employés. Les tentatives d’élimination judiciaire ont-elles été efficaces pour l’administration coloniale ? Pour Ruben Um Nyobè, les poursuites judiciaires ont abouti à sa cache dans sa région natale, son invisibilité a entraîné un fléchissement du rayonnement de l’UPC et des dissensions internes sur lesquelles nous reviendrons. De Gélis n’a pas obtenu, en dépit de son zèle, une mutation satisfaisante. Georgy n’a jamais obtenu gain de cause judiciaire dans les affaires menée à l’encontre de Moumié mais il fait une belle carrière notamment avec sa nomination de Haut commissaire au Congo Brazzaville en 1959. C’est assez cocasse. À la lumière des répercussions de l’emprisonnement de Lumumba et notamment le développement de sa popularité au sein de la population congolaise, les autorités belges ont échoué, elles ont même été contraintes à libérer Lumumba alors en prison, pour finalement l’inviter à la Table Ronde de janvier 1960. Malgré l’acharnement judiciaire sur B. Boganda, les tentatives de
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levée de son immunité parlementaire ont échoué : l’affaire de Mbaïki a renforcé la popularité du député et a conduit à sa victoire. Cette analyse permet également de voir que les accusateurs ne composent pas un bloc monolithique : agents de l’administration coloniale zélés à des grades divers, De Gélis, Georgy, Giacomoni ou dirigeants de sociétés agricoles comme la Société Agricole de Mpoko ou commerciales comme le « SEDEC » ont contribué par leur acharnement, leurs intérêts étant directement menacés, à entretenir et à relancer les procédures judiciaires parfois à l’encontre même de leur hiérarchie. Néanmoins, les leaders ont appris à se défendre et à faire appel à des avocats de qualité qu’ils n’avaient pas toujours les moyens de s’offrir.
C - Se défendre en contexte colonial : les réseaux d’avocats Les leaders doivent leur sort à leur clairvoyance, leur « plume » et le recours à des avocats occidentaux, le plus souvent financés par les Partis communistes belge et français, renforçant les suspicions d’appartenance au bloc soviétique, suspicions lourdes de conséquences. Le recours à des avocats parisiens s’imposait car ceux des colonies étaient placés sous une main de fer : tout était mis en place pour réduire l’écho produit par les leaders dès lors qu’ils dénonçaient l’action coloniale conduite par les autorités. Leur installation n’était pas libre, tout comme leur parole, ils avaient l’obligation de veiller à la sûreté de la colonie, le tout sous l’autorité du procureur général et du gouverneur. Ces avocats se révèlent peu recommandables à des leaders africains en quête de droits et de défense équitable388. C’est dans ce contexte que la figure de l’avocat jouant du droit comme d’une arme contre le pouvoir s’est réactivée dans le sillage de l’époque des Lumières, avec la figure d’Élie de Beaumont dans l’affaire Calas. La justice devient arène. Dans la
388 Bernard DURAND, « Les avocats défenseurs aux colonies : entre déontologie acceptée et discipline imposée », Le Juge et l’outre-mer, les roches bleues de l’empire colonial, histoire de la justice, Lille, Centre d’Histoire judiciaire, 2004, p. 119-151.
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tradition léniniste 389 , Marcel Willard incarne la figure de l’avocat révolutionnaire 390 pouvant comprendre et seconder le dessein politique de ses camarades, en mettant à leur service les ressources de son talent et de son expérience juridique. Les avocats communistes, formés dans les années vingt et trente grâce aux cellules du Parti, vont constituer le noyau fondateur du collectif d’avocats qui assure la défense particulière des militants et des combattants dans les procès réprimant les mouvements d’indépendance dans les colonies françaises. Sur le modèle d’une première défense collective auprès des parlementaires malgaches en septembre 1948, les procès du RDA après plusieurs milliers d’arrestations de militants amènent Henri Douzon, jeune avocat de 24 ans déjà présent aux procès de Madagascar, à constituer un collectif d’avocats parisiens. Celui-ci vise à maintenir par rotation une permanence juridique en Afrique afin d’assurer le plus grand nombre de défenses dans ces procès. Entre Paris et l’Afrique, le travail de préparation dans les cabinets métropolitains et les plaidoiries dans les procès africains, s’invente ainsi une nouvelle modalité de la pratique professionnelle. Celle-ci va se heurter à plusieurs obstacles : une trop faible disponibilité des avocats métropolitains et des difficultés de coordination politique et judiciaire avec le RDA391. Associant jeunes et seniors, la défense dans ces procès est construite sur une base politique. Il s’agit de profiter de cette occasion pour toucher un large public, en particulier par l’intermédiaire de la presse. Marie-Louise Jacquier-Cachin392 est l’une 389
Voir lettre sur la défense de Lénine datée du 19 janvier 1905, adressée à Héléna D. Stassova et aux emprisonnés de Moscou, membres du POSDR qui consultent Lénine sur la tactique à suivre devant le tribunal. 390 Marcel WILLARD, La défense accuse, Paris, Éditions sociales internationales, 1938, 344 p. 391 Sharon ELBAZ, « Les avocats métropolitains dans les procès du Rassemblement démocratique africain (1949-1952) : un banc d’essai pour les collectifs d’avocats en guerre d’Algérie ? », article en ligne, http://www.ihtp.cnrs.fr/spip.php%3Farticle350&lang=fr.html consulté le 24 septembre 2014. 392 La recherche sur Marie-Louise Cachin n’a pas été aisée, les contacts avec les membres de la famille difficiles. Voici les archives ayant permis de retracer le parcours de l’avocate : Arch. PPo. S 32. — Archives du Comité national du PCF. — RGASPI 539.3.1174, 495.10a.93. — AN F7 13516. — Carnets Cachin. — Entretien avec Sylvie Tahier. — État civil de Toulon. Voir aussi la notice réalisée par P. Genevée. http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article18298.
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des avocates qui a défendu Ruben Um Nyobè. Leur mise en contact se fait par l’intermédiaire d’Henri Douzon car Um Nyobè, dans un courrier du 11 mars 1950, lui indique : « la répression devenant de plus en plus violente, la présence d’un avocat serait d’un intérêt politique considérable 393 . » Henri Douzon envoie Marie-Louise Jacquier-Cachin lorsque la situation pour Um devient difficile après l’arrivée de Roland Pré et l’accélération de la procédure judiciaire. Deuxième enfant d’Itte et Marcel Cachin, Marie-Louise Cachin est très proche de son père politiquement et affectivement 394 . Elle poursuit des études de droit et prête serment au début des années 1930. Inscrite au barreau de Paris, elle fait ses premières armes au cabinet de l’avocat Berthon. Malgré l’appartenance politique de son père, Marie-Louise Cachin évolue aussi dans les milieux des notables politiques de la IIIe République. En avril 1933, elle épouse à Paris Marc Jacquier, lui-même avocat et fils de Paul Jacquier, parlementaire et ministre radical socialiste. Dès le début des années 1930, elle double son activité professionnelle d’un engagement militant dans la sphère du Parti communiste. En décembre 1931, elle fait partie des avocats qui s’élèvent contre la répression en Pologne. En 1937, lors des obsèques de Paul Vaillant-Couturier, elle est signalée par l’Humanité comme avocate communiste. En décembre 1938, elle participe à la défense des ouvriers de l’usine Renault en grève. Quand survient la guerre et l’interdiction du PCF, elle semble avoir suivi les mêmes évolutions que son père. En mars 1940, elle participe auprès de Me Moro-Giafferi à la défense de sa sœur et de son beau-frère inculpés dans l’affaire du Winnipeg, bateau de la compagnie FranceNavigation qui avait transporté des réfugiés espagnols au Chili. Après la guerre, elle participe aux multiples procès liés à la guerre froide et aux guerres coloniales. En 1948, elle intègre le comité de rédaction de la revue Le Droit ouvrier. Cette même année, suite à une décision du bureau politique du PCF, Marie-Louise Cachin se rend à Saigon pour défendre Duong Bach Maï. C’est donc une avocate confirmée qui assure la défense de Ruben Um Nyobè en 1955. Par la suite, son engagement et celui de son mari se font de plus en plus intenses. Marc 393
Lettre de Ruben Um Nyobè à Henri Douzon, Douala, le 11 mars 1950, archives privées de Colette Douzon. 394 Entretien téléphonique avec le veuf de Marcelle Cachin, sœur de Marie- Louise, le 6 décembre 2015.
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Jacquier anime ainsi la campagne contre la guerre chimique pendant la guerre de Corée. Elle participe à la défense des militants poursuivis pendant la guerre d’Algérie. D’après le témoignage de sa petite-nièce, elle ne s’occupait que d’affaires politiques car le cabinet de son mari suffisait à leurs revenus. Après la guerre d’Algérie, atteinte d’une grave maladie, elle cesse peu à peu toute activité. La stratégie judiciaire de ce collectif d’avocats auquel participe activement Marie-Louise Cachin repose sur la référence aux garanties de l’État de droit qui ne seraient pas respectées, à travers des revendications récurrentes comme celle du statut de prisonniers politiques pour les accusés, visant à faire reconnaître la nature politique et non criminelle de ces actes et donc la lutte pour l’indépendance. Cette stratégie de défense évolue vers la stratégie de rupture de Vergès, qui porte sur la contestation de la compétence des juges et la remise en cause de la légitimité des institutions dans laquelle il s’inscrit, en dénonçant l’injustice et la répression au cœur du procès395. À l’article de la mort, Félix Moumié a fait appel à Me Vergès. Leur rencontre avait eu lieu quelques années auparavant à la Closerie des Lilas juste après la mort d’Um Nyobè, lorsque Moumié avait prit la direction de l’UPC396. L’avocat fréquentait les milieux anticolonialistes et l’Union Internationale des Étudiants qui a réuni des étudiants des pays de l’Est et des pays coloniaux de 1950 à 1955, période durant laquelle il a prêté serment, et il s’est engagé ensuite au côté des militants du FLN en 1957. Selon lui, c’est sa notoriété acquise à l’occasion de ces procès qui a conduit Moumié à une reprise de contact en 1959. Vergès évoque son départ pour Genève lors des derniers jours de Moumié et le rôle qu’il a joué auprès de Maître Maitre, avocat choisi par la famille et les amis de Moumié. Il aurait, selon ses dires, participé au voyage avec sa veuve, Ouandié et Kingué ramenant le corps de Moumié en Guinée. Tous les leaders n’ont pas choisi de faire appel à des juristes affiliés au communisme ou des personnalités aussi engagées politiquement. Si, pour défendre leur Président, les partisans de Lumumba n’ont pas trouvé aisément d’avocats, leur choix a été pourtant clairement pesé dans la seconde affaire de justice qu’il doit affronter. Les services de Maître Lejeune dans l’affaire contre la 395 396
Jacques VERGES, De la stratégie judiciaire, Paris, Minuit, 1968, 224 p. Informations extraites de l’entretien accordé par Jacques Vergès.
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Sedec n’ont pas été à la hauteur selon le prévenu, il souhaite désormais le ou les meilleurs. Certains avocats, contactés en Europe ou au Congo ont refusé comme Maître Rolin, Maître Croquez. Maître Jabon a accepté alors que la candidature de Maître Chomé a été écartée par les membres du parti car celui-ci était connu dans les milieux congolais pour ses opinions moscovites : « ce serait faire croire à l’opinion publique que notre parti est de tendance communisante397. » De même, Maître Stibert, avocat de gauche, vu comme communiste, a été refusé car « nous n’avons pas voulu nous engager dans cette voie 398 . » Les membres du MNC ne souhaitent donc pas faire appel à des avocats trop engagés politiquement auprès du communisme. C’est d’ailleurs pour des raisons analogues, et suivant le choix politique orchestré par Houphouët-Boigny, que le RDA a décidé de mettre fin à la collaboration avec les avocats qui avaient assuré leur défense au départ 399 . Leur extrême prudence et clairvoyance sont à remarquer à un moment où toute prise de position est à lire de façon « bipolaire ». Leur choix se porte donc sur Maître Aubertin, avocat à la cour d’appel de Paris, proche du général de Gaulle, membre du conseil municipal de Paris. Gaulliste convaincu, cet homme de loi est connu dans les milieux internationaux où son influence est importante. « 22 années d’exercice, des qualités de diplomate, c’est sur lui que nous avons fixé notre choix. Il est arrivé de Paris le 24 novembre, les frais de dépense s’élèveront à environ 150 000 francs dont 50 000 d’honoraires 400 . » La somme est rondelette et le choix est prestigieux car Jean Aubertin, né en 1904, est un des confidents et un proche du général de Gaulle. Dans son entourage depuis les années trente, il est un des artisans de la
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Compte rendu de l’Assemblée extraordinaire du MNC à Léopoldville établi par Marcel Lengema à Stanleyville le 6 décembre 1959, archives Tervuren, fonds Jules Gérard-Libois 378 II et 231 II. 398 Ibid. 399 Sharon ELBAZ, « Les avocats métropolitains dans les procès du Rassemblement démocratique africain (1949-1952) : un banc d’essai pour les collectifs d’avocats en guerre d’Algérie ? », article en ligne, http://www.ihtp.cnrs.fr/spip.php%3Farticle350&lang=fr.html consulté le 24 septembre 2014. 400 Compte rendu de l’Assemblée extraordinaire du MNC à Léopoldville établi par Marcel Lengema à Stanleyville le 6 décembre 1959, archives Tervuren, fonds Jules Gérard-Libois 378 II et 231 II.
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rencontre Reynaud-De Gaulle de 1934 401 . Après la guerre, il entre dans la vie politique au côté de Charles de Gaulle lorsque celui-ci crée le RPF en 1947. Il est ainsi élu conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine en octobre 1947 sous l’étiquette du RPF. Réélu jusqu’en mars 1965, il est vice-président du conseil municipal de Paris en 1948 et de 1953 à 1954, puis le préside de juin 1963 à juin 1964. Il dirige par ailleurs la commission de l’Assistance publique du conseil municipal de Paris de 1959 à 1965 avant de devenir viceprésident du conseil d’administration de l’Assistance publique en 1961. Nommé membre du conseil national de l’Union pour la nouvelle République (UNR) en 1961, il en préside le groupe à l’Hôtel de Ville en 1962. Jean Auburtin est donc en pleine ascension politique quand il se saisit de l’affaire « Lumumba ». Le MNC et son chef, Patrice Lumumba, ont délibérément choisi de faire appel à un avocat de droite « en vue » qui sera assisté localement par Maîtres René Rom et Jacques Marrès à Stanleyville 402 pour montrer ouvertement leur indépendance politique par rapport au communisme. C’est un choix analogue que fait Barthélémy Boganda quand il cherche un avocat pour le défendre après l’affaire de Mbaïki et les tentatives répétées de lui ôter son immunité parlementaire. Il fait appel à Maître Cremona, avocat peu politisé plutôt de sensibilité de droite qui se saisit néanmoins de l’affaire sans préjugé racial et gère le dossier jusqu’au résultat positif du pourvoi en cassation. Cette affaire lui a été confiée sans doute grâce à la solide réputation et au courant d’affaires important de son cabinet. Né en 1899 en Corse, Paul Cremona après des études de droit à Paris, s’installe en AEF dès les années trente. Mû par un esprit quelque peu aventurier, il rejoint un cabinet d’avocats basé à Brazzaville et Libreville sous l’impulsion d’un cousin éloigné, Charles Vannoni 403 . Il devient alors le correspondant du bâtonnier du barreau de Paris. La manière dont Voir http://www.senat.fr/senateur/auburtin_jean000098.html consulté le 31 décembre 2014. En juin 1940, ce dernier le prend comme chargé de mission dans son cabinet civil mais il ne rejoint pas son patron à Londres. Pendant le conflit, Jean Auburtin s'engage dans la Résistance ce qui lui vaut par la suite d'être décoré de la médaille de la Résistance. 402 Jacques MARRES et Ivan VERMAST, Le Congo assassiné, Bruxelles, Max Arnold. 1974. Paperback, 212 p. 403 Entretien réalisé avec la petite fille de Paul Cremona, Raphaëlle Cremona, le 14 juin 2014.
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Boganda et Cremona sont entrés en contact reste inconnue mais l’hypothèse est faite que Léon M’Ba aurait pu constituer un réel intermédiaire ayant lui aussi fait appel aux services de Maitre Cremona. À compter de 1952, Hector Rivierez devient l’avocat personnel de Boganda parallèlement à sa carrière de sénateur. Le choix des avocats pour se défendre a été très stratégique de la part des leaders. Lumumba et Boganda ont eu l’opportunité et les moyens de démarcher les avocats qu’ils souhaitaient embaucher. Les leaders camerounais ont profité du réseau des avocats communistes de très grande qualité pour être représentés sans avoir à payer des sommes astronomiques qu’ils ne détenaient pas, quitte à être estampillés ‘communiste’ de façon indélébile. Mais avaient-ils le choix ? De plus, le cas de Lumumba suffit à prouver que malgré sa volonté de choisir un avocat gaulliste, il a été toujours vu par ses détracteurs comme un communiste.
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IV- L’arme médiatique L’étude de la presse écrite et de la radio, parts importantes de l’Histoire des médias, a suivi les fluctuations de l’historiographie contemporaine. La presse s’est imposée comme un matériau polysémique pour l’historien : « [constituant] un document en soi, pour les informations et par le texte qu’elle publie comme par les opinions qu’elle exprime, elle constitue aussi une source de documents404. » Les médias sont devenus au cours du XXe siècle des acteurs de la vie politique et des instruments inégalement répartis de la modernisation et de l’acculturation des populations colonisées 405 . Ainsi, les médias en Afrique sont le résultat d’un transfert de technologie dont les premiers bénéficiaires ont été, pour la presse et plus tard la radio, les Européens installés en Afrique. L’arrivée des colons a favorisé l’apparition d’une nouvelle conception de l’information en Afrique avec l’introduction de l’écrit alors que dans les sociétés traditionnelles rurales l’emportait la communication orale de proximité, celle véhiculée par les griots par exemple, qui avait plus de valeur que l’information extérieure 406 . Étudier la presse écrite coloniale des années 1950-1960 s’avère difficile : les sources sont éparpillées géographiquement, souvent lacunaires et faisant l’objet d’une conservation très rudimentaire dans certains dépôts d’archives, notamment en RDC ou au Cameroun407. Sans viser à l’exhaustivité, il s’agit ici de dégager une tendance et de montrer comment les médias 404
Jacques KAYSER, L’historien et la presse, Revue Historique, n° 218, octobredécembre 1957, p. 284-309. 405 André-Jean TUDESCQ, Occidentalisation des médias et fossé culturel, Afrique contemporaine, n° 185, 1999, p. 63-73. 406 André-Jean TUDESCQ, Les médias en Afrique, Paris, Ellipses, 1999, p. 3. 407 À l’exception de la bibliothèque François Bontinck de feu Révérend père Maurice d’Hoore qu’il a gérée avec maestria à Kinshasa sur le site « scholasticat père Ngonkolo » (Scopenko) de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie malheureusement aujourd’hui fermée aux chercheurs faute de personnel.
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ont été largement utilisés pour décrédibiliser les leaders et leurs actions, voire comment ils ont pu participer à la préparation de leur assassinat. Les connexions politiques et financières très importantes entre la presse et le pouvoir se sont traduites de deux manières408 : en finançant des articles déconsidérant ou avilissant l’image du leader en métropole et plus largement dans la presse internationale si nécessaire, mais aussi en favorisant la censure locale et la rédaction d’articles hostiles aux leaders porteurs des espoirs d’indépendance. Le récit de cette anecdote concernant le Time Magazine ouvre les perspectives de cette analyse. Alors que Patrice Lumumba est en route pour Washington en juillet 1960, Larry Devlin et Clare H. Timberlake (dit « Tim »), respectivement chef de poste de la Central Intelligence Agency (CIA) au Congo et ambassadeur américain au Congo, sont rappelés pour une mission temporaire. Après une première étape en Libye, ils font escale à Paris où ils obtiennent l’hébergement de l’ambassadeur américain Houghton bientôt rejoint par W. Burden, son homologue en Belgique. Devlin raconte que durant le dîner, Timberlake évoque un problème délicat : le Time Magazine prévoit une enquête en profondeur sur Lumumba avec la photographie de celui-ci en couverture à l’occasion de son séjour aux États-Unis. Il déclare à cette occasion : « Cette couverture médiatique va le rendre encore plus difficile à vivre. Ce gars est un vrai cauchemar ». Burden demande : « Alors pourquoi ne pas supprimer cet article (…) ou du moins le modifier ? ». Ce à quoi « Tim » répond : « J’ai tenté de persuader le correspondant de Time à Léopoldville mais il m’a répondu qu’il ne pouvait rien y faire et que l’article avait déjà été envoyé à New York. » Burden a alors sorti son carnet d’adresses, décroché son téléphone et appelé l’assistant personnel d’Henry Luce, le propriétaire du Time. Après un bref mais cordial échange qui prouvait la qualité de ses relations avec Luce, Burden lui a demandé de changer la couverture du Time. Celui-ci lui a répondu que le magazine était sur le point de passer à l’impression. Burden s’est esclaffé : « Allons Henry, vous devez sûrement avoir
408
François D’ALMEIDA et Christian DELPORTE, Histoire des médias de la Grande Guerre à nos jours, Paris Flammarion, coll. « Histoire et actualité », 2010, p. 46. André-Jean TUDESCQ (dir.), Les médias, acteurs de la vie internationale, Rennes, Apogée, 1997, p. 31-41.
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d’autre sujet de une « sous le coude ». Ils discutèrent encore un moment. Quelques jours plus tard, une copie du Time a été envoyée à l’ambassade américaine du Congo avec une nouvelle couverture et Lumumba était relégué dans les pages internationales. D. Hammarskjöld, secrétaire général de l’ONU et M. Tshombe, chef du Katanga, ont été les seuls acteurs du drame congolais à prétendre à la une du magazine409. Cet épisode atteste l’acharnement politique des médias américains, mais aussi la connivence entre les milieux politiques et journalistiques et l’inféodation des groupes de presse aux intérêts gouvernementaux. Cette anecdote qui pourrait être perçue comme un épiphénomène relève d’une pratique de « destruction progressive » de l’image des leaders reposant sur un travail de « sape » et obéissant à des thématiques spiralaires partiellement ici évoquées par Raoul Peck, cinéaste et documentariste dont le père haïtien enseignait au Congo à la prise de pouvoir de Lumumba : « Il y a les images et ceux qui les créent, il y a aussi les mots… Dictateur arriviste, le premier nègre d’un soi-disant État, Monsieur Uranium, l’Elvis Presley de la politique africaine, le Premier ministre fou furieux, l’ambitieux manipulateur, le politicien de la brousse, le nègre à barbe de chèvre, le lutin Lumumba, l’apprenti dictateur à demi charlatan, à demi missionnaire410. »
Cette énumération de sobriquets dont les journalistes ont affublé Patrice Lumumba en dit long sur le peu de crédit qu’une large partie de la presse lui accordait. Toutes les figures étudiées dans cet ouvrage ont ainsi été écornées par les médias en dénonçant leur pouvoir de séduction diabolique sur les foules, l’abbé « défroqué », le sorcierpanthère… Leur parcours personnel fournit des éléments propices à la critique dont les « écrivaillons à la solde coloniale 411 » se sont emparés. La figure de Patrice Lumumba a été particulièrement concernée. Lui seul, parmi les quatre figures suivies a atteint une dimension internationale incontestée. Pierre De Vos, correspondant du journal Le Monde dans la jeune République du Congo, témoigne que 409
Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie de chef de poste pendant la guerre froide, Bruxelles, Jourdan, 2009, p. 67. 410 Raoul PECK, « Lumumba la mort d’un prophète », Documentaire, Bruxelles, 1992 – 28-29’ minute. 411 Ibid. – 5’ minute.
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les journalistes, même ceux séduits par la personnalité de Lumumba ne pouvaient pas l’écrire, car ils étaient généralement employés par des groupes de presse qui défendaient la présence belge en Afrique412 ou les positions des puissances coloniales. Quatre éléments contribuant au dénigrement médiatique des leaders étudiés peuvent être dégagés suite à l’étude des différents journaux : leur incompétence, liée à leur crédulité ou leur naïveté présumées qui confinerait parfois à la bêtise, les accusations de débauche et d’obsession de la femme blanche et enfin le recours à des procédés d’animalisation, de diabolisation qui légitiment l’élimination de ceux qui incarnent le « Mal ». Parfois, la rumeur journalistique annonçant leur décès précède leur véritable mort.
A - Procédés de mise à mort médiatique 1) L’indigène irresponsable, le leader incompétent Lorsqu’en avril 1958, la question de l’indépendance du Cameroun se retrouve à l’ordre du jour de la Conférence d’Accra, Félix Moumié qui représente l’UPC est largement pris pour cible par la presse française et camerounaise : « Félix Moumié (…) a fait une impression désastreuse. Aujourd’hui il a exaspéré cinquante journalistes réunis sur sa demande en leur faisant un interminable exposé historique sur le Cameroun. On a atteint le comble du grotesque quand un journaliste lui a demandé quelle était son opinion personnelle sur l’avenir du Cameroun… Félix Moumié a répondu : Mais je n’en ai pas ! Ce qui a déclenché une belle explosion d’hilarité413. »
Max Clos, journaliste au Figaro depuis 1956, relate cette anecdote pour un lectorat colonialiste. Différents groupes impliqués dans l’aventure coloniale au XIXe siècle comme l’administration coloniale, les colons européens, les missions chrétiennes se sont emparés de la 412 Raoul PECK, « Lumumba la mort d’un prophète », Documentaire, Bruxelles, 1992 – 10’ minute. 413 Citation de Max Clos, journaliste du Figaro, reprise à la une de La Presse du Cameroun du 23 avril 1958.
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presse écrite pour faire valoir leurs intérêts. Le même journaliste décrivait quelques mois plus tôt Ruben Um Nyobè de façon tout aussi méprisante : « Um Nyobè n’est certainement pas génial mais c’est un gros travailleur414. » De nombreuses brèves du Figaro ou du Monde sont reprises dans les journaux distribués au Cameroun comme L’Éveil du Cameroun qui devient La Presse du Cameroun en 1955. Les autorités françaises n’encouragent guère le développement de la presse locale, employant une politique de taxation des journaux et des importations des matériels d’imprimerie. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en France était théoriquement applicable aux colonies (Article 69). Cependant les arrêtés locaux organisant le régime de l’indigénat ou les décrets ministériels accordant des pouvoirs étendus aux gouverneurs locaux réduisirent considérablement sa portée libérale et démocratique dans son application en Afrique. Seuls les citoyens en bons termes avec l’administration coloniale étaient autorisés à publier des journaux 415 . Ainsi, La Presse du Cameroun appartenait à l’« empire » de Breteuil, c’est-à-dire à Charles de Breteuil qui fonda en 1933 le premier quotidien d’Afrique subsaharienne, Le ParisDakar. Pour ces publications, un tronc commun était réalisé à Paris, on transportait ensuite les empreintes en carton dur et en négatif sur lesquelles est coulé le plomb, appelé « flans » dans les diverses éditions locales qui réalisaient leurs propres pages. Le groupe a ainsi défendu les intérêts coloniaux en Afrique sans relâche. Dans son étude de la presse camerounaise, Alain Assomo 416 analyse les journaux parus entre le 1er janvier 1946 et le 31 mars 1955, date de la cessation des activités de L’Éveil du Cameroun et entre le 1er avril 1955 et le 31
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Le Figaro, décembre 1957. André-Jean TUDESCQ et Jean NEDELEC, Journaux et radios en Afrique aux XIXe et XXe siècle, Paris, GRET, 1998, p. 27-41. 416 Alain ASSOMO, La presse écrite au Cameroun à l’ère des revendications d’indépendance, mémoire de Master 2 de l’université de Yaoundé II 2010. La Presse du Cameroun, est fondé le 1er avril 1955 après le rachat de L’Éveil du Cameroun par ses propriétaires. C’est un quotidien qui est imprimé en noir et blanc. Il est édité par la Société camerounaise de presse et d’édition dont le principal actionnaire est le groupe de Breteuil qui confie la direction du journal à M. Georges Larche. Cet organe de presse est édité sur un grand format de dimension 575 X 410 cm. Son siège est à Douala à la Place du gouvernement. Il garde la même pagination que L’Éveil du Cameroun, 4 p. 415
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décembre 1957 lorsque paraissait La Presse du Cameroun. De manière assez attendue, 60% des articles sont consacrés à la politique intérieure de la France et aux activités de l’administration coloniale. Il s’agit en effet de satisfaire la clientèle de ressortissants français opposée à l’autodétermination des Camerounais. Immanquablement, la ligne éditoriale vise à décrédibiliser les leaders mais aussi à censurer l’information, le journal ignorant purement et simplement les faits liés aux revendications de l’indépendance. Ainsi, le 17 décembre 1952 lorsqu’Um Nyobè, secrétaire général de l’UPC prend la parole devant les membres de la 7e session de l’Assemblée générale de l’ONU pour réclamer l’indépendance du Cameroun, il est contredit par deux émissaires camerounais liés à l’administration française, Charles Okala et Alexandre Ndumbé Douala Manga Bell. Seule la dernière partie de cette information est relayée dans les colonnes de L’Éveil du Cameroun417, le propos d’Um Nyobè demeurant totalement ignoré. Soit les actions des leaders ne reçoivent pas de publicité, soit ces derniers sont tournés en ridicule : « Grotesque », « pas génial », ces termes renvoient aux préjugés et aux stéréotypes occidentaux renforcés par les discours pseudo-scientifiques qui concluent à l’infériorité intellectuelle du Noir. En Oubangui-Chari, les journaux européens comme Climats ou L’Étincelle de l’AEF dominent la presse, leur ligne éditoriale est très conservatrice car l’administration coloniale et les grandes compagnies en ont le quasi-monopole. Ainsi, le journal Climats est dirigé par un ancien général des FFI, Maurice Chevance dit Bertin, député de Guinée à partir de 1946. Il incarne la France des colonies. Son hebdomadaire, dont le siège se trouve sur les Champs-Élysées, s’adresse aux Français d’outre-mer et propose des articles très centrés sur l’Indochine, racistes sur le fond et la forme comme par exemple cette rubrique « ces messieurs sont de sortie », en référence à l’actualité des élus de « couleur ». Pour les rédacteurs de Climats, Barthélémy Boganda est « un nouveau venu dans l’arène parlementaire (…) par cette naïveté, l’ex-abbé témoigne qu’il n’a pas encore réalisé à sa pleine valeur l’éminente dignité dont ces électeurs l’ont revêtu418. » Ces mêmes articles le décrivent aussi comme ingrat et colérique : 417 418
L’Éveil du Cameroun, 18 décembre 1952. Climats n° 194, 2 septembre 1949 par J. Ladreit de Lacharrière.
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« Tout au plus, pourrait-il reprocher aux maîtres de sa jeunesse de n’avoir pas assez développé en lui son sens critique et l’esprit de finesse. Ils lui auraient évité le ridicule des galéjades. Il apparaît en effet qu’emporté par son aveuglement (…) Mais Boganda, ingrat entre cent, entre mille (…) est redevable d’une instruction et d’une éducation différentes de celles qu’il n’aurait certainement pas trouvées sur place avant l’arrivée des Blancs419. »
Le recours à l’insulte est donc courant : régulièrement les journalistes ont porté atteinte à la réputation des leaders par la violence verbale. Les travaux récents de Thomas Bouchet 420 ont montré que la portée des insultes est immédiate et qu’elles ont également un impact sur le long terme. L’insulte vise à discréditer l’adversaire afin de l’exclure de la sphère politique mais cela révèle surtout l’incapacité à penser le débat et la résolution de conflit de façon mesurée et raisonnée. Cela est d’autant plus vrai que nos leaders en tant qu’« indigènes » sont considérés comme inférieurs par leurs détracteurs. Dans la hiérarchie des « races » établies par les « savants » et notamment les anthropologues du XIXe siècle, ils sont placés au bas de l’échelle, à un stade plus proche de celui du singe et donc de l’animalité que de l’humanité 421 . Grand naïf, « enfant adoptif » d’une mère patrie dont ils doivent encore tout apprendre, cette infantilisation perdure jusqu’aux indépendances à travers l’imagerie coloniale 422 . L’étude d’articles de La Libre Belgique 423 419
Climats n° 194, 2 septembre 1949 Thomas BOUCHET, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique, de la Restauration à nos jours, Paris, Stock, 2010, 304 p. 421 Sur l’éducation coloniale et la diffusion des stéréotypes coloniaux voir Blaise Alfred NGANDO, La France au Cameroun (1916-1939). Colonialisme ou Mission Civilisatrice, Paris, L’Harmattan, 2002, 238 p. Busugutula Gandayi GABUDISA, Politiques éducatives au Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 1997, 252 p. Engelbert ATANGANA, Cent ans d’éducation scolaire au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 1996, 447 p. 422 Éric DEROO et Sandrine LEMAIRE, L’Illusion coloniale, Paris, Tallandier, 2005, p. 132-134. Nicolas BANCEL, La République coloniale, Paris, Hachette, 2003, 174 p. L’imagerie coloniale a été largement étudiée et vulgarisée par le groupe de l’ACHAC. Voir Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Laurent GERVEREAU, Images et colonies, ACHAC-BDIC, 1993. Sylvie CHALAYE, Du Noir au Nègre, l’image du Noir, Paris, L’Harmattan, 1998, 454 p. 420
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révèle un paternalisme souvent teinté de mépris quand sont évoqués les Congolais, vus comme de « grands enfants » dont la croissance a été assurée par les Belges424. Pour ce, le Congo ne peut pas exister sans la Belgique, et sans elle, il ne peut que régresser425. Du côté des journaux locaux, même constat : au moment de sa révocation par Kasa-Vubu le 5 septembre 1961, Patrice Lumumba est très maltraité dans la presse congolaise426. De la part de L’Essor du Katanga, quotidien de cette province indépendante où les autorités sont plus qu’hostiles à Lumumba, ce n’est guère étonnant : la décision « de limoger Mr Lumumba » est juste car il est « la cause de la recrudescence, des guerres tribales et que son incompétence était un péril pour l’unité nationale 427 . » La charge la plus forte vient du journal Présence congolaise : « C’est avec un soulagement manifeste que le peuple congolais a accueilli la décision du chef de l’État de révoquer le gouvernement de Lumumba. Il était grand temps, car le pays était déjà au bord de l’abîme. (…) Lumumba est responsable des actes monstrueux commis par le gouvernement dont il est le Premier ministre. (....) M. Lumumba, homme William COHEN, Français et africains, les Noirs dans le regard des Blancs, 15301880, Paris, Gallimard, 1981, 409 p. 423 En 1960, plus que tous les autres quotidiens belges, La Libre Belgique relate largement les événements du Congo soit à la une dans sa rubrique « Nouvelles du Congo », rebaptisée la « Crise congolaise » à partir de juillet 1960, soit dans la page réservée aux « Dernières nouvelles », celles tombées au moment du bouclage de l’édition. La Libre Belgique est le seul quotidien francophone que l’on puisse qualifier de « national », bien écrit et bien informé qui a longtemps joué les atouts de la monarchie, de l’unitarisme, de la polémique et du catholicisme institutionnel, ce qui lui vaut une image de marque et un succès d’estime. En 1960, ce quotidien déclare tirer à 170 000 exemplaires, ce qui le place au troisième rang des quotidiens francophones de Belgique après Le Soir (qui se dit indépendant) et La Meuse qui se déclare un journal apolitique mais essentiellement distribuée dans la région de Liège. 424 La Libre Belgique, le 1er juillet 1960. 425 Marc PONCELET, L’invention des sciences coloniales belges, Paris, Karthala, 2008, 208 p. et Marc PONCELET, « Colonisation, développement et sciences sociales. Éléments pour une sociologie de la constitution du champ des « arts et sciences du développement » dans les sciences sociales francophones belges », Bulletin de l’APAD, n° 6, 1993, consulté le 19 juillet 2017. 426 Emmanuel BEBE BESHELEMU, Presse écrite et expériences démocratiques au Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 2006, 299 p. 427 À la une de L’Essor du Katanga, du 6 septembre 1960.
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sans conscience qui veut se maintenir malgré tout au pouvoir et qui pour ce faire, n’hésite pas à faire massacrer hommes, femmes, enfants de son pays. (…) En d’autres termes, il veut plonger tous les Congolais dans le malheur et dans la misère (…) Il est entouré de députés et de sénateurs inconscients et incapables de prendre leurs responsabilités428. »
Le journal, foncièrement anti-lumumbiste, ne s’embarrasse guère de précautions verbales ni de nuances. Les allusions demeurent implicites, ce qui ne contribue pas à la lisibilité des rapports de force politique. Le texte est signé Présence congolaise, c’est-à-dire publié sous la responsabilité du comité éditorial. Le Courrier d’Afrique du 19 septembre 1960 prend aussi parti contre Lumumba mais de façon plus feutrée et surtout plus argumentée, revenant surtout sur les échecs qui peuvent être imputés au gouvernement de Lumumba et sur l’incompétence qui lui est reprochée : « l’absence d’un nombre considérable de parlementaires aux séances et l’atmosphère déplorable créée par la politique du gouvernement central ». L’article évoque aussi « un certain nombre de ministres se rendant au parlement armés de revolvers ». Cet anti-lumumbisme très radical incite à regarder de plus près quelles sont la nature et l’origine de cette presse locale. La première presse locale fut d’abord à l’usage des colons, une presse missionnaire protestante s’adressa également aux Africains, en langues africaines. Dans les territoires qui nous intéressent, sous administration française et belge, le développement de la presse accuse un retard notable. Un décret belge du 6 août 1922 prévoyait l’autorisation préalable du gouverneur général pour la publication de tout journal. Les liens entre métropole et colonie étaient très forts : l’hebdomadaire devenu quotidien L’avenir colonial belge dépendait de la Société Générale de Belgique. Anticlérical, il s’opposait au Courrier d’Afrique, de tendance catholique qui employait quelques autochtones429. À quelques rares exceptions, la presse au Congo belge est rédigée par les colons pour les colons et ce n’est qu’à partir de 1956 qu’elle ouvre des pages spécialement réservées aux « indigènes » : L’avenir colonial de Léopoldville réserve ainsi quelques pages à des journalistes congolais, bientôt imité par d’autres
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Présence congolaise, 12 septembre 1960. André-Jean TUDESCQ, Jean NEDELEC, Journaux et radios en Afrique aux XIXe et XXe siècle, op. cit., p. 52. 429
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journaux. À cette date, apparaissent les premiers journaux rédigés par et pour les Congolais, c’est le cas de Conscience africaine, diffusé par l’Église catholique et créé par Joseph Ileo en 1953, dont la création coïncide avec le début de la lutte pour l’indépendance et l’autorisation des premiers partis politiques. En 1956, Conscience africaine fut le seul journal à diffuser le manifeste du MNC alors que Ngalula, le rédacteur en chef de Présence congolaise, imposait au journal une ligne éditoriale visant à perpétuellement déstabiliser le MNC. En effet, son journal était une extension des affaires du Courrier d’Afrique, un journal tenu par les colonialistes, proche du Parti Social-Chrétien belge « hostile à l’émancipation immédiate de l’homme noir » 430 . L’action politique et médiatique de Ngalula, téléguidée par les Belges avait donc pour objectif de jeter le trouble dans le MNC à l’heure où le prestige de Lumumba augmentait et où il revendiquait l’indépendance immédiate. L’analyse des trois quotidiens existant alors au Congo belge, par le prisme de la révocation de Patrice Lumumba par Kasa-Vubu du 5 septembre 1960, révèle une presse locale sous influence coloniale, peu informative et rigoureuse dans ses sources. 2) Animaliser : « Qui veut faire l’ange… fait la bête (Pascal)431 » Le journaliste du Figaro, Max-Olivier Lacamp, raconte comment Ruben Um Nyobè « le bon chrétien, endosse la peau de panthère paternelle et déchaîne ses tueurs » et « hurle comme un loup du fond de sa forêt432 ». L’analogie entre les militants de l’UPC qui seraient en Sanaga-Maritime comme « des poissons dans l’eau » dont il conviendrait de pomper « l’eau pour que les poissons soient au sec433 » est une comparaison connue. Toutes ces analogies renvoient
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Gaston Mukwama évoque les manœuvres de Ngalula au sein du MNC visant à le décrédibiliser dans l’Indépendance, n° 2, 1959. 431 Climats, n° 194, 2 septembre 1949. 432 Max OLIVIER-LACAMP, « Au Cameroun, qui tirera les ficelles du Dieu indépendance ? », Le Figaro, 9-11 décembre 1957. 433 Pierre MESSMER, Après tant de batailles, Paris, Albin Michel, 1992, p. 217230.
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au processus de zoologisation des upécistes qui augure de futures violences de guerre434. « Les dirigeants criminels ont dû partir pour les maquis d’où ils s’efforcent de compromettre définitivement les bassas. Le maître-chanteur Um Nyobè et sa suite sont contrés dans leurs propres forêts. Les Bassas avaient oublié le proverbe ’tel père tel fils’. Lequel d’entre eux ignore que Nyobè Sounga, le père d’Um Nyobè était un monstre, un sorcier-panthère qui fut tué car il avait aussi tué beaucoup de frères dans la forêt. Il a donné le jour à un fils qui s’il n’a pas revêtu la peau d’une bête est devenu un génie du mal qui vit dans la brousse comme une bête et fait tuer beaucoup de nos frères435. »
Rédigée par Adolphe Bikim, cette citation est extraite de la rubrique « Opinion camerounaise » de La Presse du Cameroun, une rubrique parfois plus dévastatrice que le reste du journal envers les leaders. Si Adolphe Bikim, Isaac Biyaka et Iwiyè Kala Lobè sont les
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Processus déjà mis en valeur par Aimé Césaire : « … Ils prouvent que la colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé ; que l’action coloniale, l’entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l’homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l’entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête ». Aimé CÉSAIRE, Discours sur le Colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 18. Sur les rapports chasseurs-chassés voir Jean-Pierre WARNIER « La figure du chasseur et les chasseurs-miliciens dans le conflit sierra-léonais », Politique africaine 2/ 2001, n° 82, p. 119-132. Grégoire CHAMAYOU, Les chasses à l’homme. Histoire et philosophie du pouvoir cynégétique, Paris, La fabrique, 2010, 248 p. Christian INGRAO, Les chasseurs noirs. La brigade Dirlewanger, Paris, Perrin, 2008, 284 p. Paul DIETSCHY, Du sportsman à l’histrion : les cultures sportives de trois leaders africains (Nnamdi Azikiwe, Nelson Mandela et Joseph-Désiré Mobutu), Histoire@Politique 2/2014, n° 23, p. 123-141 Sur l’animalisation et l’animal : Maurice AGULHON, « Le sang des bêtes : le problème de la protection des animaux en France au XIXe siècle », Romantisme, n° 31, 1981, p. 81-110. Éric BARATAY, Le point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, coll. « L’Univers Historique », 2012, 389 p. 435 Adolphe BIKIM, « L’opinion camerounaise - l’UPC et nous », La presse du Cameroun, le 30 janvier 1958.
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principaux animateurs de cette rubrique, seul le dernier journaliste est identifiable : surnommé Ika, ce jeune Douala a fait ses études de journaliste en France, et après avoir accompagné le prince Alexandre Douala Manga Bell dont il était le secrétaire, il fonde, en 1952, le Petit Camerounais et collabore à La Presse du Cameroun entre 1953 et 1960. Piloté par les Français, le Prince est alors le principal contradicteur de Ruben Um Nyobè à l’ONU436. Dans une perspective d’agency, il serait plus nuancé de dire que le Prince joue aussi une carte ethnique et tribale qui lui est propre, les Doualas ayant toujours eu une position à part et ressentie comme telle par les autres peuples camerounais. Leur position d’intermédiaires privilégiés les a conduit à réduire les autres peuples en esclavage pour leur propre enrichissement et celui des puissances coloniales avec lesquelles ils commerçaient 437 . La virulence des propos d’Ika envers Um, qu’il qualifie de « héro(s) préfabriqué(s) dont la bravoure n’a fait que du mal au pays en le plongeant dans le doute et la pagaille438 » est censée soutenir un scénario de l’indépendance sans l’UPC et assuré par les Doualas. Il participera d’ailleurs à Yaoundé en 1961-1962, au ministère de l’Information et de la Communication dans le premier gouvernement de l’indépendance. La référence des croyances des Bassas au sorcier-panthère est évoquée au premier degré dans le but de renvoyer le lecteur à la « sauvagerie des Africains » pour ridiculiser, effrayer mais jamais expliquer. Chez les Bassas mais aussi chez d’autres peuples africains, le sorcier est associé à un animal prédateur, le plus souvent la panthère mais aussi la civette ou le hibou. 436
Le 17 décembre 1952 lorsque M. Um Nyobè, secrétaire général de l’UPC, a pris la parole devant les membres de la 7e session de l’Assemblée générale de l’ONU pour réclamer l’indépendance du Cameroun, il a été contredit par deux émissaires de l’administration française à savoir MM. Okala Charles et Alexandre Ndumbé Douala Manga Bell. Seule l’information concernant la prise de parole des deux envoyés des autorités françaises a été publiée dans les colonnes de L’Éveil du Cameroun ; celle de M. Um Nyobè ayant été ignorée par cette publication. 437 Ralph AUSTEN, Jonathan DERRICK, Middlemen of Cameroons rivers, the Dualas and their hinterland 1600-1960, Cambridge, 1999, 252 p. et intervention de l’auteure dans le séminaire « Violences coloniales, Violences impériales, comparaisons, circulations, transferts (XIXe-XXe siècles) au Centre d’Histoire de Sciences-Po sur : « Violence des échanges en milieux coloniaux différenciés (présences allemande, britannique et française) : le cas des Douala au Cameroun (1884- 1955) le 6 juin 2014. 438 Article « Ces grands mots qui tuent… », La Presse du Cameroun, 7 février 1958.
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Cette analogie repose sur la sélection de traits éthologiques pertinents pour penser la sorcellerie. La panthère est le plus grand des prédateurs carnivores de la forêt. Dotée d’une très bonne vision nocturne, elle chasse principalement la nuit. Ses accélérations foudroyantes lui permettent de bénéficier d’un effet de surprise pour capturer sa proie. Enfin, la panthère est un animal sauvage très difficile à observer en forêt, trait qui renvoie à une invisibilité supposée du sorcier. L’association privilégiée du sorcier et de la panthère prend plusieurs formes : soit l’on dit du sorcier qu’il a une panthère, esprit animal qui l’aide à chasser ses victimes, soit qu’il développe la possibilité de se transformer lui-même en panthère pendant la nuit. Dans toute l’Afrique centrale, la panthère est considérée comme le maître des animaux avec le python et l’aigle. Ces trois animaux sont des super-prédateurs, au sommet de la chaîne alimentaire de leurs écosystèmes respectifs. Pour cette raison la panthère est l’animal emblématique du pouvoir dans les sociétés segmentaires comme dans les royautés sacrées d’Afrique centrale. La dépouille d’une panthère revient au chef qui seul a le droit de s’en revêtir. La panthère évoque un individu puissant car dangereux. Si le sorcier est une panthère sanguinaire, sa victime est considérée comme une proie, un gibier. Prédation et dévoration vont de pair dans les représentations de la sorcellerie et cet imaginaire se retrouve dans le champ politique : les hommes politiques « bouffent » le pouvoir comme le sorcier ses victimes. Les leaders sont d’ailleurs suspectés de ne devoir leur succès politique qu’à une connivence avec les sorciers 439 . Le monde animalier, par sa richesse et sa diversité, est une inépuisable source d’inspiration pour celui qui cherche à ne pas énoncer de manière directe ses conseils ou ses reproches. Mais il ne s’agit pas, ici, de seulement faire appel à des images évocatrices. Le recours à l’animal est bien plutôt une stratégie de discours, visant à pousser l’interlocuteur aux marges de l’humanité : il devient une bête. « Il apparaît en effet qu’emporté par son aveuglement, M. l’abbé Boganda est amené à utiliser des arguments qui, tout naturellement, se retournent contre celui-ci – cette civilisation occidentale si éblouissante est
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Voir première partie, chapitre I-B et Julien BONHOMME, « L’homme est-il un gibier comme les autres ? » dans M. CROS, J. BONDAZ, M. MICHAUD, L’animal cannibalisé. Festins d’Afrique, Paris, Archives contemporaines, 2012, p. 191-202.
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un beau vernis car en grattant l’animal nous avons découvert la bête alors à cette question : si à notre tour nous grattions ‘l’homme' africain, sous M. l’abbé Boganda, que trouverait-on440 ? »
Cette bestialisation est renforcée par le poids des images et des photographies dans le cas de Patrice Lumumba. À son arrestation, le 2 décembre 1960, le Premier ministre est projeté dans un camion, il a perdu ses lunettes, sa chemise est tachée et il a un caillot de sang sur la joue. « Pendant quelques minutes nous avons shooté en faisant le tour du camion. Lumumba était recroquevillé sur lui-même : c’est là qu’un soldat lui a violemment relevé la tête en le tirant par les cheveux pour que nous puissions photographier son visage441. » Les deux photographes prennent chacun un cliché, mais c’est celui de Mummendey qui restera. Pourquoi ? L’image power, « Je n’oublierai jamais ce regard effrayé, il a fixé mon appareil avec une infinie tristesse » écrit D. Mummendey dans ses mémoires 442 . Horst Faas, l’homme au cliché « raté », explique que « dans ce métier il ne faut pas d’état d’âme, pour moi Lumumba représentait l’actualité de l’année et c’est tout. » Son cliché est pourtant de qualité. Il donne cependant encore trop de dignité à celui que l’on veut montrer comme une « belle prise » ligotée, « tenue en laisse » comme une bête. L’impact du cliché de Mummendey, en revanche, est énorme : « C’est la première fois qu’on voyait un combattant de l’indépendance devenu Premier ministre, qui voyageait et était reçu par les chefs de l’État, et qui, tout à coup, était ramené à la situation d’un lutteur, de quelqu’un qu’on peut mettre en prison et maltraiter. Cette photo m’a rendu très triste pendant des années, parce que je me suis dit : on y arrivera pas… Les adversaires sont trop puissants et les gens qui luttent pour changer le système sont trop
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Article de J. Ladreit de Lacharrière, « Quant Monsieur l’abbé Boganda veut faire l’ange, que fait-il ? », Climats, n° 194, 2 septembre 1949. 441 Voir Première partie, chapitre II–A et Témoignage de Horst Faas retranscrit par Marie-Monique ROBIN, Les 100 photos du siècle, op. cit., p. 38-39. « Je n’oublierai jamais ce regard effrayé de bête traquée » citation de l’auteur de la célèbre et tragique photographie, Dietrich MUMMENDEY, Beyond the reach of reason – the Congo story 1960-1965, Washington, Manfred Rowold, 1997, p. 9092. 442 Dietrich MUMMENDEY, Beyond the reach of reason – the Congo story 19601965, op. cit., p. 90-92.
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faibles, trop inexpérimentés, trop isolés. Et c’est cela qui fait la beauté de cette photographie, elle est à la fois tragique et belle443. »
Comment contextualiser ces photographies ? À la 56e minute du film de Raoul Peck, l’extrait d’un film d’archives permet de voir l’arrivée du prisonnier à l’aéroport et son transfert au camp de paracommandos de Binza aux alentours duquel réside Mobutu, dans une maison bâtie par la Banque du Congo belge444. Selon un journaliste présent, Lumumba est contraint de poser à nouveau. Un soldat lit une récente déclaration de Lumumba dans laquelle il soutient qu’il est le chef du gouvernement légitime du pays. Il chiffonne le document et le lui enfonce dans la bouche445. Une humiliation de plus. La presse étrangère a photographié et filmé les traitements infligés à Lumumba à Nidjili et au camp de Binza. Timberlake demande par télégramme au secrétaire d’État américain Christian Herter de s’opposer à la diffusion de ces images aux États-Unis. Trop tard. Ces images n’ont pas manqué leur effet : l’indignation de la communauté internationale est ressentie jusqu’à l’ONU. Comment Dag Hammarskjöld n’a-t-il pas pu protéger Lumumba qui bénéficie pourtant de l’immunité parlementaire ? Plusieurs dirigeants afroasiatiques menacent de retirer leurs contingents du Congo. Rajeshwar Dayal, chef de l’Opération des Nations-Unies au Congo (Onuc) proteste auprès de Bomboko contre cette arrestation arbitraire et demande que le détenu reçoive un traitement convenable. Le secrétaire général fait valoir dans une lettre à Kasa-Vubu que Patrice Lumumba est membre du Parlement et que le principe de l’immunité parlementaire est connu du monde entier comme moyen de protéger la structure même de la démocratie parlementaire 446 . F. Vandewalle affirme dans son ouvrage qu’il s’agissait uniquement de se couvrir
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Témoignage de Bechir Ben Yamhed, fondateur de Jeune Afrique dans MarieMonique ROBIN, Les 100 photos du siècle, op.cit., p. 38-39. 444 Raoul PECK, Lumumba la mort d’un prophète, Bruxelles, 1992. http://www.youtube.com/watch?v=c67AarW75HM. Cet extrait a coûté au réalisateur 3 000 dollars de droits à acheter au British Movietone Museum. 445 G. HEINZ et H. DONNAY Lumumba Patrice les cinquante derniers jours de sa vie, Bruxelles / Paris, CRISP, p. 64. 446 CHRONIQUE DE POLITIQUE ETRANGERE, 1961 – Évolution de la crise congolaise de septembre 1960 à avril 1961, Bruxelles, IRRI, n° 5-6 sept/nov. p. 890-891.
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vis-à-vis des réactions des leaders afro-asiatiques en donnant l’impression de dénoncer le traitement infligé à Lumumba 447 . Les événements de l’aéroport de Ndjili et Binza préfigurent ceux qui se dérouleront le 17 janvier 1961 sur l’aérodrome d’Élisabethville lors du dernier voyage de Lumumba448. Tous ces procédés ont été utilisés lors des génocides et particulièrement le génocide des Tutsis449 devenus pour la plupart des Hutus des « cancrelats » ou des « serpents ». L’animalisation, la bestialisation de l’ennemi lui ôte toute dignité humaine, elle étouffe toute velléité de compassion et désamorce tout sentiment de culpabilité s’il meurt. 3) Défroqué… danger sexuel Dans une société coloniale structurée et hiérarchisée autour des notions de « race », de nationalité et de statut juridique des individus, toute union interraciale est vécue comme un ébranlement, une anxiété car le cloisonnement doit assurer la pérennité de cette organisation. Les couples mixtes existent et ils vont devenir de plus en plus nombreux dans les colonies 450 . Les relations homme « blanc » et femme « noire » ont été étudiées récemment par Amandine Lauro451, mais l’inverse reste un quasi impensé452. Les couples mixtes avec une
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Frédéric VANDEWALLE, Mille et quatre jours, contes du Zaïre et du Shaba, Bruxelles, Fasc. n° 3 p. 409. 448 Voir supra. 449 Sur l’animalisation des Tutsis, voir Hélène DUMAS, Le génocide au village, le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Le Seuil, 2014, p. 24-35 et sur le rôle des médias dans le génocide voir Jean-Pierre CHRETIEN, Rwanda les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995, p. 367-372. 450 Ann STOLER, La chair de l’Empire, savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, Paris, La découverte, 2013, 400 p. 451 Amandine LAURO, Coloniaux, ménagères et prostituées au Congo Belge 18851930, Bruxelles, Labor, 2005, 263 p. Delphine PEIRETTI, Corps noirs et médecins blancs : Entre race, sexe et genre : savoirs et représentations du corps des Africain(e) s dans les sciences médicales françaises (1780-1950), thèse soutenue à l’Université d’Aix-Marseille en 2014. 452 Léon POLIAKOF, Le couple interdit, Paris, EHESS, 1980, 258 p. Abdelmalek SAYAD, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, Bruxelles, Raisons d’agir, 2006, 205 p.
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femme européenne sont rares voire exceptionnels. Les leaders ont défié l’ordre colonial jusque dans leur vie privée. Boganda s’est marié avec une Française avec laquelle il a eu trois enfants métisses. Il n’est pas le seul à franchir le pas : Messali Hadj s’est uni avec Emilie Busquant, Ferhat Abbas avec Marcelle Stœtzel, Habib Bourguiba avec Mathilde Clémence Lorain et Cheikh Anta Diop avec Louise Marie Maes. Toutes ces femmes étaient des militantes, leurs rencontres ont eu lieu en France car les occasions de croiser des femmes européennes au pays sont rares, tant elles sont confinées à l’espace domestique ou déjà mariées. Les soldats coloniaux démobilisés en France, les étudiants « noirs » et les hommes politiques venant des colonies pour assurer en France leur mandat sont les trois catégories d’hommes ayant contracté des unions avec des femmes « blanches ». À l’opposé des colons, ces hommes n’ont guère le choix et ils doivent se marier souvent à l’approche d’une maternité. Ces unions sont vues comme des transgressions. La femme européenne est perçue comme une maîtresse savante, libérée et offerte. Elle est caricaturée comme une ogresse, dévoreuse d’hommes ; assimilée à la puissance colonisatrice : elle est la fille du bourreau. Claude Liauzu évoque ces leaders des indépendances qui ont passé leur vie à guider les leurs et vont épouser des Européennes, poussant, selon lui, l’expérience du colonisateur jusqu’aux limites du vivable453. La presse coloniale va dénoncer en Boganda cet indigène qui renonce à ces vœux mais aussi celui qui se prend pour un « Blanc » jusqu’à convoiter les européennes et réussir à les conquérir. Même dans leur vie intime, les leaders continuent de défier l’ordre colonial et de le fissurer454. De leur côté, ces hommes de pouvoir ont pu se sentir valorisés de plaire à des Européennes que cela soit au sein de relations officielles ou officieuses comme Moumié ou Lumumba 455 . Par leurs pairs, ces unions sont vues comme des 453
Claude LIAUZU, « Guerre des Sabines et tabou du métissage : les mariages mixtes de l’Algérie coloniale à l’immigration en France », Les cahiers du CEDREF, n°8 et 9, 2000, consulté le 23 juillet 2017. URL : http://cedref.revues.org/207 454 Violaine TISSEAU, « Quand l’intime défie l’ordre colonial - Les couples de Malgaches et d’Européennes en Imerina (Hautes Terres centrales de Madagascar) de 1896 à 1960. », Genre & Histoire, n°7, 2010, consulté le 24 juillet 2017. URL : http://genrehistoire.revues.org/1063. 455 Pedro MONAVILLE, La crise congolaise de juillet 1960 et le sexe de la décolonisation dans Eliane GUBIN et Valérie PIETTE, (dir.), Colonialismes, Bruxelles, l’édition de l’Université de Bruxelles, 2008, 187 p.
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aliénations, des acculturations guidées par le besoin « de se justifier et de se racheter456 ». René Malbrant, à Brazzaville et à Paris entreprend une campagne diffamatoire contre Barthélémy Boganda d’une violence relevant de l’assassinat médiatique 457 . Député de l’Oubangui-Chari de 1946 à 1958, gaulliste fervent depuis 1940, il est élu sous l’étiquette RPF en juin 1951 et reste fidèle au général de Gaulle avec Jacques Foccart en 1952 et en janvier 1956, après la mise en sommeil du RPF. Parlementaire actif, demeurant alternativement à Paris, dans la Vienne et au Tchad, René Malbrant fait plusieurs fois par an, durant les intersessions parlementaires, des conférences publiques en Afrique pour maintenir les liens avec ses électeurs coloniaux. Surtout, il se fait leur porte-parole auprès des ministères, notamment pour les militaires. À l’Assemblée consultative dès 1946, il siège à de très nombreuses commissions (France d’outre-mer, intérieur, santé publique, agriculture et ravitaillement, commission permanente de coordination des Affaires musulmanes). Par la suite, il concentre son action à la Commission des territoires d’outre-mer, dont il assume la viceprésidence durant les deux premières législatures de la IVe République. Il défend activement les intérêts des Européens en Afrique. Ainsi, lors du débat parlementaire de janvier 1952 où est discuté le projet de statut des assemblées locales, il défend les amendements du conseil de la République visant à renforcer la place des élus européens face aux autochtones. Il s’affronte très souvent avec le député Boganda à l’Assemblée et le journaliste J. Ladreit de Lacharrière devient son porte-plume dans Climats. Il est décrit comme un homme « signalé pour ses nombreuses interventions à la tribune, où il n’a cessé de témoigner de sa compétence. Il a très bien défendu les intérêts des territoires qu’il représente dont il a une connaissance totale. Aimé et estimé de tous les coloniaux… Il est intervenu dans presque tous les débats avec intelligence et modération458. » Il profite du mariage de Boganda pour lancer une campagne de diffamation.
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Albert MEMMI, Portrait du colonisé, précédé du Portrait du colonisateur, Paris, Payot, 1973, p. 171-172. 457 Les articles publiés par Climats, l’hebdomadaire des défenseurs de la guerre d’Indochine, et à Brazzaville par l’Étincelle de l’AEF, organe de la fédération locale du RPF, fustigeaient principalement B. Boganda entre 1948 et 1952. 458 Climats, n° 194, 2 septembre 1949.
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« Boganda, l’une des plus grosses désillusions du MRP. Si cet abbé s’était contenté d’envoyer des lettres de faire-part de mariage à ses collègues, il serait resté dans le style comique ; malheureusement pas plus qu’il ne respecte son vœu de célibat, il ne pratiquait la charité chrétienne, ce qui l’a amené devant les tribunaux de son pays, le faisant rentrer dans le drame avec une sombre affaire empoisonnement459. »
Le mariage du député avec Michelle Jourdain donne donc lieu à une campagne sarcastique, de très mauvais goût, surtout orchestrée par Malbrant et relayée par le journal Climats : « Tous les députés ont reçu la semaine dernière un joli carton sur lequel étaient gravés les mots - M. Barthélémy Boganda et madame née Michelle Jourdain ont l’honneur de vous faire part de la naissance de leur fille Agnès, Paris le 23 juin - M. Barthélémy Boganda n’est autre que l’ancien abbé Boganda, membre du MRP. Il quitta ce parti, jeta sa soutane et se maria… conséquences imprévues de la vie politique460. »
L’événement donne lieu à d’autres notations de la même eau : « M. l’abbé Boganda a lancé comme Jeanneton son bonnet, sa barrette pardessus les moulins et jeté aux orties son froc immaculé. Avec ostentation (…) 461 ». Ce numéro est assorti d’un petit dessin représentant un homme et une femme nus, vus d’arrière, en train de courir, avec leurs habits jetés par terre. Pour les rédacteurs de Climats, ce renoncement aurait conduit Boganda à être exclu du MRP, mais les lettres de ce dernier à Georges Bidault et à François de Menthon attestent qu’il a démissionné, suite à l’absence de réaction, de réprobation et de soutien de son parti 462 . Le mariage de Michelle Jourdain avec Barthélémy Boganda, a alimenté les préjugés des colons. « Le fait d’être revenu de Paris avec une femme blanche avait encore ajouté à son prestige 463 . » Cette union a conduit l’abbé à 459
Climats, n° 284, 24 mai 1951. Climats, « Hyménée », n° 242, 3 août 1950. 461 Climats, « Les risques de la paternité… », n° 243, 10 août 1950. 462 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda - Écrits et discours, op. cit., p. 320-321. 463 Climats, n° 268, 1er février 1951, « Quand les députés jouent aux satrapes : Boganda l’abbé défroqué se prend pour le pape de l’Oubangui » à la une, récit qui termine par « Cette fois-ci trois coups de clairon ont suffit mais qu’on y prenne garde. La prochaine fois ce sont des coups de fusil ! » 460
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renoncer à ses vœux et très vite le mariage a débouché sur la naissance d’une petite fille, Agnès, que les rédacteurs de Climats vont appeler péjorativement Bogandinette464. La charge des « journalistes » est très forte, Boganda attaque pour diffamation. L’attirance sexuelle présumée ou non des leaders pour les femmes blanches est également un ressort médiatique jouant aussi contre Patrice Lumumba. À la une de La Libre Belgique du 19 juillet 1960 consacrée à son voyage aux États-Unis, paraît un article dans la tradition colonialiste très visible dès le titre « La case de l’oncle Patrice ». À cette date la situation au Congo s’est largement détériorée et le Premier ministre comme le président Kasa-Vubu ne contrôlent plus l’unité du pays. Cet éditorial signé sous pseudonyme est paroxystique dans la manière de qualifier le personnage et de revenir sur les suspicions qui l’entourent, notamment sur l’attirance supposée du Premier ministre pour les femmes blanches. « La cordiale poignée de main au nègre qui porte la responsabilité d’un nombre indéterminé de viols de femmes belges, de religieuses belges, d’épouses de missionnaires américains. On apprécie ! (…) et les honneurs militaires pour un nègre Premier ministre d’un soi-disant État dont l’armée après avoir décidé de se rebeller contre son Premier ministre, retourna et concentra son tir sur les femmes de peau blanche. On apprécie ».
Plus loin, en référence à son séjour à Blair House, maison des hôtes en face de la Maison Blanche : « Il y a une vieille dame blanche qui prend soin du visiteur. Elle est de peau blanche. Pourvu que rien ne lui arrive. »
Le fantasme du viol de la femme blanche par un Noir est très présent dans l’imagerie coloniale, il alimente les stéréotypes du « péril noir ». Le contact entre les populations colonisées et des femmes occidentales est un motif d’inquiétude. La peur de l’agression sexuelle dont pourraient être victimes des femmes blanches alimente des récits mythiques d’horreurs perpétrées à leur encontre. Le fantasme du « péril noir » ressurgit à chaque période de tension et renvoie aussi au stéréotype du « sauvage ». Patrice Lumumba réagit à ses propos diffamatoires : 464
Climats, n° 243, « Les risques de la paternité… », 10 août 1950.
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« Ils ont peur. Pour eux un Congolais, un Africain est avant tout un nègre et ce qu’ils en connaissent c’est ce qu’en dit leur dictionnaire : esclave noir qui appartient à la race des noirs, travailler comme un nègre, traiter quelqu’un comme un nègre, c’est-à-dire avec mépris et dureté.465 »
Félix Moumié a eu recours lors de ses voyages en Europe aux services tarifés de prostituées blanches dont Liliane Frily sera la dernière en date466. Les papiers trouvés au domicile de Bechtel, alors qu’il « filait » Moumié, l’atteste. Pragmatiquement, cela a constitué un talon d’Achille dont les services secrets se sont emparés pour approcher le leader mais cela n’a jamais paradoxalement constitué un ressort médiatique pour le décrédibiliser. 4) Diabolisation Le procédé de diabolisation a été exclusivement réservé à la déstabilisation de Patrice Lumumba. La duplicité et l’ambivalence de l’homme ont sans cesse été mises en avant. Au départ, « M. Lumumba aime souffler le chaud et le froid », « le personnage est insaisissable et ondoyant, équivoque467 », puis la diabolisation touche de plus en plus des détails moraux. Le journal La Libre Belgique évoque alors son « esprit diaboliquement destructif » ou « le caractère satanique » de son parcours en flèche468. Le 14 septembre, dans La Libre Belgique : « Hier Lumumba était vaincu. En quelques heures, il est redevenu le personnage terrifiant que l’on n’ose attaquer de front. À la cité, on dit qu’il consulte une féticheuse célèbre et c’est à cause de cela qu’il est si fort, et qu’il n’y a plus rien à faire contre lui469 », « Lumumba a été arrêté, puis s’est, semble-t-il, libéré par la force de son éloquence et de son magnétisme personnel sur les soldats. Il semble vraiment que les choses se soient passées ainsi ». Le 19 juillet, le journal commente ainsi la disparition de Lumumba « la foule de badauds échafaudaient les versions les plus ahurissantes – telle l’évasion de Lumumba par le trou de la serrure d’une porte qu’on avait fermée à clé. » Totalement 465
Serge MICHEL, Uhuru Lumumba, Paris, Juillard, 1961, p. 111. Voir supra. 467 La Libre Belgique, les 1er juin, 6 juin, 16 juin 1960. 468 La Libre Belgique, les 16 juillet, 17 août 1960. 469 Voir Première partie, chapitre II sur les relations entre sorcellerie et politique. 466
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irrationnelle, la diabolisation du personnage rend possible sa lecture à l’aune des légendes comme un esprit malin. Gérald Messadié affirme que le diable, incarnant le Mal – en tant qu’ennemi de Dieu – fut d’abord une invention politique « un système (…) fondateur d’un délire logique destiné à renforcer le pouvoir en place. Le diable, personnage éminemment politique, sert d’emblème au refus de toute autorité, c’est le négateur universel, le dieu des nihilistes470. » Ainsi l’enlaidissement physique et la détérioration morale de Patrice Lumumba, dans le récit des événements du Congo par le journal, n’auraient pas pour unique fonction de déprécier la personne. Au-delà de celle-ci, et au fil de sa diabolisation, Lumumba devient le triple symbole de trois champs qui s’opposent à la ligne du journal : le progressisme voire l’anticolonialisme, l’antimonarchisme et le communisme. Son discours le 30 juin 1960 a été perçu par La Libre Belgique comme une allocution « débordante de haine antiblanche, anti-européenne, anti-belge 471 ». Cette accumulation « d’anti » renforce le statut diabolique de Lumumba, il est présenté à cette occasion à la limite de l’humanité, à l’image des diables nés par lycanthropie : « Il bondit littéralement à la tribune et vomit sa diatribe inattendue 472 . » Le péril communiste est l’élément-clé d’explication idéologique à la diabolisation du personnage de Lumumba. La date charnière est le 19 juillet, lorsqu’il sollicite directement l’URSS pour la première fois. Le lien entre Lumumba, la gauche et le communisme s’est construit par paliers. Le journal remarque d’abord qu’il est soutenu en Belgique par certains socialistes, l’éventualité communiste est ensuite avancée, mais uniquement de manière allusive ou via la citation de paroles d’autrui, de rumeurs. Puis pour clore le processus, les insinuations deviennent certitudes et mi-juillet l’appel de Lumumba aux Soviétiques lève tous les doutes 473 . Jusqu’au 29 septembre où la manchette du journal dénonce l’échec des communistes au Congo, le journal développe les références au diabolique péril communiste que représente Patrice Lumumba. Aucune enquête sérieuse n’a été faite par le journal sur le leader : il
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Gérald MESSADIE, Histoire générale du diable, Paris, Laffont, 1993, p. 9-14. La Libre Belgique, 11 juillet 1960. 472 La Libre Belgique, 11 juillet 1960. 473 Voir Quatrième partie, chapitre I, pour tous les aspects concernant les relations entre le communisme et les leaders. 471
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engendre la peur, il révulse et la condamnation est sans appel car elle repose exclusivement sur cette peur irraisonnée. Le diable Lumumba doit susciter cette peur aux yeux de lecteurs imprégnés de religion catholique, baignant dans une culture où la figure diabolique est assimilée au mal absolu mais aucune étude scientifique sérieuse n’a été faite pour savoir comment cette propagande a été reçue. Rares sont les journaux belges, de langue française ou flamande, à se positionner en faveur du leader congolais, que ce soit De Standaart, La Dernière heure, Vooruit, Het Volk ou Le Soir. Le Peuple, mais surtout Le Drapeau rouge sont les deux seuls journaux, proches du Parti communiste belge (PCB), à prendre la défense de Patrice Lumumba, taxant le gouvernement Eyskens de fourberie et de désobéissance aux décisions de l’ONU474. Ces prises de positions renforcent l’idée qu’il n’est qu’une marionnette entre les mains des Soviétiques475. Ainsi, en faisant passer Lumumba pour un diable, les médias belges ont régulièrement renforcé l’image de l’être néfaste dont il faut se débarrasser et ainsi autorisé moralement sa disparition dans une partie de l’opinion politique belge. 5) Rumeurs et prise de risque journalistique Avant de mourir réellement, les leaders sont annoncés morts plusieurs fois dans la presse. Ainsi Le Monde, du 7 mars 1953, a publié : « Um Nyobè a été assassiné mercredi soir près de Bamoun par des adversaires politiques. Aucune confirmation officielle n’a encore été donnée de l’événement. Il est possible, fait-on observer, que le leader camerounais ait été tué au cours d’une échauffourée ». L’information est relayée par L’Humanité le 28 mars 1953 476 , avec pour titre : « Crime colonialiste – À son retour de l’ONU, UM RUBEN EST ASSASSINÉ ». Pourtant, dans le corps de l’article, l’auteur anonyme révèle l’absence de fiabilité de l’information : l’événement est certes contextualisé, Um Nyobè revient des États-Unis et de l’ONU (décembre 1952), fort de son succès 474
Le drapeau rouge, 14 juillet, 16 juillet et 27 juillet 1960. Brigitte MORUE, Lumumba à travers la presse belge, Mémoire de journalisme soutenu à l’Université Libre de Bruxelles en 1980. 476 Archives sur cette rumeur : CAOM - FM 2310, SHD – 6H 237. 475
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populaire, « il est accueilli triomphalement par 30 000 personnes à Douala (…) 5 000 à Boumnyebel », mais ce même auteur évoque tout au plus une tentative d’assassinat quelques jours plus tard à Douala : « René Gateau477, armé d’un revolver, se présenta, à Douala, au domicile d’Um Ruben. Grâce à la vigilance des militants de l’UPC présents, Gateau fut démasqué et la police contrainte de l’arrêter. Um Ruben déposa une nouvelle plainte pour tentative d’assassinat… et Gateau fut relâché. »
L’écart entre le titre et le contenu de l’article est important, néanmoins, cette rumeur fait du bruit à l’Assemblée nationale478. La rumeur est un processus analysé par Pascal Froissart comme une action psychologique basée sur l’idée d’une pensée contrefactuelle, de mythes, de fantasmes pour l’humanité qui peine à faire face aux réalités 479 . Pour le sociologue Philippe Aldrin : « Il n’y a pas de politique sans rumeurs », la rumeur jouit de nombreux avantages en politique. « Elle évite de se montrer à visage découvert. D’autres parlent à votre place et se font les porteurs volontaires ou involontaires de la rumeur. L’opinion publique se fonde plus sur des impressions que sur des faits480. » On a longtemps considéré la rumeur comme le mode de communication privilégié pendant les crises sociales ou politiques, un transfert d’agressivité sur les minorités et les autorités. Ce schéma est réducteur en ce sens que les rumeurs ne cessent jamais - elles expriment le besoin d’imaginaire d’une société mais il est vrai qu’elles gagnent en visibilité pendant les moments de crise, lorsque les autorités (justice, pouvoir, médias...) sont affaiblies. Les différents types d’acteurs sociaux ne diffusent les rumeurs que lorsqu’elles entrent en résonance avec leurs propres préoccupations, leur système culturel et leurs intérêts du moment. La rumeur présente quatre stades clairement identifiables : l’implication, l’attribution, 477
En dépit des recherches de l’auteure, il n’a pas été possible d’identifier précisément cette personne – ANY 3AC 1852 Anti-upécisme 1953, l’affaire UPC/Gateau. 478 Journal officiel des débats parlementaires de l’Assemblée nationale, année 1952, http://4e.republique.jo-an.fr/ consulté le 13 février 2014. 479 Pascal FROISSART La rumeur histoire et fantasmes, Paris, Belin, 2002, 280 p. et sur le phénomène rumoral voir aussi François PLOUX, De bouche à oreille, naissance et propagation des rumeurs dans la France du 19e siècle, Collection historique, Paris, Aubier, 2003, 289 p. 480 Philippe ALDRIN, Sociologie politique des rumeurs, Paris, PUF, 2005, 384 p.
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l’instabilité et la négativité 481 . La rumeur de la mort d’Um Nyobè obéit à ces différentes étapes : la mort présumée est un élément négatif fantasmé par certains ou contribuant à renforcer son image de martyr pour d’autres. Elle provient d’un discours rapporté, qui en se diffusant, se modifie par réduction, accentuation, rajouts, omission et la généralisation des faits rapportés. On remarque que ces altérations du message original sont le fait de l’humain. Émanant de la sphère médiatique, cette rumeur est analysée par les services du hautcommissariat du Cameroun à Yaoundé jusqu’au 3 avril date à laquelle la rumeur est démentie. Dans le même ordre idée, à partir de mai 1959, l’animosité de La Libre Belgique pour Lumumba se développe mais en se détachant peu à peu des gestes concrets ou propos de Lumumba pour se fier principalement aux rumeurs. Le 3 mai, le leader est interviewé sous une forme très spéciale. Les questions portent sur des « on-dit », elles commencent toutes par « est-il vrai que… », « On dit que… » « Venons-en à l’argent que vous avez touché… » La conclusion de l’article est à charge : « Voilà ce que nous dit M. Lumumba. Dit-il la vérité en ce qui concerne l’argent de communistes ? Nous ne trancherons pas ». « Beaucoup au Congo pensent que… beaucoup au Congo considèrent que… » « Mais qu’on le veuille on non, cet homme semble devoir jouer un rôle important dans le Congo de demain. Nous en reparlerons donc. ». Le texte met en cause la véracité des propos de l’interviewé et semble accorder davantage de crédit aux rumeurs qui circulent à son sujet. Lors de la nomination de Lumumba comme informateur en vue de constituer le premier gouvernement congolais, cet événement est vu comme inquiétant482. Finalement, existe-t-il une presse réellement informative, moins subjective et assujettie à des intérêts politiques et coloniaux ? Force est de constater que les « charges médiatiques » sont proportionnelles et temporellement liées au degré de dangerosité présumée des leaders. Lors des négociations de la Table-ronde fin janvier 1960 et après sa révocation le 5 septembre 1960, les articles haineux contre Lumumba s’amenuisent, Nyobè au maquis, Moumié en exil – leur couverture médiatique se rétrécit, Boganda réélu en 1952 et en 1958, la presse colonialiste estompe ses critiques. Un 481 482
Michel-Louis ROUQUETTE, Les rumeurs, Paris, PUF, 1975, 126 p. La Libre Belgique, le 15 juin 1960, titre « une désignation inquiétante ».
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article reste aujourd’hui une référence « objective », qu’il faut discuter, c’est l’article de René Mauriès. Le 8 décembre 1956, en exclusivité pour La Dépêche du Midi483, le journaliste français René Mauriès procède à un entretien sensationnel de Ruben Um Nyobè dans le maquis où il se cache depuis plus de sept mois. Le journal est à cette date le 7e quotidien régional tirant à environ 290 000 exemplaires. L’entreprise est audacieuse : René Mauriès, fils d’instituteur du Tarn, licencié de Lettres, a rejoint dès 1940 le maquis Delmas dans les Gorges du Viaur. Militant de gauche, jouissant d’une liberté de plume, grand reporter au journal depuis 1949, il a couvert le Maroc, la Tunisie, l’Indochine dont une série d’articles « L’Indochine indisponible » reçoit le prix François Jean Armorin le 29 juin 1954. Son travail en Algérie est reconnu en 1956 par le prix Albert Londres484 (Le Rif, guerres des ombres). L’article dont il est question plus bas est structuré autour de cinq questions sur la nature des rapports envisagés entre la France et le Cameroun après l’indépendance, d’un point de vue politique, économique, culturel, éducatif et sur la réunification des deux Cameroun. Les réponses de Um, attentives à la terminologie, sont finement pensées. À la question : « Pensez-vous ouvrir le pays à toutes les influences ou sauvegarder l’empreinte française ? », Um répond : « Je suggérerais de remplacer le terme de toutes les influences par l’expression l’apport de tous les pays, (…) je considère que le Kamerun dispose d’une culture nationale, seul le régime colonial nous empêche de la développer, (…) nous avons toujours proclamé que nous ne confondrons jamais le peuple de France, notre allié, avec les colonialistes français, nos oppresseurs485. »
483
La Dépêche du midi, journal radical, véhicule des valeurs comme la laïcité, le parlementarisme, l’anticolonialisme et l’anticommunisme. Il renait en 1947 après de lourdes compromissions durant le régime de Vichy voir Laurent JALABERT, De Gaulle et un journal provincial d’opposition : La Dépêche du Midi, 1947-1970, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse le Mirail, 1990, p. 17-30. 484 Pierre LACASSAGNE, René Mauriès, journaliste et grand reporter, Toulouse, Éditions Groupe de recherche en histoire immédiate, 2000, 187 p. 485 La Dépêche du Midi, 8 décembre 1956.
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Comment Mauriès a-t-il pu avoir ce scoop ? Au cours d’un reportage au Cameroun, il a obtenu au terme de son enquête une entrevue avec l’administrateur du pays, Pierre Messmer, qui se déroule sous la forme d’un dîner avec leurs épouses respectives. Mme Messmer aborde le problème des indépendantistes rebelles, retranchés dans le maquis. Intrigué par l’existence de cette force d’opposition, René Mauriès gagne le maquis afin de décrocher une interview exclusive de leur leader, il ne révèlera jamais ses contacts, ni les conditions dans lesquelles s’est réalisé cet entretien. Très vite cet article fait réagir le pouvoir politique : un journaliste-traître à la France ose donner la parole à un « résistant camerounais au maquis ». À l’Assemblée nationale, en séance du 28 décembre 1956, lors des questions orales posées au gouvernement, un député du Rassemblement des Gauches républicaines (RGR), Maurice Plantier, député du Cameroun, interpelle le ministre de la Défense nationale et des forces armées, Maurice Bourgès-Maunoury, au sujet de cet article : « Cet entretien réalisé dans le maquis au Cameroun et qui en atteste l’existence constitue-t-il une atteinte au moral de l’armée et de la Nation ? » Dans sa réponse, le ministre revient sur la personnalité de Ruben Um Nyobè, le décrivant comme condamné par défaut à deux ans d’emprisonnement du chef d’accusation de propagation de fausses nouvelles et de dénonciation calomnieuse. Il insiste sur le fait qu’il n’a pas fait l’objet d’inculpation pour infractions à la sûreté intérieure ou extérieure de l’État. Il tente donc de minimiser la dangerosité du personnage. Il rappelle que la publication de cet article de presse n’enfreint ni l’article 76 (paragraphe d) du code pénal (participation en connaissance de cause à une démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale), ni l’article 80 réprimant les atteintes à l’intégrité du territoire français. La loi pénale n’édicte aucune interdiction de communiquer avec un individu condamné à une peine correctionnelle pour délit. Pour Plantier, l’important est de préciser que « La Dépêche a propagé une fausse nouvelle en prétendant qu’il existait un maquis au Cameroun486. » Le 11 décembre 1956, il avait déjà posé la question au ministre de la France d’outre-mer, Gaston Defferre sur l’existence ou non au Cameroun d’un état-major connu sous le nom de maquis. Le 486
Journal officiel des débats parlementaires de l’Assemblée nationale, année 1956 http://4e.republique.jo-an.fr/, consulté le 26 avril 2014.
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ministre avait répondu « qu’il n’existe absolument aucun maquis au Cameroun487. » Il avait d’ailleurs précisé qu’à l’Assemblée nationale, plusieurs députés savaient ce qu’était un maquis en faisant référence à leur passé de résistants. Pour lui, « c’est la constitution hors de la légalité d’un groupe d’hommes organisés pour résister à l’ordre établi, pour se battre et qui se battent effectivement 488 . » Or pour M. Defferre, il n’existe rien de tel au Cameroun. Pour le ministre, les journalistes ont le droit d’utiliser la terminologie qu’ils souhaitent. Tout ceci tient de la mascarade : toutes les archives militaires ou du renseignement conservées à Vincennes mentionnent le terme de « maquis ». Le compte rendu du débat mentionne l’intervention de Jean Baylet, député radical-socialiste du Tarn-et-Garonne, 489 mais aussi directeur du journal et propriétaire de La Dépêche du Midi. Il prend la parole à ce titre en défendant le sérieux du rédacteur de l’article. Il est vrai qu’une confiance mutuelle existe entre les deux hommes 490 , tous deux portent un intérêt particulier au continent africain et à la question coloniale. Mauriès, à la mort de Baylet en 1959, sera d’ailleurs nommé rédacteur en chef du journal par sa veuve. Dans sa plaidoirie en faveur de Mauriès, le directeur fait référence à l’article de Raymond Cartier dans Paris-Match qui parlait de l’UPC en précisant : « Il est irritant, il est inquiétant qu’il existe même quelque part en Afrique noire un maquis même composé de quelques individus dont l’activité principale consiste à intervenir auprès de leurs amis de Yaoundé et de Douala pour qu’ils obtiennent leur part de tribune. Le principe de l’autorité française n’est plus intact dès lors qu’il est bravé par un seul hors-la-loi491. »
La synthèse de ces débats révèle une série de réflexions. Premièrement, politiquement le Cameroun est un sujet sensible pour la France en 1956, Mauriès a été arrêté et il a subi un interrogatoire à
487
Idem. Idem. 489 L’Express, Cherfi Nordine, « Les Baylet : l’alliance tumultueuse de la presse et la politique », le 25 avril 2002. 490 Pierre LACASSAGNE, René Mauriès, journaliste et grand reporter, Toulouse, Groupe de recherche en histoire immédiate, 2000, p. 55. 491 Paris-Match, Raymond Cartier, « En France noire avec Raymond Cartier », n° 383, 11 août 1956 et n° 386, 1er septembre 1956. 488
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Toulouse dont il sort blanchi 492 . Ainsi, tout article de presse lié à l’UPC est décortiqué par les hommes politiques proches des milieux coloniaux. Deuxièmement, les termes de « maquis » et de maquisard ont pour certains résistants, entrés en politique, trop nobles pour être galvaudés par des « indigènes » indépendantistes. Troisièmement, la présence de Jean Baylet comme député et propriétaire de journal révèle la confusion des genres entre la presse et la politique, confusion qui n’a eu de cesse de se renforcer avec la diversification et l’intensification de l’utilisation des médias au cours du XXe siècle. Néanmoins, si l’arme médiatique a été largement utilisée à des fins moins informatives que propagandistes par les médias occidentaux et coloniaux, elle devient très rapidement un « outil » de revendication largement maîtrisé par les leaders nationalistes, bien conscients de l’importance de cette tribune. Pour autant, arrivés au pouvoir, rares sont ceux qui ne favorisent pas la censure pour « museler » les oppositions.
B - Inverser la tendance : les médias, armes de survie du leadership Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la presse mais aussi la radio furent utilisées par les colons, les administrateurs, les missions chrétiennes mais également, fait plus nouveau, par les élites africaines. La période des années cinquante apparaît souvent comme un âge d’or de la presse en Afrique pour la diversité et les nombreux titres de journaux. Ce point de vue doit être relativisé par la faiblesse numérique du lectorat africain directement liée au prix élevé des publications, à la faiblesse de l’urbanisation du continent et à la persistance d’un taux important d’analphabétisme 493 . Les leaders étudiés, dans le sillage d’autres hommes politiques africains comme
492
La Dépêche du Midi, lettre de René Mauriès à Bernard Réglat, publiée en hommage à René Mauriès, 30 mai 1999. 493 Annie LENOBLE-BART et André-Jean TUDESCQ, Connaître les médias d’Afrique Subsaharienne – Problématiques, sources et ressources, Paris, Karthala, 2008, p. 19-21.
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N. Azikiwe au Nigéria ou K. Nkrumah en Gold Coast, ont investi le journalisme comme tremplin politique alors que la pratique coloniale de la censure se généralise au gré des nombreuses convulsions politiques vers les indépendances. Dans son autobiographie, Kwame Nkrumah raconte comment, alors qu’il venait de terminer la première phase de ses études à Achimota et qu’il exerçait les fonctions de moniteur de l’enseignement dans un séminaire catholique d’Amissano, son nationalisme a été mis en éveil par les articles de Nnamdi Azikiwe, « Zik », dans l’African Morning Post sur les atrocités commises par les Italiens en Abyssinie dans les années trente. D’ailleurs, Azikiwe à son retour au Nigeria en 1937 fonde une chaîne de journaux dont le West African Pilot, très lu dans toute l’Afrique de l’Ouest. Sous son influence, K. Nkrumah a compris qu’il existait deux moyens incontournables pour lutter pour la libération des peuples opprimés : l’union des hommes et l’emploi de la presse comme arme décisive. Aussi, partout où il séjourne, il crée des organes de presse pour renforcer l’union et faire passer ses messages : « à mesure que le travail prenait de l’ampleur, je me rendais compte de la nécessité d’avoir un journal comme organe officiel afin de diffuser quelques-unes des idées que nous étions en train de formuler494. » En 1938, aux États-Unis, il fonde l’African interpreter. En 1946, en Angleterre, il continue avec Le Nouvel Africain dont le sous-titre était La voix de l’Africain éveillé et sa devise : « pour l’unité, l’indépendance intégrale », journal qui connait un immense succès495. Dès son retour en Gold Coast il fonde successivement trois journaux « avec les moyens du bord ». Il commence avec l’Accra Evening News, devenu Ghana Evening News, dans lequel chaque jour il rédige l’éditorial et certains articles. Habitude conservée après l’indépendance, quand dans les journaux locaux et notamment les pages du Spark, les Ghanéens liront, les papiers du chef de l’État sous le pseudonyme « Sila »496 : Nkrumah nourrissait une réelle passion pour le journalisme. Le succès inattendu de son premier journal l’amène à en fonder deux autres qu’il contrôlait simultanément : le Morning telegraph à Sekondi et le Daily mail à 494
Kwame NKRUMAH, Autobiographie, Paris, Présence africaine, 2009, p. 375. Ibid., p. 377. 496 Ferdinand CHINDJI-KOULEU, Un pionnier de l’Union africaine, Paris, L’Harmattan, p. 169-170. 495
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Cape Coast, dès 1949. La plupart des articles rédigés tournent autour de l’idée de liberté, de démocratie, du socialisme et du changement de société. Le journalisme devient pour le futur leader ghanéen un moyen de sauvegarder la liberté et de promouvoir les mutations sociales. Ces journaux œuvrent pour l’éveil des consciences des masses. Kwame Nkrumah fut un modèle pour de nombreux leaders au tournant des années cinquante et notamment pour Patrice Lumumba. La conférence d’Accra en décembre 1958 a été pour ce dernier un moment d’éveil politique, il a acquis la certitude qu’une solidarité et une unité africaine sont possibles. Il va désormais largement s’inspirer des méthodes de leadership de Kwame Nkrumah. L’homme qui rentre au Congo le 19 décembre n’est plus le même. Dans l’éditorial du n°1 de L’indépendance du 25 septembre 1959 497 , Patrice Lumumba, fondateur du journal, expose ses motivations clairement : il s’agit de créer une presse authentiquement noire et libre, capable d’informer et d’instruire loyalement les populations autochtones. Pour lui, la presse déjà existante ne permet pas de « s’exprimer librement », « des articles ont été escamotés ou jetés dans le panier par les Européens498 ». Il fonde en mai 1960, un second journal intitulé Uhuru, qui signifie en swahili : liberté. Il serait un peu réducteur cependant d’analyser ces deux créations et les préoccupations de Patrice Lumumba à l’aune de l’influence de K. Nkrumah. Pour cet autodidacte, la presse a été une école. Dès 1948, il est devenu correspondant de presse à La Croix du Congo et La Voix du Congolais publiés à Léopoldville499. Il rédige 497
La collection la plus complète de ces journaux était visible à la bibliothèque François Bontinck de feu Révérend père Maurice d’Hoore qu’il a gérée avec maestria à Kinshasa sur le site « scholasticat père Ngonkolo » (Scopenko) de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie. L’auteure n’a pas eu l’opportunité d’y retourner depuis son décès. 498 Archives Tervuren – pour l’Indépendance, fonds B. Verhaegen : 1959, 1re an, n° 1, 2 ; 1960, 2e an, n° 1, 2, 9, 11, 12. Pour « Uhuru », 14/05/1960, 1re an. 29/04/1961 2e an., n° 61. 499 La Croix du Congo, journal rédigé et administré par le secrétariat d’Action Catholique et Sociale à l’intention de l’élite africaine, est un hebdomadaire de 1950 à 1957. En 1958, le journal fait peau neuve en devenant Horizons. La rédaction en chef est confiée à José Lobeya en 1954, un congolais, et l’impression se fait sur les presses du Courrier d’Afrique. La Voix du Congolais parut au début de l’année 1945. Publié sous les auspices du gouvernement général, dirigé avec beaucoup de zèle jusqu’en 1959 par Antoine Roger Bolamba, ce mensuel a pour objectif de faire connaître les préoccupations et les aspirations des élites noires.
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soixante-quinze articles de longueur inégale, la plupart dans La Croix du Congo500, mais son nom n’est pas évoqué avant 1951. Quelles sont ses thématiques ? Il se fait défenseur de l’éducation des femmes, rend un hommage appuyé à Stanley « l’homme prodigieux et incomparable »501 [sic], informe sur la vie locale et sur des sujets très divers : l’amitié, la critique, l’habillement, l’intempérance, la formation permanente, etc. Un écrit important préfigure sa confiance en les relations humaines qui lui sera largement préjudiciable dans sa carrière politique. L’amitié véritable est selon lui désintéressée : « la camaraderie, qui se transforme en amitié est un sentiment spontané, étranger au calcul et à la recherche des mesquins avantages », « si nous voulons réellement travailler pour l’évolution de notre pays, unissons-nous et en nous unissant, soyons de très bons amis entre nous pour nous pardonner réciproquement les petites imperfections de cette vie terrestre502 », « si cette amitié sincère existait parmi tous les membres du cercle des évolués, les difficultés qui nous séparent seraient aplanies »503. Cette activité de journaliste lui a permis de se former et de créer un réseau 504 en procédant à un certain nombre d’interviews de personnalités à Stanleyville505. Du 24 avril au 24 mai 1956, il participe au voyage des notables en Belgique, avec quinze autres personnes. Néanmoins il est le seul à accorder une interview à l’agence Belga destinée à l’opinion métropolitaine 506 . Très tôt, il développe un sens du marketing et de la propagande. Dans son premier article507, il voulait se faire connaître en livrant les résultats de l’École Postale dans lesquels il est classé, puis publie son interview accordée en Belgique. Un peu plus tard, c’est encore lui qui rédige le communiqué de presse annonçant la formation du MNC. Les années
500
Jean Marie MUTAMBA MALOKOMBO, Patrice Lumumba presse 1958-1956, Paris, L’Harmattan, 2005, 228 p. 501 La Voix du Congolais, mai et juillet 1954, n° 100. 502 La Croix du Congo, 23 avril 1950. 503 La Croix du Congo, 18 mai 1952. 504 Il accompagna le sociologue Pierre Clément de l’Institut langues et civilisations africaines au Kasai et écrivit un article l’exode rural, La Croix du Congo, 9 août 1953. 505 La Voix du Congolais, mars 1954. 506 La Croix du Congo, 3 juin 1956. 507 Jean-Marie MUTAMBA MALOKOMBO, Patrice Lumumba presse 1958-1956, op.cit.
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correspondant de
international des sur les causes de
correspondant de
1951-56 sont marquées par son souci de « plaire au colonisateur », de mériter sa considération. Son travail journalistique est aussi caractérisé par sa puissance de travail et son ambition, il apparaît comme opportuniste, naviguant entre les différentes associations d’« évolués », prêchant la tolérance et la patience, tenant à distance les nationalistes qu’il juge alors très extrémistes. Se professionnalisant, il devient l’éditeur responsable de L’Écho Postal, organe trimestriel de l’Amicale des postiers508. Il entreprend d’écrire aussi pour le compte de L’Afrique et Le Monde, édité à Bruxelles, après avoir fait la connaissance à Stanleyville en 1952 de Paul Fabo, journaliste né au Dahomey et éditeur-propriétaire de ce périodique. Dès les années cinquante, de nombreuses polémiques naissent entre Lumumba et la rédaction de L’Essor du Congo, journal fondé par Jean Sepulchre en mars 1928, un ancien administrateur colonial belge, qui devient L’essor du Katanga après le 11 juillet 1960, et avec certains correspondants de L’Étoile-Nyota d’Élisabethville. Les inimitiés ne datent pas de la période de l’indépendance. Après avoir créé le MNC, il offre à ce parti trois organes de presse de combat : Indépendance (basé à Léopoldville), Uhuru (Stanleyville) et Tabalayi (Luluabourg), dans une logique de répartition provinciale héritée de son mentor Kwame Nkrumah. Qu’en est-il des autres leaders étudiés présents en AEF ? À la faveur de l’application au Cameroun de la loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et avec le déclenchement du processus de décolonisation, des nationalistes vont fonder leurs propres journaux. Dans le cadre de l’Union française, le décret du 27 septembre 1946 lève les limitations jusque-là apportées à la liberté de la presse 509 et concourt à son dynamisme en AOF et AEF. Les journaux d’opinion se développent avec la participation des populations africaines aux élections et à la naissance des partis politiques nationalistes. Notamment le RDA, qui joue un rôle
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Défenseur de la corporation des postiers (Dossier Administratif du Personnel aux archives nationales de la RDC, matricule 44 737). 509 Décret du 27 septembre 1946 portant modification de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, consulté aux Archives nationales d’Outre- mer (ANOM) d’Aix-en-Provence, FOM- Lois et décrets 1946- 2 LEG 240.
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précurseur en les utilisant comme un instrument politique510 . Selon Elizabeth Schmidt, le PCF fut un important soutien à l’émergence des quotidiens d’opposition dans les colonies africaines d’expression française « La presse du RDA était l’un des premiers bénéficiaires des largesses communistes. Le PCF distribuait ses propres publications dans toute l’Afrique française et aidait à payer pour les machines à écrire, machines ronéo et gabarits qui permettaient au RDA de produire et de distribuer ses propres journaux et brochures511. » Le but de ces journaux d’opinion est bien évidemment d’accompagner la lutte pour l’obtention de la souveraineté du pays. Parmi les organes de presse appartenant aux nationalistes entre 1946 et 1957 et dans lesquels sont publiées des dénonciations de la présence coloniale, on peut citer : La Voix du Cameroun (fondé par l’UPC), L’Étoile (fondé par l’UPC), Les Cahiers upécistes (fondé par l’UPC), Kamerun Mon Pays (fondé par Jean Ndjeng ), Le Flambeau (fondé par John King), Le Kwifo (fondé par le « Kumzse), La Vérité (fondé par la Jeunesse démocratique du Cameroun (JDC)), Lumière (fondé par l’UPC)... De ces différents journaux, les plus importants sont La voix du Cameroun et Kamerun mon pays. Édités par les nationalistes, ils s’intéressaient aux sujets d’actualité liés aux réclamations de souveraineté et accompagnaient les indépendantistes dans cette quête de l’autonomie complète du Cameroun512. C’est en septembre 1949 que l’UPC fonde à Douala le journal La Voix du Cameroun. Mensuel, il a pour sous-titre jusqu’en décembre 1955 : « Organe de l’Union des populations du Cameroun, section camerounaise du Rassemblement démocratique africain ». Les échanges de Moumié et Nyobè avec notamment Kaldor attestent que ces journaux s’inspirent largement des modèles de journaux de la presse communiste dont ils reçoivent des soutiens logistiques et financiers513. Dès janvier 1956, avec l’adoption d’une nouvelle mise en page et suite à l’interdiction de l’UPC, le sous-titre devient
510
André-Jean TUDESCQ et Jean NEDELEC, Journaux et radios en Afrique aux XIXe et XXe siècle, op. cit., p. 27-41. 511 Elizabeth SCHMIDT, Cold War and Decolonization in Guinea (1946-1958), Athens, Ohio University Press, 2007, p. 32. 512 ANY 3 AC 1867 – journaux politiques création 1956. 513 Archives Kaldor, fonds POLEX.
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l’« Organe central de l’Union des populations du Cameroun514 » et le journal continue de paraître. Plusieurs responsables de l’UPC ont occupé le poste de directeur-gérant de La Voix du Cameroun. Il s’agit respectivement d’Ernest Ouandié de 1949 à 1952, Abel Kingué de 1952 à 1955 et Joseph Innocent Kamsu dès janvier 1956. Ainsi Ruben Um Nyobè, contrairement à Patrice Lumumba, n’a pas dirigé les journaux de l’UPC. Fidèle à la tradition du collectif, les fonctions dirigeantes de l’UPC sont réparties entre plusieurs membres et Um Nyobè n’eut aucune velléité à concentrer toutes les prérogatives dans ses mains. Kamerun mon pays est fondé en janvier 1956 à Douala515. Il a pour sous-titre : « Organe progressiste d’informations ». Le journal Kamerun Mon Pays a pour directeur-gérant Jean Ndjeng, jusqu’en octobre 1956 et à partir de cette période, ce dernier est remplacé par Jean-Paul Zambo. Les nationalistes camerounais vont mettre en lumière dans leurs journaux plusieurs événements qu’ils vont organiser, on peut citer : - la première conférence publique de l’UPC le 22 juin 1948, - la tenue à Dschang, du 10 au 13 avril 1950, du premier congrès de l’UPC, - la conférence publique organisée par ce parti le 12 juillet 1951 pour dénoncer les fraudes constatées lors des élections de juin 1951 et réclamer l’indépendance du Cameroun, - la première intervention du secrétaire général de l’UPC, Ruben Um Nyobè, le 17 décembre 1952 à la 7e session de l’Assemblée générale des Nations unies, pour exiger « la fixation d’un délai à l’expiration de la Tutelle afin que le Cameroun soit indépendant »…
514
Le journal est mensuel et coûte 15 francs à l’intérieur du Cameroun et 20 francs à l’extérieur du pays. Son siège est à New-Bell à Douala. Le tirage moyen de cette publication est de 3 000 exemplaires. Il est édité en noir et blanc. Ce support d’information est imprimé sur quatre pages, sur un format de dimension 410 x 290 mm de sa fondation jusqu’en 1955 et est tiré sur offset. Mais dès 1956, il est ronéotypé et son format a désormais une dimension de 290 x 210 mm. 515 À son lancement il est trihebdomadaire, paraissant le mardi, le jeudi et le samedi. Mais en octobre 1956, il change de périodicité et devient quotidien dans sa nouvelle version. Le journal est ronéotypé et est édité sur un format de dimension 290 x210 mm. Il a un tirage moyen de 1 000 exemplaires et à 4 pages même si la densité de l’actualité amène parfois ses promoteurs à le produire sur 6 ou même 8 pages.
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- la tournée nationale du 14 au 30 janvier 1953 d’Um Nyobè visant à faire un compte rendu de sa mission à l’ONU, - la deuxième intervention du secrétaire général de l’UPC à la 8e session de l’Assemblée générale de l’ONU, le 9 décembre 1953, pour réclamer encore une fois l’indépendance et la réunification du Cameroun, - la troisième prise de parole du secrétaire général de l’UPC devant la 9e session de l’Assemblée générale de l’ONU, - la tenue du premier congrès du Mouvement d’union nationale (MUN) le 9 juin 1956 qui présente ses principales revendications, à savoir : le rejet de la loi-cadre, la dissolution de l’Assemblée territoriale du Cameroun, l’organisation de nouvelles élections sur la base du suffrage universel et l’indépendance du Cameroun dans un délai court516. Tous ces événements de grande portée liés aux revendications de l’indépendance du Cameroun n’ont bénéficié d’aucune couverture médiatique de la part des autres principaux organes de presse écrite du pays. Um Nyobè est totalement ignoré des journaux les plus lus au Cameroun ou alors souvent critiqué ou diffamé. Ainsi se révèle l’urgence de créer ses propres journaux pour rétablir l’équité informative. En analysant les différents numéros de la Voix du Cameroun, trois sujets monopolisent les unes de façon récurrente : les actions auprès de l’ONU, les tournées de Ruben Um Nyobè et la création de l’UPC. Le journal subit des procès de la part des administrateurs coloniaux et ne paraît pas entre 1950 et janvier 1952517. Luttant contre les journaux favorables à l’UPC clandestine depuis mai 1955, le gouvernement local camerounais fait passer une loi du 27 mai 1955 autorisant la saisie des journaux par le ministre de l’Intérieur. Dans un article publié le 27 novembre 1956, le quotidien Kamerun Mon Pays n° 33, publie un article dans lequel il dénonce l’interdiction par l’administration coloniale d’une réunion publique organisée par des nationalistes réunis au sein du MUN, un 516
Alain ASSOMO, La presse écrite au Cameroun à l’ère des revendications d’indépendance, mémoire de Master 2 de l’université de Yaoundé, II, 2010. 517 Ferdinand Chindji-Kouleu quant à lui écrit ce qui suit : « Interdiction de La Voix du Cameroun pour avoir déclaré : « La colonisation, c’est le vol, c’est le pillage, c’est le meurtre » ».
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regroupement de plusieurs partis, fondé après la dissolution de l’UPC518. La réunion était prévue à Douala le 27 novembre 1956 mais suite à son interdiction, les organisateurs se voient contraints de l’annuler. Kamerun Mon Pays tente donc de relayer cette information dans ses colonnes. Seulement, dès la mise en vente du n° 33 qui contient ladite information, plusieurs sources évoquent une réaction des autorités coloniales à son encontre. D’après la correspondance signée du chef de la région du Wouri519 et adressée au commissaire de police du 2e arrondissement de New-Bell, le chef de région lui ordonne de saisir Kamerun Mon Pays, motivant cette décision par le fait que « le numéro en question contient des diffamations, publications de fausses nouvelles pouvant troubler l’ordre public ». Le motif est donc trouvé, le journal est saisi. Dans ce contexte tendu, d’autres journaux sont créés, comme L’Effort camerounais de l’abbé Fertin, le Bamiléké, journal pro-colonial, pour contrecarrer la puissance médiatique d’opposition de l’UPC. Par rapport à la densité camerounaise, le paysage médiatique dans lequel naît le premier journal centrafricain à l’initiative de Barthélémy Boganda est désolé : « Cendrillon de l’Empire », l’Oubangui-Chari est aussi un territoire sans réel média de contestation. Le titre choisi par le leader oubanguien est d’ailleurs sans équivoque : Pour Sauver un 518
Simon Thadée Beyaga « Un drame à Kamerun Mon Pays », Kamerun Mon Pays n° 35 du jeudi 29 novembre 1956. Dans cet article, le rédacteur raconte les circonstances de la saisie de la parution n° 33 du journal. Voici ce qu’il dit à ce propos : « Le 27 novembre à 9 h 30 M. le commissaire de police du 2e arrondissement de New-Bell, accompagné de 2 secrétaires de police MM. Nsoka Zachée et Dibonga Mathieu, et trois agents de police, arriva à la direction de Kamerun Mon Pays. Il pénétra brusquement dans la maison et après avoir défendu aux clients et au personnel du journal de sortir, M. le commissaire procéda à une perquisition policière arbitraire et illégale. Il ramassa tous les journaux et documents qu’il trouva dans la maison. À une question du personnel qui lui demandait s’il s’agissait d’une saisie du journal ou d’un numéro, le commissaire répondit : il s’agit de la saisie du numéro du journal d’aujourd’hui. Nous fûmes, Missongo Raymond et moi transportés au commissariat de police de New-Bell où l’on procéda à l’examen des journaux et documents. Monsieur le commissaire de New-Bell confisqua le numéro du journal du 27 novembre 1956 et nous restitua les autres documents. Je ne savais exactement de quoi il s’agissait et c’est à ce moment qu’il me fût révélé que la saisie du journal a été ordonnée par M. le Chef de la région du Wouri ». 519 ANY, correspondance n° 1.126/CF/RWI du 27 novembre 1956.
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Peuple. Le n° 1 date du 17 juillet 1948, avec comme sous-titre : Bulletin mensuel d’action politique, économique et sociale en AEF. L’intégralité du numéro est rédigé par Boganda lui-même avec un objectif : « dire la vérité à tous sans souci de ménager tel ou tel, au risque évidemment de me créer des rancunes520 ». Il y dénonce les ravages démographiques de la colonisation sur le pays et propose un programme politique, économique et social, et rend compte de ses activités politiques en tant qu’élu, activités exercées depuis 1946 sous l’étiquette MRP. La parution du journal est très irrégulière. Quelques feuilles ronéotées, composées et imprimées à Paris qui sont ensuite distribuées individuellement et gratuitement. Boganda est en avance dans ce domaine sur certains députés et partis. Le RDA fera paraître à Brazzaville le premier numéro de son journal L’Afrique nouvelle, juste un peu après, en août 1948. Seule Jane Vialle, qui fait partie de l’Association des Femmes de l’Union française (AFUF) dont elle est secrétaire générale, a publié des articles dans le journal de l’AFUF, depuis 1946. Le n° 2 de Pour Sauver un Peuple paraît en septembre 1948, les n° 3 et 4 fin 1948 / début 1949, les n° 5 et 6 en août 1949. Le journal acquiert une certaine notoriété, diffusé en France, en Belgique, en Suisse mais aussi en Afrique du Nord et en AEF. Le ton est libre : certains extraits seront repris dans les journaux comme L’Aube (MRP), mais aussi par les journaux de gauche comme L’Humanité, Les Allobroges (grand quotidien des Alpes et de la vallée du Rhône). Cette forte activité médiatique vaut à Boganda un article très violent dans Climats 521 . Dans le n° 10, Boganda confie aux lecteurs ses difficultés : « pas de subventions », « faibles moyens », il fait appel à la générosité de tous. Agnès Boganda confie que sa mère aidait son père à rédiger ses articles, les tapait et les imprimait tant l’activité politique de son mari l’accaparait522. Dans ces publications, les termes abordés sont centrés sur la dénonciation des méfaits de la colonisation, le racisme, la négrophobie, la liberté du travail et de la création de coopérative ou encore le relèvement économique. Une partie est toujours consacrée à son agenda (Boganda est très soucieux de montrer ses actions en faveur des Oubanguiens) et aux problèmes le concernant plus directement : son expulsion du restaurant Pindere à 520
Pour Sauver un Peuple, n° 9-10, 1949. Climats, n°194, 2 septembre 1949, rédigé par J. Ladreit de Lacharrière. 522 Entretien avec Agnès Boganda le 18 juillet 2012. 521
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Bangui le 31 juillet 1948, l’abstention des députés qui ont trahi les Oubanguiens lors de la demande de subvention de la Socoulolé, ou l’affaire Bouscayrol 523 . Le n° 1 de Terre Africaine, son nouveau journal imprimé et organe de liaison du Mouvement de l’Évolution sociale de l’Afrique noire (Mesan), paraît en mars 1951. Boganda en est le directeur-fondateur. Dans les n° 2 et 3, il se sert du journal pour se défendre dans l’affaire de Mbaïki et, les 4 et 5 novembre et en décembre 1958, pour promouvoir l’indépendance de la République centrafricaine avant la création d’un nouveau journal : Pour une République centrafricaine en 1958. Les deux premiers titres sont très artisanaux et reposent sur l’entier investissement intellectuel et logistique de Boganda. À compter de 1957, il écrit sporadiquement dans le journal Bangui la so créé par les Européens résidant à Bangui, dont Paul Plantevin fut le directeur. En définitive, la presse écrite fut largement utilisée par les leaders étudiés : quel que soit le paysage médiatique des pays concernés et en dépit des obstacles nombreux posés par l’administration et les lobbys coloniaux, ils ont, avec une éducation rudimentaire (aucune des quatre personnalités étudiées n’a mis un pied à l’étranger pour faire ses études, contrairement à Nkrumah et Azikiwé) réussi à doter les jeunes Républiques, en création ou déjà créées, d’instruments médiatiques de bonne facture. En plus de la presse, les leaders de l’indépendance se sont servis d’un autre outil en pleine expansion : la radio. Dans plusieurs pays, l’installation de la radio a coïncidé avec l’accession à l’autonomie en vertu de la loi cadre de 1956 ou à l’indépendance dans les années soixante. À l’exemple de la France où la radio fut un instrument de contestation durant la Seconde Guerre mondiale et est devenue un instrument de la politique gouvernementale sous la IVe comme sous la Ve république, les leaders africains héritiers des installations radiophoniques coloniales en ont fait un instrument de mobilisation politique et nationaliste524. La généralisation des postes à transistors date effectivement de la fin des années soixante, mais le coût trop élevé des récepteurs dans les colonies constituait un frein à la 523
Voir deuxième partie, chapitre III. Simon POTTER, Broadcasting Empire, the BBC and the british world, 19221970, Oxford, 2012, 272 p.
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vulgarisation de la radio. De plus, les postes récepteurs nécessitaient une batterie dans les régions non électrifiées. La radio est restée donc un produit urbain et est demeurée plus développée dans l’espace anglophone525. Au Congo belge, la tutelle des Européens sur les ondes reste totale jusqu’en 1960 et moins de 20 postes ont été dénombrés pour 1 000 habitants à cette même date. Les nouveaux États indépendants, par l’intermédiaire de leurs leaders, prennent massivement le contrôle de la presse écrite mais aussi celui de la radio naissante. Ce qui fut le cas de Boganda, pour les ondes émises depuis l’antenne de Brazzaville, et de Lumumba, depuis l’antenne de Léopoldville, jusqu’à sa révocation où l’accès à la radio lui est interdit suite aux ordres du groupe de Binza526. Cette décision parachève son élimination politique locale et internationale. La radio permet de transcender les frontières, de donner rayonnement et existence, ainsi Félix Moumié utilise la radio pour continuer à donner une légitimité politique à l’UPC en exil, quitte à ce que les programmes émis depuis le Caire en arabe déroutent les partisans527. Le retrait progressif des groupes de presse coloniaux permet aux leaders de l’indépendance de bénéficier des structures existantes puis, parfois, de mettre en place, à leur tour, des législations restrictives en matière de liberté de la presse. Pour ceux qui en ont eu le temps et l’opportunité, ils ont été tentés de censurer à leur tour la presse, à l’instar de Kwame Nkrumah ou Sékou Touré 528 . Ainsi en pleine période d’instabilité, le 8 août 1960, le Conseil des ministres de Patrice Lumumba fait paraître un arrêté par lequel il est désormais impossible de publier un journal sans autorisation préalable, certaines parutions pouvant être interdites, comme « certains dessins, gravures, peintures, emblèmes ou image susceptibles de porter atteinte au
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André-Jean TUDESCQ et Jean NEDELEC, Journaux et radios en Afrique aux XIXe et XXe siècle, op. cit., p. 87, voir Simon POTTER, op.cit., p. 134. 526 Serge MICHEL, Uhuru Lumumba, Paris, Juillard, 1961, p. 226. 527 SHD 10 T 175 528 Sur K. Nkrumah, Time, « on to dictatorship », 8 décembre 1961 et sur la Guinée, la thèse de Mamadou DIALLO, Un siècle de journaux en Guinée – Histoire de la presse écrite de la période coloniale à nos jours, soutenue en mai 2013 à l’université Toulouse Le Mirail, p. 163-211.
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respect de l’autorité du gouvernement 529 . » Les journaux belges se sont empressés de répercuter cette décision comme le premier acte d’une dictature dont les autorités belges n’avaient pourtant pas fait l’économie pendant plus d’un siècle. Aux yeux des leaders, la meilleure solution pour rassembler des populations dont le regroupement pouvait paraître artificiel ou incomplet au sein du nouvel État-nation, était d’imposer des lois contre la liberté d’expression : par exemple Horoya fut l’unique quotidien autorisé au service de Sékou Touré jusqu’en 1965 530 ou Togo-presse, celui de Sylvanus Olympio jusqu’à son assassinat en 1963. Jusque dans les années vingt, l’AEF et le Congo belge ont vécu dans une quasi-absence de médias au sens occidental du terme. Au regard des articles publiés, il ressort que la presse au Cameroun, en Oubangui-Chari et au Congo belge, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, était une affaire de colons et plus précisément de missionnaires. Aucun article ne porte une critique contre le système colonial ou pour l’amélioration des conditions de vie des colonisés531. C’est dans ce contexte médiatique très verrouillé, que les leaders de la contestation coloniale ont été « brutalisés » dans les mots et dans les actes : ridiculisés, vilipendés, effacés, animalisés. Compte tenu des lois contraignantes et liberticides, une presse animée par des Africains pour des Africains ne voit le jour qu’après la Seconde Guerre mondiale, en même temps que se diffuse la radio. Ainsi, dans un cadre politique qui a évolué, profitant de l’allégement du cadre juridique de la presse et de la reconnaissance du droit d’association politique et syndicale, les leaders politiques et syndicaux vont créer des journaux de 1949 à 1960 pour leur propagande. Cette nouvelle situation donne lieu à une lutte acharnée entre la presse « nationaliste » et la presse alliée de l’administration coloniale. Une lutte des mots, une lutte asymétrique tant les moyens d’agir sont différenciés. Les conditions de création requises pour un organe de presse étaient quasiment 529
Texte publié par La Libre Belgique le 19 août 1960 et repris par Emmanuel BEBE BESHELEMU, Presse écrite et expériences démocratiques au Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 2006, 299 p. 530 Mamadou DIALLO, Un siècle de journaux en Guinée – Histoire de la presse écrite de la période coloniale à nos jours, op. cit., p. 163-211. 531 Dominique BORNE, Benoit FALAIZE (dir.), Religions et colonisation. AfriqueAsie-Océanie-Amériques XVIe-XXe siècle, Paris, l’Atelier, 2009, 335 p.
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absentes dans les espaces concernés par notre étude : faible lectorat alphabétisé, faible existence de matériels techniques adéquats et ressources financières très insuffisantes. Ces aspects ont été des soucis constants nécessitant de la part des leaders des arrangements financiers avec notamment le PCF. A contrario, la presse coloniale avait un rôle de soutien systématique au régime et elle était dotée de larges moyens pour fournir à la communauté des colons, des nouvelles et des informations sur la métropole, mais aussi, pour contribuer à un comportement docile et crédule de la part des colonisés. Le monde était perçu comme étant celui de la métropole, l’univers des colons n’étant que son prolongement en Afrique. Parallèlement, la presse européenne contribuait aussi à faire naître et à développer chez les Européens un sentiment de cohésion, en rendant compte des événements et activités du gouvernement colonial, tout comme des personnalités en vue de la colonie. Face à cette situation, certains membres de l’élite africaine comme les leaders étudiés ont été vite convaincus de l’importance de posséder leur propre presse, tremplin politique, pour contrecarrer la presse européenne considérée par beaucoup comme un agent d’aliénation. La montée des nationalismes africains est entrée alors en effet en concurrence avec les autorités coloniales dans le processus de socialisation des populations, et la presse a été l’un des instruments aux mains des nationalistes pour proposer et opposer une autre définition de la réalité coloniale. Ainsi, la presse a favorisé l’émancipation des populations en même temps qu’elle a servi de point de ralliement et d’inspiration pour les mouvements vers la liberté. La lutte est devenue alors acharnée et sans pitié. Néanmoins, très vite, les nouveaux pouvoirs politiques africains ont instrumentalisé à leur tour la presse. L’adoption générale et progressive du régime du parti unique a été présentée et justifiée comme la forme politique de gouvernement la plus performante pour les objectifs prioritaires. Elle entraîne dans la pratique, le passage d’un journalisme de développement au service de la construction nationale à un journalisme servile, qualifié de « journalisme griot » 532 . Cette mise en place d’un monopole public de l’information coïncide avec 532 L’allusion au rôle des griots en Afrique est claire, la caste des poètes et musiciens, dépositaires de la tradition orale, étant chargée de chanter les louanges des héros et des nobles ; mais il ne s’agit plus ici des nobles, mais d’hommes politiques concentrant dans leurs mains tous les pouvoirs…
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les premières désillusions et les graves échecs enregistrés dans la réalisation des priorités nationales : aucun des leaders étudiés n’a eu le loisir de connaître ce moment politique, ils étaient déjà tous morts. Les tentatives d’assassinat contre les leaders ont commencé ou se sont poursuivies dans les médias. Les connexions politiques et financières au sein des groupes de presse et d’édition occidentaux ont rendu possible une ligne éditoriale anticolonialiste et diffamatoire contre les leaders. La destruction progressive de leur image et de leur crédibilité a été une préoccupation constante : incompétence, naïveté, crédulité, moqueries et insultes, animalisation, bestialisation et diabolisation (réservée surtout à Patrice Lumumba) sont autant de ressorts utilisés à ces fins. Quant un homme doit être chassé ou tué on dit qu’il est un animal. La violence est surtout dans les mots mais parfois la bestialisation conduit à des mauvais traitements physiques comme sur Patrice Lumumba et à l’exécution sommaire, comme un chien, de Nyobè. Médiatiquement Moumié a été moins diffamé que les autres leaders, le chef charismatique de l’UPC étant Nyobè jusqu’à sa mort. A contrario, lui seul échappe aux allusions déplacées sur la fascination qu’auraient exercée les femmes blanches sur les leaders. Par ailleurs, Boganda est le seul à officialiser son union et à créer un couple mixte. Cette transparence est un levier pour ces détracteurs qui saisissent l’occasion de dénoncer à quel point il ne respecte pas ses engagements notamment envers l’Église catholique. La presse véhicule des rumeurs faisant mourir les leaders avant leur véritable mort, a contrario elle reste parfois muette lorsque le leader est vraiment mort… Peu de journalistes comme Mauriès donnent la parole à ceux qui sont désormais contraints d’inverser la tendance en créant leurs propres journaux pour faire valoir et diffuser leurs idées. Dans une approche systémique, les attaques médiatiques se conjuguent et relaient les attaques judiciaires. Elles ouvrent la voie à de possibles atteintes physiques qui conduisent à la mort. Au-delà de la mort, la mémoire des leaders va être également assassinée.
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V - De la damnatio memoriae au statut d’icônes instrumentalisées : inversion symbolique des corps des leaders assassinés « Écoute plus souvent « Les choses que les êtres « La voix du feu s’entend « Entends la voix de l’eau « Écoute dans le vent « Le buisson en sanglots : « C’est le souffle des ancêtres. « Ceux qui sont morts ne sont jamais partis « Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire « Et dans l’ombre qui s’épaissit, « Les morts ne sont pas sous la terre, « Ils sont dans l’arbre qui frémit, « Ils sont dans l’eau qui coule, « Ils sont dans l’eau qui dort, « Ils sont dans la case, ils sont dans la foule « Les morts ne sont pas morts533 ».
À l’heure des indépendances, les corps des leaders nationalistes africains assassinés ont subi un traitement violent par les autorités coloniales ou néocoloniales. Les corps de ces hommes, qui ont représenté l’espoir d’un nouvel avenir politique, ont fait l’objet d’un acharnement méticuleux de la part de certaines forces endogènes et exogènes postcoloniales dans le but d’éviter toute renaissance mémorielle.
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Birago DIOP, « Les souffles », Les Contes d’Amadou Koumba, Paris, Présence Africaine, 1947, p. 173-175.
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A - Des corps sans réelle sépulture : des immobilités problématiques Certains n’ont que, ou n’ont plus que leur corps pour s’imposer. Quelques individus possèdent ce pouvoir, cette aura qui consiste à contenir la fraction d’espace qu’ils occupent, à être tout à la fois le sujet et la place. Les leaders charismatiques ont cette intensité de la présence, même dans la mort. Maurice Blanchot dans un texte paru en 1955534 avait ouvert cette réflexion fascinante en posant la question de la dépouille mortelle et de son « lieu » en tant « qu’immobilités problématiques ». Le cadavre reste un modèle ultime de lien de consubstantialité entre la personne et sa place, son importance étant renforcée par le fait que la lutte des opprimés passe souvent par le combat pour une visibilité, une place justement. Souvent, ne pas accorder de place permet de nier l’existence 535 mais ce n’est pas toujours suffisant… Élimination politique, physique, élimination du corps : ces éliminations successives en disent long sur la peur générée par les leaders étudiés. Le corps de Ruben Um Nyobè fut trainé jusqu’au village de Liyong, il y arrive ensanglanté et le visage défiguré. La population est invitée à venir identifier et contempler le cadavre comme l’atteste Alphonse Boog 536 . Une photographie a été prise de Um sur une natte537, le corps abîmé – elle est jointe au tract tiré à des milliers d’exemplaires et distribués dans les centres urbains du Sud-Cameroun annonçant la chute du « Dieu qui s’était trompé 538 ». Propriété de
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Maurice BLANCHOT, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, 1988, p. 344-345. Michel LUSSAULT, L’homme spatial, Paris, Seuil, 2007, p. 33 et De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, 2009, p. 100-105. 536 Alphonse Boog : « On nous a effectivement emmenés voir « son cadavre profané », à Njock Nkong. On l’a traîné comme un gibier pris dans le piège et on le jetait comme un animal dans la boue, on nous passait à la file devant le cadavre de UM pour le reconnaître ». Extrait de l’entretien réalisé à Bot-Makak, le 27 août 2007 par Yves Mintoogue (aimablement fourni par l’auteur). 537 Voir Annexe 12. Cette photographie accessible sur internet a été très difficile à tracer et à légender avec précision. Les recherches de l’auteure ont permis d’établir la source : fonds POLEX du PCF – Afrique noire 261J7 et plus précisément à la une du journal La Voix du Kamerun. 538 Achille MBEMBE, La naissance du maquis dans le sud-Cameroun, op. cit., p. 15. 535
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l’État, il est ensuite acheminé sur Eséka, chef-lieu du département du Nyong et Kellé, puis transporté à l’hôpital public pour constater le décès et exposé dans une salle. Achille Mbembé évoque que lors de cette exposition, Jacques Bitjoka (un des principaux chefs des milices dites d’autodéfense financée par l’Administration pour contrer l’UPC) a tenté de profaner le cadavre539. Il ajoute que « certes on ne pouvait pas faire disparaître entièrement le corps, mais l’idée de lui trancher la tête et d’en retirer le cerveau afin de l’examiner fut avancée ». Le corps de Patrice Lumumba a été lui, détruit, entièrement dissous dans la soude car rien ne devait subsister. Pourtant, son corps avait été enterré sur le lieu du meurtre dans une fosse de fortune, mais ayant entendu des coups de feu, le chef du village voisin Shilatemba540 et son fils ont découvert les corps sans vie de Lumumba et de ses deux compagnons (Mpolo et Okito) le 18 janvier 1961 à l’aube : un pied non recouvert par la terre fraîche dépassait. Le temps de revenir après avoir donné l’alerte au village, les corps avaient disparu. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un repère grossier au sol sans inscription, sans signalisation. Cet endroit, difficilement photographiable sans s’attirer des ennuis, a néanmoins été mis en valeur récemment par le photographe Samuel Balojii dans la série Mémoire de 2010, sur l’agonie de l’idéologie coloniale au Katanga, sa région de naissance 541 . De plus, près de quarante ans après l’assassinat de Patrice Lumumba, le commissaire de police belge, Gérard Sœte s’est défait d’un lourd secret 542 . Une nuit de janvier 1961, dans une puanteur d’acide sulfurique et de cadavres écartelés, il a fait
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« Il l’abreuva d’insultes, frappa le front du mort de son index droit, et mit ce dernier au défi de se mettre debout et de se mesurer à lui dans un duel, dont, assurait-il, lui Bitjoka ne pouvait que sortir vainqueur » dans A. MBEMBE La naissance du maquis dans le sud-Cameroun, op.cit., p. 15. Corroboré par A. Boog : « Et finalement, arrivé à Eseka, BITJOKA l’a défié : « Tu as dit que tu es fort ; lèvetoi, qu’on boxe un peu. Tu ne peux plus te lever pour parler ? ». Extrait de l’entretien réalisé à Bot-Makak, le 27 août 2007 par Yves Mintoogue aimablement fourni par l’auteur. 540 Témoignage relevé par l’historien Kongolo dans le documentaire de Thomas GIEFER, Lumumba : une mort de style colonial, ICTV, 2001, 47e minute. 541 Rencontre avec l’agent du photographe au Grand-Palais lors de Paris Photo 2015 – Galerie Imane Fares. 542 Dépêche AFP, 15 mai 2002.
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disparaître le corps du Congolais. Chargé à l’époque de mettre en place une « police nationale katangaise », le Brugeois a dû transporter les trois corps à deux-cent-vingt kilomètres du lieu d’exécution pour les enfouir derrière une termitière, en pleine savane boisée. Cependant, de retour à Élisabethville, il a reçu « l’ordre » du ministre de l’Intérieur Katangais, G. Munongo, de faire littéralement disparaître les cadavres. Accompagné « d’un autre Blanc et de quelques Congolais », armé d’une scie à métaux et d’un fût d’acide sulfurique, il leur fallut toute la nuit du 22 au 23 janvier pour accomplir leur besogne. « Il n’en restait presque plus rien, seules quelques dents 543 ». Un tel acharnement avait donc de nombreux objectifs : dissimuler les preuves et les mauvais traitements infligés au Premier ministre, mais aussi couper court à toute héroïsation et potentiel déchaînement de violences des lumumbistes 544 . L’escamotage du corps est donc politique : évitant une sépulture terrestre, les protagonistes de l’assassinat pensaient éviter qu’à terme la tombe de celui-ci devienne un lieu de pèlerinage pour les partisans de Lumumba, voire un site de recrutement ou de rassemblement. Une délégation des condoléants est reçue par R. Dayal, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Congo, pour que leur soit remis le corps de la victime. Il intercède auprès de Tshombe qui rejette sa demande car selon lui « les coutumes bantoues » ne permettent pas que les corps soient exhumés, même par des membres de la famille. Il refuse aussi que la famille se rende sur sa tombe car il ne souhaite pas 543
Dont l’auteur exhibe deux vestiges dans les premières minutes du documentaire de T. Giefer. « En pleine nuit africaine, nous avons commencé par nous saouler pour avoir du courage. On a écartelé les corps. Le plus dur fut de les découper avant de verser l’acide, explique l’octogénaire ». De retour en Belgique après 1973, Gérard Sœte contera cette terrible nuit dans un roman, « pour (se) soulager », mais sans livrer son nom. Gérard SOETE, De arena. Het verhaal van de moord op Lumumba, Bruges, Uitgeverij Raaklijn, 1978, 304 p. 544 Ce fut le cas quelque temps plus tard avec l’exemple de la photographie du corps du Che exposée en 1967 pour prouver à ses partisans et à la communauté internationale que le révolutionnaire marxiste était bien mort. Des centaines de personnes et des journalistes du monde entier étaient venus voir son corps à l’hôpital de Vallegrande en Bolivie. De nombreuses photos avaient été prises. Mais l’effet avait été pervers : cette avalanche de clichés avait alimenté la martyrologie du Che. Devenu une légende, il fut un symbole brandi par les opposants des États-Unis lors des manifestations politiques. Voir Jean-Hugues. BERROU Che images, Paris, Fayard, 2003, 360 p.
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que le village, où les corps sont inhumés, soit identifié pour éviter d’éventuels pèlerinages. De même, le nom du village où ont été tués Lumumba et ses complices ne sera pas révélé : les villageois en question pourraient faire l’objet d’éventuelles représailles de la part des lumumbistes. La famille de Ruben Um Nyobè n’a pas non plus assisté à son enterrement, la cérémonie fut hâtive. Les rites ne furent pas respectés545. Son corps fut immergé dans un bloc de béton empêchant tout contact avec sa terre ancestrale au cimetière protestant d’Eseka, une tombe misérable surveillée pendant deux mois, qui resta anonyme longtemps. Seul un arbre planté à proximité a permis de l’identifier pendant toutes ces années, tandis que la nature reprenait le dessus. Mais il en fut autrement : « le corps évaporé » est devenu une légende désincarnée. Les corps de ces « pères de la Nation » ont été laissés sans soin, sans rite, sans réelle sépulture, rendant, pour les proches et pour les partisans, le deuil impossible. Pour les familles, ces absences de sépultures sont des plaies ouvertes qui rendent difficile le présent. Daniel Um Nyobè, fils du leader né dans le maquis, a commencé au début des années deux mille des démarches pour faire poser une plaque identificatrice sur la tombe de fortune de son père, c’est désormais chose faite, elle stipule « Ruben Um Nyobè (1913-1958) le pionnier de l’indépendance du peuple camerounais ». Le parcours fut long et compliqué. La demande de transférer la dépouille de son père à Boumnyebel pour retrouver la terre de ses ancêtres n’a pas abouti546. De son côté, la mère de Patrice Lumumba, Julienne Amatu, réagissait à l’absence de sépulture de son fils avec ces mots : « Pourquoi la nature refuse-t-elle toujours de me montrer la dépouille des miens ? Où partent-ils réellement ? Dis-moi, sont-ils dévorés par le méchant lion ? Par le mauvais sorcier du clan voisin ? Où sont-ils enterrés
545 Dans le cas d’une mort violente, il faut faire partir le mauvais sort, briser la malédiction, un « procès du décès » est fait par les proches pour trouver des réponses, puis un repas convivial est organisé, symbolisant un retour à la paix. 546 Entretien réalisé avec Daniel Um Nyobè à Paris le 4 juin 2012.
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comme tout le monde mais à mon insu 547 ? » Chez les Atetela, enterrer un homme c’est le conduire au village des ancêtres et donc permettre son retour, c’est-à-dire la réincarnation. Une chanson du pays bassa raconte sur Ruben Um Nyobè : « Es-tu mort ou es-tu vivant ? Ce qui ne périt pas demeurera. Mpodol548 est de ceux-là. À quand ton retour au village, sous l’auvent de ton père ? Quand lèverons-nous enfin ton deuil et fêterons-nous les retrouvailles549 ? » L’âme de ces leaders est donc condamnée, dans une lecture endogène, à errer sans repos, à devenir des spectres. Ces outrages aux ancêtres expliquent pour certains les difficultés actuelles en RDC mais aussi au Cameroun, comme l’atteste cette autre chanson : « Sa tombe ressemble à la tombe d’un homme sans pays (…) Ils voulurent se débarrasser de son sang, ils l’ont envoyé en terre avant que son corps n’ait refroidi, voilà pourquoi son sang continue de crier jusqu’à nous550. » Ainsi, la méconnaissance ou la trop grande connaissance, des États coloniaux belge et français des significations des rites d’inhumation a favorisé, à leur insu, l’exclusion de ces morts du clan des ancêtres, les condamnant à « hanter » le présent. Le « pouvoir des vivants » ne tient pas sa force ici du « langage des morts » mais de leur silence. À la mort de Félix Moumié en 1961 à Genève, s’est posé la question du devenir de la dépouille et des obsèques du leader camerounais. Le contexte politique rendait impossible son rapatriement au Cameroun. Le président Sékou Touré proposa donc d’envoyer un avion guinéen pour récupérer le corps et lui offrir un lieu de recueillement au cimetière de Conakry. Il prit en charge le traitement du corps, l’embaumement et l’achat du cercueil. Cette solution a été acceptée par Marthe Moumié, faute de moyens personnels et en attendant une situation politique camerounaise plus favorable.
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Jean OMASOMBO TSHONDA et Benoît VERHAEGEN, Patrice Lumumba, jeunesse et apprentissage politique (1925-1956), op.cit., 1998. 548 Mpodol signifie en basaa le « Porte-parole », « Celui qui parle au nom de », « Le messager du Peuple ». 549 Chanson recueillie à Makaï le 11 janvier 1982 - Achille MBEMBE, « Pouvoirs des morts et langages des vivants – Les errances de la mémoire nationaliste au Cameroun » Politique africaine, n° 22, 1986, p. 70. 550 Chanson recueillie à Nkong-Kwalla le 2 novembre 1981, ibid., p. 69.
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« Tout citoyen, tout nationaliste doit être enterré là où il est né, dans son pays, mais ce sont les conditions politiques qui ont fait que cela n’a pas été possible d’amener Moumié au Cameroun551. »
À Conakry, le corps du leader est accueilli avec les honneurs de la délégation du gouvernement, conduite par Diallo Saifoulaye, le président de l’Assemblée nationale guinéenne. Le 20 novembre, une délégation conduite par Sékou Touré se rend au domicile de la veuve. Parallèlement, l’activité diplomatique guinéenne est importante comme l’attestent les échanges épistolaires entre l’ambassadeur guinéen en Suisse et le Cabinet du Président552 : des demandes sont faites pour que l’enquête avance rapidement et que les documents que Liliane Frily devaient apporter à l’ambassade guinéenne en France, soient restitués. La scène est poignante, le 3 octobre 2004, Frank Garbély accompagne Marthe Moumié au cimetière de Conakry où son mari repose depuis 45 ans : le gouvernement camerounais refuse toujours le rapatriement de la dépouille du leader de l’UPC. Elle entre d’un pas décidé dans le cimetière, les années n’ont pas effacé la mémoire du lieu où repose son mari. Elle n’est pas revenue depuis 1999. Ces quatre décennies n’ont pourtant pas été clémentes avec la veuve. De Conakry à l’Algérie, aux États-Unis avec son nouveau compagnon Athanasio Ndong, l’un des leaders de l’indépendance de la Guinée équatoriale éliminé par Macias Ngunema. Après la prison, elle est placée en camp au Cameroun, surveillée par la Brigade Mixte Mobile pendant cinq années durant lesquelles elle est battue et violentée à plusieurs reprises. C’est une femme brisée qui est libérée en 1974, elle restera incapable de parler de cette période après son retour auprès de son frère au village natal près d’Ebolowa. Néanmoins, en ce jour d’octobre 2004 elle repère très vite le mausolée sans inscription où repose son mari. Mais, à mieux y regarder, elle découvre sous la caméra de Frank Garbély un trou dans le sol : le cercueil de son mari a disparu. Elle se met à pleurer… À ses demandes d’explications, le
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Entretiens retranscrits avec Marthe Moumié et le gardien au cimetière de Conakry en Guinée aimablement fournis par le réalisateur Frank Garbély. Documentaire Mort à Genève de Frank Garbély, scène de la 50e minute. 552 Archives de Berne, E2200131-01-1981/23-18, N.3.1, Assassinat Félix Moumié, 1960-1964.
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gardien du cimetière se montre évasif : des personnes seraient venues prendre le cercueil dont l’ossature en fer git encore sous un arbre du cimetière 553 . Il n’est pas précis sur les restes de la dépouille, ils n’auraient pas été brûlés comme le suggère Marthe Moumié, mais emportés en France. Elle s’effondre devant la caméra et crie : « Vous avez vu le corps n’est plus là. C’est ici que j’ai laissé le corps, c’est ici… Elle pleure… Ça c’est anéantir une personne, c’est çà qu’on appelle haïr quelqu’un – jusqu’à effacer sa tombe, effacer ses os… c’est ça l’inimitié satanique ! Le retour du corps, Moumié est en exil pour toujours, pour ne plus retourner, il est venu pour ne plus retourner... Elle pleure… Garbély !... où est le corps, faut demander où est le corps, où est le corps… Elle crie et pleure… Les Français ne voulaient pas que le corps retourne au Cameroun, les Français ne voulaient pas… on est venu enlever le corps, brûler…Ça c’est l’Histoire du Cameroun. Il faut que la jeunesse camerounaise voit ces choses-là, ils connaissent pas, ils connaissent pas, ils n’enseignent pas l’Histoire à l’université, on enseigne pas l’Histoire, on cache l’Histoire aux enfants, on cache l’Histoire aux jeunes, on cache tout, les Français sont venus jusqu’à ramasser les os et à les brûler554. »
Pourtant, elle précise que le temps où elle a habité à Conakry, elle passait une fois par semaine pour surveiller si le corps était encore là. À son départ pour l’Algérie, elle a confié la clé du cercueil au président Sékou Touré, décédé en 1984. Marthe Moumié est morte le 8 janvier 2009 à Ebolowa555 sans en savoir plus sur la dépouille de son mari alors que la loi de 1991 prévoyait dans l’article 3 le transfert des restes mortuaires les figures réhabilitées556. La question du corps de Barthélémy Boganda reste encore aujourd’hui une question d’actualité notamment pour les 553
Voir Annexe 13 - Photographies fournies par Frank Garbély. Entretien avec Marthe Moumié fourni par Frank Garbély. 555 Marthe Moumié a été retrouvée morte violée et étranglée, le meurtrier a été arrêté et il a avoué http://afrikhepri.org/deces-de-marthe-moumiela-veuve-de-felixmoumie-cameroon/ consulté le 17 décembre 2015. 556 Voir loi n°91/022 du 11 décembre 1991. 554
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Centrafricains 557 . D’emblée, des rumeurs ont couru sur l’accident d’avion de Barthélémy Boganda comme l’atteste le courrier daté du 11 juin 1959 et rédigé par David Dacko au haut commissaire, qui réclame le résultat de l’enquête « pour mettre fin aux rumeurs qui courent ». Ce dernier annote à la main : « malgré notre volonté de diligence, les vérifications et analyses forcément longues en labo étaient nécessaires avant de pouvoir avancer une conclusion sûre558. » Les rumeurs qui bruissent et ont bruissé sont claires : l’accident est un attentat, le Président et une partie du gouvernement centrafricain ont été tués volontairement. Comment sont nées ces rumeurs ? De la situation suivante en partie : le cadavre du Président n’a pas été vu, les rites n’ont pas été respectés. Les photographies de l’avion accidenté révèlent une épave très abimée qui a nécessité une « équipe de manœuvres » et « cinq heures d’efforts » pour découper la cabine de pilotage et extraire les corps du Président et de l’équipage. Dans aucun des dossiers d’archives consultés il n’existe de photographies des corps or leur existence apparaît dans plusieurs rapports : « plusieurs clichés photographiques intéressent la position des cadavres et l’état de l’appareil ont été pris 559». Par contre, pléthore de photographies sur l’épave ont été retrouvées ainsi que des clichés révélant les opérations réalisées autour de cette épave. Les photographies des cadavres auraient-elles été extraites des dossiers en question ? Aucun cliché des cadavres mais des descriptions précises, reprises dans plusieurs rapports de gendarmerie et effectuées par le médecin présent, Jean Mollon, voici celle concernant le cadavre de Boganda : « Le corps repose dans la cabine de pilotage sous le pilote et le mécanicien, tourné vers l’arrière de l’appareil, la tête légèrement inclinée sur la gauche, les jambes repliées sous le corps. L’index de la main gauche est tendu et les autres doigts à demi fermés. La position du corps parallèle à l’emplacement occupé donne à penser que la victime s’est retournée au 557
Il existe des rumeurs sur sa captivité en Guyane : le président Boganda aurait été enlevé et déporté. 558 Archives diplomatiques de Nantes, AEF 67/PO/1 carton 24, dossier décès et obsèques de Barthélémy Boganda (1959). Courrier et annotation du 15 juin 1959. 559 Archives diplomatiques de Nantes, AEF 67/PO/1 carton 24, dossier décès et obsèques de Barthélémy Boganda (1959), mais aussi AN 19760051/145- 3G123, accident d’avion du Nord Atlas 2502.
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moment du danger. Il présente : écrasement du bassin, fractures multiples des membres, délabrement de la face, éclatement de la boîte crânienne560. »
Cette description révèle que le cadavre de Boganda est difficile à présenter, ou exposer, car très endommagé. Le long délai pour trouver l’épave dans l’atmosphère chaude et humide a favorisé également une mise en bière rapide des corps. L’infirmier Philippe Sakouada, présent aux côtés du docteur Mollon, évoque le fait qu’à leur arrivée les fourmis avaient envahi les plaies des victimes561. Jean Mollon a écrit un long rapport dont sa femme et son fils ont authentifié l’existence. Alors que l’on pense à un attentat, Jean Mollon s’étonne que personne ne l’ait amené à témoigner dans l’enquête. Personne non plus ne sollicite son rapport très fourni qu’il garde très longtemps. Malheureusement, à l’approche de la mort, Jean Mollon s’en est « débarrassé » car cela n’intéressait personne 562 . Les documents officiels révèlent que l’identification du cadavre de Boganda a été faite sur place par M. Baud et le député Kabylo qui avait assisté au départ de l’avion de Berbérati. Les honneurs funèbres ont été rendus au président Boganda sur place par les gardes et la gendarmerie, d’après les rapports précédemment évoqués avec les précisions suivantes :
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Ibid. Extrait du carnet de voyage d’avril 2010 de François Mollon, fils de Jean Mollon, dont j’ai retrouvé la trace. Philippe Sakouada est un infirmier qui a été formé par le docteur Mollon à MBaïki. Ses souvenirs sont encore intacts, il évoque : « Je suis allé avec votre père chercher Boganda dans la forêt. Nous avons marché dans la forêt de Boda à Yombé durant 25 km et pris la pirogue. Il y avait avec nous le secrétaire Combo Zanzia Louis, le pharmacien de l’hôpital Deganaille Louis ». Puis, il devient moins bavard. Il explique brièvement qu’il y a des débris de l’appareil sur 200 ou 300 m et des corps éparpillés. Il me dit que tout a été déjà raconté aux enquêteurs comme s’il y avait danger à réécrire l’Histoire ». Il mentionne tout de même le fait suivant : « l’un de nous a dit : non Boganda n’est pas mort, il n’était pas dans l’avion ! » Le docteur Mollon lui aurait donné une gifle pour le calmer. Il se rappelle que le docteur prenait des notes pour faire un rapport. Les corps ont été ramenés à la mission. Les prêtres ont refusé d’ouvrir les cercueils pour faire constater à la population que Boganda était bien l’un d’eux. Depuis ce temps, le doute s’est installé dans l’esprit du peuple oubanguien et persiste encore 50 ans plus tard. 562 Entretiens avec Andrée Mollon, épouse de Jean, et avec son fils François en avril 2017. 561
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« Les documents de bord, les objets personnels appartenant aux victimes pourront être récupérés sans entraîner des modifications notables, ont été placés sous surveillance en attendant l’arrivée des autorités intéressées. Faute de moyens, les corps n’ont pu être acheminés vers la route la plus proche que le 1er avril dans la matinée 563».
Concernant les effets personnels, le rapport et l’inventaire du gendarme Bouvard mentionnent : « Les objets et valeurs désignés cicontre ayant été réclamés à Monsieur le Chef de région de la Lobaye, le 31 mars 1959 par Messieurs Goumba président et Gleize, président de la l’Assemblée nationale nous les faisons parvenir avant la clôture de votre enquête ». Le 1er avril, trois jours se sont écoulés depuis l’accident, les corps abîmés sont acheminés vers la route 564 et plus précisément à Yama où a lieu la mise en bière sous la direction du lieutenant Lemarquis, commandant l’escadron de gendarmerie de Bangui et sous la surveillance du gendarme Bouvard. La mise en bière est réalisée par un membre du service de l’hygiène de Bangui, chaque corps dont le nom était inscrit sur le linceul, est transporté sous escorte d’un auxiliaire de gendarmerie auquel avait été remis un papier mentionnant le numéro et le nom de la victime. Vers 13 h 30, la mise en bière est terminée et le convoi transportant les victimes se dirige vers Bangui. Ce convoi comprenait une section du 13e BIMa, commandé par le lieutenant Zole, un peloton d’auxiliaires de gendarmes, commandé par le maréchal des logis-chef Charrier, un peloton de gardes-auxiliaires de gendarmerie sous les ordres du maréchal des logis-chef Niedercorn565. Les corps sont arrivés par la route du fleuve vers 20 h 15. Les dépouilles mortelles ont été accueillies au pont M’Poko par Mme Boganda, arrivée de France sans ses enfants, Hector Rivierez, le sénateur N’gounio, Abel Goumba et les ministres du gouvernement centrafricain 566 . Le convoi s’est ensuite rendu au ministère des 563
SHD GD2007ZM1/4987, gendarmerie Centrafrique SHD, inventaire Afrique Boda 8884 R12, rapport du gendarme Claudius Bouvard, chef du poste de gendarmerie de Boda, à Monsieur le procureur de la République à Bangui, 4 avril 1959. 565 Ibid., rapport du 4 avril 1959 du lieutenant Lemarquis, commandant l’escadron de gendarmerie de Bangui sur l’accident d’aviation faisant neuf victimes, survenu le 29 mars 1959 dans le district de Boda. 566 Dépêche AFP de Bangui retrouvée dans le dossier AND AEF 67/PO/1 carton 24. 564
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Travaux publics où « les restes mortels ont été placés dans des cercueils plombés ». Vers 22 h, les dépouilles ont été installées dans une chapelle ardente à l’Assemblée législative, la veille mortuaire étant assurée par la Garde territoriale. Le défilé de la population et des responsables politiques centrafricains, français et étrangers commence le 2 avril vers 7 h 30 et une nouvelle veillée funèbre clôture cette journée. La journée du 3 avril est consacrée aux obsèques : la levée des corps à la chapelle ardente précède le cortège funèbre qui se rend jusqu’à la cathédrale de Bangui. Sur le parvis, le corps du Président est acheminé en Dodge 4x4, les honneurs militaires sont rendus, puis a lieu la cérémonie religieuse et les discours officiels d’Abel Goumba, le ministre David Dacko en sango, Hector Rivierez, Mgr Naud, les hauts commissaires Bordier et Bourges, MM. Janot, secrétaire général de la Communauté et Robert Lecourt, ministre d’État, représentant du gouvernement français. Puis le cortège se reforme vers le cimetière N’Drès où une chapelle ardente est de nouveau installée afin d’assurer une bénédiction du clergé et les dernières prières, une fois les cercueils et catafalques mis en place. Vers 13 h, un convoi spécial achemine les corps de Barthélémy Boganda et de Albert Fayama sous escorte policière vers Bobangui. Les autres corps restent sur place. La préparation de la cérémonie à Bobangui est à la charge encore une fois des Français, elle est assurée par M. Blanc, inspecteur des Affaires administratives et territoriales et du chef de région de Mbaïki. Les archives sur la cérémonie de Bobangui sont très minces, Boganda ayant été enterré dans sa propriété privée au fond de son jardin. Par un petit schéma rapidement exécuté, Agnès Boganda, sa fille, m’explique qu’à la vente de la propriété par sa mère dans les années soixante, ce bout de terre a été cédé pour en faire le mausolée désormais visible de la route567. Ainsi, aucun des corps des leaders assassinés n’a reçu les rites du viatique qui permettent, dans la tradition africaine, la mise en route du mort vers le village des ancêtres et pourtant, la mort d’un adulte protecteur, et a fortiori charismatique, est perçue comme une perte grave qui bouleverse l’équilibre des survivants568. De plus, en Afrique 567
Voir Annexe 14. Michèle CROS et Julien BONHOMME, Déjouer la mort en Afrique – or, orphelins, fantômes, trophées et fétiches, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 159-168. 568
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centrale les populations perçoivent un lien direct entre le corps et le pouvoir, le corps étant le lieu privilégié de la puissance qui transcende la mort et le démembrement569. Là où la langue française est pauvre et convoque toujours le corps ou au mieux le cadavre, les langues bantoues ont de multiples termes comme par exemple : en lingala nzoto pour le corps vivant, ebembe pour le cadavre qui devient lilaka en tant qu’ancêtre. Des talents spéciaux venus du « monde des esprits » sont présents dans le ventre, en tant que substance magique. Cette substance existe en tous mais sa taille et sa force grandissent en fonction des compétences de la personne. Les plus forts peuvent la dominer et la façonner à leur bénéfice mais aussi pour le bien commun : c’est ce que font les Grands Hommes. Cette entité décrite souvent comme un petit animal n’est pas attachée à une personne : elle peut entrer dans un corps ou le quitter, survivre à la mort et migrer du cadavre, c’est là que les spécialistes la capturent sur les tombes des défunts570. Le traitement des corps des leaders était donc, d’un point de vue endogène, très important. Or, le corps de Um Nyobè a été traîné, exposé ensanglanté et son visage défiguré ; celui de Patrice Lumumba a été écartelé, dissous dans la soude, à l’exception de deux dents conservées en trophée. Le cadavre de Boganda très abîmé par la violence de l’accident d’avion n’a pas été vu, pris en charge par sa communauté et donc pu être identifié. Quant à Félix Moumié, miné par les effets du poison, il est un cadavre avant d’être mort et de surcroît embaumé selon des rites plus marxistes qu’africains. Et le deuil personnel et social repose sur un ensemble d’attitudes que la communauté du défunt attend des personnes endeuillées. Les « premières funérailles » 571 reposent sur la gestion du cadavre, objet inanimé dont l’identité est encore néanmoins présente, il est perçu comme dangereux et polluant et doit être ritualisé. Ainsi, la toilette mortuaire doit être faite par les femmes les plus âgées et à l’abri des regards, le corps doit aussi être maquillé avant d’être exposé à la communauté. Ces rites propitiatoires répandus selon un modèle 569
Florence BERNAULT, « Body, Power and Sacrifice in Equatorial Africa », The Journal of African History, vol. 47, n° 2, 2006, pp. 213-217. 570 Jan VANSINA, Paths in the rainforests : toward a History of Political Tradition in Equatorial Africa, Madison, University of Wisconsin Press, 1990, 498 p. 571 Bruno MAUREILLE Les premières sépultures, Paris, Pommier, 2004, 123 p. Ce système des doubles funérailles est une préoccupation des sociétés attestée depuis le Paléolithique.
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relativement uniforme en Afrique subsaharienne572, mis en place pour s’attirer les bonnes grâces des défunts, relèvent de la mise en place du culte des ancêtres. Les cérémonies hâtives réalisées hors de la terre de leurs ancêtres comme se fut le cas pour les leaders camerounais – au cimetière protestant d’Eseka ou à Conakry pour Félix Moumié, avec une cérémonie occidentalisée et désafricanisée pour Boganda et l’absence totale de cérémonie et de sépulture pour Patrice Lumumba – brisent tout lien entre les morts défunts et les vivants et toute possibilité de réincarnation, réactualisation dans un nouveau-né ou résurrection pour les chrétiens africains. Dans la tradition africaine, viennent ensuite « les secondes funérailles » qui permettent de normaliser les relations entre les morts et les vivants et sont jouées dans la célébration et la joie. Les défunts devenus ancêtres protègent les vivants et leur apportent bonheur et prospérité ; a contrario ils peuvent aussi les punir en leur infligeant malheurs et maladies. Ils ne cessent de transmettre des messages, notamment à travers les rêves dont la teneur sert à rappeler les règles de la tradition que les vivants doivent respecter. S’ils se sentent négligés, les ancêtres hantent les vivants sous forme de spectre, ils peuvent même les « posséder » en faisant irruption dans leur corps. Refuser aux proches des leaders assassinés les rites sur leurs corps ainsi qu’une sépulture décente sur la terre de leurs ancêtres, revient à rompre l’harmonie et le cercle de la vie, à placer les descendants sous l’œil de « spectres errants »573. En Afrique centrale, le respect des ancêtres s’exprime ainsi à tout moment au travers des rites mais aussi des pratiques plus discrètes comme des libations avant de boire, des offrandes pour signifier la continuité de leur présence parfois matérialisée par des autels, statuettes, sacrifices d’animaux et masques574. Les colons avaient-ils conscience qu’à la violence physique, ils ajoutaient la violence morale et amputaient l’avenir des descendants et des pays sur la voie de 572
Meyer FORTES, « Ancestor worship in Africa », Religion morality and the person, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 66-83. 573 Louis-Vincent THOMAS, La mort africaine : idéologie funéraire en Afrique noire, Paris, Payot, 1982, 273 p. 574 Christiane FALGAYRETTES, La Voie des ancêtres, Paris, Fondation Dapper, 1986, 254 p. Ces pratiques sont discrètes et devenues clandestines car activement combattues par les missionnaires. Pour ma part, j’ai été souvent prise à témoin, lors d’entretiens, par la présence d’un ancêtre non visible qui assistait aux échanges en cours et auquel il me fallait faire souvent offrande pour ne pas le blesser.
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l’indépendance ? Si l’objectif était de faire disparaître à jamais ces hommes, l’effet a été inversement proportionnel à leur acharnement : ils sont devenus de véritables icônes mémorielles… « Le corps est une fiction, un ensemble de représentations mentales, une image inconsciente qui s’élabore, se dissout, se reconstruit (…) sous la médiation des discours sociaux et des systèmes symboliques575. » Cette citation empruntée à Alain Corbin, résume à quel point le « corps mort » des leaders africains, impose un nouveau champ de recherche qu’il faut investir. C’est un enjeu du passé, lié à l’Histoire et à la mémoire, aux mémoires, mais aussi un enjeu du présent car : « ce que l’on sculpte dans la chair humaine, c’est une image de la société576 », celle dans laquelle il est nécessaire aujourd’hui de vivre et évoluer.
B - L’inversion symbolique des corps À mesure que les corps disparaissent, grandit la présence des leaders assassinés. Toute tentative d’anéantissement de leur œuvre et de leur action, aussi répressive et annihilante soit elle, est un échec. La damnatio memoriae qui les a frappés a avorté et les a propulsés au statut d’icônes mémorielles : il s’agit là d’une formidable inversion symbolique. Cette pratique dans la Rome antique consistait à condamner la mémoire d’un empereur : il était interdit à ses descendants de porter le prénom du condamné, ses portraits étaient détruits et son nom était effacé des inscriptions publiques, ses statues ou représentations à son effigie détériorées577. L’empereur frappé par cette condamnation ne pouvait accéder au titre de divus, divin ou dieu, auquel peut être rendu le culte des empereurs divinisés. Pourtant, de nombreux empereurs damnés sont encore présents dans l’imaginaire 575
Alain CORBIN, Histoire du corps, volume 2, Paris, Seuil, 2005, 447 p. Citation empruntée à Mary DOUGLAS, De la souillure, Paris, La Découverte, 2001, 207 p. 577 Stéphane BENOIST, « Martelage et damnatio memoriae : une introduction », Cahiers du Centre Gustave Glotz, vol. 14, 2003, p. 231-240. Du même auteur, Mémoire et histoire : les procédures de condamnation dans l’antiquité romaine, Centre régional universitaire lorrain d’Histoire, 2007, 356 p. 576
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et pas seulement pour des raisons néfastes à l’instar de Néron. Ainsi, Géta a été damné par son frère Caracalla qui l’a fait assassiner. Ce dernier a fait détruire dans tout l’Empire les représentations figurées de son frère, effacer son nom sur les monuments publics et fondre les monnaies à son effigie578. Il fit rechercher dans les archives les endroits où son nom apparaissait pour le faire disparaître en l’effaçant ou le raturant. Même les documents privés étaient concernés et les biens de ceux dont le testament mentionnait le nom de Géta579 ont été confisqués. L’analogie de cette pratique avec celle réalisée post-mortem en Afrique centrale sur l’image des leaders est prégnante. Cependant la damnatio memoriae a favorisé l’émergence du statut d’icônes mémorielles dont la naissance est à lier aux pouvoirs du monde de l’invisible que leurs compatriotes leurs prêtent. Force est de constater qu’à ce jour, leurs représentations ne cessent de se renouveler et se réinventer. Dans une lecture européo-centrée à la suite des travaux de E. H. Kantorowicz sur le roi à l’époque médiévale 580 , la représentation sociale du corps du leader attribue à ce dernier, un corps physique et naturel auquel s’ajoute un corps politique et sacré, dans lequel s’identifie toute la collectivité. Si le corps naturel est assujetti à la mort, aux outrages, le corps politique lui est sacré et immortel, permettant ainsi aux sociétés de se perpétuer indéfiniment à travers sa survivance. Le souverain est une sorte de demi-dieu, dont la nature est, en même temps, terrestre et spirituelle. Cette analyse se retrouve renforcée par les lectures « centrafricaines ». De leur vivant, les leaders sont perçus comme dotés de pouvoirs surnaturels. Après leur disparition, ces pouvoirs sont renforcés par les conditions tragiques de leur mort. Ainsi dans la société bassa, le Mbok en tant que système politicoreligieux visait prioritairement la préservation de la vie des individus à travers la pacification des forces de la nature et le contrôle du monde 578
Dion CASSIUS, Histoire Romaine, livre 77, 12. Geta est un empereur romain, qui régna en 211. D’origine africaine par son père et syrien par sa mère, Julia Domna. À la mort de son père, il hérite de l’empire avec son frère ainé Caracalla qui fit assassiner son petit frère la même année pour pouvoir gouverner seul. 580 Ernst H. KANTOROWICZ, The king’s two bodies – a study in medieval political theology, Princeton, Princeton University Press, 1957, 568 p. 579
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de la nuit, ce pouvoir procédait en fait de la connaissance des réalités des faces du monde (visible et invisible) 581 . Ruben Um Nyobè est donc de ceux dont les actions sont légitimées par le monde de la nuit. Victor Le Vine évoque : « Pour son peuple bassa, Um avait la réputation d’un surhomme, invulnérable aux balles, et il entretenait cette croyance (…) en laissant accréditer les rumeurs sur son invulnérabilité chaque fois qu’il avait évité d’être capturé. Certains prétendaient qu’il possédait une puissante potion magique qui le rendait non seulement invulnérable, mais aussi invisible. On expliquera sa mort en disant qu’il avait oublié son fétiche juste avant son trépas et qu’il était donc devenu vulnérable et visible582. » Pour sa part, dans une approche tout à fait novatrice, Yves Mintoogue développe que du point de vue des Bassa, sa disparition serait la conséquence d’une double trahison : celle de son clan et celle de ses proches compagnons583. Ainsi Um Nyobè aurait été aussi trahi « dans le monde de la nuit » : lors d’une réunion du clan, les membres auraient condamné « l’intransigeance » de Um, le jugeant responsable des malheurs de la région, le retour à la paix devait donc passer par sa mort. Le « monde de la nuit » annonça l’événement par une série de présages funestes dont Um Nyobè eut conscience lui-même (orages violents, rêves négatifs, attaque de fourmis jaunâtres). Pour revenir à Patrice Lumumba, la mémoire tetela relate qu’il était invulnérable aux balles584, qu’il aurait remis à son père une bouteille d’eau pure à garder : tant que son contenu ne deviendrait pas de la couleur du sang, signe de sa mort. Jusqu’à présent, l’eau de cette bouteille reste limpide indiquant que celui-ci est encore vivant 585 . 581
Yves MINTOOGUE, Savoirs endogènes et résistance nationaliste au SudCameroun : le cas de l’insurrection de la Sanaga-maritime de 1948 à 1958, op. cit., p. 106. 582 Victor LE VINE, Le Cameroun du mandat à l’indépendance, Paris, Présence Africaine, 1984, p. 217. 583 Sur l’interprétation selon des rationalités locales et la trahison de Théodore Mayi Matip voir Yves MINTOOGUE Y, Savoirs endogènes et résistance nationaliste au Sud-Cameroun : le cas de l’insurrection de la Sanaga-maritime de 1948 à 1958, op. cit., p. 132-135. 584 T. TURNER, « Lumumba in the mind of the Tetela » dans Pierre HALEN et Janos RIESZ, Patrice Lumumba entre Dieu et Diable, op. cit., p. 316. 585 K’Omalowete a djonga MANHYA, Patrice Lumumba, le Sankuru et l’Afrique, Paris, Jean-Marie Bouchain, 1985, p. 60.
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D’ailleurs, la disparition des deux hommes n’est pas croyable pour leurs contemporains comme le prouvent certaines sources littéraires et artistiques. Ainsi le récit du romancier Mongo Beti sur Ruben Um Nyobè fait parler l’un des militants de l’UPC ainsi : « Oh ce n’est pas vrai, c’est un bruit qu’ils répandent pour nous décourager. Regarde les gens, regarde autour de toi, vois les autres visiteurs, ils rient, ils plaisantent, ils ne se conduiraient pas ainsi si Ruben était mort, cela ne se passerait pas ainsi, vieux586. »
Pour certains Centrafricains Boganda n’est pas mort, il aurait été déporté dans une prison française sur l’Île au Diable, à trois kilomètres des côtes de la Guyane française, jusqu’à sa mort en 2009 587 . Quinze minutes après le décollage de Berberati, le NordAtlas aurait coupé toute communication avec la tour de contrôle et aurait mis le cap sur l’Algérie (Blida) via Libreville. Cet enlèvement aurait été orchestré par Pierre Messmer et l’avion qui s’est écrasé, aurait explosé en plein vol actionné par deux parachutistes. Cette version aurait été révélée par les confidences en mars 1986 du roi Hassan II au président Kolingba, à son retour des cérémonies du 29 mars appelé Boganda Day. De même, les outrages faits aux corps sont des « impensés », comme inimaginables par les artistes qui travaillent leur mémoire. La peinture de Tshibumba Kanda Matulu représentant le corps de Patrice Lumumba allongé sur le ventre, une simple blessure sur le flanc droit, les liens défaits, avec trois croix en arrière-plan, il commente ainsi sa peinture : « Pour moi, Patrice Lumumba est le Seigneur Jésus du Congo, j’ai peint 6 étoiles parce qu’il est mort pour l’unité de notre pays. Le sang qui coule de son flanc marque d’ailleurs sur le sol, le mot Unité588. »
Tshibumba Kanda Matulu est un Katangais de la région de Shaba, peintre de rue dont les parents venaient de l’est du Kasaï, ses créations au nombre de cent couvrent l’Histoire du Zaïre. Il avait quatorze ans à la mort de Lumumba et il se pense comme un historien, un éducateur de son peuple. Les textes du peintre traduits du swahili par Johannes 586
Mongo BETI, Remember Ruben, Paris, le Serpent à Plumes, 2001, p. 377. BENGUE-BOSSIN, Kongo Wara, en cours d’édition. 588 Johannes FABIAN, Remember the present - Narratives and paintings by Tshibumba Kanda Matulu, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 121. 587
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Fabian offrent un complément de qualité à l’analyse de ses œuvres589. Son interprétation christique est un autre point commun au destin des leaders comme le suggère la chanson bassa suivante : « Mpodol avait accompli sa promesse, il s’offrit en sacrifice pour le Kunde (…) je me suis offert pour sa délivrance, Réjouissez-vous590 ! »
La violence faite aux corps des passagers du Nord-Atlas et à celui de Boganda est également un « impensé » comme le révèle l’œuvre de Jérôme Ramedane. Peintre centrafricain peu connu, né aux alentour de 1936, il n’a jamais vu un tableau de sa vie. Cette innocence lui a permis de donner de l’Afrique paysanne une vision irremplaçable en tant que chroniqueur honnête, modeste et en quête de vérité. Il gagne sa vie en se déplaçant de village en village dans la région de la OuakaKotto. À la demande, le peintre réalise sur les murs des cases, de larges fresques à l’aide de pigments naturels collectés dans la nature. Son interprétation picturale de l’accident est déroutante : un avion blanc, posé comme un oiseau avec délicatesse dans la savane arborée, intact. Deux Africains en pagne, avec leur lance, découvrent l’avion au détour d’une partie de chasse, avec une authentique naïveté. Aucune trace de violence, aucune trace du corps du président Boganda, tout est suggéré rien n’est montré. Le cercueil est un catafalque immaculé, comme une sépulture en pleine nature 591 . Homme pieux et délicat, épris de paix et de joie, il exprime ainsi la permanence d’une vie heureuse et ordonnée, de la vie centrafricaine, malgré toutes les rigueurs des événements et les menaces qui planent sur elle. La photographie moderne congolaise fait également une place très importante à l’icône « Patrice Lumumba ». Il ne s’agit pas ici de faire une analyse exhaustive des productions artistiques et plus spécifiquement littéraires inhérentes au leader, ce travail ayant été très largement mené dans plusieurs ouvrages de synthèse de qualité 592 . 589
Ibid,, préface. Chanson recueillie à Bogso le 24 novembre 1981- A. MBEMBE, « Pouvoirs des morts et langages des vivants – Les errances de la mémoire nationaliste au Cameroun », Politique africaine, n° 22, 1986, p. 67. 591 René DEVERDUN, Jérôme Ramedane – peintre paysan centrafricain, peintre d’histoire, Paris, Sépia, 2000, 64 p. Voir Annexe 15. 592 Cf. Pierre HALEN et Janos RIESZ, Patrice Lumumba entre dieu et diable : un héros africain dans ses limites, op. cit., 1997, p. 387 ou Pierre PETIT, Patrice 590
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L’importance est plutôt d’actualiser ou de compléter cette approche. Ainsi, le récent travail photographique de Georges Senga593 raconte cette Histoire. Il repose sur une idée fictionnelle : que serait devenu Patrice Lumumba s’il avait survécu ? Serait-il devenu un homme riche et corrompu, regardant le Congo se transformer avec un esprit d’injustice ou aurait-il continué de défendre les droits de ceux qui n’en ont pas ? Sa rencontre avec Kiyembe Kilombo a orienté son projet dans une direction plus personnalisée. Ce professeur de l’école primaire Imara à Lubumbashi, fan de Lumumba dès la première heure, s’est forgé un destin par transgression et par procuration. Ainsi, sur la route avec son vélo, au détour d’une rue ou dans un café, il apparaît en sosie décalé de Lumumba. Il cultive la ressemblance par son habit qu’il qualifie lui-même d’accoutrement : complet veston, raie sur le côté, paire de lunettes en écaille…il boit de la bière Polar et s’est écarté de la politique qu’il qualifie de dangereuse. Néanmoins, il reste la mémoire vivante de Lumumba, chaque rencontre renvoie les Congolais au passé, à leur responsabilité dans son assassinat a fortiori puisque Kiyembe est katangais. Force est de constater qu’à l’inverse de Lumumba, Boganda et Nyobè, Moumié n’est pas devenu une icône mémorielle travaillée par les artistes ou célébrée par une partie de l’opinion publique. Ceci est peut-être dû aux critiques portées à son approche politique au sein de l’UPC 594 et à la place prépondérante de Nyobè qui reste le leader charismatique de l’UPC pour bon nombre de militants. À partir des années soixante, l’indépendance obtenue au Cameroun et la situation congolaise « capturée » par Mobutu, les autorités Lumumba, la fabrication d’un héros national et panafricain, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, éditions l’Académie en poche, 2016 et particulièrement les pages 27 à 124 qui portent sur l’utilisation de l’image du leader en philatélie, numismatique et sur les billets de banque. Voir également le très récent ouvrage très complet dirigé par Mathias DE GROOF (alii), Lumumba in arts, Presses de Louvain, 2020, 464 p. 593 Entretien avec un responsable de la Fondation George Arthur Forrest à Wavre en Belgique, le 26 mai 2015. 594 Comme celles de Joseph Sende de Khartoum datée du 26 avril 1959 (La Presse du Cameroun) : « Penses-tu que le Kamerun devienne plus indépendant quand tu le vends aux pays arabes contre un train de vie fastueux au Caire ? » ou « inciter les gens à continuer la lutte armée alors que soi-même on la fuit, est chose insensée…S’il y a des gens qui ont trahi l’UPC, c’est bel et bien toi ».
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politiques ont veillé à ce qu’aucun dispositif mémoriel ne rappelle ces deux hommes. Silence, oubli, occultation, tout a été mis en œuvre pour faire disparaître leurs effets personnels, leurs écrits ont été censurés, leurs relations, leurs proches intimidés, leurs « héritiers » politiques qui auraient pu continuer le combat exécutés. Comme Caracalla le fit jadis avec Geta. Les compagnons de Patrice Lumumba, Pierre Mulele et Évariste Kimba sont tués respectivement en 1968 et juin 1966595. Aucun des principaux leaders de l’UPC des débuts ne survécut596. De même, il fut longtemps interdit de posséder leur effigie ou de prononcer leur nom. Niés dans l’imaginaire collectif et dans la mémoire nationale, sans avoir accéder au statut d’ancêtres, ces morts devaient se taire, leur vie être effacée. Mais certains morts ne sont pas faciles à enterrer : la mémoire de ces hommes est restée vivace grâce aux chants transmis de génération en génération, ils suscitent même des vocations comme celle de l’historien Achille Mbembé dont les chansons sur Um Nyobè, véhiculées par sa grandmère, ont guidé sa trajectoire de vie et de chercheur597. La mémoire de Patrice Lumumba et B. Boganda, qui ont exercé des responsabilités officielles, est plus régulièrement convoquée mais toujours dans une approche superficielle. Elle est souvent très et trop instrumentalisée. Mobutu, dès le 30 juin 1966, annonce une réhabilitation de celui qu’il nomme « l’illustre Congolais, premier martyr, tombé victime des machinations colonialistes » en dépit de sa lourde responsabilité dans la mort de Lumumba. Cette réhabilitation
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Colette BRAECKMANN Le Dinosaure : le Zaïre de Mobutu, Paris, Fayard, p. 38-42. Pierre Mulele, ancien ministre lumumbiste de l’Éducation, connut un sort analogue. Il prit la tête d’une révolte paysanne dans le Kwilu de janvier à mai 1964, révolte d’influence marxiste qui eut une grande valeur symbolique. Amnistié par Mobutu en 1968, l’exilé à Brazzaville fut assuré d’être reçu comme un frère. Il est en réalité conduit dans un camp militaire où il est torturé – oreilles, nez, parties génitales, bras et jambes tranchés – un sac contenant ses restes fut jeté dans le fleuve. Évariste Kimba se tenait bien droit quand le bourreau lui passa la corde au cou et que la trappe s’ouvrit pour le pendre le 2 juin 1966. 596 Ernest Ouandié fut exécuté le 15 janvier 1971. 597 Achille MBEMBE, « À partir d’un crâne de mort – trajectoires de vie », Sortir de la grande nuit, Paris, La Découverte, 2010, p. 37-40.
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se limite à de belles phrases598. Les différents dirigeants congolais qui se succéderont, peinent à se réclamer de la mémoire de Patrice Lumumba. Certains aspects de son mandat sont aujourd’hui encore très controversés notamment la décision d’envoyer l’Armée Nationale Congolaise au Kasaï pour préserver le Congo unitaire qui s’est soldée par des violences et des victimes599, ou le choix d’un État centralisé dans une vision non tribaliste. Peut-être aurait-il été plus judicieux de proposer la création d’un État fédéral en offrant des responsabilités politiques à ses ennemis katangais ? Aussi, aucune plaque ne commémore Patrice Lumumba à Shilatemba et la maison Brouwez, où il fut détenu, a été détruite600. En 2002, la statue érigée à sa mémoire dans le quartier populaire de Limete à Kinshasa par Joseph Kabila, est vue par les Congolais comme « une deuxième mort », elle est si peu ressemblante601. Le peuple congolais a lui une image assez appauvrie de Patrice Lumumba car l’enjeu national mémoriel dans le système politique post-colonial congolais repose sur une personnification du pouvoir qui se soucie peu de faire enseigner l’Histoire, mais plutôt de la contrôler à son profit602. Au Cameroun, le décret présidentiel du 16 décembre a entraîné la réhabilitation de certaines figures emblématiques de l’Histoire du Cameroun, comme celle de Ruben Um Nyobè et de Félix Moumié. Leur évocation est désormais possible mais il n’existe toujours pas de commémoration officielle, ni d’édifice public monumental ou de rues emblématiques à son nom, de la même façon qu’ils n’apparaissent pas toujours dans les manuels scolaires : une certaine Histoire reste encore à écrire. En juin 2007, l’érection d’une statue figurant Um à Eseka aurait pu être un moment de commémoration nationale véritable sur
598 Sur la Maison Brouwez voir Jean-Claude WILLAME, La crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, p. 477- 479. 599 Bogumil JEWSIEWICKI « Figures de mémoires congolaises de Lumumba : Moïse, Héros culturel, Jésus-Christ », Patrice Lumumba entre Dieu et Diable, op. cit., p. 353-377. 600 Ludo DE WITTE, « Un lieu de mémoire pour Lumumba ? », La Revue Toudi, n° 42-43, http://www.larevuetoudi.org/fr/story/un-lieu-de-mémoire-pour-lumumba consulté le 5 mars 2011. 601 Voir Annexe 16. Jean OMASOMBO TSHONDA, « Lumumba, drame sans fin et deuil inachevé de la colonisation », Cahiers d’Études africaines, nos173-174, 2004, consulté le 17 octobre 2012. URL : http://etudesafricaines.revues.org/4605 602 Ibid.
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« ce lieu chargé de mémoires », mais aucune personnalité officielle nationale, départementale ou provinciale n’est venue assister à son inauguration. Sur le secteur, l’événement fut récupéré par un membre de l’UPC à un mois des élections locales603. La statue, elle aussi peu ressemblante, n’est finalement guère appréciée604 L’ampleur de la référence collective à Barthélémy Boganda en République centrafricaine ne manque pas de frapper l’observateur étranger : à Bangui, une croix commémore son ordination près de la cathédrale, un monument s’élève à sa mémoire, un stade, la plus grande artère de la ville, un musée mais aussi un lycée à Berberati portent son nom. La dénomination du pays « République centrafricaine », la particularité des bandes colorées et de l’étoile du drapeau, l’hymne et la devise nationale, mais aussi le parti du Mesan qui survécut jusqu’en 1980, sont des créations de Boganda. En outre, depuis sa mort le 29 mars 1959, commémorée chaque année comme deuil national, puis à partir de 1985 comme journée de souvenir férié, tous les hommes politiques au pouvoir ainsi que ceux qui ont contesté sa légitimité, se sont chacun réclamés de la qualité de « véritable héritier de Boganda ». Pendant longtemps, la lutte pour le pouvoir a pris en effet la forme idéologique de la revendication à incarner socialement le vrai successeur de Boganda, titre qui donnait d’office une caution et une légitimité à diriger l’État ou encore, pour ceux qui se trouvaient dans l’opposition, à en contester les détenteurs. Ce titre de successeur et héritier, généralement autoproclamé, a non seulement inondé les discours politiques et la phraséologie officielle, mais il a été répercuté au niveau populaire dans de nombreux chants des orchestres locaux605 : « Bogàndà à mù légé ti goé na Bereberati « àvion à ùrù awè lo goè lo ti « Satrafrike kue a ngba na maw « Ndali ti kozo présida ti « Wa songo e Boganda « Ndali ti Ubangi a ga cesatrafrike « Koli ngangu Boganda 603 Philippe NKEN NDJENG, L’idée nationale dans le Cameroun Francophone (1920-1960), Paris, L’Harmattan, 2012, p. 211. 604 Voir Annexe 17. 605 Chants remis par Jean-Dominique Pénel.
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« Boganda a mu lège ti goe na Bereberati « Avio a uru awe lo goe lo ti ». Traduction : « Boganda a pris la route pour aller à Berbérati « L’avion a décollé, il s’est envolé, il est tombé « Tous les Centrafricains sont dans le malheur « À cause de notre président « Boganda sauveur « Grâce à lui l’Oubangui est devenu Centrafrique « Boganda homme fort « Boganda a pris la route pour aller à Berbérati « L’avion a décollé, il s’est envolé, il est tombé ». « Bokassa a mu wali ti goe na Berengo « Dacko a tumba lo lo goe na Libi « Libi a tumba lo « Lo goe na France ka, « France a tumba lo « Lo goe na côte d’Ivoire606 « A wara waraga na ya ti kalesoti ti madame Domitien, « lo ke ga « A wara kwa ti zo na ya ti frizidaire ti Bokassa, « lo ke ga « Mama hé, baba hé « Hé mama na kolona hé « Hé baba na sakade na kolona hé » Traduction : « Bokassa a pris des femmes pour aller à Bérengo « Dacko l’a chassé « Il est allé en Libye, la Libye l’a chassé « Il est allé en France, la France l’a chassé « Il est allé en Côte d’Ivoire « On a trouvé des fétiches dans le caleçon de madame Domitien, elle arrive « On a trouvé un mort dans le frigidaire de Bokassa, il arrive
Une autre version ajoute : Côte d’Ivoire a bâta lo / la Côte d’Ivoire l’a gardé. Voir Sendayanga ti laso, n° 4, un recueil de 101 chansons de gbagba (chants de petites filles), sans éditeur, p. 27-72 fourni par Jean-Dominique Pénel.
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« Hé maman, hé papa « Hé maman avec le kolona « Hé papa (on danse) avec le saccadé avec le kolona ».
Comme le montrent ces chants, sa place dans la vie politique oubanguienne et dans celle d’Afrique Centrale tout entière, entre 1946 et 1959, est telle que devenir son successeur, ici Bokassa, revenait à bénéficier de son prestige et de cette aura un peu mystique qui l’a entouré durant sa vie et après sa mort. Or, voilà où naît le paradoxe : en dépit de ces multiples références à Boganda, une profonde méconnaissance de sa pensée réelle et de ses idées perdurent. Une seule minuscule brochure informative : « Enfin on décolonise ! », dont la première édition, publiée avec l’appui financier du gouvernement général à Brazzaville, date du vivant de Boganda lui-même. Personne ne s’est soucié de diffuser sa pensée, comme si on avait intérêt à laisser l’ignorance perdurer. Ainsi, il n’était pas difficile de montrer des contradictions flagrantes entre des comportements prétendument effectués au nom de Boganda et les affirmations de Boganda luimême. Ne pas chercher à connaître ses textes et à les diffuser permet toutes les manipulations politiques possibles au nom de Boganda. Pour que certains détenteurs du pouvoir puissent parler de Boganda, il était devenu indispensable de bloquer l’accès à ses textes. La désinformation sur Boganda est donc une stratégie du pouvoir. La seule tentative louable pour revenir à Boganda lui-même, afin d’analyser directement et de comprendre sa pensée à partir des documents, a été réalisée à Bangui par A. Blagué quand il a organisé, dans un contexte difficile, le premier séminaire sur la pensée de Boganda en mars 1981. Cette tentative est restée malheureusement sans lendemain, mais les circonstances n’étaient pas très favorables puisqu’elles pouvaient justement faire croire à nouveau à une récupération de Boganda par le pouvoir en place à cette époque. De leurs côtés, plusieurs intellectuels centrafricains ont, ici et là, réalisé des études diverses, consacrées partiellement ou totalement à Boganda, mais ses travaux sont disséminés et peu ou pas faciles à trouver. Par ailleurs, ils manquent de sources écrites pour étayer leurs arguments607. Dans ces conditions, la question de l’accès aux textes de 607
Voir notamment les recherches de Max WALLOT à l’EHESS jamais publiées, Sociologie d’une admiration – le cas B. Boganda, 1912-1959 : la construction
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Boganda aurait pu globalement rester inchangée si deux hommes n’avaient pas œuvré pour rendre plus intelligible l’œuvre de Boganda : Pierre Kalck et Jean-Dominique Pénel608. Pour l’homme de la rue, la pensée de Boganda se réduit donc, dans le meilleur des cas, à quelques formules comme : la devise du pays « Unité, Dignité, Travail », la phrase devenue proverbiale de la lutte pour la dignité de l’homme noir « so kwe so » (un homme est un homme), les cinq commandements du Mesan « nourrir, soigner, instruire, loger, vêtir », voire quelques phrases extraites de ses discours. À l’heure actuelle, donc, les jeunes générations de Centrafricains méconnaissent presque complètement la pensée de Boganda dont ils n’ont jamais lu une seule ligne même s’il y a eu des tentatives de bandes dessinées pour mobiliser les jeunes Centrafricains. Ainsi est né notre projet commun avec J. D. Pénel de publier le second tome des Discours et documents autour de Boganda, pour la période 1951 à 1959, et de planifier la création d’une exposition itinérante en Centrafrique dans le but de transmettre l’héritage du leader, d’un point de vue historique et scientifique. Il est vrai que certains adultes, lassés d’avoir subi la propagande et les slogans des régimes passés, préfèrent ne plus entendre parler de Boganda ; d’autres ont même lancé des mots d’ordre pour condamner sa pensée, en s’appuyant souvent sur des documents insuffisants et mal interprétés dans leur contexte. Boganda est donc en République Centrafricaine (RCA) une référence obligée, mais une référence vide de son sens originel parce que les hommes politiques qui lui ont succédé, ont, transformé et détourné sa pensée profonde, à des fins stratégiques et personnelles. Non seulement cette pratique n’avait pas besoin des textes, bien mieux : elle requérait nécessairement leur absence pour avoir les coudées franches.
sociale d’un mythe national en Afrique-Équatoriale, RCA, EHESS, 1994 ou encore, La formation d’un groupe social : l’élite oubanguienne, EHESS, 1995. 608 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda écrits et discours (1946-1951 : la lutte décisive), op. cit., p. 65. Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, Antoine Darlan, Jeanne Vialle, trois représentants oubanguiens du deuxième collège (1946-1952), Université de Bangui, volume ronéoté, 1985, 87 p. Pierre KALCK, Histoire centrafricaine des origines à nos jours (1966), Paris, Berger-Levrault, 1974. Thèse de doctorat soutenue en 1970. Yarisse ZOCTIZUM, Histoire de la Centrafrique, T. 2, (1959-1979) : violence du développement, domination et inégalités, Paris, L’Harmattan, 1984, 307 p.
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Les leaders morts, leur cadavre pose encore problème. Ces immobilités problématiques sont exposées, profanées. Le corps de Patrice Lumumba est dissous : il constitue en cela une exception morbide. Par voie de conséquence, il est le seul à ne pas avoir eu un lieu de sépulture. Les autres ont été enterrés mais les rites coutumiers n’ont pas été respectés rendant le deuil de leurs proches compliqués. Ces morts outragés, exclus du clan des ancêtres hantent le présent. Les dépouilles de Boganda et Moumié ont reçu les honneurs guinéen et français mais ils restent des exclus en leur pays. Pour certains africains, les malheurs que connaissent la République centrafricaine et la République démocratique du Congo s’expliquent par l’outrage fait à leurs pères fondateurs. Malgré toutes les précautions prises pour ensevelir les actions et la mémoire des leaders, ils sont devenus des icônes indéniables. Toute tentative pour mettre fin à leur hagiographie est souvent mésinterprétée même dans un contexte scientifique. Par le truchement de l’expression artistique en photographie, en peinture, par la statuaire, le cinéma documentaire, les leaders viennent frapper à la porte pour rappeler l’outrage subi. De ce point de vue, ces assassinats, ces disparitions sont de véritables échecs. Ces leaders avaient-ils une chance de réussir leur projet politique ? Indéniablement, la création de l’ONU, dans l’immédiate après-guerre, et les projets politiques fédérateurs à l’échelle du continent africain ont constitué des illusions porteuses d’espoirs et des leviers de puissance qui s’annonçaient potentiellement efficaces. C’était sans compter sur le pouvoir de nuisance des métropoles colonisatrices ou puissances administrantes dans le cas du Cameroun.
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TROISIEME PARTIE – DÉSILLUSIONS ONUSIENNES ET PANAFRICAINES : LE REPLI MORTEL SUR LE LEADERSHIP NATIONAL
VI - L’espoir onusien Si les dix premières années de l’existence de l’ONU ont été consacrées à la guerre froide, l’enjeu de la décennie suivante s’est déplacé vers la gestion des revendications d’indépendance dans les colonies, des tensions suscitées entre les puissances occidentales et leur empire, et par l’accueil des nouveaux pays membres à l’Assemblée générale. En 1945, sur les 55 membres originels de l’ONU, 4 seulement ont acquis leur indépendance récemment ou sont sur le point de le faire comme l’Inde, le Pakistan, le Liban et la Syrie. L’Égypte et l’Irak bénéficient d’un statut « semi-colonial ». À partir des années cinquante, de nouveaux membres furent acceptés : en 1955, 4 ex-colonies et une semi-colonie deviennent membres (Ceylan, le Cambodge, le Laos, la Libye et la Jordanie). En 1960, 23 anciennes colonies les rejoindront et en 1965, 19 autres. Ces admissions modifient considérablement l’équilibre des puissances et un tel changement ne peut manquer d’influencer l’orientation politique de l’ONU ainsi que le caractère de ses activités : la grande majorité des conflits que l’organisation doit gérer, directement ou indirectement, est ainsi liée à la fin du « monde colonial » et les problèmes relatifs aux territoires des colonies sont de plus en plus nombreux. Si beaucoup d’ouvrages sont consacrés à la création de l’organisation ainsi qu’à son fonctionnement pour des périodes plus contemporaines 609 , rares sont les auteurs à s’être penchés sur les années cinquante et à s’intéresser à la Quatrième Commission ou au Conseil de tutelle610. Ces organes sont le plus souvent évoqués dans
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Maurice BERTRAND, L’ONU, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2006, 120 p. Frédérique MESTRE-LAFAY, L’ONU, Paris, PUF, 2003, 128 p. ; André LEWIN, L’ONU, pour quoi faire ?, Paris, Gallimard, 2006, 144 p. Pour une approche moins institutionnelle voir Chloé MAUREL, Histoire des idées des Nations-unies – l’ONU en 20 notions, Paris, L’Harmattan, 2015, 340 p. 610 Evan LUARD, History of the United Nations t. I, “The Years of Western domination, 1945-1955” et t. II “The age of decolonization 1955-1965 Macmillan”,
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les ouvrages traitant des décolonisations africaines et asiatiques. Comprendre le fonctionnement pratique de l’ONU au milieu des années cinquante n’est pas chose facile, l’examen des archives révélant que les rédacteurs des documents officiels eux-mêmes confondent les institutions en les nommant de façon erronée. Certains ouvrages, parfois un peu datés, mettent cependant en lumière l’évolution politique interne entre les organes de l’ONU et permettent une analyse des rapports de forces entre le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale d’une part, et d’autre part, entre le Conseil de tutelle et la Quatrième Commission 611 . La recherche récente, en revanche, fait preuve d’un grand dynamisme quant aux liens entre décolonisation et droits de l’homme : des historiens, spécialistes des droits de l’homme se sont notamment interrogés sur le fait de savoir si l’anticolonialisme était un mouvement militant pour les droits de l’homme et certains, comme Roland Burke, avancent que les leaders politiques du bloc afro-asiatique ont porté la question des droits de l’homme dans les années cinquante dans l’arène des Nations unies612. Une autre tendance, autour des travaux de Samuel Moyn613, estime au contraire que les droits de l’homme ont joué un rôle insignifiant dans les mouvements anticolonialistes pour l’indépendance : la stratégie des leaders du tiers-monde était d’obtenir la souveraineté nationale, qui aussitôt acquise, mettait sous le boisseau toute idée des droits de l’homme.
A – La foi en l’ONU Ce débat d’idées n’élude pas que l’attention portée à la décolonisation, favorise un changement dans les procédures et London, 1984, 404 p., Evan LUARD, L’ONU, how it works and what it does, New York, Saint Martin’s Press, 1994, 124 p. 611 Evan LUARD, History of the United Nations, t. II, “ The age of decolonization 1955-1965 Macmillan”, op. cit., p. 1-18, p. 120-144, p. 175-198. 612 Roland BURKE, Decolonization and the Evolution of International Human Rights, Philadelphie, University of Pennsyvlania Press, 2010, p. 1-91. 613 Samuel MOYN, The Last Utopia: Human Rights in History, Cambridge, Harvard University Press, 2010, p. 84-119. Pour l’auteur, ce n’est que dans les années soixante-dix que l’idéologie des droits de l’homme devient une doctrine plausible au moment où les mobilisations collectives pour l’indépendance sont en crise.
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bouleverse les rapports de forces au sein de l’organisation. Dans les années 50, contrairement aux idées reçues, les débats se déplacent du Conseil de sécurité à l’Assemblée, cette instance apparaissant comme une plate-forme plus adaptée à l’expression d’opinions diverses, moins verrouillée que le Conseil de sécurité où les principales puissances peuvent user de leur droit de veto. Pendant les années cinquante, le Conseil de sécurité ne s’est réuni que 40 ou 50 fois en moyenne, contre 130 fois en moyenne annuelle dans la décennie 1940. Le droit de veto a été utilisé la plupart du temps par l’Union soviétique ou par la France et la Grande-Bretagne sur des affaires coloniales, comme par exemple celle de l’affaire du canal de Suez en 1956. L’Assemblée générale devient donc une tribune pour les leaders de l’indépendance, un lieu idéal pour susciter des sentiments anticoloniaux au sein des pays membres et favoriser les soutiens. Dès 1951, les actions menées à l’ONU devant la Quatrième Commission de l’Assemblée générale mettent en lumière les rivalités entre les différents organes existants. Les différends idéologiques entre le Conseil de tutelle et la Quatrième Commission, mais aussi entre le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale, sont réels. Ils ont été exploités par les leaders togolais614 puis par les Camerounais. Cette antériorité togolaise a d’ailleurs desservi les Camerounais comme nous le verrons. L’analyse de ces actions permet de nuancer l’approche très généraliste du fonctionnement de l’ONU et de cerner plus précisément les relations entre les puissances coloniales, ancrées dans une politique atlantiste, et leurs colonies, mais aussi entre les États nouvellement indépendants. La plupart des membres du Conseil de sécurité présentaient ces agissements comme des « menaces pour la paix », alors que certaines puissances comme la France ou la GrandeBretagne, à la fois juge et partie, portaient une vraie responsabilité dans l’objet des interventions en tant que puissances coloniales. Dans le même temps, ces États démocratiques et contribuant à l’élaboration des droits de l’homme à l’échelle internationale, conduisaient parallèlement des guerres coloniales violant ces mêmes droits de
614
Sur la question togolaise à l’ONU, se référer aux sources suivantes : Daniel PEPY, « La République autonome du Togo devant les Nations unies », Politique étrangère, n° 6, 1957 (22e année), pp. 671-690. À la Fondation nationale des Sciences politiques, Le Togo et le Cameroun avant l’indépendance, dossier de presse FNSP, Centre de documentation contemporaine, 1946-1954, [5869].
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façon récurrente, créant un « monde divisé » des droits de l’homme615. Ainsi, les textes fondamentaux adoptés face au nazisme comme les Chartes de l’Atlantique de 1941 et de San Francisco en 1945, puis la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), deviennent pour ces mêmes puissances des « sources d’embarras » politiques assortis d’un « effet boomerang tout à fait désagréable616 ». Plusieurs pays occidentaux, particulièrement les puissances coloniales, étaient de plus en plus irrités par les diatribes anticolonialistes à leur encontre à l’Assemblée, tandis que l’Union soviétique et ses alliés y soutenaient la cause des colonisés. L’intensité des débats augmentait délibérément notamment entre les mois d’août et septembre avant l’ouverture des sessions, pour maximiser l’intérêt international. Les puissances coloniales avaient cependant anticipé en plaçant des limites très claires à l’ONU pour intervenir sur les questions des colonies. Ainsi, l’article 2 (alinéa 7) de la charte des Nations unies stipule que l’organisation ne peut intervenir sur les questions de juridictions domestiques d’un État membre 617 ; il est cependant possible de trouver dans la Charte d’autres articles pouvant justifier la discussion sur les questions coloniales : l’autodétermination prévue dans l’article 20 par exemple, ou le droit au self-government de l’article 73618. Les forces anticoloniales à l’intérieur de l’ONU voyaient l’organisation moins comme la protectrice du statu quo que comme un instrument de changement, le seul peut-être dont elles disposaient pour accélérer les ajustements politiques revendiqués puisqu’il n’existait pas d’autre tribune où faire pression contre les puissances coloniales. Très vite les leaders africains ont été capables d’identifier leurs appuis à l’instar de Ruben Um Nyobè qui, dès 1954, mentionne dans une lettre à Félix Moumié les puissances « solidaires » à leur cause au sein de l’Assemblée générale ou de la Quatrième Commission : « le bloc arabo-asiatique », « le groupe soviétique et les 615
Monde divisé dénoncé par Aimé Césaire, Franz Fanon ou Albert Memmi. Fabian KLOSE, « Source of embarrassment - human rights, state of emergency and the wars of decolonization », dans Sephan-Ludwig HOFFMANN (dir.), Human Rights in the twentieth century, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 237. 617 http://www.un.org/fr/documents/charter/chap1.shtml consulté le 20 avril 2015. 618 http://www.un.org/fr/documents/charter/chap11.shtml consulté le 20 avril 2015. À noter que le terme de self-government est souvent très mal traduit en français. 616
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démocraties populaires », « la Yougoslavie », « quelques pays d’Amérique Latine », « l’Inde et l’Égypte619 ». Cependant, même les plus ardents défenseurs des États anticoloniaux comme l’Égypte, éventuellement la Libye, puis plus tard Cuba, la Tanzanie et l’Algérie ont prouvé qu’en pratique, il leur était très difficile, avec leurs forces armées limitées, de porter pratiquement assistance au combat anticolonial. Leur espoir reposait donc sur les moyens politiques plutôt que militaires, un espoir qui s’amplifie avec l’importance croissante de la fonction du secrétaire général, sous l’impulsion de Dag Hammarskjöld dont le rôle a été déterminant entre 1955 et 1961. La crise congolaise et les rapports qu’il entretient avec Patrice Lumumba illustrent en grande partie cette évolution. Souvent sollicité, il s’est exposé et a exposé l’organisation à une crise majeure de son Histoire : l’ONUC, dont l’objectif premier était de sécuriser le gouvernement élu démocratiquement au Congo, a débouché sur la disparition des deux hommes en 1961. 1) Inexpériences internationaux
des
leaders
et
soutien
des
réseaux
Les leaders nationalistes africains ont intégré de façon différenciée l’espoir onusien, en dépit de leur faible connaissance commune du fonctionnement de cette institution complexe, à l’instar notamment des acteurs congolais de l’indépendance, comme Patrice Lumumba. Pris dans des démêlés politiques avec le gouvernement belge, ils n’ont eu aucun contact avec des fonctionnaires internationaux, hormis, par exemple pour les Congolais, à la Table ronde de janvier 1960 sur la future indépendance du Congo. Lors d’une conférence du 25 avril 1959 donnée devant les amis de la revue Présence Africaine, Lumumba, questionné sur le rôle à venir des Africains dans les organisations internationales comme l’ONU, répond : « Pour ce qui concerne l’ONU et les institutions spécialisées, la population du Congo n’a absolument aucune connaissance ni du programme
619
Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, présenté par Achille MBEMBE, Paris, L’Harmattan, 1984, p. 5. Lettre de Ruben à F. Moumié du 10 janvier 1954.
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ni de ce qui se discute en faveur du Congo. Et très souvent, il n’y a que quelques intellectuels qui se renseignent par-ci par-là pour avoir une documentation ou une information (...) À ce sujet, lorsque je suis descendu à Paris, j’ai voulu prendre contact avec le représentant de l’UNESCO (...) Il nous faut aussi une documentation suffisante pour savoir ce qui se fait à l’ONU et connaître les solutions et les interpellations620. »
Un peu plus d’un an avant l’indépendance, le fonctionnement de l’ONU est donc inconnu du futur Premier ministre et ministre de la Défense nationale du Congo : voilà la réalité de la situation et elle peut expliquer certaines erreurs politiques qui lui sont imputées621. A contrario, au Cameroun, territoire sous tutelle, les acteurs camerounais ont eu connaissance très tôt, grâce à leur formation politique et syndicale, que l’ONU était le meilleur moyen politique et légal pour évoquer les violations faites aux droits de l’homme par le pouvoir colonial. Dans le sillage de Nelson Mandela en Afrique du sud ou de Nnamdi Azikiwe au Nigeria, précurseurs dans l’action politique sous forme de pétitions et de protestations, ils ont vu rapidement que les Chartes de l’Atlantique et de San Francisco offraient un magnifique moyen d’obtenir pacifiquement des droits et potentiellement perçu leur « impact électrifiant » sur les populations colonisées622. Au début des années cinquante, les leaders camerounais envisagent l’ONU, et surtout la Quatrième Commission de l’Assemblée générale, comme un arbitre des affaires internationales, particulièrement pour les territoires sous tutelle623. Cette perspective a été renforcée par la prestation de Sylvanus Olympio qui, en 1947, a été le premier homme politique africain d’un territoire sous tutelle, le Togo, à prendre la parole brillamment devant l’Assemblée générale624. 620
Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Lumumba, (textes et documents recueillis et présentés par l’auteur), Paris, Présence Africaine, 1963, p. 36-37. 621 Voir quatrième partie, chapitre VIII. 622 Nnamdi AZIKIWE, The Atlantic Charter and the British West Africa, Lagos, 1943. 623 Cela relance l’espoir déçu par l’échec de la Société des Nations. Sylvanus Olympio est le porte-parole des pan-ewé. Alex Quaison Sackey relate que beaucoup s’attendait à voir arriver un individu vêtu de peau de léopard mais à sa place un brillant orateur s’est avancé en élégant complet veston. Il créa embarras et forte impression. Alex QUAISON-SACKEY, Africa unbound, A. Deutsch, 1963, p. 229230. 624 Ali A. MAZRUI, « L’Afrique et les Nations unies », dans l’Histoire générale de l’Afrique, tome 4 (L’Afrique depuis 1935), UNESCO, p. 913-920.
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À force de se rendre à l’ONU, les participants apprennent les règles de conduite de l’institution qui les reçoit625. Une acculturation s’opère, amenant à adopter des « comportements précis, constants et lisses (…) qui contraignent les expressions de l’affect et de l’émotion626 » ; en s’appropriant ces règles et en participant à la création d’un langage commun, les leaders ont utilisé l’institution internationale à leurs fins. Isabelle Bellier montre comment les représentants des peuples opprimés ont investi l’arène des Nations unies au fil des années, faisant de l’organisation un instrument qui leur a permis de faire entendre leur voix627. Ainsi, la teneur des interventions de Ruben Um Nyobè évolue vers plus de pragmatisme avec le temps, intégrant des codes de l’institution. Les leaders des populations coloniales se sont constitués en acteurs internationaux, devenant les représentants de peuples à la subjectivité partagée, qui participent à la construction de discours sur eux-mêmes, à la production des normes et réclament la reconnaissance de leurs droits. Parallèlement, leur représentation de soi s’est adaptée aux attentes institutionnelles, quitte à ce que l’organisation absorbe le caractère tranchant de leurs revendications. Les leaders étudiés n’ont pas réussi seuls cette adaptation et transformations. Certes, leur courage et leur pugnacité sont évidents mais ils ont bénéficié d’une aide circonstanciée révélée par les archives. Collectivement, aidés par des activistes africains, européens et américains acquis à la cause anticoloniale ils ont défini une pensée politique et une pratique des droits de l’homme en tant que stratégie de libération nationale de leur pays628. Ainsi, les membres de l’UPC ont créé un réseau avec les très jeunes Organisations non gouvernementales (ONG) comme la Ligue internationale des droits de 625
Birgit MULLER, « Comment rendre le monde gouvernable sans le gouverner : les organisations internationales analysées par les anthropologues », Critique internationale, n° 54, janvier 2012, p. 9-18. URL: www.cairn.info/revue-critiqueinternationale-2012-1-page-9.htm, consulté le 7 avril 2014. 626 Wilbert VAN VREE, Meetings, manners and civilization, the development of modern meeting behaviour, Leicester, Leicester University Press, 1999, p. 331. 627 Isabelle BELLIER, « Partenariat et participation des peuples autochtones aux Nations-Unies : intérêt et limites d’une présence institutionnelle » dans NEVEU Catherine (dir.), Démocratie participative, cultures et pratiques, Paris, L’Harmattan, 2007, 411 p. 628 Meredith TERRETTA, «We had been fooled into thinking that the UN watches over the Entire world – human rights, UN trust Territories and Africa’s decolonization », Human Rights Quaterly, vol. 34, n° 2, mai 2012, p. 332.
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d’Homme (LIDH), l’American Committee on Africa (ACA) créé en 1953 629 ou le Movement for Colonial Freedom (MCF), installé à Londres depuis 1954. Elles soutiennent l’autonomie politique pour les colonies et l’application des droits de l’homme affirmés dans la Charte de San Francisco, les accords de tutelle et la DUDH. La LIDH fondée en 1941 à New-York, s’est rapprochée de l’ONU en septembre 1948 à l’occasion des débats sur la création d’une déclaration universelle des droits de l’homme. Son fondateur et président, Roger Baldwin, un activiste reconnu de l’Union pour les Libertés civiles américaines a cherché des experts capables de fournir à la ligue des informations fiables sur les mouvements nationalistes présents dans les colonies. Ses relations épistolaires avec George Houser, le directeur de l’American Committee on Africa, prouvent à quel point il se souciait des leaders et des populations des territoires colonisés, se concevant comme un intermédiaire de leur cause devant l’ONU : « Le point le plus important est de garder le contact avec le Secrétariat général pour cerner quels sont les problèmes qui sont soulevés et comment et aussi de garder le contact avec les populations africaines et leur leader afin de voir comment nous pouvons les aider630. »
Cette aide va prendre des formes très variées comme des aides pour une meilleure compréhension des rouages de l’ONU, de son personnel et favoriser l’accueil et la formation des leaders lors de leur passage à New York pour leur audition devant la Quatrième commission de l’Assemblée générale. 2) Exploiter les failles du système de tutelle : l’opportunité la Quatrième Commission de l’Assemblée générale
de
Le système de tutelle a été l’un des derniers éléments de l’ONU négociés entre les grandes puissances à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Il a été décidé que trois types de territoires pourraient être désignés comme territoires sous tutelle : les colonies des territoires 629 http://africanactivist.msu.edu/organization.php?name=American+Committee+on+ Africa consulté le 22 avril 2015. 630 NYPL, ILRM, Boite 7, dossier : mouvement pour la liberté des peuples colonisés (1952-1956), Roger Baldwin à George Houser, 25 mai 1952.
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occupés par les alliés durant la guerre, les anciennes colonies des « ennemis » et les anciens territoires sous mandat de la SDN. La charte de San Francisco jette les bases du système de tutelle sans en détailler le fonctionnement : les puissances administrantes (GrandeBretagne, France, Belgique, Australie, Nouvelle-Zélande) se doivent de promouvoir l’avancement politique, économique et social des habitants de chaque territoire sous tutelle et leur développement progressif vers le self-government. Elles doivent encourager le respect pour les droits fondamentaux et assurer un traitement égal socialement et économiquement (article 76). Les puissances impliquées commencent à formuler de décisions dès janvier 1945 et présentent une première série d’accords à l’automne 1946 : la Grande-Bretagne pour le Tanganyika, le Togo et le Cameroun britanniques, la France pour une partie du Togo et du Cameroun, l’Australie pour la Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Zélande pour les Samoa et la Belgique pour le Rwanda-Urundi. Il importe de bien distinguer dans ce processus la Quatrième Commission, c’est-à-dire le comité de l’Assemblée générale sur les questions de tutelle, qui examine ces accords, entérinés par l’Assemblée en 1946 et le Conseil de tutelle, organe à part selon la Charte, qui est constitué des cinq puissances administrantes auxquelles s’ajoutent trois membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Union soviétique, Chine) et dix membres non permanents et non administrants élus pour trois ans selon l’article 23. Le Conseil de tutelle se réunit pour la première fois le 26 mars 1947. Sa fonction principale est d’examiner la façon dont a été conduite l’administration de chaque territoire et de superviser la transition vers l’indépendance théoriquement en train de se mettre en place. Il doit également considérer les rapports soumis annuellement sur les territoires par les puissances administrantes, mais aussi recevoir les pétitions envoyées par les habitants de ces territoires ainsi qu’organiser des missions et des visites, en accord avec les puissances administrantes et à des dates convenues avec elles. Prévu par l’article 88 de la Charte, un questionnaire concernant la politique économique, sociale et administrative conduite dans chaque territoire doit servir à constituer un rapport annuel. Le Conseil de tutelle est censé se réunir deux fois par an à New York, généralement en février ou juillet : après avoir examiné les affaires de chaque territoire, il réalise son propre rapport avec des recommandations spécifiques. Les revendications des territoires administrés portent fréquemment sur le développement 255
éducatif et social ou l’extension des transports à l’intérieur des territoires. Elles deviennent rapidement de plus en plus insistantes sur l’avancement politique. Du fait de sa composition (la moitié des membres du Conseil de tutelle était toujours des puissances administrantes), les pressions en son sein ne viennent généralement que de trois ou quatre membres. L’Union soviétique est souvent le seul pays à être hostile aux puissances administrantes, deux ou trois autres pays étant parfois critiques mais généralement plutôt attentistes. En fait, les pressions anticoloniales les plus insistantes viennent de l’Assemblée générale dont certains membres sont sensibles aux critiques faites au Conseil de tutelle comme celle énoncée par Ruben Um Nyobè lors de sa première audition le 17 décembre 1952 : « Le Conseil de tutelle, examinant les 11 pétitions du Cameroun qui soulevaient cette revendication (intégration du Cameroun dans l’Empire français), déclara que cette question n’appelait aucune mesure de sa part. Si le Conseil de tutelle avait basé sa décision sur le point de considérer qu’une telle mesure relevait de la compétence de l’Assemblée générale, nous nous permettons de suggérer que le Conseil de tutelle, s’il n’est pas compétent pour prendre une décision de cette nature, est au moins qualifié pour soumettre toute proposition relative aux territoires sous tutelle à l’Assemblée générale631. »
L’intervention de Nyobè suscite de vives réactions de protestations. Ainsi, la Quatrième Commission de l’Assemblée, comité de l’Assemblée générale spécialisé sur les questions de tutelle, demande de plus en plus à envoyer elle-même des missions dans les territoires sous tutelle et à entendre, par elle-même sous forme d’audience, les pétitions venant des territoires car le Conseil de Tutelle n’applique pas sérieusement les articles 87 et 88. En 1945, les rares puissances anticolonialistes avaient dû donner leur approbation à la création des Accords de tutelle, sans en approuver certaines dispositions. Une fois que le régime de tutelle commence à fonctionner, elles cherchent à ce que l’ONU utilise ses pouvoirs de contrôle le plus largement possible pour hâter la fin de la domination coloniale : les porteurs de la contestation coloniale ont joué des organes les uns par rapport aux autres en fonction de leur
631
Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, op. cit. p. 210.
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composition et de l’équilibre en leur sein. En retour, les puissances coloniales cherchent aussi à utiliser leurs pouvoirs de surveillance de la façon la plus étroite possible. En mars 1952, le ministre français des colonies, Pierre Pflimlin, et son homologue britannique Arthur Lyttelton, conviennent de faire front contre toutes les tentatives d’ingérence faites par l’ONU dans leurs affaires coloniales ainsi que sur les investigations concernant des missions de visite dans leur territoire dont ils ont la tutelle ou les demandes d’audience de pétitionnaires632. Le Conseil de tutelle ne fait ainsi aucune remarque impliquant une critique de l’administration des puissances coloniales. Sauf en de rares occasions, il refuse de permettre la présentation orale des pétitions par les habitants des territoires sous tutelle. Un véritable bras de fer diplomatique s’engage pour obliger le Conseil de tutelle à prendre des mesures refusées par les puissances administrantes. De nombreuses tentatives de neutralisation intellectuelle et physique des leaders venant porter la contestation devant la Quatrième Commission ont également lieu. Le Conseil de tutelle a consacré l’essentiel de ses trois premières sessions en 1947 et 1948 à son organisation et n’avait pas trouvé le temps de commencer l’examen de l’administration française jusqu’en janvier 1949. À cette date, un « comité spécial » du Conseil a rédigé un rapport contenant ses observations et recommandations ainsi que les mesures prises suites aux pétitions et les remarques sur des points de désaccord éventuels entre le Conseil de tutelle et les territoires administrés. Le Conseil de tutelle a envoyé ce rapport à l’Assemblée générale, qui l’a renvoyé à la Quatrième Commission. En novembre 1949, les membres de la Quatrième Commission ont voté des résolutions et formulé des recommandations au Conseil de tutelle et aux puissances administrantes. Les nations anticolonialistes de la Quatrième commission, hostiles envers la politique d’assimilation de la France, critiquent particulièrement la décision française d’administrer le Cameroun et le Togo comme des parties de l’Union française. Elles condamnent aussi l’absence de Camerounais aux postes-clés des administrations territoriales, le collège électoral double, mais aussi la représentation importante numériquement des 632
Circulaire secrète sur les relations coloniales anglo-française, colonial Office, mai 1952, TNA DO 35/3842. Cette coalition fut renforcée en mai 1957 par la Belgique et le Portugal TNA FO 371/1255313.
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citoyens français à l’assemblée représentative du territoire, de même que l’exigence pour tous les candidats à l’assemblée représentative de parler le français. Par ailleurs, les programmes scolaires largement consacrés à la culture française ignorent pratiquement la culture propre des colonisés. À la Quatrième Commission, dès 1947, la France a défendu le bienfondé et la légitimité de la politique qu’elle avait choisi de suivre au Cameroun, elle traite des territoires constitutionnellement en dehors de la République, comme s’ils étaient des territoires d’empire. Elle rejette cependant le terme d’annexion utilisé par le représentant soviétique. Elle affirme aussi que les Camerounais finiront par avoir le droit de se déterminer eux-mêmes sur la question d’adhésion ou non au statut de territoire d’outre-mer ou département d’outre-mer de la République française, État associé dans l’Union française ou État indépendant au-dehors de l’Union française. Les anticolonialistes doivent s’en contenter, certains s’y refusent. Deux hommes, entrés en contact, réclament non seulement la fin des mandats mais aussi la réunification du Kamerun 633 , il s’agit de Ruben Um Nyobè au Cameroun français, l’UPC, et le Docteur Emmanuel Endeley au Sud-Cameroun britannique, la Cameroun National Federation (CNF). Après avoir vu l’intérêt que les questions d’unification au Togo avaient suscité à l’ONU après 1947, Endeley espérait obtenir l’appui de ses membres anticolonialistes afin de faire pression sur les Britanniques pour créer une province autonome, dont il convoitait le poste de Premier ministre. Les anticolonialistes à l’ONU avaient déjà protesté contre l’intégration administrative d’un territoire sous tutelle (Southern Cameroon) à un territoire adjacent (province orientale du Nigeria) appartenant à la Grande-Bretagne. Ils auraient préféré l’établissement d’institutions législatives et exécutives séparées dans chaque territoire sous tutelle. Par son action devant l’ONU, Endeley espérait convaincre les Britanniques qu’il était un intermédiaire incontournable. La réunification semble davantage un prétexte à une émulation globale entre les différents mouvements de libération,
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David E. GARDINIER, Cameroon United nations challenge to french policy, London, Oxford University Press, 1963, 142 p. Kamerun n’est pas un terme neutre quant il est rédigé comme cela, il évoque l’unité d’un pays divisé par les guerres coloniales.
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qu’une préoccupation première634. Endeley parraine, en mai 1949 à Kumba, une conférence de dix-sept partis politiques des territoires camerounais sous tutelle anglaise et française, lors de laquelle tous les aspects des deux administrations britannique et française, sont attaqués. À cette occasion, il prend contact avec l’UPC dans l’espoir d’obtenir son aide pour mobiliser les Camerounais à l’approche de la mission de visite dans les deux territoires. Le mouvement pour l’unification avance lentement. Deux mois avant la deuxième visite de l’ONU en 1952, le Kamerun United National Congress (KUNC) formé en 1951 pour lutter pour la réunification et l’UPC s’assemblent au sein du Kamerun National Congress (KNC). Endeley et l’UPC tentent leur chance d’obtenir une audience devant la Quatrième Commission de l’Assemblée générale. C’est dans ce contexte, qu’en 1952, la majorité des membres de l’Assemblée générale, hostile à divers aspects de la politique française et insatisfaite de l’utilisation par le Conseil de tutelle de ses pouvoirs, accorde à Ruben Um Nyobè une première audience qui aura des répercussions au Cameroun jusqu’à la fin de l’ère de tutelle. Le télégramme envoyé début octobre 1952 à Trygve Lie, secrétaire général de l’ONU, demandant cette audition devant la Quatrième Commission a été sûrement déterminant635.
B - Les audiences à l’ONU : leviers d’impuissance 1) Entraves et procédures d’empêchement : les leaders sous surveillance Le 22 octobre 1952, la Quatrième Commission autorise donc l’UPC à faire une présentation orale de sa pétition lors de la VIIème session. Une note d’information de la mission permanente de la France auprès de l’ONU conservée à Vincennes, précise que 37 voix ont autorisé cette audition, les voix s’y opposant émanent des nations 634
Cette thèse est confirmée car, peu à peu et en 1957 très clairement, Endeley abandonne totalement l’idée de réunification et devient, en mai 1958, le premier Chef du gouvernement du Cameroun britannique. Voir l’article rédigé par l’auteure « L’Onu, quel arbitre dans les guerres au Cameroun ? », Relations internationales n°175, 2019. 635 Archives ONU, séries S – 0188.
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suivantes : Canada, France, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Suède, Union Sud-africaine, Royaume-Uni, États-Unis, Belgique et Australie636, ce qui permet de préciser sur quels « alliés » la France pouvait compter. Le fait qu’à la demande de la France, le Conseil de tutelle avait à plusieurs reprises refusé une telle présentation, a certainement influencé l’accord de la Quatrième Commission. À la nouvelle que l’Assemblée générale avait voté « oui » à l’audition orale de l’UPC, l’Assemblée territoriale du Cameroun (ATCAM) envoie un télégramme à l’ONU refusant à l’UPC le droit de parler au nom de tout le territoire. Les autres groupes constitués au Cameroun, comme l’Assemblée traditionnelle des Douala ou le Bloc Démocratique Camerounais (BDC) agirent rapidement afin de requérir des audiences que l’Assemblée accepte malgré des objections françaises. L’UPC et le Parti socialiste camerounais réussirent à financer le voyage de leurs représentants à New York : Ruben Um Nyobè pour l’UPC et Charles Okala, sénateur et représentant le Parti socialiste camerounais. La France choisit pour la représenter le prince Douala Manga Bell, l’un des députés du territoire à l’Assemblée nationale française. Le 17 décembre 1952, peu après la visite d’une des missions qui traversèrent les deux Cameroun, la Quatrième Commission a auditionné Um Nyobè de l’UPC, arrivé à New York malgré les multiples tentatives des États-Unis pour entraver l’arrivée du leader sur leur sol. Dès le 3 novembre, le Sdece rédige des notices de renseignements sur l’homme et son parti, identifié comme « la section locale du RDA au Cameroun », Nyobè étant considéré : « partisan de la tendance RDA d’Arboussier, opposé à Houphouët, il est donc favorable à l’apparentement communiste ». La note de renseignements précise que la décision de la Quatrième Commission EST DANGEREUSE DU POINT DE VUE FRANÇAIS637. » L’homme est surveillé : « son départ est prévu pour le 6 novembre 1952 » mais il « n’a pas pu réunir les fonds nécessaires à son voyage et il serait intéressant de savoir où il pourra les trouver et être informé sur les documents dont il est porteur638. » Alors que la délégation étasunienne à l’ONU a voté contre son audition, Nyobè sollicite un visa pour 636
SHD 6H86, notice du 2 novembre 1952. SHD 6H86, note du 6 novembre 1952. En majuscules dans le texte. 638 SHD 6H86 note du Sdece du 22 décembre 1952. Le voyage a été financé, 200 000 francs furent recueillis en 7 jours parmi les 30 000 adhérents de l’UPC. 637
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entrer au États-Unis. Une note du 12 novembre 1952 signale que le Consulat des États-Unis a refusé son visa, un refus qui entraîne la mobilisation des principaux responsables du Comité de défense des libertés démocratiques en Afrique noire comme l’avocat Pierre Kaldor et des associations d’étudiants africains. Par des tracts et des articles de journaux comme Terre Africaine, ils dénoncent une mesure injuste qui aurait été prise à l’instigation du gouvernement français. Par ailleurs, le PCF fait une campagne active dans L’Humanité pour appuyer le déplacement d’Um Nyobè à l’ONU639 et, le 8 décembre à l’Assemblée nationale, le député communiste Adrien Mouton intervient en sa faveur640 : « Ce délégué est convoqué à Lake Success pour le 10 novembre641. À l’ambassade des États-Unis où Um Nyobè s’est rendu pour obtenir son visa, on lui demande une attestation du Quai d’Orsay. Les affaires étrangères le renvoient aux services d’outre-mer et tous les services se déclarent incompétents, dans le but évident d’empêcher que M. Um Nyobè puisse se trouver à Lake Success en temps utile. (…) En protestant à notre tour, nous demandons au gouvernement s’il veut empêcher, par ce procédé, que le représentant de l’UPC soit entendu à l’ONU642. »
Le ministre de la France d’outre-mer, Pierre Pflimlin, élude la question. Dans la même séance, le responsable du groupe PCF à l’Assemblée, Charles Benoist, pose à nouveau la question, en rappelant au ministre concerné que sa tâche est « de soutenir les populations d’outre-mer, même lorsque ce qu’elles ont à dire n’est peut-être pas conforme à ce que vous pensez ». Le secrétaire d’État à la France d’outre-mer (FOM), Louis-Paul Aujoulat, dément les accusations faites « personne ne s’oppose (plus) au départ de M. Nyobè643 ».
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L’Humanité, 7 novembre 1952. http://4e.republique.jo-an.fr/numero/1952_i89.pdf consulté le 9 avril 2015 4929. 641 Il est auditionné le 17 décembre, la session fermant le 30. Lake success est siège provisoire de l’ONU dans le comté de Nassau (État de New York). 642 http://4e.republique.jo-an.fr/numero/1952_i89.pdf consulté le 9 avril 2015, 4956. 643 http://4e.republique.jo-an.fr/numero/1952_i89.pdf consulté le 9 avril 2015, 4956. 640
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p. le p. p.
La venue d’Um Nyobè à l’ONU a donc été ardue. Les autorités françaises anticipent également les suites de l’audition. Les services secrets notifient : « Ce qu’il [Nyobè] veut : rester aux USA jusqu’en février 1954 ou même plus tard afin de se faire entendre par le Conseil de tutelle de l’ONU et éventuellement de se faire entendre de nouveau par la 4e commission (lors de la session extraordinaire). « Ce que nous voulons : Qu’il ne reste pas aux USA afin d’éviter ses critiques intrigues dans les milieux de l’ONU. « Ce que nous demandons aux autorités américaines : De ne pas renouveler son permis de séjour aux USA et de le renvoyer en France pour les motifs suivants : Eviter les contacts dangereux non seulement pour la France mais pour les USA (relations avec communistes noirs d’Amérique : Robeson). Le permis de séjour lui a été accordé pour venir à la 4e Commission, maintenant que son audition a eu lieu, il n’a plus rien à faire aux ÉtatsUnis644. Si le Conseil de tutelle désire l’entendre, il n’aura qu’à le convoquer en temps opportun et un nouveau permis de séjour aux USA pourrait lui être accordé à ce moment (même procédure pour tout autre organisme de l’ONU désirant le faire comparaître). Mais qu’il ne reste pas aux ÉTATS-UNIS dans l’intervalle des sessions, de l’Assemblée générale ou du Conseil de tutelle. »
Les services secrets français souhaitent que le FBI soit utilisé comme moyen d’action contre Nyobè mais les archives de Vincennes révèlent qu’ils ont dû prendre leurs propres dispositions comme le prouve cette note adressée par le directeur du Sdece à la Présidence du conseil. L’agent qui l’a rédigée a réussi à côtoyer Ruben Um Nyobè lors de son voyage à New York ; les accords en genre laissent supposer qu’il s’agit d’une femme : « sans beaucoup de questions de ma part, Nyobè me raconte les buts de l’Union du Peuple du Cameroun [sic] en se basant de temps en temps sur La Voix du Cameroun qu’il m’avait apportée ». Il aurait confié qu’« on n’a encore personne en vue qui pourrait devenir le Chef de gouvernement, mais ce sont là des questions qui s’arrangeront facilement le moment
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En gras dans le texte en conformité avec l’original.
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donné645. » Selon l’agent, Nyobè se serait ainsi fait facilement, voire presque naïvement, « approcher ». Est-il si crédule ? Car il ajoute : « Parmi les 30 000 membres de l’UPC, il n’y a aucun communiste et qu’il regrette d’avoir eu le soutien des communistes à la Chambre pour recevoir son visa. (…) D’un côté il n’aurait pas pu venir aux États-Unis si les communistes n’étaient pas venus à son secours, mais de l’autre il était maintenant obligé de se défendre contre le soupçon d’être communiste, ce qui lui était très pénible646. »
Ces informations sont capitales à transmettre en pleine guerre froide aux atlantistes. Nyobè s’arrange peut-être pour lui faire passer des informations qu’il juge importantes. L’agent décrit Nyobè comme un homme seul, perdu dans une très grande ville dont il ne maîtrise pas la langue qu’il souhaite par ailleurs apprendre très vite. Il demande où se trouve Harlem ; la description du rapport vire alors à une version totalement péjorative des services secrets de Bécassine à New York : « Je lui dis qu’il faut prendre le métro, il s’exclama tout étonné : oh il y a un métro à New York ! (…) Il connaissait la rue à la droite de son hôtel (…) mais il ne s’était jamais aventuré jusqu’au coin à gauche ».
La solitude lui pèserait tant qu’il souhaite partir vite de New York et rejoindre sa famille pour les fêtes, une remarque qui va à l’encontre de la note rédigée par les services, déjà citée. Le rapport s’achève par une phrase ambiguë : « Finalement il chercha à prendre rendez-vous avec moi pendant la fin de semaine visiblement ennuyé par l’idée des deux jours solitaires devant lui. »
Cette affirmation va à l’encontre de ce qu’écrit Meredith Terretta : Nyobè aurait été accompagné d’Ernest Ouandié ; ils auraient ensemble rencontré Sylvanus Olympio et assisté à des meetings de l’International league of the rights of Man (ILRM) ou de l’ACOA647.
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SHD 6H86 note datée du 20 décembre 1952, 6H62. SHD 6H86 note datée du 20 décembre 1952, 6H62. 647 Meredith TERRETTA, "We Had Been Fooled into Thinking that the UN Watches over the Entire World": Human Rights, UN Trust Territories, and Africa's 646
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Dans les archives dépouillées, aucune n’évoque cependant ces rencontres et ces connexions. Alors qui a-t-il rencontré ? Les services français évoquent Elsanda Robeson, épouse de Paul Robeson, l’un des plus célèbres chanteurs et acteurs du XXe siècle648. Le couple Robeson a été attaqué, « blacklisté » et traqué par le gouvernement américain pour ses convictions politiques 649 . Eslanda Robeson, surnommée Essie, journaliste et anthropologue afro-américaine, milite pour la fin du colonialisme en Afrique et du racisme aux États-Unis. Une archive affirme que Ruben Um Nyobè l’a rencontrée dans les couloirs de l’ONU : « Elle l’avait abordé, lui disant tout simplement qu’ils s’intéressaient à la cause de son pays comme à celle de tous les nègres (sic), le félicitant de son succès et l’invitant à passer quelques heures avec elle s’il n’avait rien d’autre à faire650. »
Connue et sous la surveillance du FBI, elle connaît bien l’Afrique pour y avoir voyagé dans les années quarante. C’est depuis cette époque qu’elle est considérée comme « dangereuse » par les services secrets britanniques, le MI5, après qu’elle ait évoqué publiquement le fait que l’Afrique sera dirigée par les Africains651. » Elle publie de nombreux articles dans le New World Review, journal communiste qui a pour objectif d’amener les Américains à mieux connaître l’URSS, la Decolonization », Human Rights Quarterly, vol. 34, n° 2, mai 2012, p. 339. Mon travail sur cet aspect n’est pas exhaustif. 648 Barbara RANSBY, The large and unconventional life of Mrs Paul Robeson, New Haven, Yale University Press, 2013, p. 205-222. L’ouvrage n’évoque pas cette rencontre explicitement p. 211. 649 Voir dossier en ligne sur le site du FBI des époux Robeson : http://vault.fbi.gov/ consulté le 19 mars 2015. Paul Robeson, ancien pasteur presbytérien, a utilisé sa voix de baryton pour promouvoir le negro spiritual, partager les cultures avec d'autres pays, et soutenir les mouvements sociaux de son temps. Il a chanté pour la paix et la justice dans vingt-cinq langues à travers les États-Unis, l'Afrique, l'Asie, l'Europe et l'Union soviétique. Robeson est connu comme un citoyen du monde, aussi à l'aise avec les gens de Moscou et de Nairobi qu’avec les gens de Harlem. Partout où il s’est rendu, Robeson a défendu la cause des Noirs. Au cours de l'ère McCarthy des années cinquante, tout a été tenté pour faire taire et discréditer Paul Robeson en raison de ses opinions politiques et son dévouement aux droits civiques. 650 Archives ONU, séries S - 0188 à 1078. 651 Eslanda ROBESON, African Journey, New York, John Day Co., 1945, 154 p.
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Chine et les mouvements de libération des peuples colonisés à l’échelle mondiale ; dans The Afroamerican, The Pittsburgh Courier, The Sun Reporter, elle suit de très près l’activité politique de l’ONU au début des années cinquante. Privée de passeport, comme son mari, entre 1950 et 1958, elle renoue avec l’Afrique lors de la conférence à Accra où, en compagnie de Shirley Du Bois, elle rencontre Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba qui l’impressionne énormément et retrouve Jomo Kenyatta, son condisciple à la London School of Economics652. Sa connexion personnelle avec le Cameroun s’incarne en Ndeh Ntumazah, le militant de l’UPC et futur leader du mouvement One Kamerun, qu’elle a rencontré en 1952 et avec lequel elle correspond. Pour elle, l’ONU doit protéger les peuples, ses positions sont tranchées au sujet de ce territoire : « Bien que des centaines de pétitions du Cameroun (dénonçant une répression violente et illégale) ont inondé l’ONU, la France n’a fait aucun rapport, aucun commentaire sur la situation apparemment alarmante et a juste répondu aux questions pressantes par un argument choc : « Les pétitions sont faites par des organisations communistes653. »
Ses positions anti-françaises sont claires et publiques. En résumé, Ruben Um Nyobè est redevable aux communistes de sa venue aux États-Unis, il rencontre une des Afro-Américaines progressistes les plus influentes aux États-Unis, une des rares femmes qui estiment nécessaires les connexions entre les Afro-Américains et les Africains654 : tout ceci contribue à le rendre plus que suspect aux yeux des lobbys colonialistes. Lors de sa deuxième visite à l’ONU, le 5 décembre 1953, Ruben Um Nyobè dénonce les difficultés à nouveau rencontrées pour venir aux États-Unis. Le ton qu’il adopte est beaucoup plus incisif : 652
Entretien télévisé de Barbara Ransby – professeur à l’Université Illinois de Chicago. http://www.democracynow.org/2013/2/12/remembering_the_overlooked_life_eslan da_robeson, consulté le 7 avril 2015 653 Barbara RANSBY, The large and unconventional life of Mrs Paul Robeson, op. cit.,, p. 205-222. 654 Elle écrit de façon subversive : « Quand j’ai voyagé en Afrique j’ai découvert que j’appartenais à l’Afrique avec ses 150 millions de personnes avec un bagage historique et culturel incroyable ». Eslanda ROBESON, African Journey, op. cit.,, p. 98.
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« Les autorités françaises usèrent d’une mesure de provocation assez cynique en voulant me soumettre à des examens médicaux : une fois arrivé à Paris le 21 octobre, l’ambassade américaine répondit de façon positive à ma demande de visa datée du 16 octobre seulement le 1er décembre, après de multiples interventions de l’UPC et d’autres organisations du Cameroun, de moi-même et de certains milieux français655. »
Les archives françaises le confirment : une note datée d’octobre 1953 évoque « le refus d’entrée aux USA par les autorités américaines permettrait d’atteindre le résultat escompté656 » : empêcher Um Nyobè de se rendre une nouvelle fois à l’ONU. « Une nouvelle audition d’Um Nyobè devant la Commission de tutelle (sic) de l’ONU aurait pour résultat immédiat de renforcer la position politique de cet agitateur sur le plan local, par le prestige qu’il en retirerait et saurait exploiter, comme il l’a fait après sa première audition en 1952. Indirectement il en résulterait un renforcement de la position du Parti communiste au Cameroun. La sécurité intérieure de ce territoire risquerait fort d’en être sérieusement affectée dans le présent et surtout en cas de conflit. Or la situation géographique du Cameroun sur l’échiquier africain exige impérativement que ce pays reste calme, tant pour la tranquillité intérieure de l’Afrique Centrale que pour les liaisons logistiques transafricaines. Le meilleur moyen est d’arrêter la tentative d’agitation à ses débuts en empêchant l’audition de Um Nyobè et éventuellement de ses acolytes (…) au cours de la présente session657. »
Les soutiens jouent à nouveau : à Paris Ruben Um Nyobè loge chez Mme Veber, l’ancienne compagne de Gabriel d’Arboussier, il prépare son texte avec l’aide des dirigeants du « Comité de défense des libertés démocratiques en Afrique noire » et de Jacques N’Gom, l’un des pères fondateurs de l’UPC. L’Humanité du 30 septembre et du 23 novembre 1953 publient des articles le concernant, une délégation de personnalités communistes françaises et africaines se rend à
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Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, présenté par Achille MBEMBE, op. cit., p. 215. 656 SHD 6H86, note d’octobre 1953. 657 SHD 6H86, note d’octobre 1953. À la demande de Ruben Um Nyobè, deux autres Camerounais ont été invités à l’accompagner devant la Quatrième Commission de l’ONU : Abessolo N’Kounou et N’Bzinga Joseph « deux victimes du colonialisme ».
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l’ambassade américaine 658 . Les amis du leader camerounais demandent publiquement aux représentants des Américains à l’ONU les raisons de son absence le 27 novembre 1953, alors que la session a commencé. Jean Rénal, ingénieur et officier de la Résistance, s’adresse au ministre de la FOM sur un ton véhément : « Si les Américains refusent ce visa, alors déplaçons le siège de l’Assemblée générale de l’ONU – en réalité douée d’extraterritorialité (ou devant l’être) - établissons-le dans un pays dont le gouvernement ne soit plus au-dessus des partis. Quant à vos services, ils devraient, dans une telle affaire, intervenir énergiquement, soit avec les arguments ci-dessus, soit avec d’autres qui certainement ne sauraient vous manquer659. »
L’ordre de Washington d’accorder immédiatement un visa à Um Nyobè est vécu comme une défaite pour le ministre de la FOM même si l’objectif est partiellement atteint : ne pas lui accorder son visa avant la fin novembre pour éviter toutes prises de contact et échanges fructueux avant les débats et le jour de l’audition. Ces moments sont précieux car de façon informelle ils permettent un lobbying, la constitution ou l’entretien de réseaux660. Son retour annoncé pour le 16 décembre en France est déjà sous contrôle : « Il serait intéressant de connaître son activité au retour de France, et principalement la date de son départ pour le Cameroun661. »
Pour sa troisième audition en décembre 1954, les obstacles rencontrés par Um Nyobè demeurent : quatorze jours ont été nécessaires pour l’obtention de son visa, un visa de type C, qui l’autorise à circuler uniquement dans certains quartiers de New York. Il s’agit, là encore de limiter les rencontres et la construction de réseaux 662 . À l’inverse de l’effet escompté cette stratégie a surtout favorisé la publicité autour du leader. Au Cameroun une autre
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SHD 6H86 note de la direction des renseignements généraux du 1er décembre 1953. 659 SHD 6H86 lettre de Jean Rénal du 22 novembre 1953. 660 SHD 6H86 note des renseignements généraux du 6 novembre 1953. 661 SHD 6H86 note de la direction des renseignements généraux du 1er décembre 1953. 662 SHD 6H86 note du Sdece du 13 décembre 1953.
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stratégie est en cours, comme la Grande-Bretagne au Kenya avec la révolte Mau Mau, la France durcit sa politique : les droits fondamentaux n’existent plus, la violence coloniale se radicalise663. 2) Multiplication des auditions : une augmentation du gradient de nuisibilité Ruben Um Nyobè s’exprime devant l’ONU le 17 novembre 1952 en tant que secrétaire général de l’UPC, devant la Quatrième Commission sur trois questions : la réunification du Cameroun, la position du Cameroun vis-à-vis de l’Union française et la fixation d’un délai à la durée de tutelle. Il prend la parole comme l’avait fait le révérend Michael Scott en 1947 en prenant humblement la défense des populations Herero, Berg-Damara et Nama de l’ouest de l’Afrique du Sud. À la suite de cette intervention, leurs chefs Herero furent invités en novembre 1951 à parler devant la Quatrième Commission664, un précédent dont Nyobè a pu s’inspirer. Selon ses détracteurs il aurait consacré une petite partie seulement de son audience à ces sujets et aurait passé « le plus clair de son temps à présenter le programme de l’UPC et à critiquer l’Administration française665 ». Ses accusations ont pour but de réaffirmer l’illégitimité de l’UPC au Cameroun qui n’a aucun siège à l’ATCAM, malgré la progression de son audience. Nyobè revient sur le problème du délai de sa candidature en 1951 pour le poste de député à l’Assemblée nationale mais aussi sur les milliers de francs et les caisses de boissons alcoolisées destinés à acheter les électeurs. Il évoque les illégalités du scrutin et les pressions dont l’UPC a été victime pour les
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La France instaure l’État d’urgence en Algérie à cette même époque. Voir Sylvie THÉNAULT, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social, n° 218, janvier 2007, p. 63-78. Voir www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2007-1-page-63.htm. 664 Carol ANDERSON, « International conscience, the Cold war and apartheid: the NAACP’s alliance with the reverend Michael Scott for the south’s west Africa’s liberation 1946-1951 », Journal of World History, vol. 19, n° 3, 2008, p. 297. Le gouvernement sud-africain refusa de délivrer des passeports aux invités qui ne purent donc faire le voyage. 665 David E. GARDINIER, Cameroon United nation’s challenge to french policy, op. cit., p. 64.
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élections à l’Assemblée territoriale du Cameroun (ATCAM) en mars 1952666. Il admet avoir été libre de sa campagne durant les élections mais accuse l’Administration d’avoir violé les libertés politiques. Son objectif est de mettre en avant les pétitions données à la mission présente au Cameroun en 1949 et les protestations contre la politique réactionnaire du gouvernement français sur les populations autochtones (répression, expropriations et discriminations raciales). Il évoque la prise de distance de l’UPC avec le RDA, tendance Houphouët-Boigny, et annonce les objectifs de l’UPC en rappelant l’article 73 de la Charte des Nations unies. Concernant la réunification du Cameroun, il revient sur le régime des mandats, « camouflage de la colonisation pure et simple (…) la division du Cameroun est artificielle, arbitraire, elle ne profite qu’aux colonisateurs et elle est préjudiciable pour le peuple camerounais (…) la réunification est réclamée par la grande majorité du peuple camerounais667. » Il accuse la France de duplicité en voulant faire du Cameroun une partie intégrante de l’Union française, car le terme « territoire associé » qu’elle utilise n’a aucun statut dans l’Union, si ce n’est celui d’un territoire assimilé au territoire français. Il ajoute que dans le deuxième collège les autochtones sont sous-représentés. Enfin, il explique que l’UPC veut fixer une date au plus vite pour l’indépendance. « Um Nyobè présente son cas de la façon la plus favorable pour gagner la sympathie des anticolonialistes668 ». Plusieurs fois durant sa présentation Um Nyobè a eu des propos très agressifs mais justes contre l’Administration 669 . Il échoue cependant à convaincre l’auditoire que l’envie de réunification est un sentiment partagé par de nombreux Camerounais. Comme la réunification du Togo avait été jugée trop rapidement traitée, les membres de la Quatrième Commission furent donc très prudents sur le Cameroun à ce sujet. De plus, le gouvernement français avait posé ses garde-fous : Louis-Paul
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Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, présenté par Achille MBEMBE, op. cit., p. 183. 667 Idem, p. 184. 668 David E. GARDINIER. Cameroon United nations challenge to french policy, London, op.cit., p. 65. 669 ONU S-1556-0000-0084
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Aujoulat président de l’ATCAM670 et les deux personnes protégées et financées par le gouvernement français, Charles-René Okala (Section française de l’Internationale ouvrière) et Alexandre Douala Manga Bell, eurent beau jeu de contester la représentativité de Ruben Um Nyobè devant la Quatrième Commission. Ils prirent la parole tous les trois après le discours du leader de l’UPC. Charles Okala, chef du Parti Socialiste Camerounais (PSC), se présente lui aussi devant la Quatrième Commission, comme légitime en tant que membre de l’ATCAM. Sénateur du Conseil de la République, il a acquis une considérable réputation en tant qu’orateur, ses remarques à la commission se firent sur un ton modéré. Il accuse Nyobè de suivre une « philosophie communiste » et affirme qu’en fait très peu de Camerounais étaient intéressés par l’unification. Comme Ruben Um Nyobè, cependant, il est favorable à un accroissement des pouvoirs au niveau territorial par l’établissement d’une assemblée législative et d’un conseil gouvernemental. Ces réformes semblaient nécessaires pour organiser le territoire et lui laisser le choix entre devenir un État associé dans l’Union française ou un territoire complètement indépendant, tout en créant les conditions optimales pour organiser un gouvernement. Il demandait la fin du double collège électoral et souhaitait une africanisation rapide des cadres administratifs ainsi que le respect du droit de grève des Africains. Il soulignait également le manque d’infrastructure éducative, spécialement dans le nord du territoire. Pour Louis-Paul Aujoulat : « l’indépendance n’est nullement à l’ordre du jour au Cameroun, seuls quelques marginaux, comme Ruben Um Nyobè ici présent, font grand bruit sur la question mais ils ne sont pas écoutés. La preuve, il s’est fait copieusement battre sur son fief, et il parle donc ici en son nom propre671 ». Manga Bell, estimait que les populations camerounaises avaient donné leur 670
Guillaume LACHENAL, Bertrand TAITHE, « Une généalogie missionnaire et coloniale de l’humanitaire : le cas Aujoulat au Cameroun, 1935-1973 », Le Mouvement Social, février 2009, n° 227, p. 45-63. Le docteur Aujoulat a été, dès 1946, élu MRP au premier collège à ce titre il incarne le candidat du colonat. Son penchant pour le clientélisme et son influence au sein du Bloc Démocratique Camerounais s’accompagne de l’obtention de postes dans différents ministères en France et ensuite dans des organisations internationales. 671 Louis-Paul AUJOULAT et Charles-René OKALA, discours prononcé le 17 décembre 1952, préfacé par Guy Mollet, 1956. L. P. Aujoulat est aussi Secrétaire d’État à la FOM.
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acceptation aux Accords de tutelle en 1946, le problème de l’unification n’était pas d’actualité. Ruben Um Nyobè est donc présenté comme illégitime car non élu et marginal idéologiquement par rapport aux Camerounais. La deuxième audition devant la Quatrième Commission a eu lieu le 5 décembre 1953. Pour les raisons déjà mentionnées, Ruben Um Nyobè arrive à New York alors que la commission était sur le point de finir ses travaux. Il écrit assez cyniquement : « Car il faut être un pétitionnaire préféré ou toléré par la puissance administrante pour avoir la facilité d’accéder au siège de l’ONU, il est à prévoir que la Quatrième Commission n’entendra plus jamais une personne venant des pays concernés, osant poser le problème de l’indépendance672. »
Ruben Um Nyobè insiste sur les effets de la résolution du 21 décembre 1952 sur les populations camerounaises673. Cette résolution statuait que l’Assemblée générale avait pris note des déclarations des auditionnés et que leurs déclarations constituaient une contribution précieuse à la compréhension des problèmes des Cameroun(s) sous tutelle, elle recommandait aussi de poursuivre les enquêtes et de veiller à la mise en œuvre des recommandations faites aux puissances administrantes. Comme vecteur de ces messages d’espoir, il invoque les quatre-vingt-trois conférences réalisées à travers le pays pour diffuser les résultats obtenus avec cette résolution. Il revient sur le harcèlement dont il est la cible au Cameroun : « L’Administration française qui s’était refusée à donner toute publicité à la résolution des Nations unies, a pris toutes les mesures d’entrave pour m’empêcher de m’acquitter de ma tâche auprès de mes compatriotes674. » « Interdiction d’accès aux lieux publics », « menaces » [comme celle du 1er mars 1953 relatée dans un communiqué adressé à l’ONU par Ruben Um Nyobè qui raconte avoir été « pisté » par « trois Européens » interrogeant
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Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, présenté par Achille MBEMBE, op. cit, p. 183. 673 Résolution 65, VII : http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/655(VII)&Lan g=F consulté le 5 février 2015. 674 Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, op. cit., p. 217.
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son camarade Théophile Abega675 qui l’hébergeait], « tentative d’assassinat par des mercenaires à Foumban en pays Bamoun. »
Toutes ces intimidations ne découragent pas pour autant Nyobè et les militants. Nyobè met à la disposition des membres de l’ONU une brochure intitulée : « Ce que veut le peuple camerounais », pour faire connaître leurs volontés. L’audition revient sur la question de l’unification des deux Cameroun (s) : Nyobè évoque ses deux séjours récents au Cameroun britannique (fin avril/début mai 1953 et août 1953) et l’attachement du Kamerun National Congress à l’unification. Il met en cause la partialité de la mission de visite envoyée en 1952 : sa brièveté et le manque de contacts « libres » avec les populations676, ces deux aspects ayant soulevé « une indignation aux rares éléments qui en ont pris connaissance ». Il réaffirme que l’UPC peut apporter son aide aux missions envoyées par l’ONU. Il rappelle que le délai pour l’indépendance doit être court conformément à la résolution de l’Assemblée générale du 18 janvier 1952 et que le statut de « territoire associé », non défini dans la Constitution française, inclut toujours pratiquement le Cameroun dans l’Empire colonial français. L’intervention lors de la troisième audition du 24 décembre 1954 est très dense. Elle commence par la question de la réunification du Cameroun, Nyobè réfute à nouveau que les « masses camerounaises » n’adhèrent pas à ce projet y compris dans le Cameroun britannique677. Il suggère, pour s’en assurer, un référendum sur la question. Il revient ensuite sur la fin du régime de tutelle : à travers une série d’exemples, 675
ONU S –1565-0000-084. Cette analyse est corroborée par les archives de l’ONU qui relatent le trajet de la mission : S-1565-0000-81/82, arrivée le 14 octobre 1952 repartie le 10 novembre pour le Nigéria, la mission reste une pleine journée à Dshang, à peine une journée à Foumban, une journée pleine à Ebolowa et plusieurs jours à Ngaoundéré, Garoua, Maroua, régions où l’UPC est plus faiblement implantée. La mission est dirigée par M. Roy A. Peachey, Australien, M. Robert Scheyven, Belge, M. HK. Yang, Chinois (la Chine représentée à l’ONU n’est pas celle de Mao) et M. Roberto E. Quiros, Salvadorien : une mission composée, en dépit d’un effort de pluralisme, d’aucun élément progressiste. 677 Ce n’est pas tout à fait exact : la situation a évolué car la rivalité s’est accentuée entre le Kamerun United Congress et la Cameroons National Federation de Endeley qui délaisse peu à peu l’idée de la réunification pour jouer sa carte politique auprès des Britanniques. 676
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il démontre l’hostilité du gouvernement français à toutes les décisions ou projet de l’ONU d’accorder l’indépendance aux territoires sous tutelle. Nyobè propose la création d’une assemblée locale associant partie française et partie britannique, l’élection au suffrage universel d’un collège unique et d’une assemblée législative chargée d’élaborer une législation camerounaise unique pour les deux parties du Cameroun, la création d’un conseil exécutif présidé par un Haut-Commissaire des Nations unies élu par l’Assemblée générale. Il revient ensuite sur la partialité de la mission de 1952. Installée à Ngaoundéré, elle a traversé longuement des régions très faiblement politisées et a passé très peu de temps dans les régions Bamiléké, du Mungo, de Douala et de la Sanaga-Maritime, c’est-à-dire les régions où l’UPC est solidement implantée 678 . La mission a décliné les invitations à des meetings publics et a, au contraire, accepté les cérémonies organisées par l’Administration et les amis dociles à la politique administrative. En ce qui concerne les rapports du Cameroun avec l’Union française, pour Nyobè rien n’a évolué : le Cameroun est toujours administré comme une partie intégrante du territoire français, ce qui n’est pas légitime, d’autant que l’Union française ne remplit pas les missions qui lui sont conférées avec les populations camerounaises. 3) Quels résultats ? Les activités et le programme de Ruben Nyobè et de l’UPC après 1952 déplaisent aux autorités administrantes. La note rédigée par la mission permanente de la France auprès des Nations unies, datée du 8 janvier 1953, est édifiante à ce sujet679. « Si, sur le plan de l’Assemblée générale, nous sommes sortis d’un débat dangereux et souvent pénible, il reste que les questions politiques propres au Cameroun – lesquelles nous avaient jusqu’à ce jour causé un minimum de soucis – seront désormais posées avec une insistance nouvelle et que l’on nous demandera des comptes non seulement sur la situation existante mais sur nos projets ».
678 679
ANY APA 12240, mission de visite de l’ONU (1949-1952) SHD, 6H86 note de la mission de la France à l’ONU.
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La mission préfère néanmoins laisser toutes les décisions politiques entre les mains des organes centraux à Paris. « Il paraît également probable que la vie politique locale du Cameroun se trouvera stimulée, dans un sens qu’il nous est interdit de croire favorable, par la compétition à laquelle se sont livrés devant l’ONU les deux leaders politiques et par l’accueil qu’ils ont reçu l’un et l’autre dans la 4e commission ».
La première audition est de loin la plus fructueuse et elle confère à Nyobè un prestige très important à son retour au Cameroun. Les activités de l’UPC encouragent les autres groupes politiques à s’orienter différemment par rapport aux positions officielles sur l’avenir politique du territoire. À son retour au Cameroun, le 11 janvier 1953 à Douala, Um Nyobè utilise sa visite à New York à des fins politiques personnelles, organisant des meetings et distribuant des tracts sur l’ensemble du territoire, il explique que les Nations unies étaient de son côté et allaient agir selon les désirs de l’UPC 680 . Rapidement, il gagne en notoriété et en popularité mais perd le soutien des Chefs traditionnels qu’il qualifiait de « valets locaux de l’Administration ». Son audience progresse parmi les fonctionnaires de l’Association des Étudiants Camerounais (AEC). Ainsi, l’action de Ruben Nyobè à travers le territoire a conduit à un rapide éveil politique681. D’autres groupes demandèrent des audiences aux Nations unies et commencèrent à formuler des programmes qui s’ajoutèrent à celui de l’UPC. Le leader camerounais devient très gênant car ce rapport de mission de la délégation française à l’ONU conclut en affirmant : « (…) Qu’elle a été très impressionnée par l’audition de M. Nyobè et ses réponses à l’interrogatoire. Elle a éprouvé le sentiment d’avoir en face d’elle un adversaire de très grande classe qui, par certains traits, même physiques, rappelait étrangement un membre du Vietminh : assurance inébranlable, calme, simplicité du ton et de l’attitude, précision et relative honnêteté intellectuelle, forme de l’éloquence et de la dialectique, tout est réuni chez Nyobè y compris une certaine gentillesse non dénuée de charme dans les
680
ANY 2 AC 1543. Il y aurait à cette date 9000 adhérents à l’UPC, chiffre controversé en fonction des sources.
681
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brefs et rares contacts de couloirs (…). On ne pouvait pas s’empêcher de penser que le Prince Douala Manga Bell (…) représentait le passé, M. Okala (…) le présent, et M. Nyobè, agitateur fanatique de formation communiste, peut être un avenir très redoutable682. »
Um Nyobè a obtenu que l’Assemblée générale, sur proposition de la Quatrième Commission, adopte le 21 décembre 1952, la résolution relative à la question camerounaise évoquée plus haut 683 . Ainsi le Conseil de tutelle se trouve mis sous pression par la Quatrième Commission au sujet de la question camerounaise. Les résultats obtenus après la seconde audition sont moins spectaculaires mais la venue de Nyobè, dans une posture plus offensive et revendicatrice, confirme les attentes du territoire sous tutelle. Finalement, les obstacles à sa participation ont servi les intérêts de l’UPC davantage que ceux de la France. À la fin de l’année 1954 après la troisième audition, les différents partis politiques camerounais qui s’opposaient à l’UPC et à ses méthodes commencent à aller dans le sens du programme énoncé par Nyobè : réunification immédiate du Cameroun dans les frontières de 1916, fixation d’une date pour l’accession à l’indépendance et révision de l’Accord de tutelle avec la suppression de l’article 4684. C’est à ce moment-là que le gouvernement français décide d’agir pour éviter la contagion et circonscrire l’influence de l’UPC, désormais considérée comme subversive et gênante. À mesure que les consultations électorales approchent, les autorités françaises souhaitent frapper les dirigeants de l’UPC d’incapacités civiques pour les empêcher de se présenter. De plus, une nouvelle mission de visite de l’ONU étant programmée courant de l’année 1955, il apparaît utile que l’UPC soit déjà dissoute lors de son arrivée. Le gouvernement français, sur les conseils d’Aujoulat, envoie Roland Pré comme HautCommissaire. Il arrive au Cameroun déterminé à combattre l’influence de l’UPC, considérée comme dangereuse pour le lien qui pourrait persister entre la France et le Cameroun. Il commence par transférer tous les upécistes connus vers Douala et ses environs afin de
682
SHD 6H86. http://www.un.org/french/documents/ga/res/7/fres7.shtml résolution 655-VII consulté le 9 avril 2015. 684 Accords de tutelle article 4. 683
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les surveiller et de limiter leur influence685. Il ordonne des mesures fermes contre l’UPC et ses agitateurs. Parallèlement, en avril 1955 le jour de Pâques, les évêques condamnent dans une lettre commune l’UPC pour ses méthodes, ses liens avec le communisme athée et son attitude à l’encontre des missions catholiques. Les temps sont difficiles pour l’UPC car à cette date elle cesse sa collaboration avec Endeley qui obtient l’autonomie de la province du Sud-Cameroun britannique. La place de Félix Moumié s’accroît au sein d’un parti très largement influencé par les écrits et les exemples de Mao Tsé Toung et d’Ho Chi Minh : il incite à recourir à la violence pour achever le projet politique. En avril 1955, ses partisans contrôlent l’UPC et précipitent la révolte contre l’Administration française, qui se déroule du 20 au 30 mai 1955 et s’achève par un échec complet : les upécistes espéraient, par le combat de rue et la guérilla, susciter un éveil du peuple camerounais contre les Français qui n’eut lieu qu’à Douala et dans la Sanaga-Maritime. L’Administration mate rapidement la révolte et saisit l’occasion pour imposer des mesures contre les instigateurs et participants : 26 personnes sont tuées, 189 blessées selon les chiffres officiels. Nyobè prend le maquis et Moumié passe au Cameroun britannique, commençant un exil, avec douze autres upécistes, qui le conduit de Khartoum au Caire et en septembre 1958 à Conakry et Accra. Le décret du 13 juillet 1955 dissout l’UPC sur la base de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combats et les milices privées686. Un encart dans les archives de l’ONU intègre cette décision : « Les pétitions 4 et 5/19 émanent d’un parti dissous par décret du 13 juillet 1955 du gouvernement français. L’Autorité chargée de l’administration regrette de ne pouvoir prendre en considération un document rédigé par une organisation légalement interdite687. »
Cette décision complique la tâche jusque-là légale de l’UPC. Nyobè au maquis, Moumié, en exil, reprend néanmoins le leadership du Parti et favorise la recrudescence du nombre de pétitions. Dès le
685
C’est le cas de Félix Moumié comme vu infra. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT00000607103 0&dateTexte=20090327 consulté le 6 février 2015. 687 Archives ONU S-1565-0000-090 à 99. 686
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1er avril 1955, il envoie un câblogramme à l’ONU dans lequel il demande une intervention auprès de la France pour faciliter le départ de Ruben Um Nyobè pour Paris : « la liberté individuelle proclamée par la Déclaration universelle des droits de l’Homme doit être EFFECTIVE688. » Cette demande est suivie d’une pétition adressée au secrétaire général datée du 1er puis d’une autre, le 12 avril 1955, dénonçant la répression qui s’abat sur le pays depuis la nomination de Roland Pré, venu selon Moumié, « décapiter le mouvement national ». Il revient très largement sur : « (…) Le drapeau des Nations unies hissé et bafoué par les colons français, « (…) les démarches effectuées par les autorités françaises du Cameroun en vue d’obtenir l’incarcération du secrétaire général de l’UPC, Ruben Um Nyobè, avant la fin du mois d’avril, « (…) La collusion entre les autorités administratives et le clergé catholique dans la lutte contre les revendications nationales ».
Il fait également remarquer : « Nous nous demandons si le Conseil de tutelle continuera à prodiguer ses félicitations à ceux qui n’accordent aucune importance à ses recommandations689. »
Entre 1955 et 1956, plus de 45 000 pétitions ont été envoyées des Cameroun français et britannique dont 35 000 rédigées dans la partie française. L’afflux est tel que de nouveaux procédés de gestion sont mis en place : les plaintes sont résumées et des réponses sont adressées par sujet et non plus individuellement. Les références aux atteintes et à la DUDH sont de plus en plus explicites, les pétitions sont plus détaillées, nominatives690 comme celle écrite sur un cahier d’écolier par Th. M. Matip de la prison de Douala reçue à l’ONU691.
688
Archives ONU S -1565-0000-095 à 106. Archives ONU S- 1565-0000-095 à 106. 690 Pétition de Mme Geneviève Magapgo citée dans Meredith TERRETTA, « We had been fooled into thinking that the UN watches over the Entire world – human rights, UN trust Territories and Africa’s decolonization », Human Rights Quaterly, op. cit., p. 341. 691 Archives ONU S -1565-0000-097. 689
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Certaines sont contre-productives comme celle adressée le 17 mai 1955, accompagnée d’une photographie censée dénoncer les violences faites aux « patriotes camerounais » venus assister les dirigeants de l’UPC et de la Jeunesse démocratique du Cameroun (JDC) devant le juge d’instruction avec un bilan de 73 arrestations et 40 blessés alors que la photographie ne montre qu’un bataillon de soldats en rang. Néanmoins, la LIDH et l’ACOA ont largement favorisé par leurs conseils la qualité du contenu et des références politiques des pétitions. En 1957, Ndeh Ntumazah, leader de One Kamerun basé au Cameroun britannique a pris contact avec R. Baldwin pour affilier son parti à la Ligue 692 . La double proscription de l’UPC par l’Administration et le clergé catholique, accompagnée d’un cortège de violences et d’arrestations, sont en complète violation des articles 3, 5, 9, 19 et 20 de la DUDH. Il semblerait que pour les puissances administrantes, les textes fondamentaux existent sur la forme mais ne doivent pas être appliqués en dehors de leur propre intérêt 693 . Des historiens comme Fabian Klose ont démontré que les plus grandes violations au droit de l’homme, excepté la Seconde Guerre mondiale, ont été faites par les colons sur les anticolonialistes. De 1955 à 1958, les nationalistes envoient la liste des personnes déportées, arrêtées et tuées 694 et gardent méticuleusement les archives démontrant que le gouvernement anglais a autorisé les administrateurs et la police française à traverser la frontière et à travailler en « bonne intelligence à la traque des upécistes et au sabotage des lieux de rencontre ou de résidence 695 ». Les archives de Kew confirment la fin de l’interprétation historique favorable à une Grande-Bretagne neutre et offrant asile à l’UPC à Kumba 696 . Attendant son exil en détention,
692
One Kamerun remplaçant l’UPC quand le parti est proscrit par l’administration du Cameroun britannique le 3 juin 1957. NYPL, ILRM boîte 1, Ndeh Ntumazah à Roger Baldwin, 1 août 1957. 693 Fabian KLOSE, “Source of embarrassment : human rights, state of emergency and the wars of decolonization”, Human rights in the Twentieth century, Cambridge, Stefan Ludwig Hoffmann, 2011, p. 237-257. 694 NYPL, ILRM boîte 1 dossier Cameroun (janvier à aout 1958). 695 NYPL, ILRM boîte 1 dossier Cameroun (1957). Ces activités facilitent l’assassinat d’Irénée Taffo et de sa femme dans la nuit du 3 avril 1957. 696 Voir les travaux très novateurs de Vincent Hiribarren, « Renseignement et guerre contre l’UPC dans le Cameroun britannique (1959-1961) » article mis à ma disposition par l’auteur, article en attente d’édition.
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Félix Moumié envoie une lettre à l’ILRM pour les alerter sur son sort et celui de douze autres leaders en attente de bannissement 697 . Il évoque une violation des Accords de tutelle, de la loi britannique et de l’Habeas corpus. Quelques semaines plus tard, il s’en remet à Baldwin pour « défendre notre cause à l’ONU et faire connaître le problème Kamerunais à l’opinion américaine et d’informer les organes de presse698 ». R. Baldwin, en décembre 1957, aidé du lobby ACOA, présente une charge très pressante à l’ONU qui débouche sur la résolution du 13 décembre 1957 avec l’envoi d’une mission pour enquêter sur place en 1958, l’espoir de la promulgation d’une loi d’amnistie et « la renonciation de tous les partis à l’emploi de la violence699 ». Cette résolution est relayée par un mémoire rédigé au Caire par Félix Moumié qui l’envoie, le 28 janvier 1958 au président du Conseil de tutelle, accompagné d’une brochure intitulée « De l’Algérie au Kamerun ». Les termes employés sont jugés très, trop radicaux : « guerre d’extermination » ou « Génocide ». « Le monde entier attend votre geste devant ce drame sanglant qui oppose un peuple sans défense à une puissance qui dispose de moyens modernes d’extermination. C’est alors que l’on saura véritablement si la Charte peut prévaloir ou non sur des considérations autres. C’est alors que notre peuple gardera encore ou non confiance en l’ONU700. »
La préface de cette brochure financée par l’Égypte met : « un accent particulier sur l’ONU qui, en tant qu’autorité suprême dans ce territoire, regarde avec indifférence les atrocités qui se commettent chez nous sans la moindre action ou indignation701. » Cette attitude est dangereuse pour le pays et remet en cause l’autorité de l’ONU. De son côté M. Mbida, chef du Bloc Démocratique Camerounais et proche des intérêts français702, a déclaré : « Le fondateur de l’UPC a été deux
697
NYPL, ILRM, boîte 1, dossier Cameroun (1957), dossier 1, « Statement to world opinion by 13 cameroonians awaiting deportation ». 698 Ibid.. 699 http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/1211(XII)& Lang=F consulté le 2 février 2015. 700 Archives ONU S -1565 -0000-0101. 701 Idem. 702 Daniel ABWA, André-Marie Mbida, premier ministre camerounais (1917-1980), Paris, L’Harmattan, 1993, p. 120-122.
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fois aux Nations unies pour demander l’indépendance. Qu’en a-t-il ramené703 ? » La brochure de Moumié est, dès les premières phrases provocatrices, empreinte d’une doxa très marxisante et ce, à un moment où Baldwin tente de convaincre la presse américaine que l’UPC et Moumié ne font pas partie de mouvements communistes : ainsi les interventions du leader sont-elles contre-productives dans le cadre du réseau médiatique 704 . Baldwin écrit à nouveau en janvier 1958 au secrétaire général D. Hammarskjöld pour exprimer sa grave inquiétude face au déploiement des forces françaises au Cameroun pour « pacifier » la zone et demande une enquête de l’ONU705. Très fidèles à la cause de l’UPC, les multiples interventions de ces associations achoppent jusqu’à l’obtention de l’indépendance le 1er janvier 1960 selon les conditions que la France voulait négocier. Aussi affûtées furent-elles, les pétitions et les interventions de l’ILRM ou de l’ACOA n’ont pas servi un but politique concret : l’ONU n’a pas décidé d’intervenir diplomatiquement pour faire amnistier les prisonniers politiques au Cameroun, légaliser à nouveau l’UPC ou organiser des élections sous sa supervision comme les upécistes le souhaitaient706. L’optimisme des leaders camerounais du début des années cinquante cède très vite le pas à la déception : les élites camerounaises réalisent que l’ONU, et quels que soient les organes concernés, sont incapables de faire appliquer dans les territoires sous tutelle les principes légaux, moraux et éthiques inscrits dans les textes fondamentaux. L’ONU porteuse d’idées humanistes, d’espoirs de justice et de paix est ici une institution marginalisée, porteuse d’un échec et dépourvue de moyens d’agir et de pouvoir de
703
La Presse du Cameroun n° spécial du 10 novembre 1957 Meredith TERRETTA «We had been fooled into thinking that the UN watches over the Entire world – human rights, UN trust Territories and Africa’s decolonization », Human Rights Quaterly, op. cit, p. 349. 705 ILRM, boîte 14, dossier Correspondance générale, Cameroun RB à D. Hammarskjöld, 6 janvier 1958. 706 Le vote du 12 mars 1959 à la IVe commission acquis 56 voix contre 8 (toutes du bloc communiste) et 16 abstentions (toutes du bloc afro-asiatique) et les résolutions 1349 et 1350 scellent la fin des espoirs onusiens des upécistes. À partir de là, les relations entre Nasser et les upécistes en exil se dégradent car pragmatiquement le Raïs n’est plus « besoin » des Camerounais trop marqués à l’extrême-gauche. SHD 10T175. 704
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sanction à l’encontre des puissances administrantes. Cette désillusion explique peut-être l’une des raisons avancées pour expliquer pourquoi, une fois leurs pays constitués en États, les leaders accordent peu de crédit à ces notions et résistent à signer la DUDH707. Dès 1952, au retour de sa première audition, Ruben Um Nyobè avait déjà une approche très nuancée et lucide des éventuels apports générés par l’ONU : « Les peuples qui luttent pour leur indépendance et qui ont, comme le Cameroun, le privilège de faire fonctionner la tribune internationale, doivent limiter leurs illusions quant aux solutions positives pouvant provenir d’emblée de l’institution internationale708. »
Cette intuition est désormais une évidence à la fin de l’année 1958, Félix Kom un nationaliste du Cameroun britannique, écrit à la veille de la mort de Ruben709 : « Nous avons été fous de penser que l’ONU veillait sur le monde entier, maintenant nous avons la certitude que ce sont les autorités britanniques et françaises qui « veillent » sur les nations soumises. »
Le cas du Cameroun britannique et français montre que les nationalistes africains et les défenseurs des droits de l’homme anticolonialistes occidentaux qui les ont soutenus, ont consulté le Conseil de tutelle et surtout la Quatrième Commission des Nations unies car il s’agissait du moyen le plus politiquement et juridiquement viable pour dénoncer les violations des droits de l’homme réalisées sous la domination coloniale. Pourtant, en raison des changements politiques découlant de la décolonisation, la transition vers l’indépendance a été accompagnée par une déception généralisée sur le poids des Nations unies en matière de relations internationales, la désintégration des réseaux de collaboration, des militants
707
Florence BERNAULT, « What absence is made of human rights in Africa », Human rights and revolutions, J. Wasserstrom, L. Hunt, M.B. Young, 2000, p. 127137. 708 Ruben UM NYOBÉ, Le problème national kamerunais, op. cit., p. 34. Lettre adressée au secrétariat de l’UPC le 19 décembre 1952. 709 NYPL, ILRM boîte 1 dossier Cameroun (janvier à aout 1958).
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transrégionaux et un dépérissement des idées des droits de l’Homme710.
C - Épauler la jeune République du Congo : la faillite du défi onusien L’intervention de l’ONU dans la crise congolaise est devenue une sorte de cas d’école en matière de relations internationales. La jeune organisation internationale n’a pas su éviter l’assassinat de Lumumba, mais sa mort va susciter une réaction importante qui conduit à l’une des actions les plus aboutie de la force onusienne. Les rapports qui se nouèrent entre les acteurs congolais de la crise et les hauts fonctionnaires d’une organisation dont la cohésion fut mise à très rude épreuve dès son entrée en scène en juillet 1960, expliquent en partie les difficultés rencontrées. Cette crise est aussi une affaire d’hommes : Patrice Lumumba et Dag Hammarskjöld, deux hommes de cultures différentes dont l’intérêt commun était de sortir de l’impasse. 1) Utiliser les instruments onusiens pour empêcher la désagrégation de l’État Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’ONU depuis 1957, prête une grande attention à la décolonisation congolaise : entre le 21 décembre 1959 et la fin janvier 1960, il entreprend une grande tournée africaine qui le mène dans vingt-quatre pays, dont le Congo, où il prend conscience que le processus de décolonisation est à son sens trop rapide, pas assez préparé par des élites trop peu nombreuses, et prévoit une transition très délicate 711 . Son intérêt pour le Congo s’inscrit dans un projet visant à donner plus généralement un rôle de premier plan à l’ONU dans les décolonisations africaines : 710
Meredith TERRETTA, "We Had Been Fooled into Thinking that the UN Watches over the Entire World": Human Rights, UN Trust Territories, and Africa's Decolonization », Human Rights Quaterly, op. cit., p. 329-360. 711 Brian URQUHART, Dag Hammarskjold, New York, WW. Norton and Co., 1994, p. 381, p. 388-389. Schomburg center for research in black culture, Bunche papers, MG 439.
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« L’organisation doit accélérer et soutenir les politiques visant l’indépendance, non seulement dans le sens constitutionnel mais aussi dans tous les sens du mot : elle doit protéger les possibilités des peuples africains à choisir leur propre voie sans influence extérieure et sans tentative d’abuser de la situation712. »
À la fin du mois de mai 1960, le représentant du secrétaire général, Ralph Bunche, accompagné de Sture Liner, chef de mission de l’ONU, est envoyé au Congo pour représenter l’ONU aux cérémonies d’indépendance et pour répondre à toute demande éventuelle d’assistance des autorités congolaises. Lorsque la mutinerie de la Force publique éclate, aucun leader congolais ne songe à faire appel aux représentants de l’ONU pour le retour à l’ordre. Il faut attendre l’impulsion américaine et particulièrement celle de Clare Timberlake pour voir Patrice Lumumba et Kasa-Vubu solliciter pour la première fois l’aide de l’ONU. Leur requête du 10 juillet est vague : elle porte non pas sur le détachement d’une force des Nations unies mais sur une assistance technique générale « pour aider le gouvernement à consolider l’armée nationale dans le but d’assurer la sécurité et le maintien de la loi et de l’ordre 713». Le Premier ministre et ministre de la Défense nationale, Patrice Lumumba, renâcle à faciliter l’ingérence internationale dans un pays tout juste libéré de sa métropole. Ralph Bunche est frappé par l’ignorance des autorités congolaises sur ce qu’elles peuvent raisonnablement demander à l’ONU714. Le 12 juillet, une autre requête est envoyée par le Premier ministre et le président de la République, Kasa-Vubu repartis en tournée à Luluabourg, puis une autre, le 13 envoyée de Kindu715 : il s’agit désormais de protéger « le territoire national contre l’acte d’agression posé par les troupes métropolitaines [belges] ». Hammarskjöld ne connaît pas à ce moment-là toute l’ampleur de l’implication belge, mais la demande de Lumumba et Kasa-Vubu exprimée ainsi n’est pas recevable : le secrétaire général peut difficilement condamner la Belgique sans être accusé de faire le jeu des Soviétiques à un moment où les Congolais 712
Document de l’Assemblée générale des États-Unis A/4390/Add. 1 dans le Rapport annuel de la 15e session intitulé « L’Afrique et les Nations-unies ». 713 Idem. 714 Brian URQUHART, Ralph Bunche : An American Odyssey, New York, W. W. Norton, 1998, p. 496. 715 Archives CEAF – Doc. ONU n° 60-16972
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viennent d’envoyer leur premier courrier officiel à Khrouchtchev. Il s’efforce de faire en sorte que la guerre froide ne s’étende pas dans un conflit périphérique. Il va donc biaiser et répondre uniquement à la première requête congolaise datant du 10 juillet, ignorant pour des raisons diplomatiques les deux dernières. Après la consultation du Conseil de sécurité et l’adoption de la résolution le 13 juillet 716 , il définit, dès le lendemain, son mandat : favoriser l’envoi de détachements de l’ONU au Congo comme force de neutralisation séparée et distincte de toute autorité nationale et la création d’un bureau d’assistance technique. La solution préconisée par D. Hammarskjöld est en accord avec son projet de créer une force indépendante des puissances occidentales. Elle ne répond pas pour autant aux attentes du gouvernement congolais qui a besoin d’un aide rapide et concrète pour faire face à la sécession katangaise qui débute. La mise en place de l’opération onusienne est pourtant très rapide. Dès le 15, 150 soldats tunisiens arrivent, suivis de 23 soldats ghanéens commandés par le général Alexander envoyé par Nkrumah. L’essentiel des effectifs arrive entre le 17 et le 19 juillet, acheminé par un pont aérien organisé par l’US Air Force. L’ensemble des forces est placé sous la direction du général suédois Von Horn. Les Soviétiques ont envoyé sous couvert de l’opération une aide alimentaire, des camions et des avions pour acheminer le contingent ghanéen de l’ONU. Du côté congolais, la méfiance prime : cette « invasion » cosmopolite est mal vécue, d’autant que certains gradés semblent fraterniser avec les Belges restés sur place. La force de l’ONU a demandé le désarmement de la Force publique. Le 16, lors d’un entretien avec Ralph Bunche, Lumumba demande des garanties pour que les troupes belges quittent le territoire. Sans réponse précise, il va poser deux ultimatums le 19 et le 20 à l’ONU. Le 22 juillet, la veille du départ de Patrice Lumumba pour les États-Unis, l’ONU demande à la Belgique de mettre en application la résolution du 13 juillet par une nouvelle résolution impliquant le retrait de ses troupes 717 . Le jour même, les Belges évacuent Léopoldville, mais restent au Katanga sous couvert d’apporter une aide à un peuple ami. Lors de son voyage aux États-Unis, Lumumba rencontre à plusieurs reprises le secrétaire général : le 24, puis le 25 juillet ce dernier offre 716 717
Archives CEAF – Doc. ONU n° 60-17102 Archives CEAF – Doc. ONU S/4405
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un lunch à la délégation congolaise, aux onze membres du Conseil de sécurité (aucun Belge) et aux neuf délégués africains. La rencontre se déroule bien : Hammarskjöld s’exprime après le déjeuner auprès de ses collègues en affirmant, au sujet de Lumumba : « personne ne peut me convaincre que cet homme est irrationnel718 ». Les jours suivants, les difficultés commencent lors des réunions de travail et révèlent des positions souvent inconciliables : le secrétaire général ne veut pas aborder la question katangaise et le maintien de la présence belge dans cette province. Il oriente le débat sciemment sur l’assistance technique de l’ONU, mais Lumumba souhaite que les fonctionnaires de l’ONU soient rattachés à son gouvernement, ce que refuse Dag Hammarskjöld. Le dogme intangible de la souveraineté nationale que l’ONU, aux yeux de Lumumba, devait l’aider à préserver, se heurte à la conception de Dag Hammarskjöld pour qui l’ONU se doit, avant tout, de protéger la paix internationale menacée par la guerre froide. L’insistance de Lumumba débouche sur une fin de non recevoir du secrétaire généra1719. Dressant un bilan de la rencontre, Thomas Kanza, membre du gouvernement, estime que le séjour de Lumumba a été un échec total : « nous nous sentions mal à l’aise car nous avions été témoins d’un affrontement entre deux personnalités, affrontement qui pourrait avoir de sérieuses répercussions sur le futur des relations entre l’ONU et le Congo720. » Dès le 27 juillet pourtant, le secrétaire général de l’ONU se rend à Bruxelles pour aborder avec le ministre des Affaires étrangères belge, Pierre Wigny des questions comme la sécurité et le maintien de l’ordre, le Katanga et les bases militaires. Dans une atmosphère lourde, Dag Hammarskjöld rappelle la résolution de l’ONU et finalement décide d’aller négocier directement avec Moïse Tshombe l’entrée des troupes de l’ONU au Katanga, sans entrave belge à ces prochains pourparlers 721 . Cette rencontre avec le gouvernement belge est ressentie par le secrétaire général comme un échec mais il poursuit ses objectifs722. 718
Madeleine KALB. The Congo cables-the cold war in Africa - from Eisenhower to Kennedy, New York, Macmillan publishing Co. 1982, p. 34. 719 Brian URQUHART, Dag Hammarskjold, op. cit., p. 407. 720 Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba Conf/ict in Congo, Londres, Rex Collings, 1978, p. 244. 721 Jean VAN DEN BOSCH, Pré-Zaïre, le cordon mal coupé, Bruxelles, Le Cri, 1986, p. 185. 722 Brian URQUHART, Dag Hammarskjold, op. cit., p. 409.
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Son arrivée à Léopoldville est quasi triomphale mais ce qu’il découvre le sidère : rien ne semble fonctionner. Les conditions de logement de l’ONU sont catastrophiques, des frictions existent entre le commandant des forces Karl Von Horn et Ralph Bunche. Les deux semaines de négociations suivantes vont être très difficiles. Ses interlocuteurs principaux sont les membres du gouvernement congolais. Il assiste à trois conseils des ministres qu’il invite à la patience quant au retrait des troupes belges du Katanga, ce qui est loin de satisfaire la majorité nationaliste du cabinet. L’ambiance se tend et il entreprend la création d’une Commission restreinte de sept ministres (Gizenga, Bomboko, Kanza, Grenfell, Gbenye, Mwanba et Mpolo) pour travailler sur les deux résolutions du Conseil de sécurité le 30 juillet. Le soir même, lors d’une réception en l’honneur du secrétaire général, le vice-président dans un discours non prévu au protocole et dont des copies sont distribuées par sa conseillère, Mme Blouin, s’en prend vertement à la mollesse de l’ONU et à ses lenteurs incompréhensibles723. Dag Hammarskjöld est sidéré par l’attitude des collègues de Lumumba qui, en dépit de son absence, n’est pas étranger au ton du discours. Celui-ci vient d’apprendre, par ailleurs, la diffusion du document du ministre de la Justice belge sur les viols perpétrés en juillet par les troupes congolaises, où il est directement mis en cause. De plus, le Premier ministre congolais n’a rien obtenu des Américains ni des Canadiens724. Pour sa part le secrétaire général se retrouve dans une position inconfortable : d’un côté, les Belges refusent de quitter le Katanga et sont alliés à Tshombe décidé à « saboter le champ d’aviation pour empêcher l’atterrissage d’appareils de l’ONU », de l’autre, Lumumba et les nationalistes du gouvernement multiplient les pressions pour accélérer l’intervention de l’ONU au Katanga. Le Premier ministre écrit au président du Conseil de sécurité pour dénoncer l’immobilisme de l’organisation725. De son côté Dag Hammarskjöld décide d’envoyer Ralph Bunche « en éclaireur » au Katanga, le 2 août. Gizenga, se référant au principe de
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Jules GÉRARD-LIBOIS, Benoît VERHAEGEN, Congo 1960, Bruxelles, CRISP, 1961, p. 615-616. 724 Lumumba était parti aux États-Unis et au Canada pour obtenir du soutien politique et des financements pour des projets notamment énergétiques. 725 Lettre du 31 juillet 1960 adressée au président du Conseil de sécurité, document du Conseil de sécurité S/4414, 1er août 1960.
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collaboration entre l’ONU et l’exécutif congolais, demande que trois ministres l’accompagnent ainsi qu’une délégation d’une vingtaine de militaires ghanéens. Le secrétaire général refuse en arguant qu’il s’agit d’une mission de l’ONU. Le séjour de Bunche au Katanga est un échec 726 : lors d’entretiens avec les leaders de la sécession katangaise, Tshombe et Munongo, ceux-ci affirment qu’ils répondront par la force à une arrivée des troupes de l’ONU - l’objectif étant de déstabiliser leur interlocuteur -, en insistant sur la quantité d’hommes dont dispose le Katanga. Il semble que sur ce point, le représentant de l’ONU se soit fait berner car les troupes belges présentes n’auraient pas ouvert le feu sur les forces de l’ONUC et l’armée katangaise était inexistante 727 . À son retour, inquiet des propos rapportés par R. Bunche, le secrétaire général annule l’envoi des premiers contingents prévus pour le 6 août et décide une nouvelle convocation du Conseil de sécurité pour le 8. Le Premier ministre congolais est furieux : il n’a plus confiance en l’ONU qui ne veut pas prendre position en faveur des nationalistes congolais. Mais est-ce là son rôle ? Le secrétaire général agit pourtant rapidement mais pas aussi vite que Patrice Lumumba le souhaiterait. La décision du Conseil de sécurité du 9 août728 demandant au gouvernement belge de « retirer immédiatement ses troupes de la province du Katanga selon les promptes modalités fixées par le secrétaire général » ne change rien à la situation. Parallèlement Tshombe pose une série de conditions à l’entrée des troupes de l’ONU au Katanga : la non-ingérence dans les affaires intérieures, le non-désarmement des troupes, l’acceptation d’une force armée katangaise et le recrutement de techniciens étrangers. De plus, il refuse l’entrée de troupes d’influence communiste ainsi que l’utilisation de moyens de transport de l’ONU par le gouvernement central. Il exige l’organisation d’opérations conjointes par la garde des voies d’accès au Katanga et l’acceptation d’un statu quo constitutionnel sur la base de la nouvelle constitution du Katanga. Le secrétaire général décide, de son propre chef, de se rendre au Katanga pour négocier les propositions de Tshombe. Cette visite le piège dès son arrivée en le positionnant hors de la neutralité qu’il s’était 726
Bunche papers, MG 594. Frédéric VANDEWALLE, Mille et quatre jours. Contes du Zaïre et du Shaba », Bruxelles, Miméo, 1974, p. 168. 728 Archives CEAF – Doc. ONU S/4426 727
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imposée : il est contraint de s’incliner devant le nouveau drapeau katangais, de s’entretenir avec les ministres sécessionnistes et n’arrive à négocier que sur les opérations conjointes pour la garde des voies d’accès. A-t-il été piégé ? Nous pouvons dire que oui. A-t-il été influencé par Cordier et Wieschoff acquis à la politique du Département d’État américain qui souhaitait trouver un autre interlocuteur que Lumumba ? Nous ne le pensons pas même si les relations se sont nettement dégradées entre les deux hommes, le secrétaire général n’a pas pu imaginer jusqu’où iraient les protagonistes de la sécession. 2) L’impasse épistolaire Avant même le retour du secrétaire général, Lumumba se sent berné : ils vont échanger six lettres en deux jours. Le ton va monter jusqu’à la rupture, dans ce qu’il convient de qualifier une « crise épistolaire ». Dans l’analyse des conflits internationaux, les dimensions interculturelles peuvent se révéler des éléments d’explication essentiels. Deux styles opposés de communication peuvent expliquer la naissance et le développement des conflits diplomatiques 729 . Certains éléments de la culture bantoue et de la culture occidentale peuvent être analysés comme des facteurs cruciaux dans la série de mésententes, erreurs et conflits qui ont jalonné la crise congolaise. Jusqu’à quel point la différence culturelle marque-t-elle les échanges entre Patrice Lumumba et Dag Hammarskjöld ? Les six lettres qu’ils s’envoient au summum de la crise, entre le 14 et le 15 août 1960730, sont rédigées juste après le cessez-le-feu imposé 729
Thomas KOCHMAN, Black and white styles in conflict, Chicago, University of Chicago Press, 1981, 184 p. et Edmund GLENN, Man and mankind conflict and communication between two cultures, Norwood, Ablex, 1981, 245 p. Stella TING TOOMEY, Conflict communication style in black and white subjective cultures, Los Angeles, Y.Y. Kim, p. 75-88. 730 Voir Archives du CEAF - CHRONIQUE DE POLITIQUE ETRANGERE, 1961 – Evolution de la crise congolaise de septembre 1960 à avril 1961, éd IRRI, Bruxelles, N°5-6 sept/nov.
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par l’ONU, alors que Lumumba souhaitait un document statuant sur une décision de l’ONU à intervenir dans le conflit. Insatisfait, le Premier ministre congolais décide alors d’écrire au secrétaire général. Dans ces lettres, Lumumba essaie de revenir sur un certain nombre de ses objections aux décisions récentes prises par Hammarskjöld, mais ce dernier refuse de rentrer dans la discussion. Peu à peu, Lumumba s’écarte du style agréable et détaché de sa première lettre. Le ton et le contenu des dernières lettres révèlent une appréciation personnelle de la situation par Lumumba, située au-delà de son appréciation d’homme d’État. Lumumba, très affecté par les problèmes internes du Congo, doit faire face aux menaces de la guerre civile, la difficulté de ses relations politiques en dehors de l’ONU, l’analyse critique des épisodes des dernières semaines et l’avenir préoccupant de la crise congolaise. Pour autant, une perspective pragmatique dicte les actions du Premier ministre et explique l’importance des aspects évoqués. Par ailleurs, cet échange épistolaire reflète également la manière dont les deux hommes ont été capables d’établir et de maintenir des relations politiques dans le contexte de la guerre froide. Les conditions extérieures sont importantes pour expliquer et interpréter les textes, mais aussi les relations entre les différents groupes politiques qu’ils représentent, leurs soutiens et leurs opposants constituent des éléments à considérer. Il faut noter que cette correspondance est rédigée en français, qui n’est la langue maternelle ni de l’un, ni de l’autre, ce qui, dans le cas de Patrice Lumumba, peut donner lieu à des erreurs car le personnel administratif à sa disposition est très restreint, voire inexistant. Dans la première lettre datée du 14 août 1960, Lumumba écrit à Hammarskjöld et se concentre sur les arguments développés dans le mémorandum du Suédois pour ne pas envahir le Katanga. Il développe un argumentaire technique et complexe, basé sur des lectures de résolutions du Conseil de sécurité positionnées contre Hammarskjöld. Ensuite, il formule cinq requêtes concrètes pour agir. Le ton de la lettre est diplomatique. Lumumba utilise de façon constante « le gouvernement de la République du Congo » comme titre de son intervention. La deuxième lettre est la réponse, courte et évasive d’Hammarskjöld, du 15 août 1960. Le premier paragraphe
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paraphrase la lettre de Lumumba, qualifiant son contenu « d’allégations contre le secrétaire général de l’ONU ». Ensuite, il oppose un net refus de discuter du problème : la lettre de Lumumba sera discutée en Conseil de sécurité. Dans sa réponse, également du 15 août 1960, Lumumba réaffirme ses demandes de la première heure et met l’accent sur le fait que, de son point de vue, le secrétaire général va à l’encontre des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU. Il parle toujours au nom du « gouvernement de la République du Congo ». Le jour même, la réponse d’Hammarskjöld est aussi courte que la première. Dans son introduction, il présume que les lettres de Lumumba ont été approuvées par son cabinet, sous-entendant que ce n’est pas le cas. Il refuse toujours d’évoquer cette affaire et réaffirme que les lettres de Lumumba seront soumises à discussion au Conseil de sécurité. Il mentionne son départ pour New York, prévu pour le soir même, et fournit des arguments nouveaux contre les réclamations de Lumumba. Ce dernier renvoie immédiatement une missive, la cinquième, où il refuse d’admettre que ces premières remarques sont fausses ou erronées, ajoutant même d’autres informations pour étayer ses dires. Dans cette lettre, nous pouvons relever des propos désobligeants sur le personnel militaire suédois 731 (relations avec le roi des Belges), le secrétaire belge des Affaires étrangères, Pierre Wigny (directeur des différentes compagnies minières basées au Katanga et conspirateur dans la sécession katangaise), et Tshombe (leader de la rébellion et « homme de paille » des Belges). Lumumba conclut en disant que le peuple et le gouvernement du Congo n’ont plus confiance en Hammarskjöld. Il demande que celui-ci retarde son départ pour New York afin qu’une délégation congolaise prenne place à bord de l’avion de l’ONU. Lumumba parle désormais à la première personne du singulier. Sixième et dernière lettre, le 15 août 1960 toujours, c’est la cinquième lettre de la journée : Hammarskjöld relève la perte de confiance de Lumumba : il en minimise l’impact en expliquant que ce sentiment est fondé sur des allégations qui n’ont pas fait encore l’objet d’une discussion au Conseil de sécurité. Il refuse de reporter son départ. 731
Dans le dernier échange, Lumumba accuse le secrétaire général d’envoyer au Katanga des troupes de Suède « ce pays dont l’opinion publique ait les affinités particulières avec la famille royale belge ».
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De l’analyse de cette correspondance en six lettres, deux aspects sont à noter : l’escalade de la colère dans les lettres de Patrice Lumumba, et particulièrement dans la troisième, et d’autre part le refus répété de Dag Hammarskjöld de discuter sur le problème de fond avec Lumumba. D’un point de vue linguistique, l’évolution du contenu des lettres de Lumumba vers un style plus personnel et émotif peut être interprétée comme un manque de formation au langage diplomatique. Selon Kochman, le style des négociations afro-africaines est généralement centré sur le problème, il est généralement frontal et personnel 732 . L’auteur insiste sur la difficile distinction pour les leaders afroafricains entre la personne et la fonction qu’elle incarne. Les lettres de Lumumba sont d’ailleurs caractéristiques de ce style : il devient vite personnel, ne faisant aucun cas du statut et de la fonction d’Hammarskjöld. Son argumentaire est centré sur ce qui est pour lui la vérité et non sur ce qui peut faire consensus. La rhétorique de Lumumba est virulente : si l’ONU ne laisse pas les troupes gouvernementales envahir le Katanga, lui-même sera en grand danger. A contrario, le style du Suédois est froid, détaché et diplomatique, dans une langue qu’il manie à la perfection, depuis longtemps rompu qu’il est à la politique, avec un père ministre puis gouverneur. On peut comprendre humainement que Lumumba soit impatient et que sa colère grandisse à mesure qu’Hammarskjöld s’obstine dans son refus de répondre sur le problème katangais aussi rapidement que le Premier ministre le voudrait. Sa colère enfle et Lumumba révèle dans sa troisième lettre que pour lui, l’ONU ne représente pas une troisième voie dans la crise congolaise. Cette impasse politique donne un avantage à Tshombe au détriment de Lumumba qui y voit le reflet d’une attitude partisane du secrétaire, en total désaccord avec le rôle que celui-ci s’accorde et tel qu’il est stipulé dans les résolutions de l’ONU. Le serment d’investiture du secrétaire général précise : « je m’engage à ne demander ni accepter dans l’exercice de mes fonctions d’aucune autorité autre que celle de l’organisation 733 . » En rappelant de façon implicite les règles politiques à son interlocuteur, comme par exemple dans la seconde lettre, « Je suppose que vos lettres ont été 732
Thomas KOCHMAN, Black and white styles in conflict, op. cit., 1981, p. 45. Extrait de « Vol de nuit vers la mort », documentaire de Michel Noll, 2001, ICTV, 23e minute. 733
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approuvées par le Conseil des ministres », Hammarskjöld suggère que Patrice Lumumba ne fait pas rigoureusement son travail vu la rapidité à laquelle s’enchaînent les envois. Cette allusion est maladroite à un moment où l’autorité du Premier ministre est de plus en plus contestée par le président de la République et certains ministres. Le secrétaire général souligne ses explications par des expressions comme « il va sans dire », « évidemment », « naturellement », ce qui place Lumumba dans la position de celui qui ne connaît pas les procédures, le rappel aux normes accentuant une impression de marginalisation. Il continue en faisant dans ces lettres référence à des documents que Lumumba aurait survolés : « Je vous renvoie au mémorandum explicatif qui vous a été transmis par R. Bunche. Vous y trouverez toutes les indications nécessaires ». Lumumba est présenté comme mal informé, sensible aux bruits de couloir sur des négociations secrètes entre le secrétaire général et les Belges et dont la colère semble être le dernier argument utilisable. Lorsque dans sa dernière lettre, Lumumba demande instamment à Hammarskjöld de différer son départ en avion pour New York afin que la délégation congolaise puisse se joindre au secrétaire général et rencontrer le Conseil de sécurité, un refus lui est opposé, assurant que rien ne se déciderait à New York avant l’arrivée de la délégation congolaise. En étudiant ces six lettres, on observe que le temps de réaction entre les lettres a tendance à diminuer au fur et à mesure de la correspondance 734 . D’où vient l’accélération de la fréquence des lettres ? Lumumba sait que le départ du secrétaire général pour New York est prévu le soir du 15 août, d’où un sentiment d’urgence. Ce sentiment est d’ailleurs très largement utilisé par le secrétaire : il est en position de force, c’est son emploi du temps qui marque la mesure et la requête de Lumumba est rejetée. De plus, il « joue la montre » en répondant de façon évasive aux problèmes soulevés par son interlocuteur. Lumumba reste avec un problème à gérer aussi important à la fin qu’au début de l’échange. 734
Lettre n° 1 : « aide-mémoire du 12 août 1960 » - deux jours, lettre n° 2 : « votre lettre de cette date » - un jour, lettre n° 3 : « votre lettre de ce jour » - même jour quelques heures après, lettre n° 4 : « votre lettre du 15 août en réponse à ma lettre du même jour (première communication reçue aujourd’hui à midi) - même jour moins d’une heure, lettre n° 5 : « à l’instant votre lettre de ce jour répondant à celle que je vous ai envoyée il y a une heure » - même jour quelques minutes après, lettre n° 6 : « troisième lettre de ce jour vient d’être reçue », même jour quelques minutes après.
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C’est pourquoi son style devient plus direct, anticolonial sur le fond qu’il utilisait dans ces discours avant l’indépendance, associant peutêtre cette correspondance à un échange entre colons et colonisés. Tandis qu’il s’affirme comme un Premier ministre plein d’autorité dans sa première lettre et se comporte de la sorte, le déni de cette autorité dans les réponses d’Hammarskjöld le renvoie brutalement à cette position d’infériorité. Ainsi, on comprend mieux que ces échanges aient conduit à une rupture définitive des relations entre les deux hommes. 3) Délitement de la situation congolaise Quinze jours plus tard, Ralph Bunche quitte le Congo, remplacé par Andrew Cordier qui facilite la révocation de Lumumba le 5 septembre 1961. Le départ de Bunche a accéléré la chute du Premier ministre. Kasa-Vubu prêt à se débarrasser de Lumumba, il a demandé à Van Bilsen, son conseiller, d’aller voir Cordier et de lui formuler plusieurs requêtes : garantir sa sécurité par une protection personnelle, empêcher toute expression radiophonique de Lumumba et l’arrivée de nouvelles troupes pro-Lumumba à Léopoldville par l’intermédiaire des Ilyouchine soviétiques. Ces demandes ont été rédigées et dactylographiées par son secrétaire particulier, Emmanuel Kini. Van Bilsen reçoit une copie du texte de la révocation qui devait être lue le jour même à la radio et au QG de l’ONU. Il est reçu par Cordier, d’accord pour prendre les mesures demandées, mais à condition de bénéficier d’un court délai lui permettant de mettre en place le dispositif voulu par Kasa-Vubu puis feindre la découverte du communiqué de révocation de Lumumba735. En agissant ainsi, Cordier met fin à la neutralité de l’ONU et est d’ailleurs désavoué par le secrétaire général736. Lumumba essaie par deux fois d’entrer dans les locaux de la radio à Léopoldville et en est empêché par les soldats ghanéens de l’ONU. À partir du 13 septembre, les locaux de la radio sont contrôlés par les troupes de Mobutu, l’ONU ayant accepté de 735 Antoine A. Joseph VAN BILSEN L’indépendance du Congo, Paris-Tournai, Casterman, 1962, 236 p. 736 Radjeshwar DAYAL, Mission for Hammarskjold, the Congo crisis, Londres, London Oxford University, 1976, p. 42.
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s’en dessaisir. Le nouvel homme fort du Congo a pris de court les Congolais et l’ONU en s’imposant par un coup d’État. Le Collège des commissaires qu’il met en place le 20 septembre n’a pas de légitimité internationale, ses relations avec l’ONU ne sont pas bonnes et se dégradent encore courant octobre. Les fonctionnaires onusiens accordent d’ailleurs depuis peu une protection à Lumumba. De plus en plus menacé, il tente de quitter Léopoldville pour se rendre, avec un avion ghanéen, à New York pour plaider sa cause aux Nations unies mais à partir de la mi-octobre, il est bel et bien assiégé dans sa résidence : un double cordon monte la garde en permanence devant son domicile, celui de l’ANC et de l’ONU, entre surveillance et protection. À la fin du mois de novembre, Lumumba subit un revers politique majeur : après trois semaines de débat aux Nations unies, c’est la délégation conduite par Kasa-Vubu et Justin Bomboko, ministre des Affaires étrangères du Congo, qui est finalement accréditée par 53 voix contre 24 et 19 abstentions. Celle de Lumumba, qui devait être conduite par Thomas Kanza, toujours officiellement accrédité comme le représentant du gouvernement à l’ONU, n’a pas pu obtenir de visa pour les États-Unis, Timberlake ayant donné des ordres stricts en ce sens737. Ce vote est une défaite pour le groupe afro-asiatique progressiste et fait perdre à Lumumba ses dernières cartes politiques sur les plans national et international. Alors que son ancien interlocuteur est détenu à Thysville, le secrétaire général de l’ONU contacte Kasa-Vubu plusieurs fois en protestant contre cet acte illégal, Lumumba possédant l’immunité parlementaire. Il tente une mission de conciliation pour une libération, et le 11 janvier 1961, demande – en vain - à Kasa-Vubu de rencontrer le détenu. Quelques messages sont transmis par Lumumba à Dayal par l’intermédiaire de soldats congolais et d’officiers marocains de Thysville. Dans les trois dernières lettres que l’on possède de lui, il ne demande plus rien qu’un traitement décent et dénonce les conditions impossibles dans lesquelles, lui et ses compagnons, Mpolo et Okito sont détenus. Il requiert une intervention urgente de l’ONU738. Il s’agit
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Radjeshwar DAYAL, Mission for Hammarskjold, the Congo crisis, op. cit., p. l17. 738 Jean VAN LIERDE (textes recueillis et présentés par) La pensée politique de Patrice Lumumba, préface de Jean-Paul Sartre, Présence Africaine, 1963, p. 391393.
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là des derniers contacts avec l’ONU avant son transfert et son élimination physique le 17 janvier 1961. Le 15 février 1961, soit près d’un mois après l’assassinat de Lumumba et deux jours après la reconnaissance officielle de sa mort par les autorités katangaises, le secrétaire général prononce une déclaration devant le Conseil de sécurité dans laquelle il justifie point par point les positions qu’il a prises lors de la crise congolaise, confirmées par le Conseil de sécurité. Le texte élude certains aspects comme l’action de Cordier et précise que le départ de Lumumba au Katanga « a échappé entièrement au contrôle des Nations unies ». Il revient longuement sur les démarches entreprises auprès de KasaVubu et de Tshombe pour le retour de Lumumba à Léopoldville. Cette déclaration a pour but de répondre aux critiques et particulièrement celles des Soviétiques, accusant l’ONU de ne pas avoir pu empêcher la mort du Premier ministre congolais. Les attaques soviétiques contre le secrétaire général avaient commencé bien avant. Dans un entretien accordé au New York Herald Tribune le 17 avri1 1960, Khrouchtchev explique « que les Américains n’accepteraient jamais une administration communiste à l’ONU alors je ne peux pas accepter une administration non communiste ». Dès le 13 juillet 1960, Moscou dénonçait Ralph Bunche, sous-secrétaire de l’ONU, « comme un agent des pays de l’Ouest sous le drapeau de l’ONU739 ». La crise la plus forte entre le secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) et Dag Hammarskjöld se noue autour du 5 septembre, lors de la fermeture des aéroports du Congo, lorsque Khrouchtchev accuse ce dernier de jouer le jeu des colonialistes et demande à ce que le commandement de l’ONU lui soit retiré. Hammarskjöld est reconduit dans ses fonctions le 20 septembre. Trois jours plus tard, Khrouchtchev soumet son plan de troïka à l’Assemblée générale de l’ONU : il proposait que le poste de secrétaire général soit remplacé par un organe exécutif collectif, composé de trois personnes représentant respectivement le bloc de l’Ouest, de l’Est et les non alignés. Cette proposition est rejetée. L’attaque menée après la mort de Lumumba est de loin la plus violente : le gouvernement soviétique affirme que le secrétaire général est responsable de la mort de Lumumba et il déclare qu’il n’aura plus de relations avec lui et ne le reconnait plus comme représentant de 739
U.N., SCOR, SIPV 873 13 juillet 1960, p. 19.
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l’ONU. La résolution du 15 avril 1961 réaffirmant la confiance à Dag Hammarskjöld est un échec pour l’URSS dont le veto ne suffit pas à imposer ses vues. Ces attaques multiples contre le secrétaire général et le système onusien peuvent se comprendre puisque pour les Soviétiques, le secrétaire général est l’outil des colonialistes essayant d’empêcher la marche inéluctable du Congo vers le socialisme, obstacle à son incorporation dans le bloc soviétique. La résolution n°161 du 20 février 1961 inaugure cependant une nouvelle ère 740 : le Conseil de sécurité demande instamment que toutes les mesures soient prises pour empêcher la guerre civile au Congo et que tous les personnels militaire et paramilitaire, conseillers politiques belges et d’autre nationalité, les mercenaires se retirent du Congo et soient évacués. La mort de Lumumba a secoué l’opinion publique et l’ONU a dû revoir ses positions. Elle décide de s’impliquer dans la défense de l’intégrité du Congo. Cela passe par la réhabilitation de son Parlement et par la lutte contre les sécessions. Dépouillée de son « bouc émissaire », la crise congolaise se simplifie, les sécessionnistes ne pouvant plus justifier leur raison d’être par la nécessité de se protéger du communisme. Le secrétaire général inspiré par la mission qu’il avait imposée à l’ONU dans le cadre de la décolonisation à partir d’un schéma légaliste et formel, est amené à geler une situation en faveur de la sécession et à accroître la tension internationale. Sa vision supranationale de l’ONU ne résiste pas aux intérêts des puissances dans la guerre froide. Le 17 septembre 1961, alors qu’il entreprenait de rencontrer Tshombe au Katanga pour une nouvelle tentative de conciliation diplomatique, suite aux opérations militaires Rum Punch et Morthor, et ce, malgré les avis contraires notamment des Américains, son avion s’écrase : accident ou attentat ciblé ? Lors d’un entretien mené avec Susan Williams en 2013741, nous avons pu remarqué, en comparant nos travaux, les similitudes entre les acteurs et les causes de l’assassinat de Patrice Lumumba et celui
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http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/161(1961)&Lang =E&style=B, consulté le 24 juillet 2014. 741 Entretien réalisé à Paris le 30 novembre 2013. S’en suivent plusieurs échanges de mails.
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présumé de Dag Hammarskjöld : même combinaison d’individus742, mêmes acteurs, même importance du Katanga comme « zone de non-droit743 ». Si Hammarskjöld a en effet été assassiné, par qui l’a til été et pourquoi ? Nous avons identifié dans la liste des coupables potentiels communs : des personnalités de la Rhodésie du Nord (Sir Welensky, Lord Alport), du Katanga (Tshombe et Munongo), de la Belgique, du Royaume-Uni, de la France, du Congo Brazzaville et de l’Afrique du Sud, mais aussi les lobbyistes défendant les intérêts occidentaux d’entreprises minières qui opéraient au Katanga (Union mière du Haut-Katanga) et plus largement dans la Copperbelt, des mercenaires étrangers actifs au Katanga (les équipes de Trinquier, de Faulques et de Mauricheau-Beaupré) et aussi des éléments de la CIA (Allen Dulles et Larry Devlin), du MI5 ou 6 (Neil Ritchie). Dès 2013, Susan Williams a réclamé la nécessité de l’ouverture d’une nouvelle enquête afin que la vérité complète puisse être révélée744 sur la disparition du secrétaire général. Les apports de son ouvrage ont largement contribué à ce que la Suède intervienne aux Nations unies pour accéder à cette demande, affirmant que des éléments nouveaux étaient disponibles. L’ambassadeur suédois à l’ONU, Per Thoresson, a soumis à l’Assemblée générale un projet de résolution demandant que soit nommé « un groupe d’experts indépendants pour examiner de nouvelles informations » révélées par la Commission Hammarskjöld en septembre 2013, ce groupe a été mis en place en 2015 sous la direction de Mohamed Chande Othman, ancien juge de la Cour suprême de Tanzanie. La dernière résolution invite à une déclassification des archives relatives à cet accident particulièrement aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Belgique, France et Afrique du Sud
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D’autres éléments intrigants ont émergé au cours des enquêtes de la Commission vérité et réconciliation (CVR), ouverte le 15 avril 1996 en Afrique du Sud avec la découverte des documents de l’Institut sud-africain de la Recherche maritime, couverture à des activités clandestines. Ces éléments évoquent un complot visant à faire exploser l’avion de Hammarskjöld, le nom de code étant « Opération Céleste ». Les documents de l’« Opération Céleste » sont étudiés dans cet ouvrage. Voir Partie IV – chapitre 3. 743 Comme par exemple les villes de Kipushi et aussi en Rhodésie du Nord les lieux de Sakania et Kitwe voir Maurin PICARD, Ils ont tué monsieur H, Congo 1961 : le complot des mercenaires français contre l’ONU, Paris, Seuil, 473 p. 744 Susan WILLIAMS, Who killed Hammarskjöld ? The UN, the cold war and the white supremacy in Africa, op. cit., p. 236.
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afin de révéler « toutes les informations pertinentes en leur possession 745 ». À ce jour, aucune archive majeure dans les pays évoqués n’a été depuis déclassifiée. Malgré cela, les compléments d’analyse et les nouveaux témoignages, de très bonne qualité, apportés par Maurin Picard, dans son très récent ouvrage, corroborent les hypothèses de Susan Williams, apportent des éléments nouveaux 746 et permettent de conforter les analyses faites dans cet ouvrage par l’auteure sur les responsabilités transnationales autour de l’assassinat de Patrice Lumumba. Lumumba était déterminé à faire respecter sans tarder l’intégrité du territoire national et au moment où s’effondre son appareil d’État, son inexpérience, sa méconnaissance, son obstination, le poids des contraintes et des rapports internationaux le pousse à ne pas accepter de négocier, et à ne pas attendre. Il pense que l’ONU était « son » outil alors qu’elle est un jeune outil de régulation internationale qui cherche à exister sous la pression des grandes puissances. Il s’est privé d’un allié de taille au moment où ses soutiens s’effondraient tour à tour et où les ennemis étaient de plus en plus en nombreux. La sécession katangaise se résout en janvier 1963 par une opération de police menée par l’ONU, sous l’égide de Maha Thray Sithu U Thant, avec l’accord de M. Spaak ministre des Affaires étrangères belges. M. Tshombe est contraint à l’exil, cet acte restaure l’intégrité territoriale pour laquelle Lumumba s’était battu. Les décisions du nouveau secrétaire général ont été examinées par le Conseil de sécurité à quatre reprises, il a été réaffirmé dans ses fonctions à chaque fois. Les morts de Lumumba et de Dag Hammarskjöld ont suscité un changement dans la gestion de crise congolaise par l’ONU et une prise de conscience des erreurs commises. Finalement, pour l’ONU au Congo, un Lumumba
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Document remis gracieusement par Susan Williams à l’auteure réf. ONU A/ 68/800. 746 Maurin PICARD, Ils ont tué monsieur H, Congo 1961 : le complot des mercenaires français contre l’ONU, Paris, Seuil, 473 p. L’auteur met à jour le rôle trouble de représentants britanniques comme celui de Lord Lansdowne du Foreign office, le consul britannique au Katanga, Denzil Dunnett ou de Gordon Hunt, homme d’affaires anglais et agent du MI5, de Lord Cuthbert Alport, Hautcommissaire britannique en Rhodésie du Nord. Il révèle aussi l’existence de Heinrich Schäfer, ancien pilote allemand d’avion de chasse qui aurait piloté le Dornier Do 28 à l’origine du crash du DC6 à bord duquel voyageait le secrétaire général.
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mort rend plus facile la gestion du conflit qu’un Lumumba vivant, pourtant ce qu’il voulait de son vivant a été fait après sa mort. Notre étude a permis de dégager que l’ONU a été plurielle au sein de la décolonisation durant la guerre froide. Le Conseil de Sécurité et le Conseil de Tutelle, noyautés par les puissances européennes toujours coloniales ou administrantes n’offraient aucune possibilité aux leaders étudiés de défendre leurs intérêts de façon diplomatique et légale. Ces organes de l’ONU, organisation créée pour favoriser la paix et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sont donc des chasse-gardées veillant au respect des coloniaux de façon paradoxale. Les leaders camerounais des deux Cameroun(s), dans le sillage des Togolais, se sont donc tournés vers la Quatrième Commission pour faire valoir leurs droits et revendications. Au Congo belge, Patrice Lumumba a tenté d’instaurer une relation de proximité avec le secrétaire général et de faire des soldats de l’ONU, une force armée congolaise au service de la stabilisation de son indépendance. Dans les deux cas, l’ONU a représenté une chance qui s’est soldée par des échecs des leaders. L’ONU a failli à sa mission de protection et a laissé les métropoles coloniales manipuler la jeune organisation dans leurs intérêts malgré l’action de Dag Hammarskjöld jusqu’à sa mort. Les forces anticoloniales au sein de l’Assemblée générale, comme l’URSS, la Chine, l’Egypte ou le Ghana, n’ont pas été assez puissantes et volontaires pour inverser la tendance, trop impliquées à défendre leurs intérêts nationaux récemment acquis ou fragilisés. Tous novices, les leaders camerounais sont plus au fait de l’utilité de l’ONU que les autres, Boganda se caractérise par une action européo-centrée qui n’envisage jamais l’ONU comme sa tribune, il constitue en cela une exception dans notre étude. Aidés par des activistes de la LIDH ou du ACA, les auditions accordées notamment à Ruben Um Nyobè ont eu à court terme un effet positif, elles lui ont permis d’affirmer son expérience politique et d’asseoir son prestige de retour au pays. Cependant les multiples entraves soigneusement imaginées par les puissances européennes et américaine n’ont pas eu l’effet escompté : les leaders ont été vus et entendus à l’ONU mais cela ne fut pas suffisant à les garder en vie.
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VII - L’aventure panafricaine : des entreprises exaltantes mais avortées L’espoir onusien ayant cédé le pas à la désillusion de l’inaction de l’ONU, Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Barthélémy Boganda et Patrice Lumumba se tournent vers l’aventure africaine résultant du mouvement panafricain qui s’exprime à travers les penseurs et les partis politiques africains issus des années quarante. Le panafricanisme reste, intrinsèquement et chronologiquement, « une énigme historique 747 » : tantôt un concept philosophique, tantôt un mouvement sociopolitique construit par les Afro-Américains et les Antillais dès la fin du XIXe mais aussi, une doctrine d’unité politique formulée par des nationalistes africains dans le cadre des luttes anticoloniales et indépendantistes. C’est cette dernière approche qui nous intéresse ici directement, elle engendre le grand retour des Africains dans l’Histoire intellectuelle et politique des relations internationales 748 . Après la Seconde Guerre mondiale, la dynamique panafricaine est relancée et contribue à ébranler l’édifice colonial basé sur la maxime « diviser pour mieux régner ». La figure de K. Nkrumah dont il sera question, éclipse les autres figures comme Boganda, le leader ghanéen incarne toujours aujourd’hui la quête flamboyante de l’indépendance et la recherche d’une unité de ces territoires africains « fraîchement » décolonisés. Précurseur, sa stature et son charisme lui ont permis de fédérer autour 747
Amzat BOUKARI-YABARA, Africa unite ! Une histoire du panafricanisme, Paris, La découverte, 2014, p. 5. 748 Pour la bibliographie en français sur ce sujet voir : Philippe DECRAENE, Le panafricanisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1976, 128 p. Michel KOUNOU, Le panafricanisme : de la crise à la renaissance, Yaoundé, Clé, 2007, 600 p. et Le mouvement panafricaniste au XXe siècle : recueil de textes, Paris, Organisation internationnale de la Francophonie, 2007, voir http://democratie.francophonie.org
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de lui un certain nombre de leaders comme Patrice Lumumba ou Félix Moumié sur un projet séduisant façonné par la pensée afro-américaine et l’expérience anglaise749 : agir de concert, mutualiser les efforts et créer des solidarités africaines régionales et continentales. Cette union paraît salutaire à l’heure où les pays récemment décolonisés deviennent des terrains d’affrontement entre les deux Grands dans le cadre de la « stratégie oblique » et où certains autres leaders comme Houphouët-Boigny font le choix du néocolonialisme et de la balkanisation du continent pour servir leurs intérêts. Cet idéal panafricain vient se fracasser sur les contingences de la Realpolitik, notamment quand des crises éclatent, comme au Congo en 1960. Le giron qu’auraient pu représenter les constructions panafricaines s’est révélé insuffisant à protéger les leaders partisans de cet idéal, quelle qu’en soit la forme : RDA, Grande République centrafricaine, États-Unis d’Afrique latine, Union Ghana-Guinée-Congo, États-Unis d’Afrique. Tous ces projets ont échoué pour des raisons endogènes et exogènes, ils ont abouti à la constitution de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en mai 1963, simple organe de coopération étatique.
A - La scission du RDA : l’isolement des leaders camerounais Le RDA est l’un des plus beaux projets politiques endogènes à l’Afrique, porteur d’objectifs politique, économique et social ambitieux, mais surtout nécessaire. Néanmoins, il ne faut que cinq années pour voir cette construction forgée par les élites africaines voler en éclats sous la pression des intérêts politiques métropolitains et les intérêts personnels, notamment du leader ivoirien et président du RDA, Houphouët-Boigny. Ses actions ont littéralement « tué dans l’œuf » toutes les entreprises d’alliance ou de fédération des pays issus de la décolonisation. Le tournant stratégique et politique du dés-apparentement du RDA des partis métropolitains et particulièrement celui du PCF en 1950, a forcé l’UPC à choisir et l’a laissé orpheline d’une structure interElikia M’BOKOLO, George Padmore, Kwame Nkrumah, Cyril L. James et l’idéologie de la lutte panafricaine, Accra, Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria), 2003, p. 6. 749
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africaine rassurante et formatrice. Cela a contribué à la fragiliser et à la livrer à la répression coloniale à partir des années 1955, au moment où le RDA dirigé par Houphouët-Boigny avait choisi de rentrer dans la cogestion des affaires coloniales et la bonne marche de leurs propres affaires. 1) Itinéraire d’un syndicaliste en formation politique : Groupe d’études communistes, Confédération générale des travailleurs et RDA – organes matriciels L’aventure du RDA s’annonce pourtant belle 750 … Sa naissance s’inscrit dans un contexte très particulier : il s’agit de lutter contre les dispositions libérales de la première constitution de la IVe république rejetée lors du référendum du 5 mai 1946 et de réagir aux États généraux de la colonisation tenus à Douala en 1945. Ces deux événements multiplient les pressions sur les constituants, pour un retour aux formes du colonialisme d’avant-guerre et pour maintenir le statu quo dans les colonies, contrairement aux dispositions relativement libérales de la première constitution. Face à cette poussée colonialiste, les élus africains engagent la lutte pour le maintien des droits acquis et leur élargissement. Pour se doter des moyens de cette politique, ils forment un intergroupe parlementaire sous la direction de Lamine Gueye, député du Sénégal, membre de la SFIO. À cette époque très isolés, les élus africains deviennent tous membres affiliés ou apparentés à l’un des trois partis de la coalition gouvernementale (SFIO, MRP et PCF) dirigée par le socialiste Félix Gouin. Boganda contraint par sa hiérarchie ecclésiastique, rejoint le MRP. Ce groupe politique a adopté les thèses du « parti colonial », avec notamment la mise en œuvre d’une politique « assimilationniste » et de « progrès des indigènes par étape », comme le laisse voir le projet de loi Aujoulat (député du 1er collège électoral du Cameroun, membre du MRP) en juillet-août 1946. Le MRP souhaite une Assemblée de l’Union française où ne participeraient que les élus des colonies, des parlements locaux élus au double collège et uniquement occupés à des 750
L’histoire du RDA est encore relativement peu connue et peu d’ouvrages lui sont consacrés. Souvent, les ouvrages rédigés sont partisans et peu historicisés à quelques exceptions près citées ci-dessous.
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questions propres à chaque territoire. Les députés sénégalais sont SFIO et Houphouët-Boigny se rapproche du PCF. En septembre 1946 a été publié le Manifeste pour le Congrès politique duquel est né le Rassemblement démocratique africain à Bamako, en octobre de la même année. Le premier manifeste rédigé par Lamine Gueye et Houphouët-Boigny751 sert de base au Congrès constitutif du RDA à Bamako. D’emblée cette initiative est décriée : d’abord par le MRP, partisan du fédéralisme et proches des milieux coloniaux, puis par la SFIO qu’ont rejoint Léopold Sédar Senghor, Diallo et Lamine Gueye. Seul Fidy Cissoko assure la séance d’ouverture. Marius Moutet, ministre socialiste de la France d’outre-mer, voit d’un mauvais œil ce rassemblement sous l’égide du PCF, mais les élus africains socialistes se sont radicalisés tout seuls en adoptant des positions proches des colonialistes, prônant l’assimilation. Tout est mis en œuvre pour que le congrès ne se tienne pas. Certains leaders africains corrompus, contre de l’argent, renoncent à se rendre à Bamako752. La confiscation des sommes destinées à payer le billet des éventuels participants de l’Afrique-Équatoriale française, écarte du congrès les délégués du Gabon, du Cameroun et de l’Oubangui-Chari, toute comme l’interdiction à tout fonctionnaire de quitter son territoire ou de se déplacer s’il en est éloigné. L’ordre est donné à René Barthes, gouverneur général de l’AOF, d’empêcher l’atterrissage des avions qui acheminent depuis la France, les députés africains et Raymond Barbé, responsable de la section coloniale 753 . Au Gabon, Léon M’Ba, l’un des organisateurs du Congrès, est sous le coup d’une mesure judiciaire. La participation des Camerounais est malgré tout importante en nombre et montre que le débat sur l’autonomie vis-à-vis de la France est déjà largement ouvert chez eux. Commencés depuis deux jours, les travaux du conseil s’interrompent pour accueillir l’arrivée de deux Camerounais à Bamako : Victor Azombo Nsomoto, représentant de l’Union camerounaise française (Unicafra), et Célestin Takala, 751
Ibrahima THIOUB, Le rassemblement démocratique africain et la lutte anticoloniale de 1946 à 1958, mémoire de maîtrise 1982, université de Dakar p. 27, consulté sur le site http://dmcarc.com/?cat=8 le 15 mai 2015. 752 Comme Fily Dabo Sissoko, voir Pierre KIPRÉ, Le congrès de Bamako ou la naissance du RDA, op. cit.,, 162 p. 753 Pierre DURAND, Cette mystérieuse section coloniale – le PCF et les colonies (1920-1962), Paris, Messidor, 1986, p. 204-205.
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représentant l’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC). Une participation plus importante de l’AEF eut peut-être permis d’illustrer davantage les déprédations économiques commises par les colons sur son territoire. Un témoin de cet événement, Émile Derlin Zinsou, évoque : « Certains n’y étaient pas, ils ne pouvaient pas y être, puisqu’ils n’étaient pas nés. Certains étaient nés mais n’y étaient pas puisqu’ils n’en ont pas eu les moyens. Certains n’y étaient pas qui ont cependant adhéré à la cause jusqu’à y sacrifier leur vie. La majorité des populations d’AEF et du Cameroun se trouve dans cette dernière catégorie de personnes754 ». Ainsi, en dépit de certaines affirmations, Ruben Um Nyobè n’était pas au Congrès de 1946. Malgré ces obstacles, grâce à un avion affrété par le ministre communiste des Transports Charles Tillon755, les représentants purent arriver à Bamako où le Congrès se tient à partir du 21 octobre 1946 réunissant plus de huit cents délégués et des représentants des organisations progressistes de France 756 . Le PCF est le seul parti métropolitain présent. De fait, Bamako est quadrillé par les militaires, policiers, agents de renseignements européens et africains. Les soldats prennent place aux endroits stratégiques de la « ville officielle » pour intimidation.
Sur le fond, le congrès reprend les thèses du manifeste : il dénonce la Constitution assimilationniste et le maintien du double collège en AEF et au Cameroun sous tutelle. Il se prononce pour : « une union librement consentie fondée sur l’égalité des droits et des devoirs », se propose d’utiliser toutes les possibilités offertes par la loi et demande le boycott par les Africains du vote du premier collège. L’objectif est également de créer chez les élus africains, un groupe indépendant des partis métropolitains avec la possibilité de « s’appuyer sur le parti politique qu’ils jugeront favorables à la cause du mouvement ». Le programme est également économique : il s’agit de revendiquer la concession des terres exclusivement réservées aux assemblées locales, de reprendre pour les restituer aux collectivités 754
Pierre KIPRÉ, Le congrès de Bamako ou la naissance du RDA, op. cit., 162 p. Ce sont F. Houphouët-Boigny, G. d’Arboussier et Sourou Migan Apithy. Ils ont emprunté les services de l’avion de commandement de Charles Tillon, le ministre communiste de l’Armement dans le gouvernement Bidault. Raymond Barbé, président de la Commission d’outre-mer du P.C.F. et membre du Bureau politique de ce parti, a choisi cette formule afin d’éviter des « accidents » possibles. 756 Jean SURET-CANALE, Les groupes d’études communistes (G.E.C.) en Afrique noire. Paris, L’Harmattan, 1994, p. 26. 755
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locales, les domaines concédés et abandonnés, de créer dans chaque territoire des instituts de recherche agronomique, de supprimer les SIP au profit de coopératives757, de nationaliser les banques, de favoriser la liberté du commerce et la réforme fiscale. Du point de vue social : il s’agit d’élargir l’instruction publique par la création d’écoles préparatoires par groupe de villages mais aussi au niveau de la région et d’ouvrir une université à Dakar avec l’octroi des bourses d’enseignement en France, d’obtenir la liberté d’organisation syndicale, de supprimer le travail forcé et d’élargir l’assurance sociale et les allocations familiales au territoire d’outre-mer758. Sur le plan sanitaire : l’accent est mis sur la gratuité des soins médicaux, la multiplication de soins et de recherche en pharmacopée locale et également l’extension des lois sociales à tous les territoires. Un programme ambitieux mais qui n’a rien de révolutionnaire : il renferme les aspirations d’une élite progressiste africaine favorisant le réformisme mais le programme exclut toute rupture avec le régime colonial puisque la lutte s’exerce dans le cadre de l’Union française. Le succès est immédiat puisque deux ans après sa naissance le RDA compte déjà plus d’un million d’adhérents répartis dans les onze sections en AEF et AOF. Sa structuration est légère et ses sections territoriales peuvent garder leurs spécificités, caractéristiques favorables à l’amorce de l’organisation. Le RDA, au centralisme très lâche, est dirigé par un comité de coordination central lié à des comités de coordination présents dans les deux fédérations d’AOF et d’AEF par l’intermédiaire d’une délégation. Celle-ci sert de « courroie de transmission » entre le comité central et les sections. Cette disposition bicéphale trahira toutefois ses faiblesses lors de la crise de 1950. Le RDA obtient 11 élus à l’Assemblée nationale, 7 au Conseil de la république, 5 à l’Union française. Il est caractérisé par une forte activité parlementaire, entre autres : le projet de loi sur le statut du soldat dans l’Union française de Coulibaly et la loi Lamine Gueye du 30 juin 1950 pour la fonction publique (travail égal, salaire égal). La lutte de terrain devait se faire par le biais des organisations syndicales
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Eléments repris dans le programme politique du Mesan. Ibrahima THIOUB, Le rassemblement démocratique africain et la lutte anticoloniale de 1946 à 1958, op. cit., annexes, consulté sur le site http://dmcarc.com/?cat=8 le 15 mai 2015. Pierre KIPRÉ, Le congrès de Bamako ou la naissance du RDA, op. cit. 758
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et dans les mouvements étudiants. L’expérience syndicale, la prise de conscience politique ont été facilitées par les anticolonialistes blancs installés aux colonies et appliquant la consigne de 1943 sur la mise en place des Groupes d’études communistes (GEC) locaux 759 . Leur action est structurée selon trois axes : agir auprès des Africains, constituer des syndicats regroupant Africains et Européens et constituer dans chaque territoire un parti progressiste 760 . Les GEC, sans être des instances du PCF, regroupaient des militants communistes en poste dans les colonies plutôt issus de la CGT. Mais, conformément aux thèses de Staline sur la question nationale et coloniale761, il n’était pas envisagé de créer des partis communistes dans des pays où les conditions de la révolution prolétarienne n’étaient pas réunies. Les secrétaires des GEC correspondaient avec le responsable de la section coloniale Henri Lozeray, puis Raymond Barbé. Cette correspondance est lacunaire mais elle évoque dès 1948/1949, le rôle d’une bourgeoisie africaine de plus en plus opportuniste762. Ces groupes étaient ouverts à tous les Africains, fait totalement novateur dans un monde où il n’y a aucun contact réel entre Blancs et Noirs hormis des relations de travail, relations marquées par la supériorité du Blanc quel qu’il soit. Gaston Donnat dresse un portrait sans concession de la société coloniale dans laquelle il arrive au Cameroun en 1944763. L’influence de ces cercles a été déterminante dans l’orientation idéologique des cadres qui ont fréquenté de manière assidue ces « écoles du communisme ». De l’avis des militants, les meilleurs se sont retrouvés à la direction des sections. Ils y recevaient des cours théoriques et pratiques qui les plaçaient à l’avant-garde du mouvement. Gabriel d’Arboussier reconnaissait que les GEC étaient comme des sortes d’états-majors du RDA. L’exemple camerounais est, à ce titre, un cas pratique exemplaire.
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Jean SURET-CANALE. Les groupes d’études communistes (G.E.C) en Afrique noire, op. cit., p. 24. 760 Ibid, p. 86-89, archive de mai 1956. 761 Voir le discours de Staline à l’Université des Peuples d’Orient, le 18 mai 1925. 4 Jean SURET-CANALE, Les groupes d’études communistes (G.E.C) en Afrique noire, op. cit., p. 27. 763 Gaston DONNAT, Afin que nul n’oublie, itinéraire d’un anticolonialiste, Algérie-Cameroun-Afrique. Paris, l’Harmattan, 1986, p. 82-83.
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La formation politique de Ruben Um Nyobè a commencé lors d’une réunion clandestine au domicile de Gaston Donnat, une nuit de juin 1944. Une vingtaine de Camerounais réussirent à braver leur peur de s’installer dans la case d’un Blanc : parmi eux, Ruben Um Nyobè, Jacques N’Gom, tous deux employés de l’administration générale et Charles Assale infirmier764. À l’issue des exposés de Gaston Donnat et de Maurice Méric, Um prit la parole. Pourtant, comme le raconte Donnat dans ses mémoires, « pendant toutes les explications, il nous avait paru sommeiller, ne faisant aucun mouvement, yeux fermés. Nous pensions réellement qu’il était endormi. Nous fûmes vite détrompés. C’était sa manière à lui de se concentrer765 ». Um Nyobè déclare : « Je tiens à remercier nos amis Blancs qui nous ont reçus chez eux pour nous faire des déclarations aussi importantes. C’est la première fois que je m’assois à la table d’un Blanc : je considère cela comme un grand événement au Cameroun. Je ne l’oublierai pas. Ce que j’ai entendu, m’a beaucoup intéressé et personnellement, je souhaite que l’on maintienne les réunions. Nous avons besoin d’acquérir des connaissances qui nous font totalement défaut et je crois, moi aussi, que la fin de la guerre sera favorable à des changements dans le monde. Nous devons nous y préparer766. »
Ainsi est né le Cercle d’Études marxistes de Yaoundé (rebaptisé Cercle d’Études sociales pour sortir de la clandestinité), animé de juin 1944 à septembre 1945 et fondé par l’instituteur Gaston Donnat et l’artiste Maurice Méric. Hebdomadaires, les réunions se tenaient le mardi soir à N’Kolinguet. Comme les autres membres, Um déploya une grande activité sur son lieu de travail, dans les quartiers et villages, à fournir des explications et véhiculer la propagande. Moumié, qui sort de l’École de médecine de Dakar en 1946767, n’est pas présent aux premières réunions. C’est par l’intermédiaire de d’Arboussier qu’il rencontre Donnat et participe au GEC de Yaoundé. À Dakar, le GEC comptait un noyau important d’étudiants de l’école de médecine où enseigne le colonel Clerc, chirurgien et agrégé de 764
Ibid. p. 92. Ibid. p. 94. 766 Ibid. p. 96 767 Marie-Irène NGAPETH BIYONG, Combat pour l’indépendance, Paris, L’Harmattan, 2010, 520 p. 765
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médecine, lui-même membre du groupe d’études. Durant ses déplacements à Dakar, G. d’Arboussier assiste souvent aux réunions et repère les militants susceptibles de jouer un rôle stratégique dans l’élargissement du mouvement. Par le biais de leurs liaisons dans leur région d’origine ou de fonction, les membres repérés et formés, faisaient naître des embryons de syndicats. Les statuts de l’Union des Syndicats de Yaoundé sont déposés au printemps 1945. Un local est attribué par le chef de région pour faciliter le travail d’organisation, d’éducation et de propagande. Le bureau confédéral de la CGT à Paris conseille la création d’une union des syndicats camerounais. En avril 1946, l’USCC est créée et affiliée à la CGT. Cette période prépare « Ruben Um Nyobè le plus attentif, le plus participant, le mieux préparé à ce genre d’activités », à la future figure de grand dirigeant tel qu’il se révéle dès 1948768 : « Calme et plein de dynamisme, ce jeune militant syndicaliste, Ruben Um Nyobè (…) s’attelle à l’organisation méthodique des travailleurs. Il les regroupe par secteurs d’activités. Très tôt, il gagne la confiance d’un grand nombre de travailleurs (…) et (…) la CGT s’implante profondément dans tous les secteurs et particulièrement dans le secteur dominant de la paysannerie qui représente 95 % de la population active camerounaise769 ».
En tant que secrétaire de l’Union des Syndicats de la Sanaga-Maritime, Um décide de démarcher les travailleurs de la plantation de la Dizangué, filiale des « Terres rouges » d’Indochine, réputée pour son utilisation du travail forcé. En avril 1947, accompagné d’André Tollet du bureau confédéral de la CGT en tournée au Cameroun, et de Gaston Donnat, Um rencontre l’adjoint du directeur de la filiale, qui s’obstine à nier les conditions de travail déplorables. Indigné face à une telle situation, il s’emporte et se révèle capable de tenir tête à un dirigeant, de le réduire au silence et d’obtenir la création d’une section syndicale au sein de la plantation770. Son leadership syndical est posé.
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Elvis TANGWA SA’A, Gaston Donnat, thèse de doctorat soutenue à l’université de Yaoundé, 1975. 769 Marie-Irène NGAPETH BIYONG, Combat pour l’indépendance, op.cit. p. 38. 770 Gaston DONNAT, Afin que nul n’oublie, itinéraire d’un anticolonialiste, Algérie-Cameroun-Afrique, op. cit., p. 149.
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Deux facteurs vont accélérer la revendication d’indépendance des Camerounais. La fourniture d’armes par l’Administration 771 aux colons, qui entraîne une très violente répression à Douala en septembre 1945, suite à une grève de cheminots étendue à tous les secteurs d’activités et rassemblant autour de ses revendications les chômeurs très nombreux en ville. L’expulsion des militants français de l’USCC vers la métropole qui accélère le transfert des postes à responsabilités aux jeunes militants camerounais. Ruben Um Nyobè devient alors secrétaire général de l’USCC en 1947. Le 8 mai 1948, il participe au Congrès du RDA à Abidjan et y est nommé viceprésident. En effet, en avril 1948, l’UPC devient la « section camerounaise du RDA ». Pour Um Nyobè, il s’agit d’un mouvement et non d’un parti avec des comités de base, un mouvement qui prône l’indépendance, la réunification et la justice sociale. Il en devient en juin 1949, le secrétaire général 772 . L’importance est mise sur l’émancipation sociale et l’égalité économique dans l’esprit du Manifeste du RDA. Nyobè considère qu’il faut partir des préoccupations immédiates des populations pour faire progresser la conscience nationale, la conscience d’appartenir à une communauté de situation et de destin. Il est très attentif à l’articulation intime entre le combat politique, collectif et général, et la défense des intérêts matériels immédiats. Um insiste sur la nécessité de former les cadres politiques mais aussi les masses populaires, il suit ainsi l’esprit de l’École du RDA (la première en Afrique) ouverte à la veille du deuxième congrès, avec 250 élèves venus de territoires différents. Sa première session comportait 10 cours fondamentaux, 4 conférences et 3 ateliers de travaux pratiques. Le deuxième congrès recommande la multiplication de cette expérience dans toutes les sections. Ainsi, Ruben décide avec Félix Moumié en février 1955, de créer l’école des cadres qui ouvre le 18 mars 1955 à Douala 773 . Pour Ruben, deux conditions s’imposent aux militants et responsables : l’honnêteté politique et morale, « ne pas se laisser corrompre ou compromettre par 771
Martin-René ATANGANA, Capitalisme et nationalisme au Cameroun au lendemain de la seconde guerre mondiale (1946-1956), thèse soutenue à la Sorbonne, 1998, p. 36 772 SHD 6H238, note de renseignements sur Ruben Um Nyobè du 19 janvier 1955. 773 SHD 6H238, leçon inaugurale à l’attention de la première promotion de l’École des cadres de Douala le 13 mai 1955. Discours fait par F. Moumié, directeur de l’école à la promotion Volcan.
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nos adversaires », il évoque « des camarades qui compromettent l’action car ils ne dominent pas leur amour-propre ». « Vous devez éduquer les masses, lutter contre l’analphabétisme (…) créer de nouveaux comités, organiser la réception de la mission de l’ONU » rajoute Félix Moumié en tant que directeur de l’école. Cette initiative a été précédée par la création du Collège populaire du Cameroun en septembre 1954 fixé à Ngoulemakong (région Nyong et Sanaga) et qui a pour objectifs la formation physique et intellectuelle des jeunes, la formation de l’équipe camerounaise et la lutte contre l’analphabétisme774. 2) Dés-apparentements775 et désillusions africaines des leaders camerounais : l’implication d’Houphouët-Boigny L’exclusion du PCF en 1947 du gouvernement Ramadier et la collusion entre le RDA et le communisme international ont pour conséquences une répression très importante contre les membres du RDA, surtout en Côte d’Ivoire. Sa violence surprend les cadres du parti qui ne revendiquent pas la lutte armée pour réagir. Le groupe parlementaire devant la dureté de la répression se dés-apparente des groupes communistes. Entre 1946 et 1950, les rapports entre le RDA et le PCF ont évolué : l’influence au départ est faible, mais aux deuxième et troisième congrès, les liens sont plus affirmés au niveau de l’organisation et de la formation des cadres au plan national. Le 18 octobre 1950, une déclaration du groupe parlementaire RDA est néanmoins publiée : « Les élus du RDA aux diverses assemblées métropolitaines, constatant que l’action commune de tous les élus des territoires d’outre-mer, sur la base d’un programme précis est la meilleure formule pour défendre efficacement
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SHD 6H236 – Copie des statuts du Collège populaire du Cameroun, septembre 1954. 775 Ce terme « dés-apparentement » est un néologisme car les députés élus n’étaient pas tous « affiliés » au PCF par exemple Gabriel d’Arboussier a rempli le questionnaire du parti et il a été enregistré, alors qu’Houphouët Boigny en a rempli une partie mais ne l’a jamais fait validé par le parti. Voir archives de la section coloniale du PCF à Bobigny. Sur le point de vue de d’Arboussier sur le désapparentement voir BDIC F delta 1104.
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les intérêts supérieurs de l’Afrique, décident, dans le but de favoriser cette union, de céder la parenté des groupes parlementaires métropolitains auxquels ils étaient apparentés jusqu’à cette date776 ».
Le deuxième Manifeste du RDA précise les raisons de cette nouvelle prise de position : « le RDA ne s’est jamais assigné le communisme comme but, ensuite, la lutte des classes qui est à la base du communisme, n’a pas sa raison d’être dans un pays où la société n’est pas compartimentée ». En fait, le RDA s’était apparenté au PCF pour avoir un appui parlementaire et non pour son programme politique. La participation des communistes au gouvernement donnait alors au parti un caractère national et avait évité aux élus RDA d’être traités d’antifrançais ou de séparatistes. Mais une fois le PCF devenu un parti d’opposition combattu, la lutte entreprise contre lui s’étendit au RDA. Ces raisons avancées ne sont pas acceptées par l’ensemble des militants et des sections, le RDA se divise en deux tendances : d’un côté le secrétaire général du RDA, Gabriel d’Arboussier, qui avec lui entraînent les sections du Sénégal, du Cameroun et du Niger et, de l’autre côté, le président du RDA Houphouët-Boigny qui entraîne la majorité du groupe parlementaire et les autres sections. La première fraction reproche à la majorité du groupe parlementaire d’avoir trahi l’orientation anticolonialiste du RDA définie lors de ses deux congrès et d’avoir violé le fonctionnement démocratique du mouvement777 : « ce changement de position caractérisé par l’appui à des gouvernements de plus en plus réactionnaires contribue à aggraver les conditions d’exercice déjà difficiles des masses africaines ». Adoptant les mêmes positions, Ruben Um Nyobè, secrétaire général du UPC-RDA, déclare : « je suis moi-même vice-président du RDA, démocratiquement élu par le Congrès d’Abidjan en janvier 1949. Les élus du RDA ont trahi le programme. Ils ont opéré le fameux repli tactique, pour eux le changement d’orientation est nécessaire. Or, au lieu de décider du changement devant les instances, ils l’ont fait devant les autorités coloniales sous le prétexte de l’arrêt de la
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Ibrahima THIOUB, Le rassemblement démocratique africain et la lutte anticoloniale de 1946 à 1958, op. cit., p. 56, consulté sur le site http://dmcarc.com/?cat=8 le 15 mai 2015. 777 Voir BDIC F delta 1104/1 « Intime réflexion » et 1104/6 pour la deuxième lettre ouverte de d’Arboussier à Boigny de septembre 1952.
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répression778 ». Du 8 au 11 juillet 1955, lors d’une réunion du Comité de coordination du RDA à Conakry en Guinée, est décidée l’exclusion de deux sections : celle de l’UPC mais aussi de l’Union démocratique sénégalaise (UDS). L’UPC est désormais un parti interdit depuis 1955, Nyobè a choisi le « camp » de d’Arboussier et donc s’est mis au ban du RDA de la seconde fraction, signant ainsi une double mort politique car le point de vue du leader ivoirien allait très largement l’emporter. Le point de vue de la seconde fraction incarnée par HouphouëtBoigny disait en substance « qu’après le choc violent de la répression il s’agit de regrouper les Africains, de tuer le faux prétexte communiste et de coopérer avec tous les hommes de bonne volonté 779 . » Or il faut être clair, l’orientation et le contenu du deuxième manifeste sont en totale contradiction avec les résolutions prises lors des fondements théoriques de l’action du RDA. D’ailleurs les élus votent après le manifeste rien de moins que les crédits de guerre pour l’Indochine, le rétablissement des dix-huit mois pour le service militaire et vont s’opposer à la suppression du double collège en AEF. La violence de la répression, la nouvelle position des autorités gouvernementales qui cooptent des membres du RDA et enfin le rôle de fragmentation du RDA entamé par son président sont les trois causes essentielles de l’éclatement. L’action d’Houphouët-Boigny à l’intérieur du RDA est l’une des causes majeures de la faillite du mouvement et de la préservation de son unité. Durant la période la plus dure de la répression, la direction du RDA ne s’est pas réunie, pressée par la situation de confusion qui régnait dans sa plus grande section. En fait dès 1948, le ministre de la France d’outre-mer François Mitterrand 780 , le conseiller pour les questions d’outre-mer auprès du président du Conseil Paul-Henri Syriex et René Pleven jouent un rôle très important dans la « réorientation politique » du leader ivoirien. Cette collaboration s’exprime pratiquement avec le
778
Entretien accordé à l’Observateur d’aujourd’hui, le 19 novembre 1953. Gabriel LISETTE, Le combat du Rassemblement Démocratique Africain, Paris, Présence Africaine, 1983, p. 109-149 sur la répression. 780 Pierre DURAND, Cette mystérieuse section coloniale – le PCF et les colonies (1920-1962),op. cit., p. 210-213. Georges CHAFFARD, Les carnets de la décolonisation, op. cit., p. 124. 779
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trucage des élections de 1951 qui consacrent la victoire du RDA. Le 3 février 1956, Houphouët-Boigny est nommé ministre délégué à la présidence du Conseil dans le gouvernement de Guy Mollet. Il sera membre de tous les gouvernements français comme ministre d’État, ministre de la Santé et de la Population puis de nouveau ministre d’État jusqu’au 30 avril 1959, date à laquelle il est investi Premier ministre en Côte d’Ivoire. Il est ensuite ministre conseiller auprès du général de Gaulle jusqu’à l’indépendance781. En métropole, l’axe de la politique coloniale consiste à prendre les devants avant que l’Afrique ne sombre, à l’image de l’Indochine ou de l’Algérie. C’est dans cette optique que le gouvernement fait voter la loi-cadre élaborée par le ministre de la France d’outre-mer Gaston Defferre en collaboration avec Houphouët-Boigny. Cette loi donne les pleins pouvoirs au gouvernement pour redéfinir les relations métropoles-colonies. Elle est votée le 23 juin 1956 : les décrets d’application de la loi et l’élaboration, à laquelle a participé le président du RDA, institue la semi autonomie des territoires. Il supprime le double collège et unifie l’électorat. Le pouvoir des assemblées territoriales est étendu aux problèmes financiers qui s’ajoutent à la gestion des domaines. Leurs décisions sont néanmoins subordonnées à la veille du gouvernement. Un Conseil de gouvernement exécutif territorial est institué sous la présence du gouverneur. Les pouvoirs des élus des partis minoritaires restent cependant très limités car le conseil est l’émanation du groupe majoritaire. Le Haut-Commissaire détient les pouvoirs de la République une et indivisible. La loi cadrait le prélude au morcellement de l’Afrique française, à sa balkanisation. Elle instituait une fragmentation administrative et territoriale tout en morcelant le mouvement de lutte des peuples africains782. Les premières élections des assemblées territoriales sous la loi-cadre sont organisées le 31 mars 1957. Représenté au gouvernement, le RDA aborde ces élections sereinement. Les partis fédéraux rivaux du RDA ne contrôlent que deux gouvernements : le mouvement socialiste africain au Niger et la
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Daniel Ouezzin COULIBALY, Combat pour l’Afrique : 1946-1958, lutte contre le RDA pour une Afrique nouvelle, textes présentés par Claude GÉRARD, Abidjan, Les Nouvelles Éditions africaines, 1989, p. 508. 782 Joseph KI-ZERBO, Histoire de l’Afrique noire, Paris, Hatier, 1978, p. 510.
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Convention africaine au Sénégal. Houphouët-Boigny est élu président du Grand Conseil de l’AOF. Au Congrès de Bamako en 1957, trois questions sont à l’ordre du jour : l’unité des partis politiques et les territoires de l’Afrique française ainsi que leurs rapports futurs avec la métropole. L’unité des territoires a failli faire éclater le RDA. Des positions radicales se sont affrontées à ce niveau impliquant les rapports avec la France. La position largement minoritaire était défendue par la Côte d’Ivoire et le Gabon. Ces deux sections, sous l’impulsion d’Houphouët-Boigny, défendaient la proposition d’une République fédérale française dans laquelle la métropole serait liée directement avec chaque territoire africain. Elle s’opposait à la création d’exécutifs fédéraux au niveau de la AOF et de la AEF. Les autres sections, sous l’impulsion du leader guinéen Sékou Touré, soutenaient le renforcement des relations entre les différents territoires africains au détriment des liaisons avec la métropole. Évitant de justesse l’éclatement, le congrès s’accorde sur un compromis qui se révéle extrêmement fragile au moment des choix décisifs. La résolution politique retient comme conclusion que : « conscient des liens économiques, politiques et culturelles indissolubles qui unissent les territoires et soucieux de préserver les destinées de la communauté africaine, le congrès donne mandat aux élus de déposer une proposition de loi tendant à la démocratisation des organes exécutifs fédéraux existants 783 ». La tentative de fusion des partis africains échoue avec la création du Parti du regroupement africain (PRA) qui allait s’engager dans la lutte contre le RDA. Les minoritaires dictent le compromis pouvant imposer leur point de vue en raison de la richesse de la position charnière de la Côte d’Ivoire. Autrement dit, pour Houphouët-Boigny, territorialiste et anti-fédéraliste déterminé 784 , l’intérêt de la Côte d’Ivoire passait par la métropole, mieux valaient de petits territoires répondant aux ordres de Paris qu’une fédération africaine puissante, autonome et indépendante. Celle-ci aurait de surcroît limité les ambitions personnelles d’Houphouët-Boigny qui ont été grandement récompensées dans les années qui ont suivi. 783 Ibrahima THIOUB, Le rassemblement démocratique africain et la lutte anticoloniale de 1946 à 1958,op. cit., annexes, consulté sur le site http://dmcarc.com/?cat=8 le 15 mai 2015. 784 Philippe DECRAENE, Le panafricanisme, op. cit., p. 69-70.
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Au retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, la nouvelle Constitution prévoyaient dans le cadre de la Communauté que les territoires africains soient exclus des compétences de politique étrangère, de défense, de la monnaie, de la politique économique et financière en général. De plus, la France gardait le contrôle de la justice, de l’enseignement supérieur, des transports extérieurs et des télécommunications. De nouveau Houphouët se pose en ardent défenseur de la Communauté et pourtant au niveau des Africains deux conceptions s’affrontent. La Côte d’Ivoire et le Gabon, certes, défendent la thèse de la Communauté mais s’opposent au maintien des liaisons administratives entre les territoires africains. En tant que colonies les plus riches d’Afrique, il n’est pas dans leur intérêt de soutenir les budgets déficitaires des autres territoires. La majorité des autres sections du RDA défendent quant à elles la thèse confédérale. Il s’agit de maintenir les fédérations et de les doter d’exécutifs pour ensuite se lier à la France dans une république confédérale. La constitution, rendue publique le 4 septembre, est muette sur les groupes de territoires. Sous l’influence de la première fraction et du « oui » voté par douze territoires africains 785 après la tournée du général de Gaulle, chaque territoire devient un État qui se gouverne lui-même et se prononce isolément par rapport à la Constitution786. Une alternative est laissée aux colonies : le « oui » signifie l’association avec la France, le « non », la sécession et ses multiples conséquences. Pour les Africains, il signifie la dislocation des entités fédérales dans lesquelles était né et s’était développé le RDA. Par trois fois, le leader ivoirien s’est obstiné à démolir une œuvre vitale et fragile de construction de la Communauté et de la sécurité africaine. Jusqu’à sa mort cette lourde responsabilité reste tapie dans l’ombre d’un homme qui a géré très habilement son image à l’échelle internationale. Houphouët-Boigny a su taire ou n’évoquer qu’avec parcimonie la façon dont il a divisé et fait éclater le RDA, utilisé comme accessoire pour son rapprochement avec l’État français787. Il
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Centrafrique, Côte d’Ivoire, Congo, Dahomey, Gabon, Haute-Volta, Madagascar, Mauritanie, Niger, Sénégal, Soudan et Tchad. 786 Voir en introduction, le référendum de 1958 en Centrafrique. 787 Du 18 au 25 octobre 1986, à l’occasion du quarantenaire du Rassemblement démocratique africain, un colloque d’historiens choisis se tient à Yamoussoukro,
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s’est imposé, à la tête de la plus riche colonie d’AOF, comme le principal interlocuteur de la métropole et avantagé la Côte d’Ivoire au dépens des autre pays nouvellement indépendants, dans le cadre de la future Aide publique au développement (ADP) et des accords bilatéraux. Son application à fragmenter et diviser continuera plus tard avec son action au Congo et au Katanga : rien ne pouvait être construit en Afrique centrale sans son autorisation ou absolution et celle de Jacques Foccart le secrétaire général à la présidence de la République pour les Affaires africaines et malgaches. L’homme est malin… On peut le constater quand, en 1986, il évoque ses souvenirs et la personnalité de Barthélémy Boganda : « Nous n’avions qu’une section du RDA en Centrafrique avec Darlan, j’avais beaucoup d’estime pour feu l’abbé Boganda, volontairement nous n’avions pas développé notre section788…»
Rien n’est moins vrai, Boganda était trop puissant en Centrafrique pour laisser une place au RDA de Darlan, qu’il a le plus souvent combattu. De plus, son opinion divergeait très clairement des choix du leader ivoirien, au point que son aura en AEF pesait sur le prestige de Houphouët-Boigny. Pour Boganda, être affilié à un parti étranger symbolise l’aliénation de la liberté africaine, le prolongement et l’amplification de la première servitude : le nouveau colonialisme. Dans une lettre adressée au comité directeur du groupe tchadien à Fort-Lamy, Boganda, pour répondre aux accusations d’absence de pluralisme politique en Oubangui-Chari, réécrit à son avantage dans la ville natale du président Félix Houphouët-Boigny. Celui-ci a 81 ans. Devant un parterre de membres du gouvernement et représentants de l’État, journalistes, chercheurs et universitaires, il revisite l’histoire du parti. La Radio Télévision sénégalaise (RTS) enregistre intégralement l’intervention du président. Celle-ci est diffusée en plusieurs épisodes dans l’émission Confidences autour d’un micro, de la journaliste Demba Dieng. La RTS a confié ses archives à Radio France internationale qui a transcrit quelques extraits commentés par Jean-Pierre Dozon, directeur d’études à l’École des hautes études de sciences sociales, à Paris. http://www.rfi.fr/afrique/20100806-histoire-rda-selon-felix-Houphouëtboigny/ consulté le 13 avril 2015. Voir aussi : Actes du Colloque international sur l’histoire du RDA. Yamoussoukro 18-25 octobre 1986, Paris, Hatier ; Abidjan, CEDA, 1987, 2 tomes, 526 et 352 p. 788 http://www.rfi.fr/afrique/20100806-histoire-rda-selon-felix-Houphouët-boigny/ consulté le 13 juin 2015.
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l’Histoire : selon lui, il n’a pas adhéré en 1946 au RDA car le parti était asservi à un parti étranger « apparemment très intéressé à l’Afrique, mais décidé à transformer l’Afrique noire en nouvelle république soviétique789 ». Or à cette date, sous l’étiquette MRP qui lui a été imposée par sa hiérarchie ecclésiastique, il découvre la vie politique française et n’a pas la maturité politique suffisante pour analyser les rapports de force de cette sorte. S’il n’a pas adhéré au RDA en 1952, c’est parce que le parti est passé sous la coupe d’Houphouët-Boigny : « (…) un homme farouchement opposé à notre liberté (…) celui qui a donné l’ordre de m’arrêter dans l’exercice de mon mandat alors que je protestais contre l’assassinat d’un chef africain 790 (…) cet homme qui est responsable de l’arrestation et de la condamnation de plusieurs dizaines de militants RDA en Côte d’Ivoire (…) qu’on a fait ministre (…), le président du RDA se trouve aujourd’hui l’ami des bourreaux de l’Afrique et de ma race. Voilà pourquoi ma conscience et mon honneur m’interdisent d’être RDA791 ».
Peut-on être plus clair ? Boganda affiche une aversion pour le RDA, quelle que soit sa fraction proche du PCF ou proche de l’USDR de Mitterrand, se mettant au passage à dos l’un des leaders africains les plus influents, Houphouët-Boigny. Il fait cavalier seul à la tête d’un parti spécifiquement africain mais qui s’exporte mal. Cette solitude va indéniablement peser sur son projet de fédération des territoires africains : comment unir quand on est seul ?
789
Lettre de Boganda au Comité directeur du groupe tchadien à Fort-Lamy, JeanDominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition. 790 Il s’agit là encore de l’affaire de Mbaïki. 791 Ibid en cours d’édition.
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B - L’échec du projet « bogandiste » d’unification de l’Afrique centrale latine Fier créateur du Mesan, un parti nouveau sans lien avec ceux de la métropole et qui « ne reçoit d’ordre de Paris, de Londres, de New York ou de Moscou, ni même d’Abidjan792 », l’ancien député MRP793 Barthélémy Boganda inscrit d’emblée son action politique dans une démarche originale, proche à ce titre de celle de Patrice Lumumba, créateur du MNC. Tout comme au Congo belge, l’élite oubanguienne est très restreinte et Barthélémy Boganda perçoit la nécessité de créer un rassemblement de personnes compétentes autour de lui, au-delà du Mesan, par le biais de l’Union oubanguienne puis plus tard de l’Intergroupe libéral oubanguien (ILO). Face à ces associations, l’attitude de Boganda se révèle équivoque et génère certaines ambiguïtés qui conduisent à l’échec de ses initiatives. Transcendant l’aspect national, le projet le plus audacieux qu’il propose est sans conteste celui du projet d’État unitaire centrafricain et celui des ÉtatsUnis d’Afrique latine que sa mort prématurée range définitivement dans les cartons, au grand soulagement de nombreux autres leaders africains. 1) La difficulté du leadership partagé : de oubanguienne à l’Intergroupe libéral oubanguien.
l’Union
L’une des explications à l’échec du projet de l’État unitaire centrafricain réside dans la difficulté de Boganda à s’entourer durablement de l’élite politique oubanguienne pour développer ses projets. Si, assurément, il n’est pas seul responsable de l’insuccès de certaines tentatives, il faut pourtant relever que ses attitudes souvent équivoques et autoritaires ne lui ont pas toujours été favorables. A fortiori dans les rares travaux scientifiques sur le personnage, ces revers sont la plupart du temps ignorés et absorbés par une analyse hagiographique. Boganda a été élu à l’Assemblée nationale à Paris 792
Lettre de Boganda au Comité directeur du groupe tchadien à Fort-Lamy, JeanDominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op.cit., en cours d’édition. 793 Les raisons de son départ du MRP ont été déjà explicitées.
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sous l’étiquette MRP mais pas au Conseil représentatif de l’Oubangui-Chari (CROC) à Bangui. Il doit donc s’entourer de représentants locaux qu’il s’emploie à « tutorer », pensant pouvoir contrôler par leur intermédiaire les activités politiques oubanguiennes. L’Union oubanguienne naît officiellement le 20 août 1947, son but étant « de créer avec toute la population une société oubanguienne visant au perfectionnement matériel, social, moral et culturel des individus et de la société en elle-même 794 ». Boganda en est le membre fondateur, le président nommé est Georges Darlan, le frère d’Antoine Darlan, dont la place stratégique de président du CROC permettait localement de peser sur les choix et décisions, notamment en matière de subventions. Boganda souvent à Paris, Georges Darlan était l’animateur sur place. C’est la question des coopératives qui fait éclater le projet de l’Union. La loi du 10 septembre 1947 a permis la création de coopératives dans les territoires d’outre-mer, or il existait déjà la SIP, gérée et organisée par l’administration coloniale en lien avec les colons et les commerçants locaux et que de nombreuses propositions de loi, dont celle de Sango Sekou en 1954, n’ont pas réussi à supprimer. L’émergence des nouvelles coopératives entraîne des conflits importants795. Boganda a beaucoup œuvré à Paris pour trouver un bureau, des dons pour l’Union Oubanguienne autant que pour les coopératives et plusieurs ont pu être créées. Le 28 mai 1948, Boganda fait paraître les statuts de sa coopérative, la Socoulolé, Société Coopérative Oubangui Lobaye Lessé, modèle de coopérative qu’il aimerait, à terme, appliqué à tout le pays. Georges Darlan de son côté en crée deux : la Cotoncoop, le 22 février 1948, avec Condoma, membre du CROC, et Ogbabo au comité directeur, puis la Socooma (Société coopérative de consommation). L’Espoir oubanguien, (société coopérative ouvrière de construction) est créé par Jane Vialle796, sénatrice à l’Union française et destiné à construire sur un terrain marécageux assaini de Bangui, les logements du nouveau quartier de « la Kouanga ». Sa coopérative se regroupera avec la
794
PÉNEL, Jean-Dominique, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951 la lutte décisive, op. cit., p. 147 152. 795 Voir le conflit violent entre Boganda et la SIP infra. 796 Voir notice sur Jane Vialle du Maitron biografrique : https://maitron-enligne.univ-paris1.fr/spip.php?article172132
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Sacma, coopérative familiale d’approvisionnement et filiale de la Cotoncoop dirigée par Georges Darlan. Le 7 septembre 1948, le Conseil représentatif de l’Oubangui-Chari refuse catégoriquement la demande de subvention pour la Socoulolé alors qu’il accepte de subventionner les coopératives de Jane Vialle à hauteur de 3 millions et celle de Georges Darlan à hauteur de 30 millions. Une véritable humiliation pour Boganda… Habile manœuvre politique ? Ce camouflet pour Boganda, furieux, fait voler en éclat l’union des leaders oubanguiens. Barthélémy Boganda s’écarte résolument de Georges Darlan et rédige une lettre de démission de l’Union oubanguienne le 15 octobre 1948, qui induit aussi la dissolution de l’Union : « je vous demande de bien vouloir convoquer une assemblée générale devant laquelle j’exposerai les motifs de ma démission et, le cas échéant, proposerai la dissolution d’une société qui ne correspond pas du tout au but proposé797 ». Il cesse aussi de soutenir Jane Vialle et notamment pour la campagne des élections de 1948. Boganda profite de l’occasion pour se poser, par voix de presse, auprès des Oubanguiens comme une victime, trahie par les autres élus oubanguiens : « (…) Le deuxième collège du Conseil représentatif, nos frères oubanguiens sur lesquels nous avons le droit de compter, tous, froidement, cyniquement, sans explication, en bloc, comme un seul homme, ont rejeté la demande présentée en votre nom par votre représentant officiel, l’élu au suffrage universel ; ils ont donc trahi les intérêts sacrés du pays. Mais il y a double trahison : - parce que ce sont des élus dont le devoir est de sauver le peuple, - parce qu’ayant tous été élus sur ma liste, leur place était à mes côtés pour recevoir de moi les directives nécessaires 798 à la défense des intérêts sacrés de notre pays. - Ils vous ont donc trahis. Ils m’ont trahi. Ils ont trahi le pays. (…) C’est pour leur ventre qu’ils vous ont trahis. Messieurs les conseillers, l’Oubangui vous rejettera799.
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Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951 la lutte décisive, op. cit., p. 198. 798 On peut remarquer au passage la conception politique peu collégiale de Boganda. 799 Pour Sauver un Peuple, n° 3, bulletin mensuel d’action politique, économique et sociale en AEF. Aucun des conseillers nommés ne sera réélu en 1952.
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Quelques années plus tard, la création de l’Intergroupe libéral oubanguien décontenance en décembre 1955800 de nombreux partisans de Boganda. Elle provoque déception, incompréhension et mécontentement parmi ses proches. Cette coalition est formée par des nationalistes pour l’indépendance, proches du Mesan, et les hommes d’affaires français locaux pour qui l’indépendance est désormais inévitable et qui souhaitent s’assurer de bonnes relations avec les autorités du futur État indépendant ainsi que des postes électifs. La plupart de ces colons français appartenaient au Parti républicain radical et au Parti radical socialiste qui, en effet, s’étaient opposés à la politique coloniale de plusieurs gouvernements de la IVe République, mais aussi à Boganda peu de temps avant et de façon assez virulente. L’ILO constituait le moyen d’une répartition égale des représentants colons et « indigènes » dans les différentes instances locales ou nationales. Les deux coprésidents étaient Boganda et René Naud, commerçant industriel et conseiller territorial, les deux secrétaires Roger Guérillot, administrateur de sociétés et conseiller territorial (le même était venu voir L. San Marco pour lui réclamer des milices antiBoganda quelque temps auparavant) et Antoine Darlan, conseiller territorial de l’Oubangui-Chari et conseiller de l’Union française801. Peu à peu, Boganda délègue la conduite de la politique économique de l’Oubangui à Guérillot. Artisan de crispations avec l’administration coloniale, celui-ci brisera la sérénité des relations avec San Marco, que Boganda était parvenu à bâtir 802 . Conseillé par René Naud et Roger Guérillot peu friands de la formation et les idées « gauchistes » d’Antoine Darlan, Boganda s’éloigne aussi du conseiller oubanguien. Une archive retrouvée dans les papiers San Marco atteste la tenue d’une réunion secrète au domicile de d’Antoine Darlan le 30 mai 1955, en compagnie de son frère Georges, du conseiller Embi Maidou et deux autres personnes non nommées. Antoine Darlan y rappelle son attachement au PCF, la nécessité d’une propagande clandestine ; pour lui, quand « le PCF sera solidement installé, le Mesan n’aura plus sa
800
Voir les statuts de l’ILO retrouvés dans les archives de Louis San Marco : CAOM 276 APOM. 801 Voir la notice biographique sur Antoine Darlan, voir http://maitron-en-ligne.univ paris1.fr/spip.php?article182408&id_mot=9745. 802 Notes de situation politique pour les années 1956 et 1957 de San Marco : CAOM 276 APOM.
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raison d’être et qu’en attendant, il était un excellent paravent803. » Les frères Darlan, surtout Antoine, joueraient donc un double jeu avant même leur implication dans l’ILO. La rupture entre Antoine Darlan et Boganda est consacrée avec l’affaire de la présidence du Grand Conseil de l’AEF. Les conseillers territoriaux (Boganda, Fayama, N’gounio et Tello) élus par l’Assemblée territoriale de l’OubanguiChari (ATOC) pour faire partie du Grand Conseil de l’AEF étaient partis à Brazzaville au mois d’avril 1957, pour procéder à l’élection du président du Grand Conseil. Avant de partir, ils s’étaient accordés sur la candidature de Barthélémy Boganda pour faire échec aux représentants des sections du RDA, puissantes dans les autres territoires. Mais à Brazzaville, à la demande d’Houphouët-Boigny, Antoine Darlan pose sa candidature à l’élection du président du Grand Conseil contre Boganda. Ce dernier bat Antoine Darlan avec une voix d’écart. Selon Michel Dieudonné Godame, Boganda aurait gagné cette voix grâce à un député tchadien corrompu par N’gounio, alors secrétaire de l’ILO. Malgré cette trahison, Antoine Darlan assiste aux sessions à Brazzaville jusqu’en 1959. Autour de lui, s’est cristallisé un petit nombre de mécontents (dont Goumba et Gbaguidi) qui dénoncent le caractère trop particulariste du Mesan, spécifiquement oubanguien, sans attache avec aucune formation métropolitaine et sans liens avec les autres mouvements africains, donc isolé. Les tentatives d’implanter le Mesan à Moundou et à Fort-Archambault ont suscité la méfiance du RDA, malgré un faible succès. L’ILO est comme l’Union oubanguienne, un échec. Il contribue à isoler Boganda de quelques membres de l’élite oubanguienne mais aussi de San Marco avec lequel les relations étaient, jusqu’alors cordiales officiellement et amicales officieusement. Un mot griffonné à la main par l’administrateur nous donne sa version de la « mort de l’ILO » : « Tué par les attaques de René Malbrant (ce n’était pas le plus mortel), « Tué par les excès de plume de Boganda (peut-être craignant que l’ILO ne soit une arme pour la surenchère d’extrême gauche),
803
Note du 2 juin 1955 d’Édouard Dumont, administrateur-maire au Gouverneur de la FOM et chef de territoire. CAOM 276 APOM.
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« Tué par les excès de plume de Guérillot : alors que je préfère l’oubli de l’Histoire, l’oubli par les Noirs des abus par les Blancs (…) c’est un Blanc qui relance tout cela et en quels termes804 !! »
Louis San Marco fait ici référence à un extrait du bulletin quotidien Le Progrès, dans lequel Guérillot écrit : « Dans le temps nous attachions les noirs et les noires l’un à l’autre et par le cou de préférence, pour leur laisser les mains libres, et les envoyions réparer les routes au panier de latérite. De l’artisanat en somme. Puis nous avons inventé le Boy coton avec chicotte le plus souvent. C’était déjà du travail organisé. Des esprits chagrins disaient « forcé ». On les a supprimés, parce que tout de même, le Progrès… Aujourd’hui cela va mieux805. »
Propos nauséabonds, attitude ambivalente, pourquoi Boganda s’estil rapproché de Guérillot ? Pierre Kalck, proche de Boganda, apporte des explications pertinentes : le président du Mesan aurait eu peur d’être dépassé par les extrémistes qui avaient peu apprécié la coopération constructive mise en place avec l’Administration 806 . Les syndicats qui commençaient à s’organiser sur le territoire mais aussi le RDA 807 , étaient des menaces constantes, identifiés de plus en plus à Antoine Darlan. La lettre d’exclusion du 19 septembre 1957, « graves divergences de doctrine, des faits importants et notoires, des discours anti-Mesan prononcés », adressée par Boganda à Antoine Darlan scelle la rupture à laquelle Boganda pensait depuis plus de deux ans : « c’est vous dire combien elle a été mûrement réfléchie et combien nous avons été patients ». Une phrase surprend : « nous avons voulu, par vous, réhabiliter le métis dans l’opinion oubanguienne et supprimer à tout jamais un problème qui n’aurait jamais dû exister808 ». Les écrits plus informels sont d’une violence concernant le métissage des Darlan qui laisse pantois de la part d’un homme lui804
Archives San Marco CAOM 276 APOM. Ibid., bulletin conservé dans les archives privées de San Marco daté du 24 au 31 mars 1956. 806 Pierre KALCK, Barthélémy Boganda « élu de Dieu et des Centrafricains », op. cit., p. 129-130. 807 Voir infra. 808 Abel GOUMBA, Mémoires et réflexions politiques du résistant anticolonial, démocrate et militant panafricaniste, op. cit., annexe 10. 805
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même père de métis. Les termes les plus durs sont à l’encontre de Georges Darlan « métis portugais, chômeur affamé 809 », « homme sans nom, homme sans père, homme sans mère, homme sans patrie, il a choisi la Russie pour patrie et pour mère, Boulganine est son père qui le fait vivre 810». Les représentations autour du métis comme péril social ont été étudiées par Emmanuelle Saada selon ce qu’elle a nommé la « rhétorique métisse » : une succession de clichés et de peurs dans laquelle le métis est vu comme un facteur de désordre, un surclassé du point de vue des Noirs ou un déclassé du point de vue des Blancs, un insatisfait aux multiples rancœurs, « une épave flottante » entre deux mondes811. Ici les frères Darlan, et surtout Georges, sont vus par Boganda comme un facteur de désordre communiste qui n’augure rien de bien aux Oubanguiens, communauté à laquelle les deux frères n’appartiennent pas selon lui, le président du Mesan préférant s’entourer d’autres personnes qu’il estime moins dangereuses. Une autre explication peut être avancée à la création de l’ILO : il est évident que l’Oubangui ne disposait pas alors d’hommes susceptibles d’occuper les nombreux postes à responsabilités qui se créaient, sans nul doute Boganda a été effrayé de ne pouvoir confier à des Oubanguiens appartenant à l’élite ces prérogatives, il a préféré s’allier avec le « diable » pour assurer aux postes à responsabilités, la présence d’un personnel politique plus formé et déjà enrichi comme Guérillot, appelé le « ministre-colon ». À moins qu’il n’ait lui-même favorisé cette quasi-inexistence des cadres autochtones de par son fort leadership, même si son objectif à long terme était de créer également une bourgeoisie centrafricaine capable de diriger économiquement et politiquement le pays, mais le temps a joué en sa défaveur.
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Lettre de Boganda à X, nom indéchiffrable sur l’original, du 18 août 1958 JeanDominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959,op. cit., en cours d’édition. Voir Annexe 18. 810 Georges Darlan n’a jamais épargné Boganda non plus : voir tract de Georges Darlan dans, ibid., en cours d’édition. Voir Annexe 19. 811 Emmanuelle SAADA, Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, la Découverte, 2007, 335 p. ou Emmanuelle SAADA, « Un racisme de l’expansion. Les discriminations raciales au regard des situations coloniales » dans Didier FASSIN et Éric FASSIN, De la question sociale à la question raciale, représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006, p. 55-71.
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Abel Goumba, lié à Boganda de longue date, est nommé viceprésident du Conseil de gouvernement et ministre des Finances et du Plan, et ne ménage pas sa peine à juguler les excès de Guérillot et à en alerter le président 812 . En 1958, Boganda est donc un homme relativement controversé lorsqu’il se lance dans le projet de la fédération des États-Unis d’Afrique latine. 2) « Lutter contre les poussières d’États » : la République centrafricaine à géométrie variable. La création de la Communauté en 1958 engendre, chez Boganda, la prise de conscience de la nécessité de faire naître une nation distincte de la France mais en lien avec elle. Dans son esprit, seule l’AfriqueÉquatoriale française, création coloniale et grand ensemble assurant la viabilité des colonies françaises, pouvait être le cadre d’un État membre de la Communauté. La géographie de l’AEF est impressionnante mais Boganda l’analysait comme des poussières de territoires qui deviendraient des poussières d’États indépendants ou de républiques si le cadre de l’AEF disparaissait. Boganda avait conscience, on l’a vu, de la faiblesse de l’administration des territoires, la faiblesse de l’encadrement jusque-là presque exclusivement européen, du peu de cadres formés, du peu d’étudiants à l’intérieur du pays et à l’étranger. Rares sont les sources écrites sur le projet des États-Unis d’Afrique latine, les supports principaux étant les discours prononcés par Boganda à ce sujet, les réactions qu’ils engendrent et les réflexions de Pierre Kalck proche de l’homme sur ce projet, dont il livre l’embryon d’organisation dans sa thèse d’État813. Si la mort de Boganda fut lourde de conséquences pour le pays, elle le fut d’autant plus pour le regroupement des pays africains. Nul successeur ne reprit à son compte son idée. Par goût du pouvoir et d’efficacité, Boganda concentrait entre ses mains la totalité des activités politiques, de son vivant même Abel Goumba, l’un de ses collaborateurs les plus proches, ne reprit ce projet. Les difficultés 812 Abel GOUMBA, Mémoires et réflexions politiques du résistant anticolonial, démocrate et militant panafricaniste, op. cit., p. 113 à 121. 813 Pierre KALCK, Histoire de la République centrafricaine des origines à nos jours, thèse soutenue à Lille 3, 1973, t. IV, p. 578-585.
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engendrées par le projet, les rumeurs tenaces d’assassinat politique de Boganda, dans « un cercueil volant », orchestré par ses opposants sont des explications à ne pas négliger. Cette courte aventure explique aussi pourquoi cet homme de stature « interafricaine » n’est pas, a contrario, du ghanéen Kwame Nkrumah, une figure de proue du panafricanisme. Cet effacement est également dû aux originalités de la teneur du projet proposé : garder le cadre de l’AEF imposé par les colons, l’attachement aux idées occidentales et la fidélité obstinée au christianisme - la religion des colons - le souci de défendre la culture latine et la tradition chrétienne. On est bien loin des racines de l’Afrique précoloniale ou des projets d’union de pays indépendants en une fédération nouvelle de pays faisant le choix de s’allier dans les mêmes objectifs, comme proposé par le leader ghanéen814. Le projet est-il trop teinté de « colonialisme », en opposition aux schèmes propres à l’Afrique… Naissance du projet Il est difficile de déterminer la date exacte à partir de laquelle Barthélémy Boganda aurait élaboré ce projet. Dans les années 19581959, il est explicité dans les discours et les écrits de Boganda mais leur analyse minutieuse évoque son origine en 1956, voire 19541955815. Lors d’une allocution prononcée à la mairie de Bangui, le 24 novembre 1956, Boganda déclarait : « (…) que le monde est un tout et que nul homme, nul peuple ne peut se draper dans la solitude, sous peine de connaître vite la misère et la déchéance et d’être à nouveau conquis. Ainsi, de même qu’il faille l’association des mondes pour la paix de l’humanité, l’Union des hommes sur les terres d’Afrique s’avère-t-elle indispensable pour que se réalisent le progrès, la paix et un minimum de bien-être et de justice816… »
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Voir Kwame NKRUMAH, Africa must unite, Londres, Heinemann, 1963, 229 p. Brochure de la conférence donnée à Fatima le 28 mars 1985 par Maurice Amaye, à l’université de Bangui, intitulée : « Barthélémy Boganda et le projet des États-Unis de l’Afrique latine ». Brochure trouvée dans les archives privées de Pierre Kalck. M. Amaye fait remonter les origines du projet à 1954 avec la défaite de l’Indochine et le début de la guerre d’Algérie sans que le lien précis soit fait entre ce contexte et le projet précis de Boganda. 816 Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition. 815
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Plus tard en 1957, lors de son discours prononcé pendant la deuxième session du Grand Conseil, il déclare : « Je n’évoquerai pas Messieurs, l’idée d’un exécutif fédéral. Il peut m’être utile, il n’est certainement pas indispensable dans le moment présent (…) frères gabonais, congolais, tchadiens, oubanguiens, la Loi-cadre c’est la révolution du travail, car l’Afrique ne se fera pas sans nous, sans nos efforts conjugués et persévérants817… »
Boganda est un lettré : il a sans nul doute pris connaissance des écrits de Victor Hugo et du projet de construction européenne qui prend forme dans les années cinquante avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et la Communauté économique européenne (CEE). Ces écrits et réalisations sont sans nul doute des sources d’inspiration et des modèles, tant l’admiration de Boganda pour l’Europe est grande : « Il faudra bien que les nations et les gouvernements se penchent sur ces problèmes et que l’Afrique demain, comme l’Europe hier, s’organise en fonction de ses vocations ethniques, de sa géographie, de ses ressources et de son évolution (…) Bâtir une Afrique de langue, d’inspiration et de culture française, tel sera désormais notre objectif numéro un. Ainsi donc, tous ensemble nous entrerons au Marché Commun et dans l’association des peuples libres818. »
Le projet unitaire de Boganda reposait sur quatre menaces fondamentales : le panarabisme 819 , le communisme, l’influence de l’Afrique anglo-saxonne et le « péril jaune ». A posteriori, son projet paraît parfois schizophrénique : en tant qu’Africain il fait reposer sa vision d’une unité africaine entre « frères » associés à la France et à la 817
Ibid., en cours d’édition. Discours du 17 octobre 1958 devant le Grand Conseil de l’AEF, Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition. 819 Le panarabisme et le panafricanisme sont relancés à cette époque par Nasser : le Caire devient un lieu de refuge pour les combattants du FLN algérien et les responsables de l’UPC expulsés du Cameroun… Nasser milite aussi pour l’union des peuples arabes, en 1958 il fonde avec la Syrie, la République arabe unie et s’impose aussi comme une grande figure panafricaine en concurrence avec K. Nkrumah. Voir Amzat BOUKARI-YABARA, Africa unite ! Une histoire du panafricanisme, op. cit., p. 168. 818
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Communauté européenne sur le modèle de l’Europe chrétienne, la démocratie et la liberté, avec pour ciment la langue française. Il n’existe aucune référence à des racines africaines, à des référents précoloniaux, comme si aucune inspiration, aucune idée, ne pouvait être afro-centrée. Boganda reste fidèle à ses convictions nées avec son instruction religieuse820. Comment comptait-il s’y prendre pour faire aboutir son projet ? L’anticommuniste de Boganda ne permet pas d’envisager un recours à l’URSS, ni à la guerre de libération nationale car le peuple oubanguien avait été durement éprouvé par l’esclavage et la colonisation. S’aventurer dans une guerre de libération c’était exposer, selon Boganda, l’AEF aux convoitises des Soviétiques, de surcroît la révolution par les armes n’était pas dans son schéma de pensée. Pour atteindre son objectif, il choisit de rester dans une France affaiblie par la fin de la guerre d’Indochine et la guerre de Libération nationale en Algérie qui débute simultanément, une France prête à faire avec les colonies africaines des concessions politiques de taille. En 1956, au moment où s’aggravait la crise algérienne, il apparaissait que l’Union française n’était pas un remède suffisamment efficace contre les velléités d’autonomie des colonies. La Loi-cadre est donc adoptée et les deux collèges de l’ATOC sont unifiés. Le Mesan y remporte aussitôt la majorité en gagnant cinquante sièges. Le 14 mai 1957, seuls ses adhérents constituent le Conseil de gouvernement de l’Oubangui-Chari. Ce Conseil dispose de compétences élargies en matière de délibération sur les affaires intérieures mais reste soumis à l’autorité du Haut-Commissaire français en ce qui concerne les affaires extérieures. Boganda refuse de faire partie de ce Conseil de gouvernement, pourtant constitué des membres du Mesan et qu’il qualifie bientôt de « gouvernement bicéphal ». Il préfère se présenter à la tête de la Fédération aéfienne contre les candidats du RDA qu’il tient à écarter. Le 18 juin 1957, à l’unanimité, il est élu président du Grand Conseil de Brazzaville. L’arrivée au pouvoir le 13 Mai 1958 du 820
Michel KOUNOU, Le Panafricanisme de la crise à la renaissance, Yaoundé, Clé, 2007, p. 13, où l’auteur s’étonne de cette absence de référents africains précoloniaux. Andrea CERIANA MAYNERI, Sorcellerie et prophétisme en Centrafrique, op. cit., p. 98. Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951 la lutte décisive, op. cit., p. 69.
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général de Gaulle offre à Boganda une possibilité par le référendum, de relancer le projet d’Afrique latine. Au moment où les incidents au Congo belge et aux Cameroun se multiplient et que le Général de Gaulle privilégie la concertation, Boganda prend le parti, après concertation, de faire voter « oui » au référendum, qu’il encourage dans toute la Fédération aéfienne : « En répondant OUI au référendum, le peuple oubanguien a dit OUI à la Communauté préconisée par la République française, mais aussi OUI à l’Europe chrétienne (…) Mais avant tout, le peuple oubanguien répondait OUI à ses frères d’Afrique, OUI à l’unité africaine, OUI à l’indépendance de l’Afrique noire française étroitement unie et indéfectiblement associée à la France et à l’Occident821. »
L’habileté politique de Boganda est importante : soucieux de réunir les conditions favorables à la réalisation de son projet, il use de tout son poids pour convaincre ses collègues. Il fait appel à la compréhension de ses compatriotes en distinguant deux France : la France colonialiste, mais aussi la France idéale, celle des valeurs humanistes comme « Liberté Égalité Fraternité », sur lesquelles il comptait construire l’unité de l’Afrique latine. L’article 76 du projet de constitution du 4 octobre 1958 prévoyait : « que soient groupés ou non entre eux, les anciennes colonies pouvaient devenir des ÉtatsMembres de la Communauté822 », mais les leaders des différents pays ne l’entendaient pas ainsi. Formes du projet Boganda rêvait de réunir le Congo que les colons avaient divisé, le Tchad, dont le pays Sara avait été détaché de l’Oubangui-Chari en 1934 pour en faire une colonie moins désertique et moins musulmane, et désirait revenir sur les fluctuations de frontières de certaines régions comme celle des Bateké, de la Lobaye entre le Moyen-Congo, le Gabon et l’Oubangui-Chari. Il a souvent recours à cette référence à son propre parcours : aéfien de naissance, formé à Bangui et à Brazzaville par des missionnaires français, puis à Kisantu au Congo 821 Discours du 1er décembre 1958, Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition. 822 Voir le projet de la constitution de 1958, Frederick COOPER, Français et Africains ? Etre citoyen au temps de la décolonisation, Paris, Payot, 2014, 640 p.
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belge, à Yaoundé au Cameroun il est depuis quelques mois président du Grand Conseil de l’AEF. Lors de la séance inaugurale de la session budgétaire de ce dernier, le 17 octobre 1958, il évoque clairement la remise en question de la Convention du Congo : « Les frontières officielles d’aujourd’hui sont arbitraires et en conséquence, ne nous sentons pas responsables d’une erreur géographique et humaine, commise par les explorateurs (…) Nos frères soudanais du NordCameroun et du Tchad ne seront point exclus de notre affection et notre désir d’union. »
Quatre étapes sont évoquées qui sonnent comme un programme politique 823 . Premièrement l’Oubangui-Chari n’est pour Boganda qu’une simple province de l’État futur, la République centrafricaine à laquelle les « autres territoires ne tarderont pas à se joindre pour une Afrique centrale unie et forte. Ce sera la première page de notre lutte africaine ». Le discours est clair : la RCA est la matrice dans laquelle doivent venir se fondre les autres territoires, il affirme ici sa prépondérance dans le projet qui a de quoi effrayer les ego des autres leaders. Dans un second temps, l’objectif est l’unité du Congo, rassembler la population de chaque côté du fleuve, puis dans un troisième temps, la création d’un grand ensemble de langue française de l’ex-AEF avec tous les territoires de langue, de culture et d’inspiration française, comme le Tchad et le Gabon. Enfin et à long terme, la création des États-Unis d’Afrique latine avec l’appel au Cameroun, la future République du Congo824 puis, si les Portugais y consentent, l’intégration de l’Angola. Il s’agit de créer avec tous les Bantous colonisés par les peuples européens de culture latine, une vaste fédération latino-africaine825. De conception simple, le projet d’État unitaire centrafricain doit entraîner la disparition de certaines institutions existantes comme les Assemblées territoriales et les Conseils de gouvernement. Un Conseil des ministres unique et une Assemblée législative unique doivent remplacer cet ensemble. Le Conseil, chargé de l’exécution des 823
Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition. 824 Interview inédite de Boganda en octobre 1958 par P. Decreane, ibid., en cours d’édition. 825 Déclaration du 14 janvier 1959, ibid,, en cours d’édition.
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décisions de l’Assemblée et de la gestion des services publics, doivent comprendre douze membres (quatre par territoire). Limitée à cent membres, l’Assemblée législative représentative doit prendre en charge toute la législation intéressant l’État, à l’exception de quelques matières réservées à des conseils généraux, dont la création est également prévue. Tous les anciens territoires doivent être divisés en départements comprenant eux-mêmes des communes et des collectivités rurales. Boganda avait prévu une période transitoire durant laquelle serait placé à la tête de chaque entité territoriale un ministre d’État, élu au suffrage universel, chargé de la gestion des affaires locales. Ce projet bouleverse donc effectivement les intérêts de nombreuses forces, suscitant de fortes inquiétudes voire de larges oppositions. Les obstacles au projet Boganda a longtemps pensé que le fait de ne pas se « mêler » des affaires de l’AOF lui assurait une relative tranquillité au sein de l’AEF. Ainsi, la participation du Mesan ou des leaders oubanguiens à des rencontres panafricaines est très rare. Toutes les participations à des réunions panafricaines sont soumises à l’autorisation de Boganda. Abel Goumba sollicite d’assister à la Conférence panafricaine d’Accra au Ghana en 1958, il lui répond : « Laissons l’Afrique-Occidentale française aux Houphouët-Boigny et aux Senghor826. »… Pour lui, les Africains de l’AOF avaient leur façon de comprendre la politique et, lui, avait trouvé la politique qui convenait à l’Oubangui-Chari. Par conséquent, le Mesan ne participe qu’exceptionnellement à des réunions avec d’autres partis africains de l’AOF. Il s’est installé au Tchad et au Moyen-Congo et a de rares sympathisants au Gabon et au Congo belge, alors que le RDA a de nombreuses sections en AEF inégalement implantées. Envisager ce statu quo politique entre AOF et AEF était sous-estimer la puissance de nuisance du RDA et de Houphouët-Boigny. Peu avant le référendum, Abel Goumba évoque une réunion improvisée à Paris qui se déroule du 15 au 17 février 1958 dans la salle Colbert du palais Bourbon, pour discuter de l’avenir des pays africains après le référendum. Tous les représentants africains de 826
Abel GOUMBA, Mémoires et réflexions politiques du résistant anticolonial, démocrate et militant panafricaniste, op. cit., p. 131.
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différents bords se questionnent sur la nature et la forme des liens qu’ils noueraient avec la République française sauf le Parti africain de l’indépendance (PAI), partisan de la rupture immédiate et totale de tous les liens avec la France. Goumba s’y rend en tant qu’observateur car il n’a pas reçu de mandat du parti, autant dire l’autorisation de Boganda 827 . Cette réunion dont le rapporteur est Sékou Touré, engendre la création du PRA, le principe de la dissolution des partis politiques existants et leur remplacement par un seul parti globalement accepté. Les réticences sont nombreuses du côté du RDA d’Houphouët-Boigny828 qui sollicite d’entériner ce changement auprès du comité de coordination de la section RDA ivoirienne qui refuse le 10 mars 1958. L’unité souhaitée est d’emblée brisée par la position du leader ivoirien qui ne souhaite pas adhérer à l’accord passé sur un programme commun, reposant sur l’unification de tous les partis sous un seul sigle. De même, il n’était pas favorable à la création d’une assemblée législative fédérale et d’un conseil exécutif fédéral à Dakar pour l’AOF et à Brazzaville pour l’AEF, ayant tous les pouvoirs sauf ceux de la défense nationale, de la monnaie, de l’enseignement supérieur, de la diplomatie et de la magistrature ni à la formation d’une union confédérale des États ainsi fédérés avec la France. Désormais il y avait deux camps : les fédéralistes, partisans de l’unité africaine du PRA et les séparatistes, partisans de la balkanisation de l’Afrique du RDA avec Houphouët-Boigny. Boganda recherche l’appui des rares dirigeants de l’ française opposés à la balkanisation de l’Afrique comme Lamine Gueye, sénateur et maire de la ville de Dakar et Léopold Sedar Senghor, député à l’Assemblée nationale. De juin à juillet 1958, des réunions ont lieu à Paris entre le Mesan et les dirigeants du PRA durant lesquelles est réaffirmée la position fédéraliste : « j’ai assisté à deux réunions PRA à Paris, nos amis ont promis de lutter pour nous 829 » déclare Boganda. Une délégation centrafricaine composée de Abel Goumba, David Dacko, Albert Fayama représentant le Mesan et Ouaddos du Mouvement socialiste
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Abel Goumba précise d’ailleurs qu’il décide de l’adhésion du Mesan au PRA sous réserve de l’accord final avec Boganda, il n’a donc aucune autonomie, ibid p. 137. 828 Selon Goumba, Houphouët-Boigny quittait sans cesse la salle pour répondre à des coups de téléphone ou téléphoner lui-même pour « téléguidage », ibid p. 134. 829 Barthélémy BOGANDA, Art et style, Paris, Imprimerie française, 1959, p. 39.
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africain (MSA), est présente au Congrès de Cotonou du 25 au 27 juillet 1958 auquel s’est rendu également George Padmore, le Conseiller du président K. Nkrumah pour les affaires africaines du Ghana. Goumba réaffirme la création d’une indépendance politique susceptible d’assoir des liens avec la France sur des bases solides, sur des bases d’égalité des droits des partenaires. Sa prise de parole est suivie par celle de Fayama sur les problèmes de la jeunesse, David Dacko impressionné par les talents oratoires de Lamine Gueye et Senghor préfère renoncer à son intervention. Le délégué reproche d’ailleurs à Boganda à son retour, de ne pas avoir formé les cadres oubanguiens à ce type de prise de parole, contrairement à ceux des territoires de l’AOF830. Sous la coupe d’Houphouët-Boigny, de nombreux leaders d’Afrique centrale ont rejoint le camp du RDA et de la balkanisation en dépit des illusions de Boganda. Confiant en sa capacité de persuasion, Boganda décide d’entamer une offensive diplomatique, en rédigeant une lettre à chaque responsable des territoires de l’AEF, puis d’envoyer une délégation composée de l’avocat Hector Rivierez et de David Dacko, auprès des deux territoires les plus réticents, le Tchad et le Gabon, pour essayer de les faire changer de camp. Au Tchad, quelques représentants du MSA ont donné leur accord à la création d’une grande République centrafricaine, contrairement à ceux du Parti progressiste tchadien (PPT), section territoriale du RDA, incarné par Gabriel Lisette, insistant sur le fait que le Tchad regroupait plus de la moitié de la population de l’AEF et qu’il devait bénéficier dans ce projet d’une place prépondérante. Ils rappellent à la délégation que les instances dirigeantes du RDA ont une attitude réservée à l’égard de toute forme de gouvernement fédéral et unitaire. L’abbé Ngaidi à Moundou menace d’arracher à Gabriel Lisette toute la partie sud du Tchad du projet de Boganda. Par ailleurs Ahmed Koulamallah, chef de l’opposition, espère dans le cadre de l’indépendance seule, obtenir de 30 à 50 % des sièges de l’Assemblée. Il refuse donc de compromettre ses chances au sein d’un État unitaire, d’autant plus qu’en tant que musulman son rattachement au projet de Boganda aurait été difficilement tenable. 830 Abel GOUMBA, Mémoires et réflexions politiques du résistant anticolonial, démocrate et militant panafricaniste, op. cit., p. 143. Goumba est-il partial quand il évoque cette anecdote ?
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Au Gabon, le dialogue tourne court rapidement : si Goumba évoque des contacts positifs à Cotonou en juillet avec Jean Aubame831, celuici est rapidement éclipsé par Léon M’ba. L’homme fort du Gabon souhaite que le pays devienne un département français et accepte à contrecœur l’indépendance séparée. Ses préoccupations sont bien loin du projet d’unité africaine de Boganda, il pense obtenir un statut à part qui ne lui est pas accordé, mais le Gabon entend mener la politique extérieure avec la France qui lui plait, sans avoir à rendre de compte à une fédération. Ainsi, la mission Rivierez-Dacko a dû reprendre l’avion sans fouler le sol gabonais, les autorités gabonaises se déclarant dans « l’incapacité matérielle » de recevoir la délégation officiellement. Pour Léon M’ba, « Au moment où le Gabon, unanime, savoure la joie profonde d’accéder à la pleine autonomie grâce à la généreuse consultation du 28 septembre, lui demander de renoncer à cette promotion précieuse (…) est inopportun. (…) les ponctions considérables de ressources effectuées depuis plusieurs décades sur les revenus du Gabon ont partiellement servi à alimenter le budget du gouvernement général. Ce projet (…) tire aussi argument au profit des territoires voisins, notamment du Moyen-Congo (…) Comment oser parler de réduire l’effectif administratif lorsqu’il s’avère que toute l’Afrique centrale est sous-estimée. Le caractère théorique de la séduisante position de M. Boganda ne tient pas devant les faits832. »
Ainsi le Gabon ne veut pas payer pour les autres territoires, sa richesse doit être gardée au profit des Gabonais, mais surtout de l’élite. Jean Aubame déclare lui aussi : « Je ne pense pas qu’on puisse présentement organiser un État unitaire centrafricain. Cette formule politique appartient à l’avenir et je suis persuadé que les générations montantes la réaliseront… Je crois par contre à une fédération primaire des quatre États aéfiens limitée à la simple coordination des services communs. Le projet de M. Boganda est irréalisable parce qu’il nécessite une préparation préalable des esprits et parce que chaque territoire entend affirmer sa personnalité avant d’abandonner certaines parties de sa
831 Lettre du 31 juillet de Goumba à Boganda : Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition. 832 Journal de l’AEF p. 36, ibid, en cours d’édition.
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souveraineté. Je pense même que la hâte avec laquelle M. Boganda a présenté son projet d’État unitaire centrafricain lui a fait du tort833. »
Le constat est moins radical mais il ne laisse pas une chance de ralliement au projet par le Gabon. Au Congo-Brazzaville, la situation est très complexe. Le Sdece a identifié le lieu comme « la poudrière » de l’AEF, la solution et la consolidation de la situation politique doit être pour les services, sous la domination de Foccart, entre les mains de l’abbé Fulbert Youlou. Il n’est pas abusif à l’étude de récentes archives mises en réseau avec celles de Jean-Pierre Bat834, d’affirmer que l’abbé a été « une création politique » française de toute pièce. Ses actions ont nui à la mise en place démocratique de la nation congolaise, mais plus encore au développement des projets de certains leaders africains de la sousrégion avec la bénédiction du chef de file du RDA, Félix HouphouëtBoigny. Jean-Félix Tchicaya, chef de file hégémonique du RDA depuis 1946, est peu à peu éclipsé par l’abbé Youlou leader des populations Balali, Lari et Kongo qui se présente en 1956, sans succès, aux élections législatives contre Jacques Opangault, M’Bochi du Nord et leader socialiste. Candidat infortuné, la défaite de Youlou devient un tremplin politique : Claude Gérard et Antoine Hazoumé œuvrent pour façonner sous l’étiquette de l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA), le vainqueur des élections des municipales de 1956, législatives de 1957, en captant le vote des électeurs européens, un peu comme Boganda, et en effectuant un rapprochement avec le RDA. Youlou s’appuie également sur un réseau de petits colons autour de l’Union du Moyen-Congo inspirée de l’ILO, d’ailleurs Guérillot et Boganda, début avril 1956, se déplacent eux-mêmes à Brazzaville pour rencontrer Youlou afin de créer l’Intergroupe libéral du Moyen-Congo 835 bientôt dissout dans l’UDDIA. Une délégation du RDA composée de son secrétaire Ouezzin Coulibaly, Youssoupha Sylla, chargé de cabinet d’Houphouët-Boigny, et l’« artisan de l’ombre » Antoine Hazoumé, arrive à Brazzaville le 1 mai 1957. L’objectif est clair : évincer
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Journal de l’AEF p. 54, ibid, en cours d’édition. Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes- Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 71-115. 835 Ibid, p. 86. 834
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définitivement Tchicaya qui rompt avec le RDA le 19 février 1958 et rapprocher l’UDDIA du RDA. De fortes sommes d’argent sont mises à disposition pour mener à bien ces projets visant à faire de Youlou l’homme fort du Congo 836 . Désormais reste seul sur sa route : Opangault du MSA, vice-président du gouvernement. Après le OUI au référendum, il reste peu de temps à Youlou pour s’emparer du pouvoir avant la proclamation de la République du Congo. Jacques Opangault s’annonce favorable au projet de rejoindre l’Oubangui-Chari dans la grande République centrafricaine, ce qui fait trembler Youlou, Y. Bourges le Haut-Commissaire, J. Foccart et le général de Gaulle… les trois derniers faisant semblant d’être impartiaux837. Le vice-président du Conseil du gouvernement, Opangault déclare : « (…) je demande à tous les élus de comprendre où est leur devoir et de proclamer qu’ils ne représentent plus le Moyen-Congo mais une région de la République Unie centrafricaine. Président Boganda, effacez de la carte l’Oubangui-Chari comme nous effaçons le Moyen-Congo. Invitez le Tchad et le Gabon à nous suivre838 ! »
Plus tard, F. Youlou obtient l’investiture à la présidence du gouvernement légalement mais la tension sociale est très présente et dégénère en événements sanglants. Opangault est emprisonné puis relâché et « intégré » dans le gouvernement : Boganda a perdu son plus fidèle soutien à son projet de fédération. Youlou, à qui les agents du Sdece ont conseillé de garder pour son image politique sa « kiyunga » (soutane) en dépit d’une conduite privée loin des exigences de l’habit, devient l’anti-Boganda : « Croire qu’un dirigisme centralisateur à l’extrême, qu’une unification totale du gouvernement parviendra à ce but [unité de l’AEF] est une erreur et une illusion839. »
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SHD, 10T 168, Congo, UDDIA (1956-1960) note d’information de l’IGSS, Brazzaville les 7 et 27 aout 1957. 837 Yves Bourges rencontre sur ce dossier Houphouët-Boigny à Paris : CAOM GGAEF, 6B 779, télégramme du chef de territoire de Côte d’Ivoire à Bourges, Abidjan le 27 novembre 1958. 838 Pierre KALCK, Histoire de la République centrafricaine, Paris, Berger-Levrault, 1974, p. 300. 839 Fulbert YOULOU, Europe France d’outre-mer, décembre 1958, p. 62.
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Sans plus tarder les Assemblées du Congo et du Gabon proclament leur indépendance séparée. Le 30 novembre, est proclamée l’indépendance précipitée du Tchad. Boganda, pris de vitesse, décide de proclamer provisoirement l’indépendance de l’Oubangui-Chari le 1er décembre 1958. Cependant, Boganda ne se voit pas vaincu et loin de perdre son sang-froid, optimiste, il poursuit avec ses autres partenaires des négociations en vue de la réorganisation différée de cette unité. Le 16 décembre 1958, il rencontre à Paris d’autres leaders pour tenter malgré tout d’amorcer des négociations prévues pour les modalités de l’union. Au cours de cette réunion, Boganda se déclare prêt à sacrifier sa prééminence de leader de l’Union et de faire de l’Oubangui-Chari une simple province de la future fédération. Il démonte l’argument qu’exploitaient contre lui ses adversaires, de sa prétendue volonté de réduire au second rang les autres pays de l’union. Le 18 février 1959, peu de temps avant sa mort, il réaffirme à Bambari sa foi en les vertus salutaires de cette unité : « (…) Nous voulons rester nous-mêmes (…) D’une étendue de sable, Israël a fait un pays fertile et moderne. Cela est un miracle certes mais un miracle humain parce qu’il provient de la volonté d’un groupe d’hommes décidés et unis. Nous aussi nous avons foi en l’avenir de l’Afrique, c’est pourquoi nous sommes affairés à créer la République centrafricaine, le bastion de l’unité africaine. »
Sa mort le 29 mars 1959 range définitivement son projet dans les cartons, aussi bien politiquement qu’historiographiquement. Boganda a très bien analysé les responsables de l’échec de son projet : il les appelle « les traîtres840 ». Ces leaders qui ont dit « oui » au référendum et « non » à l’unité africaine : il dénonce leur « intérêt » personnel, agite leur particularisme tribal, leur peur de « ne pas être réélus s’ils lâchent leur mandat », leur trahison des « liens du sang » car leur mission était de sauvegarder le patrimoine africain en des ensembles forts et viables, ces « criminels » qu’il faut « enfermer », « inconscients » qu’il faut « éclairer ». Pour le leader centrafricain, il s’agit d’un « suicide » : le terme est fort mais il est
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Le 1er décembre 1958, Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition.
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prononcé et prémonitoire. Qui est visé par ces injonctions ? « Traitres à la famille africaine, ils seront également traîtres à l’alliance. Aussi aucune fédération ne sera possible avec eux », « Quant à ceux qui balkanisent l’AEF pour l’affaiblir et la jeter en pâture au néocolonialisme politique, l’Histoire les jugera sévèrement et nous les combattons comme nous avons combattu le défunt colonialisme administratif841 ». Il s’agit ici d’Houphouët-Boigny, Gabriel Lisette, Fulbert Youlou et Léon M’ba. Les trois derniers ont été des proches et fréquentés la classe de philosophie au grand séminaire de Yaoundé842. Boganda avait d’ailleurs sollicité l’aide de son ami Léon M’ba lors de son arrestation à Mbaïki en janvier 1951843. La plupart des membres du RDA qu’il a invités pour étudier la proposition de création d’un État centrafricain se sont « récusés soit sous des prétextes de dates, soit en faisant valoir qu’ils ne pouvaient prendre aucune décision avant la réunion du Comité de coordination 844 » auquel Boganda n’avait bien évidemment pas été convié. Comment pouvait-il en être autrement ? La lutte contre le RDA avait été si âpre que le projet de Boganda n’avait aucune chance de voir le jour, ni avec l’aide de ses sympathisants, ni avec Kwame Nkrumah, leader de l’Afrique anglophone qu’il rejetait, trop épris des valeurs françaises, ni avec Patrice Lumumba qu’il n’a pu rencontrer, ni avec les leaders camerounais de l’UPC trop « communistes » à ses yeux, et de surcroît au maquis ou exilés en Égypte ou au Ghana. Le projet était donc condamné à mourir avec lui, mais d’autres tenteraient d’émerger à leur tour.
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Relevé réalisé à partir des écrits de 1958, ibid., en cours d’édition. Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951 la lutte décisive, op. cit., p. 229. Lettre écrite et non remise au destinataire rédigée en 1949 qui révèle une proximité et un ascendant de Boganda sur Youlou « tâchez de me trouver à Brazzaville un représentant politique ». 843 Léon M’ba a été en effet le premier administrateur noir aéfien, il a commencé sa carrière avant 1939 comme responsable de la subdivision de Bambari où se trouvait aussi Boganda. ibid., p. 294. 844 Un comité de coordination du RDA devait se tenir le 27 novembre 1958 à Brazzaville mais cette réunion fut ajournée à l’initiative d’Houphouët-Boigny et Y. Bourges le Haut-Commissaire. 842
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C - D’Accra (décembre 1958) à Léopoldville (août 1960), le panafricanisme à l’épreuve de la crise congolaise En une « saison au Congo 845 », pour citer Aimé Césaire, le panafricanisme militant a été mis à rude épreuve. La conférence des peuples africains ouverte à Accra le 5 décembre 1958, qui fut l’un des lieux privilégiés de son expression, est vue comme un événement matriciel de la solidarité africaine et se déroule à un moment-clé d’accélération de l’Histoire. Ainsi, le fonctionnement des réseaux transnationaux du panafricanisme s’est, à cette époque, très largement dynamisé, connecté. L’indépendance du Ghana en 1957, conduite par Kwame Nkrumah, a réactivé le processus d’unification africaine, tout comme les libérations successives de l’Égypte, du Maroc et de la Tunisie, tandis que la Conférence de Bandœng avait souligné la solidarité ente l’Asie et l’Afrique. La création de l’Union GuinéeGhana dès novembre 1958, suite à l’indépendance de la Guinée en septembre, a été l’une des décisions fortes et démonstratives du moment. Cette conférence inaugure le basculement du centre du panafricanisme en Afrique, au Ghana et plus précisément à Accra. Le choix des lieux de rassemblement du panafricanisme a toujours obéi à des tactiques et des stratégies précises : il s’agissait de porter le message panafricain au cœur de l’Afrique et des pays de l’Afrique subsaharienne fraîchement décolonisés. Cette rencontre a été un lieu de conciliation entre les différentes tendances du panafricanisme. Le débat fondateur entre pan-négrisme et panarabisme, qui avaient opposé Marcus Garvey et William Edouard Burghardt Du Bois (débat basé sur le choix de s’en tenir à la stricte cause des Noirs en Afrique ou au contraire élargir l’horizon avec les diasporas, pour saisir les dynamiques réelles structurant notre monde, et du même coup dégager, par-delà les continents et les couleurs, des solidarités transversales) est ici temporairement dépassé ou mis sous silence. George Padmore et Kwame Nkrumah, organisateurs de la rencontre, militants actifs et expérimentés, avaient forgé leurs matrices idéologiques du panafricanisme. Accra II devait être un lieu de mise en pédagogie de leurs visions. En fin stratèges, ils
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Aimé CÉSAIRE, Une saison au Congo, Paris, Seuil, 1973, 134 p.
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ont donné à cette rencontre une tactique politique alliant les appels au cœur, aux sentiments et les sollicitations du bon sens, de la raison. Pour Elikia M’Bokolo, leur pensée se présente comme une coquille d’escargot, tandis que leur action ressemble à une pratique habile de dévoilement846. À Accra, tout le monde s’est à peu près accordé sur le registre sentimental et le consensus a été trouvé sur trois grandes idées : la liberté et l’indépendance de l’Afrique, l’unification de l’Afrique, la nécessité d’assurer une présence africaine dans les relations internationales. En revanche sur le plan politique : le programme, le contenu, les modalités, voire le calendrier même de l’unité, les désaccords étaient encore nombreux. L’un des points d’achoppement reposait sur la mise à distance du communisme. George Padmore avait affiché sa rupture dès 1956, « Aucun africain qui se respecte ne désire troquer ces maîtres britanniques contre des maîtres russes. Les Africains ne prêtent l’oreille à la propagande communiste que lorsqu’ils ont le sentiment d’être trahis ou frustrés847… »
Padmore supporte mal les attaques répétées des communistes contre les dirigeants des mouvements nationalistes, accusés d’être les représentants du « nationalisme réactionnaire petit-bourgeois ». Son opinion contraste avec celle de Kwame Nkrumah, marxiste avoué, toutefois ils se retrouvent sur le rôle des leaders dans les processus révolutionnaires car pour eux, « tous les changements politiques et sociaux ont été réalisés sous quelque symbole unificateur, une personnalisation du mouvement848 ». Les autres points de compromis ont été les suivants : le refus formel d’avoir recours à l’usage de la force militaire pour libérer le continent et reconstruire l’unité, et enfin sur la formation d’une structure militaire panafricaine de défense et de renseignement indépendante. 846
Elikia M’BOKOLO, George Padmore, Kwame Nkrumah, Cyril L. James et l’idéologie de la lutte panafricaine, téléchargeable sur http://www.codesria.org/IMG/pdf/M’Bokolo.pdf consulté le 9 mai 2012. 847 George PADMORE, Pan-africanism or communism ? The coming struggle for Africa, Londres, Dobson, 1956, p. 350-351. 848 Comme le précise Nkrumah dans sa lettre du 6 décembre 1968 à James et Grace Bogg dans June MILNE (dir), Kwame Nkrumah, the Conakry years – his life and letters, Londres, Panaf, 1990 p. 270.
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Lieu d’interface entre les pays de l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord, la conférence d’Accra met en contact des leaders en devenir comme Patrice Lumumba, Félix Moumié, avec des personnalités plus confirmées dans des fonctions politiques reconnues comme Kwame Nkrumah ou Frantz Fanon. De ces rencontres, naissent des prises de conscience, des promesses, des amitiés à l’origine d’une nouvelle vague d’accélération de l’Histoire des indépendances en Afrique. L’histoire des relations entre les leaders africains reste d’ailleurs largement à écrire, tantôt édulcorée, tantôt sacralisée ou ignorée, elle doit devenir aujourd’hui un objet d’Histoire. Par le prisme du parcours politique des hommes mentionnés, il s’agit d’étudier de quelle manière la vision idéelle du panafricanisme développée à Accra s’est heurtée à la « Realpolitik » lors de la crise congolaise. 1) Patrice Lumumba à Accra : tremplin et éveil politique au contact de Kwame Nkrumah et Franz Fanon « Le Ghana est un grand pays, cher à tous les cœurs des Africains. Et je n’oublierai jamais pour ma part que c’est au Ghana – au Ghana et par Nkrumah - que l’oiseau africain aux ailes rognées par le colonialisme secoua d’abord l’abâtardissement et, s’élançant sans crainte ni vertige au devant du soleil, se sentit autre chose qu’un faucon niais. » - Acte II- Scène 10849 Au moment où Patrice Lumumba répond présent à la conférence d’Accra, son leadership n’est pas encore bien assis et il n’est quasiment jamais sorti de son pays, à part pour aller en Belgique comme son statut « d’évolué » lui permettait. Alors qu’il se positionne lui-même comme le rival « montant » de Kasa-Vubu, chef de l’Association des Bakongo pour l’unification, la conservation et l’expansion de la langue kikongo (Abako) non présent 850 à la conférence, il est pourtant perçu à son arrivée comme un de ses jeunes « lieutenants ». D’ailleurs, Kasa-Vubu est le seul leader connu par 849
Aimé CÉSAIRE, Une saison au Congo, op. cit., p.85. Sur les différentes raisons pour expliquer l’absence de Kasa-Vubu, voir Jean OMASOMBO et Benoît VERHAEGEN, Patrice Lumumba, acteur politique – juillet 1956-février 1960, op. cit., p. 169. 850
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George Padmore qui au sein du gouvernement ghanéen apporte une aide financière à l’Abako851 depuis quelques mois. Patrice Lumumba est accompagné de deux autres leaders du MNC, Gaston Diomi et Joseph Ngalula, tous trois autorisés par le gouverneur général H. Cornelis à participer à la conférence « en simples observateurs ». Le gouvernement belge affiche ainsi sa volonté de doper les chances du MNC qui paraissait à ses yeux, plus ouvert et plus modéré que l’Abako852. Dérogeant à la consigne de Cornelis, les trois Congolais vont, d’un commun accord, rédiger un discours que le plus brillant orateur des trois, Patrice Lumumba, prononce le 11 décembre. Après une courte présentation du MNC, il rappelle une motion adressée par son parti au gouvernement belge : « Le Congo ne peut plus être considéré comme une colonie ni d’exploitation, ni de peuplement. Son accession à l’indépendance est la condition sine qua none de la paix ». Il précise que la « lutte pour la libération nationale doit se faire dans le calme et la dignité » et que le MNC « s’oppose de toutes ses forces à la balkanisation du territoire national sous quelque prétexte que ce soit853 ». Son passage au Ghana assoit son engagement politique : pour lui, une solidarité et une unité africaine sont possibles comme son discours l’évoque : « la conscience politique qui (…) était latente, se manifeste, s’extériorise et s’affirmera davantage, dans les mois à venir », « malgré les frontières, qui nous séparent, malgré nos différences ethniques, nous avons la même conscience, la même âme (…) les mêmes soucis de faire de ce continent africain un continent libre… », ainsi il faut combattre tout ce qui peut nuire « à l’unification de l’Afrique 854 ». Les moments plus calmes de la conférence lui ont permis d’échanger avec d’autres participants malgré sa méconnaissance de l’anglais 855 . D’après le témoignage de 851
Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba-conflict in the Congo, op. cit., 1972, p. 49. 852 Jean OMASOMBO et Benoît VERHAEGEN, Patrice Lumumba, acteur politique – juillet 1956-février 1960,,op. cit., p. 170. 853 Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, Paris, Présence Africaine, 1963, pp. 11-12. 854 Jean VAN LIERDE, loc. cit. 855 Selon Thomas Kanza, un américain parlant très bien le français, s’est proposé pour être son interprète. Nkrumah a découvert plus tard qu’il s’agissait d’un agent de la CIA.
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l’ambassadeur de Belgique au Ghana, M. Walravens, et le rapport de sûreté coloniale belge 856 , Lumumba échange surtout avec Roberto Holden857, Agreey qui a travaillé à Stanleyville en tant qu’employé de la Shell, Franz Fanon, Félix Moumié, Tom Mboya avec lequel il communique en swahili, les délégués du FLN d’Angola, les délégations chinoise et soviétique et enfin le président Nkrumah. Certaines de ses conversations sont tenues à l’écart de ses deux collègues et lui permettent une plus grande liberté de propos. L’homme qui rentre au Congo le 19 décembre n’est plus le même. D’outsider, il s’impose désormais en leader après sa nomination comme représentant congolais au comité directeur de la conférence constitué de quinze membres858. Le comité directeur du MNC décide d’exploiter la participation à Accra, en organisant à Léopoldville le premier meeting public d’un parti politique congolais qui a rassemblé des milliers de personnes. Le message délivré par Lumumba pour le MNC s’est clairement radicalisé et le programme est régénéré grâce aux idées échangées à Accra 859 . Cette conférence a été pragmatiquement très utile à Lumumba dans le cadre de sa reconnaissance politique et dans son projet national d’indépendance. Nkrumah a été très impressionné par l’énergie et le charisme de Patrice Lumumba. Ils gardent des contacts réguliers, le leader congolais a fait plusieurs fois appel à l’expérience de Kwame Nkrumah par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères en demandant son avis éclairé concernant ses projets de poursuite de la lutte, son expérience étant très importante à ses yeux 860 . Il a demandé aussi des copies de ses discours pour les publier dans le journal congolais Indépendance. Nkrumah fait figure de précurseur,
Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba-conflict in the Congo, op. cit., p. 50. 856 Rapport de la sûreté coloniale « La conférence des peuples d’Afrique à Accra » non daté. Archives de Tervuren, dossier AI 4733 CEAF. 857 Robert Holden se fait aussi appelé « Gimor » qui devient aussi « Gilmore » dans les différentes sources étudiées. 858 Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba-conflict in the Congo, op. cit., p. 50. 859 Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, op. cit., p. 13-21. 860 Kwame NKRUMAH, Challenge of the Congo a case study of foreign pressures in an independent state, Londres, Panaf, 1967, p. 17.
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de « grand frère » des pays d’Afrique subsaharienne décolonisés ou en voie de décolonisation et la tenue des deux conférences (avril et décembre) a assuré une légitimité régionale et internationale à la jeune République ghanéenne. Il a transformé le panafricanisme en projet politique et l’a déployé à travers un ensemble d’actions concrètes ayant pour objectifs : la révolution pour prendre le pouvoir, l’union politique, seule arme pour lutter contre la balkanisation « principal instrument du néo-colonialisme861 » et la promotion de la personnalité africaine 862 (retrouver les racines identitaires et culturelles de l’Afrique et occuper une place sur la scène internationale). À Accra I et II, Kwame Nkrumah a prouvé sa capacité à mobiliser, faire rêver mais aussi à proposer des solutions. Très tôt le Congo a retenu son attention, comme une pièce maîtresse de son projet d’unité pour des raisons économiques et géopolitiques : « Le Congo, pour des raisons historiques et géographiques est plus vulnérable que la plupart des pays d’Afrique. Les vastes ressources économiques et l’avidité insatiable des impérialistes en sont la cause. Ainsi, le Congo est un terrain fertile pour les manœuvres de la guerre froide et les guerres plus limitées863 ».
En effet, le Congo est placé au cœur même de l’Afrique, au cœur des pays de l’ancienne Afrique-Équatoriale française comme le Congo-Brazzaville, et des anciennes possessions britanniques comme l’Ouganda, le Tanganyika et la Rhodésie du Sud. La situation exceptionnelle de ce pays peut en faire une « tête de pont » du panafricanisme. Il est aussi le plus important de tous les pays africains de langue française. La Belgique y a aménagé deux bases stratégiques modernes : celle de Kamina au Katanga et celle de Kitona dans le Bas-Congo864. La province du Katanga forme la partie sud-est de l’ex-
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Kwame NKRUMAH, L’Afrique doit s’unir, Présence Africaine, Paris, p. 159. « For too long in our History Africa has spoken through the voices of others. Now, what I have called an african personnality in through the voices of Africa’s own sons », Kwame NKRUMAH, I speak of freedom, Londres, Heinemann, 1961, p. 125. 863 Kwame NKRUMAH, Challenge of the Congo a case study of foreign pressures in an independent state, op. cit., p. XVI (introduction) 864 Notice éditée par l’Office de l’information et des relations publiques pour le Congo belge et le Royaume-Uni, 1959, t. II, p. 18. 862
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Congo belge et elle représente 42 % du revenu national congolais et des rentrées de l’État. Chaque année 300 000 tonnes de cuivre sont produites, mais sont extraits également de l’or, de l’étain, du cobalt, du zinc, de l’argent, du cadmium, du platine, du manganèse, du charbon et des diamants. L’Union minière du Haut-Katanga (UMHK), troisième producteur mondial de minerais derrière deux sociétés américaines, affiche un bénéfice net en 1957, de plus 3 500 000 000 de francs belges 865 . L’UMHK exerce également un contrôle sur de nombreuses sociétés comme la Sogefor ou la Géomines 866 (Compagnie Géologique et Minière des Ingénieurs et Industriels Belges). Pour tous ces atouts, le projet panafricain du leader ghanéen ne peut faire l’économie, dans tous les sens du terme, du Congo. Frantz Fanon représente à Accra le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GRPA) à un moment où le front diplomatique devient important car la situation militaire en Algérie se détériore. La proposition de référendum du président Charles de Gaulle aux pays de l’AOF et AEF sur la Communauté française inquiète les Algériens en lutte. Fanon est choisi pour sa connaissance de l’Afrique, même si elle est lacunaire, pour ses relations nouées au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France et pour ses talents de plume qu’il met au service du journal d’information El Moujahid. Dès février 1958, Fanon était devenu le représentant permanent du GRPA à Accra, le gouvernement ghanéen lui accordant une lisibilité politique à un moment où celui-ci voyageait avec un passeport libyen, toujours dépendant de visas de tourisme pour voyager. Des locaux pour sa délégation furent mis à sa disposition et les dépenses étaient payées par le jeune gouvernement ghanéen867. Accompagné d’Ahmed Boumendjel et Chawki Mostefai lors de la conférence, sa mission était de faire connaître l’Algérie combattante, de montrer la lutte algérienne comme exemplaire et déterminante dans le combat contre le colonialisme et de s’assurer de la solidarité des pays africains. Pour lui « chaque Africain doit se sentir engagé
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Pierre DAVISTER, Katanga, enjeu du monde, Bruxelles, Europe-Afrique, 1960, p. 12. 866 Jules GÉRARD-LIBOIS, Benoît VERHAEGEN, Congo 1960, op. cit., p. 280. 867 Comme le précise Kwame Nkrumah dans sa lettre du 21 août 1967 à son exécutrice littéraire June Milne, dans June MILNE (dir), Kwame Nkrumah, the Conakry years – his life and letters, op. cit., p. 174.
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concrètement, et doit pouvoir répondre à l’appel de tel ou tel territoire », « Un Algérien n’est vraiment un Algérien que s’il ressent au plus profond de lui-même le drame inqualifiable qui se déroule dans les Rhodésie ou en Angola868. » Sur ce terrain, ses compagnons de délégation ne le suivent pas réellement, doutant déjà de la solidarité maghrébine. Fin décembre, il rédige un article dans lequel il insiste, non sans fierté, sur ce que représente l’Algérie à Accra : « Chaque délégué algérien fut reçu comme celui qui est en train d’expulser de la chair du colonisé la peur, le tremblement, le complexe d’infériorité869. »
Il est frappé par : « L’existence au niveau le plus spontané d’une solidarité organique, biologique, même. Mais au-dessus de cette sorte de communion affective, il y avait bel et bien le souci d’affirmer une identité d’objectifs et aussi la volonté d’utiliser tous les moyens existants pour expulser le colonialisme du continent africain ».
Le style de Fanon est ici reconnaissable : viscéral, corporel, les idées chevillées au corps. Pour lui, les deux aspects les plus débattus ont été celui de la nonviolence et de la collaboration avec l’ex-nation dominatrice. Une décolonisation accordée doit susciter la méfiance car « nulle nation colonialiste n’accepte de se retirer sans que toutes ses possibilités de maintien n’aient été épuisées870 ». Pour Fanon, le recours à la force comme moyen d’émancipation des peuples asservis est une réponse nécessaire à la violence initiale exercée par les colonisateurs. La violence spontanée doit ensuite se muer en praxis organisée871. Dans certains mouvements comme au Kenya, en Algérie ou en Afrique du Sud, l’unanimité s’est faite autour de la lutte armée qui doit provoquer 868
El Moudjahid, 24 décembre 1958, n° 34, cité dans Franz FANON, Œuvres – Pour la Révolution africaine, Paris, La Découverte, 2011, p. 833. 869 Ibid., p. 833. 870 El Moudjahid, 24 décembre 1958, n° 34 cité dans Franz FANON, Œuvres – Pour la Révolution africaine, op. cit., p. 837. 871 Franz FANON, Œuvres, Paris, La Découverte, 2011, p. 489.
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la défaite de la nation occupante mais ce n’est pas l’option majoritaire à Accra. Il évoque dans ses écrits le projet d’une légion africaine, dont le principe est adopté à Accra, c’est-à-dire la création d’un corps de volontaires, prêts à intervenir directement au premier appel de leurs organismes dirigeants. Au Ghana, des centaines d’hommes « ont fait le serment de se porter au secours de leurs frères algériens ou sudafricains dès que ceux-ci en manifesteront le désir872. » Fanon se plaît à Accra, il rencontre de jeunes leaders politiques africains pour la première fois avec lesquels ils nouent des relations diplomatiques et amicales : Tom Mboya, secrétaire syndical et leader du mouvement d’indépendance du Kenya, Robert Holden pour l’Angola, Félix Moumié, l’un des leaders de l’Union des populations camerounaises qui avait particulièrement retenu son attention 873 et Patrice Lumumba l’un des représentants du Mouvement national congolais. Accra II a été donc le lieu de conciliation des visions panafricanistes et nationales des pays indépendants et en voie d’indépendance, un lieu de rencontre entre personnalités portant toutes à leur façon des projets. L’examen de la trajectoire des trois hommes évoqués, Kwame Nkrumah, Franz Fanon et Patrice Lumumba, révèle leurs différences, leur diversité en matière d’idéologies et d’expériences politiques. La crise congolaise allait être l’un des premiers travaux pratiques des résolutions théoriques prises à Accra. 2) « L’indépendance est une chose, la pagaye en est une autre. Nous sommes en pleine pagaye, monsieur Lumumba » Ghana Acte II- Scène 10874 En 1966, Aimé Césaire constate l’incapacité des leaders africains à mettre en pratique les résolutions prises à Accra : « On pouvait déjà en conclure que cette unité-là durerait aussi longtemps que l’ennemi commun serait agressif et menaçant et pas plus. Au fur et à 872
El Moudjahid, 24 décembre 1958, n° 34 cité dans Franz Fanon, Œuvres – Pour la Révolution africaine, op. cit., p. 838. 873 Franz Fanon évoque le Docteur Félix Moumié à la tête des représentants du Cameroun comme ayant été chaleureusement applaudi au cours d’une session de l’ONU. 874 Aimé Césaire, Une saison au Congo, op. cit., p. 85.
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mesure que les indépendances se sont multipliées, que le colonialisme direct a reculé, ce genre d’unité devait lui aussi reculer et a effectivement reculé875. »
La juvénilité des États africains décolonisés, leur dénuement financier et le manque d’élites formées et aguerries aux rapports de force politique très pernicieux de la bipolarisation sont autant de handicaps à ne pas négliger. Pour certains historiens, qui ont considéré cet aspect, et ils sont rares, les relations décevantes entre le Premier ministre congolais (Patrice Lumumba) et les leaders africains sont à l’origine « du mirage panafricain876 ». Mettons ce constat à l’épreuve. Entre 1958 et 1960, tout s’est accéléré au Congo. Dès le 13 janvier 1959, le gouvernement belge amorce le processus d’indépendance en proposant une série d’élections. Patrice Lumumba est emprisonné après les émeutes de Stanleyville en octobre 1959. Les raisons qui poussent le gouvernement belge à précipiter l’indépendance du Congo peuvent s’expliquer par la peur « d’une guerre d’Algérie belge » et par la volonté d’acculer les leaders congolais à des responsabilités pour lesquelles ils sont à peine formés. Lumumba est libéré au cours de la Table Ronde en janvier 1960, le MNC s’impose comme le parti majoritaire aux élections législatives d’avril-mai 1960. Cependant, le paradoxe congolais est déjà né, c’est-à-dire ce conflit entre la légitimité du « nationalisme tribal » incarnée par l’Abako et son leader Kasa-Vubu et d’autre part, la légitimité de l’État central hérité de la colonisation mais dont la succession est revendiquée par un parti et un leader concurrent877. À cela, s’ajoutent les velléités sécessionnistes de la région du Katanga, province globalement hostile à Lumumba. Celui-ci réussit à constituer un gouvernement le 23 juin : Lumumba accepte de laisser la présidence à Kasa-Vubu878 et prononce contre toute attente, un discours sans frilosité, resté dans les mémoires lors
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Yves BENOT, Idéologies des indépendances africaines au XXe siècle, Paris, Maspero, 1969, p. 146-147. 876 Jean-Claude WILLAME, Patrice Lumumba – la crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990, p. 343. 877 Célestin KABUYA, Tribalisme et idéologies zaïroises, Louvain-la-Neuve, Cabay, 1986, p. 13. 878 « J’espère que je n’aurai pas à la regretter » aurait-il déclaré à ceux qui lui conseillaient d’accepter cette concession. Entretien réalisé avec Maryse Hockers le 11 avril 2011.
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des cérémonies d’indépendance le 30 juin 1960 879 . Cette occasion permet de mesurer le chemin parcouru par l’homme hier, dit « évolué », et aujourd’hui à la tête, bicéphale certes, d’un des plus riches pays d’Afrique. Il faut dire que Patrice Lumumba a largement exploité l’aura et la notoriété que lui a conféré la rencontre d’Accra. Ainsi à Ibadan, au Nigeria du 16 au 23 mars 1959, pour un séminaire consacré au gouvernement représentatif et au progrès national en Afrique, il prononce un discours encore bienveillant vis-à-vis des Européens : « Dans la lutte que nous menons pacifiquement aujourd’hui pour la conquête de notre indépendance, nous n’entendons pas chasser les Européens de ce continent, ni nous accaparer leurs biens ou les brimer »880 tout en rappelant « la solidarité africaine (…) pour former un bloc pour prouver au monde notre fraternité ». Son passage à Conakry en Guinée à la conférence panafricaine du 15 au 17 avril 1959 lui permet d’étudier l’organisation politique et administrative du pays, le fonctionnement du Bureau politique national, de l’Assemblée nationale et de divers ministères de la jeune république et de réactiver ses relations notamment avec le leader ghanéen. Les relations entre Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah se complexifient à mesure qu’elles se tissent. Certains des projets panafricains qu’ils ont en commun se réalisent en dépit d’un contexte politique interne et externe peu favorable. Leurs échanges épistolaires restent denses jusqu’à l’isolement politique de Lumumba. La conduite des forces ghanéennes sous le commandement de l’ONU a été l’une des raisons majeures de l’effritement des relations entre les deux hommes. Cette difficulté a été renforcée par l’ambivalence de la diplomatie ghanéenne 881 : d’un côté les militaires ghanéens, conduits par le général anglais Alexander, dont Patrice Lumumba n’apprécie guère le commerce avec l’ambassadeur américain Timberlake. Une politique qui s’oppose à celle des civils ghanéens présents sur le terrain, depuis les cérémonies de l’indépendance, parmi lesquels se trouve Andrew
879
Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, op. cit., p. 197202. 880 Extrait du rapport de la sûreté coloniale, op. cit. 881 Kwame NKRUMAH, Challenge of the Congo a case study of foreign pressures in an independent state, op. cit.,, p. 39. Ambivalence évoquée entre Alexander et Djin à cette page pour la première fois par Nkrumah.
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Djin, nommé ambassadeur et proche de Lumumba, qu’il aide dans l’évaluation des besoins et l’équipement d’une radio pour faciliter les relations avec Accra 882 . L’occasion pour lui de constater de visu l’importance inacceptable de l’implication belge au Congo après le 30 juin 1960. Cette ambivalence persiste durant une grande partie de la crise congolaise. Dès les premiers troubles au Congo (la mutinerie de la Force publique et la sécession du Katanga) Kwame Nkrumah, en raison de sa relation amicale et diplomatique avec le leader congolais, décide de faire, selon ses propres mots « tout ce qui était possible de faire pour résoudre les difficultés du pays ». Dans une lettre du 13 juillet, il écrit : « Je souhaite vivement vous aider quoi qu’il arrive, jusqu’à vous envoyez un bataillon de ma propre armée en tant que membre de l’ONU, si vous pensez que c’est nécessaire883. » Dès le 15 juillet, le secrétaire des Nations unies Dag Hammarskjöld, fait envoyer des troupes au Congo à la demande du Premier ministre congolais, composées d’Irlandais, de Suédois et de Ghanéens. Le 20 juillet, Nkrumah lui écrit pour l’informer de son intervention auprès de KasaVubu, l’incitant à modérer les sollicitations d’aide militaire extérieure. Il ajoute qu’à sa demande appuyée, Patrice Lumumba a retiré son ultimatum d’appel à la Russie884. Le leader ghanéen joue la carte de l’ONU en préservant la situation au Congo. Le 4 août, dans une lettre écrite à Moïse Tshombe en pleine sécession katangaise, Nkrumah ne mâche pas ses mots : « Dans l’intérêt de l’unité et de la solidarité africaines, dans l’intérêt de la paix et de la sécurité au Congo et au Katanga en particulier, je vous incite à laisser entrer les troupes de l’ONU sans heurt. Je suis prêt à user de toute mon influence pour que les troupes ghanéennes forment la plus grande part du contingent et vous pouvez compter sur eux pour maintenir l’ordre ».
882
Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba-conflict in the Congo, op. cit., p. 209. 883 Kwame NKRUMAH, Challenge of the Congo a case study of foreign pressures in an independent state, op. cit.,, p. 17. 884 Si le 19 juillet les troupes belges n’étaient pas parties du Katanga.
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La réponse de Tshombe est sans appel : « Le Katanga souhaite ardemment la solidarité africaine dans une fédération d’états souverains à l’intérieur des États-Unis du Congo (…) Le Katanga rejette toute intrusion de toute idéologie étrangère885. »
Voici la réponse de Nkrumah : « Nous croyons que le Katanga est partie prenante du Congo dont l’ONU et nous-mêmes avons reconnu l’indépendance. Le gouvernement du Ghana dans l’intérêt de la solidarité africaine ne peut pas reconnaître l’établissement d’un soi-disant État du Katanga dans la République du Congo. (…) Je ne comprends pas ce que vous sous-entendez quand vous parler d’idéologie étrangère, nous ne connaissons qu’une idéologie, l’idéologie africaine. »
Dans un autre échange, il réaffirme son soutien au gouvernement de Lumumba légitimement élu. Le 12 août, Nkrumah lui adresse un dernier message très virulent : « Votre nom est maintenant lié ouvertement aux exploiteurs et aux oppresseurs étrangers de votre pays. Vos soutiens sont composés des avocats de l’impérialisme et du colonialisme et de la plupart des opposants à la liberté africaine. Comment pouvez-vous en tant qu’Africain, agir ainsi ? »
Kwame Nkrumah a donc été extrêmement fidèle à Patrice Lumumba selon les principes d’entraide et d’évitement de la balkanisation de l’Afrique posés à Accra. Dans un discours devant l’Assemblée nationale ghanéenne, le 8 août 1960, suite aux atermoiements de l’ONU et à l’entêtement de Tshombe, le Premier ministre prévient pour la première fois que si « les Nations unies sont incapables de faire appliquer la résolution du Conseil de sécurité, le Ghana coopérera avec les forces militaires d’autres états africains indépendants pour bouter les agresseurs belges hors du sol africain886 ». Le projet de Légion africaine, né à Accra, est réactivé pour résoudre la crise au Congo. De retour des États-Unis, Lumumba, présent au Ghana, signe à cette occasion avec Nkrumah 885 886
Ibid., p. 25-26, Tshombe fait allusion au communisme. Proposition votée à large majorité.
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deux documents de grande importance, réaffirmant leur détermination à travailler dans l’association la plus efficace possible à l’établissement de l’union des états africains. Le premier réaffirme l’accord entre les deux Gouvernements si l’ONU échoue à créer un haut-commandement intégré des forces militaires (Combined High Command of military forces) pour favoriser un retrait rapide des troupes étrangères au Congo, tout soutien de nations prêtes à les assister dans la réalisation de leurs objectifs étant bienvenu. Ils signent également un accord resté quelque temps secret, sur le modèle de l’accord entre la Guinée et le Ghana, prévoyant un gouvernement fédéral, une constitution républicaine, une union douanière et la création d’une capitale fédérale à Léopoldville. Conforme à la pensée élaborée à Accra II, cet embryon fédéral doit générer une construction de plus grande envergure. Cependant, les opérations conduites par l’ONU avancent très lentement. Dans ses nombreux déplacements à l’étranger et notamment aux États-Unis, Patrice Lumumba cherche à faire accélérer les choses et à s’assurer de soutiens militaires et financiers… La jeune République est exsangue, le gouvernement dans un dénuement matériel total 887 . La situation bascule à la mi-août : l’entrée des troupes de l’ONU au Katanga sous fortes conditions posées par Tshombe ulcère Lumumba et crée une tension très forte avec le secrétaire des Nations unies. Dans ses lettres du 19 août et du 22 août, Kwame Nkrumah supplie son ami d’être patient et de continuer à coopérer avec l’ONU et avec Kasa-Vubu, aussi longtemps que possible car le leader ghanéen souhaite maintenir des relations diplomatiques harmonieuses avec le secrétaire général de l’ONU. La Conférence de Léopoldville, devenue la Rencontre des ministres des Affaires étrangères sous la pression du Soudan, s’ouvre le 25 août dans un contexte très troublé et tendu888. Pour Nkrumah, cette conférence n’a pas atteint son objectif mais elle a réaffirmé clairement le besoin d’unité dans la défense de la liberté en Afrique. Elle a surtout permis aux participants de faire « un retour » dans leurs gouvernements respectifs sur la situation à Léopoldville. Ils ont, pour la plupart, expliqué qu’une crise constitutionnelle d’envergure était éminente, et due à la querelle entre Lumumba et 887 888
Entretien réalisé avec Maryse Hockers le 11 avril 2011. Voir infra.
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Kasa-Vubu889. Pour Thomas Kanza, elle a permis de faire émerger les divergences d’opinion entre les Africains sur la crise congolaise, divergences liées aux intérêts extérieurs et aux engagements de chaque État. « Certains d’entre eux comme par exemple le Libéria, le Maroc, la Tunisie et l’Éthiopie ont été impressionnés par l’instabilité latente du gouvernement de Lumumba. (…) Les délégués de ces pays nous laissèrent comprendre que leurs présidents ou rois avaient plus de maturité politique et d’expérience d’hommes d’État qu’ils n’en avaient jamais trouvé parmi les leaders congolais à Léopoldville 890 ». Thomas Kanza révèle aussi que le discours de clôture a été largement applaudi mais qu’une certaine gêne prévalait dans les coulisses, certaines délégations ayant suggéré que Lumumba donne à Kasa-Vubu l’honneur de clôturer la conférence, ce que le Premier ministre a refusé. Le président les a reçu en audience le lendemain, ils ont eu ainsi le loisir de constater que ses idées étaient bien différentes de celles de Lumumba. Cependant, ni la révocation de Lumumba le 5 septembre par le président Kasa-Vubu, ni l’action des troupes ghanéennes sous le commandement de l’ONU lui interdisant l’accès à la radio le 11 septembre n’entraînent la rupture de relations avec le président du Ghana. C’est un miracle et une preuve de l’amitié et de la confiance entre les deux hommes. Patrice Lumumba écrit à son ami Nkrumah pourtant des mots durs : « Je m’empresse de t’exprimer mon indignation au regard de l’attitude agressive et hostile des soldats ghanéens envers moi et mon gouvernement. (…) À cet incident il faut rajouter la déclaration hostile du général Alexander de votre armée contre le gouvernement de la République. (…) Tous ces actes commis par vos soldats sont bien loin de prouver l’amitié que je souhaite pour ma part maintenir avec vous et votre peuple. Dans ces circonstances, je me sens obligé de renoncer à l’aide de vos troupes dans la mesure où elles sont en état de guerre contre notre République. Au lieu de nous aider dans nos difficultés vos soldats se sont rangés au côté de l’ennemi pour nous combattre. Avec mon profond regret, ton ami891. »
889
Kwame NKRUMAH, Challenge of the Congo a case study of foreign pressures in an independent state, op. cit., p. 34. 890 Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba-conflict in the Congo, op. cit., p. 279. 891 Archives CEAF VII BV RDC LUMUMBA N01302.
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Nkrumah reconnaît plus tard que le contrôle sur ses soldats lui a échappé et l’a placé dans une situation embarrassante. Il a ordonné d’ailleurs, par l’intermédiaire de Djinn, le retrait des Ghanéens placés à la station de radio. Dans une lettre du 12 septembre, il dresse un constat accablant pour Patrice Lumumba qu’il perçoit comme cerné par les problèmes, lui demande de le laisser gérer les relations avec l’ONU et à charge pour lui de restaurer la paix à l’intérieur du Congo. Suit une longue liste de propositions politiques, il conclut : « Patrice je surveille la situation au Congo de très près. Si tu échoues, tu ne pourras que t’en prendre à toi et ce sera dû à ton absence de volonté à faire face aux réalités, comme les Allemands le disent, à la « Realpolitik ». Ton échec serait un grand coup d’arrêt au mouvement de libération africain et tu ne peux pas échouer (…) tu dois adopter une attitude tactique. Souviens-toi que les forces rangées contre toi sont légion892… »
Le concept de Realpolitik est ici employé pour la première fois par Kwame Nkrumah dans sa correspondance avec le Congolais : le ton plus vif, plus paternaliste, plus « ingérent » suffit à montrer que les temps ont changé. Mi-octobre NKrumah a perdu ses illusions sur l’ONU avec le retrait d’une partie des troupes ghanéennes de Léopoldville laissant « un Premier ministre légitime prisonnier dans sa maison et les forces de l’ONU invitées par lui au Congo, qui autorisent ses ennemis à opérer ouvertement contre lui893. » En dépit d’une intense activité diplomatique, Nkrumah se révèle impuissant à sauver Lumumba : le coup d’état militaire de Mobutu fin septembre 1960 rend leurs contacts plus difficiles. Maryse Hockers a bien tenté via le Ghana de faire passer des papiers prouvant que la révocation de Lumumba n’était pas légale 894 , sans succès. Le 7 octobre, le gouvernement ghanéen a reçu un télégramme stipulant que les personnes de la délégation ghanéenne composée de Messieurs Djin, Botsio et Welbeck étaient personae non grata sur le territoire congolais. Entre fin septembre et décembre, le Ghana tente de nombreuses médiations sous des formes diverses : une réconciliation 892
Kwame NKRUMAH, Challenge of the Congo a case study of foreign pressures in an independent state, op. cit., p. 46-47. 893 Ibid., p. 83. 894 Entretien réalisé avec Maryse Hockers le 12 avril 2011.
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entre Kasa-Vubu et Lumumba (mi-septembre), des plaidoiries à l’ONU pour la défense du gouvernement de Lumumba, des médiations entre les États africains présents à l’ONU et les représentants marocains, tunisiens, de la République arabe unie (RAU) présents à Léopoldville, souhaitant que Lumumba reste au Congo, et enfin la préservation de l’intégrité physique de Lumumba par les soldats ghanéens. Kwame Nkrumah contacte également Nasser pour lui suggérer de former le haut-commandement africain dont il a déjà été question : « Que le haut-commandement africain soit basé au Caire, à Accra ou Conakry peu importe, mais ce qui est important c’est qu’il doit être basé de façon à ce qu’en cas d’urgence, nous puissions foncer à Léopoldville et aider à maintenir l’ordre ».
Aucune réponse. La fermeture des ambassades ghanéenne, de la RAU début décembre et l’arrestation de Lumumba suite à son évasion à Port-Franqui, les mauvais traitements dont il a été victime, soulèvent de vives discussions à l’ONU mais pas de réaction, au nom « de la non-ingérence ». Nkrumah a beaucoup écrit, entre autres à John F. Kennedy, à Harold Macmillan… Thomas Kanza l’affirme nettement : il a été plus actif à défendre la cause congolaise que n’importe quel autre leader africain 895 . La Conférence de Casablanca du 3 au 7 janvier 1961 réunit le roi Mohammed V organisateur, Gamal Nasser, Kwame Nkrumah, Sékou Touré, Modibo Keita, Ferhat Abbas, Roi Idriss Ier de Lybie et Alwin Pereira Premier ministre de Ceylan : rien de concret ne sort de cette rencontre, juste une réaffirmation, dans le contexte de crise paroxystique du Congo, de certaines valeurs d’Accra I896. Trois jours plus tard, Patrice Lumumba est assassiné à Élisabethville. Suite à son entrevue avec Nasser à la mi-septembre à New York, Thomas Kanza avait insisté auprès du Premier ministre sur la prudence conseillée par le Raïs. Ses conseils avaient déchaîné la colère de Patrice Lumumba : 895
Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba-conflict in the Congo, op. cit., p. 251. 896 Michel KOUNOU la qualifie de « une bravade honorable » mais stérile dans, Le panafricanisme : de la crise à la renaissance, op. cit., p. 208.
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« Prudence, prudence, tout le monde me recommande la prudence. Les Africains sont des couards, ils nous prennent pour des innocents. Tous les Nasser, Nkrumah et Sékou Touré font de beaux discours sur le Congo, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent, ils feraient mieux de s’activer pour m’emmener à New York pour que je puisse parler du Congo et des Congolais. Après tout, je suis chef de gouvernement comme eux et mon pays est plus grand et plus riche que le leur897. »
Lumumba était prompt à l’emportement, un certain nombre d’erreurs politiques lui sont d’ailleurs imputables. Nkrumah a essayé de faire vivre pratiquement les idées d’Accra, il a été fidèle à l’homme, Patrice Lumumba, mais les leaders africains n’ont pas tous voulu ou pu honorer leurs promesses dans le contexte tendu de l’époque. 3) « L’Afrique elle se fout de toi, l’Afrique ! Elle ne peut rien pour toi, l’Afrique ! » M’Siri (ricanant) Acte III-Scène 6 Les écrits évoquant l’amitié de Patrice Lumumba et de Franz Fanon sont nombreux 898 , les sources directes, nettement moindres. Beaucoup de similitudes ont été mises en avant entre le destin des deux hommes : nés au milieu des années vingt, morts jeunes à quelques mois d’intervalle, un fort charisme et une foi sans bornes en l’homme899. Sur le continuum des relations entre les deux hommes, les sources sont lacunaires mais un examen précis de différentes archives et de témoignages permet de dégager quelques remarques, et de dépasser cette vision très lisse de leurs relations. Outre leurs rapports d’amitié, leurs divergences de conception politique déjà perceptibles à Accra vont s’accentuer dans le contexte d’échec patent de Lumumba et dans le cadre plus général de la Realpolitik du GPRA en quête d’indépendance. 897
Thomas KANZA, The rise and the fall of Patrice Lumumba-conflict in the Congo, op. cit.,, p. 340. 898 Alice CHERKI, Franz Fanon, portrait, Paris, Seuil, 2000, p. 215 ; David MACEY, Franz Fanon – une vie, Paris, La Découverte, 2011, p. 460-461 ; JeanPaul SARTRE, préface de l’ouvrage de Jean VAN LIERDE, p. XLV. 899 Losso GAZI (Université d’Annaba, Algérie), communication faite lors de la Rencontre internationale Franz Fanon à Alger, 10-15 décembre 1987. Archives CEAF VII RDC LUMUMBA N014.
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Jean-Paul Sartre rapporte les propos de Fanon sur Lumumba insistant sur sa trop grande confiance envers son entourage et ses capacités à retourner des situations grâce à ses talents d’orateur : « On lui donnait les preuves qu’un de ses ministres le trahissait. Il allait le trouver, lui montrait les documents, les rapports, et lui disait : « Es-tu un traître ? Regarde-moi dans les yeux et réponds. » Si l’autre niait en soutenant le regard, Lumumba concluait : « C’est bien, je te crois. » Mais cette immense bonté que des Européens ont appelé naïveté, Fanon la jugeait néfaste à l’occasion mais à la prendre en elle-même, il en était fier, il y voyait un trait fondamental de l’Africain ».
Il ajoutait : « les Blancs s’en vont, mais leurs complices sont parmi nous, armés par eux, la dernière bataille du colonisé contre le colon, ce sera souvent celle des colonisés, entre eux 900 ». Ses propos sont ceux d’un visionnaire : avec le recul, ceux qui ont trahi Lumumba sont connus : Mobutu, Bomboko, Nendaka, Kalondji, Tshombe, Munongo, cette liste n’étant pas exhaustive. Jean-Paul Sartre ajoute : « Il n’a jamais reproché à son ami de se faire, même involontairement, l’homme de paille du néocolonialisme ». La citation mérite examen car, après tout, Patrice Lumumba correspond-il au modèle du leader politique qu’esquisse Fanon à travers ses écrits ? Il n’est pas le leader d’une révolution congolaise car l’indépendance a été octroyée par les Belges sans guerre de libération et sans recours à de longues phases de violence 901 . Il a longtemps été un « évolué » dont la pensée a très rapidement évolué depuis ses écrits de 1956902. Pour lui, les changements doivent être réalisés selon des méthodes pacifiques. Or, Fanon a fustigé l’ambiguïté des élites colonisées « elles sont violentes dans les paroles et réformistes dans les actes (…) Elles veulent montrer leurs forces verbalement pour ne pas avoir à les utiliser 903 », Lumumba a agi longtemps dans cette optique. Il a également prôné le neutralisme positif, comme à la conférence de presse qu’il donne à New York le 25 juillet 1960, en réponse à un journaliste :
900
Jean-Paul SARTRE, préface de l’ouvrage de Jean VAN LIERDE, p. II Ibid., p. VIII. 902 Patrice LUMUMBA, Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ?, op. cit., p. 56. 903 Franz FANON, Les damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2004, p. 469. 901
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« Est-ce que vous comptez sur une aide économique de l’Union soviétique et quelle est votre attitude à l’égard du communisme ? ».
La réponse est sans équivoque : « Pour nous, peuple congolais, l’Union soviétique est un peuple comme toute autre nation. Les questions d’idéologie ne nous intéressent pas. Notre politique de neutralisme positif nous recommande de traiter avec toute nation qui a des intentions nobles et qui ne viendrait pas chez nous dans le but d’instaurer une domination. Je vais préciser encore davantage mes intentions à ce sujet, car on parle toujours de deux blocs. La question de ces blocs ne nous intéresse pas non plus. Ce qui nous intéresse c’est l’élément humain ; nous sommes des Africains et nous le demeurons. Nous avons notre philosophie et notre morale et nous en sommes fiers904. »
Le neutralisme est ouvertement critiqué par Fanon : « Il y aurait beaucoup à dire sur le neutralisme (…) Le neutralisme, cette création de la guerre froide, s’il permet aux pays sous-développés de recevoir l’aide économique des deux parties, ne permet pas, en fait, à chacune de ces deux parties de venir en aide comme il le faudrait aux régions sous-développées. (…) Ces leaders (…) on les courtise. On leur offre des fleurs. On les invite. Disons-le, on se les arrache (…) Ils voyagent énormément. Les dirigeants des pays sous-développés (…) sont des clients dorés pour les compagnies aériennes905. »
En dix semaines au pouvoir, Lumumba a beaucoup voyagé aux États-Unis, au Canada, en Afrique du Nord, cela lui fut d’ailleurs reproché par les membres de son gouvernement et plus largement par ses opposants. Des divergences sur le recours à la violence, sur le neutralisme positif, mais tout de même une convergence : l’unité africaine. L’attachement de Lumumba à ce projet est sincère et pour Fanon cela reste aussi une grande préoccupation : « Mettre l’Afrique en branle, collaborer à son organisation, à son regroupement, derrière des principes révolutionnaires. Participer au
904 905
Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, op. cit., p. 281. F. FANON, Les damnés de la terre, op. cit., p. 486-487.
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mouvement ordonné d’un continent, c’était cela, en définitive, le travail que j’avais choisi906. »
Ces mots extraits de notes prises durant l’été 1960, sont pourtant suivis de cette phrase sans concession : « À l’est, Lumumba piétine. Le Congo, qui constituait la deuxième plage de débarquement des idées révolutionnaires, se trouvait pris dans un lacis pénible de contradictions stériles. Il fallait encore attendre avant d’investir efficacement dans les citadelles colonialistes qui s’appellent Angola, Mozambique, Kenya, Union sud-africaine907 ».
Le propos est rude, loin de l’affect. En contre-exemple, il évoque le Mali « décidé à tout, fervent et brutal, cohérent et singulièrement acéré, étendait la tête de pont et ouvrait de précieuses perspectives. » En effet, la frontière sud du Mali est un enjeu important pour le GRPA car elle offre une interface salutaire pour renforcer sa situation intérieure et faire passer des armes depuis que la surveillance s’est accrue aux frontières avec la Tunisie et le Maroc. Fanon conduit d’ailleurs au nord du Mali une mission de reconnaissance pour l’installation d’une base pendant l’été 1960908. Le pragmatisme pour le combat algérien l’emporte mais l’idéal est encore « d’abolir le désert, le nier, rassembler l’Afrique, créer le continent ». Même si ses écrits sont lacunaires, le Congo semble de plus en plus loin des préoccupations de Fanon, son admiration politique se tourne désormais vers Félix Moumié, déjà remarqué à Accra909, qu’il qualifie d’« agressif, violent, coléreux, amoureux de son pays, haineux pour les lâches et les manœuvriers. Austère, dur, incorruptible. De l’essence révolutionnaire prise dans 60 kg de muscles et d’os910. » Les événements de la Conférence de Léopoldville ne rapprochent pas Fanon du Congo. La Conférence de Léopoldville du 25 au 30 août 1960 et réunissant les ministres des Affaires étrangères n’a pas été un succès et a fait éclater la plupart des rêves de solidarité africaine entretenus par Fanon et Lumumba. Fanon ne fait pas référence à 906
Idem, Pour la révolution africaine, Paris, La découverte, 2006, p. 860. Ibid., p. 860. 908 David MACEY, Franz Fanon – une vie, op. cit., p. 460-461. 909 Franz FANON, Pour la révolution africaine, op. cit., p. 837. 910 Ibid., p. 861. 907
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l’événement dans les sources directes dont nous disposons. Que disent les autres témoins ? La conférence s’est déroulée dans un contexte de grande confusion, les participants ont mis du temps à arriver, la capitale était un lieu de désordre et de manifestations largement financés par la CIA, visant à décrédibiliser le Premier ministre comme l’explique Larry Devlin : « À son arrivée, les manifestants crièrent « À bas Lumumba ! » et lorsqu’il commença à parler aux délégués, la foule l’étouffa de cris et de slogans hostiles. Lorsqu’un groupe pro-Lumumba intervint, les deux formations se lancèrent des pierres jusqu’à ce que la police arrive et stoppe les manifestations en tirant des coups de feu en l’air. Cet épisode contribua à ternir l’image d’un Lumumba aimé de son peuple et tenant son pays sous contrôle. Il avait compté sur cette conférence pour consolider sa position au sein du mouvement panafricain mais en lieu et place, les délégués prirent conscience des réalités de la situation au Congo911. »
La réalité de la situation reposait clairement sur une entreprise de démolition générée de façon endogène et exogène. À l’intérieur du pays, à ce moment-là, Patrice Lumumba est fragilisé suite à la rupture diplomatique avec le secrétaire général de l’ONU et la violente répression contre les sécessionnistes, les Baluba, près de Bakwanga au Kasaï. Ces événements ont donné du « grain à moudre » à ses opposants au sein du gouvernement, principalement Kasa-Vubu, aux observateurs et journalistes étrangers comme Jane Rouch912. Ils ont jeté un sérieux discrédit sur l’homme et ont offert au Président de la République, soutenu entre autres par la CIA 913 , une occasion de révoquer son Premier ministre. À l’extérieur, au moment où se tient la Conférence de Léopoldville, la réunion d’Abidjan prévue au mois d’octobre 1960 se prépare et projette de rassembler les représentants de douze colonies françaises indépendantes, sous la conduite d’Houphouët-Boigny. L’objectif est d’étudier une possibilité de médiation entre la France et l’Algérie et de définir une position 911
Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie comme chef de poste pendant la guerre froide, Bruxelles, Jourdan, 2009, p. 95. Événements confirmés par Jane Rouch dans son ouvrage p. 97 et Maryse Hockers lors de notre entretien. 912 Jane ROUCH, En cage avec Lumumba, Colombes, Les Éditions du temps, 1961, p. 109-123. 913 Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie comme chef de poste pendant la guerre froide, op. cit., p. 96.
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commune à l’ONU sur la crise congolaise. Un rapprochement sous la conduite de l’abbé Fulbert Youlou avec Kasa-Vubu, Moïse Tshombe et Albert Kalonji est en marche. Fanon est présent à Léopoldville fin août 1960, il est accompagné de Mohammed Yazid, ministre de l’Information du GPRA et diplomate, et d’Omar Oussedik, ancien commandant Renseignement et liaison en Wilaya IV, devenu secrétaire d’État à la Guerre914. Certaines sources attestent que les représentants du GPRA, dont Fanon, pensent que Lumumba est « mort politiquement » et qu’il faut chercher un successeur. Proche du Premier ministre dans cette période difficile, le témoignage de Serge Michel est précieux. Compagnon de lutte du GRPA, il a été placé à la disposition de Patrice Lumumba comme « conseiller en communication » et représentant du GPRA au Congo au début d’août 1960. Lors de son passage à Tunis, ce dernier avait rencontré Ferhat Abbas à Carthage pour réaffirmer son soutien à la lutte des Algériens, il en a aussi profité pour réclamer au nom de l’entraide africaine, l’envoi au Congo de conseillers en tout genre. Son voyage aux États-Unis lui avait révélé à quel point son image médiatique était déjà écornée et il requiert comme besoin urgent un attaché de presse. La rencontre avec Serge Michel, alias Lucien Douchet, aboutit à un accord de collaboration quasi immédiat. Les pages écrites par Serge Michel sont très dures pour les membres du GRPA. Alice Cherki évoque des relations difficiles entre Franz Fanon et Serge Michel915, néanmoins le témoignage de ce dernier fait sens. Yazid, Oussedik, et Fanon sont contents de revoir Serge Michel, mais ce dernier est étonné par leur comportement. Pour lui, à leur arrivée, aucun n’est au courant précisément de la situation au Congo. Ils semblent surtout préoccupés de recueillir « le maximum de promesses de votes africains favorables à la thèse algérienne au prochain débat de l’ONU », il ajoute « même Franz et Omar prêchent le réalisme, ils refusent de se compromettre en chantant l’union sacrée de l’Afrique et recommandent le compromis ». Dans ce contexte difficile, il est chargé par Lumumba d’écrire le discours d’ouverture
914
Marie-Joëlle RUPP, Serge Michel, un libertaire dans la décolonisation, Paris, Ibis Press, 2007, p. 61. 915 Alice CHERKI, Franz Fanon, portrait, op. cit., p. 215.
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de la conférence dans lequel il va mettre un point d’honneur à rappeler les promesses faites à Accra916. « Combattants de la liberté africaine vous avez le devoir de montrer une fois de plus au monde et à nos détracteurs que rien ne saurait nous faire dévier de notre objectif commun : la libération de l’Afrique (…) Tous ont compris que si le Congo meurt, toute l’Afrique bascule dans la nuit de la défaite et de la servitude. (…) Tous ont témoigné que l’on ne débat pas de ce principe mais que l’on se bat pour le défendre. (…) L’unité et la solidarité africaine ne sont plus des rêves, elles doivent se traduire par des décisions917. »
À la fin des travaux, Lumumba en réunion avec les représentants du GPRA, réaffirme son besoin d’aide qui lui avait été promise fraternellement. Serge Michel témoigne que Franz Fanon sur le trottoir à la fin de la réunion lui conseille de « laisser tomber Lumumba » « car il est foutu. Passe avec Kasa-Vubu 918 ». Omar Oussedik révèle plus tard qu’il aurait avec Fanon essayé de convaincre Patrice Lumumba de renoncer à son poste de Premier ministre pour se consacrer à la réorganisation de son parti919. Serge Michel est accablé, la suite des événements le contraint à quitter le Congo car, après la prise de pouvoir de Mobutu, sa vie est en danger. Deux raisons majeures peuvent expliquer ce changement de politique du GPRA : l’opposition croissante de la Tunisie au gouvernement de Lumumba, et celle-ci héberge les leaders révolutionnaires algériens, et le timing de la prochaine session à l’ONU concernant la question algérienne920. De retour à Tunis, auprès de ses amis du GPRA, il rend compte de sa mission en « faisant part de son amertume devant l’attitude des pays frères à l’égard de son ami921 ». Pour sa fille, après l’épisode congolais, Serge Michel garde « à jamais un éclat d’Afrique planté dans ses rêves922. » 916
Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, op. cit., p. 318. Serge MICHEL, Nour le voilé, Paris, Seuil, 1982, p. 216-217. 918 Ibid., p. 222. 919 Entretien réalisé avec Omar Oussedik et cité par Jean-Claude WILLAME, Patrice Lumumba, la crise congolaise revisitée, op. cit., p. 358. 920 Le 20 décembre 1960, les Nations unies reconnaissent le droit de l’Algérie à l’autodétermination. 921 Serge MICHEL, Uhuru Lumumba, op. cit., p. 151. 922 Entretien réalisé avec Marie-Joëlle Rupp, fille de Serge Michel, le 26 avril 2012. 917
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Intégré au groupe né à Accra, Félix Moumié est considéré comme un proche de Fanon et de Lumumba. Présent à Léopoldville lors de la conférence, il s’attarde après la fin des débats et le départ de Fanon. Moumié représente l’UPC en exil dont le projet majeur, encore en suspens, est la création d’un gouvernement révolutionnaire. Une archive dépouillée récemment offre un éclairage supplémentaire sur les relations entre les leaders africains. Dans une lettre de Marthe Moumié adressée à son mari et camarade de combat Félix datée du 24 août 1960, et retrouvée en sa possession suite à son décès à Genève en novembre 1960, elle lui suggère un certain nombre de points à aborder avec Lumumba lors de sa visite au Congo car la situation est « bénéfique 923 ». Elle évoque la nécessité de la reconnaissance du gouvernement révolutionnaire en projet par Patrice Lumumba : pour elle, il faut faire vite car [style de l’auteure respecté] : « (…) Il est clair que l’aide du Congo nous sera disponible à un temps limité. Pour ces faits, à l’heure où le Congo est aux prises avec nos ennemis, nous devons les serrer à nous donner certains avantages (…). Une fois après sa victoire, il [Patrice Lumumba] commencera une autre politique, les influences politiques étrangères vont commencer (…) il s’est d’ailleurs prononcé dans ses discours pour le neutralisme positive dont nous connaissons comme poison à l’heure actuelle en Afrique (…) la position neutraliste de Lumumba ira à l’encontre de notre orientation politique et nos principes fondamentaux (…). Le Congo aura après sa victoire adopter une politique semblable à d’autres pays africains que nous connaissons déjà, sa rentrer dans des unions et les fédérations africaines déjà existant lui fera subir leurs influences. »
Marthe Moumié insiste aussi longuement sur la nécessité de demander à Lumumba de délivrer des passeports pour les camarades de l’UPC puisque la Guinée ne souhaite plus leur en délivrer. Le pragmatisme de la lettre interpelle, les propos utilitaristes envers Lumumba, le jugement posé politiquement sur le Premier ministre sont sans concession. Difficile de savoir si Félix Moumié a suivi les suggestions de sa femme924, il est contraint de partir du Congo vers la
923 Archives de Berne – Photocopie de lettre de Mme Moumié à son mari du 24/08/60, récupérée par la police genevoise le 22 décembre 1960 BA-BUPO (A75 : 0) 530. Voir Annexe 42. 924 Pas d’archive sur une réponse de Félix Moumié à sa femme à ce jour.
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mi-octobre suite commissaires925.
à
un
ordre
d’expulsion
du
collège
des
Les prises de position des leaders africains face à la crise du Congo, la disparition tragique de Patrice Lumumba suite à son isolement progressif, le 14 janvier 1961, révèlent avec acuité la difficulté à passer de la théorie à la pratique panafricaine. Seul Lumumba semble avoir cru à cette solidarité, avec une confiance presque trop absolue qui l’a poussé à commettre un certain nombre d’erreurs tactiques. Incontestablement ce qui s’est passé au Congo n’est pas une réussite. La révélation publique de sa mort, le 13 février, replace le Congo au centre des préoccupations africaines. Les objectifs et les résolutions prises et écrites par les participants à Accra se sont effrités et se sont heurtés à la Realpolitik africaine, guidée le plus souvent par les intérêts nationaux. Les interlocuteurs d’hier en « communion affective » ont choisi le plus souvent l’efficacité, le concret et le réalisme à court terme par rapport aux considérations de principe, d’éthique et de morale. Ils ont évalué de façon différenciée les rapports des forces en présence et ont fait prévaloir leur lutte et l’intérêt national ou « nationiste926 », la stratégie panafricaine ne se révélant pas toujours la plus efficiente, faute de moyens, d’expérience et de temps. Cette cohésion a été d’autant plus mise à mal que la lecture binaire « colons-colonisés » s’est effacée au profit d’une lecture plus complexe mettant en jeu des personnalités politiques locales guidées par les colons d’hier. Mais cet échec a aussi aguerri les leaders africains à la politique internationale, leur offrant une expérience et leur ouvrant un temps possible pour construire l’avenir et pour l’autocritique. Dans son article, au titre emblématique « Pouvionsnous faire autrement 927 ? » Fanon fustige le choix fait par Patrice Lumumba de son appel à l’ONU, le choix des pays africains d’envoyer leurs troupes dans le cadre de l’ONU. Fanon parle du résultat comme d’une « honte ». Il s’agit d’une critique à peine feutrée 925
Jules GÉRARD-LIBOIS et Jean. HEINEN, Congo 1960, op. cit., p. 916. Michel CAHEN, Ethnicité politique – pour une lecture réaliste de l’identité, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 96. 927 Afrique Action, n° 19, 20 février 1961. 926
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de la politique adoptée par Lumumba lui-même et entre autres pays africains, celle du Ghana. Il évoque à son tour la trop grande confiance de Patrice Lumumba en ses qualités de leader charismatique. Enfin, il écrit : « Notre tort est d’avoir été légèrement confus dans nos démarches. Il est de fait qu’en Afrique, aujourd’hui, les traîtres existent. Il fallait les dénoncer et les combattre ». Une autocritique limitée à une litote. Pragmatiquement, les leaders africains ont eu à combattre leurs traitres mais aussi leurs propres peurs, leurs propres limites économiques et culturelles, et à faire face à la réalité de la praxis politique. Pour Kwame NKrumah, la crise congolaise a radicalisé sa pensée, la tactique de la non-violence cède le pas à l’usage de la force. Elle a fait aussi évoluer sa confiance en l’ONU jugée trop excessive par les contemporains, imputable autant à sa conscience aiguë d’un manque de moyens financiers pour entretenir un corps militaire ghanéen ou plus largement panafricain, mais aussi à son souci d’utiliser la bannière onusienne pour éviter de compromettre son charisme politique et son rôle régional en cas d’échec. Indubitablement, la crise congolaise a permis au panafricanisme militant de se tester mais aussi de progresser et de cerner ses limites. Début 1961, les enjeux sont de taille : l’atmosphère n’est plus au « panafricanisme de sentiment » car la violence s’est instituée, avec les assassinats de Félix Moumié et Patrice Lumumba, en pratique de régulation des relations postcoloniales. Le projet du RDA est un élan politique endogène africain brisé. Sur les 600 élus des assemblées de l’après-guerre en France, 38 étaient d’outre-mer, 8 d’Afrique subsaharienne, sur les trois partis dominants, le MRP, la SFIO et le PCF seul le dernier insufflait une audace singulière dans laquelle certains leaders africains pouvaient se reconnaître. La plupart des leaders africains ressentaient l’envie de s’allier au PCF en France sans vouloir s’y apparenter a fortiori car, dans le système parlementaire de l’époque, il fallait à tout prix se rattacher à une formation politique existante pour participer à une commission. Or chacun avait à cœur de faire voter la suppression du Code pénal indigène, l’abolition du travail forcé ou d’acquérir des fonds pour le développement économique et social de leur territoire d’origine. Pour les leaders camerounais, sans mandat de représentation politique, la scission du RDA a sonné le glas d’une 366
coopération politique interafricaine qui aurait pu représenter une aide utile en 1955 lors de l’interdiction de l’UPC. Boganda aurait pu, après son éviction du MRP, rejoindre le RDA mais il était incarné par Antoine Darlan, son rival, et il aspirait à diriger la fédération des États d’Afrique latine qu’il tentait de mettre en place. En s’entourant du, très contesté Roger Guérillot, et en délaissant les membres de l’élite oubanguienne, il a fait une erreur politique de taille. Ce tiraillement entre l’ambition de diriger une fédération de pays et la tentation de rester concentré sur son territoire d’origine au nom d’un « égoïsme sacré » est une constante chez les leaders africains dotés d’une vraie ambition politique. K. Nkrumah, H. Boigny, F. Youlou et B. Boganda se sont heurtés à ces envies contradictoires. De plus, le RDA s’est fondé sur deux faiblesses intrinsèques à sa naissance : sa polarisation sur la Côte d’Ivoire et la dispersion de ses faibles moyens sur tous les autres territoires. L’orientation du RDA, après la scission, met le parti au service des visées géopolitiques ivoiriennes en Afrique de l’Ouest avec comme relais Fulbert Youlou en Afrique centrale. Dans ce dispositif soutenu par la France, les projets panafricains de Boganda n’avaient aucune chance et les leaders camerounais isolés ont été balayés. Patrice Lumumba, isolé dans une indépendance accordée tactiquement trop rapidement par les Belges, a choisi de se rapprocher du Ghana et de K. Nkrumah, leurs projets panafricains n’ont pas représenté une alternative après l’échec du premier RDA. Patrice Lumumba a été, très rapidement, mis sous surveillance et entravé par une série d’acteurs et de moyens de grande envergure, qui ne devait lui laisser aucune chance de réussir.
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QUATRIÈME PARTIE – BIPOLARISATION ET NÉOCOLONIALISME : UNE GÉOPOLITIQUE DANGEREUSE POUR LES LEADERS
VIII – Au cœur de la « stratégie oblique » des deux Grands… tous perdants ! Le travail réalisé sur les archives a permis de remettre en question l’approche devenue classique de la place des leaders africains dans les relations internationales telles qu’elles sont encore classiquement enseignées à l’université française928. À l’aube du travail de recherche en question, selon le paradigme bipolaire qui prévaut dans l’école réaliste 929 , les leaders africains étudiés étaient clairement sousestimés. Ils apparaissaient comme des êtres passifs, sans grand sens politique dans une Afrique « partie prise » du système international global, enjeu de puissance, une Afrique perçue à partir de la projection planétaire bipolaire de l’URSS et des États-Unis. Pourtant, l’examen des archives et l’analyse de certaines études récentes révèlent que ces leaders ont été capables d’instrumentaliser la bipolarité, de la constituer en rente ou de tenir des positions claires de rejet. Ces choix ont été une modalité de légitimation internationale, un moyen de mobiliser des soutiens. L’image de passivité des leaders mise en avant comme « des marionnettes » avec aux commandes les deux grandes puissances est donc à revoir. Ces considérations renvoient aux réflexions portées par Luc Sindjoun sur la nécessité d’historiciser l’Afrique comme objet d’étude et d’en dégager sa spécificité. L’Afrique a longtemps été un objet ignoré, minoré des relations internationales. Cet état de fait a été généré par la méconnaissance initiale du continent dans la sociogenèse des relations internationales. 928
Robert FRANK (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, 796 p. Pour Robert Frank, « une des caractéristiques des relations internationales est d’être une question de vie ou de mort pour les peuples et donc pour les individus. » Cette définition est une manière de rappeler d’emblée que les relations internationales repose sur l’équilibre précaire entre la guerre et la paix. 929 Alex MACLEOD et Dan O’MEARA (dir.) Théorie des relations internationales : contestations et résistances, Montréal, Athena, 2007, p. 35-60.
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Jusqu’à la fin de la première moitié du XXe siècle, l’Afrique a été exclue des relations internationales car les auteurs ont privilégié les lieux de puissance, l’Afrique était vue comme un hors-champ ou un « oblique » pensé par le biais des questions régionales, un objet intrus pas comme les autres. L’arbitraire culturel lié à l’américanisation et l’occidentalisation des relations internationales ont imposé, selon Sindjoun, trois paradigmes de lecture qui ont nié l’historicité propre de l’Afrique sur ce sujet : le paradigme bipolaire évoqué ci-dessus, le paradigme clientéliste vu par le prisme des relations coloniales entre États-clients et États-patrons avec une personnalisation des relations africaines en « affaires de famille », « en réseaux 930 » et le paradigme marxiste ou le « paradigme du joug » qui étudie une Afrique satellisée, périphérie d’un centre. Cette analyse classique est aujourd’hui remise en cause par de nouvelles approches introduisant l’anthropologie et revenant sur le statocentrisme qui a prévalu pendant des décennies comme clé de lecture des relations internationales aboutissant à une désétatisation de celles-ci.931 Par ailleurs la déconstruction d’une approche trop américanisée et occidentalisée de la période a été permise grâce à l’examen des archives soviétiques 932 . Cet examen a été possible grâce au travail remarquable des chercheurs impliqués dans le « Cold War International Project » mis en place par le Centre international Woodrow Wilson en 1991. Ce projet à destination de chercheurs avait pour objectif de porter à la connaissance de tous des archives jusqu’alors inaccessibles, celles du monde communiste pendant la période de la guerre froide, par le biais de publications, de partenariats et de conférences. Les ouvrages de Sergei Mazov et Lise Namikas offrent des perspectives nouvelles sur l’Afrique au cœur de la guerre froide. Si la déclassification de certaines archives américaines a permis de cerner 930
La vision « françafrique » fait partie de cette façon de penser les relations politiques entre la France et l’Afrique. 931 Luc SINDJOUN, Sociologie des relations internationales africaines, Paris, Khartala, 2002, 248 p. et L’État ailleurs. Entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002, 332 p. 932 Susanne BIRGENSON, Alexander KOZHEMIAKIN, Roger KANET, Madeleine TCHIMICHKIAN, « La politique russe en Afrique : désengagement ou coopération ? » Revue d’Études comparatives Est-Ouest, vol. 27, 1996, n° 3. pp. 145-168. http://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1996_num_27_3_2802
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la politique des États-Unis notamment lors de la crise du Congo933, a contrario, la pratique du secret politique en URSS et la barrière de la langue ont entravé la connaissance, la compréhension de la politique soviétique en Afrique souvent analysée en Occident du point de vue des Américains. Lise Namikas et Sergei Mazov ont méticuleusement analysé les archives soviétiques ouvertes au début des années 90 : sur la crise du Congo 934 pour la première, et pour le second, sur les relations entre l’URSS et trois États africains nouvellement indépendants « non capitalistes », le Ghana, le Mali et la Guinée. Toutes les archives n’ont pas été ouvertes, ce qui rend parfois l’analyse du processus compliquée, voire fastidieuse935. Néanmoins, Mazov a porté un soin très particulier à mettre en relation les archives russes travaillées avec celles des fonds américains comme celles du Département d’État et les papiers d’Averell Harriman conservés à la Bibliothèque du Congrès à Washington. De cette analyse croisée naissent des interrogations de grand intérêt soulevées par le chercheur : l’URSS avait-elle un « super plan » pour l’Afrique dans la guerre froide ? Quel a été l’équilibre entre les impératifs sécuritaires et idéologiques dans la politique menée par les Soviétiques en Afrique de l’Ouest et durant la crise du Congo ? Quelles ont été les relations réelles entre le personnel politique soviétique et les leaders comme Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah et Sékou Touré ? Sergei Mazov met en avant un certain nombre de considérations nouvelles qu’il convient de mettre en lumière à l’aune de notre analyse. 933
Stephen R.WEISSMAN, American Foreign Policy in the Congo, 1960-1964 ?, Ithaca, Cornell University Press, 1974, 325 p. Madeleine KALB, The Congo cables - the cold war in Africa: from Eisenhower to Kennedy, op. cit., 1982, 466 p. 934 Sergei MAZOV, A distant front in the Cold war – the USSR in West Africa and the Congo, 1956- 1964, Redwood City, Stanford University Press, 2010, XIII (introduction) et p. 3-4. 935 Mazov précise que les archives concernant les opérations du KGB et du ministère de la Défense de l’URSS sur les opérations au Congo restent classifiées. Les archives de l’ambassade russe de Léopoldville ont été détruites lors de l’épisode dramatique de la fin août – début septembre 1960, épisode qui se traduit par un ultimatum posé aux citoyens russes de quitter le Congo dans un délai de 48 h. Le contenu des rencontres entre Khrushchev et les différents leaders africains est encore classifié, ce qui est dommageable aussi à la réflexion conduite ici. Les archives africaines n’ont pas été consultées par Mazov.
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En 1945, Staline, en dépit de deux mémorandums secrets rédigés par Maxime Litvinov, affirme une position de retrait par rapport aux pays africains : il regarde les leaders africains avec défaveur car il les trouve conformistes, corrompus, avides de l’indépendance pour conserver leurs privilèges de « bourgeois nationalistes ». Le changement intervient avec Nikita Khrouchtchev dès 1954 : ce dernier envisage l’Afrique comme le nouveau front de la guerre froide, acceptant le neutralisme des leaders africains pour peu qu’ils s’affichent comme des anti-impérialistes 936 . Deux événements constituent un tournant, la Conférence de Bandœng et le Sommet de Genève : les premières marques de cette nouvelle politique se manifestent par une approche diplomatique de Nasser, le leader égyptien, dès 1955. Aucune archive consultée ne révèle une stratégie soviétique très organisée sous forme de take over sur l’Afrique. Cette stratégie planifiée, annoncée comme redoutable, a été « inventée » par la diplomatie américaine au lendemain du voyage de trois semaines de Nixon en Afrique en 1957, qui insiste, à son retour, sur la nécessité d’endiguer la diffusion du communisme. Cette approche devient une ligne de conduite politique américaine dès mars 1960 en Afrique subsaharienne. Du côté soviétique, l’enjeu est en réalité de réduire les intérêts américains dans la sphère africaine, avec comme objectif : la formation d’élites vectrices d’idées hostiles à l’Ouest parmi les étudiants et les syndiqués, pour la mise en place à long terme d’une dictature de prolétariat. Les instruments de la pénétration soviétique sont les suivants : la radiodiffusion d’une propagande soviétique en langues africaines (swahili, hausa), la création de bureaux pour diffuser la radio soviétique dans les pays africains, la distribution de brochures, de films et de littérature soviétiques et l’envoi de machines à ronéotyper. Il s’agit ainsi de façonner une image positive des Soviétiques chez les Africains par le biais de trois organisations : le Conseil central des syndicats, l’Association de solidarité entre Soviétiques et Afro-Américains et le Comité soviétique des organisations de jeunesse. Du côté américain, le gouvernement est face à un dilemme entre le soutien aux aspirations anticoloniales et le 936
Sur les orientations politiques et l’« émotionalisme » de M. K. voir Alexsandr FURSENKO, Timothy NAFTALI, William TAUBMAN. Khrushchev's Cold War, New York/Londres, Norton & Cie, 2006, 354 p.
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soutien aux élites coloniales qu’il faut contenter dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). L’éveil national africain n’est pas toujours bien perçu, notamment par John Foster Dulles, secrétaire d’État américain, qui perçoit le nationalisme africain comme « émotionnel, irresponsable, exagéré », résultat des intrigues du travail des communistes. Le travail de Mazov permet également de replacer la crise du Congo dans la diplomatie soviétique réalisée avant 1960 et les enseignements tirés par les dirigeants soviétiques. Au Libéria, l’investiture de William Tubman en 1956 marque le début de la collaboration avec l’URSS. Le comportement de Tubman a été abordé avec précision par Mazov : sa stratégie consistait à tirer un maximum d’avantages de la confrontation des deux Grands. Tubman très expérimenté, était joueur et a gagné : il a joué de l’un et de l’autre sans s’engager trop loin avec l’URSS et sans renoncer à ses sentiments pro-américains. Avec Tubman, les Soviétiques n’ont pas obtenu ce qu’ils souhaitaient, c’est-a-dire construire un pont solide entre les deux pays. Au Ghana, le leader de l’indépendance obtenue en 1957, Kwame Nkrumah, convoitait l’aide financière de l’Ouest et les Soviétiques le percevaient comme un « bourgeois nationaliste » ; Nkrumah fit financer le Volta River Project en 1957 par les Américains, mais il a accepté dans le même temps l’ouverture d’une ambassade soviétique. Ainsi, à sa façon le leader ghanéen joue, lui aussi, sur les « deux tableaux » mais reste finalement proche du bloc américain. Enfin, la Guinée a été un véritable terrain d’essai pour l’URSS. Les Soviétiques ont cru en Sékou Touré et à l’exportation du modèle soviétique dans ce pays récemment indépendant après avoir tenu tête à la France. Mais là encore, la politique menée par Sékou Touré a été ambiguë envers les deux Grands. Il a reçu des armes de la Tchécoslovaquie, des crédits soviétiques pour éviter l’effondrement de l’économie guinéenne mais il a accepté parallèlement des distributions de riz et de farine des États-Unis. Le 9 novembre 1959, il visite les États-Unis où il présente une Guinée acculée à accepter l’aide soviétique par le rejet de la France et le 27 novembre 1959, il se rend en URSS, où il est le premier leader africain à être reçu avec les honneurs. Il est considéré par Nikita Khrouchtchev comme un homme « ayant conscience de la lutte des classes ». Parallèlement, Sékou Touré mène également une politique panafricaine en se rapprochant du Ghana pour promouvoir les États-Unis d’Afrique. Ainsi à l’aune des expériences diplomatiques soviétiques en Afrique entre 1956 et 375
1960, les succès diplomatiques ne sont pas légion, ils révèlent surtout l’habileté des leaders africains à utiliser les deux Grands, avec plus ou moins de finesse, pour finaliser leurs différents projets politiques et économiques. Forts de ces expériences mitigées, les Soviétiques abordent les leaders africains avec prudence. Le personnage de Patrice Lumumba et la crise au Congo sont vus avec une grande méfiance par les Soviétiques mais aussi par le Parti communiste belge dont Lumumba n’est pas le favori. Le statut de pays sous tutelle a favorisé l’intérêt des Soviétiques et du Parti communiste français pour le Cameroun, mais l’interdiction de l’UPC en 1955 a largement ralenti l’engouement des uns et des autres, favorisant le développement de relations privilégiées entre les autorités chinoises et Félix Moumié, libre de ses mouvements après la prise du maquis par Nyobè. Pour Barthélémy Boganda, le rejet du communisme est constitutif de son identité politique : aucune équivoque pour sa part, cette prise de position claire aurait pu être un atout pour sa pérennité politique, manifestement cela n’a pas suffi.
A - Lumumba : perdre au jeu d’agôn À la question, Lumumba était-il un communiste convaincu ? l’ensemble des sources consultées et l’examen de travaux scientifiques récents permettent de répondre par la négative et de lever les doutes qui peuvent encore subsister. Ce travail donne la possibilité de déconstruire une projection politique bien pratique pour justifier certains agissements à l’encontre de sa personne, mais aussi de clarifier les positions différenciées entre l’URSS, les partis communistes, les syndicats, le tout qualifié généralement sur le vocable de « communistes ». Autodidacte, Patrice Lumumba n’a reçu aucune formation politique durant sa jeunesse. De son passé idéologique et politique d’avant 1958 demeurent deux caractéristiques qui marquent le Mouvement national congolais et l’action politique de Lumumba : le refus de l’introduction de partis politiques d’origine métropolitaine et le rejet de la lutte des classes. Préoccupé avant tout de l’unité du peuple congolais dans sa lutte pour l’indépendance, Lumumba se méfie de tous les facteurs de division, qu’ils soient d’origine étrangère comme la conception socialiste des classes, ou africaine comme le tribalisme. Son souci d’unité nationale lui fait oublier la division de la société congolaise 376
entre l’élite « évoluée » et la masse, division qu’il avait pourtant dénoncée dès 1953. On a reproché à Lumumba des sympathies pour le mouvement ou l’idéologie communiste. Non seulement il en ignorait les rudiments, mais il s’en méfiait comme obstacle à l’unité nationale. C’est ce que confirme le témoignage de son ami, Pierre Clément : « sa connaissance du marxisme est tout juste nominale, et le communisme fait figure, à ses yeux, d’affreux épouvantail937 ». Au fil des années, il se constitue une bibliothèque très fournie par l’achat de livres qu’il commande en métropole sur les conseils de son ami Jean Van Lierde. Nul doute que ces lectures aient été influencées par les idées de gauche de ce dernier, mais lors de l’entretien réalisé avec Maryse Hockers 938 , elle évoque l’éclectisme des livres présents chez Lumumba, fruits d’années de lecture. Cette dernière avait particulièrement été impressionnée par l’importance du fonds. Dans un entretien, daté de 1960, Patrice Lumumba répond ouvertement à une question posée par un journaliste présent à Léopoldville. Elle rejoint celle posée par le correspondant de France Soir, le 22 juillet 1960 : « Êtes-vous communiste Mr Lumumba ? – Je dois toujours rire quand on me pose cette question. Je ne suis pas du tout communiste. On m’a souvent présenté comme un communiste antiBlanc, anti-Belge, un homme qui veut tout détruire. Absolument pas. Je suis un nationaliste qui vit pour un idéal, je ne suis pas du tout un communiste et je ne le deviendrai jamais939. – Certains de vos adversaires politiques vous accusent d’être communiste. Que pouvez-vous dire à ce sujet ? » – C’est un mot d’ordre de propagande lancé contre moi. Je ne suis pas communiste... Dans tout le pays, les colonialistes ont déclenché une campagne contre moi uniquement parce que je suis un révolutionnaire, que je me prononce pour la suppression du régime colonialiste qui méconnait notre dignité humaine. Ils me traitent de communiste parce que je ne me suis pas laissé soudoyer par les impérialistes ».
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Pierre CLÉMENT, « Patrice Lumumba (Stanleyville 1952-1953) », Présence Africaine, n° 40, 1er trimestre 1962, p. 57-58. 938 Entretien avec Maryse Hockers réalisé à Wibrin, le 11 avril 2011. 939 Thomas GIEFER, Une mort de style colonial - Patrice Lumumba, une tragédie africaine, op. cit., 21e minute.
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À moins de penser que Patrice Lumumba ment, difficile d’attester qu’il est communiste. Même Larry Devlin le pense : « Je n’ai jamais cru que Lumumba était communiste, mais je suis convaincu qu’il était instable et profondément naïf. Le sentiment partagé à l’ambassade était qu’il lui manquait la stature du chef capable de maintenir la cohésion de ce vaste pays qui partait en lambeaux940 ». En dépit des propos de Devlin, force est de constater que les leaders n’étaient pas de grands naïfs 941 , qu’ils n’étaient pas dupes des intentions des communistes et cherchaient surtout à tirer profit des potentiels financements qu’ils pourraient obtenir de leur part pour servir leurs propres ambitions. En fait, ces leaders sont bien loin des raisonnements bipolaires, ils doivent faire face aux obstacles du quotidien : leur mince expérience politique, leurs maigres finances, une forte concurrence et de fortes oppositions coloniales. Il ne faudrait pas sous-estimer Patrice Lumumba, car très tôt, il est celui qui a le mieux compris et utilisé les avantages qu’il pourrait tirer de la rivalité Est-Ouest. Reste à étudier si à ce jeu, il n’est pas allé trop loin : son ambivalence calculée a été coûteuse. Habilement Lumumba, tout au long de son ascension politique, affiche de bonnes intentions dans les deux camps, brouille les pistes, donne des gages et, longtemps courtisé, soudainement il est mis sur la touche. Opportuniste ? Oui, c’est un défaut que lui a souvent attribué le gouvernement américain. A-t-il dupé l’URSS ? Quels liens a-t-il eu avec les communistes avant son entrée en fonction suite à l’indépendance ? La parution récente de la thèse d’Anne-Sophie Giijs permet de retracer une fine chronologie des relations entre Patrice Lumumba et le Parti communiste belge (PCB)942. À l’issue de sa recherche, elle affirme que : « Le scénario d’un Lumumba communiste est un mythe dans le sens où il s’agissait vraiment d’une construction collective et nébuleuse, une image simplifiée, souvent illusoire que des groupes humains se forment ou
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Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie de chef de poste pendant la guerre froide, op. cit., p. 76. 941 Cette approche est corroborée par les propos de Thomas Kanza lors de sa conversation avec Antoine A. Joseph Van Bilsen consignée par l’ambassade américaine à Bruxelles au secrétaire d’État le 6 février 1959, National Archives and Records Administration, RG 59, Central Decimal File, Congo belge 1955-59, boîte 3427. 942 Anne-Sophie GIJS, Le pouvoir de l’absent : les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920-1961), Bruxelles, Peter Lang, 2016, vol. 2, 485 p.
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acceptent au sujet d’un individu (…) et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement et leur appréciation943. »
Le recoupement des archives consultées pour cette étude et le travail d’Anne-Sophie Gijs permettent de mettre en avant de nouveaux éléments de chronologie et d’analyse qu’il convient ici d’exposer. Débarrassé de tous les oripeaux des fausses interprétations ou des surinterprétations à la lumière des archives du PCB et des archives russes, nous pouvons exposer quelle fut la teneur des relations entre Patrice Lumumba et les communistes durant cette période. 1) Les contacts avant l’indépendance La stratégie du PCB n’était pas de créer d’emblée un Parti communiste congolais. En soutenant les groupes qui militaient pour l’indépendance avec, par exemple, des projets de statuts pour créer des partis, de la documentation variée, des cours de formation marxiste, le PCB noyautait les mouvements pour peu à peu imposer un parti de masse. À la suite des émeutes de Stanleyville du 4 janvier 1959, des échanges entre les leaders emprisonnés de l’Abako, notamment Pinzi et Diomi, et le Parti communiste belge ont été attestés concernant l’envoi de trois avocats belges pour assurer leur défense. Ces trois juristes ont d’ailleurs été contraints par les Belges de refuser 944 . L’investissement d’Antoine Tshimanga 945 , en relation depuis mai 1958 avec la Jeunesse communiste belge (JCB), et les contacts privilégiés avec Jean Tervfe ont été relevés, celui-ci privilégiant la voie syndicale par le biais de l’Union nationale de travailleurs congolais (UNTC). Lumumba apparaît aux yeux de Tshimanga comme « entreprenant et ambitieux et (…) essuyant des critiques pour ses attaches avec les libéraux ou pour ses
943
Ibid, p. 439. Il s’agit de Jules Chomé, président de l’Association des juristes démocrates de Belgique, Jules Wolf affilié au Parti socialiste belge et Jean Tervfe ancien ministre et député du PCB. Centre des Archives communistes belges, CARCOB, Bruxelles, Papiers André de Coninck I et Jean de Tervfe V. 945 Antoine Tshimanga est un jeune Congolais très proche du Parti communiste belge. 944
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compromissions avec les colonialistes946 », il représente un allié trop compromettant pour l’UNTC. Le passage de Lumumba à Conakry en Guinée à la Conférence panafricaine du 15 au 17 avril 1959 lui permet de nouer contact avec l’ambassadeur de l’URSS, Peter Geramisov. Le leader congolais souhaite élargir les liens entre son pays et les pays du camp socialiste, envoyer des étudiants en URSS pour les former afin qu’ils deviennent le futur personnel dirigeant et qu’une aide financière soit accordée à son parti pour mener une propagande interne947. Fin avril 1959, Lumumba rencontre des militants communistes en Belgique qui lui offre des financements pour publier son nouveau périodique, à l’intitulé prometteur : L’Indépendance. En septembre 1959, il écrit personnellement à Marcel Levaux948, responsable de la jeunesse communiste à Liège, lui envoie des tracts et circulaires du MNC pour impression et diffusion, et en échange lui propose d’insérer des articles dans L’Indépendance. Il suggère également une collecte de fonds pour son parti et le financement de la confection des insignes pour les adhérents du MNC. Mais après les émeutes du 30 octobre 1959 et son incarcération, il refuse, tout comme ses compagnons au MNC, les avocats proposés par le PCB949 et s’impose comme le leader d’un parti qui a accepté les positions plus favorables du ministre De Schryver et a remporté les élections de décembre. La scission du MNC en juillet 1959 se fait sous l’explication de l’anticommunisme. Certains membres actifs du MNC comme Ngalula, Ileo, Adoula et Ngwete décrient la politique trop personnelle de Lumumba et l’accusent d’un rapprochement trop franc avec le bloc communiste qui financerait ses voyages nombreux à l’étranger, or cet argument est fallacieux. Cet événement renforce les soupçons des Belges. Pourtant, fin 1959, Lumumba n’est pas un danger communiste, il butine. Tout
946
Anne-Sophie GIJS, Le pouvoir de l’absent : les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920-1961), op. cit., vol. 2, p. 43. 947 Rapport de B. Savinov, premier secrétaire de l’Ambassade d’URSS en Belgique, au Comité central du Parti communiste de l’URSS, dans A.B. DAVIDSON, Sergei MAZOV, Rossiia in Africa, Moscou, Ivi Ran, 1999, 326 p. Voir p. 232-233, entretien entre Gerasimov et Lumumba reproduit dans le dossier de lecture du CWIHP. L’URSS ne réagit pas à cet entretien par des propositions concrètes. 948 CARCOB, Levaux II : lettre de Patrice Lumumba à Marcel Levaux, Léopoldville le 21 septembre 1959. 949 SPFAE AI 4742, note de synthèse de la Sûreté congolaise sur le communisme et le Congo belge, 4e trimestre 1959, p. 7-8.
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comme de nombreux leaders congolais, Patrice Lumumba a adressé un certain nombre de demandes directement à l’URSS, selon les archives : en avril 1959, en octobre 1959 à Accra où Patrice Lumumba rédige une lettre à Savinov afin d’aider à l’organisation de la propagande de son parti et préparer ses cadres. Ainsi, il sème le doute dans la lecture bipolaire des relations politiques de l’époque, mais trace son chemin dans la trajectoire qui est africaine, tout en se servant le plus avantageusement de ces antagonismes. À l’époque de la Table Ronde, Patrice Lumumba, comme de nombreux leaders congolais, a rencontré des responsables du PCB ou des Jeunesses communistes belges, comme Albert de Coninck, ou le 7 février 1960, à Liège Jules Raskin et Marcel Levaux. Ces derniers lui ont fourni un appui logistique : l’impression de documents pour aider à l’élection du MNC et des conseils de rédaction pour sa propagande et l’organisation de son parti. Ainsi des notes de corrections manuscrites (de Levaux ?) sont relevées sur le règlement du MNC qui dit : « Le MNC est un parti nationaliste », corrigé en « national » car « nationaliste a un sens exclusif et un peu agressif950 ». Les archives de Levaux révèlent également la fourniture de 2 000 brochures relatives aux statuts et règlement du MNC pour une somme de 3 950 francs. Levaux évoque aussi l’impression d’un feuillet contenant le programme du MNC et de son affiche électorale, un projet d’insigne qu’il recommande à Lumumba de traduire en kiswahili et en kikongo951. Le 19 février 1960 à Bruxelles, il rencontre Savinov chez Jean Tervfe, entrevue lors de laquelle il évoque la proposition de la Brufina liée à la Banque de Paris qui lui aurait proposé un prêt de 5 millions de francs qu’il affirme avoir refusé car il ne peut accepter que son parti ait les mains liées. Dans un mémorandum de Savinov daté du 26 février 1960, celui-ci écrit : « que les vues idéologiques et politiques du leader du MNC ne sont pas encore complètement établies et qu’il convient donc de rester prudent à son égard 952 ». Ainsi, ces trois tentatives se soldent par une absence de réaction des Soviétiques : Lumumba n’a donc effectivement rien obtenu de la part de l’URSS et ce, jusqu’aux indépendances. Cette absence de réponse va entraîner de la part de Lumumba une réelle prise de distance à 950
CARCOB, Levaux II. CARCOB, Levaux I. 952 Mémo Savinov, op. cit. 951
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l’égard des Soviétiques entre mars et juin 1960 parallèlement à une reprise des relations avec les États-Unis. Ses relations avec les communistes belges ont été réelles mais pour le PCB, Lumumba n’est pas le leader sur lequel fonder un espoir. Pourtant selon ses détracteurs, sa proximité avec les communistes lui aurait permis d’obtenir un certain nombre d’avantages notamment financiers. À partir de mars 1960, au moment où Patrice Lumumba est nommé responsable des affaires politiques de la jeunesse et de la sécurité au sein du collège exécutif qui siège auprès du gouverneur général de Léopoldville, les rumeurs concernant un très important soutien financier des communistes s’amplifient. La mise en place d’un véritable inside job désormais vérifiable par le biais de l’analyse des archives est attestée. Exploitation, déformation, invention de données, manipulation de documents authentiques, exagération de phénomènes réels ayant existé, voilà autant de moyens utilisés par la sphère d’acteurs polysémiques ayant un objectif commun : la discréditation d’un homme pour l’écarter politiquement et économiquement. L’inside job est tout d’abord congolais : Nendaka et Kalonji en quête de légitimité politique ont largement contribué à décrédibiliser l’action de Patrice Lumumba. Suite à une invitation, Nendaka, a réalisé une conférence de presse le 23 mars à Bruxelles lors de laquelle il évoque quitter le parti car Patrice Lumumba aurait reçu 10 millions des communistes belges pour financer sa campagne électorale, orientée désormais donc à l’extrême gauche. Ce qui n’est pas su c’est que Nendaka n’est plus vice-président du parti depuis deux jours, après son éviction forcée par Patrice Lumumba le 21 mars 1960 parce qu’il avait contracté un certain nombre de prêts sans son accord. Ce travail de sape rejoint celui du patronat belge et notamment des dirigeants de l’Union minière du Haut-Katanga. Ces derniers sont effrayés : « Lumumba est un homme faux et opportuniste953 », il aurait pour but de nationaliser et de centraliser l’État, ce qui va à l’encontre des intérêts de l’UMHK pour qui le Katanga doit demeurer autonome à l’égard du pouvoir central. Sous l’impulsion de Jules Cousin président du comité local de l’UMHK, de nombreux moyens sont employés en Belgique pour relayer auprès des Américains les rumeurs de rapprochement de Patrice Lumumba avec les communistes. Ce 953
Anne-Sophie GIJS, Le pouvoir de l’absent : les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920-1961), op. cit., vol. 2, p. 376.
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lobbying s’exprime aussi auprès des hommes politiques belges et notamment le ministre Scheyven, avec l’appui d’agents secrets comme Herman Robilart du réseau Crocodile954. L’un des objectifs pour barrer la route à Lumumba était de financer des partis hostiles à celui-ci et à son projet politique, notamment le Parti national populaire (PNP) et de favoriser l’émergence du leader opposé comme Moïse Tshombe. Depuis la libération de Patrice Lumumba qu’ils considéraient comme illégitime, les membres de l’administration politico-judiciaire belge en Afrique constituent le troisième réseau qui souhaite voir la lutte anti-lumumbiste s’assimiler au combat anticommuniste. Leur perte de prestige auprès des Congolais et l’attitude de l’autorité à Bruxelles avaient complètement déboussolé les colons et pour certains, leur animosité, leurs angoisses se sont focalisées sur Lumumba. Il incarne l’échec de leur mission et la fin de leur hégémonie. Ce mécontentement des colons locaux est relayé par un certain nombre d’acteurs en Belgique auprès de certains ministres. Ainsi Arthur Doucy, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, et directeur de l’institut de sociologie Solvay de Bruxelles, affirme le 1er mars 1960 au cabinet du Premier ministre Eyskens avec Harold d’Aspremont Lynden, ministre des Affaires africaines, qu’en matière d’action politique : « L’homme à éliminer est Lumumba. Dans toute la mesure du possible faire valoir ses contacts à l’étranger. Regroupement des forces modérées par province : Katanga : Conakat, Balubakat Équateur : Union Mongo, Bolikango, Fedunec (Dyoku) Province orientale : PNP, Arabisé Kivu : ARP, Kabare Kasaï: Kalondji, Union Mongo, Ilunga, Lulua-PNP Léopoldville : Bateke, Kiamfu des Bayaka Il faudrait pouvoir mettre à la disposition de ces partis des techniciens, de la propagande et des fonds, l’ensemble pourrait coûter au maximum 50 millions955. »
954
Voir quatrième partie – chapitre IX. MRAC, Vandewalle, document privé d’Harold d’Aspremont Lynden : note au Premier ministre, conversation avec Monsieur Doucy, le 1er mars 1960.
955
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Tous ces acteurs de l’inside job ne sont donc pas désolidarisés les uns des autres. Ainsi Kalondji et Tshombe effectueront en mai 1960 un voyage à Washington, où ils seront très bien accueillis, séjour durant lequel ils ont fait la demande d’une somme rondelette aux Américains pour leur campagne électorale956. La stratégie de Solvay rejoint celle de l’UMHK. Tous sont effrayés par un Patrice Lumumba qui apparaît rétif, indomptable qui, comme l’évoque aussi Albert de Coninck, ne se laisse pas influencer957. Mais à mieux y regarder, de nombreux leaders congolais sont bien plus proches du parti communiste que Patrice Lumumba. Ainsi Antoine Gizenga s’est rendu en décembre 1959 à Berlin-Est et en URSS, Anicet Kashamura n’a pas participé à la Table Ronde en février 1960 car il effectuait un voyage à Prague dont il est revenu déçu 958 . Jean Tervfe estime que Pierre Mulele du Parti solidaire africain et Anicet Kashamura du Centre du Regroupement Africain (Cerea) sont des interlocuteurs bien plus valables que Lumumba. Pour confirmer son appréciation, aucun membre du MNC ne sera sélectionné par le PCB pour aller à Pékin ou Moscou fin mai début juin 1960. 2) Juin 1960-décembre 1960 : abattre ses cartes Après le discours du 30 juin, Lumumba cultive les ambiguïtés en adoptant une politique d’ouverture et de neutralité du Congo sur le plan international. Les Américains ont pour objectif de resserrer les rangs autour de Lumumba (même après son discours) pour empêcher l’ingérence de l’Est dans les affaires économiques du Congo959. La mutinerie de la Force publique, et plus précisément des garnisons de Thysville et Léopoldville toujours dirigées par des officiers belges et 956
NARA RG 59 CDF – 1960/63, boîte 1831. Anne-Sophie GIJS, « Une ascension politique teintée de rouge. Autorités, Sûreté de l’état et grandes Sociétés face au "danger Lumumba" avant l’indépendance du Congo (1956-1960) » Journal of Belgian History XLII, 2012, 1, p. 11-58. 958 Anne-Sophie GIJS, Le pouvoir de l’absent : les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920-1961), op. cit., vol. 2, p. 345. 959 FRUS, 1958-60, vol. XIV : télégramme de l’ambassade du Congo (Tomlinson, consul de Léopoldville) au département d’État, le 4 juillet 1960 et NARA, RG 59, CDF, 1960-63, boîte 1954. 957
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notamment le commandant en chef et général Janssens, va relancer immédiatement la suspicion d’un complot communiste du côté des Belges et chez Tshombe960. Ces mêmes officiers propagent la rumeur auprès de leurs troupes que Lumumba aurait appelé des soldats russes pour les neutraliser. Ils justifient leur insinuation en se référant à la présence d’un avion soviétique à l’aéroport de Ndjili. En réalité, la présence de celui-ci s’expliquait par la venue d’une délégation soviétique aux cérémonies de l’indépendance. Encore présente à Léo, la délégation travaillait au scellement des relations diplomatiques entre les deux États961. Les soldats africains s’en prennent d’ailleurs à ses membres dans leur hôtel à Stanleyville et sur le tarmac au moment de leur départ962. Lors de l’entretien réalisé avec Maryse Hockers, elle évoque un épisode inédit. Pierre Duvivier, conseiller politique de Patrice Lumumba, l’a emmenée chez des amis à la caserne de Thysville dans la soirée du 30 juin. Elle est allée se coucher tandis que Duvivier a continué de parler avec ses camarades assez tard dans la nuit. Selon elle, Duvivier serait lié aux mutineries qui éclatent quelques jours plus tard. Elle voit en lui un conseiller à la Janus qui d’ailleurs disparaît de Léo quelques jours après les événements comme de nombreux conseillers de la première heure963. En dépit de nombreuses recherches, cette intuition n’a pu être prouvée, la trace des actions de Duvivier au Congo s’efface après les événements de l’été 60. En aparté, elle évoque aussi comment les membres des gouvernements des pays de l’Est courtisaient Lumumba et comment il a ordonné de ne plus lui passer leurs appels après les cérémonies de l’indépendance. Pourtant, l’entourage de Lumumba s’est peu à peu composé de personnes identifiées à gauche, voire comme appartenant au bloc de l’Est : Jean Van Lierde l’ami de la première heure, Serge Michel, Mme Blouin, et Maryse Hockers. 960
Louis-François VANDERSTRAETEN, De la force publique à l’armée nationale congolaise. Histoire d’une mutinerie, juillet 1960 », Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 1993, 613 p. 961 NAK, FO 371.146640, Rapport de l’ambassadeur britannique à Léo du 18 juillet qui atteste la version de cette rumeur propagée par les officiers belges. 962 Serguei MAZOV, A distant front of the cold war – the USSR in West Africa and the Congo, 1956- 1964, op. cit., p. 88-89. 963 Jean-Claude WILLAME, Patrice Lumumba – la crise congolaise revisitée, op. cit., p. 245.
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Jean Van Lierde a eu ses premiers contacts épistolaires avec Lumumba en 1957, lorsqu’il était représentant des éditions du Seuil et qu’il « propageait beaucoup de bouquins un peu subversifs pour la direction de la colonie au Congo ». La première rencontre a eu lieu en 1958, lors de l’Exposition universelle de Bruxelles. Van Lierde aurait demandé à ce moment à Lumumba de participer à la Conférence panafricaine d’Accra, au Ghana. Il s’est rendu le 11 juin 1960 au Congo, après les élections et à la demande du ministre Ganshof Van der Meersch. Ami de Lumumba, le témoin devait servir d’intermédiaire, faciliter la communication entre la délégation belge présente au Congo et Lumumba qui venait de gagner les élections. Il est reparti du Congo le 3 juillet, peu avant la rébellion de la Force publique, et n’a ensuite jamais eu d’autre contact avec Lumumba. Concernant le discours du 30 juin, ce serait Van Lierde qui aurait incité Lumumba à l’écrire, et qui l’aurait motivé pour prendre la parole après le Roi et le président Kasa-Vubu. Lumumba aurait cependant écrit seul son discours 964 . Il avait d’ailleurs l’habitude, selon le témoin, de travailler seul, et personne n’aurait jamais eu de réelle influence sur lui. Les quelques personnes de son entourage ou de son cabinet ne pouvaient donc pas à proprement parler être qualifiées de « conseillers ». Le but de ce discours n’était pas d’exprimer une quelconque haine envers le Roi, pour lequel Lumumba avait un « grand respect », mais de marquer clairement l’accession du Congo à l’indépendance. C’était un discours écrit « par espérance panafricaine ». Van Lierde considère, quant aux conséquences de ce discours, que s’il a indéniablement « aggravé la situation », il n’a certainement pas provoqué l’assassinat de Lumumba, qui aurait de toute façon eu lieu. Pour lui, Lumumba n’était pas communiste. Ses rencontres avec des personnes proches du communisme devraient être replacées dans le contexte de l’époque où il multipliait les contacts dans différents milieux (meetings à Liège, à Charleroi, à Anvers, à l’ambassade américaine, à l’ambassade soviétique, aux jeunesses communistes, aux jeunes gardes socialistes, à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), dans les milieux protestants). Les rencontres avec des communistes doivent donc être davantage 964
Les différentes vidéos disponibles sur la cérémonie et le témoignage de Maryse Hockers attestent que Lumumba rédigeait encore le discours quelques minutes avant son exposé.
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attribuées à la « soif de contacts » de Lumumba plutôt qu’à une attirance particulière pour ce courant de pensée, auquel il ne se serait d’ailleurs que très peu intéressé « il n’avait jamais lu 10 lignes de Marx, Engels ou Lénine, il préférait Martin Luther King, Gandhi ou les autres, mais il n’avait aucune formation communiste 965 ». Jean Van Lierde a largement contribué à orienter les lectures de Lumumba, des courriers privés prouvent la soif de livres et de lectures de ce dernier. Dans leur échange épistolaire, il est souvent question de livres commandés : « J’ai reçu la facture pour les livres. J’ai donné ordre à mon comité de faire un mandat. Ajoute également sur la liste l’ouvrage de Chomé dont tu m’as annoncé la parution, de même que la biographie de Gandhi. Si tu as trouvé de nouveaux livres, tu peux encore m’envoyer une seconde facture966. »
Autre proche de Lumumba, Serge Michel est un homme au parcours peu commun qui a consacré sa vie à aider certains peuples colonisés d’Afrique à secouer le joug de la domination. Que ce soit à Alger, à Tunis, à Brazzaville, en Guinée-Bissau ou aux îles du CapVert, cet élan qui le portait vers les peuples d’Afrique s’est manifesté par ses écrits journalistiques, ses caricatures, son activité dans le cinéma et ses conseils prodigués aux gouvernants et aux élites. Après l’arrestation de la délégation extérieure du FLN par les autorités françaises en détournant l’avion qui l’acheminait de Rabat à Tunis, la bataille d’Alger au début de 1957, et le vote des « pouvoirs spéciaux » par l’Assemblée française avec la bénédiction du PCF en mars 1956 967 , Serge Michel gagne la Tunisie. C’est à Tunis que Serge 965 Rapport de la commission d’enquête parlementaire visant à déterminer les circonstances exactes de l’assassinat de Patrice Lumumba et l’implication éventuelle des responsables politiques belges dans celui-ci, Doc 500312 (1999-2000). Témoignage de Jean Van Lierde. 966 Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, op. cit., p. 99. Lettre de Patrice Lumumba adressée de sa prison à Jean Van Lierde, le 13 janvier à Stanleyville peu avant sa libération. 967 Le 12 mars 1956, la majorité de l’Assemblée nationale, Parti communiste compris, accorde les pouvoirs spéciaux au gouvernement du socialiste Guy Mollet pour poursuivre la guerre en Algérie. Dès le 17 mars, Guy Mollet donnait par décret les pleins pouvoirs à l’armée française en Algérie. Celle-ci allait s’en servir en employant les pires méthodes contre la population algérienne et le Front de
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Michel fait la connaissance du leader congolais Patrice Lumumba. Venu demander une aide technique, juridique et militaire auprès d’une délégation du GPRA à Carthage au nom de l’Unité africaine, il requiert également un spécialiste de la presse et trouve en Serge Michel un conseiller en communication d’une exceptionnelle efficacité. La presse occidentale, essentiellement américaine et européenne, n’a pas une vision très claire de ce qui se passe au Congo mais elle est très partiale comme nous l’avons étudié. Les hauts fonctionnaires nommés par les gouvernements communistes amis ne sont guère mieux informés. Leur vision s’alimente de tous les fantasmes occidentaux véhiculés par l’Histoire et la littérature coloniales. Ils font preuve de condescendance, de paternalisme, voire de « racisme » note Marie-Joëlle Rupp968. La collaboration de Serge Michel avec Lumumba commence le 5 août 1960 et dure deux mois au terme desquels le colonel Mobutu prend le pouvoir de force. Sur le plan politique, les choses sont compliquées. L’ascension et la popularité de Lumumba ne sont pas du goût de tous les acteurs politiques congolais. Pire, le jeune et populaire Premier ministre est surveillé de partout. « Il y a des flics français à la Sûreté de Lumumba. L’ONU grenouille, l’ambassade des États-Unis grenouille. Un général africain grenouille. Les Américains grenouillent. Tout le monde en veut », souligne plus tard Serge Michel dans son ouvrage969. Le 25 août 1960, Serge Michel rencontre ses anciens compagnons algériens Omar Oussedik et Mohamed Yazid ainsi que Frantz Fanon lors de la Conférence panafricaine de Léopoldville. La question algérienne, inscrite sur l’agenda de l’ONU, était prévue aux débats en décembre. La délégation algérienne à Léopoldville montre une « position réaliste » par rapport au Congo de Lumumba et cela pour ménager les Américains et les Soviétiques qui allaient peser de tout leur poids sur la question algérienne. En tout cas, les événements se précipitent au Congo. Les troupes de l’ONU entrent au Katanga et Lumumba rompt ses relations avec cette institution pour se tourner vers l’URSS. Pendant ces moments troubles, Serge Michel est traité par les
libération nationale, multipliant massacres et opérations arbitraires et généralisant l’usage de la torture. 968 Marie-Joëlle RUPP, Serge Michel, un libertaire dans la décolonisation, op. cit., p .45. 969 Serge MICHEL, Uhuru Lumumba, op. cit., p. 67.
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Occidentaux de communiste, de « déviationniste de gauche marqué par la fin du surréalisme », de conspirateur-né et d’anarchiste. La presse a même fabulé sur son identité et son nom réel 970 . Le 14 septembre, le colonel Mobutu prend le pouvoir et force Lumumba et Serge Michel à la clandestinité. Serge se réfugie dans l’ambassade de Guinée avant de passer à l’ambassade de Tunisie. Le colonel Mobutu lance contre lui un mandat d’arrêt et un arrêté d’expulsion visant à le livrer aux autorités françaises. « Les 60 jours que j’ai vécus avec Lumumba ont passé comme un orage tropical fracassant tout sur son passage : les usages, les amitiés, les habitudes, les certitudes laborieusement acquises. Après cet ouragan, rien ne sera jamais plus à la même place qu’avant. », écrit Serge Michel dans 60 jours avec Lumumba. Le 17 janvier 1961, Lumumba sera assassiné. L’aventure congolaise étant terminée, Serge Michel rejoint ses amis algériens à Tunis. Il rend compte à Ferhat Abbas de sa mission et « lui fait part de son amertume devant l’attitude des pays frères à l’égard de son ami ». Mme Blouin, elle a rejoint Lumumba dès le mois de mai 1960, envoyée par Sékou Touré pour lequel elle a une grande admiration. Métisse liée d’amitié à Andrée Kourouma l’épouse du président guinéen, elle participe à la campagne électorale congolaise, écrit certains discours et notamment celui d’Antoine Gizenga, vice-premier ministre, le 30 juillet, très critique envers le secrétaire général de l’ONU 971 . Oratrice accomplie, elle devient éditorialiste à la radio congolaise en juin 1960, surnommée « le verbe du Congo », ou « la Madame du Barry du Congo »972 par Dag Hammarskjöld avant d’être expulsée du pays après le coup d’État de Mobutu973. 970
Serge MICHEL, Uhuru Lumumba, op. cit., p. 75. Voir troisième partie, chapitre VI. 972 Joan Scott Mac KELLAR, My country, Africa, autobiography of the black Pasionaria, New York, Praeger, 1981, 284 p. 973 L’exploration de la vie d’Andrée Blouin, à travers l’autobiographie rédigée en collaboration avec l’écrivaine Jean Scott MacKellar est l’occasion pour l’autrice de revenir sur le statut difficile des métisses, des « ménagères » et d’exposer les préjugés raciaux et sexistes de la société coloniale. Souvent accusée d’avoir une sexualité débridée notamment avec des hommes puissants qu’elle a côtoyés (comme Sékou Touré et Patrice Lumumba) « la courtisane de tous les chefs d’État 971
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Maryse Hockers est âgée d’une trentaine d’années quand elle se rend au Congo en qualité d’observatrice et d’enquêtrice pour l’Institut Solvay, plus précisément au Katanga. Accusée de manœuvrer contre Tshombe, réputée indésirable par l’Union minière et Schöller, elle est priée de quitter le Katanga. Elle se rend à Léopoldville et devient secrétaire de cabinet du Premier ministre à la demande de Pierre Duvivier, chef de cabinet de Lumumba. Personnellement, elle n’a jamais joué de rôle politique actif durant ses fonctions. À la fin de la Conférence panafricaine en août 1960, Mme Hockers est arrêtée par Nendaka. Cette arrestation ayant eu pour but de l’effrayer, elle quitte le Congo. Pour Lumumba ce moment est douloureux mais il compatit à son souci de revoir ses enfants en ce moment difficile974. Elle essaie à plusieurs reprises de le contacter ou de passer des documents par l’intermédiaire du Ghana, mais sans succès. À l’instar du grand public, elle apprend la nouvelle de la mort de Lumumba par la presse. L’examen des personnalités proches de Lumumba révèle des hommes et des femmes engagés, voire libertaires militants anticolonialistes, mais aucun n’était proche du gouvernement soviétique. Début septembre, deux mois après sa prise de pouvoir officielle, Patrice Lumumba est un homme seul : ses proches conseillers et amis sont soit expulsés, soit dans l’impossibilité de le contacter ou de le voir. Les liens officiels avec le gouvernement soviétique commencent le 29 juin 1960 lorsque Nikita Khrouchtchev adresse une lettre de félicitations au Premier ministre Lumumba et non à Kasa-Vubu. Cette lettre répond à trois objectifs : la reconnaissance du Congo comme État indépendant et souverain, l’établissement de relations africains », vue comme un « agent du communisme », une « prostituée déguisée » ou la « Madame du Barry du Congo », Andrée Blouin est peu à peu réhabilitée. En effet, elle fut une oratrice de talent et la « plume » de nombreux discours prononcés par les hommes politiques qu’elle a côtoyés. Son éveil politique est lié à la mort de son fils René et à son implication pour la campagne du « non » au référendum de 1958 en Guinée. Arrivée au Congo dans le premier quart de l’année 1960, elle a comme mission de mobiliser les femmes par le biais de la plateforme du Mouvement Féminin pour la Solidarité Africaine, entre les coutumes traditionnelles et l’éducation des missions. En tant que femme, elle dut souvent faire des choix cornéliens entre sa vie familiale et son engagement militant : expulsée à la prise de pouvoir de Mobutu, mi-septembre 1960, sa mère et sa fille furent retenues en République du Congo en otages en représailles pour « contrôler » son attitude en Europe. 974 Entretien réalisé le 11 avril 2011 avec Maryse Hockers.
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diplomatiques entre les deux pays et la réaffirmation de soutien du gouvernement soviétique aux luttes de libération nationale 975 . La réponse officielle intervient le 7 juillet. Lumumba remercie le premier secrétaire et affirme vouloir « entretenir de cordiales relations d’amitié avec tous les pays qui partagent son idéal d’indépendance totale ». Indépendance totale sonne comme une précision de taille dans un contexte où les représentants des pays de l’Est sont présents au Congo, suite à la cérémonie d’indépendance. À ce moment-là, Lumumba est un homme clairement courtisé. Le premier appel conditionnel adressé au premier secrétaire général du PCUS par Patrice Lumumba revêt la forme d’un télégramme daté du 14 juillet 1960, en pleine crise du Congo. Il demande à ce dernier « de suivre d’heure en heure l’évolution de la situation au Congo », les autorités congolaises se réservant la possibilité de « solliciter l’intervention de l’Union soviétique si le camp occidental ne met pas fin à un acte d’agression contre la souveraineté de la République du Congo ». Cet appel confirme en Belgique la thèse du complot communiste976. Dans sa réponse Khrouchtchev ne s’engage en aucune façon à une intervention bilatérale, il s’abrite derrière la résolution du Conseil de sécurité « qui fait une chose utile en adoptant la résolution demandant au gouvernement belge de retirer ses troupes du territoire congolais977. » L’ouvrage de Lise Namikas a renouvelé l’analyse de la crise du Congo978, crise majeure de la guerre froide979, durant laquelle, les deux superpuissances voulaient éviter une confrontation majeure. Ils voulaient également éviter d’apparaître trop faibles auprès des États nouvellement indépendants. « In the process the Cold War became a part of the domestic crisis, and the domestic crisis a part of the Cold War980 ». Elle a bien démontré que les deux superpuissances 975
Chronique de politique étrangère, la crise congolaise, vol. XlII, nos 4 à 6, 1960, Bruxelles, Institut Royal des Relations Internationales, 601 p. 976 Anne-Sophie GIJS, Le pouvoir de l’absent : les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920-1961), op. cit., vol. 2, p. 228. 977 Chronique de politique étrangère, la crise congolaise, op.cit., vol. XIII. 978 Lise NAMIKAS, Battleground Africa – Cold War in the Congo, Stanford, W.Wilson Center, 2012, p. 11-13. 979 Michael BRECHER, Jonathan WILKENFRED, A study of crisis, Ann Arbor, The Michigan Press, 1997. 980 Lise NAMIKAS, Battleground Africa – Cold War in the Congo, op. cit., p. 19.
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n’étaient pas prêtes à faire face aux événements du Congo mais aussi que les États-Unis ont largement surestimé l’implication et les plans soviétiques en Afrique et l’aspect monolithique du communisme, les conduisant à s’impliquer plus qu’ils ne le voulaient dans cette crise.981 Le gouvernement américain et la CIA se sont comportés de façon paternaliste voire raciale envers les leaders africains, qu’ils estimaient peu préparés voire dénués des ressources nécessaires pour cerner l’intérêt de leurs nations. Face à cela, l’attitude soviétique à ce moment-là, était aussi largement déterminée par la sourde rivalité opposant l’URSS à la Chine à propos de la stratégie à adopter par les pays socialistes dans le tiers-monde982. Contrairement à la Chine, l’URSS entendait étendre son imperium en Afrique mais en s’alignant sur la position des leaders nationalistes africains qui avaient foi en l’ONU : l’URSS tenait à montrer qu’elle respectait cette institution aux « évolués » d’hier et aux dirigeants de demain. Du côté des États-Unis et des Belges, ce simple télégramme du 14 juillet 1960 avait renforcé l’impression que le syndrome communiste gagnait du terrain au Congo. Le 20 juillet, le Conseil des ministres décide de faire appel à l’URSS ou à tout autre pays du bloc afro-asiatique si la résolution du Conseil de Sécurité du 13 juillet n’est pas respectée983. Cette décision intervient juste avant que le Premier ministre décide de partir pour les États-Unis. Incohérence ? Lumumba est venu prendre contact avec le secrétaire général des Nations unies, lui exposer les causes des événements du Congo et demander son appui pour que les troupes belges quittent immédiatement le territoire de la République du Congo. Lors de la conférence de presse qu’il donne à New York le 25 juillet, un journaliste lui pose la question suivante : « Est-ce que vous comptez sur une aide économique de l’Union soviétique et quelle est votre attitude à l’égard du communisme ? ». La réponse est sans équivoque : « Pour nous le peuple congolais, l’Union soviétique est un peuple comme toute autre nation. Les questions d’idéologie ne nous intéressent pas. Notre
981
Ibid., p. 11. Voir le travail de Sergei RADCHENKO, Two suns in heavens : sino-soviet struggle for supremacy (1962-1967), Stanford, California University Press, 2009, 315 p. 983 Madeleine KALB, The Congo cables -the cold war in Africa: from Eisenhower to Kennedy, op. cit., p. 19. 982
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politique de neutralisme positif nous recommande de traiter avec toute nation qui a des intentions nobles et qui ne viendrait pas chez nous dans le but d’instaurer une domination. Je vais préciser encore davantage mes intentions à ce sujet, car on parle toujours de deux blocs. La question de ces blocs ne nous intéresse pas non plus. Ce qui nous intéresse c’est l’élément humain ; nous sommes des africains et nous le demeurons. Nous avons notre philosophie et notre morale et nous en sommes fiers » 984 . Cette réponse peut apparaître rassurante mais à un moment où la lecture des Américains est conditionnée par la maxime « ce qui n’est pas avec nous est contre nous », cette réponse ne suffit, ou plus exactement, ne convient pas. En matière de politique intérieure, il convient aussi de rassurer certains de ses propres ministres qui s’inquiètent des derniers propos de Lumumba comme Bomboko, Kanza ou Ileo. À cette date, pour l’ambassade américaine à Léopoldville et pour le directeur de la sûreté du département d’État, Lumumba n’est pas un communiste mais un opportuniste disposé à rejoindre le camp de ceux qui pourraient l’aider985. Alors qu’il refuse de s’entretenir avec des représentants de l’URSS qui cherchent à le rencontrer avant son départ pour le Canada où il reste du 28 au 30 juillet, il s’entretient avec l’ambassadeur de l’URSS au Canada et dès son retour à New York, il rencontre deux fois le représentant soviétique à l’ONU, Kuznetsov. Il est alors question d’une aide soviétique sous forme de camions, de vivres et de médicaments986. La nomination de Mickael D. Yakovlev, ancien ministre des Affaires étrangères d’Ukraine comme ambassadeur d’Union soviétique à Léopoldville confirme les échanges fructueux avec le bloc de l’Est contrairement aux échanges avec les États-Unis et l’ONU987. Ce n’est que le jour où il rompt avec Hammarskjöld, le 15 août, déterminé à utiliser ses propres forces contre la sécession katangaise, que Lumumba adresse une lettre au gouvernement soviétique par l’intermédiaire de l’ambassadeur Yakovlev :
984
Jean VAN LIERDE, La pensée politique de Patrice Lumumba, op. cit., p. 281. NARA, RG 59, CDF, 1960-63, boîte 1831. 986 Catherine HOSKYNS, The Congo since independence, Londres, Oxford University Press, 1965, p. 158. 987 Voir infra. 985
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« Le gouvernement de la République du Congo vous serait très reconnaissant de lui indiquer l’aide immédiate que votre gouvernement pourrait lui apporter directement dans les domaines suivants : avions de transport de troupes et des équipages, camions de transport de troupes, armements divers de haute qualité, matériel militaire de transmission dernier cri, ravitaillement alimentaires des troupes en campagne988 ».
Il insiste sur le fait que l’« aide est urgente et immédiatement nécessaire », pour sauver l’intégrité de la République du Congo « dangereusement menacée ». Il joint au courrier les lettres adressées à Dag Hammarskjöld les 14 et 15 août 989 . Cette précision est importante car Patrice Lumumba veut montrer que son interlocuteur n’a pas répondu à sa demande. On comprend donc qu’il a, à la miaoût, déjà renoncé à faire appel aux États-Unis et à l’ONU. Quel choix lui reste-t-il ? Il se tourne vers ses alliés africains et le gouvernement soviétique pour obtenir ce que les autres lui refusent. Ce n’est pas la première aide des Soviétiques mais celle-ci est faite dans le cadre de l’ONU, comme celle des États-Unis où il s’agissait de 10 000 tonnes de nourriture promises le 16 juillet 1960 en réponse à l’appel aux vivres passé par Hammarskjöld, acheminées le 21 par trois Ilouchines immédiatement repartis vers Accra pour transporter les contingents ghanéens de l’ONU 990 . Peu de temps après, deux Ilouchines supplémentaires sont envoyés par Moscou pour assurer la liaison Accra-Léo. Ces avions doivent également distribuer en divers endroits du pays des véhicules motorisés, de l’équipement en communication et d’autres fournitures envoyées également par le gouvernement ghanéen ce qui provoque une protestation du secrétaire général de l’ONU991. Lumumba sollicite ici, le 15 août, une implication militaire directe de l’URSS dans une opération purement intérieure. Il a été longtemps difficile de savoir dans quelle mesure Nikita Khrouchtchev a accédé aux demandes de Patrice Lumumba. Selon Jean-Claude Willame, cent camions soviétiques ont été utilisés pour convoyer des soldats du camp de Thysville vers Léopoldville d’où ils ont embarqué
988
Voir CEAF – VII BV/RDC/LUMUMBA n°01302/33, Lettre du Gouvernement de la République du Congo à l’URSS datée du 15 août 1960 989 Voir supra. 990 NARA, RG, CDF 1960-63 boîte 1955 991 NARA, RG, CDF 1960-63 boîte 1956
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par avion en direction de Luluabourg 992 . Mais dans un de ses entretiens avec Serge Michel, ce dernier affirme que les avions ne sont jamais arrivés. Un mémorandum top secret non daté du département s’occupant des pays africains au ministère des Affaires étrangères soviétique permet désormais de quantifier l’aide soviétique précisément993. « Total : for the Congo - 26 planes and 6 helicopters, for Ghana – 5 planes, for Guinea – 2 planes ». L’URSS est donc très largement derrière les États-Unis qui ont utilisé au Congo 90 avions et de nombreux hélicoptères pour assurer l’opération de l’ONU 994 . Khrouchtchev apparaît donc prudent dans une situation qui pourrait faire monter la pression entre les deux Grands mais le 20 août, il répond favorablement à la demande de Lumumba995. Cependant, Lumumba a bien utilisé des camions et des avions pour emmener ses troupes au Kasaï en préparation de son attaque contre Bakwanga et plus tard contre le Katanga996. Sans cette aide aussi minime soit-elle, rien n’aurait été possible. La fermeture des aéroports du Congo, excepté au trafic de l’ONU, par Andrew Cordier le 5 septembre stoppe l’aide directe que pouvait apporter l’URSS à Lumumba. Le gouvernement soviétique proteste contre cette mesure à l’ONU, mais il est désavoué par une partie des leaders afro-asiatiques qui dans la résolution du 20 septembre 1960 réaffirment l’interdiction de toute assistance militaire au Congo en dehors de l’ONU. Nasser, dans une conversation avec Hammarskjöld le 30 janvier, aurait évoqué être « vacciné contre le lumumbisme » et « vouloir un gouvernement congolais fort sans influence Est ou Ouest, 992
Jean-Claude WILLAME, La crise congolaise revisitée, op. cit., p. 306. CWIHP, Documents from Russian archives. A.B. DAVIDSON, Sergei MAZOV, Rossiia in Africa, Moscou, Ivi Ran, 1999, 326 p. 994 Madeleine KALB, The Congo cables - the cold war in Africa: from Eisenhower to Kennedy, op. cit., p. 19. 995 Cette réponse rapide restera inconnue des Américains jusqu’à fin septembre 1960, révélée par Mobutu. Comme le souligne Anne-Sophie Gijs, les États-Unis avaient décidé de démettre de ses fonctions Lumumba avant de connaître l’ampleur de l’engagement soviétique dans le cadre d’une aide bilatérale décidée le 20 août 1960. p. 285. 996 Anne-Sophie GIJS, Le pouvoir de l’absent : les avatars de l’anticommunisme au Congo (1920-1961), op. cit., vol. 2, p. 286-287. 993
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quelque soit le leader 997 », la RAU se dérobe aussi en refusant de laisser les avions tchécoslovaques survoler son territoire pour rejoindre Stanleyville. Nkrumah en dépit d’une correspondance secrète avec M. K 998 pour assurer l’approvisionnement des forces congolaises999, dénonce cet accord au profit d’un prêt de 30 millions de dollars accordé par l’administration Kennedy pour la réalisation du Volta River Project, prêt qui avait été gelé par l’administration Eisenhower suite aux positions hostiles de Kwame Nkrumah1000. Les armes soviétiques et les munitions reçues au Ghana n’ont jamais été remises à Gizenga et Nkrumah a conservé une attitude hostile au successeur de Lumumba lors de la Conférence de Casablanca du 3 au 7 juin 1961, sapant tout accord d’unité pour soutenir son gouvernement. L’abstention de l’URSS à cette résolution confirme que celle-ci n’est pas tout à fait prête à rompre avec l’ONU, les avions promis à Lumumba qui avaient atterri au Caire sont rentrés à Moscou, les camions soviétiques présents au Congo sont tombés aux mains de Mobutu et ont ensuite utilisés ironiquement à transporter les « révolutionnaires congolais » sur le lieu de leurs exécutions1001. Le 23 septembre, lors de son discours à l’Assemblée générale à l’ONU, Nikita Khrouchtchev réaffirme « son soutien au gouvernement légitime de Lumumba qui a le soutien du peuple congolais ». Il ajoute que les Congolais « doivent être capables de surmonter leurs difficultés par eux-mêmes et de restaurer l’ordre dans leur pays1002 ». Ce discours prouve que le soutien au gouvernement de Lumumba persiste sur le plan diplomatique (tout du moins officiellement), mais des agents soviétiques se sont maintenus actifs à Stanleyville, fief
997
Madeleine KALB, The Congo cables - the cold war in Africa: from Eisenhower to Kennedy, op. cit., p. 181. 998 Surnom de Nikita Khrouchtchev. 999 Document of russian archives. A.B. DAVIDSON, Sergei MAZOV, Rossiia in Africa, Moscou, Ivi Ran, 1999, 326 p. 1000 Idem, p. 1001 Selon le témoignage d’Edward Mutombo, secrétaire général des travailleurs congolais dans Sergei MAZOV, « Soviet aid to the Gizenga Goverment in the former belgian Congo (1960-61) as reflected in russian archives », Cold War History, vol. 7, n° 3, août 2007, p. 425-437. 1002 D.N., GAOR, A1PV 869, 23 septembre, 1960, p. 71-72.
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lumumbiste. Des armes, des bateaux de la RAU ont tout de même envoyés ainsi qu’une aide financière à Antoine Gizenga1003. Moscou a concentré aussi une partie de son énergie dans une campagne de soutien à Lumumba visant à monter les Afro-Asiatiques contre le bloc de l’Ouest sur le problème du Congo. Le 14 septembre, le colonel Mobutu donne l’ordre de renvoyer du Congo des représentants de l’Europe de l’Est. Le 15, Yakolev cherche vainement à contacter le président Kasa-Vubu dont il a reçu une lettre l’informant de la rupture des relations entre les deux pays. Il fait alors procéder à la destruction des archives de l’ambassade. L’ambassadeur d’URSS se rend ensuite chez Dayal pour lui demander des autorisations d’atterrissage et de rapatriement dans un délai très court. Cela ressemble fort à un départ précipité. À cette date, Patrice Lumumba a été révoqué par le président de la République, il tente de récupérer sa légitimité, mais se voit entravé par le coup d’État du colonel Mobutu. Désormais le problème congolais va s’externaliser à l’ONU et aux États-Unis, et va devenir un enjeu diplomatique, laissant de côté la réalité du terrain et le sort de Lumumba aux acteurs internes : c’est-à-dire les Congolais et la CIA encore présente. Lorsque Lumumba est arrêté le 1er décembre 1960 par les soldats de Mobutu, les Russes condamnent l’OTAN et l’ONU : ils appellent à libération de Lumumba, le désarmement des troupes de Mobutu et la création d’un comité spécial afro-asiatique chargé d’enquêter sur les sources de financement et d’approvisionnement des armes du clan Mobutu. Leurs efforts diplomatiques au quartier général de l’ONU portent leurs fruits, le soutien des Afro-Asiatiques est de plus en plus évident, mais ils échouent à assurer la libération de Lumumba. L’annonce officielle de la mort de ce dernier le 14 février 1961 offre 1003
Ernest LEFEVER, Uncertain Mandate. Politics of the UN Congo operation, Baltimore, The John Hopkins Press, 1967, p. 100. Ce dernier s’était tourné dès le 8 septembre en désespoir de cause vers le gouvernement de la République populaire de Chine pour demander une aide immédiate en personnel, armement, finances et ravitaillement. La réponse intervient le 12 selon la lettre du 14 septembre adressée par Antoine Gizenga en remerciement : « j’ai l’honneur de remercier le gouvernement de la République Populaire de Chine d’avoir daigné nous accorder une aide dont mention dans Votre message du 12 courant (...) Votre geste en ce moment tragique que traverse le Congo est une marque de sympathie et de soutien pour notre pays ».
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au gouvernement soviétique l’occasion de mener la campagne antioccidentale et anti-ONU à son paroxysme. Dans une violente déclaration à l’ONU, Nikita Khrouchtchev réclame l’arrestation de Tshombe et de Mobutu par les forces onusiennes, le désarmement de leurs troupes et l’expulsion des Belges du Congo1004. Il insiste sur le court délai : pas plus d’un mois. Mais la résolution du 21 février 1961, qui renforce le mandat de l’ONU, est soutenue très largement par les Afro-Asiatiques et l’URSS a dû une nouvelle fois s’abstenir. Ainsi, le président Nehru a refusé son soutien à Moscou dans une lettre datée du 22 février. Après la chute et le décès de Lumumba, l’URSS continue néanmoins à soutenir le gouvernement de Stanleyville, le plus souvent par le biais de déclarations enflammées contre les modérés. Le Congo a été le premier test politique du bloc soviétique en Afrique. Pour corroborer la thèse de Sergei Mazov, le rôle de l’URSS au Congo a été ambivalent. En effet, l’influence soviétique au Congo a été très limitée, et en dépit de son style flamboyant, Nikita Khrouchtchev a strictement appliqué le principe selon lequel la politique est l’art du possible. L’implication de l’URSS a été moindre que celle des États-Unis mais les avions et les camions fournis ont avivé les tensions dans l’escalade de la crise. À la fin des années soixante, il était évident pour qu’il n’y avait Khrouchtchev aucune chance d’inverser la situation à son avantage, il a donc décidé de se désengager de la crise et de laisser Lumumba avec lequel il n’avait pas tissé de relations profondes 1005 . Il est vrai qu’au départ, les Soviétiques avaient un inconvénient de taille : ils avaient peu d’alliés et d’amis sur place1006. À l’ONU, ils ont eu à affronter le bloc des États afro-asiatiques qui ne voulaient pas céder à la pression des deux blocs. Au Congo, ils ont pu s’appuyer sur deux ministres : Anicet Kashamara, le ministre de l’information et Antoine Gizenga, le vicePremier ministre, mais ceux-ci sont décrits avant tout comme des marxistes et non des soviétiques convaincus. De plus, à l’origine, Patrice Lumumba était hostile à l’URSS. Il est important de se
1004
U.N., SCOR, supplément des mois de janvier, février, mars 1961, S/4704, 14 février 1960, p. 1. 1005 Sergei MAZOV, A distant front in the Cold war – the USSR in West Africa and the Congo, 1956- 1964, op. cit., p. 76-155. 1006 Lise NAMIKAS, Battleground Africa – Cold War in the Congo,op. cit., p. 224.
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souvenir que son premier appel à l’aide fut donné en direction de Washington, le second en direction de l’ONU, le troisième en direction des « puissances de Bandoung », le quatrième en direction plus largement des pays africains. C’est presque en désespoir de cause qu’il décida de solliciter l’aide des Russes. C’est peut-être pour cette raison qu’ils ont toujours refusé d’intervenir directement pour soutenir Lumumba et qu’ils ont choisi d’opérer sous la direction de l’ONU, diminuant ainsi leur potentielle autorité et leur contrôle. Pourtant, le fait de n’avoir pas soutenu Lumumba dans la durée et d’avoir essayé de le sauver est sûrement l’un des faux-pas les plus importants de Khrouchtchev comme le prouve son soutien tardif et timoré à Antoine Gizenga à la tête non plus d’un pays mais d’une province1007. En effet, l’opposition soudanaise au ravitaillement de Stanleyville par leur frontière conduit les Russes a envoyé une aide financière de 250 000 dollars pour payer les soldats et le carburant, argent qui aurait été détourné par Pierre Mulele selon Richard Dvorzack, ambassadeur de la Tchécoslovaquie à Moscou. Lors d’une conférence sur la crise congolaise tenue en septembre 2004 au Centre international Woodrow Wilson, Larry Devlin, l’ex-agent de la CIA a révélé comment les services secrets ont organisé une opération visant à distraire « le porteur de valise » responsable du transport de l’argent du Caire à Stanleyville, et comment ils ont procédé au vol de cette valise1008. Il est donc important de rester prudent sur les interprétations de corruption des acteurs impliqués dans le conflit. Les fausses archives, les faux témoignages existent et se révèlent peu à peu. Toujours est-il que faute d’aide, Gizenga se tourne lui aussi vers les États-Unis dès le 10 mars 1961 en recevant avec beaucoup de chaleur Frank Carlucci, un membre de l’ambassade américaine à Léopoldville 1009 . Gizenga finit par intégrer le gouvernement d’Unité nationale de Cyrille Adoula, le 2 août 1961.
1007
Sergei MAZOV, « Soviet aid to the Gizenga Government on the former belgian Congo (1960-1061) as reflected in Russian archives », Cold War History, vol. 7, n° 3, août 2007, p. 425-437. Lise NAMIKAS, Battleground Africa – Cold War in the Congo, op. cit., p. 226. 1008 Lise NAMIKAS, History through Documents and Memory, p. 74. 1009 FRUS, 1961-1963, vol. XX, 103.
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La crise congolaise a révélé une géopolitique compliquée et des relations diplomatiques soviétiques qui oscillent entre impératifs sécuritaires et idéologiques. Les leaders communistes et soviétiques n’ont pas été motivés pour maintenir Lumumba au pouvoir car il n’incarne pas pleinement leurs valeurs, mais aussi par pragmatisme : tous avaient plus à perdre qu’à y gagner.
B - L’enjeu camerounais et le rejet centrafricain Si Ruben Um Nyobè a affiché une attitude globalement claire visà-vis du communisme, Félix Moumié est « réputé » pour avoir largement « cultivé » l’ambiguïté envers le PCF et favorisé les liens avec l’URSS et enfin la Chine. Les liens avec l’idéologie communiste semblent plus serrés avec les leaders camerounais qu’avec les leaders congolais. Le statut de Cameroun sous tutelle a très tôt intéressé les Soviétiques et notamment Molotov, imaginant très clairement que les territoires sous tutelle représentent un enjeu important, notamment à l’ONU, pour l’URSS. Sous la houlette de Ruben Um Nyobè, l’UPC a dans ses déclarations et ses écrits toujours réaffirmé l’indépendance totale vis-à-vis des partis politiques français. Nyobè a évoqué de nombreuses fois que son parti avait pour objectifs l’unité et l’indépendance de son pays ainsi que le progrès social de toutes les couches de la population mais ne pouvait, en aucun cas, prendre la forme d’un parti de classe et se placer sous l’obédience d’une idéologie politique. « Les peuples coloniaux font leur propre politique qui est la politique de libération du joug colonial. Dans leur lutte pour cet objectif si noble, les peuples coloniaux observent et jugent. Ils observent les gouvernements, les partis, les personnages et les organes de presse, non sur leur idéologie, mais seulement et seulement sur leur attitude à l’égard des revendications de nos pays. Voilà la position de l’UPC au service du peuple kamerunais1010 ».
Ruben Um Nyobè affiche donc une liberté d’observation et de jugement sur l’attitude des gouvernements, des partis, des 1010
Voir brochure, Ce que veut le peuple camerounais, p. 103. Archive privée de l’auteure.
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personnages et des organes de presse. Il insiste sur le droit à ne pas être d’accord avec un gouvernement, un parti ou un personnage politique mais il se réserve la possibilité de réaliser un accord avec une de ses trois entités sous la seule bannière de l’anticolonialisme. À l’inverse ces trois entités peuvent ne pas être d’accord avec la discipline intérieure de l’UPC mais ce désaccord ne doit pas entraver la liberté des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes 1011 . Il dénonce que l’UPC soit « calomnieusement » qualifiée de communiste parce qu’elle est soutenue par certains membres du PCF et notamment à l’ONU. Le PCF est le seul parmi les partis politiques français à soutenir les peuples qui luttent pour leur indépendance. Les leaders camerounais ont expérimenté la politique et la lutte pour les droits auprès des GEC, ils ont obtenu des aides matérielles, financières pour soutenir leur mouvement de libération mais Nyobè rappelle que l’UPC n’est pas à la botte du PCF et n’a pas approuvé le vote des pouvoirs spéciaux par celui-ci au gouvernement Guy Mollet sur l’Algérie en 1956. La désapprobation de l’UPC s’est d’ailleurs exprimée dans La Voix du Kamerun : ce vote est pour les upécistes contradictoire avec le principe du droit des peuples à disposer d’euxmêmes, il demeure un vote de « Realpolitik » interne ayant pour objectif un rapprochement éphémère entre les socialistes et les communistes qui débouche sur un gouvernement réactionnaire. Cet épisode est également abordé par Félix Moumié dans une lettre du 14 mai 1956 adressée aux dirigeants du PCF. Il revient sur cet événement dans une lettre au style très véhément. Si la reprise de l’argumentaire de Nyobè est quasi copiée, Moumié va plus loin : « Nous voulons entretenir des relations avec tous ceux qui peuvent aider notre cause tout en restant ce que nous avons été – des marxistes convaincus. (…) La force du marxisme est la critique et l’autocritique. (…) Si une puissance quelconque acceptait de défendre notre cause sans aucune subordination préalable nous ne rejetterions jamais cette offre (…) Les Américains nous auraient déjà soutenu si nous leur avions tendu la main1012. » 1011
Um NYOBÉ, Écrits sous le maquis, introduction rédigée par Achille MBEMBE, op. cit., p. 216. 1012 Um NYOBÉ, Écrits sous le maquis, introduction rédigée par Achille MBEMBE, op. cit., p. 58. Fonds du PCF POLEX 261J7, Afrique noire 31.
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Nyobè dans le maquis, Moumié répond pour le bureau politique aux accusations de trahison faites par Louis Odru du Sdece suite aux positions de l’UPC qui chagrine le PCF après l’investiture de Guy Mollet et au contact établi avec Claude Gérard. Moumié réagit de façon vive et reproche au PCF de ne pas assez communiquer sur leurs actions en faveur du Cameroun et le manque de réactions dans la presse suite aux événements de mai 1955 : « S’il faut des fellaghas pour qu’on s’occupe de nous, nous saurons en faire éclore ! » Pourtant les leaders camerounais ont jusqu’à cette date, qui marque un coup d’arrêt dans les relations UPC-PCF, entretenu des relations confraternelles, surtout utiles voire utilitaires. Le vote de la Loi-cadre en 1956 par le PCF malgré la trahison d’Houphouët-Boigny pousse Félix Moumié à se tourner vers la Chine, notamment après la mort de Nyobè. Jusqu’en 1955, les échanges et les rencontres ont été nombreux entre communistes et leaders camerounais. Ainsi, Jacques N’Gom est invité en tant qu’observateur au XIIIe Congrès du PCF suite à la scission du RDA et au « repli stratégique 1013 ». Le leader camerounais vient y chercher « solidarité et aide » auprès « du seul parti politique de France qui reconnaît sans équivoque le droit des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes ». Les archives font également état de demandes de bulletins d’adhésion et de cartes d’adhérents au PCF par des Camerounais, demande formulée par François Fosso [sic] de l’UPC, secrétaire général de la JDC. La réponse de Mignot, conseiller communiste de l’Union française est la suivante : « Le PCF est soucieux de respecter la personnalité propre à chaque peuple. Il proscrit toute politique d’assimilation et ne s’immisce jamais dans la vie intérieure des partis ou organisations en dehors des frontières de la France. Il n’est donc pas possible que vous puissiez lui donner votre adhésion1014. »
1013 Fonds du PCF POLEX 261J7, Afrique noire 31, adressé du Comité directeur de l’UPC au XIIIe congrès du Parti communiste français du 3 au 7 juin 1954. 1014 Fonds du PCF POLEX 261J7, Afrique noire 31, notice de travail sur les rapports actuels entre l’UPC et le PCF.
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Ainsi tout semble clair et en accord entre les dirigeants du PCF et l’UPC. Mais ce refus du PCF est interprété par le Sdece de la façon suivante : « (…) Fidèles à la tactique exposée dans les ouvrages théoriques de Lénine et Staline pour le développement du communisme dans les territoires dépendants, [les dirigeants du Parti] ont voulu éviter que le mouvement révolutionnaire camerounais ne perde en se rattachant de façon trop voyante au PCF, cette façade de nationalisme derrière laquelle se dissimule toujours l’action communiste dans les territoires non autonomes1015. »
Une interprétation très politique et peu convaincante. D’ailleurs, Louis Odru aurait utilisé cette rhétorique pour justifier auprès des médias la position de l’UPC sur l’investiture de Guy Mollet. Cette action a ulcéré Moumié qui considère que c’est à l’UPC de se défendre par elle-même de ne pas être communiste1016. Ainsi, aucun Parti communiste camerounais n’est formellement créé mais l’UPC reçoit de nombreuses aides multiformes. Des échanges de brochures, de documents, de lettres et d’ouvrages sont attestés dans les archives. Plus précisément, les échanges se font de la France vers le Cameroun, les demandes des leaders camerounais sont souvent identiques. Ils réclament des ouvrages précis de culture politique générale et de procès emblématiques comme La défense accuse et Défendons nos droits de Marcel Willard1017, puis Les larmes de la douleur de Paul Éluard, La nouvelle démocratie de Mao Tsé Toung, J’accuse de Zola, Les Lettres d’Ethel et de Julius Rosenberg, puis les poèmes d’Ethel à ses enfants ainsi que des documents sur la conduite du procès 1018 . Les demandes de brochures et de cartes de visite1019 sont récurrentes, ce qui révèle le dénuement des cadres de l’UPC. Les brochures envoyées par le PCF servent d’inspiration à la réalisation de brochures propres aux combats de l’UPC dont la
1015
SHD 6H237, Liaison UPC-PCF, non daté. Fonds du PCF POLEX 261J7, Afrique noire 31, lettre du 14 mai 1956 de Félix Moumié adressée aux dirigeants du PCF. 1017 Fonds Kaldor, dossiers Comité de défense des Libertés démocratiques en Afrique, lettre de Félix Moumié à Kaldor datée du 12 août 1954, réponse datée du 9 novembre 1954. 1018 Ibid., lettre de Félix Moumié à Kaldor datée du 8 août 1953 envoyée de Maroua. 1019 Ibid., lettre de Félix Moumié à Kaldor datée du 8 août 1952. 1016
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réalisation est de plus en plus « soignée » sur le fond et la forme, comme le remarquent les services du Sdece. À la rédaction des journaux et des bulletins de la JDC (La vérité) et des étudiants camerounais en France (Kaso), s’ajoute la distribution de tracts autour de trois centres vitaux : Douala, Bafoussam et Yaoundé, dont la qualité s’améliore également1020. Cette notice du Sdece insiste sur les nombreux progrès de l’organisation de l’UPC suite aux contacts avec les organisations communistes. Pour la tenue de leurs réunions, la prescription légale est mieux suivie, les interventions des leaders se font en délégation et non plus individuellement devant les autorités. Les progrès dans la rédaction des tracts et des courriers induisent de fortes répercussions médiatiques des motions ou des télégrammes de protestations auprès des autorités de l’ONU, de l’administration coloniale et des tribunaux. Cette notice révèle un renforcement de la discipline chez les militants suite à des sanctions prises par le Comité directeur. Félix Moumié est d’ailleurs très réactif, comme Nyobè, aux critiques faites par le PCF sur l’absence de discipline au sein des comités de base et sur l’absence de fiabilité des informations relayées de la base vers le bureau politique1021, notamment les événements de mai 1955 dans la région de Bafoussam. Certaines victimes auraient « gonflé » l’importance de la répression et Moumié aurait relayé ces informations de syndicalistes locaux sans vérification au PCF qui les a publiées dans L’Humanité, au grand mécontentement de Louis Odru. Les apports par le PCF sont également très importants dans le domaine de l’aide juridique par le biais d’avocats spécialisés qui permettent la multiplicité des recours possibles. Désormais les affaires sont conduites par des avocats reconnus, dont le fonds Kaldor permet de dresser une liste non exhaustive. Au Cameroun : Maîtres Pierre François, Yves Louisia et Battu, en France : Léon Mattarrasso, Pierre Stibbe, Marie-Louise Jacquier-Cachin, André Mayer, Henri Douzon, Marcel Willard et Pierre Braun1022. Ainsi, Ruben Um Nyobè sollicite Kaldor par lettre le 26 août 1952, sur les fraudes électorales et des
1020
SHD 6H262. Fonds du PCF POLEX 261J7, Afrique noire 31, lettre de Félix Moumié du 7 mai 1955 adressée à Louis Odru. 1022 Voir infra. 1021
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conseils sur les éventuels recours juridiques possibles1023. De son côté, Moumié demande expressément qu’un avocat proche du PCF soit envoyé pour le procès de Nyobè le 6 juin 1955 à Yaoundé, pour qu’il soit défendu au mieux. Selon son avis, si cette demande n’avait pas de suite, ce serait désavouer le leader1024. À compter de l’interdiction de l’UPC en 1955, les dissensions entre les membres du bureau politique de l’UPC s’exacerbent et la ligne politique, jusque-là relativement unitaire, se fracture en plusieurs approches. Deux documents majeurs permettent de faire le point à ce sujet : la correspondance entre Mathieu Tagny et Um Nyobè publiée par La presse du Cameroun et une lettre adressée à ce dernier par les leaders du Parti Populaire Kamerunais (PPK) 1025 . Mathieu Tagny déplore le « communisme athée » revendiqué notamment par Félix Moumié qui, pour lui, « chasse des rangs de l’UPC des centaines de croyants ». Sur ce point, Nyobè d’ailleurs concède que Tagny n’a pas globalement tort, il évoque les camarades qui « se croient malins et sont des illusionnistes » dont le positionnement porte atteinte au mouvement dont le contenu est intrinsèquement nationaliste, ce qui pour lui, ne peut être contesté par personne. C’est la seule concession qu’il accorde à Tagny car sur les autres points d’accusation, il reste ferme et tient les rangs serrés. Pourtant les accusations pleuvent sur le trio de Kumba, à savoir les leaders du Comité National d’Organisation (Félix Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingué) : suspicion d’assassinats d’upécistes en désaccord avec le trio, détournements de fonds après le limogeage de Ngapeth le trésorier général de l’UPC, ingérences politiques dans la JDC, passage en force sur certaines décisions politiques comme l’abstention aux élections du 23 décembre 1956 et l’usage de la force par la rébellion armée. Tagny insiste sur l’inefficacité militante du trio qui « veut bien que les autres se battent, mais se croisent les jambes et bavardent en songeant au jour où ils monteront au pouvoir ». Les leaders du PPK complète la lettre de 1023
Fonds Kaldor, dossiers Comité de défense des Libertés démocratiques en Afrique. 1024 Fonds du PCF POLEX 261J7, Afrique noire 31, lettre du 7 mai 1955. 1025 CAOM, FM 3336, copie de la lettre de Mathieu Tagny parue le 1er février 1957 à la Une de la Presse du Cameroun, réponse de Ruben Um Nyobè datée du 18 juin 1957 parue dans le même journal. CAOM FM 3336, copie d’une lettre adressée à Um Nyobè par les leaders du PPK : Jacques Ngom, André Nyobè, Calvil Essombo, Marie Ngapeth, Jean Ngansy, Tchientche Emmanuel, Félix Song et J. Emile Kohn.
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Tagny par une charge monumentale contre Félix Moumié dans leur courrier interne à l’UPC et intercepté par la FOM. Il est accusé d’avoir substituer aux méthodes de décisions collectives des décisions individuelles en dépit des statuts, d’avoir provoqué inutilement les autorités coloniales, de détourner les fonds de l’UPC 1026 , de « se considérer comme un dieu », « de parader », « d’être un fanfaron », de mener une « politique destructive ». Ce collectif reproche à Nyobè « d’avaler des couleuvres » dans le but de préserver l’unité de la direction du mouvement. Globalement, Nyobè coincé au maquis et porteur des désillusions onusiennes, est devenu impuissant à gérer la direction collégiale. Le trio de Kumba, encore libre d’exprimer leur idées et leurs ambitions sont poussés vers d’autres appuis notamment intra-africains, puis, après des échecs et des revers importants1027, vers un partenaire nouveau sur la scène internationale : la Chine. Le 8e Congrès du Parti communiste chinois en 1956 marque la volonté chinoise d’étendre son influence en Asie et en Afrique. La rupture sino-soviétique de 1960 a favorisé la mise en place d’une politique extérieure chinoise spécifique à destination des pays du tiersmonde1028. Frileuses pour s’engager concrètement militairement, les autorités chinoises ont largement prôné l’assistance militaire par le transfert d’armes et de formation. Les armes chinoises étaient généralement fournies gracieusement. Mais il arrivait quelquefois que les armes aient été concédées dans le cadre de prêts à long terme sans intérêt, pour gagner de l’influence comme puissance radicale du tiersmonde. L’autre volet de l’assistance militaire chinoise était la formation. De nombreux combattants ont été formés en Chine et en Afrique dans les camps par des instructeurs chinois. Les contacts entre Félix Moumié et le gouvernement chinois sont attestés à partir de
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Beaucoup reprochent au trio de Kumba de mener un train de vie dispendieux lors de leur exil. Toute allusion à cet état de fait provoque encore aujourd’hui des réactions épidermiques chez certains et débouche sur des accusations néocoloniales. Se référer à certaines réactions des auditeurs et des lecteurs après mon passage à l’émission « Mémoire d’un continent » et l’article sur le blog Africa4 de Libération. De même, évoquer les dissensions internes à l’UPC reste difficile comme le révèle les réactions aux ouvrages de d’Achille Mbembe et le travail de Simon Nken. 1027 Voir troisième partie, chapitre VII. 1028 Sergei RADCHENKO, Two suns in the Heavens, Redwood City, Stanford University Press, 2009, 288 p.
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1958 1029 , c’est-a-dire, après la mort de Nyobè et les grandes désillusions politiques du milieu des années cinquante. Cette nouvelle orientation de l’UPC a sûrement été possible par le transfert des compétences de Nyobè à Moumié, qui aurait sans nul doute, désapprouvé cette nouvelle orientation. À cette époque Moumié prend des décisions politiques et financières pour permettre à l’UPC de se relancer et faire face à l’enjeu de former des cadres, en dépit de la fermeture de l’École de Douala. La Chine offre une base financière et logistique de grande envergure, a contrario moins frileuse, moins regardante que l’URSS sur ses prises de positions à l’égard des pays en voie de décolonisation. À l’issue de son voyage en Chine en 1958, Moumié obtient les soutiens escomptés. À compter de cette période, il vit et fait fonctionner principalement l’UPC avec les subsides chinois, prépare et développe l’Armée de libération nationale kamerunaise (ALNK). Comme pour bon nombre de Camerounais et d’Africains, la Chine tout comme l’URSS représente un pays ami, anticolonialiste, non raciste, un pays « rêvé ». Moumié favorise le départ de nombreux jeunes upécistes en Chine pour une formation politique et surtout militaire. L’objectif pourrait être de former des étudiants capables par le niveau de connaissance acquis de former des cadres ayant une conscience politique. Pour la Chine, il s’agit de tisser un réseau d’amis sincères et de diffuser la doctrine maoïste. Les études sur ce sujet sont maigres a contrario de celles sur l’accueil des étudiants africains en URSS en plein développement scientifique grâce au programme de recherche ELITAF 1030 . Les archives consultées sous dérogation au SHD portant sur les jeunes upécistes interpelés par le Sdece à leur retour de Chine sont édifiantes : ces expériences de séjour en Chine sont de grandes déceptions 1031 voire de véritables désillusions. Les conditions de vie sont très dures en Chine, ils découvrent la lourdeur de la bureaucratie chinoise, leur accueil est compliqué : indifférence, 1029
SHD 6H271, correspondance entre Moumié et le gouvernement chinois. Monique (DE) SAINT MARTIN, Grazia SCARFO-GHELLAB, Kamal MELLAKH (dir.), Étudier à l’Est. Expériences de diplômés africains, Paris, Karthala, coll. « Hommes et Sociétés », 2015, 300 p. 1031 SHD 271, témoignages de jeunes étudiants camerounais partis en Chine voir également Constantin KATSAKIORIS, « Les promotions de la décolonisation. Les premiers étudiants africains en URSS et leurs désillusions, 1960-1965 » et Sergei MAZOV « Les promotions de la décolonisation. Les premiers étudiants africains en URSS et leurs désillusions, 1960-1965 », dans ibid., p. 37-46 et p. 79-91. 1030
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isolement, manifestations de racisme à leur égard. Certains ont écrit en vain à Moumié pour rentrer au Cameroun. À l’instar de l’URSS1032, le gouvernement chinois semble laisser le choix des impétrants au leader camerounais, il ne s’agit donc pas pour Moumié de se désavouer. La disparition de celui-ci ne remet pas en question l’aide chinoise et ce, jusqu’à la disparition totale du bureau politique de l’UPC. Le souhait d’utiliser toutes les bonnes volontés pour aider la lutte anticoloniale de Patrice Lumumba, Ruben Um Nyobè et Félix Moumié les a placés à des degrés divers, en situation de fragilité politique sur l’échiquier des relations internationales : leurs sollicitations les ont rendu redevables en dépit de leur volonté de réussir seul. Sans réseau, sans grande expérience de politique internationale, sans fortune personnelle, la tâche était immense et scabreuse. À l’opposé, Barthélémy Boganda a farouchement refusé toute « compromission » avec les communistes, que ce soit le PCF, le PCUS ou le PCC : ses émoluments de député dans les différentes assemblées, la logistique du MRP lui ont permis de faire face aux besoins de son parti naissant, le Mesan. Puis, les revenus de la Socoulolé ont permis d’entretenir la lutte de libération nationale. Boganda a fui le recours à des avocats du PCF et financé sa propre défense. Sa peur et sa haine du communisme, il la martèle dans bon nombre de discours et écrits : « Le péril jaune, panarabisme et le communisme : voilà les dangers très graves qui menacent particulièrement l’Afrique noire1033. « Le communisme et le panarabisme parfois solidairement, souvent séparément, se sont installés dans nos murs. C’est une lutte dans laquelle les armes seront inutiles et la communauté impuissante. Si l’Afrique n’est pas vigilante et unie, elle sera submergée et engloutie dans le tourment et notre situation sera pire que la première1034. « Deux dictatures : à droite avec De Gaulle, la dictature bourgeoise qui a été l’agent de la traite des nègres et de l’esclavagisme, la cause de la
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Sergei MAZOV, ibid., p. 82. Plus de douze occurrences de cette phrase dans l’ouvrage : Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d’édition. 1034 Barthélémy BOGANDA, Pour une République centrafricaine, l’AEF face à l’avenir, n° 8, 1958. 1033
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Révolution française ; à gauche, avec Staline, la dictature ouvrière, cause de tous les désordres dont le monde d’aujourd’hui est le théâtre : Madagascar, Indochine, Chine… « La sagesse, la justice sociale, la liberté et l’égalité démocratique, la fraternité humaine ne se trouvent pas dans ses retentissants rassemblements extrémistes ni dans les cliquetis des armes1035. »
Boganda affiche des positions anticommunistes claires, sans ambiguïté et jeu dangereux, il aurait pu représenter un interlocuteur privilégié pour les Français et les Américains mais il a été peu sollicité par ces derniers et très encombrant pour les premiers. Boganda fait très peu appel à la bipolarité dans ses écrits ou discours même les Américains sont loin de ses préoccupations, il semble enclin à jouer un rôle moindre sur la scène internationale que les autres leaders étudiés, comme en témoigne l’absence de voyages dans les pays évoqués : pour lui la tâche est avant tout nationale et panafricaine. Évoquant les accusations nombreuses sur son communisme présumé, Gabriel d’Arboussier écrivait : « On voulait me faire adjurer une foi que je n’avais jamais épousée » 1036 . Cette remarque peut s’appliquer à nos leaders. Attirés au mieux par le marxisme, le PCF ou le PCB ont représenté des opportunités pour acquérir expériences politiques, réseaux et moyens de subsistance. Les leaders avaient pour objectif de devenir les égaux des communistes et non leurs élèves, ils ont utilisé les GEC et l’aide des partis mais ne souhaitaient pas en devenir l’instrument aveugle. Ainsi les archives ne révèlent que d’infimes traces de financement communiste et une faible implication soviétique pour défendre les leaders menacés. Par exemple, en dépit des apparentements le PCF ne finance pas le Congrès du RDA à Bamako en janvier 1949. De leur côté, les élus coloniaux étaient convoités car ils étaient, dans toutes les instances, sources de voix. Néophytes, ils ignoraient parfois les tractations, les précautions, les accords qui étaient passés souvent à leur insu. Leur fragile expérience, parfois mêlée d’entêtement et d’aveuglement n’a pas réussi à inverser l’effet de surprise qu’ils ont suscités. Après tout, les leaders africains ont été pour la classe politique européenne des révélations loin des 1035
Jean-Dominique PÉNEL, Karine RAMONDY, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1951-1959, op. cit., en cours d ’édition. Questionnaire daté de 1950. 1036 Gabriel D’ARBOUSSIER, Intime réflexion, BDIC F delta 1104/1
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clichés coloniaux véhiculés par la propagande coloniale. En dépit de cette analyse plus fine, le constat est clair : l’injonction à être communiste a tué les leaders. Elle a été le prétexte trouvé pour mettre fin au leadership de Nyobè et Lumumba en dépit leurs précautions prises politiquement. Si Moumié a été plus convaincu par les idées marxistes et s’est rapproché plus ouvertement du communisme chinois, Boganda les a toujours rejetées violemment. Cela ne l’a pas gardé en vie pour autant.
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IX - Barbouzes et indics à l’affût : favoriser les « hasards » Le secret d’État est porteur d’une part d’ombre et de mystère. Son traitement, sa maîtrise et son dévoilement sont longtemps restés et restent encore la prérogative du pouvoir. Le renseignement est depuis peu une dimension à part entière des relations internationales, les Anglo-Saxons ayant été précurseurs en ce domaine 1037 . En fait, l’Histoire du secret éclaire celle de la démocratie puisque la part de secret indique « en creux » ce que le pouvoir politique est prêt à garder ou à faire connaître. Souvent traité dans des récits et mémoires d’anciens agents 1038 , le secret et les activités des services de renseignements sont aujourd’hui placés dans une perspective historique et politique. Le prisme de l’assassinat politique permet d’en saisir quelques aspects de fonctionnement : le lien entre renseignement et politique est clairement idéologique et tendu vers un but unique : contrôler. Les activités des services sont de quatre ordres : recherche de renseignements, contre-espionnage, actions clandestines et opérations spéciales. Au tournant des années soixante, la période de la guerre froide cristallise l’enjeu du renseignement. Le Military Intelligence, section 6 (MI6) connu aussi sous le nom de Secret Intelligence Service (SIS) est le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni. Son rôle est de produire des renseignements sur les sujets concernant les intérêts vitaux du
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En France, les sciences sociales n’ont pas beaucoup étudié le renseignement, à la différence du monde anglo-saxon. Le regard culturel porté sur le secret par le pouvoir politique en France est en tension avec la société démocratique a contrario de la tradition anglo-saxonne où le roman policier et d’espionnage sont souvent l’œuvre d’anciens membres des services secrets. Voir Olivier FORCADE, Sébastien LAURENT, Secrets d’État. Pouvoirs et renseignement dans le monde contemporain. Paris, Armand Colin, coll. « L’histoire au présent », 2005, 240 p. 1038 Voir les nombreuses références ci-dessous de « mémoires » d’anciens agents américains, anglais et français.
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Royaume-Uni en matière de sécurité, défense, politique étrangère et politique économique. Il est dirigé de 1956 à 1958 par Sir Dick Goldsmith White qui a été à la direction du MI5 durant plusieurs années1039. La création de la CIA intervient en 1947, dans le contexte de l’après-Seconde Guerre mondiale : la menace communiste induit dorénavant qu’il est impossible pour les États-Unis de revenir à leur politique traditionnelle d’isolationnisme. La Central Intelligence Agency, Agence centrale du Renseignement en français, prend la suite de l’Office of Strategic Services, créé pendant la guerre1040. Durant les années cinquante, la CIA acquiert de la puissance sous la houlette de Allen W. Dulles, directeur civil de la CIA de 1953 à 1961 qui incarne aussi les ambiguïtés de l’Agence car son frère est aussi secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères) sous la présidence Eisenhower. Depuis la prise de pouvoir de Fidel Castro à Cuba, ce dernier est devenu la « bête noire » de l’Agence, qui échafaude divers plans pour le renverser ou l’assassiner. Leur réalisation se solde par une catastrophe avec le débarquement dans la baie des Cochons, le 16 avril 1961, de mille quatre cents hommes entraînés et financés par la CIA. Dès lors, la CIA est accusée d’être impliquée dans les assassinats de Rafael Trujillo, dictateur de Saint-Domingue, en 1961, mais aussi de Patrice Lumumba. Dans ce cas, nous verrons qu’elle n’a joué qu’un rôle limité, même si elle voyait sa disparition d’un bon œil. En France, le gouvernement provisoire de la République française, dès 1944, a réorganisé les services secrets français entre la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) dans le cadre du ministère de l’Intérieur, chargée du contre-espionnage et composée de fonctionnaires, et le Service de Documentation extérieure et de Contre-Espionnage (Sdece), service de renseignement extérieur, chargé en théorie, de collecter du renseignement en dehors du territoire français et composé de militaires et de civils encadrés presque uniquement d’officiers. À cette organisation existante, a été rajouté et créé, au sein des armées, un bureau de l’état-major, le 2e bureau, spécialisé dans le renseignement militaire très actif durant la 1039
Gordon CORREA, MI6 life and death in the british secret service, Londres, Phoenix, 2012, 481 p. 1040 Tim WIENER, Legacy of ashes, the history of the CIA, Londres, Penguin, 2007, 790 p.
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période1041. Puis à cet ensemble officiel, s’est ajouté le flou orchestré par un homme aujourd’hui associé à la Françafrique et à des opérations secrètes sulfureuses : Jacques Foccart. Les archives Foccart ont été ouvertes en 2015 après douze années de récolement, reclassement et reconditionnement1042. Cette ouverture était attendue par bon nombre d’historiens. Jean-Pierre Bat, archiviste en charge de cet inventaire, a largement œuvré pour mettre à disposition des chercheurs ces archives. La consultation du fonds 5 AGF 623-626 s’est révélée intéressante car elle apporte un lot de surprises, pas forcément celles attendues. À la personnalité de Foccart s’est adjointe celle de Maurice Robert1043. Son parcours et ses fonctions permettent de cerner le fonctionnement des « réseaux Foccart » formels et informels et le profil ou les qualités requises pour y entrer. Maurice Robert fait en 1947 la rencontre de Jacques Foccart, chargé d’organiser le Rassemblement du peuple français auquel il a adhéré. 1041 Sébastien LAURENT (dir.), Les espions français parlent – archives et témoignages inédits des services secrets français, Paris, Nouveau Monde, 2013, p. 5-27. 1042 Pour cerner l’historique du fonds voir Pascal GENESTE, « Archives. Les papiers Foccart aux archives Nationales », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2003/2 n° 78, p. 157-162 ; Jean-Pierre BAT, « Les " archives Foccart " aux Archives nationales », Afrique & histoire, 1/2006, vol. 5, p. 189-201 ; article du journal Libération, « Foccart et la Françafrique : les archives parlent » du 25 mars 2015 consulté le 26 mars http://www.liberation.fr/planete/2015/03/24/foccart-et-lafrancafrique-les-archives-parlent_1227556 et enfin les journées d’études « Foccart : archives ouvertes » des 26 et 27 mars 2015 aux Archives nationales et à l’Université Paris 1- Sorbonne (notes personnelles de l’auteure). 1043 Maurice Robert, entré fortuitement un soir de septembre 1940 en résistance à l’âge de 21 ans alors qu’il est élève-officier à Saint Maixent, est affecté au 150e régiment d’infanterie de Marmande au commandement d’un poste militaire sur la ligne de démarcation à Saint-Pierre-de-Mons. L’activité clandestine l’excite et le remplit de fierté, il constitue un réseau à partir de ses relations familiales, après son arrestation-évasion de mars 1941, il s’engage pour l’Indochine pour deux ans afin de se faire oublier des Allemands. Mais le blocus maritime des Anglais impose son débarquement à Oran puis Oudja, Casablanca, Dakar puis une affectation à Atar en Mauritanie. Lors de ce périple, Maurice Robert tombe en adoration devant les paysages africains : il assure les fonctions de chef de section puis de commandant de l’ensemble des goumiers d’Atar puis le commandement de la compagnie de tirailleurs sénégalais, puis à Rufisque à côté de Dakar, un retour en France dans le bataillon de marche n°14, bataillon de la France Libre rentrant du Tchad puis à nouveau un affectation en septembre 1946 en Mauritanie au poste de Port-Etienne (Nouadhibou).
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Les deux hommes ont en commun leur passé de résistants, la participation à la fin des combats dans l’Armée de Libération et leur admiration pour le Général. Pour eux, le RPF est : « Une association nationale de soutien au général de Gaulle, de soutien à l’homme qui avaient eu le courage de garder la tête haute face à l’envahisseur, en qui j’avais une totale confiance pour remettre le pays sur pieds (…) C’était une adhésion de patriote plus qu’une adhésion politique1044. »
Cette fidélité à De Gaulle pousse les deux hommes à prendre sur eux un certain nombre de décisions qui déresponsabilisent ce dernier. Ce système est d’ailleurs pensé à tous les étages de la hiérarchie. Les acteurs sont informés et laissent faire : ainsi le plan de déstabilisation de la Guinée de Sékou Touré en 1959 a été impulsé par Maurice Robert après le feu vert du général Grossin, directeur général du Sdece, Foccart avait donné son approbation, de Gaulle a laissé faire1045. Cette façon de fonctionner est explicitée par Robert : « Lorsque des initiatives allaient dans le sens souhaité par le pouvoir et qu’il ne pouvait ouvertement les assumer, la plupart du temps pour des raisons diplomatiques, il ne disait ni oui ni non. C’était ce que l’on appelait le feu orange qui signifiait : ‘Allez-y. Faites comme bon vous semble mais nous ne sommes pas au courant.’ Sous-entendu : ‘en cas de pépin, on ne vous couvre pas’. L’application était du ressort exclusif des services spéciaux, en qui Foccart avait d’ailleurs toute confiance. La règle du jeu était claire : si le résultat de l’action était un succès, personne n’en parlait, si c’était un échec, les services en assumaient seuls les conséquences éventuelles et le responsable était réputé avoir pris une initiative personnelle. » 1044
Maurice ROBERT « Ministre de l’Afrique – entretiens avec André Renault », Paris, Seuil, 2004, p. 32-33. 1045 Ibid., p. 110 : « Jacques Foccart l’avait informé dans les grandes lignes du plan de déstabilisation. Quant aux détails, ce n’était pas son affaire. Le Général n’exprimait jamais, ou que très rarement, son approbation formelle à des opérations de ce type. S’il ne disait pas non, c’était qu’il laissait faire… Foccart fonctionnait avec le Général comme je fonctionnais avec lui ». Voir aussi Alain PEYREFITTE, C’était de Gaulle, T. II, Paris, De Fallois/Fayard, 1997, Foccart parle « Il ne faut jamais que le Général soit en première ligne pour ce genre de coups durs. Il faut les régler sans lui en parler. On parle en son nom. On le met au courant quand c’est fini. Il peut toujours nous désavouer si cela rate ».
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Au Sénégal, en Indochine et plus précisément au Tonkin en 1951 en tant que capitaine, Robert participe à de nombreuses missions commandos à la tête de troupes de supplétifs. Il est recruté dans les services secrets par l’intermédiaire du lieutenant de vaisseau Bardet. Dans les années cinquante, le recrutement s’effectuait par cooptation, ce qui permettait d’avoir des recrues sûres dont l’itinéraire, les qualités morales et intellectuelles étaient bien connus de leurs « parrains », garants de leur sérieux et de leur intégrité. La recrue choisie était testée par des responsables de services pour sonder ses qualités et ses défauts et si elle avait le mental nécessaire aux opérations codées Homo ayant pour but d’éliminer des personnalités néfastes aux intérêts français. Les qualités sont énumérées par Maurice Robert : « Posséder le goût de l’action et du terrain, ne pas craindre le danger, être habité par le sens du devoir et du service de l’État jusqu’à y sacrifier sa vie, être discret, savoir tenir sa langue en toute circonstance (…) Être membre ou sympathisant du Parti communiste, l’extrême gauche ou d’une quelconque ligue révolutionnaire était fatal1046 ! »
Son statut d’officier traitant permet de cerner les qualités requises pour celui qui recrute et manipule les informateurs : imagination, car il s’agit d’être capable de construire des scénarii pour approcher les cibles choisies, de s’intégrer dans leur environnement, d’inventer des couvertures crédibles et des personnages qui seront interprétés avec constance et naturel. De la vivacité d’esprit car l’agent doit faire face à des situations imprévisibles, il faut pouvoir réagir vite, logiquement sans perdre son sang-froid. Une excellente mémoire, organisée et efficace surtout quand l’agent interprète plusieurs couvertures à la fois. Ce travail est conçu comme un « métier de seigneur » par Maurice Robert, sa raison d’être, ses objectifs étant nobles puisqu’il s’agit de servir son pays. Si cela se discute il est clair que les moyens, les méthodes utilisées sont condamnables : se jouer des gens, leur arracher des informations, les éliminations physiques ressemblent plutôt à un métier de voyous. Nommé à Dakar fin 1955, Robert a pour fonction de coordonner l’action des officiers traitants et des agents sur le continent africain, sous la responsabilité de Tristan Richard mais 1046
Ibid., p. 66.
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aussi sous couverture militaire d’officier attaché à l’État-major du haut-commissaire en AOF, Gaston Cusin. La tâche de Robert était multiple : « Évaluer l’importance des mouvements indépendantistes et leur influence sur les populations, surveiller les ingérences étrangères et l’aide qu’elles pourraient apporter, « repérer les Africains susceptibles de jouer à terme un rôle politique dans leur pays en distinguant ceux favorables à la France, afin de nouer rapidement des relations de confiance avec eux, et ceux qui nous étaient hostiles afin d’anticiper et de prévenir les dangers qu’ils pouvaient représenter 1047 ».
Il fallait éviter que le gouvernement français ne soit surpris par des événements de nature à compromettre les intérêts politiques et économiques mais aussi conforter et développer l’influence française. À ces fins, Maurice Robert a construit un réseau avec une cinquantaine d’officiers et d’agents, salariés des services sous l’autorité d’un officier traitant rémunéré et à disposition environ 150 et 200 « Honorables Correspondants » c’est-à-dire des bénévoles guidés par la volonté de servir leur pays et qui communiquent, spontanément ou sur sollicitation, des renseignements ou des documents utiles au Sdece. Ils sont généralement remerciés par une décoration comme la Légion d’honneur ou le Mérite national et défrayés de leurs dépenses. Il prépare ainsi le terrain en AOF à l’élection de De Gaulle en lien avec Foccart entre 1956 et 1958. Robert a été rattaché ensuite au directeur général du Sdece et a été responsable des relations avec l’Élysée, en l’occurrence avec Jacques Foccart conseiller technique au secrétariat général de la présidence de la République, en 1960 secrétaire général de la Communauté puis en mai 1961 secrétaire général de la Communauté et les Affaires africaines et malgaches. Il crée des Postes de liaisons et de renseignement, pour aider les nouveaux pays indépendants à mettre en place leurs propres services de renseignements et disposer de relais pour rassembler les informations utiles aux intérêts de la France. Ce chapitre a pour vocation d’analyser comment par des réseaux semi-officiels et officieux, les leaders africains, comme par exemple Fulbert Youlou en AEF ou Houphouët-Boigny en AOF, ont été
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Ibid., p. 80.
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repérés et épaulés de façon « musclée » pour mener une politique favorable à la France. A contrario, nous verrons tous les efforts déployés par ces mêmes réseaux pour anticiper, contraindre et en enfin réduire au silence Lumumba, Boganda et les leaders de l’UPC. Le recrutement éclectique dans ces réseaux rend difficile un portraittype des acteurs appelés aussi « barbouzes ». À l’origine, ce terme, venu de l’expression agir en « fausse barbe » c’est-à-dire clandestinement, a été donné aux agents employés par le pouvoir gaulliste qui luttent contre l’Organisation armée secrète (OAS) de manière clandestine avec des moyens officieux, il est devenu par la suite le synonyme des agents du Sdece1048. En France, ils ne sont pas tous des « résistants » reconvertis, certains ont participé à la Collaboration de façon active. Leurs points communs sont évidents : le goût de l’action secrète, un « look » inoffensif, un fervent gaullisme et anticommunisme. Tous ont le sentiment de bien agir pour leur patrie et possèdent le « sens du devoir ».
A- Fulbert Youlou, fossoyeur de l’idéal centrafricain. Seuls, les leaders étudiés sont morts seuls, fidèles à leurs idéaux. Certains ont vendu leur âme au diable pour réussir : incontestablement Fulbert Youlou fait partie de ceux-là. Le machiavélisme et le pragmatisme de l’homme effraient, a fortiori lorsqu’il est étudié non par le prisme national, mais pour son rôle nuisible dans le destin euphorique d’une Afrique centrale en voie de recomposition au tournant des années soixante. Participant à la ruine des projets de Boganda puis de Lumumba, Youlou est l’artisan d’une entreprise de déstabilisation de la région au profit d’une stabilisation néocoloniale inégalable. Monsieur l’abbé est en réalité une véritable créature des services secrets français : francophile, démocrate « intègre », combatif et sympathique, l’homme à la soutane est une vaste escroquerie rongée par l’ambition personnelle. Sa réussite est globalement imputable à sa mise sous perfusion organisationnelle de la métropole et à sa capacité à tirer partie de son africanité à travers les influences
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Suite au film de Michel Audiard « Les barbouzes » sorti en 1964.
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balaliste et matsouaniste. En effet, dans la lignée de Simon Kimbangu et d’André Matsoua, Youlou se présente comme un martyr de la cause congolaise dans une mouvance mystique et messianiste1049 autour des populations Lari et Balali présentes autour de Brazzaville. Il apparaît comme une alternative à Jean-Félix Tchicaya, chef de file du RDA et Jacques Opangault, M’Bochi du Nord, leader socialiste. Youlou, né à Madibou en 1917, suit une éducation religieuse dès 1924 et fréquente la classe de philosophie du grand séminaire de Yaoundé entre 1935 et 1938, tout comme Barthélémy Boganda. Ordonné prêtre en 1946, il obtient la cure Saint François à Brazzaville où il se fait apprécier des Européens pour ses positions d’« évolué tempéré ». Il échoue contrairement à Barthélémy Boganda aux élections du conseil représentatif, même si, comme lui, il bénéficie d’un soutien très fort de sa hiérarchie ecclésiastique, notamment en la personne de Mgr Biéchy1050, archevêque de Brazzaville jusqu’en 1954, date à laquelle les relations avec son successeur, Mgr Bernard, se dégradent jusqu’à sa suspension en 1956. L’échec aux élections de 1946 entraîne des complications pour Youlou qui sollicite à deux reprises auprès de son ex-collègue Boganda en 1949, une aide financière. Celle-ci lui est refusée, Boganda invoque des problèmes financiers personnels mais demande à son interlocuteur de promouvoir le Mesan à Brazzaville1051. En a-t-il gardé une rancœur ? Youlou tisse son réseau en vue de sa candidature aux élections législatives de janvier 1956 pour le second collège, sa soutane, Kiyunga, devient le symbole fort, l’instrument de son identité politique. Il échoue face à Tchicaya, conteste sa défaite et se rend à Paris en février-mars 1956, un voyage fondateur de son destin politique1052.
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Martial SINDA, Les messianismes congolais, Paris, Payot, 1976, 300 p. Mgr Biéchy est en relation épistolaire avec Mgr Grandin qui soutient activement la candidature de Barthélémy Boganda aux élections de 1946 face « aux clameurs ennemies SFIO et communistes », voir ,Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951, la lutte décisive, op. cit., p. 105. Puis une correspondance s’engage entre Biéchy et Boganda directement : dans une lettre de félicitations à Boganda suite à son élection, dans laquelle il vante les mérites du « prêtre-député » sans jamais faire référence à son protégé Youlou, ibid., p. 154-170. 1051 Jean-Dominique PÉNEL, Barthélémy Boganda, écrits et discours, 1946-1951, la lutte décisive, op. cit., p. 229, lettre de Boganda à l’abbé Fulbert Youlou, Bobangui le 7 novembre 1949. 1052 SHD, 10 T 168, Congo, UDDIA 1956-1960. 1050
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La nébuleuse organisée dès le début des années cinquante autour de Fulbert Youlou a été pensée dans le contexte troublé pour le gouvernement français de la fin de la guerre d’Indochine, du début de la guerre en Algérie et du durcissement des revendications au Cameroun par la voie de l’UPC. De l’autre côté du fleuve, le Congo belge s’agite sous l’influence des « évolués ». Il s’agit de trouver le rempart idéal contre une prétendue contagion communiste en Afrique centrale et un relais dévoué à la politique menée en AOF par Houphouët-Boigny 1053 . Problème : personne n’est réellement communiste dans les adversaires de Youlou, en réalité il s’agit plutôt de préserver les intérêts des français et des leaders du RDA après sa scission dans la zone. Entouré de MM. Maurice, Charles, Vincent, Fulbert Youlou est passé du début des années cinquante, du statut de perdant politique à celui d’outsider ; puis de gagnant des élections municipales de l’été 1956 à celui de président du Congo Brazzaville dès 1960. Ce stage accéléré pour devenir le leader légitime du Congo Brazzaville, bastion de l’anticommunisme dans la région, s’est réalisé avec une équipe plus large que celle évoquée, mais aussi sous l’œil bienveillant, jamais pratiquement impliqué, de Foccart. Le récent ouvrage de Jean-Pierre Bat1054 expose son travail de recherche sur l’implication des réseaux Foccart en Afrique et ceux qui ont été qualifiés de « Barbouzes ». Le parcours de Fulbert Youlou exposé ici de façon synthétique permet de mettre en lumière les soutiens qu’il a reçus pour mieux dénoncer à la fois l’absence de son aide aux leaders étudiés et morts tragiquement, mais aussi pour cerner la machine politique que ceux-ci avaient à affronter. Monsieur Maurice ou Maurice Bat1055 est rentré en contact personnel avec Fulbert Youlou en avril 1956, indéniablement par 1053
Sur le rôle joué par Houphouët Boigny voir les archives de Gabriel d’Arboussier BDIC F delta 1104. 1054 Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., 509 p. Voir également Walter BRUYÈRE-OSTELLS, Dans l’ombre de Bob Denard : les mercenaires français de 1960 à 1989, Paris, Nouveau Monde éditions, 2014 (réédition en poche en 2016). 1055 Ibid., p. 15 à 31, portrait de Maurice Bat. Il est possible de relever son passé trouble pendant la Seconde Guerre mondiale, il est accusé d’avoir collaboré avec la Gestapo en tant qu’inspecteur de police, accusations qui tombent au procès au profit
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l’intermédiaire de Claude Gérard, partisane des milieux progressistes, avec laquelle il est proche depuis le début des années cinquante. Il s’agit de la même Claude Gérard qui a offert à l’UPC une tribune pour dénoncer les violences lors des émeutes de Douala, le PCF étant hésitant et tatillon sur la version des événements1056. Claude Gérard, alias Georgette Gérard, n’est pas seulement une journaliste proche du RDA. Résistante, celle qui devient commandant Claude, est arrêtée en mai 1944 par la Gestapo. Elle continue à évoluer dans le monde du renseignement aux côtés d’Edmond Michelet, mais elle acquiert aussi des idées progressistes et anticoloniales après son séjour à Madagascar1057 et fonde en 1954 le bulletin InterAfrique Presse dans lequel elle prend fait et cause pour les nationalismes algérien et camerounais. Ainsi, son réel engagement auprès de l’UPC et du MNA lui vaut une condamnation et un emprisonnement en 1956 qui la neutralise dans le contexte troublé de la répression au Cameroun 1058 . À la fin des années quarante, elle s’était aussi rapprochée d’Ouezzin Coulibaly et d’Houphouët-Boigny, cadres du RDA dont elle a l’oreille. Elle rédige un long article sur Fulbert Youlou lors de son séjour à Paris 1059 , le mettant en lumière face à son concurrent RDA, Tchicaya. Elle le recommande à Monsieur Maurice qui connaît par ailleurs bien le Cameroun car, depuis 1948, il a organisé son réseau sous des couvertures diverses comme gérant de bar à Douala, Le Prison’s bar, ou directeur commercial d’une société d’import-export de marchandises diverses nommée Import-Comex, une société-écran pour ses activités de renseignement pour le Sdece qu’il a récemment intégré 1060 . Il devient le conseiller occulte de Daniel Kémanjou, président de l’ALCAM, chef traditionnel bamiléké et conseiller de l’Union française, qu’il encadre pour de témoignages pour faits de Résistance ! Il est recruté par le Sdece entre 1946 et 1947. 1056 Voir Partie IV- chapitre 1. 1057 Elle y travaille aux côtés de Pierre Boitreau, correspondant du Peuple, le journal de la CGT. 1058 Archives nationales, 19910695, art. 12 n° 10825, dossier individuel de Claude Gérard. 1059 InterAfrique Presse n° 66, « L’abbé Fulbert Youlou est à Paris ». 1060 Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 22.
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incarner la ligne anticommuniste face à la montée de l’UPC au tournant des années cinquante. Il laisse sa place progressivement à un certain « Monsieur Hakim » employé à Import-Comex pour se consacrer à sa mission de rapprochement avec Fulbert Youlou dès le début de l’année 1956 1061 . Approché, Youlou est présenté à Paul Devinat 1062 , parlementaire et franc-maçon, il est introduit dans le groupe d’influence à vocation anticommuniste Est & Ouest de Georges Albertini 1063 et auprès du Cardinal Tisserant 1064 , l’homme
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Ibid., p. 66-70, Jean-Pierre Bat revient sur le parcours des archives des correspondants du Sdece, archives officielles peu éloquentes quand elles existent encore, et les archives privées captées par l’auteur notamment celles de Maurice Bat (son carnet d’adresses et des photographies) qui lui ont permis de reconstituer un certain nombre de connections. 1062 Paul Devinat nommé administrateur de la SNCF en 1937, préside le consortium forestier et maritime et dirige le cabinet du ministre de l’Agriculture l’année suivante. Directeur des Affaires économiques au ministère des Colonies en 1939, il poursuit comme conseiller maître à la Cour des comptes dès 1941, avant de présider le Comité national des bois tropicaux en 1945. Nommé député de la Saône-et-Loire l’année suivante, il est aussi secrétaire d’État, chargé des questions sur l’outre-mer. C’est ainsi qu’il se rendit en Indochine à plusieurs reprises, pour y contrôler l’utilisation des crédits militaires, puis en Algérie avec la même mission, à Madagascar, à la Réunion, à l’Île Maurice et à Djibouti, et dans les anciennes AOF et AEF. Paul Devinat était également président de la banque de l’Union industrielle. Farouche anticommuniste il a à cœur de préserver les intérêts des colons et de la France. Ces papiers personnels sont conservés aux Archives nationales sous la cote 404 AP. 1063 George Albertini, socialiste et pacifiste au départ et résolument anticommuniste, il est un homme énigmatique, qui devient secrétaire général du Rassemblement national populaire (RNP) de Déat, l’un des “ultras” de la collaboration. À la Libération, il est arrêté et jugé et est libéré de façon anticipée en 1948 grâce à un socialiste, Vincent Auriol devenu chef de l’État. En octobre 1948, Georges Albertini propose à quelques proches, parmi lesquels de nombreux francs-maçons, la constitution d’un « centre d’archives » destiné à fournir en informations et en arguments tous ceux qui, au sein du personnel politique, redoutent le communisme et ignorent la manière de le combattre. Bien entendu, la publication d’une revue, adressée à un public choisi, devra constituer l’outil privilégié de cette action en profondeur. Avec Boris Souvarine, il crée le Bulletin d’études et d’informations politiques internationales (BEIPI) en mars 1949, avant d’adopter en 1956 le titre d’Est & Ouest. Cette création est financée par le Groupement des industries métallurgiques que préside Étienne Villey, l’un des dirigeants influents du patronat de l’époque et les services américains par de généreuses subventions. Voir Frédéric CHARPIER, La CIA en France, 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises, Paris, Seuil, 2008, 360 p. Albertini côtoie de nombreux fidèles du Général : Roger
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d’influence au Vatican. Monsieur Vincent ou Emile Bougère 1065 devient le « directeur de campagne » de Youlou pour les élections municipales de la fin de l’année. La presse est utilisée pour créer une image positive de l’homme a contrario de celle de son adversaire principal Tchicaya. Christian Jayle 1066 avec son journal AEF cette semaine et René Mahé avec France-Équateur favorisent bien plus la médiatisation de Youlou que le journal officiel du parti Le Progrès. La correspondance entre Youlou et Bat révèle une proximité indéniable : « Nous vous apporterons tout ce qui vous manque et vos difficultés s’aplaniront1067.
Frey, futur ministre de l’Intérieur, Jacques Baumel, qui deviendra le secrétaire général de l’Union pour la nouvelle République (UNR), et dont l’action dans la Résistance ne peut être suspectée, fera partie de ses contacts réguliers, comme Jacques Foccart. Voir les émissions de Patrick PESNOT, Rendez-vous avec X, sur George Albertini et Pierre RIGOULOT, Georges Albertini, socialiste, collaborateur, gaulliste, Paris, Perrin, 2012, 420 p. 1064 Le cardinal Tisserant est un gaulliste précoce au début de la Seconde Guerre mondiale, ce qui fait de lui un « résistant » dans un monde plutôt accommodant avec les vainqueurs de 1940. Tisserant s’oppose au nazisme, et il n’hésite pas à critiquer, en privé, les hésitations de Pie XII. Pour une approche plus globale voir Étienne FOUILLOUX, Eugène cardinal Tisserant 1884-1972. Une biographie, Paris, Desclée de Brouwer, 2011, 717 p. L’accès aux archives personnelles d’Eugène Tisserant a rendu possible le travail d’historien du biographe qui fait le lit de la légende noire du cardinal. 1065 Émile Bougère, ancien communiste devenu farouchement anticommuniste, a pourtant été sous le pseudo Pierre Rabcor le dirigeant du réseau d’information des correspondants ouvriers, il est exclu du parti en 1932 puis devient, après des années de vaches maigres, le secrétaire particulier de Jacques Doriot qui dirige le Parti populaire français (PPF). Bougère est membre très actif au journal Le Cri du peuple durant l’Occupation sous le pseudo Émile Deladoutre. Il intègre en 1951 le Bureau de l’Association d’études et d’informations politiques internationales de Georges Albertini. Pour un portrait complet, voir Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 33-45. 1066 Christian Jayle, arrivé en 1945 en AEF dans des circonstances obscures sous le nom de Hubert Olivier, correspondant de l’Agence française de presse (AFP) au Moyen-Congo, après son échec politique en 1952, il trouve sa voie en soutenant la carrière politique de Youlou, voir Florence BERNAULT, Démocraties ambiguës en Afrique centrale : Congo-Brazzaville, Gabon, 1940-1965, op. cit., p. 131-134. 1067 Voir Jean-Pierre BAT, La décolonisation de l’AEF selon Foccart : entre stratégies politiques et tactiques sécuritaires (1956-1969), thèse soutenue à la
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« Indiquez-moi dans votre réponse (…) la date exacte des élections afin que nous puissions vous faire parvenir tout le matériel nécessaire au succès de la grande cause que vous défendez avec tant de courage et de foi1068. »
Gageons que Lumumba ou Nyobè auraient apprécié de voir leur cause et leur message ainsi facilité à la diffusion et à la victoire. Tout ce pour quoi ils se sont battus1069, est ici « offert » à celui qui sera leur adversaire de demain. Youlou crée son parti l’UDDIA en mai 1956 dont la double ligne politique est de capter le vote des Européens et de se rapprocher du RDA. À Paris, il a rencontré Roger Guérillot qui lui conseille d’adopter une stratégie analogue à l’ILO en réussissant à convaincre politiquement les petits colons blancs. À cette époque, il est question de créer un Intergroupe libéral aéfien (ILA) et Boganda se rend à Brazzaville en avril 1956 pour en discuter. Ce rapprochement, à l’instigation de Guérillot, est vivement critiqué par Tchicaya et Opangault. Youlou dote le parti d’un emblème, « le caïman », juste après une vision ravivant le mysticisme1070 et la mémoire anticoloniale des héros du royaume Kongo. Youlou gagne les élections de novembre 1956 et s’impose comme l’interlocuteur du gouvernement français et de ses correspondants officieux en Afrique centrale. Désormais, après l’échec flagrant de Tchicaya, son dernier adversaire est Opangault. Youlou représente un espoir réel dans la stratégie du RDA commanditée par Houphouët-Boigny autour des bastions gabonais et tchadien, qui se concrétise par des rencontres en mai 1957 à Brazzaville1071. Ainsi Antoine Hazoumé1072 pour le RDA rentre aux Sorbonne en 2011 voir annexes - Archives Maurice Bat, correspondance Bat et Youlou (1956-1960), lettre de Bat du 25 avril 1956. 1068 Ibid., lettre de Bat du 18 juillet 1956. 1069 Les demandes écrites de matériel, d’aides diverses faites aux communistes ont déjà été évoquées. 1070 Florence BERNAULT, Démocratie ambiguë en Afrique centrale, CongoBrazzaville, Gabon : 1940-1965, op. cit., p. 247 à 248. 1071 CAOM, FM 2241, affaires politiques, AEF, 1957. 1072 Antoine Hazoumé dit Agassou Sourou, dahoméen, entré en politique en AEF, rallie le PPC-RDA au Moyen-Congo et en devient le Secrétaire général en 1957. Proche de Houphouët-Boigny et de Ouezzin Coulibaly, il réussit le transfert des responsabilités politiques du RDA des mains de Tchicaya, fondateur du RDA, à celles de Fulbert Youlou. Sans doute est-ce vers 1960 qu’Hazoumé est recruté comme agent du Sdece par les services du commandant Maurice Robert qui devient son officier traitant. Hazoumé se révèle être son meilleur agent en Afrique centrale
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services de Youlou, il dispose de sommes d’argent pour mener à bien leur dessein1073. Les recherches effectuées par Jean-Pierre Bat mettent en lumière toutes les malversations politiques du camp Youlou lors de « l’affaire Yambot » pour déstabiliser le camp socialiste et obtenir la victoire 1074 . On découvre avec effarement l’apparente neutralité revendiquée par Yvon Bourges mais aussi celle de Jacques Foccart lorsqu’Opangault les interpelle sur la situation politique inquiétante de son gouvernement pourtant démocratiquement élu1075. Ce dernier est devenu encore plus gênant depuis qu’il a amorcé un rapprochement avec Boganda dans son projet d’une grande Centrafrique 1076 . Il interpelle même le Général qui prend connaissance de son télégramme sans rien décider1077. La proclamation de la République en novembre 1958 et les émeutes sanglantes en février 1959 favorisent le retour actif de Monsieur Maurice auprès de Youlou. Il s’agit de sécuriser la situation afin qu’elle ne dégénère en un conflit comparable à celui du Cameroun et de l’Algérie. Monsieur Maurice agit sans connexion officielle avec le pouvoir mais sert les intérêts de celui-ci avec des agents officieux sans lien avec le Sdece mais connectés aux cercles de lutte anticommuniste. Du 16 au 18 février 1959, les partisans de Fulbert Youlou, Premier ministre depuis le 28 novembre 1958, et ceux de Jacques Opangault, vice-président du Conseil, s’affrontent sur fond de lutte ethnique entre les Lari et les M’Bochi. Cette crise aboutit à la prise de pouvoir de Youlou, la mise sous les verrous d’Opangault. Son rapprochement avec Youlou est facilité par la disparition tragique de dans les années soixante. Voir http://www.rfi.fr/emission/20161117-serie-grandecollecte-volet-44-antoine-Hazoumé-afrique-france-benin-histoire, émission Série la grande collecte de Laurent Correau. Maurice ROBERT « Ministre de l’Afrique – entretiens avec André Renault », Paris, Seuil, 2004, p. 128. Voir aussi l’entretien conduit avec Maurice Robert. 1073 SHD, 10 T 168, Congo UDDIA (1956-1960), note d’information de l’IGSS, Brazzaville les 7 et 27 août 1957. 1074 Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 95-98. 1075 Archives nationales, 5 AG / F 638, Congo, renseignements 1958, lettres d’Opangault à Bourges, Brazzaville, le 3 novembre 1958 et de Bourges à Foccart, Brazzaville le 18 novembre 1958, lettre de Foccart à Opangault, Paris le 21 novembre 1958. 1076 Voir infra. 1077 Archives nationales, 5 AG / F 638, Congo, renseignements 1958, lettres d’Opangault au Général portant la mention « vue par le Général ».
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Boganda, laissant Opangault sans réel avenir politique. Il entre au gouvernement et signe un protocole secret le 25 février 1961 1078 . Maurice Bat, en tant que « chef du protocole et de la sécurité présidentielle », met en place le Bureau de documentation et d’études économiques et sociales (BUDES) officiellement, officieusement il s’agit du Service de renseignement et de sécurité de la nouvelle République. En échange, il dispose d’un blanc-seing politique de Youlou, il est, par exemple, à l’origine du discours que Youlou prononce le 18 novembre 1960 à la tribune de l’ONU, qui s’intitule, non sans ironie, « l’Afrique aux Africains 1079 ». Parallèlement, Monsieur Vincent devient chef du service de presse de la Présidence, chef de la propagande en réalité, et contribue à consolider la popularité de Youlou, à fixer son image de Père de la Nation, en justicier1080, en Monsieur l’abbé modèle. Ainsi, il conseille à Youlou de garder la soutane en dépit d’une consommation de charmes féminins très récurrente. Les filles de Mme Claude lui sont souvent fournies lors de ses passages à Paris par le Sdece, pour éviter toute approche par un agent du camp adverse. Bientôt, l’équipe est renforcée par Monsieur Charles1081 un proche de Michel Debré et de 1078
Protocole révélé par les archives de Maurice Bat, Opangault devient viceprésident muselé recevant près de 200 000 CFA par semaine. Voir Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 152. 1079 Discours prononcé par Monsieur le Président Fulbert Youlou à la tribune de la XVe Session de l’Assemblée générale de l’ONU, le 18 novembre 1960 et à la conférence de presse du 24 novembre 1960 à Brazzaville. 1080 Monsieur Vincent rédige une biographie officielle diffusée à travers le pays, Toute une vie au service du Congo – de Madibou au Palais de la présidence de la République, le président-abbé Fulbert Youlou. 1081 APP, GAD8, dossier individuel des RGPP d’Alfred Delarue. Monsieur Charles ou Alfred Robert Delarue, a été inspecteur de Police dans les RG pour la lutte anticommuniste dans la Brigade Spéciale 1 (BS1) où il est remarqué comme un élément très efficace et très sûr, très actif et patient, mais aussi potentiellement très violent. Arrêté, jugé et condamné à la Libération à vingt ans de travaux forcés, il s’évade et devient Charles Cartier qui rentre en 1949, au service du la préfecture de Police sous la coupe de Jean Dides et de Jean Baylot, anticommunistes notoires qui organisent une officine parallèlle proche d’Albertini et du mouvement Paix et Liberté de Jean-Paul David. Incarcéré après l’affaire de fuites en 1955, il est relâché en 1956 et il prend le pseudo de Charles Delarue, Claude CLÉMENT, L’affaire des fuites, objectif Mitterrand, Paris, Olivier Orban, 1980, 237 p. et Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 49-
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Jacques Foccart qui s’intéresse de très près à la situation politique de l’autre côté du fleuve Congo pour leur compte, par l’intermédiaire de Claude Gérard et d’Antoine Hazoumé. Il s’agit de combattre « la naissance d’un appareil d’inspiration communiste en AEF1082 » dont la pièce maîtresse serait Patrice Lumumba 1083 . Delarue retranscrit sa conversation avec le haut-commissaire Bourges pour Youlou, dont le contenu est le suivant : « Monsieur Bourges (…) se montre inquiet de l’avancée communiste des deux Congo. Moscou, dit-il, a toujours joué la révolution au Congo belge. Le Cameroun ne l’intéresse pas. C’est le Congo belge qui fait l’objet de tous ses soins et depuis longtemps. Du Congo belge, le communisme gagnerait toute l’Afrique, coupant le continent en deux. La Guinée n’est qu’un palliatif, un bastion avancé. Le Congo belge, ce serait la place forte de la révolution mondiale… Monsieur Bourges se montre heureux des dispositions que vous avez fait prendre pour empêcher certains déplacements. Il estime que ces mesures seront cependant insuffisantes à l’avenir. Monsieur Delarue, vous n’allez pas me dire que Monsieur Bat et vous ne pouvez trouver un moyen de mettre à la raison ces dangereux bonshommes1084. »
Face à Lumumba dont l’aura grandit suite à son rapprochement avec Kwame Nkrumah et Sékou Touré, Jean-Pierre Bat révèle que Youlou, assisté de Delarue, invite le 21 mai 1960 au palais de Brazzaville, Joseph Kasa-Vubu de l’Abako, Rémy Mwamba (Balubakat), Kalondji (MNC) Kasaï, Pierre Nyangwile (Kasaï, sympathisant 58. Il entreprend un plan de noyautage syndical en Algérie pour contrer l’influence syndicale communiste et crée à Paris une école des cadres anticommuniste le 1er mars 1957 : le Centre d’Orientation Politique, économique et social (COPES). Au printemps 1957 il est présenté à Michel Debré et Constantin Melnik afin de participer à l’agitation gaulliste et à la lutte anticommuniste, se rapproche aussi de l’extrême droite. Jacques Baylot, franc-maçon proche de Paul Devinat, recommande Delarue pour une mission anticommuniste à Brazzaville. Monsieur Maurice l’aurait présenté à Youlou. Delarue est en contact avec Albertini et Monsieur Vincent depuis quelques semaines avant son départ. 1082 CAOM, FM, 2243, affaires politiques, Congo, 1960, rapport politique mai 1960. 1083 Le travail mené dans la Partie 4, chapitre 1, montre à quel point cette analyse géopolitique est chimérique et fausse. 1084 Jean-Pierre BAT, La décolonisation de l’AEF selon Foccart : entre stratégies politiques et tactiques sécuritaires (1956-1969), thèse soutenue à la Sorbonne en 2011 voir annexes - Archives Maurice Bat révélées, note strictement confidentielle de Delarue à Youlou, Brazzaville le 12 février 1960.
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MNC) et Paul Bolya (PNP) dans le but de reprendre un projet fédéral, l’Union fédérale d’Afrique centrale. Un nouvel homme fait son entrée au côté de Youlou : Jean Mauricheau-Beaupré1085, soit Monsieur Jean, qui collabore avec Monsieur Charles activement entre mai et juillet 1960, en tant que chargé de mission du secrétariat général de la Communauté et proche de Foccart. Partisan de l’action psychologique et de l’action, tout court, il est repéré comme un vrai talent. Dès le 15 juillet, il presse Foccart de le renvoyer au Congo belge sur le terrain et d’épauler Youlou face à Lumumba pour favoriser la balkanisation de l’Afrique et endiguer le communisme1086 : « Je ne fais pas carrière, je sais que pour être efficace, il faut rester dans l’ombre. (…) Pour moi, d’ailleurs, l’action psychologique n’est rien d’autre que l’exécution d’une politique et va des graffiti jusqu’au terrorisme – en passant naturellement par des choses moins vilaines. »
Courant août 1960, une rencontre est organisée entre André Lahaye, commissaire de la Sûreté belge, le lieutenant-colonel Louis Marlière, conseiller de Mobutu, Delarue et Hazoumé. Il est réaffirmé le faible charisme de Kasa-Vubu et la nécessité de « miser » sur une approche fédéraliste, voire ethnique incluant Moïse Tschombé au Katanga 1087 pour isoler Lumumba sur son fief de Stanleyville et
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Jean Mauricheau-Beaupré, lieutenant de réserve de l’Armée de l’air et ancien Résistant, obtient la Légion d’honneur. Gaulliste convaincu, il milite activement pour le retour du Général au pouvoir. Il est fiché en 1936 comme militant de l’Action française, en 1956 il s’engage au côté de Jean-Marie Le Pen avec le Front national des Combattants mais reste partisan du RPF et devient en 1958 la « créature de Debré ». Il est nommé attaché au secrétariat général de la Communauté le 1er août 1959 puis chargé de mission en 1960. Ses interlocuteurs privilégiés restent Jacques Foccart et Michel Debré, notamment dans le projet de création d’une association gaulliste étudiante au sein de la Communauté, Progrès et Communauté, pour contrebalancer la Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France. Progrès et Communauté fut un échec. Voir portrait réalisé par Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 195-204. 1086 Archives nationales, 5 AG F/125, note de Mauricheau-Beaupré à Foccart. 1087 Une délégation katangaise séjourne à Brazzaville jusqu’au 20 août, tous ces leaders ont comme volonté commune l’élimination politique de Lumumba. Cela « grenouille sec » à Brazzaville cet été-là, voir CAOM FM 2243, dossier 2, affaires politiques Congo 1960, synthèses politiques.
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d’assurer « le résultat final (…) l’éviction de Lumumba 1088 », mais aussi Kalondji, approché par Monsieur Charles, qui reçoit 200 000 CFA pour éditer un numéro de La Voix du Peuple contre les lumumbistes, Bolikango leader du parti du Parti de l’unité nationale (Puna) approché par l’intermédiaire d’Opangault. Yvon Bourges fait le constat suivant : « Brazzaville a offert aux adversaires du régime de Lumumba, une base fort commode avec l’assentiment du président Youlou et l’aide de son entourage politique. (…) Youlou est un des chefs de la résistance à Lumumba et au communisme et tend sur le plan moral à supplanter KasaVubu accusé de mollesse ».
Delarue se rend au Congo belge avec l’aide de Fulbert Locko, les yeux et les oreilles de Youlou à Léo lors de la Conférence panafricaine du 25 août. Il y constate immanquablement le déclin du nombre des soutiens à Lumumba. Dès le 31 août 1960, RadioBrazzaville devient la radio « anti-lumumbiste » puis elle cède le pas à Radio-Malaka, créée pour « emmerder notre Patrice 1089 ». Mauricheau-Beaupré se déplace à l’ouverture de la XVe session de l’ONU avec la délégation congolaise 1090 . Dans son ouvrage, JeanPierre Bat1091 avance que Youlou n’a pas souhaité, ni n’a participé à la mort de Lumumba car en décembre 1960, il s’est imposé en arbitre politique de l’Afrique centrale depuis la conférence à Brazzaville. Il évoque des tentatives de rapprochement diplomatique entre les deux hommes mais qui n’aboutissent à rien de concret. Il s’agit d’une nuance très fine car de façon constante, l’intérêt de Youlou a été la réduction au silence de Lumumba et la mise en retrait du rôle 1088
Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 112 - rapport d’André Lahaye à la sûreté, Léopoldville, le 9 août 1960. 1089 Michel BORRI, Nous… ces affreux, Paris, Galic, 1962, p. 86-87. 1090 Archives nationales, 5 AG F/215, note de Mauricheau-Beaupré à Foccart lui demandant une place dans la délégation africaine qui part à New York. 1091 Jean-Pierre BAT, La fabrique des barbouzes – Histoire des réseaux Foccart en Afrique, op. cit., p. 234. Notamment au sujet du projet de barrage du Kouilou, la sécession du Sud-Kasaï est un élément important. Elle aurait été financée selon Jean-Pierre Bat par le commerce des diamants extraits au Sud-KasaÏ par la société sud-africaine De Beers. Il évoque aussi la personnalité de Saar-Demichel et de ses liens avec Harry Oppenheimer fils et héritier de De Beers.
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stratégique de Léopoldville comme capitale des Congo, d’une Afrique centrale fédérale autour de Brazzaville. C’est d’ailleurs lors de la visite « officielle » de Youlou au Katanga sécessionniste du 9 au 11 février 1961, qu’est annoncée la mort de Lumumba : concours de circonstance, habile manœuvre politique de Tshombe ou simple coïncidence ? Sur place, il y a du « beau monde », en plus des conseillers occultes belges déjà présents avec lesquels il rentre en concurrence1092, le colonel Trinquier, sur place depuis le 13 janvier 1961, est chargé de prendre la direction de la gendarmerie katangaise transformée en forces armées katangaises. Il compose une équipe de choc : le commandant Roger Faulques, ancien officier du 1er Régiment étranger de parachutistes (REP) devenu mercenaire au Congo, le capitaine La Bourbonnaye, officier du 1er Régiment de chasseurs parachutistes (RCP) et le capitaine Egé, spécialiste des transmissions. Tous trois sont des vétérans de la guerre d’Algérie et se sont connus durant la bataille d’Alger où ils ont appliqué des méthodes violentes de guerre contre-révolutionnaire. L’objectif n’est pas de dresser un inventaire précis de tous les mercenaires présents au Katanga à cette époque mais de dépeindre l’ambiance de l’époque. À ce noyau dur il faut ajouter le consul de France, Joseph Lambroschini 1093 , Jacques Duchemin 1094 et Paul Ribeaud dont les actions sont orchestrées par Mauricheau-Beaupré depuis Brazzaville ou Paris : l’objectif est d’intégrer le Katanga indépendant au réseau Boigny-Youlou-Foccart, fervents partisans de la Communauté. Le 13 septembre 1961, les troupes de l’ONU envahissent Elisabethville, suite à l’opération « Rumpunch » qui avait pour objectif d’arrêter tous les mercenaires employés par le Katanga sécessionniste. Cette opération aboutit à l’arrestation et l’expulsion de 273 mercenaires sur les 5 000 présents, l’équipe autour de Faulques est passée au travers des mailles du filet, et a largement organisé la résistance en forme de guérilla urbaine qu’offrent les Katangais. Entouré de Hazoumé, 1092
Le colonel Trinquier est écarté par l’entourage belge de Tshombe et ne peut procéder à la réforme de la gendarmerie qui reste sous contrôle belge. 1093 Ancien résistant du réseau « Gallia » en lien avec le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), embauché au Quai d’Orsay à la Libération, honorable correspondant du Sdece. 1094 Voir entretien avec Jacques Duchemin consultable dans Jean-Pierre BAT, La décolonisation de l’AEF selon Foccart : entre stratégies politiques et tactiques sécuritaires (1956-1969), thèse soutenue à la Sorbonne en 2011.
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Mauricheau, Bat et Bougère, Youlou établit un plan d’action pour le Katanga du côté des intérêts français. Une lettre de Fulbert Youlou adressée à Moïse Tshombe, datée du 21 septembre 1961 1095 , expose ici son plan, quelques jours après l’invasion d’Eville par les troupes de l’ONU1096 et trois jours après la mort accidentelle du secrétaire général de l’ONU, événement tragique que Youlou n’évoque à aucun moment. Le point de vue est clairement anti-ONU et pro-sécession katangaise : « Pour le monde extérieur, il n’est pas douteux que tu aies gagné – un peu par miracle 1097 - mais cette victoire sera éphémère si rien n’est fait immédiatement profitant du répit de quelques jours au maximum que te donnes le désarroi du camp adverse… (…) C’est évidemment un paradoxe que les plus grands services t’aient été rendus, à l’heure de la crise, par ceux que certains membres de ton entourage s’évertuaient à renvoyer, tous ces derniers mois. (…) Je me trouvais à Paris lors des combats menés par le peuple katangais contre les envahisseurs de l’ONU (…) Tu dois conserver l’initiative en gardant une position très ferme sur la pression du départ des forces d’agression. Quels que soient tes nouveaux interlocuteurs qui pourraient être envoyés, il me paraît vital d’exiger que les Casques bleus soient regroupés et désarmés et quittent le Katanga dans un délai fixé, au maximum à une semaine. Il faut que la chose soit terminée avant que l’ONU ait repris ses esprits sinon tu reperdras l’initiative. (…) De même pour ce qui est des états-majors de l’ONU se trouvant à Eville : je peux envoyer un avion (…) je peux assurer leur expulsion d’Afrique (…) avec le conseil d’aller se faire pendre ailleurs. »
Après la première bataille d’Éville, les relations officieuses entre le Katanga et l’Élysée se resserrent, Antoine Hazoumé est promu conseiller pour les Affaires katangaises. Deux Français sont envoyés à Eville pour épauler Tshombe : le commissaire Espitalier est chargé de réorganiser la police, M. Letellier est chargé de l’Information et de la propagande, Maître Croquez avocat parisien et conseiller de Youlou 1095
Jean-Pierre BAT, La décolonisation de l’AEF selon Foccart : entre stratégies politiques et tactiques sécuritaires (1956-1969), thèse soutenue à la Sorbonne en 2011. Lettre du 21 septembre 1961, archives Maurice Bat, dossier Katanga, annexe VI. 1096 L’ONU a lancé l’opération « Rumpunch » qui repose sur une arrestation en masse des mercenaires présents au Katanga, ils sont évalués à plus de 5 000. 1097 Le rapport de des forces n’était à l’origine pas à l’avantage de Tshombe.
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est « prêté » à Tshombe. Au lendemain de la seconde bataille du Katanga et des Entretiens de Kitona du 21 décembre 1961, l’ONU a pleinement conscience que la résistance katangaise est orchestrée par les mercenaires français sous la coupe de Faulques et de Hazoumé. Elle mène des actions « coup de poing » comme l’arrestation le 8 janvier 1962 d’un groupe de trente-cinq mercenaires volant à bord d’un avion spécial d’UAT, transitant par Brazzaville et Ndola pour atteindre le Katanga. L’action de la compagnie aérienne UAT, devenue UTA en 1963, est tout à fait remarquable et nécessite quelques lignes d’explication. La compagnie UAT a été au service des intérêts de la France de Foccart par l’intermédiaire de son chargé des Affaires extérieures, Daniel Richon. Ainsi, le travail de recherche effectué sur cette compagnie m’a permis de réaliser l’obligation de silence que s’est fixé un certain nombre d’interlocuteurs de la compagnie et l’action de certains cadres d’UTA durant cette période. La compagnie a clairement servi de messagerie et de service postal confidentiel pour le Sdece et pour Foccart. Ainsi, fort de ses renseignements, il est possible de se rappeler que le Nord-Atlas dans lequel Barthélémy Boganda a trouvé la mort, était un avion UAT, ce qui n’a fait que renforcer les soupçons de ceux qui en avaient déjà. En janvier 1961, Daniel Richon fait créer une escale à Eville sur la ligne Paris-Johannesburg, il fait nommer comme chef d’escale Cazenave, honorable correspondant du Sdece et contact de Mauricheau. 1962 représente un tournant car, avec l’accord de Tshombe, l’équipe historique des agents cède le pas à des mercenaires au profil plus aventurier, incarné de façon emblématique par Bob Denard. Mai 1963 : Tshombe est conduit à prendre du recul en Espagne, Youlou est le garant de la politique française au Congo et en Afrique centrale, Boigny, Mauricheau et Hazoumé orchestrent cette politique à une échelle plus petite, celle qui fixe une alliance avec les pays d’Afrique australe, c’est-à-dire la Rhodésie, l’Afrique du Sud et les colonies portugaises. Mais un personnage avait été sous-estimé de tous sauf de la CIA : Mobutu. Car l’enjeu de ce qui se passe sur place dépasse les relations politiques franco-congolaises, l’Afrique centrale est au cœur d’un vaste dispositif occulte où les intérêts belge, américain, britannique et sud-africain sont entremêlés et entrecroisés avec ceux des acteurs katangais et congolais. Les actions occultes s’exportent parfois audelà des frontières du continent pour des règlements de comptes
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violents, entérinés par la justice comme ce fut le cas dans l’affaire Moumié.
B- Nids d’espions : l’occulte au démocraties contre les « gêneurs »
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des
Il est très intéressant d’étudier cette période où la CIA est présente au Congo à travers le témoignage de Larry Devlin1098, le chef de poste à Léopoldville. Il y est arrivé le 10 juillet 1960, soit quelques jours après la proclamation d’indépendance. La division Afrique de la CIA existe depuis 1959 et la mission qui lui est confiée est d’identifier les agents secrets et de les convaincre de devenir double. Entouré de Robinson McIlvaine1099 et Franck Carlucci1100, le bureau-résidence de Devlin est localisé à côté de celui de l’ambassadeur Clare Timberlake pour lequel il a une grande admiration. Sa couverture de consul lui permet d’infiltrer un pays qu’il présente comme « en déliquescence » quelques jours après la mutinerie de la Force publique. Dans ses mémoires publiées en 2007, Larry Devlin n’évoque jamais Patrice Lumumba de façon positive1101.
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Larry Devlin, capitaine de l’armée américaine a intégré la CIA en 1949, sa première grande mission est celle du Congo : il est l’un des artisans de la longévité politique de Mobutu et de son enrichissement. Devlin fut le conseiller de Maurice Tempelsman, garant des intérêts commerciaux de Mobutu avec la société diamantaire de Beers. Voir Ken SILVERSTEIN, « Diamonds of death », The nation, 19 mars 2014. Il est ensuite envoyé au Laos et se retire en 1979 des actions de la CIA. 1099 Robinson McIlvaine, diplomate américain républicain nommé consul général à Léopoldville de 1960 à 1961, il devient ensuite ambassadeur au Dahomey, actuel Bénin. Pour lui, Lumumba est « un opportuniste et non un communiste ». Frank VILLAFANA Cold war in the Congo : the confrontation of Cuban military forces, 1960-1967, New Brunswick, Transaction Publishers, 2009, p. 25. 1100 Frank Charles Carlucci, « political officer », second secrétaire de l’ambassade américaine et agent de la CIA à Léopoldville de 1960 à 1962. Républicain, il fut nommé ensuite ambassadeur en Tanzanie et au Portugal où son rôle est trouble, puis directeur-adjoint de la CIA par Jimmy Carter en 1978. Il devient ensuite un protégé de Donald Rumsfeld en politique et aux affaires. 1101 Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie de chef de poste pendant la guerre froide, op. cit., p. 40.
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« Il était un orateur puissant, souvent inspiré, capable de mener un auditoire jusqu’à l’hystérie. Nationaliste passionné, ses émotions occultaient souvent la qualité de son jugement politique, et vint le temps où il devint de plus en plus instable et imprévisible. À l’ambassade beaucoup le considéraient comme une catastrophe en puissance. Mais nous n’avions aucune raison de penser qu’il puisse être un agent soviétique, ni même un communiste. L’ambassadeur et moi concluons que pendant que Lumumba pensait pouvoir se servir des Soviétiques, c’étaient eux en fait qui le manipulaient. »
La tâche de Devlin a été de créer un réseau d’agents, puis de préparer des opérations clandestines contre l’Union soviétique et ses alliés, dont les objectifs étaient d’influencer, sinon de contrôler, le fragile gouvernement de Lumumba. À ce titre Albert Kalondji et Paul Bolya ont été approchés et Justin Bomboko, Mobutu et Nendaka ont entretenu des relations continues avec Devlin. Il évoque à plusieurs reprises son soutien au coup d’État et à la mise en place des Commissaires généraux. Le 18 août, une importante réunion a lieu dans le cadre du National Security Council en présence du président Eisenhower : elle porte sur la possibilité de ne plus faire appel aux troupes de l’ONU et à l’intervention soviétique possible au Congo. Eisenhower est vivement mécontent et l’un des membres présents témoigne que le président donne l’ordre d’assassiner Lumumba 1102 , témoignage contredit par d’autres officiels de l’équipe présents. De son côté, la CIA est prête depuis longtemps à agir contre Lumumba. Le 26 août 1960, Allen Dulles, frère du secrétaire d’État, John Foster Dulles et premier directeur civil de la CIA, envoie un télégramme au chef du bureau de Léopoldville Lawrence Devlin (pseudo Hedgman), contenant le message suivant : « In high quarters here it is the clear-cut conclusion that if (Lumumba) continues to hold high office, the inevitable result will at best be chaos and at worst pave the way to communist takeover of the Congo with disastrous
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S’agit-il d’un executiv order ? Les archives n’en ont pas révélé la trace. Aux États-Unis, le président a le pouvoir de signer un ordre écrit d’exécution a contrario du président de la République française. Interim report of the selected committee to study governmental operations with respect to intelligence activities, United states th
Senate - alleged assassination plots involving foreign leaders, 94 Congress, first session, Report n° 94-465, p. 347 November 1975, p. 13.
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consequences for the prestige of the UN and for the interests of the free world generally. Consequently we conclude that his removal must be an urgent and prime objective and that under existing conditions this should be a high priority of our covert action1103. »
La réaction de Devlin est la suivante : « Ce que j’ignorais, c’était que notre gouvernement était prêt à aller beaucoup plus loin que ce que j’aurais pu imaginer dans mes rêves les plus fous1104 ».
La première partie de « cette opération » se trouve réalisée par les Congolais eux-mêmes en faisant évincer Lumumba par le président Kasa-Vubu, approché par la CIA, le 5 septembre et neutraliser les deux rivaux par le colonel Mobutu, en cheville également avec la CIA le 14. Les Américains accompagnent les complots qui mènent à ces actions. Son éviction et leur neutralisation n’empêchent pas la CIA et les officiels américains de continuer à voir Lumumba comme une menace. Ils maintiennent un contact permanent avec les Congolais désireux de l’assassiner. Les officiers de la CIA les encouragent et leur offrent leur aide mais il n’est pas précisé que cette aide a pour but l’assassinat1105. Peu avant le télégramme de Dulles du 26 août 1960, Richard Bissell, directeur de la CIA depuis 1958, a demandé au chef de la division africaine Bronson Tweedy d’étudier la faisabilité de l’assassinat de Patrice Lumumba. Bissell a aussi demandé à un scientifique de la CIA, Sydney Gottlieb1106, alias Joseph Scheider, de préparer des substances capables de placer en incapacité ou d’assassiner « un leader africain ». Fin septembre, Gottlieb livre les substances létales au chef de poste de Léopoldville et lui donne des instructions pour assassiner Patrice Lumumba. Devlin reçoit 1103
Interim report of the selected committee to study governmental operations with respect to intelligence activities, Unites states Senate -alleged assassination plots th
involving foreign leaders, 94 Congress, first session, Report n° 94-465, p. 347 November 1975, p. 15. 1104 Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie de chef de poste pendant la guerre froide, op. cit., p. 90. 1105 Ibid., p. 18. 1106 Sydney Gottlieb ou Joseph Scheider, a intégré la CIA en 1951 avec un doctorat de chimie et une spécialisation dans les substances toxiques, il fut intégré dans la division Chimie du Bureau des services techniques (Technical Services Staff, TSS).
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confirmation de Gottlieb que cette mission est demandée par le président Eisenhower. Cette opération s’inscrit dans le cadre du projet MK-Ultra, dévoilé en 1975, nom de code d’un projet secret illégal de la CIA des années 1950 à 1970, visant à manipuler mentalement ou à supprimer certaines personnes par l’injection de substances psychotropes ou par signaux bioélectriques ou de poisons comme le thallium 1107 . Ainsi, le 19 septembre, quelques jours après la neutralisation de Lumumba par l’ONU, une opération secrète et très sensible est mise en place par la CIA sous le nom de code PROP, réservé aux actions délicates et dont l’information avait une circulation très restreinte : un certain « Joseph Braun » surnommé « Jœ de Paris » arrive au Congo, il est chargé d’introduire une substance chimique mortelle ne laissant aucune trace dans la nourriture ou dans la pâte à dentifrice du Premier ministre1108. « Je n’oublierai jamais ma réaction : un choc à tomber par terre (...) Je connaissais de nombreux Congolais qui voulaient tuer Lumumba mais ce n’était pas la solution que j’avais envisagée. Naïvement peut-être, ma tactique avait été de l’empêcher de siéger au Parlement et lorsque cela échoua, de soutenir le coup d’État de Mobutu. Qui a autorisé cette opération ? — Le président Eisenhower, me dit Joe. Je n’étais pas là lorsqu’il l’a approuvée mais Richard Bissell a dit qu’Eisenhower voulait que Lumumba soit éliminé. En plus d’une décennie au service de la CIA, je n avais jamais entendu parler d’une tentative d’assassinat (...) Je savais que, si je refusais la mission, cela signifierait mon rappel immédiat et mon remplacement par un officier plus docile, et subséquemment, la fin de ma carrière (...) Je réalisai que jamais je ne pourrais assassiner Lumumba. Il s’agissait d’un meurtre. Alors que la justification de l’assassinat d’Hitler ne me posait aucun problème, le cas de
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Ce projet fut lancé sous l’impulsion du directeur de la CIA Allen Dulles le 13 avril 1953, en réponse à des utilisations supposées de techniques de contrôle mental qui auraient été faites par l’Union soviétique, la Chine et la Corée du Nord, sur des prisonniers de guerre américains lors de la guerre de Corée. La CIA voulait développer des techniques similaires. L’agence voulait aussi être capable de manipuler des dirigeants étrangers et tentera d’ailleurs d’utiliser certaines de ces techniques sur Fidel Castro. 1108 Joe de Paris, alias Joseph Braun est-il Sydney Gottlieb alias Joseph Scheider ? C’est ce que suggère certaines sources comme : Yvonnick DENOEL, Le livre noir de la CIA, Paris, Le Livre de Poche, 2009, p. 398.
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Lumumba n’était pas le même. Son assassinat était pour moi moralement indéfendable (...) J’étais convaincu que les Congolais pouvaient résoudre eux-mêmes le problème posé par Lumumba. C’était leur problème, et je ne voyais aucune raison de leur ôter ce fardeau1109. »
Ces remarques de Devlin sont très intéressantes : on y retrouve les interrogations posées en introduction de cette étude. Tuer un homme démocratiquement élu pose problème en apparence à Larry Devlin et globalement aux agents de la CIA. Mais si l’homme gêne, alors le « problème » doit être solutionné par les principaux intéressés, ici les Congolais de l’opposition. Devlin décide de laisser traîner la mission en longueur concentrant son attention sur le soutien au nouveau gouvernement composé par Kasa-Vubu1110. Pourtant en dépit de ce groupement d’intérêts, l’agent « mandaté » quitte le Congo le 5 octobre : le poison est périmé et il a été impossible, dans les pistes explorées, d’infiltrer la résidence de Lumumba 1111 . Bissell, irrité de l’absence de résultats, envoie deux autres agents pour mener à bien rapidement la mission PROP. Une seconde opération est donc lancée en novembre 1960 avec à sa tête Justin O’Donnell1112, un senior de la CIA. Celui-ci refuse également de participer à l’élimination physique du leader mais il se rend disponible pour essayer de l’extirper de sa résidence surveillée pour le livrer aux autorités congolaises. Il se retrouve donc assisté d’un agent de la CIA répondant au nom de code QJ/WIN, au passé criminel, recruté en Europe pour masquer au mieux la participation américaine à cet épisode tragique1113. Plusieurs scenarii ont été à nouveau mis à l’étude, mais lorsque Lumumba décide de partir de sa résidence surveillée le 27 novembre 1960 pour se réfugier à Stanleyville, il 1109 Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie de chef de poste pendant la guerre froide, op. cit., p. 132-133. 1110 Cet épisode est aussi relaté dans Gordon CORREA, MI6, life and Death in the British Secret Service, Londres, Phoenix, 2011, p. 122-123. 1111 Ibid., p. 20-37. 1112 Justin O’Donnell ou Michael Mulroney, agent de la CIA, a témoigné devant la Commission Church qu’il avait d’emblée refusé de tuer Lumumba, ce qui représenterait pour lui un crime fédéral, mais qu’il avait accepté de gagner la confiance de ce dernier pour le convaincre de sortir de sa résidence protégée par l’ONU. 1113 Kya Kyoni MULUNDU, Les États-Unis brisent l’élan souverain du Katanga Seul contre trois, Saint-Denis, Édilivre, 2015, p. 52 à 62.
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coupe court à toutes les tentatives, y compris celle de l’agent QJ/WIN. C’est bien des Congolais qui en définitive portent le coup de grâce à Lumumba. La détention de Lumumba a fait échouer la mission américaine. Les liens entre Mobutu, Bomboko, Nendaka et Devlin, se distendent, selon lui, après la rébellion des soldats à Thysville en faveur de Lumumba. Le retour à l’ordre marque pour Devlin une prise de distance du groupe de leaders congolais : « Après l’incident, ils demeurèrent injoignables. Il y avait toujours une bonne raison pour qu’ils ne puissent pas me rencontrer et j’étais incapable d’en savoir plus sur la façon utilisée pour ramener l’ordre. ( ... ) On m’informa que Lumumba devait être transféré dans une autre prison, mais je ne savais pas où1114. »
Ici Devlin fait référence au transfert de Lumumba au Katanga : « Rétrospectivement, je supposai qu’ils pensaient qu’en me dévoilant leurs intentions réelles vis-à-vis de Lumumba, les États-Unis auraient demandé qu’il reçoive un traitement correct ou pire, qu’il soit relâché. Durant des années, il fut suggéré dans plusieurs publications que j’étais pleinement au courant des plans du gouvernement congolais pour Lumumba. C’est faux. Je supposais, particulièrement après la rébellion de Thysville, que le gouvernement cherchait une solution définitive au problème posé par Lumumba, mais je n’ai pas été consulté, pas plus que je n’ai donné de conseils. Il fut suggéré que Lumumba fut assassiné pour s’assurer qu’il ne soit plus présent sur la scène politique lorsque le président Kennedy prendrait ses fonctions. Je n’ai jamais cru à cette rumeur de conspiration et je ne l’ai jamais entendue évoquée par mes contacts ou mes agents congolais1115. »
On peine à croire les affirmations de Larry Devlin. Dans son ouvrage, il évoque de nombreuses réunions avec les leaders congolais proches de la CIA, la façon dont l’agence les a formés à la politique. Cette rupture tombe à pic dans un contexte où Devlin ne voulait pas mener à bien la mission PROP lui-même. Cette émancipation paraît soulager Devlin et permet de faire présenter les États-Unis comme les 1114 Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie de chef de poste pendant la guerre froide, op. cit., p. 173 1115 Larry DEVLIN, Mémoires d’un agent : ma vie de chef de poste pendant la guerre froide, op. cit., p. 175.
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garants de l’intégrité physique de Patrice Lumumba, ce qui peut surprendre au vu des plans de la CIA. La suite révèle d’autres ambiguïtés, comme ce message envoyé par Dave un officier de l’Agence dans la capitale katangaise qui disait : « Merci pour Patrice. Si nous avions su qu’il venait, nous aurions fait cuire un serpent ». Trait d’humour, selon affirme Devlin, quand il témoigne devant la commission Church, mais ce message révèle comment est perçu Lumumba et le peu de crédibilité, de considération que les agents américains lui accorde. En réalité, Devlin est informé par Nendaka du transfert de Lumumba à Élisabethville. À partir de là, il ne s’en soucie plus du tout. À la lecture de ses mémoires, ce qui canalise son attention à la fin de l’année 1960, ce sont les changements de ligne politique qui se profilent avec la nouvelle administration Kennedy. Deux factions principales semblent s’opposer pour obtenir l’approbation Kennedy : les libéraux qui étaient favorables à des changements politiques majeurs au Congo, courtisant les dirigeants africains du tiers-monde et souhaitant une convocation du Parlement, et la formation d’un gouvernement incluant Lumumba ou, à défaut, ses représentants. En face, les partisans d’une ligne dure, dans laquelle se tenait l’équipe de la CIA présente au Congo depuis quelques mois, qui s’opposait à toute initiative susceptible de ramener Lumumba au pouvoir. Mais à cette date, le Premier ministre est mort. D’ailleurs Devlin s’en doute : « Peu de temps après des nouvelles arrivèrent du Katanga. Lumumba s’était échappé. Peu de personnes s’il n’y en eut jamais une, crurent l’histoire de la fuite de Lumumba (...) Trois jours plus tard (...) les Katangais déclarèrent que Lumumba avait été capturé et tué par des villageois. Encore une fois, personne ne crut à cette histoire, mais de la même manière, personne ne pouvait prouver son contraire. La mort de Lumumba ne résolut ni les conflits politiques et militaires du Congo, ni les divergences entre l’ambassade et les libéraux du Département d’État et de la mission américaine à New York1116. »
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Ibid., p. 187.
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Pas un mot de plus, aucune compassion, car désormais les efforts de l’équipe de Devlin sont portés sur la neutralisation de Gizenga, Mulele, Kashamura et les autres dirigeants lumumbistes en activité à Stanleyville. La lutte contre « l’ingérence soviétique doit continuer » Ainsi, la CIA a fomenté des projets d’assassinats que les agents d’expérience sur place n’ont pas eu envie de réaliser. Fortuitement, l’évasion de Lumumba a mis fin aux velléités de meurtres du département d’État mais jusqu’au bout la complicité américaine fut évidente. La CIA a été au courant des détails de l’opération qui menait Lumumba à une mort certaine. Une source évoque un agent de la CIA à Élisabethville dans la nuit du 17 février avec le corps de Lumumba dans son véhicule, cherchant à savoir comment s’en débarrasser1117. Aucune autre source n’évoque cependant cette possibilité. Cette mission américaine s’est réalisée, non pas en coopération, mais en « bonne intelligence » avec un agent britannique du MI6, Daphne Park, qui travaille depuis 1959 sous la couverture de consul général pour les deux Congo. Elle a révélé les arcanes du projet avant sa disparition 1118 en 2009, au journaliste David Lea et sa relative implication dans l’assassinat de Patrice Lumumba 1119 . Si son implication est indirecte, il est nécessaire de revenir sur le rôle actif de cet agent féminin dans un monde du secret très masculin et sexiste. Le récit de son séjour au Congo révèle ses relations étroites avec Larry Devlin et les enjeux diplomatiques entre les gouvernements anglais et américain. Park a grandi en Afrique, au sud du Tanganyika, dans une famille de colons très modeste. Elle intègre le Special Operations Executive en 1943, chargé d’actions de sabotages dans l’Europe occupée, puis, après plusieurs années, intègre le MI6 1120 . Ses supérieurs décident de l’envoyer en Afrique au Congo belge, à 1117
John STOCKWELL In search of enemies, a CIA story, New York, Norton and Co., 1978, p. 105. 1118 Gordon CORREA, MI6, life and Death in the British Secret Service, op. cit., p. 125-126. 1119 Huffington Post du 4 février 2013, « MI6 arranged Patrice Lumumba’s assassination, Daphne Park, former british spy, claimed, David Lea évoque la responsabilité du MI6 dans l’assassinat de Patrice Lumumba, elle répond – We did (…) I organised it ». 1120 Paddy HAYES, Queen of spy, Daphne Park, Britain’s cold war spy master, New York, The Overlook Press, 2016, p. 336.
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Léopoldville en tant que consul général, dans un territoire où environ deux cent cinquante britanniques étaient présents et où le consul était là pour servir et préserver les intérêts économiques de ceux qui avaient investis dans des sociétés comme British Petroleum, Unilever et British American Tobacco. Il existe un intérêt historique britannique pour le sous-sol très riche du Katanga appartenant aux Belges que Cecil Rhodes1121 avait tenté d’exploiter pour son compte à la fin du XIXe siècle.. La décolonisation du Congo belge qui s’annonce rend possible une nouvelle main mise économique sur la région. La fin de l’AEF et du Congo belge sonne la possibilité de reprendre le contrôle de ces espaces au profit britannique, en coupant l’herbe sous le pied aux visées soviétiques sur le continent si tant est qu’elles existent1122. Dans les colonies britanniques, le MI6 est mal perçu car techniquement elles sont le pré-carré du MI5, chargé des « affaires internes ». Partout ailleurs en Afrique, le Foreign Office n’apprécie pas non plus l’interférence des agents du MI6 et Daphne Park ne fait pas exception : elle est très mal accueillie par Ian Scott, ambassadeur au Congo belge. Daphne Park est un agent d’un type nouveau : elle cultive dès son arrivée au Congo sa proximité avec les Congolais, tisse des relations basées, selon son témoignage, sur la confiance et non la trahison. Elle raconte avec humour comment elle n’a pas eu recours à l’usage de ses charmes pour ses missions car elle n’en avait pas1123. Après sa rencontre avec Lumumba dès 1959, elle évoque la régularité des contacts qui ont suivi. Sans naïveté, il sait qu’elle travaille pour le MI6 et lui envoie régulièrement des personnes pour régler certains problèmes. « Il n’avait aucune illusion sur moi 1124 ». L’un des contacts de Daphne Park est l’aide de camp de Lumumba, Damien Kandolo, originaire de la même région, qui devient l’un des commissaires sous Mobutu, en charge de l’Intérieur. Dès début juillet 1121
Sur Cecil Rhodes, fondateur de De Beers et du mythe de l’Afrique britannique voir : John S. GALBRAITH, Crown and Charter : The Early Years of the British South Africa Company, Berkeley, Californie, University of California Press, 1974, 365 p. 1122 National archives PREM 11/ 2585, voir memo daté du 11 décembre 1959 partiellement rédigé par John Bruce Lockhart, responsable du Moyen-Orient et de l’Afrique. 1123 Gordon CORREA, MI6, Life and Death in the British Secret Service, op. cit., p. 101. 1124 Ibid., p. 126.
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1960, à Londres, le Premier ministre Harold Macmillan subit la pression de lobbys liés au milieu des affaires et à la droite du Parti conservateur, pour reconnaître la sécession katangaise 1125 . Depuis quelques temps, des officiels britanniques sont « approchés » par des délégations secrètes katangaises pour savoir si le Katanga sera absorbé par les Britanniques qui dirigent la Central African Federation ou la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland dont le leader, Sir Welensky pousse le 10 Downing Street à faire sortir le Katanga du Congo1126. De son côté, l’ambassadeur Ian Scott reste longtemps dubitatif quant aux alertes américaines sur Lumumba, qui reste pour lui un interlocuteur valable jusqu’à la mi-août 19601127. Les idées américaines et anglaises étaient souvent divergentes sur le tiers-monde, les Américains suspectent que les Anglais manœuvrent en secret au Katanga. Des idées divergentes, mais les objectifs anglo-américains se confondent peu à peu, ce qui favorise le rapprochement entre les deux agents. Devlin et Park se sont côtoyés au Congo et sont restés très liés par la suite. Sous l’impulsion d’Alec Douglas-Home, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Harold Macmillan à la fin du mois d’août ordonne au MI6, par l’intermédiaire de Dick White à Daphne Park, de travailler avec la CIA à l’élimination politique de Lumumba1128. En fait il s’agit plutôt d’un laisser-faire, une complicité passive. Fin septembre, Alec Douglas-Home rencontre avec Macmillan le président Eisenhower à New York et plusieurs sources attestent de son insistance à « se débarrasser » de Patrice Lumumba 1129 . Une correspondance secrète entre Ian Scott et H.F.T. Smith, agent du Foreign Office, révèle que tous ont peur d’un retour de Lumumba sur la scène politique s’il n’est pas éliminé physiquement : « There is much to be said for eliminating Lumumba, although others voiced scepticism1130 ». Daphne Park, comme Devlin, considère que cela ne fait pas partie de leurs fonctions et envisage comme Devlin que le 1125
National Archives PREM 11/2883, Harold MACMILLAN, Pointing the way, Londres, Macmillan, 1972, p. 263. 1126 National archives PREM 11/2585. 1127 National archives FO 371/146639. 1128 Tom BOWER, The perfect english spy : sir Dick White and the Secret war, Londres, St Martins, 1995, p. 222-223. 1129 FRUS 1958-1960, vol. XIV, p. 495 et Richard THORPE Supermac, the life of Harold Macmillan, Londres, Chatto and Windus, 2010, p. 484. 1130 National archives, FO 371/1466650.
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« travail » soit fait par le gouvernement belge et les Congolais1131. Il est d’ailleurs important que le « dirty job » soit vite réalisé car, très prochainement, le gouvernement Eisenhower va céder la place à celui de Kennedy qui pourrait décider de remettre aux commandes du Congo Lumumba 1132 .Quand Daphne Park quitte le Congo en 1961, Lumumba est mort mais aussi une autre personnalité très influente dans la région : Dag Hammarskjöld. Le Congo et le Katanga se situent donc aussi dans les préoccupations géopolitiques britanniques de l’époque. Ils ne constituent pas seulement une affaire belge ou française, mais aussi des espaces convoités par les Américains et les Anglais et plus spécialement la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland, lieux de résidence de nombreux mercenaires dont certains vont se révéler à l’occasion de la mort du secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, dans la nuit du 17 au 18 août 1961. Il est aujourd’hui impossible de ne pas lier ces deux disparitions à l’aune des récentes recherches sur cet accident d’avion qui a fait l’objet d’une demande de réouverture d’enquête auprès de l’ONU par Ban Ki Moon à la fin de son mandat de secrétaire général1133. Il a également insisté pour que les États, ex-métropoles des colonies d’Afrique centrale, favorisent l’ouverture de leurs archives sur ce sujet, demande restée sans suite à ce jour1134. L’entretien réalisé avec Susan Williams suite à la lecture de son ouvrage 1135 marque un tournant dans l’écriture de cette thèse. La 1131
Paddy HAYES, Queen of spy, Daphne Park, Britain’s cold war spy master, op. cit., chapitre 17. 1132 Message de Larry Devlin à Washington après la mutinerie de Thysville en faveur de Lumumba, daté du 13 janvier 1961, déclassifié et consultable sur le site www.cia.gov. 1133 The conversation « Speaking truth to power : the killing of Dag Hammarskjöld and the cover-up » du 16 septembre 2016. Jeune Afrique n° 2905, semaine du 11 septembre 2016, article de François Soudan. 1134 Voir notamment l’article de Katie Engenhart, les procrastinations du Foreign and Commonweath Office en Grande-Bretagne : https://news.vice.com/article/whatdoes-the-uk-know-about-the-mysterious-plane-crash-that-killed-a-un-secretarygeneral consulté le 21 janvier 2017. 1135 Entretien accordé par Susan Williams à Paris, le 14 décembre 2013.
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discussion s’annonçait intéressante, elle s’est révélée passionnante : Susan Williams, accompagnée de son époux, s’est montrée au départ relativement méfiante à mon égard. Puis, après lui avoir montré l’avancée de mes recherches, elle a accepté de me rencontrer et de me donner à voir quelques documents pouvant m’être utiles, tout en me recommandant de faire attention et de faire preuve de discrétion sur certains aspects de notre conversation. Son ouvrage propose une relecture très documentée de l’événement que constitue la mort du secrétaire général de l’ONU dans cet accident d’avion survenu dans la nuit du 17 au 18 septembre 1961, aux environs de Ndola en Rhodésie du Nord (Zambie) 1136 . À son bord seize personnes : toutes sont décédées. Elle étudie l’importance de cette mort dans le contexte de décolonisation et du jeu de domination des différentes puissances coloniales en « Afrique centrale ». Sur cet événement, plusieurs enquêtes se sont succédées. Le 20 septembre 1961, le Département fédéral rhodésien de l’aviation civile organise une enquête sur l’accident à la demande des autorités de l’aviation civile internationale : elle ne parvient pas à expliquer les causes de ce crash. Deux autres enquêtes vont suivre : l’enquête de la Commission rhodésienne qui a produit un rapport en février 1962, concluant que le crash de l’avion était un accident causé par une erreur du pilote, puis l’enquête de la Commission de l’ONU qui a produit un rapport en avril 1962 dont les conclusions sont restées ouvertes car l’avion, avant son départ à Léopoldville, n’avait pas été surveillé ou inspecté, ainsi un sabotage ou une attaque pouvaient être envisagés. La résolution 1759 du 26 octobre 1962 demande que l’Assemblée générale de l’ONU soit informée de toute nouvelle preuve qui pourrait être apportée concernant ce désastre. L’ouvrage de Susan Williams, publié en 2011, a offert un nombre important de raisons de rouvrir l’enquête sur cet accident : elle s’appuie notamment sur le témoignage du Major General Björn Egge, un Norvégien à la tête de l’information militaire de l’ONU au Congo en 1961, qui a été chargé de collecter les effets personnels de Dag Hammarskjöld. Il a pu voir le corps à la morgue et constater qu’il avait à un trou rond à l’arrière de la tête dû, probablement, à un l’impact d’une balle. Or, sur les photos prises du cadavre, le trou n’apparaît pas et le rapport d’autopsie n’est plus dans 1136
Susan WILLIAMS, Who Killed Hammarskjöld ? The UN, the Cold War and White Supremacy in Africa, op.cit., p. 243.
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le dossier. L’ouverture des archives de Sir Roy Welensky, Premier ministre des territoires britanniques de la Fédération rhodésienne (Rhodésie du Nord et du Sud et Nyassaland), longtemps tenues secrètes1137, a révélé un rapport médical sur les victimes incluant les rapports d’autopsie, le passage aux rayons X des cadavres, des photographies des cadavres, les plans du site du crash et du rapport des pompiers. Susan Williams a fait appel, pour examiner ces documents, à trois experts : le Dr Robert Ian Vanhegan consultant pathologiste, Peter Franks expert en armes à feu et en balistique et Peter Sutherst, un autre scientifique. Leurs conclusions convergent toutes vers la nécessité de questionner une nouvelle fois le rapport officiel qui a prévalu jusqu’alors. Ces nouveaux éléments 1138 ne peuvent être balayés d’un revers de la main comme le réaffirme le rapport de l’ONU 1139 , prônant la nécessité d’une réouverture de l’enquête sur la mort du secrétaire général. Le témoignage de l’ancien président des États-Unis, Harry Truman, les témoignages directs d’autres acteurs, jusque-là passés sous silence, et notamment celui du seul survivant, le sergent Harold Julien l’officier en chef de la sécurité de l’ONUC et ceux des témoins africains non entendus en 19611140
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Pour un inventaire : voir http://www.bodley.ox.ac.uk/dept/scwmss/wmss/online/blcas/welensky.html Les archives nationales britanniques ont ouvert à la consultation en avril 2013 les dossiers de la Rhodésie du Nord de la période coloniale connus sous le terme de migrated archives car elles ont été rapportées en Grande-Bretagne lors de l’accès à l’indépendance. Voir Vincent HIRIBARREN « Hiding the European colonial past : a comparison of archival policies », Displaced Archives, Abingdon, James Lowry/Routledge, 2017, p. 74 à 86 et « The War against the UPC in British Cameroons » Intelligence in Colonial Context, Paris, Presses Universitaires Paris Sorbonne, 2017, à paraître. 1138 Ces nouveaux éléments évoqués réfutent les thèses de l’accident causé par une erreur de l’altimètre, par un 17e passager qui aurait détourné l’avion ou par une bombe placée à bord de l’avion qui aurait explosé en vol, et pointent du doigt l’absence de coordination ou l’incompétence des autorités à organiser les secours. 1139 Rapport de l’ONU 68e session du 21 mars 2014 réalisé par le secrétaire général à l’Assemblée générale de l’ONU et nommé « Investigation into the conditions and circumstances resulting in the tragic death of Dag Hammarskjöld and of the members of the party accompanying him » p. 21 transmis par Susan Williams qui est l’un des experts mobilisés pour la rédaction de ce rapport. 1140 Ibid., p. 27. Les témoignages de M. et Mme Mulenga, les charbonniers John Ngongo, Safeli Soft et Custon Chipoya, Margaret Ngulube, tous évoquent une
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sont incontestablement de nouvelles pièces au dossier. La lecture des ses témoignages laisse un impression de malaise, la volonté pour tout esprit animé de transparence de favoriser ce travail de réouverture. Il est difficile, à l’aune de cette évolution dans la lecture des sources, de ne pas se dire qu’il pourrait en être de même pour l’enquête sur le crash de l’avion de Boganda. Ainsi, la découverte de l’épave par les autorités rhodésiennes neuf heures après le crash a jeté la suspicion sur l’efficacité des recherches et mit en lumière l’intérêt qu’auraient pu avoir les autorités rhodésiennes, en accord avec le gouvernement katangais sécessionniste, à découvrir tardivement les corps pour retarder l’arrivée des secours. De même, le fait que les témoignages des « indigènes » n’aient pas été pris en compte dans les enquêtes faites en 1961, révèle à quel point il est facile d’évincer d’un travail, dit scientifique, des preuves parce qu’elles sont gênantes aux conclusions de ce dit travail. Au sud-est du Congo, la Fédération de Rhodésie est composée de la Rhodésie du Nord et Sud et du Nyassaland, créée en 1953 dans le but de préserver le pouvoir colonial sur les peuples locaux et de contenir le potentiel expansionnisme de l’Afrique du Sud 1141 . La Grande-Bretagne, représentée localement par Sir Roy Welensky, Premier ministre, est donc en charge de la politique étrangère de la fédération, il en est également le plus ardent défenseur1142. Cet homme très influent était lui aussi, inquiet de connaître aux frontières de « son territoire », des colonies en voie de décolonisation, soutenues selon son avis, par l’URSS. L’enjeu majeur stratégique de sa politique est d’éviter deux périls. D’une part que cette politique d’émancipation africaine « indigène » ne « déteigne » sur la Fédération et ce, en dépit explosion de l’avion dans le ciel et certains la présence d’un deuxième petit avion tirant sur le deuxième. 1141 Ronald HYAM, « The geopolitical origins of the Central African Federation : Britain, Rhodesia and South Africa, 1948-1953 », Historical Journal, 30 janvier 1987, p. 145-172. 1142 Un ouvrage très accommodant avec Sir Roy Welensky : J.R.T. WOODS, The Welensky papers, a history of f the Federation of Rhodesia and Nyasaland, Durban, Graham, 1983, 1330 p. Voir aussi un portrait savoureux : Frank BARTON, « Portrait of a failure : Sir Roy Welensky », The Central African Post, juillet 1959 consultable sur le site http://www.sahistory.org.za/archive/portrait-of-a-failure-sirroy-welensky
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d’une frontière très poreuse avec le Katanga qui facilite les échanges entre Ndola, ville du cuivre de la Copperbelt, et Élisabethville, la capitale du Katanga. D’autre part, préserver les intérêts des colons constitués en lobby, les satisfaire quitte à mener une politique antagoniste à celle du gouvernement britannique, Sir Welensky se présente d’ailleurs comme un fidèle garant de leurs intérêts, menacés également par ceux des colons afrikaners1143. Un seul point commun à tous : il apparait primordial qu’un régime stable et jouant les intérêts des Britanniques dirige le Katanga, décrit par Welensky comme une zone-tampon contre le panafricanisme incarné par Lumumba. Pour sa part, Welensky accueille favorablement la prise de pouvoir de Tshombe et la sécession katangaise qui mettent les intérêts britanniques temporairement à l’abri. Les représentants britanniques locaux, au sens large du terme, ont donc tout intérêt également à voir disparaître Lumumba de la scène politique. Dans le même esprit, Welensky nourrit une réelle animosité envers la politique et les activités menées par l’ONU dans la région, qui vont à l’encontre de ses vues politiques et économiques 1144 . Cette dualité d’approche politique au sujet du Katanga et de l’ONU se retrouve également entre les différents acteurs du gouvernement britannique. Pour sa part, le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères britanniques, Lord Lansdowne, désire inscrire les efforts du Royaume-Uni dans les pas de l’ONU afin de faire appliquer le cessez-le-feu au Congo et le retour du Katanga dans le giron de l’État congolais. Et de son côté, Lord Alport, le haut-commissaire britannique de la Fédération de 1143
Pour un renouveau historiographique : Paul MURPHY, « Government by blackmail : the origins of the Central African Federation reconsidered », dans Martin LYNN, The British Empire in the 1950 s : retreat or revival ?, New York, Palgrave/Macmillan, 2006, p. 53-77. 1144 Voir British documents on the end of the Empire : Central Africa, a closer association 1945-1958, partie 1, vol. 9, London, Phillip Murphy, 2005. Et, particulièrement, le message envoyé par Welensky le 21 avril 1961 à Lord Home, secrétaire aux Affaires étrangères britanniques, classé longtemps secret, dans lequel il s’oppose à la politique menée par l’ONU pour mettre fin à la sécession katangaise et demandant à ce que les Britanniques se désolidarisent de l’ONU car « Tshombe est un bon ami de la Fédération ». Mais aussi le Rapport de l’ONU 68e session du 21 mars 2014, réalisé par le secrétaire général à l’Assemblée générale de l’ONU et nommé « Investigation into the conditions and circumstances resulting in the tragic death of Dag Hammarskjöld and of the members of the party accompanying him », p. 8, fourni aimablement par Susan Williams.
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Rhodésie, est adepte d’une suprématie locale sur les enjeux internationaux comme le confirme le récent ouvrage de Maurin1145. Par ailleurs, les liens entre les États belge et britannique ne s’appuient pas que sur des relations formelles mais il existe également des liens commerciaux très forts entre les intérêts américains et sud-africains. L’Union minière a des relations très étroites avec la Compagnie britannique des concessions du Tanganyika connue sous le nom de Tanks, et toutes deux ont pour même directeur, le capitaine Charles Waterhouse. Tanks entretient également des liens avec la Rhodesian Selection Trust et la British South African Company. Tous voient d’un mauvais œil qu’un État nouvellement indépendant se débarrasse des compagnies étrangères et reprenne le monopole des activités commerciales et minières comme l’Égypte l’a fait en 1956. L’Afrique du Sud redoute aussi que son système d’apartheid, largement opérationnel en Rhodésie, soit remis en question par l’effet « domino » du vent de liberté soufflant depuis l’ex-Congo belge. En résumé, le gouvernement belge, les services secrets britannique et américain, ajoutés aux services français, la Fédération de Rhodésie et la République d’Afrique du Sud ont des raisons communes de ne pas adhérer au projet d’un Congo uni et indépendant, dirigé par Patrice Lumumba. La mort de ce dernier tombe donc à propos, mais Dag Hammarskjöld s’est engagé à venir à bout de la sécession katangaise avec le soutien des gouvernements officiels britannique et américain, cela l’a placé en situation de grand danger. Les disparitions de Patrice Lumumba et du secrétaire général de l’ONU sont donc à étudier en miroir. L’interface entre les deux morts se renforce à la faveur d’un travail sur archives totalement fortuit lors de la mise en place de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud. Pour les travaux de cette commission, un dossier a été transmis par la National Intelligence Agency sur l’assassinat en 1993 du leader Chris Hani du Parti communiste d’Afrique du Sud, qui révèle des documents sur une opération codée « Céleste1146 ». Si ces documents sont authentiques et 1145
Maurin PICARD, Ils ont tué monsieur H, Congo 1961 : le complot des mercenaires français contre l’ONU, Paris, Seuil, 473 p. 1146 Une copie de ce jeu de documents m’a été montrée par Susan Williams. J’ai pu me procurer une photographie de ces documents photocopiés de piètre qualité, ce qui m’a permis de vérifier leur existence : « Archives South African History Archive (SAHA) », Johannesburg, Witwatersrand University, SAIMR file in the De Wet Potgieter Papers Tous les documents cités ci-dessous se confèrent à cette référence.
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véridiques, seules des photocopies sont aujourd’hui consultables. Une série de documents à en-tête de la South African Institute for Maritime Research, aujourd’hui l’African Institute for Maritime Research basée en Afrique du Sud, révèle qu’une action concertée entre le SAIMR et son agent « Congo Red », le MI5 et Moïse Tshombe a été menée pour éliminer le secrétaire général de l’ONU mais aussi le Premier ministre congolais. Ce premier document le suggère :
« 12th July 1960 To : Capt From : Cadre Dear,
CONFIDENTIAL
Head office is rather concerned with developments in the Congo particularly the Haut Katanga, where it appears that the local strong man Monsieur Moïse Tshombe, supported by Union Minière is planning a secession along with a number of emigrés. We have it on good authority that UNO will want to get its greedy paws on the province. I have been instructed to ask you to send as many agents as you think would be needed to bolster CONGO RED’s unit in case of future problems which may arise, as we are sure, they will. The local authorities (katangan) have agreed to place at your disposal, a number of private aircraft, including two military « Fouga » jets. Please let me have an assesment of the situation at your EARLIEST convenience. Many thanks. »
Un second document suggère la complicité et le contact de la SAIMR avec la CIA : « ORDERS TOP SECRET YOUR EYES ONLY TOP SECRET YOUR EYES ONLY (Yo)ur contact with CIA is « Dwight ». He will be residing at : HOTEL LEOPOLD II, in E’ville from now until 1/11/61 (En)sure identity is correct before giving info. (Pa)ssword is : How is Celeste these days ? (Re)ply is : « She’s recovering nicely apart from the cough »
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apt room
ops Delta
La connexion avec le MI5 est traçable avec ce document : ORDERS TOP SECRET YOUR EYES ONLY TOP SECRET YOUR EYES ONLY At a meeting between MI5, special ops Executive, and SAIMR, the following emerged : Dad has requested that blockbusters be shipped to Katanga via South Africa and Rhodesia – Both Dr. V1147. and Sir Roy have refused. UNO is becoming troublesome and it is felt that Hammarskjöld should be removed. Allen Dulles agrees and has promised full cooperation from the people. (He) tells us that Dag will be in Leopoldville on or about 12/09/61. The aircraft ferrying him will be a D.C. in the livery of ‘TRANSAIR’, a swedish Company. I want his removal to be handled more efficiently than was Patrice (LUMUMBA) If time permits, send me a brief plan of action, otherwise proceed with all speed in absolute secrecy. If McKeown and O’Brien can be dealt with simultaneously it would be useful but not if it could compromise the main operation. If, and only if serious complications arise tell your agents to use telephone (illegible word) Johannesburg 25-3513. OPERATION TO BE KNOWN AS ‘CELESTE’ ».
Ce message révèle que le général MacKeown et Connor Cruise O’Brien sont également dans la ligne de mire des agents de la SAIMR et qu’ils auraient aidé à l’assassinat de Patrice Lumumba mais avec une moindre efficacité. Un document révèle que pour que l’opération soit un succès, ils se sont concentrés sur le premier secrétaire de l’ONU : « By hand Dear, We have a number of problems to sort out with regard to the operation, in order to arrange for all three of the targets to be affected, an enormous
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Hendrik Verwoerd le Premier ministre de l’Afrique du Sud et Sir Roy Welensky déjà évoqué.
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amount of planning will be required, in order to ensure the success of ‘Celeste’ and taking into account the fact that time is of the essence, I would suggest that we concentrate on D. and leave the other two for some future date, possibily as early as next week or the day after. Dag will have to be sorted out on the 17th or 18th (he has an appointment in Ndola on the 18th or 19th) all my men as well as Congo red’s people are in position. With a little luck, all will be well. Your servant. Commander. »
Suivent deux documents sur l’opération en elle-même, l’un avant : « OPERATION CELESTE All units on stand-by Operation will proceed as planned The generals will not be accompaying the target. Tell your people that the op. Will not be allowed to be less than a total success. Union minière has offered to provide logistic or other support. We have told them to have 61bs of tnt at all possible locations with detonaters, electrical contacts and wining, batteries etc. (a full list of requirements has been given to R ?) Your decision to use contact, than barometric devices is a wise one, we don’t want mistakes or equipment failures at this last stage. GOOD LUCK Make that « LUCK ». From : Commodore To : Captain ».
Le deuxième rapport de mission révèle que le plan initial a échoué mais que la mission a au final réussi : « Report (by hand) Operation celeste 18-9-61 1 – Device failed on take off 2 – Despatched Eagle (illegible words) to follow and take (illegible words) 3 – Device activated (illegible words) prior to landing 4 – As advised O’Brien and McKeown were not aboard 5 – Mission accomplished : satisfactory. Message ends ».
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Si ces documents s’avèrent être des faux, cela pose la question de la nécessité de produire ces faux : en quoi est-ce important de montrer que des actions secrètes contre Lumumba et Hammarskjöld étaient concertées et organisées depuis l’Afrique du Sud ? A contrario, si ces documents sont véridiques, ils renforcent l’idée que la nébuleuse d’agents et de mercenaires présents en Afrique centrale et particulièrement au Katanga, est très dense et connectée, prête à déjouer la politique officielle des grandes puissances, y compris celle de l’ONU. Le « sale » travail des honorables correspondants ne s’est pas réalisé uniquement sur le continent africain. La reconstitution de la mission de William Bechtel est à ce titre édifiante tant elle permet de cerner les procédés d’infiltration et d’exfiltration d’un agent en action, dont la culpabilité n’est plus à prouver, si ce n’est par la justice suisse. L’examen minutieux du rapport de la police genevoise sur l’empoisonnement de Félix Moumié, rédigé le 20 novembre 1960, et le rapport de police fait sur le rôle et l’activité de William Bechtel rédigé le 13 janvier 1961 sont des mines de renseignements sur l’auteur, encore « présumé » pour la justice suisse, de cet empoisonnement 1148 . William Bechtel, tour à tour Louis Bechtel, Louis Williams, Louis Desportes, Pierre Jourdan, Charles ou Claude Bonnet (nom d’emprunt utilisé pendant la Résistance) est un ingénieur-chimiste de formation, né à Épinal en 1894, il sort officier de réserve « qualifié d’un dévouement admirable » en 14-181149. Dans l’entre-deux-guerres, polyglotte, il effectue des stages d’interprète pour le compte de l’armée et des voyages d’études en Allemagne. Présenté dans son dossier comme un résistant de la première heure, il parvient à rejoindre l’Angleterre et s’engage dans les FFL le 27 juin 1940. Il participe aux campagnes de Syrie, de Libye à Bir Hakeim, se porte volontaire dans le cadre du plan interallié « Sussex » pour une mission clandestine en France, il est parachuté en France le 9 avril
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Schweizerisches Bundesarchiv de Berne, BAR E 4320-01 (C) 1996/203, Bd. 41, fiche William Louis Bechtel 1960-81. 1149 Pour retracer le parcours de William Bechtel, les deux dossiers militaires conservés à Vincennes sous dérogation sont utiles : GR 8YE 88141 (dossier de carrière militaire) et GR 16P 42483 (dossier de résistant).
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1944 et fournit des renseignements capitaux pour la libération de Rouen par les Alliés. Sorti de l’hôpital, il se porte volontaire pour l’Indochine où il est à nouveau blessé au crâne. Plusieurs fois médaillé, il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 22 mai 1945. Le 5 décembre 1951 marque la fin de ses états de service. Mais sa carrière se poursuit de façon officieuse en tant que réserviste au Sdece. L’enquête de police s’est appuyée sur la perquisition faite au domicile de Bechtel, 13 bis, avenue Petit-Senn à Chêne-Bourg, canton de Genève, le 17 novembre 1960. Cette perquisition révèle une partie de sa vie très dense au service du Sdece en tant que réserviste. Elle permet la collecte de souches de billets d’avion, des lettres de recommandation toutes prêtes destinées à des personnalités africaines, d’un carnet de poche dans lequel Bechtel écrit les détails de ses déplacements et très minutieusement les frais engagés en Afrique du 4 août au 4 septembre 1960, les traces d’un éventuel contact en tant que journaliste avec Félix Moumié. Car dès mai 1959, c’est en tant que journaliste pigiste de l’agence Allpress, agence suisse proche des milieux anticolonialistes et dirigée par Roger Deleaval, qu’il rédige ses premiers articles sous le pseudo de Claude Bonnet. Le 23 mai 1958, à Accra, il rencontre Moumié par l’intermédiaire de son père Samuel Mékou lors d’une brève entrevue en compagnie d’Ernest Ouandié et Abel Kingué à l’Hôtel Ringsway. Samuel Mékou est présenté par Bechtel comme l’intermédiaire idéal : « pour toucher quelqu’un de l’UPC à Accra, écrire aux bons soins de MEKOU Samuel PO BOX M 52 à Accra 1150 ». Bechtel affirme avoir été contacté par Liliane Frily à la demande de Moumié lors de leur voyage à Gstaad le 11 octobre 1960, pour fixer un rendez-vous. Ils se sont revus le vendredi 14 octobre à Genève dans les bureaux de l’agence, en compagnie de Jean-Martin Tchaptchet (président de la section française de l’UPC). Cette entrevue a été confirmée par Roger Deleaval présent dans les locaux. La secrétaire de l’agence Melle Aurélia Ruffili et le directeur confirment que Mme Frily a précisé lors de son appel, qu’elle voulait absolument parler à Bechtel avant qu’il ne parlât à son « mari ». Cet élément est à mettre à l’actif de la thèse selon laquelle Liliane Frily aurait été « utilisée » par Bechtel 1150
BAR E2200.131-01#1981/23#18*, N.3.1, Assassinat Félix Moumié, 1960-1964, rapport du 23 janvier 1961, p. 2 (notes de son carnet personnel).
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pour « approcher » Moumié. Sur 51 papiers carbones usagés, 18 ont pu être photocopiés et déchiffrés 1151 . L’un d’entre eux est un plan d’opération au « Plat d’Argent » révélant le scénario réel du 15 au soir au restaurant, établi avec la complicité d’un « Robert », de « Dupin », M. « Guy » et Henri Dumartheray, nom auquel a été réservé la table du « Plat d’argent ». Si les trois autres ne sont pas identifiés, Dumartheray a été identifié et interrogé. Fonctionnaire aux douanes, il aurait rencontré Bechtel en 1913 pendant ses études de chimie et ils se seraient revus en 1959 et en 1960. William Bechtel a disparu dès le 16 octobre, il a néanmoins tenté de joindre vers 11 h 30 Félix Moumié à son hôtel, selon le témoignage de Liliane Frily qui relate la réponse de Moumié : « Celui-là, qu’il me fiche la paix ». Il aurait quitté Genève le 17 ou 18 octobre. Le 26 novembre, dans une lettre postée le 28 à Vienne en Autriche en faveur de Roger Deleaval, il fait l’étonné d’être mêlé à l’affaire Moumié tout en disant qu’il ne revient pas à Genève tant que l’affaire n’est pas éclaircie. L’interrogatoire de Roland Lévy1152 le 14 décembre 1960 révèle les actions secrètes menées par Bechtel avant Moumié et son passage à l’appartement de ce dernier à la fin octobre, grâce à une clé envoyée par Bechtel. Il confirme l’interception de l’avion Air Atlas le 31 octobre 1956, dans lequel se trouvaient la plupart des leaders du FLN, suite à son infiltration dans les milieux anticolonialistes nord-africains. Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Houcine Ait Ahmed, Mohammed Boudiaf et Mustapha Lachref ont été faits prisonniers par les Français à cette occasion1153. Les documents saisis révèlent des actions de surveillance sur le trafiquant d’armes norvégien Rolv Ragnar Lie et les plans d’action du mois de mai 1959 envers les militants du FLN comme Benguetta, Ferhat Abbas, Ahmed Francis ou envers les avocats du FLN comme Maître Ellenberger1154. Bechtel écrit : « Je sais à présent comment on franchit les fils de fer barbelés sans attirer l’attention, comment on passe par-dessus les murs, comment on s’évade de prison. Je sais sauter en parachute. Aucune arme n’a de secret pour moi, ni le
1151
Ibid,, p. 4-5. Roland Lévy est également un honorable correspondant du Sdece. 1153 BAR E2200.131-01#1981/23#18*, N.3.1, Assassinat Félix Moumié, 1960-1964, rapport du 23 janvier 1961, p. 11 1154 Ibid., p. 23-26. 1152
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colt, ni le stylet, ni la grenade, et je manie la sten comme un vrai gangster de Chicago1155. »
Un rapport spécial de police daté du 21 novembre 1960 et adressé au juge d’instruction Denichert fait état d’une saisie d’effets et sachets de particules prélevés dans les poches de vêtements provenant de chez William Bechtel. Suite à l’expertise du laboratoire de la police municipale de Zurich effectuée par le Docteur Frey, le rapport établi le 12 décembre 1960 1156 atteste que des traces de thallium ont été retrouvées dans les poches de l’un de ses vestons saisis lors de la perquisition. Placé sous mandat d’arrêt international, il est arrêté en 1974 et l’enquête est rouverte. Le juge Denichert désigne un jeune avocat de trente ans « commis d’office », Maître Marc Bonnant, pour défendre Bechtel qui ne veut pas d’avocat car il se prétend innocent. Se nouent entre les deux hommes des affinités : la notion de « service commandé » est une notion commune aux deux hommes que cinquante ans séparent, le monde de Bechtel n’est pas hostile à Bonnant, tout comme son statut d’« homme d’honneur », et d’officier auquel le jeune avocat est très sensible1157. Bechtel est relâché après avoir versé une caution de 100 000 francs suisses : « L’État français n’a pas payé, j’ai fait la tournée des popotes, il avait des amis. Et j’avais été frappé à l’époque de voir avec quelle promptitude toute sorte de personnes imprévisibles et improbables étaient disposées à déposer 5 000 fr, 10 000 fr ne doutant pas un seul instant qu’ils récupéreraient leur argent puisque si Bechtel donnait sa parole d’honneur1158. »
Le procès traîne en longueur, trois faits désignent Bechtel coupable : les traces de thallium dans les poches du veston, poison ayant servi à l’empoisonnement de Moumié, son départ précipité pour la France alors qu’il est domicilié à Genève depuis quelque temps et enfin les doubles carbones retrouvés à son domicile et qui pourrait
1155
Ibid., p. 15, quatre feuillets rédigés par Bechtel sur ses activités. Ibid., rapport du 12 décembre 1960, pièces n°46, 47 et 48. 1157 Entretien avec Maître Bonnant réalisé par F. Garbély et gracieusement mis à la disposition de l’auteure. Maître Bonnant a réalisé par la suite une très belle carrière, il est une référence pour son éloquence en plaidoiries. 1158 Ibid., p. 3. 1156
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constituer le récit du scénario de la soirée1159 . Bechtel ne veut pas parler de l’affaire, il admet avoir rencontré et dîné avec Moumié mais il déclare ne pas l’avoir empoisonné, il dit à son avocat « ces faits me sont étrangers ». La ligne de défense de Maître Bonnant sera réduite à sa propre analyse du dossier, pour lui « à supposer qu’il fût pour quelque chose dans l’assassinat de Moumié, (Bechtel) avait exécuté cette mission comme une autre mission de soldat et donc sa culpabilité n’était pas de l’ordre de la culpabilité ordinaire », mais « un acte d’obéissance 1160 », ce qui écartait alors tout aspect moral de sa réflexion d’avocat. Sa stratégie repose sur ce que dit réellement le dossier : Bonnant s’est référé à la littérature médicale sur les effets du thallium et a argumenté que la chronologie des symptômes de Moumié ne correspondait pas à la chronologie des faits si on part de l’hypothèse que l’empoisonnement a été réalisé au « Plat d’Argent ». De plus, il évoque que le bout des allumettes contient très peu de thallium, or, Bechtel est fumeur et a pu en laisser en vrac dans la poche de son veston. En ce qui concerne le récit sur carbone, l’avocat évoque comment en partant du texte, il a livré quatre à cinq interprétations possibles de ce texte aux juges. Le procès débouche sur un non-lieu le 27 octobre 1980. Bechtel sollicite le 24 février 1987 la cravate de commandeur de l’Ordre national de la Légion d’honneur, qui lui est refusée car il ne justifie d’aucun titre de guerre après la dernière promotion dans l’ordre. Il meurt à l’âge de quatre-vingtquinze ans. Bonnant évoque le fait que Bechtel a cherché par ses contacts à lui obtenir la Légion d’honneur, il récuse que ce jugement fût un jugement de complaisance car le président de la chambre d’accusation Bernard Bertossa, homme de gauche, et le procureur Bernard Foix, étaient pour Bonnant des hommes de qualité 1161 . L’avocat est brillant, il fera d’ailleurs une belle carrière, sa sensibilité de droite n’a pas échappé à l’accusé, sa stratégie de défense est fine : vingt ans après les faits il est possible de mettre en regard la symptologie du mort et la toxicologie faite au thallium ; en 1961, la médecine est de ce point de vue plus démunie. C’est un fait dont les juges auraient dû tenir compte. Le dossier judiciaire est aujourd’hui 1159
Voir archive de Berne, BAR E 4320-01 (C) 1996/203, Bd. 41, William Louis Bechtel 1960-81. 1160 Ibid., p. 5. 1161 Ibid., p. 10.
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« introuvable » en dépit de mes nombreuses sollicitations auprès du procureur1162. Le dépouillement des débats aurait permis de relativiser et de préciser certains aspects du procès relatés par maître Bonnant. Ce procès a été largement suivi par le gouvernement français comme l’attestent les échanges entre le Conseil fédéral et le juge d’instruction Denichert à Berne, il est a ce jour difficile d’évaluer les pressions qu’aurait pu avoir à affronter le juge des autorités suisses ou françaises. Des connexions apparaissent entre les services secrets français et le chef de la police Charles Knecht, ancienne connaissance de Bechtel pourtant signalé comme dangereux dans le pays dès 1958. Interrogé par Frank Garbély, sur la culpabilité de William Bechtel, Maurice Robert est pour une fois explicite, il n’a jamais répondu auparavant avec autant de franchise1163 : « Moumié a été empoisonné (…) celui qui a fait cela, qui a fait cette opération est Bechtel. Bechtel était un réserviste des services spéciaux français. (…), la seule chose que je ne peux pas dire pour le moment parce que çà [sic] n’a pas été actuellement encore ouvert, c’est le secret d’État que çà [sic] recouvre cette affaire et que l’on ne peut pas dévoiler tant que le ministère de la Défense n’a pas décidé de livrer les archives « secret défense » concernant l’empoisonnement de Moumié1164. »
Il décrit William Bechtel comme un réserviste du service Action ou du service Renseignement une fois à la retraite ou pendant leur congé : « Bechtel ne s’est pas caché et a dit que c’était lui qui avait empoisonné Moumié (…) Bechtel s’est accusé d’avoir empoisonné Moumié (…) Les circonstances sont gardées par le secret défense : soit Bechtel était téléguidé officiellement par le service de renseignement français pour opérer cette opération ou bien a-t-il fait cette opération de sa propre autorité. Nous ne pourrons savoir que le jour où le secret défense sera définitivement levé sur cette affaire1165. »
1162
Voir Annexe 20. Maurice ROBERT « Ministre de l’Afrique – entretiens avec André Renault », op. cit., p. 281 : « William Bechtel était un réserviste du service Action. Certains indices ont joué contre lui, mais le doute l’a en effet emporté ». 1164 Entretien réalisé par Frank Garbély, tapuscrit transmis par le réalisateur, p. 3. 1165 Ibid., p. 4. 1163
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Moumié était un personnage gênant : les autorités camerounaises modérées, notamment le président Ahidjo, avaient intérêt à ce que Moumié disparaisse ; il n’est pas exclu que le président ait demandé aux services français dans le cas d’accords de coopération militaire d’éliminer Moumié, l’initiative peut aussi venir de la France. Pour Maurice Robert, l’UPC a « gangrené » le Cameroun, surtout la région Bamiléké et la Sanaga-Maritime, il « prônait une solution radicale » : « Je l’avais dit à Foccart. L’UPC était le foyer d’une révolte permanente, appelait la révolution permanente, appelait à la révolution et risquait de mettre le Cameroun à feu et à sang sur fond de conflit ethnique. Il fallait frapper d’un grand coup, la décapiter pour montrer au peuple camerounais que sa longévité ne traduisait pas son invulnérabilité mais la patience du pouvoir à son égard avant le recours à des méthodes plus expéditives. (…) Adhijo répétait à qui voulait l’entendre qu’il rêvait d’être débarrassé de Moumié. Quand il voyait Foccart, il ne manquait pas de lui parler des problèmes que lui posait le leader rebelle1166. »
En dépit du non-lieu, William Bechtel est coupable : en service commandé, il est aujourd’hui impossible de déterminer qui sont précisément les commanditaires. Bechtel aurait fait partie de la « Main rouge », mouvement informel, « une légende » selon Maurice Robert, dirigé par un officier appelé Verneuil, Mareuil mais aussi Mercier, présent à Berne, en charge de la liaison avec les services secrets alliés. Organisation multiforme, chargée d’organiser des attentats et assassinats contre les marchands d’armes trafiquant avec le FLN et contre les personnalités indépendantistes d’Afrique du Nord ou organisation clandestine d’extrême droite liée aux milieux colonialistes français d’Afrique du Nord. Tout cela n’est en fait que des couvertures du Sdece coordonnées par le chef du TOTEM, Mercier. « Les archives répondront un jour à votre question. » C’est par ces mots que Jacques Foccart, « Monsieur Afrique » du général de Gaulle, élude l’interrogation suivante et fort embarrassante, posée sur les responsables de la mort de Moumié1167. Le fonds des archives Foccart 1166 Maurice ROBERT, « Ministre de l’Afrique – entretiens avec André Renault », op. cit., p. 280. 1167 Philippe GAILLARD, Foccart parle, (entretiens), T. I, Paris, Fayard, p. 207.
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est peu explicite sur sa responsabilité dans l’assassinat du leader camerounais, mais que révèle-t-il en creux ? La correspondance de Foccart est foisonnante : de nombreux courriers attestent des échanges avec des relations en France ou à l’étranger. Parmi ses correspondants, on trouve un dénommé W. Zagli, négociant en import/export à Douala qui établit le 4 décembre 1958 un rapport sur le ressenti des colons à cette période. Le Docteur Maurice Plantier qui réalise une notice dactylographiée de plusieurs pages sur la situation politique du Cameroun le 15 octobre 1959 1168 . Michel Aurillac qui relate du 29 octobre 1959 son entretien avec Mayi Matip selon lequel « Félix Moumié ne disposerait plus que d’une influence restreinte au sein de l’UPC et même des groupements terroristes affiliés à ce parti politique ». De nombreux courriers de demandes de services, d’intercessions sur lesquels des annotations manuscrites d’ébauches de réponses, révèlent un homme fidèle et courtisé. Les dossiers révèlent aussi de nombreuses notes d’informations du Sdece sur Moumié. Particulièrement sur ses activités à l’étranger1169, ses séjours au Ghana, en Guinée, son retour en Égypte. Ses déplacements, liés aux différentes conférences afro-asiatiques ou à Monrovia au Libéria, ou encore ses contacts à l’ONU, aux États-Unis auprès de l’American Committee, le bureau de la Ligue des droits de l’homme dans les pays africains à partir du Caire. Toutes ces informations collectées autour des activités de Moumié montrent à quel point il préoccupait les services secrets, donc Foccart. Parallèlement à l’activité de Moumié, Ouandié visite les capitales de certains pays communistes en juin et juillet 1959 : Berlin-Est et Pékin1170. Dès le 6 janvier 1961, un courrier l’informe de l’empoisonnement de Moumié, les soupçons se portent sur Bechtel. S’ajoutent à cette lettre les extraits d’un courrier très
1168 Archives nationales, Pierrefitte, 5AGF 623. Maurice Plantier évoque les relations privilégiées de Moumié avec les Kirdis du nord depuis son passage en poste à Maroua. Il insiste sur le fait que le pouvoir d’Ahidjo est mal installé et que les populations du sud lui sont hostiles et qu’il est important de ménager Mbida. 1169 AN 5AGF 624 à 626, notice du Sdece du 23/06/58 sur la situation de l’UPC, les inquiétudes des soutiens de Moumié en RAU ou à la Conférence d’Accra du 15 au 21 avril 1958 ou lors de la 29e session de la Ligue Arabe du 31 mars au 5 avril 1959 et la notice du 22/07/59 où sont listées toutes les activités de l’UPC hors Cameroun. 1170 Pour mémoire, Ernest Ouandié est fusillé le 15 janvier 1971 à Bafoussam lors de la présidence Ahidjo, il avait succédé à Moumié à la présidence de l’UPC après sa mort.
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confidentiel rédigé par Marthe Moumié à son mari, déjà étudié1171. En somme, Jacques Foccart suit de loin et est régulièrement renseigné sur Moumié et ce qui se passe au Cameroun : il a pu sans aucun doute donner un « feu orange ». Pris dans la nasse, Lumumba et Moumié n’avaient clairement aucune chance de rester en vie. La cristallisation des convoitises des milieux politiques et financiers belges, américains, français, britanniques et sud-africains sur le Congo, et particulièrement les régions du Kasaï et du Katanga, ne pouvaient que générer la disparition de Lumumba. Elle n’est pas seulement une affaire belgocongolaise, l’élargissement de la focale a permis de révéler à quel degré l’Afrique centrale a été un enjeu intégré dans des projets divers de construction politique, dont le but était la possession des richesses du sous-sol. Mobutu est sûrement celui qui a le mieux compris la gestion de la question, en pleine guerre froide. Il reste d’ailleurs l’interlocuteur privilégié et soutenu des États-Unis, de la France et des sociétés comme De Beers. L’Afrique centrale est une toile d’araignée qui a pris dans ses fils, un homme qui ne pouvait s’imaginer à quoi il s’attaquait en rentrant en politique. Les velléités d’union centrafricaine de Boganda ont été balayées de la même façon : sa mort a été opportune. Tout comme la mort de Nyobè, l’assassinat de Moumié révèle le rôle occulte des gouvernements français et suisses par le truchement d’agents comme Bechtel. Sa culpabilité n’est plus réellement contestable et les commanditaires finalement n’ont pas à être clairement identifiés : il y a eu un « feu vert » et les raisons de ce « feu vert » sont connues. Tout a été fait officiellement pour entraver l’action des leaders étudiés. Comme si cela ne suffisait pas, toutes les forces occultes des puissances, impliquées dans la décolonisation, ont été mobilisées à cette même fin. Les services secrets étatiques mais surtout les Honorables correspondants, finalement plus actifs dans le passage à l’acte que les officiers de renseignements, ont été mobilisés pour encadrer Fulbert Youlou et pour se coordonner ce qui a été d’ailleurs d’une très relative efficacité. L’orchestration générale est assurée par Jacques Foccart et Yvon Bourges autour du Congo Brazzaville, ils 1171
Voir infra.
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régulent tout autant la politique en Centrafrique que dans la jeune République du Congo, de l’autre côté du fleuve. Les intérêts français ont rejoint les intérêts britanniques, américains en Afrique centrale, sans principes moraux, mais aussi contre toute attente, ceux de la Fédération de Rhodésie en désaccord avec le gouvernement britannique. Les régulations entreprises n’étaient donc pas que bilatérales, l’élargissement de la focale permet de cerner les multiples intérêts des puissances locales à voir disparaître les leaders étudiés et particulièrement Patrice Lumumba. Sa disparition n’est pas une affaire belgo-congolaise, les enjeux stratégiques, politiques et économiques effacent les frontières dans son cas. Sa disparition a été pensée de façon polycéphale. De même, l’empoisonnement de Félix Moumié a été pensé dans une logique franco-camerounaise mais la responsabilité suisse est aussi indéniable. La « perte » du dossier judiciaire rend difficile l’évaluation de cette implication. Si le passage à l’acte est l’affaire d’un homme ou d’une poignée de protagonistes, les responsabilités, les entraves sont polycéphales et internationales mais également très locales. L’implication d’acteurs africains souvent proches des leaders est avérée. Il a longtemps été commode d’en faire un impensé, de faire peser l’entière responsabilité sur les épaules des puissances coloniales. L’ouverture des archives sur les gouvernements Ahidjo et Biya permettra sans nul doute de creuser le sillon qui se crée sur ces sujets. Par ailleurs, la réouverture d’une commission d’enquête sur l’accident d’avion de Boganda, dotée de moyens conséquents, permettrait indéniablement de couper court aux élucubrations qui ont voie de presse en Centrafrique sur cet épisode tristement fondateur de la République.
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CONCLUSION
Mboka oyo ekobonga te… Ce pays n’évoluera pas… Incontestablement, les leaders étudiés par leurs actions, leurs pensées, leurs écrits sont les pères des « nations » nées des indépendances. Ils restent des références convoquées, honnies ou détournées pour qui veut s’imposer en politique. Le modèle de nation qu’ils ont proposé était empreint de mimétisme avec celui inventé par leurs anciennes puissances coloniales. La peur de possibles ingérences des ex-métropoles a conduit les leaders à forcer l’unité en mettant à distance les ethnies, le « tribalisme », confondant, à leurs dépens, unité politique et unicité culturelle. Cette posture a conduit à une réaffirmation des processus identitaires et à de nombreuses sécessions et inimitiés. Par ailleurs, ces leaders se sont confrontés à l’impossibilité de créer un sentiment national dans la situation économique et matériellement précaire, voire régressive de la période de transition des indépendances alors qu’a contrario, dans ce contexte troublé, l’appartenance ethnique pouvait rassurer les populations et mobiliser un réseau de soutien actif. Les expériences des leaders démontrent que la construction nationale ne peut se décréter par le haut, elle doit être aussi le résultat d’une mobilisation populaire dans le cadre d’un projet qui améliore de façon concrète son existence 1172 . À leur décharge, tous n’ont eu que très peu de temps pour agir dans ce sens. Le parcours de ces leaders et leur fin tragique révèle que le projet autoritaire des colonies s’est heurté à deux obstacles majeurs : son incohérence entre le discours et les pratiques sur le terrain et les
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C’est ce que constate quelque temps plus tard, dans son ouvrage, Amilcar CABRAL Détruire l’économie de l’ennemi et construire notre propre économie, Unité et lutte, Tome 2, Paris, Maspéro, 1975, p .212.
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stratégies de fuite physique et symbolique qu’ont adopté avec récurrence les colonisés1173. L’étude de ces trajectoires de vie révèle aussi que le pouvoir sépare, isole, enferme et change celui qui y accède mais aussi qu’un candidat à la charge suprême ne peut faire irruption, surgir de l’inconnu, sans réseau, que dans des circonstances exceptionnelles qui le constituent en héros ou en sauveur. Nos leaders ont manqué de préparation, de soutiens pour devenir des figures publiques à dimension nationale, mais ils ont aussi manqué de crédibilité faute de réussites antérieures. Les résultats escomptés par les assassins impliqués dans les meurtres de Patrice Lumumba, Ruben Um Nyobè et Félix Moumié ont été réels. Il s’agissait de se débarrasser de leaders qui ne rentraient pas dans les plans imaginés à l’ère néocoloniale et de limiter la contagion de leur influence aux autres pays de la « Copper Belt » africaine : ce fut chose faite. Cela permit de mettre en place, après quelques mois agités, dans la jeune République du Congo le colonel Mobutu acquis aux schémas belge, français et américain qui a confisqué le pouvoir pendant plus de 40 ans. Au Cameroun, Ahmadou Ahidjo a été installé et préservé au pouvoir du 5 mai 1960 au 4 novembre 1982. En Centrafrique, David Dacko et « l’empereur » Bokassa ont été maintenus au pouvoir par les gouvernements français successifs. La stabilité des dictateurs interroge. C’est comme si les rapports entre assassinat et tyrannicide, vertueux pour les philosophes de l’Antiquité et du Moyen-Age, s’étaient inversés : les tyrans vivent, survivent malgré leur hubris, alors que les hommes incarnant la liberté1174, le renouveau, les hommes nouveaux disparaissent dans les tourments des luttes entre peuples. Vue d’Europe, la lecture de ces événements reste le plus souvent « tribale », alors que le chaos politique du pays peut s’expliquer par la faillite du processus démocratique « tué dans l’œuf » par la mise à mort des leaders des indépendances.
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Obstacles déjà identifiés par Florence BERNAULT dans « L’Afrique et la modernité des sciences sociales », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. no 70, no. 2, 2001, pp. 127-138. 1174 Karine RAMONDY, « Ubus africains : de l’hubris à la « belle mort », l’exceptionnalité africaine ? », dans Sévane Garibian (dir), La mort du bourreau Paris, Pétra, 2016, 234 p.
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Ainsi, vus comme des « États faillis », la République Démocratique du Congo et la République centrafricaine s’imposent régulièrement dans l’actualité comme des terres de violences. Ces territoires souffrent des mêmes maux depuis leurs indépendances respectives : ingérences des pays voisins, faiblesse de l’État, rapacité des élites et détournement des richesses du sous-sol1175. La disparition des leaders de l’indépendance Patrice Lumumba et Barthélémy Boganda a été vécue comme un coup d’arrêt dans l’histoire de ces toutes jeunes nations. Leur mort a creusé un trou, jamais comblé, où s’engouffrent et se perdent les efforts des survivants. Le Congo et la Centrafrique postcoloniaux sont, en effet, caractérisés par un sens aigu de la perte : perte de la terre ancestrale, de l’Histoire, de la mémoire, de la place accordée aux morts et de la capacité à vivre ensemble dans la paix. Ces disparitions tragiques ont inauguré un cycle de massacres, une « démocratisation » de l’assassinat comme instrument ou action constitutive du pouvoir. La violence et la pratique du crime se sont adaptées aux conjonctures politiques et « ont brutalisé » durablement les sociétés. La mort est donnée au nom et pour le compte de l’État, et actuellement elle lui échappe le plus souvent aux périphéries de son territoire1176. Une vision européo-centrée consiste à lire ces situations à l’aune de l’afro-pessimisme mais pour les acteurs africains d’autres lectures sont possibles. Ainsi, pour certains Congolais, le Congo serait un enfant maudit car il n’aurait pas pris soin du corps des « pères de la nation ». Après Patrice Lumumba, Pierre Mulele, ancien ministre lumumbiste de l’Éducation, a connu un sort analogue. Il a pris la tête d’une révolte paysanne dans le Kwilu de janvier à mai 1964, révolte d’influence marxiste qui a eu une grande valeur symbolique. Amnistié par Mobutu en 1968, l’exilé à Brazzaville est assuré d’être reçu comme un frère. Il est en réalité conduit dans un camp militaire où il est torturé – oreilles, nez, parties génitales, bras et des jambes tranchées – un sac contenant ses restes fut jeté dans le fleuve. 1177 Evariste Kimba, ancien premier ministre de Joseph Kasa-Vubu, a été pendu le 2 juin 1966, exécuté en public sur les ordres de Mobutu. Les
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Aujourd’hui encore le coltan surnommé le « minerai du sang » entretient l’instabilité et la violence dans le Kivu et le Maniema à l’est de la RDC. 1176 Voir le Documentaire « Virunga » réalisé par Orlando von Einsiedel et présenté par Mélanie Gouby, 2016, Netflix. 1177 Colette BRACKEMAN, Le Dinosaure : le Zaïre de Mobutu, Paris, 383 p.
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deux autres personnalités de l’indépendance, Joseph Kasa-Vubu et Moise Tshombe ont disparu successivement au courant de l’année 1969. Faute de soin, Kasa-Vubu, placé en résidence surveillée par Mobutu, meurt d’un cancer. Une statue a été très tardivement inaugurée à sa mémoire, en 2010, à Kinshasa sur la place Kimpwanza. Tshombe décède dans des circonstances obscures dans une prison algérienne où il est incarcéré depuis la déroute voulue par Mobutu de son avion. Il est enterré au cimetière d’Etterbeek en Belgique1178. Au Cameroun, les derniers leaders de l’UPC, A. Kingué et E. Ouandié ont disparus respectivement en 1964 et 1971, anéantissant la polycéphalie upéciste des débuts. Force est de constater que les nations congolaises, centrafricaines et camerounaises se sont construites sur un continuum de violences, des traites esclavagistes à la colonisation européenne, dont la disparition des pères de la Nation n’est pas l’élément originel. Après leur mort, la violence devient une arme politique de prédilection et favorise les principes de gouvernement entre le « gâteau partagé » et « le fauve revanchard »1179. Le jugement politique dans ces pays est fondé sur les sentiments ressentis par les citoyens envers la personnalité au pouvoir, les émotions qu’elle suscite, le profit immédiat que certains peuvent en tire et non sur la capacité des élites à atteindre leurs objectifs et à bien gouverner le pays. Cette analyse relativement négative est à la fois renforcée mais aussi nuancée par l’ouvrage récent de Jacques Boseko sur le mythe d’Inakalé 1180 qui renoue partiellement avec l’afro-optimisme. Toutes les parties en présence dans ce récit, cet ouvrage ont eu recours à la violence voire au meurtre. Maurice Duverger soutient que les élites y ont recours chaque fois qu’elles n’ont plus d’autres moyens
1178
Documentaire « Spectres », Sven Augustijnen, Zeugma film, 2013. Guy AUNDU MATSANZA, Politiques et l’élite en RDC, Paris, L’Harmattan, 2015, 293 p. 1180 Il s’agit d’un mythe africain : la nature regorge de richesses et généreuse, mais un homme est piégé entre un serpent, un crocodile et un lion, tous menaçants. Dans le paysage, trois singes observent la scène, dans un ciel lumineux, une colombe qui symbolise l’espoir d’un avenir meilleur pour l’homme. Ce mythe pessimiste est donc chargé aussi d’espoirs voir Jacques BOSEKO EA BOSEKO, Le mythe d’Inakalé – au delà des nœuds et des pesanteurs de la vie en Afrique noire, éditions RDC logos, 2015. 1179
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d’expressions ou que ceux qu’elles ont à leur disposition ne sont plus efficaces 1181 . Les puissances occidentales et régionales n’ont pas hésité à utiliser le meurtre pour faciliter la mise en place de ce qui a été appelé le néocolonialisme mais aussi la balkanisation de l’Afrique, les deux concepts étant fortement liés. La dilution des responsabilités au sein de la hiérarchie des membres des gouvernements des États, des services officiels et officieux mais aussi entre les États, que cela soit les deux Grands, les ex-métropoles, les États devenus récemment indépendants à proximité de l’Afrique centrale, a grandement facilité ce recours à la mise à mort, la rendant moins difficile à assumer. En effet les enjeux politiques de ces disparitions se sont révélés dépasser les cadres géographiques nationaux et s’inscrire dans des entreprises diplomatiques de grande envergure aux multiples acteurs et, du même coup, dans une histoire nettement plus globale, connectée. Pour Sanjai Subrahmanyam 1182 dans cette approche d’histoire connectée, l’historien joue en quelque sorte le rôle de l’électricien rétablissant les connexions continentales et intercontinentales que les historiographies nationales ont escamotées en imperméabilisant leurs frontières. Dans cet ouvrage, de nombreuses connexions ont été mises à jour. Les connexions politiques et financières entre les dirigeants des métropoles, entre les deux grands et les groupes de presse ou d’édition, puis les connexions entre le pouvoir exécutif colonial et les représentants de la justice dans ces mêmes colonies, mais aussi les connexions entre l’exécutif des grandes puissances et les grandes sociétés minières et bancaires et enfin les mises en relations des pratiques occultes des agents secrets et des Honorables Correspondants. Cette étude a aussi permis de dégager des invariants à l’assassinat analysé comme un processus mettant en synergie redoutable une série de mécontents et d’ambitieux. La mise à mort médiatique de ces « indigènes » ou « évolués » et la mise à mort judiciaire, précèdent l’élimination physique de ceux qui apparaissent comme des « gêneurs » au destin et au charisme exceptionnel. Leur mémoire est damnée mais elle resurgit par capillarité dans la vie
1181
Maurice DUVERGER, Introduction à la politique, Paris, Gallimard, 1964, p. 45. Sanjay SUBRAHMANYAM, « Connected histories : notes towards a reconfiguration of early modern Eurasia », in Victor LIEBERMAN (ed.), Beyond Binary Histories. Re-Imagining Eurasia to c.1830, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1999, p. 289-299. 1182
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politique des nations pour lesquelles ils restent des icônes. De ce fait, ces procédés d’assassinat pourraient constituer un paradigme, paradeigma, au sens grec du terme, un modèle ou un exemple pour analyser ceux qui se sont perpétrés dans les décennies suivantes notamment l’assassinat d’Amilcar Cabral, le leader de la Guinée Bissau, le 20 janvier 1973 à Conakry ou celui, devenu iconique, de Thomas Sankara le 15 octobre 1987 au Burkina Faso, le « pays des hommes intègres »1183. Dans une approche comparative et d’histoire globale, il faudrait aussi envisager l’assassinat tout aussi iconique de John F. Kennedy à Dallas, le 22 novembre 1963, mais aussi la mise à mort de personnages moins connus comme Outel Bono1184, le leader tchadien, à Paris le 26 août 1973. Au moment de clore cette étude, survient un coup de théâtre archivistique ! Ce que j’avais envisagé comme quasi impossible, se dévoile… Les « feux verts » pour les opérations Homo n’avaient jamais laissé des traces écrites explicites dans les archives. Le 7 septembre dernier, le journaliste Jacques Follorou révèle dans le Monde1185 un document extrait des archives de Jacques Foccart daté du 1er août 1958 sur lequel apparaît les identités d’une cible et ceux qui ont concouru au « feu vert » donné à son élimination physique. Il s’agit d’une note du Sdece adressée à J. Foccart, conseiller technique de De Gaulle, qui évoque un sujet allemand, Wilhem Schulz-Lesum résidant à Tétouan, chef d’une organisation de désertion de légionnaires français pendant la guerre d’Algérie. « Un contact commercial a été établi avec lui », l’objectif est que ce contact attire l’homme « dans un lieu favorable au Maroc et de le traiter discrètement par « toxique indétectable et à effet différé ». Ce procédé rappelle celui qui a été utilisé par William Bechtel trois ans plus tard sur Félix Moumié. À la main une mention de J. Foccart « Reçu, le 3 août 1958, ai donné mon accord de principe ». Puis un ajout « accord de l’amiral Cabanier, le 4 août 1958, transmis aussitôt au colonel Roussillat » avec le paraphe très personnel de Foccart que j’ai pu à de 1183
Voir l’excellent site http://thomassankara.net/ qui tient à jour le « dossier Sankara » et le documentaire « Capitaine Thomas Sankara » de Christophe Cupelin, Wadimoff Productions, 101 ‘ 1184 Voir notice biographique réalisée par Cyprien Boganda http://maitron-enligne.univ-paris1.fr/spip.php?article184393 1185 Article du 7 septembre 2017, Le Monde par Jacques Follorou.
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nombreuses reprises identifier. Cabanier est le chef d’État-major de la défense nationale, le colonel Roussillat est le chef du service action du Sdece chargé de mettre en œuvre cette décision : tous les deux sont d’anciens résistants. À cette époque, la France est très critiquée au sein notamment de l’ONU pour sa politique algérienne et camerounaise et pour camoufler ses actions illicites, le Sdece fait croire à l’existence d’un groupe, déjà évoqué, et appelé la « Main rouge » qui agirait de façon autonome contre les soutiens du FLN, groupe auquel Bechtel a appartenu. La « mission » n’est pas menée à son terme mais ce document1186, révèle que des documents officiels peuvent avoir la trace de décisions criminelles prises à la tête de l’État. Cette archive corrobore les hypothèses et les constatations faites au gré de cette recherche. Elle m’a permis également de retracer et confirmer la chaîne de commandements sous la présidence de Gaulle dès 1958 pour ces missions codées Homo. Les demandes pour les missions de ce type devaient être faites à un « comité » informel, où siègent certaines des plus hautes autorités politiques : le Premierministre Michel Debré et son conseiller pour les questions de sécurité, Constantin Melnik, l’amiral Georges Cabanier, secrétaire général de la Défense Nationale, et Jacques Foccart. L’accord donné, Roussillat charge ses deux adjoints opérationnels, les capitaines Zahm et Lehmann, de sélectionner les hommes nécessaires et d’élaborer la stratégie qu’ils estiment la plus appropriée. Le laboratoire du Sdece, dirigé par « professeur Theyss », s’attelle éventuellement à la fabrication de l’arme la plus appropriée en fonction du calendrier des charges qu’on lui a fourni. Une fois sélectionnés, les agents tous volontaires sont regroupés au sein d’une des formations les plus secrètes du Service VIII, la « cellule B3 ». Le tueur est transporté sur les lieux sous une fausse identité. Ce n’est jamais ou presque un agent en service actif, car il ne faut pas que l’on puisse pas incriminer l’État français en cas d’arrestation. C’est donc le plus souvent un réserviste du 11e qui accepte de rendre ce que l’on appelle pudiquement « un service patriotique ». Cette cellule B3 aurait visé le 28 septembre 1956, Otto Schülter, vendeurs d’armes au FLN, le 5 novembre 1958, Mohammed Aït Ahcène, avocat algérien et représentant officieux du 1186
Suite à mon entretien téléphonique avec Jacques Follorou le 13 octobre 2017 et Sébastien Studer, responsable du fonds Foccart aux Archives nationales, le 18 octobre 2018, il m’a été possible de retrouver la cote 5AGF 318.
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GPRA en Allemagne, grièvement blessé à Bad Godesberg dans l’explosion de sa Peugeot 203. Le 20 novembre 1958, Georges Geiser, fabricant suisse d’instruments de précision, est poignardé à mort dans sa maison de la banlieue genevoise. Il vendait des détonateurs au FLN. À l’aune de cette découverte, force est de se rappeler que William Bechtel faisait partie du 11e en tant que réserviste. Les archives genevoises m’ont permis de cerner d’autres affaires en lien avec celles ci-dessus évoquées, dans lesquelles Bechtel aurait joué un rôle important notamment la traque de Rolv Ragnar Lie, trafiquant d’armes norvégien proche d’Otto Schülter, le « pistage » de deux militants du FLN Adda Benguettat et Françis Ahmed présents en Suisse fin 1959 et la surveillance d’un avocat du FLN, Hans Ellenberger installé à Berne 1187 . Ainsi, le recours à des pratiques illégales de mise à mort est confirmé et attesté, même si elles avaient déjà été évoquées de façon globale par Constantin Melnik 1188 , coordinateur des services de renseignements de 1959 à 1962 et plus récemment par François Hollande1189. Au final, le destin tragique de nos leaders pourrait être un acte supplémentaire de l’Orestie africaine imaginée par P. Pasolini1190. Les vieilles démocraties révèlent des pratiques de régulation politique violentes et immorales alors que l’Afrique se confronte à la démocratie « moderne », théorisée à travers des hommes nouveaux mais qui échouent à la transposer. Que serait devenue celle-ci s’ils avaient été durablement au pouvoir ? On ne peut évidemment répondre à cette question. Ce moment a été vite abrégé par les commanditaires de leurs meurtres qui ont préféré que l’Afrique, soit encore une fois, le moins possible actrice de sa propre Histoire.
1187
Archives de Berne, BAR E2001E-1976/17-1966, B.41.21, Moumié, Felix, Genf (Politiker). Ermordungdurch franz Agenten in Genf, 1960-1963. 1188 Constantin MELNIK, Un espion dans le siècle, la diagonale du double, Paris, Plon, 546 p. 1189 Gérard DAVET et Fabrice LHOMME, Un président ne devrait pas dire çà, Paris, Stock, 347 p. 1190 Voir le documentaire de Pier Paolo PASOLINI, Carnets de notes pour une Orestie africaine, 1976, RAI, 1 h 15’
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REMERCIEMENTS
Au moment de clore cet ouvrage, monte en moi un sentiment de gratitude envers ceux qui en sont les sujets. Ma reconnaissance n’est pas seulement liée au plaisir que j’ai eu à découvrir Barthélémy Boganda, Patrice Lumumba, Félix Moumié et Ruben Um Nyobè. À les fréquenter pendant plus de 6 ans, à travers ce qu’ils ont écrit et dit, par l’intermédiaire des souvenirs de ceux qui les ont connu, j’ai beaucoup appris face à ceux qui ont été des victimes du colonialisme. J’associe à ce remerciement tous ceux qui m’ont ouverts les portes de chez eux, de leurs archives familiales et de leurs expériences africaines : Monique Kalck, Jean-Dominique Pénel, Philippe San Marco, les familles Kaldor et Mollon. Sans le savoir, leur engagement à mes côtés et leurs messages réguliers, m’ont aidé à garder. Ce travail s’appuie sur celui des conservateurs et des archivistes : l’éparpillement des archives a compliqué ma tâche pour les consulter et les étudier sereinement. Mes remerciements vont particulièrement à Jean-Pierre Bat, aux Archives Nationales de Pierrefitte, à Ariane Gilotte, à la DGAC, dont l’efficacité et la disponibilité m’ont fait gagner un temps précieux pour consulter les dossiers de l’accident du Nord-Atlas 2502, et dont le carnet d’adresses m’a permis de créer cette mini-commission d’experts, avec Alain Depitre, Bernard Roumens ad hoc pour décrypter le vocabulaire opaque de l’aviation civile. Au capitaine Lagarde, Mme Decuber et Hervé Deborre au Service Historique de la Défense dont la gentillesse et la disponibilité ont facilité la gestion de la consultation des cartons réservés, à Pierre Boichu aux Archives du Parti communiste français à Bobigny qui m’a mis en relation avec les descendants de Pierre Kaldor. Au père Tabard, aux Archives Générales Spiritaines, qui faisait tout pour vous être agréable et utile. Je remercie également Edwine Simons aux Archives du musée de Tervuren, Guido Koller aux Archives de Berne, Nicholas Siekierski à l’université de Stanford pour les archives scannées qu’il a accepté de m’envoyer, Mary Curry aux Archives de la National Security Archives (NSA) dont la gentillesse a adouci les 471
contraintes multiples de consultation, Rémi Dubuisson aux Archives de l’ONU pour le nombre de dossiers fournis à la consultation en quelques jours de présence à New York, mais aussi au personnel des Archives de Yaoundé dont la bienveillance m’a permis de consulter la majorité des dossiers que j’avais prévu de voir et enfin Merilyn Mushakwe pour son travail au sein du South Africa History Archive à Johannesburg. J’ai également une pensée pour l’investissement du père Maurice d’Hoore au sein de la bibliothèque François Bontinck à Kinshasa. À tous, je leur sais grée de m’avoir accordé de leur temps en me recevant et de m’avoir aiguillée, au sein des fonds, dont ils avaient la responsabilité, vers les versements susceptibles d’éclairer mes problématiques. Je n’oublie pas le personnel des différents services d’archives resté anonyme, qui par sa présence et son implication, permet aux chercheurs de travailler dans de bonnes conditions. Je remercie tous ceux qui ont accepté de me recevoir dans le cadre d’entretiens. Toutes ces personnes m’ont permis non seulement d’obtenir de précieuses informations pour mon sujet mais aussi de faire progresser ma réflexion (la liste ici n’est pas exhaustive) : Maryse Hockers, Claudius Bouvard, Pierre-Sammy Mac Foy, MarieJoëlle Rupp, Frank Garbély, Pierre Kaldor, Susan Williams, Vincent Hugeux, Philip Buyck et Maître Vergès Je remercie également tous ceux qui ont accepté de relire et d’annoter un ou plusieurs chapitres de cet ouvrage : Claire Fredj, Omar Carlier et Virginie Brinker. J’exprime aussi ma gratitude envers Béatrice Mesureur et Charlotte Delaunay pour leur relecture bienveillante, attentive et précise : leurs remarques m’ont permis d’évacuer certaines « coquilles » et fautes d’orthographe et d’attirer mon attention sur certaines défaillances et négligences de forme. Elles m’ont aussi donné du courage pour achever ce travail. J’exprime enfin ma profonde reconnaissance aux membres du jury de cette thèse (Florence Bernault, Françoise Blum et Daniel Abwa), dont est tiré cet ouvrage, pour avoir accepté de lire et d’évaluer ce travail. Enfin, ma dette envers Robert Frank et Elikia M’Bokolo qui ont dirigé ce travail est grande, non seulement parce que sans leurs encouragements, je n’aurais vraisemblablement pas mené à bien ce sujet, mais aussi parce qu’ils ont su me guider dans cette recherche en suggérant des axes et en ouvrant des pistes tout en respectant mon propre cheminement. Leurs expériences complémentaires, leur force
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tranquille et leur largeur d’esprit m’ont incité à prendre de la hauteur, à renoncer aux analyses réductrices et étriquées. Pour terminer, je me tourne vers ma famille qui m’a accompagné au jour le jour pendant cette recherche pour laquelle je leur ai souvent prélevé temps et disponibilité. Merci à Olivier pour sa patience sans faille et sa confiance, son soutien logistique de tous les instants.
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SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
• SOURCES PRIMAIRES ARCHIVES Archives consultées en Europe : - FRANCE Archives nationales, Pierrefitte 59 Rue Guynemer, 93383 Pierrefitte-sur-Seine AN 19760051/145- 3G123, accident d’avion du Nord Atlas 2502 AN 19760051/146- 3G124, accident d’avion du Nord Atlas 2502 AN 19760051/147- 3G125, accident d’avion du Nord Atlas 2502 AN 5 AGF/630, dossier J. Foccart AN 5 AGF/638, Congo, renseignements 1958 AN 5 AGF/125, note de Mauricheau-Beaupré à Foccart AN 5 AGF/215, note de Mauricheau-Beaupré à Foccart lui demandant une place dans la délégation africaine qui part à New York. AN 5 AGF 623 à 626 AN F7/3516, carnets de Marcel Cachin AN 19910695, article 12 n°10825, dossier individuel de Claude Gérard. Archives diplomatiques, Nantes 17 Rue du Casterneau, 44000 Nantes
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ADN AEF 67/PO/1 carton 24, dossier décès et obsèques de Barthémély Boganda (1959). Archives nationales d’outre-mer, Aix en Provence 29 Chemin du Moulin de Testas, 13090 Aix-en-Provence . Fonds du gouvernement général d’AEF (GGAEF) CAOM GGAEF 5087, correspondance avec missions CAOM GGAEF 6B 779 CAOM 1 C 643 . Fonds ministériels CAOM FM 2125 Dossier 7, affaires diplomatiques, presse du Congo belge 1951-1952 CAOM FM 2135 Dossier 6, affaires politiques, assemblées et conseils, questions électorales, le Grand Conseil de l’AEF (19471955) CAOM FM 2119 Dossier 1 – Affaires politiques Grand Conseil de l’AEF CAOM FM 2177 Dossier 6 – Affaires politiques conférence d’Accra du 12 au 22 avril 1958 CAOM FM 2179 Dossier 4 – Affaires politiques Youlou, impression des Congolais et associations en colère, Dossier 5 – Affaires politiques – panel de la presse congolaise CAOM FM 2180 Dossier 1 – Affaires politiques – Maintien de l’ordre et événements de Léopoldville des 4 au 6 janvier 1959, coupures de presse à l’international surtout des pays soviétiques et « soutien » de l’indépendance congolaise, Dossier 2 – Congo belge renseignements en provenance du consulat général de France à Léo/ photographie du voyage du roi au Congo en 1955, Dossier 3 – Affaires politiques – Cameroun 2e bureau envoi représentants de l’UPC à New York CAOM FM 2183 Dossier 1 – Affaires politiques – Affaires diplomatiques entre le Royaume-Uni et la France, (coordination locale pour le contrôle des mouvements subversifs), Dossier 6 – Affaires politiques – les États-Unis et l’Afrique noire, rapports de l’ambassade de France, renseignement du SDECE, extraits de la presse. CAOM FM 2208, Dossier 2 – Affaires politiques – Délibérations de l’assemblée territoriale du Moyen-Congo 1957-1958
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CAOM FM 3335, Incidents et organisation de l’UPC – notice et correspondance de F. Moumié. CAOM FM 3336, Incidents 57-58 CAOM FM 3337, Elections municipales de 18 novembre 1956 CAOM FM 3348, Affaires politiques – rapports de sureté – 19571958, Sanaga-maritime CAOM FM 2201, Affaires politiques, dossier 12 « affaire Boganda », notes pour le gouverneur général Pignon sur les activités de Boganda en 1951. CAOM FM 2241, affaires politiques, AEF, 1957. CAOM FM 2243, affaires politiques, Congo, 1960, rapport politique mai 1960. CAOM FM 2253, Affaires politiques – police et maintien de l’ordre, dossier 1 : interventions au sujet de sévices exercés en OubanguiChari 1947 à 1949, Dossier 2 : affaires Boganda – Police (1947-1954) CAOM FM 2254, Affaires politiques – police et activités de Boganda 1954-1957, Discours à l’ATOC et au grand conseil de l’AEF CAOM FM 2310 . Divers 1AFFPOL/2202 Photothèque 30 FI 157 Portraits homme d’État – 5 reproductions demandées. BIB/AOMTH1229 – Mémoire de Michel Godame sur Antoine Darlan . Fonds Privé 216 APOM 1 : Cahiers, 1943-1946 ; agendas, 1954, 1957-1958 216 APOM 2 : Agendas, 1960-1969 216 APOM 6 : Correspondance familiale 216 APOM 7 : Correspondance diverse 216 APOM 8 : Pièces à caractère biographique, documents de carrières, ébauches de mémoires, années 1970, école coloniale : notes de cours ; dossier ADOSOM 216 APOM 9 : Pièces provenant des activités officielles de Louis San Marco en Oubangui-Chari, 1954-1958 216 APOM 10 : dossier Boganda, 1950-2000 ; dossier Ahidjo, 19601980
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Archives du Service Historique de la Défense, Vincennes Château de Vincennes, avenue de Paris, 94306 Vincennes SHD 6H86 SHD 6H62 SHD 6H236 – Copie des statuts du Collège populaire du Cameroun, septembre 1954 SHD 6H237 SHD 6H238, événements autour des émeutes de 1955. SHD 6H239, (Dossier 1) Général délégué pour la défense de la Z.O.M. n°2, état-major 2e bureau : emploi des forces françaises au Cameroun (1962), rapport sur la campagne de la Sanaga maritime par le lieutenant-colonel Lamberton (décembre 1957-décembre 1958), situation militaire et politique du Cameroun (1959), protection des plantations de café, cacao et bananes (1959), procès-verbaux des réunions des comités mixtes militaires permanents (1959-1962), cartes de stationnement des forces (février-juillet 1960) ; (dossier 2) sécurité et maintien de l’ordre au Cameroun (1956-1957) ; (dossier 3) plan de défense intérieure du Cameroun avec cartes au 1/5 000 000e (1957). 1956-1962 SHD 6H 243 Jean LAMBERTON, Note de service du 15 avril 1958. SHD 6H 237, dossier sur la rumeur d’assassinat de Nyobè SHD 6H 262 (Dossier 1), Commandement interarmées des forces françaises au Cameroun : lettre du Premier ministre camerounais au premier ministre de la République française (s.d.), convention francocamerounaise concernant l’utilisation des troupes françaises en maintien de l’ordre (1960) ; (d. 2) proclamation de l’état d’urgence par le gouvernement camerounais le 8 mai 1960 ; (d. 3) réquisition des forces françaises pour aider le gouvernement camerounais (août et octobre 1960) ; (d. 4) participation de la population à la lutte antiterrorisme (24 mai 1961) ; (d. 5) situation dans le région Bamiléké, institutions politiques et sociales coutumières des Bamilékés ; (d. 6) agenda britannique : réunion de liaison à Douala le 13.10.1960 ; (d. 7) état-major, 2e bureau : bulletin de renseignements sur la fabrication d’armes locales, carte de l’implantation des forces camerounaises, carte des chefferies (1954) ; (d. 9) comité central de coordination, plan de recherche (1959) ; (d. 10) armée camerounaise : opérations de la 4e compagnie, 22 croquis ; (d. 11) commandement supérieur de la Z.O.M. n°2, état-major, 2e bureau : bulletins de renseignements hebdomadaires (1959) ; (d. 12) zone d’insécurité aux frontières 478
occidentales du Cameroun (Z.I.F.O.C.), garnison de Koutaba : ordres généraux, (1957-1959) ; (d. 13) cartes mensuelles d’activité (1960) ; (d. 14) dispositif de protection ouest Cameroun : maintien de l’ordre (1959-1960), tracts, documents et photographies (1957-1961), messages (s.d.), P.C opérationnel de Nkongsamba : bulletins de renseignements région Bamiléké (1959-1960), plans et cartes (19571961) ; (d. 15) commandement supérieur de la Z.O.M. n°2, état-major, 2e bureau : extrait de la synthèse de la 10e région militaire ; (d. 16) activités terroristes au Cameroun (septembre-novembre 1959) ; (d. 17) direction de la sûreté : rapport de sûreté (août 1959) ; (d. 18) haut commissariat de la République française au Cameroun, direction de la sûreté : mise au point concernant l’organisation et l’activité du comité national d’organisation (C.N.O.) 1954-1961 SHD 6H263, (Dossier1), rebéllion Bamiléké : fichier A à L, fichier M à Z ; (d. 2) commandement supérieur de la Z.O.M. n°2 : dispositif de protection dans les régions de l’Ouest Cameroun, état-major, 2e bureau : bulletins de renseignements, pièces de maquis, lettres, tracts, photographies 1959-1961 SHD 6H 271 SHD GD2007ZM1/4987, gendarmerie Centrafrique SHD 8884 R12 inventaire Afrique Boda SHD 10T 168, Congo, UDDIA (1956-1960) SHD 10T 175 à 179 consultés sous dérogation du général Paulus. SHD 10T 182 à 181 SHD 10T 203 SHD 10T 210 SHD 10T 635 à 638 consultés sous dérogation le 21/05/12 GR 8YE 88141 - dossier de carrière militaire de William Bechtel GR 16P 42483 - dossier de résistant de William Bechtel GR série Q – 6Q43 et 8Q242, correspondance Centrafrique. Inv Gendarmerie Afrique Boda carton 8884 R/2, Carton 8885 R/4* Inv Gendarmerie Afrique Bangui carton 8872 et 8873 R/4 papiers et correspondance importante et R/2 « tout venant ».
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Archives de la Bibliothèque internationale contemporaine 6 allée de l’Université, 92000 Nanterre
de
Documentation
F delta 1104/1 à 1104/8 - Fonds d’Arboussier : un volume autobiographique et correspondance diverse. Archives du Parti communiste Français 54 Avenue du Président Salvador Allende, 93000 Bobigny Archives du Comité national du PCF - RGASPI 539.3.1174, 495.10a.93 (Marie-Louise Cachin) Archives Kaldor, dossiers Comité de défense des Libertés démocratiques en Afrique Fonds POLEX, 261J7 Afrique noire 31 Archives générales de la Congrégation du Saint Esprit (spiritains) Séminaire des Missions, 12 rue du P. Mazurié 94669 ChevillyLarue Cedex. Archives Boganda et les archives du père de Banville décédé sur Boganda. Archives privées de Pierre Kalck Carnets, notes de conférences, correspondances. Archives privées de la famille Mollon Notes de voyages https://vimeo.com/217821917/992a8f451e ROYAUME-UNI Bodleian Library of Commonwealth and african studies, Oxford (Rhodes House), Roy Welensky papers
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The National archives, Bessant Dr, Kew, Royaume-Uni TNA DO 35/3842 TNA FO 371/1255313 NAK FO 371/146640 PREM 11/ 2585, voir memo daté du 11 décembre 1959 partiellement rédigé par John Bruce Lockhart, responsable du Moyen-Orient et de l’Afrique. PREM 11/2883 PREM 11/2585 FO 371/146639 FO 371/1466650. SUISSE Archives de Berne (Schweizerisches Bundesarchiv – BAR) Archivstrasse 24, Berne •
BAR E2001E-1976/17-1966, B.41.21, Moumié, Felix, Genf (Politiker). Ermordung durch franz. Agenten in Genf, 19601963. BAR E2200131-01-1981/23-18, N.3.1, Assassinat Félix Moumié, 1960-1964 BAR E4001D-1973/125-760, 006.60, Félix Moumié, Abel Kingué, Ernest Quandié, BAR E220041-05-1977/93-304, B.24.21, Cameroun, Moumié Félix, 1960-61 BAR E4320-01 (C) 1996/203, Bd. 41, fiche William Louis Bechtel 1960-81. BAR E 4320-01 (C) 1994/74, Bd. 16, Dossier (275:0)530 Kapitalverbrechen Kamerun 1960-61 et E 4320-01 (C) 1994/76, Bd. 73, Dossier (245:0) 1/420/10 : Frankreich/Rechtsextremismus/Organisation, Leitung Bechtel William BA BUPO (A75 : 0) 530.
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BELGIQUE Archives du musée royal d’Afrique Leuvensesteenweg 13, 3080 Tervuren, Belgique
centrale,
Fonds Jules Gérard-Libois CEAF 378 II CEAF 231 II CEAF1232 c I /Rosy CAEF 6703 I CEAF 3688 I CEAF AI 47 VII BV/RDC/LUMUMBA n°01302/33 VII BV/RDC/LUMUMBA n°006/01 VII BV/RDC/LUMUMBA N°014 MRAC /Hist. : fonds C. GILEAIN 55.23.1- Journal de notes manuscrites Ndobo (1898-1899) MRAC, Vandewalle, document privé d’Harold d’Aspremont Lynden : note au Premier ministre, conversation avec Monsieur Doucy, le 1er mars 1960 Pour l’Indépendance, fonds B. Verhaegen : 1959 (1ère an.), n° 1, 2 ; 1960 (2e an.), n° 1, 2, 9, 11, 12. Pour "Uhuru", 14/05/1960 (1ère an.), 29/04/1961 (2e an.), n° 61. Archives générales du royaume, rue de Ruysbroeck 2, 1000 Bruxelles, Belgique NARA RG 59 Central Decimal File (CDF), Congo belge 1955-59, boîte 3427. NARA RG 59 CDF 1960/63, boîte 1831 NARA RG 59 CDF 1960/63, boite 1954 NARA RG 59 CDF 1960-63 boîte 1955 NARA RG 59 CDF 1960-63 boîte 1956 SPFAE AI 4742
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Centre des Archives communistes belges rue de la Caserne 33, 1000 Bruxelles, Belgique Papiers Levaux II Papiers André de Coninck I et Jean de Tervfe V. Archives Nationales du Cameroun - Yaoundé Rue Essono Ela, Yaoundé ANY APA 10163, Enquêtes sur les missions religieuses. ANY APA 10419, Affaire De Gélis-Um Nyobè. ANY APA 12240, mission de visite de l’ONU (1949-1952) ANY 1AC 306, Affaire De Gélis-Um Nyobè ANY 1AC 3523, la Mission presbytérienne américaine au Cameroun ANY 1AC 19, relation entre l’UPC et les missions. ANY 2AC 7035, Udefec activités 1952-1956 ANY 2AC 7035, note du 9 novembre 1953, Udefec ANY 2AC 7035, note de renseignements du 12 août 1954 ANY 2AC 1543, procès-verbal sur les circonstances de la mort de R. Um Nyobè, secrétaire général de l’UPC ANY 3AC 1852 Anti-upécisme 1953, l’affaire UPC/Gateau. ANY 3 AC 1867 Journaux politiques création 1956. ANY 11552/H, correspondance du personnel des missions ANY, correspondance no 1.126/CF/RWI du 27 novembre 1956. Archives South African History Archive Johannesburg, Witwatersrand University,
(SAHA),
SAIMR file in the De Wet Potgieter Papers. Archives Nationales de République Démocratique du Congo – Kinshasa 42 Av. de la justice Gombe – Kinshasa Dossier Lumumba sans cote. Dossier à la Cour d’appel de Léopoldville RP 6826 Affaire ministère public contre Lumumba Patrice Dossier Administratif du Personnel, matricule 44 737.
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Archives consultées aux États-Unis Archives de l’Organisation des Nations Unies Section des archives et des records (ARMS), New York ONU S-1565-0000-0084 ONU S-1565-0000-090 à 99 ONU S-1565-0000-099 à 106 ONU S -0188 à 1078 Archives the New York Public Library - Schomburg Center for Research in Black Culture, Manuscripts, Archives and Rare Books Division ILRM, Boite 7, dossier : mouvement pour la liberté des peuples colonisés (1952-1956), Roger Baldwin à George Houser, 25 mai 1952. ILRM boite 1, dossier Cameroun ILRM, boite 14, dossier Correspondance générale Bunche papers, MG439 Bunche papers, MG594 Archives CIA, National Security Washington University, Washington
Archive,
Georges
Requêtes FOIA (Lumumba, Um Nyobè, Félix Moumié, Boganda) Hoover Institution - Stanford University, Stanford Preliminary Inventory of the Victor Le Vine papers 1954-1961, box 2: Moumié Félix Roland, lettre à V.T. Le Vine, April 28, 1960.
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SOURCES IMPRIMÉES •
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le
Nouvel
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TÉMOIGNAGES ORAUX (Sélection, certains témoins ne souhaitant pas être cités)
Entretiens avec des acteurs de la décolonisation (liste non exhaustive) Entretien avec Maryse Hockers proche de Patrice Lumumba au moment de l’indépendance 14 et 15 juin 2011 à son domicile à Wibrin en Belgique. Entretien avec Pierre Sammy Mac Foy, le 12 octobre 2012 au domicile de sa fille. Entretien téléphonique avec Claudius Bouvard, les 15 et 16 avril 2014. Entretien avec Maître Jacques Vergès à son domicile à Paris (9e), le 23 juin 2012. Entretiens multiples avec Monique Kalck à son domicile entre 2013 et 2017. Entretien avec Ginette, amie de Liliane Fridly aimablement fourni par Frank Garbély Entretien avec Maître Bonnant réalisé par F. Garbély et gracieusement mise à la disposition de l’auteure. Entretiens retranscrits avec Marthe Moumié et le gardien au cimetière de Conakry en Guinée aimablement fournis par le réalisateur Frank Garbély. Entretien avec Maurice Robert à son domicile fourni aimablement par Frank Garbély Entretien avec Pierre Messmer aimablement fourni par Frank Garbély. Entretien réalisé avec Alphonse Boog à Bot-Makak, le 27 août 2007 par Yves Mintoogue (aimablement fourni par l’auteur).
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Entretien réalisé avec Antoine Yembel Nyébel à Limaï, les 2, 6 et 15 septembre 2007 par Yves Mintoogue (aimablement fourni par l’auteur). Entretiens avec Andrée Mollon, épouse de Jean par l’intermédiaire de son fils François en avril 2017. Entretiens avec des acteurs de la décolonisation (liste non exhaustive) Entretien réalisé avec Marie-Joëlle Rupp, fille de Serge Michel, le 26 avril 2012. Entretiens avec Agnès Boganda, le 15 mai et le 18 juillet 2012 à Paris. Entretiens avec Philippe Buyck par courriel courant 2012. Échange téléphonique et de mails avec Claude Bossu, responsable des archives de l’UAT, 3 et 12 avril 2012. Entretien réalisé avec Daniel Um Nyobè à Paris le 4 juin 2012. Entretien téléphonique avec le veuf de Marcelle Cachin, sœur de Marie- Louise, le 6 décembre 2015. Entretien réalisé avec la petite fille de Paul Cremona, Raphaëlle Cremona avocate à Paris, le 14 juin 2014 Entretien téléphonique avec la belle-fille de Bernard De Gélis, le 19 avril 2013. Entretien avec l’agent du photographe Georges Senda à la Fondation George Arthur Forrest à Wavre en Belgique, le 26 mai 2015. Entretien accordé par Susan Williams à Paris, le 14 décembre 2013.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES GÉNÉRALES
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Pierre KALCK, Histoire centrafricaine des origines à nos jours (1966), Paris, Berger-Levrault, 1974. Thèse de doctorat soutenue en 1970 à Lille 3. Kenneth KRESSE, Containing nationalism and communism on the « dark continent » : Eisenhower’s policy toward Africa, 1953 -1961, thèse soutenue à l’université d’Albany, état de New York en 2003. Achille MBEMBE, La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, esquisse d’une anthropologie historique de l’indiscipline, 2 volumes, cote R89 40, Bibliothèque Pierre Mendès France, Paris I. Achille MBEMBE, La violence dans la société Basaa du Sud Cameroun, Mémoire de maîtrise en Histoire, Université de Yaoundé, 1981, p. 47-50. Yves MINTOOGUE, Savoirs endogènes et résistance nationaliste au Sud-Cameroun : le cas de l’insurrection de la Sanaga-maritime de 1948 à 1958, Mémoire de M2 Histoire, Université de Yaoundé, 2009 p. 87. Brigitte MORUE, Lumumba à travers la presse belge, Mémoire de journalisme soutenu à l’Université Libre de Bruxelles en 1980. Marcel NGBWA OYONO, Colonization and ethnic rivalries in Cameroon since 1884, thèse soutenue à l’Université de Memphis, États-Unis, 2004. Simon NKEN, La gestion de l’UPC : de la solidarité idéologique à la division stratégique des cadres du mouvement nationaliste camerounais 1948-1962 : essai d’analyse historique, thèse soutenue à Paris I sous la direction de Pierre Boilley en 2006. Delphine PEIRETTI, Corps noirs et médecins blancs, entre race, sexe et genre : savoirs et représentations du corps des Africain(e)s dans les sciences médicales françaises (1780-1950), thèse soutenue à l’Université d’Aix-Marseille en 2014. Elvis TANGWA SA’A, Gaston Donnat, thèse de doctorat, soutenue à l’université de Yaoundé, 1975. 531
Meredith TERRETTA, Village nationalism and the UPC’s fight for nation, 1948-1971, thèse de doctorat soutenue à l’Université du Wisconsin, Madison, États-Unis, 2004. Patricia VAN SCHUYLENBERGH, De l’appropriation à la conservation de la faune sauvage – pratiques d’une colonisation : le cas du Congo (1885-1960) soutenue en 2006 à Louvain la Neuve. Max WALLOT, Sociologie d’une admiration – le cas B. Boganda, 1912-1959 : la construction sociale d’un mythe national en AfriqueÉquatoriale, RCA, mémoire de maîtrise soutenu à l’EHESS, 1994 et mémoire de DEA, La formation d’un groupe social : l’élite oubanguienne, EHESS, 1995. Textes de loi : Décret 45.1962 du 30 août 1945 fixant les modalités d’application de l’ordonnance 45.1874 sur la participation des populations des Territoires d’outre-mer à la vie politique française. •
COLLOQUES-SÉMINAIRES
Colloques sans publication Les journées d’études « Foccart : archives ouvertes » des 26 et 27 mars 2015 aux Archives nationales et à l’Université Paris 1- Sorbonne (notes personnelles de l’auteure). Lancelot ARZEL, A l’origine des maux : chasse, guerre et violence dans la conquête coloniale (Royaume-Uni, France, Belgique, 18701914) communication prononcée lors de la journée d’étude du 21 mars 2011 « La violence en Europe au XXe siècle » par le CHSP http://chsp.sciences-po.fr/sites/default/files/la-violence-en-Europetextes.pdf consulté le 15 septembre 2012
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DOCUMENTS ÉLECTRONIQUES
Ouvrages-Articles Monseigneur Augouard, 28 années au Congo : lettres de Mgr Augouard, tome II, 1905, consultable sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1044507. Monseigneur Augouard, 44 années au Congo, Tome I à IV, 1936, consultable sur Gallica à la même adresse. Dossier en ligne sur le site du FBI des époux Robeson : http://vault.fbi.gov/ consulté le 19 mars 2015 Site http://thomassankara.net/qui tient à jour le « dossier Sankara » Entretien télévisé de Barbara Ransby – professeur à l’Université Illinois de Chicago. http://www.democracynow.org/2013/2/12/remembering_the_overlook ed_life_eslanda_robeson, consulté le 7 avril 2015 Entretien de Marthe Um Nyobè https://www.africanewshub.com/news/2189058-cameroun-parcoursmarthe-um-nyobe-raconte-le-maquis consulté le 17 janvier 2017 Article sur William Bechtel sur Africa4 du journal Libération http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/ Convention de Varsovie http://www.idit.asso.fr/legislation/documents/Conv_varsovie_modif55 .pdf Journal officiel des débats parlementaires de l’Assemblée nationale, année 1952, http://4e.republique.jo-an.fr/ consulté le 13 février 2014 Journal officiel des débats parlementaires de l’Assemblée nationale, année 1956 533
http://4e.republique.jo-an.fr/ consulté le 26 avril 2014 http://www.un.org/fr/documents/charter/chap1.shtml consulté le 20 avril 2015. http://www.un.org/fr/documents/charter/chap11.shtml consulté le 20 avril 2015. http://www.un.org/fr/documents/charter/chap13.shtml consulté le 18 avril 2015. http://4e.republique.jo-an.fr/numero/1952_i89.pdf consulté le 9 avril 2015 p. 4929. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT0 00006071030&dateTexte=20090327 consulté le 6 février 2015. http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/1 211(XII)&Lang=F consulté le 2 février 2015. http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/161(1 961)&Lang=E&style=Bconsulté le 24 juillet 2014. Rapport de la commission d’enquête parlementaire visant à déterminer les circonstances exactes de l’assassinat de Patrice Lumumba et l’implication éventuelle des responsables politiques belges dans celui-ci, Doc 500312 (1999-2000). Articles de périodiques Article du journal Libération, « Foccart et la Françafrique : les archives parlent » du 25 mars 2015 consulté le 26 mars http://www.liberation.fr/planete/2015/03/24/foccart-et-la-francafriqueles-archives-parlent_1227556 Sharon ELBAZ, « Les avocats métropolitains dans les procès du Rassemblement démocratique africain (1949-1952) : un banc d’essai pour les collectifs d’avocats en guerre d’Algérie ? », article en ligne, http://www.ihtp.cnrs.fr/spip.php%3Farticle350&lang=fr.html consulté le 24 septembre 2014 L’Express, les Baylet : l’alliance tumultueuse de la presse et la politique de Cherfi Nordine, le 25 avril 2002. 534
Elikia M’BOKOLO, George Padmore, Kwame Nkrumah, Cyril L. James et l’idéologie de la lutte panafricaine, téléchargeable sur http://www.codesria.org/IMG/pdf/M’Bokolo.pdf consulté le 9 mai 2012. Sylvie THENAULT, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement Social, n° 218, janvier 2007, p. 63-78. URL : www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2007-1-page63.htm. Le décès de Marthe Moumié : http://afrikhepri.org/deces-de-marthemoumiela-veuve-de-felix-moumie-cameroon/ consulté le 17 décembre 2015. Bases de données http://www2.assemblee-nationale.fr/ : base de données sur les députés ayant siégé à l’Assemblée nationale. http://www.senat.fr/senateur/ : base de données sur les sénateurs français http://spiritains.forums.free.fr/ : base de données avec des notices biographiques des spiritains les plus connus réalisés par la Congrégation du Saint-Esprit de Chevilly la Rue. Notices sur Maitron Afrique Sur Outel Bono : http://maitron-en-ligne.univparis1.fr/spip.php?article184393 Sur Antoine Darlan : http://maitronenligne.univparis1.fr/spip.php?article182408&id_mot=9745. Sur Jane Vialle : https://biograf.hypotheses.org/261 Sur Marie-Louise Cachin : http://maitron-en-ligne.univparis1.fr/spip.php?article18298
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RÉFÉRENCES FILMIQUES
Documentaire « Capitaine Thomas Sankara » de Christophe Cupelin, Wadimoff Productions, 101’ Documentaire « Abo : une femme du Congo », 1995, réalisé par Mamadou Djim Kola, produit Regards croisés / VIDÉOCAM / ORTM / VALPARAISO visionné le 12 octobre 2015. https://www.youtube.com/watch?v=A2wOI8x1M3M Documentaire « Lumumba la mort d’un prophète », Raoul PECK, Bruxelles, 1992 – 28-29’ minute, 1990. Documentaire « Lumumba : une mort de style colonial », Thomas GIEFER, ICTV, 2001 Documentaire « Vol de nuit vers la mort », Michel Noll, ICTV, 2001. Documentaire « Cameroun autopsie d’une indépendance » de Gaëlle Leroy et Valérie Osouf, programme 33, 2010. Documentaire « Spectres », Sven Augustijnen, Zeugma film, 2013. Documentaire « Virunga » réalisé par Orlando von Einsiedel et présenté par Mélanie Gouby, 2016, Netflix. Documentaire « Roi blanc, caoutchouc rouge, mort noire », de Peter Bate, Périscope production, BBC, ZDF/Arte, Ikon, VRT, RTBF, YLE, 2003. Documentaire de Pier Paolo PASOLINI, « Carnets de notes pour une Orestie africaine », 1976, RAI, 1 h 15’.
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RÉFÉRENCES RADIOPHONIQUES ET AUDIOVISUELLES
Émissions de Jean-Pierre Dozon sur le RDA, http://www.rfi.fr/afrique/20100806-histoire-rda-selon-felixHouphouët-boigny/ consulté le 13 avril 2015. Émission réalisée à RFI « Mémoire d’un continent » sur Félix Moumié du 1 février 2015, émission rediffusée le 2 août 2015, http://www.rfi.fr/emission/20150201-assassinat-felix-moumielumumba-camerounais Émission réalisée à RFI « Mémoire d’un continent » sur la révision du procès de Simon Kimbangu du 7 août 2010, http://www.rfi.fr/emission/20100807-simon-kimbangu-mythesfondateurs-kimbanguisme et sur sa réhabilitation http://www.rfi.fr/emission/20111224-simonkimbangu-le-proces-proces. Émission réalisée à RFI « Mémoire d’un continent » sur la naissance d’un prophète Simon Kimbangu du 16 avril 2017, http://www.rfi.fr/emission/20170416-afrique-kimbangu-prophetenaissance-mboukou-prophetes-chretiens-evangelistes Émission réalisée à RFI « Mémoire d’un continent » sur un prophète à l’œuvre du 23 août 2016, http://www.rfi.fr/emission/20170423kimbangu-prophete-œuvre-provocation-colonisateurs Émissions de Patrick PESNOT, Rendez-vous avec X, sur George Albertini. Émission Série la grande collecte de Laurent Correau, http://www.rfi.fr/emission/20161117-serie-grande-collecte-volet-44antoine-Hazoumé-afrique-france-benin-histoire,
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ANNEXES
Annexe 1 De : SARMANT Thierry [mailto:[email protected]] Envoyé : jeudi 17 novembre 2016 9 h 51 À : Karine Ramondy Cc : Robert Frank ; FONCK Bertrand Objet : RE : Fonds 6H Cameroun ou autres Chère Madame, Après avoir consulté les différents responsables de fonds, je ne peux que vous confirmer que nous n’avons aucune trace de ces carnets, ni dans les archives militaires de l’AEF, ni dans les fonds d’origine privée. Avec mes hommages respectueux, Thierry Sarmant Conservateur en chef du patrimoine Chef du Centre historique des archives par intérim Service historique de la Défense De : Karine Ramondy Envoyé : mercredi 16 novembre 2016 13 h 6 À : SARMANT Thierry CONSERV CHEF PATRI; QUEGUINEUR Frederic CHAR ETU DOC PPL 2 Cc : Robert Frank Objet : Fonds 6H Cameroun ou autres Messieurs, Sur les conseils de votre collègue de Nantes Agnès Chablat-Beylot, je me permets de vous contacter. Je termine actuellement ma thèse et j’aurai besoin de pouvoir m’entretenir avec l’un d’entre vous au sujet d’une source "soi-disante" présente dans vos fonds mais qui malgré mon dépouillement de nombreux cartons n’est jamais "réapparue". Il s’agit des carnets intimes du leader Camerounais Ruben Um Nyobè qui aurait été saisis dans sa malle lors de l’opération de "pacification" du Cameroun et du maquis bassa. Achille Mbembé en fait l’étude avec référence incomplète chez vous, G. Chaffard en retranscrit des extraits en évoquant qu’ils sont conservés au SHD sans donner des cotes précises, la documentation photographique de la documentation française consacrée à la "colonisation " réalise une étude de ces carnets à destination des élèves de collège de lycée.
En résumé, des carnets jamais vus par moi qui travaille depuis 5 ans sur le sujet pourtant en contact fréquents avec le capitaine Lagarde, jamais référencés sérieusement par les chercheurs travaillant dessus qui deviennent des sources pédagogiques. De surcroît, le fils de Ruben Um Nyobè, Daniel me dit lors d’un entretien avoir consulté des sources en "off" au SHD qu’il l’ont bouleversé sans vouloir me révéler qui l’aurait autorisé à les voir. Je suis donc gênée par ce flou scientifique. J’avais contacté M. Sarmant lorsqu’il était à Carnavalet, celuici qui m’avait répondu n’avoir aucun souvenir de ces carnets lors de son travail d’inventaire du 6H. Je reviens vers vous deux car je souhaiterais vivement éclaircir ce point dans ma recherche. Je mets en copie mon directeur de thèse auquel j’ai confié cette situation scientifique inconfortable. J’espère pouvoir rentrer en contact avec l’un de vous deux sur ce sujet. Voici mon tél portable : 0679700884. Très cordialement
Annexe 2 Karine Ramondy Paris 1- UMR 8138 SIRICE Service Historique de la Défense Yves Mintoogue Paris 1 – UMR 8209 CESSP À l’attention de Monsieur l’Administrateur civil Monsieur P. LAUGEAY Château de Vincennes Avenue de Paris 94306 Vincennes cedex Paris, le 14 février 2017 Objet : Demande d’ouverture d’archives de Ruben Um Nyobe, leader de l’Union des populations du Cameroun (UPC) Copie au Secrétaire d’État chargé des Anciens-Combattants et de la Mémoire, M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur l’Administrateur, Par la présente, nous nous adressons à vous pour faire la lumière sur des archives qui restent à ce jour « invisibles » aux chercheurs soucieux de réaliser un travail scientifique précis et sérieux. Doctorants en fin de thèse à l’Université Paris I et travaillant notamment sur la décolonisation du Cameroun, nous souhaiterions avoir accès à des documents qui sont reconnus par plusieurs sources comme conservés par vos services. Il s’agit notamment des documents personnels du secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun (UPC), Ruben Um Nyobe, saisis par l’armée française le 13 septembre 1958, suite à sa mort brutale. Nous vous exposons notre demande à la faveur de la déclaration faite par M. le Président de la République, François Hollande, à Yaoundé le 3 juillet 2015, précisant qu’« il y a eu une répression en Sanagamaritime et en pays bamiléké (…) nous sommes ouverts pour que les livres d’Histoire soient ouverts et les archives aussi » (18e minute) ». Notre examen minutieux des fonds 6H, 10 R et 10T nous a laissé sur notre faim ; nous n’avons trouvé aucune trace des documents saisis
par le Capitaine Guillou, Commandant de la 1ère compagnie du BTC n°1 et récupérés par le Sergent-chef Toubaro, notamment ceux de la serviette de Um Nyobè qui contenait ses carnets intimes, source primaire, sur lesquels nous souhaiterions travailler. La présence de ses carnets et de documents contenus dans cette serviette au SHD est attestée d’une part par Pierre Messmer, interviewé par K. Ramondy (co-signataire de cette lettre) en février 2007 qui affirme que ces carnets : « ont été confiés au Service Historique de la Défense » et, d’autre part, par Georges Chaffard, dans son ouvrage paru en 19671, où le carnet a été retranscrit de façon fragmentaire. Le journaliste affirme que ces carnets ont été remis « en septembre 1958 par Mayi Matip à un officier français de la Zopac ». Les extraits retranscrits couvrent la période allant du 4 janvier au vendredi 25 juillet 1958. Par ailleurs, le journal de marche de la Zopac retrouvé 6H 242 au SHD stipule à la date du dimanche 14 septembre 1958 les informations suivantes : « Départ du CDT de la Zopac à Boumnyebel. Deux campements sont détruits. Découverte (le 13) du maquis d’UM NYOBÉ : 4 rebelles sont tués et identifiés ; ce sont RUBEN UM NYOBÉ secrétaire général de l’UPC, YEMBACK Pierre secrétaire principal et chef SABL, NGAMBI Jean Marc et NGO NKOM (sic) Ruth. Des effets personnels, des documents, une machine à écrire et les papiers personnels d’UM NYOBÉ sont saisis. (…). De nombreuses sources conservées dans le 6H qu’il serait ici fastidieux de référencer, corroborrent cette saisie de documents le jour de la mort du leader de l’UPC. Nous avons donc toutes les raisons de penser que ces documents sont bien arrivés au SHD. Or nos interlocuteurs au SHD, le capitaine Lagarde, le responsable du fonds photographique, puis le Conservateur en chef du patrimoine, Chef du Centre historique des archives par intérim, Thierry Sarmant, ses adjoints Bertrand Fonck et Frédéric Quéguineur, responsables des fonds concernés ont tous formulé la même réponse : « aucune trace de ce carnet ni dans les archives militaires de l’AEF ni dans les fonds d’origine privée2. ». Nous restons persuadés que des archives saisies par la Zopac sont au SHD mais ne sont toujours pas accessibles aux chercheurs. Nous vous demandons donc de prendre en compte en considération notre demande. Ces archives nous seraient d’une grande utilité dans
nos travaux en cours ; l’échéance présidentielle approchant nous craignons la fermeture d’une fenêtre scientifique à peine ouverte. Nous vous remercions par avance pour votre concours et nous vous prions d’agréer, monsieur l’Administrateur, l’expression de nos sentiments les plus cordiaux. K.RAMONDY Y. MINTOOGUE
Annexe 3 Tract de Georges Darlan daté de 1956. Source : Jean-Dominique PÉNEL et Karine RAMONDY, Boganda écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition. (…) 2° – Boganda, prêtre défroqué ? Qui est Madame Boganda ? Une blanche d’Europe ; n’y a-t-il pas de belles filles en Afrique ? Je suis persuadé que les filles oubanguiennes sont plus belles que votre épouse : à ne pas qualifier. 3° – Où avez-vous construit votre château de 24 millions métro ? En France, dans la cité de votre femme et non en Oubangui. 4°– Depuis 10 ans vous êtes député : combien de fois avez-vous siégé à l’Assemblée nationale pour défendre les intérêts des Oubangui ? Zéro fois. Comme disait l’autre, vous siégez à Bobangui et vous faites là vos discours aux caféiers, au paddy, aux palmistes, aux arachides, à vos millions. Vos intérêts avant tout, n’est-ce pas ? 5°- Où sont partis les 60 millions volés par vous, l’unique membre exécutif du Mesan, aux Oubanguiens ? – Ils ont servi à construire un « château » en France, à faire sept plantations de caféiers dans la Lobaye, à obtenir un terrain de 50 hectares dans l’Ombella-Mpoko pour une huitième plantation. 6°– Que faites-vous pour les 6.000 travailleurs qui chôment à Bangui ? – Rien. Ils ont des enfants et femmes comme vous mais votre femme et vos enfants sont blancs, ils ont le droit de vivre. 7°- Les 6000 travailleurs sont noirs ainsi que les enfants et femmes. Vous voulez les voir mourir de faim ? Où est la comptabilité du Mesan qui a volé 60 millions aux Africains ? – Pas de comptabilité parce que Boganda est un fin et puissant voleur contre qui l’administration et la justice sont impuissantes. Cependant les collectes organisées sans autorisation sont interdites par la loi. Cependant les cotisations versées sans reçu sont interdites par la loi. Mais ni la justice ni l’administration ne peuvent mettre en prison Boganda parce que l’Oubangui a eu le malheur d’accorder l’immunité parlementaire à Boganda.
8°– Et vos chèques sans provision affichés à la mairie ? Pourquoi ne vous a-t-on pas mis en prison, voleur, menteur ? 9°–Boganda a diminué l’impôt des mauvais et riches Blancs et augmenté l’impôt des pauvres noirs qui ne gagnent pas beaucoup. 10°- où sont les fusils promis aux Noirs par Boganda pour chasser les Français et les faire remplacer par les capitalistes américains et les communistes russes, par le canal de l’ONU ? 11°–Boganda avait dit aux femmes oubanguiennes de fabriquer de l’alcool publiquement : toutes nos femmes sont en prison parce que Boganda les a trompés. 12°- Les « sioni moundjou » ont acheté l’Oubangui ; Boganda vendu le pays à ses kogara, il veut notre mort. 13°- Boganda dit dans les villages qu’il est un magicien à craindre : qui ne vote pas pour lui meurt. Il va jusqu’à dire qu’il est capable de marcher sur les eaux comme Jésus-Christ, Notre Seigneur. Boganda : le voleur, le menteur, qui profite de l’ignorance du peuple Oubangui. 14°- Boganda a dit qu’il a supprimé la chicotte : où est la loi Boganda qui a supprimé la chicotte ? 15°- Boganda a trompé les Noirs. Boganda est en train de tromper les Blancs, en vendant le pays. Quand il sera chassé de l’Oubangui, il ira en France chez sa femme, dans son palais. 16°- Boganda dit qu’il s’est marié avec une blanche parce que toutes les femmes noires sentent mauvais et ne sont pas belles. 17°- Boganda dit qu’il ne mange pas du manioc parce que c’était la nourriture des Noirs. Georges Darlan mange du manioc parce que sa mère l’a élevé avec du manioc. 18°- Boganda ne veut pas envoyer nos enfants en France, à l’école, parce qu’il craint que nos enfants soit plus instruit que lui. 19°- Boganda a distribué de l’argent à tous les originaires de Bobangui pour faire des plantations de caféiers, mais il a oublié les Bandas, les Sangos, les Yakomas, les Alis, les Banziris, les Bayas, les Mbakas, les Mandjias, les Ndrès, les Gbanous, les Langbassis, les Gboungous, les Sénégalais, les Congolais, les Haoussas, les Bornous, les Foulbés des et tous les autres Africains qui ne sont pas originaires de Bobangui. 20°- Boganda a présenté aux élections les mauvais Blancs RPF pour représenter les Noirs. Pourquoi Boganda ne présente-t-il pas les enfants du pays qui connaissent les misères de leurs parents ? 21°- Boganda est un chef RPF plus que Songomali. Il a vendu le pays.
22°- Après 10 ans de sommeil, l’Oubangui s’éveille et reproche à Georges Darlan et à l’élite Oubanguienne d’avoir fait élire Boganda en 1946. 23°- Boganda oublie-t-il qu’il avait demandé à Georges Darlan de l’accompagner en France en 1946. Georges Darlan avait refusé de partir en France parce qu’il ne voulait pas abandonner son pays. 24°- Boganda oublie-t-il sa procuration légalisée par le maire en 1946, procuration par laquelle Boganda a donné tout pouvoir à Georges Darlan pour le représenter en son absence. 25°- Pourquoi Boganda s’est-il séparé de Georges Darlan ? Parce que Boganda avait demandé 800 000 Fr. à l’Union Oubanguienne pour payer des manœuvres de Bobangui et Georges Darlan et les membres du comité directeur de cette association avaient tous refusé de faire l’avance. 26°- Pourquoi Boganda veut-il que les Mandjias, les MbakasMandjias, les anciens combattants et les Ndrès votent pour le RPF Rémond ? Parce que Rémond et Boganda se sont associés pour les cars alors qu’aucun autre Oubanguien n’a de car à Bangui. 27°- Tout les Oubanguiens qui voteront pour le Mesan, pour le RPF Boganda et ses mauvais blancs sont RPF eux-mêmes. Ils veulent la mort du pays. 28°- Boganda trompe l’Oubangui depuis 10 ans. Aujourd’hui, l’Oubangui lui dit NON. 29°- Tous nos enfants sont renvoyés très jeunes des écoles sur ordre de Boganda. 30°- Boganda avait voté contre le code du travail. Il est contre les travailleurs. 31°- Boganda veut chasser les Arabes, les Haoussas, les Sénégalais, les Bornous, les Camerounais de l’Oubangui cependant ces Africains sont aussi Africains que nous. 32°- Tous les enfants du pays combattrons jusqu’au bout les mauvais Blancs, les « kogara » de Boganda. Les enfants du pays veulent rester Français mais égaux aux autres Français.
Annexe 4 Photographie de reconstitution, réalisées au Plat d’Argent par les services de police genevois. Source : Archives de Berne, BAR E2200.131-01#1981/23#18*, N.3.1, Assassinat Félix Moumié, 1960-1964, rapport du 23 janvier 1961.
Annexe 5 Organigramme réalisé par l’auteure de la Commission Bellonte au rapport d’enquête sur l’accident du « Noratlas » F-BGZB survenu le 29 mars 1959. Composition et liste des participants
Annexe 6 Photographies du Nord-Atlas avec les hommes en blanc. Source : Archives nationales, AN 19760051/147- 3G125, accident d’avion du Nord Atlas 2502.
Annexe 7
Plan des débris réalisé par les membres de la Commission. Source : Archives nationales, AN 19760051/147- 3G125, accident d’avion du Nord Atlas 2502.
Annexe 8 Plan des passagers réalisé par les membres de la Commission. Source : Archives nationales, AN 19760051/147- 3G125, accident d’avion du Nord Atlas 2502
Annexe 9 Photographies de la coupure nette de l’aile droite du Nord Atlas. Source : Archives nationales, AN 19760051/147- 3G125, accident d’avion du Nord Atlas 2502
Annexe 10 Photographies prises au « village Boganda » et de la plaque commémorative apportée par Bertrand Roumens.
Annexe 11 Correspondance entre Pierre Mendès France et Félix Moumié. Source : CAOM FM 3335 Incidents et organisation de l’UPC.
Annexe 12 Photographie du cadavre de Ruben Um Nyobé sur une natte. Source : Archive du PCF, Fonds POLEX, 261J7 Afrique noire 31
Annexe 13 Photographies du cimetière de Conakry en Guinée et du tombeau de Félix Moumié. Source : photographies de Frank Garbély remises à l’auteure.
Annexe 14 Mausolée Boganda, à Bobangui village natal, sur la route Mbaïki Source : Archive privée de l’auteure
Annexe 15 Peinture sans titre. René DEVERDUN, Jérôme Ramedane – peintre paysan centrafricain, peintre d’histoire, Paris, Sépia, 2000, 64 p.
Annexe 16 Statue de Patrice Lumumba érigée à Kinshasa (Limete) en 2009 Source : Archive privée
Annexe 17 Statue de Ruben Um Nyobè érigée à Eséka en 2007. Source : Archive privée
Annexe 18 Lettre de B. Boganda à X datée du 18 août 1958. Source : Jean-Dominique PÉNEL et Karine RAMONDY, Boganda écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition. Cher ami, J’ai bien reçu votre petit mot et la lettre qui y était jointe. Je ne crois pas que ce monsieur soit dangereux. Mais nous devons être vigilant. Le RDA n’est dangereux que par ses mensonges et sa démagogie Le RDA vient d’être battu aux élections du Chari-Baguirmi au Tchad. M. Lisette et Antoine Darlan ont été battu aux élections du Grand conseil. Leurs élections du Chari-Baguirmi ayant été cassées, ils ont été écrasés par nos amis du Tchad par 23 000 voix contre 16 000. M. Lisette est découragé et parle de se retirer. Ainsi se terminera le mensonge RDA. M. KELEMBO se trompe grossièrement. Ses amis sont la bande de chômeurs affamés : FRANZINI : corse, chômeur affamé PRAVAZ : européen, chômeur affamé Georges DARLAN : métis portugais, chômeur affamé PERNET : métis portugais chômeur affamé RIBEIRO : métis portugais chômeur affamé Et quelques autres chômeurs ou bistrotsmans. Maurice DEJEAN est prêt à les quitter parce qu’il n’est ni chômeur ni affamé. Les Oubanguiens sérieux ne peuvent pas être RDA. Dites à tout le monde. La politique peut changer elle doit changer mais ce sera contre le RDA et cela commence déjà par le Tchad et l’AOF. Qui vivra verra. Bien amicalement vôtre.
Annexe 19 Tract de Georges Darlan daté de 1956. Source : Jean-Dominique PÉNEL et Karine RAMONDY, Boganda écrits et discours, 1951-1959, Paris, L’Harmattan, en cours d’édition. (…) 2° – Boganda, prêtre défroqué ? Qui est Madame Boganda ? Une blanche d’Europe ; n’y a-t-il pas de belles filles en Afrique ? Je suis persuadé que les filles oubanguiennes sont plus belles que votre épouse : à ne pas qualifier. 3° – Où avez-vous construit votre château de 24 millions métro ? En France, dans la cité de votre femme et non en Oubangui. 4°– Depuis 10 ans vous êtes député : combien de fois avez-vous siégé à l’Assemblée nationale pour défendre les intérêts des Oubangui ? Zéro fois. Comme disait l’autre, vous siégez à Bobangui et vous faites là vos discours aux caféiers, au paddy, aux palmistes, aux arachides, à vos millions. Vos intérêts avant tout, n’est-ce pas ? 5°- Où sont partis les 60 millions volés par vous, l’unique membre exécutif du Mesan, aux Oubanguiens ? – Ils ont servi à construire un « château » en France, à faire sept plantations de caféiers dans la Lobaye, à obtenir un terrain de 50 hectares dans l’Ombella-Mpoko pour une huitième plantation. 6°– Que faites-vous pour les 6.000 travailleurs qui chôment à Bangui ? – Rien. Ils ont des enfants et femmes comme vous mais votre femme et vos enfants sont blancs, ils ont le droit de vivre. 7°- Les 6000 travailleurs sont noirs ainsi que les enfants et femmes. Vous voulez les voir mourir de faim ? Où est la comptabilité du Mesan qui a volé 60 millions aux Africains ? – Pas de comptabilité parce que Boganda est un fin et puissant voleur contre qui l’administration et la justice sont impuissantes. Cependant les collectes organisées sans autorisation sont interdites par la loi. Cependant les cotisations versées sans reçu sont interdites par la loi. Mais ni la justice ni l’administration ne peuvent mettre en prison Boganda parce que l’Oubangui a eu le malheur d’accorder l’immunité parlementaire à Boganda. 8°– Et vos chèques sans provision affichés à la mairie ? Pourquoi ne vous a-t-on pas mis en prison, voleur, menteur ?
9°–Boganda a diminué l’impôt des mauvais et riches Blancs et augmenté l’impôt des pauvres noirs qui ne gagnent pas beaucoup. 10°- où sont les fusils promis aux Noirs par Boganda pour chasser les Français et les faire remplacer par les capitalistes américains et les communistes russes, par le canal de l’ONU ? 11°–Boganda avait dit aux femmes oubanguiennes de fabriquer de l’alcool publiquement : toutes nos femmes sont en prison parce que Boganda les a trompés. 12°- Les « sioni moundjou » ont acheté l’Oubangui ; Boganda vendu le pays à ses kogara, il veut notre mort. 13°- Boganda dit dans les villages qu’il est un magicien à craindre : qui ne vote pas pour lui meurt. Il va jusqu’à dire qu’il est capable de marcher sur les eaux comme Jésus-Christ, Notre Seigneur. Boganda : le voleur, le menteur, qui profite de l’ignorance du peuple Oubangui. 14°- Boganda a dit qu’il a supprimé la chicotte : où est la loi Boganda qui a supprimé la chicotte ? 15°- Boganda a trompé les Noirs. Boganda est en train de tromper les Blancs, en vendant le pays. Quand il sera chassé de l’Oubangui, il ira en France chez sa femme, dans son palais. 16°- Boganda dit qu’il s’est marié avec une blanche parce que toutes les femmes noires sentent mauvais et ne sont pas belles. 17°- Boganda dit qu’il ne mange pas du manioc parce que c’était la nourriture des Noirs. Georges Darlan mange du manioc parce que sa mère l’a élevé avec du manioc. 18°- Boganda ne veut pas envoyer nos enfants en France, à l’école, parce qu’il craint que nos enfants soit plus instruit que lui. 19°- Boganda a distribué de l’argent à tous les originaires de Bobangui pour faire des plantations de caféiers, mais il a oublié les Bandas, les Sangos, les Yakomas, les Alis, les Banziris, les Bayas, les Mbakas, les Mandjias, les Ndrès, les Gbanous, les Langbassis, les Gboungous, les Sénégalais, les Congolais, les Haoussas, les Bornous, les Foulbés des et tous les autres Africains qui ne sont pas originaires de Bobangui. 20°- Boganda a présenté aux élections les mauvais Blancs RPF pour représenter les Noirs. Pourquoi Boganda ne présente-t-il pas les enfants du pays qui connaissent les misères de leurs parents ? 21°- Boganda est un chef RPF plus que Songomali. Il a vendu le pays. 22°- Après 10 ans de sommeil, l’Oubangui s’éveille et reproche à Georges Darlan et à l’élite Oubanguienne d’avoir fait élire Boganda en 1946.
23°- Boganda oublie-t-il qu’il avait demandé à Georges Darlan de l’accompagner en France en 1946. Georges Darlan avait refusé de partir en France parce qu’il ne voulait pas abandonner son pays. 24°- Boganda oublie-t-il sa procuration légalisée par le maire en 1946, procuration par laquelle Boganda a donné tout pouvoir à Georges Darlan pour le représenter en son absence. 25°- Pourquoi Boganda s’est-il séparé de Georges Darlan ? Parce que Boganda avait demandé 800 000 Fr. à l’Union Oubanguienne pour payer des manœuvres de Bobangui et Georges Darlan et les membres du comité directeur de cette association avaient tous refusé de faire l’avance. 26°- Pourquoi Boganda veut-il que les Mandjias, les MbakasMandjias, les anciens combattants et les Ndrès votent pour le RPF Rémond ? Parce que Rémond et Boganda se sont associés pour les cars alors qu’aucun autre Oubanguien n’a de car à Bangui. 27°- Tout les Oubanguiens qui voteront pour le Mesan, pour le RPF Boganda et ses mauvais blancs sont RPF eux-mêmes. Ils veulent la mort du pays. 28°- Boganda trompe l’Oubangui depuis 10 ans. Aujourd’hui, l’Oubangui lui dit NON. 29°- Tous nos enfants sont renvoyés très jeunes des écoles sur ordre de Boganda. 30°- Boganda avait voté contre le code du travail. Il est contre les travailleurs. 31°- Boganda veut chasser les Arabes, les Haoussas, les Sénégalais, les Bornous, les Camerounais de l’Oubangui cependant ces Africains sont aussi Africains que nous. 32°- Tous les enfants du pays combattrons jusqu’au bout les mauvais Blancs, les « kogara » de Boganda. Les enfants du pays veulent rester Français mais égaux aux autres Français.
Barthélemy Boganda
Annexe 20 Lettre adressée au Procureur Général de Genève du 20 novembre 2016 et sa réponse du 20 décembre 2016.
INDEX DES NOMS DE PERSONNES
A Abbas (Ferhat), 102, 189, 356, 362, 389, 453 Abega (Théophile), 272 Abo (Léonie), 70, 535 Adoula (Cyrille), 380, 399 Ahidjo (Ahmadou), 96, 457, 458, 460, 464, 477 Akoa Abomo (François), 50 Alexander (Henri), 284, 350, 354 Apithy (Sourou Migan), 305 Archimbaud (Victor), 126 Assale (Charles), 49, 308 Aubame (Jean-Hilaire), 335 Aubertin (Jean), 159, 170, 171 Augouard (Mgr.), 43, 45, 46, 62, 532 Aujoulat (Louis-Paul), 261, 270, 275, 303, 526 Azikiwe (Nnamdi), 53, 183, 202, 252, 487, 510 Azombo Nsomoto (Victor), 304
B Baldwin (Roger), 254, 278, 279, 280, 484
Balojii (Samuel), 219 Barbé (Raymond), 304, 305, 307 Baud (Mgr.), 106, 127, 226 Baylet (Jean), 200, 201, 534 Bellonte (Maurice), 108, 113, 118-121, 123, 124, 127-130, 132, 135, 136 Benoist (Charles), 147, 231, 261 Bernard (Mgr.), 418 Bertossa (Bernard), 455 Bidault (Georges), 191, 305 Biéchy (Mgr.), 418 Bikim (Aldolphe), 183, 486 Bissell (Richard), 434-436 Bitjoka (Jacques), 219 Biyaka (Isaac), 183 Blagué (Alphonse), 241 Blouin (Andrée), 286, 385, 389, 390 Bolikango, 383,428 Bolya (Paul), 427,433 Bomboko (Justin), 187, 286, 294, 358, 393, 433, 437 Bonnant, Maître, 454-456, 492 Boog (Alphonse), 218, 219, 492 Bordier (Jacques), 106, 228 Bourges (Yvon), 228, 337, 339, 424, 426, 428, 459 Bourgès-Maunoury (Maurice), 199 Bouvard (Claudius), 25, 102, 104-106, 127, 227, 472
Braun (Pierre), 148, 404, 435 Bronson (Tweedy), 434 Buchez-Bully (Julien), 119, 120, 129, 130 Bunche, (Ralph), 282, 283, 284, 286, 287, 292, 293, 295, 454, 513 Burden (William), 174 Buron (Robert), 118, 132, 134, 151, 152, 154 Butandeau (Abbé), 70, 71
C Cachin (Marcel), 148, 168, 475 Calloc’h (Père), 44, 45 Carlucci (Franck), 399, 432 Cartier (Raymond), 200, 485 Chaffard (Georges), 78-83, 313, 487, 541, 544 Charles (Monsieur), 419, 425, 427, 428 Chazeaud (Camille), 49 Chevance dit Bertin (Maurice), 178 Cissoko (Fidy), 304 Clément (Pierre), 204, 377, 426 Clos (Max), 176 Conan (Georges), 96, 97 Coninck, de (Albert), 379, 381, 384, 483 Cornelis (Henri), 343 Coulibaly (Ouezzin), 63, 306, 314, 336, 420, 423, 487 Cousin (Jules), 382 Cozzens (Henri), 49
Cremona (Paul), avocat, 163, 171, 172, 493 Croquez (Jacques), avocat, 170, 430 Cucherousset (Mgr.), 71 Cusin (Gaston), 416
D D’Aspremont Lynden (Harold), 110, 383, 482 D’Arboussier (Gabriel), 52, 260, 266, 305, 307-309, 311-313, 409, 419, 480 Dacko (David), 106, 131, 132, 133, 135, 225, 228, 240, 333-335, 464 Darlan (Antoine), 57, 242, 317, 322-325, 367, 477, 535, 570, 571 Darlan (Georges), 76, 161, 320, 321, 324, 325, 547-549, 570, 572, 573 Dayal (Rajeswahr), 187, 220, 293, 294, 397, 488 De Beaumont (Elie), 167 De Breteuil (Charles), 177 De Gaulle (général), 30, 31, 83, 133, 170, 171, 190, 198, 314, 316, 330,337, 346, 408, 414, 416, 457, 468, 469, 499 De Gélis (Bernard), 141-148, 165, 166, 483, 493 De Vos (Pierre), 175 Defferre (Gaston), 30, 199, 200, 314 Deleaval (Roger), 100, 452, 453 Devlin (Larry), pseudo Hedgman, 174, 175, 297, 361, 378, 399, 432, 433, 434, 436-439, 441, 442 Denard (Bob), 431, 505 Denichert, 454, 456 Deville (Gérard), 127
Devinat (Paul), 421, 426 Diomi (Gaston), 343, 379 Donnat (Gaston), 49, 307, 308, 309 Douala Manga Bell (Alexandre), 178, 184, 260, 270, 275 Doucy (Arthur), 383, 482 Douglas-Home (Alec), 441 Douzon (Henri), 167, 168, 404 Du Bois (Shirley), 265, 340 Duchemin (Jacques), 429 Dulles (Allan), 297, 375, 433-435, 449 Duvivier (Pierre), 385, 390 Dvorzack (Richard), 399
E Éboué (Félix), 56 Egge (Björn), Major General, 443 Endeley (Emmanuel), 258, 259, 272, 276 Espenon (Jean), radio-navigant, 116 Espérou (Robert), inspecteur de l’Aviation civile, 113
F Faas (Horst), 99, 186 Faulques (Roger), 297, 429, 431 Fayama (Albert), 117, 228, 323, 333, 334 Foccart (Jacques), 23, 36, 117, 132-134, 151, 190, 317, 336, 337, 413, 414, 416, 419, 422, 423-431, 457-459, 468, 469, 475, 494, 505, 506, 529, 532, 534
Frily (Liliane), 68, 102, 193, 223, 452, 453
G Gambini (Paul), 97, 98 Garbély (Frank), 67, 223, 224, 454, 456, 472, 492, 564 Georgy (Guy), 149, 150, 153, 165, 166 Geramisov (Peter), 380 Gérard (Claude), 300, 361, 376, 381 Gizenga (Antoine), 33, 286, 389, 396, 397, 398, 399, 439, 508 Goldsmith White (Dick), 412 Gottlieb (Sydney), 434, 435 Goumba (Abel), 106, 117, 131, 132, 227, 228, 323, 324, 326, 332-335, 525 Goumba (Michel), 58 Gros (Léon), 121 Grossin, 414 Guérillot (Roger), 77, 117, 322, 324, 325, 326, 336, 367, 423 Gueye (Lamine), 57, 303, 304, 306, 333, 354
H Hammarsjköld (Dag), 12, 109, 118, 121, 129, 175, 187, 251, 280, 282293, 295-299, 351, 389, 393, 394, 395, 442, 443, 447, 449, 450, 488, 500, 513 Hammond-Cozzens (Lucia), 49 Hani (Chris), 447 Haoussa (Maurice), 127 Hardy (Georges), 43, 126, 489 Hazoumé (Antoine), 336, 423, 426, 427, 429, 430, 431, 537 Herriau (père), 43, 44
Herter (Christian), 187 Hockers (Maryse), 25, 65, 325, 349, 353, 361, 377, 385, 390, 472, 491 Holden (Roberto), 344, 348
I Ileo (Joseph), 182, 380, 393 Indo (Pierre), 57
J Jabon (Emile), avocat, 157, 170 Jacquier-Cachin (Marie-Louise), 148, 167, 168, 169, 404 Jayle (Christian), 422 Jourdain (Michelle), 70-72, 132, 149, 150, 161, 191 Julien (Harold), 444
K Kabila (Joseph), 238 Kala Lobè (Iwiyé), 183 Kaldor (Pierre), avocat, 23, 206, 261, 403, 404, 405, 471, 472, 480 Kalondji (Albert), 358, 383, 384, 427, 428, 433 Kampa Vita (Dona Beatriz Nsimba), 88 Kanda Matulu (Tshibumba), 234, 522 Kandolo (Damien), 440 Kanza (Sophie), 66 Kanza (Thomas), 285, 286, 294, 343, 344, 351, 354, 356, 357, 393, 493 Karnou ou Karinou alias Barka Ngainoumbey, 86, 87, 92, 517 Kashamara (Anicet), 398
Kémanjou (Daniel), 420 Kenyatta (Jomo), 265 Kie (Pauline), 65 Kimbangu (Simon), 83, 87, 88, 89, 90, 92, 418, 517, 718, 519, 536 Knecht (Charles), 456 Kolingba (André), 234 Kuznetsov, 393
L Lacaze (Henri), 164 Lahaye (André), 427, 428 Lamberton (Jean), 95, 96, 197, 478 Lambroschini (Joseph), 429 Laugeay (Pierre), 82, 543 Le Hunsec, Mgr., 71 Le Vine (Victor), 233, 484, 526 Lecourt (Robert), 132, 133, 228 Lejeune, 155-157, 170 Lemarquis, 106, 107, 227 Levaux (Marcel), 380, 381, 483 Lévy (Roland), 102, 453 Liner (Sture), 283 Litvinov (Maxime), 374 Louisia (Yves), 148, 404
M Macmillan (Harold), 356, 441, 489, 508
Mahé (René), 117, 422 Makon (Luc), 98 Malbrant (René), 161, 190, 191, 323 Mandela (Nelson), 183, 252, 510 Marlière (Louis), 427 Masuba (Alphonsine), 65 Matsoua (André), 83, 418 Mattarrasso (Léon), 404 Mauricheau-Beaupré (ou Monsieur Jean), 297, 427-431, 475 Mauriès (René), 198, 199, 200, 201, 215, 485, 498, 521 Mayi Matip (Théodore), 78, 79, 233, 458, 544 Mboukou (Serge), 89, 90, 518 Mboya (Tom), 344, 348 McIlvaine (Robison), 432 Meffre, 106 Mendès France (Pierre), président du Conseil, 149-152, 530, 559 Michel (Serge), 362, 363, 385, 387-389, 395, 490, 492, 529 Mignot, 402 Mitterrand (François), ministre de la France d’outre-mer, 23, 313, 318, 426, 496 Mobutu (Sese soko), 99, 110, 187, 236, 237, 293, 355, 358, 363, 388, 389, 396, 397, 398, 427431, 433, 434, 440, 459, 464-466, 510, 527, Mollet (Guy), 270, 314, 387, 401-403 Mollon (Jean), docteur, 23, 106, 136, 225, 226, 471, 480, 492 Moumié (Marthe), 67, 68, 222, 224, 364, 490, 492, 534 Mouton (Adrien), 261 Mpassi (Marc), 127
Mulele (Pierre), 14, 70, 237, 384, 399, 439, 465 Mummendey (Dietrich), 99, 100, 186, 490 Munongo (Godefroid), 109, 110, 220, 287, 297, 358 Mwamba (Rémy), 427
N Naud (René), 322 Ndong (Anasthasio), 223 Nehru (Jawaharlal), 398 Nendaka (Victor), 158, 358, 382, 390, 433, 437, 438 Ngalula (Joseph), 182, 343, 380 Ngamotede (Charles), 62 Ngo Mayack (Marthe), 69 Ngo Njock (Marie), 70, 98 Ngom (Emma), 67 Ngom (Jacques), 67, 405 Ngoye (Hohi), 143 Nkrumah (Kwamé), 13, 53, 158, 159, 202, 203, 205, 211, 265, 284, 301, 327, 334, 339-342, 344, 345, 348, 350-357, 366, 367, 373, 375, 396, 426, 490, 524, 534 Ntumazah (Ndeh), 265, 278 Nyangwile (Pierre), 427 Nzilakema Chef, 162
O O'Donnell (Justin), 436 Okala (Charles), 178, 184, 260, 270, 275 Olivier-Lacamp (Max), 95, 182, 485
Olympio (Sylvanus), 151, 213, 252, 263 Oussedik (Omar), 362, 363, 388 Opangault (Jacques), 336, 337, 418, 423, 424, 428 Opango (Pauline), 60, 65 Ouandié (Ernest), 68, 146, 156, 169, 207, 237, 263, 405, 452, 458, 466
P Padmore (Georges), 302, 334, 340, 341, 343, 490, 524 Paquelier (Marcel), 105, 107 Park (Daphne), 439-442, 506, 507 Pinzi (Arthur), 379 Plantier (Maurice), 199, 458 Pleven (René), 313 Pongo (Gilbert), 99 Pré (Roland), 145, 147, 148, 153, 154, 168, 275, 277
R Ramedane (Jérôme), 235, 522, 567 Raskin (Jules), 381 Richon (Daniel), 431 Rivierez (Hector), 132, 172, 227, 228, 334, 335 Robert (Maurice), 4, 371, 372, 373, 407, 410, 411, 412 Robeson (Eslanda), 262, 264, 490, 532, 533 Robeson (Paul), 262, 264, 265, 513, 532 Robilart (Herman), 383
S Saifoulaye (Diallo), 223
Sakouada (Philippe), 226 Samy Mac Foy (Pierre), 21, 25, 85, 472, 491 San Marco (Louis), 23, 73, 132, 134, 322, 323, 324, 344, 471477, 491 Schöller (André), 156, 390 Scott (Ian), 440, 441 Sedar Senghor (Léopold), 13, 333 Senda (Georges), 493 Sœte (Gérard), 219, 220 Songomali (Jean-Baptiste), 57, 548, 572 Soucadaux (André), 145 Spaak (Paul-Henri), 298 Stibbe (Pierre), 148, 404 Stora (Jacques), 117 Sylla (Youssoupha), 336 Syriex (Paul-Henri), 313
T Tagny (Mathieu), 51, 148, 405, 406 Takala (Célestin), 304 Tchaptchet (Jean-Martin), 100, 452 Tchicaya (Jean-Félix), 336, 337, 418, 420, 422, 423, 424 Teitgen (Pierre-Henri), 147 Tillon (Charles), 271 Timberlake (Clare), 174, 187, 283, 294, 350, 432 Tjéga (Joseph), 51 Touré (Sékou), 31, 212, 213, 222, 223, 224, 315, 333, 356, 357, 373, 375, 389, 414, 425 Trinquier (Roger), 297, 429
Trujillo (Rafael), 412 Truman (Harry), 444 Tshimanga (Antoine), 379 Tshombe (Moïse), 110, 159, 175, 220, 285, 286, 287, 290, 291, 295-298 351-353, 358, 362, 383-385, 390, 398, 429, 430, 431, 446, 448, 466 Tubman (William), 375
U U Thant (Maha Thray Sithu), 298
V Van Bilsen (Arnold Joseph), 157, 293, 378, 491 Van der Meersch (Ganshof), 386 Van Lierde (Jean), 252, 294, 343, 344, 350, 357-359, 363, 377, 385-387, 393, 491 Vannoni (Charles), 172 Vialle (Jane), 57, 210, 242, 320, 321, 535 Villemin (Henri), 115 Von Horn (Carl), 284, 286
W Waterhouse (Charles), 447 Welensky (Roy), 118, 297, 441, 444, 445, 446, 449, 480, 505, 509 Wigny (Pierre), 110, 111, 285, 290 Willard (Marcel), 167, 403, 404, 520
Y Yazid (Mohammed), 362, 388 Yem Mback (Pierre), 98, 544
Youlou (Fulbert), 36, 117, 336, 337, 339, 362, 367, 416-431, 459, 476, 485, 491
Z Zouago (Michel), 127
LISTE DES SIGLES UTILISÉS
ABAKO
Association des Bakongo
ACOA
American Committee On Africa
AEF
Afrique-Équatoriale française
AES
Association des Évolués de Stanleyville
AFUF
Association des Femmes de l’Union Française
AOF
Afrique-Occidentale française
APIC
Association du Personnel Indigène de la Colonie
ATCAM
Assemblée territoriale du Cameroun
ATOC
Assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari
BTOC BUDES
Bataillon des tirailleurs de l’Oubangui-Chari Bureau de Documentation et d’Études économiques et Sociales
CECA
Communauté européenne du charbon et de l’acier
CEE
Communauté économique européenne
CGT
Confédération générale du travail
CVR
Commission vérité et réconciliation
DGAC
Direction générale de l’aviation civile
FFL
Forces françaises libres
FLN
Front de libération nationale
FOM
France d’outre-mer
GEC
Groupes d’études communistes
GRPA
Gouvernement provisoire de la République algérienne
ILO
Intergroupe libéral oubanguien
ILRM
International league of the rights of Man
JCB
Jeunesse communiste belge
JDC
Jeunesse démocratique du Cameroun
JOC
Jeunesse ouvrière chrétienne
LIDH
Ligue internationale des droits de l’Homme
MESAN
Mouvement d’émancipation sociale de l’Afrique noire
MNC
Mouvement national congolais
MPA
Mission presbytérienne américaine
MRP
Mouvement républicain populaire
MSA
Mouvement socialiste africain
MUN
Mouvement d’union nationale
OAS
Organisation armée secrète [France]
ONG
Organisation non gouvernementale
ONU
Organisation des Nations Unies
OTAN
Organisation du traité de l’Atlantique Nord
OUA
Organisation de l’unité africaine
PAI
Parti africain de l’indépendance
PCB
Parti communiste belge
PCF
Parti communiste français
PCUS
Parti communiste de l’Union soviétique
PPT
Parti progressiste tchadien
PRA
Parti du regroupement africain
PUNA
Parti de l’unité nationale [RDC]
RAU
République arabe unie
RCA
République centrafricaine
RDA
Rassemblement démocratique africain
RPF
Rassemblement du peuple français
SDECE
Service de documentation extérieure du contre-espionnage
SDN
Société des Nations
SFIO
Section française de l’Internationale ouvrière
SIP
Société indigène de prévoyance
SOCOULOLÉ Société coopérative Oubangui-Lobaye-Lessé UDDIA UDEFEC
Union démocratique de défense des intérêts africains Union des femmes camerounaises Union des femmes congolaises
UDS
Union démocratique sénégalaise
UMHK
Union minière du Haut-Katanga
UNICAFRA
Union camerounaise française
UNR
Union pour la nouvelle République
UNTC
Union nationale de travailleurs congolais
UPC
Union des populations du Cameroun
USCC
Union des syndicats confédérés du Cameroun
ZOPAC
Zone de pacification de la Sanaga-Maritime
Structures éditoriales du groupe L’Harmattan L’Harmattan Italie Via degli Artisti, 15 10124 Torino [email protected]
L’Harmattan Sénégal 10 VDN en face Mermoz BP 45034 Dakar-Fann [email protected] L’Harmattan Cameroun TSINGA/FECAFOOT BP 11486 Yaoundé [email protected] L’Harmattan Burkina Faso Achille Somé – [email protected] L’Harmattan Guinée Almamya, rue KA 028 OKB Agency BP 3470 Conakry [email protected] L’Harmattan RDC 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala – Kinshasa [email protected] L’Harmattan Congo 67, boulevard Denis-Sassou-N’Guesso BP 2874 Brazzaville [email protected]
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Un ouvrage qui renouvelle l’historiographie des indépendances et l’histoire des mémoires en Afrique centrale. . Karine Ramondy est chercheuse-associée à l’UMR SIRICE Paris I Panthéon-Sorbonne. Ses recherches s’articulent autour de l’histoire de l’Afrique dans les relations internationales au XXe siècle, l’histoire des élites africaines et du panafricanisme et l’histoire du corps. Elle a participé à l’ouvrage collectif La mort du bourreau, paru sous la direction de Sévane Garibian aux Éditions Pétra (2016).
Etudes africaines Série Histoire Illustration de couverture : © Sapin Makengele
ISBN : 978-2-343-19829-3
39 €
Karine Ramondy
En suivant la trajectoire de quatre leaders d’Afrique centrale au temps des indépendances – Barthélémy Boganda (République centrafricaine), Patrice Lumumba (République du Congo), Félix Moumié et Ruben Um Nyobè (Cameroun) –, cet ouvrage interroge : en quoi l’assassinat politique peut-il constituer un moyen de réguler les relations internationales et être l’un des fondements de la construction nationale de leur pays d’origine ? Au fil de l’itinéraire politique de ces leaders, de façon comparée, sont évoquées leurs désillusions onusiennes et panafricaines qui resserrent sur eux l’étau mortel d’une Realpolitik, entre bipolarisation et néocolonialisme. Cette étude permet de faire émerger des invariants à l’assassinat politique sous forme de processus récurrents : arme judiciaire, arme médiatique, absence de sépulture décente, damnatio memoriae dont les leaders sont frappés. Ces processus aboutissent a contrario à une inversion symbolique et iconique. Cet ouvrage s’appuie sur de nombreuses sources complétées afin de reconstituer l’enchaînement des événements et de nouvelles interprétations : archives privées inédites, archives publiques dont certaines ont été déclassifiées pour cette recherche, sources audiovisuelles et imprimées, témoignages oraux inédits recueillis par l’auteure.
Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961
Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961
Etudes africaines
Série Histoire
Karine Ramondy
Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961 Entre construction nationale et régulation des relations internationales