Le tribunal de l’Héliée: Justice et Politique dans l’Athènes du VIe au IVe siècles avant J.-C. (French Edition) 9782807608009, 9782807608016, 9782807608023, 9782807608030, 2807608000

Le tribunal de l’Héliée est une des institutions les plus importantes de la démocratie athénienne aux Ve et IVe siècles

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Table of contents :
Couverture
Table des matières
Avant-propos
Introduction
Chapitre I. Questions de terminologie
A. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires et épigraphiques des Ve et IVe siècles
B. Étymologie du terme – rapport avec les termes ἁλία/η et ἁλιαία
Chapitre II. L’Héliée de Solon ?
A. Les sources contemporaines de l’époque de Solon
1. Les poèmes de Solon
2. Les lois de Solon
3. Les données archéologiques
B. Les textes d’Aristote et de Plutarque
1. Les deux passages d’Aristote
2. Le texte de Plutarque
C. La « constitution des ancêtres »
Conclusions
Chapitre III. Quelle période pour la création de l’Héliée ?
A. La tyrannie de Pisistrate
B. L’isonomie de Clisthène
C. L’époque après les réformes de Clisthène
Conclusions
Chapitre IV. Le tribunal populaire au milieu du Ve siècle
A. D’Éphialte à Périclès
1. La réforme réduisant les pouvoirs de l’Aréopage
2. Autres changements apportés au tribunal
3. L’introduction du misthos des juges
B. Le tribunal populaire et les procès jusqu’au début de la guerre du Péloponnèse
1. Le tribunal populaire et les alliés
2. Le tribunal populaire et les Athéniens
Conclusions
Chapitre V. Le tribunal populaire pendant la guerre du Péloponnèse
A. Le tribunal populaire et la Ligue de Délos
B. L’Héliée et l’Assemblée du peuple au cours des dernières décennies du Ve siècle
C. De 411 à 404/3 : une période de tension et de rupture
1. Le mouvement oligarchique de 411 et le régime des Cinq Mille
2. Le mouvement oligarchique de 404 et ses conséquences
Conclusions
Chapitre VI. Le tribunal populaire au cours des premières années de la restauration de la démocratie en 403/2
Le serment prêté par les héliastes
Composition du corps des juges
Le système de répartition des juges au sein des tribunaux
La reprise des procès
Les procès et les procédures judiciaires
Deux nouvelles fonctions de l’Héliée à propos des lois ?
a. Les nomothètes ?
b. L’accusation pour avoir proposé une loi nocive
Le type de procès
Conclusions
Chapitre VII. Le cadre formel du fonctionnement de l’Héliée au IVe siècle
Conclusions
Chapitre VIII. L’Héliée dans la turbulence militaire de la première moitié du IVe siècle
A. De la guerre dite de Corinthe à la seconde Confédération maritime
B. Le tribunal populaire et la seconde Confédération maritime
1. Les « réformes » judiciaires attribuées à l’année 377
2. Les procès du début de la Confédération jusqu’à la fin de la guerre des Alliés
Le tribunal populaire et les alliés
Le tribunal populaire et les Athéniens
Conclusions
Chapitre IX. De la fin de la guerre des Alliés à la guerre lamiaque
A. Introduction à une période particulière pour l’histoire d’Athènes
B. L’importance du tribunal populaire selon les auteurs du milieu du IVe siècle
1. Les tribunaux dans la pensée d’Isocrate
2. Les Lois de Platon et le tribunal populaire
C. L’Héliée vis-à-vis des nouvelles conditions de la seconde moitié du IVe siècle : trois cas d’étude
1. Les emmènoi dikai emporikai
2. Le tribunal populaire et l’Aréopage dans la seconde moitié du IVe siècle : l’apophasis
3. Le nomos eisangeltikos : un changement ?
D. Les procès à caractère politique des années 355-322
Conclusions
Conclusion générale
Tableau 1. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires et épigraphiques des Ve et IVe siècles
Tableau 2. Les termes ἁλία/η et ἁλιαία dans des régions hors d’Athènes
Tableau 3. Les expressions (ὦ) ἄνδρες δικασταί, ὦ ἄνδρες et (ὦ) (ἄνδρες) Ἀθηναῖοι dans les plaidoyers attiques
Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique
Liste des abréviations
Bibliographie
Index
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Le tribunal de l’Héliée: Justice et Politique dans l’Athènes du VIe au IVe siècles avant J.-C. (French Edition)
 9782807608009, 9782807608016, 9782807608023, 9782807608030, 2807608000

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Alexandra Bartzoka

Le tribunal de l’Héliée Justice et Politique dans l’Athènes du VIe au IVe siècles avant J.-C.

Le tribunal de l’Héliée est une des institutions les plus importantes de la démocratie athénienne aux Ve et IVe siècles avant J.-C. Au début de chaque année, six mille Athéniens, non professionnels, sont tirés au sort et jugent la grande majorité des affaires de la cité. Mais, contrairement au Conseil des Cinq Cents, à l’Aréopage et même à l’Assemblée du peuple, on ne peut pas identifier l’Héliée dans les faits à une assemblée précise de six mille juges. C’est exactement sur ce point que s’impose sa particularité et donc son intérêt. En proposant un travail consacré à l’Héliée, ce livre suit la mise en place progressive de cette institution depuis la première époque qui offre un contexte favorable à l’organisation d’une justice démocratique aux changements apportés aux procédures judiciaires au cours du IVe siècle avant J.-C. L’Héliée est sans doute un espace institutionnel dont la fonction est de résoudre les conflits judiciaires qui sont nés dans le cadre de la communauté athénienne. Toutefois, elle constitue en même temps un lieu de transformation de la cité, puisqu’elle est intégrée dans la continuité de ses pratiques. Le destin croisé de la polis et de son tribunal invite ainsi à examiner le rôle dynamique de l’Héliée dans la vie d’Athènes : les procès intentés, les acteurs concernés, les chefs d’inculpation et leur issue interagissent souvent avec les débats au sein de l’Assemblée, l’influence des orateurs, les conditions politiques, les périodes de rupture et de tension. L’angle d’attaque est chronologique et met en lumière les problèmes spécifiques qui se posent à chaque période. La démarche repose sur l’analyse des témoignages anciens et examine si les modèles intellectuels utilisés jusque-là pour traiter de l’Héliée sont vraiment pertinents. Le livre permet d’aborder la question du rapport qui s’est développé au cours des siècles entre justice et politique et donne à réfléchir sur ce rapport aujourd’hui. ALEXANDRA BARTZOKA est docteur en Histoire ancienne de l’Université Paris Nanterre. Elle est actuellement rattachée en tant que chercheur postdoctorante à l’Université Paris-Sorbonne (UMR 8167).

www.peterlang.com

PETER LANG

Alexandra Bartzoka Le tribunal de l’Héliée

Alexandra Ba

Le tribunal de l’Héliée Justice et Politique dans l’Athènes du VIe au IVe siècles avant J.-C.

Le tribunal de l’Héliée Justice et Politique dans l’Athènes du VIe au IVe siècles avant J.-C.

P.I.E. Peter Lang Bruxelles Bern Berlin New York Oxford Wien 









Alexandra Bartzoka

Le tribunal de l’Héliée Justice et Politique dans l’Athènes du VIe au IVe siècles avant J.-C.

Illustration de couverture : L’Agora d’Athènes vue de l’Acropole. Photo prise par l’auteur. Cette publication a fait l’objet d’une évaluation par les pairs. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’éditeur ou de ses ayants droit, est illicite. Tous droits réservés.

© P.I.E. PETER LANG s.a.

Éditions scientifiques internationales

Bruxelles, 2018 1 avenue Maurice, B-1050 Bruxelles, Belgique www.peterlang.com ; [email protected]

ISBN 978-2-8076-0800-9 ePDF 978-2-8076-0801-6 ePUB 978-2-8076-0802-3 MOBI 978-2-8076-0803-0 DOI 10.3726/b14340 D/2018/5678/49

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À †Nikos Birgalias À †Pierre Carlier

Table des matières Avant-­propos .......................................................................................  13 Introduction ........................................................................................  15 Chapitre I. Questions de terminologie .............................................  25 A. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires et épigraphiques des Ve et IVe siècles ...............................................  25 B. Étymologie du terme – rapport avec les termes ἁλία/η et ἁλιαία .........................................................................  34

Chapitre II. L’Héliée de Solon ? .........................................................  41 A. Les sources contemporaines de l’époque de Solon ......................  42 1. Les poèmes de Solon ..............................................................  42 2. Les lois de Solon ....................................................................  46 3. Les données archéologiques ...................................................  49 B. Les textes d’Aristote et de Plutarque ............................................  51 1. Les deux passages d’Aristote ..................................................  51 2. Le texte de Plutarque .............................................................  65 C. La « constitution des ancêtres » ....................................................  65 Conclusions ........................................................................................  72 Chapitre III. Quelle période pour la création de l’Héliée ? ............  75 A. La tyrannie de Pisistrate ...............................................................  75 B. L’isonomie de Clisthène ...............................................................  78 C. L’époque après les réformes de Clisthène .....................................  82 Conclusions ........................................................................................  98 Chapitre IV. Le tribunal populaire au milieu du Ve siècle ............  101 A. D’Éphialte à Périclès ..................................................................  101 1. La réforme réduisant les pouvoirs de l’Aréopage .................  101 2. Autres changements apportés au tribunal ...........................  105 3. L’introduction du misthos des juges .....................................  107

B. Le tribunal populaire et les procès jusqu’au début de la guerre du Péloponnèse .......................................................  112 1. Le tribunal populaire et les alliés .........................................  113 2. Le tribunal populaire et les Athéniens .................................  118 Conclusions ......................................................................................  127 Chapitre V. Le tribunal populaire pendant la guerre du Péloponnèse ..................................................................................  129 A. Le tribunal populaire et la Ligue de Délos .................................  131 B. L’Héliée et l’Assemblée du peuple au cours des dernières décennies du Ve siècle .................................................................  149 C. De 411 à 404/3 : une période de tension et de rupture ............  163 1. Le mouvement oligarchique de 411 et le régime des Cinq Mille .....................................................................  163 2. Le mouvement oligarchique de 404 et ses conséquences ....  178 Conclusions ......................................................................................  185 Chapitre VI. Le tribunal populaire au cours des premières années de la restauration de la démocratie en 403/2 .....................  189 Le serment prêté par les héliastes ......................................................  190 Composition du corps des juges .......................................................  191 Le système de répartition des juges au sein des tribunaux ...............  195 La reprise des procès .........................................................................  197 Les procès et les procédures judiciaires .............................................  198 Deux nouvelles fonctions de l’Héliée à propos des lois ? .................  204 a. Les nomothètes ? ...................................................................  204 b. L’accusation pour avoir proposé une loi nocive ....................  207 Le type de procès ..............................................................................  208 Conclusions ......................................................................................  216 Chapitre VII. Le cadre formel du fonctionnement de l’Héliée au IVe siècle .....................................................................  219 Conclusions ......................................................................................  231 Chapitre VIII. L’Héliée dans la turbulence militaire de la première moitié du IVe siècle ..................................................  233 A. De la guerre dite de Corinthe à la seconde Confédération maritime .....................................................................................  234

B. Le tribunal populaire et la seconde Confédération maritime ....  245 1. Les « réformes » judiciaires attribuées à l’année 377 ...........  245 2. Les procès du début de la Confédération jusqu’à la fin de la guerre des Alliés ...........................................................  250 Le tribunal populaire et les alliés .........................................  250 Le tribunal populaire et les Athéniens .................................  260 Conclusions ......................................................................................  273 Chapitre IX. De la fin de la guerre des Alliés à la guerre lamiaque ..........................................................................  275 A. Introduction à une période particulière pour l’histoire d’Athènes .....................................................................  275 B. L’importance du tribunal populaire selon les auteurs du milieu du IVe siècle ...............................................................  279 1. Les tribunaux dans la pensée d’Isocrate ...............................  280 2. Les Lois de Platon et le tribunal populaire ..........................  283 C. L’Héliée vis-­à-vis des nouvelles conditions de la seconde moitié du IVe siècle : trois cas d’étude .......................................  289 1. Les emmènoi dikai emporikai ...............................................  289 2. Le tribunal populaire et l’Aréopage dans la seconde moitié du IVe siècle : l’apophasis ..........................................  294 3. Le nomos eisangeltikos : un changement ? ............................  311 D. Les procès à caractère politique des années 355-322 .................  324 Conclusions ......................................................................................  369 Conclusion générale ..........................................................................  373 Tableau 1. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires et épigraphiques des Ve et IVe siècles ...............................................  381 Tableau 2. Les termes ἁλία/η et ἁλιαία dans des régions hors d’Athènes ......................................................  389 Tableau 3. Les expressions (ὦ) ἄνδρες δικασταί, ὦ ἄνδρες et (ὦ) (ἄνδρες) Ἀθηναῖοι dans les plaidoyers attiques .............  393 Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique .............  403 Liste des abréviations ........................................................................  423 Bibliographie .....................................................................................  425 Index ...................................................................................................  455

Avant-­propos Ce livre est issu d’une thèse soutenue en juin 2014 à l’Université Paris Nanterre. Il ne serait jamais parvenu à son terme sans les multiples soutiens dont il a bénéficié. Malheureusement, mes deux directeurs de thèse, Nikos Birgalias et Pierre Carlier, n’auront pas la joie de voir ce travail accompli. Ma réflexion doit beaucoup à leurs conseils scientifiques avisés et à leur soutien. J’espère avoir hérité leur amour de la recherche, leur esprit critique ainsi que leur humilité devant les sources. Je leur serai toujours reconnaissante. Je souhaite exprimer ma profonde gratitude à Marie-­Françoise Boussac qui n’a pas hésité à reprendre la direction de ma thèse, à la suite de Pierre Carlier, et me faire part de ses remarques pertinentes. J’adresse aussi mes remerciements les plus vifs aux autres membres de mon jury de thèse, dont les lectures attentives ont beaucoup contribué à améliorer le contenu de cet ouvrage : Andreas Helmis, Christel Müller et Marcel Piérart. Je tiens à témoigner particulièrement de ma reconnaissance à ce dernier. D’abord pour les observations et suggestions qu’il m’a communiquées tout au long de ce travail et qui m’ont permis de corriger et de développer le présent manuscrit. En outre, je lui dois un grand merci pour ma recherche postdoctorale à l’Université de Fribourg, qui a constitué un cadre de travail privilégié pour que cet ouvrage se réalise dans les meilleures conditions. Mes remerciements vont à Giovanna Daverio Rocchi, François Lefèvre et Marie-­Joséphine Werlings dont les remarques judicieuses et les conseils ont permis d’enrichir et de préciser mon travail. Je souhaite également témoigner de ma gratitude à Claude Mossé, qui m’a généreusement offert son temps, ses savants conseils et son amitié, et qui, depuis le début de ce travail, n’a cessé de m’encourager. Mes professeurs à l’Université d’Athènes méritent une mention particulière, car ils ont su forger ma curiosité scientifique à divers stades de mes études. Je tiens à remercier la maison d’édition Peter Lang qui a accueilli cet ouvrage et a contribué à l’amélioration du résultat final. Je souhaite enfin remercier ma famille à qui ce livre doit beaucoup plus qu’elle ne le pense.

Introduction Le tribunal populaire de l’Héliée ne constitue pas seulement une des institutions les plus importantes de la démocratie athénienne, il reflète la structure même du régime démocratique d’Athènes aux Ve et IVe siècles1. Au début de chaque année, six mille héliastes sont tirés au sort, à raison de six cents par tribu, prêtent serment et forment l’Héliée. Ils ont plus de trente ans, jouissent des pleins droits politiques et jugent la grande majorité des affaires de la cité. On comprend ainsi pourquoi le nom d’Héliée figure dans de nombreux articles, commentaires et manuels qui traitent de l’Athènes classique, qu’il serait impossible de citer tous ici. En revanche, on pourrait distinguer, dans l’historiographie moderne du XIXe au XXIe siècle, trois domaines d’étude qui mentionnent l’Héliée, sans que ces domaines soient exclusifs les uns des autres. En effet, il existe des études qui montrent bien les différentes perspectives selon lesquelles on peut étudier l’Héliée, en particulier, et le droit grec, en général, et qu’on pourrait trouver rassemblées dans les mêmes ouvrages2. Pour ce qui concerne les différents domaines d’étude, on pense, tout d’abord, au domaine du droit. Les historiens du droit s’intéressent notamment aux lois athéniennes, qui figurent dans les plaidoyers attiques et dans les inscriptions, ainsi qu’aux procédures judiciaires devant les tribunaux, afin de reconstruire un système légal au sein duquel la cité pouvait fonctionner. On a la chance de disposer d’ouvrages majeurs sur le droit attique, qui constituent toujours un point de référence3. Le deuxième 1

Toutes les dates sont avant J.-C., sauf indication contraire. Il est utile de se référer très brièvement aux actes des Symposia portant sur le droit grec et hellénistique, ainsi qu’à la revue Dike, qui est consacrée à l’étude du droit grec. À ceux-­ci s’ajoutent le Cambridge Companion to Ancient Greek Law (voir Gagarin – Cohen 2005), dont deux parties sont dédiées aux tribunaux d’Athènes, mais aussi un nouveau manuel qui est en cours de publication, l’Oxford Handbook of Ancient Greek Law, qui annonce un examen global du droit grec et une critique de l’historiographie précédente, et dont plusieurs chapitres traitent de la justice à Athènes (voir Harris – Canevaro 2015, date de la première publication en ligne du volume). 3 Je me contenterai de citer les deux volumes de Harrison 1969, 1971 et celui de MacDowell 1978 sur le droit d’Athènes, sans oublier de noter qu’une telle tendance est présente dans les commentaires des plaidoyers attiques, parmi lesquels la plus récente est la série sur les orateurs attiques éditée sous la direction de M. Gagarin et dotée 2

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Le tribunal de l’Héliée

terrain de recherche correspond à l’aspect politique et à l’idéologie. Les questions touchent au rôle de la loi dans le développement de la cité et dans le fonctionnement de la constitution d’Athènes ou portent sur le caractère politique des institutions qui rendent la justice4. En troisième lieu, l’Héliée attire l’intérêt des archéologues. Ces derniers cherchent, d’un côté, à identifier les tribunaux cités dans les sources littéraires et épigraphiques parmi les édifices mis au jour à Athènes5 et, d’un autre côté, ils contribuent considérablement à la compréhension et à l’interprétation de certaines sources, grâce à la découverte d’une partie de l’équipement qui était utilisé dans les tribunaux6. Par conséquent, une question s’est posée d’emblée : que dire de nouveau sur une institution maintes fois étudiée ? Pourtant, si l’on parcourt ces travaux, on s’aperçoit que l’Héliée est souvent étudiée depuis le XIXe siècle selon deux perspectives seulement : soit dans le cadre d’une étude plus générale sur l’évolution du régime d’Athènes aux périodes archaïque et classique, soit d’après l’un de ses aspects particuliers (les lois et les d’une introduction et traduction du texte grec, comme aussi d’un commentaire, sous la forme de notes de bas de page. 4 Dans cette perspective, on pense, exempli gratia, aux travaux de Hansen, de même qu’au travail de Sinclair 1997 sur les différents niveaux de la participation politique des Athéniens, d’Ostwald 1986 sur le rapport entre la loi et la démocratie, de Todd 1993 sur les implications sociales de la loi ainsi qu’aux nombreuses études de Mossé, dont un nouvel ouvrage sur le rapport entre justice et politique dans l’Athènes classique a été récemment publié (2010). Des travaux qui étudient certains aspects politiques du processus judiciaire appartiennent également à cette piste de réflexion, comme celui de Piérart 1971 sur les euthynes athéniens ou de Feyel 2009 sur la dokimasia. 5 C’est l’école archéologique américaine qui a d’emblée fouillé l’Agora. Les résultats sont publiés dans la revue Hesperia et dans la collection The Athenian Agora. 6 Il conviendrait de parler, sur ce point, de l’œuvre de Kroll 1972 sur les petites plaquettes de bronze utilisées pour le tirage au sort des magistrats et des juges qui reste l’étude principale des tablettes judiciaires et d’un volume, achevé par Boegehold et d’autres archéologues (1995), qui rassemble, du point de vue archéologique, toutes les informations disponibles sur les sites des tribunaux, les bâtiments, les équipements et les procédures. Une contribution aussi importante pour une meilleure compréhension du fonctionnement de la machine du klèrôtèrion dans la démocratie athénienne est apportée par la thèse de doctorat de L. Rabatel (Klèrôtèria. Le tirage au sort dans le monde grec antique : machines, institutions et usages), chercheur au laboratoire IRAA de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (MOM) de Lyon. Un ouvrage – extrait de sa thèse – est en cours de préparation, qui comprendra le dossier des klèrôtèria athéniens, ainsi que les quelques exemplaires découverts dans les Cyclades, à Délos et à Paros (http://www.iraa.mom.fr/recherche-activites/autres-recherches/publicationsdes-kleroteria). Voir aussi le programme de recherche sur le vote, organisé par la MOM (2012-2014) (http://www.mom.fr/recherche-­et-­formation/programmes-­transversaux/ archives/le-­vote).

Introduction

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procédures judiciaires, la rhétorique, les données archéologiques). De façon étonnante, on ne dispose pas, comme pour les monographies de P. Rhodes et de R. Wallace sur la Boulè des Cinq Cents ou sur l’Aréopage7, de monographies concernant sa création et son caractère. Et même lorsqu’une étude lui est entièrement consacrée, elle se borne souvent à une période chronologique restreinte8. Le cas le plus caractéristique est celui de H. Hommel. On dispose d’un livre qu’il a consacré à l’Héliée, mais dont la contribution se restreint à la compréhension et à l’explication de la procédure complexe qui est décrite dans les chapitres LXIII-LXIX de la Constitution d’Athènes d’Aristote et qui concerne la répartition des juges dans les tribunaux et la procédure du déroulement d’un procès à l’époque d’Aristote9. Plus récemment, au début des années 1980, M. H. Hansen fut le premier parmi les historiens contemporains à s’occuper plus systématiquement de l’institution de l’Héliée elle-­même. Dans son article de 1982, il réunit les sources littéraires et épigraphiques qui attestent le terme « Héliée » et discuta l’institution tant au niveau de la terminologie qu’en ce qui concerne ses débuts, son fonctionnement et sa localisation pendant la période classique10. Pourtant, sa contribution n’a pas donné lieu à une monographie. En proposant un travail consacré à l’Héliée, je tente de combler cette lacune. Il va de soi que la tâche est très vaste et que ce travail ne peut prétendre à l’exhaustivité. Le sous-­titre du livre marque les limites dans lesquelles j’ai voulu le tenir. Commençons par la justice. Le terme fait référence au pouvoir judiciaire dans son ensemble et à l’administration de la loi. Ce travail suit la mise en place progressive de cette institution à fonction judiciaire que constitue l’Héliée depuis la première époque qui offre un contexte favorable à l’organisation d’une justice démocratique aux changements apportés aux procédures judiciaires au cours du IVe siècle. La plupart des chercheurs11, qui se fondent sur le témoignage d’Aristote dans la Politique et dans la Constitution d’Athènes, attribuent l’Héliée aux réformes de Solon et à l’établissement d’un régime censitaire. Or, cette attribution dépend de l’interprétation de textes qui ne sont pas toujours très fiables et remet en question son caractère d’emblée démocratique et populaire mis en 7

Voir Rhodes 1972a ; Wallace 1989. Citons, par exemple, l’article de Smith 1925 sur la période la plus propice pour l’apparition des tribunaux à Athènes ou celui de Ruschenbusch 1965 sur l’Héliée à l’époque de Solon et sa compétence pour juger les cas d’ephesis. 9 Voir Hommel 1927. 10 Voir Hansen 1989a, 219-257. 11 Je discute ce point et la bibliographie correspondante dans le chapitre I. 8

Le tribunal de l’Héliée

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avant par les sources. Un réexamen des sources relatives à la fondation de l’Héliée et une nouvelle étude des besoins auxquels sa création répondait, ou encore de son caractère, de son rôle et de ses pouvoirs, me paraissent donc d’autant plus nécessaires. J’en viens à la notion de « politique ». Le terme fait d’abord référence aux institutions de la cité et à l’usage qu’on fait de celles-­ci ainsi qu’aux décisions collectives et publiques prises dans la cité. C’est ce que nous appelons aujourd’hui la vie politique, dont M. I. Finley faisait remonter l’invention à l’Antiquité gréco-­romaine12. Par conséquent, un procès « politique » est un procès à caractère public contre une personne active dans les affaires politiques de la cité, par sa présence à l’Assemblée ou au Conseil, contre un accusateur public ou bien encore contre un magistrat13. De plus, certains types d’accusation confèrent aux procès un caractère politique en raison de leur contenu et de la personne contre laquelle ils sont portés. On songe ainsi aux actions intentées contre tout Athénien qui a proposé un décret ou une loi illégal(e), qui a menacé les intérêts de la cité, ainsi qu’aux procédures ou aux actions relatives au contrôle des magistrats14. Les travaux de Hansen, qui marquent une rupture historiographique dans les années 1970, ont mis l’accent sur cette dimension de la justice athénienne. Hormis ses deux petites monographies essentielles sur l’action en illégalité et l’eisangélie15, Hansen a discuté de la participation de l’Héliée à la prise des décisions politiques à travers ses jugements16 et a également porté une attention particulière aux termes dèmos, ekklèsia et dikastèrion17. Son étude a mis en évidence le rapport entre l’Héliée et la définition du citoyen athénien, ainsi que le rôle du tribunal populaire dans la vie politique d’Athènes18. Pour lui, les dikastèria peuvent, d’une part, constituer une partie représentative du dèmos, mais ils ne peuvent pas, d’autre part, être identifiés au dèmos. Ils sont, en revanche, une institution distincte et parfois opposée à l’ekklèsia. Son article a tenté, en effet, de s’opposer à l’opinion traditionnelle selon laquelle le dèmos était identifié tant à l’ekklèsia qu’au dikastèrion ou que ce tribunal n’était qu’un comité

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Voir Finley 1983, 53. Voir Hansen 19992, 203-204. Cf. Harris 2006a, 171-172. Voir Hansen 19992, 205. Voir Hansen 1974 ; id. 1975. Voir Hansen 2007, 267-300. Voir Hansen 1983a, 139-158. Cf. Cartledge 1990, 43.

Introduction

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de l’ekklèsia ayant des compétences judiciaires accordées par elle19. Il va de soi qu’il a soulevé, à son tour, des objections et de nouvelles discussions sur le rapport entre les réalités que ces trois mots désignent20. Il semble, cependant, que ces discussions s’accordent sur le plan des principes et qu’elles se différencient plutôt par l’interprétation qu’elles accordent à l’opinion que les Athéniens se faisaient de leurs institutions. En adoptant donc la première notion de « politique », il conviendrait de distinguer les aspects suivants dans l’étude de l’Héliée : l’institution du tribunal populaire proprement dite, les procédures – qui évoluent également –, et, enfin, les procès, pour identifier les acteurs concernés, les chefs d’inculpation et leur issue. Mais, pour les Grecs, le terme « politique », ta politika, ne se réduisait pas seulement à ce sens. Comme le font remarquer très clairement Chr.  Meier, P.  Cartledge, P.  Ismard et V. Azoulay21, il désignait plus largement tout ce qui concernait la polis, l’ensemble des actions participant à la vie commune de la cité. Une longue tradition de recherche s’occupe de cette dimension du terme, aboutissant à des multiples courants d’analyses, selon lesquels il existait d’autres lieux que les lieux institutionnels où le/la politique s’élaborait ou même que la sphère politique était conçue comme une totalité des rapports entre différents domaines d’activités qui formaient la communauté22. Mais, pour éviter d’aboutir à une notion du/de la « politique » trop « institutionnaliste » ou « trop anthropologique », Azoulay et Ismard l’ont située à la croisée des institutions et des pratiques sociales et ont mis l’accent sur les moments de tension et les ruptures qui permettent d’entrevoir cette intersection dans ses multiples expressions23. C’est à partir de cette dimension que je me suis mise à examiner le rôle dynamique fondamental de l’Héliée dans la vie de la cité. L’Héliée est sans doute un espace institutionnel dont la fonction est de rendre la justice et de résoudre les conflits judiciaires qui sont nés dans le cadre de la communauté athénienne. Toutefois, elle constitue en 19

Voir Hansen 1983a, 139-140. Voir Rhodes 1981, 318, 489, 545 ; Hansen 1989a, 213-218, qui répond aux objections de M. Ostwald et J. Ober. Voir récemment Villacèque 2013, 48, pour laquelle « les tribunaux athéniens ne sont pas censés être représentatifs, puisqu’ils sont inclusifs, au même titre que l’Assemblée : ils ne prétendent pas représenter le corps civique, ils l’intègrent potentiellement ». Encore, ici, la question de la représentativité est mise en avant. 21 Voir à ce propos, Meier 1995, 11-40  ; Cartledge 1996, 39-45, surtout 41-42  ; Azoulay – Ismard 2007, 271-272 ; Cartledge 2009, 14-15. 22 Voir Azoulay  – Ismard 2007, 271-309, pour une présentation générale de l’historiographie correspondante. 23 Voir Azoulay – Ismard 2011a, 6-8. 20

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Le tribunal de l’Héliée

même temps un lieu de transformation de la cité, puisqu’elle est intégrée dans la continuité de ses pratiques. Cette question du rapport entre justice et politique est très débattue parmi les savants et la réponse dépend de la façon dont on envisage le fonctionnement des tribunaux. Les avis sont variés depuis ceux qui caractérisent explicitement politique et loi comme étant inséparables dans les tribunaux, comme St. Todd et D. Cohen24, ou ceux qui mettent un peu plus modestement l’accent sur la fonction des tribunaux comme des lieux d’une portée politique, comme P. Cartledge et R. Sinclair25, jusqu’à ceux qui relèvent la priorité de la loi dans la prise d’une décision, en mettant au second plan la prise en considération des critères politiques, comme M. Christ et Ed. Harris26. Pour éclairer le rapport qui s’est développé au cours des siècles entre justice et politique, les axes suivants sont proposés : étudier le lien entre l’Héliée et la démocratie, en ouvrant la discussion sur la période de création de l’Héliée et sur les besoins politiques que servait sa création ; discerner son mode de fonctionnement : son organisation, sa fonction, l’ampleur de ses compétences ; suivre les changements progressifs de l’Héliée en rapport étroit avec les transformations de la société athénienne et les changements politiques d’Athènes ; enfin, examiner les rapports de l’Héliée avec les autres institutions. Toutefois, il faut souligner deux points. D’une part, les aspects techniques ne forment pas l’axe majeur de cette étude. D’autre part, le rôle de l’Héliée est envisagé sous l’angle politique, pour la tenue des procès publics, et les causes privées que le tribunal jugeait aussi au quotidien sont de ce fait largement négligées. Pour étudier l’Héliée de l’Athènes du VIe au IVe siècle, l’historien dispose d’un nombre de sources disparates tant par leur nature que par leurs dates. En ce qui concerne leur nature, elles sont aussi bien littéraires qu’épigraphiques et archéologiques, mais les deux dernières se révèlent beaucoup plus restreintes que les textes littéraires. Quant à leur datation, elles sont majoritairement postérieures au milieu du Ve  siècle, celles du IVe constituant toujours la grande majorité d’entre elles. Seuls les poèmes de Solon du début du VIe siècle et ses lois constituent une exception chronologique. Or, ces deux 24

Voir, e.g., Todd 1993, 29, 147-163 ; Cohen 1995, 117-118. Voir, e.g., Cartledge 1990, 42-44 ; Sinclair 1997, 166-184, 194-201, 233-241. 26 Voir, e.g., Christ 1998, 42-43 ; Harris 2006a, 171-179. Harris 2013a adopte cependant une opinion plus nuancée dans son analyse, avec laquelle je suis d’accord. Il admet que les Athéniens ont établi un système pour mettre en œuvre la souveraineté de la loi, mais en même temps souligne les raisons autres que la lettre de la loi, qui pouvaient influencer les juges dans leurs décisions. 25

Introduction

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types de sources, qui nous sont parvenues à l’état de fragments, surtout dans des œuvres postérieures, soulèvent des questions qui concernent leur transmission et leur interprétation ou même des problèmes de datation. Si l’on commence par les sources littéraires, on dispose de plaidoyers nombreux, de textes d’historiens antiques, d’œuvres comiques, de pamphlets politiques et d’œuvres philosophiques. Le premier plaidoyer conservé et adressé à l’Héliée, écrit par Antiphon, date des années 410. C’est à partir de cette période qu’on voit proliférer les plaidoyers qui touchent à des sujets explicitement politiques ou au moins à nuance politique (Andocide, Lysias et Isocrate), pour arriver au milieu du IVe siècle, où les plaidoyers politiques connaissent une explosion (Apollodoros27, Démosthène, Dinarque, Eschine, Hypéride et Lycurgue)28. Un nombre considérable de ces discours nous ont été transmis complets, mais pour une partie, on ne dispose que de fragments. Même si ces discours sont connus depuis longtemps, la découverte de nouveaux fragments, comme c’est le cas du palimpseste d’Archimède, peut contredire des hypothèses avancées jusqu’à présent. Hormis les plaidoyers qui donnent une idée directe du fonctionnement de la justice dans l’Héliée, mais où l’on doit prendre en considération la dimension rhétorique, l’historien peut s’appuyer également sur les textes des historiens antiques : Hérodote, Thucydide, Xénophon29, Diodore de Sicile. Sans vouloir diminuer l’importance de ces historiens comme des sources fiables, il convient de faire preuve de prudence quant à leur étude, puisqu’ils n’utilisent pas souvent les termes dans leur sens technique. Une telle prudence est de mise pour les fragments des Atthidographes, surtout Androtion et Philochore, qui manifestent un intérêt particulier pour les institutions. Ces histoires locales sont parfois écrites dans le cadre d’une discussion sur le retour à la prétendue « constitution des ancêtres », ce qui conduit à l’attribution anachronique des institutions à telle ou telle période. C’est aussi le cas de la Constitution d’Athènes, attribuée à Aristote, dans laquelle on peut suivre le développement historique de la justice 27

Pour ce qui concerne les plaidoyers qui appartiennent sûrement aux discours d’Apollodoros, mais qui nous sont faussement parvenus sous le nom de Démosthène, le nom de ce dernier figure entre crochets. Il s’agit des plaidoyers suivants : Contre Stéphanos II, Contre Timothée, Contre Polyclès, Contre Callippos, Contre Nicostratos, Contre Nééra. Voir à ce sujet, Kapparis 1999, 50-51 (il inclut aussi le Contre Évergos et Mnésiboulos) ; Bers 2003, 12-15. 28 Voir le catalogue d’Ober 1989, 341-348, et la classification des discours selon l’institution où ils ont été prononcés et selon leur contenu. Sur la question du statut des hommes qui parlent devant les tribunaux, voir récemment Bers 2009, 10-24, avec des références bibliographiques. 29 Sur une nouvelle traduction des Helléniques de Xénophon, voir Strassler 2010.

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Le tribunal de l’Héliée

populaire et le fonctionnement du système des tribunaux à son époque. Enfin, on peut joindre à cette catégorie, même si elles ne constituent pas une œuvre totalement historique, les Vies des personnages illustres d’Athènes rédigées par Plutarque. On peut y trouver des informations sur l’Héliée et sur les procès qui s’y déroulaient, mais ces récits sont très souvent anecdotiques et biaisés par des idées qui appartiennent à son époque. Parmi les comédies, les Guêpes d’Aristophane, datées de 422, sont une comédie totalement consacrée à l’organisation du tribunal populaire et à son importance dans la vie des Athéniens. Sa valeur réside dans le fait qu’elle livre des informations contemporaines sur le fonctionnement de l’Héliée à la fin du Ve siècle, dont la plupart des détails nous échappent ou viennent de sources postérieures. La Constitution des Athéniens du Pseudo-­ Xénophon figure également parmi les rares textes datant du Ve siècle – sa datation reste pourtant incertaine30 – qui portent sur le tribunal populaire. Pamphlet politique, il offre une vision critique du rôle des tribunaux dans la politique de la Ligue de Délos et à l’intérieur de la cité d’Athènes. Une approche critique des tribunaux est aussi adoptée par Isocrate, Platon et Aristote, dont les œuvres s’inscrivent dans les débats sur la répartition du pouvoir entre les différentes composantes de la cité. Chez Isocrate, l’Héliée est opposée au pouvoir judiciaire d’une élite privilégiée ; dans les Lois de Platon, l’influence que le système judiciaire d’Athènes exerce sur le philosophe ainsi que le regard critique qu’il porte sont évidents ; dans le livre II de la Politique d’Aristote, le rôle du tribunal populaire dans l’évolution de la constitution d’Athènes est critiqué. Les inscriptions comprennent, quant à elles, une série de décrets du Ve  siècle, relatifs aux affaires de la Ligue de Délos, et du IVe, relatifs à la seconde Confédération maritime. Deux aspects sont à prendre en considération quand on étudie ces décrets : leur état fragmentaire, ainsi que leur datation incertaine. Ces deux problèmes soit ne permettent pas de saisir clairement l’activité du tribunal populaire pendant la période en question, soit nous font nous interroger sur la valeur des restitutions qui sont proposées par les épigraphistes afin de pouvoir tirer des conclusions sur son activité et sur le caractère des alliances athéniennes. Quant au problème de la datation incertaine des décrets du Ve siècle31, il faut s’y 30

Pour plus de détails sur cette datation, voir chapitre IV. Récemment, Hornblower 2000 a proposé d’en faire un écrit du IVe siècle, appartenant à la littérature de banquet, mais cette datation n’a pas emporté l’adhésion de grand monde. 31 Voir le nouveau volume d’O  & R (Osborne  – Rhodes 2017) sur une sélection d’inscriptions du Ve siècle. Malheureusement, au moment de l’achèvement de mon

Introduction

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arrêter davantage, puisqu’il ne permet pas parfois d’adopter une stricte perspective chronologique et nous conduit à parcourir les années situées entre 440 et 420. La raison de cette incertitude réside dans l’absence du nom de l’archonte dans l’intitulé des décrets. C’est pourquoi un certain nombre de spécialistes ont sollicité la paléographie pour avancer telle ou telle date, en évoquant comme critère principal le sigma à trois barres, qui, pensait-­on, n’était pas utilisé après 44532. Pourtant, la restitution du nom d’un archonte dans une inscription à propos d’une alliance entre Athènes et Égeste (IG I3, 11)33, où figurait le sigma à trois barres, a conduit à la dater en 418/7 et a mis en avant l’importance d’autres critères de datation (syntaxe, grammaire, prosopographie, vocabulaire, exemples parallèles, contexte historique)34, qui jusque-­là ne faisaient pas partie de l’« orthodoxie » paléographique. Si l’on considère, enfin, les données archéologiques, elles permettent d’envisager les cadres concrets des réunions et du fonctionnement des tribunaux, grâce à la découverte d’un certain nombre de sites qui peuvent être identifiés comme lieux de réunion des juges et de matériel à fonction judiciaire : machines pour le tirage au sort des juges, tablettes judiciaires, clepsydres, jetons de vote35. Parmi ceux-­ci, les tablettes judiciaires, qui attestent l’identité des juges (elles portent leurs noms, parfois leurs patronymes, le nom de leur dème et une lettre correspondant à la section à laquelle ils appartenaient) et servent à leur répartition dans les tribunaux, sont étudiées comme la marque d’une importante réforme apportée au fonctionnement de l’Héliée. Pourtant, malgré ces vestiges archéologiques qui permettent de concilier les lieux de l’exercice de la justice avec les témoignages littéraires et épigraphiques, aucun bâtiment ne peut encore être identifié comme « Héliée » parmi les édifices mis au jour sur l’Agora d’Athènes ou ailleurs en dehors de l’Agora. Différentes solutions ont été proposées, l’une identifiant l’Héliée parmi les vestiges d’une large enceinte au sud-­ouest de l’Agora et l’autre la localisant dans les fondations de murs et les tranchées d’un bâtiment sous la Stoa d’Attale au nord-­est de l’Agora. Or, ces propositions peuvent être contestées, faute de critères précis36.

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manuscrit, leur ouvrage n’était pas consultable. Toutefois, pour la facilité du lecteur, j’indique la numérotation qu’ils suivent pour les inscriptions que je cite. Voir Meiggs 1943 ; ATL III ; ML. Voir Matthaiou 2010a, 11 n. 6, avec des références bibliographiques. Voir Mattingly 1961 ; id. 1996. Voir Boegehold et al. 1995, 53-90. Pour l’identification de l’Héliée avec l’enceinte située au sud-­ouest de l’Agora, voir Thompson 1954, 33-39 ; Wycherley 1957, 145 ; Thompson – Wycherley 1972, 62-65. Pour une localisation possible au nord-­est de l’Agora, voir Boegehold et al.

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Le tribunal de l’Héliée

Au terme de cette présentation, il s’avère que les sources vont entraîner un certain déséquilibre entre les différents chapitres de cette étude, d’autant plus que j’ai choisi un angle d’attaque chronologique. De cette manière, je tiens à mettre en lumière les problèmes spécifiques qui se posent à chaque période, à éviter les anachronismes, souvent commis dans les études publiées, et à mieux suivre l’évolution de l’institution de l’Héliée depuis sa fondation jusqu’à l’abolition de la démocratie causée par l’occupation macédonienne de 322. Dès lors, après une première étape qui consiste à parcourir rapidement les différents sens du mot « Héliée » (ch. I), il conviendra d’examiner la possibilité de l’existence d’un tribunal populaire au VIe siècle (ch. II), puis de se demander à partir de quelle période on peut commencer à parler de l’exercice d’une justice populaire et de l’organisation d’un tribunal populaire (ch. III). Pour connaître ses compétences précises, il faudra se tourner vers les grands changements institutionnels des environs du milieu du Ve siècle et vers les années qui suivirent ces réformes (ch. IV). Or, comme la guerre du Péloponnèse constitue une période importante pour le tribunal, il sera nécessaire d’étudier cette période à part (ch. V). La fin de la guerre et la restauration de la démocratie en 403/2 offrent le contexte pour dresser un bilan de certaines caractéristiques du tribunal, soumis désormais à des procédures subtiles qui marqueront son fonctionnement pendant tout le IVe siècle (ch. VI-VII). Pourtant, le destin croisé de la polis et de son tribunal invite parallèlement à examiner comment ce dernier est influencé par les choix que fait Athènes en politique extérieure (ch. VIII) et par les nouvelles conditions établies dans la cité à partir de la seconde moitié du IVe siècle (ch. IX).

1995, 11-15. Hansen 1989a, 232-236, doute de ces identifications. Pour plus de détails, voir chapitre II.

Chapitre I

Questions de terminologie A. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires et épigraphiques des Ve et IVe siècles Le terme «  Héliée  » apparaît dans les sources attiques pour la première fois dans le décret d’Athènes à propos de Chalcis1. On date traditionnellement ce dernier du milieu du Ve siècle, soit en 446/52, et on l’attribue à la réglementation des relations entre Athènes et Chalcis, après la révolte de cette dernière contre la Ligue de Délos (446/5). Récemment, de nouveaux arguments ont conduit à contester la datation même de ce décret et à proposer une date vers 424/33. Malgré les arguments qui s’appuient sur la prosopographie du décret, sa terminologie et son rapport possible avec une expédition (?) menée par Athènes en Eubée en 424/34, j’ai choisi de retenir dans mon argumentation la datation traditionnelle que je continue à trouver plus convaincante. La révolte des cités de l’Eubée (Chalcis, Érétrie et Histiée), après la défaite athénienne devant les Thébains à Coronée, et son écrasement par Athènes5 me paraissent offrir un contexte historique plus vraisemblable pour la datation du décret. De même, je n’ai pas cité comme témoignage pour la première apparition du terme le décret de Cleinias sur la perception du tribut (IG I3, 34) ni celui/ ceux réglementant l’usage des poids, mesures et monnaies athéniens (IG I3, 1453 + SEG LI, 55). En effet, dans le premier cas, le nom d’Héliée est restitué et, par conséquent, on ne peut pas l’utiliser comme une attestation sûre du terme. De plus, dans les deux cas, la datation des décrets est très débattue, même si désormais un accord presque unanime les situe pendant la guerre du Péloponnèse6.

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IG I3, 40 (ATL II, D17 ; ML, n° 52, avec commentaire). Voir aussi O & R, n° 131. Voir Rhodes 2008a, 504-505 ; id. 2014, 44-45. Voir Mattingly 2002, 377-379 ; Papazarkadas 2009, 73-74 ; Mattingly 2014, 11-16. FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 130. Thucydide, I. 113-114 ; Diodore de Sicile, XII. 6-7. Pour un résumé du débat sur la datation de ces inscriptions, voir Pébarthe 2011, 67-73.

Le tribunal de l’Héliée

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Par conséquent, il faut commencer par l’amendement d’Archestratos sur la proposition d’Anticlès tiré du décret à propos de Chalcis. 70 Ἀρχέστρατο[ς] εἶπε· τὰ μὲν ἄλλα καθάπερ Ἀ ντικλε͂ ς· τὰς δὲ εὐθύνας Χαλκιδεῦσι κατ ὰ σφο͂ ν αὐτο͂ ν ἐ͂ ναι ἐν Χαλκίδι καθάπερ Ἀθ ένεσιν Ἀθεναίοις πλὲν φυγε͂ ς καὶ θανάτ ο καὶ ἀτιμίας· περὶ δὲ τούτον ἔφεσιν ἐ͂ να75 ι Ἀθέναζε ἐς τὲν ἑλιαίαν τὲν το͂ ν θεσμοθ ετο͂ ν κατὰ τὸ φσέφισμα το͂ δέμο·

« Archestratos a proposé. Que pour le reste il soit fait comme Anticlès l’a proposé. D’autre part, que les poursuites (euthynai)7 entre Chalcidiens se déroulent à Chalcis comme celles entre Athéniens se déroulent à Athènes, sauf pour celles qui entraînent les peines d’exil, de mort et d’atimie. Pour ces actions, qu’il y ait transfert (ephesis)8 à Athènes devant l’Héliée des thesmothètes, selon le décret du peuple. » (trad. P. Brun 2005, modifiée).

Le décret propose que pour les procès qui entraînent les peines d’exil, de mort ou d’atimie et qui concernent les Chalcidiens il y ait transfert à Athènes devant « l’Héliée des thesmothètes ». Hormis ce décret, les passages des sources littéraires et épigraphiques des Ve et IVe siècles dans lesquels sont attestés les termes « Héliée » ou « Héliée des thesmothètes » sont les suivants9 :

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Sur la discussion autour du mot euthynai dans le décret, voir Balcer 1978, 104-105, qui penche pour le même sens que celui donné dans la traduction. Dans le même esprit, voir aussi Brock 2009, 154. Pour une interprétation différente, voir Ostwald 2002, 139. Pour lui, le mot est employé ici avec sa signification technique, celle de la reddition de comptes des magistrats. Il fait, ainsi, la distinction entre les affaires contre ἰδιότεν (« particulier »), attestées dans le serment (l. 6) et celles contre les magistrats. Pourtant, ce mot ne signifie pas nécessairement « reddition de comptes ». Il pourrait signifier aussi « redressement », « châtiment » (voir Fröhlich 2004, 54) et, ainsi, concerner tous les Chalcidiens, ce qui est l’intérêt d’Athènes. Qui plus est, comme le mot euthynai se trouve dans l’amendement du décret, il s’agit d’un ajout, selon lequel les Athéniens veulent assurer que tous les cas qui entraînent la peine d’exil, de mort ou d’atimie seront jugés à Athènes, ce qui n’est pas précisé dans le serment, quand ce dernier se réfère aux « particuliers » et à l’interdiction de les exiler, de les condamner à l’atimie, les saisir, mettre à mort ou confisquer leurs biens sans jugement (l. 3-10). Voir chapitre IV, n. 71. 8 Je traduis le terme ephesis de la manière la plus neutre possible. Son sens est discuté dans les chapitres II et IV. 9 Sur la totalité des passages en question (avec traduction et commentaire), voir le Tableau 1.

Questions de terminologie

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Antiphon, Sur le choreute, 21 Ἔλεξε μὲν γὰρ Φιλοκράτης οὑτοσὶ, ἀναβὰς εἰς τὴν ἡλιαίαν τὴν τῶν θεσμοθετῶν, τῇ ἡμέρᾳ ᾗ ὁ παῖς ἐξεφέρετο, ὅτι ἀδελφὸν αὐτοῦ ἀποκτείναιμι ἐγὼ ἐν τῷ χορῷ, φάρμακον ἀναγκάσας πιεῖν. Ἐπειδὴ δὲ οὗτος ταῦτ᾽ ἔλεγεν, ἀναβὰς ἐγὼ εἰς τὸ δικαστήριον τοῖς αὐτοῖς δικασταῖς ἔλεξα ὅτι τὸν μὲν νόμον οὐ δικαίως μου προκαθισταίη Φιλοκράτης κατηγορῶν καὶ διαβάλλων εἰς τὸ δικαστήριον. Aristophane, Cavaliers, v. 897-898 κἄπειτ᾽ἐν ἡλιαίᾳ| βδέοντες ἀλλήλους ἀποκτείνειαν οἱ δικασταί.

Aristote, Constitution d’Athènes, LXVIII. 1 ὅταν δὲ δέ[ῃ τὰς μείζους γραφ]ὰς εἰ[ς ᾶ εἰ]σαγαγεῖν, συν[έρχεται β΄ δικαστή]ρια εἰ[ς] τὴν ἡλιαίαν. τα[ῖς δὲ μεγίσταις συνι]κ̣ ν̣ [εῖται] εἰς φ΄ καὶ ᾶ τρία [δικαστήρια]. (éd. par H. Hommel, citée par P. J. Rhodes 1981, 725). Démade, Sur les douze années, 60 ἃ μὲν γάρ ἐστι δεόμενα τῆς Ἀρείου Πάγου βουλῆς, ἃ δὲ τῶν ἐλαττόνων δικαστηρίων ἃ δὲ τῆς ἡλιαίας· (Loeb).

Démosthène, Contre Midias, 47 Νόμος. […] οἱ δὲ θεσμοθέται εἰσαγόντων εἰς τὴν ἡλιαίαν τριάκοντα ἡμερῶν ἀφ᾽ ἧς ἂν γραφῇ, ἐὰν μή τι δημόσιον κωλύῃ, εἰ δὲ μή, ὅταν ᾖ πρῶτον οἷόν τε. Ὅτου δ᾽ ἂν καταγνῷ ἡ ἡλιαία, τιμάτω περὶ αὐτοῦ [παραχρῆμα] ὅτου ἂν δοκῇ ἄξιος εἶναι παθεῖν ἢ ἀποτεῖσαι. Démosthène, Contre Aristocrate, 28 Νόμος […]. Εἰσφέρειν δ᾽ ἐ τοὺς ἄρχοντας, ὧν ἕκαστοι δικασταί εἰσι, τῷ βουλομένῳ. Τὴν δ᾽ ἡλιαίαν διαγιγνώσκειν. Démosthène, Contre Aristocrate, 97 εἴ τις ἐξαπατᾷ λέγων ἢ βουλὴν ἢ δῆμον ἢ τὴν ἡλιαίαν.

Démosthène, Contre Timocrate, 63 Νόμος. […] δεδόχθαι τοῖς νομοθέταις εἰσάγειν τοὺς ἕνδεκα εἰς τὸ δικαστήριον τριάκονθ᾽ ἡμερῶν ἀφ᾽ ἧς ἂν παραλάβωσιν, ἐὰν μή τι δημοσίᾳ κωλύῃ, ἐὰν δὲ μή, ὅταν πρῶτον οἷόν τ᾽ ᾖ. Κατηγορεῖν δ᾽ Ἀθηναίων τὸν βουλόμενον οἷς ἔξεστιν. Ἐὰν δ᾽ ἁλῷ, τιμάτω ἡ ἡλιαία περὶ αὐτοῦ ὅ τι ἂν δοκῇ ἄξιος εἶναι παθεῖν ἢ ἀποτεῖσαι.

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Le tribunal de l’Héliée

Démosthène, Contre Timocrate, 105 Νόμοι […]. Δεδέσθαι δ᾽ ἐν τῇ ποδοκάκκῃ τὸν πόδα πένθ᾽ ἡμέρας καὶ νύκτας ἴσας, ἐὰν προστιμήσῃ ἡ ἡλιαία. Προστιμᾶσθαι δὲ τὸν βουλόμενον, ὅταν περὶ τοῦ τιμήματος ᾖ. Ἐὰν δέ τις ἀπαχθῇ τῶν γονέων κακώσεως ἑαλωκὼς ἢ ἀστρατείας, ἢ προειρημένον αὐτῷ τῶν νόμων εἴργεσθαι, εἰσιὼν ὅποι μὴ χρή, δησάντων αὐτὸν οἱ ἕνδεκα καὶ εἰσαγόντων εἰς τὴν ἡλιαίαν, κατηγορείτω δὲ ὁ βουλόμενος οἷς ἔξεστιν. Ἐὰν δ᾽ ἁλῷ, τιμάτω ἡ ἡλιαία ὅ τι χρὴ παθεῖν αὐτὸν ἢ ἀποτεῖσαι. Démosthène, Contre Macartatos, 75 Νόμος. Ὁ ἄρχων […]. Ἐὰν δὲ μείζονος ζημίας δοκῇ ἄξιος εἶναι, προσκαλεσάμενος πρόπεμπτα καὶ τίμημα ἐπιγραψάμενος ὅ τι ἂν δοκῇ αὐτῷ, εἰσαγέτω εἰς τὴν ἡλιαίαν. Ἐὰν δ᾽ ἁλῷ, τιμάτω ἡ ἡλιαία περὶ τοῦ ἁλόντος ὅ τι χρὴ αὐτὸν παθεῖν ἢ ἀποτεῖσαι.

[Démosthène], Contre Stéphanos II, 26 Νόμος. Ἐάν τις συνιστῆται ἢ συνδεκάζῃ τὴν ἡλιαίαν ἢ τῶν δικαστηρίων τι τῶν Ἀθήνησιν ἢ τὴν βουλὴν […] τούτων εἶναι τὰς γραφὰς πρὸς τοὺς θεσμοθέτας.

Démosthène, Contre Évergos et Mnésiboulos, 12 Ἡ μὲν γὰρ δίαιτα ἐν τῇ ἡλιαίᾳ ἦν (οἱ γὰρ τὴν Οἰνῇδα καὶ τὴν Ἐρεχθῇδα διαιτῶντες ἐνταῦθα κάθηνται). Lysias, Contre Théomnestos I, 16 Νόμος. Δεδέσθαι δ᾽ ἐν τῇ ποδοκάκκῃ ἡμέρας πέντε τὸν πόδα, ἐὰν [μὴ] προστιμήσῃ ἡ ἡλιαία. IG I3, 34 (c. années 420). Décret de Cleinias sur la perception du tribut. l. 37-39 [hο͂ δ’ ἂν]| καταγνο͂ ι h[ε βολέ, μὲ τιμᾶν αὐτ]ο̣͂ ι κυ̣ ρία ἔστο [ἀλλ’ ἐσ]|φερέτο ἐς τ[ὲν ἑλιαίαν εὐθύ]ς̣. l. 70-72 ἐσαγόντον δὲ hοι| [ἐσαγογε͂ ς ἐς τὲν ἑλιαίαν τὸς Ἀθε]ναίοις τὸμ φόρον| [ὀφέλοντας].

App. crit. : l. 38-39 h[ε βολέ, τιμᾶν τε αὐτ]ο̣͂ ι κυ̣ ρία ἔστο [καὶ ἐσ]|φερέτο ἐς τ[ὲν ἑλιαίαν εὐθύ]ς̣ Scafuro, κυ̣ ρία ἔστο [. . . ἐκ]|φερέτο ἐς τ[ὸν δε͂ μον περὶ αὐ]το͂ Matthaiou.

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IG I3, 71 (425/4). Décret de Thoudippos imposant le relèvement du tribut. l. 13-14 [ἐσαγογέον δὲ hο λα]χ̣ὸν̣ κα[ὶ h]ο πολέμαρ[χος ἀνακρινάντον τὰς δίκας ἐν τ]|ε͂ ι ἑλιαίαι [καθάπερ τὰς δίκας τὰς ἄλ]λας το͂ [ν ἑ]λιαστο͂ ν. l. 48-50 [ἐν δὲ τε͂ ι hέδραι τ]ε̣͂ ς βολε͂ ς τε͂ ι πρό|[τει περὶ] τ[ο]ύτο α̣ [ἰεὶ δίκ]α̣ ς [ἐσαγόντον ἄνευ τε͂ ς ἑλιαίας καὶ τ]ο͂ ν ἄλλον δικαστερίον ἐὰμ μ|[ὲ δικαστο͂ ν] προ͂ [τον δικα]σ̣ ά[ντον ἐσάγεν φσεφίσεται hο] δε͂ μ[ος]. IG I3, 1453 + SEG LI, 55 (c. années 420 ?). Décret(s) réglementant l’usage des poids, mesures et monnaies athéniens. fr. de Cos, l. 6-7 [ἐς τ]ὲν ἑλιαίαν τὲν το͂ [ν θ|εσμοθετο͂ ν κατὰ τὸν νόμον·]. IG II3, 1, 2, 431 (c. 337-325). Fragment de loi. l. 4-6 προστιμάτω δὲ [α|ὐτῶι ἡ ἡλιαία, ὅτου ἂ]ν δό̣[ξ]ε̣ ι ἄξιος εἶναι ἀπ[ο|τεῖσαι καὶ δεδέσ]θ̣ [ω] ἕ̣ω̣ς̣ ἂ[ν] ἐκτείσει.

SEG XXX, 61 (367-348 ?). Loi sur les Mystères d’Éleusis. Face A fr. a + b l. 28 φαίνεν δὲ τὸμ βολόμ̣  εν̣ ο̣ [ν Ἀθηναίων, καὶ ὁ βασι]λεὺς εἰσαγέτω εἰς τὴν Ἡλια̣ ίαν. l. 32-33 [ἐ]ὰ̣   ν δὲ μείζονος δοκῆι ζημίας ἄξιος εἶ̣ν̣αι, εἰσάγε[ιν τούτος εἰς τὴν Ἡλι|αί]αν̣ προσκαλεσαμένος κατὰ τὸν νόμον· ἐ[πιθέσθω δὲ ἡ] Ἡλιαία ὅτι̣ ἂ̣  ν δοκῆι ἄξιος εἶναι παθε͂ ν ἢ ἀποτεῖσ̣ [αι]. l. 49 [ἐὰν κατ]α̣ γνῶι ἡ Ἡλιαία ποιε͂ ν τι παρὰ τὰ γ[εγραμμένα]. fr. c l. 5 [- - - - - - - - - ἡ Ἡ]λ̣ ια̣ ία τ[- - - - - - - - - - - - - - -].

Le terme « Héliée » est mentionné dans ces sources seulement vingt-­ neuf fois en tout, y compris le décret à propos de Chalcis. Dans trois cas, il est accompagné du nom des thesmothètes. Ce nombre ne correspond pas, pourtant, au nombre exact d’apparitions du mot « Héliée » pour la période correspondante, puisqu’il faut prendre en considération que, dans cinq de ces cas, le nom de l’Héliée a été restitué et, dans onze cas, il se trouve dans les textes des lois qui sont insérés dans les plaidoyers et dont il faut examiner l’authenticité. Une étude très récente a rouvert la discussion sur

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ces textes et a essayé de porter l’attention sur le fait qu’un nombre de lois qui figurent chez Démosthène ne sont pas authentiques10. Si l’on étudie le contexte linguistique des passages cités, on voit que le terme «  Héliée  » apparaît dans le cadre d’une activité judiciaire, puisqu’on le trouve accompagné par les mots δικαστήριον (« tribunal »), δικαστήρια (« tribunaux »), δικασταί (« juges »), δίκαι (« procès »), θεσμοθέται (« thesmothètes » – connus d’ailleurs de plusieurs sources pour leur activité judiciaire11), ἕνδεκα (« Onze »12), προστιμήσῃ («  infliger une peine supplémentaire  »), τιμάτω (« imposer une peine »). Certains passages donnent également des précisions supplémentaires. – L’Héliée, dans le Contre Aristocrate de Démosthène, fait penser à une institution d’Athènes distincte de la Boulè et de l’Assemblée. – Aristote et Démosthène, dans le Contre Évergos et Mnésiboulos, se réfèrent à l’Héliée comme à un tribunal connu qui accueille les réunions judiciaires et les arbitrages. – On lit dans le passage d’Antiphon que Philocrate se présenta auprès de « l’Héliée des thesmothètes » pour accuser la personne qui aurait tué son frère. Par la suite, l’accusé se présenta aussi lui-­ 10

Voir Canevaro 2013a. Il étudie les lois qui figurent dans le Sur la Couronne, Contre Midias, Contre Aristocrate, Contre Timocrate et Contre Nééra. Parmi les lois à propos de l’Héliée que je cite, Canevaro 2013a, 157-173, 224-231, a montré que le texte inséré dans le Contre Midias, 47 et dans le Contre Timocrate, 105 n’est pas authentique. 11 Selon Aristote, la magistrature des thesmothètes a été établie avant les réformes de Solon (Aristote, Constitution d’Athènes, III. 4). Pendant le Ve siècle, les thesmothètes apparaissent dans les inscriptions et la littérature souvent en liaison avec l’Héliée (IG I3, 40, 41, 1453 ; Antiphon, Sur le choreute, 21 ; Aristophane, Guêpes, v. 775, 935). Ce rapport, et la fréquence de leur mention en comparaison avec celle d’autres magistrats, sont révélateurs de l’ampleur de leurs compétences dans le domaine de la justice, surtout en ce qui concerne le droit de leur présidence à plusieurs séances judiciaires. Cf. Bonner – Smith 1930, 161. Si l’on ajoute à celui-­ci le mot de Bdélycléon dans les Guêpes, v. 774-775, « que nul thesmothète ne va interdire à son père l’entrée au tribunal », il apparaît que les thesmothètes avaient déjà dès le Ve siècle assumé le rôle de coordinateurs de l’exercice de la justice populaire. Le manque de sources ne permet cependant pas de faire davantage de suggestions sur leur rôle pour cette période. 12 Aristote fait remonter ce corps déjà à l’époque de Solon (Aristote, Constitution d’Athènes, VII. 3), mais on n’a plus d’informations sur leurs compétences pour cette période. Pour le Ve siècle, on dispose des témoignages d’Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 17, 70 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX. 4, XXXV. 1, XXXIX. 6 ; Xénophon, Helléniques, Ι. 7. 10, ΙΙ. 4. 8, 38 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 834a et l’inscription IG I3, 1453. Pour le IVe siècle, les données sur leurs compétences sont abondantes grâce à Aristote, Constitution d’Athènes, LII. 1 et aux plaidoyers.

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même au « tribunal » pour se défendre devant les mêmes juges. Ce passage d’Antiphon indique clairement que l’Héliée présidée par les thesmothètes est identifiée à un tribunal et que l’expression «  Héliée des thesmothètes  » renvoie au mot δικαστήριον (« tribunal »). – Les sources montrent que le terme «  Héliée  » peut aussi faire référence à une session d’un tribunal qui juge les affaires judiciaires et impose des peines. Parfois, cette session est désignée par le mot « tribunal », qui n’est pas accompagné nécessairement du terme «  thesmothètes  », mais qui est lié aussi à d’autres magistrats (ἄρχοντες, ἕνδεκα, ἄρχων, βασιλεύς). Aristote, dans la Constitution d’Athènes, dit que le nombre des juges qui constituaient les tribunaux dans l’Athènes du Ve siècle se montait à six mille13, ce qui est attesté aussi par Aristophane14. En décrivant le système des tribunaux qui était en vigueur à son époque, il définit aussi les qualifications d’un juge : il devait avoir plus de 30 ans et ne devait pas être débiteur du trésor public ou atimos. Celui qui siégeait sans en avoir le droit était poursuivi par voie d’endeixis devant le tribunal, qui fixait la peine ou l’amende qu’il lui imposerait, s’il était trouvé coupable15. Les mêmes critères étaient peut-­être déjà en vigueur pendant la période antérieure. Cette qualification des juges plaide en faveur de l’existence de tribunaux qui sont indépendants des critères censitaires, c’est pourquoi on les désigne comme des tribunaux populaires. À partir de ces sources, on voit que l’historien ne dispose que d’une documentation limitée, floue et fragmentaire sur le terme « Héliée » aux Ve et IVe siècles. Les conclusions auxquelles on peut arriver reposent sur le rassemblement de ces sources, qui sont parfois difficiles à combiner. Je suivrai les études déjà effectuées sur le terme16 et dirai que dans ces sources, l’Héliée prend soit le sens abstrait de « tribunal populaire » d’Athènes aux Ve et IVe siècles, qui fournit l’ensemble de six mille juges composant les 13

Aristote, Constitution d’Athènes, XXIV. 3. Aristophane, Guêpes, v. 662. 15 Aristote, Constitution d’Athènes, LXIII. 3. On dispose d’un témoignage chez Démosthène, Contre Midias, 182, sur le déroulement d’un tel procès. Pyrrhus l’Etéoboutade a été dénoncé pour remplir les fonctions de juge tout en étant débiteur du trésor public. Il a été condamné à mort par le tribunal. Sur la procédure d’endeixis, voir Harrison 1971, 229-231. Elle était une procédure selon laquelle un citoyen, qui accusait devant le magistrat compétent une personne pour avoir exercé illégalement ses droits, avait la possibilité par la suite de procéder à son arrestation. 16 Voir Hansen 1989a, 215-225 ; Boegehold 1994, 61-62 ; Boegehold et al. 1995, 3-5, 18-19. 14

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tribunaux, soit constitue un lieu/bâtiment – pas encore identifié par les archéologues – qui accueille des réunions judiciaires ou d’autres activités liées à l’exercice de la justice, soit est, en tant que synecdoque, un tribunal (séance) qui est en train de juger une affaire17. Dans le dernier cas, on trouve l’Héliée souvent liée aux « thesmothètes ». Cela veut dire, d’une part, que ce tribunal siège sous la présidence des thesmothètes, mais, d’autre part, n’exclut pas la présidence des tribunaux par d’autres magistrats. L’expression ἐν τῷ τῶν θεσμοθετῶν δικαστηρίῳ18 («  dans le tribunal des thesmothètes ») montre, d’ailleurs, que le mot « Héliée » n’est pas le seul mot qui soit accompagné du terme « thesmothètes ». On peut éviter, par conséquent, d’établir un rapport spécial entre les mots « Héliée » et « thesmothètes » et de reconnaître ainsi l’existence d’un bâtiment/tribunal qualifié d’un tel nom. On pourrait parler, en revanche, d’un tribunal déterminé qui juge les affaires appartenant à la compétence des thesmothètes19. Deux éléments pourraient justifier cette hypothèse. D’une part, elle est justifiée par l’ampleur de leurs compétences dans le domaine de la justice et la présidence à plusieurs séances judiciaires. De l’autre, un témoignage indirect, tiré du Contre Nééra, veut que les différents tribunaux populaires soient réservés pour accueillir certaines affaires et, ainsi, les magistrats chargés de présider aux affaires de leur compétence siègent dans des tribunaux concrets20. Cette pratique dure au moins jusqu’à la fin des années 34021, quand on introduit le tirage au sort des magistrats qui présideront ces tribunaux, afin qu’aucun magistrat ne 17

Le mot « Héliée » signifiant très probablement « tribunal populaire » ou « séance » de ce tribunal plutôt que l’édifice qui accueille des réunions judiciaires (voir sur ce point Moretti 2001, 141-142) est attesté dans des inscriptions de la Délos du IIIe siècle (voir Vial 1985, 147). Même si les témoignages sont postérieurs, l’existence d’une Héliée à Délos au IIIe siècle est très intéressante, puisque Délos est à cette époque indépendante (sur l’histoire de la Délos classique, indépendante et athénienne, voir Guide de Délos, 35-43, et pour l’époque classique, voir surtout Chankowski 2008). Se pose alors la question de savoir si une Héliée existait déjà au IVe siècle, pendant le contrôle du sanctuaire d’Apollon par les Athéniens, ou si c’étaient les Déliens indépendants qui l’avaient empruntée à Athènes. Il est également intéressant de noter que ce tribunal est souvent caractérisé comme un tribunal « politique » (voir Vial 1985, 153-154 ; Moretti 2001, 141), en comparaison avec les deux autres tribunaux de la Délos indépendante, celui des « Trente-­et-­Un » et celui des « épitimètes », à caractère commercial et administratif respectivement. Sur ces tribunaux, voir Vial 1985, 151-154. 18 Andocide, Sur les Mystères, 28. 19 Cf. Boegehold 1984, 23. 20 [Démosthène], Contre Nééra, 52. 21 Cf. MacDowell 1978, 40 ; Rhodes 1981, 714. Voir aussi chapitre VII.

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connaisse d’avance quel tribunal il présidera22. Hors de ces deux points, le peu de témoignages dont on dispose ne permet pas d’en dire davantage. Au vu de ces considérations, « l’Héliée des thesmothètes » qui apparaît dans le décret à propos de Chalcis est un tribunal concret présidé par les thesmothètes, qui règle, entre autres, les relations d’Athènes avec ses alliés et prend des décisions de caractère politique. C’est le premier exemple dont on dispose concernant la séance de l’Héliée en parties et concernant le type d’affaires que juge l’Héliée. La datation de l’inscription en 446/5 ne peut être utilisée que comme un terminus ante quem pour la datation du tribunal de l’Héliée, ce qui nous conduit à poser la question des débuts de l’Héliée ainsi que des compétences qu’elle a eues initialement. Ce qui étonne dans les passages cités est la rareté de l’apparition du terme « Héliée » dans les sources, étant donné qu’il s’agit de l’institution populaire par excellence qui exerce la justice et vu l’abondance des sources qui parlent de cette justice. Chez Aristophane, par exemple, le terme « Héliée » n’est attesté qu’une fois, dans la comédie des Cavaliers. On y trouve plutôt les termes ἡλιάζω (« siéger à l’Héliée »), ἡλιαστικός (« héliastique ») et ἡλιαστής (« héliaste »)23 qui renvoient à l’Héliée et parallèlement on trouve alternativement les termes δικάζω (« juger ») et δικαστής (« juge »)24, ce qui plaide davantage pour l’identification de l’Héliée au tribunal. Au contraire, tant dans les sources épigraphiques que littéraires, on trouve fréquemment les termes δικαστήριον (« tribunal »), δικαστήρια (« tribunaux ») ou des chiffres25 qui renvoient à une partie du corps judiciaire et qui correspondent aux tribunaux entre lesquels l’Héliée est divisée. Par exemple, ni dans la Constitution des Athéniens du Pseudo-­Xénophon ni dans la Constitution d’Athènes d’Aristote, à l’exception d’une seule fois, n’apparaît le terme « Héliée », alors que les deux auteurs consacrent plusieurs chapitres à l’activité judiciaire des Athéniens. Ils préfèrent utiliser les mots δικαστήριον, δικαστήρια, δικαστής, δικασταί, δικάσαι, δικάζειν et δίκαι26. L’emploi fréquent 22

Aristote, Constitution d’Athènes, LXVI. 1. Voir Aristophane, fr. 216 Henderson (Les Banqueteurs), Cavaliers, v. 255, 798, Nuées, v. 863, Guêpes, v. 88, 195, 206, 772, Oiseaux, v. 109, Lysistrate, v. 380. La numérotation des fragments d’Aristophane suit celle faite par Henderson dans l’édition Loeb. 24 Voir Aristophane, Cavaliers, v. 898, 1089, 1317, Nuées, v. 208, 1141, Guêpes, v. 229, 233, 304, 340, 550, 661, 758, 908. 25 Voir IG I3, 281, col. ΙΙΙ, l. 60-61 ταῖσδε h[ε] βολὲ καὶ hοι πεντακόσιοι| καὶ χίλ[ιοι ἔτ]αχσαν : « le Conseil et (le tribunal) des mille cinq cents juges ont fixé le tribut de ces cités ». 26 [Xénophon], Constitution des Athéniens,  I. 13, 16, 18,  III. 2, 4, 5, 7  ; Aristote, Constitution d’Athènes, LXIII-LXIX. 23

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de ces termes au lieu de celui d’« Héliée » pourrait être interprété d’une double façon. D’un côté, il semble que dans la conscience des Athéniens des Ve et IVe siècles les divers tribunaux populaires doivent renvoyer à l’Héliée identifiée à l’institution du tribunal populaire d’Athènes. Il n’était pas, par conséquent, nécessaire de signaler qu’il s’agissait de l’Héliée divisée en parties. D’un autre côté, comme le terme « Héliée » renvoie à l’ensemble des citoyens qui la constituent, il est clair que les Athéniens évitaient d’identifier l’ensemble du corps judiciaire à l’une de ses parties.

B. Étymologie du terme – rapport avec les termes ἁλία/η et ἁλιαία En discutant les réformes de Solon dans le troisième volume de History of Greece, G. Grote interprète le mot « Héliée » de la manière suivante : « The new force through which the protection of the people was carried into effect was the public assembly called Heliaia […]. The original and proper meaning of the word ἡλιαία is the public assembly. In subsequent times we find it signifying at Athens – 1. The aggregate of 6000 dikasts chosen by lot annually and sworn or the assembled people considered as exercising judicial functions ; 2. Each of the separate functions into which this aggregate body was in practice subdivided for actual judicial business. Ἐκκλησία became the term for the public deliberative assembly properly so called […]. I imagine the term ἡλιαία in the time of Solon to have been used in its original meaning – the public assembly perhaps with a connotation of employment in judicial proceeding27. » À partir de ces remarques, deux points de vue sont à prendre en considération. D’une part, l’attribution de l’Héliée à Solon ne repose que sur deux passages d’Aristote, le premier dans la Politique, 1273b 35-1274a 5, et le deuxième dans la Constitution d’Athènes, VII. 3, dans lesquels les débuts de l’Héliée datent de l’époque de Solon. D’autre part, l’identification de l’Héliée à l’Assemblée repose sur la parenté étymologique du mot ἡλιαία avec les termes doriques ἁλία/η et ἁλιαία : selon Chantraine, dans le Dictionnaire étymologique de la langue grecque, le mot « Héliée » vient du terme ionien ἁλής (alpha long) qui signifie celui qui est rassemblé. Dans les régions doriennes, les dérivés nominaux du terme ἁλής et signifiant la réunion – l’assemblée, sont ἁλία et ἁλιαία, tandis que le terme attique correspondant est ἡλιαία28. 27

Voir Grote 1847, 170 n. 1. Voir Chantraine 19992, 59.

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On trouve les termes ἁλία/η et ἁλιαία dans plusieurs régions du monde grec. L’inventaire suivant ne prétend pas être exhaustif, mais il peut montrer, à l’aide des notes ci-­dessous, l’usage du terme29. Dans ces exemples, l’aspiration initiale est attestée irrégulièrement. Au contraire, selon Chantraine, pour l’aspiration dans le terme ἡλιαία l’analogie d’ἥλιος a pu jouer un rôle30. Dans la plupart des cas (Tirynthe31, Milet32, 29

Voir le Tableau 2. Voir Chantraine 19992, 59-60. Pour lui, la forme ἡλιαία en attique et sa dérivation du mot ἁλής est difficile à expliquer : « L’α long initial résultant d’une contraction et qui est constant en ionien dans ἁλής […] se présente en attique sous la forme ἡ-, ce qui est phonétiquement impossible. L’η et peut être l’esprit rude s’expliquerait par un faux ionisme et surtout une étymologie populaire qui auraient rapproché le mot dorien d’ἥλιος : lieu ensoleillé ? » Ce rapprochement entre les mots ἡλιαία et ἥλιος pose la question de l’identification de l’Héliée à un lieu ensoleillé. Pourtant, elle ne peut pas être facilement confirmée dans la pratique. D’un côté, les données archéologiques ne sont ni suffisantes pour identifier l’Héliée à un certain lieu ni pour parler avec certitude de la structure de tous les tribunaux. Voir Boegehold et al. 1995, 12, 26, 93, 94, 99-103, 106, 107 ; Townsend 1995, 25-36, 48 et n. 77. D’un autre côté, les sources littéraires posent également des problèmes. Même si on dispose d’une série de scholies et commentaires chez les lexicographes qui attestent que l’Héliée était un tribunal où les juges jugeaient à ciel ouvert (l’inventaire a été déjà fait par Hansen 1989a, 226-227 et Boegehold et al. 1995, 163, 166-168, 170-171), cela pourrait être une mauvaise interprétation d’un passage des Guêpes d’Aristophane. Dans les vers 771-775, Bdélycléon présente à son père, Philocléon, les avantages tirés du jugement d’une affaire chez lui plutôt que dans un tribunal, puisque, selon les conditions météorologiques, Bdélycléon aura la chance de choisir entre un procès à l’extérieur ou à l’intérieur : καὶ ταῦτα μὲν νῦν εὐλόγως, ἢν ἐξέχῃ| εἴλη κατ’ ὄρθρον, ἠλιάσει πρὸς ἥλιον·| ἐὰν δὲ νείφῃ, πρὸς τὸ πῦρ καθήμενος·| ὕοντος εἴσει : « Et cela, tu le feras rationnellement : si le soleil monte à l’aube, tu seras héliaste au soleil ; s’il neige, tu siégeras près du feu ; s’il pleut, tu rentreras. » (trad. H. van Daele). Bdélycléon utilise, en effet, l’expression ἠλιάσει πρὸς ἥλιον pour noter que, s’il y a du soleil, son père pourra être héliaste/juger au soleil et parallèlement il joue sur les deux mots ἠλιάσει et ἥλιος. Au contraire, il utilise les mots νείφῃ, πρὸς τὸ πῦρ, ὕοντος et εἴσει, pour signaler à Philocléon qu’au cas où il ne fait pas beau il pourra juger à l’intérieur. Afin d’empêcher son père d’aller au tribunal, il semble que Bdélycléon mette l’accent sur la différence entre un jugement à titre privé, où il y a plusieurs possibilités – procès au soleil, procès près du feu, procès dedans –, et un jugement collectif, où il n’y a qu’une seule option, celle du jugement dans un lieu déterminé. Cf. Hansen 1989a, 226-228. Ce passage ne plaide pas ainsi nécessairement en faveur de l’existence d’un lieu public où les jugements se font à ciel ouvert. 31 SEG XXX, 380. L’inscription fait probablement état de l’existence d’une assemblée, qui doit être l’Assemblée de Tirynthe et qui pourrait être confirmée par l’expression hό‖πυι κα δοκεῖ το͂ ι δάμοι : « comme le peuple aura décidé » (trad. Nomima I, n° 78). Cf. Werlings 2010, 128-129. 32 Hérodote,  V. 29. L’Assemblée est invoquée lors d’un arbitrage conduit par une commission de Pariens, qui a mis fin à la stasis à Milet et a établi un régime oligarchique. La datation de ce conflit n’est pas certaine. Cf. Rubinstein 2004, 1084-1086. 30

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Thèbes33, Sparte34, Épidamne35, Argos36, Épidaure37, Corcyre38 et Anaktorion39), les termes ἁλία/η ou ἁλιαία s’identifient à l’Assemblée du peuple de la cité concernée. Pourtant, on a des exemples qui font référence à l’Empire perse, à Sélinonte (?), à Delphes et à Tégée, où le mot ἁλία pourrait désigner autre chose que l’Assemblée du peuple. 1. Dans le cas de l’Empire perse, Hérodote emploie le mot ἁλίη pour désigner la réunion au sein de laquelle Cyrus incita les Perses à se révolter contre le royaume mède40. Le contexte dans lequel ce terme est utilisé ne renvoie pas à une assemblée institutionnelle. 2. Dans le cas de Sélinonte (?), l’inscription qui a été trouvée à Olympie et datée de la fin du VIe porte sur un document législatif41, relatif à des 33

Hérodote, V. 79. L’épisode date de 506, après la victoire des Athéniens contre les Béotiens et les Chalcidiens. Les Thébains cherchent à tirer vengeance des Athéniens. Après la consultation du dieu sur leurs démarches, ils rapportent la réponse de l’oracle devant l’Assemblée. On ne sait pas quelles étaient les compétences de cette Assemblée dans le régime oligarchique de Thèbes de cette période. Le témoignage d’Hérodote est la seule source qui atteste l’existence d’une telle Assemblée. La période suivante ne fournit aucune information sur son existence. Cf. Salmon 1978, 60-62 ; Hansen 2004, 455. 34 Hérodote, VII. 134. Il se réfère à l’Assemblée de Sparte pendant les guerres médiques. 35 Aristote, Politique, 1301b 21-26. Dans le passage concerné, Aristote cite les éléments de la constitution : un magistrat suprême, des magistrats inférieurs, un Conseil, qui a remplacé les phylarques, et l’Héliée. Aristote dit que ces magistrats doivent se rendre à l’Héliée quand on met aux voix la désignation de quelque magistrature, ce qui fait penser à l’Assemblée du peuple. Cf. Wilkes – Fischer-­Hansen 2004, 330. La présence du mot ἡλιαία au lieu des mots ἁλία/η et ἁλιαία s’explique par le dialecte attique qu’utilise Aristote. 36 La première attestation du mot se trouve probablement dans le décret de proxénie SEG XIII, 239 (c. 475 ?). Cf. Tuci 2006, 224. Pour le Ve siècle, voir aussi Nomima I, n° 54, face B, l. 44-45 (c. 450), où il est question d’une Assemblée dite des affaires sacrées (cf. Ruzé 1997, 246 ; Piérart 2000a, 303), et LSAG, 444, J (450-425). Pour une brève synthèse sur les décrets d’Argos, voir Rhodes – Lewis 1997, 67-71. 37 IG IV2, 1, 1. Un décret de proxénie (SEG XI, 400) du IVe siècle, qui présente beaucoup de ressemblances avec les inscriptions d’Argos (voir Mitsos 1947, 82-84) et qui a été trouvé à Épidaure, fait aussi état d’une ἁλία. Pourtant, récemment, Piérart 2014, 230-236, a interprété cette inscription comme un témoignage en faveur d’une colonie ou clérouquie argienne à Épidaure. Normalement, les décrets d’Épidaure du IVe siècle commencent par la formule ἔδοξε βουλᾶι καὶ δάμωι : « il a plu au Conseil et au peuple ». Voir Rhodes – Lewis 1997, 74. Cf. Piérart 2004, 607. 38 IG IX, 12, 4, 786, l. 5. Les inscriptions attestant l’existence de l’ἁλία datent plutôt de l’époque hellénistique. Voir Rhodes – Lewis 1997, 162. Cf. Gehrke – Wirbelauer 2004, 362. 39 IG IX, 12, 2, 212, l. 1-3. Cf. Gehrke – Wirbelauer 2004, 356. 40 Hérodote, Ι. 125. Cf. Asheri 2007, 163. 41 IGASMG I2, 52, fr. h, l. 3-4.

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bannis et concernant les cités de Mégara Hyblaea42 et de Sélinonte. On ne sait pas si l’inscription se réfère à un décret pris par Mégara ou par Sélinonte43. Le mot ἁλία est partiellement restitué. Si l’on suppose que cette halia est liée à la cité de Sélinonte qui figure dans la ligne précédente du texte, son existence à Sélinonte ne doit pas nous surprendre, puisque l’ἁλία est bien attestée en Sicile et l’expression ἔδοξε τᾶι ἁλίαι (« il a plu à l’Assemblée ») est très souvent employée dans les inscriptions de Sicile (Géla, Agrigente, Camarine, Entella) des époques hellénistique et romaine44. Cette inscription ne permet pourtant pas de décider si l’ἁλία s’identifie à l’Assemblée ou à un tribunal. Selon une hypothèse45, le mot pourrait désigner un tribunal ad hoc composé des arbitres chargés de résoudre les conflits éventuels entre les citoyens et les exilés rapatriés, puisqu’il est accompagné par le mot διαίτε̄ σ[ε] (« arbitrer »). 3. Dans le cas de Delphes, l’inscription du Ve/IVe siècle se réfère à une loi de la phratrie des Labyades de Delphes. Le mot ἁλία renvoie à la réunion de cette phratrie46, ce qui veut dire qu’il désigne une subdivision du peuple de Delphes, puisque l’inscription concerne une décision prise par la phratrie des Labyades47. D’habitude, dans les décrets de la cité de Delphes qui conservent la formule complète de résolution, on rencontre l’expression ἔδοξε τᾶι πόλει τῶν Δελφῶν (« il a plu à la cité de Delphes ») souvent accompagnée par les mots ἐν ἀγορᾶι τελείωι (« en assemblée plénière »)48. 4. L’inscription de Tégée porte sur l’adjudication des travaux publics et sur les peines qui seront imposées au cas où des problèmes apparaîtraient pendant l’adjudication. Le mot ἁλία n’est pas attesté dans l’inscription. En revanche, on y trouve le terme ἁλιασταί, qui doit dériver d’ἁλία, sans que cette dernière figure dans d’autres inscriptions de Tégée. Il s’agit de l’unique inscription de la cité où les ἁλιασταί sont évoqués, et ce à deux reprises49. D’un côté, les ἁλιασταί sont en mesure d’imposer une 42

Les commentateurs du texte sont enclins à considérer que la cité de Mégare qui figure dans l’inscription est plutôt Mégara Hyblaea que la Mégare de Grèce. Voir à ce sujet, Dubois 1989, 34. 43 Pour un document contenant le texte d’un accord entre la polis de Sélinonte et un groupe d’exilés, voir Asheri 1979, 485. D’après Dubois 1989, 34, cette hypothèse reste, pourtant, indémontrable du fait de l’état du texte. 44 Voir Asheri 1979, 490 ; Dubois 1989. 45 Voir Asheri 1979, 490. 46 CID 1, 9, face Α, l. 21, 41. 47 Voir Hansen 1989a, 239 ; Rhodes – Lewis 1997, 130, 135 ; R & O, 8-12, n° 1. 48 Voir Rhodes – Lewis 1997, 128 ; R & O, 9, n° 1. 49 IG V, 2, 6, face A, col. II, l. 21-31.

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Le tribunal de l’Héliée

amende à ceux qui ne se conforment pas aux règles qui interdisent la participation de plus de deux personnes à un projet et la prise en charge de plus de deux travaux. D’un autre côté, ils ont le pouvoir de prendre une décision unanime qui permettrait d’ajouter des dérogations aux règles qui interdisent l’accumulation de plus de deux travaux. Ces deux options plaident pour l’attribution aux ἁλιασταί de compétences judiciaires et politiques50. Selon une hypothèse très vraisemblable51, ces héliastes forment une assemblée, qui ne doit pas correspondre à l’Assemblée du peuple de Tégée52. Cette hypothèse repose sur le fait que la prise d’une décision unanime n’est possible qu’au sein d’une réunion moins nombreuse que celle de l’Assemblée. Ces derniers exemples montrent que les termes ἁλία/η ou ἁλιαία ne correspondent pas toujours à l’Assemblée du peuple et peuvent désigner d’autres assemblées. L’identification de l’Héliée athénienne à l’Assemblée n’est donc pas assurée, puisqu’elle ne peut pas être confirmée par les sources, mais qu’il s’agit d’une hypothèse qui s’appuie sur l’usage des termes ἁλία/η ou ἁλιαία pour signifier l’Assemblée du peuple dans certaines régions du monde grec, mais pas dans toutes. Pourtant, cette idée a été retenue, de manière très majoritaire, par l’historiographie moderne et contemporaine des XIXe et XXe siècles. À cet égard, S. B. Smith pense que la fondation d’un tribunal populaire indépendant à l’époque de Solon est impossible ; en revanche, il remarque qu’on peut parler de compétences judiciaires accordées au corps de l’Assemblée, qui, réunie dans ce but, mais pas très fréquemment, s’appelait « Héliée »53. R. J. Bonner et G. Smith acceptent l’interprétation de Grote et soulignent que le terme « Héliée » a survécu à l’époque classique pour désigner le tribunal présidé par les thesmothètes, c’est pourquoi on le trouve souvent attesté comme « Héliée des thesmothètes ». Cette dernière continuait à être convoquée sur le site du corps original, qui portait le nom d’« Héliée »54. Dans la même ligne, on trouve aussi H. T. Wade-­ Gery, qui attribue à Solon l’Héliée, qui est « le peuple réuni »55. J. Day et M. Chambers admettent qu’on n’a pas d’information suffisante pour définir avec certitude le caractère de l’Héliée à l’origine, mais l’opinion moderne 50

Cf. Thür – Taeuber 1994, 36-37. Voir Thür – Taeuber 1994, 37. 52 Voir Rhodes – Lewis 1997, 90. Pour le IVe siècle, on dispose d’une inscription portant l’intitulé ἔδοξε τᾶι πόλει : « il a plu à la cité ». 53 Voir Smith 1925, 106-111. 54 Voir Bonner – Smith 1930, 156-157. 55 Voir Wade-­Gery 1958, 173-174, 196. 51

Questions de terminologie

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selon laquelle l’Héliée est identifiée à l’Assemblée leur semble logique56. Par la suite, C. Hignett, P. J. Rhodes, V. Ehrenberg, D. MacDowell et M. Ostwald suivent cette opinion traditionnelle qui veut, d’une part, que Solon soit le fondateur de l’Héliée et, d’autre part, que l’Héliée à ses débuts soit identifiée à l’Assemblée et reçoive conventionnellement, pour des raisons qui nous échappent, le nom d’« Héliée », quand l’objectif de la réunion de l’Assemblée était judiciaire57. En réalité, selon cette tendance, Solon n’avait pas fondé l’Héliée comme une institution à part, mais il avait donné des pouvoirs supplémentaires à l’Assemblée du début du VIe siècle. Elle s’oppose ainsi à une deuxième tendance qui traite l’Héliée de l’époque de Solon comme un nouveau corps, qui est distinct de l’Assemblée. G. Busolt, dans un premier temps, remarque qu’on ne peut pas dire si les juges de la période de Solon avaient plus de trente ans, comme cela se passait par la suite, ni quel était leur mode de désignation. Toutefois, il accepte les témoignages d’Aristote sur l’existence d’un tribunal indépendant à l’époque de Solon, appelé « Héliée ». Le nom devait désigner au début l’institution du tribunal et la réunion des juges et par la suite le lieu de cette réunion58. K. J. Beloch parle aussi d’une réunion des juges de plus de trente ans, qui jugeaient les cas d’appel aux décisions des archontes59. C’est aussi le cas de J. H. Lipsius qui se fie aux sources correspondantes et se prononce en faveur de l’existence d’un tribunal populaire, dans lequel les juges remplissaient toutes les conditions qu’Aristote définit60. Dans les années 1980, Hansen propose également que l’Héliée ait été fondée, très probablement, par Solon, si, bien évidemment, on se fie à Aristote, et qu’elle était dès son origine une nouvelle institution, constituée de plusieurs dikastèria, dont les membres étaient tirés chaque année au sort (le mot dikastèria faisant référence plutôt à des « sessions des juges jugeant au même lieu/bâtiment » qu’à des « lieux/bâtiments distincts »). Rien ne prouve, selon lui, que l’Héliée soit l’Assemblée investie des compétences judiciaires. Au contraire, il est évident pour lui qu’on ne peut pas éclairer sa création ou son caractère à l’époque archaïque dans le cas où on refuse de suivre Aristote61. Enfin, cette 56

Voir Day – Chambers 1962, 87. Voir Hignett 1952, 97 ; Ehrenberg 1960, 71 ; id. 1968, 69 ; Rhodes 1972a, 168 ; MacDowell 1978, 30 ; Rhodes 1979, 104 ; Ostwald 1986, 9-12. Voir aussi, plus récemment, Papakonstantinou 2008, 95, 178 n. 84. 58 Voir Busolt 1895, 283-287, surtout 287. 59 Voir Beloch 1912, 365. 60 Voir Lipsius 1905-1915, 27-30, surtout 30. 61 Voir Hansen 1989a, 237-249. Même Rhodes 2006, 255 n. 60, a trouvé récemment l’idée de Hansen sur l’Héliée de l’époque de Solon plus convaincante qu’auparavant. 57

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Le tribunal de l’Héliée

deuxième tendance a été mise en avant dans l’article récent de C. Bearzot et L.  Loddo, où cette dernière penche pour l’existence d’un tribunal totalement indépendant de l’Assemblée et déjà organisé en dikastèria62. Aux antipodes de ces deux tendances se trouve un courant qui conteste tant l’existence d’un tribunal populaire à l’époque de Solon que l’identification de l’Héliée à l’Assemblée. Cl. Mossé s’exprime de la façon suivante : « Rien ne prouve que Solon institua le tribunal populaire de l’Héliée, non plus que le système de tirage au sort décrit par Aristote. Rien ne prouve non plus que l’assemblée des citoyens détienne les pouvoirs judiciaires qu’elle possède au IVe siècle. Si l’Aréopage était le réel détenteur de la souveraineté judiciaire, en matière de défense de la constitution et des lois, on voit mal ce qu’auraient pu être les fonctions d’un quelconque tribunal populaire63. » L’existence d’un tribunal populaire au début du VIe  siècle est précisément la question qui se pose dans les deux chapitres suivants. L’objectif de l’étude est de réfléchir à la période de la création du tribunal populaire et au régime auquel il est lié.

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Voir Bearzot – Loddo 2015, 101-107. Voir Mossé 1979, 425-437, surtout 433-434.

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Chapitre II

L’Héliée de Solon1 ? Si l’on se fie aux témoignages concis et tardifs dont on dispose pour l’Athènes du début du VIe siècle, la justice était rendue, d’une part, par les neuf archontes, en charge d’un certain domaine de compétence et autorisés à juger les affaires eux-­mêmes2, et, d’autre part, par le Conseil de l’Aréopage, en charge des affaires d’homicide et des procès à caractère politique3. La tradition veut que Solon ait ajouté, à côté de ces institutions, le tribunal de l’Héliée. Comme nous l’avons évoqué au chapitre précédent, le mot « Héliée » apparaît, très probablement, pour la première fois en 446/5 dans le décret à propos de Chalcis, soit au milieu du Ve  siècle. Il apparaît assez tardivement par rapport à Solon, avec lequel il est mis en rapport par les témoignages littéraires d’Aristote4, dans la Politique et dans la Constitution d’Athènes, ou par celui de Plutarque5. Cette grande distance chronologique entre l’époque à laquelle l’Héliée fut, en théorie, fondée et l’époque à laquelle elle apparaît pour juger une affaire nous conduit à aborder les sujets suivants : les sources contemporaines de l’époque de Solon, les textes d’Aristote et de Plutarque et le thème de la « constitution des ancêtres ». Cet examen nous permettra, à la fin, de conclure si le contexte historique du début du VIe siècle nous autorise à attribuer l’Héliée aux réformes de Solon.

1

Pour un résumé des changements constitutionnels opérés par Solon, voir Noussia-­ Fantuzzi 2010, 23-28. 2 Aristote, Constitution d’Athènes, III. 5. 3 Ibid., VIII. 4, LVII. 3. 4 Aristote, Politique, 1273b 35-1274a 5, Constitution d’Athènes, VII. 3. 5 Plutarque, Vie de Solon, XVIII. 3.

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A. Les sources contemporaines de l’époque de Solon 1.  Les poèmes de Solon Sur cette période de l’histoire d’Athènes, on dispose, tout d’abord, des fragments poétiques de Solon. On trouve les poèmes attribués à Solon cités dans des sources postérieures6. Ainsi se posent deux problèmes qui concernent, d’une part, la transmission des poèmes7 et, d’autre part, l’interprétation qu’en donnent les sources postérieures, notamment lorsque le contenu des poèmes n’est pas très clair8. En ce qui concerne le premier problème, on serait tenté d’admettre que la poésie de Solon est directement liée à l’esprit de l’époque archaïque dont datent ses réformes9. En ce qui concerne le second, le fragment qui suit montre bien la problématique. Fr. 7 G.-P.2 = 5 W.2, v. 1-6 δήμῳ μὲν γὰρ ἔδωκα τόσον γέρας, ὅσσον ἀπαρκεῖ, τιμῆς οὔτ᾽ ἀφελὼν οὔτ᾽ ἐπορεξάμενος10· οἳ δ᾽ εἶχον δύναμιν καὶ χρήμασιν ἦσαν ἀγητοί, καὶ τοῖς ἐφρασάμην μηδὲν ἀεικὲς ἔχειν· ἔστην δ᾽ ἀμφιβαλὼν κρατερὸν σάκος ἀμφοτέροισι, νικᾶν δ᾽ οὐκ εἴασ᾽ οὐδετέρους ἀδίκως11.

« J’ai donné au dèmos un privilège suffisant, sans rien ôter ni ajouter à ce qui lui revenait ; quant à ceux qui avaient la puissance et se distinguaient par leurs biens, j’ai fait en sorte qu’eux non plus ne subissent rien d’indigne. Je suis resté debout, couvrant les deux partis d’un fort bouclier, et je n’en ai laissé aucun vaincre injustement. » (v. 1-4 : trad. M.-J. Werlings 2010, 247 – v. 5-6 : trad. G. Mathieu – B. Haussoullier).

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Par ordre chronologique  : Démosthène, Aristote, Diodore de Sicile, Plutarque, Clément d’Alexandrie, Diogène Laërce, Stobée. Pour un catalogue détaillé des sources où se trouve chaque poème, voir Noussia-­Fantuzzi 2010, 82-124. Pour une analyse plus détaillée des vers que je vais citer, voir les pages correspondantes dans Noussia-­ Fantuzzi 2010 (avec références bibliographiques). 7 Sur les questions de l’authenticité et de la transmission des poèmes de Solon, voir Lardinois 2006, 15-35 ; Noussia-­Fantuzzi 2010, 45-55. 8 Cf. Werlings 2010, 225, 234-235. 9 Cf. aussi Harris 2006b, 292. 10 Sur les différentes traductions du mot ἐπορεξάμενος, voir Rhodes 1981, 172 ; Irwin 2006, 44 n. 19 ; Noussia-­Fantuzzi 2010, 286. 11 J’ai pris ce texte, ainsi que les autres fragments poétiques de Solon, chez Noussia-­ Fantuzzi 2010.

L’Héliée de Solon ?

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On trouve ce fragment dans la Constitution d’Athènes,  XII. 1, au moment où Aristote justifie les choix politiques de Solon pour éviter de favoriser les différentes composantes de la cité. Il montre que Solon a donné à chacune les droits qui lui revenaient, afin que personne ne s’impose à l’autre injustement. Au contraire, dans la Vie de Solon, XVIII. 5, Plutarque place ce fragment juste après sa référence aux réformes de Solon concernant les tribunaux populaires et le pouvoir qu’ils ont acquis. Pour Plutarque, la politique de Solon visant à garder une attitude d’impartialité s’identifie à la concession du droit de participation des thètes aux tribunaux12. La position différente de ce poème dans les deux œuvres est significative des problèmes d’interprétation qu’il pose et de la façon dont les deux auteurs, qui appartiennent à des périodes historiques différentes, comprennent et expliquent les réformes de Solon13. En effet, dans les poèmes de Solon, on voit apparaître les problèmes principaux de l’époque, les revendications du dèmos14 et les solutions que Solon a apportées. Deux problèmes principaux, dans l’Athènes du début du VIe siècle, révèlent aussi les revendications correspondantes du dèmos. Le premier est de caractère social et porte sur l’état de dépendance des pauvres par rapport aux riches propriétaires15. Le deuxième problème est lié à l’exercice de la justice qui est rendue au détriment du dèmos16. Ces deux problèmes sont essentiellement politiques, parce que la situation d’injustice dans le domaine social et l’inégalité entre les riches et les pauvres devant la loi sont liées au statut politique du dèmos à Athènes au début du VIe siècle. Le contexte des réformes de Solon se dévoile dans son intention de mettre un terme à la stasis qui déchire la cité et qui la divise en deux groupes opposés, à savoir ceux qui détiennent « la puissance et 12

Cf. Day – Chambers 1962, 80, remarquant qu’Aristote ne cite pas les poèmes pour se référer à ces compétences du dèmos. 13 Cf. Irwin 2005, 235-236 ; id. 2006, 44-45 ; Noussia-­Fantuzzi 2010, 283-284. 14 J’utilise ici le terme dèmos pour désigner une partie de la population de l’Attique, à savoir celle des plus défavorisés (voir fr. 3 G.-P.2 = 4 W.2 et 31 G.-P.2 = 37 W.2), mais ce n’est pas le seul sens qu’il peut avoir dans les fragments de Solon. Sur les divers sens de ce terme dans les poèmes de Solon, voir Werlings 2010, 226-231. 15 Fr. 30 G.-P.2 = 36 W.2, v. 8-15. Pour l’interprétation de ces vers dans les sources anciennes, voir Aristote, Constitution d’Athènes,  II. 2,  XII. 4  ; Plutarque, Vie de Solon, XIII. 4. Sur cet aspect des réformes de Solon, la bibliographie est riche. Citons notamment les pages 29-42 dans Noussia-­Fantuzzi 2010, où il y a une longue discussion sur les questions concernées et des références à la bibliographie antérieure qui a abordé ces questions. 16 Fr. 30 G.-P.2 = 36 W.2, v. 18-20.

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se distinguent par leurs biens » et le dèmos17. Solon, lui-­même, tient à démontrer qu’il a essayé d’établir une sorte d’équilibre entre ces deux groupes et qu’il a donné à chacun les droits qui lui revenaient, afin que personne ne s’impose à l’autre injustement18. Dans le fragment qui suit, Solon narre ses actions. Fr. 30 G.-P.2 = 36 W.2, v. 1-22 ἐγὼ δὲ τῶν μὲν οὕνεκα ξυνήγαγον δῆμον, τί τούτων πρὶν τυχεῖν ἐπαυσάμην; συμμαρτυροίη ταῦτ᾽ ἂν ἐν δίκῃ χρόνου μήτηρ μεγίστη δαιμόνων Ὀλυμπίων ἄριστα, Γῆ μέλαινα, τῆς ἐγώ ποτε ὅρους ἀνεῖλον πολλαχῇ πεπηγότας, πρόσθεν δὲ δουλεύουσα, νῦν ἐλευθέρα. πολλοὺς δ᾽ Ἀθήνας, πατρίδ’ ἐς θεόκτιστον, ἀνήγαγον πραθέντας, ἄλλον ἐκδίκως, ἄλλον δικαίως, τοὺς δ᾽ἀναγκαίης ὕπο χρειοῦς φυγόντας, γλῶσσαν οὐκέτ᾽ Ἀττικὴν ἱέντας, ὡς ἂν πολλαχῇ πλανωμένους, τοὺς δ᾽ἐνθάδ᾽ αὐτοῦ δουλίην ἀεικέα ἔχοντας, ἤθη δεσποτῶν τρομεομένους, ἐλευθέρους ἔθηκα. ταῦτα μὲν κράτει ὁμοῦ βίην τε καὶ δίκην ξυναρμόσας, ἔρεξα καὶ διῆλθον ὡς ὑπεσχόμην, θεσμοὺς δ᾽ὁμοίως τῷ κακῷ τε κἀγαθῷ, εὐθεῖαν εἰς ἕκαστον ἁρμόσας δίκην, ἔγραψα. κέντρον δ᾽ἄλλος ὡς ἐγὼ λαβών, κακοφραδής τε καὶ φιλοκτήμων ἀνήρ, οὐκ ἂν κατέσχε δῆμον.

« Les buts que je m’étais fixés quand j’ai rassemblé le peuple, me suis-­je arrêté avant de les avoir atteints ? De cela pourrait témoigner pour moi au tribunal de Chronos la très grande, très noble, mère des dieux olympiens, la Terre Noire, dont j’ai, moi, autrefois, arraché les bornes fichées de tous côtés  ; autrefois esclave, la voilà libre. J’ai ramené à Athènes, dans leur patrie fondée par les dieux, bien des gens qui avaient été vendus, certains au mépris de toute règle, les autres selon les règles, et d’autres qui s’étaient exilés réduits à une terrible nécessité, et qui ne parlaient plus la langue de l’Attique, tellement ils avaient erré en tous lieux. Quant à ceux qui étaient restés là, dans les liens d’une servitude honteuse, tremblants devant 17

Fr. 7 G.-P.2 = 5 W.2, v. 1, 3. Fr. 7 G.-P.2 = 5 W.2, v. 1-4 ; 29b G.-P.2 = 34 W.2, v. 7-9 ; 30 G.-P.2 = 36 W.2, v. 20-22 ; 31 G.-P.2 = 37 W.2, v. 6-7. Cf. Harris 2006b, 297-298.

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la mauvaise humeur de leurs maîtres, je les ai libérés. Cela, je l’ai fait par la force de la loi, unissant la contrainte et la justice ; et j’ai suivi mon chemin jusqu’au bout comme je l’avais promis. J’ai mis par écrit des lois s’appliquant également au kakos et à l’agathos, adaptant à chacun un arrêt droit. Si un autre que moi avait pris l’aiguillon, un homme aux mauvais desseins et âpre au gain, il n’aurait pas retenu le peuple. » (v. 1-2, 15-17, 20-22 : trad. G. Mathieu – B. Haussoullier – v. 3-15, 18-20 : trad. M.-J. Werlings 2010, 237-238, 252).

Solon a libéré le dèmos de la servitude19, il lui a octroyé un privilège suffisant qui l’intégrait au partage politique20 et il a rédigé des lois écrites, s’appliquant équitablement à tous21. C’est la seule attestation que l’on possède d’une intervention de Solon dans le domaine législatif visant à octroyer au dèmos un pouvoir supplémentaire, mais d’une manière juste qui ne perturberait pas l’équilibre de la cité ni ne renverserait l’ordre entre ses composantes, mais qui supprimerait en même temps les distinctions au niveau législatif entre les deux groupes. Il va de soi que les poèmes de Solon ne se réfèrent pas à la création d’un nouveau tribunal. Il s’agirait alors d’une expression trop précise qui ne serait pas conforme au caractère général de sa poésie. Ainsi, Solon se borne à souligner que les lois qu’il a rédigées sont valables pour tous, en fonction de ce qui convient à chacun. Comment peut-­on comprendre, alors, l’expression εὐθεῖαν εἰς ἕκαστον ἁρμόσας δίκην (« adaptant à chacun un arrêt droit »22) ? Peut-­on y deviner une allusion à l’instauration du tribunal populaire par Solon ou doit-­on l’expliquer dans le cadre plus général de ses réformes ? Si l’on place la phrase dans son contexte historique, c’est-­à-dire au sein des lois introduites par Solon, on pourrait proposer que Solon avait la volonté d’établir un cadre législatif appliqué à tous, qui supprimerait les distinctions au niveau législatif entre les deux groupes de la cité et qui assurerait leurs droits auprès des décisions des archontes et de l’Aréopage. L’augmentation des pouvoirs du dèmos doit, semble-­t-il, s’entendre au sens strict de la redéfinition de ses droits, puisque ce qui transparaît dans les poèmes, 19

Fr. 30 G.-P.2 = 36 W.2, v. 8-15. Cf. Harris 2006b, 300 et n. 22 ; Werlings 2010, 244-246. Pour une explication des bornes, voir Noussia-­Fantuzzi 2010, 468. 20 Fr. 7 G.-P.2 = 5 W.2, v. 1 ; 30 G.-P.2 = 36 W.2, v. 1-2. Cf. Werlings 2010, 246-252. 21 Fr. 30 G.-P.2 = 36 W.2, v. 18-20. Cf. Werlings 2010, 252-253. À propos de la notion de dikè, voir aussi Almeida 2003, 229-231, 235. 22 D’après Werlings 2010, 252 n. 46, la traduction de l’expression εὐθεῖαν δίκην par « un arrêt droit » est sans doute légèrement inexacte, mais, faute d’expression française qui fût satisfaisante, elle a privilégié ici la fluidité de la traduction.

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c’est le souci du nomothète de rétablir l’ordre social et politique dans la cité, en restant toujours lui-­même au centre23, sans prendre parti. Du reste, Solon écrit qu’il a donné au dèmos les privilèges qui lui convenaient, sans lui enlever ni élargir considérablement ses pouvoirs. Aristote, dans la Politique, nous assure aussi que l’augmentation radicale du pouvoir des tribunaux n’était pas ce que voulait Solon et qu’elle fut plutôt le fait des circonstances. Solon, en effet, dit Aristote, n’a attribué au peuple que le pouvoir strictement nécessaire, celui d’élire les magistrats et de vérifier leur gestion24. Cette première concession semble être vérifiée par la précision d’Aristote dans la Constitution d’Athènes, selon laquelle, avant Solon, les neuf archontes étaient désignés par l’Aréopage, tandis que Solon a transféré cette compétence au sein des quatre tribus25, ce qui peut faire penser à une forme de participation du peuple à la procédure de l’élection. Au contraire, il est difficile de croire que le peuple participait à l’époque de Solon au contrôle des magistrats à la fin de leur magistrature ; il s’agit d’une compétence acquise par les tribunaux, très probablement, après les réformes d’Éphialte26. De toute façon, même si l’augmentation éventuelle du pouvoir de l’Héliée n’était pas au cœur du programme de Solon, il est incontestable que l’octroi du droit de participation du peuple à un tribunal populaire, fondé à part, signifierait une augmentation considérable de ses pouvoirs politiques et judiciaires, laquelle aurait renversé l’équilibre que Solon voulait imposer.

2.  Les lois de Solon La deuxième source dont on dispose sur cette période, ce sont les lois que Solon a rédigées, lesquelles, on le suppose, visaient à réglementer la vie et les relations entre les diverses composantes de la cité27. Des fragments

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Pour une interprétation de ce « milieu », voir Loraux 1984, 202-214. Aristote, Politique, 1274a 11-21, 1281b 32-34. 25 Aristote, Constitution d’Athènes, VIII. 1-2. Cf. Rhodes 1981, 149-150. 26 Cf. Hignett 1952, 97 ; Rhodes 1981, 155. Selon une hypothèse intéressante d’Ostwald 1986, 13 et Carawan 1987, 188, ce passage ne viserait pas le contrôle des magistrats par le peuple, mais le droit de toute personne qui le voudrait de déposer une plainte contre un magistrat auprès du corps responsable pour la vérification de sa gestion. Pour plus de détails sur la reddition de comptes de magistrats, voir chapitre IV. 27 Sur une récente contribution sur le caractère des lois de Solon, voir Cuniberti 2011, 13-17. 24

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des lois attribuées à Solon sont conservés dans des sources postérieures28. À leur lecture, il convient de se demander s’il s’agit des lois que Solon lui-­ même a rédigées ou s’il s’agit de falsifications postérieures. Nos réserves sont dues aux conditions dans lesquelles les lois attribuées à Solon ont survécu pendant la période classique29. Ainsi, à l’occasion du régime oligarchique de 41130 et du renversement de l’ordre politique, la nécessité apparut pour la cité de désigner un comité d’anagrapheis pour transcrire les lois en vigueur depuis l’époque de Solon. Les anagrapheis devaient, en effet, rassembler les lois de Solon, celles qui avaient été modifiées, ainsi que, très probablement, les nouvelles lois prises dans les matières que Solon n’avait pas traitées. Les kyrbeis (les axones sont, semble-­t-il, des objets sur lesquels la législation draconienne et solonienne fut inscrite à la fin du Ve siècle)31 qui portaient les lois de Dracon et de Solon devaient être disponibles. De même, à partir du VIe siècle et pendant le Ve siècle, nombre de lois et de décrets supplémentaires avaient été pris par l’Assemblée. Une grande partie d’entre eux avait été publiée, mais aussi la Boulè des Cinq Cents et les magistrats compétents devaient avoir conservé des copies de ces documents. Même si on ne met pas en doute l’organisation de ces archives, on se demande, pourtant, si les conditions de leur conservation pouvaient permettre de savoir facilement quelles lois étaient en vigueur et en quel lieu ces lois étaient conservées32. Le deuxième régime oligarchique de 404 arrêta l’œuvre des anagrapheis et les Trente abolirent une série de lois au nom du retour à la « constitution 28

Ruschenbusch 1966a, 70-126, a rassemblé les textes qui se réfèrent aux lois attribuées à Solon. Sur un commentaire des fragments cités par Ruschenbusch, voir Ruschenbusch 2010, 24-156. Toutefois, on renvoie désormais à la nouvelle édition des lois de Solon (avec traduction et commentaire en anglais) de Leão – Rhodes 2015. 29 Sur un résumé clair et détaillé de la procédure législative de l’époque archaïque à la fin du Ve siècle, voir Canevaro 2015. 30 Pour les deux régimes oligarchiques de 411 et 404, voir Thucydide, VIII. 65 sq. ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX-XXVIII ; Xénophon, Helléniques, II. 3-4. 31 Sur une première discussion de ces objets où les lois de Dracon et de Solon semblent avoir été écrites, voir Stroud 1969. Plus récemment, Davis 2011, 1-35, a repris le problème de la nature de ces objets, avec toute la bibliographie précédente. J’adopte ici son interprétation. 32 Sur la survivance des « tables » des lois de Solon et le système de l’organisation des archives du VIe jusqu’à la révision des lois à la fin du Ve siècle, voir Sickinger 1999, 26-100, dont j’adopte ici l’opinion. Pébarthe 2006, 113-171, est plus affirmatif sur le point de l’organisation des archives civiques avant l’institution du Mètrôon. Sur l’archivage public dans l’Athènes archaïque et classique et l’organisation du Mètrôon, voir aussi Coqueugniot 2013, 11-20. Il ressort clairement de ces trois auteurs que des archives existaient dès une haute époque.

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des ancêtres » (patrios politeia)33. En 403, lors de la restauration de la démocratie, les anagrapheis reprirent leurs travaux qui durèrent quatre ans ; les lois en vigueur étaient désormais « les lois de Solon et de Dracon », telles qu’elles furent collectées par les anagrapheis, à l’exception de celles qui devaient être révisées, accompagnées également de nouvelles lois34. Au terme de ces considérations, il convient de faire preuve de retenue sur l’identification des lois attribuées à Solon aux lois que Solon a écrites lui-­même et être prudent quand on essaie de distinguer entre les lois archaïques et les lois classiques. Les lois s’adaptent aux réalités nouvelles de la société de chaque époque et, dans certains cas, même les Athéniens de la fin du Ve siècle ou du IVe siècle ne pouvaient pas savoir si telle ou telle loi avait été vraiment introduite par Solon qui avait vécu deux siècles avant35. Parmi les sources disponibles, aucun fragment de loi ne se réfère directement à la création de l’Héliée  ; on dispose seulement des récits d’Aristote et de Plutarque, qui cependant ne citent aucune loi précise attribuée à Solon. Se posent alors deux questions : l’une est de savoir si ces récits concernant les réformes de Solon reposaient sur les lois que Solon lui-­même avait écrites et si l’on peut se fier à ces narrations qui ne peuvent pas être confirmées par les poèmes de Solon ; l’autre, si les lois de Solon avaient un contenu constitutionnel36. D’un côté, même s’il est fort possible que les lois de Solon inscrites sur les kyrbeis et les axones étaient disponibles à l’époque d’Aristote (à l’époque de Plutarque il n’en restait plus que quelques fragments)37, cela ne prouve pas nécessairement que les commentaires d’Aristote sur ces « tables » fussent toujours corrects38. Par ailleurs, on n’est pas sûr de l’existence ou non de lois à caractère constitutionnel. En revanche, le nom «  Héliée  » apparaît dans six lois citées dans les plaidoyers de Lysias et de Démosthène39, sur un sujet autre que 33

Ce sujet est abordé à la fin du chapitre II et au chapitre V. Pour les procédures de la transcription, la législation et la révision des lois, voir Andocide, Sur les Mystères, 81-89 ; Lysias, Contre Nicomachos, 2-5. Voir aussi IG I3, 104, 105. Pour la discussion sur les procédures employées et les obscurités que présente le passage d’Andocide, voir à titre indicatif Robertson 1990, 43-66 ; Rhodes 1991, 87-100 ; Hansen 19992, 162-164 ; Carawan 2002, 1-23 ; Canevaro – Harris 2012, 110-119. 35 Cf. Mossé 1979, 427-428 ; Hansen 1989b, 71-99 ; Sickinger 1999, 9. 36 Rhodes 2006, 249, 251, est affirmatif sur les deux questions. Au contraire, Hansen 1989b, 83-85, doute de l’existence des lois constitutionnelles écrites par Solon qui auraient affecté le statut de l’Assemblée, de la Boulè des Quatre Cents ou de l’Aréopage. 37 Plutarque, Vie de Solon, XXV. 1. 38 Cf. Wallace 1989, 50-51 ; Sickinger 1999, 28. 39 Voir le Tableau 1. 34

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celui de sa création. Parmi ces lois, une loi dans le plaidoyer de Lysias Contre Théomnestos I et celle sur le vol citée dans le Contre Timocrate de Démosthène sont attribuées à Solon40. Les deux lois sont souvent identifiées en raison des similitudes que leurs clauses présentent, mais l’opinion qui conteste cette identification est préférable41. À partir de ces lois, on conclut souvent à l’ancienneté de l’institution et du nom de l’Héliée42. De prime abord, il est logique de supposer que la mention du tribunal de l’Héliée au sein des lois attribuées à Solon plaide en faveur de l’existence de l’Héliée dès l’époque de ce dernier. Mais, pour les raisons évoquées précédemment, il est difficile de se prononcer sur l’origine de ces deux lois. Même si leur contenu pouvait conserver l’esprit de la société archaïque de Solon, rien ne prouve avec certitude l’existence de l’Héliée à cette époque-­là, puisque les lois pourraient avoir été modifiées – soit pendant le Ve siècle soit à l’occasion de la révision des lois – et le nom de l’Héliée pourrait avoir été ajouté. D’ailleurs, selon une étude récente de la loi sur le vol citée chez Démosthène, le document inséré dans le discours constitue une falsification tardive qui n’est pas conforme aux textes de loi de la période classique43, ce qui ajoute un argument supplémentaire aux doutes sur l’existence du tribunal populaire à l’époque de Solon.

3.  Les données archéologiques On a constaté la difficulté de se prononcer, à travers les lois attribuées à Solon et à travers ses poèmes, sur l’existence ou non d’un tribunal. De plus, les poèmes de Solon révèlent certes les problèmes principaux de l’époque et les mesures que le réformateur a mises en place, mais leurs vers ne rattachent pas la création d’un nouveau tribunal, distinct de l’Assemblée, Lysias, Contre Théomnestos I, 15-16 Καί μοι ἀνάγνωθι τούτους τοὺς νόμους τοὺς Σόλωνος τοὺς παλαιούς. Νόμος. Δεδέσθαι δ᾽ ἐν τῇ ποδοκάκκῃ ἡμέρας πέντε τὸν πόδα, ἐὰν [μὴ] προστιμήσῃ ἡ ἡλιαία. : « Lis-­moi ces vieilles lois de Solon. Loi. ‘Il aura le pied à l’entrave pendant cinq jours, si l’Héliée ne décide pas une peine supplémentaire.’. » (trad. L. Gernet – M. Bizos, modifiée ; je traduis ici le mot [μὴ]) ; Démosthène, Contre Timocrate, 105 Δεδέσθαι δ᾽ ἐν τῇ ποδοκάκκῃ τὸν πόδα πένθ᾽ ἡμέρας καὶ νύκτας ἴσας, ἐὰν προστιμήσῃ ἡ ἡλιαία. Προστιμᾶσθαι δὲ τὸν βουλόμενον, ὅταν περὶ τοῦ τιμήματος ᾖ. : « Il aura le pied à l’entrave pendant cinq jours et autant de nuits, si l’Héliée décide une peine supplémentaire. Que toute personne qui le veut puisse proposer la peine supplémentaire au moment de l’estimation de la peine. ». 41 Sur les doutes exprimés à propos de l’identification de ces deux lois, voir Todd 2007, 679-680. Cf. Canevaro 2013b, 35-37. 42 Voir Rhodes 1981, 160 ; Ostwald 1986, 10 n. 27 ; Hansen 1989a, 237-238. 43 Voir Canevaro 2013b, 25-47. 40

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au début du VIe siècle, répondant aux besoins de l’époque. L’archéologie ne peut pas non plus aider à dater le tribunal populaire au début du VIe siècle. L’Héliée fait partie du débat sur la localisation des espaces publics athéniens et de la façon dont ils se sont structurés. Si l’Héliée n’était au début que l’Assemblée du peuple, il n’y a pas de raison de supposer l’existence d’un bâtiment séparé. La question qui se pose est de connaître sa localisation au cas où l’Héliée était un tribunal distinct de l’Assemblée. Depuis longtemps, une grande enceinte en forme de quadrilatère (ca. 26,50 m nord-­sud × ca. 31 m est-­ouest), au sud-­ouest de l’Agora d’Athènes, et fouillée en 1953, attire l’attention de ceux qui veulent trouver des indices des réformes de Solon dans l’archéologie. Parmi les hypothèses qui ont été faites à propos de cette enceinte, deux sont les plus marquantes. L’une veut que l’enceinte soit identifiée au site de l’Héliée pour trois raisons : sa localisation dans une position éminente sur l’Agora, sa datation probable dans la deuxième moitié du VIe siècle, qui s’accorde avec les sources littéraires, et sa taille, qui permet d’accueillir un grand nombre de «  juges  »44. Toutefois, à l’exception d’un jeton de vote de bronze trouvé à proximité de l’enceinte, lequel ne peut pas être daté avec certitude45, aucun autre objet n’a été trouvé qui aurait pu témoigner de l’activité judiciaire dans l’enceinte. La deuxième hypothèse propose que l’enceinte soit identifiée au sanctuaire du héros éginétique Aiakos, l’Aiakeion, daté probablement de la fin du VIe siècle et dans lequel la cité semble stocker du grain pendant le IVe siècle46. Cette hypothèse repose sur la découverte en 1986 de l’inscription portant sur la loi d’Athènes concernant la taxe du douzième sur le grain des îles (374/3)47. La première hypothèse peut être contestée pour une raison supplémentaire. Si l’on recoupe les témoignages littéraires topographiques et les quelques données matérielles des pentes orientales de l’Acropole avec la découverte in situ en 1980 d’un décret hellénistique honorant une

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Voir Thompson 1954, 33-39 ; Wycherley 1957, 145 ; Thompson – Wycherley 1972, 62-65 ; Boegehold et al. 1995, 12, 99-103 ; Camp 2005, 68-70. Le dernier livre est une traduction en grec de l’édition de 1986, c’est pourquoi dans l’introduction de l’édition grecque (19-20), il admet qu’en raison de la découverte de l’inscription portant sur la loi d’Athènes concernant la taxe du douzième sur le grain des îles, le lieu peut être identifié à l’Aiakeion. 45 Voir Boegehold et al. 1995, 87 B7. 46 Voir Stroud 1993, 308-309 ; id. 1998, 94-102 ; Camp 2005, 19-20 ; id. 2009, 13 ; Gottesman 2014, 33, 36 ; Greco et al. 2014, 1101-1103. 47 Voir Stroud 1998, 1-140, avec l’inscription correspondante, et surtout 85-104 sur l’Aiakeion (l. 6-10).

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prêtresse d’Aglauros et destiné à être dressé dans l’Aglaureion48, situé à l’est de l’Acropole, on pourrait supposer que l’Agora archaïque, à savoir le centre de l’administration pendant les VIIe et VIe siècles, se trouvait vraisemblablement vers l’est ou le nord-­est de l’Acropole et non à l’ouest49. Cette hypothèse se concilie avec l’observation suivante : les fouilles de l’école archéologique américaine dans la région de l’Agora classique ont montré que jusqu’à la moitié du VIe siècle aucun bâtiment manifestement public n’a été construit dans ce secteur : l’espace à l’ouest de l’Acropole connaîtra une transformation assez claire à partir de la période des tyrans (bâtiment F, autel des Douze Dieux, fontaine du sud-­est) pour prendre sa nouvelle organisation après les réformes de Clisthène50. Si cette hypothèse est valide, il est impossible d’imaginer la localisation de l’Héliée archaïque sur l’Agora classique. Il est également difficile d’essayer de la situer au côté est, où l’on réussit à peine à percevoir l’existence de l’Agora archaïque.

B. Les textes d’Aristote et de Plutarque Comme on l’a noté à plusieurs reprises, la datation de l’institution du tribunal populaire à l’époque de Solon vient de deux sources postérieures, les commentaires d’Aristote et de Plutarque sur les réformes de Solon, où les deux auteurs ne se réfèrent pas explicitement au nom d’« Héliée » mais à l’existence des tribunaux populaires.

1.  Les deux passages d’Aristote Politique, 1273b 35-1274a 5 Σόλωνα δ᾽ ἔνιοι μὲν οἴονται νομοθέτην γενέσθαι σπουδαῖον· ὀλιγαρχίαν τε γὰρ καταλῦσαι λίαν ἄκρατον οὖσαν, καὶ δουλεύοντα τὸν δῆμον παῦσαι, καὶ δημοκρατίαν καταστῆσαι τὴν πάτριον, μείξαντα καλῶς τὴν πολιτείαν· εἶναι γὰρ τὴν μὲν ἐν Ἀρείῳ πάγῳ βουλὴν ὀλιγαρχικόν, τὸ δὲ τὰς ἀρχὰς αἱρετὰς ἀριστοκρατικόν, τὰ δὲ δικαστήρια δημοτικόν. Ἔοικε δὲ Σόλων ἐκεῖνα μὲν ὑπάρχοντα πρότερον οὐ καταλῦσαι, τήν τε βουλὴν καὶ τὴν τῶν ἀρχῶν αἵρεσιν, τὸν δὲ δῆμον καταστῆσαι, τὰ δικαστήρια ποιήσας ἐκ πάντων. Διὸ καὶ μέμφονταί τινες αὐτῷ· λῦσαι γὰρ θάτερον, κύριον ποιήσαντα τὸ δικαστήριον πάντων, κληρωτὸν ὄν. 48

Voir Dontas 1983, 48-63. Voir à ce propos, Robertson 1998 ; Harris-­Cline 1999, 309, 311-312 ; Greco et al. 2010, 159 ; Gottesman 2014, 30-31 ; Greco et al. 2014, 896-899. 50 Voir Shear 1994, 225-228, 231 ; Camp 2001, 27, 32-35. 49

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« Quant à Solon, certains pensent qu’il a été un excellent législateur qui mit fin à une oligarchie sans frein, affranchit le peuple de l’esclavage, et fonda la démocratie de nos pères, avec un heureux mélange des différents pouvoirs : le Conseil de l’Aréopage est, en effet, de type oligarchique, l’élection aux magistratures, de type aristocratique, et l’organisation des tribunaux, de type démocratique. Solon, semble-­t-il, tout en se gardant d’abolir les institutions qui existaient auparavant, telles que le Conseil et l’élection des magistrats, a réellement fondé la démocratie en composant les tribunaux de juges pris parmi tous les citoyens. Aussi lui adresse-­t-on parfois de vives critiques, comme ayant détruit l’élément non démocratique du gouvernement, en attribuant l’autorité suprême aux tribunaux dont les membres sont tirés au sort. » (trad. J. Tricot 19954).

Dans ce passage de la Politique et dans le cadre de la discussion autour des législateurs qui non seulement ont rédigé des lois, mais qui ont aussi établi de nouvelles constitutions, Aristote cite l’opinion de quelques anciens sur Solon, qui avait établi à la fois des lois et une constitution. Quelques-­ uns d’entre eux le considèrent comme le fondateur de la démocratie athénienne51, qui est qualifiée du terme patrios (« ancestrale »). La nouvelle constitution que Solon crée est un mélange d’éléments oligarchiques, aristocratiques et démocratiques. L’élément démocratique est constitué par les tribunaux, parce que Solon les compose de juges pris parmi tous les citoyens, tirés au sort. Au contraire, d’autres accusent Solon d’avoir ouvert les tribunaux à tous et de leur avoir attribué l’autorité suprême, parce que de cette façon il a amoindri le pouvoir d’autres organes de la cité. L’expression τὰ δικαστήρια ποιήσας ἐκ πάντων (« composant les tribunaux de juges pris parmi tous les citoyens ») conduit à s’interroger sur sa signification. Ces mots opposent l’Aréopage et l’élection des magistrats, qui sont considérés comme les anciens éléments du régime, aux tribunaux composés par tous, qui sont la nouveauté. Il conviendrait donc de se demander si cette expression pouvait signifier que les tribunaux étaient un corps préexistant, que Solon a réorganisé en fixant de nouveaux critères de participation, l’accès aux tribunaux étant désormais ouvert à tous les citoyens52. Les emplois parallèles du verbe ποιέω dans la Politique53 et 51

Voir aussi Aristote, Constitution d’Athènes, IX. 1, XXVII. 1, XXIX. 3, XLI. 2. On peut trouver la formulation de cette hypothèse dans Gagarin 2006, 263. 53 Voir 1266b 22-23 καὶ περὶ Λευκάδα δημοτικὴν ἐποίησε λίαν τὴν πολιτείαν αὐτῶν : « et dans l’île de Leucade rendit démocratique à l’excès la constitution », 1268a 12-13 δῆμον δ᾽ ἐποίει τὰ τρία μέρη τῆς πόλεως : « et (Hippodamos) entendait par peuple l’ensemble des trois groupes de la cité », 1274b 7 πρῶτος γὰρ 52

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dans la Constitution d’Athènes54 me font préférer le sens de « création d’un nouveau tribunal » et écarter la possibilité de l’existence avant Solon d’un autre tribunal, sauf celui de l’Aréopage, dont on ne connaît rien. Dans le même passage, l’emploi du pluriel dikastèria au lieu du singulier dikastèrion est considéré par les historiens comme postérieur à l’époque de Solon55. Il est difficile de penser au fonctionnement de plusieurs tribunaux populaires au début du VIe siècle, tout d’abord, si l’on considère la population de cette époque. Il va de soi qu’on ne dispose pas d’éléments démographiques précis pour la période archaïque. C’est à partir de la période classique qu’on est mieux renseigné, ce qui permet de procéder à des estimations de la population attique. Supposons, de toute façon, qu’on accepte l’opinion des spécialistes qui veulent un nombre élevé d’Athéniens au début du Ve siècle, ce qui pourrait être ἐποίησε τὴν ἐπίσκηψιν : « il fut le premier à introduire la procédure de prise à partie d’un témoin », 1296a 31-32 οἱ μὲν δημοκρατίαν οἱ δ᾽ ὀλιγαρχίαν ποιοῦσιν : « ils réalisent, dans un cas, une démocratie, et, dans l’autre, une oligarchie », 1297a 7-8 καὶ τῶν τὰς ἀριστοκρατικὰς βουλομένων ποιεῖν πολιτείας : « et de ceux qui désirent créer des formes de gouvernement aristocratique », 1301b 22-23 ἀντὶ γὰρ τῶν φυλάρχων βουλὴν ἐποίησαν : « les phylarques y furent remplacés par un Conseil », 1306a 12-13 καταλύονται δὲ καὶ ὅταν ἐν τῇ ὀλιγαρχίᾳ ἑτέραν ὀλιγαρχίαν ἐμποιῶσιν : « les oligarchies sont aussi renversées quand au sein de l’oligarchie se crée une autre oligarchie », 1319b 8-9 καὶ ποιεῖν πολίτας μὴ μόνον τοὺς γνησίους ἀλλὰ καὶ τοὺς νόθους : « et accordent le droit de cité non seulement aux enfants légitimes, mais encore aux bâtards », 1320b 11-12 ἔτι δὲ τὰς ἀρχὰς πάσας ἐποίησαν διττάς, τὰς μὲν αἱρετὰς τὰς δὲ κληρωτάς : « ils ont divisé l’ensemble de leurs magistratures en deux classes : les unes sont attribuées par élection, les autres par tirage au sort » (trad. J. Tricot 19954). 54 Voir VI. 1 χρεῶν ἀποκοπὰς ἐποίησε (suppression des dettes), VIII. 1 Τὰς δ’ἀρχὰς ἐποίησε κληρωτὰς (introduction du tirage au sort sur une liste des candidats présélectionnés), VIII. 4 Βουλὴν δ’ ἐποίησε τετρακοσίους (création de la Boulè des Quatre Cents),  X. 2 ἐποίησε δὲ καὶ σταθμά (établissement des poids en rapport avec la monnaie), XXI. 4 δημότας ἐποίησεν ἀλλήλων (organisation de l’Attique en dèmes), XXI. 6 φυλαῖς ἐποίησεν ἐπωνύμους (appellation des dix tribus), XXII. 2 τὸν ὅρκον ἐποίησαν (introduction du serment de la Boulè des Cinq Cents), XXVII. 3 ἐποίησε δὲ καὶ μισθοφόρα τὰ δικαστήρια (introduction du salaire des juges), XXX. 3 Βουλὰς δὲ ποιῆσαι τέτταρας (projet de la création de la Boulè dans le régime de l’avenir en 411), XLI. 3 Μισθοφόρον δ’ἐκκλησίαν ποιεῖν (introduction du salaire pour la participation à l’Assemblée). 55 Pour la discussion sur l’emploi du pluriel dikastèria au lieu du singulier dikastèrion dans les passages de la Politique, 1273b 41, et de la Constitution d’Athènes, VII. 3, voir Bonner – Smith 1930, 153-154 ; Hignett 1952, 216-218 ; Wade-­Gery 1958, 195-196 ; Day – Chambers 1962, 87 ; Rhodes 1979, 104 ; Ostwald 1986, 69 sq. Contra Hansen 1989a, 244-245, qui accepterait l’existence de plus d’un tribunal à l’époque de Solon, au sens de « sessions des juges jugeant au même lieu/bâtiment ».

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environ trente mille citoyens56. Selon les estimations fondées sur un progressif accroissement numérique de la population pendant la période archaïque, les Athéniens des débuts du VIe siècle devaient être beaucoup moins nombreux57. Cela implique que le nombre de six mille juges au début du VIe siècle et dans une constitution timocratique est tout simplement impossible et que le tribunal devait être constitué de moins de citoyens, dont le nombre nous échappe. Parallèlement, l’existence de plusieurs tribunaux doit répondre à certains besoins administratifs ; elle implique l’existence de nombreuses affaires à juger, ainsi qu’une sorte de spécialisation des tribunaux, ce qui renvoie au système des tribunaux des Ve et IVe siècles, dont Aristote semble s’être inspiré. Le singulier dikastèrion paraît donc préférable. Le passage de la Politique ne précise rien en ce qui concerne la composition du tribunal qui a été créé par Solon, le nombre de participants, les détails de la procédure du tirage au sort et les compétences que possédaient ces juges. Plus d’informations en ce qui concerne sa composition sont données par la Constitution d’Athènes. VII. 3 Τιμήματι διεῖλεν εἰς τέτταρα τέλη, καθάπερ διῄρητο καὶ πρότερον, εἰς πεντακοσιομέδιμνον καὶ ἱππέα καὶ ζευγίτην καὶ θῆτα. Καὶ τὰς μὲ[ν ἄλλ]ας ἀρχὰς ἀπένειμεν ‖ ἄρχειν ἐκ πεντακοσιομεδίμνων καὶ ἱππέων καὶ ζευγιτῶν, τοὺς ἐννέα ἄρχοντας καὶ τοὺς ταμίας καὶ τοὺς πωλητὰς καὶ τοὺς ἕνδεκα καὶ τοὺς κωλακρέτας, ἑκάστοις ἀνάλογον τῷ μεγέθει τοῦ τιμήματος ἀποδιδοὺς τὴν ἀρχήν. Τοῖς δὲ τὸ θητικὸν τελοῦσιν ἐκκλησίας καὶ δικαστηρίων μετέδωκε μόνον.

« Il divisa (le peuple), d’après le revenu, en quatre classes, comme auparavant : pentacosiomédimnes, cavaliers, zeugites et thètes. Il décida que toutes les charges seraient remplies par les pentacosiomédimnes, les cavaliers et les zeugites, à savoir les neuf archontes, les trésoriers, les polètes, les Onze et les colacrètes, donnant à chacun une charge correspondante à son cens ; mais aux thètes il ne donna que le droit de faire partie de l’Assemblée et des tribunaux. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée).

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On renvoie à Labarbe 1957, 139-211, dont l’étude contient des recherches détaillées sur la démographie au début du Ve siècle. 57 Sur le niveau et l’évolution de la population grecque et, voire, attique pendant les périodes archaïque et classique, voir Corvisier – Suder 2000, 25-41, avec références bibliographiques. Pour une analyse de la démographie du monde grec, dont celle d’Athènes, de 1200 à 700, voir Morris 2007, 214-219. Pour une synthèse plus générale, voir Scheidel 2007, 42-49.

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Selon Aristote, la classification censitaire sert de base pour fixer les conditions d’accès aux magistratures58. Ces magistratures sont réservées aux trois premières classes, tandis que les thètes, qui constituent la quatrième classe censitaire, ont le droit de participer seulement à l’Assemblée et aux tribunaux. Il est vrai qu’en ce qui concerne l’époque de Solon, on sait peu de choses sur le rôle des thètes dans l’Assemblée, le pouvoir de cette dernière, ses compétences réelles, la procédure législative au sein de ses réunions et la fréquence de ses réunions elles-­mêmes59. Les études modernes tendent à soutenir que les thètes avaient le droit d’assister à l’Assemblée même avant les réformes de Solon, mais sans pouvoir réel. À cet effet, ce que Solon a très probablement inauguré était le cadre institutionnel qui assurait la participation des thètes à l’Assemblée et l’unité du peuple entier au sein de cette Assemblée60, mais au-­delà de cette attribution, on n’a guère de données sûres sur son pouvoir précis. Peut-­être les deux premiers vers du fragment 30 G.-P.2 = 36 W.2 et, notamment, l’expression ξυνήγαγον δῆμον (« j’ai rassemblé le peuple ») plaident en faveur du pouvoir que Solon a octroyé au dèmos61. Or, en même temps, rien ne dit que ce passage corresponde à l’affirmation d’Aristote selon laquelle Solon a ouvert de façon institutionnelle l’accès de l’Assemblée aux thètes ; Solon évoque peut-­être ici simplement une réunion du peuple entier, où il aurait présenté ses actions. 58

Pour une analyse de la classification censitaire et des doutes exprimés sur son introduction par Solon, voir surtout Mossé 1979, 430-433  ; Raaflaub 2006a, 404-421 ; Mossé 2007, 33-40 ; Duplouy 2014, 629-658. Rhodes 2006, 253, n’est pas si radical ; il préfère dire seulement que Solon n’a pas défini les qualifications accordées aux premières classes censitaires. 59 Cf. Mossé 1979, 433-434. 60 Hignett 1952, 97-98, parle de « de iure et de facto membership » ; Rhodes 1981, 140-141, soutient que les membres des classes inférieures pouvaient assister, sans participer activement à l’Assemblée avant Solon, ce qui a peut-­être continué après les réformes ; Raaflaub 2006a, 404, cite l’opinion de Rhodes ; Gehrke 2006, 286, attribue à Solon les mesures qui ont conduit à l’institutionnalisation des pratiques déjà existantes ; Werlings 2010, 251, 261-262, constate que Solon « a fait de la participation à l’Assemblée la première des magistratures, accessible à toutes les classes censitaires ». 61 Pour un résumé de toutes les interprétations proposées, voir Noussia-­Fantuzzi 2010, 461  : 1. Solon évoque peut-­être les raisons pour lesquelles il a réuni l’assemblée spécifique dont il parle. 2. Peut-­ être voulait-­ il également rappeler la réunion institutionnelle du peuple entier en une seule assemblée, ce qui constituerait une référence à l’élargissement de l’ekklèsia avec l’ajout des thètes. 3. Il fait peut-­être allusion à son effort d’unifier le peuple athénien en réduisant les divisions entre les différents groupes de la cité. 4. Moins probable est l’idée que Solon rappelle son exploit d’avoir créé un parti populaire.

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Le tribunal de l’Héliée

La concession faite par Solon aux thètes apparaît comme une double consolidation politique pour eux, laquelle consiste dans la possibilité de participer à l’Assemblée et à l’Héliée62. Parallèlement, cette phrase fait partie, comme on l’a vu, d’un passage qui décrit les concessions politiques de Solon en faveur des quatre classes censitaires. Dans ce cadre, il semble que l’objectif d’Aristote est de montrer que l’octroi des droits politiques ne se limite pas aux trois premières classes, lesquelles sont privilégiées en raison de leur participation aux charges politiques, mais que l’identité politique est liée aussi à l’exercice de la justice, laquelle s’étend également aux thètes63. Le passage évoque immédiatement la définition du citoyen au sens strict du terme dans la Politique. Selon Aristote, un citoyen ne se définit que par sa participation à la fonction de juge (κρίσεως) et de magistrat (ἀρχῆς), le terme archè englobant parfois, chez Aristote, aussi bien la fonction de juge que celle de membre de l’Assemblée64. De ce point de vue, Aristote utilise pour décrire la citoyenneté athénienne du VIe siècle les termes mêmes qu’il emploie pour celle de son époque, alors que la citoyenneté archaïque ne peut pas être définie en termes strictement juridiques et politiques65. Il est possible, par conséquent, de dire qu’Aristote attribue à Solon l’intention suivante : l’interdiction de la participation des thètes aux archai-­magistratures de la cité, donc à l’exercice du pouvoir pendant l’époque archaïque, est contrebalancée par leur participation à un nouveau tribunal populaire de composition large. De cette manière, la création d’un tribunal populaire s’inscrirait dans le cadre de l’octroi de

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Pour Ruzé 1997, 350-355, les droits politiques que Solon a assurés au peuple étaient la participation au contrôle des décisions et des actions politiques et l’accès des hommes libres, définitivement installés en Attique, à ce contrôle. 63 Cf. Papakonstantinou 2008, 73, disant que le texte présente un principe fondamental de la vie publique dans le monde grec, à savoir que le contrôle de la justice peut être facilement traduit en pouvoir politique. 64 Aristote, Politique, 1275a 22-26 Πολίτης δ’ ἁπλῶς οὐδενὶ τῶν ἄλλων ὁρίζεται μᾶλλον ἢ τῷ μετέχειν κρίσεως καὶ ἀρχῆς. Τῶν δ’ ἀρχῶν αἱ μέν εἰσι διῃρημέναι κατὰ χρόνον, ὥστ’ ἐνίας μὲν ὅλως δὶς τὸν αὐτὸν οὐκ ἔξεστιν ἄρχειν, ἢ διὰ τινῶν ὡρισμένων χρόνων· ὁ δ’ ἀόριστος, οἷον ὁ δικαστὴς καὶ ἐκκλησιαστής. : « Un citoyen au sens absolu ne se définit par aucun autre caractère plus adéquat que par la participation aux fonctions judiciaires et aux fonctions publiques en général. Or, parmi les fonctions publiques, les unes sont discontinues sous le rapport du temps, de sorte que certaines ne peuvent pas être remplies deux fois par le même titulaire, et que d’autres ne peuvent l’être qu’après certains intervalles de temps déterminés ; d’autres, au contraire, peuvent être remplies sans limitation de durée : par exemple celles de juge ou de membre de l’Assemblée. » (trad. J. Tricot 19954). 65 Sur la discussion du caractère de la citoyenneté archaïque et les modèles qu’on applique pour la comprendre, voir, e.g., Duplouy 2011, 89-106 ; id. 2014, 629-633, 642-645.

L’Héliée de Solon ?

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droits politiques supplémentaires à ceux qui sont exclus du pouvoir, à savoir les thètes. Une hypothèse récente dénie aux thètes le droit de participer au tribunal. Toutefois, Solon en aurait ouvert l’accès aux hoplites, ce qui justifierait qu’on lui en ait attribué la création : les hoplites pouvaient constituer un groupe représentatif du peuple, puisqu’ils n’appartiennent pas à l’élite, et fonctionner comme une nouvelle formation dans la procédure de l’exercice de la justice, traditionnellement rendue par l’élite66. De prime abord, on pourrait partager cette hypothèse dans la mesure où elle met en doute la possibilité réelle de la participation des thètes à un tribunal au début du VIe siècle. Pourtant, elle suppose la création d’un tribunal différent de celui que toutes les sources des Ve et IVe siècles ont évoqué, puisqu’elle le prive de son caractère populaire, qui est sa caractéristique de base. Il n’est donc pas facile de retrouver dans nos sources les traces d’un tel tribunal. Contester l’existence d’un tribunal populaire depuis Solon conduit à se poser d’autres questions sur son fonctionnement. Il faut s’interroger, d’abord, sur la possibilité et la fréquence des réunions d’un tribunal populaire pendant le VIe siècle. On ne peut pas parler d’un tribunal à base populaire, puisque, le cas échéant, il serait composé, en majorité, par les premières classes censitaires. Ce qui conduit à cette hypothèse est le fait que la participation de facto des thètes à l’Héliée a été rendue possible par l’instauration du salaire des juges par Périclès au milieu du Ve siècle, ce qui a poussé les thètes à se porter candidats comme juges. L’introduction d’une telle mesure implique que même au Ve siècle la volonté des Athéniens de participer aux tribunaux n’était pas si forte ou qu’il existait une volonté d’y participer mais non les moyens. Il n’est pas non plus facile d’établir des hypothèses sur le nombre de participants au tribunal populaire, puisqu’on ne dispose d’aucun élément concernant la composition démographique d’Athènes à l’époque de Solon ; Aristote lui-­même ne donne pas plus de détails en ce qui concerne le nombre de juges à l’Héliée. Il est bien évidemment impossible d’attribuer à l’Héliée de Solon le nombre de six mille juges qui la composaient aux Ve et IVe siècles67. Il reste à examiner la question des compétences de ce tribunal au moment de sa création. Dans la Constitution d’Athènes, Aristote attribue à Solon l’introduction de trois mesures qualifiées de l’adjectif δημοτικώτατα (« les 66

C’est l’hypothèse de Cartledge 2009, 50. Cf. Smith 1925, 110 ; Hansen 1989a, 245-246.

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Le tribunal de l’Héliée

plus favorables pour le peuple »)68 : l’interdiction de saisir les personnes pour gages de prêts ; le droit donné à chacun d’intervenir en justice en faveur d’une personne lésée69 ; et le droit d’ephesis auprès du tribunal. Et c’est cette dernière mesure qui a renforcé, selon Aristote, d’une manière considérable le pouvoir du peuple70. La référence unique d’Aristote à la procédure de l’ephesis en tant que compétence judiciaire principale de l’Héliée et l’absence de mention d’autres cas de jugements font supposer que l’Héliée était au début un tribunal dont le rôle se limitait à juger des cas d’ephesis71. Le terme soulève une série de questions qui portent sur son sens. Pour l’époque de Solon, il a été interprété par l’historiographie moderne de trois façons : soit il s’agit d’une procédure selon laquelle l’un des deux plaideurs qui n’est pas satisfait de la décision d’un magistrat – et non de l’Aréopage – a le droit de la contester et de faire transférer l’affaire auprès de l’Héliée72 ; soit il s’agit de la procédure du transfert obligatoire d’une affaire de la juridiction d’un magistrat à l’Héliée, surtout quand l’archonte n’est plus autorisé à prendre une décision qui dépasse un certain niveau de sanction73  ; soit il s’agit, très vraisemblablement, d’une procédure qui suspend l’exécution de la décision d’un magistrat ou qui empêche la validité d’une telle décision74. Le terme ephesis apparaît pour la première fois dans les documents attiques dans le décret pour Chalcis (446/5)75. Dans la Constitution d’Athènes d’Aristote, où on trouve l’expression en question, le terme est

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Cette traduction est proposée dans la traduction allemande de Dreher 1993 et adoptée par Cartledge 2009, 50. Pour la traduction de δημοτικώτατα comme « les plus démocratiques », voir les éditions Loeb et CUF, ainsi que la traduction anglaise de Rhodes 1984. 69 Cf. Noussia-­Fantuzzi 2010, 28. 70 Aristote, Constitution d’Athènes, IX. 1 τρίτον δὲ, μάλιστά φασιν ἰσχυκέναι τὸ πλῆθος, ἡ εἰς τὸ δικαστήριον ἔφεσις : « troisième mesure (la plus favorable pour le peuple), qui, dit-­on, donna le plus de force au peuple, le droit d’ephesis au tribunal ». 71 Voir, cependant, Bearzot  – Loddo 2015, 108-114, sur les différentes exigences auxquelles répondait le tribunal populaire à l’époque de Solon. 72 Voir Wade-­Gery 1958, 173-174, 195 ; Rhodes 1972a, 200 ; MacDowell 1978, 30-32 ; Mossé 1979, 433 ; Rhodes 1981, 161 ; id 2006, 255 ; Papakonstantinou 2008, 166 n. 2. 73 Voir Hignett 1952, 97-98 ; Ruschenbusch 1965, 381-384 ; Gagarin 2006, 263-264 ; Youni 2006, 381. 74 Voir Pelloso 2016, 42-45. 75 Voir chapitre IV, où le terme fait l’objet de la discussion sur les relations judiciaires entre Athènes et ses alliés.

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également employé dans les passages suivants, qui décrivent les diverses procédures judiciaires au temps d’Aristote. 1. XLII. 1 Ἔπειτ᾽ ἂν μὲν ἀποψηφίσωνται μὴ εἶναι ἐλεύθερον, ὁ μὲν ἐφίησιν εἰς τὸ δικαστήριον.

« Celui que (les démotes) repoussent par leur vote, comme n’étant pas de condition libre, peut faire transférer l’affaire devant le tribunal. ». 2. XLV. 2 Κρίνει δὲ ‖ τὰς ἀρχὰς ἡ βουλὴ τὰς πλείστας, καὶ μάλισθ᾽ ὅσαι χρήματα διαχειρίζουσιν· οὐ κυρία δ᾽ ἡ κρίσις, ἀλλ᾽ ἐφέσιμος εἰς τὸ δικαστήριον.

« Le Conseil juge encore la plupart des magistrats, principalement ceux qui manient des fonds ; mais là encore son jugement n’est pas définitif et on peut transférer l’affaire devant le tribunal. ». 3. XLV. 2 Ἔξεστι δὲ καὶ τοῖς ἰδιώταις εἰσαγγέλλειν ἣν ἂν βούλωνται τῶν ἀρχῶν μὴ χρῆσθαι τοῖς νόμοις· ἔφεσις δὲ καὶ τούτοις ἐστὶν εἰς τὸ δικαστήριον, ἐὰν αὐτῶν ἡ βουλὴ καταγνῷ.

«  Il est permis également aux particuliers de faire devant le Conseil une dénonciation contre tout magistrat qu’ils veulent accuser de ne pas se conformer aux lois ; mais, s’il est condamné par le Conseil, il y a transfert devant le tribunal pour celui-­ci. ». 4. XLV. 3 Δοκιμάζει δὲ καὶ τοὺς βουλευτὰς τοὺς τὸν ὕστερον ἐνιαυτὸν βουλεύσοντας καὶ τοὺς ἐννέα ἄρχοντας. Καὶ πρότερον μὲν ἦν ἀποδοκιμάσαι κυρία, νῦν δὲ τούτοις ἔφεσίς ἐστιν εἰς τὸ δικαστήριον.

« (Le Conseil) procède aussi à l’examen de ceux qui siègent au Conseil l’année suivante et des neuf archontes. Autrefois il avait un droit absolu d’exclusion, mais aujourd’hui il y a transfert devant le tribunal pour les candidats. ». 5. LIII. 2 ἐὰν μὴ δύνωνται διαλῦσαι, γιγνώσκουσι, κἂν μὲν ἀμφοτέροις ἀρέσκῃ τὰ γνωσθέντα καὶ ἐμμένωσιν, ἔχει τέλος ἡ δίκη. Ἂν δ᾽ ὁ ἕτερος ἐφῇ τῶν ἀντιδίκων εἰς τὸ δικαστήριον […].

« (Les arbitres publics) rendent une décision dans le cas où ils ne réussissent pas à concilier les parties. Si les deux plaideurs l’acceptent et s’y tiennent, le procès est terminé. Mais si l’un des deux adversaires fait transférer l’affaire devant le tribunal […]. ».

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Le tribunal de l’Héliée

6. LV. 2 Δοκιμάζονται […], οἱ δ᾽ ἐννέα ἄρχοντες ἔν τε τῇ βουλῇ καὶ πάλιν ἐν δικαστηρίῳ. Καὶ πρότερον μὲν οὐκ ἦρχεν ὅντιν᾽ ἀποδοκιμάσειεν ἡ βουλή, νῦν δ᾽ ἔφεσίς ἐστιν εἰς τὸ δικαστήριον, καὶ τοῦτο κύριόν ἐστι τῆς δοκιμασίας.

« […] Les neuf archontes subissent un premier examen dans le Conseil, un second devant le tribunal. Autrefois aucun d’eux ne pouvait entrer en charge si le Conseil l’avait rejeté ; aujourd’hui il y a transfert devant le tribunal, et c’est celui-­ci qui décide souverainement en matière d’examen. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, modifiées).

Dans ces passages, le terme ephesis apparaît dans des contextes différents. L’éphèbe qui est repoussé par le vote des démotes, comme n’étant pas de condition libre, peut contester cette décision devant le tribunal (1). De même, les plaideurs qui sont insatisfaits de l’arbitrage peuvent transférer leur affaire devant le tribunal (5). En ce qui concerne le pouvoir de la Boulè, les décisions qu’elle prend ne sont pas définitives et peuvent être transférées aussi devant le tribunal. Ainsi, dans le cas des magistrats qui gèrent les fonds de la cité (2) et le cas de l’eisangélie76 contre ceux qui ne se conforment pas aux lois (3), les accusés peuvent contester la décision 76

Dans le cas du jugement des affaires portées par voie d’eisangélie, la Boulè est souveraine pour imposer une amende jusqu’à cinq cents drachmes, tandis que les procès qui dépassent cette limite sont transférés de la Boulè au tribunal. Voir R & O, n° 25, l. 32-36 : la loi athénienne sur la circulation monétaire (375/4) règle que dans le cas où les magistrats ne se conforment pas à ce qui est prescrit par la loi, tout Athénien qui le voudra pourra les accuser par voie d’eisangélie, déposée devant le Conseil. Au cas où les magistrats sont reconnus coupables, ils seront démis de leur fonction et condamnés à une certaine amende. La somme exacte est restituée et estimée à cinq cents drachmes. La loi n’inclut pas de provision pour le transfert du procès auprès du tribunal, au cas où la sanction dépasse la limite de l’amende réglée par la loi, ce qui signifie qu’il s’agit d’une peine fixe. Toutefois, elle montre le pouvoir limité de la Boulè dans le domaine de la justice. Un autre exemple vient de Démosthène, Contre Évergos et Mnésiboulos, 42-43. En 357/6, une eisangélie a été déposée auprès de la Boulè par une personne inconnue contre Théophémos du dème d’Euonymon. La Boulè a permis au plaideur inconnu de dénoncer Théophémos d’avoir empêché l’envoi de la flotte, parce qu’il avait refusé de retourner l’équipement du navire, et qu’il avait agi au mépris des décisions de la cité. La Boulè a jugé Théophémos coupable (ἑάλω ἐν τῷ βουλευτηρίῳ καὶ ἔδοξεν ἀδικεῖν) et devait choisir entre deux possibilités : soit elle le condamnait elle-­même à une amende dans la limite de cinq cents drachmes, comme c’était prescrit par la loi, soit elle faisait transférer l’affaire devant le tribunal, au cas où la peine envisagée dépassait les cinq cents drachmes (πότερα δικαστηρίῳ παραδοίη ἢ ζημιώσειε ταῖς πεντακοσίαις, ὅσου ἦν κυρία κατὰ τὸν νόμον). L’accusateur ayant proposé d’imposer à Théophémos une amende de vingt-­cinq drachmes, l’affaire n’a pas été déférée devant le tribunal. Cf. Hansen 1975, 119-120.

L’Héliée de Solon ?

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condamnatoire de la Boulè auprès du tribunal. De même, dans le cas de la dokimasia des conseillers et des neuf archontes de l’année suivante (4, 6), les exclus ont le droit de contester la décision de la Boulè au tribunal77. Ces exemples montrent, ainsi, que le terme ephesis, indépendamment des nuances qu’il reçoit selon le contexte où il se trouve, fait référence au passage d’une décision non définitive à un jugement souverain, qui est pris au sein du tribunal. Pour l’époque de Solon, il n’est pas sûr que l’on puisse savoir quelle était la nuance du terme et quels étaient les cas pour lesquels l’ephesis était appliquée, étant donné l’absence de témoignages de jugement de telles affaires au VIe siècle pour Athènes. Le texte d’Aristote ne nous permet pas non plus de tirer plus de conclusions et il est également évident que la manière dont le terme était employé pendant le IVe siècle a influencé l’application de l’expression ephesis eis to dikastèrion au début du VIe. Cela ne signifie pas qu’on doive rejeter l’introduction de la mesure d’ephesis par Solon. Comme dans le cas du droit donné à chacun d’intervenir en justice en faveur d’une personne lésée, on peut reconnaître dans ces deux mesures la volonté du nomothète d’établir une justice impartiale et égale pour tous, comme cela est révélé dans ses poèmes, et un mode de protection du dèmos face à n’importe quelle décision judiciaire injuste78. Il convient de fournir quelques exemples qui datent de périodes proches des réformes de Solon, où l’on peut constater une tendance à poser des limites au pouvoir initial des magistrats et à faire évoluer la participation du peuple à l’exercice de la justice. Le premier exemple est celui de la cité de Dréros en Crète, d’où provient une loi (?) constitutionnelle, datée de la seconde moitié du VIIe siècle, qui porte sur l’interdiction de l’itération de la magistrature de cosme79. Le document commence par l’expression « la cité a décidé » (ἇδ’ ἔϝαδε│πόλι), ce qui soulève des questions quant à l’interprétation de ce mot. Elle montre tout d’abord que « la cité » est un corps souverain qui prend une décision collective puisqu’elle établit une loi qui pose des conditions pour l’accès à la magistrature de cosme à Dréros. Toutefois, rien n’indique quel est le contenu de ce mot, c’est-­à-dire quel est le corps souverain. Le mot pourrait désigner seulement les magistrats de la cité ou pourrait faire référence à l’Assemblée et, dans ce dernier cas, on ne peut rien en conclure sur la composition de cette Assemblée80. En revanche, ce qu’il convient de retenir est le fait que 77

79 80 78

Sur ces cas, voir Pelloso 2016, 37-42. Cf. Gagarin 2006, 266. Nomima I, n° 81. Cf. Gagarin – Perlman 2016, 57-58, 203-204, 206-207.

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Le tribunal de l’Héliée

cette inscription montre un effort pour contrôler l’exercice du pouvoir à travers la magistrature de cosme ; comme il est affirmé qu’il s’agit d’une magistrature investie d’un pouvoir judiciaire, l’inscription révèle la mise en place de limites à l’exercice de ce pouvoir judiciaire : il est interdit de désigner comme cosme pour une deuxième fois un individu qui l’était, sans le laps de dix ans, et dans ce cas-­là des peines et des amendes sont prévues81. Comme deuxième exemple vient l’inscription serpentiforme et très fragmentaire de Tirynthe, qui date de la fin du VIIe/début du VIe siècle et qui indique une sorte de tutelle exercée par le magistrat supérieur sur le magistrat inférieur82. Même si le contenu n’est pas très clair, il semble que les « convives » (πλατιϝοίνοι83) sont contrôlés par les « chefs-­convives » (πλατιϝοίναρχοι), qui, à leur tour, sont contrôlés par l’hiéromnémon. L’inscription fait aussi état de l’existence de dèmos, qui prend une certaine décision concernant la compétence de l’hiéromnémon, et de l’existence très probablement d’une Assemblée, l’ἀλιιαιία. On trouve, enfin, un «  arbitre-­contrôleur  »  (?) (ἐπιγνόμον) qui détient aussi une sorte de pouvoir ; son rapport avec les autres magistrats n’est cependant pas très clair. Comme dans le cas précédent, on ne connaît pas la composition de ce dèmos, mais on pourrait attribuer à cette réglementation inscrite une intention de la cité (?) de Tirynthe d’établir une surveillance sur le pouvoir des magistrats de Tirynthe84. Il reste l’exemple de Chios. On dispose d’une inscription qui porte sur « la loi constitutionnelle » attribuée à l’île de Chios85 et où figurent des éléments de la constitution de l’époque archaïque de Chios86. Le texte 81

Voir les commentaires de ML, 2-3, n° 2 et de Nomima I, 306-309, n° 81. Voir aussi Gagarin 1986, 81-86 ; Wallace 2007, 53 ; Papakonstantinou 2008, 51-52, 83, 93-94, 157 n. 10 ; Birgalias 2009, 21 n. 18 ; Osborne 20092, 174 ; Werlings 2010, 170-172 ; Gagarin – Perlman 2016, 200-207. 82 SEG XXX, 380. 83 Sur l’identité des πλατιϝοίνοι, voir Dubois 1980, 256. 84 Cf. Nomima I, 294-297, n° 78 ; Wallace 2007, 53-54 ; Papakonstantinou 2008, 52, 158 n. 11 ; Lupu 20092, 201-202, n° 6 ; Osborne 20092, 174-175. 85 Les doutes concernent la possibilité que l’inscription vienne d’Érythrées. Voir à ce sujet, Nomima I, 262, 264, n° 62 ; Ruzé 1997, 364. 86 Nomima I, n° 62. Face A : - - - - αι̣η̣ς ∶ Ἱστίης δήμο| ῥήτρας : φυλάσσω[ν - - -|- - -]ον ∶ ηρει ∶ ἢμ μὲν δημαρ|χῶν ∶ ἢ βασιλεύων ∶ δεκασ̣  - - -|- - - ς Ἱστίης ἀποδότω ∶ δημα|ρχέων : ἐξπρῆξαι∶ τὸν ἐ - - -|- - - εν δήμο κεκλημένο| αλοιαι τιμὴ διπλησ[ίη - - -|- - -] ν̣ ὅ̣σ̣η̣ν̣ π̣ αρ̣αλ̣ οι̣ω̣. Face B : - - - η̣ν̣ δ’ ἥκκλητος δ̣ ί̣[κη - -|- - -], ἢν δὲ ἀδικῆται ∶ παρὰ| δημάρχωι ∶ στατῆρ̣[ας - - -]. Face C : ἐκκαλέσθω ἐς| βολὴν τὴν δημ|οσίην· τῆι τρίτηι| ἐξ Ἑβδομαίων| βολὴ ἀγερέσθ|ω ἡ δημοσίη ἐ|πιθώιος λεκτ|ὴ πεντήϙοντ’ ἀπ|ὸ φυλῆς· τά τ’ ἄλ[λ|α]

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date, probablement, du milieu du VIe siècle87. On trouve dans l’inscription les termes désignant les magistratures du démarque et des basileis88, le dèmos en tant qu’assemblée, une Boulè dèmosiè89 et des procès en « appel » (ekklètoi). L’inscription étant assez lacunaire, la traduction est souvent incertaine, ce qui soulève plusieurs questions sur le pouvoir des institutions désignées. Sous réserve, il semble que le démarque et les basileis soient deux magistratures à compétence judiciaire, pour lesquelles une amende est prévue en cas de corruption (?) ; il semble aussi que le dèmos réuni détienne une sorte de pouvoir judiciaire, puisque le magistrat qui ne serait pas acquitté (?) paierait une double amende quand le dèmos serait réuni ; il est enfin clair que la Boulè juge les procès en « appel » et s’occupe des affaires du dèmos90. L’hypothèse selon laquelle ces procès puissent concerner la situation qui est décrite sur la face B de l’inscription, où il est question d’un procès en « appel » pour celui qui est victime d’une injustice au tribunal du démarque est très vraisemblable91. L’inscription montre ainsi que le pouvoir des magistrats est limité par les procès en « appel » et au sein d’un dèmos assemblé qui exerce une sorte de contrôle des magistrats. L’inscription ne témoigne pas de l’existence d’un tribunal populaire séparé de l’Assemblée. Il est clair que le dèmos a acquis le droit de participer partiellement à la justice, mais ce pouvoir reste limité et ne suppose pas la mise en place d’un tribunal populaire, puisque le dèmos





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πρησσέτω τὰ δή|μο καὶ δίκα[ς ὁ|[ϙό]σαι ἂν ἔκκλ|ητοι γένων̣ [τ|αι] τὸ μηνὸς π|άσας ἐπι . . . | . . . . σ̣ ε̣ ε̣ρ̣ . . . A : « [----] … d’Hestia, en gardant les rhètrai du dèmos, [----] … Si, alors qu’il est démarque ou basileus, il … [----], qu’il reverse [à ----] d’Hestia, tant qu’il est démarque. L’e[----] fera rentrer la somme. [----] le dèmos étant assemblé, … il paiera le double [--------] … ». B : « [----] jugement en ‘appel’ [----] et, s’il est victime d’une injustice, [----] auprès du démarque [-] statères ». C : « Il en appellera à la Boulè dèmosiè ; au troisième jour après les Hebdomaia, se réunira la Boulè dèmosiè – avec pouvoir d’infliger des amendes – choisi à raison de cinquante par tribu. Ce conseil s’occupera de toutes les affaires du dèmos et en particulier de tous les procès venus en ‘appel’ durant le mois, tous ceux qui [--------] » (trad. Nomima I, n° 62, légèrement modifiée). Voir Ampolo 1983, 401 n. 1, avec les références sur les études de l’inscription, ainsi que Wallace 2007, 54 ; Birgalias 2009, 58-62 ; Werlings 2010, 159-165. Voir Jeffery 1956, 157-167 ; Nomima I, 264, n° 62. Sur le collège des basileis, voir Carlier 1984, 446-449. Sur la Boulè de Chios, voir Ampolo 1983, 401-416. Voir les traductions proposées par Jeffery 1956, 162 ; Wade-­Gery 1958, 198 ; ML, 15-16, n° 8 ; Nomima I, 262, n° 62. Voir Werlings 2010, 163.

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peut exercer ce droit soit par son accès à un procès en « appel » soit à travers l’Assemblée. Il reste encore une question ouverte : à quel but répondait la création d’une institution à part entière dont le rôle se limitait au jugement des affaires d’ephesis, dans une période où l’on ignore si le tribunal populaire pouvait se réunir régulièrement ou du moins facilement ? Dans ce cas-­là, il faut se demander si l’ephesis n’aurait pas pu, au début, s’effectuer auprès du tribunal de l’Aréopage92, hypothèse qui ne peut pas être confirmée par d’autres sources, ou même devant le peuple assemblé, au cas où l’on accepte que Solon lui ait attribué des pouvoirs supplémentaires. Dans ce premier cas, l’expression ephesis eis to dikastèrion vise simplement le droit pour le peuple « d’être jugé par le tribunal » contre la décision d’un magistrat, par exemple, non celui d’y siéger comme juge. La référence d’Aristote doit être mise en rapport avec les emplois de l’expression dans les six passages de la Constitution d’Athènes évoqués précédemment, où il s’agit du droit de présenter sa cause « devant un tribunal ». Il est raisonnable de penser qu’en IX. 1, l’expression est employée dans le même sens. Cela dit, pour l’auteur de la Constitution d’Athènes, Solon a vraiment créé les « tribunaux du peuple », alors qu’il n’avait peut-­être garanti que le droit du peuple d’être jugé « au tribunal ». Des problèmes aussi sont soulevés par l’emploi de la procédure du tirage au sort en tant que mode de désignation des juges qu’Aristote cite dans la Politique93 et il n’est pas exclu qu’on puisse la considérer comme anachronique, si on la lie à l’évolution du régime athénien vers la démocratie94. En effet, si l’on prend en considération la définition de la citoyenneté archaïque donnée par Aristote et si l’on étudie le vocabulaire qu’il utilise pour l’Héliée, par l’emploi du pluriel dikastèria, l’allusion à la composition des tribunaux à partir de tous les citoyens (τὰ δικαστήρια ποιήσας ἐκ πάντων), la mention du tirage au sort en tant que mode de désignation (κληρωτὸν), de la souveraineté du peuple dans la vie politique en raison de son rôle dans l’exercice de la justice (τὸν δὲ δῆμον καταστῆσαι, κύριον ποιήσαντα τὸ δικαστήριον πάντων) et de la diminution des pouvoirs de l’Aréopage et des archontes (λῦσαι γὰρ θάτερα), on s’aperçoit que ces phrases plaident 92

Pour cette hypothèse, voir Mossé 1979, 433-434. Gagarin 2006, 266, aussi n’écarte pas cette possibilité. 93 Il n’y a pas lieu de résoudre ici les problèmes soulevés par la date de l’introduction de la procédure de tirage au sort sur une liste de candidats présélectionnés (κλήρωσις ἐκ προκρίτων) à la magistrature des neuf archontes. Voir Aristote, Politique, 1273b 35-1274a 5, Constitution d’Athènes, VIII. 1, XIII. 2, XXII. 5. Pour la discussion, voir à titre indicatif Rhodes 1981, 146-149, 272-274 ; Hansen 1990, 55-61, surtout 56 n. 6 ; id. 19992, 49-52 ; Demont 2010, 1-16. 94 Cf. Hansen 1989a, 245.

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davantage en faveur de la description de l’Athènes démocratique des Ve et IVe siècles que de l’Athènes timocratique des débuts du VIe.

2.  Le texte de Plutarque Le texte de Plutarque sur le tribunal populaire suit le récit d’Aristote, qui est sa source principale pour cette question95. Vie de Solon,  XVIII. 2-3 Οἱ δὲ λοιποὶ πάντες ἐκαλοῦντο Θῆτες, οἷς οὐδεμίαν ἄρχειν ἔδωκεν ἀρχήν, ἀλλὰ τῷ συνεκκλησιάζειν καὶ δικάζειν μόνον μετεῖχον τῆς πολιτείας. Ὃ κατ᾽ ἀρχὰς μὲν οὐδέν, ὕστερον δὲ παμμέγεθες ἐφάνη· τὰ γὰρ πλεῖστα τῶν διαφόρων ἐνέπιπτεν εἰς τοὺς δικαστάς· καὶ γὰρ ὅσα ταῖς ἀρχαῖς ἔταξε κρίνειν, ὁμοίως καὶ περὶ ἐκείνων εἰς τὸ δικαστήριον ἐφέσεις ἔδωκε τοῖς βουλομένοις.

« Tous les autres furent appelés thètes ; il ne leur donna aucune magistrature à exercer, mais seulement le droit de participer à la vie publique en siégeant à l’Assemblée et dans les tribunaux. Il sembla d’abord que ce n’était rien, mais ce droit se révéla par la suite fort important ; car la plupart des procès étaient portés devant les juges et, de tous les jugements dont il avait chargé les magistrats, il avait permis à qui le voudrait de faire transférer l’affaire devant le tribunal. » (trad. R. Flacelière – M. Juneaux – E. Chambry, légèrement modifiée).

Plutarque décrit la division du corps civique en classes censitaires, répète qu’elles servent de base pour l’accès aux magistratures, discute les compétences accordées aux thètes et présente la procédure d’ephesis comme la principale compétence judiciaire du tribunal populaire. Ce qui n’existe ni dans la Politique ni dans la Constitution d’Athènes est son commentaire sur l’ephesis, puisqu’il précise que cette dernière avait lieu au cas où l’un de deux plaideurs le désirait. Pourtant, il convient d’être réservé dans la prise en compte de ce commentaire comme un témoignage sûr pour l’esprit de l’époque archaïque.

C. La « constitution des ancêtres » La bibliographie sur le thème de la patrios politeia (« constitution des ancêtres ») est abondante96. Comme ce sujet sera traité dans un chapitre 95 96

Voir Manfredini – Piccirilli 1977, 210. Voir, à titre indicatif, Ruschenbusch 1958, 398-424 ; Fuks 1971 ; Mossé 1978, 81-89 ; ead. 1979, 425-437 ; Hansen 1989b, 71-99 ; Birgalias 2007, 117-140 ; Noussia-­

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suivant, il suffit de noter ici que les termes patrios politeia et patrioi nomoi (« lois des ancêtres ») renvoient à la constitution et aux lois des ancêtres, qui ont été établies par de bons nomothètes et modifiées par ceux qui leur ont succédé. Il est intéressant de souligner que le terme patrios étant vague, il peut renvoyer à n’importe quel régime ancestral et revêt ainsi différentes nuances politiques selon les opinions politiques de ses partisans97. Dans ce cadre, la propagande oligarchique de 411 et 404 a utilisé ces termes98 à propos de la réintroduction d’institutions du passé, lesquelles auraient mieux fonctionné que les institutions présentes, et a inauguré une discussion plus systématique d’une certaine orientation politique. Et parallèlement, ce retour au passé a été un pivot chez les théoriciens et les orateurs du IVe siècle. D’un côté, des discours politiques et des traités du IVe siècle ont été écrits dans cet esprit et leurs auteurs attribuent des institutions et des lois ultérieures au passé99. On pourrait de cette façon analyser l’attribution des tribunaux populaires à Solon par Aristote, si l’on prend en compte qu’Aristote attribue aux réformes de Solon des institutions démocratiques. Son analyse de l’œuvre de Solon dans la Politique est une des premières apparitions de ce que nous appelons « la constitution mixte » (μείξαντα καλῶς τὴν πολιτείαν), qui est un anachronisme du IVe siècle, sans, par conséquent, valeur historique. D’un autre côté, les plaidoyers attribuent souvent à Solon des lois postérieures100, puisqu’une telle référence prête à la loi une valeur, une durée et un impact considérables101, quand il s’agit de convaincre le tribunal de l’innocence Fantuzzi 2010, 20-21, surtout n. 5 ; Azoulay 2014, 717-718, soulignant qu’« À la suite des révolutions oligarchiques de 411 et 404, un nouveau régime d’historicité s’établit, qui tend à masquer les innovations institutionnelles sous la continuité traditionnelle. Et, pourtant, on pourrait affirmer, sans se tromper, que la cité n’a jamais été aussi démocratique, comme le fait valoir la Constitution des Athéniens du Pseudo-­Aristote. » ; Caire 2016, 262-287. Sur les divers modes de reconstruire le passé, voir aussi Marincola – Llewellyn-­Jones – Maciver 2012. 97 Cf. McCoy 1975, 140 ; Mossé 1978, 81. 98 Sur l’emploi de ces termes avant 411, voir Thucydide, II. 2. 2, III. 61. 2, 65. 2, IV. 86. 4, 118. 1, 3, 8. 99 Xénophon, Helléniques, II. 3. 2 ; Isocrate, Aréopagitique ; Aristote, Politique 1273b 35-42, Constitution d’Athènes, XXIX. 3, XXXIV. 3, XXXV. 1-2. 100 Voir, à titre d’exemple, la procédure législative consistant à introduire de nouvelles lois : Démosthène, Contre Leptine, 88-89 ; l’accusation pour avoir proposé une loi nocive : Démosthène, Contre Timocrate, 212 ; la distinction entre lois et décrets : Hypéride, Contre Athénogène, 22 (pourtant, le nom de Solon est restitué dans le passage correspondant) ; la loi relative à la dokimasia des orateurs : Eschine, Contre Timarque, 26-32. 101 Cf. Τouloumakos 1979, 183-184 ; Hansen 1989b, 80-87 ; Thomas 1994, 124, 128, 130-131 ; Sickinger 1999, 24.

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ou de la culpabilité de l’accusé. Cela nous donne l’occasion d’aborder le sujet du serment héliastique. Selon Isocrate, les juges qui sont en train de juger l’affaire contre Callimachos ont prêté deux serments : celui qu’ils prêtent habituellement pour tous les procès et celui qui concerne les conventions établies à propos des événements de la tyrannie des Trente et la restauration de la démocratie en 403102. Ce passage suggère que les juges prêtent leur serment au début de l’année, suite à leur tirage, et non chaque fois avant le jugement d’une affaire. Le lieu où ils prêtent ce serment semble se trouver, conformément à des sources postérieures, sur la colline d’Ardettos103. Démosthène, Contre Timocrate, 149-151 Ψηφιοῦμαι κατὰ τοὺς νόμους καὶ τὰ ψηφίσματα τοῦ δήμου τοῦ Ἀθηναίων καὶ τῆς βουλῆς τῶν πεντακοσίων, καὶ τύραννον οὐ ψηφιοῦμαι εἶναι οὐδ’ ὀλιγαρχίαν· οὐδ’ ἐάν τις καταλύῃ τὸν δῆμον τὸν Ἀθηναίων ἢ λέγῃ ἢ ἐπιψηφίζῃ παρὰ ταῦτα, οὐ πείσομαι· οὐδὲ τῶν χρεῶν τῶν ἰδίων ἀποκοπὰς οὐδὲ γῆς ἀναδασμὸν τῆς Ἀθηναίων οὐδ’ οἰκιῶν· οὐδὲ τοὺς φεύγοντας κατάξω, οὐδὲ ὧν θάνατος κατέγνωσται, οὐδὲ τοὺς μένοντας ἐξελῶ παρὰ τοὺς νόμους τοὺς κειμένους καὶ τὰ ψηφίσματα τοῦ δήμου τοῦ Ἀθηναίων καὶ τῆς βουλῆς οὔτ’ αὐτὸς ἐγὼ οὔτ’ ἄλλον οὐδένα ἐάσω· οὐδ’ ἀρχὴν καταστήσω ὥστ’ ἄρχειν ὑπεύθυνον ὄντα ἑτέρας ἀρχῆς, καὶ τῶν ἐννέα ἀρχόντων καὶ τοῦ ἱερομνήμονος καὶ ὅσοι μετὰ τῶν ἐννέα ἀρχόντων κυαμεύονται ταύτῃ τῇ ἡμέρᾳ, καὶ κήρυκος καὶ πρεσβείας καὶ συνέδρων· οὐδὲ δὶς τὴν αὐτὴν ἀρχὴν τὸν αὐτὸν ἄνδρα, οὐδὲ δύο ἀρχὰς ἄρξαι τὸν αὐτὸν ἐν τῷ αὐτῷ ἐνιαυτῷ· οὐδὲ δῶρα δέξομαι τῆς ἡλιάσεως ἕνεκα οὔτ’ αὐτὸς ἐγὼ οὔτ’ ἄλλος ἐμοὶ οὔτ’ ἄλλη εἰδότος ἐμοῦ, οὔτε τέχνῃ οὔτε μηχανῇ οὐδεμιᾷ. Καὶ γέγονα οὐκ ἔλαττον ἢ τριάκοντα ἔτη. Καὶ ἀκροάσομαι τοῦ τε κατηγόρου καὶ τοῦ ἀπολογουμένου ὁμοίως ἀμφοῖν, καὶ διαψηφιοῦμαι περὶ αὐτοῦ οὗ ἂν ἡ δίωξις ᾖ. Ἐπομνύναι Δία, Ποσειδῶ, Δήμητρα, καὶ ἐπαρᾶσθαι ἐξώλειαν ἑαυτῷ καὶ οἰκίᾳ τῇ ἑαυτοῦ, εἴ τι τούτων παραβαίνοι, εὐορκοῦντι δὲ πολλὰ κἀγαθὰ εἶναι.

« Je voterai conformément aux lois et aux décrets du peuple athénien et du Conseil des Cinq Cents. Je ne voterai pas l’établissement d’une tyrannie, ni d’une oligarchie, et si quelqu’un veut renverser la démocratie d’Athènes, ou fait une proposition hostile à ce gouvernement, ou la met aux voix, je ne le suivrai pas. Je ne voterai ni l’abolition des dettes privées, ni le partage des terres et des maisons des Athéniens. Je ne rappellerai ni les exilés ni les condamnés à 102

Isocrate, Contre Callimachos, 34. Cf. Carawan 2013, 136. Je reviens à ce sujet dans le chapitre VI. 103 Pollux, VIII. 122 ; Harpocration, s. v.

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mort ; je n’expulserai du pays aucun citoyen y résidant, contrairement aux lois existantes et aux décrets du peuple athénien et du Conseil, je ne le ferai pas moi-­même et j’en empêcherai autrui. Je ne confirmerai dans sa magistrature aucun citoyen n’ayant pas encore rendu ses comptes pour une magistrature précédente, qu’il ait été un des neuf archontes, ou hiéromnémon, ou un des magistrats désignés par le sort ce jour d’hui, en même temps que les neuf archontes, ou héraut, ou ambassadeur, ou synedros. Je ne conférerai pas deux fois la même magistrature à la même personne, ni deux magistratures à la même personne dans la même année. Je ne recevrai point de présents en qualité d’héliaste, ni personnellement, ni par l’intermédiaire d’une autre personne, homme ou femme, à ma connaissance, et cela par aucun biais ou moyen. J’ai atteint l’âge de trente ans. J’écouterai avec une égale attention les deux parties, accusateur et accusé ; et je ferai porter mon vote uniquement sur l’objet de la poursuite. L’héliaste jure ensuite par Zeus, par Poséidon, par Déméter, appelant sur soi-­même et sur sa maison l’extermination, au cas où il violerait ces engagements, et au contraire toutes les prospérités, s’il tient son serment. » (trad. O. Navarre – P. Orsini, légèrement modifiée).

Les commentateurs du serment soutiennent que le serment qui est inséré dans le plaidoyer de Démosthène comprend des formules qui sont authentiques, des dispositions qui ne semblent pas se trouver dans le serment des héliastes, des clauses qui seraient permanentes et d’autres, surtout les dispositions à caractère politique, qui auraient été ajoutées après un événement précis ou pour une courte période104 ; ils soulignent aussi que le serment cité ne comprend pas de formules qui figurent, pourtant, dans les textes contemporains105. Les clauses qui sont considérées comme authentiques ou qui pourraient appartenir au serment des héliastes peuvent, en effet, être confirmées par des phrases identiques ou semblables dans les discours : le vote conformément aux lois et aux décrets du peuple et du Conseil des Cinq Cents106, la 104

Voir à ce propos, Mossé 1991, 396-398. On peut y ajouter aussi la référence par Andocide, Sur les Mystères, 91, à la clause insérée dans le serment après la restauration démocratique de 403 concernant l’obligation des juges de «  ne pas avoir de ressentiment ». Voir chapitre VI, n. 4. 105 Pour un résumé de plusieurs opinions exprimées, voir Bonner – Smith 1938, 152-156. Sur deux nouvelles analyses de la disposition γνώμῃ τῇ δικαιοτάτῃ δικάζειν (« prononcer en leur âme et conscience ») qui n’est pas citée dans le serment trouvé chez Démosthène, voir Harris 2006a, 159-170 ; Mirhady 2007, 48-59 ; Harris 2013a, 104-114. 106 Cf. Démosthène, Sur la Couronne, 121, Sur l’Ambassade, 179, Contre Leptine, 118, Contre Midias, 42, 188, Contre Aristocrate, 101, Contre Timocrate, 188, Contre Phormion, 45, Pour Phormion, 26, Contre Stéphanos  I, 87, Contre Théocrinès, 25, 36 ; [Démosthène], Contre Stéphanos II, 27, Contre Nééra, 115 ; Dinarque, Contre

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défense de recevoir des présents107, l’obligation d’écouter avec une égale attention l’accusateur et l’accusé108, l’obligation de voter sur l’objet de la poursuite109, ainsi que le serment donné au nom des dieux110. Pour les autres clauses du serment, le texte a été discuté à plusieurs reprises et ce n’est pas mon intention de contester ici les doutes qui ont été exprimés à propos de leur authenticité111, d’autant qu’ils semblent logiques, ou de procéder à une analyse qui n’aurait rien de nouveau à apporter à la discussion existante. Ce qui nous intéresse ici est l’examen du serment des héliastes et son attribution à Solon. Cette attribution vient de deux passages de Démosthène, dans le Contre Timocrate et dans le Sur la Couronne et pourrait éclairer le débat sur l’existence ou non du tribunal populaire au début du VIe siècle. Dans le Contre Timocrate112, Démosthène dit que Solon a ajouté au serment bouleutique une disposition qui refusait à la Boulè le droit Démosthène, 17, 84 ; Eschine, Contre Ctésiphon, 6, 31 ; Hypéride, Contre Philippide, 5, Contre Démosthène, fr. I, col. I ; Isée, La succession de Ménéclès, 47, La succession d’Hagnias, 6 ; Lysias, Contre Théomnestos I, 32, Contre les marchands de blé, 7. 107 Cf. [Démosthène], Contre Stéphanos II, 26 ; Eschine, Contre Timarque, 86. 108 Cf. Andocide, Sur les Mystères, 6 ; Démosthène, Sur la Couronne, 2, 6, 7, Contre Conon, 2 ; Eschine, Sur l’Ambassade, 1 ; Hypéride, Défense pour Lycophron, fr. 1 ; Isocrate, Sur l’Échange, 21. 109 Cf. Démosthène, Contre Stéphanos I, 50, Contre Euboulidès, 63, 66 ; Eschine, Contre Timarque, 154, 170 ; Hypéride, Pour Euxénippos, 31 ; Lycurgue, Contre Léocrate, 11, 13, 149. 110 Cf. Andocide, Sur les Mystères, 31 ; Démosthène, Sur la Couronne, 217 ; [Démosthène], Contre Callippos, 9 ; Dinarque, Contre Démosthène, 86 ; Lycurgue, Contre Léocrate, 146. Pourtant, il faut noter que les dieux que le serment cite ne sont pas tous identiques aux dieux qui figurent ailleurs. Voir Canevaro 2013a, 180. 111 Sur la démonstration que le texte ne correspond pas en totalité au serment authentique des héliastes, voir Canevaro 2013a, 173-180. Je voudrais m’attarder seulement sur la clause du serment « Je ne rappellerai ni les exilés, ni les condamnés à mort ; je n’expulserai du pays aucun citoyen y résidant, contrairement aux lois existantes et aux décrets du peuple athénien et du Conseil ». La clause n’appartenait probablement pas au serment et Canevaro pense qu’elle serait mieux située dans un serment prêté par le Conseil ou l’Assemblée du peuple. Or, il me semble qu’on pourrait la rapprocher du serment que prêtent les conseillers et les héliastes dans le décret à propos de Chalcis. 112 Démosthène, Contre Timocrate, 147-148 ἐν δὲ τῷ ὅρκῳ τῷ βουλευτικῷ γέγραπται, ἵνα μὴ συνιστάμενοι οἱ ῥήτορες οἱ ἐν τῇ βουλῇ δεσμὸν κατά τινος τῶν πολιτῶν λέγοιεν. Ἄκυρον οὖν τοῦ δῆσαι τὴν βουλὴν ποιῶν ὁ Σόλων τοῦτο πρὸς τὸν ὅρκον τὸν βουλευτικὸν  προσέγραψεν, ἀλλ’ οὐ πρὸς τὸν ὑμέτερον· ἁπάντων γὰρ κυριώτατον ᾤετο δεῖν εἶναι τὸ δικαστήριον, καὶ ὅ τι γνοίη, τοῦτο πάσχειν τὸν ἁλόντα. : « Il se trouve dans le serment du Conseil et a pour but d’empêcher dans cette assemblée les orateurs de se liguer contre un citoyen pour proposer son emprisonnement. Ne voulant pas donner aux membres du

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d’emprisonner, sauf exceptions113, mais il n’en a pas fait de même pour le serment des héliastes. À son avis, le tribunal devait exercer une autorité souveraine et le coupable devait subir toute sentence prononcée par les juges. À cet effet, Démosthène invite le greffier à lire le serment des héliastes, afin qu’il renforce son argument. L’attribution du serment héliastique à Solon se trouve dans un contexte problématique, qui est dû à l’attribution parallèle du serment bouleutique à Solon. D’un côté, la formulation de la phrase laisse à penser que Solon n’a pas introduit le serment de la Boulè en entier, mais qu’il y a ajouté la clause spécifique sur la défense d’emprisonner – on dirait même que le serment est antérieur à Solon. La Boulè qui se rattache à cette disposition doit au moins dater de l’époque de Solon et elle doit correspondre à la Boulè des Quatre Cents114, dont l’existence est elle-­même problématique115. D’un autre côté, cette clause renvoie aux compétences judiciaires de la Boulè. Ni Aristote ni Plutarque116 ne font une telle allusion à propos de la Boulè des Quatre Cents ; on sait, au contraire, que la Boulè des Cinq Cents était investie d’un pouvoir judiciaire117. En même temps, cette phrase de Démosthène est le seul témoignage dont on dispose sur l’instauration du serment bouleutique à l’époque de Solon. En revanche, Aristote dans la Constitution d’Athènes mentionne que c’est en 501/0 qu’a été introduit le serment pour la Boulè des Cinq Cents118 et n’atteste pas la transformation ou l’existence d’un serment avant la création de la Boulè des Cinq Cents. Toutes ces considérations remettent en question ce passage de Démosthène et, par conséquent, l’introduction du serment des héliastes par Solon. Dans le Sur la Couronne de Démosthène, le serment est attribué à Solon à deux reprises dans le même passage119. Dans le premier cas, Conseil le droit d’incarcérer, Solon a inséré cette formule dans leur serment, mais non dans le vôtre. À son avis, l’autorité des tribunaux devait être générale et souveraine, et toute sentence par eux prononcée contre un coupable recevoir exécution. » (trad. O. Navarre – P. Orsini). 113 Démosthène, Contre Timocrate, 144. 114 Cf. Rhodes 1972, 194 n. 4 ; Hansen 1989b, 92 n. 95. Rhodes 2006, 258, considère ce passage comme le plus sérieux parmi les attributions à Solon des lois qui sont incontestablement postérieures à ce dernier. 115 Voir à ce propos, Bartzoka 2012, 127-148. 116 Aristote, Constitution d’Athènes, VIII. 4 ; Plutarque, Vie de Solon, XIX. 117 Sur ces compétences, voir Rhodes 1972a, 195-207. 118 Aristote, Constitution d’Athènes, XXII. 2. Sur son contenu, voir Rhodes 1972a, 194. Sur les différentes interprétations de la date du serment du Conseil, voir Rhodes 1981, 263-264. 119 Démosthène, Sur la Couronne, 6 ἀξιῶ καὶ δέομαι πάντων ὁμοίως ὑμῶν ἀκοῦσαί μου περὶ τῶν κατηγορημένων ἀπολογουμένου δικαίως, ὥσπερ οἱ νόμοι

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Démosthène demande que les juges l’entendent également dans sa défense contre l’accusation d’Eschine, conformément aux lois que Solon a établies. L’obligation d’écouter avec une égale attention l’accusateur et l’accusé, qui se trouve dans le serment héliastique, est attribuée par Démosthène à Solon. Dans le deuxième cas, selon l’orateur, Solon croyait que ces lois qu’il avait établies seraient souveraines non seulement si elles étaient écrites, mais aussi si les juges prêtaient serment de s’y conformer, ce qui plaide aussi en faveur de l’introduction du serment par Solon. De ces deux cas, il ressort que l’appel du législateur se place dans un contexte où Démosthène cherche à obtenir la bienveillance des juges contre les accusations d’Eschine. S’il attribue le serment à Solon, il le fait dans le but d’attirer l’attention des héliastes sur sa défense et ajouter plus de valeur à leur serment, puisque l’appel à Solon comme fondateur de la démocratie et le rapprochement entre son nom et les réformes de la démocratie des Ve et IVe siècles est une pratique générale. Même le serment lui-­même, tel qu’il est cité chez Démosthène, ne permet pas de l’attribuer à l’époque de Solon. Si on met à part ses clauses qui ne sont pas considérées comme authentiques, les autres dispositions ne peuvent pas non plus être attribuées avec certitude à Solon. Elles présupposent plutôt l’existence des institutions organisées, comme celle de l’Assemblée du peuple et du Conseil des Cinq Cents, aussi bien que l’existence d’un tribunal au sein duquel est suivie une procédure bien définie. À cet égard, le passage de Démosthène n’est d’aucune aide pour dater le serment des héliastes et, donc, la création du tribunal populaire. L’introduction du serment doit normalement suivre la création du tribunal, il doit être lié à son fonctionnement et évoluer ou être modifié au cours des années et selon certains événements qui nécessitent des changements. Le cas du serment des membres du Conseil des Cinq Cents offre un parallèle. Selon Aristote, la création de ce Conseil est attribuée à Clisthène120 et sa fonction pourrait dater du début de ses

κελεύουσιν, οὓς ὁ τιθεὶς ἐξ ἀρχῆς Σόλων, εὔνους ὢν ὑμῖν καὶ δημοτικός, οὐ μόνον τῷ γράψαι κυρίους ᾤετο δεῖν εἶναι ἀλλὰ καὶ τῷ τοὺς δικάζοντας ὑμᾶς ὀμωμοκέναι : « Je vous demande et je vous prie tous également de m’entendre dans ma défense contre l’accusation, conformément à la justice, comme l’ordonnent les lois que Solon, qui, le premier, les a établies, qui vous était dévoué et favorable pour le peuple, croyait souveraines non seulement du fait qu’elles étaient écrites, mais aussi du fait que les juges avaient prêté serment. » (trad. G. Mathieu, légèrement modifiée). 120 Aristote, Constitution d’Athènes, XXI. 3.

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réformes121, mais le serment correspondant a été introduit en 501/0 et doit avoir été modifié au cours du Ve siècle et selon les besoins de l’époque122. On a soutenu que l’introduction du serment du Conseil des Cinq Cents plaide en faveur de l’introduction aussi du serment des héliastes à peu près à la même époque123, ce qui signifierait que le tribunal populaire existait à une époque proche des réformes de Clisthène. Cela reste à examiner.

Conclusions Dans leurs explications des passages d’Aristote sur les réformes de Solon, les spécialistes ont identifié le tribunal populaire soit à l’Assemblée du peuple soit à une nouvelle institution soit, même, à la Boulè des Quatre Cents124. Pour ce qui concerne le premier cas, il n’y a pas de raisons suffisantes pour identifier l’Héliée à l’Assemblée du peuple. Toutes les sources attiques citées dans le premier chapitre plaident en faveur d’un tribunal et non de l’Assemblée. Du reste, dans ce cas, il n’est plus question de l’existence ou non de l’Héliée comme tribunal à part, fondé par Solon, mais des pouvoirs accordés à l’Assemblée du peuple. Pour ce qui concerne le troisième cas, l’existence de la Boulè des Quatre Cents est elle-­même problématique et aucune source ne soutient, d’ailleurs, qu’il faille lui attribuer un caractère judiciaire. Pour ce qui concerne la deuxième proposition, l’analyse précédente a montré qu’il n’existe pas de source contemporaine de l’époque de Solon lui attribuant explicitement la création de l’Héliée. Les poèmes de Solon soulèvent des difficultés d’interprétation et parallèlement leurs vers n’impliquent pas la création d’un nouveau tribunal, distinct de l’Assemblée, au début du VIe siècle ou pour répondre aux besoins de l’époque. On y décèle la volonté du nomothète de protéger le peuple et ses droits face aux citoyens les plus aisés, mais cela ne prouve pas la création du tribunal populaire par Solon. Les lois attribuées à Solon et mentionnant le nom de l’« Héliée » ne permettent pas d’affirmer qu’elles ont été, en effet, écrites par lui-­même. De même, les 121

Certains soutiennent que le serment inaugure une nouvelle période des compétences de la Boulè, dont la fonction date de la réforme des tribus ; d’autres rattachent le serment à une époque où les réformes de Clisthène, après avoir passé une période d’élaboration, commencent à être mises en œuvre. Selon ce dernier point de vue, le fonctionnement de la Boulè daterait de 501/0. Voir Rhodes 1981, 263-264. 122 Sur les clauses du serment bouleutique, voir Rhodes 1972a, 194-195. 123 Voir Mirhady 2007, 55. 124 Voir Jeffery 1976, 94 ; Valdés Guía 2001, 97-104 ; ead. 2003, 73-75.

L’Héliée de Solon ?

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commentaires d’Aristote et de Plutarque relatifs aux réformes de Solon ne se réfèrent pas à l’Héliée, mais au droit donné plus généralement par Solon aux thètes d’accéder aux « tribunaux ». Ces commentaires, ainsi que tout autre texte qui parle des mesures de Solon, sont inspirés du pouvoir dont le tribunal populaire est investi à l’époque démocratique et de la discussion sur « la constitution des ancêtres », inaugurée surtout à partir des régimes oligarchiques de la fin du Ve siècle.

Chapitre III

Quelle période pour la création de l’Héliée ? Si l’on prive Solon de la création du tribunal populaire, on doit la chercher dans l’époque qui suit ses réformes. On se propose, par conséquent, d’attirer notre attention, dans ce chapitre, sur les périodes qui offrent un contexte favorable à l’organisation d’un tribunal populaire.

A. La tyrannie de Pisistrate Selon Aristote, après l’archontat de Solon, Athènes connaît une instabilité des institutions. Damasias accède à la magistrature d’archonte éponyme pour une période de deux ans, à l’issue de laquelle lui succède une commission de dix citoyens1. Aucune source ne nous informe de l’existence ou non d’un tribunal populaire. La première indication sur l’époque suivante vient de Diogène Laërce, biographe du IIIe siècle après J.-C. Ce dernier inclut dans sa Vie des Philosophes une lettre adressée par Solon à Épiménidès, dans laquelle Solon fait le récit d’un épisode qui a précédé l’ascension de Pisistrate à la tyrannie (561/0). Dans le cadre de ses desseins tyranniques, Pisistrate se présente blessé auprès de l’« Héliée », attribue ses blessures à ses ennemis, alors qu’il se les était lui-­même infligées, et demande qu’on mette une garde à sa disposition, pour qu’il soit protégé de ses ennemis. I. 66 εἶτα δὲ ἑαυτῷ τραύματα ποιήσας, παρελθὼν ἐπ’ ἠλιαίαν ἐβόα φάμενος πεπονθέναι ταῦτα ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν· καὶ φύλακας ἠξίου παρασχεῖν οἱ τετρακοσίους τοὺς νεωτάτους. οἱ δὲ ἀνηκουστήσαντές μου παρέσχον τοὺς ἄνδρας. οὗτοι δὲ ἦσαν κορυνηφόροι. καὶ μετὰ τοῦτο τὸν δῆμον κατέλυσεν (éd. par T. Dorandi 2013).

« Ensuite, après s’être infligé à lui-­même des blessures et s’être présenté à l’Héliée, il dit, en poussant des cris, qu’il avait subi ces blessures sous les coups de ses ennemis. Et il demanda qu’on lui octroie comme gardes quatre 1

Aristote, Constitution d’Athènes, XIII. 2. Cf. Rhodes 1981, 180-184.

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Le tribunal de l’Héliée

cents jeunes gens. Les autres, sans m’avoir écouté, lui accordèrent les hommes (demandés). Ceux-­ci étaient des porte-­gourdin. Et après cela il demanda la dissolution de la démocratie. » (trad. R. Goulet 1999, légèrement modifiée).

Ce qui pose problème est la présence du terme « Héliée » dans le texte de Diogène. Le terme fait probablement référence au lieu où Pisistrate s’est présenté. Selon le contexte du passage, il semble que ce lieu n’a rien à voir avec un tribunal ; il renvoie plutôt à une réunion des Athéniens, au sein de laquelle a eu lieu la demande de Pisistrate et l’octroi d’une garde. Ce passage trouve son équivalent chez Hérodote, dont la tradition est la plus ancienne, chez Aristote et Plutarque2, où on retrouve cet épisode et où on a la chance de constater que ces trois sources s’accordent, à quelques différences près. Selon ces passages, Pisistrate s’est présenté à l’Agora d’Athènes, où il a exposé sa situation, et, par la suite, le peuple rassemblé a décidé de lui fournir une garde. Ce que ces sources présentent correspond à la procédure d’une décision prise au sein de l’Assemblée du peuple3. D’après les commentateurs de Diogène, la lettre de Solon, ainsi que les autres qui sont incluses dans le livre I des Vies des Philosophes, se fondent, Hérodote, I. 59 τρωματίσας ἑωυτόν τε καὶ ἡμιόνους ἤλασε ἐς τὴν ἀγορὴν τὸ ζεῦγος ὡς ἐκπεφευγὼς τοὺς ἐχθρούς, οἵ μιν ἐλαύνοντα ἐς ἀγρὸν ἠθέλησαν ἀπολέσαι δῆθεν, ἐδέετό τε τοῦ δήμου φυλακῆς […]. Ὁ δὲ δῆμος ὁ τῶν Ἀθηναίων ἐξαπατηθεὶς ἔδωκέ οἱ τῶν ἀστῶν καταλέξασθαι ἄνδρας : « Il se blessa lui-­même et blessa ses mulets, puis lança son attelage sur l’Agora, comme s’il avait échappé à ses ennemis qui l’auraient voulu tuer pendant qu’il se rendait aux champs ; et il adressa une demande au peuple pour obtenir de lui une garde […]. Le peuple des Athéniens, abusé, lui permit de choisir parmi les citoyens. » (trad. Ph.-E. Legrand, légèrement modifiée) ; Aristote, Constitution d’Athènes, XIV. 1 κατατραυματίσας ἑαυτὸν συνέπεισε τὸν δῆμον ὡς ὑπὸ τῶν ἀντιστασιωτῶν ταῦτα πεπονθώς, φυλακὴν ἑαυτῷ δοῦναι τοῦ σώματος, Ἀριστίωνος γράψαντος τὴν γνώμην : « Il se blessa lui-­même pour décider le peuple, sous prétexte que ces blessures étaient le fait de ses adversaires, à lui donner une garde ; et Aristion fait la proposition. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoulier) ; Plutarque, Vie de Solon, XXX Ἐπεὶ δὲ κατατρώσας αὐτὸς ἑαυτὸν ὁ Πεισίστρατος καθῆκεν εἰς ἀγορὰν ἐπὶ ζεύγους κομιζόμενος, καὶ παρώξυνε τὸν δῆμον ὡς διὰ τὴν πολιτείαν ὑπὸ τῶν ἐχθρῶν ἐπιβεβουλευμένος […]. Ἐκ τούτου τὸ μὲν πλῆθος ἦν ἕτοιμον ὑπερμαχεῖν τοῦ Πεισιστράτου, καὶ συνῆλθεν εἰς ἐκκλησίαν ὁ δῆμος. Ἀρίστωνος δὲ γράψαντος ὅπως […]. : « Cependant Pisistrate, s’étant blessé lui-­même, se rendit à l’Agora sur un chariot et souleva le peuple en disant que ses ennemis, à cause de sa politique, lui avait tendu un guet-­apens […]. Finalement, la foule était prête à en venir aux mains pour soutenir Pisistrate, lorsque le peuple se réunit en assemblée. Là, Ariston proposa de […]. » (trad. R. Flacelière – M. Juneaux – E. Chambry). Cf. Rhodes 1981, 201-202 ; Mossé 20042, 62-63. 3 Sur le sens du mot dèmos désignant ici (chez Hérodote) l’Assemblée du peuple, voir Lévy 2004, 88. 2

Quelle période pour la création de l’Héliée ?

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d’une part, sur des détails bien connus de la vie de leurs rédacteurs, mais constituent, de l’autre, une production pseudépigraphique qui pourrait appartenir à un recueil épistolaire4. Cela signifie qu’on ne peut pas considérer cette lettre comme une source contemporaine de l’époque de Solon et de Pisistrate. D’où les doutes sur la terminologie qui y est utilisée. Par exemple, en dehors du problème que soulève l’usage du terme « Héliée », l’expression τὸν δῆμον κατέλυσεν (« il a dissous le dèmos ») fait aussi difficulté. Le mot dèmos est ici synonyme de démocratie et il s’agit d’une expression fréquente dans les sources des Ve et IVe siècles, où il est très souvent employé dans le cadre de l’abolition ou de la restitution de la démocratie, non seulement celle du Ve siècle, mais aussi celle établie, selon les théoriciens de la « constitution des ancêtres », par Solon et Clisthène5. À la lumière de ces considérations, le terme « Héliée » doit être un terme plus tardif en ce qui concerne Athènes et une interprétation erronée tant de ces trois sources (Hérodote, Aristote, Plutarque) que des passages d’Aristote et de Plutarque relatifs à l’attribution du tribunal populaire à Solon. Du reste, pour Diogène Laërce, l’existence de l’Héliée à l’époque de Pisistrate est une certitude, puisqu’il suit une tradition établie depuis le IVe siècle. Ce terme ne peut donc pas prouver l’existence de l’Héliée à cette époque. En revanche, c’est la période de la tyrannie de Pisistrate (561/0-528/7, deux fois interrompue)6 qui offre un terrain d’enquête, puisqu’on a alors des indications sur une forme d’activité judiciaire. Selon Thucydide7 et Aristote8, Pisistrate a maintenu, d’un côté, les institutions et les lois de la cité, mais il s’est réservé, de l’autre, le contrôle du fonctionnement de l’administration de la cité, à travers le contrôle des désignations aux magistratures. Dans ce cadre politique, il faut remarquer deux choses en ce qui concerne le fonctionnement de l’Héliée. Premièrement, pour ceux qui acceptent que l’Héliée date de la période de Solon, si l’on considère les bonnes dispositions de Pisistrate à l’égard du peuple et sa politique de maintien des institutions préexistantes, il est difficile de croire qu’il ait aboli une institution aussi populaire que l’Héliée9. 4

Voir Goulet 1999, 53-60. Voir, e.g., Thucydide, V. 76. 2, 81. 2, VIII. 54. 4, 64. 2, 68. 4 ; Isocrate, Aréopagitique, 16, 58, 63, Sur la Paix, 121, Panathénaïque, 148, Sur l’Échange, 232, 306, Sur l’Attelage, 6, 26, 37 ; Aristote, Politique, 1274a 2, Constitution d’Athènes, XXXIV. 3, XXXVIII. 3. 6 Pour la période de la tyrannie de Pisistrate, voir Andrewes 1956, 99-114 ; Mossé 20042, 49-78 ; Stahl – Walter 2009, 149-151. 7 Thucydide, VI. 54. 6. 8 Aristote, Constitution d’Athènes, XIV. 3, XV. 4, XVI. 8. 9 C’est l’hypothèse énoncée par Bearzot – Loddo 2015, 114-115. 5

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Le tribunal de l’Héliée

Mais si l’on suppose qu’il l’a maintenue, on admet qu’il n’en a pas fait usage. Au contraire, comme les sources sont muettes, il vaut mieux faire l’hypothèse que pendant la période de tyrannie aucun tribunal populaire n’avait été fondé. L’introduction par Pisistrate du corps de juges des dèmes (κατὰ δήμους δικασταί10) plaide en faveur de cette dernière hypothèse. Il s’agissait d’un nouveau corps de juges pour lequel on n’a pas d’éléments, sauf qu’ils effectuaient des tournées en Attique pour résoudre les différends entre les agriculteurs11. L’apparition de ce corps judiciaire est liée, pense-­t-on, d’une part, à la volonté de diminuer le pouvoir judiciaire qu’exerçaient au niveau local les aristocrates et, d’autre part, au bénéfice de la population rurale, afin qu’elle ne soit pas obligée de négliger ses travaux pour se rendre en ville. Parallèlement, l’introduction des juges de dèmes avait des incitations politiques ; si l’on suit Aristote, elle s’est effectuée dans le même esprit que l’octroi de prêts par Pisistrate aux agriculteurs, afin de les attacher durablement à la terre et, en conséquence, éviter qu’ils se réunissent en ville et s’occupent des affaires politiques12. L’exercice, donc, d’une telle politique centralisée afin de contrôler la population de l’Attique et la détourner de l’exercice politique n’est pas compatible avec le fonctionnement ou l’existence d’un tribunal populaire à l’époque du tyran13.

B. L’isonomie de Clisthène Les événements qui ont suivi l’abolition de la tyrannie ne peuvent être éclaircis que d’une façon générale, qui repose sur les récits d’Hérodote et d’Aristote : ils décrivent le conflit entre Clisthène et Isagoras, les réformes 10

Au contraire, pour Valdés Guía 2003, 83-85, les juges des dèmes sont un comité de l’Héliée, qui est identifiée à la Boulè de Solon et composée de trois cents membres. 11 Aristote, Constitution d’Athènes, XVI. 5 Διὸ καὶ τοὺς κατὰ δήμους κατεσκεύασε δικαστάς, καὶ αὐτὸς ἐξῄει πολλάκις εἰς τὴν χώραν, ἐπισκοπῶν καὶ διαλύων τοὺς διαφερομένους, ὅπως μὴ καταβαίνοντες εἰς τὸ ἄστυ παραμελῶσι τῶν ἔργων. : « C’est dans ce dessein aussi qu’il établit les juges des dèmes, et lui-­même sortait souvent dans la campagne pour inspecter et réconcilier ceux qui avaient des différends, afin de les empêcher de descendre à la ville et de négliger leur travail. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier). Cf. Bonner – Smith 1930, 184-185. 12 Aristote, Constitution d’Athènes, XVI. 2-3. Cf. Andrewes 1956, 110 ; Rhodes 1981, 215-216 ; Papakonstantinou 2008, 87 ; Stahl – Walter 2009, 150 ; Scheid-­Tissinier 2011, 278. 13 Cf. Smith 1925, 111 n. 28.

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que Clisthène a proposées devant l’Assemblée du peuple après sa défaite politique et l’appui que ce dernier a gagné auprès du peuple, grâce à la nature de ses propositions14. Dans ce contexte, il est question d’une décision qui s’apparente à une décision de caractère judiciaire. Suite à l’approbation des propositions de Clisthène par les Athéniens, Isagoras décide d’appeler à son secours le roi de Sparte, Cléomène I, afin d’empêcher la mise en œuvre des réformes clisthéniennes. Les événements sont les suivants : Clisthène s’exile et une force militaire spartiate envahit Athènes. Cléomène procède à l’expulsion de sept cents familles, il essaie aussi de dissoudre la Boulè15 et de placer au pouvoir trois cents amis d’Isagoras. Pourtant, devant la résistance de la Boulè et face au peuple coalisé, Cléomène, Isagoras et ses partisans s’enferment sur l’Acropole, où ils sont assiégés pendant deux jours par le peuple. Cléomène et les Lacédémoniens capitulent au troisième jour du siège et Clisthène rentre dans la cité avec les sept cents familles16. Les partisans d’Isagoras sont emprisonnés et condamnés à mort (n°  1)17. Selon Hérodote, ce sont les Athéniens qui prennent cette décision18. La question est, ainsi, de savoir si le terme « Athéniens » est employé de façon technique, c’est-­à-dire de savoir s’il implique, en effet, que la condamnation fut décidée par une collectivité populaire ou s’il s’agit d’un libre usage du terme et que ce fut, finalement, l’Aréopage qui rendit la justice, tribunal auquel on attribue depuis l’époque de Solon le jugement des affaires de caractère politique.

14

Hérodote, V. 66 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XX. 1. Parmi les sources dont on dispose, il s’agit des témoignages les plus controversés sur l’identification de cette Boulè. La première raison réside dans le fait que le terme Boulè est employé seul et qu’il peut donc désigner soit la Boulè de l’Aréopage (voir Hignett 1952, 94-96, 128 ; Ehrenberg 1968, 90 ; Stanton 1990, 144 n. 6 ; Noussia-­Fantuzzi 2010, 25 n. 38) soit la Boulè des Quatre Cents, attribuée à Solon (voir Cloché 1924a, 1-26 ; Ostwald 1969, 144 ; Rhodes 1981, 246 ; Ste Croix 2004, 87-88 ; Flaig 2011, 61-64) soit la Boulè des Cinq Cents qui vient d’être instituée par Clisthène (voir Bonner – Smith 1930, 189 ; Fornara – Samons 1991, 170). La deuxième raison pour laquelle il est difficile d’identifier la Boulè mentionnée par Hérodote provient de l’impossibilité de suivre et de dater de manière précise la suite des événements de l’élection d’Isagoras comme archonte éponyme jusqu’à l’invasion de l’Attique par Cléomène. Voir à ce propos, Bartzoka 2012, 140-143. 16 Hérodote, V. 70-73 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XX. 2-3. 17 Les numéros renvoient au Tableau 4 (liste des procès à caractère ou intérêt politique). 18 Hérodote, V. 72 τοὺς δὲ ἄλλους Ἀθηναῖοι κατέδησαν τὴν ἐπὶ θανάτῳ : « Quant aux autres assiégés, ils furent, par les Athéniens, enchaînés pour être mis à mort. » (trad. Ph.-E. Legrand). 15

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Le tribunal de l’Héliée

Quant à l’utilisation des mots chez Hérodote, il convient de faire preuve de prudence, puisque l’historien n’utilise pas, comme on le verra aussi par la suite, une terminologie stricte dans son œuvre. De ce fait, il est difficile de chercher la réponse dans le vocabulaire qu’Hérodote emploie. En revanche, ce qui pourrait justifier le choix de la première hypothèse au lieu de la seconde est à chercher dans le contexte historique de l’opposition contre l’invasion d’Athènes par Cléomène. Il convient, ainsi, de garder à l’esprit les témoignages d’Hérodote et d’Aristote sur le rôle important que le peuple aurait joué pendant cette invasion. Sa résistance était justifiée puisqu’il voyait dans l’intervention de Cléomène et d’Isagoras un obstacle à la mise en œuvre des réformes de Clisthène et à l’augmentation de ses droits politiques19. Cette résistance pourrait, à son tour, justifier son droit à participer à une décision de caractère judiciaire. Si je caractérise la décision comme une décision de caractère judiciaire et non comme une décision judiciaire, c’est parce que, même si elle nous rappelle les décisions judiciaires que l’Assemblée du peuple prendra dans les cas d’eisangélies de la seconde moitié du Ve siècle, la phrase d’Hérodote n’exprime pas clairement que cette décision avait un caractère judiciaire institutionnel20. Malgré les données suffisantes sur la réforme des tribus et les autres institutions introduites par Clisthène21, on ne dispose d’aucune information directe sur des changements apportés au système de justice. Cela semble évident, puisqu’Hérodote décrit seulement la réforme des tribus et Aristote avait déjà attribué à Solon le tribunal populaire. En tout cas, on aurait ici la première attestation d’une prise de décision formelle, de caractère judiciaire et politique, par une collectivité populaire concernant une action de trahison22, qui jusque-­ là était attribuée à l’Aréopage. À partir de cela, l’hypothèse suivante mérite d’être formulée. Pour commencer par le premier point, le terme « Athéniens » peut renvoyer soit 19

Contre cette hypothèse, voir Flaig 2011, 64, qui interprète le soulèvement du peuple de la façon suivante : « Le dèmos se mobilisa pour défendre une institution solonienne, donc pour maintenir l’ordre légitime et légal. » 20 Cf. Scott 2005, 363-364. 21 Hérodote, V. 66, 69 ; Aristote, Politique, 1275b 35-37, 1319b 19-27, Constitution d’Athènes, XX-XXII ; FGrHist, III B 323 (Cleidèmos), fr. 8 ; FGrHist, III B 324 (Androtion), fr. 6 ; FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 30. Pour les réformes de Clisthène, voir Hignett 1952, 124-158  ; Lewis 1963, 22-40  ; Lévêque  – Vidal-­ Naquet 1964 ; Ostwald 1969, 137-173 ; Rhodes 1972a ; Andrewes 1973, 241-248 ; Traill 1975 ; Whitehead 1986 ; Ostwald 1988, 303-346 ; Will 19914, 63-76 ; Meier 1995, 73-106 ; Ruzé 1997, 369-387 ; Anderson 2003 ; Ste Croix 2004, 129-232 ; Azoulay – Ismard 2011b dans le cadre du colloque consacré à Clisthène et Lycurgue. 22 Sur l’importance de cette décision, voir Flaig 2011, 65.

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à l’Assemblée du peuple23, soit au tribunal populaire. Pourtant, l’Assemblée du peuple paraît plus vraisemblable. D’une part, les réserves qu’on peut émettre concernent l’attribution du tribunal populaire à Clisthène lui-­ même, puisque, comme nous allons le montrer, il est plus probable que sa création date de la période qui suit ses réformes24. Or, même si Clisthène était son fondateur et même s’il est difficile de suivre et de dater de manière précise la suite des événements allant de l’élection d’Isagoras comme archonte éponyme jusqu’à l’invasion de l’Attique par Cléomène et, ainsi, préciser si ses mesures auraient pu avoir eu lieu avant l’invasion de Cléomène, il n’est pas très probable que ce tribunal ait été créé pour rendre la justice juste après l’invasion et dans le climat troublé du moment. La même absence de toute information relative à l’activité judiciaire pendant cette période transitoire qui va jusqu’à l’achèvement de la réforme des tribus ne facilite pas les conlusions sur l’existence d’un tribunal populaire. Selon une hypothèse, la réforme de Clisthène portant sur les tribus et la réorganisation de l’espace géographique et civique de l’Attique auraient provoqué des conflits, qui nécessitaient une solution judiciaire25. Les auteurs de cette hypothèse présupposent l’identification de l’Héliée à l’Assemblée et, ainsi, font référence à des cas en appel déposés auprès de cette « Héliée ». Il est vrai qu’il s’agit d’une hypothèse très intéressante et logique, dans la mesure où elle pose la question du bouleversement provoqué par la réforme de Clisthène et de « l’intense activité qui a dû régner pendant quelques mois dans toute la chôra de l’Attique, avant que les nouvelles entités administratives soient dûment délimitées et que l’enregistrement des citoyens soit définitivement mené à bien »26. Quant au reste, on peut se montrer réservé : les archontes devaient être les premiers destinataires des litiges, mais au-­delà de cela il est impossible de s’exprimer davantage. 23

Sur l’identification à l’Assemblée, voir Hignett 1952, 154, qui émet l’hypothèse que Clisthène, très probablement, pourrait avoir transféré à l’Assemblée le droit de prendre la décision finale dans les affaires qui entraînaient la peine de mort. Il se fonde sur une clause trouvée dans l’inscription très lacunaire IG I3, 105, l. 36. Cette inscription date de la fin du Ve siècle, mais les clauses qu’elle inclut ne peuvent pas être datées avec certitude ; Carawan 1987, 184-185, 190-191, ne considère pas très probable la participation de l’Aréopage au procès des partisans d’Isagoras, parce qu’il pense que la Boulè qui a résisté à Cléomène était la Boulè des Quatre Cents. Il propose la procédure de l’eisangélie devant l’Assemblée. Voir aussi Scott 2005, 363-364, tandis qu’elle n’attribue pas des compétences judiciaires à l’Assemblée du peuple. 24 Cf. Smith 1925, 111-113. 25 Voir Bonner – Smith 1930, 196. 26 Voir Scheid-­Tissinier 2011, 280.

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Le tribunal de l’Héliée

C. L’époque après les réformes de Clisthène La période qui nous permet de parler de l’apparition du tribunal populaire en tant que tribunal organisé est postérieure aux réformes de Clisthène : elle se situe dans le climat politique de l’époque des guerres médiques et de la fondation de la Ligue de Délos. Ce qui nous autorise à le suggérer, c’est, d’abord, la création des dix tribus par Clisthène, qui a fourni le cadre de l’organisation des tribunaux. Selon Aristophane et Aristote, le nombre de juges qui constituaient le tribunal populaire au Ve siècle était de six mille27. Même si l’on n’a pas d’indication certaine que ce nombre venait du tirage au sort de six cents juges par tribu, le rapport entre les deux données semble évident28 : dans le cas du tirage au sort d’Athéniens aux autres magistratures, les candidats sont tirés au sort par tribu en nombre égal (la Boulè des 50029, les neuf archontes et un secrétaire30, les dix polètes31, les dix euthynes32, etc.).

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Aristophane, Guêpes, v. 662 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIV. 3. Les Athéniens apparemment avaient un numéro fixe qu’ils considéraient comme représentatif du peuple entier. Bien que le choix des six mille juges comme un chiffre représentatif du peuple tout entier ne soit pas défini par les sources, on sait que le quorum de six mille Athéniens au sein de l’Assemblée était nécessaire pour l’application de la procédure de l’ostracisme au Ve siècle [voir FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 30 ; Plutarque, Vie d’Aristide, VII. 3-8] et pour l’attribution du droit de cité au IVe siècle (voir [Démosthène], Contre Nééra, 89). Cf. Ostwald 1986, 68 ; Mossé 1995, 124, 154. 28 Il existe une inscription très lacunaire, datée de 421/0 (IG I3, 82), qui porte sur un décret relatif à la fête des Hèphaisteia (?) ou des Thèseia (il s’agit de l’hypothèse récemment exprimée par Makres 2014, 185-196). Je cite le décret d’après Makres 2014, 186-187. La phrase de l’inscription qui nous concerne est la suivante : l. 17-19 [. . . . 7 . . . hι]εροποιὸ[ς δ]ὲ hοίτινες hιεροποιέσοσ[ι. . . . . . . . . . 19. . . . . . . . . δι|α]κλε[ρο͂ σαι] ἐκ το͂ ν δ[. . .].τον hένα ἐκ τε͂ ς φυλε͂ ς ἐκ ΤΟΛ[. . . . . . . . . . 20 . . . . . . . . . . |.]χοι : « […] qu’on tire au sort comme hiéropes chargés de […] parmi les […], un par tribu […] ». La phrase est restituée ainsi : l. 17 hιεροποιέσοσ[ι τὲν θυσίαν δέκα ἄνδρας] Sch., hιεροποιέσοσ[ι τὲν hεορτὲν] Ziehen ‖ l. 18 ἐκ το͂ ν δ[ικασ]το͂ ν Koum., ἐκ το͂ ν δ[ικα]σ̣ το͂ ν IG I3, ἐκ το͂ ν δ[ιδό]ν̣ τον Matth. D’après les deux premières restitutions, on pourrait déduire que les hiéropes qui seront chargés du culte seront tirés au sort parmi les juges, à raison d’un par tribu. Cela établirait que le tirage au sort des juges se fait par tribu. Comme la restitution n’est cependant pas assurée (voir Makres 2014, 191, à propos du réexamen de la pierre par Matthaiou), on ne peut plus s’y appuyer pour parler du tirage au sort des juges par tribu. Sur le caractère démocratique du décret, voir Cuniberti 2000, 96-97. 29 Aristote, Constitution d’Athènes, XXI. 3, XLIII. 2. 30 Ibid., LV. 1. 31 Ibid., XLVII. 2. 32 Ibid., XLVIII. 4.

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On peut, donc, indirectement, tirer la conclusion que l’ensemble de six mille juges était tiré au sort dans les dix tribus de manière analogue33. La deuxième raison repose sur les conditions politiques de cette période et les changements institutionnels du début du Ve siècle. L’époque fut inaugurée par les réformes de Clisthène. D’une part, la réforme des tribus introduisit un nouveau cadre territorial et forma un nouvel espace politique qui reposait sur la fonctionnalité du système « dèmes-­trittyes-­tribus ». Ce système impliquait la redistribution de la population, la réorganisation du corps politique, de même qu’une nouvelle organisation des pouvoirs. De l’autre, l’importance de la création de la Boulè des Cinq Cents résidait dans le grand nombre de participants et dans le fait que toutes les tribus y étaient représentées, ce qui créait des liens étroits entre la Boulè et la société qu’elle représentait34. En 488/7, l’ostracisme, dont l’institution est attribuée à Clisthène, fut appliqué pour la première fois. Conçu à l’origine comme une mesure pour assurer la souveraineté du peuple, l’ostracisme servait de moyen de se débarrasser des hommes qui constituaient une menace pour la cité35. En 487/6, la procédure de tirage au sort sur une liste de candidats présélectionnés pour la magistrature des neuf archontes fut instituée pour la première fois depuis la chute de la tyrannie36. En outre, après la fin des guerres médiques, le peuple s’avéra être la force déterminante de la suprématie acquise sur la mer37, ce qui lui a fait prendre conscience de son pouvoir et du fait qu’une telle contribution devait avoir un équivalent dans l’administration de la cité. La fondation de la Ligue de Délos (478/7)38 put favoriser davantage les relations entre Athènes et ses alliés. L’inscription sur le règlement des Mystères d’Éleusis, datée ca. 470-46039, est la première attestation 33

Cf. de Sanctis 19642, 445 n. 4. Cf. Birgalias 2009, 35-36 n. 58. 35 Aristote, Constitution d’Athènes, XXII. 1, 3-7. Voir aussi Aristote, Politique, 1284a 17-22, 1302b 15-21, 1308b 16-19 ; FGrHist, III B 324 (Androtion), fr. 6 ; FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 30 ; Diodore de Sicile, XI. 55. 1-3. Sur un catalogue des ostraka retrouvés sur l’Agora et sur les pentes septentrionales de l’Acropole, voir Lang 1990. Pourtant, leur étude complète, avec une analyse prosopographique et des tableaux statistiques, est désormais celle de Brenne 2001. Voir aussi Sickinger 2009, 77-83. 36 Aristote, Constitution d’Athènes, XXII. 5. 37 Aristote, Politique, 1274a 12-13, 1304a 20-24. 38 Thucydide, I. 95-96. Sur l’histoire de la ligue, voir Meiggs 1972 (même si les datations proposées pour certains décrets sont maintenant contestées, son œuvre reste un point de référence) ; Scheibelreiter 2013. 39 IG I3, 6. Pour la restitution et un commentaire général du texte, voir Clinton 2005, 21-30 ; id. 2008, 38-43. Voir aussi O & R, n° 106. 34

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conservée dans les sources de l’existence de conventions, symbolai, entre Athènes et les membres de la Ligue, ainsi que, peut-­être, avec d’autres cités participant aux Mystères40. Selon les dernières clauses de l’inscription41, des procès auront lieu entre Athènes et la cité en question, conformément à ces conventions, au cas où cette dernière ne consentirait pas à certaines clauses. Ainsi, à partir des témoignages épigraphiques, on suppose que « dès les premières décennies de la Ligue, des conventions avaient été conclues entre Athènes et les cités alliées »42, aux termes desquelles, dans les questions de justice, était réglée la procédure entre les deux parties engagées par la convention. Dans le cadre de cette transformation de la société athénienne, de l’augmentation de la population, de la meilleure organisation de la constitution et de l’entrée d’Athènes dans un nouveau chapitre de son histoire politique, il devient possible de penser au fonctionnement du tribunal populaire. Une troisième raison nous conduit à faire cette hypothèse, qui ne concerne pas seulement l’aspect politique de la question, mais aussi l’évolution de l’administration de la justice. Parallèlement aux procès qui résultaient des conventions judiciaires, la nécessité de juger les affaires courantes des Athéniens était toujours présente dans l’agenda de la justice. Les grands procès politiques que nous allons analyser par la suite pouvaient la plupart du temps se dérouler devant l’Aréopage ou devant le peuple réuni en assemblée, mais ceux-­ci ne pouvaient juger de tout. Les « tribunaux » des magistrats, impliqués depuis leur création dans l’administration de la justice, ont dû jouer un rôle dans le processus de la fondation d’un tribunal supplémentaire, qui s’occuperait de résoudre les conflits quotidiens, de plus en plus nombreux, des Athéniens.

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Cf. Cataldi 1983, XVI. Face A, l. 36-43 τὸν Ἀθεναῖον μὲ [.|. .]ΕΣ[. . τ]ούτον το͂ ν πό̣  λεον μ[ε]|δὲ hαμο͂ [. . ]ι̣ασθαι ἐὰν μὲ δ̣ [ί]κ[ε]|ν̣ ὀφλόν[τα] ἐ̣πιχορίαν ἒ ἐ̣ς π̣ ο[λ]|εμίος λ[εφ]θ̣ έ̣ντα· hέτις δ ἂν το̣͂ |μ πόλεον μ̣ ὲ ἐθέλει, δ[ί]κας δ̣ ι[δ]|όναι καὶ δέχεσθα̣ ι Ἀθ̣ ε̣ ναί[οι]|σιν ἀπὸ χσυβ̣ο̣ λο͂ ν : « L’Athénien ne […] sur le territoire d’aucune des cités, à moins qu’il n’ait été condamné dans un procès dans le pays ou à moins qu’il ne soit tombé aux mains d’ennemis. Si l’une des cités ne consent pas, elle donne aux Athéniens et reçoit d’eux justice conformément aux conventions. » (trad. Ph. Gauthier 1972, 158, modifiée). Sur le fait de ne pas consentir aux règles susdites, Gauthier 1972, 158, penche pour l’ensemble des règles de l’inscription (punition des sacrilèges, exclusion des Mystères dans certains cas, paiement des amendes, juridiction de la Boulè athénienne), tandis que Cataldi 1983, 40, penche pour les deux clauses des lignes 37-40. Les problèmes d’interprétation que présentent ces dernières lignes sont signalés aussi par Maffi 2010, 48-49. 42 Voir Gauthier 1972, 158. 41

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Il est vrai qu’aucune source ne parle de l’apparition de l’Héliée à cette époque, et proposer de parler de l’organisation du tribunal populaire à partir des réformes de Clisthène peut sembler une proposition audacieuse. Toutefois, il me paraît logique, puisque le caractère démocratique et populaire de l’Héliée, tel qu’on le connaît par les sources, est tout à fait compatible avec le cadre des changements constitutionnels du Ve siècle. Ce caractère a été déjà confirmé dans les passages d’Aristote cités au chapitre précédent. On y ajouterait, à titre d’exemple, trois autres types de témoignage : le traité du Pseudo-­Xénophon, Constitution des Athéniens, où le fonctionnement des tribunaux populaires constitue un des éléments de la démocratie qui conservent la constitution43 ; l’information dont on dispose sur les deux mouvements oligarchiques, qui lie le renversement de la démocratie à la suppression des accusations en illégalité et à la réduction à l’impuissance des tribunaux44 ; et les plaidoyers, où les juges, leur serment et leur suffrage sont présentés comme une condition pour la sauvegarde et le salut de la démocratie45, en reconnaissant, pourtant, que ces références font l’éloge des tribunaux populaires dans le cadre de la captatio benevolentiae. Il est difficile de dire si cette hypothèse de l’organisation du tribunal populaire après les réformes de Clisthène peut être confirmée par les témoignages qui attestent la prise d’une décision de caractère judiciaire par un corps populaire à la veille des guerres médiques. Pour la période concernée et par ordre chronologique, il s’agit du procès de Phrynichos (n° 2), des deux procès de Miltiade (n° 3-4) et du cas d’Hipparque (n° 5). Phrynichos (493/2) Hérodote, VI. 21 Ἀθηναῖοι μὲν γὰρ δῆλον ἐποίησαν ὑπεραχθεσθέντες τῇ Μιλήτου ἁλώσι τῇ τε ἄλλῃ πολλαχῇ καὶ δὴ καὶ ποιήσαντι Φρυνίχῳ δρᾶμα Μιλήτου ἅλωσιν καὶ διδάξαντι ἐς δάκρυά τε ἔπεσε τὸ θέητρον καὶ ἐζημίωσάν μιν ὡς ἀναμνήσαντα οἰκήια κακὰ χιλίῃσι δραχμῇσι.

« Les Athéniens manifestèrent de mille façons l’affliction extrême que leur causait la prise de Milet ; notamment, quand Phrynichos, ayant composé une pièce sur la prise de Milet, la fit représenter, les spectateurs fondirent en larmes ; le poète fut puni d’une amende de mille drachmes pour avoir rappelé leurs propres malheurs. » (trad. Ph.-E. Legrand, légèrement modifiée).

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[Xénophon], Constitution des Athéniens, I. 16-18, III. 4-8. Thucydide, VIII. 67. 2-3 ; Démosthène, Contre Timocrate, 154 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX. 4-5, XXXV. 2. 45 Voir, e.g., Lycurgue, Contre Léocrate, 4, 79 ; Dinarque, Contre Philoclès, 15-16. 44

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Miltiade (493/2 et 489) a. Hérodote,  VI. 104 Οὗτος δὴ ὦν τότε ὁ Μιλτιάδης ἥκων ἐκ τῆς Χερσονήσου καὶ ἐκπεφευγὼς διπλόον θάνατον ἐστρατήγεε Ἀθηναίων· ἅμα […], ἅμα […], τὸ ἐνθεῦτέν μιν οἱ ἐχθροὶ ὑποδεξάμενοι [καὶ] ὑπὸ δικαστήριον αὐτὸν ἀγαγόντες ἐδίωξαν τυραννίδος τῆς ἐν Χερσονήσῳ. Ἀποφυγὼν δὲ καὶ τούτους στρατηγὸς οὕτω Ἀθηναίων ἀπεδέχθη, αἱρεθεὶς ὑπὸ τοῦ δήμου.

«  C’est ce Miltiade qui, revenu de la Chersonèse, était alors stratège des Athéniens ; il avait par deux fois échappé à la mort : et lorsque […] ; et, […], lorsque ses ennemis l’avaient accueilli en le traduisant devant un tribunal et l’avaient accusé d’avoir agi dans la Chersonèse en tyran. Mais après avoir échappé aussi à la poursuite intentée par eux, il fut désigné comme stratège des Athéniens, élu par le peuple. » (trad. Ph.-E. Legrand, légèrement modifiée). b. Hérodote, VI. 136 Ἀθηναῖοι δὲ Μιλτιάδην ἐκ Πάρου ἀπονοστήσαντα ἔσχον ἐν στόμασι, οἵ τε ἄλλοι καὶ μάλιστα Ξάνθιππος ὁ Ἀρίφρονος46, ὃς θανάτου ὑπαγαγὼν ὑπὸ τὸν δῆμον Μιλτιάδεα ἐδίωκε τῆς Ἀθηναίων ἀπάτης εἵνεκεν […]. Προσγενομένου δὲ τοῦ δήμου αὐτῷ κατὰ τὴν ἀπόλυσιν τοῦ θανάτου, ζημιώσαντος δὲ κατὰ τὴν ἀδικίην πεντήκοντα ταλάντοισι.

« À Athènes, lorsque Miltiade fut de retour de Paros, on glosa fort sur lui, entre autres et surtout Xanthippos fils d’Ariphron, qui en le traduisant devant le peuple lui porta une accusation capitale pour avoir trompé les Athéniens […]. Le peuple se prononça pour lui en l’absolvant de l’accusation capitale, mais, en raison de sa faute, lui infligea une amende de cinquante talents. » (trad. Ph.-E. Legrand, légèrement modifiée).

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Hipparque (après 480 ?47) Lycurgue, Contre Léocrate, 117-118 Ἵππαρχον γὰρ τὸν Χάρμου48, οὐχ ὑπομείναντα τὴν περὶ τῆς προδοσίας ἐν τῷ δήμῳ κρίσιν, ἀλλ᾽ ἔρημον τὸν ἀγῶνα ἐάσαντα, θανάτῳ τοῦτον ζημιώσαντες, ἐπειδὴ τῆς ἀδικίας οὐκ ἔλαβον τὸ σῶμα ὅμηρον, τὴν εἰκόνα αὐτοῦ ἐξ ἀκροπόλεως καθελόντες καὶ συγχωνεύσαντες καὶ ποιήσαντες στήλην, ἐψηφίσαντο εἰς ταύτην ἀναγράφειν τοὺς ἀλιτηρίους καὶ τοὺς προδότας· καὶ

Sur la rivalité entre Alcméonides et Philaïdes qui remonte au mariage d’Agariste de Sicyone avec Mégaclès, voir Duplouy 2006, 80-85. 47 Sur les difficultés à dater précisément le procès contre Hipparque, voir Piccirilli 1983, 336-337. 48 Voir aussi FGrHist, III B 324 (Androtion), fr. 6 Ἵππαρχος […] ὁ Χάρμου, ὣς φησι Λυκοῦργος. Pour le patronyme Τιμάρχου d’Hipparque que les manuscrits donnent et qui est remplacé par le nom Χάρμου dans le texte, voir Wilamowitz 1893, 114-115.

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αὐτὸς ὁ Ἵππαρχος ἐν ταύτῃ τῇ στήλῃ ἀναγέγραπται, καὶ οἱ ἄλλοι δὲ προδόται.

« Hipparque, fils de Charmos, accusé de trahison devant le peuple, s’étant dérobé au procès, fut jugé par contumace et condamné à mort : les Athéniens, n’ayant pu se saisir de sa personne pour qu’il répondît du crime, enlevèrent sa statue de l’Acropole, la firent fondre et la transformèrent en stèle, où l’on décréta d’inscrire les noms des criminels et des traîtres : le nom d’Hipparque lui-­même est gravé sur cette stèle parmi ceux des autres traîtres.  » (trad. F. Durrbach).

Ces cas, ainsi que les autres que nous allons citer par la suite, ont été étudiés à plusieurs reprises par l’historiographie contemporaine et ont reçu différentes interprétations, qui visaient à expliquer l’évolution des institutions athéniennes et des procédures judiciaires, avec des arguments de vraisemblance. Les études reposent sur l’observation du fonctionnement des institutions à l’époque d’Aristote, sur la base de ce qu’on connaît pour le IVe siècle grâce aux plaidoyers et à la seconde partie de la Constitution d’Athènes, ainsi que sur la formulation des hypothèses relatives à ce qui aurait pu arriver au VIe et au début du Ve  siècle, surtout d’après les témoignages trouvés dans la première partie de la Constitution d’Athènes. Le passage qui attire d’emblée l’attention des historiens est celui de la Constitution d’Athènes qui fait de l’Aréopage de l’époque de Solon, en plus d’être un tribunal chargé de juger les homicides49, un organe qui « était le gardien des lois, surveillait les institutions, veillait à la plupart des actes les plus importants de la vie politique, redressait souverainement ceux qui avaient commis quelque infraction et jugeait ceux qui conspiraient pour le renversement de la démocratie  »50. Beaucoup d’encre a coulé pour 49

IG I3, 104. Aristote, Constitution d’Athènes, VIII. 4 τὴν δὲ τῶν Ἀρεοπαγιτῶν ἔταξεν ἐπὶ τὸ νομοφυλακεῖν, ὥσπερ ὑπῆρχεν καὶ πρότερον ἐπίσκοπος οὖσα τῆς πολιτείας, καὶ τά τε ἄλλα τὰ πλεῖστα καὶ τὰ μέγιστα τῶν πολιτῶν διετήρει, καὶ τοὺς ἁμαρτάνοντας ηὔθυνεν κυρία οὖσα καὶ ζημιοῦν καὶ κολάζειν, καὶ τὰς ἐκτίσεις ἀνέφερεν εἰς πόλιν, οὐκ ἐπιγράφουσα τὴν πρόφασιν δι’ ὃ [τὸ ἐ]κτ[ίν]εσθαι, καὶ τοὺς ἐπὶ καταλύσει τοῦ δήμου συνισταμένους ἔκρινεν, Σόλωνος θέντος νόμον εἰσαγγελίας περὶ αὐτῶν : « Il chargea l’Aréopage de veiller sur les lois, en restant gardien de la constitution comme il l’était auparavant. L’Aréopage surveillait la plupart des actes les plus importants de l’administration politique ; il frappait ceux qui commettaient quelque infraction, ayant plein pouvoir de leur infliger des amendes et des peines ; il versait à l’Acropole le produit des amendes sans inscrire le motif de l’amende ; et il jugeait ceux qui conspiraient pour le renversement de la démocratie, car Solon porta à leur sujet une loi eisangeltikos. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée).

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chercher à comprendre quelles compétences Aristote attribue à l’Aréopage à l’époque de Solon. Il n’y a pas lieu ici d’ouvrir le débat51. En revanche, on se contentera de dire que, dans ce passage, on voit souvent la compétence de l’Aréopage dans la surveillance des magistrats et la juridiction dans les cas des crimes contre la cité52. La surveillance des magistrats apparaît dans les textes des Ve et IVe siècles à travers la procédure de la dokimasia, qui est l’examen préliminaire des futurs archontes, membres de la Boulè des Cinq Cents et d’autres magistrats par la Boulè des Cinq Cents et les tribunaux53, et celle des euthynai, qui est la reddition de comptes que tous les magistrats doivent rendre à la fin de leur magistrature auprès des logistes, des euthynes, des juges des dèmes et des tribunaux54. Quant au jugement des crimes commis contre la cité, il correspond à la procédure de l’eisangélie attestée dans les sources de la fin du Ve et du IVe siècle. Pour les cas qui nous concernent, il s’agit d’une dénonciation contre un individu qui est considéré comme responsable d’une politique désastreuse pour la cité et contre un magistrat qui ne se conforme pas aux lois, ainsi que de son jugement tantôt devant la Boulè des Cinq Cents, tantôt devant l’Assemblée du peuple et les tribunaux55. À partir de ces données, ainsi que des autres compétences judiciaires dont l’Assemblée du peuple et les tribunaux populaires étaient investis pendant la période classique, on cherche à comprendre le fonctionnement de la justice populaire au début du Ve  siècle, vu comme une période transitoire pour son développement, ainsi que les rapports entre le pouvoir judiciaire de l’Aréopage et celui du peuple. Les interprétations différentes des quatre cas que nous avons cités s’expliquent par les raisons suivantes. D’une part, ces sources attribuent au peuple des compétences judiciaires dans les affaires de caractère politique qui entraînent la peine de mort 51

Je cite les mots de Ruzé 1997, 338-339 : « On attribuait à l’Aréopage le contrôle de tout ce qui assurait le pouvoir dans l’état, faute d’une connaissance précise des institutions de l’époque et d’un conseil dont on aurait conservé le nom et les fonctions. » 52 Voir aussi le chapitre IV sur la discussion des réformes d’Éphialte. 53 Aristote, Constitution d’Athènes, XLV. 3, LV. 2-5. Voir Hignett 1952, 205-208 ; Rhodes 1972a, 176-178 ; Hansen 19992, 218-220 ; Feyel 2009. Sur la discussion de l’origine de la dokimasia, voir Feyel 2009, 21-33. Je suis d’accord avec lui pour reconnaître que les sources disponibles ne nous permettent pas d’attribuer l’institution à Solon. 54 Aristote, Constitution d’Athènes, XLVIII. 4-5, LIV. 2. Voir Piérart 1971, 526-573 ; MacDowell 1978, 170-172  ; Rhodes 1981, 561-564, 597-599  ; Hansen 19992, 222-224 ; Fröhlich 2004, 56-59, 331-335. Voir aussi les chapitres IV et VII. 55 La première attestation sûre du déroulement d’une eisangélie se trouve chez Antiphon, Sur le choreute, 12, daté de 419/8. Sur la loi sur l’eisangélie, voir Hypéride, Pour Euxénippos, 7-8. La procédure est discutée par Hansen 1975 et Rhodes 1979, 103-114. Pour une analyse plus détaillée, voir les chapitres suivants.

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ou de lourdes amendes, compétences qui étaient, estime-­t-on, celles de l’Aréopage auparavant. Il s’agit des seuls cas de caractère judiciaire dont on dispose pour le début du Ve siècle, ce qui ne permet pas de les comparer à d’autres cas contemporains et de préciser leur contenu. D’autre part, il existait dans le droit attique des procédures différentes pour traduire devant la justice la même plainte et, au cas où la procédure n’est pas précisée dans les sources, plusieurs hypothèses se présentent. Enfin, à l’exception d’Hérodote et de Thucydide, que nous allons évoquer par la suite, les autres sources sont nettement postérieures aux cas qu’elles décrivent, de sorte qu’on ne peut pas décider avec certitude si les termes qui sont employés dans ces passages appartiennent au contexte historique de l’époque des événements. De même, le vocabulaire qui est utilisé par les deux historiens ne garantit pas que les termes sont employés en un sens technique. Ces considérations prises en compte, revenons aux témoignages. Selon Hérodote, les « Athéniens » imposèrent, en 493/2, au poète Phrynichos une amende de mille drachmes, sous l’accusation de tromperie. L’historien emploie dans ce passage, comme dans le cas des partisans d’Isagoras, le sujet « Athéniens », qui soulève les mêmes problèmes d’interprétation. Le contexte historique n’est pas identique à celui de la révolte contre l’invasion des Lacédémoniens, qui ferait pencher pour une collectivité populaire au lieu de l’Aréopage56. Il est donc impossible d’identifier ici dans les « Athéniens » le corps qui a pris cette décision de caractère judiciaire57. La même année, Miltiade fut jugé pour tyrannie devant « un » tribunal et fut acquitté. L’absence de l’article pour le terme « tribunal » laisse dans le 56

Toutefois, Scott 2005, 363, reconnaît à ce cas les mêmes caractéristiques que pour les partisans d’Isagoras et identifie, ainsi, les « Athéniens » avec l’Assemblée du peuple. Carawan 1987, 194-195, reconnaît ici l’intervention tant de l’Assemblée du peuple que de l’Aréopage, par la voie de la procédure de la probolè, initiée à l’Assemblée et conduite à l’Aréopage. L’analogie avec le IVe siècle est claire : pendant le IVe, l’accusateur déposait dans une session de l’Assemblée sa plainte soit contre les sycophantes, soit contre ceux qui avaient trompé le peuple par leurs promesses, parce qu’ils n’avaient pas tenu leurs engagements, soit contre ceux qui avaient transgressé la fête des Dionysies. L’Assemblée se prononçait par un vote (Aristote, Constitution d’Athènes, XLIII. 5 ; Démosthène, Contre Midias, 9) et un procès pourrait suivre devant le tribunal populaire. Le vote à l’Assemblée et le procès devant le tribunal étaient deux étapes distinctes et la procédure de la probolè ne concernait que le vote. Pourtant, on ne dispose d’aucune information sur l’existence probable de cette procédure à cette période ou sur son contenu. Sur la procédure de la probolè, voir Harris 2008, 79-80 ; id. 2013b, 213-214. Ostwald 1993, 149-150, reconnaît dans tous les cas que je cite l’intervention du peuple sur la décision de la peine ou de l’amende, par le biais soit de l’Héliée soit de l’Assemblée. 57 Cf. Wallace 1989, 74-75.

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vague l’organe qui a exercé la justice58. Toutefois, le terme se distingue du terme dèmos qu’on rencontre juste après dans le même passage et qui doit représenter l’Assemblée du peuple59 qui élut Miltiade comme stratège. Cela rend l’identification de ce « tribunal » avec l’Assemblée du peuple presque impossible, mais ne permet pas non plus de préciser quel est le tribunal qui a jugé Miltiade60. En 489, Miltiade fut pour la deuxième fois déféré devant la justice, cette fois-­ci pour tromperie. Contrairement au cas précédent, Hérodote utilise ici à deux reprises le mot dèmos qui, si on le compare avec le dèmos de 493/2, doit normalement représenter le peuple réuni dans l’Assemblée61. D’ailleurs, un examen de l’usage du terme dèmos chez Hérodote a montré que ce terme prend tantôt un sens territorial, tantôt représente une catégorie socio-­politique qui s’oppose à l’élite, tantôt désigne l’ensemble des citoyens62. Il est pourtant tentant de se demander si dans le passage en question ce terme ne pourrait pas désigner le tribunal populaire63. Ce doute repose sur la ressemblance entre les deux passages d’Hérodote : elle se trouve dans les verbes ἐδίωξαν et ἐδίωκε pour se référer à l’action de l’accusation, dans les participes ἀγαγόντες et ὑπαγαγὼν pour le transfert auprès d’un tribunal ou du dèmos, le génitif τυραννίδος et ἀπάτης pour préciser la nature de l’accusation et les participes ἀποφυγὼν et ζημιώσαντος pour le résultat du procès. Il s’agit d’un vocabulaire qui ressemble à une procédure judiciaire organisée, sans qu’elle soit précisée, et qui devait être en vigueur à l’époque des Histoires d’Hérodote – ce qui pose la question de savoir si on peut attribuer ou non la même procédure

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Cf. de Bruyn 1995, 43. Voir Lévy 2004, 89. 60 Pour le tribunal de l’Aréopage, voir Bauman 1990, 16-17 ; Carawan 1987, 193, à travers la procédure de la reddition de comptes ; de Bruyn 1995, 42-45, à travers la procédure de l’eisangélie. Pour l’Héliée en tant que tribunal distinct de l’Assemblée, voir Hansen 1975, 69 : il s’agirait du premier cas d’eisangélie initiée à l’Assemblée et transférée à l’Héliée ; de Bruyn 1995, 42-45, par le biais d’une graphè devant un archonte avec ephesis devant le tribunal. Pour l’Héliée en tant que l’Assemblée avec compétences judiciaires, voir Rhodes 1972a, 200 ; id. 1979, 105 ; Wallace 1989, 75. 61 Voir Lévy 2004, 89. 62 Voir sur cet examen Lévy 2004, 81-92. 63 Cette question s’oppose à l’opinion de Hansen 1983a, 138-158, pour lequel le terme dèmos n’est pas identifié au tribunal. Pourtant, cette opinion repose plutôt sur la fréquence du terme dans les plaidoyers. Quant à Hérodote, Hansen 1983a, 140, discute le premier passage et montre correctement que le dèmos s’oppose au tribunal, mais prend l’identification du dèmos à l’Assemblée dans le second passage comme évidente (ibid., n. 2). 59

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au début du Ve siècle et, ainsi, reconnaître ou non, finalement, au terme dèmos le sens de tribunal64. La question reste ouverte. Pour ce qui concerne le dernier cas, Lycurgue situe le procès de trahison contre Hipparque devant le dèmos. Outre les doutes quant à sa datation, le procès en question soulève également des problèmes sur son contexte historique65. D’où les doutes exprimés sur l’authenticité du procès66. Si on accepte son déroulement, il convient de faire preuve de prudence : le terme dèmos signifiant ici l’Assemblée du peuple en train de juger une affaire de trahison ne répond pas forcément à la réalité judiciaire des premières décennies du Ve siècle67. Par conséquent, ces témoignages n’offrent pas une image claire des compétences de la justice populaire pendant cette période. Ce qu’on peut dire du tribunal populaire de cette époque reste dans le domaine des hypothèses. L’Héliée était une nouvelle institution, mais on ne peut pas savoir si elle fonctionnait au début en séance plénière ou dans des tribunaux distincts, et on ne peut pas savoir si le nombre de participants atteignait les six mille juges de l’époque d’Aristophane. Il est logique de supposer que sa répartition en plusieurs tribunaux résulterait de l’augmentation du nombre de procès et de l’ampleur de ses compétences au cours du Ve siècle. La rémunération des juges aurait pu aussi conduire à multiplier les tribunaux, plus petits et donc moins coûteux. Pour ce qui concerne le pouvoir de l’Héliée, la documentation du début du Ve siècle ne permet pas de le définir avec certitude. Si on en juge par les sources du milieu du Ve siècle, où les archontes et les autres magistrats président les séances des tribunaux, on peut supposer que l’Héliée siégeait avec ces magistrats et les accompagnait dans l’exercice de la justice. Son domaine d’action serait, donc, le même que celui de ces magistrats. 64

Pour l’Assemblée, voir Hansen 1975, 69. Pour le tribunal de l’Héliée, voir de Bruyn 1995, 51-53. Pour l’Héliée en tant que l’Assemblée de compétences judiciaires, voir Rhodes 1972a, 200 ; Wallace 1989, 75-76. Pour la probolè de l’Assemblée à l’Aréopage, voir Carawan 1987, 194. 65 L’accusation réside peut-­être dans le médisme d’Hipparque pendant les guerres médiques. «  L’opinion la plus communément admise est que ce médisme est dû au fait qu’il n’est pas rentré à Athènes selon l’amnistie décrétée en 481/0, avant la bataille de Salamine (Aristote, Constitution d’Athènes, XXII. 8). » Voir de Bruyn 1995, 53-54. Mais cette interprétation du non-­retour d’Hipparque est contestée, sur la base du passage de Lycurgue, selon lequel Hipparque était présent à Athènes avant le début du procès (voir Hansen 1975, 70 ; cf. Carawan 1987, 195-196). Sur les différentes hypothèses exprimées, voir Piccirilli 1983, 335-340. 66 Voir, à titre indicatif, Wallace 1989, 247-248 n. 24 ; Harris 2001, 193 n. 86. 67 Pour l’Assemblée, voir Hansen 1975, 69-70. Pour l’eisangélie devant l’Aréopage ou la graphè prodosias de l’archonte à l’Héliée, voir de Bruyn 1995, 53-55.

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Le tribunal de l’Héliée

Il n’est pas non plus facile de définir les compétences exactes du tribunal populaire jusqu’à la veille des réformes d’Éphialte. La documentation reste aussi rare que confuse. Le premier témoignage est celui d’Aristote qui remarque que le rôle décisif de l’Aréopage pendant les guerres médiques a conduit à la mise en valeur de son influence et lui a permis de tenir les affaires politiques sous sa direction jusqu’en 462/168. Le témoignage d’Aristote sur la suprématie de l’Aréopage n’est pas étonnant, si on prend en considération que l’Aréopage était encore puissant, puisque Clisthène n’avait pas touché directement aux compétences de ce conseil aristocratique dont les membres siégeaient à vie et provenaient de deux premières classes censitaires. Toutefois, son influence déclinait progressivement, puisque les archontes étaient désignés par tirage au sort (combien d’anciens archontes élus étaient-­ils encore en fonction au moment des réformes d’Éphialte ?) et le pouvoir du peuple augmentait : depuis son début, la Ligue de Délos a connu un véritable essor maritime dans lequel les thètes ont joué un rôle prépondérant qui a dû les rendre plus conscients de leur rôle politique. Pourtant, ce témoignage ne peut pas éclairer les compétences du tribunal populaire et il a aussi suscité une série de questions parmi les historiens modernes sur la nature du pouvoir de l’Aréopage, politique, judiciaire ou social, dont parle Aristote69. La clarification du pouvoir du tribunal populaire, ainsi que l’explication de la phrase d’Aristote, pourraient venir des témoignages qui portent sur l’activité de l’Aréopage pendant la période en question. Ces témoignages présentent, en effet, une activité judiciaire, mais on peut avancer diverses explications et interprétations du vocabulaire employé et de l’institution représentée. Il s’agit des trois procès datés des années 470 jusqu’à la veille des réformes d’Éphialte et intentés, par ordre chronologique, contre Aristide (n° 6), Thémistocle (n° 7) et Cimon (n° 8).

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Aristide (avant 471 ?)70 Plutarque, Vie d’Aristide, IV. 3-4 Τῶν δὲ δημοσίων προσόδων αἱρεθεὶς ἐπιμελητὴς, οὐ μόνον τοὺς καθ᾽ αὑτόν, ἀλλὰ καὶ τοὺς πρὸ αὑτοῦ γενομένους ἄρχοντας ἀπεδείκνυε πολλὰ νενοσφισμένους, καὶ μάλιστα

Aristote, Politique, 1304a 20, Constitution d’Athènes, XXIII. 1-2, XXV. 1. Voir, e.g., Rhodes 1981, 286-287, 309-311 ; Piccirilli 1988, 37-40 ; Wallace 1989, 78-82 ; Ostwald 1993, 139-153. 70 Pour la datation du procès, on serait tenté de proposer une date avant l’ostracisme de Thémistocle, si l’on se fie à Plutarque selon lequel Thémistocle était l’accusateur d’Aristide dans son procès. Pour une datation possible au début des années 480, mais avec des réserves, voir Develin 1989, 60. 69

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τὸν Θεμιστοκλέα· ‘Σοφὸς γὰρ ἁνήρ, τῆς δὲ χειρὸς οὐ κρατῶν.’ Διὸ καὶ συναγαγὼν πολλοὺς ἐπὶ τὸν Ἀριστείδην ἐν ταῖς εὐθύναις διώκων κλοπῆς καταδίκῃ περιέβαλεν, ὥς φησιν Ἰδομενεύς. Ἀγανακτούντων δὲ τῶν πρώτων ἐν τῇ πόλει καὶ βελτίστων, οὐ μόνον ἀφείθη τῆς ζημίας, ἀλλὰ καὶ πάλιν ἄρχων ἐπὶ τὴν αὐτὴν διοίκησιν ἀπεδείχθη.

« Élu épimélète des revenus publics, il prouva que non seulement ses collègues actuels, mais encore les magistrats qui l’avaient précédé avaient commis de nombreux détournements, en particulier Thémistocle, homme habile, mais non pas maître de sa main. C’est pourquoi Thémistocle, ayant ameuté beaucoup de gens contre lui, le poursuivit lors de sa reddition de comptes et le fit frapper, au dire d’Idoménée, d’une condamnation pour vol. Mais les premiers et les meilleurs citoyens en furent indignés, et non seulement on l’exempta de l’amende, mais encore on le réélut à la même charge. » (trad. R. Flacelière – E. Chambry). Thémistocle (années 470-460)71 Thucydide, I. 135. 2-3 Τοῦ δὲ μηδισμοῦ τοῦ Παυσανίου οἱ Λακεδαιμόνιοι πρέσβεις πέμψαντες παρὰ τοὺς Ἀθηναίους ξυνεπῃτιῶντο καὶ τὸν Θεμιστοκλέα, ὡς ηὕρισκον ἐκ τῶν Παυσανίου ἐλέγχων, ἠξίουν τε τοῖς αὐτοῖς κολάζεσθαι αὐτόν. Οἱ δὲ πεισθέντες (ἔτυχε γὰρ ὠστρακισμένος καὶ ἔχων δίαιταν μὲν ἐν Ἄργει, ἐπιφοιτῶν δὲ καὶ ἐς τὴν ἄλλην Πελοπόννησον) πέμπουσι μετὰ τῶν Λακεδαιμονίων ἑτοίμων ὄντων ξυνδιώκειν ἄνδρας οἷς εἴρητο ἄγειν ὅπου ἂν περιτύχωσιν. 138. 4 Νοσήσας δὲ τελευτᾷ τὸν βίον· 138. 6 Τὰ δὲ ὀστᾶ φασὶ κομισθῆναι αὐτοῦ οἱ προσήκοντες οἴκαδε κελεύσαντος ἐκείνου καὶ τεθῆναι κρύφα Ἀθηναίων ἐν τῇ Ἀττικῇ· οὐ γὰρ ἐξῆν θάπτειν ὡς ἐπὶ προδοσίᾳ φεύγοντος.

«  Cependant, à propos du médisme de Pausanias, les Lacédémoniens envoyaient des ambassadeurs à Athènes, accusant Thémistocle d’y avoir trempé, ainsi que le révélait leur enquête sur Pausanias : et ils réclamaient contre lui un châtiment semblable. Les Athéniens se laissèrent convaincre ; comme Thémistocle se trouvait frappé d’ostracisme, et, tout, en ayant pour centre Argos, faisait des séjours dans le reste du Péloponnèse, ils adjoignirent aux Lacédémoniens, qui étaient prêts à le rechercher, des gens ayant pour instructions de l’arrêter, en tout lieu où ils le trouveraient. ». « Il mourut de maladie (à Magnésie d’Asie). ». 71

Pour la datation de l’affaire de Thémistocle en 471, voir Lenardon 1959, 23-48 ; Ostwald 1986, 29 ; vers 476/5, voir de Bruyn 1995, 55-59 ; en 467/6, voir Hansen 1975, 70. L’impossibilité d’une datation précise est exprimée par Rhodes 1970, 395-399.

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Le tribunal de l’Héliée

« Mais ses restes furent, d’après la famille, rapatriés, selon son vœu, et ensevelis en Attique, à l’insu des Athéniens (il était interdit de l’ensevelir, puisqu’il était banni pour trahison). » (trad. J. de Romilly). FGrHist,  III B 342 (Cratéros), fr. 11a συνομολογεῖ δὲ τοῖς ὑπὸ Θεοφράστου ἡ κατὰ Θεμιστοκλέους εἰσαγγελία, ἣν εἰσήγγειλεν, ὡς Κρατερός, Λεωβώτης Ἀλκμέωνος, Ἀγρυλῆθεν.

« L’eisangélie contre Thémistocle que, selon Cratéros, a déposée Léobotès, fils d’Alcméon, du dème d’Agrylè, s’accorde avec ce qui est transmis par Théophraste. ». Aristote, Constitution d’Athènes,  XXV. 3 Ἔπραξε δὲ ταῦτα (parlant des réformes d’Éphialte) συναιτίου γενομένου Θεμιστοκλέους, ὃς ἦν μὲν τῶν Ἀρεοπαγιτῶν, ἔμελλε δὲ κρίνεσθαι μηδισμοῦ. «  Il eut pour cela l’aide de Thémistocle qui faisait partie de l’Aréopage, mais allait être jugé pour intelligence avec les Mèdes. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier).

Diodore de Sicile, XI. 54. 2-5 Λακεδαιμόνιοι […]. Διόπερ εὐδοκιμοῦντος παρ’ αὐτοῖς Θεμιστοκλέους καὶ μεγάλην δόξαν ἔχοντος ἐπ’ ἀρετῇ, κατηγόρησαν προδοσίαν αὐτοῦ, φάσκοντες φίλον γενέσθαι τοῦ Παυσανίου μέγιστον, καὶ μετὰ τούτου συντεθεῖσθαι κοινῇ προδοῦναι τὴν Ἑλλάδα τῷ Ξέρξῃ […]. Οὐ μὴν ἀλλὰ κατηγορηθεὶς ὁ Θεμιστοκλῆς τότε μὲν ἀπέφυγε τὴν τῆς προδοσίας κρίσιν. 55. 1-4 Πρῶτον μὲν οὖν αὐτὸν ἐκ τῆς πόλεως μετέστησαν, τοῦτον τὸν ὀνομαζόμενον ὀστρακισμὸν ἐπαγαγόντες αὐτῷ […]. Ὁ μὲν οὖν Θεμιστοκλῆς τὸν προειρημένον τρόπον ἐξοστρακισθεὶς ἔφυγεν ἐκ τῆς πατρίδος εἰς Ἄργος· οἱ δὲ Λακεδαιμόνιοι πυθόμενοι περὶ τούτων, καὶ νομίσαντες παρὰ τῆς τύχης εἰληφέναι καιρὸν ἐπιθέσθαι τῷ Θεμιστοκλεῖ, πάλιν εἰς τὰς Ἀθήνας ἐξαπέστειλαν πρέσβεις κατηγοροῦντες τοῦ Θεμιστοκλέους ὅτι τῷ Παυσανίᾳ κεκοινώνηκε τῆς προδοσίας, καὶ δεῖν ἔφασαν τῶν κοινῶν τῆς Ἑλλάδος ἀδικημάτων εἶναι τὴν κρίσιν οὐκ ἰδίᾳ παρὰ τοῖς Ἀθηναίοις, ἀλλ’ ἐπὶ τοῦ κοινοῦ συνεδρίου τῶν Ἑλλήνων, ὅπερ εἰώθει συνεδρεύειν ἐν τῇ Σπάρτῃ κατ’ ἐκεῖνον τὸν χρόνον.

« En conséquence, comme Thémistocle était très estimé à Athènes et que sa valeur lui donnait une grande gloire, les Lacédémoniens l’accusèrent de trahison, affirmant qu’il avait été l’ami intime de Pausanias et qu’il était convenu avec lui de livrer tous deux la Grèce à Xerxès […]. Quoi qu’il en soit, Thémistocle fut accusé, mais il échappa cette fois-­ci à la condamnation pour trahison. ».

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« Ils commencèrent donc par l’éloigner de la cité en le frappant de ce qu’on appelle l’ostracisme […]. Thémistocle donc, ostracisé de la manière que je viens d’indiquer, quitta sa patrie et se réfugia à Argos. Quand les Lacédémoniens apprirent ces événements, pensant que la fortune leur fournissait une belle occasion d’attaquer Thémistocle, ils envoyèrent à Athènes une nouvelle ambassade qui accusa Thémistocle d’avoir pris part à la trahison de Pausanias ; il fallait, disait-­elle, que ce procès dans lequel seraient jugés tous les crimes commis contre la Grèce tout entière, se déroulât non pas chez les Athéniens, comme une affaire athénienne, mais devant le congrès des Grecs, au lieu où ils avaient coutume de se réunir, à Sparte, en ce temps-­là. » (trad. J. Haillet). Cimon (463/2) Aristote, Constitution d’Athènes,  XXVII. 1 Μετὰ δὲ ταῦτα πρὸς τὸ δημαγωγεῖν ἐλθόντος Περικλέους, καὶ πρῶτον εὐδοκιμήσαντος, ὅτε κατηγόρησε τὰς εὐθύνας Κίμωνος στρατηγοῦντος νέος ὤν, δημοτικωτέραν ἔτι συνέβη γενέσθαι τὴν πολιτείαν.

« Puis, quand Périclès eut pris la direction du peuple (il avait commencé à acquérir de l’influence en accusant, encore tout jeune, Cimon lors de la reddition de comptes de sa stratégie), la constitution devint encore plus favorable au peuple.  » (trad. G.  Mathieu  – B.  Haussoullier, légèrement modifiée). Plutarque, Vie de Cimon, XIV. 3-5 Ἐκεῖθεν δὲ ῥᾳδίως ἐπιβῆναι Μακεδονίας καὶ πολλὴν ἀποτεμέσθαι παρασχόν, ὡς ἐδόκει, μὴ θελήσας αἰτίαν ἔσχε δώροις ὑπὸ τοῦ βασιλέως Ἀλεξάνδρου συμπεπεῖσθαι καὶ δίκην ἔφυγε τῶν ἐχθρῶν συστάντων ἐπ᾽ αὐτόν. Ἀπολογούμενος δὲ πρὸς τοὺς δικαστὰς […] ἔφη […]. Μνησθεὶς δὲ τῆς κρίσεως ἐκείνης ὁ Στησίμβροτός φησι τὴν Ἐλπινίκην ὑπὲρ τοῦ Κίμωνος δεομένην ἐλθεῖν ἐπὶ τὰς θύρας τοῦ Περικλέους (οὗτος γὰρ ἦν τῶν κατηγόρων ὁ σφοδρότατος).

« De là, semblait-­il, il pouvait aisément envahir la Macédoine et en enlever une bonne partie, mais il ne le voulut pas. Aussi l’accusa-­t-on de s’être laissé corrompre par le roi Alexandre, et ses ennemis, ligués contre lui, le poursuivirent en justice. Dans la défense qu’il prononça devant ses juges, il dit : « […] ». Stésimbrote, en mentionnant ce procès, dit qu’Elpinice vint à la porte de la maison de Périclès afin d’intercéder pour Cimon (car Périclès était le plus violent de ses accusateurs). » (trad. R. Flacelière – E. Chambry). Plutarque, Vie de Périclès, X. 6 Ἐδόκει δὲ καὶ πρότερον ἡ Ἐλπινίκη τῷ Κίμωνι τὸν Περικλέα πρᾳότερον παρασχεῖν, ὅτε τὴν θανατικὴν δίκην ἔφευγεν. Ἦν μὲν γὰρ εἷς τῶν κατηγόρων ὁ Περικλῆς ὑπὸ τοῦ δήμου προβεβλημένος.

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«  Il paraît qu’auparavant déjà, Elpinice avait adouci Périclès à l’égard de Cimon, alors que celui-­ci était sous le coup d’une accusation capitale. Car Périclès était l’un des accusateurs désignés par le peuple. » (trad. R. Flacelière – E. Chambry).

Plutarque est la seule source dont on dispose sur le déroulement du procès contre Aristide. Le biographe indique que sa source concernant ce procès est le philosophe Idoménée, dont l’œuvre, dont seuls les titres ou quelques fragments sont conservés, date du IIIe siècle. Idoménée évoque, entre autres, la vie de personnages historiques importants, dont Aristide, ce qui pose la question de savoir s’il était vraiment intéressé par le domaine juridique. Selon la procédure décrite, Thémistocle porta une accusation de vol contre Aristide pendant sa reddition de comptes (euthynai) et obtint sa condamnation. Le lieu du procès n’est pas précisé. Par la suite, grâce à l’intervention de gens de bien indignés de cette condamnation, Aristide fut acquitté et fut réélu au même poste72. Ce passage soulève plusieurs questions : sur la procédure judiciaire, sur l’institution qui a condamné Aristide et sur celle qui avait le droit de l’acquitter et qui est qualifiée de « premiers et meilleurs » hommes de la cité, sur la nature de la magistrature d’Aristide désigné à deux reprises en tant qu’épimélète des revenus publics73 et sur la date de ces deux élections, qui pourrait établir la date du procès. Même si on essaie de répondre à ces questions, il est douteux que ce passage puisse éclairer le pouvoir du tribunal populaire74. Le cas de Thémistocle ne présente pas moins de problèmes. Ces derniers tiennent aux doutes exprimés par rapport au déroulement d’un ou deux procès, ainsi qu’à l’information qui est transmise par les sources disponibles, laquelle n’est pas toujours confirmée d’une source à l’autre. C’est évident du point de vue juridique. Selon Cratéros, Thémistocle fut jugé par voie d’eisangélie. Selon Diodore de Sicile, il fut accusé de trahison deux fois : la première, à Athènes, sans que l’institution qui l’a jugé soit précisée ; la seconde, il allait être jugé par le congrès des Grecs. Thucydide et Aristote ne donnent pas plus de précisions. Par conséquent, 72

Carawan 1987, 200-202, essaie d’expliquer le passage en question par la procédure de la probolè, selon laquelle l’accusation a été déposée auprès du peuple qui a proposé préalablement la peine, mais l’Aréopage a annulé cette proposition. 73 On ne sait pas la nature de ce poste. Plutarque est le seul à l’attester et pourrait avoir été inspiré par les différents épimélètes, attestés surtout pour le IVe siècle. On ne peut pas, au contraire, nier qu’Aristide a été investi d’une sorte des devoirs financiers. Cf. Develin 1989, 11. 74 Des doutes sont exprimés sur la plausibilité de l’épisode. Voir Ostwald 1993, 152.

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les témoignages de Cratéros et de Diodore restent les seules sources75. Le fait qu’elles sont nettement postérieures à l’affaire de Thémistocle incite à la réserve quant à l’interprétation à attribuer au terme d’eisangélie et au lieu du/des procès. Dans le cas de Cimon, on n’a de renseignements qu’après son retour de l’expédition à Thasos : il fut accusé d’avoir été corrompu par le roi de Macédoine Alexandre I. L’Assemblée du peuple désigna les accusateurs, parmi lesquels on trouve Périclès. Lors du procès qui suivit, Cimon fut acquitté. Les termes qui attirent l’attention et qui se trouvent chacun dans des passages différents sont ceux d’euthynai et de dikastai, ainsi que l’expression « accusateurs désignés par le peuple ». Aristote situe l’accusation contre Cimon lors de sa reddition de comptes. Cette procédure pourrait révéler l’institution qui a jugé Cimon selon l’hypothèse émise sur l’organe qui participait au contrôle des magistrats avant les réformes d’Éphialte. Par conséquent, l’interprétation dépend de ce qu’on attribue aux institutions de cette période. Plutarque, par la suite, emploie le terme dikastai pour se référer au corps qui a jugé Cimon. Ce terme ne précise pas le type de tribunal, parce qu’il pourrait désigner aussi bien les membres de l’Aréopage que ceux du tribunal populaire. En outre, il n’est pas non plus certain qu’il soit employé de manière technique76. D’autres questions encore sont posées par le témoignage de Plutarque sur la désignation par le peuple des accusateurs. Ce dernier n’est pas conforme à ce qu’on connaît sur la reddition de comptes, mais il est, en revanche, conforme à d’autres procédures judiciaires, comme celle de l’eisangélie ou de l’apophasis du milieu du IVe siècle77. Si l’on tient compte de ces considérations, il semble difficile de préciser les compétences du tribunal populaire, du moins avant les réformes d’Éphialte. Or, cette difficulté ne doit en aucun cas remettre en question 75

Pour l’Assemblée du peuple et la procédure de l’eisangélie, voir Hansen 1975, 70 ; Carawan 1987, 196-197, qui en même temps n’exclut pas la possibilité que des membres de l’Aréopage aient soutenu l’accusation. Pour l’Aréopage, voir Rhodes 1972a, 200-201 et Rhodes 1979, 105. Wallace 1989, 75, ne peut pas choisir entre l’Assemblée ou le tribunal. de Bruyn 1995, 55-59, n’exclut ni la procédure de l’eisangélie auprès de l’Aréopage ni le cas d’une graphè. 76 Cf. Rhodes 1972a, 200-201 ; Hansen 1975, 71. 77 Pour l’eisangélie auprès de l’Assemblée, voir Hansen 1975, 71. Pour les euthynai devant l’Aréopage, voir Rhodes 1972a, 200-201 ; id. 1979, 105 ; Ostwald 1993, 152-153. Pour la procédure de la probolè initiée auprès de l’Assemblée et conduite pour la décision finale à l’Aréopage, voir Carawan 1987, 202-205. Pour le cas d’une apocheirotonia auprès de l’Assemblée, suivie par un procès devant le tribunal populaire, voir de Bruyn 1995, 67-68.

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l’existence même d’un tribunal populaire, à part entière, et amoindrir son importance dans la vie des Athéniens. On ne pourrait pas, du reste, situer la composition de la trilogie d’Eschyle, Les Danaïdes, hors de ce climat. Il est vrai que sa date exacte est inconnue et on la date autour des années 466-45978. La trilogie traite de la fuite de Danaos et de ses filles de l’Égypte, afin d’échapper au mariage avec les fils d’Égyptos, de leur arrivée à Argos, où ils demandent l’asile au roi Pélasgos, de l’arrivée des Égyptiades, du mariage avec les Danaïdes, du crime de ces dernières pendant la nuit nuptiale et de la justice rendue par jugement du crime dans la cité. Bien que le lieu de la tragédie soit la cité d’Argos, il est incontestable qu’Eschyle s’est inspiré de sa propre cité. L’Assemblée du peuple se présente dans la tragédie comme le corps souverain qui prend les décisions79. En ce qui concerne le domaine judiciaire, le vocabulaire correspondant ne se réfère pas à des tribunaux, constitués à part, mais les mots et les phrases dont le poète fait usage80, ainsi que le contexte de la troisième tragédie de la trilogie Danaoi sur le châtiment du crime commis par les Danaïdes, font penser à l’existence d’un système de justice, où le tribunal populaire doit fonctionner.

Conclusions Si on parcourt les années qui suivent les réformes de Solon, les textes laissent entendre que le tribunal populaire n’a pas pu fonctionner avant les réformes de Clisthène, mais sans doute n’a-­t-il fait son apparition que dans 78

Sur la datation, voir Ramelli 2009, 103-104 n. 11. Voir sur ce point, Parara 2010, 319. 80 Eschyle, Suppliantes, v. 383-384 οἳ τοῖς πέλας προσήμενοι| δίκας οὐ τυγχάνουσιν ἐννόμου : « ceux qui font appel à leurs frères n’obtiennent pas le droit que la loi leur donne », v. 387-391 Εἴ τοι κρατοῦσι παῖδες Αἰγύπτου σέθεν| νόμῳ πόλεως, φάσκοντες ἐγγύτατα γένους| εἶναι, τίς ἂν τοῖσδ’ ἀντιωθῆναι θέλοι;| δεῖ τοί σε φεύγειν κατὰ νόμους τοὺς οἴκοθεν| ὡς οὐκ ἔχουσι κῦρος οὐδὲν ἀμφὶ σοῦ. : « Si les fils d’Égyptos ont pouvoir sur toi, selon la loi de ton pays, en se déclarant tes plus proches parents, qui pourrait les opposer ? Il te faut, toi, plaider que les lois de chez vous ne leur donnent point sur toi de tutelle. », v. 397-399 μή μ’ αἱροῦ κριτήν·| εἶπον δὲ καὶ πρίν, οὐκ ἄνευ δήμου τάδε| πράξαιμ’ ἄν : « Ne t’en remets pas à moi pour décider. Je te l’ai dit déjà : quel que soit mon pouvoir, je ne saurais rien faire sans le peuple. », v. 402-404 Ἀμφοτέροις ὁμαίμων τάδ’ ἐπισκοπεῖ| Ζεὺς ἑτερορρεπής, νέμων εἰκότως| ἄδικα μὲν κακοῖς, ὅσια δ’ ἐννόμοις· : « L’auteur commun de nos deux races contemple ce débat, Zeus impartial, qui, suivant leurs mérites, traite les méchants en coupables, en justes les cœurs droits. », v. 612-614 ἐὰν δὲ προστιθῇ τὸ καρτερόν,| τὸν μὴ βοηθήσαντα τῶνδε γαμόρων| ἄτιμον εἶναι ξὺν φυγῇ δημηλάτῳ. : « Use-­t-on de violence, tout habitant d’Argos qui ne nous prête aide est frappé d’atimie, exilé par sentence du peuple. » (trad. P. Mazon). 79

Quelle période pour la création de l’Héliée ?

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les décennies qui précèdent les réformes d’Éphialte. Le terminus post quem a été fourni par les grands changements institutionnels du début du Ve siècle qui offrent un terrain favorable pour le fonctionnement de l’Héliée : la cité s’organise et le dèmos acquiert de plus en plus de pouvoir. Le terminus ante quem est donné par les réformes d’Éphialte. Un quart de siècle, une génération, est le temps qu’il a fallu pour réduire le pouvoir des aristocrates, à qui l’Aréopage fournissait un moyen d’influence durable, et établir les institutions démocratiques. Pour reconstituer la préhistoire de l’Héliée, nous en sommes réduits à des arguments de vraisemblance, afin d’éviter d’être les victimes d’une reconstitution élaborée par les Atthidographes du IVe siècle. Pour connaître ses compétences précises, il faut attendre les grands changements institutionnels du milieu du Ve siècle.

Chapitre IV

Le tribunal populaire au milieu du Ve siècle Les années aux environs du milieu du Ve siècle constituent une période importante pour le tribunal populaire, en raison des réformes apportées à son fonctionnement. La recherche moderne distingue d’habitude trois événements : la réforme d’Éphialte, des changements dont les auteurs ne sont pas connus et le changement apporté par Périclès. Comme ces réformes ont été maintes fois étudiées, ce n’est pas mon propos ici d’y insister, mais de révéler leur importance politique. Par contre, comme les sources dont on dispose sont peu nombreuses et pas toujours très claires, il convient de rechercher les compétences que l’institution de l’Héliée a acquises grâce à ces réformes dans la période qui les suit. Par conséquent, le chapitre est divisé en deux thématiques : les réformes et le pouvoir de l’Héliée dans la période qui va des réformes jusqu’à la veille de la guerre du Péloponnèse. Le chapitre s’arrête avant la guerre, parce que cette dernière a apporté des changements au fonctionnement du tribunal et doit être étudiée séparément.

A. D’Éphialte à Périclès 1.  La réforme réduisant les pouvoirs de l’Aréopage Datée de 462/1, la réforme attribuée à Éphialte porte sur la diminution des compétences de l’Aréopage. La réforme a peut-­être eu lieu en l’absence de Cimon, parti avec quatre mille hoplites à Sparte pour la soutenir dans la troisième guerre messénienne, ce qui aurait permis à Éphialte de profiter de la situation et de réaliser la réforme1. Le chapitre XXV de la Constitution d’Athènes d’Aristote est la seule source qui décrit, au moins d’une manière

1



Thucydide, I. 102 ; Aristophane, Lysistrate, v. 1137-1146 ; Plutarque, Vie de Cimon, XV. 2, XVI. 4-8, XVII. 2. Pour la discussion sur la suite d’événements et la relation entre l’absence de Cimon et la réalisation des réformes, voir Ruschenbusch 1966b, 375 ; Raaflaub 2007, 108-114 ; Hornblower 20114, 22-25.

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globale, le contenu des réformes d’Éphialte ; Aristote dans la Politique2 se réfère à la réforme de façon très allusive et le reste des sources, très postérieures3, tirent leurs informations de la Constitution d’Athènes. XXV. 1-2 Αὐξανομένου δὲ τοῦ πλήθους, γενόμενος τοῦ δήμου προστάτης Ἐφιάλτης ὁ Σοφωνίδου, ‖ δοκῶν καὶ ἀδωροδόκητος εἶναι καὶ δίκαιος πρὸς τὴν πολιτείαν, ἐπέθετο τῇ βουλῇ. Καὶ πρῶτον μὲν ἀνεῖλεν πολλοὺς τῶν Ἀρεοπαγιτῶν, ἀγῶνας ἐπιφέρων περὶ τῶν διῳκημένων· ἔπειτα τῆς βουλῆς ἐπὶ Κόνωνος ἄρχοντος ἅπαντα περιεῖλε τὰ ἐπίθετα δι’ ὧν ἦν ἡ τῆς πολιτείας φυλακή, καὶ τὰ μὲν τοῖς πεντακοσίοις, τὰ δὲ τῷ δήμῳ καὶ τοῖς δικαστηρίοις ἀπέδωκεν. « Comme la foule augmentait, Éphialte, fils de Sophonidès, qui paraissait incorruptible et pourvu d’esprit de civisme, devint protecteur du dèmos et s’attaqua au Conseil de l’Aréopage. Tout d’abord il fit disparaître beaucoup d’Aréopagites en leur intentant des procès au sujet de leur administration. Puis, sous l’archontat de Conon, il enleva au Conseil toutes les fonctions surajoutées qui lui donnaient la garde de la constitution, et il les remit, les unes aux Cinq Cents, les autres au peuple et aux tribunaux. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée).

Le passage d’Aristote fait apparaître que la diminution du pouvoir de l’Aréopage s’est effectuée en deux étapes successives. Dans la première phase, Éphialte poursuivit un nombre considérable de membres de l’Aréopage, en leur intentant des procès pour leur gestion de la cité. Il est important de remarquer qu’Éphialte ne poursuit pas ici l’Aréopage dans sa totalité, mais poursuit individuellement un certain nombre d’Aréopagites, afin de révéler, tout d’abord, le mauvais fonctionnement de l’institution à travers ses membres. Les poursuites intentées à des Aréopagites pourraient montrer que leurs fonctions n’étaient pas toujours exercées à la satisfaction Aristote, Politique, 1274a 7-8 τὴν μὲν ἐν Ἀρείῳ πάγῳ βουλὴν Ἐφιάλτης ἐκόλουσε καὶ Περικλῆς : « Éphialte et Périclès restreignirent les pouvoirs du Conseil de l’Aréopage » (trad. J. Tricot 19954). 3 Plutarque, Vie de Cimon, X. 8 καὶ πρὸς Ἐφιάλτην ὕστερον χάριτι τοῦ δήμου καταλύοντα τὴν ἐξ Ἀρείου πάγου βουλὴν διηνέχθη : « et plus tard il combattit Éphialte, qui, pour plaire au dèmos, voulait abolir le Conseil de l’Aréopage » (trad. R. Flacelière – E. Chambry), Vie de Périclès, VII. 8 τὸν Ἐφιάλτην, ὃς κατέλυσε τὸ κράτος τῆς ἐξ Ἀρείου πάγου βουλῆς, πολλήν κατὰ τὸν Πλάτωνα καὶ ἄκρατον τοῖς πολίταις ἐλευθερίαν οἰνοχοῶν : « Éphialte, qui abaissa la puissance du Conseil de l’Aréopage et qui, suivant l’expression de Platon, versa la liberté à flots et toute pure aux citoyens » (trad. R. Flacelière – E. Chambry) ; Pausanias, Ι. 29. 15 Ἐφιάλτης, ὃς τὰ νόμιμα τὰ ἐν Ἀρείῳ πάγῳ μάλιστα ἐλυμήνατο : « Éphialte qui porta le plus grand coup aux droits de l’Aréopage » (trad. J. Pouilloux). 2

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de tous et que leurs décisions aboutissaient parfois à un abus de pouvoir ; parallèlement, le succès des procès témoigne de l’existence d’un terrain politique prêt à accueillir ce type de procès contre les Aréopagites. La question qui en résulte porte sur l’accusation et, par conséquent, sur le lieu des procès. Si l’on attribue la reddition de comptes à l’Aréopage, il est difficile de penser à la mise en place des accusations pendant la procédure de la reddition de comptes des archontes, parce que cela implique que les procès se seraient déroulés devant l’Aréopage et, surtout, qu’ils se seraient déroulés avant l’accès des archontes à l’Aréopage en tant qu’Aréopagites4. Pour qu’Éphialte puisse attaquer, de manière indirecte, la compétence de l’Aréopage à effectuer le contrôle des magistrats, on pourrait penser, en revanche, qu’il a pu porter l’accusation auprès d’un magistrat et des héliastes, à condition que l’Aréopagite ait été accusé et jugé pour avoir commis des délits pendant sa magistrature. Le magistrat et les héliastes auraient pu juger ces affaires si l’accusation de mauvaise administration tombait dans le domaine des compétences du magistrat5. De cette manière, le tribunal populaire pourrait avoir participé à cette première tentative d’amoindrir le pouvoir de l’Aréopage. Dans la deuxième étape, Éphialte, en proposant et faisant ratifier des décrets à l’Assemblée6, enleva à l’Aréopage ses fonctions « surajoutées »7 qui lui ont donné la garde de la constitution et il les transféra en partie à la Boulè des Cinq Cents, en partie à l’Assemblée et en partie aux tribunaux8. Cette phrase a été interprétée de façon diverse par la recherche moderne, dans le but de définir les pouvoirs dont l’Aréopage était privé et, par conséquent, celles de ses compétences qui furent transférées aux autres institutions. Si on tient compte du fait qu’à l’époque de Démosthène et d’Aristote l’Aréopage était le tribunal qui jugeait les actions pour meurtre ou blessure volontaire ou préméditée, les actions d’incendie et quelques affaires de droit sacré9, l’enquête moderne soutient qu’il a enlevé à l’Aréopage la compétence de surveiller les magistrats et de juger les crimes 4



Cf. Jones 1987, 64. Pourtant, il s’agit d’une explication adoptée par Rhodes 1981, 313-314 ; de Bruyn 1995, 96. 5 Cf. Bonner – Smith 1930, 256 ; Hignett 1952, 194-195 ; Jones 1987, 63-65 ; Wallace 1989, 83 et n. 51 ; Raaflaub 2007, 113. 6 Aristote, Constitution d’Athènes, XXV. 4. Cf. Hignett 1952, 196 ; Piccirilli 1988, 61. 7 Pour les diverses interprétations du mot epitheta, voir Rhodes 1981,  314-315  ; Cawkwell 1988, 2 ; Piccirilli 1988, 37-41 ; Wallace 1989, 85-87 ; Sealey 1991, 210 ; Saïd 1993, 163 n. 62 ; de Bruyn 1995, 96-97 et n. 49. 8 Cf. Rhodes 1981, 315-318 ; Ostwald 1986, 67 sq. ; Ober 1989, 77-78 ; Fornara – Samons 1991, 62-63 ; Hornblower 20114, 22-25 et n. 10-11. 9 Aristote, Constitution d’Athènes, LVII. 3, LX. 2.

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contre la cité, mais les historiens mettent chacun l’accent sur différents aspects de la réforme, conformément également à ce qu’ils attribuent à l’Aréopage. Si on les résume, on peut distinguer les tendances suivantes. La première tendance attribue aux réformes d’Éphialte le transfert de toutes les procédures judiciaires de caractère politique de l’Aréopage aux autres institutions10. La deuxième reconnaît le transfert de telle ou telle procédure grâce aux réformes d’Éphialte, mais exprime des réserves pour le transfert de l’ensemble de ces procédures de caractère politique et attribue leur changement à d’autres raisons11. La troisième tendance suppose que l’Aréopage aurait conservé un rôle important en matière de crimes contre la cité, mais aurait perdu sa souveraineté, en étant obligé d’en référer au tribunal populaire12. La phrase d’Aristote permet, en premier lieu, de dire que le tribunal populaire existait avant les réformes et que les réformes ont renforcé ses compétences. En ce qui concerne cette dernière implication, il est difficile de définir les pouvoirs que le tribunal populaire a acquis au moment des 10

Voir Hignett 1952, 200-208  : outre l’examen préliminaire des archontes et des membres de la Boulè qu’il attribue dès le début à la Boulè des Cinq Cents et celui des autres magistrats aux tribunaux, il soutient que les changements à la reddition de comptes ont été effectués par Éphialte et que les crimes contre la cité avaient probablement été transférées au peuple avant les réformes d’Éphialte, mais ce transfert était maintenant institutionnalisé ; Rhodes 1972a, 176-178 ; id. 1981, 316 : il suppose que l’examen préliminaire des archontes et des membres de la Boulè s’effectuait devant l’Aréopage et la Boulè respectivement et que la procédure a été transférée devant la Boulè et les tribunaux par Éphialte et que les procédures de l’eisangélie et de la reddition de comptes ont aussi été transférées de l’Aréopage aux autres institutions ; Piccirilli 1988, 41, admet que l’Aréopage a été privé du contrôle préliminaire des magistrats, de la reddition de comptes, des procès intentés contre les magistrats qui ne respectaient pas les lois et de la procédure de l’eisangélie. 11 Voir Sealey 1964, 11-20 : il propose qu’Éphialte a transféré les procédures de l’examen préliminaire et de la reddition de comptes de l’Aréopage aux autres institutions, dans le cadre d’un effort d’amélioration des deux procédures, d’élimination des abus commis par les membres de l’Aréopage et du jugement favorable des magistrats, tandis que le transfert de l’eisangélie est dû à l’incapacité de l’Aréopage à juger ce type d’affaires et non aux réformes ; Will 19914, 145-146, met l’accent sur le transfert de la reddition de comptes devant les Cinq Cents et sur le conflit entre les deux conseils, l’Aréopage et la Boulè des Cinq Cents ; Rhill 1995, 87-98 : il met plutôt l’accent sur l’élimination de l’examen préliminaire de la juridiction de l’Aréopage. Quant au transfert de l’eisangélie aux autres institutions, il l’attribue à des changements pratiques et non à des réformes et, quant à la reddition de comptes, il penche pour leur déroulement devant le peuple dès l’époque de Solon. 12 Voir de Bruyn 1995, 106.

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réformes d’Éphialte, puisque les compétences qu’il avait avant Éphialte ne sont pas bien connues. On pourrait également dire que le tribunal participe désormais à la surveillance des magistrats et à la punition des crimes contre la cité, mais on ne connaît pas le degré de cette participation, ce qui nous amène à rechercher ses compétences dans les témoignages littéraires et épigraphiques du Ve siècle qui suivent les réformes. En somme, les réformes qui portent le nom d’Éphialte reflètent un processus progressif de démocratisation du régime athénien, au sein duquel le peuple gagne progressivement en pouvoir judiciaire13. Il est clair qu’elles ont contribué à l’augmentation du pouvoir politique du tribunal populaire, puisque ce qu’Éphialte a enlevé à l’Aréopage était sa juridiction dans le domaine politique. Parallèlement, la concession de compétences supplémentaires au tribunal populaire équivalait à la revalorisation de son rôle dans l’exercice de la justice et à sa reconnaissance en tant qu’une des institutions essentielles de la constitution de la cité, qui garantissait l’identité politique du peuple athénien. Autrement dit, la concession de compétences supplémentaires permettait aux Athéniens d’accéder à plusieurs domaines de leur cité et d’intervenir dans les affaires qui étaient un aspect important de la vie d’Athènes14. Concrètement, ces réformes correspondaient à une demande d’amélioration du fonctionnement du régime athénien, et, plus spécialement, de la procédure de l’exercice de la justice15, en raison de la coexistence d’un Conseil aristocratique puissant et des institutions démocratiques qui s’affirmaient de plus en plus.

2.  Autres changements apportés au tribunal L’information très limitée dont on dispose pour les réformes et les autres changements constitutionnels du Ve  siècle ne nous permet pas non plus de déterminer le moment où les juges populaires ont pris des décisions sans la participation des archontes au verdict, ni le moment où ils ont été répartis en plusieurs tribunaux, si l’on admet qu’ils jugeaient en séance plénière depuis les débuts du tribunal. Si l’on accepte la datation traditionnelle du décret à propos de Chalcis (446/5), on voit que, dès le milieu du Ve siècle, certaines affaires étaient portées devant l’Héliée des thesmothètes pour être jugées, ce qui conduit à penser que c’est le tribunal lui-­même qui juge ces affaires et qu’on a ici une séance des juges 13

Cf. Rhodes 1981, 318 ; Jones 1987, 63 ; Fornara – Samons 1991, 63-64. Cf. Raaflaub 2007, 114. 15 Cf. Ostwald 1986, 80. 14

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en sections. Ainsi, le décret pour Chalcis nous fournit un terminus ante quem pour dater les limites posées à l’intervention des archontes dans la sphère judiciaire et la répartition des juges en plusieurs tribunaux. Les questions, toutefois, restent sans réponse pour les raisons suivantes. Selon Aristote, les archontes avant Solon exerçaient le pouvoir judiciaire, parallèlement à l’Aréopage, avec le droit de rendre des jugements souverainement. Après l’institution de l’ephesis, à un moment donné, inconnu de nous, ils ont perdu, majoritairement, cette juridiction, de sorte qu’à l’époque d’Aristote, ils effectuaient seulement l’instruction des procès16. On ne dispose d’aucun élément qui montre quand les archontes17 ont été privés de leur droit de prendre des décisions souveraines18. Les réformes d’Éphialte ont, très probablement, contribué à cette restriction19, en raison de la valeur désormais attachée au pouvoir et au contrôle collectif et populaire des choses politiques. C’est pourquoi, à partir de cette période, les magistrats ne jugent que des affaires secondaires, dont l’amende ne dépasse pas un certain montant20. L’analyse des termes Héliée/dikastèrion/ 16

Aristote, Constitution d’Athènes, III. 5. Pour un bref résumé des compétences judiciaires des archontes, voir Biscardi 2005, 396-397. 18 Pour répondre à cette question, on invoque souvent le décret qui passe des accords judiciaires en cas de différend commercial entre Athènes et Phasélis (IG I3, 10), en particulier, la phrase stipulant que « si un contrat est conclu [à Athènes], les procès ont lieu à Athènes devant le polémarque » (l. 6-10). J’ai adopté ici la traduction et l’interprétation donnée au mot xymbolaion (ξυμβόλαιον) par Bresson 2008, 113-114, 254 n. 66. Voir aussi sur ce point, Gauthier 1972, 161 : « soit il désigne ce qui se rapporte à un marché quelconque, c’est-­à-dire un rapport d’affaires entre deux personnes soit il désigne les rapports d’obligations qui naissent de ces affaires, et par voie de conséquence les conflits qui naissent de ces rapports lorsqu’il y a manquement. » Ce décret ne peut pas, pourtant, nous renseigner pour deux raisons. D’un côté, la phrase en question ne précise guère si le polémarque tenait seulement la présidence du procès ou s’il était celui qui prononçait le verdict. Ainsi, on ne peut pas dater la restriction posée aux compétences judiciaires des archontes d’après ce décret. D’un autre côté, la datation proposée pour ce texte par les savants ne peut être plus précise que celle fixée entre 469 et 450 (voir Hignett 1952, 397 ; Wade-­Gery 1958, 180-192 ; Gauthier 1972, 159 ; MacDowell 1978, 33 ; Brun 2005, 29-30, n° 5 ; Rhodes 2008a, 501, 504 ; Hornblower 20114, 24) ou même vers le début de la guerre du Péloponnèse (voir Papazarkadas 2009, 70-71). Voir aussi O & R, n° 120. 19 Cf. Ostwald 1986, 75 ; Jones 1987, 60-61 ; Sinclair 1997, 92 et n. 10. Contra Sealey 1964, 18. Il attribue le changement à l’initiative des archontes eux-­mêmes et à leurs hésitations concernant des atteintes à leur avenir politique. 20 Voir, e.g., IG I3, 82, l. 25-28 (421/0). Le décret oblige les hiéropes à imposer une amende jusqu’à cinquante drachmes pour tout comportement malséant pendant la procession. Si un individu est jugé redevable d’une amende supérieure, le procès sera jugé par le tribunal. Cf. MacDowell 1978, 235-236. 17

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dikastèria présentée dans le premier chapitre ne nous permet pas non plus de trouver une limite chronologique précise ni de savoir quand on peut parler explicitement de divers tribunaux, puisqu’elle a pu montrer que ces termes sont utilisés indifféremment du contexte chronologique et que dans quelques passages leur sens est vague (lieu ou institution ou tribunal en tant que synecdoque). À cet égard, il reste à dire que les tribunaux ont augmenté en nombre et acquis une composition plus organisée au cours du temps et selon les besoins judiciaires21. En 453/2, quand Lysicratès était archonte éponyme, les juges des dèmes furent renommés22. Il semble que ce corps, qui avait été établi pour la première fois par Pisistrate, a été aboli, très probablement en raison de l’abolition de la tyrannie, sans que, cependant, les sources le disent explicitement. Cette fois, leur nombre s’élevait à trente et on suppose que leur tâche était analogue à celle de la période précédente ; ils étaient en tournée dans les dèmes pour résoudre au niveau local les différends. Les causes de leur réapparition ne sont pas mentionnées par Aristote, mais elle doit être liée au développement progressif et à la meilleure organisation du système judiciaire et au renforcement du rôle des tribunaux populaires23.

3.  L’introduction du misthos des juges Le système judiciaire d’Athènes a reçu sa première forme complète avec l’introduction du salaire des juges. Les sources dont on dispose ne permettent de la dater que de manière imprécise, dans les années 460-440, et, selon la datation, on peut tirer des conclusions différentes quant aux raisons de l’introduction de cette mesure. Les problèmes de la datation sont dus au récit problématique du chapitre XXVII de la Constitution d’Athènes d’Aristote et du IXe chapitre de la Vie de Périclès de Plutarque24. Ces passages ont amené les historiens à dater le misthos des juges soit avant les réformes d’Éphialte soit après, et dans ce dernier cas, la datation varie des débuts à la fin des années 45025. 21

Cf. Hignett 1952, 216-218 ; Wade-­Gery 1958, 195-196 ; Rhodes 1979, 104 ; Ostwald 1986, 74. 22 Aristote, Constitution d’Athènes,  XXVI. 3. Patterson 1981, 116, attribue leur réapparition à Périclès. 23 Cf. Hignett 1952, 218-219 ; Rhodes 1981, 215, 331 ; Sinclair 1997, 80-81. 24 Pour la discussion des problèmes chronologiques de ces deux chapitres, voir Rhodes 1981, 335-340 ; Fornara – Samons 1991, 67-74. 25 Pour la datation du misthos des juges avant la réforme d’Éphialte, voir Bonner – Smith 1930, 226 sq., qui considèrent cette mesure comme un signe annonciateur des réformes

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L’instauration de l’indemnité des juges par Périclès doit avoir eu lieu après les réformes d’Éphialte, dans le cours des années 45026. Voici le passage relatif à ce fait, dans la Constitution d’Athènes d’Aristote, qui est notre source principale, Plutarque fondant son récit sur Aristote27. XXVII. 3-4 Ἐποίησε δὲ καὶ μισθοφόρα τὰ δικαστήρια Περικλῆς πρῶτος, ἀντιδημαγωγῶν πρὸς τὴν Κίμωνος εὐπορίαν. Ὁ γὰρ Κίμων, ἅτε τυραννικὴν ἔχων οὐσίαν, πρῶτον μὲν τὰς κοινὰς λῃτουργίας ἐλῃτούργει λαμπρῶς, ἔπειτα τῶν δημοτῶν ἔτρεφε πολλούς· ἐξῆν γὰρ τῷ βουλομένῳ Λακιαδῶν καθ᾽ ἑκάστην τὴν ἡμέραν ἐλθόντι παρ᾽ αὐτὸν ἔχειν τὰ μέτρια· ἔτι δὲ τὰ χωρία πάντα ἄφρακτα ἦν, ὅπως ἐξῇ τῷ βουλομένῳ τῆς ὀπώρας ἀπολαύειν. Πρὸς δὴ ταύτην τὴν χορηγίαν ἐπιλειπόμενος ὁ Περικλῆς τῇ οὐσίᾳ, συμβουλεύσαντος αὐτῷ Δαμωνίδου τοῦ Οἴηθεν – ὃς ἐδόκει τῶν πολλῶν εἰσηγητὴς εἶναι τῷ Περικλεῖ· διὸ καὶ ὠστράκισαν αὐτὸν ὕστερον –, ἐπεὶ τοῖς ἰδίοις ἡττᾶτο, διδόναι τοῖς πολλοῖς τὰ αὑτῶν, κατεσκεύασε μισθοφορὰν τοῖς δικασταῖς.

« Ce fut aussi Périclès qui le premier donna une indemnité aux tribunaux, pour rivaliser de popularité avec la richesse de Cimon. En effet Cimon, qui avait une fortune princière, d’abord s’acquittait magnifiquement des liturgies publiques et de plus entretenait beaucoup de gens de son dème : chacun des Lakiades pouvait venir chaque jour le trouver et obtenir de lui de quoi suffire à son existence ; en outre aucune de ses propriétés n’avait de clôture afin que qui voulait pût profiter des fruits. Périclès, dont la fortune ne pouvait subvenir à de telles largesses, reçut de Damonidès d’Oa (qui passait pour inspirer la plupart de ses actes et fut plus tard frappé d’ostracisme pour cette raison) le conseil de distribuer aux gens du peuple ce qui leur appartenait, puisque sa fortune personnelle était insuffisante ; et il institua une indemnité pour les juges. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée).

Dans le passage cité, l’introduction du salaire des juges est expliquée dans le cadre de la rivalité entre Périclès et Cimon et résulte de l’effort de Périclès pour gagner la faveur du peuple contre Cimon. La motivation attribuée par Aristote à Périclès se justifie dans le cadre des luttes politiques d’Éphialte ; Wade-­Gery 1958, 235-238. À la fin des années 460 et avant l’ostracisme de Cimon, voir Loomis 1998, 9. Peu après les réformes et dans le cadre de la nouvelle organisation du système judiciaire du milieu du Ve siècle, voir Hignett 1952, 342-343 ; Rhodes 1981, 339-340. Après les réformes et avant l’ostracisme de Thucydide, fils de Mélésias, voir Ostwald 1986, 182. À la fin des années 450 et lié à la loi de Périclès sur la citoyenneté, voir Buchanan 1962, 14-15 ; Fornara – Samons 1991, 70-74. 26 Cf. Azoulay 20152, 129. 27 Plutarque, Vie de Périclès, IX. 2-3.

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du Ve siècle et reflète deux modes différents d’influence sur le peuple. À cet égard, on pourrait trouver, dans un premier temps, des raisons politiques à l’initiative de l’introduction de cette mesure28. Pourtant, cette version doit être considérée avec prudence. Hors du fait qu’on ne sait pas si cette anecdote est véridique, Aristote analyse l’indemnité pour les juges « selon un prisme typiquement anti-­démocratique », n’y voyant, pour Périclès, qu’un moyen pour instaurer « une nouvelle forme de patronage  – le patronage communautaire  »29. En revanche, pour reprendre les critiques déjà exprimées à cette interprétation d’Aristote, le misthos « n’était pas distribué par un individu identifié, mais par la communauté elle-­même. Son octroi n’engendrait aucune dépendance personnelle entre le donateur et le récipiendaire  : la communauté redistribuait à une fraction d’elle-­même – les juges – des richesses qu’elle considérait comme lui appartenant »30. On pourrait, par conséquent, évoquer d’autres raisons qui justifient l’établissement du misthos et qui sont liées à la participation active des citoyens aux institutions de la cité. Comme déjà signalé, les réformes d’Éphialte firent transférer une partie des compétences judiciaires de l’Aréopage aux tribunaux. Éphialte créa en 462/1 le cadre du transfert de ces compétences et les tribunaux acquirent au cours du temps davantage de pouvoir. En outre, à partir des années 450 se multiplièrent les témoignages de jugements des affaires des alliés à Athènes31. Ces éléments montrent que les tribunaux avaient besoin de personnel stable et prêt à participer à l’exercice de la justice, afin qu’ils fonctionnent de manière cohérente et satisfassent aux nouvelles exigences. La rémunération apparaît donc comme une réponse possible à ces nouvelles conditions, vu que les juges sont indemnisés pour la perte du salaire d’une journée. L’institution de la mesure de misthophora est le point critique de l’organisation de la justice dans l’Athènes classique. Les « tribunaux salariés » – misthophora dikastèria32 – sont désormais constitués de juges qui, si l’on se fie aux scholies, sont, au début, rémunérés avec deux oboles par jour de réunion33, un salaire qui sera ensuite porté à trois oboles et 28

Cf. Sinclair 1997, 23. Voir Azoulay 20152, 317-318. 30 Voir Azoulay 20152, 318. 31 Voir infra. 32 Aristote, Politique, 1274a 8-9, Constitution d’Athènes, XXVII. 3. 33 Pollux, VIII. 113, est la seule source selon laquelle le salaire des juges se montait au début à une obole. Il est difficile d’en dire plus. La somme d’une obole semble, au contraire, logique pour ceux qui soutiennent que le salaire a été introduit avant les 29

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qui restera stable tout au long de la démocratie classique34. Ainsi, en 424 et 422, où les comédies d’Aristophane Les Cavaliers et Les Guêpes sont représentées au théâtre de Dionysos, le salaire des juges se monte déjà à trois oboles35. Deux scholies aux Guêpes attribuent l’augmentation du salaire à Cléon36. La première la date même de la stratégie de Cléon, au moment où la guerre du Péloponnèse était favorable aux Athéniens37. Dans ce cadre, il est logique de supposer que l’augmentation a été effectuée au milieu des années 420, avant la représentation des Cavaliers. Il apparaît également d’après les comédies d’Aristophane que le salaire n’était pas annuel, mais qu’il correspondait seulement aux jours de réunion des tribunaux et qu’il était soumis à la condition que le juge se présenterait au tribunal. Mis à part les éléments de l’exagération comique qui caractérisent les œuvres d’Aristophane, cette constatation est confirmée par le sentiment d’inquiétude exprimé par le fils d’un vieux juge des Guêpes quant à la perte de ce salaire journalier, au cas où son père n’apparaîtrait pas au tribunal38. réformes d’Éphialte et il serait, donc, augmenté à deux oboles après 462/1, en raison de la nécessité de plus de juges. Voir Loomis 1998, 9-10 et n. 5. 34 À Athènes les salaires variaient selon les périodes, de sorte qu’on ne peut pas calculer de moyenne avec laquelle on comparerait le salaire des juges. Voir Loomis 1998, 232-234. Même les inscriptions de l’Érechtheion (IG I3, 475, 476) ne peuvent pas nous aider. Bien que les éléments des comptes soient importants, ils ne peuvent pas donner d’indication générale du salaire journalier de l’époque, étant donné que ce travail a occupé un nombre d’artisans limité pour une période aussi limitée. Sur les artisans mentionnés dans ces comptes, voir Feyel 2006, 15-17, 31-57, 320-325, 342-348, 395-396, 408, 411-412. 35 Aristophane, Cavaliers, v. 51, 255, 800, Guêpes, v. 609 τριώβολον. Le salaire des juges est resté le même pendant le IVe siècle. Voir Aristote, Constitution d’Athènes, LXII. 2. Cf. Loomis 1998, 15-16. Sur les fonds réservés pour le salaire des juges, voir Scafuro 2015, 363-392. 36 Cf. Harris 2013a, 316 n. 49, qui pense que l’information tirée des scholies est une conjecture. 37 Schol. Aristophane, Guêpes, v. 88a ἦσαν δὲ ἡλιασταὶ τὸν ἀριθμὸν φʹ· ἐδίδοτο δὲ αὐτοῑς χρόνον μέν τινα δύο ὀβολοί, ὕστερον δὲ Κλέων στρατηγήσας τριώβολον ἐποίησεν ἀκμάζοντος τοῦ πολέμου τοῦ πρὸς Λακεδαιμονίους (éd. par W. J. W. Koster 1978) : « Les héliastes étaient au nombre de six mille ; deux oboles leur étaient versées pour une certaine période, puis, quand Cléon était stratège, il a augmenté leur misthos à trois oboles, la guerre contre les Lacédémoniens étant dans toute sa force. », v. 300b ἦν μὲν γὰρ ἄστατον τὸ τοῦ μισθοῦ· ποτὲ γὰρ διωβόλου ἦν, ἐγίνετο δὲ ἐπὶ Κλέωνος τριώβολον (éd. par W. J. W. Koster 1978) : « Car le misthos était instable ; autrefois il montait à deux oboles, puis, sous Cléon, il a augmenté à trois oboles. ». 38 Aristophane, Guêpes, v.  303-306 Ἄγε νυν, ὦ πάτερ, ἢν μὴ| τὸ δικαστήριον ἅρχων| καθίσῃ νῦν, πόθεν ὠνη|σόμεθ’ ἄριστον; : « Voyons, père, si l’archonte

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Il est vrai que, dans les Guêpes, Aristophane présente les juges comme des personnes âgées39. Bien que la lecture de ses œuvres doive se faire avec prudence, cette présentation doit refléter une partie de la réalité des tribunaux athéniens, dans lesquels il semble qu’un nombre permanent d’héliastes était composé d’Athéniens âgés. En ce qui concerne le reste des juges, il est difficile de définir la composition exacte des tribunaux ; les fréquenteraient plutôt ceux dont la nature de leur métier leur permettait une absence sans impact considérable sur leurs revenus, ceux qui habitaient à une faible distance du centre de la cité et ceux qui avaient du temps libre pour s’occuper des choses politiques. De plus, la composition des tribunaux devait varier selon l’ordre du jour40, puisque des procès différents attiraient l’intérêt de personnes différentes41. Quoi qu’il en soit, le salaire a incontestablement renforcé la participation des citoyens les moins fortunés à l’exercice de la justice, modifiant, par conséquent, la composition du corps judiciaire, et a rendu le pouvoir judiciaire plus « professionnel »42. La rémunération des juges pour le temps qu’ils consacraient aux tribunaux équivalait à la consolidation du droit des moins fortunés d’exercer le pouvoir judiciaire et à la reconnaissance de leur contribution aux affaires de leur propre cité. Il est tentant de dire que politique et justice sont davantage liées, étant donné que le corps qui constituait l’Assemblée et prenait les décisions politiques s’identifiait de plus en plus au corps qui rendait la justice, en ce qui concerne la représentativité, et parallèlement les hommes de la vie politique étaient jugés par une partie plus représentative de l’ensemble des citoyens43. ne constituait pas le tribunal aujourd’hui, avec quoi achèterons-­nous notre déjeuner ? » (trad. H. van Daele). 39 Aristophane, Guêpes, v. 195, 224, 235-237. 40 Cela est évident notamment au IVe siècle, quand les héliastes ne siégeront plus pendant toute l’année à un tribunal spécifique. Pour plus de détails, voir les chapitres VII et VIII. 41 Pour la composition du corps judiciaire en majorité d’hommes pauvres, voir Markle 1985, 265-292 ; d’hommes âgés et pauvres, voir MacDowell 1995, 157 ; Sinclair 1997, 145-147 ; Hansen 19992, 183-186 ; d’agriculteurs, voir Todd 1990, 146-173. Voir aussi la remarque de Wolpert – Kapparis 2011, xix n. 13, qu’Aristophane doit exagérer quant à la présentation des juges, étant donné les problèmes de mobilité dus à leur âge. 42 Cf. Birgalias 2007b, 26. Il ne s’agit pas, en effet, de juges professionnels, mais de juges populaires qui sont tirés au sort chaque année. Pourtant, ces juges doivent juger conformément aux lois et suivre certaines règles. On pourrait donc parler d’une sorte d’expérience judiciaire que les Athéniens ont acquise au cours des ans. 43 Cf. Hignett 1952, 221 ; Todd 1993, 153.

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B. Le tribunal populaire et les procès jusqu’au début de la guerre du Péloponnèse Grâce aux changements datés aux environs du milieu du Ve siècle, la base populaire de l’Héliée s’est affirmée désormais de iure et de facto : les thètes ont acquis réellement la souveraineté dans la prise des décisions judiciaires, puisque la réforme d’Éphialte et les autres changements ont diminué le pouvoir judiciaire de l’Aréopage et des archontes et l’ont accordé au dèmos, et que Périclès a attribué à l’Héliée, grâce au misthos hèliastikos, une base populaire légitime. La période qui va des réformes jusqu’à la veille de la guerre du Péloponnèse offre donc un terrain plus fertile pour étudier le rôle institutionnel de l’Héliée que la période des réformes elle-­même. Pourtant, l’historien ne dispose encore que d’une documentation très lacunaire sur le fonctionnement du tribunal populaire. Par conséquent, il faut garder à l’esprit quelques points d’interrogation quand on examine les sources disponibles et les conclusions auxquelles on est conduit. Pour mieux étudier les procès qui seront discutés juste après, il convient également d’évoquer ici le cadre du fonctionnement du tribunal au cours de la seconde moitié du Ve siècle. La seule difficulté que présente ce choix concerne la datation des sources correspondantes, puisque les Guêpes d’Aristophane, qui restent la seule source qui fournisse ce type d’informations pour le Ve siècle, datent de 422. Néanmoins, étant donné que le poète traite les détails juridiques de façon allusive, on est autorisé à s’appuyer sur lui pour dresser les règles générales du fonctionnement du tribunal : on en tire des renseignements quant à la composition des tribunaux44, aux différents lieux de réunion des juges (Καινόν, ἐπὶ Λύκῳ, Ὠιδείον)45 et au déroulement d’un procès46. En conséquence, il apparaît que, suite au tirage au sort des six mille juges au début de l’année, ces derniers étaient répartis dans divers tribunaux, chaque juge siégeant pendant toute l’année à un tribunal spécifique47 et 44

Aristophane, Guêpes, v. 230-244, 303-306, 1107-1109. Ibid., v. 120, 389, 1109. 46 Ibid., v. 90, 93, 94, 95, 99, 106-108, 110, 124, 167, 321-322, 332-333, 349, 386, 543, 550-574, 609, 684, 690, 752, 774-775, 830, 840, 848, 853-854, 855, 857, 892-893, 937, 951, 976-978, 979, 987-988, 1041. À partir du vers 800, on a la parodie d’un procès pour vol, pendant lequel est décrite de manière très vivante toute la procédure du procès. Pour le déroulement d’un procès pendant cette période, voir Boegehold et al. 1995, 23-30 ; MacDowell 1995, 151-152. Voir aussi le commentaire de MacDowell 1971a. 47 Voir aussi Antiphon, Sur le choreute, 21. 45

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sous la présidence d’un magistrat déterminé. À l’exception de certains cas particuliers pour lesquels on connaît le nombre exact48, le nombre de juges qui composaient chaque tribunal n’est pas connu, mais la recherche moderne l’estime à cinq cents membres49. Chaque tribunal était composé de juges qui appartenaient à des tribus différentes – il n’est pas malvenu de suggérer qu’ils étaient répartis par tribu50 – et il n’était pas indispensable qu’il jugeât chaque jour des affaires judiciaires. Au cours de la session du tribunal – après que le magistrat compétent avait instruit l’affaire et l’avait introduite au tribunal –, les plaideurs prononçaient leurs plaidoiries selon le temps limité par la clepsydre (κλεψύδρα). Ensuite, les juges, par un vote secret, jetaient leur caillou (ψῆφος) dans l’une des deux urnes qui étaient couvertes par un entonnoir (κημός), l’une pour l’acquittement, l’autre pour la condamnation51. Le résultat du vote déterminait si les juges procédaient à un nouveau vote pour imposer la peine ou l’amende, au cas où celles-­ci n’étaient pas fixées d’avance par la loi. Les juges avaient à choisir entre les sanctions proposées par les deux parties. En traçant avec un poinçon sur une tablette de cire (κηρός) une longue ligne, ils opinaient pour la condamnation la plus forte, tandis que la ligne plus courte correspondait à la sanction la plus légère. Après la fin du procès et à la fin de la journée les juges recevaient leur misthos.

1.  Le tribunal populaire et les alliés Le pouvoir du tribunal populaire est étroitement lié à la puissance croissante d’Athènes au sein de la Ligue de Délos, au déplacement du trésor de Délos à Athènes et au contrôle financier des alliés52 et, enfin, à l’évolution de l’empire. Des décrets datés à partir du milieu du Ve siècle règlent les relations entre Athènes et ses alliés, incluant des règlements sur le jugement d’affaires qui concernent les alliés ou les Athéniens et leurs

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Voir le chapitre suivant. Voir Harrison 1971, 240. Voir le chapitre V, sur le décret de Thoudippos (IG I3, 71, l. 14). Voir aussi Isée, La succession de Dikaiogénès, 17-18. C’est à partir de 454/3 que l’on possède de fragments des « listes de tributs », qui mentionnent les prélèvements d’un soixantième en l’honneur d’Athéna sur chaque versement, ce qui permet de calculer le total dû par chaque allié. Sur ces listes, l’œuvre principale des ATL est remise en cause. Voir ainsi à ce propos, la thèse de B. Paarmann, soutenue en 2007 à l’Université de Fribourg et accessible en ligne, et, récemment, Piérart 2015, 59-81. Sur le mécanisme du tribut et ses conséquences éventuelles sur l’organisation des cités alliés, voir aussi Constantakopoulou 2013, 25-42.

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alliés devant le tribunal populaire d’Athènes53. Deux points sont à prendre en considération quand on étudie ces décrets : leur état fragmentaire, ainsi que leur datation incertaine. Ces deux problèmes n’aident pas à clarifier l’activité du tribunal populaire pendant la période en question et nous invitent à examiner les restitutions qui sont proposées par les épigraphistes afin de pouvoir tirer des conclusions sur son activité. L’absence de témoignages pour les premières années de la Ligue ne signifie pas qu’il n’existait pas de différends parmi les alliés. Il est très probable que ce rôle que les Athéniens sont prêts à assumer à partir du milieu du Ve siècle était octroyé au Conseil commun de la Ligue, conformément à l’esprit de l’autonomie de tous les alliés. Le Conseil aurait donc été investi d’un pouvoir judiciaire afin de résoudre les problèmes éventuels de la Ligue54. Dans une première catégorie de décrets, on rangera ceux qui ont été rédigés après la révolte d’alliés contre la Ligue de Délos. Le décret qui concerne la cité d’Érythrées (c.  450  ?55) est l’un des premiers décrets révélateurs de la mise en place progressive du contrôle athénien sur les alliés56. De prime abord, le décret ne témoigne pas du transfert des procès d’Érythrées à Athènes. Il semble que la cité ait conservé son autonomie judiciaire sur ce point. Ainsi, dans les cas de l’homicide d’un Érythréen par un Érythréen et d’un acte de trahison au détriment de la cité et en faveur de tyrans, l’affaire sera réglée dans la cité d’Érythrées57. Pourtant, il vaut 53

Pour un sommaire des datations proposées pour les inscriptions concernant l’histoire de l’impérialisme athénien, voir Rhodes 2008a, 500-506 ; Pébarthe 2011, 59-73. 54 Cf. Ste Croix 1961a, 94 n. 4 ; Meiggs 1972, 221 ; Rhodes 2014, 41. 55 La datation du décret IG I3, 14, ainsi que celle du décret suivant (IG I3, 15), vers le milieu du Ve siècle a été récemment contestée par Moroo 2014, qui les date vers 435/4. La nouvelle datation s’appuie sur l’examen de l’intitulé et de la terminologie du décret IG I3, 14 et sur l’étude des « listes de tributs ». 56 IG I3, 14. Autres éditions : ATL II, D10 ; ML, n° 40. Voir aussi O & R, n° 121. Cf. Meiggs 1943, 23-25 (date, contexte, rapport avec IG I3, 15) ; ATL III, 253-255 (date, contexte) ; Meiggs 1972, 221-222 (réglementations judiciaires) ; Brun 2005, 30-32, n° 6 (traduction française, commentaire) ; Rhodes 2008a, 504 (date) ; Malouchou 2014, 73-95 (deuxième fac-­similé du décret IG I3, 14) ; Moroo 2014, 97-112 (date, contexte, rapport avec IG I3, 15)  ; Rhodes 2014, 41-45 (date, réglementations  : offrandes, Conseil, serment, justice). 57 L. 29-33 ἐὰν δέ τ[ι]ς ἀποκτέ̣νει̣ [Ἐρυθρα|ῖ]ος hέτερον Ἐρυ̣ θ̣ ρ̣[αῖ]ον, τεθ[ν]άτ̣ ο ἐὰν [γν]οσθε͂ ι  - -  - -  - -  - -| [γν]οσθε͂ ι̣ φ̣ευ̣ γέτο ḥάπ̣ ασ[αν] τὲ[ν] Ἀθεναίον χσυνμαχί̣[. . κ|αὶ τ]ὰ χρέματα δεμόσ[ια ἔσ]τ̣ ο Ἐρυθραίον· ἐὰν δέ [τ]ις - - - -|- - - - τος τυράννοις - - - - - Ἐρυθραίν καὶ - - - - - : « Si un Érythréen tue un autre Érythréen, qu’il soit condamné à mort s’il est jugé coupable. S’il est jugé […], qu’il soit banni de tout territoire allié des Athéniens et que ses biens soient confisqués et appartiennent aux Érythréens. Si quelqu’un […] aux tyrans […] des Érythréens et […]. ».

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la peine de souligner que les peines qui seront imposées aux coupables sont réglées par le décret attique58. Une autre inscription porte elle aussi sur des règlements pour la cité d’Érythrées et elle est considérée comme à peu près contemporaine du premier décret59. Comme le décret précédent, le décret en question fait état de la présence d’un episkopos, d’un phrourarque et d’une garnison à Érythrées60. Il atteste aussi une activité judiciaire et des réglementations correspondantes. Il apparaît que, dans cette activité judiciaire, les Athéniens ainsi que les Érythréens sont impliqués61. Vu l’état très fragmentaire du décret, on ne sait pas dans quelle cité l’affaire en question sera jugée, mais on ne peut pas exclure l’éventualité du jugement à Athènes62. Comme nous l’avons déjà vu, le décret d’Athènes à propos de Chalcis (446/5) stipule que pour les affaires qui entraînent la peine d’exil, de mort ou d’atimie et qui concernent les Chalcidiens il y ait transfert (ephesis) devant l’Héliée des thesmothètes d’Athènes63. Un débat oppose les historiens sur l’interprétation du terme ephesis dans ce décret soit comme un « transfert obligatoire »64 de ces affaires à Athènes pour être jugées, soit comme une procédure de « caractère volontaire »65. Sans prétendre résoudre ce débat, il conviendrait de souligner ici les difficultés auxquelles on se heurte et proposer une interprétation vraisemblable. La phrase où l’on trouve le terme est très concise et n’éclaire pas le sens de l’ephesis. Qui plus est, le terme lui-­même apparaît essentiellement dans les sources, littéraires et épigraphiques, du IVe siècle, telles que nous les avons citées précédemment, en discutant l’ephesis de l’époque de Solon66. On serait, ainsi, obligé de l’interpréter en s’appuyant sur ces exemples, qui 58

Cf. Rhodes 2014, 44. IG I3, 15. Autres éditions  : ATL  II, D10. Pour la datation, voir les références bibliographiques du décret précédent. 60 L. 19-26. 61 L. 27-29 [- - . δικά]ζεται το͂ ι Ἐρυ[θ]ρ[αίοι - - - - - - - - - - - - -|- - . . hο Ἐ]ρυθραῖος το͂ ι [Ἀθεναίοι - - - - - - - - - - - - -|- - . δικά]ζεν καταβ̣αλ̣ λ̣ [έτο - - - - - - - - - - - - - - - -]. Une traduction satisfaisante n’est pas possible, à cause de l’état très fragmentaire de l’inscription. 62 Cf. Meiggs 1972, 221-222. 63 IG I3, 40, l. 71-76 τὰς δὲ εὐθύνας Χαλκιδεῦσι κατ|ὰ σφο͂ ν αὐτο͂ ν ἐ͂ ναι ἐν Χαλκίδι καθάπερ Ἀθ|ένεσιν Ἀθεναίοις πλὲν φυγε͂ ς καὶ θανάτ|ο καὶ ἀτιμίας· περὶ δὲ τούτον ἔφεσιν ἐ͂ να|ι Ἀθέναζε ἐς τὲν ἑλιαίαν τὲν το͂ ν θεσμοθ|ετο͂ ν κατὰ τὸ φσέφισμα το͂ δέμο. 64 Voir Balcer 1978, 108-109 ; MacDowell 1978, 31. 65 Voir Ste Croix 1961b, 271-272 ; Meiggs 1972, 224-226 ; Marr – Rhodes 2008, 90. 66 Voir aussi IG II2, 179, l. 16. 59

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ne résolvent cependant pas la difficulté. Il serait, à cet égard, préférable d’essayer de considérer le terme dans le cadre de l’inscription. D’un côté, cette clause fait partie d’une opposition entre les poursuites entre Chalcidiens, qui n’entraînent pas de peines aussi lourdes et qui se dérouleront à Chalcis, et les affaires qui appartiennent aux catégories mentionnées ci-­dessus et qui seront jugées à Athènes. Il semble, ainsi, que cette phrase du décret met l’accent sur la distinction entre les deux lieux où seront portés les procès correspondants et, par conséquent, sur le besoin que ces affaires soient jugées hors de Chalcis. D’un autre côté, le sens de « transfert obligatoire » semble plus probable, car il évoque des clauses qu’on trouve dans d’autres décrets de la Ligue de Délos, où les affaires judiciaires qui dépassent une certaine somme d’amende ne seront pas non plus jugées dans les cités alliées, mais seront transférées à Athènes pour être jugées67. À cet égard, le transfert s’inscrit dans une pratique politique qui est suivie par Athènes, selon laquelle l’intérêt de la cité s’attache surtout aux affaires des alliés qui entraînent les peines et les amendes les plus lourdes68. Les critères selon lesquels les Athéniens décident quelles affaires seront transférées à Athènes ne s’attachent pas au caractère du procès, mais au caractère de la peine69. Il s’agit d’un critère stable, qui facilite les relations judiciaires entre Athènes et ses alliés et la mise en place automatique du jugement de certaines affaires des alliés à Athènes70. Le même décret présente aussi un intérêt particulier pour une raison supplémentaire. Les premières lignes du décret ont conservé le serment des Athéniens71, où l’on voit que l’une des deux parties qui prêtent serment, 67

Voir, e.g., le décret d’Athènes à propos de Milet, IG I3, 21, l. 76. Balcer 1978, 116-142, pense que cette pratique a été officiellement instituée par un décret du peuple des Athéniens. En effet, selon lui, l’expression « selon le décret du peuple » (l. 76, dans l’amendement d’Archestratos) fait référence à ce décret, dont, pourtant, nous échappe le texte exact. 69 Cf. Ste Croix 1961b, 270 ; Meiggs 1972, 226-227 ; Ostwald 2002, 139. 70 C’est avec beaucoup de réserve que je tenterais la reconstitution suivante. Peut-­ on proposer que s’il était fixé strictement par la loi (ἀγὼν τιμητός) que telle ou telle affaire entraînait la mort, l’exil ou l’atimie, l’affaire était transférée directement à Athènes et que, sinon (ἀγὼν ἀτίμητος), au cas où les instances concernées de Chalcis décidaient que l’accusé était coupable et que l’accusateur réclamait une des peines prescrites dans le décret pour Chalcis, elles n’étaient pas compétentes, mais elles devaient transférer l’affaire devant l’Héliée des thesmothètes ? 71 L. 3-10 κατὰ τάδε τὸν hόρκον ὀμόσαι Ἀθεναίον τ|ὲν βολὲν καὶ τὸς δικαστάς· οὐκ ἐχσελο͂ Χα|λκιδέας ἐχ Χαλκίδος οὐδὲ τὲν πόλιν ἀνά|στατον ποέσο οὐδὲ ἰδιότεν οὐδένα ἀτιμ|όσο οὐδὲ φυγε͂ ι ζεμιόσο οὐδὲ χσυλλέφσο|μαι οὐδὲ ἀποκτενο͂ οὐδὲ χρέματα ἀφαιρέ|σομαι ἀκρ̣ίτο οὐδενὸς ἄνευ το͂ δέμο το͂ 68

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dont les noms seront consignés par les stratèges, est constituée par les juges athéniens. Chacun d’eux, à titre individuel, jure qu’il n’usera pas du droit que lui donne la qualité de juge pour agir contre les Chalcidiens, sans les avoir d’abord déférés en justice, et qu’une décision collective sera prise, qui exprimera la volonté du peuple72. Le terme dikastai est employé à côté du terme Boulè. Tout cela nous conduit à remarquer, d’un côté, que les juges constituent un corps institutionnel séparé et distinct, comme c’est le cas du Conseil des Cinq Cents, et, d’un autre côté, qu’ils jugent au nom du peuple athénien. Ce dernier est mis en avant notamment si on le compare avec ceux qui doivent prêter serment pour Chalcis : ce sont tous les adultes (τὸς hεβο͂ ντας hάπαντας), sous peine d’atimie et de confiscation73. La présence et la participation des juges parmi ceux qui prononcent le serment montrent que le tribunal populaire tient une place politique et constitutionnelle prépondérante à Athènes dans la seconde partie du Ve siècle, ce qui renforce l’idée que les réformes d’Éphialte lui ont donné un pouvoir politique74. Dans une autre catégorie d’inscriptions, on rangera celles des conventions judiciaires. Pour la période en question, on dispose de deux attestations de ce type des relations judiciaires entre Athènes et ses alliés. La première est celle du décret d’Athènes pour Phasélis, qui n’est qu’un additif des conventions déjà conclues entre Athènes et Phasélis : au cas où un contrat est conclu à Athènes et un procès relatif à ce contrat survient, impliquant au moins un Phasélitain, le procès aura lieu à Athènes devant « le tribunal du polémarque »75. La même chose arrive aussi pour les gens

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Ἀθ|εναίον : « Que le Conseil et les juges des Athéniens prononcent le serment en ces termes : je n’exilerai pas les Chalcidiens de Chalcis, je ne détruirai pas leur cité, je ne condamnerai à l’atimie aucun particulier, ni ne le condamnerai à l’exil, je n’en saisirai aucun, ni n’en mettrai à mort, ni ne m’emparerai pas de ses biens sans jugement, sans l’accord du peuple des Athéniens. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). Cf. Blanshard 2004, 32. L. 32-36. Balcer 1978, 110, fait cette constatation pour ce qui concerne les termes qui figurent dans l’amendement d’Archestratos. IG I3, 10, l. 6-11 ὅ τι ἂμ μὲ[ν] Ἀθ|[ήνησι ξ]υ[μβ]όλαιον γένηται| [πρὸς Φ]ασηλιτ[ῶ]ν τινα, Ἀθή[ν]η|[σι τὰς δ]ίκας γίγνεσθαι παρ|[ὰ τῶι πο]λεμάρχωι, καθάπερ Χ|[ίοις, καὶ] ἄλλοθι μηδὲ ἁμο͂ · : « Si un contrat est conclu [à Athènes], que les procès aient lieu à Athènes devant le polémarque comme pour les Chiotes, et nulle part ailleurs. » (trad. A. Bresson 2008, 113). Ces lignes ont été interprétées de deux manières, selon l’accent qui était mis sur le mot « à Athènes » ou sur l’expression « au tribunal du polémarque ». Pour l’accent sur le premier mot, voir Fornara 1979, 49-52 ; contra, voir Ste Croix 1961a, 101-104. Cf. Meiggs 1972, 231-233. Sur la datation du décret, voir aussi n. 18.

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de Chios. Selon l’opinion la plus communément admise, le jugement d’une telle affaire à Athènes ne prouve pas l’impérialisme judiciaire athénien. En revanche, il s’agit d’une réglementation entre Athènes et certaines cités, qui n’a aucun rapport avec la politique du transfert obligatoire des procès à Athènes, mais qui facilite les affaires des hommes en question à Athènes76. On peut interpréter de la même façon la deuxième attestation de l’existence des conventions chez Thucydide. On trouve ce témoignage dans le discours prononcé par les ambassadeurs athéniens devant l’assemblée des Lacédémoniens et de leurs alliés en 432 : Καὶ ἐλασσούμενοι γὰρ ἐν ταῖς ξυμβολαίαις πρὸς τοὺς ξυμμάχους δίκαις καὶ παρ’ ἡμῖν αὐτοῖς ἐν τοῖς ὁμοίοις νόμοις ποιήσαντες τὰς κρίσεις, φιλοδικεῖν δοκοῦμεν77. Le passage concerné a suscité une série de questions et a été traduit de manières variées, en raison de l’accent différent mis sur les deux participes du texte ἐλασσούμενοι et ποιήσαντες78. Il n’y a pas lieu de reprendre ici la discussion dont la bibliographie est abondante. Il faut, pourtant, signaler que la traduction qui suit et qui attribue à ces participes un sens concessif est préférable : « Alors que nous sommes désavantagés dans les procès avec nos alliés conduits selon les conventions, et alors que chez nous nous rendons les jugements conformément à des lois équitables, nous avons la réputation d’aimer plaider79. » À cet égard, ce passage atteste, d’une part, l’existence de conventions entre les Athéniens et leurs alliés, d’où résultent des procès au cours desquels les Athéniens sont jugés devant les tribunaux locaux des alliés et, d’autre part, un traitement juste et équitable des alliés dans les tribunaux athéniens. Les Athéniens cherchent ici à défendre l’intégrité de leurs tribunaux, qui semblent avoir été accusés de partialité et de l’exercice d’une autorité impérialiste face aux alliés.

2.  Le tribunal populaire et les Athéniens Le principal texte qui donne une image générale des types d’affaires que les tribunaux héliastiques jugent très probablement pendant cette période est la Constitution des Athéniens du Pseudo-­Xénophon. Il s’agit d’un texte de tendance oligarchique qui critique le régime démocratique d’Athènes, 76

Voir Gauthier 1972, 174-175 ; Meiggs 1972, 231-232 ; Bresson 2008, 113-114. Thucydide, I. 77. 1. 78 Pour la traduction du participe ἐλασσούμενοι comme ayant une valeur concessive et étant sur le même plan que le participe ποιήσαντες, voir Ste Croix 1961a, 99 ; Gauthier 1972, 163-164 ; Meiggs 1972, 233. Pour une valeur causale, voir Fornara 1979, 52 n. 2 ; Hornblower 1991, 122-123. 79 Trad. Ph. Gauthier 1972, 163-164. 77

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mais qui reconnaît à la fois le succès du régime athénien et les principes sur lesquels ce succès a été fondé80. La datation du texte n’est pas certaine : il pourrait dater entre les années 440 et le IVe siècle, bien que l’opinion la plus communément admise le place aux premières années de la guerre du Péloponnèse81. À cet égard, cette incertitude pose le problème de la datation des affaires qui y sont décrites et qui seront datées conformément à la datation du texte : si on le date du début de la guerre du Péloponnèse, il peut être utilisé pour éclairer de manière générale les compétences des juges dans le troisième quart du Ve siècle. Dans le troisième chapitre, le Pseudo-­Xénophon écrit : III. 2 Πῶς γὰρ ἂν καὶ οἷοί τε εἶεν, οὕστινας πρῶτον μὲν δεῖ […], ἔπειτα δὲ δίκας καὶ γραφὰς καὶ εὐθύνας ἐκδικάζειν ὅσας οὐδ᾽ οἱ σύμπαντες ἄνθρωποι ἐκδικάζουσι, […].

« Comment, en effet, en seraient-­ils seulement capables, eux qui doivent d’abord […], qui doivent ensuite juger jusqu’au bout des procès privés, des actions publiques et des redditions de comptes en nombre tel que n’en jugent même pas tous les hommes réunis, […]. » (trad. D. Lenfant).

Il fait, tout d’abord, la distinction entre procès privés et procès publics. Le terme dikai désigne les procès privés, qui ne peuvent être intentés que par la personne lésée qui cherche à obtenir réparation. Au contraire, le terme graphai fait référence aux actions publiques intentées par tout citoyen contre la personne qui met en péril les intérêts de la cité. Cette distinction, pourtant, n’est ni systématique ni absolue, puisque la même accusation pouvait être portée selon des modes différents et le IVe siècle peut en offrir une série d’exemples82. Le Pseudo-­Xénophon établit aussi une distinction entre procès privés, procès publics et euthynai83. Ces dernières correspondent à 80

Cf. Fornara – Samons 1991, 65-66 ; Marr – Rhodes 2008, 16-18 ; Lenfant 2017, I-II. Pour la datation du texte en 1) 445-441, voir Bowersock 1967, 33-38, 2) 443-431, voir Sealey 1973, 258-259, 3) 431-424, voir Lévy 1976, 273-275 ; Forrest 1977, 107-116 ; Ostwald 1986, 182 n. 23 ; Ste Croix 2005, 477-481 ; Marr – Rhodes 2008, 3-6 (qui montrent une préférence pour 425/4) ; Lenfant 2017, VI-IX, 4) 420-415, voir Gomme 1962, 38-69 ; MacDowell 1965, 260 ; Lewis 1969, 45-47 ; Tuci 2011, 29-71 (plutôt autour de 415), 5) au IVe siècle, à partir de 393 jusqu’à la veille de la seconde Confédération, voir Hornblower 2000, 374. Pour un sommaire des datations proposées, voir Marr – Rhodes 2008, 31-32 ; Tuci 2011, 35-38 ; Lenfant 2017, IV-V. 82 Pour cette distinction, voir MacDowell 1978, 57-61 ; Osborne 1985, 40-44, 52-53. 83 On trouve le même schéma dans [Démosthène], Contre Stéphanos II, 9. 81

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la reddition de comptes des magistrats à la fin de leur magistrature. Cette distinction semble bizarre, puisque toute accusation relative à la reddition de comptes appartenait à l’une des deux catégories de procès déjà mentionnées. Si elle ne l’est pas, c’est parce que le mot euthynai au pluriel peut désigner soit les procès contre les magistrats sortis de leur charge, soit l’ensemble de la procédure de leur contrôle84. D’ailleurs, la distinction est justifiée, puisque le traité du Pseudo-­Xénophon n’est pas un traité de caractère juridique et l’auteur lui-­même n’insiste pas sur des sujets de terminologie. Cette même phrase montre que les tribunaux populaires jugent des affaires relatives aux redditions de comptes. Alors que pour le IVe siècle l’information dont on dispose est abondante85, il est difficile de retracer l’évolution de la procédure du VIe au Ve siècle ; on raisonne avec des hypothèses, qui dépendent des compétences qu’on attribue aux institutions du VIe siècle. Pour le Ve siècle, il n’est pas non plus facile de se prononcer avec certitude, mais les témoignages disponibles ont permis d’élaborer une hypothèse qui reconstruit la procédure avec la plus grande vraisemblance86. Selon cette hypothèse, les euthynes, déjà attestés dans une inscription datée vers 460 ou antérieurement87, sont les magistrats chargés de la procédure, que tout citoyen qui le désire peut se porter accusateur et qu’au cas où les infractions excèdent les compétences des euthynes, l’affaire est remise aux thesmothètes qui l’introduisent devant le tribunal. Rien ne nous interdit de suggérer que très probablement les réformes d’Éphialte et le changement apporté au droit des magistrats à décider souverainement aient contribué à la réorganisation de cette procédure, c’est-­à-dire à l’octroi aux tribunaux de la capacité de participer au contrôle des magistrats88. Le Pseudo-­Xénophon rédige, par la suite, dans les paragraphes III. 4-5, une liste des procès, plus précise que la distinction qu’il a faite plus haut, mais qui n’est pas exhaustive. 84

Voir Fröhlich 2004, 56-58. Aristote, Constitution d’Athènes, XLVIII. 4-5. Voir Piérart 1971, 526-573 (une hypothèse différente à propos de la compétence des euthynes est exprimée par Scafuro 2014, 318-325) ; MacDowell 1978, 170-172 ; Rhodes 1981, 561-564 ; Hansen 19992, 222-224 ; Fröhlich 2004, 56-59, 331-335. 86 Voir Piérart 1971, 571-573. 87 IG I3, 244. 88 Hignett 1952, 203-205, et Carawan 1987, 187-188, suivent le schéma suivant : avant Éphialte, la reddition de comptes s’effectuait devant l’Aréopage suite au transfert des comptes par les euthynes – après Éphialte, elle s’effectuait devant les tribunaux suite au transfert des comptes par les euthynes. 85

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Δεῖ δὲ καὶ τάδε διαδικάζειν, εἴ τις τὴν ναῦν μὴ ἐπισκευάζει ἢ κατοικοδομεῖ τι δημόσιον. Πρὸς δὲ τούτοις χορηγοῖς διαδικάσαι εἰς Διονύσια καὶ Θαργήλια καὶ Παναθήναια καὶ Προμήθεια καὶ Ἡφαίστια ὅσα ἔτη. Καὶ τριήραρχοι καθίστανται τετρακόσιοι ἑκάστου ἐνιαυτοῦ, καὶ τούτων τοῖς βουλομένοις διαδικάσαι ὅσα ἔτη. Πρὸς δὲ τούτοις ἀρχὰς δοκιμάσαι καὶ διαδικάσαι καὶ ὀρφανοὺς δοκιμάσαι καὶ φύλακας δεσμωτῶν καταστῆσαι. Ταῦτα μὲν οὖν ὅσα ἔτη· διὰ χρόνου δὲ δικάσαι δεῖ ἀστρατείας καὶ ἐάν τι ἄλλο ἐξαπιναῖον ἀδίκημα γίγνηται, ἐάν τε ὑβρίζωσί τινες ἄηθες ὕβρισμα ἐάν τε ἀσεβήσωσι. Πολλὰ ἔτι πάνυ παραλείπω· τὸ δὲ μέγιστον εἴρηται πλὴν αἱ τάξεις τοῦ φόρου· τοῦτο δὲ γίγνεται ὡς τὰ πολλὰ δι᾽ ἔτους πέμπτου.

« Il faut aussi trancher les cas où quelqu’un ne répare pas son navire ou met en construction un terrain public, trancher en outre pour les chorèges aux Dionysies, aux Thargélies, aux Panathénées, à la fête de Prométhée et à celle d’Héphaïstos, et cela tous les ans. Et quatre cents triérarques sont désignés chaque année : pour ceux-­là aussi, il faut trancher s’ils le veulent, et cela tous les ans. Il faut en outre soumettre les magistrats à l’examen préliminaire, trancher à leur sujet, vérifier les orphelins et désigner des gardiens de prisonniers. Tout cela, donc, tous les ans. Mais, de temps à autre, il faut juger les refus de service militaire, ainsi que tout autre délit inopiné qui survient, que des gens commettent un outrage hors du commun ou qu’ils se rendent coupables d’impiété. J’en laisse encore vraiment beaucoup de côté, mais l’essentiel a été dit, à part les évaluations du tribut – la chose se produit généralement tous les quatre ans. » (trad. D. Lenfant).

Il est caractéristique que cette liste ne mentionne pas explicitement le fait que les affaires citées sont jugées par les tribunaux héliastiques. En effet, il existe des cas, comme ceux de l’empiètement des biens publics et des gardiens de prison, qui posent la question de savoir s’ils relevaient des tribunaux, vu qu’ils ne peuvent pas être confirmés par d’autres sources. Le terme « tribunaux » apparaît à peine au paragraphe 7 de cet inventaire89. Il semble que l’auteur lui-­même ne s’intéresse pas aux institutions qui jugent les différents types d’affaires, de même qu’il ne se préoccupe pas d’employer un vocabulaire technique. En revanche, il préfère montrer la diversité des affaires en attente de jugement à Athènes90. Cette difficulté que l’on a à dégager des informations précises sur les compétences de l’Héliée impose d’examiner le texte du Pseudo-­Xénophon avec prudence. Ἀνάγκῃ τοίνυν, ἐὰν μὴ ὀλίγα ποιῶνται δικαστήρια, ὀλίγοι ἐν ἑκάστῳ ἔσονται τῷ δικαστηρίῳ  : «  Or, inévitablement, à moins qu’ils ne forment que peu de tribunaux, ils seront peu nombreux dans chaque tribunal » (trad. D. Lenfant). 90 Cf. Marr – Rhodes 2008, 149 ; Lenfant 2017, 169. 89

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δεῖ δὲ καὶ τάδε διαδικάζειν : Les infinitifs diadikazein et diadikasai désignent ici91 la procédure de la diadikasia. La différence entre cette procédure et les autres procédures à caractère public ou privé tient à ce qu’il s’agissait d’une action tendant à l’attribution à une personne entre plusieurs d’un droit ou d’une obligation92. Le Pseudo-­Xénophon cite trois cas où la procédure de diadikasia a été employée : l’équipement d’un navire93, l’empiètement sur des biens publics par la construction de bâtiments privés94 et la prise en charge d’une liturgie pour financer l’entretien d’un chœur ou d’un navire de guerre95. ἀρχὰς δοκιμάσαι : Le Pseudo-­Xénophon cite par la suite la participation des juges à l’examen préliminaire des magistrats. Son témoignage est le seul témoignage dont on dispose sur la dokimasia des magistrats auprès des tribunaux au Ve siècle. Les autres sources appartiennent au IVe siècle et portent sur la procédure telle qu’elle a été réglée au IVe siècle. Ainsi, selon Aristote, tous les magistrats, à l’exception des neuf archontes et des membres du Conseil des Cinq Cents, sont examinés seulement devant le tribunal populaire. En revanche, les neuf archontes sont examinés devant le Conseil et à nouveau devant le tribunal ; auparavant, le Conseil procédait à des exclusions de manière souveraine, mais il y a désormais une procédure de transfert (ephesis) devant le tribunal pour les candidats. Quant aux conseillers, ils sont examinés devant le Conseil et peuvent solliciter aussi désormais le transfert (ephesis) de leur cas devant le tribunal, au cas où ils seront rejetés par le Conseil96. Aristote met l’accent sur les modifications de la dokimasia, sans pourtant dater ni ces changements97 91

Dans le passage concerné du Pseudo-­Xénophon, ces infinitifs désignent parfois la procédure de diadikasia et parfois sont synonymes de « juger », comme cela arrive dans le cas de la dokimasia ci-­après. Cf. Marr – Rhodes 2008, 149, 152 ; Lenfant 2017, 170, 174. 92 Voir MacDowell 1978, 58 ; Biscardi 2005, 321-324 ; Maffi 2005, 264-265. 93 Voir IG I3, 236, fr. a, l. 3-7, datée de 410-404. Voir à ce propos, Oliver – Dow 1935, 15-19 ; Gabrielsen 1994, 108, 137, 232 n. 32 ; Arnaoutoglou 1998, 113, n° 103. 94 On n’a pas d’autres informations sur ce cas cité par le Pseudo-­Xénophon et on ne peut pas dire avec certitude qu’il était jugé par les juges. Voir aussi Aristote, Constitution d’Athènes, L. 2, à propos des compétences des astynomes du IVe siècle et l’interdiction d’ériger des bâtiments dans les rues publiques. Cf. Kalinka 1913, 275 ; Marr – Rhodes 2008, 150 ; Lenfant 2017, 170. 95 Le tribunal devait juger qui était le plus apte à assumer la liturgie quand on proposait une autre personne à la place de la personne présente et quand la personne proposée refusait d’assumer la liturgie. Voir MacDowell 1978, 161-164. 96 Aristote, Constitution d’Athènes, XLV. 3, LV. 2. Sur la procédure de transfert signalée par Aristote, voir Rhodes 1981, 542-543 ; Feyel 2009, 166-167 ; Pelloso 2016, 37-38. 97 Cf. Feyel 2009, 167.

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ni l’apparition de la dokimasia des différentes archai de la cité. À défaut de pouvoir les dater, l’on pourrait tout au moins « constater que l’examen préalable des magistrats par les tribunaux populaires se trouve attesté dès le dernier quart du Ve siècle et peut-­être même, dès l’époque péricléenne »98. ὀρφανοὺς δοκιμάσαι : Un deuxième type de dokimasia cité par le Pseudo-­Xénophon est la dokimasia des orphelins. Pour ce qui concerne ce type, les témoignages ne sont pas antérieurs à la fin du Ve siècle. La procédure concernait les garçons privés de père et de patrimoine et vérifiait la capacité de l’orphelin à entrer dans le corps civique, lors de son arrivée à l’âge de majorité99. φύλακας δεσμωτῶν καταστῆσαι : Le texte mentionne que les juges nomment les gardiens de prison. Plusieurs solutions ont été proposées à propos de l’identité  de ces gardiens. On peut les identifier soit aux Onze100 soit à des adjoints des Onze101, soit à des surveillants spéciaux chargés de surveiller des prisonniers d’une importance particulière102 soit à des surveillants chargés de surveiller les prisonniers de guerre103. Le Pseudo-­Xénophon étant la seule source qui cite une telle compétence des tribunaux, il est difficile de se prononcer en faveur d’une solution précise. Le texte ne présente pas moins de difficultés quant à l’expression « désigner des gardiens de prisonniers » elle-­même, puisque sa formulation n’évoque pas un jugement rendu par les tribunaux. Si on la lie, pourtant, à l’expression qui la précède (ἀρχὰς δοκιμάσαι καὶ διαδικάσαι καὶ ὀρφανοὺς δοκιμάσαι) et, en particulier, à l’infinitif dokimasai, on pourrait comprendre que les tribunaux nomment les gardiens au sens qu’ils examinent les candidats et décident s’ils sont compétents ou non pour ce poste. δικάσαι δεῖ ἀστρατείας104 : Le Pseudo-­Xénophon parle aussi du jugement des affaires militaires, notamment des refus de servir à l’armée. 98

Voir Feyel 2009, 25-26, 32-33. Voir Stroud 1971, 291 n. 30 ; Feyel 2009, 73-81. 100 Voir Rhodes 1981, 309. En mettant l’accent sur la ressemblance entre le passage du Pseudo-­Xénophon καὶ ὀρφανοὺς δοκιμάσαι καὶ φύλακας δεσμωτῶν καταστῆσαι et l’expression d’Aristote dans la Constitution d’Athènes, XXIV. 3 καὶ ὀρφανοὶ καὶ δεσμωτῶν φύλακες, il les attribue à la même source. 101 Voir Kalinka 1913, 284-285. 102 Voir Forrest 1970, 114. 103 Voir Marr – Rhodes 2008, 153-154. 104 Les manuscrits ACM donnent le mot στρατιᾶς («  l’armée  », «  l’expédition militaire »). Plusieurs corrections ont été proposées pour ce mot, parmi lesquelles le mot ἀστρατείας (voir, e.g., Marr – Rhodes 2008, 154-155 ; Lenfant 2017, 176) et l’expression στρατηγικάς (δίκας) (voir Brock – Heath 1995, 565-566), puisque 99

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Pourtant, on ne sait pas si ces cas, ainsi que ceux de l’abandon de poste et de la lâcheté devant l’ennemi, étaient jugés par les tribunaux héliastiques ordinaires ou par un tribunal spécial composé de soldats105. ἐάν τε ὑβρίζωσί τινες ἄηθες ὕβρισμα : Les actions d’outrage sont aussi jugées par les tribunaux. On ne dispose pas d’exemples précis pour le Ve siècle106. Le texte de la loi portant sur une telle action se trouve dans le Contre Midias de Démosthène107, mais l’authenticité du texte est contestée108. ἐάν τε ἀσεβήσωσι : En ce qui concerne les cas d’impiété, des sources postérieures au Ve siècle indiquent que dans les années 430, on a intenté « l’expédition n’étant pas un délit, ‘juger pour une expédition’ ne peut convenir ». Voir à ce sujet, Lenfant 2017, 176-177. 105 Voir Lysias, Contre Alcibiade, 5. Cf. MacDowell 1978, 160-161. Pour une discussion récente, voir Whitehead 2008, 23-36, qui est en faveur de la première hypothèse, et la réponse de Rhodes 2008b, 37-40, qui tient à garder l’opinion traditionnelle sur l’existence de tribunal spécial. 106 Voir aussi une référence dans Aristophane, Guêpes, v. 1418-1419. 107 Démosthène, Contre Midias, 47. Voir aussi Eschine, Contre Timarque, 15. On date de 347/6 (voir MacDowell 1990, 10 n. 4) le procès entre Démosthène et Midias, au cours duquel Démosthène a intenté une action publique pour outrage à Midias (Démosthène, Contre Midias, 1, 6, 7, 21, 25) (n°  99). L’accusation porte sur le comportement de Midias envers Démosthène pendant les Dionysies de 348 : Midias avait essayé par tous les moyens de priver de la victoire Démosthène, qui était chorège, et l’a de même frappé en plein théâtre (Démosthène, Contre Midias, 13-18). À ce titre, Démosthène a déposé une plainte préalable contre Midias devant l’Assemblée qui a suivi les Dionysies (probolè) et a obtenu un vote favorable du peuple (ibid., 1-2, 226-227). Au-­delà de cet épisode, l’inimitié entre les deux hommes s’est manifestée à plusieurs reprises devant la justice, par des actions intentées réciproquement (ibid., 78-111). L’affaire fut-­elle abandonnée (sur les raisons politiques qui ont conduit à l’abandon de l’action, voir Sealey 1993, 143-144 ; Carlier 20062, 137-138) avant que le procès n’ait eu lieu devant le tribunal ? Selon le témoignage d’Eschine dans le Contre Ctésiphon, 52, Démosthène a vendu pour trente mines à la fois l’injure subie et la sentence préalable prononcée par le peuple. C’est l’opinion soutenue par une partie des commentateurs du texte. Voir Vince 1935, 3-4 ; Humbert – Gernet 1959, 5-6 ; Sealey 1993, 144, 301 n. 22 ; Carlier 20062, 137 ; Brun 2015, 147. Contra Harris 2008, 84-86. MacDowell 1990, 23-28, exprime ses doutes sur le passage d’Eschine, mais, pour lui, la question du déroulement ou non du procès reste ouverte. Selon une autre opinion, la somme de trois mines indiquée dans le passage pourrait impliquer soit l’amende proposée par Démosthène contre Midias soit la récompense de Démosthène pour ne pas avoir proposé une peine ou une lourde amende. Voir à ce propos, MacDowell 1990, 24 ; Rubinstein 2000, 209 ; Wolpert – Kapparis 2011, 80-81 ; Worthington 2013, 156-158. 108 Voir Harris 2008, 103-104 n. 94-99 ; Leão – Rhodes 2015, 162-163. Sur l’existence d’une graphè hybreôs dès l’époque de Solon, voir Fisher 1992, 68-82 ; Wees 2011, 117-144, qui accepte l’authenticité de la loi et l’utilise comme argument pour l’existence de l’Héliée solonienne. Pour une étude détaillée du sens d’hybris, voir Fisher 1992.

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des procès d’impiété contre trois personnes de l’entourage de Périclès109. Il s’agit de Phidias (n° 9)110, Aspasie (n° 10)111 et d’Anaxagore (n° 11)112. Ces procès ont attiré l’attention de la recherche moderne au sujet des doutes exprimés à propos de leur déroulement, de leur datation problématique et de l’imprécision de l’institution auprès de laquelle ils ont eu lieu, ainsi que sur leur issue113. On se demanderait alors avec intérêt quelle pouvait être l’institution qui a jugé ces trois personnes. Dans le cas de Phidias, les sources diffèrent : Philochore ne précise pas le complément d’agent qui accompagne le verbe « juger » (ἐκρίθη), Diodore de Sicile affirme que le peuple rassemblé à l’Assemblée (ἐκκλησίας συνελθούσης, δῆμον) décida d’arrêter Phidias et Plutarque écrit que Phidias fut accusé devant l’Assemblée du peuple (γενομένης ἐν ἐκκλησίᾳ διώξεως), mais qu’on ne put prouver le larcin dont on l’accusait. À propos d’Aspasie, l’institution qui la jugea reste d’abord indéfinie, mais, par la suite, Plutarque écrit que Périclès apparut devant les juges pour les prier d’acquitter Aspasie (δεηθεὶς τῶν δικαστῶν). Quant à Anaxagore, les versions sur sa fin varient ; du moins, Plutarque et Diogène Laërce se mettent-­ils d’accord sur le fait qu’il fut poursuivi devant un tribunal (τὸ δικαστήριον). D’après ces maigres indices qui sont postérieurs aux épisodes qu’ils décrivent et dont le vocabulaire ne garantit pas que les termes sont employés avec un sens technique, il n’est pas sûr que l’on puisse se prononcer sur l’institution qui a jugé ces personnes114. Malgré tout, il vaut mieux ne pas rejeter la 109

Diodore de Sicile, XII. 39. 2, et Plutarque, Vie de Périclès, XXXII. 3-4, attestent une accusation portée contre Périclès pour avoir volé de l’argent sacré. On ne sait pas si un tel procès a eu lieu. Les témoignages concernés sont rejetés par la plupart des historiens. Voir Hansen 1975, 72. Ils sont retenus par Frost 1964, 69-72 ; Roberts 1982a, 59-60. 110 FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 121 ; Diodore de Sicile, XII. 39. 1-2 ; Plutarque, Vie de Périclès, XXXI. 2-3. 111 Plutarque, Vie de Périclès, XXXII. 1-3, 5. 112 Diodore de Sicile, ΧΙΙ. 39. 2 ; Plutarque, Vie de Périclès, XXXII. 2-3 ; Diogène Laërce, ΙΙ. 12-14. 113 Philochore date le procès de Phidias en 438/7, tandis que Plutarque et Diodore datent les procès à la veille de la guerre du Péloponnèse. Voir Frost 1964, 71, qui date le procès de Phidias en 438/7 et le lie au premier procès contre Périclès. Voir aussi Hansen 1975, 72, qui penche pour accepter la datation de Plutarque ; Dover 1976, 24-34, qui exprime ses doutes par rapport aux procès d’Aspasie et d’Anaxagore ; Bauman 1990, 37-42, qui accepte le déroulement de tous les procès et les date en 432/1. Sur le caractère douteux de ces procès, voir aussi Filonik 2013, 26-36 ; Azoulay 20152, 191-194. Pour un traitement moins sceptique de ces procès, voir Wallace 1994, 127-155. 114 Pour montrer la concurrence entre plusieurs procédures avant que certaines règles soient mises en place lors de la restauration de la démocratie en 403, Carlier 1984,

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Le tribunal de l’Héliée

possibilité qu’ils aient été jugés devant un tribunal, si on tient compte du témoignage du Pseudo-­Xénophon sur les procès d’impiété. Ces procès n’ont pas à proprement parler de caractère politique. Toutefois, si l’on étudie le vocabulaire que Diodore et Plutarque emploient dans les passages concernés, on y trouve des expressions115 qui montrent que les procès acquièrent une nuance politique et que les accusations qui sont portées contre Phidias, Aspasie et Anaxagore cherchent, en réalité, à atteindre Périclès116. Il s’agit, selon Diodore et Plutarque, du premier effort des ennemis politiques de Périclès – qui était l’un des protagonistes de la vie politique des années 430 – pour l’attaquer d’une façon indirecte, faute d’accusations directes contre lui. À cet égard, le caractère religieux de ces procès est modifié : les conflits politiques sont transférés dans l’espace de la justice, sous couvert d’accusations d’impiété, et dans l’attente que les juges qui jugeront ces procès soient influencés par la dimension politique des accusations. αἱ τάξεις τοῦ φόρου : Le Pseudo-­Xénophon finit son catalogue en disant, d’une part, qu’il a laissé de côté beaucoup de cas et, de l’autre, qu’il a cité les cas les plus importants, à l’exception de l’évaluation du tribut des alliés, qui a lieu tous les quatre ans. Pour plus d’informations sur la révision du tribut par les tribunaux, on se tournera vers les inscriptions qui datent de la guerre du Péloponnèse117. 341, note qu’avant que l’eisangélie soit réservée aux affaires politiques, elle pourrait probablement concerner aussi les procès d’impieté. À le comparer aussi avec l’affaire du double sacrilège de 415 et les accusations portées par voie d’eisangélie. Voir aussi Filonik 2013, 15-17. 115 Diodore de Sicile, ΧΙΙ. 39. 1 Φειδίαν […] ἐπισταμένου καὶ συνεργοῦντος τοῦ ἐπιμελητοῦ Περικλέους : « Phidias […] et Périclès, qui était commissaire le savait et le couvrait », 39. 2 οἱ ἐχθροὶ τοῦ Περικλέους : « les ennemis de Périclès », καὶ αὐτοῦ τοῦ Περικλέους κατηγόρουν ἱεροσυλίαν : « il accusèrent Périclès lui-­même de vol sacrilège », Ἀναξαγόραν τὸν σοφιστήν, διδάσκαλον ὄντα Περικλέους, ὡς ὰσεβοῦντα εἰς τοὺς θεοὺς ἐσυκοφάντουν : « le sophiste Anaxagore, maître de Périclès, fut aussi l’objet des attaques des sycophantes pour impiété », συνέπλεκον δ’ ἐν ταῖς κατηγορίαις καὶ διαβολαῖς τὸν Περικλέα : « l’accusation et les calomnies atteignirent aussi Périclès » (trad. M. Casevitz) ; Plutarque, Vie de Périclès, XXXII. 1 Ἀσπασία δίκην ἔφευγεν ἀσεβείας […] ὡς Περικλεῖ γυναῖκας ἐλευθέρας εἰς τὸ αὐτὸ φοιτώσας ὑποδέχοιτο : « Aspasie fut traduite en justice pour impiété […] sous l’accusation de recevoir chez elle des femmes libres pour des rendez-­vous avec Périclès », 2 εἰς Περικλέα δι’ Ἀναξαγόρου τὴν ὑπόνοιαν : « il visait Périclès à travers Anaxagore » (trad. R. Flacelière – E. Chambry). 116 Cf. Kagan 1969, 194 ; Roberts 1982a, 61-62 ; Todd 1993, 308-309 ; Azoulay 20152, 144-145. 117 Voir aussi IG I3, 61, l. 8-9, 30-31. Pour les périodes de la révision du tribut, voir ATL III, 67-70.

Le tribunal populaire au milieu du Ve siècle

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Conclusions Faute d’autres sources pour cette période du Ve siècle, il est difficile d’attribuer aux tribunaux populaires plus de compétences que celles que les sources leur donnent. Même l’information dont on dispose demeure parfois, par la force des choses, tributaire des incertitudes qui pèsent sur la datation d’un grand nombre de documents, celui de la Constitution des Athéniens offrant un exemple de choix. Il semble logique de supposer que les juges jugeaient beaucoup plus d’affaires que celles qui sont citées, d’autant que le Pseudo-­Xénophon lui-­même dit qu’il n’a pas mentionné toutes les affaires, mais il convient d’éviter de se prononcer en s’appuyant sur les procédures du IVe siècle. À cet égard, dans l’état actuel de nos connaissances sur l’évolution du pouvoir du tribunal populaire entre 462/1 et le début de la guerre du Péloponnèse et sans forcer les témoignages dont on dispose, on conclut que l’organisation judiciaire prend forme à la faveur de la définition du cadre formel du fonctionnement de l’Héliée et des procédures réglant les actions portées devant les tribunaux, mises en place progressivement depuis les débuts de l’Héliée, mais étant mentionnées maintenant par les sources. Le pouvoir des tribunaux touche la politique extérieure et intérieure, la vie privée et publique, et touche à des sujets qui concernent les alliés et le tribut, les magistratures, les diverses catégories des Athéniens, les liturgies, les affaires militaires, l’outrage et la religion. Cela ne signifie pas que toutes les affaires sont jugées par les tribunaux. Nous avons déjà fait référence à la dokimasia des archontes et des membres de la Boulè devant la Boulè, à la compétence des juges des dèmes pour des cas d’importance mineure, ainsi qu’au droit qu’avaient les magistrats athéniens de juger des cas et d’imposer des amendes qui ne dépassent pas un certain montant. Toutefois, « les décisions judiciaires étaient en réalité la tâche des tribunaux »118. Ces derniers, ayant acquis des compétences accrues, deviennent progressivement une des institutions principales du contrôle de la cité, alors que leurs décisions sont ultimes et sans appel. Ce pouvoir des tribunaux a attiré les critiques des contemporains. Dans le texte du Pseudo-­ Xénophon, elles se développent en deux points, qui sont liés l’un à l’autre et concernent le misthos judiciaire et la composition des tribunaux. L’auteur ne les critique pas directement, mais il remet en cause, de façon générale, la misthophora du dèmos119, au sens 118

Voir Sinclair 1997, 81. Sur les différentes notions du terme dèmos, voir Touloumakos 1979, 10-16.

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Le tribunal de l’Héliée

de petit peuple. À cet égard, le Pseudo-­Xénophon remarque que le dèmos cherche à participer aux magistratures de la cité qui sont rémunérées et lui rapportent de l’argent. La misthophora contribue à la fois à l’amélioration de ses conditions de vie et à l’augmentation de son nombre, de sorte que la démocratie acquiert une base populaire plus puissante. La pauvreté, cependant, et la cupidité sont responsables du manque d’éducation et de la prise de décisions erronées. Parmi ces décisions figure aussi l’exercice de la justice par les tribunaux populaires, dans lesquels les décisions ne sont pas prises conformément à la justice, mais à l’intérêt des juges120. Selon ce syllogisme, le Pseudo-­Xénophon, semble-­t-il, met l’accent sur le fait que la volonté du dèmos de participer à l’exercice de la justice repose sur des critères financiers et non sur le sens du droit et que la volonté de servir la cité et, parallèlement, composer les tribunaux avec l’ensemble d’un dèmos ignorant conduit à la dévalorisation du système judiciaire. Il faut reconnaître cependant qu’au cours des années, ces juges ignorants acquéraient de l’expérience, des connaissances et une formation judiciaire, étant donné que la cité grecque n’a pas connu de juges professionnels121. La possession de richesse comme critère pour que quelqu’un juge de manière juste est un critère économique-­social-­politique et non « juridique ».

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[Xénophon], Constitution des Athéniens, I. 3-13. Cf. Marr – Rhodes 2008, 64-84. Cf. Harris 2013a, 11.

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Chapitre V

Le tribunal populaire pendant la guerre du Péloponnèse On peut distinguer deux directions à propos des affaires que les tribunaux de l’Héliée jugent pendant la guerre du Péloponnèse. D’une part, il s’agit de cas analogues à ceux de la période précédente. On dispose, tout d’abord, des décrets qui attestent la participation des tribunaux à la procédure de révision du tribut des alliés. Tandis que le Pseudo-­Xénophon a déjà mentionné cette compétence des tribunaux, la plupart des témoignages disponibles viennent de cette période. Il convient de noter, par exemple, les deux références dans les « listes du tribut athénien » des années 430/291 et 429/82. Les références sur la participation des tribunaux à l’organisation fiscale de la Ligue de Délos ne se limitent cependant pas à ces deux inscriptions, mais les autres témoignages attribuent aux tribunaux un caractère particulier, dû à la période de la guerre. Quant aux différends entre Athéniens, s’ajoutent aux procès d’impiété de la période précédente deux autres affaires qui datent des années 420 et de l’année 415/4. Il s’agit des procès contre Protagoras (n° 18)3 et contre Diagoras 1



Dans le premier cas, la référence porte sur la réunion des « mille cinq cents (juges) » qui ont participé avec le Conseil à la révision du tribut : IG I3, 281, col. III, l. 60-61 ταῖσδε h[ε] βολὲ καὶ hοι πεντακόσιοι| καὶ χίλ[ιοι ἔτ]αχσαν : « le Conseil et les mille cinq cents juges ont fixé le tribut de ces cités ». 2 Dans le second cas, on trouve la même expression, mais, au lieu des mille cinq cents juges, on restitue assurément le mot δικαστέριον (« tribunal ») : IG I3, 282, col. II, l. 43-44 [ταῖσδε βο]λὲ̣ [σὺν τ]ο͂ ι| [δικαστερί]οι [ἔ]τ̣ α[χσεν] : « le Conseil avec le tribunal ont fixé le tribut de ces cités ». 3 Diogène Laërce, IX. 51, dit que Protagoras avait écrit un livre dont le début portait sur la phrase περὶ μὲν θεῶν οὐκ ἔχω εἰδέναι οὔθ’ ὡς εἰσίν, οὔθ’ ὡς οὐκ εἰσίν· (éd. par T. Dorandi 2013) : « Des dieux, je ne puis savoir ni qu’ils existent, ni qu’ils n’existent pas. » (trad. R. Goulet 1999). En raison de son doute sur l’existence des dieux, il a été condamné à l’exil, conformément au décret de Diopeithès (Plutarque, Vie de Périclès, XXXII. 2, Vie de Nicias, XXIII. 4). Sur une analyse détaillée des sources relatives au procès d’impiété de Protagoras, voir Lenfant 2002, 135-153. Elle conclut que les sources ne permettent pas de dire que le procès a eu lieu ou non. Plus sceptique reste Filonik 2013, 36-39.

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Le tribunal de l’Héliée

de Mélos (n° 20)4. Comme dans les cas précédents, ces procès posent des problèmes quant à leur déroulement, leur datation et l’imprécision de l’institution auprès de laquelle ils ont eu lieu. En outre, hormis les procès que le Pseudo-­Xénophon avait cités, Aristophane fait référence dans les Guêpes à trois autres types d’affaires jugés par les tribunaux : le jugement des affaires concernant les épiclères5, la dokimasia des jeunes gens6 et la graphè xenias (usurpation du droit de cité)7. À propos du second type, le tribunal devait vérifier l’âge des éphèbes et procédait même à leur inspection physique, et à propos de la graphè xenias, elle était appliquée à ceux qui exerçaient les droits des Athéniens sans avoir le droit de le faire8. Cela montre davantage la participation des tribunaux à la vie politique, puisqu’ils prenaient une décision politique à propos de la composition du corps civique. D’autre part, pour ce qui concerne le deuxième groupe d’affaires jugées par l’Héliée, il s’agit de cas dont le caractère est directement lié à la guerre. D’un côté, cette dernière période a apporté des changements tant dans les affaires et les procédures judiciaires que dans le fonctionnement même du tribunal dans la vie politique d’Athènes. En conséquence, dans le présent chapitre, on se propose d’aborder les sujets suivants : certains décrets qui concernent les relations judiciaires d’Athènes avec ses alliés, trois types de procès, qui soit acquièrent une nuance différente de celle de la période précédente, soit sont inaugurés pendant la guerre et qui peuvent constituer un défi pour le pouvoir de l’Assemblée du peuple, et les deux mouvements oligarchiques de 411 et 404. D’un autre côté, on ne dispose pas, sous le régime démocratique, de textes qui attestent une suspension du fonctionnement de la justice populaire à cause des expéditions militaires ou du manque d’argent, comme cela va arriver pendant le IVe siècle. Il 4

Aristophane, Oiseaux, v. 1073-1074 ; Lysias, Contre Andocide, 17. Il a été accusé d’avoir tourné en dérision les Mystères d’Éleusis. Sur l’accusation d’impiété portée contre Diagoras, voir Filonik 2013, 46-51. 5 Aristophane, Guêpes, v. 583-586. Bien que le père puisse choisir par testament l’époux de sa fille, plusieurs candidats peuvent se présenter et revendiquer l’épiclère et l’héritage. Dans ce cas, l’archonte éponyme était l’archonte responsable pour introduire l’affaire devant un tribunal, qui décidait de l’épiclère (diadikasia). Voir MacDowell 1971a, 211 ; id. 1978, 102-103 ; Maffi 2005, 256-258. 6 Aristophane, Guêpes, v. 578. Voir aussi Aristote, Constitution d’Athènes, XLII. 1-2, à propos de cette procédure pendant le IVe siècle. Voir MacDowell 1971a, 210 ; id. 1978, 69. Feyel 2009, 31-32 (pour le commentaire du passage d’Aristophane), 115-143 (pour la dokimasia du IVe siècle), évoque les différences qui existaient dans la procédure entre le Ve et le IVe siècle. 7 Aristophane, Guêpes, v. 718. 8 Cf. MacDowell 1978, 70.

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est même difficile de dire si la guerre a apporté des changements dans la composition des tribunaux. Pour pouvoir être validée, cette hypothèse dépend des deux faits suivants : d’une part, de l’afflux des Athéniens venus de la campagne en ville pendant les premières années de la guerre et, donc, de la participation accrue aux tribunaux des Athéniens venus de toute l’Attique ; d’autre part, de la représentation des juges par Aristophane en tant qu’hommes âgés, puisque les plus jeunes participaient aux expéditions militaires, tandis que les plus âgés remplissaient les places vides des tribunaux.

A. Le tribunal populaire et la Ligue de Délos Quand on étudie les décrets du Ve siècle qui concernent les relations judiciaires d’Athènes avec ses alliés, il convient de répéter les deux éléments qui sont à prendre en considération : leur état fragmentaire et leur datation incertaine. En commençant par ceux qui portent sur l’organisation fiscale de la Ligue de Délos, on distingue deux catégories. La première catégorie atteste la participation des tribunaux à la procédure de révision du tribut des alliés. Sauf les deux inscriptions précitées, qui attestaient cette compétence, une troisième référence est le décret de Thoudippos qui impose le relèvement du tribut en 425/49. Le décret est assez lacunaire. Les parties qui concernent les tribunaux athéniens sont, en majorité, restituées et, souvent, différentes restitutions sont proposées. À partir de ces dernières, on peut établir les étapes de la procédure impliquant les tribunaux dans la révision du phoros. – Après que les assesseurs (taktai) ont transcrit les cités alliées dont le tribut doit être levé, les alliés portent logiquement plainte contre son augmentation. Athènes leur permet d’avoir accès à une diadikasia10. Dans ce cadre, un magistrat, très probablement 9

IG I3, 71 (Samons 2000, 174-179). Autres éditions : ATL II, A9 ; ML, n° 69. Voir aussi O & R, n° 153. 10 L. 12-18 [το͂ ν δὲ διαδικασιο͂ ν hοι] ἐ̣σ̣[α]γ̣[ογε͂ ς ἐπ]ι̣μ ̣ ε̣[λεθέντον το͂ φόρο καθάπερ ἂν φσε]|φίσεται hο [δε͂ μος· ἐσαγογέον δὲ hο λα]χ̣ὸν̣ κα[ὶ h]ο πολέμαρ[χος ἀνακρινάντον τὰς δίκας ἐν τ]|ε͂ ι ἑλιαίαι [καθάπερ τὰς δίκας τὰς ἄλ]λας το͂ [ν ἑ]λιαστο͂ ν· ἐ̣[ὰν δὲ hοι τάκται μὲ τάττοσι τε͂ σι]| πόλεσ[ι] κατ[ὰ τὰς δ]ια[δικασίας εὐθυ]νέσθο μ[υ]ρίασι δραχ̣[με͂ σι κατὰ τὸν νόμον hέκαστος αὐ]|το͂ ν· hοι δὲ [νομο]θ̣ έτα[ι δικαστέριον] νέον κα[θ]ιστάντον χ̣[ιλίος δικαστάς· το͂ δὲ φόρο, ἐπειδ]|ὲ ὀλέζον ἐγ[ένε]το, τὰς [νῦν τάχσες χσ]ὺν τε͂ ι [βο]λε͂ ι χσυντα[χσάντον καθάπερ ἐπὶ τε͂ ς τελευτ]|αίας ἀρχ̣ε͂ς [πρὸς] μέρο[ς hαπάσας το͂ Π]οσ̣ ιδε[ιο͂ ]νος

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Le tribunal de l’Héliée

identifié à un eisagôgeus, sera chargé avec le polémarque de s’occuper de la diadikasia. Les deux restitutions qui sont proposées sur ce point supposent ou bien que ces magistrats faisaient l’instruction11 des diadikasiai dans le bâtiment de l’Héliée12 ou bien qu’ils introduisaient les diadikasiai au tribunal13. L’orateur athénien Antiphon14 nous fournit, en effet, deux exemples de discours écrits pour des alliés d’Athènes, qui portent sur des questions du tribut. Pour le premier, Sur le tribut des Samothraciens15, écrit probablement en 42516, on n’a que quelques fragments. Conformément à son objet, les gens de Samothrace se plaignent, parce qu’habitués à verser leur tribut en bloc avec la Pérée samothracienne, ils seront désormais contraints de l’acquitter séparément et, ainsi, ils ont peur d’être surimposés. Pour le deuxième, on ne connaît que le titre Sur le tribut des Lindiens. – Selon une nouvelle restitution de la ligne 1417, on propose que le décret doive faire, ensuite, référence à la procédure du vote au tribunal, quand celui-­ci va décider des adjudications (diadikasiai) :

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μενός : « Que les eisagôgeis prennent en charge les adjudications du tribut (?), lorsque le peuple aura voté le décret. Qu’un eisagôgeus tiré au sort et le polémarque fassent l’instruction (?) devant l’Héliée, comme les autres affaires jugées par les héliastes (?). Si les taktai ne fixent pas le tribut des cités (?) selon les adjudications, qu’ils soient passibles, chacun d’entre eux, d’une amende de dix mille drachmes selon la loi. Que les nomothètes (?) mettent en place un nouveau tribunal composé de mille juges (?). Quant au tribut, puisqu’il est devenu insuffisant, que l’on décide des taxations présentes conjointement avec le Conseil comme il l’a été fait lors de la précédente direction, toutes de manière proportionnée, au mois de Posidéon. » (trad. P. Brun 2005, modifiée). Au lieu des nomothètes de la ligne 16, ML restituent [θεμο]θ̣ έτα[ι]. Cette restitution semble plus logique que celle des nomothètes, mais le nombre de lettres n’est pas suffisant. Voir, sur la procédure désignée, Thür 1982, 63-64. Selon Samons 2000, 181, il convient de se poser la question de savoir si les représentants des alliés venus à Athènes pour plaider leur cause avaient très probablement droit seulement à l’instruction de leur cause et non à l’accès au tribunal lui-­même. Pourtant, le décret ne le précise pas. Si cette restitution est correcte, la phrase montre davantage que l’Héliée était un lieu de réunion, outre une institution judiciaire. Cf. Rhodes 1972a, 169 n. 3 ; Ostwald 1986, 75-76. Le décret ne permet pas malheureusement d’être affirmatif. Matthaiou 2010a, 28-29 : l. 13-14 κα[ὶ h]ο πολέμαρ̣[χος διαδικαζόντον τὰς τάχσες τ]|ε͂ ι ἑλιαίαι. Sur la vie et l’œuvre d’Antiphon, voir Gagarin 2002, 37-52. Chez CUF, le discours est classé parmi les plaidoyers d’Antiphon, tandis que, chez Loeb, il est caractérisé comme une harangue. Voir Gernet 1923, 161. Matthaiou 2010a, 28-29 : l. 14 [. . . . . . . 14 . . . . . . . κατὰ φυ]λὰς το͂ [ν ἑ]λιαστο͂ ν.

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elle se déroule par tribu et se rapproche de la procédure évoquée par Xénophon lorsqu’il raconte le procès intenté contre les stratèges des Arginuses18 : les stratèges sont jugés par l’Assemblée du peuple, au sein de chaque tribu, qui a à sa disposition deux urnes, une pour l’acquittement et une pour la condamnation. Le témoignage de Xénophon fait penser à la procédure de vote dans le cadre des tribunaux, selon laquelle les juges mettent leurs psèphoi dans une des deux urnes trouvées dans le tribunal19. Les textes dont on dispose ne mentionnent pourtant ni l’existence de plus de deux urnes ni ne font référence au vote des juges par tribu. Or, le vote par tribu peut correspondre à cette première organisation des tribunaux pendant le Ve siècle20. Même si on manque de témoignages sur le mode de répartition des juges dans les tribunaux pour cette période, à l’exception du fait qu’un tribunal était composé de juges qui venaient de différentes tribus et y siégeaient pendant toute l’année21, il n’est pas malvenu de suggérer qu’ils étaient répartis par tribu. Cela ajoute un argument supplémentaire à l’explication des changements qui seront apportés à la répartition des juges entre les tribunaux au cours du IVe siècle. – Si l’on se fie à la restitution proposée, un tribunal sera composé de mille juges. Le mot νέον (« nouveau ») qui caractérise ce tribunal doit signifier qu’il s’agit d’un tribunal chargé de juger seulement les questions du tribut et que les mille juges qui le composeront seront choisis pour cette occasion parmi l’ensemble des six mille juges qui sont tirés au sort au début de l’année, contrairement à la pratique de l’époque, selon laquelle chaque juge siégeait pendant toute l’année dans un tribunal spécifique et sous la présidence d’un magistrat déterminé22. L’activité du tribunal aura une durée d’un mois et la révision du tribut sera aussi réalisée conjointement au Conseil, comme l’attestent également les inscriptions précitées23. – Comme il s’agit d’une période de guerre, les stratèges sont appelés à jouer un rôle important en matière du tribut. Les réglementations 18

Xénophon, Helléniques, I. 7. 8-10. Aristophane, Cavaliers, v. 1145-1150, Guêpes, v. 99, 110, 333, 751-755. Pour plus de détails, voir Boegehold et al. 1995, 27-29. Voir aussi chapitre IV. 20 Cf. Boegehold et al. 1995, 31-32. 21 Aristophane, Guêpes, v. 230-244 ; Antiphon, Sur le choreute, 23. Cf. Boegehold et al. 1995, 163. 22 Aristophane, Guêpes, v. 230-244, 303-306, 1108-1109. 23 Sur le rôle du Conseil dans la révision du tribut, voir Rhodes 1972a, 90-91. 19

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sont entièrement restituées24. Elles doivent faire référence à l’usage du tribut pour les dépenses de guerre et à des procédures auxquelles participent le Conseil et les tribunaux. – Avant que le nouveau fragment ne trouve sa place à la fin du décret25, on pensait que le décret stipulait que le tribunal devait prendre connaissance de la mise en vigueur de la révision du tribut26. Selon la nouvelle hypothèse27, le tribunal conserve les documents relatifs à la révision du tribut, au cas où il faudrait qu’il le soit28. La deuxième catégorie de décrets révèle le rôle des tribunaux héliastiques dans le fonctionnement de l’administration fiscale de la Ligue en cas d’injustice commise soit par les alliés soit par les Athéniens. Les décrets L. 46-50 [τὸς δὲ στρατεγὸς] χρε͂ σθαι π|[ερὶ το͂ φ]όρο κατα[σκέφσει καθ’ ἕκαστον ἐνιαυτὸν ἐχσετ]ά̣  [σαντας κατὰ γε͂ ν κα]ὶ θάλατταν πρ|[ο͂ τον πόσ]α δεῖ ἒ ἐ[ς τὰς στρ]α[τιὰς ἒ ἐς ἄλλο τι ἀναλίσκεν· ἐν δὲ τε͂ ι hέδραι τ]ε̣͂ ς βολε͂ ς τε͂ ι πρό|[τει περὶ] τ[ο]ύτο α̣ [ἰεὶ δίκ]α̣ ς [ἐσαγόντον ἄνευ τε͂ ς ἑλιαίας καὶ τ]ο͂ ν ἄλλον δικαστερίον ἐὰμ μ|[ὲ δικαστο͂ ν] προ͂ [τον δικα]σ̣ ά[ντον ἐσάγεν φσεφίσεται hο] δε͂ μ[ος] : « Que les stratèges veillent chaque année scrupuleusement à la levée du tribut, que ce soit par terre ou par mer et en priorité combien ils doivent dépenser pour l’expédition ou toute autre chose. Qu’ils présentent les procès sur ces affaires à la première session du Conseil sans consulter l’Héliée ou tout autre tribunal à moins que le peuple décrète qu’ils ne les présenteront que lorsque les juges auront fait un premier jugement. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). 25 Voir Matthaiou 2010a, 31-32. 26 L. 51-54 τὰς| [δὲ τάχσες] hόσαι [ἂν κατ]ὰ̣ π[όλιν διαδικάζονται τὸς πρ]υτάνε[ς] hοὶ ἂν τότε τυγχάνοσι πρυτ|[ανεύοντ]ες καὶ τὸ[ν γρα]μμ[ατέα τε͂ ς βολε͂ ς δελο͂ σαι ἐς τ]ὸ δικαστ̣ έριον hόταν περὶ το͂ ν τάχσ|[εον ἐ͂ ι h]όπος ἂν α[ὐτὰς ἀ]νθ[ομολογο͂ νται hοι δικαστα]ί v : « Que les prytanes tirés au sort pour exercer leur charge et le sécretaire du Conseil […] les taxations par cité, les présentent devant le tribunal lorsque les taxations seront fixées, de façon à ce que les juges en aient connaissance. » (trad. P. Brun 2005). On ne pouvait pas savoir si cette dernière étape renvoyait à la révision habituelle du tribut ou à la révision extraordinaire demandée par les stratèges (si l’on se fie aux restitutions des lignes 46-50). Pour le caractère extraordinaire, voir ML, 198, n° 69 ; Samons 2000, 180. Contra ATL III, 76-77. 27 L. 51-54 τὰς| [δὲ τάχσες] hόσαι[σι κατ]ὰ̣ π[όλιν ἐπιτιμ]ᾶ̣   ν δε͂ τ̣[αι τὸς πρ]υτάνε[ς] hοὶ ἂν τότε τυγχάνοσι πρυτ|[ανεύοντ]ες καὶ τὸ[γ γρα]μμ[ατέα τε͂ ς βολ]ε̣͂ ς τε[ρε͂ ν πρὸς τ]ὸ δικαστ̣ έριον hόταν περὶ το͂ ν τάχσ|[εον ἐ͂ ι h]όπος ἂν α[. . . 5 . .]ΝΟ̣ [. . . . . 10 . . . . .]Λ̣ ΔΕ.[. . . . 7. . .]ι : « Pour ce qui concerne les taxations qui doivent être levées par cité, que les prytanes qui seront en fonction et le secrétaire du Conseil conservent les documents concernés au tribunal lorsque les taxations seront fixées […]. ». 28 Cette nouvelle restitution s’accorde avec la suggestion de Coqueugniot 2013, 18, que « les archives judiciaires étaient plus probablement conservées par l’Héliée ». 24

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qui suivent sont cités dans l’ordre chronologique le plus communément admis par la recherche récente. D’un côté, le décret de Cléonymos sur la perception du tribut date autour de 426/529 et porte sur l’amélioration de la procédure de collecte du tribut dans les cités des alliés. À partir de la ligne 38 du décret commencent les clauses judiciaires destinées à assurer l’application du décret30. – Le début de ces clauses est conservé de façon très fragmentaire. On pourrait observer que les magistrats qui sont chargés des procès sont l’un des stratèges et les épimélètes. Il apparaît que le stratège est présent (présidera ?) au tribunal qui juge une affaire concernant les cités alliées et il est logique de supposer que l’objet du procès porte sur le tribut (το͂ ν Ἀθεναίον χρεμάτον). Si on compare la présence du stratège dans ce décret avec celle du décret de Thoudippos, il convient de souligner le rôle important que les stratèges jouent dans la perception du tribut pendant la période de la guerre du Péloponnèse. – Dans un contexte plus clair, le décret stipule que si quelqu’un manœuvre pour que le décret concernant le tribut ne soit pas appliqué ou pour que le tribut ne soit pas envoyé à Athènes, toute personne « de cette cité » qui le veut peut porter une accusation devant les épimélètes, qui l’introduiront alors devant le tribunal 29

IG I3, 68 (Samons 2000, 184-187). Autres éditions : ATL II, D8 ; ML, n° 68. Voir aussi O & R, n° 152. 30 L. 38-52 πλερ[. . . 6 . . . · τ . ν δὲ . . . . ν ἐπ]ιμελ|ετὰς αἱρε͂ σθαι το͂ [ν ἄλλον δικο͂ ν το͂ ν περὶ] το͂ ν Ἀ|θεναίον χρεμάτον κα̣ [τὰ τὸ γενόμενον φ]σέφισ|μα καὶ το͂ ν στρατεγο͂ ν ḥ  [ένα τάττεν παρέ]ζεσθα|ι hόταν περί τινος το͂ ν [πόλεον δίκε δικάζετα]|ι· ἐὰν δέ τις κακοτεχνε͂ ι [hόπος μὲ κύριον ἔστα]|ι τὸ φσέφισμα τὸ το͂ φόρο [ἒ hόπος μὲ ἀπαχθέσετ]|αι hο φόρος Ἀθέναζε γρά[φεσθαι προδοσίας αὐ]|τὸν το͂ ν ἐκ ταύτες τε͂ ς πό[λεος τὸν βολόμενον π]|ρὸς τὸς ἐπιμελετάς· hο[ι δὲ ἐπιμελεταὶ ἐσαγό]|ντον ἔμμενα ἐς τὸ δ[ικαστέριον ἐπειδὰν hοι κ]|λετε͂ ρες ἕκοσι· δι[πλο]ῖ δὲ [ὄντον hοι κλετε͂ ρες]| ἒ κατὰ hο͂ ν γράφεσθαί τις β̣[όλοιτο· ἐὰν δέ το κα]|ταγνο͂ ι τὸ [δικ]αστέριον τιμ̣[ᾶν ὅ τι χρὲ αὐτὸν π]|αθε͂ ν ἒ [ἀπ]ο̣ τεῖ̣σαι· : « […] que l’on désigne les épimélètes des autres procès (?) concernant l’argent des Athéniens selon le décret voté, et que l’un des stratèges soit désigné pour siéger lorsqu’un procès concernant l’une des cités se déroulera. Si quelqu’un manœuvre pour que le décret concernant le tribut ne soit pas appliqué ou pour que le tribut ne soit pas envoyé à Athènes, que toute personne de la cité qui le voudra puisse le poursuivre pour trahison devant les épimélètes. Que ceux-­ci introduisent l’affaire devant le tribunal dans le mois du retour des témoins de l’assignation. Que ces témoins soient deux fois plus nombreux que ceux qui sont assignés en justice. Si l’un de ces derniers est reconnu coupable, que le tribunal fasse l’estimation de la peine ou de l’amende. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée).

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et ce dernier décidera la peine ou l’amende qu’il imposera. Le décret ne précise pas l’identité de ceux que cette clause judiciaire concerne, mais il serait préférable de supposer qu’elle s’adresse tant aux Athéniens qu’aux alliés. D’un autre côté, le décret de Cleinias porte sur l’amélioration de la procédure de perception du tribut par les alliés dans un effort de systématisation de la procédure de l’envoi et de la livraison du tribut à Athènes31. Sa datation est très débattue, en raison de l’absence du nom de l’archonte éponyme et d’autres critères sûrs qui permettraient une datation plus ou moins assurée. Par conséquent, ce décret s’inscrit dans le débat autour de la datation d’un certain nombre d’inscriptions du Ve siècle soit aux années 440 soit aux années 42032. On met en avant des arguments qui concernent la graphie (lettres rho et upsilon), la prosopographie et son rapport avec d’autres décrets, dont la datation n’est cependant pas toujours assurée, comme c’est le cas du/des décret(s) réglementant l’usage des poids, mesures et monnaies athéniens. Pourtant, sa datation dans les années 420, notamment après le décret de Cléonymos qui traite un sujet analogue, est maintenant tenue pour la plus plausible et repose sur le contenu du décret et sur certaines clauses qu’il contient. Pour ce qui concerne les réglementations judiciaires : – La restitution établie par les éditeurs des IG suppose que, si un Athénien ou un allié commet une injustice concernant le tribut, tout Athénien ou allié qui le veut peut déposer devant les prytanes une accusation qu’ils devront introduire devant le Conseil des Cinq Cents. Si ce dernier décide la culpabilité de l’accusé, il n’a pas autorité pour infliger la peine ou l’amende, mais il devra transférer l’accusation devant l’Héliée. Si l’accusé est jugé coupable, les prytanes proposeront la peine ou l’amende qu’ils jugeront bon de lui imposer33. 31

IG I3, 34 (Samons 2000, 189-192). Autres éditions : ATL II, D7 ; ML, n° 46 (Ramou 2007, 60-62). Voir aussi O & R, n° 154. 32 Pour la datation du décret dans les années 440, voir ML, 120-121, n° 46 ; Brun 2005, 36-38, n° 9 ; Ramou 2007, 60-63. Pour les années 420, voir Mattingly 1996, 316-318 ; Samons 2000, 189 ; Rhodes 2008a, 503 ; Papazarkadas 2009, 72-73 ; Matthaiou 2010a, 24-27. 33 L. 31-41 ἐὰν δέ τις Ἀθ[εναῖος ἒ χσύμμαχος ἀδικε͂ ι περὶ τὸ]|ν φόρον, hὸν δεῖ [τὰς πόλες γραφσάσας ἐς γραμματεῖ]|ον τοῖς ἀπάγοσ̣ [ιν ἀποπέμπεν Ἀθέναζε, ἔστο αὐτὸν γ]|ράφεσθαι πρὸς [τὸς πρυτάνες το͂ ι β]ολομένο[ι Ἀθενα]|ίον καὶ το͂ ν χσ[υμμάχον· hοι δὲ πρυτά]νες ἐσαγ̣[όντον]| ἐς τὲμ βολὲν [τὲν γραφὲν hέν τι]ς ἂγ γράφσετα̣ [ι ἒ εὐθ]|υνέσθο δόρο[ν μυρίαισι δραχμ]ε̣͂ σ[ι h]έκαστος· [hο͂ δ’ ἂν]| καταγνο͂ ι h[ε βολέ, μὲ τιμᾶν αὐτ]ο̣͂ ι κυ̣ ρία ἔστο [ἀλλ’ ἐσ]|φερέτο ἐς τ[ὲν ἑλιαίαν εὐθύ]ς̣· ὅτ̣ αν δὲ δόχσει [ἀδικε͂ ]|ν, γνόμας

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Comme à d’autres commentateurs du décret34, les lignes qui décrivent la procédure qu’on doit appliquer à partir du moment où le Conseil se prononce sur la culpabilité de l’accusé jusqu’à la décision de l’amende ou de la peine me semblent bizarres. Ce qui est difficile à expliquer concerne le rôle des prytanes chargés de faire des propositions sur la peine, après que le tribunal a jugé l’accusé, vu que le Conseil n’est pas, selon la restitution, autorisé à imposer une peine35. À cet égard, trois hypothèses ont été proposées pour résoudre cette difficulté. Selon la première, les prytanes qui président le Conseil doivent tenir un débat sur la peine plutôt que faire eux-­mêmes des propositions de leur propre initiative. La recommandation du Conseil sur la peine aura lieu parallèlement à sa katagnôsis, les clauses du décret ne suivant pas, ainsi, un ordre chronologique36. Les deux autres propositions prennent la forme de nouvelles restitutions. La première propose de restituer à la ligne 38 l’expression h[ε βολέ, τιμᾶν τε αὐτ]ο̣͂ ι κυ̣ ρία ἔστο [καὶ], afin d’éclairer le problème que ce passage soulève37. Selon cette restitution et l’interprétation de l’ensemble de ces lignes, le Conseil est autorisé à juger préalablement l’accusé et, s’il est jugé coupable, le Conseil est habilité à le punir et à le déférer devant l’Héliée. La souveraineté du Conseil est exprimée à travers le droit des prytanes de faire des recommandations sur la peine, qui doivent avoir lieu pendant le jugement préalable rendu par le Conseil et non après le jugement rendu par les héliastes38. La deuxième restitution propose une nouvelle lecture de la ligne 39, en s’appuyant aussi sur l’étude du vocabulaire de l’inscription. Elle

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πο[ιέσθον hοι πρυ]τ̣ άν̣ ες hό τι ἂν δοκ[ε͂ ι αὐτ]|ὸμ παθε͂ ν ἒ ἀ[ποτεῖσαι·] : « Si quelqu’un, Athénien ou allié, commet une injustice sur le tribut inscrit sur les tablettes que les cités doivent envoyer à Athènes sous la responsabilité des convoyeurs, que celui des Athéniens ou des alliés qui le désire le défère devant les prytanes. Que les prytanes introduisent l’accusation publique qu’ils auront reçue devant le Conseil ou soient passibles d’une amende de dix mille drachmes (?) chacun. Celui que le Conseil juge coupable, que le Conseil ne soit pas souverain pour fixer la peine, mais qu’il transfère l’affaire à l’Héliée. Si on décide qu’il a commis une injustice, que les prytanes proposent une résolution sur la peine ou l’amende à infliger. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). Voir Scafuro 2009, 63-66 ; Matthaiou 2010a, 26-27. Cf. Scafuro 2009, 64. Voir Rhodes 1972a, 168 n. 4, 189 n. 4. Selon Scafuro 2009, 65 n. 39, même si cette restitution s’appuie sur le réexamen de la pierre, la relecture n’a pas été faite directement, mais par un intermédiaire. Voir Scafuro 2009, 65-66.

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restitue, ainsi, [… ἐκ]|φερέτο ἐς τ[ὸν δε͂ μον περὶ αὐ]τ̣ ο̣͂ · [ἐ]άν δὲ δόχσει [ἀδικε͂ ]|ν et suggère que la procédure judiciaire contre ceux qui commettent une injustice au sujet du tribut soit de la compétence du Conseil et du dèmos et non de l’Héliée39. Il s’agirait du seul exemple dont on dispose sur le droit de l’Assemblée du peuple à juger des affaires qui concernent le tribut des alliés. De même, le décret stipule que la même procédure sera suivie dans les cas où quelqu’un commet une injustice sur l’envoi de la vache ou de la panoplie40, mais peut-­on penser qu’on convoquera l’Assemblée du peuple pour une telle question  ? Il faut admettre qu’il s’agit, en gros, d’une proposition assez intéressante, qui présente des avantages, parce qu’elle repose sur un réexamen de la pierre. Pourtant, le mot δε͂ μος continue d’être une hypothèse. Quoi qu’il en soit, il s’avère en définitive que ces trois hypothèses ne résolvent pas les problèmes que ce texte présente quant à la procédure judiciaire, puisque les parties du décret qui pourraient éclairer la procédure manquent. Il est donc préférable de ne pas choisir entre ces trois ni aboutir à une nouvelle conclusion. Le(s) décret(s) réglementant l’usage des poids, mesures et monnaies athéniens41 par les alliés a également fait l’objet de nombreux débats tant sur la datation et les doutes qui subsistent quant à l’existence d’un ou plusieurs décrets similaires42 que sur le contenu43. Après que l’usage de la graphie comme critère pour dater le décret a été mis en question, sa datation dépend de l’interprétation qu’on fera de ses clauses, parce que la numismatique non plus ne peut apporter une solution. Qui plus est, 39

Voir Matthaiou 2010a, 26-27. L. 41-43 [καὶ ἐ]άν τις περὶ τὲν ἀπα̣ [γογὲ]|ν τε͂ ς βοὸς ἒ [τε͂ ς πανhοπλία]ς ἀδικε͂ ι, τὰς γραφὰ̣  [ς ἐ͂ να]|ι κατ’ αὐτο͂ κ̣ [αὶ τὲν ζεμίαν κ]α̣ τὰ ταὐτά : « Et si quelqu’un commet une injustice sur l’envoi de la vache ou de la panoplie, qu’une accusation publique soit portée contre lui et une peine soit prononcée selon les mêmes critères. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). 41 IG I3, 1453 + SEG LI, 55 (avec un nouveau fragment pour Aphytis). Autres éditions : ATL II, D14 ; ML, n° 45 ; Figueira 1998, 419-420. Pour un résumé des datations et des interprétations proposées, voir Pébarthe 2011, 76-79. 42 Pour la datation du décret dans les années 440, voir ML, 114-117, n° 45 ; Figueira 1998, 431-463 ; dans les années 420, voir Mattingly 1961, 148-169 ; Samons 2000, 330-332 ; Brun 2005, 53-55, n° 18 ; dans les années 410, voir Kallet 2001, 205-226 ; Kroll 2009, 201-202. Pour les questions soulevées par l’existence de plus d’un décret, et ainsi de différentes datations, voir Stroud 2006, 18-26 ; Matthaiou 2010a, 10-11. 43 Voir, e.g., Mattingly 1961, 148-169 ; Figueira 1998, 219-258 ; Kallet 2001, 205-226. Après la publication d’un nouveau fragment d’Aphytis par Hatzopoulos, ce dernier a remis en scène le caractère impérialiste du/des décret(s). Voir SEG LI, 55 ; Hatzopoulos 2013-2014, 235-269. 40

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l’hypothèse énoncée à propos de l’existence de plus d’un décret pose la question de l’existence de plus d’une datation probable. Les spécialistes ont de plus en plus tendance à préférer une datation basse, à savoir à partir des années 420, en raison des dispositions fortement impérialistes du décret, qui s’accordent avec la guerre du Péloponnèse. Une datation aux alentours de 420 est donc acceptable, sauf si une découverte contredisait les hypothèses évoquées jusqu’à présent. Ses fragments qui viennent de différentes régions conservent les clauses judiciaires suivantes, très fragmentaires. – Il s’avère que les thesmothètes et l’Héliée des thesmothètes ont des compétences judiciaires sur des affaires qui concernent les cités alliées44. – Selon la restitution proposée, il y aura une poursuite (à Athènes ?) contre les magistrats des cités qui ne respectent pas les dispositions du décret. S’ils sont jugés coupables, ils seront condamnés à l’atimie (?)45. – La troisième clause judiciaire porte sur les poursuites devant les Onze de ceux qui proposeront ou mettront aux voix des dispositions autres que celles établies par le décret. Les Onze ont le pouvoir de les mettre à mort. Si, au contraire, les accusés contestent l’accusation, les Onze introduiront l’affaire devant le tribunal46. Sauf les questions touchant à la politique financière de la Ligue, on dispose de trois cas intéressants qui concernent les relations houleuses d’Athènes avec ses alliés. Fr. de Cos, l.  3-8 [hοι]  δὲ hελλενοταμ[ίαι| ․․․․․․․․․․․24․․․․․․․․․․․ ἀ] ναγραφόντων· ἐὰ̣  [ν δ|ὲ μὲ ὀρθο͂ ς ἀναγράφοσι τὸ το͂ ν π]όλεόν τινος, ἐσα[γ . . | . . . . . . . . . 21 . . . . . . . . . . ἐς τ]ὲν ἑλιαίαν τὲν το͂ [ν θ|εσμοθετο͂ ν κατὰ τὸν νόμον· hο]ι δὲ θεσμοθέ[τ]αι πε[. . | . . . . ±8 . . . . ντον . . . . . ±11 . . . . . .]ασι hέκαστον : « Que les hellénotames inscrivent […]. S’ils n’inscrivent pas correctement […] (?) des cités, [que l’affaire soit introduite ? …] devant l’Héliée des thesmothètes selon la loi. Que les thesmothètes […] chacun. ». 45 Fr. de Cos, l. 13-16 hοι ἄρχοντε[ς h|οι ἑκάστες τε͂ ς πόλεος· καὶ] ἐ̣ὰ̣ μ μὲ ποιο͂ σι κατὰ τ̣ [ὰ ἐφ|σεφισμένα, . . . . . . . 13 . . . . . .]όντον τούτον πέρι [ατ . | . . . . . . . . 17 . . . . . . . . .·] : « les archontes de chaque cité. S’ils ne respectent pas ce qui a été voté, qu’ils soient […] [avec le risque d’atimie ? …]. ». 46 Fr. d’Aphytis, l. 18-22 [καὶ ἐάν τις εἴπηι ἢ] ἐπιψηφίσηι περ|[ὶ τούτων . . . . . . . 15 . . . . . . . . ἐς ἄλλο] τι χρῆσθαι ἢ δανε|[ίζεσθαι, ἀπαγέσθω αὐτίκα μάλα πρὸ]ς τοὺς ἕνδεκα· οἱ δ|[ὲ ἕνδεκα θανάτωι ζημιωσάντων· ἐὰν] δὲ ἀμφισβητῆι, ἐσ|[αγαγόντων ἐς τὸ δικαστήριον·] : « Si quelqu’un propose ou met aux voix un décret concernant ces dispositions […] d’utiliser ou de prêter […], qu’il soit aussitôt déféré devant les Onze ; que les Onze le mettent à mort. S’il conteste (l’accusation), qu’ils introduisent l’affaire au tribunal. ». 44

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Le premier concerne la cité de Mytilène. En 428/7-427/6, la cité se révolta contre Athènes47. On n’a pas conservé de décret postérieur à la répression de la révolte qui impose des réglementations judiciaires au détriment des Mytiléniens. On a, en revanche, une inscription, datée de 427/6, qui fait référence à des conventions établies entre Athènes et Mytilène et qui stipule que les procès entre Athéniens et Mytiléniens seront réglés conformément aux conventions judiciaires qui étaient en vigueur avant la révolte48. Hormis cette inscription, on dispose du plaidoyer d’Antiphon Sur le meurtre d’Hérode, daté du milieu des années 41049 et écrit pour la défense du Mytilénien Euxithéos, qui est accusé d’avoir tué Hérode (n° 21). Le procès en question a lieu à Athènes, devant un tribunal héliastique50. Le plaidoyer soulève deux questions quant à l’identité de la victime et au fait que l’affaire passe en jugement devant un tribunal héliastique. Ces deux questions, et l’explication qu’on leur donne, sont étroitement liées. Le plaidoyer ne précise pas si la victime est un Mytilénien ou un Athénien51. Si on penche pour la première solution, il est tentant d’accepter l’hypothèse que le jugement de l’affaire à Athènes repose sur le caractère des peines que l’homicide entraîne (mort ou exil)52. Si on prend en considération le décret d’Athènes à propos de Chalcis (446/5), selon lequel pour les affaires qui concernent les Chalcidiens et qui entraînent la peine de mort, d’exil ou d’atimie il y aura transfert (ephesis) à Athènes, on est autorisé à le proposer aussi pour Mytilène, même s’il n’est pas explicitement attesté dans les sources. Si, au contraire, on suggère que la victime était un Athénien, le jugement de l’accusé à Athènes est évident. Ce qui est plus difficile à expliquer est la comparution d’Euxithéos devant un tribunal de l’Héliée par la procédure de l’apagôgè kakourgôn53, si l’on tient compte du fait qu’il 47

Thucydide, III. 1-50. IG I3, 66, l. 15-16. Cf. Gauthier 1972, 161. 49 Voir Dover 1950, 44-48, 55. 50 Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, 8 τὸ πλῆθος τὸ ὑμέτερον : « votre tribunal ». Cf. Gagarin 1998, 52 n. 5. 51 Sur l’identité d’Hérode en tant que Mytilénien, voir Gauthier 1972, 165, 196-197 et n. 59 : « Il me paraît certain que la victime était un Mytilénien. » Son affirmation repose sur l’interprétation du §47 et sur le fait que si la victime était un Athénien, il aurait été jugé dans le tribunal du Palladion, tandis que maintenant il est jugé devant un tribunal héliastique. Sur son identité en tant qu’Athénien, voir Hansen 1976, 124 ; Gagarin 1998, 48-49 ; id. 2002, 152. 52 Voir Gauthier 1972, 196-197 et n. 57. 53 Pour la procédure d’apagôgè, voir Hansen 1976. 48

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se plaint, dans les paragraphes 8-19 du plaidoyer, de l’illégalité de sa poursuite par cette procédure, en disant que les accusateurs l’ont choisie dans leur propre intérêt54. Plusieurs solutions ont été proposées sur ce point par la recherche moderne : soit la procédure ne se conformait pas, en effet, aux lois en vigueur55, soit elle pouvait être employée dans les cas où l’accusé était un non-­citoyen56, soit c’était aux alentours de cette époque que les Athéniens ont institué pour la première fois une telle procédure pour les meurtres, procédure qui évoluera jusqu’au début du IVe siècle57. Comme il s’agit d’un exemple unique de jugement d’une cause de meurtre par l’apagôgè kakourgôn, il est presque impossible d’être affirmatif dans quelque sens que ce soit58. Ce qui est plus intéressant pour notre étude réside dans le fait que le plaidoyer en question aborde très clairement le sujet de l’influence que l’identité d’un accusé pouvait exercer sur le jugement des juges et qu’il permet de voir comment un meurtre pouvait recevoir, même indirectement, des dimensions politiques. Même si, comme il arrive dans la plupart des plaidoyers, on ne connaît pas le verdict, l’effort d’Euxithéos dans les paragraphes 76-80 pour réfuter toute accusation qui lie son père à la révolte de Mytilène contre Athènes met l’accent sur l’éventualité que les juges étaient mal disposés à son égard, parce qu’il était originaire d’une cité qui s’était révoltée. C’est pourquoi il apparaît comme inévitable que les accusateurs rappellent aux juges la révolte de Mytilène et qu’Euxithéos élimine tout soupçon afin que les héliastes ne prennent une décision condamnatoire à son encontre, liée au souvenir de la révolte59. Le deuxième cas concernant les relations houleuses d’Athènes avec ses cités alliées porte sur le décret d’Athènes à propos de Milet60. Les épigraphistes le voyaient initialement comme un décret réglant des mesures supplémentaires à Milet (450/49) après la répression de sa révolte contre la Ligue de Délos61, sur la base de la graphie (forme du sigma). 54

56 57 58

Cf. Gagarin 2002, 158-160. Voir Gagarin 2002, 158-159. Voir Gernet – Bizos 1924, 188 ; Maidment 1941, 152-155. Voir Volonaki 2000, 153-160. Cf. Harris 2013a, 235, qui admet l’ambiguïté qui existe en raison du manque de définition spécifique du terme. 59 Cf. Carey 1997, 61-62. 60 IG I3, 21. Autres éditions : ATL II, D11 ; Bradeen – McGregor 1973, 24-70 ; Cataldi 1981, 163-175 (id. 1983, 183-194, n° 7 ; Delorme 1995, 226-228). 61 Cette datation a été proposée par Meiggs 1943, 25-27 ; ATL III, 256 ; Earp 1954, 143-144 ; Barron 1962, 1 n. 5. Pour la discussion sur la suite d’événements à partir 55

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Toutefois, ils sont maintenant presque unanimes à le dater vers 426/562, en s’appuyant surtout sur le nom de l’archonte Euthynos (426/5)63 et sur le texte de Thucydide64 qui doit porter sur les conséquences militaires apportées par le décret pour les Milésiens. Le décret impose à Milet des réglementations de caractère politique, militaire et judiciaire, par suite, très probablement, d’un refus de la cité de satisfaire à ses obligations financières envers Athènes, comme le décret le laisse apparaître. À cet égard, cinq magistrats athéniens sont élus pour s’installer à Milet et collaborer avec le gouvernement local. En ce qui concerne l’activité judiciaire attestée par le décret, le texte est assez lacunaire. On se propose de l’interpréter tel qu’il est conservé et de suivre les restitutions, quand c’est nécessaire. – Les premières lignes du décret doivent attester les obligations militaires de Milet envers les Athéniens (τ̣ ο͂ν στρατιο[τ]ί̣δ[ον], ὅπλα παρέχεσθαι, ὑπερετε͂ ν [δ]ὲ τού[τοις], [τέ]τταρας ὀβο[λὸ]ς, hεκστο [το͂ ] σόμ ̣ [ατος], [Ἀθέν]α̣ ζε τοῖς στρ̣[α]τιό[τεσι])65. – Le texte est, par la suite, lacunaire, mais dans les lignes 27-28 le décret stipule que si quelqu’un fait une « telle » chose, il sera atimos et ses biens seront confisqués66. On ne sait pas si cette peine est liée à la procédure judiciaire qui est décrite dans la suite du décret ni si elle concerne les obligations militaires citées plus haut ou des actions politiques67. – Les lignes 29-40 doivent décrire les détails d’une procédure judiciaire. Il est question des procès qui concernent les Milésiens ([τὰ|ς] δὲ δίκας ἐ͂ ναι Μιλεσίοις), des frais de justice qui seront

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de la révolte de Milet (454/3) jusqu’à l’imposition de nouvelles mesures évoquées dans le décret, je renvoie aux mêmes auteurs. Pourtant, l’hypothèse énoncée à propos de la révolte de Milet en 454/3 repose sur une interprétation erronée de la liste du tribut athénien IG I3, 259 de l’année 454/3, qui ne peut plus être acceptée. Voir Paarmann 2014, 121-137. Voir Mattingly 1961, 174-181  ; id. 1996, 396, 481-485  ; Rhodes 2008a, 503  ; Papazarkadas 2009, 71-72. L. 61. Thucydide, IV. 42. 1, 53. 1, 54. 1. L. 10-15. L. 27-28 [ἄτ|ιμο]ς ἔστο καὶ τὰ χρέματα α[ὐτο͂ δεμόσια ἔστο τε͂ ς τε θεο͂ τὸ ἐπιδέκατον·] : « qu’il soit atimos et que ses biens soient confisqués et que la dîme soit consacrée à la déesse. ». Cf. Bradeen – McGregor 1973, 42. Pour la première hypothèse, voir Meiggs 1943, 25 ; id. 1972, 222. Pour la deuxième, voir Cataldi 1981, 184.

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déposés auprès de quelques archontes (πρυτανεῖα τιθέντον πρὸς), du lieu des procès qui sera dans la cité d’Athènes ([hα|ι δ]ὲ δίκαι Ἀθένεσι ὄντον), de la date qui correspond à deux ou très probablement plus de deux mois du calendrier attique (ἐν [. . . . . . . . . . . . . . 30 . . . . . . . . . . . . . . Ἀνθεσ|τε]ριο͂ νι καὶ Ἐλαφεβολιο͂ νι), de l’instruction (?) devant deux archontes ([ . . .]όντον δύο το͂ ν ἀρχόντον), de la composition du tribunal (νέμαντες καὶ κλερόσαντε[ς]) et, très probablement, du salaire des juges ([μισθὸς δ|ιδό]σθο τοῖς δικαστε͂ σιν ἐκ το̣͂ [ν πρυτανείον])68. Si on compare ces lignes de l’inscription avec les lignes 38-40 du décret de Cléonymos (IG I3, 68), on peut supposer, selon la vraisemblance la plus grande, que les procès en question concernent des contestations relatives au tribut69. La référence au mois d’Élaphébolion (et très probablement à d’autres mois qui le précèdent) – quand les Grandes Dionysies avaient lieu et que les alliés versaient leur tribut à Athènes – peut ainsi justifier pourquoi les procès devaient avoir lieu jusqu’au mois d’Élaphébolion : il fallait régler tous les litiges qui concernaient le tribut avant de le verser.

L. 28-40 [τὰ|ς] δὲ δίκας ἐ͂ ναι Μιλεσίοις κα[. . . . . . . . . . . . . . . . 35 . . . . . . . . . . . . . . . . . .]| δραχμὰς ἀπὸ το͂ ν ἐπιδεκάτο[ν . . . . . . . . . . . . . . . 32 . . . . . . . . . . . . . . . . τὰ]| δ̣ ὲ πρυτανεῖα τιθέντον πρὸς [τὸς ἄρχοντας . . . . . . . . . . 23 . . . . . . . . . . . hα|ι δ]ὲ δίκαι Ἀθένεσι ὄντον ἐν τ[. . . . . . . . . . . . . . 30 . . . . . . . . . . . . . . Ἀνθεσ|τε]ριο͂ νι καὶ Ἐλαφεβολιο͂ νι· h[οι δὲ . . . . . . . . . . . . . . . 32 . . . . . . . . . . . . . . . | . .]νέμαντες καὶ κλερόσαντε[ς . . . . . . . . . . . . . . . . 34 . . . . . . . . . . . . . . . . | . . .]όντον δύο το͂ ν ἀρχόντον κ[αὶ . . . . . . . . . . 22 . . . . . . . . . . καὶ hο μισθὸς δ|ιδό]σθο τοῖς δικαστε͂ σιν ἐκ το̣͂ [ν πρυτανείον . . . . . . . . . . . 24 . . . . . . . . . . . | . . .] π̣ αρεχόντον τὸ δικαστ[έριον . . . . . . . . . . 22 . . . . . . . . . . ἐν τοῖς μεσὶ| τοῖς] προερεμένο̣ [ι]ς ἒ εὐθυν[όσθον . . . . . . . . . . . . . . 30 . . . . . . . . . . . . . . | . . . π]ρ̣ὸς τὸς ἄρχοντας τὸς Ἀθ[εναίον . . . . . . . . . . . . . 29 . . . . . . . . . . . . . . | . . 5 . .] Ἀθέναζε τοῖς ἐπιμελετ̣ [ε͂ σι] : « Que les procès se déroulent pour les Milésiens […] drachmes provenant de la dîme […]. Que les prytaneia (frais de justice) soient déposés auprès des archontes […]. Et que les poursuites se tiennent à Athènes pendant les mois de […], d’Anthestérion et d’Élaphébolion. Que les […] les ayant partagés et tirés au sort […] ; que deux parmi les archontes et les […] ; que le salaire soit versé aux juges à partir des frais de justice […] que […] constituent le tribunal […] pendant les mois susdits, autrement qu’ils soient frappés […] auprès des archontes des Athéniens […] à Athènes auprès des épimélètes. ». 69 Cf. Meritt – Wade-­Gery 1963, 102 ; contra Bradeen – McGregor 1973, 42 ; Cataldi 1981, 184 ; Delorme 1995, 230 n. 48, qui acceptent cependant la date traditionnelle (milieu du Ve siècle). 68

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– Les lignes 40-4670 sont moins compréhensibles. Si on suit la restitution proposée71, le décret doit renvoyer à des affaires privées. Il s’avère qu’il y a des conventions déjà existantes entre Milet et Athènes, selon lesquelles certains procès auront lieu. Pourtant, il semble que dans le cas des différends arrivés à Milet, les cinq magistrats athéniens et un tribunal en sont responsables. Quand le litige ne dépasse pas les cent drachmes, les cinq magistrats sont habilités à juger l’affaire ; dans le cas contraire, on suppose qu’il y a transfert, mais nous ne savons pas où72. – Dans les lignes 48-5173 on lit que, dans le cas où quelqu’un essaie d’abroger le décret ou de conspirer pour que ses dispositions soient altérées, une action publique peut être intentée contre lui et l’affaire sera introduite devant un tribunal qui décidera la peine ou l’amende qui lui sera appliquée. Si la restitution du nom « thesmothètes »74

L. 40-46 [. . 5 . .] Ἀθέναζε τοῖς ἐπιμελετ̣ [ε͂ σι . . . . . . . . . . . . . . 31 . . . . . . . . . . . . . . . | . . 5 . .]αι καθάπερ πρὸ το͂ καὶ ἐμ̣ [. . . . . . . . . . . . . . . . 34 . . . . . . . . . . . . . . . . | . . . 7 . . . .]ς ἐπιμελόσθον hοι πέν[τε . . . . . . . . . . . . . . . 32 . . . . . . . . . . . . . . . | . . 5 . . . δι]καστέριον καθίζει κ[. . . . . . . . . . . . . . . . 34 . . . . . . . . . . . . . . . . | . . . 7 . . . .] πορευομένοις ἐ͂ ναι ε[. . . . . . . . . . . . . . . . 34 . . . . . . . . . . . . . . . . | . . 4 . .]ꞌ[. . h]οι ἄρχοντες hοι Ἀθενα[ίον. . . . . . . . . . . . . . 30 . . . . . . . . . . . . . . | . .] τελε͂ [σθα]ι̣· τὰς δὲ hυπὲρ hεκατὸ[ν δραχμὰς . . . . . . . . . . . 25 . . . . . . . . . . . .] : « […] à Athènes auprès des épimélètes ; […] comme auparavant et qu’à […] les cinq archontes soient responsables […] que le tribunal siège […] ; qui arrivent à […] les archontes des Athéniens […] pour juger […] ; au contraire, pour celles qui dépassent les cent drachmes […]. ». 71 Cataldi : Ἀθέναζε τοῖς ἐπιμελετ̣ [ε͂ σι· περὶ δὲ το͂ ν συμβολαίον, Ἀθένεσι τὰς δί|κας ἐ͂ ν]αι καθάπερ πρὸ το͂ καὶ ἐμ̣ [Μιλέτοι το͂ ν ἐνκλεμάτον h͜ὰ ἂγ γίνεται πρὸς| Ἀθεναίο]ς ἐπιμελόσθον hοι πέν[τε hοι ἄρχοντες καὶ δίκας ἐσαγόντον hόταμ|περ τὸ δι]καστέριον καθίζει κ[αὶ πράχσες πραττόντον· Ἀθεναίοις δὲ πρὸς| Μίλετον] πορευομένους ἐ͂ ναι ἐ[μμένας δίκας καθάπερ Ἀθένεσι Μιλεσίοις·| αὐτο]ὶ [δὲ h]οι ἄρχοντες hοι Ἀθενα[ίον τὰς μέχρι h͜εκατὸν δραχμο͂ ν κύριοι ὄντ|ον] τελε͂ σ[θα]ι· τὰς δὲ hυπὲρ hεκατὸ[ν δραχμὰς ἐκκλέτος ἐ͂ ναι·]. 72 Selon Bradeen – McGregor 1973, 49 ; Cataldi 1981, 188-195 ; Delorme 1995, 231, l’Héliée pourrait être saisie en appel. 73 L. 48-51 [. .] μὲ διαφθεί[ρεν] μεδὲ κακοτεχν[ε͂ ν . . . . . 11 . . . . . .· ἐὰν δέ τις τούτον τι παρ]|α̣ βαίνει, γραφαὶ [ὄ]ντον κατ’ αὐτο͂ π[ρὸς τὸς . . . . . . . . . . . . 26 . . . . . . . . . . . .]|ται· ἐσαγόντον μ[ὲν αὐ]τὸν ἒ ἐς hένα [. . . . . . . . . . 22 . . . . . . . . . .· τιμάτο δὲ τὸ]| δ̣ ικαστέριον hό τι ἂγ χ̣[ρε͂ ]ι̣ παθε͂ ν ἒ ἀ[ποτεῖσαι] : « […] qu’il soit interdit d’abroger ou d’altérer […]. Si quelqu’un commet une injustice à propos d’une de ces dispositions, qu’on intente contre lui des actions publiques devant les […] ; et qu’ils l’introduisent devant un [tribunal ? …] ; et que le tribunal décide la peine ou l’amende qu’il jugera bon d’infliger. ». 74 Voir ATL II ; Cataldi 1981 ; id. 1983. 70

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ou celui des « épimélètes »75 dans la ligne 49 est juste, il s’avère que l’affaire est jugée dans les tribunaux athéniens. – La ligne 63 stipule que pour ce qui concerne les « biens apparents » les procès auront lieu à Athènes76. – Les lignes 75-78 montrent aussi que certaines affaires seront jugées par les cinq magistrats athéniens à Milet, tandis que les affaires qui dépassent leur juridiction – cela concerne plutôt le dépassement d’une certaine somme d’amende qu’ils peuvent imposer – seront transférées à Athènes77. Comme troisième cas et suivant une hypothèse récente, il est possible d’ajouter un décret d’Athènes à propos de l’île de Siphnos78 qu’on datait traditionnellement de 360-35079, dans le cadre de la seconde Confédération maritime80. Il s’agit d’une inscription très fragmentaire, qui renvoie à des règlements judiciaires entre Siphnos et Athènes. La nouvelle datation tient compte de la forme des lettres et aussi d’une nouvelle lecture qui conduit à une nouvelle restitution et interprétation des lignes 10-13, dont le contenu convient à la fin du Ve siècle plutôt qu’au milieu du IVe. Selon la restitution précédente, le peuple de Siphnos n’était pas autorisé à exécuter ou à poursuivre un Athénien sans l’accord du peuple des Athéniens, pour éviter qu’un Athénien ne meure sans jugement préalable81. Le décret ainsi restitué stipulerait qu’au cas où un Athénien commettrait une injustice au détriment des Siphniens, il avait droit, comme défendeur, de plaider sa cause également à Athènes. En revanche, la restitution

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Voir Mattingly 1961, 177 ; Bradeen – McGregor 1973. L. 63 [. . . . 8 . . . .]κ̣ v φανον δίκαι ὄντον Ἀθένε[σι . . . . . . . . . . . . 26 . . . . . . . . . . . .] : « […] que, quant aux biens ‘apparents’, les affaires soient jugées à Athènes […]. ». 77 L. 75-78 [. . 4 . . το͂ ν Μιλ]εσίον ἒ [το͂ ]ν φρουρο͂ ν κύριοι ὄ[ντον . . . . . . . . . 21 . . . . . . . . . . . | . . . . 10. . . .] μέζονο[ς ἄ]χσ[ι]ος ἐ͂ ι ζεμίας Ἀθε[ν . . . . . . . . . . 23 . . . . . . . . . . . | . . . 6 . . . ἐπι]βαλόντε[ς h]οπόσες ἂν δοκε͂ ι ἄχσ[ιος . . . . . . . . . 21 . . . . . . . . . .] : « Que […] des Milésiens ou des gardiens aient le pouvoir de […] ; s’il est jugé digne d’une peine plus lourde à Athènes […] en le frappant de ce qu’on jugera bon […]. ». Cf. Meiggs 1972, 222 ; Cataldi 1981, 210-211. 78 Matthaiou 2010b, 45-54. 79 Voir Woodhead 1957, 231. 80 Voir Gauthier 1972, 169 n. 2 ; Cargill 1981, 137. 81 Woodhead 1957, 231, n° 87 ; Agora XVI, 50 : l. 9-13 [Ἀθηναῖον δὲ τὸν δῆμον| τ]ὸ[ν] Σιφνίων [μὴ κτένεν ἄνευ το͂ ]| δήμο το͂ Ἀθηναίων̣ [μηδὲ διώκεν]·| ὣς δ’ ἂμ μηδὲς ἀποθ[άνηι Ἀθηναί|ω]ν, ἄκριτος : « Que le peuple des Siphniens ne soit pas autorisé à exécuter ou à poursuivre un Athénien sans l’accord du peuple des Athéniens ; pour qu’aucun des Athéniens ne meure sans jugement. ». 76

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récente82 identifie les Siphniens comme défendeurs83, dont les cas qui entraînent les peines d’exil ou de mort doivent être jugés à Athènes. Quant à l’identité du demandeur (Athénien ou Siphnien), il faut rester prudent, parce que le décret ne la conserve pas. Ce dernier ne précise pas non plus l’organe qui jugera les Siphniens, outre qu’il y a référence au « peuple des Athéniens », sans l’accord duquel les Siphniens ne pourraient pas être jugés. Si l’on choisit d’adopter cette dernière restitution, on pourrait rapprocher ce décret de celui qui concerne Chalcis et, ainsi, de la politique d’Athènes relative à l’administration de la Ligue de Délos. Pourtant, pour ce qui concerne l’histoire de Siphnos, on manque d’informations détaillées sur les événements de la dernière période de la guerre du Péloponnèse qui permettraient de justifier l’imposition d’une telle réglementation. Τandis que la prudence impose une datation entre 410/9 et 388/784, une datation à la fin du Ve siècle est préférable à celle au début du IVe siècle, quand Athènes n’est plus à la tête d’un empire. À l’issue de cette discussion sur l’ensemble des décrets concernant les alliés, aussi bien ceux datés avant qu’après le début de la guerre du Péloponnèse, on peut distinguer deux types d’affaires judiciaires tombant sous la juridiction des tribunaux héliastiques85  : les affaires des alliés qui sont considérées par l’Assemblée athénienne comme suffisamment importantes pour être transférées à Athènes d’une part et celles qui concernent le tribut des alliés et le respect des décrets athéniens par les cités alliées de l’autre. Il s’agit de deux catégories distinctes, puisque la Matthaiou 2010b : l. 9-13 [- - - μηδένα - - -|.]ὸ[.] Σιφνίων [ἐξελαύνειν / μήτ’ ἐλαύνεν ἄνευ το͂ ]| δήμο το͂ Ἀθηναίων [μήτ’ἀποκτένεν]·| ὣς δ’ ἂμ μηδὲς ἀποθ[νήισκηι Σιφνί|ω]ν, ἄκριτος : « Qu’aucun […] des Siphniens ne soit autorisé à bannir ou à exécuter sans l’accord du peuple des Athéniens ; pour qu’aucun des Siphniens ne meure sans jugement. ». 83 Voir Matthaiou 2010b, 51. 84 Voir Matthaiou 2010b, 52-53. 85 Je n’inclus pas dans ces catégories les procès qui sont réglés par les symbolai, dont le jugement éventuel à Athènes n’a aucun rapport avec la politique du transfert des procès à Athènes (voir chapitre IV). Dans un autre cadre de transfert de procès à Athènes, voir aussi, e.g., le décret voté en faveur d’Achéloion, proxène d’Athènes (IG I3, 19, daté des années 420 : voir Rhodes 2008a, 501, 503-504), qui montre qu’Athènes s’engage à protéger un certain nombre d’individus qui ont servi les intérêts d’Athènes. Le décret contient des clauses spéciales pour Achéloion. Ce dernier a le droit de porter une accusation à Athènes devant le tribunal que préside le polémarque contre quiconque lui ferait tort. En outre, au cas où lui-­même ou ses enfants seraient tués dans une des cités où les Athéniens étaient souverains, la cité serait redevable de cinq talents comme si quelqu’un des Athéniens avait été tué. Cf. Ste Croix 1961b, 273-275 ; Meiggs 1972, 227-228. 82

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première touche à des affaires qui pourraient être jugées par les cités alliées, mais que les conditions particulières qui suivent une révolte contre la Ligue ou une réaction contre la politique d’Athènes conduisent au transfert de ces affaires à Athènes. La deuxième catégorie est inévitablement jugée à Athènes, d’autant que la cité d’Athènes est impliquée, surtout si l’on prend en considération que la plupart de ces décrets datent très probablement de la guerre du Péloponnèse qui est une période difficile pour Athènes autant à l’intérieur que face aux alliés. Le jugement d’un certain nombre d’affaires des alliés à Athènes est confirmé par une phrase que l’on trouve chez le Pseudo-­Xénophon, quand l’auteur dit que les Athéniens « obligent les alliés à naviguer vers Athènes pour le jugement de leurs affaires »86. Dans les paragraphes 16-18 du premier chapitre du texte, le Pseudo-­Xénophon fait un inventaire des bénéfices que la cité d’Athènes tire du fait que les affaires des alliés sont jugées par ses tribunaux. Parmi ceux-­ci, deux sont liés au domaine de la politique87. Le premier élément est la rémunération des juges88. Le jugement des affaires des alliés devant les tribunaux athéniens contribuait à l’augmentation de l’activité judiciaire et, par conséquent, à accroître [Xénophon], Constitution des Athéniens, I. 16 τοὺς συμμάχους ἀναγκάζουσι πλεῖν ἐπὶ δίκας Ἀθήναζε. 87 Pour le reste (I. 17) : Πρὸς δὲ τούτοις ὁ δῆμος τῶν Ἀθηναίων τάδε κερδαίνει τῶν δικῶν Ἀθήνησιν οὐσῶν τοῖς συμμάχοις. Πρῶτον μὲν γὰρ ἡ ἑκατοστὴ τῇ πόλει πλείων ἡ ἐν Πειραιεῖ. Ἔπειτα εἴ τῳ συνοικία ἐστίν, ἄμεινον πράττει. Ἔπειτα εἴ τῳ ζεῦγός ἐστιν ἢ ἀνδράποδον μισθοφοροῦν. Ἔπειτα οἱ κήρυκες ἄμεινον πράττουσι διὰ τὰς ἐπιδημίας τὰς τῶν συμμάχων. : « Voici en outre ce que gagne le peuple des Athéniens du fait que les procès des alliés se tiennent à Athènes. D’abord, la taxe du centième perçue au Pirée rapporte davantage à la cité. Ensuite, si l’on possède une maison de rapport, on jouit d’une meilleure situation. Ensuite, si l’on possède un attelage ou un esclave à louer. Ensuite, les hérauts jouissent d’une meilleure situation grâce aux séjours des alliés. » (trad. D. Lenfant). Voir le commentaire de Marr – Rhodes 2008, 92-93 ; Lenfant 2017, 91-94. Voir aussi Thucydide, VI. 91. 7. Alcibiade dans son discours aux Spartiates présente les avantages générés par la fortification de Décélie et les dégâts que les Athéniens vont subir. Parmi ces dégâts, il s’agit notamment de la perte de revenus par les tribunaux. Cette perte peut correspondre soit à une perte des amendes et des redevances payées par les alliés aux tribunaux athéniens, soit aux pertes financières de ses propres citoyens qui, en raison de la guerre, seront contraints de reprendre leur service militaire, ce qui réduira le nombre de cas à juger et, ainsi, la fréquence de paiement du misthos (voir Gomme – Andrewes – Dover 1970, 365-366). 88 [Xénophon], Constitution des Athéniens, I. 16 πρῶτον μὲν ἀπὸ τῶν πρυτανείων τὸν μισθὸν δι᾽ ἐνιαυτοῦ λαμβάνειν : « D’abord, les frais de procédure lui fournissent tout au long de l’année l’indemnité de fonction. » (trad. D. Lenfant). Même s’il s’agit d’une exagération du Pseudo-­Xénophon, voir, en même temps, IG I3, 21, l. 31 et 86

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la participation du peuple aux tribunaux. Étant donné que le salaire judiciaire était journalier, la fréquence de perception du misthos par les juges augmentait conformément à l’augmentation quotidienne des procès des alliés. À cet égard, le jugement des affaires de la Ligue et la récompense des juges pour participation aux tribunaux allaient, tout d’abord, dans le sens d’une participation égale et reconnue – que le misthos confirmait – de tous les groupes à l’administration de la Ligue, qui était le secteur le plus critique de la politique athénienne de l’époque ; le jugement des affaires de la Ligue à Athènes renforçait, par conséquent, la participation des membres les plus pauvres des citoyens à la politique extérieure d’Athènes. L’administration de la Ligue est le deuxième élément lié à la justice. Elle est résumée par la phrase du Pseudo-­Xénophon selon laquelle les Athéniens « administrent les cités des alliés, en restant chez eux et sans devoir s’embarquer »89. Cette phrase et les décrets qu’on a cités justifient le jugement à Athènes de certaines affaires des alliés. D’une part, cela rendait plus facile l’administration de la Ligue. D’autre part, Athènes était ainsi débarrassée des personnes et des situations qui provoquaient des troubles à l’intérieur des sociétés locales – que ces problèmes aient eu un contenu politique ou non –, et qui influençaient le fonctionnement de la Ligue. On peut supposer que si ces affaires avaient été jugées au niveau local, le résultat des procès n’aurait pas correspondu aux vœux d’Athènes. En fait, l’exercice de la justice par les tribunaux athéniens était lié à l’exercice de la politique extérieure d’Athènes et à son intervention dans les affaires intérieures de ses alliés sous prétexte de résoudre les problèmes les plus critiques. Le contrôle athénien sur les alliés était exercé, en pratique et majoritairement, au sein des tribunaux populaires et se mesurait par les amendes et les peines qu’ils imposaient90. Le Pseudo-­Xénophon implique que les juges athéniens agissaient avec partialité en faveur des alliés démocrates ou pro-­Athéniens91. On ne peut Aristophane, Guêpes, v. 659, sur les frais de justice déposés par les alliés. Cf. Harrison 1971, 93 n. 3 ; Marr – Rhodes 2008, 91-92 ; Scafuro 2015, 369. 89 [Xénophon], Constitution des Athéniens, I. 16 εἶτ᾽ οἴκοι καθήμενοι ἄνευ νεῶν ἔκπλου διοικοῦσι τὰς πόλεις τὰς συμμαχίδας. 90 Cf. Todd 1993, 150 ; Marr – Rhodes 2008, 91. 91 [Xénophon], Constitution des Athéniens, I. 14 διὰ ταῦτα οὖν τοὺς μὲν χρηστοὺς ἀτιμοῦσι καὶ χρήματα ἀφαιροῦνται καὶ ἐξελαύνονται καὶ ἀποκτείνουσι, τοὺς δὲ πονηροὺς αὔξουσιν : « pour cette raison, donc, ils privent les honnêtes gens de leurs droits civiques, ils les dépouillent de leurs biens, ils les expulsent et les mettent à mort, alors qu’ils renforcent les fripons », 16 καὶ τοὺς μὲν τοῦ δήμου σῴζουσι, τοὺς δ᾽ ἐναντίους ἀπολλύουσιν ἐν τοῖς δικαστηρίοις : « et dans les tribunaux ils préservent les gens du peuple et causent la perte de leurs adversaires »

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pas nier que les Athéniens promouvaient le régime démocratique dans le cadre de leur politique extérieure. Toutefois, leur politique était plutôt pragmatique. Le pivot de cette politique extérieure n’était pas tant de chercher à bouleverser la constitution des alliés et à remplacer des régimes oligarchiques par des régimes démocratiques que de maintenir au pouvoir des gouvernements bien disposés envers Athènes. Dans le cas d’Érythrées, le décret nous révèle la présence d’un episkopos et d’un phrourarque, qui sont chargés de tirer au sort et d’installer une nouvelle Boulè composée de cent vingt membres, inspirée peut-­être par le modèle athénien92. Cela ne prouve pas le caractère démocratique du régime, mais, au contraire, cela montre l’installation d’une nouvelle institution, qui pourrait servir les intérêts d’Athènes. En outre, en ce qui concerne Milet, on a vu que le régime a été maintenu, à côté des cinq magistrats athéniens93. Cette politique extérieure se reflète dans les décisions des tribunaux. Les juges étaient probablement partiaux dans les affaires à couleur politique94, mais les décrets montrent que ce traitement partial tenait davantage à l’identité des alliés en tant que non-­Athéniens qui gênaient le fonctionnement de la Ligue et les intérêts d’Athènes.

B. L’Héliée et l’Assemblée du peuple au cours des dernières décennies du Ve siècle Les années de la guerre du Péloponnèse offrent aussi un terrain propice à l’étude de la relation et de l’interaction entre les tribunaux héliastiques et l’Assemblée du peuple. Grâce notamment à l’Histoire de Thucydide et aux discours qu’il prête aux différents protagonistes, aux Helléniques de Xénophon, aux comédies d’Aristophane et aux plaidoyers contemporains ou quasi contemporains de l’époque, sont animés devant nous les débats passionnés qui sont nés dans l’Assemblée et les rivalités des grands hommes politiques. Se plaçant donc au centre de la vie politique, l’ekklèsia attire l’intérêt des citoyens en raison des décisions prises pour la guerre, puisque c’est l’institution qui fixe la politique extérieure de la cité, mais aussi par ses autres fonctions telles que le vote de lois et de décrets, l’élection de (trad. D. Lenfant). Voir aussi Aristophane, Paix, v. 639 τῶν δὲ συμμάχων ἔσειον τοὺς παχεῖς καὶ πλουσίους : « chez les alliés ils vexaient les gros et les riches » (trad. H. van Daele). 92 IG I3, 14, l. 8-16. 93 Cf. Marr – Rhodes 2008, 85-86 ; Brock 2009, 149-162. 94 Cf. Meiggs 1972, 223-224.

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magistrats et l’exercice de la justice. C’est dans ce dernier domaine qu’on peut suivre l’intervention de l’ekklèsia dans des affaires qui impliquent la sûreté de la cité et dans l’exercice d’un « jugement populaire » contre les dirigeants de la vie politique par la procédure de l’ostracisme. De surcroît, ces textes s’inscrivent dans un moment où l’organisation judiciaire prend forme à la faveur de la mise en place de procédures et de lois qui renforcent cette souveraineté du dèmos et à la faveur de nouvelles coutumes politiques. Il existe, en effet, trois types de procès attestés à partir de la fin des années 430 qui soit acquièrent une nuance différente de celle de la période précédente, soit sont inaugurés pendant la guerre et qui semblent placer dans un nouveau contexte le rapport entre le tribunal populaire et l’ekklèsia. Ce sont l’action en illégalité, la procédure de l’eisangélie et les procès contre les stratèges. Notamment pour ce qui est des deux premiers, les sources disponibles sont très concises et vagues, de sorte que les conclusions relatives à leur institution ne peuvent pas être fermes. Si l’on commence par l’action en illégalité, il s’agit d’une nouvelle procédure qui n’est pas attestée à la période précédente et qui sert de moyen pour assurer la cohérence et la légitimité des lois dans la cité95. Elle consiste, en effet, à suspendre un décret/une loi de l’Assemblée ou une proposition en cours d’examen en s’engageant sous serment à démontrer devant les tribunaux son caractère illégal. Si le tribunal donne raison à l’accusateur, le décret est annulé et l’auteur de la proposition est d’habitude frappé d’une amende : cela ne peut avoir d’autre but que de dissuader les auteurs de propositions qui pourraient être contraires à la loi96. La première attestation d’une action en illégalité date de l’année 41597 et figure chez Andocide, dans son discours Sur les Mystères (n° 22). Selon 95

Voir Canevaro 2015. Sur la procédure et ses implications, voir Hansen 1974. Sur la question du délai (prothesmia) d’un an (à compter du moment de la proposition du décret) pendant lequel une action devait être intentée contre l’auteur de la proposition pour pouvoir entraîner sa condamnation, voir Giannadaki 2014, 16-26. 97 De la même période date aussi une autre action en illégalité, qui concerne le stratège Démosthène (n° 26). Hansen 1974, 28, la date avant le départ de Démosthène en Sicile l’été de 414, mais on ne peut pas la dater plus précisément. Selon [Plutarque], Œuvres Morales, 833d, Antiphon a écrit un plaidoyer contre Démosthène à propos d’une proposition illégale. Le discours n’est pas conservé. On trouve, en revanche, chez Harpocration la mention du titre : Ἀντιφῶν ἐν τῇ πρὸς τὴν Δημοσθένους γραφὴν ἀπολογίᾳ. Le témoignage du Pseudo-­Plutarque et le titre montrent que Démosthène était la personne qui a déposé l’accusation contre cette proposition illégale. Cf. Carawan 2007, 34. Contra Hansen 1974, 28, qui soutient que c’était Démosthène qui avait fait la proposition illégale. 96

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Andocide, Lydos informa la Boulè que le père d’Andocide, Léogoras, avait assisté à la parodie des Mystères d’Éleusis, qui avait eu lieu dans plusieurs maisons athéniennes. Speusippos, qui fut membre de la Boulè, proposa que les accusés soient jugés par le tribunal. Léogoras accusa, à son tour, Speusippos d’avoir fait une proposition illégale. L’accusation donna lieu à un procès devant un tribunal, composé de six mille juges98, qui votèrent en faveur de Léogoras99. Andocide ne précise pas la nature de l’illégalité de la proposition de Speusippos, mais Léogoras semble avoir attaqué sa proposition, parce que Speusippos affirmait la présence de Léogoras dans la maison de Phéréclès sans s’appuyer sur aucune preuve solide100. La date de l’introduction de l’action en illégalité n’est pas précisée dans les sources, ce qui a provoqué différentes hypothèses sur sa chronologie101. Si l’on accepte une datation pendant la guerre du Péloponnèse et peu de temps avant sa première application, il est possible de lier son institution au dernier usage de l’ostracisme contre Hyperbolos en 416/5102. L’ostracisme s’explique dans un contexte de luttes politiques entre des hommes politiques investis d’une autorité considérable et sert de moyen pour se débarrasser d’un adversaire au sein de l’Assemblée. L’apparition de l’action en illégalité vers la même époque à laquelle l’ostracisme tomba en désuétude peut être une initiative de la cité cherchant à définir d’autres dispositions à propos de l’activité politique, particulièrement dans une période aussi critique que la guerre du Péloponnèse. Son introduction renforce davantage le pouvoir des tribunaux pour deux raisons. D’un côté, le tribunal populaire acquiert la compétence de réexaminer la validité d’un décret/loi/proposition tant 98

Ce qui est étonnant est que le tribunal est composé de l’ensemble des héliastes. C’est le seul témoignage dont on dispose sur le jugement d’une affaire par l’ensemble des juges. Cela a conduit les commentateurs du texte soit à le rejeter et à le considérer comme une exagération rhétorique d’Andocide qui essaie de montrer que l’acquittement de son père avait l’accord de tous les juges (voir Sealey 1964, 16), soit à le justifier et à l’attribuer à l’importance des événements de l’année 415 (voir MacDowell 1962, 77). 99 Andocide, Sur les Mystères, 17, 22. Cf. MacDowell 1962, 77 ; Hansen 1974, 28. 100 Cf. Carawan 2007, 37, 46-47. 101 Elle est souvent attribuée à Éphialte ou à Périclès cherchant à protéger la cité contre la souveraineté législative de l’Assemblée. Voir Hignett 1952, 212-213 ; Jones 1957, 123 et 158 n. 143. 102 Thucydide, VIII. 73. 3 ; Plutarque, Vie d’Aristide, VII. 3, Vie d’Alcibiade, XIII. Sur le caractère de l’ostracisme d’Hyperbolos, voir Connor 1971, 79-84 ; Sinclair 1997, 132 ; Mossé 2007, 161-162. Pour un résumé des discussions portant sur le caractère de l’ostracisme d’Hyperbolos et sa datation incertaine, voir Hornblower 2008, 968-972. Sur l’existence d’une relation entre la fin du recours à la procédure de l’ostracisme et l’institution de l’action en illégalité, voir Mossé 1974, 211-214 ; Yunis 1988, 380 n. 59 ; Hansen 19992, 205 ; Mossé 2007, 159-164.

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du point de vue juridique que de sa portée politique et, éventuellement, de renverser une décision prise par l’Assemblée. D’un autre côté, comme ce type d’action se présente parfois comme l’occasion d’un règlement de comptes entre deux adversaires, les conflits politiques qui étaient auparavant réglés au sein de l’Assemblée peuvent désormais être jugés aussi devant le tribunal. L’importance de l’action en illégalité deviendra évidente pour la première fois pendant le mouvement oligarchique de 411, quand les oligarques tenteront de la supprimer. L’explication de la procédure de l’eisangélie est plus compliquée. Comme nous l’avons remarqué dans le chapitre III, pour les cas qui nous concernent, il s’agit d’une dénonciation contre un individu qui est tenu pour responsable d’une politique désastreuse pour la cité ou contre un magistrat qui ne se conforme pas aux lois, ainsi que de son jugement tantôt devant la Boulè des Cinq Cents tantôt devant l’Assemblée du peuple et les tribunaux. Contrairement donc à l’action en illégalité qui concerne nécessairement les tribunaux, l’eisangélie peut concerner aussi d’autres institutions. Nous avons également signalé que le jugement des crimes commis contre la cité était attribué à l’Aréopage, avant qu’il ne soit transféré aux autres institutions de la cité, sans pouvoir pourtant éclairer ce jugement et le comparer avec l’eisangélie de la fin du Ve et du IVe siècle. Il est, de même, difficile de savoir quand celle-­ci a été mise en place pour la première fois en tant que procédure qui concerne certains types de crimes. Hypéride dans son discours Pour Euxénippos (330-324)103 évoque des cas où la procédure de l’eisangélie peut s’appliquer, mais il est douteux que l’on puisse attribuer les dispositions du IVe siècle au Ve104. Toutefois, pour faciliter l’analyse suivante, il serait peut-­être utile de résumer ici les différentes étapes de la procédure. D’après celles-­ci, pour les eisangélies déposées auprès du Conseil, ce dernier procède à l’instruction des deux parties et vote sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. S’il le juge coupable, soit il peut lui imposer une amende dans la limite de cinq cents drachmes, soit il fait transférer l’affaire devant le tribunal, s’il envisage une peine supérieure à cinq cents drachmes. Pour les eisangélies déposées auprès de l’Assemblée ou pour celles déposées auprès du Conseil mais devant être transférées devant l’ekklèsia, cette dernière demande au Conseil de rédiger un probouleuma qui fixe la procédure, le projet étant discuté lors d’une assemblée de l’ekklèsia, qui décide soit de juger l’affaire, soit de la faire transférer devant un tribunal105. 103

Hypéride, Pour Euxénippos, 7-8. Cf. Carlier 1984, 341. 105 Voir Hansen 1975, 26. 104

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Les témoignages dont on dispose datent des dernières décennies du Ve siècle106. Cela peut être expliqué soit par le manque de sources pour les années précédentes, soit par le fait que c’est surtout à partir de la guerre du Péloponnèse que l’on recourt à cette procédure. Le mot eisangélia apparaît dans le décret de Diopeithès, en vertu duquel seraient poursuivis par voie d’eisangélie ceux qui ne reconnaissent pas les choses divines ou qui enseignent des doctrines sur les choses célestes107. Selon Plutarque, c’est à cause de ce décret qu’Anaxagore a été déféré en justice pour impiété. Vu que l’historicité du témoignage de Plutarque a été à plusieurs reprises mise en cause108, il convient d’élargir la recherche. Le mot apparaît chez Antiphon, dans le discours Sur le choreute, daté de 419/8109. L’accusé raconte que, dans le passé, il avait adressé une eisangélie devant le Conseil (εἰσήγγειλα εἰς τὴν βουλήν) contre Aristion, Philinos, Ampélinos et le sous-­secrétaire des thesmothètes pour concussion (n° 19). L’affaire avait été transférée devant le tribunal, qui l’avait jugée et avait condamné les accusés à une amende110. Parallèlement, il évoque une autre accusation qu’il avait portée devant 106

En ce qui concerne les témoignages épigraphiques, on trouve le mot dans le décret sur les prémices d’Éleusis (IG I3, 78a). Beaucoup d’encre a coulé sur la datation du décret, qui doit être daté avant la guerre du Péloponnèse, peut-­être aux alentours de 435. Sur la présentation et la discussion de la bibliographie sur la datation du décret, voir Cavanaugh 1996, 30-71. Sur cette datation, voir Cavanaugh 1996, 73-95 ; Rhodes 2008a, 505. Voir aussi O & R, n° 141. À la fin du décret (l. 57-59), on lit que dans le cas où quelqu’un contrevient aux interdictions à propos de Pélargicon, il sera puni d’une amende de cinq cents drachmes et le roi ἐσαγγελλέτο au Conseil, soit, si on met à part le schéma absurde de cette phrase, le roi ἐσαγγελλέτο les contrevenants au Conseil qui les punira d’une amende de cinq cents drachmes, s’il les trouve coupables. Ce terme, semble-­t-il, n’a pas ici le sens technique de dénonciation, mais celui de compte rendu que le roi doit faire auprès du Conseil sur cette infraction au décret et de la soumission des occupants du Pélargicon au Conseil. Cf. Carlier 1984, 339 n. 87. Contra Hansen 1975, 32, qui penche pour la procédure de l’eisangélie. 107 Plutarque, Vie de Périclès, XXXII. 2. 108 Sur la discussion que ce décret soulève, voir Lenfant 2002, 149-153. 109 Voir Gagarin 1998, 73-89 ; id. 2002, 139-146. 110 Antiphon, Sur le choreute, 12 ἐτύγχανε γάρ μοι πράγματα ὄντα πρὸς Ἀριστίωνα καὶ Φιλῖνον, ἃ ἐγὼ περὶ πολλοῦ ἐποιούμην, ἐπειδή περ εἰσήγγειλα : « j’avais alors des affaires avec Aristion et Philinos  : il était de la plus grande importance pour moi, comme je leur avais intenté une eisangélie  », 35-38 Κατηγορήσειν ἔμελλον Ἀριστίωνος καὶ Φιλίνου καὶ Ἀμπελίνου καὶ τοῦ ὑπογραμματέως τῶν θεσμοθετῶν, μεθ᾽ οὗπερ συνέκλεπτον, περὶ ὧν εἰσήγγειλα εἰς τὴν βουλήν […] εἰσάγων εἰς τὸ δικαστήριον εἷλον ἅπαντας : « J’allais soutenir l’accusation contre Aristion, Philinos, Ampélinos et le sous-­secrétaire des thesmothètes, complices de leurs vols, au sujet desquels j’avais adressé une eisangélie au Conseil […] je pus

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le Conseil (εἰσῆγον εἰς τὴν βουλήν) contre les poristai, les pôlètai, les praktores et leurs secrétaires pour des délits graves, dont on ne connaît pas la nature111. On trouve aussi le terme d’eisangélie dans le plaidoyer d’Andocide, Sur les Mystères, à l’occasion des événements de 415. Le double sacrilège de la mutilation des Hermès et de la parodie des Mystères d’Éleusis dans certaines maisons d’Athènes est le cas d’impiété le plus connu du Ve siècle112. Le sacrilège provoqua la mobilisation de l’Assemblée et de la Boulè, qui acquit une autorité souveraine pendant cette période113. Une commission d’instructeurs fut désignée et des récompenses furent promises à ceux qui fourniraient des informations sur les coupables. Les récompenses furent revendiquées par plusieurs plaignants, ce qui conduisit l’Assemblée à transférer l’affaire devant le tribunal des thesmothètes (diadikasia)114. Toutes les institutions, l’Assemblée, la Boulè et les tribunaux, participèrent à l’exercice de la justice, sans que l’on sache à qui appartenait la décision finale. Le mot eisangélia apparaît trois fois dans ce contexte. Dans le premier cas, Pythonicos accusa Alcibiade d’avoir participé à la parodie des Mystères ; la dénonciation fut portée par voie d’eisangélie devant l’Assemblée (εἰσήγγειλεν ἐν τῷ δήμῳ)115, mais le procès fut annulé en raison de l’expédition en Sicile (n° 23). À cet égard, on ne sait pas si l’affaire aurait dû être jugée par l’Assemblée ou être transférée au tribunal. Pourtant, pendant l’expédition de Sicile, le rappel d’Alcibiade à Athènes fut annoncé. En son absence, Thessalos porta contre lui une eisangélie devant l’Assemblée (εἰσήγγειλεν, δῆμος), en l’accusant de la parodie des Mystères (n° 25). Alcibiade fut condamné par contumace (ἐρήμην traduire devant le tribunal (les auteurs de ces machinations), je les fis tous condamner. » (trad. L. Gernet). Cf. Hansen 1975, 112 ; Rhodes 1979, 112. 111 Antiphon, Sur le choreute, 49-50. Cf. Hansen 1975, 112-113. 112 Les détails sont connus par deux sources à peu près contemporaines des événements : le sixième livre de Thucydide (27-29, 53, 60-61) et le discours d’Andocide, Sur les Mystères (11-68). Plutarque, dans la Vie d’Alcibiade, XIX-XXI, suit le récit de Thucydide. Pour la suite d’événements, voir MacDowell 1962, 181-185, surtout 182-183. Il est assez intéressant de remarquer que le sacrilège était associé à un complot contre la démocratie (Andocide, Sur les Mystères, 36 ; Thucydide, VI. 27. 3, 28. 2, 60. 1). Cela montre, d’une part, la possibilité d’exploitation politique d’une affaire religieuse et, d’autre part, justifie la véhémence de la justice (Thucydide, VI. 60. 5). Voir Filonik 2013, 40-42. 113 Andocide, Sur les Mystères, 15. 114 Ibid., 27-28. 115 Ibid., 11-14. Cf. Hansen 1975, 74-76.

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δ’ αὐτοῦ καταγνόντες)116, mais il est de même difficile de savoir si l’affaire fut transmise à un tribunal ou si elle fut jugée par l’Assemblée. Dans le troisième cas, un certain Diocleidès porta une eisangélie devant la Boulè (εἰσαγγέλλει Διοκλείδης εἰς τὴν βουλήν) contre quarante-­deux personnes pour leur participation à la mutilation des Hermès (n° 24). La Boulè procéda à leur arrestation et accepta que les accusés soient jugés, à condition qu’ils fournissent des garants (ἐξεγγυηθέντες κριθῆναι)117, cette expression ne permettant pas de choisir entre l’Assemblée et le tribunal. À la fin, le procès n’eut pas lieu parce que la dénonciation de Diocleidès se révéla mensongère118. Des conclusions plus solides peuvent être tirées du procès contre les stratèges de la bataille navale des Arginuses, datant de 406119. Quand on apprit à Athènes que les naufragés n’avaient pas été repêchés, l’Assemblée du peuple destitua tous les stratèges en leur absence, sauf Conon, et leur demanda de rentrer à Athènes pour être déférés devant la justice. Deux d’entre eux, Protomachos et Aristogénès, ne rentrèrent pas120. Un certain Archédémos déféra devant le tribunal le stratège Érasinidès (ἐπιβολὴν ἐπιβαλὼν κατηγόρει ἐν δικαστηρίῳ), en l’accusant à la fois de concussion et pour sa stratégie (φάσκων ἐξ Ἑλλησπόντου αὐτὸν ἔχειν χρήματα ὄντα τοῦ δήμου· κατηγόρει δὲ καὶ περὶ τῆς στρατηγίας), ce qui détermina le tribunal à l’emprisonner (ἔδοξε τῷ δικαστηρίῳ δῆσαι τὸν Ἐρασινίδην)121. Il est possible que l’accusation pour concussion portée contre lui ne concerne pas la bataille des Arginuses (n° 36). Les autres stratèges firent un bilan de la bataille devant la Boulè des Cinq Cents, qui, sur proposition d’un de ses membres, décida de les emprisonner et de les transférer devant l’Assemblée122. Lors de la réunion de l’Assemblée, plusieurs opinions furent présentées tant en faveur des stratèges que contre eux et on décida de reporter la décision finale à la prochaine réunion de l’Assemblée, ce qui devait permettre à la Boulè de 116

Plutarque, Vie d’Alcibiade, XIX-XXII. Cf. Hansen 1975, 75-76. Andocide, Sur les Mystères, 37, 43-45. Cf. Hansen 1975, 80 ; Rhodes 1979, 111. 118 Andocide, Sur les Mystères, 65-66. 119 Les sources principales sont Xénophon, Helléniques, I. 6. 34-7. 35, et Diodore de Sicile, XIII. 100-103. 2. Sur les différences entre les deux récits, voir Andrewes 1974, 112-122. Sur un résumé des événements, les motivations politiques et la participation de Théramène à l’instigation du procès, voir Roberts 1982a, 64-69, surtout 68-69 ; Bearzot 2013, 94-99. 120 Xénophon, Helléniques, I. 7. 1 ; Diodore de Sicile, XIII. 101. 5. 121 Xénophon, Helléniques, I. 7. 2. Kagan 1987, 365 n. 36, pense qu’Érasinidès a été jugé dans le cadre de sa reddition de comptes. 122 Xénophon, Helléniques, I. 7. 3. 117

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rédiger un projet sur la procédure de jugement des accusés (τὴν δὲ βουλὴν προβουλεύσασαν εἰσενεγκεῖν ὅτῳ τρόπῳ οἱ ἄνδρες κρίνοιντο)123. Selon ce projet, proposé par un certain Callixeinos et présenté devant l’Assemblée suivante (après les machinations contre les stratèges lors de la fête des Apaturies), tous les stratèges devaient être jugés de manière collective par un seul vote au sein de chaque tribu (διαψηφίσασθαι Ἀθηναίους ἅπαντας κατὰ φυλάς), qui aurait à sa disposition deux urnes, une pour l’acquittement et l’autre pour la condamnation (θεῖναι δὲ εἰς τὴν φυλὴν ἑκάστην δύο ὑδρίας) ; s’ils étaient jugés coupables, ils seraient condamnés à mort (ἂν δὲ δόξωσιν ἀδικεῖν, θανάτῳ ζημιῶσαι)124. Un certain Euryptolémos et d’autres Athéniens accusèrent Callixeinos d’avoir proposé un décret illégal (προσεκαλέσαντο παράνομα φάσκοντες συγγεγραφέναι Εὐρυπτόλεμός τε ὁ Πεισιάνακτος καὶ ἄλλοι τινές)125, mais leur action en illégalité ne fut pas retenue. Euryptolémos fit alors une proposition alternative à celle de Callixeinos126 : de juger les stratèges conformément au décret de Cannonos – dont le contenu exact nous échappe. Il est intéressant de remarquer qu’Euryptolémos, avant de recourir au décret de Cannonos, présenta deux manières différentes selon lesquelles les stratèges pouvaient être jugés, celle du décret de Cannonos et celle de la loi sur la trahison, qui déférait les stratèges devant le tribunal, et qui montre clairement l’existence de différentes procédures judiciaires pour juger un même crime127. Le peuple à la fin du jour vota d’abord en faveur de la proposition d’Euryptolémos. Mais sur le serment d’opposition d’un certain Ménéclès, un second vote eut lieu et ce fut l’avis du Conseil qui l’emporta. Après cela, les stratèges furent condamnés à mort collectivement128. Suivant le récit de Xénophon, l’eisangélie129 qui fut intentée contre les stratèges était illégale, puisqu’elle supposait que l’affaire serait réglée par un simple vote de l’Assemblée et que le jugement serait collectif pour les stratèges mis en accusation. Au contraire, Euryptolémos a proposé au peuple de juger les stratèges dans le respect de leurs droits. D’un côté, il a proposé d’avoir recours au décret de Cannonos qui devait régler d’une 123

Ibid., I. 7. 4-7 ; Diodore de Sicile, XIII. 101. 6. Xénophon, Helléniques, I. 7. 8-10. 125 Sur le caractère de l’illégalité de la proposition de Callixeinos, voir Yunis 1988, 381-382 ; Carawan 2007, 21, 37-38, 47-48. 126 Xénophon, Helléniques, I. 7. 16-34. 127 Voir Harrison 1971, 58-59. 128 Xénophon, Helléniques, I. 7. 34. 129 Voir Hansen 1975, 84-86 ; Rhodes 1979, 111. 124

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manière ou l’autre le jugement d’un accusé devant le peuple. D’un autre côté, le récit de l’historien a posé la question d’un transfert possible de l’affaire de l’Assemblée à un tribunal héliastique, puisque le discours d’Euryptolémos n’excluait pas la participation des héliastes : les grands crimes contre la cité pouvaient sans doute aussi, dès le Ve siècle, être jugés par les tribunaux, selon l’évolution des institutions athéniennes. La décision sur le mode du jugement n’a été prise qu’à la dernière réunion de l’Assemblée130, qui avait toute latitude pour appliquer les « règles » établies131. Dominée par la foule en colère et manipulée132 par certains hommes politiques, elle a bafoué les droits des stratèges et a permis la condamnation en bloc de tous les accusés. Le déroulement du jugement final devant l’Assemblée a donc été imposé par les circonstances politiques et ce choix a déterminé le résultat final de l’affaire133. Cela nous fait remarquer que le jugement d’une affaire devant un tribunal suit une procédure prédéterminée et claire, qui comprend l’audition des deux plaideurs et un vote des juges sur la culpabilité des accusés et sur la peine. Au contraire, dans l’Assemblée, il y a plus de liberté en ce qui concerne l’expression d’opinions et la réaction du peuple face à ce qui se déroule, ce qui le rend plus facilement influençable pour la prise d’une décision. Le tribunal populaire et l’Assemblée sont composés des citoyens de même qualité134, mais il est évident que leur comportement est différent dans les deux corps. Au vu de ces considérations, le dépôt de l’action en illégalité par Euryptolémos a mis l’accent sur le détournement 130

Cf. Ostwald 1986, 437. Asmonti 2006, 21, lie le procès et la condamnation des stratèges par l’Assemblée à un effort de cette dernière pour souligner qu’elle est l’institution souveraine à Athènes face à toute personne qui se met en avant – dans ce cas les stratèges. 132 Sur la manipulation du peuple au cours du procès, voir Villacèque 2013, 202-208. 133 De façon pareille, Gottesman 2014, 146, suggère qu’au cas où on avait donné suite à l’action en illégalité contre Callixeinos, la proposition de Callixeinos aurait été annulée et les stratèges auraient été acquittés. 134 Voir, par exemple, les plaidoyers, où le sujet « vous » peut renvoyer soit aux juges soit aux Athéniens en général. Voir aussi un passage tiré du Contre Timarque d’Eschine, qui montre l’opinion des Athéniens sur le rapport entre leur corps politique et leur corps judiciaire. Ainsi, Eschine, Contre Timarque, 121 Τόλμησον γὰρ εἰς τοὺς δικαστὰς βλέψας εἰπεῖν ἃ προσήκει ἀνδρὶ σώφρονι τὰ περὶ τὴν ἡλικίαν· ‘ἄνδρες Ἀθηναῖοι, τέθραμμαι μὲν ἐκ παιδὸς καὶ μειρακίου παρ’ ὑμῖν, οὐκ ἀφανεῖς δὲ διατριβὰς διατρίβω, ἀλλ’ ἐν ταῖς ἐκκλησίαις μεθ’ ὑμῶν ὁρῶμαι.’ : « Regardant tes juges en face, ose leur tenir le langage qui convient à un homme dont la jeunesse a été pure : ‘Citoyens d’Athènes, dès mon enfance et mon adolescence, j’ai été élevé au milieu de vous, l’existence que je mène n’est point entourée de mystères, vous me voyez à vos côtés dans les assemblées.’. » (trad. V. Martin – G. de Budé). 131

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de l’affaire des Arginuses par des procédures qui avaient été identifiées avec le fonctionnement des tribunaux héliastiques135 et a montré l’impact que l’Héliée exerçait comme institution sur la conscience des Athéniens et sur le fonctionnement du régime. Comme dernier point il reste à aborder les autres procès intentés contre les stratèges de la période de la guerre. La première action attestée dans les sources est celle engagée contre Périclès (n° 12). L’échec de Périclès à prendre Épidaure (430/29)136 a servi de déclencheur au déroulement du procès. Les malheurs provoqués par la peste et une insatisfaction générale du peuple devant la politique de Périclès pendant les premières années de la guerre ont provoqué l’accusation137. Diodore de Sicile et Plutarque disent que l’Assemblée priva, en premier lieu, Périclès de sa magistrature (apocheirotonia) et ils attestent ensuite, ainsi que Thucydide, que Périclès fut condamné à une lourde amende. Peu après, il fut réélu au poste de stratège, peut-­être dès l’année suivante (429/8)138. Si l’on s’appuie sur le témoignage d’Aristote dans la Constitution d’Athènes, on voit qu’à chaque prytanie il y avait un vote à main levée pour confirmer que les stratèges s’acquittaient bien de leur charge. Si l’on estimait que non (apocheirotonia), ces derniers étaient jugés par le tribunal qui, en cas de condamnation, fixait la peine ou l’amende139. Au vu de ce témoignage, il est possible de penser à un jugement de Périclès devant le tribunal. Or, le témoignage d’Aristote, écrit vers les années 330, ne prend pas en considération les cas d’eisangélies, qui, comme nous le montrerons par la suite140, avant le milieu du IVe siècle, pouvaient être jugées soit devant l’Assemblée soit devant le tribunal141. Étant donné que les sources sur le procès de Périclès ne précisent pas la procédure qui a été suivie, la question de l’institution qui l’a jugé reste ouverte. Le deuxième procès est celui contre Phormion (n°  13), stratège chargé des campagnes en Acarnanie en 429/8142. On doit dater de la 135

Cf. Ostwald 1986, 439 ; Harris 2013a, 243, 342. Thucydide, II. 56 ; Plutarque, Vie de Périclès, XXXV. 3. Cf. Hansen 1975, 71-73. 137 Cf. Roberts 1982a, 29-34 ; Sinclair 1997, 45, 92. 138 Thucydide,  II. 65. 3-4  ; Diodore de Sicile,  XII. 45. 4  ; Plutarque, Vie de Périclès, XXXV. 4. 139 Aristote, Constitution d’Athènes, LXI. 2. 140 Voir chapitres VIII et IX. 141 Voir, par exemple, le cas de Timothée en 373/2, qui, après sa destitution, est jugé par l’Assemblée du peuple (Xénophon, Helléniques, VI. 2. 13 ; [Démosthène], Contre Timothée, 9-10 ; Diodore de Sicile, XV. 47. 3). Voir sur ce sujet, Hansen 1975, 91. 142 Thucydide, II. 88, 102, 103. 136

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fin de cette stratégie (?)143 l’information trouvée dans une scholie à la Paix d’Aristophane, selon laquelle Phormion fut condamné pendant sa reddition de comptes à une amende de cent mines (ρʹ μνᾶς τῆς εὐθύνης ἀποδοῦναι)144. Si on admet l’historicité de ce témoignage et dans l’état actuel de nos connaissances sur les euthynai du Ve siècle, le procès aurait eu lieu devant un tribunal. Le troisième procès est le procès contre le stratège Pachès (n° 14). La dernière référence à Pachès se trouve chez Thucydide, quand il évoque le châtiment des Mytiléniens pour leur révolte contre Athènes145. Plutarque est la seule source dont on dispose sur la fin de la vie de Pachès : lors de sa reddition de comptes, il tira son épée et se tua en plein tribunal (δικαστηρίῳ)146. D’où l’hypothèse qu’en tant que stratège à Mytilène (428/7), Pachès aurait été accusé d’abus de pouvoir, aurait été déféré devant le tribunal, où, afin d’éviter la condamnation, il se serait tué. Il ne reste qu’à accepter ou rejeter le témoignage de Plutarque, afin de se prononcer sur la vérité des événements147. Le déroulement du procès contre le stratège Lachès (n° 15), l’un des chefs de la première expédition des Athéniens en Sicile dans la période 427-425148, est aussi incertain. On dispose de deux témoignages. Le premier est celui de Thucydide, selon qui Lachès fut remplacé par Pythodoros l’hiver 426/5. Pourtant, Thucydide ne précise pas les conditions de ce remplacement149. Le second est Aristophane qui est la seule source citant le jugement de Lachès devant le tribunal. On le voit à deux occasions. D’une part, dans les vers 240-244 des Guêpes, Cléon est en train de déférer Lachès à la justice pour mauvaise gestion150. D’autre part, il semble que l’administration de Lachès pendant la campagne de Sicile doit avoir servi de déclencheur à la mise en place d’un procès-­ parodie. Ainsi, dans les vers 870 et suivants, Aristophane parodie le procès de Lachès, puisqu’on trouve à la place de l’accusé le chien Labès du dème d’Aixonè, qui est accusé d’avoir volé un morceau de fromage sicilien, et en guise d’accusateur le Chien du dème de Cydathénée. Les deux noms ainsi que les dèmes d’origine renvoient à Lachès et à Cléon. 143

Sur l’incertitude de la datation de cet épisode, voir Fröhlich 2000, 92. Schol. Aristophane, Paix, v. 348. Cf. Develin 1989, 121. 145 Thucydide, III. 50. 1. 146 Plutarque, Vie de Nicias, VI. 1, Vie d’Aristide, XXVI. 5. 147 Cf. Hornblower 1991, 440 ; Fröhlich 2000, 92-93. 148 Thucydide, III. 86. 149 Ibid., III. 115. 2, 6. 150 Aristophane, Guêpes, v. 240-244. Cf. Asmonti 2006, 12-14. 144

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Il est difficile de dire si les deux événements, celui du remplacement de Lachès par Pythodoros à la fonction de stratège et celui du procès présenté chez Aristophane, sont liés. Le texte d’Aristophane n’autorise pas de conclusions définitives151. Il est plus prudent de garder à l’esprit que le procès et sa parodie montrent la rivalité qui a pu exister entre ces deux personnes. Le cinquième cas concerne les stratèges Pythodoros, Sophoclès et Eurymédon (n° 16). Selon Thucydide152, en 425/4, les stratèges furent accusés d’avoir été corrompus par les Siciliens. Les «  Athéniens  » (οἱ Ἀθηναίοι) condamnèrent alors Pythodoros et Sophoclès à l’exil (φυγῇ ἐζημίωσαν) et imposèrent une amende à Eurymédon (χρήματα ἐπράξαντο). Le nom « Athéniens » ne permet pas de définir l’institution qui a jugé les stratèges ni la procédure employée contre eux153. Thucydide, stratège en 424/3, s’exila, après la perte d’Amphipolis154 (n° 17). L’historien emploie l’infinitif φεύγειν pour désigner son exil, qui reçoit deux interprétations : « prendre la fuite » ou « être banni, après une décision collective »155. Ainsi, le passage ne permet pas de savoir si un procès a eu lieu156. En 412/1, les stratèges Phrynichos et Scironidès furent destitués (παρέλυσεν ὁ δῆμος τῆς ἀρχῆς) pour avoir perdu Iasos157, mais on n’est pas en mesure de dire davantage quant au déroulement d’un procès (n° 27). En 409, le stratège Anytos fut envoyé à Pylos pour aider les Messéniens qui étaient assiégés par les Spartiates, mais le mauvais temps l’empêcha d’arriver à destination et il rentra à Athènes (n° 33). Diodore de Sicile raconte que le peuple (δῆμος) l’accusa de trahison (καταιτιασάμενος αὐτοῦ προδοσίαν) et transféra le jugement devant le tribunal (μετέστησεν εἰς κρίσιν, δικαστήριον)158. La procédure fait penser à 151

Cf. Hornblower 1991, 491-492. MacDowell 1971a, 164 ; id. 1995, 167-168, en tenant compte du verbe ἔσται mis au futur dans ce passage d’Aristophane, soutient que le procès n’a pas eu lieu pendant la représentation des Guêpes et probablement ni plus tard. Contra, voir Ostwald 1986, 212-213 n. 59. 152 Thucydide, IV. 65. 3. Cf. Hornblower 2004, 227. Voir aussi Roberts 1982a, 115-117, sur les motifs du procès. 153 Cf. Hansen 1975, 73 ; Ostwald 1986, 64-65 n. 248. 154 Thucydide, V. 26. 5. 155 Voir Lenfant 2002, 137. 156 Develin 1989, 132, penche pour un procès. 157 Thucydide, VIII. 54. 3. Cf. Roberts 1982a, 36-40. 158 Diodore de Sicile,  XIII. 64. 5-6. Roberts 1982a, 63-64, aborde le sujet tant de l’inexpérience d’Anytos que de ses opinions politiques – il n’était qu’un démocrate modéré et la démocratie restaurée n’acceptait pas les erreurs des modérés.

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celle de l’eisangélie, sans que cela soit dit explicitement159. Aristote dans la Constitution d’Athènes, ainsi que Diodore, citent une anecdote à propos du procès d’Anytos, selon laquelle il fut le premier à corrompre les juges afin d’assurer son acquittement160. Si on se fie à cette phrase qui présente Anytos en tant que premier à avoir corrompu les juges, on risque un anachronisme (cela dépend évidemment de la date attribuée au traité du Pseudo-­Xénophon), puisque la corruption des juges est attestée déjà chez le Pseudo-­Xénophon161. Il est donc préférable de penser, dans un premier temps, qu’Aristote attribue à Anytos l’invention d’une méthode de corruption d’une grande partie des juges, qui lui a permis d’être acquitté162. Toutefois, hors du fait qu’on ne dispose pas d’informations supplémentaires à propos de cette méthode, le dossier documentaire sur le personnage d’Anytos et sur cette anecdote remet en cause l’historicité de cette corruption163. Deux années plus tard, en 407, Alcibiade et les autres stratèges ne furent pas réélus pour l’année suivante à cette magistrature (ἐπαύσατε τῆς ἀρχῆς), suite à la défaite de Notion164. On ne sait pas si, lors de leur reddition de comptes, ils furent poursuivis pour toute faute commise à ce propos (n° 34). On sait, du moins, qu’Alcibiade prit lui-­même le chemin de l’exil165. En 406, en revanche, les héliastes invalidèrent Théramène, qui avait été élu stratège, par une procédure de dokimasia (ἀπεδοκιμάσατε), parce qu’ils ne lui trouvaient pas des dispositions favorables à l’égard du peuple (n° 35)166. De la même année date le procès discuté précédemment contre les stratèges de la bataille navale des Arginuses. En citant ces sources qui attestent ou donnent des indices sur ces procès167, on constate qu’on doit résoudre deux problèmes  : les informations dont on dispose ne laissent pas toujours voir clairement si 159

Cf. Hansen 1975, 84. Aristote, Constitution d’Athènes, XXVII. 5 ; Diodore de Sicile, XIII. 64. 6. 161 [Xénophon], Constitution des Athéniens, III. 6-7. 162 Cf. MacDowell 1978, 173. 163 Voir Lenfant 2016, 258-274. 164 Xénophon, Helléniques, I. 5. 16 ; Lysias, Défense d’un anonyme, 7. Kapellos 2014, 84-85, a raison de souligner que l’expression ἐπαύσατε τῆς ἀρχῆς ne renvoie pas ici à la destitution de tous les stratèges de leur magistrature, mais au non renouvèlement de la stratégie après la fin du mandat. 165 Xénophon, Helléniques, I. 5. 17 ; Lysias, Contre Alcibiade, 38. Cf. Roberts 1982a, 120-122. 166 Lysias, Contre Agoratos, 10. Cf. Feyel 2009, 156-157, 184-185. 167 Ostwald 1986, 64-65, cite douze procès intentés contre les stratèges pendant toute la période de la guerre. Je n’ai pas cité le cas des stratèges Xénophon, Hestiodoros et 160

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l’institution qui a jugé les stratèges était un tribunal populaire ou même si le procès a eu lieu. On constate parallèlement que, pour ce qui est de la période de la guerre, les sources sur ces procès se multiplient et que ces derniers vont « inaugurer une pratique qui allait se généraliser dans la période suivante »168. Il s’agit, en effet, de l’un des premiers indices dont on dispose sur le rapport qui existe entre la politique extérieure d’une cité et les procès qui s’y déroulent. Au contraire, l’historien est privé de témoignages datés de la période antérieure au début de la guerre du Péloponnèse, à l’exception de ceux qui concernent Miltiade et Cimon, qui datent même d’avant les réformes d’Éphialte169. Il est cependant logique de suggérer que les stratèges devaient rendre leurs comptes à la fin de leur stratégie, de même qu’il est logique de supposer que des procès contre les stratèges pouvaient être intentés suite à cette reddition170 soit à toute autre occasion. Ce qui devient pourtant clair est que tous les dirigeants de la vie politique, même des hommes influents auprès du peuple, sont jugés pour toute action contraire à l’intérêt public, et que les Athéniens mettent en place leur droit de contrôler les dirigeants politiques et militaires171. Ce droit s’exprime, d’un côté, au sein de l’ekklèsia, qui a le droit de destituer les stratèges qu’elle a elle-­même élus à main levée, de les remplacer ou même de les juger – s’il s’agit d’une eisangélie – et, d’un autre côté, dans les tribunaux qui, eux aussi, par leur jugement les sanctionnent pour leurs échecs militaires. Les tribunaux sont ainsi vus comme un espace où on peut compléter une décision prise par l’Assemblée ou corriger une décision erronée. C’est sans doute en raison de cette souveraineté du dèmos affirmée dans les tribunaux que ceux-­ci seront contestés par les deux mouvements oligarchiques de 411 et 404.

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Phanomachos (430/29, Thucydide, II. 70. 4), parce qu’il n’y a aucun indice sur le déroulement de procès. Voir Mossé 1974, 211. Cf. Harris 2013a, 313-316, qui constate aussi l’absence de témoignages pour la période précédente. Il admet qu’il y a un changement à partir de la guerre du Péloponnèse et il le lie, en partie, à la présence de Cléon dans la vie politique d’Athènes. Pour une discussion détaillée des questions que la reddition de comptes des stratèges soulève (procédure et moment des euthynai), voir Fröhlich 2000, 81-111. Cf. Roberts 1982a, 175, 181.

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C. De 411 à 404/3 : une période de tension et de rupture172 1.  Le mouvement oligarchique de 411 et le régime des Cinq Mille À la fin du Ve siècle, le sophiste Thrasymaque de Chalcédoine écrivit un discours Peri Politeias, conservé de manière fragmentaire par Denys d’Halicarnasse173. Thrasymaque s’y réfère aux orateurs et à d’autres personnages d’Athènes qui sont en désaccord les uns avec les autres, puisqu’ils pensent tenir chacun des discours opposés, alors qu’en réalité il n’existe pas de différence essentielle entre eux. Selon Thrasymaque, la patrios politeia (« constitution des ancêtres ») est, en premier lieu, objet de dissension, alors qu’elle est facile à connaître174. Même si le reste du discours n’est pas conservé – ce qui aurait pu donner une idée plus claire de ce que Thrasymaque entend par patrios politeia – on peut du moins conclure que depuis les dernières années du Ve siècle la discussion politique à Athènes est orientée vers l’établissement d’un régime, qui, en théorie, renverrait autant que possible à un régime du passé des Athéniens175. Ces discussions trouvent leur première application lors du mouvement oligarchique de 411. L’expédition de Sicile était le résultat des décisions prises par la démocratie et la défaite des Athéniens a été considérée comme le résultat des erreurs du régime démocratique. La déception et la peur que ce malheur a provoquées et l’éventualité d’une évolution négative de la guerre du Péloponnèse au détriment des Athéniens176 ont préparé le terrain pour ce mouvement. Un rôle important a aussi été joué par les propositions, sans succès final, d’Alcibiade en vue de l’établissement d’un régime oligarchique, grâce auquel il obtiendrait l’amitié et les subsides perses de Tissapherne, pour qu’Athènes puisse financer et gagner la guerre177. Le changement du régime fut préparé par les hétairies (cercles d’amis politiques)178. 172

Sur cette période, voir récemment Bearzot 2013. Pour la période pendant laquelle Thrasymaque a vécu, voir Fuks 1971, 102 ; Guthrie 2003, 356. Pour la datation du traité aux alentours du mouvement oligarchique de 411, voir Fuks 1971, 104. Voir aussi Caire 2016, 265 n. 122, qui souligne les difficultés pour proposer une date précise. 174 Thrasymaque, fr. DK 85 B1. Voir à ce sujet, Caire 2016, 265. 175 Cf. Fuks 1971, 104-105 ; McCoy 1975, 140 ; Mossé 1978, 81. 176 Thucydide, VIII. 1. 177 Ibid., VIII. 53. 178 Ibid., VIII. 54. 4 Καὶ ὁ μὲν Πείσανδρος τάς τε ξυνωμοσίας, αἵπερ ἐτύγχανον πρότερον ἐν τῇ πόλει οὖσαι ἐπὶ δίκαις καὶ ἀρχαῖς, ἁπάσας ἐπελθὼν 173

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Les événements qui conduisirent au renversement de la constitution, c’est-­à-dire, l’élection d’une commission chargée de proposer la meilleure administration pour la cité, le rassemblement du peuple à Colonos et les décisions qui furent prises, la diminution du nombre de membres de la Boulè à Quatre Cents et le projet de la création d’un corps de Cinq Mille citoyens sont décrits dans les chapitres 65-70 du VIIIe livre de Thucydide et dans les chapitres XXIX-XXXII de la Constitution d’Athènes d’Aristote, bien que l’on trouve des contradictions entre les deux sources179. Selon Aristote, suite à la proposition de Pythodoros, une commission fut élue pour rédiger la meilleure constitution pour la cité. Ce décret fut accompagné d’un amendement dû à Cleitophon, selon lequel « les commissaires élus auraient aussi à examiner les lois des ancêtres établies par Clisthène quand il institua la démocratie, afin qu’on les prenne en considération et délibère pour le mieux »180. L’amendement de Cleitophon prend tout son sens si l’on considère que son auteur le propose pour revenir à un passé où les problèmes constitutionnels de la démocratie de son époque n’existaient pas, et non pour refonder le régime de Clisthène. Si Cleitophon utilise le terme « démocratie », il le fait dans le cadre de la propagande du programme oligarchique au sujet de la patrios politeia, qui essaie de « déconstruire la démocratie pour en faire une création que l’on pouvait varier à son gré »181. En effet, le retour au passé impliquait la suppression des réformes du Ve  siècle, qui avaient contribué au renforcement de la participation des thètes à l’administration de la cité, καὶ παρακελευσάμενος ὅπως ξυστραφέντες καὶ κοινῇ βουλευσάμενοι καταλύσουσι τὸν δῆμον : « Et faisant le tour des sociétés secrètes qu’il y avait déjà auparavant dans la cité en vue des procès et des magistratures, Pisandre les exhorta à faire bloc et à se concerter pour renverser la démocratie. » (trad. R. Weil). Voir Gomme – Andrewes – Dover 1981, 128-131 ; Jones 1999, 223-227 ; Rhodes 2000, 471 ; Hornblower 2008, 916-920. 179 Pour la suite d’événements et les contradictions entre les textes de Thucydide et d’Aristote, voir, à titre indicatif, Rhodes 1981, 362-409 ; Ostwald 1986, 344-395 ; Kagan 1987, 106-186 ; Will 19914, 367-377, 377-378 note additionnelle ; Andrewes 1992, 474-479 ; Ruzé 1997, 475-489. 180 Aristote, Constitution d’Athènes,  XXIX. 3. Aristote attribue à l’amendement de Cleitophon la motivation que « le régime de Clisthène n’était pas démocratique, mais plutôt proche de celui de Solon  ». Lorsqu’Aristote ajoute que ce retour au passé constitutionnel d’Athènes équivalait au retour au régime de Solon, il s’agit de son commentaire sur les motivations de Cleitophon, ainsi qu’un commentaire sur l’association entre Solon et Clisthène. L’amendement de Cleitophon est très débattu. Voir sur ce point, Camassa 2011, 50-51 et n. 36. 181 Voir Camassa 2011, 50. Cf. Fuks 1971, 1-25 ; Mossé 1978, 83-84 ; Touloumakos 1979, 179 n. 90 ; Ruzé 1997, 478 et n. 23.

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et, au nom de la démocratie, voulait réserver le pouvoir à un groupe restreint du corps civique. Quel était le rôle qui était réservé aux tribunaux populaires par ce programme oligarchique ? Dans un passage de Thucydide on lit que, même avant l’assemblée à Colonos, « s’il y avait par hasard quelqu’un qui s’opposait au nouvel ordre, il se trouvait immédiatement supprimé par quelque méthode appropriée, sans qu’il y eût ni enquête sur les coupables ni poursuite s’ils étaient soupçonnés »182. Cette phrase fait penser à une réalité, où le fonctionnement constitutionnel des tribunaux fut paralysé par le régime de terreur que les conjurés firent régner. La même phrase indique également la nécessité de mettre la justice sous le contrôle de ceux qui conspirèrent contre le régime traditionnel. Le contrôle des tribunaux ou même la suppression de leur fonctionnement fut un facteur essentiel pour garantir le renversement politique, notamment dans le cas de la tentative du renversement du régime démocratique d’Athènes, où les tribunaux populaires étaient composés par l’ensemble du peuple athénien. Dans l’Assemblée à Colonos, le pouvoir des tribunaux populaires fut directement mis en cause. On décida de supprimer les deux procédures principales de la protection du régime, l’action en illégalité et l’eisangélie, et d’abroger également la citation en justice, ce qui permettait à tout Athénien qui le voulait de donner son avis sur les questions posées. Si quelqu’un cherchait à frapper d’une amende ou à citer en justice ou à présenter devant le tribunal l’auteur d’une motion, il serait puni de mort par les Onze, sans avoir le droit de présenter l’affaire devant le tribunal. On vota aussi de supprimer toutes les indemnités de fonction, sauf celle des neuf archontes et des prytanes, ce qui suggère qu’on vota l’abrogation du misthos des juges183. Pour le reste des dispositions, on décida de confier 182

Thucydide, VIII. 66. 2. Ibid., VIII. 67. 2-3 ἢν δέ τις τὸν εἰπόντα ἢ γράψηται παρανόμων ἢ ἄλλῳ τῳ τρόπῳ βλάψῃ, μεγάλας ζημίας ἐπέθεσαν. Ἐνταῦθα δὴ λαμπρῶς ἐλέγετο ἤδη μήτε ἀρχὴν ἄρχειν μηδεμίαν ἔτι ἐκ τοῦ αὐτοῦ κόσμου μήτε μισθοφορεῖν : «  Quiconque accuserait d’illégalité ou léserait autrement l’auteur d’un avis, de fortes peines étaient instituées. Dès lors il n’y eut plus de mystère ; on proposa de mettre fin aux pouvoirs de tous les magistrats de l’ordre existant, de supprimer les indemnités. » (trad. R. Weil) ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX. 4-5 Οἱ δ᾽ αἱρεθέντες πρῶτον μὲν ἔγραψαν ἐπάναγκες εἶναι τοὺς πρυτάνεις ἅπαντα τὰ λεγόμενα περὶ τῆς σωτηρίας ἐπιψηφίζειν, ἔπειτα τὰς τῶν παρανόμων γραφὰς καὶ τὰς εἰσαγγελίας καὶ τὰς προσκλήσεις ἀνεῖλον, ὅπως ἂν οἱ ἐθέλοντες Ἀθηναίων συμβουλεύωσι περὶ τῶν προκειμένων· ἐὰν δέ τις τούτων χάριν ἢ ζημιοῖ ἢ προσκαλῆται ἢ εἰσάγῃ εἰς δικαστήριον, ἔνδειξιν αὐτοῦ εἶναι καὶ ἀπαγωγὴν πρὸς τοὺς στρατηγούς, τοὺς δὲ στρατηγοὺς παραδοῦναι τοῖς ἕνδεκα θανάτῳ ζημιῶσαι […] τὰς δ᾽ ἀρχὰς ἀμίσθους

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le pouvoir politique à Cinq Mille citoyens184, les plus capables de servir en personne et par leur fortune, et de rédiger deux projets constitutionnels, l’un pour l’immédiat et l’autre pour l’avenir185. Dans le régime présent, le pouvoir serait exercé par un nouveau Conseil, composé de quatre cents membres186. À l’avenir, le pouvoir serait confié à nouveau à la Boulè, qui serait désormais constituée par les Cinq Mille citoyens, répartis en quatre conseils, dont celui qui serait tiré au sort constituerait le conseil de l’année187. Ni chez Thucydide ni chez Aristote on ne trouve davantage d’informations en ce qui concerne l’existence, le fonctionnement ou la composition des tribunaux héliastiques. À considérer le silence des sources, on pourrait penser que les oligarques n’abolirent pas l’institution des tribunaux, du moins, en théorie188. Pourtant, si on prend en considération la suppression de l’indemnité judiciaire, de l’action en illégalité, de l’eisangélie et de la citation en justice, il est logique de suggérer qu’en réalité, le fonctionnement des tribunaux, tel qu’on le connaît dans les années antérieures, fut interrompu et que le pouvoir politique qu’ils avaient acquis grâce à l’indemnité et à ces procédures judiciaires fut éliminé. Thucydide écrit, d’ailleurs, que les peines n’étaient pas imposées suite à une procédure judiciaire organisée, mais suite ἄρχειν ἁπάσας ἕως ἂν ὁ πόλεμος ᾖ, πλὴν τῶν ἐννέα καὶ τῶν πρυτάνεων οἳ ἂν ὦσιν· τούτους δὲ φέρειν τρεῖς ὀβολοὺς ἕκαστον τῆς ἡμέρας. : « Les commissaires, une fois élus, proposèrent tout d’abord que les prytanes fussent tenus de mettre aux voix tout ce que l’on proposerait pour le salut de la cité ; puis ils supprimèrent les accusations d’illégalité, les dénonciations et les citations en justice, pour permettre à tout Athénien qui le voudrait de donner son avis sur les questions posées ; si quelqu’un cherchait à frapper d’une amende l’auteur d’une motion de ce genre, à le citer en justice ou à le présenter devant un tribunal, il serait poursuivi par voie d’endeixis et d’apagôgè devant les stratèges ; et ceux-­ci le remettraient aux Onze pour qu’il fût puni de mort […]. Pour la durée de la guerre on remplira toutes les fonctions sans recevoir d’indemnité ; exception faite pour les neuf archontes et pour les prytanes en fonctions qui toucheront chacun trois oboles par jour. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée). 184 Il y a désaccord si les Cinq Mille ont été enregistrés et constitués avant la chute des Quatre Cents. À titre indicatif, voir Gomme – Andrewes – Dover 1981, 169, 183 ; Rhodes 1981, 385-386 ; Harris 1990, 259-267 ; Raaflaub 2006b, 215. Que leur liste fut très probablement dressée pendant les Quatre Cents peut être confirmé par le plaidoyer de Lysias, Pour Polystratos, 13-14. Mais, il est douteux que les Cinq Mille puissent fonctionner avant. 185 Thucydide, VIII. 67. 3 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX. 5, XXX. 1. 186 Aristote, Constitution d’Athènes, XXXI. 1. Cf. Ruzé 1997, 483-487. 187 Aristote, Constitution d’Athènes, XXX. 2-3. Cf. Ruzé 1993, 198-199 ; ead. 1997, 487-489. 188 Cf. Fuks 1971, 23 ; Bearzot – Loddo 2015, 125.

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à une autorité brutale exercée par les oligarques189. Au vu de ces éléments, la survivance théorique des tribunaux plutôt que leur fonctionnement dans les faits est compatible avec la propagande du mouvement, étant donné que la participation des thètes à l’exercice de la justice n’est pas conforme à un régime oligarchique. Au contraire, pour les Athéniens démocrates qui se trouvaient avec la flotte à Samos, la nouvelle réalité constitutionnelle équivalait à l’abolition des lois ancestrales par les oligarques. Ils déclarèrent qu’eux-­mêmes les sauvegardaient et qu’ils tenteraient de forcer les autres à y revenir190. Dans ce cadre, le terme patrios a un sens différent de celui que les oligarques lui accordent. Les démocrates caractérisaient comme ancestrales les lois établies pendant la démocratie du Ve siècle. La suppression des procédures judiciaires et du fonctionnement des tribunaux était de toute évidence pour les démocrates synonyme de la suppression de la démocratie, puisque les tribunaux de l’Héliée étaient une institution proprement démocratique. Le régime de Clisthène constituait pour eux un terminus post quem et non un terminus ante quem, comme c’était le cas des oligarques191. Le régime des Quatre Cents resta au pouvoir presque quatre mois192. L’Assemblée réunie sur la Pnyx vota alors la remise du pouvoir au corps des Cinq Mille, qui était constitué par « ceux qui pourraient se procurer eux-­mêmes leurs armes ». Il était dès lors constitué par des hoplites193. Thucydide,  VIII. 70. 2 καὶ ἄνδρας τέ τινας ἀπέκτειναν οὐ πολλούς, οἳ ἐδόκουν ἐπιτήδειοι εἶναι ὑπεξαιρεθῆναι, καὶ ἄλλους ἔδησαν, τοὺς δὲ καὶ μετεστήσαντο· : « Et, notamment, ils exécutèrent un petit nombre de citoyens qui leur paraissaient des gens à éliminer ; ils en emprisonnèrent d’autres, et il y en eut aussi qu’ils éloignèrent. » (trad. R. Weil). 190 Thucydide, VIII. 76. 6. 191 Cf. Fuks 1971, 33-34 ; Birgalias 2007a, 119-120 n. 22. 192 Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIII. 1. Pour la datation, voir Gomme – Andrewes – Dover 1981, 184-212. Pour les événements de cette période, voir Thucydide, VIII. 72-77, 81-82, 89-90, 95 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIII. 1. Cf. Kagan 1987, 187-210. 193 Thucydide,  VIII. 97. 1-2 καὶ τοὺς τετρακοσίους καταπαύσαντες τοῖς πεντακισχιλίοις ἐψηφίσαντο τὰ πράγματα παραδοῦναι (εἶναι δὲ αὐτῶν ὁπόσοι καὶ ὅπλα παρέχονται) καὶ μισθὸν μηδένα φέρειν μηδεμιᾷ ἀρχῇ· εἰ δὲ μή, ἐπάρατον ἐποιήσαντο. Ἐγίγνοντο δὲ καὶ ἄλλαι ὕστερον πυκναὶ ἐκκλησίαι, ἀφ᾽ ὧν καὶ νομοθέτας καὶ τἆλλα ἐψηφίσαντο ἐς τὴν πολιτείαν. Καὶ οὐχ ἥκιστα δὴ τὸν πρῶτον χρόνον ἐπί γε ἐμοῦ Ἀθηναῖοι φαίνονται εὖ πολιτεύσαντες· μετρία γὰρ ἥ τε ἐς τοὺς ὀλίγους καὶ τοὺς πολλοὺς ξύγκρασις ἐγένετο καὶ ἐκ πονηρῶν τῶν πραγμάτων γενομένων τοῦτο πρῶτον ἀνήνεγκε τὴν πόλιν.  : «  Ils mirent fin au régime des Quatre Cents et votèrent de confier le pouvoir aux Cinq Mille (en feraient partie tous ceux qui pouvaient s’armer en hoplites) ; en même temps, ils interdirent toute indemnité pour fonction publique 189

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Le caractère de ce nouveau régime a soulevé des questions parmi les historiens, et les passages de Thucydide et d’Aristote ont reçu deux interprétations différentes à propos de la remise des affaires politiques aux Cinq Mille. Selon la première interprétation, dans ce régime intermédiaire, tous les citoyens avaient le droit de participer à l’Assemblée et aux tribunaux, mais seuls les Cinq Mille avaient accès aux magistratures (τὰ πράγματα παραδοῦναι). Sous cet angle, le nouveau régime était, essentiellement, démocratique194 ou du moins un régime d’isonomie. Selon la deuxième interprétation, tous les droits politiques, y compris l’Assemblée, les tribunaux et les magistratures, étaient réservés aux Cinq Mille195. En d’autres termes, ces passages et leur interprétation posent la question du fonctionnement et de la composition des tribunaux pendant ce régime intermédiaire. Pour ce qui est de la première question, une série de procès196 qui suivirent l’abolition des Quatre Cents et qui furent intentés contre ceux qui avaient participé au régime des Quatre Cents atteste le fonctionnement de la justice197, mais on ignore quelle institution jugea les coupables. Première attestation : Phrynichos fut accusé de trahison après sa mort (n° 28)198. Il avait été assassiné par Apollodoros et Thrasyboulos au cours sous peine de malédiction. L’Assemblée tint encore par la suite des réunions fréquentes, qui votèrent la désignation de nomothètes et diverses mesures politiques. Et c’est alors, que pour la première fois, de mon temps du moins, Athènes eut, à ce qu’il apparaît, un gouvernement tout à fait bon ; il s’était établi en effet un équilibre raisonnable entre le petit nombre d’hommes qui détient le pouvoir et la masse, ce qui fut le premier facteur qui contribua à tirer la cité d’une situation devenue mauvaise. » (trad. R. Weil, légèrement modifiée) ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIII. 1 κατέλυσαν τοὺς τετρακοσίους, καὶ τὰ πράγματα παρέδωκαν τοῖς πεντακισχιλίοις τοῖς ἐκ τῶν ὅπλων, ψηφισάμενοι μηδεμίαν ἀρχὴν εἶναι μισθοφόρον : « Ils supprimèrent les Quatre Cents et remirent le pouvoir aux Cinq Mille pris parmi les hoplites, en décidant qu’aucun magistrat ne recevrait d’indemnité. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier). 194 Voir Ste Croix 1956, 1-23 ; Ruzé 1997, 493-494. 195 Voir Rhodes 1972b, 122-126 ; Vlastos 1973, 186-187 n. 87 ; Gomme – Andrewes – Dover 1981, 323-328 ; Kagan 1987, 203 ; Hornblower 2008, 1032, 1034-1035 ; Caire 2016, 116 et n. 77. 196 Pour un résumé de ces procès, voir aussi Jameson 1971, 550-558. 197 Cf. Ferguson 1932, 358. 198 Lycurgue, Contre Léocrate, 112-114 καὶ τούτων ληφθέντων καὶ εἰς τὸ δεσμωτήριον ἀποτεθέντων ὑπὸ τῶν τοῦ Φρυνίχου φίλων, αἰσθόμενος ὁ δῆμος τὸ γεγονὸς τούς τε εἱρχθέντας ἐξήγαγε, καὶ βασάνων γενομένων τὸ πρᾶγμα ἀνέκρινε, καὶ ζητῶν εὗρε τὸν μὲν Φρύνιχον προδιδόντα τὴν πόλιν, τοὺς δ’ ἀποκτείναντας αὐτὸν ἀδίκως εἱρχθέντας· καὶ ψηφίζεται ὁ δῆμος Κριτίου εἰπόντος, τὸν μὲν νεκρὸν κρίνειν προδοσίας, κἂν δόξῃ προδότης ὢν

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des derniers jours du régime des Quatre Cents, après son retour de Sparte, où il avait été envoyé en tant qu’ambassadeur199. Les assassins furent emprisonnés jusqu’au déroulement par le peuple d’une instruction qui considéra Phrynichos coupable de trahison et les assassins emprisonnés sans raison200. Le peuple vota, par la suite, de déférer Phrynichos devant […]. Ἐψηφίσαντο δὲ καὶ ἐὰν ἀπολογῶνταί τινες ὑπὲρ τοῦ τετελευτηκότος, ἐὰν ἁλῷ ὁ τεθνηκώς, ἐνόχους εἶναι καὶ τούτους τοῖς αὐτοῖς ἐπιτιμίοις· […]. Τοιγαροῦν οὕτω μισοῦντες τοὺς ἀδικοῦντας […]. : « Ceux-­ci furent arrêtés et jetés en prison par les amis de Phrynichos. Mais le peuple, informé de l’incident, relâcha ceux qui avaient été incarcérés et ordonna une instruction au moyen de la torture : l’enquête révéla que Phrynichos avait trahi et que ses meurtriers avaient été injustement emprisonnés. Sur la proposition de Critias, le peuple décréta que le mort serait inculpé du chef de trahison et que si, le crime démontré, […]. Le mort avait-­il trouvé des défenseurs ? Au cas où il serait reconnu coupable, le décret les déclarait passibles des mêmes pénalités […]. Ainsi, par cette haine des criminels […]. » (trad. F. Durrbach). 199 Thucydide, VIII. 92. 2 ; Lysias, Contre Agoratos, 71. Sur la date du procès, voir Jameson 1971, 552 n. 34. 200 Un décret honorifique en faveur des assassins de Phrynichos a été voté en 410/9 : IG I3, 102. Pour un commentaire, voir ML, 262-263, n° 85 ; Brun 2005, 174, n° 92 ; Grigoriadou 2007, 104-105. Il est très fragmentaire et ses restitutions soulèvent des débats. Voir Scafuro 2009, 52-63. Deux amendements ont été ajoutés au décret, dont le deuxième livre des renseignements sur une procédure judiciaire (n° 32). Selon l’amendement d’Eudicos, il y a eu une tentative de corruption lors du décret en l’honneur d’Apollodoros, qui a conduit à des mesures contre les coupables : l. 38-47 Εὔδικος εἶπε· τὰ μὲν| [ἄλλα καθάπερ Διοκλε͂ ς· περὶ] δὲ το͂ ν δοροδοκεσ|[άντον ἐπὶ το͂ ι φσεφίσματι], ὃ ἐφσεφ[ί]σθε Ἀπολλ|[οδόροι, τὲν βολὲν βολεῦσ]αι ἐν τε͂ ι πρότει hέδ|[ραι ἐν το͂ ι βολευτερί]οι, καὶ κολάζεν, το͂ ν [δ]ορο|[δοκεσάντον καταφσ]εφιζομένεν καὶ ἐς δικασ|[τέριον παραδιδο͂ σα]ν, καθότι ἂν δοκε͂ ι αὐτε͂ [ι]· τ|[ὸς δὲ βολευτὰς τὸς] παρόντας ἀποφαίνεν hά[ττ’| ἂν εἰδο͂ σιν, καὶ ἐάν] τις ἄλλο εἰδε͂ ι περὶ τ[ού|τον· ἐχσε͂ ναι δὲ καὶ] ἰδιότει, ἐάν τις βόλετα[ι v]. Selon la restitution proposée, on lirait les clauses suivantes : « Eudicos a proposé. Que pour tout le reste, il soit fait selon le décret proposé par Dioclès. Qu’au sujet de ceux qui ont usé de corruption dans le décret voté en faveur d’Apollodoros, le Conseil délibère lors de la prochaine session dans le Bouleutèrion et les punisse, en votant contre les corrupteurs, et les renvoie devant le tribunal, comme il lui semblera bon. Que les conseillers présents fassent connaître ce qu’ils savent, et que quiconque fasse connaître ce qu’il sait là-­dessus ; qu’il soit également permis à tout particulier de le faire, s’il le désire. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). L’amendement montre clairement qu’on prévoit la composition d’un tribunal qui jugera les accusés de corruption. Ce qui pose difficulté, c’est l’interprétation de la procédure qu’on suivra avant que l’affaire n’arrive au tribunal, si on considère que cette interprétation repose sur des restitutions plausibles (je trouve très convaincante la proposition de Scafuro 2009, 54-56, suivant Velsen, de restituer l’expression αὐτὸς ἐσάγεν au lieu de παραδιδο͂ σαν). Sur les deux interprétations différentes, qui me semblent les plus plausibles, voir Hansen 1975, 115-116 (l’amendement peut faire référence au pouvoir limité de la Boulè d’imposer des peines qui dépassaient ses compétences et au transfert, dans ce cas, de l’affaire

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la justice (κρίνειν προδοσίας) sous l’accusation de trahison et, dans le cas où il serait condamné, de lui imposer les peines appropriées pour les traîtres et, parallèlement, de condamner à mort toute personne qui le défendrait. En dépit de l’usage que Lycurgue fait de ce souvenir, on se trouve devant un événement tout à fait hors norme : non seulement l’accusé est mort – la procédure ne peut porter que sur les conséquences post mortem de la condamnation – mais il est presque interdit à quiconque d’essayer de défendre sa mémoire ! Comme il n’y a pas dû y avoir de défense, on n’est très probablement pas dans une procédure judiciaire, mais devant l’Assemblée du peuple. Dans le cas contraire, sans accusé, sans défenseur, il ne peut s’agir que d’une parodie de procès201. Deuxième attestation : Le décret d’Andron, daté de l’archontat de Théopompos (411/0), est cité via Caecilius par le Pseudo-­Plutarque. Les commentateurs du décret ont signalé les irrégularités qu’il présente dans son intitulé, sans, pour autant, contester son authenticité202. Le décret stipule qu’Archéptolémos, Onomaclès et Antiphon, qui ont été envoyés comme ambassadeurs à Sparte, qui ont navigué sur un navire ennemi et se sont rentrés par Décélie, seront arrêtés et remis au tribunal pour être jugés (n° 29). Les stratèges, dix membres de la Boulè au plus et toute personne qui le désire seront les accusateurs. Les thesmothètes seront les magistrats compétents pour présenter l’affaire au tribunal, sous l’accusation de trahison203. Antiphon écrivit pour sa défense le discours au tribunal) ; Scafuro 2009, 52-63, 66 (l’amendement décrit une procédure bien définie, selon laquelle des conseillers se porteront accusateurs devant le tribunal, en proposant la peine). Je signale, sans la suivre, l’hypothèse de Valeton, qui est suivie par de Bruyn 1995, 106-108, selon laquelle l’amendement d’Eudicos renvoie à une procédure judiciaire qui se déroulerait d’abord devant le Conseil de l’Aréopage et qui prouve que la procédure de l’apophasis, attestée dans les sources du IVe siècle, existait déjà à la fin du Ve siècle. La restitution n’est cependant pas assurée. 201 La procédure qui est décrite par Lycurgue a été caractérisée comme eisangélie portée d’abord devant l’Assemblée. Voir Hansen 1975, 82-83. 202 Voir Rhodes 1972a, 29 n. 7 ; Gomme – Andrewes – Dover 1981, 197 ; Ruzé 1997, 505-506. Pour une analyse approfondie du décret d’Andron, voir Ferguson 1932, 349-366. 203 [Plutarque], Œuvres Morales, 833d-834b  : 833e-­ f περὶ τῶν ἀνδρῶν, οὓς ἀποφαίνουσιν οἱ στρατηγοὶ πρεσβευομένους εἰς Λακεδαίμονα ἐπὶ κακῷ τῆς πόλεως τῆς Ἀθηναίων καὶ [ἐκ] τοῦ στρατοπέδου πλεῖν ἐπὶ πολεμίας νεὼς καὶ πεζεῦσαι διὰ Δεκελείας, Ἀρχεπτόλεμον καὶ Ὀνομακλέα καὶ Ἀντιφῶντα συλλαβεῖν καὶ ἀποδοῦναι εἰς τὸ δικαστήριον, ὅπως δῶσι δίκην· παρασχόντων δ’αὐτοὺς οἱ στρατηγοί, καὶ ἐκ τῆς βουλῆς οὕστινας ἂν δοκῇ τοῖς στρατηγοῖς προσελομένοις μέχρι δέκα, ὅπως ἂν περὶ παρόντων γένηται ἡ κρίσις. Προσκαλεσάσθωσαν δ’ αὐτοὺς οἱ θεσμοθέται ἐν τῇ αὔριον ἡμέρᾳ καὶ εἰσαγόντων, ἐπειδὰν αἱ κλήσεις ἐξήκωσιν, εἰς τὸ δικαστήριον,

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Peri tès metastaseôs dont on a conservé une petite partie. Conformément à la décision du tribunal, Antiphon et Archéptolémos furent livrés aux Onze et condamnés à mort, leurs biens furent confisqués et la dîme fut consacrée à la déesse, leur domicile fut démoli, tandis qu’eux-­mêmes furent interdits d’être enterrés à Athènes et leurs parents et leurs descendants furent privés de leurs droits politiques204. Onomaclès s’était enfui d’Athènes avant le procès205. Même si le décret atteste une réorganisation du système judiciaire206 – on trouve des références aux thesmothètes, à des accusateurs précis, au tribunal et à une procédure bien organisée –, il est très difficile de tirer quoi que ce soit de ce texte : la procédure n’est pas définie207 et le rôle des dix membres de la Boulè, qui semble participer de manière active au procès208, soulève des questions, si qui veut peut se porter accusateur. Bien évidemment, le procès respecte les formes et Antiphon a pu se défendre, mais le procès ressemblait probablement à la parodie de procès de Phrynichos. Rien, dans le texte de Plutarque, ne s’oppose à une telle interprétation. Troisième attestation : d’autres collaborateurs du régime furent soumis à un procès209. Parmi eux, on connaît le cas de Polystratos (n° 30) par son περὶ προδοσίας· κατηγορεῖν τοὺς ᾑρημένους συνηγόρους καὶ τοὺς στρατηγοὺς καὶ ἄλλους, ἄν τις βούληται· ὅτου δ’ ἂν καταψηφίσηται τὸ δικαστήριον, περὶ αὐτοῦ ποιεῖν κατὰ τὸν νόμον ὃς κεῖται περὶ τῶν προδοτῶν.  : «  Les individus que les stratèges dénoncent comme ayant été en ambassade à Lacédémone pour nuire à la cité d’Athènes et à l’armée, qui ont navigué sur un vaisseau ennemi et cheminé par voie de terre en passant par Décélie, à savoir Archéptolémos, Onomaclès et Antiphon, seront arrêtés et traduits en justice pour subir leur châtiment. Les stratèges et les membres du Conseil que les stratèges choisiront et s’adjoindront jusqu’à concurrence de dix, les déféreront à la justice afin qu’ils soient présents au jugement. Les thesmothètes les citeront demain à comparaître et, le délai écoulé, ils les traduiront devant le tribunal sous l’inculpation de trahison. L’accusation sera soutenue par les synégores élus à cette fin, les stratèges et toute autre personne qui le désirera. Celui qu’aura condamné le tribunal sera puni conformément à la loi portée contre les traîtres. » (trad. M. Cuvigny – G. Lachenaud, légèrement modifiée). 204 [Plutarque], Œuvres Morales, 834a-b. 205 Ibid., 834a. 206 Cf. Gomme – Andrewes – Dover 1981, 197-198. 207 D’après Jameson 1971, 557-558 ; Hansen 1975, 113-115, elle pourrait correspondre à celle de l’eisangélie qui est portée d’abord devant la Boulè et par la suite devant le tribunal. 208 Ruzé 1997, 506-507, a raison de penser que le choix des accusateurs parmi la Boulè ne signifie pas un renforcement institutionnel des pouvoirs du Conseil ; il est plutôt dû à la circonstance politique. 209 Lysias, Pour Polystratos, 14 τῶν δ’ εἰπόντων ὑμῖν τἀναντία καὶ διὰ τέλους ἐν τῷ βουλευτηρίῳ ὄντων πολλοὶ ἀποπεφεύγασι : « Alors qu’un si grand nombre de

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plaidoyer prononcé devant le tribunal, mais à l’occasion d’un deuxième procès intenté contre lui après la restauration de la démocratie en 410. Polystratos avait été chargé de dresser la liste des Cinq Mille (katalogeus210) sous les Quatre Cents et était, également, devenu membre de la Boulè pour huit jours, avant de quitter Athènes pour participer aux opérations militaires en Eubée. Pendant le premier procès il fut frappé d’une lourde amende211. L’accusation exacte n’est pas mentionnée, mais on trouve quelques allusions dans le discours à propos de son service en Eubée, où ce n’était pas pour la démocratie qu’il devait travailler212. Quant à la deuxième question, celle de la composition des tribunaux, si on se fonde sur les deux opinions exprimées sur le caractère du régime des Cinq Mille, on peut penser soit à une composition des tribunaux par tous, soit à une composition par les trois premières classes censitaires. Dans les deux cas, les juges jugent sans recevoir de misthos. Ces deux options posent les problèmes suivants. Dans le premier cas, la question est de savoir si les thètes pouvaient, en effet, participer aux tribunaux, vu la suppression de leur indemnité213 et la situation intermédiaire et compliquée qui s’étendit entre une oligarchie et un régime qui remit « les affaires politiques » aux Cinq Mille. D’ailleurs, on sait que la majorité des thètes se trouvait à Samos, où ils servaient dans la flotte, ce qui soulève davantage de doutes quant à leur participation nombreuse aux tribunaux214. Il n’est pas non plus sûr que le fait que Polystratos ne discrédite pas l’issue de son premier procès dans son plaidoyer puisse prouver qu’il avait été jugé devant un tribunal composé de tous les citoyens215. Si l’on soutient que les tribunaux étaient composés par les trois premières classes, il est difficile d’estimer la composition arithmétique du corps judiciaire en s’appuyant sur celle du corps politique pour les raisons suivantes. Les textes d’où l’on peut tirer des informations sur le régime, à savoir les plaidoyers et les récits de Thucydide et d’Aristote, diffèrent au sujet du nombre de citoyens. Selon Thucydide, le corps politique était de cinq ceux qui avaient fait des propositions contraires à la démocratie et qui, jusqu’à la fin, avaient appartenu au Conseil ont été acquittés. » (trad. L. Gernet – M. Bizos). 210 Pour ces hommes chargés de dresser la liste des Cinq Mille, voir Lysias, Pour Polystratos, 13-14 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX. 5. Cf. Rhodes 1972a, 384-385. 211 Lysias, Pour Polystratos, 14. 212 Ibid., 6, 14, 17. Cf. Gernet – Bizos 1926, 56-57 et n. 3 ; Gomme – Andrewes – Dover 1981, 203. 213 Cf. Ste Croix 1956, 13. 214 Cf. Harris 1990, 269. 215 C’est une hypothèse soutenue par Ste Croix 1956, 13.

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mille au maximum216, tandis que pour Aristote le chiffre de cinq mille était un minimum217. Il s’agit d’un effectif qui doit avoir privé un grand nombre d’hoplites de leurs droits politiques, si l’on s’appuie sur le témoignage de Polystratos disant qu’il a dressé une liste de neuf mille hoplites, plus que ceux que le régime avait décrétés218, et si l’on s’appuie sur Thucydide et Aristote, qui font des Cinq Mille seulement les hoplites aptes à servir en personne219. L’historien moderne manque d’informations plus précises sur les critères de la composition du corps des Cinq Mille. Par conséquent, étant donné cette contradiction (plutôt rhétorique)220 dans les chiffres et la difficulté que l’on a à les faire coïncider, il est possible de suggérer les deux points suivants : les tribunaux furent composés par ceux qui appartenaient aux trois premières classes censitaires et qui ne recevaient pas de misthos221. À la lumière de ces considérations, il apparaît, en premier lieu, que les tribunaux du régime des Cinq Mille ne peuvent pas être identifiés aux tribunaux de la démocratie du milieu du Ve siècle, en raison de l’absence de l’indemnité judiciaire et des irrégularités de la situation politique de cette époque. En second lieu, les passages de Thucydide et d’Aristote222 et la défense du régime de 411 développée par Théramène devant la Boulè de l’année 404 et faite en des termes propres à désigner le régime des hoplites223 plaident en faveur de la prépondérance des trois premières classes dans la vie politique224. On ne peut pas donc écarter la possibilité que les hoplites soient la base politique du régime des Cinq Mille, qui composent l’Assemblée et les tribunaux225. 216

Thucydide, VIII. 65. 3. Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX. 5. 218 Lysias, Pour Polystratos, 13. 219 Thucydide, VIII. 65. 3 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXIX. 5. Cf. Ruzé 1993, 194 n. 24. 220 Sur l’ambiguïté du nombre de Cinq Mille, voir Caire 2016, 111-116. 221 Cf. Fuks 1971, 23 ; Loomis 1998, 20. 222 Voir supra, ainsi qu’Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIII. 2 καὶ ἐκ τῶν ὅπλων τῆς πολιτείας οὔσης : « et que le pouvoir politique appartenait aux hoplites » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier). 223 Xénophon, Helléniques,  II. 3. 48. Voir aussi Aristote, Politique, 1265b 27-29, 1297b 1-3. 224 Il vaut la peine de souligner que même ce régime des Cinq Mille tente de restreindre le nombre de citoyens et le droit de vote au groupe des hoplites. La constitution du corps des Cinq Mille et l’établissement de ce régime intermédiaire entre l’oligarchie des Quatre Cents et la démocratie suivante doit avoir un effet important sur la théorie politique au sujet du régime mixte et de la patrios politeia. Cf. Lintott 2000, 165. 225 Ce régime a été caractérisé par Thucydide comme μετρία ἐς τοὺς ὀλίγους καὶ τοὺς πολλοὺς ξύγκρασις. Le mélange était peut-­être dû, d’une part, à la fixation 217

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À titre de conclusion, il convient de remarquer que l’Héliée de ce régime intermédiaire diffère de l’Héliée des années précédentes du point de vue de sa composition226 et de par la suppression du misthos des juges ; en effet, nous ne pouvons pas parler d’une « Héliée », puisqu’on a changé ses deux éléments de base. Pour ce qui concerne les procès, quand on peut dégager des renseignements sur le lieu de leur déroulement, il convient de parler d’un transfert des conflits politiques à l’espace des tribunaux. Ces procès furent lancés par les promoteurs du nouveau régime des Cinq Mille227. On peut supposer que cette initiative avait des motivations surtout politiques. D’une part, la remise en fonction des tribunaux, même si elle n’est pas celle qu’on connaît pour la démocratie, visait à faire de la propagande en faveur de la reconstitution des institutions de la démocratie et du rétablissement de l’ordre dans la cité. D’autre part, la condamnation des coupables, après l’abolition des Quatre Cents, visait à une punition exemplaire et renforçait la consolidation du nouveau régime qui, ainsi, déclarait qu’il ne répéterait pas les erreurs du précédent. Théramène et ses collaborateurs exploitèrent la volonté des citoyens de condamner ceux qui avaient aboli la démocratie. Il est intéressant de souligner que la plupart des accusations qui furent portées contre les coupables ne mentionnent pas explicitement une tentative d’abolition de la démocratie ou une participation au régime des Quatre Cents. Le catalogue cité montre que les accusations portent sur des actions spécifiques pendant l’oligarchie (on s’attaqua surtout à ceux qui pouvaient être soupçonnés de collusion avec Sparte), puisque les accusateurs avaient eux-­mêmes participé au régime des Quatre Cents228. Les tribunaux devinrent, ainsi, un des moyens par lesquels le régime intermédiaire soutint son programme politique. Se posent alors deux questions : l’une est de savoir quand le tribunal populaire reprit son pouvoir ; l’autre, quel type d’affaires il jugea après son rétablissement. D’un côté, le régime des Cinq Mille n’est pas resté longtemps au pouvoir. Après les victoires des Athéniens à Kynos Sèma229, du revenu comme critère principal pour l’accès à l’identité politique et, d’autre part, à l’établissement de l’Assemblée des Cinq Mille comme l’organe souverain dans la vie politique (cf. Rhodes 1972b, 122-123 ; Touloumakos 1979, 88 n. 36 ; Caire 2016, 328). Les cinq mille, choisis en fonction de leur revenu et leur compétence militaire, ne sont plus que trois mille en 404. Voir Caire 2016, 122-124. Pour le rapport entre le revenu et l’identité politique dans les régimes oligarchiques, voir Ostwald 2000. 226 Cf. Bearzot – Loddo 2015, 125-126. 227 Lysias, Contre Ératosthène, 67 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIII. 2. 228 Cf. Ferguson 1932, 360-363 ; Roberts 1982a, 110-111. 229 Thucydide, VIII. 99-106.

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à Abydos230 et à Cyzique231, la démocratie athénienne fut rétablie à l’été de 410232. Aucune source ne cite le rétablissement de la démocratie, qui est attestée plutôt de façon indirecte chez les orateurs et par les inscriptions233. Il est logique d’attribuer à ce retour le rétablissement corollaire des tribunaux populaires et de penser que le misthos des juges, dont il est question dans les Grenouilles d’Aristophane (405)234, fut rétabli bien avant 405. D’un autre côté, conformément aux sources littéraires et aux décrets de la période, le fonctionnement des tribunaux et les procès sont orientés au début surtout vers la punition de ceux qui ont participé au renversement de la démocratie en 411. On peut tirer, d’abord, des renseignements du plaidoyer de Lysias, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie (daté des environs de 400). Le client de Lysias révèle que plusieurs procès ont eu lieu pendant la période qui suivit l’abolition des Quatre Cents. Il n’atteste pas, pourtant, une période de sérénité, mais remarque que certains ont exploité les malheurs de la cité pour lancer des procès injustes ou régler des comptes. « À leur instigation, on a condamné à mort sans jugement plusieurs citoyens ; beaucoup d’innocents ont vu leurs biens confisqués, d’autres ont été bannis et condamnés à l’atimie235. » Le client de Lysias attribue cette activité à des sycophantes et la compare aux intentions de ses propres accusateurs, pour montrer que la conduite que ces hommes conseillent aux juges ne leur a jamais réussi. Vu qu’il tient à discréditer ses adversaires, il n’est pas facile de décider si la situation qu’il décrit 230

Xénophon, Helléniques, I. 1. 7. Ibid., I. 1. 11-23. 232 Voir Rhodes 1981, 414-415 ; Kagan 1987, 252-254. 233 Voir Will 19914, 380. Parmi ces documents, on cite souvent le décret de Démophantos sur la protection du régime. Pourtant, Canevaro – Harris 2012, 121 n. 111 ; Harris 2013-2014, 146-151, ne pensent pas que le décret date de 410/9, mais de 403/2. Cf. Carawan 2013, 195-196 n. 37-38. Récemment, Teegarden 2014, 30-53, a penché pour 410/9 et a mis l’accent sur le rôle que ce décret a dû jouer pour la mobilisation de 403 contre les Trente tyrans. Voir à ce propos la critique de Harris 2015, 224-225, dans le compte rendu de son livre. De nouveau, Hansen 2015, 898-901, date le décret de Démophantos de 410 et suppose que les Trente ont détruit la stèle sur laquelle il était inscrit et qu’il a été republié à l’occasion de la restauration démocratique de 403. 234 Aristophane, Grenouilles, v. 1466 Εὖ, πλήν γ’ ὁ δικαστὴς αὐτὰ (le misthos) καταπίνει μόνος : « Bien, hormis que le dicaste absorbe le tout à lui seul. » (trad. H. van Daele). Cf. Ruzé 1997, 496 n. 67 ; Loomis 1998, 16 et n. 24. 235 Lysias, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie, 25-26 : 26 Ἐνίων μὲν γὰρ ἔπεισαν ὑμᾶς ἀκρίτων θάνατον καταψηφίσασθαι, πολλῶν δὲ ἀδίκως δημεῦσαι τὰς οὐσίας, τοὺς δ’ ἐξελάσαι καὶ ἀτιμῶσαι τῶν πολιτῶν· (trad. L. Gernet – M. Bizos, légèrement modifiée). 231

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correspond à la réalité ou si son discours est, au moins partiellement, une figure de rhétorique. On ne dispose pas d’autres sources qui pourraient confirmer que des citoyens ont été mis à mort sans jugement236 dans la période qui alla de l’abolition des Cinq Mille à la mise en place régulière de toutes les institutions. Toutefois, peut-­être ne faut-­il pas écarter cette possibilité pour une période de transition, pendant laquelle on pourrait déférer devant la justice même des innocents, dans une cité qui voulait punir tous les suspects et les coupables de l’oligarchie. Les tribunaux qui sont un organisme vivant et composé désormais de tous les citoyens, dont certains étaient exclus pendant la période précédente, pouvaient avoir exercé la justice d’une manière plus rigoureuse. Le décret de Patroclidès sur l’amnistie, daté de 405/4237, révèle, en effet, que la démocratie restaurée veut punir tous ceux qui ont participé à son renversement. Dans le décret, on lit que « ceux qui sont inscrits pour avoir été des Quatre Cents ou comme auteurs de quelque acte pendant le gouvernement oligarchique – à l’exception de ceux qui, pour s’être enfuis d’Athènes238, ont leurs noms gravés sur des stèles, ou de ceux qui ont été condamnés par l’Aréopage ou par les Éphètes ou par le Prytaneion ou par le Delphinion ou par l’archonte-­roi ou ceux qui ont été condamnés à l’exil ou à mort soit pour meurtre soit comme assassins ou tyrans – soient effacés ». Il devient donc évident que ceux qui ont participé à l’oligarchie des Quatre Cents ont été déférés devant la justice, ce qui nous fait supposer que les tribunaux héliastiques ont aussi participé à la punition des coupables. On pourrait s’arrêter ici, mais on a récemment mis l’accent sur le fait que le texte inséré dans le plaidoyer d’Andocide n’est pas une copie authentique du décret de Patroclidès et que le passage en question pose une série de problèmes du point de vue grammatical et juridique239. Il serait, dès lors, 236

Carawan 1984, 119-120, pense que l’exécution sans jugement est une pratique des oligarchies de 411 et 404. Il est vrai que dans son article il discute les témoignages du IVe siècle et non ceux du Ve. Sur une liste des cas qui permettaient à quelqu’un de tuer, voir Harris 2013a, 50-53. 237 Andocide, Sur les Mystères, 77-79. 238 Voir Lycurgue, Contre Léocrate, 120-121. Lycurgue fait référence à un décret qui a été voté pour ceux qui s’étaient réfugiés à Décélie après la chute des Quatre Cents et selon lequel ils ont été punis pour trahison. Si l’un d’entre eux était surpris de retour à Athènes, tout Athénien qui le voulait serait autorisé à le traîner devant les thesmothètes, qui se saisiraient de lui pour le jeter au barathre. 239 Voir Canevaro – Harris 2012, 100-110, surtout 103, 107-109. Mais, voir la critique de Carawan 2013, 48, qui tient à ne pas rejeter totalement le décret inséré dans le texte et à garder ses points essentiels. En outre, récemment, Hansen 2015, 884-897, a exprimé l’opinion qu’il s’agit probablement d’un document authentique, mais le passage sur les tribunaux d’homicide (cité ci-­dessus) reste problématique.

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prudent de ne pas l’utiliser pour énumérer les procès intentés contre les Quatre Cents et leurs partisans, même si le texte doit, en gros, donner une idée du climat de la période. En revanche, on pourrait trouver confirmation de la tenue de tels procès dans le plaidoyer de Lysias, Pour Polystratos, écrit après la restauration de la démocratie (n°  31)240. On a déjà vu que Polystratos fut déféré devant le tribunal pendant le régime des Cinq Mille et fut frappé d’une lourde amende. Il fut déféré devant la justice une deuxième fois après la restauration de la démocratie, pour sa participation au régime oligarchique. Dans le cas où les juges l’auraient condamné lors de ce deuxième procès, dont on ne connaît pas le résultat, il n’aurait pas été capable, semble-­t-il, de payer la nouvelle amende dont il était menacé241 (le peuple avait besoin d’argent et de fortes amendes étaient un moyen d’en obtenir). Avec le retour de la démocratie, le tribunal populaire réapparaît donc sur la scène civique et reprend ses fonctions à propos du jugement des affaires courantes des Athéniens. Le manque de sources interdit cependant toute analyse supplémentaire quant à ces affaires242. En revanche, c’est surtout dans les procès et les accusations portées contre les inculpés, surtout contre les stratèges, que se reflète le déroulement de la guerre du Péloponnèse. Il ne s’agit pas seulement des procès que nous venons d’étudier, mais aussi de la prise de mesures pour éviter les dysfonctionnements dans le domaine militaire. C’est le cas du décret voté en 407/6 par lequel Athènes honora le roi de Macédoine Archélaos et ses fils en tant que proxènes et évergètes, après que le roi eut autorisé les Athéniens à exploiter le bois et d’autres matériaux de son royaume pour construire de nouveaux vaisseaux243. Au début du décret on règle la procédure à suivre au sujet de la construction de nouvelles trières. Dans le cas où les stratèges ne répartissent pas aussitôt ceux qui ont été enrôlés pour composer l’équipage des navires, ils seront jugés devant un tribunal pour trahison244. 240

Pour sa datation, voir Ferguson 1932, 358-359 ; Ste Croix 1956, 11. Lysias, Pour Polystratos, 18, 33, 35. 242 On dispose de trois cas d’éventuels procès réglés par les conventions judiciaires. Ce sont le décret honorant le roi Évagoras de Salamine (410) (IG I3, 113, l. 22-23 ; cf. Gauthier 1972, 161-162), le traité entre Athènes et Sélymbria (408-407) (IG I3, 118, l. 25-26 ; cf. Gauthier 1972, 162-163 ; pour un commentaire du traité, voir ML, 269, n° 87 ; Brun 2005, 69-70, n° 27 ; voir aussi O & R, n° 185) et le décret honorant Samos (405/4) (IG I3, 127, l. 17-18 ; cf. Gauthier 1972, 163 ; pour un commentaire du décret, voir ML, 286, n° 95 ; Brun 2005, 75-76, n° 31 ; voir aussi O & R, n° 191). 243 IG I3, 117. Voir aussi O & R, n° 188. Cf. Hammond – Griffith 1979, 138-139. 244 L. 9-12 [τὸς δὲ τεταγ]μένος πλε͂ ν ἐπὶ τ|[ὲν πλέροσιν το͂ ν νεο͂ ν h]ος τάχιστα ἀποσ|[τελάντον hοι στρατεγ]οί· εἰ δὲ μέ, ἐσαγό|[σθον προδοσίας ἐς τὸ δ]ι241

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2.  Le mouvement oligarchique de 404 et ses conséquences La défaite d’Athènes à Aigos Potamoi (405)245 équivalait à une défaite définitive. La cité assiégée par l’armée spartiate fut obligée de conclure la paix avec Sparte (404). Des renseignements sur le fonctionnement des tribunaux héliastiques pendant la période des délibérations sur la paix sont tirés de deux plaidoyers de Lysias, le Contre Nicomachos et le Contre Agoratos. Pour commencer par le premier épisode, quand les envoyés de Sparte présentèrent à Athènes les conditions de paix, Cléophon, homme politique important de l’époque, s’y opposa246, en accusant la Boulè de forfaiture et de complot contre les intérêts de la cité. Alors, un membre de la Boulè, Satyros du dème de Képhisia, fit la proposition devant le Conseil d’arrêter Cléophon et de le déférer devant le tribunal (il s’agit peut-­être de la procédure de l’eisangélie247), sous prétexte qu’il n’était pas venu coucher au camp, mais, en réalité, parce qu’il s’opposait aux termes de la paix. Craignant que le tribunal ne le condamne pas, les accusateurs, partisans de l’oligarchie qui faisaient des termes proposés un moyen pour abolir la démocratie, persuadèrent un certain Nicomachos, anagrapheus des lois, de produire une loi d’après laquelle l’affaire devait être jugée par le tribunal en plus du Conseil. Ce furent ces deux assemblées qui condamnèrent Cléophon à mort (n° 37)248, ainsi que, semble-­t-il, un certain nombre d’autres citoyens opposés à la paix (n° 38)249. καστέριον· : « Que les stratèges répartissent aussitôt ceux qui ont été enrôlés pour l’équipage des navires. S’ils ne le font pas, qu’un procès en trahison (?) soit intenté contre eux devant le tribunal. » (trad. P. Brun 2005). 245 Xénophon, Helléniques, II. 1. 18-31. Pour l’enchaînement chronologique d’événements dès la défaite à Aigos Potamoi jusqu’à la chute des Trente et la seconde restauration de la démocratie, voir Krentz 1982. Pour les événements d’Aigos Potamoi à l’institution des Trente, voir aussi McCoy 1975, 134-136. 246 Lysias, Contre Agoratos, 7-8. 247 Voir Hansen 1975, 116. 248 Lysias, Contre Agoratos, 12 Ἐκείνῳ μὲν οὖν δικαστήριον παρασκευάσαντες καὶ εἰσελθόντες οἱ βουλόμενοι ὀλιγαρχίαν καταστήσασθαι ἀπέκτειναν ἐν τῇ προφάσει ταύτῃ. : « Un tribunal fut préparé contre lui par les partisans de l’oligarchie qui vinrent l’accuser et le condamnèrent à mort sous le prétexte invoqué. » (trad. L. Gernet – M. Bizos, légèrement modifiée), Contre Nicomachos, 10-13 : 11 χρὴ καὶ τὴν βουλὴν συνδικάζειν : « le Conseil devait participer au jugement » (trad. L. Gernet – M. Bizos, légèrement modifiée). 249 Lysias, Contre Nicomachos, 14 ὅτι ἐν τοιούτῳ καιρῷ τὸν νόμον ἀπέδειξεν ἐν ᾧ ἡ πολιτεία μεθίστατο, καὶ τούτοις χαριζόμενος οἳ τὸν δῆμον κατέλυσαν, καὶ ταύτην τὴν βουλὴν συνδικάζειν ἐποίησεν ἐν ᾗ Σάτυρος μὲν καὶ Χρέμων

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Par la suite, avant la délibération définitive de l’Assemblée sur la paix, les oligarques chargèrent un certain Agoratos de dénoncer les stratèges et les taxiarques qui s’opposaient aux termes de la paix, sous l’accusation de conspiration contre la cité (n° 39). L’accusation fut portée devant le Conseil et l’Assemblée, qui décida de déférer les accusés devant un tribunal, composé de deux mille juges. Cependant, l’établissement des Trente au pouvoir imposa le transfert des accusés devant la nouvelle Boulè des Cinq Cents que les Trente avaient établie et qui condamna les accusés à mort250. De façon révélatrice, pendant la procédure de vote les psèphoi ne furent pas déposées dans les urnes, selon la procédure habituelle, mais sur des tables, publiquement251. Si on tente, par conséquent, de répondre à la question du fonctionnement des tribunaux pendant cette période transitoire, ces témoignages montrent que, peu de temps avant l’abolition de la démocratie, leur fonctionnement ordinaire fut violé : l’ancienne Boulè des Cinq Cents, sous l’influence de certains membres, fut investie d’un pouvoir judiciaire qui dépassait son pouvoir habituel de juger des affaires jusqu’à une certaine amende252, le cas μέγιστον ἐδύναντο, Στρομβιχίδης δὲ καὶ Καλλιάδης καὶ ἕτεροι πολλοὶ καὶ καλοὶ κἀγαθοὶ τῶν πολιτῶν ἀπώλλυντο : « qu’il a produit sa loi au moment où se faisait la révolution, pour complaire à ceux qui renversèrent la démocratie, et qu’il a fait participé au jugement un Conseil où dominaient Satyros et Chrémon, le Conseil dont furent victimes Strombichidès, Calliadès et tant d’autres citoyens excellents » (trad. L. Gernet – M. Bizos, légèrement modifiée). 250 Lysias, Contre Agoratos, 15-38 : 35 Ἐπειδὴ τοίνυν οἱ τριάκοντα κατεστάθησαν εὐθέως κρίσιν τοῖς ἀνδράσι τούτοις ἐποίουν ἐν τῇ βουλῇ, ὁ δὲ δῆμος « ἐν τῷ δικαστηρίῳ ἐν δισχιλίοις » ἐψηφίσατο. : « Une fois les Trente installés, ils firent immédiatement juger par le Conseil les citoyens dénoncés : le peuple avait pourtant décrété qu’ils seraient jugés ‘par un tribunal de deux mille membres’. », 36 Εἰ μὲν οὖν ἐν τῷ δικαστηρίῳ ἐκρίνοντο, ῥᾳδίως ἂν ἐσῴζοντο· ἅπαντες γὰρ ἤδη ἐγνωκότες ἦτε οὗ ἦν κακοῦ ἡ πόλις, ἐν ᾧ οὐδὲν ἔτι ὠφελεῖν ἐδύνασθε· νῦν δ’ εἰς τὴν βουλὴν αὐτοὺς τὴν ἐπὶ τῶν τριάκοντα εἰσάγουσιν. Ἡ δὲ κρίσις τοιαύτη ἐγίγνετο, οἵαν καὶ ὑμεῖς αὐτοὶ ἐπίστασθε. : « Or si le jugement avait eu lieu devant le tribunal, les accusés auraient été facilement sauvés ; car tous, de ce moment-­là, vous ne saviez que trop dans quels malheurs était plongée la cité, à un moment où vous ne pouviez plus la secourir. Mais c’est devant le Conseil – le Conseil de l’époque des Trente – qu’on les traduisit. Ce que fut le jugement, vous les savez vous-­mêmes. » (trad. L. Gernet – M. Bizos, légèrement modifiée). Cf. Hansen 1975, 86. 251 Lysias, Contre Agoratos, 37 τὴν δὲ ψῆφον οὐκ εἰς καδίσκους ἀλλὰ φανερὰν ἐπὶ τὰς τραπέζας ταύτας ἔδει τίθεσθαι : « les psèphoi devaient être déposées, non pas dans les urnes, mais sur ces tables, publiquement » (trad. L. Gernet – M. Bizos, légèrement modifiée). 252 Selon Ruzé 1997, 513, « le conseil de 405/4 était soucieux de protéger la paix récente et a contribué à lutter contre des adversaires de la pax laconica, tel Cléophon. ».

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de Cléophon étant révélateur du renversement des procédures judiciaires habituelles. Si de telles conditions furent établies à Athènes avant même la conclusion de la paix, il serait intéressant d’examiner maintenant le rôle des tribunaux après la paix. D’après les termes de la paix, les Athéniens furent obligés de démolir les murailles, de livrer leurs navires, sauf douze, de se retirer de leurs possessions extérieures, de rappeler les exilés, de suivre les Spartiates dans leurs campagnes et d’avoir mêmes amis et ennemis qu’eux253. La défaite fut aussi suivie par un nouveau renversement de la démocratie, en dépit des mesures prises pour protéger le régime face aux risques extérieurs et des efforts déployés pour assurer l’équilibre dans la cité254. On ne sait pas si parmi les termes de la paix figuraient des réglementations sur le type du régime qui serait désormais établi à Athènes. Les historiens modernes expriment des opinions divergentes, parce que les passages correspondants sont cités seulement chez Aristote et Diodore de Sicile et qu’ils sont omis par les autres sources. Selon la première opinion, le terme qui définit le régime des Athéniens est compris dans le traité de la paix, puisqu’il s’agit d’un sujet qui préoccupe Athènes pendant la période intermédiaire entre la paix et l’établissement des Trente255. Selon l’opinion contraire, il ne semble pas exister parmi les termes de la paix de clause à propos du régime256. Il est vraisemblable que la conclusion de la paix avec Sparte et l’échec de la démocratie en tant que régime capable de mener Athènes dans une guerre victorieuse ont préparé le terrain pour le renversement de la démocratie. Dès lors, on peut suggérer que les Athéniens réactivèrent la discussion concernant le régime ancestral après la conclusion de la paix, afin de rechercher le nouveau régime qui serait établi à Athènes. Selon Aristote, la cité était divisée en trois groupes de différentes opinions politiques : les défenseurs de la démocratie, les défenseurs de l’oligarchie et ceux qui recherchaient la « constitution des ancêtres »257. Ces derniers étaient représentés par Théramène et ses collaborateurs et le régime qu’ils proposaient se rapprochait de celui des Cinq Mille de 253

Voir, e.g., Xénophon, Helléniques, II. 2. 20 ; Andocide, Sur la Paix, 11-12 ; Diodore de Sicile, XIII. 107. 4 ; Plutarque, Vie de Lysandre, VI-XV. 1. Pour l’ensemble des sources qui font référence aux termes de la paix, voir Staatsverträge, n° 211. Pour les différences parmi ces sources à propos des termes de la paix, voir Fuks 1971, 52-57. 254 Voir le décret de Patroclidès sur l’amnistie (Andocide, Sur les Mystères, 77-79). 255 Voir McCoy 1975, 136-139. 256 Voir Staatsverträge, n° 211 ; Fuks 1971, 57-62 ; Rhodes 1981, 427. 257 Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIV. 3.

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411258. Selon Diodore de Sicile259, cette division se limitait à deux groupes. L’ambiguïté du terme patrios était de propos délibéré et les deux groupes l’utilisaient chacun dans leur programme politique. Pour les oligarques, ce terme renvoyait à la période pendant laquelle les oligarques possédaient le pouvoir et cette période pouvait correspondre à la réalité constitutionnelle des débuts du VIe  siècle ou même à l’époque de Dracon260. Pour les démocrates, au contraire, le régime ancestral correspondait au régime de la démocratie, tel qu’il avait évolué à l’époque de leurs pères, au milieu du Ve siècle, à l’exception de la pause de 411. Le régime ancestral de 404 n’était qu’une oligarchie261. Le peuple désigna trente citoyens (les Trente) qui furent chargés de rédiger les lois ancestrales, selon lesquelles les Athéniens seraient désormais gouvernés262. Pourtant, ils laissèrent de côté les décisions concernant la constitution et modifièrent la composition du Conseil des Cinq Cents et des autres magistratures263. Pour ce qui était du nombre de citoyens, il resta, du moins au début, le même. Dans le domaine de la justice, les mesures prises dans un premier temps étaient les suivantes. Aristote, Constitution d’Athènes, XXXV. 2-3 Τὸ μὲν οὖν πρῶτον μέτριοι τοῖς πολίταις ἦσαν καὶ προσεποιοῦντο διώκειν τὴν πάτριον πολιτείαν, καὶ τούς τ᾽ Ἐφιάλτου καὶ Ἀρχεστράτου νόμους τοὺς περὶ τῶν Ἀρεοπαγιτῶν καθεῖλον ἐξ Ἀρείου πάγου, καὶ τῶν Σόλωνος θεσμῶν ὅσοι διαμφισβητήσεις ἔσχον, καὶ τὸ κῦρος ὃ ἦν ἐν τοῖς δικασταῖς κατέλυσαν, ὡς ἐπανορθοῦντες καὶ ποιοῦντες ἀναμφισβήτητον τὴν πολιτείαν […] ὅπως μὴ ᾖ τοῖς συκοφάνταις ἔφοδος· ὁμοίως δὲ τοῦτ᾽ ἔδρων καὶ ἐπὶ τῶν ἄλλων. Κατ᾽ ἀρχὰς μὲν οὖν ταῦτ᾽ ἐποίουν, καὶ τοὺς συκοφάντας καὶ τοὺς τῷ δήμῳ πρὸς χάριν ὁμιλοῦντας παρὰ τὸ βέλτιστον καὶ κακοπράγμονας ὄντας καὶ πονηροὺς ἀνῄρουν, ἐφ᾽ οἷς ἔχαιρεν ἡ πόλις γιγνομένοις, ἡγούμενοι τοῦ βελτίστου χάριν ποιεῖν αὐτούς. « Au début cependant ils firent preuve de modération à l’égard des citoyens et feignaient d’appliquer la constitution des ancêtres  ; ils supprimèrent de l’Aréopage les lois d’Éphialte et d’Archestratos concernant les Aréopagites ; ils

258

Cf. Krentz 1982, 47. Diodore de Sicile, XIV. 3. 3. Cf. Fuks 1971, 65-66 ; Rhodes 1981, 427-428. 260 Cf. McCoy 1975, 141. 261 Xénophon, Helléniques, II. 3. 2 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIV. 3. 262 Xénophon, Helléniques, II. 3. 2. 263 Ibid., II. 3. 11 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXV. 1. Voir Rhodes 1981, 438-439 ; Ruzé 1997, 513-514. 259

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abolirent de même toutes celles des lois de Solon dont l’interprétation prêtait aux discussions, et enlevèrent ainsi aux juges le pouvoir de décision souveraine. Ils semblaient préoccupés de redresser la constitution et d’en faire disparaître toutes les obscurités […] de manière à enlever tout moyen d’action aux sycophantes. Et pour le reste ils agissaient de même. Telle fut donc leur conduite au début. Ils se débarrassèrent aussi des sycophantes et de ces orateurs intrigants et pervers qui ne parlaient au peuple que pour le flatter, l’entraînant hors du bon chemin. La cité se réjouissait de ces mesures, et l’on croyait qu’ils n’étaient animés que par le désir de bien faire. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier).

Si l’on traduit littéralement la première phrase du passage d’Aristote, on peut en dégager que les Trente détruisirent la stèle qui avait été dressée devant le tribunal de l’Aréopage et sur laquelle étaient inscrites les réformes d’Éphialte concernant l’Aréopage264. Il convient d’examiner si cette phrase implique, également, que l’Aréopage récupéra les compétences judiciaires qui lui avaient été enlevées par Éphialte. Même si cette hypothèse a été exprimée par la recherche moderne265, il est difficile de la partager266. D’une part, aucune des sources qui racontent les événements de la période des Trente ne fait référence à l’Aréopage. D’autre part, il apparaît que la réponse se trouve dans le passage de la Constititution d’Athènes que nous venons de citer, notamment dans l’expression « ils enlevèrent aux juges le pouvoir de décision souveraine, étant préoccupés de redresser la constitution et d’en faire disparaître toutes les obscurités » (καὶ τὸ κῦρος ὃ ἦν ἐν τοῖς δικασταῖς κατέλυσαν, ὡς ἐπανορθοῦντες καὶ ποιοῦντες ἀναμφισβήτητον τὴν πολιτείαν). La destruction de la stèle pourrait être, ainsi, considérée comme un indice du programme des oligarques d’éliminer le pouvoir que les tribunaux avaient acquis après les réformes d’Éphialte et de rétablir le prestige du régime que ce pouvoir populaire avait touché. Le droit de rendre la justice que tous les citoyens avaient acquis par leur participation aux tribunaux privait, selon les oligarques, le régime d’un bon fonctionnement, contrairement à l’octroi du pouvoir judiciaire à un nombre restreint de citoyens seulement. L’abrogation de certaines lois attribuées à Solon prend le même sens, puisque les Trente écartèrent ces lois dont le contenu discuté pouvait renforcer le jugement et le pouvoir des tribunaux267. Dans ce contexte historique, les tribunaux restèrent inactifs tout au long du gouvernement des Trente268. Des phrases qui figurent dans les 264

Cf. Harrison 1955, 29 ; Rhodes 1981, 440. Voir, e.g., Krentz 1982, 61. 266 Voir Cawkwell 1988, 7 ; Hall 1990, 325-326 ; Ruzé 1997, 512 n. 112, 515-516. 267 Cf. Rhodes 1991, 93. 268 Cf. Bearzot – Loddo 2015, 130-131. 265

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plaidoyers de la fin du Ve siècle indiquant que pendant leur gouvernement les procès privés furent suspendus plaident aussi en faveur de cette hypothèse269. Dès lors, la question qui se pose concerne l’institution qui a acquis les compétences des tribunaux. Il est facile d’y répondre : si l’on rassemble les témoignages concernés, on voit clairement que pendant la période des Trente les tribunaux populaires furent remplacés par la Boulè des Cinq Cents et les Trente, qui étaient les deux corps qui se partageaient le pouvoir judiciaire270. Si l’on commence par les passages déjà cités, il faut faire, d’abord, référence au procès contre les stratèges et les taxiarques qui se sont opposés aux termes de la paix. Même si l’Assemblée avait voté qu’ils seraient jugés par un tribunal composé de deux mille juges, en raison du renversement de la démocratie, ils ont été jugés par la nouvelle Boulè, qui les a condamnés à mort. Aristote, parallèlement, écrit que les Trente, au début de leur gouvernement, exécutèrent les sycophantes et ceux qui parlaient et agissaient contre les intérêts du peuple. Le texte ne précise pas si l’exécution était une peine imposée par suite d’un jugement devant tel ou tel organe ou si elle fut arbitraire, mais Xénophon, dans le IIe livre des Helléniques, faisant référence au même épisode, ajoute que l’exécution fut imposée conformément à la décision condamnatoire de la nouvelle Boulè des Cinq Cents271. Il semble que ce même Conseil jugea un certain nombre d’eisangélies, fondées sur de fausses accusations et intentées pour que le régime se débarrasse de certains citoyens272. Isocrate, Contre Euthynous, 7 ἀκαταστάτως ἐχόντων τῶν ἐν τῇ πόλει καὶ δικῶν οὐκ οὐσῶν : « quand la cité était troublée et qu’il n’y avait pas de procès privés » (trad. G. Mathieu – E. Brémond, légèrement modifiée) ; Lysias, Contre le Trésor, au sujet des biens d’Ératon, 3 Ἐν μὲν οὖν τῷ πολέμῳ διότι οὐκ ἦσαν δίκαι […]. : « Pendant la guerre les actions privées étant suspendues […]. » (trad. L. Gernet – M. Bizos, légèrement modifiée). 270 Sur le pouvoir judiciaire de la Boulè des Cinq Cents, voir aussi Cloché 1924b, 417-424. 271 Xénophon, Helléniques, II. 3. 12 Ἔπειτα πρῶτον μὲν οὓς πάντες ᾔδεσαν ἐν τῇ δημοκρατίᾳ ἀπὸ συκοφαντίας ζῶντας καὶ τοῖς καλοῖς κἀγαθοῖς βαρεῖς ὄντας, συλλαμβάνοντες ὑπῆγον θανάτου· καὶ ἥ τε βουλὴ ἡδέως αὐτῶν κατεψηφίζετο. : « Ensuite, commençant par ceux qui, au su de tout le monde, vivaient sous les régime démocratique du métier des sycophantes et qui accablaient les bons citoyens, ils les firent saisir et mettre à mort ; de fait, le Conseil était heureux de les condamner. » (trad. J. Hatzfeld). Voir aussi Lysias, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie, 19. 272 Lysias, Contre Ératosthène, 48 Καίτοι εἴπερ ἦν ἀνὴρ ἀγαθός, ἐχρῆν αὐτὸν πρῶτον μὲν μὴ παρανόμως ἄρχειν, ἔπειτα τῇ βουλῇ μηνυτὴν γίγνεσθαι περὶ τῶν εἰσαγγελιῶν ἁπασῶν, ὅτι ψευδεῖς εἶεν, καὶ Βάτραχος καὶ Αἰσχυλίδης οὐ τἀληθῆ μηνύουσιν, ἀλλὰ τὰ ὑπὸ τῶν τριάκοντα πλασθέντα εἰσαγγέλλουσι, συγκείμενα ἐπὶ τῇ τῶν πολιτῶν βλάβῃ. : « Cependant, s’il eut été un honnête 269

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Au cours de sa détérioration, le gouvernement des Trente commença par condamner à mort plusieurs Athéniens, qui se distinguaient par leur fortune, leur naissance ou leur réputation, mais ni Xénophon ni Aristote ne sont plus précis sur le mode de condamnation et l’institution qui les condamna273. Les Trente décidèrent parallèlement de réduire le corps civique à trois mille Athéniens274. Conformément à cette distinction, la Boulè des Cinq Cents avait le droit de juger les affaires des Trois Mille, tandis que pour les autres Athéniens, exclus de la liste des Trois Mille, la peine de mort était imposée par les Trente sans jugement préalable275. Un exemple caractéristique est le jugement de Théramène, accusé d’opposition au gouvernement des Trente276. Bien qu’il ait plaidé sa cause devant la Boulè, comme c’était la règle pour ceux qui appartenaient au corps des Trois Mille, Critias décida de l’exclure du régime, afin d’assurer sa condamnation par les Trente. Théramène fut, ainsi, livré aux Onze qui l’exécutèrent277. Les métèques non plus n’échappèrent pas à cette politique. Les Trente procédèrent à leur arrestation et à leur exécution pour s’approprier leur fortune278. Parmi les victimes figurait Polémarque, le frère de l’orateur Lysias279. homme, il devait d’abord refuser un pouvoir illégal, puis révéler au Conseil que toutes les accusations étaient fausses, que les dénonciations de Batrachos et Eschylidès, loin d’être fondées, n’étaient que des inventions forgées par les Trente pour perdre les citoyens. » (trad. L. Gernet – M. Bizos). 273 Xénophon, Helléniques, II. 3. 15-17 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXV. 4. 274 Xénophon, Helléniques, II. 3. 19-20 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXVI. 1-2. Pour l’identité et le statut des Trois Mille, voir Ruzé 1997, 517-520. 275 Xénophon, Helléniques, II. 3. 51 Ἔστι δὲ ἐν τοῖς καινοῖς νόμοις τῶν μὲν ἐν τοῖς τρισχιλίοις ὄντων μηδένα ἀποθνῄσκειν ἄνευ τῆς ὑμετέρας ψήφου, τῶν δ᾽ ἔξω τοῦ καταλόγου κυρίους εἶναι τοὺς τριάκοντα θανατοῦν. : « Il est stipulé dans les lois nouvelles que personne parmi les Trois Mille ne peut être mis à mort sans un vote de vous, tandis que ceux qui ne sont pas sur cette liste, les Trente ont plein pouvoir pour les faire exécuter. » (trad. J. Hatzfeld) ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXVII. 1 Νόμους εἰσήνεγκαν εἰς τὴν βουλὴν δύο κελεύοντες ‖ ἐπιχειροτονεῖν, ὧν ὁ μὲν εἷς αὐτοκράτορας ἐποίει τοὺς τριάκοντα τῶν πολιτῶν ἀποκτεῖναι τοὺς μὴ τοῦ καταλόγου μετέχοντας τῶν τρισχιλίων. : « Ils présentèrent deux lois au Conseil, en lui ordonnant de les accepter à mains levées : l’une donnait pleins pouvoirs aux Trente pour mettre à mort les citoyens qui n’étaient pas sur la liste des Trois Mille. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier). Voir aussi Lysias, Contre Ératosthène, 82 ἀκρίτους ἀπέκτειναν : « ils les condamnaient sans jugement ». Cf. Rhodes 1981, 452-453 ; Ruzé 1997, 519. 276 Xénophon, Helléniques, II. 3. 26 sq. 277 Ibid., II. 3. 50-56 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXVII. 1. 278 Xénophon, Helléniques, II. 3. 21. Sur l’enrichissement des Trente pour maintenir leur contrôle à Athènes, voir Wolpert 2006, 214-215. 279 Lysias, Contre Ératosthène, 5-23.

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La politique des Trente provoqua la création d’une coalition puissante du groupe démocratique, dont Thrasybule de Stiria était le chef. Dans une bataille qui eut lieu dans le haut de Mounychie, au Pirée, entre les démocrates et les oligarques, au cours de laquelle Critias fut tué, ces derniers furent vaincus280. Par la suite, les Trois Mille votèrent la déposition des Trente et leur remplacement par un comité de dix hommes investis des pleins pouvoirs pour finir la guerre281. Pendant la durée du pouvoir des Dix, la Boulè des Cinq Cents continua de jouir de pouvoirs judiciaires. On peut suivre ce fonctionnement de la justice dans le plaidoyer d’Isocrate, Contre Callimachos, au moment où il fait le récit des premiers jours des Dix. Patroclès, l’archonte-­roi de cette période, accusa Callimachos d’avoir possédé de manière illégale une somme d’argent appartenant à un certain Pamphilos, un des démocrates du Pirée. L’affaire fut d’abord portée devant les Dix, qui la transférèrent à la Boulè, laquelle jugea Callimachos coupable282. Selon ce témoignage, il apparaît, d’une part, que les Dix n’avaient pas le droit d’imposer des peines et que le pouvoir judiciaire se trouvait uniquement aux mains de la Boulè et, d’autre part, que les tribunaux restaient encore hors de la scène politique.

Conclusions Si on récapitule le fonctionnement des tribunaux héliastiques au cours de la guerre du Péloponnèse, la discussion a pu montrer que le système judiciaire d’Athènes tient désormais sa propre place institutionnelle dans la vie politique d’Athènes. Aristophane nous donne une idée de cette importance dans ses comédies283, et surtout dans les Guêpes. Philocléon dans son discours souligne les points suivants. Il met l’accent sur le fait que les juges 280

Xénophon, Helléniques, II. 4. 1-22 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXVIII. 1. Xénophon, Helléniques, II. 4. 23-24 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXVIII. 1. 282 Isocrate, Contre Callimachos, 5-6. 283 Aristophane, Cavaliers, v.  1316-1317 Εὐφημεῖν χρὴ καὶ στόμα κλείειν καὶ μαρτυριῶν ἀπέχεσθαι,| καὶ τὰ δικαστήρια συγκλείειν, οἷς ἡ πόλις ἥδε γέγηθεν. : « Qu’on se recueille ; que les bouches soient closes, qu’on suspende les auditions de témoins et qu’on ferme les tribunaux qui font la joie de cette ville. », Nuées, v. 206-208 Αὕτη δέ σοι γῆς περίοδος πάσης. Ὁρᾷς;| Αἵδε μὲν Ἀθῆναι.| Τί σὺ λέγεις; Οὐ πείθομαι, ἐπεὶ δικαστὰς οὐχ ὁρῶ καθημένους. : « Voilà devant toi le circuit de toute la terre. Vois-­tu ? Ici, Athènes. Que dis-­tu ? Je n’en crois rien ; car je ne vois pas de juges en séance. », Paix, v. 505 οὐδὲν γὰρ ἄλλο δρᾶτε πλὴν δικάζετε. : « Vous ne faites rien d’autre que de juger. », Oiseaux, v. 109-110 Μῶν 281

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populaires ne tiennent pas compte de la richesse des plaideurs et prennent des décisions auxquelles tous doivent se conformer284. Il n’oublie pas de souligner, en outre, la différence entre les juges et les autres magistratures de la cité : les juges sont les seuls qui prennent des décisions à propos de la cité sans devoir rendre de compte285, ce qui place leur pouvoir plus haut que celui des autres magistrats. Leur importance est telle que, quand Thucydide discute la préparation du mouvement oligarchique de 411 et la contribution des hétairies à celui-­ci, il remarque le rôle non négligeable que ces dernières jouaient dans la vie politique d’Athènes, puisqu’elles exerçaient des pressions sur les électeurs et les juges en faveur de leurs membres286. On peut logiquement conclure de cette remarque que souvent une pression politique pouvait être exercée lors d’un procès. Quel était le caractère de cette pression ? Probablement soit une propagande en faveur de l’accusé ou de l’accusateur qui était le membre de l’hétairie, soit la corruption d’une partie des juges du procès ou même des témoins du procès, soit l’existence de groupes de témoins appartenant à une hétairie287. Dans les vers 590-591, Philocléon dit, de même : ἔτι δ᾽ ἡ βουλὴ χὠ δῆμος ὅταν κρῖναι μέγα πρᾶγμ᾽ ἀπορήσῃ| ἐψήφισται τοὺς ἀδικοῦντας τοῖσι δικασταῖς παραδοῦναι.

« De plus, quand le Conseil et le peuple sont embarrassés pour statuer sur une affaire importante, un décret renvoie les coupables devant les juges. » (trad. H. van Daele).

Il est possible de reconnaître dans cette phrase de Philocléon, d’une part, la pratique du transfert auprès des tribunaux d’affaires qui dépassaient les compétences légales du Conseil des Cinq Cents et de l’Assemblée et, d’autre part, le caractère final des décisions des héliastes288. Ce transfert concernait, dans un premier temps, les actions qui entraînaient des peines qui dépassaient les compétences de la Boulè. Pour ce qui est de l’ekklèsia, les informations dont on dispose jusqu’à présent, soit n’éclairent pas les conditions sous lesquelles une affaire pouvait être ἡλιαστά;| Μἀλλὰ θατέρου τρόπου, ἀπηλιαστά. : « Seriez-­vous héliastes ? Non, mais au contraire anti-­héliastes. » (trad. H. van Daele). 284 Aristophane, Guêpes, v. 575, 627. 285 Ibid., v. 587. Cf. Balcer 1978, 34. 286 Thucydide, VIII. 54. 4. 287 Voir sur ce dernier, Démosthène, Contre Midias, 139. 288 Cf. MacDowell 1971a, 213.

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transférée de l’Assemblée au tribunal, soit plaident en faveur de l’hypothèse que le transfert dépendait du caractère de la cause. Le transfert concernait, en outre, ces cas où le réexamen de l’affaire par une deuxième institution collective apparaissait nécessaire. C’est justement, d’un côté, la plus grande représentativité et les décisions finales des tribunaux qui constituaient les raisons les plus commodes de transfert des affaires aux tribunaux et non au Conseil. D’un autre côté, le jugement de la majorité des questions judiciaires de la cité reposait sur le fait qu’il était plus facile de réunir un tribunal que l’Assemblée, ainsi que sur le mode de fonctionnement. Dans l’espace de l’Assemblée, différentes propositions avaient lieu sur un sujet, parfois accompagnées de modifications, de sorte que le déroulement d’une seule et unique procédure n’était pas possible pour la prise d’une décision représentant la volonté de l’ensemble de la cité. Au contraire, le tribunal était l’institution qui fixait clairement le sujet qui serait jugé et prononçait un verdict clair, d’autant qu’une proposition pouvait être admise ou refusée, toujours à la majorité absolue289. À cet égard, au-­delà du rôle primordial de l’Assemblée dans la prise des décisions politiques, le pouvoir que le tribunal populaire a acquis, grâce aux compétences supplémentaires qu’il a rassemblées et à l’ampleur des affaires qu’il jugeait, fut lié au développement de la démocratie. Son pouvoir politique consistait en trois éléments : d’une part, sa composition nombreuse à partir du dèmos entier  ; deuxièmement, son pouvoir d’imposer de lourdes amendes et des peines qui entraînaient la mort, l’atimie, l’exil et la confiscation des biens et, troisièmement, la possibilité de juger la majorité des affaires de la cité, soit envoyées par les magistrats, soit renvoyées par le Conseil ou l’Assemblée, privées et publiques, parmi lesquelles des affaires purement politiques ou à couleur politique290. La guerre du Péloponnèse a joué un rôle important dans ce fonctionnement du tribunal tant pour le présent que pour l’avenir, puisqu’elle l’a doté, d’une part, de compétences supplémentaires, mais elle a mis l’accent, de l’autre, sur la facilité avec laquelle la justice pouvait être manipulée. On l’aperçoit, tout d’abord, dans les décrets portant sur la Ligue de Délos. Si on les compare avec ceux de la période précédente, il est évident que les tribunaux étaient plus régulièrement mobilisés par 289 290

Cf. Todd 1993, 160. On pourrait aussi discerner des nuances politiques dans les titres d’œuvres d’Antiphon qui ont été conservés par les lexicographes. D’habitude, seul le titre ou quelques phrases fragmentaires qui ne révèlent presque rien à propos du contenu du discours nous ont été transmis. Voir Gagarin 2002, 161.

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les affaires des alliés et la réception du phoros, à cause des dépenses de la guerre. On pourrait, dans ce contexte, dire que l’Héliée devint un tribunal « international », qui, par la résolution des problèmes entre Athènes et ses alliés et des cités alliées entre elles, servait à l’exercice de l’impérialisme athénien et renforçait la participation des Athéniens les plus modestes à la politique extérieure de la cité. Les sources sont aussi explicites quant aux moments de tension dans la cité, en raison des échecs militaires ou des problèmes internes, qui entraînaient des procès revêtant une nuance différente de celle de la période précédente, sauf s’ils avaient été initiés pendant la guerre. Rappelons l’action en illégalité qui donnait aux juges la possibilité de renverser ce que l’Assemblée du peuple avait voté, l’eisangélie et les procès contre les stratèges. L’exemple le plus caractéristique d’une telle tension fut le procès contre les stratèges de la bataille des Arginuses, à la différence qu’ils ne furent pas jugés par un tribunal héliastique mais par l’Assemblée du peuple. Or, même si le cas ne concerne pas directement l’Héliée, il est indicatif de la façon dont on pouvait imposer et interpréter la loi et comment une période de guerre, à cause du désarroi des esprits, pouvait exercer un impact considérable sur l’exercice de la justice. De manière encore plus directe, on comprend l’influence de la guerre dans les deux mouvements oligarchiques de 411 et 404. Ils n’ont pas seulement révélé que l’Héliée, institution ouverte à tous, ne pouvait pas fonctionner dans un régime oligarchique qui cherchait à supprimer le pouvoir des thètes, mais ils ont mis en valeur la nécessité de soumettre les tribunaux à des procédures plus subtiles, rigoureuses et efficaces. En 410, l’Héliée fut rétablie avec le retour de la démocratie. Il en fut de même en 403. Grâce à l’intermédiaire du roi de Sparte, Pausanias, les démocrates et les oligarques se rapprochèrent et la démocratie fut restaurée à Athènes291. Thrasybule, après le retour des démocrates à Athènes, incita la cité à respecter la concorde établie292. Quel était le fonctionnement de l’Héliée dans cette nouvelle situation ? Nous l’étudions dans le chapitre suivant.

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Sur cette réconciliation et son contenu, voir Cloché 1915, 251-476 ; Krentz 1982, 103-124 ; Loening 1987, 30-58 ; Carawan 2013. 292 Xénophon, Helléniques, II. 4. 35-43 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXVIII. 4.

Chapitre VI

Le tribunal populaire au cours des premières années de la restauration de la démocratie en 403/2 La première partie de la Constitution d’Athènes d’Aristote se termine par un résumé des réformes les plus importantes de l’histoire d’Athènes, qui commencent depuis l’immigration d’Ion et s’achèvent avec le retour des démocrates du Pirée et la restauration démocratique en 403/2. Ce dernier épisode est la onzième réforme apportée à la constitution athénienne, grâce à laquelle le peuple redevint maître des affaires de la cité. Depuis ce changement, la démocratie reste stable jusqu’à la période où Aristote écrit son traité et le peuple est l’autorité souveraine, dont le pouvoir s’exprime dans l’espace de l’Assemblée, par la prise des décrets, et dans les tribunaux1. La stabilité de la démocratie athénienne n’est cependant pas synonyme de l’arrêt des réformes des institutions. Par conséquent, on constate qu’au cours du siècle des changements importants sont apportés à l’Héliée, qui se perfectionne avec le temps : il s’agit des procédures et du déroulement des procès qui évoluent et interagissent constamment, pour aboutir au système remarquable que décrit Aristote. La coïncidence de certains de ces changements avec des événements historiques ne diminue pas la pertinence de ces dates, mais montre davantage le contexte politique de l’Héliée. Celui-­ci peut être mieux compris grâce aux sources dont l’historien dispose pour le IVe siècle et qui constituent la grande majorité de la documentation sur l’Héliée, même si les textes littéraires sont toujours plus nombreux que les inscriptions. La restauration de la démocratie marque le début du changement. Après une longue période de problèmes constitutionnels, qui ont influencé, comme nous l’avons vu, la fonction de l’Héliée, la restauration offre un contexte favorable pour l’élaboration de procédures subtiles, rigoureuses et efficaces, qui marqueront son fonctionnement pendant tout le IVe siècle. 1

Aristote, Constitution d’Athènes, XLI. 1-2.

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La période qu’on caractérise d’habitude comme la période de la restauration démocratique est une période de transition pour Athènes. La cité se préoccupe principalement de se réorganiser et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’intégrité de son régime face à de nouvelles menaces, après être sortie d’une longue guerre et de l’abolition de sa constitution démocratique. Dans ce cadre de la réorganisation de la cité s’inscrivent le rétablissement des tribunaux et les conditions de leur fonctionnement. Il y a plusieurs points sur lesquels l’historien peut s’appuyer, sous réserve qu’il prenne en considération les difficultés de lecture et d’interprétation que présentent les sources.

Le serment prêté par les héliastes À l’occasion de la restauration de la démocratie en 403 et du rapprochement des oligarques et des démocrates, les Athéniens prêtèrent des serments qui stipulaient de « ne pas réveiller la mémoire des événements passés »2, la dernière expression désignant les événements politiques de la période des Trente. D’après Andocide, ces serments furent prêtés par l’ensemble de la cité et, en même temps, une clause faisant allusion à ces événements fut ajoutée aux serments annuels et ordinaires prêtés par le Conseil des Cinq Cents et par les juges3. Ces derniers juraient de « ne pas avoir de ressentiment, n’être influencés par personne et de voter conformément aux lois établies »4. Le serment des héliastes montre que les tribunaux sont rétablis et continuent d’être considérés comme l’institution fondamentale du régime démocratique d’Athènes. Sa formulation par l’ensemble des juges est importante pour deux raisons. La première est que ces serments « interdisaient » aux juges de prendre des décisions sous l’influence de 2

Andocide, Sur les Mystères, 81 ; Xénophon, Helléniques, II. 4. 43 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXIX. 6. Voir Carawan 2013, 42, sur le fait que le rapprochement entre démocrates et oligarques n’était pas une occasion pour pardonner ou oublier, mais pour trouver une solution et mettre un terme au conflit. 3 Andocide, Sur les Mystères, 90-91. Voir Rhodes 1972a, 194-195, à propos de l’ajout de cette clause au serment du Conseil. 4 Andocide, Sur les Mystères, 91 καὶ οὐ μνησικακήσω, οὐδὲ ἄλλῳ πείσομαι, ψηφιοῦμαι δὲ κατὰ τοὺς κειμένους νόμους. Selon Loening 1987, 55, l’allusion aux « lois établies » suggère que ces serments datent après la fin de la procédure de révision des lois. Or, si on suppose que l’ensemble de cette révision finit en 400/399, cette date me semble assez tardive pour que les juges jurent. L’expression « lois établies » pourrait avoir un sens plus général.

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sentiments d’hostilité ou de sympathie envers les plaideurs. Or, de toute évidence, malgré ces serments, les événements de l’oligarchie restaient présents dans la mémoire des Athéniens et, dès lors, dans les discours des plaideurs devant les tribunaux : ils avaient le droit d’y faire référence, dans la mesure où les serments n’étaient pas violés. La deuxième raison est liée à la fonction du serment comme moyen d’éviter les erreurs du passé. Si l’on peut se fier aux plaidoyers de Lysias, ces derniers ont posé la question d’une période troublée juste après la restauration de la démocratie en 410, pendant laquelle même des innocents ont été déférés devant la justice, dans une cité qui voulait punir tous les suspects et les coupables de l’oligarchie.

Composition du corps des juges Qui étaient ces juges qui prêtaient le serment ? Si l’on commence par le texte d’Aristote5, l’auteur cite d’abord les procès qui concernent les causes de meurtre et qui auront lieu, conformément aux procédures traditionnelles, devant les tribunaux qui jugent les cas d’homicide6. Aristote cite, par la suite, le serment et précise que les injustices commises par les Trente, les Dix qui avaient succédé aux Trente, les Onze et les gouverneurs du Pirée ne seront pas amnistiées, à moins que ces quatre groupes ne rendent leurs comptes. Il fait, à cet égard, une distinction qui porte sur le corps devant lequel ils doivent rendre compte : ceux qui sous les Trente ont gouverné le Pirée rendront leurs comptes devant les gens Aristote, Constitution d’Athènes, ΧΧΧΙΧ. 5-6 Τὰς δὲ ‖ δίκας τοῦ φόνου εἶναι κατὰ τὰ πάτρια, εἴ τίς τινα αὐτοχειρίᾳ ἔκτεινεν ἢ ἔτρωσεν. Τῶν δὲ παρεληλυθότων μηδενὶ πρὸς μηδένα μνησικακεῖν ἐξεῖναι, πλὴν πρὸς τοὺς τριάκοντα καὶ τοὺς δέκα καὶ τοὺς ἕνδεκα καὶ τοὺς τοῦ Πειραιέως ἄρξαντας, μηδὲ πρὸς τούτους, ἐὰν διδῶσιν εὐθύνας. Εὐθύνας δὲ δοῦναι τοὺς μὲν ἐν Πειραιεῖ ἄρξαντας ἐν τοῖς ἐν Πειραιεῖ, τοὺς δ’ ἐν τῷ ἄστει ἐν τοῖς τὰ τιμήματα παρεχομένοις. : « Les procès pour meurtre auront lieu suivant les lois des ancêtres au cas où quelqu’un a tué ou blessé quelqu’un de sa propre main. Nul n’aura le droit de reprocher le passé à personne, sauf aux Trente, aux Dix, aux Onze et à ceux qui ont gouverné le Pirée, ni même à ceux-­ci après leur reddition de comptes. Les magistrats ayant rempli leurs fonctions au Pirée rendront leurs comptes aux gens du Pirée ; ceux qui les ont remplies dans la ville, aux citoyens ayant un revenu déclaré. » (trad. G. Matthieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée). 6 Cette phrase se trouve avant la citation des termes du serment à propos de la réconciliation. On pense ainsi souvent qu’elle implique que les accusations de meurtre n’en relèvent pas. Cf. Rhodes 1981, 468 ; Loening 1987, 40 ; Wolpert 2002, 32. Toutefois, Joyce 2016 a raison de souligner que cette phrase ne fait pas référence aux meurtres commis pendant les Trente, mais aux meurtres qui seront commis dans le futur et qui seront jugés selon les procédures habituelles. 5

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du Pirée (οἱ ἐν Πειραιεῖ) ; ceux qui ont exercé leur pouvoir dans la ville seront jugés par ceux qui sont caractérisés comme « citoyens ayant un revenu déclaré » (οἱ τὰ τιμήματα παρεχόμενοι)7. Il est avant tout surprenant que les Athéniens aient posé cette distinction comme critère préalable au jugement des quatre groupes, ce qui est unique dans l’histoire des tribunaux. D’habitude, les procès ont lieu devant les tribunaux, indépendamment de l’origine des plaideurs. Selon toute vraisemblance – étant donné la situation exceptionnelle dans laquelle Athènes se trouvait et l’accord passé grâce à l’arbitrage du roi Pausanias –, les Athéniens ont pensé que le jugement le plus approprié et le plus juste serait celui qui attribuerait à tel ou tel groupe ce qui lui convenait : « les gens du Pirée »8 (ce sont les démocrates) – réunis en une assemblée ou siégeant en tribunal – jugeraient les gouvernants du Pirée et « les citoyens ayant un revenu déclaré » les autres dirigeants. Toutefois, alors que dans le premier cas on pose le critère de l’origine des juges, dans le cas de « ceux qui ont un revenu déclaré » il n’y a pas de condition semblable. Les Trente, les Dix et les Onze gouvernaient toute l’Attique et devaient être jugés par Carawan 2013, 75-78, 148-150, énonce l’hypothèse que la phrase Τῶν δὲ παρεληλυθότων […] ἐὰν διδῶσιν εὐθύνας et la phrase Εὐθύνας δὲ δοῦναι […] τοῖς τὰ τιμήματα παρεχομένοις représentent deux phases différentes de la réconciliation, la première correspondant en 401/0 et la deuxième en 403/2, et que le texte d’Aristote est très concis sur ce point. Quoi qu’il en soit, cette hypothèse n’influence pas notre argumentation sur la composition du tribunal populaire. Pourtant, sa proposition que l’expression τοὺς μὲν ἐν Πειραιεῖ ἄρξαντας correspondrait aux démocrates du Pirée et non aux Dix du Pirée est douteuse. Voir Aristote, Constitution d’Athènes, XXXV. 1. 8 Je voudrais m’attarder aussi sur l’expression τοῖς ἐν Πειραιεῖ et voir si elle renvoie à l’existence au Pirée d’un autre tribunal, distinct du tribunal qu’on connaît pour certains cas d’homicide et qui portait le nom de « Phréatos » (Aristote, Constitution d’Athènes, LVII. 3). On ne dispose pas d’autres sources littéraires ou épigraphiques qui pourraient justifier son existence. L’archéologie ne peut pas non plus nous aider, puisqu’on ne connaît aucune trace architecturale et que les dix bulletins de vote trouvés dans la région du Pirée pourraient correspondre au tribunal de Phréatos. Cf. MacDowell 1963, 83-84. Voir Boegehold et al. 1995, 94-95, 98, qui soutient l’existence d’un tribunal populaire au Pirée. Les inscriptions IG II2, 244 et IG II2, 1669 font état de l’existence d’un tribunal, mais elles ne précisent pas que ce tribunal se trouve au Pirée. Devant cette incertitude on ne peut pas exclure l’éventualité de l’existence d’un tribunal populaire au Pirée, mais la même incertitude impose de poser quelques points d’interrogation. Il me semble difficile de penser qu’un certain nombre de juges se réunissaient de façon presque journalière au Pirée, assez loin du centre d’Athènes ; on s’attendrait plutôt à ce qu’un tribunal soit composé majoritairement et pour des raisons de facilité de juges originaires du Pirée et des régions proches du Pirée. Or, l’existence d’un tel tribunal, qui reposerait, en effet, sur le critère d’origine, n’est pas conforme aux règles de composition des tribunaux héliastiques. 7

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les Athéniens venus de toutes les régions de l’Attique, tandis que le comité des Dix du Pirée était un comité plutôt local, créé ad hoc pour la période des Trente9. L’interprétation de l’expression τοῖς τὰ τιμήματα παρεχομένοις (expression curieuse) fait débat10. D’un côté, le mot τίμημα11 a plusieurs sens, en fonction du contexte linguistique. D’un autre côté, le participe παρεχόμενοι, forme passive, a un sens actif12. L’ensemble de l’expression n’a pas d’équivalent dans le texte d’Aristote, à l’exception de l’expression τοῖς ὅπλα παρεχομένοις («  ceux qui étaient en état de s’armer en hoplites ») de la loi attribuée à Dracon13, mais qui n’est d’aucune aide pour le passage en question. Il faut donc l’étudier en fonction du passage où elle se trouve. Cette expression prend plutôt le sens de ceux qui possèdent une propriété imposable. Dans l’Athènes classique du Ve siècle, on le sait, il n’existait pas d’impôts sur la propriété ; le seul impôt extraordinaire était l’eisphora, qui était imposée en temps de guerre sur la propriété d’un individu capable de payer une somme suffisante, d’où le fait que les Athéniens pauvres en étaient exclus14. On doit dès lors reconnaître dans τοῖς τὰ τιμήματα παρεχομένοις ceux qui possédaient des biens suffisants, quels qu’ils fussent, et exclure ceux qui n’en avaient pas, soit les thètes ou même des hoplites. Par conséquent, tous les Athéniens n’étaient pas compétents pour participer à la reddition de comptes des oligarques. Si l’on tente une reconstitution plus détaillée des juges en question, la documentation n’est pas suffisante. On pense au plaidoyer de Lysias Contre Ératosthène, dont la datation et la cause soulèvent encore des questions (n° 40)15. Le plaidoyer date, selon la plupart des savants, de la fin de 9



Cf. Rhodes 1981, 470 ; Krentz 1982, 106. Contra Loening 1987, 47-48 ; Wolpert 2002, 33 ; Carawan 2013, 161-162, qui proposent d’interpréter l’expression τοῖς τὰ τιμήματα παρεχομένοις comme évoquant les juges qui viennent seulement de la ville et non de l’Attique tout entière. 10 Sur les propositions concernées, voir Rhodes 1981, 470-471 ; Krentz 1982, 106-107 n. 13 ; Loening 1987, 48-49. 11 Voir Liddell – Scott – Jones, s. v. : 1. Paiement – amende – peine 2. Coût – dépense 3. Propriété, patrimoine, capital – « Estimation d’un bien, d’une fortune, dans un sens fiscal. Cette évaluation, effectuée par le détenteur, se faisait en liaison avec la levée d’une eisphora ». Sur ce troisième sens, j’ai cité Brun 1983, 8. 12 Voir Liddell – Scott – Jones, s. v. 13 Aristote, Constitution d’Athènes, IV. 2. 14 Sur l’eisphora, voir Ste Croix 1953, 30-70  ; Thomsen 1964  ; Brun 1983, 3-73  ; Migeotte 2014, 518-524. 15 Il y a aussi question si le plaidoyer a été prononcé devant le tribunal. Voir à ce propos, Wolpert – Kapparis 2011, 32.

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403 ou, d’après l’opinion la moins communément admise, de 401/016. Il fut écrit afin d’accuser Ératosthène, cité par Xénophon dans la liste des Trente17, d’avoir procédé à l’arrestation du frère de Lysias, Polémarque, et d’être, ainsi, responsable de sa mort. La majorité des commentateurs du discours penche aussi pour la poursuite d’Ératosthène à l’occasion de sa reddition de comptes18, conformément à l’esprit des serments. Ainsi, au cas où l’on accepte une datation juste après l’abolition des Trente et son accusation lors de la reddition de comptes, les juges devant lesquels la cause fut plaidée pourraient être οἱ τὰ τιμήματα παρεχόμενοι19. Malheureusement, le texte de Lysias n’emploie qu’un terme général ἄνδρες δικασταί (« juges »20), ce qui rend difficile une conclusion ferme quant à la composition exacte du tribunal. À côté de ce terme il emploie aussi l’expression ἄνδρες Ἀθηναίοι (« Athéniens »21), pour s’adresser aux mêmes juges ; il identifie, ainsi, une partie judiciaire au corps entier des Athéniens, une identification qui est très fréquente dans plusieurs discours et indique parfaitement l’opinion des Athéniens concernant leur tribunal populaire. Privé d’autres précisions, on peut seulement soutenir que la restriction qu’on trouve dans le passage d’Aristote est une procédure d’exception – le fruit de l’accord passé grâce à l’arbitrage du roi Pausanias – et ne peut pas être expliquée dans le cadre normal des institutions. Les raisons de cette restriction sont probablement liées à l’esprit de la réconciliation. Comme le souvenir des événements passés était très vif dans les procès contre les oligarques et comme ceux qui appartenaient aux groupes inférieurs avaient été exclus de la liste des Trois Mille et avaient subi les plus grands malheurs pendant le gouvernement des Trente, on a décidé d’imposer cette restriction pour éviter une justice trop rigoureuse, qui mettrait en péril la concorde dans la cité22. En outre, le passage d’Aristote montre que cette restriction concernait seulement cette catégorie de coupables. Pour les autres cas judiciaires, il ne dit rien sur la composition des tribunaux. 16

Voir Blass I, 542 ; Gernet – Bizos 1924, 159 ; Lamb 1930, 225 ; Orfanos 2010, viiviii ; Wolpert – Kapparis 2011, 33. Contra Loening 1987, 70-71 ; Carawan 2013, 139, qui proposent une datation vers 401/0, mais chacun pour des raisons différentes. 17 Xénophon, Helléniques, II. 3. 2. 18 Voir Gernet – Bizos 1924, 157 ; Lamb 1930, 222 ; Dover 1968, 44 ; Rhodes 1981, 471 ; Wolpert 2002, 59, 160 n. 32 ; Orfanos 2010, vii-viii ; Wolpert – Kapparis 2011, 32 ; Carawan 2013, 139. Contra Loening 1987, 70-71, pour une action de meurtre. 19 Cf. Orfanos 2010, xviii n. 29. 20 Lysias, Contre Ératosthène, 1, 3, 11, 34, 37, 49, 71, 74. 21 Ibid., 69. Voir le Tableau 3 sur les apparitions de ces termes dans les plaidoyers. 22 Cf. Wolpert 2002, 33.

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Il convient, sur ce point, d’étayer l’étude par les plaidoyers de la période. Si l’on commence par le discours de Lysias, Au sujet de l’examen d’Évandros (daté de 382), on y voit que le plaideur reproche aux Athéniens d’avoir accordé aux anciens oligarques le droit de siéger avec les démocrates dans les tribunaux et de délibérer à l’Assemblée sur les affaires communes23. De même, les plaidoyers montrent que les tribunaux étaient composés autant des Athéniens qui avaient lutté contre l’oligarchie (les gens du Pirée) que des Athéniens qui n’avaient pas quitté la ville sous les Trente (les gens de la Ville)24. En effet, dans les plaidoyers qui datent de la première décennie après la restauration de la démocratie, les plaideurs s’adressent aux juges de deux manières différentes : soit ils utilisent des expressions qui identifient tous les juges au groupe des démocrates et des gens du Pirée25, soit ils établissent une distinction entre les juges qui appartenaient aux gens de la Ville et ceux qui étaient des gens du Pirée26. Cette deuxième catégorie d’expressions n’est pas employée aussi fréquemment que la première et ne cherche pas à accuser les juges27, ce qui aurait un impact négatif, au détriment de la personne qui parle. En revanche, dans les passages correspondants, il s’avère que la distinction est faite pour mettre en valeur la réconciliation entre les deux groupes et l’unité qui existe désormais dans la cité.

Le système de répartition des juges au sein des tribunaux L’Assemblée des femmes d’Aristophane date de la fin des années 39028. Dans cette œuvre, Aristophane décrit de manière très allusive la répartition des juges dans les tribunaux. Comme nous l’avons vu, selon Lysias, Au sujet de l’examen d’Évandros, 2 καὶ τοῦ δικάζειν καὶ τοῦ ἐκκλησιάζειν περὶ τῶν κοινῶν μετέδοτε : « mais vous leur avez accordé le droit de siéger avec vous dans les tribunaux et de délibérer à l’assemblée sur les affaires communes » (trad. L. Gernet – M. Bizos). 24 Cf. Cloché 1915, 387 ; Krentz 1982, 117. 25 Andocide, Sur les Mystères, 81, 103  ; Isocrate Sur l’Attelage, 12, 13, 50, Contre Callimachos, 2, 42, 61 ; Lysias, Contre Agoratos, 1, Sur la Confiscation des biens du frère de Nicias, 17, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie, 1, 18, 20, 21, 22, 29. Voir aussi Lysias, Contre Théomnestos I, 4, qui date de 384/3. 26 Isocrate, Contre Callimachos, 45, 46 ; Lysias, Contre Andocide, 39, Contre Ératosthène, 92-93, Contre Agoratos, 88, Sur la Confiscation des biens du frère de Nicias, 17. 27 Cf. Orfanos 2010, 81. 28 Sur la datation de cette œuvre d’Aristophane, voir Seager 1967, 107 n. 110 ; Strauss 1986, 149 n. 85 ; MacDowell 1995, 303 et n. 4. 23

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les renseignements qu’on peut tirer des Guêpes, datées de 422, au Ve siècle chaque juge siégeait pendant toute l’année dans un tribunal déterminé et sous la présidence d’un magistrat déterminé29. Cela implique que, dans l’Athènes du Ve siècle, on savait d’avance le tribunal dans lequel chaque juge siégerait et le type d’affaire qu’il jugerait, puisque chaque magistrat présidait des sessions spécifiques. Dans l’Assemblée des femmes, on ne trouve plus ce système30. Selon le nouveau système, les juges ne savaient pas d’avance dans quel tribunal ils siégeraient, puisque la répartition des juges dans les divers tribunaux s’effectuait le jour même de la réunion. Chaque juge était identifié par une lettre de l’alphabet (βῆτα, θῆτα, κάππα) et le groupe entier des juges qui portaient la même lettre était tiré au sort pour siéger à un tribunal le jour de la réunion de ce tribunal31. L’Assemblée des femmes montre que ce système était en vigueur vers la fin des années 390, ce qui fait de l’année de la présentation de la comédie un terminus ante quem pour dater la réorganisation du système judiciaire. Εn ce qui concerne le terminus post quem, il va de soi que l’ancien système n’avait pas changé avant la fin des années 420. Bien que l’argumentum e silentio doive être employé avec prudence, il faut remarquer que ni Aristote ne le mentionne quand il fait référence à Anytos et à l’invention d’une méthode de corruption des juges, ni Aristophane, qui aime pourtant les références au système judiciaire d’Athènes, n’y fait allusion dans les Grenouilles (405), sa dernière comédie entièrement conservée avant l’Assemblée des femmes. Conformément à 29

Aristophane, Guêpes, v. 230-244, 303-306, 1107-1109. Aristophane, Assemblée des femmes, v. 681-689 Τὰ δὲ κληρωτήρια ποῖ τρέψεις; Εἰς τὴν ἀγορὰν καταθήσω·| κᾆτα στήσασα παρ᾽ Ἁρμοδίῳ κληρώσω πάντας, ἕως ἂν| εἰδὼς ὁ λαχὼν ἀπίῃ χαίρων ἐν ὁποίῳ γράμματι δειπνεῖ.| Καὶ κηρύξει τοὺς ἐκ τοῦ βῆτ᾽ ἐπὶ τὴν στοιὰν ἀκολουθεῖν| τὴν Βασίλειον δειπνήσοντας· τὸ δὲ θῆτ᾽ ἐς τὴν παρὰ ταύτην,| τοὺς δ᾽ ἐκ τοῦ κάππ᾽ ἐς τὴν στοιὰν χωρεῖν τὴν ἀλφιτόπωλιν.| Ἵνα κάπτωσιν; Μὰ Δί᾽ ἀλλ᾽ ἵν᾽ ἐκεῖ δειπνῶσιν. Ὅτῳ δὲ τὸ γράμμα| μὴ ‘ξελκυσθῇ καθ᾽ ὃ δειπνήσει, τούτους ἀπελῶσιν ἅπαντες;| Ἀλλ’ οὐκ ἔσται τοῦτο παρ’ὑμῖν. : « Et les machines à tirer au sort, où les feras-­tu passer ? Je les installerai sur l’Agora. Puis, ayant placé tout le monde près d’Harmodios, je les tirerai au sort, et chacun s’en ira gaiement, sachant à quelle lettre il dînera. Le héraut dira à ceux du bêta d’aller dîner à la stoa Basileios, au thêta de se rendre au portique voisin ; à ceux du kappa, au portique du marché aux céréales. Pour y happer ? Non, par Zeus, mais pour y dîner. Mais ceux pour qu’il n’aura pas été tiré de lettre donnant droit au dîner, ceux-­là les repoussera-­t-on tous ? Mais cela n’aura pas lieu chez nous. » (trad. H. van Daele, légèrement modifiée). 31 Sur les détails de ce système, voir Harrison 1971, 240-241 ; MacDowell 1978, 36-38 ; Boegehold 1984, 25-26 ; Boegehold et al. 1995, 34 ; Birgalias 2007b, 32. 30

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l’histoire politique d’Athènes, il semble que la période la plus adaptée à un tel changement est celle qui suit la restauration de la démocratie32. Si on pense à la corruption de la justice pendant les oligarchies de 411 et 404 et au caractère des réformes de la restauration, prises afin de protéger le régime démocratique et les nouvelles lois, l’invention d’un système qui assurerait l’intégrité des juges chargés de protéger les lois dans les tribunaux servait les buts de la démocratie.

La reprise des procès Il est admis que les procès reprirent parallèlement à la constitution des tribunaux. Or, des doutes se sont exprimés à propos de la date du déroulement des premiers procès privés. Selon un passage tiré du plaidoyer de Lysias, Contre le Trésor, au sujet des biens d’Ératon33, les procès privés, suspendus pendant la période des Trente, furent rétablis à partir du moment où la paix fut conclue, la conclusion de la paix signifiant ici le rapprochement des démocrates et des oligarques. Le texte donne aussi une date plus précise pour ce rétablissement, dont l’interprétation fait l’objet 32

Cf. Harrison 1971, 240 ; Rhodes 1995, 308 ; Hansen 19992, 183. En revanche, Boegehold 1984, 24-25, penche pour une datation vers 410/9, suite à la première restauration de la démocratie. Il s’appuie sur trois éléments. Le premier est la méthode de corruption inventée par Anytos en 409. Le deuxième est l’institution la même année d’un nouveau système de répartition des sièges au Conseil [FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 140], ce qui se rapproche de la répartition des juges entre les tribunaux. Le troisième est l’attestation du mot klèrôtèrion dans la comédie fragmentaire Le Viel Âge d’Aristophane (voir fr. 152 Henderson). Or, la datation de la comédie aux environs de 410 n’est pas assurée et dépend de l’interprétation qu’on fera du mot klèrôtèrion. Sur la datation de la comédie, voir Henderson 2007, 183. Il me semble que Boegehold utilise un argument circulaire, parce que la datation de la comédie autour de 410 est utilisée pour montrer que le klèrôtèrion était connu avant Anytos et institué, en premier, pour la répartition des conseillers dans leurs sièges, après quoi il a été très rapidement utilisé pour les procédures judiciaires, tandis que la datation de la comédie vers 410 impose que le klèrôtèrion était lié à la pratique du Conseil. Le fragment d’Aristophane ne donne pas de renseignements sur ce point. 33 Lysias, Contre le Trésor, au sujet des biens d’Ératon, 3 ἐπειδὴ δὲ εἰρήνη ἐγένετο, ὅτε περ πρῶτον αἱ ἀστικαὶ δίκαι ἐδικάζοντο, λαχὼν ὁ πατὴρ παντὸς τοῦ συμβολαίου Ἐρασιστράτῳ, ὅσπερ μόνος τῶν ἀδελφῶν ἐπεδήμει, κατεδικάσατο ἐπὶ Ξεναινέτου ἄρχοντος : « Mais, la paix conclue, aussitôt qu’on se remit à juger les actions privées, mon père intenta un procès pour le prêt entier à Érasistratos, le seul des frères qui se trouvât en Attique : il obtint condamnation sous l’archontat de Xénainétos. » (trad. L. Gernet – M. Bizos). Sur la traduction de l’expression ἀστικαὶ δίκαι, voir Whitehead 2002, 72 n. 6. J’ai adopté la traduction « procès privés ».

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de débats. Ainsi, d’après le texte, le père du plaideur intenta un procès à Érasistratos et obtint sa condamnation sous l’archontat de Xénainétos, en 401/0. Cette phrase pourrait démontrer, dans une première lecture, que le déroulement des procès privés recommença en 401/0, à peu près deux ans après la restauration de la démocratie34, et, ainsi, nécessiterait de revoir la datation d’un certain nombre de plaidoyers35 traditionnellement datés plus tôt. Cette lecture n’est cependant pas satisfaisante, puisque le contenu même de la phrase de Lysias peut donner la réponse. Le texte montre clairement que le père du plaideur ne porta pas son accusation contre Érasistratos tout de suite après la remise en route des procès privés. Au contraire, son accusation traîna, parce qu’il ne pouvait pas trouver tous les accusés qu’il devait déférer devant le tribunal, à cause de leur absence de l’Attique ; il porta, ainsi, l’accusation contre Érasistratos, qui était le seul présent parmi les frères. De plus, la syntaxe de la phrase lie la date donnée au moment où Érasistratos fut condamné et non au moment d’inauguration de la procédure et il la lie, d’autre part, au procès contre Érasistratos et non à l’ensemble des procès de la période. Cela plaiderait en faveur de l’idée que les procès privés recommencèrent peu de temps après le redressement de la démocratie, soit en 403/2 soit au début de l’année 402/136.

Les procès et les procédures judiciaires Les Athéniens élurent, en même temps, un comité provisoire de vingt membres, chargés d’administrer la cité jusqu’à la remise en place d’un nouveau corps de lois37. Parmi ces lois furent votées aussi des lois qui concernaient les procès et les procédures judiciaires. Pour mieux comprendre le passage tiré du plaidoyer d’Andocide, Sur les Mystères, d’où on peut tirer ces informations, il faut préalablement évoquer son contexte 34

C’est l’opinion exprimée par MacDowell 1971b, 267 et adoptée aussi par Rhodes 1981, 471. 35 Voir MacDowell 1971b, 273. 36 Cf. Loening 1987, 120-121 ; Carawan 2002, 8 n. 29 ; Whitehead 2002, 72-82, avec une réponse détaillée à l’opinion de MacDowell 1971b. Voir aussi Carawan 2013, 110-112. 37 Andocide, Sur les Mystères, 81. Ce n’est pas mon propos ici de discuter cette procédure, mais je me contenterai de dire qu’elle fait l’objet de nombreux débats, en raison des difficultés de lecture et de conciliation des textes d’Andocide et Lysias. Pour la bibliographie correspondante, voir chapitre II, n. 34.

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dans le discours : c’est l’accusation (endeixis) portée contre Andocide pour avoir violé, après la restauration de la démocratie, le décret d’Isotimidès, voté en 415, selon lequel Andocide était privé du droit de fréquenter l’Agora et les sanctuaires38. 87 Τὰς δὲ δίκας καὶ τὰς διαίτας κυρίας εἶναι, ὁπόσαι ἐν δημοκρατουμένῃ τῇ πόλει ἐγένοντο. Τοῖς δὲ νόμοις χρῆσθαι ἀπ᾽ Εὐκλείδου ἄρχοντος. 88 Τὰς μὲν δίκας, ὦ ἄνδρες, καὶ τὰς διαίτας ἐποιήσατε κυρίας εἶναι, ὁπόσαι ἐν δημοκρατουμένῃ πόλει ἐγένοντο, ὅπως μήτε χρεῶν ἀποκοπαὶ εἶεν μήτε δίκαι ἀνάδικοι γίγνοιντο, ἀλλὰ τῶν ἰδίων συμβολαίων αἱ πράξεις εἶεν· τῶν δὲ δημοσίων ὁπόσοις ἢ γραφαί εἰσιν ἢ φάσεις ἢ ἐνδείξεις ἢ ἀπαγωγαί, τούτων ἕνεκα τοῖς νόμοις ἐψηφίσασθε χρῆσθαι ἀπ᾽ Εὐκλείδου ἄρχοντος.

« . – Auront autorité les sentences de juges et d’arbitres prononcées sous le gouvernement démocratique. On se servira des lois à partir de l’archontat d’Euclide. Citoyens, si vous avez voulu que seules fussent valables les sentences de juges et d’arbitres prononcées sous le gouvernement démocratique, c’est afin que les dettes ne fussent point abolies, que des procès ne fussent point rouverts, et que les contrats particuliers fussent exécutoires. Quant aux crimes publics qui motivent l’action publique (graphè), la dénonciation (phasis), l’accusation (endeixis), l’arrestation (apagôgè), c’est pour ceux-­là que vous avez voté d’appliquer les lois à partir de l’archontat d’Euclide. » (trad. G. Dalmeyda, modifiée).

Il s’agit d’un passage où les difficultés d’interprétation abondent, parce qu’il est écrit dans un style elliptique et avec une ambiguïté délibérée. On distingue deux parties : la citation de la loi et le commentaire qui en est fait. Les deux parties sont liées de manière cohérente, mais on se heurte à la difficulté de comprendre chaque partie séparément. Conformément à la nouvelle loi, les décisions qui ont été prises dans les procès privés et dans les arbitrages pendant la période de la démocratie, avant les Trente, restaient valables après la restauration de la démocratie39. Cette décision a été prise, selon Andocide, dans l’esprit général de réconciliation, afin que la cité ne soit pas perturbée par la réouverture d’affaires dans une période critique pour le redressement de 38

Andocide, Sur les Mystères, 71  ; Lysias, Contre Andocide, 24. Cf. Loening 1987, 140-145 ; Wolpert 2002, 66-67 ; Todd 2007, 399-403. 39 Cf. MacDowell 1962, 128-129 ; Rhodes 1991, 96-97 ; Carawan 2002, 10 ; Wolpert 2002, 33-34 ; Carawan 2013, 86.

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la constitution. Ce qui est difficile à expliquer se trouve dans la deuxième phrase qui accompagne cette première clause et prévoit que les lois seront mises en vigueur à partir de l’archontat d’Euclide (403/2). Cette formulation donne l’impression qu’elle n’est pas directement liée à la clause précédente et qu’elle a été ajoutée à la loi40. Il est donc possible de la considérer comme une loi différente de celle qui concerne les affaires privées41. Dans le commentaire qui suit, Andocide la lie aux affaires publiques. En effet, il fait référence aux crimes qui sont portés devant la justice par voie des procédures de caractère public et pour lesquels les lois seront appliquées à partir de l’archontat d’Euclide. D’où l’hypothèse vraisemblable et conforme à l’esprit de la réconciliation, qu’au cas où quelqu’un portait une accusation publique, cette accusation pouvait être valable si elle portait sur des faits commis à partir de 40342. Or, il convient de faire preuve de prudence face à l’explication qu’Andocide donne de ces deux lois, parce qu’il met sous le même argument des dispositions différentes, pour créer une confusion et persuader les juges que les lois et les jugements avant 403 n’étaient pas valables dans son cas, qui était un procès public43. Par voie de conséquence, à partir du passage d’Andocide, il vaudrait mieux garder à l’esprit qu’une partie du nouveau corps des lois concernait le fonctionnement de la justice et la réorganisation du cadre légal dans lequel les tribunaux pouvaient désormais fonctionner. Il ne faut pas oublier que pendant l’oligarchie de 404 l’un des premiers domaines touchés a été celui de la justice et que les Trente avaient aboli une série de lois, dont celles d’Éphialte. La nécessité est donc apparue pour la cité de rétablir et redéfinir le domaine de la justice. On pourrait attribuer à cette redéfinition juridique la restauration de deux procédures principales de la protection du régime et leur intégration dans le nouveau corps des lois, l’action en illégalité et l’eisangélie. Ces actions avaient un caractère essentiellement politique et ajoutaient un pouvoir supplémentaire aux tribunaux garants des lois de la cité44. Elles étaient aussi un moyen de « contrôler » les divers orateurs du IVe siècle qui n’exerçaient pas de magistrature proprement dite et, ainsi, ne pouvaient pas être jugés par voie de dokimasia, de reddition de comptes ou de destitution. En ce qui concerne l’eisangélie, les sources ne disent pas clairement si la 40

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Voir Carawan 2002, 10 n. 42, 17 n. 67 ; id. 2013, 202. Voir Canevaro – Harris 2012, 117. Cf. Sickinger 1999, 100-101 ; Carawan 2013, 192-193. Voir MacDowell 1962, 129 ; Joyce 2016. Cf. Mossé 1974, 213-214 ; Yunis 1988, 377-378.

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loi qui l’a réglementée et a défini les cas où elle serait applicable, dont on trouve des dispositions chez Hypéride45, fut établie à l’occasion de la restauration de la démocratie et de la révision des lois ou même un peu avant46. Il est certain, pourtant, que la restauration définitive de la démocratie en 403/2 avait besoin de son rétablissement et de mesures rigoureuses afin de protéger la cité. Le rétablissement de l’action en illégalité est confirmé dans deux procès, datés des premières années de la démocratie. On date le premier vers 403/2-402/1. Archinos accusa comme étant illégal le décret proposé par Thrasybule de Stiria et ratifié par l’Assemblée, qui octroyait le droit de citoyenneté à tous ceux qui avaient participé à la lutte des démocrates contre les Trente. Archinos gagna le procès et la proposition fut rejetée (n° 41)47. Pour ce procès, Lysias écrivit le plaidoyer Contre Archinos, qui n’est pas conservé48. Vu que le programme politique de la cité visait à sa réorganisation, le décret de Thrasybule, qui proposait la naturalisation des hommes hostiles aux oligarques, pouvait mettre en péril la concorde souhaitable49. On peut supposer que l’Assemblée ratifia, dans un premier temps, le décret, enthousiaste peut-­être après la victoire et devant la contribution de cette partie de la population de l’Attique à l’abolition de l’oligarchie, et influencée aussi par le pouvoir que Thrasybule exerçait à ce moment50. Il semble, pourtant, qu’une deuxième «  lecture  » et qu’une présentation des avantages et des inconvénients de ce décret devant un tribunal conduisit les juges à l’annuler51. Le tribunal prit une décision proprement politique en rejetant son application et en protégeant la restauration de la démocratie. Il ne s’agit pas, d’ailleurs, 45

Hypéride, Pour Euxénippos, 7-8. Pour un résumé des différentes dates proposées, voir Hansen 1975, 17. Harrison 1971, 53, choisit une datation vers 410. Hansen 1975, 17, lui-­même propose que la loi correspondante fut établie à l’occasion de la première restauration de la démocratie. Mossé 1974, 213, penche pour une datation après la deuxième restauration. 47 Aristote, Constitution d’Athènes, XL. 2 ; Eschine, Contre Ctésiphon, 195 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 835f-836a. Cf. Hansen 1974, 29 ; Rhodes 1981, 476 ; Yunis 1988, 373. 48 [Plutarque], Œuvres Morales, 835f. 49 Cf. Krentz 1982, 110-111 et 113 n. 4 ; Wolpert 2002, 42-43. 50 Cf. Finley 1983, 55, sur une décision précipitée de l’Assemblée que l’action en illégalité pouvait annuler ; Yunis 1988, 378, sur le fait que l’action en illégalité donnait au peuple la possibilité d’accuser un individu pour avoir exploité la volonté du peuple et pour lui avoir fait voter un décret. 51 Hansen 1974, 50-51, présente les raisons pour lesquelles un tribunal pouvait annuler un décret que l’Assemblée avait voté. Sur un résumé de ces raisons et leur critique, voir Sundahl 2003, 132-136. 46

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du seul exemple où une décision prise dans le cadre de l’Assemblée fut, par la suite, transférée devant le tribunal avant d’être finalement annulée. En revanche, pour ce qui concerne le deuxième procès d’action en illégalité, daté des mêmes années, le résultat de la décision du tribunal n’est probablement pas connu52. Il concerne une accusation portée contre Théozotidès pour avoir proposé un décret illégal (n° 42)53. Un article de ce décret excluait les fils naturels et les fils adoptifs des citoyens tués par l’ennemi du privilège d’être élevés aux frais de la cité, comme c’était le cas pour les autres fils d’Athéniens. Un deuxième article du décret réduisait la solde des cavaliers en temps de guerre, en augmentant, au contraire, celle des archers à cheval54. Une nouvelle procédure judiciaire, faisant partie de ce nouveau corps de lois, était la paragraphè, ou exception d’irrecevabilité, instituée au début pour protéger les serments. Le premier témoignage se trouve dans le plaidoyer d’Isocrate, Contre Callimachos (daté de 402/155), qui est aussi le premier plaidoyer écrit pour ce type de procès (n° 46). L’Assemblée, sur proposition d’Archinos, a voté une loi selon laquelle, si quelqu’un portait une accusation en dépit des serments, l’accusé pourrait objecter à son accusateur que son accusation était irrecevable. Ainsi, les rôles étaient inversés, l’accusé devenait l’accusateur et parlait en premier devant le tribunal56. 52

Un décret, proposé par Théozotidès (Matthaiou 2011, 71-73 ; voir aussi O & R, n° 178), stipule que les fils orphelins des citoyens tués pendant l’oligarchie seront élevés par la cité. On débat à propos de la date et du contenu de ce décret. On le date soit autour de 410/9 (voir Matthaiou 2011, 71-81), soit après la restauration de 403/2 et, dans ce deuxième cas, on suppose qu’il fait référence au cas décrit dans le Contre Théozotidès, que Théozotidès a gagné le procès et que le décret a été ratifié (voir Stroud 1971, 280-301 ; Hansen 1974, 30 ; Krentz 1982, 112-113). 53 Sur le débat pour savoir si la proposition de Théozotidès était un décret ou une loi, voir Matthaiou 2011, 77 n. 9. 54 Lysias, fr. VI Gernet – Bizos (Contre Théozotidès). La numérotation des fragments de Lysias suit celle faite par Gernet – Bizos dans la CUF. 55 Voir Mathieu – Brémond 1929, 16 ; Hook 1945, 253 ; Loening 1987, 153 ; Mirhady 2000, 96 ; Whitehead 2002, 89 ; Bouchet 2014, 36. Sur la datation du plaidoyer en 400/399, voir Blass II, 196 ; MacDowell 1971b, 268-269. 56 Isocrate, Contre Callimachos, 2-3 εἰπόντος Ἀρχίνου νόμον ἔθεσθε, ἄν τις δικάζηται παρὰ τοὺς ὅρκους, ἐξεῖναι τῷ φεύγοντι παραγράψασθαι, τοὺς δ᾽ ἄρχοντας περὶ τούτου πρῶτον εἰσάγειν, λέγειν δὲ πρότερον τὸν παραγραψάμενον, ὁπότερος δ᾽ ἂν ἡττηθῇ, τὴν ἐπωβελίαν ὀφείλειν, ἵν᾽ οἱ τολμῶντες μνησικακεῖν μὴ μόνον ἐπιορκοῦντες ἐξελέγχοιντο μηδὲ τὴν παρὰ τῶν θεῶν τιμωρίαν ὑπομένοιεν ἀλλὰ καὶ παραχρῆμα ζημιοῖντο : « Sur la proposition d’Archinos vous avez voté une loi d’après laquelle, si quelqu’un intente un procès contraire aux serments, le défendeur pourra opposer une exception, les magistrats soumettront tout

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La paragraphè soulève un certain nombre de questions quant à son fonctionnement et son contenu. Elles concernent, en principe, le type de procès, privé ou public, auquel la paragraphè s’adresse, ainsi que le sujet très débattu du déroulement d’un ou de deux procès, au cas où la paragraphè était rejetée par le tribunal57. Il n’y a pas lieu ici d’essayer de les résoudre. Il convient, en revanche, de s’attarder sur le caractère de cette procédure, qui constitue une étape importante dans l’évolution de la justice à Athènes. Assurément, avant l’introduction de la paragraphè, et même après, les magistrats qui accueillaient les actions étaient compétents pour rejeter ou non une affaire. La paragraphè était classée avant sa traduction devant un tribunal, si elle n’était pas légitime. Le plaideur pouvait aussi faire allusion lors de son accusation ou de sa défense à la partie technique du procès et à la légitimité ou non du sujet en question58. Or, à partir de 403, les tribunaux acquirent le droit de juger non seulement l’objet du procès, mais aussi d’examiner parallèlement si l’accusation portée était légitime. La possibilité de déposer une opposition à l’accusation fut désormais instituée par une loi, qui transféra aux tribunaux populaires la responsabilité de décider entièrement de la légitimité de la cause59. À cet égard, il conviendrait d’ajouter une raison supplémentaire à l’explication que donne Isocrate de l’institution de cette procédure. Afin que soit assurée la concorde dans la cité, le peuple a décidé de ne pas se fier seulement à la compétence d’un seul magistrat à propos de la légitimité d’une affaire ou de se reposer sur la décision du tribunal qui pourrait acquitter celui qui a violé les serments, mais de transférer dès le début l’enjeu de l’affaire devant un organe collectif et, ainsi, de démontrer de manière institutionnelle son irrecevabilité60.

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d’abord cette question au tribunal, et celui qui aura opposé l’exception parlera le premier ; le perdant paiera une amende proportionnelle, ceci afin que les gens qui osent rappeler les malheurs passés, non seulement soient convaincus de faux serment, mais encore, sans attendre le châtiment envoyé par les dieux, soient immédiatement punis. » (trad. G. Mathieu – E. Brémond). Sur la discussion de ces problèmes, voir Calhoun 1918, 169-172 ; Paoli 1933, 104-115 ; Gernet 1955, 84 n. 6 ; Wolff 1966, 17-86, 87-105 ; Harrison 1971, 117-119 ; Isager – Hansen 1975, 123-131 ; MacDowell 1978, 215 ; Carawan 2011, 257-259, 289-292. Voir le discours d’Antiphon, Sur le meurtre d’Hérode, où Euxithéos se plaint de cette poursuite par voie d’apagôgè. Cf. Calhoun 1918, 170-171. Cf. Isager – Hansen 1975, 123. Cf. Harris 2013a, 72.

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Deux nouvelles fonctions de l’Héliée à propos des lois ? a. Les nomothètes ? À l’occasion de la restauration de la démocratie, on institua également des procédures à suivre pour réviser les lois en vigueur et en créer de nouvelles. Ces procédures font l’objet de débat depuis longtemps, en raison des difficultés liées à la nature des sources dont on dispose, à savoir, surtout, les plaidoyers de Démosthène61, et à l’absence de toute image cohérente de l’ensemble de ces procédures. D’où les différentes reconstitutions proposées par la recherche moderne62. Même si ce n’est pas le moment d’ouvrir ici la discussion sur les détails de ces questions, on se propose de s’attarder sur le caractère des nomothètes, qui sont, grosso modo, les personnes qui participent à la procédure législative et choisissent soit de maintenir la législation antérieure soit d’introduire une disposition nouvelle63. Deux textes de Démosthène donnent des indices sur leur identité, le premier tiré du Contre Leptine (355/4) et le deuxième tiré du Contre Timocrate (353/2). Contre Leptine, 93-94 Συνίεθ’ ὃν τρόπον, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, ὁ Σόλων τοὺς νόμους ὡς καλῶς κελεύει τιθέναι, πρῶτον μὲν παρ’ ὑμῖν, ἐν τοῖς ὀμωμοκόσιν, παρ’ οἷσπερ καὶ τἄλλα κυροῦται, ἔπειτα λύοντα τοὺς ἐναντίους, ἵν’ εἷς ᾖ περὶ τῶν ὄντων ἑκάστου νόμος […]. Καὶ πρὸ τούτων γ’ ἐπέταξεν ἐκθεῖναι πρόσθε τῶν ἐπωνύμων καὶ τῷ γραμματεῖ παραδοῦναι, τοῦτον δ’ ἐν ταῖς ἐκκλησίαις ἀναγιγνώσκειν, ἵν’ ἕκαστος ὑμῶν ἀκούσας πολλάκις καὶ κατὰ σχολὴν σκεψάμενος, ἃν ᾖ καὶ δίκαια καὶ συμφέροντα, ταῦτα νομοθετῇ.

« Vous voyez, Athéniens, de quelle façon, avec quelle sagesse Solon a réglementé la proposition des lois. Premièrement, elles doivent passer devant vous, vous qui avez prêté serment, vous qui exercez un droit général de confirmation. En deuxième lieu, on annule les lois contraires, pour que, sur toute matière, il

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Démosthène, Contre Leptine, 89-99, Contre Timocrate, 20-23, 33. On distingue trois tendances principales, celle proposée par MacDowell 1975, 62-74, la deuxième par Hansen 1980, 87-104 ; id. 1985, 345-371, et la troisième par Rhodes 1985, 55-60 ; id. 2003, 124-129. J’ajouterai une nouvelle étude de la procédure législative, celle de Canevaro 2013c, 139-160, qui repose sur une critique ferme des sources auxquelles on peut se fier et propose sa propre reconstitution de la procédure. 63 Il faut distinguer ces nomothètes des nomothètes qui avaient participé à la révision des lois en 403/2 (Andocide, Sur les Mystères, 81-84). 62

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n’y ait qu’une loi […]. De plus, Solon a prescrit qu’au préalable, les motions soient exposées devant les Héros éponymes et remises au greffier. Celui-­ci en donne lecture dans les Assemblées, pour que chacun de vous, après plusieurs auditions et mûr examen, les ratifie, si elles sont conformes à la justice et à l’intérêt public. » (trad. O. Navarre – P. Orsini, légèrement modifiée). Contre Timocrate, 21 Ἐὰν δέ τινες τῶν νόμων τῶν κειμένων ἀποχειροτονηθῶσι […]· τοὺς δὲ προέδρους, […], χρηματίζειν ἐπάναγκες πρῶτον μετὰ τὰ ἱερὰ περὶ τῶν νομοθετῶν, καθ᾽ ὅ τι καθεδοῦνται, καὶ περὶ τοῦ ἀργυρίου, ὁπόθεν τοῖς νομοθέταις ἔσται· τοὺς δὲ νομοθέτας εἶναι ἐκ τῶν ὀμωμοκότων τὸν ἡλιαστικὸν ὅρκον.

« Si certaines des lois existantes sont l’objet d’un vote défavorable […]. Les proèdres […] seront tenus de mettre en discussion, aussitôt après les affaires sacrées, la question des nomothètes, les modalités de leur session, les fonds sur lesquels ils seront rétribués. Les nomothètes seront pris parmi les citoyens ayant prêté le serment des héliastes. » (trad. O. Navarre – P. Orsini, légèrement modifiée).

Le premier texte fait suite à la demande faite par Démosthène au greffier de lire la loi qui réglait « autrefois »64 la nomination des nomothètes et inclut le commentaire de Démosthène sur cette loi, qui n’est pas conservée dans le plaidoyer. L’orateur, en s’adressant aux juges, attribue la loi en question à Solon – une attribution conforme à l’esprit de la patrios politeia – et précise qu’un de leurs droits (de juges) consiste en la ratification de lois. L’intérêt de ce passage réside dans l’expression παρ’ ὑμῖν, ἐν τοῖς ὀμωμοκόσιν (« devant vous, vous qui avez prêté serment »), qui, selon la communis opinio, suggère que ceux qui examineront les nouvelles lois soient recrutés parmi ceux qui ont prêté le serment des héliastes65. Un tel recrutement semble logique pour des raisons de facilité – il est plus facile de choisir les nomothètes à partir des candidats déjà désignés pour un autre corps – et puisque les juges sont considérés comme intégrant potentiellement le dèmos tout entier. Du reste, « le but de la loi n’était pas de transférer le pouvoir législatif de l’Assemblée aux tribunaux, mais d’empêcher l’abolition simple et pure de lois par l’Assemblée du peuple »66.

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Je ne vais pas discuter la distinction que Démosthène fait entre lois anciennes et lois en vigueur à son époque et, ainsi, la distinction entre les nomothètes du passé et ceux de son époque. L’institution d’où ils viennent, semble-­t-il, n’a pas changé au cours du temps. Voir, sur ce dernier point, Hansen 1985, 363-365. 65 Cf. Piérart 2000b, 239-243. 66 Voir Piérart 2000b, 241.

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Cela soulève cependant quelques interrogations. Le pronom ὑμῖν (« vous ») peut renvoyer soit aux juges soit à l’ensemble des Athéniens, même dans les plaidoyers et même si habituellement l’orateur fait référence aux juges. Comme ce pronom est suivi par l’expression « ceux qui ont prêté serment » (τοῖς ὀμωμοκόσιν), il est clair qu’il renvoie aux juges qui prêtent le serment héliastique. Dès lors, il semble logique de suggérer, jusqu’à un certain point, que l’expression précise l’auditoire auquel Démosthène s’adresse et montre que les lois peuvent passer devant ceux qui ont prêté le serment. Pourtant, en même temps, cette expression n’exclut pas l’inclusion d’autres personnes, en plus des héliastes, parmi ceux qui ratifient les lois. L’expression signifierait, ainsi, que des nomothètes pouvaient être des héliastes, mais que tous n’étaient pas nécessairement des héliastes67. D’ailleurs, il paraît utile de noter que les passages tirés de ce plaidoyer de Démosthène, y compris le présent, sont assez confus au sujet des détails de la procédure législative et au sujet des compétences des héliastes et des nomothètes68, cette confusion étant volontaire, de sorte qu’ils ne permettent pas d’établir avec certitude l’identité des nomothètes. Pourquoi ne pas penser, comme récemment proposé69, que le paragraphe 93 fait référence à la procédure de l’accusation pour avoir proposé une loi nocive et non à celle de la ratification d’une nouvelle loi ? On peut tirer plus d’informations du deuxième texte de Démosthène, qui conserve l’une des dispositions qui réglementent la révision des lois. D’après cette disposition, les nomothètes proviennent du corps des héliastes et les proèdres de l’Assemblée mettent en discussion les modalités de leur session et les fonds sur lesquels ils seront rétribués. Le texte ne donne pas plus de précisions quant au nombre de nomothètes, à leur mode de désignation ou au lieu où ils siègent. On serait, malgré tout, prêt à se fier à ce texte et à ne plus mettre en doute l’identité des nomothètes. Or, même ce passage, dont l’authenticité est généralement admise, a été récemment mis en doute et on a montré de façon convaincante l’incohérence qui existe Voir aussi dans le même passage du Contre Leptine le jeu entre les mots ἐκκλησίαις et ὑμῶν, puisque les deux publics qui composent l’Assemblée et les tribunaux ne sont pas identiques, vu que tous les Athéniens qui assistaient à l’Assemblée ne composaient pas le tribunal. Cf. Démosthène, Contre Androtion, 59. Voir le parallèle dans Isée, La succession de Philoctémon, 49, où les juges se présentent comme des nomothètes, qui ont institué la loi qui excluait les esclaves et les femmes immoraux de participer aux Thesmophories. 68 Voir les paragraphes 89-93, où la distinction entre la procédure à suivre pour les nouvelles lois et la procédure judiciaire de l’accusation pour avoir proposé une loi nocive n’est pas claire. Cf. Kremmydas 2012, 344-351. 69 Voir Canevaro 2016, 19-23. 67

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entre les dispositions décrites dans la loi et le commentaire de Démosthène sur la procédure législative70. Il est vrai que douter d’un certain nombre de ses dispositions ne signifie pas que l’on rejette en bloc l’ensemble des dispositions du texte qui ne peuvent pas être confirmées par le contexte démosthénien. Ces doutes amoindrissent, toutefois, sa valeur en tant que source fiable pour une reconstitution assurée de la procédure et laisse la question du mode de recrutement des nomothètes ouverte71.

b. L’accusation pour avoir proposé une loi nocive Pendant la révision des lois, on décida également qu’aucun décret ne serait supérieur aux lois72, une décision prise dans l’esprit de l’importance accrue des lois après la restauration. On attribue à cette nouvelle attitude envers les lois l’institution de l’accusation pour avoir proposé une loi nocive (νόμον μὴ ἐπιτήδειον θεῖναι). Cette procédure se rapproche de celle de l’action en illégalité, à la différence que la première examine la légitimité d’une loi et réserve désormais pour l’action en illégalité l’examen de la légitimité des décrets73. La première attestation d’un procès lié à une accusation pour avoir proposé une loi nocive date de 382/1, quand une personne inconnue intenta une telle action à un certain Eudémos, qui fut condamné à mort (n° 66)74. On ignore les conditions dans lesquelles cette action a été intentée. On dispose également du titre du plaidoyer de Lysias Contre Dioclès en faveur d’une loi contre les orateurs, qui ne peut pas être daté plus précisément que dans les années 400-380 (n° 67). Le titre soulève des questions sur le contenu et la procédure du procès. Selon toute vraisemblance, ce discours est lié à la procédure législative, puisque, d’après le titre, Lysias a écrit un discours contre un certain Dioclès, dans lequel son client cherche à défendre une loi établie contre les orateurs75. Hormis cet indice ténu, il 70

Voir Canevaro 2013c, 150-156. L’identité des nomothètes est aussi discutée par Canevaro 2015, qui n’arrive pas à une conclusion ferme. 72 Andocide, Sur les Mystères, 87, 89. 73 Sur l’accusation pour avoir proposé une loi nocive, voir Hansen 1974, 44-48  ; MacDowell 1978, 50 ; Sundahl 2003, 131 ; Kremmydas 2012, 45-49. 74 Démosthène, Contre Timocrate, 138 ἀλλὰ μνησθέντες ὅτι Εὔδημον τὸν Κυδαθηναιᾶ νόμον δόξαντα θεῖναι οὐκ ἐπιτήδειον, οὐ πάλαι, ἀλλ’ ἐπ’ Εὐάνδρου ἄρχοντος ἀπεκτείνατε : « souvenez-­vous d’Eudémos de Kydathènaion : convaincu d’avoir proposé une loi nocive – le fait n’est pas ancien, il date de l’archontat d’Évandros –, vous l’avez condamné à mort » (trad. O. Navarre – P. Orsini). 75 Cf. Whitehead 2002, 94. 71

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n’y a que deux façons possibles de comprendre le titre. D’un côté, il est logique de penser qu’il fait référence à une accusation pour avoir proposé une loi nocive, portée par Dioclès contre la personne qui a proposé la loi contre les orateurs76. De l’autre, on pourrait penser à la procédure de révision des lois. Selon les modalités de cette procédure, Dioclès aurait fait une proposition contraire à la loi en vigueur concernant les orateurs : l’une des deux devait être supprimée devant les nomothètes, la loi déjà en vigueur étant soutenue par des synégores élus77. Le discours de Lysias pourrait ainsi avoir été écrit pour la défense de la loi contre les orateurs78. Cette deuxième hypothèse serait la seule attestation dont on disposerait à propos d’un discours composé pour la défense d’une loi lors d’un projet d’abrogation.

Le type de procès La période de la restauration démocratique est celle du redressement politique de la cité, mais elle se caractérise aussi par des difficultés dans le domaine des finances. Le premier aspect de ce problème porte sur la pauvreté du trésor79, d’où la création du corps des syndikoi, un comité fonctionnant au nom de la cité et chargé des biens revendiqués par le fisc80. Le deuxième aspect est lié à la mauvaise situation économique d’un grand nombre d’Athéniens, qui conduit à la multiplication des différends financiers entre particuliers. Il convient d’ajouter que les Athéniens se préoccupent davantage des différends concernant la propriété, à cause des confiscations opérées par les Trente  ; rappelons l’arrestation des métèques et de riches Athéniens et leur exécution pour que les Trente puissent s’approprier leur fortune81. Dans ce but, les conventions établies à Athènes en 403/2 fixaient que «  les biens vendus devaient rester la propriété des acheteurs, tandis que les biens non vendus devaient être restitués aux anciens bannis. Pour ce qui concernait la terre ou la maison, 76

Ibid. Sur les modalités de la procédure, voir Canevaro 2013c, 158-159. 78 Cf. Gernet – Bizos 1926, 234. 79 Lysias, Défense d’un anonyme, 13. 80 Sur la fonction de ce corps, voir Harrison 1971, 34-35 ; Andriolo 2002, 12-18 (elle analyse aussi les différentes catégories de syndikoi) ; Carawan 2013, 85. Sur la présence des syndikoi dans les procès en matière de confiscation des biens, voir Lysias, Contre le Trésor, au sujet des biens d’Ératon, 10, Sur la Confiscation des biens du frère de Nicias, 26, Sur les biens d’Aristophane, 32. 81 Xénophon, Helléniques, II. 3. 21 ; Aristote, Constitution d’Athènes, XXXV. 4. 77

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les conventions les rendaient aux bannis pourvu qu’ils payassent une certaine somme… »82. À ce titre, les tribunaux accueillent des procès, privés et publics, qui s’inscrivent dans ce climat. Les plaidoyers datant des années en question font état de procès privé en restitution de dépôt (δίκη παρακαταθήκης)83, de procès pour dépossession (?) (δίκη ἐξούλης) (n° 45)84, d’action en réparation du tort (δίκη βλάβης)85 et de toute autre affaire soulevée par les conventions concernant la propriété confisquée pendant le régime des Trente86. Les procès publics, de leur côté, peuvent concerner la revendication par un individu d’une partie de sa propriété, qui avait été confisquée auparavant par la cité (n° 52)87, ou une tentative de confiscation de terre88. Mises à part ces questions financières, le programme des tribunaux s’enrichit, parallèlement, d’une série d’affaires diverses. On trouve dans les sources l’action privée pour tutelle89, le procès pour sacrilège90, le procès privé en coups et blessures ou le procès public pour outrage91, des procès d’impiété92, des procès pour avoir proposé des décrets illégaux, un procès intenté probablement par voie d’eisangélie93, et des accusations qui lient 82

Lysias, fr. I. 2 Gernet – Bizos (Contre Hippothersès). Le passage est mutilé. Cf. Krentz 1982, 105 ; Loening 1987, 51-52 ; Carawan 2002, 7 n. 24-26. 83 Isocrate, Contre Euthynous. 84 Lysias, fr. I Gernet – Bizos (Contre Hippothersès). Voir Gernet – Bizos 1926, 228. Pour la caractérisation du procès comme un procès en réparation du tort (δίκη βλάβης), voir Loening 1987, 92. 85 Isocrate, Contre Callimachos, 12. Sur la caractérisation du procès intenté par Callimachos en tant que dikè blabès, voir Loening 1978, 123 et n. 70. 86 Le plaideur dans le plaidoyer d’Isocrate, Contre Callimachos, 23, dit qu’Anytos et Thrasybule de Stiria auraient pu déférer devant la justice les gens qui ont confisqué leur propriété, mais qu’ils ne l’ont pas fait. Cf. Carawan 2002, 11-12. Sur la procédure de la confiscation, voir Harrison 1971, 211-217 ; MacDowell 1978, 166. 87 Lysias, Contre le Trésor, au sujet des biens d’Ératon. 88 Lysias, Sur la Confiscation des biens du frère de Nicias. 89 Lysias, Contre Diogiton. 90 Lysias, Pour Callias, affaire de sacrilège. 91 Isocrate, Contre Lochitès. 92 Pour l’accusation d’impiété contre Andocide, voir Lysias, Contre Andocide et Andocide, Sur les Mystères. Pour l’accusation contre Socrate, voir Xénophon, Apologie et Platon, Apologie. 93 Lysias, Contre Nicomachos. Le plaidoyer, qui date de 399/8 (voir Blass I, 459 ; Gernet – Bizos 1926, 159 ; Lamb 1930, 608 ; Hansen 1975, 117 ; Loening 1987, 153), a été très probablement écrit à l’occasion d’une eisangélie, intentée contre Nicomachos et portée d’abord devant la Boulè et par la suite devant le tribunal. Voir Lysias, Contre Nicomachos, 7. Cf. Hansen 1975, 116-117 ; Rhodes 1979, 112.

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directement les plaideurs à l’oligarchie des Trente et qui sont portées dans le cadre d’une dokimasia94 ou d’une apagôgè95. L’argumentation de la majorité de ces plaidoyers fait référence aux événements de l’oligarchie des Trente ou à celle des Quatre Cents. Dans un certain nombre de plaidoyers, les plaideurs sont obligés d’y renvoyer de manière analytique en raison de la nature de l’accusation, qui lie le plaideur à un épisode de cette période, mais les allusions ne sont pas rares même dans les plaidoyers dont l’accusation ne concerne pas la période des Trente. On pourrait résumer ainsi cette argumentation : récit général des événements de la période à partir de la défaite d’Aigos Potamoi jusqu’à la restauration et au rapprochement des oligarques et des démocrates96 ; allusion à l’oligarchie des Quatre Cents97 ; évocation d’épisodes spécifiques de la période des Trente98 ; allusion continue aux serments donnés à l’occasion de la restauration et à l’obligation pour les juges de ne pas prendre de décision contraire à la réconciliation99 – alors que ces serments n’ont jamais pris la forme d’un décret ou d’une loi, leur évocation devait avoir une influence considérable100 ; citation, à plusieurs reprises, des mots « Trente », « démocratie », « oligarchie », « gens du Pirée – gens de la Ville »101 ; mise en valeur d’un bon comportement pendant la période précédente en opposition avec celui de l’adversaire102 ; référence aux problèmes concernant l’exercice de la justice103. 94

Lysias, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie, 10. Lysias, Contre Agoratos. 96 Andocide, Sur les Mystères (1), 73, 80-81 ; Isocrate, Sur l’Attelage (16), 37, 40, Contre Callimachos (18), 2, 5, 7, 17, 25, 36, 45, 59, Contre Lochitès (20), 10, 11, Contre Euthynous (21), 2, 11-12 ; Lysias, Contre Agoratos (13), 5-61, 80-82, Sur la Confiscation des biens du frère de Nicias (18), 11, Défense d’un anonyme accusé de corruption (21), 9, Contre Nicomachos (30), 10-14. Par économie, les plaidoyers des notes de bas de page suivantes sont cités d’après leur numéro. 97 Isocrate, 16. 5 ; Lysias, Contre Andocide (6), 27, 13. 70, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie (25), 14, 25, 30. 7-8. 98 Andocide, 1. 73, 94, 95 ; Isocrate, 16. 42, 18. 16, 21. 2 ; Lysias, 6. 45, 49, 13. 2, 5-61, 18. 4-5, 6, 24, 21. 9, 30. 10-14. 99 Andocide, 1. 80-81, 90-91 ; Isocrate, 16. 43, 18. 2, 19, 25, 42 ; Lysias, 6. 37, 39, 45, 13. 89, 18. 19, 25. 23. 100 Cf. Krentz 1982, 108 ; Loening 1987, 30 ; Whitehead 2002, 71. 101 Andocide, 1. 80-81, 94, 95, 99 ; Isocrate, 16. 12, 37, 40, 43, 50, 18. 2, 17, 45, 48, 20. 1, 4, 10, 21. 2, 11 ; Lysias, 6. 39, 45, 13. 2, 5-61, 80-82, 89, 94-97, 18. 4-5, 6, 8, 11, 19, 24, 25. 1, 2, 7, 14, 15, 18, 27, 29, 30. 10-14. 102 Andocide, 1. 94, 95, 99 ; Isocrate, 16. 12, 43, 50, 18. 16, 17, 47-48, 59, 20. 1, 21. 11-12 ; Lysias, 6. 49, 13. 2, 18. 4-5, 8, 24, 21. 9, 18, 25. 2, 7, 12, 14, 15, 16, 30. 7-8, 9, 10-14. 103 Andocide, 1. 94 ; Isocrate, 18. 2, 21. 7, 11-12 ; Lysias, 13. 5-61, Contre le Trésor (17), 3, 18. 11, 25. 25-27, 30. 10-14. 95

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Les plaideurs ont le droit d’utiliser une argumentation de ce type, sous réserve que la cause principale et la procédure suivant laquelle l’accusation est portée soient légitimes et ne violent pas les serments. Une brève citation des causes, telles qu’elles apparaissent chez Andocide, Isocrate et Lysias, pourrait montrer l’enjeu et les nuances du débat entre les plaideurs. – Un certain Nicias accusa Euthynous de ne pas lui avoir restitué la totalité de la somme d’argent qu’il lui avait confiée (n° 43). L’affaire a dû commencer sous les Trente, mais à cause de l’oligarchie, Nicias porta l’accusation après la restauration104. Il s’agit d’une affaire privée, qui date de la période des Trente, mais n’a pas d’implications politiques contraires aux serments105. – Une action fut intentée contre un plaideur inconnu pour corruption106, probablement après les événements de l’oligarchie (n° 44). – Callimachos intenta une action contre un plaideur inconnu, où il l’accusa d’avoir participé, avec Patroclès et d’autres, au vol de son argent pendant le gouvernement des Dix107. Cette accusation fut attaquée comme irrecevable, parce qu’elle contredisait les serments et qu’un arbitrage avait déjà eu lieu. Il s’agit d’un plaidoyer où la légitimité de l’accusation est contestée directement. – Une accusation portant sur le séjour d’un accusé dans la ville pendant l’oligarchie des Trente108 fut portée dans le cadre d’une dokimasia (n° 47)109. Comme l’accusation ne concerne pas un crime commis pendant l’oligarchie, elle ne viole pas les serments110. – Andocide fut accusé pour avoir violé, après la restauration de la démocratie, le décret d’Isotimidès (n° 48). – Un certain Nicomachos fut accusé pour ses actions en tant qu’anagrapheus des lois avant les Trente et après l’oligarchie111, le

104

Isocrate, Contre Euthynous, 2-3. Cf. Loening 1987, 128-129 ; Whitehead 2002, 89. 106 Lysias, Défense d’un anonyme, 16, 21-22. Voir Kapellos 2014, 31-33, à propos de la perplexité de l’accusation. 107 Isocrate, Contre Callimachos, 5-6. Cf. Loening 1987, 123-128. 108 Lysias, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie, 2. Cf. Adeleye 1983, 302. 109 Lysias, Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie, 10. 110 Cf. Loening 1987, 106 ; Wolpert 2002, 69. 111 Cf. Loening 1987, 139 ; Wolpert 2002, 67. 105

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plaideur soulignant à plusieurs reprises le comportement hostile de l’accusé envers la démocratie112 (n° 50). – L’accusation contre Agoratos porte sur la dénonciation qu’il a faite au début de la tyrannie des Trente contre les stratèges et les taxiarques, qui ont été condamnés à mort (n° 51). L’accusation lie directement le plaideur à l’oligarchie des Trente, puisqu’il fut accusé de meurtre113. En effet, le procès soulève des questions quant à la légitimité de la cause et les interprétations abondent114, d’autant que le texte ne permet pas de savoir si l’accusation portée contre Agoratos selon la procédure de l’apagôgè ne viole pas les serments prêtés115. – La nature de l’accusation portée contre les deux fils d’Eucratès, frère de Nicias, n’est pas précisée dans le plaidoyer (n° 53). Les deux fils avaient été déférés devant la justice pour une affaire de confiscation de leur terre, juste après la restauration de la démocratie, et les juges avaient condamné à une amende de mille drachmes le demandeur. Le plaidoyer a été écrit à l’occasion d’une deuxième tentative de confiscation de leur propriété faite par un certain Poliochos116. – Un accusateur inconnu intenta une action pour coups et blessures ou pour outrage à Lochitès117, qui n’a rien à voir avec les événements de l’oligarchie, mais qui a lieu après la restauration (n° 54). Pourtant, le plaideur souligne qu’il est nécessaire de punir ce comportement violent, qui est identique à l’esprit et au comportement des oligarques qui ont aboli la démocratie118. – Alcibiade, fils d’Alcibiade, fut accusé par Teisias, dans les premières années de la restauration, pour le vol de son attelage par Alcibiade le père, à l’occasion des Jeux Olympiques de 416 (n° 55)119. 112

Lysias, Contre Nicomachos, 2-3, 9, 30. Lysias, Contre Agoratos, 2. 114 Ibid., 85. Sur la discussion autour de la procédure et la légitimité de l’accusation, voir Gernet – Bizos 1924, 186-188 ; MacDowell 1963, 131-134, 135-138 ; Krentz 1982, 116 ; Loening 1987, 77-80 ; Volonaki 2000, 160-165 ; Wolpert 2002, 60-61 ; Carawan 2013, 118, 125-127. 115 Voir à ce sujet, Joyce 2016. 116 Lysias, Sur la Confiscation des biens du frère de Nicias, 13-14. Voir Wolpert 2002, 106. 117 Isocrate, Contre Lochitès, 1. 118 Ibid., 10-11. Cf. Krentz 1982, 119. 119 Isocrate, Sur l’Attelage, 1, 49. Sur ce procès, voir aussi Diodore de Sicile, XIII. 74 ; Plutarque, Vie d’Alcibiade, XII. Cf. Loening 1987, 136-137. 113

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Mises à part l’accusation portée par Callimachos et, probablement (?), celle contre Agoratos, les autres causes ne portent pas atteinte, du point de vue juridique, aux serments. Si, pourtant, on essaie de les concilier avec l’argumentation qui est développée dans les discours, les procès ont un caractère très nuancé et l’argument qui domine marque une opposition entre le régime démocratique et le régime oligarchique, entre les partisans de la démocratie et les partisans de l’oligarchie, entre l’attachement des plaideurs à la démocratie et la participation de l’adversaire à l’oligarchie. Même quand les plaidoyers datent de près d’une décennie après les événements des Trente, les plaideurs ne manquent pas de faire allusion à cette époque. Cette argumentation met en valeur deux aspects du fonctionnement des tribunaux pendant cette période. D’un côté, ces derniers fonctionnent en tant que lieu où s’expriment les conflits politiques, ce qui est une constante du IVe siècle. Malgré les serments prêtés par tous les Athéniens, l’impact de l’oligarchie des Trente sur l’ensemble de la cité ne pouvait pas être facilement oublié. Les plaidoyers décrivent ainsi le conflit politique qui oppose non seulement ceux qui ont pris part à l’oligarchie des Trente mais aussi ceux qui sont restés en ville (les gens de la Ville) à ceux qui ont lutté pour la restauration de la démocratie (les gens du Pirée). Ce conflit politique est transféré dans l’espace des tribunaux120, où l’oubli du passé n’est, semble-­t-il, qu’une « illusion politique »121, d’autant que les plaideurs ont toute liberté pour exprimer leurs opinions politiques. D’un autre côté, l’argumentation met l’accent sur le caractère démocratique des tribunaux. On voit apparaître dans les plaidoyers l’unité du corps judiciaire, ses opinions démocratiques et son rôle qui est de protéger la réconciliation et la démocratie. À ce titre, les tribunaux, outre qu’ils sont un lieu de libre expression, sont surtout chargés de protéger par leurs décisions la démocratie contre les conflits politiques entre ces deux groupes122. Il serait très intéressant de connaître l’attitude des héliastes pendant ces procès. Étant donné que le résultat de la plupart des procès n’est pas connu, il est difficile de savoir si les juges ont été vraiment influencés par cette argumentation et, ainsi, s’ils ont validé ou rejeté l’accusation portée par les plaideurs123. Les seules exceptions sont l’action en illégalité contre Thrasybule de Stiria, déjà étudiée, et les procès contre Andocide et Socrate. Andocide fut accusé d’impiété et il fut acquitté, tandis que Socrate, contre 120

122 123 121

Cf. Mossé 2007, 164-165. Sur cette expression, voir Mossé 2007, 197. Cf. Wolpert 2002, 71. Cf. Harris 2013a, 292.

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qui fut portée la même accusation, fut condamné à mort. Même si les deux résultats sont contradictoires, il vaut la peine de chercher si on peut tirer un nombre de données relatives au fonctionnement du tribunal au cours de ces années. Il est vrai que le procès contre Andocide présente une série de particularités. La première question concerne la composition du tribunal qui jugea sa cause. Dans le cas du sacrilège de 415, l’Assemblée, la Boulè et les tribunaux étaient composés d’initiés, puisqu’il était interdit de révéler aux non-­initiés la teneur des Mystères d’Éleusis124. L’affaire d’Andocide présente la même particularité, d’autant qu’on lit, dans son plaidoyer Sur les Mystères, des détails sur la cérémonie125. Une question est ainsi posée : le tribunal en question est-­il un tribunal ordinaire d’héliastes ou un tribunal composé d’héliastes initiés ? Les deux textes, d’Andocide et de Lysias, ne le précisent pas ; les plaideurs utilisent pour s’adresser aux juges des expressions que l’on trouve dans d’autres plaidoyers. La seule différence se trouve dans l’apostrophe aux juges  : au lieu d’ὦ ἄνδρες δικασταί, qui est attesté seulement une fois dans les deux discours alors qu’il est très fréquent dans les autres plaidoyers, ce sont plutôt les termes ὦ ἄνδρες et ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι qui sont employés126. Cela ne prouve pas pour autant que le tribunal était constitué de juges non ordinaires, puisque les mêmes mots sont employés dans les plaidoyers qui furent présentés devant des tribunaux ordinaires. En revanche, il est tentant d’admettre que le tribunal était composé d’initiés en s’appuyant plutôt sur la nature de l’accusation et sur le cas parallèle de 415. De plus, outre le résultat, on connaît les deux plaideurs et les personnes qui les ont soutenus. Du côté des accusateurs, on connaît les noms de Képhisios127, Mélétos128, Épicharès129, Agyrrhios130 et Callias131, et du côté 124

Andocide, Sur les Mystères, 12, 28. Ibid., 110-116. Voir Filonik 2013, 43. 126 Voir le Tableau 3. Cf. Rhodes 2008b, 38 n. 6. Todd 2007, 446, se demande si l’emploi de ces expressions dans le plaidoyer de Lysias ne suggère pas que l’œuvre authentique n’est pas de Lysias. 127 Andocide, Sur les Mystères, 33, 92, 111, 121, 122, 137, 139 ; Lysias, Contre Andocide, 42. Nous ne savons rien d’autre sur cet homme. 128 Andocide, Sur les Mystères, 94. Il est peut-­être un des accusateurs de Socrate. Sur cette identification, voir Sealey 1956, 181 et n. 18. 129 Andocide, Sur les Mystères, 95. Il apparaît seulement ici. 130 Andocide, Sur les Mystères, 133. Il avait introduit, après la restauration de la démocratie, le misthos pour la participation à l’Assemblée. Voir Aristote, Constitution d’Athènes, XLI. 3. 131 Andocide, Sur les Mystères, 112, 115, 117, 120, 121, 130, 132. Il vient de la famille de Kèrykès. 125

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d’Andocide, on trouve Anytos132 et Képhalos133. Parmi ces personnes, Agyrrhios, Anytos et Képhalos sont des hommes politiques importants de cette période. Leur présence devant le tribunal qui jugea Andocide pourrait avoir donné au procès une teinte politique, mais il apparaît qu’il s’agit plutôt d’une affaire personnelle134 et non d’un conflit politique135. En fait, Andocide, à la fin de son discours, fait référence aux conflits personnels qui existaient entre lui-­même et Callias136 et entre lui-­même et Agyrrhios137, qui expliqueraient que les deux hommes souhaitaient se venger. L’argumentation qu’Andocide employa pour justifier son droit de fréquenter l’Agora et les sanctuaires, ce que le décret d’Isotimidès lui interdisait, repose sur les trois points suivants : le décret de Patroclidès (405) qui avait réhabilité les atimoi138, le traité avec les Lacédémoniens, qui avait rappelé les bannis139, les serments selon lesquels on s’engageait à ne pas rappeler les événements du passé140. Pourtant, il n’est pas certain que ces trois arguments s’appliquent directement au cas d’Andocide, puisque rien ne prouve qu’il était parmi les atimoi visés par le décret de Patroclidès141 – de fait, on exprime des doutes sur l’authenticité du document inséré dans le plaidoyer d’Andocide142 – ni parmi les exilés rappelés par les Lacédémoniens. On ne peut pas savoir non plus si le décret d’Isotimidès fut incorporé dans le nouveau corps des lois en vigueur à partir de l’archontat d’Euclide143. On en conclura que l’argumentation ne semble pas bien fondée d’un point de vue juridique, mais cela n’empêcha pas les juges de prendre une décision en faveur d’Andocide, qui s’inscrit très probablement dans un effort de faire respecter la concorde de la cité et les serments qui voulaient mettre fin à la stasis. 132

Andocide, Sur les Mystères, 150. Nous l’avons déjà vu comme stratège en 409 (Aristote, Constitution d’Athènes, XXVII. 5 ; Diodore de Sicile, XIII. 64. 6) ; il fait partie des modérés en 404 (Aristote Constitution d’Athènes, XXXIV. 3) et des stratèges lors de la restauration en 403 (Lysias, Contre Agoratos, 78). 133 Andocide, Sur les Mystères, 115, 150. On verra dans le chapitre VIII (n. 4) que Képhalos se place parmi les hommes politiques actifs de cette période. 134 Cf. Seager 1967, 96 n. 9 ; Wolpert 2002, 66 ; Todd 2007, 402. 135 Voir Sealey 1956, 182, qui explique de cette manière l’acquittement d’Andocide. 136 Andocide, Sur les Mystères, 117-123. 137 Ibid., 133-134. 138 Ibid., 73-79. 139 Ibid., 80. 140 Ibid., 81, 90-91. 141 Cf. Carawan 2013, 182. 142 Voir chapitre V, n. 239. 143 Cf. MacDowell 1962, 200-203.

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Le procès contre Socrate (n°  49) s’inscrit dans le même esprit du redressement de la constitution athénienne. Il semble inutile d’en analyser ici tous les détails, puisque la bibliographie est abondante et que le procès a été étudié de manière exhaustive144. Il s’agit d’un procès pour impiété, dont l’accusation porte sur la non-­attribution des honneurs appropriés aux dieux de la cité, sur l’introduction de nouvelles divinités et sur la corruption des jeunes145. L’accusation a beau avoir un caractère religieux, elle prend une couleur politique en 400/399, trois ans après la restauration de la démocratie. Ce ne sont pas seulement les rapports de Socrate avec d’anciens membres du gouvernement des Trente qui ont pu jouer un rôle décisif dans la condamnation, mais aussi l’ambiance politique de la période. Athènes reste encore dans cette période une cité qui cherche à protéger sa constitution et à assurer le rétablissement de l’ordre. Elle avait choisi une voie prudente, dans laquelle l’enseignement de Socrate ne pouvait pas s’intégrer facilement. La condamnation émise par le tribunal était une manière de protéger cet ordre et de faire réaffirmer l’autorité des lois et des tribunaux chargés de les faire respecter.

Conclusions Au moment de présenter un bilan des divers éléments présentés jusque-­là, à savoir les serments prêtés par les juges de voter conformément aux lois en vigueur, l’institution et la définition d’un arsenal juridique dans le nouveau corps des lois et le changement du système de répartition des héliastes au sein des tribunaux, il ressort clairement que la cité a renforcé le rôle politique des tribunaux et leur pouvoir par des lois, afin que la justice soit exercée sans obstacles et qu’elle protège le fonctionnement de la démocratie. Cette nécessité est devenue évidente dans les procès étudiés jusqu’à présent, qui ont un point commun : on y trouve l’écho de l’oligarchie des Trente et des événements de la restauration démocratique. Ce qui domine dans les discussions pendant ces premières années du IVe siècle – dans tout type de procès –, c’est une comparaison systématique entre l’oligarchie et la démocratie, sans qu’on propose, pourtant, d’établir

144

À titre très indicatif, voir Mossé 1987 ; Todd 1993, 309-312 ; Hansen 1995, 4-36 ; Parker 2000, 40-54 ; Wolpert 2002, 63-65 ; Nails 2006, 5-20 ; Ober 2011, 138-177 ; Carawan 2013, 203-231 ; Filonik 2013, 52-57 ; Ismard 2013. 145 Xénophon, Apologie, 10 ; Platon, Apologie, 24b-­c ; Diogène Laërce, II. 40.

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un régime oligarchique146. Les événements des Trente sont encore très présents dans la mémoire des Athéniens, de sorte qu’ils mettent en valeur la démocratie et l’opposent à l’oligarchie. Les allusions aux événements de l’oligarchie continuent aussi dans les discours des années suivantes, mais ne sont plus aussi fréquentes. L’intérêt porte désormais sur deux autres points. D’un côté, les confrontations politiques ont un caractère plutôt personnel. D’un autre côté, ces confrontations sont influencées par les choix que fait Athènes en politique extérieure à partir du milieu des années 390 (ch. VIII).

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On dispose seulement d’une tentative d’établir un régime modéré. Juste après la restauration démocratique, Phormisios avait proposé que les droits politiques soient réservés aux propriétaires terriens. Sa proposition a été rejetée et Lysias avait composé, pour combattre cette proposition, le discours Contre une proposition tendant à détruire à Athènes le gouvernement transmis par les ancêtres. Le commentaire que Denys d’Halicarnasse fait de ce discours est conservé et nous renseigne sur le contenu du discours.

Chapitre VII

Le cadre formel du fonctionnement de l’Héliée au IVe siècle En arrêtant la partie diachronique de sa monographie à la conclusion de l’accord entre les démocrates du Pirée et les réfugiés d’Éleusis, en 401/0, Aristote occulte le fait que les institutions ont continué d’évoluer. Contrairement, ainsi, à un postulat implicite dans les discussions sur l’Héliée, d’après lequel il y aurait un « état de choses », stable et stationnaire, il faudrait envisager l’institution dans son processus historique et éviter d’adopter le parti pris de l’auteur de la Constitution d’Athènes. Cette évolution ne nous empêche cependant pas de dresser un bilan de certaines caractéristiques qui ont été attribuées au tribunal depuis ses débuts. Plusieurs aspects ont été déjà traités dans les chapitres précédents au fur et à mesure de l’étude de la formation de l’Héliée. Il convient maintenant de concilier ces témoignages avec ceux du IVe siècle, d’autant que les tribunaux ont été soumis à des procédures plus subtiles et rigoureuses suite à la restauration démocratique de 403, qu’on retrouve tout au long du IVe  siècle. Cette présentation n’est pas complète  : certains aspects seront discutés dans les chapitres qui examinent l’interaction entre l’aspect juridique et l’aspect politique. L’Héliée est une institution qui se compose de six mille Athéniens de plus de trente  ans jouissant de leurs pleins droits politiques, qui sont tirés au sort au début de chaque année et qui prêtent serment. Les héliastes jugent la grande majorité des affaires de la cité, qui concernent la sphère privée et publique, comme le laissent apparaître les plaidoyers du IVe siècle. Il ne faut cependant pas se laisser impressionner par ces textes et être amenés à penser que les tribunaux sont plus occupés à régler les affaires politiques que les affaires courantes. En revanche, c’est grâce à ces actions ordinaires1, qui mêlent dans la scène judiciaire non seulement des Athéniens, mais aussi des métèques, des esclaves et d’autres étrangers, que les tribunaux se montrent un organisme vivant, qui perdure et évolue 1

Voir, à titre indicatif, le tableau dressé par Osborne 1985, 55-58, sur un nombre de ces procès.

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dans le temps. Des conflits nés au sein d’une famille et concernant un mariage, un héritage, une adoption ou un testament, des questions de propriété à propos d’une vente, d’un bail, d’un prêt, d’une revendication ou d’un vol, des différends commerciaux, des accusations d’outrage, de coups et blessures ou d’injure, des actions concernant la vie religieuse, toutes ces affaires composent, en grandes lignes, l’agenda ordinaire des héliastes. Toutefois, les héliastes ne sont pas seuls impliqués dans l’administration de la justice : les archontes et les autres magistrats peuvent exercer un pouvoir judiciaire limité, le Conseil des Cinq Cents peut juger certaines affaires dont l’amende ne dépasse pas les cinq cents drachmes, l’Assemblée du peuple se réserve parfois le jugement des affaires portées par voie d’eisangélie et l’Aréopage et des tribunaux spéciaux s’occupent des affaires de meurtre – s’agissant de ce dernier, les tribunaux héliastiques peuvent juger une affaire de meurtre quand l’action est lancée par la procédure d’apagôgè2. Les héliastes ne sont presque jamais réunis dans leur totalité pour juger une seule affaire. On dispose d’un seul témoignage suggérant que six mille juges ont été réunis pour juger l’action en illégalité intentée par Léogoras contre Speusippos en 4153 (ch. V), mais on ne peut pas savoir si Andocide est fiable. En revanche, les juges siègent dans des tribunaux aux effectifs variables : 201 ou 401 juges pour les affaires privées, 501 ou plus pour les procès publics, présidés par un magistrat, selon le type d’affaire4. Malheureusement, les sources n’attestent pas souvent le nombre de juges qui sont réunis pour juger une affaire qui nécessite plus de 501 héliastes. Nous avons signalé (ch. V) les mille juges attestés (?) dans le décret de Thoudippos et les mille cinq cents juges attestés dans une autre inscription et qui ont participé à la procédure de révision du tribut des alliés, ou même les deux mille juges qui auraient dû juger les stratèges et les taxiarques opposés aux termes de la paix en 404, sous l’accusation de conspiration contre la cité. Quatre autres exemples sont conservés pour le IVe siècle. – Un tribunal composé de mille et un membres5 fut réuni pour juger en 353 l’action en illégalité que les ambassadeurs Androtion, Glaukétès et Mélanopos intentèrent contre Euctémon6 (n° 89). 2

Voir à ce propos, MacDowell 1978, 120-121. Andocide, Sur les Mystères, 17. 4 Aristote, Constitution d’Athènes, LIII. 3, LXVIII. 1. 5 Démosthène, Contre Timocrate, 9. 6 Ibid., 14. Pour plus de détails sur ce procès, voir chapitre IX. 3

Le cadre formel du fonctionnement de l’Héliée au IVe siècle

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– Un tribunal composé de mille cinq cents juges7 jugea l’action en illégalité intentée par Phanostratos, le père d’un certain Hiéroclès, contre Aristogiton (n° 141). Hiéroclès fut traîné devant les prytanes, parce qu’il avait commis le vol sacrilège des vêtements consacrés à Artémis Brauronia. Devant l’Assemblée qui eut lieu le lendemain, Hiéroclès essaya de montrer que c’était la prêtresse de la déesse qui lui avait demandé de les apporter. À cet effet, Aristogiton rédigea un décret, sans avis préalable, dans lequel il demandait qu’Hiéroclès soit exécuté, s’il reconnaissait avoir transporté les vêtements, ou qu’il soit jugé, s’il le niait8. Dans ce décret, il semble avoir demandé aussi l’exécution sans jugement de deux autres citoyens, ce qui était interdit par la loi9. Le tribunal rejeta le décret et frappa Aristogiton d’une amende de cinq talents10. – Un tribunal composé de deux mille cinq cents juges11 jugea l’Aréopagite Pistias, accusé de trahison par un client de Dinarque (n° 149). – Un tribunal composé de mille cinq cents juges12 jugea Démosthène dans la fameuse affaire dite l’affaire d’Harpale, datant de 324/3 (n° 152)13. Dix accusateurs furent désignés par l’Assemblée du peuple selon la procédure de l’apophasis14. Parmi les accusés figuraient Démosthène, Aristogiton, Philoclès, Polyeuctos de Sphettos, Démade, Céphisophon de Paiania, Agnonidès et Aristonicos. L’accusation portait sur la trahison et la corruption commises par ceux qui avaient reçu de l’argent contre les intérêts de la cité15.

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Démosthène, Contre Aristogiton I, 28. Dinarque, Contre Aristogiton, 12 ; Argument sur Démosthène, Contre Aristogiton I, 1-2. 9 Démosthène, Contre Aristogiton I, 87. 10 Ibid., 68 ; Dinarque, Contre Aristogiton, 12. Cf. Hansen 1974, 37. 11 Dinarque, Contre Démosthène, 52. Cf. Hansen 1975, 105-106. 12 Dinarque, Contre Démosthène, 107. 13 Sur la datation et la suite des événements à partir de l’arrivée d’Harpale à Athènes avec l’argent d’Alexandre jusqu’aux procès contre les personnes accusées d’en détenir, voir Badian 1961, 31-36. Pour plus de détails sur cette affaire, voir chapitre IX. 14 Dinarque, Contre Aristogiton, 6. Parmi ces accusateurs sont Stratoclès (Dinarque, Contre Démosthène, 1, 21), le client de Dinarque, d’où les trois discours de Dinarque, Hypéride (Contre Démosthène), Pythéas, Ménésaichmos, Himéraios, Patroclès ([Plutarque], Œuvres Morales, 846c). 15 Dinarque, Contre Démosthène, 3, 15, Contre Aristogiton, 7, 22, Contre Philoclès, 1, 9-10, 13-14, 16, 19. 8

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Le tribunal de l’Héliée

Divers bâtiments, qui ne sont pas nécessairement réservés pour un usage judiciaire, accueillent les réunions des juges16. Leur structure et leur nombre évoluent au cours des deux siècles classiques17. L’Agora ou la région proche de celle-­ci est le lieu où la plupart d’entre eux sont situés18, même si leur identification n’est pas toujours facile du point de vue archéologique, le bâtiment qui porte le nom « Héliée » n’étant pas jusqu’à présent identifié ni parmi les édifices mis au jour sur l’Agora, ni ailleurs en dehors de l’Agora. Du moins, on est sûr qu’un certain nombre d’entre eux se situent au nord-­est de l’Agora, sous la Stoa d’Attale. Cette certitude repose sur la découverte de matériel à fonction judiciaire, surtout de jetons de vote utilisés par les juges pour voter à la fin du procès19. Si l’on tient compte de la fonction de l’Agora classique comme un lieu à la fois institutionnel, commercial et résidentiel20, la position des tribunaux dans un tel endroit crée les conditions d’une interaction entre ce qui se passe sur l’ensemble de l’Agora et ce qui se déroule autour ou à l’intérieur des tribunaux. Les mots du poète comique Eubule21 qui met sur le même plan l’aspect commercial et l’aspect judiciaire de l’Agora22 indiquent, en fait, la 16

Voir, e.g., IG II2, 1641, 1646, 1670 ; ID 104-22, fr. b, l. 12 ; ID 104-26, face C, l. 6-7 ; Aristophane, Guêpes, v. 120, 389, 1109. Voir aussi les attestations du terme « Héliée » dans le Tableau 1. 17 Voir à propos des bâtiments des tribunaux, Boegehold et al. 1995, 3-9, et Townsend 1995, 24-49. Voir aussi le commentaire correct de Gottesman 2014, 36 n. 26, à propos de l’interprétation faite par Boegehold et al. 1995 du passage d’Aristote, Constitution d’Athènes, LXIII. 2, sur le complexe des tribunaux à la fin du IVe siècle. Un détail intéressant sur la structure intérieure des tribunaux est donné par Démosthène, Contre Macartatos, 18, selon lequel la visibilité des juges dépend de leurs sièges dans le tribunal. 18 La majorité des tribunaux se trouvait, très probablement, sur l’Agora. Voir, e.g., Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 55 ἐγγύς τε οἰκῶν τῆς ἀγορᾶς οὔτε πρὸς δικαστηρίῳ οὔτε πρὸς βουλευτηρίῳ ὤφθην οὐδεπώποτε : « et, bien que j’habite auprès de l’Agora, on ne m’a jamais vu ni dans un tribunal, ni dans la salle du Conseil » (trad. L. Gernet – M. Bizos). 19 Voir Camp 2009, 21. 20 Voir à ce propos, le résumé de Gottesman 2014, 26-43. 21 Sur la carrière d’Eubule et ses œuvres, datées dans les années 380-335, voir Hunter 1983 ; Rusten 2011, 469-481. 22 Eubule, fr. LXXIV Kassel  – Austin (Olbia) ἐν τῶι γὰρ αὐτῶι πάνθ’ ὁμοῦ πωλήσεται| ἐν ταῖς Ἀθήναις· σῦκα, (Β.) κλητῆρες (Α.) βότρυς,| γογγυλίδες, ἄπιοι, μῆλα, (Β.) μάρτυρες (Α.) ῥόδα,| μέσπιλα, χόρια, σχαδόνες, ἐρέβινθοι, (Β.) δίκαι| (Α.) πυός, πυριάτη, μύρτα, (Β.) κληρωτήρια| (Α.) ὑάκινθος, ἄρνες, (Β.) κλεψύδραι, νόμοι, γραφαί : « À Athènes, tout sera mis en vente ensemble dans le même lieu : figues, (B.) huissiers (A.) raisins, navets, poires, pommes, (B.) témoins (A.) roses, nèfles, tripes, rayons de miel, pois chiches, (B.) dikai (A.) lait frais, crème, myrtes, (B.) klèrôtèria (A.) jacinthe, agneaux, (B.) clepsydres, lois, graphai. ».

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diversité des relations qui sont développées dans les lieux publics et nous font concevoir les tribunaux comme des lieux qui sont intégrés, dans les faits, dans la vie quotidienne d’Athènes. Ainsi, même s’il est communément admis que le déroulement des procès et la décision prise par les héliastes suivent une procédure bien organisée et rigoureuse, le procès ne se déroule pas à huis clos. Nicoboulos dans le Contre Pantainétos rapporte l’agitation (θόρυβος) qui régnait autour du tribunal au moment où sa cause allait être plaidée23. Du reste, on sait par plusieurs plaidoyers que les procès tenus devant les tribunaux héliastiques sont volontairement suivis par un certain nombre de personnes (οἱ περιεστηκότες)24. Ces spectateurs, mais aussi toute personne qui fréquente l’Agora, sont au courant de l’agenda des tribunaux, et peuvent, au moins au niveau théorique, exercer une influence sur la décision des juges, quand il est rappelé aux héliastes qu’ils ne vont pas donner leur vote seulement comme des juges, mais comme des gens que l’on observe25. Et, inversement, ces mêmes juges jouent un rôle non négligeable sur la formation de l’opinion publique26 à propos de tel ou tel sujet ou de telle ou telle personne, puisque, dès leur sortie des tribunaux, ils sont contemplés par les spectateurs et les autres citoyens27, ils traversent des lieux publics et apportent les « discussions » des tribunaux parmi les discussions quotidiennes28. Cet emplacement des tribunaux a très probablement contribué, en partie, aux changements apportés à la répartition des héliastes dans les tribunaux au cours de l’époque classique, de sorte que l’organisation des tribunaux acquiert progressivement un caractère rodé29. Ayant précédemment siégé pendant toute l’année dans un tribunal déterminé (ch. IV-V), les héliastes du début du IVe siècle se répartissent désormais par groupes dans les divers tribunaux le jour même de la réunion (ch. VI), pour finalement aboutir, comme nous le verrons par la suite (ch. VIII), 23

Voir Démosthène, Contre Pantainétos, 42. Voir, par exemple, Démosthène, Contre Leptine, 165, Contre Aristogiton  I, 98  ; Dinarque, Contre Démosthène, 66, Contre Aristogiton, 15 ; Eschine, Sur l’Ambassade, 5 ; Hypéride, Contre Démosthène, fr. V, col. XXII ; Isée, La succession de Dikaiogénès, 20. Sur leur identité et l’influence qu’ils exerçaient aux procès, voir Lanni 1997, 183-189. Cf. Villacèque 2013, 174-175. 25 Voir Eschine, Contre Ctésiphon, 247. 26 Sur une discussion récente à propos de la formation de l’opinion publique et les interactions entre la sphère institutionnalisée et non institutionnalisée, voir Gottesman 2014. 27 Voir Démosthène, Contre Aristogiton I, 98. 28 Cf. Hunter 1994, 100-101. 29 Voir à ce propos, Bers 2000, 553-559. 24

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à ne plus former de groupes au milieu du IVe siècle, puisque, grâce aux klèrôtèria, le nombre de juges nécessaire est tiré au sort parmi ceux qui se présentent le jour du procès. D’après le Contre Nééra30, dont la datation n’est pas tout à fait sûre, les bâtiments où les juges siègent sont affectés à des types d’affaires précis et, ainsi, les magistrats qui doivent présider les affaires relevant de leurs compétences connaissent d’avance quel sera le tribunal qu’ils présideront. De même, les juges après leur tirage au sort et leur répartition entre les tribunaux connaissent le type d’affaire que leur tribunal doit juger. Cette pratique est effective du moins jusqu’à la fin des années 34031. Le système qui est décrit dans la Constitution d’Athènes présente des différences. Selon Aristote, après la répartition des juges entre les différents tribunaux, vient le tirage au sort des magistrats qui présideront ces tribunaux : on dépose deux urnes et des cubes en bronze. Dans la première urne, on met des cubes peints aux couleurs des tribunaux et dans la deuxième on met des cubes portant les noms des magistrats. Le tirage au sort des tribunaux et des magistrats a lieu simultanément et les magistrats dont les noms sont tirés de l’urne auront à leur disposition les tribunaux désignés par le sort, conformément à la suite du tirage. De cette manière, aucun magistrat ne connaît d’avance quel tribunal il présidera32. Le changement doit avoir eu lieu pendant les années 330-320, sans qu’on puisse établir une datation plus précise. Les raisons de ce changement sont à chercher dans la phrase d’Aristote qu’« aucun magistrat ne connaît d’avance quel sera son tribunal, mais qu’il n’a que celui qui lui aura été attribué par le sort ». On pourrait rapprocher cette phrase du passage de Démosthène dans le Sur l’Ambassade (343), selon lequel après le tirage au sort des juges pour juger la plainte de Démosthène, les personnes impliquées dans l’affaire de l’ambassade cherchaient à se rapprocher des juges pour les gagner à leur cause33. Si on met à part l’exagération qui pourrait caractériser le plaidoyer de Démosthène, le passage en question peut servir de témoignage au climat qui régnait dans les tribunaux. En d’autre mots, comme on savait quel tribunal les magistrats compétents pour une affaire présideraient, les personnes impliquées dans le procès connaissaient d’avance où attendre les juges qui venaient d’être tirés au sort et répartis entre les tribunaux. Dans le cas contraire, si le tribunal n’était pas prédéfini, les intéressés ne pouvaient 30

[Démosthène], Contre Nééra, 52. Le passage suggère qu’une action pour demande de pension alimentaire (dikè sitou) est jugée devant l’Odéon. 31 Cf. MacDowell 1978, 40 ; Rhodes 1981, 714. 32 Aristote, Constitution d’Athènes, LXVI. 1. Cf. Rhodes 1981, 714-715. 33 Démosthène, Sur l’Ambassade, 1.

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savoir quels juges approcher entre le moment de la répartition des juges entre les tribunaux et la répartition des magistrats entre les tribunaux. On estime qu’au cours du IVe siècle, sur les 354 jours d’une année, les tribunaux siègent au plus 240  jours et au moins 150  jours34. Les thesmothètes s’occupent de l’assignation des jours, des procès et des tribunaux ; ils sont chargés de fixer les jours où les tribunaux doivent juger et donnent les listes des jours aux magistrats, qui doivent les respecter35. Selon Aristote, un jour entier est d’habitude consacré au déroulement d’un procès à caractère public auprès d’un tribunal héliastique36  ; en revanche, pour les affaires privées, les tribunaux peuvent juger plus d’une affaire le même jour37. Ce classement des procès et la durée qui leur est consacrée dépendent de l’importance de l’affaire et montrent que les affaires publiques se trouvent au centre de l’intérêt public. À partir des plaidoyers, on peut facilement reconstruire les étapes préliminaires d’une action, qui, selon les lois correspondantes et le type, peut être portée devant le magistrat compétent ou devant le Conseil ou l’Assemblée dans le cadre de diverses procédures. Dans la plupart des cas, à quelques exceptions près, une personne, accompagnée de deux huissiers, intente à un autre individu une action et l’invite (πρόσκλησις) à se présenter auprès du magistrat compétent38 à une certaine date39. Une plainte écrite est déposée auprès du magistrat, des frais de justice sont payés, le cas échéant, 34

Ils ne siègent pas pendant les réunions de l’Assemblée, les fêtes annuelles et les jours appelés apophradai. Voir Hansen 1979, 243-246 ; id. 19992, 186. 35 Aristote, Constitution d’Athènes, LIX. 1 Οἱ δὲ θεσμοθέται πρῶτον μὲν τοῦ προγράψαι τὰ δικαστήριά εἰσι κύριοι, τίσιν ἡμέραις δεῖ δικάζειν, ἔπειτα τοῦ δοῦναι ταῖς ἀρχαῖς· καθότι γὰρ ἂν οὗτοι δῶσιν, κατὰ τοῦτο χρῶνται. : « Les thesmothètes sont d’abord souverains d’afficher les listes des jours où les tribunaux doivent juger, puis de les assigner aux magistrats. Car ceux-­ci doivent les accepter comme les thesmothètes les leur auront données. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée). Cf. Rhodes 1981, 657. 36 Aristote, Constitution d’Athènes, LXVII. 1. Cf. Hansen 19992, 186-187, 198  ; MacDowell 2000, 563-568. 37 Aristote, Constitution d’Athènes, LXVII. 1. Je cite le passage correspondant : ὅταν μὲν τὰ ἴδια [δι]κάζωσι, τοὺς ἰδίους, τῷ ἀριθμῷ δʹ, [ἐ]ξ̣ [ἑκά]στων [τ̣ ]ῶν δικῶν τ[ῶ]ν ἐκ τοῦ νόμο[υ] : « Si c’est jour où l’on juge les affaires privées, causes privées au nombre de quatre, […] de celles qu’admet la loi. » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, légèrement modifiée), où l’expression δʹ, [ἐ]ξ̣  est restituée de façons diverses. Voir Rhodes 1981, 717-718. 38 Voir Démosthène, Contre Midias, 87, Contre Zénothèmis, 29, Contre Phormion, 13, 15, Contre Bœotos II, 16, 32, Contre Macartatos, 7, 15, Contre Évergos et Mnésiboulos, 27, 45, Contre Conon, 29, Contre Théocrinès, 8, 32, 34 ; [Démosthène], Contre Nicostratos, 14, 15 ; Lysias, Contre Andocide, 11, Contre Pancléon, 2. 39 Voir Harrison 1971, 86-87 ; Isager – Hansen 1975, 110.

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et une nouvelle date est prévue (λαγχάνω δίκην) pour l’instruction des deux parties (ἀνάκρισις)40. Le magistrat affiche alors sur l’Agora un avis d’accusation, devant les statues des héros éponymes des dix tribus41. Le temps qui va de la première présentation devant le magistrat à l’instruction n’est pas connu, mais selon un témoignage, il peut parfois durer longtemps42. Très souvent, même la phase de l’instruction traîne en longueur43 – même durant des années !44 –, en raison de la nature de l’action ou des intentions 40

Voir Démosthène, Contre Midias, 78, 81, Contre Aristogiton I, 79, Contre Aphobos III, 6, 30, Contre Onétôr I, 17, Contre Apatourios, 23, 35, Pour Phormion, 3, 17, 21, 23, Contre Pantainétos, 3, 50, Contre Nausimachos, 4, 6, 13, 19, 27, Contre Bœotos I, 1, 2, 6, 15, 17, 21, Contre Bœotos II, 16, 18, 28, 31, Contre Stéphanos I, 47, Contre Évergos et Mnésiboulos, 45, Contre Olympiodoros, 31, Contre Conon, 1, Contre Calliclès, 20, Contre Théocrinès, 8, 10, 32 ; [Démosthène], Contre Callippos, 30, Contre Nicostratos, 14, 22 ; Isée, La succession de Philoctémon, 12, 13, La succession d’Aristarchos, 2, La succession d’Hagnias, 10, 27, 46 ; Isocrate, Trapézitique, 21, Contre Callimachos, 23 ; Lysias, Affaire de Confiscation, 3, Contre Pancléon, 1, 3, 5. Sur le rapport entre les termes ἀνάκρισις et λαγχάνω δίκην, voir Gernet 1955, 115. Cette dernière expression est si souvent employée qu’elle arrive à signifier « intenter une action ». 41 Démosthène, Contre Midias, 103. Voir aussi Aristophane, Nuées, v. 770, Guêpes, v. 349. 42 Démosthène, Contre Théocrinès, 8 Ταύτην τὴν φάσιν, ὦ ἄνδρες δικασταί, ἔδωκεν μὲν οὑτοσὶ προσκαλεσάμενος τὸν Μίκωνα, ἔλαβεν δὲ ὁ γραμματεὺς ὁ τῶν τοῦ ἐμπορίου ἐπιμελητῶν, Εὐθύφημος. Ἐξέκειτο δὲ πολὺν χρόνον ἔμπροσθεν τοῦ συνεδρίου ἡ φάσις, ἕως λαβὼν ἀργύριον οὗτος εἴασε διαγραφῆναι καλούντων αὐτὸν εἰς τὴν ἀνάκρισιν τῶν ἀρχόντων. : « Cette dénonciation a été déposée par l’accusé après citation à Micon ; elle a été reçue par le secrétaire des commissaires du port marchand, Euthyphémos ; elle est restée longtemps affichée devant le bureau des commissaires : finalement, Théocrinès, ayant reçu de l’argent, l’a laissé effacer au moment où les magistrats le convoquaient pour l’instruction. » (trad. L. Gernet). 43 Voir, par exemple, Isée, La succession de Philoctémon, 12-13 Ὅτε γὰρ αἱ ἀνακρίσεις ἦσαν πρὸς τῷ ἄρχοντι […] ἀναβολὴν ἐποιήσαντο. Τὸ δ’ ὕστερον ἥκοντες εἰς τὴν ἀνάκρισιν […]. : « Quand eut lieu l’instruction de l’affaire devant l’archonte […] et demandèrent par suite un délai. Plus tard, quand ils revinrent à l’instruction […]. » (trad. P. Roussel). Voir aussi pour les cas d’arbitrage, Démosthène, Contre Midias, 84 τὸ μὲν πρῶτον ἐπισχεῖν ἐδεῖτό μου τὴν δίαιταν, ἔπειτ’ εἰς τὴν ὑστεραίαν ἀναβαλέσθαι : « il me demanda d’abord de surseoir à l’arbitrage, puis de remettre au lendemain » (trad. J. Humbert – L. Gernet), Contre Évergos et Mnésiboulos, 14 ἀναβαλέσθαι κελεύων τὴν δίαιταν εἰς τὴν ὑστέραν σύνοδον : « qu’il demandât de faire ajourner l’arbitrage à la réunion suivante  »  (trad. L.  Gernet, légèrement modifiée). Cf. Gernet 1955, 117 et n. 7 ; Carlier 20062, 247. 44 Voir infra, l’affaire de l’ambassade entre Démosthène et Eschine, dont le jugement a été reporté de 346/5 à 343. Voir aussi Démosthène, Contre Midias, 81-82, où Démosthène a intenté contre Midias un procès pour dépossession (λαχών ἐξούλης πάλιν οὐδέπω καὶ τήμερον εἰσελθεῖν δεδύνημαι), mais, selon le document inséré dans le texte, huit ans sont passés sans que l’affaire soit jugée, à cause des raisons de retard posées par Midias (προφασιζόμενον και ἀναβαλλόμενον) ; Isée, Défense d’Euphilétos, 11 : selon le plaideur, l’arbitrage a duré deux ans ; peut-­être s’agit-­il de deux arbitrages

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des plaideurs. Au cours de cette phase, le magistrat procède à une enquête préliminaire. Pour les petites affaires, il peut même trancher. C’est également au cours de cette phase que l’accusé peut déposer une opposition à l’accusation (paragraphè). Quand l’instruction est terminée, les thesmothètes fixent la date et les autres détails du procès45. Avant que ce dernier ne commence, on recueille les preuves (lois, décrets, autres documents, témoignages, objets) pour les remettre au tribunal. Pour certaines actions privées qui sont portées devant les Quarante, une procédure différente est suivie. Le nom « Quarante » désigne les juges des dèmes. Établis en 453/2, au nombre de trente (ch. IV), ils passent à quarante après la restauration de la démocratie, cessent d’être itinérants et résident au centre d’Athènes46. Quatre juges sont désormais tirés au sort par tribu et jugent les affaires à caractère privé qui ne dépassent pas le montant de dix drachmes47 et qui viennent, très probablement, de leur tribu d’origine48. Les affaires privées qui dépassent leur juridiction sont renvoyées aux arbitres publics49, dont la création date aussi d’après la restauration démocratique50. Avant leur introduction, il serait logique successifs qui ont duré deux ans ; le deuxième a peut-­être eu lieu à cause de la mort du démarque : οὗτοι δέ ἐπειδὴ ἔλαχεν Εὐφίλητος τὴν δίκην τὴν προτέραν τῷ κοινῷ τῶν δημοτῶν καὶ τῷ τότε δημαρχοῦντι, ὃς νῦν τετελεύτηκε, δύο ἔτη τοῦ διαιτητοῦ τὴν δίαιταν ἔχοντος οὐκ ἐδυνήθησαν οὐδεμίαν μαρτυρίαν εὐρεῖν : « Mais eux, quand Euphilétos intenta le premier procès contre la communauté du dème et le démarque d’alors, maintenant décédé, bien que l’affaire soit restée deux ans devant l’arbitre, ils n’ont pu trouver un seul témoin. » (trad. P. Roussel). Sur les problèmes que ce passage soulève, voir Edwards 2007, 194 n. 1-2, 198 n. 10 ; Wolpert – Kapparis 2011, 77-78 n. 8. 45 Aristote, Constitution d’Athènes, LIX. 1. Sur les étapes préliminaires d’un procès, voir Harrison 1971, 85-105 ; Isager – Hansen 1975, 107-116 ; MacDowell 1978, 237-242 ; Hansen 19992, 196-197 ; Wolpert – Kapparis 2011, xvii-xviii. 46 Aristote, Constitution d’Athènes, LIII. 1. Même si les sources ne précisent pas les raisons de l’abandon de ce caractère périodique, on l’attribuerait volontiers à des raisons administratives. Cf. Gernet 1955, 107 ; Rhodes 1980, 316 ; id. 1981, 588 ; id. 1995, 305. Sur leurs compétences, voir Harrison 1971, 18-21. 47 Aristote, Constitution d’Athènes, LIII. 2. 48 Voir Lysias, Contre Pancléon, 2-3. Pancléon prétendait appartenir au dème de Décélie et devait être jugé devant les juges de la tribu Hippothontis, à laquelle appartenait le dème de Décélie. Selon Gernet 1955, 107 n. 2, les juges de cette tribu ne sont pas encore les Quarante. Sur les dèmes de l’Attique, voir Traill 1975, 81-103. 49 Aristote, Constitution d’Athènes, LIII. 2. Sur leur juridiction, voir Harrison 1971, 66-68. 50 Sur la datation de la création du corps des arbitres publics avant 400, voir Gernet 1955, 104 ; Todd 2007, 630 n. 23 ; en 399/8, voir MacDowell 1971b, 270-271, 273 ; Carawan 2013, 112.

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Le tribunal de l’Héliée

de supposer que les tribunaux recevaient les affaires qui dépassaient la compétence des juges des dèmes. À partir de leur création, les arbitres publics procèdent à la fois à l’instruction et à la prise de décision ; si l’un des deux plaideurs ne l’accepte pas, il présente une ephesis au tribunal51. À cet égard, les Quarante et les arbitres publics font aussi partie du système de la reddition de comptes des magistrats52, qui est réorganisé après 403/2 et dans le premier tiers du IVe siècle53. La procédure est divisée en deux parties, celle devant les logistes et celle devant les euthynes, sans que le rôle des tribunaux change considérablement : ils examinent les comptes des magistrats et reçoivent les accusations qui sont portées contre eux et concernent leur gestion des finances54 (il s’agit de l’examen devant les logistes) ou leur conduite55 (plainte déposée devant les euthynes). Dans ce dernier cas, les accusations de nature publique sont déposées auprès des thesmothètes et transférées par la suite auprès du tribunal, tandis que les accusations de nature privée suivent l’ordre décrit plus haut, avec dépôt de l’accusation devant les juges des dèmes et les arbitres. Une fois le procès initié, le magistrat préside le tribunal et dix juges sont tirés au sort pour assumer chacun des tâches spécifiques (surveillance du temps de parole, procédure de vote, paiement du misthos). Les juges entendent les parties qui s’engagent toutes deux par serment à parler seulement sur l’affaire et auxquelles est accordé un certain temps de parole, mesuré par la clepsydre. Ces parties sont souvent assistées par des synégores – personnes qui parlent aux côtés de l’orateur – et mobilisent aussi des témoins. À la fin, les juges votent sur la culpabilité ou l’innocence, par un vote secret, cette fois-­ci avec des jetons et non avec des cailloux, comme c’était l’usage au Ve siècle (ch. IV)56. Les jetons de 51

Aristote, Constitution d’Athènes, LIII. 2-3. Si on s’interroge sur les motifs de leur introduction, on pourrait les attribuer à des raisons administratives et financières. Les tribunaux ne s’occupaient plus de juger les affaires des alliés, mais les finances de la cité et des Athéniens étaient en très mauvais état après la restauration de la démocratie, d’où la multiplication, d’une part, des procès relatifs à propos des conflits d’argent et la préférence, d’autre part, d’un arbitrage au lieu d’un procès ordinaire, puisque son déroulement ne coûtait pas autant que celui d’un procès et que la décision pouvait être prise plus facilement et rapidement. Cf. Rhodes 1995, 306 ; Carawan 2013, 112. 52 Aristote, Constitution d’Athènes, XLVIII. 4-5, LIV. 2. Pour un commentaire, voir Harrison 1971, 28-31 ; Piérart 1971, 572-573 ; MacDowell 1978, 170-172 ; Rhodes 1981, 561-564, 597-599 ; Hansen 19992, 222-224 ; Fröhlich 2004, 331-334. 53 Voir Piérart 1971, 572-573 ; Fröhlich 2004, 105 ; Migeotte 2014, 450-451. 54 Aristote, Constitution d’Athènes, LIV. 2. 55 Ibid., XLVIII. 5. 56 On n’est pas sûr de la date de ce changement. Même si on dispose d’un passage (Isée, La succession de Dikaiogénès, 17-18), où il semble que les psèphoi d’acquittement et de

Le cadre formel du fonctionnement de l’Héliée au IVe siècle

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vote sont en bronze, munis d’une petite tige au milieu ; il y en a la moitié de percés et la moitié de pleins. Quand les plaidoiries sont prononcées, ceux qui sont préposés par le sort aux jetons de vote en remettent deux à chacun des juges – un percé et un plein. Deux amphores sont placées dans le tribunal, l’une en bronze, l’autre en bois que l’on peut séparer l’une de l’autre pour qu’on ne puisse pas y introduire de jetons de vote en fraude sans être vu. C’est dans ces amphores que votent les juges : celle de bronze est celle qui décide ; celle de bois ne compte pas. L’amphore de bronze porte un couvercle dont la fente ne laisse passer qu’un jeton à la fois, pour que le même juge ne puisse pas en mettre deux. Au moment où il va procéder au vote, le héraut fait une proclamation : le jeton percé est pour la partie qui a plaidé la première (demandeur/accusateur) ; le jeton plein pour la partie qui a plaidé la seconde (défendeur/accusé). Le juge prenant en même temps ses deux jetons par la tige et appuyant ses doigts sur les deux extrémités de la tige, sans laisser voir aux plaideurs ni la partie creuse ni la partie pleine, dépose le jeton valable dans l’amphore de bronze, le jeton nul dans l’amphore de bois. Quand tous les juges votent, les responsables prennent l’amphore qui compte et la vident sur une table, ils comptent les jetons et le héraut proclame le nombre des voix, attribuant les jetons percés au demandeur, les pleins au défendeur. Celle des deux parties qui a le plus grand nombre de voix gagne le procès : à égalité, c’est le défendeur. S’il y a lieu, les juges votent de la même manière sur la sanction, dans le cas où le défendeur est coupable et la sanction n’est pas fixée par la loi. Après avoir rendu leur jugement, ils reçoivent le misthos hèliastikos57. Ce mode de décision, qui repose uniquement sur le vote et non sur la discussion de l’affaire par les héliastes, n’est pas sans importance pour la cohésion du corps héliastique, combiné bien sûr avec les autres qualifications des juges. Contrairement au Conseil et à l’Assemblée du peuple, qui ont conduit à la révélation de grands protagonistes de la vie politique d’Athènes parmi leurs participants, l’Héliée est restée le lieu d’une égalité absolue entre ses membres. Tout au long de son histoire, les noms des héliastes qui nous sont connus viennent des tablettes judiciaires, qui, comme nous le verrons (ch. VIII), constituent, d’ailleurs, l’identité des juges, et qui vont dans le même sens que les qualités décrites par Aristote. Aucune source ne donne de renseignements quant à une distinction condamnation ne sont pas mêlées dans la même urne, comme il arrivera par la suite, le passage fait référence à un procès ayant eu lieu avant le déroulement du procès en question dans le plaidoyer datant de 389. 57 Aristote, Constitution d’Athènes, LXVIII-LXIX.

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individuelle des héliastes en raison de leur fonction, en dépit de leurs différentes origines sociales et économiques. En revanche, le seul nom qu’on connaît, en dehors des tablettes judiciaires, est celui de Pyrrhus l’Etéoboutade, dénoncé pour remplir les fonctions de juge tout en étant débiteur du trésor public et condamné à mort par le tribunal58. Ce témoignage met effectivement l’accent sur l’importance du respect des règles établies dans cette assemblée, qui est chargée de faire respecter les lois de la cité non seulement par les autres Athéniens mais aussi par ses propres membres. Le serment que les héliastes prêtent (ch.  II) s’inscrit dans cet esprit59. Prenons notamment les dispositions qui concernent l’obligation des juges de voter conformément aux lois et aux décrets de l’Assemblée du peuple et du Conseil, l’interdiction de recevoir des présents et les formules religieuses à la fin du serment60. Comme les héliastes jugent la grande majorité des affaires de la cité, c’est à eux de rassurer le reste de la cité sur l’intégrité de leurs jugements, qui sont conformes aux lois, ainsi que sur leur intention de ne pas laisser apparaître dans leur assemblée des comportements qu’ils condamnent normalement quand ils jugent les affaires des autres plaideurs. En conséquence, les clauses du serment, ainsi que les peines prévues, doivent être rigoureuses et assurer le respect par les juges de leurs engagements61. Notamment, en ce qui concerne la clause sur la corruption des juges, le plaidoyer d’Eschine, Contre Timarque, offre un exemple, qui montre, en pratique, le mécanisme de la justice quand quelqu’un tente de ne pas la respecter. D’après Eschine, Démophilos et Nicostratos avaient accusé un certain nombre d’individus qui tentaient de corrompre les membres de l’Assemblée du peuple et des tribunaux. Certains cas portés par cette accusation devant les tribunaux ont été jugés et d’autres étaient en train d’être jugés au moment où Eschine prononçait le discours (346/5)62.

58

Démosthène, Contre Midias, 182. Sur le débat à propos de l’authénticité du serment, voir le chapitre II. 60 Démosthène, Contre Timocrate, 149-151 Ψηφιοῦμαι κατὰ τοὺς νόμους καὶ τὰ ψηφίσματα τοῦ δήμου τοῦ Ἀθηναίων καὶ τῆς βουλῆς τῶν πεντακοσίων […]· οὐδὲ δῶρα δέξομαι τῆς ἡλιάσεως ἕνεκα οὔτ’ αὐτὸς ἐγὼ οὔτ’ ἄλλος ἐμοὶ οὔτ’ ἄλλη εἰδότος ἐμοῦ, οὔτε τέχνῃ οὔτε μηχανῇ οὐδεμιᾷ […]. Ἐπομνύναι Δία, Ποσειδῶ, Δήμητρα, καὶ ἐπαρᾶσθαι ἐξώλειαν ἑαυτῷ καὶ οἰκίᾳ τῇ ἑαυτοῦ, εἴ τι τούτων παραβαίνοι, εὐορκοῦντι δὲ πολλὰ κἀγαθὰ εἶναι. 61 Cf. Mossé 1991, 399-400. 62 Eschine, Contre Timarque, 86. Pour plus de détails sur le sujet de la corruption, avec des références bibliographiques, voir Fisher 2001, 222. 59

Le cadre formel du fonctionnement de l’Héliée au IVe siècle

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Conclusions Ces règles du fonctionnement de l’Héliée traversent le IVe  siècle et sont liées à la nécessité d’améliorer l’exercice de la justice. Cela est dû à l’évolution attendue du système judiciaire au cours des années et à l’évolution des conceptions sur la façon dont la cité pourrait mieux fonctionner. Elles ne sont pas soumises à des modifications au gré des aléas politiques, sauf s’il y a des difficultés particulières (manque d’argent dû aux préparations et expéditions militaires) qui ne permettent pas le déroulement de certains procès (ch. VIII-IX). Du reste, l’Héliée est désormais un tribunal dont le fonctionnement n’est pas interrompu par des changements constitutionnels. Pourtant, malgré cette structure et le nombre d’affaires courantes – privées et publiques – qui sont jugées devant ses tribunaux, les textes laissent entendre qu’il y a des changements apportés aux procédures judiciaires et des procès qui s’expliquent souvent par les nouvelles conditions et les nécessités de la vie politique de telle ou telle période. Par conséquent, dans les deux chapitres suivants, il convient d’étudier ces deux aspects, en adoptant un plan chronologique, pour pouvoir révéler le rapport qui s’est développé entre le pouvoir judiciaire et l’aspect politique. Évidemment, les temps forts qui croisent politique et justice ne doivent pas masquer la continuité d’une vie institutionnelle propre au tribunal.

Chapitre VIII

L’Héliée dans la turbulence militaire de la première moitié du IVe siècle Dans ce chapitre, il nous intéresse de mettre l’accent sur les particularités du fonctionnement du tribunal dans le contexte historique de la période, surtout vis-­à-vis des choix que fait Athènes en politique extérieure. Comme nous l’avons vu, c’est la période qui commence avec la restauration démocratique et l’entrée du tribunal dans une nouvelle phase de sa fonction. Elle finit avec la guerre des Alliés (355), qui constitue, à son tour, un tournant pour le fonctionnement de l’Héliée. C’est pourquoi la seconde moitié du IVe siècle doit être étudiée dans un chapitre séparé. Pour ce qui concerne la première moitié du IVe siècle, il était question dans le chapitre VI des procès dont le contenu était directement lié à l’oligarchie des Trente et au redressement de la démocratie et ceux dont l’accusation ne s’attachait pas à ces événements mais qui y était indirectement liée. Dans le présent chapitre, on se propose de discuter, d’abord, l’activité des tribunaux pendant la guerre dite de Corinthe (395-386) et la période postérieure à la paix d’Antalkidas (386). La création de la seconde Confédération maritime (377) nous conduit à discuter également les changements qui sont apportés à la fonction du tribunal ainsi qu’aux procès qui sont portés devant les juges athéniens de 377 à 355, puisque le sujet en question à cette époque est la renaissance du pouvoir d’Athènes. Quand on étudie les procès non seulement de cette période, mais aussi de l’ensemble du IVe siècle, il convient de noter les points suivants : on ne dispose pas d’un inventaire complet des procès, qui permettrait de tirer des renseignements sur le déroulement ou non des procès ayant un caractère politique autre que celui qu’on indique ; les sources n’évoquent pas souvent clairement quelle procédure est employée et quelle institution rend le jugement, notamment lorsqu’il s’agit de l’eisangélie ; il est difficile, enfin, d’avoir une image globale de l’attitude des héliastes, étant donné que l’issue des procès n’est généralement pas conservée. Il faut donc garder à l’esprit ces quelques points d’interrogation dans nos conclusions.

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Il va de soi qu’hormis ces affaires, les tribunaux s’occupent aussi tout au long de la période d’une série de procès publics et privés touchant plusieurs domaines. Cela n’est pas seulement attesté par les plaidoyers complets dont on dispose1, mais aussi par une série de fragments2 des plaidoyers écrits surtout par Lysias3. Dans la plupart des cas, il s’agit des titres, phrases ou petits passages qu’on ne peut dater plus précisément que dans la période où Lysias était logographe.

A. De la guerre dite de Corinthe à la seconde Confédération maritime L’un des principaux débats dans les discussions politiques à Athènes pendant les années 390-380 portait sur l’exercice de la politique extérieure. Selon l’Anonyme d’Oxyrhynchos, deux tendances s’opposaient au début des années 390, celle en faveur de la situation en vigueur et celle en faveur d’une politique anti-­spartiate4. Pourtant, en 395, suite à un appel de 1

Voir, e.g., Démosthène, Contre Aphobos, Contre Onétôr, Contre Macartatos, Contre Évergos et Mnésiboulos ; [Démosthène], Contre Timothée, Contre Polyclès, Contre Callippos ; Isée, La succession de Cléonymos, La succession de Ménéclès, La succession de Pyrrhos, La succession de Nicostratos, La succession de Dikaiogénès, La succession de Philoctémon, La succession de Kiron, La succession d’Astyphilos, La succession d’Aristarchos, La succession d’Hagnias ; Lysias, Contre Théomnestos. Sur la datation des discours d’Isée, voir Edwards 2007. 2 Le fragment suivant touche le domaine politique. Il s’agit d’un plaidoyer que Lysias a écrit pour la défense de Phanias et qui concerne une action en illégalité intentée par Kinésias contre Phanias pour avoir proposé un décret illégal qui doit toucher au domaine de la religion (n° 68). Voir Lysias, fr. V Gernet – Bizos (Contre Kinésias, pour Phanias, affaire d’illégalité). Cf. Gernet – Bizos 1926, 234, 256 ; Hansen 1974, 30. On attribue avec certitude le rôle de l’accusateur à Kinésias, puisque ce dernier est présenté dans le fragment comme « le défenseur de la légalité » (Lysias, fr. V. 1 Gernet – Bizos). Un autre plaideur fait allusion à ce même Kinésias dans le plaidoyer de Lysias, Défense d’un anonyme accusé de corruption, daté des premières années de la restauration démocratique. Voir Blass I, 496 ; Gernet – Bizos 1926, 73 ; Lamb 1930, 475 ; Kapellos 2014, 55-56. Il l’associe à un groupe d’accusateurs, dont la lâcheté est connue dans la cité et qui ont aussi été accusés d’impiété : Lysias, Défense d’un anonyme accusé de corruption, 20. Cf. Kapellos 2014, 144-145. Dans le fragment correspondant, Phanias reproche à son tour à Kinésias d’avoir commis des outrages religieux. Malgré tout, il n’est pas certain que l’on puisse, en s’appuyant sur la similarité entre les deux reproches, dater l’activité de Kinésias, et donc ce fragment, du début des années de la restauration. 3 Pour une analyse et une présentation de ces fragments, voir Gernet – Bizos 1926, 225-281. 4 Anonyme d’Oxyrhynchos, fr. Londinensia, A, 9-10. 2. Le texte est celui de l’édition Teubner. Parmi les hommes politiques, les amis politiques de Thrasybule de Stiria,

L’Héliée dans la turbulence militaire de la première moitié du IVe siècle

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Thèbes, l’Assemblée d’Athènes décida d’entrer en guerre contre Sparte5. Les événements de cette période, dévoilés par Xénophon et par les orateurs, montrent que pendant toute la durée de la guerre cette opposition entre tenants d’une politique agressive et partisans de la paix continuait à exister à Athènes6. Dans ce climat, on pourrait distinguer deux principaux types de procès. Le premier type porte sur l’accusation directe contre des stratèges et des ambassadeurs, auxquels sont attribués les échecs de telle ou telle expédition ou ambassade. Ces procès s’inscrivent dans une tradition inaugurée à partir de la guerre du Péloponnèse, qui désormais se généralise. Citons en guise d’exemple le procès contre Dionysios, stratège en 387/6, qui fut accusé d’avoir trahi la Thrace pendant une expédition à la région (n° 63). On ne connaît ni la procédure par laquelle il fut déféré devant la justice ni l’institution qui le jugea. La seule source dont on dispose à propos de ce procès est Démosthène, qui n’y fait qu’une simple allusion dans le cadre d’une discussion autour des peines qui doivent être imposées à ceux qui ont abandonné la Thrace aux ennemis. Ainsi, Démosthène dit qu’« il n’est pas difficile de montrer combien de gens pour cette raison ont été mis à mort chez vous ou condamnés à des amendes considérables : Ergophilos, Képhisodotos, Timomachos, autrefois Ergoclès, Dionysios  »7. À l’exception de Dionysios, les autres cas, qui seront évoqués par la suite, concernent la procédure de l’eisangélie, mais ils sont portés soit devant l’Assemblée (Ergophilos, Ergoclès) soit devant le tribunal (Timomachos, Képhisodotos). Si l’on tient compte du fait que Thrasybule de Collytos8, d’Aisimos et d’Anytos étaient en faveur de cette politique de prudence, tandis que les amis d’Épicratès et de Képhalos favorisaient une politique plus radicale. Sur les coalitions politiques de cette période, voir Sealey 1956, 179-181 ; Seager 1967, 95-96 ; Roberts 1980, 100-101 ; Strauss 1986, 104-114. 5 Xénophon, Helléniques, III. 5. 16. Thrasybule de Stiria se trouve parmi les partisans de la guerre, en dépit de son attachement initial à ceux qui proposaient une politique de prudence. Sur la guerre de Corinthe, voir Seager 1967, 95-115 ; Strauss 1986, 121-169  ; Seager 1994, 97-119  ; Buckler 2003, 75-128  ; Carlier 2005, 37-45  ; Buckler – Beck 2008, 44-73. 6 Cf. Sealey 1956, 184-185 ; Seager 1967, 96-115 ; Mossé 1974, 218-219 ; Roberts 1980, 102-114 ; Strauss 1986, 121-163. 7 Démosthène, Sur l’Ambassade, 180. 8 En 387, Thrasybule de Collytos, stratège, fut accusé de trahison et d’avoir détourné la rançon des captifs lors d’une expédition en Thrace qui échoua. Il doit avoir été jugé par la procédure de l’eisangélie devant l’Assemblée. Sur cette expédition, voir Xénophon, Helléniques, V. 1. 25-27. Cf. Roberts 1980, 112. Sur le procès, voir Lysias, Au sujet de l’examen d’Évandros, 23-24 ; Démosthène, Contre Timocrate, 134. Cf. Hansen 1975, 89 ; Roberts 1980, 111-113.

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qui avait participé à la même expédition que Dionysios, fut jugé par la procédure de l’eisangélie devant l’Assemblée, il est possible de supposer que Dionysios fut jugé par la même voie. Pourtant, l’exemple le plus caractéristique est celui de l’ambassade envoyée en 392/1 à Sparte pour négocier les termes d’une paix qui mettrait fin à la guerre (n° 57). L’ambassade était constituée d’Épicratès, Andocide, Cratinos et Euboulidès. La harangue qu’Andocide prononça devant l’Assemblée d’Athènes en faveur de la conclusion de la paix nous est parvenue9 et montre que de nombreux Athéniens plébiscitaient la poursuite de la guerre10. Le peuple décida de rejeter les termes proposés et, sur proposition de Callistratos, le neveu d’Agyrrhios11, de déférer les ambassadeurs devant la justice (κρίσιν)12. Les ambassadeurs furent accusés de ne pas avoir rempli leur ambassade selon les instructions données, d’avoir fait de faux rapports devant la Boulè, de ne pas avoir dit la vérité dans leurs lettres, d’avoir nui aux alliés des Athéniens par leur mensonges et d’avoir été corrompus13. Ils quittèrent Athènes avant le procès et furent condamnés à mort par contumace14. La décision du peuple de rejeter la paix et de punir les ambassadeurs montre que les ambassadeurs ont été punis, d’une part, par des Athéniens que les termes de la paix n’avaient pas satisfaits, c’est-­à-dire par ceux qui favorisaient la paix mais étaient maintenant obligés de continuer la guerre et, d’autre part, par des Athéniens qui étaient pour la guerre, contrairement à l’attitude défendue par Andocide dans son discours15. Le vocabulaire qu’on trouve dans les sources ne permet pas de tirer des conclusions sur la procédure et sur l’institution qui jugea les ambassadeurs. Toutefois, les accusations que Démosthène détaille dans son texte portent sur de graves délits commis par les ambassadeurs et, 9

Andocide, Sur la Paix. Ibid., 1, 13, 27, 32, 33, 35-36, 41. Sur un commentaire du discours à propos des partisans de la guerre ou de la paix, voir Seager 1967, 105-107 ; Strauss 1986, 138-143. 11 Démosthène, Contre Timocrate, 135. Comme il s’agit de la première apparition de Callistratos sur la scène politique d’Athènes, son initiative fait penser à l’accusation portée par Périclès contre Cimon en 463/2 : dans les deux cas, un jeune débutant fait son entrée dans la vie politique. 12 FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 149a. 13 Démosthène, Sur l’Ambassade, 278-279. 14 Ibid., 277, 280 (concernant Épicratès, qui, alors qu’il avait participé activement aux événements de 403, a été condamné à mort) ; FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 149a ; [Plutarque], Œuvres Morales, 835a. 15 Sur les motifs derrière ce procès, voir Sealey 1956, 185 ; Mossé 1974, 219 ; Roberts 1980, 102-106 ; Strauss 1986, 142. 10

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comme le souligne aussi Philochore, les ambassadeurs n’avaient pas abordé le sujet de la domination du Roi des Perses dans les cités grecques d’Asie Mineure. Ce type d’accusations qui s’apparente à une accusation de trahison pourrait plaider en faveur de la procédure de l’eisangélie16, puisque la trahison est un cas où l’eisangélie pouvait s’appliquer de manière institutionnelle à partir de 403. Pourtant, la question de savoir quelle institution a jugé les ambassadeurs reste ouverte. Si l’on admet que la procédure par laquelle les ambassadeurs ont été accusés était l’eisangélie, il est difficile de choisir entre l’Assemblée du peuple et le tribunal. Le deuxième type de procès concerne la revendication des biens appartenant à ceux qui ont été condamnés pendant la guerre et la punition de ceux qui ont nui aux finances de la cité. Cet intérêt est justifié par la mauvaise situation du trésor public, à cause des expéditions militaires. Les exemples sont nombreux. Un certain Épicratès17, contre lequel Lysias a écrit le plaidoyer Contre Épicratès (n° 56), fut accusé de vol et de corruption18. C’est un homme politique riche et éloquent, dont la magistrature doit concerner la gestion des finances19. Ce qui est intéressant est le fait que l’accusateur lors de toute son accusation utilise le pluriel pour s’adresser à Épicratès et, ainsi, il semble que plusieurs hommes politiques furent mis en cause. Cet élément, ainsi que l’argument de l’accusateur qu’une guerre peut entraîner un bouleversement social dans la cité, puisque « des gens pauvres se sont enrichis pendant la guerre aux dépens d’autres, qui se trouvent pauvres à cause d’eux »20, mettent l’accent sur le problème essentiel derrière ce procès, qui est évident dans d’autres cas. C’est, d’abord, le cas du procès contre Philocratès, triérarque sous le commandement d’Ergoclès et l’un de ses amis (n° 60)21, qui fut accusé en 388 d’avoir détenu trente talents sur les biens confisqués d’Ergoclès22. La qualité de Philocratès en tant qu’associé d’Ergoclès a dû jouer un rôle 16

Cf. Hansen 1975, 87-88. Peut-­on identifier cet homme avec l’ambassadeur Épicratès ? Si on se prononçait en faveur de cette identification, on serait obligé de dater le procès avant 392/1 et pendant la guerre (cf. Hansen 1983b, 166), puisque le plaidoyer y fait allusion (Lysias, Contre Épicratès, 9, 10). 18 Lysias, Contre Épicratès, 3, 4. 19 Ibid., 1, 3, 6, 9, 10. 20 Ibid., 9, 10. 21 Lysias, Contre Philocratès, 3-4. 22 Ibid., 2, 5, 11, 14. 17

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important dans l’accusation23, puisqu’Ergoclès, stratège en 389/8, avait été condamné à mort par l’Assemblée24 pour corruption, vol d’argent public et trahison25. La procédure employée dans le cas de Philocratès est celle de l’apographè26. On ne connaît pas, toutefois, l’issue du procès. Or, dans le plaidoyer, l’argumentation est la même que dans le Contre Épicratès. L’accusateur souligne que « les Athéniens avaient voté la peine de mort contre Ergoclès, parce qu’il avait acquis, grâce à ses malversations, une fortune de plus de trente talents »27, faisant ainsi allusion à la richesse de certaines personnes dans une période où les finances de la cité étaient mauvaises28. Le deuxième exemple parallèle date des environs de 388 et concerne le procès contre le beau-­père d’Aristophane qui fut accusé d’avoir détenu des biens de la cité, qui appartenaient dans le passé à Nicophémos et à Aristophane (n° 61). Le plaidoyer de Lysias Sur les biens d’Aristophane a été écrit à cette occasion, pour la défense du beau-­frère d’Aristophane, parce que son père était mort au moment du déroulement du procès29. Selon Lysias, Nicophémos et Aristophane avaient été condamnés à mort et à la confiscation de leurs biens à cause de l’échec de l’expédition à laquelle ils avaient incité les Athéniens à participer, pour soutenir le roi Évagoras de Chypre30. Pourtant, l’expression de Lysias qu’ils « ont péri sans jugement » (ἄκριτοι ἀπέθανον31) pose problème : une exécution sans jugement semble bizarre après la restauration de la démocratie. On pourrait, en revanche, considérer le jugement de deux accusés comme un procès-­parodie et le lier à l’expression qui suit et précise que personne n’avait pu les assister dans leur défense. Ni l’institution qui les avait

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Cf. Roberts 1980, 111. La procédure employée contre lui devait être celle de l’eisangélie. 25 Sur l’expédition en question, voir Xénophon, Helléniques, IV. 8. 25-31. Sur le procès, voir Lysias, Contre Ergoclès, Contre Philocratès ; Démosthène, Sur l’Ambassade, 180. Sur la procédure de l’eisangélie, voir Hansen 1975, 88. Sur les détails de sa condamnation, voir Sealey 1956, 184 ; Seager 1967, 110-113 ; Mossé 1974, 219 ; Roberts 1980, 108-111 ; Strauss 1986, 154. 26 Lysias, Contre Philocratès, 1. Sur cette procédure, voir Harrison 1971, 211-217  ; MacDowell 1978, 166 ; Osborne 1985, 44-47. 27 Lysias, Contre Philocratès, 2. Cf. Lysias, Contre Ergoclès, 4, 7. Voir aussi Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 30, 49, sur la distinction entre anciens et nouveaux riches. 28 Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 11, 50, Contre Épicratès, 1, 2, Contre Ergoclès, 11. 29 Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 62. 30 Ibid., 21. 31 Ibid., 7. 24

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condamnés ni la voie par laquelle ils avaient été jugés n’est mentionnée32. Dans le cas du procès contre le beau-­père d’Aristophane, le résultat ne nous est pas parvenu. Toutefois, comme dans les cas précédents, les arguments mettent l’accent, d’une part, sur les mauvaises finances d’Athènes et, d’autre part, sur l’appartenance des accusés aux nouveaux riches33. On peut reconnaître également des motifs financiers dans les deux procès suivants. En 389/8, le stratège Pamphilos fut envoyé à Égine pour protéger les vaisseaux athéniens de la piraterie des Éginètes (n° 59). Il construisit une forteresse, fut assiégé par les Spartiates pendant cinq mois et les Athéniens envoyèrent des navires supplémentaires pour sauver les assiégés34. Par la suite, Pamphilos fut accusé d’avoir détourné de l’argent du trésor et condamné à la confiscation de ses biens (apographè), mais il continuait à devoir à la cité cinq talents même après sa mort35. Comme une allusion à Pamphilos et au vol d’argent figure dans le Ploutos d’Aristophane36, représenté en 388, on peut dater l’épisode de l’époque de cette comédie. Les sources ne font pas le lien entre l’accusation de vol et l’expédition à Égine, mais la datation du procès et la décision du tribunal peuvent nous amener à supposer qu’il avait volé l’argent de la cité pendant sa stratégie. De plus, le scholiaste du Ploutos d’Aristophane présente Pamphilos comme un homme politique connu, démagogue et sycophante37, ce qui plaide pour l’existence d’ennemis politiques. Comme le nom de l’accusateur manque, il convient seulement de penser au fait que l’activité de Pamphilos pendant sa stratégie a servi de prétexte à ses ennemis politiques pour l’accuser de vol38 et que la mauvaise situation des finances de la cité a dû jouer un rôle important dans le choix de la peine infligée. On peut dater de la fin de la guerre de Corinthe le procès contre Agyrrhios (n° 62). On sait qu’il avait remplacé Thrasybule de Stiria comme stratège, après la mort de ce dernier (389/8)39. La seule source dont on dispose à propos du procès d’Agyrrhios est Démosthène. Après 32

Cf. Seager 1967, 113-114 ; Mossé 1974, 219 ; Roberts 1980, 107. Sur l’expression ἄκριτοι ἀπέθανον, voir Carawan 1984, 111-121. 33 Lysias, Sur les biens d’Aristophane, 11, 28-30, 49-50. 34 Xénophon, Helléniques, V. 1. 1-5. 35 Démosthène, Contre Bœotos II, 20, 22 ; Schol. Aristophane, Ploutos, v. 174. 36 Aristophane, Ploutos, v. 174-175. 37 Schol. Aristophane, Ploutos, v. 174. 38 Cf. Roberts 1980, 106. 39 Xénophon, Helléniques, IV. 8. 31.

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la citation des cas de Thrasybule de Collytos (387) et d’un certain Philepsios de Lamptrai et de leur transfert devant la justice, l’orateur fait référence à Agyrrhios qui fut accusé d’avoir détenu des fonds publics, condamné à une amende et emprisonné jusqu’au paiement de cette amende40. Démosthène ne précise pas l’institution qui le jugea ni de quelle occasion Agyrrhios profita pour s’emparer de l’argent de la cité. La nature de l’accusation et les cas parallèles d’Épicratès et Pamphilos permettent de supposer que la cause fut plaidée devant un tribunal héliastique. L’accusation est peut-­être liée à sa stratégie, qui a offert à ses ennemis politiques l’occasion de l’accuser. Il y a encore un procès qui se rattache à cette catégorie. Il s’agit d’une action intentée contre des marchands de blé41 qui furent accusés d’avoir violé la loi qui interdisait d’acheter plus de cinquante mesures de blé à la fois (n° 64)42. La procédure qui fut employée n’est pas mentionnée dans le plaidoyer de Lysias, Contre les marchands de blé. Pourtant, l’accusateur dit qu’elle avait été initiée devant le Conseil (ἐν τῇ βουλῇ) et transférée par la suite devant le tribunal auquel le plaideur s’adresse (ὦ ἄνδρες δικασταί)43. La procédure, telle qu’elle est décrite par le plaideur, se rapprocherait, ainsi, de celle de l’eisangélie. Bien qu’on ne connaisse pas le résultat du procès, le plaidoyer montre que si les marchands étaient condamnés, la peine imposée serait la mort44. Le nomos eisangeltikos, tel qu’il est conservé dans les sources, ne dit rien sur des fautes de caractère commercial. Des renseignements supplémentaires peuvent être tirés du plaidoyer lui-­même. Selon l’accusateur, au moment où il a porté son accusation devant le Conseil, un certain nombre d’orateurs ont proposé de déférer les accusés devant les Onze et de les exécuter sans jugement, ce qui venait, toutefois, en contradiction avec les formes légales45. Cette indignation est, en effet, justifiée par la période où le délit a été commis. Le plaidoyer de Lysias donne le contexte historique, quand il évoque les navires qui ont péri dans le Pont et la trêve qui a été conclue46. La destruction des navires renvoie à l’échec de l’expédition en Thrace, qui fut suivie des procès contre Dionysios et Thrasybule de Collytos, et la trêve 40

Démosthène, Contre Timocrate, 134-135. Cf. Roberts 1980, 113. Sur l’identité des marchands de blé et leur présence dans les plaidoyers, voir Moreno 2007, 213-220. 42 Lysias, Contre les marchands de blé, 6. 43 Ibid., 1-2, 11. Cf. Hansen 1975, 117-118. 44 Lysias, Contre les marchands de blé, 2, 13. 45 Ibid., 2-3. 46 Ibid., 14. 41

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doit être celle qui a précédé la paix d’Antalkidas47. Le procès date donc de la fin de la guerre de Corinthe, où les finances étaient en mauvais état, où les arrivages de blé n’étaient pas fréquents et les marchands cherchaient à profiter de la situation48. Comme nous le verrons, des exemples parallèles peuvent être repérés dans les conditions particulières des années 330-320, qui montrent l’importance du monde de l’emporion pour Athènes, ainsi que l’usage de l’eisangélie contre toute activité commerciale qui ne se conformait pas aux lois et aux règles commerciales et qui en entravait le bon fonctionnement49. Comme dans le dernier exemple, ce qui pose parfois question, c’est la procédure employée et, surtout, l’institution devant laquelle les accusés furent déférés. Dans la plupart des cas, la procédure n’est pas définie : il en résulte différentes hypothèses, puisque la même accusation peut être portée selon plusieurs procédures. Dans les cas où l’on sait que les procès furent jugés par les tribunaux, si on cherche à étudier l’attitude des héliastes, il convient de garder à l’esprit notre ignorance des verdicts. On dispose seulement des résultats des procès intentés contre Pamphilos et Agyrrhios, où les juges prirent une décision condamnatoire, celle de la confiscation des biens et de l’imposition d’une amende respectivement. Même en s’appuyant sur ces deux procès, il apparaît que les héliastes n’hésitèrent pas à condamner des hommes politiques importants de l’époque. Pamphilos était à la fois stratège et connu pour son activité politique. Le cas d’Agyrrhios est encore plus intéressant. Outre son élection comme stratège en 390/89, il avait proposé trois lois en faveur du peuple : l’introduction du misthos pour la participation à l’Assemblée, l’augmentation de ce salaire à trois oboles et le rétablissement du théôrikon50. Pour les autres cas jugés par les héliastes, on ne connaît pas la sentence, mais, comme il s’agit de procès qui touchent à des questions de fonds publics dans une période critique pour le trésor de la cité, il est possible de penser qu’une grande partie des juges était favorable à la condamnation des accusés et à l’imposition d’une amende. Cette hypothèse repose sur une phrase tirée du plaidoyer de Lysias Contre Épicratès. L’accusateur cite l’argument suivant qui est souvent employé pour influencer la décision des juges : « Si vous ne prononciez 47

Xénophon, Helléniques, V. 1. 32-34. Lysias, Contre les marchands de blé, 15. Sur le problème d’approvisionnement de grain pendant la guerre de Corinthe, voir Garnsey 1988, 146-148, qui reste l’étude principale sur le commerce de blé pendant l’époque classique. Sur l’emporion et les marchés, voir Bresson 2000, 98-133. 49 Pour une discussion détaillée, voir chapitre IX. 50 Aristote, Constitution d’Athènes, XLI. 3 ; Harpocration, s. v. 48

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pas les condamnations qu’ils vous demandaient, votre salaire viendrait à manquer51. » Cette phrase sert, d’une part, la rhétorique du discours, mais, de l’autre, elle souligne la nécessité d’imposer une amende ou de procéder à une confiscation dans une période où la cité était pauvre, afin d’assurer, entre autres, le versement de l’indemnité judiciaire. En revanche, en ce qui concerne l’activité des tribunaux après la fin de la guerre de Corinthe et la conclusion de la paix d’Antalkidas52, il est difficile de procéder à une analyse détaillée. La première raison tient aux sources dont on dispose : un seul plaidoyer de Lysias est entièrement conservé, le Contre Théomnestos, qui date de 384/353, et les fragments que l’on possède ne peuvent pas être datés précisément. Dans ce plaidoyer il est question d’une série de procès et de deux conflits entre particuliers qui cherchaient à se venger. Le premier procès prend la forme d’une dokimasia des orateurs, selon laquelle toute personne qui le voulait pouvait imposer à un orateur qui avait pris la parole dans l’Assemblée, alors que cela lui était interdit, de se soumettre à une dokimasia, qui serait jugée par un tribunal (n° 58)54. À cet égard, un certain Lysithéos accusa Théomnestos d’avoir parlé devant le peuple, alors qu’il avait abandonné ses armes. Pendant la durée du procès, Théomnestos accusa l’accusateur du plaidoyer actuel, dont le nom nous échappe, d’avoir tué son propre père55. Théomnestos ayant été acquitté56, il intenta par la

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Lysias, Contre Épicratès, 1. Voir le commentaire de ce passage par Scafuro 2015, 367, quant aux fonds réservés pour le misthos des juges. Cf. Lysias, Défense d’un anonyme, 13. Cf. Kapellos 2014, 118-119. 52 Xénophon, Helléniques, V. 1. 30-36 ; Diodore de Sicile, XIV. 110. 3, XV. 5. 1. Cf. Seager 1994, 117-119 ; Buckler 2003, 169-180 ; Carlier 2005, 43-45. 53 Lysias, Contre Théomnestos I, 4. Le plaidoyer peut être daté de 384/3, grâce au plaideur qui remarque que l’année actuelle est la vingtième année du retour des gens du Pirée à la ville. Outre le plaidoyer de Lysias, les autres sources ne mentionnent pas de cas spécifiques portés devant les tribunaux, à l’exception de Démosthène dans le Contre Timocrate, 138, qui fait très brièvement une allusion à une accusation pour avoir proposé une loi nocive, lancée contre un certain Eudémos en 382/1, et à sa condamnation à mort. 54 Sur la procédure et les quatre cas qui entraînent l’interdiction de prendre la parole (traiter mal ses parents, échapper au service militaire ou abandonner les armes dans un combat, être prostitué, gaspiller l’héritage familial ou autre héritage), voir Eschine, Contre Timarque, 28-32. Le catalogue peut-­être n’est pas exhaustif. Cf. Gagliardi 2005, 89-97 ; MacDowell 2005, 79-87 ; Feyel 2009, 198-207. Sur les problèmes que présente le verbe εἰσήγγελλε dans le passage concerné, voir Todd 2007, 628 n. 15, 662-663. 55 Lysias, Contre Théomnestos I, 1. 56 Ibid., 22.

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suite contre Lysithéos une action d’« injure » (δίκη κακηγορίας)57, et porta contre Dionysios, un des témoins à charge, une accusation pour faux témoignage (δίκη ψευδομαρτυρίας)58. Suite aux calomnies proférées par Théomnestos sur la personne inconnue, cette dernière lui intenta une action pour lui avoir reproché d’avoir tué son propre père (injure verbale), pour laquelle le plaidoyer de Lysias a été composé. Les trois premiers procès doivent avoir eu lieu pendant la période de la guerre de Corinthe pour deux raisons : parce que l’accusation principale est liée à l’abandon des armes dans une bataille et parce que le plaideur fait allusion à une campagne qui était la plus désastreuse et « ceux qui avaient sauvé leurs armes étaient condamnés pour faux témoignage à la requête de ceux qui avaient abandonné les leurs »59. Au contraire, le procès actuel se déroula en 384/3 (n°  65) et le plaideur ne manque pas de faire allusion à la période des Trente et à la mort de son père sous leur gouvernement60, ce qui montre que les événements du passé restent encore dans la mémoire des Athéniens, sans, pourtant, qu’ils s’imposent avec la même véhémence que dans les premières années. La deuxième raison pour laquelle il est difficile de se prononcer sur l’activité des tribunaux est la politique d’Athènes après la paix d’Antalkidas. Le traité avait établi un statut de « liberté » et d’« autonomie » dans les cités grecques et proclamait la guerre contre ceux qui ne se conformeraient pas aux clauses de la paix. Par conséquent, il est logique de supposer que l’adoption d’une politique de paix implique l’absence de procès touchant à des événements militaires. Démosthène dans son plaidoyer Sur l’Ambassade le dit explicitement, en s’adressant à Eschine : « En effet, moi, je n’incrimine Eschine pour rien de ce qui s’est fait pendant la guerre : de cela, les stratèges ont à rendre compte61. » Pourtant, une nouvelle activité est attestée à partir du début des années 370. En 379, Thèbes se révolta contre l’occupation spartiate62. Les deux stratèges athéniens présents aux frontières de la Béotie s’empressèrent d’aider les Thébains63. Le récit de Xénophon laisse penser que les stratèges 57

Ibid., 12. Ibid., 24-25. 59 Ibid., 25. Cette campagne est souvent identifiée à la défaite d’Athènes à la bataille de Némée (Xénophon, Helléniques, IV. 2. 20-21). Voir Gernet – Bizos 1924, 150-151 n. 1 ; Todd 2007, 690. 60 Lysias, Contre Théomnestos I, 4. 61 Démosthène, Sur l’Ambassade, 333. 62 Xénophon, Helléniques, V. 4. 2-18. 63 Ibid., V. 4. 9. 58

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n’avaient pas consulté l’Assemblée avant de les aider. Les Athéniens, craignant une intervention des Lacédémoniens à Thèbes pour réprimer la révolte, déférèrent devant la justice les deux stratèges ; l’un fut condamné à mort et l’autre, qui n’était pas resté pour être jugé, fut condamné à l’exil (n° 69)64. Xénophon ne précise ni la procédure ni l’institution qui les jugea. L’accusation doit être liée à l’initiative prise par les stratèges en faveur de Thèbes, alors que l’Assemblée n’avait rien statué. Selon Diodore de Sicile, les Athéniens envoyèrent à l’occasion de la libération de Thèbes des ambassades auprès de plusieurs cités pour maintenir le statut de « liberté » décidé par la paix d’Antalkidas65. Cette activité entraîna par la suite la conclusion de plusieurs alliances bilatérales entre Athènes et les cités, mais à ce moment-­là Athènes ne voulait pas prendre parti en faveur de Sparte ou de Thèbes. La condamnation imposée aux stratèges reflète donc la politique de la cité dans cette période66. L’accusation de ne pas avoir servi les intérêts de la cité et de mettre ainsi en péril la politique extérieure d’Athènes renvoie à la procédure de l’eisangélie67. En ce qui concerne l’institution qui rendit la justice, Plutarque dans la Vie de Pélopidas relève que ceux qui avaient montré des sentiments en faveur des Béotiens ont été jugés par un tribunal ; les uns ont été condamnés à mort, d’autres à l’exil et d’autres encore à une amende68. Le passage de Plutarque pose deux problèmes : d’une part, il ne fait pas seulement référence aux stratèges du Ibid., V. 4. 19 Οἱ μὲν οὖν Ἀθηναῖοι ὁρῶντες τὴν τῶν Λακεδαιμονίων ῥώμην καὶ ὅτι πόλεμος ἐν Κορίνθῳ οὐκέτι ἦν, ἀλλ’ ἤδη παριόντες τὴν Ἀττικὴν οἱ Λακεδαιμόνιοι εἰς τὰς Θήβας ἐνέβαλλον, οὕτως ἐφοβοῦτο ὥστε καὶ τὼ δύο στρατηγώ, οἳ συνηπιστάσθην τὴν τοῦ Μέλωνος ἐπὶ τοὺς περὶ Λεοντιάδην ἐπανάστασιν, κρίναντες τὸν μὲν ἀπέκτειναν, τὸν δ’, ἐπεὶ οὐχ ὑπέμεινεν, ἐφυγάδευσαν. : « Les Athéniens cependant, à la vue de la puissance de Sparte, et en réfléchissant que la guerre n’était plus à Corinthe, mais que désormais les Lacédémoniens longeraient l’Attique pour aller attaquer Thèbes, éprouvèrent une telle crainte qu’ils en vinrent jusqu’à mettre en jugement les deux stratèges qui avaient été complices de Mélon dans le soulèvement contre Léontiadès et son groupe ; l’un fut mis à mort, l’autre, qui n’attendit pas la sentence, banni. » (trad. J. Hatzfeld, légèrement modifiée). 65 Diodore de Sicile, XV. 28. 2. 66 Cf. Sinclair 1997, 166 ; Carlier 2005, 54. 67 Voir Hansen 1975, 90. 68 Plutarque, Vie de Pélopidas,  XIV. 1 οἱ Ἀθηναῖοι περίφοβοι γενόμενοι τήν τε συμμαχίαν ἀπείπαντο τοῖς Θηβαίοις, καὶ τῶν βοιωτιαζόντων εἰς τὸ δικαστήριον παραγαγόντες τοὺς μὲν ἀπέκτειναν, τοὺς δ’ ἐφυγάδευσαν, τοὺς δὲ χρήμασιν ἐζημίωσαν : « Les Athéniens prirent peur, renoncèrent à leur alliance avec les Thébains et traduisirent devant le tribunal les partisans de ceux qui béotisaient, dont les uns furent condamnés à mort, d’autres à l’exil, d’autres à l’amende. » (trad. R. Flacelière – E. Chambry, légèrement modifiée). 64

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texte de Xénophon, mais à un groupe de gens favorablement disposés envers la Béotie ; d’autre part, il est douteux que le mot « tribunal » ait un sens technique. Il ne permet donc pas d’établir avec certitude l’institution en question.

B. Le tribunal populaire et la seconde Confédération maritime Suite aux alliances bilatérales conclues avec des cités (Chios, Lesbos, Thèbes, Byzance, Rhodes), Athènes reconstitua en 377 une seconde Confédération maritime69. Le but de cette Confédération est clairement défini dans le décret qui la formalise (désigné dorénavant comme « décret d’Aristotélès »)70 : « afin que les Lacédémoniens laissent les Grecs vivre dans la tranquillité, libres et autonomes, que ces derniers jouissent de tout leur territoire en toute sécurité, et afin que soient effectives et permanentes la paix et l’amitié, selon les traités qu’ont jurés les Grecs et le Roi »71. Il s’agit dans les faits du renouveau du pouvoir d’Athènes, qui a un effet sur le tribunal.

1.  Les « réformes » judiciaires attribuées à l’année 377 L’année 377 ou les années immédiatement postérieures sont souvent liées à deux changements importants apportés dans le système judiciaire72. Il s’agit de l’introduction des tablettes judiciaires et de l’institution d’un nouveau système de recrutement des juges lié à l’usage de ces tablettes. Il convient de décrire, en premier, ces deux innovations et d’examiner, par la suite, si on peut les lier au contexte historique de la Confédération. Les tablettes judiciaires (πινάκια)73 attestent, en effet, l’identité des juges et facilitent leur répartition dans les tribunaux. Tous les Athéniens, 69

Sur cette alliance, voir Accame 1941 ; Cargill 1981 ; Dreher 1995. IG II2, 43. Voir à ce sujet, Accame 1941, 48-69 ; Cargill 1981, 14-47 ; Birgalias 2007c, 69-73. 71 L. 9-15 (trad. P. Brun 2005). Sur la restitution d’une partie de ces lignes, voir R & O, 92, n° 22. 72 Voir, à titre indicatif, Calhoun 1919, 191-192  ; Kroll 1972, 6-7, 89 et n.  28  ; MacDowell 1978, 39 ; Hansen 19992, 183. Rhodes 1980, 318 ; id. 1995, 309 n. 25, évite de s’appuyer beaucoup sur ce rapport. 73 La monographie de Kroll 1972 reste l’étude principale sur les tablettes judiciaires. Pour un résumé concernant la date de leur introduction, leur typologie, les changements 70

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après leur tirage au sort en tant que juges au début de l’année, recevaient de leur tribu une petite tablette (approximativement 11 cm × 2 cm × 1,5-2,5  mm)74, sur laquelle étaient inscrits leur nom, parfois le nom de leur père, le nom de leur dème, ainsi que, dans la partie gauche de la tablette, une lettre entre A et K. Cette lettre représentait la section à laquelle le juge appartenait, puisque, selon ce système, « dans toutes les tribus les juges étaient répartis en dix sections, de telle façon qu’ils soient en nombre à peu près égal dans la lettre qui désigne chaque section »75. La tablette était, également, scellée à droite avec un sceau où figurait le symbole de trois oboles (T) et qui garantissait la légalité de la tablette ; plus tard (fin 370 – début 360), ce sceau a été transféré à gauche, parce qu’un deuxième sceau a été ajouté à droite, portant le symbole de la tête de Méduse (G-­gorgoneion). Au début, les tablettes étaient en bronze, mais dans les années 350, elles ont été remplacées par des tablettes de bois, notamment pour des raisons économiques76. Ces tablettes de bois n’ont pas été préservées. La procédure pour l’acquisition d’une tablette devait être la suivante : les Athéniens qui avaient été tirés au sort comme juges recevaient une tablette. Ceux d’entre eux qui avaient été juges pendant l’année précédente gardaient leur tablette. Ceux d’entre eux qui avaient été tirés au sort l’année précédente et qui n’avaient pas été choisis pour l’année suivante, restituaient leurs tablettes, leurs éléments personnels étaient effacés et les tablettes remises en usage ultérieurement. Cette procédure explique l’existence de tablettes « palimpsestes », qui ont été utilisées à plusieurs reprises par différents propriétaires. Il est difficile de dégager de conclusions définitives sur la composition du corps judiciaire à partir de ces tablettes et des noms des juges qui y sont inscrits pour deux raisons. La première concerne l’échantillon des tablettes judiciaires dont on dispose. Les tablettes et leurs fragments, à fonction judiciaire et non judiciaire, qu’on a trouvées77 ne représentent qu’un pourcentage très réduit des tablettes que la cité a dû émettre sur effectués au fil du temps et la procédure de leur distribution aux juges, voir Kroll 1972, 99-104. 74 Voir Kroll 1972, 22. 75 Aristote, Constitution d’Athènes, LXIII. 4. 76 Les tablettes utilisées pour la désignation annuelle des magistrats restent toujours en bronze même après les années 350 et à partir de cette date elles cessent d’être scellées avec le gorgoneion. Voir Kroll 1972, 103-104. 77 Voir Kroll 1972, 8 ; id. 1984, 165, discutant la découverte de nouvelles tablettes. À celles-­ci s’ajoutent : Boegehold et al. 1995, 64 (P19, P23) ; SEG XLVIII, 85 ; SEG L, 275 ; SEG LI, 319 ; SEG LIV, 402, 403 ; SEG LV, 326, 327 ; SEG LVI, 319, 320 ; Galanakis – Skaltsa 2012, 628-634.

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une période de vingt ans et pour six mille juges par an78. D’après l’étude de J. H. Kroll, parmi les tablettes d’usage judiciaire, on dispose de près de cinq noms de juges qui viennent soit de familles riches, dont les membres avaient assumé des liturgies, soit de familles qui appartenaient aux premières classes censitaires, sur un ensemble d’environ79 cinquante noms préservés dans ces tablettes80. D’un autre côté, le nombre de juges dont les noms sont inconnus des autres sources s’élève approximativement à trente81. Ces chiffres suggèrent que les juges viennent des groupes les moins fortunés. Or, il convient d’user de ce témoignage avec prudence. En effet, les doutes sont liés à la deuxième raison pour laquelle il faut éviter de dégager des conclusions hâtives à propos de la composition des juges et tiennent au lieu où ces tablettes ont été découvertes : la plupart d’entre elles ont été trouvées dans les tombeaux de leurs propriétaires82. D’où le problème que l’échantillon des tablettes n’est pas forcément représentatif. Le deuxième changement apporté concerne le recrutement des juges. Il s’agit du système qu’Aristote décrit de manière très précise dans les chapitres LXIII-LXV de la Constitution d’Athènes. Afin de comprendre la procédure décrite, il faut garder à l’esprit quelques détails techniques. Le système fonctionnait sur la base des tribus et était étroitement lié à l’introduction des tablettes judiciaires. À chaque tribu correspondaient deux machines pour le tirage au sort des juges (κληρωτήρια), dix boîtes pour les tablettes des juges (κιβώτια), d’autres boîtes destinées aux juges qui ont été tirés au sort et deux urnes (ὑδρίαι) dans lesquelles étaient mis des glands (βάλανοι) qui portaient des lettres à partir de la lettre Λ et qui correspondaient aux tribunaux qui siégeaient ce jour-­là83. Le plus compliqué était le klèrôtèrion84 : chaque machine était composée d’un tube et de cinq colonnes d’encoches (κανονίδες). Dans le tube, on plaçait des cubes (κύβοι) en bronze, blancs et noirs, et dans les encoches où figuraient 78

Cf. Sinclair 1997, 148 n. 94. Le nombre approximatif est dû aux doutes qui subsistent quant à la classification de certaines tablettes comme judiciaires ou non-­judiciaires. Voir Kroll 1972, 263. 80 Voir Kroll 1972, 263-264, les tableaux n° 2-3. 81 Voir Kroll 1972, 263, le tableau n° 2. 82 Voir Kroll 1972, 9. 83 Aristote, Constitution d’Athènes, LXIII. 2. 84 Quatre fragments de klèrôtèria ont été découverts à Délos et rapprochent de la description d’Aristote dans la Constitution d’Athènes, LXIV. Ce rapprochement est logique, en raison de la présence athénienne à Délos pendant les périodes classique et hellénistique. Leur date n’est pas malheureusement connue. Sur ces fragments, voir Moretti 2001, 137-140. Deux fragments de klèrôtèria ont été aussi découverts à Paros. Voir Müller 1998, 167-172. 79

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les lettres entre A et K, on glissait les tablettes des juges portant la même lettre85. La procédure était la suivante. Les jours où les tribunaux siégeaient, les Athéniens qui avaient été tirés au sort en tant que juges au début de l’année, se réunissaient à l’Agora pour être répartis dans les différentes sessions. Ils déposaient leurs tablettes dans la boîte marquée de la même lettre (A à K) que celle qui figurait sur la tablette. Ensuite, un des juges était chargé de glisser (ἐμπήκτης) les tablettes de chaque boîte dans les encoches qui portaient la même lettre que la boîte. L’un des archontes ou le secrétaire des thesmothètes procédait au tirage au sort des juges : il extrayait les cubes par les tubes ; un cube comptait pour cinq ou dix tablettes, les cubes blancs correspondant à la désignation des juges, les noirs signifiant que les juges en question ne siégeraient pas pour ce jour-­là. Ainsi, un jet de dés décidait si une série horizontale de cinq noms ou de dix noms siégeait ou non au tribunal : comme il y avait deux machines, on pouvait ne tirer au sort qu’une fois par rang horizontal, à moins que, pour faciliter la circulation, on ne tirât au sort séparément les lettres A-­E et Z-­K. À la fin du tirage au sort, les juges qui avaient été tirés au sort tiraient les glands d’une autre urne, afin d’être répartis dans les tribunaux. L’archonte mettait la tablette du juge dans la boîte qui portait la même lettre que le gland86. Il est tout à fait possible que les tablettes judiciaires n’aient pas été introduites avant le nouveau système de recrutement des juges. Les sources qui décrivent le système antérieur ne sont pas détaillées sur ce point et elles se contentent de supposer que les juges avaient à leur disposition une sorte d’identification qui concernait la lettre du groupe auquel ils appartenaient. Il semble que la tablette qui portait toutes les caractéristiques du juge n’était pas encore nécessaire pour la répartition des héliastes dans les différents tribunaux. Sous toutes réserves, on peut dater de la même année les tablettes judiciaires et le nouveau mode de répartition des juges. Il faut, maintenant, se poser la question de savoir si les années correspondant à la création de la Confédération peuvent satisfaire aux critères de l’introduction d’un tel système. Pour commencer par le premier point, la description du système par Aristote suggère qu’aucun juge ne savait d’avance quand il siégerait 85

Sur la description de ce mécanisme, voir Dow 1939, 1-8, 23-25 ; Bishop 1970, 1-14 ; Boegehold et al. 1995, 33 ; Moretti 2001, 133. Une description du mécanisme inclut la thèse de doctorat de L. Rabatel sur les klèrôtèria. Voir Introduction, n. 6. 86 Aristote, Constitution d’Athènes, LXIV. Cf. Harrison 1971, 45-46, 241 ; MacDowell 1978, 38-39 ; Hansen 19992, 197-199 ; Birgalias 2007b, 32-33.

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ni à quel tribunal. Or, ces deux aspects étaient déjà en vigueur dans le système antérieur. La différence entre les deux systèmes réside dans le fait que, désormais, le juge ne saurait plus à l’avance avec quel juge il siégerait, contrairement au système ancien, selon lequel les juges formaient des groupes pour être répartis entre les tribunaux. Le nouveau système, grâce au klèrôtèrion, corrigerait les défauts du précédent qui autorisait la corruption et qui laissait planer des doutes sur l’impartialité des juges, puisque l’existence de groupes fixes et l’appartenance des juges à tel ou tel groupe influençaient parfois leur jugement87. Du moins, c’est la première impression que donne un tel changement, puisque, si on étudie les plaidoyers du IVe siècle postérieurs à cette « réforme », on constate que les efforts pour influencer les juges ne manquent pas. Trois exemples en font preuve. Le premier est tiré du Contre Timarque d’Eschine et concerne Démophilos et Nicostratos, qui avaient accusé un certain nombre d’individus qui cherchaient à corrompre les membres de l’Assemblée du peuple et des tribunaux88. Le deuxième est tiré du Sur l’Ambassade de Démosthène, prononcé à l’occasion du procès contre Eschine concernant l’affaire de la paix de 346. Démosthène s’adresse aux juges dans les termes suivants : « La grandeur de l’empressement et des manœuvres provoquées par le présent procès, je crois que tous vous l’avez ressentie, quand vous avez vu, il y a un instant, les gens qui, au moment du tirage au sort, vous importunaient et venaient vous trouver89. » Le troisième, qui vient du Contre Ctésiphon d’Eschine, met également l’accent sur les efforts qu’on faisait pour entraver l’exercice normal de la justice à l’occasion de ce procès90. De toute façon, le nouveau système était vu comme un moyen de résoudre des problèmes de corruption apparus dans le système judiciaire91. Pourtant, on ne sait pas si c’est vraiment la principale raison de la transformation du fonctionnement des tribunaux. Les sources relatives à leur fonctionnement pendant la période précédente n’ont pas attesté directement de problèmes de corruption. La prudence imposerait de se demander si les juges jugeant en groupes avaient influencé le résultat dans les procès de la période qui a suivi le redressement de la démocratie ou de la période de la guerre de Corinthe. La même prudence impose de ne pas

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Cf. Rhodes 1980, 318 ; id. 1995, 308. Eschine, Contre Timarque, 86. 89 Démosthène, Sur l’Ambassade, 1. 90 Eschine, Contre Ctésiphon, 1. 91 Cf. Sinclair 1997, 149 ; Hansen 19992, 197. 88

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s’appuyer sur les quelques résultats que les sources ont préservés pour tirer des conclusions définitives. Si on cherche des raisons supplémentaires pour expliquer le changement, on pourrait s’appuyer sur les caractéristiques mêmes de la « réforme ». À savoir, le nouveau système était synonyme d’une organisation nouvelle et meilleure des tribunaux, qui permettait un meilleur mode de recrutement des juges. Selon ce système, les tribunaux étaient constitués le jour même du procès, en fonction de la disponibilité des juges. Parvenir à réunir des sections de juges complètes a dû être une tâche difficile pendant la mobilisation militaire qui a suivi la création de la seconde Confédération maritime92 et cette difficulté pourrait offrir une explication plausible pour ce changement. La question de savoir pourquoi ce fut à cette occasion et non précédemment – à l’occasion, par exemple, de la guerre de Corinthe – est une question qui se pose, notamment si l’on prend en considération93 le témoignage d’Aristophane dans le Ploutos, daté de 388, selon lequel les juges cherchaient à faire écrire leurs noms dans plusieurs sections94. Vue comme une attestation de la difficulté à remplir des sections judiciaires complètes95, l’expression suggérerait que la guerre de Corinthe avait rendu difficile la réunion des tribunaux. Il est difficile de trouver une réponse satisfaisante à la question, mais il semble logique de penser que la guerre de Corinthe et les problèmes qu’elle aurait provoqués dans le domaine de la justice ont donné lieu à des mesures qui visaient à garantir le système judiciaire contre tout risque de dysfonctionnement.

2.  Les procès du début de la Confédération jusqu’à la fin de la guerre des Alliés Le tribunal populaire et les alliés La création de la seconde Confédération maritime fait penser à la Ligue de Délos et aux compétences des tribunaux héliastiques à propos du jugement d’affaires des alliés à Athènes. En conséquence, la question qui 92

Pour le nombre de forces militaires, voir Diodore de Sicile, XV. 29. 7 ; Polybe, II. 62. 6. Cf. Calhoun 1919, 191-192 ; Kroll 1972, 6-7 ; Sinclair 1997, 148-149. 93 Rhodes 1995, 308, se démande si on peut vraiment s’appuyer sur Aristophane. 94 Aristophane, Ploutos, v.  1166-1167 Οὐκ ἐτὸς ἅπαντες οἱ δικάζοντες θαμὰ| σπεύδουσιν ἐν πολλοῖς γεγράφθαι γράμμασιν. : « Ce n’est pas pour rien que tous ceux qui jugent travaillent souvent pour être inscrits dans plusieurs sections. » (trad. H. van Daele). 95 Voir Boegehold 1984, 26-29.

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se pose est de savoir si les tribunaux participaient aux procès des alliés de cette seconde alliance et s’ils jouaient un rôle identique à celui du Ve siècle dans le domaine judiciaire qui concernait les alliés. Le décret d’Aristotélès96 offre une preuve caractéristique des rapports qui ont été développés parmi les membres de la Confédération au niveau judiciaire et des questions qui en résultent. On y distingue deux clauses de caractère judiciaire. La première concerne l’interdiction imposée aux Athéniens d’acheter, acquérir ou prendre en gage une propriété sur le territoire des alliés. Dans ce cas, toute personne parmi les alliés qui le veut peut déposer une dénonciation devant les synedroi des alliés. Les synedroi s’occuperont de la remise du bien : le dénonciateur aura la moitié de la somme acquise par la vente du bien et l’autre moitié sera propriété commune des alliés97. La compétence judiciaire appartient aux alliés et, notamment, aux synedroi des alliés, qui, selon Diodore de Sicile, sont les représentants de chaque allié. Ils composent le synedrion, qui siège à Athènes et dans lequel tous les alliés, sauf Athènes semble-­t-il, ont un droit de vote98. Il apparaît donc qu’aucun tribunal athénien ne joue de rôle dans la prise de décision judiciaire dans ce domaine99. La deuxième clause porte sur les peines qui seront imposées au cas où quelqu’un ne respecterait pas le décret. Ainsi, si quelqu’un propose ou met aux voix une proposition qui vient en contradiction avec le décret et supprime l’une de ses clauses, il sera frappé d’atimie, ses biens seront confisqués et la dîme en sera consacrée à la déesse ; il sera aussi jugé par « les Athéniens et les alliés » pour avoir brisé l’alliance. S’il est reconnu coupable, la peine imposée sera la mort ou l’exil de tout territoire où les Athéniens et les alliés sont souverains100. Ce deuxième cas n’est pas aussi 96

IG II2, 43. Autre édition : R & O, n° 22. L. 41-46 ἐὰν δέ τις ὠνῆται ἢ κτᾶται ἢ τι|θῆται τρόπωι ὁτωιο͂ ν, ἐξεῖναι τῶι βολο|μένωι τῶν συμμάχων φῆναι πρὸς τὸς συν|έδρος τῶν συμμάχων· οἱ δὲ σύνεδροι ἀπο|[δ]όμενοι ἀποδόντων [τὸ μὲν ἥ]μυσυ τῶ[ι] φήναντι, τὸ δὲ ἄ|[λλο κοι]νὸν [ἔσ]τω τῶν συ[μμά]χων· : « Si quelqu’un achète ou acquiert ou prend en gage (une propriété) de quelque façon que ce soit, qu’il soit permis à celui qui le veut parmi les alliés de le dénoncer devant les synedroi des alliés. Que les synedroi, après avoir vendu (le bien), remettent la moitié au dénonciateur et que l’autre moitié soit propriété commune des alliés. ». Cf. Larsen 1968, 62-63. 98 Diodore de Sicile, XV. 28. 3-4. Cf. Cargill 1981, 116 et n. 2. 99 Cf. Cargill 1981, 123. 100 L. 51-61 ἐὰν δέ τ|ις εἴπηι ἢ ἐπιψηφίσηι ἢ ἄρχων ἢ ἰδιώτη|ς παρὰ τόδε τὸ ψήφισμα ὡς λύειν τι δεῖ τ|ῶν ἐν τῶιδε τῶι ψηφίσματι εἰρημέν[ων ὑ]|παρχέτω μ[ὲν] αὐτῶι ἀτίμωι εἶναι καὶ [τὰ| χρ]ήμα[τα αὐ]το͂ δημόσια ἔστω καὶ τῆς θ[εο͂ | τ]ὸ ἐπιδ[έκα]τον καὶ κρινέσθω ἐν Ἀθην[αί|ο]ις καὶ τ[οῖς] συμμάχοις ὡς διαλύων τὴν| συμμαχία[ν, ζ]ημιόντων δὲ αὐτὸν θανάτω|ι ἢ φυγῆι ὁ͂ [περ] 97

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clair que la première clause. Selon le décret, la personne qui sera accusée d’avoir brisé l’alliance sera jugée à la fois par les Athéniens et par les alliés. Cette expression ne précise pas le corps qui rendra la justice. À cet effet, dans un premier temps, deux propositions peuvent être faites : soit il s’agit d’un tribunal commun, composé d’Athéniens et d’alliés101, qui siégeraient très probablement à Athènes comme le synedrion, soit il s’agit d’un jugement rendu séparément par les Athéniens et par les alliés102. Les autres décrets qui concernent des questions de justice dans la Confédération ne permettent pas non plus de préciser l’institution ou les institutions qui exercent la justice dans le cas en question. D’une part, c’est la première fois qu’on rencontre un tribunal commun, composé d’Athéniens et d’alliés. Cependant, il pourrait être rapproché du Conseil commun de la Ligue de Délos, qui dans ses premières années était apparemment investi de pouvoirs judiciaires pour résoudre les problèmes éventuels de la Ligue. D’autre part, la seconde proposition pourrait trouver un parallèle dans le domaine de la délibération des organes de la Confédération. Selon le décret concernant l’entrée de Corcyre, de l’Acarnanie et de Céphallénie dans la Confédération (375/4), les cités qui entrent dans l’alliance vont envoyer des synedroi au synedrion des alliés, « conformément aux décisions des alliés et du peuple des Athéniens »103. La décision est prise séparément par les alliés et les Athéniens et ce mode de délibération soulève la question de la relation entre le synedrion des alliés et l’Assemblée d’Athènes, ainsi que celle de la validité de la décision prise par chacun d’entre eux, notamment au cas où la décision des alliés venait en contradiction avec celle de l’Assemblée. Deux opinions différentes existent sur cette question : l’une soutient que les deux organes avaient une autorité égale dans la prise de décision104 ; la seconde reconnaît la souveraineté de l’Assemblée d’Athènes105. Pour ce qui

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Ἀθηναῖοι καὶ οἱ σύμμαχο|ι κρατο͂ σι[ν·] : « Si quelqu’un, magistrat ou simple citoyen, propose ou met aux voix, contrairement au présent décret, qu’on doit supprimer une des clauses inscrites sur le décret, qu’il soit atimos et que ses biens soient confisqués et que la dîme soit consacrée à la déesse et qu’il soit jugé devant les Athéniens et les alliés pour avoir brisé l’alliance. Qu’il soit condamné à mort ou à l’exil partout où les Athéniens et les alliés sont souverains. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). Voir Accame 1941, 138-140 (un tribunal composé d’alliés et d’un nombre d’Athéniens peut-­être le même que les alliés) ; Carlier 2005, 59. Voir Larsen 1968, 63-64 ; Cargill 1981, 121-122 ; Dreher 1989, 278 ; Lewis 1997, 148 n. 39 ; R & O, 102, n° 22. IG II2, 96, l. 22-25 : l. 24-25 κατὰ τὰ δόγματα τῶς συμμάχω[ν καὶ το͂ δήμο το͂ Ἀθην|α]ίων. Voir Cargill 1981, 116-118, 191. Voir Rhodes 1972a, 60-61 ; Seager 1994, 171-172.

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concerne le décret d’Aristotélès, il ne définit pas le mode de jugement dans le cas où la décision des alliés et celle des Athéniens serait contradictoire. Soyons donc prudents dans l’étude de l’expression en question et dans l’interprétation qui en découle. Pour ce faire, il serait mieux de considérer le décret d’Aristotélès dans sa totalité et de l’étudier dans son propre contexte. Si on examine son esprit et celui de la création de la seconde Confédération maritime, il est clair que les Athéniens voulaient insister sur le fait qu’ils n’allaient pas répéter les erreurs du passé quant au fonctionnement de cette alliance. Dans cette optique, l’expression « les Athéniens et les alliés » est une expression-­cadre qui définit une procédure-­cadre à suivre au cas où les intérêts de l’alliance seraient violés et qui définit également la prise d’une décision commune, sans pourtant donner plus de détails106. Le décret vise à mettre l’accent sur cette contribution commune des alliés et des Athéniens, sans s’occuper des procès contradictoires ou parallèles. Si, en réalité, le tribunal athénien a vraiment joué un rôle dans le jugement de ce type d’affaires, on ne peut pas le savoir par le décret. Le décret qu’Aristophon a proposé pour l’île de Kéos date de 363/2107. Kéos se révolta contre la seconde Confédération en 364/3, peut-­être à l’occasion de la présence de la flotte thébaine en Égée108. Le décret fait allusion à deux moments différents où deux épisodes de révolte eurent lieu dans l’île. Suite à la première révolte des cités de l’île, certaines personnes furent condamnées à mort109. Le décret ne précise pas la voie par laquelle cette décision fut prise, ce qui permet de se demander si elle n’a pas pu être prise par un jugement rendu par les Athéniens et les alliés, selon ce que propose le décret d’Aristotélès, dans le cas où quelqu’un brisait l’alliance110. On ne peut pas ainsi savoir si un tribunal héliastique a participé à cette décision. 106

R & O, 203, n° 39, font une remarque très ponctuelle, disant que le transfert des procès à Athènes n’est pas énoncé de manière explicite dans les clauses du décret d’Aristotélès. Cf. aussi l’interprétation des l. 25-31 et 41-46 sur la propriété des terres, présentée par Gauthier 1973, 170-172. 107 IG II2, 111. Autres éditions : R & O, n° 39 ; Matthaiou 2007a, n° 2. Sur les événements des années 364-362, voir Bonnin 2015, 267-270. 108 Diodore de Sicile, XV. 78. 4-79. 1. 109 L. 27-31 ἐπειδὴ δὲ Ἰουλιητῶν οἱ παραβάντες τὸς ὅρκ|ος καὶ τὰς συνθήκας καὶ πολεμήσαντες ἐναντία τῶι δή|μωι τῶι Ἀθηναίων καὶ Κε[ί]οις καὶ τοῖς ἄλλοις συμμάχο|ις καὶ θανάτο αὐτῶν καταγνωσθέντος κατελθόντ[ε]ς ἐς| Κέω  : « Attendu que, parmi les gens d’Ioulis, certains ont parjuré les serments et les accords et ont déclaré la guerre au peuple des Athéniens, aux Kéiens et aux autres alliés et, alors qu’ils avaient été condamnés à mort, sont revenus à Kéos. » (trad. P. Brun 2005). 110 Cf. Dreher 1989, 279.

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La répression de la révolte fut suivie par la prestation de nouveaux serments entre les Athéniens, les alliés et les cités de Kéos. L’une des clauses des serments a un caractère judiciaire, mais elle est fragmentaire au point où l’identité du défendeur est évoquée. Si on s’appuie sur la restitution proposée par l’édition des IG, tous les procès, privés et publics, intentés par un Kéien contre un Athénien seront transférés à Athènes semble-­t-il, à condition que l’objet du litige soit supérieur à cent drachmes111. Si, au contraire, on choisit de suivre d’autres restitutions, la clause du serment concernerait soit des Kéiens défendeurs, à l’exception des Athéniens112, soit seulement des Kéiens défendeurs, partisans d’Athènes113. La documentation se dérobant à l’analyse, il convient, pour le moment, de dire que la clause suggère que des tribunaux héliastiques pouvaient juger des affaires concernant, du moins, les gens de Kéos, et parmi elles celles qui étaient les plus importantes. Après la révolte tentée par un groupe d’habitants de la cité d’Ioulis de Kéos, de nouvelles réglementations furent imposées à Ioulis, à en juger par le décret proposé par Aristophon : ceux qui ont ourdi la révolte seront exilés de Kéos et d’Athènes, leurs biens seront confisqués au profit du peuple d’Ioulis et leurs noms seront inscrits sur une liste (allusion à la procédure de l’apographè) ; au cas où quelqu’un contesterait son inscription, il pourrait obtenir dans un délai de trente jours, selon les serments et les accords, un jugement à Kéos et à Athènes, qui est caractérisée comme une cité ekklètos114. Cette phrase soulève des questions pour l’interprétation à donner du fonctionnement de la justice quant au jugement des gens d’Ioulis. La L. 73-75 τὰς δὲ δίκας καὶ τ|[ὰς γραφὰς τὰς κατ’ Ἀθηναίων ποιήσομαι] πάσας ἐκκλήτος κ|[ατὰ τὰς συνθήκας, ὁπόσαι ἂν ὦσιν ὑπὲρ ἑ]κατὸν δραχμάς. : « Je ferai appeler (ekklètoi) tous les procès privés et publics intentés contre les Athéniens, qui sont supérieurs à cent drachmes, selon les accords. ». 112 Voir Gauthier 1972, 332 n. 123 citant Sonne : l. 73-75 τὰς δὲ δίκας καὶ τ|[ὰς γραφὰς ὅσαι ἂγ γένωνται ποιήσομαι] πάσας ἐκκλήτος κ|[ατὰ τὰς συνθήκας, ὁπόσαι ἂν ὦσιν ὑπὲρ ἑ]κατὸν δραχμάς. 113 Voir Cataldi 1979, 35 : l. 73-75 τὰς δὲ δίκας καὶ τ|[ὰς γραφὰς κατὰ τῶν φίλων τῶν Ἀθηναίων] πάσας ἐκκλήτος κ|[ατὰ τὰς συνθήκας ποιήσομαι τὰς ὑπὲρ ἑ]κατὸν δραχμάς. 114 L. 45-49 ἐὰν δέ [τινες τῶν] ἀπογραφέντων ἀμφισβητ|ῶσι μὴ εἶναι τούτων τῶ[ν ἀνδρῶ]ν, ἐξεῖναι αὐτοῖς ἐνγυη|τὰς καταστήσασι πρὸς [τ]ὸ[ς] σ[τρ]ατηγὸς τὸς Ἰουλιητῶν τρ|ιάκοντα ἡμερῶν δίκα[ς] ὑ[π]ο[σχ]ε͂ ν [κα]τὰ τ[ὸ]ς ὅρκος καὶ τὰς| συνθήκας ἐν Κέωι καὶ [ἐν τῆι ἐκκ]λήτωι [πό]λει Ἀθήνησι : « Si certains de ceux qui sont inscrits contestent faire partie de ces hommes, qu’il leur soit permis, à condition qu’ils présentent des garants auprès des stratèges d’Ioulis, d’obtenir un jugement sous trente jours, selon les serments et les accords, à Kéos et à Athènes, la cité appelée à juger (ekklètos). » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). 111

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conjonction de coordination καί qui lie les deux cités de Kéos et d’Athènes nous fait penser plutôt à un jugement qui aurait lieu à Kéos et à Athènes au lieu d’un jugement qui aurait lieu soit à Kéos soit à Athènes115. Étant donné qu’Athènes sera la cité qui accueillera les procès venant de Kéos, on doit penser aux conditions de leur jugement à Athènes. Deux options semblent probables. La première consiste à les rapprocher de la double dokimasia des neuf archontes athéniens au IVe siècle116, selon laquelle ces derniers étaient examinés devant le Conseil et à nouveau devant le tribunal et, au cas où ils étaient exclus par le Conseil, il y avait une procédure de transfert (ephesis) devant le tribunal ; seule comptait la décision des héliastes117. La deuxième option est de les rapprocher du cas décrit juste avant, selon lequel l’affaire serait jugée devant les tribunaux athéniens dans le cas où elle dépassait la compétence des tribunaux de Kéos ; il faut cependant prendre en considération que cette condition n’est pas mentionnée dans le cas en question. Le terme ekklètos apparaît aussi dans un autre décret athénien qui concerne Kéos et définit des réglementations sur l’île118. Sa datation est très débattue. On le datait autrefois vers la fin du IVe siècle (338/7-319/8)119, mais on propose désormais une datation avant le milieu du IVe, qui reste très variée120. Pour le reste, l’inscription est fragmentaire et pour ce qui concerne les clauses judiciaires, on se heurte à la difficulté de leur interprétation, en raison de cette partie très mutilée dont le sens dépend de la restitution que l’on propose. Dans les grandes lignes, la clause en question règle pour les Kéiens le statut des procès qui concernent les différends sur le cinquantième et stipule qu’ils seront jugés à Athènes, qui est également qualifiée d’ekklètos121. 115

C’est une proposition faite par Gauthier 1972, 332 n. 122 et une traduction que donne Matthaiou 2007a, 39. 116 On se rapproche de l’hypothèse de Cataldi 1979, 23-24, à la différence que Cataldi attribue au tribunal de Kéos la souveraineté dans les cas où il condamnerait les accusés, tandis que, dans le cas contraire, l’affaire serait portée à Athènes et la décision du tribunal athénien serait souveraine. 117 Sur la dokimasia des archontes, voir Rhodes 1981, 542-543 ; Feyel 2009, 171-181. 118 IG II2, 404. Autres éditions : Dreher 1989, 263-281 ; Matthaiou 2007b, n° 3. 119 C’était la datation proposée par Kirchner dans les IG II2. 120 Pour une datation en 375, voir Cargill 1981, 135 n. 13 ; en 363/2, voir Dreher 1989, 265-272 ; pendant la guerre des Alliés, voir Brun 1989, 123-124, 136 ; id. 2004, 72-78 ; en général avant le milieu du IVe siècle, mais après la révolte de Kéos, voir Matthaiou 2007b, 42. 121 L. 15-19 [εἰ δέ τι| ἐγκαλοῦσιν αὐτοῖς τ]ῆς πεντηκοστῆς τῆς [ὀφειλ]ομένης ἕνεκ[α Ἀθηναῖοι,| περὶ τούτων δί]κας εἶναι Κείο[ι]ς ἐ[ν τῆι ἐ]κκλήτωι Ἀθή[νησιν καὶ ἐ|ν τοῖς συμμάχοι?]ς κατὰ τοὺς ὅρκο[υς καὶ τὰς] συνθήκα[ς καὶ

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Le tribunal de l’Héliée

Si l’on tente une restitution du reste de la clause122, on s’aperçoit que l’inscription peut prendre deux sens différents correspondant à deux hypothèses. Prenons la première hypothèse123. Ce sont les Athéniens qui se plaignent du cinquantième qui est dû et l’action judiciaire se règle à Athènes et devant les alliés. Si, au contraire, on penche pour la deuxième hypothèse, qui repose sur une nouvelle étude de la pierre124, le décret stipule que ce sont les Kéiens qui se plaignent du cinquantième et que l’affaire sera réglée à Athènes et à Kéos. Ces diverses restitutions ne permettent ni d’identifier avec certitude les demandeurs et les défendeurs ni de résoudre les doutes qui subsistent quant au lieu du jugement de l’affaire (σύμμαχοι, Κέως ?), à condition que la lacune fasse référence, en effet, à un autre lieu. Par conséquent, cette difficulté restreint la portée de nos observations. Or, les arguments avancés en faveur de Kéos comme premier lieu du jugement de l’affaire semblent plus convaincants, puisque le procès concerne un règlement de caractère plutôt local entre Athènes et Kéos ; il serait, ainsi, plus logique que ce différend soit résolu entre ces deux cités, sans l’intervention des alliés125. Quoi qu’il en soit, il est possible de dire que ces procès seront transférés à Athènes, très probablement devant les tribunaux héliastiques, mais il est difficile de tirer une conclusion définitive sur les conditions de ce transfert. Une autre inscription concerne également l’île de Kéos et porte sur l’organisation du monopole athénien de l’ocre de Kéos126. Elle date approximativement du milieu du IVe siècle, une datation qui repose sur la forme des lettres et sur l’identification d’un des noms de la dernière

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τὰ ψηφί|σματα τοῦ δήμου τ]οῦ Ἀθηναίων καὶ - - - - - - - - - - : « Si les Athéniens se plaignent des Kéiens à propos du cinquantième qui est dû, que les procès à ce sujet impliquant les Kéiens soient appelés à Athènes (ekklètos) et devant les alliés (?), selon les serments et les accords et les décrets du peuple des Athéniens et […]. » (trad. P. Brun 2005, modifiée). Cargill 1981, 137-138 n. 18, propose de ne pas restituer le mot τοῖς συμμάχοις, parce que la restitution pose davantage de problèmes. Cf. Vélissaropoulos 1980, 211. Matthaiou 2007b, 42, s’abstient de proposer des restitutions en général, même si, dans la traduction qu’il donne, il choisit le nom des Kéiens comme sujet du verbe qui manque (l. 16). C’est des IG, voir supra. SEG  XXXIX, 73, l.  16-18 [ἐὰν δὲ ἀ|μφισβητῶσι τ]ῆς πεντηκοστῆς τῆς [ὀφειλ]ομένης ἕν̣ εκ[α, τριάκοντ|α ἡμερῶν? τὰς δί]κας εἶναι Κείοις ἐ[ν τῆι ἐ]κκλήτωι Ἀθή̣[νησι καὶ ἐν| Κέωι κατὰ πόλει]ς, restitution par Dreher 1989, 264, 277-279. Voir Dreher 1989, 278-279. IG II2, 1128 (Vélissaropoulos 1980, 344-345). Autres éditions : R & O, n° 40 ; Matthaiou 2007c, n° 5 ; Carrara 2014.

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ligne de l’inscription, sans qu’on puisse, pourtant, établir un contexte historique plus précis127. L’inscription conservée regroupe les décrets de trois des quatre cités de Kéos, ceux de Carthaia, Corésia et Ioulis. Pour ce qui concerne les deux dernières, on peut lire les réglementations judiciaires qui sont fixées pour les contrevenants aux accords passés. Ces deux décrets diffèrent aussi bien pour l’ensemble des clauses que pour ce qui concerne les clauses judiciaires, ce que l’on attribue en partie au fait que dans le cas de Corésia on avait déjà voté d’autres décrets sur l’ocre et en partie au comportement différent de ces deux cités envers Athènes128. Qui plus est, l’ordre dans lequel les clauses des deux décrets sont transcrites n’est pas bien organisé, ce qui soulève parfois des questions à propos des différentes étapes des procédures qui y sont décrites. Dans le cas de Corésia, la procédure judiciaire aura lieu, en premier, devant les magistrats locaux, les astynomes, qui introduiront, par la suite, l’affaire devant le tribunal dans un délai de trente jours, au cas où quelqu’un exporte de l’ocre sur un navire, excepté celui que les Athéniens ont indiqué. En deuxième lieu, la personne qui fera la dénonciation ou portera l’accusation contre le contrevenant a le droit d’exercer l’ephesis à Athènes129. Il semble logique de supposer, en s’appuyant sur la formulation de l’expression, que ces procès seront dévolus aux tribunaux de l’Héliée quand l’accusateur ou le dénonciateur n’est pas satisfait des décisions prises par le tribunal de Corésia. Dans le cas d’Ioulis, on trouve, en premier, une clause judiciaire qui fait référence au dénonciateur ou à l’accusateur de la personne qui exporte de 127

Voir Cargill 1981, 138 ; Brun 1989, 123 ; R & O, 207-208, n° 40. Carrara 2014, 296-297, penche pour une datation peu après 362, sur la base de la différence de traitement entre les cités, comme le décret le laisse transparaître. 128 Voir Cataldi 1979, 16-17 ; Vélissaropoulos 1980, 187 ; R & O, 208, n° 40 ; Matthaiou 2007c, 48 ; Carrara 2014, 296-297. 129 L. 16-20 [τὴν δὲ ἔνδειξιν εἶν]|αι πρὸς τοὺς ἀστυνόμους, τοὺς δὲ ἀστυνόμους δοῦνα[ι τὴν ψῆφον περὶ αὐτῆς τριάκοντα ἡ]|μερῶν εἰς τὸ δικαστήριον· τῶι δὲ φήναντι ἢ ἐνδείξαντ[ι - - - - - - - - - τῶν ἡμι]|σ[έ]ων· ἐὰν δὲ δοῦλος ἦι ὁ ἐνδείξας, ἐὰμ μὲν τῶν ἐξαγόν[των ἦι, ἐλεύθερος ἔστω καὶ τὰ τρ|ί]α μέρη ἔστω αὐτῶι· ἐὰν δὲ ἄλλου τινὸς ἦι, ἐλεύθερος ἔστ[ω καὶ - - - - - - - εἶν]|αι [δὲ] ἔφεσιν Ἀθήναζε καὶ τῶι φήναντι καὶ τῶι ἐνδεί[ξαντι]. Les l. 19-20 sont restituées ainsi : [τρί]|τ̣ α μέρη R & O et Carrara, [τρί|τ]α μέρη Matthaiou. On traduit ainsi : « Que l’accusation soit portée devant les astynomes, et que les astynomes introduisent l’affaire devant le tribunal dans un délai de trente jours. Pour le dénonciateur ou l’accusateur […] de la moitié. Si l’accusateur est un esclave, s’il l’est des exportateurs, qu’il soit affranchi et qu’il reçoive un tiers (?). S’il est esclave d’un autre, qu’il soit affranchi et […]. En outre, que l’ephesis ait lieu à Athènes tant pour le dénonciateur que pour l’accusateur. ».

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l’ocre ailleurs qu’à Athènes, et à la récompense qu’il reçoit, sans préciser, pour autant, le lieu du procès. Il est prescrit, par la suite, que, si quelqu’un exporte sur un autre navire que celui que les Athéniens ont indiqué, il sera accusé, mais le décret ne donne pas de renseignements supplémentaires. Suit, quelques lignes après, une nouvelle clause qui stipule que l’accusation sera faite à Athènes auprès du collège des Onze, tandis qu’à Ioulis les prostatai (magistrats locaux) sont les magistrats chargés de l’affaire130. Il est évident que le mot ephesis manque dans le décret d’Ioulis. Si on garde à l’esprit la manière dont les décrets ont été rédigés, on peut se demander si le cas d’Ioulis ne constitue pas un cas similaire à celui de Corésia. Pourrait-­on, par conséquent, distinguer deux étapes, celle devant les prostatai et celle devant les Onze, qui sont les magistrats chargés de l’introduction de l’affaire devant les tribunaux athéniens, très probablement dans les instances appelées à juger à Athènes131 ? Le décret ne permet pas malheureusement d’être affirmatif. On dispose, enfin, d’une inscription très mutilée qui concerne Athènes et Naxos132. On lui attribue une date correspondant au second quart du IVe siècle, mais des doutes subsistent quant à une datation plus précise133. L. 26-36 εἶναι τὴ[ν ἐξαγωγὴν τῆς μίλτου Ἀθήναζ|ε], ἄλλοσε δὲ μηδαμῆι ἀπὸ τῆσδε τῆς ἡμέρας· ἐὰν δέ τι[ς ἄλλοσε ἐξάγηι, δημόσια εἶναι τ]|ὸ πλοῖον καὶ τὰ χρήματα τὰ ἐν τῶι πλοίωι· τῶι δὲ φήν[αντι ἢ ἐνδείξαντι εἶναι τὰ ἡ]|μίσεα. ἐὰν δὲ δοῦλος ἦι ὁ μηνύσας, ἐλεύθερος ἔσ[τω καὶ - - - - - τῶν - - χρημ]|άτων μετέστω αὐτῶι· τὸν δὲ ἐξάγοντα ἐκ Κέω μίλτον ἐξ[άγειν ἐμ πλοίωι ὧι ἂν Ἀθηναῖοι ἀποδ]|είξωσιν· ἐὰν δέ τις ἐν ἄλλωι ἐξάγηι πλοίωι, ἔνοχον [εἶναι - - - - - -· ἐὰν δέ τι ἄλ]|λο ψηφίζωνται Ἀθηναίοι περὶ φυλακὴς τῆς μίλ[του - - - - - - - - - - - κύρια εἶ]|ναι ἃ ἂν Ἀθηναῖοι ψηφίζωνται· ἀτέλειαν δὲ εἶναι - - - - - - - - - - - - - - -|ιου ἀπὸ τοῦ μηνὸς τοῦ Ἑρμαιῶνος· καλέσαι δὲ τοὺ[ς Ἀθηναίους ἐπὶ ξένια εἰς τὸ πρυτανεί]|ον· τὴν δὲ ἔνδειξιν εἶναι Ἀθήνησι μὲν πρὸς τοὺς [ἕνδεκα, ἐν Ἰουλίδι δὲ εἰσαγωγέας εἶν]|αι τοὺς προστάτας· : « Que l’exportation de l’ocre se fasse vers Athènes et nulle part ailleurs à partir de ce jour. Si quelqu’un exporte ailleurs, que le navire et la cargaison soient confisqués. Que le dénonciateur ou l’accusateur reçoive la moitié. Si l’accusateur est un esclave, qu’il soit affranchi et qu’il reçoive […] de l’argent. Que celui qui exporte de l’ocre de Kéos le fasse sur un navire que les Athéniens auront indiqué. Si quelqu’un l’exporte sur un autre navire, qu’il soit passible de […]. Si les Athéniens décident autre chose sur la sécurité de l’ocre […], que ce que les Athéniens auront décidé soit valable. Qu’il y ait une exemption de taxes […] à partir du mois d’Hermaion. Que l’on invite au prytanée les Athéniens pour le repas d’hospitalité. Que l’accusation se fasse à Athènes devant les Onze ; à Ioulis, que les magistrats responsables pour l’introduction de l’affaire soient les prostatai. ». 131 Il semble que cette hypothèse est aussi exprimée par Low 2007, 89. Des hypothèses différentes expriment Cataldi 1979, 15-17 ; Carrara 2014, 308. 132 IG II2, 179. 133 On propose trois datations soit vers 376/5 (suite à l’entrée « probable » de Naxos dans la Confédération) soit vers 360 (en raison des troubles dans la Confédération : 130

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Des doutes subsistent également quant à l’appartenance de Naxos à la Confédération134, puisqu’elle n’est attestée directement par aucune source : on la suppose d’après la victoire navale du stratège Chabrias à la bataille de Naxos en 376/5135. Pour ce qui est des clauses judiciaires, les difficultés de lecture, de restitution et d’interprétation abondent. Il est clair, dans un premier temps, que le décret fait allusion à une loi d’arbitrage, à l’existence d’un tribunal à Naxos, d’un tribunal à Athènes, à une cité ekklètos et à l’introduction des procès ephesimoi136. Pourtant, il est difficile de dégager des renseignements sur l’identité des demandeurs et des défendeurs, sur l’objet du litige et sur les peines137. Qui plus est, le décret ne donne pas plus de renseignements sur l’identité de la cité ekklètos, ce qui donne lieu à deux interprétations différentes non seulement du mot, mais aussi du texte entier : il s’agit soit de la cité d’Athènes138, soit d’une tierce cité139. D’où l’un des arguments avancés en faveur de l’appartenance ou non de l’inscription à la catégorie des documents qui montrent l’intervention d’Athènes dans les affaires internes de ses alliés.

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voir Cataldi 1979, 12) soit vers 350 (en raison du rétablissement des bonnes relations entre Athènes et les cités qui lui sont restées fidèles pendant la guerre des Alliés : voir Gauthier 1972, 168 ; Reger 2004, 761). Pour un résumé de ces datations, voir Gauthier 1972, 168. Voir Dreher 1995, 137-138. Sur les événements qui ont conduit à la bataille de Naxos, voir Xénophon, Helléniques, V. 4. 60-61 ; Diodore de Sicile, XV. 34. 3-35. 2. Cf. Buckler 2003, 247-249. L. 8-17 [κατὰ τὸ]ν διατητικὸν νόμον· ἐὰν μὲν ο[ἱ - - - - - - - -| δικασ]τήριον τὸ ἐν Νάξωι, τὰ δὲ προσαγ[ο - - - - - - - τ|έτα]κται τὰ ἐκ τοῦ νόμου, τὸς δὲ θεσμο[θέτας - - - - - - -| . κα]τὰ τὸν νόμον· ἐὰν δὲ μὴ συνφέρωντ[αι - - - - - - -]| . . τὸ δικαστήριον τὸ Ἀθήνησι, τὰ δὲ προ[σαγο - - - - - - - | . ἐ]ὰν ἡσσηθῆι· μισθὸν δὲ τοῖς δικαστα[ῖς - - - - - - - - -| . . ν, ἐν δὲ τῆι ἐκκλήτωι παρέχειν Ναξ[ίους - - - - - - -| . . λ]ανβάνοντας τά τε πρυτανεῖα καὶ τ[ὰ ἐπιδέκατα? - - - - - | . . ἐ]νάγειν δὲ τάς τε ἐφεσίμους δίκας [καὶ - - - - - - - -| . ἐσ]τιν τοὺς θεσμοθέτας εἰς τὸν χρ[όνον - - - - - - - - - ] : « selon la loi d’arbitrage. Si […] le tribunal à Naxos, que ce qui est introduit (?) […] par la loi, et que les thesmothètes […] selon la loi. S’ils ne s’accordent pas […] le tribunal à Athènes, et que ce qui est introduit (?) […], s’il perd. Misthos pour les juges […], et qu’à la cité appelée à juger (ekklètos) les Naxiens offrent (?) […] recevant les frais de justice et […]. Qu’on introduise les procès ephesimoi […] les thesmothètes […]. ». Malheureusement, une traduction satisfaisante n’est pas possible, à cause de l’état très fragmentaire de l’inscription. Cataldi 1979, 9, propose les restitutions suivantes pour les l. 8-9 ο[ἱ ἀντίδικοι συνφέρωνται, τὴν δίκην τελεῖσθαι τὸ| δικασ]τήριον τὸ ἐν Νάξωι, l. 11-12 συνφέρωντ[αι, τῶι ἑτέρωι εἶναι ἔφεσιν Ἀθήναζη καὶ κύριον εἶν|αι] τὸ δικαστήριον. Cf. Cargill 1981, 137. Voir Cataldi 1979, 11 ; Cargill 1981, 137. Voir Gauthier 1972, 168, 331.

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À l’issue de cette discussion sur les inscriptions évoquant des rapports entre les alliés et la justice athénienne, on peut soutenir les points suivants. Il est, d’abord, clair que le nom d’Héliée ou des tribunaux, sauf dans le cas de Naxos (δικαστήριον τὸ Ἀθήνησι), ne sont pas mentionnés dans les inscriptions. En revanche, l’emploi des termes ekklètos et ephesis suggère que les tribunaux d’Athènes jugeront les cas auxquels ces termes correspondent. Qui plus est, ces inscriptions sont généralement fragmentaires, peu nombreuses et leur cadre chronologique ne peut pas toujours être restitué facilement. Cette incertitude pose des questions supplémentaires sur l’établissement d’un contexte historique auquel peuvent être attribuées les réglementations judiciaires. C’est dans ce cadre que ces inscriptions ont été analysées de façon différente, afin de montrer140 ou non141 que la seconde Confédération s’est peu à peu transformée en une archè et qu’Athènes a commencé à intervenir dans les affaires de ses alliés. Si l’on examine attentivement la documentation, il est évident que les lacunes importantes qu’elle présente restreignent la portée de nos observations. On pourrait dire, assurément, qu’Athènes participe au jugement des affaires des alliés, mais il apparaît que, dans la mesure où les inscriptions le permettent, ces dernières donnent l’impression qu’Athènes n’a pas ici le contrôle judiciaire qu’elle a exercé pendant la Ligue de Délos. Les termes ekklètos, ephesis, « dikastèrion à Athènes » sont employés à côté des tribunaux locaux ou du synedrion des alliés. L’emploi du terme ekklètos notamment présente un intérêt particulier, puisqu’il n’est pas usuel en attique, mais on le trouve, en revanche, dans la « loi » archaïque de Chios et dans des inscriptions des époques classique et hellénistique venant des îles et de l’Asie Mineure142. Son usage, ainsi que la formulation des décrets, est ainsi délibéré, puisque, d’un côté, il ne remet pas en cause la responsabilité pénale des acteurs, mais, d’un autre côté, marque la volonté des Athéniens de se démarquer de l’impérialisme de la Ligue de Délos et d’éviter les excès de l’époque des démagogues.

Le tribunal populaire et les Athéniens On distingue trois périodes principales pour Athènes pendant les années 370-350 : la fondation de la seconde Confédération et la mise en place d’une politique hostile envers Sparte et amicale envers Thèbes ; la 140

Voir Accame 1941, 140-141, 184 ; Woodhead 1957, 233. Voir Cargill 1981, 137. 142 Arkésinè (Amorgos) : IG XII, 7, 3, l. 30, 51 ; IG XII, 7, 67, l. 63, 72 ; IG XII, 7, 69, l. 15, 31 (restitués) ; IG XII, 7, 70, l. 3 (restitué). Chios : Nomima I, n° 62, face C ; Chios 28, l. 4 ; Clazomènes : Klazomenai 4, l. 14, 27 ; Halicarnasse : Halikarnassos 15, l. 24 ; Téos : Teos 59, l. 29 (deux fois mentionné). 141

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confrontation, après la défaite de Sparte à Leuctres (371), avec la puissance accrue de Thèbes et la revendication de ses droits dans le Nord de l’Égée, dans les régions d’Amphipolis et de la Chersonèse143 ; l’éclatement de la guerre des Alliés (357-355), pendant laquelle plusieurs cités se sont révoltées contre la Confédération. Par conséquent, il n’est pas surprenant, quand on lit dans le plaidoyer de Démosthène, Contre Stéphanos I, que tandis qu’Apollodoros, après son retour du Nord de l’Égée où il a servi comme triérarque pendant l’année 362/1144, voulait déposer une plainte privée en coups et blessures contre Phormion, les procès de ce genre étant suspendus à ce moment-­là, à cause de l’état de guerre, il a porté contre lui une accusation publique d’outrage145. Les mots d’Apollodoros suggèrent que les Athéniens avaient renvoyé les procès privés vers la fin des années 360, notamment pendant la période 361-360, puisque, pour ce qui est des années précédentes, des plaidoyers destinés à des procès privés sont préservés146. Les finances d’Athènes devaient être en très mauvais état pendant cette période, à cause d’une série d’expéditions militaires organisées pour mater une première révolte des alliés et des opérations dans la région du Nord de l’Égée, et ne pouvaient probablement pas assurer le paiement du salaire des juges147. Il faut attribuer l’interruption des procès privés, non des procès publics, au fait que, d’habitude, les dommages-­intérêts lors d’une plainte privée sont attribués au plaignant, tandis que les plaintes publiques donnent lieu à une amende qui revient partiellement ou intégralement à la cité148. 143

Voir les événements dans Buckler 2003, 296-377. À l’occasion de sa triérarchie, Apollodoros a écrit le plaidoyer Contre Polyclès, dans lequel il accuse son successeur Polyclès de ne pas s’être présenté à l’heure pour assumer la triérarchie. Pour une introduction, traduction en anglais et commentaire du plaidoyer, voir Bers 2003, 20-38. 145 Démosthène, Contre Stéphanos I, 3-4 πόλλ’ ἀγανακτήσας καὶ χαλεπῶς ἐνεγκὼν δίκην μὲν οὐχ οἷός τ᾽ ἦν ἰδίαν λαχεῖν (οὐ γὰρ ἦσαν ἐν τῷ τότε καιρῷ δίκαι, ἀλλ᾽ ἀνεβάλλεσθ᾽ ὑμεῖς διὰ τὸν πόλεμον), γραφὴν δ᾽ ὕβρεως γράφομαι πρὸς τοὺς θεσμοθέτας αὐτόν : « Je fus indigné, je me révoltai. Mais je ne pouvais intenter une action privée : les procès de ce genre étaient suspendus à ce moment-­là, vous les aviez renvoyés à cause de l’état de guerre. Je portai donc contre Phormion une accusation publique d’outrage, devant les thesmothètes. » (trad. L. Gernet, légèrement modifiée). 146 Voir les discours de Démosthène, Contre Aphobos (364/3-363/2) et Contre Onétôr (362/1) et d’Apollodoros, Contre Callippos (369/8) et Contre Timothée (362). Pour ces datations, voir Blass III. 1, 199, 207, 211, 455, 464. 147 Cf. Whitehead 2002, 82. 148 Démosthène, Contre Midias, 45. Voir Harrison 1971, 78 et n. 2 ; Hansen 19992, 192-193. 144

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Sous réserve que toutes les observations qu’on peut faire dépendent de la documentation disponible qui n’est pas exhaustive et est parfois confuse, on peut commencer par constater que les procès d’importance politique, connus pendant ces années, sont majoritairement149 liés aux préoccupations militaires de l’époque. Or, le type de procès diffère selon les particularités des événements extérieurs de telle ou telle période. À cet égard, pour ce qui est des années 370, les sources donnent des renseignements sur le déroulement de trois actions en illégalité : celle intentée en 376/5 par Léodamas150 contre une personne inconnue qui avait proposé le décret honorifique en faveur du stratège Chabrias, à l’occasion très probablement de sa victoire à la bataille navale de Naxos (n° 70)151 ; probablement celle intentée152 en 375/4 contre un décret honorifique proposé en faveur du stratège Timothée, pour sa victoire à 149

Le procès qu’Apollodoros a intenté à Timothée, parce que Timothée avait emprunté de l’argent à Pasion, le père d’Apollodoros, et ne l’avait pas rendu, date de 362 (n° 75). Le plaidoyer Contre Timothée qu’Apollodoros a écrit pour accuser Timothée nous est parvenu. Même s’il n’y a pas de motivation politique derrière ce procès et qu’il s’agit d’un règlement des finances entre les deux plaideurs, la mise en accusation d’un homme politique influent donne au procès un caractère politique. Cf. Mossé 1974, 223 ; Trevett 1992, 127-128. Contra, voir Sealey 1956, 200, qui voit dans le procès une tentative pour battre l’influence de Timothée et révéler celle du groupe de Callistratos. 150 Démosthène, Contre Leptine, 146. 151 Démosthène, Contre Aristocrate, 198, Contre Timocrate, 180  ; Eschine, Contre Ctésiphon, 243. Cf. Hansen 1974, 30. 152 Aucune source ne mentionne le déroulement d’une telle action. L’hypothèse (voir Hansen 1974, 30-31) repose sur un passage d’Eschine, tiré du Contre Ctésiphon, 243 ἐπερώτησον δὴ τοὺς δικαστὰς εἰ ἐγίγνωσκον Χαβρίαν καὶ Ἰφικράτην καὶ Τιμόθεον, καὶ πυθοῦ παρ’ αὐτῶν διὰ τί τὰς δωρεὰς αὐτοῖς ἔδοσαν καὶ τὰς εἰκόνας ἔστησαν. Ἅπαντες γὰρ ἅμα ἀποκρινοῦνται ὅτι Χαβρίᾳ μὲν διὰ τὴν περὶ Νάξον ναυμαχίαν, Ἰφικράτει δὲ ὅτι μόραν Λακεδαιμονίων ἀπέκτεινε, Τιμοθέῳ δὲ διὰ τὸν περίπλουν τὸν εἰς Κέρκυραν : « Interroge les juges ! Connaissent-­ils Chabrias, Iphicrate et Timothée ? Demande-­leur pour quels motifs ils leur ont décerné des récompenses et élevé des statues. Tous d’une seule voix répondront que Chabrias les a reçues à cause de la bataille de Naxos, Iphicrate parce qu’il a massacré la phalange lacédémonienne, Timothée à cause de sa croisière de Corcyre. » (trad. V. Martin – G. de Budé). On s’appuie sur deux points : le premier réside dans le fait qu’on trouve dans la même phrase les honneurs accordés à Chabrias, Timothée et Iphicrate, pour lesquels Chabrias et Iphicrate ont été attaqués en dépôt d’une action en illégalité. Le deuxième point est lié à la manière dont Eschine s’adresse aux juges, lorsqu’il donne l’impression que c’étaient les juges qui avaient décerné les récompenses à Timothée, l’attribution des honneurs par les juges signifiant l’approbation du décret honorifique. Il n’empêche que les verbes ἔδοσαν et ἔστησαν pourraient également renvoyer à l’Assemblée du peuple qui a voté les récompenses. Comme il s’agit d’une hypothèse non confirmée par d’autres sources, il vaut mieux ne pas en tirer de conclusion définitive.

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Alyzeia, dans la région de l’Acarnanie (n° 71)153 ; et celle intentée en 371/0154 par Harmodios contre une personne inconnue qui avait proposé un décret honorifique155 en l’honneur du stratège Iphicrate pour ses opérations à Corcyre (n° 72)156. Dans ces trois actions en illégalité  – en comptant celle contre le décret en faveur de Timothée –, le nom de la personne qui a proposé le décret n’est pas conservé. Cela pourrait être dû au hasard et à la perte des plaidoyers. Pourtant, toutes les sources qui donnent des renseignements sur ces épisodes ont tendance à évoquer le nom des personnes honorées et non celui de l’accusé. Il va de soi que ces trois cas concernent trois stratèges qui jouent un rôle primordial dans la vie politique de l’époque, mais une raison supplémentaire explique la conservation du nom des personnes honorées plutôt que de celui des autres plaideurs. Elle tient à la particularité de l’action en illégalité quand elle est déposée contre un décret honorifique : elle vise très souvent à attaquer la personne honorée et non la personne qui a proposé l’honneur soit dans le cadre d’un règlement de comptes, soit en vue de condamner ses choix politiques157. En revanche, la décision des héliastes nous est parvenue, qui est dans les trois cas en faveur des trois stratèges. Le tribunal valide les décrets proposés en l’honneur des stratèges et procède au rejet des actions en illégalité déposées par les adversaires. Ces trois jugements constituent une décision essentiellement politique158, dont on peut relever deux aspects. D’une part, les juges, en approuvant les décrets, approuvent la politique adoptée par les trois stratèges. Cette approbation est justifiée, puisque les décrets honorifiques proposés concernent une politique réussie qui a adjoint à la seconde Confédération maritime de nouveaux membres ou des membres qui l’avaient quittée. De l’autre, la décision judiciaire prise est compatible avec la politique décidée au sein de l’Assemblée, qui a adopté pendant les 153

Xénophon, Helléniques, V. 4. 64-66 ; Diodore de Sicile, XV. 36. 5. Cf. Buckler 2003, 253-254. 154 Denys d’Halicarnasse, Lysias, XII. 2-5, l’attribue à cette année. 155 Démosthène, Contre Aristocrate, 130, 136. Cf. Hansen 1974, 31. Sur les opérations, voir Xénophon, Helléniques, VI. 2. 15-26 ; Diodore de Sicile, XV. 47. 1-7. Cf. Buckler 2003, 266-267. 156 Eschine, Contre Ctésiphon, 243. On possède des fragments d’un plaidoyer, dont l’authenticité est mise en doute, qui est attribué à Lysias  : il s’agit de la défense d’Iphicrate, qui semble avoir pris la parole comme synégore : [Lysias], fr. VII Gernet – Bizos (Contre Harmodios, au sujet des récompenses d’Iphicrate). 157 Sur les diverses particularités de l’action en illégalité déposée contre un décret honorifique, voir Hansen 1974, 64-65. 158 Cf. Yunis 1988, 370 n. 31.

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années 370 une politique agressive, menée contre Sparte, et réalisée par les stratèges élus par la cité159. Si on compare le nombre d’eisangélies disponibles pour cette période avec celui d’actions en illégalité – une comparaison faite avec précaution, faute de catalogue exhaustif –, il est facile de noter qu’une seule eisangélie est conservée et qu’elle eut lieu devant l’Assemblée160. La politique des années 370 étant une politique réussie, les eisangélies ne pouvaient pas tenir une place importante, contrairement aux actions en illégalité qui se sont multipliées du fait des adversaires politiques qui cherchaient à diminuer l’importance de ces succès. Au contraire, pour la période suivante, il semble qu’un type de procès domine, celui qui fait suite à l’accusation directe contre nombre de stratèges et de personnes impliqués dans les opérations militaires et à qui on attribue la responsabilité des échecs161. Ces procès continuent une tradition inaugurée à partir de la guerre du Péloponnèse et suivie pendant la guerre de Corinthe. L’augmentation accrue de ce type de procès a pour cause la politique extérieure d’Athènes, qui suit plusieurs directions, contre Thèbes, contre Alexandre de Phères, contre les alliés, dans les régions de l’Égée, de la Macédoine et de la Chersonèse. Ainsi, on date de 366/5 les deux procès – qualifiés d’eisangélies162 – intentés par Léodamas contre Callistratos et Chabrias163, qui furent accusés de trahison pour la perte d’Orôpos au profit des Thébains (n° 73)164. 159

Cf. Mossé 1974, 220. L’accusation par voie d’eisangélie contre Timothée, stratège en 373/2 (voir Develin 1989, 245), et contre Antimachos, son trésorier, est la seule eisangélie attestée dans les sources pour cette période. Elle a eu lieu devant l’Assemblée. Timothée a été destitué et jugé, par la suite, devant le peuple. L’accusation portée contre lui était celle de trahison, parce qu’il avait perdu du temps à recruter des équipages, au lieu de voler directement au secours des Corcyréens. Les principaux accusateurs étaient Callistratos et Iphicrate. Antimachos a été condamné à mort et à la confiscation de ses biens, tandis que Timothée a échappé à cette peine. Sur les deux procès, voir [Démosthène], Contre Timothée, 9-10 ; Xénophon, Helléniques, VI. 2. 13 ; Diodore de Sicile, XV. 47. 3. Diodore atteste que Timothée est restitué à sa stratégie, mais cela n’est pas vérifié par les autres sources. Cf. Hansen 1975, 90-91. Sur la discussion des mobiles qui ont mené à ces procès, voir Mossé 1974, 220-221. Sur l’expédition, voir Xénophon, Helléniques, VI. 2. 9-11 ; Diodore de Sicile, XV. 46. 3, 47. 2-3. Cf. Buckler 2003, 265. 161 Sur la fréquence des procès contre les stratèges, jusqu’au début des années 350, voir Sinclair 1997, 171-172. 162 Voir Hansen 1975, 92-93. 163 Aristote, Rhétorique, 1364a 19-23 ; Plutarque, Vie de Démosthène, V. 1-3. 164 Démosthène, Contre Midias, 64 ; Plutarque, Vie de Démosthène, V. 1-3. Pour la perte d’Orôpos, voir Xénophon, Helléniques, VII. 4. 1 ; Démosthène, Sur la Couronne, 99 ; Diodore de Sicile, XV. 76. 1. Cf. Sealey 1956, 195. 160

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Un certain Philostratos assista Léodamas dans son accusation contre Chabrias165. Selon Plutarque, le jugement de Callistratos eut lieu devant un tribunal. Comme Chabrias fut accusé pour les mêmes raisons, il est possible qu’il ait été aussi déféré devant un tribunal héliastique. Or, la prudence impose de poser un point d’interrogation quant à l’emploi du mot « tribunal » chez Plutarque, qui n’a pas forcément chez lui un sens technique. L’organe qui les jugea n’est pas, d’ailleurs, précisé dans d’autres sources. Callistratos fut acquitté166 et il est sûr que Chabrias échappa à la condamnation à mort réclamée par l’un de ses accusateurs167. Deux autres sources font référence à des procès intentés par Hypéride contre Aristophon. Ces derniers soulèvent des problèmes d’interprétation, qui restent parfois insolubles, même si l’on tente de les concilier (un ou deux procès ?)168. D’après la première source, Hypéride intenta contre Aristophon une action en illégalité (n° 74), parce qu’en tant que stratège à Kéos en 363/2169 (cf. le décret d’Athènes à propos d’Ioulis) il avait porté tort à ses habitants pour des questions d’argent. Vu qu’Aristophon fut battu170, cette action ne peut pas faire référence au décret d’Aristophon à propos de la révolte d’Ioulis, parce que celui-­ci a pris effet. En revanche, afin de résoudre les problèmes que ce passage soulève, on a proposé soit de supprimer du texte les mots παρανόμων (et de considérer qu’il s’agit d’une action intentée lors de la reddition de comptes) ou ἐάλω (et ainsi d’accepter qu’Aristophon fut acquitté et que le décret fut validé), soit d’y substituer παρὰ ὀλίγον (et de concilier ce témoignage avec celui d’Hypéride dans le Pour Euxénippos), soit de lier cette action en illégalité à un autre décret concernant Kéos171. Dans la deuxième source, Hypéride, 165

Démosthène, Contre Midias, 64. Plutarque, Vie de Démosthène, V. 4. 167 Démosthène, Contre Midias, 64. Chabrias est par la suite élu stratège pour les années 363/2, 359/8, 357/6. Voir Hansen 1983b, 178-179 ; Develin 1989, 263, 272, 275. 168 Cooper 2008a, 44-46, y voit un seul procès, celui qui concerne les opérations d’Aristophon à Kéos. 169 Voir Develin 1989, 263. 170 Hypéride, fr. 40 Jensen = Schol. Eschine, Contre Timarque, 64 Ἀριστοφῶν […] ὡς στρατηγήσας ἐν Κέῳ διὰ φιλοχρηματίαν πολλὰ κακὰ ἐργασάμενος τοὺς ἐνοικοῦντας, ἐφ’ ᾧ γραφεὶς ὑπὸ Ὑπερείδου παρανόμων ἑάλω. (Teubner) : « Aristophon […] qui, ayant été stratège à Kéos, s’est montré fort dur pour les habitants de Kéos, par amour de l’argent ; pour cela, il fut accusé d’illégalité par Hypéride et condamné. ». La numérotation des fragments d’Hypéride suit celle faite par Jensen dans l’édition Teubner. 171 Voir Colin 1946, 16 n. 2 ; Hansen 1974, 31. Hansen 1983b, 161, propose l’existence d’un autre décret concernant Kéos en raison duquel Aristophon fut accusé. Trevett 1992, 133, propose que l’action en illégalité contre Aristophon a pu concerner un 166

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en énumérant les procès intentés par lui-­même, commence son récit par celui qu’il a intenté à Aristophon (n° 84)172. Malgré sa défaite, Hypéride ne cesse de souligner qu’« Aristophon d’Azénia était un des hommes les plus influents dans la cité, qu’il n’a été acquitté qu’à une majorité de deux voix », ce qui souligne l’importance et l’impact de ce procès sur sa carrière politique. La question qui se pose, par conséquent, et qui n’a pas de réponse ferme est de savoir pourquoi Hypéride ne fait pas allusion au premier procès contre Aristophon, si ce dernier a été vraiment battu, et choisit d’évoquer le deuxième, où Aristophon a été acquitté. Le texte, pour sa part, ne donne pas plus de détails sur le caractère de ce dernier procès173. On ne peut pas non plus le dater plus précisément qu’entre les années 360 et 343, dates auxquelles Hypéride commence sa carrière174 et intente le procès contre Philocrate, qui est mentionné à la suite dans le passage cité. Si on s’appuyait sur l’indice ténu du texte qui donne l’impression qu’Hypéride est fier de rappeler le procès contre Aristophon, parce qu’il lui a servi à fonder sa réputation, une date plus proche du début de la carrière politique de l’orateur paraît plus vraisemblable. En ce qui concerne les autres procès intentés contre les stratèges et datant de cette période, ils sont l’objet de débat en raison de leur rapport avec un éventuel changement apporté au nomos eisangeltikos. Il paraît utile de présenter d’abord les points essentiels de l’hypothèse qui a été formulée à son sujet. D’après celle-­ci, au milieu du IVe siècle, un changement fut apporté à la loi sur l’eisangélie, au terme duquel l’Assemblée du peuple ne devait plus juger les eisangélies, qui seraient toutes déférées désormais devant les tribunaux héliastiques175. Cette hypothèse s’appuie sur l’étude des eisangélies datant de la période à laquelle on situe le changement. Elle suggère, ainsi, que les deux procès intentés contre les stratèges Callisthénès et Ergophilos, qui datent de 362 et sont qualifiés d’eisangélies, sont les dernières eisangélies décret proposé par Aristophon en 362/1 à propos des expéditions dans le Nord de l’Égée. 172 Hypéride, Pour Euxénippos, 28-29 Ἀριστοφῶντα τὸν Ἁζηνιέα, ὃς ἰσχυρότατος ἐν τῆι πολιτείᾳ γεγένηται, | (καὶ οὗτος ἐν τούτωι τῶι δικαστηρίωι παρὰ δύο ψήφους ἀπέφυγε)· Διοπείθη τὸν Σφήττιον, ὃς δεινότατος δόκει εἶναι τῶν ἐν τῆι πόλει· Φιλοκράτη τὸν Ἁγνούσιον, ὃς θρασύτατα καὶ ἀσελγέστατα τῆι πολιτείᾳ κέχρηται. : « Aristophon d’Azénia, qui a été un des hommes les plus influents de la cité ; (et, dans ce même tribunal, il n’a été acquitté qu’à une majorité de deux voix) ; Diopeithès de Sphettos, qui passait pour un homme fort considérable dans la cité ; Philocrate d’Hagnonte, qui a traité les affaires publiques avec une audace et une impudence extrêmes. » (trad. G. Colin, légèrement modifiée). 173 Hansen 1975, 99, place le passage d’Hypéride dans le contexte d’une eisangélie. 174 Sur la carrière d’Hypéride, voir Cooper 2001, 62. 175 Voir Hansen 1975, 53-55 ; Rhodes 1979, 108.

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jugées entièrement devant l’Assemblée du peuple. En revanche, les autres eisangélies, pour lesquelles on dispose d’une information satisfaisante et qui datent d’après 361, sont renvoyées de l’Assemblée aux tribunaux, qui rendent le jugement final. Ce changement est attribué en partie à des raisons financières et en partie à des raisons politiques. Venons-­en aux deux eisangélies de 362. Callisthénès, qui était stratège en 363/2176, conclut une trêve prématurée avec le roi de Macédoine Perdiccas III177, raison pour laquelle le peuple le condamna à mort178. On rapproche ainsi l’accusation de celle de trahison et son jugement par le peuple de la procédure de l’eisangélie179. On date de la même année le procès intenté, après sa destitution180, à Ergophilos, lui aussi stratège en 363/2181, qui fut accusé d’avoir trahi la Thrace182. L’organe qui le jugea ne peut être identifié qu’indirectement. Selon Aristote, dans la Rhétorique, Ergophilos fut jugé par ceux qui avaient jugé auparavant Callisthénès. La phrase suggère donc que ce serait l’Assemblée du peuple183 qui a reconnu Ergophilos coupable et l’a condamné à une amende184. Le témoignage d’Aristote est intéressant pour deux raisons. La première concerne la datation des deux procès  : il précise que le procès contre Callisthénès eut lieu à la veille du procès contre Ergophilos (τῇ προτεραίᾳ). Si on admet que ces deux eisangélies furent jugées par l’Assemblée, ceci implique la réunion extraordinaire de l’Assemblée, en dehors de ses réunions régulières. D’où un coût supplémentaire ajouté aux dépenses de la cité, étant donné que le misthos des Athéniens pour leur participation à l’ekklèsia correspondait à neuf ou six oboles185, au lieu des trois oboles versées pour 176

Voir Develin 1989, 263-264. Eschine, Sur l’Ambassade, 30. 178 Aristote, Rhétorique, 1380b 10-13 πρᾶοι γὰρ γίγνονται ὅταν εἰς ἄλλον τὴν ὀργὴν ἀναλώσωσιν, ὃ συνέβη ἐπὶ Ἐργοφίλου· μᾶλλον γὰρ χαλεπαίνοντες ἢ Καλλισθένει ἀφεῖσαν διὰ τὸ Καλλισθένους τῇ προτεραίᾳ καταγνῶναι θάνατον. : « Car on trouve le calme, quand on a dépensé sa colère contre un autre ; c’est ce qui arriva pour Ergophilos : bien que les Athéniens fussent plus irrités contre lui que contre Callisthénès, ils le renvoyèrent absous, parce qu’ils avaient la veille, condamné Callisthénès à mort. » (trad. M. Dufour) ; Eschine, Sur l’Ambassade, 30 Καλλισθένην ὁ δῆμος ἀπέκτεινεν : « le peuple avait condamné à mort Callisthénès » (trad. V. Martin – G. de Budé). 179 Voir Hansen 1975, 93-94. 180 Démosthène, Contre Aristocrate, 104. 181 Voir Develin 1989, 263. 182 Démosthène, Sur l’Ambassade, 180. 183 Voir Hansen 1975, 94. 184 Démosthène, Sur l’Ambassade, 180. 185 Aristote, Constitution d’Athènes, LXII. 2. 177

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la participation aux tribunaux. Le deuxième intérêt est lié à la raison qu’Aristote attribue à la condamnation d’Ergophilos à une amende et non à la peine capitale : la colère éprouvée contre une personne cesse, remarque-­ t-il, si l’on a tiré auparavant vengeance d’une autre186 et ce retournement des passions s’est produit avec la condamnation de Callisthénès lors du procès de la veille. Son témoignage confirme une remarque déjà faite à l’occasion de l’affaire des Arginuses, selon laquelle le fait que les stratèges aient été jugés par l’Assemblée du peuple a dû jouer un rôle dans la sévérité de leur condamnation. En conséquence, il convient de prendre en considération ces deux aspects, les réunions extraordinaires de l’Assemblée, d’une part, dans une période de campagnes militaires continues et de faiblesse économique187, et le comportement du peuple, d’autre part, lorsqu’il se réunit au sein de l’Assemblée, pour expliquer ce changement. Quant aux autres eisangélies datant de cette période, les sources attestent le déroulement de neuf procès à caractère politique, dont six sont portés avec certitude par voie d’eisangélie188. 1. Callistratos fut accusé en 362/1 par la procédure de l’eisangélie pour ne pas avoir formulé à la tribune de propositions conformes à l’intérêt du peuple (n° 76). L’accusation fut portée devant un tribunal héliastique, mais lui ne se présenta pas devant le tribunal et quitta Athènes avant son procès189. Il fut condamné à mort par contumace190. 186

Aristote, Rhétorique, 1380b 6-8. Voir Hansen 1975, 55. 188 Voir Hansen 1975, 94-98. 189 Hypéride, Pour Euxénippos, 1-2 αἱ τοιαῦται εἰσαγγελίαι. Τὸ μὲν γὰρ πρότερον εἰσηγγέλλοντο παρ᾽ ὑμῖν Τιμόμαχος καὶ Λεωσθένης καὶ Καλλίστρατος καὶ Φίλων ὁ (Αἰξωνεὺς) καὶ Θεότιμος ὁ Σηστὸν ἀπολέσας καὶ ἕτεροι τοιοῦτοι· καὶ οἱ μὲν αὐτῶν ναῦς αἰτίαν ἔχοντες προδοῦναι, οἱ δὲ πόλεις Ἀθηναίων, ὁ δὲ, ῥήτωρ ὢν, λέγειν μὴ τὰ ἄριστα τῷ δήμῳ. Καὶ οὔτε τούτων πέντε ὄντων οὐδεὶς ὑπέμεινε τὸν ἀγῶνα, ἀλλ᾽ αὐτοὶ ᾤχοντο φεύγοντες ἐκ τῆς πόλεως, οὔτ᾽ ἄλ|λοι πολλοὶ τῶν εἰσαγγελλομένων, ἀλλ᾽ ἦν σπάνιον ἰδεῖν ἀπ᾽ εἰσαγγελίας τινὰ κρινόμενον ὑπακούσαντα εἰς τὸ δικαστήριον· : « Des eisangélies de ce genre. Jadis on poursuivait devant vous Timomachos, Léosthénès, Callistratos, Philon d’(Aixonè), Théotimos, l’auteur de la perte de Sestos, et d’autres personnages du même ordre : ils étaient inculpés d’avoir fait tomber entre les mains de l’ennemi ceux-­ci des vaisseaux, ceux-­là des villes appartenant aux Athéniens, et cet autre, en tant qu’orateur, d’apporter à la tribune des propositions fort peu conformes à l’intérêt du peuple. De ces hommes – et j’en ai nommé cinq – pas un n’a affronté le procès : d’eux-­mêmes, ils avaient d’avance pris la fuite. Beaucoup d’autres n’ont pas attendu davantage en pareil cas ; il était rare de voir, dans un procès par voie d’eisangélie, un accusé répondre à la citation et se présenter au tribunal. » (trad. G. Colin, légèrement modifiée). 190 Lycurgue, Contre Léocrate, 93. 187

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2. En 361, une expédition navale fut organisée sous la stratégie de Léosthénès contre Alexandre de Phères qui assiégea l’île de Péparéthos. La force athénienne fut battue191. Léosthénès fut accusé par voie d’eisangélie de trahison, parce qu’il avait abandonné les vaisseaux entre les mains de l’ennemi (n° 77) ; comme il ne se présenta pas devant le tribunal192, il fut condamné à mort par contumace et aussi à la confiscation de ses biens193. 3. La défaite lors de cette même bataille fut également attribuée au fait que des triérarques des vaisseaux qui avaient participé à la bataille avaient loué leurs liturgies. Pour cette raison, ils furent accusés d’avoir trahi leurs vaisseaux et déserté leur poste (n° 78)194. On pourrait admettre qu’il s’agit d’une eisangélie, puisqu’il s’agit du même épisode que dans le cas précédent et l’accusation est similaire. En ce qui concerne les détails de la procédure judiciaire, le passage d’où l’on tire les informations correspondantes présente des difficultés de lecture et d’interprétation. Ces difficultés, qui sont liées les unes aux autres, reposent sur l’emploi de la deuxième personne du pluriel pour faire référence très probablement à différents organes (παρεδώκατε, καταχειροτονήσαντες, ἐδικάζετε) et sur la transmission dans les manuscrits soit du mot δεσμωτήριον (« prison »), soit du mot δικαστήριον («  tribunal  »)195. Il est dès lors difficile de préciser l’organe qui a jugé les triérarques. 191

Diodore de Sicile, XV. 95. 1-2. Hypéride, Pour Euxénippos, 1-2. 193 Diodore de Sicile, XV. 95. 3. Il n’est pas sûr qu’Aristophon ait été l’accusateur contre Léosthénès, comme il l’est contre les triérarques qui ont participé à la même bataille. Il doit cependant avoir joué un rôle dans le remplacement de Léosthénès par le stratège Charès. Les relations amicales entre les deux hommes sont évidentes aussi dans le procès contre les stratèges de la bataille à Embata (voir infra). Cf. Sealey 1955, 74. 194 Démosthène, Sur la couronne triérarchique, 8-9 Ὅτε γὰρ τῇ ναυμαχίᾳ τῇ πρὸς Ἀλέξανδρον ἐνικήθητε, τότε τῶν τριηράρχων τοὺς μεμισθωκότας τὰς τριηραρχίας αἰτιωτάτους τοῦ γεγενημένου νομίζοντες παρεδώκατ’ εἰς τὸ δεσμωτήριον, καταχειροτονήσαντες προδεδωκέναι τὰς ναῦς καὶ λελοιπέναι τὴν τάξιν. Καὶ κατηγόρει μὲν Ἀριστοφῶν, ἐδικάζετε δ’ ὑμεῖς εἰ δὲ μὴ μετριωτέραν ἔσχετε τὴν ὀργὴν τῆς ἐκείνων πονηρίας, οὐδὲν αὐτοὺς ἐκώλυε τεθνάναι. : « Lorsque vous avez été vaincus sur mer par Alexandre, vous avez regardé comme les plus responsables ceux qui avaient mis en location leur triérarchie, et vous les avez envoyés en prison après un vote qui les déclarait coupables de livraison de navire et d’abandon de poste. L’accusation était soutenue par Aristophon, et vous rendiez la justice. Et si votre ressentiment n’avait pas été plus modéré que leur forfait, ils n’échappaient pas à la mort. » (trad. L. Gernet, légèrement modifiée). 195 Sur les problèmes que ce passage présente, voir l’analyse très détaillée de Hansen 1975, 118-119. Il préfère le mot δικαστήριον. En revanche, Gernet 1959, 62 n. 3, propose que le pronom ὑμεῖς désigne ici les Athéniens et qu’il y a eu un jugement de la part de l’Assemblée. 192

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Les quatre procès qui suivent furent intentés par Apollodoros au début de sa carrière contre Autoclès, Ménon, Timomachos et Callippos. Toutes ces personnes étaient actives dans la même région pendant la durée de la triérarchie d’Apollodoros et étaient associées à lui dans le financement de la triérarchie et pour les expéditions militaires. Apollodoros profita de leurs échecs et leur intenta des procès politiques196. 4. Autoclès, stratège dans la région de Thrace en 362/1197, fut accusé par Apollodoros198 pour avoir été incapable d’aider Miltocythès lors de sa révolte contre le roi des Odryses de Thrace, Cotys (n° 79)199. Il fut destitué par le peuple200 et un procès suivit sur lequel on ne dispose d’aucun détail, en dehors de l’hypothèse qu’Hypéride y assista, comme synégore d’Apollodoros, en écrivant un discours contre Autoclès201. D’après le témoignage d’Aristote dans la Constitution d’Athènes, on sait que si les stratèges étaient destitués, ils étaient jugés par le tribunal qui, en cas de condamnation, fixait la peine ou l’amende202. À cet égard, on pourrait penser au jugement d’Autoclès devant le tribunal. Or, le témoignage d’Aristote ne prend pas en considération le cas des eisangélies, qui, avant le milieu du IVe siècle pouvaient être jugées soit devant l’Assemblée soit devant le tribunal. Si on date le changement du nomos eisangeltikos après 361, il reste probable qu’Autoclès a été jugé par l’Assemblée, dans le cas où son accusation a bien été portée par voie d’eisangélie. 5. Apollodoros accusa Ménon, stratège en 362/1203, qui avait remplacé Autoclès (n°  80). L’accusation est peut-­être liée à sa stratégie et aux opérations menées dans la région de Thrace, d’autant qu’Apollodoros était triérarque sous le commandement de Ménon204, mais on ne connaît rien d’autre sur le procès. 6. Apollodoros accusa Callippos205, commandant d’un navire en 361/0206, d’avoir commandé le transfert de Callistratos, condamné à mort 196

Cf. Trevett 1992, 136-137 ; Harris 2013a, 91. Voir Develin 1989, 266. 198 Démosthène, Pour Phormion, 53. 199 Démosthène, Contre Aristocrate, 104. 200 [Démosthène], Contre Polyclès, 12. 201 Hypéride, fr. 55-65 Jensen (Contre Autoclès, affaire de trahison). Cf. Trevett 1992, 133. 202 Aristote, Constitution d’Athènes, LXI. 2. 203 Démosthène, Pour Phormion, 53. Cf. Develin 1989, 266. 204 [Démosthène], Contre Polyclès, 12-14. Cf. Trevett 1992, 134. 205 Démosthène, Pour Phormion, 53. 206 Voir Develin 1989, 268. 197

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par les Athéniens, de Méthone à Thasos (n° 81)207. Les sources concernées ne révèlent pas la procédure suivie. 7. Apollodoros accusa Timomachos208, stratège en 361/0209, par voie d’eisangélie, de trahison, parce qu’il avait abandonné la Thrace (n° 82)210. L’accusation fut portée devant un tribunal héliastique, mais l’accusé ne se présenta pas et quitta Athènes avant son procès. Il fut peut-­être condamné à mort par contumace211. 8. Théotimos fut accusé par la procédure de l’eisangélie pour avoir perdu Sestos (n° 83). L’accusation fut portée devant un tribunal héliastique, mais lui ne se présenta pas devant le tribunal et quitta Athènes avant son procès. Il fut peut-­être condamné à mort par contumace212. La perte de Sestos datant de 360/59213, le procès doit avoir lieu peu de temps après. 9. En 359, Euthyclès accusa par voie d’eisangélie214 le stratège Képhisodotos pour trahison, parce qu’il avait abandonné la Thrace, à cause de la convention qu’il avait signée avec Charidémos (n° 85)215. Démosthène, qui était triérarque sous le commandement de Képhisodotos, participa lui-­ même à l’accusation et proposa la peine de mort216. Képhisodotos fut d’abord destitué par l’Assemblée et accusé ensuite par le moyen d’une eisangélie. L’accusation fut renvoyée devant le tribunal, qui jugea Képhisodotos coupable ; il échappa à la peine de mort par trois voix et fut condamné à une amende de cinq talents217. 207

[Démosthène], Contre Polyclès, 43-52. Pour l’épisode concernant le transfert de Callistratos, voir Trevett 1992, 131-134. 208 Démosthène, Pour Phormion, 53. Cf. Trevett 1992, 134. 209 Voir Develin 1989, 267-268. 210 Démosthène, Sur l’Ambassade, 180. 211 Hypéride, Pour Euxénippos, 1-2. 212 Ibid., 1-2. 213 Démosthène, Contre Aristocrate, 158. 214 Eschine, Contre Ctésiphon, 52. 215 Démosthène, Sur l’Ambassade, 180, Contre Aristocrate, 5, 167-168. 216 Eschine, Contre Ctésiphon, 51-52. 217 Démosthène, Contre Aristocrate, 167 καὶ γράφει δὴ τὰς συνθήκας ταύτας τὰς πρὸς Κηφισόδοτον, ἐφ’ αἷς ὑμεῖς οὕτως ἠγανακτήσατε καὶ χαλεπῶς ἠνέγκατε, ὥστ’ ἀπεχειροτονήσατε μὲν τὸν στρατηγόν, πέντε ταλάντοις δ’ ἐζημιώσατε, τρεῖς δὲ μόναι ψῆφοι διήνεγκαν τὸ μὴ θανάτου τιμῆσαι. : « Il conclut avec Képhisodotos ce traité qui provoqua de votre part un tel mécontentement et une telle indignation que le stratège fut relevé de ses fonctions ; il fut frappé d’une amende de cinq talents et il s’en fallut de trois voix qu’il ne fut condamné à mort. » (trad. J. Humbert – L. Gernet).

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Il apparaît que la documentation dont on dispose se dérobe souvent à l’analyse et n’éclaire pas la procédure et, par conséquent, l’organe auprès duquel les accusés sont déférés, puisque la même accusation peut être portée selon des procédures différentes. Selon toute vraisemblance, la comparaison des cas similaires par le caractère de l’accusation et par les conditions dans lesquelles cette dernière fut portée, fait pencher pour la procédure de l’eisangélie pour les procès qui ne sont pas définis assurément dans les sources. Dans les cas de Callistratos, Léosthénès, Timomachos, Théotimos, Képhisodotos et, sous toute réserve, celui des triérarques, l’eisangélie fut jugée devant un tribunal héliastique. Pour ce qui concerne les cas d’Autoclès, Callippos et Ménon, les sources ne permettent pas d’arriver à une certitude et de choisir entre le tribunal ou l’Assemblée. Cette incertitude met en question la datation du changement apporté au nomos, qui consiste à faire juger l’ensemble des procès d’importance politique par les tribunaux. Faute de détails sur ces procès qui datent d’après 361, on ne peut pas être sûr qu’ils ont été jugés par le tribunal et que l’Assemblée a abandonné le jugement de l’eisangélie. À cet égard, même si la fin des années 360 est une période qui offre un terrain propice à la mise en place d’une nouvelle mesure dans le domaine de la justice, en vue d’assurer plus de fonds pour le domaine militaire, les années suivantes sont également propices à une réforme pour des raisons qui seront évoquées dans le chapitre suivant. Le procès à l’occasion de la bataille d’Embata est le dernier de cette série de procès contre les stratèges du milieu du IVe siècle, puisque dans les années suivantes Athènes adopte une politique différente218. On date ainsi de 356/5219 l’accusation qu’Aristophon d’Azénia porta contre les stratèges Iphicrate, Timothée et Ménestheus pour leur échec à la bataille d’Embata (n°  86)220. Ces procès221 furent intentés suite au rapport 218

Cf. Mossé 1974, 223. Le procès date soit de 356/5 (Hansen 1975, 101) soit de 354/3 (Sealey 1993, 112). Pour un résumé sur ces deux datations, voir Hansen 1975, 101 n. 14. 220 [Lysias], fr. III Gernet – Bizos (Défense d’Iphicrate, affaire de trahison). Il s’agit de la défense d’Iphicrate contre Aristophon. Le plaidoyer est attribué à Lysias, mais cette attribution est contestée, d’autant que Lysias est mort à cette époque. Voir aussi Dinarque, Contre Démosthène, 14, Contre Philoclès, 17 ; Diodore de Sicile, XVI. 21. 3-4. Cf. Sealey 1955, 74. 221 Denys d’Halicarnasse, Lysias, XII. 7, caractérise le procès contre Iphicrate comme à la fois une eisangélie et une reddition de comptes et Isocrate, Sur l’Échange, 129, souligne que le procès contre Timothée s’est fait dans le cadre de sa reddition de comptes. Sur le rapport entre l’eisangélie et la reddition de comptes, les confusions possibles entre les deux procédures et la caractérisation des procès comme eisangélies, voir Hansen 1975, 45-48, 100-102. 219

L’Héliée dans la turbulence militaire de la première moitié du IVe siècle

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de Charès, qui était aussi stratège lors de la même bataille navale ; les stratèges furent destitués et accusés de trahison, à cause de la passivité qu’ils avaient montrée222. Si on se fie à Dinarque, les procès furent jugés par un tribunal héliastique223. Iphicrate et Ménestheus furent acquittés, tandis que Timothée fut condamné à une amende de cents talents, parce que, selon Aristophon, « il avait touché de l’argent de Chios et de Rhodes »224. Toutefois, la condamnation du seul Timothée témoigne peut-­être de rancunes contre lui225. Comme nous l’avons vu, on dispose de l’issue des procès intentés contre Aristophon, Callistratos, Léosthénès, Timomachos, Théotimos, Képhisodotos et les stratèges d’Embata. Dans le cas d’Aristophon, le tribunal l’a acquitté seulement par une courte majorité de deux voix ; dans les quatre cas suivants, le tribunal a décidé la peine de mort par contumace ; et dans le cas de Képhisodotos, ce dernier a échappé par trois voix à la condamnation à mort. Des vaincus d’Embata, même si deux d’entre eux ont été acquittés, les trois stratèges ont été destitués. S’il est possible de fonder nos résultats sur l’ordre chronologique des procès, il est tentant de dire que l’acquittement d’Aristophon à deux voix marque le début du renoncement à la politique agressive qu’Athènes a adoptée à partir de la création de la seconde Confédération. Les tribunaux prennent désormais des décisions à caractère politique très cohérentes les unes avec les autres, en condamnant les responsables des échecs dans le domaine militaire. Ces décisions sont concomitantes de l’abandon progressif de la politique menée pendant le deuxième quart du IVe siècle226.

Conclusions Il apparaît qu’il y a un rapport entre la politique extérieure de la cité et une partie de l’activité du tribunal. D’une part, l’adoption d’une politique de paix implique l’absence de procès touchant à des événements militaires ou des décisions politiques concernant une politique plus radicale et, inversement, l’absence de tels procès pourrait témoigner de la direction 222

Diodore de Sicile, XVI. 21. 4 ; Isocrate, Sur l’Échange, 129. Dinarque, Contre Démosthène, 14, Contre Philoclès, 17 ὀμωμοκότες ἐφέρετε τὴν ψῆφον : « vous avez voté, après avoir prêté des serments ». 224 Isocrate, Sur l’Échange, 129 ; Dinarque, Contre Démosthène, 14, Contre Philoclès, 17. 225 Voir Mossé 1974, 223. 226 Je suis d’accord avec Mossé 1974, 221-223, qui explique les procès de la fin de 360 dans le cadre de l’échec de la politique impérialiste menée depuis la création de la seconde Confédération maritime. Cf. Trevett 1992, 135. 223

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politique de la cité pendant la période correspondante. La période de la paix d’Antalkidas a donné un certain nombre de tels indices. D’autre part, la guerre de Corinthe et les confrontations militaires au cours de la renaissance de l’« impérialisme » athénien ont montré que les procès à caractère politique étaient majoritairement liés aux préoccupations militaires de la période, tant ceux qui concernaient les stratèges athéniens que ceux à propos des rapports d’Athènes avec ses alliés. Les difficultés militaires et financières auxquelles la cité a fait face ont également fourni le cadre permettant d’apporter des changements au fonctionnement du tribunal. Des problèmes propres à son organisation interne, tel que le mode de répartition des héliastes entre les tribunaux, et concernant la façon dont les procédures étaient appliquées, telle que la loi sur l’eisangélie – même si s’agissant de cette dernière on n’est pas sûr de la datation –, ont pu être repensés. Il convient, ainsi, de reconnaître dans ces changements une nouvelle perception du système judiciaire par les Athéniens. Ils n’hésitent pas à faire des changements et à l’adapter aux nouvelles conditions de la vie politique. Sans que des renversements constitutionnels aient eu lieu, il s’agit des premiers exemples dans une série de changements apportés au fonctionnement des tribunaux au cours de la seconde moitié du IVe siècle, ce qui montre que les Athéniens se familiarisent de plus en plus avec la fonction et le mode de fonctionnement de leur justice populaire.

Chapitre IX

De la fin de la guerre des Alliés à la guerre lamiaque A. Introduction à une période particulière pour l’histoire d’Athènes La fin de la guerre des Alliés constitue un tournant essentiel dans la politique d’Athènes, puisque la cité abandonne la politique « impérialiste » injuste qu’elle a menée depuis la création de la seconde Confédération maritime. Son échec dans la guerre généra des questions sur la réorganisation de la cité et l’exercice d’une politique d’orientation différente, du moins pour les années qui suivirent la guerre, pour finalement aboutir à l’affrontement avec Philippe II, qui s’imposait progressivement dans le monde grec1. À la fin d’août 338, Philippe battit Athènes, Thèbes et leurs alliés à Chéronée2. Grâce à l’intervention de Démade, Philippe transmit aux Athéniens des offres pour la conclusion d’un traité de paix et d’une alliance3. Athènes ne fut pas soumise à son contrôle et aucune source ne parle de changement du régime politique. En revanche, malgré la

1

Sur les événements de ces années, voir Buckler 2003, 351-505. Pour la reconstruction de la bataille, voir Griffith 1979, 596-603. 3 Diodore de Sicile, XVI. 87. 3. Cf. Démosthène, Sur la Couronne, 285. Pour une discussion sur le rôle de Démade pour la conclusion de la paix et sur ce texte célèbre de Diodore, voir Brun 2000, 55-62. Une étude prosopographique sur Démade est donnée aussi par Paschidis 2008, 40-49. On ne dispose d’aucun texte résumant toutes les clauses de la paix conclue entre les deux parties. Sur les termes du traité, voir Griffith 1979, 606-608. Pourtant, par différentes sources, on peut constater que la seconde Confédération maritime a été dissoute (Pausanias, I. 25. 3), les clérouquies de Samos, Skyros, Lemnos et Imbros sont restées possession d’Athènes (Aristote, Constitution d’Athènes, LXI. 6, LXII. 2), ainsi que l’administration du sanctuaire d’Apollon à Délos (Aristote, Constitution d’Athènes, LXII. 2). La région d’Orôpos a été de même restituée aux Athéniens, mais, selon une nouvelle datation, elle le fut en 335, après la chute de Thèbes (Diodore de Sicile, XVIII. 56. 6-7 ; Pausanias, I. 34. 1. Cette date est proposée par Knoepfler 1993, 295 sq.). 2

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défaite, la cité se tourne vers une « forte mobilisation des esprits »4 et une réorganisation, qui se traduit par l’augmentation des revenus publics, le redressement des forces militaires, l’application de réformes importantes et l’embellissement de la cité par des constructions publiques5. Du point de vue de la politique extérieure, les sources plaident en faveur d’une « politique nuancée » exercée par Athènes, qui se conforme au kairos (ce sont les circonstances présentes)6, c’est-­à-dire à l’évolution de l’hégémonie macédonienne7. Dans les inscriptions de la période, à côté des décrets honorifiques votés pour Philippe, Alexandre et autres personnages ou amis de la cour macédonienne8 et qui expriment la volonté d’Athènes de se rapprocher de la Macédoine9, on trouve aussi des décrets accordant des honneurs à des personnes qui défendent dans leurs cités les intérêts d’Athènes contre la Macédoine ou à des ennemis de la Macédoine cherchant refuge à Athènes10. Dans les sources littéraires, on pourrait très rapidement reconnaître cette politique dans les manifestations suivantes : couronne d’or en faveur de Philippe et promesse de proclamer hors la loi quiconque tenterait de l’assassiner, en 336, à l’occasion des fêtes du mariage de Cléopâtre, fille de Philippe, avec Alexandre d’Épire11 ; sentiments de joie, par la suite, provoqués par sa mort12 et mise en œuvre d’actions pour s’opposer à Alexandre, son successeur13 ; envoi à Alexandre d’une ambassade, la même année, pour le reconnaître en tant qu’hègémôn de la Ligue de Corinthe14 ; à l’occasion des rumeurs sur sa mort et de 4

Voir Habicht 20062, 45. Voir Habicht 20062, 41-45 ; Faraguna 2011, 67-70. On trouve souvent cette expression dans le Contre Diondas d’Hypéride : 144v l. 26-27, 30, 145v l. 3, 5, 9. J’utilise ici l’édition de Carey et al. 2008, 4-11. Cf. Demont 2011, 40-41. Voir aussi Brun 2000, 63-64. 7 Cf. Sealey 1993, 202. 8 IG II3, 1, 2, 322 (337/6)  ; Diodore de Sicile,  XVI. 92. 1  ; Plutarque, Vie de Démosthène, XXII. 4. Sur ce sujet, voir Lambert 2010, 159 ; id. 2011a, 180. Sur les décrets proposés par Démade, voir Kralli 1999-2000, 147 n. 32. 9 Cf. Brun 2000, 68 ; Carlier 20062, 231. 10 Pour un résumé de ces décrets, voir Lambert 2010, 159. 11 Diodore de Sicile, XVI. 92. 1-2. 12 Plutarque, Vie de Démosthène, XXII. 13 Diodore de Sicile, XVII. 3. 2. Les Athéniens envoient des émissaires secrets à Attalos, qui était chef de l’armée macédonienne en Asie et voulait occuper le trône vacant, et poussent de nombreuses cités grecques à revendiquer leur liberté. Cf. Bosworth 1988, 188 ; Worthington 2003, 87-88 ; Habicht 20062, 33. Pour un résumé du règne d’Alexandre, voir Gilley – Worthington 2010, 186-207. 14 Eschine, Contre Ctésiphon, 160-161 ; Diodore de Sicile, XVII. 4. 6-7. 6 5

De la fin de la guerre des Alliés à la guerre lamiaque

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l’insurrection de Thèbes en 335, décision par l’Assemblée du peuple de porter secours aux Thébains, sans envoyer, pourtant, de troupes, en attendant de voir en faveur de qui la guerre tournera15 ; exercice, par la suite, d’une politique de rapports amicaux avec la Macédoine16 ; expression de sentiments favorables à la participation à la guerre contre la Macédoine lancée en 331/0 par les Spartiates sous le roi Agis III17, mais, à la fin, renoncement18. Le discours Sur les traités avec Alexandre, conservé dans le corpus démosthénien, doit avoir été rédigé dans ce contexte et montre très clairement les oscillations de l’opinion athénienne sur la participation ou non à la guerre19. Au cours de la période suivante, qui est marquée par la puissance accrue d’Alexandre en Asie et finit avec sa mort inattendue20, Athènes est confrontée à des difficultés de ravitaillement, qui s’aggravent à cause du contrôle macédonien de l’Hellespont, de la piraterie en Égée et, surtout, des menées de Cléomène de Naucratis pour augmenter artificiellement le prix du grain en Égypte21. D’un autre côté, les plaidoyers de l’époque donnent l’impression que les Athéniens attendent une occasion favorable pour exprimer leur mécontentement envers la Macédoine ou se révolter contre le pouvoir macédonien. À cet effet, on peut trouver des accusations directes contre les hommes politiques (surtout Démosthène) qui n’ont pas saisi les bonnes occasions pour soulever une révolte et qui, en revanche, ont insisté sur la prudence22. Qui plus est, on en trouve confirmation dans les plaidoyers qui ne touchent pas le domaine politique. On a conservé un plaidoyer, écrit par Hypéride quelques années après 33023, qui concerne un procès intenté par un certain Épicratès contre un certain 15

Diodore de Sicile, XVII. 8. 5-6 – 9. 1. Sur la révolte d’autres cités grecques, voir Bosworth 1988, 194-196. 16 Voir Hypéride, Contre Diondas. 17 Quinte-­Curce, Histoires, VI. 1. Cf. Bosworth 1988, 198-204. Sur la datation de la bataille de Mégalopolis, voir Habicht 20062, 410-411 n. 31. 18 Eschine, Contre Ctésiphon, 165-166 ; Plutarque, Œuvres Morales, 818e-­f. Cf. Bosworth 1988, 202. 19 [Démosthène], Sur les traités avec Alexandre, 1, 9, 12, 21, 30. Sur la datation du discours, voir Herrman 2009, 180 et n. 28. Trevett 2011, 288, penche aussi pour ce contexte, même si on n’a pas de certitudes. 20 Arrien, Anabase, VII. 27-28. 1. 21 Voir Carlier 20062, 257 ; Oliver 2007, 44-45. Sur Cléomène de Naucratis et le contrôle du blé, voir Aristote, Économique, 1352a 16-23. Cf. Bosworth 1988, 234-235, 285 (annexe 7) ; Bresson 2000, 187 n. 19, 286-287. 22 Dinarque, Contre Démosthène, 34 ; Hypéride, Contre Démosthène, fr. IV, col. XIX. Cf. Carlier 20062, 257-258, 266-267. 23 Sur la datation, voir Colin 1946, 197 ; Cooper 2001, 89.

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Athénogène (n°  134). Ιl porte sur une action en réparation du tort (δίκη βλάβης) qu’Épicratès a subi à cause d’un acte de vente fait à son détriment24. Pourtant, Hypéride, qui est logographe pour Épicratès, ne manque pas d’utiliser une argumentation à caractère politique. Il accuse Athénogène d’avoir abandonné la cité, peu avant la bataille de Chéronée, et de s’être réfugié à Trézène, où non seulement il a obtenu le droit de cité, mais où il a servi, en plus, à côté de Mnésias d’Argos – mentionné par Hypéride et Démosthène comme un traître, qui a servi les intérêts des Macédoniens25  – comme un agent des intérêts macédoniens, en expulsant des citoyens de leur cité26. Cette politique de prudence s’arrête avec l’éclatement de la guerre lamiaque (323-322)27. La défaite d’Athènes dans la guerre entraîna la modification de la constitution, qui réserve désormais les droits politiques aux citoyens possédant une fortune d’au moins deux mille drachmes28. Sur le fonctionnement des tribunaux héliastiques, on dispose du témoignage tardif de la Souda, selon laquelle Démade a aboli les tribunaux et les concours rhétoriques29. Cette phrase a été interprétée de plusieurs façons d’autant moins assurées qu’on manque d’autres sources sur l’institution du tribunal populaire pour cette période. Les interprétations veulent que les tribunaux aient continué de fonctionner, mais avec une importance numérique moindre, étant donné la diminution du corps civique30, ou bien qu’on ne puisse pas être sûr du fonctionnement des tribunaux, 24

Hypéride, Contre Athénogène I, 5-10. Hypéride, Contre Diondas, 175r l. 1 ; Démosthène, Sur la Couronne, 295. 26 Hypéride, Contre Athénogène I, 29, 31. 27 Diodore de Sicile, XVIII. 8. 7-9. 5. Sur la guerre lamiaque, voir Habicht 20062, 55-61. Sur les événements qui ont joué un rôle important dans l’éclatement de la guerre, voir Faraguna 2003, 124-130. 28 Diodore de Sicile, XVIII. 18. 4. 29 Souda, Démade οὗτος κατέλυσε τὰ δικαστήρια καὶ τοὺς ῥητορικοὺς ἀγῶνας. : « Il a aboli les tribunaux et les concours rhétoriques. ». 30 Cette hypothèse est énoncée par Williams 1983, 126 et n. 335. L’auteur reconnaît la difficulté de remplir les tribunaux à cause de l’exclusion d’une partie de la population, mais il se fonde sur l’inscription Osborne I, 98-99, D36, fr. b, l. 3-6 καὶ [τ|οὺς θεσμοθέτας δο]κιμάσαι τὴν πο|[λιτείαν, ὅταν πρώ]τον χρῶνται δι|[καστηρίοις] : « Que les thesmothètes procèdent à un examen du droit de cité, la première fois qu’ils siègeront dans les tribunaux. » (trad. Chr. Feyel 2009, 223 n. 10). C’est l’inscription attestant la dokimasia devant les tribunaux du droit de cité accordé aux bienfaiteurs étrangers. Pourtant, sa datation est très discutée, ce qui empêche d’utiliser l’inscription comme une preuve sûre de l’existence des tribunaux. Pour une discussion sur la date du décret, voir Osborne II, 101-102. Voir aussi Bearzot – Loddo 2015, 131. 25

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puisqu’on manque de sources31, à l’exception d’une inscription dont la datation n’est pas assurée32, ou encore que la suspension des tribunaux n’a pas été une mesure prise par l’oligarchie, mais une conséquence de la diminution du nombre de citoyens33. Il n’est pas facile de se prononcer en faveur de telle ou telle hypothèse, puisque les sources disponibles ne permettent pas de le faire. Malgré tout, il semble que ces hypothèses s’accordent sur le fait que, si la justice fonctionnait pendant la période de l’abolition de la démocratie, elle n’avait pas le caractère populaire qu’on connaît aux Ve et IVe siècles. D’où l’impossibilité de parler de tribunaux à base populaire.

B. L’importance du tribunal populaire selon les auteurs du milieu du IVe siècle Au cours de ladite période, le dèmos continua à asseoir son pouvoir dans les tribunaux. Euxithéos dans le plaidoyer Contre Euboulidès (aux alentours de 345) s’adresse aux juges avec les mots suivants : « Je vois, Athéniens, qu’au-­ dessus du dème d’Halimonte qui m’a exclu, au-­dessus même du Conseil et de l’Assemblée, il y a les tribunaux34. Et cela est bien, car les sentences que vous rendez sont les plus justes à tous égards35. » Il va de soi que les mots d’Euxithéos doivent être analysés dans un contexte de flatterie envers les juges, parce que de leur décision dépend son droit de cité. Pourtant, le même point de vue sur le pouvoir des tribunaux est exprimé également par ceux qui accusent Solon d’avoir donné aux tribunaux l’autorité suprême36. En effet, le pouvoir que les tribunaux héliastiques exercent à travers leurs jugements 31

Voir Oliver 2003, 46. Voir supra, n. 30. 33 Voir Bayliss 2011, 224 n. 11. 34 La mise en parallèle des tribunaux avec le Conseil et l’Assemblée du peuple est courante dans les documents de l’époque. Voir Démosthène, Contre Leptine, 100 τὸν δῆμον ἢ τὴν βουλὴν ἢ δικαστήριον : « le peuple ou le Conseil ou le tribunal », Contre Aristocrate, 97 ἢ βουλὴν ἢ δῆμον ἢ τὴν ἡλιαίαν : « le Conseil ou le peuple ou l’Héliée ». 35 Démosthène, Contre Euboulidès, 56 Ὁρῶ γάρ, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, οὐ μόνον τῶν ἀποψηφισαμένων Ἁλιμουσίων ἐμοῦ κυριώτερ’ ὄντα τὰ δικαστήρια, ἀλλὰ καὶ τῆς βουλῆς καὶ τοῦ δήμου, δικαίως· κατὰ γὰρ πάνθ’ αἱ παρ’ ὑμῖν εἰσι κρίσεις δικαιόταται. (trad. L. Gernet). Pour un commentaire de cette phrase, voir Pébarthe 2006, 203. On trouve une expression semblable qui montre la souveraineté des tribunaux par rapport à l’Aréopage et au Conseil des Cinq Cents chez Eschine, Contre Ctésiphon, 20. 36 Aristote, Politique, 1274a 3-5. 32

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est une réalité qui est reconnue tant dans les plaidoyers37 de l’époque que dans les cercles de discussions politiques et philosophiques. Il convient d’intégrer à ce cadre deux types d’œuvres qui critiquent l’institution du tribunal populaire, à cause de son statut dans la cité d’Athènes : la rhétorique d’Isocrate et la philosophie de Platon.

1.  Les tribunaux dans la pensée d’Isocrate38 Il semble qu’à partir du milieu du IVe  siècle Isocrate traite plus en profondeur des questions relatives à la démocratie39, qui sont plus fréquemment attestées dans la trilogie de l’Aréopagitique40, du Sur la Paix et du Sur l’Échange, rédigée dans les années 350, ainsi que dans le Panathénaïque, achevé en 339. Ces quatre œuvres font partie d’une discussion critique plus générale sur la répartition du pouvoir entre les différentes composantes de la cité et son évolution à partir du VIe siècle41. Isocrate présente ses idées en vue d’améliorer les mœurs politiques de son époque et essaie de mettre l’accent sur l’esprit démocratique des réformes qu’il propose42, sans que ce soit la réalité. Selon lui, la constitution se définit comme l’âme de la cité, qui « a le même pouvoir que dans le corps la pensée »43 et dépend du moral des citoyens. Sa réussite repose, en effet, sur la relation claire entre les dirigeants de la cité et les autres citoyens et sur l’attribution à chacun de compétences, selon ce qui lui convient. C’est pourquoi Isocrate remet en cause la suprématie du dèmos, au sens du petit peuple, dans la vie politique, qui se traduit dans sa participation aux magistratures par la voie du tirage au sort44, dans la souveraineté 37

Voir aussi Démosthène, Contre Midias, 223, Contre Timocrate, 118, 148, Contre Théocrinès, 55. 38 Le texte d’Isocrate est cité d’après l’édition de Mandilaras 2003. 39 Bearzot 1980, 114-115, a montré avec raison que le vocabulaire concernant la « question démocratique » est plus fréquemment attesté dans les œuvres d’Isocrate datant de cette période. 40 J’ai adopté ici la datation de l’Aréopagitique avant la guerre des Alliés et donc avant le Sur la Paix. Sur cette hypothèse, voir Wallace 1986, 77-84, avec les références bibliographiques ; Bouchet 2014, 68-69. Sur une analyse plus détaillée, voir Bouchet 2015, 423-431. 41 On peut le constater dans les œuvres du Pseudo-­Xénophon, de Platon et d’Aristote et dans les deux mouvements oligarchiques de 411 et 404. 42 Isocrate, Aréopagitique, 57-71. 43 Ibid., 14, Panathénaïque, 138. 44 Isocrate, Aréopagitique, 23.

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des décisions prises par l’Assemblée45 et dans l’importance des tribunaux héliastiques46, et il essaie de réserver le pouvoir à une élite restreinte et privilégiée qui mérite de gouverner la cité47. Dans le domaine de la justice, Isocrate émet deux types de critique, l’un qui touche à certains aspects de la justice populaire et l’autre indirect, qui concerne le pouvoir du dèmos de rendre la justice. La première critique peut être résumée ainsi : le mode de jugement qui repose sur l’indulgence et non sur l’obéissance aux lois48, le grand nombre de procès qui sont transférés devant les tribunaux49, le salaire héliastique qui permet d’acquérir le nécessaire pour vivre50. La critique indirecte à laquelle il procède est directement liée à la nécessité de renforcer le Conseil de l’Aréopage51. Isocrate considère trois événements comme déterminants pour l’évolution du pouvoir du dèmos52, qui ont conduit au déclin de sa moralité : sa puissance croissante dans le domaine maritime, qui remonte à la fin des guerres médiques et à la fondation de la Ligue de Délos53 ; l’introduction de la misthophora54 ; et la diminution des compétences de l’Aréopage liée aux réformes d’Éphialte et présentée comme la cause de la corruption des Athéniens et de l’existence d’une cité désormais accablée par les procès, les plaintes, les impôts, la pauvreté et les guerres55. C’est pourquoi il est nécessaire, selon lui, que l’Aréopage revienne sur la scène politique d’Athènes. D’un côté, il était le tribunal le plus vénérable de la cité, qui «  examinait la vie de chacun et amenait devant la justice

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Ibid., 40, Sur la Paix, 130, Panathénaïque, 144. Isocrate, Aréopagitique, 47, Sur la Paix, 130, Sur l’Échange, 152. Cf. Too 2000, 194 n. 37 ; id. 2008, 170. 47 Isocrate, Aréopagitique, 22, 26, 27, 37, 44-45, Panathénaïque, 132, 143, 145, Sur l’Échange, 308. Sur l’étude du lexique isocratique à propos des élites, voir Azoulay 2010, 25-30, 44-46. 48 Isocrate, Aréopagitique, 33. Isocrate ici fait référence à la situation du passé, ce qui n’est pas le cas pour le présent. Cf. Isocrate, Sur l’Échange, 42, où l’orateur veut montrer les différences entre sa vie et celle des gens qui s’occupent des procès touchant des contrats. Cf. Too 2000, 190 n. 23. 49 Isocrate, Aréopagitique, 51. 50 Ibid., 54, Sur la Paix, 130, Sur l’Échange, 152. Sur la critique isocratéenne des héliastes, voir Bearzot 2015, 166-173. 51 Sur une analyse plus détaillée de cette critique indirecte, voir Bartzoka 2015, 175-183. 52 Cf. Gastaldi 2000, 426 ; Roth 2003, 149-150. 53 Isocrate, Sur la Paix, 64, 75-77, Panathénaïque, 114-116. Cf. Davidson 1990, 21-24, 25 ; Masaracchia 1995, 107-108. 54 Isocrate, Panathénaïque, 116. 55 Isocrate, Aréopagitique, 51. 46

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les fauteurs de désordre »56. Même s’il continue de jouir d’un certain prestige, dont tous font l’éloge, cette réputation est davantage due au passé qu’au présent, puisqu’il n’est plus désormais composé uniquement de ces hommes de mérite57 qu’Isocrate souhaiterait y voir siéger. D’un autre côté, c’était l’organe qui veillait au bon ordre de la cité entière sur le plan moral, en prenant soin de tous les citoyens, de leurs occupations et de leur éducation58. Pour décrire l’Aréopage, Isocrate emploie une terminologie morale qui ne prétend pas investir ce Conseil de compétences précises ni n’essaie d’expliquer le rapport entre l’Aréopage et le dèmos en termes politiques. Cette ambiguïté est délibérée, d’autant qu’Isocrate ne peut ouvertement proposer ni une diminution des pouvoirs judiciaires du dèmos, que les mouvements oligarchiques de 411 et 404 ont réalisée dans les faits, ni le retour à une période où il était privé de ces prérogatives et qu’il ne peut pas non plus mentionner davantage la souveraineté du Conseil, malgré l’importance qu’il lui attribue. C’est pourquoi, dans les passages où il discute des compétences qui conviennent au dèmos – établir les magistrats, veiller à leur contrôle et rendre la justice59 –, il ne dit pas jusqu’à quel point le dèmos peut rendre la justice et utilise, parallèlement, des expressions telles que « juger les litiges » ou « punir ceux qui ont commis des fautes », qui ne sont pas loin du pouvoir judiciaire qu’il attribue à l’Aréopage en tant que tribunal qui « punit ceux qui ont violé l’ordre de la cité »60. Ces expressions justifient plutôt une coexistence superficielle de l’Aréopage et des tribunaux qu’une attribution claire de telle ou telle compétence à chacune des deux institutions. À cet égard, le rétablissement du pouvoir de l’Aréopage fait penser à l’existence d’un Conseil des Aréopagites investi des prérogatives d’avant Éphialte, à une époque où le dèmos ne possédait pas la suprématie politique, à laquelle il accédera à partir du milieu du Ve siècle. Même si ce n’est pas dit, l’institution du tribunal populaire est directement visée par la réforme morale et politique qu’Isocrate propose. En reconnaissant le pouvoir qu’elle a acquis jusqu’au milieu du IVe siècle et sans proposer directement sa suppression, Isocrate cherche à diminuer ce pouvoir. 56

Ibid., 38, 46. Cf. ibid., 37-38. 58 Ibid., 37, 39, 42, 44, 55. Sur ces deux aspects de l’Aréopage, ses préoccupations pédagogiques et son rôle en tant que tribunal chargé de veiller au bon ordre, voir Saïd 1993, 173-175. 59 Isocrate, Aréopagitique, 26, Panathénaïque, 147. 60 Cf. Saïd 1993, 177-178. 57

De la fin de la guerre des Alliés à la guerre lamiaque

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2.  Les Lois de Platon et le tribunal populaire Le texte des Lois61 de Platon traite de la législation pour une nouvelle cité, dite cité des Magnètes, que les Crétois veulent fonder. À cet effet, à partir du livre VI, l’Athénien anonyme, qui est l’un des trois protagonistes de l’œuvre, ouvre la discussion sur l’organisation des tribunaux dans cette nouvelle cité, sur les qualités des juges et les affaires qu’ils vont juger62. Sa description est souvent obscure et ne facilite pas toujours la compréhension du système qu’il évoque, en raison du fait que les Lois sont un ouvrage inachevé63. Toutefois, la lecture des passages correspondants montre de façon évidente l’influence que le système judiciaire des tribunaux héliastiques exerce sur Platon et lui servent à esquisser l’organisation judiciaire de la cité crétoise. Dans la cité crétoise, le système judiciaire fait la distinction entre les procès de caractère privé et ceux de caractère public, selon la partie qui est lésée64. Pour ce qui est des conflits privés, la justice est organisée en trois étapes successives correspondant aux trois tribunaux principaux65 qui sont chargés de juger les cas privés66. La première concerne le recours des plaideurs à leurs voisins et leurs amis : c’est le tribunal des voisins ou diétètes privés. Si la décision de ces derniers ne satisfait pas les deux parties, elles peuvent renvoyer leur affaire devant un deuxième tribunal : il s’agit des tribunaux de tribus, qui sont composés des juges tirés au

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Pour un commentaire du texte des Lois, voir Morrow 1960 ; Piérart 20082. Pour ce qui concerne le domaine de la justice, je suis les commentaires de Piérart. Sur une synthèse des lois proposées par Platon et leur comparaison avec celles d’Athènes, voir Piérart 2016. 62 Platon, Lois, 767b 1-2 λέγωμεν τίνες ἂν εἶεν πρέποντες καὶ τίνων ἄρα δικασταὶ καὶ πόσοι ἐφ’ ἕκαστον : « et disons quels juges conviendraient, quelles causes ils pourraient juger et combien il en faudrait pour chacune » (trad. Ed. des Places). 63 Voir Piérart 20082, XIII-XV ; id. 2016. 64 Platon, Lois, 767b 5-8 τὸ μὲν ὅταν τίς τινα ἰδιώτην ἰδιώτης, ἐπαιτιώμενος ἀδικεῖν αὐτόν, ἄγων εἰς δίκην βούληται διακριθῆναι, τὸ δ’ ὁπόταν τὸ δημόσιον ὑπό τινος τῶν πολιτῶν ἡγῆταί τις ἀδικεῖσθαι καὶ βουληθῇ τῷ κοινῷ βοηθεῖν : « l’une, quand un particulier accuse un autre particulier de lui faire tort et le traduit en justice dans le désir d’une décision ; l’autre, lorsque quelqu’un estime que quelque citoyen fait tort à la cité et veut défendre l’intérêt commun » (trad. Ed. des Places, légèrement modifiée). Cf. Piérart 20082, 387. 65 Des causes privées relèvent des juridictions particulières (nomophylaques, juges élus, tribunaux de famille, tribunaux de vieillards, arbitrage de médecins, prêtres). Sur ces catégories, voir Piérart 20082, 418-423. 66 Platon, Lois, 766e-767a, 768b-­c, 956b-­d. Cf. Piérart 20082, 388.

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sort par tribu67, les tribus de la cité étant au nombre de douze68, et à l’improviste69. Dans le cas où ce deuxième tribunal n’arrive pas non plus à régler la cause, c’est un troisième tribunal qui mettra fin au litige : le tribunal des juges élus. Le mode de recrutement de ce dernier tribunal est décrit de manière analytique : tous les magistrats de la cité étant en fonction pendant une année ou plus sont réunis dans un sanctuaire et élisent un juge par collège de magistrats, celui qui leur semble le meilleur et le moins corrompu afin qu’il juge les litiges privés70. Après leur élection, ces juges sont obligés de passer un examen préliminaire devant leurs électeurs et, si quelqu’un est rejeté, il est remplacé par un autre juge qui est désigné par la même procédure71. En ce qui concerne les procès publics, il est plus difficile de suivre la pensée de Platon et il semble exister une distinction entre les grands crimes contre la cité ou contre les personnes et les fautes de moindre gravité. Platon souligne, tout d’abord, la nécessité de la participation du peuple au jugement des affaires publiques, d’autant qu’il s’agit d’affaires qui touchent l’ensemble de la communauté72. Il propose donc une procédure selon laquelle la plainte correspondante sera déposée auprès du dèmos, réuni, très probablement, en tribunaux de tribus, l’instruction de l’affaire aura lieu devant trois magistrats, parmi les plus importants de la cité, et par la suite le dèmos jugera l’affaire73. Pourtant, pour les affaires de sacrilège74,

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Platon, Lois, 768b, 915c, 920d, 921d. Cf. Morrow 1960, 258-261 ; Piérart 20082, 392-393. 68 Platon, Lois, 760b, 828c. 69 Ibid., 768b. 70 Ibid., 767c-­d, 768b. Cf. Piérart 20082, 394. Sur l’Aréopage comme modèle pour ce tribunal, voir Piérart 20082, 395. 71 Platon, Lois, 767d. Cf. Gernet 1951, CXXXIII ; Piérart 20082, 455. 72 Platon, Lois, 767e 9-768a 1 Περὶ δὲ τῶν δημοσίων ἐγκλημάτων ἀναγκαῖον πρῶτον μὲν τῷ πλήθει μεταδιδόναι τῆς κρίσεως. : « En matière d’accusation publique, il faut tout d’abord associer la multitude au jugement. » (trad. Ed. des Places). Ce passage des Lois est interprété par Morrow 1960, 264-270, comme un indice que l’Assemblée du peuple dans la cité des Magnètes peut juger les actions publiques. Cette hypothèse est critiquée de façon convaincante par Piérart 20082, 441-444. 73 Platon, Lois, 768a 4-6 ἀλλ’ ἀρχήν τε εἶναι χρὴ τῆς τοιαύτης δίκης καὶ τελευτὴν εἰς τὸν δῆμον ἀποδιδομένην, τὴν δὲ βάσανον ἐν ταῖς μεγίσταις ἀρχαῖς τρισίν : « mais si le commencement d’une pareille affaire et son dénouement sont remis entre les mains du peuple, l’instruction appartiendra à trois des plus hautes magistratures » (trad. Ed. des Places). 74 Platon, Lois, 853d.

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les crimes contre la constitution75 et la trahison76, un autre tribunal est établi, composé des nomophylaques et des juges élus chargés de juger les causes privées en troisième instance77. Ce tribunal est aussi compétent pour prononcer la peine de mort et les peines les plus lourdes78. Outre cette distinction entre procès privés et publics, Platon met l’accent sur différents aspects de l’organisation des tribunaux. Ils peuvent être résumés ainsi : l’existence de tribunaux bien réglés, dont les membres ont été formés comme il faut et ont passé l’examen préliminaire79, notamment pour ce qui concerne les affaires les plus importantes ; le déroulement d’un procès lent et dialectique80 ; l’institution d’un cadre législatif qui interdit la présence d’orateurs dans les tribunaux – si quelqu’un essaie de pervertir le sens de la justice chez les juges, toute personne qui le voudra pourra le traduire devant la justice, il sera jugé par le tribunal des juges élus et s’il est reconnu coupable soit par amour du gain soit par esprit de chicane, le tribunal lui imposera les peines correspondantes81 ; l’obligation des conseillers et des magistrats qui ont élu les juges d’assister à la séance judiciaire, ainsi que toute personne qui le voudrait82 – cette obligation exprime le souci de Platon d’assurer que le procès s’est bien déroulé et qu’il y a toujours un contrôle sur les juges ; l’obligation que les juges votent à découvert83 – le vote non secret joue un rôle important dans la prise de décision des juges et il est proposé par Platon comme une mesure pour prévenir toute corruption des juges, un souci qui est à plusieurs reprises répété dans le texte des Lois84. À cet égard, si quelqu’un 75

Ibid., 856c. Ibid., 856e. 77 Ibid., 855c. Cf. Piérart 20082, 437-438. 78 Platon, Lois, 855c. 79 Ibid., 876c 3-6 ἐν ᾗ δὲ ἂν πόλει δικαστήρια εἰς δύναμιν ὀρθῶς καθεστῶτα ᾖ, τραφέντων τε εὖ τῶν μελλόντων δικάζειν δοκιμασθέντων τε διὰ πάσης ἀκριβείας : « mais, dans une cité où les tribunaux sont aussi bien réglés que possible, où les futurs juges ont été formés comme il faut et leurs aptitudes vérifiées avec toute rigueur » (trad. Ed. des Places). 80 Platon, Lois, 856a. Cf. Gernet 1951, CXL-CXLI ; Piérart 20082, 459-461. 81 Platon, Lois, 938b-­c. 82 Ibid., 767e. On est renseigné par plusieurs plaidoyers que les procès qui sont déroulés devant les tribunaux héliastiques sont volontairement suivis par un certain nombre de personnes (οἱ περιεστηκότες). Voir chapitre VII. 83 Platon, Lois, 767d, 855d. Cf. Gernet 1951, CXLIV. 84 Platon, Lois, 767d 2-4 ἕνα δικαστήν, ὃς ἂν ἐν ἀρχῇ ἑκάστῃ ἄριστός τε εἶναι δόξῃ καὶ ἄριστ’ ἂν καὶ ὁσιώτατα τὰς δίκας τοῖς πολίταις αὐτῷ τὸν ἐπιόντα ἐνιαυτὸν φαίνηται διακρίνειν : « un seul juge, celui qui leur paraîtra être le plus distingué dans cette charge et semblera pouvoir trancher le mieux et le plus saintement 76

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accuse un juge d’avoir rendu délibérément une sentence injuste, il peut déposer sa plainte devant les nomophylaques et si le juge est jugé coupable, il doit régler l’amende ou la peine fixée par les lois85. Ces quelques points de l’organisation du système judiciaire dans la cité crétoise suggèrent que Platon intègre certaines des caractéristiques de l’institution des tribunaux populaires d’Athènes à son projet quand il ne les critique pas de façon indirecte86. Le tribunal populaire est, bien évidemment, à partir du Ve siècle l’institution où l’identité du citoyen athénien est largement exprimée ; il est aussi une institution qui est entièrement liée au fonctionnement de la démocratie athénienne. La place importante de cette institution et du juge dans la cité d’Athènes est reconnue par Platon de sorte qu’il considère indispensable l’existence des tribunaux dans l’organisation de sa nouvelle cité. En effet, il utilise le mot apolis pour caractériser une cité sans tribunaux réglés comme il faut87, ce qui pouvait en même temps constituer une critique des défauts de la justice populaire à Athènes. Dans le même sens, il lie la non-­ participation aux tribunaux à la non-­participation politique dans la cité88 et compare le juge à un magistrat, à cause du pouvoir dont il est investi le jour où il est chargé de rendre la justice89. Ces trois phrases montrent tout de suite que Platon, en se fondant sur les tribunaux athéniens, reconnaît le caractère profondément politique de la justice à son époque. Inspiré du droit attique qui distingue procès privés et procès publics, le philosophe décrit, en premier, les étapes de l’exercice de la justice à propos des cas privés. Ces étapes rappellent les étapes séparées de l’arbitrage privé et de l’arbitrage public dans le système athénien90, les diétètes platoniciens

les litiges de ses concitoyens au cours de l’année à venir », 768b 5-6 ἀδιαφθόρους ταῖς δεήσεσι : « sans être accessibles aux sollicitations », 8 οἷόν τε ἀδιαφθορώτατα : « de toute indépendance » (trad. Ed. des Places). 85 Platon, Lois, 767e. 86 Cf. Gernet 1951, CXXXII. 87 Platon, Lois, 766d. 88 Ibid., 768b 2-3 ὁ γὰρ ἀκοινώνητος ὢν ἐξουσίας τοῦ συνδικάζειν ἡγεῖται τὸ παράπαν τῆς πόλεως οὐ μέτοχος εἶναι. : « Car celui qui ne participe pas au pouvoir de juger s’estime absolument exclu de la cité. » (trad. Ed. des Places). 89 Platon, Lois, 767a 7-9 δικαστὴς δὲ οὐκ ἄρχων καί τινα τρόπον ἄρχων οὐ πάνυ φαῦλος γίγνεται τὴν τόθ’ ἡμέραν ᾗπερ ἂν κρίνων τὴν δίκην ἀποτελῇ. : « Et un juge qui n’est pas magistrat le devient, en quelque façon et dans une mesure appréciable, le jour précis où, dans ses fonctions de juge, il rend la sentence. » (trad. Ed. des Places). 90 Pour un résumé de ces deux types d’arbitrage, voir MacDowell 1978, 203-211.

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étant un « compromis » entre les deux institutions athéniennes91. Pourtant, même si l’arbitrage public à Athènes est souvent suivi du transfert de l’affaire devant le tribunal populaire, au cas où les diétètes n’arrivent pas à concilier les deux parties, il n’existe pas de recours à un autre tribunal après la prise de décision par le tribunal populaire92, d’autant que ses décisions sont définitives. Par l’établissement d’un tribunal de troisième instance, Platon institue une « procédure d’appel originale, où l’affaire passe d’un plan à l’autre »93. Comme dans le cas des diétètes, les tribunaux de tribus suivent le modèle des tribunaux populaires d’Athènes, dont les juges sont choisis par tribu. En revanche, pour ce qui est du tribunal qui décide en dernier ressort, il convient de garder à l’esprit deux différences avec les tribunaux héliastiques, qui sont liées à la composition et au pouvoir des tribunaux. Tous les Athéniens ayant plus de trente ans et les pleins droits politiques pouvaient devenir juges par tirage au sort et constituaient le tribunal principal d’Athènes dont les décisions étaient définitives et dont les membres étaient les seuls Athéniens qui prenaient des décisions à propos de la cité sans avoir à rendre de comptes. Or, dans la cité crétoise, on avait établi deux tribunaux, au sein desquels le tribunal ayant la juridiction finale était composé de magistrats élus et examinés, tandis que le tirage au sort était réservé aux membres des tribunaux composés par tribu, dont la décision n’était pas définitive. Cela montre que la décision finale n’appartenait pas à des juges choisis à l’improviste. Après les procès privés, Platon discute ceux qui ont un caractère public, en réservant le jugement des plus importants d’entre eux à un tribunal spécial. En privant les tribunaux de base populaire d’un tel pouvoir, il critique, en effet, le pouvoir politique dont les tribunaux athéniens étaient investis94. Ils étaient souverains pour juger des crimes contre la cité et pour imposer tous les types d’amendes et de peines. Le reste de la critique de Platon concerne des aspects de l’organisation d’un tribunal, qui ne facilite pas la prise de décisions justes. Le premier est lié au fait que les héliastes sont des juges sans qualification spéciale, qui ne répondent qu’au critère de l’âge et des droits politiques. Ils jugent nombreux, dans des tribunaux composés d’un nombre de membres varié,

91

93 94 92

Cf. Gernet 1951, CXXXIII ; Piérart 20082, 390. Cf. Piérart 20082, 404-405. Voir Gernet 1951, CXXXIV. Cf. Piérart 2016. Cf. Piérart 20082, 440, 449-450.

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selon la nature de l’affaire95. Le deuxième point est le silence des héliastes96, d’autant qu’au sein du tribunal populaire les juges écoutent les deux parties et, à la fin, se prononcent sur la culpabilité ou non de l’accusé. Pourtant, ce silence sur le contenu du procès n’est pas accompagné de calme mais de bruit, à cause des orateurs qui parlent et qui sont salués ou sont désapprouvés97. Le recours des plaignants à des orateurs professionnels est la pratique la plus habituelle au sein des tribunaux d’Athènes. Platon accuse fortement ces orateurs qui sont capables d’emporter la victoire en faveur de leur client et qui louent leurs services, en tirant des avantages financiers. Le quatrième aspect concerne le mode de vote : quand le temps de la décision arrive, les héliastes déposent dans des amphores des jetons de bronze, percés et pleins, pour exprimer leur vote98. Platon essaie d’établir dans la cité des Magnètes un système judiciaire où le peuple sera investi d’un pouvoir judiciaire aussi faible que possible. Son domaine de juridiction s’étend tant dans le domaine privé que public, mais son droit de prendre des décisions souveraines est réduit par l’existence d’un tribunal de troisième instance. Les tribunaux désignés par tribu, au sein desquels s’exprime ce pouvoir du peuple à rendre la justice, sont l’équivalent des tribunaux héliastiques, qui dans la cité crétoise sont privés de toute la souveraineté dont ils sont investis dans la cité d’Athènes. Platon veut s’écarter de la composition et du fonctionnement du tribunal populaire et souverain d’Athènes. Il existe dans sa cité à son époque une justice qui est rendue par des hommes sans compétences judiciaires, qui Platon, Lois, 766d 8-9 οὔτε πολλοὺς ὄντας ῥᾴδιον εὖ δικάζειν οὔτε ὀλίγους φαύλους. : « N’est-­il pas facile qu’un grand nombre juge bien, ni non plus un petit nombre d’incapables. » (trad. Ed. des Places). 96 Platon, Lois, 766d 5 ἄφωνος δ’ αὖ δικαστὴς : « un juge muet », 876b 1 δικαστήρια φαῦλα καὶ ἄφωνα : « tribunaux sans valeur at sans voix » (trad. Ed. des Places). Voir aussi l’adjectif avec lequel le juge est caractérisé par Platon dans la République, 405c 6 νυστάζοντος δικαστοῦ : « d’un juge somnolent » (trad. E. Chambry). 97 Platon, Lois, 876b 2-5 ὃ τούτου δεινότερον, ὅταν μηδὲ σιγῶντα ἀλλὰ θορύβου μεστὰ καθάπερ θέατρα ἐπαινοῦντά τε βοῇ καὶ ψέγοντα τῶν ῥητόρων ἑκάτερον ἐν μέρει κρίνῃ : « ou, pire encore, lorsqu’ils les prennent non plus en silence, mais en plein tumulte comme le parterre au théâtre, clamant tour à tour, aux orateurs qui se succèdent, leurs applaudissements ou leurs blâmes  » (trad. Ed. des Places). Cf. Platon, République, 492b ξυγκαθεζόμενοι ἁθρόοι πολλοὶ εἰς ἐκκλησίας ἢ εἰς δικαστήρια ἢ […] ξὺν πολλῷ θορύβῳ τὰ μὲν ψέγωσι τῶν λεγομένων ἢ πραττομένων, τὰ δὲ ἐπαινῶσιν : « lorsqu’ils siègent ensemble, en foule pressée, dans les assemblées politiques, dans les tribunaux, dans […] et qu’ils blâment ou approuvent à grand bruit certaines paroles ou certaines actions » (trad. E. Chambry). Sur le bruit dans les tribunaux, voir Bers 1985, 1-15. 98 Platon, Lois, 876b 2 κρύβδην τὰς κρίσεις διαδικάζει : « formulent leurs décisions par vote secret » (trad. Ed. des Places). 95

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n’ont été soumis à aucun contrôle officiel (dokimasia ou euthynai), qui sont tirés au sort à l’improviste et qui prennent des décisions définitives, lesquelles conduisent parfois à des peines très lourdes. Comme il est conscient du pouvoir que le tribunal populaire d’Athènes a acquis en raison de ces caractéristiques, ainsi que du pouvoir que le peuple obtient par sa participation, Platon accepte le modèle des tribunaux populaires99 tout en établissant une justice où le pouvoir appartiendra à l’élite.

C. L’Héliée vis-­à-vis des nouvelles conditions de la seconde moitié du IVe siècle : trois cas d’étude Ces critiques sont concomitantes de l’évolution du tribunal, qui, dans la seconde moitié du IVe siècle, connaîtra d’autres changements au niveau des procédures et des procès, qui peuvent s’expliquer par les particularités de la période en question. Les sources, plus nombreuses que dans la période précédente, permettent d’appuyer nos conclusions sur plusieurs points.

1.  Les emmènoi dikai emporikai Dans le chapitre VII, il a paru que le déroulement d’un procès est un processus de longue durée, qui peut parfois se faire au détriment d’une action qui a besoin d’un jugement rapide. Les procès dits emmènoi se trouvent aux antipodes d’un tel processus. Le terme emmènos reçoit deux interprétations différentes100, ce qui confère également à l’expression emmènoi dikai deux sens possibles. Selon la première interprétation du mot comme « celui qui a lieu dans un mois », les emmènoi dikai sont les affaires qui doivent être réglées dans un délai d’un mois à partir du jour de la demande101. Selon la seconde traduction du terme comme « celui qui revient chaque mois », les emmènoi correspondent aux procès qui reviennent chaque mois102. Il existe, pourtant, une 99

Selon Piérart 2016, l’existence des tribunaux populaires dans la cité des Lois va dans le même sens que le mode d’élection des membres du Conseil dans cette cité : elle permettra d’éviter le mécontentement populaire. 100 Voir Liddell – Scott – Jones, s. v. 101 Voir Gernet 1955, 6, 118 ; Harrison 1971, 16, 21. 102 Voir Cohen 1973, 9-59. Cette dernière idée s’appuie sur la lecture d’un passage de Démosthène dans le Contre Apatourios, 23 αἱ δὲ λήξεις τοῖς ἐμπόροις τῶν δικῶν ἔμμηνοί εἰσιν ἀπὸ τοῦ βοηδρομιῶνος μέχρι τοῦ μουνιχιῶνος, ἵνα παραχρῆμα τῶν δικαίων τυχόντες ἀνάγωνται. (Loeb)  : «  Or, les actions commerciales sont emmènoi, entre les mois de Boèdromion et de Mounichion,

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troisième théorie qui concilie ces deux interprétations et qui fait des emmènoi dikai des procès qui « comportent un délai d’un mois pour le jugement de l’affaire et qui reviennent à des intervalles d’un mois »103. Sans vouloir résoudre ici ce problème très débattu, il convient de dire que ce terme introduit dans le domaine de la justice un nouvel aspect dans la gestion d’un procès, qui répond à la nécessité de rapidité et de règlement expéditif. L’introduction104 des procès commerciaux, dits emmènoi, date d’après la fin de la guerre des Alliés, dans la période de 355105 à 342106. Une datation vers les années 350107 est préférable et s’appuie sur les caractéristiques qu’offre ce nouveau type de procès et sur les raisons qu’on invoque pour son institution. Ce sont l’organisation du temps du procès, le fait que tous les plaideurs – commerçants et nauclères –, métèques ou étrangers, ont le même statut juridique qu’un citoyen, sans l’existence préalable des symbola qui engagent seulement les citoyens des cités contractantes, et l’obligation de l’existence d’un contrat écrit engageant les deux parties108. pour permettre aux intéressés de se rembarquer sans retard après avoir obtenu justice. » (trad. L. Gernet, modifiée). Selon ce passage et son interprétation, les procès commerciaux doivent être jugés tous les mois, de septembre à avril, puisque les marins et les marchands étaient plus occupés à parcourir les mers pendant l’été qu’en hiver et n’avaient pas de temps pour d’éventuels procès. De même, leur séjour à Athènes pour la durée d’un mois aurait des conséquences négatives sur leurs revenus. Cf. Rhodes 1981, 583 ; id. 1995, 315-316 ; MacDowell 2004, 105 n. 29 ; Lanni 2006, 155 et n. 35. 103 Voir Goffas 1979, 177-181 ; Vélissaropoulos 1980, 241-243. Bresson 2008, 117, penche aussi pour une interprétation qui concilie les deux sens : « Si chaque mois s’ouvrait un nouveau cycle de procès, on peut supposer que la série précédente se trouvait alors close, en sorte que la clause d’ouverture mensuelle des procès se conçoit comme une clause impliquant que les jugements devaient être rendus dans un délai d’un mois. » 104 Cawkwell 1963, 64 ; Rhodes 1995, 315, attribuent leur institution à Eubule. 105 Xénophon, Revenus,  III. 3. Il s’agit du terminus post quem, parce que Xénophon demande un jugement plus rapide et plus juste, pour que celui qui veut prendre la mer n’en soit pas empêché. 106 [Démosthène], Sur l’Halonnèse, 12 καὶ ἐμπορικαὶ δίκαι οὐκ ἦσαν, ὥσπερ νῦν ἀκριβεῖς, αἱ κατὰ μῆνα : « et il n’y avait pas à cette époque (royauté d’Amyntas III, père de Philippe), comme à présent, une juridiction commerciale régulière, à savoir emmènos » (trad. L. Gernet, légèrement modifiée). Il s’agit du terminus ante quem. 107 Voir Gernet 1955, 173-181. Cf. Lanni 2006, 150 ; Moreno 2007, 285-288 ; Bresson 2008, 116. 108 Voir Gernet 1955, 181, 185-200 ; Vélissaropoulos 1980, 241-248 ; Lanni 2006, 152-157.

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Ces caractéristiques répondent, dans un premier temps, aux conditions qui dominent à Athènes au lendemain de la guerre des Alliés. Les questions portent sur le redressement des finances de la cité et sur la nécessité d’assurer son ravitaillement. Isocrate invite les Athéniens dans le Sur la Paix à conclure la paix afin que la cité engrange deux fois plus de revenus qu’actuellement et se remplisse de commerçants, étrangers et métèques qui l’ont désertée109. De même, Xénophon dans les Revenus incite les Athéniens à créer des conditions favorables pour les métèques et les étrangers pour que la cité profite des avantages tirés de ces deux catégories110. Les événements extérieurs justifient aussi une telle direction. La région de Thrace suscite l’intérêt tant d’Athènes que de Philippe111, cherchant à consolider leur pouvoir dans une période où les rivalités parmi les rois thraces dominent. À cet effet, en 352/1, Philippe intervient dans la région d’Hèraion Teichos, qui se trouve juste à une centaine de kilomètres de la Chersonèse, où Athènes semble avoir consolidé sa puissance. Il s’agit d’une tentative qui menace les intérêts d’Athènes dans la région, ainsi que le ravitaillement en blé de l’Attique112. Un tel contexte soulève des questions portant sur le développement et la sécurité du commerce maritime, qui peut être facilité, à son tour, par l’existence d’un certain cadre juridique. On peut mettre en parallèle les mesures suivantes qui montrent le souci de la cité de garantir son approvisionnement : interdiction de prêter de l’argent sur un navire qui ne rapporte pas à Athènes du blé ou autres marchandises113, interdiction aux Athéniens de transporter du blé ailleurs qu’à Athènes114, obligation pour les commerçants de porter à Athènes les deux tiers de tout chargement de blé qui entre dans le marché aux grains115. C’est dans le même esprit que furent établies les actions relatives au 109

Isocrate, Sur la Paix, 21. Sur le contenu du discours et la proposition par Isocrate d’une nouvelle forme d’hégémonie, voir Bouchet 2014, 197-210. 110 Xénophon, Revenus, II-III. Pour un commentaire de ces chapitres, voir Gauthier 1976, 56-109. 111 Pour un résumé du règne de Philippe II, voir Müller 2010, 166-185. 112 Démosthène, Olynthienne III, 4-5. Sur cet épisode, voir Sealey 1993, 124 ; Ryder 2000, 50 et 85 n. 15 ; Buckler 2003, 432-433 ; Carlier 20062, 107-108. En raison du silence des sources sur le résultat du siège, les trois premiers historiens penchent pour l’abandon du siège, tandis que Carlier conclut à la prise d’Hèraion Teichos par Philippe et sa livraison aux Périnthiens. Lane Fox 2011a, 352, reporte la date de l’expédition de Philippe en 351. 113 Démosthène, Contre Lacritos, 50-51, Contre Dionysodoros, 6, 11. Cf. Bresson 2000, 299-300. 114 Démosthène, Contre Phormion, 27, Contre Lacritos, 50. 115 Aristote, Constitution d’Athènes, LI. 4. Cf. Bresson 2000, 203.

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commerce maritime : il fallait attirer des étrangers, propriétaires d’un navire ou commerçants, et leur faciliter la vie grâce au jugement rapide et bien défini d’une affaire à caractère commercial116. À partir des deux passages suivants tirés du Contre Lacritos de Démosthène117, on a énoncé l’hypothèse que les actions commerciales n’étaient pas jugées par les tribunaux héliastiques, mais par des juges spécialistes des questions maritimes118, ce qui impliquerait une modification de l’organisation judiciaire à propos de ce type d’actions. 43 Τούτων ὅ τι βούλεται πεισάτω ὑμᾶς. Καὶ ἔγωγε καὶ αὐτὸς συγχωρῶ σοφώτατον εἶναι τοῦτον, ἐὰν ὑμᾶς πείσῃ τοὺς περὶ τῶν συμβολαίων τῶν ἐμπορικῶν δικάζοντας. Ἀλλ’ εὖ οἶδ’ ὅτι οὐδὲν ἂν τούτων οἷός τ’ εἴη οὗτος οὔτε διδάξαι οὔτε πεῖσαι.

« Qu’il vous démontre un de ces points, à son choix ; et je serai le premier à confesser qu’il est un maître s’il réussit à vous persuader, vous qui jugez les causes maritimes. Mais il ne saurait, j’en suis sûr, ni vous enseigner ni vous persuader rien de tout cela. » (trad. L. Gernet).

46 ἀλλ’ οὕτως βδελυρός τίς ἐστι καὶ ὑπερβάλλων ἅπαντας ἀνθρώπους τῷ πονηρὸς εἶναι, ὥστ’ ἐπιχειρεῖ πείθειν ὑμᾶς ψηφίσασθαι μὴ εἰσαγώγιμον εἶναι τὴν ἐμπορικὴν δίκην ταύτην, δικαζόντων ὑμῶν νυνὶ τὰς ἐμπορικὰς δίκας.

« Tel est le sans-­gêne de ce maître fripon qu’il prétend vous faire déclarer non recevable cette action qui est une action commerciale, quand vous siégez précisément pour les actions commerciales. » (trad. L. Gernet).

Si on cherche l’emploi parallèle des mots δικάζοντας et δικαζόντων dans les plaidoyers, on voit qu’ils ne sont pas accompagnés d’un complément précisant la nature de la cause plaidée devant le tribunal. Il y a une seule exception à cette règle : dans le Contre Léocrate de Lycurgue119, l’orateur utilise l’expression τοὺς τὰ τῶν ἄλλων φονικὰ ἀδικήματα ὁσιώτατα δικάζοντας (« ceux qui jugent avec le plus religieux scrupule les crimes de meurtre ») pour faire référence au tribunal de l’Aréopage et 116

Cf. Gernet 1955, 181-185 ; Gauthier 1972, 203 ; Lanni 2006, 150-152. La datation du discours est incertaine et on le place dans la période qui s’étend de 355 au plus tôt à 338 au plus tard. Voir Blass III. 3, 564, qui le date vers 351 ; Gernet 1954, 179-180, et MacDowell 2004, 130-131, proposent une datation de 351, mais la considèrent incertaine. 118 Voir Cohen 1973, 93-95. Il est suivi par Brun 2015, 109. 119 Lycurgue, Contre Léocrate, 52. 117

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aux affaires de meurtre qui relèvent de sa compétence. Il va de soi que ces juges constituent une catégorie à part et qu’une telle précision est nécessaire, lorsque Lycurgue s’adresse par la suite aux juges du tribunal héliastique devant lesquels il prononce son discours. Au contraire, les expressions τοὺς περὶ τῶν συμβολαίων τῶν ἐμπορικῶν δικάζοντας (« ceux qui jugent les causes maritimes ») et δικαζόντων ὑμῶν νυνὶ τὰς ἐμπορικὰς δίκας (« quand vous siégez précisément pour les actions commerciales ») ne sont pas employées pour définir un autre public que celui devant lequel parle le plaideur. Il faut les étudier plutôt en rapport avec le verbe πείθω (« persuader »), qui est attesté dans les deux passages. Le verbe a un sens fort et les deux expressions qui le suivent sont employées comme une sorte de répétition de ce qui a précédé : la première renforce le complément ὑμᾶς (« vous ») et la deuxième, notamment l’adverbe νυνί (« précisément »), répète l’expression τὴν ἐμπορικὴν δίκην ταύτην (« cette action commerciale »). À cet égard, il semble que dans ces passages, ces expressions débattues sont employées pour mettre l’accent sur la cause qui est plaidée et sur l’importance de la décision des juges à propos de cette cause, qui constitue une catégorie spéciale et qui sert certains besoins de la cité120. Ainsi, le changement apporté à l’organisation du tribunal populaire en raison de l’introduction des emmènoi dikai commerciales ne concerne pas la création parallèle d’un autre corps judiciaire, composé de spécialistes, mais prend les formes suivantes. La première est une « professionnalisation » de la justice, selon laquelle les héliastes, parallèlement aux lois qu’ils doivent appliquer en jugeant telle ou telle affaire, doivent à la fois se conformer à certaines règles et matières techniques qui caractérisent les actions commerciales. La deuxième est dans l’obligation des héliastes de juger de la même manière les citoyens, les métèques et les étrangers qui ont désormais le même statut juridique dans ces actions121. Ces changements traduisent, en fait, l’adaptation de l’institution du tribunal populaire aux nouvelles conditions et nécessités apparues après la guerre des Alliés, auxquelles le tribunal ne peut pas échapper.

120

Cf. Gernet 1954, 194 n. 2 ; id. 1955, 200 n. 2 ; Vélissaropoulos 1980, 249 ; Todd 1993, 336-337 ; Lanni 2006, 152-153. 121 Cf. Bresson 2000, 273 ; Moreno 2007, 286 ; Bresson 2008, 117.

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2.  Le tribunal populaire et l’Aréopage dans la seconde moitié du IVe siècle : l’apophasis Une série de sources attestent qu’à partir du milieu du IVe  siècle, l’Aréopage acquiert des pouvoirs supplémentaires122. La bibliographie sur ce sujet est abondante123. La plupart des historiens sont d’accord, à quelques nuances près, sur cette datation124, mais au-­delà de ce point, les sources concernées sont traitées de manière différente et diverses reconstructions ont été proposées. L’objectif est d’examiner ici parmi ces sources celles qui attestent l’intervention de l’Aréopage dans le domaine judiciaire à propos des affaires qui ne relèvent pas de sa compétence traditionnelle, à savoir les affaires d’homicide et les questions de nature religieuse, et d’étudier le rapport qui est établi entre cette intervention et les tribunaux héliastiques.

122

1. La procédure d’apophasis Dinarque, Contre Démosthène, 50-51 Ἀνάγκη τὴν βουλήν, ὦ ἄνδρες, τὴν ἐξ Ἀρείου πάγου κατὰ δύο τρόπους ποιεῖσθαι τὰς ἀποφάσεις πάσας. Τίνας τούτους; Ἤτοι αὐτὴν προελομένην, ἢ ζητήσασαν [ἢ] τοῦ δήμου προστάξαντος αὐτῇ. Χωρὶς τούτων οὐκ ἔστιν ὅντιν᾽ ἂν τρόπον ποιήσειεν. Εἰ μὲν τοίνυν φῂς, […] τοῦ δήμου προστάξαντος ζητήσασαν τὴν βουλὴν περὶ ἐμοῦ ποιήσασθαι τὴν ἀπόφασιν, δεῖξον τὸ ψήφισμα, καὶ τίνες ἐγένοντό μου κατήγοροι γενομένης τῆς ἀποφάσεως, ὥσπερ νῦν ἀμφότερα γέγονε, καὶ ψήφισμα καθ᾽ ὃ ἐζήτησεν ἡ βουλή, καὶ κατήγοροι χειροτονήσαντος τοῦ δήμου, παρ᾽ ὧν νῦν οἱ δικασταὶ τἀδικήματα πυνθάνονται. Κἂν ᾖ ταῦτ’ ἀληθῆ, ἀποθνῄσκειν ἕτοιμός εἰμι. Εἰ δ’ αὐτὴν προελομένην ἀποφῆναί με φῄς, παράσχου μάρτυρας τοὺς Ἀρεοπαγίτας, ὥσπερ ἐγὼ παρέξομαι ὅτι οὐκ ἀπεφάνθην.

Lalonde 2013, 452-455, propose de lier les pouvoirs supplémentaires de l’Aréopage avec un témoignage archéologique. Une inscription palimpseste (Woodhead 1957, 233-234, n° 89), qui a été placée sur le mur du péribole, à l’entrée au Conseil de l’Aréopage, se compose de deux horoi datant des Ve et IVe siècles respectivement. L’horos a pouvait avoir été remplacé par le b vers le milieu du IVe siècle, en raison de la nouvelle importance de l’Aréopage. 123 Voir Mossé 1962, 352-355 ; Sealey 1964, 12-14 ; Hansen 1975, 18-19, 39-40, 54-57 ; MacDowell 1978, 190-191 ; Carawan 1985, 115-140 ; Wallace 1989, 113-119 ; de Bruyn 1995, 117-164 ; Rhodes 1995, 311-314 ; Hansen 19992, 290-295 ; Wallace 2000, 581-595 ; Sullivan 2003, 130-134 ; Azoulay 2011, 195. 124 Contra de Bruyn 1995, 162, qui note que « contrairement à l’opinion généralement répandue, nous pensons que sur le plan strictement légal ou constitutionnel, les attributions de l’Aréopage n’ont pas augmenté par rapport à la définition qu’elles avaient reçue en 462/1 […]. Cependant, on peut constater que, dans la pratique, le Conseil disposait à l’époque d’une marge de liberté relativement importante. ».

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« L’Aréopage, citoyens, ne peut faire des rapports que dans deux cas : ou bien l’initiative vient de lui, ou bien c’est le peuple qui lui confie une enquête. Il n’y a pas d’autre procédure possible. Si donc tu prétends […] que c’est sur l’ordre du peuple que l’Aréopage, après enquête, a fait un rapport me concernant, montre le décret, nomme les accusateurs désignés après la publication du rapport : dans ton cas, on constate simultanément l’existence d’un décret confiant l’enquête à l’Aréopage et d’accusateurs désignés par le peuple à main levée et chargés d’exposer aux juges les chefs d’accusation. Si tu dis vrai, je veux bien mourir. Si, en revanche, tu prétends que l’Aréopage a établi de sa propre initiative un rapport me concernant, produis le témoignage des Aréopagites comme je le ferai moi-­même pour prouver qu’il n’y a pas eu de rapport. » (trad. L. Dors-­Méary). 2. Le décret de Démosthène et quatre cas d’intervention de l’Aréopage Dinarque, Contre Démosthène, 62-63 Ἀλλὰ μὴν πρότερον ἔγραψας σύ, [ὦ] Δημόσθενες, κατὰ πάντων τούτων καὶ τῶν ἄλλων Ἀθηναίων κυρίαν εἶναι τὴν ἐξ Ἀρείου πάγου βουλὴν κολάσαι τὸν παρὰ τοὺς νόμους πλημμελοῦντα, χρωμένην τοῖς πατρίοις νόμοις· καὶ παρέδωκας σὺ καὶ ἐνεχείρισας τὴν πόλιν ἅπασαν ταύτῃ, ἣν αὐτίκα φήσεις ὀλιγαρχικὴν εἶναι· καὶ τεθνᾶσι κατὰ τὸ σὸν ψήφισμα δύο τῶν πολιτῶν, πατὴρ καὶ υἱός, παραδοθέντες τῷ ἐπὶ τῷ ὀρύγματι· ἐδέθη τῶν ἀφ᾽ Ἁρμοδίου γεγονότων εἷς κατὰ τὸ σὸν πρόσταγμα· ἐστρέβλωσαν Ἀντιφῶντα καὶ ἀπέκτειναν οὗτοι τῇ τῆς βουλῆς ἀποφάσει πεισθέντες· ἐξέβαλες σὺ Χαρῖνον ἐκ τῆς πόλεως ἐπὶ προδοσίᾳ κατὰ τὰς τῆς βουλῆς ἀποφάσεις καὶ τιμωρίας.

« Du reste, c’est bien de toi, Démosthène, qu’émane un décret antérieur confiant à l’Aréopage le droit de sanctionner sans appel à Athènes toute atteinte à la légalité, dans ces cas-­là comme dans les autres, en se fondant sur les lois ancestrales. Tu as confié, tu as remis la cité tout entière à ce corps dont tu vas bientôt dénoncer les tendances oligarchiques ! C’est ton décret qui a causé la mort de deux citoyens, le père et le fils, livrés au bourreau. C’est en vertu de ta proposition que l’on a mis aux fers l’un des descendants d’Harmodios. Ces hommes ont torturé et exécuté Antiphon sur la foi du rapport de l’Aréopage. Tu as toi-­même fait chasser Charinos de la cité pour trahison, en vertu des rapports de l’Aréopage et des sanctions qu’ils entraînent. » (trad. L. Dors-­ Méary). a. L’affaire d’Antiphon Démosthène, Sur la Couronne, 132-134 Tίς γὰρ ὑμῶν οὐκ οἶδεν τὸν ἀποψηφισθέντ᾽ Ἀντιφῶντα, ὃς ἐπαγγειλάμενος Φιλίππῳ τὰ νεώρι᾽ ἐμπρήσειν εἰς τὴν πόλιν ἦλθεν; Ὃν λαβόντος ἐμοῦ κεκρυμμένον ἐν Πειραιεῖ καὶ καταστήσαντος εἰς τὴν ἐκκλησίαν βοῶν ὁ βάσκανος οὗτος καὶ κεκραγώς ὡς ἐν δημοκρατίᾳ δεινὰ ποιῶ τοὺς ἠτυχηκότας

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τῶν πολιτῶν ὑβρίζων καὶ ἐπ᾽ οἰκίας βαδίζων ἄνευ ψηφίσματος, ἀφεθῆναι ἐποίησεν. Καὶ εἰ μὴ ἡ βουλὴ ἡ ἐξ Ἀρείου πάγου τὸ πρᾶγμ᾽ αἰσθομένη καὶ τὴν ὑμετέραν ἄγνοιαν ἐν οὐ δέοντι συμβεβηκυῖαν ἰδοῦσα ἐπεζήτησε τὸν ἄνθρωπον καὶ συλλαβοῦσ᾽ ἐπανήγαγεν ὡς ὑμᾶς, ἐξήρπαστ᾽ ἂν ὁ τοιοῦτος καὶ τὸ δίκην δοῦναι διαδὺς ἐξεπέπεμπτ᾽ ἂν ὑπὸ τοῦ σεμνολόγου τουτουί. Νῦν δ᾽ ὑμεῖς στρεβλώσαντες125 αὐτὸν ἀπεκτείνατε, ὡς ἔδει γε καὶ τοῦτον126. Τοιγαροῦν εἰδυῖα ταῦθ᾽ ἡ βουλὴ ἡ ἐξ Ἀρείου πάγου τότε τούτῳ πεπραγμένα, χειροτονησάντων αὐτὸν ὑμῶν σύνδικον ὑπὲρ τοῦ ἱεροῦ τοῦ ἐν Δήλῳ ἀπὸ τῆς αὐτῆς ἀγνοίας ἧσπερ πολλὰ προΐεσθε τῶν κοινῶν, ὡς προσείλεσθε κἀκείνην καὶ τοῦ πράγματος κυρίαν ἐποιήσατε, τοῦτον μὲν εὐθὺς ἀπήλασεν ὡς προδότην, Ὑπερείδῃ δὲ λέγειν προσέταξε· καὶ ταῦτ᾽ ἀπὸ τοῦ βωμοῦ φέρουσα τὴν ψῆφον ἔπραξε, καὶ οὐδεμία ψῆφος ἠνέχθη τῷ μιαρῷ τούτῳ.

« Qui de vous ne connaît Antiphon, l’homme exclu de son dème, qui était venu à Athènes pour exécuter la promesse faite à Philippe d’incendier les arsenaux ? Je l’avais surpris caché au Pirée et l’avais présenté à l’Assemblée ; mais cet individu (Eschine) jaloux cria et hurla qu’en régime démocratique je causais un scandale en outrageant les citoyens malheureux et en entrant sans décret dans une maison, et il le fit relâcher. Si le Conseil de l’Aréopage, mis au courant de l’affaire, et voyant que votre aveuglement était déplacé, n’avait pas fait rechercher et arrêter l’individu pour le ramener devant vous, un tel homme vous aurait été arraché, aurait esquivé le châtiment et allait être envoyé par le beau parleur que voici. En fait, vous, vous l’avez fait mettre à la torture et exécuter, comme aurait dû l’être également Eschine. Aussi le Conseil de l’Aréopage, qui connaissait la conduite d’Eschine en cette circonstance, quand vous eûtes élu celui-­ci comme syndikos pour l’affaire du sanctuaire de Délos, avec le même aveuglement qui vous faisait sacrifier bien des intérêts publics, le Conseil, comme vous aviez demandé sa collaboration en lui donnant pleins pouvoirs, exclut immédiatement cet individu comme traître et désigna Hypéride pour orateur. C’est en prenant les bulletins sur l’autel qu’il agit ainsi, et aucun suffrage n’alla à ce sale individu. » (trad. G. Mathieu, légèrement modifiée).

Dans la première source, il est question de la procédure d’apophasis. Cette procédure, qui est établie par une loi ou par un décret (?)127, peut 125

Sur la torture de non-­esclaves, voir Hunter 1994, 173-176, avec des références bibliographiques. 126 Une version différente de l’affaire est exposée dans Plutarque, Vie de Démosthène, XIV. 5. 127 Le passage de Dinarque, Contre Démosthène, 58 τοῦ δήμου προστάξαντος ζητῆσαι τὴν βουλήν […] καὶ ζητήσασαν ἀποφῆναι πρὸς ὑμᾶς, ἀπέφηνεν ἡ βουλὴ […]. Κατηγόρους εἵλεσθε κατὰ τὸν νόμον […] εἰσῆλθεν εἰς τὸ δικαστήριον. : « le peuple ayant ordonné à l’Aréopage de faire une enquête […] et de vous adresser,

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être engagée soit à l’initiative de l’Aréopage soit sur ordre de l’Assemblée du peuple. L’Aréopage mène une enquête sur une personne suspecte, établit le rapport correspondant et présente ses conclusions à l’Assemblée. Si l’Aréopage décide de la culpabilité de l’individu, l’Assemblée désigne les accusateurs et l’affaire est renvoyée devant un tribunal héliastique, qui peut soit acquitter soit condamner l’accusé, indépendamment du rapport de l’Aréopage128. Cela est, d’ailleurs, attesté très clairement dans le Contre Démosthène de Dinarque. Le client de Dinarque cherche à souligner à plusieurs reprises que l’enquête de l’Aréopage concernant l’affaire d’Harpale n’a pas pour but que les héliastes prononcent des acquittements, mais qu’ils infligent aux coupables un juste châtiment129. Parallèlement, il cite des exemples datant très probablement des années 330-320, où, même si l’Aréopage présente dans son rapport des conclusions condamnant certaines personnes, ces dernières sont, par la suite, acquittées par le tribunal héliastique130. La description de la procédure suggère que l’Aréopage est investi de compétences supplémentaires, dont il ne disposait pas précédemment. La question est de savoir à partir de quelle période cette nouvelle procédure est établie dans le système judiciaire, ainsi que les raisons auxquelles on doit attribuer son institution. Prenons les exemples attestés dans la deuxième source, en commençant par ceux pour lesquels on peut établir une date au moins approximative. D’après Dinarque, un des descendants d’Harmodios a été emprisonné suite à la proposition de Démosthène (n° 104). Il est vrai que la procédure d’apophasis n’est pas mentionnée explicitement, mais on pourrait la supposer en s’appuyant sur deux points. D’une part, la phrase se trouve dans un contexte où Dinarque discute d’autres cas d’apophasis suscités par Démosthène et, d’autre part, l’expression κατὰ τὸ σὸν πρόσταγμα (« en vertu de sa proposition ») pourrait renvoyer au décret proposé par Démosthène devant l’Assemblée en vue d’initier une enquête. Selon le au terme de l’enquête, un rapport, l’Aréopage conclut […]. Vous avez désigné des accusateurs conformément à la loi […] il comparut devant le tribunal. » (trad. L. Dors-­ Méary) pourrait, sous réserve, plaider en faveur de l’existence d’une loi ou d’un décret correspondant. Cf. MacDowell 1978, 190 ; Carawan 1985, 127-129, qui distingue pourtant l’apophasis initiée par l’Assemblée et instituée par un décret de l’apophasis à l’initiative de l’Aréopage et instituée par une loi ; Rhodes 1995, 314 ; Sullivan 2003, 130, 133. Contra Wallace 2000, 587-588. 128 Cf. Hansen 1975, 39-40 ; MacDowell 1978, 190-191 ; de Bruyn 1995, 143-145 ; Hansen 19992, 292-293. 129 Dinarque, Contre Démosthène, 3. 130 Ibid., 56-59. Voir infra.

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scholiaste de Démosthène, le descendant dont il est question ici serait le stratège Proxénos131. Conformément à un décret voté à l’occasion de la deuxième ambassade de 346132 qui était chargée de recevoir les serments de Philippe et de ses alliés, les ambassadeurs athéniens devaient partir par les voies les plus rapides et le stratège Proxénos, qui se trouvait à Oréos, devait les conduire là où se trouvait Philippe. Or, le voyage fut lent et les ambassadeurs attendirent à Pella que Philippe revienne de son expédition en Thrace133. Il est possible de supposer que l’incapacité de Proxénos à remplir sa mission a été considérée comme un acte de trahison. Si on se fie au témoignage du scholiaste sur l’identification de deux hommes, Proxénos fut déféré devant la justice, qui le condamna134, sans qu’on connaisse la peine ou l’amende imposée135. Le procès est en tout cas antérieur à 343, date à laquelle se déroule l’affaire de l’Ambassade. Le deuxième cas est celui d’Antiphon (n° 105). La date de cette affaire n’est pas certaine. D’une part, elle doit être postérieure à l’exclusion d’Antiphon des listes civiques en 346136. De l’autre, elle doit avoir eu lieu 131

Schol. Démosthène, Sur l’Ambassade, 493. Cf. Worthington 2001, 30 n. 54. Voir infra. 133 Démosthène, Sur l’Ambassade, 154-158. 134 Ibid., 280-281 Καὶ τὸν ἀφ’ Ἁρμοδίου […], τούτους μὲν πάντας τὴν ἐκ τῶν νόμων δίκην ὑπεσχηκέναι, καὶ μήτε συγγνώμην μήτ’ ἔλεον μήτε παιδία κλάονθ’ ὁμώνυμα τῶν εὐεργετῶν μήτ’ ἄλλο μηδὲν αὐτοὺς ὠφεληκέναι; : « Que le descendant d’Harmodios […], que tous ceux-­là aient subi la peine fixée par les lois, que ni excuse, ni pitié, ni enfants en larmes portant le nom de vos bienfaiteurs, que rien ne leur ait servi ? » (trad. G. Mathieu). 135 Carawan 1985, 128 n. 34, pense que Proxénos a été acquitté ou condamné à une amende. En effet, selon, Polyen, Stratagème, IV. 2. 8, Proxénos semble être stratège en 339/8 et selon l’inscription IG II2, 1623, l. 163-164, il s’est présenté en 334/3 comme garant au sujet de navires. Il est difficile de penser que Proxénos a été acquitté, sinon Démosthène ne l’aurait pas mentionné parmi les hommes importants qui ont été condamnés par la justice, en dépit de leur importance. Cf. Sealey 1993, 175. Davies 1971, 478, émet des réserves quant à l’identification de l’épisode décrit par Dinarque et le témoignage de Démosthène : il s’agirait de deux épisodes différents. 136 En 346, suite à un décret de Démophilos, une révision des registres civiques (diapsèphisis), selon laquelle les dèmes ont voté qui était vraiment Athénien et qui ne l’était pas, a eu lieu. Voir Eschine, Contre Timarque, 77, 86. Sur les raisons qui autorisent le déroulement d’une diapsèphisis qui sont des raisons financières, voir Pébarthe 2006, 193-197 ; Feyel 2009, 145-146. La révision a entraîné un nombre d’expulsions considérable, qui ont par la suite donné lieu à des procès devant les tribunaux. Voir Eschine, Contre Timarque, 77, 114-115, Sur l’Ambassade, 182. Eschine atteste aussi qu’il a siégé au tribunal et a participé en tant qu’accusateur dans ces procès. Deux plaidoyers nous sont parvenus (n’est parvenu que le titre d’un troisième discours qui semble porter sur le même sujet et dater de la même période : Isée, Contre Bœotos, appel de la décision des gens du dème), dont le sujet porte sur le droit de citoyenneté 132

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en même temps que la destitution d’Eschine, alors qu’il était élu comme syndikos chargé de protéger les droits d’Athènes dans l’administration du sanctuaire d’Apollon à Délos, et son remplacement par Hypéride. Pourtant, même la date de cet événement est incertaine137 et ne nous aide pas de dater plus précisément l’affaire d’Antiphon. Ce dernier, qui appartenait probablement au cercle d’Eschine, tenta d’incendier les arsenaux du Pirée, après avoir été payé, selon Démosthène, par Philippe. Démosthène traduisit Antiphon devant l’Assemblée, qui, grâce à la protestation d’Eschine, le fit relâcher. Pourtant, le Conseil de l’Aréopage procéda à une enquête (ἐπεζήτησε), arrêta Antiphon et doit l’avoir déféré devant un tribunal héliastique (ἐπανήγαγεν ὡς ὑμᾶς) – le texte est implicite sur ce point –, qui décida sa condamnation à mort, très probablement pour trahison. Dinarque emploie le terme apophasis pour décrire l’enquête menée par l’Aréopage et le rapport qu’il a fait, sur la base duquel la condamnation d’Antiphon a été décidée. Le passage de Dinarque, qui est une attaque directe contre Démosthène, suggère que l’enquête de l’Aréopage a été suscitée par Démosthène, mais au-­delà de ce point les textes ne précisent pas s’il s’agit d’une enquête menée suite à l’initiative de l’Aréopage ou de l’Assemblée138. Le troisième cas concerne un certain Charinos (n° 113)139. Ce dernier avait intenté une action en illégalité contre un certain Thucydide pour avoir proposé un décret concernant les contributions des habitants d’Ænos qui a été contesté à cause de la diapsèphisis de 346. Les protagonistes sont Euxithéos du dème d’Halimonte (Démosthène, Contre Euboulidès) (n° 100) et Euphilétos du dème d’Erchia (Isée, Défense d’Euphilétos) (n° 101) qui ont été rayés des registres civiques. Ils ont déposé une ephesis devant un tribunal héliastique contre la décision de leurs démotes. L’issue des procès est inconnue. Leur importance politique reposait sur le fait que le sujet en question s’attachait à l’identité politique et au droit de faire partie de la cité et que le droit de citoyenneté d’Euxithéos et d’Euphilétos dépendait de la décision de ce tribunal ; en cas de rejet, ils seraient vendus comme esclaves. Voir Démosthène, Contre Euboulidès, 1, 70 ; Argument de Denys d’Halicarnasse sur Isée, Défense d’Euphilétos. Sur ces deux cas et l’identité des accusateurs et des accusés, voir Pelloso 2016, 38-41. 137 Voir à ce propos, Chankowski 2008, 256. Une date peu de temps après la révision des listes civiques est préférée par Carawan 1985, 126-127 ; de Bruyn 1995, 126-128 ; Carlier 20062, 180-181 ; Azoulay 2011, 195 n. 20. Une date après le procès sur l’ambassade contre Eschine (343) est proposée par Harris 1995, 169-170 ; Wallace 2000, 592 ; Worthington 2013, 213. 138 Sur l’initiative de l’Aréopage, voir Hansen 1975, 39 n. 18 ; MacDowell 1978, 191 ; de Bruyn 1995, 128 et n. 80 ; Harris 1995, 121. Sur le décret de l’Assemblée, voir Carawan 1985, 125-127. 139 Les deux manuscrits principaux de Dinarque (A et N) donnent la leçon Ἀρχῖνον, que la plupart des éditeurs ont changée en Χαρῖνον.

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à Athènes140. Comme Épicharès dit dans le Contre Théocrinès que Charinos fut le premier à avoir intenté cette action, qui fut par la suite reprise par Théocrinès, il est logique de supposer qu’avant que l’action ne soit jugée par le tribunal, Démosthène proposa une enquête sur Charinos, qui fut jugé devant le tribunal populaire et condamné à l’exil, sur la base du rapport et des sanctions proposées par l’Aréopage141. L’accusation parlait de trahison, parce que son action a conduit à la révolte des Æniens contre Athènes et à leur alliance avec Philippe142. Sa condamnation l’a empêché, par conséquent, de poursuivre l’action en illégalité. La date du procès contre Charinos peut être placée avant 341, puisque l’épisode entre Épicharès et Théocrinès date de 341/0143, et pourrait être proche, du point de vue chronologique, du reste des cas cités par Dinarque. Ces sources peuvent établir un terminus ante quem pour dater l’introduction de la procédure de l’apophasis. En bref, elle date au moins des années 340, mais il est difficile de trouver une date plus précise144. Si on examine attentivement la documentation disponible, on constate que l’apophasis intervient dans les mêmes cas que l’eisangélie : les trois hommes sont accusés de trahison. Comme les affaires qu’elle touche ont un 140

Démosthène, Contre Théocrinès, 37. Cf. Hansen 1974, 34-35. Contra Carawan 1985, 130, qui voit dans le cas de Charinos les pouvoirs extraordinaires confiés à l’Aréopage juste après la bataille de Chéronée. 142 Démosthène, Contre Théocrinès, 38. 143 En 341/0 Épicharès a porté une accusation contre Théocrinès par la procédure de l’endeixis (Démosthène, Contre Théocrinès, 1, 25, 57), au motif que Théocrinès, débiteur de la cité (ibid., 5-21), ne pouvait pas porter des accusations (n° 118). Ce personnage a fréquemment déféré ses concitoyens devant la justice, mais il a également retiré ses accusations contre eux, après avoir reçu de l’argent (ibid., 2, 34). Le procès a été jugé par un tribunal héliastique, devant lequel Épicharès a prononcé le discours Contre Théocrinès. Ce dernier, attribué à Démosthène, ne peut pas avoir été écrit par lui, puisqu’Épicharès accuse Démosthène d’avoir retiré sa promesse d’assister au procès aux côtés d’Épicharès et de se concilier Théocrinès (ibid., 4, 42. Cf. Gernet 1960, 35 ; Bers 2003, 130-131 ; Carlier 20062, 313). L’issue du procès n’est pas connue. 144 Cf. Hansen 1975, 54-57 (dans les années 350) ; MacDowell 1978, 190 (vers le milieu du IVe siècle) ; Carawan 1985, 124-130, 135-136 (vers 346 l’apophasis initiée par l’Assemblée et après Chéronée l’apophasis initiée par l’Aréopage) ; Wallace 1989, 119 (sous toutes réserves vers 343, mais dans id. 2000, 587-588, il renonce à l’existence d’un tel décret) ; Rhodes 1995, 314 (du moins vers 345) ; Hansen 19992, 292 (dans les années 340) ; Sullivan 2003, 130 (dans les années 350 ou au début des années 340). Contra de Bruyn 1995, 119, qui date l’apophasis de la réforme de 462/1, en s’appuyant sur IG I 3, 102, l. 38-47, dont la restitution n’est cependant pas assurée. Harris 2013a, 46 n. 115, a raison de souligner que le passage de Dinarque, Contre Démosthène, 62-63, ne concerne pas l’introduction de l’apophasis, mais les divers cas auxquels celle-­ci a été appliquée. 141

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caractère politique, il semble que l’apophasis constitue un renforcement du système judiciaire avec une procédure supplémentaire, en vue de protéger la cité contre les crimes politiques145. La période dans laquelle elle est inaugurée offre un terrain propice à de tels crimes, puisqu’il s’agit d’une période critique pour l’histoire politique d’Athènes, quand l’influence et le pouvoir grandissant de Philippe146 jouent un rôle important dans la politique que la cité adopte. Son institution est, ainsi, en partie, liée aux circonstances politiques de la période. Il convient de se demander aussi si son introduction n’a pas un rapport avec le changement du nomos eisangeltikos intervenu au milieu du IVe siècle147. Comme nous l’avons vu précédemment, la fin des années 360 a fourni un cadre possible pour la modification du nomos eisangeltikos. La même chose peut être soutenue pour les années 350, surtout à partir de la guerre des Alliés, qui a provoqué des difficultés financières. On a, de même, attribué à cette nécessité de redresser les finances de la cité l’introduction des actions commerciales dites emmènoi. Un accord s’est dessiné pour attribuer à la modification du nomos eisangeltikos une date correspondant au milieu du IVe siècle, mais des doutes subsistent quant à une datation plus précise pour les raisons suivantes. Tout d’abord, on ne dispose pas de catalogue complet sur les eisangélies de la période. Ainsi, dans le temps qui va de l’année 359, où le procès contre le stratège Képhisodotos est caractérisé avec certitude en tant qu’eisangélie148, et l’eisangélie déposée par Hypéride contre Philocrate en 343149, ont lieu les procès contre Iphicrate, Timothée et Ménestheus (356/5) et celui contre Diopeithès de Sphettos (années 350/40) (n° 107)150, qui peuvent être 145

Cf. Hansen 19992, 292. Sur les ambitions et la politique de Philippe, voir Lane Fox 2011a, 335-358 ; id. 2011b, 367-385. 147 Cf. Hansen 1975, 54-57. 148 Eschine, Contre Ctésiphon, 52. Voir chapitre VIII. 149 Hypéride, Pour Euxénippos, 29-30. 150 Ibid., 29. Cf. Cooper 2001, 111 n. 24. L’orateur dit qu’il a accusé et a engagé dans un procès Diopeithès de Sphettos, qui passait pour un homme fort influent dans la cité. Cette phrase est le seul témoignage conservé concernant ce procès. Dans le passage correspondant, Hypéride énumère les accusations qu’il a portées contre des hommes politiques importants de son époque  : Aristophon d’Azénia (voir chapitre  VIII), Diopeithès de Sphettos, Philocrate d’Hagnonte. Si on admet qu’Hypéride suit un ordre chronologique, on daterait le procès contre Diopeithès dans le laps de temps qui sépare les deux procès, soit des années 360-343. Diopeithès doit être un homme actif pendant la période en question, puisqu’il est attesté, aux côtés d’Eubule et d’Aristophon, dans les propositions de décrets concernant Philippe (Démosthène, Sur la Couronne, 70) et en tant que triérarque, dans une inscription datant de 349/8, sous l’archontat de 146

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considérés comme eisangélies, sans que les sources le disent explicitement. Deuxièmement, dans certains cas d’eisangélies, datant de la fin des années 360, on ne peut pas décider si c’est le tribunal populaire ou l’Assemblée qui les a jugées – ce qui rend parfois difficile l’identification de telle ou telle procédure à une eisangélie. Troisièmement, toutes les eisangélies qu’on connaît à partir de 359 ont été transférées devant un tribunal héliastique, mais la question est de savoir si c’est un fait du hasard ou si c’est prescrit par la loi. Malgré les difficultés qui subsistent quant à la date de cette modification, il ressort clairement que le changement du nomos donnait au tribunal populaire la juridiction absolue des actions politiques et privait l’Assemblée de toute décision judiciaire concernant ces actions. L’introduction de l’apophasis pourrait donc être considérée comme une mesure pour renforcer le système judiciaire dans cette période particulière, puisqu’il n’y avait qu’un seul organe pour juger les affaires politiques, à savoir les tribunaux héliastiques. Il s’agit, en effet, d’une procédure dans laquelle sont impliqués trois organes : l’Aréopage, l’Assemblée et les tribunaux populaires. En vertu de ses nouveaux pouvoirs, l’Aréopage pouvait prendre l’initiative de préparer une affaire avant qu’elle ne soit jugée par le tribunal populaire, c’est-­à-dire mener une enquête, établir un rapport et se prononcer sur la culpabilité du suspect. Cela implique qu’en cas d’acquittement par l’Aréopage, l’affaire n’était pas renvoyée devant le tribunal. En ce qui concerne l’Assemblée, elle se dotait de nouvelles compétences dans les affaires politiques151 ; la question était discutée lors d’une réunion, l’Assemblée pouvait prendre l’initiative de proposer une enquête, elle recevait le rapport de l’Aréopage, nommait les accusateurs en cas de culpabilité et renvoyait l’affaire devant le tribunal. L’introduction de cette procédure elle-­même et la participation de deux autres organes pourraient constituer une sorte de défi à la souveraineté du tribunal populaire dans le jugement des affaires à caractère politique152. De surcroît, le prestige dont l’Aréopage jouissait pendant toute l’histoire d’Athènes pouvait exercer une influence sur la décision des juges. Il ne faut pas oublier qu’Antiphon a été, d’abord, relâché par l’Assemblée et, suite

Callimachos (IG II2, 1620, col. I, l. 34, 36, 39-40, 43-44, 57-58, 62). Il est logique de suggérer que le procès intenté contre lui concerne son activité pendant cette période. À partir du même passage, à la lumière des parallèles avec Aristophon et Philocrate, il est probable que Diopeithès a été jugé devant le tribunal populaire, mais on ne sait pas quelle était la nature de l’accusation ni si la procédure qui a été employée était celle d’eisangélie. 151 Cf. Rhodes 1995, 118. 152 Cf. Carawan 1985, 139.

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au rapport de l’Aréopage, condamné à mort153. Pourtant, même dans la pratique, les tribunaux héliastiques n’ont pas vu leur pouvoir diminuer, puisque le rapport condamnatoire et les peines proposées par l’Aréopage n’engageaient pas le tribunal populaire quant à sa décision finale. La procédure de l’apophasis fonctionnait parallèlement à celle de l’eisangélie. On sait, par exemple, qu’en 343 Hypéride a porté une accusation par voie d’eisangélie contre Philocrate concernant les services que ce dernier a rendus à Philippe lors de la conclusion de la paix de 346154. Les trois témoignages cités jusqu’à présent n’expliquent pas les raisons pour lesquelles on a choisi la procédure de l’apophasis plutôt que celle de l’eisangélie, ces procès pouvant aussi avoir lieu selon cette seconde procédure. De même, on ne connaît pas la loi ou le décret qui définissait la distinction entre les cas auxquels l’apophasis était appliquée et ceux pour lesquels l’eisangélie s’appliquait. À cet égard, il paraît vraisemblable que le choix de l’apophasis plutôt que l’eisangélie était lié aux conditions et aux manœuvres politiques de la période155. En 346/5, après le retour de la seconde ambassade, Démosthène et Timarque déposèrent une plainte contre Eschine, où ils l’accusèrent de forfaiture au cours de l’ambassade (graphè parapresbeias)156. Eschine lança, à son tour, une attaque contre Timarque, le sommant de se soumettre à un examen préliminaire (dokimasia) destiné aux orateurs (n°  102)157. Le tribunal se prononça en faveur d’Eschine, condamna Timarque et le frappa d’atimie158. Il semble qu’en raison de ce résultat Démosthène retarda son accusation contre Eschine de deux ans. Comme Démosthène avait des doutes concernant son soutien par les tribunaux populaires, il vit dans la nouvelle procédure de l’apophasis un moyen plus efficace pour poursuivre en justice un certain nombre d’adversaires159. Même si les procès s’étaient déroulés devant les tribunaux populaires, la participation de l’Aréopage à un examen préliminaire pouvait exercer une influence. Du coup, il incita l’Aréopage à conduire des examens ou 153

Cf. de Bruyn 1995, 163. Hypéride, Pour Euxénippos, 29-30. 155 Cf. Teegarden 2014, 100. 156 Démosthène, Sur l’Ambassade, 8. 157 Eschine, Contre Timarque, 2. 158 Démosthène, Sur l’Ambassade, 257, 284-285. 159 Cf. Dinarque, Contre Démosthène, 7-8 ὦ Δημόσθενες […] πολλοὺς ἀνῄρηκας σὺ ταῖς τῆς βουλῆς ἰσχυριζόμενος ἀποφάσεσιν : « Démosthène […] as-­tu toi-­même perdu plus d’un citoyen en te fondant sur les rapports du Conseil ? », 85 ἑτέρους μὲν ὑπὸ τῶν Δημοσθένους ψηφισμάτων […] ἀπολωλέναι : « en vertu des décrets de Démosthène d’autres aient péri » (trad. L. Dors-­Méary). 154

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fit voter par l’Assemblée les décrets autorisant l’Aréopage à mener les enquêtes. Encouragé par le premier résultat positif en sa faveur, il procéda de la même manière pour les autres procès, afin de promouvoir sa politique contre la Macédoine160. À la fin d’août 338, Philippe battit Athènes à Chéronée. Si l’on tente d’examiner le fonctionnement de la justice dans la période qui suivit cette défaite, avant la conclusion de la paix avec Philippe, on consulte le plaidoyer de Lycurgue161, Contre Léocrate, qui fut prononcé en 331/0162 contre Léocrate, accusé de trahison, parce qu’il avait quitté Athènes au lendemain de la bataille. Dans un schéma rhétorique, Lycurgue s’adresse aux juges populaires en disant qu’il ne dépend pas d’eux d’acquitter Léocrate, parce que son crime a été déjà jugé et condamné. L’orateur explique pourquoi163. 160

Cf. Carawan 1985, 127 ; Rhodes 1995, 114 ; Wallace 2000, 589. Sur l’activité de Lycurgue à Athènes et la discussion sur le degré de sa contribution à la vie politique de cette période, voir Rhodes 2010, 81-89. 162 Voir Durrbach 1932, 25. 163 Lycurgue, Contre Léocrate, 52-54 Σκέψασθε δ’, ὦ ἄνδρες, ὅτι οὐδ’ ἐν ὑμῖν ἐστιν ἀποψηφίσασθαι Λεωκράτους τουτουί, τὰ δίκαια ποιοῦσι. Τὸ γὰρ ἀδίκημα τοῦτο κεκριμένον ἐστὶ καὶ κατεγνωσμένον. Ἡ μὲν γὰρ ἐν Ἀρείῳ πάγῳ βουλή (καὶ μηδείς μοι θορυβήσῃ· ταύτην γὰρ ὑπολαμβάνω μεγίστην τότε γενέσθαι τῇ πόλει σωτηρίαν) τοὺς φυγόντας τὴν πατρίδα καὶ ἐγκαταλιπόντας τότε τοῖς πολεμίοις λαβοῦσα ἀπέκτεινε. Καίτοι, ὦ ἄνδρες, μὴ νομίζετε τοὺς τὰ τῶν ἄλλων φονικὰ ἀδικήματα ὁσιώτατα δικάζοντας αὐτοὺς ἂν εἴς τινα τῶν πολιτῶν τοιοῦτόν τι παρανομῆσαι. Ἀλλὰ μὴν Αὐτολύκου γε ὑμεῖς κατεψηφίσασθε, μείναντος μὲν αὐτοῦ ἐν τοῖς κινδύνοις, ἔχοντος δ’ αἰτίαν τοὺς υἱεῖς καὶ τὴν γυναῖκα ὑπεκθέσθαι, καὶ ἐτιμωρήσασθε. Καίτοι εἰ τὸν τοὺς ἀχρήστους εἰς τὸν πόλεμον ὑπεκθέσθαι αἰτίαν ἔχοντα ἐτιμωρήσασθε, τί δεῖ πάσχειν ὅστις ἀνὴρ ὢν οὐκ ἀπέδωκε τὰ τροφεῖα τῇ πατρίδι; Ἔτι δὲ ὁ δῆμος, δεινὸν ἡγησάμενος εἶναι τὸ γιγνόμενον, ἐψηφίσατο ἐνόχους εἶναι τῇ προδοσίᾳ τοὺς φεύγοντας τὸν ὑπὲρ τῆς πατρίδος κίνδυνον, ἀξίους εἶναι νομίζων τῆς ἐσχάτης τιμωρίας. Ἃ δὴ κατέγνωσται μὲν παρὰ τῷ δικαιοτάτῳ συνεδρίῳ, κατεψήφισται δ’ ὑφ’ ὑμῶν τῶν δικάζειν λαχόντων, ὁμολογεῖται δὲ παρὰ τῷ δήμῳ τῆς μεγίστης ἄξια εἶναι τιμωρίας τούτοις ὑμεῖς ἐναντία ψηφιεῖσθε; : « Au surplus, réfléchissez, juges, qu’il ne dépend même pas de vous d’acquitter Léocrate, si vous vous en tenez au droit. Son forfait a été jugé, condamné. Le Conseil de l’Aréopage – et ne protestez pas, car j’estime que ce fut là surtout, à cette époque, le salut de la cité – a saisi alors et mis à mort les fuyards qui avaient abandonné la cité à l’ennemi. Vous ne croirez pourtant pas que ceux qui jugent, d’autre part, avec le plus religieux scrupule les crimes de meurtre, puissent commettre le même crime à l’égard d’un citoyen. Vous-­mêmes, d’ailleurs, vous avez condamné Autolycos, bien qu’il fût resté ici au milieu des périls ; mais il était accusé d’y avoir soustrait ses enfants et sa femme, et vous l’avez châtié. Si donc vous avez frappé un homme coupable simplement d’avoir éloigné des êtres inutiles à la guerre, quelle peine ne méritera pas celui qui, homme adulte, n’a pas payé sa dette à la patrie qui l’a nourri ? Ajoutez que 161

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Il commence en disant que le Conseil de l’Aréopage a saisi et fait mettre à mort les fuyards qui avaient abandonné la cité à l’ennemi (ἡ ἐν Ἀρείῳ πάγῳ βουλή […] λαβοῦσα ἀπέκτεινε). Les juges ne doivent pas croire que ce tribunal, qui juge les crimes de meurtre avec le plus religieux scrupule, puisse condamner à une mort injuste un citoyen. Les juges avaient, d’ailleurs, eux-­mêmes, condamné à mort Autolycos (ὑμεῖς κατεψηφίσασθε), parce qu’il avait envoyé sa femme et ses fils en dehors d’Athènes pendant la crise. Le peuple a également voté (ὁ δῆμος […] ἐψηφίσατο) que seraient reconnus coupables de trahison ceux qui se dérobaient à la défense du pays et qu’ils seraient susceptibles de recevoir le châtiment suprême. Il conclut que le crime de trahison a été prononcé (κατέγνωσται) par le plus juste des tribunaux, c’est-­à-dire le Conseil de l’Aréopage, a été prononcé (κατεψήφισται) par les juges et a été aussi déclaré digne du plus grave des châtiments par le peuple, ce qui devrait pousser les juges à condamner également Léocrate. Ces points conduisent aux observations suivantes. Tout d’abord, on sait par le texte de Lycurgue qu’à la nouvelle du désastre de Chéronée, Athènes prit une série de mesures d’urgence pour organiser sa résistance contre une attaque éventuelle de Philippe164, le décret du peuple sur la punition des fuyards en faisant partie. Toutefois, le décret tel qu’il est énoncé dans le plaidoyer ne permet pas de déduire plus de détails sur l’institution qui devait juger les accusés ni sur la procédure qui devait être suivie. Le texte de Lycurgue parle, de même, de l’intervention du Conseil de l’Aréopage, qui a saisi et fait mettre à mort les traîtres qui avaient fui la cité et l’avaient abandonnée à l’ennemi. D’après ce qu’on sait de ses compétences, le Conseil semble être investi de pouvoirs extraordinaires165. L’emploi du verbe κατέγνωσται166 pour désigner la condamnation des coupables par l’Aréopage et la manière dont Lycurgue incite les juges le peuple, estimant que c’était là une conduite indigne, a, par décret, déclaré coupables de trahison ceux qui se dérobaient à la défense du pays et prévu pour eux le dernier supplice. Ainsi le crime a été frappé par la sentence du plus juste des tribunaux ; il a été ensuite condamné par vous, que le sort a désignés pour juges, et le peuple l’a également déclaré digne du plus grave des châtiments : est-­il admissible que votre arrêt soit aujourd’hui contraire ? » (trad. F. Durrbach). 164 Lycurgue, Contre Léocrate, 16, 36-37, 39, 41. 165 Ce n’est pas la première fois que les sources attestent des pouvoirs extraordinaires confiés à l’Aréopage. Selon Andocide, Sur les Mystères, 84, l’Aréopage est chargé après la restauration de la démocratie en 403 de veiller à ce que les magistrats de la cité se conforment aux lois. On ne sait pas si ce pouvoir a été en réalité confié à l’Aréopage et pour combien de temps. Cf. Rhodes 1972a, 205 n. 4 ; Carawan 1985, 129 n. 36. 166 Pour une claire utilisation du terme, voir Aristote, Constitution d’Athènes, XLV. 1-2, XLVI. 2, XLVIII. 5, LIV. 2, LX. 2. Voir aussi Eschine, Contre Timarque, 111.

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à ne pas penser que le Conseil a commis un acte injuste font supposer que le Conseil n’a pas condamné les accusés sans une sorte de jugement préalable. Pourtant, un désaccord existe parmi les chercheurs pour savoir si ces pouvoirs extraordinaires lui ont été confiés par décret167 ou si le Conseil a de sa propre initiative outrepassé ses compétences168 et, par conséquent, outrepassé la juridiction des tribunaux populaires sur la condamnation à mort des coupables dans les affaires à caractère politique. Il est possible que le décret du peuple sur les coupables de trahison puisse avoir offert l’occasion à l’Aréopage d’exercer des pouvoirs extraordinaires, sans que ces pouvoirs soient, pourtant, énoncés dans le décret. La manière dont Lycurgue s’adresse aux héliastes et leur demande de ne pas protester en écoutant le nom d’Aréopage (καὶ μηδείς μοι θορυβήσῃ) pourrait aller dans ce sens et montre que l’éloge de ce Conseil ne va pas de soi. Il est aussi difficile de s’exprimer avec certitude sur l’existence ou non d’un décret séparé qui accorderait de tels pouvoirs au Conseil. Ainsi, il n’est pas sûr que l’on puisse attribuer un tel caractère au décret proposé par Démosthène et cité par Dinarque dans le Contre Démosthène, selon lequel l’Aréopage avait le droit souverain de sanctionner à Athènes toute atteinte à la légalité169. Pourtant, on ne peut pas en même temps exclure que ce décret puisse correspondre au pouvoir extraordinaire de l’Aréopage après Chéronée et n’ait rien à voir avec la procédure de l’apophasis170. Si on cherche des exemples attestant cette intervention extraordinaire de l’Aréopage, on pourrait en repérer deux. Or, le premier (n° 121) peut être interprété de deux façons selon le sens qu’on attribue au décret de Démosthène chez Dinarque, à savoir si on l’identifie à un décret lié à la procédure de l’apophasis ou si on le lie aux pouvoirs extraordinaires de l’Aréopage après la bataille de Chéronée. Ainsi, dans le passage qui suit le décret de Démosthène en question, Dinarque révèle que deux 167

Voir MacDowell 1978, 191 ; Carawan 1985, 129-130 ; Wallace 1989, 118. Voir de Bruyn 1995, 152-153 ; Hansen 19992, 291 ; Sullivan 2003, 133-134 ; Azoulay 2011, 196. 169 Voir supra, Dinarque, Contre Démosthène, 62. 170 Ainsi, MacDowell 1978, 191 ; Carawan 1985, 129-130. Sur une autre interprétation du décret, voir Wallace 1989, 118-119, qui l’identifie au décret instituant la procédure de l’apophasis, en reconnaissant entre temps les problèmes soulevés : mais Wallace 2000, 588-590, date ce décret des années 346-340, voté pour répondre à une crise survenue à Athènes et donnant à l’Aréopage des compétences extraordinaires ; de Bruyn 1995, 117-119, sur la juridiction de l’Aréopage par rapport à l’apophasis ; Rhodes 1995, 313, suivant Hansen 19992, 292, se met en faveur de la datation du décret juste après Chéronée, mais il pense qu’il est peut-­être valable en 323 ; Sullivan 2003, 133, suit Wallace 1989. 168

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citoyens, un père et son fils, ont été livrés au bourreau, à cause du décret de Démosthène171. Le deuxième cas se trouve chez Eschine. Tandis que la date de l’épisode n’est pas précisée, ce dernier est énoncé juste avant le cas de Léocrate qui s’est enfui à Rhodes à la nouvelle de la défaite, ce qui fait penser au temps de Chéronée. Dans ce deuxième cas, un Athénien, qui a tenté de passer à Samos, a été condamné à mort sur le champ (αὐθημερόν) par l’Aréopage comme traître envers la cité172. On entend à nouveau parler de la procédure de l’apophasis au cours des années 330-320, pour lesquelles la plupart des informations viennent du plaidoyer de Dinarque, Contre Démosthène (323). Pour commencer, trois cas y sont présentés qui concernent des membres de l’Aréopage (n° 149-151)173. Ils ne peuvent pas être datés de façon sûre, mais les années 320 semblent être propices à leur déroulement, puisque le plaidoyer de Dinarque donne l’impression qu’il s’agit d’épisodes connus des Athéniens qui jugent l’affaire d’Harpale. Le premier Aréopagite refusa de payer au batelier le prix de son transport, l’Aréopage lui infligea une amende (ζημιώσασα) et adressa un rapport à l’Assemblée du peuple (πρὸς ὑμᾶς ἀπέφηνε). Le deuxième jugea bon de se servir du nom d’un absent pour toucher les cinq drachmes et l’Aréopage fit un rapport devant le peuple 171

Dinarque, Contre Démosthène, 62. Worthington 1999, 165, 173  ; id. 2001, 30 n. 53, date ce cas de l’époque de l’affaire d’Harpale et le considère comme une affaire d’apophasis. Il appuie son hypothèse sur le §82. Je cite le texte correspondant par Loeb : Λέγε δὴ καὶ τὸ περὶ τῆς ζητήσεως τῶν χρημάτων ψήφισμα, [ἃ] ἔγραψε Δημοσθένης τῇ ἐξ Ἀρείου πάγου βουλῇ περὶ αὑτοῦ τε καὶ ὑμῶν. : « Lis-­nous donc aussi le décret relatif à l’enquête sur l’argent d’Harpale que Démosthène a rédigé en faveur de l’Aréopage tant à son sujet qu’à vôtre. ». Contrairement aux éditeurs de la CUF, les éditeurs de Loeb et Worthington supposent ici une lacune, parce qu’il s’agit de deux décrets qui sont comparés ici, celui sur l’argent d’Harpale et celui qui a été évoqué au §62. Ainsi, Worthington 1999, 78, établit l’expression . 172 Eschine, Contre Ctésiphon, 252. 173 Dinarque, Contre Démosthène, 56 Διόπερ τὸν παρ’ αὑτῶν ἀποστερήσαντα τὸ ναῦλον τὸν πορθμέα ζημιώσασα πρὸς ὑμᾶς ἀπέφηνε· πάλιν τὸν τὴν πεντεδραχμίαν ἐπὶ τῷ τοῦ μὴ παρόντος ὀνόματι λαβεῖν ἀξιώσαντα, καὶ τοῦτον ὑμῖν ἀπέφηνε, καὶ τὸν τὴν μερίδα τὴν ἐξ Ἀρείου πάγου τολμήσαντ’ ἀποδόσθαι παρὰ τὰ νόμιμα, τὸν αὐτὸν τρόπον ζημιώσασ’ ἐξέβαλε. : « C’est ainsi qu’il a pénalisé l’un de ses membres, pour avoir refusé de payer au batelier le prix de son transport, en lui infligeant une amende et en vous adressant un rapport sur cette affaire. Autre cas, celui de l’individu qui avait trouvé bon de se servir du nom d’un absent pour toucher les cinq drachmes : un rapport vous a été adressé. Ou encore celui de l’homme qui avait osé vendre, à l’encontre du règlement, la portion de nourriture qu’il avait reçue à titre d’Aréopagite : là encore, amende et exclusion. » (trad. L. Dors-­ Méary). Pour plus de détails sur ces trois cas, voir de Bruyn 1995, 135-137.

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(ὑμῖν ἀπέφηνε)174. Le troisième vendit la portion de nourriture qu’il avait reçue, l’Aréopage le frappa d’une amende, l’expulsa (ζημιώσασ’ ἐξέβαλε) et doit avoir mené une enquête comme dans les cas précédents. La punition par l’Aréopage de ses propres membres semble logique175. Pourtant, ce Conseil procéda également à la mise en œuvre d’une enquête les concernant, laquelle conduisit à leur jugement par le tribunal populaire et à leur acquittement, sous prétexte que la sanction était disproportionnée par rapport à leurs fautes176. Le deuxième exemple concerne l’enquête que l’Assemblée du peuple ordonna à l’Aréopage de mener à propos de Polyeuctos du dème de Cydantidès pour établir s’il allait à Mégare rencontrer les bannis (n° 147). L’Aréopage conclut que les rencontres avaient effectivement eu lieu, l’Assemblée élut les accusateurs et l’affaire fut transférée devant le tribunal qui, finalement, acquitta Polyeuctos177. Le procès doit très probablement dater de la fin de 324, après l’édit d’Alexandre sur le retour des bannis (été 324)178 et avant le procès sur l’affaire d’Harpale, quand fut prononcé

Cf. Hypéride, Contre Démosthène, fr. VI, col. XXVI Καὶ Κόν[ων] μὲν ὁ Παιανιεύς, [ὅτι] ὑπὲρ τοῦ ὑοῦ ἔλαβ[εν] τὸ θεωρικὸν ἀπ[οδη]μοῦντος, πέντ[ε δρα]χμῶν ἕνεκεν, [ἱκε]τεύων ὑμᾶς, τάλαντον ὦφλεν ἐν τῷ δικαστηρίῳ, τούτων κατηγορούντων. : « Conon de Paiania, pour avoir touché l’indemnité de spectacles au nom de son fils alors absent d’Athènes, (c’était une affaire de cinq drachmes), malgré les supplications qu’il vous adressait, a été condamné à un talent devant le tribunal, sur leur accusation. » (trad. G. Colin). L’orateur fait allusion à un certain Conon de Paiania, qui a touché l’indemnité des spectacles au nom de son fils, et a été condamné par l’Aréopage à un talent, ce qui pourrait plaider en faveur de l’identification de ces deux hommes. de Bruyn 1995, 137, concilie les deux témoignages, en proposant que « l’Aréopage a réalisé de sa propre initiative une apophasis contre Conon, dans laquelle il préconisait de le frapper d’une amende d’un talent ; l’Héliée, après avoir jugé l’Aréopagite, a décidé de l’acquitter ». Worthington 1999, 163, ne pense pas que les deux hommes sont identiques. 175 Sur cette compétence de l’Aréopage, voir Wallace 1989, 95-96. 176 Dinarque, Contre Démosthène, 57 Τούτους ὑμεῖς κρίναντες ἀφήκατε […]. : « Vous avez acquitté ces gens, lors de leur procès […]. » (trad. L. Dors-­Méary, légèrement modifiée). 177 Dinarque, Contre Démosthène, 58 Πολύευκτον […] τοῦ δήμου προστάξαντος ζητῆσαι τὴν βουλήν […] ζητήσασαν ἀποφῆναι πρὸς ὑμᾶς, ἀπέφηνεν ἡ βουλὴ […]. Κατηγόρους εἵλεσθε κατὰ τὸν νόμον, εἰσῆλθεν εἰς τὸ δικαστήριον, ἀπελύσαθ’ ὑμεῖς. : « Autre exemple, celui de Polyeuctos […] le peuple avait ordonné à l’Aréopage de faire une enquête […] et de vous adresser, au terme de l’enquête, un rapport ; l’Aréopage conclut […]. Vous avez désigné des accusateurs conformément à la loi : Polyeuctos comparut devant le tribunal et fut acquitté. » (trad. L. Dors-­Méary). 178 Diodore de Sicile, XVIII. 8. 2-5. Sur l’édit et ses conséquences, voir Bosworth 1988, 220-228 ; Faraguna 2003, 124-127. 174

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le plaidoyer de Dinarque Contre Démosthène qui fournit l’information correspondante179. Enfin, on date de 324/3 l’affaire dite affaire d’Harpale (n° 152). Suite à l’arrivée à Athènes d’Harpale, trésorier d’Alexandre, qui venait s’y réfugier, après avoir volé les trésors d’Alexandre, des rumeurs circulaient dans la cité selon lesquelles un certain nombre d’hommes avaient bénéficié de l’argent d’Harpale180. Démosthène proposa alors à l’Assemblée du peuple un décret qui assignerait à l’Aréopage une enquête pour découvrir les noms des orateurs qui avaient touché de l’argent. L’enquête dura six mois et le Conseil de l’Aréopage dans son rapport désigna parmi les accusés Démosthène, Aristogiton, Philoclès, Polyeuctos de Sphettos, Démade, Céphisophon de Paiania, Agnonidès et Aristonicos. Le rapport concluait que chacun des accusés serait responsable pour la somme qu’il avait touchée181. Selon la procédure de l’apophasis, l’Assemblée du peuple désigna, par la suite, dix accusateurs182 et l’affaire fut jugée par un tribunal composé de mille cinq cents juges. L’accusation portait sur la trahison et la corruption commises par ceux qui avaient reçu de l’argent contre les intérêts de la cité183. On n’est pas sûr pour tous les accusateurs de la décision prise par le tribunal héliastique. On sait que Démosthène a été frappé d’une amende de cinquante talents, Démade est parti sans attendre le procès, mais il doit avoir aussi été condamné, ainsi que Philoclès, alors que la plupart des autres accusés ont été acquittés184. Les sources ont conservé la décision des héliastes, qui, dans la plupart des cas, diffère du rapport de l’Aréopage. Dans les trois premiers cas, les héliastes ont, selon Dinarque, acquitté les Aréopagites, d’une part, parce qu’ils jugeaient la sanction de l’Aréopage disproportionnée par rapport à la faute commise et, d’autre part, parce qu’ils préféraient l’indulgence à la justice. Dans le cas de Polyeuctos de Cydantidès, les juges sont présentés 179

Cf. de Bruyn 1995, 138. Sur les événements précédant le procès, voir Hypéride, Contre Démosthène, fr. III, col. VIII-XII ; Timoclès, fr. IV Kassel – Austin (Délos). 181 Dinarque, Contre Démosthène, 1, 4, 6, 11, 15, 45, 82, 100, Contre Aristogiton, 2, 15, Contre Philoclès, 1, 2, fr. XXVI Conomis (Contre Agnonidès, sur l’affaire d’Harpale), fr. XXVII Conomis (Contre Aristonicos, sur l’affaire d’Harpale) ; Hypéride, Contre Démosthène, fr. I, col. I, fr. III, col. V, VI, fr. VII, col. XXIX, fr. IX, col. XXXVIII. La numérotation des fragments de Dinarque suit celle faite par Conomis dans l’édition Teubner. 182 Dinarque, Contre Aristogiton, 6. 183 Dinarque, Contre Démosthène, 3, 15, Contre Aristogiton, 7, 22, Contre Philoclès, 1, 9-10, 13-14, 16, 19. 184 Sur ces décisions, voir Badian 1961, 35. 180

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de la même manière, c’est-­à-dire qu’ils ont retenu dans leur jugement les circonstances atténuantes185. D’après le client de Dinarque, cette attitude des héliastes est autre que celle de l’Aréopage, qui, par son rapport, a découvert la vérité, ce que les héliastes, quelle que soit leur décision, ne peuvent pas mettre en doute. L’argumentation du client vise à convaincre les juges de l’affaire d’Harpale que même les décisions d’acquittement précédentes ne peuvent pas les influencer et leur faire acquitter les accusés. Ainsi, il souligne la responsabilité des tribunaux héliastiques pour leurs décisions, parce que ce sont elles qui comptent à la fin, quelle que soit l’opinion de l’Assemblée ou de l’Aréopage186. Cette responsabilité est confirmée, tout d’abord, dans l’exemple de Polyeuctos, où l’enquête a été ordonnée par l’Assemblée du peuple. Par la voie de cette enquête, le peuple a exprimé son inquiétude sur un éventuel bouleversement de l’ordre de la cité ou même de sa constitution, suite à l’édit d’Alexandre sur le retour des bannis, et le tribunal populaire a entrepris de rassurer par sa décision l’opinion publique. Le cas de l’affaire d’Harpale semblait plus sérieux, parce que plusieurs personnes étaient impliquées. La diversité des verdicts prononcés par les juges, dont le plus sévère était celui contre Démosthène, a montré qu’« il suffisait d’abattre la première tête et non la moindre »187 et que les ennemis de l’orateur ont pu diriger avec succès leur manœuvre contre lui188. Tandis que pour les deux derniers procès, l’accusation est celle de trahison, les trois premiers sont les premiers témoignages dont on dispose sur une apophasis initiée par l’Aréopage et concernant ses propres membres, accusés non pour des fautes graves menaçant la cité mais pour de simples délits. Les sources disponibles ne permettent pas de décider si c’est la première fois qu’une telle mesure est appliquée pour les Aréopagites : on connaît, bien évidemment, d’autres exemples, mais on n’en possède ni les détails ni la date189. Du moins, la fréquence d’un tel nombre de cas pendant 185

Dinarque, Contre Démosthène, 59. Voir ibid., 106 καὶ τὰ δίκαια τὰ παρὰ τῷ δήμῳ καὶ τῇ βουλῇ τῇ ἐξ Ἀρείου πάγου δόξαντ’ εἶναι καὶ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν ἀνθρώποις, ταῦθ’ ὑμεῖς οἱ κύριοι πάντων λύσετε. : « Le peuple, l’Aréopage, l’humanité entière ont pris dans cette affaire le parti du droit ; et vous, les détenteurs du pouvoir de décision, allez-­vous compter pour rien cette unanimité ? » (trad. L. Dors-­Méary). 187 Voir Nouhaud 1990, xi. 188 Cf. Mossé 1974, 230 ; Bosworth 1988, 219. 189 Dinarque, Contre Démosthène, 57  Τούτους μέντοι, ὦ ἄνδρες, καὶ τοιούτους ἑτέρους ἀδικεῖν παρ’ ἑαυτοῖς ἀποφηνάσης τῆς βουλῆς ὑμεῖς ἀφήκατε.  : «  Et pourtant, dans ces cas comme dans d’autres où l’Aréopage avait, dans son rapport, dénoncé la culpabilité de certains de ses membres, vous avez prononcé un acquittement. » (trad. L. Dors-­Méary). 186

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les années 330-320 fait s’interroger sur les raisons : soit les circonstances politiques de cette période ont créé la nécessité de procès exigeant un examen supplémentaire190, dans lequel les tribunaux populaires avaient le dernier mot191, soit le système de justice a évolué à partir du moment où l’apophasis a été instituée, soit il ne s’agit que d’un hasard des sources qui ferait qu’on est mieux renseigné sur cette période que sur les précédentes. Le fonctionnement de la procédure de l’eisangélie au cours de la même période pourrait éclairer cette question.

3.  Le nomos eisangeltikos : un changement ? Le texte d’Hypéride Pour Euxénippos, daté après 330, fait référence à la loi sur l’eisangélie192 et indique dans quels cas l’eisangélie doit être appliquée. Le texte ne permet cependant pas de savoir si la liste est complète. Hypéride cite les cas suivants : si on renverse la constitution démocratique d’Athènes ou se réunit en vue de renverser la démocratie ou constitue des associations dans ce but ou trahit soit une cité soit les vaisseaux soit une force de terre ou de mer en campagne ou, étant orateur, ne parle pas au mieux des intérêts du peuple d’Athènes, parce qu’on est corrompu193. Les affaires d’eisangélie étudiées jusqu’à présent et que les sources ont conservées correspondent à ces clauses de la loi et au caractère politique que ces dispositions révèlent. Pourtant, dans le même texte, Hypéride se plaint qu’à son époque (années 330-320) le recours à l’eisangélie fut étendu à des cas qui n’étaient pas prévus dans la loi et qui n’avaient rien à voir avec les fautes graves auxquelles elle était réservée auparavant194. En effet, si on examine les eisangélies qui datent de l’époque d’Hypéride, on peut trouver, parallèlement aux procès de caractère politique, des affaires qui n’appartiennent pas aux catégories que la loi sur l’eisangélie comprenait. On peut commencer par citer celles qui se fondent sur un argument politique. 1. Selon Démosthène, après la bataille de Chéronée, après le vote des mesures de salut qu’il avait proposées et son élection comme commissaire 190

Selon de Bruyn 1995, 136, la nécessité d’un jugement supplémentaire par le tribunal populaire implique que l’Aréopage ne peut pas imposer de sanctions dépassant une certaine limite. 191 Comme dans le cas de l’eisangélie, Azoulay 2011, 196-197, voit une redéfinition et extension de l’application de l’apophasis. 192 Hypéride, Pour Euxénippos, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 40. 193 Ibid., 4, 8, 39. 194 Ibid., 1-2.

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au ravitaillement, une série de procès ont été intentés contre lui par des personnes qui se coalisaient pour lui faire du tort (n° 124)195. Ses adversaires lui ont intenté des actions publiques (graphai), des actions en reddition de comptes (euthynai) et des eisangélies (eisangéliai), non eux-­mêmes directement, mais par l’intermédiaire d’autres accusateurs, qu’il nomme : Sosiclès, Philocratès, Diondas196, Mélantès. Selon ses dires, il était cité en justice chaque jour, mais il était acquitté chaque fois. Les procès étaient liés à son activité politique : lors des eisangélies, il a prouvé que ses actions étaient les meilleures pour la cité, lors des accusations, il a démontré que ses propositions et ses discours étaient conformes aux lois, lors des actions liées à sa reddition de comptes, il s’est révélé avoir agi de façon juste et sans se laisser corrompre197. 2. Selon Dinarque, alors que Démosthène attendait d’être jugé pour l’affaire d’Harpale, il s’est livré à des manœuvres pour faire retarder son procès. Parmi ces manœuvres, figure l’accusation qu’il a portée par voie d’eisangélie contre Callimédon198 pour avoir rencontré à Mégare des exilés, Démosthène, Sur la Couronne, 248-249 : 249 Καὶ μετὰ ταῦτα συστάντων οἷς ἦν ἐπιμελὲς κακῶς ἐμὲ ποιεῖν, καὶ γραφάς, εὐθύνας, εἰσαγγελίας, πάντα ταῦτ’ ἐπαγόντων μοι, οὐ δι’ ἑαυτῶν τό γε πρῶτον, ἀλλὰ δι’ ὧν μάλισθ’ ὑπελάμβανον ἀγνοήσεσθαι (ἴστε γὰρ δήπου καὶ μέμνησθ’ ὅτι τοὺς πρώτους χρόνους κατὰ τὴν ἡμέραν ἑκάστην ἐκρινόμην ἐγώ, καὶ οὔτ’ ἀπόνοια Σωσικλέους οὔτε συκοφαντία Φιλοκράτους οὔτε Διώνδου καὶ Μελάντου μανία οὔτ’ ἄλλ’ οὐδὲν ἀπείρατον ἦν τούτοις κατ’ ἐμοῦ) […] ἐσῳζόμην. : « Après cela, ceux qui avaient pour tâche de me faire du mal se coalisèrent ; ils dirigèrent contre moi des plaintes, des actions en reddition de comptes, des accusations de haute trahison, tout enfin, d’ailleurs sans agir par eux-­mêmes tout d’abord, mais par l’intermédiaire des gens qu’ils croyaient les plus difficiles à démasquer (vous savez évidemment et vous vous souvenez que, dans les premiers temps, c’est chaque jour que j’étais cité en justice ; il n’y eut rien, ni l’aveuglement de Sosiclès, ni le chantage de Philocratès, ni la folie furieuse de Diondas et de Mélantès, ni rien d’autre, qui ne fut expérimenté par eux contre moi) […] j’ai été sauvé. » (trad. G. Mathieu). 196 Selon Hypéride, dans le Contre Diondas, 144v l. 20-21, écrit très probablement à l’occasion d’une action en illégalité intentée par Diondas contre un décret honorifique proposé en faveur de Démosthène, Diondas a lancé contre Démosthène plus de quinze accusations publiques et un certain nombre d’entre elles pourraient bien appartenir à la période qui suivit Chéronée. Cf. Rhodes 2009, 223. Il n’est pas impossible, sans que la date soit précisée, d’y ajouter également les accusations portées par une autre personne, Aristogiton. Dans le Contre Aristogiton I, 37, Démosthène l’accuse de lui avoir intenté sept procès publics et deux actions pendant ses redditions de compte, en se mettant du côté de ceux qui agissaient pour Philippe. 197 Démosthène, Sur la Couronne, 250. Cf. Horváth 2009, 198-199. 198 Ce Callimédon aurait embrassé la cause des Macédoniens en 322. Voir Plutarque, Vie de Démosthène, XXVII. 2. Sur Callimédon, voir l’étude prosopographique de Paschidis 2008, 67-68. 195

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en vue de comploter contre la démocratie (n° 146). Ces exilés n’étaient que des Athéniens attendant leur retour dans la cité, suite à l’édit d’Alexandre. Pourtant, Démosthène a bientôt abandonné l’accusation199. 3. Une personne dont le nom nous échappe, mais qui était un client de Dinarque – c’est la même qui a participé à l’accusation contre Démosthène à propos de l’affaire d’Harpale – a accusé par voie d’eisangélie l’Aréopagite Pistias (n° 148). Selon lui, Pistias avait porté une accusation calomnieuse à son égard, agissant comme intermédiaire de Pythoclès et disant que le client de Dinarque avait commis des injustices200. Pistias avait, semble-­t-il, porté l’accusation devant l’Aréopage et avait essayé, ainsi, de provoquer une enquête à propos du client de Dinarque (apophasis), qui n’a finalement pas eu lieu201. C’est très probablement dû à l’eisangélie que notre accusateur a déposée. Quoi qu’il en soit, l’information limitée dont on dispose sur ce cas ne permet pas d’en dire plus. Le client de Dinarque a accusé Pistias de trahison et l’affaire a été jugée devant un tribunal composé de deux mille cinq cents juges, qui ont condamné Pistias202. Dinarque a écrit un plaidoyer contre Pistias, qui n’est pas conservé203. 4. Une personne dont le nom nous échappe a dénoncé par voie d’eisangélie Himéraios (n°  155). Rien n’est connu sur la nature de l’accusation, la date du procès et son issue. On possède seulement le titre du discours écrit par Dinarque contre Himéraios204. Ce dernier Dinarque, Contre Démosthène, 94 ὅταν δὲ μέλλῃ κριθήσεσθαι παρ’ ὑμῖν, Καλλιμέδοντ’ εἰσαγγέλλων συνιέναι ἐν Μεγάροις τοῖς φυγάσιν ἐπὶ καταλύσει τοῦ δήμου, καὶ ταύτην τὴν εἰσαγγελίαν εὐθὺς παραχρῆμ’ ἀναιρούμενος : « Puis, au moment de passer en jugement devant vous, il engage contre Callimédon une procédure d’eisangélie, l’accusant de rencontrer à Mégare les exilés pour machiner la ruine de la démocratie ; il abandonne ensuite brusquement cette accusation. » (trad. L. Dors-­Méary). Sur la procédure, voir Hansen 1975, 111. 200 Dinarque, Contre Démosthène, 52-53. 201 Ibid., 48-51. Cf. de Bruyn 1995, 130-131. 202 Dinarque, Contre Démosthène, 52 καὶ πονηρὸν καὶ προδότην ὄντ’ εἰσαγγείλας καὶ ἐξελέγξας ἐν πεντακοσίοις καὶ δισχιλίοις τῶν πολιτῶν ὅτι μισθώσας αὑτὸν Πυθοκλεῖ κατ’ ἐμοῦ ταῦτ’ ἔπραξεν, ἐτιμωρησάμην μετὰ τῶν τότε δικασάντων. : « Ce félon, ce traître, j’ai engagé contre lui une procédure d’eisangélie, j’ai démontré devant deux mille cinq cents citoyens que Pythoclès l’avait payé pour agir contre moi et les juges de cette époque m’ont permis d’obtenir satisfaction. » (trad. L. Dors-­Méary). Cf. Hansen 1975, 105-106. 203 Dinarque, fr. XV Conomis (Contre Pistias, dénonciation). Worthington 1999, 161, exprime ses doutes sur le rapport entre ce discours et le procès en question, parce que, d’après lui, le client de Dinarque « refers to his previous charge as a result of the apophasis procedure ». Je crois, en toute prudence, que l’apophasis n’a pas eu lieu et qu’un seul procès s’est déroulé, celui où le client de Dinarque était l’accusateur. 204 Dinarque, fr. XIV Conomis (Contre Himéraios, dénonciation). Cf. Hansen 1975, 111. 199

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appartenait au groupe des opposants à la Macédoine, a quitté la cité après l’échec d’Athènes dans la guerre lamiaque en 322 et avant le décret de Démade qui condamnait à mort les protagonistes de l’opposition contre la Macédoine205. Il s’avère que ces eisangélies n’introduisent rien de nouveau dans le nomos eisangeltikos et sont conformes aux cas que la loi évoque. Revenons maintenant aux autres eisangélies connues pour cette période. 1. La dénonciation par voie d’eisangélie206 qu’un certain Ariston a lancée contre Lycophron (n° 130), qui avait été phylarque et hipparque, date de la fin des années 330. Ce dernier fut accusé d’adultère207 avec une femme, sœur de Dioxippos : selon l’accusation, Lycophron l’avait approchée à deux reprises, en perçant le mur de sa maison et, aussi, le jour du second mariage de cette femme avec un certain Charippos, pendant lequel Lycophron lui avait recommandé de ne pas avoir de rapports avec ce dernier208. Cette femme avait été une première fois mariée à un certain Ch[arisand]ros de Phlya, qui était mort alors qu’elle était enceinte et qui avait laissé un testament concernant son enfant et sa fortune. Le testament prescrivait que l’enfant serait son héritier, mais que, s’il mourait, la fortune reviendrait à la famille209. En raison de la naissance de l’enfant, une partie de la famille accusa Lycophron d’adultère devant l’Assemblée du peuple, par la procédure de l’eisangélie210, afin de prouver très probablement que l’enfant était illégitime, qu’il était de Lycophron et, ainsi, de faire casser le testament et de mettre la main sur la fortune patrimoniale. L’eisangélie fut transférée de l’Assemblée au tribunal populaire211 et fut intentée contre Lycophron sous prétexte que son adultère ruinait la démocratie et transgressait les lois212, ce qui montre une interprétation plus large de 205

Plutarque, Vie de Démosthène, XXVIII. 4. Cf. Paschidis 2008, 43. Hypéride, Défense pour Lycophron, fr. 4, 3, 4, 12. Cf. Hansen 1975, 106-107. 207 Hypéride, Défense pour Lycophron, 15. 208 Oxyrhynchus Papyri, vol. XIII, n° 1607, fr. I ; Hypéride, Défense pour Lycophron, 3. 209 Hypéride, Défense pour Lycophron, fr. 4. 210 Ibid., 3 Ἐμοὶ γὰρ οἰκεῖοι (ἐ)πέστειλαν γράψαντες τήν τε εἰσαγγελίαν καὶ τὰς αἰτίας, ἃς ἐν τῇ ἐκ̣ κλησίᾳ ᾐτιάσαντό με, ὅτε τὴν εἰσαγγελίαν ἐδίδοσαν. : « Pour moi, ce sont des parents qui, dans une lettre, m’ont avisé et de l’eisangélie et des griefs articulés contre moi dans l’Assemblée, lors du dépôt de cette plainte. » (trad. G. Colin). 211 Ibid., 3, 5, 8, 14, 16, 17, 19, 20 ὦ ἄνδρες δικασταί, 9 τοῖς δικασταῖς, 20 κελεύουσιν οἱ δικασταί. 212 Ibid., 12 Kαὶ ἐμὲ μὲν αἰτιᾷ ἐν τῇ εἰσαγγελίᾳ καταλύειν τὸν δῆμον, παραβαίνοντα τοὺς νόμους : « Tu m’accuses aussi dans ton eisangélie de ruiner la démocratie en transgressant les lois. » (trad. G. Colin). 206

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la loi sur l’eisangélie. Pourtant, selon Lycophron, cette procédure n’était pas légitime – il aurait fallu une graphè devant les thesmothètes213 – et avait été choisie, parce que les accusateurs ne couraient aucun risque dans l’affaire214. Lycurgue assista Ariston dans ce procès comme synégore215 et Hypéride fut logographe pour Lycophron. On ne connaît pas l’issue du procès. 2. L’accusation par voie d’eisangélie que Lycurgue a portée contre Léocrate, pour avoir trahi la cité, les lois et les traditions sacrées, date de 331/0 (n° 131)216. Il l’accusa d’avoir abandonné la cité dans les plus grands dangers, de ne pas avoir pris les armes pour la défense d’Athènes, de ne pas s’être mis à la disposition des stratèges pour servir dans l’armée et d’avoir déshonoré les cultes de la cité217. Selon Lycurgue, Léocrate, avait, à la nouvelle de la défaite à Chéronée, abandonné la cité, en prenant avec lui ses affaires et ses serviteurs et était arrivé à Rhodes, où il avait colporté de mauvaises nouvelles sur le destin de la cité ; en conséquence, les Rhodiens n’ont pas envoyé leurs vaisseaux marchands à la cité. Il s’était, par la suite, réfugié à Mégare, où il avait vécu comme métèque pendant cinq ans218. Pendant cette période, il transportait du blé vers d’autres cités qu’Athènes, ce qui était interdit par les lois219. Après une absence de six ans, il est revenu à Athènes220. Lycurgue profita de l’occasion pour le dénoncer auprès de l’Assemblée221, en attribuant à l’eisangélie une signification plus large que

213

Voir Aristote, Constitution d’Athènes, LIX. 3, sur la graphè moicheias. Pour les options de l’accusation, voir Phillips 2006, 381-390 ; Azoulay 2011, 200. 214 Hypéride, Défense pour Lycophron, 8, 12. 215 Ibid., 19 ; Lycurgue, fr. X-XI Conomis (Contre Lycophron I-II). La numérotation des fragments de Lycurgue suit celle faite par Conomis dans l’édition Teubner. Philipps 2006, 390-394, suggère que Lycurgue a essayé par sa participation à l’accusation de faire de l’eisangélie une procédure punissant toute activité considérée comme « non athénienne ». 216 Lycurgue, Contre Léocrate, 1, 5, 29, 34, 35, 55, 137. Cf. Hansen 1975, 108. 217 Lycurgue, Contre Léocrate, 8, 37-42, 43, 147. 218 Ibid., 14-15, 17-18, 21. 219 Ibid., 26-27. Selon Durrbach 1932, 42 n. 3, « il est très douteux que le trafic auquel se livra Léocrate tombât sous le coup de la législation d’Athènes relative à l’importation des céréales étrangères ». 220 Lycurgue, Contre Léocrate, 58. 221 Il est clair, d’après deux passages, que l’eisangélie a été initiée devant l’Assemblée. Dans le premier, un certain Phyrkinos accuse Léocrate devant le peuple sur un litige de caractère commercial et dans le deuxième, Lycurgue reproche à Léocrate de répéter devant les juges un argument qu’il avait utilisé précédemment. Voir Lycurgue, Contre Léocrate, 19, 90.

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celle qui était prescrite dans la loi222. L’affaire fut jugée, par la suite, par le tribunal héliastique, qui acquitta Léocrate à une voix seulement223. 3. Lycurgue a porté une accusation d’impiété (?) contre Ménésaichmos224, qui doit être liée à la participation de ce dernier à la théorie envoyée à Délos (n°  135). Le titre du discours de Lycurgue fait référence à la procédure de l’eisangélie225. L’affaire fut jugée par un tribunal héliastique226, qui condamna Ménésaichmos227 très probablement à une amende228, parce que ce dernier resta actif dans la vie politique les années suivantes : il fit partie des accusateurs dans l’affaire d’Harpale et porta aussi une accusation contre les enfants de Lycurgue. La datation de l’épisode n’est pas assurée229. De même, les cas 4 et 5 qui suivent ne peuvent pas être datés précisément. D’une part, ils sont cités dans le Pour Euxénippos d’Hypéride, daté entre 330 et 324, ce qui nous pousserait à dater ces procès soit avant soit après 330. Pourtant, ils se trouvent dans un passage où ces deux cas sont liés par l’adverbe νυνί (« aujourd’hui ») à l’eisangélie intentée contre Euxénippos230 qui date entre 330 et 324. Ainsi, il est tentant de croire qu’ils sont contemporains de celle-­ci.

222

Cf. Harris 2001, 159-160 ; Azoulay 2011, 201 ; Faraguna 2011, 73. Voir aussi Harris 2013a, 175-176, 233-241, qui évoque la signification plus large que quelqu’un pouvait attribuer au terme de trahison figurant dans la loi sur l’eisangélie. 223 Eschine, Contre Ctésiphon, 252 ἴσαι αἱ ψῆφοι αὐτῷ ἐγένοντο : « les suffrages se partagèrent » (trad. V. Martin – G. de Budé). Sur l’interprétation du §252 concernant la décision du tribunal, voir Bianchi 2002, 83-94. Elle défend la thèse traditionnelle, selon laquelle Léocrate a été acquitté. D’après l’opinion contraire, Léocrate a été condamné à une amende. 224 Lycurgue, fr.  XIV. 1  Conomis (Contre Ménésaichmos, dénonciation) ἀσέβημα  : « impiété ». Que le procès ne soit pas nécessairement un procès d’impiété est remarqué par Filonik 2013, 78. 225 Lycurgue, fr. XIV. 6 Conomis Λυκοῦργος ἐν τῇ Κατὰ Μενεσαίχμου εἰσαγγελίᾳ. Cf. Hansen 1975, 110. 226 Lycurgue, fr. XIV. 1 Conomis ὦ ἄνδρες δικαστ[αί]. 227 [Plutarque], Œuvres Morales, 843d. 228 Cf. Hansen 1975, 110 ; Harris 2001, 216. 229 Sur la datation, voir Conomis 1961, 142 ; Azoulay 2011, 198 n. 39. 230 Hypéride, Pour Euxénippos, 3 Νυνὶ δὲ τὸ γιγνόμενον ἐν τῇ πόλει πάνυ καταγέλαστόν ἐστιν. Διογνίδης μὲν καὶ Ἀντίδωρος ὁ μέτοικος εἰσαγγέλλονται ὡς πλέονος μισθοῦντες τὰς αὐλητρίδας ἢ ὁ νόμος κελεύει, Ἀγασικλῆς δ’ ὁ ἐκ Πειραιέως, ὅτι εἰς Ἁλιμουσίους ἐνεγρά[φη], Εὐξένιππος δ’ ὑπὲρ τῶν ἐνυπνίων ὧν φησιν ἑω[ρ̣ακέ]ναι· : « Aujourd’hui, ce qui se passe dans notre ville est tout à fait risible : Diognidès et Antidoros le métèque se voient intenter une eisangélie sous prétexte qu’ils louent leurs joueuses de flûte plus cher que ne le veut la loi, Agasiclès

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4. Diognidès et Antidoros le métèque ont été dénoncés par eisangélie sous prétexte qu’ils avaient loué leurs joueuses de flûte plus cher que ce que la loi permettait (n° 136). Nous n’avons pas à notre disposition d’autres informations sur ces procès. Il apparaît que, comme dans le cas de Lycophron, l’eisangélie a été interprétée de façon vague et que la violation de cette loi équivalait à une menace contre les lois de la cité en général et de la démocratie231. Normalement, la surveillance des questions relatives au salaire des joueuses de flûte était du ressort des astynomes232. 5. Agasiclès du Pirée a été dénoncé pour être inscrit frauduleusement dans le dème d’Halimonte (n° 137). On a conservé les fragments d’un discours de Dinarque dont le titre porte sur l’eisangélie intentée contre Agasiclès concernant une affaire de xenia (usurpation du droit de cité), qui est d’habitude plaidée par voie de graphè xenias233. D’après ces fragments on apprend qu’Agasiclès était fils d’un Scythe, chargé de la vérification des poids et mesures, un métier qu’il a continué à exercer lui-­même, et qu’il avait été admis dans le dème, très probablement, du Pirée234. L’accusation doit concerner son inscription dans le dème d’Halimonte en tant que citoyen et non en tant que métèque235. 6. Polyeuctos de Cydantidès a accusé Euxénippos par voie d’eisangélie de «  ne pas tenir le langage le plus conforme aux intérêts du peuple d’Athènes, parce qu’il recevait de l’argent et des présents des ennemis du peuple d’Athènes » (n° 139)236. Le prétexte de l’accusation était le suivant. Les tribus d’Athènes, par groupe de deux, se partageaient les collines d’Orôpos. Pourtant, la colline attribuée aux tribus Acamantide et Hippothontide avait été consacrée au dieu Amphiaraos et devait lui être restituée. Le peuple d’Athènes avait prescrit, à cet effet, à trois citoyens, parmi lesquels Euxénippos, de passer la nuit dans le sanctuaire d’Amphiaraos pour consulter le dieu sur les démarches nécessaires. Pendant cette nuit Euxénippos avait eu un songe qu’il a rapporté au peuple237, dont le contenu nous échappe. Polyeuctos a, par la suite, rédigé un décret qui du Pirée pour s’être fait inscrire dans le dème d’Halimonte, et Euxénippos pour ce qu’il dit avoir vu en songe ! » (trad. G. Colin). 231 Cf. Hansen 1975, 108-109. 232 Aristote, Constitution d’Athènes, L. 2. 233 Cf. Azoulay 2011, 200. 234 Dinarque, fr. XVI. 4 Conomis (Contre Agasiclès, dénonciation pour usurpation du droit de cité). Cf. Hansen 1975, 105 ; Cooper 2001, 104 n. 6. 235 Son identification en tant que métèque vient du fr. XVI. 5 Conomis. 236 Hypéride, Pour Euxénippos, 39. Cf. Hansen 1975, 109. 237 Hypéride, Pour Euxénippos, 14, 16.

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prescrivait que ces deux tribus devaient restituer la colline à Amphiaraos et que les huit autres devaient compenser les désavantages apportés aux deux tribus par cette restitution. Le décret a été attaqué238 comme illégal et Polyeuctos a été frappé d’une amende de vingt-­cinq drachmes (n° 138)239. Du coup, Polyeuctos accusa Euxénippos d’avoir rapporté des mensonges au peuple240. Lycurgue fut synégore pour Polyeuctos241 et Hypéride pour Euxénippos. Tandis que l’eisangélie intentée par Polyeuctos ne semblait pas violer la loi, elle n’était pas, selon Hypéride, conforme aux lois, parce qu’Euxénippos était un simple particulier et non un orateur, alors que la loi indiquait que ce type d’eisangélie s’adressait aux orateurs242. On ne connaît pas l’issue du procès. 7. En dernier lieu, on peut ajouter aux eisangélies qui n’étaient pas prévues par la loi trois autres eisangélies qui concernent le monde de l’emporion. Pour les deux premières ne sont conservés que quelques fragments de deux plaidoyers de Dinarque. a. Pour ce qui concerne la première (n° 156), le terme « eisangélie » est transmis par Harpocration. L’accusé est un certain Pythéas et l’accusation doit concerner le marché243. On peut situer le procès avant 322244, si l’on identifie ce Pythéas à l’orateur Pythéas qui a échappé à la prison pour dettes, s’est enfui en Macédoine, mais est, par la suite, rentré à Athènes245, très probablement à l’occasion de l’occupation macédonienne. b. Dans le deuxième cas, une personne inconnue a déposé une eisangélie contre Callisthénès (n° 157). Les fragments du plaidoyer cités par Harpocration plaident en faveur d’une affaire touchant au commerce du blé246. La datation du procès n’est pas sûre  ; il pourrait dater de toute la durée de la carrière de Dinarque en 238

Hansen 1975, 40, présente Euxénippos comme la personne qui a attaqué le décret. Le texte reste cependant vague sur ce point. Cf. Harris 2013a, 191 n. 50. 239 Hypéride, Pour Euxénippos, 15-18. 240 Ibid., 15. 241 Ibid., 12. 242 Ibid., 30, 38. Voir, sur ce point, Harris 2013a, 190-192, sur les deux interprétations du terme « orateur » et, par conséquent, les différentes interprétations de la loi sur l’eisangélie. 243 Dinarque, fr. VI Conomis [Contre Pythéas au sujet du marché, (dénonciation)]. Cf. Hansen 1975, 105. 244 Voir Hansen 1975, 105. 245 Souda, s. v. 246 Dinarque, fr. XIX Conomis (Contre Callisthénès, dénonciation). Cf. Hansen 1975, 106.

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tant que logographe247. Une datation dans les années 330-320 dépendrait du contenu du procès et des particularités de cette période, qui sont abordées juste après. c. En ce qui concerne le troisième cas (n° 140), les informations dont on dispose sont plus claires. En effet, dans le plaidoyer Contre Phormion, daté de 327/6248, on lit que les juges avaient condamné à mort un Athénien qui avait obtenu des prêts supplémentaires sur des marchandises, sans fournir des garanties aux prêteurs. La procédure est bien définie par le plaidoyer : l’accusation a été déposée auprès de l’Assemblée du peuple par voie d’eisangélie et a été par la suite déférée auprès du tribunal populaire249. L’affaire n’est pas très éloignée du discours actuel250. Ce troisième cas pose des questions sur l’eisangélie déposée pour un délit commercial, parce que le plaideur fait référence à cet épisode sans signaler que la procédure fût irrégulière. Cela pourrait s’expliquer de deux manières. D’une part, vu l’importance du monde de l’emporion pour Athènes, toute action contraire à ses intérêts commerciaux serait considérée comme un crime sérieux contre la cité et pourrait être attaquée par l’eisangélie. D’autre part, il faut tenir compte des conditions particulières des années 330-320. Athènes a subi à plusieurs reprises une crise liée au manque de céréales et à leur approvisionnement, provoqué par des raisons naturelles, par la piraterie et par les nouvelles conditions politiques après Chéronée251. Ainsi, l’usage de l’eisangélie contre toute activité concernant le domaine commercial qui ne se conformait pas aux lois et règles du commerce et qui ne facilitait pas le monde de l’emporion pourrait constituer une mesure exceptionnelle pour la période correspondante, comme celui-­ci a peut-­être eu lieu au cours de la guerre de Corinthe.

247

Sa carrière doit commencer vers le milieu des années 330, mais la période la plus importante est celle de 323-307. Voir Worthington 2001, 3-5. Sur la vie de Dinarque la source principale est Denys d’Halicarnasse. 248 Démosthène, Contre Phormion, 39. Cf. MacDowell 2004, 110. 249 Démosthène, Contre Phormion, 50 Ὑμεῖς γάρ ἐστε [οἱ αὐτοὶ] οἱ τὸν ἐπιδεδανεισμένον […] θανάτῳ ζημιώσαντες εἰσαγγελθέντα ἐν τῷ δήμῳ. : « C’est bien vous qui avez condamné cet accusé qui avait fait des emprunts […] à mort à la suite d’une dénonciation devant le peuple. » (trad. L. Gernet, légèrement modifiée). Cf. Hansen 1975, 109-110. 250 Cf. Hansen 1975, 110. 251 Pour ces problèmes survenus surtout dans les années 338/7, 335, 330/29, 328/7 et 323/2, voir Garnsey 1988, 150-164. Pour un résumé des décrets honorifiques votés en faveur des étrangers commerçants, voir Oliver 2007, 42-43 ; Lambert 2011a, 181-182.

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L’application de la procédure de l’apophasis contre ce type d’infractions pourrait plaider en faveur de cette deuxième hypothèse. Il est possible de le supposer en s’appuyant sur un passage tiré d’un papyrus daté du IIe siècle après J.-C.252. Les éditeurs du papyrus y ont reconnu un passage d’un discours d’Hypéride Pour Chairéphilos au sujet du poisson salé253, car le nom de Chairéphilos est attesté aussi dans cet extrait254. Le passage évoque la procédure de l’apophasis, selon laquelle l’Assemblée du peuple a confié au Conseil de l’Aréopage par un décret (ψηφίσματι)255 d’effectuer une enquête (ζητήσασα) et ce dernier, par la suite, lors de son rapport devant l’Assemblée (ἀπέφηνεν), « n’a nullement déclaré que Chairéphilos était coupable ». Pourtant, le passage d’Hypéride montre que Chairéphilos a été déféré devant la justice et commence à en expliquer les raisons, qui ne sont cependant pas conservées. Comme il n’est pas clair si les mots du plaideur sur la non-­culpabilité de Chairéphilos constituent un argument rhétorique256, il est difficile de dire si le procès en question s’est déroulé suite à l’apophasis (n° 133). En revanche, on est autorisé à remarquer que les cas auxquels l’apophasis s’adresse ont un caractère politique, ce qui n’est pas le cas pour Chairéphilos, d’autant que l’enquête a été effectuée au sujet du commerce du poisson. L’affaire concernant Chairéphilos date des environs de 330257, période pendant laquelle Athènes était confrontée à des problèmes d’approvisionnement. Ainsi, une procédure comme l’eisangélie, destinée traditionnellement aux affaires de caractère politique, pouvait être employée pour aider la cité pendant cette période de crise258. Ces exemples montrent une interprétation plus large de la loi sur l’eisangélie. Il n’est pas probable qu’il ait existé une nouvelle réglementation qui prescrivait cette extension du champ des délits. Aucun des cas cités plus haut ne le dit. D’ailleurs, Hypéride dans le Pour Euxénippos souligne le devoir des juges de « ne pas consentir à écouter les détails de l’accusation 252

Oxyrhynchus Papyri, vol. XXXIV, n° 2686, 14. Hypéride, fr. 181-191 Jensen (Pour Chairéphilos au sujet du poisson salé). 254 C’est très probablement Chairéphilos qui a acquis le droit de cité, grâce à la proposition de Démosthène (Dinarque, Contre Démosthène, 43). 255 Le décret mentionné dans le papyrus doit être celui de l’Assemblée. Cf. Cooper 2001, 149 n. 36. Pourtant, on ne peut pas exclure la possibilité qu’il soit un règlement sur le marché des poissons. Voir Oxyrhynchus Papyri, vol. XXXIV, n° 2686, 15. 256 Sur la discussion des problèmes que soulève la procédure selon laquelle s’est déroulé le procès en question contre Chairéphilos, voir Carawan 1987, 137-138 ; de Bruyn 1995, 133-134. 257 Sur la date, voir de Bruyn 1995, 133-134. 258 Azoulay 2011, 197-198, attribue cette redéfinition de l’apophasis « au développement d’une conception plus englobante de l’intérêt public après 350 ». 253

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avant d’avoir, d’abord, examiné sur quoi porte le débat et ce qu’objecte le mémoire de l’accusé, afin de voir si la légalité est respectée ou ne l’est pas  »259. Au contraire, cette extension de l’usage est attribuée par la majorité des commentateurs aux avantages que donnait l’eisangélie. Cette attribution repose sur deux textes d’Hypéride et de Pollux. Hypéride, dans la Défense pour Lycophron, remarque que l’accusateur ne courait aucun risque (ἀκίνδυνος) quand il poursuivait quelqu’un par eisangélie260. Pollux, qui s’appuie sur le texte d’Hypéride, souligne, pour sa part, que la personne qui intentait l’eisangélie et qui n’était pas arrivée à obtenir le cinquième des voix des juges ne souffrait aucun dommage (ἀζήμιος), contrairement à ce qui se passait pour le reste des actions publiques, où l’accusateur devait payer une amende de mille drachmes et subir une atimie261. Selon Pollux, pour empêcher l’abus de l’eisangélie et limiter son usage aux cas traditionnels, l’Assemblée a modifié le nomos eisangeltikos et a prévu pour les dénonciateurs une amende de mille drachmes. La datation de ce changement repose sur la datation du plaidoyer d’Hypéride, Défense pour Lycophron, qui n’est pas certaine et qui sert de terminus post quem, et sur les plaidoyers de Démosthène, Sur la Couronne, et d’Hypéride, Pour Euxénippos, qui servent de terminus ante quem. Pour ce qui concerne la première limite, il n’y a pas lieu d’entrer ici dans les détails de la discussion, mais il suffit de dire que le discours peut dater d’après 333262. Quant à la limite basse, il faut souligner que dans le texte tiré du plaidoyer Sur la Couronne, daté de 330, Démosthène, en évoquant les actions intentées contre lui après Chéronée, dit que, dans le cas des eisangélies, il a été acquitté et que les accusateurs n’ont pas obtenu le minimum de votes exigé263. Ses paroles montrent, d’une part, qu’on a déjà modifié la loi sur l’eisangélie et l’attribuent, d’autre part, au début des années 330, ce qui vient en contradiction avec le terminus post quem. Comme le Sur la Couronne fut prononcé en 330, Démosthène fait très probablement remonter à une période antérieure une pratique en vigueur à ce moment. De même, dans le Pour Euxénippos, daté après 330, Hypéride ne fait aucune mention des avantages de l’eisangélie, contrairement à ce qu’il 259

Hypéride, Pour Euxénippos, 4. Hypéride, Défense pour Lycophron, 8, 12. 261 Pollux, VIII. 52-53. 262 Pour la discussion sur la date du discours, voir Colin 1946, 121-123 ; Burtt 1954, 370-371, qui préfèrent une datation vers 333 ; Phillips 2006, 376-381, qui considère toutes les années 333, 332, 331 et 330 probables pour le déroulement du procès. Cf. Cooper 2001, 70-71 : daté probablement de 333. 263 Démosthène, Sur la Couronne, 250. 260

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fait dans la Défense pour Lycophron. Par conséquent, on peut fixer le changement aux années 333-330264. Néanmoins, cette tradition sur la modification de la loi pendant ces années a été contestée récemment. D’après cette nouvelle argumentation, la modification repose sur une interprétation erronée par Pollux du terme ἀκίνδυνος du texte d’Hypéride comme ἀζήμιος265. Au contraire, si on met à part cette interprétation et si on garde le texte d’Harpocration qui évoque l’amende de mille drachmes imposée aux dénonciateurs266, on peut supposer que l’eisangélie prévoyait dès son origine une amende et, ainsi, il n’y aurait pas besoin de supposer l’existence d’une réforme à la fin du IVe siècle, laquelle ne peut pas, d’ailleurs, être expliquée par les conditions historiques de la période267. L’inventaire des eisangélies que nous venons de citer plaide aussi en faveur de cette hypothèse. Ce dernier rend clair que, même après l’introduction supposée de l’amende de mille drachmes, l’eisangélie continuait d’être employée dans des cas qui n’étaient pas prévus dans la loi. Il va de soi que cela s’explique par le fait que l’eisangélie restait une procédure privilégiée, puisqu’elle n’entraînait pas l’atimie pour une dénonciation qui n’aboutissait pas, mais il n’explique pas pourquoi on n’observe pas de modification de l’usage de l’eisangélie, malgré la modification supposée de la loi. Par conséquent, les tribunaux héliastiques des années 330-320 n’ont probablement pas eu à modifier la peine qu’ils imposaient au dénonciateur qui n’arrivait pas à obtenir le cinquième des voix des juges. De façon identique à l’apophasis, le changement qu’ils ont connu était d’accueillir désormais des eisangélies de contenu différent268. Ces eisangélies sont plus fréquemment attestées dans les sources à partir de la fin des années 330 et les années 320 que dans les années précédentes – en sachant toujours qu’il convient de faire preuve de prudence quand on traite de sources fragmentaires et disparates. Quand on connaît la nature de l’accusation, il s’agit d’hommes qui sont dénoncés pour avoir nui aux intérêts de la cité 264

Cf. Colin 1946, 121, 149 ; Harrison 1971, 51 et 51-52 n. 3 ; Hansen 1975, 30. Voir Radicke 2004, 12-13. 266 Harpocration, s. v. ὁ δὲ διώκων, ἐὰν μὴ ἕλῃ, οὐδὲν ζημιοῦται, πλὴν ἐὰν τὸ εʹ μέρος τῶν ψήφων μὴ μεταλάβῃ· τότε γὰρ χιλίας ἐκτίνει· τὸ δὲ παλαιὸν καὶ οὗτοι μειζόνως ἐκολάζοντο. (éd. par J. J. Keaney 1991) : « Et le demandeur, s’il n’a pas fait condamner quelqu’un dans un procès, ne subit aucun dommage, sauf s’il n’a pas obtenu le cinquième des voix. Dans ce cas-­là, il paie une amende de mille drachmes. Dans les temps anciens, ces personnes aussi (ceux qui intentaient une eisangélie) étaient punis sévèrement. ». 267 Voir Radicke 2004, 13. Azoulay 2011, 203, penche aussi pour cette interprétation. 268 Sur cette évolution, voir Azoulay 2011, 203-205. 265

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par leur comportement ou leur activité, la notion d’« intérêts » englobant toute activité qui pourrait concerner la polis et non seulement l’exercice du pouvoir. Il semble que la situation politique de cette période était telle qu’elle favorisait l’utilisation de l’eisangélie pour d’autres fins que les ordinaires. La question est de savoir comment les héliastes les accueillaient, puisqu’en cas d’absence de loi définissant ces nouvelles catégories, il dépendait d’eux de juger de la légalité du procès ou de contribuer à l’évolution de la procédure. Les résultats de la plupart de ces eisangélies ne sont pas connus, à l’exception de celles contre Léocrate, Ménésaichmos et l’Athénien inconnu dans le Contre Phormion. Pour les deux derniers, les héliastes ont émis une condamnation : une amende, très probablement, et une condamnation à mort. Pour ce qui concerne Ménésaichmos, il est difficile de tirer plus de conclusions sur l’issue du procès, puisque sa datation n’est pas assurée. Juste dans le cas de l’Athénien inconnu, la décision doit être attribuée au climat politique du début des années 320, quand Athènes affrontait des difficultés de ravitaillement. La documentation se dérobant à l’analyse, il est difficile de faire davantage d’hypothèses269, mais vu le recours à cet usage de l’eisangélie, peut-­on préalablement supposer que les héliastes le permettaient ?

Conclusions La guerre des Alliés, même si elle n’était pas synonyme d’une dissolution complète de la seconde Confédération maritime, a, pourtant, dû réveiller la mémoire de la fin de la première Confédération athénienne et des résultats néfastes qui l’ont suivie. Les années 350 ne pouvaient pas évidemment mettre en cause le régime démocratique, mais elles ont généré des discussions soit théoriques soit d’une orientation pragmatique à propos du fonctionnement de la cité d’Athènes270. Les changements qui viennent d’être étudiés s’inscrivent dans cette direction et sont liés à deux aspects : d’un côté, aux besoins politiques, financiers et sociaux, pour la polis, pour se conformer aux nouvelles conditions de la seconde moitié 269

Harris 2013a, 213 sq., cite six cas jugés dans les tribunaux, lors desquels les juges devaient choisir entre deux différentes interprétations de la même loi et dont les résultats sont connus. Parmi ces cas, il cite celui de Lycurgue et Léocrate. Il conclut en admettant que les juges acceptaient, en général, l’interprétation traditionnelle de la loi. Pourtant, peut-­on vraiment tirer des conclusions sur la base de ces faits fragmentaires ? 270 Sur la notion de « changement » pendant les années qui ont suivi la défaite, voir Bartzoka 2017, 1-11.

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du IVe siècle ; d’un autre côté, à l’évolution des conceptions sur la façon dont la cité pourrait mieux fonctionner.

D. Les procès à caractère politique des années 355-322 Dans le plaidoyer de Démosthène Contre Bœotos I, Mantithéos accuse son demi-­frère Bœotos d’avoir été inscrit sur le registre de son dème sous le nom de Mantithéos. Il met, en effet, l’accent sur la confusion provoquée par ce double enregistrement, si la personne de ce nom est impliquée dans une affaire judiciaire. Pour renforcer son argumentation, il cite un événement récent271 : quand les soldats athéniens ont été envoyés à Tamynes d’Eubée, en 348, pour réprimer la révolte qui avait éclaté contre le tyran Plutarque272, Bœotos est resté à Athènes. Après le retour des soldats, Bœotos a été accusé d’abandon de poste et Mantithéos, en tant que taxiarque de la tribu, a été obligé de recueillir la plainte contre un homme qui portait le même nom et le même patronyme que lui. Il aurait introduit l’action devant le tribunal, si l’argent n’avait pas manqué pour le salaire des juges273. Cette dernière phrase plaide, à première vue, en faveur de l’hypothèse que la mobilisation militaire en Eubée qui date de la même période que l’envoi de secours à Olynthe (349-348)274 pourrait avoir provoqué un manque d’argent dans le trésor public pour verser l’indemnité judiciaire275. Pourtant, ce défaut ne doit pas avoir provoqué une suspension durable du fonctionnement des tribunaux populaires et il 271

Démosthène, Contre Bœotos I, 16-17. Démosthène, Sur la Paix, 5, Contre Midias, 162, 200 ; [Démosthène], Contre Nééra, 4  ; Eschine, Sur l’Ambassade, 169, Contre Ctésiphon, 86-88  ; Plutarque, Vie de Phocion, XII. Cf. Griffith 1979, 318-319 et 318 n. 2 ; Sealey 1993, 140-141 ; Carlier 20062, 127-128. 273 Démosthène, Contre Bœotos I, 17 καὶ εἰ μισθὸς ἐπορίσθη τοῖς δικαστηρίοις, εἰσῆγον ἂν δῆλον ὅτι. : « Et, si l’argent n’avait pas manqué pour le salaire des juges, il va sans dire que j’aurais dû introduire l’action. » (trad. L. Gernet). Ce passage s’attache à la discussion à savoir si les délits militaires – refus de servir, abandon de poste et lâcheté – sont jugés par les tribunaux héliastiques ordinaires ou par des tribunaux de soldats (voir Lysias, Contre Alcibiade, 5 τοὺς στρατιώτας δικάζειν). Voir aussi chapitre IV, n. 105. 274 Démosthène, Olynthienne  I,  II,  III  ; FGrHist,  III B 328 (Philochore), fr.  49-51. Cf. Griffith 1979, 317-319, 322-323  ; Carlier 20062, 126, 129-130. Pour une introduction, traduction en anglais et commentaire de ces trois harangues, voir Trevett 2011, 27-67. 275 Cf. Sinclair 1997, 149 ; Whitehead 2002, 82 n. 49 ; Rhodes 2008b, 35 ; Scafuro 2011, 49 n. 53. 272

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s’agit plutôt d’une situation très temporaire, étant donné que les finances de la cité étaient en bon état à cette période276. Hormis cette information qu’on trouve chez Démosthène, on ne dispose pas d’autres éléments qui attestent la suspension du fonctionnement du tribunal populaire dans la période qui va de la fin de la guerre des Alliés jusqu’à la guerre lamiaque. Pour la période concernée, l’activité des tribunaux populaires est, en majorité, connue par les plaidoyers de Démosthène, de Dinarque, Eschine, Hypéride et Lycurgue, ainsi que par leurs fragments277. Ces textes donnent des renseignements sur le type des procès politiques qui sont portés devant les tribunaux héliastiques et sur les débats politiques. Qui plus est, un élément est à prendre en considération lorsqu’on étudie la politique de cette période. Pour ne pas avoir une image biaisée de la popularité de Démosthène, il faut garder à l’esprit que les discours qui sont prononcés devant l’Assemblée du peuple sont les seules harangues qui ont été conservées pour cette période278. D’où le déséquilibre qui subsiste quant à la présentation de certains événements et la présentation des faits selon une seule perspective, celle de Démosthène. Si l’on tente ainsi de reconstituer l’activité des tribunaux, en s’appuyant en partie sur les discussions devant l’Assemblée, il vaut mieux garder à l’esprit ces considérations. Dans les premières années qui suivent le grave échec d’Athènes dans la guerre des Alliés, la cité cherche à suivre une nouvelle direction, dont l’un des aspects est le redressement de ses finances – qui sont en mauvais état279 –, comme en témoigne le discours de Xénophon Sur les Revenus 276

Selon Cawkwell 1963, 62-63, cette expression de Démosthène ne doit pas être prise trop sérieusement. 277 Des procès à caractère politique de la période, mais qu’on ne peut pas dater précisement, sont les suivants  : une action en illégalité intentée contre Stéphanos (Dinarque, fr. XVIII Conomis) (n° 159), une action en illégalité intentée contre Démosthène par un certain Callicratès (Dinarque, fr. XLVII Conomis) (n° 160), des accusations faites lors de la reddition de comptes de Lycurgue (Lycurgue, fr. IV Conomis ; Dinarque, fr. VIII Conomis ; Lycurgue, fr. V Conomis) (n° 161-163), un procès concernant les honneurs accordés à Eubule après sa mort (Hypéride, fr. 104-106 Jensen ; Schol. Eschine, Sur l’Ambassade, 8) (n° 158). 278 Sur la différence entre le nombre de harangues de Démosthène et ceux des autres orateurs, voir Hansen 1984, 60. D’après Carlier 20062, 318, cette différence ne doit pas être exagérée et est attribuée au fait que les harangues de Démosthène étaient exceptionnellement appréciées dans l’Antiquité. Sur les problèmes que présente cette documentation, particulièrement démosthénienne, voir Brun 2015, 22-25, 117-118, 126-127, 142. 279 Démosthène, Contre Leptine, 24 ἐν κοινῷ μὲν μηδ’ ὁτιοῦν ὑπάρχει τῇ πόλει : « le Trésor public est vide », 25 νυνὶ τῇ πόλει, δυοῖν ἀγαθοῖν ὄντοιν, πλούτου καὶ

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et la prise d’une série de mesures, telles que l’introduction des actions commerciales, dites emmènoi. L’autre aspect de cette politique se reflète dans les décisions de l’Assemblée de s’abstenir des expéditions non nécessaires. Cela se vérifie à travers l’attitude que l’Assemblée tient lors des discussions autour de la prise en charge d’une expédition contre les Perses en 354280, l’envoi ou non d’aide militaire aux Mégalopolitains contre les Spartiates en 353/2281 ainsi qu’aux démocrates rhodiens contre les oligarques pendant la même année282. C’est dans ce cadre politique que se tiennent les discussions et la confrontation des hommes politiques dans l’espace de l’Assemblée. À cet égard, l’absence pour cette période de grandes initiatives militaires ne favorise pas le déroulement de procès politiques concernant le champ militaire, dans lesquels la procédure de l’eisangélie posséderait une place centrale ; les procès de 356 contre les stratèges d’Embata étaient les derniers d’une série de procès intentés contre les stratèges du milieu du IVe siècle. Désormais, les débats sur les décrets et les lois relatifs aux finances d’Athènes sont passés de l’Assemblée aux tribunaux. Androtion, membre du Conseil en 356/5, fit voter un décret, selon lequel la magistrature chargée de récupérer les arriérés fiscaux de l’eisphora, pour laquelle un certain Euctémon avait été tiré au sort, fut remplacée par une commission dont il faisait lui-­même partie. En effet, Euctémon fut remplacé suite à une accusation de corruption portée par Androtion283. Une année plus τοῦ πρὸς ἅπαντας πιστεύεσθαι, ἐστὶ τὸ τῆς πίστεως ὑπάρχον : « de ces deux avantages, la richesse et la confiance générale, notre cité, à l’heure actuelle, possède déjà l’un, la confiance » (trad. O. Navarre – P. Orsini). 280 Démosthène, Sur les Symmories. Cf. Sealey 1993, 128 ; Badian 2000, 28-30 ; Carlier 20062, 78-81  ; MacDowell 2009, 142-147  ; Worthington 2013, 84-89. Pour le commentaire de la harangue, voir Trevett 2011, 240-256. 281 Démosthène, Pour les Mégalopolitains. Cf. Sealey 1993, 129 ; Badian 2000, 30-31 ; Carlier 20062, 81-83 ; MacDowell 2009, 207-210 ; Worthington 2013, 100-103. Pour le commentaire de la harangue, voir Trevett 2011, 274-285. 282 Démosthène, Pour la liberté des Rhodiens. Cf. Carlier 20062, 83-86 ; MacDowell 2009, 218-223 ; Worthington 2013, 123-126. Pour la datation de ce discours des années 353 ou 352, voir Carlier 20062, 87. C’est la datation que j’accepte ici, puisque le contenu du discours montre que Philippe n’est pas encore considéré comme un danger majeur (cette appréciation doit être antérieure à l’intervention de Philippe aux Thermopyles pendant l’été 352). Sur la datation de la harangue en 351/0 sur la base de Denys d’Halicarnasse, voir Sealey 1993, 133 ; MacDowell 2009, 219 ; Brun 2015, 216. Trevett 2011, 257-258, hésite entre ces deux dates, en évoquant les raisons qui justifient cette hésitation. 283 Démosthène, Contre Androtion, 48, Contre Timocrate, 160-162. Sur la datation de cet événement, voir Sealey 1955, 78 ; Harding 1976, 192-193. Je suis d’accord avec la datation de cette activité d’Androtion en 356/5, alors qu’il était membre du Conseil.

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tard284, Euctémon, assisté par Diodoros285, intenta une action en illégalité contre Androtion (n° 87)286. Ce dernier avait proposé devant l’Assemblée de faire couronner le Conseil de 356/5, sorti de charge287. L’illégalité du décret, qui avait été ratifié par l’Assemblée, résidait, selon Diodoros, dans les trois points suivants : la proposition avait été portée devant l’Assemblée sans consultation préalable du Conseil288, la loi interdisait le couronnement du Conseil si ce dernier n’avait pas construit le nombre de vaisseaux requis pendant son service289 et Androtion n’avait pas le droit de procéder à une telle proposition, puisqu’il était prostitué et débiteur de la cité290. Même si ce n’est pas le décret d’Androtion concernant les arriérés fiscaux de l’eisphora qui fut attaqué devant le tribunal mais celui concernant la couronne du Conseil retraité, l’accusateur tente de montrer qu’Androtion va recourir à l’argument que ce qui lui arrive est dû à son activité comme collecteur des arriérés et que son éventuelle condamnation assurerait l’impunité aux contribuables récalcitrants291. Il s’agit d’un argument qui pourrait avoir une influence dans une cité qui a des difficultés financières. En effet, son activité ultérieure comme ambassadeur auprès du satrape Mausole montre qu’il n’a pas été jugé de manière rigoureuse, mais cela ne permet pas de savoir s’il a été acquitté ni si son décret a été retenu ou rejeté292. L’accusation que porta le fils d’un certain Bathippos, Apséphion, assisté par Phormion et Démosthène, contre Leptine293 pour avoir proposé et fait ratifier une loi nocive (n° 88)294 date de la même année295. En 356, Leptine 284

Voir Blass III. 1, 226 ; Navarre – Orsini 1957, 8. Démosthène, Contre Androtion, 1. Cf. Hansen 1974, 32. 286 Déjà, avant le dépôt de cette action, les relations entre ces hommes n’étaient pas bonnes. D’une part, Androtion avait intenté une action pour impiété contre l’oncle de Diodoros, sous prétexte que Diodoros était coupable de parricide et que son oncle acceptait de fréquenter un neveu parricide. L’oncle de Diodoros a été acquitté (Démosthène, Contre Androtion, 2-3, Contre Timocrate, 7). 287 Démosthène, Contre Androtion, 8. 288 Ibid., 5-7. Cf. Yunis 1988, 372. 289 Démosthène, Contre Androtion, 8, 12-18. 290 Ibid., 24, 30, 33-34. 291 Ibid., 42-44. Sur les questions financières présentes dans les premiers discours de Démosthène, voir Burke 2002, 165-193. 292 Cf. Harris 2008, 170. Badian 2000, 21, et Worthington 2013, 77, pensent qu’il a été acquitté. 293 Sur un bilan des accusateurs et des défendeurs, voir Kremmydas 2012, 34-38  ; Canevaro 2016, 33-36. Il n’est pas sûr que Ctésippos, fils de Chabrias, ait participé à l’accusation contre Leptine. 294 Démosthène, Contre Leptine, 88, 95 ; Autre Argument sur le discours, 3. 295 Voir Blass III. 1, 231 ; Navarre – Orsini 1957, 55 ; Canevaro 2016, 9-11. 285

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avait fait voter une loi qui supprimait l’exemption de la participation aux liturgies ordinaires dont avaient joui les bienfaiteurs de la cité, à l’exception des descendants d’Harmodios et Aristogiton296. Comme plus d’un an s’était écoulé entre la ratification de la loi et le dépôt de l’accusation, le procès visait, dans un premier temps, à supprimer la loi de Leptine, d’autant que ce dernier ne courait aucun risque297. Démosthène essaie d’expliquer devant les héliastes que cette loi n’apporte aucun effet bénéfique pour le trésor de la cité : il s’agit d’une mesure qui est attribuée à la politique de l’« anxiété financière »298 à l’époque de la guerre et qui ne supprime que les exemptions des liturgies ordinaires et non la contribution de l’eisphora et des triérarchies ; les liturgies actuelles continueraient à toucher les mêmes personnes que par le passé et non les grandes fortunes ; au lieu d’une telle loi, il fallait chercher d’autres moyens pour une meilleure répartition des charges des liturgies299. En effet, pour Démosthène, la loi de Leptine pourrait avoir des conséquences négatives sur les finances d’Athènes. La suppression des privilèges d’un certain nombre de bienfaiteurs pourrait pousser les citoyens ou les étrangers à ne plus rendre volontiers service à la cité. Leucon, prince du Bosphore et jouissant des honneurs d’Athènes, pourrait appartenir à une telle catégorie. Pour une cité comme Athènes, qui importait du Pont une quantité non négligeable de blé et bénéficiait de certains avantages conférés par le prince sur ces importations, l’idée que Leucon pouvait être lésé par la loi de Leptine était sujet à réflexion et source d’hésitation dans une période difficile pour ses finances300. Il est fort probable, selon Dion Chrysostome, que les accusateurs aient gagné le procès et que la loi ait été abolie301. Pendant la même période et à l’occasion d’un décret proposé par Aristophon302, qui stipulait la désignation d’un comité d’instructeurs 296

Démosthène, Contre Leptine, 29. Sur la datation de cette loi, voir Démosthène, Contre Leptine, 144. Cf. Sealey 1955, 78 n. 54. 297 Démosthène, Contre Leptine, 144. 298 Voir Sealey 1993, 113. 299 Démosthène, Contre Leptine, 18-28. 300 Ibid., 29-40. Cf. MacDowell 2009, 163-164 ; Worthington 2013, 81 ; Canevaro 2016, 241-251. 301 Dion Chrysostome, Discours, XXXI. 128. Cf. Harris 2008, 20-21 ; Worthington 2013, 82-83. Sealey 1993, 127, exprime son incertitude sur le résultat. Au contraire, Kremmydas 2012, 58-60, penche pour l’annulation de la loi, mais il le fait en se fondant plutôt sur des sources épigraphiques et non sur le témoignage de Dion, qu’il considère comme douteux. 302 La datation du décret n’est pas certaine. Selon Sealey 1955, 78 n. 55, il peut dater de 356/5 en raison de la ressemblance entre ce décret, la loi de Leptine et le décret d’Androtion concernant le paiement des arriérés fiscaux. On attribue ces mesures aux

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chargés de recevoir toute accusation contre les détenteurs de sommes sacrées ou publiques, Euctémon accusa les triérarques Archébios et Lysitheidès d’avoir détourné neuf talents et trente mines. Le Conseil rédigea un projet et l’affaire fut discutée à l’Assemblée, devant laquelle Euctémon répéta son accusation. Les ambassadeurs Androtion, Glaukétès et Mélanopos protestèrent qu’en réalité c’étaient eux-­mêmes qui détenaient l’argent et non les triérarques et demandèrent qu’on leur laissât faire des recherches à ce sujet entre eux. Lors du débat, Euctémon proposa que les triérarques soient considérés comme des débiteurs et que tout conflit éventuel entre les triérarques et les ambassadeurs soit réglé par diadikasia devant le tribunal. Sa proposition, attaquée comme illégale par les ambassadeurs (n° 89), fut, par la suite, retenue par le tribunal et les ambassadeurs furent obligés de restituer l’argent à la cité303. Suite à ce procès, Timocrate proposa et fit ratifier une loi qui accordait des délais à des débiteurs publics304. Selon cette loi, le délai de paiement serait prolongé jusqu’à la neuvième prytanie et les débiteurs ne pourraient être jetés en prison pendant le temps correspondant. En réalité, cette loi a été proposée en faveur de son ami, Androtion, l’un des ambassadeurs et débiteur de la cité. Diodoros déposa contre Timocrate une accusation pour avoir proposé une loi nocive (n° 90)305. Dans son plaidoyer, Diodoros présente entre autres les effets funestes de cette loi sur les dépenses publiques : offrir aux débiteurs de la cité un délai pour payer jusqu’à la neuvième prytanie ne permettrait plus de payer les magistrats, l’Assemblée, le Conseil et les tribunaux306. Il s’agit bien entendu d’une exagération de Diodoros307, mais on peut comprendre l’impact qu’elle pouvait avoir au tribunal dans cette période. L’issue du procès n’est pas connue308, mais on difficultés financières d’Athènes pendant la guerre des Alliés. Hansen 1983b, 161, date le décret de 354/3. Cette datation me semble aussi logique que celle proposée par Sealey, puisque les finances de la cité juste après la guerre étaient en mauvais état. 303 Démosthène, Contre Timocrate, 9-15, 117. Cf. Hansen 1974, 32-33. 304 Démosthène, Contre Timocrate, 39-40. Sur la date peut-­être au début de l’année 352, voir Blass III. 1, 24 ; Navarre – Orsini 1957, 114. 305 Démosthène, Contre Timocrate, 1. L’illégalité de la loi est signalée à plusieurs reprises dans le discours. 306 Démosthène, Contre Timocrate, 96-101. Cf. Worthington 2013, 104-105. 307 Cf. MacDowell 2009, 192. 308 Badian 2000, 23, suppose que Timocrate a été acquitté. La même hypothèse est énoncée par Worthington 2013, 105, parce que Timocrate est parmi les personnes qui en 347/6 ont soutenu Midias dans le procès entre ce dernier et Démosthène (voir chapitre IV, n. 107). Selon MacDowell 2009, 195-196, la synthèse du plaidoyer plaide en faveur du fait que le discours est incomplet, que les ambassadeurs ont payé leur dette et que les accusateurs ont abandonné par la suite leur action contre Timocrate.

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connaît le résultat de l’action en illégalité déposée un peu plus tôt contre Euctémon, qui montre que le tribunal a ratifié le décret et a obligé les ambassadeurs à payer la somme due. Selon les sources disponibles, il est très difficile de dire si les décisions judiciaires que les tribunaux héliastiques prennent sont en lien avec la politique que l’Assemblée exerce. Du moins, il est possible de remarquer qu’en ce qui concerne l’action en illégalité intentée par les ambassadeurs contre Euctémon, le tribunal a ratifié la décision de l’Assemblée et a reconnu que la cité devait améliorer l’état de ses finances. En outre, ces débats visent à contrer la politique menée par certains hommes politiques pendant la période de la guerre. Même si les conflits sont renforcés par des inimitiés personnelles, comme c’est le cas de Diodoros, d’Euctémon et d’Androtion309, à partir du moment où le dernier mot appartient aux tribunaux, il est naturel que ceux-­ci deviennent le champ d’affrontement des hommes au pouvoir. Ainsi, ces conflits sont souvent vus sous l’angle de la confrontation des groupes politiques : on se demande si Diodoros veut, parallèlement, éliminer Androtion et sa politique pendant la guerre des Alliés et s’il en est de même pour Leptine310. À la fin des années 350, le type de procès portés devant les tribunaux est le même que celui des années précédentes, une action lancée contre un décret illégal. Ce qui est différent est le contenu du décret qui est attaqué et qui est de plus en plus lié à la politique extérieure d’Athènes. En 352/1311, Euthyclès312 intenta une action en illégalité contre Aristocrate (n° 91)313. Ce dernier avait fait une proposition (elle n’avait pas été encore ratifiée par l’Assemblée314) qui accordait à Charidémos315, chef des mercenaires au service de Kersobleptès et ayant obtenu la citoyenneté athénienne, une protection selon laquelle le meurtrier éventuel de Charidémos pouvait être mis à mort sans jugement316. Pour Euthyclès, le décret était illégal pour

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Cf. Badian 2000, 22-24. Cf. Perlman 1963, 342-343. Sur les groupes politiques avant et après la guerre des Alliés, voir Sealey 1955, 74-81 ; Mossé 1974, 223-225 ; Harding 1976, 193-194, 199 ; Carlier 20062, 76-78, 80-81. 311 Voir Blass III. 1, 254 ; Humbert – Gernet 1959, 98. 312 Il s’agit du même Euthyclès qui en 359 avait accusé par voie d’eisangélie le stratège Képhisodotos pour trahison. Voir Démosthène, Contre Aristocrate, 5. 313 Démosthène, Contre Aristocrate, 18. 314 Ibid., 14, 16. 315 Sur ce personnage et son image diffamatoire donnée par Démosthène, voir Bianco 2014, 313-325. 316 Démosthène, Contre Aristocrate, 11, 23. 310

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trois raisons : il venait en contradiction avec les lois de la cité317, surtout celles qui concernaient les affaires d’homicide ; il ne servait pas les intérêts athéniens318 ; et la carrière antérieure de Charidémos ne méritait pas une telle protection319. On ne connaît pas l’issue du procès. Du moins, on sait que le résultat n’aurait eu aucun effet sur le décret, puisque, selon la loi en vigueur, toute proposition ayant fait l’objet d’un vote préalable par le Conseil devenait caduque, si elle n’avait pas été votée par l’Assemblée dans l’année, ce qui était le cas pour la proposition d’Aristocrate320. Toutefois, Euthyclès tente de montrer le dommage que la cité subirait du fait de ce décret. Le privilège accordé à Charidémos était contraire aux intérêts d’Athènes, puisque ce privilège accordait des avantages à Kersobleptès et qu’une éventuelle prépondérance d’un prince thrace constituerait une grande menace pour les intérêts d’Athènes dans la région du Nord de l’Égée321. Cette dernière était toujours cruciale pour Athènes, qui n’a jamais cessé d’y consolider son pouvoir même après la guerre des Alliés : en 353, le stratège Charès avait détruit Sestos et les Athéniens avaient installé des clérouquies en Chersonèse322. Contrairement à la politique thrace choisie par Charidémos, la politique évoquée par Euthyclès était la politique d’équilibre qui fut aussi soutenue par Démosthène dans sa harangue Pour les Mégalopolitains à propos des Spartiates et des Thébains323. De même, dans les actions menées contre les deux décrets honorifiques en faveur de deux individus, Pitholas de Phères (n° 92)324 et Apollonidès d’Olynthe (n° 93), on peut deviner les discussions portant sur les rapports d’Athènes avec les cités correspondantes. Ces deux actions en illégalité datent de la fin des années 350/début 340 (?) et visent les deux décrets honorifiques qui ont octroyé la citoyenneté athénienne à ces deux individus. Les sources du IVe siècle, littéraires et épigraphiques, attestent l’existence de deux étapes dans la procédure visant à accorder le droit de cité à un étranger : un premier vote au sein de l’Assemblée du peuple qui décide d’accorder ou non le droit de cité à un étranger, et un deuxième 317

Ibid., 18, 22-86. Cf. Yunis 1988, 370-371. Démosthène, Contre Aristocrate, 18, 101-143. 319 Ibid., 18, 144-214. 320 Ibid., 92. Toutefois, il faut, au moins, poser la question sur les implications d’une décision judiciaire qui acquitterait l’auteur de la proposition et qui reconnaîtrait, ainsi, la légalité du probouleuma expiré. Voir à ce propos, Giannadaki 2014, 30-31. 321 Démosthène, Contre Aristocrate, 101-106. 322 Diodore de Sicile, XVI. 34. 3-4. 323 Démosthène, Pour les Mégalopolitains, 20-24. Cf. Démosthène, Contre Aristocrate, 102-103. Cf. Carlier 20062, 104-105 ; Worthington 2013, 100, 112. 324 Osborne III, 62, propose pour le décret la datation de 352 ou sitôt après. 318

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vote, effectué par un quorum de six mille Athéniens, présents au sein de la réunion de l’Assemblée suivante, qui doit confirmer ou infirmer cette décision325. Une troisième étape, celle de la dokimasia devant les tribunaux, présidés par les thesmothètes, est attestée dans les inscriptions de la fin du IVe siècle, tout d’abord, dans une inscription dont la datation n’est pas certaine (318 ?)326, et par la suite, dans les inscriptions datées à partir de 303/2327. Il s’agit de l’examen préliminaire du droit de cité ou de la récompense, qui a été voté préalablement par l’Assemblée du peuple, et de la confirmation ou du rejet de ce décret par le tribunal328. Pourtant, une référence obscure dans le Contre Nééra pose des questions supplémentaires329. Le sujet porte sur l’octroi du droit de cité aux Platéens en 427. Démosthène cite le décret et par la suite procède au commentaire du décret. Selon ce commentaire, les Platéens, qui avaient reçu ce privilège, devaient passer chacun individuellement une dokimasia devant le tribunal, afin de confirmer qu’ils étaient vraiment Platéens et qu’ils étaient amis du peuple d’Athènes, pour empêcher toute usurpation du droit de cité. La phrase n’a pas d’équivalent dans le décret inséré dans le texte de Démosthène. D’ailleurs, l’authenticité du décret est elle-­même très discutée330, de sorte qu’il ne constitue pas une source permettant d’éclairer le sens de la dokimasia chez Démosthène. À cet égard, il y a deux façons possibles d’interpréter cette phrase. L’une serait de la considérer comme un 325

Voir, à titre indicatif, [Démosthène], Contre Nééra, 89-90. Sur la procédure de l’octroi du droit de cité, voir Osborne I-III. 326 Osborne I, 98-99, D36. Voir Osborne II, 101-102, sur la discussion de la datation du décret. Voir aussi n. 30. 327 Osborne I, 137-139, D61. C’est la première attestation sûre de cette dokimasia. 328 Voir Feyel 2009, 230-231 et 231-232 n. 41. 329 [Démosthène], Contre Nééra, 105 Ὁρᾶτε, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, ὡς καλῶς καὶ δικαίως ἔγραψεν ὁ ῥήτωρ ὑπὲρ τοῦ δήμου τοῦ Ἀθηναίων, καὶ ἠξίωσε τοὺς Πλαταιέας λαμβάνοντας τὴν δωρεὰν πρῶτον μὲν δοκιμασθῆναι ἐν τῷ δικαστηρίῳ κατ’ ἄνδρα ἕκαστον, εἰ ἔστιν Πλαταιεὺς καὶ εἰ τῶν φίλων τῶν τῆς πόλεως, ἵνα μὴ ἐπὶ ταύτῃ τῇ προφάσει πολλοὶ μεταλάβωσι τῆς πολιτείας· ἔπειτα τοὺς δοκιμασθέντας ἀναγραφῆναι ἐν στήλῃ λιθίνῃ.  : «  Vous voyez bien, Athéniens, avec quelle noblesse et quelle justice l’orateur a rédigé ce texte dans l’intérêt du peuple des Athéniens : il a demandé que les Platéens qui recevront ce privilège soient d’abord examinés devant le tribunal individuellement, pour voir s’ils sont vraiment Platéens et s’ils comptent parmi les amis de la cité, afin d’éviter que beaucoup ne trouvent là un prétexte pour obtenir le droit de cité ; ensuite, que les noms des personnes examinées avec succès soient gravés sur une stèle de pierre. » (trad. L. Gernet). 330 Sur les doutes exprimés à propos de l’authenticité du document, voir Canevaro 2010, 337-369 ; id. 2013a, 196-208.

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cas unique et exceptionnel pour la fin du Ve siècle : elle concerne seulement les Platéens, étant donné que ce privilège est accordé collectivement et que toute personne qui le voulait pouvait profiter de cette récompense, faute de contrôle strict331. L’autre serait de la voir comme une interprétation erronée du décret et comme un anachronisme reprenant une procédure connue des juges de l’affaire contre Nééra, puisqu’elle aurait été en vigueur dans les années 340, date du plaidoyer332. Pourtant, pour ce qui est de cette deuxième interprétation, on se heurte à la difficulté qu’elle ne peut être confirmée ni par les autres témoignages littéraires ni par les sources épigraphiques du IVe siècle. Il est vrai que la procédure de la dokimasia technique, financière ou politique est un lieu commun dans l’Athènes du IVe siècle333. Pour le Ve siècle, on l’a déjà montré, les sources disponibles montrent334 qu’« au moins existent à Athènes de la fin du Ve siècle les dokimasiai des vaisseaux, des jeunes gens, des orphelins et des magistrats »335, sans que les textes correspondants donnent de détails. Ce manque de sources ne facilite ni la recherche de parallèles pour la dokimasia des Platéens ni les hypothèses à propos de l’existence répandue des dokimasiai pendant le Ve siècle. Pour ce qui est du siècle suivant, la formulation de la phrase « s’il est vraiment Platéen et s’il compte parmi les amis de la cité » (εἰ ἔστιν Πλαταιεὺς καὶ εἰ τῶν φίλων τῶν τῆς πόλεως) peut trouver des parallèles dans d’autres dokimasiai du IVe siècle. La première partie de la phrase concerne la vérification de l’identité des candidats. Ainsi, dans la dokimasia des éphèbes prêts à obtenir le droit de cité, il est question de leur statut libre et de la légitimité de leur naissance336. Cette deuxième expression équivaut à l’examen de la filiation du candidat et, ainsi, à son identité en tant qu’Athénien. Dans le même sens, dans la dokimasia des neuf archontes, les premières questions portent sur le nom du père du candidat, sur le dème de son père et le nom de son grand-­père paternel, ainsi que sur le nom de sa mère, le nom de son grand-­père maternel et le dème d’où il vient337. Quant à la deuxième partie de la phrase où il est question de savoir si le Platéen est l’ami des Athéniens, il s’agit de confirmer 331

Voir Osborne III, 160, 164-165. Ainsi, la troisième étape correspondant à la dokimasia du droit de cité devant les tribunaux serait introduite pendant la courte période de la démocratie en 318, abolie par la suite et rétablie à partir de 303/2. 332 Voir Feyel 2009, 46, 224-225. 333 Sur ces dokimasiai, voir Feyel 2009, 49-220. 334 IG I3, 498, 499, 500 ; Aristophane, Guêpes, v. 578 ; [Xénophon], Constitution des Athéniens, III. 4. 335 Voir Feyel 2009, 33. 336 Aristote, Constitution d’Athènes, XLII. 1. 337 Ibid., LV. 3.

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que le Platéen mérite la récompense de la citoyenneté. Des parallèles, même indirects, peuvent être trouvés dans les dokimasiai politiques, où on porte un regard moral sur la carrière civique du candidat338, mais aussi dans le cas de l’action en illégalité intentée contre un décret accordant le droit de cité, où il est question du décret voté conformément aux lois et du mérite du candidat339. Il y a, donc, des procédures déjà en vigueur au IVe siècle, qui peuvent servir de base à l’institution de la dokimasia du droit de cité devant les tribunaux héliastiques. Si dans le passage de Démosthène on vérifie la qualité des Platéens et leur aptitude à recevoir un tel honneur, dans les inscriptions du IIIe  siècle, il est question non seulement du mérite de la personne honorée, mais aussi de la récompense elle-­même, à savoir que l’on vérifie si « l’honneur qu’on lui accorde est adapté aux bienfaits dont les Athéniens lui sont redevables »340. On ne sait pas s’il s’agit d’une évolution de la procédure au cours du IIIe siècle ou si Démosthène oublie de s’y référer, dans le cas où on admet que la dokimasia du droit de cité existe avant même la fin du IVe siècle. Il semble plus logique d’admettre qu’une telle procédure organisée n’existait pas, au moins, au Ve siècle, et de souligner la difficulté qui subsiste de formuler des conclusions pour le milieu du IVe siècle, vu que le texte de Démosthène est le seul témoignage qui s’y réfère et qu’il traite d’un cas particulier, celui de la naturalisation des Platéens341. Revenons aux honneurs accordés en faveur de Pitholas et Apollonidès. Ceux-­ci furent attaqués par la voie de l’action en illégalité, parce qu’ils étaient illégaux et parce que les personnes honorées ne les méritaient pas342, mais parallèlement les attaques pouvaient provenir des groupes 338

Voir, à titre indicatif, ibid., LV. 3 ; Dinarque, Contre Aristogiton, 17. Pour une discussion détaillée, voir Feyel 2009, 155-220. 339 Démosthène, Contre Aristocrate, 18, 22-86, 144-214 ; [Démosthène], Contre Nééra, 90. 340 Voir Feyel 2009, 230. Voir, par exemple, Osborne  I, 204-205, D96, l.  49-50 [δοκιμ]ασίαν τῆς πολιτείας| [καὶ τῆς δωρεᾶς] : « dokimasia du droit de cité et de la récompense », Osborne I, 163-164, D76, l. 55 δοκιμα[σί]αν τῆς δωρεᾶς : « dokimasia de la récompense ». 341 Cf. Gauthier 1986, 131  : «  Un phénomène comme l’apparition, puis la brève réapparition, dans les années 300, de la dokimasia des nouveaux citoyens exigerait, pour être correctement interprétée, la découverte de textes bien datés et bien conservés. » 342 [Démosthène], Contre Nééra, 90-91 Τοὺς δὲ πρυτάνεις κελεύει τιθέναι τοὺς καδίσκους ὁ νόμος καὶ τὴν ψῆφον διδόναι προσιόντι τῷ δήμῳ πρὶν τοὺς ξένους εἰσιέναι […] εἰ ἄξιός ἐστι τῆς δωρεᾶς ὁ μέλλων λήψεσθαι. Ἔπειτα μετὰ ταῦτα παρανόμων γραφὴν ἐποίησε κατ’ αὐτοῦ τῷ βουλομένῳ Ἀθηναίων, καὶ ἔστιν εἰσελθόντα εἰς τὸ δικαστήριον ἐξελέγξαι ὡς οὐκ ἄξιός ἐστι τῆς δωρεᾶς, ἀλλὰ παρὰ τοὺς νόμους Ἀθηναῖος γέγονεν. Καὶ ἤδη τισὶ τοῦ δήμου δόντος

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qui s’opposaient à un tel honneur. Pitholas et Lycophron étaient les tyrans de Phères, qui, selon Diodore de Sicile, avaient été expulsés et avaient livré Phères à Philippe en 352343. Ce droit avait donc probablement été donné à l’occasion de la troisième guerre sacrée, quand Athènes et Phères avaient offert leur soutien aux Phocidiens344, et pourrait avoir été proposé par le groupe qui s’opposait à Philippe345. Or, le tribunal annula le décret et priva Pitholas de la citoyenneté. On ne peut pas, pourtant, savoir si cette décision était due aux mauvaises relations politiques entre Athènes et Phères à cette époque ou si, comme l’affirme Aristote, la ratification du décret avait été décidée suite à un acte de corruption commis par Pitholas346. Pour ce qui concerne Apollonidès d’Olynthe, il appartenait au groupe anti-­macédonien d’Olynthe et avait été expulsé de la cité par le groupe pro-­macédonien347. L’honneur pourrait avoir été proposé par une personne qui favorisait les relations entre Athènes et Olynthe et l’accusation être le fait d’un adversaire. Comme dans le cas de Pitholas, le tribunal annula le décret et priva Apollonidès de la citoyenneté348. La datation de τὴν δωρεάν, λόγῳ ἐξαπατηθέντος ὑπὸ τῶν αἰτούντων, παρανόμων γραφῆς γενομένης καὶ εἰσελθούσης εἰς τὸ δικαστήριον, ἐξελεγχθῆναι συνέβη τὸν εἰληφότα τὴν δωρεὰν μὴ ἄξιον εἶναι αὐτῆς, καὶ ἀφείλετο τὸ δικαστήριον. : « La loi demande que les prytanes placent les urnes et remettent les psèphoi au peuple qui arrive, avant que les étrangers ne pénètrent […] si celui dont il s’apprête à faire citoyen est digne de la récompense qu’il va recevoir. En outre, après ceux-­ci, la loi permet à tout Athénien qui le désire d’intenter une action en illégalité contre le nouveau citoyen ; il est permis d’aller devant le tribunal pour faire la preuve qu’il ne mérite pas cette récompense, mais qu’il a été naturalisé en violation de la loi. De fait, alors que le peuple, trompé par les discours de ceux qui le sollicitaient, avait octroyé cette récompense, il est arrivé qu’une action en illégalité se soit produite et soit arrivée devant le tribunal : on a vu démontrer que le bénéficiaire n’était pas digne de la récompense, et le tribunal la lui a retirée. » (trad. L. Gernet, modifiée). Cf. Hansen 1974, 33. À partir de ce passage, Yunis 1988, 366-368, évoque la nécessité de distinguer dans une action en illégalité entre l’argument juridique (παρὰ τοὺς νόμους) et l’argument politique (οὐκ ἄξιός ἐστι τῆς δωρεᾶς). Cf. Sundahl 2003, 140-141. 343 Diodore de Sicile, XVI. 37. 3. Pitholas en tant que tyran de Phères, qui est expulsé par Philippe en 349/8, pendant l’expédition de ce dernier en Thessalie, reapparaît chez Diodore de Sicile, XVI. 52. 9, mais peut-­être Diodore s’est-­il trompé sur le nom de Pitholas dans ce passage. Voir Griffith 1979, 319-321. 344 Démosthène, Sur la Couronne, 18 ; Diodore de Sicile, XVI. 27. 3, 5, 29. 1, 37. 3. Sur la suite des événements de la guerre sacrée, voir Buckler 2003, 397-429. 345 Cf. Osborne III, 63. 346 Aristote, Rhétorique, 1410a 17-20. Cf. Bers 2003, 183 n. 120. 347 Démosthène, Philippique III, 56, 66. Cf. Trevett 2011, 171 n. 63. 348 [Démosthène], Contre Nééra, 90-91. Cf. Hansen 1974, 33. Osborne III, 64, propose que le nom d’Apollonidès se trouve dans ce passage par accident, au lieu du nom de Lycophron, l’autre tyran de Phères, qui, si on se fie à Aristote, Rhétorique, 1410a 17-20,

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l’événement n’est pas sûre, mais un cadre chronologique logique est offert par le traité d’amitié qui avait été conclu entre Athènes et Olynthe en 352 et par l’intervention de Philippe dans le territoire chalcidien en 351 qui n’était qu’une opération d’intimidation349. La restauration de l’influence du groupe pro-­macédonien au détriment de ses adversaires pourrait être une conséquence de cette expédition350. Dans ces cas, on s’aperçoit, d’un côté, que les tribunaux fonctionnent comme le corps qui protège les lois de la cité et examine si les décrets qui sont proposés sont conformes ou non aux lois, mais, d’un autre côté, il semble qu’une deuxième « lecture » et l’exposé devant un tribunal des avantages et des inconvénients que présentait l’octroi d’un tel privilège à un ennemi de Philippe a joué un rôle dans l’annulation du décret par les juges351. Il n’est pas exclu que la décision du tribunal de rejeter le décret que l’Assemblée avait ratifié, après avoir été trompée, reflète la politique qu’Athènes suit à cette période. Malgré le discours vigoureux de Démosthène, vraisemblablement en 351352, dans sa première Philippique, pour la mise en œuvre d’une action militaire contre Philippe, les Athéniens n’avaient pas adopté ses propositions. En effet, le reste de la période jusqu’en 349 est une période de paix entre Athènes et la Macédoine, où s’inscrit la volonté des Athéniens de ne pas opter pour des initiatives qui pourraient provoquer Philippe. L’action suivante lancée contre le décret d’Apollodoros confirme l’hypothèse que des sujets qui concernent la politique extérieure d’Athènes sont désormais renvoyés devant les tribunaux héliastiques. L’action en illégalité intentée par Stéphanos contre Apollodoros date de 349/8 (n° 94). Ce dernier en tant que conseiller proposa que le peuple décide si les excédents financiers devaient être employés aux dépenses militaires ou aux dépenses du théôrikon353 (probouleuma ouvert). Le peuple se prononça en faveur du premier choix. C’est alors que Stéphanos déposa une action en illégalité : les réglementations concernant le transfert des excédents sur le théôrikon étaient doit l’avoir lui-­même aussi acquis avant de l’avoir perdu. Pourtant, il préfère laisser le texte tel quel, à cause du manque d’informations supplémentaires. 349 Démosthène, Contre Aristocrate, 107-109, Philippique I, 17 ; Argument de Libanios sur Démosthène, Olynthienne I. Voir Griffith 1979, 296-299 ; Osborne III, 64 ; Sealey 1993, 137 ; Harris 1995, 46 ; Carlier 20062, 108-109. 350 Cf. Griffith 1979, 299 ; Harris 1995, 191 n. 13 ; Carlier 20062, 109. 351 Cf. Yunis 1988, 378. 352 Sur cette datation, voir Griffith 1979, 297 ; Carlier 20062, 110. 353 Sur cette institution au milieu du IVe siècle, voir Cawkwell 1963, 53-61 ; Migeotte 2014, 433-434.

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établies par une loi354 et toute tentative de l’abroger devait se conformer à une procédure bien réglée355. Apollodoros fut traduit devant le tribunal, qui annula le décret et infligea à Apollodoros une amende d’un talent356. Dans le cas d’Apollodoros, on transfère devant le tribunal une question qui se trouve au centre des discussions dans les séances de l’Assemblée, liée à l’organisation financière de la cité qui assurera, également, ses préparations militaires357. Dans la troisième Olynthienne que Démosthène prononce juste avant l’envoi du premier secours à Olynthe (349)358, l’orateur incite les Athéniens à désigner une commission de nomothètes, qui seront chargés d’abroger les lois qui sont nuisibles pour la cité. Il précise, par la suite, quelles sont ces lois : celles sur le théôrikon et certaines qui concernent le domaine militaire. Les premières permettent de reverser des fonds qui devraient être destinés au domaine militaire à ceux qui restent dans la cité, sous la forme des théôrika ; les autres n’imposent pas les peines souhaitables aux soldats indisciplinés. Ces deux lois ne facilitent donc pas, selon Démosthène, la mobilisation militaire de la cité359. Pourtant, les conseils de Démosthène ne sont pas pris en compte par les Athéniens. Ces derniers font face, peu de temps après, à des soucis financiers, lorsqu’ils doivent mener simultanément deux guerres, l’une à Olynthe et l’autre en Eubée. La proposition d’Apollodoros, conforme à la politique de Démosthène, telle qu’elle est exprimée dans ses Olynthiennes360, est vue par l’Assemblée comme une solution qui répond à ces soucis dans une période de guerre, mais qui est rejetée par le tribunal. Cette décision correspond à une décision d’importance politique, puisqu’il apparaît qu’elle a eu un impact sur le non-­envoi immédiat d’un nouveau secours à Olynthe361. 354

Démosthène, Olynthienne III, 10-11. Selon Théomnestos dans le Contre Nééra, 6, Stéphanos n’a pas attaqué directement l’illégalité du décret, mais il a accusé Apollodoros d’être débiteur de la cité. Sur ce point, voir Cawkwell 1963, 58-59 ; Trevett 1992, 139 n. 46, avec lesquels je suis d’accord pour dire qu’il s’agit plutôt d’un argument supplémentaire de l’accusation, puisqu’Apollodoros a dû être accusé pour le contenu illégal du décret. Cf. Yunis 1988, 374. 356 [Démosthène], Contre Nééra, 3-8. Cf. Hansen 1974, 34. 357 Voir les discours de Démosthène, Sur l’organisation financière (daté très probablement de 350  : voir Carlier 20062, 120 et 342 n.  2  ; MacDowell 2009, 227-229) et Olynthienne I, 19, où on trouve une allusion aux théôrika. Cf. Perlman 1963, 336-340, sur le fait que les propositions et les réformes financières du IVe siècle sont influencées par les conditions politiques et la politique extérieure. 358 J’adopte de même ici la datation proposée par Carlier 20062, 125, 342 n. 4. 359 Démosthène, Olynthienne III, 10-11. Cf. Worthington 2013, 140-141. 360 Cf. Trevett 1992, 145-147 ; Ryder 2000, 55-56 ; Carlier 20062, 129. 361 Cf. Carlier 20062, 129. 355

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Suite à l’action en illégalité contre Apollodoros, on peut constater que les procès à caractère politique connus ne se limiteront plus désormais aux procédures de l’action en illégalité ou de l’accusation contre une loi nocive. Le catalogue montre qu’à côté de ces actions362 ont lieu aussi des procès ayant été intentés par voie d’eisangélie, d’apophasis, d’ephesis, de graphè au cours de la reddition de comptes, de dokimasia des orateurs et par toute autre procédure qui renvoie les conflits politiques devant les tribunaux. Parmi ces exemples, le nombre de stratèges que les sources évoquent et qui sont jugés pendant cette période reste limité, alors que les procès s’attachent maintenant à la politique extérieure de la cité. Il s’agit de deux procès contre les stratèges Hégésiléos et Proxénos. Le cousin d’Eubule, Hégésiléos, fut jugé par le tribunal et condamné (n° 95)363. Selon le scholiaste de Démosthène, Hégésiléos était stratège pendant l’expédition en Eubée, qui devait mettre fin à la révolte contre Plutarque d’Érétrie (348), et avait été accusé d’avoir trompé avec Plutarque le peuple d’Athènes364. Si l’on se fie, dès lors, à cette scholie, on peut suggérer qu’Hégésiléos fut tenu pour responsable du ralliement de Plutarque à ses adversaires et de la défaite définitive d’Athènes365. Il est logique de supposer, dans un premier temps, que le procès a eu lieu peu après le retour d’Hégésiléos de l’Eubée, sans qu’une telle datation soit attestée dans les sources disponibles. Du moins, il a eu lieu au plus tard en 343, date à laquelle Démosthène prononça son discours Sur l’Ambassade, dans lequel se trouve l’allusion au procès contre Hégésiléos. Des renseignements supplémentaires sur sa datation pourraient être tirés d’un décret proposé par Hégésippos et relatif à l’Eubée. L’une de ses clauses stipule que pour ceux qui se sont affrontés sur le territoire d’Érétrie, le Conseil rédigera un projet et le présentera devant l’Assemblée du peuple, 362

Voir, e.g., les actions en illégalité contre Smicros et Sciton (Démosthène, Contre Midias, 182) (n° 97-98), l’accusation pour avoir proposé une loi nocive portée par Timarque contre une personne inconnue (Eschine, Contre Timarque, 33-34) (n° 103), l’action en illégalité intentée par Hégésippos à Callippos du dème de Paiania ([Démosthène], Sur l’Halonnèse, 42-43) (n° 112) et les actions en illégalité impliquant un certain Théocrinès, qui semble être un sycophante « professionnel » (Démosthène, Contre Théocrinès, 23, 30-31, 35, 36, 37-38, 43) (n° 114-117). La mauvaise réputation de Théocrinès était telle qu’elle a conduit à l’invalidation de tous les thesmothètes de l’année 344/3, parce que parmi ceux-­ci figurait le frère de Théocrinès. La destitution a été suivie par une accusation et les thesmothètes ont été déférés devant la justice, où ils ont été acquittés et rétablis dans leur fonction (Démosthène, Contre Théocrinès, 27-28) (n° 106). 363 Démosthène, Sur l’Ambassade, 290. 364 Schol. Démosthène, Sur l’Ambassade, 513. Cf. Sealey 1993, 141. 365 Voir aussi Plutarque, Vie de Phocion, XIII. 7.

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pour que la justice soit rendue conformément aux lois366. La clause est, de façon convaincante, liée à l’expédition en Eubée de 348 et stipule des mesures contre les responsables de cette expédition, dont probablement Hégésiléos. Or, même si on lie le décret aux événements de 348, sa datation est incertaine. Traditionnellement daté aux environs de 357, il est désormais daté dans les années 340, mais des doutes subsistent quant à une datation plus précise, soit en 348 soit en 343367. Dans le cas de Proxénos368 (n° 104), le stratège devait conduire les ambassadeurs athéniens de la deuxième ambassade de 346 là où se trouvait Philippe, pour recevoir ses serments et ceux de ses alliés. On sait bien que le voyage a été lent et que les ambassadeurs attendaient à Pella que Philippe revienne de son expédition en Thrace. L’incapacité de Proxénos à remplir sa mission a pu être considérée comme un acte de trahison ; Proxénos a été déféré devant la justice, qui l’a condamné. Il va de soi qu’on ne prétend pas disposer d’un inventaire exhaustif des procès, puisque les sources ne le permettent pas. Toutefois, il convient de remarquer que ce nombre limité de procès contre les stratèges est dû, d’un côté, aux événements de la période et, de l’autre, aux conditions politiques, c’est-­à-dire à la personne qui est derrière telle ou telle accusation et aux priorités de la politique d’Athènes. Prenons le premier point. Si l’on étudie le cadre dans lequel ces personnes furent jugées, on peut observer qu’Hégésiléos fut jugé très probablement pour l’échec en Eubée et Proxénos pour ses services pendant l’envoi de la seconde ambassade à la Macédoine. Si on met à part la révolte de l’Eubée, le reste de la période jusqu’à Chéronée n’apporte pas pour Athènes de grandes confrontations militaires avec des effets directs. La politique extérieure est notamment liée aux discussions et aux décisions qui sont prises dans l’Assemblée et au sein des ambassades entre les cités grecques. Cela ne signifie pas que la cité reste inactive dans le domaine militaire. Pourtant, même dans ce cas, on n’a pas connaissance de IG II3, 1, 2, 399, l. 7-10 περὶ μὲν τῶν ἐπιστρ[ατευσάντων ἐπὶ τ|ὴ]ν χώραν τὴν Ἐρετριέων τὴν βουλ[ὴν προβουλεύσα]|σαν ἐξενε[γ]κεῖν εἰς τὸν δῆμον εἰ[ς τὴν πρώτην ἐκκ]|λησίαν, ὅπως ἂν [δ]ίκην δῶσιν κατὰ [τοὺς νόμους·] : « Concernant ceux qui se sont attaqués au territoire d’Érétrie, que le Conseil présente devant le peuple une délibération préalable lors de la prochaine assemblée, afin que justice soit rendue conformément aux lois (?). » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). 367 Pour un résumé de ces datations, voir R & O, 348-349, n° 69. Récemment, Knoepfler 2016, 132-140, a avancé ses arguments en faveur de la date 343, à l’occasion de la publication par l’Académie de Berlin du fascicule 2 du nouveau corpus des décrets et des lois du IVe siècle. 368 Voir supra, la procédure d’apophasis. 366

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procès contre les stratèges. De l’autre, si on cherche qui est derrière ces deux procès, on voit que dans le cas d’Hégésiléos, c’est probablement Hégésippos, l’auteur du décret contre les responsables de l’expédition en Eubée, homme politique actif de l’époque et proche de Démosthène369. Même ce dernier avait tenté en vain de détourner les Athéniens de l’aventure en Eubée370. D’où l’hypothèse que les gens visés par la procédure judiciaire étaient des hommes politiques, ennemis de Démosthène. Dans le cas de Proxénos, c’est, également, Démosthène qui suscita le procès. Ce même Démosthène se plaint dans la deuxième Olynthienne (349), quelques années auparavant, du temps perdu par les Athéniens dans la lutte contre Philippe, parce qu’ils attendent que les autres agissent, ils s’accusent les uns les autres, intentent des procès, expriment des espoirs371. C’est la même personne qui persuade les Athéniens de ne pas juger, quelques années après, le stratège Diopeithès372. De 341 date373 la harangue de Démosthène Sur les affaires de Chersonèse, prononcée à l’occasion d’une lettre de Philippe adressée aux Athéniens, dans laquelle Philippe s’élève contre les injustices commises par le stratège Diopeithès dans la région de Thrace qui appartenait à son royaume374. Diopeithès, accompagné de nouveaux clérouques, a été envoyé en Chersonèse pendant l’expédition de Philippe pour conquérir toute la Thrace de l’Est (342)375. Diopeithès est tenu pour responsable, par une partie des Athéniens – dont Démosthène ne révèle pas les noms –, du début de la guerre contre Philippe376. Il est accusé, lui et ses mercenaires, des pillages de la région de l’Hellespont et est critiqué pour les méthodes de financement de sa campagne377. Ses actions soulèvent de vives discussions à Athènes et conduisent certains à demander son rappel et son jugement378. La harangue de Démosthène 369

Sur Hégésippos, voir Davies 2011, 13-20. Démosthène, Sur la Paix, 5. 371 Démosthène, Olynthienne II, 25. Cf. Démosthène, Sur l’organisation financière, 16-17. 372 On voit chez Démosthène, Philippique III, 15 (341), que Diopeithès continue d’être stratège. Voir Davies 1971, 168. Il ne s’agit pas du Diopeithès de Sphettos accusé par Hypéride quelques années auparavant. 373 Sur la datation, voir Griffith 1979, 565 n. 1 ; Carlier 20062, 195 ; MacDowell 2009, 347 ; Trevett 2011, 129. 374 Démosthène, Sur les affaires de Chersonèse, 16, [Lettre de Philippe], 3. 375 Démosthène, Sur les affaires de Chersonèse, 2. Sur un résumé des actions de Diopeithès, voir Griffith 1979, 564. 376 Démosthène, Sur les affaires de Chersonèse, 6. 377 Ibid., 9, 22, 24. 378 Ibid., 2 τῶν δὲ λόγων οἱ πλεῖστοι περὶ ὧν Διοπείθης πράττει καὶ μέλλει ποιεῖν εἴρηνται. : « Or, de quoi nous a-­t-on parlé surtout ? De ce que fait Diopeithès ou de 370

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est en partie une défense de la stratégie de Diopeithès et ressemble à un plaidoyer prononcé devant les tribunaux des héliastes. L’orateur présente les arguments injustes des accusateurs et essaie de souligner les inconvénients provoqués par un éventuel rappel de Diopeithès de Chersonèse, qui, au contraire, doit être soutenu par des fonds et des forces supplémentaires379. Il ne nie pas le fait que Diopeithès a, très probablement, commis des excès et qu’il est responsable de ses actes, selon les lois de la cité. Toutefois, il met l’accent sur le fait que les accusations et les procès ne doivent pas empêcher la cité de protéger ses intérêts vitaux, quand ils sont menacés, comme c’est le cas actuellement380. Cet exemple montre que les débats au sein de l’Assemblée entre des citoyens de tous bords, l’influence des orateurs, l’opinion du peuple et l’évaluation des conditions politiques jouent un rôle important dans la tenue ou non de certains procès et pouvait ainsi justifier le non-­déroulement de certains procès contre les stratèges. Pour ce qui concerne les autres affaires, dans le cas de l’action en illégalité intentée par un certain Lycinos contre le décret de Philocrate en 348, à peu près à l’époque de la chute d’Olynthe381 (n° 96), on porte devant un tribunal héliastique la discussion relative à la conclusion d’une paix provisoire avec Philippe. Cette discussion était nécessaire à cause des conditions politiques de la période qui suivit la chute d’Olynthe et la défaite d’Athènes en Eubée et à cause de la nécessité de gagner de temps pour se préparer militairement382. Selon Eschine, l’Assemblée avait voté à l’unanimité le décret de Philocrate autorisant l’envoi d’ambassadeurs pour traiter de la paix383. On ne sait pas si cette expression d’Eschine est une exagération, mais elle montre du moins que l’Assemblée favorisait les négociations avec Philippe, contrairement au groupe opposé aux négociations qui encouragea Lycinos à intenter l’action384. Comme Philocrate était malade le jour du procès, Démosthène l’assista ; le tribunal ce qu’il va faire. », 8 ἃ Διοπείθους κατηγοροῦσι : « les reproches qu’ils adressent à Diopeithès », 17 ‘Κρινοῦμεν Διοπείθη’ : « ‘nous mettrons Diopeithès en jugement’ », 27 τοῦ μελλῆσαι δώσοντι δίκην : « puisqu’il devra être puni », 28 εἰσπέμπειν ἕτερον στρατηγὸν : « quant à expédier un second stratège », καὶ λέγουσιν οἱ νόμοι ‖ ταῦτα τοὺς ἀδικοῦντας εἰσαγγέλλειν : « nos lois nous disent d’intenter une eisangélie contre les coupables de cette sorte » (trad. M. Croiset, légèrement modifiée). 379 Démosthène, Sur les affaires de Chersonèse, 13-19. Cf. MacDowell 2009, 347-348. 380 Démosthène, Sur les affaires de Chersonèse, 2-3. 381 Eschine, Sur l’Ambassade, 15, Contre Ctésiphon, 62. 382 Cf. Carlier 20062, 143-144. 383 Eschine, Sur l’Ambassade, 13 ὁ δῆμος ἅπας ὁμογνωμονῶν ἐχειροτόνησεν : « le peuple a voté à l’unanimité ». 384 Sur ces « hommes de paille », voir Carey 2000, 98 n. 20.

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retint le décret que l’Assemblée avait voté à l’unanimité, Philocrate fut acquitté, tandis que Lycinos n’obtint pas le cinquième des voix des juges385. Après la conclusion de la paix de 346 avec Philippe386, les procès devant les tribunaux sont directement liés aux affaires macédoniennes et révèlent comment l’opinion athénienne est divisée à ce propos, puisque la paix elle-­même et les autres épisodes qui la concernent ont eu un impact sur l’opinion publique à Athènes. Tandis que dans l’Assemblée du 16 Skirophoriôn, après la conclusion de la paix, au cours de laquelle Eschine loua les bonnes intentions de Philippe, le peuple se fia au rapport d’Eschine et vota la proposition de Philocrate qui étendait l’alliance aux descendants de Philippe et qui prenait des mesures en faveur des Phocidiens387, quelques jours après, quand Philippe écrivit aux Athéniens pour demander des secours militaires, le peuple décida de ne pas envoyer de soldats388. La suite des événements, quand les Phocidiens capitulèrent et que Philippe ne tint pas ses promesses au sujet des Thébains et des Phocidiens389, déçut le peuple, qui refusa d’envoyer la théorie traditionnelle aux Jeux Pythiques390. Il protesta de même quand Eschine présenta la demande des Thessaliens et des ambassadeurs de Philippe pour que les Athéniens reconnaissent la participation de Philippe à l’Amphictyonie391. Dans ce climat d’incertitude politique, d’irritation face à l’échec de la paix et de désaccord sur la politique à suivre à l’égard de Philippe, une série de procès se tient contre des hommes représentant différentes opinions politiques envers la Macédoine. Ce cercle des procès commence par le dépôt par Timarque et Démosthène de l’accusation pour forfaiture au cours de la seconde ambassade contre Eschine, qui fut retardée à cause de la dokimasia destinée aux orateurs auquel Eschine invite Timarque à se soumettre. Après le retour de la seconde ambassade de 346, les ambassadeurs devaient rendre des comptes. À ce titre, Démosthène et Timarque 385

Eschine, Sur l’Ambassade, 13-14, 20, 109, Contre Ctésiphon, 62. Voir aussi Dinarque, Contre Démosthène, 28, sur la qualité de Démosthène en tant que synégore de Philocrate. Cf. Hansen 1974, 34. Pour Sealey 1993, 144, c’était la première grande victoire pour Démosthène dans un procès de caractère politique. 386 Sur les événements qui ont mené à la conclusion de la paix de Philocrate, sur la paix et ses conséquences, la bibliographie est abondante. Je cite seulement les travaux de Griffith 1979, 329-347 ; Carlier 1991, 29-34 ; Sealey 1993, 144-159 ; Harris 1995, 46-101 ; Carlier 20062, 141-177 ; Worthington 2013, 162-182 ; Brun 2015, 151-195. 387 Démosthène, Sur l’Ambassade, 19-24, 48-49. 388 Eschine, Sur l’Ambassade, 137. 389 Démosthène, Sur l’Ambassade, 112. 390 Ibid., 128, 132. 391 Ibid., 111-113.

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déposèrent une plainte devant l’euthyne de la tribu d’Eschine, où ils l’accusèrent de forfaiture au cours de l’ambassade (graphè parapresbeias)392. Selon la procédure suivie pour la reddition de comptes au cas où une graphè était déposée, l’euthyne procédait à l’examen de la plainte et à son transfert devant les thesmothètes pour l’introduire devant le tribunal393. C’est avant le transfert de l’affaire devant le tribunal394, à la fin de l’année 346/début de 345395, qu’Eschine lança une attaque contre Timarque (n° 102). Eschine porta son accusation devant l’Assemblée au moment qui lui semblait le plus favorable : le même jour un membre des Aréopagites avait donné son rapport concernant un décret proposé par Timarque à propos des bâtiments érigés sur la Pnyx, dans lequel le Conseil de l’Aréopage avait désapprouvé sa proposition396. À cet effet, Eschine somma Timarque de se soumettre à l’examen préliminaire destiné aux orateurs397. Il existait une loi sur la dokimasia des orateurs, selon laquelle ceux qui tombaient dans les catégories des hommes qui avaient vécu de manière honteuse ne devaient pas prendre la parole devant le peuple. Dans ce cas, tout citoyen qui le voulait pouvait inviter l’orateur à subir un examen et l’affaire serait jugée par le tribunal398. Selon Eschine, Timarque était interdit de tribune, puisqu’il était prostitué et avait dilapidé le patrimoine paternel399. Au contraire, Démosthène a vu dans l’accusation d’Eschine des motifs politiques. Selon lui, Timarque, membre du Conseil en 347/6, avait proposé un décret, selon lequel quiconque enverrait à Philippe des 392

Ibid., 8. Sur la reconstitution de la procédure suivie par Démosthène et Timarque, voir Mazon 1932, 565-573, mais je n’accepte pas, avec Piérart 1971, 560-561 n. 138, 563 n. 152, son opinion qu’Eschine n’a pas comparu devant les logistes. Voir aussi Piérart 1971, 560-563 ; Efstathiou 2007, 124-130. 393 Aristote, Constitution d’Athènes, XLVIII. 4-5. Le passage d’Aristote est objet de débat, notamment pour le sens de l’expression ἐάν παραλάβωσιν : « s’ils reçoivent l’accusation », qui se réfère au moment du transfert de la plainte des euthynes aux thesmothètes. Sur les différents aspects de ce débat, voir Rhodes 1981, 563-564 ; Efstathiou 2007, 119-122. Or, il me semble qu’on ne doit pas corriger l’expression ou attribuer au passage un autre sens que celui du simple transfert de l’accusation devant les thesmothètes, puisque la liaison ἐάν peut exprimer, hors d’une idée d’hypothèse, un fait d’habitude. 394 Cf. Mazon 1932, 571. 395 Sur la datation du procès en 346/5, à des différences près pour une date plus précise, voir Martin – Budé 1927, 15-16 ; Harris 1995, 102 ; Carey 2000, 19 ; Fisher 2001, 6-8 ; Carlier 20062, 178. 396 Eschine, Contre Timarque, 81-82. Cf. MacDowell 2005, 82-83. Sur le contenu de la proposition de Timarque, qui n’est pas précisé dans le texte, voir Fisher 2001, 217-218. 397 Eschine, Contre Timarque, 2. 398 Ibid., 28-32. Voir aussi chapitre VIII, n. 54. 399 Eschine, Contre Timarque, 40, 73, 154.

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armes en temps de guerre, serait condamné à mort. Tandis que Timarque était un homme politique actif depuis longtemps, Eschine a choisi de le déférer devant la justice juste après son retour de Macédoine, où, selon Démosthène, il avait loué ses services à Philippe400. Le discours qui fut prononcé par Eschine contre Timarque401 est un rapport détaillé de la vie honteuse de Timarque afin de pouvoir obtenir sa condamnation. Timarque se présente comme une cible plus facile à attaquer que Démosthène et sa condamnation éventuelle éliminerait l’un des deux accusateurs d’Eschine. Son contenu n’a rien à voir avec les événements précédant la paix de Philocrate de 346. Pourtant, Eschine procède à une attaque indirecte de Démosthène. Il a peur que Démosthène, logographe de Timarque402, attache aux paroles de Timarque un caractère fortement politique, d’autant qu’il va parler de Philippe, d’Alexandre, de la seconde ambassade, de la paix de Philocrate ainsi que du rôle qu’Eschine a joué pendant ces événements403. De fait, la peur d’Eschine est justifiée, lorsque les questions des relations entre Athènes et la Macédoine sont au cœur des discussions à Athènes, et le peuple est divisé entre partisans et opposants de Philippe404. Comme Eschine figurait parmi les protagonistes des négociations avec Philippe, sa présence devant le tribunal pouvait influencer l’opinion des juges en fonction de leurs sympathies politiques. De même, il faut garder à l’esprit que l’accusation portée contre Eschine court toujours. L’invitation faite par Eschine à Timarque de se soumettre à un examen préliminaire n’empêche pas la tenue du premier procès, même si Timarque ne pouvait plus participer à l’accusation, puisqu’il faisait lui-­même l’objet d’une procédure judiciaire405. Or, il 400

Démosthène, Sur l’Ambassade, 286-287. Voir Fisher 2001. 402 Eschine, Contre Timarque, 94, 117. 403 Ibid., 166, 168, 174. Cf. Fisher 2001, 311-312. Il est intéressant de voir que Démosthène dans le Sur l’Ambassade, 242, procède à une transposition de ces mots d’Eschine. Cf. Sealey 1994, 169. 404 Démosthène, Sur la Paix, Sur l’Ambassade ; Eschine, Sur l’Ambassade. 405 On trouve dans le Contre Timarque, 119 le terme ἀντιγράψασθαι : « répondre à l’accusation », quand Eschine fait référence à la plainte qu’il a déposée contre Timarque. Normalement, ce terme désigne la plainte reconventionnelle. On ne sait pas s’il existait une loi qui autorisait la mise en priorité de cette deuxième accusation par rapport à la première et les exemples disponibles sur une plainte reconventionnelle ne le précisent pas. Selon Harrison 1971, 131-133, le terme dans ce passage n’a pas de sens technique. On dispose d’exemples parallèles de poursuite en justice d’une personne au moment où une autre action est en cours, afin de se débarrasser d’un adversaire éventuel. Dans le discours d’Antiphon Sur le choreute, 21-38, Philocrate a porté contre un chorège une accusation pour meurtre 401

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était plus logique pour Démosthène de ne pas chercher un jugement rapide de l’affaire, afin de pouvoir, d’abord, évaluer l’attitude des juges à l’égard de deux personnes éminentes de l’époque. La condamnation de Timarque à l’atimie406 le conduisit à reporter l’action contre Eschine de deux ans, à un moment où le contexte politique lui semblait plus favorable. C’est probablement parce que Démosthène n’était pas sûr d’obtenir l’appui des tribunaux ordinaires qu’il eut recours à la nouvelle procédure de l’apophasis, qui pouvait constituer un moyen plus efficace pour poursuivre en justice des hommes qui étaient soit amis de Philippe soit responsables des événements de 346. Comme nous l’avons vu, même si les procès se déroulaient devant les tribunaux héliastiques, la participation de l’Aréopage à un examen préliminaire pouvait avoir une influence. À ce titre, il sollicita l’Aréopage ou fit voter par l’Assemblée des décrets autorisant l’Aréopage à mener des enquêtes sur le stratège Proxénos et sur Antiphon. Il continua à recourir à l’Aréopage dans le cas de Charinos, afin de faire promouvoir sa politique contre la Macédoine, sans qu’on puisse, pourtant, préciser la date de son procès. Ces trois personnes furent condamnées par les tribunaux respectivement à une amende, à la peine de mort et à l’exil. L’échec des négociations entre Philippe et Athènes en 344/3, à l’occasion d’une révision de la paix de Philocrate407, qui a dû rendre Philippe impopulaire parmi les Athéniens, offre l’occasion à Hypéride d’intenter une eisangélie à Philocrate pour les services qu’il avait rendus involontaire un jour avant le jugement par le tribunal de l’eisangélie que le chorège avait intentée contre un certain nombre d’Athéniens. Selon le chorège, Philocrate a été corrompu par ses adversaires, afin que le procès soit suspendu, puisque le meurtrier était banni des lieux définis par la loi. L’archonte-­roi n’a pas accepté l’accusation, en raison du manque de temps, le procès initié par le chorège a eu lieu et a mené à la condamnation des accusés à une amende. Dans le Contre Théocrinès, 36, attribué à Démosthène, Épicharès a déféré Théocrinès devant le tribunal par voie d’endeixis (n° 118) dans un moment où Théocrinès semble avoir intenté une action en illégalité contre un certain Thucydide (n° 116), action qui n’a pas encore été jugée par le tribunal. Selon Épicharès, Théocrinès va dire que, si l’endeixis a eu lieu, c’est pour l’empêcher de poursuivre les accusations qu’il a portées. Dans le Contre Nééra, 52, Stéphanos a déposé contre Phrastor une action pour demande de pension alimentaire (dikè sitou) et ce dernier a parallèlement porté devant les thesmothètes une accusation (graphè) contre lui pour avoir donné en mariage à un Athénien la fille d’une étrangère qui prétendait être la fille de Stéphanos. Les deux personnes se sont réconciliées et ont retiré leurs plaintes, avant d’être jugées. 406 Démosthène, Sur l’Ambassade, 257, 284-285. 407 [Démosthène], Sur l’Halonnèse, 18, 26 ; Démosthène, Sur l’Ambassade, 331 ; Diodore de Sicile, XVI. 44. 1. Sur ces négociations, voir Griffith 1979, 489-495 ; Sealey 1993, 172-173 ; Harris 1995, 111-112 ; Carlier 20062, 185-186.

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à Philippe (n° 108)408. Son eisangélie était fondée sur la disposition de la loi qui l’autorisait à procéder à une eisangélie contre « l’orateur qui ne fait pas des propositions les plus conformes aux intérêts du peuple, parce qu’il reçoit de l’argent et des présents par les ennemis du peuple ». Hypéride cite cinq ou six décrets proposés par Philocrate qui ne répondaient pas aux intérêts du peuple409. On ne sait pas quels décrets il a cités, mais on sait que Philocrate avait proposé le décret que Lycinos avait attaqué et qui autorisait Philippe à envoyer à Athènes un héraut et des ambassadeurs pour traiter de la paix ; un décret désignant dix ambassadeurs pour aller à Pella discuter les conditions de paix avec Philippe410 ; un projet qui excluait du traité de manière explicite la Phocide et Halos, que l’Assemblée n’a pas finalement adopté411 ; un décret qui étendait l’alliance aux descendants de Philippe, avec la mention que si les Phocidiens ne faisaient pas ce qu’ils devaient et ne remettaient pas le sanctuaire aux Amphictyons, le peuple athénien marcherait contre les opposants412. L’accusation fut d’abord déposée devant l’Assemblée et l’affaire fut jugée par un tribunal populaire413, qui condamna Philocrate à mort par contumace414, suivant l’opinion publique qui le considérait comme le principal responsable de l’échec de la paix. Sa condamnation ouvre la voie pour que Démosthène relance le procès suspendu contre Eschine (n° 109). Démosthène avait déjà préparé les Athéniens à l’ouverture du procès. D’une part, au printemps 344, il avait prononcé devant l’Assemblée sa deuxième Philippique415. Dans son épilogue, il avait cherché à rappeler aux Athéniens l’homme qui était à la fois responsable de la perte de la Phocide et de l’abandon des Thermopyles au profit de Philippe et celui qui avait donné de mauvais conseils au peuple d’Athènes, contraires à ses intérêts416, sans formuler son nom ouvertement. D’autre part, il était monté à la tribune, lors du dépôt par Hypéride de l’eisangélie contre Philocrate devant l’Assemblée, pour intervenir et 408

Démosthène, Sur l’Ambassade, 116 ; Eschine, Contre Ctésiphon, 79 ; Hypéride, Pour Euxénippos, 29. Cf. Hansen 1975, 102-103. 409 Hypéride, Pour Euxénippos, 30. 410 Eschine, Sur l’Ambassade, 18. 411 Démosthène, Sur l’Ambassade, 144, 159 ; Eschine, Sur l’Ambassade, 63-68. 412 Démosthène, Sur l’Ambassade, 47-49. 413 Hypéride, Pour Euxénippos, 29. 414 Eschine, Sur l’Ambassade, 6. 415 Sur la datation du discours avant les ambassades des Perses et de Python, voir Griffith 1979, 479 n. 1 ; Sealey 1993, 307 n. 33 ; Carlier 20062, 183-184 ; après ces ambassades, voir MacDowell 2009, 329. 416 Démosthène, Philippique II, 35-36. Cf. Sealey 1993, 164 ; Ryder 2000, 73 ; Carlier 20062, 184-185.

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inviter le peuple à punir l’ensemble des neuf ambassadeurs417. Or, même si le contexte politique était plus favorable pour Démosthène, il prétend que le procès s’est fait au moment voulu par Eschine418 : « Si les choses avaient pris leur propre chemin, il serait depuis longtemps poursuivi par voie d’eisangélie en tant que traître419. » L’affaire fut reprise au point où elle avait été laissée devant les thesmothètes, quand Eschine avait invité Timarque à passer la dokimasia. L’accusation était la même que Démosthène avait portée trois ans auparavant : accusation de forfaiture en tant qu’ambassadeur, qui a été portée lors de sa reddition de comptes420. Cette accusation est à plusieurs reprises répétée dans le plaidoyer de Démosthène : Eschine est accusé d’avoir fait des faux rapports devant l’Assemblée, d’avoir donné des conseils entièrement contraires aux intérêts du peuple, de ne pas avoir rempli l’ambassade selon les instructions données, d’avoir perdu du temps et sacrifié des occasions favorables à Athènes et, enfin, de s’être laissé corrompre421. La défense d’Eschine est une réponse détaillée aux accusations de Démosthène ; il met l’accent sur la collaboration de Démosthène et de Philocrate422, il nie son association à la perte de la Phocide et à la défaite de Kersobleptès423, épisodes sur lesquels Démosthène avait beaucoup insisté, et il se défend contre toute accusation de corruption424. Devant le tribunal, les deux plaideurs ont parlé d’une manière qui ressemble aux harangues prononcées devant l’Assemblée425. Leur discours est un tableau des négociations entre Athènes et Philippe depuis l’année 346 et une défense d’une politique menée par les deux parties qui pensaient servir les intérêts de la cité. Le tribunal est ainsi le lieu où s’opposent les différents groupes politiques qu’on trouve au sein des réunions de l’Assemblée. Dans l’argumentation des partisans de Philippe le procès contre Eschine était l’occasion pour les hommes politiques qui n’avaient 417

Démosthène, Sur l’Ambassade, 116. Ibid., 104-109. 419 Ibid., 103, 268. Cf. Eschine, Sur l’Ambassade, 146. 420 Démosthène, Sur l’Ambassade, 17, 104-109, 132, 223 ; Eschine, Sur l’Ambassade, 96, 178. Cf. Mazon 1932, 572 ; Efstathiou 2007, 129. 421 Démosthène, Sur l’Ambassade, 4-8, 94, 161, 279, 333. 422 Eschine, Sur l’Ambassade, 14, 15, 18, 19, 20, 56, 64, 68, 109. Cf. Perlman 1963, 343. 423 Eschine, Sur l’Ambassade, 9, 44, 81, 86-93, 131, 134-135, 142. 424 Ibid., 3, 93, 125-127, 144, 154. 425 Voir aussi ce que dit Euthyclès dans le Contre Aristocrate, 110 : « il y a un autre argument auquel recourra l’accusé et qui revient à celui qu’a déjà développé Aristomaque devant l’Assemblée » (trad. J. Humbert – L. Gernet), ce qui montre davantage les similarités entre les harangues et les plaidoyers. Cf. Yunis 1996, 184 n. 20. 418

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pas exprimé leur désaccord sur la paix au moment de la délibération dans l’Assemblée de s’y opposer426 ; ils y voyaient « des gens qui bouleversaient le pays, des gens qui empêchaient Philippe de faire du bien à Athènes »427. Dans l’argumentation des amis politiques de Démosthène, un tel procès était lié au statut des partisans de Philippe dans la cité : ce groupe, en raison de la pénétration de Philippe dans les cités grecques, dominait désormais en Thessalie, en Élis, en Arcadie, à Argos, renonçait de lui-­même à sa liberté et attirait sur lui-­même une servitude volontaire428 ; dès lors, les opposants à la Macédoine craignaient que de tels hommes, au service de Philippe, puissent monter à la tribune athénienne et décider de la politique d’Athènes429. À la fin du procès, Eschine fut acquitté à une majorité de trente voix seulement430. Cette décision s’ajoutant aux autres résultats des procès de cette période confirme que le peuple à l’Assemblée comme dans les tribunaux était divisé sur la politique à tenir envers Philippe431. L’action et la condamnation lancée par Démosthène contre Anaxinos, agent prétendu de la cour de Macédoine à Athènes, closent ce cercle des procès concernant la politique macédonienne avant la bataille de Chéronée. Alors qu’Eschine était en train d’intenter une eisangélie à Démosthène, dont la cause nous échappe (n°  110)432, Démosthène a machiné l’arrestation d’Anaxinos d’Oréos (n° 111). Les deux témoignages dont on dispose sur ce dernier homme sont contradictoires. D’après Eschine, Anaxinos se trouvait à Athènes pour faire des achats pour Olympias, la mère d’Alexandre433. D’après Démosthène, Anaxinos était un agent de la cour de Macédoine, avec lequel Eschine s’était entretenu dans la maison de Thrason434. Selon Eschine, Démosthène a soumis Anaxinos deux fois à la torture de sa propre main et a proposé la peine de mort, qui a été exécutée. Sa condamnation a nourri la rivalité entre Eschine et Démosthène, puisque le premier a exposé devant l’Assemblée le crime commis par Démosthène en mettant à mort Anaxinos, son hôte435. Au-­ delà de ces informations, on n’a pas d’autres témoignages qui pourraient 426

Eschine, Sur l’Ambassade, 161. Démosthène, Sur l’Ambassade, 187. 428 Ibid., 259-262. Cf. Ryder 2000, 75. 429 Démosthène, Sur l’Ambassade, 289. 430 [Plutarque], Œuvres Morales, 840c. 431 Cf. Worthington 2013, 209 ; Brun 2015, 188-189. 432 Eschine, Contre Ctésiphon, 223. Cf. Hansen 1975, 103. 433 Eschine, Contre Ctésiphon, 223. 434 Démosthène, Sur la Couronne, 137. 435 Eschine, Contre Ctésiphon, 224. 427

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donner des renseignements supplémentaires sur la tenue du procès436. Si l’on se fie au récit chronologique de Démosthène, l’épisode doit dater d’après 344/3, après l’ambassade de Python à Athènes à laquelle l’orateur fait référence avant de parler d’Anaxinos437. Un dernier procès qui pourrait appartenir à cette catégorie est le procès contre Nééra438. Entre 343 et 340439 Apollodoros et Théomnestos accusèrent Nééra par voie d’une graphè xenias d’avoir exercé indûment les droits de citoyen (n° 120). Selon la loi correspondante, il était interdit pour une femme étrangère de vivre avec un Athénien comme épouse légitime ; or, c’est ce qu’avaient fait Nééra et Stéphanos440. Théomnestos était le premier à prendre la parole et Apollodoros l’a, par la suite, assisté441. L’action fut déposée contre Nééra, mais il s’agissait en même temps d’une accusation directe contre Stéphanos442, qui, d’une part, avait, quelques années plus tôt, attaqué comme illégal le décret d’Apollodoros concernant l’emploi des excédents financiers et qui, d’autre part, avait déféré sans succès Apollodoros devant le tribunal du Palladion pour la mort d’une femme443. On peut, ainsi, comprendre les termes qu’Apollodoros utilise pour qualifier Stéphanos : avant qu’il ne connaisse Callistratos, loin d’être un orateur, il était un simple sycophante, « un de ceux qui donnent de la voix près de la tribune, qui se louent comme accusateurs et dénonciateurs, comme prête-­noms pour les décrets »444. Si l’on tient compte de ce passé, on voit que le procès contre Nééra n’a servi que de prétexte à une attaque contre Stéphanos, faute de mieux445. Selon la loi précitée, l’Athénien vivant avec une étrangère devait être lui-­même condamné à une amende de mille drachmes. On se demande donc si la tenue d’un tel procès à la fin des années 340 n’a pas été dictée des motifs politiques. L’élimination de Stéphanos par le tribunal pourrait provoquer son élimination et son éloignement 436

Hansen 1975, 103, considère probable la procédure de l’eisangélie. Contra Harris 1995, 172. D’après lui, l’arrestation d’Anaxinos et son identité en tant qu’étranger ne permettent pas de penser à une eisangélie. 437 Démosthène, Sur la Couronne, 136. 438 La révision des listes civiques de 346 a peut-­être offert l’occasion pour le dépôt de cette accusation. Cf. Trevett 1992, 150 n. 90 ; Fisher 2001, 62-63. 439 Sur la datation du discours, voir Blass III. 1, 477 ; Gernet 1960, 69 ; Kapparis 1999, 28 ; MacDowell 2009, 121 n. 42. 440 [Démosthène], Contre Nééra, 1, 16-17, 126. 441 Ibid., 1-15 : le discours de Théomnestos, 16-126 : le discours d’Apollodoros. 442 Ibid., 1, 13. Cf. MacDowell 2009, 121. 443 [Démosthène], Contre Nééra, 9-10. Cf. Trevett 1992, 148-149. 444 [Démosthène], Contre Nééra, 39-43. 445 Cf. Harris 2013a, 93.

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de la vie politique et, ainsi, préparer le terrain pour la proposition de Démosthène de 339/8446, selon laquelle la loi sur le théôrikon devait être abrogée, tandis qu’une nouvelle loi permettrait d’affecter les excédents aux fonds militaires447. On ne connaît pas l’issue du procès et donc on ne peut pas soutenir que cette accusation indirecte contre Stéphanos a vraiment joué un rôle dans le vote de la loi de Démosthène. Ce dernier, une année avant, en 340, fit voter une loi qui réformait le système des symmories triérarchiques et selon laquelle les charges seraient réparties entre les membres d’une symmorie après évaluation de leur fortune448. Selon Démosthène, dès sa proposition, la loi a provoqué une forte agitation parmi les plus riches membres des symmories, qui ont cherché à le corrompre pour qu’il la retire ou, sinon, pour qu’il la laisse tomber au moment du serment d’opposition449. Il accuse, en fait, Eschine d’avoir reçu de l’argent des chefs des symmories en récompense de ses tentatives pour saboter la loi450. Au contraire, le client de Dinarque, lors de son accusation contre Démosthène pour l’affaire d’Harpale, présente l’histoire d’une manière différente. D’après lui, l’orateur a succombé aux propositions de ces hommes qui cherchaient à le corrompre et modifiait la loi à chaque assemblée, parce qu’il s’était vendu pour trois talents451. Quoi qu’il en soit, Démosthène n’a pas retiré la loi, puisqu’on apprend qu’une personne dont le nom nous échappe452 l’a accusé d’avoir proposé une loi nocive453, mais n’a pas obtenu le minimum des voix requises454 (n° 119). 446

Sur ces motifs, voir Trevett 1992, 150. FGrHist, III B 328 (Philochore), fr. 56. 448 Démosthène, Sur la Couronne, 102, 104. Sur la nouvelle loi triérarchique, voir Gabrielsen 1994, 207-213. 449 Démosthène, Sur la Couronne, 103. 450 Ibid., 312. 451 Dinarque, Contre Démosthène, 42. Cf. Worthington 1999, 156. 452 Voir Démosthène, Sur la Couronne, 105. Le document apocryphe inséré dans le texte donne le nom Patroclès. 453 Démosthène, Sur la Couronne, 105 λέγε πρῶτον μὲν τὸ ψήφισμα καθ’ ὃ εἰσῆλθον τὴν γραφήν  : «  Lis d’abord le décret en vertu duquel j’ai dû me présenter au procès. » (trad. G. Mathieu). Pour qu’il puisse éviter le retard provoqué par le serment d’opposition, Démosthène a fait voter, à son tour, un décret qui accélérait le jugement de l’action intentée contre lui. C’est de cette manière qu’on peut expliquer la présence du mot ψήφισμα dans le texte de Démosthène, laquelle a provoqué un désaccord parmi les chercheurs pour savoir si le procès correspond à une action en illégalité ou à une accusation pour avoir proposé une loi nocive, au moment où on pouvait logiquement s’attendre à cette deuxième éventualité. Voir Yunis 2001, 170-172 ; id. 2005, 56 n. 89. Contra Hansen 1975, 36, 44-45, qui parle d’une action en illégalité. 454 Démosthène, Sur la Couronne, 103. 447

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Pendant le temps de la crise de Chéronée, l’on sait que l’Aréopage a exercé des pouvoirs extraordinaires455. Quant aux tribunaux populaires, cette période qui va de la nouvelle du désastre à la conclusion de la paix n’a pas duré suffisamment longtemps pour qu’ils rendent la justice. Pourtant, des renseignements non négligeables peuvent être tirés du reste de la période. Les procès qui sont jugés devant les tribunaux héliastiques concernent des hommes qui sont liés aux événements datés d’avant, pendant ou au lendemain de Chéronée. D’un point de vue général, les accusations correspondantes sont lancées selon les procédures portant traditionnellement un caractère politique, telles que l’eisangélie, l’action en illégalité ou les actions suivant une reddition de comptes. On peut en citer les procès contre Autolycos et le stratège Lysiclès, tous deux condamnés à mort, qui pourraient avoir été jugés par voie d’eisangélie456, ainsi que les divers procès intentés contre Démosthène par ses adversaires après la bataille (n° 124)457. Pour ce qui est de deux premiers, Lycurgue déféra l’Aréopagite Autolycos devant le tribunal populaire, sous l’accusation de trahison (n° 122)458. Ce dernier fut accusé d’avoir expédié sa femme et ses fils en dehors d’Athènes pendant la crise de Chéronée, tandis que lui-­même restait dans la cité affronter les dangers459. Lycurgue déféra également devant le tribunal héliastique Lysiclès (n° 123), stratège à la bataille de Chéronée460, qui était considéré comme l’un des responsables de la défaite461. L’orateur écrivit pour ces occasions les discours Contre Autolycos et Contre Lysiclès, dont ne sont conservées que quelques phrases462. 455

Voir supra, n. 163. Pour ce qui concerne Autolycos, la procédure n’est pas précisée et, ainsi, on ne peut pas exclure le cas d’une eisangélie. Du moins, il ne s’agit pas de l’apophasis, puisque ni l’Aréopage ni aucune autre expression qui pouvait s’y référer ne sont mentionnés dans les sources correspondantes. Cf. Hansen 1975, 104. Contra Carawan 1985, 132 et n. 44, qui place le procès dans la catégorie de l’apophasis. Pour ce qui concerne Lysiclès, la procédure par laquelle l’accusation a été portée n’est pas non plus notée dans les sources. Lysiclès pourrait avoir été jugé soit à l’occasion de sa reddition de comptes soit non, par une eisangélie ou une graphè prodosias. Cf. Conomis 1961, 137 ; Hansen 1975, 104 ; Harris 2001, 215. 457 Voir supra, n. 195. 458 Lycurgue, Contre Léocrate, 52 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 843d. Cf. Conomis 1961, 93 et n. 6. Autolycos pourrait être identifié à l’Aréopagite qui a fait un rapport devant l’Assemblée en 346/5 sur les bâtiments de la Pnyx, suite à une proposition de Timarque. Voir Eschine, Contre Timarque, 81-82. Sur les différentes hypothèses sur l’identité d’Autolycos, voir Fisher 2001, 219. 459 Lycurgue, Contre Léocrate, 53. 460 Diodore de Sicile, XVI. 88. 1 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 843d. 461 Diodore de Sicile, XVI. 88. 2. Cf. Roberts 1982b, 369. 462 Lycurgue, fr. III Conomis (Contre Autolycos), fr. XII Conomis (Contre Lysiclès). 456

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Les résultats respectifs de ces procès ont conduit à dire que «  les jugements contradictoires de l’Héliée sont un indice du désarroi des esprits »463. L’auteur de cette expression doit penser aux décisions des héliastes à propos des responsables du désastre, puisque, d’un côté, ils ont condamné à mort le stratège Lysiclès, et même l’Aréopagite Autolycos pour avoir éloigné sa famille de la cité, mais, d’un autre côté, ils ont acquitté à plusieurs reprises Démosthène, dont la politique a également conduit à la confrontation avec Philippe. Ce traitement différent des responsables du désastre peut être attribué aux caractéristiques particulières que tel ou tel cas présente. En ce qui concerne les coupables de trahison, le décret du peuple sur ceux qui se dérobaient à la défense de la cité doit avoir servi de cadre pour que les héliastes condamnent à mort Autolycos. Quant à la condamnation de Lysiclès, elle continue la tradition des années précédentes, qui tient les stratèges pour principaux responsables de l’échec de la politique de la cité464. On ne peut pas savoir s’il fut le seul parmi les stratèges ayant participé à la bataille à avoir été accusé pour les malheurs de la cité, puisque les sources disponibles n’attestent pas de procès ou de condamnation de Stratoclès ou de Charès, qui étaient eux aussi stratèges lors de la bataille465. Néanmoins, si on se fie à cette hypothèse, il reste le seul stratège, dans l’état actuel de nos connaissances, qui fut déféré devant la justice pour cette période – à l’exception de Philoclès, mais s’agissant de ce dernier, les motifs de l’accusation sont différents et concernent l’affaire particulière d’Harpale. L’absence de procès contre les stratèges s’explique, d’une part, par la politique que la cité suit après Chéronée : l’absence d’initiatives militaires jusqu’à la guerre lamiaque ne favorise pas le déroulement de procès à caractère politique concernant le domaine militaire. D’autre part, les années 330-320 ouvrent une période pendant laquelle la cité commence à attribuer plus d’importance à des figures de premier plan qui sont engagées dans d’autres activités que la stratégie : ils sont des orateurs distingués pour leur activité politique, des ambassadeurs, des hommes qui s’occupent de l’administration de la cité. 463

C’est l’expression de Durrbach 1932, XLIX. Cf. Conomis 1961, 137 ; Harris 1995, 138 ; Brun 2015, 235, 237. 465 Eschine, Contre Ctésiphon, 143 ; Diodore de Sicile, XVI. 85. 2 ; Polyen, IV. 2. 2. En ce qui concerne Charès, Roberts 1982b, 369-371, fait la proposition qu’il a participé à l’instigation du procès contre Lysiclès, parce qu’il avait peur pour sa vie, puisqu’il était aussi responsable de la défaite, plus que Lysiclès. Elle fournit comme parallèles probables l’implication de Charès dans le procès contre Chabrias et Callistratos et dans celui contre Iphicrate, Timothée et Ménestheus, suite à la perte d’Orôpos et à la bataille navale d’Embata respectivement. 464

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Cette attitude est confirmée par les honneurs que le peuple accorde, qui ne s’adressent plus seulement aux stratèges, comme la première partie du IVe siècle en fournit bien des exemples (Conon, Iphicrate, Timothée, Chabrias)466. Ainsi, tandis que Lysiclès sert de bouc émissaire pour le désastre, ce n’est pas le cas pour Démosthène. On le voit d’abord dans les postes dont ce dernier est chargé après la bataille, qui concernent le ravitaillement de la cité467, la gestion de la caisse du théôrikon et l’entretien des fortifications, ainsi que dans son élection par le peuple pour prononcer l’éloge funèbre des morts à Chéronée468, malgré, comme le rapporte Démosthène, les protestations d’Eschine, dans cette même Assemblée, contre sa politique469. Néanmoins, la défaite offre l’occasion à ses adversaires politiques de l’éliminer. En effet, les procès qui s’attachent à son activité politique sont intentés par des hommes de paille, derrière lesquels se trouvent les hommes politiques influents de la période, qui utilisent les tribunaux comme un terrain d’essai, avant de lancer une attaque directe contre leur adversaire470. Son acquittement par les tribunaux révèle la confiance que le peuple lui avait accordée, non seulement au sein de l’Assemblée, mais désormais aussi auprès des tribunaux populaires, ce qui doit décourager ses adversaires de lancer des attaques supplémentaires contre lui. On ne connaît pas, du reste, d’autres procès contre Démosthène, sauf les deux à l’occasion des décrets honorifiques proposés en sa faveur en 338 et 337/6471. Il semble que l’opinion des héliastes pendant l’avalanche de procès doit avoir joué, en partie, un rôle pour que les deux actions en illégalité soient reportées à des périodes plus favorables à l’obtention d’une condamnation contre la politique de Démosthène. De la même façon, les héliastes soutiennent les mesures exceptionnelles qu’Hypéride avait proposées pour le salut de la cité juste après le désastre de Chéronée au cas où Philippe envahirait Athènes, malgré leur évident 466

Sur ce changement, voir Kralli 1999-2000, 133-161. Voir aussi Lambert 2011a, 176-177 ; Monaco 2011, 228-230. 467 D’après le Pseudo-­Plutarque, Œuvres Morales, 845f, Démosthène a été désigné comme commissaire au ravitaillement et a été, par la suite, accusé de détournement de fonds, avant d’être, enfin, acquitté (n° 164). Le procès a été daté dans les années 330-325 (voir Carlier 20062, 257 ; Worthington 2013, 308), pendant lesquelles Athènes a fait face à de sérieux problèmes d’approvisionnement en blé, mais Develin 1989, 344, penche pour les années de Chéronée. 468 Démosthène, Oraison funèbre. Cf. Worthington 2000a, 91. 469 Démosthène, Sur la Couronne, 285. 470 Cf. Horváth 2009, 199. 471 Voir infra.

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caractère illégal, évoqué par Aristogiton (n° 125)472. Ce décret prescrivait que le Conseil des Cinq Cents descendrait en armes au Pirée et veillerait à exécuter toute mesure prise dans l’intérêt du peuple ; que les objets de culte, les femmes et les enfants se mettraient en sûreté au Pirée ; que serait accordée la liberté aux esclaves, le droit de cité aux étrangers, les droits politiques aux gens qui en étaient privés, pour dettes, expulsion des registres civiques et pour d’autres raisons, et que seraient rappelés les bannis pour mobiliser le plus grand nombre de soldats possible473. Même si le tribunal a validé, par sa décision, le décret en question, ce dernier n’a jamais pris effet, puisque Philippe n’a pas envahi Athènes. Pourtant, cette même décision a reconnu la contribution d’Hypéride à la défense de la cité au lendemain de la bataille474. À ce point, il convient d’énoncer une hypothèse475 à propos de ce décret d’Hypéride : a-­t-il aussi été attaqué par Diondas ? Cette hypothèse peut être soutenue par quelques phrases dans les fragments du Contre Diondas. Dans ce discours, Hypéride accuse Diondas, en premier lieu, d’avoir intenté contre lui trois actions publiques le même jour476. Il lui reproche477, par la suite, de ne permettre au peuple ni d’appliquer « ce/ ceux »478 qu’il avait approuvé(s) et qu’Hypéride avait proposé(s), ni de faire usage de la décision du tribunal ni même d’écouter un orateur parlant 472

Démosthène, Contre Aristogiton II, 11 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 849a. Cf. Hansen 1974, 36-37 ; Cooper 2001, 138. 473 Hypéride, fr.  27-29  Jensen (Contre Aristogiton). Voir aussi Démosthène, Contre Aristogiton II, 11 ; Lycurgue, Contre Léocrate, 36, 41 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 849a. Cf. Osborne III, 68. 474 [Plutarque], Œuvres Morales, 849a. Sur le bénéfice de la cité par ce décret, malgré son caractère illégal, voir Yunis 1988, 376. 475 Je suis d’accord avec la proposition de Horváth 2009, 200. 476 Hypéride, Contre Diondas, 144v l.  22 κατ’ἐμοῦ δὲ τρεῖς τῆι̣ αὐτῆι̣ ἡμέραι̣ ἀ̣π̣ήνεγκ̣ ε̣ ν̣ : « et contre moi il en a introduit trois (accusations publiques) dans la même journée ! » (trad. P. Demont 2011). 477 Hypéride, Contre Diondas, 144v l.  23-27 ὥστε ο̣ ὐ̣  κ̣ ἐᾶι ὑμᾶς χρῆσθαι ο̣ ὔ̣  τ̣ε̣ ο̣ ἷ̣ς̣ ὁ δῆμ(ος) ὁμογνώμων ἐγένετο, οὓ̣  ς ἐγὼ προεβ̣ο̣ ύ̣  λευσα̣ , οὔτε τῆι τοῦ δικαστηρίου γνώσ̣ ει, πρὸς δὲ̣ τούτ̣ ο[ι]ς̣ οὐδ’ ὑπὲρ τοῦ καιροῦ ἀκούειν λεγοντ(ο̣ ς̣) : « qu’il ne permet pas que vous en restiez ni à ‘ce/ceux’ que le peuple unanime a approuvé(s), concernant ce que j’ai moi-­même fait proposer, ni aux décisions du tribunal, et, de plus, qu’il interdit qu’on écoute un orateur parlant d’événements » (trad. P. Demont 2011, légèrement modifiée). 478 Deux traductions proposées : 1. Carey et al. 2008, 13 : « he won’t allow you to adopt the people on whom the demos agreed », et, ainsi, Horváth 2009, 188, pense que l’expression renvoie à la couronne de Démosthène. 2. Demont 2011, 34 n. 46 : « il ne permet pas que vous en restiez ni aux mesures que le peuple unanime a approuvées », parce qu’il lui « semble difficile de comprendre le οἷς qui précède comme un masculin :

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des événements de cette époque. Enfin, il évoque l’accusation faite par Diondas contre sa proposition de libérer les esclaves qui auraient combattu au côté des Athéniens479. Les deux premières phrases ne sont pas claires. En ce qui concerne les trois accusations publiques, l’une d’elles pourrait être l’action en illégalité intentée contre Hypéride et Démomélès pour leur décret proposant de couronner Démosthène en 338480. Les deux autres accusations nous échappent. En ce qui concerne la deuxième phrase, elle est divisée en trois parties. La première doit renvoyer soit au décret octroyant des honneurs à Démosthène qui a été ratifié par le peuple mais qui a été suspendu à cause de l’action en illégalité soit aux mesures proposées par Hypéride et ratifiées par le peuple concernant le lendemain de la défaite. La deuxième partie fait allusion à une décision du tribunal (τῆι τοῦ δικαστηρίου γνώσει) et la troisième établit le contexte historique auquel renvoient ces deux parties, qui est celui des événements de Chéronée481. La dernière phrase sur l’accusation faite par Diondas contre la proposition d’Hypéride de libérer les esclaves qui auraient combattu au côté des Athéniens éclaire très probablement les deux premières phrases : elle éclaire le contenu d’une des trois accusations portées par Diondas contre Hypéride et donne des précisions sur « la décision du tribunal », si on fait le rapprochement avec ce qu’on connaît par l’action en illégalité intentée par Aristogiton et la décision du tribunal en faveur d’Hypéride. Dans les années suivantes, les sources attestent très fréquemment l’existence d’un type de procès particulier, celui de l’action en illégalité qui est déposée, d’emblée, contre un décret honorifique. Sur les huit actions en illégalité qui nous sont parvenues pour cette période et dont on peut tirer des conclusions précises, cinq sont des attaques contre un décret honorifique. C’est le cas des décrets honorifiques en faveur d’Euthycratès d’Olynthe, des proèdres d’une réunion de l’Assemblée, de Démade et de il s’agit plutôt de la reprise de l’argument précédent sur la validité des mesures prises » pendant la période de la crise. 479 Hypéride, Contre Diondas, 174r l. 30-32 ἀλλ’ ὅμως̣ ἐμοῦ κ̣ α̣ τηγόρει, ὅτι τοὺς δούλους τοὺς συναγωνιο̣ υ̣ μένους τῶι δήμωι ἔγραψα ἐλευθέρους εἶναι : « Et pourtant Diondas m’accuse d’avoir proposé au peuple un décret accordant la liberté aux esclaves qui combattraient aux côtés du peuple. » (trad. P. Demont 2011). 480 Démosthène, Sur la Couronne, 222-223. Du reste, on a vu que Démosthène cite Diondas parmi les hommes qui ont porté contre lui des accusations après Chéronée. Cf. Demont 2011, 30. Pour un sens différent, voir Rhodes 2009, 223, qui pense que ce passage du Contre Diondas fait référence plutôt aux accusations directes de Diondas contre Démosthène plutôt qu’à l’action en illégalité intentée contre Hypéride. 481 Cf. Carey et al. 2008, 16.

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Démosthène482. La fréquence de tels procès dans les sources n’est pas due au hasard. Ces décrets s’inscrivent dans deux catégories de décrets honorifiques votés, entre autres, par l’Assemblée du peuple pendant cette période. L’une continue la tradition des décrets honorifiques des années précédentes, votés par le peuple pour rendre hommage aux personnes qui ont servi les intérêts de la cité. L’autre constitue une nouvelle pratique, inaugurée après Chéronée, suivant laquelle des honneurs sont désormais accordés à Philippe, Alexandre et à d’autres personnages ou amis de la cour macédonienne, et s’attachant à la politique de rapprochement que la cité suit, en partie, envers la Macédoine après la conclusion de la paix. Ainsi, même si l’échantillon des décrets considérés comme illégaux est limité – si on le compare avec l’ensemble des décrets honorifiques de la période –, il représente toutefois les tendances politiques en ce temps-­là : oscillations des décisions selon l’évolution du pouvoir de l’hégémonie macédonienne. Les tribunaux populaires sont le reflet de cette politique. En ce qui concerne les deux premiers cas, ceux contre Démade et Philippide, on ne peut pas savoir quelle était l’attitude des juges, puisque l’issue des procès n’est pas connue483. Hypéride accusa Démade pour avoir proposé un décret honorifique en faveur d’Euthycratès d’Olynthe (n° 126)484, personne favorablement disposée à l’égard de Philippe. En effet, dans son plaidoyer, Hypéride accuse Démade d’avoir demandé la proxénie pour Euthycratès sur un mode ironique : Euthycratès parlait et agissait dans l’intérêt de Philippe ; il avait, étant hipparque, livré à Philippe la cavalerie des Olynthiens et, par conséquent, causé la ruine des Chalcidiens, s’était chargé de fixer la valeur des prisonniers suite à la prise d’Olynthe, n’avait pas soutenu Athènes dans l’affaire du sanctuaire de Délos et, après la défaite d’Athènes à Chéronée, n’avait ni enterré aucun des morts ni racheté aucun des prisonniers485. Il s’agit du seul procès en 482

Parfois une telle action n’est pas déposée contre le décret même, mais elle cherche à éliminer soit celui qui a fait la proposition soit la personne qui est honorée ou même les deux. Sur ces trois cas, voir Hansen 1974, 64-65. 483 Dans le cas de Philippide, si la décision du tribunal était négative, Philippide aurait été condamné à l’atimie, puisqu’il avait deux fois déjà été condamné pour avoir fait des propositions illégales (Hypéride, Contre Philippide, 10-11). 484 L’affaire est connue seulement par quelques fragments venant du plaidoyer écrit par Hypéride contre Démade. Hypéride, fr. 76-86 Jensen (Contre Démade pour illégalité). Cf. Hansen 1974, 37 ; Cooper 2001, 142-143. 485 Hypéride, fr. 76 Jensen (Contre Démade pour illégalité). Dans les fragments conservés c’est qui figure est la cause pour laquelle Euthycratès ne méritait pas cet honneur, mais la partie de l’illégalité du décret manque. Cf. Yunis 1988, 372 n. 33. Brun 2000, 67, estime que ces dernières paroles d’Hypéride ne sont qu’une exagération rhétorique. Voir Demont 2011, 41-42, qui reste sceptique à propos de cette « défense » de Démade

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illégalité contre un décret honorifique que les sources ont conservé pour la période où Philippe était encore vivant486. Si on suppose que les autres décrets du même type ont été ratifiés par l’Assemblée, sans être attaqués, la ratification du décret par le tribunal reste possible. Il s’agirait d’une action exprimant l’opposition à l’influence macédonienne sur Athènes, même pendant la vie de Philippe487, et d’une ratification possible appartenant au cadre de la politique de rapprochement entre Athènes et Macédoine. Il convient, en effet, de se demander si on ne peut pas trouver des allusions à l’issue du procès dans les fragments du Contre Diondas488 ; selon Hypéride, Philippe ne s’est pas contenté d’honorer lui-­même les personnes qui avaient agi en sa faveur et contre le peuple d’Athènes : en effet, il a essayé de leur faire octroyer des honneurs aussi par les Athéniens et de les faire inscrire comme proxènes489. Au contraire, l’action contre Philippide pour avoir proposé un décret honorifique qui décernait une couronne à des proèdres d’une des réunions de l’Assemblée, parce qu’ils avaient servi le peuple d’Athènes de manière juste et parce qu’ils avaient accompli leur fonction conformément aux lois490, date de la période qui suit la mort du roi491 (n° 127). Elle pourrait, par Brun. Il considère aussi que le fragment en question pourrait appartenir au Contre Diondas (42 n. 84). De nouveau, Brun 2013, 92, essaie de répondre à la critique de Demont à propos de sa tentative de « défendre » Démade. 486 Le décret doit avoir été proposé après Chéronée, puisque c’est à partir de ce moment que Démade est devenu l’un des hommes politiques les plus importants d’Athènes, mais on ne connaît pas les raisons exactes de cet honneur. Selon Brun 2000, 68, Euthycratès doit avoir rendu un service à Athènes pendant cette période troublée, dont on ignore tout ; c’est pour le remercier de sa bonne volonté que le décret honorifique a été proposé. Il n’est pas non plus facile d’établir pour le décret et le procès une datation plus précise que dans les années 338-336. La dernière date est due au fait que le plaidoyer fait mention de Philippe avant son assassinat en 336. Voir Colin 1946, 31 n. 2 ; Hansen 1974, 37. Brun 2000, 66 ; Cooper 2001, 142, proposent une datation vers 337. 487 Cf. Horváth 2009, 203. 488 Cf. l’hypothèse énoncée par Horváth 2009, 204, laquelle concerne, pourtant, le procès de Philippide. 489 Hypéride, Contre Diondas, 136r l. 26-30 καὶ Φίλιππος μὲν τοὺς ὑπὲρ αὐτοῦ τι καθ’ ἡμῶν πράξαν(τας) οὐ μόνον αὐτὸς ἐτίμησεν ἀλλὰ καὶ παρ’ ἡμῖν ἔσπευσεν ὅπως τιμηθῶσιν – καί εἰσι πρόξενοι ἀναγεγραμμένοι : « Philippe, lui, non seulement a honoré ceux qui ont agi en sa faveur contre nous de quelque manière, mais il s’est aussi employé à ce qu’ils reçoivent des honneurs de notre part – et de fait ils sont inscrits comme proxènes. » (trad. P. Demont 2011). 490 Hypéride, Contre Philippide, 4-6. 491 J’accepte la datation proposée par Colin 1946, 90, et Horváth 2009, 203 n. 68. Ce dernier propose de dater le procès de l’hiver 336, d’après une nouvelle lecture d’un

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par conséquent, être une tentative des opposants à cette politique de rapprochement pour vérifier si le climat politique à Athènes avait changé après sa mort et si le peuple était prêt à accueillir la fin de l’hégémonie macédonienne492. On le voit clairement dans l’attaque directe contre Philippide devant le tribunal, par l’emploi d’un vocabulaire à caractère fortement politique : l’orateur ne s’en tient pas seulement à l’argument légal, selon lequel les proèdres avaient violé les lois pendant leur présidence493, mais il accuse Philippide pour son comportement envers la cité. Ainsi, il le place dans la catégorie d’hommes qui servent les intérêts des tyrans et mènent la cité à la servitude, qui foulent aux pieds le peuple dans son infortune et méritent la haine du peuple d’Athènes : ce sont des traîtres, qui se mettent toujours au service des Macédoniens, qui sont responsables de la condamnation à mort de la cité et qui ne sont pas des démocrates, mais ont choisi de devenir les esclaves des tyrans494. L’argumentation se fonde sur une opposition entre la politique anti-­macédonienne qui est synonyme de liberté et de démocratie et la politique qui servait les intérêts macédoniens et qui s’identifie à la tyrannie, la servitude et l’esclavage. Pourtant, l’ascension dynamique d’Alexandre et la destruction de Thèbes poussent Athènes à chercher une politique de conciliation avec le nouveau roi. C’est le cas de l’ambassade de 335, qui est envoyée pour féliciter le roi pour sa victoire contre Thèbes, et la contribution déterminante de Démade495. Selon Diodore de Sicile, Démade promit à Alexandre de faire exiler le stratège Charidémos, ainsi que de punir, conformément aux lois de la cité, les responsables des menées contre lui496. S’agissant de la deuxième promesse, il apparaît qu’elle était une promesse vague, puisque les sources disponibles n’attestent aucune poursuite judiciaire devant les tribunaux populaires ni aucune autre action prise à la suite de l’ambassade de Démade. Pourtant, il existe un passage intéressant dans le Contre Diondas497, qui passage conservé dans le papyrus. Pour une datation entre 338-336, voir Burtt 1954, 407-408 ; Cooper 2001, 80-81. 492 Cf. Habicht 20062, 33. 493 Hypéride, Contre Philippide, 4-5. Cf. Hansen 1974, 39 ; Yunis 1988, 372-373 n. 36. 494 Hypéride, Contre Philippide, fr. 1, fr. 10, fr. 15a, 8, 10. 495 Diodore de Sicile, XVII. 15 ; Plutarque, Vie de Démosthène, XXIII. 4-6 ; Arrien, Anabase, I. 10. Cf. Brun 2000, 73-78. 496 Diodore de Sicile, XVII. 15. 3. 497 Hypéride, Contre Diondas, 145r-144v l. 15-22 ἐγράψατο δὲ Χαρίδημον μέν, ὃν νῦν ἐγκωμιάζει μὴ ποιεῖν ἐφ’οἷς ἔλαβεν τὴν δωρεὰ̣ν̣ τ̣ ο̣ῦ̣  [δήμ]ο̣ υ̣ , βουλόμενος διαπράξασθαι [οὐδὲν ὧν ἐ]δ̣ [ίωκ]ε̣ ν̣ [ἠ]δ̣ ι̣κ̣η̣κ̣ ό̣  τ̣α̣. Λυκοῦρ(γον) δὲ οὐ μόνον παρανόμω̣ν̣ ἐδίωξεν, ἀλλὰ καὶ ἀσεβείας πρὸς̣ τὸν β̣α̣ σ̣ ιλέα. Δημοσθένη τε

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mérite d’être commenté. Dans ce passage, Hypéride énumère les actions judiciaires que Diondas a intentées contre ses adversaires politiques, dont Charidémos, Lycurgue, Démosthène et Hypéride. Ces quatre noms figurent parmi les stratèges et orateurs qu’Alexandre voulait qu’on lui livre après la destruction de Thèbes. Mais la référence faite par Hypéride à ces hommes n’est, semble-­t-il, qu’une coïncidence avec la demande d’Alexandre, d’autant qu’il s’agit des protagonistes de la vie politique d’Athènes. Du reste, ce passage n’établit pas une datation précise pour les procès en question et, parallèlement, il fait allusion à Charidémos dans le contexte d’une action judiciaire et non de son exil, ainsi qu’aux trois accusations contre Hypéride datées de 338. Or, sans avoir l’intention de forcer les sources, on pourrait s’appuyer sur ce passage afin de proposer une hypothèse qui répondrait au texte de Diodore. Ce qu’il est possible, ainsi, de supposer à partir de ce témoignage est que certains de ces procès qui sont évoqués par Hypéride pouvaient être en cours en 335, ce qui satisferait aux exigences d’Alexandre498. L’ambassade elle-­même de Démade doit avoir servi de tremplin pour ses honneurs exceptionnels. Leur datation n’est pas certaine et elle dépend des raisons pour lesquelles Démade fut honoré. D’un côté, il avait, après la bataille de Chéronée, été chargé des négociations entre Athènes et Philippe et avait facilité la conclusion de la paix entre les deux parties499. D’un autre côté, il était, comme on l’a vu, après la destruction de Thèbes par Alexandre, le responsable de la réconciliation entre Athènes et Alexandre. Ces deux épisodes peuvent justifier chacun un éloge à Démade500, tandis que le dernier est considéré plus probable parmi les historiens501. Selon le décret honorifique proposé par Képhisodotos, Démade fut honoré d’une statue de bronze à son image à l’Agora et de repas au Prytanée. C’était la première fois qu’on décernait de telles récompenses à un orateur et ambassadeur, ce qui pourrait avoir été une des raisons pour l’action en

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πλείους ἢ πέντε καὶ δέκα γραφὰς ἐγράψατο, κατ’ ἐμοῦ δὲ τρεῖς τῆι̣ αὐτῆι̣ ἡμέραι̣ ἀ̣π̣ήνεγκ̣ ε̣ ν̣  : «  Il a intenté une action contre Charidémos, dont il fait maintenant l’éloge, au motif qu’il ne faisait pas ce pourquoi il avait reçu sa récompense de la part du peuple [une ligne illisible]. Lycurgue, il ne l’a pas seulement poursuivi en illégalité, mais même en impiété, devant l’archonte-­roi. Démosthène, il a porté contre lui plus de quinze accusations publiques, et contre moi il en a introduit trois dans la même journée ! » (trad. P. Demont 2011). Sur cette interprétation, voir Horváth 2009, 193. Diodore de Sicile, XVI. 87. 3. Cf. Harris 2001, 213. Voir Conomis 1961, 126, 127 ; Hansen 1974, 39 ; Kralli 1999-2000, 147 ; Brun 2000, 78-80 ; Paschidis 2008, 40.

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illégalité intentée par Polyeuctos de Sphettos502 contre Képhisodotos503 (n° 128). En effet, dans le plaidoyer de Lycurgue, qui participa aussi à l’accusation504, Démade et ses honneurs sont comparés à Périclès et à ses récompenses. Ce dernier avait été couronné d’une simple couronne d’olivier, alors qu’il avait conquis Samos et Eubée, bâti les Propylées, l’Odéon et l’Hécatompédon et fourni dix mille talents d’argent à la cité505. Cette raison ne doit cependant pas être la seule. Ses deux accusateurs critiquent également les relations d’amitié de Démade avec Philippe506. Les héliastes retinrent pourtant le décret et reconnurent la contribution de Démade au salut de leur cité. Il apparaît que cette décision a été prise conformément aux circonstances du moment, dans le cadre de la politique de rapprochement avec Alexandre, puisque si on se fie à Plutarque, la statue de Démade fut détruite, très probablement, après la mort du roi, en 323507. Les héliastes votèrent, par la suite, en faveur des proposants des honneurs pour Démosthène, qu’il s’agisse d’Hypéride et de Démomélès et leur proposition/décret508 qui lui décernait une couronne pour ses actions en 338, probablement peu avant Chéronée509, ou de Ctésiphon et sa proposition en 337/6 qui lui décernait également une couronne pour sa contribution sur ses propres fonds au creusement de fossés longeant les murs510. 502

On trouve le nom de Polyeuctos chez Apsinès, Art Rhétorique, X. 6, ainsi que quelques phrases de son plaidoyer, qui décrivent de manière sarcastique l’attitude de la statue qui sera érigée pour honorer Démade. 503 Cf. Kralli 1999-2000, 147-148 ; Brun 2000, 82, qui souligne, en plus, que l’attaque ne s’inscrit pas dans une sorte de lutte entre partisans et adversaires de la Macédoine, ce avec quoi je ne suis pas absolument d’accord ; Monaco 2011, 228. 504 De son plaidoyer, seuls quelques fragments ont été conservés, qui établissent que le décret était illégal et que Démade ne méritait pas ces honneurs. Voir Lycurgue, fr. IX. 1 Conomis (Contre Képhisodotos, sur les honneurs décernés à Démade). Sur le double argument du discours, légal et politique, voir Yunis 1988, 372. 505 Lycurgue, fr. IX. 2 Conomis. 506 Lycurgue, fr. IX. 3 Conomis ; Polyeuctos, fr. 2 Baiter – Sauppe (Contre Démade). Cf. Conomis 1961, 126, 128. 507 Plutarque, Œuvres Morales, 820e. Cf. Durrbach 1932, XLVIII ; Kralli 1999-2000, 147. 508 On ne peut pas être sûr que la proposition ait été votée par l’Assemblée du peuple. Voir à ce sujet, Rhodes 2009, 224 ; Giannadaki 2014, 24. 509 Démosthène, Sur la Couronne, 222-223. Sur cette datation, voir Horváth 2009, 188 ; Rhodes 2009, 223-224. 510 Eschine, Contre Ctésiphon, 17, 236. Démosthène ne doit pas avoir été couronné, puisque la proposition de Ctésiphon a été attaquée alors qu’elle était encore un

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En ce qui concerne le décret d’Hypéride et de Démomélès, c’est Diondas qui déposa une action en illégalité contre eux (n°  129)511. Pourtant, le procès n’eut pas lieu directement après le dépôt de l’action. Les nouveaux fragments du Contre Diondas d’Hypéride révèlent que le procès eut lieu après la destruction de Thèbes en 335512 et après la demande faite par Alexandre de vaisseaux pour joindre sa campagne contre les Perses513, soit en 334514. Ce retard est, d’emblée, attribué aux conditions politiques, qui semblent être plus favorables pour une victoire éventuelle de Diondas en 334515. Les années précédentes ne paraissent pas propices pour accueillir un tel procès : les juges éprouvaient des sentiments favorables envers Démosthène en 338, et la période entre la mort de Philippe et l’ascension d’Alexandre était une période transitoire, accompagnée des oscillations de l’opinion publique sur les choix politiques, qui dépendaient de la consolidation de l’hégémonie macédonienne. Au contraire, l’année 334, pendant laquelle Alexandre a repris la guerre en Asie et demandé l’envoi des vaisseaux athéniens, doit avoir servi de tremplin à Diondas pour relancer le procès. La situation politique à l’intérieur de la cité semble aussi prête pour l’accueillir. Si on se fie à la critique d’Hypéride sur la situation de la cité alors, il devient clair que les décisions prises au sein de l’Assemblée du peuple se conforment à une politique qui est représentée par Démade et ses amis et qui est décisive probouleuma, qui n’avait plus de validité au-­delà d’un an. Voir Démosthène, Contre Aristocrate, 92-93. Cf. Hansen 1974, 38 ; Rhodes 2009, 226 et n. 16, 17. 511 Démosthène, Sur la Couronne, 222-223 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 848f. 512 Hypéride, Contre Diondas, 173v l. 25-27 καὶ νῦν γε, ὦ ἄνδρες Ἀθηναῖοι, πολλ̣ οὶ̣ Θη̣β̣αίων̣ ἀκροῶνται ἐν τ̣ ῶ̣   ι̣ δι̣καστηρίωι̣ σχ̣ο̣ λὴν ἄγοντες (ὡ̣   ς οὐκ̣ ἂν ἐβουλόμην) : « Aujourd’hui justement, Athéniens, il y a beaucoup de Thébains qui nous écoutent dans ce tribunal, sans avoir rien d’autre à faire (chose que je regrette fort). » (trad. P. Demont 2011). La présence des exilés Thébains à Athènes est attestée aussi chez Eschine, Contre Ctésiphon, 156. Sur la destruction de Thèbes, voir Diodore de Sicile, XVII. 14. 1-4 ; Arrien, Anabase, I. 9. 9-10. 513 Hypéride, Contre Diondas, 174v l. 21-24 ἔλεγε̣ δὲ ἐν τῆι πρώ̣ ην ἐκκλησίαι δεῖν ἡμᾶς τὴν Πάραλον πέμψαντας ὡς Ἀλεξάνδρον μέμφεσθαι αὐτῷ, ὅτι ὑστάτοις ὑμῖν ἐπέστειλεν περὶ τῶν τριήρων : « mais, dans l’assemblée de l’autre jour, il a demandé qu’on envoie la Paralienne à Alexandre pour lui reprocher de nous avoir envoyé ses demandes concernant la flotte à nous en dernier » (trad. P. Demont 2011). Cf. Plutarque, Vie de Phocion, XXI. 1 ; [Plutarque], Œuvres Morales, 847c, 848e. 514 Sur cette datation, voir Horváth 2009, 187-196 ; Rhodes 2009, 225-226. Ils ne sont pas d’accord sur le mois de 334 au cours duquel a eu lieu le procès (janvier-­mars/mai-­ juin respectivement). 515 Sur une analyse de la situation politique, voir Horváth 2009, 197-206. Voir aussi Rhodes 2009, 226, qui ajoute comme contexte possible la victoire d’Alexandre au Granique en 334.

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pour les bonnes relations entre Athènes et Alexandre516. Ainsi, le climat est favorable pour Diondas, qui apparaît comme l’intermédiaire de gens promouvant les intérêts macédoniens, puisqu’il est accusé de ne pas avoir intenté une seule action contre les partisans de Philippe, de ne jamais parler contre ces hommes, mais, au contraire, de ne pas cesser de porter des accusations contre ses adversaires politiques517. Pourtant, Diondas n’arrive pas à obtenir le minimum légal de voix518. Si l’on tente de dégager l’argumentation qui est évoquée dans les quelques fragments du discours d’Hypéride, il est facile de constater qu’elle s’appuie sur deux moments précis de l’histoire récente d’Athènes : les fragments, « replacent », d’un côté, « les juges dans l’atmosphère d’Athènes avant Chéronée, au moment de la conclusion de l’alliance avec Thèbes »519 et, d’un autre côté, ils constituent une critique de la présente situation politique, à savoir de la période aux alentours de 334. Hypéride fait, tout d’abord, le récit des événements avant la bataille et essaie de défendre les choix de cette époque, malgré l’échec à la guerre520. À cet effet, si on pense à la confiance que le peuple avait témoignée à Démosthène même après la bataille, le résultat du procès en faveur d’Hypéride reste logique. Hypéride, pourtant, ne limite pas son argumentation à l’époque antérieure. Il fait le récit de certains épisodes de la période qui a suivi Chéronée (destruction de Thèbes, demandes d’Alexandre) et s’élève contre la politique de rapprochement avec les Macédoniens, menée par des personnes parmi lesquels figurent Démade et Diondas521. La condamnation de Diondas nous amène, par conséquent, à poser la question de savoir si ce procès pourrait avoir servi de cadre pour qu’une partie du peuple athénien, les juges, exprime elle-­même aussi son mécontentement envers cette politique. Elle nous invite, en même temps, à comparer cette décision avec celle prise précédemment par les héliastes, quand ils ont ratifié les 516

Hypéride, Contre Diondas, 144v l. 28-31, 175r l. 10-16. Ces dernières lignes ont attiré récemment l’attention de Brun 2013, 87-88. Il tente d’expliquer le mot « esclavage », employé par Hypéride pour désigner la situation à laquelle Démade a soumis les Athéniens, comme une exagération. Il a raison de souligner que « l’influence primordiale de Démade au sortir de la bataille de Chéronée […] ne paraît guère plaire à Hypéride ». 517 Hypéride, Contre Diondas, 145r l. 9-15. 518 Démosthène, Sur la Couronne, 222. 519 Voir Demont 2011, 30. 520 Hypéride, Contre Diondas, 137r-136v, 176r-173v. 521 Sur la différence de l’argumentation de ce discours avec celle développée dans le Contre Léocrate et Sur la Couronne, qui concernent des événements d’avant Chéronée, voir Herrman 2009, 175-180.

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honneurs accordés à Démade. Si on suppose que cette dernière a été prise conformément aux circonstances présentes, dans le cadre de la politique de rapprochement avec Alexandre, celle contre Diondas doit également représenter la politique des oscillations à propos des choix politiques. Le personnage de Démosthène doit avoir joué assurément un rôle, mais, qui plus est, il faut s’interroger sur le rôle précis qu’a joué la personnalité de Diondas. On savait qu’il agissait comme intermédiaire pour des gens qui ne voulaient pas subir d’échec judiciaire522 et il est dit qu’il n’a gagné aucune des accusations qu’il a portées, ce qui montre qu’il les a lancées contrairement aux intérêts de la cité523. Quant à la proposition de Ctésiphon, il n’y a pas de raison d’entrer dans les détails de la discussion, étant donné l’ampleur de la bibliographie sur le procès. Selon celle-­ci, le héraut devait proclamer au théâtre que le peuple d’Athènes décernait une couronne d’or à Démosthène en récompense de sa valeur et de son intégrité et parce qu’il ne cessait de parler et d’agir pour le plus grand bien du peuple524. Eschine attaqua la proposition comme illégale au moment où le projet du Conseil était soumis au peuple pour être ratifié (n° 132)525 : la proposition était illégale, contraire à la vérité et aux intérêts de la cité526. L’action fut déposée quand Philippe était encore vivant, tandis que le jugement date de l’archontat d’Aristophon, en 330/29, peu de temps après le procès contre Léocrate et avant la célébration des Jeux Pythiques527. Les raisons du report du procès ainsi que les manœuvres pour sa reprise sont discutées par les historiens. Le désaccord porte, d’emblée, sur l’instigateur de la reprise  : Démosthène ou Eschine528  ? Ce dernier semble plus probable529. Les circonstances politiques de 330/29 pourraient le vérifier. 522

Hypéride, Contre Diondas, 175v l. 6-8. Ibid., 174v l. 27-32 – 175v l. 1. 524 Eschine, Contre Ctésiphon, 49. 525 Démosthène, Sur la Couronne, 9, 53, 118 ; Autre Argument sur Démosthène, Sur la Couronne, 3. 526 Eschine, Contre Ctésiphon, 8. Cf. Hansen 1974, 37-38 ; Yunis 1988, 371. 527 Eschine, Contre Ctésiphon, 252, 254 ; Denys d’Halicarnasse, Première Lettre à Ammée, 12. 3 ; Autre Argument sur Démosthène, Sur la Couronne, 7. Sur cette datation, voir Martin – Budé 1928, 11-12. 528 À titre indicatif, les auteurs suivants estiment que l’initiative appartient à Démosthène : Burke 1977, 333-338 ; Sawada 1996, 60-71. Qu’elle soit le fait d’Eschine, voir Harris 1995, 140 ; Worthington 2000a, 96 et 110 n. 31 ; Yunis 2005, 27 ; Carlier 20062, 247-249 ; Worthington 2013, 294-295. 529 Je me demande si le passage du Sur la Couronne, 279 Τὸ δὲ δὴ καὶ τοὺς πρὸς ἔμ’ αὐτὸν ἀγῶνας ἐάσαντα νῦν ἐπὶ τόνδ’ ἥκειν, πᾶσαν ἔχει κακίαν. : « Et avoir 523

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Les résultats des procès des années précédentes, ainsi que les événements jusqu’à la grande victoire d’Alexandre à Gaugamèle (331)530 et jusqu’à l’échec de la révolte du roi de Sparte Agis  III (331/0)531 ont poussé Eschine à attendre le moment le plus propice pour le procès. Tandis que la confrontation avait le caractère d’une inimitié personnelle532, qui datait depuis 346, « Eschine espérait, à cause de la situation politique, réunir contre Démosthène les voix des pro-­macédoniens et celles des juges qui ne trouvaient pas Démosthène assez intransigeant »533. L’illégalité de la proposition reposait sur les trois raisons suivantes534. 1. Ctésiphon avait proposé de couronner Démosthène, alors qu’il n’avait pas encore quitté sa charge d’administrateur de la caisse des spectacles et qu’il était toujours un des dix commissaires chargés des travaux des fortifications de la cité (337/6)535, avant qu’il ait rendu ses comptes, transgressant ainsi la loi qui interdisait de couronner les magistrats qui avaient encore à rendre compte de leur gestion536. 2. Ctésiphon avait demandé de couronner Démosthène dans le théâtre, tandis que la loi ordonnait de proclamer sur la Pnyx, devant le peuple assemblé, le citoyen couronné par le peuple537. 3. Les louanges décernées à Démosthène étaient contraires à la vérité, parce qu’il n’avait pas dès l’origine prononcé les discours les plus avantageux et ne continuait pas par ses actes de servir les intérêts du peuple. Les lois défendaient de faire figurer dans les textes officiels des allégations contraires à la vérité538. même négligé de s’attaquer à moi pour venir maintenant s’en prendre à l’homme que voici, prouve le comble de la méchanceté. » (trad. G. Mathieu), ne pourrait pas signifier que c’est Eschine qui avait choisi ce moment pour intenter l’action contre Démosthène. 530 Sur ce motif, voir Harris 1995, 141-142 ; id. 2013a, 86. Sur l’expedition de Gaugamèle, voir Arrien, Anabasis, III. 6. 1-15. 7. Cf. Bosworth 1988, 74-85. 531 Sur le rôle de la révolte de Sparte au procès d’Eschine, voir Carlier 20062, 248-249 ; Habicht 20062, 47. 532 Démosthène, Sur la Couronne, 13, 16. Démosthène met en avant la haine d’Eschine contre lui dans tout le débat. Cf. Harris 1995, 142, 147 ; Sawada 1996, 71-74 ; Worthington 2000a, 96 ; Brun 2015, 247-248. Pour une confrontation entre les groupes pro-­macédonien et anti-­macédonien, voir Burke 1977, 330-340. 533 Voir Carlier 20062, 249. 534 Sur la faiblesse des deux premiers arguments d’Eschine qui touchent l’aspect légal du décret, voir Harris 1995, 143-145. Pourtant, dans Harris 2013a, 225 sq., il insiste plutôt sur les différentes interprétations des deux premières lois. 535 Eschine, Contre Ctésiphon, 27, 31. 536 Ibid., 11-12, 24, 31. 537 Ibid., 32-34. 538 Ibid., 50.

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Le plaidoyer de Ctésiphon n’est pas conservé. D’ailleurs, ce n’est pas contre lui, en réalité, que fut dirigée l’attaque : Eschine parle à peine de lui à la fin de son plaidoyer539. Au contraire, nous avons le plaidoyer de Démosthène qui parle comme synégore. Démosthène revient systématiquement sur les trois points d’Eschine. 1. L’éloge lui avait été accordé pour ses dons et non pour ses charges ; il devait rendre ses comptes pour sa magistrature et non pour celui qui lui valait la couronne540. 2. Une loi, qu’il cite, autorise les proclamations venant du peuple ou du Conseil au théâtre541. 3. Pour juger s’il a agi et parlé pour le plus grand bien du peuple, ses actes politiques parlent d’eux-­mêmes542. Les deux discours constituent un bilan de la politique de Démosthène, qui est divisée en quatre périodes : la période de la guerre avec Philippe pour Amphipolis jusqu’à la paix de Philocrate, la période de paix, la période des hostilités jusqu’à la bataille de Chéronée et la période actuelle, mais s’agissant de cette dernière les allusions sont rares543. L’argumentation des deux plaideurs repose sur cette division. D’un côté, Eschine accuse Démosthène pour sa responsabilité et ses manœuvres en vue de la conclusion de la paix de Philocrate ; pour ses manœuvres concernant les relations d’Athènes avec Eubée ; pour avoir ruiné les affaires de la cité et celle des autres Grecs par son impiété à l’égard du temple de Delphes et par l’alliance injuste et inégale avec Thèbes, dont il était l’auteur ; et, enfin, pour ne pas avoir profité d’occasions favorables pour lancer une contre-­ attaque contre les Macédoniens dans la période qui a suivi la bataille de Chéronée544. D’un autre côté, Démosthène défend sa politique sur le sujet de la paix et critique celle d’Eschine ; il essaie de prouver qu’il n’était pas le responsable de la guerre contre Philippe et montre sa contribution dans le cas du Péloponnèse, de l’Eubée, d’Oréos, d’Érétrie, de Chersonèse et de Byzance ; il défend ses décisions suite à la prise d’Élatée par Philippe et accuse Eschine pour son inaction. Pour ce qui est de la dernière période, il ne fait que quelques brèves allusions : après la bataille de Chéronée, le peuple a voté ses propositions qui réglaient la défense de la cité, l’a élu

539

Ibid., 213. Démosthène, Sur la Couronne, 111-118. 541 Ibid., 121. 542 Ibid., 57-58. 543 Eschine, Contre Ctésiphon, 54-55. 544 Ibid., 62-75, 85-105, 106, 113-114, 125, 126-127, 137, 142-143, 145, 148-151, 163-165. Sur cette « inaction » de Démosthène pendant les années 338-330, voir Worthington 2000a, 94-100. Ses arguments sur une attitude de prudence évoquée par Démosthène me trouvent d’accord. 540

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commissaire au ravitaillement et lui a confié l’oraison funèbre des morts au lendemain de la bataille545. Le résultat en faveur de Ctésiphon ne surprend pas546. Si on met de côté la partie sur la période après Chéronée, le plaidoyer de Démosthène continue sur le même motif que le plaidoyer d’Hypéride (vocabulaire, argumentation), ce qui offre un témoignage important sur les collaborations politiques à Athènes, qui sont employées également dans le cadre des tribunaux populaires547. Les juges confirment à Démosthène la confiance que l’ensemble du peuple lui avait donnée huit ans plus tôt, et même lors du procès de 334. Selon les paroles qui interprètent le mieux cette décision, « pour les juges qui composent le tribunal, le procès est particulièrement fascinant parce que c’est l’affrontement des deux plus grands orateurs de l’époque, parce qu’il s’agit de trancher, avec un certain recul historique, entre deux politiques proposées entre 348 et 338, et surtout parce que c’est l’occasion d’exprimer, indépendamment des circonstances présentes, un choix de principe, entre une attitude de conciliation et une attitude de résistance »548. Même si Démosthène est accusé d’avoir lui-­même fait preuve d’une attitude conciliante envers la Macédoine lors de la révolte d’Agis – il s’agit, en réalité, plutôt d’une politique qui a empêché Athènes de subir une catastrophe –, c’est l’ensemble de son attitude de résistance passée que les juges récompensent. L’autre procès contemporain de la révolte d’Agis et de la tendance du peuple athénien à se révolter, c’est celui de l’eisangélie contre Léocrate. L’argumentation de Lycurgue ne révèle pas pourtant que l’orateur cherche à provoquer une confrontation entre ceux qui soutiennent la Macédoine et ceux qui se montrent défavorables envers elle549. L’acquittement de Léocrate à une voix de majorité souligne plutôt la faiblesse des arguments de Lycurgue sur la culpabilité de l’accusé. Cette eisangélie appartient à une catégorie d’eisangélies qui sont plus fréquemment attestées dans les sources à partir de la fin des années 330. Il faut s’attarder à nouveau sur ces procès. En les étudiant, on s’aperçoit que le problème macédonien n’est pas la seule

545

Démosthène, Sur la Couronne, 21, 22, 25, 31-33, 41, 72-76, 79-80, 177-178, 191, 237, 248, 285. 546 Plutarque, Vie de Démosthène, XXIV. 2-3. Ctésiphon a été acquitté, tandis qu’Eschine n’a pas pu arriver à obtenir le minimum légal des voix et a quitté Athènes. 547 Voir Carey et al. 2008, 3 ; Demont 2011, 39-40. 548 Voir Carlier 2000, 71. Cf. Yunis 2001, 15 ; Brun 2015, 249-250. 549 Cf. Sawada 1996, 78-80. Pour l’opinion contraire, Burke 1977, 330-340.

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affaire portée devant les tribunaux héliastiques550 par voie d’eisangélie, mais qu’une variété de sujets concernant le quotidien de la cité sont résolus devant les tribunaux par cette voie, sans qu’ils aient tous nécessairement un caractère politique : affaire d’adultère, affaire d’impiété, procès pour avoir loué les joueuses de flûte plus cher que ce que la loi autorisait, procès pour usurpation du droit de cité, accusation d’avoir raconté des mensonges au peuple, procès concernant le monde de l’emporion. Or, il convient de remarquer que, même si la plupart de ces procès ne se fondent pas sur un argument politique, l’accusation revêt finalement un caractère politique, puisqu’elle est portée par voie d’eisangélie et les accusés sont dénoncés pour avoir nui aux intérêts de la cité par leur comportement ou leur activité. Il serait mieux de ne pas tirer de conclusions définitives sur un changement éventuel du caractère de l’eisangélie, qui ne peut pas se fonder sur des sources qui ne donnent pas des explications sûres de cette modification. Il est possible pourtant de dire que ce changement, très probablement non institutionnalisé, doit être attribué aux conditions de la période. Qu’il s’agisse d’une tentative d’englober dans l’eisangélie des délits touchant d’autres aspects de la communauté et de les interpréter comme des affaires de trahison est sûr. Ce qui demeure douteux porte sur l’explication à en donner : l’attribuer à une tentative de protéger la 550

Voir, e.g., le procès intenté par Lycurgue [Lycurgue, fr.  II Conomis (Contre Aristogiton)] et Démosthène (Démosthène, Contre Aristogiton I) contre Aristogiton, par la procédure d’endeixis, pour avoir illégalement pris la parole auprès du peuple, alors qu’il était débiteur du trésor (n° 145) (Démosthène, Contre Aristogiton I, 4, 14, 69, Contre Aristogiton II, 1). Il date d’avant l’affaire d’Harpale (Dinarque, Contre Aristogiton, 13) et la mort de Lycurgue en 324, mais il est difficile de préciser davantage. Cf. Conomis 1961, 86 ; Harris 2001, 206. Le tribunal a condamné Aristogiton et l’a remis aux Onze (Dinarque, Contre Aristogiton, 13). Entretemps, Aristogiton avait intenté une série d’actions. On est renseigné sur les suivantes : il a intenté contre Hégémon une eisangélie (n° 142), qu’il n’a pas poursuivie, parce qu’il s’est fait acheter et, par conséquent, il a été frappé de mille drachmes d’amende ; il a déposé des plaintes contre Démade (n° 143), qu’il a abandonnées ; il a accusé Agathon, le marchand d’huile, et demandé sa mise à la torture, mais après son acquittement, il est resté muet ; il a menacé Démoclès d’une eisangélie (n° 144), mais il n’a pas donné suite. Sur ces procès, voir Démosthène, Contre Aristogiton I, 47 ; Argument sur Démosthène, Contre Aristogiton I, 2. Sur les deux eisangélies, voir Hansen 1975, 107-108, 110. Pour une étude prosopographique d’Hégémon, voir Paschidis 2008, 69 (il propose, avec Hansen, une datation vers 331 pour son eisangélie). Un autre procès est celui intenté contre les enfants de Lycurgue (n° 153). Voir Hypéride, fr. 118 Jensen (Défense pour les enfants de Lycurgue). Ils avaient été accusés par Ménésaichmos, après la mort de leur père, d’être, très probablement, débiteurs du trésor, à cause de l’administration de leur père. Lors du procès qui a suivi, ils ont été acquittés grâce à la défense prononcée en leur faveur par Démoclès, disciple de Théophraste. Voir [Plutarque], Œuvres Morales, 842e.

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démocratie de toute chose qui pourrait constituer une menace contre elle et le rapprocher, ainsi, de la loi proposée par Eucratès sur la tyrannie qui exprime ce sentiment démocratique551 ou le voir sous l’aspect d’une redéfinition de la communauté et de celui qui constituait une infraction de son fonctionnement ? De toute façon, la question macédonienne est à nouveau portée sur le devant de la scène à partir de 324 de manière plus forte, avec le retour d’Alexandre des Indes, son édit sur les bannis et la fuite de son trésorier Harpale. On le voit, tout d’abord, dans les procès qui sont initiés pour examiner si les exilés qui se trouvent à Mégare complotent contre la démocratie. Il s’agit du procès, finalement abandonné, que Démosthène a intenté contre Callimédon et de l’apophasis que l’Assemblée du peuple a ordonnée à propos de Polyeuctos du dème de Cydantidès. À ceux-­ci s’ajoutent les accusations contre un certain nombre d’Athéniens d’avoir touché l’argent d’Harpale. Si on prend en considération que l’idée d’une guerre contre la Macédoine se répand de plus en plus à Athènes, l’accusation de trahison contre Démosthène et les autres hommes politiques semble logique, à tout point de vue : du point de vue des risques que la fuite d’Harpale à Athènes et le détournement du trésor font courir à la cité552 ou de son arrestation qui a découragé une tentative de révolte des Grecs et des satrapes contre Alexandre553. La diversité des verdicts prononcés par les juges contre les accusés montre qu’à travers l’affaire d’Harpale, les Athéniens ont condamné la politique que Démosthène, protagoniste de la vie politique, avait choisi de mener à ce moment précis554. On peut voir finalement la question macédonienne figurer dans le procès intenté contre Démade (n° 154), parce qu’il avait proposé de reconnaître Alexandre comme un dieu555. La démarche pour l’instauration d’un culte en l’honneur d’Alexandre dans toutes les cités date de 324556, tandis que ce 551

IG II3, 1, 2, 320 (337/6). L’interprétation de la loi est très débattue. Voir Monaco 2011, 228 et n. 85, avec des références bibliographiques. Voir aussi, plus récemment, Teegarden 2014, 85-112, qui justifie le vote de la loi en 337/6 et donne une nouvelle explication de la référence de la loi aux Aréopagites. 552 Dinarque, Contre Démosthène, 68 ; Hypéride, Contre Démosthène, fr. III, col. VIII, fr. VIII, col. XXXIV. Cf. Brun 2015, 284. 553 Hypéride, Contre Démosthène, fr. IV, col. XVIII-XIX. Cf. Worthington 1999, 195. 554 Cf. Worthington 2000a, 106 ; Brun 2015, 285-286. 555 Athénée, VI. 58. 556 Voir, e.g., Dinarque, Contre Démosthène, 94 ; Hypéride, Contre Démosthène, fr. VII, col. XXXI-XXXII ; Plutarque, Œuvres Morales, 804b ; [Plutarque], Œuvres Morales, 842d ; Diogène Laërce, VI. 63. Cf. Brun 2000, 98, qui cite tous les textes évoquant la demande.

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procès doit, très probablement, se placer après sa mort en 323557. Il n’est pas pourtant certain558 que le procès corresponde à un procès d’action en illégalité559 ou à une action d’impiété560. Un autre point contesté est le rôle joué par Démade pour la divinisation d’Alexandre, parce que c’est surtout dans les sources plus tardives qu’« il y a déformation progressive des faits et que Démade devint le principal responsable de la décision d’octroyer à Alexandre les honneurs divins »561.

Conclusions Cette revue des procès des années 350-320 a pu montrer, plus que celles des années précédentes, que les discussions qui animent l’Assemblée peuvent entraîner des procès devant les tribunaux. Ce n’est pas seulement le cas de l’action en illégalité et de l’accusation pour avoir proposé une loi nocive ou de l’eisangélie. Dans les deux premiers cas, un décret/une loi de l’Assemblée ou une proposition en cours d’examen peuvent être attaqués comme illégaux et le jugement de l’action ainsi que la décision sur leur ratification ou leur rejet appartiennent aux juges. Dans le cas de l’eisangélie, une dénonciation contre certaines actions désastreuses pour la cité qui est déposée auprès de l’Assemblée est renvoyée, par la suite, devant les tribunaux. Ajoutons à ces trois types l’apophasis de l’Aréopage, dont le rapport est présenté devant l’Assemblée avant que les héliastes ne jugent les accusés. Au-­delà de ces quatre procédures, où la participation tant de l’Assemblée que des tribunaux est fixée par des réglementations juridiques, on s’aperçoit que les années 350-320 sont pleines de procès qui sont initiés dans l’espace de l’Assemblée, puisque les débats politiques conduisent à des confrontations devant les tribunaux. Une phrase tirée du plaidoyer de Démosthène Contre Bœotos I décrit très clairement cette réalité. Mantithéos dit que son père hésitait à apparaître devant le tribunal, puisque, comme c’était un homme politique actif, quelqu’un pourrait venir devant les juges et l’accuser de lui avoir fait du tort562. L’Assemblée est souvent le lieu où naissent et se préparent les procès. Dans le Contre Androtion, Diodoros accuse Androtion : « Son impudence 557

Voir Hansen 1974, 41 ; Habicht 20062, 56. Voir Filonik 2013, 71. 559 Voir Hansen 1974, 41. 560 Voir Habicht 20062, 56. 561 Voir Brun 2000, 99-101. 562 Démosthène, Contre Bœotos I, 3. 558

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est telle que, dans l’Assemblée du peuple, songeant déjà et préludant à sa défense d’aujourd’hui, il avait le front de soutenir que c’est pour vous, à cause de vous, qu’il s’est attiré tant d’inimitiés et qu’il court en ce moment les derniers périls563. » Il l’accuse ainsi d’avoir essayé de présenter son cas devant l’Assemblée et d’attaquer la cause de Diodoros avant même que l’affaire ne soit jugée. Très instructif est également le cas de Démosthène et de son accusation contre Eschine. Tant dans sa deuxième Philippique que pendant la discussion à l’Assemblée sur l’eisangélie contre Philocrate, il a manœuvré pour préparer le terrain pour le procès contre Eschine. On peut en dire autant pour le cas du stratège Diopeithès, tandis que dans ce cas, la harangue de Démosthène devant l’Assemblée a permis d’empêcher son éventuelle accusation. Il va de soi que les deux publics qui composent l’Assemblée et les tribunaux ne sont pas identiques, puisque tous les Athéniens qui assistaient à l’Assemblée ne composaient pas le tribunal ou même inversement. Pourtant, toute personne pouvait se tenir au courant de ce qui se passait dans sa cité et, ainsi, être préalablement informé avant de juger la cause564. Même si l’Assemblée et les tribunaux sont deux organes différents, le rapport entre ces deux institutions se voit dans la façon dont les orateurs s’adressent aux juges. Il est vrai qu’il n’y avait pas de règles contraignantes pour s’adresser à un tribunal565. Si l’on fait l’inventaire des appellations

563

Démosthène, Contre Androtion, 59. Il s’agit d’une constatation qu’on peut vérifier même dans le cas de deux procès qui sont jugés par deux tribunaux différents. Citons l’exemple de Timarque qui a porté une accusation contre une personne inconnue pour avoir proposé une loi nocive (n° 103). Selon Eschine, la loi attaquée était une loi récemment votée, après un épisode de mauvaise conduite de Timarque devant l’Assemblée, et qui autorisait le tirage au sort de la tribu qui devait présider à la tribune et veiller au bon déroulement de la réunion. Voir Eschine, Contre Timarque, 33-34. Cf. Fisher 2001, 163-164. Dans son accusation contre Timarque de 345, Eschine ne cite pas la loi parmi les lois qui règlent la discipline des orateurs. Il dit, en revanche, que cette loi a été attaquée par un groupe d’orateurs, dont Timarque, et ne précise pas le résultat de l’attaque. Si on se fie à ces indices ténus, il apparaît que le procès contre la loi n’avait pas eu lieu au moment où Eschine accusait Timarque. Cf. MacDowell 2005, 83. Qu’Eschine ait fait une telle référence dans le cadre d’un autre procès peut être considéré comme une manière de chercher à prédisposer les héliastes à propos du procès sur la loi, même si les juges du procès contre Timarque n’ont pas été identiques à ceux du procès contre la loi. On n’a pas d’autres détails sur le procès, mais on peut supposer que la loi doit avoir été validée par le tribunal, puisqu’Eschine fait référence à « la tribu dirigeante » (ἡ προεδρευούσα φυλή) dans le Contre Ctésiphon, 4. Cf. Carey 2000, 36 n. 40 ; Fisher 2001, 163. 565 Voir Todd 2007, 88. 564

De la fin de la guerre des Alliés à la guerre lamiaque

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employées dans les plaidoyers566, on s’aperçoit que, pour les cas pour lesquels on dispose d’un échantillon suffisant de plaidoyers, chaque orateur opte, de manière majoritaire, pour une expression spécifique. Ainsi, Démosthène, Hypéride et Lysias préfèrent l’expression ὦ ἄνδρες δικασταί, Dinarque et Eschine ὦ (ἄνδρες) Ἀθηναῖοι et Isée utilise le terme ὦ ἄνδρες. Or, malgré les techniques de persuasion employées pour convaincre le public567, cette variété d’appellations et, notamment, l’emploi des termes ὦ (ἄνδρες) Ἀθηναῖοι et ὦ ἄνδρες – auxquels s’ajoutent ceux employés par les autres orateurs – peut donner des renseignements non négligeables sur l’idée que les Athéniens se faisaient de leurs tribunaux. Elle peut montrer, d’un côté, que parfois les affaires jugées devant les tribunaux avaient une portée telle qu’elles concernaient l’ensemble de la communauté et, d’un autre côté, que, même si l’Assemblée du peuple et les tribunaux sont deux organes différents, dans la conscience des Athéniens ils sont composés de citoyens de même qualité.

566

Voir le Tableau 3. Voir à ce propos, Blanshard 2004, 36-42.

567

Conclusion générale On considérait que l’Héliée était un sujet clos, pour lequel on avait tout dit. Que proposer de nouveau pour une institution dont les différents aspects ont été tant de fois étudiés ? On pensait également à l’Héliée en ayant en tête la description que donne Aristote dans la Constitution d’Athènes, qui occulte, toutefois, le fait que les institutions ont continué d’évoluer au cours du IVe siècle. Pourtant, le sujet reste ouvert et s’est révélé plus complexe qu’on ne le pensait, et ce sont les sources elles-­ mêmes qui ont conduit à appréhender de nouveau l’institution dans sa totalité et à examiner si les hypothèses et les modèles intellectuels utilisés jusque-­là pour traiter de l’Héliée étaient vraiment pertinents. La documentation disponible est ambiguë, floue et fragmentaire. Outre le manque de sources, qu’il s’agisse du VIe, du Ve ou du IVe siècle, on est aussi confronté à des difficultés d’interprétation, de sorte que trop souvent la documentation se dérobe à l’analyse. C’est pourquoi le manque d’informations impose d’ajouter parfois quelques points d’interrogation et de ne pas tirer de conclusions fondées sur des déductions établies à la lumière des siècles suivants. Toutefois, ces lacunes inévitables ne nous interdisent pas de souligner les acquis. Dès lors, après avoir mené cette enquête à son terme et sachant qu’une étude des rapports entre justice et politique dans l’Athènes classique ne peut jamais être exhaustive, le temps est venu de faire le bilan. Prenons le premier point, celui de la période de la création de l’Héliée. Le caractère démocratique et populaire de l’Héliée est évoqué dans toutes les sources disponibles qui vont du milieu du Ve à la fin du IVe siècle. Il s’agit de l’institution qui fournit chaque année six mille juges, Athéniens âgés d’au moins trente ans, jouissant des pleins droits politiques et ayant prêté le serment héliastique, et qui juge la grande majorité des affaires. L’existence d’un tribunal accessible à tous les Athéniens, mais qui est en même temps plus restreint que l’Assemblée du peuple, organisé et soumis à certaines règles, peut fonctionner sous les conditions suivantes : l’administration de la justice évolue dans une cité où la vie politique ne cesse de s’organiser et dans laquelle le dèmos acquiert de plus en plus de pouvoir. Les textes dont l’historien dispose mettent volontiers en scène des moments où s’affirment ces trois conditions : la transformation de la société athénienne et la meilleure organisation de la constitution à

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Le tribunal de l’Héliée

la suite des réformes de Clisthène offrent un terrain favorable pour le fonctionnement de tribunal populaire. Même si les sources qui associent l’Héliée à Solon sont peu fiables, elles mettent en valeur le caractère politique, au sens institutionnel, et populaire de l’Héliée depuis son origine. Ce caractère repose avant tout sur la composition de l’Héliée et sur la justification de cette composition. En effet, même si l’Héliée et l’Assemblée du peuple sont deux institutions de compétences différentes, les membres de l’Héliée se différenciant de ceux de l’Assemblée quant à l’âge, au serment qu’ils ont prêté et au nombre, elles sont ouvertes à tous les citoyens (grâce au tirage au sort pour ce qui est de l’Héliée) et sont composées de personnes de même qualité. L’Héliée se présente donc comme le corps capable de garantir les droits politiques des Athéniens, puisque la participation politique aux décisions de la cité s’exprime par la participation à l’Assemblée du peuple et par l’exercice de la justice. Étant donné que les héliastes ne sont pas les seuls juges dans la cité, mais qu’il y a d’autres magistrats qui exercent un pouvoir politique et judiciaire, c’est le nombre de participants à l’Héliée qui joue le rôle primordial. Cet aspect n’est pas mis en évidence uniquement chez Aristote. Il est nécessaire de reprendre quelques cas qui définissent explicitement ou indirectement l’Héliée comme l’institution où l’identité politique des citoyens est confirmée. La mise en parallèle chez Démosthène des mots « tribunaux » ou « Héliée » avec le Conseil des Cinq Cents et l’Assemblée du peuple ou, plus particulièrement, le serment prêté par les héliastes dans le décret d’Athènes à propos de Chalcis le font aisément comprendre. C’est dans un même sens que vont les termes « Athéniens » et « citoyens » qui sont employés dans les plaidoyers à la place de « juges ». Outre les questions stylistiques propres à chaque orateur, ces termes confirment parallèlement que les héliastes intègrent potentiellement le dèmos ou mieux qu’ils jugent au nom du dèmos, sans pour autant être le dèmos (en raison des critères évoqués ci-­dessus). Si l’on se tourne vers les théoriciens, Isocrate remet en cause la suprématie du dèmos, au sens du petit peuple, dans la vie politique, une suprématie qui s’explique en partie par l’importance des tribunaux héliastiques. Platon, de son côté, utilise le mot apolis pour caractériser une cité sans tribunaux réglés comme il faut et met l’accent sur le fait que celui qui ne participe pas au pouvoir de juger s’estime absolument exclu de la cité. Avant eux, cette souveraineté du dèmos est remise en cause dans les faits par les deux mouvements oligarchiques de 411 et 404, dont les premières mesures sont de supprimer le pouvoir des tribunaux.

Conclusion générale

375

Le tableau qui se dégage de notre étude est loin d’être statique et témoigne d’une évolution constante, voire d’un renforcement du pouvoir des tribunaux à Athènes, tandis que les autres instances conservent ou perdent des pouvoirs judiciaires tout au long de la période. On trouve déjà les premiers indices de cette évolution au cours du Ve siècle. Les réformes d’Éphialte contribuent à accroître le pouvoir politique du tribunal populaire, puisque l’octroi de compétences supplémentaires aux tribunaux permet aux Athéniens d’accéder à plusieurs domaines de leur cité et d’intervenir dans les affaires qui constituent un aspect important de la vie d’Athènes. De leur côté, l’Aréopage doit se contenter de juger des actions pour meurtre, des actions d’incendie et quelques affaires de droit sacré, et les archontes et les autres magistrats de juger des affaires secondaires dont l’amende ne dépasse pas un certain montant. Le misthos institué par Périclès renforce considérablement la participation des citoyens les moins fortunés à l’exercice de la justice et modifie, par conséquent, la composition du corps judiciaire : les hommes qui constituent l’Assemblée du peuple et prennent les décisions politiques s’identifient de plus en plus aux hommes qui rendent la justice en termes de représentativité et parallèlement les dirigeants de la vie politique sont jugés par une partie de plus en plus représentative de l’ensemble des citoyens. Au cours du IVe siècle, ce pouvoir est incontestable. Le pouvoir judiciaire des magistrats reste limité, le Conseil des Cinq Cents n’est pas autorisé à imposer des amendes qui dépassent les cinq cents drachmes et ses décisions concernant la dokimasia des futurs membres du Conseil et des archontes cessent d’être souveraines. Le pouvoir du tribunal est consolidé grâce aux changements apportés aux procédures judiciaires, notamment la modification du nomos eisangeltikos au milieu du IVe siècle, qui donne aux héliastes la compétence absolue en matière de jugement des actions politiques et qui prive l’Assemblée du peuple de toute décision judiciaire concernant ces actions. Il est communément admis que les verdicts prononcés par les héliastes sont rendus au nom de la loi, d’autant que, comme Eschine l’évoque clairement, « lorsque les lois sont respectées dans la cité, la souveraineté du peuple est, elle aussi, sauvegardée1 ». Le serment prêté par les héliastes, les allusions trouvées dans les plaidoyers et les changements apportés au fonctionnement de la justice s’inscrivent dans cet esprit. Pourtant, il est parfois impossible de dissocier une décision prise par les tribunaux dans des affaires à caractère politique de son contexte politique et de son impact sur la cité.

1

Eschine, Contre Ctésiphon, 6.

376

Le tribunal de l’Héliée

On a, d’abord, la chance de pouvoir suivre le fonctionnement de la justice athénienne grâce aux nombreuses plaidoiries dont on a conservé les textes. Andocide, Lysias, Démosthène, Eschine, Hypéride, Lycurgue et Dinarque animent devant nous les débats passionnés qui se déroulent devant les tribunaux athéniens. À propos de ces discours, on a souvent l’impression que le conflit politique se déplace de l’espace de l’Assemblée à l’Héliée. Ainsi, le débat devant les juges ne repose pas seulement sur le caractère juridique de la cause, mais les plaideurs mettent, parallèlement, l’accent sur les affaires politiques qui concernent alors la cité et expriment leur intérêt pour le régime et leur souci de le défendre. L’intensité des débats politiques qu’on peut souvent repérer dans les tribunaux s’explique en partie par les événements extérieurs, mais aussi par le caractère de la démocratie athénienne, qui est une démocratie directe où, à tout moment, toute personne ou même des groupes, peuvent s’affronter pour tenter d’imposer leur politique. De ce point de vue, il n’est pas impossible de soutenir qu’une décision a forcément un caractère politique, vu la nature du débat. On s’en aperçoit souvent et de manière indirecte dans les cas où l’issue de certains procès fait que d’autres sont reportés ou intentés. Un acquittement ou une condamnation par les tribunaux révèle parfois la confiance que les citoyens accordent ou non à une personne et décourage ou incite ses adversaires à lancer des attaques supplémentaires contre elle. Les meilleurs exemples sont attestés à partir du milieu du IVe siècle. On pense, ensuite, à l’action en illégalité, à l’eisangélie et l’apophasis. L’action en illégalité ou même l’accusation pour avoir proposé une loi nocive donnent aux juges la possibilité de renverser ce que l’Assemblée du peuple avait voté. L’action en illégalité permet, notamment lorsqu’elle est déposée contre un décret honorifique, d’attaquer la personne honorée et non la personne qui a proposé l’honneur soit dans le cadre d’un règlement de comptes, soit pour condamner ses choix politiques. Pour ce qui est de l’eisangélie et de l’apophasis, la décision d’un tribunal est souvent considérée comme une décision qui protège le régime démocratique et la cité. En effet, c’est l’Assemblée elle-­même qui confie au tribunal le soin de juger une affaire, qu’elle aurait pu, on l’a déjà vu dans le cas de l’eisangélie, juger souverainement. Les sources, très concises, malheureusement, sur ce point, indiquent que le déroulement du jugement final d’une eisangélie devant l’Assemblée était dépendant, avant le changement du nomos eisangeltikos, des circonstances politiques. Hormis ces procédures à caractère traditionnellement politique, les procédures suivantes, également de nature politique, montrent clairement

Conclusion générale

377

l’impact des décisions des tribunaux sur la cité. Il s’agit d’un côté du contrôle des magistrats (dokimasia, euthynai) et de la compétence des tribunaux à juger si ces magistrats sont aptes à administrer la cité ou s’ils se sont bien acquittés de leur charge. Il est question, de l’autre, du vote des tribunaux dans un procès qui concerne l’octroi du droit de cité, qu’il s’agisse de jeunes gens d’origine athénienne ou d’un étranger, ainsi que de la validation ou du rejet d’une ephesis déposée devant les tribunaux dans le cadre d’une diapsèphisis : les juges prennent une décision politique à propos du droit de faire partie de la cité. Mais un autre élément vient certainement s’ajouter à ceux-­ci. Une décision politique prise par les tribunaux est assez claire dans le cadre des peines qu’ils imposent, à savoir de lourdes amendes et des peines qui entraînent la mort, l’atimie, l’exil et la confiscation des biens. On peut constater, sans réserve, ce rôle politique dans le cas des alliances d’Athènes, dans celui de la fondation de la Ligue de Délos plutôt que celui de la seconde Confédération maritime, où les décrets présentent des difficultés d’interprétation plus nombreuses que dans ceux de la première Ligue. En fait, les décrets montrent comment la politique s’exerce lors de l’établissement du phoros et comment les alliés sont traités par la justice dans les tribunaux athéniens. Le contrôle athénien sur les alliés s’exerce, en pratique et de manière majoritaire, au sein des tribunaux populaires et se manifeste par les amendes et les peines qu’ils imposent. Cette dernière remarque nous conduit à aborder la question des changements progressifs de l’Héliée en rapport avec les transformations de la polis athénienne et les changements politiques. En gros, l’Héliée est un tribunal soumis à des règles qui traversent le temps, au-­delà des conjonctures politiques. Pourtant, loin d’être une institution statique, elle subit des modifications, qui répondent, tout d’abord, aux besoins d’améliorer l’exercice de la justice au sein d’une cité qui évolue. Les textes laissent entendre, en plus, que nombre de ces changements apportés aux procédures judiciaires au sein des tribunaux s’expliquent par les nouvelles conditions et les nécessités de la vie politique de telle ou telle période et suggèrent que les tribunaux s’adaptent à ces conditions et qu’ils s’intègrent dans la continuité des pratiques de la cité. Il apparaît donc que pendant la guerre du Péloponnèse, une période difficile pour Athènes, les procédures telles que l’action en illégalité ou l’eisangélie acquièrent une nuance différente de celle de la période précédente à moins qu’elles n’aient été inaugurées pendant la guerre. À la fin de cette guerre et à l’occasion de la restauration de la démocratie, la

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Le tribunal de l’Héliée

cité renforce le rôle politique des tribunaux et établit un certain nombre de lois, afin que la justice soit exercée sans obstacle et protège le bon fonctionnement de la démocratie. Selon toute vraisemblance, les deux «  réformes  » correspondant à l’introduction des tablettes judiciaires et à l’institution d’un nouveau système de recrutement des tribunaux cherchent à protéger le système judiciaire contre des dysfonctionnements dus à la fondation de la seconde Confédération maritime. Or, les changements les plus fréquents apportés au fonctionnement des tribunaux sont observés à partir du milieu du IVe siècle et s’expliquent par les nouvelles conditions économiques et politiques qui résultent, en majorité, de la fin de la guerre des Alliés et de l’émergence du pouvoir macédonien dans le monde grec. On comprend dans ces conditions l’introduction des actions commerciales dites emmènoi, le changement de la loi sur l’eisangélie, ainsi que l’institution de la procédure de l’apophasis. Même s’il est parfois plus difficile de comprendre l’évolution du déroulement de la procédure de l’eisangélie et de l’apophasis après Chéronée, on accepterait volontiers une explication qui la lie au contexte particulier de ces années. Qui plus est, les affaires courantes des Athéniens ont beau constituer la majorité de l’agenda des tribunaux, un certain nombre de procès à caractère politique, datant à partir du milieu du Ve siècle, sont influencés par les particularités de telle ou telle période. Les témoignages du Ve siècle montrent qu’on peut lier une très grande partie des procès aux affaires des alliés. On se souvient, d’ailleurs, que le pouvoir du tribunal populaire est étroitement lié à la croissance et à la transformation d’Athènes en puissance hégémonique, voire impérialiste, de la Ligue de Délos. On y ajoutera également le grand nombre de procès contre les stratèges de la guerre du Péloponnèse, qui inaugurent une pratique qui va se généraliser dans la période suivante. Au cours du IVe siècle, la portée de nos observations peut encore être étendue. On s’aperçoit que les procès qui vont de 403 au début de la guerre de Corinthe portent, d’un côté, sur des litiges financiers, vu la pauvreté du trésor et la mauvaise situation économique d’un nombre d’Athéniens. Ils portent également sur une série d’affaires diverses, où l’argumentation fait référence aux événements de l’oligarchie des Trente ou de celle des Quatre Cents, étant donné les événements des années précédentes. Pour ce qui est de la guerre de Corinthe, les procès concernent, en général, deux types d’affaires : l’accusation directe contre des stratèges et des ambassadeurs, auxquels sont attribués les échecs de telle ou telle expédition ou ambassade, ainsi que la revendication des biens appartenant à ceux qui ont été condamnés pendant la guerre et

Conclusion générale

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la punition de ceux qui ont nui aux finances de la cité, qui sont en mauvais état. Les préoccupations militaires sont tangibles dans les procès de la période de la renaissance du pouvoir d’Athènes, à savoir celle qui s’étend de la fondation de la seconde Confédération maritime jusqu’à la fin de la guerre des Alliés. Pendant la période suivante, les tribunaux accueillent des procès qui s’inscrivent dans deux tendances de la vie politique. Il s’agit, au début, d’actions intentées contre un décret ou une loi nocive et qui s’attachent à des discussions sur les finances d’Athènes, d’autant que les premières années constituent un tournant essentiel dans la politique de la cité, qui veut améliorer ses finances et faire l’économie des expéditions superflues. Cependant, l’émergence de Philippe comme principal ennemi d’Athènes donne un nouveau contenu à la justice, puisque les procès s’attachent à la politique que la cité adopte face à lui et révèlent combien l’opinion athénienne est divisée à son égard. Ces oscillations à propos de la question macédonienne se traduisent devant les tribunaux même après Chéronée, mais les sources permettent de parler aussi des sujets qui concernent les affaires intérieures de la cité et qui acquièrent une nuance politique ignorée jusque-­là. Dès lors, au-­delà du rôle primordial de l’Assemblée du peuple dans la constitution athénienne, on trouve une autre institution établie sur une base légitime et populaire, qui constitue un élément structurel du régime de l’Athènes classique, qui participe à l’organisation politique de la cité et qui est directement liée au développement de la démocratie. Ce sont ces six mille juges, tirés au sort chaque année, mais qui ne sont jamais réunis dans leur totalité, à une seule exception près, d’ailleurs très contestée. C’est exactement sur ce point que s’impose la particularité de l’Héliée et donc son intérêt : contrairement à la Boulè des Cinq Cents, à l’Aréopage et même à l’Assemblée du peuple, on ne peut pas identifier l’Héliée dans les faits à une assemblée précise de six mille juges. Or, en même temps, toutes les sources donnent l’impression que tout jugement qui est rendu par les juges qui constituent une session judiciaire vient de l’ensemble des héliastes et que cette session est représentative du dèmos tout entier. La phrase tirée de Démosthène dans le Contre Midias est révélatrice : « Si vous voulez bien considérer les faits eux-­mêmes et chercher ce qui donne aux juges qui se succèdent un pouvoir souverain sur toutes les choses de la cité – qu’ils soient deux cents, mille ou n’importe quel nombre décidé par la cité –, vous trouverez que ce n’est pas pour être, seuls parmi les citoyens, groupés en bataillons, ni pour être en meilleure condition physique, ou les plus jeunes en âge, mais parce que les lois sont fortes2. » 2

Démosthène, Contre Midias, 223 (trad. J. Humbert – L. Gernet, légèrement modifiée).

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Le tribunal de l’Héliée

L’importance des tribunaux ne cesse de se manifester tout au long de l’époque hellénistique, malgré les diverses fortunes d’Athènes soumise à des dominations changeantes. Bien que le nom d’« Héliée » soit encore plus rarement attesté dans les sources hellénistiques que pendant la période précédente, la documentation, épigraphique notamment, montre clairement la permanence du succès du tribunal populaire. Il ne s’agit pas seulement de la seule cité d’Athènes, où le rôle politique des tribunaux s’affirme avec l’introduction de nouvelles dokimasiai, comme celles du droit de cité, de l’isotélie ou des « plus grands honneurs », qui sont menées par les tribunaux. Les textes font aussi état de la diffusion du modèle de l’Héliée en dehors d’Athènes : la Délos indépendante est le meilleur exemple du fonctionnement de l’Héliée comme tribunal à caractère politique.

Le passage pourrait faire référence soit à un lieu soit à une séance de l’Héliée présidée par les thesmothètes1.

« Les tribunaux qui jugent les procès publics comptent Le lieu. 501 juges, devant lesquels on introduit les procès de moindre importance. Pour les actions publiques qui sont plus importantes et qui doivent être portées devant 1000 juges, on réunit deux tribunaux à l’Héliée ; pour celles qui sont les plus importantes et qui doivent être portées devant 1500 juges, on réunit trois tribunaux.  » (trad. G. Mathieu – B. Haussoullier, modifiée).

Cf. Hansen 1989a, 225. Boegehold et al. 1995, 4 n. 5, préfère son interprétation comme une session judiciaire.

Aristote, Constitution d’Athènes, LXVIII. 1 [τὰ δὲ δημόσι]α τῶν [δικ]αστηρίων ἐστὶ φ[α΄, οἷς κρίνειν τοὺς ἐλάττου]ς δ̣ [ιδό]ασιν· ὅταν δὲ δέ[ῃ τὰς μείζους γραφ]ὰς εἰ[ς ᾶ εἰ]σαγαγεῖν, συν[έρχεται β΄ δικαστή]ρια εἰ[ς] τὴν ἡλιαίαν. τα[ῖς δὲ μεγίσταις συνι]κ̣ ν̣ [εῖται] εἰς φ΄ καὶ ᾶ τρία [δικαστήρια]. (éd. par H. Hommel, citée par P. J. Rhodes 1981, 725).



1

«  Philocrate, que voici, s’étant présenté à l’Héliée des thesmothètes le jour même de l’enterrement, déclara que j’avais mourir son frère dans le chœur, en le forçant à boire du poison. Après cette déclaration, je me présentai à mon tour devant le tribunal et j’exposai aux mêmes juges que Philocrate se prévalait sans justice de la loi en m’accusant calomnieusement devant le tribunal. » (trad. L. Gernet, légèrement modifiée).

Aristophane, Cavaliers, v. 896-898 ἐπίτηδες οὗτος αὐτὸν ἔσπευδ᾽ ἄξιον γενέσθαι,| ἵν᾽ « C’est à dessein qu’il intrigua pour qu’elles devinssent à Le passage pourrait faire ἐσθίοιτ᾽ ὠνούμενοι, κἄπειτ᾽ ἐν ἡλιαίᾳ| βδέοντες vil prix afin de vous en faire acheter et manger, et qu’en- référence soit à un lieu soit ἀλλήλους ἀποκτείνειαν οἱ δικασταί. suite dans l’Héliée les juges en vessant s’empoisonnassent à l’institution de l’Héliée. les uns les autres. » (trad. H. van Daele).

Antiphon, Sur le choreute, 21 Ἔλεξε μὲν γὰρ Φιλοκράτης οὑτοσὶ, ἀναβὰς εἰς τὴν ἡλιαίαν τὴν τῶν θεσμοθετῶν, τῇ ἡμέρᾳ ᾗ ὁ παῖς ἐξεφέρετο, ὅτι ἀδελφὸν αὐτοῦ ἀποκτείναιμι ἐγὼ ἐν τῷ χορῷ, φάρμακον ἀναγκάσας πιεῖν. Ἐπειδὴ δὲ οὗτος ταῦτ᾽ ἔλεγεν, ἀναβὰς ἐγὼ εἰς τὸ δικαστήριον τοῖς αὐτοῖς δικασταῖς ἔλεξα ὅτι τὸν μὲν νόμον οὐ δικαίως μου προκαθισταίη Φιλοκράτης κατηγορῶν καὶ διαβάλλων εἰς τὸ δικαστήριον.

Tableau 1. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires et épigraphiques des Ve et IVe siècles1

« Loi. Les meurtriers pourront être mis à mort sur notre L’institution et parallèleterritoire et emmenés comme il est dit dans la table, mais ment une séance. non pas être objets de sévices ni soumis à rançon, à peine d’une amende au double du dommage. Les magistrats, chacun selon sa compétence, introduiront l’action intentée par qui voudra. La décision appartiendra à l’Héliée. » (trad. J. Humbert – L. Gernet).

« Loi. […] les thesmothètes introduisent l’affaire devant Dans les deux cas l’institul’Héliée avant trente jours en partant du dépôt de la tion et parallèlement une plainte, s’il n’y a pas d’empêchement public ; sinon, le séance. plus tôt possible. Celui que l’Héliée aura condamné fera (immédiatement) l’objet d’une estimation de peine  – celle qu’on jugera bon de lui faire subir (si elle est afflictive), ou acquitter (si elle est pécuniaire).  » (trad. J. Humbert – L. Gernet).

«  Chacune des fautes a sa propre gestion  ; certaines L’institution de l’Héliée. d’elles nécessitent le jugement par le Conseil de l’Aréopage, d’autres par les plus petits tribunaux et d’autres par l’Héliée. ».

Démosthène, Contre Aristocrate, 97 εἴ τις ἐξαπατᾷ λέγων ἢ βουλὴν ἢ δῆμον ἢ τὴν ἡλι- « celui qui trompe par ces discours le Conseil ou le peuple L’institution. αίαν. ou l’Héliée » (trad. J. Humbert – L. Gernet).

Démosthène, Contre Aristocrate, 28 Νόμος. Τοὺς δ᾽ ἀνδροφόνους ἐξεῖναι ἀποκτείνειν ἐν τῇ ἡμεδαπῇ καὶ ἀπάγειν, ὡς ἐν τῷ ἄξονι ἀγορεύει, λυμαίνεσθαι δὲ μή, μηδὲ ἀποινᾶν, ἢ διπλοῦν ὀφείλειν ὅσον ἂν καταβλάψῃ. Εἰσφέρειν δ᾽ ἐ τοὺς ἄρχοντας, ὧν ἕκαστοι δικασταί εἰσι, τῷ βουλομένῳ. Τὴν δ᾽ ἡλιαίαν διαγιγνώσκειν.

Démosthène, Contre Midias, 47 Nόμος. […] οἱ δὲ θεσμοθέται εἰσαγόντων εἰς τὴν ἡλιαίαν τριάκοντα ἡμερῶν ἀφ᾽ ἧς ἂν γραφῇ, ἐὰν μή τι δημόσιον κωλύῃ, εἰ δὲ μή, ὅταν ᾖ πρῶτον οἷόν τε. Ὅτου δ᾽ ἂν καταγνῷ ἡ ἡλιαία, τιμάτω περὶ αὐτοῦ [παραχρῆμα] ὅτου ἂν δοκῇ ἄξιος εἶναι παθεῖν ἢ ἀποτεῖσαι.

Démade, Sur les douze années, 60 Ἕκαστον τῶν ἀδικημάτων ἰδίας ἔχει τὰς οἰκονομίας· ἃ μὲν γάρ ἐστι δεόμενα τῆς Ἀρείου Πάγου βουλῆς, ἃ δὲ τῶν ἐλαττόνων δικαστηρίων ἃ δὲ τῆς ἡλιαίας· (Loeb).

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Le tribunal de l’Héliée

Démosthène, Contre Timocrate, 63 Νόμος. Τιμοκράτης εἶπεν· ὁπόσοι Ἀθηναίων κατ᾽ εἰσαγγελίαν ἐκ τῆς βουλῆς ἢ νῦν εἰσιν ἐν τῷ δεσμωτηρίῳ ἢ τὸ λοιπὸν κατατεθῶσι, καὶ μὴ παραδοθῇ ἡ κατάγνωσις αὐτῶν τοῖς θεσμοθέταις ὑπὸ τοῦ γραμματέως τοῦ κατὰ πρυτανείαν κατὰ τὸν εἰσαγγελτικὸν νόμον, δεδόχθαι τοῖς νομοθέταις εἰσάγειν τοὺς ἕνδεκα εἰς τὸ δικαστήριον τριάκονθ᾽ ἡμερῶν ἀφ᾽ ἧς ἂν παραλάβωσιν, ἐὰν μή τι δημοσίᾳ κωλύῃ, ἐὰν δὲ μή, ὅταν πρῶτον οἷόν τ᾽ ᾖ. Κατηγορεῖν δ᾽ Ἀθηναίων τὸν βουλόμενον οἷς ἔξεστιν. Ἐὰν δ᾽ ἁλῷ, τιμάτω ἡ ἡλιαία περὶ αὐτοῦ ὅ τι ἂν δοκῇ ἄξιος εἶναι παθεῖν ἢ ἀποτεῖσαι. Ἐὰν δ᾽ ἀργυρίου τιμηθῇ, δεδέσθω τέως ἂν ἐκτείσῃ ὅ τι ἂν αὐτοῦ καταγνωσθῇ. «  Loi. Proposition de Timocrate  : Tous les Athéniens L’institution et parallèlequi, à la suite d’une eisangélie, et par arrêt du Conseil, ment une séance. se trouvent actuellement en prison, ou y seront mis à l’avenir, et qui n’auront pas été renvoyés pour jugement devant les thesmothètes par le secrétaire de la prytanie, conformément à la loi sur l’eisangélie, devront, sur décision des nomothètes, être conduits par les Onze devant le tribunal, dans un délai de trente jours à partir de la date où ces magistrats en auront reçu la garde, sauf empêchement d’ordre public, et, dans ce cas, aussitôt que possible sera. Pourra se porter accusateur tout Athénien non interdit. Si le prévenu est reconnu coupable, l’Héliée fixera la peine afflictive ou pécuniaire qui lui paraîtra méritée. S’il est frappé d’une amende, il sera retenu en prison jusqu’à paiement complet du montant de la condamnation. » (trad. O. Navarre – P. Orsini).

Tableau 1. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires 383

Démosthène, Contre Timocrate, 105 Νόμοι κλοπῆς, κακώσεως γονέων, ἀστρατείας. Ὅ τι ἄν τις ἀπολέσῃ, ἐὰν μὲν αὐτὸ λάβῃ, τὴν διπλασίαν καταδικάζειν, ἐὰν δὲ μή, τὴν δεκαπλασίαν πρὸς τοῖς ἐπαιτίοις. Δεδέσθαι δ᾽ ἐν τῇ ποδοκάκκῃ τὸν πόδα πένθ᾽ ἡμέρας καὶ νύκτας ἴσας, ἐὰν προστιμήσῃ ἡ ἡλιαία. Προστιμᾶσθαι δὲ τὸν βουλόμενον, ὅταν περὶ τοῦ τιμήματος ᾖ. Ἐὰν δέ τις ἀπαχθῇ τῶν γονέων κακώσεως ἑαλωκὼς ἢ ἀστρατείας, ἢ προειρημένον αὐτῷ τῶν νόμων εἴργεσθαι, εἰσιὼν ὅποι μὴ χρή, δησάντων αὐτὸν οἱ ἕνδεκα καὶ εἰσαγόντων εἰς τὴν ἡλιαίαν, κατηγορείτω δὲ ὁ βουλόμενος οἷς ἔξεστιν. Ἐὰν δ᾽ ἁλῷ, τιμάτω ἡ ἡλιαία ὅ τι χρὴ παθεῖν αὐτὸν ἢ ἀποτεῖσαι. Ἐὰν δ᾽ ἀργυρίου τιμηθῇ, δεδέσθω τέως ἂν ἐκτείσῃ. «  Lois sur le vol, sur le mauvais traitement envers les Dans tous les cas, l’instituparents, sur le refus de service militaire. Si un homme re- tion et parallèlement une trouve (chez le voleur) un objet perdu, la condamnation séance. sera fixée au double, et, dans le cas contraire, au décuple de la valeur indiquée dans la plainte. Il aura le pied à l’entrave pendant cinq jours et autant de nuits, si l’Héliée décide une peine supplémentaire. Que toute personne qui le veut puisse proposer la peine supplémentaire au moment de l’estimation de la peine. Si, après condamnation pour mauvais traitement à l’égard des parents, ou pour refus de service militaire, ou après mise hors la loi, quelqu’un est arrêté pour avoir pénétré dans les lieux interdits, les Onze le mettront en prison et le traduiront devant l’Héliée : pourra se porter accusateur qui voudra, parmi les citoyens qui en ont le droit. S’il est reconnu coupable, l’Héliée fixera la peine afflictive ou pécuniaire ; en cas d’amende, il sera tenu en prison jusqu’à acquittement complet.  » (trad. O.  Navarre  – P.  Orsini, légèrement modifiée).

384

Le tribunal de l’Héliée



2

«  Loi. Quiconque usera de collusion ou de corruption dans l’Héliée, les tribunaux ou le Conseil, soit en donnant, soit en recevant de l’argent, [ou fondera une hétairie en vue de renverser la démocratie], ou touchera de l’argent comme défenseur dans les actions privées ou publiques, sera l’objet d’une accusation écrite devant les thesmothètes. » (trad. L. Gernet).

L’institution en comparaison avec les autres tribunaux de la cité2 et le Conseil des Cinq Cents.

« Loi. L’archonte devra veiller sur les orphelins, les épi- Dans les deux cas l’instituclères, les maisons qui deviennent désertes et les femmes tion et parallèlement une qui restent dans la maison de leurs maris défunts, se di- séance. sant enceintes. Il ne permettra aucune injure à leur égard. En cas d’injure ou d’illégalité quelconque, il prononcera une amende sans appel dans les limites de son pouvoir ; si le coupable paraît mériter une peine plus forte, il sera assigné à cinq jours et l’archonte introduira l’affaire devant l’Héliée, en indiquant par écrit le chiffre de la peine qu’il requiert. En cas de condamnation, l’Héliée fixera la peine afflictive ou pécuniaire qui lui paraîtra méritée. » (trad. L. Gernet, légèrement modifiée).

Cf. Ostwald 1986, 11.

Démosthène, Contre Évergos et Mnésiboulos, 12 Ἡ μὲν γὰρ δίαιτα ἐν τῇ ἡλιαίᾳ ἦν (οἱ γὰρ τὴν «  L’arbitrage avait lieu à l’Héliée  : c’est là que siègent Le lieu où les arbitres vont Οἰνῇδα καὶ τὴν Ἐρεχθῇδα διαιτῶντες ἐνταῦθα κά- les arbitres pour les tribus Oinéis et Erechthéis. » (trad. se réunir. θηνται). L. Gernet).

[Démosthène], Contre Stéphanos II, 26 Νόμος. Ἐάν τις συνιστῆται ἢ συνδεκάζῃ τὴν ἡλιαίαν ἢ τῶν δικαστηρίων τι τῶν Ἀθήνησιν ἢ τὴν βουλὴν ἐπὶ δωροδοκίᾳ χρήματα διδοὺς ἢ δεχόμενος, [ἢ ἑταιρείαν συνιστῇ ἐπὶ καταλύσει τοῦ δήμου,] ἢ συνήγορος ὢν λαμβάνῃ χρήματα ἐπὶ ταῖς δίκαις ταῖς ἰδίαις ἢ δημοσίαις, τούτων εἶναι τὰς γραφὰς πρὸς τοὺς θεσμοθέτας.

Démosthène, Contre Macartatos, 75 Νόμος. Ὁ ἄρχων ἐπιμελείσθω τῶν ὀρφανῶν καὶ τῶν ἐπικλήρων καὶ τῶν οἴκων τῶν ἐξερημουμένων καὶ τῶν γυναικῶν ὅσαι μένουσιν ἐν τοῖς οἴκοις τῶν ἀνδρῶν τῶν τεθνηκότων φάσκουσαι κυεῖν. Τούτων ἐπιμελείσθω καὶ μὴ ἐάτω ὑβρίζειν μηδένα περὶ τούτους. Ἐὰν δέ τις ὑβρίζῃ ἢ ποιῇ τι παράνομον, κύριος ἔστω ἐπιβάλλειν κατὰ τὸ τέλος. Ἐὰν δὲ μείζονος ζημίας δοκῇ ἄξιος εἶναι, προσκαλεσάμενος πρόπεμπτα καὶ τίμημα ἐπιγραψάμενος ὅ τι ἂν δοκῇ αὐτῷ, εἰσαγέτω εἰς τὴν ἡλιαίαν. Ἐὰν δ᾽ ἁλῷ, τιμάτω ἡ ἡλιαία περὶ τοῦ ἁλόντος ὅ τι χρὴ αὐτὸν παθεῖν ἢ ἀποτεῖσαι.

Tableau 1. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires 385

« Celui que le Conseil juge coupable, que le Conseil ne soit pas souverain pour fixer la peine, mais qu’il transfère l’affaire à l’Héliée. ». « Que les eisagôgeis défèrent devant l’Héliée ceux qui sont débiteurs du tribut envers les Athéniens, selon le tableau de l’accusation. ».

Si on accepte les restitutions, le mot pourrait signifier l’institution et parallèlement une séance.

« Lis-­moi ces vieilles lois de Solon. Loi. Il aura le pied L’institution et parallèleà l’entrave pendant cinq jours, si l’Héliée ne décide pas ment une séance. une peine supplémentaire. » (trad. L. Gernet – M. Bizos, modifiée ; je traduis ici le mot [μὴ]).

IG I3, 40 (446/5). l. 74-76 περὶ δὲ τούτον ἔφεσιν ἐ͂ να|ι Ἀθέναζε ἐς τὲν « Pour ces actions, qu’il y ait transfert (ephesis) à Athènes Une séance de l’Héliée ἑλιαίαν τὲν το͂ ν θεσμοθ|ετο͂ ν κατὰ τὸ φσέφισμα devant l’Héliée des thesmothètes, selon le décret du présidée par les thesmoτο͂ δέμο. peuple. ». thètes.

App. crit. : l. 38-39 h[ε βολέ, τιμᾶν τε αὐτ]ο̣͂ ι κυ̣ ­ρία ἔστο [καὶ ἐσ]|φερέτο ἐς τ[ὲν ἑλιαίαν εὐθύ]ς̣ Scafuro, κυ̣ ρία ἔστο [. . . ἐκ]|φερέτο ἐς τ[ὸν δε͂ μον περὶ αὐ]το͂ Matthaiou.

IG I3, 34 (c. années 420). l. 37-39 [hο͂ δ’ ἂν]| καταγνο͂ ι h[ε βολέ, μὲ τιμᾶν αὐτ]ο̣͂ ι κυ̣ ρία ἔστο [ἀλλ’ ἐσ]|φερέτο ἐς τ[ὲν ἑλιαίαν εὐθύ]ς̣. l. 70-72 ἐσαγόντον δὲ hοι| [ἐσαγογε͂ ς ἐς τὲν ἑλιαίαν τὸς Ἀθε]ναίοις τὸμ φόρον| [ὀφέλοντας hεχσε͂ ς κατὰ τὸμ πίνα]κα τε͂ ς μενύσεος.

Lysias, Contre Théomnestos I, 15-16 Καί μοι ἀνάγνωθι τούτους τοὺς νόμους τοὺς Σόλωνος τοὺς παλαιούς. Νόμος. Δεδέσθαι δ᾽ ἐν τῇ ποδοκάκκῃ ἡμέρας πέντε τὸν πόδα, ἐὰν [μὴ] προστιμήσῃ ἡ ἡλιαία.

386

Le tribunal de l’Héliée



4

3

Une séance de l’Héliée présidée par les thesmothètes.

Dans le premier cas, on pourrait identifier l’« Héliée » à un lieu de réunion, où aurait lieu l’instruction. Toutefois, la restitution n’est pas assurée3. Dans le deuxième cas, le mot « Héliée » est restituée et il est presque impossible d’être affirmatif dans quelque sens que ce soit.

Cf. Hansen 1989a, 250 n. 7. Sur le commentaire de l’inscription, voir Hansen 1981, 119-123.

IG II3, 1, 2, 431 (c. 337-325). l. 4-6 προστιμάτω δὲ [α|ὐτῶι ἡ ἡλιαία, ὅτου ἂ]ν « Que l’Héliée lui inflige une peine supplémentaire, celle L’institution et parallèleδό̣[ξ]ε̣ ι ἄξιος εἶναι ἀπ[ο|τεῖσαι καὶ δεδέσ]θ̣ [ω] ἕ̣ω̣ς̣ qu’on jugera bon de lui faire acquitter, et qu’il soit empri- ment une séance. ἂ[ν] ἐκτείσει4. sonné jusqu’à acquittement complet. ».

IG I3, 1453 + SEG LI, 55 (c. années 420 ?). fr. de Cos, l. 6-7 [ἐς τ]ὲν ἑλιαίαν τὲν το͂ [ν θ|εσμοθε- « devant l’Héliée des thesmothètes, selon la loi ». το͂ ν κατὰ τὸν νόμον·].

IG I3, 71 (425/4). l. 13-14 [ἐσαγογέον δὲ hο λα]χ̣ὸν̣ κα[ὶ h]ο πο- « Qu’un eisagôgeus tiré au sort et le polémarque fassent λέμαρ[χος ἀνακρινάντον τὰς δίκας ἐν τ]|ε͂ ι ἑλιαίαι l’instruction (?) devant l’Héliée, comme les autres affaires [καθάπερ τὰς δίκας τὰς ἄλ]λας το͂ [ν ἑ]λιαστο͂ ν. jugées par les héliastes (?). » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée). l. 48-50 [ἐν δὲ τε͂ ι hέδραι τ]ε̣͂ ς βολε͂ ς τε͂ ι πρό|[τει «  Qu’ils présentent les procès sur ces affaires à la proπερὶ] τ[ο]ύτο α̣ [ἰεὶ δίκ]α̣ ς [ἐσαγόντον ἄνευ τε͂ ς chaine session du Conseil sans consulter l’Héliée ou tout ἑλιαίας καὶ τ]ο͂ ν ἄλλον δικαστερίον ἐὰμ μ|[ὲ δι- autre tribunal à moins que le peuple décrète qu’ils ne les καστο͂ ν] προ͂ [τον δικα]σ̣ ά[ντον ἐσάγεν φσεφίσε- présenteront que lorsque les juges auront fait un premier ται hο] δε͂ μ[ος]. jugement. » (trad. P. Brun 2005, légèrement modifiée).

Tableau 1. Le terme « Héliée » dans les sources littéraires 387

SEG XXX, 61 (367-348 ?). Face A fr. a + b l. 28-29 φαίνεν δὲ τὸμ βολόμ̣ εν̣ ο̣ [ν Ἀθηναίων, καὶ ὁ βασι]λεὺς εἰσαγέτω εἰς τὴν Ἡλια̣ ίαν κα[. . . . . . . . . . . . . 26 . . . . . . . . . . . . . αὐ|τ]ο͂ βολευέτω ἡ βολὴ ὡς ἀδικο͂ ντος. l. 32-33 [ἐ]ὰ̣  ν δὲ μείζονος δοκῆι ζημίας ἄξιος εἶ̣ν̣αι, εἰσάγε[ιν τούτος εἰς τὴν Ἡλι|αί]αν̣ προσκαλεσαμένος κατὰ τὸν νόμον· ἐ[πιθέσθω δὲ ἡ] Ἡλιαία ὅτι̣ ἂ̣  ν δοκῆι ἄξιος εἶναι παθε͂ ν ἢ ἀποτεῖσ̣ [αι]. l. 49 [ἐὰν κατ]α̣ γνῶι ἡ Ἡλιαία ποιε͂ ν τι παρὰ τὰ γ[εγραμμένα . . . . . . . . 17 . . . . . . . . .]. fr. c l. 5 [- - - - - - - - - ἡ Ἡ]λ̣ ια̣ ία τ[- - - - - - - - - - - - - - -]. « […] l’Héliée […] ».

« Que celui des Athéniens qui le veut puisse le dénoncer, Dans tous les cas, l’instituet que l’archonte-­roi introduise l’affaire devant l’Héliée tion et parallèlement une […] que le Conseil délibère pour lui, parce qu’il a com- séance. mis une injustice. ». «  S’il paraît mériter une peine plus forte, que ceux-­ci introduisent l’affaire devant l’Héliée, après qu’il a été cité en justice, selon la loi ; que l’Héliée lui inflige la peine ou l’amende qui lui paraîtra méritée. ». «  Si l’Héliée juge qu’il ne fait pas ce qui est prescrit […]. ».

388

Le tribunal de l’Héliée

« Lors donc que les théores furent de retour, on convoqua l’Assemblée et on y rapporta la réponse de l’oracle ; et les Thébains, quand ils apprirent de la bouche des théores qu’ils devaient demander le secours ‘des plus proches’, dirent, après avoir entendu cet avis. » (trad. Ph.-E. Legrand).

Hérodote, V. 79 Ἀπελθόντων ὦν τῶν θεοπρόπων ἐξέφερον τὸ χρηστήριον ἁλίην ποιησάμενοι· ὡς ἐπυνθάνοντο δὲ λεγόντων αὐτῶν τῶν ἄγχιστα δέεσθαι, εἶπαν οἱ Θηβαῖοι ἀκούσαντες τούτων.

« Après avoir parcouru le territoire entier, et n’y avoir trouvé qu’un petit nombre de champs en cet état, aussitôt retournés à la ville, ils convoquèrent l’Assemblée et désignèrent pour administrer l’état ceux dont ils avaient trouvé les champs bien cultivés ; car, dirent-­ils, ils pensaient que ces hommes prendraient autant de soin des affaires publiques que de leurs propres. » (trad. Ph.-E. Legrand).

Thèbes (506)

Milet (VIe siècle)

SEG XXX, 380 Blocs 1-4. Face A τὸν δ’ ἰιαρομμναμόν̣ [α  - - -]εν τ|ὰ δαμόσιια «  Et le hieromnamon (déposera  ? ou gérera  ?) les biens  ? hό‖πυι κα δοκεῖ το͂ ι δάμοι ἀλιιαιίαν θ̣ εν.(?)ια. publics comme le peuple aura décidé. L’Assemblée se αιδ.[- - -]α̣ πα̣ θαιιεατρα α. . vacat. tiendra (?) - - - théâtre (?) vacat. » (trad. Nomima I, n° 78).

Hérodote, V. 29 Διεξελάσαντες δὲ πᾶσαν τὴν χώρην καὶ σπανίους εὑρόντες τούτους, ὡς τάχιστα κατέβησαν ἐς τὸ ἄστυ, ἁλίην ποιησάμενοι ἀπέδεξαν τούτους μὲν τὴν πόλιν νέμειν τῶν εὗρον τοὺς ἀγροὺς εὖ ἐξεργασμένους· δοκέειν γὰρ ἔφασαν καὶ τῶν δημοσίων οὕτω δή σφεας ἐπιμελήσεσθαι ὥσπερ τῶν σφετέρων.

Tableau 2. Les termes ἁλία/η et ἁλιαία dans des régions hors d’Athènes

Tirynthe (VIIe/VIe siècle)

Assemblée du peuple

Épidaure (Ve siècle)

IG IV2, 1, 1 Face A l. 1 hαλίας. Face B l. 1 hαλιᾶν.

« l’Assemblée (?) ».

« de l’Assemblée (?) ».

SEG XIII, 239 Ἀλιαίαι ⋮ ἔδοξξε ⋮ πρό|ξενον ⋮ ἐ͂ μεν ⋮ Γνόσστ|αν «  L’Assemblée a décidé  ; que Gnosstas d’Oinous soit ⋮ τὸν ϝοινόντιον| τοῖς Ἀργείοις ⋮ ἀϝρέ|τευε ⋮ proxène pour les Argiens  ; sous la présidence d’ÉpicraἘπικράτες ⋮ Π|ανφύλας ⋮ Ῥίνονος ⋮| hυιός. tès, fils de Rhinon, de la tribu des Pamphyloi.  » (trad. Nomima I, n° 35, légèrement modifiée).

Argos (vers 475 ?)

« À Épidamne également la constitution subit une modification partielle, puisque les phylarques y furent remplacés par un Conseil, et il est même encore maintenant obligatoire pour les magistrats faisant partie de la classe dirigeante de se rendre à l’Héliée (Assemblée) quand on met aux voix la désignation à quelque magistrature ; et de caractère oligarchique était aussi la présence d’un seul et unique magistrat suprême dans cette constitution. » (trad. J. Tricot 19954, légèrement modifiée).

« Affligés et souffrant de cette situation, les Lacédémoniens tinrent de fréquentes Assemblées et firent demander par la voix d’un héraut si quelque citoyen consentait à mourir pour Sparte. » (trad. Ph.-E. Legrand).

Aristote, Politique, 1301b 21-26 καὶ ἐν Ἐπιδάμνῳ δὲ μετέβαλεν ἡ πολιτεία κατὰ μόριον· ἀντὶ γὰρ τῶν φυλάρχων βουλὴν ἐποίησαν, εἰς δὲ τὴν ἡλιαίαν ἐπάναγκές ἐστιν ἔτι τῶν ἐν τῷ πολιτεύματι βαδίζειν τὰς ἀρχάς, ὅταν ἐπιψηφίζηται ἀρχή τις, ὀλιγαρχικὸν δὲ καὶ ὁ ἄρχων ὁ εἷς ἦν ἐν τῇ πολιτείᾳ ταύτῃ).

Hérodote, VII. 134 Ἀχθομένων δὲ καὶ συμφορῇ χρεωμένων Λακεδαιμονίων, ἁλίης τε πολλάκις συλλεγομένης καὶ κήρυγμα τοιόνδε ποιευμένων, εἴ τις βούλοιτο Λακεδαιμονίων πρὸ τῆς Σπάρτης ἀποθνῄσκειν.

Épidamne (VIe-­Ve siècle)

Sparte (début Ve siècle)

390

Le tribunal de l’Héliée

Hérodote, Ι. 125 Ἀκούσας ταῦτα ὁ Κῦρος ἐφρόντιζε ὅτεῳ τρόπῳ σοφωτάτῳ Πέρσας ἀναπείσει ἀπίστασθαι, φροντίζων δὲ εὕρισκέ τε τάδε καιριώτατα εἶναι καὶ ἐποίεε δὴ τάδε. Γράψας ἐς βυβλίον τὰ ἐβούλετο, ἁλίην τῶν Περσῶν ἐποιήσατο.

IGASMG I2, 52 fr. h, l. 3-4 [- - - Σ]ελινόε[ντι - - - - - -|- - - hα]λία « […] Sélinonte […] l’halia (?) a arbitré […] ». διαίτε̄ σ[ε - - - -].

Empire perse (VIe siècle)

Sélinonte (?) (fin VIe siècle)

« Quand il eut pris connaissance de cet avis, Cyrus réfléchit à la manière la plus habile de décider les Perses à la révolte ; ses réflexions lui firent trouver que la plus opportune était ce qui va suivre ; et ce fut ce qu’il fit en effet. Il rédigea une lettre dans laquelle il mit ce qu’il voulait, et convoqua une assemblée des Perses. » (trad. Ph.-E. Legrand).

IG IX, 12, 2, 212 l. 1-3 ἀγαθᾶι τύχαι. ἐπὶ πρυτάνιος ΠΛ . . | άρ- «  À la bonne fortune  ; sous la prytanie de […], fils de χου τοῦ Φιλίνου, γραμματε[ύ|ον]τος ἁλίας Philinos ; Aganor, fils de Lagiskos, étant secrétaire de l’AsἈγάνορος τοῦ γίσκου. semblée. ».

IG IX, 12, 4, 786 l. 5-8 πρόξενον ποεῖ ἁ ἁλία| Διονύσιον «  L’Assemblée accorde la proxénie à Dionysios, fils de Φρυνίχου| Ἀθηναῖον αὐτὸν καὶ| ἐκγόνους. Phrynichos, Athénien, à lui et à ses descendants. ».

Autres types d’assemblée

Anaktorion (IVe/IIIe siècle)

Corcyre (fin IVe siècle)

Tableau 2. Les termes ἁλία/η et ἁλιαία dans des régions hors d’Athènes 391

Tégée (IVe siècle)

Delphes (Ve/IVe siècle)

IG V, 2, 6 Face A col.  II, l. 21-31 μὴ ἐξέστω δὲ μηδὲ κοινᾶνας γενέσθαι| πλέον ἢ δύο ἐπὶ μηδεν̣ ὶ τῶν ἔργων· εἰ δὲ μή, ὀ̣  φλέτω| ἕκαστος πεντήκοντα δαρχμάς, ἐπελασ̣ άσθων| δὲ οἱ ἁλιασταί, ἰμφαίνεν δὲ τὸμ βολόμενον ἐ̣πὶ τοῖ| ἡμίσσοι τᾶς ζαμίαυ, κὰ τὰ αὐτὰ δὲ καὶ εἰκ ἄν̣ τ̣ ις| πλέον ἢ δύο ἔργα ἔχη τῶν ἱερῶν ἢ τῶν δαμ[ο]σίων| κατ’ εἰ δέ τινα τρόπον, ὅ,τινι ἂμ μὴ οἱ ἁλιαστα[ὶ]| παρετάξωνσι ὁμοθυμαδὸν πάντες, ζαμιώ[σ]θ̣ ω| καθ’ ἕκαστον τῶν πλεόνων ἔργων κατὺ μῆνα̣ | πεντήκοντα δαρχμαῖς, μέστ’ ἂν ἐ̣πισ[χῆ πάντα]| τὰ ἔργα τὰ πλέονα.

CID 1, 9 Face A l. 19-23 Ἔδοξε Λαβ[υ]ά̣  δαις Β̣ ου̣ κατ̣ |ίου̣ μηνὸς δε̣ κ[ά]τ̣ αι, ἐπὶ Κ[ά]|μπου, ἐν τᾶι ἀ̣[λί]α̣ ι̣, σὺμ̣ ψά[φ]|οις hεκατὸν ὀγδοήκοντ[α]| δυοῖν. l. 39-42 ἐπὶ τῶ|ν hυστέρων ταγῶν καταγο|ρείτω ἐν τᾶι ἀλίαι τᾶι με|[τ]ὰ Βουκάτια. «  Qu’il soit interdit que plus de deux personnes soient associées pour participer à un projet ; dans le cas contraire, que chacun d’eux soit redevable d’une amende de cinquante drachmes, et que les haliastai soient responsables pour l’imposition de l’amende ; que toute personne qui le veut puisse les dénoncer pour la moitié de l’amende ; il en va de même si quelqu’un participe de toute façon que ce soit à plus de deux travaux, sacrés ou publics, sans le consentement unanime des haliastai, qu’il soit puni de cinquante drachmes par mois pour chacun des travaux en surplus, jusqu’à l’achèvement de tous les travaux en surplus. ».

« Il a plu aux Labyades, au dixième jour du mois Boucatios, sous l’archontat de Campos, dans l’assemblée, par cent quatre-­vingt-­deux voix. ». « Qu’il porte son accusation sous les tages suivants, dans l’assemblée qu’on tient après les Boucatia. » (trad. G. Rougemont, légèrement modifiée).

392

Le tribunal de l’Héliée



5

Je n’ai pas inclus les plaidoyers très fragmentaires, à l’exception du Contre Diondas d’Hypéride.

4, 29, 78, 98, 148, 201, 214, 221 (2), – 268, 310, 330

Sur les forfaitures de l’Ambassade (19)



196

Démosthène Sur la Couronne (18)

1, 3, 6, 9, 13, 14, 17, 25, 39, 45, 46, 48, 50, 62, 64, 65, 66, 67, 70, 86, 91, 94, 96, 109 (2), 115, 119, 125, 132, 135, 140, 142, 146, 158, 167, 173, 181, 212, 224, 226, 229, 232, 235, 237, 256, 258, 259, 260, 262, 263, 267, 268, 269, 271, 273, 275, 277, 280, 285, 288, 298, 299, 302, 307

1, 3, 5, 9, 13, 16, 17, 26, 27, 34, 47, 52, 56, 58, 60, 62, 88, 96, 102, 103, 113, 122, 140, 141, 144, 153, 158, 160, 208, 210, 216, 219, 223, 242, 251, 252, 291, 296, 297, 303, 314, 321

1, 4, 7, 17, 20, 45, 49, 52, 72, – 85, 86 (2), 92

1 (2), 3, 5, 6, 8, 10, 14, 15, 19, 91, 137 22, 25, 27, 29, 37, 39, 43, 46, 51, 52, 54, 56, 57, 60, 67, 69 (2), 85, 88, 89, 92, 101, 102, 103 (2), 105, 106, 109, 113, 117, 120, 123, 124, 127, 128, 130 (2), 132, 139, 140, 142, 146

136

Antiphon 84 Sur le meurtre d’Hérode

Andocide Sur les Mystères

(ὦ) (ἄνδρες) Ἀθηναῖοι

ὦ ἄνδρες

(ὦ) ἄνδρες δικασταί

Tableau 3. Les expressions (ὦ) ἄνδρες δικασταί, ὦ ἄνδρες et (ὦ) (ἄνδρες) Ἀθηναῖοι dans les plaidoyers attiques5

1, 2, 7, 11, 18, 20, 42, 61, 77, 98, – 106, 108, 131, 136, 148, 151, 194, 197, 209, 211, 222

1

74, 86, 87, 215

Contre Midias (21)

Contre Androtion (22)

Contre Aristocrate (23)





1, 15, 29, 36, 45, 55, 64, 67, 69, 79, – 87, 95

Contre Leptine (20)

1, 4, 7, 8, 9, 18, 19, 23, 25, 29, 32, 37, 41, 44, 51, 53, 55, 62, 63, 65, 70, 72, 77, 82, 89, 90, 95 (2), 100, 104, 106, 111, 112, 113, 116, 118, 122, 124, 126, 127, 128, 130, 133, 138, 139, 141, 143, 145 (2), 148, 156, 160, 161, 164, 168, 178, 187, 188, 192, 194, 196, 197, 198 (2), 203, 204, 206, 208, 214

4, 11, 12, 16, 20, 30, 37, 43, 51, 53, 59, 64, 67, 68, 72, 78

2, 3, 5, 7, 9, 12, 14, 16, 17 (2), 19, 21, 23, 36, 37, 46, 48, 51, 54, 62, 66, 67, 68, 69, 70, 72 (2), 73, 74, 83, 95, 98, 102, 104 (2), 106, 108 (2), 110, 111, 112, 119, 120 (2), 123 (2), 126, 128, 139, 143, 144, 153, 154, 160, 169, 171 (2), 175, 176, 181, 182 (2), 183, 184, 186, 188, 191, 192, 201, 203, 204, 206, 210, 213 (2), 214, 216, 217, 219, 220

1, 7, 9, 11, 12, 13, 24, 28, 34, 41, 43, 44, 46, 51, 60, 65, 71 (2), 72, 74, 79, 80, 81, 83 (2), 84, 88, 93, 94, 96, 97, 98, 102, 105, 109, 111, 112, 114, 116, 118, 119, 128, 134, 135, 138, 140, 142, 150, 153, 154, 155, 156, 157, 159, 161, 165, 166

394

Le tribunal de l’Héliée

1, 2, 3, 4, 7, 9, 12, 30, 34, 40, 57, 68 – – –

19

15, 19, 22

Contre Aristogiton II (26)

Contre Aphobos I (27)

Contre Aphobos II (28)

Contre Aphobos III (29) 1, 2, 4, 6, 11, 15, 19, 25, 30, 42, 49

1

Contre Onétôr II (31) –

1, 4, 16, 20, 22, 29 (2), 32, 35

1, 22, 25, 29, 34, 36, 37, 40, 43, 50

1, 3, 5, 6, 7, 9, 15, 16, 19, 21, 24, 25, – 26, 27, 31, 35, 37, 38, 40, 41, 42, 44 (2), 47 (2), 50 (2), 52, 53, 54, 55, 56

Contre Apatourios (33)

Contre Phormion (34)

Contre Lacritos (35)





Contre Zénothémis (32) 1 (2), 3, 10



1, 3, 6, 9, 12, 16, 19, 25, 26, 33, 34, – 35, 37

Contre Onétôr I (30)





1

Contre Aristogiton I (25)

111, – 130, 144, 154,

1 (2), 19, 24, 43, 51, 64, 72, 113, 121, 122, 123, 124, 125, 134, 136, 139, 140, 142, 143, 145, 146, 147, 151, 152, 153, 167, 200

Contre Timocrate (24)



2, 5, 6, 7, 10, 12 (2), 14, 15, 16, 17 (2), 19 (2), 21, 48, 49



9, 26, 31











1, 15, 27

8, 13, 14, 15, 17, 19, 22, 30, 32, 33, 37, 41, 42, 43, 48, 54, 58, 63, 81, 82, 83, 86, 87, 89, 92, 93, 95, 96, 98, 100

6, 17, 51, 58, 65, 95, 96, 101, 106, 162, 165, 170, 174, 180, 186, 192, 200, 203, 209

Tableau 3. Les expressions 395

10 –



1, 4, 6, 10, 12, 13, 18, 19, 21, 23, – 32, 35, 38, 45, 47, 50, 53 (2), 54, 59

1 (2), 2, 5 (2), 7, 8, 9, 11, 12, 13, 15, – 18, 19, 20, 22, 23, 27, 29, 30

1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 13, 15, 16, 17, 18, – 19, 24, 26, 27, 28, 30 (2), 32

Contre Bœotos II (40)

Contre Spoudias (41)

Contre Phainippos (42)

Contre Macartatos (43) 1, 2 (2), 3, 8, 11, 12 (2), 14 (2), 15, – 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25 (2), 28 (2), 31, 32, 33, 34, 38 (2), 42, 47, 48 (2), 49, 52, 53, 55, 56, 59, 60 (2), 62, 65, 67 (2), 68, 71, 72, 73, 74, 79, 80, 81 (2), 83, 84

Contre Léocharès (44)

Contre Stéphanos I (45) 3, 4, 9, 20, 32, 56, 57, 61, 62, 70, 85 –

1, 3, 5, 6, 9, 11, 14, 15, 17, 20, 28, – 29, 31, 43, 44, 45, 51, 56, 60, 62, 65



1, 3

Contre Bœotos I (39)

1, 5, 6, 12, 14, 23, 24, 27, 28, 40, 51, 53, 59, 63, 66, 67, 71, 77, 80, 82, 83





18, 19, 20, 21, 27, 29, 37, 41





13, 15, 21, 39



1, 4, 11, 14, 18, 19, 22, 23, 25 (2), 26 (2), 29, 30, 32, 33, 36, 40, 51, 54, 55, 57 (2), 59

1, 4, 5, 17, 18, 25, 28



Contre Nausimachos (38)

17, 28

Contre Pantainétos (37) 1, 2, 4, 9, 17, 19, 43, 55

Pour Phormion (36)

396

Le tribunal de l’Héliée



11, 14, 16, 18, 19, 22, 24, 25, 28, – 31, 33, 35

1, 2, 6, 7 (2), 8, 9, 10, 13, 14, 16, 17, – 18, 19, 22, 25, 42, 50

1 (2), 2, 4, 8, 10, 15, 16, 17, 20, 36, – 40, 47, 50, 60, 64, 70

1, 2, 4, 6, 7, 8, 10, 12, 13, 15, 17, 22, – 23, 24, 26, 30, 31, 33, 34, 36, 37, 39, 41, 44, 52, 53, 57, 59, 60, 61, 64, 66

1, 28 (2)

1, 3 (2), 35, 42 (2), 45, 54, 69

1, 2, 7, 8, 11 (2), 23, 38, 43 (2), 52, – 67

Contre Calliclès (55)

Contre Dionysodoros (56)

Contre Euboulidès (57)

Contre Théocrinès (58)

[Démosthène] Contre Stéphanos II (46)

Contre Timothée (49)

Contre Polyclès (50)





3

1, 10, 15, 21, 26, 36, 38, 39, 41, 42, – 44

Contre Conon (54)





6 (2), 8, 22, 30, 32, 35, 37, 43, 44, 45, 47, 48, 50, 56 (2), 59, 60, 62

4, 5, 14, 24, 33, 34, 36, 37, 40, 44, 47, 48

1, 3, 7, 8, 9 (2), 12, 14, 15

1



1 (2), 2, 3, 4, 5 (2), 6, 7 (2), 8, 10, 11, – 12, 16 (2), 18, 19, 22, 28, 31 (2), 35, 36, 39, 40, 44, 46, 47, 48, 51 (2), 52 (2), 53, 55, 57

Contre Olympiodoros (48)



1, 3, 13, 18, 25, 44, 45, 49, 55, 61, – 67, 72, 74 (2), 78, 79

Contre Évergos et Mnésiboulos (47)

Tableau 3. Les expressions 397



5, 26, 37, 43, 46, 50, 55, 57, 68, 1, 2, 3, 14, 18, 22, 27, 28, 29, 40, 41, 53, 83, 91 64, 66, 67, 72, 76, 77, 78, 84, 85 (2), 87, 92, 93, 95, 99, 105, 108, 110, 113 5, 9 130, 177

11, 14, 17, 125 (2), 126

47, 48, 80





78, 164

Dinarque Contre Démosthène

Contre Aristogiton

Contre Philoclès

Eschine Contre Timarque

54, 69





Sur l’Ambassade Infidèle 24



4

Contre Ctésiphon

Hypéride Contre Philippide





1, 2, 6, 8, 12, 13, 16 (2), 25, 29, 33, 34, 40, 58, 68, 69, 75, 76, 77, 82, 84, 85, 105, 107, 128, 156, 158, 177, 179, 183, 186, 199, 209, 230, 234, 236, 244, 245, 246, 247

1, 4, 7, 55, 62, 80, 81, 87 (2), 88, 102 (2), 108, 119, 127, 129, 135, 145, 152 (2), 160, 183

1, 2, 4, 5, 6, 8, 13, 14, 17, 18, 24, 25, 26, 34, 36, 37, 39, 41, 51, 69, 70, 85, 89, 93, 109, 112, 120, 121, 141, 153, 156, 163, 170, 173, 188, 190, 191

3, 7, 11, 12, 13, 14, 17, 19, 20, 21, 22

1, 3, 5, 9, 12, 14, 16, 18, 20, 21, 24, 26

1, 16, 24, 74, 77, 88, 94, 105, 116



Contre Nééra (59)



1, 4, 19, 21

Contre Nicostratos (53)



1, 3, 6, 7, 8, 9, 12, 20, 22, 23, 25, 27, – 29, 31, 32

Contre Callippos (52)

398

Le tribunal de l’Héliée



1, 4, 7, 14, 23, 37, 38, 40

2, 3, 7, 13, 20, 23, 26 (2), 28, 32, – 36 (2)

fr. I, col. I, II (2), fr. III, col. VIII, XII, – fr.  V, col.  XXII, fr.  VI, col.  XXV, fr.  VIII, col.  XXXIV,  XXXV, fr.  IX, col. XXXIX

136v l. 31, 136r l. 32, 145r l. 4, 145v – l. 2-3, 176r l. 12, 175v l. 9-10, 174r l. 21-22





Pour Euxénippos

Contre Athénogène

Contre Démosthène

Contre Diondas

Isée La succession de Cléonymos

La succession de Ménéclès

137v l. 17, 136r l. 24, 173v l. 25









1, 2, 11, 13, 14, 18, 21, 22, 27

30



La succession de Nicostratos

La succession de Dikaiogénès





1 (2), 5, 13, 19, 20, 21, 22, 25 – (2), 26, 29, 30, 31, 34, 35 (3), 37, 38, 41

33, 36, 65, 72

La succession de Pyrrhos 1

1, 3, 6, 13, 14, 17, 20, 27, 35, – 38, 44, 47

1, 2, 6, 7, 9, 11, 17, 20, 24 (2), – 25, 27, 29, 33, 41, 43, 47, 51



Défense pour Lycophron fr. 3, 3, 5, 8, 14, 16, 17, 19, 20

Tableau 3. Les expressions 399

– –



16, 37

25



1, 3, 5 (2), 6 (2), 8, 9 (2), 10 (2), 11, – 12 (2)



1, 2, 3, 6, 8, 9, 11, 13, 15, 17, 21 (2), – 23, 24, 26, 27, 29, 32, 33, 35, 38, 39, 45, 48, 51, 53

21





La succession d’Astyphilos

La succession d’Ari­ starchos

La succession d’Hagnias

Défense d’Euphilétos

Isocrate Sur l’Attelage (16)

Affaire de banque (17)

Contre Callimachos (18)

Contre Lochitès (20)

Contre Euthynous (21)











8, 12, 15, 24, 37, 38











1 (2), 2 (2), 4, 5, 6 (2), 8 (2), 9, – 11, 12, 14, 16, 18 (2), 21, 22, 24, 25

1, 2, 6, 7, 11, 12, 14, 17, 24, 26, – 28, 30, 31, 33, 34 (2), 36, 37

1, 5 (2), 7, 12, 21, 22, 35, 40



La succession de Kiron

1, 4, 5, 13, 18, 29, 37, 45



La succession d’Apollodoros

1, 9, 10, 12, 17, 19, 21, 23, 28, – 39, 49, 51, 53, 54, 57, 58, 60, 62



La succession de Philoctémon

400

Le tribunal de l’Héliée

3

1, 4, 5, 6, 7, 11, 15, 20, 21, 28, 29, – 30 (2)



Pour le Soldat (9)

Contre Théomnestos I (10)

Contre Théomnestos II (11)

1, 10

1, 9, 12 (2), 13, 20, 22, 24

Contre le Trésor (17)

Sur la Confiscation des biens du frère de Nicias (18)





1, 3, 31, 39, 44, 46, 47, 49, 52, 62, – 65, 67, 70 (2), 71, 82, 89, 92, 95







Contre Agoratos (13)

Contre Ératosthène (12) 1, 3, 11, 24, 34, 37, 49, 71, 74

33

Contre Andocide (6)





1

Lysias Pour Callias (5)





8, 15, 18, 43, 93 (2)

69







8, 17, 41, 50, 55



3, 9 (2), 10 (2), 12, 14, 20, 21, 1, 5, 15, 16, 51, 110, 150 25, 27, 28, 29, 30, 36, 37 (2), 39, 43, 46, 50, 52 (2), 55, 64 (2), 66, 68, 74, 77, 79, 82, 83, 86, 94, 98, 101, 104, 108, 111, 115, 119, 121, 122, 123, 126, 127, 128, 130, 134, 137 (2), 141, 146, 147

80, 85, 100, 116

Lycurgue Contre Léocrate

Tableau 3. Les expressions 401

18, 19, 26, 32, 34

1, 13, 16, 19, 20, 21, 22 (2), 23, 25

Pour Polystratos (20)

Défense d’un anonyme accusé de corruption (21)



1, 16

1, 3, 4, 9, 10, 12, 14, 15, 17, 18, 19, – 21, 23, 24, 27, 29, 34

6, 9, 16

1, 2, 5, 7, 9, 11 (2)

Contre Pancléon (23)

Pour un citoyen accusé de menées contre la démocratie (25)

Contre Épicratès (27)

Contre Philocratès (29)



Contre Diogiton (32)

21



Contre Nicomachos (30) 1, 4, 6, 7, 9, 12, 13, 18, 21, 23, 24, – 32

1 (2), 4, 18 (2), 19, 21, 24, 26, 28



1, 8



















Contre les marchands de 1, 6, 7, 11, 18, 19, 20 blé (22)





1, 5, 9, 11, 17, 23, 28, 29, 34, 39, 42, – 45, 53, 54, 58, 64

Sur les biens d’Aristophane (19)

402

Le tribunal de l’Héliée

493/2

489

après 480 ?

avant 471 ?

années 470-460

463/2

années 430

années 430

années 430

3

4

5

6

7

8

9

10

11

impiété

impiété

impiété

corruption

trahison

vol

trahison

tromperie

tyrannie

tromperie

trahison

 ?

Hermippos

 ?

Périclès et d’autres accusateurs ?

Léobotès

Thémistocle

 ?

Xanthippos

ses ennemis

 ?

 ?

Chef d’accusation Accusateur

Résultat

Anaxagore

Aspasie

Phidias

Cimon

Thémistocle

Aristide

Hipparque

Miltiade

Miltiade

Phrynichos (poète)

 ?

acquittement

 ?

acquittement

condamnation

acquittement

mort par contumace

amende de cinquante talents

acquittement

amende de mille drachmes

partisans d’Isagoras mort

Accusé

un tribunal héliastique ?

« juges »

 ?

« juges »

 ?

 ?

dèmos / a le procès eu lieu ?

dèmos

« un » tribunal

« les Athéniens »

« les Athéniens »

Institution

Le tableau ne prétend pas à l’exhaustivité. La numérotation qui suit ne correspond pas au nombre de procès qui furent intentés ; elle sert à suivre l’ordre chronologique des procès, dans la mesure du possible.

493/2

2



6

508/7

1

Date

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique6

430/29

429/8 ?

428/7

425/4 ?

425/4

424/3

années 420

419

415/4

12

13

14

15

16

17

18

19

20

Date

 ?

Cléon

 ?

 ?

impiété

concussion

impiété

 ?

 ?

 ?

perte d’Amphipolis  ?

corruption

mauvaise gestion

abus de pouvoir ?

 ?

accusation liée à sa  ? stratégie

Chef d’accusation Accusateur

Diagoras de Mélos

Aristion, Philinos, Ampélinos, sous-­ secrétaire des thesmothètes

Protagoras

Thucydide

Pythodoros, Sophoclès et Eurymédon

Lachès

Pachès

Phormion

Périclès

Accusé

 ?

amende

exil

exil volontaire ou imposé ?

exil / exil / amende

 ?

il s’est tué

amende de cents mines

amende

Résultat

 ?

un tribunal héliastique

 ? / a-­t-il eu lieu ?

 ? / a-­t-il eu lieu ?

« les Athéniens »

un tribunal héliastique / a-­t-il eu lieu ?

un tribunal héliastique / a-­t-il eu lieu ?

un tribunal héliastique / a-­t-il eu lieu ?

 ?

Institution

404

Le tribunal de l’Héliée

415

415

415

415

414

412/1

411/0

411/0

22

23

24

25

26

27

28

29

trahison

trahison

perte d’Iasos

proposition d’un décret illégal

impiété

impiété

impiété

proposition d’un décret illégal

milieu années meurtre 410

Alcibiade

quarante-­deux personnes

Alcibiade

Speusippos

Euxithéos

Accusé

les stratèges, dix membres de la Boulè, toute personne qui le désire

 ?

 ?

Archéptolémos, Onomaclès, Antiphon

Phrynichos

Phrynichos, Scironidès

Démosthène (stratège)  ?

Thessalos

Diocleidès

Pythonicos

Léogoras

famille d’Hérode

Chef d’accusation Accusateur

21

Date

condamnation à mort (Onomaclès s’est enfui avant le procès)

condamnation après sa mort

 ?

 ?

condamnation par contumace





rejet du décret

 ?

Résultat

un tribunal (non héliastique) ?

 ?

 ? / a-­t-il eu lieu ?

un tribunal héliastique

 ?

le procès n’a pas eu lieu

le procès n’a pas eu lieu

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 405

411/0

410/9

410/9

409

407

406

406

30

31

32

33

34

35

36

Date

 ?

 ?

 ?

 ?

 ?

concussion et pour Archédémos sa stratégie

dispositions non  ? favorables à l’égard du peuple

défaite à Notion

trahison

corruption

participation aux Quatre Cents

pour son commandement au service de l’oligarchie ?

Chef d’accusation Accusateur

 ?

amende

Résultat

acquittement

Érasinidès

Théramène

emprisonnement

invalidation lors de la dokimasia

Alcibiade et d’autres  ? stratèges

Anytos

ceux qui ont usé de  ? corruption dans le décret en l’honneur d’Apollodoros

Polystratos

Polystratos

Accusé

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

 ? / a-­t-il eu lieu ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal (non héliastique)

Institution

406

Le tribunal de l’Héliée

405/4

405/4

405/4

403/2 ou 401/0 ?

403/2-402/1

403/2-402/1

403/2-402/1

peu après 403/2 ?

37

38

39

40

41

42

43

44

Date

corruption

non-­restitution d’un dépôt

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

participation aux Trente

conspiration contre la cité

 ? (prétexte) - opposition à la paix (vraie cause)

manquement au devoir militaire (prétexte) opposition à la paix (vraie cause)

 ?

Nicias

 ?

Archinos

Lysias

partisans de l’oligarchie

partisans de l’oligarchie

partisans de l’oligarchie

Chef d’accusation Accusateur mort

Résultat

 ?

mort

 ?

Euthynous

Théozotidès

 ?

 ?

 ?

Thrasybule de Stiria rejet du décret

Ératosthène

stratèges et taxiarques

Strombichidès, mort Calliadès et d’autres citoyens

Cléophon

Accusé

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

citoyens ayant un revenu déclaré ?

un tribunal héliastique > finalement seul le Conseil

un tribunal héliastique + Conseil des 500

un tribunal héliastique + Conseil des 500

Institution

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 407

peu après 403/2 ?

402/1

peu après 400 ?

399

399

399/8

402-400 ou 400-398 ?

398/7

397-396 ?

45

46

47

48

49

50

51

52

53

Date

 ?

Hippothersès

 ?

revendication de propriété confisquée par la cité

meurtre

forfaiture ?

impiété

impiété

Poliochos

 ?

famille de Dionysodoros

 ?

Anytos, Mélétos, Lycon

Képhisios, Mélétos, Épicharès, Agyrrhios, Callias

séjour dans la ville  ? pendant les Trente

accusation irrecevable

dépossession ?

Chef d’accusation Accusateur

les deux fils d’Eucratès

fisc

Agoratos

Nicomachos

Socrate

Andocide

 ?

Callimachos

Lysias

Accusé

 ?

 ?

 ?

 ?

mort

acquittement

 ?

 ?

 ?

Résultat

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique d’initiés ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

408

Le tribunal de l’Héliée

400-396

396/5

avant 392/1 ?

392/1

394-384

389/8 ?

388

388 ?

387 ?

54

55

56

57

58

59

60

61

62

Date

Callistratos

 ?

Teisias

 ?

 ?

détention de fonds  ? publics

détention de biens  ? de la cité

détention de trente  ? talents sur les biens confisqués d’Ergoclès

détournement d’argent du trésor

prise de parole à Lysithéos l’Assemblée, en dépit de l’abandon des armes

trahison

vol et corruption

vol de son attelage

coups et blessures ou outrage

Chef d’accusation Accusateur

 ?

 ?

 ?

Résultat

Agyrrhios

beau-­père d’Aristophane

Philocratès

Pamphilos

Théomnestos

amende

 ?

 ?

confiscation des biens

acquittement

Épicratès, mort par contumace Andocide, Cratinos, Euboulidès

Épicratès

Alcibiade, fils d’Alcibiade

Lochitès

Accusé

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

 ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 409

387/6

387/6 ?

384/3

382/1

400-380

400-380

379/8

376/5

63

64

65

66

67

68

69

70

Date

 ?

 ?

 ?

 ?

proposition d’un décret illégal

initiative prise par les stratèges, sans consulter l’Assemblée

proposition d’un décret illégal

Léodamas

 ?

Kinésias

proposition d’une Dioclès / ? loi nocive ? / proposition contraire à la loi examinée dans le cadre de la révision des lois ?

proposition d’une loi nocive

injure

violation d’une loi commerciale

trahison

Chef d’accusation Accusateur

 ? (décret honorifique pour Chabrias)

deux stratèges athéniens

Phanias

 ? / Dioclès

Eudémos

Théomnestos

marchands de blé

Dionysios

Accusé

validation du décret

mort / exil

 ?

 ?

mort

 ?

 ?

mort ou amende ?

Résultat

un tribunal héliastique

 ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique ? / les nomothètes ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

 ?

Institution

410

Le tribunal de l’Héliée

366/5

363/2 ?

362

362/1

361

361

autour de 360 incapacité d’aider Apollodoros Miltocythès lors de sa révolte

74

75

76

77

78

79

 ?

 ?

Apollodoros

Hypéride

Léodamas

trahison, désertion Aristophon de poste

trahison

propositions non conformes à l’intérêt du peuple

dette

 ?

trahison

Harmodios

73

proposition d’un décret illégal

371/0

 ?

72

proposition d’un décret illégal

375/4

Chef d’accusation Accusateur

71

Date

Autoclès

triérarques

Léosthénès

Callistratos

Timothée

Aristophon

Callistratos, Chabrias

 ? (décret honorifique pour Iphicrate)

 ? (décret honorifique pour Timothée)

Accusé

 ?

 ?

mort par contumace, confiscation des biens

mort par contumace

condamnation

condamnation ?

acquittement / acquittement ?

validation du décret

validation du décret

Résultat

 ?

 ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique / a-­t-il eu lieu ?

Institution

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 411

autour de 360 trahison

autour de 360 trahison

autour de 360 trahison

années 360 ?

359

356/5

355/4

355/4

353

81

82

83

84

85

86

87

88

89

proposition d’un décret illégal

proposition d’une loi nocive

proposition d’un décret illégal

trahison

trahison

 ?

autour de 360 pour sa stratégie ?

acquittement / amende / acquittement

amende de cinq talents

acquittement

peut-­être mort par contumace

peut-­être mort par contumace

 ?

 ?

Résultat

validation du décret

Leptine (il ne coure annulation de la loi ? aucun risque)

Androtion (décret  ? honorifique pour le Conseil)

Iphicrate, Timothée, Ménestheus

Képhisodotos

Aristophon

Théotimos

Timomachos

Callippos

Ménon

Accusé

Androtion, Glaukétès, Euctémon Mélanopos

Apséphion, assisté par Phormion et Démosthène

Euctémon, assisté par Diodoros

Aristophon

Euthyclès

Hypéride

 ?

Apollodoros

Apollodoros

Apollodoros

Chef d’accusation Accusateur

80

Date

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

 ?

 ?

Institution

412

Le tribunal de l’Héliée

353

352/1

fin années 350 / début 340 ?

fin années 350 / début 340 ?

349/8

348 ou 343 ?

348

90

91

92

93

94

95

96

Date

proposition d’un décret illégal

trahison

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

proposition d’une loi nocive

Lycinos

 ?

Stéphanos

 ?

 ?

Euthyclès

Diodoros, assisté par Euctémon

Chef d’accusation Accusateur

 ?

 ?

Résultat

Philocrate

Hégésiléos

Apollodoros

 ? (décret honorifique accordant le droit de cité à Apollonidès d’Olynthe)

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

validation du décret

condamnation

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

rejet du décret, amende un tribunal d’un talent héliastique

rejet du décret

 ? (décret rejet du décret honorifique accordant le droit de cité à Pitholas de Phères)

Aristocrate (décret honorifique pour Charidémos)

Timocrate

Accusé

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 413

avant 347/6

avant 347/6

347/6

après la diapsèphisis (346)

après la diapsèphisis (346)

345

vers 345

346-343 ?

97

98

99

100

101

102

103

104

Date

trahison

proposition d’une loi nocive

accès à la tribune, alors qu’il était prostitué et avait dilapidé le patrimoine paternel

ephesis après l’exclusion des registres civiques

ephesis après l’exclusion des registres civiques

outrage

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

 ?

Timarque

Eschine

Euphilétos

Euboulidès et d’autres démotes

Démosthène

 ?

 ?

Chef d’accusation Accusateur

Proxénos

 ?

Timarque

membres de son dème

Euxithéos

Midias

Sciton

Smicros

Accusé

Institution

condamnation

validation de la loi

atimie

 ?

 ?

 ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique / a le procès eu lieu ?

rejet du décret, amende un tribunal de dix talents héliastique

rejet du décret, amende un tribunal de dix talents héliastique

Résultat

414

Le tribunal de l’Héliée

après 346/5

344/3

avant 343

343

343

vers 343 ?

vers 343 ?

après 357 avant 342

avant 341

avant 341

105

106

107

108

109

110

111

112

113

114

Date

Hypéride

 ?

 ?

proposition d’un décret illégal

trahison

proposition d’un décret illégal

trahison

 ?

forfaiture de l’ambassade

Théocrinès

 ?

Hégésippos

Démosthène

Eschine

Démosthène

propositions Hypéride non conformes à l’intérêt du peuple, parce qu’il était corrompu

 ?

 ? (après une destitution)

trahison

Chef d’accusation Accusateur

père d’Épicharès

Charinos

Callippos de Paiania

Anaxinos

Démosthène

Eschine

Philocrate

Diopeithès de Sphettos

thesmothètes

Antiphon

Accusé

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

il n’a pas eu lieu

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

rejet du décret, amende un tribunal de dix talents héliastique

exil

validation du décret

mort



acquittement

mort par contumace

 ?

acquittement

mort

Résultat

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 415

avant 341

autour de 341/0

autour de 341/0

341/0

340

343-340

338 ? ou vers 324 ?

vers 338

vers 338

115

116

117

118

119

120

121

122

123

Date

Théocrinès

Théocrinès (a repris l’action de Charinos)

Théocrinès

Lycurgue

 ?

Apollodoros, Théomnestos

 ?

défaite à Chéronée Lycurgue

trahison

trahison

usurpation du droit de cité

proposition d’une loi nocive

il portait des Épicharès accusations, alors qu’il était débiteur de la cité

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

Chef d’accusation Accusateur

Lysiclès

Autolycos

un père et son fils

Nééra

Démosthène

Théocrinès

Démosthène

Thucydide

Antimédon

Accusé

mort

mort

mort

 ?

validation de la loi

 ?



 ?



Résultat

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Aréopage ou un tribunal héliastique ?

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

il n’a pas eu lieu

a-­t-il eu lieu ?

il n’a pas eu lieu

Institution

416

Le tribunal de l’Héliée

338-336

autour de 336 proposition d’un décret illégal

335

334

126

127

128

129

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

vers 338

125

diverses accusations

vers 338

Démade (décret honorifique pour Euthycratès d’Olynthe)

Hypéride

Démosthène

Accusé

Diondas

Lycurgue, Polyeuctos de Sphettos

 ?

validation du décret ?

validation du décret, mais il n’a pas pris effet

acquittement

Résultat

Démomélès, Hypéride (décret honorifique pour Démosthène)

résultat en faveur de Démomélès et Hypéride

Képhisodotos validation du décret (décret honorifique pour Démade)

 ?, assisté par Hypéride Philippide (décret honorifique pour des proèdres d’une des réunions de l’Assemblée)

Hypéride

Aristogiton, Diondas

divers accusateurs comme Sosiclès, Philocratès, Diondas, Mélantès

Chef d’accusation Accusateur

124

Date

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 417

331/0

330/29

vers 330 ?

quelques années après 330

avant 325/4

entre 330-324 violation de la loi sur les joueuses de flûte

131

132

133

134

135

136

impiété ?

tort subi à cause d’un acte de vente fait à son détriment

accusation concernant le commerce du poisson

proposition d’un décret illégal

trahison de la cité, des lois, des traditions sacrées

fin années 330 adultère

 ?

Lycurgue

Épicratès

 ?

Eschine

Lycurgue

Ariston

Chef d’accusation Accusateur

130

Date

Diognidès, Antidoros

Ménésaichmos

Athénogène

Chairéphilos

Ctésiphon (décret honorifique pour Démosthène), assisté par Démosthène

Léocrate

Lycophron

Accusé

 ?

amende

 ?

 ?

résultat en faveur de Ctésiphon

acquittement

 ?

Résultat

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

418

Le tribunal de l’Héliée

avant / vers 327/6 ?

au moins sept proposition d’un ans avant le décret illégal procès n° 145

avant 324

avant 324

avant 324

avant 324

140

141

142

143

144

145

prise de la parole auprès du peuple, alors qu’il était débiteur du trésor

 ?

 ?

 ?

délit commercial

entre 330-324 propositions Polyeuctos de Euxénippos, assisté non conformes à Cydantidès, assisté par par Hypéride l’intérêt du peuple, Lycurgue parce qu’il était corrompu

Démoclès

Démade

Hégémon

Aristogiton

 ?

Démosthène, Lycurgue Aristogiton

Aristogiton

Aristogiton

Aristogiton

Phanostratos

 ?

Polyeuctos de Cydantidès

139

 ?

entre 330-324 proposition d’un décret illégal

Agasiclès

138

 ?

Accusé

entre 330-324 usurpation du droit de cité

Chef d’accusation Accusateur

137

Date

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

condamnation







un tribunal héliastique

il n’a pas eu lieu

il n’a pas eu lieu

il n’a pas eu lieu

rejet du décret, amende un tribunal de cinq talents héliastique

mort

 ?

rejet du décret, amende de vingt-­cinq drachmes

 ?

Résultat

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 419

vers 324/3

années 320 refus de payer au (avant l’affaire batelier le prix de d’Harpale) son transport

années 320 exploitation du (avant l’affaire nom d’un absent d’Harpale) pour toucher cinq drachmes

années 320 vente de la portion  ? (avant l’affaire de nourriture qu’il d’Harpale) avait reçue

149

150

151

trahison

 ?

 ?

 ?

 ?

148

complot contre la démocratie

vers 324/3

Démosthène

147

complot contre la démocratie

vers 324/3

Chef d’accusation Accusateur

146

Date

un Aréopagite

un Aréopagite

un Aréopagite

Pistias

Polyeuctos de Cydantidès

Callimédon

Accusé

acquittement

acquittement

acquittement

condamnation

acquittement



Résultat

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

il n’a pas eu lieu

Institution

420

Le tribunal de l’Héliée

323

vers 323 ?

vers 323 ?

avant 322

années 330-320 ?

années 330-320 ?

152

153

154

155

156

157

Date parmi les accusateurs : Stratoclès, un client de Dinarque, Hypéride, Pythéas, Ménésaichmos, Himéraios, Patroclès

accusation concernant le commerce du blé

accusation concernant le marché

 ?

proposition d’un décret illégal ou impiété ?

 ?

 ?

 ?

 ?

dettes envers la cité Ménésaichmos

trahison, corruption

Chef d’accusation Accusateur

Résultat

Callisthénès

Pythéas

Himéraios

Démade

 ?

 ?

 ?

amende de dix talents

enfants de Lycurgue acquittement

parmi les accusés : diverses décisions Démosthène, (amendes, Aristogiton, acquittement) Philoclès, Polyeuctos de Sphettos, Démade, Céphisophon de Paiania, Agnonidès, Aristonicos

Accusé

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

Tableau 4. Les procès de caractère ou d’intérêt politique 421

années 330-320 ?

années 330-320

années 330-320

années 330-320

années 330-320

années 330-320

années 330-320

158

159

160

161

162

163

164

Date

détournement de fonds

 ?

 ? (pour sa magistrature comme hiérope ?)

 ?

proposition d’un décret illégal

proposition d’un décret illégal

 ?

 ?

 ?

 ?

Démade

Callicratès

 ?

Hypéride

Chef d’accusation Accusateur

Démosthène

Lycurgue

Lycurgue

Lycurgue

Démosthène

Stéphanos

 ? (honneurs accordés à Eubule après sa mort)

Accusé

acquittement

 ?

 ?

 ?

 ?

 ?

 ?

Résultat

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

un tribunal héliastique

Institution

422

Le tribunal de l’Héliée

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Index A Abydos 175 Acarnanie 158, 252, 263 accusation pour avoir proposé une loi nocive 10, 66, 206, 207, 208, 242, 329, 338, 350, 369, 376 action en illégalité 18, 150, 151, 152, 156, 157, 165, 166, 188, 200, 201, 207, 213, 220, 221, 234, 262, 263, 265, 299, 312, 325, 327, 330, 334, 335, 336, 338, 341, 345, 350, 351, 355, 360, 361, 369, 376, 377 Agasiclès du Pirée 316, 317, 419 Agis III, roi de Sparte 277, 364, 366 Aglaureion/Aglauros 51 Agnonidès 221, 309, 421 Agora 16, 23, 50, 51, 76, 83, 196, 199, 215, 222, 223, 226, 248, 359, 423 Agoratos 178, 179, 212, 213, 408 Agyrrhios 214, 236, 239, 241, 408, 409 Aiakeion/Aiakos 50 Aigos Potamoi 178, 210 Alcibiade 147, 154, 161, 163, 212, 405, 406, 409 Alexandre I, roi de Macédoine 95, 97 Alexandre III, roi de Macédoine 221, 276, 277, 308, 309, 310, 313, 344, 348, 356, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 368, 369 Alexandre de Phères 264, 269 Alexandre d’Épire 276 Alexandre de Phères 264, 269 Alyzeia 263

Amphipolis 160, 261, 365, 404 anagrapheus/anagrapheis 47, 178, 211 Anaktorion 36, 391 Anaxagore 125, 126, 153, 403 Anaxinos 348, 349, 415 Andocide 21, 150, 151, 154, 176, 190, 198, 199, 200, 209, 211, 213, 214, 215, 220, 236, 305, 376, 408, 409 Androtion 21, 220, 326, 327, 328, 329, 330, 369, 412 Anonyme d’Oxyrhynchos 234 Antalkidas, paix 233, 241, 242, 243, 244, 274 Antidoros 316, 317, 418 Antiphon, exclu des listes civiques 295, 296, 298, 302, 345, 415 Antiphon, orateur 21, 27, 30, 132, 140, 150, 153, 170, 171, 187, 203, 344, 405 Anytos 160, 196, 197, 209, 215, 235, 406, 408 apagôgè 140, 166, 199, 203, 210, 212, 220 apagôgè kakourgôn 140, 141 apocheirotonia 97, 158 apographè 238, 239, 254 apolis 286, 374 Apollodoros, assassin de Phrynichos 168, 169, 406 Apollodoros, orateur 21, 261, 262, 270, 271, 336, 337, 338, 349, 411, 412, 413, 416 Apollonidès d’Olynthe 331, 334, 335, 413

456

apophasis 11, 97, 170, 221, 294, 296, 297, 299, 300, 302, 303, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 313, 320, 322, 338, 339, 345, 351, 368, 369, 376, 378 arbitres à Sélinonte 37 arbitres publics 59, 227 Archélaos, roi de Macédoine 177 Archéptolémos 170, 171, 405 Archestratos, décret à propos de Chalcis 26, 116, 117 Archinos 201, 202, 407 archonte-roi 176, 185, 345, 359, 388 Aréopage/Aréopagite(s) 9, 11, 17, 40, 41, 45, 46, 48, 52, 58, 64, 79, 80, 81, 84, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 94, 96, 97, 99, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 109, 112, 120, 152, 170, 176, 181, 182, 220, 279, 281, 282, 284, 292, 294, 295, 296, 297, 299, 300, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 313, 320, 343, 345, 351, 369, 375, 379, 382, 416, 420 Argiens/Argos 36, 93, 95, 98, 278, 348, 390 Arginuses 133, 155, 158, 161, 188, 268 Aristide 92, 96, 403 Aristogiton 221, 309, 312, 328, 354, 355, 417, 419, 421 Aristonicos 221, 309, 421 Aristophane, fils de Nicophémos 238, 239, 409 Aristophane, poète comique 22, 27, 31, 33, 35, 82, 91, 110, 111, 112, 130, 131, 149, 159, 160, 175, 185, 195, 196, 239, 250 Aristophon d’Azénia 253, 254, 265, 266, 269, 272, 273, 301, 328, 411, 412

Le tribunal de l’Héliée

Aristote 9, 17, 21, 22, 27, 30, 31, 33, 34, 39, 40, 41, 42, 43, 46, 48, 51, 52, 54, 55, 56, 57, 58, 61, 64, 65, 66, 70, 71, 72, 75, 76, 77, 78, 80, 82, 85, 87, 88, 92, 94, 95, 96, 97, 101, 102, 103, 104, 106, 107, 108, 122, 123, 158, 161, 164, 166, 168, 172, 173, 180, 181, 182, 183, 184, 189, 191, 192, 193, 194, 196, 219, 224, 225, 229, 247, 248, 267, 270, 280, 335, 373, 374 Aristotélès, décret 245, 251, 253 Arkésinè d’Amorgos 260 Aspasie 125, 126, 403 Assemblée du peuple. Voir ekklèsia 10, 18, 19, 30, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 47, 48, 49, 50, 54, 55, 56, 61, 62, 63, 65, 69, 71, 72, 76, 79, 80, 81, 82, 88, 89, 90, 91, 97, 98, 103, 111, 124, 125, 130, 133, 138, 146, 149, 150, 151, 152, 154, 155, 156, 157, 158, 162, 165, 167, 168, 170, 173, 174, 179, 183, 186, 187, 188, 189, 195, 196, 201, 202, 205, 206, 214, 220, 221, 225, 229, 230, 235, 236, 237, 238, 241, 242, 244, 249, 252, 262, 263, 264, 266, 267, 269, 270, 271, 272, 277, 279, 281, 284, 296, 297, 299, 300, 302, 304, 307, 308, 309, 310, 314, 315, 319, 320, 321, 325, 326, 327, 329, 330, 331, 336, 337, 338, 339, 341, 342, 343, 345, 346, 347, 348, 351, 353, 355, 357, 360, 361, 368, 369, 370, 373, 374, 375, 376, 379, 389, 390, 391, 409, 410, 417 astynomes à Athènes 122, 317 astynomes à Corésia de Kéos 257

Index

457

Athénogène 278, 418 atimie/atimos/atimoi 26, 31, 98, 115, 116, 117, 139, 140, 142, 175, 187, 215, 251, 252, 303, 321, 322, 345, 356, 377, 414 Atthidographes 21, 99 Autoclès 270, 272, 411 Autolycos 304, 305, 351, 352, 416 axones 47, 48

B Boulè dèmosiè 63 Boulè des Cinq Cents/Conseil des Cinq Cents 17, 47, 70, 79, 83, 88, 103, 104, 152, 155, 179, 183, 184, 185, 379 Boulè des Quatre Cents 48, 53, 70, 72, 79, 81 Byzance 245, 365

C caillou(x). Voir ψῆφος/ψῆφοι 113, 228 Callias 214, 215, 408 Callimachos 67, 185, 202, 209, 211, 213, 408 Callimédon 312, 313, 368, 420 Callippos 270, 272, 412 Callippos de Paiania 338, 415 Callisthénès, commerce du blé 318, 421 Callisthénès, stratège 266, 267, 268 Callistratos 236, 262, 264, 268, 270, 271, 272, 273, 349, 352, 409, 411 Callixeinos 156, 157 Cannonos, décret 156 Carthaia de Kéos 257 Céphallénie 252 Céphisophon de Paiania 221, 309, 421

Chabrias 259, 262, 264, 265, 327, 352, 353, 410, 411 Chairéphilos 320, 418 Chalcidiens/Chalcis 25, 26, 29, 33, 36, 41, 58, 69, 105, 115, 116, 117, 140, 146, 374 Charès 269, 273, 331, 352 Charidémos 271, 330, 358, 359, 413 Charinos 295, 299, 300, 345, 415, 416 Chéronée 275, 278, 300, 304, 305, 306, 311, 312, 315, 319, 321, 339, 348, 351, 352, 353, 355, 356, 357, 359, 360, 362, 365, 366, 378, 379, 416 Chersonèse 86, 261, 264, 291, 331, 340, 365 Chios/Chiotes 62, 63, 117, 118, 245, 260, 273, 423 Cimon 92, 95, 96, 97, 101, 108, 162, 236, 403 Cinq Mille, les 10, 163, 164, 166, 167, 168, 172, 173, 174, 176, 177, 180 Clazomènes 260 Cleinias, décret 25, 28, 136 Cleitophon 164 Cléomène de Naucratis 277 Cléomène I, roi de Sparte 79, 80, 81 Cléon 110, 159, 162, 404 Cléonymos, décret 135, 136, 143 Cléophon 178, 179, 180, 407 clepsydre(s). Voir κλεψύδρα 23, 113, 222, 228 Clisthène 9, 51, 71, 72, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 85, 92, 98, 164, 167, 374 Colonos 164, 165 Conseil des Cinq Cents. Voir Boulè des Cinq Cents 67, 68, 71, 72,

Le tribunal de l’Héliée

458

117, 122, 136, 181, 186, 190, 220, 279, 354, 374, 375, 385 constitution des ancêtres. Voir patrios politeia 9, 21, 41, 48, 65, 73, 77, 180, 181 conventions judiciaires. Voir symbola/symbolai 84, 117, 140, 177 Corcyre/Corcyréens 36, 252, 262, 263, 264, 391 Corésia de Kéos 257, 258 Coronée 25 cosme, magistrature 61 Cratinos 236, 409 Critias 169, 184, 185 Ctésiphon 249, 360, 363, 364, 365, 366, 418 Cyzique 175

D Délos 16, 32, 113, 247, 260, 275, 296, 299, 309, 316, 356, 380, 423 Delphes 36, 37, 365, 392, 423 Démade 27, 221, 275, 276, 278, 309, 314, 355, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 367, 368, 417, 419, 421, 422 démarque à Athènes 227 démarque à Chios 63 Démomélès 355, 360, 361, 417 Démophilos 230, 249, 298 dèmos 18, 42, 43, 44, 45, 46, 55, 61, 62, 63, 76, 77, 80, 90, 91, 99, 102, 112, 127, 138, 150, 162, 187, 205, 279, 280, 281, 282, 284, 373, 374, 379, 403 Démosthène, orateur 21, 27, 28, 30, 31, 42, 48, 49, 67, 68, 69, 70, 71, 103, 124, 204, 205, 206, 221, 224, 226, 235, 236, 239, 242, 243, 249, 261, 271, 277, 292, 294, 295, 297, 298, 299,

300, 303, 306, 307, 309, 310, 311, 312, 313, 320, 321, 324, 325, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 334, 336, 337, 338, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 350, 351, 352, 353, 354, 355, 356, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 368, 369, 370, 371, 374, 376, 379, 412, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422 Démosthène, stratège 150, 405 diadikasia/diadikasiai 122, 130, 131, 132, 154, 329 Diagoras de Mélos 129, 130, 404 diapsèphisis 298, 377, 414 diétètes, Lois de Platon 283, 286, 287 dikai emporikai 11, 289 dikastèrion/dikastèria. Voir δικαστήριον/δικαστήρια 18, 39, 53, 64, 106, 107, 109 dikastès/dikastai. Voir δικαστής/ δικασταί 97, 117 dikè/dikai. Voir δίκη/δίκαι 11, 119, 209, 222, 224, 289, 293, 345 dikè, poèmes de Solon 45 Dinarque 21, 221, 273, 294, 295, 297, 298, 299, 300, 306, 307, 309, 312, 313, 317, 318, 319, 325, 350, 371, 376, 421 Dioclès 207, 410 Diodore de Sicile 21, 42, 94, 96, 125, 158, 160, 180, 181, 244, 251, 335, 358 Diodoros 327, 329, 330, 369, 370, 412, 413 Diogène Laërce 42, 75, 77, 125 Diognidès 316, 317, 418 Diondas 312, 354, 355, 357, 358, 361, 362, 417 Dionysies, fête 89, 121, 124, 143 Dionysios, stratège 235, 240, 410

Index

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Diopeithès, décret 129, 153 Diopeithès de Sphettos 266, 301, 302, 415 Diopeithès, stratège 340, 341, 370 Dix, les 185, 191, 192, 211 dokimasia 16, 61, 88, 122, 123, 127, 130, 161, 200, 210, 211, 242, 255, 278, 289, 303, 332, 333, 334, 338, 342, 343, 347, 375, 377, 406 dokimasia des orateurs 66, 242, 338, 343 Dracon 47, 181, 193 Dréros 61

E Égine/Éginètes 239 eisagôgeus/eisagôgeis 132, 386, 387 eisangélia/eisangéliai (eisangélie(s)) 153, 154, 312 eisangélie(s). Voir eisangélia/eisangéliai 18, 60, 80, 81, 88, 90, 91, 94, 96, 97, 104, 126, 150, 152, 153, 154, 155, 156, 158, 161, 162, 165, 166, 170, 171, 178, 183, 188, 200, 209, 220, 233, 235, 236, 237, 238, 240, 241, 244, 264, 266, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 274, 300, 301, 302, 303, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 326, 330, 338, 341, 345, 346, 347, 348, 349, 351, 366, 367, 369, 370, 376, 377, 378, 383 eisphora 193, 326, 327, 328 ekklèsia 18, 55, 149, 150, 152, 162, 186, 267 ekklètos/ekklètoi 63, 254, 255, 256, 259, 260 Embata 269, 272, 273, 326, 352

emmènos/emmènoi 11, 289, 290, 293, 301, 326, 378 Empire perse/Perses 36, 237, 326, 346, 361, 391 emporion 241, 318, 319, 367 endeixis 31, 166, 199, 300, 345, 367 ephesimos/ephesimoi 259 ephesis 17, 26, 58, 60, 61, 64, 65, 90, 106, 115, 122, 140, 228, 255, 257, 258, 260, 299, 338, 377, 386, 414 Éphialte 9, 46, 88, 92, 94, 97, 99, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 112, 117, 120, 151, 162, 181, 182, 200, 281, 282, 375 Épicharès, accusateur d’Andocide 214, 408 Épicharès, accusateur de Théocrinès 300, 345, 415, 416 Épicratès, accusateur d’Athénogène 277, 278, 418 Épicratès, accusé de vol et de corruption 237, 238, 240, 409 Épicratès, ambassadeur 235, 236, 237, 409 Épidamne 36, 390 Épidaure 36, 158, 390 épimélète(s) 93, 96, 135, 143, 144, 145 episkopos 115, 149 Ératosthène 193, 194, 407 Érétrie 25, 338, 339, 365 Ergoclès 235, 237, 238, 409 Ergophilos 235, 266, 267 Érythréen(s)/Érythrées 62, 114, 115, 149 Eschine 21, 71, 226, 230, 243, 249, 262, 296, 299, 303, 307, 325, 341, 342, 343, 344, 346, 347, 348, 350, 353, 363, 364, 365,

Le tribunal de l’Héliée

460

366, 370, 371, 375, 376, 414, 415, 418 Eschyle 98 Eubée 25, 172, 324, 337, 338, 339, 341, 360, 365 Euboulidès, accusateur d’Euxithéos 279, 414 Euboulidès, ambassadeur 236, 409 Eubule, homme politique 290, 301, 325, 338, 422 Eubule, poète comique 222 Euclide 199, 200, 215 Eucratès, frère de Nicias 212, 408 Eucratès, loi 368 Euctémon 220, 326, 329, 330, 412, 413 Eudémos 207, 242, 410 Euphilétos 299, 414 Eurymédon 160, 404 Euryptolémos 156, 157 Euthyclès 271, 330, 331, 347, 412, 413 Euthycratès d’Olynthe 355, 356, 357, 417 euthynai (reddition(s) de comptes) 26, 88, 96, 97, 119, 159, 162, 289, 312, 377 euthynes 16, 82, 88, 120, 228, 343 Euthynous 211, 407 Euxénippos 152, 265, 311, 316, 317, 318, 320, 321, 419 Euxithéos, Athénien 279, 299, 414 Euxithéos, Mytilénien 140, 141, 203, 405

G gens de la Ville, les 195, 210, 213 gens du Pirée, les 191, 192, 195, 210, 213, 242 graphè/graphai. Voir γραφή/γραφαί 90, 91, 97, 119, 124, 130, 199,

222, 303, 312, 315, 317, 338, 343, 345, 349, 351 guerre de Corinthe 235, 239, 241, 242, 243, 249, 250, 264, 274, 319, 378 guerre des Alliés 11, 233, 250, 255, 259, 261, 275, 280, 290, 291, 293, 301, 323, 325, 329, 330, 331, 378, 379 guerre du Péloponnèse 10, 24, 25, 101, 106, 110, 112, 119, 125, 126, 127, 129, 135, 139, 146, 149, 151, 153, 162, 163, 177, 185, 187, 235, 264, 377, 378 guerre lamiaque 11, 275, 278, 314, 325, 352 guerre sacrée, troisième 335 guerres médiques 36, 82, 83, 85, 91, 92, 281

H Halicarnasse 260 Harpale 221, 297, 307, 308, 309, 310, 312, 313, 316, 350, 352, 367, 368, 420 Harpocration 150, 318, 322 Hégésiléos 338, 339, 413 Hégésippos 338, 340, 415 héliaste(s). Voir ἡλιαστής/ἡλιασταί 10, 15, 33, 35, 38, 68, 69, 70, 71, 72, 103, 110, 111, 132, 137, 141, 151, 157, 161, 186, 190, 205, 206, 213, 214, 216, 219, 220, 223, 229, 230, 233, 241, 248, 255, 263, 274, 281, 287, 288, 293, 297, 306, 309, 310, 323, 328, 341, 352, 353, 360, 362, 369, 370, 374, 375, 379, 387 Héliée des thesmothètes 26, 30, 33, 38, 105, 115, 116, 139, 381, 386, 387 Hérode 140, 405

Index

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Hérodote 21, 36, 76, 77, 78, 79, 80, 85, 86, 89, 90 hétairie(s) 163, 186, 385 Hiéroclès 221 hiéromnémon 62, 68, 389 Himéraios 221, 313, 421 Hipparque 85, 86, 87, 91, 403 Hippothersès 408 Histiée 25 hoplites 57, 101, 167, 173, 193 Hyperbolos 151 Hypéride 21, 152, 201, 221, 265, 266, 270, 277, 296, 299, 301, 303, 311, 312, 315, 316, 318, 320, 321, 322, 325, 340, 345, 346, 353, 354, 355, 356, 359, 360, 361, 362, 366, 371, 376, 411, 412, 415, 417, 419, 421, 422

I Ioulis de Kéos 253, 254, 257, 258, 265 Iphicrate 262, 263, 264, 272, 301, 352, 353, 411, 412 Isagoras 78, 79, 80, 81, 89, 403 Isocrate 11, 21, 22, 67, 185, 202, 203, 209, 211, 272, 280, 281, 282, 291, 374 Isotimidès, décret 199, 211, 215

J jeton(s) de vote. Voir ψῆφος/ψῆφοι 23, 50, 222, 228, 229, 288 juges des dèmes. Voir κατὰ δήμους δικασταί 78, 88, 107, 127, 227, 228

K kairos 276 Kéiens/Kéos 253, 254, 255, 256, 257, 258, 265

Képhalos 215, 235 Képhisios 214, 408 Képhisodotos, honneurs pour Démade 359, 417 Képhisodotos, stratège 235, 271, 272, 273, 301, 330, 412 Kinésias 234, 410 klèrôtèrion/klèrôtèria. Voir κληρωτήριον/κληρωτήρια 16, 197, 222, 224, 247, 248, 249 Kynos Sèma 174 kyrbeis 47, 48

L Labyades, phratrie 37, 392 Lacédémoniens 79, 89, 93, 94, 95, 110, 118, 215, 244, 245, 390 Lachès 159, 404 Léocrate 86, 292, 304, 305, 307, 315, 316, 323, 363, 366, 418 Léodamas 262, 264, 410, 411 Léogoras 151, 220, 405 Léosthénès 268, 269, 272, 273, 411 Leptine 204, 327, 328, 330, 412 Lesbos 245 Leucon 328 Ligue de Délos 10, 22, 25, 82, 83, 92, 113, 114, 116, 129, 131, 141, 146, 187, 250, 252, 260, 281, 377, 378 liturgie(s) 108, 122, 127, 247, 269, 328 Lochitès 212, 409 logistes 88, 228, 343 Lycinos 341, 346, 413 Lycophron 314, 317, 321, 418 Lycurgue 21, 80, 86, 91, 170, 292, 304, 305, 306, 315, 316, 318, 323, 325, 351, 359, 360, 366, 367, 376, 416, 417, 418, 419, 421, 422 Lysias 21, 28, 48, 166, 175, 177, 178, 184, 191, 193, 195, 197,

Le tribunal de l’Héliée

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198, 201, 207, 211, 214, 217, 234, 237, 238, 240, 241, 242, 243, 263, 371, 376, 407, 408 Lysiclès 351, 352, 353, 416 Lysithéos 242, 409

M Macédoine/Macédoniens 95, 97, 177, 264, 267, 276, 277, 304, 312, 314, 318, 336, 339, 342, 344, 345, 348, 356, 357, 358, 360, 362, 365, 366, 368 marchands de blé 240, 410 Mégalopolitains 326, 331 Mégara Hyblaea 37 Mégare 37, 308, 312, 313, 315, 368 Mélétos 214, 408 Ménésaichmos 221, 316, 323, 367, 418, 421 Ménestheus 272, 301, 352, 412 Ménon 270, 272, 412 métèque(s) 184, 208, 219, 290, 291, 293, 315, 316, 317 Mètrôon 47 Midias 27, 124, 329, 379, 414 Milésiens/Milet 35, 85, 141, 142, 143, 144, 145, 149, 389 Miltiade 85, 86, 89, 90, 162, 403 Miltocythès 270, 411 misthophora 109, 127, 281 misthos 9, 107, 109, 110, 112, 113, 127, 147, 148, 165, 172, 173, 174, 175, 214, 228, 229, 241, 242, 267, 375 mutilation des Hermès 154, 155 Mystères d’Éleusis 29, 83, 130, 151, 154, 214 Mytilène/Mytilénien(s) 140, 141, 159

N Naxos 258, 259, 260, 262 Nééra 32, 224, 332, 333, 349, 416 neuf archontes, les 41, 46, 54, 59, 60, 61, 64, 68, 82, 83, 122, 165, 166, 255, 333 Nicias, accusateur d’Euthynous 211, 407 Nicias, frère d’Eucratès 212 Nicomachos 178, 211, 408 nomos eisangeltikos (loi sur l’eisan­ gélie) 11, 88, 240, 266, 270, 301, 311, 314, 315, 316, 318, 320, 321, 375, 376, 378, 383 nomothètes 10, 66, 132, 168, 204, 205, 206, 207, 208, 337, 383, 410

O Olynthe 324, 335, 336, 337, 341, 356 Onomaclès 170, 171, 405 Onze, les 30, 54, 123, 139, 165, 166, 171, 184, 191, 192, 240, 258, 367, 383, 384 Orôpos 264, 275, 317, 352 ostracisme 82, 83, 92, 93, 95, 108, 150, 151

P Pachès 159, 404 Pamphilos 185, 239, 240, 241, 409 paragraphè (exception d’irrecevabilité) 202, 203, 227 Pariens/Paros 16, 35, 86, 247 patrioi nomoi 66 patrios 48, 52, 65, 163, 167, 181 patrios politeia (constitution des ancêtres) 65, 163, 164, 173, 205 Patroclidès, décret 176, 215

Index

Pausanias, régent à Sparte 93, 94, 95 Pausanias, roi de Sparte 188, 192, 194 Pella 298, 339, 346 Péparéthos 269 Perdiccas III, roi de Macédoine 267 Périclès 9, 57, 95, 96, 97, 101, 107, 108, 112, 125, 126, 151, 158, 236, 360, 375, 403, 404 Phasélis/Phasélitain(s) 106, 117 phasis 199 Phidias 125, 126, 403 Philippe II, roi de Macédoine 275, 276, 291, 296, 298, 299, 300, 301, 303, 304, 305, 312, 326, 335, 336, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 352, 353, 354, 356, 357, 359, 360, 361, 362, 363, 365, 379 Philippide 356, 357, 417 Philochore 21, 125, 237 Philoclès 221, 309, 352, 421 Philocrate 266, 301, 302, 303, 341, 342, 344, 345, 346, 347, 365, 370, 413, 415 Philocratès, accusateur 312, 417 Philocratès, triérarque 237, 238, 409 Phocide/Phocidiens 335, 342, 346, 347 Phormion 158, 159, 404 phoros (tribut) 131, 188, 377 Phréatos, tribunal 192 Phrynichos, ambassadeur et stratège 160, 168, 169, 171, 405 Phrynichos, poète 85, 89, 403 Pirée 147, 185, 189, 191, 192, 195, 219, 296, 299, 354 Pisistrate 9, 75, 76, 77, 78, 107 Pistias 221, 313, 420 Pitholas de Phères 331, 334, 335, 413

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Platéen(s) 332, 333, 334 Platon 11, 22, 102, 280, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 374 Plutarque 9, 22, 41, 42, 43, 48, 51, 65, 70, 73, 76, 77, 92, 95, 96, 97, 107, 108, 125, 126, 153, 158, 159, 170, 171, 244, 265, 360 Plutarque d’Érétrie 324, 338 poids, mesures et monnaies athéniens, décret(s) 25, 29, 136, 138 polémarque 106, 117, 132, 146, 387 Polémarque, frère de Lysias 184, 194 Pollux 321, 322 Polyeuctos de Cydantidès 308, 309, 310, 317, 318, 368, 419, 420 Polyeuctos de Sphettos 221, 309, 360, 417, 421 Polystratos 171, 172, 173, 177, 406 probolè 89, 91, 96, 97, 124 probouleuma 152, 331, 336, 361 prostatai 258 Protagoras 129, 404 Proxénos 298, 338, 339, 345, 414 psèphos/psèphoi. Voir ψῆφος/ψῆφοι 133, 179, 228, 335 Pseudo-Xénophon 22, 33, 85, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 126, 127, 128, 129, 130, 147, 148, 161, 280 Pyrrhus l’Etéoboutade 31, 230 Pythéas 221, 318, 421 Pythodoros, mouvement oligarchique de 411 164 Pythodoros, stratège 159, 160, 404

Q Quarante, les 227 Quatre Cents, les 164, 166, 167, 168, 169, 172, 173, 174, 175, 176, 210, 378, 406

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R reddition(s) de comptes. Voir euthynai 26, 46, 88, 90, 93, 95, 96, 97, 103, 104, 119, 120, 155, 159, 161, 162, 191, 193, 194, 200, 228, 265, 272, 312, 325, 338, 343, 347, 351 Rhodes/Rhodien(s) 245, 273, 307, 315

S Samos 167, 172, 177, 275, 307, 360 Scironidès 160, 405 seconde Confédération maritime 10, 11, 22, 145, 233, 234, 245, 250, 253, 263, 273, 275, 323, 377, 378, 379 Sélinonte 36, 37, 391 serment(s) 10, 15, 26, 53, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 85, 114, 116, 117, 150, 156, 190, 191, 194, 202, 203, 204, 205, 206, 210, 211, 212, 213, 215, 216, 219, 228, 230, 350, 373, 374, 375 Sestos 268, 271, 331 Siphnien(s)/Siphnos 145, 146 Socrate 209, 213, 214, 216, 408 Solon 9, 17, 20, 30, 34, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 61, 64, 65, 66, 69, 70, 71, 72, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 87, 88, 98, 104, 106, 115, 124, 164, 182, 204, 205, 279, 374, 386 Sophoclès 160, 404 Sparte/Spartiates 36, 79, 95, 101, 147, 160, 169, 170, 174, 178, 180, 188, 235, 236, 239, 244, 260, 264, 277, 326, 331, 364, 390

Speusippos 151, 220, 405 stasis 35, 43, 215 Stéphanos 325, 336, 337, 345, 349, 413, 422 sycophante(s) 89, 175, 182, 183, 239, 338, 349 symbola/symbolai (conventions judiciaires) 84, 146, 290 syndikoi 208 syndikos, affaire de Délos 296, 299 synedrion/synedroi 251, 252, 260

T tablettes judiciaires. Voir πινάκια 16, 23, 229, 230, 245, 246, 247, 248, 378 taktai (assesseurs) 131 Tégée 36, 37, 38, 392 Téos 260 Thasos 97, 271 Thébains/Thèbes 25, 36, 235, 243, 244, 245, 260, 264, 275, 277, 331, 342, 358, 359, 361, 362, 365, 389 Thémistocle 92, 93, 94, 95, 96, 403 Théocrinès 300, 338, 415, 416 Théomnestos, accusateur de Nééra 337, 349, 416 Théomnestos, plaidoyer de Lysias 28, 49, 242, 243, 409, 410 théôrikon/théôrika 241, 336, 337, 350, 353 Théotimos 268, 271, 272, 273, 412 Théozotidès 202, 407 Théramène 155, 161, 173, 174, 180, 184, 406 thesmothètes 26, 29, 30, 31, 32, 33, 38, 120, 139, 144, 153, 154, 170, 171, 176, 225, 227, 228, 248, 259, 261, 278, 315, 332, 338, 343, 345, 347, 382, 383, 385, 386, 387, 404, 415

Index

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thètes 43, 54, 55, 56, 57, 65, 73, 92, 112, 164, 167, 172, 188, 193 Thoudippos, décret 29, 131, 135, 220 Thrace 235, 240, 267, 270, 271, 291, 298, 339, 340 Thrasybule de Collytos 235, 240 Thrasybule de Stiria 185, 188, 201, 209, 213, 234, 235, 239, 407 Thrasymaque 163 Thucydide, action en illégalité 299, 345, 416 Thucydide, historien et stratège 21, 77, 89, 93, 96, 108, 118, 142, 149, 158, 159, 160, 164, 165, 166, 168, 172, 173, 186, 404 Timarque 230, 249, 303, 338, 342, 343, 344, 347, 351, 370, 414 Timocrate 27, 28, 49, 67, 69, 204, 205, 329, 413 Timomachos 235, 268, 270, 271, 272, 273, 412 Timothée 158, 262, 263, 264, 272, 301, 352, 353, 411, 412 Tirynthe 35, 62, 389 Trente, les 47, 67, 175, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 190, 191, 192, 194, 195, 197, 199, 200, 201, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 216, 233, 243, 378, 407, 408 tribunaux de tribus, Lois de Platon 283, 284, 287 Trois Mille, les 184, 185, 194

X Xénophon 21, 120, 127, 128, 130, 133, 147, 149, 156, 158, 161, 183, 184, 194, 235, 243, 291, 325

Α ἀζήμιος 321, 322 ἀκίνδυνος 321, 322 ἁλής 34, 35 ἁλία (halia)/ἁλιαία/ἁλίη 9, 11, 34, 35, 36, 37, 38, 389, 390, 391 ἁλιασταί (haliastai) 37, 38, 392 ἀνάκρισις (instruction) 226

Β βάλανοι 247

Γ γραφή/γραφαί (graphè/graphai) 119, 199, 222, 312

Δ δικαστήριον/δικαστήρια (dika­ stèrion/dikastèria) 30, 31, 33, 51, 52, 108, 121, 185, 278, 279 δικαστής/δικασταί (dikastès/dika­stai) 30, 33, 194, 214, 371, 393 δίκη/δίκαι (dikè/dikai) 30, 33, 119, 183, 197, 199, 209, 222, 243, 261, 278, 290

Ε ἐμπήκτης 248

Η ἡλιάζω 33 ἡλιαία (Héliée) 26, 27, 28, 29, 34, 35, 36, 75, 131, 132, 134, 136, 139, 279, 381, 382, 383, 384, 385, 386, 387, 388, 390 ἡλιαστής/ἡλιασταί (héliaste(s)) 33 ἡλιαστικός 33

Le tribunal de l’Héliée

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Θ θόρυβος 223, 288

Κ κανονίδες 247 κατὰ δήμους δικασταί (juges des dèmes). Voir aussi Quarante 78 κημός 113 κηρός 113 κιβώτια 247 κλεψύδρα (clepsydre) 113 κληρωτήριον/κληρωτήρια (klèrôtèrion/klèrôtèria) 196, 222, 247 κύβοι 247

Λ λαγχάνω δίκην 226

Ο οἱ περιεστηκότες 223, 285 οἱ τὰ τιμήματα παρεχόμενοι 191, 192, 193, 194, 407

Π πινάκια (tablettes judiciaires) 245 πρόσκλησις 225

Υ ὑδρίαι 156, 247

Ψ ψῆφος/ψῆφοι (psèphos/psèphoi) 113

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