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French Pages [278]
M A R T I N H El DEGGER
LES H Y M N E S DE H O L D E R L IN : ••
La Germanie et Le Rhin Texte é ta b li p a r Suzanne Z ieg le r T radu it de l'a lle m an d p a r François Fédier et Julien H ervier
GALLIMARD
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Cours professé à l'université de Fribourg-cn-Brisgau pendant le semestre d'hiver 1934-1935.
T itre o rig in a l. H Û ID F R U N S
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« C .FR M SM FS * UNO • DFR R H FIN »
■ç V ittono Klostermann. Francfort-sur-le-M ain. 1980 Cours de Fribourg du semestre d'hiver 1934-1935, édité par Suzanne Ziegler •Ô ÉdiliiMS G allim ard. Pans 1988. pour la traduction française et les notes
NOTE P R É L IM IN A IR E DES T R A D U C T E U R S
Voici la traduction du tome 39 de / ‘Édition intégrale de Hei degger. telle qu'elle est en cours de publication chez V ittorio Klostermann à Francfort. Quelques éclaircissements concernant ce livre : c'est le premier cours, et plus généralement, le premier texte que Heidegger consacre à H ôlderlin. Après ce cours du semestre d'hiver 19341935 suivront : en 1936 la conférence de Rome Hôlderlin et l'essence de la poésie; en 1939-1940 Tout comme au jour de fctc...; pendant le semestre d'hiver 1941-1942, le cours sur l'hymne Mémoire (paru comme tome 52 de / ‘Édition intégrale/; pendant le semestre d'été 1942. le cours sur l'hym ne L is te r (paru comme tome 53 de / ‘Édition I); la conférence Rentrée / Aux parents. prononcée en 1943 (premier texte ^ ‘Approche de Hôlderlin/; la même année le texte Mémoire (quatrième texte ^/'Approche de Hôlderlin/; la conférence Terre et Ciel de Hôlderlin. prononcée en 1959 et reprise comme cinquième texte r/ Approchc de Hôl derlin; et enfin, sixième texte du même livre, la conférence Le Poème prononcée en 1968. C'est au cœur de son tra va il d'enseignement que Heidegger aborde publiquement l'œuvre poétique. La lecture de son cours montre une connaissance et une compréhension exceptionnelle de Hôlderlin. À cela, rien d'étonnant. M artin Heidegger vécut depuis la fin de ses années de lycée dans une fréquentation quasi quotidienne, une incessante étude de l'œuvre de Hôlderlin. Or. le fa it que ce soit en 1934-1935 que Heidegger se risque pour la première fo is en public au dialogue avec H ôlderlin conduit à une remarque décisive : c'est moins d'un an auparavant
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Note prélim inaire des traducteurs
(fin févrie r 19341 que Heidegger, après avoir constaté /*impossi b ilité de mener à bien une véritable révolution de l'université allemande, a démissionné de ses fonctions de recteur. I a> cours sur Hôlder lin . loin d'être une fu ite hors des - dures réalités -, un recours à un « monde idéal - (qui serait le monde de la poésie - comme si la poésie n'était pas le réel même en son incandes cence!. doit être compris au contraire comme la continuation encore radicalisée de la tentative du rectoral, ou peut-être mieux encore: comme la métamorphose que l'échec du rectorat fa it subir à la pensée de Heidegger. L'étonnant ici étant / ‘exposition de la pensée au chant du poète. * Nous avons traduit chacun une partie du cours. Julien Hervter la première, consacrée à La Germanie; François Fédier la seconde, consacrée au poème Le Rhin. Nous avons bien sur contrôlé ensemble nos deux traductions, et cherché à uniform iser la terminologie. Le lecteur remarquera toutefois que subsistent des divergences. Un mot sur cette question fondamentale : La traduction de Heidegger se voit vite confrontée, avec un écrivain si a tte n tif aux possibilités de sa langue, à des difficultés énormes. Ainsi. Heidegger écrit un allem and singulièrement conscient de sa spécificité significative: constamment, c'est-à-dire presque à chaque mot. la langue est à sa plénitude de sens. M ais d'autre part, i l n'y a jam ais chez Heidegger volonté de fix e r un vocabulaire - tout au contraire: l'e ffo rt pour toujours mieux dire s'accompagne d une constante refonte des termes, bref d'une souplesse, voire d'une flu id ité dans le rapport à sa propre manière d ’écrire. I l en résulte souvent pour les traducteurs l ’im possibilité d ’épuiser avec un seul mot toute la richesse d'un terme allemand énoncé dans toute sa valeur polyphonique. A insi le moi Innigkeit est-il traduit dans la première partie par - recueillement -. et dans la seconde par - tendresse ■ ne pas unifier la traduction, en l'occurrence, a pour but d ’inciter le lecteur à constamment garder en mémoire la richesse spécifique du mot allem and dont la traduction française ne peut proposer que des équivalents partiels. Encore un mot sur ce qu 'on pourrait nommer les im possibilités radicales. Pour ne prendre qu'un seul exem ple: das Heiligc, terme qui dans ce cours apparait souvent, tant i l est au cœur de
Note prélim inaire des traducteurs
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la poésie de H ô ld e rlin . donc aussi de la m éditation qui entre en dialogue avec elle. Nous n'avons dans notre langue aucun autre vocable que le sacré, ou le sainl, dont i l importe de comprendre q u 'il ne traduit pas le mot allemand. « Sacré » en effet est ce qui s’oppose à - profane -, les deux domaines étant répartis comme deux mondes différents. Quant à « saint ». sa signification romaine originale im plique que seul est sanctus ce qui a été sanctionné, c'est-àdire établi solennellement comme inviolable. Chez llo ld e rlin . das Heiligc désigne plus profondément l'espace ou la dimension au sein de laquelle n'im porte quoi est hcil, c'est-à-dire entier, au sens du salvus la tin - non pas tant » sauvé » que « sauf », ou même « sain et sauf », entendons : non pas isolé sur lui-même en une autarcie, voire en une autonomie, mais entièrement en rapport avec tout, au sein de la profonde unité / Vaste comme la nuit et comme la clarté qu'évoque Baudelaire. Dans l'immense poème Tout comme au jour de fctc... (que Heidegger cite et commente à la fin du cours, p. 253). H ôlderlin prononce, au second vers de la troisième strophe, le mot das Heilige : das Heilige sei mein Wort. Le mode est le subjonctif mode. ici. de l ’exclamation hymnique. Le poète s'exhorte à dire le mot où se marque que l'u n ité vient de reparaître Cette unité. H ôlderlin la nomme « Nature ». Q u 'il ne fa ille pas entendre ce mot en un sens unilatéral, c’est bien ce qui ressort des vers suivants ; Car elle, elle-même, plus ancienne que les siècles. Et au-dessus des dieux du Soir et de l’Orient, La Nature est à présent réveillée à grand bruit d’armes... Face à celte apparition de la Nature, à quoi le poète doit répondre avec son chant le plus haut, sa parole est : das Heilige. Nous avons tra d u it ; Salve soit ma parole pour tenter de rendre que das Heiligc est bien la parole de la poésie de H ôlderlin. en laquelle toute chose s'exhausse ju squ’à
Note prélim inaire des traducteurs sa propre intégrité, pour peu qu elle y soit comme il fa u t saluée. Wolfgang Binder écrit à la page 59 de son livre HôlderlinAufsatze (Insel, Francfort, 1970}: - Ce qui est heil, c'est-à-dire entier, ou ce qui complète l'u n ila té ra l et abstrait par la compen sation harmonique de ce qui lu i manque, de sorte qu’i l devient un tout et qu’i l guérit [heilen] - cela seul mérite le nom de heilig, rien d'autre. » Le début de la strophe permet de comprendre l ’exclamation : Mais à présent voici le jour! J'attendais, le vis venir. Et ce que j'a i vu : Salve soit ma parole. Traduire das Heiligc par • Salve » n'est assurément possible qu'ici. Partout ailleurs, on ne peut rendre le mot que par • sacré ou - saint ». Mais il fa u t garder en mémoire que chez H ôlderlin la parole la plus poétique n’est pas celle qui nomme le « sacré », mais bien la parole qui nomme en saluant, c’est-à-dire qui nomme en amenant ce qui est salué à enfin être entier. * Le lecteur remarquera une p a rticu la rité typographique concer nant le verbe être. I l est souvent, dans ce cours, affecté d une majuscule. C'est pour rendre une graphie spéciale du verbe sein. que Heidegger note a lo rs : « seyn ». I l convient de savoir à ce propos que. dans l'e ffo rt de pensée amorcé dès Être et Temps et qui ne cessera plus d ’animer avec une urgence croissante le cheminement de Heidegger, l une des nécessités majeures de la différenciation concerne le dégagement d'un sens pour ce que Heidegger nomme successivement sens de l'être, puis vérité de l’être et enfin topologie de l’être - face à la doctrine de l ’être que présente, depuis son origine, la philosophie en tant que métaphysique. La différence de graphie (l'apparition d'È ire avec une majus cule) est à comprendre comme un appel à une attention renou velée : celle qui engage à suivre Heidegger dans l ’infrayé dont parle le préambule aux Chemins (Holzwege). ♦
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Nous aimerions pour fin ir nous souvenir et saluer Jean Beaufre t : grâce à lu i l'accès au chemin de Heidegger a été jalonné en France d une manière exemplaire, c'est-à-dire avec l'exigence de réitérer originalement sa percée. François Fcdicr - Julien Hcrvicr
Les notes de traduction sont toutes renvoyées enfin de volume, p. 27J.
REMARQUÉ
PR ÉLIM IN AIRE
HÔLDERLIN
Il importe de lui réserver longtemps encore sa part de silence, aujourd’hui surtout où il commence à susciter l'interet et où P- histoire littéraire » est à la recherche de nouveaux - thèmes ». On disserte aujourd'hui sur - Hdlderlin et ses dieux ». C’est bien la pire façon de le méconnaître, en interdisant définitivement, sous prétexte de lui rendre enfin «justice», toute possibilité d’action à ce poète qui relève encore de l'avenir des Allemands. Comme si son oeuvre réclamait justice, surtout de la part de ces mauvais juges qui de nos jours battent le pavé. On considère Hdlderlin » historiographiquement • et l’on méconnaît ce qui seul est essentiel, le fait que son oeuvre encore privée de temps et d’espace a déjà dépassé notre affairement historisant pour fonder le commencement d’une autre histoire, cette histoire qui s’ouvre sur le combat où se décidera la fuite ou l'avènement du dieu
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IN T R O D U C T IO N
M ais ce qui demeure, les poètes l'instaurent ( Mémoire. IV , 63. v. 59)
Le travail dans lequel nous nous lançons exige que Httlderlin lui-même l'inaugure et lui donne le ton. Nous allons d'abord écouter le poème intitule La Germanie.
§ 1.
DÉFINITIO N
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D É B U T . DE L A M É T H O D E
ET DE L A D É M A R C H E
DU C O U R S
Tout d'abord, quelques brèves remarques s'imposent sur trois points : al sur la nature du début du cours, bf sur notre méthode en général, cl sur notre démarche en particulier.
al Sur la nature du début. Commencement et début Que signifie ce début qui part du poème La Germanie, et que ne signifie-t-il pas? Début c'est quelque chose d'autre que commencement. Un changement de temps, par exemple, débute par une tempête, mais son commencement consiste dans la totale mutation des conditions atmosphériques qui le prépare. Le début.
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Introduction
c'est ce sur quoi quelque chose démarre, le commencement ce dont quelque chose surgit. Lu guerre mondiale a commence il y a des siècles dans l'histoire politique et intellectuelle de l'Occident. La guerre mondiale a débute par des escarmouches d'avantpostes. Le début est tout de suite laissé en arrière, il disparait dans la progression de l’événement. Le commencement, l’origine, en revanche, ne vient à apparaître que dans l’événement et n’est pleinement présent qu’à son terme. Les gens qui débutent beau coup d'entreprises n’arrivent souvent jamais à commencer. Certes, nous autres hommes, nous ne pouvons jamais commencer par le commencement - seul un dieu en est capable -, nous sommes contraints de débuter, c'est-à-dire de démarrer sur quelque chose qui ensuite mène à l'origine ou l'indique. Tel est le début de ce cours. Nous débuterons par le poème La Germanie, afin de faire pressentir le commencement. J'entends par là : ce poème fait signe vers l'origine, vers le plus lointain et le plus ardu, vers ce qui en dernière instance vient à notre rencontre sous le nom de Holderlin. Un fragment de poème tardif nous transmet une parole de Holderlin qui nous dit quelle est l’appartenance du poème La Germanie que nous avons pris comme repère pour débuter : Sur le plus haut j'entends me taire F ru il défendu, comme le la u rie r. C'est la patrie qui l'est le plus Ce fr u it, pourtant. Chacun le goûte en dernier. (Fragment 17, IV. 249. v 4 sq )
La patrie, notre patrie la Germanie - la plus défendue, sous traite à la hâte du quotidien et au tintamarre de l'affairement. Ce qu’il y a de plus haut et par là de plus ardu, de dernier, parce qu’au fond de premier -, l'origine non dite. Du coup cela révèle aussi ce qu’en débutant par La Germanie nous ne voulons pas dire. Il ne s’agit pas de proposer quelque chose de commode et de courant, conforme aux besoins du moment, pour en tirer argument en faveur de ce cours, au risque de susciter l’opinion fâcheuse que nous souhaitons procurer à Holderlin une actualité à bas prix. Nous ne voulons pas ramener Holderlin à la mesure de notre temps, bien au contraire : nous voulons nous soumettre, nous et ceux qui viendront par la suite, à la mesure du poète.
Introduction
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b) S ur la méthode en général. Poésie et pensée St nous choisissons de consacrer un cours à Holderlin. il est indispensable de parler de ce poète et de son œuvre poétique. Cependant - - discourir à propos » de poésie est toujours détes table. car à la limite un poème est fort capable de dire par luimème ce qu'il a à dire. En le disséquant par le discours, on ne peut que détruire la « jouissance esthétique ». C'est ce qu’on dit souvent, entendant par là que le rapport fondamental à l'oeuvre d'art est un rapport de » jouissance », une façon de déguster les « mouvements de l'âme » et de barboter dans les bons sentiments. Mais si la • jouissance esthétique » constitue un contresens sur l’art et si devant la poésie notre but n’est pas de jouir, il n’y a rien non plus que le discours puisse sérieusement disséquer et mettre en péril. Sans même parler du fait qu’il peut y avoir, en fin de compte, un discours sur la poésie, discours non seulement adéquat, mais réclamé par elle Peut-être peut-on discourir de la poésie poétiquement, ce qui ne veut certes pas dire en vers et en rimes. Un discours dans le sillage d’une poésie n’est donc pas forcément réduit à un simple bavardage oiseux « autour • et « à propos » des poèmes. Mais il est un autre point plus difficile et plus suspect : le fait que la philosophie s’attaque maintenant à un poème. L ’arme et la cuirasse de la philosophie est pourtant bien - ou du moins devrait être - la froide audace du concept. Au danger d’une destruction par le discours succède celui d'une destruction par la pensée, sans compter qu'il y a apparence que la pensée aille sous peu vers sa complète suppression. Il y a danger de découper l’œuvre poétique en concepts, de ne rechercher dans un poème que les opinions philosophiques du poète, que des thèses à l’aide desquelles nous édifierions un système philosophique de Holderlin, à partir duquel, comme on dit. nous • expliquerions » sa poésie. Nous ferons l’économie d'un tel procédé, non que nous pensions qu'il faille tenir la philosophie à distance de l’œuvre de Holderlin, mais parce que ce procédé si largement répandu n’a rien à voir avec la philosophie. S 'il est véritablement un poète qui exige que sa poésie soit investie par la pensée, c’est bien Hdlderlin, mais aucunement parce qu’en tant que poète il lui est arrivé d’être « aussi philo-
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Introduction sophc - - un philosophe que nous n'hésitons pas à placer aux côtes de Schelling et de Hegel; bien plutôt : Hôlder lin est un de nos plus grands penseurs, un des plus riches d’avenir parce qu'il est notre plus grand poète. On ne peut aborder poétiquement sa poésie qu’en s'expliquant dans l'ordre de la pensée avec la révélation de l'Ê tre conquise de haute lutte dans cette œuvre. Et pourtant ; l'apparence cl le danger réel de la destruction de la poésie par le discours et la pensée nous accompagneront constamment dans notre travail, d’autant plus que nous en savons moins sur la poésie, la pensée et le dire, que nous aurons moins appris comment et pourquoi ces trois puissances appartiennent de la façon la plus intime à notre existence originelle, historique. Notre méthode en général restera donc entièrement soumise à la loi exceptionnelle de l’œuvre de Holdcrlin.
c) Sur la démarche particulière. Le Dasein poétique du poète Nous commençons tout de suite par un poème, en nous dis pensant de raconter : Holdcrlin est né le 20 mars 1770 à Lauffen au bord du Neckar. d’un père. etc. Il a public une espece de roman et a composé en outre tel et tel ouvrage. Au xix* siècle et jusqu'à nos jours, on a porté sur son œuvre poétique tel et tel jugement. Nous ne dédaignerons pas, bien au contraire. • la vie et l’œuvre » - comme on dit - et l’histoire de leur élaboration. Chez aucun poète, le Dasein, la détresse de la création et le destin de l’œuvre ne sont aussi intimement un que chez Holdcrlin. Mais c’est pour cette raison que nous n'avons pas le droit d'ex pédier en un bref compte rendu la vie. l'œuvre et la fortune littéraire, afin de nous consacrer ensuite à la « pure poésie ». En son temps et à chaque fois en son lieu, nous rencontrerons de la manière la plus directe, grâce au prodigieux trésor de ses lettres, le Dasein du poète, ce Dasein sans profession, sans feu ni lieu, sans succès ni renommée, c’est-à-dire sans cette somme de malen tendus qui s'accumule autour d'un nom; l’« esprit dérangé» à trente-cinq ans. comme on dit : dementia praecox cataumica. comme diagnostique finement la médecine. Il nous faudra en outre considérer que le poète n'a jamais publié lui-même scs poésies authentiquement personnelles, les plus grandes. Nous devons assumer le fait qu'il a fallu aux Allemands cent bonnes
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années pour que l’œuvre de Holdcrlin puisse enfin nous parvenir sous cette forme qui nous contraint à avouer qu’aujourd'hui encore nous ne sommes aucunement à la mesure de sa grandeur et de sa future puissance. De tout cela vie. œuvres et histoire de leur élaboration - , ce qu’il faut connaître, apprendre et étudier d’un point de vue purement factuel est aisément accessible partout. Mais... les accumulations et supputations les plus érudites portant sur les circonstances, les influences, les modèles et les règles qui pro voquent la naissance d’un poème ne nous servent à rien si nous n’avons pas compris d’abord à fond le poème lui-même et le Dasein poétique du poète dans et pour le poème. C’est à cela que nous consacrons notre effort. Concluons ces remarques préliminaires par un mot de Holderlin sur l’essence de la poésie. C’est un passage de la lettre écrite à son frère le jour de l’an 1799, dernière année du xvm* siècle finissant (111, 368 sq.) : On a déjà tant p a rlé de l ’influence des beaux-arts sur la form ation des hommes, mais comme si personne ne prenait la chose au sérieux; et c'était tout naturel, car ils ne pensaient pas à ce que l ’a rt, et particulièrem ent la poésie, est de par sa nature On s'en tenait simplement à son extérieur innocent, certes indissociable de son essence, mais bien éloigné de constituer la to ta lité de son caractère; on la prenait pour un jeu, parce qu'elle se manifeste sous la form e modeste du je u. et par conséquent i l ne pouvait raisonnablement pas en résulter d'autre effet que celui du jeu. à savoir une distraction, presque le contraire de ce qu'elle engendre lorsqu'elle est présente selon sa nature véritable. Car alors l ’homme se recueille en elle et elle lu i dispense le repos, non le repos de la vacuité, mais un repos vivant, où toutes les forces sont en mouvement et où seule leur harmonie intim e empêche de percevoir le ur activité. E lle rapproche tes hommes et les rassemble, mais non à la façon du jeu où ils ne sont unis que parce que chacun s'oublie et que personne nap parait dans sa p a rticu la rité vivante *
La poésie - ce n’est pas un jeu, le rapport à elle n’est pas une détente ludique dans laquelle on s’oublie, c’est l’éveil et la concen tration de l’essence la plus propre de l’individu, grâce à quoi il se ressource au plus profond de son Dasein. Si chaque individu en est issu, le rassemblement authentique de ces individus en une communauté originelle est acquis d’avance. Le grossier enrégimentement de la masse en surnombre dans ce qu'on nomme « organisation » n’est qu’une mesure de fortune, l’essence lui échappe. Si nous tentons maintenant de nous approcher de la sphère de
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Introduction
puissance de la poésie de Hdldcrlin et même de nous exposer à elle, il importe de savoir ce qui suit : dans cette entreprise, ni la sagacité hâtive, ni l'érudition accumulée à l'aveuglette, ni le bouillonnement artificiel de sentiments prétendument primitifs, ni les tournures ampoulées ne nous viendront en aide : mais bien la gravité lim pide, seule capable d’affronter à la longue la gran deur de la tâche.
La Germanie
Nous lisons et écoutons maintenant le poème La Germanie. Je le cite d'après l'édition de référence en six volumes, établie par Norbert von Hcllingrath et scs amis *. Dans cette édition, tout l'oeuvre de Hôlderlin est réparti dans les differents volumes selon l'ordre chronologique de la composition. Les lettres sont regrou pées également dans les differents volumes en respectant cette succession chronologique. Cela convient parfaitement au caractère de la correspondance de Hôlderlin qui est indissociable de l'œuvre. Peut-être la jeunesse allemande offrira-t-clle un jour une place dans sa mémoire au créateur de son édition de Hôlderlin, Norbert von Hellingrath, tombé à vingt-huit ans devant Verdun, en 1916, mais peut-être ne le fcra-t-cllc pas! L ’autre édition critique, établie par Franz Zinkernagel2 et à laquelle tout travail sérieux doit nécessairement se référer aussi, regroupe toutes les lettres de Hôlderlin dans le volume 4. Mal heureusement, le volume de variantes fait défaut. I A GfRMANIF
I Non. les bienheureux. Images divines apparues dans le pays antique. Je ne dois certes plus les invoquer, mais si. Ondes de ta p a trie . c'est avec vous ! Hôlderlin. S û m tltchr H 'trke Édition historique et critique, commencée pur N or bert von H ellingrath. poursuivie par Friedrich SccboAs et Ludwig von Pigenot 2* édition. Berlin. 1923. 2. Hôlderlin. S âm tliche Werke und Bnefe en 5 volumes. Édition critique et historique de Fran? Zinkernagel. Leipzig, 1914
La Germanie Que retentit l'am our du cœur qui se pla in t. Que veut-il d'autre dans son deuil sacré7 Car en attente Repaie le pays, et lorsque par les chaudes journées. Êtres de nostalgie! le ciel abaissé nous entoure A u jou rd'hui d'une ombre prophétique M) H est lo u rd de promesses, mais me semble aussi Menaçant, pourtant je veux rester en sa présence. Et mon ame ne doit pas s'enfuir en arrière Vers vaut, ô dieux passés ! qui me restez trop chers Car voir va$ beaux visages Comme si tout était comme autrefois. est m ortel. je le crains Et i l est à peine permis de réveiller les morts il
Ô dieux enfuis! et vous, ô dieux présents. naguère Elus véridiques. vous eûtes votre temps ! Me rien nier, je le veux, et ne rien Im plorer 20 Car quand tout est fin i, que le jo u r s'est éteint Le prem ier le prêtre est frappé, mais pleins d ’amour le temple, et l'im age, et le rite qui est sien Le suivent aux sombres bords, plus rien n'en peut paraître Comme née des flammes d'un bûcher funèbre, seule une fumée d'us ne permettrons pas a de sottes accusations d 'a f• fectation, d'exagération, d'am bition, de bizarrerie, etc de nous détourner de com battre avec toutes nos forces et d'aviser avec toute notre rigueur et notre délicatesse en vue d'amener tout l'hum ain en nous et chez les autres à une union toujours plus lib re et plus intim e, que ce soit sous la forme d'une exposition figurée ou dans le monde réel, et si l'em pire des ténèbres veut attaquer avec violence, nous jetterons nos plumes sous la table et nous irons au nom de dieu là où l'urgence sera la plus grande et notre présence la plus u tile Adieu f Ton Fnlz
2. Six mois plus tard, lettre à son ami Neuffer, 3 juillet 1799 (111» 412 sq.) : Je me réjouis de tout cœur que tu te consacres toujours plus à la poésie M oire époque nous a accablés d'un si pesant fardeau d'impressions que. je le sens chaque jo u r davantage, ce n'est qu'au p rix d'une longue activité poursuivie jusqu'à la vieillesse, et de tentatives sérieuses, constamment renouvelées, que nous pourrons peut-être produire à la Jin ce à quoi la S ature nous a d'abiyrd destinés, et qui. en d'autres circonstances, aurait peut-être m ûri plus tôt. mais de façon moins parfaite. S i des devoirs qui mtus sont sacrés à tous deux doivent nous appeler, nous offrirons un beau sacrifice à la nécessité en reniant notre am our pour les Muses, au moins pendant un certain temps
Cf. fragment 17 (IV, 249, v. 18 sq.) : et fe u et fumée fleurissent S ur l ’herbe sèche. M ais distincte, au m ilieu. Née d ’une bonne poitrine, cordial De la bataille, elle fa illit, la voix du Prince
L'intcrprclation du terme - sans armes • dans notre poème ne sera donc pas si facile qu'il paraît si l'on s’en tient à la lettre. En fin de compte, ce procédé qui prétend déterminer la - Wcltanschauung » à partir de mots et de phrases isolés est carrément néfaste.
I m Germanie
§ 3.
ENTRÉE DANS LA SPHERE
D L PU I S S A N C E DF L A P O E S I E
Nous avons rapporté dans ses grands traits cc qui est dit dans le poème, nous avons grossièrement décrit la façon dont cela est dit. Nous avons, fût-ce dans une première lecture et un survol approximatif, pris connaissance du poème. Mais prendre connaissance d'un poème, même jusque dans scs plus infimes détails, cela ne signifie pas encore : se trouver dans la sphère de puissance de la poésie Nous devons dépasser cette approche du poème comme simple texte de lecture neutre. Il faut que le poème se métamorphose cl se révèle comme poésie. Certes, c'est un comportement fort courant envers le poème que de recourir à lui. dans nos heures de sécheresse et de vide, comme à une aide spirituelle passagère, pour le reléguer ensuite sur son étagère; ou encore d'aborder les poèmes comme des choses neutres, de les analyser et de les expliquer, tandis que d'autres s'intéressent plutôt aux bulles papales du Moyen Âge, au Code civil ou encore aux cochons d’ Inde et aux vers de terre. Dans tous ces cas, nous disposons du poème à notre gré. Il faut au contraire que la poésie dispose de nous, de telle sorte que notre Dasein devienne le vivant support de sa puissance. Mais comment est-ce possible? Comment un poème - et je ne parle que des poèmes de Hôldcrlin - peut-il encore aujourd'hui devenir une puissance, alors que de tout autres « réalités » déter minent le Dasein? Un poème ténu, impalpable, évanescent, aber rant. inconsistant, cela n'a plus sa place nulle part. Car imprimés sur papier japon, reliés en cuir et dorés sur tranche, les « poèmes lyriques » peuvent être délicieux et plaisants, pourtant cc n’est pas là l’espace de la poésie. Mais peut-être n’est-ce pas la faute du poème si nous n’éprouvons plus sa puissance, mais plutôt la nôtre, parce que nous avons perdu la force d’éprouver, et que notre Dasein est empêtré dans la banalité d’un quotidien qui l’exclut totalement de la sphère de puissance de l’art.
M éditation prélim inaire : poésie et langage
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a l Comment la poésie gouverne le Dasein des peuples En fin de compte, il s'agit là d'un état qui exige un examen impitoyable. Surtout s'il devait s'avérer que le Dasein des peuples ja illit toujours de la poésie et que la poésie gouverne encore leur déclin, pour autant qu'il reste grandiose et ne se réduit pas à un simple naufrage. Cf. l'aphorisme 9 (I II , 246 sq.): En général, Us poêles se sont formés au début ou à la fin d’un âge du monde C t$ t avec des chants que Us peuples descendent du ciel de leur enfance pour entrer dans la vie active, au pays de la culture. O est avec des chants q u 'ils s'en retournent à la vie originelle L ’a rt constitue la transition de la nature à la culture, et de la culture à la nature.
À cela se rapporte Hypérion (lin du premier volume. II, 186): Le prem ier enfant de la beauté humaine, divine, c'est l'a rt En lu i se rajeu nit et se répète l'hom me divin I I veut se sentir lui-même, et pour cela place sa propre beauté en face de soi. Ainsi l'homme se donna ses dieux. Car à l'o rig in e l'hom me et ses dieux ne faisaient qu’un, alors qu’inconnue à elle-même, i l y avait l'éternelle beauté J'énonce des mystères, mais ils sont I mt prem ier enfant de la beauté divine, c'est l'a rt II en était ainsi chez les Athéniens Le second enfant de la beauté est la religion La religion est amour de la beauté Le sage l'aim e elle-même, l'in fin ie , la ioui-embrassante; le peuple aime ses enfants, les dieux qui lu i apparaissent sous des form es diverses. I l en était également ainsi chez les Athéniens. Et sans cet amour de la beauté, sans cette religton. tout É tat n’est qu’un squelette décharné, sans vie ni esprit, et toute pensée ou action n'est qu’un arbre sans cime, une colonne dont le chapiteau est abattu.
Cf. 187 sq.} Fort bient m 'interrom pit quelqu'un, je comprends cela, mais ce que je ne vois pas. c'est comment ce peuple {les Athéniens] poétique et religieux devrait être aussi un peuple philosophe Sans poésie, dis-je. ils ne seraient meme ja m a n devenus un peuple philosophe ! M ais, ré p liq u a -t-il. qu’est-ce que la philosophie, qu'est-ce que la fro id e sublim ité de cette science a à voir avec la poésie7 La poésie, dis-je. sûr de mon fa it, est le commencement et la fin de cette science Comme Minerve de la tête de Ju p ite r. elle est sortie de ta poésie
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I m Germanie
d'un être in fini et divin. Et de même, à la fin , l'inconciliable reflue en elle dans la mystérieuse source de la poésie
Et 191 :
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Ou pur entendement ne peut s o rtir aucune philosophie, car la philosophie est plus que la connaissance lim itée de ce qui est Oe la pure raison ne peut so rtir aucune philosophie, car la philosophie est plus que l ’exigence aveugle d'un progrès incessant dam l'assim ilation et la distinction d'une matière quelconque. Mais que le divin b rille : cv Stxspepov axvro). que l'id é a l de beauté b rille [tour la raison dans son effort, celle-ci n’exige plus en aveugle, e lle sait pourquoi, en vue de quoi elle exige Si. comme un jo u r de m ai dans l'a te lie r de l'a rtiste , le so le il du beau b rille sur les activités de l'entendement, i l ne rêve pas de s o rtir en laissant son nécessaire tra va il en plan, mais i l songe volontiers au fo u r de f i t * ou i l se promènera dam la lum ière de jouvence du printemps
Nous allons examiner si nous nous trouvons encore dans la sphcrc de puissance de la poésie, non à l'aide de dissertations générales sur l’art et la culture, mais en nous exposant à une poésie et à sa puissance; non à n'importe quelle poésie, mais seulement cl justement à la poésie de Hôldcrlin. Il sc peut qu’un jour il nous faille sortir de notre banalité quotidienne et nous jeter dans la puissance de la poésie, et que nous ne retournions plus jamais dans ce quotidien tels que nous l’avions quitté.
b) Le tra va il de traversée du poème en tant que combat contre nous-mêmes
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Mais tout comme le poète lui-même ne parvient que par un combat à se rendre maître et serviteur de la poésie, c'est aussi par un combat que nous parvenons, au-delà du poème particulier, dans l’espace de la poésie. Le combat pour la poésie dans le poème est un combat contre nous-mêmes, dans la mesure où, dans la banalité quotidienne du Dasein. nous sommes rejetés de la poésie et nous échouons aveugles, paralysés et sourds sur le rivage, incapables de voir, d’entendre et de sentir le mouvement houleux de la mer. Mais le combat contre nous-mêmes ne signifie en aucune façon une autocontemplation complaisante et curieuse, une dissection spirituelle, pas plus qu’un dramatique examen de conscience « moral » : ce travail contre nous-mêmes est le travail de traversée du poème. Car celui-ci ne doit pas disparaître au
M é d ita tio n p ré lim in a ire : poésie et langage
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sens où nous inventerions une prétendue teneur intellectuelle, un sens du pocme que nous condenserions en vérité « abstraite *, tout en élim inant la configuration sonore et rythmique de la parole. Au contraire : plus la poésie prend puissamment le pouvoir, et plus le dire de la parole s'impose avec une fougue impérieuse. Simplement, le poème n'est plus cette chose neutre, lisible et audible, qui s'offrait à nous tout d'abord, alors que nous tenions encore le langage pour un instrument d’expression et de commu nication. que nous possédions pour ainsi dire comme une auto possède un klaxon. Ce n'est pas nous qui possédons le langage, c’est le langage qui nous possède, pour le meilleur et pour le pire. A être utilisées, les choses de tous les jours s'usent, s’émoussent, se détériorent et se vident. Les poésies de Holdcrlin deviennent d’année en année plus inépuisables, plus grandes, plus étrangères - inclassables en un sens ultime. Il leur manque encore leur véritable espace historique et spirituel. Il ne leur viendra pas de l’extérieur, il faudra quelles se le créent elles-mêmes. Si nous ne sommes pas résolus à tenir bon à l ’avenir sous les orages de cette poésie, cette tentative restera en fait un simple jeu de curiosité. Il n'est plus besoin d'entrer dans le détail pour avouer que nous ne maîtriserons pas la poésie de Holderlin. Pour cela, nous sommes les uns et les autres tous trop peu prépares dans l’en semble de notre D asein: et par surcroît toutes les armes de la pensée nous manquent encore pour ce combat. Ce que nous offrons, ce sont à peine des instructions, meme incertaines, ces indications imperceptibles vouées à disparaître dès que le regard et le cœur appréhendent avec certitude ce vers quoi le signe fait signe. Notre entreprise est tout au plus semblable à ces échafau dages de cathédrale, qui n’existent que pour être démolis. Nous allons tenter maintenant une nouvelle approche de la poésie du poème. Pour cela, il faut d’abord régler deux problèmes de texte.
c) D eux problèm es de texte
Ceux qui ont suivi la première lecture du poème sur leur propre texte ont dû être frappés par deux variantes s’ils n’utilisent pas l'édition H ellingrath : I. Dans la strophe V (v. 76), von Hellingrath lit :
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La Germ anie M ère de toutes choses et qui porte l'abîm e
Ce « qui porte l'abîme » manque chez Zinkcrnagei cl dans votre édition de poche « Reclam • 2. Dans la strophe V II (v. 101 sq.). von Hellingrath l i t ; Comme to u t est changé! et de tout son éclat b rille et parle. Ou lo in ta in , un à venir joyeux
Remarque générale : le poème nous est parvenu sous la forme de deux manuscrits soignes; il ne s’agit pas d’esquisses, comme c’était souvent le cas dans celte période. Von Hellingrath les nomme a et h. Le manuscrit h s’interrompt sur le vers 97; il y manque donc toute la dernière strophe (V II). Les textes imprimés qui la retiennent l’empruntent au manuscrit a Sur le premier point : ce manuscrit a. sur lequel s’appuient également Zinkcrnagei et Vcspcr pour reproduire la dernière strophe, comporte au vers 76 : * et q u i porte l'a b îm e -. On ne voit pas pourquoi des éditions qui s'appuient sur le manuscrit a pour reproduire la dernière strophe s’abstiennent de lui emprunter le vers 76 sous sa forme complète. Il est aussi difficile d’expliquer l’absence de - et q u i po rte l ’abim e » dans le manuscrit h que celle de la dernière strophe. Sans même parler du fait que cette caractérisation de la terre - qu i po rte l ’abîm e » est poétiquement si juste et d’une facture si hôlderlinienne qu’ il est impossible de s’en passer. Sur le deuxième point : au lieu de - p a rle ». les autres lisent * jo u e » : problème de lecture, c’est-à-dire aussi de compréhension à partir de la totalité. Je ne connais pas le manuscrit du poème, mais je suis en plein accord avec la lecture de von Hellingrath. Le - jo u e • semble appelé par « jo y e u x ». Mais si celui-ci n’est entendu que sous l’acception légère de l’agréable, du réjouissant, de l’intéressant qui convient bien à «joue», on est à l’opposé d’ une compréhension hôlderlinienne. Hôlderlin ne veut pas dire » joyeux » au sens où nous disons : les essais de la nouvelle voiture de course qui doit rouler à 240 kilomètrcs/hcure se sont révélés très satisfaisants *. - Joyeux » veut dire ici ; annonciateur de joie; non de la joie au sens du plaisir opposé au mécontentement, mais 1 HùWcrlin. (jtdichu. CfCNavnuuvgjbc Boorgi von W ill Veipcr. I ctp/ig. 1921. Hokkrlm. Wrrkt Autfcwahll und mil emer biogruphischcn Einlcilurtg vun W ill Vc\pcr, Leipzig. 1928 1 Hcti (plante, animal), la langue n'advient pas automatiquement, bien qu’en apparence il suffirait d'éliminer un quelconque blocage résiduel pour que l'animal parle. Et pourtant! Le saut de l'anim al vivant à l'homme parlant est aussi grand, sinon plus, que celui de la pierre inanimée à l'être vivant. Pourquoi l'anim al ne parle-t-il pas? Parce qu’ il n’a aucun besoin de parler. Pourquoi n'a-t-il aucun besoin de parler? Parce qu’il n’est pas forcé de parler. Il n'y est pas forcé parce qu’il n’y est pas obligé. Il n’y est pas obligé parce qu’il est fermé à l ’ Être en tant que tel. N i l'être, ni le non-être, ni le néant, ni le vide ne lui sont accessibles. Pourquoi l'être est-il fermé à l’animal? Parce q u 'il n’est pas dans la langue. Ainsi l ’animal ne parle pas parce q u 'il n’est pas dans la langue. Cela a l'a ir d'une phrase tautolo gique. qui donc ne dit rien. Et pourtant, elle dit quelque chose : à savoir que la non-parole de l'animal ne repose pas sur une cause ou un blocage particulier et quelconque, mais qu’elle équivaut à l'altérité essentielle de son Etre. Conformément à elle, il est prisonnier des sollicitations de son environnement et de scs sem blables et reste pris dans cet emprisonnement. Cela n’empêche pas l'anim al de vivre, dans la prison de cette emprise, selon sa manière propre de se sentir à l’aise et de satisfaire sa pulsion vitale. Mais cette simultanéité d'une proximité apparente et d'un éloignement essentiel de l'animal et de l'homme ne devient une véritable question que si l'on considère l'absence de langage propre à la nature tout entière, sans oublier pourtant que rien n’est capable de nous « parler • de façon plus pressante que la nature à l’œuvre d'un infini à l'autre. Ce qui signifie . nous ne nous en sortons pas si nous mettons simplement en vis-à-vis comme des choses de complexion diffé rente la nature sans parole et l'homme parlant. Nous n'approchons du questionnement que si nous tenons fondamentalement compte de la façon dont la poésie, en tant qu’événement fondamental du Dasein historique de l'homme, se comporte face à la nature et
I m G erm anie
avant toute science de ia nature s’il est permis de s'exprimer ainsi. Toutes les sciences de la nature - aussi indispensables qu’elles puissent être à l'intérieur de certaines limites actuelles, par exemple lorsqu’il s’agit de fabriquer du caoutchouc ou du courant alternatif - nous laissent fondamentalement en plan quant à l'essentiel, en dépit de leur exactitude : parce qu’elles dé« naturent » la nature.
j) Poésie et langue dans le u r appartenance o rig in e lle à l'h is to ire de l'hom m e
Deux voies différentes nous ont amenés au meme résultat : la poésie est la configuration fondamentale du Dasein historique. La langue comme dialogue est l’événement fondamental du Dasein historique. La poésie en tant que dialogue originel est l ’origine de la langue, et c’est avec elle, son plus périlleux partage, que l’homme se risque dans l'être en tant que tel, q u 'il l'affronte ou qu’il y succombe, se rengorge et se vide dans le déclin du bavardage. Il n'en faut pas plus pour rendre visibles l’unité essentielle de la poésie et de la langue et leur appartenance originelle à l'histoire de l’homme. Et tout cela a eu d’abord pour but de nous préparer convenablement à l ’effort que nous dédions à la poésie du poème La Germ anie, ce dialogue où la langue elle-même vient au langage dans le contexte où se décide l’ heure mondiale de notre peuple. Mais notre effort dédié à la poésie a reçu dès le début un choc en retour qui a mis en question dans sa possibilité et sa nécessité la participation au dire de toute la poésie. C ’est maintenant clair : notre hésitation provenait de l'ignorance quant au genre de • temps » dont il s'agissait, de l'ignorance de l ’essence du dialogue et de la langue, de l'ignorance de la nécessité de poser la question ■ Qui sommes-nous? * L'hésitation et meme le recul devant la participation au dire n’était donc pas une résolution, une déci sion consciente. Mais d’autre part, la tendance d'origine inconnue à une lecture participatrice du poème n’est pas non plus une décision car s’il faut le dire - il ne s’agit pas de vous convaincre, vous ou d'autres individus, de participer ici, dans ce cours, de votre plein gré à la lecture; l’objet de la décision, c’est une participation au questionnement sur ce que nous sommes : si nous
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sommes un dialogue ou bien un simple bavardage, si nous nous engageons dans l'historicité originelle de notre Dasein historique ou si nous l'esquivons; si nous avons un véritable savoir de notre Être et par conséquent un savoir anterieur de l’ Être en tant que tel. ou si nous nous contentons de nous ébattre dans les formules toutes faites, si nous savons vraiment ce que nous ne savons ni ne pouvons savoir; afin que grâce au choc authentique contre ces barrières, nous accroissions nos propres forces et rendions résis tance pour résistance. Telle est la décision à laquelle doit toujours revenir la participation au dire de tout poème de Hôlderlin, l'engagement dans son dialogue.
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II
Ton fondam ental de la poésie et h is to ric ité du Dasein
§ 8.
DÉPLOIEMENT
[ >U T O N
FONDAMENTAL
a) Le d ire poétique provient du ton fo n d a m e n ta l
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici n’écarte pas le soupçon d’une fausseté toujours en jeu lorsque nous participons à ce dire « Mon, les bienheureux... ». à ce renoncement aux anciens dieux. Bon grc, mal grc, il nous faut nous mettre dans la peau du poète et faire comme si. Nous n’éprouvons toujours pas le besoin spontané venu de nous et qui nous touche directement de nous engager dans ce renoncement. Mais est-ce vraiment un renonce ment? (IV , 181 sq.) N on, tes bienheureux, /m ages divines apparues dans le pays a n tiq u e . Je ne dois certes p lu s les in vtx/u e r. m ais s i. Ondes de la p a trie , c'est avec m u s Que re te n tit l'a m o u r du cœ ur q u i se p la in t . Que v e u t-il d 'a u tre dans son d e u il sacré? C a r en a tte n te Repose le pays. et lorsq u e p a r les chaudes journées. Ê tres de n o sta lg ie ! le c ie l abaissé nous entoure A u jo u rd 'h u i d une om bre p ro p h é tiq u e I l est lo u rd de prom esses, m ats me sem ble aussi M enaçant, p o u rta n t je veux re ste r en sa présence . E t m on âme ne d o it pas s 'e n fu ir en a rriè re Vers vous, à d ie u x passésf q u i me restez tro p chers C a r v o ir vos beaux visages
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du « Dasein »
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C om m e s i to u t é ta it com m e a u tre fo is , est m o rte l, je te cra in s. E l i l est à peine p e rm is de ré v e ille r les m orts. Ô d ie u x e n fu is ! et to u s , ô d ie u x présents, naguère P lu s vé rid iq u e s, vous eûtes votre te m p s! S e rie n n ie r, je le veux, et ne rie n im p lo re r C a r quand to u t est fin i, que le jo u r s'est é te in t. Le p re m ie r te p rê tre est fra p p é , m ais p le in s d 'a m o u r fa tem p le , et l'im a g e , et le r ite q u i est sien fa suivent a u x som bres bords, p lu s rie n n'en p e u t p a ra ître Com m e née des flam m es d 'u n bûcher funèbre, seule une fu m é e d 'o r S 'élève, légende, des pro fo n d e u rs. L u e u r d 'a u b e p o u r nos tètes en p ro ie au doute. E l n u l ne s a it ce q u i lu i a rriv e I I sent Que les om bres de ceux q u i tm l été. Les anciens d ie u x , v is ite n t à nouveau la te rre C a r ceux q u i vont v e n ir nous pressent E t la tro u p e sacrée des hom m es-dieux fie s 'a tta rd e ra p lu s dans le c ie l bleu
Avons-nous eu raison de prétendre que le début du poème nous entraînait dans un lieu d’où nous devions dire non? Ou bien nous sommes-nous complètement fourvoyés et dévoyés dans notre lecture, parce que nous mettons encore trop de hâte à nous saisir d'un contenu constatable? Au lieu de comprendre que le lieu et le - là * d’où parle le poète ne peuvent être éprouvés que par une expérience de la direction d'ensemble selon laquelle advient le dire poétique. En fait il en va ainsi. Malgré la m ultiplicité de nos travaux d’approche, nous n’avons pas encore considéré le fait que la tonalité (S tim m e) du dire ne doit pas détoner (gestim m t sein m u fi). que le poète parle en vertu d’un ton (S lim m u n g l qui détermine fb e -stim m t) la basse et les bases, et qui donne le ton à l’espace sur et dans lequel le dire poétique instaure un être. Ce ton. nous le nommons ton fondamental de la poésie. Par ton fondamental, nous n'entendons cependant pas une tonalité affective ondoyante qui accompagnerait seulement le dire : au contraire, le ton fondamental ouvre le monde qui reçoit dans le dire poétique l’empreinte de l ’ Être. Avant de considérer en elle-même l’essence du ton fondamental pour y saisir quelque chose du Dasein historique de l’ homme, nous allons mettre en évidence le ton fondamental de la poésie La Germ anie. Dans cette intention, nous ne la lirons que jusqu’à un passage précis, vers 38. Certes, le - filon, les bienheureux... * suscite, dans la dureté
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de son arrachement, l'illusion d’un rejet, d’ une volonté-de-ne-plus connaître. Mais le début de la seconde strophe, où parle encore le « je » , s’exclame: * Ô die ux e n fu is ! • Cela signifie bien que les dieux eux-mêmes sont partis - « le jo u r s'est éteint «. le peuple ne pouvait plus les retenir, il devait devenir aveugle dans la nuit - » to u t est fin i ». Où y a-t-il là renoncement? La présence des dieux relève du passé. Pourtant, si nous enregistrons cela comme une espece de fait historique, nous passons à côté de l’ histoire dont il est question ici. tout comme si nous affirmions qu’il existe encore un christianisme aujourd'hui. Nous parlons seulement en hommes libres de liens et nous oublions qu'une époque sans dieux n’est pas un néant, mais une sédition de la terre que ne peuvent apaiser ni meme identifier la seule survie des confessions ou un changement d’organisation du régime de l'Église à l’ initiative de l'État. On ne fournit pas des dieux à un peuple à si peu de frais. La fuite des dieux doit d’abord faire l'objet d'une expérience, cette expérience doit d’abord heurter le Dasein dans ce ton fondamental selon lequel un peuple historique en son entier ressent et endure la détresse de son absence de dieux et de son déchirement. C'est ce ton fondamental que le poète instaure dans le Dasein historique de notre peuple. Que cela advienne en l ’an 1801, que cela n'ait pas encore été perçu et saisi en 1934, peu importe, car les chiffres des années sont indifférents au temps d’une telle décision.
b) La renonciation à invoquer les anciens d ie u x comme m anière de prendre su r soi un différend. Le ton fo n d a m e n ta l de d e u il et ses tro is aspects
Le « Non, les bienheureux... • n’est pas un refus, il introduit le - Je ne dois certes p lu s les invoquer • (v. 3). Le J a (certes) renforce, rend dé fin itif le « ne pas devoir * ». Le rude « N on » du début ne signifie en aucune façon la brutalité d’un rejet mais la rigueur d'un renoncement nécessaire. A quoi s’applique le renon cement? Aux « images divines dans le pays antique » (v. 2)? Non. Il s'applique à l'invocation de ces dieux. Celui qui n'a rien, qui ne peut ni ne veut rien avoir, ne peut pas non plus renoncer, il ne peut meme pas avoir l'expérience de la nécessité du renon cement. Si le poète parle donc à p artir d'un renoncement, c’est
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du « Dasein «
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qu’il veut justement quelque chose. Il veut invoquer, c’est-à-dire q u 'il ne se borne pas à le souhaiter. V o u lo ir invoquer signifie tenir bon dans cette invocation. Q u’est-cc que cette invocation? Non une invocation qui fasse appel à ceux qui lui sont familiers, ni une invocation destinée à mettre l’invocateur en valeur, mais cette invocation par laquelle nous entrons en attente de l’invoqué en tant que tel, par laquelle nous posons l’attendu dans le lointain en tant qu’il est encore éloigné, renonçant ainsi à sa proximité. Cette invocation revient à prendre sur soi le différend entre l ’ouverture de la disponibilité et le report de l’accomplissement. Endurer un tel différend est la d o uleu r, un p â tir, c’est pourquoi l ’invocation est une p la in te (v. 3 sq.) : ...m a is s i Ondes de la p a trie ! c'est avec vous Que re te n tit l ’a m o u r du cœ ur q u i se p la in t..
Cette douleur de l’invocation, cette plainte surgit et s’élance dans un ton fo n d a m e n ta l de d e uil. Il faut préciser au préalable, en pensant à ce ton fondamental, comme à tout autre, qu’il ne s’agit pas de s’ébrouer vaguement avec lassitude dans les trop fameux « sentiments ». qu’il ne s'agit pas de sensiblerie exclusivement soucieuse de • couver » son propre état d’âme. En particulier, ce deuil n’est pas une descente impuissante au tréfonds de soi. Les tons fondamentaux, pour reprendre une distinction courante, ne sont pas quelque chose qui concerne l ’âme mais l'esprit. La douleur et le pâtir existent seulement parce qu’il y a différend assumé. Certes l’animal peut souffrir d'un mal - il peut souffrir, mais cette capacité à souffrir et à avoir mal n'est pas un pâtir, pas plus que les maux d'estomac ne sont en soi un pâtir et une douleur comme le deuil. Et il ne s'agit pas non plus de - sentiments plus nobles ». mais de quelque chose d’essentiellement autre. Le renoncement à l ’invocation des dieux anciens relève d’ une volonté résolue d’accepter la privation. « AV rien nier, je le veux, et ne rie n im p lo re r » (v. 19). Cette résolution a son origine dans la supériorité intime du ton fondamental de deuil. Car celui-ci réduit à l'insignifiance la m ultiplicité des petites choses et n'a lieu que dans l'intangibilité de l'U n. Mais ce n’est pas une bouderie hargneuse et vexée, une démission qui s'entête dans un désespoir vide, non, le deuil originel est la s u p é rio rité lu cid e de la sim ple
La Germ anie
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bonté d'une grande d o u le u r - ton fo n d a m e n ta l tille instaure une autre ouverture de l ’étant en son entier, et cela de façon essentielle. Une considération s’impose ici avec force : le ton comme ton fait advenir la manifestation de l'étant dans son ouverture. Mais il nous faut préciser mieux encore la configuration poé tique du ton fondamental. » L 'a m o u r du cœ ur q u i se p la in t re te n tit • (v. 5). Selon la sagesse ancienne, l'amour est un vouloir, il veut que ce qu’ il aime soit, sous sa forme particulière; qu’il soit fidèle à son essence. Un vouloir - celui de l'amour du cœur : - Que v e u t-il d ’a u tre f Dans son d e u il sacré? - (v. 5 sq.) Vjt deuil est de nature sacrée, ce n’est pas quelque deuil particulier, non. le ton fondamental est tout entier sacre. Le ton (S tim m ung} implique d’ une part ce qui donne le ton (das S tim m ende ) (cf. le « fond intime » du ton, § 8c), ensuite ce qui. dans le ton. est accordé fgestim m t), et en dernier lieu le rapport réciproque et alterné de l ’accordé et de l’accordant. Prenons garde qu’il n’y a pas d’abord un objet et un sujet entre lesquels un ton viendrait ensuite faire l’accord en oscillant de l’un à l’autre, mais que le ton. dans son mouvement pendulaire, constitue l’élément originel qui intègre d’abord à sa manière propre l’objet au ton et fait du sujet ce qui est accorde au ton. Pensée avec plus de profondeur, la représentation commune du rapport sujet-objet est ici absolument insuffisante pour comprendre l’essence du ton. Ce rapport a été posé en fonction de la relation qu’établit la représentation entre ces deux termes, et le ton. au sens sentimental d’humeur *, n’est qu’un pur accessoire - une coloration.
c) Le ton fo n d a m e n ta l et le sacré. Le désintéressement tro is fo is p u r
Le ton fondamental en tant que tel est tout entier sacré sous les trois aspects indiqués. Mais que signifie « sacré »? Hôlderlin emploie souvent ce terme et toujours, de façon essentielle, en se situant dans la sphère d’attraction du ton fondamental particulier de sa poésie. Illustrons cela par quelques citations éparses ; E t ivres de baisers Vous p lo n g e ; la tête Dans l'e a u sobre et sacrée com pte de nos années, nous le voyons, le com ptons , M a is les années des peuples. Un œ il m o rte l les v it- il ja m a is ? M êm e s i to n âm e s'élance, n o sta lg iq u e , P a r-d e là son p ro p re tem ps, e n d e u illé . m a lg ré to u t. T u séjournes a u x rivages glacés Auprès des lie n s, et ne les connais p lu s
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Tous nos commentaires precedents rendent claire la place de ce poème dans l'ensemble des poésies tardives de Hôlderlin, et visible sa parente avec La Germanie. Les deux poèmes sont une même poésie et ne font que manifester ensemble l'inépuisable* qui reste ici à dire.
j l L accom plissem ent dans la p lé n itu d e de son être du ton fo n d a m e n ta l régnant : L oppression du d e u il sacré comme d is p o n ib ilité
Mais revenons à La Germanie: Le revirement intime de l'aban don à l'attente s'annonce à la fin de la deuxieme strophe par un
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie el h is to ric ité du « Dasein -
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renversement de la temporalité : ceux qui furent nous pressent, ils arrivent sur nous et déjà nous pressent. Mais à parler stric tement, la formule du revirement de l'abandon en attente risque d’ induire en erreur. Car le ton fondamental de l’abandon ne peut pas du tout disparaitre et faire place à une attente, du fait même que l’attente résonne justement dans l’abandon et le transforme ainsi en oppression. O r l’oppression du deuil sacré se transforme en d is p o n ib ilité en ta n t qu’oppression. c’est-à-dire dans la mesure où elle résiste à la pression de ceux qui nous pressent. Alors seulement le ton fondamental qui règne dans cette poésie s'accomplit dans la plénitude de son être. Mais dans la mesure où le ton fondamental règne à travers tout l'étant et lui donne sa tonalité, la terre de la patrie entre elle aussi dans ce ton. La supériorité du deuil sacré est portée par cette disponibilité capable d’endurer l ’oppression, et c'est pourquoi il en est dit à la fin, en conclusion du déploiement du ton fondamental, au début de la troisième strophe (v. 33 sq.) : O u i. d é jà v e rd it le cham p, q u 'a u p ré lu d e d 'u n âge p lu s rude On a p la n té p o u r eu x. l'o ffra n d e est préparée P our le repas du sa c rific e , vallé e et fleuves sont
S i large ouverts autour des cimes prophétiques...
De nouveau ce « oui * (ja f comme au début : * Je ne dois certes \ja ] p lu s les invoquer *. * À chaque fois, le ja de la décision absolue : au début, dans la volonté de renoncement; maintenant, dans la disponibilité; chacun en écho à l'autre et tous deux unis pour dire ce caractère absolu du ton qui justifie que nous le nommions ton fondamental. En tant que tel, il donne tout aussi originellement le ton à l ’homme et à la terre, et même en contradiction avec notre opinion raisonnable - d’abord à la terre, car celle-ci est disponible »A fin que l'hom m e puisse regarder... * (v. 37). Celui-ci ne projette pas après coup dans le paysage une tonalité affective « subjective • à l ’origine et en son fond, mais c’est l’ inverse : la terre disponible est la condition pour que l ’homme puisse regarder et q u 'il le veuille. Dans le - puisse • (m agl résonne le double sens du pouvoir (Kônnen) et du vouloir (W ollen).
La Germ anie
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§ 9.
T E M P S H I S T O R I Q U E ET T O N
FONDAMENTAL
a) L'expérience de la terre natale à la c la rté d 'u n savoir questionnant su r la m ission h isto riq u e d 'u n peuple
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Le poctc parle de la verdure du champ, de la vallée et des fleuves qui sont largement ouverts autour des cimes prophétiques. Étonnante géographie, description de la terre à peine compréhen sible, à supposer même qu'il s'agisse d'une description. La terre est ici appréhendée dans une expérience préalable, à la clarté d'un savoir questionnant sur la mission historique d'un peuple. La terre natale n'est pas ici un simple espace délim ité par des frontières extérieures, une région naturelle, une localité destinée à être le théâtre où se déroule tel ou tel événement. La terre en tant qu'elle est natale fh e im a tlic h f est préparée * pour les dieux. C'est cette préparation qui la transforme en patrie, mais elle peut aussi décliner en tant que telle et tomber au rang de simple domicile, phénomène qui va par conséquent de pair avec l'irru p tion de l'athéisme. La naissance d'une patrie ne résulte donc pas d'une simple installation, si la terre n'est pas simultanément préparée pour les dieux, si dans la succession des saisons et de leurs fêtes elle n'est pas tendue vers le règne des dieux. Cela arrive déjà pendant le « prélude * d'un âge plus rude, afin qu’ensuite la terre entre pleinement dans le jeu qui lui est propre, à savoir l'histoire et le temps historique. C'est là le grand jeu que jouent les dieux avec les peuples et un peuple; car les grands âges du temps du monde sont un jeu. nous dit un ancien philosophe grec. Héraclitc, celui qu'on nomme l'obscur et dont H oldcrlin a justement repensé à neuf les plus profondes pensées. C f. fragment 52 : aitîiv jncîç èrrn mtisüiv. jicaar.ûü)v itaiôôç q pOKJtXqiîV « Le temps du monde est un enfant qui joue, il joue à déplacer les pièces de son jeu, à un (tel) enfant est le pouvoir royal |sur Pitre). •• Telle est la terre dans le jeu des dieux.
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du * Dasein »
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h) Les tournants du temps des peuples ont le u r o rig ine dans Tabim e
En même temps que la terre devient patrie, elle s’ouvre à la puissance des dieux. Les deux choses sont identiques et en contiennent une troisième : que la terre clic-meme, dans l’orage du divin, est évcntréc jusqu’à ses bases et ses abîmes. On peut assurément les combler, et c’est ce qui advient avec le déclin de la patrie. La terre devient alors un simple emplacement à utiliser et à exploiter. Par contre, là où elle se révèle dans le désintéres sement du vrai Dasein. elle est sacrée terre sacrée. La terre sacrée, celle qui est M ère de to u te chose et q u i p o rte T abim e (v. 76)
l'abîme où disparaissent la solidité et la particularité de toute base et où pourtant tout se retrouve sans cesse pour l’aube d'un nouveau devenir. L ’homme qui - poétiquem ent habite sur celte terre -, lui et lui seul est aussi en attenante à l ’abîme que la terre porte en elle. Meme aux célestes, cet élément terrestre de la terre reste inaccessible : Ils ne peuvent pas. Les célestes, to u t O u i. avant eux. Les m o rte ls to u ih e n t à Tabim e. E t donc cela tourne A vec eux (M ném osyne. IV . 225, v 14
)
Sans cesse les grands tournants du temps des peuples resurgissent de l ’abîme, et chaque fois à proportion de la profondeur où un peuple plonge en lui c’est-à-dire plonge dans sa terre et possède une patrie. C ’est pourquoi on ne peut vivre les tournants du temps d ’un peuple - et à plus forte raison les concevoir - au niveau sans relief des platitudes du bavardage d ’actualité, des considé rations toujours biaises et de toutes les contingences où celles-ci s'enlisent, aveugles à l'origine et à la survenue du nécessaire. Ce dernier n’est pas supputable en calculant les causes et les effets mais n'est fondé que sur l ’abîme :
| I 06 |
La Germ anie ..e t puissam m ent l'a u b e p o in t D am ia b îm e sans lie n . Dans c e lu i q u i v o it to u t ( Les T ita n s. IV , 210. v.
72 sq
)
Qui ne connaît que le jour et même Tau jour le jour, il ne connaît ni ne sait rien, il ne connaît donc pas non plus la nuit, ...q u a n d to u t est M ê lé sans o rd re et que restent Une tout-ancienne confusion {U
Ito7]
R h in . fin. IV . 180)
Quand le poète parle de la terre et nomme les campagnes natales, la vallée et les fleuves, tout cela est très étranger à n'importe quel genre de description poétique de la nature - qu’elle soit d’une grâce rêveuse ou d’un sublime enivre, qu’elle sauvegarde fidèlement ou annonce des secrets. Ainsi le ton fondamental de l’oppression disponible dans son deuil sacré, d’où ne parle plus un « je * mais un • nous *, constitue la vraie sauvegarde des célestes enfuis; et de ce fait, justement parce qu’il est * terrestre *, il est en attente d’un nouveau ciel menaçant. Terrestre ne signifie pas créé par un Dieu créateur, cela signifie l’abîme incréé où tremble et est contenu tout ce qui se prépare à survenir.
cf M o b ilité o rig in e lle du ton fon da m en tal. L 'a v o ir été et le passé
Le seul fait que nous n’ayons ni la possibilité ni le droit de nommer le ton fondamental immédiatement d’un mot indique déjà que ce ton en soi - en tant qu’il donne et reçoit tonalité est sujet à des alternances et constitue de ce fait une mobilité originelle. C ’est ce que nous allons illustrer pour conclure notre interprétation des vers I à 38. Les dieux anciens sont, en tant qu’enfuis, précisément là dans le « ne plus avoir le droit d’ invoquer », non pas là en tant que présents, mais là, dans le Dasein renonçant, en tant que ceux qui ont été. c’est-à-dire ceux qui continuent d’ctrc l Wesenden). Absents, leur être réside justement dans l’absence propre à l ’avoir été
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du - Dasein *
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(Abwesend wesen sie gerade in der Abwesenheit des Gewesenen). Ce qui a été et sa façon d'avoir été sont quelque chose de fondamentalement différent de ce qui est passé et de sa façon d'être passé. Sans doute ne nommons-nous pas l ’un et l'autre dans la langue en nous gardant assez de l'équivoque, en partie pour cette simple raison que nous n’en éprouvons pas les différences dans l ’opinion courante sur le temps et les données du temps. Ce qui a été équivaut pour nous au passe et réciproquement. Autant la langue peut aller à l'essentiel dans son dire, autant il est frequent que l'usage courant et immédiat des mots soit contingent et arbitraire. Cela veut dire : l'usage courant n’est pas une « terminologie » officielle et scolaire, et c’est aller contre le sens de la langue que de vouloir régler terminologiquement tout l’usage courant. Si nous décidons pourtant de délim iter de façon précise, au niveau du vocabulaire. I’« avoir été » et l ’« être passé *. cela tient à la nécessité d'établir une différence d’être (Wesen) dans l’ctrc du temps. Mais que l’on nomme l ’un !'• avoir etc » et l'autre le - passé ». ou inversement, cela reste, à l'intérieur de certaines limites, à notre discrétion, et relève du sens de la langue. Même le poète nomme - passé » ce que nous choisissons de nommer l’« avoir été * :
E t m on am e ne d o it pas s 'e n fu ir en a rriè re V e n vous, à d ie u x passés !
(v. 12 s q )
Mais il entend ici le passage dans un sens particulier, comme nous l'établirons plus tard (cf. § 10 b fl). Ce qui est passé est irrémédiablement clos, sans espoir de retour : il est installe dans le passé qui, comme le dit la langue avec une grande justesse, est un espace temporel (Z e itra u m ) et, pour ainsi dire un espace de débarras où s'entasse tout ce qui s'est écoulé et en allé. Même si une chose passée pouvait encore revenir avec toutes scs particularités et circonstances, ce ne serait plus jamais la même chose, car cette position dans le temps, cet ancien maintenant d ’où la chose passagère est retombée dans le passé en l ’entraînant avec elle, tout cela s'est irrémédiablement en allé. Ce qui est passé traîne devant la porte du présent et ne peut jamais y revenir et y entrer. L ’avoir été. par contre, continue d’être, nous le sommes nous-mêmes en quelque façon dans la
(ion)
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La Germ anie
mesure où, le plaçant devant nous, le sauvegardant et le portant en avant, ou encore le repoussant et voulant l’oublier, nous le faisons pénétrer dans notre Da-sein. Les ombres de ceux qui furent nous visitent à nouveau, viennent à nous, sont à-venir. F.n sens inverse, dans l ’endurance de l’oppression, dans la pression de ceux qui nous pressent, nous ne faisons pas l'expérience d’un tout autre, mais du divin et de ce pour quoi, au prélude d'un âge plus rude, jadis la terre sc préparait déjà.
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d l M a tu ra tio n (Zeitigung) du temps o rig in e l comme événement jo n d a m e n ta l du ton fo n d a m e n ta l
Dans ce déploiement en avant, vers l’avenir, de ce qui a été, qui ouvre rétrospectivement en tant que tel ce qui se préparait déjà plus tôt, se déploient simultanément l’à-venir et la continua* tion d’etre (avenir et avoir été) : le temps originel. La maturation de ce temps est l’événement fondamental du ton sur lequel est fondée la poésie. Ce temps originel emporte notre Dasein dans l’avenir et l’avoir été, ou plutôt : il fait que notre cire est par nature emporté (e n trü ckt). à supposer qu’il soit authentique. Et. au contraire de l’emportement, il est toujours inauthentique lors qu'il n'est que repli ramassé sur un présent toujours changeant. J’ai exposé dans S ein und Z e it la constitution essentielle de cette temporalité originelle ainsi que certaines de ses possibilités essen tielles % A plusieurs reprises, le poète nomme ce temps - arrachant: ». car il est ce rapt qui, vibrant en soi, emporte avec violence vers l’avenir et rebondit vers l'avoir clé. Dans la ronde des heures de cette oscillation violente entre une affirmation toujours nouvelle de l'avoir été et l ’attente toujours nouvelle du fu tu r vient à maturité le temps d'un peuple, grâce auquel il pénètre dans l’ouverture de la vallée et des fleuves, ouverture à ce qui est dit de l ’avenir du haut des montagnes, ces cimes du temps où habitent les créateurs. Dans un tel temps, qui résonne dans le ton fonda mental, ou, pour dire plus vrai, qui sous la forme du ton fonda mental énoncé, résonne dans le Dasein du peuple, dans un tel1 2 1. Tübingcn. 1977, I4 l édition, Gesamtausgab*. tome 2. Francfort, 1977, § 65 sq 2. Fragment* sur le thème des - T ita n s-, IV , 217. V, 67. Remarques s u r -în tig im t V. 254. entre autres.
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du - Dasein
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temps, - il est enfin temps », il est enfin ce juste temps qui s’oppose au contretemps, toujours haï des dieux comme toute chose contrainte, pur produit du calcul. C a r i l h a it. Le d ie u m é d ita n t. La croissance à contretem ps.
(Fragment sur le thème des - Titans», fin. IV. 218)
Ce poème commence ainsi (IV . 215): M a is lo rsq u e les célestes ont B â ti, le calm e se répand S u r la te rre , e t dans la beauté de le u rs fo rm e s se dressent Les m ontagnes frappées. M arquées E lle s sont au fro n t
eI La décision en fa v e u r du tem ps authentique de la poésie comme décision d 'e n tre r dans le ton fo n d a m e n ta l
Mais ce temps authentique est difficile à identifier et le savoir qu'on en a est facilement détruit par le quotidien ressassé et l’éternel périmé. Ici l’accumulation des connaissances historiques ne sert à rien. De même, tout remplacement par d'autres sujets historiques sus et pensés jusqu’ici reste inutile si l'historicité du Dasein n’assure pas son pouvoir sur la simple banalité quotidienne. Car nous ne pouvons jamais avoir notre temps authentique, notre véritable histoire, tant que nous ne sommes pas historiques, et nous ne le sommes pas tant que nous restons incapables d'éprouver à fond la puissance de la temporalité, de façon à nous tenir au sein même de son rapt, ce qui signifie, en même temps, tant que nous demeurons attachés à une image de l’éternité qui n'est qu’un présent immobilisé et. en tant que tel, aisé à penser; tandis que l’éternité peut v ie illir et avoir été, la * v ie ille é te rn ité devient de p lu s en p lu s secrète - (Fragment 4, - Ô terre m ère! • IV, 239) ; A in s i est éphém ère to u t ce q u i est céleste IC o n c ilia te u r. to i q u i.... Appendice. IV . 341. v 5)
Être éphémère ne signifie pas ici s'anéantir mais cheminer, ne pas rester, ne pas demeurer perpétuellement étant, c'est-à-dire.
La G erm anie
si Ion sc règle sur ce qui est en question : être étant comme ayant etc, étant sous une pression à venir. Vu qu'il s'agit ici de tout autre chose que d'objets existants ou non existants dont la présence materielle peut être immédiatement constatée, une telle expérience de l’éternité et du temps possède un autre caractère qui doit paraître inadéquat au caractère quotidien de l’expérience du temps. Qu'un quelque chose ne soit en fait reconnu pour ce q u 'il est que lorsqu’il est déjà loin, dans le souvenir, c’est ce que dit la suite des vers cités ( op. c it.. v. 5 sq.) : A in s i est éphém ère to u t ce q u i est céleste M a is non s té rile . E t to u jo u rs in s tru it de la m esure, d 'u n e m ain précautionneuse Un dieu e ffle u re les dem eures des hom m es. R ien q u 'u n in s ta n t. E t ils ne le savent pas. longtem ps p o u rta n t Ils y repensent et dem andent q u i ce fu t M a is après que du tem ps a passé, ils le savent
( i i 2)
Le caractère éphémère de l'éternel n'est pas stérile; au contraire le passage est justement le propre de la présence des dieux, l ’évanescence d’un signe à peine perceptible qui, à l ’instant infinitésimal de son passage, peut o ffrir la somme de toutes les béatitudes et de toutes les épouvantes. Le dieu a ses propres mesures, il n'est là qu’un instant, effleurant à peine les demeures des hommes, et ceux-ci. en fait, ne savent pas ce qu’il en est, mais ils ne peuvent pas non plus le savoir, tant qu'ils restent prisonniers du genre de savoir avec lequel ils connaissent habi tuellement les choses et les circonstances et eux-mêmes. Mais le passage n'était pourtant pas rien non plus, et « longtem ps / lis y repensent et demandent q u i ce f u t ► (v. 9 sq ). Cette façon de longtemps repenser et de garder en mémoire est justement le mode selon lequel la proximité des dieux, pour ainsi dire, se déploie; non, certes, une pure remémoration nostalgique, mais un véritable questionnement. « M a is après que du temps a passé, ils le savent - (v. 11). Lorsque, questionnants, ils ont enduré la longueur du temps dans son avoir été, alors la vraie connaissance leur vient, alors l’avoir été. l’cncorc étant arrive sur eux. Le message pressenti ouvre la mission et celle-ci à son tour le fonde à nouveau. Nous disions plus haut (cf. § 6a) que dans le - j\o n , les bien heureux ... », au début du poème, il y avait une décision portant
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du - Dasein »
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sur le temps. Maintenant seulement nous comprenons exactement ce que cela veut dire, non pas un simple choix entre un ancien et un nouveau, entre l'aulrefois et l’aujourd’hui; mais ce qui préside à la décision, c’est ceci : allons-nous nous décider pour le temps authentique de la poésie, avec son avoir été, son avenir et son présent, ou allons-nous rester attachés à l’expérience quoti dienne du temps qui considère tout du seul point de vue « his torique-chronologique »? Si nous considérons le temporel seule ment comme nous le considérons d’ habitude, à savoir en le calculant, nous sommes sous la coupe de la contre-essence du temps. Cette contre-essence du temps, ce que précisément nous en connaissons généralement de façon plus ou moins lucide, n'est pas un rien, mais au contraire une puissance propre qui fait partie de l'essence du temps. La décision consiste à trancher si nous restons simplement prisonniers de la contre-essence du temps, sans meme la reconnaître en tant que telle, ou si nous faisons l ’expérience de l’essence du temps et si nous acceptons d’accorder sa place à la contre-essence dans le débat engagé avec elle. Car l ’essence du temps ne se laisse pas plus éprouver, voire posséder toute seule, que sa contre-essence ne se laisse renier. Mais se décider pour le temps authentique de la poésie signifie : entrer dans le ton fondamental de l’oppression disponible dans son deuil sacré. Comme cela ne peut pas s’accomplir sans condi tions, par la violence et l ’artifice, il importe que nous décidions si. dans notre situation de départ, nous éprouvons à fond que nous voulons participer et de quelle façon - à la création des conditions préalables à une telle expérience, ou si nous nous y opposons, ne serait-ce que par l'indifférence et le désarroi. La véritable décision pour ou contre l'entrée dans le ton fondamental de la poésie présuppose que nous soyons assez forts pour supporter une urgence d ’où émergent ensuite oppression et disponibilité. Certes, la privation, l’indigence et la pénurie ne sont pas rien, et pourtant, malgré leur adversité brutale, elles n’atteignent pas le point où elles feraient peser une menace globale sur le Dasein spirituel et historique. Seule une telle menace permet que se décide si nous voulons encore lancer une invocation, et si cette invocation, dès le départ, est si originelle que nous ne nous mouvions plus dans la sphère des expériences et des conceptions personnelles, pas plus que dans celui de groupes ou de confessions isolés, mais qu'au contraire nous soyons commandés par le Dasein
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La G erm anie
historique du peuple, par son urgence la plus intime et la plus vaste. Le dire du poète est instauratcur. Notre poésie instaure et fonde un lieu du Dasein où nous ne nous tenons pas encore mais où le dire poétique veut nous forcer à entrer, où nous pénétrons si nous comprenons de façon adéquate le dire instauratcur et fondateur, ce qui est en train de se dire; c'est-à-dire si nous voulons atteindre le fond qu'institue l'instauration fondatrice. Car manifestement, les vers 39 et suivants sont les premiers à amener au langage le contenu véritable du poème.
§ 10.
LE L I F . l s o u s
D l D .4S£IN I N S T A U R E D A N S L-1 UtRMAMh
l ’h o riz o n
de l a
pi n s c e
d ' i i h RAC l i n
a) Le d ire poétique du ton fo n d a m e n ta l dans le • se te n ir au sein • et l'endurance des contradictions essentielles
a) L'ajointcmcnt d’événements symbolisé par des images et l ’ap titude du ton fondamental à donner la tonalité
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Il est désormais envisageable, peut-être en revivant simplement par l’imagination le ton fondamental, de suivre l'événement qui se produit ensuite, l’arrivée de l’aigle et la parole qu'il adresse à la jeune hile, et de « comprendre • ainsi à partir du ton fonda mental le noyau central du poème. Pour la spéculation intellec tualiste, ce serait même la première chose à faire. Ce serait pourtant une nouvelle échappatoire devant la poésie. L ’aigle, son vol et sa missive, la jeune tille et son acceptation silencieuse du message sont deux images qui symbolisent tout un ajointement d’événements. Ces images exigent d’abord une inter prétation appropriée. Mais avant de nous lancer dans cette entre prise. il importe de préciser pourquoi on a eu recours ici à des images, et pourquoi en particulier à celles-ci. avec leur contenu plastique simple et directement familier. Cette seconde question n’est apparemment pas difficile à résoudre. Car plus la qualité plastique d'une image est immédiate et sans détours, plus sa puissance de symbolisation est impérieuse et persuasive. Lorsqu'il s’agit pleinement, comme ici dans le poème La G erm anie, d’un
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dire des ultimes positions fondamentales du Dasein et de scs relations à I être, lorsqu'il s’agit des rapports fondamentaux d’un peuple à ses dieux, il ne subsiste guère d’autre choix que de recourir à des images aussi plastiques que possible, car sinon le discours poétique risque fort de tomber dans l’abstraction à la manière d’une dissertation philosophique. La poésie s'égarerait forcément dans un commentaire abstrait de concepts. On pourrait donc considérer comme suffisamment éclaircie et résolue la pre mière question touchant aux raisons de représenter ici en images un ajointement d’événements. Ce que nous venons d’exposer est fam ilier à tous ceux qui ont le moindre soupçon de ce qu’est l ’essence du dire poétique. Le langage du poète est toujours un langage par images. Et pourtant cela ne suffit pas pour comprendre la poésie de Holdcrlin. Ce que nous venons de dire, aussi éclairant que cela puisse être, risque même de fourvoyer notre interprétation avant même que nous ayons réellement commencé. Il doit être évident que nous tentons maintenant d’appréhender le contenu ultérieur de la poésie, celui qui, de fait, introduit enfin l ’essentiel, et cela sans nous référer au ton fondamental, comme si ce dernier devait être entièrement dit et liquidé dans une première partie de la poésie (vers 1-38) pour céder ensuite la place à un autre thème, représenté par l’image de l'aigle et de la jeune hile. Pourtant, si le ton fondamental de la poésie est vraiment ce pour quoi nous l'avons reconnu, il faut nécessairement qu’il fixe au dire de toute la poésie sa tonalité et sa détermination. C ’est même justement dans les développements suivants de la poésie q u 'il doit déployer son aptitude à donner la tonalité. Voici enfin, semble-t-il, qu'entre en jeu l’ homme qui. dans l’oppression sacrée, doit endurer la pression de ceux qui, advenant, le pressent. Pourtant, par la suite, il n’est plus du tout question de cet « hom m e ». De plus la transition du vers 38 au vers 39 reste d’abord obscure. On peut se demander si ce qui est dit à partir du vers 39 doit être interprété comme ce que l’ homme voit alors. Dans cette optique, il faudrait qu'à la fin du vers 38. après « d'où m aintes m étam orphoses l ’émeuvent ». il y ait deux points, afin de signifier ; à p artir du vers 39, ces métamorphoses vont être présentées, ou du moins l’une d’elles entre beaucoup. Mais on peut aussi bien, et même à plus juste titre, voir là le début de quelque chose de tout autre : - M a is de l'é th e r tombe... » Car le « M a is « marque bien une opposition et introduit quelque chose
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La Germ anie
de nouveau. Certes, dans ia poésie de Holderlin le « mais » a bien des significations; et pourtant, d'ordinaire, il est lourd d ’un sens essentiel et grave. En fin de compte, nous rendons mieux justice à ce nouveau début (v. 39 j^ .) cl à ce • M a is « si nous comprenons ainsi le tout : dans l’attente, l’homme regarde et regarde encore. Mais entre-temps, il se passe autre chose, cette chose qui est dite dans l’image de l’aigle et de la jeune hile. Pendant que l’homme regarde encore en arrière, cela se passe pour ainsi dire dans son dos, alors qu’il persévère dans ce ton fondamental dont nous savons cependant qu’il anticipe aussi sur l’avenir - comme oppres sion disponible. Mais alors la façon dont l’événement raconté dans l’ajointcmcnt d’images en question s’accorde avec le ton fondamental devient totalement incompréhensible. Car on ne peut pas plus transformer la jeune hile, dans tout son Être et son attitude, en porteuse du ton fondamental, que voir dans l’arrivée de l ’aigle une arrivée des nouveaux dieux auxquels se rapporte l ’attente du ton fonda mental. L ’aigle n’est qu’un messager des dieux. Il importe de ne pas minimiser cette absence d’accord immé diatement perceptible entre le ton fondamental et le contenu visuel essentiel de la poésie. D’autre part, nous devons bien nous attendre à ce que le ton fondamental de la poésie conserve dans ce passage essentiel plus qu’en tout autre son pouvoir de donner la tonalité, sous peine de ne pas subsister poétiquement lui-même et de disparaitre. Où trouver ici une issue? Une voie (Weg) qui appréhende cette poésie dans le sens du poète? P) Ton fondamental et « recueillement * ». La sauvegarde voilée du ton fondamental grâce à l’ajointcmcnt d’ images de la poésie Il faut nous libérer de la conception courante et d’ailleurs souvent juste du rôle et de l’u tilité des images et du contenu plastique de la poésie. Selon cette conception, les images doivent expliciter, rendre courants, familiers et proches autant qu’il est possible les véritables rapports que le poète nomme poétiques et veut instaurer. Cependant, ici dans notre poésie et dans toutes celles du même type, un rôle exactement inverse est dévolu à la visualisation plastique. Étant donné qu’il ne s’agit pas ici de l'instauration poétique d'un sentiment arbitraire, mais d'un ton fondamental où le Dasein historique d’un peuple et sa décision doivent trouver leur lieu, ce ton fondamental doit être maintenu.
Tort fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du « Dasein »
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sauvegardé et préserve dans sa grandeur intangible. L ’image ne doit pas expliciter mais voiler, ne pas rendre fam ilier mais exceptionnel, ne pas rapprocher mais situer à distance, et cela d'autant plus que le ton fondamental est plus originel, qu’il porte plus loin cl ramasse en une seule unité le destin d'un peuple et son rapport aux dieux. Originel, le ton fondamental l ’est avant tout parce qu’il ne juxtapose pas artificiellement les oppositions les plus contrastées, le renoncement décidé et l’attente incondi tionnelle, mais au contraire les fait ja illir unitairement de l'essence la plus initiale de la temporalité. L'ajointement originellement unitaire des contradictions les plus tranchées, c'est ce que, surtout dans ses œuvres les plus tardives, H bldcrlin nomme d’un terme particulier : le - recueillement » (cf. § 19 h). Constamment, et dans les domaines les plus divers, nous rencontrons ce terme avec des nuances et dans des combi naisons diverses. C ’est l ’un des mots clefs de Holderlin. Son contenu ne se laisse naturellement pas enfermer dans une défi nition scolaire. Mais il faut d'abord prévenir un malentendu : « recueillement » ne signifie pas une simple « intériorité » de l'émo tion au sens où l’on • renfermerait en soi » ses expériences vécues. Il ne signifie pas non plus un degré particulièrement élevé de « cordialité chaleureuse ». Le recueillement n’est pas non plus un terme approprié à la - belle âme » et à sa façon de se situer dans le monde. Le mot n’a chez Holderlin aucun relent de sentimen talité rêveuse et inactive. Tout au contraire. Il signifie d'abord la force suprême du Dasein. En second lieu : cette force s’affirme en affrontant à fond les contradictions extrêmes de l’ Être. Bref : la façon accordée (gestim m t) et lucide de se maintenir im pertur bablement au plus intime des contradictions essentielles de ce qui possède au sein de l ’opposition une unité originelle, I’ - opposé harm onique » que nous connaissons déjà grâce à l ’essai sur les façons de procéder du poète (111, 300). Dans la lettre de bonne année à son frère, si souvent citée, Holderlin dit des Grçcs ( I I I . 366) - ...que chez les Anciens où chacun appartenait de tous ses sens et de toute son àme au monde q u i l'e n to u ra it, on trouve beaucoup p lu s de recueillem ent en certains caractères et dans certaines re la tio n s que chez nous au tres A lle m a n d s, p a r exem ple... ». L'ouverture à l'étant, l'engagement dans l'étant qui assume son déchirement n'exclut pas le recueillement mais donne au contraire justement la vraie possibilité d’accéder à sa puissance foncière-
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ment unifiante. Dans sa grande poésie sur le Dasein des Grecs, dans A rch ip e l. Hôlderlin appelle les Grecs * le peuple re c u e illi » (IV , 91, v. 8 6 s q .): C a r h o s tile au génie, le Perse aux nom breux fie /s C om pta longtem ps tes arm es et ses valets en fo u le . R a illa n t la te rre grecque et ses ile s infim es. S im ples jo u e ts p o u r le m a ître , et proche encore du rêv e L u i s e m b la it le peuple re c u e illi q u 'a rm a it l'e s p rit des d ie u x
O r le « recueillement » a une importance décisive dans l'essai de Hblderlin intitulé Fondement d'E m pédocle ( I I I , 316 5?.). où il ne traite pas seulement de sa propre poésie qui porte ce titre, mais de la poésie tragique en tant que telle, c’est-à-dire de l’être tragique. Il faut y joindre le court essai Le D evenir au travers du p é rir ( I I I . 309 sq ). Dans Fondement d'E m pédocle. nous lisons ( I I I , 317) : - C'est le recueillem ent le p lu s p ro fo n d q u i s'exp rim e dans le poème dram a tique tragique. • Hdlderlin distingue entre recueillement - modeste ». - auda cieux » et « excessif » (op. c it.f. Dans ce contexte, nous rencontrons un mot qui nous concerne et nous informe sur la conception poétique des sentiments « recueillis ». c’est-à-dire des tons fon damentaux ( I I I , 319.v0 |
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Lorsque Hegel commença ensuite à enseigner la philosophie à léna en 1801 comme P rivaidozent, il était devenu totalement diHcrcnt de ce q u 'il était avant la période de Francfort, et cela grâce à son débat avec la philosophie grecque dans la proximité du poète. En 1801. Hegel s'engage sur sa propre voie, la voie malaisée du grand travail de la pensée. Cette même année est déjà pour Hôlderlin l'année de sa plus haute création. La voie de Hegel mène apres quelques détours à une grande carrière et une forte inllucncc publique. En 1801, Hôlderlin écrit une phrase (cf. § I0 M a is ils sont, d is -tu . p a re ils aux prêtres sacrés du die u du vin. C hem inant de pays en pays, au cœ ur de la n u it sacrée
Ici le deuil sacré confine au complet désespoir et à la déses pérance. Mais sur ces confins s'opère le plus complet retourne ment, surgit le courage de tenir bon sous les orages des dieux et d’attendre la foudre, c'est-à-dire, poétisant et pré-disant. d 'im planter ce pouvoir d'attente dans le Dasein du peuple. L ’interprétation que nous avons donnée du ton fondamental du deuil aurait dû normalement exclure le malentendu selon lequel il s'agirait d'une plongée passive dans une mélancolie universelle et impuissante En tant que disponibilité en attente, le deuil n’en est pas seulement fort éloigné, mais il faut remarquer que dans l'essence du ton fondamental, pris dans son intim ité, le ton opposé se trouve egalement inclus. H oldcrlin s’en est expliqué dans une épigramme intitulée Sophocle (IV , 3) :
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du - Dasein
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Beaucoup tentèrent en vain de d ire joyeusem ent ta p lu s grande jo ie . E t v o ic i q u 'e lle me p a rle e n fin ic i dans le d e u il
Mais le ton de la joie opposé au deuil n'est pas pour autant ici son revers toujours présent, mais au contraire cette joie amenée à la parole dans le deuil, et plus précisément : cette façon de donner le ton (stim m en) dans le balancement du conflit est le caractère propre au ton fondamental. Celui-ci commande de fond en comble tous les tons essentiels et détermine en outre à chaque fois leur rang à sa façon.
g) E ntrée dans le cycle des poésies fluviales. T ra n sitio n de La Germanie au Rhin
Si nous nous efforçons ici et maintenant d’enseigner la juste écoute de ce dire de ce poète, cela advient seulement parce que l’expérience fondamentale de l’urgence de la pensée des temps modernes, de son angoisse mal saisie devant le question nement réel de ce qui mérite proprement question, parce que cette urgence nous rend parfaitement lucides sur l ’urgence de ce poète, parce qu'une urgence inclut l’autre II est donc superflu d’assurer verbeusement qu’aucune disposition particulière de notre goût esthétique, ni une préférence superficielle pour le poète et son oeuvre, ni la nécessité assurément réelle de les assimiler ne nous ont déterminés à traiter justement de cette poésie dans le contexte d'une tâche fondam entale et am bitieuse de la philosophie. La méditation qui s’achève a pour fin de rendre compréhen sible la transition du poème La Germ anie au poème Le R hin. à p a rtir du sens de la tâche que nous nous sommes fixée. Si cette transition doit afferm ir et préciser cette tâche et elle le veut -, le choix du poème Le R hin ne peut avoir comme sens que d'accentuer le déploiement déjà commencé du ton fondamental et de l’enrichir, c’est-à-dire de rendre plus facile à saisir l’ F.tre qui s’ouvre en lui. Le poème Le R hin fait partie des poésies fluviales. Nous avons déjà donné plus haut (cf. § 8 f ) des indications portant sur le sens et la signification des fleuves et du dire qui s’y rapporte. « Les eaux nostalgiques / De la patrie » assument lors de l ’ouverture I Hatmos. I-version. IV . 190. v 2J sq
1m Germ anie
fondatrice du monde du Dasein historique un rôle essentiel. Cf. L 'Is te r (IV , 221 sq.. v. 49 sq.) :
1150)
115iI
Ce n 'e u p a t en vain que vont Ix s fleuves dans l'a rid e M a is com m ent? Ils doivent en effe t Ê tre au langage. I l fa u t un signe. R ien d 'a u tre , to u t d ire c t, p o u r que s o le il E t lun e i l p o rte en son coeur, in d iv is ib le s . E t poursu ive sa route, jo u r et n u it, et que Les célestes sentent le u r c h a le u r l'u n co n tre l'a u tre C 'est p o u rq u o i ils sont aussi La Joie du p lu s haut. C a r sans cela com m ent D e sce n d ra it-il?
Les poésies fluviales ne sont ni des descriptions de la nature, ni de purs symboles qui représenteraient, par exemple, le Dasein humain. Certes, en apparence, ces deux possibilités y ont leur part. Cependant, leur sens et leur raison sont autres, du simple fait que le dire instaurateur du poète contraint l'étant en son entier à entrer dans un nouveau projet : la nature, l’histoire et les dieux. Dans ce combat poétique pour une mise en forme de tout l'Ê tre qui par avance saisit et donne son empreinte, nous nous tromperons nécessairement tant que pour nous approprier la poésie nous nous laisserons guider par les représentations courantes du monde ou par celles que nous tirons des systèmes philosophiques, tel celui de l'idéalisme allemand. Il ne peut être ici question d'une confusion des domaines nature, histoire, dieux, dans un panthéisme diffus, ni d'une juxtaposition et superposition de la nature, de l'histoire et des dieux comme domaines et aires strictement délimités. Ce n'est ni une mise au goût du jo u r de l'antique image du monde, ni une combinaison de celle-ci avec un vague christianisme éclairé. Nous devons savoir ici : le poète fait l'expérience poétique d'un déclin créateur de la précédente vérité de l’ Etre, c’est-à-dire qu’au sein de la dissolution, il est fasciné et emporté par l'élément juvénile et les puissances nouvelles. Mais tout cela poétiquement. N'allons donc pas imaginer que cet Etre qui reçoit sa frappe dans le dire du poète puisse être drapé à la hâte dans les oripeaux d ’une langue • philosophique » afin de transformer par ce biais le dire poétique en un savoir de la pensée et à partir de là en une connaissance utilisable et profitable des choses. Si c'est là une tâche qui attend la philosophie, elle ne peut être déterminée qu'à partir de scs nécessités les plus propres.
Ton fo n d a m e n ta l de la poésie et h is to ric ité du « Dasein •
143
c’est-à-dire dans la mission grecquc-allemande à partir de laquelle la pensée, issue de son origine propre, engage le dialogue originel avec la poésie et son urgence. Notre interprétation est ici au seul service du poète; elle laisse sciemment dans le non-dit ce qui relève du pensé avec ses nécessités, c'est-à-dire son urgence.
Le R hin
LE R H IN
1
I En som bre lie rre assis, à la p o rte f)e la fo rê t, ju s te là où le m id i to u t doré. V is ita n t la source , s'en v in t descendant Les m arches du M a s s if des A lpes. Q u i p o u r m oi le divin e m e n t b â ti. Le re m p a rt des Célestes se nom m e S u iv a n t l'an cienne idée. où, de p lu s . En secret, encore, m a in te chose, décidém ent A des hom m es p a rv ie n t, a in s i »o J 'a i a p p ris sans L a v o ir présum é U n d e stin , c a r à f>eine encore S 'é ta it, dans l'o m b re chaude. Se p a rla n t a elle-m êm e de m aintes choses, m tm âme D ro it s u r l'I t a lie tiré e E t lo in là-b a s. a u x eûtes de M oree
H
20
À présent p o u rta n t . au sein du M a s s if P rofondém ent sous les cim es d 'a rg e n t. E t sous l'h e u re u se verdure Où les fo rê ts , en tre m b la n t, vers lu i. E t les têtes des rocs les unes par-dessus le i autres R egardent en bas. to u t le jo u r , là D ans l'a h im e le p lu s fr o id j'e n te n d is G énur après sa délivra n ce Le Jeune, ils l'e n te n d a ie n t, com m e i l ra g e a it E t a ccu sa it la T erre M ère E t le Tonnant q u i l'a v a it engendré. P ris de p itié , les p arents, cependant Les m o rte ls s 'e n fu y a ie n t du lie u
I. IV. 172^
{155
148
Le R hin C ar te rrib le fia it , vu que sans lu m iè re II
)o Se ro u la it dans ses lie n s. La fu r ie du dem i-dieu.
IM |I56|
C 'é ta it la vo ix du p lu s noble des fleuves. D u R hin, le librem ent-né. E t a u tre chose i l espérait quand là -h a u t, des frè re s . Du le s s in et du Rhône I l se sépara et v o u lu t p a r tir à l'a v e n tu re , et im p a tie m m e n t le Poussa vers l'A s ie son âm e royale. Cependant i l est déraisonnable De s o u h a ite r fa c e au d e stin 40 Les p lu s aveugles p o u rta n t S ont fils des die u x. C a r i l connaît, l'h o m m e . Sa m aison, et p o u r la bête i l y eut Place où b â tir , cependant à ce u x -là est I s m anque, q u 'ils ne sachent où a lle r . Donné dans l'â m e Inexperte.
iv Énigm e est bien ce q u i p u r a s u rg i M êm e 1 * C hant, ù peine lu i e s t-il lie u e de le d é v o ile r C ar A in s i que lu as com m encé tu vas dem eurer Q u e lle que s o tt l'œ u vre de l'urgence 50 E t de l'élevage, du p lu s en effe t E st capable la naissam e. E t le ra i de lu m iè re q u i R encontre le nouveau-né Où p i> urtanl y en a - t- il un P our rester lib re Sa vie entière, et le so u h a it du cœ ur U niquem ent re m p lir, a in s i. D epuis des hauteu rs propices, com m e le R hin. E t a in s i, d 'u n g iro n sacré 60 H eureusem ent né. com m e lu i *
v
|I57|
C 'est p o u rq u o i sa p a ro le est ju b ila tu m I l n 'a im e pas. com m e d 'a u tre s e n fa n ts. P le u re r e m m a illo tté dans ses liens ; C a r là où les rives la prem ière fo is L u i glisse n t au côté, les tortueuses. E t I étreignent dans le u r s o if. L 'In co n sid é ré , de l'a ttir e r E t certes aussi de le g a rd e r sont avides De le u r p ro p re croc, en ria n t 70 I I déchire ces serpents et plonge Avec la p ro ie , et si dates la hâte Un p lu s gra n d ne le re frè n e . Le laisse c ro ître , comme l'é c la ir, i l d o it Fendre la F erre . et com m e ensorcelées s'e n fu ie n t Les fo rê ts à sa s u ite et s'effo ndrent en elles-m êm es les m ontagnes
Le R hin
149
VI
U n D ie u veut p o u rta n t épargner à ses f ils L a vie en hâte et i l s o u rit Q uand sans retenue, m ais ra le n ti P a r les saintes A lp e s, vers lu i. ho Dans la p ro fo n d e u r . com m e c e lu i-là , grondent les fleuves. E n une te lle fo u rn a is e est a lo rs F orgé aussi to u t ce q u i est sans m élange. E t c'est beau, com m e là-dessus. A près q u 'il a délaissé les m ontagnes. Voyageant tra n q u ille , dans le pays a lle m a n d I l se contente et apaise le d é sir D ans la bonne occupatio n quand i l b â tit le pays Le R h in , le Père, et n o u rrit de chers enfants D ans des v ille s q u 'il a fondées
vu «o C ependant ja m a is , ja m a is i l n ’en p e rd m ém oire C a r p lu tô t d o it l'h a b ita tio n d é p é rir E t l'a ssise , et to u rn e r à l'im m o n d e Le jo u r des hom m es . p lu tô t q u 'à un te l s o it lic ite D 'o u b lie r V orig in e E t la vo ix p u re de la jeunesse Q u i est-ce donc q u i le p re m ie r A co rro m p u les lie n s de l'a m o u r E t en a f a it des lace ts? A lo rs ils o n t. du p ro p re d ro it ioo E t assurém ent du fe u céleste Osé rire les a rro g a n ts, a lo rs seulem ent. M é p ris a n t tes pistes m o rte lle s . F a it le ch o ix de l'o u tra n c e E t recherché à devenir les égaux des dieux.
vin
Ils en ont p o u rta n t, de le u r p ro p re Im m i/rta lité . les d ie u x , assez, e t ils ont besoin Les C élestes d 'u ne chose. Une seule : ce sont les héros et les hom m es E t les m o rte ls p a r a ille u rs E n e ffet, com m e MO Les B ienheu reux ne ressentent rie n d'eux-m ém es. I l est bien nécessaire, s 'il est p e rm is de d ire Une te lle chose, q u 'a u nom des d ie u x . P renant p a r t. ressente un a u tre . C e lu i-là . i l le le u r fa u t ; to u te fo is le u r ju s tic e E st que sa p ro p re m aison I l renverse, lu t. et ce q u 'il a de p lu s cher Com m e ennem i i l l'in ju r ie et s'ensevelisse Père et enfa n t sous les décom bres. S i un hom m e veuf ê tre com m e eux et ne pas 120 S o u ffrir l'in é g a l. l'E x a lté . IX
C V ff p o u rq u o i
heureux celui q u i tro u va
U n d e s tin bien d é p a rti
f l 58
Le R hin
[»*>l
O ù encore des voyages E t. douce. des peines ta rem ém oration M u rm u re et nu m ie au sû r m age, Que là . et au lo in , volontiers I l puisse v o ir ju s q u a u x fro n tiè re s Q u ’à la naissant e lu i a Desstnéet D ieu p o u r son séjour no A lo rs i l est en repos, heureusem ent m esuré C a r to u t ce q u ’i l v o u la it. Ce q u i est céleste. de soi-m êm e ie m h ra \s e , N on c o n tra in t, en s o u ria n t. À p rê te n t q u ’i l est en repos, le tém éraire X
D e m i-d ie u x je pense à présent. E t connaître je dots les chers. Parce que souvent le u r vie ta n t M e rem ue la p o itrin e haletante. À q u i p o u rta n t com m e. Rousseau, à to i MO Insurpassahle Pâme. I m fo r t endurante, é ta it. E t sens assuré E t suave don d écouler. De p a rle r en sorte que, p a r p lé n itu d e sacrée. Com m e le dieu du vin. fo lle m e n t, divinem ent. E t sans s ta tu t, e lle . la langue des p lu s p u rs , i l la donne A com prendre a u x boas, m ais à ju s te titr e Les irré vé re n cie u x fra p p e d'aveuglem ent. Les valets p ro fa n a te u rs . com m ent nom m e ra i-je cet étranger y
xi 150 Les fils de la T erre sont, com m e le u r M ère, T o u t-a im a n ts, a in s i re ç o iv e n t-ils aussi Sans peine, les heureux, to u t O est p o u rq u o i cela surp re n d aussi E t f a it su rsa u te r Phom m e m o rte l. Q uand, le c ie l, q u ' Avec les bras aim ants I l s’est amasssé s u r les épaules. E t la charge de jo ie i l considère; A lo rs lu i p a ra it souvent le m e ille u r 160 D 'ê tre presque to u t o u b lié là O u le rayon ne b rû le pas. Dans Pom bre de la fo rê t A u la c de Bienne. en fra îc h e verdure. E t insoucieusem ent pauvre en tons. P a re il a u x débutants, d'a pprendre auprès des rossignols.
XII
n**«i
E t c'est m agnifique , d 'u n so m m e il sacré alors De se re le ve r et du fr a is de la fo rê t Se ré v e illa n t, c'est m aintenan t le s o ir. D 'a lle r à la rencontre de ta lu m iè re p lu s douce.
l * R hin
151
i^o Q uand c e lu i q u i a b â ti les num tagnes E t dessiné la p is te des fle u ve s. A près que. s o u ria n t aussi. La vie a ffa iré e des hom m es, La p a uvre en haletne. com m e une voile . Avec ses souffles i l a d irig é e . L u t aussi est en repos, et vers t'Ê c o tiè re à présent. Le c o n fig u ra te u r, du bien tro u v a n t P lu s que du m a l. Vers la Terre d a u jo u rd 'h u i, le jo u r s 'in c lin e X III
iwi A lo rs ils fê te n t les ncxes. hom m es et d ie u x . Us fê te n t, les v iv a n ts . tous. E l com pensé E s t. un tem ps, le de stin E l les fu g itifs dem andent Tauberge. E t d o u x som m eil les braves. Les am ants, eux. S ont ce q u 'ils é ta ie n t ; ils sont À la m aison, où la fle u r se ré jo u it D 'u n fe u non n tx if. et les som bres a rb re s. 90 Les entoure l'e s p rit de son m u rm u re , m ais les irréconcU iés S ont to u t changés et courent Se tendre les m ains A vant que la lu m iè re a m ica le N e descende et que ne vienne la n u it. X IV
C ependant, devant certains C ela s 'e n fu it vite , d 'a u tre s Le g a rd e n t p lu s longtem ps Ijts d ie u x éternels sont P leins de vie to u t le te m p s; ju s q u 'à la m ort 200 U n hom m e, p o u rta n t, p e u t aussi E n m ém otre m a lg ré to u t g a rd e r ce q u 'il y a de m e ille u r. E t a lo rs i l connaît ce q u 'il y a de p lu s h a u t S eulem ent, chacun a sa mesure. C a r lo u rd est à p o rte r Le m a lh e u r, m ais le bonheur est p lu s lo u rd U n sage p o u rta n t a su D u m id i ju s q u 'à la m in u it E l ju s q u 'à ce que le jo u r re s p le n d it. A u banquet re s te r lu c id e XV
210
À to i, puisse s u r la p is te b rû la n te sous les sapins ou Dans le som bre de la Jo rè t de chênes enveloppé D a cie r, m on Sinc la ir I D ieu a p p a ra ître ou Dans les nuées, tu le connais, ca r tu connais, ju v é n ile , La fo rc e du bien et ja m a is ne t'e s t D érobé le s o u rire d u souverain, Le jo u r, quand
|I6 I
152
220
Le R hin F ié vre u x et a tta ch é i l R ayonne . ce q u i est vivace . ou bien aussi La n u it, quand to u t est M ê lé sans o rd re et que revient Une to u t ancienne confusion.
REMARQUÉ
PRÉLIM INAIRE
POUR FAIRE T R A N S I T I O N
La question en quête de « ce q u 'il y a de p lu s in té rie u r à une poésie, comme question portant sur l ’ouverture et l ’instau ra tio n de l ’Être, dans te règne chaque fo is renouvelé du ton poétique fondam ental
Le poème a vu le jour la même année que La Germ anie, en 1801; il fait partie du cycle de poésie qui a trouvé dans La G erm anie sa figure canonique. Et pourtant, il faut chercher à entendre le poème entièrement à partir de lui-même. C'est ce à quoi nous contraint déjà la singulière complexité, pour ne pas dire complication, de son contenu. Cette première impression, toutefois, d'insaisissable manque de ligne architecturale unitaire n'est qu'une apparence. Extérieurement, le poème se compose de quinze strophes. Pour l'interpréter en entier, une articulation en cinq parties peut nous être de secours: 1. la strophe I; 2. les strophes II à IX ; 3. les strophes X à X I I I ; 4.1a strophe X IV ; 5.1a strophe XV. Cette distribution extérieure du poème ne deviendra intelligible qu'à partir de la poésie et ne finit par se justifier que grâce à l’inter prétation. Q uittant l’« extériorité » de l ’articulation des strophes, nous nous mettons en quête de l’« intériorité ■> de la poésie, en quclc du ton fondamental, et cela veut dire en quête de l’ Être qui, en lui, s'ouvre et est poétiquement instauré. Bien que nous puissions avec de bonnes raisons présumer que le ton fondamental va être le même, il n'est pas permis de simplement le supposer tel et de le poser ainsi à la base; d’autant que mémeié du ton fondamental ne signifie absolument pas simple répétition, mais tout au contraire, à chaque fois, nouveau déploiement. C ’est pourquoi, dans le poème Le R hin, rien ne va être immédiatement éprouvable de ce que nous nommons l'oppression qui se garde disponible dans son deuil sacré.
1162
I (163)
Les dem i-dieux comme m ilie u m édiatisant entre les dieux et les hommes. L* ton fo n d a m e n ta l du poème. L ’E tre des dem i-dieux et la vocation du poète
§12.
I.A P E N S É E DES D E M I - D I E U X
D A N S LE PR O JE T I N S T A l R A T F U R
D l
POÈTE
L ’axe sur lequel la poésie entière est pour ainsi dire en giration, il nous faut le chercher au début de la strophe X. dans les quatre premiers vers. C ’est pourquoi aussi la première grande coupure se trouve (suivant notre articulation) à la fin de la strophe IX . Voici les quatre vers (v. 135$q.) : D e m i-dieux je pense à présent E t connaître je dois les chers. Parce que souvent le u r vie ta n t M e rem ue la p o itrin e h a le ta n te
« Demi-dieux - - il n’est pas rare de rencontrer dans le contexte que forme la poésie ultime de Hdlderlin cette nomination des demi-dieux. ...à peine s a it- il d ire , un d e m i-d ie u . D onnant le u r nom. q u i ils (ceux du ciel] sont, ceux q u i avec les présents l'a p p ro c h e n t
t P a in e t V in. IV. 122. v. 15 sq .)
Les d e m i-d ie u x comme m ilie u m édiatisant...
155
Les demi-dieux ne sont pas tout à fait des dieux; ils ne sont pas non plus seulement des êtres humains ordinaires. C a r ja m a is i l ne règne [le Pcrc) seul E t ne s a it pas to u t T o u jo u rs se tie n t quelque U n entre tes hom m es et lu i. E t p a r degrés in c lin e Le céleste vers le bas.
t L 'U n iq u e . 1" version, IV, 188. v. 65 sq )
Demi-dieux - ce sont donc des êtres intermédiaires. C'est eux que pense à présent le poète. Que veut dire ici penser? Cela ne signifie pas : penser à eux. garder en mémoire leur simple souvenir. Cela signifie bien moins encore : quelque chose comme des demidieux, - se » le figurer, les inventer arbitrairement. Bien plutôt : le poète les pense comme ceux qu’ils sont - et il ne pense que cela, il pense leur essence. Cette pensée de l’essence est un projet créateur, dans la mesure où l'essence de l’étant ne se trouve pas au bord des chemins et ne peut pas être ramassée en passant comme on peut le faire avec un quelconque étant. Un tel projet qui esquisse l’essence a ses propres attaches et ses propres raisons; il ne ja illit pas de quelque fantaisie débridée ou d'un caprice sans raison. En outre, cette pensée demeure la pensée du poète. Le projet n’a rien de conceptuel, saisissant l ’Être comme tel, c’està-dire le prenant en un concept. Il est au contraire instauratcur - dans le dire poétique. Mais même si (comme il le faut) nous ne comprenons pas ici la pensée en un sens philosophique, la pensée n’est pas pour autant une tonalité affective (etne S tim m u n g I; et nous sommes pourtant en quête du ton fondamental (G rundstim m ung). Ainsi, la référence aux vers que nous avons cités ne parait pas fournir ce que nous cherchons. Nous en tirons du moins la tenue fon damentale fG run d h a h u n g }. mais non le ton fondamental. Les deux, en fin de compte, ne peuvent être dissociés. II s'agira donc de comprendre de manière plus aigue ce que c’est que • penser les demi-dieux ». Voici nos questions : 1. Q u’est-cc qui se trouve là proprement pensé et dans quelle sphère de l ’ Être cette pensée se meut-elle? 2. Par quoi cette pensée est-elle nécessitée et mise en train; dans quelle situation a-t-elle lieu?
Le R hin
3. Dans quelle perspective, en tant que quoi les demi-dieux sont-ils pensés? Quel Etre se voit là instauré? 4. Quel ton fondamental règne dans cette pensée qui pense les demi-dieux?
|I6 5 |
|i.ôyoç (par référence auquel nous avons la - logique • comme * doctrine de la pensée ») désigne avec le développement croissant du mode de pensée quotidien et de sa conscience quelque chose comme ce - compte ». De cette pensée, la pensée poétique aussi bien que la pensée philosophique diffèrent fondamentalement. La pensée poé tique de l'essence, et en particulier celle des demi-dieux, n’est donc pas un décompte qui obtiendrait cette essence à la suite d'une computation de l’essence des dieux relativement à celle des
Les d e m i-d ie u x comme m ilie u m édiatisant...
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hommes, en vue d'obtenir une essence intermédiaire. Mais alors quelle est-elle? Des demi-dieux - non pas eux-mêmes des dieux, mais des êtres en direction des dieux, et à la vérité en une direction qui débouche au-delà et au-dessus des hommes; des surhom m es, demeurant pourtant en dessous de la grandeur des dieux : des sous-dieux. - Sur » et - sous ». nous ne les comprenons plus comme des chiffres indéterminés servant à mesurer l'étendue d’un écart, mais comme des directions qui forment un seul ensemble et sont une seule direction, à savoir une direction de questionnement. De quel questionnement? Lorsque nous sommes effectivement en quête de l'essence de l'homme, nous questionnons par-delà et au-dessus de lui, car toute vraie question questionne au-delà de ce auprès de quoi elle questionne. Si nous posons la question de l’essence de l'homme, nous pensons toujours en quelque façon le surhomme. Si nous posons effectivement la question de l'essence des dieux, notre question va rebondir sur le secret de leur essence et, de là, retombe. Questionnant l ’essence des dieux, nous pensons toujours en quelque sorte des sous-dieux. Les surhommes et les sous-dieux, voilà en fait la même chose en question, le même de la double question en quête de l’homme et des dieux. Ce même, ce sont les demi-dieux. Qui les pense se meut dans la question en quête de l’essence de l'homme, et du même coup dans la question en quête de l'essence des dieux. Qui pose effectivement ces questions qui vont ensemble, celui-là questionne ainsi parce qu'il ne connaît ni l'essence de l’homme ni l'essence des dieux; et en vue de le savoir, il questionne l'essence des demi-dieux. C'est pourquoi cette question ne vient pas après coup; elle n’est pas à l ’ordre du jour une fois que l’essence des dieux et des hommes est pensée et sue, qu’elle est arretée et établie; elle ne peut viser à rem plir une lacune. Au contraire : penser les demidieux, c’est le questionnement décisif, la percée entrouvrante dans la direction au-delà et au-dessus de l'homme direction qui ne demeure que direction vers les dieux c l ne les atteint eux-mêmes jamais immédiatement. Penser les demi-dieux et leur essence, c'est cela qui tout d ’abord ouvre la brèche d’un accès à la sphère de questionnement au sein de laquelle peut seulement être posée une question suffisamment développée et qui porte sur l’essence de l'homme et des dieux. Poser la question des demi-dieux, c’est poser la question décisive au sens le plus rigoureux du mot, celle où se décide la différen-
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Le R hin
dation entre hommes et dieux, où cette différenciation devient enfin question, et où la pensée prend enfin pied dans la différence comme telle (différenciation = ce qui instaure frontière). Penser les demi-dieux, une telle pensée ne se meut justement pas dans un domaine intermédiaire à l'exclusion des autres domaines (hommes et dieux); tout au contraire ; cette pensée instaure le domaine de l’ Être en général et y fait sa percée. Ainsi notre première question a-t-elle trouvé sa réponse.
h) Que le poète soit co n tra in t Je penser tes Jen u-d ieux à la fro n tiè re du pays n a ta l est un réajotniem ent dans le Dascin histo riqu e
Seconde question : par quoi cette pensée du poète est-elle nécessitée et mise en route - en quelle situation a-t-elle lieu? Le poète dit au début de la strophe X : D em i-dieu x je pense à présent. Quand, à présent? Le début du poème, la première strophe donne la réponse :
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En som bre lie rre assis, à la p o rte De la fo rê t, ju s te là où le m id i to u t doré. V is ita n t la source, s'en v in t descendant Les m arches du M a s s if des A lp e s. Q u i p o u r m oi le divinem ent b â ti. Le re m p a rt des Célestes se nom m e S u iva n t l'an cienne idée. où. de p lu s . En secret, encore, m a in te chose, décidém ent À des hom m es p a rv ie n t ; a in s i J 'a i a p p ris sans 1 'a u n r présum é Un destin, c a r à peine encore S 'é ta it, dans l'o m b re chaude. Se p a rla n t à elle-m êm e de m aintes choses, m on àme D ro it s u r l ’Ita lie tiré e E t lo in là-b a s. a u x côtes de M orée
Il se trouve qu'ici, c'est plutôt le lieu qui est indiqué, le lieu à partir d’où le poète regarde ce qu’il pense - et non le temps. Pourtant, aucun des deux ne peut être séparé de l ’autre; la situation dans laquelle est éprouvée la contrainte de penser les demi-dieux est déterminée par les deux. Assurément, le lieu est d'abord plus saisissablc. Il peut meme être fixé géographiquement en toute exactitude. Le poète regarde le massif des Alpes alors que l’or du midi descend sur lui. Il le voit au sud, regardant du
Les d e m i-d ie u x comme m ilie u m é d ia tisa n t...
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nord, depuis les bords du lac de son pays natal, la * mer Souabc *, comme est également nomme le lac de Constance. Ild ld e rlin a peint le paysage de ce lac cl les Prcalpcs dans le poème Rentrée (H e im k u n ft) dédié à ses parents (IV , 107 s q ) . Ce poème, datant de la meme époque que Le R h in . décrit le voyage qui ramena Hdlderlin chez lui, venant de son avant-dernier poste de précep teur, à Hauptwyl, près de Saint-Gall. Portons attention avant tout aux strophes 3 et 4 de ce poème, dans lesquelles est décrite la traversée qui le mena de la rive suisse à Lindau (IV , 108 sq.) : 3 Je lu i a i d it beaucoup, c a r q u e l que s o it ce que les poètes songent Ou chanten t, cela va u t la p lu p a rt du tem ps p o u r les anges et p o u r lu i ; J 'a i dem andé beaucoup . p o u r l'a m o u r de la p a trie , a fin que mm Im p rié nous fra p p e un jo u r soudain l'e s p r it: Beaucoup p o u r vous a u ssi. q u i avez dans la p a trie votre occupation. À q u i le rem erciem ent sacré en s o u ria n t ram ène les fu g itifs » C o m p a trio te s I P o u r vous. entre-tem ps me b e rça it le la c „ E t le ra m e u r é ta it assis tra n q u ille et lo u a it le voyage. L o in dans le p la tn du la c c 'é ta it une seule ho u le joyeuse S ous les voiles et à présent fle u rit et s 'é c la ire la v ille Là-bas dans le m a tin , assurém ent depuis les A lpes om breuses V ient accom pagné, et m a in te n a n t repose dans le p o rt le bateau La riv e est chaude ic i et a m icalem ent des vallées ouvertes. B ien éclairées de sentiers, verdoient et resplendissent à m a rencontre Des ja rd in s sont là . assem blés, et l'é c la ta n t bourgeon commence déjà E t le chant de l'o is e a u in v ite le voyageur T out p a ra it fa m ilie r , en passant le s a lu t aussi P a ra it d 'a m is , i l p a ra it . chaque visage, apparenté 4
C ertes o u i! C e s t le pays n a ta l, le s o l de la p a trie . Ce que tu cherches est proche, te rencontre déjà E t non en vain se tie n t, com m e un f ils . au porche E n to u ré de vagues, et v o it et cherche des noms aim a n ts p o u r to i . A vec hym ne un hom m e voyageant, bienheureuse I.w d a u f l/u n e des portes h o s p ita liè re s du p a ys . c'est bien cela. A ttira n t à p a r tir au-dehors p le in de prom esses. Là-bas où sont les m e rve ille s, là-bas tn t le fa u v e d iv in De h a u t dans les p la in e s descend, le R h in , fra y e sa voie audacieuse E t hors des rochers trace la vallé e ju b ila n te . Là-bas. e n tra n t, à tra ve rs le c la ir m assif, m archer vers Corne. O u bien a v a l com m e le jo u r chem ine, p a r le la c o u v e rt: M a is p lu s a ttira n te tu m 'es, p o rte consacrée t A re n tre r chez m o t où me sont connus des chem ins en jle u r . À v is ite r là-bas le pays et les belles vallées du N eckar. E t les fo rê ts , le vert d arbres sacrés, où volontiers Le chêne s 'a llie à de calm es bo u le a u x et hêtres. E t dans les m onts un lie u am icalem ent p ris o n n ie r me tie n t
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Le poète nomme deux fois ce lieu : « L'une des portes hospi taliè res du pays » (v. 60), « M a is p lu s a ttira n te tu m ’es, porte consacrée! • (v. 67). Cette insistance à user du mot « porte • fait signe vers le fait que, dans notre poème Le R hin, la locution - porte/D e la fo rê t - (v. 1 sq.) ne désigne pas une quelconque sortie ou entrée de forêt; ici, la « porte» est l ’entrée qui mène à la forêt de la patrie; de cette porte, partant de la patrie, le regard va par-dessus le lac jusqu'au » M a s s if des A lpes * (v. 4) Le poète est assis à la frontière de la terre natale, c’est « là * qu’il pense les demi-dieux. Mais pourquoi justement là? Impossible de répondre à cette question sans médiation. Mais nous le savons ; les dieux sont toujours les dieux du peuple; en eux se dévoile et s'accomplit la vérité historique du peuple. Se tenir à la frontière du pays natal présente un double sens: I. depuis là, le regard peut s’en aller vers ce qui est étranger et lointain; 2. là, à la frontière, il faut aussi accueillir pour le pays natal scs dieux. Le poète doit avoir son séjour à la frontière, afin que puisse lui arriver ce qui a lieu. C ’est seulement aux frontières que tombent les échéances et que se prennent les décisions, qui décident toujours en fait des frontières et de l’absence de frontières. Repensant aux dieux lointains, le poète, sans t'a v o ir présum é. est brusquement ramené en arrière pour apprendre quelque chose de tout autre et, l’apprenant, le penser. Cette pensée le submerge par surprise; elle ne résulte pas d'un artifice arbitraire et forcé (cf. Patmos. 1" version, IV , v. 190 sq., strophe II). Penser et savoir l’ Être, cela ne peut se dérober aux dieux par ruse; la plus grande subtilité reste un tourbillon de vanité si elle n'est pas maîtrisée en une pensée véritablement ja illie de source. La surprise ellemême n’est pas non plus fortuite. Le poète est préparé; il est prêt, car il « sent/Les ombres de ceux q u i ont été » (L a G erm anie. v. 27 sq ). Au sein de l’écart extatique qui le porte jusqu’à ce qui a été, et seulement en lui, quelque chose d’impresumé est possible. Seul celui qui présume, celui dont le sens, le courage et le corur aspirent véritablement à quelque chose, celui-là seul peut être frappé et surpris par l ’im-présumé. En pensant par-delà la patrie, par-delà l ’essence de l ’homme et le Dasein. vers les dieux anciens, le poète se tient dans la direction à partir de laquelle désormais cela peut le frapper. Cf. à ce propos la fin du poème La M ig ra tio n (IV , 171, v. 1105?.):
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Les servantes du c ie l S ont to u te fo is m erveilleuses. Com m e to u t ce q u i est divin e m e n t né C ela lu i devient mm rêve, à q u i veut L 'a p p ro c h e r fu rtiv e m e n t, et c h â tie c e lu i q u i Veut lu i être é g a l p a r fo rc e S ouvent cela a s s a ille c e lu i Q u i ju s te m e n t à /seine l'a pensé.
Ce poème a lui aussi sa place autour du R hin, dont nous nous efforçons d ’acquérir la compréhension. ■ Les servantes du c ie l ». ce qui est divinement ne, se dissipe et fond et s'annihile pour peu qu'on cherche à s’cn approcher comme d’une chose saisissable, à force de ruse et de computation: ou bien, si l ’on emploie la violence à la place de la ruse, si l’on veut faire main basse sur le divin, alors on est puni. Il ne saurait être question ici ni de force ni d’invention. Rien à • faire • - seulement la disponibilité, sa croissance inapparente mais sûre d’elle-même. Être contraint à penser les demi-dieux naît de cet à peine penser le divin, à la frontière de la patrie. Cet à peine penser, quant à lui. a besoin de toute la force de la disponibilité. La surprise et son saisissement rejettent l'âme vagabonde sur la patrie et sa proximité. Le regard est retenu par le massif des Alpes et chassé vers la vallée du Rhin, ajointé à son propre Dasein historique. C'est là qu'il faut, au poète, penser des demi-dieux. Qu’est-ce donc qu’il pense, quand c’est eux qu’il pense?
c) - D estin ». comme p a role fondam entale du poème. E x p lic a tio n en a n ticip a n t : le destin comme Ê tre des de m i-die ux
Troisième question : les demi-dieux, comme quoi sont-ils pensés? Quel Être est-il instauré dans cette pensée, pour autant qu'elle est poétique? Q u’apprend le poète alors que, sans l’avoir présumé, il est arraché du songe où il va jusqu’au lointain qui a été, et jeté en retour dans la pensée de sa propre patrie? La première strophe (v. 9 sq.) le d it : ...a in s i J a i a p p ris sans l ’a z u r présum é U n destin
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Avec ce mot de - destin * (S chiksa al). nous touchons à la parole fondamentale de ce poème. Ainsi nous saisissons la clef de sa poésie. ■ Destin » - voilà le nom pour l’ Être des demi-dieux. D'après ce qui a etc dit plus haut, la pensée de cet Être doit ouvrir un cercle qui soit assez ample et assez profond pour pouvoir y penser l’ Être à la fois des dieux et des hommes. C ’est pourquoi ce n’est pas un hasard si dans le cours du poème Le R hin, nous rencontrons toujours de nouveau aux endroits essentiels - et dans des contextes différents - ce mot de • destin ». Commençons par simplement mentionner ces endroits dans l ’ordre : ..a in s i J 'a i a p p ris sans l'a v o ir présum é Un destin (I, v. 9 sq.) Cependant i l est déraisonnable De s o u h a ite r fa c e au d e stin (III,
v. 38 sq )
C 'est p o u rq u o i : heureux c e lu i q u i tro u va U n destin bien d é p a rti ( IX . v. 121 sq ) E l com pensé E st. un tem ps, le de stin ( X III. v. 182 sq.)
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Le mot présente une polysémie caractéristique, même indépen damment de la signification propre de son contenu Destin : 1. une puissance déterminée et son règne; 2. un mode de l’être; 3. un étant chaque fois déterminé du genre de cet Être, et assujetti à cette puissance. Les trois significations sont contenues dans les citations que nous venons de faire. Ce que signifie là « destin ». voilà ce qui est à dire poétiquement en pensant d'un bout à l'autre l’ Être des demi-dieux; ainsi dévoile. l'Être est place, v o ilé en la parole, au cœur de la vérité du peuple, donc dans sa volonté et dans son savoir, autrement dit ; il est instauré. Telle est la volonté interne de ce poème. En prenant les devants, on peut dire par précaution ce qui ne peut être entendu avec ce mol. Le poète ne pense pas le « destin » au sens du fa tu m , de la fatalité - par quoi on se représente un Être au sens d’une poussée sans but, privée de volonté et de savoir, dans un sort obtus qui ne fait que perpétuer son cours, au milieu de la totalité de l’étant ferme sur lui-même. C'est justement cette représentation du destin (nous pourrions la qua lifier d'asiatique) qui est, dans la pensée de H bldcrlin. créative-
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ment dépassée. Un premier dépassement du fa tu m asiatique dépassement en son genre impossible à répéter s’est accompli chez les Grecs, et à la vérité en unité avec le devenir poétique, philosophique et politique de ce peuple. Du fait que les Grecs ont un savoir de la poîpa et de la ôiKrj comme telles, ce qui est ainsi nommé se tient dans la lumière d ’un Être qui les surpasse. Il perd son exclusivité aveugle et reçoit du même coup d’abord le caractère du formidable (des Vngeheuren). du partage et de la détermination qui posent des frontières. L ’expérience fonda mentale, là. c'est l ’expérience de la mort, et le savoir qui s’y rapporte. C ’est pourquoi aucun concept de l’ Être ne suffit, qui n'a pas satisfait à la tâche de penser la mort. Mais il n’est pas licite de poser le savoir qu’a Hôldcrlin du destin comme équivalent du savoir grec. Il nous faut apprendre à user essentiellement (et cela implique aussi : rarement) de ce mot allemand essentiel comme nomination d’un Être essentiel en sa teneur vraiment allemande. Outre cette détermination, en forme de précaution, pour l’ Être qui est nommé par ce mot de • destin », il est encore possible, il est même requis de dire en quelle direction de regard il nous faut penser en général à la poésie de H ôldcrlin afin d’arriver à une juste entente. Avec le destin, c’est l’ Être des demi-dieux qui est pensé un Être à la fois surhumain et sous-divin, et à la vérité de telle sorte que l ’être-hommc et l ’être-dieu, chacun à sa guise, corres pondent à cet être comme destin, c’est-à-dire ont un rapport chaque fois propre à lui. C ’est seulement si l'Ê tre au sens de destin nous interpelle qu'une correspondance à la mesure de l’Être - que ce soit à l'homme ou bien aux dieux - devient possible (la co-respondance dans le « dialogue •, im • Gesprûch »). En revanche, l ’ Être au sens du destin ne procure pas immé diatement de correspondance par exemple à l'être d’un rocher, d'une rose, d’un aigle. À la vérité, nous avons bien l'expérience de la pierre, de la plante et de l'animal immédiatement comme étants. Mais qui oserait prétendre pouvoir dire ce qu'il en est de l’ Être de cet étant? Le roc « a »-t-il son Être comme il • a • son étendue, sa pesanteur, sa dureté et sa couleur - et où donc « se trouve » cet Être? De même pour la rose ou pour l’aigle. Nous ne pouvons dire que ceci, et il est même extrêmement difficile d’en donner la raison : la pierre, la plante et la bête sont mais leur Être ■ propre » comme tel leur reste clos, et à la vérité
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chaque fois d'une façon différente pour chacun de ces étants. Il est meme incorrect de dire qu’ils ont un Etre • propre ». Pour nous autres hommes, au contraire, notre Etre - le fait que nous soyons et comment nous sommes - nous est en certaine manière manifeste; à la vérité pas seulement et pas d’abord dans la mesure où nous avons connaissance de cet Être comme de ce qui peut être arrêté et qui est établi (comme nous avons par exemple connaissance du fait que sur le Feldberg se dresse une tour). De telles choses ne nous concernent pas. Mais notre Être nous concerne; nous ne pouvons absolument pas être sans que nous soyons concernés par cet être. Cet être qui est nôtre, ce n'est pas celui d’un sujet isolé, mais (suivant ce qui a été d it plus haut, § I l b ,c ): être-ensemble historiquement comme être dans un monde. Qu’un tel être de l’homme soit chaque fois mien, cela ne signifie pas que cet être se • subjectivisc », sc réduise à l'individu isolé et se détermine à p artir de lui. Cela signifie uniquement qu'en dernier et en premier lieu, toujours, cet ctreensemble de l’homme doit passer par des décisions dont aucun homme ne peut jamais décharger aucun autre. Notre opinion pourtant est que c’est nous qui gouvernons de bout en bout et disposons de notre être. En un certain sens, c’est vrai; mais c’est aussi en un certain sens dénué de vérité, car nous ne nous sommes pas plus procuré nous-mêmes cet Être que nous ne pouvons nous le prendre; meme dans le plus libre des suicides - étant admis que nous puissions savoir ce que pourrait bien vouloir dire ici « libre » - nous nous prenons bien l’ Être, mais nous ne pouvons jamais nous le prendre, et donc, pour ainsi dire, nous en débarrasser; car dévastant l’ Être, nous nous dévastons nous-mêmes, de sorte que manque désormais celui qui pourrait • être » (!) délivré de son Être. C ’est là que sc montre le rapport singulier de l'homme en tant qu'étant à l ’être de cet étant. Notre être est de telle sorte qu'en lui comme nous disons nous sommes jetés (geworfen) sans connaître la trajectoire de ce jet. et sans que, la plupart du temps et d’entrée de jeu. nous prenions explicitement en charge cet être-jeté (G ew orfenheit) dans notre D asein\ car nous l'avons toujours déjà esquivé inconsciem ment. les moyens ne manquent pas pour cela. Et pourtant cet être, auquel nous sommes remis, il nous faut en répondre d’une façon ou d'une autre. Cela veut dire : notre être n’est pas seulement ètre-je té\ il est du même coup p ro je ctio n (E n tw u rf}, en quoi la trajectoire de l'êtrc-jcté, comme envoi (SenJung) et charge (A u /-
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tra g f d’une façon ou d'une aulrc s’ouvre ou se ferme, et se défigure. L 'E tre sur-humain, à la mesure duquel un homme ne peut pas simplement n’êtrc qu’un homme, aura pour cette raison un genre conformément auquel il prend en charge l’être d’une façon suprême, comme quelque chose qui vient sur lui, autrement dit : pâtit au vrai sens du terme, en une passion qui est loin de tout dolorisme et de toute dolcncc réduite à la passivité, en une passion qui est origine de ce que nous avons vraiment à comprendre comme patience (Leiden-schaft). Un tel être qui, selon son essence, est passion de soi-m ême, ne peut donc être éprouve à sa juste mesure que par qui a la capacité d’une telle passion, c'est-à-dire la capacité d’affronter la grandeur d’une urgence. Cette passion, où l'Être comme destin devient manifeste, n’est pourtant pas simple capacité de prendre sur soi un destin pour ainsi dire déjà là. Cette passion est créatrice. Elle ouvre et déploie l’urgence. C'est seulement dans une telle passion qu'un destin sc saisit de nous, destin jamais simplement là, mais au contraire destinée, c'est-à-dire : qui nous est destiné, et de telle sorte qu’il nous envoie à la rencontre de notre destination, étant admis que nous nous y disposions vraiment, et ayons connaissance de ce qui convient (das S ch icklich e }, et. le sachant, le voulions. Le concept et le terme de das S ch icklich e (« ce qui convient •), souvent employé par Hôlderlin, ont chez lui une signification essentielle, et une relation interne au renouvellement et à la métamorphose de l’être des hommes, au sens d’être par-delà ce qui n'est que le quotidien habituel. Voir à ce propos la lettre à son ami Ebcl, le médecin de la fam ille de Francfort où Hbldcriin était précepteur; cette lettre a été écrite à la fin 1799 de Hombourg, peu après qu’il se fu t enfui de Francfort. Donnons la lettre en entier, car dans sa tonalité et sa teneur elle est comme faite pour éclairer la question qui nous occupe à présent (111, 458 sq.) : C her a m i9 A u ta n t je me sens lté à w u s p a r la b ie n v e illa n te prom esse que vous me fîte s de p e u t-ê tre à l'a v e n ir pre n d re p a rt à mes te n ta tive s litté ra ire s , a u ta n t la Joie à prop re m e n t p a rle r que m 'a donnée votre le ttre f u i cependant encore a u tre Je sentis p lu s que Je ne s a u ra is d ire com bien vttus m 'avez été cher depuis le p re m ie r in s ta n t, com bien je suis p riv é depuis que je ne vous vois p lu s. P lu s j'a p p re n d s à com prendre et à su p p o rte r et à a im e r les hommes, en le u rs fig u re s so u ffra n te s . p lu s profondém ent et in o u b lia b le m e n l se gravent en m on e s p rit ceux q u i sont ém inents p a rm i e u x ; et je p u is vous l'a v o u e r ; j'e n connais peu chez q u i je puisse avec ta n t de c e rtitu d e su ivre m on carur
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a in s i que je le fa is chaque fo is que je pense à vous et p a rle de vous, et cela n ’est pas rare. S i seulem ent nous étions p lu s près l'u n de ia u tr e . en ce q u i me concerne ! c a r vous n ’avez pas besoin de m o i. ou en to u t cas m oins, et je ne sais pas si je p o u rra is être a u ta n t p o u r vous que j'a i naguère sem blé Vètre M aintes expériences q u i devaient presque in é vita b le m e n t me re n c o n tre r. avec m on genre d ’e s p rit, ont à peu près éb ra n lé m a confiance envers to u t ce q u i presque exclusivem ent me d o n n a it jo ie et e sp o ir . envers une ce rta in e im age de i hom m e et de sa vie et de son essence: et les circonstances to u jo u rs changeantes du g ra n d et du p e tit m onde, en le q u e l je me vois, m ’e ffra ie n t à présent encore - bien que je sois de nouveau un peu p lu s lib re - ju s q u 'à un p o in t que je ne p u is avouer q u ’à vous # parce que vous me am tprenez L ’h a b itu d e est une déesse s i puissante qu assurém ent personne ne peut im puném ent b ris e r ses liens. L ’accord avec d ’autres que nous gagnons si aisém ent lorsque nous restons auprès de ce q u i est d é jà là . cette harm onie des fa ço n s de penser et des m œ urs nous a p p a ra ît a lo rs seulem ent dans son im portance quand i l nous fa u t nous en p riv e r. et ncare cœ ur ne tro u ve certes ja m a is p lu s de v ra i repos quand nous avons dénoué les vie u x lie n s ; c a r cela ne dépend que tn>p peu de nous, de lie r les nouveaux, s u rto u t en ce q u i a/ncerne les p lu s fin s et les p lu s hauts. Assurément, les hom m es, ceux q u i se sont élevés dans un nouveau m onde du convenant |dcs S chiklichcn] et du bon. se tiennent d ’a u ta n t p lu s inséparablem ent ensemble. Com m e je vous a u ra is v o lo n tie rs rendu p leinem en t com pte de m a sépa ra tio n d ’avec la m aison q u i. à vous com m e à m oi. é ta it et est s i estim able. M a is aussi com m e j ’a u ra is eu in fin im e n t de choses à vous d ire ! Je vous a u ra is adressé p lu s vo lo n tie rs une p riè re , et j'a im e ra is encore le fa ire . S o tre noble am ie, que dans p lu s d ’une d u re épreuve f a i to u jo u rs retrouvée p lu s in d é pendante en ce que la vie a de m e ille u r, u m jo u rs p lu s élevée et fo rm é e p a r l ’am ertum e d ’une s itu a tio n im p o ssib le . me p a ra it cependant, p o u r ne pas à la fin som brer dans la tristesse, a v id r besoin au p lu s h a u t p o in t d'une p a ro le fe rm e et c la ire q u i lu i assure à l'a v e n ir sa v a le u r in tim e et le cours de sa p ro p re v ie : p o u r m o i. I l est presque devenu im p o ssib le de m ’épancher auprès d 'e lle en p a ix . Ce s e ra it un beau secours, cher a m i. s i vous fa is ie z cela un jo u r. Une m é d ita tio n personnelle, ou un liv re , ou bien to u t ce s u r q u o i l'o n peut d 'h a b itu d e s ’o rie n te r, v o ilà assurém ent q u i est bon. M a is la p a ro le d ’un a m i v ra i, q u i connait la personne et la s itu a tio n , e lle touche p lu s bénéfiquem ent et égare m oins. Votre jugem ent su r P a ris m ’est a llé d ro it au cœ ur S i un a u tre , q u i eut un m oins g ra n d p o in t de vue. et non votre œ il c la ir et lib re de préjugés, m ’a v a it d it la même chose, cela m 'a u ra it m oins inquiété. Je conçois bien com m ent un destin p u issa n t, q u i p o u rra it si m agnifiquem ent J a rn te r des êtres solides, déchire p lu tô t les fa ib le s , je le conçois d ’a u ta n t p lu s que je vois les p lu s grands d e vo ir le u r g ra n d e u r non pas seulem ent à le u r p ro p re n a tu re , m ais aussi à l ’e n d ro it pro p ice où ils on t pu se m e ttre en re la tio n a ctive et vivace avec l ’époque . m ais je ne conçois pas com m ent ta n t de grandes et pures fo rm e s, en p a rtic u lie r et en générai, sauvent et a id e n t s i peu, et c ’est s u rto u t cela q u i me f a it s i souvent re ste r coi et soum is devant la toutepuissante et to u te dom inante nécessité. Une fo is qu e lle est décidée et p a rto u t p lu s agissante que ne peuvent l'ê tre des hom m es p lu s p u rem ent indépendants, i l fa u t bien que to u t se te rm in e tra g iq u e m e n t et m o rte lle m e n t, p o u r beaucoup ou seulem ent quelques-uns de ceux q u i s 'y tro u ve n t plongés S ous sommes
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alors heureux que nous reste encore un a u tre espoir ! C om m ent trouvez-vous donc la n o u ve lle génération, dans le m onde q u i vous entoure? ...
Tout comme du « convenant • [das S chickH che]%le poète parle aussi de T« inconvenant » [das U nschicktiche). C i. la lettre à son frère déjà citée à plusieurs reprises, celle du 1° janvier 1799 ( II I , 3 7 0 sq.) : Je veux à présent v o ir si je p u is fa ir e ém erger quelque chose encore de ce que je v o u la is récem m ent te d ire s u r la poésie. Que la poésie ré u n it les hom m es, m ais non com m e le je u . v o ilà ce que je d is a is ; e lle les ré u n it en e ffe t. s i e lle est de bon a lo i et a g it de bon a lo i. avec to u te la va rié té du d e u il et du bonheur et de ie ffo r t et de l'e s p o ir et de la c ra in te . avec toutes le u rs opin io n s et fa u te s , toutes le u rs vertus et idées. avec to u t le g ra n d et le p e tit q u i est p a rm i eu x. to u jo u rs p lu s . e lle les ré u n it en une entiè re té intense [inm g), vivace, a u x m ille a rtic u la tio n s , c a r c'est cela ju s te m e n t que la poésie d o it ê tre ; et te lle cause, te l effe t N 'e s t-il pas v ra i, m on cher, que les A lle m a n d s p o u rra ie n t bien a v o ir besoin d 'u ne te lle panacée, même après la cu re p o litiq u e , et la cure p h ilo s o p h iq u e ; ca r. a b stra c tio n fa ite du reste, la fo rm a tio n p h ilo s o p h iq u e et p o litiq u e a d é jà en elle-m êm e l'inco nvénient q u 'e lle lie bien ensem ble les hom m es p o u r les ra p p o rts essentiels, in é v ita blem ent nécessaires, p o u r le d e v o ir et p o u r le d ro it, m ais que re s te -t-il a lo rs p o u r ré a lis e r i h arm onie u n iv e rs e lle 7 Le p re m ie r p la n et l'a rriè re -p la n des sinés selon les règles de l'o p tiq u e , cela ne f a it pas encore, lo in de là . un paysage q u i ne fa sse pas tro p p â le fig u re à côté de Vceuvre vivace de la n a tu re M ats les m e ille u rs p a rm i les A lle m a n d s cro ie n t to u jo u rs encore que to u t s e ra it gagné s i seulem ent le m onde é ta it jo lim e n t symétrique, ô Grèce, avec ta g é n ia lité et ta p iété, où donc es-tu passée7 M o i aussi, avec to u te ma bonne volonté, je ne fa is que tâ to n n e r dans m on a c tio n et m a pensée, à la tra în e de ces hom m es uniques en ce m onde; et je suis, dans ce que j'e n tre prends et je d is . souvent d 'a u ta n t p lu s m a la d ro it et absurde que je patauge, com m e les oies a u x p a tte s palm ées, dans les eaux m odernes, et je bats sans fo rc e des a ile s , sans a rriv e r à m 'élever au c ie l grec N e me prends pas la com paraison en m auvaise p a rt. E lle est inconvenante, m ais vraie, et entre nous quelqu e chose de te l peut encore a lle r, d 'a u ta n t que je ne le d is que p o u r m oi
Cf. aussi le fragment 14 (v. 12 sq; IV , 247): ô s 'il é ta it possib le D 'é p a rg n e r m a p a trie M a is p a r tro p fa ro u c h e , non. que p lu tô t s o it Inconvenante et s'en a ille avec l'É rin y e M a vie
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Comme le destin est l ’Être des demi-dieux, il leur faut (et eux seuls) éprouver cet être « selon la passion »; dans cette expéricnce, se métamorphoser; et dans cette métamorphose, mener cet être à bonne fin. Étant en cette façon ceux qu’ ils sont - des demi-dieux - leur être est en lui-même un pressentim ent o rie nté précisém ent en d ire ctio n des die ux, mais du même coup, relati vement aux hommes, ils sont l'in s u rre c tio n de l'Ê tre hum ain, par quoi et en quoi cet Être peut seulement s’éveiller dans toute sa passionnabilité et est placé dans des possibilités donneuses de mesure. Ce que nous venons de dire (et qui n'est qu'allusion et anticipation) au sujet du destin comme Être caractérisé, devrait suffire pour comprendre au moins à peu près la dernière partie d’un fragment ta rd if (fragment 14. v. 18-27; IV , 247 sq ) : C a r au-dessus de la te rre voyagent Des puissances im posantes. E t le u r d e stin s a is it C e lu i q u i en p â tit et regarde. E t ûu.ï peuples. I l le u r s a is it te coeur C a r i l lu i fa u t to u t em brasser Un de m i-d ie u ou U n hom m e, selon la passion. E n p rê ta n t l'o re ille , se u l, ou lu i-m ê m e M étam orphosé, pressentant de lo in les coursiers du Seigneur.
La troisième question - dans quelle perspective le poète penset-il les demi-dieux - a ainsi, dans le cadre de cette considération préparatoire, reçu une réponse suffisante. Nous n’avons pourtant pas encore, par ce moyen, une notion du destin; une telle notion, la poésie ne veut d’ailleurs, ni ne peut la donner. Mais ce que nous avons d it a servi à laisser pressentir en général les alentours de l’ Être, relativement à quoi cette parole du destin a proprement force de nomination. La mise au point des trois questions : 1. dans quelle orbite se meut à proprement parler la pensée des demidieux? 2. d'où cette pensée reçoit-elle sa nécessité? 3. dans quelle perspective les demi-dieux sont-ils pensés? - nous la résumons en une quatrième : quel est le ton fondamental qui règne dans cette pensée?
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d) In s ta u ra tio n et fo n d a tio n de l ’Ê tre à p a r tir du ton fo n d a m e n ta l qu'est la compassion, ou passion ensemble avec la passion des dem i-dieux
Si nous questionnons ainsi en quête du ton fondamental, il faut nous en tenir à présent au concept de ce dernier, tel que nous Pavons développé provisoirement. Nous avons, à ce propos, remarqué comme primaire et essentiel que le ton est : 1. transport extatique dans Pétant en son entier; 2. rentrée pour trouver place dans la terre; 3. ouverture de Pétant; 4. fondation de l’ Être. Penser les demi-dieux - nous Pavons appris - mène comme tel droit au-dchors, jusque dans les domaines se rapportant récipro quement l ’un à l'autre de l’ Être des hommes et de l’ Être des dieux; les deux domaines, cette pensée cherche à les expérimenter comme tels en leur réciprocité, et non pas à s’en approcher pour s’établir entre eux, comme s’il s’agissait de zones frontières indifférentes. Le tra it interne de cette pensée des demi-dieux se tient donc précisément dans la région d’un essentiel tra nspo rt e xta tiq u e au sein de l'Ê tre d iv in et hum ain lui-m êm e. Là s’an nonce pour nous que la région de détermination où se tient cette pensée coïncide avec celle qui s'ouvre et est tenue ouverte dans le ton fondamental de l ’oppression qui se garde libre dans son deuil sacré. Mais par la réponse à la deuxième question, nous avons appris ceci : le poète a été assailli et surpris par cette pensée, et par cela qu’il y a pensé. Ce saisissement le ramène à la terre natale, c’est-à-dire le fait rentrer dans le Pasein historique et l’enraci nement terrestre de ses sites. Cette rentrée ne s’originc pourtant pas en quelque valorisation arbitraire et imposée d’on ne sait où de la patrie et de la glèbe; la ré-insertion dans ta terre natale, et ainsi dans la libération poétiquement instauratricc des puissances qui y régnent, a lieu précisément au cœur et à partir du transport extatique en l’ Être des demi-dieux, ce qui veut dire au milieu de l ’ Être divin et humain. Le passage imprésumé à la pensée des demi-dieux est en lui-même retour et rentrée dans la patrie et son peuple historique. C ’est en se reliant à lui qu’il peut être parlé des dieux. Mais voici qu'on pourrait objecter : assurément, ici. dans la pensée des demi-dieux, tout comme là-bas, dans le ton fonda-
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mental de La G erm anie, les domaines du transport extatique et de la rentrée, les dieux et la terre natale se recouvrent et sc correspondent • quant au contenu - chaque fois dans le rapport qui convient à leur être; mais de là de cette concordance quant au contenu - ne se démontre encore nullement que le ton fon damental soit le meme. En effet le transport extatique et la rentrée en ces régions pourraient s’accomplir dans un autre ton fondamental. Le mode d’ouverture de l’ Être, la fondation de l ’ Être peuvent se configurer autrement. Toutefois, la réponse à la troisième question a donné le résultat suivant : l ’Être des demi-dieux est une passion de l ’ Être - et pâtir ne peut à son tour être éprouvé que dans une passion, en une compassion qui est aussi éloignée de la pure et simple commisé ration (comme lorsque, par faiblesse, on s’am ollit, et qu’on regrette) que la simple souffrance l’est de la passion d'où ja illit le pathos. Les demi-dieux, c’est-à-dire leur Être, le poète ne peut les penser, les éprouver d’avance que parce que - et dans la mesure où - il compatit à cet Être comme passion de l'Être, et donc parce qu’il se tient lui-même dans la nécessité de cette passion. Le mode sur lequel s’ouvre ainsi l’ Être des demi-dieux - le milieu de l ’étant en son ensemble - c’est la passion. Cette grande passion, unique et essentielle, ne peut cependant transir et régir un Dasein que comme le ton en lequel la surpuissance du divin (en sa fuite comme en son approche) et l’urgence disponible d'être homme s’ouvrent en même temps, dans l’oppression qui sc garde dispo nible dans son deuil sacré. Ce deuil (voilà ce qui à présent seulement sc montre de façon plus lisible) n'est plus un • senti ment » parmi d'autres; ayant à voir avec la passion de l’ Être, il est le ton fondamental dans lequel en un sens insigne (c'est-àdire ici : exclusif) peut cire éprouvé le destin : l ’ Être des demidieux. Et que le poète se trouve dans la nécessité de compatir à la passion des demi-dieux, c’est bien ce qu'il d it expressément à l'endroit décisif (strophe X, v. 135 sq.) : D em i-dieux je pense à présent E t connaître je dois les chers
Cet « et * signifie ; cette pensée, aussi imprévisiblcmcnt qu’elle m'assaille à présent, répond cependant à mon Être le plus intime et le plus ample. Il est de ce fait impossible que cet Être des demi-dieux ne me soit pas connu. Je dois nécessairement le
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connaître, il doit m ’avoir déjà rencontré, et je dois toujours disposer des conditions pour le déterminer. Ce • devoir * a pour tant ici encore une seconde signification, ce qui le rend ambigu. Il ne veut pas seulement dire : l'Ê tre des demi-dieux ne peut pas m ’être étranger; il veut dire du même coup: il ne m'est pas permis de me soustraire à la charge de le penser. Il n’est pas permis au poète d ’esquiver l’épreuve compatissante de cet Être. Il lui faut tenir tête à l'urgence de cette passion. Pourquoi? Parce que souvent le u r vie ta n t M e rem ue la p o itrin e haletante.
(Strophe X, v. 137 sq.)
L ’être propre du poète s'étend à la rencontre de l’ Être des demidieux. il est prêt pour eux et cela, non pas de temps à autre, mais - souvent •. Le ton n’est pas occasionnel, au contraire cette urgence et ce • devoir » constituent la continuité de son D asein ; le ton est ton fondamental. Dans le poème Le R h in . cependant, le ton fondamental déploie une singulière puissance déterminante. Elle détermine en propre le poète à avancer dans la tâche de penser le milieu de l’ctrc, à partir de quoi l'entier de l ’étant - les dieux, les hommes, la terre s’ouvrira à neuf; elle le détermine à penser l ’ Être des demidieux. Nous avons déjà entendu (cf. § 4f ) cette parole de Hôlderlin : ...poétiqu em ent h abite L'hom m e s u r ce lte te rre . {E n bleu a d o ra b le ,, V I, 25, v. 32 jÿ .)
Ce qui veut dire : le Dasein historique de l’homme est de fond en comble porté et dirige par l’ Être que le poète, apres l’avoir d'avance éprouve, puis initialement enveloppe dans la parole, a porte et posé dans le peuple. Ce processus, nous le rassemblons en disant ; le poète instaure l ’ Être (D er D ich te r s tifte t das Seyn). Cette instauration de l’ Être s'est accomplie pour le Dasein occi dental chez Homère, que H ôldcrlin nomme ( S u r A c h ille . Il, I I I , 247) le « poète de tous les poètes *. Pour autant que l’être des demi-dieux est une passion, l ’instau ration de cet Être ne peut être qu'une compassion. Mais pour autant que c’est dans l'instauration que sc trouve ce qu’il y a.
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donnant la mesure, d 'in itia l, une telle passion est nécessairement toujours passion par avance et passion exemplaire. Telle se dresse l'œuvre de Hôldcrlin. comme un saut jusqu'au Dasein de notre peuple, un saut ayant pris les devants et immobilisé en lui-même : fondation poétique, encore voilée, de notre Être. Avec la singularité de notre situation dans l'histoire du monde - et en général il est impossible de dire à l'avance et de programmer comment la poésie de Hôldcrlin va sc mettre à la parole et à l'œuvre dans l'ensemble de la réalisation de notre détermination historique. Tout ce qu’on peut dire, c’est ceci ; le Dasein historique occidental est inéluctablement et msurmontablement de l'ordre du savoir. Les niveaux de ce savoir, qui ne peuvent en aucun cas être ordonnes dans un schéma de progrès, sont capables de variation. Même là où le savoir est lim ité, cette lim itation a lieu sciemment, mais à partir d’un savoir qui ne se sait pas encore lui-mcmc. Comme notre Dasein est sachant savoir, ici, ne peut pas être réduit au décompte des opérations d’entendement il n'y aura donc plus jamais pour nous de Dasein purem ent poétique, pas plus que de Dasein purem ent pensant. mais pas non plus de Dasein seulem ent agissant. Ce qui va être exigé de nous, ce n’est pas d'arranger des compromis acceptables et courants entre les puissances poétiques, pensantes et agissantes, mais bien de prendre au sérieux leur séparation et leur isolement dans le retrait de ce qui se trouve à la cime, et en cela d ’éprouver le secret de leur coappartenance originale, afin de les configurer originalement en une conjonction nouvelle et jusqu'ici inouïe de l’ Être. Cf. L ’Unique, version tardive (IV . 234, v. 78 sq.) : ... C eux du c ie l so n t. E t les vivants, les uns auprès des a u tre s, to u t le tem ps Un g ra n d hom m e M êm e au c ie l, s 'é jo u it d 'u n a u tre , s u r te rre Sans cesse V aut ceci, que to u jo u rs e n tie r est le m onde Souvent p o u rta n t i l sem ble Q u 'u n g ra n d ne va pas bien ensem ble Avec d 'a u tre s grands Ils se tiennent to u t le tem ps com m e au btvrd de l'a b îm e l'u n à côté De l ’a u tre
Les quatre questions ayant reçu réponse, ceci doit être devenu lisible : penser les demi-dieux est l’instauration tonalisée par le ton fondamental de l ’oppression qui se garde disponible dans son deuil sacré, instauration de cet Être à partir de quoi (en tant q u 'il est M ilieu tonalisant) se manifestent aussi bien l'être des
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dieux - qui le surplombe - que l ’ctrc des hommes - qui, face à lui. marque un recul. Penser est ici non pas l'acte vide de l'intellect, celui de différencier et de relier, et qui a affaire à un matériau déjà donne d'avance. Penser, c'est, en pâtissant, entendre par avance l’ Être qui est éprouve comme destin des demi-dieux; c’est pâtir au sens de subir la passion de... - pâtir qui, dans la passion, fait venir à l ’œuvre et fait venir à l'être. Pourtant, le poète est ici loin d’une saisie « métaphysique et spéculative », d’une saisie conceptuelle de l'essence du destin comme tel. Le poète d it en plus (strophe I, v. 9 sq.) ; ...a in s i J 'a i a p p ris sans l'a v o ir présum é U n d e slin
De là, nous apprenons deux choses : d’abord il ne s'agit pas de destin * en général », mais d’un destin unique - le destin du Rhin, » le p lu s noble des fleuves - (v. 32), à qui sied son « âme ro yale » (v. 37). Ce destin unique n’est pas non plus pensé comme cas particulier de l'essence générale de « destin ». Cette unicité unique a sa propre csscntialitc historique. C ’est un simple préjugé de l'intellect et de sa logique que de croire que l'essence devrait toujours être générale et à la mesure du genre. En second lieu ; ce destin un et unique est appris. Là s’exprime avant tout : penser les demi-dieux, en tant que c’est les apprendre, les accueillir, les recevoir, est une passion. En quel sens? Voilà qui va se préciser à travers l ’interprétation.
§13.
LA PR E M IÈ R E STROPHE.
D ' O Ù S O R T L E D I R E ; C O M M E N T SE T l t N I L E X P É R IE N C E . APPR EN D R E U N D ES TIN
En \om bre lie rre assis, à la p o rte De la fo rê t, ju s te là où le m id i to u t doré. V is ita n t la source, s'en v in t descendant Les m arches du M a s s if des A lpes Q u i p o u r m oi le d ivinem ent b â ti. Le re m p a rt des Célestes se nom m e S u iv a n t l'an cie n n e idée, où de p lu s . E n secret, encore, m a in te chose, décidém ent
Le R hin A des hom m es p a rv ie n t ; a in s i J 'a t a ppris sans L a v o ir présum é U n destin, ca r à peine encore S 'é ta it, dans l'o m b re chaude. Se p a rla n t à elle-m êm e de m aintes choses . m on âm e D ro it s u r L lta h e urée E t lo in là-bas. aux côtes de M o rte
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Suivant la distribution que nous avons faite, en cinq parties, la première strophe à elle seule forme la première partie. Lorsque nous avons clarifie le ton fondamental et le vouloir fondamental de cette poésie, nous nous sommes plusieurs fois référés à cette strophe. Elle nous transporte à la frontière de la terre natale et elle raconte comment le poète, rêvant et languissant, est tout d'un coup renvoyé de l'égarement dans ce qui n’a cessé d'être à la perception d’un destin. Une fois dans la clarté de ce nouveau vouloir-savoir et devoir-savoir, et seulement là, percevoir s'ouvre à ce qui, face à la terre natale et dès lors l’atteignant ellcmcmc - a lieu en face, dans le massif des Alpes. Cela ne se passe donc pas ainsi : un « spectacle naturel » (comme on d it), les Alpes, les sources du Rhin, détermine * le poète à « mettre en valeur • poétiquement ces états et ces événements, à les utiliser comme images pour un autre avènement. Comment cela pourrait-il d’ail leurs se faire si cet avènement n’était pas d'avance le déjà connu, qui dirige et oblige en tant que donnant le ton, pour que soit éprouvé l’csprit-flcuvc des eaux de chez nous! En gros, la teneur et la tâche de la première strophe - d’où prend issue le dire et comment se tient l’expérience? - sont lisibles. En répondant aux questions préliminaires, la teneur primordiale de la strophe I est clarifiée. Pourtant il faut encore porter attention à quelques - particularités > qui, à la fin, demeurent justement décisives pour la poésie et donnent avant tout à cette strophe, une fois ainsi mise en forme, sa place insigne : celle du début.
a) Dionysos comme tém oignant de ïÊ tr e d iv in et hum ain
D'abord notre attention doit se porter sans tarder sur le premier vers de la première strophe, le début de tout le poème : « En sombre lie rre assis Pourquoi donc du lierre ? Le lierre n’a
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pourtant certainement aucun rapport particulier à ce paysage et à la patrie du poète. Lierre vrilles, obscure poussée de ses entrelacs; vert porte-vie et pourtant aussi rafraîchissant - , c’est la plante préférée du paysan grec. Aujourd'hui encore, les paysans dans la Forêt-Noire ont là où ils habitent la torsade du lierre, toujours nouvelle, annonce de vie et de croissance, et ils se réjouissent en silence de la vie incessante, quand dehors la nature est tigee en neige et glace et longue nuit. • Lierre », c'est le favori choisi par Dionysos, ce demi-dieu que Hôlderlin nomme volontiers le « dieu du vin » (Le R hin. IV , 177, v. 145). « Lierre • - en grec : Kiaaôç. Dionysos s’appelle ô k io ao