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French, German Pages 252 [254] Year 2016
Le « sel » antique : Epigramme, satire, théâtre et polémique / Das „Salz“ der Antike: Epigramm, Satire, Theater, Polemik édité par / herausgegeben von Marie-Laure Freyburger-Galland, Henriette Harich-Schwarzbauer
COLLEGIUM BEATUS RHENANUS Schriften des Oberrheinischen Forschungsverbundes Antike der Universitäten Basel, Freiburg im Breisgau, Mülhausen, Straßburg / Cahiers du Groupement de recherche du Rhin supérieur sur l’Antiquité des Universités de Bâle, Fribourg-en-Brisgau, Mulhouse, Strasbourg herausgegeben von / édités par Marianne Coudry, Jean-Michel David, Gérard Freyburger, Marie-Laure Freyburger-Galland, Hans-Joachim Gehrke, Ralf von den Hoff, Michel Humm, Anne Jacquemin, Jean-Yves Marc, Doris Meyer, John Scheid, Thomas Späth, Jürgen von Ungern-Sternberg, Eckhard Wirbelauer Schriftleitung / coordination Doris Meyer, Eckhard Wirbelauer BAND / VOLUME 6
Die deutsch-französisch-schweizerische Schriftenreihe CBR veröffentlicht die Arbeiten der wissenschaftlichen Projekte des Collegium Beatus Rhenanus, Arbeiten von Altertumswissenschaftlern der vier CBR-Partneruniversitäten Basel, Freiburg im Breisgau, Mülhausen und Straßburg sowie andere wissenschaftliche Arbeiten von grenzüberschreitendem Charakter. Die Schriftenreihe CBR wird unterstützt von der UMR 7044 Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée – Europe (ArcHiMedE). La collection CBR, à la fois allemande, française et suisse, a pour vocation de diffuser des productions scientifiques issues de programmes de recherche conduits par le Collegium Beatus Rhenanus, ou des travaux individuels d’antiquisants des quatre universités partenaires du CBR Bâle, Fribourg-en-Brisgau, Mulhouse et Strasbourg, ainsi que d’autres travaux ayant un intérêt scientifique transfrontalier. La collection CBR est soutenue par l’UMR 7044 Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée – Europe (ArcHiMedE).
Le « sel » antique : Epigramme, satire, théâtre et polémique / Das „Salz“ der Antike: Epigramm, Satire, Theater, Polemik Leur réception chez les humanistes dans les sources imprimées et manuscrites du Rhin supérieur / Ihre Rezeption bei den Humanisten: Drucke und Handschriften am Oberrhein édité par / herausgegeben von Marie-Laure Freyburger-Galland, Henriette Harich-Schwarzbauer
Franz Steiner Verlag
Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek: Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über abrufbar. Dieses Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist unzulässig und strafbar. © Franz Steiner Verlag, Stuttgart 2016 Druck: Hubert & Co., Göttingen Gedruckt auf säurefreiem, alterungsbeständigem Papier. Printed in Germany. ISBN 978-3-515-11408-0 (Print) ISBN 978-3-515-11409-7 (E-Book)
SOMMAIRE / INHALTSVERZEICHNIS Avant-propos ................................................................................................ Vorwort ......................................................................................................... Marie-Laure Freyburger-Galland La réception de la Batrachomyomachie chez Beatus Rhenanus
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Thierry Grandjean Janus Cornarius et Marsile Ficin. Traducteurs et commentateurs des Banquets de Platon et de Xénophon : le rire dans les banquets
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Jean-Luc Vix Homère à l’épreuve du temps. Aelius Aristide et Libanios préfacés et traduits par J. Camerarius (Haguenau, 1535) ...........................................
43
Gérard Freyburger L’édition de Térence de Jean Grüninger réalisée à Strasbourg en 1496. Un chef-d’œuvre de pédagogie pour l’accès au texte latin ..........................
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Aude Lehmann Le sel lucilien : tradition latine et héritage grec. Réflexion sur le fragment 11, 15 Charpin (411–412 Marx) des Satires .............................
69
Yves Lehmann Parodie et ironie dans le Ciceronianus d’Érasme
85
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Delphine Viellard La polémique entre Jérôme et Augustin commentée par Érasme
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107
Catherine Notter L’Interpretamentum dictionum graecanicarum des Épigrammes de Martial par Ottmar Nachtgall (Strasbourg, J. Knobloch, 1515) ...............................
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Sandrine de Raguenel Quid iocosi ? Entre héritage antique et préceptes érasmiens – la correspondance de l’humaniste Paul Volz ................................................
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Cécile Merckel Beatus Rhenanus et Sénèque. Ironie et humour au service du criticisme théologique (sur la base du commentaire rhénanien de l’Apocoloquintose)
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Sommaire / Inhaltsverzeichnis
Bernard Stenuit Sal horatianus et commentaires humanistes, de Landino à Daniel Heinsius ............................................................................................
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Céline Urlacher-Becht Lectures humanistes de l’Octavius de Minucius Felix
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171
Seraina Plotke Epigrammatik im Gattungsverständnis des frühen 16. Jahrhunderts. Die Epigramme von Thomas Morus und Erasmus von Rotterdam in der Ausgabe Froben 1518 ........................................................................
191
David Amherdt Epitaphien, Versbriefe und mots d’esprit bei Johannes Fabricius Montanus. Epigrammpoesie als Spiegel eines Humanisten und Pastors .......................
201
Judith Hindermann Erkenne dich selbst. Geschlechterdiskurs und Intertextualität in Atrocians Epigramm über den richtigen Gebrauch des Spiegels .................................
215
Henriette Harich-Schwarzbauer Cacare rosas. Die Geburt eines göttlichen Kindes in der Querela missae des Basler Humanisten Johannes Atrocianus ...............................................
229
Wolfgang Kofler Ein oberrheinischer Humanist in Würzburg. Die Satyra in sicarios von Kaspar Stiblin ........................................................................................
237
Index nominum ............................................................................................ Auteurs anciens / Antike Autoren .......................................................... Auteurs humanistes / Humanisten ......................................................... Index rerum ..................................................................................................
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AVANT-PROPOS Ce colloque a réuni sur le thème « Le ‹sel› antique » un certain nombre de philologues des universités de Fribourg-en-Brisgau, Strasbourg, Bâle et Mulhouse, auxquels se sont joints des collègues de littérature française intéressés par cette thématique. Fruit d’une collaboration déjà ancienne dans le cadre du Collegium Beatus Rhenanus et de recherches menées dans les collections des bibliothèques de Bâle, Sélestat, Strasbourg, Colmar et Freiburg, pour exploiter le patrimoine humaniste, particulièrement riche dans une région qui a vu naître l’imprimerie et où nombre d’auteurs anciens ont été imprimés pour la première fois, notre colloque abordait l’étude d’un certain nombre de grands textes de la littérature gréco-latine (Homère, Lucien, Platon, Xénophon, Aelius Aristide, Libanius, Térence, Sénèque, Lucilius, Martial, Horace, Minucius Felix, Jérôme, Augustin) en partant de manuscrits ou d’éditions présents dans la région et en les éclairant autant que possible par le paratexte (préfaces, notes et commentaires) afin de dégager, autant que possible, l’approche conceptuelle ou interprétative des humanistes qui s’y sont intéressés. Ceux-ci n’en ont pas moins apporté leur propre contribution avec des oeuvres de leur crû susceptibles de redonner vie à la littérature antique en développant des formes et des thèmes pour leurs propres affaires et des circonstances contemporaines. Nous constatons que ce thème a particulièrement intéressé les érudits des XVe et XVIe siècles si l’on en juge par les contributions rassemblées dans ce recueil, où nous trouvons les noms d’Érasme, de Thomas Morus, de Beatus Rhenanus, d’Ottmar Nachtgall, de Paul Volz, de Sébastien Brant, de Janus Cornarius, de Caspar Stiblin, de Johannes Fabricius Montanus, de Johannes Camerarius l’Ancien, de Cristoforo Landino, de Daniel Heinsius, de Janus Dousa, de Johannes Curtus ou encore de Johannes Atrocianus. Le thème de la satire, puisé dans le « trésor » des bibliothèques de la région, a été choisi comme centre d’intérêt pour le premier colloque trinational des universités du Rhin supérieur. Dans toutes leurs formes expressions, depuis la plaisanterie fine jusqu’au propos sérieux ou même l’invective agressive, la satire s’est révélée comme le dénominateur commun idéal sous lequel les intérêts multiformes des chercheurs ont pu être rassemblés et mener pendant la rencontre à des échanges vivants entre les participants. Le volume des actes reflète l’étendue des points d’intérêts qui se sont manifestés en direction des humanistes du Rhin supérieur. On s’est enthousiasmé pour le fait que des imprimeurs, des érudits, des savants et des auteurs ont souvent agi ensemble en collaboration personnelle pour donner à la littérature antique, par le moyen de l’imprimerie, une attention renouvelée et une nouvelle qualité de visibilité et pour se mettre eux-mêmes en scène dans ce contexte, voire pour commercialiser leur « sel » selon une démarche précapitaliste. La fascination pour le « sel an-
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Avant-propos / Vorwort
tique » qui se manifeste dans la région du Rhin supérieur, si particulière du point de vue de la géographie littéraire, s’exprime dans le recueil que nous présentons ici. Le « Sel antique » représentait la première étape d’un calendrier trinational de recherches selon lequel les collaborateurs s’attachaient à mener ces études particulières. Cette démarche, à la fois transfrontalière et régionale (au sens large) a jeté les bases d’un projet encore beaucoup plus large et ambitieux. Depuis lors, le « Patrimoine Humaniste du Rhin supérieur / Humanistisches Erbe am Oberrhein », projet retenu par l’Interreg IV Rhin supérieur, a vu le jour au début de l’année 2011, a mené à bien sept expositions dans les trois pays, a mis au point une base de données pour recenser l’ensemble des éditions humanistes éditées ou conservées dans le Rhin supérieur et a débouché sur un autre colloque trinational, « Res novae. Bouleversements dans les sources humanistes du Rhin supérieur / Res novae. Umbrüche in den humanistischen Quellen am Oberrhein », qui s’est tenu fin 2013 à Strasbourg. Nous espérons que les actes de ce colloque, seront aussi publiés dans la série des publications du CBR. Les éditrices des actes du colloque remercient l’Université de Haute Alsace et le Département de Sciences de l’Antiquité de l’Université de Bâle pour leur généreux soutien. Le remerciement s’adresse également au Fonds zur Förderung der Studien auf dem Gebiete der ägyptologischen, orientalischen und klassischen Altertumskunde qui a participé au financement de la préparation à l’impression du volume et à Sina Dell’Anno et Ricarda Berthold pour leur travail de mise en forme du texte en vue de l’impression. En plus, nous remercions Doris Meyer et Eckhard Wirbelauer, les co-éditeurs des publications du CBR pour leur lecture critique du recueil. Que soit enfin tout particulièrement remercié James Hirstein, qui a partagé la responsabilité de la préparation scientifique de la rencontre. Marie-Laure Freyburger-Galland, Henriette Harich-Schwarzbauer Mulhouse et Bâle, juin 2016
VORWORT Das Kolloquium „Salz der Antike“ führte Forscher und Forscherinnen der Universitäten Freiburg, Strasbourg, Mulhouse und Basel zusammen. Auch fand das Thema bei Kollegen und Kolleginnen der französischen Literatur erfreuliche Resonanz. Die Tagung darf als Resultat einer inzwischen gut etablierten Zusammenarbeit im Collegium Beatus Rhenanus angesehen werden. Im Zentrum des gemeinsames Interesses steht die Erforschung der Bestände humanistischer Schriften der Bibliotheken Basel, Sélestat, Strasbourg, Colmar und Freiburg. Am Oberrhein, einer der führenden Gegenden des frühen Buchdrucks, wurden zahlreiche grosse antike Autoren zum ersten Mal gedruckt. Ein erstes näheres Erkunden zentraler Texte der griechisch-römischen Literatur (darunter Homer, Platon, Xenophon, Lukian, Aelius Aristides, Libanius, Terenz, Lucilius, Seneca, Martial, Horaz, Minucius Felix, Hieronymus und Augustinus) auf der Grundlage von Manuskripten und Editionen, die in den Bibliotheken am Oberrhein aufbewahrt werden, stand im Vordergrund der Tagung, wobei den Paratexten (Vorworten, Anmerkungen und Kommentaren) das Hauptaugenmerk galt. Gefragt wurde vornehmlich danach, mit welchem konzeptuellen und interpretatorischen Interesse sich die Humanisten den antiken Texte näherten. Nicht minder aber trugen die Humanisten ihrerseits mit eigenen Werken zur Verlebendigung der antiken Literatur bei, indem sie Formen und Themen für ihre Anliegen und Anlässe weiterentwickelten. Die Tagung ging von der Beobachtung aus, dass die Humanisten des 15. und 16. Jahrhunderts für die Satire im engen und im weiteren Sinne überaus empfänglich waren. Die hier versammelten Beiträge wollen diese Beobachtung durch Beispiele illustrieren. Berühmte Humanisten, aber auch Namen, die durch das „Salz der Antike“ wieder in den Blick rücken, sind vertreten: Erasmus von Rotterdam, Thomas Morus, Beatus Rhenanus, Ottmar Nachtgall, Paul Volz, Sébastian Brant, Janus Cornarius, Caspar Stiblin, Johannes Fabricius Montanus, Johannes Camerarius der Ältere, aber auch Cristoforo Landino, Daniel Heinsius, Janus Dousa, Johannes Curtus oder Johannes Atrocianus. Aus dem ,Schatz‘ der Bibliotheken am Oberrhein wurde für das erste trinationale Kolloquium der Oberrheinischen Universitäten die Satire als thematischer Fokus ausgewählt. In all ihren Ausprägungen, beginnend mit eleganten Wortwitz bis hin zu ihrer ernsten Ausprägung oder gar der aggressiven Invektive entpuppte sich die Satire als der ideale gemeinsame Nenner, unter dem die vielfältigen Interessen der Forscher gebündelt und während der Tagung in eine lebendige Diskussion unter den Teilnehmern geführt werden konnte. Der Tagungsband spiegelt die Breite der Interessen, die sich zu den Humanisten am Oberrhein herausgebildet haben. Dass Drucker, Gelehrte, Wissenschaftler und Autoren, nicht selten auch in Personalunion zusammenwirkten, um der antiken Literatur mittels des Buchdrucks eine neue Aufmerksamkeit und eine neue Qualität der Sichtbarkeit zu geben und sich in diesem Kontext selbst zu inszenieren, ja ihr
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Avant-propos / Vorwort
„Salz“ sogar frühkapitalistisch zu vermarkten, begeisterte. Die Faszination für das „Salz der Antike“, das sich in der literaturgeographisch so einzigartigen Region am Oberrhein manifestiert, schlägt sich in dem hier vorliegenden Sammelband nieder. Das „Salz der Antike“ bildete die erste Etappe einer trinationalen Forschungsagenda, der gemäss sich Forschende dann Einzelstudien vornahmen. Diese gemeinsame Unternehmung, an der drei Länder beteiligt sind, für die zugleich aber ein gemeinsamer Kulturraum das Mass setzte, schuf die Basis für ein grösseres und weit ehrgeizigeres Projekt. Inzwischen hat das Humanistische Erbe am Oberrhein / Le Patrimoine Humaniste du Rhin supérieur, das im Rahmen von Interreg IV, Oberrhein umgesetzt werden konnte, den Anstoss zu einem zweiten trinationalen Kolloquium unter dem Titel „Res novae. Umbrüche in den humanistischen Quellen am Oberrhein / Res novae. Bouleversements dans les sources humanistes du Rhin supérieur“ gegeben, das Ende 2013 in Strasbourg stattfand. Es steht zu hoffen, dass die Forschungsergebnisse auch dieses Kolloquiums in der Reihe der Veröffentlichungen des Collegium Beatus Rhenanus erscheinen werden. Die Herausgeberinnen des Tagungsbandes „Le ,sel‘ antique / Das ,Salz‘ der Antike“ danken der Universität Mulhouse und dem Departement Altertumswissenschaften der Universität Basel für ihre grosszügige Unterstützung. Zudem gilt der Dank dem Fonds zur Förderung der Studien auf dem Gebiete der ägyptologischen, orientalischen und klassischen Altertumskunde, der die Vorbereitung der Drucklegung mitfinanzierte und Sina Dell’Anno für die redaktionelle Arbeit im Vorfeld der Drucklegung sowie Ricarda Berthold für den Satz. Unser Dank gilt auch Doris Meyer und Eckhard Wirbelauer, den Mitherausgebern der Publikationsreihe des CBR, für ihre kritische Lektüre des Bandes. Nicht zuletzt sei James Hirstein gedankt, der für die wissenschaftlichen Vorbereitung der Tagung mit verantwortlich zeichnete. Marie-Laure Freyburger-Galland, Henriette Harich-Schwarzbauer Mulhouse und Basel, Juni 2016
LA RÉCEPTION DE LA BATRACHOMYOMACHIE CHEZ BEATUS RHENANUS Marie-Laure Freyburger-Galland Grâce à notre collègue, éminent spécialiste de Beatus Rhenanus et du contenu de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, James Hirstein, mon attention a été attirée sur un manuscrit (004 dans l’inventaire de la BH) grec qui, pour différentes raisons que je vais exposer, ne manque pas d’intérêt. La première raison est qu’il s’agit vraisemblablement d’un autographe de Beatus Rhenanus. James Hirstein et, avant lui, Martin sicHerl1 y reconnaissent l’écriture du grand humaniste alsacien, non pas tant dans le texte grec que dans le texte latin interlinéaire et marginal. La deuxième est qu’il s’agit d’un texte dont la célébrité s’étend de l’époque hellénistique à la Renaissance, peut-être même au-delà, la Batrachomyomachie, « le combat des grenouilles et des rats », même si de nos jours il n’est plus guère étudié. La troisième ressortit au contexte contemporain de sa rédaction sur lequel je m’étendrai enfin. Les manuscrits contemporains des premières éditions imprimées ne sont en effet pas si fréquents et nous pourrons nous interroger sur les raisons qui ont animé Beatus Rhenanus. * LE MANUSCRIT 4 DE LA BIBLIOTHÈQUE HUMANISTE DE SÉLESTAT On trouve en effet dans le fonds de la Bibliothèque Humaniste un petit volume de 36 folios de papier de 217 mm de hauteur sur 170 de largeur, enveloppé dans une couverture en parchemin plus rigide. Il contient la Batrachomyomachie des folios 2 recto à 11 verso, puis des folios 14 recto à 18 verso, un extrait de l’Iliade, v. 468– 517 du chant XVIII, le « bouclier d’Achille », et des folios 20 recto à 35 verso, un long extrait du chant X de l’Odyssée, l’arrivée d’Ulysse chez Circé, les v. 1–479. Comme je le disais en introduction, les spécialistes identifient la main de Beatus Rhenanus qui a donc recopié soigneusement – le grec est très lisible – près de mille vers attribués à Homère et présentés comme tels à la première page de chacune des trois œuvres. Chaque page comporte de 14 à 17 vers, suffisamment espacés pour permettre une glose latine interlinéaire au-dessus de chaque vers grec, les marges latérales, supérieures et inférieures étant utilisées pour des commentaires en latin. 1
sicHerl 1979, p. 59–78.
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Manifestement le travail n’a pas été complètement terminé puisque les 35 derniers vers du passage de l’Odyssée sont dépourvus et de traduction et de commentaire. La page de couverture indique qu’il a appartenu à Rudolf Berz qui se trouve être le dernier famulus, disciple-secrétaire, de Beatus Rhenanus et sicHerl2 pense que ce petit livre lui aurait été offert par son maître après 1526. Le texte de la Batrachomyomachie, comme d’ailleurs les deux autres textes, est précédé sur le verso du folio 1, d’une sorte d’avertissement au lecteur, qui en définit le sujet, d’argumentum, selon le terme même utilisé par Beatus dont je donnerai ici la traduction : Le poète voulait par ce propos inspirer aux jeunes gens la haine des foules et des séditions et le fait que les grenouilles finirent par l’emporter grâce à l’aide divine signifie qu’en général se retourne contre les auteurs d’une sédition le danger qu’ils ourdissaient contre les autres.
Comme Leopardi le signale dans son introduction à la traduction de la Batrachomyomachie3, cette analyse est empruntée à Philippe Mélanchthon (1497–1570). Ce serait donc à cet humaniste contemporain que Beatus aurait emprunté l’argumentum, ce qui justifierait l’autre indication marginale qui l’accompagne : quid sibi poeta hoc argumento velit, « ce que le poète voulait dire dans son propos ». Ce commentaire se retrouve en effet à l’identique dans l’introduction de Philippe Mélanchthon à son commentaire de la Batrachomyomachie4 tel qu’il a été repris plus tard dans l’édition de 1570, faite à Leipzig par Leonhart Lycius. Ce dernier cite déjà Mélanchthon dans son introduction à ses propres annotationes. Il se réfère en effet à une oratio quaedam illius [=Mélanchthon] de fabularum utilitate … en ces termes : [Homère a écrit le combat des grenouilles et des rats] pour que la fable charme les tendres esprits par ses aspects agréables et en même temps leur apprenne combien il vaut mieux ne rien laisser paraître que se venger d’une injustice, que sont incertaines les issues de tous les troubles et de toutes les guerres. Il n’est pas rare que les puissants soient vaincus par plus faibles qu’eux et souvent tout mal retombe sur la tête de son auteur.5
Une édition plus ancienne (datant de 1560) du même poème par Leonhart Lycius, toujours à Leipzig, présente déjà des scholia de Mélanchthon, ce qui permet de croire que ce commentaire est déjà bien établi lorsque Beatus en a eu connaissance et que Mélanchthon avait peut-être l’intention dans un premier temps de participer à l’édition bâloise. Ces remarques pédagogiques ne peuvent guère appartenir au grand théologien qu’il est devenu à partir des années 1525, mais bien plutôt au jeune répétiteur de 1515 ou au professeur de grec de l’Université de Wittenberg des années 1518–1520. Ce qui est sûr c’est que, dans ces années-là, il fait publier à Haguenau, chez son ami, l’imprimeur Setzer, toute une série de grammaires grecques accompagnées de divers textes d’entraînement, d’Homère ou d’Hésiode. La couverture en parchemin et les deux premières pages sont annotées, gribouillées, voire agrémentées de dessins comme le ferait un écolier peu respectueux 2 3 4 5
sicHerl 1979, p. 63–64. Migoubert & brunet 1998, p. 26. Lycius 1570, p. 62 (= 58). Lycius 1570, p. 39 (= 35).
La reception de la Batrachomyomachie chez Beatus Rhenanus
Bibliothèque Humaniste de Séléstat, ms. 4, fol. 1r
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Bibliothèque Humaniste de Séléstat, ms. 4, fol. 1v
La reception de la Batrachomyomachie chez Beatus Rhenanus
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de son outil de travail … Cela tranche avec le soin apporté à la copie du texte grec qui ne comporte que très rarement des ratures. En revanche les annotations marginales ne sont pas non plus très proprement présentées ni souvent très lisibles, comme des notes écrites à la hâte, nous y reviendrons. LA BATRACHOMYOMACHIE D’HOMÈRE À BEATUS RHENANUS 1. Antiquité La Batrachomyomachie est classée par les Modernes parmi les poèmes apocryphes d’Homère, comme le Margitès, le Catalogue des femmes et autres ouvrages. Sa date de composition est très incertaine, même si les Anciens attribuent à Homère cette épopée burlesque de 300 vers mettant en scène des grenouilles et des rats s’affrontant à la manière des Grecs et des Troyens sous les yeux des dieux de l’Olympe. En fait la première attestation de l’existence de ce poème remonte à l’époque romaine, à la fin du premier siècle de notre ère et c’est Martial6 qui la fournit : « Lis ici les grenouilles célébrées par le poète de Méonie … ». Stace7, à peu près à la même époque, lui fait écho en comparant le Culex de Virgile et le Combat des grenouilles pour affirmer que les plus grands poètes ont commencé par des œuvres légères. Beaucoup plus tard, aux Ve–VIe siècles, Fulgence parle du « badinage auquel se livra le chantre de Méonie sur le combat des grenouilles », Quod Maeonius ranarum / Cachinnavit proelio8. Parmi les compilateurs tardifs à citer la Batrachomyomachie comme œuvre homérique, il faut mentionner le pseudo-Hérodote9 qui liste un certain nombre d’œuvres humoristiques composées à Chio. Il faut cependant reconnaître que le doute sur cette paternité se trouve déjà bien répandu, que ce soit chez le Pseudo-Plutarque Proclus ou la Souda et c’est chez certains, comme peut-être Plutarque10 lui-même, qu’apparaît le nom d’un certain « Tigrès » ou « Pigrès ». En effet, selon les manuscrits et les éditeurs modernes, une phrase concernant la description de la bataille de Platée par Hérodote, peut être lue ainsi : Comme Pigrès, frère d’Artémise, dit que la chose était arrivée dans le combat des rats et des grenouilles qu’il s’amusa à écrire en vers …
C’est ce que fait G. lacHenaud dans son édition des Moralia de 1981 en précisant en note que ce Pigrès aurait écrit vers 480 av. J.-C. Reinhold glei, dans l’introduction de son édition de 1984 supprime cette phrase en s’en justifiant11. La Souda en tout cas assure que ce Pigrès d’Halicarnasse, beau-frère du roi Mausole, serait l’au6 7 8 9 10 11
Epigrammes, I, XIV, 183. Silves, I, 1 praef. Mythologiae, 1, 1. Vie d’Homère, 24. De la malignité d’Hérodote, 873E , 43. glei 1984, p. 24–27.
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teur de la Batrachomyomachie et du Margitès12. Beatus Rhenanus intervient dans ce débat puisque, bien que le titre du manuscrit 4 porte le nom d’Homère, une édition bâloise de l’œuvre, attribuée à Homère et sur laquelle nous reviendrons, indique dans l’avant-propos de Froben que l’auteur pourrait être, selon certains, Tigrès de Carie. Beatus lui a montré, écrit-il, un exemplar vetustum portant ce nom en titre. Cette datation haute (Ve siècle) est aussi mise en doute par de nombreux commentateurs modernes qui font des rapprochements de ce texte avec des poèmes alexandrins ou des textes plus tardifs encore. On a retrouvé par exemple un papyrus du IIe ou Ier siècle avant J.-C. contenant un extrait d’un « combat des rats et d’une belette », une galéomyomachie. Il se trouve que notre Batrachomyomachie fait allusion à la mort d’un rat tué par une belette : Troxartès (« Rongecroûte ») se lamente sur la mort de son fils Psicharpax (« Rognequignon ») dans un passage qui n’est pas sans rappeler les lamentations de Priam ou celles d’Andromaque : Pauvre de moi puisque j’ai perdu trois fils qui me manquent. Le premier fut tué par la très odieuse belette Qui l’avait attrapé en dehors de son domicile. Le deuxième, des hommes cruels l’ont conduit à sa perte En construisant un piège de bois, nouvel artifice, Destructeur de rats, appelé par suite ratière. Le troisième était cher à moi-même, à sa mère auguste. Physignathos (Maxigoître) l’a noyé, le plongeant dans le gouffre.13
Une fable ésopique imitée par La Fontaine met en scène un rat et une grenouille dans un épisode assez semblable au début de la Batrachomyomachie, puisque la grenouille y emmène le rat juché sur son dos visiter le monde aquatique. Dans la fable les deux périssent, emportés par un milan. Dans l’épopée burlesque, la grenouille, effrayée par une mangouste, plonge, entraînant le pauvre rat à la noyade. 2. Époque byzantine Le succès de l’œuvre, attribuée ou non à Homère, à l’époque impériale et dans l’Antiquité tardive se confirme à l’époque byzantine où il semble bien que ce poème serve de préparation scolaire à la lecture d’Homère, ce qui explique que plusieurs manuscrits comportent des gloses et des scholies. Le manuscrit le plus ancien que nous avons conservé date du début du Xe siècle et quatre autres datent des XIe et XIIe siècles. Et c’est en les étudiant que l’on constate que le texte comporte tant de variantes qu’il faut conclure à un remaniement complet et de nombreux ajouts d’époque tardive et sans doute même contemporains de ces manuscrits. Les spécialistes décèlent une famille de manuscrits italiens comportant l’essentiel de ces modifications byzantines, dont le plus ancien, sinon l’archétype, serait le Laurentianus 32,3 (du XIe ou XIIe s.). L’autre famille, peut-être plus respectueuse de la tradition ancienne, serait représentée par deux manuscrits de Paris du XIe siècle et un d’Heidelberg du début du XIIIe s. Le scribe 12 13
Souda, s. v. Pigrès. v. 112–119.
La reception de la Batrachomyomachie chez Beatus Rhenanus
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du manuscrit le plus ancien avait déjà connaissance de ces divergences et a essayé de donner au texte une certaine cohérence. C’est pourquoi les éditions modernes14 s’appuient prioritairement sur le manuscrit d’Oxford, le Baroccianus 50, excepté R. glei qui a essayé de rendre la complexité des deux traditions en les présentant face à face, sans traduction avec un apparat critique très complet et extrêmement minutieux. 3. Époque humaniste La Batrachomyomachie semble avoir été le premier texte grec imprimé, avec traduction latine interlinéaire, et ceci très tôt, chez Ferrando de Brescia, en 147315. En 1486, une autre édition a été faite à Venise et est attribuée à Laonicos et Alexandros de Crète. Elle est suivie par une édition florentine de l’œuvre complète d’Homère, datée de 1488, attribuée à Démétrios Chalcondylas. Il faut attendre le début du XVIe siècle pour trouver deux éditons aldines, de 1504 et 1517, vraisemblablement copiées sur celle de 1488, comme d’ailleurs celle de François Tissard datée de 1507. Et c’est là que nous retrouvons notre humaniste rhénan au cœur de cette transmission puisque la Bibliothèque Humaniste de Sélestat possède une édition de F. Tissard présentant une traduction latine interlinéaire de la main de Beatus Rhenanus qui a, en outre, participé à l’édition bâloise d’un petit recueil de divers textes grecs, dont la Batrachomyomachie, imprimé en 1518 chez Froben, avec traduction latine en regard. Tel est le succès de ce poème auquel Beatus semble s’intéresser particulièrement. Notons au passage que r. glei ne mentionne ni les éditions aldines, ni l’édition Tissard, ni celle de Beatus et passe de l’édition de Chalcondylas à deux productions plus tardives, de 1566, une d’Henri Estienne à Genève et une autre de Lycius à Leipzig, rééditée encore en 1570 avec les diverses annotations dont j’ai parlé. BEATUS RHENANUS ET LA BATRACHOMYOMACHIE La comparaison du texte du manuscrit 4 avec l’édition Tissard de 1507 et celle de 1518 aboutit à un constat d’identité, si l’on excepte quelques fautes de graphie (ὅππος au lieu de ὅπως au v. 64, ἐσόροντεϛ, au lieu de ἐσορῶντεϛ au v. 297). Un détail intéressant, pour la datation éventuelle du manuscrit est fourni par une forme erronée présente dans l’édition Tissard et, semble-t-il, recopiée par Beatus, λέπηρον, graphie qui n’a aucun sens et ne figure dans aucun manuscrit, au lieu de λέπυρον, « coquille », traduit d’ailleurs par testa (nucis). Or, la forme correcte figure dans l’édition de 1518, ce qui laisse à penser que Beatus a corrigé pour l’impression. Mon attention a été attirée sur cette « coquille », due à ce qu’on appelle un iotacisme, par Y. Migoubert, l’éditeur du texte traduit par Philippe brunet en 1998, qui 14 15
allen 1912, glei 1984 et Migoubert-brunet 1998. lowry 1989, p. 89 et note p. 112.
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prépare actuellement un ouvrage sur la tradition manuscrite de la Batrachomyomachie. Iotacisme, puisqu’ à l’époque byzantine (et sans doute dans la prononciation des Grecs émigrés après la prise de Constantinople, qui ont enseigné leur langue aux humanistes, avant les préceptes érasmiens), υ et η se prononcent avec le même son ι (comme un iota). Il est possible que la correction ait été suggérée à Beatus par Erasme lui-même qui arrive à Bâle en 1514. Les spécialistes, éditeurs récents du texte de la Batrachomyomachie, r. glei et Y. Migoubert, s’accordent à penser que l’édition Tissard, source probable du manuscrit 4 et de l’édition de 1518, s’inspire de l’édition de 1488 qui est un mixte des deux traditions préalablement citées avec des leçons originales, parfois des vers entiers complètement différents de ces traditions. Chalcondylas a peut-être eu à sa disposition un autre modèle byzantin dont l’édition de 1518 serait la dernière représentante. Le fait que Beatus soit en possession (est Beati Rhenani) de cette édition parisienne est certainement à mettre en rapport avec le séjour qu’il a fait à Paris (1503– 1507) où il fréquente Georges Hermonyme de Sparte, premier professeur de grec des humanistes français de 1476 à 1508, Lefèvre d’Étaples et François Tissard dont il suit les leçons. Il est possible que la traduction latine interlinéaire soit le fruit de ces leçons dont la Batrachomyomachie était le sujet. Beatus quitte Paris à l’automne 1507, alors que Tissard vient de publier son édition. La comparaison des trois traductions latines met en lumière quelques variantes qu’il serait intéressant d’étudier dans le détail, comme James Hirstein et moi-même envisageons de la faire ultérieurement. Dès le début, nous voyons que χόρον est traduit tantôt par coetum (Tissard et édition de 1518) ou chorum (ms 4). Signalons par exemple que les deux éditions imprimées présentent au v. 165 la traduction de ἀμφεκάλυπτον, « [les grenouilles] enveloppaient […] », par circumcooperiebant tandis que le manuscrit se contente du simple tegebant. Le verbe circumcooperio, forme surcomposée peut-être forgée pour les besoins de la cause, présente le préfixe circum qui rend bien le grec ἀμφι – tandis que cooperio est un synonyme classique de tego. Peut-être faut-il penser que le manuscrit utilise une langue plus simple. Aucun de ces exemplaires de la Batrachomyomachie n’est publié ou relié isolément. Comme je l’ai dit, le manuscrit est accompagné de deux extraits d’Homère, le « bouclier d’Achille » et « Ulysse chez Circé ». L’édition de la Batrachomyomachie de Tissard a été reliée par Beatus en compagnie d’un ouvrage composite, le liber gnomagyricus (alphabet grec, prononciation du grec, vers d’or de Pythagore, chant de la Sibylla d’Érythrée …) et des Travaux et les Jours d’Hésiode, avec traduction et notes de la main de Beatus. Quant à l’édition de 1518 elle rassemble dans la même reliure sous un format réduit (in-4°, 180 × 123 mm), de 475 pages, outre la Batrachomyomachie, les fables et une vie d’Ésope, les fables de Babrius, la Galéomyomachie, Héro et Léandre de Musée, un traité d’Agapétos et le Serment d’Hippocrate, recueil composite donc d’œuvres à visées pédagogiques et morales16. Beatus y a même ajouté la Germanie de Tacite, imprimée par Froben en 1519 !
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Magdelaine 2000, p. 140–145.
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L’édition de la Batrachomyomachie de 1518 a été imprimée chez Froben pour qui Beatus travaille de 1511 à 1528, à Bâle où enseigne Johannes Cuno, un érudit dominicain originaire de Nuremberg qui a été initié au grec par Reuchlin à Heidelberg, a été disciple de Marcos Musuros à Padoue de 1506 à 1509 et d’Alde Manuce à Venise17 avant de devenir lui-même professeur de grec. Il est à Bâle en 1511 et y meurt en 1513. Ses liens avec Beatus, qui a été son élève de 1511 à 1513, sont très étroits puisqu’il lui lègue une bonne partie de sa bibliothèque, avec de nombreuses et diverses éditions aldines18 et des manuscrits qui en ont été les modèles19. Avait-il en sa possession un manuscrit de la Batrachomyomachie, rapporté par Cuno d’Italie et qui serait donc l’exemplar vetustum dont parle Froben dans son avant-propos ? Ce manuscrit peut avoir servi à l’édition bâloise et avoir été détruit ensuite comme cela est arrivé pour d’autres (comme le Murbacensis de Velleius Paterculus). Une annotation intéressante à ce propos figure en marge du vers 188 de l’édition bâloise : pour commenter un πρῶτον, traduit par primum, et attesté dans les trois textes que nous comparons, nous trouvons : exemplar antiquum πρώην habet, non πρῶτον, id est paulo ante. S’agit-il de l’ exemplar vetustum montré à Froben par Beatus et d’un de ces manuscrits rapportés par Cuno ? En ce cas, ce manuscrit présenterait une leçon qui figure dans l’un des manuscrits italiens que nous possédons encore, l’Ambrosianus I,4, daté de 1276 et dans plusieurs manuscrits mixtes, mais aussi dans le manuscrit de Heidelberg de 1202, appartenant à l’autre famille. Cet exemplar, qu’il soit vetustum ou antiquum, a peu de chance de désigner une des premières éditions imprimées, somme toutes récentes (20 ou 30 ans), même si exemplar peut être employé pour désigner une édition imprimée, mais un apographe de l’Ambrosianus ou du Palatinus Heidelbergensis, trouvé par Cuno à Heidelberg ou en Italie. Le manuscrit 4 a été, comme je l’ai dit et comme le prouve l’ex libris, offert ou légué à Rudolf Berz entre 1526 et 1547, date de la mort de Beatus. C’est cette fourchette chronologique qui a été consignée sur la page où se trouve l’ex libris par un érudit postérieur. M. sicHerl, à l’examen du filigrane, envisage une datation postérieure à 1525 mais serait tenté cependant de mettre ce manuscrit en rapport avec les cours de Cuno et l’influence italienne des grammairiens connus ou étudiés par le même Cuno20. Or Beatus a suivi les cours de Cuno de 1511 à 1513. Ce manuscrit serait-il un cahier d’ « écolier », des notes prises au cours sur un texte qu’il connaissait déjà par son séjour parisien auprès de Tissard ? On remarquera cependant que les notes marginales relèvent assez peu de l’érudition grammaticale de Cuno que nous connaissons par d’autres manuscrits conservés à Sélestat21. Ainsi la note du v. 143 qui commente la forme γεγάατε comme venant de γίγνομαι ou celle en marge du v. 17 qui explique l’étymologie des noms de la grenouille Physignathos (φυσάω = inflo et γνάθοϛ = maxilla, « qui enfle les joues », « Maxigoître » chez Philippe brunet, « Backenaufbläser » chez R. glei ; ou encore celle du vers 24 qui explique 17 18 19 20 21
sicHerl 1978, p. 169–195. Förstel 1993, p. 289–290 ; sicHerl 1978, p. 139–145. Magdelaine 2000, p. 133 et sicHerl 1979, p. 59–78. sicHerl 1978, p. 63–64. Förstel 1973.
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l’étymologie du nom du rat Psicharpax au vers 24, de ψίξ, mica, « miette », et de ἁρπάζω, « attrape-miette », « Rongecroûte », « Bröseldieb, Krümelklau » ; ou encore Leixopinax, « lèche-plateau », « Tafellecker », au v. 100, expliqué comme venant de λείχω, lingo, « lécher », et πίναξ, tabula, et ainsi de suite pour les Lèchemeule et autre Ronge-jambon, héros de cette épopée. On penserait plutôt à des explications plus simplistes pour élèves moins avancés, de même que les commentaires rhétoriques sur les parties du discours, propositio, amplificatio ab exemplo, narratio etc. avec quelquefois les termes grecs, παρένθεσιϛ ou ὑποτύπωσιϛ. Il faudra encore examiner de près toutes ces gloses qui ne sont pas toujours faciles à déchiffrer. S’il s’agit d’un cahier de Beatus, élève de Cuno, il aura fait des progrès fulgurants grâce à son maître puisque, dès l’arrivée d’Erasme à Bâle, il connaît déjà très bien le grec et se lance dans la suite de l’édition de Saint-Jérôme chez Amerbach en 1516. Ceci nous conduit à une date très proche de l’édition de 1518 et nous amènerait à proposer une nouvelle hypothèse qui ferait du manuscrit non un cahier d’écolier mais un livre du maître, c’est-à-dire que Beatus, même s’il n’a jamais enseigné officiellement le grec, a pu, pour former ses famuli, se forger ce recueil de difficulté progressive puisque les deux autres poèmes sont des extraits célèbres de l’Iliade et de l’Odyssée auxquels la Batrachomyomachie serait une propédeutique. Ceci expliquerait le caractère assez simpliste d’un certain nombre de remarques et d’explications, l’écriture appliquée et régulière du texte grec, moins appliquée de la traduction et des notes. On pourrait aussi penser à un travail préparatoire à l’édition imprimée, bien que celle-ci ne comporte que la traduction latine et quelques très rares annotations explicatives. En tout cas, il nous semble difficile d’opter pour une date postérieure à l’édition. Quel intérêt notre humaniste aurait-il eu à recopier à la main tous ces vers, s’il disposait d’une édition imprimée qu’il aurait pu, malgré le petit format, annoter dans les marges facilement? Cette remarque peut d’ailleurs valoir pour l’édition de Tissard, d’un format plus grand et qui aurait pu, quand il a écrit la traduction latine (à une date que nous ignorons) ou longtemps après, servir de support à des commentaires. Si l’on fait état de l’argumentum emprunté à un Mélanchthon pédagogue, la fourchette 1515–1518 serait donc possible. L’hypothèse d’une collaboration éventuelle pour l’édition de 1518, à laquelle Mélanchthon aurait renoncé à cause de ses activités de théologien, serait alors confirmée par l’utilisation ultérieure de ses notes par Leonhart Lycius dès les années 1560, donc du vivant encore du réformateur de Wittenberg. * A l’issue de ce rapide survol, il apparaît que ce manuscrit 4 de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat est au cœur de la carrière d’helléniste de Beatus Rhenanus, entre ses études à Paris (1503–1507) et ses études à Bâle (1511–1513), d’éditeur de textes grecs et de pédagogue. Elève des premiers hellénistes parisiens et de Johannes Cuno, il veut à son tour transmettre la langue, la littérature et la culture grecques que ces érudits ont redécouvertes avec passion. Plus connu pour ses compétences de latiniste et d’éditeur de textes latins, Beatus participe activement à ce renouveau
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du grec en Europe, en France, en Allemagne et en Italie (où il n’est jamais allé mais dont Johannes Cuno lui a rapporté tant de richesses). De Lefèvre d’Étaples à Alde Manuce, de de Tissard à Musuros, de Reuchlin à Érasme et à Mélanchthon, Beatus est au cœur de ce mouvement humaniste et contribue à le transmettre. Les éditions imprimées permettent assurément une diffusion plus large des textes grecs et nous avons vu que la Batrachomyomachie a été le premier texte grec imprimé. Cette épopée burlesque avait plu aux lecteurs à l’époque byzantine. Les Byzantins n’avaient pas hésité à modifier, enrichir, peut-être défigurer le texte d’origine, mais ils s’en servaient dans les écoles (comme en témoignent les nombreux manuscrits avec scholies). A la fin du XVe et au début du XVIe siècle on assiste à un succès analogue. Rabelais qui était un fin helléniste, s’est sans doute inspiré de ce texte pour écrire dans les années 1532–1534 ses aventures de Gargantua et Pantagruel. Grandgousier n’est-il pas Physignathos ? La paternité homérique, même un peu douteuse, ainsi que la verve de cette aventure héroïcomique donnent à ce texte le prestige et le charme qui permettaient un apprentissage d’une langue difficile dans la gaîté : ces humanistes hellénistes n’étaient pas des gens tristes et compassés. S’il est difficile de dater ce manuscrit et d’en connaître la destination première, une chose est sûre, Beatus Rhenanus a offert à Rudolf Berz ce petit ouvrage, cahier d’écolier ou livre du maître, pour qu’à son tour il fasse sienne la langue et la culture grecques au moyen du « sel antique ». BIBLIOGRAPHIE L. Lycius, Homeri poema festivum et elegans de ranarum cum muribus pugna a Leonharto Lycio nuper emendatius editum et annotationibus illustratum, nunc ab eodem recognitum et perpurgatum. Accesserunt Philippi Melanchthonis et Heinrici Stephani annotationes quaedam, et Simonis Lemmii conversio, versibus Heroicis expressa, Leipzig, 1570. allen 1912 = Th. W. allen, Homerus, opera omnia, Oxford, 1912. Förstel 1993 = Ch. Förstel, Jean Cuno et la grammaire grecque, in Bibliothèque de l’École des Chartes, 151, 1993, p. 289–290. glei 1984 = R. glei, Die Batrachomyomachie. Synoptische Edition und Kommentar, Frankfurt a. M., 1984. lowry 1989 = M . lowry, Le monde d’Alde Manuce, Paris, 1989. Magdelaine 2000 = C. Magdelaine, Beatus Rhenanus et la médecine grecque, in Beatus Rhenanus lecteur et éditeur des textes anciens, Turnout, 2000. Migoubert & brunet 1998 = Y. Migoubert & Ph. brunet (edd.), Homère/Léopardi, La Batrachomyomachie, Paris, 1998. sicHerl 1978 = M. sicHerl, Johannes Cuno, ein Wegbereiter des Griechischen in Deutschland. Eine biographisch-kodikologische Studie, Heidelberg, 1978. sicHerl 1979 = M. sicHerl, Die griechischen Handschriften des Beatus Rhenanus, in Annuaire / Amis de la Bibliothèque humaniste de Sélestat, 29, 1979.
JANUS CORNARIUS ET MARSILE FICIN Traducteurs et commentateurs des Banquets de Platon et de Xénophon : le rire dans les banquets Thierry Grandjean En 1468, Marsile Ficin (1433–1499) a achevé sa traduction latine du Banquet de Platon1, puis, l’année suivante, en juillet 1469, son Commentaire sur le Banquet de Platon ou Livre de l’Amour, dédié à Jean Cavalcanti2. Toutefois, la traduction et le commentaire ficiniens ne furent imprimés qu’en 1484, dans l’editio princeps des Platonis Opera à Florence, dédiée à Laurent de Médicis3. Les imprimeurs de Bâle ont largement contribué à la diffusion de ces deux textes, édités à la fois dans les œuvres complètes de Platon traduites par Ficin, de 1532 à 1561, avec une traduction corrigée par Simon Grynaeus4, et dans les Opera omnia de Ficin, en 1561 et 1576. À son tour, Janus Cornarius (1500–1558)5, humaniste et médecin de Zwickau (en Saxe), connu pour ses éditions et ses traductions latines de nombreux médecins grecs6, publié et actif dans plusieurs villes du Rhin supérieur7, rédige une traduction 1 2 3 4 5 6
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Marcel 1958, p. 381 ; Hankins 1991, p. 301 ; laurens 2002, p. XXV. La traduction latine du Banquet est le vingt-cinquième ouvrage de Platon traduit par Ficin : cf. Ficin 1590, Catalogus dialogorum Platonis. Marcel 1956, p. 45 ; Marcel 1958, p. 354 ; laurens 2002, p. 250–251 : explicit du Commentarium : « Florence, juillet 1469 ». Marcel 1956, p. 114 ; laurens 2002, p. XCV. Cette editio princeps des Platonis Opera à Florence sera suivie de nombreuses autres : à Venise en 1491, 1517, 1518, puis en 1522 et 1533 à Paris. Marcel 1958, p. 748. On compte cinq éditions bâloises des Platonis Opera (1532, 1539, 1546, 1551, 1561). Simon Grynaeus collationna les manuscrits et publia en 1532 chez Froben une version corrigée de cette traduction de Ficin, rééditée jusqu’en 1551. Son nom vernaculaire varie : d’après HirscH 1876, p. 481, il s’appelait Johann Haynpol, Hagenbut ou Hanbut. Magdelaine 2000, p. 135–136, précise qu’il a édité l’ensemble du Corpus hippocratique (1538), puis traduit l’intégralité de ce même Corpus en latin (1546) ; Mondrain 1997, p. 412, ajoute qu’il a également traduit l’œuvre immense de Galien (1542) et que « d’autres médecins ont retenu son attention : Dioscoride, Aétius, Paul d’Égine » ; il a aussi édité en 1536 le De medicamentis de Marcellus, « sa seule édition du latin ». MonFort 1998, p. 87–88 : la première publication de Cornarius est sa préface aux Aphorismes d’Hippocrate éditée en 1527 ou 1528 chez Jean Secerius à Haguenau ; Magdelaine 2000, p. 135–136, a montré les relations de Beatus Rhenanus avec Cornarius, qui lui a envoyé à Sélestat deux de ses ouvrages médicaux dédicacés ; Cornarius a publié de nombreux traités médicaux chez Froben à Bâle : le Pronostic d’Hippocrate (1528), un compendium médical intitulé Universae rei Medicae Ἐπιγραφή (1529), et surtout la grande édition du texte grec du Corpus hippocratique (1538).
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latine du Banquet platonicien, en s’appuyant sur celle de Ficin8. Mieux même, Cornarius est un des premiers humanistes à traduire en latin le Banquet de Xénophon9. Comme Ficin, Cornarius compose également un traité pour commenter le Banquet, qu’il publie à Bâle en 1548 en même temps que ses traductions latines de Platon et de Xénophon. Le titre de l’ouvrage énonce clairement la visée argumentative de son commentaire : Traité sur les Banquets des anciens Grecs, et sur les coutumes, les mœurs et les discours des Germains de notre époque, également sur l’importance de l’Amour, et sur les différences entre Platon et Xénophon10.
Que l’humaniste choisisse, pour commenter les Symposia, de recréer le cadre du banquet en le transposant à son époque, comme Ficin à Careggi pour commémorer l’anniversaire de la naissance de Platon le 7 novembre 146811, ou qu’il préfère comparer les anciens banquets avec ceux de son temps et de son pays, comme Cornarius, la volonté d’expliquer et d’illustrer les banquets philosophiques est tout à fait manifeste. Or les Symposia de Platon et de Xénophon contiennent de nombreux passages et situations comiques, allant du calembour et de la bouffonnerie à la parodie la plus subtile. On peut donc se demander quels peuvent être l’apport des traductions et des commentaires de Ficin et de Cornarius à la recherche sur les Banquets philosophiques et leurs spécificités comiques. Notre étude montre que les œuvres des deux humanistes peuvent renouveler la recherche sur les Symposia dans quatre domaines : en philologie, en sociologie, en philosophie et en médecine.
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Cornarius 1548, p. 6. Cornarius 1548, p. 6 : aptius fore iudicaui, quam si utriusque Symposium ad nos transferrem. Inuitabat ad hoc etiam id quod Xenophontis Symposium latini homines hactenus non legissent. Le texte grec avait été édité plusieurs fois séparément, dès 1531 par V. Opsopoeus à Haguenau, où Cornarius avait édité sa préface aux Aphorismes d’Hippocrate. En fait, la première traduction latine du Banquet de Xénophon est celle de Johannes Ribittus, publiée dans Xenophontis philosophi et historici clarissimi Opera, Basileae, 1545, tome II, p. 364–399 (rééd. en 1551, tome II, p. 387–422). L’éditeur bâlois Michel Isingrinus précise dans le sommaire de l’ouvrage (operum Xenophontis elenchus) que le Banquet a été traduit « pour la première fois [nunc primum] » par J. Ribittus. Pourtant, MarsH 1992, p. 189–191, considère que Cornarius est le premier à traduire le Banquet de Xénophon en latin. Cornarius 1548 : Iani Cornarii medici physici Zviccaviensis De Conviviorum veterum Graecorum, & hoc tempore Germanorum ritibus, moribus ac sermonibus: item de Amoris praestantia, & de Platonis ac Xenophontis dissensione Libellus. Item Platonis philosophi Atheniensis Symposium, eodem Iano Cornario interprete. Et Xenophontis philosophi Atheniensis Symposium, ab eodem latine conscriptum. Marcel 1956, p. 47. Les Médicis possédaient une villa à Careggi, dans la campagne au nord de Florence : c’est dans ce havre de paix que, dès l’été 1463, à l’instigation de Cosme de Médicis, Ficin élabora plusieurs traductions d’auteurs grecs, notamment les dialogues de Platon, cf. Marcel 1958, p. 250–263.
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LA RÉFLEXION PHILOLOGIQUE SUR LE RIRE DANS LES BANQUETS Quand on examine le vocabulaire du rire dans les deux traductions latines des Banquets, on constate que Marsile Ficin et Cornarius ont exploité surtout cinq familles de mots : celles de ridere, de iocari, de ludere, d’ironicus et de cauillari. Or la notion de cauillatio revêt une importance toute particulière, car c’est un terme technique utilisé dans les traités de rhétorique, notamment par Cicéron dans le de Oratore et par Quintilien dans l’Institution oratoire12, deux auteurs bien connus de Ficin13 : selon la définition qu’en donne l’Arpinate, la cauillatio, c’est-à-dire « la raillerie », est une sorte de « plaisanteries » (genus facetiarum), qui « est répandue également sur tout l’ensemble du discours » (aequabiliter in omni sermone fusum)14 ; elle s’oppose à un deuxième genre de plaisanteries, la dicacitas, à savoir les « bons mots », qui « consistent en traits vifs et courts » (peracutum et breue)15. Dans son traité, Janus Cornarius emploie cauillari pour traduire le terme platonicien d’eironeia désignant l’« ironie » socratique. En effet, dans le Banquet de Platon, lorsqu’Alcibiade présente Socrate en le comparant aux Silènes exposés dans les ateliers de sculpture, il oppose le sérieux de Socrate à son extérieur apparemment laid et comique16 : d’après ses propres termes, Socrate « passe sa vie entière à faire ainsi, dans ses relations avec autrui, le naïf et le plaisantin » (εἰρωνευόμενος δὲ καὶ παίζων πάντα τὸν βίον πρὸς τοὺς ἀνθρώπους διατελεῖ)17. Cornarius traduit ce passage ainsi : cauillans autem et ludens omnem uitam cum hominibus transigit.18 Quant à Marsile Ficin, il traduit ce même passage avec des synonymes : fingit tamen ironicus aliter ac iocari palam de his rebus nunquam cessat.19 Le philosophe florentin choisit de conserver la notion d’ironie (ironicus) car c’est un terme technique de la philosophie, qui décrit parfaitement la méthode socratique, un des éléments de la maïeutique. Or la traduction de Cornarius par cauillatio éclaire remarquablement à la fois le concept d’ironie et la notion rhétorique de cauillatio : lorsque, chez Platon, Alcibiade raille Socrate en disant qu’ « il passe sa vie entière à faire le naïf et l’enfant », il veut stigmatiser la disposition permanente de Socrate à pratiquer la dissimulation, c’est-à-dire la feinte20 ; la cauillatio désigne donc le ton plaisant de Socrate qui nourrit tout le dialogue ironique du philosophe : c’est bien la cauillatio telle que l’entend Cicéron, par opposition à la dicacitas ; mais en même temps, le terme de cauillatio explicite la notion d’« ironie socratique », interprétée comme une dissimulation de sagesse faite sur un ton plaisant. Cette dissimu12 13 14 15 16 17 18 19 20
cousin 1967, p. 324–344, a montré que la source majeure de Quintilien est Cicéron : selon lui, p. 343, « rien n’atteste une source grecque directe […] ; tout révèle une influence cicéronienne profonde, principale, presque exclusive ». galand-Hallyn 1989, p. 152 et 163. Cic., de orat., II, LIV, 218. Cic., de orat., II, LIV, 218. Cf. Rabelais, Gargantua, « prologue de l’auteur », éd. de M. HucHon, p. 5–6. Plat., symp., 216 e (traduction de L. robin). Cornarius 1548, p. 133. Ficin 1590, p. 333 F 10–11. robin 1950, p. 1323, n. 235, explique l’ironie dans ce passage comme la feinte : « feindre qu’on ne sait pas quand on sait, qu’on aime d’amour quand on aime spirituellement ».
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lation se veut amicale et non malveillante21. En effet, un peu plus loin dans son discours, Alcibiade emploie de nouveau la notion d’ironie socratique sous la forme de l’adverbe εἰρωνικῶς : [Socrate parla] après m’avoir écouté et en prenant cet air parfaitement naïf qui est tout à fait à lui et dont il a l’habitude : « Mon cher Alcibiade … » καὶ οὗτος ἀκούσας μάλα εἰρωνικῶς καὶ σφόδρα ἑαυτοῦ τε καὶ εἰωθότως ἔλεξεν· Ὦ φίλε Ἀλκιβιάδη22.
L’apostrophe « Mon cher Alcibiade » prouve la bienveillance du philosophe. Marsile Ficin traduit par solita ironia dissimulans23 ; chaque mot a son importance : Ficin reprend le terme technique d’ironie, il précise que Socrate pratique la dissimulation, ce qui est une glose de l’ironie (conçue comme ignorance feinte) et il ajoute que cette ironie est « habituelle » (solita), donc c’est une forme plaisante permanente, d’où la traduction que choisit Cornarius24 : cauillatorie (la cauillatio étant répandue dans tout le discours) ; la forme adverbiale cauillatorie correspond exactement à l’adverbe εἰρωνικῶς. Or, ce terme cauillatorie revêt le même sens que l’adjectif technique cauillatorius, employé par le philosophe Boèce dans ses Commentaires sur les Topiques de Cicéron25, ce qui renvoie aux traités rhétoriques de l’Arpinate, bien connus de Boèce, mais aussi de Cornarius. Dans son traité, Boèce précise la tripartition de la logique (Organon) d’Aristote, reprise par Cicéron : la logique a pour fonction de définir, de diviser et de relier ; concernant la faculté de relier les arguments, on distingue la démonstration, qui se fonde sur des arguments vrais et nécessaires, la dialectique, qui se fonde sur des arguments seulement probables, enfin la sophistique, c’est-à-dire la partie « captieuse » (cauillatoria), qui se fonde sur des arguments très clairement faux26. Ainsi Ficin, en traduisant εἰρωνικῶς par ironia dissimulans et Cornarius par cauillatorie insistent sur le rire ironique de Socrate impliquant la dissimulation de la vérité, à l’instar des sophistes. Leur conception de l’ironie socratique confirme les analyses de plusieurs commentateurs modernes, notamment celles de kierkegaard, qui voit en Socrate un philosophe qui ruse par son ironie sophistique pour conduire les sophistes à la vérité27, et de Friedländer, qui considère que Socrate « trompe volontairement », « détient la vérité » et « peut mieux tromper que celui qui l’ignore »28. En revanche, les traductions de Ficin et Cornarius ne confirment pas l’analyse ingénieuse de Vlastos, pour qui « Socrate a pu tromper les autres sans en avoir l’intention »29.
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gourinat 1986, p. 339–353 ; Jouët-Pastré 1998, p. 278 : ce sont seulement les adversaires de Socrate qui voient dans son ironie une raillerie malveillante. Plat., symp., 218 d (traduction de l. robin). Ficin 1590, p. 334 D 12 – E 1. Cornarius 1548, p. 137. Boèce, Commentaires sur les Topiques de Cicéron, livre 1, Patrologia Latina, éd. J.-P. Migne, tome LXIV, 1860, col. 1045–1046. Boeth., in top. Cic., I, col. 1045 b 7 – c 2. kierkegaard 1965, p. 96. Friedländer 1964, vol. 2, p. 145. Vlastos 1994, p. 67.
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Dès lors, il est manifeste que Marsile Ficin et Cornarius connaissaient les traités rhétoriques, aussi bien la cauillatio que l’ironia (forme de discours figuré, ou ἐσχηματισμένος λόγος, fondé ici sur le contraire30, puisque Socrate dit le contraire de ce qu’il pense)31. Ils ont habilement exploité la terminologie du comique de Cicéron, ce qui nous invite à relire les Banquets à la lumière des rhéteurs. Ce que les traductions des humanistes peuvent suggérer aux chercheurs modernes, c’est une relecture des Banquets et des discours socratiques avec une conception plus complète de l’ironie. L’ironie est bien sûr l’ignorance feinte, la dissimulation, une stratégie argumentative pour railler et critiquer l’interlocuteur, mais aussi une forme d’humour tout à fait particulière, mieux cernée comme cauillatio, donc comme une plaisanterie constante, mieux encore, comme un trait de caractère, car cette disposition à railler devient un ethos caractéristique de Socrate (on observe qu’Alcibiade associe « ironie » et « manière habituelle » (εἰωθότως), mot formé sur ἔθος (« habitude »), sur la même racine que celle d’ἦθος (« caractère »). Non pas un caractère fourbe, comme Théophraste définit le caractère ironique32, mais comme un enjouement, une jovialité socratique correspondant à la cauillatio, opposée à la mélancolie d’autres philosophes et hommes de génie, selon Aristote33. Ce qui est vrai de la cauillatio se vérifie pour la dicacitas, autre terme technique employé par Cornarius : en effet, l’humaniste allemand affirme que ses contemporains, lors des banquets, « ne supportent pas les plaisanteries ni les bons mots des bouffons » (et lusus ac dicacitates scurriles non ferunt) : Porro quod ad sermones conuiuales attinet, Germania nostra neque graues illos ac serios Platonicos … ; neque rursus ludicros illos Xenophonticos, cauillis ac irrisionibus conditos, ita libenter admittit. Nam et sapientes sermones a Germanis ἀπροσδιόνυσι, et a symposiis alieni esse putantur : et lusus ac dicacitates scurriles non ferunt ….34 De plus, en ce qui concerne les conversations dans les banquets, notre pays, l’Allemagne, n’admet volontiers ni ces propos graves et sérieux des dialogues de Platon, ni au contraire ces plaisanteries des dialogues de Xénophon, assaisonnées de railleries et de moqueries. Car les conversations savantes sont considérées par les Germains comme déplacées lors des fêtes de Dionysos et impropres aux banquets. Ils ne supportent pas non plus les plaisanteries ni les bons mots des bouffons.
Dans ce passage, il fait allusion aux bons mots du bouffon Philippe (γελωτοποιός), un des personnages du Banquet de Xénophon. Or les boutades de Philippe ne font qu’émailler par endroits la conversation des philosophes35. Ce sont précisément les « traits vifs et courts » de la dicacitas, par opposition à l’ironie socratique, humour constant. La dicacitas confine à la « raillerie mordante »36. Ainsi l’opposition entre cauillatio et dicacitas chez Cornarius, empruntée à Cicéron et Quintilien, recoupe
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Rhétorique à Alexandre, XXI; Quintilien, IX, 2, 44 ; Vlastos 1994, p. 66–67. Sur les discours figurés, cf. Pernot 2000, p. 95 et 286–287. Theophr., char., 1, « Le dissimulé » (εἰρωνείας), p. 41–42. Arist., probl., XXX, 1. Cornarius 1548, p. 39–40. Xen., symp., I, 11–16 ; II, 14, 20–27 ; III, 11 ; IV, 50–51 ; VI, 8–10. desbordes 1998, p. 311.
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celle que l’on trouve chez Macrobe entre urbanitas et mordacitas37 : la cauillatio des dialogues de Xénophon relève du plaisant badinage (urbanitas), tandis que la dicacitas du bouffon Philippe relève de la verve mordante (mordacitas). Or, puisque Cornarius envisage encore la gravité pleine de sérieux des dialogues de Platon, distinguée de la plaisanterie des dialogues de Xénophon, il convient d’envisager une répartition plus complète et affinée. Le cicéronien A. balbo, en s’appuyant sur le témoignage de Macrobe lecteur de Cicéron, a proposé une quadripartition, qui ne recoupe pas exactement celle de Cornarius, mais qui peut aider à définir une répartition adéquate pour Cornarius : urbanitas, cauillatio, inrisio, mordacitas38. L’urbanitas est à la fois celle des dialogues de Platon et de Xénophon ; la cauillatio et l’inrisio sont deux modalités des discours xénophontiques en général, mais elles s’appliquent en particulier aussi à l’ironie de Socrate dans le Banquet de Platon ; la mordacitas est celle du bouffon. Ainsi Cornarius a scindé en deux parties, le sérieux et le plaisant, ce qui fait la caractéristique du banquet socratique, genre littéraire fondamentalement mixte selon le rhéteur Hermogène. On aboutit à une partition complexe chez Cornarius : d’une part, l’urbanitas, qui se subdivise en discours grave (grauitas) et sérieux (serius), plus fréquent chez Platon, et en discours plaisant, lui-même divisé en raillerie (cauillatio) et en moquerie (inrisio), plus fréquent chez Xénophon ; d’autre part, la bouffonnerie, qui se subdivise en plaisanterie (lusus) et en bons mots (mordacitas). Cornarius considère aussi les dialogues de Platon et de Xénophon comme des « conversations savantes » : concernant l’ironie socratique, elle correspond à la docta cauillatio de Macrobe. Cette répartition reprend les grandes divisions du comique dans la Rhétorique d’Aristote : les bons mots (τὰ ἀστεῖα) sont l’équivalent de l’urbanitas39 ; les plaisanteries (τὰ γελοῖα) se subdivisent en plaisanteries adaptées aux hommes libres, dont l’ironie, et en plaisanteries de bouffons (βωμολοχία)40. Cornarius analyse même les sarcasmes (dicteria) et les bouffonneries (scurra) du Banquet de Xénophon. Selon l’humaniste de Zwickau, on n’admet pas dans les banquets allemands de son époque [u]n histrion [ludio quispiam] ou un bouffon [scurra aliquis] qui oserait attaquer un des convives avec des sarcasmes tels que les moqueries adressées à Socrate dans le Banquet de Xénophon41.
Cornarius désigne par le terme dicteria les attaques adressées par le bouffon Philippe à Socrate et à d’autres convives : on peut songer surtout aux sarcasmes de Philippe raillant le philosophe âgé qui s’efforce de danser sans avoir appris la
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goldlust 2010, p. 448–451. balbo 1996, p. 259–328. Aristot., rhet., III, 11, 1412 a 22 – b 11, et la n. 3, p. 63. Aristot., rhet., III, 18, 1419 b 3–10. Cornarius 1548, p. 39–40 : tantum abest ut ludio quispiam, aut scurra aliquis in symposium admissus, aliquem ex conuiuis talibus dicteriis impetere audeat, qualibus Socrati illuditur apud Xenophontem.
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danse42, et à ceux de l’impresario syracusain43, auquel semble faire allusion l’expression ludio quispiam et qui multiplie les insolences à l’égard de Socrate, toutes inspirées par les calomnies qu’Aristophane avait lancées contre le philosophe dans les Nuées44. Il lui demande si c’est lui que l’on surnomme « le penseur » (φροντιστής)45 ; il se moque en lui disant que l’objet de ses pensées, « c’est, dirait-on, ce qui est en haut, dans l’air »46. Il lui reproche de s’occuper « de choses hautement inutiles », puis lui pose cette question ridicule : Dis-moi plutôt de combien de foulées de puce tu es éloigné de moi. Car on dit que tu te livres à ce genre de mesure47.
Ainsi l’humaniste de Zwickau songeait à ces sarcasmes en mentionnant les dicteria d’un histrion ou d’un bouffon chez Xénophon. Mieux même, dans le domaine philologique, Cornarius a proposé d’améliorer l’établissement du texte en corrigeant certaines leçons des manuscrits de Platon et en s’opposant directement à Marsile Ficin et aux humanistes qui ont voulu améliorer le texte. En effet, l’érudit allemand déplore les passages corrompus et fautifs : Quamquam ut uerum fatear, neque Graeca exemplaria mendis omnino careant, sed quaedam habeant penitus corrupta, quae et interpretem fefellerunt, et aliquot doctos hactenus latuerunt, qui ita citata qualia repererunt, in suos centones infarserunt.48 Mais, pour dire la vérité, non seulement les exemplaires grecs ne sont pas du tout dénués de fautes, mais certains ont des passages totalement corrompus, qui ont échappé aussi à l’attention du traducteur, et ont été jusqu’à aujourd’hui ignorés de quelques savants, qui ont rempli leurs textes de citations comme ils les ont trouvées.
Cornarius vise ici à la fois l’inattention de Ficin traducteur du Banquet de Platon, mais aussi des érudits qui ont voulu ajouter au texte des citations qu’ils avaient trouvées dans d’autres manuscrits, sans remarquer les erreurs qu’ils commettaient. Xen., symp., II, 20 : « Eh ! par Zeus, dit Philippe, voilà donc pourquoi le poids de tes jambes paraît à tel point égal à celui de tes épaules que si tu pesais séparément, comme des pains, devant les agoranomes le haut et le bas de ton corps, tu ne serais passible d’aucune amende ». Autrement dit, Socrate ne sait pas danser avec légèreté. 43 Xen., symp., II, 1 : le Syracusain entre chez Callias, escorté d’une joueuse de flûte, d’une danseuse acrobate et d’un jeune garçon joueur de cithare et danseur, pour divertir les convives. Il gagne sa vie en exhibant ces artistes. 44 Les Nuées datent de 423, tandis que la date dramatique du Banquet de Xénophon est fixée aux Panathénées d’août 422, quand Autolycos remporte la victoire au pancrace : cf. carriere 1998, p. 244, note 1. Si l’on considère la date de composition du Banquet, que carriere 1998, p. 271, situe en 369–365, il est manifeste que Xénophon a brillamment restitué l’atmosphère intellectuelle qui régnait lors de ce banquet, organisé environ un an après la représentation des Nuées, une pièce polémique qui était encore dans toutes les mémoires. 45 Xen., symp., VI, 6 et la note 1, p. 68 : allusion aux Nuées : Aristophane appelle la maison de Socrate le « pensoir » (v. 94, φροντιστήριον) et qualifie ses disciples et lui-même de « penseurs inquiets » (v. 102, μεριμνοφροντισταί). 46 Xen., symp., VI, 6 et la n. à la ligne 13, p. 68 : allusion aux Nuées, 225 sqq. : Socrate s’occupe des phénomènes célestes. 47 Xen., symp., VI, 7–8 et la note à la ligne 23, p. 68 : nouvelle allusion aux Nuées, 144 : Socrate demande à son disciple Chéréphon combien de fois une puce saute la longueur de ses pattes. 48 Cornarius 1548, p. 6. 42
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Grâce à l’épître dédicatoire du fils de Cornarius, Achates Cornarius lui-même médecin, insérée au début de l’édition bâloise des Platonis opera omnia en 1561 (édition posthume contenant les traductions latines de Cornarius), nous pouvons identifier les correcteurs du texte de Ficin. En effet, dans son épître adressée « au consul et au sénat de Francfort », où Achates a été étudiant (alumnus), le fils de Cornarius précise que le texte grec a été corrigé par deux érudits grâce à la collation du manuscrit grec. Nous pouvons identifier ces deux éminents hellénistes : il s’agit de Simon Grynaeus et Jean Oporin ; ce sont eux qui ont publié en 1534, chez Valder, la première édition de Bâle ; le texte grec de cette édition bâloise est « fondé exclusivement sur l’édition Aldine », donc sur deux manuscrits connus, le Venetus 187 (N) et le Parisinus 1810 (Par.)49. À son tour, Cornarius père a lui aussi collationné quatre exemplaires du texte grec de Platon : trois imprimés et un manuscrit. Pour les imprimés, Cornarius père les nomme clairement : adhibui quattuor exemplaria, tria impressa ut uocant, Aldinum unum, et Basiliensia duo50 ; il s’est donc appuyé sur l’édition Aldine (editio princeps) de 1513 et sur les deux éditions de Bâle : la première est celle de 1534 (chez Valder), dont le texte a été corrigé par Grynaeus et Oporin, et la deuxième, celle de 1556 (chez Henricus Petrus), dont le texte a été amendé par Arnoldus Arlenius grâce à de nouveaux manuscrits : le Venetus App. Class. IV,1 (T) et Venetus 184 (E)51. Concernant le texte manuscrit utilisé par Cornarius, le père et le fils donnent les indications suivantes : ce texte provient de la bibliotheca Hassenstenia (bibliothèque de Bohuslav Hassenstein von Lobcovik à Komotau) et a été fourni par le Baron Henricus Vuildefelsius, qui le tient de Sebastianus Heroe Hassistenius52. En confrontant ces quatre textes, Cornarius a édité en 1549 ses Eclogae in Dialogos Platonis omnes, où il propose plusieurs corrections textuelles, dont certaines concernent le Banquet. L’identification de ce manuscrit utilisé par Cornarius a donné lieu à des débats : plusieurs éditeurs modernes ont cru reconnaître dans les corrections de Cornarius les leçons du Lobcovicianus, mais il est établi aujourd’hui que ces corrections ne sont pas fondées exclusivement sur le Lobcovicianus ; on ne peut guère identifier cette source, parce que Cornarius « n’informe jamais son lecteur que sa leçon est fondée sur son manuscrit ou s’il s’agit d’une conjecture personnelle »53. Dans cette même épître dédicatoire, Achates Cornarius expose la méthode qu’a suivie son père en 1549 dans ses Eclogae in Dialogos Platonis omnes : il mentionne le passage corrompu, il propose la bonne leçon et expose l’argument du dialogue. Dans son traité Sur les banquets publié en 1548, il suit la même méthode : plusieurs de ses corrections concernent le comique des Banquets. En particulier, Cornarius propose de modifier le calembour « Gorgias / Gorgone ». Pourtant, les manuscrits du Banquet de Platon ont tous la leçon « Gorgias » : Socrate ironise sur l’effet produit par le discours d’Agathon, en disant :
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laFrance 1994, p. 195. Cornarius 1561, p. 61. laFrance 1994, p. 196. Cornarius 1561, p. 2 et p. 61. laFrance 1994, p. 196–197.
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Et comment, bienheureux Eryximaque, éviterais-je, moi, comme n’importe qui d’autre, de me trouver dans l’embarras, alors que je dois parler après un discours d’une telle beauté et d’une telle virtuosité ? Certes, tout n’y est pas admirable au même degré, mais dans la péroraison, qui n’aurait été frappé par la beauté des mots aussi bien que des expressions ? Pour ma part, j’avais le sentiment que je n’étais en mesure de rien dire dont la beauté approchât de cela, [198 c] et pour un peu je me serais enfui, si j’avais pu le faire. C’est que ce discours me rappelait Gorgias, au point de me faire éprouver ni plus ni moins l’impression qu’évoque Homère. J’avais peur qu’à la fin de son discours Agathon n’envoyât Gorgias, le redoutable orateur, chercher le mien, et que sa tête ne me transformât en pierre, me rendant par le fait même muet.54
En citant Gorgias, Socrate exploite l’image de l’orateur qui pétrifie l’assemblée, et l’allusion à la Gorgone est manifeste. D’où la correction suggérée par Cornarius, qui remplace la leçon Γοργίου des manuscrits par Γοργοῦς (génitif de Γοργώ)55. D’après l’humaniste, Platon ne fait pas ici mention de Gorgias, mais du mythe de la Gorgone, bien connu grâce à Homère et aux poètes latins ; c’est le nom même d’Homère56, cité par Socrate, qui s’avère décisif : il n’existe pas de lien entre Homère et Gorgias ; en outre, que peut bien représenter « la tête de Gorgias », alors que celle de la Gorgone est bien connue ? En fait, Cornarius n’admet pas la possibilité que Platon ait intentionnellement remplacé la tête de la Gorgone par celle de Gorgias, pour mieux souligner le pouvoir pétrifiant du sophiste. Cette correction de Cornarius n’a évidemment pas été retenue par les éditeurs, qui ne la mentionnent même pas dans l’apparat critique. Même infondée, cette proposition de correction a le grand mérite d’attirer l’attention sur le calembour et la portée comique de cette allusion mythologique57. Au demeurant, il convient de nuancer l’utilisation que l’humaniste de Zwickau a faite des traités de rhétorique : s’il est indubitable qu’il connaissait la théorie cicéronienne du rire, en revanche il s’éloigne de la doctrine du rhéteur Hermogène. Dans La Méthode de l’habileté, Hermogène définit le genre littéraire du banquet socratique comme un mélange de deux éléments : d’après lui, le banquet socratique combine le sérieux et la gaieté des personnages et des sujets, comme dans le Banquet de Xénophon et dans celui de Platon58.
De toute évidence, Cornarius distingue l’humour modéré et le sérieux du banquet platonicien et les plaisanteries railleuses du banquet xénophontique. Or l’idéal de Cornarius est le banquet des Allemands, qui rejettent à la fois la bouffonnerie et les propos trop philosophiques. Ainsi Cornarius semble partager le jugement de Cicé54 55 56
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Plat., symp., 198 b 1 – 198 c 6. Cornarius 1548, p. 8. arnould 1990, p. 49–50, rappelle le lien entre Homère et la Gorgone, figure apotropaïque : « On pourrait peut-être, considérant que le thème du rire des ennemis naît dans le contexte guerrier de l’Iliade, y voir l’équivalent littéraire des Gorgones qui ornent les boucliers des soldats ; […] on ‹ inscrit › des Gorgones sur les boucliers pour terrasser, pétrifier et rejeter loin de soi l’ennemi ». Xen., symp., cite à la fois le nom de Gorgias (II, 26), pour se moquer du langage affecté et des métaphores recherchées du rhéteur sicilien, et celui de la Gorgone (IV, 24), pour décrire l’amour de Critobule, pétrifié, les yeux fixés sur Clinias. Hermogène, La Méthode de l’habileté, p. 454, lignes 20–22 (traduction de Patillon 1997, p. 549).
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ron, qui rejette certaines formes comiques (notamment les plaisanteries obscènes) comme inconvenantes pour l’orateur et même pour les banquets59. LA RÉFLEXION SOCIOLOGIQUE SUR LE RIRE DANS LES BANQUETS Le Commentarium in Convivium Platonis de Marsile Ficin rappelle toute l’importance du milieu où se déroule un banquet : les personnages qui commentent le Banquet de Platon se sont réunis dans la banlieue de Florence, à Careggi, et forment une réunion de savants sensibles aux idées néoplatoniciennes : leurs jugements sur les passages humoristiques du Banquet ne peuvent se comprendre que si l’on tient compte du microcosme culturel florentin de l’époque. Ainsi le Commentaire de Ficin, en transposant le Banquet à Careggi, nous montre que le discours symposiaque ne peut être correctement étudié que si l’on prend en considération le cercle particulier formé par les invités (en l’occurrence, le groupe d’amis réunis chez Agathon, et les amis invités chez Callias, à Athènes). C’est pour cette raison que Janus Cornarius distingue toujours clairement les caractéristiques des banquets helléniques et allemands. L’humaniste insiste notamment sur l’importance de la coutume et des lois symposiaques : dans certaines régions d’Allemagne centrale, le rire et la gaieté sont amenés par des chansons. Cornarius mentionne le chant des montagnards, qu’il appelle en latin les melodiae Montanae : d’après son témoignage, ce sont surtout dans les régions minières d’Allemagne centrale que les convives chantent dans la plus grande allégresse, notamment lorsqu’ils ont découvert de l’or et de l’argent60. Au cours de nos recherches, nous avons retrouvé le texte allemand de ces chansons de mineurs, en particulier les paroles d’une chanson qui remonte effectivement au XVIe siècle et qui s’intitule Das Steigerlied61 : Glück auf, Glück auf, der Steiger kommt. Und er hat sein helles Licht bei der Nacht, Und er hat sein helles Licht bei der Nacht, schon angezündt’, schon angezündt’. Schon angezündt’ ! Das gibt ein‘n Schein, und damit so fahren wir bei der Nacht und damit so fahren wir bei der Nacht ins Bergwerk ein, ins Bergwerk ein. Ins Bergwerk ein, wo die Bergleut’ sein, die da graben das Silber und das Gold bei der Nacht,
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Cic., de orat., II, LXII, 252 : « Le quatrième [genre de comique] enfin, la plaisanterie obscène [obscenitas], non seulement doit être banni du barreau, mais ne serait guère à sa place, même dans un festin [conuiuio], entre honnêtes gens. » Cornarius 1548, p. 37–38 : At in media Germania, his praesertim locis, ubi metallicae sunt fodinae, ipsi conuiuae subinde nouis a se confictis melodiis hilarissime intonant, praesertim si quid noui metalli, auri maxime ac argenti, recens se in fodinis ostendit : solentque hae melodiae peculiari nomine Montanae appellari. Widmaier 2008, http://www.liederlexikon.de/lieder/glueck_auf_glueck_auf_der_steiger_kommt/ (13.06.2016).
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die da graben das Silber und das Gold bei der Nacht aus Felsgestein, aus Felsgestein. Aus Felsenstein, hau’n wir das Gold, doch dem schwarzbraunen Mägdelein, bei der Nacht, doch dem schwarzbraunen Mägdelein, bei der Nacht, dem sein wir hold, dem sein wir hold. Ade, nun ade! Lieb’ Schätzelein ! Und da drunten in dem tiefen finst’ren Schacht, bei der Nacht, Und da drunten in dem tiefen finst’ren Schacht, bei der Nacht, da denk’ ich dein, da denk’ ich dein. Und kehr ich heim, zum Schätzelein, dann erschallet des Bergmanns Gruß bei der Nacht, dann erschallet des Bergmanns Gruß bei der Nacht, Glück auf, Glück auf ! Glück auf, Glück auf !
Cette chanson conviviale allemande rappelle opportunément d’autres chansons festives de banquets athéniens, comme les skolia, dont certains sont en effet comiques et plaisants62, associant humour et énigmes (griphoi et ainigmata)63. Selon la définition d’Athénée, le griphos, jeu sympotique, est un problema paistikon (un propos enjoué) qui demande qu’on trouve, à l’aide d’une enquête mentale, une réponse au propos, en risquant soit un prix soit une amende64.
Plusieurs autres chansons de mineurs allemandes datent aussi du XVIe siècle et ont été plusieurs fois rééditées avant la parution du De conuiuiorum de Cornarius, comme « Wache auff, wache auff, der Steyer kömmt »65 (1531) et la ballade « Es solt ein meidlein früe auff stan »66 (éditée en 1531, 1533, 1536 et 1537). Cornarius compare minutieusement les lois symposiaques grecques et allemandes, en soulignant les particularités de la vie grecque (résumées sous le terme pergraecari, « mener la vie grecque »)67, avec les excès souvent évoqués par les comiques latins68. Les Grecs estiment ceux qui boivent beaucoup de vin et peuvent supporter l’ivresse ; en revanche, ils ne connaissent pas les jeux auxquels s’adonnent les Allemands lors des banquets : « jeux de dés et jeux de cartes »69, qui amusent les invités de tous les âges. Mais Cornarius insiste surtout sur les propos tenus à table (les sermones conuiuales) : les conversations des Allemands occupent une position
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bowie 1993, p. 355–371 : dans la poésie lyrique de l’époque archaïque, le dialogue sympotique est placé sous le signe du loisir. Les symposiastes s’amusaient en chantant et en dansant. bowie 1993, p. 360, cite notamment Théognis, 763 : πίνωμεν, χαρίεντα μετ´ ἀλλήλοισι λέγοντες (« Buvons, en échangeant des paroles plaisantes »). bowie 1993, p. 369. Athénée, Deipnosophistes, X, 448 c. (traduction française de wilkins 2003, p. 171, n. 17). MincoFF-Marriage 1936, p. 112–113. Cf. Meier 1892, Bergreihen, p. 69, strophes 11 et 12. Sur cette ballade, cf. HeilFurtH 1954, Das Bergmannslied, p. 211. Cornarius 1548, p. 34. Plaute, Mostellaria, 22 ; Truculentus, 87. Cornarius 1548, p. 36.
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intermédiaire entre les discours savants et sérieux de Platon et les plaisanteries de Xénophon. Voici le point principal : En ce qui concerne les conversations des banquets, notre pays, l’Allemagne, n’accepte ni les propos graves et sérieux du banquet platonicien, qui n’exclut pas pour autant les moqueries [sannis], ni les propos amusants du banquet de Xénophon, assaisonnés de plaisanteries [cauillis] et de dérisions [irrisionibus]. Car les Allemands pensent que les conversations des philosophes sont sans rapport avec la fête de Dionysos [ἀπροσδιόνυσι]70, donc intempestives lors des banquets ; et ils ne supportent pas les plaisanteries ni les bons mots des bouffons. […]. Ce qu’ils apprécient, ce sont les propos improvisés, sur des sujets d’actualité71.
En somme, cette réception des banquets antiques chez les Allemands de la Renaissance montre une nouvelle piste aux chercheurs modernes : le rire des Symposia antiques doit être interprété au croisement de la pensée philosophique et du divertissement dionysiaque. Les termes employés par Cornarius soulignent en effet la tension entre le sérieux du banquet platonicien et la théâtralité plaisante du banquet xénophontique : le champ lexical du divertissement (avec les mots sannis, ludicros, lusus, scurriles, ludio, scurra) décrit le comique du banquet comme un jeu théâtral, associant comique de mots et comique de gestes. Le rôle de Socrate, tel que le conçoit Cornarius du point de vue allemand, est celui d’un philosophe dont l’ironie n’est plus seulement une démarche philosophique, mais un jeu théâtral au sein d’un groupe d’amis. En revanche, les banquets allemands, qui excluent les propos philosophiques et les bouffonneries, veulent valoriser l’improvisation et les sujets contemporains sur un ton agréable. De cette manière, ils perdent tout caractère socratique et confinent à la conversation amicale entre buveurs. LA RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE Le rire apparaît comme l’un des éléments du dialogue platonicien. Dans sa correspondance, Marsile Ficin considère le rire comme approprié quand il s’agit d’organiser un banquet et de parler d’amour. À son ami Bernardo Bembo, un chevalier vénitien, Marsile déclare que « le banquet soulage des fatigues, repousse les soucis, nourrit l’intelligence, fournit un sujet à l’amour et à la magnificence »72. Comme le 70 71
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Le terme ἀπροσδιόνυσος est employé par Plutarque, Moralia, 612 e, par Lucien, Bacchus, 6, et par Cicéron dans une lettre à Atticus, XVI, 13 (710 a. U. c = 44 av. J.C.), éd. nisard 1841. Cornarius 1548, p. 39–40 : Porro quod ad sermones conuiuales attinet, Germania nostra neque graues illos ac serios Platonicos, non tamen sine sannis prolatos : neque rursus ludicros illos Xenophonticos, cauillis ac irrisionibus conditos, ita libenter admittit. Nam et sapientes sermones a Germanis ἀπροσδιόνυσι, et a symposiis alieni esse putantur : et lusus ac dicacitates scurriles non ferunt, et non satis tuto etiam quis proferat, nisi in eum cum quo ualde magnam familiaritatem alias habeat : qui tamen etiam sic, quantumuis dissimulans, illa grauiter feret : tantum abest ut ludio quispiam, aut scurra aliquis in symposium admissus, aliquem ex conuiuis talibus dicteriis impetere audeat, qualibus Socrati illuditur apud Xenophontem. Sunt itaque apud nos sermones symposiorum fere extemporales, de his rebus quae simul ut inter ipsos praesentes fiunt, ita colloquendi occasionem praebent. Ficin, Epistulae 1576, livre III, lettre à Bernardo Bembo, p. 444–448 : Conuiuium laborum
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préconise Varron, les convives doivent être au moins trois, comme les Grâces, et au maximum neuf, comme les Muses73 ; ils doivent être « gracieux, musiciens et lettrés », donc éduqués comme les philosophes ; ils doivent être « pleins d’humour, intelligents et spirituels » (faceti sint acresque et salsi). Cette conception ficinienne du banquet intelligent et spirituel correspond à celle de ses contemporains : dans ses Deux livres des banquets, François Philelphe recommande la juste mesure : « une plaisanterie excessive est le propre des bouffons, mais aucune plaisanterie est le fait de gens rustiques »74 et souligne les qualités du banquet offert par Johannes Antonius Rembaldus à Milan : Dans la très belle disposition et l’abondance des tables, la conversation fut également brillante, sérieuse, variée et polie, si ornée de toutes choses et douce que rien ne me parut ressembler davantage au Banquet de Platon ou de Xénophon75.
Parmi les convives de Rembaldus, Franciscus Landrianus apporte le sel au banquet : Franciscus Landrianus survint, un homme noble aussi bien pour son affabilité et son humour le plus agréable que pour l’éloge et la gloire de ses ancêtres, qui, pour ainsi dire, tempéra et égaya toute la munificence de ce banquet tout à fait splendide76.
En effet, pour Philelphe comme pour Ficin, la réussite du banquet tient dans l’association du sérieux et de l’humour : Celui qui, dans les affaires sérieuses, recourt à un certain assaisonnement, pour ainsi dire, approprié et opportun grâce à l’humour, mérite d’être loué et d’être considéré comme spirituel et plein d’urbanité77.
Or, dans son banquet, Philelphe a imité non seulement les Saturnales de Macrobe, mais aussi, comme Ficin, le divin Platon, ce que Jean Louis Vivès a clairement souligné dans sa préface à l’ouvrage de Philelphe78, ainsi que Leonardus Justinia-
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requies, remissio curarum, ingenii pabulum, Amoris et Magnificentiae argumentum. … Qua in re Varronis illud ualde probamus : ut neque pauciores sint quam tres Gratiae, neque plures quam Musae nouem. … Misceant uidelicet dulcedinem acrimoniae, grauitati leporem. Utile dulci. Faceti sint acresque et salsi. Non molesti, non amari. Acetum quidem conuiuium tolerat, non absintium ; scurram, minimum si molestior sit, admittimus. Varron cité par Aulu-Gelle, Nuits attiques, XIII, 11, 2 : « Il faut selon [Varron] que le nombre des convives commence au nombre des Grâces et n’aille pas au-delà de celui des Muses, de sorte que, quand les convives sont le moins nombreux, ils ne soient pas moins de trois, quand ils sont le plus nombreux, ils ne soient pas plus de neuf. » (traduction de R. MaracHe, Paris, p. 76) Philelphe 1537, Conuiuiorum libri II, livre I, p. 3–4. Philelphe 1537, p. 3 : Nam in pulcherrimo mensarum apparatu & copia sermo etiam nitidus, grauis, uarius, urbanusque fuit, & ita rebus omnibus ornatus ac dulcis, ut nihil mihi similius uisum sit aut Xenophontis, aut Platonis Symposii. Philelphe 1537, p. 3 : Superuenit Franciscus Landrianus uir aeque facilitate morum suauissimisque salibus nobilis ac maiorum laude et gloria, qui omnem splendidissimi conuiuii munificentiam ueluti condiret atque exhilararet. Philelphe 1537, p. 3–4 : Qui uero seriis in rebus quasi apto quodam oportunoque condimento salibus utitur, iure laudatur, habeturque facetus et perurbanus. Vivès, in Philelphe 1537, praefatio : … Saturnalium conuiuiorum libris septem distinxit, ubi ea festa inter amicos quosdam finxit esse celebrata, tractatam quoque materiam inter epulas. Eum
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nus dans sa lettre à l’auteur des deux banquets79. Ainsi les deux humanistes italiens, à Careggi comme à Milan, partagent la même conception des symposia spirituels. Toutefois Marsile Ficin distingue, sous l’apparence du rire, des vérités plus profondes : comme il le précise dans la préface à Laurent de Médicis, en tête de sa traduction des œuvres complètes de Platon, les éléments comiques des discours platoniciens servent à exprimer des idées sérieuses, « plus graves que les propos sérieux des Stoïciens »80. Tel est bien le principe herméneutique que suit Ficin dans son Commentaire sur le Banquet, lorsque ses personnages interprètent les passages comiques de Platon en montrant la gravité des idées philosophiques sous-jacentes. Mais son commentaire laisse subsister l’humour de certaines caricatures, comme celle de Socrate vu par Alcibiade. D’où le commentaire suivant : N’avez-vous pas remarqué, excellents amis, à travers les discours précédents, que lorsque Platon dépeint Amour lui-même, c’est tout le portrait de Socrate qu’il peint. […] Représentez-vous son personnage. Vous verrez un homme maigre, sec et hâve, en accord avec la nature mélancolique qu’on lui prête, et d’allure négligée : amaigri à force de privations, inélégant par manque de soins. Nu au surplus, entendez : vêtu simplement d’un vieux manteau81.
Quant à Cornarius, il énonce le concept d’honesta exhilaratio, ce qui lui permet d’associer les Allemands aux anciens Grecs. Voici son projet d’écriture : il veut mentionner certains aspects des banquets allemands de son époque, non pas les éléments qui correspondent en tout point aux banquets des Grecs de l’Antiquité, mais ceux qui présentent l’aspect d’une gaieté honorable (honestae exhilarationis)82 : c’est sur ce point précis que les Allemands, considérés comme des Barbares par les Grecs, méritent d’être comparés avec les plus sages de la Grèce.
L’antithèse entre honestae exhilarationis et Barbari révèle l’attention de Cornarius à la portée morale des banquets : les Allemands sont dignes d’être montrés en
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autorem (arbitror) Philelphum in primis imitatum, ut uariam suam eruditionem indicaret posteritati. Platonis uero symposium, id est, conuiuium, quod (uti Marsilius Ficinus narrat) Laurentius Medices Leonis decimi Pont. maxi. sub quo uiuimus pater instaurauit, ideo praeteriui, quod totum uniforme est, & sibi semper simile, totum in eadem re, utpote amore, uersatur. Justinianus 1537, Lettre à F. Philelphe (sur les deux livres des banquets) : Nam & illa sermonum necessitudine, & salibus, ac facetiis, & orationis nitore atque munditia, & uarietate rerum sententiarumque, & imitatione denique illorum summorum philosophorum, qui Graece symposia conscripserunt, nihil ferme poterat esse suauius pulchriusue. Ficin 1590 : Marsili Ficini Florentini in libros Platonis ad Laurentium Medicem, uirum magnanimum Prooemium: … Verum Platonici ludi atque ioci multo grauiores sunt quam seria Stoicorum. Ficin 1469 = Commentaire sur le Banquet de Platon, VII, 2, p. 210 (traduction de P. laurens). Cornarius 1548, p. 12–13 : Ego uero de nostrorum hominum, Germanorum inquam, conuiuiis quaedam producam, non ex omni parte illorum symposiis respondentia, sed tamen aliquam honestae exhilarationis speciem prae se ferentia : in quam Barbari ab illis appellati, cum sapientissimis Graeciae hominibus comparari merentur. Quanquam revera hodie, rerum uicissitudine facta, plus eruditionis, doctrinarum, artium, disciplinarum, et uerae denique pietatis ac religionis, Graecae insuper, atque adeo Atticae linguae, apud nos est, floret ac uiget, quam in Graecia, quae uere barbariss. Turcae imperio oppressa, uix uicos ac pagos exiguos superstites adhuc habet.
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exemple, parce que leurs banquets sont fondés sur un humour respectueux de la décence et que les Allemands de la Renaissance ne méritent plus l’appellation de Barbares ; bien au contraire, au XVIe siècle, on trouve plus d’érudition en Allemagne qu’en Grèce, accablée par les Turcs. Ainsi, Cornarius, en décrivant les banquets allemands, cherche à définir le meilleur genre de banquet, dans une perspective moralisante. Loin des propos sérieux de Platon et des plaisanteries de Xénophon, il s’agit de bien vivre ensemble (cum-vivere, selon l’étymologie du conuiuium)83 en buvant en réunion (συμ-πότης). Cette vision morale du rire révèle que l’humaniste allemand est influencé par les traités de civilités de l’époque, qui exposent aux lecteurs les bonnes manières, notamment lors des banquets, comme le traité d’Érasme Sur la civilité puérile, écrit à Fribourg-en-Brisgau et publié à Bâle en 153084. Cornarius est également influencé par la morale chrétienne, très présente dans son traité, où les banquets antiques sont comparés à l’eucharistie85, d’où le rire est évidemment exclu. Enfin, Cornarius est encore influencé par l’image du Germain idéalisé, telle qu’elle apparaît déjà en 98 après J.-C. dans la Germanie de Tacite, redécouvert à la Renaissance86. Ce qui prouve de façon certaine que Cornarius a embelli l’image des banquets germaniques, c’est le témoignage totalement opposé d’un autre humaniste allemand de l’époque : Vincent Opsopoeus. Cet humaniste, dans la préface de l’édition du Banquet de Xénophon publiée à Haguenau en 1531, se réjouit de la parution de ce livre, car il pourra contribuer à corriger les mœurs des banqueteurs allemands, dont il donne une piètre image : Que de traits de barbarie dans nos banquets, quel manque d’éducation, que de bruits, que de cris, que de folie, que de propos obscènes, quelle intempérance … !87
ernout & Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, tome II, Paris, 1960, s. v. uiuo ; cf. Cicéron, Cato Maior, 13, 45 : bene maiores nostri accubitionem epularem amicorum, quia uitae coniunctionem haberet, conuiuium appellarunt. 84 Érasme 1530, chapitre I (de la décence et de l’indécence du maintien) sur le rire ; chapitre IV (des repas). 85 Cornarius 1548, p. 20. 86 Tac., Germ., 23, reconnaît néanmoins l’intempérance des Germains à l’égard de la soif ; ridé 1977, tome 1, p. 1178–1186, présente le catalogue de plusieurs vertus des Germains, mais peu de défauts, p. 1186–1191, tous minimisés, comme l’ivrognerie des Germains, un vice rendu « sympathique », p. 1188–1191 ; Hirstein 1995 souligne l’importance de la Germanie de Tacite dans le Rhin supérieur, à Sélestat, patrie de Beatus Rhenanus. 87 Opsopoeus 1531, préface de Vincentius Obsopoeus (à Iohannes Brentius, théologien de Schwäbisch Hall) : Atque haec una caussa fuit, cur existimarim inuulgandum esse hoc, quod et summe esset elegans, et nobis priscorum conuiuiorum et conuiualium disputationum imaginem quandam non inamoenam praesentaret, ad cuius amussim et regulam, nos quoque qui cum Musis rationem habemus, nostras compotationes emendaremus. Siquis enim nostra symposia cum horum senum ac Philosophorum symposio composuerit, Deum immortalem, quam nullam horum affinitatem comperiet. Quantum enim in nostris barbariei inueniet, quantum ineruditionis, tumultus, clamoris, insaniae, quantam uerborum obscenitatem, quantam intemperantiam, quam gulam, quam crapulam, quam non ingluuiem, breuiter, quantam omnium rerum inciuilitatem et inelegantiam, ut quiduis potius quam conuiuium esse dicas. Contra, quid non in horum symposio ciuilitatis et temperantiae, quid non iocorum quibus nihil esse potest eruditius, quam 83
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Cette immoralité justifie donc la publication des Banquets des anciens philosophes ; elle explique aussi la perspective morale qui est celle de Cornarius, même s’il a essayé de masquer la réalité en l’idéalisant. LA RÉFLEXION MÉDICALE SUR LE RIRE DANS LES BANQUETS Dans le domaine médical, les traductions et commentaires de Ficin et Cornarius renouvellent la recherche sur les banquets et leurs spécificités comiques. Cette visée médicale des symposia, déjà présente dans les ouvrages de Platon et Xénophon88, ne pouvait pas manquer d’attirer l’attention des deux humanistes, qui se sont intéressés de près aux questions médicales. En effet, Marsile Ficin a écrit Les trois livres de la vie (De Vita libri tres), dont le premier livre concerne « la préservation de la santé des intellectuels » (de studiosorum sanitate tuenda). Il montre notamment que les littéraires sont enclins à la pituite et à la mélancolie (literatos pituitae et atrae bili obnoxios esse)89, en s’appuyant sur l’autorité de Démocrite, de Platon et d’Aristote90. Il distingue cinq ennemis de l’intellectuel : « la pituite, la bile noire, les relations sexuelles, la satiété et le sommeil du matin »91. Parmi les moyens d’éviter la mélancolie, il mentionne la musique, le chant et la compagnie des hommes gracieux, la variété, éléments du banquet92. Dans son Commentaire sur le Banquet de Platon, Ficin dénonce les dangers des grands éclats de rire93 : Ceux qui souffrent d’un sang surchauffé partent en de grands éclats de rire, se vantent plus qu’il n’est permis, promettent de faire des merveilles, s’exaltent en chantant et dansant.
Ce dérèglement concerne donc surtout les tempéraments sanguins. Cette théorie des humeurs révèle l’influence du Corpus hippocratique : on attribue à Hippocrate une épître à Damagète sur la folie de Démocrite en proie à un rire incontrôlé94 ; cette lettre apocryphe fut éditée pour la première fois vers 1480, du vivant de Ficin, et connut plusieurs autres éditions95 ; elle est bien connue de Cornarius, qui l’a publiée en grec à Bâle chez Froben en 153896, puis à Cologne dans ses Hippocratis epistolae elegantissimae97. Par cette anecdote de Démocrite, il est révélé que le rire immodéré est signe de folie. D’où l’importance de se maîtriser dans les banquets,
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non uerborum iucunditatem, et fabularum atque sermonum amoenissimam gratiam, uenerem et elegantiam. Plat., symp., fait dialoguer le médecin Eryximaque. Cf. Martin 1931, p. 110 ; FlaMant 1977, p. 198–199. Ficin, De Vita 1576, livre I, chapitres 2 et 3, p. 496. Ficin, De Vita 1576, I, 6. Ficin, De Vita 1576, I, 7. Ficin, De Vita 1576, I, 10. Ficin 1469, VII, 3 = laurens 2002, p. 216. Hankinson 2000, p. 195 : Hippocrate considère l’hilarité de Démocrite comme intempestive. rütten 1992 a étudié l’histoire de cette épître pseudo-hippocratique. Cornarius 1538, p. 528–533. Mondrain 1997, p. 411.
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lieux de sociabilité, d’échange et de discussions, aux vertus thérapeutiques avérées98, notamment grâce à l’ironie socratique. En définitive, les traductions et commentaires de Marsile Ficin et Cornarius renouvellent l’étude des Banquets de Platon et de Xénophon. Leurs travaux invitent les chercheurs modernes à considérer le rire des Symposia à la lumière des traités de rhétorique, pour mieux définir l’ironie socratique, en combinant stratégie argumentative et caractérologie. Les humanistes ont également montré l’importance du milieu social des banquets, qui ne se réduisent pas à des discours philosophiques pleins de gaieté : le rire est celui d’amis qui partagent des valeurs culturelles, lesquelles doivent guider l’interprétation du comique, aussi bien pour les chants des montagnards que pour les propos tenus sur l’Amour. D’un point de vue philosophique, les humanistes de la Renaissance ont su percevoir le sérieux inhérent aux plaisanteries des conversations de table. Pour eux, les banquets représentent un des plus hauts degrés de la sociabilité ; véritables miroirs de la société, ils renvoient aux banqueteurs une image d’eux-mêmes, largement influencée par les modèles antiques, soit par imitation (comme à Careggi), soit par contraste (comme en Allemagne). Enfin, d’un point de vue médical, comme F. Rabelais, ils ont souligné le rôle thérapeutique du rire, en envisageant les banquets philosophiques. BIBLIOGRAPHIE Auteurs anciens : Aristophane, Œuvres, tome I : Les Nuées, texte établi par V. coulon et traduit par H. Van daele, Paris, 1934. Aristote, Poétique, texte établi et traduit par J. Hardy, Paris, 1961. Aristote, Problèmes, tome III, sections XXVIII à XXXVIII, texte établi et traduit par P. louis, Paris, 1994. Aristote, Rhétorique, tome III, texte établi et traduit par M. duFour et a. wartelle, Paris, 1973. Aulu-Gelle, Nuits attiques, XIII, 11, 2, traduction de r. MaracHe, Paris, 1978. Boèce, Commentaire sur les Topiques de Cicéron, I, dans J.-P. Migne, Patrologia latina, vol. LXIV, 1860. Cicéron, De l’orateur, livre II, texte établi et traduit par e. courbaud, Paris, 1928. Hermogène de Tarse, La méthode de l’habileté, in M. Patillon (ed.), Hermogène, L’art rhétorique, Lausanne/Paris, 1997. Platon, Œuvres complètes, IV, 2 : Le Banquet, texte établi et traduit par P. Vicaire, Paris, 1989. Platon, Œuvres complètes, I, édition de L. robin avec la collaboration de J. Moreau, Paris (Bibliothèque de la Pléiade, n° 58), 1940. Pseudo-Aristote, Rhétorique à Alexandre, texte établi et traduit par P. cHiron, Paris, 2002. Quintilien, Institution oratoire, vol. IV, livres VI et VII, texte établi et traduit par J. cousin, Paris, 1977. Tacite, La Germanie, texte établi et traduit par J. Perret, Paris, 1949. Théophraste, Caractères, texte établi et traduit par o. naVarre, Paris, 1952. Xénophon, Banquet, Apologie de Socrate, texte établi et traduit par F. ollier, Paris, 1961.
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VaMVouri ruFFy 2012, p. 215–223.
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Humanistes : Cornarius 1538 = J. Cornarius, Hippocratis Coi medici (…) libri omnes, Basileae, Froben, 1538. Cornarius 1542 = J. Cornarius, Hippocratis epistolae elegantissimae, Coloniae, Ioannes Gymnicus excudebat, 1542. Cornarius 1546 = J. Cornarius, Hippocratis Coi medicorum omnium longe principis, Opera quae ad nos extant omnia, per Ianum Cornarium medicum physicum Latina lingua conscripta, Basileae, per H. Frobenium et Nic. Episcopum, 1546. Cornarius 1548 = J. Cornarius, De conuiuiorum ueterum Graecorum, et hoc tempore Germanorum ritibus, moribus ac sermonibus. Item de amoris praestantia, et de Platonis ac Xenophontis dissensione, libellus. Item Platonis … Symposium, eodem Iano Cornario interprete. Et Xenophontis … Symposium, ab eodem Latine conscriptum, Basileae, ex officina Ioannis Oporini, 1548. Cornarius 1771 = J. Cornarius, Eclogae in dialogos Platonis omnes, Lipsiae, 1771. Érasme 1530 = Érasme, De civilitate morum puerilium (Sur la civilité puérile), Basileae, 1530. Ficin 1469 = M. Ficin, Commentaire sur le Banquet de Platon, De l’amour. Commentarium in Conuiuium Platonis. De Amore, Commentaire sur le Banquet de Platon, texte établi, traduit, présenté et annoté par Pierre laurens, Paris, Les Belles Lettres, 2002. Ficin 1539 = M. Ficin, Omnia diuini Platonis opera tralatione Marsili Ficini, emendatione et ad Graecum codicem collatione Simonis Grynaei, nunc recens summa diligentia repurgata, quibus subiunctus est index uberrimus, Basileae, in officina Frobeniana, 1539. Ficin 1546 = M. Ficin, Omnia diuini Platonis opera tralatione Marsili Ficini, emendatione et ad Graecum codicem collatione Simonis Grynaei, nunc recens summa diligentia repurgata, quibus subiunctus est index uberrimus, Basileae, in officina Frobeniana, 1546. Ficin, De Vita 1576 = M. Ficin, De Vita libri tres, quorum primus de Studiosorum sanitate tuenda, in Opera omnia, Basileae, Officina Henricpetrina, 1576 (2 volumes), volume 1, p. 495–509. Ficin, Epistulae 1576 = M. Ficin, Epistolarum libri tres: « De sufficientia, fine, forma, materia, modo, condimento, authoritate conuiuii », in Opera omnia, Basileae, Officina Henricpetrina, 1576 (2 volumes), volume 1, p. 739–740. Ficin 1590 = M. Ficin, Platônos hapanta ta sôzomena. Divini Platonis opera omnia quae exstant, Marsilio Ficino interprete, Lugduni, F. Le Preux, 1590. Justinianus 1537 = L. Justinianus, Lettre à François Philelphe, in : F. Philelphe, Conuiuiorum Francisci Philelphi libri II … uaria erudition referti, Coloniae, 1537. Opsopoeus 1531 = V. Opsopoeus, ΞΕΝΟΦΩΝΤΟΣ ΣΥΜΠΟΣΙΟΝ, Haganoae, per Iohannem Secerium, 1531. Philelphe 1537 = F. Philelphe, Conuiuiorum Francisci Philelphi libri II … uaria erudition referti, Coloniae, 1537. Rabelais, Gargantua = Rabelais, Gargantua, dans Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Mireille HucHon, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade, n° 15), 1994. Vivès in Philelphe 1537 = J. L. Vivès, préface aux Banquets de François Philelphe, in F. Philelphe, Conuiuiorum Francisci Philelphi libri II … uaria erudition referti, Coloniae, 1537.
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HOMÈRE À L’ÉPREUVE DU TEMPS Aelius Aristide et Libanios préfacés et traduits par J. Camerarius (Haguenau, 1535) Jean-Luc Vix Toute la littérature occidentale part d’Homère, le père de la poésie pour les Grecs, la référence absolue durant toute l’Antiquité gréco-latine. Les humanistes du XVIe siècle, bien qu’étant de très bons connaisseurs de l’ensemble de la production littéraire antique, ont également été sensibles à cette place du poète, ce que confirme un ouvrage publié en 1535 à Haguenau par J. Camerarius, humaniste rhénan, dans lequel se déroule une étrange partition à plusieurs voix, au-delà des siècles. En effet, le livre comporte deux déclamations grecques des IIe et IVe siècles, dont les auteurs sont respectivement Aelius Aristide et Libanios, textes auxquels Camerarius ajouta des traductions latines et des paraphrases1. Ces textes antiques sont relatifs au célèbre épisode de l’« ambassade à Achille », Πρεσβευτικὸς πρὸς Ἀχιλλέα, raconté par Homère au chant IX de l’Iliade (à partir du v. 225). Aelius Aristide invente un nouveau discours, censé fléchir le héros grec après l’échec des trois harangues d’Ulysse, de Phénix et d’Ajax. Cette déclamation a connu un grand succès dans l’Antiquité au point que, deux siècles plus tard, Libanios lui donne une contrepartie en imaginant une nouvelle réplique d’Achille pour répondre au discours aristidien, intitulée ἀντιλογία παρ’ Ἀχιλλέως πρὸς Ὀδυσσέα, « réponse d’Achille à Ulysse ». Un exemplaire de cet ouvrage, imprimé à Haguenau par P. Bruebach, qui a réutilisé pour les initiales des bois de l’atelier de Thomas Anshelm, auquel il succéda2, se trouve à la Bibliothèque du Grand Séminaire à Strasbourg, après avoir fait partie de la bibliothèque des Jésuites à Molsheim en 1581, ainsi que l’atteste une note manuscrite figurant sur la dernière page3. Nettement détachée au bas de la page de titre4 apparaît l’inscription Habent studiosi artium egregium exemplum scholasticum, cuius, ut opinor, simile non vi1 2 3
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Si le propos de cette contribution sera « peu salé », il a pour ambition de mettre en lumière certains aspects de l’univers des humanistes et de leur contact avec l’Antiquité, qui, espérons-le, sauront, à leur dimension, en épicer la lecture. ritter 1955, p. 105, 1535, 7. Liber collegii societatis Iesu Molshemy. Anno 1581. Je remercie tout particulièrement M. Schlaeffli, conservateur de la bibliothèque, de m’avoir accordé toutes les facilités pour consulter l’ouvrage. Les autres bibliothèques possédant ce livre selon les catalogues sont Bonn (BU), Erlangen (BU), Goettingen (BU), Marbourg (BU), Munich (SB), Paris (BN). Le titre principal est le suivant : « In libello hoc insunt Πρεσβευτικὸς Ἀριστείδου, Ἀντιρητικὸς Λιβανίου ».
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derunt, « les amateurs d’études littéraires y trouvent un remarquable exemple de déclamations dont, à mon avis, ils ne virent pas d’équivalent » . Est soulignée ainsi par l’humaniste la nouveauté de son ouvrage, ainsi qu’un des buts de la publication de ces textes, servir d’exemple pour les érudits et, sans doute, également pour les étudiants. On retrouvera ces deux caractéristiques dans le texte de la préface et dans le contenu même de l’ouvrage, mais ce qu’on peut déjà relever, c’est une forme de continuité de la pratique scolaire. Car ce que J. Camerarius présente comme une nouveauté est en réalité la reprise des exercices scolaires, en particulier la paraphrase, pratiqués durant une grande partie de l’Antiquité, aussi bien dans le monde grec que dans l’univers romain. L’étude de cet ouvrage s’attardera d’abord sur certains aspects « exotériques » de la préface, le monde des humanistes, leurs relations, avant de s’attacher au contenu même de l’ouvrage, tel qu’il est présenté par J. Camerarius dans sa préface, puis tel qu’il se présente au lecteur dans le corps de l’ouvrage, tout particulièrement le travail de la paraphrase. I. LA PRÉFACE DE J. CAMERARIUS, OU L’UNIVERS DES HUMANISTES L’ouvrage commence par une épître dédicatoire (pages 3 à 12) adressée à Ludovicus Carinus ; J. Camerarius y livre un certain nombre d’informations sur la circulation des textes antiques, sur l’inscription des humanistes dans la société de leur époque, et témoigne par ailleurs, dans la formulation même de cette préface, de l’enracinement des humanistes dans une tradition rhétorique et scolaire directement issue de l’Antiquité. 1. Les humanistes et la transmission des œuvres antiques Joachim Camerarius (12 avril 1500 – 17 avril 15745) Joachim Camerarius (de son vrai nom Kammermeister, patronyme évoquant les postes de chambellan) est un humaniste célèbre du XVIe siècle. Il naquit à Bamberg en 1500 et apprit le grec lors des ses études à Leipzig, à partir de 1512. Il connut par la suite une grande réputation d’helléniste. Il se lia d’amitié avec Mélanchthon et entra également en relation avec Luther, prenant part aux querelles théologiques. En 1526, Camerarius devint, grâce à Mélanchthon, recteur de la nouvelle école de latin (Gymnase) à Nuremberg, puis enseigna à l’université de Tubingen, avant de rejoindre Leipzig, où il termina sa carrière. Il édita de nombreux auteurs de l’Antiquité, grecs comme latins, parmi lesquels Homère, Hérodote, Sophocle, Cicéron ou Plaute, et rédigea également des ouvrages de grammaire et de style, soulignant ainsi son souci constant de pédagogue, point
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bietenHolz & deutscHer 1985, p. 247–248. À noter deux ouvrages récents consacrés à J. Camerarius : kunkler 2000 ; kössling & wartenberg 2003.
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qu’il est important de noter. Sa correspondance représente par ailleurs une importante source d’informations6. Camerarius séjourna non seulement à Bâle, mais était aussi connu à Haguenau, où il publia, entre autres, un commentaire de Sophocle7, en 1534, dans l’atelier de feu J. Setzer, alors déjà dirigé par P. Bruebach. L’ouvrage publié en 1535 marque donc la continuité d’une collaboration étroite entre l’imprimeur et l’humaniste. * Ludovicus Carinus8, à qui la préface est dédiée, naquit à Lucerne vers 1496 et décéda le 17 janvier 15699. Il bénéficia très tôt (1513) de revenus de chanoine avec pour seule contrepartie l’obligation de résider à Beromunster plus de 5 jours chaque année. Il étudia à Bâle, où il fut présenté à Érasme entre 1514 et 151610. Il parfit sa formation aussi à Paris, puis Louvain (1519). Très tôt, il s’engagea dans la lutte théologique contre les conservateurs. Lors de son séjour à Mainz de la fin 1520 jusqu’en 1521, il devint tuteur d’un jeune noble étudiant, Erasmus Schenk von Limpurg, qu’il accompagna à Tubingen et, peut-être, à Paris et Louvain (épître 1257). En 1525–1526, Carinus entreprit un voyage avec Erasmus Schenk von Limpurg, écrivant à Camerarius de Bamberg et de Strasbourg. En 1534–1535, il effectue un nouveau séjour à Strasbourg et Bâle. C’est de ce séjour que Camerarius prend prétexte pour lui dédier sa préface. En effet, dans les premières lignes, il souligne qu’il a appris la venue de Carinus dans la région11 et combien cette arrivée lui procure de joie : Incredibili me voluptate affecit adventus nuper tuus, Carine …12. Vincentius Obsopoeus (ca. 1485–1539) Dans la deuxième partie de la préface apparaissent d’autres noms, en relation directe avec les textes publiés.
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Il fut en contact constant avec Érasme, qu’il rencontra à Bâle l’été 1524. Mais l’édition par Camerarius d’ouvrages astrologiques grecs tardifs et d’une syntaxe grecque de Varennius (entre 1531 et 1534) fut sévèrement critiquée par Érasme. Camerarius répondit dans son pamphlet Erratum publié à Nuremberg en 1535 chez J. Petreius, dans lequel il explique que tous les grands hommes, y compris Érasme, ont pu commettre des erreurs. L’édition des déclamations d’Aristide et de Libanios se situe dans une période de brouille avec Érasme. burg 1957, notice n° 136. bietenHolz & deutscHer 1985. bietenHolz & deutscHer 1985, p. 266–268. À partir de 1528 il semblerait qu’il se brouille avec Érasme. Sans précisions ; s’agissait-il de Strasbourg, Bâle, voire Haguenau ? « C’est avec un plaisir indicible que j’ai appris récemment la nouvelle de ton arrivée ». Je tiens à remercier F. Hoff, qui enseigne en classes préparatoires (Prépa Chartes) au lycée Fustel de Coulanges de Strasbourg, pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée dans la traduction de la préface.
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Le premier d’entre eux est Vincentius Obsopoeus, de son nom d’origine Vinzenz Heidecker13, né vers 1485 à Passau ou dans les environs, mort en 1539, humaniste allemand, helléniste de renom qui publia entre autres des auteurs tels Démosthène, Lucien, Polybe, Xénophon14, etc., et propagateur des idées de Luther15. Il connaissait Mélanchthon et Camerarius, avec lesquels il échangeait une correspondance. D’après ce que nous apprend la préface, c’est lui, qualifié d’ami originaire du même endroit, qui aurait envoyé le texte des deux déclamations à Camerarius (haec mihi sunt missa), après l’avoir recopié d’un « très ancien manuscrit » (pervetusto codice) en la possession de Christophorus Pistorius. Camerarius avait prié son correspondant de traduire ces deux textes en latin, mais la santé fragile à ce moment de Obsopoeus l’en empêcha. Aussi Camerarius entreprit-il de faire sa propre traduction. Christophorus Pistorius De son vrai nom Johannes Becar, Pistorius, originaire de la région de Zélande, était donc, d’après ce que nous dit Camerarius, le propriétaire de ce manuscrit décrit comme très ancien. Pistorius est un humaniste réputé, en contact en particulier avec Érasme. Il remplit les fonctions de tuteur du futur Albert III (1522–1557, dit plus tard Alcibiade), Margrave de Brandebourg, à la mort prématurée de son père en 1527. C’est sans doute à cet épisode de sa vie que fait allusion Camerarius, lorsqu’il souligne que Pistorius est pédagogue du prince à la cour du Margrave voisine de sa cité [Bamberg] : paedagogi principalis in aula Marchionis16 vicini civitatis nostrae. Le point d’intérêt essentiel de ces quelques remarques concerne le manuscrit possédé par Pistorius. Le qualificatif de très ancien exclut un manuscrit des XVe ou XIVe siècles. Les deux discours d’Aristide et de Libanios y figuraient évidemment conjointement, regroupement qu’on peut encore observer dans un certain nombre de documents médiévaux ayant survécu jusqu’à nos jours17. La publication des deux œuvres par Camerarius n’était donc pas, dans sa composition, une innovation, puisque le manuscrit de Pistorius proposait cette convergence. L’identification de ce manuscrit reste à faire, ce qui donnera évidemment des indications précieuses sur les achats et prêts des manuscrits anciens à la Renaissance.
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On rencontre aussi la graphie Heidecker. En 1530 il fait imprimer à Haguenau un Polybe, dont il possédait personnellement un ancien manuscrit, avec la traduction latine de Nicolaus Perottus. On sait également qu’il détenait un manuscrit de la première moitié du Xe siècle de la Cyropédie, cf. bandini 2008, p. 257–266 et pl. 3. En 1525 il publie à Haguenau des Lettres diverses de Luther. Pour le sens de Marchionis, voir HaeMMerle 1933. Par ex. le Bodl. Canonicanus 84, longtemps considéré comme un manuscrit ancien du X ou XIe siècles, aujourd’hui daté du XIVe (cf. Vix 2010, p. 408–410), ou le Marc. Gr. 428, daté de la première moitié du XIVe siècle. Un projet prévoit de discerner sur quel manuscrit s’est appuyé Camerarius, s’il existe encore actuellement, ou à quelle famille de manuscrits il appartenait.
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2. Les relations des humanistes avec le pouvoir politique et religieux Un autre intérêt de cette préface est constitué par l’éloge appuyé de la famille des Limpurg qu’il contient. Erasmus Schenk von Limpurg Dès le début de son épître, J. Camerarius évoque un personnage qui accompagne L. Carinus. Sa joie à l’annonce de la présence de son ami dans la région est encore accrue, nous dit-il, par le fait qu’il est accompagné du jeune Limperg : Sed mihi ille multo etiam gratior multoque delectabilior extitit, postea cognovi … adesse te in comitatu Limpergi juvenis …18.
L’emploi de comitatus, qui évoque l’accompagnement d’un prince, nous fait comprendre que Carinus faisait partie de la suite du jeune Limperg, ce qui sera d’ailleurs confirmé par la suite (p. 5), puisque Camerarius exprime sa joie et sa gratitude à l’idée que le jeune homme a pris Carinus dans sa suite, te assumpserit asciveritque sibi19. Erasmus Schenk von Limpurg, le personnage évoqué dans ces lignes, deviendra par la suite évêque de Strasbourg (1540–1568)20. Issu d’une lignée de comtes, il fut l’élève de Carinus à Tubingen, à partir de 1520–1521. Nous avons vu que les deux hommes avaient déjà entrepris des voyages ensemble, en particulier entre Strasbourg et Bâle. Il naît en août 150721 et a, par conséquent, 28 ans lors de la rédaction de la préface ; six ans plus tard, il sera nommé évêque de Strasbourg. L’origine noble de Schenk von Limpurg ainsi que son parcours en font, bien entendu, un personnage de premier rang, dont il convient d’obtenir, ou garder, les faveurs ; aussi n’est-il pas surprenant de voir que Camerarius, très rapidement, le cite dans sa préface, en faisant un éloge de sa famille, avant de louer la culture du jeune homme. Mais la présence de Schenk von Limpurg ne s’arrête pas là, puisqu’il réapparaît un peu plus loin sous la plume de Camerarius (p. 7) : après avoir dédié son œuvre à Carinus, l’humaniste ajoute en effet qu’il souhaite également s’adresser à Limperg, clarissimo juveni Limpergio, ce jeune homme très illustre qui, sans aucun doute, aurait accueilli et accepté avec bienveillance le fruit de son travail, haec a nobis suscepturus et studium nostrum admissurus fuerit. L’hommage appuyé que Camerarius rend à Limperg est encore intensifié par une digression concernant un membre éminent de cette famille.
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« Mais j’ai reçu la nouvelle de cette arrivée de façon encore plus précieuse et bien plus agréable, après que j’ai eu connaissance […] que tu étais en compagnie de Limperg ». « Il t’a pris avec lui et t’a appelé à lui ». sPacH 1858, p. 185 : « Érasme de Limbourg, sans être dépourvu de bienveillance, en avait néanmoins fort peu pour les protestants et leurs pasteurs […] ». Et non en 1517 comme l’assurent un certain nombre de biographies.
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Georg III von Limpurg22 Dès la page 4, après avoir célébré la famille von Limpurg, Camerarius veut honorer le souvenir d’un Prince Pabebergens cousin d’Erasmus Schenk (Venite in mentem gentilis ipsius laudatissimi Principis Pabebergensis23). Le personnage évoqué est Georg III von Limpurg, cousin du père d’Erasmus Schenk von Limpurg, Christof24, qui fut de 1505 à 1522, date de sa mort, Prince-évêque de Bamberg25, ville natale de Camerarius26, et par ailleurs conseiller de l’Empereur Maximilien 1er. L’hommage intense que rend l’humaniste au Prince-évêque se comprend d’abord par le fait qu’il l’a côtoyé, sans doute directement à Bamberg, ensuite par son appartenance aux von Limpurg, et donc par son souci de garder les faveurs de cette famille, Georg III ayant été réputé pour son soutien apporté aux humanistes. La disparition du Prince Évêque, nous dit Camerarius, fut douloureusement ressentie, et tout homme épris de vertu et des beaux-arts ne peut que continuer à déplorer cette perte. 3. Une préface empreinte de rhétorique ancienne L’épître de Camerarius est fortement imprégnée d’une rhétorique issue directement de l’Antiquité, et l’éloge des von Limpurg, qui occupe les pages 4 et 5, en est la meilleure illustration. Qu’il parle de Carinus, on l’attend ; qu’il cite les personnes à qui il doit les discours d’Aristide et de Libanios n’étonne pas ; mais qu’il s’attarde à ce point sur la famille von Limpurg est assez surprenant. Pourtant, on comprend petit à petit que cet éloge est important pour l’humaniste, du point de vue des relations qu’il lui faut entretenir. Très rapidement, Carinus est oublié, et son compagnon de voyage, Erasmus Schenk von Limpurg, prend toute la place. Après avoir cité le nom du jeune homme, une allusion est aussitôt faite à sa famille, topos du genos dans la théorie encomiastique grecque: Iuvenis generis quidem claritate praestantissimi, sed virtute longe etiam praestantioris27, la gens est réputée par son éclat, mais plus encore par sa vertu.
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wunder, scHeFold & beutter 1982, p. 36. « Souvenez-vous du Prince de Bamberg très renommé, issu de la famille elle-même ». wunder, scHeFold & beutter 1982, tableau généalogique, p. 31. « Pabebergens » qualifie en l’occurrence le citoyen de Bamberg, cité qui fut propriété de la famille des Babenberg et qui apparaît sous le nom de Castrum Babenberch pour la première fois en 902. Camerarius lui-même, d’après une tradition qui remonte à l’Antiquité, signera certains de ses ouvrages en précisant la ville qui le vit naître, Joachim Camerarius Pabenpergens, ainsi par ex. pour un ouvrage imprimé à Nuremberg en 1557 : De Graecis Latinisque Numerorum notis, et praeterea Sarracenicis seu Indicis, cum indicatione elementorum eius, quam Logisticen graeci nominant et vocabularum artis interpretatione … ad usum puerilis institutionis. Studio Joachimi Camerarii Pabenpergensis … Jeune homme issu « d’une famille assurément très éminente par son éclat, mais encore beaucoup plus éminente par sa vertu ».
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Après le topos du genos, on attend traditionnellement celui de la paideia28, la formation. Dans la phrase suivante, Camerarius loue précisément la culture, c’està-dire le résultat de l’éducation du jeune homme, évoquant sa félicité presque sans retenue dans le domaine que nous appellerions les belles-lettres, qui, bien qu’attendue dans une famille de ce rang, atteint chez le disciple de Carinus un point de perfection qui emplit Camerarius de joie, huius juvenis … felicitas pene immodica me laeticia perfudit29. L’éloge du jeune homme est alors coupé par un impératif, signe rhétorique de la spontanéité : « Souvenez-vous du Prince de Bamberg très renommé, issu de la famille elle-même », Venite in mentem gentilis ipsius laudatissimi Principis Pabebergensis. Démarre alors un nouvel éloge – enchâssé dans celui du jeune Erasmus Schenk –, celui du parent illustre, avec le topos des regrets occasionnés par son décès, même plusieurs années après, surtout auprès des gens épris de vertu et culture, quisque est virtutis bonarumque artium amans. Enfin, Camerarius revient à l’éloge de Limperg, qui porte en lui l’esprit, et donc les vertus, de la famille, et familia et gentili suo dignam hunc iuvenem mentem gerer. La preuve en est apportée par le fait qu’il a emmené Carinus avec lui. Sa gratitude est liée à la gens très illustre du jeune homme, dont les proches, nous dit-il, ont rendu publiquement des services à sa patrie et à lui-même, cuius propinqui de patria nostra publice nobisque privatim optime meriti sunt. Quant aux espoirs, ils sont attachés à son désir d’érudition et de vertu, qu’il souhaite universel, et dont il pense sans doute que le jeune Erasmus Schenk sera un ambassadeur. Cet éloge, dans sa formulation, est indiscutablement le morceau de la préface le plus travaillé : il commence par l’éclat et la vertu de la famille Limperg, avant de rebondir dans l’éloge du parent que pleurent tous les gens épris de vertu et des beaux-arts, avec un effet de chiasme sur les deux paragraphes qui se succèdent, destiné à mettre en valeur la virtus : generis claritate praestantissimi, sed virtute longe etiam praestantoris … quisque est virtutis bonarumque artium amans. À partir de là, les séries binaires s’enchaînent sans arrêt : le jeune Schenk porte en lui l’esprit digne de la famille et de sa maison (et familia et gentilis suo) ; la preuve en est qu’il a pris Carinus avec lui et qu’il l’a appelé à lui (te assumpserit asciveritque sibi) ; ce geste aussi bien pour l’amour qu’il porte à la famille que pour le souci de sa patrie provoque en lui gratitude et espoir (ob amorem familiae illius et curam patriae meae ; gratulatione et spe) ; la gratitude est liée aux services rendus par les parents à sa patrie et à lui-même (de patria nostra publice nobisque privatim) ; l’espoir est entretenu par le désir d’érudition et de vertu (eruditionis et virtutis) ; ce dernier devrait envahir toutes les nations et se développer dans la sienne (cum ubique gentium tum apud nos). L’éloge qui avait commencé par la virtus se termine donc aussi par cette qualité fondamentale. Cette écriture encomiastique serrée et précise met en scène les qualités innombrables de la gens en regard des services qu’ils ont rendu à la société tout entière – et bien davantage encore à Camerarius lui-même –, mais c’est fondamentalement la rhétorique que Camerarius met à 28 29
Voir la typologie du discours encomiastique dans Pernot 1986, p. 142–144. « La félicité presque sans retenue de ce jeune homme dans ce domaine [de la culture] m’inonde de joie ».
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contribution, soulignant ainsi sa virtuosité et sa connaissance approfondie de cet art directement issu de l’Antiquité. Or, l’ouvrage tout entier, non seulement la préface, trouve sa légitimité finale dans cette confrontation entre écrits des anciens Grecs et travail de l’humaniste. II. HOMÈRE AU FIL DU TEMPS : DÉCLAMATIONS ANTIQUES, RÉÉCRITURES MODERNES 1. Ce que dit la préface du contenu L’humaniste, dans sa préface, précise qu’il aurait préféré offrir à Carinus certains de ses poèmes, tout en ajoutant que d’autres que lui sont bien plus compétents pour cela. Il se contente par conséquent, dit-il, de lui donner en cadeau les deux déclamations, modèles à suivre pour les jeunes gens dans leurs études. A. Les deux déclamations, modèles d’enseignement L’humaniste a conscience de proposer des textes peu connus, voire des textes considérés comme mineurs (opellas tenues), de la littérature antique. Pour souligner cet aspect, il use d’une métaphore, sans doute la plus marquante de la préface, expliquant qu’il a « secoué les petits nids de [sa] bibliothèque », excussi igitur nidulos musaei nostri, et qu’il y a trouvé certaines œuvres, dont il concède qu’elles sont de peu d’importance (tenues), mais qu’elles « ne doivent pas être méprisées, surtout à son époque », sed tamen non omnino, praesertim hoc tempore, contemnendas. Il explique pourquoi, à son avis, ces œuvres gardent toute leur importance, de cette manière : même si les graines d’érudition ont eu une bonne et haute croissance, cependant, pour qu’elles portent un fruit adéquat, je pense qu’il y faut une culture soignée, et peut-être une culture qui n’est pas encore beaucoup, ni publiquement utilisée30.
On voit que c’est le pédagogue qui s’exprime ici pour défendre des œuvres moins connues, plus originales en quelque sorte, mais profitables aux adolescents qui s’adonnent aux belles-lettres, car « aucune culture n’est meilleure et plus juste que celle des exemples, de l’exercice pratique des vrais enseignements et de l’ancienne science », Nulla autem est melior rectiorque cultura quam exemplorum et exercitii verarum preceptionum et doctrinae veteris. Il a soin de préciser, en outre, qu’il ne revendique pas cet ouvrage parce qu’il est le fruit de son travail, mais bien parce qu’il provient de ces sophistes de l’ancien temps (sed quod horum et antiquis sophistarum scholis) dont les gens lettrés tireront grand profit (e quibus magnam utilitatem studiosos litterarum … percepturos esse affirmare ausim). Au même titre que les autres textes issus de l’Antiquité, les déclamations d’Aristide et de Libanios 30
« Quamvis bene alteque creverint eruditiones quasi germina, tamen ut fructum convenientem etiam ferrant, accurata cultura, et fortasse nondum multum vulgoque usitata opus esse iudico. »
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sont donc perçues comme essentielles pour la formations des jeunes gens et, plus globalement, de tous les studiosi litterarum. Camerarius entreprend un vrai plaidoyer pour réhabiliter des textes apparemment restés dans l’ombre, alors même que le genre littéraire de la déclamation est, quant à lui, suffisamment connu pour permettre à l’humaniste de souligner qu’il ne souhaite pas s’y attarder. Ce que ne relève pas explicitement l’humaniste dans sa préface est que l’ouvrage qu’il publie constitue l’editio princeps des deux déclamations31. De même, les traductions de Camerarius, aussi bien pour le texte d’Aristide que de Libanios, sont les premières à voir le jour, et le savant, de la sorte, permet à un grand nombre d’accéder à ces discours. Pourtant, au XVIe siècle, les déclamations de Libanios connaissent de toute évidence une certaine faveur, puisque trois déclamations, non publiées dans l’editio princeps de 1517, paraîtront en 1519 à Louvain grâce aux soins d’Érasme et seront rééditées par Froben à Bâle en 1522, puis à Cologne par Johann Soter en 1525, mais sans traduction latine. La déclamation aristidienne, quant à elle, était absente de l’editio princeps datée de 1517 et publiée à Florence chez l’imprimeur Filippo di Giunta par Eufrosino Bonino. Il faut attendre 1722 et l’édition de Jebb32 pour la voir intégrée définitivement au sein des œuvres d’Aristide. Même si les deux auteurs, on le voit, sont loin d’être des inconnus dans le cercle des humanistes, Camerarius a donc pu affirmer avec justesse que ces deux courtes déclamations ne faisaient pas partie des œuvres reconnues comme les plus importantes de son temps, et il peut aussi légitimement revendiquer une forme de nouveauté avec son ouvrage, aussi bien à travers les traductions que par les paraphrases qu’il en donne, deux atouts décisifs qui éclairent sans aucun doute les affirmations répétées d’exemplum du livre, surtout dans un but éducatif, ainsi que la profession de foi sur la nouveauté de l’ouvrage qui figure sur la page de titre. B. L’apport de Camerarius Camerarius, en effet, a conscience de proposer un ouvrage novateur, en particulier au travers de ses traductions latines qu’il revendique. Nous avons vu qu’il s’est attelé à cette tâche après avoir constaté que son collègue Obsopoeus, à qui il devait le manuscrit, n’était pas en état physique de l’effectuer, à ce qu’il affirme. Et, si l’on se réfère à ce qu’il en dit, il semble avoir soigné tout particulièrement cette partie, dont il se montre assez fier, alors qu’il adopte une posture relativement modeste pour les paraphrases, comme nous le verrons ci-après. D’après ses affirmations, il juge positivement (splendidius sentio) ses traductions latines, « à tort ou à raison » (sive vero iudicio, seu favore), précise-t-il, soulignant qu’il espère avoir su rendre les pensées et la subtilité de la langue dans cet exercice qu’il qualifie de genre singulier et d’une « subtilité ingénieuse » (argutae subtilitatis). Son espoir est donc d’avoir su préserver les qualités de la langue Cf. lenz & beHr 1976–1980, p. CIV, n. 21. Voir Foerster 1903–1927, Libanius V, p. 302 ; Foerster pensait que l’édition de Libanios due à Morel en 1606 constituait l’editio princeps de la déclamation V, par méconnaissance de l’ouvrage de Camerarius. 32 S. Jebb, Aelii Aristidis Adrianensis opera omnia graece et latine, Oxford, 1722.
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tout en rendant fidèlement les pensées33, concluant par un trait de modestie, à travers une formule grecque, qu’il « se pourrait que ce soit dû au hasard » ἀλλὰ γένοιτο καὶ ταύτην περὶ ὅπερ τῇ τύχῃ φίλον. Cette formulation grecque doit nous rendre attentif à la fin de la préface : selon la tradition antique, il appartient à Carinus d’offrir à son tour une œuvre à Camerarius. Et, ajoute-t-il, le « cadeau qu’il lui offrirait ne serait vraiment pas un κειμήλιον », un présent léger, prétexte pour évoquer de façon limpide un vers de l’Odyssée (IV, 600), δῶρον δ‘, ὅττι κέ μοι δοίης, κειμήλιον ἔστω34, paroles de Télémaque à son hôte Ménélas, qui cherche à le combler de présents. Il n’est pas innocent que la préface se termine sur cette évocation homérique, rappelant incidemment que l’œuvre de l’aède est au centre de l’ouvrage. 2. Les textes homériques On peut légitimement se demander, au vu de la préface, si Camerarius n’aurait pas souhaité rivaliser avec les deux auteurs anciens des déclamations, en proposant lui aussi un discours de ce type. Mais l’éloge qu’il fait du style de Libanios nous fait comprendre que cette possibilité n’est pas ouverte. En effet, si Aristide a rédigé une deutérologie permettant de la sorte une réponse d’Achille, l’auteur du IVe siècle a su rendre, nous dit-il, Achille éloquent, pour éviter qu’il « ne reste une occasion à quelque discours postérieur »35. Il concède une grande précision et une finesse certaine au style de Libanios et, sans transition, aborde ses paraphrases, proposées aux côtés des déclamations dans l’ouvrage : « Nous leur [aux déclamations] avons ajouté nos paraphrases de l’un et l’autre endroits homériques» (His addidimus nos παραφράσεις utriusque Homerici loci). Il indique par cette formule que les déclamations, aussi ciselées fussent-elles, avaient besoin d’un ajout (addidimus) pour permettre au lecteur de mieux en saisir les enjeux. On peut supposer que ces paraphrases combleront les « manques » soulignés du discours de Libanios, à savoir la prise en compte du caractère de l’orateur. Évoquant pour le reste assez rapidement sa réécriture en prose des deux passages homériques, le discours d’Ulysse (Il., IX, 225–306) et la réponse d’Achille (307–429), il souligne qu’il ne lui appartient ni de les recommander trop chaudement ni de les rejeter, mais que la seule chose qui lui importe, c’est de montrer la voie à d’autres érudits. Quant à leur écriture, il la qualifie de « balbutiant tout à fait à la manière des enfants » (balbutientes plane pueriliter). Il faut peut-être entendre derrière l’adverbe pueriliter les exercices de paraphrases auxquels on s’adonnait dans les écoles. Camerarius lui-même s’y était sans doute entraîné longuement, raison pour laquelle, peut-être, il ne cherche ni à en tirer une quelconque gloire, ni à insister particulièrement sur ce point. La paraphrase est un exercice auquel on 33
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« J’espère […] que ces pensées ont été si bien traduites en latin par mes soins que les pensées exprimées et la propriété de la langue paraissent avoir été préservées », cum sperem …, ita translatas sententias in Latinam linguam a nobis, ut et illae expressae, et huius proprietas custodita esse videatur. Δῶρον γ’ ὅττι κε δὴ δοίης dans la préface de Camerarius. Ne qui posteriori orationi locus relinqueret.
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s’adonne volontiers au XVIe siècle ; ne serait-ce qu’à Haguenau, dans les deux années qui précèdent l’ouvrage de Camerarius, paraissent chez le même imprimeur deux volumes de paraphrases, œuvres du juriste et humaniste suisse Claudius Cantiuncula36. L’exercice fut également très largement pratiqué dans la Grèce de l’époque impériale, ainsi qu’en attestent les mentions dans les exercices préparatoires d’Aelius Théon, à destination des professeurs de rhétorique37. Dans le programme préconisé par Théon, la paraphrase devait intervenir très tôt dans la pratique de l’apprenti rhéteur, au même titre que la lecture et l’audition38. Pour justifier cette pratique, le théoricien précise que : tous les anciens ont fait de la paraphrase un excellent usage, refaçonnant non seulement leurs propres textes, mais aussi ceux des autres39.
S’ensuit une série d’exemples tirés de la « littérature classique ». Mais c’est dans une partie du texte non transmise par les manuscrits grecs, mais retrouvée dans la tradition arménienne, que Théon consacra un chapitre à la paraphrase40. Dans l’esprit des anciens, la paraphrase est un exercice qui permet la reformulation d’idées, en utilisant toutes les possibilités de la langue, selon quatre modes principaux : la syntaxe, l’addition, la soustraction et la substitution41. Le mode selon la syntaxe « garde les mêmes mots », l’addition permet, « sans retrancher aucun des mots donnés », de reformuler « par l’introduction d’un autre mot ». On voit, d’après ces définitions de Théon, que, dans l’esprit des Anciens, la paraphrase proposée aux élèves ne consiste à aucun moment à allonger le texte en le développant. Mais telle n’est manifestement pas la conception qu’en a Camerarius : la paraphrase n’est plus seulement perçue comme la réécriture d’un morceau littéraire connu, selon les quatre modes préconisés par Théon, mais constitue un véritable travail de rédaction autonome, propre à expliciter un texte dans ses parties jugées trop elliptiques. Ce travail peut, par conséquent, s’apparenter par moments à une véritable exégèse. C’est ce qui transparaît en tout cas avec les deux paraphrases proposées, car si l’on examine le résultat obtenu par Camerarius en regard du texte homérique, on se rend compte qu’il développe considérablement le contenu de la poésie épique. Il s’agit, dans l’esprit de l’humaniste, d’offrir au lecteur une version en prose grecque des passages de l’Iliade pour éclairer les déclamations d’Aristide et de Libanios, mais aussi et surtout, si l’on se réfère à la préface, de proposer, à l’instar des décla36 37
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Paraphrasis in lib. I Institutionum Iustiniani Imperatoris, 1533, et Paraphrasis in secundum librum institutionum imperalium Justiniani, 1534. Le manuel d’exercices préparatoires d’Aelius Théon, les progymnasmata, est le plus ancien manuel conservé. On le date du Ier s. de notre ère. Les manuels suivants, celui conservé sous le nom d’Hermogène (fin du IIe), celui d’Aphthonios d’Antioche (IVe), celui de Nicolas de Myra (fin du Ve), ne mentionnent pas explicitement la paraphrase comme instrument de travail pour les élèves. Cf. Les propos préliminaires ; pour la paraphrase, 62, 10, p. 4 de l’édition Patillon & bolognesi 1997. P. 5 (= 62, 23–25). Les traductions sont de Patillon & bolognesi 1997. Patillon & bolognesi 1997, p. 107–110 ( = chap. 15). Voir la préface de M. Patillon (Patillon & bolognesi 1997, p. CV–CVII).
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mations, une imitation à destination des studiosi. Et, à y regarder de plus près, on peut se demander si, derrière les affirmations de modestie, il n’y a pas, chez l’humaniste, le désir de faire reconnaître ses capacités, à l’égal, au moins, de celles d’Aristide ou Libanios. Son ouvrage, dès lors, serait une écriture à quatre voix : Homère, Aristide, Libanios, mais aussi Camerarius. Le discours d’Ulysse, qui occupe 81 vers de l’épopée homérique (ca. trois pages de l’édition de Mazon), prend plus de neuf pages (p. 81–90) dans la paraphrase de Camerarius, alors que la réponse d’Achille, qui est circonscrite en 121 vers chez l’aède, pareillement, comporte environ 10 pages dans le travail de l’humaniste (p. 90–100). D’ailleurs, dans l’édition elle-même, un décalage signifiant nous indique que, dans l’esprit de Camerarius, il s’agit bien plus que d’une paraphrase. En effet, si sur la page de titre générale de l’ouvrage on trouve bien le terme παράφρασις, sur les pages de titre correspondant à chacune de ces paraphrases (p. 81 et 90) le lecteur trouve le terme μετάφρασις : il s’agit manifestement dans l’esprit de Camerarius plutôt d’un véritable travail de réécriture et de création personnelle, ce qu’implique le terme de metaphrasis, plutôt que d’une simple paraphrase, exercice moins délicat. Ce glissement sémantique en dit long, par conséquent, sur les intentions de Camerarius. La paraphrase annoncée, exercice de surcroît présenté avec grande modestie dans la préface, se transforme en metaphrasis, exercice bien plus ambitieux, et périlleux, puisqu’il consiste à réécrire, en grec, un texte sanctifié à travers les âges. D’ailleurs, si l’on poursuit les comparaisons de longueur des textes, on peut constater que le πρεσβευτικὸς λόγος d’Aristide occupe 20 pages dans l’édition de 1535, soit seulement le double du texte de Camerarius42. On ne peut donc rejeter l’idée, chez l’humaniste, d’une confrontation à la fois avec Homère, par la réécriture en prose des célèbres vers, et avec les deux sophistes, par une relecture personnelle de l’œuvre du poète, de même qu’Aristide, puis Libanios ont imaginé une suite à l’épisode. L’observation attentive d’un passage permet de comprendre l’ampleur du travail entrepris. On trouvera ci-dessous la mise en regard de la traduction des vers 247–258 d’Homère43 avec une traduction du passage correspondant de la paraphrase de Camerarius.
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La déclamation de Libanios est beaucoup plus étendue (p. 34–80). Traduction de P. Mazon 2012.
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Traduction des v. 247–258, du chant IX de l’Iliade
Traduction de la paraphrase de Camerarius des v. 247–258.
Ah ! Lève-toi donc, si tu as quelque envie, même bien tardive (καὶ ὀψέ περ), de protéger (ἐρύεσθαι) du tumulte troyen les fils des Achéens, qu’écrase la fatigue. Pour toi, dans l’avenir, quel chagrin ce sera ! Et, quand le mal est fait, il n’est plus de moyen d’y trouver de remède. Songe donc bien plutôt à écarter ici des Danaens le jour du malheur (κακὸν ἦμαρ).
Mais toi Achille, s’il te reste quelque élan pour nous, lève-toi donc et les Grecs maltraités avec tant d’âpreté et de dureté par nos ennemis, même s’il est tard (καίπερ ὄψε, sic) maintenant, viens pour les sauver (ῥυσόμενος) d’un si grand embarras. Car aussi plus tard désirant le faire, lorsque, l’occasion ayant été négligée, il n’est plus possible de guérir le mal, tu te chargeras de cette vaine peine avec le très grand chagrin et la douleur aiguë ; tant que c’est possible et avant d’accueillir la fin de la guerre avec la destruction de la race grecque, bien avant, Achille, réfléchis et mets dans ton esprit ce qu’il faut faire pour le salut des Grecs afin de les soustraire à ce mal incurable et à ce jour porteur de mort (θανατηφόρου ἡμέρας) et pour que, plutôt que de partir avec l’ensemble de l’armée, après qu’ils aient été mis à mort, tu les sauves.
(v. 252 sq.) Doux ami ! ton père lui-même, Pélée, t’en adressait la recommandation, le jour qu’il te faisait partir de la Phthie vers Agamemnon : « Mon enfant, la victoire, c’est Athéné, Héré, qui te la donneront – si elles le veulent ; mais c’est à toi qu’il appartient de maîtriser ton cœur superbe en ta poitrine : la douceur toujours est le bon parti (φιλοφροσύνη γὰρ ἀμείνων). Bride la querelle méchante, pour que les Argiens t’estiment davantage, jeunes comme vieux ».
Achille, alors que tu t’amollis mal à propos aujourd’hui dans ton cœur, que dirais-tu si ton père Pélée te rappelait par ses conseils, alors qu’il t’envoyait ici rejoindre Agamemnon, ce qu’il te suggéra par ces mots que nous connaissons : « Mon enfant, de ta force et de ta vertu examine ce qui en semble aux divinités, car elles prodigueront, si elles le veulent, la fille de Zeus, Athéna, et Héra la maîtresse, toutes deux de façon extrême leur sollicitude à ton égard ; mais souviens-toi de ton cœur, d’être le plus fort pour moi, et de retenir ta colère, car rien n’est meilleur que la douceur (οὐδὲν γάρ πραότητος ἀμείνων), il n’y a même pas plus beau que les actions bienveillantes ; c’est par elles que, faisant preuve de zèle et t’abstenant de la rivalité et de l’arrogance, jamais causes de bien, mais au contraire de plus grands et plus profonds maux, tu te ralliera le plus possible le cœur de tous les Argiens, non pas seulement de ceux de ton âge ni de ceux qui sont dans la force de l’âge, mais de ceux qui sont déjà avancés dans la vie ainsi que des vieillards ».
Le lecteur sera à même de se rendre compte, même à travers les traductions, des ajouts importants apportés au texte homérique par Camerarius ; il suffit, sans même lire les textes, de comparer leur dimension respective. Loin d’être une simple paraphrase, le travail de l’humaniste s’apparente à une nouvelle écriture, qui précise, explicite, détaille, invente des éléments qui n’apparaissaient pas chez l’aède. Le canevas, bien sûr, est le même, le vocabulaire, parfois, est repris (καὶ ὀψέ περ, v. 247 / καίπερ ὄψε), avec quelques variantes (ἐρύεσθαι, v. 248 / ῥυσόμενος), des expressions proches se retrouvent (κακὸν ἦμαρ, v. 251 / θανατηφόρου ἡμέρας), ou
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qui rappellent certains passages (φιλοφροσύνη γὰρ ἀμείνων, v. 256 / οὐδὲν γάρ πραότητος ἀμείνων). Cette rapide recension n’a rien d’exhaustif, mais cherche uniquement à dévoiler la genèse de la paraphrase de Camerarius. On a donc une véritable innutrition des passages homériques, qui donne naissance à une œuvre nouvelle. Nous sommes bien éloignés de la théorie de la paraphrase des théoriciens anciens, et bien plus proches du « développement » préconisé dans d’autres exercices. Ce faisant, Camerarius ne pouvait pas ne pas avoir conscience de faire œuvre de création, au même titre qu’Aelius Aristide et Libanios, à partir du texte de l’épopée. En effet, ce travail éclaire-t-il d’une manière ou d’une autre les deux déclamations ? Certainement pas. Au mieux, s’il pensait qu’il était nécessaire pour ses contemporains, peu familiers avec la poésie d’Homère, de leur proposer une « traduction » en prose, il aurait très bien pu calquer les discours d’Ulysse et d’Achille sans rien ajouter de son cru, autrement dit proposer une paraphrase. CONCLUSION L’étude de cet ouvrage révèle plusieurs aspects de l’univers des humanistes qui, à défaut de présenter un caractère très salé, sont loin d’être insipides. L’humaniste du XVIe siècle est bien entendu un spécialiste des lettres, et plus particulièrement de la littérature ancienne, toujours à l’affût de nouveaux textes, dont il cherche l’originalité et l’intérêt. Mais un humaniste est également un homme en vue, qui jouit d’un prestige certain et peut être amené à côtoyer les grands de ce monde. C’est de cette manière que l’épître dédicatoire se dévoile à nous, plaidoyer pro domo pour garder le soutien de la famille Limperg, introduction à but politique et social autant, voire plus, qu’à but informatif. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette préface que ces lignes, proportionnellement importantes, consacrées à cet éloge dédoublé, pour Erasmus Schenk, et pour son parent le Prince Georg III. L’avenir brillant du jeune homme se dessinait déjà à cette époque, et Camerarius sait qu’il doit gagner les faveurs du futur évêque. L’autre aspect qui ressort de cette lettre, en-dehors des relations entretenues par les humanistes entre eux, ce dont témoignent les échanges de manuscrits, c’est la fonction de pédagogue qui les habite : la transmission auprès des nouvelles générations est une préoccupation constante. C’est à ce titre que l’imitation des Anciens demeure essentielle, y compris avec des textes jugés mineurs. C’est d’ailleurs cet intérêt pédagogique qui est mentionné dès la page de titre, et il n’est pas inutile de rappeler que les Jésuites, en 1581, décident de joindre les deux déclamations, avec leur traduction et leur paraphrase, dans un volume destiné à la bibliothèque du collège. Cet élément est visible dans ses différentes facettes, intentions proclamées, mais aussi exercices pratiqués. La déclamation était l’exercice par excellence des élèves de rhétorique dans l’Antiquité ; Camerarius, dans son ouvrage, choisit un autre exercice, la paraphrase, pour exister, en tant qu’auteur, à côté d’Homère, d’Aelius Aristide et de Libanios. Ce travail pointu et érudit de réécriture en grec
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d’un texte célèbre entre tous avait pour objectifs non seulement de mettre en valeur les déclamations, mais aussi de mesurer sa prose à la poésie homérique et, surtout, aux déclamations elles-mêmes, dans une sorte de compétition à travers les siècles. De la sorte, il ne faisait d’ailleurs que poursuivre le dialogue qui s’était instauré à travers deux siècles de distance entre Aristide et Libanios, ce dernier répondant à la déclamation du rhéteur du IIe siècle. N’en doutons pas, Camerarius, qui évoque plusieurs de ses compatriotes humanistes dans sa préface, offre aussi à l’ensemble des érudits de son temps, à côté de l’exhumation de textes antiques peu connus, un témoignage de sa propre habileté et de sa compétence. Son épître dédicatoire, tellement travaillée et habitée de rhétorique ancienne, avait ainsi valeur programmatique et annonçait, en filigrane, le projet intime de l’humaniste. BIBLIOGRAPHIE Giunta 1517 = F. Giunta, Logoi Aristeidou. Orationes Aristidis, Firenze, 1517. Jebb 1722 = s. Jebb, Aelii Aristidis Adrianensis opera omnia graece et latine, Oxford, 1722. bandini 2008 = M. bandini, Un nuovo libro della biblioteca di Guarino Veronese, in Rivista di filologia e di istruzione classica, 136/3, 2008, p. 257–266. bietenHolz & deutscHer 1985 = P. g. bietenHolz & tH. b. deutscHer (edd.), Contemporaries of Erasmus. A Biographical Register of the Renaissance and Reformation, vol. I A–E, Toronto/ Buffalo/London, 1985. burg 1957 = a. M. burg, Catalogue des livres des XVe et XVIe siècles imprimés à Haguenau, de la bibliothèque municipale de Haguenau, 1957, notice n° 136. Foerster 1903–1927 = r. Foerster, Libanii opera, 12 vol., Leipzig, 1903–1927. HaeMMerle 1933 = a. HaeMMerle, Alphabetisches Verzeichnis der Berufs- und Standesbezeichnungen vom ausgehenden Mittelalter bis zur neueren Zeit, München, 1933. kössling & wartenberg 2003 = r. kössling & g. wartenberg (edd.), Joachim Camerarius, Tübingen, 2003. kunkler 2000 = s. kunkler, Zwischen Humanismus und Reformation : der Humanist Joachim Camerarius (1500–1574) im Wechselspiel von pädagogischem Pathos und theologischem Ethos, Hildesheim, 2000. Lenz & beHr 1979–1980 = F. W. Lenz & c. a. beHr, P. Aelii Aristidis opera quae exstant omnia, I (or. I–XVI), 1 vol. en 4 fasc., Leiden, 1976–1980. Mazon 2012 = P. Mazon, Homère. Iliade, Paris, 112012. Patillon & bolognesi 1997 = M. Patillon & g. bolognesi, Aelius Théon, Progymnasmata, Paris, 1997. Pernot 1986 = l. Pernot, L’éloge chez Ménandre le rhéteur, in Revue des études grecques, 99, 1986, p. 35–39. ritter 1955 = F. ritter, Histoire de l‘imprimerie alsacienne aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg, 1955. sier 2003 = k. sier, Camerarius als Interpret Homers, in R. kössling & G. wartenberg (edd.), Joachim Camerarius, Tübingen, 2003, p. 207–233. sPacH 1858 = l. sPacH, Histoire de la Basse Alsace et de la ville de Strasbourg, Strasbourg, 1858. Vix 2010 = J.-l. Vix, L’enseignement de la rhétorique au IIe s. ap. J.-C. à travers les discours 30–34 d’Aelius Aristide, Turnhout, 2010. wunder, scHeFold & beutter 1982 = g. wunder, M. scHeFold & H. beutter, Die Schenken von Limpurg und ihr Land. Mit Abbildungen alter Ansichten, Sigmaringen, 1982.
L’ÉDITION DE TÉRENCE DE JEAN GRÜNINGER RÉALISÉE À STRASBOURG EN 1496 Un chef-d’œuvre de pédagogie pour l’accès au texte latin Gérard Freyburger Nous avons attiré l’attention en 1991 sur l’intérêt de l’édition de Térence parue en 1496 à Strasbourg et réalisée par l’imprimeur Jean Grüninger1 : c’était dans les Mélanges de la Bibliothèque de la Société Industrielle de Mulhouse, à propos de l’exemplaire du fonds Weiss appartenant à cette société et se trouvant alors à la Bibliothèque de la Société Industrielle de Mulhouse2, dont une partie des fonds est maintenant à la Bibliothèque Municipale de Mulhouse. Nous sommes revenu à cette édition en 1998, lors du colloque Beatus Rhenanus, lecteur et éditeur des textes anciens, tenu à Strasbourg et à Sélestat, à propos d’annotations portées par l’humaniste sur une édition de Térence de Schürer3, annotations pour lesquelles il avait utilisé l’édition de Grüninger4. Nous voudrions brièvement revenir encore une fois ici à cet ouvrage, car il nous semble qu’il présente un intérêt tout particulier du point de vue de notre patrimoine régional et du point de vue de la pédagogie. D’une part, en effet, même si nous n’avons pas à son propos de nom d’éditeur, il a, nous l’avons dit, été imprimé à Strasbourg chez Grüninger et est par ailleurs bien présent dans la région du Rhin Supérieur : il s’en trouve un exemplaire non seulement à la Bibliothèque Municipale de Mulhouse, mais encore à la BNUS de Strasbourg, à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, à la Bibliothèque Municipale de Colmar, à l’Universitätsbibliothek de Freiburg i. Br. et à l’Universitätsbibliothek de Bâle. D’autre part, il présente tout un arsenal de moyens permettant de mieux comprendre le texte antique. Nous voudrions développer l’idée que cet ouvrage, qui se situe encore dans les débuts des éditions térentiennes puisqu’on n’avait pas encore conscience que Térence avait écrit en vers (son texte est présenté en prose : voir annexe 1), se place dans toute une tradition pédagogique et que, dans ce mouvement, il va encore au-delà de ses prédécesseurs. Précisons qu’il s’agit d’un fort beau livre, comportant 170 folios de texte très soignés, utilisant un jeu important de caractères et contenant des gravures d’un grand intérêt. Nous procéderons, pour cette enquête, en quatre étapes : nous situerons d’abord notre ouvrage dans la tradition des études térentiennes, puis nous nous attacherons 1 2 3 4
Térence 1496. Freyburger 1991, p. 29–33. Térence 1516. Freyburger 2000, p. 117–119.
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Gérard Freyburger
aux commentaires qu’il présente, ensuite nous examinerons les lexiques, directoria, qui l’introduisent, enfin nous examinerons les gravures destinées à illustrer le texte et nous essayerons, en conclusion, de tirer quelques enseignements de ces données. L’OUVRAGE DANS LA TRADITION DES ÉTUDES TÉRENTIENNES La page de garde du livre5 indique : Terentius cum directorio vocabulorum, sententiarum, artis comice ; glossa interlineari, commentariis Donato, Guidono, Asconio.
Pour ce qui est des commentaires, Donat est, ou plutôt serait, le grammairien latin du IVe siècle Aelius Donat, auteur d’un commentaire sur Térence : les deux autres noms désignent les humanistes Guy Jouenneaux et Josse Bade (1462–1535). En fait, Donat n’est pas cité directement, mais est interprété par un troisième humaniste, Calphurnius, qui n’est pas mentionné dans notre ouvrage mais l’est fréquemment ailleurs et dont nous savons qu’il vécut de 1443 à 1503 environ6. Calphurnius interprète largement Donat et va même jusqu’à l’inventer dans le cas de l’Heautontimoroumenos puisque, pour cette pièce, le commentaire de Donat ne nous est pas parvenu. Le problème, dans notre édition, est que le commentaire, qui occupe tout l’espace du folio laissé libre par le texte, c’est-à-dire le côté (gauche ou droit) et le bas de la page, comme on peut le voir dans notre annexe 1, se présente sous la forme d’un seul texte suivi. Dès lors, quelle est la part de chacun des trois humanistes Josse Bade, Guy Jouenneaux et Calphurnius ? En fait, presque depuis qu’il existe des éditions de Térence, celles-ci comportent des commentaires : on peut le vérifier dans la très utile Bibliografia terenziana de Giovanni cuPaiolo7, qui répertorie l’ensemble des éditions existantes de Térence : ainsi, déjà la quinzième édition de Térence, de 1474, présente un commentaire de a. Donatus et J. Calphurnius8. Ascensius apparaît en 1491, dans une édition de Lyon9 ; Guido Juvenalis, en 1492, dans une édition de Paris10 ; les trois ensemble, en 1494, dans l’édition de Venise que possède la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg et dont nous allons reparler11. Nous n’avons pas pu déterminer la part respective de Josse Bade et de Guy Jouenneaux, mais l. HerMand-scHebat écrit que Josse Bade n’a fait qu’enrichir le commentaire de Calphurnius12. En revanche, il existe bien deux commentaires distincts, 5 6 7 8 9 10 11 12
Cette page est reproduite dans Freyburger 2000, planche 17. Calphurnius est le philologue Giovanni Planza de Rufinioni da Bordogna : il enseigna à Padoue et édita un grand nombre de textes classiques : cf. loeFler 1882. cuPaiolo 1984, p. 38 sq. Ibid., p. 38. Ibid., p. 45. Ibid., p. 46. Ibid., p. 47. HerMand-scHebat 2011, p. 1. L’auteur semble toutefois considérer que ce commentaire enrichi ne parut, à Lyon, qu’en 1493 : il existe en fait, à Lyon aussi (où résidait Josse Bade), une édition antérieure (1491) où apparaît ce commentaire. L’auteur écrit par ailleurs (ibid.) à propos de
L’édition de Terence de Jean Grüninger, realisée à Strasbourg en 1496
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même s’ils renferment des parties communes, l’un de Calphurnius, l’autre de Guy Jouenneaux-Josse Bade. Cela est bien visible dans l’édition de 1494 réalisée à Venise, qui, sur chaque folio, attribue un premier commentaire à Donat (c’est celui de Calphurnius), un deuxième à Guido (c’est celui de Guy Jouenneaux-Josse Bade). On peut donc déterminer deux commentaires, qui se perpétuent d’édition en édition : celui de Calphurnius, fondé sur Donat, et celui de Guy Jouenneaux, probablement complété par Josse Bade. Prenons à titre d’exemple le commentaire des vers 56 à 61 de l’Heautontimoroumenos. Le passage est bien connu. Nous sommes au début de la pièce, peu de vers avant le fameux homo sum13. Le vieillard Chrémès aborde son voisin, le vieillard Ménédème, qui travaille du matin au soir dans son champ, de ses mains, comme un esclave. Chrémès justifie sa démarche, qui peut paraître indiscrète, en disant à Ménédème qu’ils ne se connaissent certes que depuis peu, mais qu’il se sent pour sa part autorisé à agir comme il le fait étant donné la virtus de Ménédème et le voisinage (vicinitas) qui est le leur : Tamen vel virtus tua me vel vicinitas, Quod ego in propinqua parte amicitiae puto, Facit ut te audacter moneam et familiariter Quod mihi videre praeter aetatem tuam Facere et praeterquam res te hortatur tua. Nam, pro deum atque hominum fidem, quid vis tibi ? […]14 Soit ton courage, soit notre voisinage, ce que je place dans la proximité de l’amitié, font que je t’avertis avec audace et familiarité de ce que tu me sembles agir à l’encontre de ton âge et à l’encontre de ce que te conseille ta fortune. Par la grâce des dieux et des hommes ! Que veux-tu donc pour toi ? […]
A. Le commentaire de Guy Jouenneaux-Josse Bade Voici ce que dit le commentaire de Guy Jouenneaux-Josse Bade sur différents termes ou expressions du passage, tel qu’il se présente dans l’édition de Venise de 1494. Ce commentaire apparaît dans cette édition sous la forme d’un texte suivi. Mais, pour des raisons de clarté, nous le citons vers par vers. V. 56 : V. 57 :
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Vicinitas, id est propinquitas (nam vicinia significat homines qui prope domum nostram habitant, sed vicinitas est ipsa domorum propinquitas)15. Quod : s[cilicet] esse vicinum ; puto, id est reputo ; esse sup[plendum est] ; in propinqua parte, id est in coniuncta parte amicitiae16.
l’édition de Strasbourg que « l’éditeur [= J. Grüninger] adjoint celui [= le commentaire] de Donat, compilé au IVe siècle ap. J.-C. » : ce commentaire est en fait celui de Calphurnius, qui interprète très largement Donat, comme le montre une comparaison, lorsqu’elle est possible, entre les deux textes. V. 77 : Homo sum : humani nihil a me alienum puto. Térence, Heautontimoroumenos, v. 56–61 (édition J. Marouzeau : Térence 1964). « Vicinitas, c’est-à-dire propinquitas (car vicinia désigne les hommes qui habitent près de notre maison, mais vicinitas est la proximité même des maisons) ». « Quod signifie ‹ le fait d’être voisin › ; puto c’est-à-dire reputo ; esse doit être suppléé ; in propinqua parte, c’est-à-dire « en part connexe de l’amitié ».
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Gérard Freyburger V. 58 :
Tua inquam virtus et vicinitas facit : id est inducit me ut moneam te audacter, id est libere17.
Dans cette phrase, le commentaire précise la structure de dialogue en ajoutant l’incise inquam et éclaire l’expression imprécise de Térence facit ut par la tournure explicite inducit me ut. V. 59 :
Eius sup(plendum est)18 ; quod videris mihi facere praeter aetatem tuam, id est contra tuam senectutem19.
L’intérêt et l’objectif du commentaire sont ici très nets. D’une part, celui-ci explique deux points de syntaxe : le fait qu’il faille suppléer un eius devant quod (« t’avertir de ce que … ») et le fait que la forme térentienne rare videre équivaut à la forme habituelle videris ; d’autre part, il transcrit la phrase de Térence en une syntaxe courante en déplaçant le pronom (mihi) et l’infinitif (facere) : la phrase ainsi obtenue ressemble bien plus à une phrase d’une langue moderne. Et pour que tout soit parfaitement clair, praeter aetatem (« à l’encontre de ton âge ») est encore explicité en contra tuam senectutem (« à l’encontre de ta vieillesse ») . C’est donc sans nul doute en vue de l’enseignement que ce commentaire a été écrit. V. 60–61 : Praeterquam res tua i. e. tua utilitas adhortatur i. e. admonet, suadet, postulat ut fiat20.
La phrase est ici précisée de deux manières. Res tua, d’abord, est expliqué par utilitas tua, ce qui est discutable, mais possible : il existe en effet une acception « avantage », « intérêt » pour res. Adhortatur, ensuite, employé dans ce passage de Térence au sens figuré, reçoit trois synonymes courants : admonet, suadet et postulat. V. 62 :
Nam proh : exclamatio vehemens ; imploro sup(plendum est) ; fidem : opem et auxilium ; deum : deorum21.
Pour ce passage, le commentaire donne des indications grammaticales (suppléer imploro, deum = deorum) et de sens (valeur exclamative de l’expression initiale, sens particulier de fides). B. Le commentaire de Calphurnius Voici à présent ce que dit le commentaire de Calphurnius, toujours dans l’édition de Venise. 1° Vicinitas. Vicinia non tam homines qui eundem incolunt vicum significat quam qui prope domum tuam habitant, vicinitas autem non homines, sed propinquitatem proprie vicinorum. 17 18 19 20 21
« Tua inquam virtus et vicinitas facit : c’est-à-dire me conduit à t’avertir avec audace, c’est-àdire avec liberté ». « Eius doit être suppléé … ». « De ce que tu me sembles agir à l’encontre de ton âge, c’est-à-dire à l’encontre de ta vieillesse ». « Contrairement à ce que ton bien c’est-à-dire ton utilité t’invite, c’est-à-dire t’engage, te conseille, te demande de faire ». « Nam proh : exclamation véhémente, il faut suppléer imploro ; fidem : « soutien », « aide » ; deum = deorum ».
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« Vicinia ne désigne pas tant les hommes qui habitent le même quartier que ceux qui habitent près de ta maison ; vicinitas ne désigne pas des hommes, mais la proximité, exactement de voisins ». 2° Nam proh deum atque hominum. Exclamatio vehemens est in eum qui et senex et dives continuo se labore defatiget et in eo magis Chremes admiratur huius laborem, nondum intellecta causa. « Exclamation véhémente contre celui qui, vieux et riche, s’épuise par un travail continu et, en cela, Chrémès s’étonne davantage de son labeur, n’en connaissant pas encore la cause ».
On constate que ce deuxième commentaire est moins orienté vers le vocabulaire que le premier et vise plus à une explication du fond, nous dirions, à une explication littéraire. PREMIÈRE PARTICULARITÉ DE L’ÉDITION GRÜNINGER : UNE DISPOSITION NOUVELLE DES DEUX COMMENTAIRES A. Les notes interlinéaires de l’édition Grüninger sont toutes tirées du commentaire de Guy Jouenneaux-Josse Bade. On lit en effet : au-dessus de : ..........................
la mention :
vicinitas .................................... quod.......................................... in propinqua parte ................... facit .......................................... audacter .................................. praeter aetatem tuam ............... praeter quod res ...................... adhortatur ...............................
propinquitas s(cilicet) esse vicinum i22. coniuncta portione i. inducit i. libere i. contra tuam senectutem i. tua utilitas i. admonet, suadet, postulat.
On observe donc une utilisation textuelle du commentaire de Guy Jouenneaux-Josse Bade, mais seulement partielle : on en retient les données explicatives essentielles, qui sont judicieusement placées au-dessus du mot ou de l’expression difficiles de Térence, afin de permettre une lecture aisée de la comédie. Le procédé est remarquablement pédagogique et n’est pas sans rappeler celui utilisé par Beatus Rhenanus dans ses cahiers d’écolier23.
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i. = i. e. = id est, « c’est-à-dire ». Cf. suzeau 2000, p. 21–32.
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B. Le texte en petits caractères, situé à gauche du texte de Térence et en dessous de lui, est le commentaire de Calphurnius : celui-ci est résumé à propos de vicinitas, mais, en général, il est reproduit tel quel. On remarque cependant une intéressante disposition : les différentes entrées du commentaire sont marquées par des lettres de l’alphabet (de a à q sur le folio que nous présentons en annexe 1) et ces lettres se retrouvent dans le texte de Térence, au-dessus du mot principal du passage commenté : ainsi a au-dessus de vicinitas, b au-dessus de nam proh deum, c au-dessus de vt conijcio etc. Cette disposition typographique est, comme la précédente, fort judicieuse, car elle facilite considérablement la lecture et l’utilisation du commentaire. Elle permet en outre, comme nous allons le voir, un usage fructueux des lexiques. DEUXIÈME PARTICULARITÉ DE L’ÉDITION DE GRÜNINGER : LA PRÉSENCE DE DIRECTORIA Ils sont au nombre de trois, bien indiqués sur la page de garde comme des éléments notables. A. Directorium vocabulorum Il s’agit d’un lexique des termes employés par Térence, présentés par ordre alphabétique et commençant donc par la lettre A (voir annexe 2). Le principe en est que chaque terme de la liste est suivi d’un numéro de folio, lui-même suivi d’une lettre de l’alphabet. Ainsi abicio (= abitio, onis, f « départ ») est traité dans le folio LXV, avec un renvoi l : il s’agit du vers 189 de l’Heautontimoroumenos (scène 2) où est employé le terme abitio. La lettre l renvoie au commentaire de Calphurnius, qui signale que abitio dérive de abire et a le sens de discessus, profectio. Ainsi encore abuti renvoie au folio II, avec un renvoi f, c’est-à-dire au vers 5 de l’Andrienne (il s’agit du prologue). Nous y trouvons une définition à la fois philologique et morale de l’abusus par rapport à l’usus, avec des exemples frappants. Usui est ager, domus ; abusui vinum, oleum et cetera huiusmodi24, propos illustrés par un passage des Topiques de Cicéron25 où il est dit que, si une veuve hérite de son défunt mari des caves remplies de vin et qu’elle considère qu’elle doive en profiter pour son usage personnel, il y a abusus. Ce directorium vocabulorum occupe cinq folios.
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« Sont des biens d’usage un champ, une maison, sont des biens d’abus le vin, l’huile et d’autres de ce genre ». Il s’agit de Topiques III,17.
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B. Directorium adagionum Ces adages renvoient toujours , de la même façon, au texte de Térence et au commentaire de Calphurnius. Le commentaire peut ne presque rien y ajouter, comme dans le premier du directorium : Desinant maledicere : malefacta ne noscant sua Qu’ils cessent de médire, de peur de faire connaître leurs propres méfaits.
Il s’agit là d’un extrait (la fin du vers 22 et le vers 23) du prologue de l’Andrienne. C’est aussi le cas dans le deuxième adage cité : Id arbitror apprime in vita esse utile : ut ne quis nimis. J’estime que ce précepte est tout particulièrement utile dans la vie : rien de trop.
C’est l’affranchi Sosie qui parle, toujours dans l’Andrienne (v. 60–61). Le commentaire ne porte que sur l’adverbe apprime, assez rare, explicité par adiectio est confirmantis. En revanche, le troisième adage, encore tiré de l’Andrienne (v. 68), est davantage explicité. Il dit : Obsequium amicos, veritas odium parit. La flatterie procure des amis, la vérité l’hostilité.
Le commentaire explique : Hic versus perproprium est : veritas odium parit, tamen illa sententia in theatro habet locum, non in scolis : Tullius multa dixit de illa sententia ; quae tamen magis probabilis est quam necessaria et honesta. Ce vers est très exact : la vérité produit l’animosité : cependant cette phrase a sa place au théâtre et non pas dans les écoles. Cicéron en a beaucoup parlé, mais elle est plus digne d’être approuvée que nécessaire et honnête.
La réticence du commentaire provient assurément de ce que des élèves qui prendraient cet adage au pied de la lettre pourraient être troublés en pensant que, s’ils disent la vérité, ils s’attireront nécessairement de l’hostilité. Cette liste s’étend sur un folio et demi. C. Directorium artis comicae Ce dernier répertoire rassemble des expressions particulièrement caractéristiques de la technique du théâtre comique. Les trois premières illustrent bien ce propos. 1. Virtus est ut argumenti narratione actio scenica videatur. La qualité (du passage) est que l’action scénique soit visible par l’exposé du sujet.
Il s’agit du prologue de l’Andrienne, dont la qualité est ainsi louée. 2. Ita periocham comediae populus teneat ut res agi magis quam narrari videatur.
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Gérard Freyburger Il faut que le peuple retienne le sommaire de la comédie de telle sorte que la chose paraisse jouée plutôt que racontée.
C’est toujours un commentaire du prologue de l’Andrienne. 3. Vnde nomina servorum sint comicorum.
Le commentaire précise cette fois à propos du nom d’esclave « Misis » : Les noms d’esclaves proviennent toujours soit de nations comme Misis, Syrus, soit d’accidents comme Lesbia, qui signifie pour ainsi dire ,l’enivrée’, de l’île de Lesbos qui se déchaine sous l’effet de son vin très éclatant et délicieux, soit des mœurs et de la nature de l’esclave, comme Pseudolus, ou du négoce, comme Chrysale, ou d’une qualité physique, comme Chilaeus, ou d’une forme de beauté, comme Pinacium.
Il y a ainsi un feuillet de passages caractéristiques. Ils ont été choisis soit pour simplement attirer l’attention du lecteur sur un passage donnant un élément important de la technique théâtrale, soit pour renvoyer à un commentaire de Calphurnius fournissant d’utiles informations. TROISIÈME PARTICULARITÉ DE L’ÉDITION DE GRÜNINGER : DES PLANCHES ILLUSTRANT LE TEXTE L’édition de Grüninger est remarquable par ses gravures : un magnifique théâtre orne la première page et les divers personnages des comédies de Térence sont ensuite présentés26. On a étudié la qualité et l’originalité de ces gravures27 et la postérité d’autres éditions illustrées qu’a eue celle de notre imprimeur28. l. HerMand-sHebat insiste sur l’intérêt pédagogique tout particulier des six gravures occupant une page entière : Pour chaque pièce est représenté sur une page l’ensemble des personnages, groupés selon la maison à laquelle ils se rattachent. Le personnage représenté au centre est toujours celui qui dénoue l’action. Le graveur vise aussi à restituer l’intrigue de la pièce : l’artiste situe les événements les plus éloignés dans le temps en haut de la gravure, invitant le lecteur à adopter un regard descendant pour comprendre les péripéties successives de la pièce29.
Nous voudrions, quant à nous, insister, également du point de vue pédagogique, sur l’importance que peuvent avoir les images de format plus réduit pour illustrer le texte : ainsi, pour nous en tenir à l’Heautontimoroumenos v. 56–61, l’expression « à l’encontre de ta vieillesse » (contra tuam senectutem) du commentaire est remarquablement illustrée par des images de vieillards très fortement ridés.
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On trouvera des reproductions dans Freyburger 2000. duPeux 1989 dePeux, léVy & wirtH 1992. HerMand-scHebat 2011, p. 7.
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CONCLUSION Voilà donc cet ouvrage dont la particularité est d’offrir au lecteur tout un arsenal de moyens lui permettant d’accéder le plus facilement possible au texte de Térence. Ces moyens sont d’une part une disposition nouvelle des commentaires de Guy Jouenneaux-Josse Bade et de Calphurnius, le premier (simplifié) étant placé entre les lignes, le deuxième en marge et en bas de page, avec un système précis de renvois au moyen de lettres de l’alphabet. La Bibliografia terenziana de a. cuPaiolo ne permet pas de savoir si cette disposition des deux commentaires canoniques a été réalisée pour la première fois par J. grüninger ou si cela avait déjà été fait antérieurement. Seule une « autopsie » de l’ensemble des éditions permettra de le déterminer30. Ces moyens sont d’autre part trois lexiques, trois directoria, un de vocabulaire, un deuxième d’adages et un troisième d’ars comica avec, pour chaque occurrence, un renvoi à un folio déterminé et, sur ce folio, à une lettre précise de l’alphabet invitant le lecteur à se reporter à un point du commentaire de Calphurnius. La Bibliografia terenziana de a. cuPaiolo signale ces lexiques pour la première fois dans l’édition grüninger. Ce remarquable effort pédagogique a donc été réalisé dans notre région du Rhin Supérieur et se signale comme une contribution remarquable de celle-ci à la diffusion de l’œuvre de Térence. L’impact de cet ouvrage a été tel que même un érudit comme Beatus Rhenanus a jugé bon de mettre de sa main des annotations dans l’édition Schürer, en progrès sensible du point de vue ecdotique sur l’édition Grüninger puisque le texte de Térence y est imprimé sous la forme versifiée qui convient, en s’inspirant des commentaires de l’édition Grüninger : il avait certainement pratiqué celle-ci soit dans son enfance, comme élève, soit plus tard, comme conseiller des maîtres de l’Ecole Latine de Sélestat. Notre édition a sans doute, à notre sens, maintes fois servi de « livre du maître ». BIBLIOGRAPHIE Landino 1482 = C. Landino, In Q. Horatii Flacci libros omnes ad illustrissimum Guidonem Feltrium magni Federici ducis filium interpretationes (impr. per Antonium Miscominum), Florentiae, 1482. Térence 1474 = Terentius, Opera, (ed. De Levilapis ?), Tarvisii, 1474. Térence 1496 = Terentius, Opera, comm. A. Donatus, G. Juvenalis et J. B. Asconius, directorium vocabulorum, directorium sententiarum, ed. J. grüninger, Strasbourg, 1496. Térence 1516 = Terentius, Opera, ed. M. scHuerer, Argentorati, 1516. cuPaiolo 1984 = F. cuPaiolo, Bibliografia terenziana (1470–1983), Napoli, 1984, p. 37–49. duPeux 1989 = C. duPeux, Les combinaisons de bois : une spécificité strasbourgeoise, in L’imagi-
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Nous entreprenons actuellement cette autopsie dans le cadre du programme européen « Patrimoine Humaniste du Rhin Supérieur » mené par les universités de Haute Alsace, de Freiburg im Br. et de Strasbourg.
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naire strasbourgeois. La gravure dans l’édition strasbourgeoise 1470–1520, Strasbourg, 1989, p. 29–39. duPeux, léVy & wirtH 1992 = C. duPeux, J. léVy & J. wirtH, La gravure d’illustration en Alsace au XVIe siècle I. Jean Grüninger (1. 1501–1506), Strasbourg, 1992. Freyburger 1991 = G. Freyburger, 5 éditions anciennes d’auteurs latins dans le fonds Weiss : Térence, Horace, Virgile, Vitruve et Boèce, in G. Freyburger, P. cHourreu & J. l. eicHenlaub, Mélanges de la Bibliothèque de la Société Industrielle de Mulhouse (Bulletin de la Faculté des Lettres de Mulhouse, fascicule XVIII), Mulhouse, 1991, p. 29–34. Freyburger 2000 = G. Freyburger, Beatus Rhenanus, annotateur de l’Heautontimoroumenos de Térence, in F. HeiM & J. Hirstein, Beatus Rhenanus (1485–1547), lecteur et éditeur de textes anciens, Turnhout, 2000, p. 117–128. HerMan-scHebat 2011 = L. HerMan-scHebat, Texte et image dans les éditions latines commentées de Térence (Lyon, Trechsel, 1493 et Strasbourg, Grüninger, 1496), in Camenae n° 10, juin 2011, p. 1–14 (http://www.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/ARTICLE_9_Hermand-Schebat.pdf; 13.06.2016). loeFler 1882 = F. J. loeFler, De Calphurnio Terentii interprete in Dissertationes philologicae Argentoratenses selectae, Roma, 1882. ritter 1955 = F. ritter, Histoire de l’imprimerie alsacienne aux XVe et XVIe siècles, Strasbourg/ Paris, 1955, p. 81–110. suzeau 2000 = I. suzeau, Le cahier d’écolier de Beatus Rhenanus : l’étude de Virgile (Sélestat, 1499), in F. HeiM & J. Hirstein, Beatus Rhenanus (1485–1547), lecteur et éditeur des textes anciens, Turnhout, p. 21–32. zeHnacker 1994 = F. zeHnacker, Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques publiques de France (vol. XIII, t. II, Région Alsace), Paris, 1994, p. 738.
LE SEL LUCILIEN : TRADITION LATINE ET HÉRITAGE GREC Réflexion sur le fragment 11, 15 Charpin (411–412 Marx) des Satires Aude Lehmann Le thème de ce colloque nous conduit tout naturellement à nous pencher sur l’œuvre de Lucilius, poète latin du IIe siècle av. J.-C., né vraisemblablement en 180, mort en 101 av. J.-C.1, et présenté par Horace comme le fondateur du genre satirique2. De fait, le protégé de Mécène souligne la spécificité de l’art de son prédécesseur en ces termes : Nempe incomposito dixi pede currere uersus Lucili. Quis tam Lucili fautor inepte est, Vt non hoc fateatur? at idem, quod sale multo Vrbem defricuit, charta laudatur eadem3.
Et cette remarque du début de la Satire X du livre I est complétée par un vers tout aussi suggestif de l’Épître à Florus où Horace4 rappelle le plaisir procuré à certains lecteurs par les diatribes de Bion de Borysthène et par le sel noir (Bioneis sermonibus et sale nigro)5. De fait, la tradition reprise par Diogène Laërce voulait que le philosophe cynique se soit présenté lui-même (dans une lettre à Antigone Gonatas) comme le fils d’un ταριχέμπορος6, en latin salsamentarius, c’est-à-dire d’un mar1 2 3
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Cf. krenkel 1972, p. 1240–1259. Hor., sat., II, 1, 62. Hor., sat., I, 10, 1–4 : « Oui, j’ai dit que les vers de Lucilius couraient d’un pas déréglé. Lucilius a-t-il des prôneurs assez maladroits pour ne pas le reconnaître ? ‹ Mais, dira-t-on, dans la même pièce, le même poète est loué parce qu’il eut du sel à pleines mains pour en frotter la ville. › » Trad. F. VilleneuVe, 1989, p. 104, n. 1. Modifiée d’après la note du même auteur pour le sens précis de At : en effet, Horace répond à un interlocuteur qui ne comprend pas comment une critique véhémente peut être suivie d’un éloge. Voir sur ce point delignon 2006, p. 17–18 et la note 38. Hor., epist. II, 2, 1. Sur le destinataire de l’Épître II, 2, cf. leFèVre 1993, p. 322 sq. Hor., epist. II, 2, 58–60 : « Enfin, tous les hommes n’ont pas les mêmes admirations et les mêmes goûts. Toi, tu fais ton plaisir de l’ode ; pour cet autre les iambes ont du charme, et, pour cet autre encore, les entretiens à la manière de Bion, avec leur sel noir. » Trad. F. VilleneuVe. Sur le sel, métaphore de la sévérité du satiriste envers ses contemporains et trait d’union entre la satire et la diatribe, cf. oltraMare 1926, p. 138–152 et delignon 2006, p. 329 sq. Diogène Laërce IV, 7, 46 : « Mon père était un affranchi qui se mouchait dans sa manche – il voulait dire qu’il était un marchand de salaisons – de souche borysthénite … ». Trad. T. dorandi dans Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, trad. franç. ss la dir. de M.-o. goulet-cazé, dont on consultera avec profit, à propos de Bion de Borysthène l’introduction substantielle, p. 478–479. On se reportera, en outre, à Fraenkel, 1957, p. 6–7 qui com-
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chand de salaisons. En réalité, pris dans son acception concrète, le sel noir, issu selon Pline l’Ancien de plantes carbonisées7, était destiné surtout à un usage culinaire8. D’après Varron, il était employé par des peuples privés à la fois de sel gemme et de sel marin comme les Gaulois transalpins9. Cela n’empêche pas Horace de laisser la parole, dans une satire, au gastronome Catius qui se proclame l’inventeur d’un assaisonnement à base de poivre blanc et de sel noir10. Mais, comme le signale aussi Pline l’Ancien, dans un développement repris par Érasme dans ses Adages11, le mot sal s’était enrichi d’un sens figuré : […] c’est, dit-il, une substance à ce point nécessaire qu’elle désigne aussi par métaphore les plaisirs intellectuels, c’est en effet le sel qui leur donne leur nom12.
Le fait est qu’en latin classique, en particulier chez Cicéron13, le mot sal au singulier et, plus encore, le pluriel sales désignent toutes les formes de plaisanteries de nature à agrémenter un discours ou une conversation14. C’est un thème que Cicéron aborde aussi bien dans ses ouvrages théoriques que dans certains plaidoyers ou dans sa correspondance. Or, lorsqu’il illustre son propos par des exemples probants, il cite à plusieurs reprises les saillies d’un crieur public contemporain et ami du poète Lucilius, un certain Granius15. Et ces témoignages de l’Arpinate sur les répliques spirituelles de cette figure haute en couleurs ont souvent servi de point de départ à bon nombre d’éditeurs de la Renaissance et de l’époque moderne pour établir le texte de l’œuvre, hélas fragmentaire, de Lucilius. Les textes de Cicéron afférents à mente le passage d’Horace (epist., II, 2, 58–60) et cite la remarque suivante de la Vita Horati de Suétone : ut ipse tradit … ut uero creditum est, salsamentario, cum illi quidam in altercatione exprobasset « quotiens ego uidi patrem tuum bracchio se emungentem ». 7 Plin., nat., XXXI, 83 : « Tout sel fabriqué avec du bois est noir ». Trad. G. serbat. blüMner 1920 rapproche le procédé de fabrication des Anciens de celui du briquetage utilisé en Lorraine, cf. aussi serbat 1972, p. 158. 8 Cf. Plin., ibid. Pline mentionne aussi les indications thérapeutiques du sel, cf. Plin., nat., XXXI, 102. Par ailleurs, il n’est pas exclu que Lucilius fasse allusion à l’utilisation médicale d’une plante riche en sel (cf. Lucil., Dubia 29+C = 1367 M [–] panacean ubique salem [∪ ∪ – ∪ ∪ – ∪] « le sel, panacée pour tous les maux », trad. F. cHarPin). 9 Varro., rust., I, 7, 8 : Tremelius Scrofa évoque en effet en ces termes ses souvenirs d’une expédition militaire outre-Rhin : In Gallia transalpina intus, ad Rhenum cum exercitum ducerem, aliquot regiones accessi, ubi nec uitis nec olea nec poma nascerentur, ubi agros stercorarent candida fossicia creta, ubi salem nec fossicium nec maritimum haberent, sed ex quibusdam lignis combustis carbonibus salsis pro eo uterentur. 10 Hor., sat., II, 4, 73–75 : Hanc ego cum malis, ego faecem primus et allec, Primus et invenior piper album cum sale nigro Incretum puris circumposuisse catillis. Comme l’observe delignon (p. 439), Catius se drape pompeusement dans une dignité de philosophe, alors que ses préceptes sont bassement culinaires. 11 Érasme, Adages, 1251 (Salsitudo non inest illi), SALADIN, 2011, p. 182. 12 Plin., nat., XXXI, 81–83. Trad. G. serbat. 13 Voir notamment Cic., fam. IX, 15, 2 et infra n. 32. 14 Cf. ernout & Meillet, 1967, s.v. sal, p. 589 qui précise qu’au sens propre « le pluriel sales désigne les grains de sel ». 15 Sur ce personnage, cf. Münzer 1912, s.v. Granius, 8) Q. Granius.
Le sel lucilien : tradition latine et héritage grec
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Granius ont ainsi été répertoriés par Franciscus Dousa (1577–1630), le quatrième fils de Janus Dousa (1545–1604), poète et philologue comme son père et auteur d’une édition commentée des œuvres de Lucilius parue à Leyde en 159716, dont un exemplaire est consultable à la BNU de Strasbourg. Mais avant d’en venir à la teneur même des plaisanteries de ce Granius, peutêtre ne sera-t-il pas inutile de le présenter brièvement à la lumière des quelques indices dont nous disposons. Issu d’une famille originaire de Pouzzoles qui semble avoir exercé le métier de praeco17 de père en fils, Q. Granius comptait parmi ses ascendants un certain P. Granius Gibber, affublé – on le voit – d’un sobriquet le désignant comme « bossu ». Tels sont, du moins, les renseignements que nous apporte l’épigraphie funéraire18. Et ce n’est assurément pas le fruit du hasard si l’un des fragments des Satires de Lucilius comporte précisément le mot gibber : GIBBER … [– ∪ ∪ – ∪ ∪ – ∪ ∪ – ∪ ∪ ] gibbere magno […] « avec une grosse bosse »19.
Il était habituel et licite dans la satire de stigmatiser les tares physiques des cibles visées. Aristote, dans la Poétique, considérait le ridicule, c’est-à-dire ce qui suscite le rire, comme inhérent à la laideur :
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On trouvera chez cHarPin, 1978, la liste exhaustive des éditions des Satires de Lucilius (cf. ibid., p. 68–71) d’où il ressort que la plus ancienne est celle de F. Dousa, parue à Leyde en 1597, cf. infra n. 43, celle de H. Estienne (Fragmenta poetarum ueterum Latinorum quorum opera non exstant ab Henrico Stephano digesta, Paris, 1564) n’étant pas consacrée au seul Lucilius. L’activité poétique, philologique et éditoriale de Franciscus Dousa, fils de Janus Dousa, a été mise en lumière par glei, 2009 : d’après cette étude, c’est mû par un triple devoir de piété – familial (envers son père et son frère aîné prématurément disparu), intellectuel (envers les Lettres), patriotique enfin (au moment du conflit des Hollandais et des Espagnols) – que F. Dousa accomplit cette tâche éditoriale. Cf. CIL, X 2187 ; 2484–2489 ; 2607 ; 2651 et Münzer 1912. Pour le statut social et les fonctions précises des praecones, cf. Hinard, 1976, et daVid, 2005, p. 159–160. On se reportera, en outre, pour mesurer la différence entre les κήρυκες grecs, nantis d’attributions tant civiles que religieuses, et les praecones romains, attachés aux magistrats dans les assemblées et les tribunaux et chargés de les assister lors des ventes à la criée à dareMberg, saglio & Pottier, 1904. Cf. F. buecHeler, Carm. Lat. epigraph. I, p. 26, 53 où se trouve attesté aussi le caractère héréditaire de la fonction de praeco. Quant au praenomen, Quintus, du crieur public contemporain de Lucilius, il nous est connu par Cicéron (Brut. 172) ainsi que par les Scholia Bobiensia, p. 259, ce qui permet de le distinguer de P. Granius, riche commerçant de Pouzzoles appelé à témoigner lors du procès intenté à Verrès (cf. Cic. Verr., V, 154 et Münzer 1912). Lucil., frg. 119 C = 1179 M = Charisius GLK 1, 85, 8 : « GIBBER, selon Verrius désigne proprement la malformation, comme tuber (la bosse) ; gibberosus, qui a une bosse, comme tuberosus ; et Lucilius a raison de dire […] avec une grosse bosse », trad. F. cHarPin. F. Dousa a intégré le fragment à son édition sous la rubrique des fragments d’origine incertaine, cf. F. Dousa, frg. 129 p. 16. Il n’y ajoute aucun commentaire et se contente d’en indiquer la source (cf. ibid.). Mais c’est à lui que nous devons la correction de Vergilius en Verrius (cf. ibid. et Marx 1905, p. 373, comm. du frg. 1179).
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Aude Lehmann […] Le comique n’est qu’une partie du laid. Le comique tient en effet à un défaut et à une laideur qui n’entraînent ni douleur ni dommage : ainsi par exemple un masque comique peut être laid et difforme sans exprimer de douleur20.
Cicéron, pour sa part, passe du masque à la personne lorsqu’il écrit dans le De oratore : Le terrain de choix pour ainsi dire et le domaine du ridicule … est toujours quelque laideur morale, quelque difformité physique21.
En réalité, comme le relève à juste titre Bénédicte delignon, [l]’attaque contre les défauts physiques ne scandalisait en rien les Romains : elle était au contraire un topos de la rhétorique du blâme, fondé sur l’idée que les défauts physiques ne sont que l’expression visible de défauts moraux22.
Au reste, la conviction que l’insistance sur une disgrâce physique déclenche immanquablement le rire a perduré jusqu’à l’époque moderne, puisque bergson a développé dans Le rire une théorie analogue : « certaines difformités ont sur les autres le triste privilège de pouvoir, dans certains cas, provoquer le rire », écrit-il ; et plus loin, il énonce le principe suivant : Peut devenir comique toute difformité qu’une personne bien conformée arriverait à contrefaire. Ne serait-ce pas alors que le bossu fait l’effet d’un homme qui se tient mal23 ?
En tout cas à Rome, les plaisanteries sur les cognomina des grands hommes étaient monnaie courante et ne touchaient pas directement les victimes apostrophées, puisque le souvenir de la raison d’être de ces sobriquets se perdait dans la nuit des temps24. Ainsi, dans les Satires de Lucilius, le rappel du cognomen « Gibber » pouvait viser malicieusement Granius ou un membre de sa famille, tant il est vrai que le poète n’hésitait guère à exercer sa verve contre ses amis. Toutefois, l’allusion à un aïeul de Granius avait aussi pour effet de doter le crieur public d’une généalogie et de montrer qu’en qualité d’homme libre il pouvait se prévaloir d’ascendants détenteurs, comme les grands de la cité, des tria nomina25. Peut-être était-ce là une des raisons de l’assurance dont faisait preuve Granius et de la haute opinion qu’il avait de lui-même, si nous en croyons un autre fragment de Lucilius : … Granius autem non contemnere se et reges odisse superbos26. Aristot., poet. 1449 b 33–38 : trad. M. Magnien 2009. Cic., de orat. II, 54, 236 : trad. E. courbaud. Cf. delignon 2006, p. 241 n. 222 et saint-denis 1965 qui relève (p. 42) que « le jeu des sobriquets fut pratiqué de très bonne heure par les Latins ». 23 Cf. bergson 2004, chap. III, p. 17. Cf. ibid., p. 87 : « Nous rions toutes les fois que notre attention est détournée sur le physique d’une personne, alors que le moral était en cause ». 24 Cf. n. 22. 25 Le topos du genos était de mise dans les discours d’éloge, cf. Pernot 1993, t. II, p. 154–156. 26 Lucil., H 84 C = 1181–1182 M : « […] mais Granius ne se méprise pas et déteste la superbe des rois ». Trad. F. cHarPin. Marx 1905, vol. II, p. 373, comm. du frg. 1181, rattache le fragment au livre XX des Satires, celui qui relatait la cena offerte par Granius à plusieurs Romains en vue, dont Crassus, alors tribun (cf. Cic., Brut. 161), et interprète reges au sens de « grands de la cité », attendu que Cicéron, dans le Pro Plancio (Planc. 33), rapporte les plaisanteries irrévérencieuses du crieur public à leur égard. F. Dousa a retenu le fragment (frg. 179 p. 21 de son 20 21 22
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Ces hexamètres, sauvés par Cicéron – comme le soulignait déjà F. Dousa – mettent en effet en lumière l’orgueil de Granius et sa haine de certains personnages de haut rang qui avaient tendance à le mépriser27. Il n’empêche que Cicéron vante les qualités de Granius et surtout son sens inégalé de l’humour. Ainsi, dans le Brutus, lorsqu’il le compare à son collègue T. Tinca de Plaisance, c’est à lui qu’il décerne la palme en raison, dit-il, de « je ne sais quelle saveur du terroir » (nescio quo sapore uernaculo)28. En d’autres termes, Granius qui n’avait sans doute pas étudié les traités théoriques grecs sur le rire29 – s’était forgé une réputation de spécialiste incontesté de plaisanteries bien latines. La même idée est du reste exprimée par Cicéron dans une lettre contemporaine du Brutus30 (datée de 46 av. J.-C.) où il explicite la notion de sapor uernaculus. Il rend hommage en effet au naturel facétieux de son correspondant, L. Papirius Paetus31, et à ses bons mots qu’il juge infiniment supérieurs à ceux des habitants de l’Attique ; puis il se réfère, à propos de ce qu’il appelle « les plaisanteries bien de chez nous »
édition) sous la rubrique des Versus aliquot citati quidem omisso auctoris nomine aut perperam adscripto, a doctis tamen Lucilij esse existimati et en indique les sources (Cic., Att. VI, 3, 7 et II, 8, 1) en précisant que le second témoignage ne comporte que la séquence reges odisse superbos. Sur l’impossibilité – pour des raisons chronologiques – de rattacher le fragment au livre XI, cf. Marx 1904, p. XLVIII–XLIX et aragosti 1985, p. 100–101. 27 Cf. Dousa, ibid., p. 108 et p. 179 où l’humaniste de Leyde se fonde sur l’exégèse de Bosius pour expliciter le sens de l’expression reges odisse superbos : Hunc sesquiuersum Lucilianum esse atque ita constituendum ut edidimus censet eruditissimus Simeon Bosius hoc sensu : Granius, inquit, quem potentiores despiciebant, ipse se non contemnebat, sed plurimi faciebat : idem Reges oderat superbos, hoc est magnates illos qui ipsum despectui habebant. Et F. Dousa en veut pour preuve le passage (cf. Lucil., 11, 15 C = 411–412 M) où Lucilius parle de reproduire dans ses vers le bon mot de Granius. 28 Cic., Brut., 172 : « Tinca n’était pas moins fertile en saillies que Granius, mais Granius avait l’avantage par je ne sais quelle saveur de terroir », trad. J. MartHa. Dans le même ordre d’idée, Horace parle de l’Italum acetum, « le vinaigre italique » comme caractéristique, à ses yeux, des rudes satires de Lucilius, cf. Hor., sat., I, 7 où le poète passe de la métaphore du sel (v. 28) à celle du vinaigre (v. 32), et delignon, ibid., p. 233–234 qui rattache acetum « le vinaigre » et acre « piquant » à la même racine ac- et montre que chez Horace les deux termes sont liés à la rusticité des plaisanteries du Latium. 29 Cicéron fait état de ce type d’ouvrages dans le De oratore (II, 54, 217), bien que son porte-parole, César Strabon, soit d’avis que l’aptitude à susciter le rire relève non de l’ars, mais de la natura (ibid., II, 60, 247) et exprime sa déception en ces termes après lecture des livres grecs : … cum quosdam Graecos inscriptos libros esse uidissem ‹de ridiculis›, non nullam in spem ueneram posse me ex iis aliquid discere … sed qui eius rei rationem quandam conati sunt artemque tradere, sic insulsi exteterunt, ut nihil aliud eorum nisi ipsa insulsitas rideatur. Qua re mihi quidem nullo modo uidetur doctrina ista res posse tradi. (II, 54, 217). César Strabon songe probablement à des ouvrages intitulés περὶ γελοίων (Ce qui fait rire) tels qu’en composèrent Gorgias, Aristote ou Théophraste : cf. courbaud, 1966, p. 96–97, n. 2. 30 La rédaction de l’ouvrage se situe en mars–avril 46, cf. zeHnacker & Fredouille 2005, p. 87 ; griMal 1986, p. 322 ; MartHa 1966, p. I. 31 Cic., fam., IX, 15, 2. Sur L. Papirius Paetus, destinataire de la missive, épicurien ami de Cicéron, cf. beauJeu 1980, comm. ad locum, p. 289 n. 2.
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(facetiis nostratibus)32, à Granius, à Lucilius, ainsi qu’à Crassus et à Lélius33, qu’il croit retrouver en la personne de son ami34. Enfin, dans le De oratore, César Strabon déclare que nul ne saurait surpasser Granius dans le domaine de la dicacitas, c’est-à-dire du trait d’esprit vif et bref : Granio quidem nemo dicacior35. De fait, les réparties spirituelles de Granius étaient encore connues de Cicéron puisqu’il en mentionne trois dans le De oratore36 comme des morceaux d’anthologie et que deux autres figurent en bonne place dans le Pro Plancio37. Le contexte dans lequel ces traits d’esprit furent décochés montre à l’évidence que Granius prenait une part active à la vie politique et judiciaire de son temps38 et qu’il avait su se faire admettre dans l’entourage de plusieurs dirigeants de la cité. Il est vrai qu’il vécut à Rome et qu’il maîtrisait parfaitement l’urbana lingua, la langue de la société mondaine et policée de l’Vrbs39. Sans doute est-ce l’une des 32
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Cic., fam., IX, 15, 2 « À cela s’ajoute ton esprit je ne dirai pas « attique », mais plus épicé que celui qu’on vante chez les Attiques, le vieil esprit romain de la Ville. Pour ma part – libre à toi d’en penser ce que tu veux – j’adore les plaisanteries, mais surtout celles de chez nous et davantage encore en voyant qu’elles ont été fardées d’abord par le Latium, à l’époque où le goût provincial s’est répandu dans notre Ville et, de nos jours, même par les peuples transalpins porteurs de braies, si bien qu’on n’aperçoit plus trace de l’enjouement d’autrefois. » Trad. J. beauJeu. Cicéron donne maint exemple des plaisanteries de Granius, cf. notamment Cic., de orat., II 60, 244 ; 62, 253 ; 70, 281 et Planc., 33. Les allusions de Lucilius à la verve de Granius seront étudiées plus loin. Crassus avait la réputation d’être passé maître dans les deux formes de plaisanteries distinguées par Cicéron dans le De oratore : celle qui se prolonge sur toute l’étendue d’un discours, la cauillatio, mais aussi le trait subit, rapide et acéré, la dicacitas. Cf. Cic., de orat., II, 54, 218 et 220 : « ce talent que tu m’attribues, Antoine, il faut beaucoup plutôt le reconnaître à Crassus et c’est l’avis de tout le monde » déclare César Strabon. Trad. E. courbaud. Quant à Lélius (C. Laelius Sapiens), ami de Scipion Émilien, il passait pour avoir recours à des plaisanteries plus rudes, proches de celles de l’ancien temps. Cf. saint-denis 1965, p. 150 sq. Cic., fam., IX, 15, 2. « Ainsi, quand je te vois, je crois voir tous les Granius, tous les Lucilius et même, à parler sincèrement, les Crassus et les Lélius. Que je meure si, à part toi, il me reste encore quelqu’un en qui je puisse reconnaître un reflet de l’antique gaîté du terroir ! », trad. J. beauJeu. Cic., de orat. II, 60, 244 : « Personne, assurément, n’est plus spirituel que Granius ». Cic., de orat., II 62, 254, cf. infra ; II 70, 281, cf. infra n. 54 ; II, 70, 282 : la réplique pourtant très mordante de Granius ici rapportée n’a pas fait l’objet d’un rapprochement avec Lucilius. En voici les circonstances et les termes : « à un mauvais avocat qui s’était enroué en plaidant, Granius conseillait de prendre une boisson froide au miel […] ‹ Mais je perdrai ma voix ›, dit l’autre, ‹ par ce moyen. › – ‹ Cela vaut mieux›, répondit Granius, ‹ que de perdre ton client ›. » trad. E. courbaud. Cic., Planc., 33 : la première était adressée à P. Scipion Nasica (cf. infra), la seconde à M. Livius Drusus, tribun de la plèbe en 91. La réponse impertinente de Granius à P. Scipion Nasica remonte à l’époque de la guerre contre Jugurtha (cf. infra) ; quant à la vive répartie lancée à Drusus, elle contient une allusion à ses projets de lois critiqués plus tard par Cicéron (leg., II, 14), notamment en ce qui concerne les lois agraires (cf. Cic., leg., II, 31). Cf. Cic., de orat., II, 60, 244 où César Strabon avoue son embarras pour tracer une frontière entre l’humour des « praecones », tels Granius et Vargula, et celui de notables romains comme L. Licinius Crassus et Q. Lutatius Catulus. Cicéron oppose par ailleurs dans le Brutus (Brut., 172) l’urbana lingua de Granius à la rusticitas de Tinca.
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raisons des sentiments bienveillants que nourrissait Lucilius à son endroit et de la dette littéraire qu’il contracta à son égard. Cicéron, qui vante les mérites de Granius dans le Brutus, fait dire en effet à l’éponyme du dialogue : « tu veux parler du Granius auquel Lucilius a fait de nombreux emprunts ? »40. Or cette remarque de Brutus41 a été prise en compte et par F. Dousa et par F. Marx pour tenter d’élucider le fragment suivant de Lucilius : Conicere in uersus dictum praeconis uolebam Grani42. Ce fragment figure dans le recueil des Satires de Franciscus Dousa au livre XI43 : l’éditeur du XVIe siècle se réfère en effet, conformément à sa méthode rigoureuse44, au passage d’Aulu-Gelle qui cite ce texte et en indique la provenance45. De plus, dans son commentaire, il rappelle le goût des Anciens pour les bons mots des crieurs publics en général et pour ceux de Q. Granius en particulier : celebrata ueteribus passim praeconum dicacitas et praecipue huius Granij Luciliani cuius nonnulla acute aut facete dicta meruerunt ut hic inferantur46.
F. Dousa reproduit ensuite intégralement dans son commentaire le passage du Pro Plancio de Cicéron47 mettant en scène Granius en présence de P. Scipion Nasica, puis face à M. Livius Drusus, ainsi que la remarque de l’Arpinate sur la gouaille du crieur public à l’endroit de Crassus et d’Antoine48. 40 41 42 43 44
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Cf. Cic., Brut., 172. Trad. J. MartHa. Rappelons qu’il s’agit de M. Iunius Brutus à la fois neveu – par sa mère Servilia qui fut la maîtresse de César – et gendre de Caton dont il avait épousé la fille Porcia, cf. griMal, 1988, p. 323. Lucil., XI, 15 C = 411–412 M. « Je voulais faire entrer dans mes vers le mot du crieur public Granius. » Cf. F. Dousa : C. Lucilii Satyrarum quae supersunt reliquiae, Franciscus Iani f. Dousa collegit, disposuit et notas addidit, Lugduni Batavorum 1597, p. 126 = comm. du frg. 6 du l. XI de cette édition. Les principes éditoriaux de F. Dousa, élève de Juste Lipse (1547–1606), sont loués par Marx 1904. Sur les objectifs scientifiques visés par F. Dousa, cf. glei 2009, p. 342–345 : l’auteur souligne l’évidente supériorité de l’édition de F. Dousa sur celle des Fragmenta Poetarum ueterum Latinorum quorum opera non exstant d’Henri Étienne parue en 1564 à Paris, très lacunaire, dépourvue de commentaire et où Lucilius n’occupait qu’une toute petite place (ibid., part. p. 342). Gell., 4, 17, 1 : le vers de Lucilius est invoqué comme preuve de l’allongement possible de la voyelle d’un préverbe, phénomène observable dans le cas précis de l’infinitif conicere chez Lucilius (XI, 15 C = 411–412 M). Cf. F. Dousa, comm. p. 126 : « Le sens de la répartie des crieurs publics a été célébré dans tous leurs écrits par les anciens et principalement celui de ce Granius présent chez Lucilius dont certains bons mots acérés ou spirituels méritent d’être rapportés ici ». F. Dousa se réfère au Pro Plancio de Cicéron à propos des remarques assassines adressées par Granius à P. Scipion Nasica, à Drusus et, enfin, à L. Crassus et à M. Antonius (cf. Cic., Planc., 33). Cic., Planc., 33. Le plaidoyer est daté du mois d’août 54. Cicéron y défendait un compatriote et un ami accusé d’avoir constitué des associations illégales pour s’assurer l’élection à l’édilité en 55 (cf. griMal 1988, p. 245) et qui s’était vu reprocher son franc-parler (cf. Cic., ibid.). Cic., ibid. et F. Dousa, comm., p. 126. Sur le bon mot de Granius à propos de l’attitude de P. Scipion Nasica, cf. infra n. 54–55. La riposte verbale adressée à M. Livius Drusus : immo uero tu, Druse, quid agis ? en réponse à la question anodine et banale : Quid agis, Grani ? (cf. Cic., Planc., 33) contenait, selon griMal 1976, p. 82 n. 1, une allusion perfide aux projets de loi de
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Les textes rassemblés par F. Dousa ont probablement influencé F. Marx pour l’exégèse du fragment 411–412 de son édition de Lucilius49. Mais le savant allemand va plus loin que l’éditeur batave dans son analyse. Il se fonde en effet sur le contexte politique de l’échange de répliques signalé par Cicéron entre Granius et Scipion Nasica, ainsi que sur un indice chronologique déductible d’un autre fragment du livre XI des Satires de Lucilius qui contient une allusion à Lucius Opimius, consul en 121 et complice de Jugurtha entre les années 115 et 110 av. J.-C.50 Or l’anecdote relatée par Cicéron remonte à l’année 11151, à un moment où la question de la Numidie était au cœur des débats politiques à Rome et où Scipion Nasica avait une attitude pour le moins suspecte52. Salluste rapporte qu’à cette date Jugurtha avait dépêché une ambassade au Sénat, mais que la délégation tardait à obtenir une audience53. Parallèlement, la rumeur circulait que Nasica faisait sciemment traîner les choses afin de se faire monnayer une intervention auprès des patres54. C’est dans ces circonstances que Nasica, au sortir de la Curie, aurait apostrophé Granius qui faisait grise mine et que celui-ci aurait saisi la balle au bond pour lui asséner une remarque pleine de sel : Consuli P. Nasicae praeco Granius medio in foro, cum ille edicto iustitio domum decedens, rogasset Granium quid tristis esset, an quod reiectae auctiones essent « immo uero », inquit, « quod legationes »55.
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Drusus, lors de son tribunat en 91. Or ces « leges Liviae (loi sur la composition des tribunaux, loi agraire, loi frumentaire, attribution du droit de cité aux socii) entraînaient de grands bouleversements dans l’Etat ». Cf. griMal, ibid. Sur les manœuvres douteuses de ce personnage, cf. Hinard 2001, p. 607–608. La date à laquelle se situe la conversation rapportée par Cicéron exclut son insertion dans l’œuvre de Lucilius. Cf. Marx 1905, vol. II, p. 154 : commentaire du frg. 411 de son édition. cHarPin 1978, vol. II, p. 215–216 observe pour sa part la plus grande prudence quant aux supputations sur la teneur du bon mot de Granius. Cf. Lucil., XI, 10 C = 418–420 M : dans ces vers, Lucilius s’attaque conjointement à Q. Opimius, consul en 151, et à L. Opimius, son fils, consul en 121, taxé de Jugurthinus parce qu’il avait fait la triste preuve de sa vénalité face à Jugurtha. Voir aussi Sall., Iug., 16, où l’auteur dévoile son attitude intéressée au moment du partage du royaume de Micipsa et Iug., 40 d’où il ressort qu’il fut poursuivi en justice pour corruption. P. Cornélius Scipion Nasica avait exercé la charge consulaire en 111, année de l’ambassade de Numidie dépêchée par Jugurtha, cf. griMal 1976, p. 81, n. 4. Cf. ibid. Cf. Sall., Iug., 28, 2 : d’après l’historien romain, surpris par la décision du sénat d’envoyer une armée en Afrique, Jugurtha « dépêcha aussitôt son fils et deux de ses confidents […] Déjà ils approchaient des portes de Rome quand Calpurnius posa au Sénat la question : doit-on leur permettre l’accès de la ville ? On décréta que s’ils ne venaient pas livrer le royaume et la personne même de Jugurtha, ils n’auraient qu’à sortir d’Italie dans un délai de dix jours », trad. G. walter 1968. griMal 1976, p. 81, n. 4. Cic., Planc., 33 : « Et ce que dit au consul P. Nasica, en plein forum, le crieur public Granius, alors que le premier, après avoir décrété une suspension des affaires, lui avait demandé, tandis qu’il s’en retournait lui-même chez lui, pourquoi il avait l’air si sombre, si c’était parce que les ventes aux enchères étaient remises à plus tard : ‹ non dit-il, c’est parce que les audiences des ambassadeurs l’ont été › », trad. P. griMal.
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On le voit, il a suffi à Granius de remplacer un substantif par un autre, de même désinence, pour opposer à Nasica une dénégation riche de sous-entendus, le terme legationes s’appliquant aux ambassades de Jugurtha, en butte aux procrastinations sénatoriales, tandis qu’auctiones désignait l’une des activités propres aux praecones, les ventes aux enchères56. Bel exemple de ces plaisanteries de mots définies par Cicéron dans le De oratore57. Belle illustration aussi du principe énoncé par l’Arpinate dans la même œuvre : « Il y a beaucoup de sel à laisser deviner l’intention malicieuse, sans la montrer à découvert »58. Soucieux – comme son ami Scipion Émilien59 – de défendre les intérêts matériels et moraux de Rome contre les appétits gloutons de Jugurtha, Lucilius ne pouvait qu’approuver le trait d’esprit cinglant de Granius à l’adresse de P. Scipion Nasica. C’est pourquoi il a exprimé le désir de l’insérer dans ses vers en s’efforçant – comme l’indique le terme conicere, équivalent du grec ἐντείνειν60 – d’ajuster métriquement les paroles prononcées (dictum)61. Pourtant, s’il introduit délibérément dans ses vers un « dit mémorable » de Granius, incarnation parfaite de l’esprit latin, Lucilius ne se prive pas non plus d’illustrer un mode d’expression philosophico-littéraire cultivé par les Cyniques grecs : le procédé de la chrie – en grec χρεία – terme dont l’étymologie limpide implique une finalité didactique62. Charisius nous en propose une définition éclairante : Chria est dicti uel facti praecipua memoratio63. Et de citer comme spécialistes de cette figure de pensée, Diogène le Cynique, Antisthènes, mais aussi Caton le Censeur64. Plus récemment, P. Lejay a présenté la chrie comme « un fait significatif, un mot piquant ou sentencieux »65. Et il ajoute : « la chrie diffère de la maxime (γνώμη) en ce qu’elle est particularisée à une circonstance donnée et à un personnage déterminé »66. Si donc nous retenons, en accord avec F. Marx, l’idée que, dans la Satire XI, le poète récrivait la réponse spirituelle de Granius à Scipion Nasica, nous nous 56 57 58 59
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Cf. Hinard, 1976 et dareMberg, saglio & Pottier, 1904, p. 607 sq. Sur l’activité lucrative que représentaient les ventes à la criée, cf. Cic., Quinct., 3 ; Hor., AP., 419 ; Quint., inst., I, 12, 17. Rappelons que dans le De oratore, Cicéron examine deux catégories de plaisanteries : celles qui portent sur les mots (de orat., II, 59, 239 et 60, 244) ; celles qui ont trait aux choses (de orat., II, 59, 240). Cic., de orat., II, 60, 278. Trad. E. courbaud. Cf. Sall., Iug., 8, 2 où l’historien montre que Scipion Émilien, au lendemain de la prise de Numance, avait essayé en vain de persuader Jugurtha de servir ouvertement les intérêts des Romains dans leur ensemble au lieu d’asseoir son pouvoir en corrompant certains particuliers. Pour Lucilius, cf. H 23 C = 1326–1338 M, long fragment sur la uirtus où l’attachement à la patrie apparaît comme le premier des devoirs. Cf. Strabon IX, p. 419. Le terme ἐντείνειν, pris dans son acception stylistique, signifie « assujettir à la mesure du vers ». Cf. Marx 1905, p. 154. Sur cet aspect de la chrie, cf. Fiske 1966, p. 159 ; alexandre Junior 1994, p. 84–92, part. p. 88–89 ; delignon 2006, p. 330 et surtout calboli-MonteFusco, s. v. Chrie, 1997, col. 1153. Char., GLK, VI, p. 273 (cf. p. 251) : « La chrie est la mention particulière d’une parole ou d’un acte ». Char., ibid. Voir à ce sujet l’étude de Fiske 1966, p. 158 sq. Cf. leJay 1911, p. XVIII sq. Ibid. D’après Patillon 1977, p. XLIX–LIII et LV–LIX, la chrie comporte au moins deux élé-
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trouvons en présence d’une illustration savamment orchestrée de la figure de la chrie si prisée à l’époque hellénistique67. Mais la dette de Lucilius à l’égard de Granius se manifeste aussi, d’après F. Marx, dans la Satire du livre II qui relate le procès intenté à Q. Mucius Scaevola l’Augure à son retour de la province d’Asie par un certain T. Albucius, en 11968. C’est du reste à F. Marx que revient le mérite d’avoir rassemblé au sein du livre II bon nombre de fragments relatifs à cette action judiciaire repetundarum69. Parmi ceux-ci, le fragment 95 reprend un mot d’esprit de Granius adressé à un certain Albius qui avait probablement assumé les fonctions de questeur du gouverneur de province70 et avait été, à ce titre, commis à la rédaction des livres de compte du magistrat romain71. Or, pour confondre celui-ci, T. Albucius avait fait comparaître, parmi les témoins à charge, ledit Albius et pensait tirer des tabulae négligemment tenues par ce dernier une preuve de la mauvaise gestion de l’inculpé72. Mais Scaevola avait été acquitté et Albius s’en était réjoui plus que de raison, persuadé que ses registres avaient pesé d’un certain poids dans la balance. Et c’est alors que Granius l’aurait quelque peu tancé en lui lançant une de ces saillies moqueuses dont il était coutumier. Cicéron ne la reproduit pas littéralement73. Il se contente d’en résumer la substance et de la ranger dans la catégorie des reproches un peu taquins : Non moins agréable est un reproche amical, fait à quelqu’un comme pour le tirer d’erreur. Tel est celui que Granius adressa un jour à Albius ; car Albius dont Albucius avait produit les registres pour accabler Scaevola se réjouissait fort que l’accusé eût été acquitté, et il ne s’apercevait pas qu’on avait précisément jugé contre ses registres74.
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ments : la maxime et la personne qui l’énonce. Pour mieux apprécier la différence entre la chrie et la γνώμη, cf. leVet 1979, ainsi que calboli-MonteFusco 1993, p. 25–33. Cf. Fiske 1966, p. 161–162. Cette satire de Lucilius a vraisemblablement servi de modèle à la Satire I, 7 d’Horace qui relate le procès intenté à P. Rupilius Rex par Persius, cf. delignon 2006, p. 239–240 et, pour un parallèle plus poussé entre les deux poèmes, Fiske 1966, p. 324–330. La personnalité contrastée de T. Albucius, épicurien convaincu qui n’hésita cependant pas à se lancer dans une carrière politique, est évoquée par Cicéron qui le qualifie de perfectus epicureus (cf. Cic., Brut., 131) et fait peut-être allusion, à travers le terme philosophari, à des ouvrages doctrinaux de sa composition (cf. Cic., Tusc., 5, 108). Pour plus de détails biographiques on lira avec profit ducos 1989 et benFerHat 2005, p. 66–69. Voir aussi garbarino 2003, p. 66–67 qui réunit les testimonia relatifs à son appartenance philosophique. Cf. Marx 1905, frg. 55–95. Le fragment 95 reproduit le texte de Cicéron qui fait allusion au bon mot de Granius suscité par l’attitude d’Albius à l’issue du procès (cf. Cic., de orat., II, 281). F. Charpin, ibid., t. I, p. 103 n. 5 émet des réserves sur ce point et n’intègre pas le passage à son édition des Satires. Cf. cicHorius 1908, p. 246–248. Cf. ibid., p. 248 et la n. 1 sur le sens précis de tabulae. Ibid. et p. 246 pour plus de précisions sur l’appartenance sociale modeste d’Albius d’après son nom. Le laconisme de la notice cicéronienne (cf. Cic., de orat., II, 281) a été glosé par Ellendt auquel se réfère Marx 1905, p. 44 = commentaire du frg 95 M non repris par cHarPin (cf. ibid., vol. I, p. 103 n. 5). Ellendt raisonnait ainsi : Albucius Scaeuolam de repetundis accusauit, ad probanda uero ea quae Scaeuolae obiecerat Albii tabulas protulit. Scaeuola iudicum sententiis absolutus est. Albii igitur tabulas falsas fuisse iisdem sententiis iudicatum est. Cic., de orat., II, 281. Trad. E. courbaud.
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En réalité, enchâssé dans le cadre d’une anecdote judiciaire, ce bon mot s’apparente, là encore, à une forme de chrie, connue sous le nom grec d’ἀπομνημόνευμα, genre qui suppose qu’un tiers, le narrateur, ici Lucilius75, rapporte une leçon professée par un maître à un disciple. Dans la Satire II de Lucilius, c’est à Granius, outré par l’attitude irréfléchie d’Albius, qu’est dévolu le rôle du maître qui s’empresse de remettre dans le droit chemin l’ancien questeur de Scaevola ravalé, pour sa part, au rang de disciple. C’est donc à nouveau un procédé philosophico-littéraire grec qui met en valeur le sens de la répartie d’un Latin. Mais un autre livre des Satires, le livre XX, faisait probablement, lui aussi, intervenir Granius. Cicéron fait état, dans le Brutus, d’un repas offert par le crieur public à plusieurs convives dont Lucilius et Crassus. Il ajoute que cette cena Grani a été immortalisée grâce à une satire de Lucilius76 et date l’événement de l’année du tribunat de Crassus, c’est-à-dire de 107 av. J.-C. : […] mais son tribunat (celui de Crassus) fit si peu de bruit que s’il n’avait pas, au cours de cette magistrature, dîné chez le crieur public Granius et si le fait ne nous avait pas été rapporté par Lucilius, nous ne saurions pas qu’il a été tribun du peuple77.
Compte tenu des exigences de Lucilius en matière de banquets, attendu qu’à ses yeux la qualité de la conversation importait autant, si ce n’est plus, que celle des mets78, il est probable qu’il avait apprécié les propos de table tenus chez Granius et notamment la verve de l’amphitryon. Nous ignorons toutefois la teneur des traits d’esprit qui animèrent le repas79. À cet égard, l’allusion de l’un des convives à la loi de Calpurnius Pison, votée en 149, à propos des exactions des magistrats romains80, donne à penser que les sujets politiques avaient dû en susciter plus d’un. L’identité 75 76 77
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Cf. Fiske 1966, p. 156 qui cite notamment les ἀπομνημονεύματα de Cratès le Cynique, ainsi qu’une forme parodique de ce type d’écrits : les bons mots des courtisanes et des parasites recueillis par Lyncée et par Aristodème. Cf. krenkel 1970, commentaire du livre XX, p. 81 et aragosti 1985. Cf. Cic., Brut., 160. Trad. J. MartHa. Le texte de plusieurs manuscrits cicéroniens comporte bis après nobis : de ce fait, certains éditeurs comme bolisani ont pensé que le livre XXI – dont il ne nous reste aucun fragment – portait également sur la cena Granii : cf. F. cHarPin 1978, vol. II, p. 113–114 et surtout aragosti 1985, p. 99 n. 1. Cf. Lucil., H 31 C = 1122–1123 M : (- ∪ ∪ - ∪ ∪ - ∪ ∪- ∪ ∪- ) bene cocto et / condito, sermone bono et, si quaeris, libenter : « aliments bien apprêtés et bien assaisonnés, conversation de haute tenue et si tu veux le savoir, du plaisir », trad. F. cHarPin légèrement modifiée. Sur le thème du banquet dans les Satires de Lucilius, cf. Hass 2007, p. 144–153, part. p. 152 à propos de la conversation, élément nécessaire et indispensable d’une cena réussie selon Lucilius. On imagine toutefois difficilement que les sujets d’actualité politique aient pu être écartés. Cf. Hass 2007, p. 144. Lucil., XX, 3 C = 573–574 M : « Je m’emportai à propos de la loi cruelle de Calpurnius Pison et je sentis la colère monter en haut de mes narines ». Trad. cHarPin. Le texte du fragment a été corrigé par Marx ainsi : Calpurni saeua lege in Pisonis reprendi eduxique animam in primori bus naris. Le sens du passage est néanmoins clair : un convive déplore la sévérité de la loi de L. Calpurnius Pison Frugi qui avait institué des commissions sénatoriales permanentes pour juger les magistrats accusés de repetundis mais sans limitation dans le temps. Cette disposition ne devint réellement drastique qu’en 123 av. J.-C. avec la lex Acilia qui imposait un délai à l’instruction. Cf. aragosti 1985, p. 120–121. F. Dousa a inclus le fragment dans son édition
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du personnage qui rappelle la colère que suscita en lui la lex Calpurnia a été très discutée. Marx considérait qu’il s’agissait de Crassus, hostile, en tant que tribun de la plèbe, à une loi dirigée, en fait, contre le parti populaire81. Cette explication se révèle toutefois en contradiction avec l’information que donne Cicéron, dans le Brutus, sur la position de Crassus vis-à-vis de la lex Servilia82, d’inspiration gracchienne. On ne peut donc souscrire à la thèse de Marx que si l’on suppose une grande souplesse, voire une certaine ambiguïté ou encore une évolution dans l’attitude de Crassus83. Il n’est pas interdit par conséquent de songer à attribuer les propos à un autre personnage, peut-être même à Granius, le maître de maison, connu pour ses sorties irrévérencieuses adressées aux grands84. Il est en effet difficile d’imaginer que le crieur public à la répartie si prompte et à la critique si acérée ait résisté à la tentation d’animer le festin donné à ses frais par de franches plaisanteries. Il est notable, en outre, que pour conférer aux saillies latines du terroir leurs lettres de noblesse, Lucilius avait pris soin de les enchâsser dans une composition littéraire bien définie, imitée soit des banquets (συμπόσια), soit des dîners (δεῖπνα) des auteurs grecs. Et sans doute la culture très étendue de Lucilius lui avait-elle donné accès à ces œuvres satiriques largement représentées tant sous leur forme sérieuse que sous leur forme parodique dans la littérature grecque des époques classique et hellénistique85. L’hommage rendu à la liberté de langage de Granius et la place de l’inspiration italique dans les Satires de Lucilius infirment donc quelque peu le jugement d’Horace qui faisait remonter la satire lucilienne exclusivement à la comédie grecque ancienne illustrée par la triade alexandrine : Eupolis, Cratinos et Aristophane86. On ne saurait toutefois majorer l’importance accordée par le poète de Suessa Aurunca à la franche gaîté de Granius. De fait, Lucilius avait par ailleurs une connaissance approfondie des écrits socratiques invoqués par l’un des interlocu-
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(frg. 4 du l. XX, p. 61) et fait état d’une lex Calpurnia de ambitu, abrogée par la suite (cf. F. Dousa, comm. ad loc., p. 131). Cf. aragosti 1985, p. 121. Cf. ibid. et Cic., Brut., 161. Cf. aragosti 1985, ibid. Cf. aragosti 1985, p. 121, n. 50. Cf. Fiske 1966, p. 162–163 qui cite notamment le premier vers du δεῖπνον ᾽Αττικόν de Matron de Petara (poète contemporain d’Alexandre) écho irrévérencieux du début de l’Odyssée : Δεῖπνα μοι ἔννεπε, Μοῦσα πολύτροφα [καὶ μάλα πολλά. Hor., sat. I, 4, 1–8 : Eupolis atque Cratinus Aristophanesque poetae, Atque alii quorum comoedia prisca uirorum est, Siquis erat dignus describi, quod malus ac fur, Quod moechus foret aut sicarius aut alioqui Famosus, multa cum libertate notabant. Hinc omnis pendet Lucilius, hosce secutus Mutatis tantum pedibus numerisque, facetus, Emunctae naris, durus componere uersus. Le point de vue horatien s’oppose bien sûr à l’assertion de Quintilien au livre X de l’Institution oratoire (X, 1, 93) : Satura quidem tota nostra est. Cf. delignon 2006, p. 6.
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teurs de la Satire XXVII87 et sans doute avait-il gardé en mémoire maint exemple d’ironie fine telle que la pratiquaient, à l’imitation du maître grec, certains Romains cultivés. En tout cas, il mentionne à plusieurs reprises, en contrepoint aux saillies très directes de Granius, des remarques spirituelles de Scipion Émilien qui passait aux yeux des Romains pour un champion de cette arme imparable, puisque l’annaliste Fannius l’avait nanti de l’épithète d’εἴρων88 et que Cicéron lui reconnaît un talent tout particulier dans « l’art de dissimuler sa pensée », dissimulatio89. Lucilius avait ainsi placé dans la bouche de Scipion Émilien, au livre XI des Satires, l’apostrophe suivante, adressée à un certain Décius : Quid, Decius, Nuculam an confixum uis facere ?90. Selon Cicéron, sur lequel se fonde le savant allemand C. Cichorius91, il s’agirait d’une parole à double entente prononcée par Scipion lors de la guerre de Numance, à un moment où P. Décius, qui servait sous les armes, aurait eu maille à partir avec un Prénestin. En effet, toujours d’après C. Cichorius, une notice de Festus stipule que le cognomen de Nucula était attribué ordinairement par les Romains aux habitants de Préneste92. Scipion aurait ainsi eu recours à une plaisanterie fondée sur l’ambivalence du terme Nucula (appliqué à la fois à la « noisette » et au « prénestin ») et sur le sémantisme ambigu de confixum facere (« briser la coquille d’une noix » et « cribler de traits, transpercer »), pour mettre fin à une altercation entre deux hommes93.
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Lucil., XXVII, 22 C = 709–710 M : « Alors où sont les auteurs grecs ? où sont maintenant les traités de Socrate ? Quel que soit l’argument que vous alliez chercher, nous sommes perdus ». Trad. F. cHarPin. Ce fragment, quand bien même il déplore l’inefficacité des Socrati carti pour modérer les passions, n’en témoigne pas moins d’une tendance naturelle à s’y référer. Plusieurs indices donnent à penser que Lucilius avait séjourné à Athènes dans sa jeunesse, où il s’était plu à approfondir ses connaissances en littérature et en philosophie grecques : cf. Heurgon 1959, p. 24–25. C. Fannius, frg. 7 Chassignet (7P1 et 2) = Cic., ac. 2, 15 : « Cette ironie, Fannius dit que l’Africain la pratiquait également et qu’il ne faut pas la considérer comme un de ses défauts, puisque Socrate faisait de même. » Trad. M. cHassignet dont on gagnera à consulter le commentaire ad loc., cf. cHassignet 1999, p. 46 n. 1. Cf. Cic., de orat., II, 67, 269–270 : « C’est une ironie spirituelle (urbana etiam dissimulatio est) que de déguiser sa pensée […] en s’appliquant, par une raillerie continue, dissimulée sous un ton sérieux, à dire autre chose que ce qu’on pense […] Manier l’ironie, c’est à quoi excellait Émilien, notre second Africain, suivant Fannius, qui dans ses Annales l’appelle d’un mot grec l’ironique (εἴρων). » Trad. E. courbaud. Et, plus loin (ibid. II, 270), Cicéron rappelle que le modèle en matière d’ironie reste cependant Socrate. Sur la traduction du grec εἰρωνεία par les termes latins simulatio ou dissimulatio, cf. Haury 1955, p. 14. Il reste qu’aux yeux de Cicéron, Scipion Émilien s’impose comme le digne représentant à Rome de l’ironie socratique, cf. Cic., Brut., 288–289 et Haury 1955, p. 17. Lucil., H 83 C = 1280 M = Cic., de orat., II, 62, 253 : « Eh quoi ! Décius ? Tu veux faire le casse-Noisette ? dit-il ». Trad. F. cHarPin. F. Dousa, p. 4, classe le fragment (frg. 8 de son édition) au nombre des textes de localisation incertaine. Il n’y ajoute pas de commentaire, mais renvoie au passage du De oratore de Cicéron (II, 62, 253) qui l’a conservé. Cf. cicHorius 1908, p. 312. Cf. ibid. et Festus 172 M : nuculas Praenestinos appellabant quod … in eorum regione plurima nux minuta nascitur. Cf. cHarPin 1991, p. 282 = comm. du frg. H 83 C = 1280. M. cHarPin identifie le Décius du
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Ainsi, l’humour subtil de Scipion Émilien, Romain hellénisé s’il en fut, venait-il contrebalancer les plaisanteries un peu rudes de Granius, dont les succès auprès de ses contemporains étaient imputables à la natura et non à l’ars94. Soucieux de faire de ses poèmes un miroir de la vie politique de son temps95, Lucilius n’avait hésité ni à reproduire dans ses vers des paroles spontanées pour donner du piment à la relation de faits d’actualité, ni à s’abriter derrière un personnage-écran pour atténuer le mordant de certaines attaques. Mais en contrepoint, il mettait en scène Scipion Émilien adepte de la juste mesure en matière de blâme96. Plutôt que de pleurer en présence des vices des humains à la manière d’Héraclite, Lucilius avait pris, comme Démocrite97, le parti de s’en moquer et de faire naître chez autrui ce rire dont on chercherait en vain, selon bergson « la formule pharmaceutique »98. BIBLIOGRAPHIE Pline l’Ancien, Histoire naturelle, livre ΧXXI, texte établi, traduit et commenté par G. serbat, Paris, 1972. Dousa 1597 = C. Lucilii Satyrarum quae supersunt reliquiae, Franciscus Iani f. dousa collegit, disposuit et notas addidit, Leiden, 1597. Érasme, Adages = Érasme, Les Adages, sous la direction de J.-Ch. saladin, vol. 2, Adages 1001– 2000, Paris 2011. alexandre 1994 = M. alexandre Jr., The chreia in Greco-roman education, in J. dangel (ed.) Grammaire et rhétorique : notion de Romanité, Actes du colloque de Strasbourg, nov. 1990, Strasbourg, 1994, p. 85–92.
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fragment, comme cicHorius (1908, n. 91), avec un Prénestin et s’oppose, lui aussi, à l’hypothèse de F. Marx pour qui il s’agirait de P. Décius, tribun de la plèbe en 120. L’exposé sur le rire confié par Cicéron à César Strabon dans le De oratore fait état de la dichotomie traditionnelle ars/natura, mais aux yeux de ce dernier (cf. note 29), la capacité à susciter le rire relève d’une disposition innée et ne peut s’acquérir par des leçons. Cf. Cic., de orat., II, 217–219 ; 231 ; 247. On sait que Lucilius avait fait sienne la devise species uitae en référence à l’expression appliquée par Aristophane de Byzance à l’œuvre de Ménandre : cf. Lucil., XXX, 33 C = 1029 M et Ar. Byz. C.G.F., 13, 5, 1K. Cf. Don., de com., VI (I, p. 22 Wessner). C’est du moins en ce sens que l’on pourrait interpréter le frg. XI, 16 C = 426 M, rapporté au livre XI par Dousa : Non laudare hominem quemquam neque mu facere inquam. « Je veux dire ne louer aucun homme ni murmurer contre personne » (trad. F. cHarPin), à moins qu’il ne faille s’en tenir à la glose de saint Augustin (Civ., 2, 8), à propos d’un passage du De republica de Cicéron (Cic., rep., 4, 10, 12) où le Père de l’Église voyait une allusion à l’interdiction en vigueur à Rome, de nommer quiconque de son vivant sur la scène. Cf. cHarPin 1978, vol. II, p. 216). César Strabon fait allusion au rire de Démocrite (≈ 460–350 av. J.-C.) dans le De oratore (II, 58, 235). Une tradition reprise par Montaigne dans un essai de l’époque moyenne (I, 50) présentait Démocrite comme toujours hilare et l’opposait à Héraclite (≈ 576 ≈ 480 av. J.-C.) toujours mélancolique et triste, cf. Les philosophes de l’Antiquité au XXe siècle. Histoire et portraits, ss la dir. De M. Merleau-Ponty 2006, p. 124–125. Cf. bergson 2004, p. 82.
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Aude Lehmann
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PARODIE ET IRONIE DANS LE CICERONIANUS D’ÉRASME Yves Lehmann C’est à Bâle, en 1528, que parut le dialogue érasmien dont le titre complet – traduit en français – ressortit à la formulation suivante : Le Cicéronien, ou De la meilleure éloquence1. Sa publication, couplée avec celle du dialogue sur La prononciation correcte du grec et du latin (De recta latini graecique sermonis pronuntiatione), donne à penser que l’œuvre possédait une signification essentiellement stylistico-rhétorique. De fait, ulcéré par les critiques récurrentes visant son style latin – que les humanistes d’Italie et jusqu’à son compatriote Christophe de Longueil jugeaient barbare, Érasme entend répliquer à ses détracteurs. Ainsi le sujet même de ce dialogue – l’attaque contre les cicéroniens2 – se présente comme une contre-attaque, autrement dit une défense, face aux puristes italiens, du style composite que l’auteur s’est forgé patiemment par la lecture d’écrivains très divers. En tout état de cause, il importe de ne pas négliger la dimension résolument polémique voire ironique du propos créateur d’Érasme et qui transparaît en maints passages : qui supporterait des vieillards dont le seul but est d’être cicéroniens et qui raient de la liste des écrivains des hommes plus savants et plus éloquents qu’eux sous prétexte qu’ils osent çà et là s’écarter du modèle tracé par Cicéron, alors qu’eux-mêmes sont en général si peu cicéroniens que souvent la grammaire leur refuse son assistance3 ?
Dans cet extrait, la désignation onomastique des ennemis d’Érasme par le terme senes – traditionnellement laudatif, mais qui évoque ici la décrépitude liée au grand âge – révèle en filigrane la sensibilité ombrageuse du Rotterdamois, blessé par les jugements méprisants des cicéroniens sur sa manière d’écrire. Mais il y a plus. Tout invite à voir dans le Dialogus ciceronianus un pastiche, dont l’intitulé spécifique reproduit à des fins caricaturales la dénomination générique du dialogue cicéronien de villa4. Les discussions entre les trois interlocuteurs 1
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Et auquel correspond l’intitulé latin que voici : Ciceronianus, siue De optimo genere dicendi. D’un point de vue bibliographique, on se référera à l’édition de gaMbaro 1965 (texte latin et traduction italienne) ainsi qu’à la traduction française partielle (i.e. « Le sermon du vendredi saint 1509 ») qu’en a donnée Ménager 1992. Sur le dessein très personnel qui anime l’auteur du Ciceronianus, cf. cHoMarat 1981, p. 441– 444. Quant à l’identité des censeurs du style érasmien, on s’accorde à reconnaître en eux Baldassar Castiglione (1478–1529) et Andrea Navagero (1483–1529) – qualifiés ironiquement de « vieillards » bien que plus jeunes qu’Érasme. Érasme, Ciceron., l. 4294–4298 éd. A. gaMbaro, trad. J. cHoMarat : quis ferat senes qui nihil aliud captant, quam ut sint ciceroniani, qui uiros ipsis et eruditiores et eloquentiores eradunt ex albo scriptorum, quod ausint a Ciceronis lineamentis alicubi recedere, quum ipsi fere adeo ciceroniani non sint, ut subinde destituantur grammaticae praesidiis ? Pour ce qui est de la genèse de cette forme littéraire – créée par Cicéron et qui repose sur la confrontation de thèses antagonistes, cf. andré 1977, p. 67–70.
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du Ciceronianus – qui s’ordonnent autour d’un thème unificateur : la meilleure forme d’éloquence – parodient ainsi morphologiquement les causeries mondaines un peu guindées que l’Arpinate tient en compagnie de ses proches dans un domaine de campagne où chaque participant arrive avec son tempérament et ses croyances. Faire de la querelle cicéronienne contemporaine le motif d’un débat contradictoire calqué sur les disputationes in utramque partem à l’honneur dans les dialogues de l’Arpinate, tel est en résumé l’enjeu de la pièce. Le dialogue proprement dit met en scène trois personnages : Hypologue qui joue un rôle secondaire, purement fonctionnel, comme le suggère l’élément initial (hypo-) de son nom ; Buléphore, étymologiquement « celui qui porte conseil » et à ce titre représentant d’Érasme dont il expose les conceptions stylistiques ; enfin Nosopon, « l’homme malade », le maniaque de l’éloquence cicéronienne, qui depuis sept ans ne lit que Cicéron et s’est confectionné, afin d’atteindre à son éloquence, trois répertoires de son œuvre : l’un alphabétique pour les mots, comportant leurs divers sens et emplois, la citation et la référence très précises de chacun des passages où ils se rencontrent ; le deuxième, pareillement alphabétique, pour les figures, sentences, épiphonèmes, bonheurs d’expression et autres délices de la parole utilisés par le maître ; le troisième pour les cadences et les rythmes qui rendent la prose cicéronienne si harmonieuse et si mélodieuse. En somme, la méthode hyper-scientifique de Nosopon contribue paradoxalement à la promotion d’une langue morte. Et tel est bien le principal grief d’Érasme contre les cicéroniens. Du reste, on en trouve confirmation dans les détails hautement comiques que le personnage grotesque inventé par l’auteur donne sur sa manière d’utiliser le latin : dans le profond silence et le parfait repos de la nuit, c’est-à-dire lorsqu’il est absolument seul, il écrit, ayant à sa disposition les trois indices susmentionnés qu’il consulte à chaque instant pour vérifier la pureté cicéronienne d’une forme ou chercher les figures de style destinées à orner une pensée – tant il est vrai que Nosopon a besoin d’une nuit entière pour achever une période ; quant à parler latin, il en est incapable, il peut tout au plus donner lecture, dans des circonstances rares et solennelles, d’un texte soigneusement rédigé à l’avance et appris par cœur et ne saurait nullement soutenir une conversation suivie en latin. A cet égard, on précisera que Nosopon, avant d’entrer dans ces explications, a tenu à rappeler une formule illustre de Cicéron (d’ailleurs maintes fois reprise par Érasme lui-même) : Nosop. – Non committam ut quicqam per me quidem uos latuisse uideatur. Ac de scribendo dicam prius, quando uere dictum est, stylum optimum esse dicendi magistrum.
Mais l’usage qu’il en fait est comique : alors que l’écriture devrait être une propédeutique à la prise de parole, Nosopon confond moyen et fin, transformant ainsi le latin en une langue morte. Folie douce que celle de Nosopon et qui tend à contaminer de proche en proche l’ensemble du milieu des jeunes humanistes. C’est pourquoi Buléphore va mettre toute son ironie au service de la thèse qu’il soutient avec force : le style d’un écrivain résulte d’une subtile alchimie faisant intervenir le sujet traité, les circonstances et surtout le tempérament de l’auteur. Car l’ironie est permanente dans le Dialogus ciceronianus et la présence d’Hypologue ne vise généralement qu’à établir, aux dépens de Nosopon, une connivence des deux autres per-
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sonnages avec le lecteur. Témoin cet échange de propos entre Hypologue et Buléphore : Hypol. – Ne vois-tu pas que pour une seule petite pièce fausse une énorme masse d’argent se trouve totalement dévaluée et à cause d’un seul naevus minuscule c’est toute la beauté d’une jeune fille, si merveilleuse soit-elle par ailleurs, qui perd son éclat ? – Buléph. – Je l’admets5.
L’ironie s’avère d’autant plus fine qu’Hypologue renvoie ici à un vers fameux d’Horace, selon lequel les naevi – ces malformations congénitales de la peau, se présentant sous la forme de taches ou de tumeurs, et que l’on appelle familièrement des envies ou des grains de beauté – ne sauraient en aucune manière nuire à l’attrait d’une belle femme : Atqui si uitiis mediocribus ac mea paucis mendosa est natura, alioqui recta, uelut si egregio inspersos reprehendas corpore naeuos6.
Bien qu’il ne figure pas dans les Adages, ce vers était certainement passé en proverbe chez les humanistes – à preuve cette seconde référence tirée du Cicéronien : Hypol. – Isthuc quidem amantium est, etiam neuos earum quas amant exosculari7.
En tout état de cause, l’allusion est évidemment comprise par Buléphore, mais elle échappe à Nosopon puisque celui-ci depuis sept ans ne lit pas d’autre auteur que Cicéron ! Davantage, l’ironie qui sous-tend et imprègne le Dialogue cicéronien d’un bout à l’autre de la pièce culmine dans une sorte d’autodérision par procuration, qui conduit l’auteur par personnage interposé à se moquer de lui-même avec sarcasme. On songe ici à ce très amusant passage où Nosopon, appelé à juger le cicéronianisme des écrivains néo-latins contemporains, ne consent pas à voir en Érasme un véritable écrivain digne de ce nom, mais le présente comme un simple noircisseur de papier aux productions hâtives et au vocabulaire impur : Nosop. – Mais celui-là (= Érasme), je ne le range même pas au nombre des écrivains et, à plus forte raison, je ne le compte pas parmi les cicéroniens. Buléph. – Que me faut-il entendre ? Et pourtant, il me semblait qu’on pouvait le mettre au nombre des polygraphes. Nosop. – Peut-être, si on comprend par polygraphe quelqu’un qui barbouille d’encre noire de nombreux feuillets. C’est une chose que de consigner par écrit les actions qu’on entreprend, c’en est une autre que d’appartenir à la sphère des écrivains. Sans quoi, on appellera écrivains 5
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Érasme, Ciceron., l. 332–336 éd. A. gaMbaro, trad. J. cHoMarat : Hypol. – An non uides ob unicum numulum adulterinum ingentem pecuniae uim confiscari: et uno neuo quamlibet exiguo totam puellae formam, licet alias egregiam, deuenustari ? Buleph. – Accedo. Hor., sat., I, 6, 67, trad. F. VilleneuVe : « Et, pourtant si ma nature, droite d’ailleurs, n’est entachée que de défauts médiocrement graves et en petit nombre, comparables à des verrues qu’on trouverait éparses sur un beau corps ». La comparaison des petites imperfections morales d’Horace avec des lentigos sert de contrepoint au développement du poète sur les qualités susceptibles de le rendre cher à ses amis et qu’il doit aux leçons de sagesse de son père comme à l’instruction que celui-ci lui a fait donner à grands frais. Érasme, Ciceron., l. 985 sq. éd. A. gaMbaro, trad. Y. leHMann : « Hypol. – Assurément le propre des amants est de couvrir de baisers même les verrues de celles qu’ils aiment ».
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Yves Lehmann ceux qui gagnent leur vie en recopiant à la main des livres, alors que les savants préfèrent les appeler copistes. Mais, à nos yeux, écrire, c’est comme produire des fruits à la campagne ; à nos yeux, la lecture ressemble au fumage des terres à la campagne ; à nos yeux, l’élaboration d’un projet éditorial et la correction des épreuves d’imprimerie jouent le même rôle qu’aux champs le hersage, le défonçage, l’émondage, l’arrachage des mauvaises herbes et que tous les autres travaux agricoles sans lesquels les semailles ne sortent pas de terre ni, une fois qu’elles ont levé, ne commencent à croître. Buléph. – Que fait-il donc, lui (= Érasme) ? Nosop. – Son écriture négligée et hâtive n’aboutit pas à des créations, mais à des œuvres avortées ; à l’occasion, il rédige un assez bon volume « au pied levé » – incapable qu’il est de se contraindre à relire, même une seule fois, le texte qu’il a écrit ; et il ne fait rien d’autre que d’écrire, alors que c’est seulement au terme d’une longue lecture qu’il convient de prendre la plume – ce qui a lieu rarement chez lui8.
On ne saurait méconnaître à cet égard la visée pédagogique du Ciceronianus. De fait, même s’il recommande aux jeunes gens – destinataires de la plupart de ses écrits rhétoriques – de s’abreuver à la source de l’Antiquité païenne, grecque et latine, Érasme les détourne de tout esprit dogmatique. En préconisant à leur intention le choix des meilleurs auteurs et en récusant tout assujettissement au style d’un grand écrivain du passé, fût-il aussi prestigieux que Cicéron, il les tient à l’écart d’un éclectisme insipide et irresponsable comme d’une imitation servile et stérile : son dialogue intitulé Le Cicéronien, ou De la meilleure éloquence montre bien, sur le mode ironique où il excelle, à quelles aberrations mentales conduit le culte inconditionnel d’un homme, d’une œuvre, d’une civilisation. La publication en 1528 du dialogue qui porte le nom de Cicéron – et où Érasme critique l’admiration fanatique vouée au maître et se moque sans vergogne de ceux qui font de lui le modèle absolu du beau style – conduisit certains commentateurs à soutenir la thèse selon laquelle Érasme s’éloignait de Cicéron vers la fin de son existence9. Pourtant il n’en est rien, comme l’a montré avec raison Ch. bené10. De fait, Érasme n’a jamais renié ce qu’il avait écrit au sujet de Cicéron dans ses deux préfaces au traité Des devoirs (respectivement 1501 et 1519). La seconde préface se révèle tout particulièrement significative à cet égard : c’est un éloge en règle de l’œuvre cicéronienne, admirable par 8
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Érasme, Ciceron., l. 3493–3513 éd. A. gaMbaro, trad. Y. leHMann : Nosop. – Istum uero ne inter scriptores quidem pono, tantum abest ut ciceronianis annumerem. Buleph. – Quid ego audio ? Atqui uidebatur et inter πολυγράφους censeri posse. Nosop. – Potest, si πολυγράφος est, qui multum chartarum oblinit atramento. Alia res est scribere, quode nos agimus, et aliud scriptorum genus. Alioqui qui manu describendis libris quaestum faciunt, scriptores dicentur, quum hos eruditi malint librarios dicere. At hoc est nobis scribere, quod agro fructum producere, hoc nobis lectio, quod agro stercoratio: hoc nobis concoctio et emendatio, quod in agris occatio, pastinatio, putatio, zizaniorum euulsio, ac reliquae operae, sine quibus aut non emergit sementis, aut non adolescit exorta. Buleph. – Quid igitur ille? Nosop. – Abiicit ac praecipitat omnia, nec parit, sed abortit, interdum iustum uolumen scribit stans pede in uno, nec unquam potest imperare animo suo, ut uel semel relegat quod scripsit, nec aliud quam scribit, quum post diutinam lectionem demum ad calamum sit ueniendum, idque raro. Voir l’excellente présentation du dossier par J.-C. Margolin 1992, p. V. bene 1972, p. 571–579.
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sa simplicité, son noble mépris des vanités de ce monde et aussi son style. Pareillement, la préface aux Tusculanes (1523) célèbre la grandeur de la pensée mais aussi de la vie de Cicéron, mort en martyr comme Socrate – par fidélité le premier à une certaine idée de la justice et de l’Etat, le second à ses propres idées et à ses disciples. En vérité, c’est surtout au moraliste que s’intéresse le Rotterdamois, n’hésitant pas à écrire qu’on devrait apprendre par cœur le traité Des devoirs ; un moraliste doublé d’un métaphysicien, car le Cicéron d’Érasme ressemble à celui des Pères de l’Eglise qui lui prêtaient la foi en l’immortalité de l’âme et la croyance en un Dieu unique11. En littérature la question de l’imitation se pose avec une acuité particulière – tant il est vrai qu’on peut se tromper dans le choix du modèle d’excellence et surtout être esclave d’une admiration. Le propos formé par l’auteur du Cicéronien est de dénoncer les méfaits de l’imitation exclusive de Cicéron et d’inviter corrélativement les jeunes humanistes épris de beau latin à rechercher d’abord le style qui leur convient, autrement dit à se connaître eux-mêmes. Que la langue de Cicéron ait été l’objet d’un véritable culte, rien d’étonnant. Mais qu’on fasse de l’Arpinate – à l’instar du pauvre Nosopon – la référence suprême, indépassable, en matière de technique d’expression ou de méthode de pensée, voilà qui relève d’un mauvais usage de l’imitation et s’apparente à une forme de dérèglement psychique12. L’aveuglement de Nosopon et des cicéroniens de son époque tient à leur conviction fausse qu’il existe un seul modèle de style, à leur oubli plus réel que feint de ce que Cicéron a créé le sien sur une base syncrétique et à leur méconnaissance de l’axiome selon lequel tout écrivain n’a pas le talent de l’Arpinate, car n’est pas cicéronien qui veut. A cet égard, le grand mérite d’Érasme réside dans la découverte ou plus exactement la redécouverte de l’idée, chère à Quintilien, que chaque auteur possède sa personnalité propre, son tempérament spécifique, dont il s’agit de ne pas faire abstraction. A celui-ci, Cicéron conviendra ; à tel autre, Tacite ; au troisième, Sénèque13. La personnalité d’Érasme se caractérise par une certaine propension à l’ironie14. On verra là volontiers un signe des temps : de fait, les humanistes de la Renaissance, attentifs à ne pas se montrer ennuyeux, recouraient systématiquement à 11 12
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Sur la relation d’Érasme à Cicéron, cf. Ménager 1992, p. XCII–XCIV (article Cicéron du Dictionnaire intégré dans le volume Érasme). Concernant la place centrale occupée dans cette œuvre par le thème de l’exemplarité cicéronienne – qui conduit ses adeptes à employer par écrit uniquement des mots dont l’Arpinate s’est servi (et avec la morphologie qu’ils revêtent chez lui), cf. Ménager 1992, p. CXXXVI– CXXXVIII (article Imitation). Pour une mise en perspective de ces analyses, on se plaira à rappeler avec cHoMarat 1981, p. 836, la théorie érasmienne de la saine imitation : « seconder la nature, non pas aller à son encontre, rectifier les tendances spontanées, non pas les détruire, choisir un modèle en harmonie (congruens) avec ses propres dons ou du moins qui ne les contredise pas. On pourrait dire, en dépassant la lettre d’Érasme, que la grâce et l’éducation jouent, par rapport à la nature, des rôles analogues dans une certaine mesure : non pas détruire, mais redresser et parfaire. Ensuite il ne faudra pas se consacrer à un seul modèle pour le calquer craintivement, mais cueillir chez tous les bons auteurs ce qu’il y a à la fois de meilleur et de mieux harmonisé à notre propre nature. Enfin cela même qu’on emprunte il faudra, au plein sens, l’assimiler, le faire sien, lui donner sa propre forme et couleur […] ; comment ici ne pas évoquer l’image de l’abeille et du miel. » Sur Érasme prince de l’ironie, cf. Ménager 1992, p. CXLI (art. Ironie).
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l’ironie. Les maîtres latins de l’art oratoire leur avaient appris que le bonheur du style était indissociable de la festiuitas (= « gaieté, enjouement, verve spirituelle »), qui les conduisait notamment à traiter des questions graves sur un ton de badinage. Ainsi l’ironie ressortit à la rhétorique – tant il est vrai que cette figure, qui s’apparente à l’antiphrase, consiste à dire le contraire de ce que l’on pense réellement. On feint en somme de louer l’être ou la chose que l’on blâme – procédé bien connu qui trouve dans Le Cicéronien plusieurs illustrations. C’est ainsi que, dans le compte rendu du sermon prononcé à Rome le vendredi saint 6 avril 1509 devant le pape Jules II par un certain Tommaso Fedra Inghirami (bibliothécaire au Vatican et parangon d’éloquence cicéronienne), Buléphore – porte-parole de l’auteur – ne manque pas d’ironiser sur la présence exceptionnelle à cette cérémonie du souverain pontife régnant, qui passait pour aimer mieux faire la guerre qu’écouter des sermons : « Jules II en personne était là – ce qui lui arrive rarement, sans doute à cause de son état de santé »15. On notera que l’ironie passe ici par la mise en scène d’un locuteur qui n’est pas Érasme, mais son double – autrement dit un personnage à la fois proche et différent. Comme le suggère M. nédoncelle16, le genre du dialogue se prête au jeu de l’ironie grâce aux divers masques dont l’auteur s’affuble. Pas d’ironie en effet sans dissimulation, ce qu’exprimera notamment Rabelais dans le prologue du Gargantua à travers l’éloge de Socrate – le philosophe qui répugne à dévoiler ce qu’il pense et invite ses auditeurs à cheminer en sa compagnie. En somme, l’ironie constitue aussi bien un paravent qui protège le jardin secret de l’auteur qu’un stimulant de l’activité intellectuelle du lecteur appelé à collaborer avec l’auteur. Mais il convient de ne pas mésestimer non plus les implications idéologiques de l’ironie d’Érasme dans Le Cicéronien. On sait que l’humanisme chrétien de l’auteur condamnait vigoureusement le paganisme caché d’une partie de la culture italienne du temps. Lors de son séjour romain17, l’ancien élève de l’école latine de Deventer avait ainsi été choqué par le sermon du vendredi saint 1509 où le prédicateur avait oublié la passion du Christ au profit d’un éloge du pape Jules II et qui plus est d’un long exposé sur la mythologie antique. Le dialogue du Cicéronien, qui rapporte ce souvenir personnel, s’attaque à ceux qui en Italie surtout sont, par leur culte de Cicéron, les laudateurs du paganisme. Car comparer la mort du Christ au dévouement des Decius ou de M. Curtius, voire au sacrifice de la sœur de Cécrops II, de Ménoecée (fils de Créon) et d’Iphigénie (fille d’Agamemnon), comme le fit ce fameux vendredi saint à Rome un orateur sacré parlant en présence du pape Jules II, des cardinaux, des évêques et de la foule des fidèles, est une faute de goût, un anachronisme caractérisé, un contresens :
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Érasme, Ciceron., l. 1753–1754 éd. A. gaMbaro, trad. D. Ménager : Aderat ipse Iulius secundus, quod solet, ualetudinis opinor causa, admodum raro. C’est dire le lien qui rattache l’ironie à la satire, puisque Le Cicéronien inclut, entre autres, une critique de la décadence morale de l’Eglise. Mais Érasme, qui connaît ailleurs les vertus de l’indignation, a préféré dans ce cas un moyen d’expression indirect et tout aussi performant. Cf. Id., ibid., p. CXLII. Dans sa pénétrante étude : nédoncelle 1969, p. 547–567. Cf. renaudet 1954.
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Buléph. – A dire vrai, au moment où il faisait le plus appel aux émotions tragiques appelées pathé par les rhéteurs, j’avais envie de rire. Et dans toute l’assemblée, je ne vis personne qui fût un peu plus triste alors que, avec toutes les ressources de l’éloquence, il amplifiait les injustes tourments du Christ, parfaitement innocent ; ni, à l’inverse, personne qui devînt un peu plus joyeux alors qu’il s’appliquait à faire paraître cette mort comme triomphale, admirable, glorieuse. Il rappelait le souvenir des Decius et de Quinte-Curce qui s’étaient dévoués aux dieux infernaux pour le salut de la République, ainsi que Cécrops, Ménoecée, Iphigénie et quelques autres qui avaient préféré à leur vie le salut et l’honneur de leur patrie18.
Ce qui rebute Érasme chez les admirateurs de Cicéron, c’est le fait que le paganisme antique survit en se dissimulant non seulement dans l’éloquence cicéronienne des prédicateurs, mais dans l’art – par exemple dans les tableaux qui ornent les « musées » des cicéroniens ; ni crucifix, ni image de la Trinité ou des apôtres, mais partout des œuvres païennes : Jupiter pénétrant Danaé sous l’apparence d’une pluie d’or, Ganymède ravi par l’aigle, les Bacchanales ou encore les fêtes du dieu Terme : Buleph. – Si quando Romae conspicatus es ciceronianorum μουσεῖα, recole quaeso nunc ubi uideris imaginem Crucifixi, aut sacrae Triadis, aut apostolorum : paganismi monumentis plena reperies omnia. Et in tabulis magis capit oculos nostros Iupiter per impluuium illapsus in gremium Danaës, quam Gabriel sacrae Uirgini nuntians coelestem conceptum ; uehementius delectat raptus ab aquila Ganymedes, quam Christus ascendens in coelum ; iucundius morantur oculos nostros expressa Bacchanalia, Terminaliaue, turpitudinis et obscoenitatis plena, quam Lazarus in uitam reuocatus, aut Christus a Ioanne baptizatus19. 18
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Érasme, Ciceron., l. 1782–1792 éd. A. gaMbaro, trad. D. Ménager : Buléph. – Mihi quum maxime tractaret affectus illos tragicos, quos rhetores appellant πάθη, ne quid fingam, ridere libebat. Nec quenquam in toto illo consessu uidi pilo tristiorem, quum totis eloquentiae uiribus exaggeraret indignos innocentissimi Christi cruciatus. Rursum nec tantulo hilariorem quenquam, quum totus in hoc esset, ut mortem illam redderet nobis triumphalem, plausibilem et gloriosam. Commemorabat Decios et Quintum Curtium, qui se pro salute reipublicae diis manibus deuouissent. Item Cecropem, Menoecium, Iphigeniam, et alios aliquot, quibus patriae salus ac dignitas, ipsa uita fuisset charior. Touchant les exemples romains cités, on rappellera que les P. Decius Mus – trois personnages homonymes : le père, le fils et le petit-fils – se vouèrent à la mort par le rituel de la deuotio afin de remporter la victoire respectivement en 340 (sur le Veseris, lors de la lutte contre les Latins : cf. Liv., VIII, 6–10), en 295 (à Sentinum, lors de la troisième guerre contre les Samnites que soutenaient les Gaulois et les Etrusques : cf. Liv., X, 26–28) et en 279 av. J.-C. (dans le combat contre Pyrrhus : cf. Cic., fin., II, 61 ; id., Tusc., I, 89 ; Enn., ann., 208–210 éd. J. VaHlen). De même, Marcus Curtius (qu’Érasme confond bizarrement avec Quinte-Curce !) se précipita à cheval en 359 av. J.-C. dans une faille qui s’était ouverte sur le forum romain pour obtenir des dieux infernaux le salut de Rome. Quant aux exemples grecs de référence, ils évoquent les sacrifices – le premier celui de Chthonia (ou de Protogénie), fille du roi d’Athènes Erechthée et sœur de Cécrops II, sacrifiée par son père en vue de la victoire sur les habitants d’Eleusis (cf. griMal 1979, p. 143), le second celui – volontaire – de Ménoecée qui visait à assurer le triomphe de Thèbes assiégée par les sept chefs (cf. Eur., Phoen., 856–952 et 991–1018), le troisième enfin celui de la fille d’Agamemnon et de Clytemnestre censé permettre à la flotte grecque de partir vers Troie. Érasme, Ciceron., l. 2257–2267 éd. A. gaMbaro, trad. J.-C. Margolin : « Buléph. – Si par hasard il t’est arrivé d’apercevoir à Rome les ‹ musées › des cicéroniens, fais donc un effort de mémoire, je t’en prie, pour te rappeler où tu aurais bien pu voir l’image du Crucifié, de la Sainte Trinité ou des apôtres. Tu auras trouvé au contraire partout des monuments du paganisme. Et pour ce qui est des tableaux, Jupiter se précipitant sous forme de pluie
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Ces quelques citations textuelles dûment examinées et commentées suffisent à porter un regard nouveau sur l’art du Ciceronianus. Car le chef-d’œuvre érasmien ne se recommande pas seulement par la pertinence de son message didactique (mise en question du modèle cicéronien, doctrine de l’imitation, rapports du cicéronianisme et du christianisme), mais encore et surtout par l’élégance de son habillage esthétique : une forme littéraire parodique empruntée au dialogue romain ainsi qu’un usage constant de l’ironie. Il s’agissait en vérité pour l’auteur de traiter un sujet aride d’une façon vivante et plaisante – conformément aux canons de l’utilitas et de la delectatio définis par Horace dans l’Art poétique et qui serviront de fondements à l’esthétique classique : plaire et instruire20. Admirable continuité de la sagesse antique jusqu’aux temps modernes et qui permet à Érasme de délivrer un enseignement mêlant la moquerie au sérieux de ses spéculations d’humaniste éclairé – dans la tradition du spoudogeloion cher à la diatribe gréco-romaine. Le bien-fondé de cette démarche n’a du reste pas échappé à un Stefan Zweig qui, dans sa biographie historique du Rotterdamois, se plaît à exalter précisément « le grain de sel attique » (« das Gran attischen Salzes ») qui rend ses dialogues si attrayants : Chez Érasme, une certaine humeur moqueuse vient toujours contrebalancer la gravité du savant : il est assez fort pour se permettre de jouer avec ses forces spirituelles, et, avant toute chose, il possède un esprit pétillant sans méchanceté, caustique, mais sans sécheresse, dont Swift, puis Lessing, Voltaire et Shaw hériteront.21
Dans ce livre, l’écrivain autrichien s’emploie à mettre en lumière le « legs spirituel » d’Érasme : un idéal de tolérance qui s’oppose au fanatisme tel qu’il se manifeste sous toutes ses formes et à toutes les époques de l’humanité. C’est ainsi qu’il convient de replacer l’ouvrage de Zweig dans le contexte politique où il a été composé – celui de la menace du cataclysme qui, déclenché par Hitler, ne va pas tarder à ébranler l’Europe et le monde. Sa méditation sur l’humanisme d’Érasme vaincu par le fanatisme de Luther prend alors toute sa force et sa dimension tragiques.
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d’or dans le sein de Danaé capte davantage les regards que l’archange Gabriel annonçant à la Sainte Vierge sa divine conception. Le rapt de Ganymède par l’aigle de Jupiter procure des plaisirs plus intenses que la montée au ciel de Jésus-Christ. Nos yeux s’attardent avec plus de complaisance sur la représentation des bacchanales ou des terminalies pleines de débauche et d’obscénité que sur Lazare ressuscité ou sur Jésus baptisé par saint Jean ». Parmi les peintures et les statues évoquant la persistance de la culture païenne dans la Rome chrétienne, Érasme mentionne celles relatives d’une part aux « fables » mythologiques dont il brocarde l’immoralité scandaleuse (la fécondation de Danaé par Zeus métamorphosé en pluie d’or ; l’enlèvement de Ganymède, l’échanson des dieux, par l’aigle de Zeus qui le transporta sur l’Olympe) et de l’autre aux fêtes romaines les plus licencieuses telles les Bacchanales en l’honneur de Bacchus-Dionysos ou les plus égrillardes comme les Terminalia. Cf. Margolin 1988, p. 37–67. Sur cette alliance du dulce et de l’utile comme critère d’évaluation d’une œuvre littéraire ou artistique dans la Rome tardo-républicaine, cf. noVara 1982. zweig 1935, p. 46 : « In Erasmus balancierte immer eine heitere spöttische Laune mit dem Gravitätisch-Gelehrtenhaften, er war stark genug, um mit seiner geistigen Kraft auch spielen zu können, und vor allem war ihm ein zugleich funkelnder und doch nicht bösartiger, ein kaustischer und doch nicht böswilliger Witz zu eigen, dessen Erbe Swift wurde und dann Lessing, Voltaire und Shaw ».
Parodie et ironie dans le Ciceronianus d’Érasme
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LA POLÉMIQUE ENTRE JÉRÔME ET AUGUSTIN COMMENTÉE PAR ÉRASME Delphine Viellard À Jean Werckmeister décédé le 30 juin 2011 alors que je récrivais cet article. La correspondance entre Jérôme et Augustin ne manque pas de sel, car les deux Pères de l’Église ont entretenu des échanges souvent polémiques1. C’est Augustin qui prend l’initiative de la rencontre épistolaire au tournant de 394–395. Au moment où il rédige son traité Sur le mensonge, il lit l’interprétation de Jérôme sur Galates 2, 11–14, qui, à ses yeux, légitime le mensonge. Il rédige alors une lettre au moine de Bethléem2 où il analyse, avec des preuves et des syllogismes, les conséquences qu’entraînerait la reconnaissance du mensonge dans le discours apostolique. Il reproche aussi à Jérôme de faire une nouvelle traduction de la Bible à partir de l’hébreu et non plus des Septante. Cette lettre ne quittera l’Afrique que des années plus tard. La première lettre que Jérôme reçoit d’Augustin est en fait la deuxième lettre écrite par l’évêque d’Hippone en 3993. Il ne parle plus de la traduction de la Bible, mais relance son opposition à l’interprétation de Galates 2, 11–14. Ce n’est qu’en 402 que Jérôme répond à Augustin, pressé par une troisième lettre écrite peu de temps auparavant. Dans cette lettre4, Jérôme, contraint de répondre, n’argumente pas, mais accumule les menaces. En 404, il écrit une nouvelle lettre à Augustin, sur le même ton que la précédente5 : il ne répond pas sur le fond aux questions posées par l’évêque d’Hippone, mais prouve, à grand renfort d’érudition, qu’Augustin, un hérétique, ne doit pas venir déranger un vieil ermite solitaire, auquel il doit le respect. La réponse d’Augustin, en 4046 montre une volonté d’apaisement, 1
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Voir sur cette question l’ouvrage de C. Fry 2010, qui nous a beaucoup aidée à étudier la polémique entre les deux Pères de l’Église. Avant elle, Hennings 1994 et Fürst 2003, pour la langue allemande, et wHite 1990 dans le domaine anglais ont étudié l’échange épistolaire entre les deux Pères. Lettre 28 dans la correspondance d’Augustin (CSEL, 34, 1, p. 103–113/CCL, 31, p. 92–97). Jérôme, Lettre 56 (CSEL, 44, 1, p. 496–503/CUF, vol. 3, p. 49–55). Lettre 40 dans la correspondance d’Augustin (CSEL, 34, 2, p. 69–81, CCL, 31, p. 159–165); Jérôme, Lettre 67 (CSEL, 1, p. 666–674/CUF, vol. 3, p. 181–188). Lettre 102 dans la correspondance de Jérôme (CSEL, 55, 2, p. 234–236/CUF, vol. 5, p. 93–95); Lettre 68 dans la correspondance d’Augustin (CSEL, 34, 2, p. 240–243/ /CCL, 31 A, p. 29–31). Lettre 105 dans la correspondance de Jérôme (CSEL, 55, 2, p. 242–246/CUF, vol. 5, p. 100– 103); Lettre 72 dans la correspondance d’Augustin (CSEL, 34, 2, p. 255–262/ CCL, 31 A, p. 40–43). Lettre 73 dans la correspondance d’Augustin (CSEL, 34, 2, p. 263–278/CCL, 31 A, p. 44–52); Lettre 110 dans la correspondance de Jérôme (CSEL, 55, 2, p. 356–366/CUF, vol. 6, p. 8–17).
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car celui-ci craint d’être victime, de la part de Jérôme, de la haine qu’il éprouve maintenant pour Rufin d’Aquilée. La même année, Jérôme écrit une très longue lettre7 où il se défausse de son interprétation sur des commentaires antérieurs qui ont beaucoup plus d’autorité que le jeune Augustin. L’évêque d’Hippone ne peut se satisfaire de l’argument d’autorité et prouve, une dernière fois qu’il n’existe pas de trace de mensonge dans le passage incriminé. Et Augustin d’inviter Jérôme à faire une bonne traduction en latin des Septante. Cette lettre n’eut pas de réponse : Jérôme fut sans doute vaincu par la démonstration d’Augustin, mais ne voulut pas l’admettre. Cet échange eut lieu entre 398 et 405. Jérôme et Augustin reprirent leurs relations entre 415 et 419, liés cette fois contre l’hérésie pélagienne. Mais cette période ne fut pas l’occasion de polémiques. Érasme a édité les œuvres complètes de Jérôme en 1516 à Bâle, chez Froben et a fait figurer la correspondance de ce dernier dans les trois premiers tomes, à côté d’autres œuvres. Dans le tome 38, on trouve une sorte de petit dossier de seize lettres échangées entre les deux Pères de l’Église, au milieu desquelles se trouvent quatre lettres écrites à d’autres correspondants. Érasme y fait figurer dix lettres de Jérôme et sept d’Augustin9. Chacune des lettres est suivie d’un commentaire, qu’Érasme appelle argumentum. On trouve aussi des scholies devant certaines lettres. C’est ce dossier de lettres, accompagnées de leurs arguments et de leurs scholies, tel qu’Érasme le publie, qui est l’objet de notre étude. Nous arriverons à des conclusions assez modestes sur la manière dont Érasme traite cette polémique entre Jérôme et Augustin, car ses commentaires sont parfois très succincts. Nous nous référerons aussi pour compléter notre étude à d’autres écrits d’Érasme où celui-ci évoque ce conflit. Dans une première partie, nous rappellerons l’objet de la polémique et la teneur des échanges entre les deux Pères de l’Église. Dans un deuxième temps, nous analyserons le commentaire qu’en fait Érasme.
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Lettre 112 de la correspondance de Jérôme (CSEL, 55, 2, p. 367–393/CUF, vol. 6, p. 18–43); Lettre 75 dans la correspondance d’Augustin (CSEL, 34, 2, p. 280–324/CCL 31A, p. 54–76). Tome 3 des Œuvres complètes d’Érasme. Ouvrage consulté à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, sur la page de garde duquel on lit : Tertius tomus epistolarum diui Eusebii Hieronymi Stridonensis, complectens ελεγτικα και απολογετικα, nimirum ea quae pertinent ad refellendas diuersas haereseis et maledicorum calumnias, una cum argumentis et scholiis des. Erasmi Roterodami, 1516, cote E.449,3. Folium 144 à folium 165.
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I. LE CONFLIT ENTRE JÉRÔME ET AUGUSTIN 1. Rappel des points d’opposition Augustin écrit une première lettre à Jérôme au tournant de 394–395 pour lui exprimer son désaccord au sujet de l’interprétation de Galates 2, 11–1410. Dans ce passage, Pierre, séjournant à Antioche, dîne avec des pagano-chrétiens. Mais à l’arrivée des compagnons de Jacques, il s’éloigne d’eux et feint de ne pas les connaître. Paul lui reproche alors son attitude hypocrite. Dans son Commentaire de l’Épître aux Galates11, Jérôme écrit que Paul et Pierre ont tous les deux dissimulé : Pierre a fait semblant de manger selon le rite juif pour ne pas se mettre à dos l’entourage de Jacques, tandis que Paul, qui a compris la manœuvre de Pierre, a feint de le réprimander. Jérôme s’appuie pour cela sur les paroles de Paul qui affirme qu’il s’est fait juif avec les juifs (1 Corinthiens, 19) : Paul a donc bien l’habitude de mentir. Dans la lettre qu’il écrit à Jérôme, Augustin juge pernicieux de considérer que les auteurs évangéliques aient pu mentir et dissimuler, car ce serait alors jeter le discrédit sur tous les textes sacrés en général12. Dans une lettre écrite deux ans plus tard, en 39713, Augustin revient sur la question du mensonge et refuse de penser que Pierre a usé de dissimulation. De même, l’évêque d’Hippone écrit que quand Paul dit qu’il s’est fait juif avec les juifs afin de les gagner, il n’a pas agi pas par dissimulation, mais par charité. Paul ne réprimande pas Pierre de ce qu’il suivait les traces de ses ancêtres, mais de ce qu’il contraignait les pagano-chrétiens à judaïser. Les reproches sont donc bien réels et il n’y a pas d’entente entre les deux apôtres. Le deuxième point qui oppose les deux Pères de l’Église concerne la traduction de la Bible. Les chrétiens de langue latine lisaient les textes saints dans ce qu’on appelle les Vieilles latines. La traduction en latin de l’Ancien Testament se faisait sur les Septante. Jérôme, frappé par les erreurs que l’on trouvait dans ces textes, se mit à corriger ces traductions, d’abord en révisant la traduction en latin des Septante, puis en traduisant directement le texte hébreu. En 403, renvoyant à Jérôme une nouvelle copie des deux lettres que nous avons évoquées précédemment, Augustin parle au moine de Bethléem de sa traduction de Job sur l’hébreu et demande à son correspondant de traduire l’Ancien Testament sur les Septante plutôt que sur l’hébreu14. Son souci : l’harmonie entre les Églises grecques et latines, car une nouvelle traduction en latin directement sur le texte hébreu éloignerait, selon lui, les deux communautés. Il rappelle, à ce sujet, la confusion engendrée chez les habitants d’Oea par la nouvelle traduction du Livre de Jonas par Jérôme. Alors qu’on avait l’habitude de traduire le mot hébreu ciceion par citrouille (Jonas, 4, 6), Jérôme utilisa le mot lierre. L’évêque d’Oea, usant de la nouvelle version hiéronymienne,
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Lettre 28, CCL, 31, p. 92–97. PL 26 (1845) col. 338c–342c. Lettre 28, CCL 31, p. 95–96. Lettre 40, CCL 31, p. 159–165. Lettre 71, CCL 31 A, p. 36–39.
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engendra un grand trouble dans la communauté des fidèles, qui faillit le renvoyer de son siège épiscopal15. 2. Violence de la polémique Ces deux points ont opposé violemment les deux Pères de l’Église et – comme nous l’avons dit plus haut – leurs formulations ne manquent pas de sel. Augustin veut persuader Jérôme de la fausseté de son interprétation de Galates 2, 11–14. Pour cela, il use de la plus adroite des rhétoriques et n’attaque pas directement Jérôme, alors que le moine de Bethléem accumule les menaces. Dans la lettre 28, Augustin feint de se placer en situation d’infériorité, tout en se mettant dans la position de celui qui détient le savoir et exerce une autorité. Il est en effet un évêque, alors que Jérôme n’est qu’un simple prêtre, mais il est aussi beaucoup plus jeune que le moine de Bethléem et lui doit du respect. Il prend le rôle du professeur qui corrige un élève médiocre : il lui reproche une lecture inattentive de la Bible et le met en faute : Jérôme doit avoir une lecture plus diligente : lectio diligentior16. En outre, en utilisant le mot pietas, il se retire à lui-même le rôle de correcteur pour l’attribuer à Dieu : Quant à moi, avec toutes les forces que le Seigneur me prodigue, je voudrais montrer que tous les textes que l’on allègue pour étayer le mensonge dans son utilité, il faut les comprendre autrement de manière à ce que partout en soit enseignée la vérité bien établie. (…) Mais je laisse cela à ton discernement. Quand tu auras appliqué à ta lecture une réflexion plus diligente, sans doute verras-tu cela bien plus clairement que moi. C’est la piété qui te contraindra à cette réflexion au terme de laquelle tu ne peux que reconnaître que l’autorité des Écritures divines menacera naufrage si chacun se met à croire ce qui lui convient en elles, et à ne pas croire ce qui ne lui convient pas17.
Dans la lettre 40, Augustin use d’une ironie teintée de politesse et se pose encore une fois en correcteur d’un Jérôme pris en faute. La force de son jugement se traduit par le verbe emendare, corriger, qui termine la phrase, verbe qui évoque la souillure, le châtiment et une nécessaire conversion : Il n’est pas besoin de plaider longuement cette cause, surtout auprès de toi. À qui est doté d’un esprit assez sagace, il n’est guère besoin d’en faire entendre davantage ! Je n’aurais en aucun cas la prétention d’essayer d’enrichir de mes oboles l’or de ton intelligence si divinement douée, et il n’y a personne qui ne soit plus capable que toi-même d’apporter à cette œuvre sa correction18. 15 16 17
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Ibid., p. 38. Lettre 28, CCL 31, p. 96. Et ego quidem qualibuscumque uiribus, quas Dominus suggerit, omnia illa testimonia, quae adhibita sunt astruendae utilitati mendacii, aliter oportere intellegi ostenderem, ut ubique eorum firma ueritas doceretur. ... Sed hoc intellegentiae relinquo tuae. Admota enim lectioni diligentiore consideratione, multo id fortasse facilius uidebis quam ego. Ad hanc autem considerationem coget te pietas, qua cognoscis fluctuare auctoritatem diuinarum scripturarum, ut in eis quod uult quisque credat, quod non uult non credat ... Ibid., p. 95–96, trad. C. Fry 2010, p. 44. Non opus est hanc causam multis uerbis agere praesertim apud te, cui sapienter prouidenti dictum sat est. Nequaquam uero mihi arrogauerim, ut ingenium tuum, diuino dono aureum
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Jérôme, au caractère très susceptible, réagit vivement aux propos tenus par Augustin et son argument principal est que l’âge de son correspondant ne l’autorise pas à lui faire des remontrances. Loin de moi d’oser toucher quoi que ce soit des livres de ta Béatitude. Surveiller les miens suffit assez à ma peine pour que je me dispense d’écheniller ceux d’autrui. D’ailleurs, ta Sagacité sait parfaitement que chacun abonde dans son propre sens et que ce n’est qu’infantile prétention que de se comporter selon l’habitude des petits jeunes d’autrefois et de chercher à illustrer son nom en s’en prenant à des personnages illustres. Et je ne suis pas assez stupide pour penser qu’une divergence dans tes explications puisse me porter atteinte dans le cas où nos avis se contrediraient. En revanche, il serait vraiment critiquable qu’entre amis surgît ce cas où, ne considérant plus le contenu de notre besace, nous irions, selon Perse, explorer le bessac d’autrui. Il ne te reste qu’à aimer celui qui t’aime et, à l’exercice sur le terrain de l’Écriture, te garder de faire le jeunot qui provoque plus âgé que lui19.
Jérôme renvoie Augustin à ses propres préoccupations et lui laisse entendre que celui-ci n’a pas l’autorité pour le contredire. En comparant son correspondant à Cicéron qui a aquis la célébrité en attaquant Verrès, plus âgé que lui, il sous-entend qu’Augustin veut se faire connaître en provoquant son aîné. Dans la lettre 105, Jérôme devient plus virulent encore, quand il apprend qu’Augustin répand partout le bruit que le moine de Bethléem ne répond pas à ses lettres : Quelques uns de mes intimes, qui sont de ces « vases du Christ » dont on trouve une si grande quantité à Jérusalem et dans les lieux saints, m’ont suggéré que tout cela ne relève pas de la simplicité de ton âme, mais du goût pour la grandeur ; par de tout petits potins, et de la gloriole auprès des fidèles, tu aurais voulu te gonfler à nos dépens afin que la multitude apprenne que tu me mets au défi, que je tremble de peur, que tu écris en tant que savant et que je me tais comme un ignorant et qu’il s’est enfin trouvé quelqu’un pour mettre un terme à mes bavardages20.
Et plus loin : « Je te le dis à nouveau, tu provoques un vieillard, c’est un silencieux que tu excites, tu donnes l’impression de te gonfler de ton savoir21 ». On retrouve dans cette lettre le même argument que dans la lettre précédente : Augustin est bien présomptueux de penser que Jérôme va s’abaisser devant lui, en reconnaissant que son interprétation est fautive. Il en va de l’honneur du Stridonien.
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meis obolis ditare contendam. Nec est quisquam te magis idoneus qui opus illud emendet. Lettre 40, CCL 31, p. 161, trad. Fry 2010, p. 65–66. Absit autem a me, ut quidquam de libris Beatitutidinis tuae adtingere audeam. Sufficit enim mihi probare mea et aliena non carpere. Ceterum optime nouit prudentia tua unumquemque in suo sensu abundare, et puerilis esse iactantiae, quod olim adulescentuli facere consueuerant, accusando inlustres uiros, suo nomini famam quaerere. Nec tam stultus sum ut diuersitate explanationum tuarum me laedi putem, quia nec tu laederis si nos contraria senserimus. Sed illa est uera inter amicos reprehensio, si nostram peram non uidentes, aliorum, iuxta Persium, manticam consideremus. Superest ut diligas diligentem te ; et in Scripturarum campo, iuvenis senem non prouoces. Lettre 102, CUF, t. 5, p. 94 ; trad. Fry 2010, p. 89–90. Nonnulli familiares mei et uasa Christi, quorum Hierosolymis et in sanctis locis permagna copia est, suggerebant, non simplici animo a te factum, sed laudem atque rumusculos et gloriolam populi requirente, ut de nobis cresceres ; ut multi cognoscerent te prouocare, me timere ; te scribere ut doctum, me tacere, ut imperitum ; et tandem repperisse, qui garrulitati meae silentium modumque imponeret, Lettre 105, CUF, t. 5, p. 101 ; trad. Fry 2010, p. 124–125. Rursum dico quod sentio : prouocas senem, tacentem stimulas, uideris jactare doctrinam, Lettre 105, CUF, t. 5, p. 103 ; trad. Fry 2010, p. 129.
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II. L’ANALYSE D’ÉRASME 1. L’ordre des lettres Érasme a constitué un petit dossier sur les relations entre Jérôme et Augustin, en rassemblant les vingt lettres que nous avons présentées plus haut, mais l’ordre dans lequel il les a éditées, qui ne respecte pas la chronologie, tend à amoindrir le conflit existant entre les deux Pères. Les deux premières lettres22 évoquent en effet l’affaire Pélage, à propos duquel les deux hommes ont eu un échange épistolaire de 415 à 419. Pélage, rappelons-le, est un moine breton qui a prêché à Rome entre 380 et 390 et dont la doctrine a été condamnée comme hérétique par le pape Zosime en 418. Il affirmait que l’homme peut atteindre le bien par ses propres moyens et par le libre arbitre. Cette fois-ci, Jérôme et Augustin ont été réunis contre un ennemi commun et ont oublié leur conflit antérieur. Dans son commentaire des deux premières lettres, Érasme rappelle les félicitations que Jérôme a adressées à Augustin pour avoir mis fin à l’hérésie de Celestius, du nom du disciple de Pélage. Dans le commentaire de la deuxième, il donne son interprétation personnelle de la phrase de Jérôme : « Jérusalem est prise par Nabuchodonosor23 ». Pour lui, Nabuchodonor représente Jean de Jérusalem, qui avait accueilli Pélage avec bienveillance. Les quatre lettres suivantes écrites par Jérôme sont adressées à des correspondants divers. La première d’entre elles, rédigée par Jérôme à Marcellinus et Anapsychia, a bien sa place ici, puisque Jérôme s’y réfère à Augustin, en répondant à la question de ses deux correspondants sur l’origine des âmes24. Les trois lettres suivantes n’évoquent pas l’évêque d’Hippone et abordent des points théologiques sans rapport avec la question soulevée dans les lettres précédentes : elles ont été écrites par Jérôme en 388 et 399, bien des années avant l’affaire Pélage25. Les huit lettres suivantes26 concernent le conflit entre Jérôme et Augustin. Nous en parlerons plus loin, en analysant le commentaire qu’en fait Érasme. Érasme insère ensuite deux autres lettres concernant l’affaire Pélage. Dans la première27, il souligne qu’Orose a bien été en relation avec Jérôme et cite un passage de l’Histoire du prêtre espagnol, sans offrir le contenu de la lettre. La seconde est une lettre d’Augustin à Praesidius28. Augustin y évoque sa peur de la colère de Jérôme, mais Érasme insiste, quant à lui, sur la demande qu’Augustin fait à Praesidius de ménager le Stridonien.
Folia 144–145. Significat palam extinctas ac damnatas haereses, clam oblique adhuc moliri, Episcopum Hierosolymitanum dissimulanter fauere Arrianis, Folium 144. 24 Folium 145. 25 Folia 145–150. 26 Folia 150–160. 27 Folium 160. 28 Folium 160.
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Les trois dernières lettres29 concernent la polémique orchestrée dans les lettres échangées entre Jérôme et Augustin. L’ultime lettre est un billet de recommandation en faveur du diacre Praesidius. Soulignons tout de suite que le ton utilisé dans celles-ci est relativement apaisé. Érasme les place peut-être en dernier, pour donner l’impression au lecteur que le combat entre les deux Pères de l’Église n’a pas été si violent. On le voit, l’ordre adopté par Érasme dans la présentation des lettres entre Jérôme et Augustin atténue la violence du conflit. La manière dont il les commente va aussi dans ce sens. 2. Analyse par Érasme des lettres entre Jérôme et Augustin Nous nous intéresserons seulement aux dix lettres polémiques échangées entre Jérôme et Augustin sur les deux points que nous avons présentés plus haut et, au sujet de ces dernières, nous étudierons comment Érasme reproduit le sel de cette correspondance. Érasme tend à adoucir la violence qui se trouve dans les lettres, surtout quand elle vient de Jérôme. Commentant sa lettre 102, très polémique, il ne retient de ce long texte que les excuses que fait le Stridonien à Augustin de ne pas lui avoir répondu assez vite et son invitation à ce qu’un amour commun les rassemble : « Il s’excuse de ne pas lui avoir encore répondu, l’exhortant à l’aimer en retour 30 ». Il n’évoque la palinodie que dans sa scholie et n’en explique que l’origine littéraire, sans en souligner la verve polémique31. En parlant à propos de ces lettres davantage de la question de la traduction de la Bible que de l’interprétation du passage de Galates, Érasme trouve un moyen d’atténuer la portée polémique des échanges. Analysant la lettre 115 de Jérôme, il évoque seulement la fin de la lettre concernant le livre de Jonas et demande la fin des hostilités à ce sujet32. Érasme fait comme Jérôme, qui ne répondait pas à Augustin sur la question du mensonge : il atténue ainsi l’importance du conflit. Au sujet de la lettre 112, il dédramatise l’épisode du chahut de la communauté d’Oea, en écrivant que Jérôme se rit (irridens) de ce que lui a signalé Augustin : « [il] se moqu[e] de l’histoire qui est arrivée entre l’évêque et sa communauté33 ». Quand il évoque le problème du mensonge, Érasme en diminue la portée : dans son commentaire de la lettre 28 écrite par Augustin, il fait porter la responsabilité de l’erreur de Jérôme sur Origène34. L’importance de ce conflit revient à atténuer la querelle entre les deux Pères. 29 30 31 32 33 34
Folia 160–165. Excusat se, quod nondum responderit, ahortans illum ad mutuum amorem, Folium 157. Palinondian : ad uerbum sonat recantare. Historia Stesichori, qui ob uituperatam Helenam oculos amisit, recepit autem recantatis iis, quae scripserat, est apud Platonem in Phaedro, Folium 157. Resalutat Augustinum, excusans liberius responderit, et rursum de cucurbita meminit, hortans, ut super hac re sua legat commentaria : denique inuitans, ut omissis contentiosis questionibus uersentur in campo sacrarum scripturarum, Folium 160. Irridens fabulam illam de tumultu exorto inter plebem et episcopum, Folium 157. Origenes, ex sententia Platonis, permittebat sapienti bonoque uiro mendacium, modo salutare
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Cependant on trouve dans les argumenta d’Érasme des reprises des attaques que se sont portées Jérôme et Augustin. Mais dans tous les cas, c’est Augustin qui est présenté comme l’initiateur de la polémique. Jérôme, quant à lui, se voit excusé de répondre aux coups. Commentant la lettre 28 d’Augustin, Érasme se met du côté de Jérôme : « Augustin, encore jeune, lance à ce sujet un avertissement à Jérôme, d’une manière habile et en semant chez lui le doute35 ». « Encore jeune » (adhuc iuuenis) traduit l’insolence d’Augustin envers Jérôme que celui-ci lui reprochera. Les deux adverbes opposés blande et suspiciose qualifiant admonet révèlent bien la gêne d’Érasme : blande souligne l’habileté d’Augustin plutôt que sa douceur, tandis que suspiciose traduit sa volonté de faire naître le doute chez Jérôme et de semer le soupçon chez le lecteur. Le verbe admonet illustre la volonté d’Augustin de corriger Jérôme. En fait, dans son commentaire, Érasme reprend les termes mêmes de Jérôme utilisés dans la lettre 10536 : « [Il] avert[it] un jeune homme de ne pas provoquer pour son malheur un vieillard au combat37 ». Le seul passage où les deux Pères sont vus comme des polémistes est un commentaire de la lettre 112 de Jérôme, où Érasme utilise le terme de andabatas : gladiateurs38. Mais ce regroupement n’est que temporaire, puisque dans son analyse, Érasme prend le parti de Jérôme contre Augustin. Si Jérôme critique le style d’Augustin, il ne le fait pas sans raison, si Jérôme est long dans sa démonstration, c’est qu’il ne veut rien oublier. Il blâme le style du divin Augustin, non sans raison. Certes il est un peu verbeux et multiplie les périodes à l’infini. Mais il a agi ainsi, si je ne me trompe, parce qu’il ne voulait pas oublier tout ce qui lui venait à l’esprit, alors qu’il était en train d’écrire. Et bien des choses lui venaient à l’esprit39.
On retrouve, dans le passage de la Vie de Jérôme rédigée par Érasme et placée en tête du premier tome de son édition de 1516 40, une analyse des rapports entre Jérôme et Augustin, « l’ami ambigu », qui va aussi dans ce sens.
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iis, quorum gratia fieret. Et Hieronymus non caruit omnino suspicione Origenici dogmatis. Nam huius sequutus sententiam in commentariis, quos edidit in epistolam ad Galatas scripserat, utrosque ; Petrum ac Paulum, pro tempore simulatione usos : Petrum, cum se subduceret a mensa super uenientibus Hebraeis ; Paulum, cum illum in os acriter obiurgaret, ut per eum alios deterreret, Folium 150. Augustinus, adhuc iuuenis, blande quidem sed tamen suspiciose Hieronymum admonet de hac, Folium 150. « Je te le dis à nouveau, tu provoques un vieillard, c’est un silencieux que tu excites, tu donnes l’impression de te gonfler de ton savoir » = Rursum dico quod sentio : prouocas senem, tacentem stimulas, uideris jactare doctrinam, Lettre 105, CUF, t. 5, p. 103, trad. Fry, p. 129. Iuuenem admonens, ne temere suoque malo prouocet senem ad huiusmodi certamen, Folium 158. Respondet tandem ad superiores Augustini literas Hieronymus, copiose quidem, sed ita ut Andabatas inter se commissos esse dicas, Folium 153. Taxat stylum Diui Augustini, nec sine causa. Siquidem est paulo uerbosior, et periodis in immensum productus. Quod illi, ni fallor, hinc accidit, quod nihil uellet omittere eorum, quae scribenti ueniebant in mentem : ueniebant autem permulta, Folium 157. Ouvrage consulté à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, cote E.449,1.
La polémique entre Jérôme et Augustin commentée par Érasme
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Il y eut une telle rivalité pleine de malignité entre les deux hommes que le divin Augustin, évêque d’Hippone, ne semble pas s’être rendu compte de la foi de Jérôme, avant de connaître plus à fond sa vie et son érudition. Sa discussion sur le mensonge, le Livre sur l’origine des âmes, sa critique de la traduction de la Bible, son regret de la dispute entre Jérôme et Augustin, tout ce à cause de quoi il s’est querellé avec Jérôme, il souhaite l’évoquer pour montrer ses croyances. Loin d’être considéré comme sot, Jérôme a été pressé longuement de répondre, et il répond d’une manière acerbe et un peu flatteuse. En fait, les deux hommes se font beaucoup de politesses, mais finissent par se connaître. Unissant leurs âmes et leurs connaissances, ils défendaient, par leurs actions communes, la foi catholique contre les insultes des hérésiarques et Augustin a décidé, quand il eut connu la grandeur de Jérôme, de devenir son disciple. Ainsi, peu importent les débuts de leur relation, ils nouèrent des liens de relation très forts41.
Érasme fait peser sur Augustin la mauvaise entente entre les deux Pères de l’Église. C’est lui qui a porté l’escouade et si Jérôme s’est comporté de manière violente avec Augustin, c’est qu’il y a été contraint par son correspondant. Leur amitié a mis longtemps à se développer, parce qu’ils étaient englués dans des disputes variées, qui les ont empêchés pendant longtemps de se connaître : la question du mensonge, le livre sur l’origine des âmes, le choix de Jérôme de traduire d’après l’hébreu ainsi que la dispute entre Jérôme et Rufin. Pour finir, Érasme atténue la polémique existant entre les deux hommes, en évoquant leur combat commun contre les hérétiques. Sa conclusion est que les deux hommes étaient faits pour s’entendre, mais qu’ils ont mis longtemps à devenir amis. CONCLUSION En éditant la correspondance entre Jérôme et Augustin, Érasme a davantage mis en valeur leur concorde que leur opposition. Cela se traduit par l’ordre dans lequel Érasme a publié ces lettres, mais aussi dans les commentaires qu’il en a fait. Cependant, il faut savoir lire entre les lignes et certains termes utilisés par Érasme reproduisent bien la verve polémique de Jérôme et la critique d’Augustin. Mais comme s’il la déplorait, Érasme souligne au contraire le plus souvent leur entente et l’affection qu’ils ont éprouvée l’un pour l’autre, malgré les kilomètres qui les séparaient. Nous voudrions, pour finir, citer un extrait de la lettre-préface d’Érasme pour son édition de la Cité de Dieu d’Augustin où le Rotterdamois utilise contre ses adversaires, « quelques Frères de l’ordre des Dominicains » le même esprit polémique que Jérôme et, pourrait-on dire, le même sel : « Érasme – c’était le bouquet ! – se préparait à corriger également Augustin, alors qu’il ne comprenait goutte à ses 41
Ac tantum ualuit aemulorum maliciosa calliditas, ut nec ipse diuus Augustinus Hipponensis episcopus, optime sensisse uideatur de fide Hieronymi, priusquam proprius et interius nosset hominis uitam et eruditionem. Hinc illa de mendacio cauillatio, hinc liber De animorum origine, hinc interpretationis ex Hebraeo suggillatio, hinc simultatis cum Ruffino deploratio, quibus aduersus Hieronymum ceu uelitabatur, euocare cupiens ad dogmatis sui professionem. Id subodoratus uir minime stupidus, diu grauatus ad ea respondere, tamen respondet acerbius, parumque blande. Verum simulatque uterque alteri penitus coepit esse cognitus, iunctis animis ac studiis, communi opera fidem catholicam aduersus haeresiarcharum insultus tuebantur et minus sibi placuit Augustinus, ubi Hieronymi magnitudinem pernouerat, ex exploratore factus discipulus. Ita ex initio qualicumque, summa inter illos conflata est necessitudo, Folia β 4 et 5.
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ouvrages ! Ils criaient même à l’hérésie, ils affirmaient qu’il n’y avait rien dans les livres d’Érasme qu’erreur et corruption, et rien qui fût compréhensible pour des théologiens. Je ne me suis jamais attribué des connaissances particulières en théologie ; je ne dédaigne point cependant ni mon modeste génie, ni mon érudition, au point de croire que je ne comprends rien aux livres d’Augustin, où ces grosses panses, mieux faites pour la charrue que pour les bonnes lettres comprennent tout42 ». BIBLIOGRAPHIE allen 1976 = P. s. allen et al. (ed.), La correspondence d’Érasme: Volume V, 1522–1524 traduite et annotée d’après le texte latin de l’« Opus epistolarum », Bruxelles, 1976. Fry 2010 = c. Fry, Lettres croisées de Jérôme et Augustin, Paris, 2010. Fürst 2003 = a. Fürst, Augustinus–Hieronymus, Epistulae mutuae, Briefwechsel, Fontes Christiani, 41/1 ; 2, Turnhout, 2003. Hennings 1994 = r. Hennings, Der Briefwechsel zwischen Augustinus und Hieronymus und ihr Streit um den Kanon des Alten Testaments und die Auslegung von Gal. 2, 11–14. Supplements to Virgiliae Christianae 21, Leiden/New York/Köln, 1994. wHite 1990 = c. wHite, The Correspondance (394–419) between Jerome and Augustine of Hippo, Studies in Bible and Early Christianity, 23, Queenston/Lewiston/Lampeter, 1990.
ANNEXE I. Liste des lettres éditées par Érasme, faisant partie du dossier étudié, avec leur dénomination dans la correspondance de Jérôme. Datation Fürst 2003. 1) 2) 3) 4) 5) 6) 7) 8) 9) 10) 11) 12) 13) 14) 15)
Lettre 143 de Jérôme à Alypius et Augustin [419] Lettre 141 de Jérôme à Augustin [418] Lettre 142 de Jérôme à Augustin [418] Lettre 126 de Jérôme à Marcellinus et Anapsychia [412] Lettre 69 de Jérôme à Océanus [399] Lettre 84 de Jérôme à Magnus, orateur romain [400] Lettre 146 de Jérôme à Évagre [388] Lettre 28 d’Augustin à Jérôme [Fin 394–début 395] Lettre 40 d’Augustin à Jérôme [394–395] Lettre 71 d’Augustin à Jérôme [403] Lettre 112 de Jérôme à Augustin [404] Lettre 67 d’Augustin à Jérôme [402] Lettre 102 de Jérôme à Augustin [402] Lettre 105 de Jérôme à Augustin [403] Lettre 73 d’Augustin à Jérôme [404]
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Erasmus denique est Augustini castigatione moliri, in cuius operibus nec tantulum intelligeret : atque haeresim etiam uocabant asseuerare quicep esse in huius uiri libris medosum, adulterinum, aut non intellectum Theologis. Ego numquam mihi uindicaui raram Theologiae scientiam et tamen non usque ; adeo meum hoc ingeniolum aut eruditionem contemno, ut existimem me nihil intelligere in libris Augustini, in quibus illi crassi uentres stiuae nati potius quam litteris intelligunt omnia, Lettre 1309, Bâle, vers août 1522 ; cf. allen 1976, p. 149–150.
La polémique entre Jérôme et Augustin commentée par Érasme 16) 17) 18) 19) 20)
Lettre 134 de Jérôme à Augustin [416] Lettre 74 d’Augustin à Praesidius [404] Lettre 115 de Jérôme à Augustin [404/405] Lettre 82 d’Augustin à Jérôme [405] Lettre 103 de Jérôme à Augustin [ca 397]
II. Chronologie comparée entre Érasme et Fürst. Ordre d’Érasme
Ordre de Fürst
Lettre 143 Lettre 141 Lettre 142 Lettre 126 Lettre 28 Lettre 40 Lettre 71 Lettre 112 Lettre 67 Lettre 102 Lettre 105 Lettre 73 Lettre 134 Lettre 74 Lettre 115 Lettre 82 Lettre 103
Lettre 146 Lettre 28 Lettre 40 Lettre 103 Lettre 69 Lettre 84 Lettre 67 Lettre 102 Lettre 73 Lettre 74 Lettre 115 Lettre 82 Lettre 126 Lettre 134 Lettre 141 Lettre 142 Lettre 143
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BEATUS RHENANUS ET SÉNÈQUE Ironie et humour au service du criticisme théologique (sur la base du commentaire rhénanien de l’Apocoloquintose) Cécile Merckel L’Apocoloquintose du divin Claude1 de Sénèque, ou Ludus de morte Claudii Caesaris, a été composée au moment de la mort de l’empereur Claude. Elle relate sur le mode parodique et satirique l’arrivée de ce dernier devant le tribunal des dieux, son procès, au cours duquel sont énumérées des charges accablantes relatives aux nombreux crimes et forfaits qu’il a pu commettre pendant sa vie terrestre, et enfin sa condamnation. Certes, Sénèque n’a pas la réputation d’être l’auteur le plus drôle de la littérature romaine2 mais il écrit là un texte dont la forme hétéroclite, le ton et le contenu contrastent non seulement avec le reste de son œuvre3, mais encore avec les œuvres des autres auteurs romains. La critique envers l’empereur Claude y est très virulente, pas toujours fine, et s’explique non seulement par la rancœur personnelle de Sénèque envers celui qui l’avait exilé de son vivant, mais aussi par la volonté du précepteur de Néron de saluer l’avènement d’une ère nouvelle et d’inciter le nouveau Prince à pratiquer le pouvoir de façon exemplaire. Ce texte offre donc un exemple significatif du « sel antique ». En outre, cette attaque en règle de Sénèque homme politique contre l’empereur sortant se double d’une critique théologique à peine dissimulée de Sénèque philosophe contre l’institution de l’apothéose du Prince4. Notre étude sera menée à travers le filtre du commentaire qu’en a fait Beatus Rhenanus en 1515. En effet, l’Apocoloquintose a fait l’objet de deux éditions successives de l’humaniste rhénan : l’une en 15155 et la seconde en 1529, qu’il est très 1 2 3 4 5
La bibliographie concernant l’Apocoloquintose est très abondante. Outre les articles cités dans le présent article, nous nous contenterons de mentionner deux bibliographies très utiles : coFFey 1961 et bringMann 1985. Dans saint-denis 1965, p. 279 sqq., e. de saint-denis ne considère guère que l’Apocoloquintose soit amusante. On se souvient du poème de Victor Hugo intitulé « Un chant de fête de Néron » (Odes et Ballades), où il parle de « l’austère Sénèque » (v. 11). Voir nussbauM 2009 : l’auteur explique pourquoi l’œuvre n’est pas stoïcienne. Les ouvrages qui traitent du culte impérial sont nombreux mais on peut citer ici gradel 2002. Les exemples étudiés dans le présent article sont extraits du Ludus de morte Claudii Caesaris de Sénèque commenté par Beatus Rhenanus dans son édition bâloise publiée en mars 1515 par J. Froben (BHS K 1074). Le texte sénéquien (pour lequel nous donnerons les références de l’édition de la C.U.F., qui divise le texte en paragraphes) se trouve au milieu de chaque feuillet, encadré par deux colonnes de commentaire, et cette édition comporte un certain nombre d’annotations en marge, de la main de Beatus. Il existe une autre édition bâloise du commentaire de Beatus, publiée par J. Froben en juillet 1515 (BHS K 866). L’édition de juillet 1515 est paginée,
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difficile de se procurer et qui reprend l’édition princeps de Rome. Il s’agit d’étudier ici le commentaire non d’un point de vue philologique6 mais plutôt d’un point de vue littéraire et philosophique en tant qu’œuvre à part entière. Ce commentaire marque en effet un progrès net dans les études sénéquiennes de l’époque car l’Apocoloquintose se trouve réintégrée au corpus du philosophe et revêt une valeur en tant que telle. La confrontation du texte sénéquien avec son commentaire rhénanien est édifiante à plusieurs points de vue. Tout d’abord, elle révèle le processus d’assimilation et de réappropriation de la pensée romaine par un humaniste, particulièrement à l’œuvre ici, dans la mesure où, très souvent, Beatus ne se contente pas d’expliquer les plaisanteries de Sénèque mais a recours à une amplificatio de la dérision, créant un effet de surenchère dans la critique de l’apothéose et révélant une communauté d’idée avec le penseur romain. Mais elle laisse aussi apparaître une prise de distance de l’humaniste par rapport au philosophe romain sur la question théologique. Il y a donc une tension perpétuelle qui se lit dans le commentaire rhénanien, une sorte d’amitié-répulsion nourrie par l’humaniste à l’égard de Sénèque, qui transparaît dans l’utilisation précise et calculée de l’ironie et de l’humour dans les commentaires. * En tant que philosophe stoïcien, Sénèque est nécessairement opposé au rituel de l’apothéose, mais en tant qu’homme d’État, il se doit de garder une certaine réserve à l’égard de cette institution. Certes, personne ne pensait réellement que l’empereur défunt se transformait en dieu : aussi, la critique du philosophe n’attaque-t-elle pas une superstition – comme c’est le cas à l’encontre des religions orientales qui viennent coloniser Rome – mais plutôt une pratique civique qui se justifie d’autant moins dans le cas de Claude, empereur déjà fustigé de son vivant. Pour une fois, Sénèque, qui d’ordinaire n’attaque pas les cadres traditionnels de la religion romaine, s’en prend à la religion civile, mais s’il s’autorise à le faire, c’est d’une part parce que cette institution est récente – établie sous Auguste – et ne fait donc pas à proprement parler partie du mos maiorum, et d’autre part parce que la critique théologique est discrète, noyée sous le règlement de compte à l’égard de la personne même de Claude et les plaisanteries en tous genres. L’usage du rire que fait Sénèque dans ses œuvres n’est certes pas très courant7, mais il semble néanmoins y recourir avec un plaisir certain, en habitué des milieux
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ce qui n’est pas le cas de l’édition de mars 1515. C’est pourquoi nous utiliserons les signatures de chaque folio pour citer l’édition rhénanienne, qui est consultable en ligne en version numérisée. À ce sujet, nous renvoyons à sPaltenstein & PetitMengin 1979 et andré 2000. Se reporter notamment à arMisen-MarcHetti 2004. La spécialiste de Sénèque, dans un esprit de réhabilitation, y fait un relevé commenté des anecdotes humoristiques que l’on peut trouver dans les Lettres à Lucilius, en soutenant l’idée que ces récits plaisants ne sont pas là que pour le plaisir mais qu’ils ont aussi une fonction philosophique. Cet article se concentre surtout sur l’étude de l’autodérision chez Sénèque. Pour une analyse littéraire plus large de certains de ces
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mondains qui en raffolent. En effet, si le penseur romain dénigre dans les Lettres à Lucilius les hilaritates, le rire gras de la foule qui relève de la passion et de la bêtise et qui détourne de la recherche de la vertu, il accrédite aussi une certaine forme de dérision thérapeutique, dans la lignée des Cyniques. En effet, le rire est aussi une sorte de soupape qui permet au progrediens, au « progressant en sagesse », de prendre de la distance par rapport à des choses qui ne prêtent pas forcément à rire : le monde, la fortune8, ses propres passions9. Le rire, paradoxalement, constitue alors un des moyens d’accéder à l’autonomie du sage. Il n’est donc pas rare de lire des anecdotes humoristiques à visée pédagogique dans les œuvres du philosophe romain. La dimension éminemment comique de l’Apocoloquintose est clairement affirmée par Beatus dans son commentaire, et cela, dès l’épître dédicatoire à Thomas Rapp10, selon laquelle Sénèque « blâme la cruauté de Claude à l’égard des innocents par des plaisanteries surprenantes (miris salibus) ». Beatus insiste dès le départ sur la dimension politique de la satire sénéquienne et ne fait pas du tout mention de la critique théologique. Généralement, les notes de l’humaniste explicitent les références historiques de l’Apocoloquintose, en ne manquant pas de citer l’historien Tacite et l’encyclopédiste biographe Suétone – dans la tradition de l’érudition de la Renaissance – ou bien encore elles décodent certaines plaisanteries de Sénèque, le plus souvent douteuses. On relève ainsi tout un vocabulaire appartenant au lexique du blâme et de la moquerie pour décrire les propos de Sénèque : taxat, salissime, ridere, iocum, uidelicet, iocose, alludit, ridicule, ironiae, sapit, etc. Le rire a avant tout une dimension cathartique et il se mêle à l’histoire pour permettre au lecteur de se purifier du trouble qu’a jeté le règne de Claude – le personnage de l’empereur défunt, persécuté par les dieux qui veulent l’envoyer le plus loin possible, a d’ailleurs tout d’un pharmakon. Cependant, les commentaires de Beatus développent également des allusions théologiques dissimulées dans certaines plaisanteries. Ces ioca relèvent à la fois de l’ironie et de l’humour11. La distinction de Bergson entre ironie et humour est éclairante : « Tantôt on énoncera ce qui devrait être en feignant de croire que c’est précisément ce qui est : en cela consiste l’ironie. Tantôt au contraire on décrira minu-
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passages humoristiques, consulter également braren 1992 ; grant 2000 ; Motto & clark 1994 ; tHoMsen 1979–1980 ; HuMeau 2004, 2006 et 2007. Voir Sen., de tranq., XV, 2 : Eleuanda ergo omnia et facili animo ferenda : humanius esse deridere uitam quam deplorare / « Il faut donc prendre toutes choses avec légèreté et de bonne grâce : il est plus humain de rire de la vie que d’en pleurer. » (Les traductions utilisées pour les textes antiques, hormis les extraits du commentaire rhénanien de l’Apocoloquintose, sont celles de la C.U.F.). On peut se reporter à la Lettre 87, 1–5, où Sénèque pratique l’autodérision, surtout parce qu’il se positionne en tant que progrediens, non comme sage ayant acquis l’autonomie. Il se met sur le même plan que son élève, qui a besoin de mettre les événements à distance, notamment par la dérision. Cette stratégie parénétique est assez originale. Voir arMisen-MarcHetti 2004, p. 316–317 et p. 321. Cette épître, datée du 30 mars 1515, n’est reproduite qu’avec la mention de l’année (Anno M.D.XV.). Sur la distinction fonctionnelle entre ironie et humour, se reporter à bergson 1928, Le rire, p. 128, mais aussi à JankeleVitcH 1936, en particulier le chapitre intitulé « L’ironie humoresque », et breMMer 1997.
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tieusement et méticuleusement ce qui est, en affectant de croire que c’est bien là ce que les choses devraient être : ainsi procède souvent l’humour. »12 Il convient de faire ici un bref rappel des implications et de la signification de ces deux procédés littéraires et rhétoriques, en particulier lorsqu’ils sont utilisés par les philosophes, même si la frontière entre humour et ironie est très floue pour les Anciens13. L’ironie est, comme la définit Cicéron dans le De oratore, « cette feinte qui consiste à dire autre chose que ce que l’on veut faire entendre »14. On trouve ici tout l’héritage socratique : l’interrogation, la reconnaissance de l’ignorance et de la modestie ontologique. L’ironie n’a rien de drôle, même si elle peut faire rire : elle touche au sérieux de la vérité, elle recherche le principe. L’ironiste a un côté dogmatique et il inspire un sentiment de supériorité : il cherche à faire éclater la vérité. « L’ironie divise les deux interlocuteurs entre un maître et un élève. »15 Mais l’ironiste le fait en avançant masqué, il feint de dire autre chose que ce qu’il pense, pour mieux s’immiscer dans le faux et le saper à la racine. On se relève difficilement une fois qu’on a été torpillé par le trait de l’ironiste. L’humour n’a pas du tout la même visée. Il permet une mise en abîme face à l’absence de vérité : on ne cherche pas le principe, on prend tout à la lettre, on se complaît dans le savoureux, le pittoresque, l’événement concret. Il reste à la surface, il est un « art des événements purs », comme dit Deleuze16, et il sacrifie la recherche des causes sur l’autel de la production d’effets. L’humoriste n’est donc pas menaçant au premier abord et il apparaît même comme sympathique, au sens étymologique du terme : l’humour crée un lien entre les sujets, une connivence, une complicité qui contraste avec l’aristocratisme, le sentiment et l’attitude de supériorité de l’esprit sérieux de l’ironie. Comme le dit a. coMte-sPonVille : […] il est essentiel à l’humour d’être réflexif ou, à tout le moins, de s’englober dans le rire qu’il entraîne ou le sourire, même amer, qu’il suscite. C’est moins une question de contenu que d’état d’esprit. La même formule, ou la même plaisanterie, peut changer de nature, selon la disposition de celui qui l’énonce : ce qui sera ironie chez l’un, qui s’en excepte, pourra être humour chez l’autre, qui s’y inclut. Aristophane fait de l’ironie, dans Les Nuées, quand il se moque de Socrate. Mais Socrate (grand ironiste par ailleurs) fait preuve d’humour quand, assistant à la représentation, il rit de bon cœur avec les autres17.
Cette différence d’état d’esprit entre l’ironiste et l’humoriste constituera, à ce qu’il nous semble, l’une des clés d’interprétation des ioca de Beatus dans son commentaire de l’Apocoloquintose : le rire est une forme de pharmakon, une « drogue » qui 12 13
bergson 1928, p. 128. Voir aussi certaines remarques dans arMisen-MarcHetti 2004, p. 319. Pour une synthèse sur les préceptes des rhéteurs et des philosophes sur l’usage du comique (Cic., de orat., II ; Quint., inst., VI, 3), se reporter, entre autres, à desbordes 1998 et à certaines analyses de Haury 1955 qui peuvent également être appliquées à Sénèque. 14 Cic., de orat., III, 203. L’auteur y désigne également l’ironie par le terme de dissimulatio, « qui est très agréable dans un discours, lorsqu’elle est traitée sur un ton non pas oratoire mais familier ». Cependant, cette définition n’est pas mentionnée dans la partie du traité consacrée au rire. Voir aussi Ps.-Aristot., rhet. Alex., XXI, 1434a17 : « l’ironie consiste à dire une chose en feignant de ne pas la dire ou à appeler les objets de noms contraires ». 15 Haury 1955, p. 14. 16 deleuze & Parnet 1996, p. 83. 17 coMte-sPonVille 1995, p. 317.
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agit vis-à-vis de son objet soit comme un poison qui tue – dans le cas de l’ironie –, soit comme un médicament qui soulage – dans le cas de l’humour. Ironie et humour sont donc deux procédés dont les visées différentes correspondent à deux conceptions différentes du réel et du vrai : l’ironiste est platonisant, il cherche la cause première, le principe des événements, alors que l’humoriste est stoïcien, il reste dans l’événement pur et dans l’immanence. Cependant, il faut se garder de tout dogmatisme : Sénèque, stoïcien, a recours aux deux procédés dans ses œuvres philosophiques, même si c’est assez rare. Tout dépend du but recherché. Si l’on excepte les Lettres à Lucilius, où l’autodérision est très présente18 – autodérision que Cicéron et Quintilien désapprouvent car, selon eux, l’orateur n’a pas à faire rire de lui-même19 –, les ressorts du comique sont surtout utilisés contre un adversaire. Le cas de l’Apocoloquintose est néanmoins très particulier. L’ironie âpre est omniprésente mais elle est constamment mêlée à l’humour, voire à l’humour noir. Les critiques n’ont pas manqué d’observer la totale absence de profondeur philosophique qui caractérise cet opuscule et Beatus ne s’y est pas trompé : majoritairement, les commentaires qu’il fait sur les ioca de Sénèque sont de l’ordre de l’explicitation, souvent nécessaire pour un lecteur du XVIème siècle, tant il est vrai que ces plaisanteries relèvent de l’humour populaire et proverbial du Ier siècle. Il nous semble que la prédominance de l’humour sur l’ironie dans l’Apocoloquintose ne s’explique pas par sa conception stoïcienne du réel, qui, par définition, privilégie l’immanence et l’événement. Tout d’abord, le philosophe cherche à créer un lien de sympathie avec ses lecteurs, dans sa critique de l’empereur, connivence facilitée par l’hostilité généralisée que les Romains nourrissent à l’égard du Prince défunt. La parodie ne peut fonctionner que s’il y a une accointance entre l’auteur et ses lecteurs. Mais ce qui frappe surtout, c’est que Sénèque ne fait ici que raconter une succession d’événements comiques, une histoire drôle du début à la fin. Il cherche à s’ancrer très fortement dans le réel, parfois à l’excès, tant les allusions graveleuses et scatologiques sont nombreuses : on s’embourbe dans le médiocre, le vil, le bas, comme pour couper net toute envie de chercher du sens et de la transcendance. On n’est pas du tout dans l’humour d’Aristophane, dont les références au corps sont des images renvoyant à des réflexions beaucoup plus profondes. L’apothéose de Claude reste au ras du sol, à la surface, justement parce qu’il n’y a rien à rechercher au-dessus, mieux, en profondeur. Le rite implique pourtant une élévation : le Prince, par son caractère d’homme d’exception, s’élève au niveau de la divinité de façon symbolique – personne ne croyait que cette transformation s’opérait réellement. Or pour le philosophe stoïcien, le seul à pouvoir égaler la di18
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Dans les Lettres à Lucilius par exemple, les anecdotes humoristiques mettent souvent Sénèque en scène, que ce soit par le récit de ses mésaventures (Lettres 53, 1–3 ; 56, 1–3 ; 57, 1–2 par exemple) ou par des autoportraits (Lettres 12, 1–4 ; 67, 1 ; 76, 1 ; 83, 3–6 par exemple). Elles relèvent donc fréquemment de l’autodérision et révèlent la conscience de son vieillissement et de son imperfection morale. Pour raconter ces anecdotes – qui ne sont pas fondamentalement drôles à la base – Sénèque aurait pu choisir un autre mode de discours (le mode sérieux et moral, que Sénèque utilise également lorsqu’il se met en scène), mais il a opté pour le mode comique, ce qui donne au maître spirituel une posture assez originale. Voir Cic., de orat., II, 251, 221 et 229 et Quint., inst., VI, 3, 8 et VI, 3, 82.
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vinité est le sage parvenu à la perfection par la pratique de la vertu. Le caractère divin de l’Empereur est établi sur de faux critères par la religion traditionnelle, ce que Sénèque ne peut cautionner, surtout lorsqu’il s’agit de Claude, envers qui il nourrit une haine personnelle. Bien plus : en alliant systématiquement l’humour à l’ironie, Sénèque empêche la recherche d’une quelconque vérité, il nie toute vérité, tout principe, toute cause aux événements qu’il raconte justement parce qu’il n’y a aucune vérité à trouver. On est ici au bord d’une certaine forme de nihilisme. Il n’y a pas de vérité de l’apothéose, ce rite est vide et insensé, il ne révèle rien, il n’est pas signifiant et on ne peut que s’en amuser. L’Apocoloquintose n’est donc pas à considérer uniquement comme un « défouloir » de la colère de Sénèque, ou comme un simple badinage, ce que laisse entendre Beatus. Si l’humour qu’il emploie n’est pas assez fin et élaboré pour être une véritable arme rhétorique à l’encontre de Claude et de l’ancien régime, c’est peut-être parce que ce n’est pas là le but du philosophe, qui cherche à montrer la vacuité d’un rite civique par un humour sans prétention à l’élévation intellectuelle. À la purification politique, qui vise à se libérer d’une période trouble, correspond une catharsis théologique de la notion de divinité. * De fait, Beatus lecteur de Sénèque se place souvent dans une relation de connivence et de complicité par rapport à l’auteur qu’il commente. L’intersubjectivité des deux penseurs est intéressante : l’Apocoloquintose est une œuvre ancrée dans un contexte historique et émotionnel très précis et Sénèque cherche à emporter l’adhésion des lecteurs de son temps contre l’empereur défunt. La position de Beatus est très particulière : quinze siècles le séparent de la rédaction de cette satire, le cadre historique et culturel est différent et il n’a pas expérimenté les travers de Claude. Le commentateur n’a donc de cesse de tenter de recréer ce contexte particulier : le commentaire qu’il propose ne présente pas la froideur d’une analyse technique du texte sénéquien. Il cherche à créer une ambiance qui replace ses lecteurs dans le contexte de l’œuvre commentée, par la profusion d’anecdotes qui viennent préciser le cadre historique d’une part, mais aussi par l’explicitation et l’exégèse des plaisanteries de Sénèque d’autre part. L’humaniste propose ici une véritable œuvre littéraire sur une œuvre littéraire et cette mise en abîme est particulièrement perceptible dans certains commentaires relatifs à des ioca, où Beatus amplifie la dérision et pimente, « sale » son propre texte de plaisanteries supplémentaires. Il semble bien que l’humaniste mette en application les principes de la rhétorique antique et cherche à delectare autant qu’à docere dans son commentaire. L’étude de cette amplification dans les commentaires concernant la religion est particulièrement révélatrice de cette connivence entre penseurs. Elle se joue parfois subtilement : lorsque Sénèque utilise l’expression conceptis uerbis pour parler ironiquement du serment solennel prononcé par celui qui prétendait avoir vu de ses yeux Drusilla, sœur de Caligula, monter au ciel, Beatus commente de la façon suivante :
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Conceptis uerbis proprie iuramus, cum (ut latine dicam et eleganter) alio praeeunte, ac iusiurandum dictante, aliquid expressis ad certam formulam uerbis promittimus. Plautus in Bacchidibus : « Ego iusiurandum … »20
Le commentateur amplifie la critique de Sénèque à l’égard de ce serment, dont le caractère mensonger n’était que suggéré par l’auteur, en expliquant par un bavardage complexe cette expression consacrée et en donnant comme exemple d’emploi une citation extraite d’une comédie de Plaute, reliant ainsi ce serment religieux à un contexte comique. En outre, le commentaire insiste, par une formule redondante (alio praeeunte ac iusiurandum dictante), sur le fait que celui qui prête serment répète les paroles d’un autre, comme dans le cas d’une rumeur. Plus loin, Beatus profite d’une allusion aux Saturnales – que Claude « célébrait toute l’année », selon la pique de Sénèque – pour critiquer ce rite public. En effet, la plaisanterie de Sénèque ne s’attaquait qu’à Claude et à sa luxure, mais Beatus en profite pour citer un propos des Lettres à Lucilius21 où le philosophe dénigre les Saturnales22 en tant que vecteur de dépravation du peuple romain en général : Saturnalia Romae celebrari mense Decembri solebant, ita ut intra quinque aut quam plurimum septem dies finirent. Claudius autem, qui numquam temere (quemadmodum testat Tranquillus) triclinio abscessit, nisi distentus ac madens, toto anno uisus fuit Saturnalia celebrare. De Saturnalibus Claudii Caesaris ad Lucillus his uerbis scribit Seneca noster, quae mire faciunt ad hunc locum : « December est mensis (inquit) quo maxime ciuitas desudat, ius luxuriae publice datum est, ingenti apparatu sonant omnia, tanquam quicquam inter Saturnalia non intersit et dies rerum agendarum. Adeo nihil interest, ut non uideat mihi errasse, qui dixit olim mensem Decembrem fuisse, nunc annum. »23
Ce commentaire est remarquable par sa composition : Beatus rappelle au lecteur combien de temps durait la période rituelle des Saturnales, afin qu’il puisse saisir la plaisanterie du philosophe. Ensuite il explique cette plaisanterie, usant d’un vocabulaire fleuri qui vient prolonger le propos de Sénèque dans la critique de Claude Folio a3 recto, 2ème col., l. 7–26 : « Nous prêtons un serment solennel quand (pour le dire de manière latine et élégante), un autre prononçant et dictant d’abord le serment, nous promettons quelque chose par des paroles exprimées conformément à une formule déterminée. Plaute, dans Les Bacchides : ‹ Moi j’ai juré de façon solennelle […] ›. » (Les traductions de l’édition et du commentaire rhénaniens de l’Apocoloquintose sont des traductions personnelles). 21 Sen., epist., 18, 1. 22 Certains critiques ont émis l’hypothèse que l’Apocoloquintose ait été écrite pour les Saturnales de 54 ap. J.-C., soit deux mois après la mort de Claude. Pour une synthèse sur cette question, voir nauta 1987. 23 Folio c recto, 2ème col. : « À Rome, les Saturnales avaient coutume d’être célébrées au mois de décembre, de telle sorte qu’elles se finissaient en cinq ou, au maximum, sept jours. Mais Claude, qui jamais ne s’éloignait du triclinium au hasard (comme l’atteste Tranquillus) si ce n’est gonflé de nourriture et imprégné de vin, semblait célébrer les Saturnales toute l’année. Au sujet des Saturnales de Claude César, notre cher Sénèque écrit à Lucilius ces mots, qui conviennent étonnamment pour ce passage : « Décembre est un mois, dit-il, où tout le monde à Rome est en sueur : le droit de luxure se voit officiellement accrédité. On fait, dans le vacarme, d’immenses préparatifs, comme s’il n’existait pas la moindre différence entre les Saturnales et les jours où l’on devrait travailler : la différence a si bien disparu qu’on ne me semble pas s’être trompé en disant : ‹ Jadis, Décembre était un mois ; maintenant c’est Décembre toute l’année ›. » 20
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(nisi distentus ac madens). Enfin, il cite son auteur dans un contexte beaucoup plus sérieux et philosophique, celui de la critique morale dans les Lettres, en précisant bien son adhésion à ce propos (quae mire faciunt ad hunc locum). Beatus élargit le champ d’application du commentaire au rite des Saturnales en général. Cette composition se retrouve dans plusieurs commentaires. Ainsi, au début de l’Apocoloquintose, Sénèque rapporte sur le mode du discours indirect libre ce que pourrait dire le témoin de l’ascension de Drusilla qui, [q]u’il le veuille ou non, voit forcément tout ce qui se passe au ciel : il est curateur de la Voie Appienne, par où l’on sait que le divin Auguste et Tibère César ont passé pour aller chez les dieux24.
La remarque de Beatus sur l’expression diuus Augustus est la suivante : De quo sic inquit Suetonius : « Nec defuit uir praetorius, qui se effigiem cremati euntem in caelum uidisse iuraret »25.
Deux effets de surenchère sont produits ici : tout d’abord, Beatus renforce la critique théologique en rapportant le propos d’un érudit (Suétone) au sujet de l’ascension d’Auguste, propos qui ne manque pas d’ironie, comme si le commentateur voulait montrer que l’on ne peut que rire des témoignages sur l’apothéose. Ensuite, les termes utilisés pour désigner Auguste (effigiem cremati) relèvent de l’humour noir et sont antithétiques de l’adjectif diuus, dans la mesure où ils renvoient à une forme de superstition populaire. Sous la plume de Sénèque, l’épithète diuus est formulaire quand elle est appliquée à Auguste et il l’emploie souvent dans ses traités philosophiques, dans le cadre d’exempla moraux. Elle ne relève donc pas d’une quelconque croyance en la divinité de l’empereur : il s’agit d’une expression consacrée communément employée pour désigner Auguste, voire, au mieux, la marque d’une reconnaissance de la vertu du Prince. La neutralité de cet adjectif est corroborée par le fait que diuum Augustum se trouve sur le même plan que Tiberium Caesarem. À supposer que Sénèque joue sur la polysémie de diuus et sa proximité avec l’expression ad deos ire, Beatus accentue le trait : il redonne à l’adjectif son sens fort pour mieux dégonfler la baudruche et vider sa vanité lorsqu’il met en regard diuus Augustus et effigiem cremati. Ainsi, il apparaît que le relais de la plaisanterie vise non seulement à la création d’une atmosphère comique au sein même de l’œuvre que constitue le commentaire mais également, dans certains cas, à la radicalisation de la critique sénéquienne. En effet, l’humaniste semble aller bien plus loin que le philosophe romain. Si Sénèque critique un rite civique, il le fait pour satisfaire une colère personnelle à l’égard de l’empereur défunt et dans le contexte politique particulier de l’avènement d’un nouveau prince. L’apothéose devient un prétexte, tant il est vrai qu’il n’est pas du tout dans les habitudes du stoïcien de critiquer les sacra publica. Or c’est bien la reli24 25
Sen., apocol., I, 2 (= édition rhénanienne de mars 1515, folio a3 recto) : Velit nolit, necesse est illi omnia uidere quae in caelo agantur. Appiae uiae curator est. Qua scis et Diuum Augustum et Tiberium Caesarem ad deos isse. (l’édition de la C.U.F. donne aguntur au lieu de agantur). Folio a3 recto, 1ère col., l. 36–43 : « À propos de cela Suétone dit les mots suivants : ‹ et il ne manqua pas qu’un préteur jure qu’il avait vu le fantôme de l’incinéré monter au ciel ›. »
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gion civique romaine que Beatus semble tourner en dérision dans sa globalité ici, et il ne prend jamais la peine de rappeler dans ses commentaires le contexte émotionnel et politique très particulier de l’Apocoloquintose. Cela pourrait peut-être s’expliquer par le fait que l’humaniste oppose, de façon sous-entendue, la religion païenne à la religion chrétienne. La connivence entre les deux penseurs est donc limitée ; bien plus, nous allons voir qu’il arrive souvent à Beatus de s’attaquer à la théologie philosophique défendue par Sénèque. * Si Beatus affirme très souvent son adhésion à la critique théologique de Sénèque, en relayant ses plaisanteries dans son commentaire, force est de constater que l’utilisation qu’il fait de l’ironie dans ses remarques vise aussi à se démarquer du philosophe. On voit alors le commentateur se moquer de son auteur, par exemple dans les remarques relatives aux propos très élogieux de Sénèque à l’égard de Néron, où l’humaniste ne manque pas de rappeler avec un humour noir la tyrannie mise en place par le Prince, dont Sénèque fut l’une des victimes. D’un point de vue théologique, si Beatus, comme Sénèque, rejette l’apothéose, il se démarque néanmoins du philosophe sur la question de la nature du dieu, débat qui n’est qu’à peine suggéré dans l’Apocoloquintose, mais que Beatus injecte dans ses commentaires, comme s’il cherchait un prétexte au duel, que ne lui fournissait pas d’emblée le texte sénéquien. L’humaniste ne manque pas de ponctuer son commentaire d’attaques discrètes à l’égard de la philosophie stoïcienne. Au moment du débat entre les dieux pour savoir quelle sorte de divinité allait devenir Claude, voici ce qu’on lit : Stoicus ? Quomodo potest rotundus26 esse, ut ait Varro, sine capite, sine praeputio ? Est aliquid in illo Stoici dei, iam uideo : nec cor nec caput habet27.
On observe que Sénèque lui-même pratique l’autodérision, en caricaturant le dieu stoïcien. La citation varronienne, extraite des Satires Ménippées28, renforce le trait d’humour : Varron, encyclopédiste et théologien, évoque en des termes triviaux la divinité stoïcienne. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que Sénèque cite une satire ménippée, genre littéraire propice à une philosophie « populaire » des Romains et qui a donc toute sa place dans l’Apocoloquintose29 – par opposition à une philosophie plus théorique et élitiste, que l’on trouve dans les traités. Or ici, Beatus ne fait pas 26
Pour certains Stoïciens, le dieu – qui se confond avec l’univers – a la forme d’une sphère. Voir notamment Cic., nat., I, 18 : mundum ipsum animo et sensibus praeditum, rotundum, ardentem, uolubilem deum. 27 Sen., apocol., VIII, 1 (= édition rhénanienne de mars 1515, folium c recto) : « Un [dieu] stoïcien ? Comment pourrait-il être rond et, comme le dit Varron, n’avoir ni tête ni prépuce ? Il y a pourtant en lui quelque chose du dieu stoïcien, je m’en aperçois maintenant : c’est qu’il est sans cœur ni tête. » 28 Sen. apocol., VIII, 1 = Varron men, fr. 583 (ed. J.-P. cèbe). 29 M. bakHtine fait de l’Apocoloquintose une « satire ménippée classique ». Voir bakHtine 1970, p. 132 et 136. L’écriture de l’Apocoloquintose serait à lier à l’intérêt croissant de Sénèque pour les formes populaires de philosophie stoïcienne et cynique (ce que certains critiques appellent
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qu’expliciter la plaisanterie du philosophe. Dans le commentaire relatif à ce passage, il va se livrer à un excursus sur le sage stoïcien – excursus qui n’est pas appelé par le texte –, en insistant sur sa perfection absolue aux yeux du Portiqueet en terminat par les remarques suivantes : Claudius certe deus Stoicus non erit, hoc est omnibus numeris perfectionibus absolutus. Equidem illa plus satis exacta Stoicorum assertio, sapientem eum constituentium, qui nusquam adhuc inventus sit, adeo celebris est, ut exigere ad normam Stoicorum in prouerbium iam abierit30.
Beatus rappelle ici un paradoxe de la philosophie stoïcienne, montré du doigt par les Anciens et par les humanistes, selon lequel le sage est tellement parfait que personne n’a jamais pu en rencontrer un, ce qui le rend finalement chimérique. L’humaniste tire de ce fait une remarque très ironique : les normes d’évaluation stoïciennes sont hors de toute mesure, à tel point que cela en est devenu proverbial. On voit ici le détournement de la plaisanterie sénéquienne, voire son retournement et son renversement. L’ironie de Sénèque se retourne contre lui : le philosophe comparait Claude au dieu stoïcien pour démontrer qu’il n’en avait aucune des qualités, tandis que le commentaire rhénanien profite de cette attaque à l’encontre des défauts du Prince pour montrer le manque de réalisme de l’idéal de perfection stoïcien. En outre, en tournant en dérision le système de valeurs stoïcien, Beatus sape de manière déguisée la plaisanterie de Sénèque et discrédite ce dernier. On comprend dès lors que l’adhésion de Beatus à la pensée sénéquienne est limitée, voire douteuse. L’humaniste a recours au masque de l’ironie, en particulier dans les excursus, qui, sous leurs dehors de propos érudits, cachent une critique tout en retenue. Sur la plaisanterie de Sénèque, concernant l’heure de la mort de Claude (Horam non possum tibi certam dicere : facilius inter philosophos quam inter horologia conueniet31), le commentaire rhénanien est probant. Comme dans l’exemple précédent, l’humaniste prend le prétexte de l’autodérision de Sénèque à propos du topos de la querelle entre écoles philosophiques pour se livrer à un excursus, trop long pour être reproduit en intégralité dans le présent article. En apparence, il s’agit d’un résumé doxographique réparti en cinq rubriques (deus, principia rerum, mundus, sol et luna). Ce qui frappe du point de vue du contenu, c’est le manque d’ordre qui caractérise ce panorama : les points de vue des philosophes ne sont pas présentés de façon diachronique, les doctrines sont formulées très brièvement – ce qui pousse d’ailleurs à s’interroger sur l’aptitude de Beatus à réintégrer ces placita dans leur système cohérent. Ce qui apparaît surtout, c’est que cette digression furieuse n’est pas seulement symptomatique de l’ivresse de savoir propre « la diatribe »). Pour bakHtine, la satire ménippée est basée sur le récit d’une aventure dans lequel des idées philosophiques sont insérées. Sur ces analyses, voir riikonen 1987, p. 41–50. 30 Folio c recto, 1ère col., l. 6–20 : « Claude ne sera certainement pas un dieu stoïcien, c’est-à-dire qu’il est totalement détaché de toute forme de perfection. À vrai dire, cette assertion des Stoïciens, qui globalement disent que le sage est tel qu’on en n’a jamais découvert jusqu’à présent, est tellement célèbre qu’‹ évaluer selon la norme des Stoïciens › est déjà devenu un proverbe. » 31 Sen., apocol., II, 2 (= édition rhénanienne de mars 1515, folio a3 verso) : « Quant à l’heure, je ne peux vous la dire exactement : les philosophes seront plus facilement d’accord entre eux que les horloges. »
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à la Renaissance, ni même d’une certaine forme d’exhibition de la connaissance de la part de Beatus. Elle nous semble devoir être analysée à travers le prisme de l’ironie de l’humaniste à l’égard du philosophe. Il s’agit avant tout ici de mimer par l’écriture la confusion qui règne entre les opinions des philosophes. Le ton ironique est donné dès le départ : Beatus se livre à une digressiunculam, « une petite digression »32, longue de quatre colonnes33, au sujet d’une plaisanterie qui tient en une ligne (festiue dictum34), suggérant ainsi la tendance que les philosophes ont à parler trop abondamment. Il ponctue l’excursus de petits indices marquant son ironie : interrogations rhétoriques35, utilisation d’adverbes péjoratifs comme uerbosius36. Parfois, dans l’exposé de points de vue d’écoles différentes, le commentateur utilise des mots du même champ sémantique, pour marquer par la dérivation lexicale la similitude effective des opinions philosophiques, similitude dissimulée sous de fausses différences. L’extrait suivant est révélateur : Neque uero secius de animae principatu, qua uidelicet in parte sit, longe lateque dissident. Herophilus enim in uentriculo cerebri sedem animae ponit, Plato et Democritus in toto capite, Erasistratus circa membranam cerebri, quam epicranidem uocat, Strato in superciliorum interstitio, Parmenides et Epicurus in toto pectore, Diogenes in arteriaco cordis uentriculo, Stoici in toto corde, uel spiritu, qui circa cor uersat. Nonnuli in cervice cordis, quidam in praecordiis, Empedocles in sanguinis concretide37.
Après avoir marqué son mépris à l’égard des désaccords entre sectes concernant le siège de l’âme, Beatus réduit le débat à une querelle sur l’anatomie, n’hésitant pas à faire quelques rapprochement hardis – par exemple, celui du matérialiste Démocrite et de l’idéaliste Platon, mis sur le même plan – et au mépris de toute organisation diachronique. L’humaniste conclura cette digression en rappelant une foule de livres de « spécialistes » existant sur le sujet, ce qui, loin d’être une marque de modestie, prépare en réalité le coup de poignard final : les Anciens, comme les philosophes qui leur ont succédé38, sont sans cesse en désaccord, ce qui permet à l’humaniste de retourner la plaisanterie de Sénèque : 32 33 34 35 36 37
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Folio a3 verso, 1ère col., l. 30–31. Folio a3 verso, 1ère et 2ème col. et folio a4 recto, 1ère et 2ème col. Folio a3 verso, 1ère col., l. 24–25. Par exemple dans le folio a3 verso, 2ème col., l. 1–2 : Quid cum de principiis rerum disputant, nonne diuersissima sentire uidentur ? ou dans le folio a3 verso, 2ème col., l. 25–26 : An uero de mundo inter illos conuenire putas ? Nullibi magis dissident. Folio a4 recto, 2ème col., l. 21. Folio a4 recto, 1ère col., l. 23–36 : « Et en effet, ils ne sont pas moins longuement et moins largement en désaccord au sujet du principe de l’âme, et de la partie du corps dans laquelle il se trouve à l’évidence. En effet, Hérophile place le siège de l’âme dans un ventricule du cerveau, Platon et Démocrite dans toute la tête, Erasistrate autour de la membrane du cerveau, qu’il appelle épicranide, Straton dans l’intervalle des sourcils, Parménide et Epicure dans toute la poitrine, Diogène dans le ventricule de la trachée-artère du cœur, les Stoïciens dans tout le cœur, ou dans le souffle, qui tourne autour du cœur. Certains dans la nuque du cœur, certains dans les viscères, Empédocle dans l’agrégat du sang. » Folio a4 recto, l. 29–36 : In quorum locum superioribus saeculis, Scotus, Thomas, Aegidius Romanus, alii (si diis placet) successerunt, inter quos non minus quam antiquos illos discrepat, ut uel hac re priscos Academicos, Stoicos, Peripateticosque, maxime referre uideantur. On
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Cécile Merckel Proinde, neutiquam absurdum erit, si iocum Senecae uerterimus, ut dicamus : « Facilius inter horologia conuenire, quam inter philosophos. »39
Ce qui est réellement absurde pour Beatus, ce sont ces querelles incessantes sur de petits détails, et cette pique finale résume toute la digression : de même que le commentateur peut retourner la plaisanterie de Sénèque, on peut retourner les opinions des philosophes, les organiser comme on le souhaite, car elles signifient finalement la même chose. Mais paradoxalement, alors que l’humaniste attaque ici le philosophe stoïcien et ses semblables, il finit par se rallier au point de vue de Sénèque, qui critique lui-même dans ses Lettres à Lucilius la studiorum liberalium uana ostentatio40 et qui, à plusieurs reprises, fait preuve d’un syncrétisme philosophique positif, en montrant que toutes les sectes ont la même idée du divin, mais formulée différemment41. * Si Beatus ne cache pas sa sympathie pour Sénèque, voire sa connivence avec lui, il tient également à marquer sa singularité. Sur la question théologique, l’usage mesuré de l’humour et de l’ironie dans le commentaire donne à penser que ce qui sépare les deux auteurs, c’est bien la méthode. Lorsqu’il s’agit pour Sénèque de raconter une histoire drôle, de rester dans le factuel et la critique anecdotique, il trouve en Beatus un allié de choix, un complice, qui va relayer son propos grâce à un humour amplifié – car finalement les deux penseurs s’accordent sur la critique de certains aspects de la religion païenne, en l’occurrence l’apothéose impériale. En revanche, lorsque le commentateur n’étudie plus le Sénèque conteur mais le Sénèque philosophe, l’humaniste voit dans le penseur romain un représentant, un symbole, voire un stéréotype de la « classe » de ces philosophes qui passent leur temps en querelles conceptuelles. Alors que l’Apocoloquintose est l’une des œuvres les moins philosophiques du corpus sénéquien, le fossé se creuse nettement entre les deux auteurs et l’ironie de Beatus est piquante – le commentateur semble inventer des prétextes pour en user. Si l’humaniste accorde une grande importance à l’exégèse des textes antiques afin d’en favoriser la connaissance et l’accessibilité, il s’oppose formellement aux philosophes qui, selon lui, obscurcissent volontairement les idées et les concepts simples – en particulier la pensée du divin qui a fait l’objet de la présente étude. L’objet de la critique est bien la méthode philosophique, qui est avant tout une recherche des causes ; l’humaniste répond alors par la digression, à l’opposé de la critique sénéquienne de la studiorum liberalium uana ostentatio. L’érudition qui compile s’oppose ainsi à la philosophie qui enquête, écart symptomatique de la différence fondamentale entre deux époques et deux modes de pensée.
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trouve une critique similaire dans l’Éloge de la folie d’Érasme où l’érudit s’en prend aux philosophes (§ 52) et aux théologiens (§ 53) et à leurs querelles ridicules. Folio a4 recto, l. 36–40 : « Par conséquent, en aucune manière il ne sera absurde de retourner la plaisanterie de Sénèque, pour dire : ‹ Les horloges seront plus facilement d’accord entre elles que les philosophes. › » Sen., epist., 49, 15 : « le vain étalage de connaissances des arts libéraux ». On peut par exemple citer Sen., ad Helv., VIII, 3 ; de brev., 14, 1–2 et nat., VII, 25, 2–4.
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L’INTERPRETAMENTUM DICTIONUM GRAECANICARUM DES ÉPIGRAMMES DE MARTIAL PAR OTTMAR NACHTGALL (Strasbourg, J. Knobloch, 1515) Catherine Notter L’humaniste alsacien Ottmar Nachtgall1, dit Luscinius (1480/81 ou 1487–1537), s’illustra, entre autres activités, en tant qu’helléniste et promoteur de l’étude du grec à Strasbourg. Parmi ses travaux, celui qui fait l’objet du présent article figure dans l’édition de Martial parue en 1515 (le colophon porte la date du 28 août de cette année) chez l’imprimeur strasbourgeois Johann Knobloch, sous le titre M. Valerii Martialis epigrammata, cum interpretamento dictionum Graecan[i]carum, quae passim in toto opere continentur Othmari Nachtgall Argentini2. Placé à la fin de l’ouvrage, cet interpretamentum dictionum Graecanicarum des Épigrammes de Martial, qui comporte cinq pages, s’ouvre par un bref avis au lecteur3 : Othmarus Nachtgall Argentinus lectori S. Quum Martialis epigrammata etiamdum in incude uersarentur impressoria, gratificari uolens studiosis, dictiones Graecanicas quae in toto opere continentur statim Latinas feci, ne Latialis lector qui Latinas tantum nosceret (si modo eum recte Latinum dixeris qui Graecas prorsus neglexerit) fructu lectionis frustraretur, satis superque mercedis relaturus, si haec qualiacunque sint cognouero placuisse. Vale4. 1 2
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Cf. scHMidt 1879, vol. 2, p. 174–208 et 412–418 (index bibliographique, n° 275–307) ; cHrisMan 1987, p. 3–4; Kammerer 2010. Cf. scHMidt 1879, vol. 2, p. 413 (n° 281) ; ritter 1937–1955, vol. 3, p. 988. L’opuscule de Nachtgall fera par la suite l’objet de plusieurs rééditions, à commencer par M. Valerii Martialis epigrammaton libri XIIII. Adiectum quoque est Graecarum dictionum, quibus autor utitur, interpretamentum, Bâle, H. Petri, 1530, f. 2r°–4r°. Nous n’avons pas pu consulter les plus anciennes des éditions parues chez S. Gryphius sous le titre M. Val. Martialis epigrammaton libri XIIII. Adiecta Graecarum uocum, quibus autor utitur, interpretatione, Lyon, 1534 (puis rééditions postérieures), mais, dans une version de cet ouvrage imprimée en 1547 ainsi que dans une autre édition française (M. Val. Martialis epigrammaton libri 14. summa diligentia castigati. Adiecta Graecarum uocum, quibus author utitur, interpretatione, Paris, S. de Colines, 1544, f. 206v°–208v°), nous avons constaté que le texte de Nachtgall est donné sous une forme légèrement remaniée, deux paragraphes ayant été ajoutés à la version d’origine et deux autres ayant été intervertis (voir ci-dessous, n. 9, 29 et 33). Les passages de l’interpretamentum que nous donnons dans cet article sont cités d’après l’édition de 1515 ; la ponctuation et l’orthographe ont été légèrement normalisées (de même que pour les textes de Domizio Calderini et Giorgio Merula [ci-dessous, n. 25, 41, 45, 51 et 62], que nous citons d’après une des nombreuses éditions réunissant leurs deux commentaires : Martialis cum duobus commentis, Venise, B. Zani, 1493). « Ottmar Nachtgall de Strasbourg, au lecteur, salut. Alors que les épigrammes de Martial se trouvaient encore sous presse, voulant être agréable aux studieux, j’ai sur-le-champ traduit en
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La finalité assignée à l’opuscule apparaît donc bien circonscrite, consistant à faciliter la compréhension du texte des Épigrammes en fournissant, à l’intention du lecteur5 non helléniste, une traduction latine des termes grecs employés par Martial. En revanche, Nachtgall ne présente nullement son interpretamentum comme un travail d’érudition ou d’exégèse approfondie des passages concernés : et de fait, nous serons amenée à constater que le contenu de l’opuscule correspond à cette intention annoncée, bien que l’humaniste ne se contente en réalité pas de traduire, mais s’attache aussi à expliquer succinctement les expressions grecques de Martial. L’ÉTABLISSEMENT DU CORPUS Avant d’en venir à ces considérations, quelques remarques préliminaires s’imposent à propos du corpus des passages de Martial étudiés par Nachtgall. L’œuvre de l’épigrammatiste latin offrait, semble-t-il, un terrain propice à un travail tel que celui auquel Nachtgall se livre ici, dans la mesure où l’on y relève bon nombre de termes grecs6. Précisons que la notion de dictiones Graecanicae est entendue au sens strict : seuls sont pris en compte par Nachtgall des mots et expressions figurant en caractères grecs dans le texte, tandis que sont exclus du champ de son étude les termes d’origine grecque transcrits en alphabet latin, qui sont par ailleurs nombreux chez Martial, et dans la langue latine en général. Or, pour les éditeurs, l’adoption de caractères grecs ou latins pour telle ou telle expression ne va pas toujours de soi, d’autant que, les mots grecs ayant été particulièrement vulnérables à la corruption au cours de la transmission manuscrite, on a là affaire à des passages parfois problématiques dans l’établissement du texte. Les savants s’accordent aujourd’hui à considérer que Martial a employé l’alphabet grec pour donner dans cette langue des phrases ou des citations (y compris des titres d’œuvres et des inscriptions, des proverbes, certains termes techniques), tandis que, lorsqu’il s’agissait de mots isolés, il a pu écrire ceux-ci soit en grec, soit en alphabet latin7. Cependant, le choix entre les deux graphies n’apparaît pas toujours évident : à propos de quelques passages, les éditeurs modernes ne sont pas tous d’accord
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latin les expressions grecques qui sont contenues dans toute l’œuvre, afin que le lecteur latiniste qui ne connaîtrait que le latin (si du moins on peut qualifier de véritablement latin quelqu’un qui a complètement négligé le grec) ne soit pas frustré du fruit de sa lecture ; j’en retirerai assez de récompense et au-delà, si je sais que ces pages, quelle qu’en soit la valeur, ont plu. Adieu. » L’importance aux yeux de Nachtgall de l’utilité et de l’agrément de son travail pour le lecteur se manifeste aussi dans la brève pièce en hendécasyllabes figurant sur la page de titre de l’édition de 1515, où l’humaniste invite tout amateur de Martial à se plonger dans la lecture de ce volume en arguant qu’il « occupera ainsi bien […] ses heures » (v. 6 : horas bene sic, puto, locabit). Sur l’usage du grec chez Martial, cf. PertscH 1911, p. 12–15 ; weinreicH 1928, p. 161–165 ; birt 1930, p. 312–313 ; saleMMe 1976, p. 27–40 ; grewing 1997, p. 105–106. Sur la question de la graphie, cf. stePHani 1888, p. 6–7 ; Heraeus 1915, p. 35–41 ; weinreicH 1928, p. 161–162 (« einzelne Worte konnte Martial griechisch oder lateinisch schreiben, eigentliche ‹ Zitate › hat er griechisch geschrieben »). Cet usage paraît d’ailleurs avoir été celui généralement adopté par les écrivains latins : cf. niescHMidt 1913, p. 66.
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entre eux et l’on observe en tout cas un certain nombre de divergences entre leurs textes et ceux de leurs prédécesseurs humanistes. Nous ne saurions ici prétendre reconstituer dans le détail l’histoire du texte de Martial : aussi, dans les lignes qui suivent, nous bornons-nous à indiquer brièvement les divergences, quant à l’emploi de graphies grecques, que nous avons relevées entre les principales éditions modernes8 (où les termes grecs tendent à être un peu plus nombreux que dans les éditions anciennes) et le texte de Nachtgall – qui, selon nos constatations, est basé sur celui de l’édition Aldine, parue à Venise en 1501. Nous avons ainsi relevé cinq termes figurant en caractères latins chez Nachtgall, et donc absents de l’interpretamentum, alors que la majorité des éditeurs modernes adoptent pour eux une graphie grecque : il s’agit de mots figurant dans les épigrammes III, 779 ; V, 3810 ; VII, 5711 ; IX, 9412, ainsi que du lemma de l’épigramme XIV, 18713. En sens inverse, dans l’épigramme IX, 13 (12), les éditeurs modernes donnent en caractères latins les noms évoquant les saisons que sont Oporinos (« automnal »), Chimerinos (« hivernal ») et Therinos (« estival »), alors que ces termes figurent en caractères grecs chez Nachtgall, qui les prend donc en considération dans son interpretamentum. En d’autres cas, on n’a plus affaire à de simples différences de graphie, mais à des divergences, certes le plus souvent mineures, dans le texte lui-même. Nous 8
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Nous avons pris pour références les éditions complètes suivantes : scHneidewin 1842 et 1853 ; gilbert 1886 ; Friedländer 1886 ; lindsay 1903 ; izaac 1930–1934 ; giarratano 1951 [1919] ; ker 1968 [1919] ; Heraeus 1976 [1925] ; sHackleton bailey 1990 et 1993 ; Moreno soldeVila, Fernández ValVerde & Montero cartelle 2004–2005 (texte établi par J. Fernández ValVerde). Les éditions séparées des différents livres de Martial auxquelles nous nous sommes référée le cas échéant sont signalées dans les notes concernées. V. 10 : saprofagis / σαπροφαγεῖς (le terme est cependant pris en compte dans la version remaniée de l’opuscule de Nachtgall [cf. supra, n. 2], où il fait l’objet d’un paragraphe ajouté au texte original). Non attesté par ailleurs dans la langue grecque, ce mot est donné par une partie des éditeurs modernes en caractères latins (scHneidewin, gilbert, lindsay, izaac : saprophagis), par d’autres en caractères grecs (Friedländer, Heraeus, giarratano, ker, sHackleton bailey, Fernández ValVerde ; en outre Fusi 2006). V. 8 : soloecismum / σολοικισµόν. La graphie grecque est adoptée par l’ensemble des éditeurs récents ; en revanche, le même mot figure en caractères latins chez tous les éditeurs dans l’épigramme XI, 19 (v. 2). V. 2 : Pyxagathos fuerat, nunc erit Hippodamus / πὺξ ἀγαθός fuerat, nunc erit ἱππόδαµος (« il avait été Pyxagathos, maintenant il sera Hippodamos »). Le texte est donné en caractères latins chez scHneidewin, en grec chez gilbert, Friedländer et les éditeurs postérieurs : on a ici une référence à des épithètes homériques de Castor et Pollux (cf. Il., III, 237). Sur l’épigramme VII, 57 et la signification de l’allusion homérique et du jeu de mots, cf. galán Vioque 2002, p. 339– 342 (avec bibliographie antérieure). V. 4 : chalcea donanti chrysea qui dederas / χάλκεα donanti χρύσεα qui dederas (« toi qui donnas de l’or à qui te donnait de l’airain »). Si scHneidewin et gilbert conservent des caractères latins (avec chrysia au lieu de chrysea), Friedländer et les éditeurs plus récents optent pour la graphie grecque (déjà présente au XVIe siècle dans les éditions parues chez S. Gryphius), ces termes constituant ici encore une allusion homérique (cf. Il., VI, 235–236). Menandri Thais / Μενάνδρου Θαΐς. Tous les éditeurs récents donnent une forme grecque pour ce titre.
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avons relevé des exemples de ce phénomène dans les épigrammes III, 2014, VII, 4615, XII, 8216, ainsi que dans l’épigramme 21 du Livre des Spectacles17 : dans ces passages, le texte de Nachtgall porte un mot latin là où une partie au moins des éditeurs récents restituent un mot grec. Ici encore, on trouve un exemple inverse, dans l’épigramme II, 6, où, au vers 3, figure chez Nachtgall le mot ἐσχατοκωλικόν, tandis que les éditeurs modernes ont adopté une forme légèrement différente et en caractères latins (eschatocollion)18. Autre cas de figure à signaler : en plusieurs passages où tous les éditeurs s’accordent à donner une forme grecque, le texte de Nachtgall et des autres éditions anciennes n’est pas exactement le même que celui des éditeurs modernes. Les différences, qui portent le plus souvent sur un seul mot grec (épigrammes II, 4319, V, 3820, V. 5 : iocos / λόγους. Une partie des éditeurs modernes adoptent eux aussi la forme iocos (scHgilbert, lindsay, izaac, Friedländer, ker) ; mais, à la suite de Heraeus, certains éditeurs (giarratano, sHackleton bailey, Fernández ValVerde) et commentateurs (cf. carratello 1964, p. 130–131 et 143–144) se prononcent en faveur de la forme λόγους. 15 V. 6 : pexa / πεζά. Au lieu de pexa (leçon donnée par la seconde famille, dite β, des manuscrits), de plena (manuscrits de la famille γ, scHneidewin 1842) ou de Prisce (scHneidewin 1853), les éditeurs plus récents adoptent la conjecture de Palmer πεζά. 16 V. 11 : tropin / propin ou προπῖν. Le terme tropin est la forme traditionnellement donnée par les éditeurs de Martial, jusqu’à ce que Heraeus 1915 rétablisse le texte des manuscrits propin (= προπεῖν), qui selon lui (p. 39) a pu être écrit par Martial en grec ou en latin : ce terme est d’ailleurs donné par les éditeurs postérieurs soit en caractères grecs (Heraeus [mais la seconde édition revue par J. boroVskJi porte la forme propin], izaac), soit en caractères latins (giarratano, ker, sHackleton bailey, Ferνández ValVerde). 17 Au v. 8 de cette épigramme, le texte des éditeurs anciens (à la suite de l’édition Aldine, Nachtgall donne haec tamen ut res est facta, ita ficta alia est) n’implique aucun mot grec. Mais, tandis que scHneidewin, suivi par gilbert et Friedländer, donne haec tamen, haec res est facta ita, ficta prior, la quasi-totalité des éditeurs récents (lindsay, Heraeus, giarratano, ker, sHackleton bailey, Ferνández ValVerde, ainsi que carratello 1980 et coleMan 2006 ; voir cependant della corte 1986 [1946], p. 34 et 57–58) se rangent à la correction haec tantum res est facta παρ’ ἱστορίαν proposée par HousMan 1901, p. 154–155 (auparavant, F. bücHeler [cf. Friedländer 1886, vol. 1, p. 154–155 et vol. 2, p. 542] avait déjà suggéré d’établir, à la fin du vers, l’expression grecque τάδ’ ἱστορία). 18 Selon l’apparat critique de scHneidewin 1842, l’établissement de cette forme est dû à Claude Saumaise (cf. Historiae Augustae scriptores VI …Claudius Salmasius ex ueteribus libris recensuit, et librum adiecit notarum ac emendationum …, Paris, 1620, p. 448). Le terme n’est pas attesté dans les textes grecs restants et l’on a même proposé d’y voir un néologisme de Martial : cf. saleMMe 1976, p. 33–34. 19 V. 1 : κοινὰ φίλων … πάντα / κοινὰ φίλων … κοινά (l’établissement du texte latin dans le reste du vers diffère lui aussi entre les éditions anciennes et modernes). Adoptée par tous les éditeurs modernes, la forme κοινά en fin de vers est présente dans une partie des manuscrits ; elle est déjà retenue notamment par Hadrianus Junius dans les scholies de son édition de Martial, parue pour la première fois en 1559 à Bâle, puis rééditée en 1566 et 1568 à Anvers. 20 V. 3 : quadringenta secat, qui dicit ‹ σῦκα µέριζε › (version aussi donnée par scHneidewin et gilbert) / ‹ quadringenta seca › qui dicit, σῦκα µερίζει. Si la seconde version (produit d’émendations de Rutgers et de Paley) s’est imposée auprès de la plupart des éditeurs récents (Friedländer, lindsay, izaac, giarratano, ker, sHackleton bailey, Ferνández ValVerde), l’établissement du texte et l’interprétation de ce vers ont été très discutés : pour un résumé des débats, cf. canobbio 2002, p. 132. 14
neidewin,
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XI, 5821 et XIV, 20122), sont toutefois un peu plus importantes dans les épigrammes X, 6823 et XIV, 214. Cette dernière, relative à des comédiens, se présente chez Nachtgall (de même que chez les autres éditeurs anciens) sous la forme suivante : Non erit in turba quisquam µισούµενος ista sed poterit quiuis esse δισεξάποθος24.
Dans l’interpretamentum, les mots µισούµενος et δισεξάποθος sont traduits respectivement par odio dignus (« haïssable ») et iucundissimus et qui placare [sic (au lieu de placere)] possit (« très agréable et à même de plaire »)25, sans plus d’explication. Or, en ce qui concerne le second terme, les éditeurs modernes donnent Δὶς ἐξαπατῶν , forme qui révèle que l’épigramme, au-delà d’une évocation de la beauté des comédiens, comporte en fait un jeu de références à deux titres de pièces de Ménandre, Le haï et Le double trompeur. Étant donné la version du texte dont il dispose, on ne saurait s’étonner de ce que Nachtgall (tout comme Calderini avant lui) ne fasse aucune mention d’une telle allusion littéraire à propos de cette épigramme26. 21
V. 12 : λειχάζειν / λαικάζειν. La première forme, adoptée par Calderini dans son commentaire puis par l’édition Aldine, est encore retenue par gilbert et Friedländer. En revanche, scHneidewin, suivi par les éditeurs les plus récents (lindsay, Heraeus, izaac, giarratano, ker, sHackleton bailey, Fernández ValVerde), donne la forme λαικάζειν. Sur λειχάζειν et λαικάζειν, cf. Heraeus 1915, p. 38 et n. 1 ; sur le terme λαικάζειν, voir aussi, plus généralement, Jocelyn 1980 (en particulier p. 17–19, à propos de l’épigramme XI, 58 de Martial). 22 V. 2 : τὴν ἀνακλινόπαλιν / τὴν ἐπικλινοπάλην. La forme ἀνακλινοπάλην est encore celle de scHneidewin, tandis que les éditeurs plus récents, à la suite de gilbert, optent pour la forme ἐπικλινοπάλην. Dans cette seconde version, le terme comporte, par un jeu de mots, un sous-entendu sexuel (gilbert 1883, p. 648 ; cf. Suet., Dom., 22, 1 ; Aur. Vict., Caes., 11, 5) ; celui-ci est, naturellement, ignoré de Nachtgall, comme avant lui de Calderini, bien que ce dernier fasse mention de la clinopale de Domitien dans son commentaire relatif à ce passage de Martial. 23 Nachtgall, comme d’autres éditeurs anciens, donne au v. 5 de cette épigramme ζωὴ καὶ ψυχή lasciuum congeris usque (« tu ressasses sans fin un lascif ζωὴ καὶ ψυχή [« ma vie et mon âme »] »), texte calqué sur un passage parallèle de Juvénal (VI, 194–195 : quotiens lasciuum interuenit illud / ζωὴ καὶ ψυχή, « […] à chaque fois qu’intervient ce lascif ζωὴ καὶ ψυχή » ; cf. aussi ci-dessous, n. 61) : voir à ce sujet l’apparat critique de scHneidewin 1842, qui voit là la conséquence d’une mauvaise interprétation par Aldo Manuzio – suivi par les éditeurs postérieurs – du commentaire de Calderini, et qui indique que c’est à J. F. Gronovius (Ιoh. Freder. Gronouii Obseruationum libri quatuor, curante Friderico Platnero, Leipzig, J. F. Jahn, 1755, p. 783) que l’on doit l’établissement de la forme κύριέ µου, µέλι µου, ψυχή µου congeris usque (« tu ressasses sans fin κύριέ µου, µέλι µου, ψυχή µου [« mon maître, mon miel, mon âme »] »), adoptée par tous les éditeurs modernes. 24 « Dans cette troupe, personne ne pourra être µισούµενος, mais n’importe lequel pourra être δισεξάποθος ». 25 On trouve une forme et une traduction similaires chez Calderini (missumenos : id est dignus odio. Disexapothos : iucundissimus, et qui placebit, « missumenos, c’est-à-dire haïssable. Disexapothos : très agréable, et qui plaira ») : ce n’est d’ailleurs pas le seul passage dans lequel le texte de l’interpretamentum présente des similarités formelles avec le commentaire de Calderini, ce qui nous conduit à penser que celui-ci était connu de Nachtgall et constitue une source de son opuscule. 26 Tout en conservant la forme Δισεξάποθος (qu’il croit être le titre d’une comédie de Ménandre), Adrien Turnèbe (Aduersariorum tomi III, triginta libris distincti, in quibus uariorum auctorum loca intricata explicantur …, Strasbourg, L. Zetzner, 1604, livre IX, chap. 24, col. 275) est,
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Enfin, sont à relever deux passages qui, bien qu’imprimés en grec chez Nachtgall, ne figurent pas dans l’interpretamentum. Ainsi, dans l’épigramme IX, 44, le nom du sculpteur Lysippe est donné en alphabet grec27 sans que Nachtgall fournisse de remarque à ce sujet dans son appendice. Vraisemblablement cette absence peut-elle s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’un nom propre ne requérant pas de traduction ni d’explication particulière. Bien plus surprenante apparaît en revanche l’absence de l’épigramme I, 27, dont la pointe (v. 7 : µισῶ µνάµονα συµπότην28, « je hais le convive qui a bonne mémoire »)29 consiste en un proverbe grec30. Il apparaît probable cette omission soit due à un oubli, car on voit difficilement pour quelle raison Nachtgall aurait volontairement laissé de côté ce passage, qui figure pourtant bien en grec dans l’édition31 et entrait parfaitement dans la catégorie des expressions que l’humaniste se proposait de traduire et d’expliquer (les deux autres occurrences chez Martial – dans les épigrammes II, 43 et V, 38 – d’expressions proverbiales grecques sont dûment prises en compte dans l’interpretamentum). LA PRÉSENTATION ET L’ORGANISATION DE L’INTERPRETAMENTUM Après ce détour par les questions relatives à l’établissement du corpus, il convient à présent d’en venir au contenu de l’opuscule et à la méthode suivie par Nachtgall. L’interpretamentum compte quinze expressions grecques de Martial32, qui sont traduites et commentées l’une après l’autre, en suivant l’ordre dans lequel elles apparaissent dans les Épigrammes33. Des intertitres indiquent les numéros des livres successifs et les titres des épigrammes concernées.
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semble-t-il, le premier à avoir signalé cette allusion littéraire. Sur l’établissement de la forme Δὶς ἐξαπατῶν, cf. les références indiquées par Meineke 1823, p. 47–48. V. 6 : Λυσίππον lego, Phidiae putaui. L’édition Aldine donne quant à elle le nom au génitif (Λυσίππου), forme qui sera reprise par presque tous les éditeurs modernes (scHneidewin, gilbert, Friedländer, lindsay, Heraeus, izaac, giarratano, ker, Fernández ValVerde) ; néanmoins, à la suite de HousMan 1907, p. 247, sHackleton bailey (voir aussi Henriksén 1998– 1999, vol. 1, p. 211 et 213–214) adopte la lecture en caractères latins Lysippum (manuscrits des familles β et γ). Les éditeurs modernes donnent ce dernier terme sous la forme συµπόταν. Un paragraphe relatif à cette expression a cependant été ajouté dans la seconde version de l’opuscule (cf. ci-dessus, n. 2). Cf. Plut., quaest. conv., pr. I, 612c ; Lucian., conv., 3. À la suite de l’édition Aldine, Nachtgall donne également en grec, à la fin du v. 7, le nom du destinataire de l’épigramme, sous la forme προκῖλλε, alors que ce terme figure en latin (Procille) chez d’autres éditeurs anciens et chez les éditeurs modernes. I, 45, 2 ; II, 6, 3 ; II, 43, 1 ; IV, 9, 3 ; V, 38, 3 ; V, 78, 3 ; V, 51, 7 ; VI, 6, 2 ; IX, 11, 15 ; IX, 13 (12) ; X, 68, 5 ; XI, 58, 12 ; XIV, 171, lemm. ; XIV, 201, 2 ; XIV, 214, 1–2. De toute évidence, c’est par inadvertance que le terme grec contenu dans l’épigramme V, 78 est traité avant celui de l’épigramme V, 51 : cette anomalie disparaîtra d’ailleurs dans la seconde version de l’opuscule (voir ci-dessus, n. 2), où les deux paragraphes sont intervertis de façon à respecter l’ordre des épigrammes dans le texte de Martial.
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À l’intérieur de chaque paragraphe, la présentation et l’ordonnancement des informations sont susceptibles de connaître des variations, mais l’on peut tout de même relever quelques constantes, ou du moins des éléments récurrents. À titre d’illustration, nous citons dans son intégralité le paragraphe relatif à l’épigramme II, 6, qui, étant le plus succinct de l’interpretamentum, présente sous sa forme la plus simple la manière dont Nachtgall procède : Spectas ἐσχατοκωλικόν, id est extremam partem, ultimam libri paginam. Arguit autem Lectoris oscitantis inconstantiam34.
Tous les paragraphes s’ouvrent, comme celui-ci, par la citation du passage où figure l’expression grecque. Puis vient la traduction en latin, cette dernière étant le plus souvent annoncée par les mots id est, transition qui se retrouve, en général juste après la citation introductive, dans onze des quinze paragraphes. Parmi les quatre paragraphes dérogeant à ce principe, on relève en premier lieu le cas de l’épigramme IV, 9, qui nécessite non une simple traduction, mais l’explication d’un jeu de mots bilingue35, ainsi que celui de l’épigramme IX, 11, où l’enjeu réside dans un problème de métrique beaucoup plus que dans le sens de la citation grecque, qui se résume à la répétition d’un nom propre36. Quant aux deux autres exceptions que nous avons constatées, elles semblent dues au fait que les termes grecs n’y figurent pas à la fin du passage de Martial cité en introduction, ce qui rendait malaisé l’emploi de id est37 : ainsi, dans le paragraphe relatif à l’épigramme X, 68, Nachtgall, sans autre forme de transition, explicite brièvement l’expression avant de la traduire38 et, dans celui consacré à l’épigramme XI, 58, l’expression hoc uerbo significat introduit la traduction, dans laquelle, de surcroît, un verbe grec est rendu par un substantif latin39. Quant aux brèves explications qui suivent en général les traductions, elles sont plusieurs fois introduites, comme pour l’épigramme II, 6, par le mot de liaison autem (cinq occurrences), mais force est de constater que les schémas d’organisation sont beaucoup moins nets dans cette partie de l’énoncé. Dans l’ensemble, l’impression qui se dégage de l’opuscule est celle d’une présentation assez régulière, ordonnée, se rapprochant de celle des articles successifs d’un lexique. Le souci de clarté paraît bien présent, ainsi que celui de la commodité de consultation de cet appendice : la visée pédagogique et utilitaire annoncée dans l’avis au lecteur se confirme donc à la lecture de l’interpretamentum. Or ce souci a 34 35 36 37
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« Tu regardes l’ἐσχατοκωλικόν, c’est-à-dire la dernière partie, l’ultime page du livre. Il critique l’inconstance d’un lecteur qui bâille ». Voir ci-dessous, p. 129. Voir ci-dessous, p. 132. Selon toute apparence, c’est pour la même raison que, à propos de l’épigramme V, 51, la transition id est et la traduction du mot χαῖρε ne se trouvent pas au début, mais à la fin du paragraphe, à la suite de la citation de Perse qui s’achève par une attestation de ce terme (texte cité ci-dessous, p. 133). Texte cité ci-dessous, n. 41. « Λειχάζειν cupidae dicet auaritiae ». Irrumationem hoc uerbo significat … , « ‹ il dira à ta cupide avarice de λειχάζειν ›. Il désigne par ce mot l’imposition d’une fellation … ». Le verbe significare est également employé à propos de l’épigramme IV, 9 (texte cité ci-dessous, p. 129).
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pour corollaire la concision, Nachtgall cherchant, de toute évidence, à aller à l’essentiel dans ses explications. DES EXPLICATIONS VISANT À L’ESSENTIEL Dans la plupart des cas, l’humaniste semble en effet vouloir se limiter à fournir au lecteur les informations nécessaires à la compréhension des termes grecs et de leur contexte immédiat, sans chercher à élargir ou à approfondir l’analyse. Ainsi, les explications données en complément des traductions sont souvent réduites à leur plus simple expression, au point de ne parfois guère excéder la simple paraphrase du texte de Martial, comme dans le paragraphe sur l’épigramme II, 6 cité ci-dessus, où le bref commentaire qui suit la traduction (arguit autem Lectoris oscitantis inconstantiam) se borne en fait à résumer le contenu du début du poème40. Ailleurs, on constate que la relative longueur (dix lignes) du paragraphe consacré à l’épigramme V, 38 et au proverbe σῦκα µερίζειν (« partager des figues ») apparaît due pour une bonne part au caractère passablement complexe du propos de Martial dans ce texte, où il est question d’un héritage partagé entre deux frères et de l’ambition contrariée de l’un d’eux d’accéder à l’ordre équestre. S’il est vrai que Nachtgall, dans son développement, ne se contente pas de prendre en considération l’expression σῦκα µερίζειν, mais s’emploie aussi à éclairer la signification de l’ensemble de l’épigramme – et notamment le sens de la référence à Castor et Pollux qui en détermine la pointe (v. 5–10) –, il n’en reste pas moins que le commentaire s’attache, ici encore, avant tout à permettre une bonne compréhension des mots grecs et de leur environnement. On peut faire une remarque similaire en ce qui concerne, par exemple, les quelques indications que Nachtgall fournit, au sujet de l’épigramme X, 68, sur la célèbre courtisane Laïs41 : celle-ci étant mentionnée en étroit rapport avec les termes grecs contenus dans le texte42, l’humaniste ne s’écarte guère, ce faisant, de son sujet principal. 40
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II, 6, 1–4 (nous citons le texte tel qu’il figure chez Nachtgall) : i nunc, edere me iube libellos, / lectis uix tibi paginis duabus / spectas ἐσχατοκωλικόν, Seuere, / et longas trahis oscitationes (« va donc, enjoins-moi de publier mes petits livres : alors que tu en as à peine lu deux pages, tu regardes l’ἐσχατοκωλικόν [« dernière page »], Severus, et tu pousses de longs bâillements »). Ζωὴ καὶ ψυχή lasciuum congeris usque. Blanditiae sunt muliebres erga amatores suos, Vita mea et anima, quum illis rebus nihil sit homini carius. Videtur autem a Laide meretricula Corinthia sumptum, quae sic amasios compellabat eximia plane forma. Verum Laelia haec, quum deformis esset, Graecae Laidis tantum uerba imitata est … (« ‹ Tu ressasses sans fin un lascif ζωὴ καὶ ψυχή ›, ce sont des cajoleries de femmes envers leurs amants, ‹ ma vie et mon âme ›, car rien n’est plus cher que ces choses à un être humain. L’expression semble empruntée à la courtisane corinthienne Laïs, qui s’adressait ainsi à ses amants, étant d’une beauté tout à fait remarquable. Mais cette Laelia, étant donné qu’elle était laide, a seulement imité les paroles de la Laïs grecque … »). La remarque sur la laideur supposée du personnage de Laelia – Martial ne donne pas de description de son apparence physique – semble empruntée au commentaire de Calderini, qui avait écrit : … sed tamen Laelia nunquam poterit uideri Lais, cum sit deformis (« mais, cependant, Laelia ne pourra jamais sembler être une Laïs, étant donné qu’elle est laide »). La pointe de l’épigramme figure chez Nachtgall (comme chez d’autres éditeurs anciens) sous la forme suivante (v. 12) : non tamen omnino, Laelia, Thais eris (« tu ne seras cependant pas
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On verra une autre illustration de cette concision dans le paragraphe consacré au jeu de mots bilingue de l’épigramme IV, 943 : Allusio est uocabulorum. Nam si latine dixeris a Sota es, significat Sotae filia es. Si graece, rerum prodiga haberis, quo carpit mulieris impudentiam quae deserto marito moechi amorem muneribus sollicitabat44.
L’explication donnée ici du jeu de mots peut apparaître un peu trop rapide pour rendre pleinement justice à la complexité de cette pointe : notamment, Nachtgall passe sous silence le fait que le nom de Sotas est lui-même signifiant (en tant que médecin, sa fonction est de σῴζειν)45, alors que cette allusion étymologique contribue elle aussi à la signification de l’épigramme. Quant à la suite de l’explication, elle relève, une fois encore, d’une paraphrase du texte de Martial plus que d’un commentaire à proprement parler. Plus étoffé en revanche se révèle le développement relatif au verbe προπίνειν (v. 3 de l’épigramme V, 78)46. Nachtgall consacre en effet à ce vocable le paragraphe le plus long de l’interpretamentum (seize lignes, soit plus d’une demi-page dans l’édition de 1515), dans lequel se rencontrent des détails et précisions inaccoutumés dans l’opuscule : ainsi, au cours de son commentaire, l’humaniste décrit la pratique que recouvre le terme dans le banquet grec, mentionne le verbe correspondant en latin (propino) en précisant que celui-ci dérive du grec et, enfin, fait même appel à des souvenirs personnels en évoquant la survivance de la pratique des toasts de banquets, qu’il dit avoir pu observer, non sans agacement, lors du voyage qu’il fit en Grèce47. La variété des informations fournies par Nachtgall à propos de cette tout à fait, Laelia, une Thaïs »). Mais Calderini dans son commentaire donne – forme qui est également celle de tous les éditeurs modernes – le nom Lais au lieu de Thais : s’il est bien la source de Nachtgall dans ce passage (voir la n. précédente), on peut supposer que c’est sous son influence que l’auteur de l’interpretamentum mentionne ici la figure de Laïs. 43 Le texte de cette épigramme est chez Nachtgall le suivant : Sotae filia clinici, Labulla, / deserto sequeris Clitum marito, / et donas, et amas : ἔχεις ἀσότως [sic] (« fille du médecin Sotas, Labulla, ayant abandonné ton mari pour suivre Clitus, tu lui donnes des cadeaux, et tu lui donnes ton amour : ἔχεις ἀσώτως »). La graphie incorrecte ἀσότως se trouve aussi dans le commentaire de Calderini et dans l’édition Aldine. 44 « C’est un jeu de mots. Car, si on dit en latin a Sota es, cela signifie ‹ tu es fille de Sotas ›. Si on le dit en grec, cela équivaut à être désignée comme prodigue de sa fortune ; par là, il s’en prend à l’effronterie d’une femme qui, ayant quitté son mari, sollicitait l’amour de son amant par des cadeaux ». 45 Sur les différents niveaux de signification du jeu de mots, cf. Moreno soldeVila 2006, p. 149– 151 (avec bibliographie antérieure) ; Vallat 2008, p. 544. Le caractère signifiant du nom de Sotas (σῴζειν ayant aussi le sens d’« épargner ») avait déjà été relevé par Calderini : Sotes significat parcum. Prodigam mulierem hac illusione [d’autres éditions portent la forme allusione] uerbi ridet poeta. Ἔχεις ἀσότως [sic] : id est prodiga es, nam ludit his dictionibus Sotae filia et asota es (« Sotes signifie ‹ économe ›. Par ce jeu de mot, le poète se moque d’une femme prodigue. Ἔχεις ἀσώτως : c’est-à-dire ‹ tu es prodigue › ; car il joue sur ces expressions, ‹ tu es fille de Sotas › et ‹ tu es dissolue › »). 46 Sur ce passage de Martial et sur le terme προπίνειν, cf. Heraeus 1915, p. 17–23 ; le contexte montre que le verbe fait ici référence à un apéritif pris avec les entrées, et non aux toasts accompagnant le repas proprement dit, ce qui est l’acception plus commune du terme. 47 Hunc morem paucis exactis annis nos dum in terris illis moraremur non sine molestia sensimus
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expression montre ainsi que celle-ci a suscité tout particulièrement son intérêt, comme semble le confirmer également la présence de références littéraires48 dans le paragraphe. Néanmoins, un tel recours à ces dernières n’est pas isolé dans l’interpretamentum, comme nous allons le voir dans la dernière partie de cet exposé. RÉFÉRENCES LITTÉRAIRES ET AUTEURS MENTIONNÉS DANS L’INTERPRETAMENTUM Certes, l’appel explicite à des sources extérieures au texte de Martial est loin d’être systématique dans l’opuscule, y compris dans des cas où les expressions traduites et commentées par Nachtgall sembleraient pouvoir s’y prêter facilement. On peut mentionner ainsi l’exemple du paragraphe consacré à l’épigramme VI, 649 et à l’expression κωφὸν πρόσωπον, qui est un terme technique du théâtre50 : alors que Calderini, dans son commentaire de ce même passage, s’était référé à l’Art poétique d’Horace et au grammairien Diomède51, Nachtgall52 se limite quant à lui à une ré-
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obseruari, quippe quum liberum non erat bibere in coetu conuiuarum eum qui sitiret, sed qui ab alio praebibente poculum acciperet, bestiarum quarumdam ritu quae nil tentant agminatim, sed expectant prius audentem. Notatum est a quodam hoc potationis genus hoc uersu, Vnus dum sitiat, tota corona bibit, « il y a peu d’années, tandis que nous séjournions dans ces contrées, nous nous sommes aperçu non sans désagrément que cette coutume était observée, puisque, dans un rassemblement de convives, il n’était pas loisible de boire à celui qui avait soif, mais à celui qui recevait la coupe d’un autre qui y buvait d’abord, à la manière de certains animaux qui ne tentent rien en troupe, mais attendent que l’un ose se lancer d’abord. Cette manière de boire a été notée par quelqu’un dans ce vers : ‹ Alors qu’un seul a soif, c’est toute l’assemblée qui boit › ». Outre un vers anonyme relatif aux banquets grecs (texte cité dans la n. précédente), le paragraphe comporte une citation de Térence (cf. ci-dessous, n. 59). Comoedi tres sunt, sed amat tua Paula, Luperce, / quattuor : et κωφὸν Paula πρόσωπον amat (« il y a trois comédiens, mais ta Paula, Lupercus, en aime quatre : Paula aime même le κωφὸν πρόσωπον »). Cf. les références citées chez grewing 1997, p. 105. ... Si quartus histrio introducitur, is non loquitur, sed tantum subauscultat quae dicuntur. Hoc praecepit Horatius : Nec quarta loqui persona laboret. Is cum non loquatur Graeco uerbo appellatus est cophon prosopon, id est muta persona : auctor est Diomedes grammaticus uetustissimus (« […] Si un quatrième acteur est introduit, celui-ci ne parle pas, mais écoute seulement ce qui se dit. C’est ce qu’a prescrit Horace [AP, 192] : ‹ Εt qu’un quatrième personnage ne s’évertue pas à parler ›. Cet acteur, comme il ne parle pas, a été appelé du nom grec de cophon prosopon, c’est-à-dire ‹ personnage muet › : en atteste Diomède [GLK, 1, 491], un grammairien très ancien »). Cette explication fut critiquée par G. Merula, qui fait lui aussi appel à des autorités anciennes : ostentat magis quam intelligat hic iactator quid sit cophon prosopon, quamquam Horatium et Diomedem auctores adducat : non excludit in totum Horatius quartam personam a scenis, sed eam parce loqui iubet … Sed qui cophon prosopon sit, commentatores Aristophanis apertissime docent in fabula quae inscribitur Acharnanes … (« ce hâbleur étale plus qu’il ne comprend ce qu’est un cophon prosopon, bien qu’il amène comme autorités Horace et Diomède : Horace n’exclut pas entièrement des scènes un quatrième personnage, mais il recommande qu’il parle avec modération […] Mais, qui est le cophon prosopon, les commentateurs d’Aristophane nous l’apprennent de façon tout à fait claire dans la pièce qui porte le titre d’Acharniens […] »).
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férence vague et générale à la « comédie » (comoedia) et aux « comiques » (Comici), qui ne va guère au-delà des indications figurant dans le texte de Martial luimême (v. 1 : comoedi tres sunt).52 De toute évidence, Nachtgall n’entend donc pas faire montre d’érudition ou d’exhaustivité par un recours systématique à des autorités extérieures venant étayer et illustrer ses explications. Pour autant, il ne se prive nullement d’y faire appel le cas échéant : sept des quinze entrées de l’opuscule contiennent en effet des références – souvent accompagnées de citations textuelles – à des auteurs nommément mentionnés. Mais un examen des paragraphes concernés confirme que l’interpretamentum obéit avant tout à un souci utilitaire qui conduit son auteur à privilégier la concision et l’efficacité : en effet, dans la plupart des cas, il apparaît que Nachtgall ne se réfère aux textes d’autres auteurs que lorsque ceux-ci sont susceptibles de contribuer directement à éclairer la signification des passages qu’il traduit et commente. Tel est évidemment le cas de ses mentions d’Homère, rendues indispensables par la présence de citations de ce dernier dans deux des épigrammes de Martial étudiées dans l’interpretamentum. La première de ces citations – l’expression « τὸν δ’ ἀπαµειβόµενος », qui est une formule récurrente stéréotypée servant à introduire des répliques de personnages dans de nombreux passages de l’Iliade et de l’Odyssée53 – figure dans l’épigramme I, 4554 et fait l’objet chez Nachtgall de l’explication suivante : Dicatur potius τὸν δ’ ἀπαµειβόµενος, id est quo contra huic respondens. Est autem sensus : si uidebitur ad ostentationem ingenii pertinere, ut magna opera absoluas, cur mihi non liceat quo opus excrescat eandem sententiam eisdem uerbis saepius inculcare ? exemplo Homeri qui hoc uno eodemque uocum contextu saepe usus est τὸν δ’ ἀπαµειβόµενος55.
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Quattuor : et κωφὸν Paula πρόσωπον amat, id est mutam personam. Petulantiam carpit mulieris quae comoedos deperibat etiam ultra numerum progressa, nam quum in comoedia tres tantum personae loquentes introducantur, illa ad quartam usque amorem protendebat, quam aliquando Comici inducunt, sed auscultantem et mutam (« ‹ […] Quatre : Paula aime même le κωφὸν πρόσωπον ›, c’est-à-dire le personnage muet. Il s’en prend à la pétulance d’une femme qui aimait éperdument les comédiens en allant même au-delà du nombre, car, alors que dans la comédie sont introduits seulement trois personnages parlants, elle étendait son amour jusqu’à un quatrième, que les comiques introduisent parfois, mais qui écoute seulement et est muet »). Elle apparaît 26 fois dans l’Iliade et 45 fois dans l’Odyssée (à quoi s’ajoutent les expressions τὴν δ’ ἀπαµειβόµενος, qui présente 13 occurrences dans l’Iliade et 26 dans l’Odyssée, τὴν δ’ ἀπαµειβόµενον et οἱ δ’ ἀπαµειβόµενοι, qui apparaissent respectivement deux et une fois dans l’Odyssée) : cf. dunbar 1971 [1880], p. 44 et 392 ; Prendergast 1983 [1875], p. 47. Donnée chez Nachtgall en ces termes : edita ne breuibus pereat mihi charta libellis, / dicatur potius τὸν δ’ ἀπαµειβόµενος (« pour éviter que le papier publié par moi en de brefs petits livres ne soit perdu, disons plutôt τὸν δ’ ἀπαµειβόµενος). Au lieu de charta, les éditions modernes donnent cura. « ‹ Disons plutôt τὸν δ’ ἀπαµειβόµενος ›, c’est-à-dire ‹ et lui de lui répondre ›. Le sens est : s’il semble importer à l’étalage du talent que de s’acquitter de grands ouvrages, pourquoi ne me serait-il pas permis, pour que mon ouvrage s’accroisse, d’intercaler assez souvent la même phrase avec les mêmes termes, à l’exemple d’Homère, qui a souvent fait usage de ce seul et même assemblage de mots, τὸν δ’ ἀπαµειβόµενος ? ».
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En évoquant la question de la reconnaissance du talent de l’écrivain, communément associée à la composition de magna opera, Nachtgall met bien en évidence, à notre sens, l’enjeu de ce texte, sans néanmoins entrer dans le détail de l’interprétation de cette épigramme, qui a suscité des discussions dans la recherche moderne56. Tout aussi pertinent et succinct est son commentaire de l’autre citation homérique de Martial, une double adresse au dieu Arès (Il., V, 31 et 455 : Ἆρες, Ἄρες57) venant illustrer, dans l’épigramme IX, 11, la liberté dont jouissent les poètes grecs dans le traitement de la longueur des voyelles58 : après avoir exposé le point de métrique dont il est ici question, l’humaniste cite, traduit et explicite brièvement le vers d’Homère où apparaissent ces termes. En dehors de ces références homériques directement requises par le texte de Martial, l’interpretamentum fait appel à plusieurs reprises à des passages d’auteurs latins dans le but de présenter une attestation parallèle d’une expression. Ainsi, dans le paragraphe déjà évoqué concernant l’épigramme V, 78, un vers de Térence vient fournir un exemple de l’emploi du verbe propino en latin59 ; ailleurs, Nachtgall se réfère à Perse60 pour l’usage de la salutation χαῖρε dans l’épigramme V, 51 et à Juvénal pour les mots d’amour susurrés en grec par des femmes romaines61. De façon analogue, à propos de l’épigramme XIV, 171, qui a pour sujet une reproduction en argile d’une statue connue sous le nom de Βρούτου παιδίον, « l’enfant de Bru-
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L’interprétation de Nachtgall rejoint, dans les grandes lignes, celles de plusieurs commentateurs modernes (cf. barwick 1932, p. 77–78, n. 14 ; Howell 1980, p. 207–209 ; sHackleton bailey 1993, ad loc. : « Let me be allowed to repeat myself and so make a sizeable book » ; voir aussi Friedländer, ad loc., qui interprète la phrase comme une question adressée à ceux qui penseraient que la brièveté des livres de Martial serait un obstacle à leur succès). Mais d’autres interprétations ont été proposées : cf. weinreicH 1928, p. 108 ; Prinz 1929, p. 109– 114 ; eden 1990, p. 161–163. Nachtgall ne soulève pas la question du rapport de ce distique avec l’épigramme précédente (I, 44) et, plus largement, avec le « cycle » d’épigrammes du livre I sur les jeux d’un lion et d’un lièvre dans l’amphithéâtre, alors que ce point avait été évoqué par Calderini (qui donne du passage une interprétation similaire à celle de Nachtgall, mais un peu plus détaillée) et que, par la suite, les commentateurs modernes ont d’ordinaire considéré l’épigramme I, 45 comme étant en étroite relation avec son contexte au sein du livre I (cf. notamment weinreicH 1928, p. 108, pour qui l’épigramme I, 45 serait la pointe originelle de l’épigramme I, 44). Comme dans d’autres éditions anciennes (notamment l’édition Aldine), les deux occurrences successives du nom sont accentuées de la même manière chez Nachtgall (ἄρες ἄρες). Le même exemple homérique avait déjà été cité par le satiriste Lucilius, dans un passage relatif à la graphie des voyelles longues et brèves (Lucil., 352–355 Marx = IX, 5 Charpin). Eun., 1087 (Nachtgall donne hunc ego uobis comedendum et bibendum propino, alors que, dans les éditions modernes, le vers se présente sous la forme suivante : hunc comedendum uobis propino et deridendum, « je vous offre cet homme pour vous en goberger et en rire »). Prol. 8 : texte cité ci-dessous, p. suivante. Juv., VI, 195–196 : ζωὴ καὶ ψυχή modo sub lodice relictis / uteris in turba (« ... ζωὴ καὶ ψυχή, tu utilises devant les gens des mots que tu viens de laisser sous ta couverture ») ; ce parallèle s’imposait d’autant plus que la parenté formelle avec le passage de Juvénal est encore plus étroite dans la version de l’épigramme X, 68 de Martial dont dispose Nachtgall (voir ci-dessus, n. 23).
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tus »62, Nachtgall renvoie à Pline l’Ancien63, qui est de fait, en dehors de Martial lui-même64, le seul auteur antique à faire mention de cette statue. Il est à noter que l’usage de ces références ne constitue pas une simple fioriture, ni même un véritable élargissement de l’explication. Au contraire, le texte cité ou donné en référence non seulement est, à chaque fois, étroitement lié au passage étudié, mais, en certains cas, il tient lieu de commentaire ou, du moins, sert de justification à la brièveté de ce dernier. Ainsi, à propos du mot « χαῖρε », Nachtgall s’autorise justement de sa citation de Perse pour se dispenser d’une explication plus longue, en faisant valoir que satis iam nota est haec uox Graeca Latinis, uel ex illo Persiano uersiculo : quis expediuit psittaco suum χαῖρε, id est salue, aue65.
De même, il est intéressant de relever la manière dont Nachtgall mentionne Érasme – qu’il connaissait personnellement et admirait, et qui est le seul auteur contemporain nommé dans l’interpretamentum – dans le paragraphe consacré au célèbre proverbe grec κοινὰ φίλων (« tout est commun entre amis »)66, cité dans l’épigramme II, 43 de Martial. Étant donné que ce proverbe fait l’objet du tout premier des Adages (I, 1, 1 : amicorum communia omnia), c’est tout naturellement que Nachtgall se réfère à Érasme comme à une autorité en la matière (notissimum iam omnibus ex Erasmi nostri explanatione istud est Graecorum adagium)67 et se dispense d’expliquer plus longuement l’expression, se contentant de citer en sus un passage biblique68. *
Βρούτου παιδίον. Id est Bruti pusio. Is a Bruto qui in Philippicis occubuit amatus, statua insigni primum aerea, deinde fictili conspicuus fuit auctore Plinio (« Βρούτου παιδίον. C’est-à-dire ‹ enfant de Brutus ›. Celui-ci, aimé du Brutus qui succomba à Philippes, fut offert aux regards sous la forme d’une statue célèbre d’abord en airain, puis en argile, comme en atteste Pline »). L’explication de Nachtgall est ici encore très proche de celle de Calderini : Brutupedion, id est Bruti pusio : nam Brutus ille qui in Philippicis occubuit puerum amando ei cognomen dedit : quem Apollodorus cognomine insanus aeneum fecit, ut scribit Plinius. Nunc idem est fictilis (« Brutupedion, c’est-à-dire enfant de Brutus : car le Brutus qui succomba à Philippes, en aimant cet enfant, lui donna son nom : Apollodore surnommé le fou le fit en airain, comme l’écrit Pline [sic : voir la n. suivante]. Maintenant, le même est en argile ». 63 N.H., XXXIV, 82 : idem [Strongylion] fecit puerum, quem amando Brutus Philippiensis cognomine suo illustrauit, « le même [Strongylion] fit une statue d’un enfant, que le Brutus de Philippes illustra de son nom en raison de l’amour qu’il lui portait ». 64 Autres références à cette statue chez Martial : II, 77, 4 ; IX, 50, 5–6. 65 « Ce mot grec est désormais suffisamment connu des latinistes, notamment par ce petit vers de Perse : ‹ Qui a appris au perroquet son χαῖρε ›, c’est-à-dire ‹ salut, bonjour › ». 66 Cf. otto 1965 [1890], p. 20. 67 « Cet adage des Grecs est désormais bien connu de tous grâce à l’explication de notre cher Érasme ». 68 … etiam a Luca in actis apostolicis repetitum, Multitudinis credentium (inquit) erat cor unum et anima una (« [cet adage des Grecs] a aussi été évoqué par Luc dans les Actes des apôtres [4, 32] : la foule des croyants, (dit-il), n’avait qu’un seul cœur et une seule âme »). 62
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Ainsi il apparaît que, tout comme les autres instruments d’explication mis en œuvre dans l’opuscule, le recours à des sources extérieures au texte de Martial demeure étroitement subordonné au travail de clarification que s’est assigné Nachtgall, ce qui explique la concision de ces références et, plus généralement, des développements explicatifs qui suivent lorsqu’il y a lieu les traductions proposées dans l’interpretamentum. Consacrant son opuscule à la traduction et à l’explicitation des termes grecs de Martial, Nachtgall ne propose en revanche pas de vue d’ensemble ou de réflexion générale sur les expressions grecques employées par l’épigrammatiste. Le plan et la structure de l’interpretamentum concourent assurément à expliquer cet état de fait : chaque terme y est traité selon une méthode et un ordonnancement analogues, mais de façon isolée, et, à aucun moment, Nachtgall ne paraît s’être soucié de mettre ces expressions en rapport les unes avec les autres, ni de tenter une synthèse des informations qu’il délivre. Conformément à son avis au lecteur, l’humaniste s’est pour l’essentiel attaché à l’explication littérale et factuelle des termes concernés, dans un travail qui reste avant tout celui d’un philologue soucieux de rendre accessible à ses contemporains un domaine du savoir qui demeurait alors peu connu parmi le public cultivé de la région rhénane. BIBLIOGRAPHIE barwick 1932 = K. barwick, Zur Kompositionstechnik und Erklärung Martials, in Philologus, 87, 1932, p. 63–79. birt 1930 = T. birt, Martiallesungen, in Rheinisches Museum für Philologie, 79, 1930, p. 303– 313. canobbio 2002 = A. canobbio, La lex Roscia theatralis e Marziale : il ciclo del libro V. Introduzione, edizione critica, traduzione e commento, Como, 2002. carratello 1964 = U. carratello, Marziale, Canio Rufo e Fedro, in Giornale italiano di filologia, 17, 1964, p. 122–148. carratello 1980 = U. carratello, M. Valerii Martialis Epigrammaton liber. Introduzione e testo critico di Ugo Carratello, Roma, 1980. cHrisMan 1987 = M. U. cHrisMan, Ottmar Nachtgall, in P. G. bietenHolz & T. B. deutscHer (edd.), Contemporaries of Erasmus. A Biographical Register of the Renaissance and Reformation, vol. 3, Toronto/Buffalo/London, 1987, p. 3–4. coleMan 2006 = K. M. coleMan, M. Valerii Martialis Liber spectaculorum. Edited with introduction, translation and commentary by K. M. Coleman, Oxford, 2006. corte 1986 = F. della corte, «Gli spettacoli» di Marziale tradotti e commentati, Genova, 31986 (1ère éd. 1946). dunbar 1971 = H. dunbar, A complete concordance to the Odyssey of Homer. New edition completely revised and enlarged by Benedetto Marzullo, Hildesheim/New York, 1971 (1ère éd. 1946). eden 1990 = P. T. eden, Problems in Martial (III) (1.12, 1.82 ; 1.44, 1.45 ; 1.102, 5.40 ; 7.83, 8.52), in Mnemosyne, 43, 1990, p. 160–164. Friedländer 1886 = L. Friedländer, M. Valerii Martialis Epigrammaton libri. Mit erklärenden Anmerkungen von L. Friedländer, 2 vol., Leipzig, 1886. Fusi 2006 = A. Fusi, M. Valerii Martialis Epigrammaton liber tertius. Introduzione, edizione critica, traduzione e commento a cura di Alessandro Fusi, Hildesheim/Zürich/New York, 2006.
L’interpretamentum dictionum Graecanicarum des Épigrammes de Martial
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QUID IOCOSI ? Entre héritage antique et préceptes érasmiens – la correspondance de l’humaniste Paul Volz Sandrine de Raguenel S’il est un fait bien établi au XVIe siècle, c’est l’habitude qu’ont prise les humanistes de faire de la lettre leur mode d’expression habituel. Les premiers humanistes du XIVe siècle s’emparèrent de cette forme d’éloquence dès la découverte des manuscrits de la correspondance de Cicéron : Pétrarque, en 1345, se procura un exemplaire des Lettres à Atticus dans la bibliothèque capitulaire de Vérone. En 1392, ce fut Pasquino Capelli, chancelier de Milan, qui trouva, par hasard, dans la bibliothèque capitulaire de Verceil, à la demande de Coluccio Salutati, un manuscrit des Lettres familières. Ce dernier devint le détenteur à la fois des Lettres à Atticus et des Lettres familières. Ces deux découvertes marquèrent un tournant décisif dans l’histoire de l’art épistolaire : Les premiers humanistes attachaient un prix tout particulier à cette correspondance ; elle leur donnait l’impression d’entrer dans l’intimité de Cicéron, de pouvoir remonter le cours du temps jusqu’à l’époque classique et revivre des heures avec celui qu’ils tenaient pour le plus grand des Romains1.
Elles donnèrent le coup d’envoi à la grande production de lettres dans la période humaniste. On écrivait comme Cicéron à ses amis, à ses proches. La correspondance de l’Arpinate devint la source à laquelle tout humaniste se devait de puiser. D’aucuns ont retracé avant nous la grande aventure du commerce épistolaire2, qui requit rapidement un cadre théorique : les manuels d’épistolographie fleurirent à la Renaissance, dès la fin du quattrocento, en Italie3. Le plus important de ces manuels est sans conteste celui d’Érasme, l’Opus de conscribendis epistolis paru en 1522, sur le métier dès les années 1494–1496. L’humaniste hollandais laissa lui-même une correspondance abondante4 et s’affirma comme l’un des maîtres, sinon le maître, de l’art épistolaire5. 1 2 3 4 5
reynolds & wilson 1984, p. 91–92. Sur l’art épistolaire humaniste, voir la bibliographie sélective proposée à la fin de cet article. Vaillancourt 2003, p. 147. Onze volumes (suivis d’un volume de tables) dans l’édition de P. S. allen. Vaillancourt tient ce propos : « Il s’agit sans conteste du manuel d’épistolographie le plus lu, réédité et imité de tout le XVIe siècle. L’Opus eut un succès paneuropéen et devint l’ouvrage de référence de plusieurs générations d’épistoliers » (Vaillancourt 2003, p. 155) ; Margolin, dans son édition du De conscribendis epistolis, faisait le même constat : « Dans l’épistolographie humaniste, illustrée par Pétrarque, Salutati, l’Arétin, Politien, Budé, les Amerbach etc., Érasme occupe facilement la première place […] Dans son Opus de conscribendis epistolis, il
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Pour qui veut aujourd’hui saisir dans son essence ce vaste mouvement littéraire qu’est l’humanisme, il lui faut en passer nécessairement par une étude approfondie des missives écrites et reçues par ces hommes qui ont adhéré à la République des Lettres6 : elles nous les révèlent de l’intérieur, intus et in cute. Les éditions modernes et scientifiques de ces textes nous offrent la possibilité d’explorer des aspects encore trop méconnus des modes de penser, de vivre et d’écrire de ces hommes des XIVe, XVe et XVIe siècles, sur la base d’un texte sûr et fiable. Dans les correspondances qui nous sont parvenues, il est utile de faire la distinction, à la suite de celle soulignée par L. Vaillancourt7, entre l’humaniste qui veut faire publier ses lettres – c’est le cas d’un Érasme par exemple8 – et, conséquemment, les travaille voire les retouche, et l’humaniste qui n’a cure d’une quelconque édition. Les lettres que nous nous proposons d’étudier appartiennent toutes (à l’exception, peut-être, d’une) à la seconde catégorie. Il est facile, dès lors, de leur concéder comme avantage primordial d’avoir conservé une fraîcheur, une spontanéité, un naturel « innés », que la première catégorie ne peut posséder, de fait. Cette contribution propose d’étudier les liens étroits qui existent entre le manuel d’épistolographie d’Érasme, De conscribendis epistolis, et un cas concret de correspondance humaniste, celle de Paul Volz. Nous présenterons dans un premier temps le contexte général de nos lettres, notre corpus de travail et les principes théoriques émis par Érasme pour explorer ensuite les multiples facettes du granum salis épistolaire présentes dans nos lettres. CONTEXTE, CORPUS ET THÉORIE Les forces en présence L’année 1522 voit la première lettre de Paul Volz à Beatus Rhenanus et la publication, chez l’imprimeur bâlois Johann Froben, du De conscribendis epistolis9. La coïncidence est trop opportune pour qu’on la taise.
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a été, comme dans d’autres ouvrages de rhétorique ou de stylistique, le maître incontesté d’une et même de plusieurs générations. En proposant des dizaines, sinon des centaines de modèles de lettres, tout en contribuant à l’enrichissement du vocabulaire latin et des expressions ou tournures familières, il a fait figure, une fois de plus, de précepteur de l’Europe savante » (Érasme, De conscribendis epistolis, p. 173). L’on pense notamment à l’intuition de N. Holzberg, en 1985, à propos de la correspondance de Beatus Rhenanus : « le but primordial de toute recherche à venir sur la vie et l’œuvre de Rhenanus devrait être une édition entièrement nouvelle de ses lettres », Holzberg, 1985, p. 20, cité dans Hirstein 2005, p. 458. Vaillancourt 2003, p. 26 : l’auteur suit les travaux de R. ducHêne et distingue l’auteur épistolaire de l’épistolier. Halkin 1983 p. 15–25 : dès 1498 au moins, Érasme pense à l’édition de ses lettres. L’édition princeps est datée d’août 1522, chez Johann Froben à Bâle. Voir Érasme, De conscribendis epistolis, p. 204.
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Érasme vit à Bâle avec, à ses côtés, Beatus Rhenanus, l’érudit sélestadien. L’abbé Paul Volz vit à Honcourt pour quelques années encore, d’où il se rend régulièrement à Sélestat, la patrie de Rhenanus10. L’épistolier Paul Volz tient une place importante au sein de la correspondance de Rhenanus, avec vingt-deux lettres conservées sur une période de vingt ans. Cet humaniste, originaire d’Offenbourg, fut moine de l’abbaye bénédictine de Schuttern. Après des études à l’Université de Tubingen, il fut élu abbé de Honcourt (Hügshofen), dans le Val de Villé en Alsace, en 151211. Trois ans plus tard, il faisait la rencontre d’Érasme et de Beatus Rhenanus, qui résidaient alors à Bâle. Volz prit une part active, en ces années-là, à la société littéraire de Sélestat. À l’arrière-plan religieux, la Réforme de Luther, partie de Wittenberg en 1517, s’implantait de plus en plus en Alsace. Chassé de son abbaye par la guerre des Paysans en 1525, l’abbé Volz rejoignit Strasbourg, devenue protestante, et, en 1528, se fit prédicateur évangélique. Il vécut à Strasbourg jusqu’à la fin de sa vie (juin 1544). Ses dernières années furent marquées du sceau des divers bouleversements religieux qui secouaient le Rhin supérieur12. Grand érudit par ailleurs, il s’adonna à son goût prononcé pour l’histoire locale, la toponymie, la théologie et l’histoire de l’Église. Les lettres de Volz à Rhenanus, témoins d’une amitié active, constituent la matière la plus importante de cette contribution mais ne sauraient laisser dans l’ombre l’échange épistolaire entre Volz et Érasme lui-même, qui nous révèlent la haute considération en laquelle le prince des humanistes tenait l’érudit abbé de Honcourt, ainsi que les autres lettres que Volz écrivit, notamment à Ulrich de Ribeaupierre, issu d’une illustre famille alsacienne. Description de notre corpus de travail Les lettres écrites par Paul Volz à Beatus Rhenanus sont parvenues jusqu’à nous pour la période entre février 1522 et septembre 1542. Elles sont au nombre de vingt-deux. Les manuscrits autographes (à l’exception de l’une d’entre les lettres, datée du 1er décembre 1536, en hommage à Érasme qui vient de mourir, uniquement sous forme imprimée) sont conservés à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat (BHS). Ces autographes ont été édités en 1886 par A. Horawitz et K. HartFelder (abrégée par H). Une nouvelle édition, pourvue d’une traduction et d’un commentaire, a été entreprise dans le cadre de la réédition complète de la correspondance de Beatus Rhenanus, initiée par MM. F. HeiM et J. Hirstein, et a fait l’objet de notre thèse de doctorat, soutenue en avril 201113. 10
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Beatus Rhenanus, humaniste et historien (1485–1547), originaire de Sélestat, légua sa bibliothèque à sa ville natale. Paul Volz, abbé bénédictin puis prédicateur évangélique, humaniste (1473/1474–1544), vécut non loin de Sélestat puis à Strasbourg. Voir la bibliographie sélective proposée à la fin de cet article. Sur l’abbaye de Honcourt, voir bornert 2009, vol. II/1, p. 190–220. Notamment la Concorde de Wittenberg en 1536 et les colloques religieux des années 1540– 1541. Ces lettres sont citées de la manière suivante : Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, lieu, date [BHS, CBR cote du ms ; H, n° ; Lettre n° (= référence dans notre thèse)]. Les manuscrits de nos
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La correspondance échangée entre Érasme et Paul Volz s’échelonne entre octobre 1515 et avril 1536 et compte dix lettres, six de Paul Volz à Érasme, quatre d’Érasme à Paul Volz. Elles sont incluses dans les douze volumes de l’édition complète de la correspondance d’Érasme14. Deux lettres de Paul Volz ont été adressées à l’intention d’Ulrich de Ribeaupierre par l’intermédiaire de Henri Khenell (ou Kenell), chancelier des Sires de Ribeaupierre depuis 1508 au moins15. Elles ont été signalées par Mme L. baillet et sont conservées aux Archives Départementales du Haut-Rhin (ADHR) dans les Extraditions de Munich16. L’ensemble des lettres et billets rédigés en latin ont été édités et traduits par nos soins pour les besoins de nos travaux de doctorat17. Enfin, nous avons eu également recours à des documents de première main (lettres, poèmes, documents officiels) mentionnant Paul Volz. Pour l’enquête qui nous intéresse, nous avons pu consulter le Thesaurus Baumianus, conservé à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg (BNUS)18, où se trouve une lettre émanant de Johann Lenglin et adressée à Paul Fagius, écrite quelques jours après la mort de Volz. Nous en donnerons la référence un peu plus loin. La lecture de la correspondance de Paul Volz pose inévitablement la question de sa place dans l’épistolographie, son lien avec les préceptes d’Érasme énoncés dans le De conscribendis epistolis et, comme Érasme lui-même y invite, avec la tradition inaugurée par Cicéron dans les Familiares. Il est de ce fait nécessaire de regarder de plus près ce que dit Érasme, de poser les bases théoriques de notre analyse pour, ensuite, lire les lettres de Paul Volz à cette lumière. La lettre familière chez Érasme19 À côté des trois genres dévolus ordinairement à la lettre et hérités de la tradition médiévale, suasoire, démonstratif et judiciaire, Érasme introduit un nouveau genre :
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lettres ont été mis en ligne sur le site de la BH numérique. Si l’on veut consulter le ms 212, il convient d’entrer cbr 212 (= correspondance beatus rhenanus n°212). On les trouvera citées sous la forme suivante : Lettre Érasme à Paul Volz, lieu, date, Correspondance d’Érasme, vol., ep. n°. Voir Jordan 1991, p. 174. Voir baillet 1967, p. 367, n. 6. [ADHR, Extraditions de Munich, 19J96/446]. Le dossier comprend également des lettres de Paul Volz rédigées en allemand, qui attendent un éditeur et un traducteur. On les trouvera sous le nom de « Lettre complémentaire », suivi du chiffre arabe correspondant. Les lettres à Ulrich de Ribeaupierre sont ainsi mentionnées : Lettre Paul Volz à Ulrich de Ribeaupierre, lieu, date [ADHR, Extraditions de Munich, 19J96/446 ; Lettre Complémentaire n°]. Thesaurus Baumianus [Strasbourg, BNU, ms 674]. Notre étude est fondée sur l’édition du De conscribendis epistolis due à Margolin dans la grande édition d’Amsterdam des œuvres complètes d’Érasme (habituellement abrégée en ASD, suivi du n° de série et du n° de volume). Nous avons également regardé l’exemplaire personnel de Beatus Rhenanus (édition princeps de 1522) conservé à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat [Sélestat, BH, K 987a].
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His tribus quartum genus accersere licebit, quod si placet, familiare nominemus. À ces trois genres, on me permettra d’en ajouter un quatrième, que, s’il plaît, nous pourrions nommer familier20.
Une définition stricte en est malaisée, il convient mieux d’en donner les caractéristiques, de présenter les espèces dont elle est composée, ce qu’Érasme fait dans la suite de son ouvrage. Cependant, la lettre familière, par essence, apparaît comme informelle : La lettre familière, parce qu’elle concilie l’infinie liberté du fond à une rhétorique ouverte et intériorisée, est présentée comme la forme idéale, la seule vraie lettre, l’essence même du genre épistolaire21.
Elle se présente à la fois comme le lieu de toutes les possibilités d’écriture et comme l’endroit privilégié où s’exprime la personnalité de l’épistolier. Elle est, davantage que les lettres non familières, celle où s’écrit cette conversation à distance, et cherche à reproduire les traits de la discussion réelle entre amis. Dans son Libellus de conscribendis, paru en 1499, qui devait aboutir à l’Opus de conscribendis epistolis en 1522, Érasme distinguait deux types de lettres : les epistolae mixtae, lettres à plusieurs sujets, et les lettres à sujet unique22. Nous reproduisons la définition qu’il fournit de l’epistola mixta : Huiusmodi literarum genere ex variis rebus consarcinato familiares inuicem persaepe vtuntur. C’est ce genre de lettre, cousu d’éléments variés, que les lettres familières emploient à leur tour très souvent23.
L’image de la couture reflète la réalité de ces lettres familières, dans la mesure où elles mêlent différents sujets, à la manière dont sont jointes des pièces de tissu, unies par un seul et même fil. Quid iocosi ? Une fois posé le cadre général de la lettre familière, il convient de s’interroger à présent sur le sujet central qui nous préoccupe : qu’y a-t-il de plaisant, d’enjoué, de savoureux dans les lettres humanistes ? Pourquoi et comment au XXIe siècle la lecture de ces lettres peut-elle nous réjouir et nous ravir, lorsque l’on découvre une formule bien frappée, une porte qui fournit un accès au monde intérieur des humanistes ? Érasme, De conscribendis epistolis, p. 311. Suivent les nombreuses espèces, accompagnées d’une courte phrase de présentation, p. 311–312. Voir Vaillancourt, 2003, p. 159–160 et p. 162. Les traductions proposées des extraits du De conscribendis epistolis sont de notre fait. 21 Sur ce qui suit, voir Vaillancourt 2003, p. 154, p. 160 n. 46 et p. 161–162. 22 Vaillancourt 2003, p. 153–154. 23 Érasme, De conscribendis epistolis, p. 309 : Érasme vient de donner un exemple d’epistola mixta (p. 303–309), avant de consacrer le chapitre suivant à la lettre à sujet unique (« Epistolarum genera », p. 309–310). Margolin note, quant à l’exemple d’epistola mixta : « Exemple de lettre décousue, rassemblant un grand nombre de sujets, dont les transitions sont souples et naturellement amenées », p. 303, n. à la l. 2. Voir Vaillancourt 2003, p. 159. 20
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Les principes théoriques, appuyés d’exemples, donnés par Érasme, nous guident sur ce point également, car, dans son manuel d’art épistolaire, Érasme consacre une section à l’epistola iocosa : De iocosa epistola In vnoquoque epistolarum genere, quoties res patitur, iocum admiscere debemus. … Primum illud curandum, vt tempestiuus sit iocus, vt liberalis, vt decori meminerit. Qui si apte adhibebitur, plus saepenumero habet momenti, quam oratio quamlibet seria. De la lettre plaisante Dans chaque genre de lettres, toutes les fois que la matière le permet, nous devons y entremêler une plaisanterie. […] D’abord il faut prendre soin que la plaisanterie soit opportune, qu’elle soit libérale, qu’elle se souvienne de la convenance. Et si elle est employée de façon appropriée, elle a souvent davantage de poids qu’un discours aussi sérieux soit-il24.
Érasme donne ici trois caractéristiques du iocus : tempestiuus (opportun), liberalis (libéral, c’est-à-dire conforme à l’éducation libérale, humaniste25) et bienséante (ut decori meminerit). Si la plaisanterie correspond à cette définition, alors son efficacité sera bien supérieure à l’oratio seria26. Dans cet aspect, comme en beaucoup d’autres, l’humaniste hollandais a montré la voie : sa correspondance est emplie de bons mots, de traits savoureux. De plus, il a eu l’immense mérite d’avoir procuré aux hommes de son temps la méthode nécessaire afin qu’eux aussi puissent écrire des epistolae iocosae. Il s’agit bien de ce que nous pourrions nommer une « technique transversale », qui parcourt l’ensemble et qui tient justement au granum salis épistolaire, ce « quelque chose de plaisant », subtil et quasi impalpable. L’on ne rit pas franchement à la lecture des lettres humanistes mais l’on sourit, de ce sourire de connivence, parfois énigmatique, qui rend la lecture aisée, légère et plaisante. Fort de ces préceptes érasmiens, notre propos est de regarder de plus près les procédés mis en œuvre pour parvenir à cette saveur si particulière des lettres humanistes, à travers une étude de cas, le cas « Paul Volz », érudit humaniste, ami d’Érasme et de Beatus Rhenanus. Nous avons pris le parti de répertorier les différents traits légers, charmants et savoureux, ou piquants, qui contribuent à rendre une lettre plaisante. Ainsi qu’il en va dans tout essai de nomenclature, l’on se rendra rapidement compte combien les frontières que nous mettons en place sont largement perméables. Néanmoins, et bien que les lettres formassent une unité peu disposée à se laisser dépecer, deux lignes de force nous ont semblé saillir. L’une des caractéristiques principales des lettres familières est de se donner comme une conversation à distance avec l’ami absent : il découle de cette première posture un ensemble de pro24
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Érasme, De conscribendis epistolis, p. 566–567. Voir également p. 478 : Iocosa, quum intelligemus nos plus effecturos sermonis iucunditate quam seriis argumentis. / « Elle est plaisante, lorsque nous comprenons que nous obtiendrons davantage par l’agrément de notre propos que par des arguments sérieux ». Voir n. à la l. 2, p. 567 de cette même édition. Cf. Cic., ad fam., II, 4, 1 : Reliqua sunt epistularum genera duo, quae me magno opere delectant, unum familiare et iocosum, alterum seuerum et graue. / « Il y a deux autres genres de lettres, et qui font mes délices : l’un familier et plaisant, l’autre sérieux et grave ». (trad. Vaillancourt 2003, p. 52).
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cédés qui visent à réduire l’espace-temps afin que, par le truchement de la lettre, les deux amis aient le sentiment de proximité, et donc de chaleur, d’affection et de liesse, propres aux retrouvailles amicales. L’épistolier use également des ressources langagières destinées à faire (sou)rire son destinataire en jouant sur une gamme qui va du bon mot à l’emprunt érudit, signe d’appartenance au même monde culturel : nous les détaillerons comme ressorts de la festiuitas. LE GRANUM SALIS ÉPISTOLAIRE DANS LA CORRESPONDANCE DE PAUL VOLZ La lettre comme conversation à distance27 La nature même des lettres familières implique un ton alerte, une certaine vivacité perceptible dans la forme allusive et brève de nombreuses phrases, dans la souplesse et l’enchaînement rapide des propositions. La diversité des sujets abordés – histoire, théologie, toponymie, linguistique, faits divers, rumeurs, rencontres –, l’éclectisme prédominent. La lettre en est ainsi aisée à lire parce qu’écrite dans un style que l’on pourrait qualifier de léger. La lecture plaisante est renforcée, en outre, par trois éléments : Paul Volz est un épistolier qui ne s’embarrasse guère de mots inutiles, sa langue est sobre ; les phrases sont souvent courtes, fortement ponctuées grâce aux uirgulae qui rendent compte du fil de la pensée, sa langue est structurée de façon simple. Cependant, ces deux caractéristiques n’excluent pas une certaine élégance, lisible dans les procédés poétiques28. La définition de la lettre familière comme conversation écrite avec l’absent nous conduit vers la place de l’oralité sur un support que requiert la langue écrite29. Les marques propres à l’affection et à la conversation sont représentées : apostrophe, impératif, emploi du pronom personnel de la deuxième personne30, la tournure affective mi Beate. Les exclamatives, interrogatives31 et l’expression de souhaits contribuent également à mimer ce qu’aurait pu être la conversation entre les deux amis32. Ce sont là des emplois communs à toute littérature épistolaire familière. 27 28 29 30 31 32
Nous avons consacré un long développement à ce sujet dans nos travaux, pour lequel nous sommes redevable aux articles magistraux de Monsuez sur le style épistolaire de Cicéron. Nous ne livrons ici que les grandes conclusions auxquelles nous étions parvenue. Les procédés poétiques les plus récurrents sont la paronomase, l’allitération, l’assonance. Monsuez 1953, p. 98 : « Dans la mesure où le style épistolaire familier prend le caractère d’une conversation à distance il se laisse entraîner plus ou moins inconsciemment à utiliser les mêmes procédés d’expression que le langage parlé ». L’on trouve ces caractéristiques, en fin de lettres, dans les valedictiones et les salutations aux tiers. Les exclamations ont régulièrement chez Volz une connotation morale. Les interrogatives sont très présentes et, parfois, Volz utilise le principe de l’accumulation pressante. On peut citer l’exemple de la longue lettre de la veille de Noël 1540 qui répond article par article à une lettre de Rhenanus : l’enchaînement des quae, quod et des différentes conjonctions donne un aspect oral à cette lettre scientifique. Le mélange des genres entre remerciements, partage de connaissances et demandes amène le lecteur à se représenter la scène qui aurait pu
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Une langue hyperbolique Le style volzien cherche à reproduire la vivacité de la conversation par des procédés intensifs, des images percutantes, des termes fortement connotés, des oppositions saisissantes33. Après la guerre des Paysans de 1525, Ensisheim, chef-lieu des Pays antérieurs de l’Autriche, devient le centre d’une répression implacable. Volz désigne cette ville sous le syntagme Alsatię macellum, c’est-à-dire « l’abattoir de l’Alsace »34. Cette expression sera reprise maintes et maintes fois, sous la plume, notamment, d’érudits du XIXe siècle. Il n’est que trop vrai qu’Ensisheim vit nombre d’exécutions sommaires, souvent sur dénonciation, de personnes soupçonnées d’accointance avec Luther35. Ailleurs, Volz se fait prophète et prédit, à la suite des querelles entre catholiques et protestants, une guerre sans merci : (26) Jnde iam infesta arma / armorum fragor / turbarum commotio / Germanię vastatio, (26) C’est de là que viennent les armes hostiles, le fracas des armes, le soulèvement des foules, la dévastation de la Germanie36.
Les images terrifiantes, créées par le poids des mots employés et par leur agencement dans cette phrase non verbale, ont pour but d’émouvoir le destinataire de la lettre et de permettre à Volz d’exprimer son impuissance face aux événements inéluctables. Par le choc des mots, le pittoresque de certaines formulations, le renforcement des expressions, Volz produit un effet chez son interlocuteur et rend compte de son état d’esprit, éléments que l’on retrouve dans la conversation de visu. Une langue chargée d’affectivité En outre, l’épistolier use de son art pour faire parvenir à son destinataire sa propre émotion, ses sentiments et pour susciter, chez son interlocuteur, la disposition nécessaire afin d’accueillir ce qu’il a à lui transmettre. Monsuez a nommé cette composante essentielle de la lettre familière la « dominante affective »37.
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se produire entre les deux amis : Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 24.12.1540 [BHS, CBR 199 ; H 346 ; Lettre XVIII]. On notera l’utilisation de verbes concrets, d’expressions imagées, d’adverbes d’intensité (p. ex. l’adverbe equidem, accolé au pronom personnel ego ou associé à un verbe à la première personne du singulier, etc. Voir Monsuez 1953, p.101), du pronom redoublé (tute), de constructions négatives conduisant à une idée de superlatif (introduites par nihil, voir Monsuez, ibid.), d’antithèses totales (l’on songe aux phrases qui unissent omnis et nullus), de vocables visant à dresser un tableau, la plupart du temps, terrifiant. Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, (Sélestat), 05.04.1526 [BHS, CBR 210 ; H 255 ; Lettre VI (12)]. Voir biscHoFF 2010, p. 420–426. Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 24.12.1540 [BHS, CBR 199 ; H 346 ; Lettre XVIII (26)]. Monsuez, 1953, p. 102 sq.
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Sans compter les nombreuses occurrences d’exclamatives et d’interrogatives, cette expression de l’affectivité est plus particulièrement présente dans nos lettres par l’emploi de la gémination affective, du type ille ille, qui exprime tour à tour l’indignation ou la compassion, et par celui de diminutifs ; par l’usage d’appellations affectueuses, comme mi Beate chariss{ime}, mi frater ; dans l’implication du destinataire par le verbe nosti, ce qui relève de la captatio beneuolentiae. Ce procédé est particulièrement visible dans une lettre adressée à Ulrich de Ribeaupierre, par l’entremise de Heinrich Khenell. Le verbe nosti n’est employé pas moins de trois fois dans la même phrase, afin d’attirer l’attention de son destinataire sur la situation, semble-t-il, difficile de l’épistolier : (1) Mi Heinrice frater in Christo chariss{ime} tu nosti VolZium tuum / tu nosti illam illam Hugonis Curiam / pręterea nosti omnem conditionem ac statum vtriusque, (1) Cher Heinrich, mon très cher frère dans le Christ, tu connais ton Volz, tu connais ce pauvre Hügshofen, de plus tu connais tout de la condition et de la situation de l’un et l’autre38[.]
Une langue oralisée Enfin, l’ultime particularité nous paraît résider dans l’allure relâchée du langage de la conversation, reproduit dans les lettres familières. Cette « allure relâchée » ne signifie pas « négligence » mais sans doute bien davantage une volonté de la part de l’épistolier de faire simple et de rendre présente la conversation qu’il aurait souhaité soutenir avec son ami. À titre d’exemples, nous avons relevé des tournures qui nous semblent ressortir à cet art oral39. Volz n’hésite pas à employer des interrogatives du type Quid plura ?40, qui visent à établir le contact avec le destinataire ; des expressions avec le verbe « à tout faire » esse41 ; de nombreux proverbes, adages et tournures proverbiales, qui appartiennent au patrimoine culturel commun aux deux amis. La conversation a fréquemment recours à de telles formulations faciles, mais efficaces dans la mesure où l’épistolier et le destinataire se reconnaissent comme appartenant à la même culture42. Figurent également dans nos lettres des locutions qui semblent comme imitées de la conversation, souvent émises dans un esprit de protestation de bonne foi43.
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Lettre Paul Volz à Ulrich de Ribeaupierre, (Honcourt), 28.12.1524 [ADHR, Extraditions de Munich, 19J96/446 ; Lettre complémentaire 14 (1)]. Pour les caractéristiques de ce que nous appelons « langue oralisée », voir Monsuez 1954, p. 47–48. Lettre Paul Volz à Ulrich de Ribeaupierre, Sélestat, 20.01.1525 [ADHR, Extraditions de Munich, 19J96/446 ; Lettre Complémentaire 18 (8)]. L’on rencontre, p. ex., parum spei esse + datif, à la place du verbe sperare, ou metus est suivi d’une proposition infinitive, là où l’on aurait attendu metuere ne. Il s’agit essentiellement de sententiae tirées de la Bible, des auteurs antiques et des Adages d’Érasme. Par exemple, (3) Sed hoc ab animo meo procul sit, / « (3) Mais bien loin de moi qu’il en soit ainsi [!] », Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 24.12.1540 [BHS, CBR 199 ; H 346 ; Lettre XVIII (3)].
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L’hyperbole, l’affection, l’aspect oral de la langue volzienne sont autant de manières d’écrire qui tendent à confirmer combien le style conversationnel tient une large place au sein de ce qui reste un discours écrit : la lettre familière vise à reproduire la chaleur du face-à-face par une expression qui se veut intense, affective et détendue, source de plaisir pour le lecteur avisé. Là encore, Cicéron fut un guide pour les humanistes : en puisant aux meilleures sources de l’Antiquité, les humanistes ont su reprendre à leur compte le modèle cicéronien de la lettre familière, en l’adaptant aux besoins spécifiques de leur temps ainsi qu’aux états d’âme de l’épistolier. Les ressorts de la festiuitas Le jeu de mots Paul Volz se révèle un passionné des jeux de mots. La correspondance fourmille d’exemples, le plus grand nombre étant constitué de bons mots onomastiques. Érasme avait montré la voie en 1510, dans son épître dédicatoire à Thomas More, en tête de l’Éloge de la Folie, en jouant sur la proximité phonétique entre Morus et Moria. Primum admonuit me Mori cognomen tibi gentile, quod tam ad Moriae vocabulum accedit, quam es ipse a re alienus. C’est d’abord ton nom de famille qui m’y a fait penser, lequel est aussi voisin de Moria que tu es toi-même étranger à la chose44.
En septembre 1511, le prince des humanistes fit paraître un commentaire (enarratio) du psaume 1, dont les premiers mots sont Beatus vir, qu’il dédia à Beatus Rhenanus45. Ce jeu sera également utilisé par Volz, lorsqu’en 1541, il écrit à Rhenanus : Te vero quis beatior …46 À plusieurs reprises, Volz utilise un prénom étonnant, Battus, pour désigner Rhenanus, aussi bien dans une lettre à Érasme : Expositiones quatuor Morianae necis, Batto nostro Rhenano inscriptas, quam ocyssime misi. J’ai envoyé le plus rapidement possible les quatre Récits de l’exécution de More47, dédiés à notre Battus Rhenanus48,
que dans ses lettres à Rhenanus : At omnia equidem boni consulo / reddoque / vt dicitur / vaccas tuas tibi mi Batte, Érasme, Moriae Encomivm, p. 67, pour le texte latin ; Érasme, Éloge de la Folie et autres écrits, p. 51, pour la traduction française. 45 Voir Margolin 2006, p. 71 note 4 et p. 72. Sur Érasme en tant que commentateur des psaumes, voir cHantraine 1972, vol. 2, p. 691–712. 46 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 29.01.1541 [BHS, CBR 200 ; H 349 ; Lettre XX (6)]. 47 Probablement quatre exemplaires de l’Expositio Fidelis, destinés à Beatus Rhenanus pour qu’il les fasse parvenir à des amis. Il n’y a toutefois pas de lettres dans la correspondance de Beatus qui fassent mention de ces exemplaires. 48 Lettre Paul Volz à Érasme, Strasbourg, 04.11.1535, Correspondance d’Érasme, vol. XI, ep. 3069. 44
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Mais de tout cela je suis satisfait et je te rends, comme on dit, tes vaches, mon cher Batt49[.]
Le traducteur de la lettre de Volz à Érasme citée ci-dessus se pose la question de savoir s’il s’agit d’un jeu de mots sur le nom du personnage mythologique Battus (ou Battos). Nous avions écarté cette idée en voyant uniquement la forme germanique du prénom de Rhenanus : Beat ou Batt Rhinower, latinisé en Beatus Rhenanus50. Mais le poète Ovide nous invite à rejoindre la lecture mythologique : dans les Métamorphoses51, le vieillard Battus fut transformé en pierre par Mercure pour ne pas avoir respecté sa parole après le vol des vaches d’Apollon. Le contexte de la lettre, où il est question de bovidés, incite à comprendre que Volz assimile, par plaisanterie, Beatus à la figure de Battus. Il est fort probable que les deux lectures se superposent. Cependant, c’est surtout son ami Sapidus, le directeur de l’École latine de Sélestat52, qui est l’objet de jeux de mots récurrents : Sapidus suo more sapit ac desipit. Sapidus, à son habitude, raisonne et déraisonne53[.]
Dans sa lettre de décembre 1524 à Ulrich de Ribeaupierre, il emploie une expression similaire : Sapidum mone / vt sapiat / non desipiat / vt facit, Exhorte Sapidus à garder raison, sans déraisonner comme il le fait54[.]
En janvier 1525, pour le même destinataire, il évoque Mysterium Sapidanę insipientię. le mystère de la déraison sapidéenne55.
Enfin, Rhenanus peut lire ces lignes en avril 1540 : (8) Sapidus noster denuo factus est viduus vxore nuper mortua / prę męrore & inde nato morbo / vt non inepte dicatur Sy hat in gegröt / Er hat Sy gedöt, (9) O si non denuo vt antea viduus stultescat etc.
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Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, (Strasbourg), 16.01.1541 [BHS, CBR 196 ; H 348 ; Lettre XIX (13)]. Voir Meyer 1997, p. 17–24. Ov., met., II, v. 676–707. Sur Johann Sapidus (1490–1561), humaniste, directeur de l’École latine de Sélestat, puis de Strasbourg, poète, voir Centuriae latinae II (notice de J. Hirstein), p. 759–766 et NDBA 32 (notice de H. Meyer), p. 3369–3370. L’amitié entre Rhenanus et Sapidus, où l’auteur utilise certaines lettres de Volz à Rhenanus, a été étudiée par R. walter : walter 2000, p. 11–16. Nous renvoyons également à la synthèse que nous lui consacrons dans le volume III de notre thèse (Synthèse 2.2.6). Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Honcourt, 20.11.1525 [BHS, CBR 204 ; H 245 ; Lettre V (17)]. Lettre Paul Volz à Ulrich de Ribeaupierre, (Honcourt), 28.12.1524 [ADHR, Extraditions de Munich, 19J96/446 ; Lettre Complémentaire 14 (4)]. Lettre Paul Volz à Ulrich de Ribeaupierre, Sélestat, 20.01.1525 [ADHR, Extraditions de Munich, 19J96/446 ; Lettre Complémentaire 18 (3)].
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Sandrine de Raguenel (8) Notre Sapidus se trouve à nouveau veuf : sa femme est récemment morte de tristesse et de la maladie qui en est née, de sorte qu’il n’est pas hors de propos de dire : Elle l’a attrapé, il l’a tuée. (9) Ah ! si le veuf pouvait ne pas perdre la raison à nouveau comme auparavant [!]56
Volz se sert de toute la panoplie des synonymes, antonymes et dérivés latins pour faire un bon mot sur ce nom, qui est lui-même la latinisation du vocable Witz (Johannes Sapidus, de son nom Hans Witz), « l’esprit, le bon mot » en allemand57. Ces variations autour du nom de Sapidus sont loin d’être gratuites : Volz vise un vice sapidéen qui l’agace prodigieusement, et qu’il essaie, en vain semble-t-il, d’extirper chez son ami, à savoir son goût prononcé pour les femmes, au point, en certaine occasion, de se couvrir de ridicule. Face à cette folie déraisonnable de Sapidus, notre lecteur nous permettra une digression sur une autre folie, d’un ordre différent, celle de la Stultitiae laus d’Érasme, que Paul Volz, Jacob Wimpfeling et Johann Sapidus ont lue ensemble en 1515, lors de l’une de leurs rencontres autour d’un repas, l’ouvrage d’Érasme devenant lui-même nourriture délectable : Salue igitur, amice charissime, qui optime meritus es apud doctos omneis, non tantum propter multiiugem doctrinam quam amplissime prae te fers, sed item ob moratam Moriam et ob sapientem Stulticiam, quae demum in Dorpiana defensione cum primis enituit ; quam lectitando ego communesque nostri amici, Ia. Wimphl. et Io. Sapidus, inter epulas et ridemus et miramur, imo pro cibis sorbemus et delectamur, etc. Salut, donc, ami très cher, toi qui as le mieux mérité de tous les érudits, non seulement grâce à la doctrine multiple que tu répands largement, mais aussi, à cause de ta très digne Folie et de ta sage Sottise : tout récemment, elle brilla des feux les plus vifs, dans ta défense contre Dorp. Je l’ai relue plusieurs fois avec nos amis communs, Jacques Wimpfeling et Jean Sapidus ; nous en avons ri, au cours d’un repas et l’avons admirée, bien plus, nous la dévorons en guise de nourriture et nous en délectons, etc.58
Avant sa mort, ainsi que le rapporte Johann Lenglin, prédicateur à Strasbourg et successeur de Paul Volz au couvent Saint-Nicolas-aux-Ondes59, notre abbé avait composé son épitaphe, un hexamètre dactylique où le bon mot prévaut :
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Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, (Strasbourg), 16.04.1540 [BHS, CBR 201 ; H 334 ; Lettre XIV (8–9)]. 57 Sapidus,a,um = qui a du goût, de la saveur < sapere = avoir du goût ; avoir de l’intelligence, être avisé ; savoir // desipio, desipere (de-sapio) = rendre insipide ; avoir perdu l’esprit // insipientia (in-sapientia) = folie, sottise // inepte (in-aptus) = de manière déraisonnable, sotte // stultescere, inchoatif tardif formé à partir de l’adjectif stultus = sot, qui n’a point de raison, insensé, fou. 58 Lettre Paul Volz à Érasme, Honcourt, 30.10.1515, Correspondance d’Érasme, vol. II, ep. 368. En 1515, une nouvelle édition de l’Éloge de la Folie sortit des presses de Froben à Bâle, voir Érasme, Moriae Encomivm, p. 44–45. 59 De 1528 au 13.01.1537, Paul Volz avait été le prédicateur attitré des dominicaines observantes du couvent de Saint-Nicolas-aux-Ondes, situé à Strasbourg dans le faubourg de la Krutenau. Ce couvent fut l’un des rares de Strasbourg à ne pas passer à la Réforme et, semble-t-il, les moniales étaient quelque peu réfractaires aux prêches de Volz. Voir cHâtelet-lange, 2001, p. 152 n°12 (le plan Morant est le premier à permettre la localisation du couvent) ; bartHelMé, 1931, p. 164 ; raPP, 1974, p. 142–150, p. 286 et p. 475 ; bornert, 1981, p. 73.
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Vivus ipse sibi hoc Epitaphium scripsit : Volzius hic stultus Paulus jacet Abba sepultus. De son vivant, Volz a écrit sa propre épitaphe : Ci-gît Volz le fol, Paul l’abbé sous le sol60.
Volz le fol, en s’attribuant cette épithète stultus, s’inscrit dans une double tradition commencée avec la Bible61 et le thème de la folie de la Croix, présent chez saint Paul62, et poursuivie par Érasme dans l’Éloge de la Folie, l’autre tradition étant représentée par des contemporains tels Sebastian Brant avec sa Nef des fous63, Thomas Murner et le Contre le fou luthérien64, qui vitupéraient contre les folies humaines65. Paul Volz, l’abbé fin et érudit, qui sait plaisanter et rire de lui-même, montre ainsi que le bilan, au soir de sa vie, est nuancé : il n’aura pas été un sage à la vie réussie, ne serait-ce que parce qu’il connut de sérieux déboires. Mais c’est là aussi, sans doute, son titre de gloire. L’autodérision Plaisante également est la capacité à rire de soi-même, à faire preuve d’humour visà-vis de sa personne66. Érasme en donne l’exemple, en riant de sa mort proclamée par ses détracteurs : Habeo gratiam quod mihi mortuo bene precaris ; relaturus etiam, si quando tu mori voles. Rumores istiusmodi plane rideo. Caeterum ex animo dolet tantum esse maliciae inter Christianos. Je te suis reconnaissant de souhaiter du bien au défunt que je suis : je suis décidé à te rendre la pareille, le jour où tu voudras mourir, toi. Des rumeurs de ce genre me font bien rire. Pour le reste, je déplore du fond du cœur que tant de méchanceté existe entre chrétiens67.
Dans l’exemple qui suit, c’est l’image du vieillard, dont Volz explore tous les défauts, qui lui donne l’occasion de se railler lui-même (bien qu’il n’épargne pas Rhenanus au passage) : 60
Lettre Johann Lenglin à Paul Fagius, Strasbourg, 10.06.1544, [TB 15 (BNUS, Ms 674) p. 64– 65]. 61 Le livre de l’Ecclesiaste mêle dès le chap. 1 sagesse et folie : Qo 1,17 ; 2,3, 12–16, 19 ; etc. 10,13–15. 62 Voir 1 Co 1,18, 23, 27 ainsi que 1 Co 4,10. 63 Sebastian Brant, Das Narrenschiff, Johann Bergmann von Olpe, Bâle, 11 février 1494 [Basel, UB, Ai II 22]. Cet exemplaire a été numérisé : http://www.e-rara.ch/bau_1/content/titleinfo/1399131 (lien vérifié le 13.06.2016). On peut consulter également la première édition latine, Stultifera nauis, parue chez le même imprimeur le 1er août 1497 [Mulhouse, Coll. A. Weiss, S.I.M., dépôt BM, 2625]. 64 Thomas Murner, Von dem grossen Lutherischen Narren, Johann Grüninger, Strasbourg, 19 décembre 1522 (VD16, M 7088). 65 Nous suivons ici la mise en contexte de l’épitaphe de Volz procurée par Hillenbrand, 1996, p. 5–7. 66 J.-C. Margolin a mis en avant cet aspect chez Érasme : « Le rire érasmien (…), modéré, sélectif, critique, est le rire de l’intelligence enjouée, de l’intelligence qui ne se prend pas trop au sérieux » (Margolin 1998, p. 14–15). 67 Lettre Érasme à Paul Volz, Bâle, 25.11.1524, Correspondance d’Érasme, vol. V, ep. 1518.
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Sandrine de Raguenel (2) Tu licet vsque sileas / & magis mutus sis quam piscis / ego tamen senum more loquatior / dicam quę novi / securus quod per te nemo resciscat. (2) Bien que toi tu gardes toujours le silence et sois plus muet qu’un poisson, moi cependant, qui suis plus bavard selon l’usage chez les vieillards, je dirai ce que je sais, sûr que par toi personne ne viendrait à le savoir68.
Ainsi, l’image du poisson muet, appliquée au jeune homme qu’est censé être, de façon implicite, Beatus Rhenanus, s’oppose à la figure du vieillard bavard Volz : le couple antithétique senex, adulescens fonctionne ici à merveille. Un peu moins d’un an plus tard, au moment où Volz est démis de sa fonction de prédicateur, lorsque, définitivement, il refusa de signer la Concorde de Wittenberg, la représentation du vieillard réapparaît : (4) Cęterum mi Beate / nostin me factum militem emeritum? (5) Ad Xiij Januarij pręsentis Anni Silentium mihi indictum est / ne scilicet in posterum ad populum declamem. (4) D’ailleurs, mon cher Beatus, sais-tu que je suis devenu un soldat à la retraite ? (5) A compter du 13 janvier de l’année en cours le silence m’a été imposé afin qu’assurément je ne prêche plus à l’avenir devant le peuple69.
Paul Volz, par l’interrogation comique connotée d’affection (« mi Beate »), fait surgir le personnage du soldat retraité, le miles emeritus, digne de prendre place dans les types comiques, pour le représenter, lui, l’abbé et le prédicateur, le fin lettré. Mais au-delà de l’image plaisante, c’est avec l’Enchiridion militis christiani d’Érasme qu’il faut faire le lien : le chrétien est un soldat et sa lutte, un véritable combat spirituel. Les prêches seraient donc son arme. En arrière-plan, l’amertume jaillit de l’association de ces deux termes, amertume liée à sa situation de prédicateur déchu. Volz appartient manifestement à cette catégorie de personnes qui savent rire d’elles-mêmes, qui ne se prennent pas au sérieux. L’un des ressorts comiques employés consiste en des allusions récurrentes à sa vieillesse et à sa santé physique, destinées à provoquer le (sou)rire chez le destinataire de la lettre. La ridiculisation d’un défaut-type J.-C. Margolin a étudié l’un des procédés utilisés par Érasme, qui consiste à faire naître le rire ou le sourire par le sarcasme dirigé contre un défaut typique et incarné dans une personne : Il faut à présent distinguer la double face, positive et négative, du rire, que l’humaniste a expérimentée, […] : le rire avec, c’est-à-dire le rire de connivence et de clin d’œil, avec des amis ou des lecteurs capables et désireux de le suivre dans ses jugements et dans ses propos ; et le rire contre, parcourant toute la gamme allant de la légère moquerie à la dénonciation véhémente, et souvent caricaturale, d’un adversaire ou d’un ennemi ridicule ou que l’on veut ridiculiser, et dont on espère que ses amis ou ses lecteurs privilégiés partageront ses propres vues. 68
Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 01.03.1536 [BHS, CBR 207 ; H 293 ; Lettre VIII (2)]. 69 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 26.01.1537 [BHS, CBR 195 ; H 310 ; Lettre XI (4–5)].
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Et de poursuivre : Le rire de sympathie (au sens propre), qui veut entraîner la complicité joyeuse et riante du groupe d’amis, des auditeurs, des lecteurs […], peut avoir plusieurs objectifs : si, dans la moquerie et l’étalage des défauts mis en avant – l’amour d’un vieillard pour une jeunesse, l’accumulation de pièces d’or à la veille de sa mort, le pédantisme de grammairiens ignares, […] etc. –, sa volonté de rire avec nous implique de notre part une complicité plus ou moins active dans le « rire contre » tous ceux qu’il a satirisés70.
Si l’intention de Paul Volz est moins manifeste, il n’en est pas moins vrai qu’il emploie le même procédé, à savoir la ridiculisation d’un défaut-type. Sapidus en est la cible privilégiée mais un autre exemple a également attiré notre attention. C’est tout d’abord au « pédantisme des grammairiens ignares » que notre épistolier s’en prend, en décembre 1536, dans sa lettre en forme de tombeau d’Érasme qu’il adresse à Rhenanus : (12) Stulte igitur & arroganter Rhemnius Palæmon iactitare solebat, secum & natas & morituras literas. (13) Quasi non & ante & post ipsum fuissent & futuri essent uiri in omni disciplinarum genere literatissimi, qualis absque controuersia & Erasmus noster nostro seculo græcis ac latinis literis ita excelluit, ut ei parem ægre dare possis. (12) C’est par conséquent avec sottise et arrogance que Remmius Palaemon se targuait ouvertement de ce qu’avec lui les lettres étaient nées et qu’elles mourraient. (13) Comme si, avant lui, n’avaient pas existé et que, après lui, n’existeraient plus des hommes très versés en tout genre de discipline, tel que, sans discussion, le fut notre Érasme : celui-ci, en notre temps, l’emporta dans la connaissance de la littérature grecque et latine de sorte qu’on pourrait difficilement lui trouver son égal71.
La figure du grammairien Quintus Remmius Palaemon72 est fortement antithétique de celle d’Érasme. Quintilien le place parmi les grammairiens compétents de son temps73. Suétone est sans doute le plus prolixe à son sujet : Palaemon connut les principats de Tibère et Claude ; d’esclave, il fut affranchi et devint un grammairien et un professeur célèbre, capable d’improviser des poèmes. Homme aux mœurs dépravées, il était célèbre pour sa superbe : Adrogantia fuit tanta ut M. Varronem porcum adpellaret, se cum et natas et morituras litteras iactaret. Son arrogance fut si grande qu’il traitait Varron de porc et proclamait qu’avec lui les lettres étaient nées et mourraient74.
La source de notre épistolier est, sans conteste, le récit de Suétone, à qui Volz emprunte les derniers mots, en substituant au verbe simple iactare le fréquentatif correspondant iactitare. De Suétone, il ne retient que l’aspect négatif : les adverbes stulte et arroganter, placés en tête de phrase, nous rendent d’emblée le grammairien 70 71 72 73 74
Margolin 1998, p. 20 et p. 22–23. Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 01.12.1536 [BHS, K 993i, p. 93–95 ; H 307 ; Lettre X (12–13)]. Sur Quintus Remmius Palaemon, voir Dictionnaire de l’Antiquité, s. v. Palaemon, p. 712–713 et reynolds & wilson, 1984, p. 19. Quint., inst., I, 4, 20. Voir également Juv., sat., VI, v. 451 et VII, v. 215 et 219. Suet., gram., XXIII, 2–4 ; Mart., epigram., II, 86, v. 11. La traduction est la nôtre.
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antipathique. Érasme a contrario est donné comme un modèle d’excellence avec le verbe excelluit et la subordonnée consécutive ut ei parem aegre dare possis. Remmius Palaemon sert ici de contrepoint pour mieux louer l’humaniste. Le type « grammairien pédant » est raillé par le biais d’une personnalité ayant réellement existé, Remmius Palaemon, et fournit une antithèse parfaite au personnage d’Érasme, qu’il s’agit de porter aux nues dans l’éloge funèbre que Volz lui adresse. Mais venons-en à Sapidus. En 1542, Volz malmène Sapidus, âgé alors de cinquante-deux ans, qui pavoise avec, à son bras, une femme assez jeune, semble-t-il : (8) De Sapido nihil scribo / cum istic fuerit ipse cum sua Drusilla / cuius non est similis alia. (9) Jta scilicet senilis venus ard&. (8) Sur Sapidus je n’écris rien puisqu’il se trouvait à Sélestat avec sa Drusilla, qui ne ressemble à aucune autre. (9) C’est sans doute ainsi que brûle une sénile passion [!]75
Il faut rapprocher le passage en (9) de ce vers d’Ovide : turpe senilis amor (« Honte au vieillard amoureux ! »)76. Cette réminiscence, inscrite dans le texte de Volz, renvoie au thème du Coniugium impar, de l’union mal assortie, que l’on rencontre chez Érasme dans l’Éloge de la Folie : Tous ces vieillards aussi âgés que Nestor que vous voyez partout, ayant perdu toute forme humaine, balbutiant, radotant, édentés, chenus, chauves ou, pour mieux les décrire avec les mots d’Aristophane, malpropres, voûtés, misérables, décrépits, sans cheveux ni dents ni sexe, c’est un effet de ma générosité s’ils prennent un tel plaisir à la vie, s’ils font tout pour se rajeunir ; l’un teint ses cheveux blancs, l’autre cache sa calvitie sous une perruque, celui-ci se sert de ses dents, peut-être empruntées à un pourceau, celui-là se meurt d’amour pour une pucelle et surpasse même en inepties amoureuses n’importe quel jeunet. On voit des moribonds qui ont déjà un pied dans la tombe épouser un tendron, même sans dot et qui servira à d’autres ; le cas est si fréquent qu’on s’en fait presque gloire77.
Sapidus est, ici, ridiculisé d’oser à son âge se montrer avec une jeune beauté et son « cas » est érigé en type, contre lequel s’élève Paul Volz. Au reste, les histoires d’amour à répétition de l’ami Sapidus sont depuis longtemps montrées du doigt par l’austère abbé. L’art de la mise en scène Certains passages de nos lettres laissent à voir une véritable dimension théâtrale. Nous avons l’exemple d’un exorde où le jeu des pronoms et des adverbes introduit une distanciation comique entre l’épistolier et le personnage Paul Volz, en passant de la première personne du singulier à la deuxième.
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Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 08.09.1542 [BHS, CBR 208 ; H 361 ; Lettre XXII (8–9)]. 76 Ov., am., 1, 9, 4. Le v. 3 dit : Quae bello est habilis, ueneri quoque conuenit aetas. / « L’âge propre à la guerre est aussi celui qui convient à l’amour ». Le syntagme ueneri aetas utilise uenus dans le même sens que notre texte. 77 Érasme, Éloge de la Folie, p. 83–84.
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(2) Destinaram equidem istuc ascendere mi Beate / sed tandem subijt ac impedijt cogitatio hęc. (3) Tun senex / debilis / pauper ascendes / dum Battus ille tuus iuuenior / fortior / diuitiorque / ne vnquam quidem huc descendit ? Je m’étais résolu à monter te voir, mon cher Beatus, mais en fin de compte cette réflexion m’est venue et m’en a empêché. Toi, vieux, malade et pauvre, tu monteras quand ton très cher Batt, plus jeune, plus vigoureux et plus riche, n’est même pas descendu une fois jusqu’ici ?78
Il s’agit là d’une mise en scène en bonne et due forme, où Volz se livre à un monologue intérieur par le truchement de la lettre. L’opposition entre les deux personnages, Volz (représenté par « tu ») et Rhenanus (représenté par ille), est patente dans les termes : la série des trois adjectifs senex / debilis / pauper forme antithèse avec les trois comparatifs iuuenior / fortior / diuitior. Les mouvements des personnages contrastent également : ascendes / descendit. Cet exorde renvoie à l’opposition de deux personnages-types de la comédie latine, le senex et l’adulescens, que nous avions évoquée plus haut. Le même jeu de mise en scène est manifeste en deux endroits, où l’épistolier se représente Rhenanus riant à ses lettres. Le contexte, en effet, prête à rire et la représentation théâtrale est rendue lisible dans l’emploi de l’interrogation directe : (13) … reddoque / vt dicitur / vaccas tuas tibi mi Batte, (14) Quid rides? (13) […] Je te rends, comme on dit, tes vaches, mon cher Batt. (14) De quoi ris-tu ?79
Notre seconde occurrence fait certainement référence à une sympathique moquerie que Rhenanus dut adresser à Volz, suite à ses nombreuses plaintes valétudinaires. (16) Nunc paranda mihi sunt Arma mi Beate / quando Martius Annosis subit insidiator & hostis. (17) Tu fer Suppetias. (18) Jterum rides ? (16) Maintenant il me faut préparer mes armes, mon cher Beatus, car Mars s’approche de ceux qui sont chargés d’années, en traître et en ennemi. (17) Toi, porte-moi secours. (18) Tu souris à nouveau ?80
Paul Volz dresse son portrait de vieillard armé contre un mois de mars rigoureux. La combinaison de l’expression ferre suppetias à l’impératif, suivie de l’interrogation directe, constitue le support textuel d’un véritable comique de scène. Des références communes comiques et satiriques Tout d’abord, il est à noter que Volz ne dédaigne pas d’opérer quelques incursions au sein de la langue comique, comme l’atteste le lexique : homuntio81, et la construc78
Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, (Strasbourg), 16.08.1540 [BHS, CBR 209 ; H 339 ; Lettre XV (2–3)]. 79 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, (Strasbourg), (16).01.1541 [BHS, CBR 196 ; H 348 ; Lettre XIX (13–14)]. 80 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 11.02.1541 [BHS, CBR 197 ; H 350 ; Lettre XXI (16–18)]. 81 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 01.03.1536 [BHS, CBR 207 ; H 293 ; Lettre VIII (7)]. La forme homuncio se trouve chez Térence (Ter., Eun., v. 591) et, par la suite, chez Sénèque, Pétrone, Juvénal, Apulée et saint Augustin (la recherche a été menée par la Library of Latin Texts-A).
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tion : ferre suppetias alicui que l’on rencontre chez Plaute82. L’on note aussi la forme nostin pour nostine, l’apocope étant récurrente chez Térence83. Il faut peutêtre indiquer comme trait archaïsant l’emploi de l’adjectif verbal en -undus plutôt qu’en -endus84. Par ailleurs, l’un des moyens de faire naître la connivence avec son destinataire érudit repose sur le souvenir explicite ou implicite de tel ou tel passage tiré des auteurs comiques ou satiriques de l’Antiquité85. Elle suppose ce que nous appelons un « patrimoine culturel commun », qui entraîne la complicité de l’épistolier et de son destinataire. La plupart du temps, ces citations sont mises au service d’une dénonciation violente. Volz rapporte à Rhenanus dans une lettre de 1522 une rumeur selon laquelle les Paraphrases d’Érasme auraient été brûlées par les théologiens de Louvain (Magistri nostri Louanienses). À cette occasion, Volz expose l’affection, voire le culte qu’il voue à Érasme et en profite pour élever le débat : (4) … Sed liuore id egerunt / si tamen egerunt / non iudicio / quando quidem ab antiquo veritas odium parere solet mendacijs assuetis. (4) […] Mais c’est la jalousie qui les a poussés à agir ainsi, si tant est qu’ils l’ont fait, non la réflexion, puisqu’en réalité, d’après un Ancien, la vérité engendre d’ordinaire la haine chez ceux qui ont pour habitude de mentir86.
Le segment veritas odium parere solet trouve son origine dans un vers de Térence : Obsequium amicos, ueritas odium parit. C’est la complaisance qui procure des amis, et la vérité des haines87.
Ce vers fait l’objet d’un adage d’Érasme88 où il montre que ce que dit Térence s’applique à l’amitié commune, vulgaire. Érasme quant à lui fait le lien entre l’amitié véritable et la vérité. Selon son habitude, l’adage est lui-même truffé d’autres adages : Horace, Perse, Térence (mais cette fois dans les Adelphes), Pindare, Agathon via Athénée89. À l’appui de son propos, il invoque Cicéron et son traité sur 82
Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 11.02.1541 [BHS, CBR 197 ; H 350 ; Lettre XXI (17)] : Tu fer Suppetias. Le contexte de cette phrase incite au rapprochement avec le théâtre comique : voir p. ex. Plaut., Mil. glor., v. 1053 et Rud., v. 624. 83 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 26.01.1537 [BHS, CBR 195 ; H 310 ; Lettre XI (4)]. Voir Ter., And., v. 441 ; Heaut., v. 180 et 527 ; Phorm., v. 64 (la recherche a été menée par la Library of Latin Texts-A). 84 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 07.07.1531 [BHS, CBR 215 ; H 280 ; Lettre VII (4) : … omnibus / quę lecturio / coemundis …. L’adjectif verbal en -undus est utilisé aussi bien chez Térence que chez Plaute (la recherche a été menée exclusivement sur cette finale, par la Library of Latin Texts-A). La tendance à utiliser cette finale de l’adjectif verbal dans une volonté archaïsante est présente chez Salluste, cf. p. ex. Sall., De coni. Cat., V, 6 : Lubido maxuma inuaserat rei publicae capiundae. 85 Voir Ménager 1995, p. 175 : « Dès la fin du XVe siècle, les humanistes possèdent des éditions parfois commentées des trois grands satiriques latins : Horace, Perse, Juvénal ». 86 Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Honcourt, 03.09.1522 [BHS, CBR 214 ; H 225 ; Lettre II (4)]. 87 Ter., And., v. 68. 88 Érasme, ad., p. 248, ad. 1853 = 2.9.53. 89 Agathon, poète tragique athénien de la fin du 5ème siècle av. J.-C. ; Athénée, aux alentours de
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l’amitié, le De amicitia, au chapitre 89 où Cicéron justement cite ce même vers de l’Andrienne. Cicéron y souligne en quoi la complaisance envers les vices est un mal bien plus grand encore que la haine issue de la vérité : Molesta veritas, siquidem ex ea nascitur odium, sed obsequium multo molestius. Fâcheuse vérité, si elle engendre la haine, ce poison de l’amitié ; mais la complaisance est bien plus fâcheuse90.
Volz invoque Térence, invoqué par Érasme, invoquant Cicéron qui lui-même invoque Térence. Certes ce vers, souvent cité par hémistiche, était proverbial mais l’érudit qu’était Volz ne pouvait pas ne pas connaître et cet adage et ce traité de Cicéron. Ici en tout cas, Érasme devient le champion de la vérité quand les théologiens de Louvain sont rejetés du côté du mensonge, et donc de la haine de la vérité. Volz, s’appuyant sur l’autorité des Anciens, dénonce la toute-puissance des théologiens, des scolastiques d’une manière générale, en matière de censure, qui, sous prétexte d’orthodoxie, sont en fait simplement jaloux du succès d’Érasme et de sa clairvoyance. C’est également avec un emprunt à Térence que Volz vilipende l’attitude de Sapidus vis-à-vis d’une femme mariée : (12) Correptus est sępe ab amicis et me / Sed surdo fabula narratur. (13) Ea est illegitimi vis amoris. (12) Il a souvent été réprimandé par ses amis et moi ; mais c’est raconter une histoire à un sourd. (13) Voilà la force d’un amour illégitime91.
Là encore, le recours à l’auteur comique92 vise un double but : dénoncer un vice et susciter l’adhésion du destinataire par la référence à une source commune. En décembre 1540, au moment du colloque religieux de Worms93, Volz expose à Rhenanus sa vision pessimiste de la situation : catholiques et protestants sont divisés et ne cherchent pas l’unité. Il annonce à son correspondant la tenue prochaine du troisième grand colloque de religion, à Ratisbonne, en même temps que la diète d’empire convoquée par Charles Quint. (24) At loquantur & colloquantur quomodo libet / tamen dicta est dies ad Augustam Tiberij quam Rastiponam vocant / ibi feretur / puto / prius concępta Sententia / Sic volo / sic iubeo,
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200 ap. J.-C., auteur des Deipnosophistai (« hommes savants dans l’art du banquet »). Cic., Lael., 89. Lettre Paul Volz à Ulrich de Ribeaupierre, Sélestat, 20.01.1525 [ADHR, Extraditions de Munich, 19J96/446 ; Lettre Complémentaire 18 (12–13)]. Ter., heaut., v. 222 : astutus : ne ille hau scit, quam mihi nunc surdo narret fabulam. / « Le malin ! Ah ! il ne sait pas à cette heure comme il débite ses histoires dans l’oreille d’un sourd ! » Les trois colloques religieux de Haguenau, Worms et Ratisbonne des années 1540–1541 avaient pour objectif de trouver un terrain d’entente entre catholiques et protestants, afin d’éviter le schisme en Allemagne. Le colloque de Worms se tint du 25.11.1540 au 18.01.1541, le colloque de Ratisbonne (dans le même temps que la diète) du 05.04. au 29.07.1541. L’on trouvera des éléments sur cette période dans cHaunu & escaMilla 2000, p. 281 sq. et surtout dans antony 2006, p. 313–333 (Nicolas Perrenot de Granvelle était le premier conseiller de l’empereur Charles Quint pendant cette période).
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Sandrine de Raguenel Sit pro ratione Voluntas. (25) Qui huic Voluntati refragabitur / ei & igni et aqua interdictum esto. (26) Jnde iam infesta arma / armorum fragor / turbarum commotio / Germanię vastatio, (24) Mais qu’on palabre et qu’on bavarde à loisir, de toute façon le jour a été pris pour Augusta Tiberii, qu’on appelle Ratisbonne ; c’est là qu’on votera, je pense, cette sentence formulée auparavant : « Ainsi je le veux, ainsi je l’ordonne. Que ma volonté tienne lieu de raison ! »94 (25) Qui s’opposera à cette volonté, qu’il soit interdit de feu et d’eau. (26) C’est de là que viennent les armes hostiles, le fracas des armes, la révolte des foules, la dévastation de la Germanie95.
Le vers de Juvénal permet à Volz d’introduire un tableau noir des conséquences de la division, qui n’est pas sans évoquer le chaos des guerres de religion en France (fragor / commotio / vastatio), ainsi que nous l’avions mentionné plus haut. On imagine aisément le ton plein de colère de ce passionné de la paix qui vitupère en empruntant les termes du satiriste. La citation devient encore plus savoureuse si l’on se souvient de la Satire 6 d’où est tiré ce vers : Juvénal y montre en quoi le mariage avec une femme que l’on n’aime pas peut être nuisible. La femme y est autoritaire, sans cœur, et c’est elle qui prononce ces paroles, à la suite de la condamnation d’un esclave qui n’a commis aucun crime. Charles Quint serait-il implicitement comparé à une femme autoritaire (et sanguinaire) ? Le ton se fait ici ironique et douloureux. À l’issue de ce tour d’horizon se pose la question des influences réciproques entre Érasme et Volz. Voilà un exercice périlleux pour lequel nous ne possédons que peu d’éléments probants. Néanmoins, il est certain qu’il existait une communauté d’esprit entre ces deux personnages ainsi qu’une mutuelle admiration96. La sodalitas literaria de Sélestat, à laquelle appartenait Paul Volz, entretenait des liens étroits avec le cercle réuni autour d’Érasme à Bâle : nous en voulons pour preuve le fait que, de manière très habituelle, les ouvrages sortis des presses de Froben, sous la houlette d’Érasme lui-même, étaient rapidement connus à Sélestat, les humanistes profitant des voyages des uns et des autres97. Paul Volz a certainement pris connaissance du De conscribendis epistolis dès sa parution. Les lettres d’Érasme circulaient au sein des sociétés littéraires, les lettres de Volz étaient connues d’Érasme, d’une part parce qu’ils se sont écrits dès l’année 1515, d’autre part parce que Rhenanus, destinataire de Volz, vivait aux côtés d’Érasme98. Ils ont pu, à n’en pas dou-
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Juv., sat., VI, v. 223. Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 24.12.1540 [BHS, CBR 199 ; H 346 ; Lettre XVIII (24–26)]. Érasme adressa l’épître dédicatoire de la seconde édition de l’Enchiridion militis christiani en 1518 à Paul Volz : ce dernier fait l’objet de l’éloge d’Érasme qui le désigne comme pius et doctus, voir ED Érasme à Paul Volz, Bâle, 14.08.1518, Correspondance d’Érasme, vol. III, ep. 858. La lettre où l’estime de Volz pour Érasme est la plus visible est celle en forme de tombeau, écrite quelques mois après sa mort, voir Lettre Paul Volz à Beatus Rhenanus, Strasbourg, 01.12.1536 [BHS, K 993i, p. 93–95 ; H 307 ; Lettre X]. Sur la société littéraire de Sélestat, voir raguenel 2011, vol. III, p. 115 sq. et la lettre citée plus haut des trois amis, Sapidus, Volz et Wimpfeling se délectant de la lecture de l’Éloge de la folie, qui venait d’être réédité par Froben. Sur la circulation des lettres, voir raguenel 2011, vol. III, p. 9 sq.
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ter, apprécier leur style épistolaire et, dans une certaine mesure, s’influencer réciproquement. Quoi qu’il en soit, l’humaniste hollandais est, dans le même temps, héritier d’une longue tradition épistolaire, commencée dans l’Antiquité, et novateur, car c’est à lui que revient le mérite d’avoir théorisé la lettre familière et ses modalités d’écriture. Il a fourni à son temps un cadre théorique suffisamment souple pour laisser libre cours à l’inspiration de chacun, agrémenté d’exemples pris soit dans la tradition soit dans ses propres lettres. Quant à l’érudit abbé de Honcourt, épistolier dès avant la parution du De conscribendis epistolis, il est l’un de ceux qui prirent part au vaste réseau des relations épistolaires humanistes, en développant sa propre façon d’écrire ainsi que ses propres thèmes et motifs. L’aspect plaisant de nos lettres n’est pas une nouveauté. Volz n’innove pas, l’humaniste n’a pas inventé la plaisanterie épistolaire. En revanche, il est un représentant de la mise en œuvre du style iocosus, préconisé par Érasme. La flexibilité des définitions érasmiennes permettait à chacun de s’exprimer de façon personnelle, ce que Volz ne manqua pas de faire : la lettre familière, telle qu’elle peut être observée dans le corpus particulier de la correspondance de Volz, n’est pas tant une lettre enjouée de bout en bout qu’une épître savoureuse où s’entremêlent des sujets aussi divers que possible, le tout saupoudré de ce quid iocosum, fait d’érudition réelle, puisée aux meilleures sources de l’Antiquité, et de légèreté. C’est encore à Érasme que nous revenons, lui qui définissait l’epistola iocosa ainsi : Iocosa, qua cuiuspiam animum festiua vrbanitate delectamus. La lettre plaisante, par laquelle nous charmons l’esprit de quelqu’un avec une verve de bon ton99.
Cette festiua urbanitas, résultat d’une alchimie subtile entre tous les éléments que nous avons mis en exergue, ne serait-elle pas le fil unifiant des lettres humanistes, pour reprendre l’image des pièces cousues entre elles ? Ne serait-elle pas l’âme même de ces lettres, qui aujourd’hui encore amènent non le rire, mais le sourire de connivence, clin d’œil à l’érudit, et qui va souvent jusqu’à la dénonciation ferme, teintée parfois d’une sainte colère, des vices que l’humaniste observe parmi ses contemporains ? Mais, arrivée à la fin de notre propos, il nous faut prendre en compte deux facteurs : d’une part, il convient de se souvenir de la personnalité de nos correspondants. Beatus Rhenanus est un intellectuel brillant mais très peu intéressé par le devant de la scène, qu’il laisse volontiers à Érasme ; Paul Volz, lui, le savant abbé, savoure la solitude de sa bibliothèque. D’après ce que l’on sait de lui, Volz ne fut pas un passeur de texte, comme purent l’être un Érasme, un Conrad Leontorius100 ou encore Beatus Rhenanus lui-même. L’on note cependant un ouvrage à son actif, la Chronique de Schuttern, son abbaye d’origine101. Volz n’a jamais cherché à faire 99 Érasme, De conscribendis epistolis, p. 312. 100 Konrad Töritz de Leonberg (Conradus Leontorius, ca. 1460–1511), humaniste et moine cistercien, éditeur scientifique, notamment, de la Cité de Dieu d’Augustin d’Hippone et des Opera omnia d’Ambroise de Milan, chez Amerbach en 1506. Voir Posset 2005, p. 29–62. 101 La Chronique de Schuttern rapporte l’histoire de l’abbaye de Schuttern, dans l’Ortenau, de sa
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publier sa correspondance, ni Rhenanus d’ailleurs. D’autre part, et il faut le souligner, les lettres qui nous ont été conservées s’échelonnent entre 1522 et 1542, ce qui nous donne vingt années d’amitié épistolaire. Si l’on y ajoute l’épître dédicatoire de Rhenanus à Volz datée de 1516, on porte le nombre à vingt-six ans102. Une telle longévité ne peut être que saluée. Et peut-être, – c’est là notre hypothèse –, le granum salis introduit dans les lettres est-il le ferment de cette amitié et son secret de jouvence, jamais ennuyeuse, toujours agréable. Cicéron écrivait déjà, dans son De amicitia, que, sur la route du souverain bien, l’amitié (la societas, c’est-à-dire l’association des hommes entre eux) a été donnée aux hommes par la nature afin de parvenir, en s’aidant mutuellement, à la virtus : Haec est … societas, in qua omnia insunt, quae putant homines expetenda, honestas, gloria, tranquillitas animi atque iucunditas, ut et, cum haec adsint, beata uita sit et sine his esse non possit. C’est là … l’union qui renferme tous les biens que l’homme juge dignes d’être recherchés, honneur, gloire, tranquillité de l’âme et agrément, et dont la présence assure le bonheur et l’absence l’interdit103.
La « societas » détient en son sein quatre trésors : honestas (honneur), gloria (gloire), tranquillitas animi (tranquillité de l’âme), iucunditas (agrément). C’est le quatrième bien qui nous intéresse ici : la iucunditas, dont l’expression, la traduction textuelle se trouvent être précisément ce quid iocosum, ce « quelque chose de plaisant » disséminé tout au long des lettres. BIBLIOGRAPHIE Éditions et traductions modernes des sources du XVIe siècle allen 1906–1958 = P. S. allen et al., Opus epistolarum Des. Erasm Roterodami denuo recognitum et auctum, vol. 1–12, Oxford, 1906–1958. Érasme, ADAGIORVM CHILIAS SECVNDA, PARS ALTERA, F. HeiniMann & E. kienzle (edd.), ASD 2.4, 1987 (tous les adages d’Érasme sont réunis dans la série 2 de cette édition). Érasme, De conscribendis epistolis, J.-C. Margolin (ed.), ASD 1.2, 1971, p. 153–579. Érasme, Éloge de la Folie et autres écrits (Folio classique, 5059), J.-C. Margolin (ed.), Paris, 2010. Érasme, MORIAE ENCOMIVM ID EST STVLTITIAE LAVS, C. H. Miller (ed.), ASD 4.3, 1979. gerlo & Foriers 1967–1984 = A. gerlo & P. Foriers (dir.), La Correspondance d’Érasme : trad. et annotée d’après l’Opus epistolarum de P. S. Allen, vol. 1–12, Bruxelles, 1967–1984. H = Briefwechsel des Beatus Rhenanus, A. Horawitz & K. HartFelder (edd.), Niewkoop, 1966 (fac-similé de l’éd. Teubner, Leipzig, 1886). Hirstein 2013 = J. Hirstein, La Correspondance latine et grecque de Beatus Rhenanus de Sélestat. édition critique raisonée, avec introduction et commentaire, edité par James Hirstein avec la collaboration de Jean Boës et al., Turnhout 2013. fondation à l’année 1491, au moment de l’accession à la charge d’abbé de Johann Widel. L’ouvrage témoigne d’un grand souci de rassembler les sources disponibles et de les exploiter. Le texte a fait l’objet d’une édition moderne : Mone, 1863, p. 41–132 et p. 666–680. 102 ED Beatus Rhenanus à Paul Volz, Bâle, 08.09.1516, in Hirstein, vol. 1, ep. 82. 103 Cic., Lael., 84.
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SAL HORATIANUS ET COMMENTAIRES HUMANISTES, DE LANDINO À DANIEL HEINSIUS Bernard Stenuit Dans les Satires, à côté de portraits et de scènes ironiques, Horace, s’interrogeant sur ce genre littéraire, recourt à des termes précis que la critique actuelle a relevés et soulignés. De Lucilius, son devancier, la phrase fameuse : sale multo / urbem defricuit (Sat. I 10, 3–4) ; quant à Bion de Borysthène, auteur de diatribes, il usa de sale nigro (Epît. II 2, 60). Ce sel antique est comparable au vinaigre d’Italie (Italo aceto Sat. I 7, 32, cf. 28 salso). L’esprit satirique est facetus, dicax (Horace n’emploie pas dicacitas), expression de la libertas. Horace semble préférer le ridiculum, « plaisanterie », à l’acer, « âpre » (Sat. I 10, 14 trad. Villeneuve). L’auteur est parfois tristis, « âpre », et plus souvent iocosus, « enjoué » (Sat. I 10, 11 trad. Villeneuve), car le poète se doit d’être comis et urbanus (Horace n’emploie pas urbanitas). Ces termes sont déjà dans le passage fameux de ridiculis de Cicéron (De or. II 216–290), qui utilise d’autres mots encore, tel ironia, absent chez Horace. TITRE Une première question posée à la trentaine d’humanistes que nous avons interrogés1, de Landino à la fin du XVe siècle à Daniel Heinsius au début du XVIIe : ces mots précis sont-ils mis en valeur ? Tout d’abord, le titre du recueil des Satires, dont on ne peut pas affirmer sans nuance qu’il est d’Horace ; ce dernier emploie sermo qui peut désigner, dans les Satires aussi, autre chose que le genre satirique. Satura est employé deux fois, mais la tradition ms. n’est pas univoque2. Nos commentateurs humanistes ont tendance à employer satyra pour le titre de chaque satire (avec y, car, jusqu’à Casaubon 1605, qui va les distinguer, on fait dériver la satire du drame satyrique et des divinités champêtres), et sermones pour l’ensemble d’un livre. Bade (Jodocus Badius Ascensius), qui adopte cette tendance, remarque toutefois qu’Horace préférait sermo à satyra, pour éviter le reproche d’acerbitas encouru 1 2
Voir, en fin d’article : Éditions et commentaires ; Études humanistes. Sat. II 1, 1 ; 6, 17. D’après l’a.c. de bo (Turin, Paravia, 1959) : satur- R (ms. du IXe s.), Porph. ad Sat. I 1, 1, edd. recentissimi : satyr-, satir- cett., edd. plerique. L’a.c. de VilleneuVe (Paris, Les Belles Lettres, 1932) est semblable, mais Sat. II 6, 17 satur- Paris. 8214 (ms. du XIe s.). L’a.c. de klingner (Berlin, De Gruyter, 2008 = 31959) ne signale rien. Les éd. humanistes ont satyr-. Toutefois, Torrentius, introduisant les Satires, écrit : satyrae siue saturae (ut in uetustis fere exemplaribus legitur) ; son éd. d’Horace était terminée au tout début des années 1580 (OttaViani 1998, p. 486) ; il meurt en 1595 et son éd. paraît en 1608. Isaac Casaubon préfère satira, sans ignorer satura, qu’il distingue de satyra.
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Bernard Stenuit
par Lucilius, les satyres n’étant pas des êtres très présentables (f. 167 v°–168 r°). Les explications des titres sermones et satyra se ressemblent d’un humaniste à l’autre. Lambin et Torrentius : satyrae dans les deux cas, mais sermones parfois dans leurs commentaires. Chez Cruquius, le titre de chacun des deux livres est satyrae et, pour chaque pièce, ecloga (d’après trois Blandin., selon le début du commentaire ad Sat. I 1) ; sermones apparaît aussi dans son commentaire. GENRE LITTÉRAIRE L’explication du titre mène à celle du genre satirique, généralement au début du recueil. La confusion que nous venons de souligner dans la graphie (satyra au lieu de satura) et dans la filiation de la satire est constante. Un seul exemple : Bade, rédigeant des Praenotamenta quaedam au début du commentaire des Satires (f. 167 v°–168 r°), explique qu’à l’origine de la tragédie, il y a le sacrifice d’un bouc à Bacchus (tragos en grec) ; vinrent ensuite la comédie et enfin la satyra : introduxerunt nonnulli Satyros qui secundum eos sunt dei syluestres petulantia et obscoenitate gaudentes … ; Bade poursuit : les excès poussèrent les Grecs à promulguer une loi interdisant les écrits qui attaquaient un homme vivant ; Bade évoque les comédies ancienne et nouvelle (Aristophane et d’autres ; Ménandre), Plaute et Térence, enfin Lucilius. Il utilise plusieurs des termes précis d’Horace, que nous relevions au début. Il fait aussi un rapprochement avec son temps ; il vaut la peine de le souligner, car, aussi bien dans les notes de détail (ce qui peut se justifier) que dans les introductions (qui en donnaient l’occasion), nos commentateurs humanistes sont généralement silencieux sur la production satirique, abondante, de leur époque et qui se réclame des Anciens : Sicut enim nostro tempore [je souligne] ludis ioculariis aut moralibus qui timent reprehendi si liberius loquantur … Un des moins loquaces sur la satire est Henri II Estienne. Dans ses Diatribae placées à la suite de son édition d’Horace, il ne discute que du titre (précisant que satyrae et semones sont dans Horace, et non eclogae), mais ne traite ni du contenu, ni du genre, ni des termes précis d’Horace (Diatribae I 1, p. 28–31) ; nous n’avons rien trouvé dans les autres diatribes d’Estienne. Les autres commentateurs, eux aussi, semblent réservés. Toutefois, Lambin (mais il n’est pas le seul) emploie régulièrement dans son commentaire urbane et facete, urbanissime et facetissime, termes qui nous paraissent appropriés, soulignant la retenue de l’humour d’Horace ; ce dernier emploie d’ailleurs facetus dans un contexte parfois satirique, proche d’urbanus dans le sens de spirituel, jusqu’à l’irrespect, mais raffiné. Robortello, dans sa paraphrase de l’AP, consacre quelques pages à la satire (satyra) et au reproche fait à Horace d’être nimis acer : c’est à cause des satyres, personnages mordants et irrespectueux, plaide-t-il, avant de souligner que Varron, lui, écrivait lepide (p. 26) ; un peu plus loin, traitant De salibus (p. 39–44), il renvoie au second livre du De oratore de Cicéron, en insistant sur le fait que suauis oratio fit salibus ac facetiis, mais, dans ces pages, il n’est pas question d’Horace alors que le livre lui est consacré.
Sal Horatianus et commentaires humanistes, de Landino à Daniel Heinsius
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Même si certains termes précis sont absents, les Satires sont commentées comme les autres recueils, ce qui favorisait une lecture attentive et parfois critique : tollere (Sat. I 4, 11), ambigu encore aujourd’hui, signifie « enlever, supprimer » (négatif) ou « recueillir, emporter » (positif). Bade préfère le premier sens, le second ne lui échappant certes pas : Tollere (e)n(im) plura significat … secum portare … auferre et deponere (f. 188 r°) ; en Sat. I 10, 51, Bade donne également le premier sens d’enlever à tollenda (avec renvoi à I 4, 11) et à relinquendis, ce que la syntaxe rend impossible (f. 209 r°). Lambin (ad I 4, 11) choisit, sans doute plus justement, le second sens ; il recourt à des textes parallèles, dont I 10, 51 qui, dit-il, interdit le premier sens. De telles notes gardent leur valeur critique. D’autres sont banales, comme celle, terre à terre, de sale multo (Sat. I 10, 3) due à Landin qui n’évoque aucun autre texte d’Horace. Pour le même passage, Torrentius renvoie à Italo aceto de I 7, 32 (qu’il ne commente pas), à Quintilien VI et Turnèbe [Adversaria] XV 19. CASAUBON Les philologues humanistes semblent donc réservés lorsqu’ils commentent l’esprit proprement satirique. Toutefois, au début du XVIIe siècle, un changement s’opère, d’abord avec Casaubon en 1605, qui traite de la satire dans l’Antiquité classique ; c’est lui qui distingue la satire (écrite satira) du drame satyrique. Le l. II de Casaubon, entièrement consacré à la satire romaine, contient plusieurs pages sur Horace : ce dernier est supérieur à Lucilius pour la forme (Satiram politiorem fecit, ii 3, p. 289–290) ; le but d’Horace était double, se moquer et pousser à la vertu : aliae [satirae] ad notandos, ridendos, interdum et acrius increpandos uitiosos compositae : aliae ad praecipiendum de uirtute, et eius amorem insinuandum (ibid.). Horace, cependant, est inférieur à Perse et Juvénal : quantumuis sermoni propinquae, et saepe, quod ipse [Horace] fatetur, humi repentes : at Persii et Iuuenalis Satirae eo iustius, melius, nobilius poema sunt (II 5, p. 356) ; ce jugement est extrait d’un chapitre entièrement consacré à la question de savoir an satira sit poema et an sit iustum poema. JULES-CÉSAR SCALIGER La supériorité de Juvénal sur Horace avait été affirmée en 1561, avec âpreté, par Jules-César Scaliger (qui admire les Odes) dans ses Poetices libri septem3 (VI 7, p. 872) : Horatius autem pauca horum [i.e. des Sat. de Juvénal] similia ... nullo modo risus moueatur [... Iuuenalem] tanto anteponere decet Horatio, quanto melior Horatius Lucilio iudicatur. Si neque argumentorum uarietate par est illi Horatius, neque dexteritate tractandi, neque ubertate inuentionis, neque crebritate sententiarum, neque acrimonia reprehensionis, neque acu3
Sur l’importance d’Horace satirique à la Renaissance et la concurrence de Perse et Juvénal : Debailly 2009, p. 25–48.
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Bernard Stenuit mine dicendi, neque facetiis aut urbanitate : istorum Criticorum uel ineptum uel malignum, uel factiosum iudicium deprehendetur ... simplex esse debet et unum [simplex dumtaxat et unum, AP 23] : neque in Satyris, neque in Epistolis, at ne in Poetica quidem, in qua hoc ipsum praecipit, obseruauit.
DANIEL HEINSIUS Daniel Heinsius ajoute à son édition annotée d’Horace en 1612 un De Satyra Horatiana Liber, 174 p. in–8°. Il exclut tout d’abord que la satire romaine (il écrit satyra) ne puisse pas dériver du drame satyrique (contra Casaubon, non nommé : nuperrime uir incomparabilis, p. 16) ; il s’appuie entre autres sur AP 220–221, mal interprété à l’époque. Il veut montrer des qualités de style que J.-C. Scaliger, qu’il nomme, n’a pas vues, qualités telles que l’effet voulu par Horace est atteint : Tota enim oratio faceta dicax est ac cauillum sapit (p. 10) ; certains vers ont un accent héroïque, d’autres sont dignes d’une comédie (p. 6–16). Mais ce De Satyra Horatiana nous intéresse grandement par le contraste, déjà observé, avec la réserve des commentateurs d’Horace De plus, D. Heinsius a fui sa ville natale de Gand, désormais catholique, comme l’ensemble des Pays-Bas méridionaux, et, depuis 1603, est professeur à Leyde ; dans un milieu réformé, la critique jouit de plus de liberté. Une étude récente a très justement rappelé l’intérêt de ce De Satyra Horatiana4, dont les 174 pages veulent clairement montrer l’intérêt des Satires d’Horace qui, sous une forme familière, sont riches d’enseignement ; Heinsius, qui vient d’éditer (1611) la Poétique d’Aristote, s’inspire de la catharsis qu’il interprète comme une purgation des mœurs (ad purgandos hominum animos, De Sat. Hor. p. 43)5 : la satire est une catharsis. Des passages d’Horace sont amariora (p. 61), mais Perse et Juvénal, à cause de leur âpreté excessive, ne lui sont pas supérieurs : Neque increpant, sed pungunt (p. 57) ; ou encore (p. 100) : Mihi uero Iuuenalis, scriptor optimus et acutissimus, nonnumquam bilem uomere, uidetur. Impotentis autem animi est, uitiis irasci. Certe sapientis, esse non potest.
Si la première moitié du De Satyra Horatiana s’attache à l’esprit satirique, Heinsius, dans la suite, ne perd pas de vue cet aspect, bien que les considérations stylistiques et de philosophie morale – déjà présentes dès le début du traité – l’emportent ensuite. Les auteurs cités par Heinsius sont exclusivement anciens, sans allusion à des écrits contemporains. La censure exercée par l’autorité n’est pas abordée, alors qu’il l’aurait pu (v.g. p. 88 sq., à propos de Sat. II 1). Une bonne partie de l’ouvrage tient en considérations stylistiques et philosophiques ; ce détour est peut-être l’expression d’une réserve, partagée par tous les commentateurs. Son insistance sur la modération d’Horace touche à un aspect essentiel de la satire, de même que son refus réitéré des excès de Perse et Juvénal. Heinsius montre qu’Horace conjugue 4 5
Présentation analytique de T. Burkard, Heinsius’ De Satyra Horatiana Liber von 1612, in LeFèVre & ScHäFer 2008, p. 277–295. En fait, c’est la seconde p. 43, qui devrait être la p. 47, la numérotation ayant repris (p. « 40 » et sq.) après la première p. 43.
Sal Horatianus et commentaires humanistes, de Landino à Daniel Heinsius
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deux choses : la ueritas, quae est anima philosophiae et la libertas, quae praecipua Satyrici est uirtus, dans un climat mêlé d’ urbanitate, sale, lepore, dicacitate et risu, alors que Perse est triste et sévère (p. 137–138). Heinsius apprécie les jugements d’Horace : prudenter eos iudicare dicimus, qui bene iudicant (p. 166). Cicéron déjà condamnait les ioci obsceni (les mimes) ; il faut refuser les asperrimi sales, l’intemperans in notando libertas (p. 173). A coup sûr (c’est mon hypothèse), Heinsius n’aime pas qu’on force le trait satirique. ATTAQUES NOMINATIVES Les attaques nominatives sont très présentes au l. I des Satires6, alors que l’anonymat l’emporte au l. II. Ces attaques nominatives sont un des aspects les plus mordants du genre. Elles peuvent viser des personnes mortes, des contemporains et des pseudonymes. Dès l’Antiquité, on a cherché des identifications. Porphyrion, dans deux passages (ad Sat. I 3, 21 et 90), emploie la même expression : qui de personis Horatianis scripserunt. Nos humanistes se sont-ils penchés sur le problème ? Locher fait une distinction factice : la comédie nouvelle, dont, précise Locher, la satire est proche, s’en prend aux défauts cum denominatione personarum ; à la ligne suivante, passant à la satyra, il écrit cependant : in hexametros assurgit : libertate simplex. Neque enim personas aperte nominat (f. 121 r°) ; non : Horace vise parfois aperte. Glareanus (1548) aura une remarque beaucoup plus juste (Dédicace f. nc [III]) : In Satyris allusiones difficultatem faciunt, quae, si liber de personis Horatianis extaret, cuius mentionem libro I. Semonum Satyra 3. Porphyrion facit, hodie prorsus nullae essent. Tempore enim Horatii, quos pungit ac satyrice perstringit, ii omnibus erant noti. Quare hoc quoque in luculentissimum authorem commentum est friuolum.
Estienne paraît réticent aux identifications. Dans sa 1ère édition d’Horace (env. 1575), il consacre quelques pages d’une diatribe (= éd. 15882, I 4, p. 74–80) aux destinataires des Odes : timidior esse quam audacior malui, car sait-on plus que les allusions d’Horace lui-même (Estienne s’interroge ici sur l’identité du Virgile, destinataire de l’ode IV 12) ? Dans la deuxième édition (1588), il revient sur le sujet, pour les Satires et les autres recueils (Diatribae II 3, p. 140–147). Il a raison d’examiner d’abord les problèmes de graphie (ad Sat. I 1, 95), depuis longtemps fantaisiste, et de se méfier des titres, ajoutés par les copistes. La question n’a tout de même pas l’air de le tenter, ce que confirme, dans son édition d’Horace, l’absence de notes marginales sur les personnages attaqués (par exemple dans Sat. I 3 et 6). Pour les gens célèbres, les recherches sont inutiles. Et il continue : outre la critique des mss, il faut examiner le témoignage des grammairiens, le contexte, l’intertexte d’Horace, l’origine grecque de certains noms de personnes. Mais Estienne se préoccupe de graphies et pense revenir sur le sujet (p. 147). Nous avons choisi de consulter les commentaires humanistes sur un échantillon d’attaques nominatives, celles, bien représentées, contenues dans les satires I 3 et 6 6
RoMano 1996, p. 610–618.
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Bernard Stenuit
(au nombre de 7 et 5 : 12 noms). Tout d’abord, les graphies, fantaisistes souvent dans les mss tardifs et les éditions incunables. Ainsi, I 3, 86 Rusonem leçon adoptée aujourd’hui : rissonem Landin, Bade (uel Rusonem ut Acro scripsit), Drusonem Lambin, Rusonem Cruquius (qui écarte Drusonem en se basant sur des mss et les tabulae Romanae Martini Smetii nondum euulgatae). I 3, 21 Maenius aujourd’hui : maeuius Landin et al., Maenius Lambin (qui critique Maeuius). I 6, 24 et 107 Tilli aujourd’hui : tulli 24 et tuli 107 Landin et al. I 6, 124 Natta aujourd’hui et plusieurs éd. humanistes (nata parfois). Alde Manuce7 corrige : Naca, c’est-à-dire un foulon, les nacae étant gens peu estimables. Cette correction d’Alde, adoptée par Bade, est réfutée par Lambin et Cruquius qui gardent Natta, surnom attesté. A présent, les identifications. Nous avons cherché si nos commentateurs humanistes apportaient d’autres informations que celles de Porphyrion et du Pseudo-Acron. Les résultats sont maigres, en dehors du Naca susmentionné. I 6, 40 Nouius : un affranchi, pour les scholiastes. Landin, suivi par Locher (comme souvent), reprend cela et ajoute : alii uolunt fuisse praeconem, mais ce doit être tiré d’une allusion d’Horace au v. 86. Les autres commentateurs suivent les scholiastes, mais Bade ajoute : nonnulli uolunt Nouium esse fictitium [je souligne] nomen : quasi dicatur nouus homo. Torrentius a dû chercher : il songe à Novius Niger, questeur dans Suétone, César 17 et poursuit : de nombreux Nouii furent magistrats et ce peut être aussi un affranchi. Torrentius a effectué des recherches personnelles, car, aux identifications des scholiastes, il n’est pas rare qu’il ajoute des textes parallèles (ainsi encore I 3, 47 : Suétone ; I 3, 82 : Aulu-Gelle, Dion Cassius, Suétone). Cette recherche de textes parallèles est présente aussi chez Lambin et Cruquius, recherche qui, ailleurs que pour les deux satires retenues, s’étend parfois aux inscriptions et aux monnaies. Dès lors, si les identifications, parfois absentes, viennent majoritairement des scholiastes, on assiste aussi, dans la seconde moitié du XVIe siècle, à un début de recherches plus étendues8. SAT. II 1, 83–84 Au tournant des l. I et II, Horace explique son désir d’éviter l’âpreté ; c’est le passage, bien souligné par la critique actuelle, de la dicacitas à l’urbanitas9. La satire I 10 opte pour un comique sans âpreté, qui corrige : la plaisanterie passez mieux que la rudesse. La satire suivante (II 1) est plus explicite, dès les premiers vers : pour certains, Horace est nimis acer et, pour d’autres, sine neruis ; que faire, demande-t-il à Trébatius ? Il est intéressant de savoir qui est Trebatius Testa10. Il était né en Lucanie, comme Horace qui entretient avec lui une relation personnelle, affectueuse (pater optime 12, puer 60). Trébatius fut un des juristes les plus compétents, au 7 8 9 10
Adnotationes ad loc. (à la fin du texte d’Horace), reproduites dans Orlandi 1975 (vol. 1, p. 179–180). Ainsi Lambin ad Sat. I 2, 64 et 67 critiquant Acron (Ps.-Acron) et Porphyrion ; ad Sat. I 4, 94 recourant à une monnaie. De Saint-Denis 1965, p. 165 sq. ; Delignon 2006, p. 222 sq. CriFò,1996, p. 922–923.
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cours de sa longue vie (env. 84 ACN–après 4 PCN), ami des puissants et de Cicéron (qui nous permet, comme déjà aux humanistes, de le connaître), expert que les juristes postérieurs citeront. Les réponses de Trébatius dans la satire II 1 sont laconiques et autoritaires (praescribe 5, aio 6, quanto rectius 21, ius iudiciumque 82– 83). Il est catégorique : la diffamation (ici, les mala carmina) est condamnée par la loi des xii Tables (80 sq.). Horace est mal pris et répond : ... Esto, siquis mala ; sed bona siquis / iudice condiderit laudatus Caesare ?... (83–84). Face à cette réplique (peut-être prononcée par Trébatius lui-même, et non par Horace, selon Lambin commentant latrauerit), Trébatius doit bien convenir que le rire (provoqué par la satire) « désarmera les tablettes menaçantes » (86). La situation était sérieuse : le l. II est publié en 30, quatre ou cinq ans après le l. I ; Octave, maintenant seul maître et soucieux de concorde civile, n’acceptera pas les propos violents11. Comment, selon la fin de cette satire II 1, Horace s’en tire-t-il à si bon compte ? Par un jeu de mots : Horace accepte la condamnation des mala carmina et demande (siquis condiderit, sans proposition principale) si les bona carmina subiront le même sort. Trébatius ne peut qu’approuver Horace jouant sur l’ambiguïté de bona, qui doit viser la forme bien qu’opposé à mala qui, lui, vise le contenu. Peut-être déjà présente dans ultra legem des v. 1–2 (la loi des XII Tables / la loi du genre satirique ?), cette ambiguïté, voulue par l’issue de la satire II 1, est facilitée par la référence à Lucilius (62 sq.) dont, dans des satires précédentes, Horace avait critiqué la forme négligée et approuvé, comme en II 1 encore, le contenu. L’ambiguïté de bona, et peut-être de mala par un effet de retour, est significative du désir de modération d’Horace dans le genre satirique et digne de retenir l’attention de nos philologues humanistes chez lesquels une certaine réserve est apparue. Qu’en est-il ? Certains n’ont aucun commentaire12. Torrentius ne commente pas non plus les v. 83–84, mais consacre une longue note ad 81 (sanctarum legum), évoquant la loi des XII Tables et les autres contraintes, soulignant aussi, dans l’introduction à la satire II 1, les précautions prises par Horace pour ne pas tomber sous le coup de la loi : Torrentius songe-t-il à ses contemporains ? Les autres humanistes voient dans bona une allusion au contenu, comme dans mala. Eilhard Lubin, après d’autres, paraphrase mala par famosa [« diffamatoires »] et bona : vitiis hominum castigandis in homines malos. Seul Lambin (ad Esto) a compris en partie le problème : ambiguum inest in uoce mala. Trebatius enim mala accipit famosa : Horatius autem indocta. Lambin aurait pu déceler la même ambiguïté pour bona. Enfin, selon Cruquius, mala et bona visent le contenu, et rien d’autre : alii censent Horatium hic ludere amphibolia dictionis mala, mais Cruquius refuse cela. Beaucoup plus tard (1691), Dacier écrira (vol. 7, p. 57): Et il joüe sur l’équivoque de malum carmen, qui signifie un vers malin, empoisonné ; & un méchant vers, un vers mal tourné, mal fait. Dans la Loy il est au premier sens : Horace le prend
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Delignon 2006, p. 222. Sur les problèmes de diffamation à Rome : Declercq 2003, spécialement les contributions de Dangel & Videau, p. 105–130 et Ducos, p. 283–296. Glareanus 1536, Muret, Poelman, Fabricius 1571, Marcilius, Estienne, Bersmann. Nulle note non plus dans Lodovico Ricchieri, Polidoro Vergilio, Francesco Robortello, Pietro Vettori, Adrien Turnèbe, Kaspar von Barth …
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Bernard Stenuit au second : & par le jeu de mots, il se tire mieux d’affaires, qu’il n’aurait fait par les raisonnements les plus forts.
LA SATIRE : OUI, MAIS … L’évolution d’Horace vers une certaine réserve ou retenue dans les attaques (observable également dans les Épodes, commencées en 40 et publiées en 30, elles aussi), de même que les réticences des philologues humanistes, demande une mise en perspective. Le de ridiculis de Cicéron (De or. II 216–290) est souvent cité à propos du genre satirique ; or, Cicéron met des limites à la raillerie : la plaisanterie (iocus) ne doit pas nuire à la grauitas; la vivacité d’esprit (ingeni celeritas) est appréciée et a de l’effet (229–231). La raillerie ne doit pas s’exercer contre des individus dont le malheur suscite la pitié ou dont la méchanceté exige un châtiment rigoureux (238), le but étant moins de faire rire que d’être utile à une cause (247). Le rapprochement avec la satire est évident, ce que montre aussi la similitude du lexique évoquée au début de notre article. Les limites de la raillerie seront rappelées à toutes les époques. Saint Jérôme passait pour un scriptor satiricus (Ep. 40, 2) ; témoignant (uidi nuper) du luxe et de l’hypocrisie, il ajoute aussitôt : nomina taceo, ne saturam putes (Ep. 22, 32). Selon saint Jean Chrysostome, le Christ n’a jamais ri13, mais on conviendra qu’il ne manquait ni d’humour ni d’esprit14. Le Moyen Âge effacera la frontière entre le plaisant et le sérieux, non sans suspicion (une question de décence) ni interrogations (le rire évite l’arrogance) ; la satire est en tout cas un genre très pratiqué et commenté15. À la Renaissance, elle se retrouve dans toutes sortes d’écrits, en poésie et en prose, en latin et en vernaculaire ; la référence à l’Antiquité est constante et non limitée à Horace, très apprécié. Son succès se poursuivra jusqu’au XVIIIe siècle au moins, malgré la surveillance des autorités temporelles et ecclésiastiques, malgré de nettes réserves à l’encontre des attaques ad hominem16. La position d’Érasme dans la préface de l’Éloge de la folie (1511) est significative. À l’objection d’écrire « des bagatelles trop légères pour convenir à un théologien (Érasme est docteur en théologie de Turin depuis 1506), trop mordantes pour s’accorder avec la vertu chrétienne »17, il répond qu’il suit seulement d’illustres prédécesseurs. Horace n’est pas nommé ; la suite immédiate, cependant, contient trois réminiscences de lui (dont une des Satires) : les bagatelles peuvent avoir des effets sérieux (p. 109 = AP 451), plus profitables que des argumentations. Plus loin, Érasme met des limites à la liberté de blâmer : « que cette licence ne devienne pas rage », mais aussi (p. 110) : 13 14 15 16 17
Dans Curtius 1956, p. 519. de Peretti 2004, qui, p. 70 et n. 2, cite Decoin 1999 ; cf. saint Paul, Col. 4, 6 : sermo uester semper in gratia sale sit conditus. Curtius [n. 13] Excursus IV, Le plaisant et le sérieux dans la littérature médiévale (p. 515– 535) ; Classen 1988, p. 95–121. De sMet 1994, spéc. p. 10 sq., 95 sq. ; Renner 2009, spéc. p. 7 sq. Érasme, éd. J. CHoMarat, 1991, p. 108.
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critiquer la vie des hommes sans égratigner une seule personne nommément, à votre avis est-ce mordre ? […] Pour ma part, je ne nomme absolument personne […] j’ai cherché à donner du plaisir plutôt qu’à mordre […] j’ai cherché à recenser les ridicules, plus que les ignominies.
On le voit : Érasme n’hésite pas à traiter de front l’esprit satirique. Tous les humanistes n’osaient pas la même liberté d’expression. C’est ce poids constant de méfiance à l’égard de la satire, pourtant toujours renaissante, qui peut expliquer la réserve de nos philologues humanistes. Leurs commentaires, bien qu’un peu en retrait, contribuèrent néanmoins à mieux faire connaître le genre satirique. BIBLIOGRAPHIE Éditions et commentaires humanistes Badius Ascensius, J., Paris, 41519. Bersmann, G., Leipzig, 21616. Bonfini, M., Roma, [env. 1514] (Annotationes reproduites dans Badius et dans des pluricommentaires). Cruquius, J., Leyden, 21597. Dacier, A., 10 vol., Paris, 1691. Estienne, H., Paris, 21588. Fabricius, G., Leipzig, 1571 ; Basel, 1580 (pluricomment). Glareanus, H., Freiburg im Breisgau, 1535 ; 1548. Heinsius, D., Leyden, 1612. Lambin, D., Venezia, 1566 (= Lyon, 11561) ; Paris 1568 (= 21567) ; 1604. Landino, C., Venezia, 1492. Locher Philomusus, J., Strasbourg, 1498. Manuzio, A., Venezia, 41527. Marcilius, T. ap. Lambin 1604, vol. 3. Muret, M.-A., Venezia, 1555. Poelman, T. ap. Fabricius, 1580. Rutgers, J., Notae dans l’éd. R. Estienne, Paris, 1613 et, avec les Lectiones Venusinae, dans l’éd. P. Burman, Utrecht, 1699 (qui corrige la 1ère éd. des Lect. Venus. parues dans l’éd. d’Horace par C. Schrevelius, Leyden/Rotterdam, 1670). [Scotus, H.], Venezia, [1544] (pluricomment). Torrentius, L., Anvers, 1608. Xylander, G., Heidelberg, 1575.
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Pictorius, G., In Q. Horatii Flacci poemata annotationes probatissimorum cultioris literaturae authorum, uidelicet : D. Erasmi Roterodami, Ludovici Coelii Rhodigini, Angeli Politiani; M. Antonii Sabellici, Baptisti Pii, Iacobi Bononiensis, Freiburg im Breisgau, Ioannes Emmeus, 1535 (éd. parue en décembre, postérieure à celle du même Pictorius, avec le même choix de commentateurs, parue à Anvers, Michael Hillenius, avril 1535, non consultée. Les annotations d’Érasme ont été tirées, semble-t-il pour la première fois, des Adages, « ex Chiliadibus D. Erasmi », f. 2 r°). Ricchieri, L. (Caelius Rhodiginus), Lectionum antiquarum libri, Venezia, Alde, 1516. Robortello, F., In uaria loca ... annotationum libri duo, Firenze, Laurentius Torrentinus, 1548 (11543). Robortello, F., Paraphrasis in librum Horatii, qui uulgo de arte poetica ad Pisones inscribitur, eiusdem [Robortelli] explicationes de satyra, de epigrammate, de comoedia, de salibus, de elegia, Basel, Ioannes Hervagius iunior, 1555. Scaliger, J.-C., Poetices libri septem, [Heidelberg], Petrus Santandreanus, 1594 (15611). Turnèbe, A., Aduersaria, Strasbourg, Lazarus Zetznerus, 1604 (publiés dès la fin du XVIe s. ; repris ap. Lambin 1604). Vergilio, P., Adagiorum liber, Basel, Froben, 1521. Vettori, P., Variae lectiones, Firenze, Laurentius Torrentinus, 1553.
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LECTURES HUMANISTES DE L’OCTAVIUS DE MINUCIUS FELIX Céline Urlacher-Becht L’Octauius de Minucius Felix1, sans doute composé v. 200/245 après J.-C., est, pour reprendre les différents termes techniques employés par l’auteur pour caractériser son œuvre, un sermo, une disceptatio ou encore une disputatio in utramque partem qui s’inscrit dans la continuité du dialogue cicéronien2. À l’instar du De diuinatione qui développe, sur la question du crédit qu’il convient d’accorder à la divination, dans un premier livre le point de vue stoïcien de Quintus Cicéron, favorable à la divination, et dans un second celui de Marcus Cicéron, qui répond à son frère en faisant valoir les arguments sceptiques de la Nouvelle Académie, cette apologie chrétienne est constituée de deux exposés en diptyque : d’une part celui du païen Cécilius Natalis (§ 5–13), qui commence par exposer ses principes philosophiques, au fondement du respect qu’il voue à la religion traditionnelle, puis attaque vivement le christianisme ; d’autre part, celui du chrétien Octavius Januarius (16– 38), qui démontre l’existence d’un Dieu providentiel et unique, avant de critiquer la religion païenne et de réfuter le réquisitoire de Cécilius contre sa « secte ». Minucius Felix, lié d’amitié avec les deux hommes, joue le rôle d’arbitre. Le titre de ce dialogue invite également au rapprochement avec l’Hortensius, dont la problématique telle qu’elle fut reconstruite à partir des divers fragments conservés apparaît effectivement proche de celle de l’Octauius : de même que Cicéron y développe tour à tour des arguments négatifs et positifs qui convainquent Hortensius que le bonheur ne saurait reposer sur de fausses valeurs, la philosophie seule pouvant en être la source, Cécilius s’avoue vaincu par les arguments d’Octavius au terme de son discours, et décide in fine de se convertir au christianisme. Si d’aucuns ont argué de ce retournement final que l’Octauius relevait plus du genre bien connu dans l’Antiquité des Protreptiques ou des Exhortations que de celui des apologies, l’auteur ne vise cependant pas uniquement à « amener le public à l’étude de telle ou telle doctrine philosophique »3 ou religieuse en l’occurrence, mais s’efforce bien, suivant la définition de ce genre aux contours flous donnée par Jean-Claude Fredouille, de [r]endre accessible et crédible, au sein d’un univers culturel commun, le message chrétien en soi immuable, rejeté ou combattu par une partie de ses contemporains4.
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L’édition de référence retenue est celle de beauJeu 1964. Voir en part., sur cette filiation, Fredouille 2005, p. 47–48 (largement repris ici) ; sur l’apologétique chrétienne en général, voir également Fredouille 1992 et 1995. beauJeu 1964, p. XIV. Fredouille 2005, p. 39.
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De là, ainsi que cela ressort clairement de la division de l’ouvrage, la part belle qui y est faite aux traits de polémique anti-chrétienne et anti-païenne, au centre de notre communication. Ces derniers sont à la source du grand intérêt que suscita, après plusieurs siècles d’oubli, ce dialogue à la Renaissance. Comme le montrera la présentation des éditions en question, plusieurs des humanistes qui se sont intéressés au texte furent particulièrement sensibles aux enjeux du débat religieux dont se fait l’écho l’Octauius. Cependant, tous n’ont pas procédé au commentaire de l’œuvre ni, quand c’est le cas, forcément consigné dans leurs observations les réflexions que leur inspirait ce débat parfois fort « piquant ». Aussi, notre attention se concentrera-t-elle pour finir sur l’unique imprimé où la subjectivité de l’éditeur est vraiment perceptible. 1. LES ÉDITIONS HUMANISTES DE L’OCTAVIUS L’importante disproportion qu’on peut observer entre les rares attestations manuscrites de l’Octauius et le grand nombre d’éditions parues au cours du XVIe s. ou durant la première décennie du XVIIe s. montre le grand intérêt qu’ont porté les humanistes au dialogue de Minucius Felix. Alors que notre connaissance du texte ne repose que sur deux manuscrits, dont le plus récent, du XIe s., n’est qu’une copie avisée du témoin majeur du début du IXe s., les éditions et leurs rééditions successives se sont multipliées à la suite de l’editio princeps publiée en 1543 par le conservateur de la Bibliothèque vaticane Faustus Sabaeus5. Nous présenterons brièvement chacune d’elles tout en nous efforçant de dégager clairement les intentions de leur auteur, afin de pouvoir mesurer, à l’issue de ce tour d’horizon, l’intérêt que les humanistes portèrent à la polémique inhérente à cette œuvre. Faustus Sabaeus (Rome, 1543) et Sigismundus Gelenius (Bâle, 1546 ; rééd. 1560) Les deux éditions les plus anciennes occupent une place à part dans l’histoire du texte. Dans la droite ligne des deux témoins manuscrits évoqués, l’Octauius n’y apparaît pas sous ce titre, ni même comme une œuvre isolée, de la main de Minucius Felix, mais comme l’octauus liber (« huitième livre ») de l’Aduersus nationes d’Arnobe, un ouvrage postérieur également dirigé « contre les païens » et qu’on crut longtemps constitué de huit livres, et non de sept. Il est vain d’espérer y trouver quelque jugement sur Minucius et son œuvre, d’autant plus que les rares observations faites se limitent, dans les deux imprimés, aux notations générales consignées dans l’épître dédicatoire. Or il est peu probable qu’elles se rapportent spécifiquement au style ou au contenu du huitième livre : tout au plus valent-elles à la fois pour Arnobe et pour Minucius. 5
Pour nous borner à la contribution majeure sur Faustus Sabaeus, voir cutolo 1949, en part. p. 7–58. On trouvera une plus ample bibliographie p. 4, n. 10, de l’édition de ses Epigrammata publiée en ligne sur internet par MauracH, ecHinger-MauracH & töns : http://archiv.ub. uni-heidelberg.de/artdok/volltexte/2009/706/pdf/Maurach_Fontes31.pdf (lien vérifié le 13/06/2016).
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Aucune des deux éditions n’est accompagnée d’annotations. L’editio princeps, dont la nouveauté est soulignée dès la page de titre par la mention Libri octo nunc primum in lucem editi (« Huit livres à présent parus pour la première fois au grand jour »), ne comporte qu’une élogieuse dédicace à l’adresse de François Ier, illustrissimus et inuictissimus Rex Gallorum (« Très illustre et très invaincu roi de France »), suivie de plusieurs testimonia sur Arnobe, ainsi que du privilège de dix ans octroyé à Faustus Sabaeus par le pape Paul III. L’adresse en question est néanmoins digne d’intérêt, car elle est fort explicite sur les motivations qui amenèrent l’éditeur à « arracher Arnobe [et donc Minucius] à la barbarie »6 : « dévoiler au public, en ces heures où une déplorable tempête ébranle de tous côtés la vraie Religion, l’œuvre de ce très grand guide et promoteur de la piété chrétienne, d’une intégrité sans tache »7. Outre l’épithète maximus, plusieurs des autres superlatifs employés dans cette adresse fort emphatique mettent sur le même plan le combat d’Arnobe et celui mené « avec la plus grande vigilance » par François Ier pour « protéger et défendre la République chrétienne »8 : Arnobe
François 1er
Arnobius pristinae religionis, pro qua nostram uehementissime impugnabat, et lacerabat, acerrimus colluctator & euersor …9
Religionis es ualidissimum propugnaculum, & Christianae Reipublicae uigilantissimus tutor, ac defensor, & haereticorum formidolosa bipennis10
Le lien entre l’objet de l’Aduersus nationes et l’actualité religieuse de l’époque est patent.910 L’édition bâloise de Sigismundus Gelenius, « éditeur et traducteur de textes classiques et patristiques »11, s’ouvre également sur une dédicace à un destinataire dont l’identité est notable. Il s’agit de l’érudit Gilbert Cousin, alors chanoine de Nozeroy, et surtout fameux pour avoir été, avant sa retraite dans sa Franche-Comté natale, un secrétaire d’Érasme particulièrement apprécié par ce dernier. L’éditeur argue d’ailleurs de cette relation privilégiée avec le grand humaniste de Rotterdam pour exalter l’étendue de l’érudition de son ami et protecteur (eruditio Magno illo ERASMO praeceptore digna12 avec l’emploi fort significatif des capitales), puis, un peu plus loin, son autorité et son éclat (te praeceptor Erasmus commendat ac or-
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Iure enim belli meus est Arnobius, quem e media barbarie non sine dispendio, & discrimine eripuerim. … ut pietatis christianae maximus dux, & propagator, integer, & abstersus, hac miserabili tempestate, qua in horas uera Religio undique exagitatur, in publicum prodiret. Cf. la citation latine mentionnée infra dans le tableau. « Arnobe, adversaire et destructeur très ardent de la religion de jadis, en faveur de laquelle on attaquait et mettait en pièce la nôtre avec une très grande violence. » « Tu es le rempart le plus solide de la religion, le protecteur et le défenseur le plus vigilant de la République chrétienne, ainsi que la terrible double hache des hérétiques. » Titre emprunté à PetitMangin, Un ami de Melanchthon, 2006. Voir également, du même auteur, Sigismundus Gelenius, 2006. « Une érudition digne de son précepteur, le fameux grand Érasme. »
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nat13). Ces allusions répétées et surtout l’ajout, dans la réédition de 1560, du texte établi par Érasme des Commentarii in omnes psalmos d’Arnobius Afer14, sont sans doute à l’origine de l’erreur d’attribution faite par Fr. Bauduin dans son important développement sur l’identité de l’auteur de l’Octauius : Caeterum tanto magis miror Erasmum eo loco, illum dico Erasmum, hominem acerrimo iudicio praeditum, et talium scriptorum minime obtusum censorem, annotasse, huius Minucii nihil nunc extare15.
Bauduin a toutefois raison de mettre en avant les qualités de « censeur » (censor) d’Érasme, car c’est bien le sens aigu de la critique avec lequel il a édité et commenté toutes sortes d’auteurs antiques qui explique l’insistance avec laquelle Gelenius s’est efforcé, par l’entremise de G. Cousin, de faire rejaillir sur lui l’aura d’Érasme. Comme s’en fait l’écho le titre de sa publication16 et l’exigence de fides in transcribendo (« fidélité dans la transcription ») mise en avant à la fin de l’épître dédicatoire, ce sont essentiellement des considérations philologiques qui ont guidé son travail, sans intérêt, sinon par son origine locale, pour notre propos. François Bauduin (Heidelberg, 1560 ; réimpr. Paris, 1589 et 1610 ; Frankfurt am Main, 1610) Bien qu’elle ne soit pas exempte de défauts, ainsi qu’en témoigne la confusion relevée précédemment, l’édition de François Bauduin17 a permis d’améliorer de manière notable la réception de l’Octauius. C’est à ce juriste français que revient le mérite d’avoir, sous le patronage de l’électeur palatin Frédéric III, rendu à Minucius Felix la paternité de son unique ouvrage en mettant fin à la méprise qui avait fait de l’Octauius l’octauus liber de l’Aduersus nationes18. Cela étant, l’œuvre d’Arnobe et celle de Minucius firent encore l’objet de l’une ou de l’autre publication commune avant que cette association ne devienne vraiment caduque et que l’apologie d’Arnobe soit supplantée, dans les éditions conjointes ultérieures, par le De idolo-
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« Ton précepteur Érasme te recommande et t’illustre ». Titre complet : Arnobii Afri, uetusti pariter ac laudatissimi scriptoris Commentarii, pii iuxta ac sinceriter eruditi, in omnes psalmos, Sermone Latino, sed tum apud Afros uulgari per Erasmum Roterodamum proditi & emendati : cum D. Erasmi Roterodami Praefatione ad nuper electum Pontificem Romanum Adrianum huius nominis sextum. Commentarii in psalmos, Strasbourg, J. Knoblouchius, 1522. « Du reste, je suis d’autant plus étonné qu’il ne reste rien aujourd’hui de ce Minucius qu’Érasme, je dis bien le grand Érasme, un homme pourvu d’un jugement très pénétrant et un censeur très avisé de tels auteurs [sc. les auteurs patristiques mentionnés dans la phrase précédente], l’a annoté comme tel [sc. en tant que le 8e livre de l’Aduersus nationes] ». Arnobii disputationum Aduersus Gentes libri VIII, nunc demum sic accurati, ut ab eruditis sine ulla offensatione et cum maiore lectionis operae pretio cognosci possint. Voir, sur ce grand jurisconsulte du XVIe s., la biographie de erbe 1978 ; en part. sur son évolution religieuse, duquesne 1917. En réalité, l’humaniste hollandais Adrien Jonghe était parvenu à la même conclusion peu avant Bauduin, mais son apport ne fut guère pris en compte avant le début du XVIIIe s., cf. erbe 1978, p. 108.
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rum uanitate19 attribué à Cyprien. De fait, la filiation avec Minucius est nette, ce dernier comprenant des morceaux entiers de l’exposé d’Octavius, pour la plupart cités de manière textuelle. Au reste, la longueur relativement réduite des deux libelli se prêtait bien à leur réunion au sein d’un seul et même volume. Mais avant d’en dire davantage sur ces éditions postérieures, il convient de spécifier les grandes orientations du commentaire de Bauduin. La démarche suivie par ce dernier s’avère radicalement différente de celle de ses successeurs. Les observations dont il a accompagné le texte de Minucius ne se présentent pas sous forme d’annotations, mais ont été consignées dans une ample préface entièrement rédigée de plus de quarante pages, republiée à maintes reprises sous le titre Dissertatio de Minucio Felice20. L’auteur y a développé, dans un exposé construit et argumenté, les réflexions que lui a inspirées la lecture de l’Octauius. S’il évoque, dans les premières lignes de l’epistula nuncupatoria (« Épître dédicatoire »), le cadre typiquement « antique » (nihil mihi antiquius fuit) propice à l’interruption de ses activités habituelles que lui offrit sa retraite dans sa villa, la distance qui le sépare « des tribunaux » (ab auditorio) et de « l’étude ordinaire du droit civil » (Iuris Ciuilis ordinaria interpretatio) n’est néanmoins pas aussi grande que Bauduin le laisse entendre car, ainsi qu’on le devine dès le titre de l’ouvrage21, le grand intérêt qu’il a témoigné à cette œuvre tient, au premier chef, au fait que son auteur fut « avocat » (causidicus), et qu’elle s’apparente, par la mise en scène choisie, à un « procès des anciens chrétiens » (ueterum Christianorum causa). Le sujet lui parut d’autant plus stimulant que les avocats convertis au christianisme et disposés à plaider la cause des chrétiens étaient rares à l’époque de la composition. De là, le soin mis dans les premières pages à rétablir la véritable identité de l’auteur, mais aussi à déterminer, à travers une enquête fort minutieuse, fondée sur un nombre important de parallèles et de témoignages antiques, l’époque antérieure à la paix de l’Église à laquelle vécut Minucius (interuallo longissimo … annorum prope M. CCC22), ses origines familiales (Minuciam gentem olim Romae nobilem fuisse23) et géographiques (Afrum fuisse suspicor24), ainsi que sa profession (Minucium nostrum Romae causas egisse25). Les multiples rapprochements faits entre son activité de jurisconsulte et la sincérité de sa foi confirment l’idée que c’est bien « l’avocat chrétien » (christianus causidicus) et, bien plus, « l’avocat des 19
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Voir l’édition de Jean Wower (1603), Nicolas Rigault (1643), Johann Gottlieb Lindner (1760) et Hubert Ashton Holden (1853). L’opuscule en question est connu, aujourd’hui, sous le titre Quod idola dii non sint. Pour les éditions conjointes de l’Aduersus nationes et de l’Octauius, voir entre autres infra la présentation de l’édition de F. orsini et le titre de celle de G. elMnHorst. Voir la liste établie par erbe 1978, p. 108, n. 172. Le texte en question est facilement accessible dans la réédition de l’abbé Migne, PL 3, 1886, c. 207–228. « M. Minucii Felicis, Romani olim causidici, Octauius, in quo agitur ueterum Christianorum causa. » « Par un très long intervalle de 1300 ans [ce qui nous ramène, au vu de la date de publication de l’édition en question,] au milieu du IIIe s. » « La famille de Minucius fut jadis une famille noble de Rome. » « Je soupçonne qu’il était africain. » « Notre Minucius a plaidé à Rome. »
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chrétiens » (aduocatus christianorum)26, qui a intéressé Bauduin : qu’on en juge par ces deux déclarations fort suggestives, pour la première, par le lien hiérarchique établi entre deux informations de nature très différente et, pour la seconde, par la valeur exemplaire que confère à Minucius Felix la diversité de ses objets d’étude et de ses centres d’intérêt, en prise tout à la fois avec l’humain et le divin : (1) Fuit enim non modo Iurisconsultus magnus, et excellens suo tempore orator : sed et (quod maius est) fuit serio Christianus27. (2) Et rerum diuinarum humanarumque curam et cognitionem coniunxit : tantoque propterea magis eius exemplum nostri ordinis hominibus commendo28.
Suit une réflexion sur la situation qui était celle du forum et de l’Église au moment du dialogue – données historiques là encore indispensables pour apprécier à sa juste mesure le courage que requit, dans un contexte « aussi profane et aussi hostile », la prise de position de l’auteur : Tanto magis interea miror in tam profano et inimico foro consistere causidicum pium potuisse29. La longue étude du contenu proprement dit sur laquelle débouche cette présentation générale est aussi fonction d’un parti pris évident, clairement spécifié au début : l’éditeur a sciemment laissé de côté la question « oiseuse » des réminiscences littéraires pour ne retenir que les informations ayant trait à l’ antiquitatum Christianarum memoria (« Souvenir des antiquités chrétiennes »)30. Ainsi, l’érudit y satisfait largement son goût pour les réalités et les mœurs antiques en passant rapidement sur les enjeux philosophiques du débat, et en concentrant toute son attention sur les multiples chefs d’accusation invoqués par le défenseur de la religion traditionnelle. Le fondement de chacun d’entre eux est illustré par divers testimonia antiques, et est immédiatement suivi des éléments de réfutation invoqués en réponse par Octavius, accompagnés eux aussi de nombreuses références patristiques qui en attestent le bien-fondé. Cet intérêt documentaire est confirmé par les longues digressions dont font l’objet plusieurs traits de polémique anti-chrétienne que Bauduin s’étonne de ne pas trouver dans l’Octauius (par exemple l’accusation de lèse-majesté), ainsi que par le long excursus consacré aux différents stades de l’initiation chrétienne à l’occasion du commentaire de la soudaine conversion finale de Cécilius. 26
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Bauduin fut visiblement le premier à s’identifier à l’auteur, tant les termes employés pour camper l’arrière-plan de l’entretien relaté par Minucius, et ceux dans lesquels il a exprimé l’objet de sa propre retraite solitaire dans sa dédicace à Frédéric III sont proches : dans l’ordre cité, in illo secessu & grauis & seria de religione disputatio fuerit / … ut ab auditorio me in suburbanum meum secessum conferrem, & animum in eo secreto liberum non tam remitterem, quam in cogitationes religiosas intenderem. « Il fut en effet non seulement un grand jurisconsulte et un orateur éminent à son époque, mais aussi (et c’est le plus important) un chrétien convaincu. » « Il réunit le soin et la connaissance des choses divines et humaines : c’est pourquoi je recommande d’autant plus son exemple aux hommes de notre ordre. » « Je suis cependant d’autant plus étonné qu’un avocat pieux ait pu exister dans un forum aussi profane et aussi hostile. » Cf. Verum ineptum esset iis de rebus annotationes multas et ociosas hoc loco inculcare. Mallem quae ad antiquitatum Christianarum memoriam pertinent, copiose explicare.
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Comme le souligne cependant Bauduin en récapitulant en conclusion les intentions qui furent les siennes, la volonté de « renouveler la mémoire des antiquités chrétiennes » (Christianarum antiquitatum memoria … renouanda) en faisant sortir de l’ « ombre » des auteurs « maltraités et rejetés » (uexati abiectique iacuerunt) n’a pas seule déterminé son projet éditorial : comme il s’en explique à plusieurs reprises dans ses écrits de l’époque, l’étude de l’ « histoire » (entendons au sens large du terme, usuel chez les humanistes, l’ historia «rerum humanarum», « l’histoire des choses humaines »), est inséparable, selon lui, de celle de la « jurisprudence »31. En ayant agi comme il devait le faire dans le contexte législatif de l’époque32, Minucius Felix offre au lecteur un exemple qu’il doit employer à bon escient. Dans quel contexte ? Bauduin n’en dit rien dans sa préface, mais on devine, si l’on est attentif au parallèle suivant établi dans l’épître dédicatoire, qu’il songeait à la parenté qu’entretenaient les conflits religieux de l’époque avec les « saints combats » menés par les Anciens « contre les ennemis de la religion » : … quid quantumque inter nostram et eorum conditionem, interque illorum aduersus hostes religionis tam sancta certamina, et nostra … ciuilia bella interesset, me cum reputarem33. Les résonances contemporaines de ce texte antique lui sont donc également apparues nettes. Les « successeurs » de François Bauduin Quatre éditions postérieures à celle de Fr. Bauduin méritent, au vu de leur date de publication, de retenir l’attention34. Bien qu’elles s’accordent toutes à présenter l’Octauius comme l’œuvre de Minucius Felix, elles ne s’inscrivent pas forcément pour autant dans le prolongement de celle de 1560. C’est très net dans le cas de la quatrième et dernière édition du XVIe s. : celle du fameux antiquaire et bibliothécaire Fulvio Orsini35, parue à Rome en 1583. Comme nous y avons déjà fait allusion, cet ouvrage continue d’associer l’Octauius à l’Aduersus nationes, dont la nécessité d’une nouvelle édition est dûment justifiée dans l’épître liminaire adressée au commanditaire de l’œuvre, le pape Grégoire XIII. Dans la longue mise en perspective historique proposée, le philologie déplore les « innombrables taches » (infinitae maculae) qui continuent d’obscurcir l’éclat du texte, ainsi que les multiples additions, omissions et changements opérés 31
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Le titre de son écrit De institutione historiae uniuersae et eius cum Iurisprudentia coniunctione, paru l’année suivant la publication de l’Octauius, est fort suggestif à cet égard. erbe 1978, p. 109 sqq. a consacré un ample développement à cette étude conjointe de l’histoire et de la jurisprudence, ainsi que de la théologie. Spectare debemus non solum quod maiores nostri fecerint, sed et quo tempore, et qua conditione, quaue fini neque non meminisse quoque oportet, quod Lex quaedam monet, non tam exemplis quam Legibus iudicandum esse. « Alors que je songeais à ce qui différait, et à quel point, entre notre condition et la leur, et entre leurs si saints combats contre les ennemis de la religion et nos guerres civiles. » Bien qu’il soit parfois encore considéré comme un « humaniste », nous n’avons pas pris en compte, en raison de sa date de parution plus tardive, l’édition publiée par Nicolas Rigault à Paris en 1643. Voir en part., sur cette « figure humaniste », tournoy 2006, p. 645–652.
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à la moindre difficulté par ses prédécesseurs, à telle enseigne qu’en maints endroits, il n’y a plus la moindre trace de la leçon antique. D’où cette nouvelle édition qui se veut la plus fidèle possible au texte originel, non sans succès, puisque sa qualité fut souvent soulignée36. Orsini a signalé en marge les conjectures dignes d’intérêt faites par les éditeurs antérieurs. Il y a également consigné, en face des corrections opérées, la version de la tradition manuscrite, ainsi que les indices cautionnant la modification opérée. L’œuvre de Minucius Felix, qui vient directement après celle d’Arnobe, a donc fait, comme cette dernière, l’objet d’un traitement purement philologique, ce qui en ôte tout intérêt pour notre propos. Du reste, Orsini ne dit presque rien de l’Octauius dans l’épître introductive. Il se contente de signaler l’erreur d’attribution commise par les éditeurs antérieurs. Il en impute singulièrement la paternité à Guglielmo Sirleto (uidit primus, « il fut le premier à s’en rendre compte »). Quand on sait que ce dernier fut cardinal bibliothécaire à Rome – le lieu de conservation du manuscrit consulté – de 1572 à 1585, et qu’il prodigua, durant toute cette période dont date l’édition d’Orsini, son aide à un grand nombre d’éditeurs, cette déclaration prouve que le philologue italien n’eut pas connaissance de la dissertatio de Bauduin ; d’où la proximité qu’entretient son édition, en dépit de sa publication bien plus tardive, avec la structure et la présentation de celles de 1543 et 1546. Il en va autrement des trois humanistes qui ont préparé une nouvelle édition de l’Octauius au début du XVIIe s. : Jean Wower (Hambourg, 1603), Geverhart Elmenhorst (Hannovre, 1603 ; réimpr. Hambourg 1610 et 1612) et Didier Hérault (Paris, 1605 ; réimpr. 1613, 1615, 1624 et 1626). Ces derniers ne sont pas seulement les « successeurs » chronologiques de Bauduin, mais véritablement les continuateurs de son œuvre de commentateur, dans la mesure où chacun d’eux a fait suivre le texte de Minucius d’annotations plus ou moins abondantes, qui permettent de l’éclairer sous des angles plus variés que dans la seule perspective socio-juridique retenue par le jurisconsulte. Certes, pour nous borner au commentaire proposé de l’un des passages les plus polémiques, en l’occurrence le § IX où Cécilius procède à une vive critique des mœurs chrétiennes, aucun des trois éditeurs n’a manqué d’expliciter le fondement de telle des six accusations recensées par J. beauJeu dans son commentaire de la CUF37 : (1) (2) (3) (4) (5) (6)
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Ils se donnent le nom de ‹ frère › ou de ‹ sœur › pour ajouter à leurs débordements la saveur de l’inceste ; Ils adorent une tête d’âne ; Ils vénèrent le sexe de leurs prêtres ; Ils rendent un culte au bois d’une croix ; Ils pratiquent l’anthropophagie à l’occasion des initiations ; Leurs festins servent de prétexte à la débauche incestueuse.
Voir par exemple D. Hérault, qui considère dans son épître dédicatoire que cette édition était, parmi toutes celles antérieures à la sienne de 1605, omnium fidelissima. De même, J. beauJeu la mentionne, dans sa préface de la CUF, au nombre des ouvrages « qui ont contribué chacun pour leur part à améliorer le texte » (p. CII). Voir beauJeu 1964, p. 87.
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J. WoWer
G. elmenhorst
D. hérault
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Origine de l’accusation + précédents païens (en part. autres attestations de frater et soror pour évoquer les plaisirs charnels)
Commentaire global, sous forme de digression (Sistam hic paulisper gradum, « Je vais arrêter ici un peu mon pas »), des trois « principaux chefs d’accusation » (praecipua crimina) reprochés aux chrétiens : impietas (« impiété »), Thyestea conuiuia (« festins thyestéens »), Oedipodios concubitus (« unions œdipiennes »). Source des trois griefs : Athénagore, Apologie des chrétiens (Ea igitur tria erant, teste Athanagora in Apolog.).
Renvoi, au sujet de l’appellation frater et soror, au commentaire de Tert., apol.
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Origines juives de l’accusation
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Renvoi à Athanas. adu. gentes qui dément la même calomnie
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5
Grief attesté par tous les anciens docteurs de l’Église (→ nombreuses références). Long développement sur ses origines hérétiques.
Ample développement sur cette accusation d’origine hérétique réfutée dans toutes les apologies chrétiennes.
6
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Autres attestations de ce grief et mise en évidence de son origine (→ cultes à mystère païens)
Si l’on en juge par l’ampleur et la documentation de leurs annotations, l’intérêt que portaient J. Wower et D. Hérault aux arguments de polémique anti-païenne ne fait aucun doute. Il est de prime abord moins évident dans le cas de G. Elmenhorst, attendu qu’il souligne explicitement, dans la phrase introduisant la digression évoquée, son caractère limité (paulisper). Sa longueur (plus d’une page et demie) mérite néanmoins d’être nuancée au vu de la concision de ses autres observations (rarement plus de 10 lignes ; fréquemment juste 1 à 2 lignes). Il est par ailleurs notable que ses réflexions sortent du cadre strict du commentaire, dans la mesure où le premier grief examiné (l’ impietas) n’est à aucun moment invoqué par Cécilius dans le sens développé ensuite (le refus d’honorer les statues et les images de l’empe-
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reur38). C’est la meilleure preuve de l’intérêt porté dans une perspective plus large que purement éditoriale à la polémique au centre de l’Octauius. L’attention de ces trois éditeurs ne s’est néanmoins pas focalisée sur les attaques de Cécilius, ni sur les arguments objectés par Octavius. Wower et Hérault, entre autres, ont largement mis à profit les analyses minutieuses auxquelles se prête un commentaire de type linéaire pour accompagner le texte d’un grand nombre de remarques ponctuelles aux enjeux des plus variés ; qu’on songe par exemple, pour en rester au commentaire du § IX, à l’importance accordée par Hérault au choix de certains termes, comme les épithètes uana et demens dans l’expression uana et demens superstitio, ou à la glose faite par Wower de l’énigmatique allusion Cirtensis nostri. En outre, dans la perspective plus philologique initiée par Orsini, tous trois se sont référés à maintes reprises au codex qui a servi de base à l’établissement du texte. Fort du sévère regard qu’il a porté dans son épître dédicatoire sur les éditions antérieures, Hérault est même allé jusqu’à discuter dans ses Castigationes et notae la pertinence de plusieurs leçons retenues par ses prédécesseurs. De fait, ce dernier s’est montré plus attentif qu’eux à la lettre même du texte, en allant jusqu’à noter à maintes reprises la pertinence, voire l’élégance de certaines formulations (cf. la récurrence de l’épithète elegans). L’expérience des ces trois érudits, à qui l’on doit d’autres éditions d’œuvres littéraires antiques (ce n’est pas le cas de Bauduin), a de toute évidence largement déterminé leur approche quasi scientifique et encyclopédique de l’Octauius, aux antipodes de la démarche fort subjective de Bauduin. Loin d’éclipser sa dissertatio, ces commentaires de type analytique tendent néanmoins plutôt à la compléter, en enrichissant les considérations générales qui y sont développées d’observations plus précises. De fait, aucun des éditeurs du début du XVIIe s. dont nous avons pu consulter la dédicace n’a justifié l’intérêt porté à cette œuvre en mettant en avant sa valeur historique ou idéologique39 : Elmenhorst n’y a pas même fait allusion, y ayant simplement vu, à l’instar des écrits de son dédicataire Joseph Scaliger (le fils de Jules César S.), un moyen de lutter contre l’ignorance et la barbarie menaçante ; quant à Hérault, l’édition de cet elegantissimus Dialogus (« dialogue très exquis ») lui apparaissait certes comme la suite logique de son édition de l’Apologétique de Tertullien, tant le sujet des deux ouvrages et la manière de le traiter lui apparaissaient proches. Toujours est-il que la présentation liminaire de enjeux de l’ouvrage demeure très brève, et sert comme chez Elmenhorst au premier chef la louange du dédicataire, dont les grandes sapientia, aequitas et moderatio (« sagesse, équité et modération ») sont à la mesure de celles qu’espérait trouver Tertullien chez les dirigeants de l’Empire Romain40. Qu’en est-il dès lors de la « lecture » faite par l’ensemble des éditeurs évoqués de la polémique au centre de l’Octauius ? 38 39 40
Primum inde fluxit quod Christiani (ut par est) nolebant adorare statuas ac imagines imperatorum, cf. ce qui a été dit supra à ce sujet, lors de notre présentation de la dissertatio de Bauduin. Nous n’avons cependant pas eu accès à la préface de J. Wower, dont l’édition est manquante dans les bibliothèques rhénanes : nous avons eu accès à l’intégralité de ses notes par l’entremise de l’édition de Jacob Gronovius (Rotterdam, 1743). Cum igitur tanta tua sit sapientia, aequitas et moderatio tanta, quantam in imperii Romani
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2. RÉCEPTION DES PASSAGES POLÉMIQUES DE L’OCTAVIUS Suivant la présence ou non d’un commentaire, ainsi que sa nature et son objet, on peut distinguer deux niveaux de réception clairement distincts de la polémique dans laquelle s’est engagé Minucius Felix en écrivant l’Octauius. Ce n’est pas, en effet, parce qu’un éditeur fut sensible à la controverse qui oppose Cécilius et Octavius qu’il a forcément accordé un ample développement à ce débat ni, a fortiori, fait part de son opinion personnelle à ce sujet. Aussi tenterons-nous d’abord, à partir du tour d’horizon esquissé précédemment, de déterminer les raisons du simple intérêt ou désintérêt témoigné par les éditeurs de la Renaissance au conflit qui opposa païens et chrétiens à la fin de l’Antiquité, puis nous reviendrons plus en détails sur l’unique édition où cette réception se fait vraiment personnelle, à travers une interprétation fort subjective des deux thèses en présence. Les « lecteurs » de la polémique Plusieurs motivations d’intérêt inégal pour l’objet de ce colloque ont pu être mises au jour précédemment. L’idée topique, dans la littérature de l’époque, de dévoiler au grand jour ce dialogue presque entièrement oublié de Minucius Felix et, ce faisant, de le soustraire à la « barbarie », revient dans plusieurs éditions évoquées (en part. chez Sabaeus et Bauduin, dans une moindre mesure chez Gelenius). Quand ce n’est pas le cas, la volonté d’améliorer le texte des éditions antérieures apparaît à sa place : cette substitution tient donc visiblement au fait que les auteurs des éditions plus tardives, conscients de ne pas faire œuvre de « pionniers », furent moins soucieux de la nouveauté que de la qualité de leur travail. La perspective d’évaluation n’en demeure pas moins la même : dans l’un et l’autre cas, les considérations philologiques priment, ce qui n’est guère étonnant s’agissant de la publication d’un texte antique, mais dénué de tout intérêt dans la perspective de notre étude. Il en va autrement des autres objectifs qui se greffent sur cette visée première ou qui en sont, à une reprise, à la source. Exception faite des éditions de Gelenius (1546) et d’Orsini (1583), où l’attention portée à l’établissement du texte se suffit à elle-même, leurs pairs ont tous aspiré, en outre, à d’autres objectifs qui sont davantage en prise avec la dimension polémique de l’Octauius. Toujours par ordre d’importance décroissant, suivant le nombre d’occurrences de chaque argument, la volonté de conserver la mémoire de l’Antiquité, à la source de l’abondant commentaire qui introduit le texte chez Bauduin (1560) ou les gloses chez les trois éditeurs du début du XVIIe s., passe inévitablement par l’étude des différentes prises de position qui s’opposent dans le texte. De manière plus nette encore, la volonté clairement affirmée par Sabaeus (1543) et Bauduin (1560) d’offrir au lecteur un modèle de véhémence et de pugnacité, ainsi que, de manière liée, un exemple de jurisprudence dans l’adversité (Bauduin), tient directement à la portée polémique du texte ; celle-ci n’est plus seulement un objet antistitibus Tertullianus Apologetico suo desiderabat, cuinam liber hic in Apologeticum illum Commentarius debebatur potius quam tibi ?
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de curiosité parmi d’autres, mais la raison profonde qui a présidé à l’édition de cette œuvre en particulier (Sabaeus), voire à son édition tout court (Bauduin). Alors que Wower, Elmenhorst et Hérault ne se sont attachés, dans leurs annotations, qu’aux realia du texte, c’est bien l’objectif visé par Minucius Felix qui a retenu l’attention des deux « inventeurs » de l’Octauius, le premier en révélant ce dialogue au grand jour, le second en mettant en lumière son véritable auteur. De fait, ainsi qu’en témoigne la comparaison établie de manière implicite dans la dédicace de l’editio princeps entre Arnobe (et donc Minucius) et François Ier, le combat mené par les premiers chrétiens pour promouvoir leur religion n’était pas sans s’apparenter, aux yeux de Sabaeus, à celui qu’avait engagé le roi de France pour « protéger et défendre la République chrétienne » contre les « redoutables armes affûtées par les hérétiques »41, entendons par ce dernier terme les prêtres réformateurs considérés comme des complices de l’hérésie. Face à la multiplication des incidents, le roi, d’abord hésitant, se détermina en effet à la répression suite à l’affaire des Placards en octobre 1534. La montée de l’hérésie calviniste, entre autres, l’amena précisément à durcir sa réaction à partir de 1541, soit peu ou prou à l’époque à laquelle Sabaeus entreprit son édition de l’Octauius42. La part de l’éloge est indéniable dans la manière dont est présenté ce parallèle entre Arnobe et François Ier, tout à la gloire, par la noble antiquité du modèle invoqué, de l’ Illustrissimus & Inuictissimus Rex Gallorum célébré, conformément aux codes du genre, dans l’épître dédicatoire. Même si l’éditeur, en l’absence d’un commentaire moins concis et moins orienté que toute épître dédicatoire, n’a pas pu accorder à cette question la même place que Bauduin dans son ample dissertatio, la seule présence de cet argument, que l’éditeur princeps n’a pu trouver chez aucun de ses prédécesseurs, mais aussi son propre engagement au service de divers papes, autrement dit des représentants suprêmes de l’Église catholique qui se succédèrent de son vivant, nous empêchent de penser que la mise en exergue de l’actualité de l’Octauius était purement intéressée. Le regard porté par Bauduin sur les conflits de son époque demande, du reste, luimême à être précisé, car en dehors de la référence incidente aux ciuilia bella
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Cf. supra les termes dans lesquels est célébré François Ier, Christianae Reipublicae uigilantissimus tutor, ac defensor, et haereticorum formidolosa bipennis. Son édition de l’Octauius n’est pas le seul ouvrage que Sabaeus ait dédié à François Ier : il est également le dédicataire d’une collection d’épigrammes. Les relations privilégiées que Sabaeus entretint avec les rois de France (François Ier, mais aussi son successeur Henri II), tiennent, d’après MauracH et al. (p. 108), aux relations privilégiées qu’il entretenait à Rome avec des hommes d’Église et des diplomates français du plus haut rang. Alors que l’édit de Coucy, promulgué en 1535, marquait un apaisement après la répression de 1534, allant jusqu’à accorder un pardon royal aux repentants, l’édit de Fontainebleau dessaisit dès 1540 en matière de crimes religieux les tribunaux ecclésiastiques, trop lents et soupçonnés d’indulgence, au profit des tribunaux royaux. Bien plus, pour nous borner aux événements marquants antérieurs à l’édition de Sabaeus, la Sorbonne formula en 1543 vingt-cinq articles de foi auxquels François Ier donna force de loi, reconnaissant ainsi l’autorité des théologiens : ils affirmaient notamment la doctrine de la transsubstantiation, l’unité de l’Église et la nécessité du culte des saints et de la Vierge Marie : voir, sur ces événements et d’autres, contemporains, terrasse 1970, p. 116 sqq.
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(« guerres civiles ») relevée dans la dédicace, on ne trouve presque rien à ce sujet dans la préface proprement dite. Certes, le juriste y multiplie les allusions au caractère exemplaire de l’œuvre de Minucius, dont l’arrière-plan juridique lui paraît digne d’intérêt ; qu’on en juge par l’insistance avec laquelle il souligne, en conclusion, la « nécessité de connaître » (spectare debemus) la période historique évoquée et d’ « imiter » les ueteres christiani [imitari nos oportet]. Mais la pensée profonde de Bauduin demeure fort énigmatique pour qui ignore quelle fut, à partir de 1561, sa position sur la question de la Réforme protestante. Sans doute ses atermoiements tiennent-ils en grande partie au fait que sa pensée religieuse était encore en pleine maturation au moment où il écrivit sa préface43. À l’image de l’époque de grande confusion à laquelle il vécut, Bauduin eut en effet une vie spirituelle agitée, qui lui valut souvent d’être taxé par ses adversaires de « versatilité religieuse »44. Issu d’une famille catholique et élevé par une mère très pieuse, il inclina très tôt vers le protestantisme, jusqu’à prier Calvin lui-même, en 1545, de l’admettre au nombre de ses fidèles. Il entretint quelques années durant une correspondance suivie avec le théologien, avant de prendre ses distances avec lui et d’abjurer définitivement le protestantisme en 1563. Or ce différend est en germe dès ses années de professorat à Strasbourg et à Heidelberg (1555–1561) – période dont date l’Octauius (1560). Comme l’a montré J. duquesne dans son étude sur François Bauduin et la réforme45, tout le programme qui guida, après son départ de Heidelberg, le juriste dans ses écrits et dans ses actes figure déjà en substance dans son Constantinus Magnus ou Commentaire des Lois ecclésiastiques et civiles de Constantin, paru au début de 1556 à Bâle. En présentant l’état politique et religieux de l’Empire romain au IVe s., en particulier sous le règne de Constantin, comme un modèle dont il faudrait s’inspirer pour régler le conflit religieux qui divise alors la chrétienté, le juriste esquisse les grandes idées qui furent à la source de sa collaboration avec le théologien catholique Cassander, partisan d’une réforme modérée, et qu’il fit valoir à partir de 1561 auprès des plus hautes autorités françaises et hollandaises : « restauration de l’unité religieuse dans la conciliation, réforme de l’Église sur la base de la tradition, tolérance et absence de rigueur excessive dans la contrainte des opinions adverses »46. Sur ces trois points, Bauduin s’opposait en effet à Calvin, qui « ne cess[ait] de poursuivre avec une âpre ténacité la domination absolue de sa confession », « n’admet[tait] comme base de la religion que l’interprétation des livres saints » et « affirm[ait] le devoir pour le bras séculier d’intervenir rigoureusement dans la répression de l’hérésie »47 – principe dont il donna de cruelles illustrations dans l’application de sa constitution théocratique de Genève. Or l’étude des institu43 44 45 46 47
Bauduin était du reste alors en terrain hostile pour exprimer ses idées, cf. erbe 1978, p. 120– 121. Voir, à cet égard, duquesne 1917, « Les accusations de versatilité religieuse dirigées contre Bauduin », p. 11–22. Ibid., p. 39 sqq. Voir également sur cette période de la vie de Bauduin, erbe 1978, « Straßburg und Heidelberg (1555–1561), p. 80–121. duquesne 1917, p. 41. Ibid., p. 42.
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tions constantiniennes n’est pas le seul écrit de Bauduin à faire pressentir, bien avant sa seconde conversion, la voie de l’Église universelle ou catholique dans laquelle il s’engagea par la suite : bien que de manière moins explicite et donc moins remarquée48, l’introduction de l’Octauius tend dans le même sens. Il est notable que Bauduin exalte, dans deux de ses digressions apparentes, la « splendeur de l’Église libre » (liberae Ecclesiae splendor) que Minucius n’eut pas la chance de connaître (Seruientis modo squalorem uidit49), mais que sa liberté d’expression préfigurait déjà (Christiana … illa Iurisprudentia, cuius olim aliqua Minucio nostro effigies fuerat50), car il laisse ainsi transparaître les prémices d’une réforme visant à ramener l’Église à la splendeur qu’elle connut, après trois siècles de persécution, sous le règne de Constantin et de ses successeurs. De même, il n’est pas fortuit qu’il souligne, dans l’excursus consacré aux persécutions dont furent victimes les premiers chrétiens, la retenue dont témoignèrent ces derniers quand ils accédèrent à leur tour au pouvoir : Sed nostri ab sanguine & ultionis cupiditate erant alieni51. Ces idées, qui débouchent sur l’éloge de l’état de droit (recte) célébré dans les dernières lignes de la préface, après une ultime mise en exergue du caractère exemplaire de l’ouvrage, comprennent déjà en germe le projet de renouer avec ce passé glorieux : Obtestabor omnes bonos et cordatos, ut a factionibus auersi, et a studio partium alieni, primum uetustati tantum auctoritatis tribuant, quantum illi debetur : deinde placide cogitent atque obseruent non solum quid ueteres Christiani, tempore Minucii, facerent, cum aliud non possent : sed et quid optarent, et ubi possent, faciundum esse statuerent : et uero quid tandem, cum liberi fuerunt, fecerint, ut et Remp. et Ecclesiam recte constituerunt52.
On comprend mieux à présent pourquoi Bauduin a accordé si peu d’importance aux questions philologiques et littéraires dans son commentaire, et y a multiplié les développements annexes sur le contexte historique : l’étude de l’Octauius ne trouvait pas sa fin en elle-même, mais était pour lui une manière indirecte de réfléchir, au vu de ce qui s’est fait dans l’Antiquité ecclésiastique, à une solution qui permettrait de mettre un terme définitif aux « horribles divisions et confusions » qui obscurcissaient son époque comme celle de Minucius53. De là, les nettes divergences que présente le type de commentaire proposé avec celui qu’on trouve dans les trois éditions du début du XVIIe s., postérieures à cette époque troublée. Alors que ces 48 49 50 51 52
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Voir, à cet égard, le peu de cas fait de la préface qui nous intéresse par duquesne 1917, p. 50 et erbe 1978, p. 108–109. « Il vit la hideur de l’Église alors servile. » « Cette jurisprudence chrétienne, dont notre Minucius avait été jadis l’une des figures », cf. Quam uero procul abessent Christiani abs omni homicidio, satis Octauius ostendit. « Mais les nôtres étaient étrangers au sang et au désir de vengeance. » « J’adjure tous les hommes bons et avisés, après s’être détournés de toute faction et avoir renoncé à leur esprit de partialité , tout d’abord d’attribuer à l’Antiquité toute l’autorité qui lui est due, puis de réfléchir calmement et d’observer non seulement ce que les anciens chrétiens du temps de Minucius ont fait, alors qu’ils ne pouvaient rien faire d’autre, mais aussi ce qu’ils souhaitaient et décidèrent qu’il faudrait faire quand ils le pourraient, et enfin ce qu’ils firent vraiment une fois libres, lorsqu’ils établirent de manière juste la République et l’Église. » Tristissima sane aetate Minucii erat facies Romani imperii, horribilisque dilaceratio atque confusio.
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études linéaires revêtent une allure quasi scientifique en se bornant, le plus souvent, à la notation objective de telle variante ou de tel parallèle littéraire, Bauduin procède, dans son adresse, à une analyse très personnelle de l’œuvre, en lien avec les préoccupations qui étaient alors les siennes. Comme nous le verrons pour finir, cette orientation empreint de subjectivité la lecture de la polémique au centre de l’œuvre. François Bauduin, « lecteur polémique » Avant de voir comment Bauduin se fait partie prenante dans l’affrontement qui oppose Cécilius et Octavius, il convient d’examiner en quels termes il présente la polémique en question. Le passage suivant, qui résume les enjeux de l’œuvre, est fort représentatif à cet égard : Quaestio, quae hic proponitur, et causa, qua de agitur, magna est, de religione nempe uera aut falsa. Acerrima utrinque est actio atque contentio. Exitus et uictoria est, qualis esse debet, ubi uerum cum falso confligit. Malarum partium uehemens patronus, et bonarum grauis hostis est Caecilius Natalis. Harum contra uindex, et illarum accusator acerrimus atque iustissimus est Octauius Ianuarius. Medius sedet bonus iudex atque arbiter Minucius Felix54.
Comme nous l’avons déjà noté dans notre présentation générale de l’édition de 1560, Bauduin évoque cette controverse « sur la vraie ou la fausse religion » en des termes juridiques (causa, qua de agitur ; partium, patronus, uindex, accusator, iudex et arbiter). Si cette image, dont le choix fut largement déterminé par sa formation de juriste, n’est pas sans autre attestation dans la tradition rhétorique pour caractériser la teneur polémique d’un texte, en particulier dans le cas d’apologies judiciaires55, elle est cependant bien moins fréquente que la métaphore du combat, perceptible derrière l’allusion à la joute oratoire (contentio) et, de manière plus explicite, derrière les substantifs uictoria et hostis, qui relèvent tous deux du champ lexical de la guerre. Cette topique est développée dans la suite du passage cité, consacrée aux circonstances de cette joute oratoire (Contentionis occasio fuit, quod …56), mais son usage reste incident. Ce n’est pas le cas des épithètes acer et uehemens, qui servent aussi ailleurs dans la dissertatio à dénoter la vivacité et la véhémence du propos, comme il arrive souvent dans les commentaires de textes à visée apologétique: il n’est que de songer à la dédicace de Sabaeus, où ce dernier fait observer qu’ Arnobius … uehementissime impugnabat et qu’il fut un acerrimus colluctator de la religion païenne57. Il serait fastidieux de relever les diverses occurrences de l’un et de l’autre adjectif pour spécifier l’attitude des deux adversaires en présence, en particulier d’ acer, répété à maintes reprises, et ce plusieurs fois sous 54
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« La question posée ici et la cause traitée sont grandes, ‹ puisqu’elles portent › sur la vraie ou la fausse religion. De part et d’autre, l’accusation et la contradiction sont très vives. L’issue et la victoire sont celles qui doivent être quand le vrai lutte contre le faux. Cécilius Natalis est le véhément défenseur du mauvais parti et l’ennemi accablant du bon. Octavius Januarius est, au contraire, le défenseur du second parti, et l’accusateur très vif et très juste du premier. Au milieu siège Minucius Felix, juge et arbitre bienveillant. » Cf. beauJeu, 1964, p. XIV. « L’occasion de ce différend fut le fait que […] ». Cf. supra, n. 9.
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la forme superlative qu’on trouve dans le tour acerrima … actio. Cette récurrence et cette emphase tiennent de toute évidence au fait que cet adjectif était le mieux à même, aux yeux de Bauduin, d’exprimer la virulence des traits échangés par Cécilius et Octavius. Comme le suggère l’image apparentée de la « dent » acérée empruntée un peu plus loin à Minucius lui-même, le débat fut particulièrement « mordant » : [sc. Caecilius] imprudens incurit in aduersarium fortem & acrem : & (ut ille ait) fragili cupiens illidere dentem, infregit solido58.
Et, de fait, nous nous en tiendrons à une autre attestation particulièrement significative d’acer et de uehemens, dans la mesure où elle est extraite du court développement dans lequel Bauduin spécifie le type de discours dont relève l’Octauius : Genus dicendi est argutum, acre, uehemens59. Pour le reste, c’est surtout le réquisitoire de Cécilius qui fait l’objet d’une véritable caractérisation : Octavius, lui, se contente de « répondre » (respondet), de « défendre » (defendit) les réalités tournées en dérision par son adversaire et de « rejeter » (depellit) les allégations mensongères, en les retournant parfois contre leur auteur (retorquet in aduersarios). Le premier champ sémantique omniprésent et, partant, fort révélateur de l’impression produite par le discours de Cécilius sur Bauduin, est celui de la moquerie. Il est représenté par les multiples occurrences de ridere et son dérivé irridere, dans une moindre par le substantif risus. Le verbe simple et son composé font l’objet d’une distribution complémentaire : le premier apparaît d’ordinaire avec une proposition complétive introduite par quo, plus rarement avec une proposition infinitive ; le second, lui, est toujours suivi d’un complément d’objet direct. Ils visent au même effet : souligner la rouerie dont use Cécilius pour dénoncer l’incongruité des mœurs chrétiennes qui dérogent aux habitudes païennes. Quand les accusations proférées sont dénuées de tout bien-fondé, elles ne sont plus placées sous le signe de la simple raillerie, mais de la calomnie. Le champ lexical de la diffamation (calumnia, calumniator, calumniari ; falsa crimina ; impostor, impostura ; insultare ; maledicentia) et celui lié de l’impudence (impudentia, impudenter ; petulantia), sont bien représentés. À diverses reprises, le caractère excessif dont témoigne de la sorte le personnage est mis en rapport avec son irascibilité et sa présomption ; qu’on songe aux deux notations suivantes, extraites du court passage rappelant, juste avant l’évocation de sa conversion finale, le mépris démesuré dont est chargée sa critique des chrétiens : Magno supercilio et fastu et contemptu in eos despuit. … Caecilius initio despumans, et intemperanter conuicia profund[it], et minas effl[at], et ampullas horribiles proiicit, denique Christo insult[at]60. 58 59 60
« Cécilius se précipite de manière non avisée sur un adversaire courageux et acharné et, comme il le dit, alors qu’il désirait mettre en pièces plus fragile que lui, se cassa les dents sur plus solide. » « Le style est pénétrant, vif, véhément. » L’énumération en question se poursuit dans la phrase suivante : Est pressum, densum, neruosum, crebris sententiis compactum … « Il déverse sa bile contre eux avec beaucoup d’orgueil, de morgue et de mépris. […] Cécilius, écumant de rage dès le début, se répand sans retenue en reproches, profère ses menaces, lance d’horribles propos outranciers et laisse libre cours à son insolence à l’égard du Christ. »
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Le sévère jugement porté de la sorte sur Cécilius est intéressant à un double titre. D’une part, parce que l’art de la pointe et de la surenchère à l’origine des accusations formulées font partie des stratégies discursives mises en œuvre dans tout texte polémique61 – non que le discours d’Octavius ne soit pas empreint de rhétorique, mais dans une moindre mesure. Conformément à une topique chrétienne bien connue, l’éloquence y est par ailleurs employée au service du « vrai », et non du « faux »62. D’autre part, parce que la différence d’appréciation dont fait l’objet la teneur polémique des discours de Cécilius et d’Octavius est lourde de suggestions sur la préférence de l’auteur. Et, de fait, cette dernière ne demeure pas toujours implicite, comme c’est le cas dans les passages évoqués jusque-là, mais transparaît clairement en plusieurs endroits à travers des modalisateurs empreints de subjectivité. Il s’agit principalement d’adjectifs à connotation plus ou moins péjorative, qui traduisent des réactions allant de l’étonnement (mirum, ineptius est63) à l’indignation (turpius, horribilius est64). Quelques adverbes d’intensité permettent aussi d’appuyer, à l’instar des comparatifs cités, la charge négative de tel qualificatif (tam putida calumnia65). On notera enfin l’emploi fort significatif de Noster (« Nôtre ») pour désigner Octavius. Si, comme le suggère l’emploi de ce possessif, le parti pris de Bauduin fut de toute évidence déterminé par sa propre foi en la religion chrétienne, il n’est peut-être pas dénué de toute valeur programmatique au vu des intentions qui ont présidé à l’édition de cette apologie chrétienne. Dès l’année suivant sa parution, lors du colloque de Poissy qui réunit, à l’instigation de Catherine de Médicis, des théologiens catholiques et les principaux représentant de la religion réformée, Bauduin incarna en effet une sorte d’Octavius moderne en se faisant à son tour le défenseur du christianisme unifié et tolérant tel qu’il s’imposa dans l’Antiquité au cours des décennies qui suivirent la rédaction de ce dialogue. CONCLUSION Si, exception faite de Gelenius et d’Orsini, tous les éditeurs de l’époque humaniste se sont intéressés aux traits de polémique anti-chrétienne et anti-païenne développés par Minucius Felix, leur sensibilité particulière, mais aussi le contexte de l’époque à laquelle ils vécurent sont à la source de lectures fort différentes. La formation juridique de Bauduin a ainsi largement déterminé la forme et le contenu de son ample praefatio, très différente des commentaires analytiques proposés par ses successeurs. En tant que philologues, ces derniers se sont attachés à l’étude objective des enjeux à la fois historiques, religieux, stylistiques et textuels de l’Octauius : Bauduin, lui, s’est focalisé sur l’arrière-plan juridique de l’époque à laquelle fut composé cet opuscule, et en a proposé une présentation orientée, en prise avec les réflexions qui l’occupaient. De 61 62 63 64 65
Voir à cet égard nicolas & albert 2010. Cf. les termes dans lesquels Minucius spécifiait, dans l’un des passages précités, les enjeux de son discours (de religione nempe uera aut falsa). « Il est étonnant », « particulièrement déplacé ». « Particulièrement honteux », « particulièrement horrible ». « Une calomnie aussi abjecte ».
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fait, comme l’éditeur princeps, il ne fut pas indifférent à la proximité qu’entretenait le débat au centre du dialogue avec les graves dissensions religieuses qui compromettaient alors la paix publique en France. Le parti défendu par les deux hommes à travers leur présentation de l’œuvre n’est pas le même, cependant : en un temps où l’heure n’était encore ni à la conciliation, ni à la tolérance, le premier donne raison aux théologiens, en se montrant favorable à la politique de répression engagée par François Ier à l’égard des « hérétiques » ; le second, en passe de renier le calvinisme, laisse entendre la possibilité d’une sorte de troisième voie, en posant implicitement les jalons d’une réforme modérée de l’Église – réforme dont il se fit plus tard l’avocat auprès des plus hautes autorités politiques, en particulier de Catherine de Médicis et du prince Guillaume d’Orange. Sabaeus et Bauduin firent, en ce sens, bien plus qu’œuvre de simple éditeur : la publication de cette œuvre longtemps oubliée de la littérature latine tardive fut, pour eux, l’occasion de prendre position dans un débat brûlant d’actualité de leur temps. Ce n’était plus le cas quand parurent, quelques décennies après, les premiers commentaires « scientifiques » de l’œuvre de Minucius. Dans les éditions modernes, les deux approches – synthétique et analytique – coexistent souvent, recueillant l’important héritage des uns et des autres, tout en approfondissant davantage que ne l’ont fait les premiers éditeurs du texte les questions d’ordre purement stylistique, mais aussi philosophique, en accordant, entre autres, à la confession « sceptique » sur laquelle s’ouvre singulièrement le discours de Cécilius l’importance qui est la sienne dans l’économie de l’œuvre66. BIBLIOGRAPHIE Éditions de l’Octauius Faustus Sabaeus (ed.), Arnobii Disputationum aduersus Gentes, libri octo, nunc primum in lucem editi Romae, Roma, Fr. Priscien, 1543. Sigismundus Gelenius (ed.), Arnobii disputationum Aduersus Gentes libri VIII, nunc demum sic accurati, ut ab eruditis sine ulla offensatione et cum maiore lectionis operae pretio cognosci possint, Basel, J. Froben, 1546 (rééd. 1560). Fulvio Orsini (ed.), Arnobii Disputationum aduersus gentes libri septem. M. Minucii Felicis Octauius, Roma, D. Basa, 1583. Johannes Wower (ed.), M. Minucii Felicis Octauius et Cypriani de idolorum uanitate, Hamburg, J. Froben, 1603. Geverhart Elmenhorst (ed.), Arnobii Disputationum aduersus gentes libri septem, quibus accessit eiusdem argumenti dialogus M. Minutii Felicis Octauius, Hannover, C. Marnius et J. Aubrius Erben, 1603 (réimpr. Hamburg 1610 et 1612). Didier Hérault (ed.), Arnobii disputationum aduersus gentes libri septem. M. Minucii Felicis Octauius. Desiderii Heraldi ad Arnobii libros VII. animaduersiones, & castigationes, Paris, M. Orry, 1605 (réimpr. 1613, 1615, 1624 et 1626). Jacob Gronovius, M. Minucii Felicis Octauius. Cum integris Woweri, Elmenhorstii, Heraldi & Rigaltii Notis Aliorumque hinc inde collectis. Ex recension Iacobi Gronouii. Qui emendationes &
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Voir entre autres, sur ce déplacement des enjeux du texte, « plus philosophique que théologique et religieux » (p. LXXX), beauJeu 1964, « Signification et portée de l’œuvre », p. LXXIX sqq.
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explicationes suas adiecit. Accedunt Caecilius Cyprianus De idolorum uanitate & Iulius Firmicus Maternus u. c. De errore profanarum religionum, Rotterdam, J. D. Beman, 1743. François Bauduin (ed.), M. Minucii Felicis, Romani olim causidici, Octauius, in quo agitur ueterum Christianorum causa, Heidelberg, L. Lucii, 1560 (réimpr. Paris, 1589 et 1610 ; Frankfurt am Main, 1610) ; la dissertatio dite de Minucio Felice est, par ailleurs, aisément accessible dans PL 3, 1886, c. 207–228. J. beauJeu (ed.), Minucius Felix, Octauius, Paris, Belles lettres, 1964. B. kytzler (ed.), M[inucii] Felicis Octauius, Leipzig, B. G. Teubner, 1982.
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EPIGRAMMATIK IM GATTUNGSVERSTÄNDNIS DES FRÜHEN 16. JAHRHUNDERTS Die Epigramme von Thomas Morus und Erasmus von Rotterdam in der Ausgabe Froben 1518 Seraina Plotke Die dichterischen Klein- und Kleinstformen können mit der Lyrik und mit der Epigrammatik in zwei große Hauptstränge geteilt werden, die sich von ihren antiken Anfängen bis weit in die Neuzeit hinein durch ihre je verschiedenen Medienbeziehungen fassen lassen1. So zeichnen sich lyrische Formen genuin dadurch aus, dass sie Sprache und Klang vereinigen, epigrammatische hingegen in der Weise, dass sie die Sprache mit Zügen des Bildes ausstatten2. Während bei der Lyrik die Bindung an Gesang und Musik bis heute nicht verloren gegangen ist – man denke an das Lied als sangbares poetisches Genre –, bleibt der Epigrammatik auch nach ihrer Entwicklung von der In- oder Aufschrift auf einem Gegenstand hin zur Buchdichtung die Nähe zum Bild inhärent3. Epigramme geben sich fiktiv als Aufschriften auf Grabsteinen oder als Widmungsinschriften auf Säulensockeln, deren Gegenständlichkeit die Kürze des poetischen Produkts vorgibt, die als gattungskonstitutives Merkmal bis heute gilt4. Es ist der sogenannt lapidare Stil, der das Epigramm in der Weise gängelt, dass es zur Gravur auf einem Stein taugt. Epigramme nehmen denn auch häufig Bezug auf Kunstwerke, Statuen oder Gemälde, simulieren Weiheinschriften oder geben sich 1
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Ob sich Sprechtexte, Bilder und Klänge als Medien bezeichnen lassen, hängt von der Verwendung des Medienbegriffs ab. Die Bestimmung des Begriffs bewegt sich in jüngeren Publikationen zwischen einem technisch-materialen Verständnis – Medium als physischer Träger eines Zeichensystems – und einem ästhetischen, auf Wahrnehmungskategorien und Kommunikationsformen ausgerichteten Begriff. Letzterer hat sich da einschlägig durchgesetzt, wo vom Medium Klang, vom Medium Bild und vom Medium Sprache gesprochen wird, wie es in zahlreichen Forschungsbeiträgen der letzten Jahre geschieht. Man muss allerdings sowohl von der Lyrik im engeren Sinn als auch von der Epigrammatik im engeren Sinn sprechen, da beide Gattungsbegriffe schon in der Antike aufgeweicht wurden, was die betreffenden Medienbeziehungen nicht immer deutlich zutage treten lässt. Dies gilt vor allem auch hinsichtlich der verwendeten Metren (vgl. zu diesem Aspekt die Beiträge in keitH 2011; ferner auch Hartz 2007). Zu den Ursprüngen und Spielarten der Epigrammatik in der griechischen Antike siehe weiterführend: day 2010; bauMbacH, PetroVic & PetroVic 2010; HöscHele 2010; Meyer 2005. Einen Überblick über die Geschichte der Epigrammatik von den antiken Anfängen bis in die Renaissance bieten: liVingstone & nisbet 2010; dion 2002; Hess 1989; PFoHl 1969. Inwiefern das Epigramm noch in der Neuzeit durch die tradierten Charakteristika geprägt ist, zeigen etwa: MoHr 2007; scHäFer 2004.
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selbst als Votivgaben. Oft beschreiben Epigramme auf kleinstem Raum Szenenbilder oder nehmen typisierte Charakterzeichnungen vor, die über die geistreiche Pointe eine überraschende und skizzenhaft zugespitzte Schlusswendung zeigen5. Insofern bewegt sich die Epigrammatik schon von ihren Ursprüngen her zwischen Bild und Text, besitzt, auch nachdem sie Eingang in die Buchüberlieferung gefunden und sich zu einer rein literarischen Gattung entwickelt hat, sowohl eine ikonisch-zeigende als auch eine narrativ-berichtende Komponente, die im einzelnen Beispiel einmal stärker in die eine Richtung, einmal stärker in die andere ausschlägt. So dreht sich im Grunde genommen jedes Epigramm um den Nukleus einer Handlungsszene, die in darstellend-demonstrativer Weise eine Geschichte auf engstem Raum erzählt oder zumindest andeutet. Epigramme sind denn oft Kürzestgeschichten6, meist mit exemplarischem Gehalt, wobei die Beispielhaftigkeit in einem je auszuhandelnden Verhältnis zur Konkretion des bildhaft Gegenständlichen der dargestellten Szene oder der plastisch ausgeführten Charakterskizze steht. Zur bildlich-anschaulichen Komponente der Epigramme gehört die häufig verwendete Deixis auf einen Gegenstand oder einen Schauplatz. In Epigrammen beliebte Formulierungen wie „Hier ruht …“ oder „Seht hier …“ verstärken die vorgestellte Sichtbarkeit und Gegenständlichkeit des thematisierten Sachverhalts7. Nicht zufällig hat die implizite Nähe zum Bild in der Gattungsgeschichte der Epigrammatik auch Sonderformen hervorgebracht, die sich durch tatsächliche Medienverbindungen auszeichnen, so die aus der hellenistischen Epigrammatik heraus entstandene visuelle Poesie8 und die Emblematik, die ihren Ursprung der Vorliebe der Renaissance für das Epigramm verdankt9. Die Humanisten sind es, die der aus der Antike tradierten Gattung der Epigrammatik besonders frönen, ihr durch Textausgaben der antiken Vorbilder, Übersetzungen und durch eigene Produktionen einen eigentlichen Höhepunkt in ihrer Geschichte bescheren10. Eine herausragende Rolle spielt dabei die Anthologia Planudea, die 1494 bei Laskaris in Florenz erstmals gedruckt wurde und eine weitere Edition 1503 in Venedig erhielt11. Die griechischen Epigramme der Planudea beflügelten die epigrammatische Tätigkeit der Humanisten, die in dieser Gattung die Möglichkeit einer ihren Bedürfnissen besonders gelegenen Ausdrucksform erkann5 6 7 8 9
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Der Aspekt der argutia hat die Auseinandersetzung mit dem Epigramm im 17. Jahrhundert besonders beflügelt (siehe weiterführend etwa altHaus 1996). Zum Verhältnis von Kurzgeschichte und Epigramm siehe: griMM 2001, p. 37–76. Was die szenische Deixis der Epigramme in der frühen Neuzeit angeht, siehe etwa: JaHn 2006, p. 103–123. Zu den Anfängen der visuellen Poesie im Hellenismus siehe: luz 2010; Plotke 2005; ernst 1991. Als Geburtsjahr der Emblematik gilt allgemein das Jahr 1531, als den lateinischen ekphrastischen Epigrammen des Mailänder Juristen Andrea Alciato bei der Drucklegung Holzschnitte beigefügt wurden (siehe weiterführend: bässler 2012; köHler 1986; knaPe 1988, p. 133– 178). Grundsätzliche Aspekte erörtern die Beiträge in: de beer, enenkel & riJser 2009. Die Anfänge der Blüte des Epigramms in der Renaissance standen unter dem Einfluss der römischen Antike (dazu etwa HausMann 1972; bradner 1954). Dazu ausführlicher lauxterMann 2009. Grundlegend außerdem: Hutton 1935.
Epigrammatik im Gattungsverständnis des frühen 16. Jahrhunderts
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ten12. So führte die Beliebtheit des Genres in der Renaissance sogar dazu, dass in Sammlungen mit dem Titel Epigrammata auch Texte enthalten sein konnten, die nicht dem engeren Gattungsbegriff entsprechen, der Name also ebenfalls zur Sammelbezeichnung für Kleinpoesie ganz allgemein wurde. Die zahlreichen Druckausgaben aus dem frühen 16. Jahrhundert sind nicht nur Zeichen für die damalige Popularität des Epigramms, sondern sie spiegeln auch das Gattungsverständnis der Humanisten wider. Eine dieser Sammelausgaben sei hier exemplarisch ins Zentrum der Analyse gerückt, um Aspekten und Charakteristiken der lateinischen Renaissance-Epigrammatik auf die Spur zu kommen. Es handelt sich um eine Textsammlung, die im März 1518 in Basel bei Johann Froben gedruckt wurde und neben der Utopia des Thomas Morus die Erstedition seiner bis dahin verfassten Epigramme sowie eine Auswahl von Epigrammen des Erasmus enthält13. Jeder dieser drei Teile besitzt ein separates Titelblatt (bei fortlaufender Paginierung) und ist durch ein eigenes Widmungsschreiben eingeleitet. Die beiden jeweils mit Epigrammata überschriebenen Sammlungen des Morus und des Erasmus verdeutlichen das Spektrum, in dem sich die Renaissance-Epigrammatik bewegt14, das offensichtlich eine so große Nachfrage erzeugte, dass Froben noch im selben Jahr im November eine zweite, kaum veränderte Auflage edierte15. Die durch die Vermittlung des Erasmus in Basel erstmals veröffentlichten Gedichte von Thomas Morus stehen ganz im Zeichen der Antike-Rezeption16. Bei rund zwei Dritteln der Texte handelt es sich um lateinische Übersetzungen von Epigrammen aus der Anthologia Planudea. Aufschlussreich für das Profil, das Morus der Gattung verleiht, ist die Auswahl, die er unter den zahlreichen in der Planudea überlieferten Poemen zum Übersetzen getroffen hat. So handelt es sich bei den von ihm übertragenen Gedichten fast ausnahmslos um kurze Spottepigramme, um typisierte Skizzen menschlicher Schwächen und Laster, in denen auf kleinstem Raum bestimmte Menschen- oder Berufsgruppen karikiert werden, etwa der Trinker, die alte Frau, der Geizhals, der Emporkömmling, der schlechte Arzt, der Dichter, der Maler, der Redner, der Richter, der Astrologe etc.17. Auch unter den ohne griechische Vorlage gestalteten Beispielen finden sich viele Gedichte in der Art der 12
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Eine Übersicht über die unzähligen Epigrammatiker des 16. Jahrhunderts und ihre Druckausgaben zu gewinnen, ist kaum zu bewerkstelligen. Einführende Sammlungen bieten etwa: scHnur & kössling 1982; dalryMPle MacFarlane 1980, p. 17–39. Siehe weiterführend kaJanto 1994. Der Druck trägt den Titel: De optimo reip. statu, deque nova insula Utopia, libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus, clarissimi disertissimique viri Thomae Mori inclytae civitatis Londinensis civis et vicecomitis; Epigrammata clarissimi disertissimique viri Thomae Mori, pleraque e Graecis versa. Epigrammata Des. Erasmi Roterodami. Was Thomas Mores Utopia angeht, so bietet der Basler Druck die dritte Auflage des Gesellschaftsentwurfs des Engländers, nach Editionen in Leuven 1516 und Paris 1517 (vgl. Thomas More, Utopia, 1995, p. XXXIV). Moderne Editionen stellen bereit: Thomas Morus, Latin poems, 1984 (kritische Edition und englische Übersetzung der Epigramme von Thomas Morus); Erasmus, Poems, 1993 (kritische Edition, Kommentar und englische Übersetzung der Epigramme von Erasmus). Zur doppelten Epigramm-Sammlung des Drucks siehe auch Miller 2009. Zum Verhältnis von Thomas Morus und Erasmus siehe weiterführend: MansField 2009. Vgl. bauMann 1984, p. 63–80.
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kaiserzeitlichen Spottverse etwa eines Lukillios, die jedoch häufig eine noch stärker zugespitzte Pointierung besitzen, wie sie Martial, der Meister des scharfsinnigen Witzes, seinen Epigrammen verlieh, an denen sich Morus ebenfalls geschult hatte18. Die griechischen Vorbilder, die Morus übersetzte, schienen ihm offensichtlich geeignet, die mores bestimmter gesellschaftlicher Gruppen auch seiner eigenen Zeit in bildhaft-zeigender Weise darzustellen, so ähnlich sind die von ihm selbst geschaffenen Epigramme den antiken Pendants19. Nicht nur die übertragenen Gedichte, sondern auch zahlreiche seiner eigenen Spottverse zeichnen sich dadurch aus, dass sie über eine pointierte Kürzestgeschichte die bildhafte Vergegenwärtigung verschiedener sozialer Rollen schaffen, ihrer Sitten und Gebräuche, die beispielhaft ausgestellt werden. Präsentiert werden typische Formen des Fehlverhaltens, wobei die ins Zentrum gerückten Figuren und ihre Handlungsweisen in karikierender Art überzeichnet sind. Die einzelnen Epigramme geben Fallbeispiele, die einerseits so weit veranschaulicht sind, dass in der Besonderheit eine Geschichte entsteht, andererseits aber allgemein genug, um das Exempel für übergreifende Einsichten und Gesetzmäßigkeiten durchsichtig zu machen. Die poetische Darstellungskunst dient bei Morus der Vergegenwärtigung eines konkretisierten Beispiels, der Präsentation einer Fallgeschichte bzw. eines Kasus: Wenn ein Vorgang oder ein Charakter für ein spezifisches Handlungsmuster oder für eine bestimmte Eigenschaft als typisch, ja exemplarisch eingeschätzt wird, dann lässt sich der Einzelfall unter einer Regel oder einem Prinzip subsumieren. In der Rechtsprechung fungiert der Kasus als der Anwendungsfall eines allgemeinen Gesetzes, in der Literatur ergibt er eine am tatsächlichen Vorfall zu gewinnende, problemorientierte Erzählform. Den Begriff des Kasus hat die Literaturtheorie denn auch, wie André Jolles festhält, der ihn zu den Einfachen Formen des Erzählens rechnet, dem Strafrecht entlehnt20. Nach Jolles führt der Kasus einen generalisierenden Normenkonflikt vor, der zum Nachdenken anregt21. Jeder Kasus liegt anders und ist auf seine Weise etwas Besonderes; allein die Art seiner Behandlung, die erzählende Anordnung und Einfassung des Geschehens nach bestimmten Mustern und Regeln gibt Anlass, im Einzelnen zugleich das Allgemeine zu sehen. Wie im juristischen Diskurs die Subsumption unzähliger differenter Einzelfälle unter die Zuständigkeit ein und desselben Gesetzes ein ständiges Abwägen verlangt, so beim Erzählen die Aufgabe, in einem je spezifischen Geschehen zugleich das Mustergültige oder Typische zum Ausdruck zu bringen. Die meisten der unter dem Titel Epigrammata gesammelten Übersetzungen und Gedichte Mores schaffen in kürzester Pointierung den Spagat zwischen Einzelfall und exemplarischer Darstellung. Der Witz ergibt sich dabei aus der konfliktträchtigen Diskrepanz von veranschaulichtem Verhalten und insinuierten Wertmaßstäben, die in einer scharfsinnigen Wendung aufgefangen wird. Morus, der Jurist und Rechtsanwalt22, zelebriert die Epigrammatik als erfindungsreich-scherzhaftes 18 19 20 21 22
Vgl. MccutcHeon 2010, p. 75; bauMann 1984, p. 21. Siehe auch grace 1985, p. 115–129. Vgl. Jolles 1930, p. 171–199. Vgl. Jolles 1930, p. 179. Vgl. etwa HeinricH 1984, p. 21; des Weiteren zusammenfassend ackland 2009, p. 39–52.
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Spiel mit der Konkretisierung individuierten Handelns und dessen Abstraktion und Subsumption unter allgemeine Gesetzmäßigkeiten. Als wie charakteristisch Mores Epigramme im Sinne des zeitgenössischen Gattungsverständnisses empfunden wurden, zeigt sich im Widmungsschreiben von Beatus Rhenanus an Willibald Pirckheimer, das die Sammlung einleitet. In diesem Brief gibt der Schlettstädter Humanist eine genaue Definition dessen, wodurch sich ein Epigramm auszeichnet, und sieht die betreffenden Merkmale in Mores Gedichten besonders effektiv verwirklicht. Die vier Eigenschaften, die Rhenanus für Epigramme vorsieht, sind: argutia (Scharfsinn), brevitas (Kürze), festivitas (heitere Vergnüglichkeit, Rhenanus benutzt an dieser Stelle das Adjektiv festivus) und das, was die Griechen epiphónema nennen würden, nämlich: plötzlich mit einem gelungenen Effekt zu schließen („acclamatiunculis … subinde claudatur“)23. Rhenanus nimmt mit diesen Bestimmungen wichtige Kriterien vorweg, die die Poetiken des späten 16. Jahrhunderts systematisieren und als gattungskonstitutiv für das Epigramm definieren24. Er attestiert Mores epigrammatischer Kunstfertigkeit weiter: nam elegantissime componit, et felicissime vertit. Quam fluunt suaviter huius carmina. Quam est hic nihil coactum. Quam sunt omnia facilia. Nihil hic durum, nihil scabrum, nihil tenebricosum. Candidus est, argutus, Latinus. Porro gratissima quadam festivitate sic omnia temperat, ut nihil umquam viderim lepidius. Crediderim ego Musas quicquid usquam est iocorum, leporis, salium, in hunc contulisse. Quam lusit eleganter ad Sabinum alienos pro suis tollentem liberos. Quam salse Lalum ridet, qui videri Gallus tam ambitiose cupiebat. Sunt autem huius sales nequaquam mordaces, sed candidi, melliti, blandi, et quidvis potius quam amarulenti. Iocatur enim, sed ubique citra dentem: ridet, sed citra contumeliam25.
In dieser Beschreibung, die als Spiegel der zeitgenössischen Gattungsreflexion gewertet werden darf, nennt Rhenanus weitere Charakteristika der More’schen Epigramme. Zentrale Leitwörter sind candidus, salsus, lepidus, elegans, die er als Merkmale epigrammatischen Schreibens gleich mehrfach nennt; besonders hervorgehoben wird zudem das Scherzen, ohne zu verletzen. Epigramme sollen also das Gemüt erheitern, sie sollen ungezwungen und gewandt wirken, nichts Schweres 23
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Epigrammata clarissimi disertissimique viri Thomae Mori, p. 167: Sed enim, id quod te non latet, argutiam habeat epigramma cum brevitate coniunctam, sit festivum, et acclamatiunculis, quae ἐπιφωνήματα Graeci vocant, subinde claudatur. Deutsche Übersetzungen des Widmungsschreibens bieten etwa: lederer 1985, p. 8–12; bauMann 1983, p. 54–60. Vgl. beispielsweise Julius Caesar Scaliger, Poetices libri septem, p. 203–217. Epigrammata clarissimi disertissimique viri Thomae Mori, p. 167–168. Deutsche Übersetzung (bauMann 1983, p. 56–57): „[E]r dichtet höchst elegant und übersetzt höchst glücklich. Wie angenehm seine Gedichte dahinfließen! Wie ungezwungen hier alles ist! Wie gewandt alles ist. Es gibt nichts Hartes, nichts Raues, nichts Unverständliches. Er ist strahlend, scharfsinnig, ein wahrer Lateiner. Ferner mischt er alles mit einer höchst erfreulichen scherzhaften Anmut, niemals sah ich etwas Geistreicheres. Ich könnte glauben, dass die Musen alles an Scherzen, Feinheit und Witz auf ihn übertragen haben. Wie elegant er Sabinus verspottet, der fremde Kinder als eigene aufzieht! Wie feinsinnig er Lalus verlacht, der so eifrig sich bemüht, französisch zu erscheinen! Aber seine Scherze sind niemals bissig, sondern ungekünstelt, honigsüß, schmeichelnd, und alles andere als beißend. Gewiss scherzt er, aber überall ohne verletzende Schärfe, er spottet, aber ohne Beleidigung.“
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oder Problembehaftetes an sich haben, sondern das Skizzierte mit Leichtigkeit und Eleganz auf den Punkt bringen. Geschmeidig, witzig und geistreich sollen die Verse sein, dann bringen sie den größten Nutzen. Utilitas, dies ist die Messkategorie, die Rhenanus im Folgenden unter Hinweis auf die Epigramme der italienischen Humanisten Michele Marullo und Giovanni Pontano heranzieht: Die Gedichte Mores hätten bei Weitem den größeren Nutzen26. Offenkundig versteht Rhenanus utilitas hier nicht allein im Sinne der Belehrung. Gemeint ist der Profit in einem umfassenderen Wortverständnis, wie es sich Hand in Hand mit der Entwicklung der frühkapitalistischen Verkehrsformen der Renaissance gerade erst herausbildete: Das Epigramm hat einen hohen Tauschwert27. Besonderer Ausdruck dieses Wechselkurses ist die unterhaltende Pointe, ist das, was Rhenanus mit dem griechischen Wort epiphónema charakterisiert. Worauf der Schlettstädter Humanist also abzielt, wenn er in Bezug auf Mores Epigramme von utilitas spricht, ist der return of invest. Das Tauschgeschäft funktioniert beim Epigramm so, dass man es liest und Interesse bekundet, im Gegenzug mit einem angenehmen Leseerlebnis und einer scharfsinnigen Pointe belohnt wird. Mit Blick auf die sich gerade etablierenden kapitalistischen Marktgesetze, bei denen nicht zuletzt gilt: Zeit ist Geld, spielt auch das Kriterium der Kürze für den Marktwert der Epigramme, ihre utilitas, eine nicht zu unterschätzende Rolle. Nicht nur Thomas More ist ein vielbeschäftigter Mann, der seine dichterischen und schriftstellerischen Tätigkeiten als lucubrationes, als Nachtarbeiten, betrachtet, die meisten Humanisten sind es28. In der Renaissance-Epigrammatik gelingt der Transfer von den antiken Archiven des Wissens zu den neuen Trägerschichten des städtischen Frühkapitalismus. War im Mittelalter die Gelehrtheit dem Klerus und den Universitäten vorbehalten, so lässt sich in der humanistischen Epigrammatik antikes Bildungsgut mit Kaufmannstugenden verbinden: Die Kürze der Epigramme, das Instantane, dies gehört zur Zweckmäßigkeit, zur utilitas des Merkantilen. Gefragt ist die schnelle Bilanzierung, die nicht viel Zeit braucht, sodass parallel zur Gelehrsamkeit die Geschäfte verfolgt werden können. Zur (früh)bürgerlichen Form des Tauschgeschäfts gehört zudem, dass man sich verspricht, mehr heraus zu bekommen, als man einwirft. Mores Epigramme brin26
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Epigrammata clarissimi disertissimique viri Thomae Mori, p. 168: Proinde quemadmodum Syrus Therentianus Demeam bello praedicans, Tu quantus quantus, inquit, nil nisi sapientia es, ita de Moro dicere licebit, Quantus quantus est, nil nisi iocus est. Iam inter epigrammatographos Pontanum et Marullum inprimis hodie miratur Italia. at dispeream, si non tantundem in hoc est naturae, utilitatis vero plus. Grundsätzliche Überlegungen zum Tausch finden sich in: derrida 1991; Mauss 1923/1924. Vgl. etwa in der Vorrede zur Utopia im gleichen Druck: De optimo reip. statu, deque nova insula Utopia, libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus, clarissimi disertissimique viri Thomae Mori, p. 19. Lucubrationes wurde von den Humanisten sogar als Titel für Sammelausgaben benutzt, beispielsweise: D. Erasmi Roterodami viri undecunque doctissimi lucubrationes, quarum index positus est facie sequenti (Straßburg, Matthias Schürer 1515); Excellentissimi viri Udalrici Zasij L.L. Doct. earundemque in percelebri Friburgensium Academia professoris ordinarij lucubrationes aliquot ... (Basel, Johann Froben 1518).
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gen in der Einschätzung des Rhenanus gleichsam einen added value, einen Mehrwert. So lässt sich die epigrammatische Struktur mit ihrer pointierten Schlusswendung in eine grundsätzliche Korrelation zur frühkapitalistischen Tauschkultur bringen, in der alle menschlichen Interaktionen als eine Kette von punktuellen Transaktionen verstanden werden: Ein Epigramm enthält mit dem gelungenen Schlusseffekt schon in sich eine Kontrapunktik, zeichnet auf engstem Raum einen Wechsel der Optik, eine Wende nach, wie sie die Struktur von Transaktionen ausmacht. Dass Epigramme unter den Humanisten auch buchstäblich als partnerschaftliche Tauschgeschäfte verstanden wurden, zeigt sich in der Sammlung des Erasmus. Die ebenfalls unter dem Titel Epigrammata gefasste Zusammenstellung ist heterogener als diejenige des Morus. Unter den Gedichten des Erasmus findet sich eine ganze Reihe von Texten, die lyrische Versmaße aufweisen und explizit als Ode bezeichnet sind, womit sie nicht zur Gattung der Epigramme im engeren Sinn gerechnet werden können. Bereits das von Johann Froben formulierte Widmungsschreiben, das der Sammlung vorangestellt ist, greift gleich zum Auftakt kommerzialistische Denkfiguren auf und spricht davon, dass die Epigramme des Erasmus unter Gebildeten stark nachgefragt seien (a studiosis summopere flagitari)29. Dass Froben deshalb die von Beatus Rhenanus und Bruno Amerbach zusammengetragenen Gedichte herausgebe, würde demnach den Gebildeten eine Gefälligkeit erweisen, Erasmus persönlich hingegen kaum, der die betreffenden Verse nicht zur Veröffentlichung verfasst habe, sondern um seinen Freunden zu huldigen: Oft genug habe der Drucker beobachtet, wie die Leute den berühmten Humanisten besucht und ihm dann ein Epigramm oder einen Brief abgerungen hätten30. Bei den in Frobens Edition zusammengestellten Epigrammen im engeren Sinn gibt es, grob betrachtet, vier Typen: Spottepigramme, Epitaphe, Bildbeschreibungen mit ausgeprägter Deixis und Widmungsgedichte. Gerade Letztere thematisieren wiederholt das Moment des Tauschs, die Vorstellung, dass das Epigramm als Gegengabe fungiert. So spricht etwa das Gedicht mit dem Titel Agit carmine gratias pro misso munere explizit von Versen als Währung31. Aber auch da, wo das Prinzip von Leistung und Gegenleistung nicht ausdrücklich benannt ist, spielt die Vorstellung des Epigramms als Gabe eine wichtige Rolle, so etwa bei den Epitaphen oder bei Dedikationen jeder Façon. Wie schon Froben in der Einleitungsepistel verdeutlicht, handelt es sich bei den Epigrammen um eine Art Kapital, um ein Mittel mit Tauschwert: Freunde machen Erasmus ihre Aufwartung und bekommen dafür ein Epigramm. Auch die Epitaphe und die Dedikationen basieren letzten Endes auf diesem Mechanismus, der nicht nur bei den Versen des Erasmus zum Tragen kommt, sondern im dichterischen Repertoire der Humanisten ganz Europas allgegenwärtig ist. Schließlich funktioniert Kommunikation unter den Humanisten allgemein in der Art von Tauschgeschäften. Ihr wichtigstes Kommunikationsmittel, der Brief 29 30 31
Epigrammata Des. Erasmi Roterodami, p. 275: Accepimus iam pridem, Erasmi Roterodami compatris nostri Epigrammata a studiosis summopere flagitari. Vgl. ebd. Epigrammata Des. Erasmi Roterodami, p. 317.
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(den Froben ja auch in einem Atemzug mit dem Epigramm nennt) ist das Tauschmedium par excellence. Der Renaissance-Humanismus entsteht und entwickelt sich in den kommerziellen Zentren Europas, den damaligen Finanzmetropolen: in den italienischen Städten, in Paris, London, Augsburg, Nürnberg, Wien, Straßburg, Basel etc. Kommuniziert wird innerhalb der Städte, aber vor allem auch über die großen Distanzen in Briefform, wobei den Schreiben nicht selten Epigramme als Zugabe beigelegt werden. Zu diesen Zentren des Kapitals gehören im frühen 16. Jahrhundert wesentlich auch die Offizinen, die das Ihrige für die humanistischen Tätigkeiten leisten, nicht zuletzt diejenigen am Oberrhein. Für die Offizinen sind Epigramme in dieser Zeit auch buchstäblich kapitalbringend, indem sie in der Phase der Ökonomisierung des Titelblatts eine maßgebliche Rolle spielen. Genau während der Schaffenszeit von Thomas Morus und Erasmus entwickeln sich die Titelseiten von den unscheinbaren, lediglich mit Verfassernamen und einer kurzen Inhaltsangabe versehenen Deckblättern der frühen Inkunabeln weg zu werbeträchtig angelegten, mit Holzschnitten oder Metallstichen geschmückten bimedialen Kunstwerken, auf denen gerade auch Epigramme zum Einsatz kamen, die den Verkauf des Drucks fördern sollten32. Insbesondere Gedichte von berühmten Humanisten auf den Titelseiten der Editionen wirkten absatzsteigernd, empfahlen sie doch die Ausgaben dank des Renommees der Verfasser den Lesern und verliehen den Handelsgütern der Offizinen Prestige. So wurden die Epigramme fester Bestandteil der ökonomischen Handlungslogik, denen die Bücher seit der Errungenschaft des Buchdrucks unterworfen waren: Die Printedition als Produkt, das marktwirtschaftlichen Gesetzen unterliegt, sucht seine Käufer, und diese werden durch die Epigramme und deren spezifische Eigenschaften, wie sie Rhenanus in seinem Widmungsschreiben zu Mores Sammlung thematisiert, in besonderem Maße angelockt. BIBLIOGRAPHIE Erasmus, Poems, trans. C. H. Miller, ed. H. VredeFeld, Toronto, 1993 [= Collected Works of Erasmus, vol. 85 & 86] Thomas More, Utopia, Latin text and English translation, ed. G. M. logan, R. M. adaMs & C. H. Miller, Cambridge, 1995. Thomas Morus, Latin Poems, ed. C. H. Miller, l. bradner, c. a. lyncH & r. P. oliVer, New Haven, 1984 [= The complete works of St. Thomas More, vol. 3,2]. Thomas Morus, Epigramme, übers., eingel. und komm. von U. bauMann, München, 1983. Thomas Morus, Epigramme, aus dem Lateinischen übers. von I. PaPe, hg. von D. lederer, Berlin, 1985. Julius Caesar Scaliger, Poetices libri septem. Sieben Bücher über die Dichtkunst, hg. von L. deitz & G. Vogt-sPira, vol. 3, Stuttgart/Bad Cannstadt, 1995.
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Auf den Titelblättern spielte die bildhaft-deiktische Komponente der Epigramme mit eine entscheidende Rolle, und aufgrund ihrer Kürze ließen sie sich in idealer Weise in eine Text-BildGraphik einarbeiten, die nicht mehr als eine einzige Blattseite umfasste. Siehe weiterführend zur Entwicklung des Titelblatts: rautenberg 2008; rautenberg 2004.
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EPITAPHIEN, VERSBRIEFE UND MOTS D’ESPRIT BEI JOHANNES FABRICIUS MONTANUS Epigrammpoesie als Spiegel eines Humanisten und Pastors David Amherdt Johannes Fabricius Montanus1 wurde 1527 im Elsass geboren, in einem kleinen Dorf zwischen Colmar und Strassburg, namens Bergheim – daher sein Beiname „Montanus“ („vom Berg“). Eigentlich hieß er Schmid (Schmied), lateinisch „Fabricius“ (von „faber“). Sehr jung verließ er seine elsässische Heimat, um sein Studium zu beginnen. Er wurde zuerst nach Zürich zu seinem Onkel, dem Zürcher Reformator Leo Jud, geschickt. Danach studierte er unter anderem Theologie, in Basel, Strassburg und Marburg. Während seines Aufenthaltes in Deutschland lernte er den neulateinischen Dichter Peter Lotichius kennen, der ihn in die Geheimnisse der Dichtkunst einweihte. In Deutschland traf er auch den Reformator Philipp Melanchthon. Als er 1547 nach Zürich zurückkehrte, wirkte er als Lehrer und Pfarrer unter Heinrich Bullingers Leitung. 1557 wurde er als Stadtprediger nach Chur geschickt, wo er 1566 an der Pest starb. Während seiner Zürcher Zeit schrieb er mehrere Gedichte, die er 1556 unter dem Titel Poemata veröffentlichte2. Auch in Chur war er schriftstellerisch tätig: Er verfasste weitere Gedichte sowie Erbauungsschriften und theologische Kontroversschriften. Die Gedichte der Churer Zeit wurden erst im 18. Jahrhundert in den Miscellanea Tigurina3 gedruckt. Das poetische Werk des Johannes Fabricius Montanus ist sehr vielfältig. Er hat ein episches Gedicht über Wilhelm Tell verfasst4, ein erstes Buch einer Zürcher Epik5, eine Autobiographie in Versen6, ein Gedicht über die Thermalquellen des
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Für die Durchsicht der deutschen Fassung danke ich Arnold Bärtschi (Basel), Céline Leuenberger (Fribourg) und Arlette Neumann-Hartmann (Fribourg und Basel). wenneker 1999, col. 547–551; s. auch bäcHtold 2005, p. 666; JauMann 2004, p. 262; rott 1987, p. 878; bonorand 1959, p. 737–738; scHiess 1905, p. VII–LXIII; scHiess 1904, p. 253– 310. I. Fabricius Montanus, Poemata, Zürich, Gessner, 1556. J. J. Ulrich, Miscellanea Tigurina, vol. III, Zürich, Gessner, 1724. Montanus, Poemata, p. 72–76; s. auch aMHerdt, Thellio, 2006, p. 986–1007. Das De consulibus Tigurini liber primus, in Montanus, Poemata, p. 37–48. Ulrich, Miscellanea Tigurina, p. 396–402; döPP 1998, p. 39–45 (Text); s. auch aMHerdt, Ovide, 2006, p. 483–506.
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Engadins7, eine Trauerekloge8, Elegien9, Oden nach dem Vorbild von Horaz10, ambrosische Hymnen11, Trauergedichte12 und eine Reihe von kürzeren epigrammatischen Gelegenheitsgedichten13. Diese ganz unterschiedlichen Texte erwecken den Eindruck, der Dichter wolle mit seinem Werk eine beispielhafte Gesamtschau aller poetischen Gattungen präsentieren. Ein Großteil seiner Dichtung steht mit seinem Leben in Verbindung: Die Hauptthemen sind Heirat, Tod, Liebe, Natur, Freundschaft und Gott, obschon Letzterer ziemlich diskret behandelt wird. Die Gedichte des Montanus sind nämlich sehr „römisch“ und folgen, was die literarischen Motive und die Sprache betrifft, hauptsächlich dem antiken Modell. Dennoch spürt man fast immer, dass Montanus ein protestantischer Pfarrer ist. Gott, die Tugenden, die Familie, die christlichen Werte sind immer präsent, wenn auch nicht explizit. Dies alles gilt auch für die epigrammatische Gelegenheitsdichtung, die meistvertretene „Gattung“ in Montanus’ poetischem Werk. Es handelt sich vor allem um Epitaphien, kleine Versbriefe und mots d’esprit. Man kann sagen, dass das Salz des Epigramms alle Augenblicke seines Lebens begleitet: Die Poesie hilft nicht nur, das widrige Geschick zu überwinden14, sondern auch sich zu freuen, die Freundschaft zu pflegen, dem Leben seine Würze zu geben. Montanus’ epigrammatische Poesie vorzustellen und ihre Funktion zu erhellen, wird im Zentrum der nachfolgenden Ausführungen stehen. 1. IN FUNERE CATHARINAE FILIAE INFANTIS Wie bereits erwähnt, ließ sich Fabricius Montanus 1547 am Ende seines Studiums in Zürich nieder. Im selben Jahr heiratete er Katharina Stutz, die ungefähr ein Jahr später im Wochenbett starb. Zur Erinnerung an seine Frau und seine Tochter, die bei der Geburt ebenfalls starb und wie ihre Mutter Katharina hieß, schrieb Montanus ein Trauergedicht, eine Art Grabepigramm15.
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Ulrich, Miscellanea Tigurina, p. 404–406; döPP 2012. Montanus, Poemata, p. 17–21; s. auch aMHerdt 2007, p. 5–36. Montanus, Poemata, p. 7–9; 11–15; s. auch aMHerdt 2011, p. 245–258. Montanus, Poemata, p. 4–6; 9–11; 15–17; 25–27. Montanus, Poemata, p. 3; 6–7. S. z. B. Ulrich von Huttens Epitaph, p. 27–28; das Trauergedicht über den Tod seines Vaters, p. 21–22; das Gedicht über den Tod eines Kindes, p. 23–25 (s. auch aMHerdt 2010, p. 489– 506). Einige kürzere Trauergedichte werden in diesem Aufsatz unter den kurzen epigrammatischen Gelegenheitsgedichten betrachtet. Es handelt sich nicht um Epigramme im engeren Sinn (d. h. Epigramme, die antiken Vorbildern wie Martial oder Ausonius folgen), sondern im weiteren Sinne um eher kurze Gedichte mit einer geistreichen Pointe. Über die Schwierigkeit, eine passende Definition des Genres „Epigramm“ zu geben, s. u. a. iJsewiJn & sacré 1998, p. 22 und p. 111; laurens 2012, p. 35–39. S. auch aMHerdt 2013, p. 189–201. Über die, u. a. lateinischen, Kindertrauergedichte in der Renaissance, s. aurnHaMMer 2010, p. 51–82.
Epitaphien, Versbriefe und mots d’esprit bei Johannes Fabricius Montanus
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In funere Catharinae filiae infantis16 Matris nomen habes et habes commune sepulchrum. Ultima lux illi quae tibi prima fuit. Orbam te genitrix orbum me nata relinquis. Tu titulum patris, coniugis illa tulit17. Circulus iste precor totum cito compleat orbem, Et simul in mortem desinat, oro, meam, Ut qui praetereat tumulos hic dicere possit: „Unica cum gemino nata parente iacet“. Auf den Tod seines Töchterchens Katharina18 Name und Grab, mein Töchterchen, sind mit der Mutter gemein dir: Als sie zum Licht dich gebar, musste sie scheiden vom Licht! Wie dich die Mutter verlassen, verlässt du nun mich, und vereinsamt Blieb ich, der Namen beraubt: Vater und Gatte, zurück! Möchte (das fleh’ ich!) doch rasch das Geschick vollenden den Kreislauf, Finden den Abschluss, mich sendend zu euch in den Tod, Dass, wen der Weg an den Hügeln vorbeiführt, sagen sich könne: „Hier ruh’n, friedlich vereint, Vater und Mutter und Kind!“
Gegenstand dieses Gedichtes ist der Tod beider Katharinas. Man könnte aber sagen, das Hauptthema sei Montanus selbst, der überlebende Mann und Vater, der Frau und Tochter auf einmal verloren hat, und der, wie er es im Gedicht sagt, wie verwaist (orbum) ist, so dass er sich wünscht, das tödliche Schicksal erreiche auch ihn. Bemerkenswert ist das schöne Hyperbaton in mortem … meam: Mit meam am Ende des Verses wird betont, dass auch der Vater zu sterben wünscht. Dieses Motiv findet sich oft in antiken lateinischen Grabinschriften19, wie auch in der Renaissance, z.B. bei Giovanni Pontano20. Der letzte Vers ist ein sonderbares Epitaph für die ganze Familie: Selbst in einem Grabepigramm scheint die Familie ein Hauptwert zu sein!21 Das Gedicht ist höchst pessimistisch, ein Ton, der als typisch für die Poesie des Montanus gelten kann. Jedoch wird er in den meisten Fällen vom Optimismus Montanus, Poemata, p. 22. Ein ähnliches Thema findet sich in AL, vol. II, 2, Nr. 1281, eundem / deserit illa patrem, deserit illa virum. 18 Übersetzung VulPinus 1894. 19 lattiMore 1962, p. 205–210. 20 Z. B. in einigen Grabepigrammen seiner „tempietto“ überschriebenen Gedichte, deren Text man u. a. in der neueren Publikation von VuilleuMier & laurens (2010, p. 49–66) finden kann. So richtet sich der Dichter an seine verstorbene Tochter Lucia (p. 57, in Prosa): infelicissima [mater], hoc tamen felix, quod haud multos post annos te revisit tecumque nunc cubat. Ast ego felicior, qui brevi cum utraque edormiscam eodem in conditorio; s. auch p. 58 (an seinen verstorbenen Sohn Lucio): Quin et hient tumuli, et tellus hiet, et tibi me me / reddat et una duos urna tegat cineres. Diese Epitaphien Pontanos waren u. a. den venezianischen Humanisten in der 1. Hälfte des 16. Jh. bekannt (s. VuilleuMier & laurens 2010, p. 54); es scheint mir aber unwahrscheinlich, dass Fabricius Montanus diese Epigramme kannte. Die Tumuli (s. unten) Pontanos konnte er dagegen in den 1531 in Basel von Andreas Cratander veröffentlichten Carmina gelesen haben. 21 Cf. Pontano, De tumulis, 1, 21, 1–2, Tecum una, mea nata, mori materque paterque / debuimus, tribus haec ut domus una foret [Tumulus Aurae puellae, Parentes et soror ad sepulcrum quer16 17
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desjenigen überwunden, der an das ewige Leben glaubt. Dieses Gedicht aber ist römisch geprägt, vom christlichen Glauben ist überhaupt nicht die Rede. Die Motive sind diejenigen römischer Grabinschriften (Klagen, Schmerz, Pessimismus, Wunsch zu sterben etc.)22. Der Aufbau des Gedichtes zeigt eine hohe rhetorische Ausarbeitung: Mit Chiasmen (v. 1: nomen habes / habes sepulchrum; v. 2: ultima illi / tibi prima; v. 4: tu patris / coniugis illa), Parallelismen (v. 3: orbam te genitrix / orbum me nata), Wortspielen aller Art (z. B. v. 3: Polyptoton orbam–orbum). Das Wortfeld „Familie“ ist stark vertreten, mit genitrix, nata, patris, coniugis, parente. Besonders schön ist Vers 8, welcher vom Viator ausgesprochen wird und in dem die Tochter (nata) von ihren beiden Eltern (gemino parente) sozusagen umarmt wird. Hier kann man eine erste Funktion dieser Poesie erkennen, nämlich den Trost. Der Dichter schreibt, um seine eigene Trauer zu überwinden. Eine weitere wichtige Dimension dieses geistreichen Stückes ist die Freude, das Vergnügen, die Unterhaltung, das delectare des Lesers – vergessen wir nicht, dass Montanus dieses Epigramm in den Poemata veröffentlichte, es also für ein Lesepublikum geschrieben hat. 2. IN FUNERE CATHARINAE FILIAE INFANTIS EX SECUNDA CONIUGE 1550 heiratete Montanus in zweiter Ehe Agatha Ambühl23. Mit ihr konnte er sich, wie er es selbst in seiner Versautobiographie erklärt, über den Tod seiner ersten Frau hinwegtrösten24. Agatha gebar ihm zwölf Kinder, von denen neun im Kleinkindalter starben. Zwei Gedichte der Poemata erinnern an den Tod dreier von ihnen. Das erste lautet: In funere Catharinae filiae infantis ex secunda coniuge25 Tertia tu Catharina mihi, sed tertia quamvis, Es tamen in lachrimas tu quoque nata meas. Nempe solet vulgus Catharinam dicere Thrinam: Flebile quod totum hoc nil nisi nomen habet26. Auf den Tod seines Töchterchens Katharina aus zweiter Ehe Du bist meine dritte Katharina, doch selbst als dritte, bist auch du geboren, um mich in Tränen ausbrechen zu lassen. Die Leute pflegen die Katharinas „Thrina“ zu nennen: Das alles hat nichts Trauriges, außer den Namen.
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untur]. Über das Thema des gemeinsamen Grabes in der Antike, s. lattiMore 1962, p. 247– 250. lattiMore 1962, p. 172–214. Zu ihrem Vater, Rudolf Ambühl (1499–1578), Diplomat, Griechischprofessor, Übersetzer (Euripides, Demosthenes) und Schriftsteller, s. bäcHtold 2002, p. 293. Versautobiographie (supra, Fn. 7), 189–190, Una recens veteri medicina reperta dolori / venit in amplexus casta puella novos. Montanus, Poemata, p. 22. S. AL, vol. I,1, Nr. 447, p. 335, v. 6, et magnum infelix nil nisi nomen habet.
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Man weiß nicht, wann diese Tochter geboren wurde. Es ist hingegen bekannt, dass Montanus sie Katharina nannte, wie seine erste Frau und ihr gemeinsames Kind27. Montanus setzt den Vornamen Katharina in Verbindung mit dem griechischen threnos (θρῆνος), einem traurigen Namen also, da dies die Bezeichnung für ein „Klagelied“ ist. Thrina war damals anscheinend der Spitzname oder, besser gesagt, die Abkürzung des Vornamens Katharina. Dank des Wortspieles lässt die tiefe Traurigkeit des Montanus vielleicht etwas nach. Hier kann man wieder die Funktion des Trostes erkennen: Der Dichter schreibt, um seine Trauer zu überwinden. Dieses Gelegenheitsgedicht hat natürlich auch einen Unterhaltungswert. Wie das erste Epigramm ist es sehr römisch, es lassen sich keine spezifisch christlichen Motive erkennen. 3. EPITAPHIUM ELISABETAE ET REGULAE Epitaphium Elisabetae et Regulae28 Haec velut una tegit, diverso tempore natas Fabritii geminas area filiolas, Sic quoque summa dies29 pariter tibi sistet, Iesu, Cum dabis extremae signa verenda tubae. Epitaph Elisabeths und Regulas Ein einziges Grab bedeckt beide nicht gleichaltrigen Töchterchen des Fabricius; ebenso werden sie am letzten Tag vor dir erscheinen, Jesus, wenn du das ehrwürdige Zeichen der letzten Trompete geben wirst.
Betrachtet man das zweite Gedicht über den Tod seiner Töchter, so fallen auf den ersten Blick gewisse strukturelle Eigenheiten auf: Elisabeth und Regula teilen dasselbe Grab, und gleichzeitig werden sie vor Christus erscheinen am Ende der Zeit – das Gedicht basiert also auf einer comparatio, auf einem Vergleich: im Lateinischen velut … sic. Diesmal taucht der christliche Glaube auf, sodass man den Eindruck haben könnte, es handle sich mehr um die Bejahung dieses Glaubens als um die Formulierung eines tröstenden Gedankens (consolatio). In diesem Gedicht, in dem sich Montanus direkt an Christus richtet, ist die christliche Hoffnung jedoch implizit, denn im christlichen Glauben öffnet das letzte Gericht die Tür zur ewigen Seligkeit. Was den Stil betrifft, ist das Hyperbaton extremae ... tubae zu unterstreichen: Die letzte Trompete steht auch am Ende des Verses (zudem sind extremae und tubae beide auf der letzten Silbe betont). Es gibt auch mehrere auffällige Klangspiele (z. B. Homoioteleuton natas … geminas … filiolas).
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S. o. 1. In funere Catharinae filiae infantis. Montanus, Poemata, p. 22–23. Cf. Verg., Aen., 2, 324, venit summa dies et ineluctabile tempus / Dardaniae.
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Die Funktionen dieses Gedichtes sind wieder die consolatio des Dichters und das delectare des Lesers. Dazu kommt noch die eher diskrete (religiöse) Erbauungsfunktion. 4. EPITAPHIUM LEODOVICI COMITIS AB OTTINGEN IUNIORIS Der Dichter Montanus ist auch für das Unglück seiner Mitmenschen empfänglich. 1549 starb in Zürich der Sohn des Grafen Ludwig von Öttingen30. Für ihn verfasste Fabricius Montanus folgende Verse: Epitaphium Leodovici comitis ab Ottingen iunioris, qui obiit Tiguri. Anno Domini 154931 Exilio stabilem sedem dedit hospita tellus32: Haec eadem requiem quae dedit et tumulum. Epitaph des Grafen Ludwig von Öttingen dem Jungen, der 1549 in Zürich starb. Die gastfreundliche Erde gab mir für mein Exil einen dauerhaften Wohnsitz: Dieselbe Erde, die mir Ruhe gab, gab mir auch das Grab.
Es handelt sich um eine Prosopopoeia, das tote Kind spricht. Hier ist die Stimmung ganz und gar römisch. Die hospita terra, die gastfreundliche Erde, bietet dem Verstorbenen gleichzeitig Ruhe und Grab. Auf Erden im Exil lebend, wie alle Menschen, bekommt Ludwig von der Erde einen Ort, wo er sich definitiv niederlassen kann. Die Erde selbst ist ein Exil: Am Anfang und am Ende des ersten Verses stehen exilium und tellus; tumulum, am Ende des zweiten Verses, ist in derselben Position wie tellus, die eigentlich der tumulus ist. Für Montanus ist das Exil sicher dasjenige des Menschen auf Erden, der seine definitive Heimat erst im Himmel finden wird. Aber in diesem Text ist die christliche Hoffnung kaum zu spüren: Alles verschwindet im abschliessenden tumulum. Das Thema des Gedichtes ist dasselbe wie in Pontanos Grabepigramm über einen Bettler: Leben als exilium; tumulus/sepulcrum als sichere oder dauerhafte Ruhe33. Die Ähnlichkeiten sind erstaunlich groß34: Nulla mihi vivo domus, at nunc certa sepulto est35; vitaque paupertas, mors mihi divitiae. 30
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Er war der älteste Sohn des Grafen Ludwig XVI. von Öttingen (1506–1569, regierte 1557– 1569), der im Alter von zwei Jahren starb (s. Herold 1902, p. 53). Die Heirat Ludwigs XVI. fand möglicherweise gegen Ende des Jahres 1543 statt (ibidem). Wie sein Vater Ludwig XV. musste der reformierte Ludwig XVI. 1546 nach dem Schmalkaldischen Krieg nach Strassburg und dann nach Oeningen und Calw in Württemberg ins Exil gehen (p. 22). Wie er in Verbindung mit Fabricius Montanus trat, wissen wir nicht. Später war er in Kontakt mit Heinrich Bullinger, der ihm 1560 ein Exemplar eines seiner Bücher zukommen ließ (s. leu 2001, p. 135). Montanus, Poemata, p. 23. Ov., fast., 1, 511; met., 3, 637. Pontano, De tumulis, 2, 13. S. besonders Pontanos dritten Vers. S. auch Pontano, De tumulis, 1, 35, non focus ipse opus est, quod tibi certa domus.
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Vita mihi exilium, requies at certa sepulcrum; nudus eram vivus, mortuus ipse tegor.
Das Epigramm des Montanus hat neben dem Trösten des Adressaten und der Unterhaltung des Lesers vor allem eine soziale Funktion: Es ist eine Art Kondolenzbrief. 5. EPITAPHIUM FELICIS BULLINGERI Im Jahre 1553 starb Bullingers jüngster Sohn Felix36. Unverzüglich schickte Montanus seinem Meister das folgende kurze und geistreiche Gedicht: Epitaphium Felicis Bullingeri37 Felicis mihi nomen erat: sed nominis omen38 Demum post obitus incipit esse ratum. Quisquis enim Superum decerpit gaudia, vere Felix Felicis nomen et omen habet39. Epitaph Felix Bullingers Mein Name war Felix, aber das Omen meines Namens hat sich erst nach meinem Tod erfüllt. Jeder, der die Freuden des Himmels genießt, ist wirklich glücklich: Er heißt Felix und ist, was dieser Name bedeutet.
In diesem Text kommt die christliche Hoffnung dank des etymologischen Wortspiels mit dem Namen Felix vom lateinischen „felix“ klar zum Ausdruck: Von nun an ist Felix im Himmel felix, das heißt glücklich, im ewigen Leben. Dieses Epitaph ist eine schöne Illustration der Redensart nomen est omen. Erneut haben wir allerlei Wortspiele, so die Polyptota nomen – nominis und felix – Felicis. Um den Himmel zu bezeichnen, benutzt Montanus im Vers 3 das „pagane“ superi. Die römische Prägung bleibt also trotz der christlichen Motivik deutlich erkennbar. Wortspiele wie Felix/felix sind ein Motiv der antiken lateinischen Grabinschriften40. Man findet sie aber auch in den Grabinschriften der Renaissance, wie z. B. bei Giovanni Pontano41. Ein prominentes Beispiel in der Dichtung des Neapolitaners ist sein Tumulus über einen Kaufmann namens Felix. Dieser war felix während seines Lebens, aber infelix nach seinem Tod, weil er nicht begraben wurde42. 36 37 38
Pestalozzi 1858, p. 314. Montanus, Poemata, p. 23. omen – nomen: Pontano, De tumulis, 1, 40, 1–2 [Tumulus Rosae puellae ante diem mortuae], Non nomen tibi, quin omen fecere parentes, / dixerunt cum te, bella puella, Rosam. 39 Cf. Pontano, De tumulis 1, 29, 9–10 [über Fortunatus], Sorte sua laetus quisquis fuit, ille beati / fert nomen. Felix, nomen inane puto. 40 S. z. B. AL, vol. II, 1, Nr. 682, p. 322, v. 3–4, Dolorem sine fine dedit Felicitas; isto / Clauditur infelix falso cognomine dicta. 41 Pontano, De tumulis, 2, 2, 1–2 (an seine Tochter Lucia): liquisti patrem in tenebris, mea Lucia, postquam / e luce in tenebras filia rapta mihi es; 2, 30, 7–9 (an seinen Sohn Lucio): Lucili, tibi lux nomen dedit ... / eripuit nox atra, nigrae eripuere tenebrae; s. auch 1, 21, Aura–aura; 1, 22, Laurina–laurus; 1, 42, Roscia–ros; 2, 4, Violans–viola; 1, 46, Silva–silva; 2, 37, Pura–pura. 42 Pontano, De tumulis, 2, 18 (1–2, Felix hic iaceo, male felix, quem neque coniunx / nec natus
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Montanus’ Epigramm hat vor allem eine soziale und tröstende Funktion. Gleichzeitig beweist der Dichter seine Beherrschung einer subtilen und geistreichen Dichtkunst, die die Poesie zur Unterhaltung werden lässt. 6. IN CURIAM FABRITIUS Heinrich Bullinger hatte Montanus versprochen, er würde nur kurze Zeit in Chur bleiben. Fast zehn Jahre nach seiner Ankunft sollte er dort aber mit seiner Frau und zwei ihrer Kinder an der Pest sterben. Die Sorge um die Seelen und die religiösen Streitereien lasteten schwer auf ihm. Diese Sorge kommt im schönen Gedicht In Curiam („Über die Stadt Chur“) zum Ausdruck. In Curiam Fabritius43 Curia de curis si dicitur, omina rebus Conveniunt: Curis Curia plena malis. Fabricius über Chur Man sagt, dass Curia44 von curae kommt; das Omen entspricht völlig der Wirklichkeit: Curia ist voll von schlimmen curae.
Wieder erkennt man in diesem Text die Lust des Reformators an Wortspielen, hier an dem schönen Chiasmus: Curia curis – Curis Curia. Das Gedicht ist eine weitere unterhaltsame etymologische Spielerei mit der Bedeutung eines Namens. 7. FABRITIUS IN EMPTAM DOMUM Am 10. Dezember 1560 schickte Fabricius seinem Schwiegervater Rudolph Ambühl ein kurzes Gedicht über das Haus, das jener gerade gekauft hatte. Fabritius in emptam domum a Rod. Coll. P. 1560. 10 Decembris45 Ampla domus fueram quondam, nunc amplius amplam Collini soboles me numerosa negat. Quid mirum? Veniet tempus, vix amplius ampla Cum Regio capiet, sum quibus ampla parum. Fabricius über das von R. Ambühl, dem Vater, gekaufte Haus, den 10. Dezember 1560 Damals war ich ein geräumiges Haus; jetzt hindern mich des Collinus Kinder daran, geräumig zu bleiben. Kein Wunder! Es wird aber eine Zeit kommen, wo eine geräumigere Region endlich diejenigen empfangen wird, für die ich jetzt zu wenig geräumig bin.
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sepelit nec soror aut genitrix; 11–12, Felix cum fuerim, numquam post fata quievi, / infelix donec scriberer in tumulo). Ulrich, Miscellanea Tigurina, p. 403. Curia Rhaetorum. Ulrich, Miscellanea Tigurina, p. 403.
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Es handelt sich um eine Prosopopoeia, das Haus spricht. Es war groß, aber jetzt ist es viel zu klein für die Familie Ambühl. Welches aber ist die größere Region, in der die Familie einmal empfangen wird46? Die Vermutung liegt nahe, dass hier auf den Himmel angespielt wird als die einzige Region, die groß oder geräumig genug ist, um alle diese Leute aufzunehmen. Schon wieder spielt Montanus mit den Wörtern (z. B. Polyptoton ampla – amplius – amplam / amplius – ampla – ampla). Das Gedicht ist ein Epigramm mit einer versteckten religiösen Pointe. Es hat gleichzeitig eine soziale und unterhaltende Funktion. 8. POMPONNE DE BELLIÈVRE In Chur war Montanus in Kontakt mit der Elite der Stadt, unter anderem mit Pomponne de Bellièvre, dem französischen Botschafter in Graubünden in den Jahren 1564 und 156547. Erhalten ist ein schöner Gedichtaustausch zwischen ihnen anlässlich einer schweren Krankheit Bullingers im Herbst 156448. Es handelt sich um Hendecasyllabi. Pomponius Fabricio49
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Fabrici, Domino Deoque summas Gratias agere et referre par est. Bullingerus amor tuus meusque Ictus lethifera lue jacebat. Jam nos linquere gestiebat ejusque E luce hac animus fugam parabat. Qui nunc convaluit piis bonorum Indultus precibusque lachrimisque. Hunc postliminio Deus quiritem Redonat patriae gregique amato. Quare nos Domino Deoque summas Gratias agere et referre par est. Anno 1564. 2. Octobris Pomponius an Fabricius. Es ist gerecht, unserem Gott und Herrn viel zu danken und sich ihm gegenüber erkenntlich zu zeigen. Bullinger, dein und mein Freund, war krank, von einer tödlichen Pest getroffen. Schon war er von dem Verlangen beseelt, uns zu verlassen, und bereitete sich vor, dem Licht dieser Welt zu entfliehen. Jetzt aber hat er sich erholt und wurde uns wieder geschenkt, dank seiner Mitbürger frommen Gebeten und Tränen. Mit dieser Rückkehr beschenkt Gott seine Heimat und seine geliebte Herde wiederum mit diesem Quiriten. Deshalb ist es gerecht, unserem Gott und Herrn viel zu danken und sich ihm gegenüber erkenntlich zu zeigen. Den 2. Oktober 1564.
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Im Text der Miscellanea Tigurina wird Regio groß geschrieben. Pomponne de Bellièvre war französischer Botschafter in Graubünden von April 1564 bis Oktober 1565 (Poncet 1998, p. 25–31), dann in der Schweiz (in Solothurn), von 1566 bis 1570 (idem, p. 31 sqq.). S. auch rott 1902, p. 119–130; scHiess 1905, p. LXIV–LXV (mit zwei Briefen Bellièvres an Bullinger, Nr. 638, p. 534–535 (18. September 1564) und Nr. 669, p. 575–576 (1. März 1565)). Pestalozzi 1858, p. 485–486. Ulrich, Miscellanea Tigurina, p. 394.
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Die zwei ersten Verse geben das Thema vor: Es handelt sich um eine Danksagung für die Heilung Heinrich Bullingers. Das Gedicht weist eine Ringkomposition auf: Die Verse 1 und 2 werden fast identisch in den Versen 11 und 12 wiederholt. Das Gedicht hat also die Struktur eines (liturgischen) Gebets, in dem man oft Wiederholungen findet. In den Versen 3 bis 10 erfährt man, dass Bullinger krank war und sterben wollte, wahrscheinlich um Gott im Himmel treffen zu dürfen. Er wurde aber dank dem Gebet der Gläubigen geheilt. Man weiss übrigens, dass das Zürcher Volk tatsächlich Gebete für die Heilung Bullingers organisiert hatte50. Auf dieses Gedicht des Bellièvre antwortete Montanus mit folgendem Text: Fabritius Domino Legato51
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Musarum decus et patrone summe, Regum cura manusque, Bellieure, Sic tu Nestoreos senex in annos52 Vivas, sic viridem simul juventam Aevo perpetues vigens futuro, Cui tam nectareos novem puellae dictant versiculos, quibus venustae Aspirant Veneresque Gratiaeque, Quae tristes animi fugant dolores Et pellunt procul anxias querelas. Bullingerus amor meus tuusque Vivit coelicolum Patris favore Et longum quoque vivet et valebit. Fabricius an den Herrn Legat Stolz der Musen und hervorragender Patron, Verwalter und Hand der Könige, Bellièvre, mögest du so alt wie Nestor werden, und deine blühende Jugend und deine Kraft fortdauern lassen, du, dem die neun Jungfrauen nektarsüße Verse diktieren, welche die reizenden Liebesgöttinnen und Grazien anhauchen, die die traurigen Schmerzen der Seele entfernen und die ängstlichen Klagen vertreiben. Bullinger, mein und dein Freund, lebt, dank dem Wohlwollen des Vaters der Himmelsbewohner, und wird noch lange leben und gesund sein.
Das Gedicht des Fabricius endet mit demselben Thema wie dasjenige des Bellièvre: Bullinger, sein und des französischen Botschafters Freund, lebt, d. h. er wurde von Gott geheilt. In Vers 11 nimmt Montanus Vers 3 von Bellièvre wieder auf. Das Gedicht schließt mit der Prophezeiung, dass Bullinger noch lange leben wird. Der Rest des Gedichtes ist ein Lob auf Bellièvre, den Dichter und Diener der Könige. Der Botschafter war ein wichtiger Mann, sodass es nicht schaden konnte, etwas Schmeichelhaftes über ihn zu sagen. Entsprechend wünscht Fabricius, dass Bellièvre so lange wie Nestor lebe53. In den Versen 6–10, d. h. im zentralen Teil des Gedichtes, lobt Montanus die poetischen Gaben des Bellièvre. Wenn er der Poesie 50 51 52 53
Pestalozzi 1858, ibid.; s. auch p. 486: „Endlich, als gerade die ganze Gemeinde am Sonntage inbrünstig vor dem Herrn versammelt war, ward es etwas besser; er begann wieder aufzuleben, so dass jedermann dafür hielt, er wäre von Gott erbeten und der Kirche wiederum geschenkt“. Ulrich, Miscellanea Tigurina, p. 394. Stat., silv., 1, 4, 125–126, annos / Nestoreos. Nestor war der König von Pylos; er war einer der Helden vor Troja und soll drei Menschenalter gelebt haben.
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darüber hinaus das Potenzial attestiert, die Leiden und Schmerzen der Seele zu lindern, kann man darin auch ein persönliches Bekenntnis zur Dichtung als Medizin und Lebenshilfe lesen. Die Funktion beider „diplomatischen“ Gedichte ist natürlich sozialer Art: Es handelt sich darum, gute Beziehungen zu pflegen. 10. FABRICIUS DE SE Abschließend soll hier noch dieses schöne Epigramm präsentiert werden, das Montanus über sich selbst verfasst hat: Fabricius de se. Fabricius de se54 Invidiae morsus et acerbae spicula linguae Vincere non valeo, caetera victor eram. Fabricius über sich selbst Spitziger Zungen Gewäsch und die Bisse des Neides vermag ich Nicht zu besiegen; was sonst übrig noch, hab ich besiegt55.
Wenn wir alle dasselbe sagen dürften! FAZIT: DAS SALZ DES EPIGRAMMS ALS „LEBENSHILFE“ In seiner Studie über Philipp Melanchthon als neulateinischen Dichter spricht Thorsten FucHs von fünf Funktionen und Intentionen der Dichtung56: 1. Dichtung als Vorbild; 2. Dichtung aus psychologischen Motiven; 3. Dichtung zum Zeitvertreib; 4. Dichtung zur Unterhaltung; 5. Dichtung als Ausdruck der Frömmigkeit. Diese fünf Funktionen finden wir auch in den Epigrammen des Montanus. 1. Dichtung als Vorbild. Zu Beginn dieses Aufsatzes wurde festgehalten, dass die Dichtung des Fabricius Montanus sehr vielfältig ist: Als Lehrer wollte er Beispiele guter und auch moralischer, oder besser gesagt christlicher Dichtkunst geben. Das ist in seiner epigrammatischen Poesie auch klar festzustellen. 2. Dichtung aus psychologischen Motiven. „Das Verfassen von Versen spendet ihm Trost und lenkt ihn von seinen Sorgen ab. Ebenso sollen Gedichte seinen Lesern Erleichterung, Trost und Stärkung verschaffen57.“ Was FucHs von Melanchthon sagt, dürfen wir auch von Fabricius Montanus sagen. 3. Dichtung zum Zeitvertreib. Von Melanchthon sagt FucHs: „Verse zu schreiben [gehört] für ihn zu einer gern praktizierten Übung, für die er Ruhezeiten (otium)
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Ulrich, Miscellanea Tigurina, p. 403. Übersetzung VulPinus. FucHs 2008, p. 62–66. Ibidem.
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nutzt58.“ Obwohl dieser Aspekt bei Montanus nicht leicht feststellbar ist – davon ist nie die Rede –, ist die Poesie für Montanus, wie übrigens für die meisten Humanisten, selbstverständlich eine Tätigkeit für die Zeit des otium. 4. Dichtung zur Unterhaltung: Wie in unserem kurzen Durchgang durch seine Gedichte deutlich geworden ist, spielt die Unterhaltung des Lesers im Selbstverständnis des Montanus eine wichtige Rolle. Durch Anlehnungen an antike Autoren, durch einen gepflegten Stil und durch geistvolle Gedanken will Fabricius Montanus den Leser unterhalten (delectare). 5. Dichtung kann auch für Montanus Ausdruck gelehrter Frömmigkeit sein. In diesem Fall ist sein Ziel das Lob Gottes bzw. die Erbauung der Leser59. In unserem Corpus sind Gedichte dieser Art eine Ausnahme, und die Präsenz des religiösen Elementes ist eher gering. Man könnte eine weitere Funktion hinzufügen: Die soziale Funktion, die bei Fuchs in der psychologischen und in der Unterhaltungsfunktion enthalten ist. Die soziale Funktion spürt man besonders in den Grabinschriften für Verwandte wichtiger Persönlichkeiten. So kann die Epigrammpoesie des Fabricius Montanus als „Lebenshilfe“ bezeichnet werden: Der Dichter schreibt für sich selbst und für seinen Zirkel von Freunden, aber auch für die Leser im Allgemeinen, unter denen wir sind, die im 21. Jahrhundert seine Verse mit Vergnügen und Nutzen lesen, u. a. weil sie eine Problematik (wie den Tod) darstellen, die uns nah ist. Und indem wir seine Dichtung lesen, entdecken wir, wie in einem Spiegel, das Bild eines christlichen Humanisten der Renaissance, mit seinem Interesse für die schöne antike lateinische Dichtung, derer er sich bedient, um seine Trauer, sein Mitleid, sein Leiden, seine Freundschaft, seinen Geist und schliesslich auch seinen Glauben auszudrücken. BIBLIOGRAPHIE Montanus, Poemata = I. Fabricius Montanus, Poemata, Zürich, Gessner, 1556. Pontano 1531 = G. Pontano, Carmina, Basel, 1531. Ulrich 1724 = J. J. Ulrich, Miscellanea Tigurina, vol. III, Zürich, Gessner, 1724. aMHerdt 2015 = D. aMHerdt, Les Poemata de Johannes Fabricius Montanus : un enchiridion vatis christiani ?, in A. steiner-weber & K. A. E. enenkel (ed.), Acta Conventus Neo-Latini Monasteriensis, Münster, 2015, p. 123–133. aMHerdt 2013 = D. aMHerdt, De l’Alsace à la Suisse: d’une patrie à l’autre? Ou la poésie et la religion comme remèdes à l’exil dans la vie de l’humaniste Ioannes Fabricius Montanus (1527–1566), in S. laigneau-Fontaine (ed.), „Petite patrie“. L’image de la région natale chez les écrivains de la Renaissance, Genève, 2013, p. 189–201. aMHerdt 2011 = D. aMHerdt, Miles in castris merebo tuis. Les élégies de Johannes Fabricius Montanus sur la vie simple, in L. cHaPPuis sandoz (ed.), Au-delà de l’élégie d’amour. Métamorphoses et renouvellements d’un genre latin dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, 2011, p. 245–258. 58 59
FucHs 2008, p. 64. FucHs 2008, p. 65.
Epitaphien, Versbriefe und mots d’esprit bei Johannes Fabricius Montanus
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heim im Elsass), 1527–1566. Seine Selbstbiographie in Prosa und Versen nebst einigen Gedichten von ihm, verdeutscht von Th. V., Strassburg, 1894. wenneker 1999 = E. wenneker, s. v. Fabricius Montanus, in Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, 15, 1999, col. 547–551.
ERKENNE DICH SELBST Geschlechterdiskurs und Intertextualität in Atrocians Epigramm über den richtigen Gebrauch des Spiegels Judith Hindermann Johannes Atrocianus („der Harte, der Unnachgiebige“) macht seinem Namen alle Ehre1. In vier polemischen Schriften2 klagt der Basler Pädagoge und Humanist mit heftigen Worten die Anhänger der Reformation an und macht sie für die politische Instabilität sowie den Sittenzerfall seiner Zeit verantwortlich. Atrocian warnt insbesondere vor der Gefahr, die dem christlichen Glauben durch die literarum pernicies, den Niedergang der Bildung, droht. Der Humanist fordert daher dazu auf, der Jugend eine umfassende Ausbildung angedeihen zu lassen, welche die heidnischen Autoren dezidiert einschließt3. Dass Atrocian sich selbst in der antiken Bildungstradition verhaftet sieht, macht er in seinen gegen die Reformation gerichteten Werken durch eine Fülle gelehrter Anspielungen deutlich. Noch größeren Raum als in den polemischen Schriften nehmen antike Stoffe jedoch in vielen Epigrammen des Humanisten ein. Atrocians Gedichte von unterschiedlicher Länge4 und Art5 erscheinen gesammelt in zwei Ausgaben. Die erste Edition von dreißig Epigrammen erfolgt im Jahr 1 2 3
4 5
Zu Atrocians Leben und Werk siehe HaMM 2001; Folkerts 2001; HinderMann 2011. Dies sind: Querela missae, Nemo Evangelicus, Mothonia hoc est Superbia und Elegia de bello rustico. Vgl. dazu den über sieben Seiten langen Brief, den Atrocian 1528 der Elegia de bello rustico voranstellt. Der Brief endet mit folgenden Worten: Si enim literae deperierint, profecto de re Christiana actum erit. Nam non video quibus studiis honestioribus iuventus (quam exerceri et quasi variis condimentis educari operae pretium est) commodius potuerit coalescere. Vale. – „Wenn nämlich die Wissenschaften zugrunde gehen, wird es auch um die christliche Sache geschehen sein. Denn ich sehe nicht, durch welche ehrenhaftere Beschäftigung die Jugend (die es der Mühe wert ist, geschult und gewissermaßen durch verschiedene Beschäftigungen erzogen zu werden) eher wachsen könnte. Lebe wohl.“ Im Nemo Evangelicus verlacht der angeblich vom göttlichen Geist erfüllte Niemand Vergil, Homer und andere Autoritäten der griechischen und lateinischen Antike (V. 200–306). Unterrichtet man diese Autoren nicht mehr in der Schule, wird dies, so Atrocian, unweigerlich zum kulturellen Niedergang Deutschlands (barbara barbaries, V. 316) führen. Das kürzeste Gedicht weist zwei Verse auf, das längste siebzig. Am häufigsten sind Gedichte mit vier, sechs oder vierzehn Versen. Mit Epitaph, Epikedeion, Enkomion, Naturphänomenen, Spott, Tadel und historischen Anekdoten sind viele der üblichen Gattungen bzw. Thematiken antiker und neulateinischer Epigrammsammlungen vertreten. Vgl. dazu de beer, enenkel & riJser 2009. Was im Vergleich zu anderen humanistischen Autoren auffällig fehlt, sind erotisch-anzügliche Epigramme sowie Rätselgedichte.
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1528 in Basel in der Offizin des Johannes Faber Emmeus Juliacensis6. In der zweiten Ausgabe von 1529, ebenfalls bei Faber, kommen zu den 30 bis auf wenige kleine Abweichungen unveränderten Gedichten 25 neue hinzu7. Die antike Bildungstradition erhält in der zweiten Edition besonderes Gewicht8, da Atrocian mit elf neuen Gedichten beginnt, die ein historisches bzw. anekdotisches Ereignis9 oder ein naturwissenschaftliches Phänomen aus der Antike zum Gegenstand haben10. Auch der zweite Block neuer Gedichte11 wird mit einem antiken Motiv, einem Gespräch zwischen dem Kaiser Augustus und seiner Tochter Iulia, eingeleitet. Die komplexeste und ausführlichste Auseinandersetzung mit der Antike zeigt Atrocian in seinem Epigramm De Speculo ad Onophryum Atrocianum filium suum12. Dieses Epigramm ist nicht nur als erzieherischer Spiegel für den Sohn Onophryus und die Jugend insgesamt zu verstehen, wie er als Gattung im Mittelalter und in der Renaissance verbreitet war, sondern auch als Reflexion der verschiedenen antiken Vorstellungen über den Spiegel und ihre moralisierende Interpretation durch Atrocian. SPIEGEL UND REFLEXION IN DER ANTIKE Im antiken Diskurs über den Spiegel13 ist das Geschlecht der Person, die sich darin betrachtet, zentral. Der Spiegel gilt als Zeichen von Eitelkeit und voluptas und wird als res feminarum der Sphäre der Frau zugesprochen14. In zahlreichen lateinischen und griechischen Epigrammen erscheinen Frauen in der Pose des sich Schminkens oder Frisierens vor dem Spiegel15. Gleichzeitig wird ihre Abhängigkeit vom Spiegel dadurch verspottet, dass sie als zu alt oder zu hässlich beschrieben werden, um ihren eigenen Anblick genießen zu können16. 6 7 8 9 10
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Ioannis Atrociani Elegia de bello rustico, anno redempti orbis M.D. XXV. in Germania exorto. Praeterea. Eiusdem Ioannis Atrociani Epigrammata aliquot selectiora. Praemissa etiam est Epistola ad bonas literas hortatoria. Basel, Faber 1528. Querela missae, Ioanne Atrociano authore, opusculum elegans, ac recens natum atque excusum. Item eiusdem, Ioannis Atro. Nemo Evangelicus. Praeterea. Eiusdem Io. Atr. Elegia de bello rustico. Ad haec. Mothonia, & Liber epigrammatum eiusdem Io. Atro. Basel, Faber 1529. Zum unterschiedlichen Charakter der beiden Sammlungen siehe HinderMann (im Erscheinen). Epigramm 1: Tarquinius Superbus verachtet die Weisheit der Sibylle; 5: Der Knabe Papirius Praetextatus im Senat; 6: Der Athlet Milo von Kroton stirbt gefangen in einem Baum; 7: Kampf der afrikanischen Psyller gegen den Ostwind Auster. Epigramm 2: Quelle des Nils und seine heilende Wirkung; 3: Erscheinung von drei Monden und Sonnen; 4: Wind streckt Ulme nieder, die sich wieder aufrichtet; 8: Sprechende Hunde in der Antike und zu Atrocians Zeiten; 9: Sprechendes Neugeborenes; 10: Missgeburt mit doppelten Körperteilen; 11: Je nach Bewegung unterschiedlich heiße Wassertemperatur. Gedicht 41 bis 53 der Edition von 1529. Dieses Epigramm ist bereits in der Ausgabe von 1528 enthalten. Zur Geschichte des Spiegels siehe Frontisi-ducroux & Vernant 1997; MelcHior-bonnet 1994; Jónsson 1995. Plat., Phaedr., 3, 8. Vgl. dazu Mccarty 1989, p. 167 n. 11; Frontisi-ducroux & Vernant 1997, p. 55–59. Siehe dazu AP 6, 18; Mart., 2, 41; 2, 66. Die literarische Zuschreibung des Spiegels an die
Erkenne dich selbst. Geschlechterdiskurs und Intertextualität in Atrocians Epigramm
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Während eine Frau den Spiegel zum Zweck der Schönheitspflege benutzen darf und soll, wird dem Mann dieser Gebrauch verboten. Die Benutzung bzw. der Besitz eines Spiegels gilt als Zeichen des effeminierten Mannes und dient daher besonders in Satire und Epigramm der Verunglimpfung von Gegnern17. Spiegel sind für Männer nicht dazu da, sich schön zu machen, eitel zu betrachten und nicht einmal, um sich zu rasieren18. Die Tatsache, dass das Spiegelverbot für Männer in verschiedenen antiken Texten formuliert wird, zeigt jedoch, dass diese Norm nicht eingehalten wurde19. Neben der Konstruktion körperlicher und sexueller Identität wird dem Spiegel in Männerhand in den antiken Quellen ein höherer, intellektueller Zweck zugeschrieben20. Ein Mann soll den Spiegel als Hilfsmittel verwenden, um seinen Blick über die menschlichen Grenzen hinaus zu erheben und Naturphänomene zu erforschen, die dem bloßen Auge verborgen bleiben21. Auf sich selbst richtet der Mann den Spiegel nur, um darin seine Fehler und Mängel zu entdecken. Der Blick in den Spiegel nimmt wie ein ehrlicher Freund das öffentliche Urteil des sozialen Umfelds vorweg und ermöglicht es dem Betrachter, sich selbst den Normen und Werten der Gemeinschaft anzupassen. Richtig verwendet kann der Spiegel dem Mann also mehr als ein Abbild seiner oberflächlichen Hülle bieten; dies im Unterschied zur Frau, die sich mit der Betrachtung und Verschönerung ihres Äußeren begnügt, ohne etwas am Inhalt, an ihrem Charakter, zu verändern22. Die Benutzung eines Spiegels bleibt für den Mann jedoch heikel, da intellektuelles gaudium und selbstgenießende voluptas nicht weit auseinander liegen. Der Verdacht, dass ein Mann den Spiegel missbraucht, um die Lust zu genießen, die vom Blick auf sich selbst herrührt, liegt nie fern23.
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weibliche Welt stimmt mit den archäologischen Funden überein. Auf der Rückseite antiker Spiegel finden sich oft Abbildungen von Helena, Aphrodite und Eros und die Griffe bzw. Stützen haben die Gestalt einer nackten oder bekleideten Frauenfigur. Vgl. dazu taylor 2008, p. 39–55; Jónsson 1995, p. 42–49. In dieser Form wird der Spiegel etwa bei Martial (6, 64, 4) oder Juvenal (2, 99–103) verwendet. Ovid warnt seine Liebesschülerinnen in der Ars amatoria (3, 681–682) vor Männern, die sich gerne im Spiegel betrachten; vgl. Mccarty 1989, p. 168 n. 15. Vgl. Sen., nat., 1, 16, 3; 17, 2. Seneca (nat., 1, 17, 10) nennt als Indiz für den Verfall der Sitten den Umstand, dass der Spiegel als Schmuckgegenstand der Frauen in den Besitz der Männer und sogar der Soldaten übergegangen ist. Vgl. dazu wyke 1994. Sen. nat., 1, 17, 2–3; ep., 88, 27. Vgl. taylor 2008, p. 20. In Apuleius’ Apologie ist der Besitz eines Spiegels ein Anklagepunkt unter vielen, gegen den sich der Sophist ausführlich verteidigt; siehe dazu weiter unten. Apuleius argumentiert, dass er den Spiegel nicht zu Schönheitspflege benutzt, was sich an seinem ungepflegten Äußeren erkennen lässt, sondern zu legitimem, d. h. philosophischem Zweck.
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ATROCIAN ÜBER DEN SPIEGEL De Speculo ad Onophryum Atrocianum filium suum24
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Inventum est speculum, quo seipsum nosceret omnis mortalis cernens turpe decusque suum. Formosus, quo se sanctis virtutibus ultra ornaret verum sumeret atque decus. Deformis, virtute emeret quod corpori abesset, et tegeret formae turpia damna suae. Et iuvenis flore ex ipso cognosceret esse tempus, virtutis quo subeunda domus. Et senior carnis laethales pelleret aestus atque recordetur mortis adusque suae. Quondam sic memorant illum Clarii sapientem multum discipulos edocuisse suos, commoda magna quidem speculo manare putandum, si procul a nobis omnis abusus erit. Adveniens mulier speculum formosa salutat, digrediens iterum terque quaterque facit. Collo diffusos non colligit ordine crines, solvit nec lectos, ni dominus iubeat. Nil capiti imponit, quin sit, qui consulat ante, syrmata consimili contrahit illa modo. Illius ad nutum regis movet improba clunes, occludit, referat lumina falsa simul. Ex speculo discit vultum mutare superbum, discit et incessum continuare suum. Quae natura alios rerum confinxit in usus, saepe suo veniunt contaminata loco. Über den Spiegel an den Sohn Onophryus Atrocianus Es wurde der Spiegel erfunden, damit sich dadurch jeder Sterbliche selbst erkennt, indem er seine Hässlichkeit und seine Schönheit betrachtet. Der Schöne, damit er sich dadurch zusätzlich mit heiligen Tugenden schmücket und wahre Zierde annimmt. [5] Der Hässliche, damit er durch Tugend erwirbt, was auch immer dem Körper fehlt, und den schändlichen Mangel an Schönheit bedeckt. Und der Jüngling, damit er anhand seiner Blüte erkennt, dass es Zeit ist, das Haus der Tugend zu betreten. Und der Alte, damit er die sterblichen Leidenschaften des Fleisches vertreibt [10] und sich ununterbrochen an seinen Tod erinnert. So erzählt man, dass einst jener Weise des Clarius oft seine Schüler gelehrt habe, zu glauben, dass große Vorteile gewiss aus dem Spiegel hervorgehen, wenn jeder Missbrauch uns fern sei. [15] Eine schöne Frau trat an den Spiegel heran und grüßte ihn, sie tut dies ein zweites, drittes und viertes Mal, indem sie daran vorbeigeht. Sie bringt die auf dem Hals verteilten Haare nicht wieder in Ordnung und löst die zusammengebundenen Haare nicht, wenn es nicht der Herr befiehlt. Sie legt nichts auf den Kopf, ohne dass er sie vorher berät, [20] sie zieht auf ähnliche Weise die Schleppkleider der Tragödie an. Die Schamlose bewegt auf den Wink dieses Königs den Hintern, schließt die Augen und wirft verführerische Blicke. Vom Spiegel lernt sie, das Gesicht hochmütig zu verziehen und ihren Gang fortzusetzen. [25] Was die Natur zu anderem Gebrauch der Dinge erfunden hat, erscheint oft beschmutzt an seiner Stelle.
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Der Text entstammt der Edition 1529. Die Übersetzungen der lateinischen Texte sind hier und im Folgenden meine eigenen.
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Atrocian widmet das Epigramm De speculo seinem Sohn Onophryus, was sich im Kontext eines Mahngedichts anbietet. Kinder gelten als Spiegelbilder ihrer Eltern25 und Söhne sind ihren Vätern umso lieber, je ähnlicher sie ihnen sehen26. Umgekehrt gilt, dass ein Vater wie ein Spiegel als Vorbild für den Sohn wirken soll27. Dass Onophryus empfänglich ist für die Lehren seines Vaters, zeigt er in seinem Epigramm, das der Erstausgabe der Elegia de bello rustico von 1528 vorangestellt ist. Es folgt auf den Einleitungsbrief des Vaters, der die Leser zur Beschäftigung mit der Wissenschaft aufruft und die bildungsfeindliche Agitation der Reformatoren als Ursache für den Bauernkrieg anprangert. In vier Distichen verdichtet der Sohn das humanistische Plädoyer des Vaters zu einer aggressiven Anklage gegen die plebs fera28. Onophryus erweist sich durch dieses Epigramm, das Atrocian als fünftletztes Gedicht in seine Epigrammsammlung von 1529 integriert, als gelehriger Schüler seines Vaters und gleichzeitig als Kämpfer gegen den von Atrocian geschilderten Niedergang der Bildung. Atrocian beginnt sein Spiegelgedicht an den Sohn mit einer Art Promythion, in dem beschrieben wird, wozu der Spiegel erfunden worden ist, nämlich dazu, dass jeder Sterbliche sich selbst darin sieht und das Schlechte und Gute in sich erkennt. Dieser Gedanke wird in den antiken Quellen entweder Bias, einem der sieben Weisen, oder Sokrates zugeschrieben. Diogenes Laertius (2, 33) erzählt, dass Sokrates den jungen Männern den ständigen Gebrauch des Spiegels angeraten habe, damit die Schönen ein Verhalten entwickeln, das ihrem Äußeren entspricht, und die Hässlichen ihre Makel durch ihre Bildung verstecken können. Atrocian hält sich im Wortlaut sehr nahe an Seneca, der in seinen Überlegungen zum rechten Gebrauch des Spiegels dem schönen und hässlichen Mann das Gegensatzpaar Jung und Alt hinzufügt (Sen., Nat., 1, 17, 4): Inventa sunt specula, ut homo ipse se nosset, multa ex hoc consecuturus, primum sui notitiam, deinde ad quaedam consilium; formosus ut vitaret infamiam, deformis ut sciret redimendum esse virtutibus quicquid corpori deesset, iuvenis ut flore aetatis admoneretur illud tempus esse discendi et fortia audendi, senex ut indecora canis deponeret, ut de morte aliquid cogitaret. ad haec rerum natura facultatem nobis dedit nosmet ipsos videndi. Die Spiegel sind erfunden worden, damit der Mensch sich selbst kennen lernt und dadurch viele Vorteile erlangt: zuerst Selbsterkenntnis, dann Rat für bestimmte Fälle; der Schöne, um Schande zu vermeiden, der Hässliche, um zu erkennen, dass er durch Tugenden ersetzen muss, was auch immer dem Körper fehlt; der Junge soll durch seine Jugendblüte ermahnt werden, 25 26 27 28
Vgl. Artem., 2, 7; 2, 36; 3, 30; 5, 12; 5, 67. Vgl. auch Plin., ep., 5, 16, 9; Cic., Q. fr., 1, 3, 3. Vgl. Apul., apol., 14, 2. Frontisi-ducroux & Vernant 1997, p. 120–121. Perniciosa vomunt totum venena per orbem, / qui temnunt pulchras plebs fera literulas. / Plebs sunt doctores quidam, Germana iuventus, / qui pendunt nihili plebs fera literulas. / Et retrahunt teneros animos ne grammata discant, / authores omnis plebs furibunda mali. / Hos ut tartaream pestem, Germana iuventus / heus fuge, nam virus impia turba vomit. – Diejenigen erbrechen schädliches Gift über den ganzen Erdkreis, welche als roher Pöbel die schönen Wissenschaften verachten. Diese Schar besteht aus gewissen Gelehrten, deutsche Jugend, die nichts hält von den Wissenschaften. Und sie verwehren den jungen Geistern, Grammatik zu lernen, diese wütende Schar, Urheber jedes Übels. Fliehe diese wie die Höllenpest, deutsche Jugend. Auf, flieh, denn die gottlose Schar erbricht Gift.
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Judith Hindermann dass nun die Zeit zu lernen und Tapferes zu wagen sei; der Greis soll ablegen, was grauem Haar nicht ziemt, und soll auch an den Tod denken. Dazu gab uns die Natur die Möglichkeit, uns selbst zu sehen.
Die Senecastelle ist im Mittelalter ein locus classicus für Überlegungen zum Spiegel29. Indem Atrocian seine Abhandlung über den Spiegel mit dem Zitat eines zentralen antiken Referenztexts zum Thema beginnt, verweist er seine Leser auf den heidnisch-antiken Diskurs der Selbstverbesserung vor dem Spiegel, in den er im Folgenden eintreten wird, während er die biblisch-patristische und neuplatonische Metapher der Seele als Spiegel des Göttlichen beiseite lässt30. Da Atrocian damit rechnen kann, dass sein Publikum den bekannten antiken Referenztext gleich erkennt, können die kleinen Abweichungen vom Original als Botschaft an die gebildeten Leser verstanden werden. Die neue inhaltliche Akzentuierung wird gleich am Anfang der Passage deutlich, wo Seneca vom Menschen als homo, Atrocian dagegen als mortalis, als Sterblichem, spricht. Während für Seneca der Tod nur insofern eine Rolle spielt, als dass er die Lebensleistung eines Menschen durch ein gefasstes Sterben auf den Punkt bringt, ist der Tod für den Christen Atrocian der Beginn des ewigen Lebens und somit Kernpunkt seiner Argumentation. In den folgenden zwei Distichen wird die Verwendung des Spiegels für die unterschiedlichen Personen definiert. Wie Seneca unterscheidet Atrocian dabei vier Kategorien: der Schöne (formosus), der Hässliche (deformis), der Junge (iuvenis) und der Alte (senex bei Seneca bzw. senior bei Atrocian). Die Formulierungen sind bei Atrocian generell in einem moralisierenden Ton gehalten. So fordert er den Schönen auf, sich mit heiligen Tugenden (sanctis virtutibus) zu schmücken, während Seneca verlangt, dass sich der Schöne vor Schande (infamia) hüten soll. Der Hässliche muss gemäß Atrocian den schändlichen Mangel seiner Schönheit (formae turpia damna suae) bedecken, während Seneca schreibt, dass durch Tugend das wettgemacht werden kann, was dem Körper fehlt (quicquid corpori deesset). Bei Atrocian soll der Jugendliche das Haus der Tugend (domus virtutis) betreten, bei Seneca dagegen lernen und Wagnisse eingehen (tempus esse discendi et fortia audendi). Der Greis soll sich bei Atrocian ununterbrochen an seinen nahen Tod erinnern (recordetur mortis adusque suae), bei Seneca nur überhaupt einmal generell über den Tod nachdenken (ut de morte aliquid cogitaret). Durch die Selbstbetrachtung im Spiegel sollen sich alle vier genannten Gruppen der Tugend (virtus) zuwenden, die bei Atrocian dreimal, bei Seneca nur einmal genannt wird. Atrocian verändert somit die Botschaft Senecas, die auf eine für die einzelnen Gruppen adäquate Lebensführung zielt, indem er sie in ein eindringliches memento mori verwandelt und mit der Aufforderung zu einem tugendhaften Leben verknüpft. In den nächsten beiden Distichen ist der Bezug zur antiken Vorlage verschlüsselter. Ging es in den Versen 1–10 darum, in einem fast wörtlichen Zitat eines antiken Autors die moralische Akzentuierung des altgläubigen Christen zu erkennen, muss der Leser nun herausfinden, auf welchen Philosophen der Humanist mit seiner 29 30
Vgl. dazu Jónsson 1995, p. 134–138. Vgl. dazu MelcHior-bonnet 1994, p. 119–128; Jónsson 1995, p. 85–153.
Erkenne dich selbst. Geschlechterdiskurs und Intertextualität in Atrocians Epigramm
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gelehrten Umschreibung anspielt. Atrocian spricht in Vers elf von einem gewissen Weisen des Clarius (illum Clarii sapientem), der seine Schüler gelehrt habe, dass viel Gutes vom Spiegel kommt, wenn man ihn nicht missbraucht. Klaros war in der Antike ein bedeutender Orakelort des Gottes Apollon an der Westküste von Kleinasien und Clarius eines der Epitheta des Gottes31. Der Weise (sapiens), der seine Schüler über den Spiegel belehrte, ist somit als Sokrates identifizierbar, der von einem anderen Apollon-Orakel, dem bekannten in Delphi, als der weiseste aller Menschen bezeichnet worden war. In einer gelehrten Anspielung verweist Atrocian somit über das tertium comparationis Apoll auf den berühmten Philosophen. In diesen Kontext passt, dass die Selbsterkenntnis in Sokrates’ Philosophie eine zentrale Rolle spielt32 und am Eingang des Tempels von Delphi die Inschrift „Erkenne dich selbst“ (γνῶθι σεαυτόν) angebracht gewesen sein soll. In der Emblemliteratur steht der Spiegel symbolisch für die menschliche Selbsterkenntnis. Zudem ist Sokrates, der seinen Schülern den Spiegel überreicht, ein beliebtes Sujet in der darstellenden Kunst des 16. Jahrhunderts33. Atrocian kann somit an bekannte Bilder anknüpfen, wenn er mit dem Pronomen nobis von der Vergangenheit in die Gegenwart wechselt und seine eigene Zeit in die sokratische Selbsterkenntnis im Spiegel einbezieht. Seine Leser können durch die Vermittlung Atrocians gleich Sokrates’ Schülern lernen, dass viel Gutes aus dem Spiegel kommt, wenn sie ihn richtig gebrauchen. Das Distichon, das dieses „wir“ enthält, steht genau in der Mitte des Gedichts und bildet damit einen pointierten Abschluss der ersten vierzehn Verse, die sich dem männlichen Gebrauch des Spiegels widmen. Wer so gebildet ist, dass er das Rätsel um den Clarii sapiens lösen kann, beweist, dass er selbst zur richtigen Art der Spiegelbenutzung fähig ist, die über die eitle Selbstbetrachtung hinausgeht. Das Epitheton Clarius, das Atrocian zur Bezeichnung Apolls wählt, lässt zudem die Assoziation mit clarus, also „klar, rein, deutlich, verständlich, glänzend“ zu und verweist auf das Ziel, das aus der Selbstbetrachtung im Spiegel resultieren soll. Auf diesen ersten Teil des Gedichts, welcher der männlichen Benutzung des Spiegels gewidmet ist, folgt eine Abhandlung über den weiblichen Gebrauch des Spiegels. Werden bei den Männern vier verschiedene Alters- und Aussehens-Kategorien unterschieden, ist es bei den Frauen nur die schöne Frau, die an den Spiegel herantritt. Eine Differenzierung findet nicht statt, Atrocian spricht von der verführerischen Frau, von Eva34 schlechthin, die er als mulier bezeichnet – ein Begriff, der im klassischen Latein oft negativ verwendet wird35. Anders als in den antiken Epigrammen ist es nicht die hässliche Frau vor dem Spiegel, die verspottet wird, sondern die schöne, welche die mühsam erarbeitete Tugend des Mannes, die in der ersten Hälfte des Gedichts geschildert wird, bedroht. In die Darstellung der Frau vor dem Spiegel fließen ebenfalls literarische Vorbilder ein. Atrocian zeigt sich jedoch in deren Handhabung freier und kreativer als 31 32 33 34 35
Vgl. etwa Ov., ars, 2, 80; met., 11, 413; Verg., Aen., 3, 360. Jónsson 1995, p. 47. Siehe grabes 1973, Abb. 19 und 21; wilkins 1929, p. 106–115. Vgl. dazu FlascH 2004, p. 82–84; waJeMan 2007, p. 122–133. adaMs 1972, p. 235, 239; goureVitcH & raePsaet-cHarlier 2001, p. 25; HinderMann 2013.
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bei der Beschreibung des Mannes. Der wichtigste Referenztext ist das dritte Buch von Ovids Ars amatoria, Ovids Liebeskunst für Frauen, was ein interessantes Licht auf Atrocians Lektürevorlieben wirft36. Ovid war in der Renaissance der einflussreichste und am meisten imitierte klassische Autor, seine Ars amatoria war jedoch anders als im Mittelalter kein Schultext mehr, da er als zu anstößig galt37. Die ersten beiden Bücher der Ars, die sich an den männlichen Liebesschüler richten, und das an Frauen gerichtete dritte Buch zeichnen sich durch einen unterschiedlichen didaktischen Ansatz aus, welcher der antiken rollenspezifischen Dichotomie von weiblich-passiv und männlich-aktiv entspricht. Während Männer Strategien entwickeln müssen, um Frauen zu erobern, wird den Frauen vermittelt, wie sie zum Ziel männlicher Eroberung werden können. Da eine Frau erotische Liebe zwar erregen oder erwidern, aber nicht selbst initiieren kann, muss sie, wie Ovid in seiner Ars schreibt, durch die Optimierung der eigenen Person ein Objekt kreieren, das den Mann zum Handeln herausfordert38. Das wichtigste Mittel zur Eroberung von Männern ist für den praeceptor amoris das weibliche Haar, weshalb er das Thema als ersten Lerngegenstand systematisch behandelt. Dem Spiegel kommt dabei die Rolle des kritischen und aufrichtigen Beraters zu, den die Frau beiziehen muss, um die Frisur zu finden, die ihr steht39. Indem der praeceptor amoris die Selbsterkenntnis zur Grundlage der Attraktivität erklärt, verpflichtet er jede Frau dazu, in einem Prozess der Selbstbetrachtung ihre eigenen Schwächen und Stärken zu überprüfen. Das γνῶθι σεαυτόν, der Prozess der Selbsterkenntnis vor dem Spiegel, wird bei Ovid für die Frauen somit auf die Wahl der passenden Frisur reduziert40. Während bei Ovid die Frauen jedoch immerhin selbst über ihr Spiegelbild befinden sollen, kehrt Atrocian die Machtverhältnisse zwischen Frau und Spiegel um. Während der Spiegel dem Mann im Prozess der Selbsterkenntnis als passives Hilfsmittel dient, nimmt er gegenüber der Frau eine dominante Position ein. Der Spiegel erscheint personifiziert als Herr (dominus V. 18) und gar als König (rex V. 21), den die Frau grüßt (salutat) und von dem sie Befehle entgegen nimmt (iubeat). Auch der Begriff nutus (V. 21), der symbolisch für die absolute Macht eines Menschen bzw. einer Gottheit steht, passt in dieses Bild: Auf bloßen Wink des Spiegels hin lässt die Frau ihren Hintern unanständig kreisen. Da der Begriff nutus in elegischerotischem Kontext zudem sehr oft als Mittel der Verständigung zwischen den Liebenden erscheint41, fungiert der Spiegel gleichzeitig als Liebhaber und Herr der Betrachterin. Durch diese Personifikation und gleichzeitige Erhöhung des Spiegels 36 37 38 39 40 41
Vgl. dazu Atrocians Lektüreliste im Nemo Evangelicus, V. 373: Quis docuit pueros artem praeceptor amandi? Vgl. dazu burrow 2002, p. 301–304; Moss 1982, p. 3–7; allen 1992, p. 52–58; Hexter 1986, p. 15–25. Ov., ars, 3, 421–424 und 380; Myerowitz 1985, p. 97–99, 124–128. … quod quamque decebit, / elegat et speculum consulat ante suum. (Ov., ars 3, 135–136) – „Jede soll auswählen, was ihr steht, und zuvor ihren Spiegel konsultieren.“ Vgl. dazu auch ars, 2, 493–510, wo der delphische Spruch zur Handlungsanweisung für Liebende wird, und 3, 771–772, wo es um die Selbsterkenntnis im erotischen Sinn geht. Vgl. dazu Ov., am., 1, 4, 17; 3, 11, 23; ep., 16, 258; ars, 1, 138; met., 4, 63; Tib., 1, 2, 21; 1, 6, 19; 1, 8, 1.
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enthebt Atrocian die Frau ihrer typisch elegischen Rolle der domina und macht sie zur Dienerin. Ovid stellt seinen Schülerinnen in seinem Frisurenkatalog acht verschiedene Frisuren zur Auswahl, bevor er mit Hilfe des Unzählbarkeitstopos, einem für die Lehrdichtung charakteristischen Element, davon Abstand nimmt, alle möglichen Frisuren aufzuzählen. Als neunte und letzte fügt Ovid daraufhin eine weitere Frisur an: die ‚Nicht-Frisur‘, d. h. offenes, kunstvoll-nachlässig frisiertes Haar42. Lose herabwallendes Haar ist für Männer unwiderstehlich, da diese damit die Bereitschaft zur Hingabe oder den bereits erfolgten Liebeskampf bzw. den Streit aus Eifersucht assoziieren43. Da die puella mit einer nachlässig-lockeren Frisur ihrem Betrachter sexuelle Verfügbarkeit signalisiert, rät Ovid allen Frauen, beim Akt das Haar zu lösen, unabhängig davon, welche Frisur zu ihrer Gesichtsform passt44. Atrocian stellt bei der Beschreibung der Frau vor dem Spiegel ebenfalls das Haar an den Anfang und nennt zwei mögliche Frisuren (V. 17–18): Zum einen das auf den Hals herabwallende Haar, das in Ordnung gebracht werden soll, zum andern das zusammengebundene Haar, das gelöst wird. Sein Interesse gilt dabei dem offenen Haar (diffusos; solvit), d. h. der Spiegel zeigt die Frau in beiden Fällen in einer sinnlichen und verführerischen Haltung. Das nächste Distichon (V. 19–20), das vom Verhüllen des Kopfes handelt, ist rätselhaft. Atrocian spricht im Hexameter zunächst davon, dass die Frau nichts auf den Kopf legt, ohne dass sie vorher den Spiegel konsultiert. Im Pentameter folgt die Aussage, dass die Frau auf ähnliche Weise das syrma anzieht. Im Kontext würde man eher eine typisch weibliche Kopfbedeckung wie eine Haube, ein Kopftuch oder einen Schleier erwarten, den z. B. der Reformator Johannes Agricola in einem sehr ähnlichen Spiegelgedicht von 1529 erwähnt45. Atrocian dagegen verwendet das griechische Fremdwort syrma, welches das lange, am Boden schleifende Gewand der tragischen Schauspieler bezeichnet. Das Wort erscheint in der lateinischen Literatur selten und meist im übertragenen Sinn zur Bezeichnung einer tragiet neglecta decet multas coma: saepe iacere / hesternam credas, illa repexa modo est. / ars casum simulet. … (Ov., ars, 3, 153–155) – „Auch vernachlässigtes Haar steht vielen: Oft könnte man glauben, es sei die Frisur von gestern, dabei ist sie eben gerade nachgekämmt worden. Die Kunst ahmt den Zufall nach.“ 43 Ov., am., 1, 7; 1, 14, 19–22; Tib., 1, 10, 61–62. 44 nec tibi turpe puta crinem, ut Phylleïa mater, / solvere, et effusis colla reflecte comis. (Ov., ars 3, 783–784) – „Und halte es nicht für schändlich, das Haar wie eine phylleische Mutter zu lösen, und biege den Hals zurück, während das Haar frei herab fällt.“ 45 Bei Johannes Agricola, dessen Sprichwörtersammlung großen Einfluss auf seine Zeitgenossen ausübte (vgl. dazu grau 1968, p. 14–18), fungiert der Spiegel ebenfalls als Ratgeber („radtgeben“), zu dem die Frauen schauen, wenn sie ihre „schlayer faltzen“. So lautet das Sprichwort Nr. 682 mit dem Titel „Die weiber treiben all yhren wandel mit radt des spiegels“: „Der Ritter vom Thurn lernet seine toechter / wie sie sich vor ubrigem schmucken huetten sollen / dann sie verdammen damit yhre seelen. Eyn weib wie gesagt / hatt keyn grossere lust / denn schmucken / darum haben sie eynen radtgeben / der heysset der spiegel / der lernet sie die schlayer faltzen / das maul einbeissen / uber sich und auff die seitten sehen / den halß regiern / lachen und schertzen / geen und stehen / Consilio speculi gerit omnia mulier.“ Das Sprichwort findet sich zuerst bei Agricola, wird danach aber in verschiedene andere Sprichwörtersammlungen aufgenommen. Vgl. dazu grau 1968, p. 85, 258. 42
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sche Rolle oder der Tragödie als Gattung46. Es ist daher möglich, in Atrocians Verwendung eine Anspielung auf Apuleius’ Apologie zu sehen, wo der Begriff ebenfalls in Zusammenhang mit der Diskussion über den Spiegel verwendet wird47. Apuleius verteidigt sich gegen den Vorwurf, einen Spiegel zu besitzen, mit dem Argument, dass er nicht alles, was er besitzt, auch nutzt, und umgekehrt viele Dinge gebraucht, die ihm nicht gehören. Als Beispiel dafür fügt er an, dass man, besäße er Schauspielerrequisiten, auch nicht automatisch annehmen würde, dass er die für die jeweiligen Gattungen typischen Gewänder eines Schauspielers – darunter auch die des Tragöden – anzieht48. Der Vergleich zielt darauf, dass, so wie gewöhnliche Gegenstände im Alltag und auf der Bühne verwendet werden können, auch der Spiegel zu unterschiedlichem Gebrauch da ist. Besitzt ein Mann Bühnenrequisiten, heißt das nicht, dass er sich wie ein Schauspieler – in römischer Vorstellung unmoralisch und effeminiert49 – gebärdet. Analog dazu bedeutet der Besitz eines Spiegels nicht, dass man ihn zum Zweck der eitlen Selbstbetrachtung verwenden muss. Die von Apuleius postulierte Nähe zwischen Schauspieler und Spiegel basiert darauf50, dass beide den Blick auf sich ziehen und dem Betrachter ein Bild zurückwerfen, das zum Vergleich mit den sozialen Normen auffordert. Für den Schauspieler ist der Spiegel zudem ein Hilfsmittel zur Einübung und Perfektionierung der persona, die er auf der Bühne einnimmt51. Darin gleichen Schauspieler den Frauen, die sich ebenfalls dem Blick der Zuschauer darbieten und ihnen sinnliches Vergnügen (voluptas) bereiten. Während sich der Schauspieler jedoch in andere Personen versetzt, muss die Frau ihre eigene Person spielen und zur Schau stellen. Vers 21 und 24 widmet Atrocian einem weiteren Bestandteil weiblicher Verführungskunst, der Bewegung des Hinterns. Der Gedanke, dass sich vom Gang 46 47
48 49 50 51
Vgl. Mart., 4, 49, 8; 12, 94, 4; Juv., 15, 30. Sequitur enim de speculo longa illa et censoria oratio, de quo pro rei atrocitate paene diruptus est Pudens clamitans: „habet speculum philosophus, possidet speculum philosophus.“ ut igitur habere concedam – ne aliquid obiecisse te credas, si negaro –, non tamen ex eo accipi me necesse est exornari quoque ad speculum solere. quid enim? si choragium thymelicum possiderem, num ex eo argumentarere etiam uti me consuesse tragoedi[i] syrmate, histrionis crocota, †orgia, mimi centunculo? non opinor. nam et contra plurimis rebus possessu careo, usu fruor.“ (Apul., apol., 13, 5–7) – „Es folgt nämlich jene lange, sittenstrenge Rede über den Spiegel; dabei platzte Pudens angesichts der Scheußlichkeit der Sache fast und schrie: ‚Einen Spiegel hat der Philosoph, einen Spiegel besitzt der Philosoph!‘ Mag ich auch zugeben ihn zu haben – damit du nicht etwa, wenn ich es abstreite, glaubst, mir irgendetwas Wichtiges vorgeworfen zu haben –, ist es dennoch nicht nötig, daraus abzuleiten, dass ich mich vor dem Spiegel auch zu schmücken pflege. Warum denn? Wenn ich Schauspielerrequisiten besäße, würdest du dann dies als Beweis dafür anführen, dass ich das Schleppkleid des Tragödienschauspielers, das safranfarbene des Tänzers, das Flickengewand des Mimenclowns zu benutzen pflege? Ich glaube es nicht. Denn auch umgekehrt besitze ich viele Dinge nicht, benutze sie aber.“ Apuleius ist einer der ersten klassischen lateinischen Autoren, dessen Werk gedruckt wurde. Zur Überlieferung von De magia siehe HaMMerstaedt et al. 2002. dingel 1971 hat die in der griechischen Tragödie verwendeten Requisiten zusammengestellt, dazu zählen u. a. Gewänder, Gehstock, Kopfbedeckung, Kranz, Waffen etc. Vgl. bartscH 2006, p. 152–157. Ebenso auch Aug., soliloq., 2, 18, 4–7; Lucian., salt., 81. Vgl. taylor 2008, p. 23–26.
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Schlüsse auf den Charakter eines Menschen ziehen lassen, findet sich in der antiken Literatur verbreitet52. In erotischem Kontext wird der wiegende Schritt, die mollitia, an Frauen gelobt und geschätzt. Aussagen über den Gang der Geliebten können und sollen als Indizien für die erotischen Qualitäten der Betroffenen gelesen werden53. Ovid rät in seiner Liebeskunst den Frauen, sich so oft wie möglich in der Öffentlichkeit zu zeigen54 und durch ihren Gang Gefallen zu erregen55. Der praeceptor amoris empfiehlt den Frauen dabei die goldene Mitte, d. h. sie sollen sich nicht zu bäuerisch, aber auch nicht zu lasziv bewegen, sondern Männer durch Andeutungen reizen56. Atrocian spricht in Vers 24 ebenfalls davon, dass die Frauen lernen können, richtig zu gehen, kennt jedoch keine Nuancen der Verführungskunst. Er beschreibt die unkeusche Frau (improba), die vor dem Spiegel lernt, ihren Hintern zu schwingen, ausgedrückt mit dem derben Begriff clunes (V. 21), den auch Martial und Juvenal in sexuellem Kontext verwenden57. Neben Frisur und Gang soll die Frau auch den Gesichtsausdruck vor dem Spiegel einüben. In seiner Abhandlung über das Mienenspiel rät Ovid seinen Schülerinnen ab von Zorn (ira), Sprödigkeit (fastus) und Hochmut (superbia)58. Diese Gemütsregungen sind zu vermeiden, da sie die Gesichtszüge hässlich aussehen lassen und jeden Verehrer vertreiben. Seine Schülerinnen sollen stattdessen dem Verehrer seine positiven Signale zurücksenden und durch Blicke, Lächeln und Zeichen ihr Einverständnis kundtun59. Durch die Wiederholung der vorgeführten Gesten, d. h. durch eine passiv-positive Reaktion, die der eines Spiegels gleicht, wird die Attraktivität der Frau in den Augen des Verehrers beträchtlich erhöht60. Atrocian lässt in seiner Darstellung den bei Ovid ausführlich beschriebenen Zorn weg, obwohl dieser gut in den Kontext des Spiegelgedichts passen würde61, und konzentriert sich auf die superbia. Während Ovid verlangt, dass Frauen ihre Verehrer nicht hochmütig abweisen und ihnen stattdessen freundliche Blicke zuwerfen sollen (comitas), klagt Atrocian, dass die Frauen dank dem Spiegel lernen, 52 53 54 55
56 57 58 59 60 61
Cicero (Cael., 49) und Seneca der Ältere (con., 2, 7, 4) stellen bei Frauen einen direkten Zusammenhang her zwischen der Art, sich zu bewegen, und dem unkeuschen Wesen. Vgl. auch gleason 1995, p. 60–62. Hor., carm., 4, 13, 17–18; Catul., 68, 70; Ov., am., 2, 4. Ov., ars, 3, 417–424. Discite femineo corpora ferre gradu: / est et in incessu pars non contempta decoris; / allicit ignotos ille fugatque viros. (Ov., ars, 3, 298–300) – „Lernt auch mit weiblichem Schritt die Körper zu bewegen: Der Gang ist ein nicht zu verachtender Teil der Schönheit. Er lockt fremde Männer an und verjagt sie.“ Ov., ars, 3, 305–306. Mart., 9, 47, 6; Juv., 2, 21; vgl. auch adaMs 1982, p. 194. Ov., ars, 3, 499–524. spectantem specta; ridenti mollia ride; / innuet: acceptas tu quoque redde notas. (Ov., ars, 3, 513–514) – Schau ihn an, wenn er dich anschaut; lächle sanft zurück, wenn er lächelt; wird er nicken, dann gib auch du ihm die empfangenen Zeichen zurück. Vgl. Plut., mor., 139f–140a über die Rolle der Ehefrau als Spiegel des Mannes. Wie Ovid rät auch Seneca dem Zornigen, in den Spiegel zu blicken, um dann, vom eigenen Gesichtsausdruck erschreckt, von diesem schädlichen Affekt abzulassen; siehe Ov., ars, 3, 507–508; Sen., de ira, 2, 36.
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das Gesicht hochmütig zu verziehen. Die Selbstbetrachtung im Spiegel ist somit nicht nur Ausdruck des weiblichen Stolzes, sondern lehrt die Betreffende erst, stolz zu sein. In einem christlichen Kontext wiegt der Vorwurf der superbia schwer. In seiner Elegia de bello rustico setzt Atrocian die personifizierte Superbia mit Luzifer gleich, der als Rache für seinen Himmelssturz die Bauern zum Aufstand bewegt, und in seiner Dichtung Mothonia hoc est Superbia ist das handelnde Subjekt die regina superbia, der evangelische Hochmut, der sich brüstet, über die ganze Welt zu herrschen62. Durch die Selbstbetrachtung im Spiegel verrät die Frau also nicht nur ihre Eitelkeit, sondern auch ihre Gottesferne. Ikonographisch ist die Superbia, die als Ursünde und Ursprung aller Todsünden gilt63, eng mit dem Spiegel und der Narzissfabel verknüpft64. Atrocians Spott zielt darauf, die Gefahr, welche die attraktive Frau für das Seelenheil des Mannes darstellt, zu bannen, indem er ihre Schönheit als schrittweise vor dem Spiegel hergestellte Fassade demontiert und als Zeichen von superbia dämonisiert. FAZIT Atrocians Gedicht bietet einerseits eine Morallehre an den Sohn über das rechte männliche Verhalten vor dem Spiegel, anderseits warnt es vor der erotischen Kraft der Frauen. Im letzten Distichon (V. 25–26) resümiert der Humanist, dass Dinge oft zu einem anderen Zweck verwendet werden, als wozu sie die Natur erschaffen hat. Damit unterstreicht Atrocian abschließend seine These, dass der Spiegel eigentlich zur philosophischen, d. h. männlichen Selbstbetrachtung erfunden wurde, jedoch in erotisch-eitler, d. h. weiblicher Absicht zweckentfremdet wird. Besonderes Gewicht erhält die Botschaft dadurch, dass sie als Vermächtnis von Vater an Sohn formuliert ist. Atrocian zeigt in seinem Epigramm zwei Geschlechter, deren Verhalten vor dem Spiegel ihre grundsätzliche Unvereinbarkeit verrät, und verstärkt damit die Dichotomie, die im antiken Diskurs über den Spiegel noch weniger stark aufscheint. Die Intertextualität mit den antiken Quellen wirkt in Atrocians Gedicht auf verschiedenen Ebenen. Gelehrte Anspielungen wie die Nennung des sapiens Clarii oder des syrma, deren Dekodierung anspruchsvoll ist, fungieren als Erkennungszeichen der klassisch Gebildeten, an die sich der Humanist in all seinen Werken richtet. Gleichzeitig nutzt Atrocian antike Texte als Medium zur Vermittlung von moralischen Inhalten und christlichen Werten, wobei er sich nicht scheut, deren ursprüngliche Botschaften für seine argumentativen Zwecke zu verändern. So unterzieht Atrocian seine beiden bekannten Hauptquellen Seneca und Ovid einer detaillierten lectio christiana, indem er Senecas philosophische Überlegung zum rechten Gebrauch des Spiegels in ein eindringlichen memento mori verwandelt und Ovids Anleitung zur Steigerung weiblicher Erotik zur Warnung vor derselben benutzt. 62 63 64
Vgl. Elegia de bello rustico V. 129 (siehe HaMM 2001). Vgl. dazu HeMPel 1970, p. 2–29. Vgl. dazu grabes 1973, p. 154–155, 176–179; reideMeister 2006.
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CACARE ROSAS Die Geburt eines göttlichen Kindes in der Querela missae des Basler Humanisten Johannes Atrocianus Henriette Harich-Schwarzbauer DER AUTOR ATROCIAN – EIN FORSCHUNGSDESIDERAT Bislang nicht erforscht ist die Querela missae (Basel, 1528) des in Basler Humanistenkreisen sozialisierten Johannes Atrocianus (der Harte, der Unnachgiebige). Johannes Atrocianus wird den ,kleineren Humanisten‘1 zugerechnet2. Er unterrichtete vermutlich in Basel am Gymnasium am Leonhardsgraben. Sein Sohn Onophryus, an den er einzelne Epigramme richtete, trat nach ihm ebenfalls als Schriftsteller hervor. Die Aufarbeitung seines poetischen Werks steht erst am Anfang und geht über den wichtigen ersten Schritt der bibliothekswissenschaftlichen Inventarisierung kaum hinaus3. Atrocian gehörte zu den ‚Altgläubigen‘ in Basel. Johannes Faber, um den sich ein Zentrum des Widerstandes gegen die Reformatoren bildete, druckte die meisten seiner Schriften, die in einem geringen Zeitabstand zwischen 1528 und 1529 in Basel veröffentlicht wurden. Neben der elegischen Zeitklage der Querela missae sind zu nennen: Mothonia, De bello rustico, Nemo evangelicus, Epigrammata. Von Atrocian liegt uns ein literarisch durchwegs anspruchsvolles Werk vor, das Entwicklungen in Basel in der kritischen Phase der Reformation punktuell beleuchtet. Eine moderne Edition dieses ‚Hartnäckigen‘ fehlt. Die verfügbare Internet-Version der Basler Edition der Atrocianea (1528–1529)4 ist selektiv, sie schließt die Querela missae (noch) nicht ein. Eine Übersetzung gibt ebenfalls es (noch) nicht5.
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Diese wertende Kategorisierung von Humanisten bedarf aus der Warte interdisziplinärer Forschung jedenfalls der Revision. Zu Prosopographischem vgl. Folkerts 2001; HinderMann 2011; Plotke 2003–2005. Nennenswert ist allein die überaus verdienstvolle Monographie HaMMs mit einem Kapitel zur Elegia de bello rustico Atrocians (HaMM 2001, p. 225–244, 304–328). Dazu http://www.uni-mannheim.de/mateo/camautor/atrocianus.html (13.06.2016) Eine Edition mit Einleitung, Übersetzung und Kommentar ist in Basel im Entstehen.
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DIE QUERELA MISSAE Die Querela missae6 wurde vor Oktober 1528 fertig gestellt, also nur wenige Monate vor dem für Basel einschneidenden 9. Februar 1529, an dem die Reformatoren zum Vollzug schritten, dem Jahr übrigens, in dem der katholische Gottesdienst in Basel abgeschafft wurde. Der Disput um die Heilige Messe hatte bereits im Jahr 1527 den Basler Großen Rat beschäftigt und zu einer Stellungnahme durch Oekolampad, eine der treibenden Kräfte der Basler Reformatoren, geführt7. Die Querela missae wird in der historischen Studie HaMMs zu Atrocians Bauernkrieg als eine – das Problem simplifizierende – Attacke auf Oekolampad gedeutet8. Dass die Schriften Atrocians in Spanien (1558) als vermeintlich reformatorisches Pamphlet auf den Index gesetzt wurden, wird der Querela missae angelastet. Letzteres ist ein deutlicher Hinweis darauf, dass das Gedicht nur an der Oberfläche so ,einfach‘ ist. Indes lässt bereits eine erste kursorische Lektüre der Elegie den Schluss zu, dass der Text aufgrund seiner Komplexität gründlich missverstanden werden konnte. Dieser Verdacht erhärtet sich auch gegenüber der simplifizierenden Ansicht HaMMs, dass dieses Werk bloß einen Beitrag zur Debatte um die Bildungsfeindlichkeit der Reformierten liefere. In Basel befand sich die Klage der Messe in bester literarischer Gesellschaft. Erasmus von Rotterdam hatte ebendort Ende 1517 seine Querela pacis bei Froben ediert. Erasmus führt vor, wie praktikabel, oder anders gewendet, wie vielfältig die Querela-Literatur nutzbar war9. Doch anders als Erasmus greift Atrocian zum elegischen Versmaß, in dem man formengeschichtlich auch im Humanismus Trauer und Klage formulierte10. Anders als bei Erasmus, dessen personifizierte Pax aufrütteln will, überwiegt bei Atrocian Resignation, die sich in unversöhnlichem, nicht mehr auf Vermittlung setzendem Spott manifestiert11. Den mehr als 400 elegischen Distichen stellt er eine epistula prefatoria an Huldrich Marti (propositus collegii 6
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Querela missae, Ioanne Atrociano authore, opusculum elegans, ac recens natum atque excusum. Item eiusdem, Ioannis Atro. Nemo evangelicus. Praeterea. Eiusdem Io. Atr. Elegia de bello rustico. Ad haec. Mothonia, & Liber Epigrammatum eiodem Io. Atro. Basleiae apud Ioannem Fabrum Emmeum Iuliacensem. Anno M.D.XXIX. fol. 3r–19v. (Die Querela missae wird nachfolgend abgekürzt mit QM. Die Stellenangabe erfolgt mit Seitenzahl und gemäß der Ausgabe von 1529. Ergänzend werden die Verszahlen ausgewiesen. Kürzel werden aufgelöst). Oekolampad war 1515 zu Erasmus nach Basel gekommen (zur Mitarbeit an der Edition des NT). Ab 1525 pflegte er Kontakte zu Zwingli und Luther. Seit 1525 war er „Leutpriester“ in der Martinskirche in Basel. HaMM 2001, p. 237 sq. Diese Ansicht resultiert aus dem Vergleich mit dem Werk von Amerbach. Die Wahl der literarischen Mittel (der Invektive) wurde bei diesem Urteil noch weitgehend außer Acht gelassen. Zu den wichtigsten Stationen der Querela-Literatur von Dante bis Erasmus vgl. Garber 2009, 525–555. Vgl. iJsewiJn & sacré 1998, p. 80. iJsewiJn (p. 21–23) hebt hervor, dass sich die neulateinische Poesie, darunter die elegische Zeitklage, einer normativ-poetologischen Klassifizierung weitgehend entzieht. Zur Personifikation der Pax des Erasmus vor dem Hintergrund der personifizierten Roma bei Dante und Petrarca vgl. garber 2009, p. 525–555; hier insb. p. 539 zur Querela als leidenschaftlicher Zeitkritik.
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Beronensis) voran. Der Probst von Beromünster wird als Mann gepriesen, in dem sich probitas und eruditio in einzigartiger Weise vereinen, wie Luzern, die eigentliche Wiege der Bildung, dies zuvor nicht gekannt habe12. Seine Klage der Messe bezeichnet Atrocian als Anlassdichtung in einer höchst unruhigen Zeit (opera tumultuaria), mit welcher er nicht die Absicht verfolge, eine Schmähschrift zu verfassen (non ut quemquam dente Theonino roderemus)13, wie er mit einem Horaz-Zitat insinuiert14 – genau dies aber ist der Fall. Anderes wäre den Usancen von programmatischen Prätexten entsprechend denn auch kaum zu erwarten gewesen. Atrocian betont nicht zuletzt sein Ziel, die moralische Verkommenheit seiner Zeit bloß zu beschreiben und an einer grundlegenden ‚Krankheit‘ zu veranschaulichen (… ut insaniam nostri seculi depingeremus). Eine Hoffnung auf ‚Umkehr‘ spricht aus dieser Klage der Messe nicht, Bitternis erstickt konsequent jeden zarten Anflug von Spott mit feiner Klinge. Die personifizierte Missa hält, so die Fiktion, eine Ansprache an den lector candidus15. In der propositio rerum stellt sie ihr großes Unbehagen an den Missständen der Zeit heraus, wobei insbesondere die Ungebildetheit der Zeitgenossen angeprangert wird: Mit einem selbstredenden Beispiel, dem der falschen Etymologien von Missa (*metior: messen), bringt sie die Misere auf den Punkt, indem sie die Verdummung der Menschen mit einem verunglimpfenden Katalog von falschen Etymologien zur Herkunft von missa bloßstellt16. Lächerlich gemacht werden mit diesen ins Groteske ausufernden Etymologien Leute, die beispielshalber meinten, das Wort „Rabe“ (corvus) leite sich von „Schwan“ (cygnus) ab. Mit ein wenig Kombinationsgabe lassen sich diese Herleitungen für den geneigten Leser auch erklären. Man könnte anführen, dass beide Wörter mit dem gleichen Buchstaben beginnen, dass es sich jeweils um Vögel handelt. Fraglich wird die Etymologie allerdings durch den Abgleich mit der ‚Empirie‘, da sich Raben und Schwäne durch eine Reihe von offensichtlichen Merkmalen unterscheiden, am auffälligsten durch die Farbe ihres Federkleides, ihre Stimme und ihre Größe. In diesem Zusammenhang stellt die Missa ein interessantes Wissen über die Methode zur Verfügung, mit der man in dieser Zeit Volksetymologie betrieb. Die Klage, welche die Missa refrainartig vorbringt, entpuppt sich angesichts solcher etymologischer Missgriffe umgehend als Invektive gegen ihre ungebildeten Feinde, die gleich eingangs als Instrument ihrer Triebe und insbesondere der sexuellen Begierden charakterisiert werden:
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Atrocian assoziiert Huldrich Marti mit den Studien, die er von Anfang an gezielt betrieben habe. Die Praefatio beginnt mit ab incunabulis atque ab ineunte aetate ... colui, worin man eine Anspielung auf eine Selbstverortung des Autors in einer neuen, sich durch den Buchdruck definierenden Epoche verstehen kann. 13 QM 2v6–8. 14 Hor., epist., 1, 18, 81f. ( Brief an Lollius): qui / dente Theonino cumcircumroditur, ecquid …; dann bereits bei Erasmus, Collectanea 155 (ed. HeiniMann, Van Poll & Van de lisdonk 2005). 15 Gemäß dem kommentierenden Untertitel: Querela missae Ioanne Atrociano authore. Querela loquitur candido lectori. 16 QM 3v7–3v18.
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Henriette Harich-Schwarzbauer Haec et multa magis soliti narrare pudenda Qui causam ventris tam sapienter agunt.17 Dies und noch mehr Unanständiges erzählen üblicherweise diejenigen, welche die Interessen ihres Unterleibes so klug vertreten.
Die personifizierte Missa stuft die Ungläubigen als Kleinvieh (pecus) ein, präziser gesagt als eine Spezies, die sich von Feldfrüchten ernährt18. Dass allen andern voran die Priester ungläubig sind, wird in der propositio abschließend konstatiert, wenn die Missa erneut, den Klagemodus ihrer Rede unterstreichend, sich an den Leser richtet19: Qui me progenuit Missam pater optimus, ille Ridebit nulla relligione viros. Amplius et quidnam lector tibi conquerar ipsa? Quid lector referam, quidque gravata querar? Der beste Vater, der mich, die Messe, schuf, wird über diese Männer, die bar jeden Glaubens sind, lachen. Wozu klage ich noch weiter vor dir, mein Leser. Was soll ich weiter berichten, was, schwer betrübt, beklagen denn?
Im unmittelbar anschließenden, größeren Teil des Gedichts wird der Sachverhalt des Missstands dargelegt. Die narratio setzt unmittelbar nach dieser erneuten Anrede an den Leser ein, im Folgenden wird sie wieder aufgenommen und intensiviert. Mit diesem rhetorischen Kunstgriff wird eine Komplizenschaft zwischen der Missa und dem gebildeten Leser hergestellt. Die Missa berichtet, wie sie heimlich eine Szene verfolgt, in der ein Priester auf dem Gang zur Messe unter einem Vorwand zur Rede gestellt wird. Eine Frau will den Priester vom Gottesdienst abbringen. Sie verkörpert den Typ der anus20, (oder auch vetula)21. Der Name der diabolischen Frau ist „Taratantara“22. Weitere Zuschreibungen, die Taratantara als Furie kennzeichnen, so saeva Megaera23, kommen hinzu. Aus dem ‚Verhör‘, das mit Komödienelementen angereichert ist, wird deutlich, dass es sich beim Priester um einen Parteigänger Luthers handelt. Er gehört zum Gefolge eines Mannes namens Crispus, auf den sich die Polemik der klagenden Messe im Folgenden konzentrieren wird. Der von der Missa attackierte Gegner, der sich hinter dem Pseudonym „Crispus“ verbirgt, wurde bislang nicht eindeutig identifiziert24. Die Furie Taratantara übernimmt in der Elegie die Funktion der Unruhestifterin. Sie schürt den Krieg, ähnlich der Furie und dieser verwandten Gestalten des 17 18
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QM 4v7–8. QM 4v17–18: sunt homines tantum fruges consumere nati / sunt miserum lector tu mihi crede pecus. Diese Metaphorik, in der eine tierhafte Qualität der Gegner (d. h. der Reformatoren) evoziert wird, gehört in den Bereich der seit alters her topischen Debatten um die Vernunft versus Irrationalität. Vgl. auch Elegia de bello rustico, p. 100. QM 5r3–6. QM 5r19. QM 5v2: vetulae … insipidae. QM 5v3: rabida Taratantara mente. QM 6r14. Dazu HaMM 2001, p. 100.
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römischen Epos. Ihr gegenüber ist die Missa in die Defensive geraten, wenn sie zunehmend verdeckt agieren muss. Sie beobachtet nicht nur den Priester unauffällig, sie, die Missa, schleicht sich auch in die Heilige Messe ein, in der Crispus predigt. Von der plebs wird sie nicht mehr erkannt25. Der Blick der Missa fällt zuerst auf den Priester, der ohne Respekt vor dem Gottesdienst spuckt und sich schnäuzt, bevor er die Messe liest. Die Verachtung der Missa straft ihn, sie wünscht, er möge mit Kot übergossen werden26. Refrainartig durchziehen die Klagen der Missa die Elegie27, die den Priester Crispus sukzessive entlarvt. Vollends demaskiert wird Crispus jedoch durch sein eigenes (dummes) Gefolge. Am Schluss der Messe treten zwei ältere Frauen mit Büchern und Gesang vor, auch sie gehören zum Typ der Furien. Sie mustern die Missa mit wildem Blick (aspicior torvis … luminibus)28. Die Belehrung, welche die Missa auf Nachfrage an die beiden Frauen erhält, lässt Crispus zum „Stentor“ werden (der laut schallend redet). Die Frauen wollen ihre Bücher nur dem zeigen, der vom göttlichen spiritus erfüllt ist. Der einzig vom göttlichen spiritus Geleitete ist ihnen zufolge Crispus, der Mann mit dem gelockten Haar. Eine lange Gegenrede der Missa folgt, mit der Crispus als Scharlatan und Sardanapal enthüllt wird29. Die Querela spitzt sich auf ein Rededuell zwischen der wissenden (Missa) und der dummen Frau (der Anhängerin des Crispus) zu. Diese nämlich bezeichnet umgekehrt die Missa als Ausgeburt eines bösen Dämons (saevo de daemone nata)30 und belegt sie mit einem Fluch31. Die Empörung der Missa entlädt sich nach und nach in dem Streitgespräch, zu dem sich die gegenseitige Verachtung der Frauen entwickelt. Jede hält die andere für dumm, so lacht man etwa unter den Frauen über die Missa, deren Mutter dumm (stulta) gewesen sei. Atrocian bringt also seine Empörung und seinen Spott über die Reformatoren in einem Gespräch unter Frauen zum Ausdruck, in dem sich das Defizit an Wissen und Bildung der Reformatoren spiegelt und die Frau schlechthin als verderbenbringende Triebkraft des religiösen Wandels bezichtigt wird. DIE GEBURT EINES GÖTTLICHEN KINDES Die Querela vereinigt bitteren Spott vermengt mit Klagen über den Glaubensverfall durch die Ungebildeten (plebs, agricolae), die in der in die Elegie eingelegten in laudes Crispi gipfeln. Die alten Frauen (vetulae) preisen Crispus in einem ausufernden Gesang32. Die laudes beginnen mit dem hymnischen Preis anlässlich der Geburt des Crispus33. 25 26 27 28 29 30 31 32 33
QM 7r18. QM 7v25: Crispus est doctor perfundi dignus oleto. QM 8r1; 3; 5; 7; 11: invertam nomen …. QM 8r26. QM 8v3–10v14. QM 10v17. QM 10v17–11r8. QM 14v15–16v26. QM 14v15–14v20.
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Henriette Harich-Schwarzbauer Salve festa dies, matris qua natus ab alvo In lucem Crispus prodiit altiloquus. Salve festa dies, Crispus qua vagiit infans Infans qua primum vagiit egregius. Salve festa dies, meruit quae prima videre Infantem in cunis fasciolisque sacris. Gegrüsst seist Du, festlicher Tag, an dem aus dem Schosse der Mutter der weihevoll sprechende Crispus geboren wurde. Gegrüssest seist Du, festlicher Tag, an dem das Kind Crispus wimmerte und an dem er das erste Mal herausragend wimmerte. Gegrüssest seist Du, festlicher Tag, der als erster die Gunst hatte, das Kind in der Wiege und in heiligen Windeln zu sehen.
Das ‚Wunderkind‘ wird von den unwissenden Frauen wie eine göttliche Instanz begrüßt. Der Tag seiner Geburt wird als neues Zeitalter gefeiert34. Die Vorstellung einer göttlichen ‚Erhöhung‘ wird freilich durch den Hinweis auf die heiligen Windeln des Neugeborenen sofort destruiert (in cunis fasciolisque sacris). Intertextualität mit Leittexten klassischer Autoren (und damit Lektüreangebote an den Gebildeten, sprich ‚Altgläubigen‘ und symbolisch gesprochen einen männlich sozialisierten Leser) ist wahrscheinlich zu machen. Die Anspielungen werden gleichsam intensiviert35. Die hymnisch angelegte Verehrung kippt, sobald man auf Intertextualität mit den antiqui rekurriert, in ihr Gegenteil: Mit Fäkalmetaphorik und ihr entsprechenden Bildern wird das ‚Wunder‘ der göttlichen Geburt des Crispus begründet. Der Neugeborene, der vorerst noch mit dem Diminutiv Crispulus bezeichnet wird, gibt Zeichen seines Auserwähltseins zu erkennen: Er füllt seine Windeln nicht mit herkömmlichen Exkrementen, sondern scheißt Rosenblätter und später als Erwachsener selbst Lilien und Veilchen. Wo immer er hintritt, wachsen Rosen36: Fasciolas infans nullo foedabat oleto. In cunas ponit Crispulus ille rosas. Et cum factus erat vir lilia sola cacabat, et solas violas vir cacat egregius. Sub pedibus Crispi assyrium succrescit amomum, et quidquid Crispus iam rosa calcat erit. Die Windeln entweihte er nicht mit Schmutz; dieser Crispulus setzte Rosen in die Wiege. Und als er zum Mann herangereift war, schiss er unausgesetzt nur Lilien und Veilchen, dieser hervorragende Mann. Unter den Füssen des Crispus wächst nun assyrisches Amomum und wohin er tritt, werden Rosen wachsen.
Seine Göttlichkeit zeigt bereits das in Vergils vierter Ecloga prophezeite Kind an, das ebenfalls schon in der Wiege außergewöhnliche Fähigkeiten verspricht, dort aber, indem es, positiv gewendet, seine Mutter anlacht37. Auf die vergilischen Subtexte soll hier im Einzelnen nicht näher eingegangen werden. Ein Beispiel aber zur Verdeutlichung: Amomum wächst bereits unter den 34 35 36 37
Vgl. Ov., fast., 1, 87: salve laeta dies (1. Januar), mit dem ein neues Jahr, aber auch (dank Germanicus) ein neues Zeitalter beginnen soll. Vgl. z. B. 594: alma parens (Epiklese an die Göttin Venus, Verg., Aen., 2, 91; 10, 252). QM 15r5–10. Verg., ecl., 4, 60-64.
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Füßen des Crispus. Diese orientalische Pflanze, aus der man einen Balsam herstellte, begegnet in den Eclogen Vergils mehrfach, so in den Eclogae 4, 538 und 3, 8939, wo dem Neugeborenen die Fähigkeit zuerkannt wird, paradiesische Zustände und den Beginn eines Goldenen Zeitalters anzukündigen. Mit der satirischen Wendung der Geburt eines göttlichen Kindes liegen Argumente vor, die bestärken, dass Crispus mit Oekolampad gleichzusetzen ist. Dass mit dem göttlichen Kind, dessen eigentlicher Name uns vorenthalten wird, eine Deviation von Christus zu Crispus intendiert ist, liegt nahe. Für die Biographie Oekolampads besitzen Blumen Aussagekraft: Die Frau, die er im März 1528 heiratet und die ihm nach nur neun Monaten ein erstes gemeinsames Kind (Eusebius) zur Welt bringt, trägt den Namen „Wibrandis Rosenblatt“40. Mit der Geburt des Crispus kündigt sich dessen Werdegang an: von der Ehelosigkeit Abstand zu nehmen und die Lehre Christi dementsprechend neu zu interpretieren. Lilien und Veilchen stehen dieser Auslegung der ‚Sendung‘ Oekolampads nicht im Wege. Für die Blumen, die sein Erwachsenwerden (negativ) symbolisieren, lässt sich eine stimmige Erklärung beibringen: Veilchen und Lilien sind (nicht nur) bei Vergil Symbol für die Bereitschaft zur sinnlichen Liebe, sprich die Erotik und die Hochzeit. Für diese Interpretation ist eine Anspielung auf kanonische Textstellen der lateinischen Poesie zu vermuten41. Wie eingangs erwähnt, steht die Erforschung des Werkes Atrocians erst am Anfang. Ein erster näherer Blick in seine Querela missae lässt erkennen, dass es lohnt, diesen „Hartnäckigen“ vertieft zu erkunden. Die Querela missae gibt Aufschluss über ein poetisches Verfahren, sich die Satire anzuverwandeln und in den Dienst der Reformationsgegner zu stellen, die hier zwischen derbem Spott und subtiler Polemik oszilliert. Aus der Klage der Messe, die bereits ahnt, dass ihr Ende gekommen ist, spricht ein Autor, für den der Umsturz durch die Frauen im Umkreis der Reformatoren, wenn schon nicht verschuldet, so doch erheblich mitgetragen und ‚popularisiert‘ wird. BIBLIOGRAPHIE QM = Querela missae, Ioanne Atrociano authore, opusculum elegans, ac recens natum atque excusum. Item eiusdem, Ioannis Atro. Nemo evangelicus. Praeterea. Eiusdem Io. Atr. Elegia de bello rustico. Ad haec. Mothonia, & Liber Epigrammatum eiodem Io. Atro. Basileiae apud Ioannem Fabrum Emmeum Iuliacensem. Anno M.D.XXIX. burgHartz 2004 = S. burgHartz, Wibrandis Rosenblatt – die Frau der Reformatoren, in Theologische Zeitschrift, 60, 2004, p. 337–349.
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Amomum lässt Giftpflanzen sterben. Amomum wächst als Frucht auf der sonst dornigen Brombeere. Zu Wibrandis Rosenblatt und der aktiven Rolle der Ehefrauen der Priester für die Reformation vgl. burgHartz 2004. Verg., Aen., 12, 67–69 (Rosen und Lilien). Bei Claudian (Rapt. Proserp., 2, 12) verweisen Rosen, Lilien und Veilchen auf die bevorstehende Hochzeit der Cerestochter.
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Folkerts 2001 = M. Folkerts, Eine Verwechslung mit Folgen: die Humanisten Acronius und Atrocianus, in Sudhoffs Archiv. Zeitschrift für Wissenschaftsgeschichte, 85, 2001, p. 55–63. garber 2009 = K. garber, Erasmus und die Friedensutopie im europäischen Humanismus. Versuch einer geschichtlichen Rekonstruktion, in ibid., Literatur und Kultur im Europa der Frühen Neuzeit. Gesammelte Studien. München, 2009. HaMM 2001 = J. HaMM, Servilia bella. Bilder vom deutschen Bauernkrieg in neulateinischen Dichtungen des 16. Jahrhunderts, Wiesbaden, 2001. HinderMann 2011 = J. HinderMann, s. v. Atrocianus, Johannes, in Verfasserlexikon Frühe Neuzeit, VL 16, vol. 1, 2011, Sp. 128–133. iJsewiJn & sacré 1998 = J. iJsewiJn & D. sacré, Companion to Neo-Latin studies, part. II, Literary, linguistic, philological and editorial questions, Leuven, 21998. http://www.uni-mannheim.de/ mateo/camautor/atrocianus.html (zuletzt konsultiert am 13.06.2016). Plotke 2005 = S. Plotke, s. v. Atrocianus, http://www.ub.unibas.ch/cmsdata/spezialkataloge/ poeba/, 2003–2005 (zuletzt konsultiert am 13.06.2016).
EIN OBERRHEINISCHER HUMANIST IN WÜRZBURG Die Satyra in sicarios von Kaspar Stiblin Wolfgang Kofler I. DER ANLASS DES GEDICHTS Der Leser möge es mir gestatten, dass ich ihn am Beginn meiner Ausführungen aus der schönen Region des Oberrheins in das ebenfalls nicht zu verachtende Franken entführe. Dieses ist nämlich Kulisse für die Ereignisse, die den Anlass des Textes bilden, den ich hier vorstellen möchte. Genauer gesagt geht es um die Geschehnisse in Zusammenhang mit dem tödlichen Anschlag auf den Würzburger Fürstbischof Melchior Zobel von Giebelstadt vom 15. April 1558. Das Ereignis, das letzten Endes in den großen politischen und militärischen Auseinandersetzungen der 40erund 50er-Jahre, d. h. den Religionskriegen zwischen den protestantischen Reichsfürsten und Kaiser Karl V., wurzelte, hatte nicht zuletzt deshalb großes Aufsehen erregt, weil der Ermordete weit über die Grenzen seines Herrschaftsgebiets hinaus bekannt war. Zobels gewaltsames Ende entspricht in gewisser Weise seinem Aufstieg1. Er beteiligte sich nämlich an kriegerischen Operationen in den Bauern- und Türkenkriegen, bevor er 1540 ins Würzburger Domkapitel und 1544 zum Nachfolger von Fürstbischof Konrad III. von Bibra gewählt wurde. Dies geschah trotz des Widerstandes einer einflussreichen Gruppe von Personen um den Ritter Wilhelm von Grumbach, der es sich forthin zum Ziel setzte, Zobels Herrschaft mit allen erdenklichen Mitteln zu sabotieren. Dazu bediente er sich unter anderem seiner Freundschaft mit dem Markgrafen Albrecht Alkibiades von Brandenburg-Kulmbach, der sich 1552 mit dem Kurfürsten Moritz von Sachsen gegen Karl V. verbündet hatte. Als Konsequenz zwischenzeitlicher Erfolge des Markgrafen konnte Grumbach im Fürstbistum Würzburg einige Zugeständnisse erringen, deren Behauptung – auch dann, als die Sterne seiner Verbündeten schon längst untergegangen waren – einen Rattenschwanz an Streitigkeiten nach sich zog. In der Wahrung seiner Interessen scheint Grumbach jedenfalls nicht zimperlich gewesen zu sein, und so entschloss er sich schließlich zur Entführung des Fürstbischofs. Die ersten beiden Versuche scheiterten, der in Wild-West-Manier durchgeführte dritte endete in einer Katastrophe: Grumbachs Schergen töteten Zobel. Nach Auskunft einiger – in diesem Punkt wahrscheinlich falsch liegender, aber sehr einflussreicher2 – Quellen wurde der töd1 2
Zu den biographischen Details vgl. bauer 1998; summarisch bereits Von wegele 1882, p. 67– 80, wichtig auch wendeHorst 1978, p. 109–132. S. hierzu die Diskussion bei bauer 1998, p. 569–571.
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liche Schuss von Christoph Kretzer, dem Anführer der Attentäter, abgefeuert. Dieser flüchtete daraufhin – und damit sind wir wieder am Oberrhein – bis in die Vogesen, wo er vier Jahre nach dem Mord, also 1562, von Friedrich von Wirsberg, Zobels Nachfolger als Würzburger Fürstbischof, gefangengenommen wurde und sich in der Haft erhängte. Seinen Auftraggeber warf die misslungene Aktion übrigens auch endgültig aus der Bahn3: Grumbach wurde mit der Reichsacht belegt und suchte bei Herzog Johann Friedrich II. von Sachsen Unterschlupf. Schließlich wurde er aber doch ausgeliefert und 1567 auf dem Marktplatz von Gotha gevierteilt. Die Verbindung zwischen dieser Mordgeschichte und dem Salz-der-AntikeProjekt besteht nun darin, dass ein wichtiger Humanist aus der Gegend des Oberrheins, Kaspar Stüblein bzw. – latinisiert – Stiblinus und heute meistens Stiblin genannt4, anlässlich der Ergreifung und des Freitods von Christoph Kretzer eine 212 Hexameter lange Satyra gegen die Mörder des Fürstbischofs verfasst hat. Der vollständige Titel des noch 1562 veröffentlichen Werks5 verschafft dem Leser bereits auf den ersten Blick einen relativ guten Eindruck von seinem Inhalt: Satyra in sicarios ac impiissimos latrones, quorum nuper quidam comprehensi sunt, qui reverendissimum in Christo principem & dominum d. Melchiorem Zobel Episcopum Herbipolensem, ac Franciae Orientalis ducem ex insidiis adorti. Anno Domini 1558, die vero 15. Aprilis, perfide & crudelissime interfecerunt. Satire gegen die Meuchelmörder und überaus ruchlosen Räuber, die – einige von ihnen wurden neulich gefasst – den hochehrwürdigsten Fürsten in Christus, Herrn Melchior Zobel, Bischof von Würzburg und Herrscher von Ostfranken, im Jahr des Herrn 1558, und zwar am 15. April, aus einem Hinterhalt heraus angegriffen sowie rücklings und auf brutalste Weise ermordet haben.
Dass Stiblin sich dieser Materie annahm, lag in erster Linie wohl nicht an dem Umstand, dass Kretzer sein Ende in den Vogesen gefunden hatte, oder dem Aufsehen, das der Zobel-Mord auch anderswo6 erregte. Ausschlaggebend für die Themenwahl war eher ein biographisches Detail: Stiblin befand sich zur Zeit von Kretzers Gefangennahme in Würzburg: Nachdem er in Freiburg studiert hatte und dort an der Universität nur eine schlechtbezahlte Anstellung als Grammatiklehrer ergattern konnte, war er 1553 vor der Pest nach Schlettstadt geflüchtet, wo er an der Humanistenschule unterrichtete und seine Hauptwerke verfasste: die Coropaedia (eine Lehrschrift zur Erziehung für in Richtung Kloster tendierende Mädchen), den Commentariolus de Eudaemonensium Republica (diesem Text gebührt der Primat der 3 4 5
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Die Grumbach betreffenden Ereignisse nach Zobels Ermordung gingen als sogenannte „Grumbachsche Händel“ in die Geschichte ein, vgl. hierzu ausführlich ortloFF, 1868–1870. Den ausführlichsten biographischen Überblick bietet JauMann 2011, s. auch JaHn 1994, p. XV– XXI und kytzler 2009, p. 111. Gedruckt in Stiblin & Dinner [1562]. Die gängigen Online-Kataloge und der unter der URL http://gateway-bayern.de/VD16+S+8983 (Zugriff: 13.06.2016) geführte VD 16-Eintrag geben mit 1559 ein falsches Publikationsjahr an, das mit dem im Gedicht geschilderten Tod von Kretzer im Jahr 1562 nicht vereinbar ist. Die – was ihre Provenienz betrifft – breite Streuung der von dem Ereignis berichtenden Texte geht z. B. aus der Zusammenstellung bei wendeHorst 1978, p. 128–131 hervor.
Ein oberrheinischer Humanist in Würzburg. Die Satyra in sicarios von Kaspar Stiblin 239
ersten Utopie aus der Feder eines deutschen Autors und nicht, wie man immer wieder hört und liest, der Reipublicae Christianopolitanae Descriptio von Johann Valentin Andreae aus dem Jahr 1619)7 – und eine vollständige Übersetzung der Euripides-Tragödien samt Kommentar. Von Schlettstadt aus setzte Stiblin immer wieder alle Hebel in Bewegung, um endlich einen Karrieresprung zu machen und als Professor nach Freiburg zurückzukehren. Schlussendlich reichte es aber „nur“ für die Stelle als Direktor der dortigen Lateinschule, die er 1559 antrat. Bald darauf erhielt er ein neues Jobangebot aus Würzburg, wo der bereits erwähnte Fürstbischof Friedrich von Wirsberg die bald nach ihrer Gründung im Jahr 1402 wieder geschlossene Universität wiederbeleben wollte und als ersten Schritt die Einrichtung einer höheren Lehranstalt, des sogenannten Pädagogiums, betrieb8. Stiblin akzeptierte, musste aufgrund von Problemen in Würzburg jedoch bis zum Frühjahr 1561 auf den Dienstantritt bei seinem neuen Arbeitgeber warten: Mit ihm wechselte übrigens auch sein an der Freiburger Universität tätiger Freund Konrad Dinner nach Franken: Ich erwähne das deshalb, weil er Autor einer Elegia in Christophorum Kretzerum ist, die im selben Bändchen wie die Satyra gedruckt wurde. Die literarische Auseinandersetzung mit dem Attentat auf Zobel war für Stiblin jedoch keine rein Würzburger Angelegenheit. Er hatte sich mit dem Thema bereits in Freiburg beschäftigt, und zwar in der Zeit, als er schon auf dem Absprung nach Franken war. Damals hatte er ein ungefähr 700 Verse umfassendes Epos auf den Anschlag gedichtet: Es war – wieder zusammen mit einer thematisch verwandten Elegie von Dinner sowie einem auf dem Titelblatt als anonym ausgewiesenen Prosabericht von Petrus Lotichius Secundus – Anfang 1561 in Basel bei Johannes Oporinus erschienen9 und dem Würzburger Domherren Johann Aegolph von Knöringen gewidmet, der sich um das Pädagogium-Projekt sehr verdient gemacht10 und seine Hände wohl auch bei Stiblins und Dinners Berufung im Spiel hatte11. Ich werde später noch kurz auf dieses Gedicht eingehen, möchte mich nun aber, wie angekündigt, der Satyra in sicarios zuwenden. II. KURZÜBERBLICK ÜBER DEN TEXT Das Gedicht beginnt mit einer Einladung zur Lektüre an eine fiktive Person, die ganz offensichtlich ein Ausbund jeglichen Verbrechens ist:
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Si vacat hos paucos nobiscum perlege versus, hic quem tartareo iuvat indulgere furori, et scelerum genus omne animo versare cruento, omnia funeribus miscere et caede bonorum pollutas iactare manus, sacrasque nefandis S. hierzu ausführlich JaHn 1994, p. XXVII–XXX. Vgl. die Darstellung von krenig 1961. Stiblin, Dinner & [Lotichius] 1561; zur Autorschaft des Lotichius s. elscHenbroicH 1987, p. 239. Von wegele 1882, p. 83–85. krenig 1961, p. 10–11.
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Wolfgang Kofler subvertisse domos ausis, atque omnia praeda ducere, fortunis indigna sorte colonos vertere, matronas per vim tractare pudicas, temnere sacra deum et summi quoque numinis aras, […]12 Wenn du Zeit hast, lies doch mit uns diese Verse durch, du, den es hier auf Erden freut, höllischem Rasen freien Lauf zu lassen und jede Art von Verbrechen in deinem blutigen Herzen zu ersinnen, alles mit Tod zu vermischen und die vom Blut der Guten befleckten Hände hin und her zu schwingen, heilige Gebäude in ruchlosen Unternehmungen niederzureißen, alles in Beutezügen mit sich zu führen, Bauern – welch unwürdiges Schicksal! – von ihrem Hab und Gut zu vertreiben, sittsamen Familienmüttern Gewalt anzutun, die Tempel der Götter zu verachten und auch die Altäre des höchsten Herrschers, […]
Ich breche den Satz hier ab, die Periode mit der Verunglimpfung des Angesprochenen erstreckt sich nämlich noch über weitere 13 Verse, was dem Gedicht in Summe einen äußerst effektvollen Beginn beschert: Dem moralischen Monster entspricht ein Monstersatz. Im nächsten Abschnitt wird eine turba weiterer Übeltäter eingeladen, sich die Verse des Gedichts zu Herzen zu nehmen: Gott sehe und bestrafe alles. Als Beispiel hierfür folgt ein kurzer Überblick über den Meuchelmord an dem Fürstbischof. Dessen – vom Dichter mit passendem epischen Pathos verklärter13 – Tod habe den Glauben an die göttliche Gerechtigkeit zunächst zwar erschüttert, schließlich sei den Mördern aber ihre Strafe zuteil geworden. Besonders ihr Anführer14 habe ein gebührendes Ende gefunden, nämlich das des Judas: sic foedus Iudas, proditor insontis CHRISTI, suspensus ab alto roboreae quercus ramo successit Averni aeternis umbris atque in sua vertit easdem 110 colla manus, quis complexu tradebat IESUM falso Iudaeis.15
Satyra in sicarios, p. A2r, vv. 1–9. Satyra in sicarios, p. A3r, vv. 70–72: insidiis Stygioque dolo, furiis latronum / indigne oppressus cecidit terramque momordit / ore premens multo et fudit cum sanguine vitam. – „Von dem Hinterhalt, der höllischen List und dem Rasen der Räuber unwürdig zermalmt, fiel er, mit dem Gesicht ging er zu Boden, biss in die Erde und verströmte seine Lebensgeister mit viel Blut“. Stiblin kombiniert hier elegant homerische und vergilische Diktion. terramque momordit / ore premens nimmt Formulierungen wie γαῖαν ὀδὰξ εἷλον (Hom. Il. XXII, 17) oder ὀδὰξ ἕλον ἄσπετον οὖδας (Hom. Od. XX, 269) auf, multo et fudit cum sanguine vitam ist ein wörtlicher Anklang an ac multo vitam cum sanguine fudit (Verg. Aen. II, 532). 14 Kretzers Namen wird im Gedicht selbst übrigens nicht genannt. Möglicherweise ist dies Teil eines subtilen literarischen Spiels: Ich halte es für nicht unmöglich, dass Stiblin – zumindest auf der poetischen Ebene – eine Art damnatio memoriae ins Werk setzen wollte. Auf jeden Fall setzt er alles daran, den Leser auf die Leerstelle aufmerksam zu machen. In einer Marginalie zu der vorliegenden Stelle – es handelt sich um die einzige Randglosse im gesamten Gedicht! – liefert er die fehlende Information nämlich nach: Christopherum Kretzerum denotat – „[Hier] brandmarkt [der Dichter] Christoph Kretzer“ (Satyra in sicarios, p. A4r). 15 Satyra in sicarios, p. A4r, vv. 106–111.
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Ein oberrheinischer Humanist in Würzburg. Die Satyra in sicarios von Kaspar Stiblin 241 So hängte sich der Verräter des unschuldigen Christus, der scheußliche Judas, auf dem hohen Ast einer gewaltigen Eiche auf und gelangte ins Reich der ewigen Schatten in der Unterwelt: Dieselben Hände, mit denen er eine Umarmung vorgetäuscht hatte, um Jesus den Juden auszuliefern, hatte er gegen seinen eigenen Hals gerichtet.
Nun folgt eine längere Apostrophe des Mörders: Habe er wirklich geglaubt, der Strafe und dem schlechten Gewissen – der Autor repräsentiert Letzteres durch eine eindrucksvolle Vignette der Furien Tisiphone und Allecto – für seine Vergehen entgehen zu können? Die Anrede an Christoph Kretzer wird dann wieder auf die Kaste der Verbrecher generell ausgeweitet, die mit ihren Gräueltaten und vor allem – wieder – mit der Allwissenheit Gottes konfrontiert werden. Zum Abschluss werden Dice und Themis auf die sich noch auf freiem Fuß befindlichen Komplizen des Anführers gehetzt, die bereits von Gewissensbissen geplagt werden: nam pavitant animo trepido, furiisque per omnes iam terrae latebras caeci incertique feruntur: inficit ora color flavo pallentia buxo 190 tristior, et stimulis sub pectore versat amaris se Furia, et circum nigrescere cuncta videntur. ante oculos caesi versantur principis ora, non requies, non ulla mali solatia tanti adsunt, algentes gelidus tremor occupat artus, 195 ac digni absumi trepidant telluris hiatu.16 Denn sie erschrecken zitternden Herzens, blind und ziellos lassen sie sich in ihrem Wahn von einem Schlupfwinkel auf der Erde zum nächsten hetzen. Ihr bleiches Gesicht überzieht eine Farbe, die trauriger ist als jene von Buchsbaumholz, und in ihrer Brust windet sich die Furie unter schmerzhaften Stacheln. Rings herum scheint alles dunkel zu werden. Vor den Augen erscheinen ihnen die Gesichtszüge des ermordeten Fürsten, sie finden keine Ruhe und auch keinen Trost für die so große Übeltat. Schüttelfrost befällt ihre schmerzenden Glieder, und sie zittern, würdig in einem Erdenschlund zu versinken.
Zu diesen Schrecken tritt die Angst vor einer grausamen Strafe. Diese – so der Sprecher am Ende des Gedichts – wird sicher kommen und die Himmelsscharen versöhnen, die sich zusammen mit dem Fürstbischof über die Wiederherstellung der Ordnung freuen werden. III. GATTUNGSGESCHICHTLICHE HINTERGRÜNDE Wenn wir die Satyra in sicarios von der gattungsspezifischen Perspektive aus in den Blick nehmen, dann fällt uns zuerst auf, dass sie sehr weit entfernt von dem ist, was wir gewöhnlich unter dem Begriff der Satire verstehen. Verantwortlich für diesen Eindruck ist der Umstand, dass dem Text jeglicher Witz und Humor fehlen. Auch „Spott“ ist nicht der ideale Begriff für die Art und Weise, in welcher der Autor sich über seine „Opfer“ auslässt. Betrachten wir die Frage zunächst einmal von der antiken Tradition her: Hier ist unsere Wahrnehmung ganz wesentlich von der Hora16
Satyra in sicarios, p. B1v, vv. 187–195.
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zischen Satire und dem Ideal des ridentem dicere verum17 geprägt. Der urbane Gesprächston, den diese Gedichte pflegen und kultivieren, ist von Stiblins aggressiver Invektive jedoch denkbar weit entfernt, so dass wir uns in der Frage seiner antiken Vorbilder wohl bei Persius und Juvenal und später dann bei der polemischen Literatur der Christen oder den Invektiven des Claudian umsehen müssen. In der Tat finden sich vor allem bei den ersten beiden tauglichere Anhaltspunkte für einen Vergleich, beschwören ihre Satiren doch viel seltener ein Lächeln herauf als die horazischen, im Gegenteil: Sie sind voller den Leser ein ums andere Mal verstörender Angriffslust und unbändigem Zorn18. Diese Zuordnung macht auch vor der Beobachtung Sinn, dass die Satyra in sicarios ganz eindeutig predigthafte Züge aufweist, die sich natürlich der von Stiblin forcierten Hereinnahme eines christlichen Hintergrunds verdanken und gattungsgeschichtlich ganz klar in der Tradition der bereits erwähnten christlichen Invektiven stehen19. Darüber hinaus führt uns aber auch dieses Charakteristikum wieder zu den Klassikern der römischen Satire zurück. Dabei erfährt Horaz’ Konzeption der Gattung erneut eine Umdeutung. Der Dichter aus Venosa hatte seine Satiren zusammen mit den Episteln ja eigentlich sermones, „Gespräche“, genannt20 und damit den lockeren Konversationston betont, in dem die Texte ethische Probleme einkreisen und erörtern. Dieser Modus der philosophischen Diskussion lässt sich als Reflex jener Haltung deuten, in der Horaz gemeinsam mit anderen Intellektuellen des Maecenas-Netzwerks gleichberechtigt über Lebensfragen nachdachte21. In der Kai17 18
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Sat., I, 1, 24. Das Ausblenden des ridentem dicere verum wurde in der humanistischen Satirendichtung häufig praktiziert. Es implizierte jedoch nicht, dass man Horaz völlig über Bord werfen musste. In anderen poetologischen Aussagen inszeniert sich der Dichter aus Venosa nämlich durchaus auch zum Vertreter einer aggressiveren Spielart der Gattung; s. hierzu siMons, Selbstverständnis humanistischer Satirendichter 2013, p. 126–131 und siMons 2015, p. 20–21: „[D]iese [sc. die humanistischen Satiriker] konstruieren vielmehr durch die Kombination und Übertragung antiker Satirezitate eine einheitliche Tradition aggressiver und zugleich moralisch gerechtfertigter Verssatire, der die römischen Satiriker von Lucilius über Horaz und Persius bis zu Juvenal gleichermaßen zugeordnet werden. […] [A]ufbauend auf Hor. Serm. 1, 4, 1–6 und den Scholien hierzu [wird] eine Traditionslinie erzeugt, die über die römischen Satiriker hinausreicht und ihre Ursprünge in der Alten Attischen Komödie sowie in der Jambik des Archilochos hat. Damit werden sowohl die Verspottung des Gegners unter Namensnennung, das ὀνομαστὶ κωμῳδεîν der Alten Komödie – und des Lucilius – als auch die scharfe persönliche Invektive der Jambik des Archilochos in die neulateinische Verssatire eingebunden und als typische Charakteristika reklamiert“. Vgl. hierzu auch die Art und Weise, wie Stiblins Zeitgenosse Julius Caesar Scaliger Roms satirisches Dreigestirn in seiner Poetik (3, 9, p. 149b) charakterisiert: namque Iuvenalis ardet, instat aperte, iugulat, Persius insultat, Horatius irridet. – „Denn Juvenal brennt vor Eifer, greift offen an und trifft tödlich; Persius höhnt; Horaz spottet“ (Übersetzung von deitz 1995, p. 57). Scaligers irridet greift Horazʼ ridentem zwar ganz offensichtlich auf, verschärft es gleichzeitig aber im Sinn eines „Auslachens“; s. auch hierzu siMons 2015, p. 24 Anm. 24. Zu dem sich in zahlreichen Spielarten manifestierenden Verhältnis zwischen der humanistischen Satire und Christentum vgl. siMons, Selbstverständnis humanistischer Satirendichter 2013, p. 131–140. Epist., I, 4, 1; II, 1, 4 und II, 2, 60. conte 1999 [1994], p. 300.
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serzeit jedoch gab es für derartige Diskurse nur mehr wenig Raum, literarische Kommunikation fand bevorzugt in der Öffentlichkeit statt, besonders im Rahmen von Rezitationen. Diese Entwicklung rückte das zwanglose Gespräch unter Freunden an den Rand und den Satiriker – nicht zuletzt unter dem Einfluss der Diatribe – in die Nähe eines Predigers. Auch wenn gerade die kaiserzeitlichen Satiriker in ihrem Bestreben, sich von Horaz abzusetzen, von ihren Texten gewöhnlich nicht mehr als sermones sprechen, wurde die Semantik des Begriffs später unter christlichem Einfluss auf den Bereich der religiösen Rede ausgeweitet. Es ist deshalb nicht verwunderlich, dass dieser Bedeutungszuwachs in der Folge immer wieder dazu führte, dass Satire und Predigt eine enge generische Verbindung eingingen22. Hier sollten wir aber noch etwas beachten: Besonders Persius’ Kritik kann deshalb so gezielt erfolgen bzw. eine so nachdrückliche und auch selbstherrlichaggressive Richtung einschlagen, weil sie von einem genau umrissenen philosophischen Hintergrund aus erfolgt, jenem der Stoa. Horaz hingegen hatte sich auf keine bestimmte Schule festgelegt, sondern war eklektisch verfahren. Genau diese Beliebigkeit lässt das christliche framework von Stiblins Satire aber nicht zu, hier ist Persius’ monopolistischer Zugang wesentlich geeigneter. Ich brauche hier nicht zu erwähnen, dass diese Analogie auch deshalb wichtig ist, weil die Affinität zwischen stoischer Philosophie und christlicher Lehre bereits seit der Antike gesehen wurde – man denke nur an den apokryphen Briefwechsel zwischen dem Apostel Paulus und Seneca oder zahlreiche einschlägige Äußerungen bei den Kirchenvätern. Möglicherweise findet sich in unserem Gedicht ein besonderer Reflex dieser Verwandtschaft. Wie oben bereits erwähnt, thematisiert es an gleich zwei Stellen die Seelenqualen, unter welchen die Verbrecher aufgrund ihrer schlechten conscientia zu leiden haben: Ständige Gewissenserforschung war aber gerade in der kaiserzeitlichen Stoa ein zentrales Thema. Neulateinische Texte sollten aber nicht nur vor dem Hintergrund ihrer antiken Vorlagen betrachtet werden. Natürlich ist auch die zeitgenössische Literatur, besonders die nationalsprachliche, einzubeziehen. Diese Forderung ist nicht zuletzt deshalb wichtig, weil die antiken Vorbilder nicht nur direkt, sondern auch vermittelt aufgegriffen werden. Dies gilt auch für die von mir soeben aufgewiesenen Analogien zwischen der römischen Satire und Stiblins Gedicht. Nun: Die Satire war gerade im Zeitalter des Humanismus eine blühende Gattung23 und erfuhr nicht zuletzt im Bereich der volkssprachlichen Literatur in Deutschland ganz eigene Ausprägungen, die zweifelsohne auf das lateinische Fortleben des Genus zurückgewirkt haben24. Da die Materie mittlerweile recht gut aufgearbeitet ist, können wir uns auf das Wesentlichste beschränken. Weniger wichtig ist für uns die Tradition der Narrensatire, deren bekanntester Exponent Sebastian Brants Narrenschiff ist: Ihr fast ausschließlicher Akzent auf Witz und Spott hat für 22 23
24
S. hierzu tHurn 2008, p. 266–267. Zur Entwicklung der Gattung bis in die Renaissance vgl. Meyer-sieckendieck 2007 und Haye & scHnoor 2008, zur Satire in der gesamten Frühen Neuzeit becker-cantarino 1985, im Humanismus de sMet 1994, im 16. Jahrhundert könneker 1991; einen schnellen Überblick über die neulateinische Satire bietet iJsewiJn 1976. Zu diesem Wechselwirkungen vgl. v. a. Hess 1971.
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Stiblins Text keinerlei Bedeutung. Eine große Rolle hingegen spielt eine andere Linie, die ausgehend von den kaiserzeitlichen Vorlagen über die vor allem mit dem Katalog der sieben Todsünden operierenden mittelalterlichen Ausformungen der Gattung25 zu der hyperaggressiven Pamphletliteratur führt, die zu aktuellen Fragen – in erster Linie geht es hier natürlich um den Konfessionsstreit – Stellung nimmt26. Hierher gehören etwa der Eckius Dedolatus und Thomas Murners Großer lutherischer Narr, außerdem die beeindruckende Zahl an satirischen Flugblättern. Dass diese zum Teil volkssprachlichen Texte besonders stark auf die Satyra in sicarios wirkten, hat seinen Grund vielleicht auch in der Chronologie. Denn die Blüte der streng an den antiken Vorbildern ausgerichteten lateinischen Satire begann im deutschsprachigen Raum erst ab der Mitte der 50er-Jahre des 16. Jahrhunderts27. Die Gattung war in dieser Zeit also noch relativ offen für andere Einflüsse. Allerdings finden Stiblins völliges Ausblenden von Humor und Ironie sowie die ausschließlich auf einer theologischen Ebene – d. h. im Rahmen des TheodizeeProblems bzw. des Themas der Unausweichlichkeit von göttlicher Strafe und Vergeltung – operierende Argumentation auch in der volkssprachlichen Tradition keine völlige Entsprechung. Hier scheint die Satyra in sicarios doch irgendwie exzeptionell gewesen zu sein. Zum Abschluss noch einige Worte zu Funktion und Publikum des Gedichts. Seine panegyrische Absicht habe ich im Laufe meiner Ausführungen bereits angedeutet, sie liegt ja auch auf der Hand28: Dies wird besonders klar, wenn man seinen Entstehungsrahmen betrachtet, da die Satyra in sicarios in den Kontext zahlreicher postumer Ehrungen gehört, die Melchior Zobel in der Stadt Würzburg zuteil wurden29, und zweifelsohne dazu diente, Stiblins Position in seiner neuen Umgebung zu festigen. Wie sehr ihm an der Beteiligung an diesen Maßnahmen gelegen war, wird nicht zuletzt aus der an Friedrich von Wirsberg gerichteten Dedikationsepistel deutlich, die er der bereits in Freiburg entstandenen ersten Zobel-Publikation voranstellt: In ihr betont er ganz nachdrücklich, dass die Initiative zu ihr bei ihm selbst lag, und stellt heraus, dass sein Kollege Konrad Dinner erst auf sein Drängen hin zu einer Teilnahme an dem Buchprojekt gewonnen werden konnte30. Insgesamt erfüllen beide Bände – panegyrische Dichtung tut das übrigens öfters – einen doppelten Zweck: den des Fremd- und des Eigenlobs. Stiblin wollte offenbar nicht nur eine Probe seiner fachlichen Eignung als Lateinprofessor abliefern und sich dem bildungspolitisch überaus engagierten neuen Fürstbischof empfehlen31, sondern – dies gilt besonders für den ersten Band, der ja quasi seine Eintrittskarte ans Pädagogium 25 26 27
Meyer-sieckendieck 2007, p. 449. Vgl. hierzu könneker 1991, p. 135–189. siMons, Selbstverständnis humanistischer Satirendichter 2013, p. 134–135 und siMons 2015, p. 19–20. 28 Zum Zusammenhang zwischen Satire und Panegyrik s. auch siMons, Gewaltmetaphorik 2013, p. 130–131. 29 wendeHorst 1978, p. 130–131 und bauer 1998, p. 572–573. 30 stiblin, dinner & [loticHius] 1561, p. 3–4: ut autem haec mea lucubratiuncula commendatior in lucem prodiret, elegiam de eadem re Conradi Dinneri, hominis utrique nostrum coniunctissimi, adicere volui, quam ille obiter meo rogatu aut, ut verius dicam, coactu composuit. 31 S. hierzu auch krenig 1961, p. 9–11.
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darstellte – auch seine Vertrautheit mit den Würzburger Verhältnissen unter Beweis stellen. Vor diesem Hintergrund ist es auch wichtig, einen Zusammenhang zwischen dem ersten und zweiten Stiblin-Gedicht herzustellen. Das erste, das Carmen heroicum, bewegt sich in traditionellen panegyrischen Bahnen, indem es den Vorgänger des aktuellen Vorgesetzten verherrlicht und damit – zwischen den Zeilen – auch seinem Nachfolger Ruhm via Literatur in Aussicht stellt. Das zweite, unsere Satire, stellt sich in einer dieser diametral entgegengesetzten Weise in den Dienst des Widmungsträgers: Anstatt den vorigen Amtsinhaber zu preisen, verunglimpft es dessen Gegner. Diese wiederum fallen mit jenen des aktuellen Fürstbischofs zusammen, da der Konflikt mit Wilhelm von Grumbach ja noch einige Zeit weiterschwelte und Friedrich von Wirsberg es war, der Christoph Kretzer zur Strecke gebracht hatte. Wie dem auch sei: In einer an Feindschaften und Fehden so reichen Zeit wie der Mitte des 16. Jahrhunderts war diese alternative oder – besser gesagt – apotropäische Form von Panegyrik sicherlich auch per se willkommen. Ihre tatsächliche Funktion offenbart sich uns aber nur, wenn wir sie als Pendant zur Enkomiastik des ersten Gedichts betrachten und einen Blick auf die rhetorische Theorie werfen: Diese spricht zwar von einem Gegensatz zwischen ἔπαινος (Lob) und ψόγος (Tadel), fasst aber beide in einem einzigen γένος der Rede, und zwar im γένος ἐπιδεικτικόν (bzw. – lateinisch – genus demonstrativum oder laudativum) zusammen32. Innerhalb dieses Systems verschmelzen beide Zobel-Texte aus Kaspar Stiblins Feder zu einem einzigen panegyrischen Projekt, dessen Ziel, auch seinen Autor zu loben, nun klarer und deutlicher hervortritt, da es ihn als idealen, weil kompletten Lobredner ausweist. BIBLIOGRAPHIE Stiblin, Dinner & [Lotichius] 1561 = K. Stiblin, K. Dinner & [P. Lotichius], De Caede reverendiss. Principis et domini, d. Melchioris Zobell, Herbipolensis episcopi, & Franciae Orientalis ducis Carmen Heroicum Caspari Stiblini, & Elegeia Conradi Dinneri, ad Ioannem Aegolphum à Knoeringen. His adiecta est eadem Historia prosa oratione non minus doctè, quam ad fidem veritatis descripta, incerto autore, Basel, 1561. Stiblin & Dinner [1562] = K. Stiblin & K. Dinner, Ad reverendissim. et illustrissumum principem et dominum d. Fridericum d. g. episcopum Herbipolensem, et Ostrofrancorum ducem etc. bonarum literarum conseruatorem. Satyra in sicarios ac impiissimos latrones, quorum nuper quidam comprehensi sunt, qui reverendissimum in Christo principem & dominum d. Melchiorem Zobel episcopum Herbipolensem, ac Franciae Orientalis ducem ex insidiis adorti. Anno Domini 1558, die vero 15. Aprilis, perfide & crudelissime interfecerunt. Gasparo Stiblino autore. Item Elegia Conradi Dinneri Acroniani pia & vera, o.O., o.J. [1562]. bauer 1998 = c. bauer, Melchior Zobel von Giebelstadt. Fürstbischof von Würzburg (1544– 1558). Diözese und Hochstift Würzburg in der Krise (Reformationsgeschichtliche Studien und Texte, 139), Münster, 1998. 32
Standardbelege hierfür sind Aristot., rhet., 1358b12–13, Cic., inv., I, 7 und part., 69–70. In der Antike ist die Verbindung zwischen Satire und Panegyrik besonders bei Claudian stark ausgeprägt, s. hierzu etwa kurFess 1941 und scHMitz 2009.
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Ein oberrheinischer Humanist in Würzburg. Die Satyra in sicarios von Kaspar Stiblin 247 Dichtung in Frankreich zur Zeit der Pléiade – La Poésie néo-latine en France au temps de la Pléiade (NeoLatina, 19), Tübingen, 2015, p. 17–36. de sMet 1994 = r. de sMet (ed.), La satire humaniste. Actes du colloque international des 31 mars, 1er et 2 avril 1993 (Travaux de l’Institut Interuniversitaire pour l’Étude de la Renaissance et de l’Humanisme, 11), Louvain, 1994. tHurn 2008 = n. tHurn, Die horazische Satire zwischen Augurelli und Ariost, in Haye & scHnoor 2008, p. 259–274. Von wegele 1882 = F. x. Von wegele, Geschichte der Universität Wirzburg. I. Teil: Geschichte, Würzburg, 1882. wendeHorst 1978 = a. wendeHorst, Das Bistum Würzburg. Teil 1: Die Bischofsreihe von 1455 bis 1617 (Germania sacra, N.F. 13), Berlin/New York, 1978.
INDEX NOMINUM AUTEURS ANCIENS / ANTIKE AUTOREN Aelius Aristides : 43, 45 sq., 48, 50–54, 56 sq. Aelius Theon : 53 Aesopus : 18 Ambrosius : 19, 157 n. 100, 202 Apuleius : 153 n. 81, 217 n. 23, 224 Archilochus: 242 n. 18 Aristophanes : 29, 80, 82 n. 95, 110 sq., 130 n. 51, 152, 162 Aristoteles : 26–28, 38, 71–73, 164 Arnobius : 172–178, 182, 185 Augustinus : 82 n. 96, 95–104, 153 n. 81, 157 n. 100 Ausonius : 202 n. 13 Charisius : 71 n. 19, 77 Cicero : 25–28, 31, 34 n. 70, 37 n. 83, 44, 64 sq., 70–82, 85–92, 99, 110 sq., 137, 140, 143 n. 27, 146, 155, 158, 161 sq., 165, 167 sq., 171, 225 n. 52 Claudianus : 235 n. 41, 242, 245 n. 32 Crates Thebanus : 79 n. 75 Cyprianus 175 Democritus: 38, 82, 117 Demosthenes : 46, 204 n. 23 Diogenes Laertius : 69, 219 Diogenes Sinopeus : 77, 117 Diomedes : 130 Donatus : 60 sq. Empedocles: 117 Epicurus: 117 Euripides : 91 n. 18, 204, 239 Fannius, Gaius : 81 Festus : 81 Fulgentius : 15 Gellius, Aulus : 35 n. 73, 75, 166 Heraclitus : 82 Herodotus: 15, 44 Hesiodus: 12, 18 Hieronymus : 95–104, 168
Homerus : 11 sq., 15–21, 31, 43 sq., 52–57, 131 sq., 215 n. 3, 240 n. 13 Horatius: 69 sq., 73, 77 sq., 80, 87, 92, 130 sq., 154, 161–169, 202, 225 n. 53, 231, 242 sq. Iohannes Chrysostomus: 168 Iuvenalis : 60, 125 n. 23, 132, 153 n. 81, 154 n. 85, 156, 163 sq., 217 n. 17, 225, 242 Libanius : 43, 45 sq., 48, 51–57 Livius : 91 n. 18 Lucilius : 69–82, 108 n. 7, 111, 113, 118, 132 n. 58, 161–167, 207 n. 41, 242 n. 18 Lukillios : 194 Lynceus : 79 n. 75 Martialis : 15, 121–134, 194, 202 n. 13, 217 n. 17, 225 Menander : 82 n. 95, 123 n. 13, 125, 162 Minucius Felix : 171–188 Origenes : 101 Orosius : 100 Ovidius : 147, 152, 201 n. 6, 217 n. 17, 222 sq., 225 sq. Parmenides : 117 Paulus : 149, 243 Pelagius : 100 Persius : 78 n. 68, 99, 127 n. 37, 132 sq., 154, 163–169, 242 sq. Plato : 23–39, 101 n. 31, 117 Plinius maior : 70, 133 Plutarchus : 15, 34 n. 70, Porphyrio : 165 sq. Proclus : 15 Quintilianus : 25, 27 n. 30, 28, 80 n. 86, 89, 111, 151, 163 Rufinus, Tyrannius : 96, 103 Sallustius : 76, 154 n. 84
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Indices
Seneca : 89, 107–118, 153 n. 81, 217 n. 19, 219 sq., 225 sq., 243 Souda : 15 sq. Statius : 15 Strabo : 73 sq., 77 n. 60 Suetonius : 70 n. 6, 109, 114, 151, 166
Tacitus : 18, 37, 89, 109 Terentius : 59–67, 130 n. 48, 132, 153 sq., 162 Theophrastus : 27, 73 n. 29 Trebatius : 166 sq. Vergilius : 15, 71, 165, 215 n. 3, 234 sq., 240 n. 13
AUTEURS HUMANISTES / HUMANISTEN Agricola (Johannes) : 223 Alexandros de Crète : 17 Ambühl (Rudolf) : 204 n. 23, 208 sq. Amerbach (Bruno) : 197 Amerbach (Johann) : 20, 137 n. 5, 157 n. 100, 230 n. 8 Andreae (Johann Valentin) : 239 Ascensius (Jodocus Badius / Josse Bade) : 60–63, 67, 161–169 Atrocianus (Johannes) : 215–236 Atrocianus (Onophryus) 216–219, 229 Bade (Josse) : conf. Ascensius (Jodocus Badius) Bauduin (François) : 174–189 Beatus Rhenanus : 11–23, 37 n. 86, 63, 67, 107– 120, 138–160, 195–197 Bellièvre (Pomponne de) : 109–211 Berz (Rodolf) : 12, 19, 21 Brant (Sebastian) : 149, 243 Bullinger (Heinrich) : 201, 206–214 Calderini (Domizio) : 121 n. 3, 125, 128–130, 132 sq. Calphurnius : 60–68 Camerarius (Joachim): 43–58 Cantiuncula (Claudius) : 53 Casaubon (Isaac) : 161 n. 3, 163 sq. Castiglione (Baldassar) : 85 n. 2 Chalcondylas (Démétrios) : 17 sq. Cornarius (Janus) : 23–42 Cruquius (Jacobus) : 162, 166 sq. Cuno (Johannes) : 19–21 Dacier (André) : 167 sq. Dinner (Konrad) : 239, 244 Dousa (Franciscus) : 71–84 Dousa (Janus) : 71 Elmenhorst (Geverhart) : 178–182 Érasme / Erasmus von Rotterdam : 18, 20 sq., 37,
45 sq., 51, 70, 85–106, 118 n. 38, 133, 137– 160, 168 sq., 173 sq., 191–200, 230 sq. Estienne (Henri II) : 164 sq., 167 Estienne (Henri), Henricus Stephanus : 17, 71 n. 16, 162, 165, 167 n. 12 Eufrosino Bonino : 51 Fabricius Montanus, (Johannes) : 201–214 Ficin (Marsile) : 23–42 Froben (Hieronymus) : 23 n. 4 n. 7, 38 Froben (Johann) : 17–19, 51, 96, 107 n. 5, 138, 148, 156, 191–200, 230 Gelenius (Sigismundus) : 172–190 Glareanus : 165, 167 n. 12 Grynaeus (Simon) : 23, 30 Guy Jouenneaux, Guido Juvenalis : 60–68 Heinsius (Daniel) : 161–170 Hérault (Didier) : 178–182 Hermonyme de Sparte : 18 Hutten (Ulrich von) : 202 n. 12 Inghirami (Tommasso Fedra) : 90 Jebb (Samuel) : 51 Jud (Leo) : 201 Junius (Hadrianus) : 124 n. 19 Justinianus (Leonardus) : 36 n. 79 Knobloch (Johann) : 121, 174 n. 14 Lambin : 162 sq., 166 sq. Lefèvre d’Étaples : 18, 21 Léonicos de Crète (Laonicos) : 17 Lipse (Juste) : 75 n. 44 Locher (Jacobus, Philomusus) : 165 sq. Longueil (Christophe de) : 85 Lotichius (Peter) : 201, 239, 244 n. 30 Ludovicus Carinus : 44 sq. Lycius : 12, 17, 20
Indices Manuce / Manuzio : 19, 21, 125 n. 23, 166 Marullo (Michele) : 196 Melanchthon (Philipp) : 12, 20 sq., 44, 46, 173 n. 11, 201, 211 sq. Merula (Giorgio) : 121 n. 3, 130 n. 51 More / Morus (Thomas) 146, 191–200 Murner (Thomas) : 149, 244 Musuros : 19, 21 Nachtgall (Ottmar) : 121–136 Navagero (Andrea) : 85 n. 2 Obsopoeus / Opsopoeus (Vincentius) : 24 n. 9, 37, 45 sq., 51 Oekolampad : 230, 235 Oporin (Jean) : 30 Orsini (Fulvio) : 175 n. 19, 177–181 Philelphe / Filelfo (Francesco) : 35 sq. Pirckheimer (Willibald) : 195 Pistorius (Christophorus) : 46
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Pontano (Giovanni) : 196, 203, 206–208 Rabelais (François) : 25 n. 16, 90 Rapp (Thomas) : 109 Rhenanus (Beatus) : 11–23, 37 n. 86, 63, 67, 107–120, 138–160, 195–197 Ribittus (Johannes) : 24 n. 9 Sabaeus (Faustus) : 172 sq., 181 sq., 185 Saumaise (Claude) : 124 n. 18 Scaliger (Julius Caesar) : 163 sq., 195 n. 24, 242 n. 18 Stiblin (Kaspar) : 237–248 Tissard (François) : 17–21 Torrentius (Johannes) : 161–167 Turnèbe (Adrien) : 125 sq. n. 26, 163, 167 n. 12 Vivès (Jean Louis) : 35 Wower (Jean) : 175 n. 19, 178–182
INDEX RERUM amplification : 108, 112 sq. anonymat (des attaques) : 165 sq., 168 Anthologia Planudea : 193 sq. Apocoloquintose : 107–118 argumentum : 12, 20 autodérision : 87 sq., 108 sq., 111, 115 sq., 149 autorité des apôtres : 97 banquet (symposion, convivium) : 23–39, 79 sq., 126, 129 sq. barbarie : 36 sq., 173, 180 sq., 215 n. 3 bouffonnerie (bômolokhia, scurrilitas) : 23–39, 243 sq. Brief (Versbrief) : 195, 197 sq., 201–212, 243 caricature, caricatural : 36, 115, 150, 193 sq. catharsis (cathartique) : 109, 112, 164 censure : 164 chanson (skolion, Berglieder) : 32 sq. chrie : 77–79 christianisme : 92, 171–188, 202–226, 242 sq. comédie : 131, 162, 165 comique : 21, 24, 27–39, 65, 72, 86, 107–118, 131, 150–158, 166 conflits religieux : 177, 169 crieur public / praeco : 70–82
critique : 69 n. 3, 80, 88, 90 n. 3, 103, 107–118, 171, 178, 186 déclamation : 43–57 dialogue : 24 n. 11, 25, 27–38, 57, 62, 75, 85– 92, 171–188 diatribe : 69, 116 sq. n. 29, 161–165, 243, 245 digression : 47, 117 sq., 179, 184 directorium : 64–66 discours figuré (logos eskhêmatismenos) : 27 editio princeps, éditeur princeps : 23, 30, 51, 108, 138 n. 9, 140 n. 19, 172 sq., 182, 188 éducation, Erziehung (paideia) : 49, 216, 238 Elegie : 202, 229–235 éloge : 47–49, 52, 56, 69 n. 3, 89 sq., 182–188 Éloge de la folie 117 sq. n. 38, 146–158 Emblematik : 192 Epigramm, épigramme : 121–136, 191–198, 201– 226 épistolaire : 95, 137–158 Epitaph, épitaphe : 149, 197, 201–209 épopée burlesque : 15–21 Etymologie, étymologie : 19 sq., 37, 77, 231 exegèse : 53, 72 n. 27, 76, 112, 118, 122
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Indices
folie : 37–39, 148 sq. Frühkapitalismus : 196–198 Funktionen der Poesie : 202–212 Gelegenheitsdichtung : 202, 202 n. 12, 205 glose : 11, 16, 19 sq., 82 n. 96, 180 sq. Heilige Messe : 230–235 hérésie : 96, 100, 103 sq., 179, 182 sq. humour : 27, 31–39, 73 sq., 82, 107–118, 168 ignorance : 26 sq., 110 imitation : 39, 53 sq., 56, 88 sq. imprimeur : 12, 23, 44 sq., 51, 59, 66, 121, 138, 149 n. 63 Invektive : 230 sq., 242 ironie : 25–39, 81, 85–92, 107–118, 156, 161, 244 jurisprudence : 177, 184 lexique : 60, 64, 67, 127, 153, 167 libertas : 161, 165 manuscrit : 11, 15–21, 29–31, 43, 46, 51, 54, 122, 137, 139, 172, 178 memento mori : 220, 226 mensonge : 95–104, 155 moquerie : 27sq., 34, 92, 109, 150–158, 186 Ode : 165, 197 Panegyrik : 244 sq. paraphrase : 43 sq., 51, 52–57, 128 sq., 154, 162, 167 parodie : 24, 85–92 pastiche : 85 pédagogie, pédagogue, pédagogique : 12, 18, 20, 44, 46, 50, 56, 59–67, 88, 109, 128, 215, 239, 244 philologie, philologique : 24 sq., 29, 108, 134, 163, 167–169, 174, 177 sq., 180, 184, 187 philosophie : 24–29, 31, 34–39, 69, 77–79, 81 n.
87, 90, 107–118, 164 sq., 171, 176, 188, 217 n. 23, 221, 224 n. 47, 226, 243 plaisanterie (cavillatio, dicacitas) : 25–39, 70– 74, 77 n. 57, 82, 108–118, 142, 166, 168 platonisme, néoplatonisme : 23–39, 111 polémique, Polemik : 85, 95–104, 172–188, 232, 235 Predigt : 242 sq. réforme (Reformation) : 139, 148 n. 59, 164, 183, 187 religion : 107–118, 156, 171–188 Republik, république : 91, (des lettres) 138, (chrétienne) 173, 182, (de l’église) 184 n. 52 Rhetorik, rhétorique : 20, 25–39, 31, 44, 48 sq., 53, 56 sq., 72, 85, 88, 90 sq., 98, 110, 112, 117, 138 n. 5, 141, 185, 187, 204, 232, 245 ridicule, ridiculum : 71–82, 109, 148–152, 161, 168 sq. saillie : 70, 73 n. 28, 78, 80 sq. sarcasme : 28 sq., 87, 150 Selbsterkenntnis : 219–226 sentence : 156 septante (Septuaginta): 95–104 sermo, sermones : 161 sq., 242 sq. Spiegel : 201–226 Spottepigramm : 193 sq., 197 superbia : 215–226 théâtre, théâtrale : 34, 65 sq., 130, 152–154 Titelblatt : 197 sq. traduction de la Bible : 95–104 traduction, Übersetzung : 12, 17–20, 23–39, 43, 46, 51, 54–56, 95–104, 126–128, 134, 139, 158, 192–196, 229, 239 urbanitas, urbanus, urban : 28, 35 n. 75, n. 77, 74, 81 n. 89, 157, 161, 162, 165 sq., 242 visuelle Poesie : 192 Widmungsgedicht : 191, 193, 195, 197 sq.
Am Oberrhein, einer der führenden Regionen des frühen Buchdrucks, wurden zahlreiche antike Autoren erstmals gedruckt und durch Paratexte sowie durch Kommentare erklärt. Einer namhaften Zahl von Autoren dieser literaturgeographisch so einzigartigen Region widmen sich die Beiträge dieses Sammelbandes, in denen anhand des thematischen Fokus „Satire“ erstmals konsequent und anhand einer repräsentativen Auswahl von Texten gefragt wird, mit welchen konzeptuellen Zugängen sich die oberrheinischen Humanisten den antiken Autoren annäherten.
Dans le Rhin supérieur, une des régions maîtresses de l’imprimerie ancienne, de nombreux auteurs antiques furent imprimés pour la première fois et éclairés par des paratextes et des commentaires. C’est à un nombre notable d’auteurs de cette région si particulière sur le plan littéraire et géographique que s’attachent les contributions de ce volume, dans lesquelles, en prenant comme thématique la « satire » et sur la base d’un échantillon représentatif de textes, a été posée pour la première fois et de manière conséquente la question de savoir avec quels moyens conceptuels les humanistes du Rhin supérieur ont accédé aux auteurs anciens.
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