Le journal singulier d'Opicinus de Canistris (1337-1341): Vaticanus latinus 6435. Ediz. latina e francese [Voll. 1-2] 882100838X, 9788821008382


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Le journal singulier d'Opicinus de Canistris (1337-1341): Vaticanus latinus 6435. Ediz. latina e francese [Voll. 1-2]
 882100838X, 9788821008382

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STUDI E TESTI 447

MURIEL LAHARIE

LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS (1337 - vers 1341) Vaticanus latinus 6435 Tome 1

CITTÀ DEL VATICANO B IBLIOTECA A POSTOLICA VATICANA 2008 www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

Proprietà letteraria riservata © Biblioteca Apostolica Vaticana, 2008 ISBN 978-88-210-0838-2

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À mes petits-enfants: Noé, Anna, Matthieu…

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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier très vivement tous ceux qui m’ont aidée avec compétence pendant les nombreuses années où j’ai oeuvré à cette édition-traduction, notamment: – le docteur Guy Roux, neuropsychiatre, Président de la SIPE (Société Internationale de Psychopathologie de l’Expression et d’Art-Thérapie); – Monseigneur Louis Duval-Arnould, Directeur du Département des manuscrits de la Bibliothèque apostolique vaticane jusqu’en 2003; – Bernard Guillemain, professeur émérite d’Histoire du Moyen Âge; – François Bougard, Directeur des études médiévales à l’École française de Rome jusqu’en 2004; – Marilyn Nicoud, Directrice des études médiévales à l’École française de Rome depuis 2004.

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TABLE DES MATIÈRES TOME I Conventions d’édition et de traduction

. . . . . . . . . . . .

IX

Abréviations utilisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XIII

Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XV

1. Place du Vaticanus dans l’œuvre d’Opicinus et conditions de sa rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XVII

2. Histoire et état de la recherche sur le Vaticanus . . . .

XX

3. Description externe . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XXXVII

4. Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XLIII

Biographie d’Opicinus de Canistris

. . . . . . . . . . . . . .

XLVII

1. En Lombardie (1296 – 1329) . . . . . . . . . . . . . .

XLVII

2. En Avignon (1329 – vers 1353) . . . . . . . . . . . . .

XLIX

Analyse du Vaticanus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LIII

1. Le contenu général . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LIII

2. Le style « opicinien » . . . a) Caractères généraux . b) Des propos singuliers c) Des dessins atypiques

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

LVI LVI LVIII LIX

Sources et Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXIII

I. Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXIII

1. Oeuvres d’Opicinus autres que le Vaticanus . . . . . .

LXIII

2. Autres sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Manuscrites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Imprimées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXIII LXIII LXIV

II. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXV

1. Travaux portant sur le Vaticanus (exclusivement ou partiellement) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXV

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VIII

TABLE DES MATIÈRES

2. Travaux mentionnant le Vaticanus . . . . . . . . . . .

LXVII

3. Divers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Travaux d’histoire (surtout médiévale) . . . . . B. Travaux de psychiatrie, psychanalyse et psychopathologie de l’expression . . . . . . . . . . . . .

LXIX LXX LXXXIII

Liste des reproductions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LXXXVIII VATICANUS LATINUS 6435 TEXTE LATIN ET TRADUCTION

. . . . . . . . . . .

1

FRANÇAIS . . . . . . . . . . . . .

475

1. Index des noms de lieux et de personnes . . . . . . .

927

2. Index thématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

939

EN

FRANÇAIS

(première partie)

TOME II VATICANUS LATINUS 6435 TEXTE LATIN ET TRADUCTION

EN

(deuxième partie) INDEX

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CONVENTIONS D’ÉDITION ET DE TRADUCTION 1. Pour l’ensemble du livre: lorsque le fol. n’est suivi que d’un chiffre (ex: fol. 60), il est sous-entendu qu’il s’agit du recto. En revanche, quand il s’agit du verso, cela est spécifié (ex: fol. 60v°). 2. Pour la transcription: – En respectant le manuscrit, nous avons toujours mis « u » en minuscule et « V» en majuscule; « i » en minuscule et « I » en majuscule. – La ponctuation et les majuscules suivent les usages modernes. 3. Pour la transcription et la traduction: – Ce qu’Opicinus a écrit en rouge dans son premier jet est mis en petites majuscules. – Les passages altérés du texte sont indiqués par trois points de suspension entre crochets. Les mots et expressions entre crochets correspondent soit aux restitutions, soit aux traductions de dates dans notre système moderne. – Toutes les corrections et tous les addita sont en italiques1, qu’il s’agisse d’un mot, d’une phrase ou d’un paragraphe, et qu’ils soient ou non datés. Les expressions soulignées en rouge par Opicinus sont également mises en italiques. – Les expressions et passages (peu nombreux) exprimés dans une autre langue que le latin sont mis entre guillemets. Les guillemets encadrent aussi les discours à la première personne de l’auteur, les dialogues et les citations (bibliques ou autres); à l’intérieur de ces dernières, les ajouts et/ou commentaires d’Opicinus sont placés entre parenthèses. – Pour les notes des dessins comprenant seulement un nom de saint au génitif en latin, nous mettons le mot « sancti(e) » (= « saint ») en minuscules quand il s’agit d’une fête (ex: « sancti Thome de Aquino » = « saint Thomas d’Aquin »; V 2, note 27), et en majuscules quand il s’agit d’une église (ex: « Sancti Gregorii » = « Saint-Grégoire »; V 29, note 13). 4. Pour la traduction: – Les citations bibliques sont généralement traduites d’après la Bible de Jérusalem. 1 Le caractère abondamment raturé et remanié du manuscrit (voir p. XLI) ne permet pas de signaler en note de bas de page chaque reprise sans alourdir considérablement et peu utilement l’édition.

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X

CONVENTIONS D’ÉDITION ET DE TRADUCTION

– La traduction des chiffres est conforme à l’original: « première » pour prima; « 4 » pour IIII etc. – Quand il y a deux traductions possibles (sur lesquelles joue Opicinus), elles sont séparées par un slash: /. – Les dessins et schémas sont précédés d’une courte présentation. – Les notes de l’apparat critique précisent les sources d’Opicinus, apportent des explications historiques, indiquent des renvois à d’autres parties du manuscrit et donnent quelques éclaircissements ponctuels et/ou complémentaires sur la pensée et le style d’Opicinus.

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ABRÉVIATIONS UTILISÉES 1. ABRÉVIATIONS Ac Am Ap 2 Ch 1 Co 2 Co Col Ct Dn Dt Ep Ex Ez Ga Gn He Is Jb Jc Jn 1 Jn Jos Jr Lc Lv 1M Mc Mt Nb Os 1P 2P Ph Pr Ps Qo 1R Rm 1S 2S Sg

DES NOMS DE LIVRES BIBLIQUES

Actes des Apôtres Amos Apocalypse 2e livre des Chroniques 1e lettre aux Corinthiens 2e lettre aux Corinthiens Lettre aux Colossiens Cantique des Cantiques Daniel Deutéronome Lettre aux Ephésiens Exode Ezéchiel Lettre aux Galates Genèse Lettre aux Hébreux Isaïe Job Lettre de saint Jacques Évangile selon saint Jean 1e lettre de saint Jean Livre de Josué Jérémie Évangile selon saint Luc Lévitique 1er livre des Maccabées (Martyrs d’Israël) Évangile selon saint Marc Évangile selon saint Matthieu Nombres Osée 1e lettre de saint Pierre 2e lettre de saint Pierre Lettre aux Philippiens Proverbes Psaumes Ecclésiaste (Qohélet) 1er livre des Rois Lettre aux Romains 1er livre de Samuel 2e livre de Samuel Livre de la Sagesse

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XII

ABRÉVIATIONS UTILISÉES

Si 1 Th 2 Th Tt

Ben Sirac (ou Ecclésiastique) 1e lettre aux Thessaloniciens 2e lettre aux Thessaloniciens Lettre à Tite

2. AUTRES

ABRÉVIATIONS

Opicinus

Opicinus de Canistris

De laudibus De preeminentia Palatinus P 20, P 5… Vaticanus ou Vat. V 6, V 30…

De laudibus Papie [civitatis Ticinensis] De preeminentia spiritualis imperii Palatinus latinus 1993 planche P 20, planche P 5… du Palatinus Vaticanus latinus 6435 dessin V 6, dessin V 30… du Vaticanus

Art et folie…

Guy Roux et Muriel Laharie, Art et Folie au Moyen Âge. Aventures et Énigmes d’Opicinus de Canistris (1296-1351?), Paris, Le Léopard d’Or, 1997. Guy Roux, Opicinus de Canistris (1296-1352), prêtre, pape et Christ ressuscité, Paris, Le Léopard d’Or, 2005.

Opicinus, prêtre, pape… Consolation La Légende dorée EFR

Boèce, Consolation de la philosophie, trad. C. Lazam, Paris, Rivages, 1989. Jacques de Voragine, La Légende dorée, trad. J.B.M. Roze, 2 tomes, Garnier-Flammarion, 19671. École française de Rome

Voir aussi la traduction française annotée par A. Boureau, M. Goullet et L. Moulinier-Brogi, Paris, Gallimard (collection « La Pléiade), 2004. 1

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INTRODUCTION

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PRÉSENTATION L’histoire de la folie au Moyen Âge (XIe-XVe siècles) s’est esquissée il y a une trentaine d’années, grâce à la levée relative et progressive des tabous concernant aussi bien la folie – considérée depuis toujours comme effrayante et infréquentable – que la période médiévale – encore trop souvent jugée obscurantiste et sans intérêt. Elle a, en outre, bénéficié de l’ouverture de la recherche historique à la multiplicité des approches disciplinaires. Or, parallèlement, l’intérêt pour la production picturale des « fous », amorcé par Hanz Prinzhorn au début du XXe siècle, a marqué le début de la « psychopathologie de l’expression », laquelle s’est considérablement développée tout au long du siècle, montrant que créativité et maladie mentale ne sont pas antagonistes, et faisant émerger la notion d’art « singulier ». S’intéresser aux oeuvres réalisées à l’époque médiévale par des artistes porteurs d’une pathologie mentale devenait alors possible; mais cette approche s’avérait ardue, car elle supposait, d’une part, que ces productions soient parvenues jusqu’à nous à travers les siècles, et d’autre part, qu’un travail pluridisciplinaire en permette l’étude. Or ces deux conditions ont été réunies il y a plus de dix ans pour comprendre et analyser l’œuvre du prêtre italien Opicinus de Canistris (1296 – vers 1353), nommé scribe de la Pénitencerie apostolique de la cour pontificale d’Avignon en 1330, après bien des déboires et des errances qui expliquent en partie qu’il soit devenu un grand malade mental en 1334; il a dès lors rédigé dans le plus grand secret une œuvre immense – des écrits prolixes et de nombreux dessins – présentant un aspect particulièrement hermétique. De ce fait, les chercheurs – relativement peu nombreux, du reste – qui ont tenté de l’étudier jusqu’à ces dernières années, ont émis des hypothèses ou des opinions souvent arbitraires sur son contenu général. En tant que spécialiste de la folie au Moyen Âge, et après avoir transcrit pendant des années la totalité de l’œuvre, j’ai été persuadée de son caractère pathologique, mais je ne pouvais trancher seule une question aussi délicate et encore moins, si maladie mentale il y avait, en préciser le contenu. Je me suis donc adressée au docteur Guy Roux – psychiatre et spécialiste international des relations entre art et folie, déjà sensibilisé à la problématique concernant Opicinus – qui a accepté de se pencher pendant des années sur les écrits et les dessins d’Opicinus dont je lui transmettais la transcription, la traduction et tous les éclaircissements relatifs au contexte dans lequel cette oeuvre a été réalisée. Il a ainsi pu, après une longue et minutieuse enquête, avancer le diagnostic rétrospectif de paraphrénie pour le scribe, et proposer le décodage des textes et des dessins qui en découle: nous venions de découvrir et de comprendre un cas princeps de paraphrénie, unique pour l’époque www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

XVI

PRÉSENTATION

médiévale1! De plus, Opicinus devenait ainsi porteur d’un double témoignage: témoignage sur son temps, dont il reflète les connaissances et les préoccupations, mais aussi témoignage universel, dans la mesure où de nombreuses similitudes rapprochent ses dessins et ses écrits de ceux des malades mentaux actuels. Notre travail a alors avancé beaucoup plus rapidement, car nous pouvions désormais décrypter l’ensemble de la pensée et de l’œuvre délirantes d’Opicinus. Notre collaboration a permis de nombreux articles et conférences, et surtout un premier livre substantiel en 1997: Art et folie au Moyen Âge: aventures et énigmes d’Opicinus de Canistris2, dont l’objectif a consisté à démonter les mécanismes de l’œuvre pathologique de ce clerc, tout en respectant les rapports étroits qu’elle entretient avec la culture de son temps: reconstitution de la vie d’Opicinus, montrant notamment l’importance de l’année 1334 au cours de laquelle il est entré dans la psychose; présentation générale de l’œuvre à la fois écrite et dessinée qu’il a réalisée quand il était malade (le codex sur papier actuellement coté Vaticanus latinus 6435, écrit pour l’essentiel en 1337, et les planches sur parchemin cotées Palatinus latinus 1993, confectionnées progressivement entre 1335-1336 et 1351 ou 1352); explicitation détaillée de quelques dessins et planches choisis parmi les 86 qui figurent dans son œuvre; et publication de l’intégralité des dessins et planches laissées par Opicinus dans ces deux manuscrits3. Puis il s’est avéré utile de continuer à analyser spécifiquement les dessins et les planches les plus significatives – c’est ce à quoi Guy Roux a consacré un nouveau livre4 – mais aussi d’envisager une publication exhaustive des deux manuscrits en question, afin de permettre aux chercheurs de connaître et d’approfondir différents aspects de l’héritage laissé par ce personnage singulier. Je me suis ainsi attelée à la longue et méticuleuse mise au point du déchiffrage paléographique complet, puis à la traduction du Vaticanus, ce qui correspond à ma vocation de médiéviste, mais en maintenant une démarche interdisciplinaire associant psychiatrie et histoire pour parvenir à une restitution aussi fidèle que possible de la pensée délirante d’Opicinus. 1 Le paraphrène actuellement le plus connu est Daniel Paul Schreber, auteur des Mémoires d’un névropathe, Le Seuil, 1975. La maladie de ce juge de la cour d’appel de Saxe vivant à la fin du XIXe siècle a été étudiée par Freüd (« Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa: le président Schreber », dans Cinq psychanalyses, rééd. PUF, 1993, pp. 263-324). Le grand psychiatre Henri Ey considérait le président Schreber comme un paraphrène (voir son Traité des hallucinations, tome 2, Paris, Masson, 1973, pp. 996-1004). 2 G. ROUX et M. LAHARIE, Art et folie au Moyen Âge: aventures et énigmes d’Opicinus de Canistris, Paris, Le Léopard d’Or, 1997 (préfaces de B. Guillemain et M. Gagnebin). 3 Les dessins du Vaticanus latinus 6435 sont numérotés de V 1 à V 34 (en y ajoutant les schémas A, B et C, ainsi que le médaillon), les planches du Palatinus latinus 1993 de P 1 à P 52. 4 G. ROUX, Opicinus de Canistris (1296 - vers 1352), prêtre, pape et Christ ressuscité, Paris, Le Léopard d’Or, 2005.

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XVII

PRÉSENTATION

L’étrange codex sur papier d’Opicinus de Canistris dont je propose ici la publication, et qui est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque apostolique vaticane, représente un manuscrit particulièrement original: nous avons affaire à l’œuvre d’un prêtre intelligent et cultivé, présentant à partir de 1334 des troubles mentaux graves et complexes, où prédomine un délire mystique et cosmique grandiose associé à des idées persécutives, dont nous étudierons plus loin les composantes; une œuvre associant de manière étroite des textes rédigés dans un langage obscur et déroutant et des dessins complexes et énigmatiques; une œuvre sans thème précis, pour tout dire inclassable. Ce qui explique en grande partie que les archivistes et les érudits aient ignoré pendant longtemps ce curieux manuscrit considéré comme anonyme, puis qu’il ait donné lieu dans la deuxième moitié du XXe siècle à des approches le plus souvent partielles et inexactes. 1. PLACE DU VATICANUS DANS L’ŒUVRE D’OPICINUS ET CONDITIONS DE SA RÉDACTION5 TABLEAU:

LES ŒUVRES D’OPICINUS DE

CANISTRIS

Date

Lieu

Titre

1319 1320 1322 1324

Pavie Pavie Pavie Pavie

1329

Valence Valence Valence Avignon et Valence Avignon Avignon Avignon Avignon Avignon Avignon Avignon

Liber metricus de parabolis Christi De decalogo mandatorum Traités religieux Libellus dominice Passionis secundum concordantiam IIII evangelistarum De paupertate Christi De virtutibus Christi Lamentationes virginis Marie De preeminentia spiritualis imperii* Tractatus dominice orationis Libellus confessionis De laudibus Papie* Tabula ecclesiastice hierarchie De septiloquio virginis Marie De promotionibus virginis Marie Pas de titre (cote: Palatinus latinus 1993)**

Avignon

Pas de titre (cote: Vaticanus latinus 6435)**

1330

1331 1332 1333 entre 1335-36 et 1351-53 1337 (plus addita jusqu’en 1352)

* ouvrage qui nous est parvenu sous forme de copie ** ouvrage dont l’original nous est parvenu

5

La biographie d’Opicinus est étudiée plus loin: voir pp. XLVII et ss.

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XVIII

PRÉSENTATION

Avant d’être malade, Opicinus pratiquait l’art de l’enluminure: sa planche autobiographique P 206 nous apprend qu’il y avait été initié dans sa jeunesse, qu’il y avait pris goût, et que son talent en ce domaine a facilité sa réinsertion dans le milieu avignonnais à partir de 1329; mais aucune de ces images ne nous est parvenue. Par ailleurs, il s’était aussi déjà essayé à l’écriture: P 20 nous donne les titres d’une quinzaine de libelles ou traités rédigés entre 1319 et 1333 (voir tableau); et le Vaticanus les mentionne pour la plupart au hasard d’une réflexion. La majorité d’entre eux, au contenu exclusivement religieux, est aujourd’hui perdue et nous ne saurions dire avec certitude si leur auteur les a fait connaître autour de lui. Mais cette hypothèse paraît plausible dans la mesure où deux traités plus importants écrits pendant cette période ont connu un relatif succès: il s’agit du De preeminentia spiritualis imperii7, fini en 1329, et du De laudibus Papie8, légèrement postérieur (1330). Or ces deux ouvrages sont parvenus jusqu’à nous, même si leur identification tardive, échelonnée entre le début du XVIIIe et le début du XXe siècle, montre qu’ils étaient restés inconnus pendant quelques siècles. Leur auteur leur a donné un titre précis, et les a rédigés avec un certain ordre dans le développement des idées et dans un langage tout à fait accessible; il n’y a pas fait de dessins; rien d’étrange ou d’original ne frappe le lecteur. Bref, ces deux traités ne présentent aucun aspect manifestement pathologique. En revanche, l’œuvre d’Opicinus postérieure à 1334 est très différente. Car l’année 1334 représente un grand tournant dans l’existence comme dans l’œuvre du scribe. Opicinus présente au printemps 1334 une bouffée délirante et hallucinatoire, qui constitue l’aboutissement d’un long processus de fragilisation à caractère dépressif, accusé par les prédispositions psychologiques du prêtre et accéléré par l’imminence de son procès (il avait fui Pavie à la suite d’une excommunication). La proximité de cet état oniroïde avec la Semaine sainte favorise son interprétation délirante par Opicinus: il considère que l’année 1334 correspond à sa seconde et vraie naissance, car il est devenu le Christ mort et ressuscité. 6 Palatinus latinus 1993, fol. 11. Cette planche a fasciné les chercheurs, car elle abonde en renseignements sur la vie d’Opicinus. Mais il s’agit d’une autobiographie « revisitée » par la psychose; il convient donc de l’interpréter en tenant compte de ce paramètre: voir Art et folie…, pp. 171-265. 7 Copies du XIVe siècle: Bibliothèque apostolique vaticane, Vaticanus latinus 4115, fol. 1-22; Paris, BnF, ms lat. 4046, fol. 208v°-218v°. Éd. partielle dans R. SCHOLZ, Unbekannte Kirchenpolitische Streischriften aus der Zeit Ludwig des Bayern (1327-1354), Rome, Verlag von Loescher et Cie, tome 1, 1911, pp. 37-43, et tome 2, 1914, pp. 89-104. 8 Voir R. MAIOCCHI et F. QUINTAVALLE, Anonymi Ticinensis liber de laudibus civitatis Ticinensis, dans Rerum Italicarum Scriptores, XI, 1, Città di Castello, 1903, pp. 1-52: éd. du De laudibus. F. GIANANI, dans Opicino de Canistris, l’Anonimo Ticinese (Cod. Vaticano Palatino latino 1993), Pavie, 1927; rééd., Pavie, EMI, 1996 (avec édition du De laudibus, pp. 73-121). D. AMBAGLIO, Il libro delle lodi della città di Pavia, Pavie, 1984: trad. du De laudibus.

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PRÉSENTATION

XIX

Puis il développe un délire chronique qui prend une coloration persécutive avec l’élection et le couronnement de Benoît XII (janvier 1335) – car il pensait que la papauté devait lui revenir. Or cette psychose stimule et modifie sa créativité. Le paragraphe intitulé « Comment a été réalisé cet ouvrage », qu’il écrit le 19 septembre 1337 au fol. 53 du Vaticanus, précise qu’après avoir repris le tableau de la hiérarchie ecclésiastique ébauché en 1331, il remanie son travail et passe à un projet cartographique dont il montre la gestation: Cette même année de l’attente [1335], […] j’ai conçu et écrit d’assez nombreux témoignages sur de petites feuilles de papier et de parchemin […]. Tout au long de ces trois ans [1334-1337], j’ai rempli avec une foule de textes ayant valeur de témoignages une quantité importante et pour ainsi dire considérable de feuilles de parchemin – aussi bien des grandes d’un format important que des petites aux dimensions plus modestes – avec des sortes de dessins et de roues tournant en sens contraire et mobiles, concernant la représentation de l’orbe terrestre et des autres images du mystère.

Il s’agit des premiers brouillons de l’œuvre monumentale du Palatinus, à base de calendriers et de signes du zodiaque disposés sur des diagrammes contenant ses dessins, qu’il mettra le reste de sa vie à élaborer complètement et à peaufiner. Seule « la première roue de cette oeuvre sur parchemin contenant un martyrologe de l’année entière » (c’est-àdire la planche P 20) est mise au point dès le 3 juin 1336. C’est alors qu’intervient un événement inattendu: le 24 janvier 1337, le procès d’Opicinus devant la Rote se termine paradoxalement à son avantage. A cette époque, la psychose d’Opicinus a déjà évolué vers la paraphrénie, un état métapsychotique marqué notamment par la prévalence de l’imaginaire et la multiplicité des identifications au sein d’une mégalomanie portée à une dimension cosmique. Mais la libération qu’aurait pu apporter cette issue favorable intervient trop tard: le processus psychotique est largement enclenché et son profil est désormais définitif. Le soulagement qui en résulte entraîne néanmoins vraisemblablement chez Opicinus un virage d’allure hypomaniaque, où l’excitation et l’euphorie pathologiques servent de moteur à la rédaction du codex Vaticanus: « Et maintenant cette année [1337], depuis la nativité de saint Jean-Baptiste ou environ jusqu’à aujourd’hui, j’ai écrit pour terminer les folios en papier que voici » (fol. 53). Délaissant pendant quelques mois ses planches sur parchemin, Opicinus note quotidiennement dans un codex de papier les ruminations délirantes concernant sa destinée divine et les traduit en dessins, en mettant tous ses souvenirs personnels et toute sa culture au service de sa mégalomanie: on peut même dire que l’ensemble du manuscrit constitue une vaste autobiographie délirante. C’est un cri de délivrance se traduisant par une inflation verbale aux raiwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

XX

PRÉSENTATION

sonnements des plus alambiqués, surtout avant que les dessins n’apparaissent. La connaissance du Vaticanus s’avère donc primordiale pour comprendre le fonctionnement mental d’Opicinus dans cette nouvelle période de son existence, marquée par la psychose. De plus, le scribe revient à ce codex-journal les années suivantes, remplissant les bas de pages de divers addita et surchargeant les dessins; et c’est dans ce vivier de base qu’il puise les thèmes qu’il explicite dans ses grandes planches sur peaux de parchemin du Palatinus, auxquelles il travaille pendant des années, jusqu’à sa mort, tout en conservant son office de scribe à la Pénitencerie apostolique. L’œuvre d’Opicinus, comme son existence, sont donc articulées autour de 1334: il y a un « avant » et un « après ». Ainsi le contraste entre les deux manuscrits réalisés par le prêtre devenu délirant et ses traités écrits précédemment est évident: à la différence du De preeminentia et du De laudibus, le Palatinus et le Vaticanus sont anonymes (à première vue, du moins), dépourvus de titre général, volumineux et non structurés; on y trouve des propos hermétiques et décousus, présentant une tonalité générale mystique équivoque; des dessins complexes, pourvus de notes abondantes, y foisonnent; l’érotisme cru de certains propos et dessins trahit de fortes perturbations sexuelles; et le scribe n’a jamais cherché à faire connaître cette oeuvre réalisée pour lui seul et dont le seul objectif était d’affirmer sa divinité. Même avant d’en étudier de près le contenu, il est clair que ces deux manuscrits n’ont pas été écrits dans les mêmes conditions que les précédents, que leur auteur avait considérablement changé. Ce simple constat suggère aussitôt l’hypothèse que, si l’expression d’Opicinus s’était tellement modifiée après 1334, c’est que sa personnalité était gravement perturbée, c’est-à-dire qu’il souffrait probablement de troubles mentaux. Mais pour vérifier et étayer cette hypothèse, encore fallait-il sortir ces manuscrits de l’oubli où ils étaient restés pendant des siècles.

2. HISTOIRE

ET ÉTAT DE LA RECHERCHE SUR LE

VATICANUS

Or, c’est seulement au XXe siècle que le Palatinus et le Vaticanus ont été repérés et identifiés au sein des archives pontificales de la Bibliothèque apostolique vaticane. Le manuscrit Palatinus latinus 1993, découvert en 1913, a fait l’objet en 1936 d’une publication partielle – assortie de commentaires et de la reproduction en noir et blanc des 52 planches qui le composent – réalisée par Richard G. Salomon pour le compte du Warburg Institute9: cet ouvrage sérieux et érudit est encore 9 R.G. SALOMON, Opicinus de Canistris. Weltbild und Bekenntnisse eines Avignonesichen Klerikers des 14. Jahrunderts, Londres, The Warburg Institute, 1936 (avec éd. partielle du Pal. lat. 1993); réimpr. Lichtenstein, Kraus Reprints, 1969.

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considéré comme une référence. Malheureusement son auteur qui avait, sans succès, sollicité l’aide d’un psychiatre au début de son entreprise, n’a pu, livré à sa seule compétence d’historien, reconnaître et décrypter le délire qui habitait Opicinus; il a donc choisi de ne voir dans ces planches sur parchemin qu’un témoignage étrange de la culture de l’époque, sur les plans religieux, intellectuel et artistique; de ce fait, il n’a compris ni les ressorts ni le sens du discours opicinien, même s’il en a été plus ou moins conscient; il a, par ailleurs, commis une erreur de datation importante puisqu’il considère que ces planches ont été en majorité réalisées en 1335-1336, alors qu’elles ont toutes été réalisées progressivement entre cette date et la mort d’Opicinus environ dix-sept ans plus tard. De plus, R. Salomon a fait son travail dans l’ignorance du premier manuscrit, le codex sur papier Vaticanus latinus 6435, chronologiquement antérieur à la plus grande partie des planches sur parchemin du Palatinus, différent dans la présentation des textes et des dessins, d’apparence très hermétique lui aussi, et donc tout à fait capital pour appréhender la personnalité et le délire d’Opicinus. En effet, ce manuscrit n’a été découvert à la Bibliothèque apostolique vaticane qu’à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, deux ou trois ans après la parution du livre de Richard Salomon. C’est le professeur Roberto Almagià qui l’a trouvé et identifié; il a alors envoyé une notice au Warburg Institute qui fut perdue à cause de la guerre, et il a proposé un aperçu cartographique rapide du nouveau manuscrit dans le tome 1 de ses Monumenta Cartographica Vaticana, paru en 194410; le microfilm du Vaticanus n’est parvenu à Richard Salomon qu’en 1952. On peut facilement imaginer que cette découverte a troublé l’historien allemand: dans quelle mesure ce codex inconnu pouvait-il remettre en question l’interprétation qu’il avait proposée de l’œuvre d’Opicinus? La réponse à cette question est arrivée très vite: sollicité pour donner son avis sur ce nouveau manuscrit puisqu’il était considéré comme le spécialiste incontesté d’Opicinus, Richard Salomon, déjà âgé, a publié trois articles en anglais à son sujet. Dans le premier (1953)11, il commence par un long rappel du manuscrit Palatinus, qui représente pour lui l’œuvre essentielle d’Opicinus; puis il présente le codex Vaticanus de 1337 comme une continuation du précédent, en raison de l’erreur d’appréciation chronologique indiquée précédemment: « Le livre est une continuation de la collection d’images [du Palatinus], différent dans la forme mais comparable dans le contenu. Il s’agit d’un agenda, non pas un agenda dans le sens habituel du terme, mais une collection d’adversaria notés 10 R. ALMAGIÀ, Monumenta Cartographica Vaticana, Vatican, tome 1, 1944, pp. 95-98 et planche 48. 11 R. G. SALOMON, « A newly discovered manuscript of Opicinus de Canistris », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1953, 16, pp. 45-57.

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jour après jour, de courtes notes et de longs essais, aussi disparates que les planches »12. R. G. Salomon croit donc retrouver dans ce codex le caractère autobiographique, les préoccupations religieuses et les angoisses qu’il avait relevées dans les planches d’Opicinus; et il en donne quelques exemples en soulignant « le style prophétique » et les « allusions complexes »13 qui les caractérisent. Il s’intéresse également aux cartes assez spéciales qui ornent le manuscrit: leur aspect anthropomorphe, les superpositions caractéristiques de certaines d’entre elles, leur valeur symbolique pour Opicinus. Rassuré quant au caractère soi-disant répétitif de ce codex par rapport au Palatinus qu’il avait si longuement étudié, R. Salomon remarque cependant quelques différences: le Vaticanus présente de nombreuses dates, les remarques obscènes y sont beaucoup plus nombreuses, Opicinus y montre son intérêt pour la langue vulgaire etc. Dans ses deux articles suivants, Richard Salomon, considérant que les aspects généraux du Vaticanus sont connus, s’attache à des points particuliers. En 196014, il procède à un commentaire fouillé d’un paragraphe du fol. 58v°, où Opicinus raconte un tour de magie et le rapprochement qu’on peut en faire avec une scène du Faust de Goethe écrite quatre siècles plus tard. Et deux ans plus tard (1962)15, il aborde successivement quatre thèmes présents dans le Vaticanus, sans en faire néanmoins une étude exhaustive: la tarasque, la topographie de Pavie, celle d’Avignon et les noms de famille de Pavie. Au total, dans les trois articles qu’il lui a consacrés, Richard Salomon a donné des indications très intéressantes sur le codex d’Opicinus et montré une nouvelle fois son érudition; mais compte tenu de sa méconnaissance du délire d’Opicinus et de son erreur sur la place chronologique du Vaticanus, il a continué à ignorer l’approche psychiatrique indispensable et à conserver un point de vue inexact sur la psychologie du prêtre, et plus généralement il a largement sous-estimé l’importance de ce nouveau manuscrit, que ce soit dans l’œuvre d’Opicinus ou comme témoignage d’un psychotique vivant au XIVe siècle. Nous avons cependant signalé que Richard Salomon avait pensé dans les années 20 que le concours d’un psychiatre pourrait lui être utile pour étudier l’œuvre d’Opicinus, mais qu’il avait dû y renoncer. Même si 12 Ibidem, p. 49. Nous précisons que les citations de travaux sur Opicinus (en anglais, en italien ou en allemand) indiquées dans cette partie sont traduites en français. 13 Ibidem, p. 55. 14 R. G. SALOMON, « The Grape Trick », dans Culture in History. Essays in honor of Paul Rodin, New-York, 1960, pp. 531-540. 15 R. G. SALOMON, « Aftermath to Opicinus de Canistris », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1962, 25, pp. 137-146. L’auteur reprendra partiellement son article en italien: « Topografia e onomastica pavese in un codice di O. nuovamento riscoperto », dans Pavia, juin-juillet 1964.

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son livre de 1936 exprime ensuite le sentiment prédominant qu’il a évacué la nécessité d’une approche pluridisciplinaire, certaines remarques montrent qu’il conservait des interrogations au sujet de l’état mental du scribe. Il franchit, certes modestement, mais indiscutablement le pas dans ses articles sur le Vaticanus, par exemple lorsqu’il déclare dans son article de 1953: « Bien entendu, tout n’est pas pathologique dans l’œuvre d’un psychopathe »; ou bien: «[Opicinus] s’étend davantage [dans ce manuscrit] sur la maladie qui a inauguré son état psychotique en 1334 »16. Or, un an avant cet article (1952), était publié le livre Psychanalyse de l’art du psychanalyste austro-américain Ernst Kris, qui s’intéressait à l’expression créatrice, notamment dans le domaine de l’art psychopathologique. Dans un appendice de cet ouvrage intitulé « Un artiste psychotique au Moyen Âge »17, l’auteur, s’appuyant sur l’ouvrage de Salomon de 1936, apportait une nouvelle interprétation de la maladie d’Opicinus, fondée sur la technique et les procédés de composition utilisés, sur l’aspect général de l’agencement des formes dans les dessins, et sur l’autobiographie du prêtre: – Les symptômes décrits pourraient faire partie d’un processus psychotique ou d’un état mental qui s’est établi par la suite et qui, malgré de nombreux traits hystériques, porte sans aucun doute l’empreinte d’une psychose18. – La symptomatologie obsessionnelle et compulsive des premières années [d’Opicinus] a joué apparemment le rôle d’une barrière défensive. Au début du processus schizophrénique, une impulsion créatrice s’est déclenchée, excluant toute autre activité, si ce n’est celle consacrée au grand projet19.

R. Salomon eut l’occasion de consulter cet ouvrage puisqu’il le mentionne dans son article, et c’est sans doute la raison pour laquelle il a qualifié à son tour Opicinus de Canistris de « psychotique », sans commenter en aucune manière cette appellation; du moins, la nécessité d’une approche psychiatrique était-elle reconnue. Elle mit néanmoins plusieurs décennies à être considérée comme incontournable. En effet, entre les années 60 et la fin du XXe siècle, la majorité des chercheurs qui se sont penchés sur l’œuvre d’Opicinus, et plus particulièrement sur le Vaticanus, ont conduit leurs analyses en fonction de leur spécialité et ont ainsi négligé, ou parfois même rejeté, le

R. SALOMON, « A newly discovered manuscript of Opicinus de Canistris », p. 54. E. KRIS, « Un artiste psychotique du Moyen Âge », dans Psychanalyse de l’art, 1952; rééd. Paris, PUF, 1978, pp. 145-155. 18 Ibidem, p. 147. 19 Ibidem, p. 154. 16 17

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caractère psychotique de la maladie d’Opicinus. S’ils ont émis des commentaires sur les deux manuscrits réalisés par Opicinus lorsqu’il était malade, ces spécialistes ont accordé la plus large part au Vaticanus qui suscitait une fascination croissante depuis sa découverte, en particulier en raison de l’abondance de ses cartes anthropomorphes20. D’où le large éventail de chercheurs21 qui ont mené leurs travaux sur le Vaticanus avec une optique sélective. Les historiens de la cartographie, séduits par l’esthétique et la « modernité » des cartes d’Opicinus22, ont opéré des rapprochements avec

20 On peut mettre en parallèle la fascination exercée par la planche P 20 du Palatinus et celle exercée par les cartes anthropomorphes du Vaticanus. 21 Nous laisserons donc de côté les propos fantaisistes tenus sur Opicinus dans des ouvrages pseudo historiques et des romans, dont le seul intérêt, dans l’optique de notre travail, est d’indiquer la renommée croissante du scribe dans les milieux intellectuels depuis quelques décennies. Ex.: J.P. HIVER-BÉRENGUIER, Constance de Rabastens, mystique de Dieu ou de Gaston Febus?, Toulouse, Privat, 1984; R. Swennen, Le roman du linceul, Paris, Gallimard, 1991; A. ARECCHI, Anonimo Ticinese e l’ultimo templare, Pavie, Collana Liutprand, 1996, etc. Nous n’aborderons pas non plus les travaux où Opicinus est signalé de manière générale ou seulement en rapport avec le De laudibus: M. MILANI, Storia di Pavia, Milan, Camunia, 1985; A. CAPRIOLI, A. RIMOLDI et L. VACCARO (dir.), Diocesi di Pavia, Brescia, La Scuola, 1995; I. HEULLANT-DONAT (dir.), Cultures italiennes (XIIe-XVe siècle), Paris, Le Cerf, 2000… Quant aux études cartographiques portant exclusivement sur le Palatinus, elles sont mentionnées à la fin de la note suivante. 22 Voir notamment R. ALMAGIÀ, « Intorno alla piu antica cartografia nautica catalana », dans Rivista Geografica Italiana, 59, 1945, p. 23; B. DEGENHART et A. SCHMITT, « Mario Sanudo und Paolino Veneto: Zwei Literaten des 14. Jahrhunderts in ihrer Wirkung auf Buchillustrierung und Kartographie in Venedig, Avigno und Neapel », dans Römisches Jahrbuch für Kunstgeschichte, Berlin, 1973, pp. 69-71, 96 et 112-113; Ch. HAPGOOD, Les cartes des anciens rois des mers, Monaco, éd. du Rocher, 1981, pp. 128-133; J.B. HARLEY et D. WOODWARD, The history of cartography, vol. 1: Cartography in Prehistoric, Ancient and Medieval Europe and the Mediterranean, University of Chicago Press, Chicago & London, 1987, p. 291 et 379; J. SCHULZ, La cartografia tra scienza e arte. Carte e cartografi nel Rinascimento italiano, Modène, Panini, 1990, p. 28; J. GOSS, The Mapmaker’s Art: A History of Cartography, Londres, Studio Editions, 1993, pp. 330-331; M. KUPFER, « The Lost Wheel Map of Ambrogio Lorenzetti », dans The Art Bulletin, 1996, p. 296; R. Borri, L’Europa nell’Antica Cartografia, éd. Priuli & Verlucca, 2001, p. 59-61; S. TORRESANI, « Luoghi reali e spazio virtuale nella storia della rapprezentazione cartografica », dans M. PANZERI et G. GASTALDO (dir.), Sistemi Informativi Geografici e Beni Culturali, Turin, éd. Celid, 2000, pp. 2425; S. TORRESANI, « Per una genealogia della ‘cartografia urbana’ in età pre-moderna », dans F. BOCCHI et R. SMURRA (dir.), Imago urbis. L’immagine della città nella storia d’Italia, Rome, Viella, 2003, pp. 129-132; F. ARÉVALO, La representación de la ciudad en el Renacimiento: Levantamiento urbano y territorial, Barcelone, Fundación caja de Arquitectos, 2003, p. 16; D. WOODWARD, « Geography and Cartography », dans Christopher Kleinhenz (dir.), Medieval Italy: an Encyclopedia, t. 1, New-York – Londres, Routledge, 2004, p. 406. Certains travaux faisant place aux dessins d’Opicinus n’examinent que le Palatinus: signalons notamment la comparaison établie par G. Muratore entre les conceptions du cosmos anthropomorphe chez Opicinus et chez Hildegarde de Bingen (La ciudad renacentista. Tipos y modelos a travès de los tratados, Madrid, Instituto de Estudios de Administración

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les cartes marines de l’époque dont le prêtre se serait inspiré (notamment l’atlas de Pierre Vesconte et le Liber secretorum fidelium crucis de Mario Sanudo: ce dernier propose des mappemondes, des cartes régionales et des cartes marines); ils ont noté leur caractère anthropomorphe et les ont souvent qualifiées de « cartes moralisées ». La plupart néanmoins n’ont guère approfondi le sujet et ont ainsi maintenu pendant plus de 50 ans une opinion assez statique23, ne tenant compte ni des éléments dessinés excentriques ni des annotations fournies par le scribe ni des textes intercalés entre les cartes: l’originalité du manuscrit opicinien n’a donc pas été repérée. Les spécialistes de l’histoire de Pavie ne pouvaient rester indifférents à celui qui avait écrit les « louanges » de sa ville (De laudibus). Parmi eux émerge le nom de Pierluigi Tozzi, un universitaire dont l’ouvrage Opicino e Pavia de 199024 est bien documenté et agrémenté de nombreuses reproductions; mais dans ce livre comme dans ses travaux suivants25, P. Tozzi, ne voyant apparemment pas de différence entre l’auteur du De laudibus, d’une part, et celui du Palatinus et du Vaticanus, d’autre part, a pris au pied de la lettre l’autobiographie d’Opicinus, ainsi que les plans de Pavie et les indications sur cette ville contenues dans les deux nouveaux manuscrits; il ne considère donc le prêtre que comme un « témoin de son temps »26 et un « témoin du passé »27. Venons-en aux historiens de l’architecture. Paolo Marconi étudie d’abord les dessins d’Opicinus dans un livre de 1973, La città come forma simbolica28, mais essentiellement à partir du Palatinus, pour lequel il parle de « diagrammes »; dans une note, il critique le qualificatif de « psychotique » attribué par E. Kris à Opicinus et pense que l’étude du

Local, 1980, pp. 35-36); l’étude d’E. Guidoni sur les plans de Pavie dans le Palatinus (« Appunti per una storia dell’urbanistica nella Lombardia tardomedioevale », dans Lombardia. Il territorio, l’ambiente, il paesaggio, Milan, Electa, 1981, pp. 147-151); et le travail substantiel de J.G. Arentzen, qui présente une géographie moralisée du Palatinus et pense que le prêtre propose en fait une « navigation spirituelle » (Imago Mundi Cartographica, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 1984, pp. 275-318). 23 Nous envisageons plus loin les historiens de la géographie qui ne passent pas sous silence le caractère étrange, voire pathologique, des cartes opiciniennes: G. Romanelli (voir p. XXXII) et N. Bouloux (voir p. XXXV). 24 P. TOZZI, Opicino e Pavia, Pavie, Libreria d’Arte Cardano, 1990. 25 P. TOZZI, « Il mundus Papie in Opicino », dans Geographia Antiqua, 1992, pp. 167174; P. TOZZI et M. DAVID, « Opicino de Canistris e Galvano Fiamma: l’immagine della città e del territorio nel Trecento lombardo », dans V. TERRAROLI (dir.), La pittura in Lombardia: il Trecento, Milan, Electa, 1993, pp. 339-361; P. Tozzi, La citta’ e il mondo in Opicino de Canistris, Varzi, Guardamagna, 1996. Voir aussi A. STENICO, « Intorno alle quatuor virtutum cardinalium imagines di Opicino de Canistris », dans Bolletino della Società Pavese di Storia Patria, 1963, n.s. 15, pp. 33-37. 26 P. TOZZI, Opicino e Pavia, p. 25. 27 P. TOZZI, Opicino e Pavia, p. 31. 28 P. MARCONI, La città come forma simbolica, Rome, Bulzoni Editore, 1973. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Vaticanus démontrera l’absence de dérangement mental chez son auteur29! Quelques années suivantes, un article30 lui permet de revenir et de s’étendre sur deux idées déjà esquissées. Il se montre tout d’abord à nouveau sévère à l’encontre du diagnostic schizophrénique de Kris: « Il a suffi d’une sèche étude d’Ernst Kris publiée en 1952 pour infliger à Opicinus l’épithète de ‘psychotique’ et donc pour le faire tomber dans les oubliettes »31; notons que, d’après cette remarque, les psychotiques seraient inaptes à toute production intéressante… Par ailleurs, il estime que, dans le Palatinus, mais surtout dans le Vaticanus, les dessins d’Opicinus correspondent à une « utilisation mnémonique de diagrammes »32. Puis il progresse dans cette perspective originale, en précisant que le Vaticanus est « un fouillis littéraire personnel », où les cartes « constituent un véritable point d’appui matériel pour héberger, vrai ‘théâtre du monde’, l’amas d’images qui se bousculaient dans la tête du prêtre de Pavie à la recherche d’une identité psychologique et politique »33; autrement dit, il essaie de retrouver chez Opicinus « l’art de la mémoire » utilisé à l’époque, mais, ce faisant, il est obligé de reconnaître que le Vaticanus révèle les problèmes d’identité du prêtre… Dommage qu’il n’ait pas poursuivi ses investigations, car il commençait à pressentir la vérité du scribe. Des chercheurs d’horizons divers ont, par ailleurs, tenté de donner leur avis sur les étranges manuscrits du prêtre. Dans une notice biographique relative à Opicinus (1975), Hans Jürgen Becker affirme que son oeuvre « ne doit absolument pas être considérée comme une production pathologique liée à une maladie mentale »34. L’historien français André Vernet s’est, dans un premier temps (1976), contenté de commenter la planche P 20 à la suite de Salomon et de conclure: « Opicinus doit-il être vraiment tenu pour un névropathe? »35. Dans une optique très différente, le philosophe, écrivain et journaliste Christian Delacampagne a discuté le point de vue de Kris sur la « schizophrénie » d’Opicinus et l’a qualifié de « position restrictive » (1989)36. Quant à Mariateresa Fumagalli Beonio Brocchieri, elle a dirigé un article dans la revue italien-

Ibidem, p. 105, note 39. P. MARCONI, « Opicinus de Canistris: un contributo medioevale all’arte della memoria », dans Ricerche di storia dell’arte, 1977, 4, pp. 3-36. 31 Ibidem, p. 3. 32 Ibidem. 33 Ibidem, p. 7. 34 H. J. BECKER, « Canistris (Opicino de) », dans A.M. GHISALBERTI (dir.), Dizionario Biografico degli Italiani, XVIII, Roma, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1975, p. 116-119. 35 A VERNET, « Discours…», dans Annuaire-bulletin de la Société de l’Histoire de France (années 1974-1975), Paris, Klincksieck, 1976, p. 58. 36 Ch. DELACAMPAGNE, Outsiders: fous, naïfs et voyants dans la peinture moderne (18801960), Paris, Mengès, 1989, pp. 95-96. 29 30

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ne Leggere (1989)37: dans la première partie, « Volare sopre Pavia », elle envisage elle-même certains aspects théologiques de l’oeuvre d’Opicinus; dans la deuxième, « La tartaruga e il Leviatano », Eugenio Randi se livre à une analyse de plusieurs dessins du prêtre; l’hypothèse selon laquelle Opicinus aurait pu être psychotique n’est pas mentionnée. Les historiens de l’art ont privilégié eux aussi les dessins. Michael Camille38 revient sur les aspects anthropomorphes des cartes opiciniennes qu’il qualifie encore une fois de « diagrammes », rappelant que « tout est à base d’analogies et de signes »39 chez le prêtre; il estime que « les curiosités méticuleusement tracées par Opicinus ne relèvent pas d’une analyse freudienne, mais de la théorie médiévale psychologique, avec sa physiologie pneumatique et la priorité qu’elle donne à la vision »40. De son côté, Catherine D. Harding, une historienne de l’art canadienne, a publié en 1997 un premier article assez riche sur le Vaticanus41: elle considère Opicinus comme un « visionnaire mystique », dont les « diagrammes cosmographiques complexes ayant pour base les portulans »42 fonctionnent « comme des mandalas »43 et lui permettent de monter vers Dieu; elle récuse, de ce fait, le terme de « psychotique » qui lui a été parfois appliqué, en estimant qu’il s’agit d’un jugement « négatif »44. Dans un article plus récent et plus bref45, Catherine Harding revient sur les aspects « obscurs » et « incompréhensibles » du Vaticanus: pour elle, ils ne s’expliquent pas par la maladie mentale46, mais par « la représentation de la réalité complexe concernant la présence divine au XIVe siècle »47. Enfin une historienne des religions, Victoria Morse, qui enseigne au Carleton College (USA), a présenté sa thèse sur Opicinus à l’Université de Berkeley en 199648, à l’issue de longues et patientes recherches pendant 37 M. BEONIO BROCCHIERI FUMAGALLI (dir.), « La cosmologia di Opicino de Canistris », dans Leggere, Milan, mai 1989, 11, p. 52-63. 38 M. CAMILLE, « The Image and the Self: Unwriting Late Medieval Bodies », dans S. KAY and M. RUBIN (dir.), Framing Medieval Bodies, Manchester, Manchester University Press, 1994, p. 87-99. La position de C. Gandelman (Reading Pictures, Viewing Texts, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1991, pp. 84-85) est comparable, mais beaucoup plus synthétique, d’autant plus qu’elle ne se réfère qu’au Palatinus. 39 M. CAMILLE, p. 90. 40 Ibidem, p. 94. 41 C. HARDING, « Opening to God: the Cosmographical Diagrams of Opicinus de Canistris », dans Zeitschrift für Kunstgeschichte, 61, 1998, pp. 18-39. 42 Ibidem, p. 18. 43 Ibidem, p. 24. 44 Ibidem, p. 22. 45 C. HARDING, « Madness, Reason and the Cosmos: Evaluating the Drawings of Opicinus de Canistris », dans G. NAHER et R. SHEPHERD (dir.), Values in Renaissance Art, Ashgate Press, 2000, pp. 201-210. 46 Ibidem, p. 201. 47 Ibidem, p. 206. 48 V. MORSE, A Complex Terrain: Church, Society and the Individual in the Works of Opicino de Canistris (1296 – ca. 1354), 1996.

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lesquelles elle a bénéficié des conseils de P. Tozzi. Malheureusement, n’étant pas en relation avec des psychiatres, et pensant elle aussi que reconnaître la maladie mentale d’Opicinus équivaudrait à dévaloriser son oeuvre, elle a préféré écarter l’influence d’une possible psychose et expliquer le changement d’Opicinus à partir de 1334 comme une conversion à la sainteté, ou plus exactement comme une intensification des sentiments religieux du prêtre49; elle admet cependant qu’Opicinus aurait pu être malade mental un temps50. Depuis sa thèse, V. Morse a écrit deux articles sur certains aspects de la pensée religieuse d’Opicinus dans ce manuscrit (l’un sur la vita mediocris51 et l’autre sur l’idolâtrie52) ainsi qu’une notice biographique du prêtre53; et elle continue à étudier ce personnage énigmatique. Ainsi, dans leurs travaux – certes de longueur inégale, mais dont le nombre approche la trentaine – ces différents auteurs, soit n’ont pas approfondi ou même abordé, soit ont critiqué l’hypothèse selon laquelle Opicinus aurait pu être atteint de maladie mentale. Le prêtre est considéré, selon la spécialité de chacun, tantôt comme un cartographe « de transition » entre le Moyen Âge et les temps modernes, tantôt comme un écrivain amoureux de sa ville natale (Pavie), tantôt comme un mystique, tantôt comme un médecin, tantôt comme un cosmographe, tantôt comme un moralisateur, tantôt comme un dessinateur habile et érudit, tantôt comme un théologien, tantôt comme un utilisateur de l’ars memoriae, tantôt comme un prédicateur… Ces conclusions frappent par leur hétérogénéité, l’explication tenant en grande partie au fait que le Vaticanus n’avait encore fait l’objet d’aucune édition d’ensemble. Les spécialistes cités, ne disposant pas d’une vision globale de l’œuvre d’Opicinus, ont donc choisi certains passages et/ou certains dessins du manuscrit et les ont rattachés aux modèles intellectuels, religieux, cartographiques ou artistiques de l’époque à laquelle vivait leur auteur – leur tâche étant facilitée par la richesse et l’éclectisme du Vaticanus (comme du Palatinus). Mais pouvait-on faire l’impasse sur la transcription et la traduction de l’ensemble du manuscrit – travail de base particulièrement long et ingrat, il est vrai – sans risquer de passer à côté de l’essentiel?

Ibidem, p. 108. Ibidem, p. 107. 51 V. MORSE, « The Vita Mediocris: The Secular Priesthood in the Thought of Opicino de Canistris », dans Quaderni di storia religiosa, 4, 1997, pp. 257-282. 52 V. MORSE, « Seeing and Believing: the Problem of Idolatry in the Thought of Opicino de Canistris », dans S. ELM, É. REBILLARD et A. ROMANO (dir.) Orthodoxie, Christianisme, Histoire, Rome, EFR, 2000, pp. 163-176. 53 V. MORSE, « Opicino de Canistris », dans Ch. KLEINHENZ (dir.), Medieval Italy: an Encyclopedia, t. 2, New-York – Londres, Routledge, 2004, pp. 795-796. Voir aussi V. MORSE, « Pavia », ibidem, pp. 866-867. 49 50

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Ne serait-il pas, en outre, nécessaire de connaître les symptômes et les moyens d’expression de la psychose pour affirmer ou seulement « croire » (sans fournir d’argument)54 qu’Opicinus n’était pas psychotique? Ne rencontre-t-on pas ici un exemple classique des réactions négatives générées depuis toujours par la maladie mentale – le blocage étant aggravé par les difficultés que présente l’étude des troubles mentaux des époques reculées? Mais difficile ne veut pas dire impossible: l’histoire de la médecine a recours depuis longtemps au diagnostic rétrospectif, lequel permet d’identifier – non sans prudence, pour éviter les anachronismes – une maladie dans le passé tout en la replaçant dans le contexte de son époque; si ce diagnostic est valable pour la grippe ou la peste, pourquoi ne le serait-il pas pour la psychose? Car la nosographie évolue, mais les grandes constantes des maladies, y compris des maladies mentales, sont les mêmes à toutes les époques. La tâche de l’historien de la médecine se trouve ainsi plus ardue mais aussi plus enrichissante, puisqu’elle est complétée par une approche pluridisciplinaire. Et si l’histoire de la maladie mentale demande encore plus de travail, de doigté et de discussion avec des spécialistes de la question, elle n’est pas insurmontable. Le fait qu’Opicinus ait continué son activité socioprofessionnelle après 1334 jusqu’à sa mort a contribué également pour certains à rejeter la possibilité de sa psychose. Or un malade mental n’est pas forcément agité, agressif et incohérent, comme le représentent les fantasmes collectifs55; en l’occurrence, la paraphrénie dont souffrait le prêtre est justement une maladie mentale caractérisée par la « diplopie »: le délire est juxtaposé à la réalité, la pensée paralogique à la pensée normale, sans interférences réciproques. Opicinus a pu rester scribe à la Pénitencerie apostolique pendant plus de quinze ans tout en étant paraphrène; son délire et ses activités nocturnes d’écriture et de dessin sont restés secrets56. Par ailleurs, n’est-il pas contestable de rejeter la qualification de malade mental pour Opicinus, sous prétexte qu’une oeuvre aussi complexe et aussi intéressante ne peut avoir pour auteur un psychotique? Précisons en effet que la créativité des malades mentaux n’est pas annihilée: elle évolue en fonction de leurs symptômes, elle est même parfois stimulée et peut donner des oeuvres très intéressantes, voire artistiques. Le courant qu’on nomme aujourd’hui « art brut », et qu’il serait plus juste d’appeler « art singulier », témoigne du talent qu’expriment ces oeuvres, 54 Voir C. HARDING, « Madness, Reason and the Cosmos…», p. 201; et V. MORSE, « Seeing and Believing: the Problem of Idolatry…», p. 164. 55 Au Moyen Âge, on opposait la folie furieuse (telle que la représentent les enluminures du psaume Dixit insipiens) et la mélancolie. La maladie d’Opicinus n’a pas été repérée par ses contemporains autrement que par ses manifestations somatiques. 56 De même le président Schreber, cité plus haut, tout en menant ses activités de brillant magistrat, élaborait une cosmogonie confuse où il devait être transformé en femme et donner naissance à de nouveaux êtres humains d’essence supérieure.

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au point qu’un trafic commercial à échelle internationale s’est mis en place (en violant parfois les droits d’auteur des malades!). Au Moyen Âge comme aujourd’hui, un malade mental peut être un dessinateur ou un peintre talentueux, voire un artiste. D’ailleurs, ne connaît-on pas des peintres célèbres et fous (tel Van Gogh), ainsi que des musiciens, des poètes etc, et n’est-ce pas un lieu commun que d’estimer très floues les limites entre le génie artistique et la folie? Toutes ces remarques valent pour Opicinus. Or justement, dès les années 60, c’est-à-dire parallèlement aux travaux mentionnés plus haut, le « cas » Opicinus commençait à être sérieusement envisagé dans les milieux, certes assez restreints, des médiévistes ouverts à la pluridisciplinarité, des historiens de l’art friands de représentations originales et des psychiatres intéressés par la psychopathologie de l’expression. Très tôt, puis de manière croissante, en remarquant la complexité et l’hermétisme de l’oeuvre d’Opicinus, certains auteurs ont pris conscience que la possibilité d’une maladie mentale chez le scribe devait être envisagée et méritait d’être élucidée: – 1960: Jurgis Baltrusˇaitis, qui se passionne pour « le monde transfiguré » de l’art gothique fantastique, estime qu’Opicinus était un « cosmographe obsédé par les transpositions [d’êtres animés sur la géographie]»57. – 1962: dans sa thèse sur la cour pontificale d’Avignon qui fait toujours autorité, Bernard Guillemain signale « l’étrange physionomie » d’Opicinus de Canistris, dont le « tempérament morbide s’exhalait dans des dessins symboliques, d’une facture compliquée »58. Précisons néanmoins que cette constatation ne portait que sur le Palatinus. – 1967: Gerhardt B. Ladner, ami d’Ernst Kris, écrit que ce dernier « avait très vraisemblablement raison » de penser qu’Opicinus de Canistris était schizophrène: en effet, « Opicinus utilise encore les vieux stratagèmes de l’imagerie cosmologique (cercles concentriques, ovales, carrés, rectangles), ainsi qu’un vaste répertoire de l’iconographie chrétienne, astrologique et mythologique; mais tout le système des corrélations entre microcosme et macrocosme devient embrouillé et chaotique, avec des répétitions obsédantes et un style confus »59. – 1976: Danielle Jacquart, historienne de la médecine, complète le Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge initié par 57 J. BALTRUSˇ AITIS, Réveils et prodiges. Le gothique fantastique, Paris, Albin Michel, 1960, p. 251; rééd. Paris, Flammarion, 1988, p. 253. 58 B. GUILLEMAIN, La cour pontificale d’Avignon (1309-1376). Étude d’une société, Paris, de Boccard, 1962, pp. 343-344. 59 G.B. LADNER, «Homo viator: mediæval ideas on Alienation and Order », dans Speculum, 1967, XLII, 2, pp. 252-253.

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Wickersheimer: en extrapolant à partir des connaissances médicales d’Opicinus, elle le classe à tort parmi les médecins, tout en signalant qu’il souffrait d’une « atteinte psychotique »60. – 1980: lors de l’exposition présentée au Centre Georges Pompidou sur le thème Cartes et figures de la Terre, Jean-Loup Rivière mentionne « la persistance opiniâtre du délire » dans les dessins géographiques d’Opicinus, ce prêtre « fou de la carte »61. La même année, Italo Calvino, écrivain italien d’avant-garde, fondateur de l’OuLIPo (Ouvroir de Littérature Potentielle), émet quelques réflexions très pertinentes sur le cartographe du XIVe siècle: pour lui, il s’agit d’« un cas extraordinaire d’‘art brut’ et de folie cartographique »62. – 1984: Monique de la Roncière et Michel Mollat du Jourdin évoquent l’importance des « fantasmes » et de « la carte imaginaire » chez Opicinus de Canistris63. – 1983 et 1990: le docteur Guy Roux, qui avait pris connaissance de l’existence de l’œuvre d’Opicinus, commence à s’intéresser à ce qu’il considérait comme « étant peut-être la première observation de ‘fou-cartographe’»64, lui qui maniait depuis de nombreuses années des cartographies de psychotiques du XXe siècle, en s’interrogeant sur le rôle joué par la maladie dans le choix de la cartographie comme moyen d’expression et sur la place de la psychose dans la culture. L’évolution de la réflexion sur le « cas » Opicinus commençait alors à porter ses fruits, favorisée par les progrès de l’interdisciplinarité dans tous les domaines, et plus particulièrement, en l’occurrence, par l’ouverture de la recherche historique sur les autres sciences humaines et sociales (se traduisant notamment par les progrès de l’étude des mentalités médiévales, grâce aux travaux de l’«École des Annales ») ainsi que par la floraison des études relatives à la psychopathologie de l’expression. A partir des années 90, des interrogations émergent et se multiplient concernant la possibilité d’une psychose chez Opicinus. On le constate déjà chez Pierluigi Tozzi qui indique, sans approfon-

60 E. WICKERSHEIMER, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen Âge: supplément par D. Jacquart, Genève, Droz, 1976, p. 219; voir aussi D. JACQUART, Le milieu médical en France du XIIe au XVe siècle, Genève, Droz, 1981, p. 149. 61 J.L. RIVIÈRE, « La carte, le corps, la mémoire », dans Cartes et figures de la Terre, Paris, CCI, 1980, p. 88. 62 I. CALVINO, Collection de sable, Paris, Le Seuil, 1986, p. 40. 63 M. DE LA RONCIÈRE et M. MOLLAT DU JOURDIN, Les portulans. Cartes marines du XIIIe au XVIIe siècle, Fribourg, Office du Livre, 1984, p. 18-19. 64 GUY ROUX, « Alain le cartographe », dans Psychologie Médicale, 1983, 15, 13, p. 2233; « Cartographie, plans, mappemondes et cadastres », dans Psychologie Médicale, 1990, 22, 10, p. 1048 et 1053 (l’expression « fou-cartographe » se trouve p. 1048).

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dir, qu’Opicinus « nous pose le problème insoluble des limites de la conscience et du délire »65. En 1990 également, Giandomenico Romanelli s’intéresse à « l’itinéraire ésotérique » et à « l’oeuvre cartographique étrange et délirante »66 du scribe. L’année suivante, Enrico Castelnuovo, historien de l’art italien, estime que les « dessins très étranges » du prêtre « sont le précieux témoignage non seulement d’un cas singulier de psychopathologie, mais aussi des curiosités et des craintes, des intérêts et de la vision du monde d’un fonctionnaire de la curie, vers le milieu du XIVe siècle »67. En 1992, Denis Hüe, un médiéviste littéraire français, commence par reconnaître à propos d’Opicinus « la schizophrénie du personnage », dans la mesure où « notre cartographe évolue nettement vers une attitude pathologique »68; mais, il minimise ensuite l’importance de celle-ci en se plaçant dans « une perspective morale »69, notamment en rapprochant l’oeuvre d’Opicinus du Reductorium Morale de Pierre Bersuire, un autre Avignonnais. Quant à André Vernet, ayant évolué dans sa position depuis 1976, il présente en 1992 les visions « cosmiques » d’Opicinus de Canistris70, en précisant les données de la problématique concernant l’équilibre mental du prêtre et en prononçant, non sans prudence, à son sujet, les mots de « schizophrénie », de « paranoïa » ou encore de « névrose »71. La même année, John Mac Gregor, psychanalyste et historien de l’art, reprend le diagnostic rétrospectif de Kris72. Peu après (1993), Paul Zumthor, médiéviste français de réputation internationale, dans une fine analyse sur les cartographies, mentionne les « étranges cartes d’Opicinus de Canistris » et leurs « figurations allégoriques »73. Deux ans plus tard, dans un article consacré à l’image géographique de l’Europe au Moyen Âge, Denis Hüe reprend ses idées sur Opicinus (surtout à partir du Palatinus): il le qualifie à nouveau de « prêtre schizophrène »74, tout en P. TOZZI, Opicino e Pavia, Pavie, 1990, p. 21. G. ROMANELLI, « Città di costa: Immagine urbana e carte nautiche », dans S. BIADENE (dir.), Carte de navigar: portolani e carte nautiche del Museo Correr (1318-1732), Venise, Marsilio Editori, 1990, p. 22. 67 E. CASTELNUOVO, Un peintre italien à la cour d’Avignon. Matteo Giovanetti et la peinture en Provence au XIVe siècle, Turin, 1991; trad. Paris, G. Monfort, 1996, p. 49. 68 D. HÜE, « Tracé, écart. Le sens de la carte chez Opicinus de Canistris », dans B. RIBÉMONT (dir.), Terres Médiévales, Klincksieck, 1993, p. 131. 69 Ibidem, p. 132. 70 A. VERNET, « Les visions cosmiques d’Opicinus de Canistris », dans Fin du monde et signes des temps: visionnaires et prophètes en France méridionale (fin XIIIe – début XVe siècle), Cahiers de Fanjeaux (n° 27), Toulouse, Privat, 1992, pp. 295-307. 71 Ibidem, pp. 304-305. 72 J. MAC GREGOR, The Discovery of the Art of the Insane, Princeton University Press, 1992, pp. 25-26. 73 P. ZUMTHOR, La Mesure du monde: représentation de l’espace au Moyen Âge, Paris, Le Seuil, 1993, pp. 343-344. 74 D. HÜE, « Pour la lettre et pour le trait: formes et formation de l’Europe », dans B. RIBÉMONT (dir.), De la Chrétienté à l’Europe, Orléans, Paradigme, 1995, p. 114. 65 66

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soulignant que «[sa] pensée n’est pas pour autant incohérente. Elle participe d’une interprétation hyperbolique de la démarche moralisatrice, peut-être pathologique, mais cependant très rigoureuse »75. Dommage que cet auteur n’ait pas connu le terme de « paraphrénie », qui correspondait parfaitement à sa description! À l’occasion de la célébration du 700e anniversaire de la naissance d’Opicinus à Pavie, où une rue porte son nom, une publication est réalisée par Maria Grecchi (1996)76. Dans une annexe (« La psicologia di Opicino »), Ubaldo Nicola se met dans la lignée de Kris et plaide pour « une origine, non pas organique, mais psychologique (ou psychiatrique) des troubles d’Opicinus »77; il note de façon pertinente la « duplicité » du prêtre, se traduisant par la coexistence d’un « douloureux sentiment de culpabilité » et d’un « délire de toute-puissance »78. Enfin, dans ses travaux sur la montée de l’individualité dans l’Europe médiévale (1993, 1997 et 1999)79, l’historien russe Aaron Gourevitch étudie de manière particulièrement circonstanciée et fine la personnalité et l’oeuvre d’Opicinus de Canistris: « La psyché dérangée d’un clerc à demi oublié d’Avignon s’est manifestée à nous dans ses textes et dans ses dessins […] Son individualité s’exprime elle-même naturellement sous une forme pathologique »80; il relève la contradiction entre le « sentiment de la faute et du péché » que l’on trouve chez Opicinus et son « expression égocentrique hyperbolique »81, c’est-à-dire qu’il pressent le délire mégalomaniaque et manichéen du scribe; il constate aussi que « l’étude de ses dessins fait preuve d’une mise en ordre logique de son fantasme »82, c’est-à-dire qu’il devine le caractère paralogique de ce délire; enfin, il déclare explicitement: « Il est très possible que le diagnostic d’Ernst Kris soit juste et que nous ayons affaire à un schizophrène »83. Certes, aucun de ces auteurs n’avait de connaissances psychiatriques, ce qui explique que certains aient émis des avis contradictoires car dépourvus d’argumentation médicale; mais ces tâtonnements monIbidem, p. 127, note 21. M. GRECCHI, L’universo di Opicino de Canistris: lo storico e cartografo pavese nel settimo centenario della nascita, Pavie, Collana Liutprand, 1996. 77 Ibidem, p. 71. 78 Ibidem, p. 78. 79 A. GOUREVITCH, « L’individualité au Moyen Âge. Le cas d’Opicinus de Canistris », dans Annales Economies, Sociétés, Civilisations, septembre-octobre 1993, 5, pp. 1263-1280; « Il y a de la méthode dans cette folie », dans La naissance de l’individu dans l’Europe médiévale, Paris, Le Seuil, 1997, p. 263-280; « Individu », dans J. Le Goff et J.C. SCHMITT (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Fayard, 1999, pp. 515-522. 80 A. GOUREVITCH, « L’individualité au Moyen Âge…», p. 1280. 81 A. GOUREVITCH, « Il y a de la méthode dans cette folie », p. 267 et 266. 82 A. GOUREVITCH, « L’individualité au Moyen Âge…», p. 1277. 83 A. GOUREVITCH, « Individu », pp. 519-520. 75 76

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trent au moins qu’une porte s’était ouverte et que le tabou de la maladie mentale d’Opicinus commençait à être levé. C’est dans ce contexte que le livre écrit par Guy Roux et moi-même (Art et folie…) a vu le jour en 1997, au sein d’une période où nous avons l’un et l’autre multiplié les communications et les publications sur la question84, pour sensibiliser les chercheurs de tous bords au message très original et à la créativité d’Opicinus. Lors de l’exposition La Beauté qui s’est tenue à Avignon, ville européenne de la Culture, du 29 avril au 17 septembre 200085, et à la préparation de laquelle nous avons été conviés, le Dr Roux et moi-même, le Vaticanus et une dizaine de planches du Palatinus furent proposées à l’admiration de milliers de visiteurs du monde entier; précisons que, pour cette première sortie des fonds du Vatican depuis plusieurs siècles, ces précieux documents avaient été apportés par Mgr Louis Duval-Arnould en personne. Nous avons ainsi constaté ces dernières années qu’Opicinus était progressivement plus connu dans les cercles spécialisés, en France comme à l’étranger. Certes, à l’heure actuelle, la problématique relative à Opicinus reste encore confuse, car nos travaux suscitent à la fois intérêt et crainte de l’inconnu, et certains blocages persistent. Nous avons vu précédemment que la plupart des historiens de la cartographie continuent à penser qu’Opicinus « n’est pas un cartographe original »86; et que Catherine

84 G. ROUX et M. LAHARIE, « Mort et renaissance d’Opicinus de Canistris en 1334 », dans Mort et Création, sous la dir. de B. Chemama-Steiner et F. Fritschy, Paris, L’Harmattan, 1996, pp. 181-200; G. ROUX et M. LAHARIE, « Circonstances de la maladie d’Opicinus de Canistris: étude des changements survenus dans son expression de 1334 à sa mort », dans Kränkung, Angst und Kreativität, sous la dir. de M. Haselbeck, VienneInnsbrück, Psychiatrie Verlag, 1996, pp. 92-99; M. LAHARIE, « Opicinus de Canistris (12961351) était-il un mystique? », dans Le Sacré et le Religieux: Expression dans la Psychose, Paris, L’Harmattan, 1996, pp. 47-58; G. ROUX, « Conclusion du Symposium “ Art et Folie ”», dans Revue de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, n° 11, octobre 1997, p. 76; G. ROUX, « Les dessins du bègue », dans Cahiers de l’Art Cru, n° 26 (« Expression et Parole »), 1998, pp. 101-112; M. LAHARIE, « Images de la maladie mentale au Moyen Âge (XIIe-XVe siècles) », dans N. ATTALI (dir.), 2000 ans d’histoire de la Psychiatrie, Paris, éd. NHA, 2000, pp. 30-38; G. ROUX, « Lorsque s’égarent les abbés conducteurs d’âmes… », dans M.P. HEUSER, H. HINTERHUBER et A. SCHOCH (dir.), Seelen, Innsbruck, Verlag Integrative Psychiatrie, 2000, pp. 90-91; G. ROUX et M. LAHARIE, « Le commentaire sur Le Songe de Scipion et son influence sur l’œuvre d’Opicinus de Canistris », dans J.P. MATHIEU (dir.), Rêves et Créativité, Liège, 2003, pp. 223-231; M. LAHARIE, « L’originalité d’un reflet globalisant: les connaissances scientifiques dans l’oeuvre d’Opicinus de Canistris (1296 – vers 1351) », dans E. BERRIOTSALVADORE et P. MIRONNEAU (dir.), Ambroise Paré: pratique et écriture de la science à la Renaissance, Paris, Champion, 2003, pp. 33-48; M. LAHARIE, « Une cartographie ‘à la folie’: le journal d’Opicinus de Canistris », dans MEFRM, EFR, sous presse. 85 La Beauté en Avignon, catalogue de l’exposition organisée par le Ministère de la Culture, Flammarion-Mission France 2000, pp. 56-57 et 60. 86 R. BORRI, L’Europa nell’Antica Cartografia, éd. Priuli & Verlucca, 2001, p. 59. Voir aussi p. XXIV de cette introduction.

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Harding et Victoria Morse sont restées sur la défensive tout en citant nos travaux87. De même, dans un article très récent (2004), l’historien italien Giorgio Mangani s’en tient encore aux thèses proposées par Marconi concernant « le caractère mnémotechnique » des cartes d’Opicinus qu’il refuse de considérer comme « les productions d’un esprit dérangé »88. Mais nous constatons aussi que les interrogations se multiplient et que, progressivement, la maladie mentale d’Opicinus n’est plus un sujet tabou. Dès 1999, le médiéviste Denis Hüe déjà cité fait référence à nos travaux en étudiant le milieu avignonnais au sein duquel « Opicinus de Canistris développe une cartographie symbolique qui est tout à la fois géographique, calendaire, autobiographique et exégétique »89. Puis, dans un ouvrage savant, Culture et savoirs géographiques en Italie au XIVe siècle90, Nathalie Bouloux mentionne le cas particulier que représente Opicinus, en s’appuyant (prudemment, certes) sur notre livre: « A la suite d’une longue maladie qui a altéré sa personnalité, [Opicinus] entreprend une sorte d’autobiographie, mêlée de délires visionnaires, dans laquelle il fait une interprétation manichéenne du monde »91; « les interprétations d’Opicinus le poussent jusqu’à lire sur la carte le sens de sa propre vie »92. Dans une perspective très différente, le psychologue R. Walter Heinrichs, qui s’intéresse tout particulièrement à la psychopathologie de l’expression, présente dans un article de 2003 les oeuvres du sculpteur Messerschmidt (1736-1783) et d’Opicinus comme des témoignages passés de la créativité des malades mentaux93; pour Opicinus, il utilise surtout les travaux de Salomon et de Kris – d’où le maintien du mot « schizophrène » – bien qu’il signale aussi nos travaux. De son côté, Marcello Cicutto, médiéviste italien, partant de l’ouvrage-phare de R.G. Salomon (1936) et de notre livre Art et folie… (1997), signale dans un article de 2002 « la pathologie prévisible des documents illustrés » proposés par le scribe, s’attache à faire ressortir les « signes » dans l’imaginaire cartographique du scribe et estime que ses dessins proposent « un itinéraire »94; certes, il n’approfondit guère ces notions, mais 87 C. HARDING, « Madness, Reason and the Cosmos…», p. 206; et V. MORSE, « Seeing and Believing: the Problem of Idolatry…», p. 164. Voir aussi p. XXVII de cette introduction. 88 G. MANGANI, « Somatopies », dans FMR, n° 3, octobre-novembre 2004, p. 70. 89 D. HÜE, « Espace et Paysage chez Pierre Bersuire et quelques Avignonnais », dans Cahiers de Recherches Médiévales (XIIIe-XXe s.), Centre d’Études Médiévales, Orléans, 1999, 6, p. 45. 90 N. BOULOUX, Culture et savoirs géographiques en Italie au XIVe siècle, Turnhout, Brepols, 2002. 91 Ibidem, p. 90. 92 Ibidem, p. 95. 93 R.W. HEINRICHS, « Historical Origins of Schizophrenia: Two early madmen and their illness », dans Journal of the History of the Behavioral Sciences, 39, 4, 2003, pp. 349-363. 94 M. CICUTTO, « Il viaggio dei segni nell’imaginario cartografico di Opicino de Canistris », dans Itineraria I, ed. Sismel, 2002, pp. 237-244.

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il montre sans équivoque que notre livre est le premier, après celui de R.G. Salomon, à apporter du nouveau sur l’oeuvre du prêtre malade. Nous mentionnerons enfin, comme exemple hautement significatif de l’adhésion progressive des médiévistes à nos travaux, le long paragraphe que Bernard Guillemain – qui avait été très tôt, nous l’avons vu, intéressé par la personnalité énigmatique d’Opicinus de Canistris, et qui a préfacé notre livre de 1997 – lui a consacré dans son dernier ouvrage sur Les papes d’Avignon (1309-1376) paru en 1998: il évoque les « hallucinations » et les « délires » du scribe qui ont conditionné sa production écrite et iconographique, et montre l’intérêt que suscite cette «œuvre singulière, inconnue de ses contemporains »95 pour la connaissance des mentalités et de la culture de l’époque où elle s’inscrit. Ainsi, grâce à une collaboration interdisciplinaire, les idées et les discours concernant la personnalité, l’itinéraire, la maladie et la production de ce prêtre original, deviennent moins approximatives et plus justes. On remarque, en outre, que ces dernières années, du fait à la fois de l’essor continu de la recherche et des progrès des techniques de communication (avec notamment le développement de la navigation sur Internet), l’oeuvre géographique singulière du Vaticanus et du Palatinus est de plus en plus connue: elle suscite des communications de congrès96 et des sujets de thèses97; sites Web98 (y compris grecs, hébreux, japonais et russes), articles de journaux99 et guides culturels sur Pavie et sa région la mentionnent et/ou la reproduisent. Le « succès » rencontré par ces cartes – qui sont à première vue plus séduisantes et d’accès plus facile que les textes dans les manuscrits du scribe – nécessite encore davantage qu’elles soient remises à leur juste place. Le dernier livre de Guy Roux ainsi que cette édition-traduction du B. GUILLEMAIN, Les papes d’Avignon (1309-1376), Paris, Le Cerf, 1998, p. 101. Exemples récents: VICTORIA MORSE, « An Apologist for Papal Avignon: The Moral Geography of Opicino de Canistris » (Medieval Academy of America Meeting, Minneapolis, 10-12 avril 2003); DIANE O. HUGUES, « Comparatives Cartographies: Opicinus de Canistris and the Remapping of Europe » (14th Biennial Congress of the New Chaucer Society, Université de Glasgow, 15-19 juillet 2004). 97 Exemples: BENJAMIN THOMAS LEECH, The Face of the Earth: « Theography » and the drawings of Opicinus de Canistris (Reed College, Portland, États-Unis); Katrin Karcher, Bild und Erkenntris im Spätmittelalter. Studien anhand der Werke von opicinus de Canistris und Convenevole da Prato (Hochschule für Gestaltung, Karlsruhe, Allemagne). 98 Notamment le site de l’« Associazione culturale Liutprand » (Pavie), coordonné par Alberto Arecchi: www.liutprand.it 99 Muriel Louâpre commence son article sur « La géographie littéraire et ses atlas » (dans Histoires Littéraires, n° 10, 2002, pp. 87-92) par ces mots: « Entre 1336 et 1351, Opicinus de Canistris dessine et commente les cartes littéraires d’un univers insaisissable dont lui seul eut la révélation au cours de voyages mystiques ». La carte V 21 a été publiée en 1990 dans Libération (2 février 1990, p. 30). La carte V 28 (édulcorée!) figurait dans SudOuest-Dimanche (28 mars 2004)… 95 96

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Vaticanus ont, entre autres, pour but de tenter de convaincre ceux qui auraient encore des réticences à admettre la pathologie mentale d’Opicinus. Car seules l’édition et la traduction complètes du Vaticanus permettent de laisser la parole à Opicinus, de lui permettre d’exprimer « sa » vérité et d’en rendre compte sans parti pris: nous verrons que sa maladie mentale, si elle peut susciter des discussions sur des points de détail, devient maintenant difficile, pour ne pas dire impossible, à contredire sur le fond. Nous espérons ainsi que ceux qui dénient à Opicinus de Canistris le qualificatif de psychotique prendront conscience que cela ne diminue pas la richesse et l’intérêt de son œuvre, mais la place dans une optique différente, particulièrement intéressante et originale.

3. DESCRIPTION

EXTERNE

Le codex Vaticanus latinus 6435 d’Opicinus de Canistris se trouve encore aujourd’hui à la Bibliothèque apostolique vaticane. Dans la mesure où Opicinus l’a réalisé à l’insu de son entourage, nous ignorons pourquoi il a été mis dans les archives pontificales à sa mort, d’autant plus qu’il est rédigé sur papier, support moins noble que le parchemin à l’époque et qui laissait ainsi supposer un contenu peu officiel ne méritant pas de passer à la postérité. C’est sans doute parce que ce travail émanait d’un scribe de la Pénitencerie apostolique, qu’il présentait des propos à tonalité religieuse et de nombreux dessins en couleurs incluant des représentations christiques, et que personne n’a pris le temps de l’analyser de près (encore aurait-il fallu comprendre qu’Opicinus délirait!), qu’il n’a pas été jeté. On mesure encore mieux la chance que représente sa conservation quand on sait que les archives de la Papauté avignonnaise ont connu de multiples pérégrinations avant de regagner Rome, voyages au cours desquels ce manuscrit aurait pu être égaré ou endommagé. Mais il n’a été répertorié qu’à la fin du XVIe siècle dans les Manuscrits des Archives du Palais d’Avignon, avec le commentaire suivant: « Livre rempli de dessins variés qu’on peut difficilement interpréter; ils concernent la ville de Pavie et d’autres thèmes ecclésiastiques, et comprennent de nombreux éléments mystérieux » (Archivio Segreto Vaticano, Ind. 246, 1594, fol. 52); l’auteur était tombé dans l’oubli et ce curieux livre est ainsi resté anonyme jusqu’au milieu du XXe siècle. A l’heure actuelle, le manuscrit est protégé des intempéries et de la chaleur, et il a été habilement restauré par le Ministère de la Culture (France), à l’occasion de l’exposition de 2000. Cette restauration était devenue indispensable dans la mesure où les manipulations répétées du codex depuis quelques décennies avaient abîmé sa reliure déjà ancienne et que des folios commençaient à se détacher. Il est donc désormais protégé par une belle reliure, constituée d’une couverture rigide et solide de www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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33 cm sur 23 cm, dont la couleur verte est agrémentée en haut et en bas de triangles blanc cassé; on retrouve le même blanc cassé sur le dos, qui fait 6,5 cm de large et porte la cote du document ainsi que les armoiries du Vatican. A l’intérieur, on constate que le papier utilisé par Opicinus était de bonne qualité: il est assez épais (il ferait penser à nos feuilles de carton souples) et résistant, d’une couleur blanc cassé (reprise par la reliure) agréable à l’œil; et l’écriture comme les dessins s’y détachent parfaitement. Il est composé de 23 quaternia (un quaternion est un cahier comportant quatre bifeuillets): Opicinus a numéroté ces cahiers en indiquant un chiffre romain en bas à droite du verso correspondant à la fin de chaque cahier. Nous sommes sûrs que cette numérotation date de 1337, c’est-à-dire qu’elle est concomitante de la rédaction générale du codex, puisque, quand Opicinus a rajouté des addita en 1338 en bas des pages où ce chiffre figurait, celui-ci s’est trouvé inclus dans l’additum (ex: fol. 23v° pour le cahier VII; fol. 47v° pour le cahier XIII). Malheureusement, le début du manuscrit présente des folios incomplets et endommagés par l’humidité: le premier numéro de quaternion est II (fol. 3v°): il manque donc apparemment le premier cahier et le premier folio du deuxième. La réalité est un peu plus complexe: en effet, lorsque le manuscrit a été folioté (vraisemblablement au XVIe siècle) au moyen de chiffres arabes indiqués en haut à droite du recto de chaque folio – ce qui donne quatre folios r°v°, c’est-à-dire huit pages, par cahier – il avait déjà subi des détériorations: le fol. 1, dont ne subsistent que d’étroits lambeaux, est suivi d’un fol. 1a; après quoi la numérotation des folios suit son cours normal. On peut alors supposer que le fol. 1 correspond au premier folio du deuxième cahier, le fol. 1a au deuxième folio, le fol. 2 au troisième et le fol. 3 au quatrième; ainsi les folios du deuxième quaternion (ou les fragments qui en restent) seraient en fait encore tous présents et seul manquerait le premier cahier. L’autre hypothèse consiste à penser que le fol. 1 est un vestige du premier cahier et qu’il ne nous reste que trois folios sur quatre pour le deuxième cahier. L’humidité est certainement responsable d’une grande partie des dégâts constatés: outre ce qui manque, on remarque que le texte des fol. 1 à 6 inclus est en partie taché et délavé, en particulier sur les bords – d’où la nécessité de recourir à la lampe de Wood pour parvenir à restituer un certain nombre de passages. Mais on peut également penser qu’un autre facteur a sans doute hâté la détérioration du manuscrit: les premières personnes qui l’ont consulté dans les siècles passés, en se posant sans doute des questions sur son auteur et son aspect original, ont commencé, comme il est classique de le faire, par feuilleter les premiers folios, et le premier quaternion a fini par se détacher et disparaître. En revanche, il est probable qu’il ne manque rien à la fin du codex qui, certes, présente lui aussi les signes des agressions de l’humidité www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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(taches foncées de dimensions variables, ayant parfois fait disparaître complètement des morceaux de texte). Mais aucun folio n’est en lambeaux; et surtout le manuscrit se termine de façon précise avec la fin du cahier XXIII, juste après le dessin V 34, très complexe et qui représente le point culminant de la pensée délirante d’Opicinus, à l’issue d’une série de dessins de plus en plus envahissants par rapport à l’écriture. Au total, le codex comprend aujourd’hui 176 pages, sur un total qui devait être de 184 pages au total. Chaque page mesure environ 21,5 cm x 31,5 cm; mais la tranche du papier présente des irrégularités originelles: le papier est légèrement gondolé sur les bords, certes d’abord en raison du procédé classique de fabrication du papier à l’époque, qui comportait la rencontre de la pâte avec le cadre de bois, mais aussi parce que l’humidité a provoqué l’apparition d’une multitude de minuscules taches jaune clair sur l’ensemble du manuscrit, en particulier près des bords, et que ce phénomène a accentué le gonflement et l’usure de ces bords, au point même parfois de rogner quelque peu certaines notes situées dans la marge (ex: fol. 52v°). Le travail de restauration déjà mentionné a fixé l’ensemble des folios à l’intérieur de la reliure: ils sont tous encollés sur une bande blanc cassé d’environ 1,5 cm de large. De plus, les folios incomplets du début et de la fin (fol. 1, 1a, 2, 86 et 87) ont été replacés sur un support souple, blanc cassé lui aussi, respectant les dimensions initiales. Lorsqu’on le feuillette, le codex présente successivement deux parties contrastées: la première, qui va jusqu’au fol. 48, comprend presque exclusivement des textes regroupés en paragraphes qui se suivent et remplissent les pages. Deux plans sommaires pourvus de discrètes allusions géographiques (fol. 19 et 42v°: schémas A et C) un croquis à base géométrique (fol. 41v°: schéma B) et un médaillon tardif (fol. 29) y rappellent néanmoins la tendance fondamentale qui porte Opicinus à dessiner. En revanche, entre le fol. 48v° et la fin du codex, l’évolution vers le dessin se précise puis s’accélère: 34 dessins (que nous avons numérotés V 1 à V 34)100 alternent avec les paragraphes écrits; et eux-mêmes sont pourvus de notes plus ou moins abondantes. Or on constate que le premier dessin, qui est chronologiquement parlant V 2 et non pas V 1, est réalisé « entre l’Exaltation de la sainte Croix [14 septembre 1337] et l’octave de la nativité de Marie [15 septembre 1337]» (note 63), fêtes dont les thèmes comme les textes ont fourni à Opicinus l’occasion de réécrire sa vie à partir de 1334 à l’aune de son délire, notamment en développant ses identifications au Christ crucifié et à Marie: ainsi, dans l’image V 2, le prêtre

100 Quelques minuscules dessins apparaissent aussi çà et là dans le manuscrit (fol. 34v°, 35v°, 83v°); ou des lettres utilisées pour faire un croquis (fol. 19v°, 31v°, 44v°, 59v°).

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se livre encore à une autobiographie, beaucoup plus difficile à décrypter que P 20, mais de contenu similaire. On peut alors estimer que cette première image a été le point de départ de la tendance croissante au dessin qui se manifeste dans la seconde moitié du manuscrit. Les textes extérieurs aux dessins sont groupés en paragraphes (appelés capitula par le scribe: fol. 45) qui présentent un aspect classique pour l’époque: ils sont écrits à l’encre « noire » (brunâtre, en fait), sauf pour le titre (rubrica) qui se détache en rouge. Les paragraphes sont de longueur très variable: certains n’occupent qu’une ligne (ex: fol. 53 et 66v°), alors que d’autres atteignent ou dépassent une page (ex: fol. 8v°, 14v°, 31, 40v°-41, 55v°, 57, 75v°). Opicinus écrit rapidement et utilise une écriture cursive gothique, régulière, sans tendance marquée à l’inclinaison, plutôt harmonieuse dans son ductus et tout à fait lisible. Sur le plan paléographique, on retrouve la panoplie usuelle des abréviations (par contraction, suspension, lettres suscrites, signes conventionnels, graphisme et nomina sacra)101. Notons quelques particularités classiques pour l’époque: lettres le plus souvent dépourvues de hastes et de hampes102 prolongées; gonflement des traits dans certaines lettres en position initiale, notamment O, E et surtout S (lequel est très rond); lettre d présentant fréquemment la haste inclinée vers la gauche – cette haste pouvant être munie d’un crochet; conjonction et écrite sous la forme d’un petit chiffre arabe 7… De même, comme il est habituel à l’époque, la ponctuation est faible: peu ou pas de points (ces derniers pouvant en outre correspondre à nos virgules ou points-virgules), pas de guillemets ni de deux-points; or il arrive souvent qu’Opicinus cite une phrase ou une expression de la Bible sans le spécifier: il faut donc procéder à un travail personnel de repérage et d’identification de ces citations. Le scribe recourt de manière également très classique aux chiffres romains (dates, numérotation des cahiers…). Dans l’ensemble, la transcription du manuscrit s’est avérée plus longue que difficile. Quelques particularités d’écriture et de mise en page sont néanmoins propres à Opicinus. Un certain nombre de mots sont repris et/ou surchargés (ex: les « quaternités » qui deviennent six: fol. 28v°); on trouve des passages abondamment raturés (ex: fol. 43 et 50) et des paragraphes supprimés après coup (ex: fol. 3v° et 50), qui correspondent aux tâtonnements de l’auteur en proie à son excitation en 1337 ou à ses corrections postérieures. En effet, le premier jet du codex a ensuite été revu par le scribe pendant des mois et des années (nous verrons plus loin la chronologie précise de ce travail). Mais Opicinus n’a pas seulement effectué des reprises; il a également complété L’orthographe présente quelques particularités: ainsi ymago (et ses dérivés: ymaginatio, ymaginare…) et ydola commencent toujours par un y; heremita, heremeticus par un h etc. 102 La haste désigne le prolongement du jambage d’une lettre vers le haut; la hampe, son prolongement vers le bas. 101

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son travail, soit en ajoutant des titres à l’encre rouge (qui se repèrent parce qu’ils ne sont pas placés à gauche comme ceux qui ont été indiqués dès le début), soit par des additions de texte (addita) plus ou moins longues: elles sont situées au-dessus des lignes ou dans la marge proche pour les plus courtes, dans les hauts ou surtout les bas de pages, ou dans les marges, ou encore au-dessus des paragraphes pour les plus longues; le texte de base comporte de ce fait de multiples signes de renvoi (petites croix, petites croix entourées de quatre points, deux barres obliques…). Or si les additions opérées en 1337 sont écrites de la même façon qu’auparavant, celles qui sont plus tardives présentent une écriture plus resserrée et plus claire qui permet de les repérer d’emblée. Les plus longs de ces addita constituent de petits paragraphes, situés en bas de page dans le texte proprement dit, précédés d’un titre écrit le plus souvent à l’encre rouge, et datés; dans les dessins annotés, en revanche, les addita datés se trouvent à des emplacements variables (ex: V 28 et V 29). Globalement, le manuscrit frappe par sa densité extrême: tous les espaces sont utilisés par un texte ou un dessin; au lieu d’aller à la ligne, Opicinus se contente assez souvent de mettre un crochet alinéaire103; et la multiplication des addita accentue encore ce caractère compact. S’agit-il d’un effort pour ne pas gaspiller le papier ou d’une technique de « bourrage » habituellement prêtée aux schizophrènes? Le dessin d’une main à l’index levé revient assez souvent dans la marge de gauche, pour attirer l’attention sur le paragraphe rédigé en regard; nous ignorons si cette série de mains date de 1337 ou si elle a été rajoutée par le scribe plus tard, mais nous penchons pour la seconde hypothèse104. Quelques passages sont soulignés en rouge: il s’agit toujours de citations essentielles pour Opicinus qui les reprend à son compte (fol. 1, 42v°-43, 46v°, 64v°, 73 et 78v°). Remarquons aussi la fréquence des encadrements: le scribe y a recours chaque fois qu’il veut isoler nettement une expression par rapport au reste du paragraphe, notamment la date (surtout au début du codex: fol. 2v°, 3, 4, 6v°…), la plupart des numéros de cahiers, l’âge du Christ (fol. 62v°-63v°), les sous-titres de paragraphes (ex: fol. 43, 50, 52v°, 60v°), quelques rajouts dans la marge (ex: fol. 1av°, 37v°, 40v°) et quelques titres d’addita en bas de page pour lesquels Opicinus était sans doute à court d’encre rouge (ex: fol. 36, 40, 55)105; on constate ici, comme pour les lignes qu’il trace pour séparer un 103 Lorsqu’il y a un crochet alinéaire (potence orientée vers la droite), nous allons à la ligne dans la transcription. Certains d’entre eux sont indiqués à l’encre rouge (fol. 1av°, 37, 39v°, 50, 65). 104 En revanche, les lettres et les chiffres arabes indiqués dans la marge de gauche ou dans celle du bas ne sont pas de la main d’Opicinus, mais de la même main que celle qui a folioté le document; sans doute s’agissait-il d’une tentative de classement… 105 Ces encadrements ne sont pas reproduits dans la transcription, sauf pour les âges du Christ dans la concordance des évangiles (fol. 62v°-63v°).

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texte et un dessin, une méticulosité et un goût pour la géométrie très marqués et que nous retrouverons dans les dessins. Enfin quelques pages sont présentées sous forme de colonnes: le fol. 4, qui oppose une liste de papes exerçant « le pouvoir spirituel » et une liste d’empereurs exerçant « le pouvoir fictif »; et les fol. 62v°-64v° qui présentent une concordance des évangiles propre à Opicinus. Les mots et les notes qui garnissent les dessins présentent beaucoup de points communs avec les textes seuls. Mais on remarque que leur importance quantitative varie beaucoup d’un dessin à l’autre. Plus encore, ils sont apparemment écrits dans n’importe quel sens et il faut donc faire pivoter le dessin pour les lire. Les mots écrits en rouge peuvent correspondre au titre (ex: V 5, V 8); mais ils sont surtout utilisés par le scribe soit pour valoriser les mots et expressions importantes (ex: V 6, V 11, V 18, V 25, V 32), soit, dans certaines cartes comportant des superpositions, pour distinguer des noms de lieux relevant d’une géographie différente de celle des mots écrits en noir (ex: V 28, V 29, V 34). Quant aux dessins, dont nous ne présentons ici que les réflexions qu’ils suscitent à première vue, notons d’emblée leur excellent état de conservation, qu’il s’agisse du tracé et, plus encore, des couleurs dont Opicinus les a parés et qui donnent à ce recueil d’images une étrange beauté. Les premiers dessins n’occupent assez souvent qu’une partie de la page; puis la plupart sont pleine page (3/4 dans l’ensemble). On est d’emblée frappé par l’abondance des cercles, la répétition de cartes anthropomorphes variées, la présence de personnages au visage lunaire plus ou moins cachés… Comme des addita écrits, datés ou non, figurent sur ces dessins, certains éléments dessinés, en rapport avec ces addita, ont été rajoutés après coup, mais ils ne font que compléter l’ensemble du dessin (ex: le lapin dans V 18, l’arche de Noé dans V 29, le florin placé en Italie dans V 30). Rappelons enfin l’importance progressivement croissante de ces dessins dans la seconde moitié du manuscrit, qui donne finalement la primauté à l’image sur le texte. Les cartes anthropomorphes constituent la majorité de ces images (23 sur 34): elles se suivent même en série, car elles ont été dessinées à jet continu. Elles sont centrées sur le bassin méditerranéen qui prend une forme diabolique, tandis que l’Espagne et la région africaine lui faisant face de l’autre côté du détroit de Gibraltar présentent un visage d’homme ou de femme (ou androgyne); et cet anthropomorphisme est constant. Mais pour les trois acteurs principaux de cette mise en scène de base, on note des différences d’un dessin à l’autre. En effet, l’Europe et l’Afrique présentent des variantes sur chaque image: le personnage est tantôt un homme, tantôt une femme, tantôt androgyne; les traits du visage, la chevelure, le vêtement changent également. En revanche, la figure diabolique qui occupe la mer Méditerranée est presque toujours la www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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même. Il s’agit alors de comprendre les significations cachées et délirantes qu’Opicinus attribue à ces personnages.

4. CHRONOLOGIE L’étude de la chronologie suivie par Opicinus pour réaliser son codex révèle également certaines particularités de son évolution psychologique. En effet, nous savons par l’auteur lui-même (fol. 53) qu’il s’est mis à écrire « à partir de la nativité de saint Jean-Baptiste [24 juin 1337] ou aux environs »; et le fol. 86v° indique les « nones de novembre » (5 novembre) de la même année comme terme du premier jet du manuscrit, les dessins V 33 et V 34 du fol. 87 r°v° étant légèrement antérieurs. C’est dire qu’en quatre mois environ, Opicinus a écrit et dessiné ce manuscrit (même si nous savons qu’au moins pour les dessins, il avait fait des brouillons dès 1335); et son travail a été souvent nocturne, à la fois parce que, dans la journée, il continuait à assumer ses fonctions à la Pénitencerie et parce que son état mental le maintenait sous tension en permanence, au détriment du sommeil. Bref, il a consacré le meilleur de son énergie et un nombre d’heures qui se comptent par centaines à cette œuvre à ses yeux vitale et qu’il ne destinait qu’à lui-même, avec une intensité fébrile manifeste dans l’écriture comme dans le contenu. Ces particularités sont liées, nous l’avons déjà dit, non seulement au délire chronique qui s’est organisé chez lui depuis 1334, mais aussi, au sein même de ce contexte général psychotique, à une phase d’excitation hypomaniaque déclenchée par l’issue positive de son procès le 24 janvier 1337 (le même procès qui l’avait fait basculer dans la psychose trois ans auparavant!). Après avoir vraisemblablement mûri son projet un certain temps, Opicinus a donc passé l’été et le début de l’automne à exprimer dans ce journal, en écrits et en images, les idées délirantes qui jaillissaient de son esprit et traduisaient sa volonté de toute-puissance et son égocentrisme absolu. Les précisions chronologiques données par Opicinus sur l’année au cours de laquelle il écrit suscitent d’emblée des interrogations: en effet, il appelle systématiquement 1337, l’année où il a rédigé l’essentiel de son codex, « année du renouvellement »; par ailleurs, les addita et quelques remarques faites ici et là par le prêtre (ex: fol. 53) nous permettent de reconstituer un cycle de sept années, allant de 1335 à 1341, qui ont pour lui une signification spéciale: « attente » (1335), « récompense » (1336), « renouvellement » (1337), « perfection » (1338), « révélation » (1339), « couronnement » (1340) et « sérénité » (1341). Le scribe suit vraisemblablement le style de Noël (commencement de l’année le 25 décembre, soit une semaine en avance par rapport à notre style: voir fol. 72v°), comme il était d’usage à la chancellerie pontificale à l’époque; mais l’absence de www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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paragraphe datant de la période située entre Noël et le 1er janvier ne nous permet pas de trancher. Dans les écrits de 1337 comme dans les addita, les précisions concernant les quantièmes ont une apparence classique: Opicinus utilise tantôt le calendrier romain, tantôt le calendrier liturgique, tantôt les deux à la fois: – Fait l’année du renouvellement, le 9 des calendes de septembre, le jour de la fête de saint Barthélémy, apôtre, le 11e dimanche après la Pentecôte [dimanche 24 août 1337] (fol. 24v°). – Fait le 2 des calendes d’octobre [30 septembre 1337]106, jour de la fête de saint Jérôme, prêtre et docteur (V 9). – Ajouté l’année de la perfection, le 6 des ides de mars, la 3e férie de la deuxième semaine de Carême [mardi 10 mars 1338] (fol. 10). Il restera à voir comment Opicinus utilise et récupère ces indications. Mais si l’on étudie de près la chronologie de la rédaction du manuscrit, on remarque que la première date indiquée (fol. 1av°, 2e cahier) est celle du 23 juillet 1337. Pour les 22 cahiers qui nous restent, le rythme d’écriture est rapide: Opicinus les a écrits en 15 semaines (entre le 23 juillet au plus tard et le 5 novembre 1337): en moyenne, chaque cahier est donc rédigé en moins d’une semaine et Opicinus montre une assez nette régularité dans son travail. On peut donc en déduire que le début du 1er cahier se situe entre le 15 et le 20 juillet – ce qu’Opicinus appelle « aux environs » de la fête de saint Jean-Baptiste107, pour donner une valeur symbolique rétrospective au commencement de son travail, puisqu’il s’identifie souvent à la figure du Précurseur. Au mois d’août, deux accélérations sont visibles: pour le 5e cahier, écrit entre le 8 août et le 10 ou 11 août; et pour le 8e cahier, écrit encore plus vite, entre le 26 août et la nuit du 27 au 28 août, à la veille de la fête de saint Augustin (28 août), une autre figure essentielle pour Opicinus. A partir du moment où les dessins apparaissent, la cadence se ralentit très légèrement, et on remarque même qu’Opicinus a mis une dizaine de jours pour réaliser le 17e cahier (mais peut-être en raison de la préparation des colonnes de concordance des évangiles qui occupent cette partie du cahier). Et la fin du premier jet de ce cahier est daté du 5 novembre, soit le jour de la fête des saintes reliques: on peut présumer qu’Opicinus a terminé son manuscrit avec une date à portée symbolique, comme il l’a fait a posteriori pour le commencer. Dans le jet principal de 1337, Opicinus n’indique pas l’année à chaque fois. Vel circa est une expression utilisée ailleurs par Opicinus pour présenter les dates et les lieux à sa façon: voir fol. 31v°; fol. 74; V 19, note 12… 106 107

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La chronologie des addita est également très instructive: nous avons, en effet, pu compter 136 addita porteurs d’une date, qui nous donnent une idée générale de la manière dont Opicinus a complété sa rédaction initiale. Car nous ne devons pas oublier, d’une part, que tous les rajouts ne sont pas datés, et d’autre part, qu’il nous manque les addita du premier cahier; en estimant qu’ils étaient présents dans ce cahier avec une fréquence moyenne comparable au reste du codex, c’est-à-dire environ six par cahier, on peut avancer que l’ensemble du manuscrit comportait à l’origine au moins 140 addita datés. Dès 1337, et même avant la fin de la rédaction du jet initial, Opicinus revient sur ce qu’il a écrit: en plus de probables corrections, il commence à mettre des addita: le tout premier date du 7 août 1337, sept sont indiqués pour le mois de septembre, quatre pour le mois d’octobre; nous en trouvons ensuite onze en novembre et huit en décembre; soit au total, 31 addita pour l’année 1337. Entre le 13 décembre 1337 et le 24 janvier 1338, Opicinus marque une pause et ne rajoute qu’un additum, le 9 janvier; il en écrit trois autres à la fin de ce mois. A partir du mois de février 1338, la cadence augmente: 15 addita pour février, 15 pour mars, 12 en avril et 18 en mai – régulièrement échelonnés pendant l’ensemble de cette période. On constate ainsi, en regardant également les indications relatives aux quantièmes, que c’est la période du Carême (avec notamment la Semaine sainte) et, immédiatement après, celle qui va de Pâques à l’Ascension qui ont inspiré Opicinus. Il faudra, à l’évidence, revenir sur cette période cruciale pour Opicinus. La périodicité des addita est ensuite à nouveau espacée: après 24 jours où le scribe s’abstient de compléter son manuscrit, il indique cinq addita fin juin 1338 (un pour la nativité de saint Jean-Baptiste, le 24 juin, et quatre pour la fête de saint Jean et de saint Paul, le 26 juin), et quatre début juillet; un grand « blanc » leur succède à nouveau jusqu’à fin août, où nous trouvons encore cinq addita (un pour la fête de saint Augustin, le 28 août, trois pour la décollation de saint Jean-Baptiste, le 29 août, et un pour le 11e dimanche après la Pentecôte, le 30 août). Pour les derniers mois de l’année, Opicinus garde un rythme ralenti: un additum en septembre, sept en octobre, aucun en novembre, deux en décembre. Soit au total 88 addita pour « l’année de la perfection » que représente 1338 aux yeux d’Opicinus, dont 64 entre début janvier et fin mai. Les années suivantes, Opicinus continue à revoir son manuscrit, mais ses addita ne cessent de décroître: 14 au total pour l’année 1339 (un à caractère général, six en janvier, un en février, trois en juillet, deux en août et un en octobre); deux seulement en 1340 (16 mars et 11 mai); et un en 1341 (28 août). Puis nous ne trouvons plus aucun additum daté; nous sommes néanmoins certains qu’Opicinus n’a pas pour autant délaissé son codex puisque, dans la colonne des papes du fol. 4, il rajoute I à Innocent V en décembre 1352, lors de l’élection d’Innocent VI: estwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ce là le dernier témoignage écrit de ses prétentions délirantes à la papauté, manifestées peu de temps avant de mourir? Dans l’ensemble, on constate donc que ce journal rédigé pour l’essentiel en 1337, d’une importance primordiale aux yeux d’Opicinus, n’a cessé de constituer pour lui un vivier représentatif de l’ensemble de son délire, où il puisait les idées qu’il explicitait dans les grandes planches sur parchemin confectionnées jusqu’à sa mort. * * * Bref, dans le manuscrit Vaticanus latinus 6435, où la dégradation due au temps est très modérée pour les textes et quasiment inexistante pour les dessins, Opicinus offre d’emblée un mélange de classicisme et d’originalité: il apparaît déjà comme une figure de son temps témoignant simultanément d’un autre univers.

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BIOGRAPHIE D’OPICINUS DE CANISTRIS L’existence d’Opicinus1 s’est déroulée successivement dans deux cadres différents: l’Italie du Nord (de sa naissance à 1329) et Avignon (de 1329 à sa mort). La Lombardie était alors infestée par le conflit séculaire entre guelfes (partisans de la papauté) et gibelins (partisans de l’empereur); et Avignon était précisément devenue le siège de la cour pontificale depuis que l’exacerbation de ces luttes entre guelfes et gibelins avait entraîné l’exil de la papauté au début du XIVe siècle.

1. EN LOMBARDIE (1296-1329) Opicinus naît à Lomello (près de Pavie) le 24 décembre 1296. Il grandit dans une famille bien implantée localement, appartenant à la bourgeoisie ou à la petite aristocratie, et traditionnellement guelfe. Son instruction se déroule à Pavie et dans les environs, notamment à Biella. Dès l’âge de 6 ans, il s’adonne aux apprentissages de base: lecture, écriture, comput, chant. Puis il est initié à la grammaire et au dessin; c’est le premier contact avec le domaine artistique où il excellera: « J’étudiais surtout la peinture des images » (P 20, année 1308). Il fait ensuite quelques études de chant, de médecine et de musique. Tout jeune, il assiste aux luttes intestines fratricides qui déchirent l’Italie. Ses études s’en trouvent perturbées, car il doit plusieurs fois changer de maître et trouver des emplois temporaires pour subvenir aux besoins familiaux: précepteur, collecteur de péages… Le 8 octobre 1315, Pavie est prise par les gibelins et la famille d’Opicinus s’exile à Gênes. De 1316 à 1318, le séjour d’Opicinus à Gênes marque pour lui un tournant essentiel. Tout d’abord, la situation financière familiale s’aggrave et ces préoccupations pour survivre accablent le jeune homme, entraînant chez lui une fragilité croissante. Il prend aussi progressivement ses distances avec le parti guelfe, d’autant plus qu’un de ses jeunes frères puis

1 En dehors de quelques documents extérieurs, à l’apport parfois déterminant (lettres pontificales, jugement de la Rote du 24 janvier 1337: voir la partie « Sources et Bibliographie »), les sources concernant la vie d’Opicinus nous sont fournies par le prêtre lui-même: d’abord la planche P 20 du manuscrit Palatinus, qui a donné lieu pendant longtemps à des analyses et spéculations inexactes, mais dont Guy Roux a proposé récemment un décodage serré permettant de distinguer le réel et l’imaginaire (voir Art et folie…, p. 171265); ensuite les informations contenues dans les nombreuses allusions, confidences et anecdotes, écrites ou dessinées, que contient le Vaticanus; enfin les autres renseignements consignés plus tardivement dans le Palatinus. Toutes ces données autobiographiques fournies par Opicinus lui-même datent de l’époque où il était psychotique et ont donc été écrites sous la dictée du délire: le vécu personnel est « revisité » par la psychose.

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XLVIII

BIOGRAPHIE D’OPICINUS DE CANISTRIS

son père meurent alors dans des circonstances obscures. Par ailleurs, il se met à approfondir et à pratiquer l’art de l’enluminure: « J’ai appris l’art de l’enluminure des livres quand j’habitais Gênes, la porte de la barbarie, en étant pauvre » (Vat., fol. 65). Il a alors l’occasion de voir les premières cartes marines (appelées souvent à tort « portulans »): « Gênes a montré comment s’y prendre pour dessiner l’univers de Pavie » (Vat., fol. 53); on trouve là le point de départ de sa future vocation de cartographe. Il commence aussi à s’intéresser à la théologie et, plus encore, à la Bible: « Passionné par l’Écriture sainte et rechignant à apprendre les autres arts […], j’étudiais l’Écriture sainte sans maître visible » (V 15, note 10). Ainsi, quand il revient à Pavie, en 1318, Opicinus a mûri et amorcé une mutation: « Je me renforçais intérieurement en esprit » (P 20). À son retour de Gênes, il se destine à la prêtrise et fait les études complémentaires requises. Les 2 et 3 mars 1319, il reçoit les ordres mineurs à Bologne; fin mars 1319, il reçoit le diaconat et le sous-diaconat entre Milan et Lodi; et en décembre de la même année, il écrit son premier traité religieux: le De parabolis Christi. Enfin, le 27 février 1320, il est ordonné prêtre à Parme (il ne pouvait l’être à Pavie à cause de l’interdit qui frappait la ville). Peu après, il rédige un autre traité: le De decalogo mandatorum. Mais dès 1321, son état psychologique se dégrade. Il devient l’objet de « nombreux et inextricables scrupules » (P 20), d’« obsessions », d’« embarras de conscience cruels pour l’esprit »: « Ma conscience était si scrupuleuse que je transformais chaque certitude en doute » (Vat, fol. 80v°). Le prêtre ne cesse de s’interroger sur la valeur des sacrements en général, de celui de l’ordre en particulier; il a envie de rire pendant les offices. Bref, il manifeste des troubles obsessionnels qui s’avèreront durables. Après nombre d’atermoiements, Opicinus obtient une modeste paroisse: « J’ai été choisi pour la paroisse de Sainte-Marie-La-Chapelle » (P 20, fin 1323). Il s’y s’installe début 1324, s’y livre à son activité de prédicateur et continue à écrire (Libellus dominice Passionis). Mais entre 1325 et le début de 1328, il commet une faute grave: un délit simoniaque (trafic de sacrements, de charges ou de bénéfices ecclésiastiques), attesté par le jugement de la Rote du 24 janvier 13372. Cette tentative de corruption lui vaut d’être excommunié par l’évêque de Pavie au début de l’année 1328: « J’ai été effacé du livre des chrétiens […] et j’ai été inscrit dans le livre des créatures païennes, qui est le livre de l’enfer et de la mort » (Vat, fol. 31). Cette excommunication non seulement brise ses rêves d’ascension sociale, mais elle le menace de la prison à court terme. 2 THOMAS FASTOLF, Decisiones Rotae Romanae, Paris, BnF, Réserve E 706, fol. 264v°265: compte rendu de l’audience de la Rote du 24 janvier 1337, qui clôt le procès d’Opicinus. Voir Art et folie…, p. 49 et pp. 195-209.

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BIOGRAPHIE D’OPICINUS DE CANISTRIS

XLIX

Incapable de faire face à la sanction, le prêtre fuit et se réfugie d’abord à Valence. Il y connaît de sérieux problèmes de santé: « Exilé depuis peu à Valence, […] une maladie physique très grave m’a laissé aux portes de la mort pendant toute une journée et la nuit suivante » (Vat., fol. 7v°). Contraint à la mendicité, il partage l’existence de bandes de spirituels, ces partisans de la pauvreté absolue qui se situaient à la frange de l’hérésie: « Je vivais avec peu d’argent, dans la liberté des spirituels » (Vat., fol. 12v°). Opicinus erre d’abord en Lombardie à la fin de 1328 et au début de 1329, tout en essayant – en vain – de trouver une autre paroisse que Sainte-Marie-La-Chapelle. Il rédige aussi plusieurs traités: le De paupertate Christi, le De virtutibus Christi et les Lamentationes virginis Marie (janvier-février 1329). Puis il quitte l’Italie et descend la vallée du Rhône jusqu’à Avignon. Finalement il entre à Avignon en avril 1329, au moment des fêtes pascales. Cette première arrivée est provisoire, car il repart pour Valence à la fin du printemps ou pendant l’été et revient, définitivement cette fois, à Avignon en septembre 1329.

2. EN AVIGNON (1329 –

VERS

1353)

Une fois fixé en Avignon, le prêtre se fait prendre en charge par la Pignotte, l’aumônerie pontificale des pauvres, car il est épuisé par les privations. Il cherche aussi à se faire absoudre pour les graves fautes qu’il a commises et multiplie les confessions en 1329-1330: absolution générale, démarches très difficiles auprès des pénitenciers, absolution du camérier; mais ses « angoisses » continuent à l’accabler: « J’ai été pris de doutes en me demandant si les dispositions prises à mon égard par les pénitenciers du siège apostolique n’étaient pas entachées d’irrégularités » (Vat., fol. 80v°). Parallèlement, Opicinus développe l’espoir de réaliser à nouveau les ambitions auxquelles il avait renoncé du fait de son exil volontaire. En effet, la cour pontificale est alors organisée en monarchie centralisée et fréquentée par nombre d’artistes et de lettrés. Il commence donc par rédiger plusieurs traités: en 1329, le De preeminentia spiritualis imperii, commencé à Valence et terminé en Avignon, qui défend de manière assez classique la suprématie du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel; en 1330, le Tractatus dominice orationis, un Libellus confessionis qu’il garde secret, et le De laudibus Papie où il se répand en éloges sur sa ville natale et ses habitants. En même temps, il affine sa stratégie de séduction auprès du pape devant lequel il comparaît le 10 octobre 1329 et qui apprécie le prêtre lombard: « Le seigneur pape Jean XXII a dit que j’étais un philosophe, ainsi qu’on me l’a rapporté » (Vat., fol. 74). Il fait intervenir Jean www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

L

BIOGRAPHIE D’OPICINUS DE CANISTRIS

Cabassole, un professeur de droit civil; il envoie ses traités et adresse des « suppliques » au pape… Et la situation finit par s’arranger puisque Jean XXII nomme Opicinus scribe à la Pénitencerie apostolique (décembre 1330). Cette nomination pousse le prêtre à entreprendre en janvier 1331 un tableau destiné à remercier le pape; mais il l’a à peine ébauché que ceux qui le poursuivaient depuis Pavie lui intentent « inopinément un procès » (Vat., fol. 51v°) à Avignon ! Les problèmes du scribe deviennent alors quasiment insolubles. Pendant trois ans, son état psychologique continue donc à se dégrader. Néanmoins il parvient à écrire deux traités religieux: le De septiloquio virginis Marie (1332) et le De promotionibus virginis Marie (1333). Et en janvier 1334, il met au point une ultime tentative qui lui permettrait de répondre à ses ennemis: obtenir une audience du pape; mais il ne pourra pas voir le souverain pontife. En effet, au début de 1334, l’état d’Opicinus s’aggrave: le jeûne du Carême qui commence mi-février l’affaiblit; et le 31 mars – soit le jeudi de Pâques – le prêtre s’effondre: « Cinq jours après [la nuit de Pâques], j’ai été frappé par une maladie qui, s’aggravant jour après jour, m’a terrassé au point que j’ai failli mourir » (Vat., fol. 81v°). Opicinus présente un état crépusculaire que l’on qualifierait aujourd’hui de bouffée délirante et hallucinatoire, car on en retrouve toutes les caractéristiques: début inopiné et brutal, stupeur et hallucinations (qu’Opicinus appelle « visions »), le tout dans une ambiance d’angoisse intense. Son entourage est tellement inquiet qu’on lui donne l’extrême-onction. En fait, le prêtre a quitté le monde de la réalité pour basculer dans la psychose. Certes, il émerge de cet état aigu au bout de quinze jours: « Je me réveillais d’un sommeil éternel, muet, frappé de léthargie et privé de l’usage de ma main droite, au mois d’avril » (Vaticanus, fol. 23v°). Mais en même temps, le délire s’installe, car Opicinus interprète ce qu’il a vécu comme une transformation mystique, « une conversion admirable » (Vat., fol. 39). Il considère qu’il vient de vivre une mort suivie d’une renaissance: « luttant entre la mort et la vie » (Vat., fol. 31v°) – et non entre la vie et la mort; « commençant donc à naître en l’an du Seigneur 1334 » (Vat., fol. 53)… Le scribe reprend son travail en mai 1334, mais en cherchant désormais à remplir sa soi disant mission: « Mon infirmité permanente m’a obligé à passer d’une œuvre servile à l’œuvre du Seigneur, si bien que je ne devais jamais me ménager » (Vat., fol. 23v°). Il continue à avoir des visions: le 3 juin 1334, il voit un vase dans le ciel; le 15 août 1334, il a une vision de la Vierge. Puis l’élection (20 décembre 1334) et la consécration (8 janvier 1335) de Benoît XII, successeur de Jean XXII, majorent son angoisse dans la mesure où le nouveau pape (qui avait lutté contre les hérétiques en tant qu’évêque de Pamiers) examine personnellement le statut d’Opicinus et refuse de se substituer aux autorités judiciaires compétentes: « Le souverain pontife m’a détourné d’une vaine attente » (Vat., www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

BIOGRAPHIE D’OPICINUS DE CANISTRIS

LI

fol. 72v°). Le prêtre continue donc à être accablé par l’évolution menaçante de son procès qui doit avoir lieu devant l’Audience des causes du palais apostolique (qu’on appellera la Rote à partir de 1336), l’un des deux tribunaux pontificaux, l’autre étant la Pénitencerie apostolique où il est scribe! Et il commence à développer vis-à-vis de Benoît XII une forte animosité rancunière délirante. Mais en même temps, Opicinus commence à s’adonner à des activités artistiques singulières: « En l’année de l’attente en question [1335], […] le Seigneur a consenti à ouvrir peu à peu mon intelligence, guidée par la raison, pour qu’elle découvre les images de l’Afrique, de l’Europe et de la mer » (Vat., fol. 75v°). En effet, comme nous l’avons déjà vu précédemment3, c’est dans le courant de l’année 1335 que le scribe s’attelle à l’œuvre secrète et considérable qui l’occupera jusqu’à la fin de sa vie. De ce fait, il délaisse peu à peu son office de scribe: « Pendant l’année de l’attente, j’ai à nouveau travaillé à chacune de ces deux œuvres [mon travail à la Pénitencerie et mon oeuvre spirituelle], mais seulement en partie pour la première » (Vat., fol. 23v°); en revanche, il continue ses dessins, « travaillant jour et nuit » (Vat., fol. 53): c’est ainsi qu’il achève le 3 juin 1336 l’autobiographie de P 20. Un événement inespéré pour Opicinus se produit le 24 janvier 1337: son procès devant la Rote se termine à son avantage4. Non seulement le prêtre est reconnu innocent, mais il obtient des dommages et intérêts ! Malheureusement pour lui, ce dénouement judiciaire heureux arrive trop tard: il est délivré de ses interrogations épuisantes, mais il est définitivement devenu un grand délirant. En effet, les trois années qui se sont écoulées depuis son entrée dans la psychose ont permis l’éclosion, l’organisation et la consolidation d’un délire chronique: le diagnostic psychiatrique rétrospectif permet de le qualifier de « paraphrénie fantastique » ou de « délire chronique fantastique ». Désormais, Opicinus fait le minimum à la Pénitencerie pour se consacrer essentiellement à son oeuvre personnelle: « A présent, en l’année du renouvellement [1337], que je le veuille ou non, je m’estime délivré des travaux de la servitude et entièrement confié aux travaux du Seigneur » (Vat., fol. 23v°). Dans les années suivantes, il remanie un peu son codex5 (addita jusqu’en 1341 au moins, le dernier datant de décembre 1352). Mais surtout, ce journal singulier lui sert de réservoir où il puise pour développer les thèmes propres à son délire dans les grandes planches sur parchemin du Palatinus latinus 1993 qui, elles, représentent son véritable testament. Il s’agit de 52 planches sur parchemin (P 1 à P

3 4 5

Voir p. XIX. Voir p. XIX. Voir p. XL.

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LII

BIOGRAPHIE D’OPICINUS DE CANISTRIS

52), garnies de dessins et de notes plus ou moins longues. Seulement trois d’entre elles sont datées: P 1 (1351), P 20 (1336, pour la partie centrale du moins) et P 50 (1350). Globalement, ces planches ont été réalisées, non pas en 1335-1336 comme l’a pensé R. Salomon (sauf pour P 1 et P 50 qu’il jugeait plus tardives), mais petit à petit entre 1336 et la mort d’Opicinus; c’est-à-dire avec une élaboration progressive, non seulement globalement échelonnée dans le temps pour les 52 planches, mais comportant également plusieurs étapes pour chaque planche. Ainsi, pendant la vingtaine d’années qui séparent son entrée dans la psychose de sa mort (1334 – vers 1353), Opicinus mène une existence sédentaire et monotone qui contraste avec son instabilité antérieure. Il continue sans difficulté à faire coexister sa vie quotidienne de scribe à la Pénitencerie – dans l’entourage de Benoît XII, puis de Clément VI – et son délire qui reste ignoré de son entourage. Ce qui compte à ses yeux, c’est l’œuvre monumentale qu’il réalise à l’insu de tous et où il exprime sa démesure. Le dernier témoignage écrit d’Opicinus date de décembre 1352, où il surcharge le Vaticanus d’un ultime additum après l’élection d’Innocent VI (18 décembre) ou son couronnement (30 décembre)6. En l’absence de données précises, nous estimons qu’Opicinus est mort soit à l’extrême fin de 1352, soit dans le courant de l’année 1353, à l’âge de 56 ans, dans des circonstances inconnues. Mais pour lui, d’une certaine façon, il avait déjà quitté ce monde en 1334 pour vivre un destin hors du commun, travaillant sans relâche à la confection d’une œuvre secrète et particulièrement originale.

6

Voir p. XLV.

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ANALYSE DU VATICANUS Le manuscrit Vaticanus est dépourvu de titre. Si Opicinus traite à première vue essentiellement de grands sujets religieux et moraux, l’ensemble est truffé de considérations personnelles, géographiques, astronomiques et autres, interdisant de rajouter un titre qui reflèterait fidèlement le contenu. Le document est donc polymorphe et non structuré: le prêtre fonctionne avec une pensée analogique et note les associations d’idées qui lui viennent à l’esprit, sans aucun ordre, en indiquant (ou en rajoutant après coup) un titre – souvent bien vague – à chacun des paragraphes. Nous avons donc affaire à un manuscrit tout à fait inclassable, unique pour l’époque. Nous pouvons néanmoins remarquer des ressemblances avec les écrits contemporains: nous qualifions ce manuscrit, faute de mieux, de « journal », car le caractère autobiographique est prédominant; il peut aussi être secondairement rapproché des encyclopédies, des oeuvres mystiques et des sermons qui fleurissent à l’époque. De plus, le Vaticanus est touffu, notamment parce que les textes sont consubstantiels aux dessins et que les différents éléments s’interpénètrent en permanence. C’est pourquoi il est impossible d’isoler tel passage ou tel dessin sans le relier au reste du manuscrit, car c’est l’ensemble qui donne la clé du « mystère » (misterium) qu’Opicinus revendique souvent.

1. LE

CONTENU GÉNÉRAL

Opicinus est atteint d’un délire à portée cosmique; sa mégalomanie est omniprésente non seulement dans ses propos, mais aussi dans ses dessins qui représentent autant d’autoportraits plus ou moins explicites; toute sa culture et tout son talent sont mis au service de ce délire grandiose. Mais il s’attache à dissimuler ses idées délirantes derrière un discours et des dessins apparemment acceptables. Nous insistons donc sur la nécessité de ne rien prendre au pied de la lettre, car ce serait tomber dans le piège tendu par le scribe; d’autant plus qu’il laisse tout de même assez souvent filtrer sa démesure. En effet, alors que son manuscrit est apparemment anonyme, Opicinus cite directement son prénom à plusieurs reprises dans le courant du texte, au sein d’expressions où il se valorise de manière singulière: « Moi, Opicinus, en raison non de ma naissance maudite mais de ma renaissance bénie due au saint baptême » (fol. 36). Son prénom figure aussi dans certains de ses dessins où il s’autoreprésente (ex: V 22, V 24, V 25). Parfois même, il dévoile manifestement ses prétentions délirantes: « Moi je suis le maître du monde » (fol. 76); « Moi qui suis le juge de tous www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

LIV

ANALYSE DU VATICANUS

et ne peux être jugé par personne » (fol. 27v°); « Moi, l’homme de Pavie universel » (fol. 68)… Par ailleurs, nous avons pu relever bon nombre d’expressions qui, présentées à la troisième personne du singulier et exprimant des idées de grandeur, ne peuvent en fait concerner qu’Opicinus: « la personne si vertueuse et si remarquable de l’homme de Pavie » (fol. 50v°); « le juge immortel et incorruptible de l’universelle Pavie » (V 16, note 1)… Ainsi l’analyse de l’ensemble du Vaticanus ne laisse pas place au doute lorsqu’on a compris le fonctionnement mental d’Opicinus: l’accumulation des affirmations de toute-puissance directes ou détournées ne peut s’expliquer autrement que par une grave pathologie de l’identité relevant d’un délire chronique dont le mécanisme est surtout imaginatif. En fait, Opicinus s’identifie à tout, sans distinction concernant l’époque ou la géographie, les personnages ou autres sujets cités. Mais on peut remarquer que cette dilatation cosmique de l’identité du prêtre représente une exagération pathologique de la théorie de l’homme microcosme qui a retrouvé vigueur en Occident depuis le XIIe siècle: l’homme microcosme reflète en miniature l’univers ou macrocosme. Opicinus psychotique a franchi la limite entre microcosme et macrocosme; il se met au centre du temps et du monde: « Nous qui nous trouvons au cœur du monde, […] nous apprécions mieux la longueur et la largeur du monde, ainsi que toutes les époques passées » (fol. 76). Les proclamations mégalomaniaques dont le Vaticanus résonne se traduisent donc par des identifications multiples. Parmi les plus prestigieuses, on trouve d’abord Dieu lui-même: Opicinus se prend pour « le Créateur de toutes choses » (fol. 19v°), « le Seigneur de tout ce qui est spirituel et temporel » (fol. 73) etc. Au sein de la Trinité, le Christ représente l’identification privilégiée du scribe, celle qui est omniprésente dans le Vaticanus, d’autant plus que la recherche de ressemblance avec le Christ représente un des pôles essentiels de la sainteté de l’époque et que, depuis sa bouffée délirante du printemps 1334, le scribe pense être le Christ mort et ressuscité. Il l’exprime à plusieurs reprises sans équivoque: « Je suis devenu une seule personne, à la fois Dieu et homme […]. Je suis descendu en tant que Dieu humain et je monte en tant qu’homme divin » (fol. 62v°). La seconde identification priviégiée d’Opicinus concerne le Soleil: elle est nettement perceptible dans le texte comme dans les dessins: V 25, par exemple, représente une superbe organisation héliocentrique. Les autres identifications positives importantes du scribe sont très nombreuses. Elles peuvent avoir un caractère religieux: par exemple, « la communauté des prêtres, [qui] détient le véritable pouvoir dans le gouvernement des âmes » (V 34, note 53); et plus fréquemment encore l’Église, qu’Opicinus qualifie souvent d’«Église du miroir » ou d’«Église universelle »: www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

ANALYSE DU VATICANUS

LV

L’Église du miroir existe dans le temps tout en étant hors du temps; elle se meut dans l’espace tout en étant affranchie de l’espace; elle se compte tout en étant innombrable; elle s’évalue quantitativement tout en ne pouvant être quantifiée; elle est incarnée tout en échappant à la chair; et elle parle tout en étant sans voix (fol. 3).

D’autres identifications sont d’ordre géographique. Les dessins du prêtre, notamment les cartes anthropomorphes, lui permettent des identifications positives à certaines régions ou villes, compte tenu de la dilatation de son image corporelle; c’est ainsi qu’il se projette souvent sur l’Europe: « moi l’Europe de Pavie dont le nom est Opicinus » (fol. 67v°). A l’intérieur de l’Europe, Opicinus s’identifie à Avignon, la ville qu’il habite et où se trouve le pouvoir pontifical qu’il revendique; elle est souvent indiquée dans « la poitrine » de l’Europe du Vaticanus par un cercle ou diagramme contenant une image significative: Saint des saints (V 7), Christ bénissant (ex: V 11)… Une autre de ses identifications favorites correspond au monde asiatique: « L’Asie (c’est-à-dire l’Église qui contient la perfection dans sa totalité) est la charité de Dieu » (fol. 72); « l’homme intellectuel et spirituel, c’est l’Asie » (fol. 80). D’innombrables identifications particulières coexistent avec les précédentes. Opicinus se prend facilement pour la mère de Dieu, la Vierge Marie, alors que le culte marial connaît un grand essor en Occident depuis le XIIe siècle; il pense être « la vierge sainte, qui est la véritable mère du peuple chrétien très saint, qui a pour mari la communauté sacerdotale, pour seigneur, hôte et curé, le vrai Dieu invisible » (fol. 9). À une époque où la doctrine de la primauté pontificale fait du pape la source de tout pouvoir dans l’Église, il se considère aussi comme celui qui possède « la véritable papauté qui gouverne la chrétienté grâce au très fidèle serviteur des serviteurs de Dieu » (fol. 6v°). Opicinus se coule également avec aisance dans les grandes figures bibliques de l’Ancien Testament – Abraham, Moïse et Ezéchiel – et du Nouveau Testament – Jean-Baptiste, Marie-Madeleine, les évangélistes (notamment Jean), les apôtres Pierre et Paul… Pour la période postérieure aux débuts du christianisme, Opicinus s’identifie principalement à saint Augustin (354-430), Boèce (vers 480-524), saint François d’Assise (vers 1182-1226) et saint Louis (1226-1270). Nous restons quelque peu pantois devant l’abondance et la richesse de ces identifications positives. Par ailleurs, nous remarquons la fréquence des identifications groupées, cette tendance à la globalité, typique de la psychose, étant ici portée à son point le plus extrême. Ainsi l’œuvre d’Opicinus constitue-t-elle un reflet particulièrement original de la tendance à la globalisation propre à l’époque médiévale, la maladie mentale ayant poussé cette tendance jusqu’au délire.

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LVI

ANALYSE DU VATICANUS

Notons enfin que la pensée d’Opicinus est entièrement dominée par le manichéisme, lequel est fréquent dans les thèmes délirants: le monde est divisé en deux factions qui s’opposent. Tout le Vaticanus est donc peuplé d’allusions et de dessins relatifs au diable. Les considérations écrites d’Opicinus sur le diable sont classiques à une époque qui connaît la hantise de cette personnification du mal engendrant « la malice » (malitia) – mot qui revient répétitivement dans le Vaticanus. La figure diabolique, obscène et repoussante, qui orne fréquemment les cartes du Vaticanus, est également conventionnelle dans son contenu global, mais inattendue dans sa coïncidence avec la mer Méditerranée. Par ailleurs, plusieurs animaux maléfiques originaux, inféodés à Satan, sont présentés dans le Vaticanus: le plus fréquent est la tarasque (qui fait, par exemple, l’objet du dessin V 5), ce monstre amphibie qui, d’après la légende, sévissait dans le Rhône et dévorait les enfants; mais on trouve aussi le serpent tunisien et le dragon grec. Quant aux personnes que le scribe considère comme identifiées au diable ou à ses créatures, il s’agit essentiellement, soit du « mauvais Opicinus », soit de ceux qui s’opposent à la toute-puissance du scribe: les Lombards, qu’il assimile à des « bêtes sauvages » (ex: fol. 1a) et plus encore à des « idolâtres » (ex: fol. 50v°); le pape Benoît XII, qu’au sein d’un délire de persécution typique, Opicinus considère comme un usurpateur qui lui a volé le siège pontifical à la mort de Jean XXII; « l’Église charnelle (carnalis) qui prétend s’appeler l’Église romaine » (V 33, note 18), à laquelle le prêtre reproche sa course à l’argent et aux honneurs etc. Et quelles que soient les identifications, positives ou négatives, qu’il adopte, le scribe fait toujours dans l’hyperbole: il n’y a pas d’intermédiaire entre le « tout bon » et le « tout mauvais », qui bénéficient l’un et l’autre, mais d’abord et surtout le premier, d’un vocabulaire à la hauteur de l’imagination puissante et débridée de leur auteur.

2. LE

STYLE

«OPICINIEN»

Nous allons maintenant donner un aperçu de la méthode utilisée par Opicinus, dans l’écriture comme dans le dessin, dont la partie précédente nous a donné un avant-goût, car il est difficile de séparer le fond et la forme dans le Vaticanus. a) Caractères généraux Rappelons tout d’abord qu’il faut veiller à ne pas prendre au premier degré les propos et les dessins du scribe – qu’ils soient étranges ou apparemment accessibles – sous peine de graves erreurs d’interprétation. En effet, comme tout délirant chronique, Opicinus tient à rendre son messawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

ANALYSE DU VATICANUS

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ge hermétique. Il affectionne donc la dissimulation et utilise toute une panoplie de ruses et de subterfuges qui rendent son message apparemment hermétique, tout en laissant toujours des indices permettant de parvenir à comprendre ce qu’il cache. C’est ainsi que dans son discours, il est particulièrement habile à multiplier les considérations accessoires et à rester silencieux sur les points importants; il se complaît en permanence dans les allusions et les sous-entendus. La même tendance se retrouve dans ses dessins: par exemple, certaines cartes sont portées par un personnage en partie dissimulé (ex: V 34) ou totalement camouflé (ex: V 31). Il convient donc de considérer le Vaticanus comme un énorme iceberg dont la partie cachée recèle bien des vérités qui nous échappent à première vue. Par ailleurs, l’œuvre d’Opicinus reflète pleinement l’univers symbolique médiéval: tout y est « signe » et reflète les liens qui unissent le visible et l’invisible, l’intime interdépendance du macrocosme et du microcosme. Or la psychose affectionne elle aussi les symboles. Opicinus est donc particulièrement à l’aise en s’exprimant de manière symbolique… Il ne cesse d’établir des équivalences, des correspondances et des analogies; c’est ainsi qu’il utilise des dizaines de fois dans son journal une terminologie à la fois répétitive et nuancée: est, id est, scilicet, videlicet etc. Ses dessins renvoient eux aussi à d’autres réalités que celles qui sont dessinées, comme d’ailleurs le précisent ou le suggèrent souvent les notes qui sont indiquées: ainsi la tête christique espagnole de V 11 (en haut) équivaut à « l’Église des parfaits que symbolise l’Église temporelle des chrétiens, dans la poitrine de laquelle demeure le Dieu véritable » (note 4). De plus, l’état d’excitation dans lequel se trouve Opicinus quand il rédige le Vaticanus entraîne une exacerbation de ses fantasmes sexuels. L’attirance du scribe pour tout ce qui est obscène et/ou scatologique constitue une des caractéristiques générales du manuscrit. De nombreuses cartes présentent les organes sexuels masculins du diable méditerranéen, d’une taille souvent disproportionnée par rapport au reste du corps (ex: V 6, V 34…). Et les propos grossiers et salaces reviennent de manière répétitive dans le texte. Enfin, il est important de souligner qu’Opicinus est en-dehors du temps. En 1334, il a été projeté dans l’éternité par sa psychose et se situe dès lors à la césure entre temps cyclique et temps linéaire; c’est-à-dire qu’il exprime de manière pathologique la dualité médiévale ambigüe du temps cyclique (où le calendrier liturgique se superpose au calendrier agricole) et du temps chrétien linéaire (qui va de la Création du monde au Jugement dernier). Les calendriers qui figurent dans les images du scribe (ex: V 2, V 19 et V 24) présentent donc un caractère atemporel. Pourtant les textes et les dessins du Vaticanus comportent des précisions chronologiques très minutieuses, dont nous avons analysé la présentawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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tion plus haut1; en fait, ces dates sont là d’abord et avant tout pour suggérer tout l’arrière-plan des offices religieux correspondants dont Opicinus s’inspire et que même il pervertit. b) Des propos singuliers Très fréquemment, pour ne pas avoir l’air de parler d’emblée de luimême, Opicinus part de considérations très générales et sur lesquelles tout le monde ne peut qu’être d’accord; puis brusquement, ayant endormi l’attention du lecteur, il s’exprime à la première personne (souvent avec ego), et c’est à partir de là qu’il se découvre. Ainsi, dans le passage qu’il consacre à « la virginité charnelle et la virginité spirituelle » (fol. 2), le prêtre s’étend sur des généralités pendant une trentaine de lignes, puis parle de lui (« Voici que moi…») jusqu’à la fin. Un procédé comparable consiste à partir d’un cas théorique (« Choisissons des exemples concrets: fol. 52; « Voici un cas »: fol. 70v°…). Au bout de quelques lignes, le scribe glisse à sa situation personnelle afin de l’inclure dans la généralité factice qui précède. Par ailleurs, Opicinus cite dans le Vaticanus des expressions ou des passages, de longueur variable, de l’Écriture sainte. Mais il ne s’agit pas pour lui de montrer sa culture biblique (indéniable) afin d’étayer ses considérations: il utilise ce procédé à ses propres fins, en gérant ses citations de manière égocentrique et délirante. La plupart du temps, il ne mentionne pas la source de la citation qu’il noie dans ses propos (ex: la citation de Jean 6, 70 au fol. 41; ou celle, bien connue, de l’Ecclésiaste au fol. 45). Cette difficulté s’ajoutant à l’absence de guillemets dans la paléographie médiévale a nécessité un travail de repérage long et difficile: j’ai ainsi identifié des dizaines de citations de la Bible figurant dans le Vaticanus. De surcroît, le scribe rajoute souvent à l’intérieur d’une citation biblique des commentaires personnels (que nous mettons entre parenthèses). Or ces petites explications subjectives lui permettent de récupérer les passages qu’il cite pour parler de lui et pour mettre ainsi le texte biblique au service de ses convictions délirantes: « Et voici que moi (voici celui qui habite le temple), je suis avec vous (je suis le temple vivifiant de Dieu) pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20: fol. 55). Le scribe fait également preuve d’une agilité sémantique surprenante, qui traduit une nouvelle fois le croisement chez lui d’habitudes spécifiquement médiévales (la mentalité médiévale est particulièrement sensible aux étymologies) et de manifestations pathologiques (les jeux de mots sont caractéristiques de son état mental). Par exemple, il assimile son nom, Canistris, à canistrum (la corbeille) ou à canis (le chien): « Moi,

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je suis le chien dont le surnom vient de la famille du chien. A quelle famille appartiens-tu? Non pas à la lignée des C(c)hiens […], mais au majordome des C(c)orbeilles » (fol. 37v°). Les noms de lieux stimulent particulièrement son imagination: « Avignon (Avinio) représente ‘l’union des oiseaux’ (unio avium) » (fol. 23); « étymologiquement, Bologne veut dire ‘tous les biens’ (bona omnia) » (fol. 59v°); « la cité de la laine » (lanea civitas) désigne Milan (Mediolanum): V 8, note 12 etc. Il se complaît dans les assonances et les allitérations, et crée quelques néologismes comme « Avenica », qui « tire son nom d’avoine » (fol. 23) et qui représente la « mauvaise » Avignon. Au maniement des mots s’ajoute la manipulation des nombres, également en vogue à l’époque, et dans laquelle Opicinus excelle tout autant. Il affectionne certains nombres à valeur symbolique forte: le un, symbole classique d’unité; le deux, qui revient fréquemment avec les notions de double et de gémellité omniprésentes dans le Vaticanus; le sept (« Un nombre composé de sept indique l’universalité »: fol. 38v°); le douze (« douze, le nombre du béni qui doit être attribué à la poitrine de l’Europe de Pavie »: fol. 67v°) etc. Et à partir de ces nombres de base, Opicinus se délecte dans une arithmomanie, certes appréciée au Moyen Âge, mais qui là encore prend un caractère échevelé. c) Des dessins atypiques La pensée d’Opicinus est spatiale; il est donc logique qu’à la manipulation des mots, il ajoute celle de l’espace. Mais une fois de plus, il ne fait là que pousser à l’excès une tradition médiévale. En effet, les auteurs médiévaux de descriptions et/ou représentations traditionnelles de l’espace terrestre (du type mappa mundi) ne cherchent ni l’exactitude ni l’exhaustivité, et laissent place à l’imagination. Opicinus agit de même, mais pour servir son délire. De surcroît, il s’inspire également du nouveau modèle que représente la carte marine pour en exploiter toutes les possibilités. Que l’on soit sensible ou non à l’aspect esthétique des dessins du Vaticanus, on ne peut que reconnaître le caractère équilibré des compositions et la précision méticuleuse des tracés. Opicinus utilise avec virtuosité le compas, la règle et l’équerre, comme le font encore aujourd’hui certains délirants. Et parmi les figures géométriques, le scribe a une prédilection pour le cercle (et donc le diagramme), un des grands modèles symboliques de l’époque et qui participe donc idéalement à sa mégalomanie. Quant à l’aspect anthropomorphe des cartes opiciniennes, nous l’avons déjà signalé2. Pour mieux le constater, il convient de faire pivoter

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ces cartes de 90°, car en général, l’est se trouve en haut de la carte. Les pays européens et africains sont présentés comme des personnages, masculins ou féminins; en Europe, l’Espagne correspond à la tête, le royaume de France au buste, la région d’Avignon à la poitrine, la Lombardie au bas-ventre, l’Italie et la Grèce aux jambes; de l’autre côté du détroit de Gibraltar, le tracé de la côte d’Afrique du nord est utilisé pour dessiner un visage, puis la silhouette vue de profil d’un corps humain. Ces deux personnages – dont l’apparence varie d’une carte à l’autre, et qui sont tantôt complices, tantôt antagonistes – entourent le diable méditerranéen et sont bordés à l’ouest par l’océan où la tarasque mord l’épaule de l’Europe: c’est donc un véritable théâtre cartographique que le prêtre met en scène plus de vingt fois dans le Vaticanus. Cet anthropomorphisme constant est lié à la mégalomanie du scribe qui s’identifie à l’Europe, à l’Afrique ou au diable, au gré des variations de la démonstration de son passage surnaturel du « mauvais » Opicinus, pécheur, à l’homme-Dieu, maître du monde. Il utilise là un procédé classique chez les psychotiques atteints de mégalomanie, qui projettent leur image corporelle à l’échelle du cosmos. Comme la géométrie, la géographie est donc un des instruments du délire opicinien. Par ailleurs, une proportion notable de ces représentations cartographiques (ex: V 11, V 15, V 20…) constitue des images de renversement: elles sont doubles et demandent à être regardées sur deux côtés. En élargissant, nous constatons aussi que presque toutes les images doivent être regardées sur plusieurs côtés, et qu’il en est de même pour les notes écrites qu’elles comportent. Signalons aussi l’originalité de la carte supérieure du dessin V 26 qui doit être regardée dans un miroir. Il est donc visible qu’Opicinus manipule l’espace: ces cabrioles du renversement de l’image correspondent, dans le domaine spatial, aux jeux de mots auxquels le scribe se laisse si souvent aller dans le texte La même remarque vaut pour les superpositions multiples qui donnent à certaines images d’Opicinus une apparence particulièrement complexe. C’est d’abord le cas de V 6 et V 33, où la carte anthropomorphe de base contient une autre carte, d’échelle différente, dans son utérus lombard. Opicinus se livre à des superpositions plus étendues dans trois images (V 21, V 22 et V 26), où la carte classique de l’Europe et de l’Afrique présente dans sa partie centrale une superposition bicolore (tricolore pour V 26) de terres et de mers immergées, dont n’apparaissent que des fragments; le recours à cette astuce permet au prêtre de valoriser des coïncidences géographiques inattendues entre les cartes superposées, qu’il exploite dans sa perspective délirante. Toujours en adoptant le même procédé, mais en l’élargissant à l’ensemble du dessin, Opicinus surimpose la Lombardie à l’Europe dans les images V 15, V 20 et V 34; et le plan de Pavie à la carte anthropomorphe habituelle dans V 28, V 29 et V 30. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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La plupart des dessins d’Opicinus présentent de très intéressantes couleurs, et on ne peut que se féliciter que le temps ne les ait pas endommagées. Comme les couleurs médiévales ont acquis à cette époque une fonction taxinomique (une couleur est « bonne » ou « mauvaise ») – qui n’exclut cependant pas une certaine ambivalence – le scribe joue habilement avec les valeurs symboliques fortes que véhiculent les couleurs. La couleur rouge qu’il utilise dans ses images – et qui est identique à celle des « rubriques » du texte – valorise essentiellement, comme souvent à l’époque, tout ce qui est associé à la Passion du Christ et au martyre: flanc du Christ (ex: V 2), pieds et/ou mains percées du Christ (ex: V 7), croix indiquant la Terre sainte (ex: V 9)… On trouve aussi des droites rouges qui attirent l’attention dans certaines images; elles indiquent ce qui est essentiel aux yeux d’Opicinus: par exemple, les sacrements ainsi que les liens entre chacun des évangélistes et le début de son évangile dans V 2. Dans le même ordre d’idées, les lettres, chiffres, mots ou expressions indiquées en rouge sur les dessins du Vaticanus n’ont pas seulement un rôle décoratif; ils permettent à Opicinus, soit de faire ressortir les personnages ou les éléments primordiaux (l’Arménie dans V 14, les titres des citations de Boèce dans V 16…), soit de permettre la distinction des noms de lieux d’une des cartes superposées. En revanche, la coloration du diable des eaux méditerranéennes offre d’emblée une connotation négative. Il s’agit en général d’un rouge dégradé et donc impur, tirant vers le rose foncé (ex: V 6, V 14, V 28…), ou bien d’un brun de la même couleur que l’encre (ex: V 10, V 11…). De même, les couleurs des animaux maléfiques sont spécifiques: orangé ou rose foncé. Or toutes ces couleurs correspondent à l’époque à de « mauvaises » couleurs, associées au monde démoniaque et aux forces du mal. * * * Au terme de cette analyse rapide, nous pouvons dire qu’Opicinus nous donne accès, grâce à son journal intime, à une remarquable autoobservation médicale qui lui a servi d’exutoire et donc d’autothérapie. Le mélange indissociable des écrits et des dessins a des effets synergiques. Le scribe ne dit pas la vérité, mais « sa » vérité. Son imagination prodigieuse alimente cependant toujours le même processus: celui de son parcours spirituel initiatique. Ses textes et ses images lui donnent l’occasion de revisiter sa vie; il y intègre de manière sélective les événements de son existence passée et présente, ses précédents traités, ainsi que sa culture à la fois immense et éclectique. Tout est mis au service de son délire. Sous l’emprise de la psychose, Opicinus a versé dans la démesure et a dès lors transgressé toutes les limites: il est passé de l’homme à Dieu, du monde à l’univers, du temps humain à l’éternité…. Mais il ne nous www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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appartient pas de porter un jugement moral sur cette mystique pathologique; il convient encore moins de considérer l’oeuvre du scribe comme dénuée d’intérêt. Car ce journal singulier, conservé presque intact depuis presque 700 ans, représente pour les chercheurs – malgré les difficultés inhérentes à ce type d’investigation – une chance unique de connaître et d’approfondir un cas médiéval de psychose, et d’apprécier la créativité singulière de son auteur. Certes, ce manuscrit est indiscutablement un produit de son temps et Opicinus un ambassadeur de son siècle – dont il transmet notamment l’importance accordée à l’imaginaire, la tension constante entre visible et invisible, les correspondances entre le macrocosme et le microcosme au sein d’un univers concentrique, le goût pour les extrêmes, les visées encyclopédiques et la lente progression de l’individualisme. Mais dans la mesure où il représente un carrefour entre la pensée de son temps et la maladie mentale vue dans la longue durée, ce journal offre un intérêt plus large. Nous avons, en effet, remarqué dans la plupart des domaines de la pensée et de l’expression du scribe une convergence entre des conceptions et représentations médiévales portées aux extrêmes, d’une part, la pensée ainsi que l’expression écrite et picturale de la psychose, d’autre part. Opicinus apparaît donc à la fois comme un témoin de son temps et comme un témoin universel, dont le message singulier nous propose une réflexion renouvelée sur l’art et la culture.

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SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE Comme le journal singulier d’Opicinus de Canistris (Cité du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Vaticanus latinus 6435) est au croisement de l’histoire et de la psychiatrie, que cette oeuvre aborde des domaines très variés et suscite des problématiques très larges, et enfin que ses richesses sont loin d’être entièrement découvertes, les sources, ouvrages et articles indiqués comme utiles à son étude ne représentent qu’une orientation sélective. Leur intérêt pour l’étude du manuscrit d’Opicinus est tantôt général, tantôt ponctuel. I. SOURCES 1. OEUVRES D’OPICINUS AUTRES

QUE LE

VATICANUS

De preeminentia spiritualis imperii (1329) Copies: Cité du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Vaticanus latinus 4115, fol. 1-22 (XIVe siècle); Paris, BnF, ms lat. 4046, fol. 208v°-218v° (XIVe siècle). Éd. partielle dans SCHOLZ (R.), Unbekannte Kirchenpolitische Streischriften aus der Zeit Ludwig des Bayern (1327-1354), Rome, Verlag von Loescher et Cie, tome 1, 1911, pp. 37-43, et tome 2, 1914, pp. 89-104. De laudibus civitatis ticinensis (1330) Copie: Pavie, Archivio Storico Civico e Biblioteca Civica « Carlo Bonetta ». Éd. MAIOCCHI (R.) et QUINTAVALLE (F.), Anonymi ticinensis liber de laudibus civitatis ticinensis, dans Rerum Italicarum Scriptores, XI, 1, Città di Castello, S. Lapi, 1903, pp. 1-52. Éd. GIANANI (F.), dans Opicino de Canistris, l’Anonimo Ticinese (Cod. Vaticano Palatino latino 1993), Pavie, 1927; réimpr., Pavie, EMI, 1996, pp. 73-121. Trad. AMBAGLIO (D.), Il libro delle lodi della città di Pavia, Pavie, 1984. Sans titre (entre 1335-1336 et 1350-1353) Original: Cité du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Palatinus latinus 1993. Éd. partielle dans SALOMON (R.G.), Opicinus de Canistris. Weltbild und Bekenntnisse eines Avignonesichen Klerikers des 14. Jahrunderts, 2 tomes, Londres, The Warburg Institute, 1936; réimpr, Lichtenstein, Kraus Reprints, 1969. 2. AUTRES SOURCES A) Manuscrites MARINO SANUDO, Liber secretorum fidelium crucis (1ère version), Cité du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Vaticanus latinus 2972 (XIVe siècle). PAULIN DE VENISE, De mapa mundi et autres cartes, Cité du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Vaticanus latinus 1960 (XIVe siècle); Compendium ou Chronologia Magna, Paris, ms lat. 4939 (XIVe siècle). www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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SUR LE

VATICANUS (exclusivement ou partiellement)

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LISTE DES REPRODUCTIONS 1. IMAGES

ANNOTÉES

Schéma A Médaillon Schéma B Schéma C Dessin V 1 Dessin V 2 Dessin V 3 Dessin V 4 Dessin V 5 Dessin V 6 Dessin V 7 Dessin V 8 Dessin V 9 Dessin V 10 Dessin V 11 Dessin V 12 Dessin V 13 Dessin V 14 Dessin V 15

2. PETITS

fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol.

19 29 41v° 42v° 48v° 49 51 52 52v° 53v° 54 56v° 58 61 61v° 68v° 69 69v° 71

Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin Dessin

V V V V V V V V V V V V V V V V V V V

16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34

fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol. fol.

71v° 73v° 74v° 75 76v° 77 78 78v° 79 79v° 82 83 84 84v° 85 85v° 86 87 87v°

DESSINS INSÉRÉS DANS LE TEXTE

Fol. 19v°, 31v°, 34v°, 35v°, 44v°, 59v° et 83v°.

3. AUTRES

REPRODUCTIONS

Colonnes des papes et des empereurs: fol. 4. Concordance des évangiles: fol. 63.

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VATICANUS LATINUS 6435 TEXTE LATIN

ET TRADUCTION EN

FRANÇAIS

(première partie)

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2

[fol. 1]1 DE

FOL.

1a

SPIRITVALI IVDICIO

[…] omnia […] -bolus aduersa- […] et ideo primus […] -t(c)us in gloria, nunc speculariter […] -ficium est Ecclesia specularis habens […] habens imperium supra Ecclesiam […] supra fragiles homines ne […] -ris est christianitas uniuers[alis] […] -plicibus suis, omnes […] spirituale ut aqui- […] et istud propinqua […] ecce pluralitas […] tal[is] pluraliter dixe- […] [sa]cerdotum, tunc illa […]. […] neque […] ubi paternitas […] -pit ab incorruptibi[li] […] et filius honorificatus […] Deus enim honorificat sac- […] mortal[is], honor papalis […] concupite a satagentibus in […] addito per nos mistico sensu […] uera Roma et per Papiam ho- […] fortem quis inueniet […] autem christianus non est […] sed copiosa, subaudi […] -tu supergressa es […] ecclesiastica dignitas […] destrueris2 […] deinceps […] indulgen- […] indes- […]. [fol. 1v°] […] sine medio […] cognoscimus Dominum […] quanto plus appropinquatur […] -gare uulgares enim sine […] -diore uere de reliquis membris […] Romani. Nos Lombardi […] -unt a pectore sursum sic […] simplicium uel materna dant […] suum pro uulgari Romanum […] [Bu]lgaria quasi uulgaria […]. Nam a partibus Ruthe- […] gladius Longobardus […] pectoralis qui humiliter […] Massilia primo exce- […]. […] patribus […] primo diiudicet […] alioquin putans […] infidelibus iudicatur […] glorie proprie; ibi est habitatio […] -abore paratam, ita per contrarium […] [men]dacii per cogitationes crucia- […] sequenti. […]. […] armi uel brachii cum renibus […] [cor]rumpitur propter ydolatriam uentris […] -tia spiritus uertitur in prudentiam […] uentris. Venter commu- […] cum genibus in […] dominicus pre- […]. […] [un]iuersal[is] […] mortal[is]. [fol. 1a]3 COLLATIONES

SANCTORVM CVM PRESENTI

ECCLESIA

Omnes sancti ab apostolis funda- […] est fundamentum sine quo nullum […] -brantes. Nunc oportet uirtutes et uitam […] -raliter spirituali, ne tantus dominus […] hospitio careat […] domus Domino Deo nostro. Diuina maiestas in throno intelligi- […] speculariter. Immaculata uirginitas matris Dei fund- […] -gnantem. Assistentia angelorum beatissime Trinitati refulget […] Ecclesiam in signaculo 1 Ce folio est extrêmement abîmé: sur le recto, subsiste un lambeau de la partie gauche; sur le verso, le lambeau correspondant de la partie droite. 2 Expressions soulignées en rouge par Opicinus. 3 Ce folio est endommagé, en particulier en haut, à droite.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

[fol. 1] LE

3

JUGEMENT SPIRITUEL

[…] toutes choses […] le diable adversaire […] et c’est pourquoi le premier […] dans la gloire, aujourd’hui manifestement […] est l’Église du miroir ayant […] qui a le pouvoir sur l’Église […] sur les hommes faibles pour éviter que […] est la chrétienté universelle […] à ses […] tous […] spirituel pour que […] proche […] voici la pluralité […] au pluriel […] des prêtres, alors cette […]. […] ni […] là où la paternité […] à partir de l’incorruptible […] et le fils glorifié […]. En effet, Dieu glorifie […] mortel(le), la dignité pontificale […] désirée(s) par ceux qui se donnent du mal pour […] grâce au sens mystique/secret que nous ajoutons […] la véritable Rome et par Pavie […] énergique qui trouvera […] mais le chrétien n’est pas […] mais abondante, sous-entendu […] tu as été dépassée […] une fonction ecclésiastique […] tu es/seras détruit […] à la suite […].

[fol. 1v°] […] sans le milieu […] nous connaissons le Seigneur […] plus il s’approche […] du peuple, en effet, sans […] vraiment au sujet des autres membres […] Romains. Nous les Lombards […] depuis la poitrine en montant ainsi […] des simples ou les biens maternels donnent […] le sien, communément Romain […] bulgares, pour ainsi dire vulgaires […]. Car à partir des régions […] le glaive lombard […] de la poitrine qui humblement […] Marseille en premier […]. […] aux pères […] d’abord il décide en jugeant […] sinon en pensant […] aux infidèles il est jugé […] de la gloire personnelle; là se trouve la demeure […] préparée, de même à l’opposé […] [du mensonge] par des pensées […] qui suit. […]. […] de l’épaule ou du bras avec les reins […] [est cor]rompu à cause de l’idolâtrie du ventre […] l’esprit se tourne vers la sagesse […] du ventre. Le ventre […] avec les genoux dans […] du Seigneur […]. […] universel(le) […] mortel(le) […]. [fol. 1a] COMPARAISON

ENTRE LES SAINTS ET L’ÉGLISE D’AUJOURD’HUI

Tous les saints à partir des apôtres […] sont les fondations sans lesquelles […]. Maintenant il convient que les vertus et la vie […] spirituel, pour éviter qu’un tel maître […] ne soit privé de logement […] la maison au Seigneur notre Dieu. La divine majesté sur le trône […] manifestement. La virginité sans tache de la mère de Dieu […]. Les anges qui se tiennent auprès de la très bienheureuse Trinité resplendissent […] l’Église en témoignage de la Trinité. Les prédictions des prophètes au sujet du Christ […] pour orner la maison du Seigneur. La gloire apostolique de Jésus-Christ éclaire le sacerdoce […] des confesseurs. La pureté des vierges, la sainteté des hommes chastes et l’assemblée innombrable de tous les saints […] des témoignages dignes de confiance en très grand nombre pour le peuple chrétien actuel. Voici que, pour rendre hommage aux apôtres, on dit à l’Église du miroir: www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

4

FOL.

1a

Trinitatis. Vaticinia prophetarum de Christo […] ad decorem domus Domini. Decus apostolicum Ihesu Christi illuminat sacerdotium […] confessorum. Pudicitia uirginum, sanctitas continentum et innumerabilis congregatio sanctorum omnium […] testimonia credibilia nimis presenti populo christiano. Ecce in honore apostolorum dicitur ad specularem Ecclesiam: « Iam non estis hospites (seruiles) nec1 aduene (peregrini sub tempore). Sed estis ciues sanctorum et domestici Dei (per fidem), superedificati (ad speculum uniuersale […]) supra fundamentum apostolorum et prophetarum, ipso summo angulari lapide Christo Ihesu, in quo omnis edificatio constructa crescit in templum sanctum in Domino »; id est corpora nostra sunt unum corpus dedicatum Domino in Spiritu Sancto. Ecce dedicatio corporalis […] Ihesu Christi contra latrantes non uerbo sed opere aduersus corporale dominium Christi et litteram uiolantes ad proprios sensus. In honore martiris: beatus uir qui inuentus est sine macula; sic est Ecclesia inter spinas intacta, inter nimias aquas non […], inter ignes non estuata et inter gladios seuientes illesa. Ex memoria confessoris, non est inuentus similis illi […] legem Excelsi sicut iste populus sacerdotalis. Ideo iure iurando, non iure positiuo ubi preteritur iuramentum, sed iure diuino quod permanet in eternum, cuius non penitet Dominum ad perpetuum sacerdotium huius Ecclesie statuendum, fecit […] sacerdotalem in unum – fecit, inquam, Dominus illum crescere in plebem suam (id est multitudinem populi christiani). De […] uos qui estis ex pluribus unus Dei emulatione (id est zelo diuini amoris). Despondi enim uos uni uiro […] Christo, ne unica uirgo pluribus uiris tradatur, ne unicus uir (id est misticus Christus) sacer- […] [co]puletur. Ad decorem dedicationis Ecclesie. « Vidi ciuitatem sanctam Iherusalem nouam descendentem de celo (Ecce […] specularis: uidi inquam) a Deo paratam sicut sponsam ornatam uiro suo ». Honorificetur ergo ab omnibus uniuer- […] -stituta non sacramentalibus dignitatibus tantum, non clero nobilium iuxta mundum, non religione claustralium appa- […] populo christiano, qui non despicit pauperem, non glorificat diuitem, non spernit etatem nec sexum neque res- […] -siens enim per […] Papiam, si sit Papia particularis an uniuersalis, dominus papa prouideat nullum […]. Tempore interdicti, fere siluestres ibidem et indomabiles bestie furiunt, fremunt et frendunt […] -core uorantur. Tempore relaxationis ab ecclesiasticis sententiis inter misteria celebranda uel celebrata null- […] inuisibilis rei sentitur; sola signa uisibilia pascunt oues. Tempore, hora et loco misse sollempnis et sacri horarum officii, illi uen-

1

Au lieu de: et.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

5

« Désormais vous n’êtes plus des étrangers (esclaves) ni des hôtes (voyageurs soumis au temps). Mais vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu (grâce à la foi). Car la construction que vous êtes (pour l’image universelle […]) a pour fondations les apôtres et les prophètes, et pour pierre d’angle le Christ Jésus luimême. En lui toute construction s’ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur »1. Traduisons: nos corps forment un seul corps consacré au Seigneur dans l’Esprit Saint. Voici la consécration corporelle […] de Jésus-Christ contre ceux qui aboient2, non en paroles mais en actes, en s’opposant au pouvoir corporel du Christ, et qui transgressent la loi pour servir leurs instincts personnels. Pour rendre hommage au martyr: heureux l’homme3 trouvé sans souillure; ainsi l’Église n’est pas égratignée au milieu des épines, ni […] au milieu des eaux débordantes, ni brûlée au milieu des brandons enflammés, ni blessée au milieu des glaives qui se déchaînent. De mémoire de confesseur, il n’a pas été trouvé semblable à celui-là […] la loi du Très-Haut, comme ce peuple sacerdotal. C’est pourquoi, comme le droit l’atteste, non pas le droit institué où l’on manque à son serment, mais le droit divin qui se maintient pour l’éternité, qui ne déplaît pas à Dieu pour instaurer le sacerdoce perpétuel de cette Église […], il a fait […] sacerdotal en un seul, oui, le Seigneur a permis que celui-là grandisse pour son peuple (c’est-à-dire dans la foule du peuple chrétien). À propos de […] vous, qui êtes un seul homme issu de plusieurs, en rivalisant avec Dieu (c’est-à-dire en convoitant l’amour divin). En effet, je vous ai fiancés à un seul homme […] le Christ, pour éviter qu’une vierge incomparable ne soit livrée à plusieurs hommes, et qu’un homme incomparable (c’est-à-dire le Christ mystique/secret) ne soit [ac]couplé à […]. Pour embellir la consécration/dédicace de l’Église / d’une église. « J’ai vu la ville sainte, la Jérusalem nouvelle qui descendait du ciel. (Voici […] du miroir: oui, je l’ai vue4), venant de chez Dieu préparée comme une jeune mariée parée pour son époux »5. Par conséquent, que tous l’honorent […] pas seulement par les fonctions sacramentelles, ni par le clergé des puissants selon le monde, ni par les communautés monastiques […] au peuple chrétien, lui qui ne méprise pas le pauvre, ne glorifie pas le riche, ne rejette ni l’âge ni le sexe, et ne […] en effet […] Pavie, qu’il s’agisse de l’individuelle Pavie ou de l’universelle Pavie, le seigneur pape ne veillerait/doit veiller à aucun […].À l’époque de l’interdit6, ce sont des bêtes sauvages cruelles ici même et des animaux indomptables qui sont excités, grondent et grincent des dents […] sont dévorés. À l’époque où l’on retire les sentences ecclésiastiques, au milieu des mystères qui doivent être célébrés ou qui le

Ep 2, 19-21. Jeu de mots latrentes/Latran pour désigner les membres de la curie pontificale. 3 Expression assez fréquente dans les Psaumes, et aussi dans l’Apocalypse (20, 6: passage qui précède de peu Ap 21, 2, cité par Opicinus un peu plus bas). 4 Insistance due à l’exaltation d’Opicinus. 5 Ap 21, 2. Voir aussi Ap 3, 12 et 21, 10. 6 L’interdit est un arrêté ecclésiastique qui défend les célébrations liturgiques et l’administration des sacrements. Pavie était frappée d’interdit lorsqu’Opicinus y revient en 1318. Opicinus évoque cet événement à plusieurs reprises dans le Vaticanus. 1 2

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6

FOL.

1av°

trales ydolatre post sessionem ab escis et potibus in saturitate surgentes adludunt et saltunt. Hec fiunt illic ad litteram; quod autem significat iudicetur. Illa namque Papia diutissime iudicata non indiget expositione spirituali seu interpretatione huiusmodi actuali; uniuersalis autem exigit iudicari.

DE

CHRISTIANA RELIGIONE

Habitus apostolorum significat uitam mediocrem rectoris ecclesie. Tunica apostoli significat quicquid exigit natura mea ad uestitum corporis mei cuius uestimenta superflua cum secunda tunica computantur. Pallium apostoli designat lectulum ad quiescendum etiam in mollibus secundum fragilitatem humanam. Victus apostoli denotat unam escam scilicet panem, uinum et edulium competens ex carnibus aut piscibus uel huiusmodi escis humanis in uno ferculo computatis; epule uero superflue sunt esca secunda. Hospitium apostoli signat domum ecclesie sine edificiis excessiuis. Omne uero superfluum tunice, pallii, esce et domus teneor dare non alieno sed meo populo non habenti iuxta arbitrium episcopi mei. Si uero plebs mea non egeat, quod non credo, tunc illa superflua presertim mobilia teneor resignare in manibus predicti episcopi, qui ex hiis ciuitati sue cum diocesi prouideat secundum necessitatem uniuscujusque parrochie per rectorem discretum. Immobilia uero tota posse teneor conseruare ne qua necessitas superueniat in futuro. Quicquid autem superflui mobilis uel immobilis dedero carni et sanguini meo uel amico carnali, ex nunc me iudico similem Iude furi qui pro se et suis loculos segregabat. Petrus enim apostolus nomine apostolorum [fol. 1av°] […] non extremam sed mediam in medio […] aut presumerit accedere non locis sed moribus […] a facie Affrice uel originis huius maris usque ad […] sacra religio presens claustralis uel ordinis pauperum […] [decli]nante a medio ad sinistram extremam ascendentem ab insulis […] possessiones uniuersalis Ecclesie, inter quarum copiam constituti presentes prelati […] iam conquassantes uerticem huius maris. Illorum enim religio sancta […] unusquisque prelatus secundum hominem interiorem tenet lineam mediam Anthi- […] ecclesiarum non sue persone, tenet declinantem lineam ad sinistram inter diuitias pauper, quasi in medio ignis non estuatus. Et hec est uera religio quam tradidit nobis benedictus Iacobus minor et apostolus, in eadem sinistra linea constitutus. A carnalibus autem prelatus ecclesiasticus sepissime et […] iudicatur iuxta affectionem quam habent, reputantes illum tenere 1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

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sont […] l’invisible n’est pas perçu; seuls les signes visibles nourrissent les ouailles. À l’époque, à l’heure et à l’endroit de la messe solennelle et des heures du saint office, ces idolâtres du ventre, après s’être assis pour manger et boire, se lèvent, une fois rassasiés, pour jouer et danser. Ces choses arrivent là au pied de la lettre; on doit apprécier ce qu’elles veulent dire. Il est vrai que cette Pavie, jugée depuis très longtemps, n’a pas besoin d’explications d’ordre spirituel ni de commentaires concrets de cette espèce; mais celle qui est universelle demande à être jugée. LES

PRATIQUES RELIGIEUSES CHRÉTIENNES

Le mode de vie des apôtres indique la vie ordinaire / du juste milieu du curé d’une église. La tunique de l’apôtre indique tout ce dont a besoin ma constitution pour couvrir mon corps; et les habits en trop sont comptés avec la seconde tunique1. Le manteau/pallium2 de l’apôtre désigne le lit où l’on se repose, même s’il est moelleux, pour répondre à la faiblesse humaine. L’alimentation de l’apôtre montre une seule pitance, à savoir une quantité suffisante de pain, de vin et de ravitaillement en viandes ou en poissons et en nourritures de ce genre pour l’homme qui comptent pour un seul plat; mais les mets en plus sont une seconde pitance. Le logement de l’apôtre signale un presbytère dépourvu de bâtiments en surnombre. Mais tout ce que j’ai en trop comme tunique, manteau, nourriture et maison3, je suis tenu de le donner, non à un autre peuple, mais au mien qui en est dépourvu, en suivant l’arbitrage de mon évêque. Mais si mes ouailles ne sont pas dans le besoin, ce qui n’est pas mon avis, je suis tenu de remettre ce superflu, en particulier les biens meubles/instables4, entre les mains de l’évêque en question, lui qui, avec ces biens, doit entretenir sa cité ainsi que son diocèse, selon les besoins de chaque paroisse, par l’intermédiaire du curé choisi. En revanche, je suis dans l’obligation de garder tous les biens immeubles/stables, pour éviter d’en manquer de manière inopinée à l’avenir. Et pour tous les biens meubles/instables ou immeubles/stables en plus que j’ai donnés à ma chair et à mon sang ou à un ami charnel, je me considère dès à présent comme Judas le voleur qui mettait de côté des cassettes pour lui et pour les siens. En effet, l’apôtre Pierre, au nom des apôtres [fol. 1av°] […] non pas extrême mais moyenne, au milieu […] ou a l’audace d’atteindre, non pas en termes de géographie mais de morale, […] entre le visage de l’Afrique ou le commencement de cette mer5 et

1 Voir Lc 3, 11. Opicinus fait aussi allusion à la tunique de Jésus sur la croix. Il y a de nombreuses mentions de tuniques (avec jeu de mots sur Tunis) dans le Vaticanus. 2 On appelle pallium la bande de laine blanche portée par le pape. 3 Opicinus utilise la querelle sur la pauvreté qui agite la chrétienté depuis la mort de saint François d’Assise, lequel avait prôné la pauvreté matérielle et spirituelle, individuellement et en communauté: observance stricte des Spirituels ne laissant l’usage que des objets absolument nécessaires (nourriture, vêtements…), ou bien modération de « la communauté »? 4 Cette opposition « biens immeubles/stables » et « biens meubles/instables » revient à plusieurs reprises dans le Vaticanus. 5 C’est-à-dire le détroit de Gibraltar. Voir les cartes qui apparaissent dans la deuxième partie de l’ouvrage, avec anthropomorphisme de l’Europe et de l’Afrique.

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8

FOL.

1av°

lineam declinantem ad dexteram semper ambientem ad maiora sublimia promoueri usque ad archam Noe, quam diabolicum mare satagit rapere per pennas sui cherub (id est per iactantiam scientie sue semper inflantis). Teneat ergo unusquisque prelatus quod tenet cum pura intentione siue mobilia siue immobilia; conseruet secum potentiam amicorum et consanguineorum sub specie carnis, sine tamen affectione carnali, donec huius maris superbia conteratur et funditus extirpatur. Si perperam dixerim, per Ecclesiam corrigatur. Actum die sancti Apollinaris ex Antiochia, archiepiscopi Rauennatis, discipuli Petri apostoli; ad quam diem compulsiue retractum est officium sancti Ieronimi, episcopi Papiensis. 1

PROPRIETATES […] Sicut Affrica […] se proiecisse diuitias argenti et auri ad pedes suos Alexandrie et Babilonis Egypti, que tamen pectore uacuo […] diuitias alienas quasi segregata persona, ita per contrarium fidelis Europa (id est uniuersalis Ecclesia) habet in pectore suo Auinionis Romane multas diuitias argenti et auri sine ulla affectione illarum, sollicita tamen ad nutriendos filios uteri sui; cuius pectus quasi altera Roma habet in […] loci Romani Viennensis diocesis. Non enim habet in se noctem sed diem quam significat ciuitas nomine Dia. Hec enim […] ad lumbos nomine magna Gallia Transalpina et Cisalpina: a stomacho sursum Transalpina est gallus […]; deorsum Cisalpina est uere gallina, quam denotat quedam territorii Papiensis ab occidente uillula nomine Gallia […] pectore deorsum commixtus galline utitur opere seruitutis; a pectore uero sursum Transrodanum fruitur nomine […] magna gallina quotiens uoluit congregare pullos suos (id est discordes Lombardos) sub alas suas (scilicet a dextris sub alam spiritualis imperii et a sinistris sub alam manus Imperii

1

L’alinéa est indiqué à l’encre rouge.

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9

[…] les saintes pratiques religieuses actuelles des moines ou de ceux qui observent la pauvreté […] se détournant du milieu pour monter vers l’extrémité gauche depuis les îles […] les biens de l’Église universelle; les prélats actuels, installés dans l’abondance de ces biens […], en fracassant déjà le sommet de la tête de cette mer. En effet, leurs saintes pratiques religieuses […] chaque prélat qui suit l’homme intérieur1 occupe la ligne du juste milieu qui passe par Antioche2 […] des églises et non de sa personne, il occupe la ligne qui s’infléchit vers la gauche, pauvre au milieu des richesses, comme s’il n’était pas brûlé au milieu du feu. Et il s’agit là des authentiques pratiques religieuses que le béni Jacques le Mineur, apôtre3, établi sur cette même ligne gauche4, nous a léguées. Or le prélat d’Église est très souvent et […] jugé par les hommes charnels en fonction des sentiments qu’ils éprouvent, eux qui pensent que celui-ci occupe la ligne qui s’infléchit vers la droite en ne cessant de briguer une élévation aux honneurs suprêmes, y compris l’arche de Noé5 dont la mer diabolique essaie de s’emparer avec les ailes de son chérubin (c’est-à-dire avec les connaissances dont il fait étalage et qui ne cessent d’augmenter). Par conséquent, chaque prélat doit garder ce qu’il occupe avec des intentions pures, qu’il s’agisse de biens meubles/instables ou de biens immeubles/stables; il doit se ménager l’influence de ses amis et parents derrière une apparence charnelle, sans éprouver néanmoins de sentiments charnels, tant que l’orgueil de cette mer n’est pas broyé et détruit de fond en comble. Si j’ai mal parlé, que l’Église me corrige. Fait le jour [de la fête] de saint Apollinaire d’Antioche, archevêque de Ravenne et disciple de l’apôtre Pierre6 [23 juillet 1337]; en ce jour, il faut impérativement revenir à l’office de saint Jérôme, évêque de Pavie7. LES

CARACTÉRISTIQUES

[…]

De même que l’Afrique […] qu’elle a lancé des richesses en or et en argent à ses pieds d’Alexandrie et de Babylone en Egypte, elle qui pourtant, la poitrine inoccupée […] les richesses d’autrui, comme une personne à l’écart, de même, à l’opposé, l’Europe fidèle (c’est-à-dire l’Église universelle) a dans sa poitrine qu’est l’Avignon romaine de nombreuses richesses en or et en argent auxquelles elle n’est aucunement attachée, bien qu’il lui soit demandé de nourrir les fils qui sont

« L’homme intérieur »: voir Rm 6, 6; Col 3, 9; Ep 4, 22-24; 2 Co 4, 16 et 5, 17. Voir notamment le schéma A (fol. 19), note 7; et le schéma C (fol. 42v°), note 6. 3 Jacques le Mineur, premier évêque de Jérusalem, mort en 62. Opicinus le confond (comme il est courant à son époque) avec Jacques d’Alphée (voir la Légende dorée, t. 1, p. 333). Voir fol. 20v° et 47v°; et V 7, note 42. 4 C’est-à-dire à Jérusalem: voir schéma A, note 8. 5 Voir Gn 6, 14-16 pour l’histoire de l’arche de Noé. Opicinus fait de cette arche le symbole du pouvoir pontifical dont il s’estime le détenteur légitime. 6 Pris par erreur pour un disciple de saint Pierre (voir la Légende dorée, t. 1, p. 466), Apollinaire fut bien le premier évêque de Ravenne. Il mourut martyrisé pour sa foi. Les textes liturgiques du jour sont: 1 P 5, 1-11 (dont on retrouve des échos dans les propos tenus ici par Opicinus) et Lc 22, 24-30. 7 Il s’agit de saint Jérôme, évêque de Pavie de 778 à 787. Fêté le 19 juillet. 1 2

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10

FOL.

1av°-2

terre siue Germanie). Et ipsi noluerunt. Dominus enim uoluit illos linire per blanda monita sacerdotis, uoluit et eos terrere per gladium Cesaris. Ipsi uero pariter nec monita susceperunt nec gladium timuerunt. Ergo omnes sine Lege peccantes, sine Lege peribunt. Qui uero dederunt eis causam peccandi offendentes in Legem per Legem iudicabuntur. Ecce uenter discrepitur, interiora perferuent et uiscera quatiuntur; uterus parturit et non parit; ante terminum partus proicitur abortiuus; uicturus occiditur et occidendus uiuit et regnat. Depellitur Iacob et Esau prospere dominatur; aufertur regnum a populo christiano; et sola malitia personalis excolitur. Et sic lumbi nostri confusi sunt omnibus illusionibus pleni.

DE

SACRAMENTIS INFIRMORVM

De sacramentis medicinalibus pro infirmis habemus testimonium sancti Antonii minoris, qui Domino faciente descendit a uertice perfectorum ad lumbos infirmorum, qui tandem suscepturus sacramentum unctionis extreme sic dixit: « Habeo unctionem hanc intra me ». Hoc intellexit nomine perfectorum quorum uniuersitas sancta habet ueram unctionem in pectore suo. Habens enim inuisibilem rem non indiget uisibilibus signis; propter quod subiunxit: « Sed etsi necessarium non sit ut mihi hec faciatis, uerum tamen bene placet et utile mihi est ». Hoc dixit ad testimonium personale, nequis de propria persona confidat ad quam sepe infirmi labuntur a populo christiano. Infirmi plerumque trahuntur ad persone sue iudicium cum affectione carnali quasi de innocentia sua gaudentes. Perfecti uero sic descendunt ad uniuscuiusque persone sue iudicium ut, respectu sancte uniuersitatis incorruptibilis, persona sua corruptibilis et mortalis nichilum reputetur. Et ideo sanctus Antonius de consortio perfectorum ut de seipso daret exemplum infirmis, non dedignatus est se subdere uisibilibus sacramentis quorum tamen re inuisibili fruebatur. Humilitas enim descensionis illius ab Hispanie capite ad lumbos Italie Deo uolente [fol. 2] fuit quasi quedam www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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dans son sein. Or cette poitrine, c’est-à-dire l’autre Rome1, détient dans […] d’un endroit romain du diocèse de Vienne. En effet, ce qu’on trouve en elle, ce n’est pas la nuit, mais le jour qu’indique la ville appelée Die2. En effet, celle-ci […] vers les organes génitaux du nom de grande Gaule Transalpine et Cisalpine3: en partant de l’estomac et en allant vers le haut, la Transalpine est un coq […]; vers le bas, la Cisalpine est à coup sûr une poule, comme le montre un petit domaine situé à l’ouest de la région de Pavie, du nom de « Gaule » […] la poitrine, uni en bas à la poule, il accomplit une œuvre servile4; et en partant de la poitrine et en allant vers le haut, la région au-delà du Rhône jouit du nom de […] la grande poule, toutes les fois qu’elle a voulu rassembler ses poussins5 (c’est-à-dire les Lombards qui se battent entre eux) sous ses ailes (à savoir, à droite, sous l’aile du pouvoir spirituel, et, à gauche, sous l’aile qu’est la main de la terre d’Empire ou Germanie). Et ceux-ci ont refusé. En effet, le Seigneur a voulu les adoucir avec les recommandations patelines du prêtre; il a aussi voulu les effrayer avec le glaive de César. Mais ils n’ont pas plus accepté les recommandations qu’ils n’ont eu peur du glaive. Donc, tous ceux qui pèchent sans la Loi, périront sans la Loi6. Mais ceux qui leur ont donné des occasions de pécher en portant atteinte à la Loi, seront jugés par la Loi. Voici que le ventre vibre, que les entrailles grondent et que les tripes remuent; la matrice est en travail et n’accouche pas; l’enfant est expulsé avant le terme, mort-né; celui qui est prêt à vivre meurt, et celui qui doit mourir vit et règne. Jacob est écarté et Ésaü gouverne dans la prospérité7; la souveraineté est enlevée au peuple chrétien; et la malice personnelle est la seule à obtenir des faveurs. Ce qui fait que nos organes génitaux sont troublés, car ils regorgent de toutes les tromperies. LES

SACREMENTS POUR LES FAIBLES8

Pour les sacrements qui servent de remèdes aux faibles, nous disposons du témoignage de saint Antoine le Mineur9 qui, avec l’aide de Dieu, quitta le sommet de la tête des parfaits10 pour aller vers les organes génitaux des faibles11 et qui, C’est-à-dire Avignon. Die: Drôme. Voir V 14, note 14. 3 Voir la « petite Europe » de V 6; et V 34, notes 26 et 27. 4 Les «œuvres serviles » (travaux manuels) s’opposent aux «œuvres libérales » en théologie. Voir Lv 23 et Nb 28 et 29. Voir fol. 23v° et 54v°. 5 Voir Mt 23, 37 et Lc 13, 34. Voir fol. 17v°, V 4, V 5, fol. 68 et 75v°. 6 Voir Rm 2, 12 et 7, 8-9; 1 Co 9, 21. Voir fol. 3. 7 Voir Gn 25, 19 et ss. Jacob correspond à Opicinus, Ésaü à Benoît XII. Voir fol. 41. 8 Première mention des « faibles » (sur le plan spirituel). Voir notamment 1 Co 4, 10; 8, 9; 9, 22; 12, 22; 13,4; et 13, 9. 9 Il s’agit de saint Antoine de Padoue (1195-1231). 10 Première mention de ce groupe des « parfaits » dont Opicinus estime faire partie. Voir Ps 37, 18; Ps 84, 11; Ps 101, 2; Ps 101, 6; Mt 5, 48; Jn 17, 23; 1 Co 2, 6; Ph 3, 15; Col 4, 12; He 5, 14; He 10, 1 et 14; Jc 1, 4. S’y superpose une allusion aux « parfaits » cathares. 11 C’est-à-dire le Portugal pour l’Italie du nord. Né à Lisbonne, saint Antoine vint à Coïmbra en 1212 (pour adhérer à la nouvelle fondation des Franciscains) puis il partit pour l’Afrique, dans l’intention d’y trouver le martyre; mais une tempête poussa son vaisseau vers l’Italie où il mena une carrière de prédication. Il mourut à Padoue. 1 2

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FOL.

2

figura rei future que fuit ex […] ad uerticem Affrice. Sed ne gloriaretur in Affrica que de facili labitur ad personam […] -liare tam realiter quam localiter, ut inde uoluntariam humilitatem amplectens […].

DE

VIRGINITATE CARNALI ET SPIRITVALI

Virginitas carnis, nisi adsit uirginitas anime, habet gloriam tantum in Ecclesia sacramentali, non apud Deum. Virginitas […] etiam si absit uirginitas carnis, habet gloriam apud Deum, non semper in Ecclesia sacramentali. Verbi gratia. Monialis professa uirgo in carne bono testimonio uite sue est habilis prelature; etiam siquando acciderit sibi ut carne temptata seducatur […] et pollutionem carnis, incognito tamen uiro, propter sigillum carnis intactum iudicatur nichilominus uirgo in carne et per consequens habilis ad dignitatem predictam: ecce gloria eius apud Ecclesiam. Sed apud Deum permanente peccato sine penitentia meretrix reputatur. Si uero penitentiam habuerit de peccato plene contrita, restituitur uirgo ut prius tam mente quam carne. Si autem perdiderit carnis sigillum, siue uiolenter sine consensu siue uoluntarie cum consensu, arbitror eam apud Ecclesiam habilitatis gloriam perdidisse; puto de primo, de secundo autem nullum dubium mihi uidetur. Sed apud Deum de primo maior sibi gloria reputatur, cum nunquam ex hoc perdiderit aureolam uirginis. Similiter de secundo post penitentiam plene peractam apud Deum credo eam restitutam in uirginem sicut prius; immo per assumptionem maiorum uirtutum de recordatione peccati factam uirginem gratiorem. Nonne beata Maria Magdalene propter maiorem plenitudinem caritatis uirginibus sacris www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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pour finir, étant prêt à recevoir le sacrement de l’extrême-onction1, dit ces mots: « J’ai cette onction dans mon cœur »2. Il a eu ce sentiment au nom des parfaits, dont la sainte communauté possède la véritable onction dans sa poitrine. En effet, possédant l’invisible, elle n’a pas besoin de signes visibles; c’est pourquoi il a rajouté: « Mais même s’il n’est pas indispensable que vous me le donniez, néanmoins, je trouve ce sacrement vraiment incomparable et il m’est nécessaire ». Il tint ces propos comme témoignage personnel, pour éviter que quelqu’un ne mette sa confiance dans la personne en particulier, car c’est pour elle que les faibles se détachent souvent du peuple chrétien. Généralement, les faibles sont attirés par le jugement venant de leur personne, avec un attachement charnel, se réjouissant pour ainsi dire de leur crédulité. Mais les parfaits acceptent le jugement de la personne de chacun d’entre eux, afin que, par égard pour la sainte communauté incorruptible, leur personne corruptible et mortelle soit considérée comme sans valeur. Et c’est pourquoi saint Antoine, appartenant à la société des parfaits, afin de donner lui-même l’exemple aux faibles, n’a pas refusé de recevoir les sacrements visibles qu’il goûtait pourtant grâce à la réalité invisible. En effet, l’humilité avec laquelle il a quitté la tête de l’Espagne pour aller vers les organes génitaux de l’Italie, en suivant la volonté de Dieu, [fol. 2] préfigurait en quelque sorte la réalité à venir, qui a été […] vers le sommet de la tête de l’Afrique. Mais pour éviter qu’il ne soit glorifié en Afrique, laquelle glisse facilement vers la personne […] aussi bien dans la réalité que sur le plan géographique, pour qu’ainsi, en embrassant l’humilité volontaire […]. LA

VIRGINITÉ CHARNELLE ET LA VIRGINITÉ SPIRITUELLE

La virginité charnelle, si la virginité de l’âme fait défaut, n’est réputée que dans l’Église sacramentelle et non auprès de Dieu. La virginité […], même si la virginité charnelle fait défaut, est réputée auprès de Dieu et pas toujours dans l’Église sacramentelle. Par la grâce du Verbe. Une moniale déclarée vierge dans sa chair, grâce au témoignage de qualité que donne sa vie, est capable d’obtenir une dignité ecclésiastique; même au cas où, tentée charnellement, il lui arriverait d’être séduite […] et la souillure charnelle, sans qu’on sache qui est l’homme, puisque le sceau de la chair3 est intact, elle est tout de même considérée comme vierge dans sa chair et donc apte à la charge en question: voici sa gloire auprès de l’Église. Mais auprès de Dieu, comme son péché persiste sans qu’il y ait repentir, elle passe pour une courtisane. En revanche, si elle se repent de son péché en étant pleine de contrition, elle redevient vierge comme avant, sur le plan spirituel aussi bien que charnel. Or, si elle a perdu le sceau de la chair, que ce soit par un viol où elle n’était

1 Saint Antoine de Padoue reçut l’extrême-onction le vendredi 13 juin 1231. Opicinus fait ici allusion à l’extrême-onction qu’il reçut lui-même en 1334. 2 Voir ANTONIO RIGON, Dal Libro alla folla: Antonio di Padova e il francescanesimo medievale, 2002, Collana I Libri di Viella, 1e partie, 5, 4: «Habeo unctionem intra me: Antoni nell’ autobiografia di Opicino de Canistris ». 3 C’est-à-dire l’hymen.

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FOL.

2

preponitur? Apud uero Ecclesiam perdit nomen uirginis. Ecce que querit gloriam carnis apud Ecclesiam non apud Deum inter fatuas uirgines reputatur; querens autem gloriam apud Deum inter prudentes uirgines numeratur. Sed ne detur occasio aliquibus maleagendi dicentibus post peccatum se maiorem Dei gratiam adopturos, iudico eos uel eas ex huiusmodi certa scientia mali iam esse indignos gratia Dei. Certa enim eorum malitia sic excecat eosdem ut nunquam inueniant locum penitentie. Induratum est cor eorum semper promptum ad malitias cogitandas. Ignorantia uero sine doctore sepe misericordiam reperit; si uero neglexerit instrui, ignorantia affectata cum certa malitia iudicatur. Adhuc de gloria apud Ecclesiam sic dico. Ecce ego non irregularis nec inhabilis in sacris ordinibus constitutus, uidens laicum cupientem promoueri ad sacros intendentem insistere seruitio Dei, inhabilem tamen uel irregularem ex iniquis cogitationibus, glorior apud Ecclesiam et per consequens quero gloriam carnis. Glorie […] circuncisum a preputio laicorum ad ordinem clericalem. Nonne preputium illius laici iam spiritualis sacerdotis effecti apud Deum seruantis legem nature in circuncisione reputabitur? Vtique credere cogor. Mea uero circuncisio gloriantis in carne, dicentis in corde meo […] ad ordinem sacerdotii de quo ille laicus est indignus, iudicat me in preputio gentium. Ille namque Dei est […]. Ego autem apparens non existens credo tamen hanc ueram confessionem meam non pati me peccatorem […] dare exemplum confessionis ceteris ad cautelam. Actum uigilia sancti Iacobi Zebedei apostoli; qua die, anno expectationis, hospitatus fueram in spelunca sancte Marie Magdalene.

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pas consentante ou que ce soit intentionnellement avec son consentement, je pense que pour l’Église, elle a perdu la réputation qui la rendait capable; dans le premier cas, je le crois, et dans le second, cela ne fait aucun doute. Mais auprès de Dieu, dans le premier cas, sa réputation est considérée comme plus appréciable, car elle n’a jamais perdu pour autant sa couronne de vierge. De même, dans le second cas, après qu’elle se soit pleinement repentie, je crois qu’auprès de Dieu, elle retrouve sa virginité antérieure; mieux, comme elle choisit d’être plus vertueuse en se rappelant son péché, elle devient une vierge qui lui est plus chère1. La bienheureuse Marie-Madeleine n’a-t-elle pas été mise à la tête des vierges saintes parce qu’elle pratiquait plus pleinement la charité? Or, auprès de l’Église, elle a perdu sa qualité de vierge. C’est ainsi que celle qui cherche la gloire charnelle auprès de l’Église et non auprès de Dieu est mise au nombre des vierges folles; alors que celle qui cherche la gloire auprès de Dieu est comptée parmi les vierges sages2. Mais pour éviter que certains n’aient la possibilité de commettre de mauvaises actions, en affirmant qu’après avoir péché ils obtiendront une gloire plus appréciable auprès de Dieu, je pense que cette connaissance déterminée du mal les rend déjà indignes de la grâce de Dieu. En effet, leur méchanceté déterminée les aveugle au point qu’ils ne se rendent jamais au confessionnal. Leur cœur endurci est toujours prêt à méditer de mauvais coups. Or l’ignorance dépourvue de maître obtient souvent miséricorde; mais si elle néglige d’être éduquée, l’ignorance recherchée est considérée comme allant de pair avec une méchanceté déterminée. Je tiens encore ces propos concernant la gloire auprès de l’Église. Voici que moi, qui n’ai pas reçu les saints ordres en manquant de sagesse ou de capacités, je vois un laïc briguer une promotion aux saints ordres en prétendant s’attacher au service de Dieu, alors qu’il manque de capacités ou de sagesse du fait de ses pensées malveillantes: je m’en vante alors auprès de l’Église et, par conséquent, je recherche la gloire charnelle. De la gloire […] ayant reçu la circoncision du prépuce3 des laïcs pour entrer dans l’ordre des clercs. Est-ce que le prépuce de ce laïc, devenu désormais spirituellement prêtre auprès de Dieu en observant la loi de la nature, ne sera pas considéré comme circoncis? Je suis enclin à le croire de toute façon. En revanche, ma circoncision, à moi qui me glorifie dans la chair en disant dans mon cœur4 […], à l’ordre de la prêtrise dont ce laïc est indigne, considère que j’appartiens au prépuce des païens. De fait, celui-ci est […] de Dieu […]. Et moi qui en apparence ne le suis pas, je crois pourtant que ce véritable aveu que

1 Opicinus s’identifie à cette vierge qui a péché, s’est repentie et a obtenu les faveurs de Dieu, c’est-à-dire à Marie-Madeleine, citée à la ligne suivante et dont il est souvent question dans le Vaticanus. Voir l’Évangile apocryphe de Marie de Magdala. 2 Voir la parabole des vierges sages et des vierges folles: Mt 25, 1-13. 3 Le thème de la circoncision est très fréquent dans la Bible: voir Jr 4, 4; Ac 7, 51; Rm 2, 25-29 et 4, 9-12; 1 Co 7, 19; Ga 5, 6 et 6, 15; Ph 3, 3; Col 2, 11 et 3, 11 etc. La Bible distingue la circoncision charnelle et celle du cœur. Sur le plan moral, la « circoncision du prépuce » peut se traduire par « élimination de l’impureté ». 4 « Dire dans son cœur » est une expression empruntée au Ps 52 (Dixit insipiens in corde suo), très fréquente dans le Vaticanus.

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DE

FOL.

2-2v°

YDOLIS GENTIVM

Quedam ydola sunt transitoria, quedam permanentia. Cum lasciuus iuuenis uel petulans adolescens uiderit mulierem, statim consueuit ymaginem huius formare in pectore suo, quod ydolum ex consensu quasi ardenter adorat. Cuius est causa huiusmodi ydoli fabricandi? Non mulieris, cum in hoc possit sine peccato huiusmodi preterire castissima et continens; ergo illius iuuenis, qui ex parte sua format in pectore suo ymaginem mulieris. Nam ymaginari talia cum affectione carnali ex concupiscentia propria non est aliud nisi ydola fabricare. Quod de concupiscente iuuene in mulierem castissimam dico, de femina uaga in iuuenem castum dico per oppositum. Hec tamen ydola cum ymaginibus suis sepe uelociter transeunt. Ymaginari uero ab adolescentia honorem comodum et probitatem in prediis acquerendis, pro genere domus sue et fauore carnalium amicorum, usque ad personam propriam per ymaginem glorie sue, non est aliud nisi permanentia ydola fabricare, in quorum affectione fit abhominabilis fornicatio usque ad corpus proprium. Nam ymaginatio persone sue semper ad gloriam propriam est quedam propria fornicatio corporalis. Ymaginatio terrena cum concupiscentia prediorum, domorum, castrorum et huiusmodi est fornicari cum ligno et lapide et in operibus manuum suarum, ac si diceret in corde suo: « Nonne edificaui istud castellum, illam uillam et hanc ciuitatem? »; quasi responderet sibiipsi: « Ego feci hec omnia ». Huiusmodi gloriatio est adorare ut deos opera manuum suarum. Gloriari in amicitia carnalium hominum laicorum, clericorum, prelatorum et regum promotorum ab ipso est adorare simulacra cuiuslibet corruptibilis hominis. Possunt enim esse illi promoti fideles et sancti, non carnales; [fol. 2v°] ex parte uero illius promotoris secundum imaginationem suam, sunt isti uniuersitas carnalium hominum, in quorum delectatione et gloria ille fornicatur: scilicet cupiens promoueri per potentem, ymaginans illum cum affectione carnali, adorat ymaginem corruptibilis hominis. Qui tamen potens promotor potest esse sine peccato huiusmodi, immo cum bona intentione. Ecce unus idem simul et semel est coram Deo bonus, iustus, et in pectore alterius ymaginantis eum est simulacrum mutum. Ex parte formantis ydola sua, est culpa; ex parte uero illius de quo fit ymaginatio carnalis, nulla est culpa huiusmodi. Qui habet affectionem carnalem ad progeniem suam, iam adorat ymaginem draconis uel bestie habentis in capite suo scriptam progeniem Canistrorum. Quod de progenie mea dico, de qualibet mundi www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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je fais ne permet pas que moi le pécheur […] donner l’exemple de l’aveu aux autres pour qu’ils se tiennent sur leurs gardes. Fait la veille [de la fête] de saint Jacques, fils de Zébédée, apôtre1 [24 juillet 1337]; le même jour, l’année de l’attente [24 juillet 1335], j’ai été accueilli dans la grotte de sainte MarieMadeleine2. LES

IDOLES DES PAÏENS

Certaines idoles sont éphémères, d’autres durables. Lorsqu’un jeune homme libertin ou un adolescent effronté voit une femme, il se met aussitôt à donner forme à son image dans son cœur et il adore cette idole avec complaisance, autant dire avec passion. Qui est responsable de l’élaboration de cette idole? Ce n’est pas la femme, puisqu’elle peut échapper à cette situation sans commettre un péché de ce genre, en restant tout à fait chaste et continente; c’est donc le jeune homme en question qui, pour sa part, donne forme dans son cœur à une image de la femme. Car faire marcher ainsi son imagination avec des sentiments charnels, du fait de la concupiscence personnelle, n’est pas autre chose que d’élaborer des idoles. Ce que je dis concernant un jeune homme concupiscent à l’égard d’une femme très chaste, je le dis réciproquement pour une femme aventurière à l’égard d’un jeune homme chaste. Cependant ces idoles et les représentations qui vont avec sont souvent fugaces. En revanche, lorsqu’un jeune homme rêve d’une fonction avantageuse et de l’acquisition honorable de propriétés pour aider les membres sa famille et favoriser ses amis charnels, en allant jusqu’à rêver de gloire pour sa propre personne, cela équivaut à fabriquer des idoles durables; et l’attachement qu’on leur porte aboutit à une fornication monstrueuse qui concerne même le corps de son auteur. Car lorsqu’une personne rêve toujours de gloire personnelle, il s’agit d’une sorte de fornication personnelle incluant le corps. Avoir des rêves matériels où l’on convoite des propriétés, des maisons, des châteaux etc., c’est forniquer / faire une voûte3 avec le bois et la pierre et dans les ouvrages faits de ses mains, comme si l’on disait dans son cœur: « N’est-il pas vrai que j’ai construit ce village, ce domaine et cette ville? »; comme si l’on se répondait à soi-même à peu près ceci: « C’est moi qui ai fait tout cela ». Une telle vantardise équivaut à adorer comme des dieux les ouvrages qu’on a faits de ses mains4. Se vanter de l’amitié qu’on a pour des hommes charnels – laïcs, clercs, prélats et rois – dont on a soi-même assuré la promotion, c’est adorer les statues de n’importe quel homme corruptible. En effet, ces personnes dont on a assuré la promotion peuvent être fidèles et saintes, non charnelles; [fol. 2v°] mais pour l’auteur de ces promotions qui est soumis à son imagination, ils représentent la communauté des hommes charnels, et lui s’adonne à la fornication en parPour saint Jacques, voir la Légende dorée, t. 1, p. 471 et ss. Il s’agit de la grotte de Sainte-Baume où selon la légende, Marie-Madeleine aurait passé 33 ans dans la prière et la contemplation (voir la Légende dorée, t. 1, p. 462 et ss). Voir fol. 19v° et V 15. 3 Opicinus joue sur les deux sens de fornicare. Voir V 25, note 23. 4 Voir Dt 4, 28; Ps 115, 4 et 135, 15; Mc 14, 58; Ac 7, 48 et 17, 24; 2 Co 5, 11; Col 2, 11; He 9, 11 et 24. 1 2

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18

FOL.

2v°

progenie dico. Cognomen meum scriptum est in capite bestie sub pede sinistro fidelis Europe ad testimonium perpetuum aliorum. Cum autem aperti fuerint libri uniuscuiusque conscientie, omnia ydola conterentur. In aliquibus reperietur post destructionem ydolorum ymaginatio Dei uiui per amorem ipsius et honorem populi christiani. In quibusdam uero propter affectionem habitam ad ydola tunc destructa remanebit nequitia uoluntatis que in eternum torquebit eosdem. Si tantus horror et tremor erit in presenti spirituali iudicio, quantus erit in die Iudicii generalis? Hec facta sunt ad prouidentiam futurorum.

DE

DIFFERENTIA INTER CORRVPTIONEM NATVRE ET NATVRAM CORRVPTAM

Europa imperialis fideliter habet gladium in uagina. Non potest autem eximere gladium per se nisi cum manu sinistra. Manus autem sinistra Germanie super gladium in latere sinistro non potest eximere gladium de uagina; habet enim innocentiam sine ira. Vt autem appareat irata sine peccato, tempore occasionis diuina potestas in pectore suo descripta permittit malitiam hominis similem mari gladio uti secundum placitum uoluntatis diuine et non ultra. Ecce quod fidelis Europa, cum irascitur sine peccato Domino disponente, utitur gladio sibi dato non per se sed per apparentiam ire. Vtitur enim illo per iracundiam maris (id est per malitiam hominis), in qua tamen nullam partem habet Europa propter uirtutem Dei habitantis in se. Ecce quod sapientia Dei malitiam hominis conuertit in ministerium diuine iustitie, ut eadem malitia simul et semel commendet gloriam Dei et in ipsa remaneat nequitia uoluntatis, que est et erit eius eternum supplicium. Nequitia uoluntatis habet sedem in Affrica; opus autem iustitie remanet in Europa. Omne uitium siue carnale siue spirituale ex parte nequitie uoluntatis agentis non est natura sed corruptio nature, et ideo nunquam laudat Deum; ex parte uero nature corrupte ex hiis que inde exigit medicinam, unde exoritur fortior sanitas quam fuerit prius, hec omnia laudant […] est quod dicitur in laudibus matutinis: « Laudate Dominum, de terra dracones et omnes abissi ». Corruptio nature similis mari defluit uelut aqua. Natura www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ticipant à leurs plaisirs et à leurs honneurs: c’est-à-dire qu’en désirant obtenir une promotion grâce à un homme influent, en l’imaginant avec des sentiments charnels, il adore l’image d’un homme corruptible. Pourtant cet homme influent qui donne des promotions peut ne pas commettre ce genre de péché; mieux, il peut agir avec des intentions pures. C’est ainsi qu’un seul et même homme est, en même temps et une fois pour toutes, bon et juste devant Dieu et, dans le cœur d’un autre qui l’imagine, une statue muette. Pour celui qui façonne ses idoles, il y a faute; mais pour celui qui alimente l’imagination charnelle, il n’y a aucune faute semblable. Celui qui nourrit des sentiments charnels pour sa lignée adore déjà l’image du dragon ou de la bête qui porte sur sa tête l’inscription de la lignée des Canistris. Ce que je dis pour ma lignée, je le dis pour toutes les lignées du monde. Mon nom est inscrit sur la tête de la bête qui est sous le pied gauche de la fidèle Europe1, en témoignage perpétuel pour les autres. Or, quand on ouvrira les livres de toutes les consciences, toutes les idoles seront abattues. Après la destruction des idoles, on trouvera chez quelques-uns la représentation du Dieu vivant, par l’intermédiaire de son amour et du rayonnement du peuple chrétien. Chez d’autres, en revanche, à cause de l’attachement qu’ils avaient pour les idoles désormais détruites, il subsistera un dérèglement de la volonté qui les tourmentera éternellement. Si l’on trouve un tel effroi et et une telle agitation lors du jugement spirituel aujourd’hui, qu’en sera-t-il au jour du Jugement général? Ceci a été fait pour que l’on prenne ses dispositions pour les événements à venir. LA

DIFFÉRENCE ENTRE LA CORRUPTION DE LA NATURE ET LA NATURE CORROMPUE

L’Europe impériale tient fermement son épée dans son fourreau. Et elle ne peut tirer elle-même cette épée qu’avec la main gauche2. Or la main gauche de la Germanie, située au-dessus de l’épée sur le côté gauche, ne peut retirer l’épée de son fourreau, car elle est innocente et dépourvue de colère. Mais, pour qu’elle ait l’air en colère sans pécher, au moment favorable, la souveraineté divine représentée dans sa poitrine a permis que la malice humaine personnifiée par la mer se serve de l’épée, selon le bon plaisir de la volonté divine et pas davantage. C’est ainsi que la fidèle Europe, lorsqu’elle se met en colère sans pécher, conformément aux ordres divins, se sert de l’épée qui lui a été donnée, non d’elle-même mais en feignant la colère. En effet, elle s’en sert au moyen des mouvements de colère de la mer (c’est-à-dire au moyen de la malice humaine), auxquels pourtant elle ne participe pas puisque la puissance de Dieu habite en elle. C’est ainsi que la sagesse de Dieu transforme la malice humaine en la mettant au service de la justice divine, si bien que, en même temps et une fois pour toutes, cette même malice valorise la gloire de Dieu et le dérèglement de la volonté, qui est et sera pour elle un supplice sans fin, s’y maintient. Le dérèglement de la volonté a son siège en Afrique, alors que l’œuvre de justice demeure en Europe. La dépravation dans son ensemble, qu’elle soit charnelle ou spirituelle, du point de vue du dérè-

1 Voir Canistrum sur les cartes d’Opicinus (ex: V 12, note 21; V 21, notes 12 et 31; V 34, note 14). 2 Voir V 14.

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FOL.

2v°

uero corrupta non in carne sed spiritu habet locum in Affrica; sed natura corrupta non in spiritu sed in carne discernitur in Europa. Corruptio spiritus Affrice in occulto tandem prorumpet in carne et in publico; corruptio uero carnis Europe in publico sepe depellitur per occultam spiritus sanitatem. Ecce magna Papia semper in bellis a iocalibus puerorum usque ad irascibilia fortium habet uigorem malitie mediantis Europam partis superioris et Affricam partis inferioris. Inter hec prelia intestina semper tempore isto, Affrica inferior, longior, strictior, fortior, nobilior et ditior, semper uincit Europam superiorem, breuiorem, latiorem, debiliorem, ignobiliorem et pauperiorem. Ecce Affrica spiritualis peccati quod habet in pectore suo sub regimine meo superat Europam carnalis peccati quod habet diffusum per totum corpus. Peccatum pectoris Affrice significatur ubique per totam illam Papiam, ne una parrochia inuideat alteri. Similiter peccatum carnis Europe testificatur totam Papiam, ne una sine altera glorietur in carne, cum nulla sine altera uituperetur uitio carnis. Vniuersalis autem Auinio per uinculum unionis unit Affricam cum Europa in sancta et pura confessione in publico, destructa malitia hominis. Siquis de Auinione peccauerit carnaliter uel spiritualiter, nisi penitentiam agat, iam iudicatus est in magna Papia non locis sed uitiis. Et siquis de Papia fuerit innocens uel a peccato conuersus, iam saluus est in uniuersali Auinione non locis sed moribus. Sancta Auinio semper omnes unit ad pacem non mundi sed Dei. Hec acta sunt non in loquaci Papia que semper descendit ad portam lumborum, sed in tacito opido Ticinensi quod iam ascendit ad pectus Europe, quod est Auinio taciturna.

DE

TEMPORE SILENTII

Siquis disputauerit mecum per philosophica uerba, in ueritate confiteor me nichil intelligere ex hiis que ille dicit: sunt enim mihi illa barbara uerba. Si uero adhuc disputauerit per clara et simplicia uerba, respondeo me nolle submergere in intricabile laberintum. Si autem sine disputatione contulerit mecum per uerba, tunc exigo ab ipso opus non uerba. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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glement de la volonté qui intervient, n’est pas la nature mais la corruption de la nature, et c’est pourquoi elle ne fait jamais l’éloge de Dieu; mais en ce qui concerne la nature ainsi corrompue, et qui a alors besoin d’un remède qui rendra sa santé plus vigoureuse qu’elle n’était avant, tout cela fait l’éloge […], ce qui est récité aux laudes de l’aurore: « Louez le Seigneur depuis la terre, monstres marins, tous les abîmes »1. La corruption de la nature personnifiée par la mer s’écoule comme l’eau. En revanche, la nature corrompue, sur le plan non pas charnel mais spirituel, trouve place en Afrique, alors que la nature corrompue, sur le plan non pas spirituel mais charnel, se voit en Europe. La corruption spirituelle de l’Afrique, qui est cachée, finira par apparaître physiquement et au grand jour; alors que la corruption charnelle de l’Europe, qui est visible, est souvent éloignée par l’intégrité spirituelle cachée. C’est ainsi que la grande Pavie2, qui est toujours plongée dans les guerres, depuis les badinages des enfants jusqu’aux colères des hommes de cœur, présente une malice résistante dans la partie intermédiaire entre l’Europe qui correspond à la partie d’en haut et l’Afrique qui correspond à la partie d’en bas. Au milieu de ces luttes intestines qui sont continuelles ces temps-ci, l’Afrique d’en bas, plus allongée, plus étroite, plus forte, plus renommée et plus riche, est toujours victorieuse de l’Europe d’en haut, plus ramassée, plus large, plus faible, moins renommée et plus pauvre. C’est ainsi que l’Afrique du péché spirituel qui se trouve dans sa poitrine sous ma direction domine l’Europe du péché charnel qui se trouve répandu à travers tout son corps. Le péché de la poitrine de l’Afrique est indiqué en tous lieux, dans l’ensemble de cette Pavie, pour éviter qu’une seule paroisse ne soit jalouse d’une autre. De même, le péché charnel de l’Europe est attesté par l’ensemble de Pavie, pour éviter qu’une seule paroisse ne se glorifie dans la chair sans l’autre, alors qu’aucune n’est blâmée pour ses crimes charnels sans l’autre. Et l’universelle Avignon unit l’Afrique et l’Europe par les liens de l’unité dans une sainte et pure confession faite en public, une fois la malice de l’homme détruite. Si un habitant d’Avignon commet un péché charnel ou spirituel et s’il ne se repent pas, il est dès lors considéré comme appartenant à la grande Pavie, non pas en termes de géographie mais de dépravation. Et si un habitant de Pavie est innocent ou s’est converti après avoir péché, il est dès lors sauvé dans l’universelle Avignon, non pas en termes de géographie mais de morale. La sainte Avignon ne cesse d’unir tous les hommes pour les conduire à la paix, non pas celle du monde mais celle de Dieu. Ceci a été fait, non pas dans la Pavie bavarde qui descend toujours vers la porte des organes génitaux, mais dans la place forte du Tessin silencieuse qui monte déjà vers la poitrine de l’Europe, c’est-à-dire l’Avignon taciturne. LE

TEMPS DU SILENCE

Si quelqu’un discute avec moi en utilisant un langage philosophique, je reconnais à vrai dire que je ne comprends rien de ce qu’il me dit: en effet, ce langage m’est étranger. En revanche, s’il discute encore en utilisant un langage clair 1 2

Ps 148, 7. Voir V 28, V 29 et V 30.

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FOL.

2v°-3

Actum die sancti Iacobi Zebedei. Labilis memoria mea non retinet in momento transitoria uerba, que per unam aurem introeunt et per aliam exeunt. Virtus autem uerborum inheret radicitus cordi meo.

De proprietatibus Europe Anno expectationis, ante III annos, fuerunt in presentia mea innumerabiles collationes beneficiorum Europe pauperrime, que collum eius a uertice usque ad guttur tot collationibus colligarunt. Deinde liberos humeros subiecerunt oneribus seruitutis. Vnumquodque membrum Europe habet similem sibi habitum non in toto. Sola autem Hispania habet habitum similem Europe in toto, a uertice usque ad plantas, scilicet barbam mediocrem, capillos hirsutos uel erectos, corpus fere nudum, perpendiculum ualde strictum et breue ante uerenda, calciamenta rusticana, et clamidem a tergo ualde longam pendentem. Et ideo nomen Hispanie dat honorem toti Europe, que temporalibus expedita et fide accincta currit ad regna celorum que habet in pectore suo. Additum anno perfectionis, VIII kalendas iunii. [fol. 3] DE

IVDICIO GENTIVM

Tyrannidis Lombardorum transgrediens terminos patrum suorum carnalium peccat in lege Cesaris et ideo iuste punitur gladio Cesaris. Fauor populorum contempnens monita patrum suorum spiritualium peccat in lege Ecclesie; et ideo iuste punitur fame et siti uirtutis et spiritus Verbi Dei. Utrique tamen sine Lege diuina, que est uera Lex, sine Lege peribunt. Peccantes autem in utroque iure positiuo carnaliter et partim sacramentaliter puniuntur; tanta affectione ligantur ad ydola sua ut se sponte subiciant periculis animarum et corporum. Vnaqueque persona fidelis formet in pectore suo primo ymaginem Dei uiui per formam humanam, que est Christus uerus Deus et uerus homo, apprehensus per fidem perfectam et diligendus plusquam persona diligentis; et est fundamentum fidei. Deinde formet sibi ymaginem presentis populi christiani, non sensualiter nec ymaginarie sed rationaliter et intellectualiter, cuius quamlibet personam et membrum diligat sicut seipsum, cuius totius corporis se famulum recognoscat. Et habet ex hoc edificium speculare, cuius edificii Christus est fundamentum, hospes et Dominus. Ecclesia specularis est in tempore sine tempore, in loco sine loco, in numero sine numero, in quantitate sine quantitate, in carne sine carne, et in uocibus sine uoce; alioquin subiecta esset philosophie mundane. Siquis de plebe mea se sponte subiecerit gladio Cesaris propter criwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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et naturel, je réponds que je refuse d’être accablé par des difficultés inextricables / d’être englouti dans un labyrinthe inextricable. Mais s’il échange des propos avec moi sans qu’il y ait discussion, je lui réclame alors une œuvre1 et non des paroles. Fait le jour [de la fête] de saint Jacques [25 juillet 1337]. Ma mémoire fantasque ne retient pas sur le moment les mots qui passent: ils entrent par une oreille et sortent par l’autre2. Mais la qualité des mots se grave entièrement dans mon cœur. Les caractéristiques de l’Europe L’année de l’attente [1335], il y a trois ans, d’innombrables bénéfices ont été attribués en ma présence à l’Europe très pauvre; et tous ces bienfaits ont enchaîné son cou, entre le sommet de sa tête et sa gorge. Puis ils ont fait peser sur ses épaules libres le poids de la servitude. Chaque membre de l’Europe a une allure qui ressemble à celle-ci, mais seulement en partie. En revanche, seule l’Espagne a une allure qui ressemble à l’Europe dans sa totalité, entre le sommet de la tête et la plante des pieds, à savoir: une barbe de grandeur moyenne, des cheveux hirsutes ou raides, un corps presque nu, un torse très étroit et très court au-dessus des parties sexuelles, des chaussures rustiques et un manteau tombant très bas dans le dos3. Et c’est pourquoi le nom de l’Espagne rend hommage à toute l’Europe, elle qui, dégagée des soucis du monde et ceinte de la foi4, court vers le royaume des cieux qui se trouve dans sa poitrine. Ajouté l’année de la perfection, le 8 des calendes de juin [25 mai 1338]5. [fol. 3] OPINION

SUR LES PAÏENS

La tyrannie des Lombards, en dépassant les limites assignées par leurs pères charnels, pèche contre la loi de César; et c’est pourquoi elle est justement punie par le glaive de César. Le favoritisme des peuples, en négligeant les recommandations de leurs pères spirituels, pèche contre la loi de l’Église; et c’est pourquoi il est justement puni par la faim et la soif de la puissance et de l’esprit du Verbe de Dieu. L’une et l’autre pourtant, sans la Loi divine qui est la véritable Loi, périront sans la Loi6. Mais ceux qui pèchent contre les deux droits institués7 sont punis sur le plan charnel et en partie sur le plan sacramentel; ils sont liés à leurs idoles par un tel attachement qu’ils s’exposent de leur plein gré aux dangers qui menacent leurs âmes et leurs corps. 1 Les œuvres représentent une exigence de la foi et seront décisives lors du Jugement (voir Mt 5, 16; Ep 2, 10; 1 P 2, 12). 2 Cette phrase traduit bien la fuite des idées caractéristique de l’état hypomaniaque d’Opicinus. 3 Cette description de l’Europe masculine correspond à certaines cartes du Vaticanus: V 12, V 13 et V 20 (en haut), V 14 et V 15 (en bas) etc. 4 Cette définition de l’Espagne est présente dans tout le Vaticanus. 5 Fête de saint Grégoire VII. L’évangile du jour (Mt 16, 13-19) parle du « royaume des cieux ». 6 Voir Rm 2, 12 et 7, 8-9; 1 Co 9, 21. 7 C’est-à-dire le droit civil et le droit canon.

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FOL.

3

mina carnis notoria et manifesta, postquam monita mea contempserit, non contradico iudici carnis. Siquis ex illis manifeste despexerit legem Ecclesie, postquam ligatus sententiis noluerit absolui, nunquam fideles participabunt cum illo. Tanta est affectio habentis ymagines ydolorum in se ut nichil spirituale unquam uelit intelligere uel uidere.

DE

PROPRIETATIBVS FLVMINVM

Pectus Europe habet per medium sui Rodanum turbidum et rapidum defluentem, qui significat integram et manifestam confessionem peccatorum que contraxit in Affrica. Si enim Rodanus esset limpidus fluensque morose, signum esset ypocrisis Affricane. Nunc exoritur a renibus Europe. Nam Alpes perhennium niuium circumdantes uentrem Europe producunt ex renibus Renum defluentem sursum ad terga; ex renibus Rodanum per medium pectoris decurrentem; ex renibus Ticinum per medium uentris ad lumbos; ex renibus inferioribus Danubium usque ad fimbriam uestimenti; ex stomacho Durentiam sursum ad pectus; ex stomacho Padum deorsum per medium uentris mixtum cum Ticino ad lumbos. DE

IVDICIO IVDEORVM (ID EST CLERICORVM)

Rapacitas carnalium laicorum cum clericis nunc uergit a mane uorandi ad uesperam diuidendi predam uel spolia temporalium uel spiritualium. Populus christianus nunc ascendit a uespere siue nocte tristitie ad mane letitie. Ecce hora Iudicii simul et semel est mane gaudentibus et uespere flentibus. Filii lucis ascendunt a mane ad meridiem; filii tenebrarum descendunt a uespere ad noctem obscuram. Adhuc ego sum exul in uniuersali Papia plena tristitie et tenebrarum, desiderans quottidie reditum meum ad Iherusalem populi christiani non locis sed moriwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Toute personne fidèle doit commencer par donner forme dans son cœur à une image du Dieu vivant sous forme humaine: il s’agit du Christ, vrai Dieu et vrai homme, saisi par une foi parfaite, et que l’on doit aimer plus que soi-même; et c’est cela le fondement de la foi. Elle doit ensuite donner forme à une image du peuple chrétien actuel, non pas avec ses sens et son imagination, mais de manière rationnelle et intellectuelle; et elle doit en aimer chaque personne et chaque membre comme elle-même1 et se reconnaître comme le serviteur de ce corps tout entier2. Et elle obtient ainsi une construction visible: le Christ en est le fondement, l’hôte et le Seigneur. L’Église du miroir existe dans le temps tout en étant hors du temps; elle se meut dans l’espace tout en étant affranchie de l’espace; elle se compte tout en étant innombrable; elle s’évalue quantitativement tout en ne pouvant être quantifiée; elle est incarnée tout en échappant à la chair; et elle parle tout en étant sans voix; sinon elle serait assujettie à la philosophie du monde. Si quelqu’un parmi mes ouailles se soumet volontairement au glaive de César en raison de fautes charnelles connues et évidentes, après avoir négligé mes recommandations, je ne m’élève pas contre son juge charnel. Si un autre se détourne ouvertement de la loi de l’Église, après que, assujetti à une condamnation, il ait refusé l’absolution, jamais les fidèles ne s’associeront avec lui. Celui qui porte en lui des images d’idoles y est si attaché qu’il ne veut jamais rien comprendre ni voir de spirituel. LES

CARACTÉRISTIQUES DES FLEUVES

La poitrine de l’Europe est traversée par le Rhône au débit désordonné et rapide, qui indique la confession entière et visible des péchés qu’elle a commis en Afrique. En effet, si le Rhône était clair et avait un débit lent, il serait le symbole de l’hypocrisie africaine. Aujourd’hui, il prend naissance dans les reins de l’Europe. Car les reins des Alpes aux neiges éternelles, qui entourent le ventre de l’Europe, donnent naissance au Rhin qui coule vers le haut, sur le dos; les reins donnent naissance au Rhône dont le cours traverse la poitrine; les reins donnent naissance au Tessin qui traverse le ventre pour aller vers les parties génitales; les reins inférieurs donnent naissance au Danube qui coule vers le bord du vêtement; l’estomac donne naissance à la Durance qui coule vers le haut en direction de la poitrine; l’estomac donne naissance au Pô qui coule vers le bas en traversant le ventre et qui, ayant rejoint le Tessin, coule vers les parties génitales. OPINION

SUR LES JUIFS (C’EST-À-DIRE SUR LES CLERCS)

La rapacité des laïcs charnels associés aux clercs quitte maintenant le matin où elle est vorace, pour se diriger vers le soir3 où elle partage le butin ou les dépouilles des biens temporels ou spirituels. Le peuple chrétien quitte mainte-

Voir Mt 19, 19 et 22, 39; Mc 12, 31 et 33; Lc 10, 27; Rm 13, 9; Ga 5, 14; Jc 2, 8. Voir la conception paulinienne de l’Église, corps du Christ, dont chaque chrétien est un membre. 3 Le matin correspond à l’est, le soir à l’ouest. 1 2

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26

FOL.

3

bus. Et nisi haberem mihi coexulem Boetium Seuerinum, qui ualde uirtutibus est superior me, in continua desperatione perirem. Actum VII kalendas augusti. Per Dei gratiam faciemus uindictam de tortoribus nostris in Affrica Papiensi.

DE

VITIO ORIGINALI

Vitium meum originale semper satagit promoueri ab origine maris ante faciem Affrice usque ad pennas Pontici maris ad rapiendam archam Noe. Virtus autem populi christiani per uiolentiam naturalem ascendit ab insulis purgatoriis ad Terram sanctam Iherusalem non locis sed moribus. Transiens enim a Ianua spinularum cum aureis floribus qui simul impressi in unum conueniunt, transfretaui montes marinos cum fluctibus Malespine usque ad Papiam uenalem in manu diaboli. Actum eadem die predicta.

DE

VANIS NOVITATIBVS EVITANDIS

Quicquid de mundo offertur mihi – siue de nouitatibus mundi, siue de placitiis pretiosis, siue de laudibus persone uel mee uel alterius – totum mihi uidetur fastidiosum. Video totum mundum positum in maligno; uideo omnes regiones mundi in quali dispositione consistant: paucas in specie, omnes in genere. Nulla ergo fiat mentio mihi de mundo. Tedet mihi uiuere donec uideam presentem Ecclesiam specularem in qua uos spirituales estis asscripti. Vos estis in mundo sine mundo collecti in unum uiuificum templum Dei. Actum eadem die in nocte.

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nant le soir ou la nuit de la tristesse pour monter vers le matin de la joie. C’est ainsi que l’heure du Jugement est en même temps et une fois pour toutes le matin pour ceux qui se réjouissent et le soir pour ceux qui pleurent. Les fils de la lumière quittent le matin pour monter vers le milieu du jour; les fils des ténèbres quittent le soir pour descendre vers la nuit obscure. Moi, je suis encore en exil dans l’universelle Pavie pleine de tristesse et de ténèbres, en aspirant chaque jour à revenir dans la Jérusalem du peuple chrétien, non pas en termes de géographie mais de morale. Et si je n’avais comme compagnon d’exil Boèce Séverin1, dont les qualités sont très supérieures aux miennes, je mourrais à force de désespoir. Fait le 7 des calendes d’août [26 juillet 1337]. Avec l’aide de la grâce à Dieu, nous tirerons vengeance de nos bourreaux dans l’Afrique de Pavie. LE

PÉCHÉ ESSENTIEL

Mon péché essentiel s’efforce toujours de me pousser à avancer depuis le commencement de la mer, devant le visage de l’Afrique, jusqu’aux ailes du PontEuxin, afin de m’emparer de l’arche de Noé. Or la puissance du peuple chrétien, du fait de son impétuosité naturelle, quitte les îles du purgatoire2 pour monter vers la Terre sainte de Jérusalem, non pas en termes de géographie mais de morale. En effet, quittant la Gênes des petites épines et des fleurs d’or qui, gravées ensemble, ne font plus qu’un, j’ai traversé les montagnes de la mer et les flots de Malaspina3 jusqu’à la vénale Pavie, dans la main du diable. Fait le jour indiqué plus haut. LES

NOUVEAUTÉS INUTILES QU’IL CONVIENT DE FUIR4

Tout ce que le monde me propose – qu’il s’agisse de nouveautés mondaines, de plaisirs coûteux, de louanges faites à ma personne ou à une autre – me semble tout à fait pénible. Je vois le monde entier en proie au mal; je vois comment sont disposés tous les pays du monde: peu relèvent de l’espèce, alors que tous relèvent du genre. Par conséquent, qu’on ne me parle jamais du monde. Je suis fatigué de vivre tant que je ne vois pas l’Église actuelle du miroir dont vous faites partie, vous, les spirituels. Vous, vous êtes dans le monde sans y être, rassemblés dans l’unique et vivifiant temple de Dieu. Fait la nuit suivante.

Premier exemple de l’identification d’Opicinus à Boèce. C’est-à-dire l’Angleterre et l’Irlande. Voir fol. 6, 43v°, 83 v°; et V 29, note 23. Opicinus adhère à la croyance commune à l’époque selon laquelle le purgatoire se trouvait en Irlande, où Jésus avait montré à saint Patrick un trou rond et obscur: si un homme animé d’un vrai esprit de pénitence et de foi passait un jour et une nuit dans ce trou, il serait purgé de ses péchés et pourrait voir les tortures des méchants et les joies des bons. 3 Le petit comté de Malaspina était inclus dans les Alpes Cottiennes, au sud-est de Pavie. 4 Au Moyen Âge, les « nouveautés » sont considérées avec une extrême méfiance. Voir fol. 5, 7v° et 57. 1 2

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DE

FOL.

3-3v°

IVDICIO PLEBIS

Siquis de plebe mea dixerit sic: « Nonne ego sum christianus? », responsum est sibi: « ut ostendat opera christiana ». Si ostenderit opera christiana facta iuxta consilium patris sui non putatiui sed ueri, tunc est uera confessio fidei. Verus enim pater ipsius est immortalis et incorruptibilis rector parrochie sue, cuius est seruus persona mortalis minister nomine talis et talis. Si uero fecerit opera sine consilio patris ab ipso contempti, tunc non sunt opera christiana, immo quedam negatio fidei quam promiserat in baptismo. De uniuersali perfectione futura per mundum Remaneat Papia exempta immediate sub papa, in signum uniuersalis Ecclesie future perfecte, ut sine medio rectore mortali sit immediate sub immortali et incorruptibili papa Christo. Hora qua cogitaueram istud scribere ex improuiso, me salutauit dominus N.1 episcopus Papiensis per nuntium; cuius episcopi personam ignoro quam nec unquam uidi. Additum anno perfectionis, II nonas martii. De iudicio proprio Minor Europa incipiens a Taurino est quasi similis boui, in cuius stercore pro humano panem meum inuoluo. Omnia gesta et mores minoris Affrice sunt significantes in malum, quarum res significata est in mancipio meo potentialiter etiam actualiter ad christianitatis dominium, nisi ipsum ab appetito suo retraherem. Ego sanctus populus christianus cum anima mea ligata cum Christo, subicio sub me personam meam mortalem cuius anima semper est prompta ad malum. Additum VII kalendas iunii. [fol. 3v°] DE

CARITATE

Caritas nobilitat omnem scientiam etiam mechanice artis. Nam uilior ars cum maiori plenitudine caritatis preualet super nobilioribus artibus siue scientiis cum defectu caritatis. Melius est simplici in arte uilissima – ut puta munditia latrinarum – cum uera caritate Dei et proximi sine dolo, quam habenti omnem scientiam siue humanam siue diuinam sine caritate propter arrogantiam suam. Hoc dico ne glorietur omnis caro in omnibus. In seraphin enim nullum detrimentum habetur; in cherubin uero absque seraphin angelica prauitas reperitur. Hoc dico in celo specularis Ecclesie per iudicem presentium angelorum.

1

Opicinus ne donne pas le nom de l’évêque de Pavie. Nous rendons .. par N.

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OPINION

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SUR MES OUAILLES

Si quelqu’un parmi mes ouailles me parle ainsi: « Est-ce que moi, je ne suis pas chrétien? », la réponse qu’il reçoit est la suivante: « qu’il montre des oeuvres chrétiennes ». S’il montre des oeuvres chrétiennes réalisées en suivant les conseils de son père, non de son père supposé mais de son vrai père, il s’agit alors d’une véritable profession de foi. En effet, son vrai père est le curé immortel et incorruptible de sa paroisse, qui a pour serviteur la personne mortelle du ministre nommé un tel et un tel. Mais s’il réalise ses oeuvres sans suivre les conseils de son père dont il ne se soucie pas, il ne s’agit pas alors d’œuvres chrétiennes; et même, il s’agit d’une forme de refus de la foi qu’il avait promise lors de son baptême. La perfection universelle à venir dans le monde Pavie doit rester exemptée en dépendant directement du pape, en signe de l’Église universelle parfaite à venir, pour que celle-ci, sans le truchement d’un curé mortel, dépende directement du pape immortel et incorruptible qu’est le Christ. Au moment où je projetais d’écrire ces lignes, à l’improviste, le seigneur …, évêque de Pavie, m’a envoyé un message de salutations; pourtant je ne connais pas cet évêque et je ne l’ai jamais vu. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des nones de mai [6 mai 1338]. Opinion personnelle La petite Europe qui commence à Turin ressemble presque à un bœuf1, dont j’utilise les excréments comme s’ils étaient humains pour envelopper mon pain. Tous les actes et les comportements de la petite Afrique sont des manifestations du mal; et la réalité qu’ils indiquent se trouve chez mon esclave, virtuellement ainsi que dans les faits, pour obtenir le commandement de la chrétienté, à moins que je ne l’arrache à sa convoitise. Moi le saint peuple chrétien, ainsi que mon âme liée au Christ, nous soumettons à notre autorité ma personne mortelle dont l’âme est toujours portée au mal. Ajouté le 7 des calendes de juin [26 mai 1338]. [fol. 3v°] LA

CHARITÉ

La charité ennoblit toutes les connaissances, même celles des arts mécaniques2. Car un savoir-faire peu reluisant, exercé avec une noble et totale charité, vaut mieux que des arts ou des savoirs prestigieux, pratiqués sans charité. Il est préférable d’être un homme simple qui exerce un savoir-faire très peu reluisant, par exemple le nettoyage des latrines, en éprouvant un véritable amour pour Dieu et pour son prochain et sans causer de torts, que de posséder toute la connaissance, que ce soit sur l’homme ou sur Dieu, sans éprouver d’amour à cause de son

Jeu de mots sur Taurinum. Les arts mécaniques se distinguent des arts libéraux (faisant appel à la spéculation intellectuelle, et donc considérés comme plus nobles) parce qu’ils relèvent d’un savoir faire manuel. Voir fol. 66v°. 1 2

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30

FOL.

QVESTIO

3v°

SACRAMENTALIS

In quolibet sacramento exiguntur IIII cause, scilicet: efficiens que est debitus minister uel potius instrumentum agentis, materialis que est debita materia, formalis que est debita prolatio Verbi cum actibus concomitantibus, finalis que est inuisibilis res. Reliquis omissis ad presens, de materia uideamus, uidelicet de taxatione materie, presertim de eucharistia, posito huiusmodi casu. Ecce cum omnibus causis predictis et debitis circumstantiis coram ministro sacramenti apponitur enormis quantitas panis et uini. Si exinde uere conficitur sacramentum, tunc non ualens consumi per homines sumpturos misterium, propter materie nimiam quantitatem adeo ut non possit consumi, quamdiu perstiterit in specie panis et uini, tandem corruptum sacramentum reuertitur in materiam preiacentem. Salua semper in omnibus sancte matris Ecclesie uera sententia, opinor ex hoc nullum posse confici sacramentum. Non dico de altari parrochie onusto hostiis consecratis uel uase tante quantitatis huiusmodi uini; sed dico de ampla latitudine platee uel domus plene panibus illis et de torcularibus plenis uino similiter consecratis. Similiter de sacramentalibus, ut puta siquis benedixerit cum sale fontem uel puteum semper scaturientem, uel miserit aquam benedictam in fontem uel puteum aut in fluuium siue lacum, si ex hoc tota aqua et semper fuerit benedicta: ad hoc respondeo sicut supra.

ALIA

QVESTIO SACRAMENTALIS

Ponitur alius huiusmodi casus. Ecce quidam non baptizatus, ipso nesciente uel forte sciente, ad omnes ordines promouetur; uel baptizatus omissis ordinibus mediis consecratur in episcopum; aut nec ordinatus in episcopum efficitur patriarcha, aut – quod nunquam accidit – efficitur papa. Ignorato ergo ab omnibus sacramentorum suorum principio, omnes uel plures ab ipso in presbiteros promouentur, ex quibus multi efficiuntur episcopi. Omnes isti excepto primo promotore eorum sunt rite et canonice in omnibus ordinati. Post multa tempora mortuo promotore, scitur uel presumitur aut probatur principium uitii uel defectus; queritur utrum 1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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cynisme. Je tiens ces propos pour éviter que toute chair ne se glorifie en tout. En effet, chez le séraphin il n’y a aucun défaut; mais chez le chérubin qui n’est pas séraphin1, on trouve la faiblesse angélique. Je tiens ces propos dans le ciel de l’Église du miroir, avec l’aide du juge des anges qui s’y trouvent. UN

PROBLÈME RELATIF AUX SACREMENTS

Pour chaque sacrement, quatre causes2 sont requises, à savoir: la cause efficiente, c’est-à-dire le ministre requis, ou plus exactement l’instrument que représente le célébrant; la cause matérielle, c’est-à-dire les éléments requis; la cause formelle, qui consiste à prononcer les mots requis et à faire les gestes qui vont avec; la cause finale, c’est-à-dire l’invisible. En mettant de côté les autres causes pour l’instant, examinons les éléments, c’est-à-dire l’estimation des éléments, surtout en ce qui concerne l’eucharistie, en prenant un exemple. Voici qu’on apporte, en même temps que toutes les autres causes indiquées plus haut et que toutes les particularités requises, une quantité considérable de pain et de vin en présence de celui qui administre le sacrement. Si le sacrement est alors réellement célébré, ce qui ne peut être consommé par les hommes disposés à recevoir le mystère, puisque sa quantité matérielle est telle que sa consommation est impossible, aussi longtemps qu’il conserve l’aspect du pain et du vin, redevient alors pour finir, en tant que sacrement altéré, l’élément initial. En respectant toujours et en tous points l’opinion juste de notre sainte mère l’Église, je pense que, dans ce cas, aucun sacrement ne peut être célébré. Je ne parle pas d’un autel paroissial croûlant sous les hosties consacrées, ni d’un vase/calice rempli d’une quantité aussi importante d’un tel vin; mais je parle d’un vaste espace correspondant à une place ou à une maison remplie de ces pains et de pressoirs remplis de vin, eux aussi consacrés. Mon avis est le même en ce qui concerne les sacramentaux3: par exemple, si l’on bénit avec du sel une fontaine ou un puits qui déborde en permanence, ou si l’on jette de l’eau bénite dans une fontaine ou un puits, ou encore dans un fleuve ou un lac, est-ce que, dans ce cas, c’est l’eau tout entière qui est toujours bénie elle aussi? Je réponds ici comme plus haut. UN

AUTRE PROBLÈME RELATIF AUX SACREMENTS

Prenons un autre exemple de ce genre. Voici un homme qui n’a pas été baptisé – qu’il l’ignore ou peut-être le sache – et qui est élevé à tous les ordres; ou bien un homme baptisé qui est consacré évêque, les ordres intermédiaires ayant été oubliés; ou encore un homme qui, sans avoir été ordonné évêque, devient patriar-

1 Dans la hiérarchie des anges, le séraphin est au-dessus du chérubin. Opicinus s’identifie au séraphin. Voir fol. 27. 2 Dans la philosophie scolastique, la cause désigne l’antécédent logique ou réel qui produit un effet. 3 Les sacramentaux sont les sacrements « mineurs »: aspersion d’eau bénite, réception des cendres, signe de croix…

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32

FOL.

3v°

omnes isti sint iterum ordinandi an sola fides perficiat sacramentum. Salua semper uera sententia uniuersalis Ecclesie non aliter, mihi uidetur solam fidem inuisibilis rei hec signa uisibilia confirmare; alioquin esset perpetuum scandalum, nisi hoc accideret in regione particulari. Actum dominica VIIª post Pentecostes, VI kalendas augusti. Non enim signum preualet ad rem, sed res fidei perficit sacramentum sub signis. Non autenticetur istud1. Sicui domino uel prelato donauero aliquid, intendens petere iustitiam faciendam mihi de suis familiaribus siue rebus, tunc iudico me Symonem magum. Nimis rigidum est istud, cum licite redimere possim uexationem meam et ideo retractetur. Actum eadem die; et in eadem hora retractatum est.

DE

LITTERA ET SPIRITV

Sicut discipulus artis pictorie primo discit a magistro suo ymagines depingere, deinde perficitur in discendo secundum exemplar nature – ut puta de animali uiuente uel uegetabili planta aut corporali re naturaliter siue artificialiter facta, ad cuius exemplar melius pingitur quam ab arte – ita sacra Scriptura spiritualiter declarata primo docet catholice et fideliter discipulos suos per auctoritates sacrorum scribarum ad rationem fidei, deinde relinquit perfectos ut ipsi derelicta corruptibili littera cum auctoritatibus suis catholicis tamen et ueris propter infirmos et pueros nutriendos intrent ad incorruptibilem litteram conscientie sue, ubi reperient ueritatem eorum que ille auctoritates apponunt. Quis est ergo locus fortior arguendi: ab auctoritate an ab argumento uisibili? Nemo sapiens ista dixerit aliter quam ab argumento uisibili. In auctoritate enim Scripture multi excecantur infirmi; in argumento uero conscientie proprie nunquam excecari possunt perfecti. Maior cecitas fuit in me usque nunc quam fuerit in Augustino ante conuersionem suam. Illius enim fuit cecitas puerilis, eo quod circa philosophicas nugas errauit a fide propter 2

1 Le paragraphe qui suit a été barré après coup par Opicinus avec quelques traits en diagonale, mais le texte est lisible. 2 Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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che ou bien – ce qui n’arrive jamais – pape. Tout le monde étant dans l’ignorance de l’origine des sacrements qu’il a reçus, tous ou plusieurs sont élevés par lui à la prêtrise, et parmi eux beaucoup deviennent évêques. L’ensemble de ces derniers, à l’exception du premier qui leur a donné de l’avancement, sont ordonnés de manière régulière et canonique en tous points. Quelques temps après, le premier qui leur a donné de l’avancement étant mort, on découvre, on pressent ou on a la preuve de l’irrégularité ou du défaut initial; on se demande si toutes ces personnes doivent à nouveau être ordonnées, ou bien si la foi parachève le sacrement. En respectant toujours l’opinion juste de l’Église universelle et rien d’autre, il me semble que la foi dans l’invisible est suffisante pour valider les signes visibles; sinon il y aurait des difficultés en permanence, à moins que cela n’arrive dans une région en particulier. Fait le 7e dimanche après Pentecôte, le 6 des calendes d’août [dimanche 27 juillet 1337]. En effet, ce n’est pas le signe qui est le plus important pour que le sacrement soit indiscutable; c’est la réalité de la foi qui parachève le sacrement derrière les signes. Ne pas tenir ces propos pour vrais. Si j’offre un cadeau à un seigneur ou à un prélat, en cherchant à demander que justice me soit rendue à propos de ses domestiques ou de ses biens, je me prends alors pour Simon le Magicien1. Cela est excessif, puisque je peux me libérer légalement des tourments dont je fais l’objet et qu’ainsi ils sont supprimés. Fait le même jour; et retiré dans l’heure. LA

LETTRE ET L’ESPRIT2

De même qu’un élève qui apprend l’art de la peinture commence par apprendre de son maître à peindre des portraits, puis se perfectionne en suivant les leçons que donnent les modèles naturels – par exemple, une bête vivante ou une plante qui pousse, ou encore un objet matériel naturel ou fait par la main d’un artiste, modèles qu’il peint plus correctement qu’en suivant un savoir-faire théorique – de même l’Écriture sainte exprimée sur le plan spirituel commence par instruire ses disciples dans l’orthodoxie et la foi, en utilisant les textes faisant autorité des saints scribes pour cheminer rationnellement dans la foi; puis elle laisse les parfaits – une fois qu’ils se sont désintéressés de la lettre corruptible et des textes faisant autorité, pourtant conformes à l’orthodoxie et à la vérité, car destinés à nourrir les faibles et les enfants – accéder eux-mêmes à la lettre incorruptible de leur conscience, où ils découvriront la vérité de ce que ces textes faisant autorité proposent. Par conséquent, où trouve-t-on les démonstrations les plus solides: dans la tradition ou dans une preuve visible? Aucun homme sage ne

1 Simon le Magicien, capable de toutes sortes de prodiges, voulut acheter aux apôtres le don de l’Esprit par l’imposition des mains (voir Ac 8, 9 et ss). Il se fit également passer auprès de l’empereur Néron pour le vrai « Fils de Dieu » (voir la Légende dorée, t. 1, pp. 416-417). Il a donné son nom à la simonie: il y a donc ici une allusion claire à l’acte simoniaque commis par Opicinus et ayant entraîné son excommunication. 2 Voir 2 Co 3, 6: la lettre de la Loi est inférieure à la loi intérieure de l’Esprit.

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34

FOL.

3v°

infirmitatem intellectus sui ad humanas et quasi probabiles rationes. Ego autem semper catholicus fide licet obscura, intelligibilis etiam ad litteram spiritualiter exponendam per adiutorium cuiuslibet auctoritatis catholice, ad inquirendam rationem fidei tandem me reperi uehementius cecus. Putans enim me sacram Scripturam intelligere, quasi querere Deum in litteris, inueni me ualde longinquum a Deo, quasi in regione dissimilitudinis. Littere enim sacre nos mittunt ad litteram fidei scriptam in cordibus nostris, ac si diceret mihi fideliter uisibilis littera: « Doceo te ut inquiras ueram litteram quam habes in te, in qua reperies uerum Deum. Si uero reuerteris iterum ab illa ad me, in me inuenies circuitus tenebrarum perdito uero Deo ». Heu mihi cum essem iam in aditu conscientie mee, reuersus fui ad pristinam litteram, nisi Dominus misericorditer me recollegisset in me usque ad se. Propter autem infirmos me misit foras ad tenebras iudicandas a lumine. Actum VI kalendas augusti.

De argumentis fidei in pectore sancte Europe Legitur Christum post Ascensionem suam fuisse corporaliter in pectore huius Europe ad sepulturam Marthe hospite sue, ut ipsa in hac nouissima die ab auditione mala non timeat. Similiter fertur Dominum corporaliter in honore matris sue Auinionensem ecclesiam dedicasse. Quomodo ergo possumus uacillare de fide? Ecce ratio quare cathedrales ecclesie pectoris huius habent in plurimum canonicos regulares, que autem sunt uentris habent canonicos seculares: ut sit strictior uita in pectore et laxior sit in uentre sine peccato. Additum anno perfectionis, VII kalendas iunii. II

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donnerait d’autre réponse que la preuve visible. En effet, en suivant les textes faisant autorité de l’Écriture, de nombreux faibles ont été aveuglés; alors que les parfaits ne peuvent jamais être aveuglés par les preuves que leur donne leur conscience personnelle. J’ai été plus aveugle jusqu’à aujourd’hui que ne l’a été Augustin avant sa conversion1. En effet, son aveuglement était celui des enfants, dans la mesure où, en s’adonnant aux amusements philosophiques, il s’était détourné de la foi, en raison de la faiblesse de son esprit, pour aller vers les explications humaines qui semblaient vraisemblables. Or moi, dont la foi était toujours conforme à l’orthodoxie bien qu’obscure, et qui étais même capable de comprendre les explications spirituelles de la lettre à l’aide de n’importe quel texte faisant autorité et orthodoxe, afin de chercher à découvrir les arguments de la foi, je me suis retrouvé avec une cécité aggravée. En effet, en croyant comprendre l’Écriture sainte, c’est-à-dire en cherchant Dieu dans les textes, je me suis retrouvé très loin de Dieu, comme dans un pays inconnu. En effet, les textes saints nous renvoient à la lettre de la foi inscrite dans nos cœurs, comme si la lettre visible me disait avec loyauté: « Je t’apprends à chercher la vraie lettre que tu as en toi; c’est en elle que tu trouveras le vrai Dieu. Mais si tu la quittes une seconde fois pour revenir vers moi, tu trouveras en moi les périphrases des ténèbres, en ayant perdu le vrai Dieu ». Misérable que je suis, alors que je me trouvais déjà à l’entrée de ma conscience, je serais revenu à la lettre d’autrefois, si le Seigneur ne m’avait miséricordieusement rattrapé en moi-même pour aller jusqu’à Lui. Et à cause des faibles, il m’a envoyé au-dehors pour juger les ténèbres à partir de la lumière. Fait le 6 des calendes d’août [27 juillet 1337]. Les preuves de la foi situées dans la poitrine de la sainte Europe On lit que le Christ, après l’Ascension, s’est trouvé réellement dans la poitrine de cette Europe sur la tombe de Marthe2 qui l’avait accueilli3, afin que celle-ci n’ait pas à craindre une audition difficile en ce jour qui est le dernier. On raconte aussi que le Seigneur a consacré corporellement l’église d’Avignon en honneur de sa mère4. Comment donc notre foi peut-elle chanceler? Si les églises-cathédrales de cette poitrine ont des chanoines réguliers en grand nombre, alors que celles qui sont dans le ventre ont des chanoines séculiers, c’est parce que la vie est plus austère dans la poitrine et plus décontractée dans le ventre, mais sans péché. Ajouté l’année de la perfection, le 7 des calendes de juin [26 mai 1338]. II

1 Première mention de saint Augustin, une des principales identifications d’Opicinus,. Les lignes qui suivent établissent un parallèle entre l’itinéraire d’Augustin et celui d’Opicinus avant leur « conversion » respective. 2 C’est-à-direTarascon (Bouches-du-Rhône, ar. Arles). Voir V 5. 3 Voir Lc 10, 38-41. 4 Il s’agit de Notre-Dame-des Doms.

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36

FOL.

4

[fol. 4] Omnes imperatores fideles obedientes sacerdotibus in ista columpna saluantur.

Omnes ecclesiastici in spiritualibus et celestibus ambientes in hac columpna Cesarea reprobantur.

Columpna papalis SPIRITVALE IMPERIVM

FIGVRALE IMPERIVM Columpna imperialis

Anacletus1 Alexander Anicetus Antheros Anastasius Agapitus Agathon Adrianus Bonifacius Benedictus Cletus Clemens Cornelius Celestinus Conon Constantinus Dionisius Damasus Deusdedit Deodatus Donnus Euaristus Eleutherius Euthicianus Eusebius Eugenius Fabianus Felix Formosus Gayus

IIII

IIII II V VIII XII VI V II II

II

III IIII

Adrianus Antonius Alexander Aurelianus Archadius Anastasius Arnulphus Berengarius Claudius Comodus Carus Constantinus Conradus Domicianus Decius Dioclitianus Eraclius Florianus Fredericus Gayus Galba Gordianus Gallus Galerius Gratianus Helius Pertinax Honorius Henricus

III

II IIII II

VI II

II

VI

Iulius Cesar

1 Les lettres majuscules de chacun des personnages figurant dans les colonnes sont plus grandes et plus épaisses que le reste du texte.

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[fol. 4] Tous les empereurs fidèles soumis aux prêtres figurant dans cette colonne sont sauvés.

Tous les ecclésiastiques nourrissant des ambitions spirituelles et célestes figurant dans cette colonne des empereurs sont condamnés.

La colonne des papes1 LE POUVOIR SPIRITUEL

LE POUVOIR FICTIF/SYMBOLIQUE La colonne des empereurs2

Anaclet [76-88] Alexandre IV [1254-1261] Anicet [155-166] Antéros [235-236] Anastase IV [1153-1154] Agapet II [946-955] Agathon [678-681] Adrien V [1276] Boniface VIII [1294-1303] Benoît XII [1334-1342] Clet4 Clément VI [1342-1352]5 Corneille [251-253] Célestin V [1294] Conon [687] Constantin II [767-768] Denys [259-268] Damase II [1048] Deusdedit (ou Adéodat) [615-618] Adéodat [idem] Donus [676-678] Evariste [97-105]

Adrien [117-138] Antonin III (le Pieux) [138-161] Alexandre (le Grand) [336-323 av. J.C.] Aurélien [270-275] Arcadius [v. 377-408] Anastase II [713-715] Arnulf [896-899] Bérenger IV3 Claude II [268-270] Commode [180-192] Carus [282-283] Constantin VI [780-797] Conrad II [1027-1039] Domitien [81-96] Dèce [248-251] Dioclétien [284-305] Héraclius [610-641] Florianus [276] Frédéric II [1220-1250] Gaius (Caligula) [37-41] Galba [68-69] Gordien [238 ou 238-244] Gallus [251-253]

1 Les papes indiqués sont les papes importants aux yeux d’Opicinus: les premiers papes, les papes d’Avignon, ceux dont le nom paraît prédestiné (ex: Deusdedit), plus tous ceux dont il conviendrait d’approfondir les points communs qu’ils peuvent avoir avec Opicinus et le traitement que le délire du scribe leur fait subir. 2 A l’exception d’Alexandre (très probablement Alexandre le Grand, qui représente un des éléments de la culture médiévale), de Jules César (voir la césarienne dans V 6) et de Marc Antoine – qui ne furent pas empereurs – les noms indiqués sont ceux d’empereurs soit romains, soit carolingiens, soit byzantins, soit du Saint Empire Romain Germanique. Là aussi, il conviendrait d’approfondir les liens qu’ils peuvent avoir avec le scribe. 3 S’agit-il de Raymond-Bérenger IV, comte de Barcelone, mort à Turin en 1162? Ou de Bérenger II, roi d’Italie (950-961)? Ou d’un autre personnage? 4 Même personnage qu’Anaclet, mais considéré comme distinct à l’époque d’Opicinus. 5 Cette mention est donc postérieure à l’ensemble du manuscrit: initialement Opicinus avait indiqué Clément V (1305-1314); une surcharge (visible sur le manuscrit) lui a permis d’actualiser sa liste (en 1342 sans doute).

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38

FOL.

Gelasius Gregorius Hilarius Hormisda Honorius Iulius Innocentius Iohannes Kalixtus Linus Lucius Liberius Leo Lando Marcellinus Marcellus Melchiades Marcus Martinus O__ Nicolaus Petrus apostolus Pius ***1 Pontianus Pelagius Paulus Q__ Paschalis Romanus Sixtus Sother Stephanus Siluester Siritius Simplicius Symachus Siluerius Sauinianus Seuerinus Sergius Sisinius

II X

IIII VI XXII II III VIIII

4

Iulianus Iouinianus Iustinus II Iustinianus II Karolus III Leo IIII Ludouicus III Lotharius III Marcus Antonius Martinus alias Macrinus Maximinus Martianus Mauritius Michael in Grecia Nero Nerua Nicheforus in Grecia

IIII IIII

II II III VIIII III

Octauianus Otto Philippus Probus Phocas Seuerus Tiberius Titus Traianus Tacitus Theodosius Vespasianus Valerianus Valentinianus Valens Zeno

IIII

IIII II ___Q R III

III

________X Y

*** priuilegium primi pape sociati cum VII personis

Cette expression (dont la transcription est reportée ici après les colonnes) est située dans la marge, perpendiculairement aux colonnes. 1

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Eleuthère [175-189] Eutychien [275?-283?] Eusèbe [309 ou 310] Eugène III [1145-1153] Fabien [236-250] Félix IV [526-530] Formose [891-896] Gaïus [283-296] Gélase II [1118-1119] Grégoire X [1271-1276] Hilaire [461-468] Horsmidas [514-523] Honorius IV [1285-1287] Jules [337-352] Innocent VI [1352-1362]1 Jean XXII [1316-1334] Calixte II [1119-1124] Lin [67-76] Lucius III [1181-1185] Libère [352-366] Léon IX [1049-1054] Landon [913-914] Marcellin [296-304] Marcel [308-309] Melchiade [311-314] Marc [336] Martin IV [1281-1285] O__ Nicolas IV [1288-1292] Pierre apôtre [mort vers 67] Pie [140-155] [note 1] Pontien [230-235] Pélage II [579-590] Paul [757] Q__ Pascal II [1099-1118] Romain [897] Sixte III [432-440] Soter [166-175] Etienne IX [1057-1058] Sylvestre III [1045]

39

Galère [293-311] Gratien [375-383] Aelius Pertinax [196] Honorius [395-423] Henri VI [1190-1197] Jules César [mort en 44 av. J.C.] Julien [361-363] Jovien [363-364] Justin II [565-578] Justinien II [685-695 et 705-711] Charles III [881-887] Léon IV [775-780] Louis III [901-905] Lothaire III [1125-1137] Marc Antoine [83-30 av. J.C.] Martin alias Macrin [217-218] Maximin [235-238 ou 308-313] Martianus [mort en 323] Maurice [582-602] Michel de Grèce2 Néron [54-68] Nerva [96-98] Nicéphore de Grèce3 Octavien (Auguste) [27 av. J.C. – 14 ap. J.C.] Otton IV [1209-1218] Philippe II [1198-1208] Probus [276-282] Phokas [971 et 987-989] __Q Sévère [461-465] R Tibère III (698-705) Titus [79-81] Trajan [98-117] Tacite [275-276] Théodose III [716-717] Vespasien [69-79]

[note 1] – le privilège du premier pape associé avec sept personnes

1 Même remarque que pour Clément VI: initialement Opicinus avait indiqué Innocent V (1276). Ce qui permet de dire qu’il est mort après le 18 décembre 1352 (élection d’Innocent VI). 2 Neuf empereurs byzantins ont porté ce nom. 3 Trois empereurs byzantins ont porté ce nom.

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40

FOL.

Thelesphorus Theodorus Victor Vrbanus Vigilius Vitalianus Valentinus Christoforus Yginus Zepherinus Zosimus Zacharias

4

II III IIII Tempore primorum Leonum pape et Cesaris uel circa, fuit corpus sancti Marci euangeliste translatum Venetias. Huius recordatus sum anno perfectionis, die sancti euangeliste predicti. Quid hoc significet uideatur. Hodie plura audiui testimonia fidei nostre ab aliquibus uisa et a quibusdam audita. Hoc dico de miraculis Domini nostri Ihesu Christi per tempora retroacta.

Felix papa IIIus et Zeno imperator ambo quinquagesimi simul fuerunt: Felix a Petro apostolo et Zeno a Iulio Cesare. Littera P Petri apostoli, primi pape, sociati ex quinque nominibus P septem nominum personarum honoris priuilegio, non habet immediate ante se personam O nec post se personam Q, ut sibi a reliquis litteris deseratur. Actum anno renouationis, V kalendas augusti, quod pridie ceptum fuit.

Conseruetur honor uniuersalis Ecclesie etiam in oculis carnis, ne ipsa que est firmamentum fidei nostre a carnalibus contempnatur sed ab omnibus metuatur. Vnde prouenit sacerdotale iudicium super bestias? A summo pontifice qui immediate a uero Deo cuius gerit uices in terris, alioquin nullum indicium fidei esset in mundo.

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Sirice [384-399] Simplice [468-483] Symmaque [498-514] Silvère [536-537] Sabinien [604-606] Séverin [640] Sergius IV [1009-1012] Sisinnius [708] Télesphore [125-136] Théodore II [897] Victor III [1086-1087] Urbain IV [1261-1264] Vigile [537-555] Vitalien [657-672] Valentin [827] Christophe [903-904] Hygin [136-140] Zéphyrin [199-217] Zosime [417-418] Zacharie [741-752]

41

Valérien [253-259 ou 260] Valentinien1 Valens [364-378] Zénon [474-491]

______X Y

A l’époque des Léon Ier (pape et empereur)2 ou environ, le corps de l’évangéliste saint Marc a été transféré à Venise3. Ce souvenir m’est revenu en l’année de la perfection, le jour de la fête du saint évangéliste en question [25 avril 1338]. Il faut voir ce que cela veut dire. Aujourd’hui, j’ai entendu parler de plusieurs preuves de notre foi, que certains ont vues et dont d’autres ont entendu parler: je parle des miracles de notre Seigneur Jésus-Christ dans les temps passés.

Le pape Félix III et l’empereur Zénon ont tous deux occupé la cinquantième position: Félix par rapport à l’apôtre Pierre, et Zénon par rapport à Jules César. La lettre P de Pierre, apôtre et premier pape, associé à sept noms de personnes4 en partant de cinq noms commençant par P, du fait d’un privilège honorifique, n’est précédée d’aucune personne commençant par O et n’est suivie d’aucune personne commençant par Q, si bien qu’elle se distingue des autres lettres. Fait l’année du renouvellement, le 5 des calendes d’août [28 juillet 1337]; travail commencé la veille.

Il faut conserver les honneurs dus à l’Église universelle, même aux yeux de la chair, pour éviter qu’elle ne soit méprisée par les hommes charnels, alors qu’elle est le firmament de notre foi, et pour qu’au contraire, elle soit redoutée par tous. D’où provient le jugement sacerdotal sur les bêtes? Du souverain pontife qui le tient directement de Dieu dont il occupe la place sur terre; sinon il n’y aurait plus aucune trace de foi dans le monde.

Trois empereurs romains ont porté ce nom. Léon Ier, pape de 440 à 461; Léon Ier, empereur de 457 à 474. 3 En 828 (sauf la tête). 4 Voir la liste des papes et la [note 1] entre O et Q. Opicinus veut se placer dans cette liste. 1 2

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42

FOL.

[fol. 4v°] DE

4v°

QVALITATE DOCENDI

Vera caritas est habentem misteriorum scientiam toto affectu docere fratrem et proximum suum, non carne nec sanguine sed spiritu et uirtute. Verbi causa. Qui habet clariores rationes fidei quam eas quas uideor habere, puro corde et caritate non ficta, doceat me non per circuitus disputandi ad subuersionem audientium cum suspendio cuiuslibet opinionis incerte, sed per opus uisibilis argumenti cum modicis verbis. Eodem modo debeo docere quemcumque fratrem meum in ordine sacerdotii et regimine animarum, ut ego ab ipso et ipse a me inuicem docti secundum uarietates donorum per caritatem mutuam connexorum in eodem Spiritu Dei doceamus fideliter plebes nostras.

COLLATIO

PRVDENTIE CVM MALITIA

Quanta fuit nuncusque malitia hominis, tanta fuit prudentia christiana. Non enim potest christianitas in uirtutibus crescere, nisi malitia hominis ipsam exerceat. Minor malitia christianam infantiam uberibus agitauit. Mediocris malitia mediocrem prudentiam quasi puerum uirga correxit; utilis est enim uirga correctionis in puerum. Nunc maxima malitia prudentissimum populum christianum expugnat tam interius quam exterius. Interius quidem more draconis astuti – non tamen intrantis, Domino resistente – callide temptat hominem ut derelicto populo christiano accedat ad personale iudicium (id est ad gloriam singularem); exterius autem, instar leonis rabidi – Domino permittente – conculcat sub tyrannide sua populum christianum. Cum uero factum fuerit spirituale iudicium, tunc apparebit christianam sapientiam in infinitum malitiam hominis superasse. Hoc fiet ante quam fiat generale Iudicium, ut sancta christianitas ab omnibus molestiis libera sit parata resurrectioni in gloriam sempiternam; et qui nolent recedere ab affectione carnis et sanguinis domus sue usque ad amorem proprium iudicentur in momento et in ictu oculi, hora qua nescient, in incendia sempiterna. DE

VISIONE MVNDANA DIVERSIMODE

Videre uanitatem, id est uisibilia bona mundi, cum concupiscentia est quedam cecitas falsitatis; illa enim apparentia nichil sunt. Videre uanitatem, id est uisibiles creaturas, sine concupiscentia est quedam illustratio ueritatis. Nam ymago mundi preterit, permanente Domino in eternum. Ecce quod eadem uisio uanitatis est cecitas cupidorum et illustratio rationalium.

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[fol. 4v°] DE

43

QUELLE MANIÈRE ENSEIGNER

La véritable charité consiste en ceci: celui qui détient la connaissance des mystères doit instruire de tout son cœur celui qui est son frère et son prochain, non par la chair et le sang, mais par l’intelligence et la valeur. A cause du Verbe. Que celui qui dispose d’arguments sur la foi plus sûrs que ceux dont je dispose apparemment m’instruise, avec un cœur pur et une charité non feinte, non pas avec des discussions qui tournent en rond pour perturber les auditeurs en laissant dans le vague toutes les opinions imprécises, mais en produisant une démonstration claire avec peu de mots. De la même manière, je dois instruire chacun de mes frères appartenant à l’ordre de la prêtrise ou aux âmes que je gouverne, afin qu’en nous trouvant instruits l’un par l’autre, moi par lui et lui par moi, en fonction de la variété des dons que la charité mutuelle unit dans le même Esprit de Dieu, nous instruisions solidement nos ouailles. COMPARAISON

DE LA SAGESSE ET DE LA MALICE

La sagesse chrétienne a été jusqu’à aujourd’hui aussi importante que la malice humaine. En effet, la chrétienté ne peut pas grandir dans les vertus si la malice humaine ne la tourmente pas. Une malice insignifiante a troublé la petite enfance chrétienne lorsqu’elle était au sein. Une malice modérée a corrigé la sagesse modérée, comme la verge un enfant; en effet, la verge est nécessaire pour corriger les enfants. Aujourd’hui, c’est une malice considérable qui triomphe du peuple chrétien plein de sagesse, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. De fait, à l’intérieur, à la manière d’un dragon rusé – qui néanmoins ne pénètre pas, car le Seigneur l’en empêche – elle donne habilement à l’homme la tentation, après avoir abandonné le peuple chrétien, de parvenir au jugement personnel (c’est-àdire à la gloire exceptionnelle); et à l’extérieur, tel un lion en fureur – ce que Dieu laisse faire – elle écrase le peuple chrétien sous sa tyrannie. Or, lorsque le jugement sera devenu spirituel, on verra alors manifestement que la sagesse chrétienne l’a emporté sur la malice humaine jusqu’à l’infini. Cela arrivera avant que n’arrive le Jugement général, afin que la sainte chrétienté, délivrée de toutes ses peines, soit prête à ressusciter dans la gloire éternelle; et ceux qui refusent de renoncer à l’attachement qu’ils portent à la chair et au sang de leur famille, en allant jusqu’à l’amour d’eux-mêmes, seront condamnés en un instant et d’un coup d’œil, à l’heure qu’ils ne savent pas, au feu éternel. REGARDS

DIFFÉRENTS SUR LE MONDE

Regarder avec convoitise ce qui est vain, c’est-à-dire les biens visibles du monde, est une forme d’aveuglement devant la fausseté; en effet ces apparences n’ont aucune valeur. Regarder sans convoitise ce qui est vain, c’est-à-dire les créatures visibles, est une façon de mettre en lumière la vérité. Car l’image du monde est passée, alors que Dieu demeure à jamais. C’est ainsi qu’un regard identique sur ce qui est vain aveugle les envieux et donne la lumière à ceux qui sont doués de raison.

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44

DE

FOL.

SPECVLARI

ECCLESIA

4v°

RATIONE DESCRIPTA

Vera philosophia que neminem respicit ad personam nostrum exilium consolatur. Boetius enim innocens et ego peccator coexules in magna uniuersalique Papia quottidie prestolamur aduentum illius gratissime mulieris que non est aliud nisi specularis Ecclesia. Quare supplicamus ad Patrem: « Adueniat regnum tuum », non corruptibile regnum mundi, sed incorruptibile regnum populi christiani quod nunquam dissipabitur nec unquam corrumpetur. Hanc sanctam ymaginem mulieris descripsimus Boetius et ego, distantes ab inuicem per multa curricula temporum, coniuncti tamen per eandem catholicam fidem. DE

PRVDENTIA SECVLI FALSISQVE CONSILIIS

Nemo potest apprehendere sapientiam Dei nisi fiat insipiens prudentie mundi. Prudentia mundi, quam multi reputant mores naturales, diabolica est et animalis; nescitque cogitare nisi sua, nunquam ea que sunt Ihesu Christi (id est populi christiani). Nam plerique sunt qui uidentes aliquem tractantem sapientiam mundi dicunt in corde suo (aliquando in ore): « Ecce homo prudentissimus. Habet pulchros, bonos et naturales mores; et optime tractat negocia sua ». Sancta uero christianitas omnia iudicans, omnia uidens, primo deridet illum falsum laudatorem, immo adulatorem et seductorem animarum cum prauis consiliis suis, qui cecus cecum ducit ad foueam. Deinde compatitur illi misero qui se uoluit in stercoribus sicut porcus; si uero ille miser omnino noluerit deserere stercora in quibus quasi naturaliter delectatur, habeat sicut cupit. Quidam ad tantam arrogantiam deuenerunt ut, totaliter radicati in illa stercoraria prudentia terre, presumant tractare sapientiam Dei (quasi tangentes sidera celi) de verbis spiritualibus disputantes; qui tandem se reperient nunquam aliquid de spiritualibus tetigisse, immo solam corticem littere sub specie intelligentie corrosisse, instar diabolici maris rodentis radices et corticem arboris Asiane. Sunt enim similes pice uel psitaco de genere auium, qui potest addiscere loqui litteraliter etiam spiritualia uerba, que tamen intelligere nequit. Ita uidentur illi esse scientes omnem prudentiam Dei et hominum, quam tamen rationabiliter nesciunt nisi deceptiue instar diaboli. Nam prudentia mundi sepe decipit cum consiliis suis simplices clericos ambientes ecclesiasticas dignitates uel plura beneficia aut unum beneficium bene pingue. Ecce consilium deceptiuum: « Tu, fili uel frater aut amice uel domine, bene es uel bene estis – ut dicitis – instructus in utroque iure aut in sacra theologia siue in alia scientia litterarum. Nobiles estis et habiles ad conuersandum cum magnis dominis et prelatis. Do enim uobis consilium ut eis inhereatis cum moribus pulchris et placitis, paratus1 in promptitudine seruiendi 1

On attendrait: parati.

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L’ÉGLISE

45

DU MIROIR ESQUISSÉE PAR LA RAISON

La véritable philosophie, qui ne regarde jamais la personne, est une consolation pour notre exil1. En effet, Boèce qui était innocent et moi qui suis pécheur, compagnons d’exil dans la grande et universelle Pavie, nous attendons chaque jour la venue de cette femme très aimable qui n’est autre que l’Église du miroir. C’est pourquoi nous supplions le Père: « Que ton règne vienne »2, non pas le règne corruptible du monde, mais le règne incorruptible du peuple chrétien, qui ne sera jamais anéanti et jamais corrompu. Boèce et moi, nous avons esquissé cette sainte image de femme, éloignés que nous sommes l’un de l’autre par de nombreux cycles de temps, mais réunis par la même foi conforme à la tradition.

LA

SAGESSE DU MONDE ET LES CONSEILS TROMPEURS

Personne ne peut comprendre la sagesse de Dieu s’il ne devient fou de la sagesse du monde3. La sagesse du monde, dont beaucoup croient qu’il s’agit de la morale naturelle, est diabolique et animale; et elle ne sait penser qu’à ce qui la concerne, jamais à ce qui concerne Jésus-Christ (c’est-à-dire le peuple chrétien). Car ils sont très nombreux ceux qui, en voyant quelqu’un étudier la sagesse du monde, disent dans leur cœur et parfois oralement: « Voilà un homme très sage. Il a un genre de vie agréable, convenable et simple; et il s’occupe très bien de ses affaires ». Or la sainte chrétienté, qui juge tout et qui voit tout, commence par se moquer de ce courtisan fourbe, qui plus précisément flatte et séduit les âmes avec ses conseils pervers; lui qui, étant aveugle, amène l’aveugle dans la fosse4. Ensuite elle prend part aux souffrances de ce misérable qui se vautre dans le fumier comme un porc5; mais si ce misérable ne veut absolument pas abandonner le fumier dans lequel il se complaît comme si cela lui était naturel, qu’il ait ce qu’il désire. Certains en sont arrivés à une telle outrecuidance que, ayant totalement pris racine dans cette sagesse immonde de la terre, ils ont l’audace d’étudier la sagesse de Dieu (comme s’ils atteignaient les étoiles du ciel), en ayant des discussions à thèmes spirituels; eux qui à la fin découvriront qu’ils n’ont jamais abordé quoi que ce soit de spirituel, mais qu’ils ont plutôt rongé seulement l’écorce de la lettre derrière leur supposée compréhension, comme la mer diabolique qui ronge les racines et l’écorce de l’arbre d’Asie. En effet, ils ressemblent à la pie ou au perroquet qui appartiennent au genre des oiseaux: ils peuvent apprendre à parler mot à mot, même un langage spirituel, mais ils ne sont pas capables de le comprendre. Ainsi ils donnent l’impression de connaître toute la sagesse de Dieu et des hommes, alors qu’ils ne la connaissent pas de manière sensée, sauf en mentant comme le diable. Car la sagesse du monde trompe souvent avec ses conseils les simples clercs qui briguent des honneurs ecclésiastiques ou plusieurs bénéfices, ou encore un seul bénéfice plutôt rentable. Voici un conseil trompeur: « Toi, fils ou frère 1 2 3 4 5

Voir V 16. Parole du Notre Père. Voir 1 Co 1, 21-27 et 3, 18-19. Voir Mt 15, 14 et Lc 6, 39. Voir fol. 65v°.

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46

FOL.

5

et complacendi [fol. 5] secundum Deum ad salutem semper anime uestre; inquiratis sollicite et diligenter cum modicis verbis, in promptitudine audiendi siqua dignitas uacet aut beneficium; tunc semota omni pigritia, offeratis uos prelato uel domino magis fauorabili uobis, et cum fuerit hora captata, faciatis ei memoriam cum supplicatione petendi. Spero in Deo quod de facili obtinebitis quod petetis. Tunc habebitis gratiam in conspectu Dei altissimi, honorem sancte matris Ecclesie, decus et gloriam generis uestri et omnium amicorum uestrorum. Fama scientie uestre cum ecclesiastica dignitate redolebit ubique ». Si simplex iste iam primo concepit in corde suo huiusmodi ymaginem, ex persuasionibus istis fortius roboratur. Si uero nondum concepit prius, ex nunc ymago concipitur et de die in diem magis augetur. 1 Ecce coloratio fraudis siue fallacia colorata. 2 Ecce superficies mellis. Ecce calliditas serpentina que per tot et tantos fucos uerborum que sunt quasi fistule eris, per multas alias inuolutiones mendacii sub specie ueritatis quas nescio cogitare, illum simplicem miserum ad subdolum laqueum, quem uix uel nunquam excutiet de collo suo, adulatione seduxit. Si consideretur conscientia sua, iudicabitur tenebrosa, que scientia sua confidens etiam sacre theologie, reputat se omnia scire; de spiritu uero et uirtute uerborum spiritualium nichil intelligit, quam uirtutem melius intelligit uel intelligere potest muliercula simplex quam ipse. Tandem omnia desideria sua reuertentur in stercora, et seductor cum seducto torquebitur in eternum. Talis seductor eram futurus nisi me Dominus preuenisset; qui me misericorditer iudicauit in carne, ut spiritus meus saluetur in die Iudicii. Actum V kalendas augusti. Heu proh dolor, in pluribus locis, immo in uniuersali Papia plena mendaciis, sapientia Dei que reseruabatur sub littera tota nunc peruertitur in terrenam prudentiam deceptiuam, quasi aureum celum in plumbeum tectum. Aliud est nomen et alia res. « Qui habet aures audiendi audiat ».

1 2

Cet additum est situé en haut du folio, au-dessus de la première ligne du texte. Cet additum est situé à gauche du premier paragraphe.

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ou bien ami ou seigneur, tu es bien ou vous êtes bien, comme vous le dites, versé dans les deux sortes de droit, dans la sainte théologie ou dans une autre connaissance livresque. Vous êtes de noble naissance et aptes à vivre en compagnie des grands seigneurs et des prélats. En effet, je vous suggère de vous intégrer à eux en vous comportant de manière agréable et plaisante, prêt à servir et à plaire avec empressement, [fol. 5] en respectant Dieu en vue du salut éternel de votre âme; de vous informer avec soin et attention, avec un langage mesuré, pour savoir rapidement si quelque fonction ou bénéfice se trouve vacant; et alors, en écartant toute lenteur, de vous présenter en personne au prélat ou au seigneur qui vous est le plus clément, et, au moment opportun, de vous rappeler à son souvenir avec une supplique relative à votre demande. J’espère en Dieu que vous obtiendrez facilement ce que vous demandez. Alors vous obtiendrez la considération aux yeux du Dieu Très-Haut, les faveurs de notre sainte mère l’Église, l’honneur et la gloire pour votre lignée et tous vos amis. La célébrité de vos connaissances associée à votre charge ecclésiastique répandra partout son parfum ». Si cet homme crédule a déjà conçu une image de ce genre dans son cœur, ces suggestions le fortifient plus encore. Mais s’il ne l’a pas encore conçue auparavant, l’image est dès à présent conçue et elle grandit davantage de jour en jour. Voici la couleur de la fourberie ou la tromperie en couleur. Voici une surface mielleuse. Voici la rouerie du serpent: avec tant et tant de paroles sournoises qui ressemblent à des tuyaux d’airain, et avec beaucoup d’autres mensonges dissimulés derrière les apparences de la vérité et que je ne sais imaginer, il attire en le flattant cet homme crédule et pitoyable dans un piège perfide, dont il ne dégagera jamais ou presque son cou. Si l’on examine sa conscience, on la trouvera sombre, elle qui, faisant confiance à son savoir, y compris à la sainte théologie, estime tout connaître; or il ne comprend rien à l’esprit ni à la grandeur du langage spirituel, alors qu’une simple femme comprend ou peut comprendre cette grandeur mieux que lui. À la fin tous ses désirs retourneront au fumier, et le séducteur comme celui qu’il a séduit seront torturés pour l’éternité. J’étais prêt à devenir un séducteur de ce genre, mais Dieu m’a devancé: il m’a miséricordieusement jugé dans ma chair1, pour que mon esprit soit sauvé au jour du Jugement. Fait le 5 des calendes d’août [28 juillet 1337]. Hélas, ô douleur, dans plusieurs endroits, ou plutôt dans l’universelle Pavie pleine de mensonges, la sagesse de Dieu qui était préservée derrière la lettre est à présent entièrement remplacée par la sagesse terrestre qui trompe, tel un ciel d’or2 remplacé par un plafond en plomb. Une chose est le nom, autre chose est la réalité. « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende! »3.

1 Allusion à la bouffée délirante d’Opicinus et à ses séquelles. Ainsi le prêtre se considère comme déjà sauvé, alors que Benoît XII et ses autres ennemis restent en proie à la tentation. 2 Allusion à l’église Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or de Pavie (XIe s.), où se trouve le tombeau de saint Augustin. 3 Mt 11, 15; 13, 9; 13, 43. Mc 4, 9; 4, 23; 7, 16. Lc 8, 8; 14, 35. Ap 2, 7; 2, 11; 2, 17; 2, 29; 3, 6; 3, 13; 3, 22; 13, 9. Cette expression revient à plusieurs reprises dans le Vaticanus.

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48

DE

FOL.

5

LITTERIS CONSERVANDIS

Nullum fiat in littera detrimentum. Omnes libri cuiuscumque scientie conseruentur, quemadmodum botri uel racemi maturi cum tota diligentia conseruantur donec uinum meracissimum distilletur a corticibus, quibus plerumque porci uescuntur. Ita non aliter de illis ueris scientiis enucleetur intelligentia spiritus ad exhilarationem populi christiani. Et cum quicquid necessarium est ad salutem humanam ex illis litteris fuerit declaratum, ex ipsis corticibus uescantur homines bestiales. Quale est animal, talem exigit escam. Cum unusquisque discusserit conscientiam suam, quicquid apparet hominibus nouum uel mirabile, per discretos et intelligentes nullum inusitatum iudicabitur esse nouum. Actum die predicta in nocte.

DE

QVALITATE DOCENTIS

Quali scientia possum dicere plebi mea, quasi nomine Domini mei: « Audi, filia, (monita sacerdotis,) et uide (rationes fidei), et inclina aurem tuam (ad miserias pauperum tuorum membrorum), et obliuiscere populum tuum (qui te carnaliter diligit), et (obliuiscere) domum patris tui (carnalis cum tota progenie sua). Et concupiscet rex decorem tuum », qui tamen totus carnalis, sum eisdem uinculis innodatus et hiis affectionibus concathenatus? DE

TRIPLICI OSCVLO

Triplex est osculum: scilicet animale cum implicor negociis materialis Ecclesie ad sustentationem pauperum plebis mee in temporalibus; et in hoc non credo me peccare propter debitum mutue exactionis ad corruptibile semen. Osculum rationale est cum uniuersitas sacerdotalis et Ecclesia uniuersalis, quasi unicus uir et unica uxor, mutuo alloquuntur de regno Dei. Osculum spirituale est cum in uno pectore anima totius christianitatis, quasi unica sponsa, et inuisibilis uerus Christus, per fidem formatam uerus sponsus, mutuo saciantur. DE

CONGREGATIONE VNIVERSALIS

ECCLESIE

QVASI IN VNVM HOMINEM

Rector ecclesie incorporat totam plebem suam in se; episcopus diocesanus incorporat in se omnes rectores plebium suarum; metropolitanus incorporat in se suffraganeos suos; patriarcha metropolitanos suos cum episcopis; et super omnia summus pontifex incorporat in se totam Ecclesiam uniuersalem cum omnibus membris suis. Vnica est ergo Ecclesia, primo minor in parrochia laicali, magna in ciuitate cum diocesi, maior in prouincia metropolitana, maxima in patriarchatu, uniuersawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LES

49

TEXTES QU’IL FAUT PRÉSERVER

Que la lettre ne subisse aucun dommage. Tous les livres concernant des connaissances quelles qu’elles soient doivent être préservés, de même que les grappes de raisin ou les raisins mûrs sont conservés avec le plus grand soin, jusqu’à ce qu’un vin très pur tombe goutte à goutte en laissant les peaux dont les porcs se nourrissent généralement. C’est ainsi et pas autrement que l’intelligence de l’esprit est enlevée, tel un noyau, à ces connaissances vraies, pour réjouir le peuple chrétien. Et lorsque tout ce qui est nécessaire au salut de l’homme aura été annoncé grâce à ces textes, il faut que les hommes de nature bestiale se nourrissent de ces écorces elles-mêmes. Tel l’animal, telle la nourriture qu’il réclame. Lorsque chacun aura scruté sa conscience, quelles que soient les nouveautés ou les merveilles qui se manifestent aux hommes, ceux qui sont dotés de discernement et d’intelligence estimeront que rien de rare n’est nouveau. Fait le jour indiqué plus haut, dans la nuit. À

PROPOS DE CELUI QUI ENSEIGNE

Quelle est la connaissance qui me permet de dire à mes ouailles, en empruntant les paroles de mon Seigneur: «Écoute, ma fille, (les conseils du prêtre), regarde (les preuves de la foi), et tends ton oreille (vers les malheurs de tes membres pauvres), oublie ton peuple (qui t’aime charnellement) et (oublie) la maison de ton père (charnel avec toute sa lignée). Alors le roi désirera ta beauté »1, alors que je suis entièrement charnel, attaché par ces mêmes liens et enchaîné par ces inclinations? LES

TROIS TYPES DE BAISERS

Il y a trois types de baisers. Il s’agit d’un baiser animal lorsque je suis engagé dans les affaires de l’Église temporelle, pour subvenir aux besoins matériels de celles de mes ouailles qui sont pauvres; et en cela, je ne pense pas commettre de péché, en raison du devoir réciproque réclamé pour la postérité corruptible. Il s’agit d’un baiser raisonnable lorsque la communauté des prêtres et l’Église universelle, tels un homme et une femme uniques en leur genre, parlent ensemble du Royaume de Dieu. Il s’agit d’un baiser spirituel lorsque, dans la poitrine par excellence, l’âme de la chrétienté tout entière, telle une épouse unique, et le véritable Christ invisible, véritable époux grâce à la foi qui a pris forme, se rassasient mutuellement. L’ÉGLISE

UNIVERSELLE RASSEMBLÉE COMME UN SEUL HOMME

Le curé d’église réunit dans son corps toutes ses ouailles; l’évêque diocésain réunit dans son corps tous les curés de ses ouailles; l’archevêque réunit dans son corps ses suffragants; le patriarche réunit dans son corps ses archevêques avec les évêques; et, au-dessus de tout, le souverain pontife réunit dans son corps l’Église universelle tout entière avec tous ses membres. L’Église est donc unique:

1

Ps 45, 11.

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50

FOL.

5-5v°

lis sine quantitate et numero in corpore summi pontificis. Laudetur ergo pre ceteris sancta Auinio pectoralis que de pluribus facit unum. Nulla fiat mentio de Auinione terrestri sicut nec de ullis aliis ciuitatibus mundi, sed tantummodo de uinculo unionis in Spiritu. Qui nondum habet oculos sanos lateat in obscuris donec oculorum acies conualescat.

De regno spiritualis Ecclesie in mundo sine mundo et in carne sine carne 1

Saluo fundamento, speculariter Mathei XVI°: « Amen dico uobis, sunt quidam de hic stantibus qui non gustabunt mortem donec uideant Filium hominis uenientem in regno suo (id est populum christianum in regno presentis Ecclesie) ». Marci VIII°: « donec uideant regnum Dei ueniens in uirtute ». Luce VIIII°: « donec uideant regnum Dei ». Qui sint illi uisuri hoc regnum, respondet Iohannes pro omnibus capitulo I°: « Et Verbum caro factum est (id est uirtus sacerdotum sponte infirmata est propter infirmos in spiritu) et habitauit in nobis (infirmis) et uidimus gloriam eius, gloriam quasi (id est similitudinarie, ideo non sine causa posuit ‘quasi’, non ‘realiter’ sed ‘quasi’) Vnigeniti a Patre »; ne fides signata irrumpetur a cecis. Sicut prima catholica sua V°: « Tres sunt qui testimonium dant in celo ». Non dixit « qui sunt realiter in celo », sed « testimonium dant in celo »; id est in hac celesti Ecclesia significant nobis illa inuisibilia, scilicet Pater, Verbum et Spiritus Sanctus (id est paternitas perfectorum, filiatio infirmorum et indissolubilis caritas utrorumque). Ecce Trinitas specularis significat nobis infirmis ueram inuisibilem deificam Trinitatem. Additum anno perfectionis, III idus februarii.

[fol. 5v°] DE

OPERIBVS MORTVIS

Papia nostra que utrum sit particularis an uniuersalis, nescio – Deus scit qui dedit iudicium eius uicario suo pape – habet in pluribus siue in multis bonos mores et sanctos ac uirtutes morales secundum Deum ad helemosinas temporales, sicut tractatum est in libro « De laudibus Papie »; qui tamen mores siue uirtutes sunt pueriles et imperfecti. Non enim potest ad uirtutes perfectas accedere nisi se totaliter subiciat obedientie sacerdotum. Pedes maiestatis Ecclesie super montem, euangelizantes pacem et bona, sunt simplices sacerdotes.

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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d’abord petite dans une paroisse de laïcs, puis importante dans une ville de diocèse, plus importante dans une province métropolitaine, très importante dans un patriarcat, universelle et impossible à mesurer comme à dénombrer dans le corps du souverain pontife1. Il convient donc de faire en priorité l’éloge de la sainte Avignon de la poitrine, qui réalise l’unité à partir de la pluralité. Il ne faut en rien évoquer l’Avignon terrestre ou tout autre ville du monde, mais seulement le lien de l’unité dans l’Esprit. Que celui dont le regard n’est pas encore ferme se cache dans la clandestinité, jusqu’à ce que son acuité visuelle augmente. Le royaume de l’Église spirituelle, qui est dans le monde sans y être et qui est incarnée sans être charnelle En préservant ce qui est essentiel, on remarque chez Matthieu (16): « Amen, je vous le dis, il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant dans son Royaume (c’est-à-dire le peuple chrétien dans le royaume de l’Église actuelle) »2. Chez Marc (8): « avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venu avec puissance »3. Chez Luc (9): « avant d’avoir vu le Royaume de Dieu »4. A la question de savoir qui serait susceptible de voir ce Royaume, Jean répond pour tous les évangélistes (1): « Et le Verbe s’est fait chair (c’est-à-dire la puissance des prêtres est volontairement affaiblie à cause des faibles en esprit), et il a habité parmi nous (les faibles), et nous avons contemplé sa gloire, gloire que, pour ainsi dire (c’est-à-dire du fait de leur ressemblance; c’est pourquoi l’évangéliste n’a pas écrit sans raison ‘pour ainsi dire’: non pas ‘réellement’ mais ‘pour ainsi dire’) il tient de son Père comme Fils unique »5; pour éviter que les aveugles ne s’emparent de la foi scellée. On trouve aussi dans sa première épître catholique (5): « Il sont ainsi trois à rendre témoignage dans le ciel »6. L’évangéliste n’a pas dit: « qui sont réellement dans le ciel », mais « à rendre témoignage dans le ciel »; ce qui veut dire que, dans l’Église céleste d’ici-bas, le Père, le Verbe et l’Esprit Saint (c’est-à-dire la qualité de père des parfaits, la qualité de fils des faibles, et l’amour indestructible des deux) nous indiquent les réalités invisibles d’en haut. C’est ainsi que la Trinité du miroir nous indique, à nous les faibles, la véritable Trinité invisible qui est l’œuvre de Dieu7. Ajouté l’année de la perfection, le 3 des ides de février [11 février 1338]. [fol. 5v°] LES

ŒUVRES ÉPHÉMÈRES

Dans notre ville de Pavie – s’agit-il de l’individuelle ou de l’universelle, je ne sais, mais Dieu le sait, lui qui a accordé le pouvoir de juger à son vicaire le pape – plusieurs hommes ou un grand nombre ont une morale juste et sainte, ainsi que

Opicinus utilise un système qui rappelle les poupées russes emboîtées l’une dans l’autre. Mt 16, 28. 3 Mc 8, 39 ou 9, 1. 4 Lc 9, 27. 5 Jn 1, 14. 6 1 Jn 5, 7. 7 La démonstration développée dans ce paragraphe permet à Opicinus de s’identifier aux trois personnes de la Trinité ainsi qu’aux « faibles », autrement dit à l’univers. 1

2

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DE

FOL.

5v°

CONSIDERATIONE ALIENARVM VIRTVTVM ET VITIORVM PROPRIORVM

Ego prelatus ecclesiasticus promotus ad magna, aliquando respiciens hominem seruientem mihi, recogito ipsum forsitan esse uel posse esse mihi equalem aut superiorem me ex nobilioribus moribus et uirtutibus sibi datis quam mihi. Et si perseuerarem in hac cogitatione, melius esset mihi. Sed malitia mea sic me excecauit in prosperitatibus seculi ut statim huiusmodi obliuiscar nec unquam deinceps sim dignus ad talem memoriam reuocari. Et sic cecus cecitate consumor.

DE

TEMPTATIONE CORTICALI ET RADICALI

Tres hostes sunt nobis, scilicet caro, mundus et diabolus. Caro hominem ad uoluptatum illecebras trahit; mundus simplicem ad seculi uana seducit; diabolus probum ad carnis uel terre gloriam inuisibiliter allicit. Hec triplex temptatio est tantum temptatio puerilis. Infans et parua malitia infantiam fidei temptat; nam pueri non etate sed fide habent aduersus se minorem malitiam. Vbi uero est fortior fides, opponitur maior malitia; si preualeret aduersus malitiam, fides perficitur; si fides succubuerit, tunc malitia dominatur. Temptatio fortium et magnorum sic est: caro (id est consanguinitas mundi) separat hominem ab amore populi christiani; mundus (id est ambitio dominandi in terris) inflammat laicum probum in carne ad dominium populi christiani, qui debet esse dominus illius persone; diabolus (id est appetitus glorie singularis) extollit nequitiam clericalem ad spiritualia in celestibus contrectanda uel potius contaminanda ex parte sua. Ecce temptatio radicalis.

DE

IVDICIO CARNIS ET SPIRITVS

Laicus probus in armis aut scientia iuris uel exercitio praticandi, nobilis secundum mundum, aliquotiens exigit officium iudicatus siue potestatie alicuius ciuitatis ad rectam iustitiam faciendam. Si fuerit iustus sicut apparet predictum ei iudicium concedatur, ita tamen ut semper illesum conseruet, honoret et timeat clerum et Christum Domini cum uniuerso populo christiano. Nullum iudicet clericum aut religiosam personam, nec ullum percuteat christianum, sed solas gentes in uitiis www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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des qualités morales satisfaisant Dieu pour les aumônes matérielles, comme cela est exposé dans le livre «Éloge de Pavie »; pourtant cette morale ou ces vertus sont celles des enfants et manquent de perfection. En effet, il est impossible d’atteindre la perfection dans les vertus, si l’on ne se soumet pas entièrement à l’obéissance envers les prêtres. Les pieds de la majesté de l’Église qui dépasse les montagnes, en prêchant la bonne nouvelle de la paix et du bonheur, sont de simples prêtres1. REGARD PORTÉ SUR LES VERTUS DES AUTRES ET SUR LES IMPERFECTIONS PERSONNELLES Moi, prélat de l’Église élevé à de grand honneurs, il m’arrive, en regardant un homme qui est à mon service, de penser qu’il est peut-être ou qu’il peut être égal ou supérieur à moi, du fait de la morale et des qualités qui lui ont été accordées et qui sont plus remarquables que les miennes. Et si je continuais à réfléchir, je le trouverais meilleur que moi. Mais ma malice m’a aveuglé en me plongeant dans les succès du monde, au point que j’oublie aussitôt une pensée de ce genre et que je ne me trouve jamais plus ensuite dans l’état qui convient pour évoquer un tel souvenir. Et c’est ainsi qu’aveugle, je suis réduit à néant par mon aveuglement. LA

TENTATION SUPERFICIELLE ET CELLE QUI EST FONDAMENTALE

Nous avons trois ennemis: la chair, le monde et le diable. La chair entraîne l’homme vers les attraits des plaisirs; le monde attire l’homme naïf vers les frivolités terrestres; le diable amène de façon invisible l’homme vertueux à la gloire de la chair ou du monde. Cette triple tentation est seulement une tentation pour enfants. La malice du petit enfant, qui est légère, met à l’épreuve l’enfance de la foi; car les enfants, non par l’âge mais par la foi, n’ont pas comme adversaire une malice insignifiante. Mais là où la foi est plus affirmée, elle rencontre l’opposition d’une malice plus étendue: si elle l’emporte sur la malice, la foi trouve sa perfection; si la foi capitule, c’est alors la malice qui règne. Pour ceux qui sont plus résistants et plus âgés, la tentation se présente ainsi: la chair (c’est-à-dire les liens de famille terrestres) éloigne l’homme de l’amour du peuple chrétien; le monde (c’est-à-dire l’ambition de dominer les pays) incite l’homme vertueux dans sa chair à obtenir le pouvoir sur le peuple chrétien qui doit être le maître de cette personne; le diable (c’est-à-dire le désir de gloire exceptionnelle) encourage les clercs déréglés à s’approprier indûment les biens spirituels dans les cieux, ou plutôt à les altérer pour ce qui les concerne. Voici la tentation fondamentale. LE

JUGEMENT DE LA CHAIR ET CELUI DE L’ESPRIT

Un laïc ayant fait ses preuves à la guerre, dans la connaissance du droit ou l’exercice militaire, bien né selon les critères du monde, réclame parfois un office de juge ou de magistrat dans une ville pour y rendre la justice avec droiture. S’il est aussi performant qu’il semble l’être, le pouvoir judiciaire en question doit lui être confié, de façon néanmoins qu’il garde toujours intact, qu’il honore et qu’il craigne 1

Voir V 25.

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FOL.

5v°-6

suis iustissime iudicet. Quis autem sit uerus christianus aut clericus, primo iudicium decernatur hoc modo: episcopus ciuitatis per superiorem suum secundum iura canonica confirmatus (id est confirmatum esse uirtutibus et moribus declaratus, non secundum prudentiam terre ad prouentus Ecclesie numerandos, sed per sapientiam Dei ad regimen animarum, constitutis rectoribus plebium in eadem perfectione uirtutum qua ipse fulcitur), omnes laicos siue omnes personas laicas indifferenter a diuite usque ad pauperem, a nobili usque ad ignobilem, a iudice ciuitatis – siue sit comes, marchio, princeps, rex aut imperator – usque ad agricolam terre subcommittat; id est subcommissos esse declaret sub simplici sacerdote rectore parrochie in qua illi uel ille habent habitationem. Et sic faciat, id est sic factum esse declaret unicuique rectori uniuscuiusque parrochie iuxta limitationes et terminos ab antiquis patribus constitutos. Vt episcopus ab omnibus laicis liber, nisi ex casu districto quispiam laicus a rectore remitteretur ad ipsum, solum regimen habeat clericorum cum religiosis personis, subcommissis aliquibus clericis seu religiosis personis sub quibudsam prelatis post se, iuxta tamen sanctiones antiquas rationaliter approbatas, salua semper in omnibus plenitudine potestatis domini pape ad hec omnia melius ordinanda quam intelligere sciam. Si autem episcopus salua reuerentia sua exemerit iudicem aut principem ciuitatis uel regni a rectore parrochie immediate sub se – quasi socians bouem cum asino, immo ouem cum homine substractam a pastore ouium – tunc mihi uidetur iniqua exemptio nisi legitima causa requirat, alioquin persone acceptio iudicatur. Hiis sic dispositis rector parrochie iudicium faciat plebi sue. Siquem uiderit ex hiis animo obstinato contempnere obedientiam suam, prehabita monitione apostolica secundum euangelium de incorrigibili peccatore, tunc iudicet ipsum non esse amplius christianum, cum iam opere neget fidem quam promiserat in baptismo. Iam reuersus est ad iudicium Cesaris; factus enim quasi gentilis se uoluntarie subicit gladio Cesaris (id est iuri ciuili), ut siue in rebus ciuiliter siue in persona criminaliter puniatur per iudicem carnis. Deprehensus in laqueo legis ciuilis siue ciuiliter siue criminaliter, a nemine poterit adiuuari. Si post deprehensionem ueram penitentiam habuerit de crimine suo, anima sua salua est; corpus uero suum debita lege punitur. Ve alienigene seductori si istum abstraxerit ab obedientia proprii sacerdotis, cum sacerdoti legitimo nulla calumpnia possit opponi. Sacerdos iste perfectus sicut episcopus neminem patiatur de plebe sua ad adulationes alterius sine licentia sua transferri. Sicut ergo rector parrochie facit iudicium plebi sue non alteri, sic episcopus facit iudicium clericis suis a minimo clerico seu religiosa persona usque ad maiorem prelatum sub se. Et siquis fuerit inobediens sibi animo obstinato, facit uel faciat de ipso sicut factum est de laico christiano facto gentili non uerbo sed opere. Melius est dicere prius de iudicio cleri [fol. 6] per episcopum quam de iudicio parrochie per rectorem. In hoc enim calamus scribe www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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le clergé et le Christ du Seigneur ainsi que le peuple chrétien universel. Il ne doit condamner aucun clerc ou moine/moniale, ni porter la main sur aucun chrétien, mais juger seulement le peuple de manière très équitable pour ses délits. Or pour savoir qui est authetiquement chrétien ou clerc, un jugement doit d’abord être rendu de la façon suivante: l’évêque de la cité, confirmé par son supérieur hiérarchique selon le droit canon (c’est-à-dire ayant démontré en les faisant voir clairement ses qualités et sa morale, non d’après la sagesse du monde qui cherche à dénombrer les revenus de l’Église, mais à l’aide de la sagesse de Dieu qui cherche à guider les âmes, sachant que les curés placés à la tête de leurs ouailles possèdent la même perfection dans les vertus que celle sur laquelle lui-même s’appuie), doit rassembler sous son autorité tous les laïcs ou toutes les personnes laïques sans distinction, du riche jusqu’au pauvre, de celui qui est de haute naissance jusqu’à celui qui est de basse naissance, du juge de la cité – qu’il s’agisse d’un comte, d’un marquis, d’un prince, d’un roi ou d’un empereur – jusqu’à celui qui cultive la terre; c’est-à-dire qu’il doit proclamer que ceux qui sont rassemblés sous son autorité dépendent du simple prêtre qu’est le curé de la paroisse dans laquelle ils ou elles ont leur domicile. Et il doit faire en sorte de proclamer que cela est le cas pour chaque curé de chaque paroisse, d’après les bornages et les limites établies par les anciens. De façon que l’évêque, dégagé de tous les laïcs – sauf si, en cas d’empêchement, un laïc lui est renvoyé par le curé – ait seulement à administrer les clercs ainsi que les moines/moniales, sachant qu’un certain nombre de clercs ou moines/moniales rassemblés sous son autorité dépendent de certains prélats qui lui sont inférieurs, en respectant néanmoins les anciennes décisions admises rationnellement, et en préservant toujours dans tous les domaines le pouvoir du seigneur pape dans sa plénitude pour organiser tout cela mieux que je ne saurais l’apprécier. Mais si l’évêque, les égards qui lui sont dus étant respectés, accorde une exemption au juge ou au maître de la cité ou du royaume par rapport au curé de la paroisse qui dépend directement de lui – comme s’il mettait ensemble un bœuf et un âne, ou plutôt une brebis soustraite au pasteur des brebis et un homme – il me semble qu’il s’agit d’une exemption injuste, à moins qu’une affaire judiciaire légale ne la rende nécessaire, sinon on trouve une préférence pour la personne. Ces dispositions ainsi prises, le curé de la paroisse doit rendre justice à son peuple. S’il voit l’un d’entre eux mépriser l’obéissance qu’il lui doit avec un esprit récalcitrant, après lui avoir adressé un avertissement apostolique conformément à l’évangile sur le pécheur incorrigible, il ne doit plus alors le considérer comme chrétien, puisque désormais il renie par ses actes la foi qu’il avait promise lors de son baptême. Dès lors il est rendu au pouvoir judiciaire de César; en effet, devenu semblable à un païen, il se soumet de lui-même au glaive de César (c’est-à-dire au droit civil), pour être châtié par un juge charnel, soit dans ses biens au civil, soit dans sa personne au pénal. Pris dans les pièges de la loi civile, que ce soit au civil ou au pénal, il ne pourra être aidé par personne. Si, après avoir été ainsi piégé, il se repent sincèrement de sa faute, son âme est sauvée; mais son corps est puni conformément à la loi. Malheur au séducteur étranger qui l’a arraché à l’obéissance envers son curé, alors qu’aucune accusation ne peut être mise en avant à l’égard du prêtre légitime. Ce prêtre parfait comme l’évêque ne doit pas supporter qu’une de ses ouailles s’en remette aux flatteries d’un autre sans sa permission. Par conséquent, de même que le curé de paroisse rend la justice à ses ouailles et non à d’autres, de même l’évêque rend la juswww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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FOL.

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peccauit, cui tamen cor non errauit. Episcopus primo tenetur mundare pectus Ecclesie, deinde plebanus uentrem parrochie. A pectore prouenit mors et uita (id est causa peccati uel gratie); in uentre colligitur dolor et gaudium (id est retributio meritorum uel ad iudicium uel ad uitam). Si uero iudex ciuitatis presumpserit iudicare uerum christianum obedientem patri suo uero spirituali non putatiuo carnali, iam iudicatus est cum principe mundi; et ille iniquissime iudicatus propter sanctam Dei iustitiam cum cathalogo martirum numeratur. Multo fortius si ausus fuerit manus inicere in personam ecclesiasticam innocentem absque uera calumpnia, iam iudicatus est reus criminis in ueram ecclesiasticam maiestatem. Cum ergo fuerit tota ciuitas expurgata cum diocesi sua ab omni rebellione contraria spiritualis Ecclesie, tunc episcopus poterit in gaudio conuersari cum toto populo ciuitatis et diocesis, sine discretione sexuum et etatum, possessionum et statuum, tanquam pater cum filiis suis, donec omni scientia Dei in omnibus adequata se exhibeat fratrem cum eisdem fratribus et sororibus suis in Domino. Quod dictum est de episcopo cum diocesi sua, intelligatur de archiepiscopo cum prouincia sua, et de patriarcha cum climate suo, usque ad summum pontificem cum uniuersali Ecclesia totius mundi conuersi uel conuertendi ad catholicam fidem cum indissolubili uinculo caritatis. Tunc iam spiritualiter iudicatis qui nolent recedere a propria uoluntate, ista specularis Ecclesia, Domino ueniente ad Iudicium generale, cum fuerit glorificata in carne, transferetur ad speciem quam nemo mortalis depingere potest; et illi reprobi submergentur in carne ad obprobrium sempiternum. Actum die sancte Marthe hospite Domini. De qua Dominus in eius sepultura: « In memoria eterna erit iusta hospita mea; ab auditione mala non timebit in die nouissima ». Nunc in isto mense geminum nomen eius ualde timuit a bona auditione Camere domini pape, que Domino disponente illum timorem commutauit in melius. « Qui habet aures audiat ».

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tice à ses clercs, depuis le clerc ou religieux le plus insignifiant jusqu’au plus important des prélats qui lui est inférieur. Et si l’un d’entre eux lui désobéit avec un esprit récalcitrant, il agit ou doit agir envers lui comme pour le laïc chrétien devenu païen, non par les paroles mais par les actes. Il vaut mieux parler d’abord du jugement rendu sur le clerc [fol. 6] par l’évêque plutôt que du jugement rendu sur la paroisse par le curé. En cela, en effet, la plume du scribe s’est trompée, mais son cœur n’a pas commis d’erreur. L’évêque doit d’abord purifier la poitrine de l’Église; ensuite une de ses ouailles le fait pour le ventre de la paroisse. De la poitrine proviennent la mort et la vie (c’est-à-dire la source du péché ou de la grâce); dans le ventre, sont liées la souffrance et la joie (c’est-à-dire le paiement des mérites, qui entraîne soit la condamnation soit la vie). En revanche, si le juge d’une ville a l’audace de juger un chrétien authentique qui obéit à son vrai père spirituel et non à un père charnel illusoire, il est alors condamné avec le prince de ce monde; et celui qui a été jugé de manière très injuste, en raison de la sainte justice de Dieu, est compté avec ceux qui figurent sur la liste des martyrs. A plus forte raison, si le juge a osé mettre la main sur une personne ecclésiastique innocente en l’absence d’accusation fondée1, il est alors considéré comme accusé de crime contre la véritable majesté ecclésiastique. Par conséquent, lorsque toute la cité ainsi que son diocèse seront débarrassés de toutes les oppositions hostiles à l’Église spirituelle, l’évêque pourra alors vivre dans la joie en compagnie de tout le peuple de la cité et du diocèse, sans distinction de sexe ni d’âge, de richesse ni de condition sociale, comme un père avec ses enfants, jusqu’à ce que, la connaissance tout entière de Dieu ayant atteint le même niveau chez tous, il se montre comme un frère avec les mêmes, ses frères et sœurs dans le Seigneur. Ce qui est dit de l’évêque avec son diocèse vaut pour l’archevêque avec sa province et pour le patriarche avec sa région, en allant jusqu’au souverain pontife avec l’Église universelle du monde entier, qui est converti ou doit se convertir à la foi catholique associée au lien indestructible de la charité2. Alors, ceux qui refusent de renoncer à leurs désirs personnels étant déjà condamnés sur le plan spirituel, cette Église du miroir, lorsqu’elle sera glorifiée dans la chair lors de la venue du Seigneur pour le Jugement général, passera au face à face qu’aucun mortel ne peut dépeindre; et ces réprouvés seront engloutis dans la chair pour endurer une honte sans fin. Fait le jour de sainte Marthe, qui donna l’hospitalité au Seigneur3 [29 juillet 1337]. Le Seigneur a dit d’elle sur sa tombe: « On se souviendra d’elle éternellement comme de la femme bienveillante qui m’a donné l’hospitalité; elle ne redoutera pas un avis défavorable au dernier jour ». A présent, ce mois-ci, son nom jumeau4 a eu de grandes craintes pour une audition favorable de la Chambre5 du seigneur pape; et elle, du fait des dispositions prises par le Seigneur, a échangé ces craintes pour mieux. « Que celui qui a des oreilles entende! ».

Allusion au procès d’Opicinus. Opicinus s’identifie à l’ensemble de la hiérarchie ecclésiastique et des membres du peuple chrétien (voir fol. 5): encore le système des poupées russes. 3 Voir la Légende dorée, t. 2, p. 21. 4 C’est-à-dire Opicinus. 5 La Chambre était l’organe central de gestion des finances pontificales. Elle disposait d’une juridiction particulière présidée par un juge appelé « auditeur de la Chambre ». Voir fol. 40. 1 2

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DE

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DVPLICI VOLVNTATE, SCILICET CONCVPISCIBILI ET RATIONALI

Voluntas proprie persone semper est uolubilis, semper instabilis, nunquam firmatur in bono proposito: hodie uult unum, cras uult aliud; unum permittit et aliud facit; plurima pollicetur et nulla uel modica ducit ad effectum. Voluntas autem populi christiani nunquam deflectitur a uoluntate diuina: quicquid uult Deus, uult et populus christianus; et quicquid Deus non uult, populus christianus non uult. Sicut enim in humano corpore unumquodque membrum uult quicquid uult aliud membrum, ita in corpore populi christiani quicquid uult unus christianus uult et alius christianus quasi membrum conforme alteri membro. Voluntas membrorum humani corporis procedit a corde; uoluntas membrorum populi christiani prouenit a uoluntate diuina que habet sedem in pectore. Si autem unum membrum discrepauerit a uoluntate aliorum membrorum populi christiani, iam amputatum est a corpore isto sancto per sententiam ueri Dei. Sicut aquilo impellit nauiculam ab Europa in Affricam, ita aduersitas exterior salubris populo christiano instigat hominem transire a populo christiano ad gloriam personalem non locis sed moribus propter timorem mundanum. Et sicut auster impellit nauiculam ab Affrica in Europam, ita prosperitas exterior nociua persone per experientiam utriusque compellit hominem transire a iudicio personali ad populum christianum propter timorem diuinum. « Surge (itaque), aquilo (aduersitatis, super Affricam), et ueni, auster (prosperitatis, ad nostram Europam), perfla ortum meum ut fluant arogmata illius ». Populus christianus nunquam peccauit nec potest peccare. Persona uero christiana uenialiter potest peccare non mortaliter; si uero recesserit ad personale iudicium, subiacet mortali peccato, sicut uniuersitas carnalium hominum ex parte eorum. DE

VIRTVTIBVS ET SPIRITVALI MATRIMONIO

Differentia est inter tollerantiam et patientiam. Tollerantia est libenter presentia mala suffere, quam multi improprie dicunt patientiam. Patientia autem proprie dicitur cum longanimitate bona futura diutius expectare. Ecce tollerantia patitur acerbam uiolentiam alienam; patientia sustinet per longitudinem temporis maturitatem nature. Homo iustus constitus in linea media inter Armeniam et Syriam non locis sed moribus habet utrinque arma iustitie: a dexteris tollerantiam contra uiolentiam iniquissime uie diabolici maris (id est humane malitie); a sinistris patientiam fructifere Terre sancte, donec uia perfecta suauiter et mature ab insulis purgatoriis usque illuc fructus desiderabilis proferatur. Hoc dico non locis sed moribus, ne ulla fiat mentio uisibilis Terre sancte sicut nec de aliquibus regionibus mundi. Auertantur oculi nostri ne uideant cum concupiscentia uanitatem sed www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LES DEUX VOLONTÉS: CELLE QUI EST FONDÉE SUR LA CONVOITISE ET CELLE QUI EST FONDÉE SUR LA RAISON

La volonté de la personne en particulier est toujours inconstante, toujours changeante, et ne se stabilise jamais dans une bonne résolution: aujourd’hui elle veut une chose, le lendemain elle en veut une autre; elle autorise une chose et en fait une autre; elle fait beaucoup de promesses et n’en réalise aucune ou peu. Mais la volonté du peuple chrétien ne s’écarte jamais de la volonté divine: tout ce que Dieu veut, le peuple chrétien le veut aussi; et tout ce que Dieu refuse, le peuple chrétien le refuse. En effet, de même que dans le corps humain, chaque membre veut tout ce que veut un autre membre, de même, dans le corps du peuple chrétien, tout ce que veut un seul chrétien, un autre chrétien le veut aussi, comme un membre semblable à l’autre membre. La volonté des membres du corps humain provient du cœur; la volonté des membres du peuple chrétien provient de la volonté divine qui siège dans la poitrine1. Et si l’un des membres est en désaccord avec la volonté des autres membres du peuple chrétien, il est alors retranché de ce saint corps par une décision du vrai Dieu. De même que l’aquilon pousse un petit bateau de l’Europe vers l’Afrique, de même le malheur visible, salutaire au peuple chrétien, incite l’homme à passer du peuple chrétien à la gloire personnelle, non en termes de géographie mais de morale, en raison de la crainte du monde. Et de même que l’autan pousse un petit bateau de l’Afrique vers l’Europe, de même la réussite manifeste, dangereuse pour la personne, grâce à cette double expérience, pousse l’homme à passer du jugement personnel au peuple chrétien, en raison de la crainte de Dieu. « Lève-toi (donc), aquilon (de l’adversité, sur l’Afrique), accours, autan (de la réussite, vers notre Europe), soufflez sur mon jardin, qu’il distille ses aromates! »2. Le peuple chrétien n’a jamais péché et ne peut pas pécher. En revanche, la personne chrétienne peut commettre un péché véniel, mais pas un péché mortel; mais si elle se retire vers le jugement personnel, elle s’expose au péché mortel, comme la communauté des hommes charnels en ce qui les concerne. LES

VERTUS ET LE MARIAGE SPIRITUEL

Il existe une différence entre l’endurance et la patience. L’endurance consiste à supporter les maux présents de bon gré; beaucoup l’appellent improprement la patience. Or, à proprement parler, la patience consiste à attendre assez longtemps les biens à venir avec longanimité. C’est ainsi que l’endurance supporte la violence cruelle d’autrui; la patience encourage le mûrissement naturel dans la durée. L’homme droit établi sur la ligne du juste milieu, entre l’Arménie et la Syrie3, non en termes de géographie mais de morale, possède de part et d’autre les armes de la justice: à droite, l’endurance, face à la violence du chemin très malfaisant de la mer diabolique (c’est-à-dire de la malice humaine); à gauche, la patience de la Terre sainte qui porte des fruits, en

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Spatialisation révélatrice. Ct 4, 16. Voir schéma C.

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FOL.

6-6v°

eandem uideant uanitatem sine concupiscentia et rationabiliter cum delectatione iudicii huius mundi. De motu uiolento et naturali diligentius uideamus. Ecce testimonium licet longinquum a re. Motus uiolentus per hominem proicit lapidem sursum per medium aerem. Lapis sic motus fortiter incipit; propter uero uiolentiam factam aeri, qui habet naturaliter leuia subleuare et grauia deponere, lapis in altitudine aeris debiliter terminatur in ascensu. Motus naturalis per naturam aeris et lapidis talis est. Lapis subsistens in termino debiliter incipit descendere; propter autem cessionem aeris – quasi uiolentiam naturalem, cum naturaliter aer sit indiuisibilis – lapis appropinquans termino naturali in terra fortiter terminat cursum suum. Aliud testimonium plus propinquum ad rem. Sine uerecundia carnis de carnis naturalibus conferamus. Ecce sponsus et sponsa ambo uirgines coniugati accedunt ad copulam carnis ad inuicem. Matrix mulieris appetit concipere; genitalia uiri cupiunt generare. Ecce uoluntas mutua personalis non potest effectum habere nisi per motum naturaliter uiolentum. Ex parte agentis (id est masculi) motus uiolentus fortiter incipit ad fractionem sigilli porte clause, quasi lapis ascendens per sectionem aeris uiolenter. Cum autem instrumentum agentis fuerit in loco patientis (id est fe-[fol. 6v°]-mine), ad corruptibile semen tunc debiliter terminatur. Ingreditur enim forte et rigidum uiolenter, et egreditur molle et humile per naturam. Et in hoc nec uir nec uxor sed sola genitalia peccauerunt, quorum peccatum non remanet in eis sed in sobole generata. Ecce motus uiolentus. Sequitur naturalis fetus conceptus naturaliter post uiolentiam. Paulatim nutritus in utero matris per motum naturale debiliter et suauiter incipit. Cum autem appropinquat ad terminum partus, sine uoluntate humana uoluntas nature acrius operatur et fortiter terminatur per uiolentiam naturalem […] habet contra se tollerantiam mulieris uoluntariam tamen; secunda uiolentia parturitionis habet contra se tollerantiam mulieris inuitam. Patientia uero pregnantis per longanimitatem nouem mensium usque ad sobolis fructum habetur contra molestiam grauidationis. Hee uirtutes naturaliter animales conuertantur ad ueras uirtutes Ecclesie. Nam in actu matrimonii natura per hominem uiolatur; in partu uero homo (id est femina) per naturam actiter cruciatur, ut natura faciat uindictam de homine a quo uel a qua perpessa fuit iniuriam. Homo in uoluptate concipitur et in cruciamine nascitur. Hanc enim uoluptatem et penam patitur mater pro filio, non tamen sine patre. Culpa uero tota remanet in filio ire, donec regeneretur ad uitam; tunc fit filius Dei per gratiam. Ecce testimonium ad principium rei, id est ad membrum Christi in populo christiano. Veniamus ad rem uel potius ad maius testimonium rei. Ego mancipium genitale domini mei qui est uniuersitas sacerdotalis, accedo ad uentrem uel matricem ancillam domine sue (id est ad parrochiam specialem et ancillam uniuersalis Ecclesie). Facto itaque legitimo matrimonio ex utraque parte per www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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attendant que, par le chemin parfait qui unit doucement et en temps voulu les îles du purgatoire et là-bas, le fruit désirable soit dévoilé. Je parle non en termes de géographie mais de morale, pour éviter qu’on ne fasse la moindre mention de la Terre sainte visible, pas plus que de n’importe quelle région du monde. Détournons nos yeux pour qu’ils évitent de regarder avec convoitise les futilités, mais qu’ils regardent les mêmes futilités sans convoitise et rationnellement, en s’amusant du jugement de ce monde. Examinons plus attentivement un mouvement brutal et naturel. Voici un témoignage, même s’il est éloigné de la réalité. Par une action brutale, un homme jette vers le haut une pierre qui traverse l’air. La pierre ainsi mise en mouvement commence son trajet énergiquement; mais comme l’air subit une contrainte, lui auquel il revient naturellement de soulever ce qui est léger et de laisser tomber ce qui est lourd, la pierre, parvenue en altitude, termine son ascension mollement. C’est ainsi que se passe le mouvement naturel, du fait des constitutions respectives de l’air et de la pierre. La pierre, ayant atteint son terme, commence à descendre mollement; mais, comme l’air cède – comme s’il subissait une contrainte naturelle, puisque par nature l’air est indivisible – la pierre, en approchant de son terme qui est sur terre par nature, termine son trajet brutalement. Un autre témoignage, plus proche de la réalité. Entretenons-nous des choses naturelles de la chair sans avoir honte de la chair. Voici un époux et son épouse qui s’étant mariés tous deux vierges, abordent l’union charnelle réciproque. La matrice de la femme cherche à concevoir; les parties sexuelles de l’homme veulent engendrer. C’est ainsi que leurs désirs personnels respectifs ne peuvent obtenir de résultat autrement que par une action naturellement brutale. Du côté de celui qui est actif (c’est-à-dire le mâle), une action brutale entreprend énergiquement de briser le sceau de la porte fermée, telle la pierre qui monte en brisant l’air énergiquement. Et lorsque l’instrument de celui qui est actif se trouve dans le lieu de celle qui subit (c’est-à-dire de la femme) [fol. 6v°], il s’arrête alors pour déposer sa semence corruptible doucement. En effet, il entre en étant fort et raide, avec brutalité, et il sort en étant mou et faible, conformément à sa nature. Et en cela, ce ne sont ni l’homme ni la femme, mais seulement les parties sexuelles qui ont péché, et leur péché ne reste pas en elles mais dans l’enfant engendré. Voilà une action brutale. Un fœtus naturel en résulte, conçu naturellement après la brutalité. Peu à peu nourri dans le sein de sa mère, il commence à se développer naturellement en étant fragile et doux. Mais lorsque le terme prévu pour l’accouchement approche, la volonté de la nature, qui se passe de la volonté humaine, agit plus énergiquement et arrive à ses fins brutalement avec une violence naturelle. […] s’oppose à l’endurance, néanmoins complaisante, de la femme; la seconde brutalité, celle de l’accouchement, s’oppose à l’endurance involontaire de la femme. Mais la patience de la femme enceinte, dont la longanimité dure neuf mois, jusqu’au fruit de la postérité, est obtenue en luttant contre les désagréments de la grossesse. Ces qualités, qui sont par nature animales, doivent devenir de véritables vertus d’Église. Car dans l’acte conjugal, la nature subit la brutalité de l’homme; alors que dans l’accouchement, l’être humain (c’est-à-dire la femme) souffre à cause d’une action naturelle, si bien que la nature tire vengeance de l’être humain, homme ou femme, qui lui a porté tort. L’être humain est conçu dans le plaisir et il naît dans les souffrances. En effet, la mère supporte ce plaisir et ce châtiment pour son enfant, mais non sans la participation du père. Et la faute tout www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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FOL.

6v°

mutuum consensum, non potui intrare in possessionem corporalem uentris ecclesie nisi per uiolentiam. Clausa est enim mihi ianua uentris, id est materialis ecclesia plebis. Intendens enim nomine domini mei populum generare, inflatus tamen scientia predicandi, per uiolentiam sum ingressus (id est non potui poni in possessionem ecclesie nisi per solutionem inuitam). Exactio enim huiusmodi – licita siue illicita, nescio, Deus scit et Ecclesia iudicet – fuit mihi quedam exactio uiolenta et a me inuita solutio. Tandem ingressus quasi iustitia rigidus et inflatus scientia litterali, fortiter cepi ad corruptibile semen in uentre (id est ad corporalia uel temporalia opera iustitie et pietatis in plebe). Introieram plenus scientia; nunc abstractus ab ipsa, sum quasi inde egressus mollis et uacuus scientia litterali. Ecce corruptibilis scientia littere huius mancipii quasi uasis inflati corruptibili semine fortiter cepit et nunc debiliter terminatur, quasi motus uiolentus. Adhuc corruptibile semen in illo uentre potuisset in temporalibus corporaliter populum pauperum educare quasi fetum in utero, nisi quedam alienigene in illa pregnante iactassent alia semina supra primum semen. Et sic pre confusione seminum fetus primi seminis prefocatur in utero. Non est ergo mirum si meretrix nunquam potest concipere, cum relicto legitimo uiro adulteris se supponat. Spero tamen Domino concedente, post approbationem huius operis per uniuersalem Ecclesiam ex hac scientia naturali quasi semine fortiori, me suscitaturum nouum populum plebis mee, postquam facta fuerit iustitia de meretrice cum adulteris suis et circumstantia ciuitatis. Meretrix enim abiecit ymaginem Dei a pectore suo et plantauit ymagines alienas. Ecce quasi motus naturalis huius nouissimi operis debiliter et suauiter cepit, me non intelligente quod agerem. Veniente autem et appropinquante termino operis, me clarius intelligente quam prius, fortiter terminatur. Non dico tantum de hoc uili opere dante occasionem sapientibus et intelligentibus multo clarius quam ego intelligam, sed etiam de pretiosioribus eorum operibus per ipsos fiendis, quorum conseruatione istud uilius opus reputabitur nichilum. Et hiis iam ipse congaudeo, necui persone mortali detur honor et gloria sed tantum uniuersali Ecclesie que uere gloriabitur se fecisse illa nouissima opera per uirtutem ueri Dei habitantis in se; que opera sua illam laudabunt in portis Iudicii iam uicini. Actum inter III et II kalendas augusti. Iam destructe sunt omnes hereses preterite, presentes et future. Nunc destruitur heresis radicalis. Si quesiero rationem de patria sempiterna, signum est me querere gloriam paradisi in hoc mundo iuxta nequitiam uoluntatis mee. Sola presens Ecclesia specularis in enigmate rationibus uisibilibus declaratur non alia.

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entière reste chez l’enfant de la colère1, jusqu’à ce qu’il renaisse à la vie; il devient alors fils de Dieu par la grâce. Voilà ce qui témoigne du commencement du Réel, c’est-à-dire du membre du Christ dans le peuple chrétien. Venons-en à la réalité, ou plutôt à un plus grand témoignage de la réalité. Moi, l’esclave génital de mon seigneur qu’est la communauté sacerdotale, je parviens au ventre ou à la matrice qui est la servante de sa maîtresse (c’est-à-dire à la paroisse par l’espèce / spéciale, servante de l’Église universelle). C’est pourquoi, après qu’une union conjugale légitime ait été contractée des deux côtés par consentement mutuel, je n’ai pu entrer en possession corporelle du ventre de l’église autrement que par la violence. En effet, la porte du ventre m’était fermée, à savoir le bâtiment de l’église de mes ouailles. Car me raidissant pour engendrer un peuple au nom de mon seigneur, gonflé néanmoins par ma connaissance de la prédication, je suis entré brutalement (c’est-àdire que je n’ai pu être mis en possession de l’église autrement que par un règlement forcé). En effet, une exaction de ce genre – permise ou non, je l’ignore, mais Dieu le sait et l’Église doit en juger – a été pour moi une forme d’exaction abusive et de règlement malgré moi2. Ayant fini par entrer, raide comme la justice et gonflé par mes connaissances livresques, j’ai commencé à envoyer énergiquement une semence corruptible dans le ventre (c’est-à-dire à réaliser des oeuvres de justice et de piété physiques et matérielles pour mes ouailles). J’étais entré plein de connaissance; maintenant que je m’en suis détourné, c’est comme si j’en étais sorti mou et vidé de ma connaissance de la lettre. C’est ainsi que la connaissance corruptible de la lettre chez cet esclave, qui ressemble à un vase/instrument rempli de semence corruptible, a commencé énergiquement et se termine aujourd’hui mollement, comme une action brutale. La semence corruptible qui est dans ce ventre aurait encore pu nourrir physiquement le peuple des pauvres sur le plan matériel, comme un fœtus dans l’utérus, si certains étrangers n’avaient pas répandu dans cette femme enceinte d’autres semences en plus de la première. Et ainsi, en raison du mélange des semences, le fœtus venant de la première semence est étouffé dans l’utérus. Ce n’est donc pas étonnant si la courtisane ne peut jamais concevoir, puisqu’elle se couche sous ses amants après avoir délaissé son mari légitime. J’espère néanmoins, avec l’accord de Dieu, que lorsque l’Église universelle aura approuvé cette œuvre issue de cette connaissance naturelle, autant dire d’une semence plus vigoureuse, je ferai lever un nouveau peuple chez mes ouailles, après que la justice ait été rendue à propos de la courtisane escortée de ses amants et des particularités de la ville. En effet, la courtisane a enlevé l’image de Dieu de son cœur et y a introduit des images étrangères. C’est ainsi que l’action naturelle de cette oeuvre dernière / très originale a commencé avec faiblesse et douceur, sans que je comprenne ce que faisais. Mais comme la fin de l’œuvre arrive et approche, et que mon entendement est plus lumineux qu’auparavant, elle se termine avec force3. Je ne Voir Ep 2, 3. Allusion aux pratiques simoniaques d’Opicinus, qu’il reconnaît tout en prétendant qu’elles lui ont été imposées. 3 Démonstration du scribe: la pierre qu’on lance, l’acte sexuel, l’entrée en possession de son église par Opicinus, commencent avec force et se terminent doucement. En revanche, l’accouchement et la production de son œuvre s’effectuent dans le sens inverse: d’abord doucement, puis avec force. L’œuvre d’Opicinus est donc comparable à un enfant qu’on met au monde. 1 2

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REITERATIONE VITANDA

Si dicatur mihi de aliqua materia huius mundi semel, sufficit mihi; si alio die uel tempore reiteretur mihi de eadem materia, fastidium generat audienti. Si uidero aliquid semel, sufficit mihi; si iterum ostendatur mihi eadem res, tedium mihi est – que omnia puerilia sunt – nisi frequens uisio, tactus et gustus eucharistie nos de die in diem prouocaret ad inuisibilem rem; et sic non est fastidium diligenti hanc absconditam rem. Si iterum scripsero opus iam factum, intollerabile tedium erit mihi; delectabilius enim est mihi sapientiam Dei elucidare in pluribus quaternis uel libris quam de illa rescribere siue exemplari modicam paginulam. Si quottidie scripsero easdem formas officii, nunquam recedens ab eadem materia, nunquam proficiens in maiori scientia, mors erit mihi. Si quottidie predicauero plebi mee per transitoria uerba sicut facere consueui, omni anno de eadem materia licet sub propositionibus uariatis, me consumo et frustra laboro. Predecessores enim mei assidue predicantes et ego successor in uanum hec egimus. Multa seminauimus et nichil inde collegimus. Vbi est ergo fructus uinee nostre? Nullus, nisi prius terra spinosa et sterilis cum toto suo germine comburatur; alioquin parrochia specialis nunquam perueniet ad perfectionem scientie, immo minus sciet anno secundo quam primo. De primo peccato et ultimo cuius testimonium perhibent cetera peccata Vnusquisque peccator concipitur in Papia; qui aliquando Ianue abortatur et aliquando Venetiis nascitur; qui natus aut Auinionem ascendit aut fugit Ianuam cum affectu. Parabole sunt; ueniamus ad rem. Prima peccati conceptio est ambire christianitatis dominium quasi papatum non uerum. Peccator huiusmodi quoquomodo rapit titulum dignitatis quasi www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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parle pas seulement de ce piètre ouvrage, qui offre des possibilités aux sages et à ceux dont l’entendement est plus lumineux que le mien, mais également des œuvres de plus grande valeur qu’ils doivent réaliser, et dont le maintien réduira à néant ce piètre ouvrage. Et moi-même je me réjouis déjà avec eux, afin que l’honneur et la gloire ne soient pas rendus à une personne mortelle, mais seulement à l’Église universelle qui se glorifiera à juste titre d’avoir accompli ces œuvres dernières / très originales grâce à la puissance du vrai Dieu qui habite en elle; et ses œuvres feront son éloge au seuil du Jugement désormais proche. Fait entre le 3 et le 2 des calendes d’août [30-31 juillet 1337]. Déjà toutes les hérésies passées, présentes et à venir ont été anéanties. Aujourd’hui, l’hérésie fondamentale est anéantie. Si je cherche des arguments rationnels à propos de la patrie éternelle, cela montre que je cherche la gloire du paradis dans ce monde, en suivant le dérèglement de ma volonté. Seule l’actuelle Église du miroir, qui se trouve dans l’énigme/l’obscurité1, est signifiée clairement par des arguments visibles, pas une autre. LES

RÉPÉTITIONS QU’IL CONVIENT D’ÉVITER

Si l’on me parle d’un sujet concernant ce monde une fois, cela me suffit; si un autre jour ou à un autre moment, on me reparle de ce même sujet, cela me fatigue de l’entendre. Si je vois quelque chose une fois, cela me suffit; si l’on me montre une seconde fois la même chose, cela m’ennuie – tout cela est bon pour les enfants – à moins que la vue, le toucher et le goût répété de l’eucharistie ne nous entraînent vers l’invisible de jour en jour; et ainsi celui qui aime cette réalité cachée n’est pas fatigué. Si j’écris une seconde fois un ouvrage déjà rédigé, cela m’ennuiera de manière insupportable; il m’est, en effet, plus agréable de révéler la sagesse de Dieu dans plusieurs cahiers ou livres que d’écrire à nouveau sur elle ou d’en recopier une toute petite page. Si je remplis chaque jour les mêmes formulaires dans mon office2, en ne m’éloignant jamais du même sujet, en ne progressant jamais dans une connaissance plus poussée, ce sera la mort pour moi. Si je prêche chaque jour à mes ouailles avec des paroles éphémères, comme j’avais coutume de le faire, tous les ans sur le même sujet, quoique sous la forme d’exposés variés, je m’épuise et je travaille en vain. En effet, mes prédécesseurs qui prêchaient continuellement, et moi qui leur succède, nous avons agi en pure perte. Nous avons beaucoup semé et nous n’en avons rien retiré. Où est donc le fruit de notre vigne? Il n’y en a pas, à moins qu’auparavant la terre épineuse et stérile ne soit entièrement brûlée avec tout ce qui y germe; sinon la paroisse spéciale n’atteindra jamais la perfection des connaissances; bien au contraire, elle en saura moins la seconde année que la première. Le premier et le dernier péché, auxquels les autres péchés apportent leur caution Chaque pécheur est conçu à Pavie; parfois il naît avant terme à Gênes, et parfois il naît à Venise; une fois né, ou bien il monte à Avignon, ou bien il s’enfuit à

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Voir 1 Co 13, 12. Allusion au travail d’Opicinus à la Pénitencerie, qu’il considère comme sans valeur.

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abortiuus Ianue sine Venetiis. Qui aliquando penitentia ductus renascitur per medicinalia sacramenta quasi per Venetias; qui si uere penitens fuerit, ascendit ad gratiam pectoralem Ihesu Christi quasi Auinionem; si uero non fuerit uere penitens, iterum reuertitur ad primam rapinam, quasi de Venetiis ad Ianuam cum Rapallo, ut obtineat clauarum Ianue (id est clauigeram dignitatem Ecclesie). Ianua enim emit multos in seruos; id est carnalis Ecclesia liberos christianos subicit seruituti. Prima causa peccati est celestis nequitia cleri, que de Auinione celesti corruit in Papiam terrestrem (id est de regno christianitatis ad ambitionem papatus super christianitatem, contra uerum papatum qui christianitatem gubernat per fidelissimum seruum seruorum Dei). Additum anno perfectionis, IIII kalendas iunii.

De spiritualibus signis Infantia populi christiani inter minorem malitiam hominis, quasi uirgulam correctiuam, de signis corporalibus proficiebat in fide de die in diem. Nunc ego senex multam malitiam iam expertus, si exauditus fuero de restitutione brachii mei carnaliter, adhuc fuero plus carnalis. Visitaui enim plures sanctos et sanctas huius Prouincie ut carnale beneficium [fol. 7] meis infirmitatibus impetrarent. Deus autem me exaudiuit in melius, restituens mihi brachium dextrum cum manu, linguam et memoriam ualde fortiora in spiritu et uirtute quam si fuissent restituta carnaliter sicut prius. In oculis carnis membra mea debilia sunt, adeo ut dextera manus sit quasi insensibilis ad discernandum in tactu calidum a frigido. Considerata uero spiritualiter membra sunt ualde fortiora ad opera Domini quam unquam fuerint. In temporalibus enim sum infirmus quasi belua minima; in spiritualibus autem per gratiam Dei me sentio fortem quasi leonem.

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COGITATIONIBVS REFRENANDIS

Si signauero me corporaliter signo crucis, sicut faciebat infantia christiana, frustra laboro propter malitiam nunc regnantem. Vera ergo uirtus uiuifice crucis est imponere frenum cogitationibus meis iniquis, usque ad subiugationem indomabilis uentris, ne amicitia uentris prouocet contra me inimicitiam crucis. Amicitia uentris est diligere genus proprium ad gloriam personalem; et inimicitia crucis est habere odio populum christianum. Ore confiteor crucem et moribus despicio crucem. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Gênes avec ses passions. Il s’agit là d’allégories; venons-en à la réalité. Le premier péché conçu consiste à briguer le pouvoir sur la chrétienté, c’est-à-dire une papauté qui n’est pas la vraie. Celui qui commet un péché de ce genre dérobe par n’importe quel moyen le titre correspondant à la charge, comme s’il naissait avant terme à Gênes sans Venise. Quand il est amené à se repentir, il renaît grâce aux remèdes que sont les sacrements, c’est-à-dire grâce à Venise: si son repentir est sincère, il monte vers la grâce de la poitrine de Jésus-Christ, c’est-à-dire à Avignon; mais si son repentir n’est pas sincère, il retourne une seconde fois à son premier larcin, c’est-à-dire quitte Venise pour Gênes associée à Rapallo1, afin de s’emparer du clavaire2 de Gênes (c’est-à-dire de la charge de porteur de clefs de l’Église3). En effet, Gênes achète beaucoup d’hommes pour en faire des esclaves, ce qui veut dire que l’Église charnelle met les chrétiens libres dans sa dépendance. La cause première du péché est le dérèglement du clergé dans les cieux, qui dégringole de l’Avignon des cieux dans la Pavie du monde (c’est-à-dire quitte le règne de la chrétienté pour briguer une papauté qui domine la chrétienté, en s’opposant à la véritable papauté qui gouverne la chrétienté grâce au très fidèle serviteur des serviteurs de Dieu4). Fait l’année de la perfection, le 4 des calendes de juin [29 mai 1338]. Les signes spirituels Le peuple chrétien dans la petite enfance, confronté à une malice humaine insignifiante, telle une petite verge qui corrige, faisait de jour en jour des progrès dans la foi grâce aux signes corporels. Aujourd’hui où je suis vieux et où j’ai fait l’expérience d’une malice considérable, si j’avais été exaucé sur le plan charnel pour la récupération de mon bras, j’aurais été encore plus charnel. En effet, j’ai rendu visite à plusieurs saints et saintes de cette Provence, afin qu’ils obtiennent une grâce charnelle [fol. 7] pour mes infirmités. Mais Dieu m’a exaucé davantage, en me rendant le bras droit avec la main, le langage et la mémoire beaucoup plus forts en esprit et en puissance que s’ils m’avaient été rendus charnellement comme auparavant. Aux yeux de la chair, mes membres sont impotents, au point que ma main droite a presque perdu le sens du toucher pour distinguer le chaud du froid. Mais d’un point de vue spirituel, mes membres sont beaucoup plus habiles pour réaliser les œuvres du Seigneur qu’ils ne l’ont jamais été. En effet, sur le plan physique, je suis faible comme une bête minuscule; mais sur le plan spirituel, par la grâce de Dieu, je me sens fort comme un lion. LES

PENSÉES À RÉFRÉNER

Si je me signe corporellement en faisant le signe de la croix, comme le faisait la petite enfance chrétienne, je me donne du mal pour rien, à cause de la malice qui règne aujourd’hui. Par conséquent, la véritable puissance de la croix qui donne vie consiste à mettre un frein à mes pensées malveillantes, en allant 1 2 3 4

Rapallo: ville de la côte ligure. Voir fol. 58v°. Le clavaire, à la tête de la claverie, est un receveur d’impôts. Voir fol. 58v°. C’est-à-dire de la dignité pontificale (les clefs de Pierre). « Serviteur des serviteurs de Dieu »: expression habituelle pour désigner le pape.

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VERA CONFESSIONE FIDEI NOSTRE

Que sit uerior confessio nominis Domini nostri Ihesu Christi coram hominibus uideatur. Ecce casus positus: quidam fidelis christianus ex casu captus per infideles et ductus ad terram illorum compellitur sub interminatione mortis negare fidem christianam. Si hoc assentire noluerit, proculdubio martir erit fidei christiane et cum sanctis Christi martiribus connumeratus. Si propter fragilitatem humanam timuerit mortem negaueritque fidem nostram in ore coram infidelibus, liber erit ut uadat secure ubicumque uoluerit per terram illorum; habens tamen cor suum semper fidele et rectum coram Domino Deo nostro, sciens se esse seruum fidelem Domini nostri Ihesu Christi, quem nunquam in corde negauit nec negat. Quicquid agit in terra infidelium, uidendo, audiendo et inquirendo de actibus et moribus illorum, totum intendit expendere in obsequium uniuersalis populi christiani, cuius se intelligit esse seruum. Nullam ymaginationem format in pectore suo de affectione ad ipsos infideles, cum nullomodo possit inflecti ad legem eorum saltem in corde; sed semper habet in pectore suo ymaginem Dei uiui et populi christiani, captans horam oportunam qua possit comode et secure reuerti ad terram fidelium. Ex opposito ego fidelis in terra fidelium, audiens illum fidem catholicam abnegasse, iudico ipsum apostatam a fide nostra; et coram hominibus confiteor nomen Domini nostri Ihesu Christi et me seruum suum esse. Cor autem meum potentialiter dico non est rectum coram Deo, eo quod gero in corde ymaginem corruptibilis hominis (id est persone mortalis quam affectione carnali facio ydolum mihi ex parte mea, licet ex parte sua possit esse simul et semel coram Deo semper bona, fidelis et iusta). Similiter formo ymagines bestiarum, reptilium et serpentium (id est cuiuslibet corruptibilis generis nobilis apparentis et cuiuslibet uniuersitatis studentium in prudentia magis terre quam Dei). Formo etiam omnia sculptilia mundi (id est omne dominium cuiuscumque parrochie, diocesis et prouincie, usque ad uniuersalem monarchiam). Que omnia in se sunt diuinitus instituta ad culturam nominis Ihesu Christi; in me uero propter ambitionem meam sunt sculptilia ydolorum in pectore meo. In ore gero fidem nominis Ihesu Christi coram hominibus; in corde autem habeo affectionem et fidem ad ydola mea siue deos, quam iudicat solus Deus. Reuertitur ille de terra infidelium ad fideles, habens opera preparata in obsequium populi christiani. Secundum Ecclesiam sollempnis penitentia iniungenda est illi conuerso, www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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jusqu’à soumettre mon ventre indomptable, pour éviter que l’amitié du ventre n’excite à mon encontre la haine de la croix. L’amitié du ventre consiste à chérir sa lignée personnelle en vue de la gloire personnelle; et la haine de la croix consiste à avoir en horreur le peuple chrétien. Par ma bouche, je reconnais la croix et par ma conduite, je méprise la croix. NOTRE

VÉRITABLE PROFESSION DE FOI1

Examinons à quoi ressemble une reconnaissance assez sincère du nom de notre Seigneur Jésus-Christ devant les hommes. Prenons un cas. Un chrétien fidèle capturé accidentellement par les infidèles et conduit chez eux, est acculé, car il est menacé de mort, à renier sa foi chrétienne. S’il refuse d’y consentir, il sera sans aucun doute un martyr de la foi chrétienne et on le comptera parmi les saints martyrs du Christ. Si en raison de la faiblesse humaine, il a peur de mourir et renie notre foi en paroles devant les infidèles, il sera libre d’aller et venir en sécurité partout où il voudra chez eux – en gardant néanmoins son cœur toujours fidèle et droit devant notre Seigneur Dieu, et en sachant qu’il est le serviteur fidèle de notre Seigneur Jésus-Christ, que jamais dans son cœur il n’a renié ni ne renie. Dans tout ce qu’il fait chez les infidèles, en regardant, en écoutant et en s’informant sur leurs faits et gestes, il s’efforce de tout investir pour faire la volonté du peuple chrétien universel, dont il comprend qu’il est le serviteur. Il ne forme aucune représentation dans son cœur sur les sentiments qu’il porte à ces infidèles eux-mêmes, puisqu’il ne peut en aucune manière se plier à leur loi, au moins dans son cœur; mais il ne cesse d’avoir dans son cœur l’image du Dieu vivant et du peuple chrétien, en guettant le moment favorable où il pourrait revenir chez les croyants dans de bonnes conditions et en sécurité. A l’inverse, moi le fidèle qui habite chez les fidèles, en entendant dire que cet homme a renié la foi catholique, je considère qu’il a apostasié notre foi; et devant les hommes, je professe le nom de notre Seigneur Jésus-Christ et je reconnais que je suis son serviteur. Mais mon cœur, je le dis bien haut, n’est pas droit devant Dieu, parce que je porte dans mon cœur l’image de l’homme corruptible2 (c’est-à-dire de la personne mortelle dont je fais mon idole, de mon point de vue, en m’y attachant charnellement, bien que, de son point de vue, elle puisse ne cesser d’être, en même temps et une fois pour toutes, bonne, fidèle et juste devant Dieu). De même, j’élabore des images de bêtes, de reptiles et de serpents (c’est-à-dire de n’importe quelle lignée corruptible en apparence respectable, et de n’importe quelle ensemble de personnes qui s’attachent à la sagesse du monde plus qu’à celle de Dieu). J’élabore aussi toutes les statues du monde (c’est-à-dire tous les pouvoirs sur toutes les paroisses, diocèses et provinces, y compris la monarchie universelle). Or tout cela y a été établi par la volonté divine, pour que l’on vénère le nom de Jésus-Christ; mais 1 Ce paragraphe exprime de manière alambiquée, à partir d’un exemple général, la différence entre le chrétien acculé à renier sa foi mais qui conserve en son coeur l’image du Dieu vivant et du peuple chrétien (c’est-à-dire Opicinus qui a péché, mais a souffert et s’identifie maintenant à Dieu) et le serviteur de Dieu idolâtre (qu’Opicinus était avant, et que sont maintenant Benoît XII et les autres). 2 Voir Rm 1, 23.

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70

FOL.

7-7v°

si sit laicus, ad terrorem aliorum, nequis presumat talia facere sicut apparent cum negauerit fidem nostram coram hominibus illis; et mihi nulla penitentia, immo approbatio fidei nostre quam ipse confiteor. Apud Deum autem opera christiana huius conuersi in uera confessione fidei etiam coram hominibus computantur, cuius penitentia sollempnis maius meritum habet; et opera iniquitatis ex me sub specie confessionis iudicantur aduersus me esse quamdam abnegationem fidei christiane. Ille semper excolit uerum Deum, et ego excolo falsos deos. Post horam qua actum est istud, casu contigit mihi uidere formam absolutionis complicium et fautorum magni scismatici dominantis, quam formam nondum uideram prius. Actum II kalendas augusti.

DE

ECCLESIASTICA DISCIPLINA SERVANDA

Ecce quispiam de parrochia propria, non obtenta licentia uel obtenta a presbitero suo, accedit ad me presbiterum alterius parrochie ad confessionem uel ad aliud sacramentum aut ad sacra officia audienda. Si suscepero illum uel illam ad confessionem sine licentia nisi ex aliquibus certis causis, incurro sententiam sinodalem. Si cum licentia ad confessionem aut sine licentia ad officia uel ad aliquid aliud sacramentum, ex parte mea eneruata est ecclesiastica disciplina. Si habeatur suspectus presbiter alterius parrochie, tunc datur occasio iudicii personalis ex qua radice exoritur omnis iniquitas. Rector enim parrochie incorruptibilis et impeccabilis est; persona uero mortalis peccabilis est, que si fuerit suspecta per episcopum iudicetur. Quod dictum est de presbitero simplici, intelligatur de episcopo cuius persona mortalis, si fuerit suspecta, per superiorem suum similiter iudicetur iuxta canonicas sanctiones. Facto ergo [fol. 7v°] iudicio per uniuersalem Ecclesiam, incipiendo primum a sanctuario Dei et a senioribus plebium, nulla reperietur calumpnia a proximo in proximum nec a fratre in fratrem. Sed obseruata per ordinem ecclesiastica disciplina, de facili destruetur omnis malitia laicorum; destructa ambitiosa nequitia clericali, laicalis iniquitas euanescet ut fumus. Actum die predicta.

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chez moi, du fait de mon ambition, il s’agit des statues d’idoles qui habitent mon cœur. Par ma bouche, j’exprime ma foi au nom de Jésus-Christ devant les hommes; mais dans mon cœur, je nourris un attachement et une fidélité à mes idoles comme s’il s’agissait de dieux, et Dieu seul en est juge. Celui dont j’ai parlé revient de chez les infidèles chez les fidèles, en présentant des œuvres élaborées pour faire la volonté du peuple chrétien. D’après l’Église, une pénitence solennelle doit être infligée à ce renégat, s’il s’agit d’un laïc, afin d’inspirer de la crainte aux autres, pour éviter que quelqu’un n’ait l’audace d’agir ainsi qu’on le voit, puisqu’il a renié notre foi devant ces hommes; et à moi, aucune pénitence, mais au contraire des compliments pour notre foi que je professe moi-même. Auprès de Dieu, en revanche, les oeuvres chrétiennes de ce renégat sont considérées comme une véritable profession de foi, même devant les hommes, et son châtiment solennel n’en a que plus de mérite; et les oeuvres d’iniquité que je réalise en feignant de professer [ma foi] sont jugées à mon encontre comme une certaine forme de reniement de la foi chrétienne. Lui, il honore toujours le vrai Dieu; et moi j’honore de faux dieux. Après que j’aie écrit ces lignes, il m’arriva par hasard de voir le formulaire d’absolution des complices et des défenseurs du grand schismatique qui règne, formulaire que je n’avais pas encore vu auparavant. Fait le 2 des calendes d’août [31 juillet 1337]. LE

RÈGLEMENT DE L’ÉGLISE À OBSERVER

Voici qu’un membre d’une paroisse personnelle vient me voir, en ayant ou non obtenu l’autorisation de son curé, moi qui suis le prêtre d’une autre paroisse, pour se confesser, recevoir un autre sacrement ou entendre les saints offices. Si j’accepte de le/la confesser sans autorisation, mis à part certains cas précis, je m’expose à une sentence synodale. S’il vient se confesser avec une autorisation, ou vient sans autorisation pour les offices ou pour un autre sacrement, le règlement de l’Église s’en trouve, de mon point de vue, affaibli. Si le prêtre de l’autre paroisse est considéré comme douteux, cela fournit alors l’occasion d’un jugement personnel qui permet d’enlever toute la malveillance jusqu’à la racine. En effet, le curé de paroisse est incorruptible et incapable de pécher; mais la personne mortelle est capable de pécher, et si elle est suspecte, elle doit être jugée par l’évêque1. Ce que je dis d’un simple prêtre vaut pour un évêque, dont la personne mortelle, si elle est suspecte, doit être jugée elle aussi par son supérieur en appliquant les sentences canoniques. Par conséquent, une fois le jugement rendu [fol. 7v°] par l’Église universelle, en commençant d’abord par le sanctuaire de Dieu et les anciens du peuple, on ne trouvera aucune accusation injuste portée par un proche contre son proche, ni par un frère contre son frère. Mais si le règlement de l’Église est observé par l’ordre ecclésiastique, toute la malice des laïcs sera facilement détruite; une fois le dérèglement des clercs ambitieux anéanti, l’iniquité des laïcs disparaîtra comme la fumée. Fait le jour indiqué plus haut.

1

Allusion à l’excommunication d’Opicinus par l’évêque de Pavie.

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DE

FOL.

7v°

SCIENTIIS LITTERARVM

Omnes artes que dicuntur secundum hominem liberales, ut puta triuiales et quadriuiales scientie de philosophia mundana, non sunt uere liberales nisi figuraliter, sed sunt magis seruiles in ueritate. Similiter partes philosophie – moralis, naturalis et rationalis, iuxta antiquos philosophos – sunt figuraliter liberales; speculariter autem secundum fidem catholicam sunt seruiles, eo quod finaliter reuertuntur in terram. Similiter utrumque ius positiuum seruile est, ita tamen ut diuersimode seruiat Ecclesie liberali: ius ciuile seruit Ecclesie ad negocia gentium separanda a populo christiano; ius autem canonicum seruit Ecclesie ad nutriendam infantiam christianam – illud cum gladio Cesaris et istud cum uirgula correctiua. Sed christiana perfectio neutro iure huiusmodi indiget; sola ergo sacra scientia theologie per uirtutem et spiritum littere est mere et pure liberalis, et scientiarum aliarum omnium domina. Siquis autem quieuerit in littera huius scientie theologie etiam spiritualiter declarate, nisi accedat ad uirtutem et spiritum littere (id est intra litteram etiam declaratam), iam reuersus est ad seruilem scientiam. Illa uero spiritualis scientia sine corruptibili littera potest a simplicibus apprehendi sine scientia littere. Illa sancta scientia omnibus liberalis et omnium domina trahit ad se reliquas seruiles scientias per expositionem spiritualem. Virtus enim earum ascendit ad illam; littera uero ipsarum in terra remanet, sicut fex. Tunc conuersi prudentes terre ad sapientiam Dei, propter experientiam utriusque prudentie terrene et celestis, male et bone, habebunt ampliorem sapientiam quam simplices non experti prudentiam terre. Et sic propter experientiam negociorum terrestrium, erunt « prudentes sicut serpentes »; propter uero gustum celestis dulcedinis, erunt « simplices sicut columbe ». Siquis uero ex eis propter concupiscentiam propriam lapsus fuerit a gustu dulcedinis ad negocia terre, nunquam merebitur illuc inde reuerti; preuaricatus est enim a ueritate ad fabulas. Qui ponit finem in qualibet seruili scientia, pascitur fabulis; qui autem habet desiderium suum totum in uera scientia liberali sine scripturis, pascitur ueritate. Scientia seruilis significat scientiam ueritatis, sed scientia ueritatis significatur per seruilem scientiam. Qui diligit scientiam significatiuam ueritatis quiescit in fabulis tenebrarum; qui autem diligit scientiam significatam ab aliis iam possidet ueritatem. Lex Iustiniana fidelis et bona constituta est super opera seruitutis cum gladio Cesaris, nequis cum affectione carnali accedat ad populum christianum sed fideliter agat negocia terre. Lex ecclesiastica uel canonica fideliter nutrit populum christianum quasi ancilla liberalis Ecclesie, nequis christianus se totaliter subiciat negociis terre sed ab hiis conuertatur ad Ecclesiam libertatis.

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LA

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CULTURE

Tous les arts que l’homme appelle libéraux, par exemple les connaissances du trivium et du quadrivium1 relatifs à la philosophie du monde, ne sont pas vraiment libres (sauf en apparence), mais ils sont plutôt esclaves au sein de la vérité. De même, les divisions de la philosophie – morale, naturelle et logique, d’après les philosophes anciens – sont libres en apparence; mais si on les examine en se référant à la foi catholique, elles sont esclaves, puisque, en fin de compte, elles retournent au monde. De même, les deux droits établis sont esclaves, mais d’une manière qui est utile à l’Église libre de différentes façons: le droit civil est utile à l’Église pour faire une séparation entre les affaires des païens et le peuple chrétien, et le droit canonique est utile à l’Église pour nourrir la petite enfance chrétienne – l’un avec le glaive de César et l’autre avec la petite verge qui corrige. Mais la perfection chrétienne n’a besoin d’aucun de ces deux droits; la sainte connaissance de la théologie est donc la seule à être libre de tout mélange et pure, grâce à la puissance et à l’intelligence de son écriture, et elle est la maîtresse de toutes les autres connaissances. Mais si quelqu’un s’arrête à la lettre de cette connaissance de la théologie, même expliquée sur le plan spirituel, s’il ne parvient pas au caractère essentiel et à l’esprit de la lettre (c’est-à-dire à l’intérieur de la lettre, même expliquée), il est alors revenu à une science esclave. En revanche, cette connaissance spirituelle, dépourvue de la lettre corruptible, peut être comprise par des personnes simples dépourvues de culture. Cette sainte connaissance, qui est bienfaisante pour tous et maîtresse de toutes choses, attire à elle le reste des connaissances esclaves grâce à des analyses spirituelles. En effet, leur qualité essentielle monte vers elle, alors que leur lettre demeure sur terre, comme un excrément. Alors les sages de ce monde convertis à la sagesse de Dieu, comme ils ont l’expérience des deux formes de sagesse – celle du monde et celle du ciel, la mauvaise et la bonne – possèderont une sagesse plus étendue que les personnes simples qui n’ont pas l’expérience de la sagesse du monde. Et ainsi, puisqu’ils ont l’expérience des affaires du monde, ils seront « prudents comme des serpents »; et puisqu’ils goûtent aux plaisirs du ciel, ils seront « candides comme les colombes »2. Mais si l’un d’entre eux, à cause de sa convoitise personnelle, tombe de la dégustation des plaisirs [du ciel] dans les affaires du monde, il ne sera jamais digne de revenir là d’où il vient; en effet, il s’est détourné de la vérité pour des sornettes. Celui qui met ses objectifs dans une connaissance esclave, quelle qu’elle soit, se nourrit de sornettes; mais celui qui met tous ses désirs dans la vraie connaissance libre dépourvue de textes, se nourrit de vérité. La connaissance esclave indique la connaissance de la vérité, mais la connaissance de la vérité est indiquée par la connaissance esclave. Celui qui aime la connaissance indiquant la vérité s’arrête dans les sornettes des ténèbres; mais celui qui aime la connaissance indiquée par d’autres [connaissances] possède déjà la vérité. Les lois de Justinien3, justes et utiles, ont été établies au-dessus des œuvres de l’es-

1 Les sept arts libéraux étaient divisés en trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). 2 Mt 10, 16. 3 Justinien Ier, empereur byzantin (527-565) est à l’origine d’une réforme juridique qui aboutit à un ensemble gigantesque appelé Corpus juris civilis, largement diffusé en Occident à partir du XIe siècle.

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DE

FOL.

7v°

NOBILITATE CHRISTIANA

Fundamentaliter quottidie sumimus in sacramento ueram carnem et uerum sanguinem Domini nostri Ihesu Christi, qui est uerus Deus et uerus homo. Speculariter crescit continue de nobis nobilis caro et sanguis populi christiani per baptismum et fidem, donec totaliter destruatur corruptibilis caro et sanguis nobilitatis mundane que nunquam possidebit regnum Dei. Sola uero nobilitas christiana regnabit et regnat; regnat, inquam, in spe et regnabit in re. Regnat nunc anima eius per fidem, caro autem eius per spem. Hoc dico fieri in hac presenti Ecclesia speculari, aliter uero et ineffabiliter in patria sempiterna. FINALIS

CONCLVSIO CVIVSCVMQVE

Hic non est finis sed indicium finis omnium scripturarum, cuiuscumque scientie et cuiuslibet prophetie. DE

VERA MERCEDE QVERENDA

Si sumpsero ex hoc beneficium ecclesiasticum corporale usque ad apicem monarchie, tunc remuneratus sum corruptibili corona ex parte ambitionis mee. Si autem uidero in presenti specularem Ecclesiam, tunc habeo incorruptibilem coronam sicut quilibet christianus. Actum kalendis augusti. DE

CIBO SPIRITVALI ET IVDICIIS

LOMBARDIE

Nunquam fuit tanta fames et mortalitas animarum in nostra Papia quanta nunc est, cuius famis et cladis figura tempore meo precessit. Ex penuria spiritus et uirtutis Verbi procedentis ex ore Dei sequitur interitus animarum; ex strepitu uero uocum cum nouitatibus adinuentarum pascuntur aures humane. Non enim solo pane conuerso ex lapide uiuit homo (id est ex Scriptura spiritualiter declarata ex duritia littere et humanis uocibus predicata non potest spiritualiter uiuere homo), sed ex uerbo procedente de ore Dei (id est spiritu et uirtute procedente de pectore specularis Ecclesie sine strepitu uocis). Et est nostra refectio, pax, gaudium atque uita. Actum IIII° nonas augusti. Qua die, anno MCCCXXVIII°, nuper exul Valentie Papiensis diocesis ex grauissima infirmitate corporis fui per totam www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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clavage avec le glaive de César, pour éviter que quelqu’un n’aille à la rencontre du peuple chrétien avec des sentiments charnels, mais pour qu’il s’occupe de manière juste des affaires du monde. La loi ecclésiastique ou canonique nourrit solidement le peuple chrétien, telle une servante de l’Église libre, pour éviter qu’un chrétien ne s’adonne entièrement aux affaires du monde, mais pour que celles-ci lui permettent de se tourner vers l’Église de la liberté. LA

NOBLESSE CHRÉTIENNE

Sur le plan fondamental, nous recevons chaque jour dans le sacrement la vraie chair et le vrai sang de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est vrai Dieu et vrai homme. Sur le plan manifeste, nous ne cessons de faire grandir la chair et le sang remarquables du peuple chrétien, grâce au baptême et à la foi, en attendant que soient entièrement anéantis la chair et le sang corruptibles de la noblesse du monde qui ne possèdera jamais le royaume de Dieu. Or, seule la noblesse chrétienne1 règnera et règne; oui, elle règne dans l’espérance, et elle règnera dans la réalité. Son âme règne aujourd’hui grâce à la foi, et sa chair grâce à l’espérance. Je le dis: cela se passe dans cette Église du miroir actuelle, mais les choses seront différentes et ineffables dans la patrie éternelle. LA

CONCLUSION FINALE DE TOUT

Ceci n’est pas la fin, mais l’annonce de la fin de tous les écrits, de toutes les connaissances et de toutes les prophéties2. LA

VÉRITABLE RÉCOMPENSE QU’IL CONVIENT DE RECHERCHER

Si je m’arroge un bénéfice ecclésiastique corporel en allant jusqu’à la tiare de la monarchie, je suis alors payé de retour avec une couronne corruptible qui correspond à mon ambition. Mais si je regarde dans l’Église du miroir actuelle, je possède alors la couronne incorruptible, comme tout chrétien. Fait le jour des calendes d’août [1er août 1337]. LA

NOURRITURE SPIRITUELLE; OPINIONS SUR LA

LOMBARDIE

Les âmes qui sont dans notre ville de Pavie n’ont jamais été aussi touchées par la faim et la mort qu’aujourd’hui; la préfiguration de cette famine et de ce malheur a eu lieu quand je m’y trouvais. La privation de l’esprit et de la puissance de la parole qui sort de la bouche de Dieu entraîne la mort des âmes, alors que le vacarme des voix associé aux nouveautés découvertes nourrit les oreilles humaines. En effet, l’homme ne vit pas seulement de pierre changée en pain (traduisons: l’homme ne peut pas vivre spirituellement de l’Écriture, expliquée sur le plan spirituel en partant de la lettre coriace, et prêchée par la voix humaine),

1 L’opposition entre la noblesse du monde et la noblesse chrétienne est fréquente dans le Vaticanus. 2 Cette phrase exprime bien la volonté de puissance d’Opicinus.

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FOL.

7v°-8

diem cum nocte sequenti premortuus, ab omnibus sensibus carnis abstractus, quasi dormiens una nocte. Nunc discerno illam V(u)alentiam partialem fuisse iuxta Massiliam naturalem et sanctam non locis sed moribus, ut resuscitatio Lazari conuertatur ad spiritualem. Conferatur mundus uel mare naturale cum mari Lombardo, presertim loco Bassignane Transpadum et burgo libero et destructo Cispadum respectu Papie, cuius loci multa testimonia habeo que mihi scribere tedium esset. Si uirgula correctiua transiuerit usque ad Terdonam, tunc nates humane malitie similitudine pueri castigantur. Audiui semel uisum fuisse hominem in partibus Wasconie uel Hispanie qui post cenam feriebat capita filiorum cum uirga qua genuerat illos ut irent ad lectum. Additum anno perfectionis IIII kalendas iunii. III

[fol. 8] DE

REITERATIONE BAPTISMI SPIRITVALIS

Plebs a rectore parrochie sanctis monitis spiritualiter baptizata, si recesserit a patre suo ad alienigene monita dissona primis, iam iudicata est cum genere rebaptizatorum. Sicut enim reiteratio baptismi facit iniuriam sacramento, ita reedificium anime non conueniens uero edificio primo superinducit heresim radicalem.

DE

ADIMPLETIONE EORVM QVE PREDIXERAT

DOMINVS

Quicquid locutus est Dominus ad discipulos suos, intelligitur dictum esse ad presentes sacerdotes Ecclesie nouissimo tempore; alioquin si intelligeretur tantum fuisse dictum ad illos, quod nefas est cogitare, in pluribus uerba Domini non fuissent ueracia, ut puta de signis aduentus sui et consumationis seculi; de cuius temporis magnis futuris periculis, quod nunc est, ipsos a longe premonuit, ad que tamen ullus illorum personaliter peruenire non potuit. Persone enim apostolorum mortales in successione continua renouantur; corpus autem apostolicum uniuersalis Ecclesie nunquam potest deficere propter uirtutem Dei habitantis in eo. Locutus est enim Dominus non ad eorum personas mortales, sed ad uniuersalem Ecclesiam specularem: « Ecce ego uobiscum sum omnibus diebus usque ad consumationem seculi ». Nunc uideamus que sint concilia et sinagoge, qui sint reges et presides ad quos et ad que presentes apostoli pertrahuntur. Concilia carnalium iudeorum uel potius clericowww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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mais de la parole qui sort de la bouche de Dieu1 (c’est-à-dire de l’esprit et de la puissance qui proviennent de la poitrine de l’Église du miroir, sans vacarme de voix). C’est cela notre repos, notre paix, notre joie et notre vie. Fait le 4 des nones d’août [2 août 1337]. Ce jour-là, en l’an 1328, exilé depuis peu à Valence2, dans le diocèse de Pavie, une maladie physique très grave m’a laissé aux portes de la mort pendant toute une journée et la nuit suivante: privé de l’usage de mes sens corporels, je croyais n’avoir dormi qu’une seule nuit. Aujourd’hui, je distingue que cette Valence partisane / capacité partielle se trouvait à côté de la ville de Marseille naturelle et sainte, non en termes de géographie mais de morale, afin que la résurrection de Lazare devienne spirituelle3. Comparons le monde ou la mer naturelle avec la mer lombarde, en particulier à Bassignano4, le territoire au-delà du Pô et le territoire de ce côté-ci du Pô (où se trouve un bourg libre pourtant ruiné) par rapport à Pavie, car je dispose à ce sujet de nombreux témoignages que cela me fatiguerait de mettre par écrit. Si la petite verge qui corrige fait le trajet jusqu’à Tortona5, les fesses de la malice humaine sont alors punies comme celle d’un enfant. J’ai entendu parler une fois d’un homme qu’on avait vu dans les régions de Gascogne ou d’Espagne: après le dîner, il frappait ses enfants à la tête avec la verge qui lui avait permis de les engendrer6, pour qu’ils aillent se coucher. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des calendes de juin [29 mai 1338]. III [fol. 8] LE

RENOUVELLEMENT DU BAPTÊME SPIRITUEL

Si les ouailles qui ont baptisées spirituellement par le curé de leur paroisse à l’aide de saintes recommandations se séparent de leur père pour aller écouter les recommandations d’un étranger qui diffèrent dès les premiers mots, elles sont dès lors considérées comme appartenant au groupe de ceux qui ont reçu un second baptême. En effet, de même que le renouvellement du baptême porte tort au sacrement, de même donner une seconde construction à l’âme qui ne s’accorde pas avec la première et vraie construction rajoute une hérésie fondamentale. L’ACCOMPLISSEMENT

DES PRÉDICTIONS DU

SEIGNEUR

Tout ce qu’a dit le Seigneur à ses disciples représente ce qui est dit aujourd’hui aux prêtres de l’Église, en ces temps qui sont les derniers; sinon, si cela représentait seulement ce qui a été dit aux premiers – il s’agit là d’une pensée sacrilège – les paroles du Seigneur n’auraient pas été véridiques sur plusieurs points, par exemple quant aux signes de sa venue et de la fin du monde; car il leur a prédit longtemps à l’avance les grands dangers à venir de cette époque – qui correspond à aujourd’hui – alors qu’aucun d’eux n’a pu y arriver en person-

Voir Mt 4, 3-4. Valence: ville située à 40 km au sud-ouest de Pavie. 3 D’après une tradition erronée datant du XIe siècle, le Lazare ressuscité par Jésus dans l’Evangile aurait été le premier évêque de Marseille (il serait en fait mort évêque de Chypre). 4 Bassignano: bourgade située sur le Pô. 5 Tortona: ville située à une quinzaine de km au sud de Pavie: voir V 34, note 33. 6 Jeu de mots sur virga. 1 2

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FOL.

8

rum iam manifeste cernuntur; sinagoge sunt materiales ecclesie, cum supputatione prouentuum corruptibilium sine ulla mentione regiminis animarum; in quibus sinagogis extollitur iudaismus et uerus apostolatus opprimittur. Reges et presides tales quales sunt iudices iniquitatis, malentes audire mendacia quam oculis cernere ueritatem. Sepe et enim innocens quasi reus ad iudicium tractus sine ratione iudicii condempnatur, absque sinagogis effectus, quem quasi corporaliter in calamitate occidens, se Deo prestitisse obsequium arbitratur. Qui iudicatus inique, si sine desperatione perstiterit, iam apud Deum ueram et incorruptibilem Ecclesiam adeptus est. Actor uero iudicii sepe seductus ab alio, uictoriam obtinens in hac causa, spiritualiter ante Deum occiditur; cuius seductor ex fauore falsi iudicii se estimat obsequium Deo fecisse, propter promotionem huius actoris ad gratiam quam petebat, cuius spiritualis occisio secum adducit reprobum seductorem. Verior est mors actoris quam occisio rei. Regnante moderna malitia que populum christianum occidit et ueritatem cum illusionibus crucifigit, infirmis apostolis permittitur sine peccato tollere sacculum ecclesiasticorum prouentuum cum pera patrimonii domus sue. Qui autem caret utroque, de illo modico quod habet quasi tunicam uendat et emat gladium defensiuum suiipsius non ad offensionem alterius (scilicet ius positiuum ad iustitiam exigendam). Et huiusmodi infirmus sum ego. Cum autem conualuerit apostolica fortitudo, tunc obseruentur ab omnibus monita Domini a longe predicta: « Tunc qui in Iudea sunt fugiant ad montes » et reliqua (de quibus datur occasio exponendi ab intelligentibus). Principes apostolorum Petrus et Paulus sunt ex uirtute nobiscum. Rector parrochie non sine episcopo est Paulus predicator in plebe cum Petro prelato, quasi tamen filius cum patre. Versa uice episcopus cum rectore, uel potius cum maiore prelato post se et econuerso, est Petrus senior cum Paulo iuniore in clero, quasi similiter frater cum fratre. Eodem modo episcopus cum superiore suo est Paulus cum Petro, et ille cum isto est Petrus cum Paulo. Et sic gradatim usque ad summum pontificem, qui cum maiore post se est Petrus cum Paulo; et ille cum papa est Paulus cum Petro. Semper autem Petrus prelatus, ex parte mortalis persone sue que indiget sepe magistro propter infirmitatem suam, se recognoscat Symonem Petrum (id est obedientem personam alteri supra se), licet ex parte dignitatis sit Cephas (id est syriace « Petrus » et iuxta interpretationem grecam « caput E(e)cclesie » sibi commisse, siue particularis siue uniuersalis). Similiter Paulus in reuelationibus excessiuus se recognoscat ex Saulo superbo humilem Paulum filium hominis. Paulus ergo constitutus est super gentes (id est laicas plebes), ut ipsas promoueat paulatim et gradatim usque ad scientiam perfectorum. Petrus constitutus est in circuncisione Iudee (id est perfectione sanctissimi cleri; qui clerus se exhibet omnes perfectos apostolos Ihesu Christi, cuius rudes discipuli instruuntur a Paulo). www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ne. En effet, les personnes mortelles des apôtres sont renouvelées par une succession ininterrompue; et le corps apostolique de l’Église universelle ne peut jamais faire défaut, puisque la puissance de Dieu demeure en lui. En effet, le Seigneur n’a pas adressé ces paroles à leurs personnes mortelles, mais à l’Église universelle du miroir: « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde »1. Examinons à présent ce que sont les conciles et les synagogues, et qui sont les rois et les chefs vers lesquels les apôtres actuels sont attirés. Les conciles des juifs charnels ou plutôt des clercs se distinguent clairement; les synagogues sont les bâtiments d’églises avec les revenus corruptibles escomptés, sans qu’il soit aucunement question du gouvernement des âmes; et dans ces synagogues, le judaïsme est exalté et le véritable apostolat est écrasé. Les rois et chefs ressemblent à des juges iniques, qui préfèrent entendre des mensonges plutôt que d’ouvrir les yeux sur la vérité. Il arrive également souvent, en effet, qu’un innocent, tel un accusé traduit en jugement2, soit condamné sans que le jugement soit fondé, bien qu’il soit issu des synagogues; et lui, tombant dans des malheurs quasiment physiques, pense qu’il a fait preuve d’obéissance à Dieu. Si, étant jugé avec iniquité, il a tenu bon sans connaître le désespoir, il est déjà parvenu à l’Église véritable et incorruptible auprès de Dieu. En revanche, celui qui a prononcé le jugement3, souvent suborné par un autre, obtenant gain de cause dans cette affaire, est spirituellement mort aux yeux de Dieu; quant à celui qui l’a suborné en favorisant un jugement erroné, il estime qu’il fait la volonté de Dieu parce que le juge a obtenu la reconnaissance qu’il recherchait, alors que la mort spirituelle de ce dernier entraîne avec lui celui qui l’a suborné dans la réprobation. La mort du juge est plus réelle que le meurtre de l’accusé. Alors que la malice triomphe aujourd’hui, en tuant le peuple chrétien et en crucifiant la vérité avec des tromperies, les apôtres faibles ont le droit, sans commettre de péché, de porter le petit sac des revenus ecclésiastiques ainsi que la besace de leur patrimoine familial. Et celui qui est dépourvu de l’un et de l’autre doit vendre ce peu qu’il possède, c’està-dire sa tunique, et acheter un glaive pour sa défense personnelle et non pour porter atteinte à autrui (à savoir le droit établi pour demander justice); et moi, j’appartiens aux faibles de cette espèce. Mais quand la vaillance apostolique aura repris des forces, tous respecteront alors les recommandations du Seigneur qu’il avait annoncées longtemps à l’avance: « Alors, que ceux qui seront en Judée s’enfuient dans les montagnes »4 et la suite (qui doit donner l’occasion d’expliquer à ceux qui comprennent). Pierre et Paul, les chefs des apôtres, partagent avec nous la puissance5. Le curé de paroisse, qu’on ne dissocie pas de son évêque, est Paul qui prêche à ses ouailles associé à Pierre le prélat, mais comme un fils associé à son père.

Mt 28, 19. Il s’agit d’Opicinus et de son procès. 3 Il s’agit vraisemblablement de l’évêque de Pavie qui a excommunié Opicinus. 4 Mt 24, 16. 5 Saint Pierre et saint Paul, fêtés le même jour (29 juin) sont considérés comme les co-fondateurs de l’Église romaine, les « colonnes » de l’Église. La suite du paragraphe constitue une identification globale d’Opicinus. 1 2

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DE

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QVALITATE IVDICII SPIRITVALIS PRECEDENTE CARNALI

Primum iudicium incipiatur a clero cui credita sunt eloquia Dei. Non incipiatur tamen ab apparentibus uitiis cleri – ut puta symoniaca ambitione, sacrilegio, iniquo iudicio et huiusmodi iam iudicatis in carne; que si per uiolentiam temptarentur auferri et destrui, magis furorem accenderent quam extinguerent. Sed incipiatur suauiter sine strepitu ab ostensione spiritualis iudicii quod scripsit Deus non homo in conscientiis nostris; et ostendatur rationalibus et intelligentibus hominibus qui, ex thesauris suis proferentes in euidens opus noua et uetera, elucidabunt sapientiam Dei que in misterio abscondita ab initio seculi nunc reuelata solam glorificabit Ecclesiam sine respectu persone. Actum anno renouationis, IIII° nonas augusti.

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Inversement, un évêque associé à un curé – ou plutôt au prélat le plus important qui lui est inférieur, et inversement – est le vieux Pierre associé au jeune Paul au sein du clergé, pour ainsi dire un frère associé à son frère. Pareillement, un évêque associé à son supérieur est Paul associé à Pierre, et le second associé au premier est Pierre associé à Paul. Et ainsi, au fur et à mesure, jusqu’au souverain pontife qui, si on le met avec le prélat le plus important qui lui est inférieur, est Pierre associé à Paul; et ce prélat associé au pape est Paul associé à Pierre. Or le prélat Pierre, du point de vue de sa personne mortelle qui a souvent besoin d’un maître en raison de sa faiblesse, doit toujours reconnaître qu’il est Simon Pierre (c’est-à-dire qu’il obéit à une autre personne au-dessus de lui1), bien que, du point de vue de sa fonction, il soit Céphas2 (ce qui veut dire « Pierre » en syriaque, et, d’après la traduction grecque, « la tête de l’É(e)glise » qui lui est confiée, qu’il s’agisse d’une église en particulier ou de l’Église universelle). De même pour Paul qui, au sortir de l’extase qui a accompagné sa révélation3, doit reconnaître qu’il est l’humble Paul, issu de l’orgueilleux Saul, le fils d’un homme. Paul a donc été placé au-dessus des peuples (c’est-à-dire des foules de laïcs), pour les faire parvenir peu à peu et progressivement à la connaissance des parfaits. Pierre a été placé dans la circoncision de Judée (c’est-à-dire la perfection du très saint clergé: ce clergé montre qu’il comprend tous les parfaits apôtres de Jésus-Christ, et ses disciples mal dégrossis sont instruits par Paul). CE

QUE REPRÉSENTE LE JUGEMENT SPIRITUEL CONSÉCUTIF À CELUI QUI EST CHARNEL

Le premier jugement doit être entrepris par le clergé qui ajoute foi aux paroles de Dieu. Il ne doit cependant pas être inauguré par les fautes visibles du clergé – par exemple une ambition simoniaque4, un sacrilège, un jugement injuste5 et tout ce qui est déjà jugé sur le plan charnel – qui, si on essaie de les supprimer ou de les anéantir par la violence, excitent les passions plus qu’elles ne les étouffent. Mais il doit être entrepris doucement, sans bruit, par la manifestation du jugement spirituel que Dieu, et non l’homme, a inscrit dans nos consciences; et il est annoncé aux hommes doués de raison et d’intelligence6 qui, en utilisant leurs trésors pour dévoiler dans une œuvre claire ce qui est neuf et ce qui est ancien, révèleront la sagesse de Dieu qui, cachée dans le mystère depuis le début du monde et aujourd’hui divulguée, rendra gloire à la seule Église, sans tenir compte de la personne. Fait l’année du renouvellement, le 4 des nones d’août [2 août 1337].

C’est-à-dire à Opicinus-Dieu. Surnom donné par Jésus à Simon (voir Jn 1, 42) et repris ordinairement par Paul (voir 1 Co 1, 12; 3, 22; 9, 5; 15, 5; Ga 1, 18; 2, 9, 11 et 14). 3 Allusion à la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas: voir Ac 9, 3 et ss. 4 Allusion à la faute d’Opicinus qui a entraîné son excommunication. 5 Allusion à l’excommunication jugée « injuste » par Opicinus. 6 Sur l’importance de la raison et de l’intelligence, voir notamment fol. 31v°, 51v°, V 13 et fol. 83v°. 1 2

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8-8v°

De innocentia christiana Percepta sensibiliter pueri siue vox in electione Ambrosii siue marina collectio in meditationibus Augustini, saluo semper fundamento, significauit innocentiam non cuiuscumque persone sed presentis Ecclesie. Additum VII idus augusti. De proprietatibus IIII doctorum Primus doctor Ieronimus dilucidauit historias in fundamento fidei, ut femur magne paternitatis mundum implentis sacrum semen afferret. Secundus Ambrosius, ne uenter carnis et sanguinis huius mundi adoraretur, pro Deo conuertit uisibilia in figuras inuisibilium, ut uenter Italie (id est sacramentalis Ecclesie) conciperet filium hominis (id est nouum populum christianum). Tertius Augustinus purgauit ab heresibus pectus Affrice, ut nutriret infantem primo lacte sacre Scripture. Tandem quartus Gregorius preparauit doctrinam moralem, ut natus infans exciperetur genibus ueteris Rome et lacteretur uberibus noue Rome que uocatur Prouincia. Nunc puer peruenit ad equalitatem paternam. Additum anno perfectionis, VIII idus martii, tunc dominica secunda XLe. [fol. 8v°] Disputatio uel obiurgatio nature erga uoluntatem humanam Natura hominis uoluntatem obiurgans ex ratione disceptat: « Ego natura omnium animalium, in irrationalibus brutis nullam mihi contradictionem inuenio; tu autem, nequam humana uoluntas, sub mei fauoris specie me corrumpis. Legem meam quam mihi tradidit Deus impugnas, et aduersus te meum iudicem prouocas. Secundum modum quo inserta sum cuilibet animali, iura mea conseruo; in quibus quicquid exigo, redditur mihi. Si autem cum illo animali destruar tota, non reperitur in illo quod sit contrarium mihi, scilicet aut cursu meo mihi prefixo quem nequeo transgredi, aut obtentu alterius animalis in istud ad satisfaciendum iuribus meis, ut ab isto iuste remouear et in illo conseruer. Verbi gratia. Ego natura, ex parte uniuersi sum in omnibus animalibus una et eadem natura, licet ex parte specierum sim diuersa. Quicquid exigo a quolibet animali satisfit mihi: ego in ceruo exigo gramina, herbas uel grana, et nichil inde deficit mihi; ego eadem in leone exigo carnes et similiter satisfit mihi. Facio ceruum fugere a facie leonis ex debito meo; facio leonem capere ceruum et eius carnibus saturari iuxta debitum meum. Vtrobique fit mihi iustitia. Non enim posset uiuere leo nisi carnibus pasceretur. Si enim leo in preda cerui habeat secum alias bestias infirmiores se, sperantes habere singulas portiones in preda, et leo accipiat plus quam ille putauerint, nullam inde mihi facit iniuriam, eo quod www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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L’innocence chrétienne Ce que l’enfant nous a donné à percevoir, qu’il s’agisse de son exclamation au moment de l’élection d’Ambroise1, ou de l’eau qu’il puisait dans la mer pendant qu’Augustin méditait2, en préservant toujours ce qui est fondamental, indiquait l’innocence, non pas de n’importe quelle personne, mais de l’Église actuelle. Ajouté le 7 des ides d’août [7 août 1337]. Les caractères spécifiques des quatre docteurs3 Jérôme, le premier docteur, a mis en lumière les récits historiques fondés sur la foi4, afin que la noble cuisse paternelle qui remplit le monde apporte la semence sainte. Ambroise, le second, pour éviter que le ventre de la chair et du sang de ce monde ne soit l’objet d’un culte, a changé pour Dieu les choses visibles en symboles des choses invisibles, si bien que le ventre de l’Italie (c’est-à-dire l’Église sacramentelle) conçoit le fils de l’homme (c’est-à-dire le nouveau peuple chrétien). Augustin, le troisième, a débarrassé la poitrine de l’Afrique des hérésies5, pour donner comme première nourriture à l’enfant le lait de la sainte Ecriture. Enfin Grégoire, le quatrième, a mis au point un enseignement moral6, pour que l’enfant qui vient de naître soit retiré des genoux de la vieille Rome et soit allaité aux seins de la nouvelle Rome qu’on appelle Provence. A présent l’enfant est parvenu à égaler le père. Ajouté l’année de la perfection, le 8 des ides de mars, c’est-à-dire le deuxième dimanche du Carême [dimanche 8 mars 1338]. [fol. 8v°] Discours de la Nature7, et reproches qu’elle adresse à la volonté de l’homme La nature, faisant des reproches à la volonté de l’homme, donne un point de vue rationnel: « Moi, la nature commune à tous les animaux, je ne trouve dans les bêtes brutes dépourvues de raison rien qui me soit contradictoire; alors que

1 Saint Ambroise (vers 340-397), archevêque de Milan et docteur de l’Eglise. On rapporte qu’il fut élu à cette fonction en 374 parce qu’un enfant, incarnant l’intervention du Esprit Saint, aurait crié dans la foule: « Ambroise, évêque ». 2 Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone et docteur de l’Eglise. Allusion à une légende en vogue à l’époque: saint Augustin rencontre un enfant occupé à transvaser, avec un coquillage, l’eau de l’océan, dans un petit trou creusé dans le sable; l’enfant se révèle être un ange et déclare à saint Augustin: « Il me serait plus facile de faire entrer la mer dans ce trou qu’à toi d’expliquer la plus petite partie du mystère de la Trinité ». Voir fol. 31v° et 53, ainsi que V 28, note 5. 3 Opicinus s’identifie aux quatre docteurs en faisant des rapprochements significatifs entre leur existence et la sienne. 4 Saint Jérôme (vers 347-420), docteur de l’Église. S’est consacré aux études bibliques: commentaires exégétiques et révision du texte (« Vulgate »). 5 Saint Augustin a lutté contre le manichéisme, le donatisme et le pélagianisme. 6 Saint Grégoire le Grand (vers 540-604), pape de 590 à 604 et docteur de l’Église. Auteur des Moralia in Job, ensemble de règles morales et ascétiques. 7 Nous retrouvons dans le paragraphe suivant une conception de la nature et de la loi naturelle proche de celle de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung dans le Roman de la Rose. Voir aussi fol. 10.

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8v°

exigo ab ipso plus quam putetur ab aliis. Cum autem satisfactum fuerit mihi, siquid residuum fuerit, large dimittitur cuicumque uolenti accipere. Quod fit in bestiis terre, fit in uolucribus celi, piscibus maris et omnium aquarum, et in genere reptilium. Per hec omnia animalia doceo hominem, non illa per hominem. Si homo consideret in hiis solam apparentiam uoluntatis sine debito nature, actus huiusmodi sunt sibi doctrina cuiuslibet uitii fugiendi. Si uero consideret debitum nature sine uitio uoluntatis, sunt sibi doctrina uirtutum moralium sumendarum ». Si enim leo carnibus non egeret, diligeret et preseruaret ceruum ut fratrem et filium. Canis irascitur contra hominem propter fidem quam habet ad alium hominem dominum suum. Quare ergo homo hominem prosequitur, spoliat et occidit, nisi propter nequitiam proprie uoluntatis? Nonne ambo possunt habere sine mutua offensione quicquid cupit natura? Ecce tres species reptilium uel uermium: musca, aranea et formica. Musca significat homines inertes (id est nullam artem scientes sed sola mendicitate uiuentes); aranea significat tyrannos nescientes uiuere nisi de rapina. Sicut araneus uermis hodie texit telam araneam ad capiendos alios uermes, presertim muscas, in escam sibi, ita hodie tyrannus edificat sibi fortitudinem apparentem ad subiciendos sibi alios homines, maxime miseros et inertes nescientesque quiescere nisi in mensis alienorum, donec tyranni dominium capiat eos seruitute ad sacietatem suam ex eis. Si aranea senserit aliam araneam intra edificium suum nequeuntem effugere, statim accurens capit illam; sic tyrannus plerumque preualet aduersus alium similem sibi. Ex modica aura illa tela dirumpitur et ex modico casu fortitudo tyrannica dissipatur. Formica significat homines in qualibet arte prudentes atque fideles. Et sicut minima formica reperta ex casu in aranea tela per maiorem uermem araneum capi non potest, defendens se cum forcipe oris sui, ita prudens expertus omnes astutias mundi nullo modo potest seduci ad tyrannicam seruitutem; habet enim forcipem lingue sue ad quamlibet responsionem, ne falsis bladitiis1 seducatur aut uerbis minacibus terreatur. Amota itaque consideratione uitii apparentis in quolibet animali irrationali, in quo nullum est uerum uitium, cum nulla sit ibi resistentia uoluntatis contra iura nature, sola adhibeatur consideratio naturalis, id est debitorum nature. Vbi natura non habet resistentiam, non exigit rationale iudicium in omnibus animalibus brutis; in solo uero homine iudicium rationale requiritur. Ad prosopopeiam igitur redeamus: « Ego, natura communis in omnibus, de sola nequitia uoluntatis humane querimoniam agito. Cum tu, humana uoluntas, tradita mihi quasi in acillam2, uideres me in extrema calamitate perire, cepisti meo nomine murmurare. Cum uero satisfactum fuit debitis meis, cum ex modicis sim

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On attendrait: blanditiis. On attendrait: ancillam.

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toi, volonté humaine dévoyée, en feignant de m’encourager, tu me pervertis. Tu t’en prends à ma loi, celle que Dieu m’a donnée, et tu pousses mon juge contre toi. Selon la manière dont je suis installée dans chaque animal, je garde mes droits; quoi que je demande, je le reçois en retour. Et si je suis entièrement anéantie avec cet animal, on ne trouve pas en lui ce qui pourrait être incompatible avec moi, c’est-à-dire soit avec le parcours qui m’a été fixé et que je ne peux pas dépasser, soit avec la capture par un autre animal du premier pour accomplir ma loi, si bien que je suis de manière légitime supprimée par celui-ci et maintenue chez celui-là. Par la grâce du Verbe. Moi la nature, d’un point de vue général, je suis une seule et même nature chez tous les animaux, bien que, du point de vue des espèces, je présente de la variété. Quoi que je demande à n’importe quel animal, il me donne satisfaction: c’est moi qui, chez le cerf, demande des plantes, des herbes ou des graines, et ainsi rien ne me manque; c’est toujours moi qui, chez le lion, demande des viandes, et il me donne satisfaction lui aussi. Il me revient de permettre au cerf de s’enfuir quand un lion se montre; il me revient de permettre au lion d’attraper le cerf et de se repaître de cette viande. D’un côté et de l’autre, justice m’est rendue. En effet, le lion ne pourrait pas vivre sans avoir des viandes en pâture. Car si le lion attrape le cerf, accompagné d’autres bêtes plus faibles qui espèrent avoir chacune une part de la proie, et que le lion prend pour lui plus que ce que celles-ci ne supposaient, il ne me porte aucun tort pour autant, dans la mesure où je lui demande plus que celles-ci ne le croient. Et lorsque je suis assouvie, s’il y a des restes, ils sont laissés avec générosité à quiconque veut les prendre. Ce qui se passe chez les animaux de la terre, se passe chez les oiseaux du ciel, chez les poissons de la mer et de toutes les eaux, et dans la famille des serpents. Grâce à tous ces animaux, j’instruis l’homme, et non eux grâce à l’homme. Si l’homme ne voit en eux qu’une manifestation de la volonté, sans tenir compte de ce qui revient à la nature, les comportements en question lui apprennent à fuir tous les vices. Mais s’il y voit des obligations naturelles, sans tenir compte d’une volonté dépravée, ces comportements lui apprennent à acquérir les vertus morales ». En effet, si le lion n’avait pas besoin de viandes, il aimerait et préserverait le cerf, comme s’il était son frère et son fils. Un chien se met en colère contre un homme en raison de sa fidélité pour un autre homme, qui est son maître. Pourquoi donc l’homme harcèle-t-il, dépouille-t-il et tue-t-il l’homme, si ce n’est en raison du dérèglement de sa volonté personnelle? Est-ce qu’ils ne peuvent pas avoir tous les deux, sans s’outrager mutuellement, tout ce que désire la nature? Voici trois catégories d’êtres rampants ou de vers: la mouche, l’araignée et la fourmi. La mouche représente les hommes inactifs (c’est-à-dire ceux qui ne connaissent aucun métier et ne vivent que de mendicité); l’araignée représente les despotes qui ne savent vivre que de pillage. De même que l’insecte qu’est l’araignée tisse aujourd’hui sa toile d’araignée pour attraper d’autres vers, en particulier des mouches, et s’en nourrir, de même le despote édifie aujourd’hui pour lui un pouvoir de façade, afin de mettre sous sa dépendance d’autres hommes, principalement les malheureux et les inactifs, ainsi que ceux qui ne savent rester tranquilles qu’à la table d’autrui, jusqu’à ce que le pouvoir du despote leur impose la servitude et qu’il en tire satisfaction. Si l’araignée se rend compte qu’une autre araignée se trouve dans sa maison et ne peut s’enfuir, elle arrive aussitôt et www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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contenta, a murmuratione cessasti. Adueniens autem ad te inuisibilis hostis, te fauente suggestionibus suis sine meo consensu, ex te genuit malitiam hominis que est quedam auida vox exactoris ultra debitum meum et mea corruptrix. Tu, nequam ancilla, mala uoluntas cum sobole tua, cepisti concupiscere aliena, fingens te petere nomine meo, ac si dicens: ‘Domina mea adhuc aliquibus indiget’. Et ego te iam ex tunc iudicaui mendacem. Nonne uides mihi in omnibus necessitatibus satisfactum? Indigebam enim uictu quottidiano, uestitu necessario, domicilio et lectulo; et in omnibus hiis prouisum est mihi. Quid aliud deficit mihi? Si fuerit mihi adhuc aliud datum ultra debitum meum, aut ingurgitabis me lautioribus epulis supra debitos et licitos cibos; circumdabis me superfluis uestibus supra debitas uestes, quas simul et semel mecum deferre non possum; addideris mihi edificia circumquaque ultra domicilium necessarium, que simul et semel occupare non ualeo; multiplicabis mihi lectulos frustra, cum non nisi unum expediat mihi, sicut unicus uir non potest comode nisi uni uxori seruire non pluribus; et hec omnia propter indiscretionem tuam erunt mihi nociua; et sic ero tam in mente quam carne natura corrupta. Aut utens medicina carnali, a superfluis me liberans et solis necessariis utens, me maiori subicio seruituti; adueniet enim ad me uniuersitas carnalium amicorum, quasi multitudo muscarum ad escam, cum quibus efficiat publica meretrix, quibus ego ero caput et illi membra. Fecisti enim, o nequam uoluntas, me tollere membra Christi et tradere meretrici. Adueniet autem ad te rationale iudicium cum lege mea quam tradidit mihi Deus, quod te cum omni corruptione nature tradet crudelissimo exactori qui exiget a te usque ad minimum quadrantem; et me transferet a natura corrupta perfida meretrice que nunquam in suppliciis [fol. 9] morietur; et me inseret incorrupte nature per gratiam Dei, cum qua una natura in specie non discretione persone ero uirgo perpetua. Quicquid enim ancilla nequam tradiderat meretrici, totum restituam uirgini sancte, que est uera mater sanctissimi populi christiani, cuius est uir uniuersitas sacerdotalis, cuius est dominus, hospes et rector, inuisibilis uerus Deus – inuisibilis, inquam, per speciem et uisibilis per fidem formatam. Nam in quibus nondum es, o uoluntas humana producta in actum, si iam sum a gratia Dei preuenta per sacramentum baptismi me redintegrantis, iam sum ad introitum glorie preparata. Si nondum preuenta sum gratia, te nondum producta, iudicata sum in perpetua priuatione gaudii sempiterni, sine pena sensus cum nondum potuerim actu peccare. In quibus autem producta es in actum et gratia mihi data est et ego sum exercitata uirtutibus, te mihi subiecta, iam o Ecclesiam Dei; si uero mihi pertinaciter dominaris, ego corrupta per te, te in perpetuum cruciabo. Maior nequitia uoluntatis maiorem excipiet ultionem ». Actum III° nonas augusti, dominica VIIIª post Pentecostes, de libris Sapientie, de epistola de uita carnali et eius mortificatione, et de euangewww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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l’attrape; c’est ainsi que le despote l’emporte en général sur un autre qui lui ressemble. Il suffit d’un léger souffle pour briser cette toile et d’une petite opportunité pour anéantir le pouvoir du despote. La fourmi représente les hommes sages et courageux dans l’exercice de leur savoir-faire, quel qu’il soit. Et de même qu’une toute petite fourmi se trouvant par hasard dans une toile d’araignée ne peut être attrapée par un ver d’araignée plus grand, car elle se défend avec les pinces de sa bouche, de même le sage qui est rompu à toutes les ruses du monde ne peut en aucune manière être entraîné dans la dépendance d’un despote; en effet, il a les pinces de sa langue pour répondre à tout, si bien qu’il n’est pas séduit par les fausses flatteries ni effrayé par les paroles menaçantes. C’est pourquoi, en écartant la prise en compte d’une dépravation se manifestant chez tout animal dépourvu de raison – car il n’y a en lui aucune dépravation à proprement parler, puisqu’il n’existe en lui aucune volonté qui oppose de la résistance à la loi de la nature – contentons-nous d’examiner ce qui est naturel, c’est-à-dire ce qui revient à la nature. Là où la nature ne rencontre pas d’opposition, elle ne demande pas un jugement rationnel: c’est le cas chez toutes les bêtes brutes; et c’est seulement chez l’homme qu’un jugement rationnel est requis. Revenons donc à une prosopopée: « Moi, la nature que toutes choses ont en commun, j’ai seulement à me plaindre du dérèglement de la volonté humaine. Alors que toi, volonté humaine, qui m’as été confiée comme une servante, tu me voyais dépérir au milieu des pires malheurs, tu as commencé à murmurer en mon nom. Mais quand mes droits ont été satisfaits, comme je me contente de peu, tu as arrêté de murmurer. Et arrivant sur toi, l’ennemi invisible, pendant que tu t’intéressais à ses suggestions sans mon accord, a créé, émanant de toi, la malice humaine, qui est une forme de la voix insatiable de l’exacteur1 outrepassant ma loi et me pervertissant. Et toi, servante dévoyée, toi, mauvaise volonté avec tes rejetons, tu as commencé à convoiter les biens d’autrui, en feignant de demander en mon nom, comme si tu disais: ‘Ma maîtresse a encore besoin de quelque chose’. Et moi, je t’ai dès lors prise pour une menteuse. Ne vois-tu pas que tous mes besoins sont satisfaits? En effet, j’avais besoin de quoi me nourrir quotidiennement, de l’essentiel pour me vêtir, d’un logement et d’un lit; et tout cela m’a été donné. Que me manque-t-il d’autre? Si l’on me donne encore autre chose en plus de ce qui doit me revenir, ou bien tu m’étoufferas avec des repas trop somptueux s’ajoutant aux nourritures nécessaires et permises; tu me couvriras de vêtements superflus s’ajoutant aux vêtements nécessaires, que je ne peux porter en même temps et une fois pour toutes; tu me donneras des bâtiments en plus tout à l’entour et au-delà du domicile qui m’est nécessaire, que je ne peux habiter en même temps et une fois pour toutes; tu me donneras plusieurs lits inutilement puisqu’un seul me suffit2, de même qu’un seul mari ne peut facilement se dévouer qu’à une seule femme et non à plusieurs; tout cela me sera préjudiciable à cause de ton manque de modération; et ainsi je serai une nature pervertie, aussi bien mentalement que physiquement. Ou alors, en ayant recours à un remède char-

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« La voix de l’exacteur »: voir Jb 3, 18. Expression souvent utilisée par Opicinus. Voir fol. 1a.

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lio uillici nequeuntis fodere nec sine uerecundia mendicare tanta misteria a pluribus magistris opinione diuersis. Cuius etiam diei uere competit auctoritas Iob: « Quasi effodientes thesaurum gaudentque uehementer »; ad testimonium sancti Gaudentii episcopi Nouariensis depositi, qui ab XI° kalendas februarii super terram defunctus usque ad hanc diem, germinantibus pilis eius et unguibus, est seruatus. Sequitur Iob: « Cum inuenerint sepulcrum »; propter inuentionem sancti Stephani prothomartiris in sepulcro hac die, qui etiam meritis suis me semel hac die resuscitauit a mortuis in loco Valentie. Post hanc nunc dominicam primam de Sapientia, in reliquis dominicis Sapientia reticetur, donec huius mensis ultima ultime diei dominica Iob legatur.

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nel, en m’affranchissant du superflu et en n’utilisant que ce qui est indispensable, je suis soumise à une plus grande dépendance; car l’ensemble de mes amis charnels tombera sur moi, telle une nuée de mouches sur la nourriture, et la courtisane publique se joindra à eux; c’est moi qui en serai la tête et eux les membres. En effet, tu m’as conduite, ô volonté dévoyée, à enlever les membres du Christ et à les livrer à la courtisane. Mais le jugement rationnel viendra sur toi, avec la loi qui est mienne et que Dieu m’a confiée, et il te livrera, toi ainsi que toute la nature corrompue, à l’exacteur très cruel qui exigera de toi jusqu’au dernier sou1; et il me fera quitter la nature corrompue, la courtisane sans foi qui ne meurt jamais dans les supplices; [fol. 9] il m’intègrera à la nature délivrée de la corruption, par la grâce de Dieu; et c’est seulement avec cette nature que je serai une vierge perpétuelle, sous l’aspect d’une personne mais sans préférence pour elle. En effet, tout ce que la servante dévoyée avait livré à la courtisane, je le rendrai en totalité à la vierge sainte, qui est la véritable mère du peuple chrétien très saint, qui a pour mari la communauté sacerdotale, pour seigneur, hôte et curé, le vrai Dieu invisible – invisible, oui, aux regards, et visible grâce à la foi qui a pris forme. Car là où tu n’es pas encore, ô volonté humaine qui te réalises concrètement, si je suis déjà devancée par la grâce de Dieu avec le sacrement du baptême qui me renouvelle, je suis déjà préparée à entrer dans la gloire. Si je ne suis pas encore devancée par la grâce et que tu n’es pas encore manifestée, je suis alors condamnée à être privée pour toujours de la joie éternelle, sans châtiment pour les sens, puisque je n’aurai pas pu encore pécher concrètement. Et là où tu te réalises concrètement, où la grâce m’est aussi donnée, et où je suis moi aussi entraînée aux vertus, si tu m’es soumise, je rends alors gloire à l’Église de Dieu; en revanche, si tu l’emportes sur moi en t’acharnant, moi qui suis corrompue par toi, je te tourmenterai éternellement. Plus important est le dérèglement de la volonté, plus grande sera la punition qu’elle recevra ». Fait le 3 des nones d’août, le 8e dimanche après la Pentecôte [dimanche 3 août 1337], au sujet des livres de la Sagesse, de l’épître sur la vie charnelle et la mort qui l’attend2, et de l’évangile de l’intendant ne pouvant labourer ni mendier sans honte de si grands mystères auprès de plusieurs maîtres d’opinions variées3. Et ce qu’a écrit Job est également bien adapté à cette date: « Comme s’ils déterraient un trésor. Et ils se réjouissent vivement »4; en témoignage de saint Gaudence, feu évêque de Novare5, qui, mort sur la terre, y est resté depuis le 11 des calendes de février [22 janvier] jusqu’à ce jour, ses poils et ses ongles continuant à pousser. Suite de Job: « Lorsqu’ils ont trouvé la tombe »6; en raison de la découverte des reliques de saint Etienne, le premier martyr, en ce jour7; lui qui

Voir Mt 5, 25-26 et Lc 12, 58-59. Voir Rm 8, 12-17 (épître du 8e dimanche après la Pentecôte). 3 Voir Lc 16, 1-9 (évangile du 8e dimanche après la Pentecôte). 4 Jb 3, 21-22. 5 Mort en 417 (?). Fêté le 22 janvier. 6 Jb 3, 22. 7 On fêtait en effet le 3 août la découverte des reliques de saint Étienne. Voir la Légende dorée, t. 2, pp. 40-45. 1 2

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FOL.

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De operibus uiuis et mortuis Ypocrita Affrica ponens os suum in celum, cuius digitus quasi lingua transit in terram, sic dicit: « Corruptibile regnum mundi nomine Babilonis subieci sub pedibus meis; et spero animam meam transferendam ad regnum perpetuum cum omnibus angelis Dei et omnibus sanctis ». De regno autem presentis Ecclesie que est mediatrix transeuntium a corruptibili regno ad incorruptibile regnum, sine qua nemo potest saluari, nullam scit facere mentionem. Si interrogetur per quid potest saluari, respondebit: « Per opera ecclesiastice legis, quia quottidie celebro omnes horas canonicas, per me siue per alios quottidie missas; omnia sacramenta licita mihi ministro uel facio ministrari indigentibus; predico Verbum Dei; omnes decimas debitas reddo superioribus meis; quicquid precipit sancta Ecclesia, seruo ad unguem; quicquid superest de mensa mea, trado pauperibus; omnes articulos fidei firmiter credo ». Hec omnia que Affrica confitetur sunt opera imperfecta: bona quidem sunt et sancta cum confessione fidei; neminem autem ad perfectionem adducunt, nisi conuertatur manus ad fortia. Illa enim sunt opera mercenarii nutrientis infantes pro corruptibili mercede; debitum est officium propter beneficium. Vbi est ergo gratia? Tempore quidem minoris malitie iam transacte, illa opera retrahebant hominem a peccato. Nisi enim facerem de meipso sacrificium secundum hominem interiorem in obsequium populi mei, parum prodesset mihi sacrificium quottidianum altaris. Temporibus retroactis uiri perfecti, non omissa obedientia ecclesiastice legis, exercebant seipsos secundum donum unicuique concessum, quod nemo potest scire nisi qui accipit: aliqui ad elucidanda misteria fidei de sacris Scripturis, aliqui ad expendendos corporeos sensus sine concupiscentia in utilitatem animarum, quidam ad opera uirtuosa diuersimode facienda ad finem caritatis Dei et proximi. Ex quibus aliqui propter perfectionem, nullam propriam gloriam affectantes nec alienam inuidiam metuentes, non existente tanta malitia quanta nunc est, manifestabant opera sua ad gloriam Dei non suam. Quidam uero timentes infirmitatem propriam, ne laberentur in gloriam mundi, abscondebant opera sua, nequis inde liuore tabesceret aut quisquam ipsum extolleret. Nunc regnante malitia ultra mensuram, si unus sine ceteris opera Domini publicet, omnia peruertentur in malum, aliunde per inuidiam, aliunde per uolatilem famam sine utilitate, aliunde per falsam calumpniam accusantem opus fidei ex obice heresis, aliunde per maiorem accidiam negligentium operari in uinea Domini. Si uero omnes habentes multo maiorem scientiam – nunc partim in habitu tantum, tunc totam in actu parawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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également, grâce à ses mérites, m’a relevé une fois d’entre les morts ce même jour, alors que j’étais à Valence. Après ce premier dimanche aujourd’hui consacré à la Sagesse, la Sagesse est passée sous silence les autres dimanches, en attendant la lecture de Job, le dernier dimanche du dernier jour de ce mois1. Les oeuvres durables et les oeuvres éphémères L’Afrique hypocrite, posant sa bouche sur le ciel2, elle dont le doigt semblable à une langue se change en terre3, s’exprime ainsi: « Je mets le royaume du monde corruptible nommé Babylone sous ma domination; et j’espère que mon âme sera envoyée au royaume éternel, en compagnie des anges de Dieu et de tous les saints ». Mais le royaume de l’Église actuelle, par l’entremise de laquelle on passe du royaume corruptible au royaume incorruptible, et sans qui personne ne peut être sauvé, l’Afrique ne sait aucunement en parler. Si on lui demande comment elle peut être sauvée, elle répondra: « En faisant ce que demande la loi de l’Église: chaque jour, en effet, je récite toutes les heures canoniques4, et chaque jour je dis des messes ou je les fais dire par d’autres; j’administre tous les sacrements autorisés ou je les fais administrer à ceux qui en ont besoin; je prêche la Parole de Dieu; je rends à mes supérieurs toutes les dîmes qui leur sont dues; j’observe scrupuleusement tout ce que la sainte Église prescrit; je donne aux pauvres tous les restes qui proviennent de ma table; je crois fermement à tous les articles de la foi ». Tout ce que l’Afrique reconnaît, ce sont des œuvres insuffisantes: certes, accompagnées d’une profession de foi, elles sont justes et saintes, mais elles ne conduisent personne à la perfection, si la main ne s’adonne à des œuvres plus vigoureuses. En effet, ces oeuvres sont celles d’un mercenaire nourrissant ses enfants pour un salaire corruptible; l’office5 est nécessaire pour les bienfaits qu’il octroie. Où donc est la grâce? Certes, au temps de la malice insignifiante déjà passée, ces oeuvres éloignaient l’homme du péché. Car, si je ne m’étais pas moimême offert en sacrifice en suivant l’homme intérieur pour faire la volonté de mon peuple, le sacrifice fait chaque jour sur l’autel ne me suffirait pas. Dans les temps passés, les hommes parfaits, sans oublier d’obéir à la loi de l’Église, s’entraînaient eux-mêmes, selon le don accordé à chacun – que seul peut connaître celui qui le reçoit – les uns à révéler les mystères de la foi en partant des saintes Écritures, d’autres à déployer leurs facultés corporelles dépourvues de convoitise dans l’intérêt des âmes, d’autres à réaliser des oeuvres vertueuses de diverses manières en ayant pour but l’amour de Dieu et du prochain. Certains d’entre eux, en raison de leur perfection, ne recherchant aucune gloire personnelle et ne redoutant pas la jalousie d’autrui, dans la mesure où la malice n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui, montraient leurs œuvres, pour la gloire de Dieu et Dimanche 31 août 1337: 12e dimanche après la Pentecôte (évangile: Lc 10, 23-37, c’est-à-dire la parabole du bon Samaritain). 2 C’est-à-dire Benoît XII embrassant l’autel à la messe. 3 Voir les dessins du Vaticanus avec la main et le doigt de l’Afrique du nord (ex: V 18, V 33). 4 Il s’agit des sept parties de l’office divin chantées par les moines. 5 Allusion à l’office de scribe d’Opicinus. 1

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FOL.

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tam in hoc nouissimo tempore reuelari – simul et semel ostenderint opera sua ex thesauris suis, adhibita omni diligentia, toto studio, toto ingenio, sine ulla affectione carnis et sanguinis, absque acceptione persone ad rationem fidei et spei nostre, sine scrupulo, sine dubio, sine suspendio opinionis incerte, coram omnibus ostendendam, tunc multiplex opus iuxta uaria dona et unicum in uirtute contra omnes calumpnias preualebit. Siquis inuenerit in pectore suo aliquam ymaginem corruptibilis hominis aut sculptilia concupita siue deos argenteos et aureos, penitus conterat huiusmodi ydola, ante quam accedat ad opera fidei pertractanda. Actum inter III et II nonas augusti.

DE

EXCITATIONE VIRTVTVM ET OCIO VITIORVM

Vna et eadem res est in sacramento altaris et in pectore presentis Ecclesie; non enim habitat in personali iudicio. Siquis dixerit nomine suo: « Habeo Deum in me », mendax conuincitur; si uero nomine eius Ecclesie, ueritate laudatur, si consonent opera uoci non aliter. Vnusquisque habet in se potentialiter malitiam similem mari. Si passus fuerit dominium eius iuxta mensuram nequitie uoluntatis, factus seruus peccati est in omnibus uitiosus. Si nullomodo uoluerit dominium eius iuxta mensuram fidei, factus liber ab illa malitia est in omnibus uirtuosus. Nisi enim homo haberet in se potentialiter istam malitiam, nunquam posset mereri in exercitatione uirtutum nisi aduersus illam, nisi facta esset in eo diuinitus sanctificatio specialis.

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non la leur. Mais d’autres, redoutant la faiblesse personnelle qui consiste à glisser dans la gloire mondaine, dissimulaient leurs œuvres, afin d’éviter que quelqu’un ne soit ainsi rongé par la jalousie ou qu’il y en ait un pour l’exalter luimême. Aujourd’hui où la malice règne de façon démesurée, si un seul expose en public les œuvres du Seigneur sans les autres, tout tourne au désastre, tantôt à cause de la jalousie, tantôt à cause d’une renommée éphémère qui ne sert à rien, tantôt à cause d’une calomnie sans fondement accusant l’œuvre de la foi d’avoir franchi la barre de l’hérésie, tantôt à cause d’une trop grande indifférence de la part de ceux qui ne se soucient pas de travailler à la vigne du Seigneur1. Or, si tous, en détenant une beaucoup plus grande connaissance – laquelle est aujourd’hui incomplète car seulement virtuelle, alors qu’elle sera tout à fait prête à être révélée concrètement dans ces temps qui sont les derniers – montrent en même temps et une fois pour toutes les oeuvres tirées de leurs trésors, en y mettant tous leurs soins, toute leur ardeur, toute leur intelligence, sans aucun attachement pour la chair et au sang, et sans tenir compte de la personne, pour montrer en présence de tout le monde les arguments de notre foi et de notre espérance, en ne manifestant ni inquiétude, ni doute, ni incertitude concernant une opinion imprécise, l’œuvre2 qui est multiforme en fonction de la variété des dons et unique dans sa qualité essentielle l’emportera sur toutes les calomnies. Si quelqu’un trouve dans son cœur quelque image de l’homme corruptible, des statues désirées ou des dieux en argent et en or3, il doit totalement anéantir ces idoles avant d’aborder la mise en pratique assidue des œuvres de la foi. Fait entre le 3 et le 2 des nones d’août [entre le 3 et le 4 août 1337]. LES

VERTUS CAUSENT L’ARDEUR ET LES VICES LE RELÂCHEMENT

C’est une seule et même réalité qui se trouve dans le sacrement offert sur l’autel et dans la poitrine de l’Église actuelle, car elle ne se trouve pas dans le jugement personnel. Si quelqu’un dit en son nom: « J’ai Dieu en moi », il est convaincu de mensonge; mais s’il le dit au nom de son Église, avoir dit vrai lui vaut des éloges, à condition que ses œuvres soient en harmonie avec ses paroles et non autrement. Chacun possède en lui à l’état virtuel une malice semblable à la mer. S’il a supporté sa domination à la mesure du dérèglement de sa volonté, devenu esclave du péché, il est complètement dépravé. S’il n’a accepté sa domination en aucune manière, à la mesure de sa foi, délivré de cette malice, il est complètement vertueux. En effet, si l’homme ne possédait pas en lui cette malice à l’état virtuel, il ne pourrait jamais obtenir de mérites dus à la pratique des vertus, sauf pour lutter contre cette malice, à moins qu’il n’ait été l’objet d’une sanctification exceptionnelle, du fait de la volonté divine4.

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Voir Mt 21, 28. Sous-entendu: d’Opicinus. Voir Ex 20, 23. C’est le cas d’Opicinus (d’après lui).

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[fol. 9v°] DE

9v°

AVCTORITATE PAPALI

Summus pontifex cum consiliariis suis, quicquid agit ad honorem Ecclesie, agit nomine omnium sacerdotum et pastorum Ecclesie, siue presentium siue absentium (presentium quidem in spiritu, licet absentium corpore). Adhuc fortius ex aliqua causa potest dominus papa hec omnia agere nomine consiliariorum suorum, licet absentium corpore ex aliquo casu; non tamen aliquis horum sine domino papa. DE

DISCRETIONE LOQVENDI

Vbicumque reperitur in libellis « De dominica paupertate » et « De preeminentia spiritualis imperii »: « Ego hoc ago » uel similis modus loquendi, intelligatur seruus fidelis uniuersalis Ecclesie. Vbi uero legitur: « Nos agimus istud » uel huiusmodi stilus, intelligatur populus seu uniuersitas sacerdotalis. Tunc cecus ignorabam quod dicerem; nunc apertis oculis meis, iudico ueritatem, sicut presentes ceteri uiri clare uident. DE

SACRAMENTO ET

SPIRITV

Cum essem Valentie Papiensis diocesis, que in uentre magne Europe ponitur in crepidine stomachi minoris Europe, quasi iuxta Massiliam naturalem contra turpitudinem diabolici maris, multos infantes mandato prepositi baptizaui, sicut plures baptizaueram in Papia uenali, inter lumbos minoris Europe ac in umbilico maioris Europe. Vbicumque fui baptista sacramentalis, ibi fui euangelista uerbalis, quasi vox clamantis in heremo sine spiritu et uirtute, ac si baptizarem populos aqua uerbali sine Spiritu Sancto et igne. Non sine misterio predicta Valentia cum circumstantibus locis in ydiomate suo omnes infantes nominat « matos ». Et exinde ultima recessione in die sancti Mathei apostoli uoluntas diuina uocauit me, ac si diceret mihi: « Mathee, desiste a predicatione stultorum quasi baptismo ‘matorum’ (id est infantium) et sequere me ». Non enim uitupero sacramentum baptismi, sed stultam apud me predicationem Verbi, licet iuxta mundum sapiens predicatio uideatur. « Non est opus ualentibus (illius Valentie) medicus, sed male habentibus. Euntes autem (Pharisei) discite quid est: Misericordiam (pectoris Prouincie) uolo et non sacrificium (uentris Italie?). Non enim ueni uocare iustos (apparentes) sed peccatores (suppliciter recognoscentes) ». Actum II nonas augusti, ad quam diem compulsiue retractum est officium inuentionis sancti Stephani prothomartiris.

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[fol. 9v°] L’AUTORITÉ

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PONTIFICALE

Le souverain pontife associé à ses conseillers, quoi qu’il fasse pour rendre honneur à l’Église, le fait au nom de tous les prêtres et pasteurs de l’Église, qu’ils soient présents ou absents (présents, certes, en esprit, bien qu’absents physiquement). A plus forte raison, le seigneur pape peut, pour une raison quelconque, faire tout cela au nom de ses conseillers, bien qu’ils soient absents corporellement du fait de quelque impondérable; mais en l’absence du seigneur pape, l’un d’entre eux ne peut pas le faire. LE

DISCERNEMENT DANS LES PAROLES

Partout où l’on trouve dans les traités « Sur la pauvreté du Christ » et « Sur la primauté du pouvoir spirituel »: « Moi je fais ceci » ou des paroles du même genre, il s’agit du serviteur fidèle de l’Église universelle. Mais là où l’on lit: « Nous faisons ceci » ou une expression de ce genre, il s’agit du peuple ou de la communauté des prêtres. A cette époque-là, étant aveugle, j’ignorais ce que je disais; aujourd’hui où mes yeux sont ouverts, je reconnais la vérité, comme les autres hommes présents qui ont bon oeil. LE

SACREMENT ET L’ESPRIT

Lorsque je me trouvais à Valence, dans le diocèse de Pavie, qui se trouve dans le ventre de la grande Europe, sur le bord inférieur de l’estomac de la petite Europe1, quasiment à côté de la Marseille naturelle qui s’oppose à l’infamie de la mer diabolique, j’ai été chargé par le prévôt de baptiser beaucoup d’enfants; j’en avais aussi baptisé un assez grand nombre dans la Pavie vénale, au milieu des parties génitales de la petite Europe et dans l’ombilic de la grande Europe. Partout où j’ai donné le sacrement du baptême, j’ai prêché l’Évangile, telle une voix criant dans le désert2 sans finesse ni talent, comme si j’avais baptisé les foules avec un flot de paroles, sans l’Esprit Saint ni le feu. Ce n’est pas sans mystère que, dans la ville de Valence en question ainsi que dans les lieux environnants, on appelle tous les enfants « mats » dans le dialecte local. Et c’est pourquoi, lors de ma dernière retraite3, le jour de la fête de saint Matthieu4, la volonté divine m’a appelé comme si elle m’avait dit: « Matthieu, arrête de prêcher aux fous, c’est-àdire de baptiser les ‘mats’5 (à savoir les enfants), et suis-moi »6. En effet, je ne critique pas le sacrement du baptême, mais la prédication de la Parole insensée chez moi, bien que cette prédication paraisse sage d’après les critères du monde. « Ce ne sont pas les bien-portants (de cette Valence) qui ont besoin d’un médecin,

Voir V 6. Voir Is 40, 3; Mt 3, 3; Mc 1, 3; Lc 3, 4; Jn 1, 23. Allusion à Jean-Baptiste. 3 Voir P 20, septembre 1329: dernière expédition d’Opicinus à Valence avant son retour définitif à Avignon. 4 21 septembre. Évangile: Mt 9, 9-13. 5 Jeu de mots Mathee/matorum. 6 Voir Mt 9, 9. 1 2

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DE

FOL.

9v°

PROPRIETATIBVS VENTRIS ITALIE

Mater sancti Dominici predicatoris, sompnians se habere in utero catulum cum facula ignis incendentem totum mundum, prefigurauit se sanctam Europam cuius uterus dicitur Lombardia. Nisi enim catulus iste a capite descendisset in uentrem, fere totus mundus in illo uentre conclusus, in duas partes diuisus – Europe gibbose et Affrice nomine Ve – sanctam illam Europam totaliter destruxisset presertim in utero, mediante diabolico mari. Ille sanctus Dominicus prefiguratus est a uisione matrone se habere fulgidam stellam in fronte Hispanie ad effugandas tenebras uentris nostri; qui nunc quiescit in extrema parte uentris materni qui uel que Bononia nominatur, ultra quam incipitur femur dexterum Romandiole cum Tuscia. Vidi anno Domini MCCCXVIIII° circa IIIIor tempora XLe, sicut fere quolibet anno in yeme solet accidere, totum uentrem coopertum niue quasi candida lana, a cuius umbilico usque ad extremitatem uentris accessi ad ordines assumendos. Et sicut ab umbilico sursum est profundior nix, ita abinde deorsum expertus sum: quanto appropinquebam Bononiam, tanto niuem minus esse profundam. Susceptis ergo minoribus ordinibus Bononie pluuia non cessante, uisitata memoria sancti Dominici, post V dies inde recedens reuersusque per eandem uiam, totum uentrem reperi denudatum, plures etiam lapideos et ligneos pontes unius tantum arcus uel paulo longiores in uia destructos propter inundantiam pluuiarum que facte fuerant, existentibus Bononie me et itineris socio similiter ordinato, qui duo soli nunquam antea Bononie fueramus. Ecce uenter Italie sepe niuibus quasi lana candida tegitur ad honorem maioris metropolis lanee ciuitatis per medium. Superinducitur autem habitui candido sepe teterrima nebula, quasi niger habitus super album: interpretatur autem Alexandria huius uentris alleuatio tenebrarum. Si fuerit ergo habitus candidus tantum sine nigro, representat ordinem Humiliatorum cuius est caput in predicta lanea ciuitate, et post ipsam Alexandria hoc habundat. Si uero candidus habitus superinduatur habitu nigro precincto et clauso, exhibet ordinem Heremitarum. Itaque restat super candidum niger habitus discretiuus sine cinctura, quasi discernens et alleuans tenebras a candore quo Predicatorum ordo monstratur. Ecce quod niuea Lombardia sepe circumfunditur tetra caligine nebularum, quibus abscedentibus niueus candor faciem hominis clarius hilarescere facit. Ita spero Lombardiam uentralem totam fere terram implentem post tenebras dissensionum et discordiarum ab inuicem candore iustitie splendidiorem esse futuram. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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mais les malades. Allez (pharisiens), apprenez ce que signifie: C’est la miséricorde que je veux (pour la poitrine de la Provence) et non le sacrifice (du ventre de l’Italie?). Car je ne suis pas venu appeler les justes (qui semblent tels) mais les pécheurs (qui le reconnaissent humblement) »1. Fait le 2 des nones d’août [4 août 1337]2, jour où l’on doit impérativement revenir à l’office de l’invention de saint Étienne, le premier martyr. LES

CARACTÉRISTIQUES DU VENTRE DE L’ITALIE

La mère de saint Dominique le prêcheur, rêvant qu’elle avait dans son sein un lionceau en train d’embraser le monde entier avec une petite torche de feu3, annonçait qu’il était la sainte Europe dont la matrice est appelée Lombardie. En effet, si ce lionceau n’avait pas quitté la tête pour le ventre4, c’est presque l’ensemble du monde contenu dans ce ventre5 et divisé en deux régions – l’Europe bossue et l’Afrique au nom de malheur – qui aurait totalement détruit cette Europe sainte, en particulier dans la matrice, par l’entremise de la mer diabolique. Saint Dominique a également été annoncé par une femme qui a cru le voir porter une étoile brillante sur le front6 de l’Espagne, pour chasser les ténèbres de notre ventre; lui qui repose aujourd’hui dans la partie la plus éloignée du ventre maternel, lequel ou laquelle s’appelle Bologne (au-delà de laquelle commencent la cuisse droite de la Romagne ainsi que la Toscane). En l’an du Seigneur 1319, c’est aux alentours des quatre-temps du Carême7, alors que cela se produit habituellement presque chaque année en hiver, que j’ai vu ce ventre tout entier couvert de neige, comme la laine d’une blancheur éblouissante8; or je suis parvenu à recevoir tous les ordres entre l’ombilic et l’extrémité de ce ventre9. Et de même que la couche de neige est plus épaisse quand on quitte l’ombilic, de même j’ai fait l’expérience suivante en repartant: plus j’approchais de Bologne et moins la neige était épaisse. Donc, après avoir reçu les ordres mineurs à Bologne sous une pluie continuelle et visité la tombe de saint Dominique, étant reparti 5 jours après et ayant pris au retour le même chemin qu’à l’aller, j’ai trouvé le ventre entièrement mis à nu, avec même plusieurs ponts de pierre et de bois, composés d’une seule arche ou un peu plus longs, qui s’étaient abattus sur la route à

Mt 9, 12-13. Fête de saint Dominique. 3 Voir la Légende dorée, t. 2, p. 46. 4 C’est-à-dire l’Espagne (saint Dominique a vécu la première partie de sa vie en Vieille Castille) pour l’Italie (il est mort à Bologne en 1221). 5 Voir V 6 et V 33. 6 Voir la Légende dorée, t. 2, p. 46. 7 L’Église imposait trois jours de jeûne et d’abstinence les mercredi, vendredi et samedi de la première semaine de chaque saison: c’est ce qu’on appelait les quatre-temps. Ces périodes variaient en fonction du quartier liturgique. 8 Allusion à la blancheur « comme neige » du vêtement de Jésus lors de la Transfiguration: voir Mt 17, 1-8; Mc 9, 2-10; et Lc 9, 28-36 (les mots utilisés pour désigner le blanc éclatant sont: candida nimis velut nix, alba sicut nix, albus et refulgens). La Transfiguration est fêtée le 6 août; Opicinus écrit la veille. Allusion possible également au Vieillard de la vision de Daniel (7, 9), au « vêtement blanc comme la neige ». 9 Voir fol. 44v°. 1 2

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9v°-10

Actum nonis augusti, in commemoratione niuis, ad honorem prime ecclesie nomine beate Virginis Marie in urbe Romana, die sancti Dominici supradicti, cuius ordinis habitum eadem Virgo Maria nigro colore supra candorem niueum decorauit per admirabilem apparitionem suam. Hoc pridie nocte ceptum est; hodie consumatum; die sequenti, habetur Transfiguratio Domini supra fulgorem Solis et niueam claritatem; ab hodie octaua die clarescit testimonium sancte Clare; ut post ignorantie tenebras ueritatis scientia declaretur. Quamuis Leo stomacho et Virgo uentri per ordinem asscribatur, tamen adhuc clarius mihi uidetur competere uentrem A(a)ugusto, ut membra humana scribantur secundum menses ex mense. Itaque terra uentralis a ualle Augustana deorsum (a qua hodie fuisse dicitur sancta Affra), cum sit sine certo dominio, de necessitate subicitur Cesari Augusto, ne filii huius uentris euadant laqueos iudaice contradictionis dicentes: « Semen Abrahe sumus et nemini seruiuimus unquam »; [fol. 10] deinde aduersus libertatem Abrahe: « Non habemus regem nisi Cesarem ». Ecce semina scandalorum ab utero restringenda sunt, ne ulterius dispersa corrumpant totum corpus Europe. Caueant cetera membra huius Europe ne similia fiant istis non locis sed uitiis.

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cause des pluies torrentielles qui étaient tombées lorsque que je me trouvais à Bologne avec un compagnon de route ordonné lui aussi – sachant qu’aucun des deux ne s’était jamais trouvé à Bologne auparavant. C’est ainsi que le ventre de l’Italie est souvent couvert par la neige, telle la laine d’une blancheur éblouissante, pour rendre gloire à la grande métropole, la cité de la laine qui se trouve au milieu1. Mais un brouillard particulièrement affreux se superpose souvent à la tenue éblouissante, telle une tenue noire sur une blanche: il s’agit de la ville d’Alexandrie de ce ventre, qui fait lever les ténèbres. Par conséquent, si l’habit est seulement blanc, sans élément noir, il exprime l’ordre des Humiliés, dont la capitale se trouve dans la ville de la laine déjà citée; et, après elle, c’est à Alexandrie qu’on en trouve un grand nombre. Mais si l’habit blanc est recouvert d’un habit noir2 pourvu d’une ceinture et fermé, il indique l’ordre des Ermites. Et donc il ne reste plus que l’habit noir mis par-dessus l’habit blanc, et qui en est séparé sans ceinture, comme s’il séparait les ténèbres de la blancheur et les faisait lever: il désigne l’ordre des Prêcheurs3. C’est ainsi que la Lombardie enneigée est souvent environnée d’un brouillard affreux dû aux nuages; et lorsque ceux-ci se dissipent, la blancheur éblouissante de la neige donne plus d’éclat à la joie du visage de l’homme. Comme cela, j’espère que la Lombardie du ventre qui remplit presque toute la terre, après les ténèbres des divisions et discordes réciproques, sera désormais plus éclatante sous la blancheur éblouissante de la justice. Fait le jour des nones d’août [5 août 1337], en faisant mémoire de la neige, pour rendre gloire à la première église dédiée à la bienheureuse Vierge Marie dans la ville de Rome4, le jour de la fête de saint Dominique cité plus haut; or la Vierge Marie a justement agrémenté l’ordre de ce saint d’un habit de couleur noire par dessus l’habit blanc comme neige en apparaissant merveilleusement5. J’ai commencé ce travail hier pendant la nuit; je l’ai achevé aujourd’hui; demain6 a lieu la Transfiguration du Seigneur, qui dépasse l’éclat du Soleil et la clarté de la neige; le huitième jour à compter d’aujourd’hui, le témoignage de sainte Claire7 éclaire; pour qu’après les ténèbres de l’ignorance, la connaissance de la vérité soit annoncée. Quoique le Lion soit attribué à l’estomac et la Vierge au ventre pour respecter l’ordre, il me semble cependant encore plus évident d’adjuger le ventre à Auguste/août, si bien que les parties du corps humains sont inscrites en suivant les mois, d’après le mois. C’est pourquoi la terre du ventre qui part du val d’Aoste8 en descendant (on dit aujourd’hui que sainte Afra9 en

Jeu de mots sur Mediolanum avec medium et lana. Dans le vêtement monastique, la couleur blanche symbolise la pureté (c’est la couleur de l’hostie, de l’ange de la Résurrection et de Marie); le noir symbolise la pénitence, le deuil et l’humilité. 3 Les Prêcheurs portent une robe de laine blanche et une cape noire. 4 On fêtait le 5 août la dédicace de Sainte-Marie-aux-Neiges (c’est-à-dire la consécration de Sainte-Marie-Majeure à Rome). 5 Voir la Légende dorée, t. 2, pp. 52-53. 6 6 août: fête de la Transfiguration. 7 12 août: fête de sainte Claire. 8 Le val d’Aoste (anciennement d’Auguste) garde de nombreuses traces de l’époque romaine. 9 Sainte Afra: martyre de Brescia en Italie. 1 2

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NATVRA ET VOLVNTATE CONCVPISCIBILI

Prudentia mercatorum terre semper dat fauorem magis ancille quam domine, id est potius proprie uoluntati quam legi nature. Dicit natura: « Primum necessitatibus egeo ». Respondet uoluntas: « Per prudentiam nostram necessaria procurabo ». Quo facto infert domina: « Satisfactum est mihi; de modicis sum contenta. Si addideris superflua, mors erit mihi ». Deinde nequam ancilla se sperans liberam fieri claudit aures suas ad mandata domine sue. Affatur uana prudentia uoluntatem: « Quid aliud uis, amica mea? » Illa mentiens dicit: « Adhuc aliquibus indiget domina mea ». Que misera uoluntas in corde suo se reputat dominam esse nature, ac si diceret: « Plus scio per prudentiam meam quam natura ualeat scire ». Adiectis itaque concupitis, domina clamitat ad ancillam: « Interficis me, o nequam ancilla; peccas contra naturam ». Illa uero semper insaciabilis, nunquam explebilis, de die in diem inhiat ad opes innumerabiles, semper dicens: « Aliquibus egeo ». Puteus uoluntatis humane fundum non habet; nunquam implebitur ille puteus; nunquam saciabitur illa uorago; a solo Deo cognoscitur quanta profunditas sit huius abissi. Tota natura corrumpitur primo spiritualis usque ad carnem; lex naturalis per precipitium uoluntatis ex prudentie mundi uano consilio uiolatur. Si enim natura iuxta consilium interioris hominis regeretur, si lex naturalis per adiutorium gratie Dei ab omnibus seruaretur, nunquam ulla esset discordia inter proximum et proximum, nulla dissensio inter fratrem et fratrem. Nunc totus mundus in maligno positus est, in quo nullam partem habet populus christianus; qui solutus a uinculis seruitutis non amplius audit uocem exactoris semper intendentis ad destructionem nature. Nulla uoluntas humana christiano populo dominatur. Caueat unumquodque membrum huius sanctissimi corporis, ne transiens per sanctificatum femur dextrum Italie per prudentiam terre fallatur, ne per affectionem in aureos deos interius squalidos et exterius floridos comprehendatur in fornicatione contra naturam; si autem conuer1

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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était originaire1), puisqu’elle ne dépend pas d’un pouvoir précis2, est nécessairement soumise à l’empereur Auguste; pour éviter que les fils de ce ventre n’échappent aux pièges des propos contradictoires des juifs en disant: « Nous sommes la descendance d’Abraham et nous n’avons jamais été esclaves de personne »3; [fol. 10] puis, à l’encontre de la liberté d’Abraham: « Nous n’avons pas d’autre roi que César »4. Ainsi les graines des désordres doivent être étouffées par la matrice, pour éviter qu’en se dispersant plus loin, elles ne corrompent le corps tout entier de l’Europe. Les autres parties du corps de cette Europe doivent prendre garde à ne pas devenir pareilles aux précédentes, non par la géographie mais par la perversité. LA

NATURE ET LA VOLONTÉ PORTÉE À LA CONVOITISE

La sagesse de ceux qui font le commerce sur terre encourage plus la servante que la maîtresse, c’est-à-dire plutôt la volonté personnelle que la loi de la nature5. La nature dit: « J’ai d’abord besoin de ce qui est indispensable ». La volonté répond: « Notre sagesse nous permettra de nous occuper de ce qui est indispensable ». Cela fait, la maîtresse précise: « Cela me suffit; je me contente de peu. Si tu ajoutes du superflu, ce sera ma mort ». Après quoi, la servante dévoyée, espérant devenir libre, ferme ses oreilles aux recommandations de sa maîtresse. La sagesse illusoire s’adresse à la volonté: « Que veux-tu d’autre, mon amie? ». Celleci ment et répond: « Ma maîtresse a encore besoin de quelque chose ». Car cette misérable volonté se considère dans son cœur comme la maîtresse de la nature, comme si elle disait: « J’en sais plus grâce à ma sagesse que la nature n’est en mesure d’en savoir ». C’est pourquoi, une fois ajouté ce qui est convoité, la maîtresse crie à sa servante: « Tu me tues, ô servante dévoyée; tu commets un péché contre nature ». Mais l’autre, toujours insatisfaite, jamais rassasiée, aspire jour après jour à des richesses innombrables, en ne cessant de dire: « J’ai besoin de quelque chose ». Le puits des désirs humains est sans fond: ce puits ne sera jamais rempli; ce gouffre ne sera jamais comblé; Dieu seul sait combien cet abîme est profond. La nature tout entière est corrompue, d’abord sur le plan spirituel, puis sur le plan charnel; la loi de la nature est enfreinte, car la volonté s’effondre à cause des conseils trompeurs de la sagesse du monde. En effet, si la nature était gouvernée en suivant les conseils de l’homme intérieur, si la loi de la nature était observée par tous avec l’aide de la grâce de Dieu, il n’y aurait jamais de querelle entre prochains ni de désaccord entre frères. Aujourd’hui, le monde entier est installé dans le mal, mais le peuple chrétien n’y participe en rien: délivré des liens de la servitude, il n’entend plus la voix de l’exacteur qui prétend sans arrêt anéantir la nature. Aucune volonté humaine ne domine le peuple chrétien. Chaque

1 Opicinus passe des signes du zodiaque aux mois, puis aux parties du corps et à la géographie: il s’agit d’un exemple typique de spatialisation du temps. 2 Brescia était une commune libre. 3 Jn 8, 33. 4 Jn 19, 15. Voir fol. 66. 5 Voir fol. 8v°-9.

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tatur ad femur sinistrum, ibi reperiet uas debitum mulieris. Testimonium habes, o uniuersalis Auinio, mihi ad correctionem ne de cetero faciam talia, et ceteris ad cautelam nequis presumat huiusmodi cogitare. Tarde cognoui spiritualem meam naturam esse corruptam; et uos oculis uestris uidistis corpoream meam naturam esse destructam. Qualis erat spiritus, talis apparuit caro. Adhuc in memorialem perpetuum remanent cicatrices in carne. Adhuc nequam uoluntas mea murmurat contra dominam suam: uult enim illa semper acquirere plus quam natura mea requirat, ut det omnem superfluum meretrici (id est uniuersitati carnalium amicorum qui magis occident bonam naturam quam adiuuent naturam corruptam tam mente quam carne).

De differentia animarum Ianua barbarie, interius barbara, exterius curialis, propter ypocrisim suam apparens pacifica, in se tamen diuisa per partes, semper aduersatur sancte I(i)anue Lombardie uel potius paradisi, que est expulsa per illam, immo illa per istam. Sancta I(i)anua paradisi nullam nouit discordiam, nullam habet partialitatem, semper diligit pacem et per patientiam suam superat I(i)anuam infernalem, licet illa uideatur uincere istam. Ianue inferi non preualebunt aduersus istam I(i)anuam sancte Ecclesie fundate super firmam petram. Quotiens illa rebellis in iuramento dicit: « per animam meam », semper intendit ad animam personalem; nunquam enim saluabitur anima propria. Verbi causa. Siquis solitarius in heremo Affrice uel Egypti non locis sed moribus, non habens memoriam de fidelibus adhuc in carne per totum mundum nec de infidelibus uiuis adhuc forte saluandis per illos et cum illis, sed de sola anima sua cogitans propter affectionem illius, in corde suo sic dixerit: « per animam meam », nunquam ipse saluabitur; similis est Ianue barbarie. Si uero intellexerit « per animam meam » de anima totius populi christiani salui et saluandi, tunc similis est I(i)anue Paradisi et nunquam dampnabitur. Ecce quanta differentia inter « animam meam » et « animam meam ». Si dilexero animam meam (id est meam propriam), perdo eam, cum nullam habeam partem cum anima saluandorum. Si autem habuero odio animam meam (id est meam propriam), inueniam eam, scilicet animam meam (id est totius populi christiani qui est totus meus, cuius etiam ego sum totus). Anima enim nostra quam facio meam nunquam perdetur. Tunc possum dicere sine iuramento pre nimia caritate: « per animam meam », quam totis juribus diligo post Deum meum. Ve illis qui diligentes iniquitatem per amorem anime proprie oderunt hanc animam sanctam populi christiani. Est enim anima una per gratiam et multiplex in www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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membre de ce saint corps doit prendre garde qu’en traversant la cuisse droite sanctifiée de l’Italie1, il ne soit trompé par la sagesse du monde ou pris dans une fornication contre nature par son attachement aux dieux en or, répugnants audedans et brillants au-dehors; et s’il se tourne vers la cuisse gauche, il y trouvera le vase/vagin de la femme qui convient. Tu te portes garante, ô universelle Avignon, pour que je m’amende en n’agissant plus ainsi dorénavant, et pour que les autres fassent attention à ce que personne n’ait l’audace d’avoir ces pensées. J’ai su tardivement que ma santé spirituelle était altérée; et vous, vous avez vu de vos yeux ma santé physique ravagée. Tel était l’esprit, telle s’est montrée la chair. J’en garde encore dans ma chair les cicatrices, en souvenir éternel2. Ma volonté déréglée murmure encore contre sa maîtresse: en effet, elle veut toujours obtenir plus que ma nature ne le demande, afin de donner tout ce qu’il y a en plus à la courtisane (c’est-à-dire à l’ensemble de mes amis charnels, qui causent la perte de ma bonne santé plus qu’ils ne portent secours à ma santé altérée, tant spirituellement que physiquement). Il y a âme et âme La Gênes de la barbarie3, grossière au-dedans et policée4 au-dehors, affectant d’être artisane de paix du fait de sa duplicité et pourtant partagée en factions intérieures, ne cesse de se dresser contre la sainte Gênes de Lombardie, ou mieux la porte du paradis, qui est refermée par celle-là, ou plutôt celle-là par celle-ci. Gênes, la sainte porte du paradis, n’a jamais connu la désunion et ne comprend pas de clans; elle privilégie toujours la paix, et sa longanimité la fait l’emporter sur la Gênes, porte de l’enfer, bien que celle-là semble triompher de celle-ci. Les Portes de l’enfer ne prévaudront pas contre5 cette porte, la Gênes de la sainte Église, bâtie sur un roc solide. Chaque fois que cette indocile prononce un serment en disant: « par mon âme », elle pense à son âme en particulier; or l’âme personnelle ne sera jamais sauvée. Ceci à cause du Verbe. Si un solitaire vivant en plein désert d’Afrique ou d’Égypte, non pas en termes de géographie mais de morale, insouciant des fidèles encore incarnés partout dans le monde et des infidèles vivants qu’il faut encore justement sauver grâce aux premiers et en même temps qu’eux, mais concentré uniquement sur son âme à lui en raison de l’amour qu’il lui porte, dit ainsi dans son cœur: « par mon âme », il ne sera jamais sauvé; il est semblable à la Gênes de la barbarie. En revanche, si en disant: « par mon âme », il désigne l’âme du peuple chrétien dans son entier, sauvé et à sauver, il est alors semblable à Gênes, la porte du paradis et il ne sera jamais damné. Voilà quelle est la différence entre « mon âme » et « mon âme ». Si j’aime mon âme (c’est-à-dire celle qui m’est personnelle), je la perds, car je n’appartiens en rien à

C’est-à-dire la Lombardie. Allusion aux séquelles de la contention à laquelle le scribe a été soumis pendant sa bouffée délirante de 1334, et qu’il assimile aux stigmates de la Passion. 3 Il s’agit de la Gênes d’Afrique (voir V 34, note 36). 4 Curialis = qui appartient à la cour (pontificale); il y a donc une allusion à Benoît XII. 5 Voir Mt 16, 18. 1 2

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naturis; multiplex, inquam, natura in personis et una in specie. Quid significet dicere « per animam meam » exponitur per ydioma Prouincie pectoralis: « per meam animam », id est « per marma », quasi per sincopam « per mea arma ». Vnio animarum quasi auium unio seu Auinio est bonum congregare: incorruptibilia « mea arma » contra omnia uitia aduersaria nobis, uel « marma » quasi marmora uere fortitudinis ad munitionem pectoris nostris, ne rex noster inde pellatur.

DE

MALITIA HOMINIS

Malitia hominis similis mari non uult cernere ueritatem, id est Christum in terra Iudee supra uerticem huius. Vertit autem faciem suam ad mendacia penne sue uel ale. Infinitos thesauros deuorauit et deuorat quibus nunquam saciatur, sicut mare Britanicum simile ori draconis uel leonis. Actum nonis augusti. De iudicio personali Ego christianitas immortalis et perpetua sum fidelis et uerax. Persona uero mea mortalis et temporalis naturaliter mendax est. Si persona mea promiserit aliquid mihi uel alicui alii, a nemine credendum est sibi, quia hodie est et cras non erit. Additum anno perfectionis, VI idus martii, feria III secunde ebdomadarie XLe. [fol. 10v°] PRINCIPIA

OMNIS DISCORDIE

Ciuitates Lombardie disperse per Asiam, Affricam et Europam, non locis sed uitiis, non habent in se nisi corruptibiles progenies mundi, de tali et tali progenie, in quibus nullus christianus inhabitat. Ciuitates uero Lombardie pacifice sine discordia, in uno utero colligate, nullum corruptibile genus nobilium mundi habent in se nisi populum christianum. Si ego de genere Canistrorum uelim adire Papiam, non possum ire nisi ad Papiam uenalem, in loco turpitudinis membris; si Ianuam, nisi Ianuam barbarie (id est Affrice); si Mediolanum, nisi Mediolanum Germanie; si Bononiam, nisi Bononiam Persidis; si Taurinum, nisi Taurinum maris www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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l’âme de ceux qui doivent être sauvés. En revanche, si j’ai de l’aversion pour mon âme (c’est-à-dire pour celle qui m’est personnelle), je la trouverai, c’est-à-dire je trouverai mon âme: c’est celle du peuple chrétien tout entier, qui est totalement mien et auquel j’appartiens tout entier. En effet, notre âme, que je fais mienne, n’est jamais perdue. Je peux alors dire sans faire de serment, en raison de ma charité illimitée: « par mon âme » (celle que j’aime pour tous ses droits après mon Dieu). Malheur à ceux qui, en affectionnant l’injustice par amour pour leur âme personnelle, ont eu en aversion cette âme sainte du peuple chrétien. Il s’agit, en effet, d’une âme unique par la grâce qu’elle reçoit et multiforme dans ses caractères; oui, sa nature est variée dans les personnes et unique en son genre. Ce que veut dire « par mon âme » est expliqué dans le dialecte de la Provence de la poitrine: « par mon âme », c’est-à-dire « par marme », autant dire « par mes armes » avec une syllabe en moins. L’union des âmes, c’est-à-dire l’union des oiseaux ou encore Avignon, consiste à rassembler ce qui est bon: « mes armes » incorruptibles contre toute la perversité qui nous est opposée; ou bien « marme », c’est-àdire les marbres de la véritable force pour protéger notre poitrine, afin d’éviter que notre roi n’en soit chassé. LA

MALICE HUMAINE

La malice humaine personnifiée par la mer ne veut pas reconnaître la vérité, c’est-à-dire le Christ qui se trouve en Judée, au-dessus de sa tête1. Mais elle tourne son visage vers les mensonges de sa plume ou de son aile. Elle a avalé et avale des trésors sans fin qui ne la rassasient jamais, comme la mer Britannique qui ressemble à la bouche d’un dragon ou d’un lion2. Fait le jour des nones d’août [5 août 1337]. Opinion personnelle Moi la chrétienté immortelle et éternelle, je suis loyale et sincère. Mais ma personne mortelle et éphémère est naturellement menteuse. Si ma personne promet quelque chose, que ce soit à moi ou à quelqu’un d’autre, personne ne doit le croire, parce qu’elle dit cela aujourd’hui et que demain, elle ne le dira plus. Ajouté l’année de la perfection, le 6 des ides de mars, la 3e férie de la deuxième semaine de Carême [mardi 10 mars 1338]. [fol. 10v°] LES

ORIGINES DE TOUTES LES DISCORDES

Dans les villes de Lombardie répandues à travers l’Asie, l’Afrique et l’Europe, non pas en termes de géographie mais de dépravation, on ne trouve que des lignées terrestres corruptibles, issues de telle et de telle lignée, qui ne compren1 Voir V 7, V 14, V 25 et V 34, où le Christ est représenté au-dessus de la tête de la mer diabolique, dans la Judée de la carte du bas. 2 Allusion à tous les dessins du Vaticanus où la tarasque est dessinée dans l’océan à l’ouest du royaume de France; elle est même parfois désignée par le terme Taurinum, à l’endroit où se trouve Turin sur la carte de Lombardie superposée à celle de l’Europe (V 15, note 15; V 20, note 6; V 34, note 45).

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Hispanie uel Wasconie; et sic de singulis. Si autem ego idem christianus sine meo corruptibili genere nominato uoluero adire Papiam, tunc sine labore possum ire naturalem Papiam in umbilico uirginis nostre; si Ianuam uel Mediolanum aut quamlibet ciuitatem circumstantem uel remotam, non tamen a Lombardia remotam, tunc omnes illas inuenero in illo sancto pacifico uentre nostro. Maledicatur ergo dispersio ciuitatum cum corruptibile genere mundi; et benedicatur colligatio ciuitatum cum solo populo christiano. Reperi in quadam cronica Liuprandum regem Longobardorum dedisse Alpes Cutias (id est quartam partem Lombardie, id est patrimonium Ecclesie Romane), ut ipsa regio partialis – cum Corsica et Sardinia Terdonensi et Sicilia Malespine et montibus marinis cum Bobio, usque ad Ianuam Barbarie, cum fere tota Riparia Ianuensi, et mari quasi Maiorice circa aquas, cum Aste et Alba, quasi discordia pars maris et Affrice per transuersum cum capite et crure dextro Europe et plus – tota colligeretur in uterum naturalem que dicitur pacifica Lombardia. Alia est enim uia corruptibilis hominis de tali progenie; et alia est uia hominis christiani. Nisi enim esset illa iniqua discretio generis a genere, sanguinis a sanguine et domus a domo – que tamen apud Deum non sunt nisi unum corruptibile genus, unus abhominabilis sanguis et una instabilis domus – nulla esset in mundo discordia. Sed propter affectionem ad carnem et sanguinem talis et talis domus contra progeniem talis et talis sanguinis, semper regnat discordia que nunquam cessabit nec potest cessare, nisi illa dessolatio abhominationis stans ubi non debet totaliter destruatur. Actum inter nonas et VIII idus augusti. Hec descripta sunt non ad oculum animalem, sed per fidem et oculum rationis.

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nent aucun chrétien. En revanche, dans les villes de Lombardie pacifiques, sans discorde et réunies dans un seule matrice, on ne trouve aucune parenté corruptible appartenant aux puissants du monde en-dehors du peuple chrétien. Si moi, qui appartiens à la lignée des Canistris, je souhaite me rendre à Pavie, je ne peux aller que dans la Pavie vénale, à l’emplacement du membre honteux; pour Gênes, seulement dans la Gênes de la barbarie (c’est-à-dire d’Afrique); pour Milan, seulement dans la Milan de Germanie; pour Bologne, seulement dans la Bologne de Perse; pour Turin, seulement dans la Turin de la mer d’Espagne ou de Gascogne; et ainsi pour chacune1. Mais si moi encore, en tant que chrétien, dépourvu de ma lignée corruptible citée, je veux me rendre à Pavie, je peux aller sans peine dans la Pavie naturelle, qui se trouve dans l’ombilic de notre vierge; pour Gênes, Milan, ou n’importe quelle ville qui en est proche ou éloignée, à moins cependant qu’elle ne se trouve loin de la Lombardie, je les trouverai toutes dans ce saint ventre pacifique qui est nôtre. Que soit donc maudite la dispersion des villes ainsi que la lignée corruptible de ce monde; et que soit bénie la réunion des cités avec le seul peuple chrétien. J’ai trouvé dans une chronique que Liutprand2, roi des Lombards, avait donné les Alpes Cottiennes3 (c’est-à-dire le quart de la Lombardie, c’est-à-dire le patrimoine de l’Église de Rome), pour que cette région qui est ellemême subdivisée – elle comprend la Corse et la Sardaigne de Tortona, la Sicile de Malaspina, les montagnes proches de la mer (y compris Bobbio) en allant jusqu’à la Gênes de la barbarie, presque toute la Riviera de Gênes, la mer, celle de Majorque du côté maritime, ainsi qu’Asti et Alba4 (c’est-à-dire la région rebelle de la mer et de l’Afrique disposée en longueur, avec la tête et la jambe droite de l’Europe et davantage) – retrouve son unité entière dans la matrice naturelle qu’on appelle la Lombardie pacifique. En effet, il y a un chemin pour l’homme voué à la corruption, issu de telle lignée; et il y a un autre chemin pour l’homme chrétien. Car, s’il n’y avait pas ces querelles arbitraires entre une lignée et une autre, une parenté et une autre, une famille et une autre – alors qu’elles ne représentent auprès de Dieu qu’une seule lignée corruptible, une seule parenté exécrable et une seule famille instable – le monde ne connaîtrait aucune querelle. Mais en raison de l’attachement à la chair et au sang de telle et telle famille, qui se dresse contre la lignée de telle et telle parenté, la discorde ne cesse de régner; et elle ne cessera jamais et ne peut cesser, à moins que cette désolation de l’abomination5, qui se tient là où elle ne doit pas, ne soit entièrement anéantie. Fait entre les nones et le 8 des ides d’août [entre le 5 et le 6 août 1337]. Cela est décrit, non pour les regards des bêtes, mais avec la foi et les yeux de la raison.

1 Tous les lieux cités dans cette phrase correspondent à la Lombardie de V 34 (noms en rouge). 2 Le roi Liutprand (712-744) développa la puissance lombarde; il essaya même d’étendre son autorité à toute l’Italie, aux dépens à la fois de l’Italie byzantine et de la papauté. 3 Il s’agit de la partie occidentale de la Lombardie, au sud du Pô. Les autres régions lombardes sont: La Ligurie (au nord des Alpes Cottiennes), l’Émilie et la Vénétie. 4 Asti: ville située entre Turin et Alexandrie. Alba: ville située au sud-est de Turin. 5 Voir Dn 11, 31; Mt 24, 15; et Mc 13, 14. Allusion à Benoît XII.

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QVALITATE PROMOTI

Si fuero promotus ad sublimia, eligens hodie sedem meam hic et cras alibi, dicam horas canonicas cum clericis meis (quasi cum seruis meis) hoc modo: ego ore dicam horas meas ad Deum; et corde adorabo ydola mea. In tantum ero intentus ad sculptilia pectoris mei – scilicet ymaginando continue tale castrum meum, tale beneficium, talem ecclesiam, talem dignitatem, cum corruptibilibus prouentibus meis, cum argenteis et aureis diis meis (id est tot centenariis uel milibus florenorum), cum ymaginibus bestiarum (scilicet equorum et mulorum) – ut nisi clerici adiuuent me, de facili errem in officio quod incepi. Habeo enim alibi cor; et alibi pono os. Si uidero me errare, statim indignabor aduersus clericos meos, quasi magister aduersus discipulos, immo quasi dominus aduersus seruos; quibus forte sum dignus esse conseruus et frater propter maiores uirtutes quas habent uel possunt habere quam ego. Illi autem, propter uanam timorem quem habent ad me uel propter carnalem amorem eorum ad me, formant in pectoribus suis ymaginem corruptibilis hominis (scilicet persone mee quasi spectabilis inter ceteros), ut caueant diligenter ne me faciant indignari aduersus illos. Adhuc deterius mihi, illi uel aliqui eorum sunt in sacris ordinibus sicut ego. Expletis diuinis officiis, quicquid habebam in pectore, totum expendo per uerba. Expendo totum tempus meum quottidie a mane usque ad uesperam in fabulis istis et facio alios similiter in uanum expendere tempus suum ad audiendas fabulas meas, nullam faciens mentionem de regimine animarum. Siquis uenerit ad me confabulans mihi, etiam si fuerit in minoribus constitutus quam ego, ex delectatione nugarum suarum me subiciet ad seruitium suum; et alios meliores isto audientes meas fabulas cum timore semper retinebo sub dominio meo. Et sic ego et illi consumimur steriles cum fasciculis peccatorum. In foro confessionis confiteor tantum peccata corticalia quasi puerilia, dicens me peccasse in delectatione, omissione, commissione, in superbia et in quinque sensibus et contra mandata Dei et huiusmodi peccata, a quibus nec una hora uolo abstinere. In hac enim confessione non habeo Deum nec timorem eius coram me, sed tantum ydola mea. Et ideo nunquam confiteor crimina radicalia. Vana est huiusmodi confessio. Post confessionem, si confessor meus me reprehenderit discrete et caute sine scandalo ex parte sua de aliquo actu uitioso uel de uita mea inordinata, nisi sit uirtus sub specie uitii, statim indignor aduersus eum. Et ipse deinceps nunquam redarguet me de aliquo uitio. Et sic nemine audente reprehendere me, ago quicquid est placitum mihi ad libitum meum. Qualis est radix mea in uitiis enutrita, tales sunt fructus (id est opera mea). Non deficit aliud nisi ut hic sterilis truncus abscidatur et mittatur in ignem, ne frustra occupet uineam Domini. Facta hac confessione pura et integra de omnibus radicalibus peccatis meis, non credo me iudicari peccatorem apud Deum, si nullam de illis www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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QUE VAUT CELUI QUI A OBTENU UNE PROMOTION

Si je suis été élevé à de hautes fonctions, en élisant demeure ici aujourd’hui et ailleurs le lendemain, je réciterai les heures canoniques avec mes clercs (c’està-dire avec mes serviteurs) ainsi: moi, avec la bouche, je réciterai mes heures pour Dieu; et dans mon cœur, j’adorerai mes idoles. J’aurai l’attention tellement tournée vers les statues de mon cœur – c’est-à-dire en ne cessant de rêver à tel château, tel bénéfice, telle église, telle charge, avec des revenus corruptibles pour moi, avec mes dieux en argent et en or (c’est-à-dire tant de centaines ou de milliers de florins), et avec des fantasmes de bêtes (à savoir des chevaux et des mulets) – que sans l’aide de mes clercs, je commettrais facilement des erreurs dans l’office que j’ai commencé. En effet, j’ai le cœur ici; et c’est là que je pose la bouche. Si je vois que j’ai commis une erreur, je m’emporterai aussitôt contre mes clercs, tel un maître contre ses disciples ou plutôt tel un maître contre ses serviteurs; or je mérite sans doute d’être serviteur et frère comme eux, car ils possèdent ou ils peuvent posséder des vertus plus nobles que moi. Mais eux, en raison de la crainte illusoire qu’ils ressentent pour moi ou de leur amour charnel à mon égard, ils élaborent dans leur cœur l’image d’un homme corruptible (c’est-à-dire de ma personne, comme si elle était remarquable entre toutes), si bien qu’ils veillent consciencieusement à ce que je n’ai pas d’occasion de m’emporter contre eux. Ce qui est encore pire pour moi, c’est que ces clercs ou certains d’entre eux appartiennent aux saints ordres, comme moi. Une fois les offices divins terminés, j’exprime en paroles tout ce que j’avais dans le cœur. Je gaspille chaque jour tout mon temps, du matin au soir, dans ces sornettes et je fais aussi gaspiller leur temps inutilement à ceux qui écoutent mes sornettes, en n’évoquant en rien le gouvernement des âmes. Si quelqu’un vient me voir pour discuter, même s’il m’est inférieur sur le plan hiérarchique, le plaisir que j’éprouverai à écouter ses balivernes me mettra dans sa dépendance; et je garderai toujours sous mon autorité les autres, meilleurs que le précédent, qui écoutent mes sornettes avec crainte. Et ainsi, eux comme moi, nous nous épuisons sans donner de fruits, mais avec des quantités de péchés. Lors de mes confessions, je n’avoue que les péchés superficiels (c’est-à-dire enfantins), en disant que j’ai péché par plaisir, par omission, par action, en étant orgueilleux, en utilisant mes cinq sens, en désobéissant aux commandements de Dieu, et autres péchés de ce genre, dont je ne veux pas me passer un seul moment. Dans cette confession, en effet, je ne me trouve pas devant Dieu ni devant la crainte de Dieu, mais seulement devant mes idoles. Et c’est pourquoi je n’avoue jamais les fautes fondamentales. Ce genre de confession ne sert à rien. Après la confession, si mon confesseur m’accuse avec modération et précaution, sans faire d’esclandre pour sa part, pour quelque action dépravée ou pour ma vie déréglée – à moins qu’il ne s’agisse d’une vertu déguisée en vice – je m’emporte aussitôt contre lui. Après quoi, lui-même ne me blâmera plus pour aucun de mes délits. Et ainsi, personne n’osant m’accuser, je fais tout ce qui me plaît en suivant ma fantaisie. Telle sont mes racines nourries dans la perversité, tels sont les fruits que je produis (c’est-à-dire mes œuvres). Il ne reste plus qu’à arracher cette souche improductive et à la jeter au feu, afin qu’elle ne reste pas pour rien sur la vigne du Seigneur. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

110

FOL.

10v°-11

miseriis amplius faciam, satisfaciens per opera contraria illis predictis; alioquin nunquam misericordiam consequar apud Deum.

De fidelitate promoti Ego constitutus non dominus sed minister bonorum Ecclesie, si uidero quemquam sub regimine meo ualentem et habilem ad eandem scientiam quam habeo, teneor sibi prouidere talia et tanta quanta habeo pro me. Non enim sunt ista mea sed populi christiani, cuius cuilibet persone debeo prouidere iuxta mensuram fidei uniuscuiusque. Si reparero habiliorem me, dandum est sibi plus quam mihi; si minus habilem me, minus indulgendum est sibi; alioquin sum latro et proditor. [fol. 11] DE

NECESSARIA OBEDIENTIA SACRAMENTALI

Aliquis posset obicere nobis: « Ecce quispiam infidelis, id est non baptizatus, habet legem naturalem ex scientia naturali omnium uegetabilium et animalium et omnium rerum, adeo ut obseruet legem naturalem ad unguem, neminem offendens, omnes adiuuans, nullum respuens a doctrina sua ad discendam huiusmodi legem. Videtur etiam credere Deum eternum hec omnia produxisse; uidetur et conscientiam suam illesam seruare; uidetur et in fine saluari ». Ad hec respondemus neminem posse saluari nisi per obedientiam Ihesu Christi etiam corporaliter. Ecce ratio. Primus homo per inobedientiam cecidit ab anima rationali in animam sensualem. Anima hominis non baptizati scienter nunquam potest esse rationalis in actu. Nam potentia rationis quam habet inclusam nunquam procedet in actum, nisi per obedientiam fidei Ihesu Christi corporaliter. Anima igitur huius non baptizati sub specie rationis sensu animali mouetur ad legem nature, sicut faciunt animalia bruta iuxta cursum sue nature. Si enim esset baptizatus, addita gratia legi nature, per fidem formatam cognosceret postea rationem quare de necessitate fuerant instituta sacramenta diuinitus, quorum ratione ante baptismum nullo modo potuisset cognoscere, cum omnis homo nascatur cecus sine habitu rationis, licet habeat potentiam rationis inclusam. Nunc inter fideles ponamus exemplum. Ego in ueritate sum baptizatus, sicut assertum est mihi. Et alius proximus meus nunquam fuit baptizatus, solo Deo sciente; credit autem firmiter se rite baptizatum. Si enim sciret se non fuisse baptizatum, statim recurreret ad baptismum. Credens uero se baptizatum, iam facit corporalem obedientiam apud Deum, se totaliter commit1

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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Après cette confession limpide et intégrale de tous mes péchés fondamentaux, je ne crois pas que je sois considéré comme pécheur auprès de Dieu, si je ne commets plus ces actions regrettables et que je donne satisfaction par des actes contraires à ceux que j’ai mentionnés; sinon je n’obtiendrais jamais miséricorde auprès de Dieu. La loyauté de celui qui a obtenu une promotion Moi qui suis établi non comme le maître mais comme le ministre des biens de l’Église, si je vois l’un de ceux que je gouverne disposer de possibilités et d’aptitudes pour les mêmes savoirs que les miens, je suis tenu de l’approvisionner en biens de qualité et de quantité équivalentes à ce que possède. En effet, il ne s’agit pas de mes biens, mais de ceux du peuple chrétien, avec lesquels je dois entretenir n’importe quelle personne, selon la mesure de la foi de chacun. Si j’en rétablise un qui est plus apte que moi, il faut lui donner plus qu’à moi; s’il est moins apte que moi, il faut lui accorder moins; sinon je suis un voleur et un traître. [fol. 11] L’OBÉISSANCE

INDISPENSABLE LIÉE AU SACREMENT

On pourrait nous faire cette remarque: « Voici un infidèle (c’est-à-dire un non baptisé), qui connaît la loi de la nature, car il détient un savoir inné sur tous les végétaux et animaux et de toutes choses, si bien qu’il respecte scrupuleusement la loi de la nature, en ne portant tort à personne, en aidant tout le monde, en n’excluant rien de son érudition pour apprendre une loi de ce genre. Il a l’air de croire qu’un Dieu éternel a créé tout ce qui existe; il a l’air de garder sa conscience intacte; il donne aussi l’impression qu’en fin de compte il est sauvé ». Ce à quoi nous répondons que personne ne peut être sauvé à moins d’obéir à Jésus-Christ, y compris corporellement. Voici pourquoi. Le premier homme a chuté parce qu’il a désobéi en passant d’une âme raisonnable à une âme animale. L’âme de l’homme qui n’est pas baptisé ne peut jamais consciemment être raisonnable sur le plan concret. Car la raison qui est inscrite en lui à l’état virtuel ne pourra jamais se traduire concrètement, si elle n’obéit pas à la foi en Jésus-Christ corporellement. Par conséquent, l’âme du non baptisé en question, derrière les apparences de la raison, est poussée à suivre la loi de la nature par son instinct animal, comme le font les bêtes brutes qui suivent leur parcours naturel. Car s’il était baptisé, la grâce s’ajoutant à la loi de la nature, il connaîtrait ensuite, grâce à la foi qui a pris forme en lui, les raisons pour lesquelles il était indispensable d’instituer des sacrements venant de la volonté divine, alors qu’avant son baptême il ne pouvait en aucune manière connaître ces raisons, puisque l’homme naît aveugle, sans dispositions raisonnables, bien que cette raison soit inscrite en lui à l’état virtuel. Prenons maintenant un exemple parmi les fidèles. Moi je suis réellement baptisé, ainsi qu’on me l’affirme. Et un autre, qui est mon prochain, n’a jamais été baptisé, Dieu seul étant au courant; or il croit fermement qu’il a reçu le sacrement de baptême de manière régulière. En effet, s’il savait qu’il n’a pas été baptisé, il se dépêcherait aussitôt de recevoir ce sacrement. Mais croyant qu’il a été baptisé, il observe déjà l’obéissance corporelle à Dieu, en se livrant complètement à l’obéissance envers le prêtre qui donne les sacrements; sinon il trahirait son bapwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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FOL.

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tens obedientie sacerdotis sacramentalis, alioquin esset preuaricator baptismi. Quicumque negauerit obedientiam sacerdoti iam abnegat fidem Christi. Si ego baptizatus semper intendam de anima mea esse animam persone mee – implicite tamen si sim simplex secularis, explicite si sim sacerdos aut uita religiosus – anima mea que posset esse actualiter rationalis adhuc perseuerat anima sensualis; et sic per consequens negligo gratiam baptismi que data fuerat mihi, ut animam meam sensualem produceret in actum rationis. Intendens enim omnia ad animam mee persone, faciens tamen coram hominibus omnia sub specie rationis, appareo homo rationalis; apud Deum autem nullum est in me iudicium rationis. Alius non baptizatus credens se firmiter baptizatum, semper intendens de anima sua esse animam populi christiani – implicite tamen si sit simplex secularis, explicite si sit religiosus aut uita perfectus – iam possidet actualiter animam rationalem, se monstrans uerissimum per opera christianum. Ego sacramentaliter baptizatus per opera iniquitatis sub specie rationis sum cum reprobis iudicatus; et iste baptizatus per fidem tantum ex plenitudine fidei operibus demonstrante cum electis est saluus. Patres antiqui cum populo uere fideli prestolantes a longe, credentes firmiter cum longanimitate et patientia fidei et spei aduentum Domini redemptoris, iam erant baptizati per fidem et spem, nondum tamen sacramentaliter, donec Dominus adueniret. Circuncisio carnis non erat res nec uerum sacramentum, sed tantum quedam significatio fidei quam habebant in se, etiam ante quam circuncisio esset data. Non poterat autem aperiri regnum Dei credentibus donec appareret obedientia corporalis. Nunc facta obedientia Christi ad Patrem, nos redempti per sanctam obedientiam eius, obedientes etiam corporaliter sibi, salui sumus per fidem sicut et illi. Infans ante baptismum habet potentiam rationis inclusam; que ratio immortalis facit animam essentialiter uiuere in eternum. Si manserit et creuerit sine baptismo, nequeunte ratione produci in actum, regitur aut per solam propriam uoluntatem et sensus animales aut per prudentiam mundi sub specie rationis. Si uero fuerit baptizatus infans, tunc per gratiam Dei habet in habitu rationem; ratio que in etate prime discretionis potest produci in actum si uult. Si autem non uult, resistens obedientie sacerdotis qui habet ipsum primo assuefacere ad obedientiam decalogi sicut sonat ad litteram, tunc incipitur filius esse gehenne. Si autem illius parentes carnales neglexerint ipsum corrigere, qui deberent ipsum toto posse subicere discipline iuxta discretum ordinem, et ipse eis humiliter obedire, ipsi cum illo sunt in duplo ad eterna supplicia iudicati. Sed si homo potens producere rationem in actum se exercuerit in uirtutibus primo semper ad obedientiam sacerdotis, deinde iuxta obedientiam ueri Dei quem potest intelligere habere in se nomine populi christiani, tunc saluus est in corpore ecclesiastice maiestatis. Sapientia increata est fundamentaliter Filius Dei, « Deus de Deo »; www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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tême. Celui qui refuse d’obéir au prêtre renie dès lors sa foi au Christ. Si moi qui suis baptisé, je ne cesse de prétendre que mon âme est l’âme de ma personne – implicitement cependant si je suis un simple laïc, explicitement si je suis prêtre ou mène une vie monastique – mon âme qui pourrait être raisonnable dans les faits reste encore une âme animale; en conséquence de quoi, je ne tiens pas compte de la grâce qui m’avait été donnée lors de mon baptême pour entraîner mon âme animale à agir raisonnablement. En effet, ayant toutes les prétentions pour l’âme de ma personne, agissant néanmoins en tout devant les hommes de manière apparemment raisonnable, je passe pour un homme raisonnable; mais pour Dieu, il n’y a en moi aucun jugement inspiré par la raison. L’autre, qui n’est pas baptisé en croyant fermement qu’il l’est, et qui ne cesse de soutenir que son âme est l’âme du peuple chrétien – implicitement cependant s’il s’agit d’un simple laïc, explicitement s’il est moine ou mène la vie d’un parfait – possède déjà réellement une âme raisonnable, en montrant par ses actes qu’il est un chrétien tout à fait authentique. Moi qui ai reçu le sacrement du baptême, avec mes œuvres iniques apparemment raisonnables, je suis déjà condamné avec les réprouvés; et lui qui n’est baptisé que par la foi, grâce à sa foi profonde qui se manifeste dans ses œuvres, il est sauvé avec les élus. Les pères d’autrefois ainsi que le peuple vraiment fidèle, qui attendaient depuis longtemps la venue du Seigneur rédempteur et y croyaient fermement avec la longanimité et la patience liées à la foi et à l’espérance, étaient déjà baptisés par la foi et l’espérance, mais pas encore de façon sacramentelle, tant que le Seigneur n’était pas venu. La circoncision de la chair n’était pas une réalité ni un véritable sacrement, mais seulement une certaine indication de la foi qui était en eux, même avant que la circoncision ne soit réalisée. Mais le royaume de Dieu ne pouvait être ouvert aux croyants tant que l’obéissance incarnée ne s’était pas manifestée. Maintenant que le Christ a montré son obéissance au Père, nous qui sommes rachetés par sa sainte obéissance, en lui obéissant aussi corporellement, nous sommes sauvés par la foi comme l’ont été nos pères. Avant son baptême, la raison est inscrite chez le petit enfant à l’état virtuel; et cette raison immortelle fait vivre l’âme dans son essence pour l’éternité. S’il demeure et grandit sans être baptisé, la raison ne pouvant pas se manifester concrètement, il est gouverné soit par la seule volonté personnelle et l’instinct animal, soit par la sagesse du monde apparemment raisonnable. Mais s’il est baptisé dans sa petite enfance, grâce à Dieu, ses dispositions d’esprit sont marquées par la raison; cette raison qui, au moment de l’âge du premier discernement1, peut se manifester concrètement, si l’enfant le veut. Mais s’il n’est pas d’accord et qu’il repousse l’obéissance au prêtre qui doit d’abord l’habituer à obéir au décalogue pris au pied de la lettre, il commence alors à être un fils de la géhenne. Et si ses parents charnels ne se soucient pas de l’amender, eux qui devraient faire tout leur possible pour le soumettre à une éducation conforme à la règle reconnue, et que lui-même refuse de leur obéir humblement, ils sont, lui comme eux, condamnés dans les deux cas aux supplices éternels. Mais si l’homme qui peut manifester sa raison concrètement s’en-

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7 ans correspond à l’âge de discrétion (ou de raison).

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FOL.

11-11v°

sapientia uero creata est specularis ymago per rationales et intelligibiles creaturas, potentialiter ab eterno, actualiter in presenti, sub nullo tamen subdita tempore. Actum VIII idus augusti. 1 Sapientia, inquam, creata hic specularis ymagine Dei – in qua in instanti ab initio ex angelis quidam meruerunt, quidam abinde ceciderunt – nunc regitur per angelicas ierarchias sub humanitate Christi. Alibi intellectualis regnat in fruitione beatitudinis a qua nulla creatura unquam cadere potuit nec ibi mereri, in qua nunc omnes angelici spiritus cum animabus sanctorum exutis supra humanitatem Christi in Deo ineffabiliter iocundantur. In hac ergo speculari Ecclesia perfectorum hominum refulgent angelice ierarchie non alibi. Sed in Ecclesia infirmorum tam uiuentium quam defunctorum angeli consolantur infirmos per Ecclesie Dei suffragia. Ecclesia hominum perfectorum disponitur per angelicos ordines, non ex parte perfectionis eorum sed ex parte qua sunt adhuc persone mortales. Sunt enim rationales in una anima et in uno corpore et in una Ecclesia perfectorum; et sunt mortales in personis infirmitati subiectis. De Ecclesia rationali primo processit causa peccati; in Ecclesia uero mortali uiget pena peccati. Cessante mortali non indigebimus ierarchiis. Additum die sequenti. 2 Hec omnia confiteor et protestor me credere, si Ecclesia ita credit non aliter. Si ita non credit, nec ego credo sed habeo pro non dictis.

[fol. 11v°] DE

EXPVRGATIONE SPECVLARIS

ECCLESIE

Sicut ab huius Ecclesie specularis sede meritoria Sathanas expulsus est cum angelis suis et in hac sede sancti angeli supernam beatitudinem meruerunt, et sicut ipse diabolus primum hominem meriturum de paradisio terrestri, per obedientiam sedem presentis Ecclesie quam sola innocentia possidet, per superbie uiam fefellit, ne ab hac innocentie sede transferetur ad beatitudinem sempiternam, ita nunc spiritualis ambitio – non per carnem et sanguinem nobilitatis mundane que iam iudicata est, sed per scientiam Dei et speciem sanctitatis que etiam a spiritualibus 3

Ce paragraphe est placé dans les deux tiers du bas du folio situés à droite. Ce paragraphe est placé dans le tiers du bas du folio situé à gauche; il concerne le paragraphe situé à droite. 3 Dessin d’une main dans la marge de gauche. 1 2

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traîne aux vertus, d’abord en obéissant toujours au prêtre, puis en observant l’obéissance au vrai Dieu (dont il peut se rendre compte qu’Il habite en lui au nom du peuple chrétien), il est alors sauvé dans le corps de la majesté de l’Église. La Sagesse incréée est fondamentalement le Fils de Dieu, « Dieu né de Dieu »1; en revanche, la sagesse créée est une image visible pour les créatures raisonnables et intelligentes, virtuellement depuis toujours, réellement ces temps-ci, sans jamais cependant être assujettie au temps. Fait le 8 des ides d’août [6 août 1337]. Oui, la sagesse créée, visible ici-bas à l’image de Dieu – dans laquelle, aujourd’hui et depuis le début, parmi les anges, certains sont méritants, alors que d’autres en ont déchu – est aujourd’hui gouvernée par la hiérarchie des anges placée sous l’humanité du Christ. Ailleurs, elle règne sur le plan intelligible, dans la jouissance de la béatitude d’où aucune créature n’a jamais pu choir et où aucune n’a pu être méritante, et dans laquelle aujourd’hui tous les esprits angéliques associés aux âmes des saints libérées [de la chair] se réjouissent ineffablement en Dieu au-dessus de l’humanité du Christ. C’est donc dans cette Église du miroir des hommes parfaits que la hiérarchie des anges resplendit, et non ailleurs. Mais c’est dans l’Église des faibles, aussi bien vivants que morts, que les anges réconfortent les faibles grâce aux suffrages2 de l’Église de Dieu. L’Église des hommes parfaits est organisée au moyen des catégories d’anges, non pas du point de vue de leur perfection, mais dans la mesure où il s’agit encore de personnes mortelles. En effet, ils ne sont raisonnables que dans une seule âme, un seul corps et une seule Église des parfaits; et ils sont mortels dans leurs personnes soumises à la faiblesse. C’est de l’Église raisonnable qu’est venue en premier l’origine du péché; en revanche, c’est dans l’Église mortelle que la réparation du péché trouve sa force. Quand nous cesserons d’être mortels, nous n’aurons plus besoin de la hiérarchie (des anges). Fait le jour suivant [7 août 1337]. Je reconnais tout cela et j’affirme y croire, si l’Église croit ainsi et non autrement. Si elle ne croit pas ainsi, je n’y crois pas non plus et je le tiens pour non dit. [fol. 11v°] LA

PURIFICATION DE L’ÉGLISE DU MIROIR

De même que Satan a été chassé avec ses anges du séjour des mérites de cette Église du miroir et que ce sont les saints anges qui ont mérité la béatitude d’en haut en y résidant, et de même que le diable lui-même a trompé, en lui faisant prendre le chemin de l’orgueil, le premier homme disposé à mériter, en partant du paradis terrestre et grâce à son obéissance, de résider dans l’Église actuelle que seule l’innocence habite, afin qu’il ne passe pas de cette demeure de l’innocence à la béatitude éternelle, de même aujourd’hui l’ambition spirituelle essaie de régner dans les cieux – non à l’aide de la chair et du sang de la noblesse du monde, qui est déjà condamnée, mais à l’aide de la connaissance de Dieu et en feignant la sainteté qui est recommandée aussi par les spirituels (différemment néanmoins avec Dieu pour témoin et pour

Expression du Credo. Les suffrages correspondent aux prières que les saints font à Dieu en faveur de ceux qui les invoquent, pour leur obtenir quelques grâces. 1 2

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FOL.

11v°

commendatur, aliter tamen teste iudice Deo – conatur in celestibus principari. Cum autem ipsa cunctis uidentibus precipitabitur per ueram contritionem et nudam confessionem, tunc ceteri angeli (id est homines speculares quasi angelis similes) territi purgabuntur, confirmandi perfecto timore et sancto in seculum seculi. Sicut enim specularis Ecclesia perfectorum disponitur iuxta angelicos ordines aduersus spiritualem nequitiam, ita tenebrosa ambitio principatuum et potestatum illam expugnat. Nam ante quam facta esset nostra redemptio, diabolus per se humano generi dominabatur; nunc nichilum potest nisi per humanam malitiam. In homine non baptizato et infideli nondum ulla est facta redemptio, et ideo illi diabolus dominatur. Facta autem redemptione in homine baptizato, nil preualet Sathanas, nisi huius hominis libera uoluntas ex illius suggestione generet malitiam suam; que malitia iusto iudicio permittente potest aliis dominari. Illi uero non ferro nec corruptibilibus armis, sed exercitatione uirtutum per adiutorium gratie Dei nunquam possunt inflecti ad consensum malitie illius, et per consequens nunquam ualent suam amittere libertatem, licet uideantur illius dominio subiugari. Ex opposito, consentientes illi malitie sub specie libertatis, sunt serui peccati et membra diaboli. Que autem sit uera malitia hominis, sancta uniuersitas sacerdotalis potest iudicare secundum uniuscuiusque opera manifesta. Quanto fortius et districtius Iudicium erit nouissimum generale? DE

SPECVLARI

ECCLESIA

Omnis motus corporeus et omnis uarietas agendorum uel actorum in celestibus nominati per totam sacram Scripturam intelliguntur fieri in hac tantum Ecclesia speculari fundata per fidem. Si hoc credit uniuersalis Ecclesia catholica, et non aliter credo. 1

DE

IVDICIO VERITATIS ET VANITATIS

Ratio ueterum sapientium infidelium tamen non fuit uera ratio, sed potius figuralis. Fuerunt enim quedam instrumenta Spiritus Sancti (id est Spiritus ueritatis), non intelligentia tamen quod agerent. Solus autem homo spiritualis habet ex hiis iudicare ueritatem et discernere uerum a falso, sicut nonnulla animalia bruta ex industria naturali sciunt facere quasdam artes et delectabiles homini, quas tamen homo nescit et non potest agere, ut puta textoriam aranee, cantum galli, melodiam philomene2 et hiis similia quas homo spiritualis potest iudicare. Quicumque uoluerit nudo intuitu considerare horribilem ymaginem mundi in terra et mari descriptam per Deum non per hominem, non habito respectu ad artificialia edificia quasi sculptilia mundi, nunquam 1 2

Dessin d’une main dans la marge de gauche. On attendrait: philomele.

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juge). Mais quand elle sera elle-même anéantie à la vue de tous, grâce à une véritable contrition et à une confession pure, les anges qui restent (c’est-à-dire les hommes du miroir qui ressemblent presque aux anges), pleins d’effroi, seront alors purifiés et devront faire la preuve d’une crainte parfaite et sainte pour les siècles des siècles. En effet, de même que l’Église visible des parfaits est organisée d’après les catégories angéliques pour s’opposer au dérèglement spirituel, de même l’ambition obscure des dominations et des pouvoirs en triomphe. Car avant que notre rédemption ait été accomplie, le diable commandait au genre humain par lui-même; aujourd’hui, il ne peut plus rien faire sans passer par la malice humaine. Chez l’homme non baptisé et infidèle, aucune rédemption n’a encore été accomplie, et c’est pourquoi le diable est son maître. Mais une fois la rédemption accomplie chez le baptisé, Satan n’a plus aucune autorité, à moins que, sous la suggestion de ce dernier, la volonté libre de cet homme n’engendre sa malice; et avec l’approbation d’un jugement fondé, cette malice peut dominer les autres. En revanche, ceux-ci ne peuvent jamais être poussés à adhérer à la malice de cet homme, non par l’épée ou les armes corruptibles, mais par leur entraînement aux vertus avec l’aide de la grâce de Dieu; et par conséquent, ils ne peuvent jamais perdre leur liberté, bien qu’ils soient en apparence soumis au pouvoir de cet homme-là. À l’opposé, ceux qui adhèrent à cette malice en feignant d’être libres, sont les serviteurs du péché et les membres du diable. Or ce qu’est réellement la malice de l’homme, la sainte communauté des prêtres peut l’apprécier en fonction des œuvres produites par chacun. Combien plus énergique et plus pénétrant sera le Jugement général dernier? L’ÉGLISE

DU MIROIR

L’ensemble des mouvements physiques et des diverses actions prévues ou passées dans les cieux, dont parle toute l’Écriture sainte, se passent seulement, comprenons-le, dans cette Église du miroir établie grâce à la foi. Si l’Église catholique universelle le croit, moi aussi je crois cela et rien d’autre. L’APPRÉCIATION

DE LA VÉRITÉ ET DU MENSONGE

Le raisonnement des sages d’autrefois, pourtant infidèles, n’était pas un raisonnement réel, mais plutôt symbolique. En effet, ils étaient en quelque sorte des agents de l’Esprit Saint (c’est-à-dire de l’Esprit de vérité1), mais inconscients de ce qu’ils faisaient. Or seul l’homme spirituel2 peut en apprécier la vérité et distinguer le vrai du faux, de même que quelques bêtes brutes savent, grâce à leur savoir-faire naturel, accomplir certaines prouesses qui plaisent aussi à l’homme, que l’homme pourtant ne connaît pas et ne peut réaliser, par exemple la toile d’araignée, le chant du coq, le chant du rossignol, et autres choses du même genre que l’homme spirituel peut apprécier. Quiconque veut d’un simple coup d’œil regarder l’image effrayante du monde tracée sur terre et sur mer par Dieu3 et non par un homme, sans prêter 1 2 3

Voir Jn 14, 17; 15, 26 et 16, 13. Voir 1 Co 2, 15. C’est-à-dire par Opicinus dessinateur.

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FOL.

11v°

in hac uanitate falletur sed magis inueniet ueritatem peccati descripti potentialiter in conscientia cuiuslibet hominis. Siquis uero noluerit talia contemplari sed potius concupiscibilia regna mundi cum sculptibilibus suis, iam huiusmodi uanitate seductus est nec unquam inueniet ueritatem. Habemus ergo ex nunc quoddam indicium ueritatis donec per opera totius Ecclesie tota ueritas per hominem capax clarius reueletur.

De gratia et ingratitudine Actum VII idus augusti, in die sancti Donati, qua die fertur olim fuisse electus dominus Iohannes papa XXIIus felicis recordationis, ut cognoscamus Dominum fuisse per hoc fidelissimum instrumentum in multis et magnis beneficiis donatiuum. Nunc apparente magna ingratitudine hominum aduersus Dominum benefactorem suum, conuersum est indicium ex opposito contra nos, id est contra me et alios ingratos. Elegit siquidem uerus iudex iustissimum seruum suum Benedictum papam XII pridie sancti Thome apostoli, ut prosequens iustitiam quam incepit cum suauitate misericordie deinceps conuertatur ad omnem iudiciorum abissum iustissime iudicandam Domino concedente. DE

GRATIA ET LIBERO ARBITRIO

Siquis infidelis habens ueram rationem inclusam puro corde confessus fuerit catholicam fidem intendens baptizari, signum est gratiam Dei ab humana uoluntate esse susceptam, sine quarum neutra simul nil fieri posset. In hoc instanti aperto carcere rationis habitus liberatur processurus in actum. Si in hoc articulo moreretur, saluus est; si uero superstes baptismum neglixeret, signum esset ficte confessionis a corde. 1

De fluminibus iudicii Tria flumina sunt nomine Dan (id est iudicii) fluentia per Europam, scilicet: Rodanus a renibus per pectus ad austrum; Heridanus (id est Padus) a stomacho per uentrem ad lumbos; Dannubium a posterioribus per uestimenta ad fimbriam siue ad caudam draconis. Quartum flumen est Iordanis in Asia a montibus Libani per Terram sanctam ad mare Mortuum et usque ad absorptionem in sabulis. Actum die predicta.

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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attention aux ouvrages clinquants (c’est-à-dire aux statues du monde), ne sera jamais induit en erreur par ce mensonge, mais découvrira mieux l’évidence du péché inscrit virtuellement dans la conscience de chaque homme. En revanche, quiconque refuse de faire cet examen et préfère regarder les royaumes séduisants du monde avec leurs statues, est dès lors attiré par ces illusions et il ne parviendra jamais à la vérité. Nous possédons donc dès à présent une certaine indication de la vérité, jusqu’à ce que, grâce aux œuvres de l’Église tout entière, la vérité tout entière soit plus clairement révélée par l’homme qui en est digne. La gratitude et l’ingratitude Fait le 7 des ides d’août [7 août 1337], le jour [de la fête] de saint Donat1, jour où l’on dit que fut élu autrefois le seigneur pape Jean XXII d’heureuse mémoire2, afin que nous reconnaissions que, par l’intermédiaire de ce représentant très fidèle, le Seigneur a été un secours en se montrant généreux quantitativement et qualitativement3. Aujourd’hui où se manifeste une grande ingratitude des hommes à l’égard du Seigneur leur bienfaiteur, le signe se tourne en sens inverse contre nous (c’est-à-dire contre moi et les autres ingrats). En effet, le véritable juge a choisi son serviteur très juste le pape Benoît XII la veille de la fête de saint Thomas apôtre4, pour que, en cherchant la justice où il a commencé par montrer la douceur de la miséricorde, il se tourne ensuite vers l’abîme de tous les jugements qui doit juger très équitablement, avec l’autorisation du Seigneur. LA

GRÂCE ET LE LIBRE-ARBITRE

Si un infidèle chez qui la véritable raison est inscrite professe d’un cœur pur la foi catholique en ayant l’intention de se faire baptiser, cela indique que la grâce de Dieu est accueillie par la volonté humaine; or sans l’une et l’autre, rien ne pourrait arriver. À ce moment, dans la mesure où la prison de la raison s’ouvre, les dispositions de la raison sont libérées, prêtes à se manifester concrètement. Si cet homme est à l’article de la mort, il est sauvé; mais si, ayant survécu, il négligeait de se faire baptiser, cela voudrait dire que son cœur a feint la profession de foi. Les fleuves du jugement Il y a trois fleuves du nom de Dan (c’est-à-dire du jugement5) coulant en Europe, à savoir: le Rhône, qui part des reins, traverse la poitrine et coule vers le sud; l’Eridan (c’est-à-dire le Pô), qui part de l’estomac, traverse le ventre et coule vers les organes génitaux; le Danube, qui part de l’arrière-train, traverse les vêteSaint anglais mal connu, fêté le 7 août. Jean XXII fut élu le 7 août 1316. 3 Allusion aux faveurs que Jean XXII a accordées à Opicinus. 4 Benoît XII fut élu le 20 décembre 1334. La fête de saint Thomas apôtre est située le 21 décembre. 5 Dan, fils de Jacob et ancêtre éponyme d’une des douze tribus d’Israël, porte un nom qui vient de l’hébreu din (juger). Les quatre fleuves cités dans le paragraphe comprennent la syllabe dan. 1 2

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FOL.

11v°-12

De uicinitate Iudicii Septentrionalis Europa uergens in austrum est quasi Romanum Lateranense palatium, immo mirabilis mons Syon in lateribus aquilonis, cuius columpnam uel tibiam dextram ab Asisio femoris usque Bononiam uentris sancti famuli Dei Dominicus et Franciscus a tempore Honorii pape III usque nunc, ne Europa laberetur in Affricam, sustentarunt (uidelicet ab anno Domini circa MCCX uel XX usque presentem annum Domini MCCCXXXVIII), expletis C annis et plus de expectatione futuri Iudicii. Additum anno perfectionis, X kalendas aprilis, feria II quarte ebdomadarie XLe. IIII [fol. 12] CERIMONIE

ECCLESIASTICE LEGIS

Cauerne petrarum et montium non sunt aliud nisi domus et ecclesie materiales ubique disperse. Tempore presentis malitie sepe homines, ut fugiant ab ira Agni, circueunt illas domos ad inuocandos sanctos et sanctas Dei aduersus iram instantem, ac si dicerent montibus: « Cadite super nos » (id est: « Vos angeli et maiores sancti circum protegite nos »). Et collibus: « Cooperite nos » (id est: « Vos alii sancti excusate nos »). Hec autem maior est prouocatio ire Dei contra nos, presertim si nos in temporalibus aut corporalibus que petimus exaudisse monstretur. Tempore minoris malitie, hee petitiones iuste fuerunt et bone, ut per temporalia a Deo concessa, etiam per corporalia signa monstrata, christianitas semper proficeret in spiritualibus. Tempore uero moderne malitie quo nunc habetur omnis experientia boni et mali quam nunquam habere potuerunt tempora retroacta, omnes huiusmodi petitiones in omnibus temporales – de peste, fame, carceribus et omni infirmitate carnali, diuinitus auferendis, similiter de fructibus terre, pace mundana, benefactoribus temporalium et prosperitate talis corruptibilis regni, diuinitus concedendis – non sunt petitiones efficaces. Quia si ex hiis fuerimus exauditi, iam facta est nobis corruptibilis merces; si autem non fuerimus exauditi, in desperatione submergimur. Tanta est cecitas ista in nobis ut nesciamus quod agere. Apertis ergo oculis nostris, queramus primum non uerbo sed opere Regnum Dei, non in materialibus ecclesiis, non in possessionibus frustatoriis, sed in toto honore et omni reuerentia huius presentis uiuifici templi Dei non manu facti, in quo est Regnum Dei. Deinde queramus iustitiam eius non carnalem sed spiritualem, et omnia adicientur nobis; www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ments et coule vers les franges ou la queue du dragon. Le quatrième fleuve se trouve en Asie: c’est le Jourdain, qui part des monts du Liban, traverse la Terre sainte et coule vers la mer Morte, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans les sables. Fait le jour indiqué plus haut. La proximité du Jugement L’Europe septentrionale s’inclinant vers le sud ressemble au palais du Latran à Rome, ou plutôt à la merveilleuse montagne de Sion1 sur les flancs qui sont au nord2, dont les saints serviteurs de Dieu Dominique et François3 ont soutenu la colonne4 ou la jambe droite, entre Assise de la cuisse et Bologne du ventre, depuis l’époque d’Honorius III5 jusqu’à aujourd’hui, pour éviter que l’Europe ne tombe en Afrique (à savoir depuis l’année du Seigneur 1210 ou 1220 environ, jusqu’à l’année du Seigneur actuelle 1338), alors que se sont écoulés plus de cent ans dans l’attente du Jugement à venir. Ajouté l’année de la perfection, le 10 des calendes d’avril, la 2e férie de la quatrième semaine de Carême [lundi 23 mars 1338]. IIII [fol. 12] LES

CULTES LIÉS À LA LOI ECCLÉSIASTIQUE

Les cavernes des rochers6 et des montagnes ne sont pas autre chose que des maisons et des bâtiments d’églises répandus ça et là. Au temps de la malice actuelle, les hommes, pour fuir la colère de l’Agneau7, se rendent souvent successivement dans ces édifices pour implorer les saints et les saintes de Dieu8 contre la colère qui menace, comme s’ils disaient aux montagnes: « Tombez sur nous » (c’est-à-dire: « vous, les anges et les principaux saints, donnez-nous votre protection »); et aux collines: « Couvrez-nous »9 (c’est-à-dire: « vous, les autres saints, pardonnez-nous »). Or cela ne fait que susciter davantage la colère de Dieu à notre égard, surtout si elle nous exauce manifestement dans les biens temporels ou corporels que nous demandons. Au temps de la malice insignifiante, ces demandes étaient légitimes et judicieuses, si bien que, grâce aux concessions matérielles faites par Dieu, y compris grâce aux signes manifestés physiquement, la chrétienté faisait toujours des progrès spirituels. Mais en ces temps de malice, où l’on possède aujourd’hui une expérience du bien et du mal que jamais les temps passés n’ont pu connaître, toutes ces demandes purement matérielles – au sujet de la peste, de la famine, de la prison et de toutes les faiblesses du corps, Jérusalem. C’est-à-dire Avignon. 3 Saint Dominique et saint François d’Assise, fondateurs des ordres mendiants au XIIIe siècle. 4 À rapprocher de saint Pierre et saint Paul, « colonnes » de l’Église romaine. 5 Honorius III (1216-1227) fut favorable aux ordres mendiants. 6 Voir Jr 49, 16. 7 Voir Ap 6, 16. 8 Allusion aux très nombreux pèlerinages de l’époque sur les reliques des saints. 9 Voir Os 10, 8; et Lc 23, 30. 1 2

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FOL.

12

alioquin si isto neglecto iterum reuertamur ad elementa egena ad uanas inuocationes predictas, iudex noster cum omnibus sanctis suis, quos inuocare uidemur, prouocatur ad maiorem iram aduersus nos. Ecce euangelice mine: « Ve uobis scribe et pharisei ypocrite, qui edificatis sepulcra prophetarum et ornatis monumenta iustorum (id est apostolorum, martirum, confessorum et uirginum, in auro, argento et lapidibus pretiosis). Et dicitis: ‘Si fuissemus in diebus patrum nostrorum (qui infideles posuerunt istos sanctos et sanctas in obprobrium), non essemus socii eorum in sanguine prophetarum’. Ita testimonium estis uobismet ipsis quare filii estis eorum qui prophetas occiderunt. Et uos implete mensuram patrum uestrorum ». Ecce mensura peccati illorum: illi occiderunt sanctos martires quorum uita cum signis significabat decorem presentis populi christiani. Et nos suffocamus et opprimimus populum christianum quem illi significauerant nobis; honorificamus tantum testimonia rei et contempnimus rem; totum redundat in obprobrium Ihesu Christi cum angelis et omnibus sanctis suis. Ecce adimpletio mensure filiorum ex patribus et patrum in filiis. Iam ornamenta monumentorum illorum sanctorum conuertimus ad ydolatriam, ex parte nostra non illorum – absit. Iam compulimus nostrum Aaron, ut ipso concedente nobis faciamus omnia ornamenta ecclesiarum monumentorum iustorum cum reliquiis eorum, et per consequens ex parte nostra illos fecimus deos nostros de quibus dicere possumus: « Isti sunt dii nostri qui per doctrinam sacre Scripture traditam nobis nos extraxerunt de Egypto (id est de ignorantia gentium) et de seruitute pharaonis (id est de molestia laicorum) ad libertatem clericalem ». Considerata uero conscientia nostra inuenimus nos esse mendaces, cum illi sancti fuerint tantum modo testes et testimonia presentis Ecclesie specularis, cuius est uirtus Dominus Deus noster in pectore eius, cuius principaliter fuerunt illi testes fideles. Nunc nos cum illis sumus inuicem membra in Domino, in quo nos cum illis sumus uera res non per naturam sed per gratiam. Hiis propositis nulla fiat immutatio officiorum, processionum, cerimoniarum nec ornamentorum cuiuscumque sepulcri, reliquiarum et altaris ecclesiarum nomine cuiuslibet sancti uel sancte, nec ulla ex hiis fiat diminutio, sed omnia conseruentur ad litteram, quemadmodum a patribus nostris tradita sunt nobis nuncusque propter presentes infirmos, habentibus tantum nobis affectionem ad populum christianum. Oportet enim nos hec facere que sunt grauiora (scilicet spirituale iudicium et misericordiam pauperum tam spiritu quam temporalibus rebus et fide perfectam) et illa non omittere que sunt leuiora (scilicet ecclesiastica lex cum cerimoniis suis); et est uera obseruatio legis euangelice. Vnusquisque prouideat pauperibus qui sunt sub regimine suo, non aliis nisi in ardua necessitate; alioquin illicita esset immissio falcis in messem alienam. Esset enim magna confusio propter diuersitatem linguarum, dispositionum, mensure fidei et morum alienorum. Facientibus ergo nobis omnia supradicta, scilicet www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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qui doivent disparaître par la volonté divine; au sujet également des récoltes, de la paix dans le monde, des bienfaiteurs sur le plan temporel et de la prospérité de tel royaume corruptible, qui doivent être accordés par la volonté divine – ne sont pas des demandes efficientes. Car si nous sommes exaucés en cela, nous recevons alors une récompense corruptible; et si nous ne sommes pas exaucés, nous sommes accablés par le désespoir. Notre aveuglement est si excessif que nous ne savons que faire. Par conséquent, après avoir ouvert nos yeux, demandons d’abord, non par des paroles mais par des actes, le Royaume de Dieu, non pas avec des bâtiments d’églises ou des possessions trompeuses, mais en rendant tout honneur et toute gloire à ce temple de Dieu actuel qui vivifie, qui n’a pas été fait de main (d’homme) et où se trouve le Royaume de Dieu. Demandons ensuite sa justice, non pas charnelle mais spirituelle, et tout nous sera donné par surcroît1; sans quoi, si, en omettant cette demande, nous retournons de nouveau aux besoins rudimentaires et aux vaines sollicitations dont il est question plus haut, notre juge avec tous ses saints que nous avons l’air d’implorer est incité à une plus grande colère contre nous. Voici les menaces de l’Évangile: « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes (c’est-à-dire des apôtres, des martyrs, des confesseurs et des vierges; en or, en argent et en pierres précieuses), tout en disant: ‘Si nous avions vécu du temps de nos pères (qui, en étant infidèles, ont causé le déshonneur ces saints et saintes), nous ne nous serions pas joints à eux pour verser le sang des prophètes’. Ainsi, vous en témoignez contre vous-mêmes, vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes. Eh bien, vous, comblez la mesure de vos pères »2. Voici la mesure de leurs péchés: ce sont eux qui ont tué les saints martyrs, dont la vie agrémentée de signes annonçait la parure du peuple chrétien actuel. Et nous, nous étouffons et nous écrasons le peuple chrétien que ces martyrs nous annonçaient; nous honorons seulement les témoignages de la réalité et nous méprisons la réalité; tout concourt à déshonorer Jésus-Christ, ainsi que ses anges et tous ses saints. Ainsi la mesure est comblée, celle des fils qui vient des pères et celle des pères chez les fils. Déjà nous avons transformé en idoles les décorations des monuments funéraires de ces saints (de notre fait et non du leur, il s’en faut). Déjà nous avons contraint notre Aaron à nous donner son accord pour que nous décorions entièrement les églises des monuments funéraires des justes avec leurs reliques; et par conséquent, de notre fait, nous faisons d’eux nos dieux dont nous pouvons dire: « Ce sont nos dieux qui, au moyen de l’enseignement de l’Écriture sainte que nous avons reçu, nous ont fait sortir d’Égypte (c’està-dire de l’ignorance des païens) et de l’esclavage du pharaon (c’est-à-dire des tracas des laïcs), pour la liberté des clercs ». Or, en examinant notre conscience, nous nous apercevons que nous sommes des menteurs, puisque ces saints étaient seulement des témoins et des témoignages de l’Église du miroir actuelle, dont la puissance est notre Seigneur Dieu qui en occupe la poitrine, et dont ces saints ont été avant tout des témoins fidèles. Aujourd’hui, eux comme nous, nous sommes les uns les autres des membres dans le Seigneur, en qui, eux comme nous, 1 2

Voir Mt 6, 33. Mt 23, 29-32.

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FOL.

12-12v°

leuia infirmorum sine quibus leuibus non promouerentur ad summa, et grauia perfectorum sine quibus nichil essent leuia – grauia, inquam, et leuia non menti sed carni – « omnia cooperantur in bonum ». Grauia perfectorum sunt grauia carni et leuia menti; et leuia infirmorum sunt leuia carni et grauia menti. Nemo enim potest transire ab hiis leuibus ad illa grauia nisi per motum uiolentie naturalis. Nam bona natura cepit per uiolentiam suam cum gratia Dei a sua corruptione transferri ad uerum desiderabile bonum, sicut ex [fol. 12v°] opposito nature corruptio ex nequitia uoluntatis humane per motum suum naturaliter uiolentum contra bonum nature semper satagit adipisci uanum et deceptorium bonum.

DE

AREFACTIONE ARBORIS NOSTRE

Nuncusque audiuimus semper fuisse uiride lignum Asie ex catholica fide, saltem in Armenia habente in se testimonium monarchie, id est perpetuum signum uniuersalis Ecclesie, quasi archa Noe. Nunc iterato cum dolore audiuimus illud lignum, a radicibus infidelis Turchie usque ad sublimia arboris Tartarorum, et ab aquilone eorumdem Tartarorum cum Georgianis errantibus in fide usque ad meridiem Sarracenorum, a fide catholica arefactum. Nunquam intelleximus illam arborem fidei nostre totaliter dessicatam nisi temporibus istis. Illud est enim quoddam figurale iudicium; nos uero habemus reale iudicium in conscientiis nostris. Illud significat nostrum; cum autem factum fuerit nostrum iudicium, illud figurale de facili euanescet. Si in uiridi ligno tempore persecutionis Ecclesie hec facta fuerunt, in arido presentis malitie populo christiano quid fiet? Postmodum audiuimus arboris summitatem fructus nouellos producere. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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nous sommes la véritable réalité, non par nature mais par grâce. Ceci dit, on ne doit en rien modifier les offices, les processions, les cérémonies et les décorations de tous les tombeaux, reliques et autels d’églises dédiés à tel saint ou telle sainte, et on ne doit rien en retrancher, mais tout doit être observé à la lettre, dans la mesure où cela nous a été donné par nos pères jusqu’à maintenant à cause des faibles actuels, alors que nous n’éprouvons d’attachement que pour le peuple chrétien. En effet, il faut que nous, nous accomplissions ce qui est le plus difficile (à savoir le jugement spirituel et la miséricorde pour les pauvres, portée à la perfection tant sur le plan spirituel que sur celui des réalités temporelles et de la foi) et que nous ne négligions pas ce qui est le plus facile (à savoir la loi de l’Église avec ses solennités): c’est ainsi que l’on observe vraiment la loi de l’Évangile. Que chacun veille aux besoins des pauvres qui sont sous son autorité, et non sous celle des autres, sauf en cas d’absolue nécessité; sans quoi, il y aurait intrusion illégale d’une faux dans la moisson1 d’autrui. En effet, une grande confusion résulterait de la variété des langues et des règlements, de la mesure de la foi et de la morale des autres. Par conséquent, en faisant tout ce qui est indiqué plus haut, à savoir pour les faibles les actes faciles, sans lesquels ils ne peuvent être élevés vers les hauteurs, et pour les parfaits les actes difficiles, sans lesquels ce qui est facile n’aurait aucune valeur – oui, ce qui est difficile et ce qui est facile, non pour l’esprit mais pour la chair – « tout concourt au bien »2. Ce qui est difficile pour les parfaits est difficile pour la chair et facile pour l’esprit; et ce qui est facile pour les faibles est facile pour la chair et difficile pour l’esprit. En effet, personne ne peut passer de ces actes faciles à ceux qui sont difficiles sans exercer une contrainte sur son tempérament. Car le naturel vertueux entreprend, en se faisant violence et avec la grâce de Dieu, de passer de son état corruptible au bien vraiment désirable; de même qu’à [fol. 12v°] l’opposé, le tempérament corrompu par le dérèglement de la volonté humaine, en exerçant sa violence naturelle à l’encontre du bien naturel, ne cesse de s’agiter pour obtenir un plaisir trompeur et décevant. LE

DESSÈCHEMENT DE NOTRE ARBRE

Jusqu’à aujourd’hui, nous avons entendu dire que le bois d’Asie issu de la foi catholique avait toujours été vert, au moins en Arménie qui porte en elle le témoignage de la monarchie, c’est-à-dire l’attribut éternel de l’Église universelle, à savoir l’arche de Noé. Aujourd’hui, nous avons entendu dire une seconde fois avec chagrin que ce bois était devenu sec car séparé de la foi catholique, entre les racines de la Turquie infidèle et les hauteurs de l’arbre des Tatars, et entre les régions septentrionales de ces mêmes Tatars (y compris les Géorgiens qui font fausse route dans la foi) et les régions méridionales des Sarrasins3. Nous n’avons jamais compris que cet arbre de notre foi était entièrement desséché, sauf ces temps-ci. En effet, il s’agit d’une forme de jugement symbolique; or nous, nous

1 2 3

Voir Mc 4, 29 et Ap 14, 15. Rm 8, 28. Allusion aux pays chrétiens « orthodoxes » (dépendant de Constantinople).

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DE

FOL.

AFFLICTIONIBVS

12v°

LOMBARDIE

Fertur tortionem uentris Italie iam appropinquare ad partum operis per Veneticam portam, nisi duo sancti famuli Dei, scilicet Dominicus predicator et Antonius minor, misericorditer intercessionibus suis uentris illius lumbos restringerent, ne tam cito pareret obprobrium suum. Ibi est testimonium rei et in nobis est ueritas rei. Cum pectus nostre Prouincie sanatum fuerit, si egeat aliquo, de facili sanabitur ille uenter.

DE

EXACTIONE

CESAREI

CENSVS

Omnis uiolenta exactio Lombardorum ab inuicem – scilicet extorsio captiuorum per capientes in afflictionibus uariis, tormentis et carceribus, usque ad redemptionem persone captiue per illicitam et iniquissimam spoliationem omnium bonorum illius captiui – est quedam significatio et testimonium maioris extorsionis facte per malitiam meam a bona natura mea quam illa extorsio. Illa quidem malitia mea est crudelissima uox exactoris hoc modo. Preuidens enim Dominus me non euasurum illam extorsionem infandam, me misit primo ad os piscis ascendentis per uentrem Lombardie, in cuius ore mollis esca dicitur Monsferratus (habet enim uocabulum ferrei hami); quis habeat testimonium huius hami fidelis a circumstantibus incolis inquiratur. Habet et ille marchionatus in apparentia mollem escam usque ad Valentiam et ulterius. Ibi me docuit Dominus ut apprehenderet hamum et escam, uidelicet duos libellos « De dominica paupertate » et « preeminentia spiritualis imperii ». Ascendens autem a uentre ad pectus Prouincie per totam noctem frustra laboraui ad capiendum hunc piscem cum illis hamo et esca. Tandem ad mandatum Domini per uicarium suum cepi piscem, in cuius ore reperi staterem, id est quoddam officium curie Romane sustentatiuum mee persone; ut siquando fuissem exactus per malitiam meam non alterius, ipsi satisfecerem sicut uellet, non ut seruus domino sed ut dominus seruo. Statim ut uidit malitia mea me quasi diuitem factum, retruso dominio rationis, me reclusit in carcerem in quo factus amplius cecus, fui ualde grauatus et molestatus ab ipso exactore. Nam ante quam essem huiusmodi negociis intricatus, cum modica pecunia in spiritualium libertate uiuebam. Nunc factus seruus huius crudeliswww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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avons le jugement réel dans nos consciences. Celui-là indique le nôtre; or, lorsque notre jugement sera rendu, celui qui est symbolique disparaîtra facilement. Si cela est arrivé au bois vert à l’époque de la persécution de l’Église, que se passera-t-il pour le peuple chrétien dans le bois sec de la malice actuelle? Par la suite, nous avons entendu dire que la cime de l’arbre se mettait à produire de nouveaux fruits. LES

TOURMENTS DE LA

LOMBARDIE

On raconte que les contractions du ventre de l’Italie sont déjà sur le point de provoquer l’accouchement de l’œuvre par la porte de Venise, à moins que les deux saints serviteurs de Dieu que sont Dominique le prêcheur et Antoine le mineur, grâce à leurs intercessions miséricordieuses, ne resserrent les organes génitaux de ce ventre, pour éviter que son déshonneur n’apparaisse aussi vite. Là-bas se trouve le témoignage de la vérité, et en nous se trouve l’évidence de la vérité. Lorsque la poitrine de notre Provence sera guérie, si le besoin s’en fait sentir, ce ventre sera facilement guéri. LA

PERCEPTION DE L’IMPÔT DE

CÉSAR1

Tout ce qui est exigé par la violence par les Lombards entre eux – à savoir ce qui est extorqué aux prisonniers par leurs ravisseurs, au milieu de divers malheurs (tortures et prison), jusqu’à ce que le captif se rachète en étant dépossédé de tous ses biens de manière illégale et tout à fait injuste – indique et prouve d’une certaine façon une extorsion plus importante que la précédente: celle de ma malice aux dépens de mon naturel vertueux. Oui, cette malice qui m’habite, c’est la voix très cruelle de l’exacteur; je m’explique. En effet, le Seigneur, prévoyant que je n’échapperais pas à ce détournement infâme, m’a d’abord envoyé vers la bouche du poisson qui occupe le ventre de la Lombardie; dans cette bouche, se trouve l’appât souple appelé Montferrat2 (car il porte le nom d’un hameçon en fer): les habitants des alentours doivent rechercher qui a le témoignage de cet hameçon fidèle. Ce marquisat donne aussi l’impression d’avoir un appât souple jusqu’à Valence et au-delà. C’est là que le Seigneur m’a appris à attraper l’hameçon et l’appât, à savoir les deux libelles « Sur la pauvreté du Seigneur » et « Sur la primauté du pouvoir spirituel ». Or, en quittant ce ventre pour gagner la poitrine de la Provence, j’ai travaillé en vain toute la nuit pour prendre ce poisson3, ainsi que l’hameçon et l’appât en question. Enfin, sur ordre du Seigneur et grâce à son vicaire, j’ai attrapé le poisson; et, dans sa bouche, j’ai trouvé un statère4, c’est-àdire un office de la curie romaine5 pour nourrir ma personne; de façon que,

1 Pour le paragraphe qui suit, voir surtout Mt 17, 24-27 (secondairement Mt 22, 1522; Mc 12, 13-17; Lc 20, 20-26). 2 Le marquisat de Montferrat se trouvait en Ligurie occidentale (à égale distance entre Turin et Pavie; des bourgs y portent encore ce nom en second: Casale, Nizza…). 3 Voir Jn 21, 3. 4 Voir Mt 17, 27. 5 Allusion à la nomination d’Opicinus à la Pénitencerie: janvier 1331.

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128

FOL.

12v°-13

simi exactoris, per omne supplicium sum coactus illi satisfacere usque ad magnam et incredibilem quantitatem pecunie. Hanc uiolentiam exactoris mihi significauit et prenuntiauit Valentia, ostendens mihi miserias captiuorum per rapacitatem latronum, ut a uero latrone me precaueret. Habens iuxta pectus Prouincie testimonium libertatis cum filiis liberis, factus sum per malitiam meam quasi alienus filius seruitutis. Vt autem mea natura bona iam seruituti subiecta non moueret scandalum contra se, pro Domino (id est pro populo christiano quem iam mente concepit), deinde pro se sine litigio soluit censum. Tandem Dominus qui se subiecerat solutioni huiusmodi census, quasi humilis seruus sub dominio pharaonis, dignatus est descendere ad me usque ad infima carceris tenebrarum, ut factus seruus pro me, me redimeret ab hac miserabili seruitute meque duceret secum ad pectus Ecclesie libertatis. Ibi apertis oculis meis, quibus nunquam antea [fol. 13] uideram nec uidere potueram, solutis uinculis meis de tyrannide exactoris, cepi computere quot et quantas diuitias deuorasset. Tantum exigebam a me per unam diem quanto potuissem uiuere largiter et habunde per mensem tempore pristine libertatis, et aliquando amplius. Compulsus sum scribere in libro rationum mearum fere omnes illicitas exactiones quas ipse fecit contra me. Propter autem obliuionem et negligentias meas, plures ex hiis expensas non scripsi. Quid est ergo melius mihi uiuere – in illo teterrimo carcere an in latitudine libertatis – sancta Ecclesia iudicet. Viri enim perfecti huius Ecclesie, in medio copiarum Ecclesie constituti, nunquam possunt subici sub seruitute illius exactoris. Soluunt enim quottidie licitum censum ei, quasi dominus seruo suo, ut ipse seruus seruiat domino suo, siue uelit siue nolit, ad honorem uniuersalis Ecclesie, nec unquam iste prelatus propter molestias illius serui potest ab arce ecclesiastice libertatis inflecti. Ego autem propter infirmitatem meam spiritualem non possum me in illa rectitudine conseruare. Expertus miseram seruitutem, similiter libertatem predictam, uideo me non posse subsistere in sublimibus cum illo uiro perfecto nisi in humilibus, sicut inceperam ab adolescentia mea ad exemplum et testimonium infirmorum. Ille perfectus habet aliud donum et ego infirmus habeo aliud donum; unusquisque habundet in sensu suo, secundum inuisibile donum suum et iuxta gradum scientie sue. Actum anno renouationis, VI idus augusti.

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puisque j’ai été abusé par ma malice et non celle d’un autre, je la contente comme elle le voulait, non pas comme un serviteur contente son maître mais comme un maître contente son serviteur1. Aussitôt que ma malice a vu que j’étais devenu presque riche, le pouvoir de ma raison se trouvant interdit de séjour, elle m’a enfermé dans une prison où, devenu plus aveugle, j’ai été fortement accablé et malmené par l’exacteur en personne. Car, avant d’être impliqué dans ce genre d’affaires, je vivais avec peu d’argent, dans la liberté des spirituels. Aujourd’hui où je suis devenu le serviteur de ce très cruel exacteur, je suis contraint par des tourments en tous genres de le contenter, y compris par d’importantes et exorbitantes sommes d’argent. Valence m’avait indiqué et annoncé à l’avance cette violence de l’exacteur, en me montrant les malheurs des prisonniers soumis à la rapacité des voleurs, si bien qu’elle m’a prémuni contre le véritable voleur. Disposant du côté de la poitrine de la Provence du témoignage de la liberté associée aux fils libres, je suis devenu à cause de ma malice comme le fils étranger de la servitude. Et pour que mon naturel vertueux, déjà soumis à la servitude, ne soulève pas de difficultés qui lui nuisent, pour le Seigneur (c’est-à-dire pour le peuple chrétien qu’il a déjà conçu mentalement), puis pour lui, il a acquitté l’impôt sans discussion. Enfin le Seigneur2 qui se soumettait à l’acquittement de cet impôt, tel un humble esclave au pouvoir du pharaon, a jugé digne de me rejoindre au fond de la prison que sont les ténèbres, afin que, devenu esclave à ma place, il me rachète de cet esclavage indigne et m’emmène avec lui à la poitrine de l’Église de la liberté. Là, une fois mes yeux (avec lesquels auparavant [fol. 13] je ne voyais ni n’avais pu jamais voir) ouverts, une fois défaits les liens qui m’attachaient au despotisme de l’exacteur, j’ai commencé à calculer la quantité et la qualité des richesses qu’il avait englouties. J’exigeais de moi en une journée autant que ce qui m’aurait permis de vivre largement et dans l’abondance pendant un mois à l’époque de ma liberté antérieure, et parfois même davantage. J’en ai été réduit à inscrire dans mon livre de comptes presque tous les recouvrements illicites auxquels lui-même a procédé contre moi. Mais à cause de ma distraction et de mon insouciance, je n’ai pas inscrit plusieurs de ces dépenses. Est-il donc mieux pour moi de vivre dans cette prison très sombre ou dans l’espace de la liberté, c’est à la sainte Église d’en juger. En effet, les hommes parfaits de cette Église, établis au milieu des richesses de l’Église, ne peuvent jamais être contraints à devenir les esclaves de cet exacteur. En effet, ils lui acquittent chaque jour l’impôt légal, comme un maître à son serviteur, afin que le serviteur lui-même serve son maître, qu’il le veuille ou non, pour la gloire de l’Église universelle; et ce prélat ne peut jamais être détourné du faîte de l’Église de la liberté à cause des tracas dus à ce serviteur. Mais moi, en raison de ma faiblesse spirituelle, je ne peux me maintenir dans cette intégrité. Ayant fait l’expérience de l’esclavage méprisable comme de la liberté indiquée plus haut, je vois qu’il ne m’est pas possible de demeurer dans les hauteurs avec cet homme parfait3, si ce n’est dans les tâches humbles, comme j’avais commencé à le faire dès mon adolescence, pour donner un exem1 2 3

Voir Jn 13, 16. Il s’agit d’Opicinus (dans un paragraphe particulièrement confus). « Homme parfait »: Ep 4, 13.

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COLLVCTATIO

FOL.

13

RATIONIS ET VOLVNTATIS

Vnusquisque prelatus Ecclesie habet sub pedibus suis seruum suum exactorem, ut exigat quicquid sit honoris uniuersalis Ecclesie non illius. Si enim relaxaretur ad libertatem, statim exigeret quicquid uellet et per uiolentiam extorqueret ad destructionem totius Ecclesie. Nunc in seruitute cohibitus non potest exigere ultra mensuram, primo pro persona domini sui qui est seruus fidelis et prudens Ecclesie, deinde ad decorem Ecclesie pro libertate seruanda: tot seruientes illi domino in temporalibus, tot clericos ministrantes in spiritualibus, nomine uniuersalis Ecclesie. Hec autem exactio licita nunquam impedit istum prelatum ut ab arce rectitudinis ad horum concupiscentiam inflectatur. Ego autem secundum aliam dispositionem, etiam per aliquam experientiam huiusmodi, nunquam uideo me posse in illa libertate persistere; sed paulatim descendam ad affectionem huiusmodi, donec amisso dominio rationis retrudar fortius quam prius sub dominio exactoris. Sola intentio iudicat omnes. Intentio illius prelati, nomine totius Ecclesie non sue persone, in medio copiarum in apice dignitatis, nunquam ipsum sinit inde peccare; intentio uero mea, que de facili preuaricatur in malum, potest me precipitare deorsum. Adhuc malitia mea cogitat aliud quam ego dico; illa enim non cessat dicere in corde suo: « Iste uel ille prelatus non est talis qualem tu dicis ». Ego respondeo sibi: « Tu semper mentiris. Spero in Domino me tandem te inuenire mendacem ». Dicit malitia mea ad me: « Aduersarius tuus qui litigat contra te habet malam intentionem de te et omnia mendacia cogitat aduersus te ». Respondeo sibi: « Tu mentiris. Ille habet bonam intentionem recte iustitie faciende sicut datur sibi intelligere per quosdam mendaces illa uera esse que dicit. Si enim sciret illos esse mendaces sicut in ueritate mendaces sunt, statim feceret concordiam mecum. Sed quia credit illos esse ueraces, ideo in hoc non iudico ipsum peccare; alioquin si nollet acquiescere ueritati, peccatum imputaretur eidem. Nunc, ut arbitror, una est conscientia mea et sua; uterque nostrum agit sicut ueraciter credit; et ideo in hoc nec me nec ipsum credo peccare. Quare? Quia ambo sumus in nocte, id est in ignorantia intentionis alterius donec amborum intentio reueletur ». Hec est concertatio continua malitie hominis contra rationem bone nature et istius aduersus illam; que non est aliud nisi accusator fratrum nostrorum die ac nocte in conspectu Dei, donec per auxilium Michaelis cum angelis suis ille seuissimus draco proiciatur de celo pectoris nostri. Tunc poterimus dicere cum Ysaia: « Quomodo cessauit exactor? Quieuit tributum? Contriuit Dominus www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ple et un témoignage aux faibles. Lui qui est parfait, il possède un don, et moi qui suis faible, j’en possède un autre; chacun dispose de facultés considérables, en fonction du don invisible qu’il a reçu et selon le niveau de ses connaissances. Fait l’année du renouvellement, le 6 des ides d’août [8 août 1337]. L’ANTAGONISME

DE LA RAISON ET DE LA VOLONTÉ

Chaque prélat de l’Église a sous son autorité un esclave qui est son exacteur, si bien qu’il réclame tout ce qui rend honneur à l’Église universelle et non à lui. En effet, s’il était rendu à la liberté, il réclamerait aussitôt tout ce qu’il voudrait et l’enlèverait par la violence pour anéantir l’Église tout entière. À présent retenu en esclavage, il ne peut avoir d’exigence démesurée, d’abord pour la personne de son seigneur, qui est le serviteur fidèle et sage de l’Église, puis pour la parure de l’Église, pour respecter sa liberté: tant qui sont au service de ce seigneur sur le plan matériel, tant de clercs qui assurent le ministère spirituel, au nom de l’Église universelle. Mais ce prélèvement légal n’empêche jamais ce prélat de se détourner du sommet de l’intégrité pour les convoiter. Et moi qui suis un autre règlement, en passant aussi par cette expérience, je ne me considère jamais comme capable de continuer à vivre dans cette liberté; mais je glisserai peu à peu dans des attachements de ce genre, jusqu’à ce que, le pouvoir de la raison étant abandonné, je retombe plus sûrement qu’avant sous le pouvoir de l’exacteur. C’est seulement sur les intentions que chacun est jugé. Les intentions de ce prélat, au nom de toute l’Église et non de sa personne, au milieu des richesses et au faîte de sa charge, ne le laissent jamais commettre un péché lié à cette situation; alors que mes intentions, qui sont souvent les complices du mal, peuvent me précipiter en bas. Encore maintenant ma malice pense autre chose que ce que je dis; en effet, elle ne cesse de dire dans son cœur: « Ce prélat (ou un autre) n’est pas comme tu le dis ». Quant à moi, je lui réponds: « Tu ne cesses de mentir. J’espère dans le Seigneur que je finirai par te surprendre quand tu mens ». Ma malice me dit: « Ton adversaire qui est en procès contre toi a de mauvaises intentions à ton sujet et médite toutes sortes de mensonges pour te nuire ». Je lui réponds: « Tu mens. Il nourrit l’intention louable de rendre la justice avec droiture, de même qu’il lui est donné de comprendre grâce à quelques menteurs que ce qu’il dit est vrai. En effet, s’il savait qu’il s’agit de menteurs, ce qu’ils sont réellement, il se réconcilierait aussitôt avec moi. Mais puisqu’il les croit sincères, je ne considère pas qu’il commet un péché dans ce cas; sinon, s’il refusait d’accepter la vérité, un péché lui serait imputé. Maintenant, à mon avis, ma conscience et la sienne ne font qu’une; chacun de nous deux fait ce qu’il croit sincèrement; et c’est pourquoi je crois que ni moi ni lui ne péchons dans ce cas. Pourquoi? Parce que nous sommes tous deux dans la nuit, c’est-à-dire dans l’ignorance des intentions de l’autre, jusqu’à ce que nos intentions à tous deux soient dévoilées ». Voilà le conflit sans fin qui oppose la malice humaine à la raison du naturel vertueux, et celui-ci à celle-là; il ne s’agit de rien d’autre que de celui qui accuse nos frères jour et nuit sous le regard de Dieu1, jusqu’à ce que, avec l’aide de Michel et de ses anges, ce dragon très cruel soit jeté2 loin du ciel de notre poitrine. Alors nous pourrons dire 1 2

Voir Ap 12, 10. Voir Ap 12, 9.

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FOL.

13-13v°

baculum impiorum, uirgam dominantium, cedentem populos in indignatione plaga insanabili ». Hoc erit in omnibus qui uoluerint hanc in se malitiam iudicare; qui autem noluerint nunquam euadent crudeles exactiones illius. Credo me illam iudicasse sicut illi uiri perfecti fecerunt. Quanto plus me immiscuero in officiis lucratiuis, tanto erit exactor meus mihi magis infestus; non euadam dominium eius. DE

YMAGINATIONE CARNALI

Quotienscumque inuoco talem et talem sanctum uel sanctam ut intercedat pro me, qualis est petitio mea, talem formo in me ymaginem eius. Si spiritualia peto nomine populi christiani, ex illo sancto facio mihi ymaginem populi christiani; in qua ymagine iam facta domo Dei inuoco Deum nostrum; et hec est iusta et licita petitio que nunquam fraudabitur. Si uero petiero temporalia siue carnalia nomine meo uel nomine generis mei aut amicorum meorum carnalium seu pro prosperitate temporalium, tunc de illo sancto uel sancta facio mihi ymaginem corruptibilis hominis, quasi ydolum ex parte mea, etiam si esset presens corporaliter de quo fortius ymaginarer carnaliter. Et ideo Dominus propter infirmos uoluit a nobis abstrahere suam presentiam corporalem, ut nos infirmi transferremur ab ymagine corruptibili ad ymaginem incorruptibilem; adhuc quasi simile iudicium. Ecce sancta religio [fol 13v°] cuiusuis ordinis ex caritate sincera me admittit cum genere domus mee ad eorum suffragia per missas, orationes et alia eorum bona spiritualia, tali ipsorum intentione ut nos de tali et tali progenie transferamur ad obsequium populi christiani sine mutatione aliqua habitus exterioris; et in hoc nunquam amittent mercedem suam. Ego autem carnalis, semper intendens exaltationem persone mee cum corruptibili genere meo, quasi relinquens animam meam in manibus illorum sanctorum religiosorum quam carnaliter amo, nunquam saluabor ex illorum suffragiis; dampnatus enim sum ex parte mea non eorum; omnis autem eorum sancta et salubris oratio pro me et meis nichil erit ad me, sed tota conuertetur in sinum eorum. DE

YMAGINATIONE QVE EST CAVSA BONI VEL MALI

Tanta grossities inoleuit in nostra Papia ut nonnulli pretractantes de Passione Domini carnaliter ymaginent omnem dolorem et tristitiam Domini et ymaginationem mortis uicine fuisse tantum pro anima persone sue, quam tamen ipse odio habuit propter amorem anime nostre. Iam de ipso propheta precinerat: « A timore, inquit, inimici eripe animam meam »; id est: « A timore inimici, siue fundamentaliter inuisibilis hostis siue speculariter omnis malitie hominis, eripe animam meam (id est animam populi infirmorum quam ex caritate facio meam) ». Nos in ordine perfectorum imitari debemus uestigia Domini nostri ad succursum www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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avec Isaïe: « Comment l’exacteur a-t-il arrêté? Comment ses impôts ont-ils cessé? Le Seigneur a brisé le bâton des méchants, le sceptre des souverains, lui qui rouait de coups les peuples avec emportement et sans relâche »1. Cela arrivera chez tous ceux qui auront voulu condamner cette malice qui les habite; mais ceux qui auront refusé de le faire n’échapperont jamais à ses cruelles exactions. Je crois que je l’ai condamnée comme ces hommes parfaits l’ont fait. Plus je me mêlerai d’affaires lucratives, plus mon exacteur me sera hostile; je n’échapperai pas à son pouvoir. L’IMAGINATION

CHARNELLE

Toutes les fois que j’invoque tel ou tel saint ou sainte pour qu’il intercède en ma faveur, telle est ma demande, telle est l’image que j’élabore en moi. Si je demande des biens spirituels au nom du peuple chrétien, je crée pour moi une image du peuple chrétien tirée de ce saint; c’est au sein de cette image déjà créée chez Dieu que j’implore notre Dieu; et il s’agit d’une demande fondée et légitime qui ne sera jamais frustrée. En revanche, si je demande des biens temporels ou charnels, en mon nom ou au nom de ma parenté ou de mes amis charnels, ou bien pour ma réussite matérielle, je crée alors en moi une image de l’homme corruptible tirée de ce saint ou de cette sainte, c’est-à-dire une idole qui me concerne, même si elle est actuellement en chair et en os et que ma représentation charnelle s’en trouve confortée. Et c’est pourquoi le Seigneur a voulu, à cause des faibles, nous éloigner de sa présence en chair et en os, si bien que nous les faibles, nous passons d’une image corruptible à une image incorruptible; cette opinion est encore maintenant presque identique. Ainsi les saintes communautés religieuses, [fol. 13v°] quel que soit leur ordre, nous font participer à leur suffrages, moi et ma parenté familiale, par pure charité, avec leurs messes, prières et autres biens spirituels, eux-mêmes ayant pour objectif que nous passions de telle et telle lignée à l’allégeance au peuple chrétien, sans modifier en quoi que ce soit notre comportement extérieur; et ainsi ils ne perdront jamais leur récompense. Mais moi qui suis charnel, en ne cessant de prétendre glorifier ma personne ainsi que ma parenté corruptible, c’est-à-dire en abandonnant mon âme entre les mains de ces saints moines que j’aime charnellement, je ne serai jamais sauvé par leurs suffrages; en effet, je suis déjà condamné, de mon fait et non du leur; et toutes les prières saintes et salutaires qu’ils adressent pour moi et pour les miens ne me serviront à rien, mais retourneront entièrement dans leur coeur. L’IMAGINATION

EST LA SOURCE DU BIEN OU DU MAL

Une telle sottise a prospéré dans notre Pavie que quelques-uns, traitant de la Passion du Seigneur sur le plan charnel, imaginent que toute la douleur et la tristesse du Seigneur, et la représentation de sa mort proche, concernaient seulement l’âme de sa personne, que pourtant lui-même a eu en aversion en raison de son amour pour notre âme. Déjà le prophète avait entonné: « De la crainte de l’ennemi, oui, délivre mon âme »2; c’est-à-dire: « De la crainte de l’ennemi, qu’il

1 2

Is 14, 4-6. Ps 64, 2 (cantique de David).

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FOL.

13v°

populi infirmorum, ut unusquisque nostrum pro anima populi sui oret ad Deum, non tam uerbo et mente quam uita et opere, iuxta sententiam supradictam. Tanta est infirmitas presens in quibusdam ut pusillanimitate deficiant. Primo carnaliter infirmus in carne ex modica causa morbi, iuxta ymaginationem suam nimiam, prouocat in se morbum maiorem; sicut ex opposito alius infirmus in carne similiter ex maiori causa morbi, per minimam uel quasi nullam ymaginationem huiusmodi, reuocat citius sanitatem. Speculariter ad exemplum. De populo infirmorum in spiritu: aliquis ex modica causa peccati, ymaginando tantum penam eternam, sine ulla fide et spe inuisibilis medici nostri, declinando ad ymaginationem eterne pene carnaliter iuxta mundum, quasi finem habentis, totus immergitur in impudicitia cuiuslibet facinoris perpetrandi, et sic desperatione tenetur captiuus. De populo perfectorum: aliquis ex maiori causa peccati modicum ymaginando de pena eterna, propter maximam fidem et spem ad inuisibilem medicum nostrum, apud quem firmiter credit et sperat se misericordiam et ueniam adepturum, statim restituitur sanitati anime sue ad seruitium anime populi christiani. Illius enim timor seruilis uergit in malum, huius autem timor filialis proficit semper in bonum. Persona laicalis potest intelligi de populo perfectorum; et persona ecclesiastica aliquando potest intelligi de populo infirmorum, ne omnis caro glorietur.

De iudicio Babilonis Papia disposita in genitalibus filie, sicut fidelis Venetia in genitalibus matris, non uult imitari iustitiam Venetorum. Tantam enim habet Papia uirtutem in umbilico matris sue et fortitudinem in lumbis suis ut ista meretricula per robur luxurie sue semper in campo deuicerit Mediolanum uirile. Mulier publica per pocula uini sui et per calicem nectaris sui de facili decipit et superat fortes uiros etiam sapientes. Omnis sapiens de uera sapientia Dei, nisi sit in omnibus circumspectus, in consiliis prouidus, contra omnes insidias sagax et peruigil, uix uel nunquam euadet fallacias meretricis huiusmodi. Ista minor Papia habet iudicii contra se significationem et rem; uniuersalis autem Papia per dominum papam diligentius examinetur si habet contra se rem uel causam iudicii. Omne allegoricum de operibus uniuersalis Ecclesie dandum est infirmis ut inde proficiant; omnis autem uirtus et intelligentia operum tribuenda est perfectis ut melius animentur ad adiutorium infirmorum. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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s’agisse de l’ennemi invisible sur le plan fondamental ou de toute la malice humaine sur le plan visible, délivre mon âme (c’est-à-dire l’âme du peuple des faibles que j’ai fait mienne par charité) ». Nous qui appartenons à l’ordre des parfaits, nous devons suivre les traces de notre Seigneur pour secourir le peuple des faibles, afin que chacun de nous adresse ses prières à Dieu pour l’âme de son peuple, non pas tant par ses paroles et ses pensées que par sa vie et ses actes, selon l’opinion indiquée plus haut. Certains sont tellement atteints par la faiblesse des temps présents qu’ils perdent courage par pusillanimité. D’abord sur le plan charnel, celui qui est atteint dans sa chair d’une maladie d’origine anodine, s’il fait trop marcher son imagination, déclenche en lui une maladie plus grave; de même qu’inversement, un autre, atteint dans sa chair lui aussi d’une maladie d’origine plus grave, s’il fait marcher cette imagination très peu, voire pas du tout, recouvre la santé assez rapidement. L’exemple est clair. En ce qui concerne le peuple des faibles en esprit: celui qui, ayant commis un péché anodin, n’envisageant rien d’autre qu’un châtiment éternel, sans aucune confiance ni espérance dans notre médecin invisible, et en arrivant à imaginer un châtiment éternel sur le plan charnel selon le monde, c’est-à-dire ayant une fin, est complètement englouti dans le remords d’avoir commis un forfait quel qu’il soit, et il est ainsi retenu prisonnier par le désespoir. En ce qui concerne le peuple des parfaits: celui qui, ayant commis un péché plus grave, envisageant peu le châtiment éternel en raison de sa très grande confiance et espérance envers notre médecin invisible, auprès duquel il croit et espère fermement qu’il obtiendra la miséricorde et le pardon, recouvre aussitôt la santé de son âme pour se mettre au service de l’âme du peuple chrétien. En effet, la crainte servile du premier tend vers le malheur, alors que la crainte filiale du second obtient toujours de bons résultats. Un personnage laïc peut être considéré comme appartenant au peuple des parfaits; et un personnage ecclésiastique peut parfois être considéré comme appartenant au peuple des faibles, pour éviter qu’aucune chair ne se glorifie. Jugement sur Babylone Pavie, placée dans les parties génitales de la fille, comme l’est la fidèle Venise dans les parties génitales de la mère1, refuse d’imiter la justice des Vénètes. En effet, Pavie possède une telle puissance dans l’ombilic de sa mère et une telle énergie dans ses organes génitaux que cette courtisane de bas étage a souvent vaincu rapidement la virile Milan en utilisant le bois / la vigueur de l’intempérance. La femme publique trompe et domine facilement les hommes courageux, y compris les sages, avec les coupes de son vin et le vase de son nectar. Tout sage dont la sagesse est vraiment celle de Dieu, s’il ne se montre pas circonspect en tout, prudent dans ses conseils, fin et clairvoyant pour déjouer tous les pièges, n’échappera jamais ou presque aux ruses d’une courtisane de ce genre. Cette petite Pavie a contre elle la signification et la réalité du jugement; alors que l’universelle Pavie doit être examinée par le seigneur pape de manière plus attentive, pour voir si elle a contre elle la réalité ou la cause du jugement. Tout ce qui a un 1

Voir V 6.

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DE

FOL.

13v°-14

TESTIMONIO PERSONALI AD VNIVERSALE

Ad testimonium Lombardie siue Papie, habeo lumbos meos adeo constipatos interius, ut per plures dies et noctes continuas nullomodo possit uenter purgari nec sine labore aquam effundere, donec operis partus erit in obprobrium uentris illorum. Habeo ex hoc significationem et rem, cum fuerint spiritualiter declarate. Post aliquos dies, accidens illud cessauit. DE

PRESCRIPTIONE BONORVM

ECCLESIE

Sapientia Papiensis animalis et diabolica condidit et condit leges iniquas ad oppressionem populi pauperum quorum sunt ecclesie matres. Vtitur enim prescriptione iniqua uel male ab eis condita uel deterius intellecta. Multe quidem ecclesie uel forsitan omnes usque ad iura pertinentia immediate ad episcopum nostrum nunc ex eorum iniquitate depauperentur, quia preter tyrannicas inuasiones, uiolentas depredationes et detentiones decimarum, primitiarum, oblationum et aliorum iurium ecclesiarum et intrusiones suorum in eis et diabolicas extorsiones bonorum pauperum, clericorum et aliarum personarum ecclesiasticarum, illa tyrannidis bestiarum aduersus patrimonium Crucifixi se prescriptione defendit; que bona ecclesie iustum titulum habent. Et si per nullam interruptionem mediam apparentem possunt probari esse iuste proprietates Ecclesie ad annuum censum, [fol. 14] propter iustam tamen abstentiam uel frequentiorem nouam successionem mutatam aut uacationem diutinam ex rectore, ex quibus legitimis causis non potuit interim in hoc negocio ipse uacare, illorum proprietates ex iusto titulo per legitimas probationes reducende sunt ad possessiones Ecclesie. Si uero obiciatur Ecclesie propter solam negligentiam rectoris sine alia causa, ex prescriptione prefata nullum inde faciendum est detrimentum Ecclesie, ne culpa persone imputetur Ecclesie; alioquin malitia hominis permittitur prescribere contra innocentiam christianam. Nonne diabolus aduersus Christum probatione prescriptionis continue de possessione gentium, licet sepe interrupta sit sub illo diabolo nefanda prescriptio iudeorum reductorum in pluribus ad proprietatem Dei, in fine defecit cum iuribus suis? Ecce fundamentalis probatio de iusta uictoria Christi de diabolo, propter iustum titulum humani generis a Deo conditi et redempti. Eadem est probatio specularis de amotione membrorum diaboli extra proprietatem et possessionem patrimonii Christi (id est memwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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caractère allégorique dans les œuvres de l’Église universelle doit être donné aux faibles pour qu’ils fassent ainsi des progrès; alors que toute la puissance et l’intelligence de ces œuvres doivent être attribuées aux parfaits, pour qu’ils soient mieux disposés à aider les faibles. UN

TÉMOIGNAGE PERSONNEL EN VUE DU TÉMOIGNAGE UNIVERSEL

Pour rendre témoignage à la Lombardie ou à Pavie, il m’arrive d’avoir les organes génitaux comprimés intérieurement au point que mon ventre ne peut en aucune manière ni déféquer ni uriner sans peine pendant plusieurs jours et nuits de suite, jusqu’à ce que l’œuvre soit enfantée pour le déshonneur du ventre que celles-là représentent. J’en connais la signification et la réalité, puisqu’elles ont été annoncées spirituellement. Après quelques jours, ce problème fâcheux a été réglé. L’USUCAPION1

DES BIENS D’ÉGLISE

La sagesse bestiale et diabolique de Pavie a établi et établit des lois injustes pour écraser le peuple des pauvres auxquels appartiennent les églises d’origine. En effet, elle jouit d’un usucapion illégal, tantôt mis en place à tort par celles-ci, tantôt interprété plus mal encore. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup d’églises ou peut-être toutes, y compris pour les droits qui appartiennent directement à notre évêque, sont aujourd’hui appauvries du fait de l’iniquité de ceux-ci, parce que – outre les occupations arbitraires, les pillages excessifs et la rétention des dîmes, des prémices, des offrandes et des autres droits des églises, l’ingérence des leurs chez eux, et les extorsions diaboliques des biens des pauvres, des clercs et des autres personnes ecclésiastiques – cette tyrannie des bêtes qui se dresse contre le patrimoine du Crucifié s’oppose à l’usucapion; or ces biens d’Église possèdent un titre légitime. Et si, du fait qu’aucune interruption de l’usucapion ne s’est apparemment intercalée, ils peuvent être reconnus comme des propriétés légitimes de l’Église pour l’impôt annuel, [fol. 14], néanmoins, à cause d’une absence justifiée du prêtre ou, plus fréquemment, du dernier remplacement par son successeur, ou d’une vacance prolongée – raisons légitimes pour lesquelles il n’a pu lui-même s’occuper de cette affaire dans l’intervalle – leurs propriétés, du fait de leur titre légitime, doivent être réunies aux possessions de l’Église à l’aide des preuves adéquates. Mais si l’on objecte à l’Église que cela est seulement dû à la négligence du curé et non à une autre raison, du fait de l’usucapion susdit, aucun préjudice ne doit être pour autant causé à l’Église, afin d’éviter que la faute d’une personne ne soit attribuée à l’Église; sinon la malice humaine est autorisée à avoir l’usucapion en se dressant contre l’innocence chrétienne. Est-ce que le diable, l’adversaire du Christ – la preuve étant faite d’un usucapion continuel relatif à la possession des nations, encore que l’usucapion sacrilège des juifs ramenés dans plusieurs cas au pouvoir de Dieu ait été souvent interrompu au temps de ce diable – n’a pas fina-

1 L’usucapion désigne une prescription acquisitive (moyen légal d’acquérir la propriété par une possession non interrompue).

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FOL.

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brorum suorum); qui est populus christianus propter iustum titulum Crucifixi regis iudeorum et gentium; qui nunc corporaliter possidet et possidebit gentes in hereditatem suam usque ad terminos omnis terre. (Nomen de titulo Crucifixi: « Hic est rex iudeorum »). Sancta laicalitas christiana est hereditas mea, nomine Domini mei cuius sum seruus. Vniuersitas sacerdotalis est heres cuius hereditas est christianitas illa. Nos heredes facimus illos heredes Dei eterni et nos heredes Dei cum illis: heredes quidem Dei, coheredes autem Christi, et hoc fundamentaliter de Deo et Christo; speculariter autem heredes Dei (id est sacerdotii similis Deo) et coheredes Christi (id est populi christiani). Nos simul cum illis heredes habemus eternam et immarcescibilem hereditatem fundamentaliter et finaliter Dei eterni.

De uera hereditate Quicumque uoluerit immiscere legem terrenam cum probationibus suis cum hac lege celesti atque diuina a nemine audiatur, ne bestia tangat montem Dei. Sancta christianitas ex nunc corporaliter est incorruptibilis domus Dei; et spiritualiter est heres et hereditas Dei, licet sit quelibet eius persona mortalis. Nam nos clerici – a « cleros » quod est hereditas deriuati – habemus testimonium et significationem uocabuli hereditatis, cuius rem habet sancta christianitas et nos cum illa. Viri ecclesiastici in sublimioribus constituti habent exterius semper significationem rei sue interioris et inferiorum sub se. Verbi causa. Episcopus habet insignia que significant Spiritum sine signis simplicis presbiteri; presbiter cum ornamentis suis sacramentalibus significat inde inuisibilem rem populi christiani. Ita clericus significat christianos heredes: apparentia omnis perfecti habet in se exterius significationem; et apparentia omnis infirmi habet intra se rem et Spiritum sine signis quem illa perfecti significant, nequis infirmus desideret insignia illa deceptiue, scilicet illam significationem pro re quam habet uel habere potest de facili per gratiam Dei. Nunquam potest errare Prouincia siue uulgaris siue litteralis accipiendo alterutro modo rem pro causa uel causam pro re. Actum V idus augusti.

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lement capitulé avec ses droits? Voilà la preuve fondamentale de la victoire légitime du Christ sur le diable: le titre légitime du genre humain créé et racheté par Dieu. Cette preuve concerne aussi la mise à l’écart des membres du diable hors de la propriété et de la possession du patrimoine du Christ (c’est-à-dire de ses membres); lui qui est le peuple chrétien, en raison du titre légitime de Crucifié, roi des juifs et des nations1; lui qui est aujourd’hui et qui sera le détenteur dans son corps des nations reçues en héritage jusqu’aux limites de toute la terre. (Le titre du crucifié est le suivant: « Celui-ci est le roi des juifs »2). La sainte condition de laïc chrétien est mon héritage, au nom de mon Seigneur dont je suis le serviteur. La communauté des prêtres est l’héritière qui a pour héritage cette chrétienté. Nous les héritiers, nous faisons d’eux les héritiers du Dieu éternel et de nous les héritiers de Dieu avec eux: oui, les héritiers de Dieu et les co-héritiers du Christ, et cela est fondamental en partant de Dieu et du Christ; et sur un plan manifeste, les héritiers de Dieu (c’est-à-dire du sacerdoce personnifié par Dieu), et les co-héritiers du Christ (c’est-à-dire du peuple chrétien). Nous qui sommes héritiers en même temps qu’eux, nous possédons l’héritage éternel et incorruptible du Dieu éternel sur un plan fondamental et définitif. Le véritable héritage Quiconque veut introduire une loi terrestre avec ses argumentations dans cette loi céleste et divine ne doit être écouté par personne, pour éviter que la bête n’atteigne la montagne de Dieu3. La sainte chrétienté est dès à présent dans son corps la maison incorruptible de Dieu; et spirituellement, elle est l’héritière et l’héritage de Dieu, bien qu’elle corresponde à n’importe laquelle de ses personnes mortelles. Car nous les clercs – terme qui vient de « cleros »4, c’est-à-dire l’héritage – nous connaissons le témoignage et la signification du mot héritage; quant à sa réalité, la sainte chrétienté la connaît, et nous avec elle. Les hommes d’Église ayant reçu d’assez hautes charges portent toujours au-dehors le signe de leur réalité intérieure et de celle de leurs inférieurs. A cause du Verbe. L’évêque porte les insignes qui indiquent l’Esprit, sans les signes que porte le simple prêtre; le prêtre revêtu de ses ornements liturgiques indique de ce fait la réalité invisible du peuple chrétien. Ainsi le clerc représente les chrétiens héritiers; chaque parfait fait voir au-dehors ce qu’il a dans son cœur; et chaque faible fait voir au dehors qu’il a au fond de lui, en l’absence de signes, la réalité et l’Esprit intérieurs que ces [signes] indiquent chez le parfait, pour éviter qu’un faible ne désire ces insignes trompeurs – à savoir cet emblème au lieu de la réalité qu’il possède ou qu’il peut posséder facilement avec la grâce de Dieu. La Provence, que ce soit celle du peuple ou celle des lettrés, ne peut jamais se tromper en recevant alternativement la réalité au lieu de la cause et la cause au lieu de la réalité. Fait le 5 des ides d’août [9 août 1337].

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Voir Mt 27, 37; Lc 23, 38; Jr 10, 7. Lc 23, 38. Voir additum du fol. 23. C’est-à-dire l’Horeb (ou Sinaï). Terme grec (¿ klh´ ro").

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DE

FOL.

14-14v°

SACRAMENTIS ET INVISIBILI RE ET REGNO PRESENTIS

ECCLESIE

Similiter omnis sancta religio cuiuscumque regule uel ordinis ex parte perfectionis sue significat apostolicam regulam ab initio constitutam, quam habemus nos presbiteri seculares secundum hominem interiorem cum ipsis, licet exterius simus in apparentia imperfectorum propter infirmos nostros quos suscepimus. Ecce quod omnes perfectiores gradatim, conseruata semper inuisibili re, possunt habere insignia dignitatum et habitus religionum exterius in testimonium et significationem eiusdem inuisibilis rei quam habent apparentes infirmiores sine signis illis, eo quod perfectior potest per insignia et habitus perfectionis significare infirmiori illa que interius ipse habet, et iste similiter habet uel potest eadem habere cum nullis uel modicis significationibus. Saluo semper ordine substantiali, scilicet presbiteratu – quo nullus excelsior esse potest, propter ministerium huius ordinis ad eucharistie sacramentum quo nullum excellentius esse potest – quicquid agit episcopus sacramentaliter, simplex presbiter potest agere spiritualiter. Episcopus cum adiutorio duorum episcoporum consecrat alium episcopum sacramentaliter; et presbiter spiritualis episcopus cum testibus aliis ordinis sui potest alium presbiterum facere episcopum spiritualem ut sciat superintendere gregi suo. Episcopus ordinat clericos usque ad presbiterum sacramentaliter; et presbiter perfectus in ordine Ihesu Christi potest quemlibet de laicis plebis sue promouere secundum gradus doctrine ad sacerdotium spirituale, ut sacrificare seipsum addiscat. Episcopus sacramentaliter confirmat baptizatos et presbiter spiritualiter potest confirmare infirmos. Penitentia sollempnis per episcopum cum simplici penitentia per presbiterum unum est sacramentum, licet ista simplex sit reiterabilis et illa non. Omne sacramentum non reiterabile pertinet ad solum episcopum preter baptismum. Rursus episcopus sollempniter dedicat materialem ecclesiam uel altare; presbiter spiritualiter dedicat uel potest dedicare uiuificum templum Dei non manu factum in Spiritus Sancti habitaculum corporale. Hec omnia sine adiutorio gratie Dei non possunt fieri. Nequis autem presumet ulterius dogma-[fol. 14v°]-tizare illam heresim quam predicat non uerbo sed opere sepedicta Papia – uidelicet christianum non esse obligatum Christo in carne sed in anima tantum, ut sit Christus christianorum Dominus spiritualis tantum non corporalis (que heresis non est diuersa ab hiis qui negabant Christum in carne uenisse) – habemus ad confutationes eorum preparatas rationes. Et primo ostendimus eorum opinionem insanam. Dicunt enim, sicut eos docuerunt quidam pseudoprophete, Christum ab initio natiuitatis sue usque ad patibulum crucis semper habuisse stigmata paupertatis et nunquam acceptas1

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LES

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SACREMENTS, L’INVISIBLE ET LE ROYAUME DE L’ÉGLISE ACTUELLE

De la même manière, toutes les saintes communautés religieuses, quels que soient leur règle ou leur ordre, du fait de leur perfection, indiquent la règle apostolique établie dès l’origine; c’est elle que nous, les prêtres séculiers, nous observons en suivant l’homme intérieur avec elles-mêmes, bien qu’au-dehors, nous ayons l’air imparfaits à cause de nos faibles que nous avons soutenus. C’est ainsi que tous ceux qui sont plus avancés dans les étapes de la perfection, la réalité invisible ne cessant d’être sauvegardée, peuvent porter les insignes de leurs fonctions et l’habit de leur communauté religieuse de manière apparente, pour attester et indiquer cette réalité invisible que les plus faibles ont l’air de posséder aussi, en étant dépourvus de ces signes; car celui qui est plus avancé dans la perfection peut, à l’aide des insignes et des habits de la perfection, indiquer à celui qui est plus faible ce que lui-même possède intérieurement; et celui-là aussi possède ou peut posséder les mêmes choses, avec peu ou pas d’emblèmes. En préservant toujours l’ordre essentiel, à savoir la prêtrise – aucun ordre ne pouvant être plus élevé, puisqu’elle administre le sacrement de l’eucharistie, qu’aucun sacrement ne peut surpasser – tout ce que l’évêque fait sur le plan des sacrements, le simple prêtre peut le faire sur le plan spirituel1. L’évêque consacre un autre évêque par un sacrement, avec l’aide de deux évêques; et le prêtre, en tant qu’évêque spirituel associé à d’autres témoins de son rang, peut faire d’un autre prêtre un évêque spirituel2, pour qu’il sache surveiller son troupeau. L’évêque confère le sacrement de l’ordre aux clercs jusqu’à la prêtrise; et le prêtre qui est parfait dans l’ordre de Jésus-Christ peut élever n’importe quel laïc appartenant à ses ouailles au sacerdoce spirituel, selon le degré de sa formation, pour qu’il apprenne à s’offrir luimême en sacrifice. L’évêque donne le sacrement de confirmation aux baptisés et le prêtre peut donner une confirmation spirituelle aux faibles. La pénitence solennelle donnée par l’évêque et la pénitence simple donnée par le prêtre ne sont qu’un seul sacrement, bien que celle qui est simple soit renouvelable et pas l’autre. Tout sacrement non renouvelable appartient seulement à l’évêque, à l’exception du baptême. En revanche, l’évêque consacre solennellement un bâtiment d’église ou un autel; le prêtre consacre ou peut consacrer spirituellement le temple de Dieu qui vivifie, qui n’a pas été fait de main d’homme, pour en faire la demeure corporelle de l’Esprit Saint3. Tout cela ne peut arriver sans l’aide de la grâce de Dieu. Et pour éviter que quelqu’un n’ait l’audace d’ériger plus tard [fol. 14v°] en doctrine cette opinion hérétique que Pavie, toujours elle, prêche, non en paroles mais en actes – à savoir qu’un chrétien n’est pas attaché au Christ dans la chair mais seulement dans l’âme, si bien que le Christ serait le Seigneur des chrétiens seulement sur le plan spirituel et non sur le plan corporel (hérésie qui n’est pas éloignée de celles qui niaient que le Christ soit venu dans la chair4) – nous dispo-

Pour tout ce qui suit, voir schéma B, fol. 41v°. Les propos d’Opicinus sont très audacieux. 3 Opicinus se place au-dessus de tous s « spirituels » et « le temple de Dieu qui vivifie ». 4 Allusion au docétisme des hérésies gnostiques et manichéennes (notamment le catharisme): le Christ n’a pu revêtir un corps charnel; il ne s’agissait que d’une apparence. 1 2

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FOL.

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se dominium corporale. Ista non nego nec unquam negaui, sicut responsum est eis, si ad eorum audientiam uenerint sententie illorum duorum tractatuum « De paupertate Christi » et « preeminentia spiritualis imperii », quod de necessitate concludit intra se imperium temporale. Nam Dominus noster Ihesus Christus, Deus et homo, qui a Patre acceperat utrumque imperium, ne aliqua calumpnia uiolentie obiceretur sibi, cum omni benignitate et suauitate disposuit se ius traditum sibi post redemptionis nostre remedium consumatum, cum humilitate, patientia et tollerantia paulatim – absque contradictione cuiusquam, cum libera uoluntate omnium diligentium illum, nobiliori modo quam quo mundus per uiolentiam extorserat – obtinere. Credentes autem carnaliter filii Zebedei ipsum statim post Resurrectionem suam corporaliter regnaturum in plenitudine regni, carnaliter petierunt sedes uiciniores Christo pro se quam pro aliis. Quibus responsum est post aliqua: « Non est meum, qui sum homo mortalis sicut uos estis, dare uobis quod petitis, sed electis cum quibus uos eritis, si perseuarabitis mecum »; ut secundum hominem loquar: « Quibus electis datum est a Patre meo, cum quo sum ab eterno unus Deus ». Ecce ex parte deitatis sue. Redimens autem omnes electas animas ab initio seculi usque ad finem per triduum quo iacuit mortuus, acquirens etiam sibi illarum corpora in Resurrectione sua qua resurrexit a mortuis uiuus et immortalis, premonstrans quoque fidelibus suis tam tunc presentibus quam exinde futuris ubi esset gloria preparata isti regno suo spirituali et corporali die qua celos ascendit cum electis suis preteritis, extunc nobis ostendit se utrumque dominium accepisse, etiam possessionem huius regni corporalem incepisse, licet adhuc illud utrumque imperium in modicis hominibus se uoluntarie tradentibus sibi in mente et carne modicum regnum esset. Et ideo instante Ascensione sua ex tunc usque nunc dixit discipulis suis: «‘Data est mihi omnis potestas in celo (id est in animabus celestibus) et in terra (id est in corporibus terrestribus). Euntes ergo (ad executionem huius regni mei) docete omnes gentes (id est laicas plebes cure uestre commissas. Ecce cathecismus, ut primo acquiratis omnes eorum animas mihi), baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti (ecce baptismus, ut ex eorum uiuis corporibus edificetis mihi templum in quo habitem in utraque natura mea, cum quorum animabus in unam animam non natura sed gratia transformatis, in unicam uirginem sponsam meam, conuersabor continue per fidem et uinculum caritatis. Et quanto grauiora passa fuerint pro nomine meo membra istius corporis templi mei usque ad finem, tanto maiorem apud me gratiam inuenient. Ne autem uos reputetis huius regni exortes, alloquor uos sacerdotes ministros meos in gaudio, facto mihi debito uestro primum), docentes eos seruare omnia quecumque mandaui uobis (ut in omnibus obediat parrochia suo rectori, quasi filius patri aut uxor uiro suo). Et ecce ego uobiscum sum omnibus diebus usque ad consumationem seculi’, ut nunquam possit esse uiuificum templum sine www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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sons d’arguments prêts à les contredire. Et nous commençons par montrer que leur opinion est insensée. En effet, ils disent, comme certains faux prophètes le leur ont enseigné, que le Christ, dès qu’a commencé sa naissance et jusqu’au gibet de la croix, a toujours porté les marques/stigmates de la pauvreté et n’a jamais reçu de pouvoir corporel. Je ne mets pas en doute et n’ai jamais mis en doute cela; de même qu’on leur répond, si les opinions qui figurent dans les deux traités que sont « Sur la pauvreté du Christ » et « Sur la primauté du pouvoir spirituel » parviennent à leur connaissance, qu’il renferme nécessairement au fond de lui un pouvoir temporel. Car notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme, qui avait reçu du Père chacun des deux pouvoirs, pour éviter qu’une quelconque accusation de violence ne soit portée contre lui, a décidé avec une bienveillance et une douceur totales de maintenir le droit qui lui avait été remis après avoir accompli la guérison que représente notre rédemption, en y mettant une humilité, une patience et une endurance progressives, sans opposition venant de qui que ce soit, avec l’adhésion libre de tous ceux qui l’aiment, et d’une manière plus noble que celle qu’utilisait le monde pour procéder à des extorsions abusives. Or les fils de Zébédée1, croyant charnellement que lui-même régnerait corporellement aussitôt après sa Résurrection dans la plénitude de la royauté, demandèrent charnellement au Christ de siéger plus près de lui que les autres2. Et il leur répondit après d’autres paroles: « Il ne m’appartient pas, à moi qui suis un homme mortel comme vous, de vous donner ce que vous demandez, mais c’est pour les élus avec lesquels vous vous trouverez, si vous tenez bon avec moi »3; pour parler comme l’homme [Matthieu]: « Ces élus auxquels c’est donné4 par mon Père, avec lequel je suis un seul Dieu depuis toujours ». Voilà en ce qui concerne sa nature divine. Or, en rachetant toutes les âmes élues depuis le début des temps jusqu’à leur fin pendant les trois jours où il était endormi dans la mort5, en attirant également à lui leurs corps dans sa Résurrection – par laquelle il est ressuscité d’entre les morts, vivant et immortel – en annonçant aussi à ses fidèles, aussi bien présents en ce temps-là qu’à venir par la suite, où se trouvait la gloire préparée pour ce royaume spirituel et corporel qui est le sien le jour où il monta aux cieux avec ses élus d’autrefois, il nous a montré dès ce temps-là qu’il avait reçu chacun des deux pouvoirs et que même il avait inauguré l’occupation corporelle de ce royaume, bien qu’encore maintenant chacun de ces deux pouvoirs corresponde à un règne limité au sein du petit groupe d’hommes qui se sont donnés à lui volontairement, dans leur esprit et dans leur chair. Et c’est pourquoi, au moment de son Ascension, il dit à ses disciples d’hier comme d’aujourd’hui: «‘Tout pouvoir m’a été donné au ciel (c’est-à-dire sur les âmes célestes) et sur la terre (c’est-à-dire sur les corps terrestres). Allez donc (pour réaliser ce royaume qui est mien), enseignez toutes les nations (c’est-à-dire les foules laïques qui ont été confiées à votre cure; voilà le catéchisme, pour que vous commenciez

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Jacques et Jean. Voir Mc 10, 37. Voir Mc 10, 40 et Mt 20, 23. Voir Mt 13, 11; 19, 11. Allusion à la bouffée délirante d’Opicinus en 1334.

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FOL.

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Domino suo nec Dominus sine templo. Hec omnia que dico uobis sunt in presenti Ecclesia speculari; dico et uobis qui estis in nouissimis seculis. Vtrumque regnum meum spirituale et corporale in uobis est. Anime sanctorum meorum exute a carne supra humanitatem meam gloriantur in beatitudine cum angelis meis ad contemplandam gloriam Patris mei et meam; qui uerus Deus humanam naturam meam a uobis susceptam habeo simul et semel, et in celestibus glorie uobis parate et in presenti Ecclesia uestra corporis spiritualis. Vbique non locis sed uirtute mea sum totus in utraque natura, ibi per speciem et hic per fidem. Omnes creature intelligibiles (scilicet angeli et anime) ibi sunt mecum immutabiles non in se sed in Deo, hic sunt mecum mutabiles in se non in Deo, et hoc simul et semel. Ibi sunt eternam gloriam contemplantes ad recognoscenda beneficia sibi facta; hic sunt administratorii Spiritus per ierarchias cum sanctis exutis ad procuranda continue totius Ecclesie sine ulla limitatione suffragia. Vtrobique elegi sedem meam, ibi in patria sempiterna, hic in Syon (id est in Ecclesia speculari). Vbicumque ego sum, ibi sunt mecum et cum angelis meis omnes electi mei, tam qui dormierunt in Domino quam qui uiuunt in carne, donec utrumque regnum meum transferam mecum ad eternam gloriam Patris mei. Animas uestras [fol. 15] nunc pasco et foueo per fidem sub humanitate mea. Animas autem exutas inebrio diuinitate mea que, non relicta uisione beatifica, ad consolationem se sociant animabus fratrum suorum qui uos estis. Hic cum illis rego Patrem meum pro uobis et sursum cum Patre meo preparo sedem uestram. Vos, popule meus immortalis, non indigetis orationibus pro uobis nisi propter infirmos uestros; persone uero uestre mortales infirmitati subiecte orationibus egent ».

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par attirer à moi toutes leurs âmes), les baptisant au nom du Père et du Fils et de l’Esprit Saint (voilà le baptême, pour qu’avec leurs corps vivants, vous me construisiez un temple où j’habite avec chacune de mes deux natures; et je vivrai continuellement, grâce à la foi et au lien de la charité, en compagnie de leurs âmes transformées en une seule âme, non par nature mais par grâce, une vierge incomparable, mon épouse. Et plus les membres de ce corps qui est mon temple auront supporté d’épreuves pénibles pour mon nom jusqu’à la fin, plus grande est la grâce qu’ils trouveront auprès de moi. Mais pour que, en ce qui vous concerne, vous ne pensiez pas être exclus de ce royaume, je m’adresse à vous les prêtres qui avez la joie d’être mes ministres, afin que, une fois que vous vous serez d’abord acquittés de vos devoirs envers moi) en leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit, (la paroisse obéisse en tout à son curé, comme un fils à son père ou une femme à son mari). Et moi je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin des temps’1, afin qu’il ne puisse jamais y avoir de temple qui vivifie sans le Seigneur qui lui est propre, ni de Seigneur sans le temple. Tout ce que je vous dis se trouve dans l’Église du miroir actuelle; et je le dis aussi à vous qui vivez les derniers temps. Chacun de mes deux royaumes, le spirituel et le corporel, est en vous. Les âmes de mes saints libérées de la chair, situées au-dessus de mon humanité, connaissent la gloire dans la béatitude avec mes anges, afin de contempler la gloire de mon Père et la mienne – moi le vrai Dieu, qui possède en même temps et une fois pour toutes la nature humaine qui est mienne et que vous adoptez, dans les cieux de la gloire qui vous est préparée comme dans votre Église actuelle, celle du corps spirituel/glorieux. Partout, en parlant non pas de géographie mais de ma grandeur, je suis tout entier dans les deux natures, làhaut grâce à la vision [de Dieu] et ici-bas grâce à la foi. Toutes les créatures intelligibles2 (c’est-à-dire les anges et les âmes) se trouvent là-haut en ma compagnie: elles y sont immuables, non pas personnellement mais en Dieu; et elles se trouvent ici-bas en ma compagnie: elles y sont mutables, personnellement et non en Dieu; et cela en même temps et une fois pour toutes. Là-haut, elles demeurent dans la contemplation de la gloire éternelle, pour reconnaître les bienfaits qu’elles ont reçus; ici,-bas, elles sont les auxiliaires de l’Esprit, grâce à la hiérarchie [des anges] associée aux saints libérés [de la chair], pour procurer sans cesse leurs suffrages à l’Église tout entière, sans la moindre restriction. Des deux côtés, j’ai élu mon domicile, là-haut dans la patrie éternelle, ici-bas dans Sion (c’est-àdire dans l’Église du miroir). Partout où moi, je me trouve, tous mes élus se trouvent aussi avec moi et avec mes anges, aussi bien ceux qui se sont endormis dans le Seigneur que ceux qui vivent incarnés, jusqu’à ce que je fasse passer avec moi chacun de mes deux royaumes à la gloire éternelle de mon Père. Aujourd’hui, je nourris et je couve vos âmes [fol. 15] grâce à la foi, sous mon humanité. Et je donne l’extase de ma divinité aux âmes libérées [de la chair] qui, sans délaisser la vision béatifique, s’unissent aux âmes de leurs frères que vous êtes pour les encourager. Ici-bas, en lien avec elles, je guide mon Père pour vous, et là-haut, je Mt 28, 18-20. La suite du discours est entièrement d’Opicinus (identifié au Christ). Allusion à la différence entre le monde sensible et le monde intelligible (qu’on ne peut appréhender que par l’entendement). 1 2

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RATIONE BAPTISMI

1 Si infans moriatur cathecuminus ante baptismum, cum caro includat rationem et uoluntatem nequeuntes produci in actum, cum abortiuis mortuis reputatur. Si uero baptizetur in articulo mortis sine cathecismo et sic baptizatus emigret, propter gratiam datam illi rationi licet incluse saluus est. Siquis ratione utens cathecuminus intendens baptizari subito moriatur ante baptismum, iam anima eius Domino obligata propter spem tradendi corpus suum seruitio Christi salua est. Ecce quod infans cathecuminus non potest animam suam rationalem adhuc inclusam in carne Christi dominio subiugare, nisi caro illam rationem includens Christo corporaliter dedicetur. Cathecuminus autem ratione utens cum proposito baptizandi animam suam rationalem non inclusam in carne iam libere tradidit Christo, donec caro sua edificetur in templum.

Argumenta presentis Ecclesie de regno suo Ecce angelus ad Virginem Mariam: « Dabit filio tuo Dominus Deus sedem Dauid patris eius, et regnabit in domo Iacob in eternum, et regni eius non erit finis ». Siquis intelligeret ista de alia patria sempiterna que in nullo uariabilis est, arbitror ipsum errare secundum sententiam Ecclesie non aliter. Si uero dicatur de Ecclesia speculari, uerius mihi uidetur, cuius regnum eternum hic inceptum est et alibi consumatum. Apostolus (I ad Corinthios VI): « Nescitis quia corpora uestra membra sunt Christi? et cetera. An nescitis quia membra uestra templum est Spiritus Sancti, qui in uobis est, quem habetis a Deo; et non estis uestri? Empti enim estis pretio magno. Glorificate et portate Deum in corpore uestro ». Ecce sedes Dauid, ecce domus Iacob, ecce regnum eternum continuatum cum illo. Sedes Dauid et domus Iacob est specularis Ecclesia transferenda in fine totaliter ad speciem Dei eterni, cuius nunc pascitur fide. Sedes Dauis et domus Iacob est Christi possessio corporalis quam Christus corporaliter habet hic non alibi. 2

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Dessin d’une main dans la marge de gauche. Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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prépare votre séjour avec mon Père. Vous, mon peuple immortel, vous n’avez pas besoin que l’on prie pour vous, si ce n’est en raison de vos faibles; en revanche, vos personnes mortelles soumises à la faiblesse ont besoin de prières ». LA

RAISON DU BAPTÊME

Si un enfant meurt en étant catéchumène avant le baptême, comme sa chair enferme une raison et une volonté incapables de se manifester concrètement, il est compté avec les enfants nés avant terme. Mais s’il est baptisé à l’article de la mort sans avoir été catéchisé et quitte la vie ainsi baptisé, il est sauvé en raison de la grâce donnée à cette raison pourtant enfouie. Si une personne jouissant de sa raison, catéchumène se proposant d’être baptisée, meurt subitement avant son baptême, son âme déjà liée au Seigneur est sauvée, puisqu’elle espérait livrer son corps au service du Christ. C’est ainsi qu’un enfant catéchumène ne peut soumettre au pouvoir du Christ son âme raisonnable encore enfermée dans la chair, à moins que la chair qui enferme cette raison ne soit consacrée corporellement au Christ. En revanche, un catéchumène qui jouit de sa raison avec l’intention d’être baptisé, a déjà librement livré au Christ son âme raisonnable qui n’est plus enfermée dans la chair, jusqu’à ce que sa chair participe à la construction du temple. Les preuves apportées par l’Église actuelle sur son règne Voici l’ange qui s’adresse à la Vierge Marie: « Le Seigneur Dieu donnera à ton fils le trône de David son père; il règnera sur la maison de Jacob pour l’éternité et son règne n’aura pas de fin »1. Si quelqu’un comprend qu’il s’agit de l’autre patrie, celle qui est éternelle et n’est sujette à aucun changement, je pense qu’il se trompe, en suivant l’opinion de l’Église et non autrement. Mais s’il est question de l’Église du miroir, cela me semble plus exact, car son règne commence ici et s’achève ailleurs. L’apôtre dit (1e aux Corinthiens, chapitre 6): « Ne savezvous pas que vos corps sont les membres du Christ? etc. Ou bien ne savez-vous pas que votre corps est un temple de l’Esprit Saint, qui est en vous et que vous tenez de Dieu? Et que vous ne vous appartenez pas? Vous avez bel et bien été achetés! Glorifiez et portez Dieu dans votre corps »2. Voici le trône de David, voici la maison de Jacob3, voici le royaume éternel qui lui succède. Le trône de David et la maison de Jacob sont l’Église du miroir, qui doit passer finalement tout entière à la vision du Dieu éternel qui la nourrit à présent par la foi. Le trône de David et la maison de Jacob sont la propriété corporelle du Christ: il la possède corporellement ici-bas et non ailleurs.

Lc 1, 32-33. 1 Co 6, 15-19. 3 Ces deux expressions sont fréquentes dans la Bible (surtout dans l’Ancien Testament) pour désigner la royauté du peuple de Dieu. 1 2

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De uera perfectione uirtutum inter temptationes Beatus Laurentius martir Christi habuit in seipso figuram et rem, licet prius rem habuerit quam figuram. Figura est ipsum in medio ignis non estuatum, quamuis apparuerit inde adustus. Res est eundem in medio thesaurorum Ecclesie nulla cupidine maculatum, licet a tyranno crudeli fuerit reputatus cupidus et auarus. Eadem uirtus est in multis prelatis Ecclesie, licet a carnalibus iudicentur pomposi et cupidi; Deus autem iudicat aliter. Adhuc est alia figura: dispersio thesaurorum Ecclesie pauperibus significat presentem necessitatem dispergendi discrete tamen pauperibus spiritu thesauros spiritualis iudicii atque iustitie sempiterne. Illa dispersio figuralis semper est necessaria, ut primo pauperes temporalium sustentetur1 in carne, deinde iidem proficientes in fide spiritualiter nutriantur per patres spirituales.

De sigillis future patrie, beatitudinis et inferni, a nemine uiolandis 2 Ex hiis erit occasio omnium heresum futurarum ex nunc destructarum, sicut preterite et presentes delete sunt. Si omnia ista misteria boni uel mali attribuerentur futuris gaudiis paradisi et tormentis inferni, que nemini licet inquirere nisi simpliciter credere sicut tradiderunt nobis patres et doctores catholici, iam omnia illa futura fere nichilum reputarentur. Siquis recitaret mihi carnali continue de gaudiis illius paradisi absconditi, proponendo omnes delectationes eius – de uidendo Deum eternum in throno et Virginem Mariam quasi reginam a dextris regis, cum tota militia angelorum ministrorum Dei, et cum choris prophetarum et apostolorum quasi XXIIIIor seniorum, cum martiribus quasi militibus, cum confessoribus quasi consiliariis et cum uirginibus domicellis, que omnia sunt ualde aliter disposita quam dicantur – ego carnalis ymaginans omnia illa carnaliter, reputo mihi in fastidium, adeo ut non deinceps de talibus cogitem, nisi ut inueniam aliquam recreationem in delectationibus mundi. Si dicatur mihi de regno celorum, non intelligo nisi carnaliter in gloria paradisi de qua non sollicito aliquid; illa fastidium est mihi. Similiter de tormentis inferni absconditi que nemini licet ulterius inuestigare nisi simpliciter credere, sepius audiens illa carnaliter iudico de quibus nullum timorem habeo. Non desidero paradisum nec timeo infernum. Interrogatus si uellem esse in paradiso, responderem carnaliter: « Vtinam! »; cor autem meum habet paradisum in ydolis suis. Quesitus an timerem penas inferni, responde-

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On attendrait: sustententur. Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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La perfection réelle des vertus au milieu des tentations Le bienheureux Laurent, martyr du Christ1, a porté en lui le symbole et la réalité, bien qu’il ait connu la réalité avant le symbole. Le symbole: lui-même au milieu du feu, n’étant pas brûlé, quoiqu’il ait ensuite donné l’impression d’être réduit en cendres. La réalité: le même au milieu des trésors de l’Église, n’étant souillé par aucune convoitise, bien qu’il ait été considéré comme avide et cupide par un tyran cruel. La même qualité essentielle se retrouve chez de nombreux prélats d’Église, bien qu’ils soient considérés par les hommes charnels comme aimant le luxe et avides; mais Dieu juge différemment. Il y a encore un autre symbole: la distribution des trésors de l’Église aux pauvres indique qu’il est aujourd’hui indispensable de distribuer – avec modération cependant – aux pauvres en esprit les trésors du jugement spirituel et de la justice éternelle. Cette distribution concrète est toujours indispensable, afin que d’abord ceux qui sont pauvres en biens temporels soient alimentés matériellement et qu’ensuite, faisant des progrès dans la foi, les mêmes soient nourris spirituellement par les pères spirituels. Les sceaux de la patrie à venir, de la béatitude et de l’enfer, que personne ne doit briser par la force Ils donneront l’occasion de détruire dès à présent toutes les hérésies à venir, aussi vrai que les hérésies passées et présentes sont détruites. Si tous ces secrets relatifs au bien et au mal étaient attribués aux joies du paradis et aux tourments de l’enfer à venir – sur lesquels personne n’est autorisé à se renseigner, mais auxquels il faut seulement croire avec candeur, comme nous l’ont enseigné les pères et les docteurs incarnant la tradition – tous ces événements à venir seraient déjà considérés comme presque dénués de valeur. Si quelqu’un ne cesse de me faire des discours, à moi qui suis charnel, sur les joies de ce paradis inconnu, en m’annonçant tous ses plaisirs – à savoir de voir le Dieu éternel sur son trône et la Vierge Marie telle une reine à la droite du roi, avec toute la milice des anges qui servent Dieu, avec les cortèges des prophètes et des apôtres (semblables aux 24 vieillards), avec les martyrs (semblables à des soldats), avec les confesseurs (semblables à des conseillers) et avec les jeunes filles vierges, sachant que l’ensemble de cette organisation est très différente de que ce que l’on dit – moi qui suis charnel, comme j’imagine tout cela sur le plan charnel, je le considère comme si rebutant que je n’ai plus ce genre de pensées par la suite, sauf pour trouver quelque divertissement dans les plaisirs du monde. Si l’on me parle du royaume des cieux, je ne devine que charnellement la gloire du paradis dont je ne me soucie aucunement: elle me rebute. De même pour les tourments de l’enfer inconnu – sur lesquels personne n’est autorisé à pousser la recherche, mais auxquels il faut croire avec candeur – comme j’en entends parler trop souvent, je les considère d’un point de vue charnel et je n’éprouve aucu1 Saint Laurent (vers 210-258), diacre de l’Église romaine (et chargé à ce titre d’administrer les richesses de l’Église), fut sommé par l’empereur Valérien et le préfet de la ville de livrer les trésors de l’Église; ayant refusé, il fut mis à brûler sur un gril: voir la Légende dorée, t. 2, pp. 68-82. Opicinus s’identifie à lui.

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FOL.

15-15v°

rem: « Vtique! »; in pectore uero meo ex nunc habeo arras inferni. Oportet ergo [fol. 15v°] deinceps utraque reducere ad speculum demonstratiuum sancte presentis Ecclesie et humane malitie, relictis illis sub sigillis extremis que nemo uiuens unquam potuit aperire, nisi quod Deus ineffabili excessu aliquibus reuelauit, qui illa narrauerunt sub sigillo misterii, sicut fuit beatissimus Augustinus doctor eximius, ut arbitror, non tamen diffinio. Actum die sancti Laurentii.

COMPARATIO

DOMVS ET MVNDI

1 Si totus mundus esset tantum una domus, sicut est in ueritate, due persone humane uel tres aut plures existentes in ea sic se haberent ad inuicem, propter malitiam in unoquoque regnantem, ut unusquisque non confidens de altero, timens ne sibi temporalia bona deficerent, ambiens etiam ceteris dominari, toto studio et quocumque ingenio, usque ad uiolentiam manifestam, raperet ab altero quicquid posset. Tunc potentior omnia habens per auaritiam, siqua alia possent inueniri, semper ad alia inhiaret. Alter infirmior omnibus spoliatus in suis aduersitatibus desperaret et illius prosperitatibus inuideret. Et sic in breui copia rerum et prosperitas personarum deuenirent ad nichilum, propter malitiam utrorumque diuitum et pauperum. Qui si in uera innocentia perseuerassent ut fratres ad inuicem, nullo eorum habente plus alio, nunquam in personis nec in rerum copia defecissent. Sic nunc totus est mundus huiusmodi: in raritate hominum super terram uiuentium, regnante maxima malitia, temporalia bona deficiunt. Si enim habitarent homines innocentes sine ulla malitia super terram in maiori multitudine quam sint modo, nunquam eis temporalia bona deficerent. Vescerentur de omnibus deliciis sine corruptione nature, nec unquam cessarent a laudibus Creatoris. Nunc aliter istis dispositis, Deo uolente nobis ostendere maiores diuitias, iubente bonis et permittente malis – illis per misericordiam et istis per iudicium – in finali Iudicio terribilius iudicium reproborum commendabit maiorem gloriam electorum. Quicumque noluerit pauescere a tali Iudicio, ostendit per sua opera signum mali.

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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ne crainte à leur sujet. Je ne désire pas le paradis et je ne crains pas l’enfer. Si l’on m’interrogeait pour savoir si je veux être au paradis, je répondrais charnellement: « Fasse le ciel (que j’y aille)! »; or mon cœur possède un paradis chez ses idoles. Si l’on me demandait si je crains les peines de l’enfer, je répondrais: « De toutes mes forces! »; alors que, dans mon cœur, je possède dès à présent les gages de l’enfer. Il faut donc [fol. 15v°] ensuite ramener l’un et l’autre à une image montrant la sainte Église d’aujourd’hui et la malice humaine, en les laissant derrière les sceaux ultimes que personne de vivant n’a jamais pu ouvrir1, hormis ce que Dieu a révélé au cours d’une extase indicible à quelques-uns qui en ont parlé sous le sceau du secret: ce fut le cas du grand saint Augustin, le docteur éminent, ainsi que je le pense sans pouvoir cependant l’établir. Fait le jour [de la fête] de saint Laurent [10 août 1337]. COMPARAISON D’UNE

MAISON AVEC LE MONDE

Si le monde entier se réduisait à une seule maison, ce qui est réellement le cas, ses deux ou trois habitants ou davantage se traiteraient l’un l’autre, à cause de la malice qui domine chez tous, de la façon suivante: chacun se méfiant de l’autre, craignant que les biens temporels ne lui fassent défaut, cherchant même à dominer les autres, en y mettant toute son ardeur et tout son talent, y compris une violence avérée, volerait à l’autre tout ce qu’il pourrait. Alors celui qui est plus riche et qui possède tout, à cause de sa cupidité, s’il pouvait obtenir d’autres biens, ne cesserait de les convoiter. L’autre, qui est plus faible et qui manque de tout, perdrait espoir au milieu de ses malheurs et serait jaloux de la réussite du premier. Et ainsi rapidement, la richesse matérielle et le bonheur personnel ne serviraient à rien, en raison de la malice des uns et des autres, des riches et des pauvres. Or s’ils avaient continué à vivre de manière vraiment paisible, en se considérant l’un l’autre comme des frères, aucun d’eux n’ayant plus que l’autre, ils n’auraient jamais manqué de ressources, ni pour leurs personnes, ni pour leurs biens. Aujourd’hui le monde entier est ainsi: pour le peu d’hommes qui vivent sur terre, comme c’est une malice considérable qui règne, les biens temporels font défaut. En effet, si les hommes habitaient la terre paisiblement et sans la moindre malice, en plus grand nombre qu’ils ne sont actuellement, les biens temporels ne leur feraient jamais défaut. Ils se régaleraient de tous les plaisirs, sans corruption de la nature, et ils n’arrêteraient jamais de louer leur Créateur. Aujourd’hui, cette organisation étant différente, car Dieu veut nous montrer de plus grandes richesses en donnant ses ordres aux bons et en laissant faire les mauvais – les premiers grâce à la miséricorde, les seconds à l’aide du jugement – lors du Jugement final, un jugement plus implacable pour les réprouvés mettra en valeur une gloire plus éclatante pour les élus. Quiconque refuse d’être effrayé par un tel Jugement, montre par ses œuvres l’empreinte du mal.

1

Voir les sceaux de l’Apocalypse.

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DE

FOL.

GENERATIONE ET OPERIBVS

15v°

ANTICHRISTI

ET ERRORE CREDENTIVM SIBI

Sunt nonnulli qui putantes non aduenturum Dominum nostrum Ihesum Christum ad Iudicium donec prius appareat personaliter Antichristus – qui nondum apparet transacto anno expectationis – in sue opinionis securitate confidunt, quasi dicentes in cordibus suis iuxta sententiam Petri apostoli: « Vbi est promissio aut aduentus eius? Ex quo enim patres dormierunt, omnia sic perseuerant ab initio creature. Latet enim eos hoc uolentes (id est ignorant istud uolentes nescire. Ecce ignorantia affectata, de quo?) quod celi erant prius et terra de aqua et cetera ». Opinantur etiam uel possunt opinari se iam deprehendisse fallacias Antichristi propter scientiam catholice fidei quam habent et operum Antichristi contrariorum fidei nostre a quibus nullomodo poterunt irretiri; quibus tamen, nisi aperiant oculos conscientie sue, iam irretiti sunt, sicut in opere isto iudiciali ubique tractatum est. Si enim expectaretur primo personaliter Antichristus, intelligentibus omnibus statim post illum destructum Dominum nostrum iudicem aduenturum, uerba Domini in pluribus uiderentur non esse ueracia; qui per se et per apostolos suos semper nobis predixit se aduenturum tempore, anno, mense, die et hora qua nemo potest scire. In qua die uentura quasi fure improuiso, multi in crapula et ebrietate et curis seculi deprehendentur, preparato Iudicio sine misericordia. Si enim prius uenisset personaliter Antichristus, ipso destructo manifeste pauci uel quasi nulli comprehenderentur in laqueis illius finalis Iudicii. Similiter per opera Antichristi, etiam si essent multo sagaciora quam dicantur, nemo habens presentem prudentiam omnis experientie boni et mali posset seduci. Opera enim eius puerilia uel quasi ioculatoria censerentur a nobis; et sic per consequens uerba Domini non fuissent ueracia, quod nefas est cogitare et dicere. Ergo secundum rationale iudicium nullus alius, sicut arbitror, ueniet Antichristus. Regnauit enim nunc usque ille perfidus, qui non est alius nisi quedam uniuersitas carnalium hominum ad omne malum decliuis. Conceptus fuit iste Antichristus qui regnauit nuncusque per incestum pseudo prophete et monialis adultere, in quem introiuit Sathanas ad facienda omnia falsa prodigia; id est populus nequam conualuit per falsa consilia prophetarum sub specie predicandi catholicam fidem. Ecce Antichristus male conceptus est a prauo satore consilii. Monialis dedicata est quelibet parrochia laicalis alligata proprio sacerdoti nomine Ihesu Christi, que relicto federe sponsi sui, se subiciens alienigene uiro immo adultero, ex hoc concepit et concipit Antichristum; qui filius iniquitatis omnia beneficia Dei siue temporalia siue spiritualia peruertit ad opera diaboli ex parte sua. Factus est enim unum corpus cum omnibus nolentibus credere ueritati sed solis mendaciis sine fundamento alicuius probabilis rationis V www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LA GÉNÉRATION ET LES ŒUVRES DE L’ANTICHRIST1; L’ERREUR DE CEUX QUI CROIENT EN LUI Il y en a quelques-uns qui, pensant que notre Seigneur Jésus-Christ ne viendra pas pour le Jugement avant que l’Antichrist ne se soit d’abord manifesté en personne – lui qui ne s’est pas encore manifesté en l’année de l’attente [1335] qui est passée – s’en remettent au caractère irréfutable de leur opinion, comme s’ils disaient dans leur cœur les mots de l’apôtre Pierre: «‘Où est la promesse de son avènement? Depuis que les pères sont morts, tout demeure comme au début de la création’. Car ils ignorent volontairement (c’est-à-dire ils sont dans l’ignorance de ce qu’ils ne veulent pas savoir. Voilà une ignorance simulée: à quel sujet?) qu’il y eut autrefois des cieux et une terre qui, du milieu de l’eau etc.»2. Ils se flattent également ou ils sont capables de se flatter d’avoir déjà découvert les ruses de l’Antichrist, grâce à la connaissance de la foi catholique qu’ils détiennent et des œuvres de l’Antichrist opposées à notre foi qui n’ont jamais pu les séduire en aucune manière; et c’est pourtant par elles, à moins qu’ils n’ouvrent les yeux de leur conscience, qu’ils sont déjà séduits: c’est ce qui est traité partout dans cette œuvre relative au Jugement. En effet, si on commençait par guetter l’Antichrist en personne – tout le monde comprenant qu’aussitôt qu’il aura été anéanti, notre Seigneur le juge arrivera – les paroles du Seigneur ne paraîtraient pas exactes à plusieurs titres; lui qui nous a toujours prédit, de lui-même ou par l’intermédiaire de ses apôtres, qu’il arriverait à une époque, une année, un mois, un jour et une heure que personne ne peut connaître. Le jour où il arrivera, tel un voleur à l’improviste, beaucoup seront surpris dans les excès de table et de boisson et dans les affaires du monde3, car le Jugement est préparé sans miséricorde. En effet, si l’Antichrist s’était manifesté en personne, une fois qu’il aurait été anéanti aux yeux de tous, peu d’hommes, voire quasiment aucun, ne se feraient prendre dans les pièges de ce Jugement final. De même pour les œuvres de l’Antichrist: même si elles sont beaucoup plus subtiles que ce que l’on dit, elles ne pourraient pas corrompre celui qui possède la sagesse actuelle liée à l’expérience complète du bien et du mal. En effet, nous repèrerions ses œuvres simplistes, voire même comiques; et par conséquent, les paroles du Seigneur ne seraient pas exactes, ce qu’il est sacrilège de penser et de dire. Donc, en suivant une opinion raisonnable, aucun autre Antichrist ne viendra, à mon avis. En effet, ce perfide a régné jusqu’à aujourd’hui: il n’est autre qu’une certaine forme de communauté d’hommes charnels qui ont un penchant pour le mal dans son ensemble. Cet Antichrist qui a

1 Voir 1 Jn 2, 18; 2, 22; 4, 3; et 2 Jn 1, 7. Le terme d’Antichrist, propre aux épîtres johanniques, désigne tantôt les chrétiens apostats, tantôt un personnage mystérieux qui se cache derrière eux. L’ensemble relève d’une conception plus vaste, déjà présente dans l’Ancien Testament: des forces hostiles à Dieu, actives dès l’origine du monde, se manifesteront plus spécialement à la fin. Dans le Nouveau Testament, cette personnification supratemporelle est diversement nommée: faux christs et faux prophètes, l’Adversaire, les deux Bêtes…; elle désigne largement tous les hommes qui s’opposent à l’établissement du royaume du Christ; et elle sera vaincue au dernier jour. Pour Opicinus, l’Antichrist correspond aux forces du mal en général. 2 2 P 3, 4-5. 3 Ce passage s’inspire de: Mt 24, 37-44 et 25, 13; Mc 13, 32-37; Lc 12, 39-40 et 17, 34-35.

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FOL.

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[fol. 16] ex hiis que pertinent ad specularem Ecclesiam. Nulla autem prohibitio fiat huiusmodi predicantibus, nisi primo eis ratio euidens ostendatur, ne ullum scandalum inde proueniat. Cum autem totaliter fuerit hic presens Antichristus destructus (id est deleta omnis malitia humana), salua omnium hominum bona natura, populus christianus quiescet pacificus absque terrore. Quicumque uero noluerit acquiescere ueritati huius populi Dei, sed magis reuerti ad prima mendacia comprehendetur improuiso in mendaciis suis, adueniente iudice generali. Antichristo destructo, peracta penitentia conuersorum, electi expectabunt cum gaudio aduentum Domini, leuantes interiora capita sua quoniam appropinquat redemptio nostra de molestiis Antichristi (id est humane malitie cum nequitia in celestibus per uirtutem diaboli). Qui autem noluerint credere ista, habentes in mundo spem sine termino, in sua cecitate capientur in retibus peccatorum. Si celebrauero missas in presentia Antichristi (id est nequam populi mei), quomodo conuersus ad eos possum dicere: « Dominus uobiscum »? Verius esset dicere eis: « Diabolus uobiscum, qui est dominus uester ». Quale est caput eorum, talia sunt membra sua. Iam opere confitentur nec possunt negare se tradidisse membra sua (id est corpora sua) diabolo. « Debemus, inquiunt, spiritualia Christo, temporalia uero nulla; spiritualia (id est animas nostras) Christo, temporalia autem corporibus nostris. Non enim Christus temporalibus eget ». Ecce quante blasphemie aduersus Deum. Qui negat temporalia Christo, per consequens carnem suam. Cuius ergo sunt corpora ista nisi diaboli? Quis habitat in illo templo corporum suorum nisi omnis spurcitia Sathane? Vbi autem sunt corpora, anime naturaliter uolunt ibi esse. Nonne anima naturaliter per ordinem nature habet omnes affectiones suas in carne propria? Ponamus exemplum de aliquo illorum qui dicunt se tradidisse animas suas Christo. Christus dicit anime illius: « Vbi uis esse: mecum an in corpore tuo? ». Si responwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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régné jusqu’à aujourd’hui a été conçu par une relation impure/incestueuse entre un faux prophète et une moniale débauchée/adultère, où Satan s’est introduit pour faire tous les faux miracles; c’est-à-dire que le peuple dévoyé a pris des forces avec les conseils trompeurs des prophètes faisant semblant de prêcher la foi catholique. Ainsi l’Antichrist est conçu fâcheusement par celui qui répand des conseils dépravés. La moniale consacrée est une paroisse laïque ordinaire attachée à un curé prenant le nom de Jésus-Christ, et qui, ayant abandonné son union avec son époux en se donnant à un homme étranger ou plutôt débauché/adultère, en a conçu et en conçoit l’Antichrist; et ce fils de l’iniquité transforme tous les bienfaits de Dieu, qu’ils soient temporels ou spirituels, en œuvres du diable, de son fait. En effet, il est devenu un seul corps avec tous ceux qui refusent de croire à la vérité, mais qui croient tous les mensonges dont les explications possibles sont dénuées de fondement V [fol. 16] en ce qui concerne l’Église du miroir. Mais on ne doit aucunement interdire ce genre de prédicateurs, à moins de leur montrer d’abord des preuves indubitables, afin d’éviter toute difficulté qui pourrait en résulter. Mais lorsque cet Antichrist actuel sera entièrement anéanti (c’est-à-dire que la malice humaine tout entière sera supprimée), la nature vertueuse de tous les hommes étant sauve, le peuple chrétien reposera en paix et sans crainte. En revanche, celui qui refusera d’admettre l’authenticité de ce peuple de Dieu et préférera retourner à ses premiers mensonges, se fera prendre en flagrant délit de mensonge à l’arrivée du juge général. Une fois l’Antichrist anéanti et la pénitence des convertis entièrement accomplie, les élus attendront avec joie la venue du Seigneur, levant intérieurement leurs têtes puisque le moment est proche où nous serons rachetés1 des tracas causés par l’Antichrist (c’est-à-dire par la malice humaine associée au dérèglement dans les cieux causé par la puissance du diable). Mais ceux qui refusent de le croire en mettant dans le monde une espérance sans bornes, en proie à leur aveuglement, seront pris dans les filets du péché. Si je célèbre des messes en présence de l’Antichrist (c’est-à-dire de mon peuple dévoyé), comment puis-je dire, tourné vers eux: « Le Seigneur soit avec vous »2? Il serait plus exact de leur dire: « Le diable soit avec vous, lui qui est votre maître ». Tel est le chef, tels sont ses membres. Déjà ils avouent par leurs actes et ne peuvent nier qu’ils ont livré leurs membres (c’est-à-dire leurs corps) au diable. « Nous devons, disent-ils, ce qui est spirituel au Christ, mais rien de ce qui est temporel; ce qui est spirituel (c’est-à-dire nos âmes) au Christ, mais ce qui est temporel à nos corps. Car le Christ n’a pas besoin de ce qui est temporel ». Voilà l’étendue des blasphèmes proférés contre Dieu. Celui qui conteste ce qui est temporel au Christ, conteste par conséquent sa chair. A qui sont donc ces corps, sinon au diable? Qui demeure dans ce temple de leurs corps, sinon toute la noirceur de Satan? Or là

Voir Lc 21, 28. Phrase dite à plusieurs reprises par le prêtre pendant la messe. L’assemblée répond: Et cum spiritu tuo (« Et avec votre esprit »). 1 2

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derit: « Tecum », quod uix uel nunquam fieri uidi, statim si habuerit bonam intentionem, corpus animam sequitur cum omnibus temporalibus suis. Dedicatio corporis Christo cum temporalibus, sicut facit quilibet christianus, implet iustitiam. Dedicatio enim monialis Christo sacramentaliter siue sollempniter est quoddam testimonium, significatio et figura, que significat ueram dedicationem parrochie christiane corporaliter Christo cum omnibus bonis suis. Qui Dominus benignus et misericors, Dominus omnium temporalium, concedit isti parrochie uirgini sue corporaliter manibus suis, id est uicarii sui, ipsa temporalia iuxta necessitates membrorum istius, secundum quod exigit quodlibet membrum. Vnum est corpus Christi et Ecclesie. Vt autem recognoscat Christum omnium spiritualium et temporalium dominum cum corporibus horum, illa persoluat Domino annuos census, nequid membrum cecitate seductum pre obliuione huiusmodi dicat: « Temporalia mea, mea sunt », quasi fructuarius decipiens dominum suum et faciens auctoritate propria de possessione proprietatem. Si uero responderit anima Christo: « Volo esse in corpore meo », quod quottidie fit in parrochia mea, statim anima se subicit obedientie carnis sue. Crudelis exactor habitans in corpore illo exigit ab illa misera anima ut quicquid exigebat Christus ab ea qui est Dominus omnium totum conuertat ad se, ut illi anime dicere possit nequitia uoluntatis: « Ecce anima mea, habes multa bona quamdiu potes fruere bonis tuis »; et in hora qua nescit, ad eterna supplicia pertrahetur. Huius rei testimonium habeo in Papia. Ecce quelibet siue aliqua uirgo proponens se sollempniter dedicare Christo accedit ad monasterium. Putans autem se uenisse ad monasterium Ihesu Christi qui omnia gratis sine pactione donat et accipit – accipiens primo animam huius in sponsam, deinde corpus suum cum temporalibus suis siqua possidet sine additione temporalium aliorum ab amicis carnalibus domus sue, et si nulla possidet adhuc gratius et benignius sine ulla pactione corporaliter – ista fatua uirgo seducta est ad monasterium Sathane qui omnia facit contraria operibus Christi. Dicit Sathanas sub specie angeli lucis aut in similitudine Christi ad uirginem suam: « Bene ueneris ad me, filia mea. Concupisco speciem corporis tui non intentione luxurie, absit, sed propter mores tuos in omnibus placitos mihi et propter uirtutes tuas spirituales quibus adornas animam tuam quam accipio in sponsam meam. Ecce recommendo te huic sancto monasterio meo; recommendo et hiis conuirginibus sororibus tuis gratissimis mihi, que te docebunt legem diuinam in qua et cum quibus ad maiora proficies, ad honorem Dei altissimi et decus omnis religionis Ecclesie Dei et ad honorificentiam totius generis tui. Trade huic monasterio quicquid habes in seculo. Hec enim omnia temporalia mea sunt; postquam autem adorasti me, ipsa temporalia trado tibi et sororibus tuis spiritualibus. Auge quoquomodo potes bona monasterii. Omnia namque licita sunt mihi. Responde mihi, filia: Quantum potes tradere huic monasterio? ». Respondet illa: « Tantum ». www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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où sont les corps, les âmes veulent être aussi de manière spontanée. Tous les sentiments de l’âme ne sont-ils pas naturellement incarnés dans la personne, conformément à la loi de la nature? Prenons un exemple chez ceux qui disent avoir livré leurs âmes au Christ. Le Christ demande à l’âme d’untel: « Où veux-tu être: avec moi ou dans ton corps? » Si sa réponse est: « avec toi » – ce que j’ai rarement vu arriver, voire jamais – aussitôt, s’il est de bonne volonté, son corps suit son âme avec tous ses biens temporels. La consécration du corps au Christ avec les biens temporels, comme tout chrétien le fait, comble la justice. En effet, la consécration d’une moniale au Christ, de manière sacramentelle ou solennelle, est une forme de témoignage, d’exemple et de symbole, qui indique la consécration réelle d’une paroisse chrétienne au Christ sur le plan corporel, avec tous ses biens. Lui, le Seigneur généreux et miséricordieux, le Seigneur de tout ce qui est temporel, il octroie corporellement de ses propres mains (c’est-à-dire de celles de son vicaire) à cette paroisse vierge précisément ces biens temporels, en fonction des besoins de ses membres, selon ce qui est nécessaire à chaque membre. Le Christ et l’Église forment un seul corps. Mais pour qu’elle reconnaisse que le Christ est le maître de tout ce qui est spirituel et temporel, ainsi que de leurs corps, celleci s’acquitte envers le Seigneur d’une redevance annuelle, afin d’éviter qu’un membre, entraîné par son aveuglement pour avoir oublié cette redevance, ne dise: « Ce sont mes biens temporels, ils sont à moi », comme un usufruitier bernant son propriétaire et s’appropriant un bien de son propre chef. En revanche, si l’âme répond: « Je veux être dans mon corps » – ce qui arrive chaque jour dans ma paroisse – aussitôt, l’âme se soumet à l’obéissance charnelle. Le cruel exacteur qui habite ce corps demande à cette malheureuse âme de détourner entièrement vers lui ce que le Christ, qui est le Seigneur de tout, lui demandait, si bien que le dérèglement de la volonté peut dire à cette âme: « Voici, mon âme, que tu possèdes de nombreux biens aussi longtemps que tu peux en jouir »; et à l’heure qu’elle ignore, elle est emmenée vers les châtiments éternels. Je dispose d’un témoignage sur ce sujet à Pavie. Voici une vierge – inconnue ou connue – qui, ayant l’intention de se consacrer solennellement au Christ, se rend dans un monastère. Or, pensant être arrivée au monastère de Jésus-Christ qui donne et reçoit tout gratuitement, sans passer de marché – en accueillant d’abord son âme comme épouse, puis son corps, avec ses biens temporels, si elle en possède, sans ajouter d’autres biens temporels venant des amis charnels de sa famille, et, si elle ne possède rien, encore plus gratuitement et plus généreusement, sans passer aucun marché d’ordre matériel – cette vierge folle1 est attirée vers le monastère de Satan qui fait tout ce qui s’oppose aux œuvres du Christ. Satan dit à sa vierge, en feignant d’être un ange de lumière2 ou en prenant les traits du Christ: « Tu auras bien fait de venir à moi, ma fille. Je soupire après ton apparence corporelle, non pas avec des intentions débauchées, il s’en faut, mais en raison de ta morale qui me plaît en tous points et des qualités spirituelles dont tu pares ton âme que je prends pour épouse. Voici que je te confie à ce saint monastère qui

1 2

Voir Mt 25, 1-13. Voir 2 Co 11, 14.

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FOL.

16-16v°

Dicit ille: « Modicum est ». Dicit illa: « Parentes mei non possunt plus dare propter necessitatem suam ». Dicit ille: « Multo maius sacrificium facies mihi ex temporalibus tuis traditis hiis uirginibus, que in maiori sanctitate proficient orantes tecum pro animabus eorum, quam si illi expenderent ea in helemosinas inanis glorie pauperum secularium quos deberent pascere rectores ecclesiarum, qui pingues et diuites pascunt se et meretrices suas. Melius est pa-[fol. 16v°]-rentibus tuis quamdiu uixerint dare huic sancto monasterio omnes decimas, oblationes et primitias, et eligere sepulturas suas in loco isto, donando in morte omnia bona sua huic monasterio, quorum anime saluabuntur per orationes et helemosinas et alia bona per istas fienda, quam si se et ista reliquerent illis sacerdotibus secularibus seculariter uiuentibus et dissipantibus bona ecclesiarum suarum ». Ecce quantas astutias operatur Sathanas per falsos apostolos se transfigurantes in angelos lucis qui fingentes se missos a Domino, quos tamen Dominus non misit, subdolis linguis sub uelamine locutionis catholice multas animas ad perditionem adducunt. Loquuntur enim ita melliflue (quasi in nomine Domini), ut nemo possit contradicere uerbis eorum, ac si Christus presentialiter loqueretur. Non est mirum cum etiam electi si possibile est in errorem eorum inducantur ad credendum omni mendacio per falsa miracula sub specie uerorum signorum ad inuocationem omnium sanctorum de qualibet necessitate corporea. Ex parte enim sancti agentis sunt uera miracula; ex parte uero seductoris et simplicis seducti sunt eadem falsa prodigia. Dedicatio huius uirginis monasterio Sathane sub symoniaca pactione habet rem in se et significationem rei parrochie mee similia facientis, sicut supra tetigimus. Ibi enim Iudas proditor Domini subtrahit ad se temporalia Domino dedicata; et hic Symon magus pro temporalibus datis se putat emisse gratiam Spiritus Sancti. Vtrobique Sathane ministerium operatur per unum idem uas. Quod diabolicum uas aliunde in parrochia mea omnes efficit similes Iude, ut inde subtrahant patrimonium Crucifixi (non est minus debita detinere quam semel oblata surripere); et aliunde in ecclesiis religiosis ditiores de plebe mea assimilat Symoni mago, ut per temporalia sua se transferant in corpore et anima ad ecclesias illas. Ecce unde procedit tanta iniquitas Papiensis: miseri nos sacerdotes et rectores ecclesiarum ab undique circumquaque sumus in tanta calamitate oppressi, ut corpora nostrarum plebium nullomodo comode ualeamus uestire uestimento iustitie. Tanta turpitudo, tanta indecentia et tanta inhonestas est in habitu corporis plebis mee, ut ubi membra inhonestiora et uerecundiora deberent melius contegi, ibi nuditas maior patescat; et ubi membra honestiora et decentiora nullo uelamine indigent, ibi uestium uberior copia congeratur. Membra huius corporis inhonesta et nuda sunt pauperes mei quos nequeo sustentare; membra honesta et tecta sunt diuites mei quos non possum exonerare. Ecce iniquitas contraria equitate. Vbi www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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m’appartient; je te confie aussi à ces compagnes de virginité, tes sœurs qui me sont très agréables, qui t’enseigneront la loi divine; dans cette loi et avec ces sœurs, tu feras de grands progrès, pour la gloire du Dieu Très-Haut, pour la parure des communautés religieuses de l’Église de Dieu tout entière et pour l’honneur de toute ta lignée. Donne à ce monastère tout ce que tu as dans le monde. Car tous ces biens temporels sont à moi; et maintenant que tu m’as adoré, je te confie ces biens temporels eux-mêmes, à toi et à tes sœurs spirituelles. Accrois autant que possible les biens du monastère. Oui, tout m’est permis. Réponds-moi, jeune fille: Combien peux-tu donner à ce monastère? ». Elle répond: « Tant ». Il dit: « C’est peu ». Elle dit: « Mes parents ne peuvent pas donner plus, car ils sont pauvres ». Il dit: « Tu m’offriras un sacrifice bien plus agréable si tu donnes tes biens temporels à ces vierges, qui avancent sur le chemin de la sainteté en priant avec toi pour les âmes de tes parents, plutôt que si ceux-ci les dépensent en aumônes de vaine gloire pour les pauvres du monde; ces derniers doivent être nourris par les curés d’églises qui, gras et riches, se nourrissent, eux, ainsi que leurs courtisanes. Il est préférable que tes pa-[fol. 16v°]-rents, aussi longtemps qu’ils vivront, donnent à ce saint monastère toutes les dîmes, les offrandes et les prémices, et qu’ils choisissent de se faire enterrer ici en donnant à leur mort tous leurs biens à ce monastère – car leurs âmes seront sauvées par les prières, les aumônes et les autres biens qui en découlent – plutôt que de s’en remettre avec leurs biens à ces prêtres du monde qui vivent de façon mondaine et qui gaspillent les biens de leurs églises ». Voilà l’étendue des ruses auxquelles Satan s’adonne avec l’aide de faux apôtres déguisés en anges de lumière1: ils se font passer pour des envoyés du Seigneur, alors que le Seigneur ne les a pas envoyés, et ils amènent beaucoup d’âmes à leur perdition, avec des propos perfides cachés derrière un discours conforme à la tradition. En effet, leurs paroles ont tellement la douceur du miel (comme s’ils parlaient au nom du Seigneur2), que personne ne peut contredire leurs propos: on dirait que c’est le Christ en personne qui parle. Il ne faut pas s’étonner que même les élus, si c’est possible, soient induits en erreur3 et poussés à croire n’importe quel mensonge, à travers de faux miracles déguisés en vrais prodiges, pour supplier l’ensemble des saints au sujet de n’importe quel besoin matériel. En effet, du point de vue du saint qui agit, ce sont de vrais miracles; mais du point de vue du séducteur et du naïf qui s’est laissé séduire, il s’agit de faux prodiges. La consécration de cette vierge au monastère de Satan à la suite d’un marché simoniaque a lieu réellement dans son cœur, et elle indique ce qui se passe réellement dans ma paroisse qui a un comportement identique, comme nous l’avons dit plus haut. En effet, ici, Judas, celui qui trahit le Seigneur, dérobe à son profit les biens temporels consacrés au Seigneur; et là, Simon le Magicien pense qu’il a acheté la grâce de l’Esprit Saint à la place des biens temporels qui lui ont été donnés. Dans les deux cas, le ministère de Satan utilise un seul et même vase/instrument. C’est ce vase/instrument diabolique qui, d’une part, dans ma paroisse, rend tous les 1 2 3

Voir 2 Co 11, 13-14. Voir Ez 3, 3; Ap 10, 9-10. Voir Mt 24, 24.

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est ergo iustitia? Vbi iudicium ? Vbi misericordia? Vbi fides et pax? Nulla ex hiis uirtutibus locum reperit in Papia. Papia deserta est: nulla ibi christianitas reperitur; soli leones, dracones, lupi rapaces et omnes fere siluestres cum uermibus ueneniferis et immundis uolucribus habent ibi cubilia sua. Quali ergo habitu possum illuc redire? Si in habitu hominis, in momento uorabor; si in similitudine horum animalium immundorum, uelim uel nolim, me facient suum discipulum. Qualis est eorum doctrina, talis fiet de facili uita mea, adeo ut nunquam sperem deinde reuerti ulterius ad habitum hominis. Vbi est ergo christianitas Papiensis electa, nisi in loco abscondito a facie bestiarum? Si illa relicta promotus fuero ad ecclesiasticam dignitatem propter mores meos ignobiles quos didici ibi, uituperabo decus et decorem Ecclesie, propter huiusmodi rationes. Rustice enutritus non possum assuefieri nobilibus escis. Si uixero delicatus cum familia mea, statim meus stomachus corrumpetur. Si mediocribus cibis utilioribus mihi usus fuero cum familia, erit mihi infamia auaritie apparentis. Si solus mediocribus ferculis et familia delicate, ero notatus ypocrita. Melius ergo mihi cum mediocribus mediocriter sanum et hilarem uiuere quam cum sublimibus delicatum, tristem ad inferos canos meos cum dolore deducere. Actum anno renouationis, III idus augusti.

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hommes semblables à Judas, si bien qu’à partir de ce moment-là, ils dérobent le patrimoine du Crucifié (ce n’est pas moins blâmable de retenir ce qui est dû que de subtiliser les offrandes en une fois); et qui, d’autre part, dans les églises des communautés religieuses, rend ceux qui sont les plus riches parmi mes ouailles comparables à Simon le Magicien, si bien que c’est par l’intermédiaire de leurs biens temporels qu’ils se donnent, corps et âmes, à ces églises. Voilà d’où provient l’iniquité si effroyable qui règne à Pavie: nous, les malheureux prêtres et curés d’églises, de si grands malheurs nous accablent et nous encerclent en venant de tous les horizons, que nous ne pouvons en aucune manière revêtir convenablement les corps de nos ouailles du vêtement de la justice. L’habit qui couvre le corps de mes ouailles est si dégradant, si indécent et si inconvenant que là où les parties du corps les plus méprisables et les plus honteuses devraient être les mieux couvertes, c’est là que se montre la nudité la plus étendue1, et là où les parties du corps les plus convenables et les plus décentes n’ont aucunement besoin d’être dissimulées, c’est là que les vêtements les plus riches s’entassent à foison2. Les parties inconvenantes et nues de ce corps, ce sont mes pauvres que je ne suis pas capable de nourrir; les membres convenables et vêtus, ce sont mes riches que je ne peux pas déshabiller. Voilà l’iniquité qui est l’inverse de l’équité. Où donc est la justice? Où est le jugement? Où est la miséricorde? Où sont la foi et la paix? Aucune de ces qualités morales ne trouve sa place dans la ville de Pavie. Pavie est abandonnée: on n’y trouve aucune trace de la chrétienté; seuls les lions, les dragons, les loups avides et toutes les bêtes sauvages cruelles, ainsi que les serpents venimeux et les oiseaux sauvages, y ont leur demeure. Avec quel comportement puis-je donc retourner là-bas? Si je me conduis en homme, je serai immédiatement dévoré; si je prends les manières de ces animaux sauvages, que je le veuille ou non, ils feront de moi leur disciple. Tel est leur enseignement, telle deviendra aisément ma vie, au point que je ne souhaiterais jamais plus ensuite retrouver plus tard un comportement humain. Où se trouve donc la chrétienté élue de Pavie, sinon dans un endroit caché loin de ces bêtes? Si, après l’avoir quittée, je suis élevé à une fonction ecclésiastique, du fait des mœurs exécrables que j’ai apprises ici, j’enlaidirai la gloire et la beauté de l’Église pour les mêmes raisons. Nourri de manière grossière, je ne peux m’habituer aux repas fins. Si je prends des nourritures raffinées avec mon entourage, mon estomac sera aussitôt dérangé. Si je consomme en société les nourritures plus ordinaires qui me conviennent mieux, je subirai la honte de passer pour un pingre. Si je me nourris de plats ordinaires quand je suis seul, et raffinés quand je suis en société, je serai taxé d’hypocrisie. Il est donc préférable pour moi de vivre tranquillement avec les petites gens, en bonne santé et de bonne humeur, plutôt que, en étant raffiné et triste avec ceux de la haute, d’être amené chez les grands vieillards dans les tourments3. Fait l’année du renouvellement, le 3 des ides d’août [11 août 1337].

1 2 3

Voir l’Europe des dessins du Vaticanus. Voir l’Afrique des dessins du Vaticanus. Canos: jeu de mots avec Canistris et avec le cardinal « blanc » (Benoît XII).

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DE

VERIS FALSISQVE MIRACVLIS ET DE QVALITATE DOCENTIS ET DOCTRINE

Tempore sanctorum instituentium ordines Mendicantium, uidelicet beatissimorum Dominici et Francisci et aliorum sanctorum et sanctarum qui et que fuerunt circa tempus illorum (ex quo paulo plus quam C anni transierunt aut minus) – a quibusdam aliis sanctis nondum humana malitia preualebat aduersus Dei miracula per suos seruos et ancillas quantum nunc preualet (illa namque miracula semper uera tam nunc quam tunc, ex parte Dei agentis ad conuertenda opera iniquitatis in opera christiana, quales inueniunt capaces, talem habent effectum) – tempore illo reperiebant multo magis conuertibiles quam inconuertibiles, ut ex signis corporeis discerent spiritum et uirtutem. Et ideo uisis miraculis conuertebantur ad obsequium populi christiani secundum hominem interiorem. Nunc uero in nostra Papia omnia in contrarium peruertuntur. Eadem enim miracula uera ex parte Dei agentis [fol. 17] inuenientia inuocantes et uisitantes loca sanctorum propter cecitatem cordis eorum fiunt eis falsa miracula. Sicut quondam factum est in quodam clerico Aquinate liberato per sanctum Benedictum a demone, et in quodam alio nomine prebendario Reatino curato ab infirmitate per sanctum Franciscum: ex parte sanctorum istorum, fuerunt uera miracula; ex parte uero eorum quibus facta sunt, fuerunt signa fallacia; et ideo ambo diuino iudicio perierunt. Maius iudicium fiet de Papiensibus nisi resipiant. Si enim fuissent capaces spiritus et uirtutis, ex hiis ueris uirtutibus siue signis totaliter essent conuersi ad opera christianitatis, que nunquam fieri possunt nisi per obedientiam spiritualium patrum eorum, quos constituit super laicas plebes Deus non homo (id est Christus Deus et homo, non simplex homo). Ore suo tradidit nobis qui sumus eius apostoli gentes docendas, ut per obedientiam eorum corporaliter Domino nostro, cuius nos sumus serui, fiant uiuificum templum Dei. Nunc quod grauissime cruciat uiscera nostra, oculis nostris uidemus totaliter esse destructum illud olim habitaculum Christi. Oues nostre deuorate sunt, plebes nostre deuolute sunt ad alienigenas seductores. Omnes etiam electi, si potest fieri, seducti sunt per falsa miracula, signa fallacia et uirtutes diabolicas, ad opera Antichristi, ut nolentes acquiescere ueritati operentur errorem et credant mendacio. Operatio erroris non est aliud nisi agere secundum consilia falsorum apostolorum, contemptis consiliis uerorum apostolorum. Cum autem fidelis religiosus et prudens, sicut est maior pars sacre religionis siue paupertatis siue claustralis per totum mundum, quorum uirtute et spiritu omnes falsi apostoli et angeli tenebrarum aufugient a facie eorum, prebuerit consilium cuipiam laico ut totam obedientiam faciet patri suo spirituali, nichil pretermittens de mandatis eiusdem, tunc iudico illum religiosum cum rectore parrochie illius laici unum eundemque uerum esse apostolum Ihesu Christi. Vna est religio www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LES

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VRAIS ET LES FAUX MIRACLES1; À PROPOS DE CELUI QUI ENSEIGNE ET DE SON

ENSEIGNEMENT

Au temps des saints qui ont fondé les ordres mendiants, à savoir des très bienheureux saints Dominique et François, ainsi que des autres saints et saintes qui ont été leurs contemporains ou presque (époque depuis laquelle un peu plus de cent ans se sont écoulés, ou environ, ou moins) – ces autres saints au temps desquels la malice humaine ne l’emportait pas sur les miracles de Dieu accomplis par ses serviteurs et ses servantes autant qu’elle le fait aujourd’hui (ces miracles assurément toujours authentiques, tant à cette époque-là qu’aujourd’hui, du point de vue de Dieu qui les accomplit pour transformer les œuvres de l’iniquité en œuvres chrétiennes, sont efficaces dans la mesure où ils trouvent les personnes dignes) – en ce temps-là, ils trouvaient beaucoup plus de personnes disposées à se convertir que non disposées, pour apprendre l’intelligence et la grandeur à travers les prodiges matériels. Et c’est pourquoi, à la vue des miracles, ils se convertissaient pour faire la volonté du peuple chrétien en suivant l’homme intérieur. Or aujourd’hui, dans notre ville de Pavie, tout s’est inversé. En effet, ces mêmes miracles, authentiques du point de vue de Dieu qui les accomplit, [fol. 17] lorsqu’ils touchent ceux qui supplient les saints et vont les voir en pèlerinage, deviennent pour eux de faux miracles, à cause de l’aveuglement de leur cœur. C’est ce qui arriva autrefois à un clerc d’Aquin libéré du démon par saint Benoît2, ainsi qu’à un autre, appelé le chanoine de Rieti, guéri de sa maladie par saint François3: du point de vue de ces saints, il s’agissait de vrais miracles; mais du point de vue des bénéficiaires, il s’agissait de pseudo prodiges; et c’est pourquoi tous deux moururent par un jugement divin. Un jugement plus terrible s’abattra sur les habitants de Pavie s’ils ne se repentent pas. En effet, s’ils avaient fait preuve d’intelligence et de grandeur, ces qualités morales ou prodiges authentiques leur auraient permis de se convertir totalement aux œuvres de la chrétienté, qui ne peuvent être réalisées que s’ils obéissent à leurs pères spirituels que Dieu et non l’homme (c’est-à-dire le Christ Dieu et homme, non pas seulement homme) a établis au-dessus des ouailles laïques. Par sa bouche, il nous a confié, à nous qui sommes ses apôtres, des nations à instruire4, afin que, grâce à leur obéissance corporelle envers notre Seigneur dont nous sommes les serviteurs, ils deviennent le temple de Dieu qui vivifie. Aujourd’hui, ce qui nous cause de très grands tourments intérieurs, c’est que nous voyons de nos yeux que cette ancienne demeure du Christ est entièrement anéantie. Nos ouailles sont dévorées, nos troupeaux sont attribués à des séducteurs étrangers. Et même tous les élus, si c’est possible, sont attirés, par l’intermédiaire des faux miracles, des pseudo prodiges et des pouvoirs diaboliques, vers les œuvres de l’Antichrist, si bien que, en refusant de reconnaître ce qui est vrai, ils cultivent l’erreur et font confiance aux affabulaÀ l’époque d’Opicinus, une critique (relative) des miracles se développe. Voir GRÉGOIRE LE GRAND, Dialogues, livre II (consacré à la vie et aux miracles de saint Benoît), chapitre 16 (dans MIGNE, Patrologia Latina, tome 66, p. 164). Aquin se trouve près de Naples. 3 Voir THOMAS DE CELANO, Vita secunda, 2e partie, 41. Rieti est une ville du Latium. 4 Voir Mt 28, 19. 1 2

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utriusque, eadem est obseruantia regularis amborum secundum hominem interiorem. Vnus est spiritus. Vna est caritas. Vna est operatio pietatis. Sacerdos quasi secularis condescendit ad laicos seculares, ut inde proficiant per monita sua ad spirituale sacerdotium in seipsis. Habitus sacerdotalis significat uirtutem sacerdotalem quam habet ipse, et habet uel habiturus est populus suus, sicut habitus illius religiosi fidelissimi significat uirtutem religionis quam habet ipse et rector parrochie laicalis. Quod de uno religioso cum rectore parrochie, uno eodemque uero apostolo Christi dictum est, intelligatur de omnibus et singulis sanctis religiosis cuiuscumque regule uel ordinis cum pastoribus ouium laicarum. Virtus ergo et radix uniuersalis Ecclesie dependet ex pectore sacerdotis, in quo positum est rationale iudicium ad populum laicorum. Si populus laicorum recte edificetur, totum corpus Ecclesie conualescet; si uero edificetur in malum uel magis subuertatur, quod cum dolore uideo fieri in Papia, totum corpus Ecclesie labitur in ruinam. Sicut radix arboris ex pinguedine stercorum melius nutrit nobiles fructus, ita rector quasi radix Ecclesie ex sobole laicorum auget nobilem populum christianum. Soboles enim mundi est stercus et uermis. Rector parrochie baptista sobolis terre est radix arboris trahens nutrimentum de stercore. Populus christianus est copia nobilium fructuum. Si stercus dixerit: « Meus est fructus quem ego genui », fructus potest referre: « Filius sum ego non tuus sed arboris »; id est: « Ego christianus non sum filius stercoris de tali et tali progenie, sed sum filius Ecclesie quasi arboris sancte ». Siquis uero fructus ceciderit in stercora, cedit in usum porci non hominis; id est christianus se polluens iterum corruptibili genere mundi non est aptus regno Dei sed uolutabro stercoris in escam diaboli.1 Ordo substantialis, ordo principalis, ordo apostolicus ab initio institutus est ordo sacerdotalis, super quo omnes dignitates ecclesiastice et obseruantie regulares fundantur. Ordo sacerdotalis est apostolicum fundamentum et radix Ecclesie. Dignitates autem et regule sunt ad decorem, structuram et edificium specularis Ecclesie. Nos simplices sacerdotes sine apparentia dignitatis et regule debemus imitari toto studio, tota diligentia et toto affectu officium baiule uel nutricis, que cum infante uel puero sibi commisso nullam sibi reputat uerecundiam ad omnia puerilia facienda (cum enim est sine puero facere talia, uerecundum est sibi). Nutrit puerum lacte et, ut conualescat ad ualidum cibum, masticat cibum ore suo et mittit masticationem in os pueri. Ita rector parrochie habens populum suum puerum rudem tenetur illum de simplici littera articulorum fidei et historiarum necessitatis quasi lacte nutrire, deinde ad allegorias leuiores procedere quasi ad masticationem cibi puero competentis. Nutrix docet puerum loqui et assuefacit ipsum ad gressum. Sic rector docet populum

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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tions. Cultiver l’erreur n’est pas autre chose qu’agir en suivant les conseils des faux apôtres, une fois les conseils des vrais apôtres méprisés. Or lorsque le moine fidèle et sage – à l’image de la majorité des saintes communautés religieuses dans le monde entier, qu’elles observent la pauvreté ou qu’elles soient cloîtrées, elles dont l’intelligence et la puissance font fuir loin d’elles l’ensemble des faux apôtres et des anges des ténèbres – propose ses conseils à quelque laïc pour qu’il fasse complètement obéissance à son père spirituel en ne négligeant aucune de ses recommandations, j’estime alors que ce moine ainsi que le curé de la paroisse du laïc en question sont un seul et même véritable apôtre de Jésus-Christ. Chez l’un et l’autre, la piété est identique et tous deux observent la même règle en suivant l’homme intérieur. Leur esprit est le même. Leur charité est la même. Leurs œuvres de piété sont les mêmes. Le prêtre, comme s’il appartenait au monde, se met au même niveau que les laïcs du monde, si bien qu’ils sont aidés par ses recommandations à avancer vers le sacerdoce spirituel qu’ils ont en eux. Le vêtement du prêtre indique la qualité sacerdotale essentielle dont il jouit lui-même, et dont son peuple jouit ou est disposé à jouir, de même que le vêtement de ce moine plein de foi indique le caractère essentiel de la piété dont lui-même et le curé de la paroisse laïque jouissent. Ce qui est dit d’un seul moine associé à un curé de paroisse, qui sont un seul et même véritable apôtre du Christ, s’applique à tous les moines et à chacun d’eux en particulier, quels que soient leur règle ou leur ordre, ainsi qu’aux pasteurs des ouailles laïques. Par conséquent, la puissance et la source de l’Église universelle dépendent de la poitrine du prêtre chez qui se trouve le jugement rationnel sur le peuple des laïcs. Si le peuple des laïcs est correctement édifié, le corps entier de l’Église grandit; en revanche, s’il est mal édifié ou, pire, s’il est renversé (ce que j’ai vu avec affliction se produire à Pavie), c’est le corps entier de l’Église qui tombe en ruines. De même que les racines d’un arbre engraissées par du fumier ravitaillent mieux les beaux fruits, de même le curé, telle une racine de l’Église, utilise la postérité des laïcs pour développer le noble peuple chrétien. En effet, la postérité du monde, ce sont le fumier et les vers1. Le curé de paroisse qui baptise la postérité du monde, ce sont les racines de l’arbre qui tirent leur nourriture du fumier. Le peuple chrétien, ce sont les beaux fruits qui abondent. Si le fumier dit: « Il est à moi, le fruit que j’ai produit », le fruit peut rétorquer: « Je ne suis pas ton fruit, mais celui de l’arbre »; c’est-à-dire: « Moi le chrétien, je ne suis pas le fils du fumier issu de telle et telle lignée, mais je suis le fils de l’Église, c’est-àdire de l’arbre saint ». Mais si un fruit tombe dans le fumier, il échoit à la consommation du porc et non de l’homme; c’est-à-dire que le chrétien qui se souille une seconde fois avec la lignée corruptible du monde n’est pas fait pour le Royaume de Dieu, mais pour le bourbier du fumier qui sert de pâture au diable. L’ordre essentiel, l’ordre primordial, l’ordre apostolique établi depuis le commencement, c’est l’ordre sacerdotal; c’est sur lui que sont fondées toutes les fonctions ecclésiastiques et les règles observées. L’ordre sacerdotal est la fondation apostolique et la base de l’Église. Et les fonctions et les règles sont là pour orner, ordonner et construire l’Église du miroir. Nous, les simples prêtres, qui avons l’air dépourvus

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Voir V 1.

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suum loqui utilia ad mutuam edificationem, consolationem et exhortationem; docet eum ad gressum operis omnis pietatis et misericordie, dilectionis et iustitie, semper cum obedientia. Interim nutrix offert puero delectabilia sensui, ut uisui colorata et sonora auditui. Ita rector cum populo suo utitur ornamentis ecclesie materialis cum melodiis et modulis canticorum, donec populus conualescat a puerilibus istis ad scientiam perfectorum. Sacerdotes parrochiarum de bonis laicorum suorum secundum consilium episcopi tenentur honorare sanctas religiones Mendicantium, deinde cum eis conferre spiritualia mutuo, ut per collationem scientie cum scientia sine ulla disputatione, absque ulla ambiguitate, fiat una tantum scientia, donec fuerit per totum mundum dispersa. Non accedat populus laicalis ad religionum ecclesias, donec fuerit omni uirtute perfectus non indigens ulterius predicatione. Laicalitas redeat ad pastorem proprium non alienum. Clerus autem perfectus cum religione sacra sine infirmis laicis conuersentur1 et illa religio cum isto clero. Sicut enim mulier quamdiu fuerat nutrix infantis fecit actus pueriles cum ipso coram hominibus minime erubescens, que propter sollicitudinem pueri ab omnibus [fol. 17v°] laudabatur, ita rector et minister parrochie nutrit populum suum infirmum uelut infantem lege decalogi, sicut sonat ad litteram (ut puta honorare parentes carnales cum reliquis mandatis Moysi) quasi lacte. Circumspicit omnes mores uel uitia huius populi singillatim de quolibet cum circumstantiis auditis et uisis. Conficit de singulis uniuersum et confert in corde suo uniuersum cum singulis, quasi nutrix masticans cibum habilem puero et emittens manu sua de ore suo masticationem huiusmodi in os pueri. Et rector quolibet modo, manu et ore, leuibus monitis et mandatis educat populum suum rudem. In penitentiis correctiuis quasi uirgula pueri corrigendi, utendum est medicina unde prouenerat morbus apponendo semper contrarium culpe. Iniungenda est penitentia talis, Verbi causa: raptoribus restitutio alieni, deinde contra circumstantias peccati huiusmodi et occasiones peccati, interdictio occasionum. Queratur peccator: « Quare fecisti rapinam alieni? ». Respondet: « Propter indigentiam ». Interrogetur si tunc habebat unde uiueret. Si dixerit: « Nichil », mitius agatur cum eo. Si dixerit: « Propter concupiscentiam alieni », tunc post restitutionem huiusmodi – que non sufficit – iniungatur sibi ut abstineat ab omni rapina; non tamen adhuc sufficit nisi adhuc iniungatur eidem helemosina pauperum. Si per se helemosinam fecerit, propter indiscretionem suam non est uera satisfactio, nisi fiat per manus confessoris iuxta notitiam conditionis uniuscuiusque pauperis de plebe sua. Nemo miretur si de sola rapina faciam mentionem, cum ciuitas Papiensis nullo crimine plus sordescat quam reatu rapine. Si peccator dixerit: « Non possum talia facere propter indi-

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On attendrait: conuersetur.

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d’une fonction et d’une règle, nous devons reproduire avec tout notre zèle, toute notre attention et toute notre affection, l’emploi de gardienne ou de nourrice, elle qui n’éprouve aucune gêne à agir de manière tout à fait puérile avec le bébé ou l’enfant qui lui est confié (en effet, si elle agit de même sans que l’enfant soit là, elle se couvre de honte). Elle nourrit l’enfant avec son lait et, pour qu’il devienne capable de manger des aliments solides, elle mâche la nourriture dans sa bouche et met ce qu’elle a mâché dans la bouche de l’enfant. De même, le curé de paroisse dont le peuple est un enfant mal dégrossi, doit le nourrir avec la lettre élémentaire des articles de foi et des récits historiques indispensables, comme avec du lait1, puis en arriver à des symboles plus subtils, comme s’il mâchait la nourriture qui convient à l’enfant. La nourrice apprend à parler à l’enfant et guide ses premiers pas. De même, le curé apprend à son peuple à prononcer les paroles qui servent à s’élever, se réconforter et s’encourager mutuellement; il lui apprend à progresser dans l’ensemble des œuvres de piété et de miséricorde, d’amour et de justice, toujours avec obéissance. Il arrive que la nourrice montre à l’enfant des choses agréables à ses sens, comme des choses colorées pour la vue et bruyantes pour l’ouïe. De même, le curé a recours avec son peuple aux décorations du bâtiment d’église ainsi qu’aux mélodies et aux airs des cantiques, jusqu’à ce que le peuple quitte ces enfantillages pour s’élever vers les connaissances des parfaits. Les prêtres de paroisse doivent honorer les saintes communautés religieuses des Mendiants avec des biens qui appartiennent à leurs laïcs, en suivant les conseils de l’évêque, puis échanger avec eux des propos spirituels, pour que, grâce à la confrontation des connaissances respectives, sans aucune dispute, sans aucune équivoque, on parvienne à une seule et unique connaissance, en attendant qu’elle soit répandue dans le monde entier. Le peuple laïc ne doit pas avoir accès aux églises des communautés religieuses avant d’être devenu parfait dans toutes les vertus, sans plus avoir besoin de prédication à l’avenir. La condition laïque doit relever de son pasteur et non d’un pasteur étranger. Et le clergé parfait doit vivre en compagnie de la sainte communauté religieuse sans les faibles laïcs, et cette sainte communauté en compagnie de ce clergé. En effet, de même qu’une femme, aussi longtemps qu’elle nourrissait un bébé, faisait des gestes enfantins avec lui en public en éprouvant très peu de gêne, et que tous la louaient pour les soins qu’elle donnait à l’enfant [fol. 17v°], de même le curé et ministre de la paroisse nourrit son peuple faible comme un petit enfant avec la loi du décalogue prise au sens littéral (par exemple, honorer ses parents charnels, ainsi que les autres commandements de Moïse2), comme si c’était du lait. Il examine l’ensemble des qualités et des défauts de chacun des membres de ce peuple, en toute occasion, ainsi que ce qui a été vu et entendu dans ces circonstances. Il constitue un tout à partir des individus, et rassemble dans son cœur le tout associé aux individus, telle une nourrice qui mâche la nourriture adaptée à l’enfant et qui enlève de sa bouche avec la main ce qu’elle a mâché pour le mettre dans la bouche de l’enfant. Et le curé instruit son peuple mal dégrossi de toutes les manières possibles, avec la

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Voir 1 Co 3, 1-3. Voir Ex 20, 12 et Dt 5, 16.

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FOL.

17v°

gentiam meam », respondendum est sibi paulatim mitius: « Ago tecum ». Si dixerit: « Propter timorem ne ulterius egeam », sine increpatione terribili consolandum est se ad non metuenda futura. Huiusmodi responsio et ad alias circumstantias non hic positas fiat ad uerbum quod dicitur: « Non possum ». Si uero dixerit: « Nescio certam legem uiuendi nisi de rapina cum societate tyranni », respondendum est sibi: « Non potes euadere penam gladii Cesaris aut in subito bello aut per iudicem extremo supplicio. Ego autem ignorantiam legis uiuendi iuste et licite auferam a te, et dabo tibi per gratiam Dei iustam et sanctam legem uiuendi sine peccato ». Si ex hoc se subiecerit totaliter obedientie sacerdotis, suscipiendus est cum toto affectu, quasi pullus sub alas galline cum aliis pullis suis. Si autem arroganter responderit: « Magis uolo cum honore mori in bello quam cum dedecore uiuere domi » – ac si tacita negatione uerbi « possum » uel « scio » solummodo diceret: « Nolo obedientiam tuam » (negatio enim uerbi « possum » est signum infirmitatis, negatio uerbi « scio » est signum ignorantie, negatio autem verbi « uolo » est signum certe malitie) – tunc non est ulterius audiendus post factam denuntiationem quam Dominus docuit Petrum de fratre suo. Cum autem fuerit totus populus parrochie perfectus in lege diuina, productus paulatim de tenebris uitiorum – per ecclesiasticam (quasi moysaicam) legem nutritiuam infantium – usque ad ordinem perfectorum, tunc rector parrochie factus liber (non propter se qui semper fuerat liber, sed propter infirmos quorum uoluntarie se subiecerat seruituti) non debet deinceps uti illa lege seruili cum cerimoniis suis, que est Agar generans filios seruitutis, ne uerecundia confundatur, sicut nutrix libera a puero iam adulto se abstinet a puerilibus actibus que gesserat cum infante. In lege enim puerorum iubetur honorari consanguinitas carnis; in lege uero euangelica perfectorum iubetur ad litteram totaliter odio haberi consanguinitas carnis. Nulla ergo contrarietas est inter legem et Euangelium: lex nutrix est populi infirmorum; Euangelium perfectio est omnium non amplius indigentium ulla lege. Qui autem noluerit derelinquere legem Moysi pro Euangelio Christi, semper cum affectione carnali dicens: « Ego sum uel fui filius talis et talis domini, de progenie tali et tali », ex nunc prout extunc habet et habebit ante oculos suos obprobrium sempiternum, scilicet carnales testiculos patris sui (id est minores testes cum teste maiori, quod est instrumentum genitale). Sicut enim Europa tempore confitendi turpitudinem suam ostendit in se magnum horrorem in oculis omnium, ita iste nolens a parentibus carnalibus ablactari multo horribilius monstrum habebit in perpetuum contra se. Actum II idus augusti, die sancte Clare uirginis, cuius sanctissima regula clarificat totum mundum. Sola autem Papia (particularis an uniuersalis nescio, Deus scit) a tanta claritate cecatur. Murus interior ueteris Papie continet intra se Affricam et Europam et partem Asie. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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main et la bouche, avec des conseils et des commandements succincts. Dans les châtiments punitifs semblables à la petite verge qui punit l’enfant, il convient d’appliquer le remède à l’endroit d’où la maladie provenait, toujours à l’opposé de la faute. Le châtiment qu’il faut infliger est celui-ci, à cause du Verbe: les voleurs doivent rendre ce qui est à autrui, puis, pour empêcher les situations correspondant à un péché de ce genre et les occasions de pécher, éviter ces occasions. Que l’on demande au pécheur: « Pourquoi as-tu volé le bien d’autrui? ». Il répond: « Parce que j’en avais besoin ». Qu’on lui demande s’il avait alors de quoi vivre. S’il dit: « Je n’avais rien », on doit le traiter avec indulgence. S’il dit: « C’est que je convoitais le bien d’autrui », dans ce cas, après qu’il ait rendu ce qui est à autrui – ce qui n’est pas suffisant -, on doit lui prescrire d’éviter tout larcin; néanmoins cela n’est pas encore suffisant, à moins de lui infliger encore une aumône pour les pauvres. S’il fait l’aumône de lui-même, il ne s’agit pas d’une véritable réparation à cause de son manque de discernement, à moins qu’elle ne se fasse par l’entremise de son confesseur, en fonction de ce qu’il sait sur la condition de chaque pauvre appartenant à ses ouailles. Que personne ne s’étonne si je parle seulement du vol, alors qu’aucun forfait ne déshonore plus la ville de Pavie que le péché d’escroquerie. Si le pécheur dit: « Je ne peux pas faire cette aumône parce que je suis pauvre », il faut lui répondre avec une bienveillance persuasive: « Je le fais avec toi ». S’il dit: « C’est que j’ai peur d’être dans le besoin plus tard », on doit le réconforter pour qu’il ne craigne pas l’avenir, sans lui adresser des reproches excessifs. Il faut répondre à l’expression « je ne peux pas », comme dans d’autres circonstances qui ne sont pas exposées ici. En revanche, s’il dit: « Je ne connais pas d’autre règle efficace pour vivre que de voler en collaborant avec ce tyran », il faut lui répondre: « Tu ne peux échapper au châtiment du glaive de César, que ce soit en partant à la guerre du jour au lendemain ou en subissant les pires supplices ordonnés par un juge. Mais moi je te débarrasserai de l’ignorance de la loi qui permet de vivre dans la justice et la légalité, et je te donnerai par la grâce de Dieu la loi juste et sainte qui permet de vivre sans pécher ». S’il se soumet alors entièrement à l’obéissance envers le prêtre, il doit être soutenu avec une affection inconditionnelle, tel un poussin qui se met sous les ailes de la poule avec les autres poussins. Mais s’il répond avec arrogance: « Je préfère mourir avec honneur à la guerre plutôt que de vivre chez moi dans la honte » – comme si en refusant implicitement de prononcer le mot « je peux » ou « je sais », il disait seulement: « je ne veux pas t’obéir » (en effet, refuser de dire « je peux » est une preuve de faiblesse, refuser de dire « je sais » est une preuve d’ignorance, et refuser de dire « je veux » est la preuve d’une malice indubitable1) – il ne doit plus alors être entendu ultérieurement, après que l’avertissement ait été donné (celui que le Seigneur a fait connaître à Pierre à propos de son frère2). Or, lorsque tout le peuple de la paroisse aura atteint la perfection dans la loi divine, en étant pro-

1 Voir le triple reniement de Pierre: Mt 26, 69-75; Mc 14, 66-72; Lc 22, 55-62; Jn 18, 17 et 25-27. 2 Voir la prédiction par Jésus du reniement de Pierre: Mt 26, 32-35; Mc 14, 29-31; Lc 22, 31-34; Jn 13, 36-38.

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FOL.

17v°

De statu spiritualis Ecclesie Siquis laicus Papiensis dixerit: « Non possum imitari Euangelium », responsum est sibi: « Muta tantum propositum cordis et serua statum fidelium laicorum in omnibus; et tunc habes euangelicam uitam a qua nemo deinceps poterit excusari ». Additum est die predicta. Preputium non sumat circuncisionem; id est laicus non fiat clericus. Nec circuncisio adducat preputium; id est simplex clericus non fiat laicus. Vnusquisque stet in uocatione qua uocatus est. Hoc dico tempore uniuersalis perfectionis future, figura et ymagine mundi breuiter transituris. Tanta perfectio est uel potest esse in simplici laico quanta est in religioso uel clerico. Hoc dico spiritualiter; sacramentaliter uero semper clerus laicalitati prefertur in signum et testimonium rei quam habent simul clerus et populus.

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gressivement élevé des ténèbres des vices – en passant par la loi de l’Église (c’està-dire celle de Moïse) qui nourrit les enfants – à l’ordre des parfaits, alors le curé de paroisse devenu libre (non de son fait à lui qui avait toujours été libre, mais du fait des faibles auxquels il s’était soumis de son plein gré en devenant leur serviteur) ne doit plus ensuite avoir recours à cette loi d’esclave avec ses cérémonies – car il s’agit d’Agar concevant les fils de l’esclavage – afin d’éviter de se couvrir de honte, comme la nourrice qui, déchargée de l’enfant devenu adulte, renonce aux gestes enfantins qu’elle faisait avec lui tout petit. En effet, dans la loi des enfants, il est ordonné d’honorer sa parenté charnelle; mais dans la loi évangélique des parfaits, il est ordonné à la lettre d’éprouver une haine totale pour sa parenté charnelle1. Il n’y a donc aucune contradiction entre la loi et l’Évangile: la loi est la nourrice du peuple des faibles; l’Évangile est la perfection pour tous ceux qui n’ont plus besoin d’aucune loi. Et celui qui refuse d’abandonner la loi de Moïse pour l’Évangile du Christ, en ne cessant de dire avec des sentiments charnels: « Moi, je suis ou j’étais le fils de tel et tel seigneur, j’appartiens à telle et telle lignée », aujourd’hui comme hier, a et aura devant les yeux la honte éternelle, à savoir les bourses charnelles de son père (c’est-à-dire les petits testicules avec le grand, autant dire l’appareil génital). En effet, de même que l’Europe, au moment où elle avoue son infamie, montre aux yeux de tous qu’il y a en elle une grande terreur, de même celui qui refuse d’être sevré de ses parents charnels aura pour toujours une abomination beaucoup plus effrayante en face de lui. Fait le 2 des ides d’août, le jour [de la fête] de sainte Claire [12 août 1337], dont la très sainte règle éclaire le monde entier. Mais Pavie (individuelle ou universelle, je ne sais, Dieu le sait) est la seule à être aveuglée par une si grande clarté. Le mur intérieur de l’ancienne Pavie renferme l’Afrique, l’Europe et une partie de l’Asie2. La condition de l’Église spirituelle Si un laïc habitant Pavie dit: « Je ne peux pas imiter l’Évangile », on lui répond: « Change seulement les desseins de ton cœur et observe en tout la condition des fidèles laïcs; tu possèdes alors la vie évangélique à laquelle personne ensuite ne pourra se dérober ». Ajouté le jour susdit. Le prépuce ne doit pas s’approprier la circoncision; c’est-à-dire que le laïc ne doit pas se faire clerc. Et la circoncision ne doit pas enlever le prépuce; c’est-à-dire que le simple clerc ne doit pas se faire laïc. Chacun doit rester dans la vocation à laquelle il a été appelé. Je parle pour l’époque de la perfection universelle à venir, la forme et l’image du monde étant disposées à passer rapidement. Il y a ou il peut y avoir une aussi grande perfection chez un simple laïc que chez un moine ou un prêtre. Je parle sur le plan spirituel; mais sur le plan sacramentel, c’est toujours le clergé qui est préféré aux laïcs, en signe et en témoignage de la vérité que détiennent en même temps le clergé et le peuple. 1 2

Voir Mt 10, 35-37 et Lc 12, 52-53. Voir les plans de Pavie: V 28, V 29 et V 30.

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FOL.

[fol. 18]1 DE

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PRINCIPIIS RADICALIBVS PRESENTIS INIQVITATIS

Si queratur a paupere mendicante more plebeio quare non uadit ad rectorem parrochie de qua iste est, ut sustentetur ab ipso, respondet: « Non possum ab eo aliquid obtinere quo uiuere diu possim ». Queratur a rectore parrochie quare pauperes suos patitur mendicare. Respondet: « Vltra sustentationem persone mee cum coadiutoribus meis, non habeo residuum quod possim pauperibus dare propter auaritiam plebis mee ». Si queratur quare non facit sibi fieri iustitiam per episcopum suum, respondet: « Interrogetur dominus episcopus quare patitur tota die tantam iniquitatem fieri contra iustitiam ecclesie mee?». Respondet episcopus: « Tota ciuitas est mihi rebellis propter eorum iniquitatem communem aduersus me et Ecclesiam mihi commissam ». Si interrogetur episcopus quare non fit sibi iustitia per superiorem suum: aut habens superiorem suum non potest ab eo iustitiam obtiner, propter similem rebellionem a ciuibus suis aduersum eum; aut immediate subiectus sub summo pontifice potest ab eo iustitiam petere. Dominus ergo papa potest inquirere unde processerit tanta iniquitas ciuitatum: quare? Quia ubi habundat copia diuitum, multiplicatur calamitas pauperum. Virtuosi esse possent illi diuites nisi eos diuitie suffocarent; uirtuosi possent esse illi pauperes nisi eos calamitas desperatione perimeret. Si essent utrique contenti iuxta quod exigit natura humana, essent in omnibus virtuosi. Vbi est autem tanta iniquitas ut unus habeat tanta que sufficerent pluribus, ibi nullum est indicium christiane religionis. Semen Verbi Dei in diuitibus reperit malas spinas que suffocant Verbum Dei; in pauperibus autem inuenit duram petram que in tribulatione desiccat irriguum Verbi Dei. Nulla ergo ibidem christianitas reperitur. 2

DE

INFIRMITATE CONIVGII CARNIS AD TEMPVS

Laicus coniugatus omni uirtute perfectus, infirmus deinde post experientiam carnis spiritu preualente, tempore populi christiani partim perfecti et partim infirmi, nondum facta tota perfectione ubique, licet exigatur ex parte uxoris infirme, ex parte tamen intentionis sue ad augmentum populi christiani non generis sui, reddens, non exigens debitum et generans prolem, non reputandus est ex hoc ab ulla perfectione deficere. Cum autem facta fuerit ubique per totum mundum perfectio christiana, non preualentibus aduersus eam hiis qui nolent ab infirmis et puerilibus actis tunc transactis ab illa propter obstinationem abscedere, forte in laicis coniugatis uiris et uxoribus simul omni uirtute perfectis cessabit matri-

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Dessin d’une main dans la marge de gauche. Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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[fol. 18] LES

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ORIGINES FONDAMENTALES DE L’INIQUITÉ ACTUELLE

Si l’on demande à un pauvre qui mendie selon l’usage courant pourquoi il ne va pas voir le curé de la paroisse à laquelle il appartient pour se faire nourrir, il répond: « Je ne peux pas lui prendre de quoi vivre longtemps ». On demande au curé de la paroisse pourquoi il laisse ses pauvres mendier. Il répond: « Une fois que nous nous sommes nourris, mes adjoints et moi, il ne me reste rien que je puisse donner aux pauvres, à cause de l’avarice de mes ouailles ». Si on lui demande pourquoi il ne se fait pas rendre justice par son évêque, il répond: « Il faut demander au seigneur évêque pourquoi il permet chaque jour qu’une telle iniquité se déploie contre la justice de mon église». L’évêque répond: « La ville tout entière est en révolte contre moi, en raison de l’iniquité générale qu’elle m’oppose et qu’elle oppose à l’Église qui m’a été confiée ». Si l’on demande à l’évêque pourquoi justice ne lui est pas rendue par son supérieur: soit, ayant un supérieur, il ne peut lui réclamer justice car ce dernier fait face à la même révolte de ses sujets; soit, dépendant directement du souverain pontife, il peut demander justice à celui-ci. Par conséquent, le seigneur pape peut chercher à découvrir d’où provient cette iniquité qui s’étend si gravement dans les villes: quelle en est la raison? Parce que là où la fortune des riches est abondante, les malheurs des pauvres sont décuplés. Ces riches pourraient être vertueux si les richesses ne les étouffaient pas; ces pauvres pourraient être vertueux si les malheurs ne les faisaient pas mourir de désespoir. Si les uns et les autres se contentaient de ce que réclame la nature humaine, ils seraient vertueux en tout. Mais là où l’iniquité est si étendue qu’un seul homme possède ce qui suffirait à un grand nombre, il n’y a aucune trace des pratiques chrétiennes. La semence de la Parole de Dieu1 trouve chez les riches de mauvaises épines qui étouffent la Parole de Dieu; et elle rencontre chez les pauvres une pierre dure qui, au milieu des tribulations, dessèche ce qui est irrigué dans la Parole de Dieu. Par conséquent, on n’y retrouve en rien la chrétienté. LA

FAIBLESSE TEMPORAIRE DU MARIAGE CHARNEL2

Soit un laïc qui se marie en étant parfait dans toutes les vertus, puis est faible après avoir fait l’expérience de la chair (l’intelligence étant prédominante), à l’époque où le peuple chrétien est en partie parfait et en partie faible, la perfection n’ayant pas encore été réalisée partout: bien que la demande lui soit faite du côté de sa femme, puisqu’il a néanmoins l’intention de faire grandir le peuple chrétien et non sa lignée, en consentant au devoir [charnel] mais en ne le demandant pas, et en engendrant des enfants, il ne doit pas pour cela être considéré comme entièrement dépourvu de perfection. Mais lorsque la perfection chrétienne aura gagné le monde entier, comme ceux qui refusent par obstination d’abandonner les actes faibles et enfantins appartenant alors au passé ne triompheront pas d’elle, la praVoir la parabole du semeur: Mt 13, 3-9; Mc 4, 3-9; Lc 8, 5-8. Théorie d’Opicinus conforme à la pensée du temps: demander l’acte charnel, même dans le cadre du mariage, est signe de faiblesse; mais y consentir ne porte pas tort à la perfection. Le « parfait » doit donc renoncer au mariage et à la sexualité. 1 2

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FOL.

18-18v°

monii usus, cum ille usus tunc imperfectio fuerit reputata1; ne reperti tunc in aliquo imperfecti coram uenturo iudice districtius iudicentur.

DISCRETIO

INFIRMITATIS A PERFECTIONE

Inter coniuges a quo ipsorum proueniat necessitas exigendi, signum est infirmitatis; reddens autem et nunquam exigens habet signum perfectionis. Sed cum in neutro horum, licet adhuc etate uigentium cum potentia coeundi, erit necessitas mutuo exigendi et per consequens nec reddendi, erit signum utriusque in ordine perfectorum. Non enim impossibilitas sed facultas coitus carnis cum proposito continendi per amborum mutuam et liberam uoluntatem significat hos in ordine perfectorum, conseruato semper honesto et licito habitu laicali, cum non habitus sed fides perfecta reddat hominem christianum perfectum.

DE

EADEM MATERIA

Ecce exemplum perfectionis seruate, etiam in actu matrimonii. Sancta Helisabet Ungara coniugata uiro Theutonico didicit perfectionem, existente adhuc infirmo uiro suo fideli. Non enim ipsa sed ipse debitum exigebat, cui tamen ipsa inuite reddebat, unde plures genuit filios. Ipsa in hoc non perdidit perfectionem. Et tandem uir didicit perfectionem ab ea et in breui raptus est a uita mortali ne malitia mutaret intellectum eius. Illa libera a lege uiri desiderium suum in bono compleuit. Eodem modo fit de uiro coniugato discente perfectionem post copulam carnis, adhuc existente uxore infirma, que sepius pre uerecundia naturali non uerbo sed signo uel actu exigit debitum. Cui uir perfectus timore diuino inuite debitum reddit, non perdita tamen perfectione sua. Ecce matrimonium est medicinale remedium pro infirmis quo perfecti non indigent. Perfecti lege euangelica iam hinc transierunt purgatorium suum; infirmi uero morientes in gratia nondum hic suum purgatorium expleuerunt. Exuti enim a carne exigunt adhuc presentis Ecclesie suffragiis adiuuari. Lex quidem Moysi uidens omnes infirmos omnes asstringit coniugio carnis et de necessitate seruatur adhuc in hoc in Ecclesia infirmorum, nequis labatur in uitia carnis. Euangelium autem curat infirmos ut a lege seruata promoueantur ad Euangelium libertatis. « Non (tamen) omnes capiunt uerbum istud sed quibus datum est. [fol. 18v°] Sunt enim eunuchi (id est a carnalibus abstinentes) qui de (legis seruilis) utero sic nati sunt (non per magisterium hominis sed per solam

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On attendrait: reputatus.

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tique du mariage cessera peut-être chez les laïcs mariés, hommes et femmes, unis par la perfection dans toutes les vertus, puisque cette pratique sera alors considérée comme une faiblesse; pour éviter que ceux qui seront alors trouvés imparfaits sur un point ne soient jugés plus sévèrement en présence du juge qui va venir. LA

DIFFÉRENCE ENTRE LA FAIBLESSE ET LA PERFECTION

Celui des époux qui exprime le besoin de réclamer [le devoir charnel] montre sa faiblesse; et celui qui y consent et ne le réclame jamais montre sa perfection. Mais lorsque aucun des deux, bien qu’ils soient encore dans un âge vigoureux et capables de s’accoupler, ne manifestera le besoin respectif de réclamer et par conséquent de consentir, ils montreront qu’ils appartiennent tous deux à l’ordre des parfaits. En effet, ce n’est pas l’incapacité mais la capacité de s’unir charnellement, associée à une résolution de continence émanant de la volonté libre et réciproque des deux, qui montre qu’ils appartiennent à l’ordre des parfaits, sachant qu’ils gardent toujours des modes de vie laïcs honorables et légitimes, puisque ce n’est pas le mode de vie mais la foi parfaite qui fait de l’homme un chrétien parfait. MÊME

SUJET

Voici un exemple où la perfection est préservée, même dans l’acte conjugal. Sainte Elisabeth de Hongrie1, épouse d’un mari germain, découvrit la perfection alors que son mari fidèle était encore faible. En effet, ce n’est pas elle mais lui qui réclamait le devoir [charnel]; cependant elle-même y consentait malgré elle, et elle conçut ainsi plusieurs enfants. Elle ne renonça pas à la perfection en agissant ainsi. Enfin son mari découvrit la perfection grâce à elle et il fut rapidement arraché à la vie mortelle, pour éviter que la malice ne le fasse changer d’avis. Quant à elle, affranchie de l’autorité de son mari, elle réalisa ses desseins en faisant le bien. La même chose se produit lorsqu’un homme marié découvre la perfection après avoir copulé charnellement, alors que sa femme est encore faible et qu’assez souvent, en raison de sa réserve naturelle, elle réclame le devoir [charnel], non par des paroles, mais par un signe ou un geste. L’homme parfait, par crainte de Dieu, consent au devoir [charnel] malgré lui, sans perdre pour autant sa condition de parfait. C’est ainsi que le mariage représente une solution thérapeutique pour les faibles, dont les parfaits n’ont pas besoin. Les parfaits qui suivent la loi de l’Évangile ont déjà quitté leur purgatoire d’ici-bas; mais les faibles qui meurent dans la grâce n’ont pas encore terminé leur purgatoire ici-bas. En effet, ceux qui sont libérés de la chair demandent encore à être aidés par les suffrages de l’Église actuelle. Certes, la loi de Moïse, considérant tous les faibles, les a tous obligés à se

1 Née en 1207, fille du roi André II de Hongrie, Elisabeth épousa Louis IV de Thuringe à 14 ans. Ce fut une union heureuse et féconde (trois enfants), même si Elisabeth s’efforçait déjà de parvenir à la perfection évangélique (piété, ascétisme, œuvres de miséricorde…). Louis mourut à la croisade et Elisabeth se retrouva veuve à 20 ans. Chassée par sa belle-mère qui voulait la remarier, Elisabeth fonda un hôpital, vécut au service des pauvres et reçut des consolations mystiques jusqu’à sa mort (1231).

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FOL.

18v°

gratiam Dei); et sunt eunuchi (id est similiter continentes) qui facti sunt ab hominibus (id est per magisterium hominis cooperante gratia Dei); et sunt eunuchi qui seipsos castrauerunt (id est qui a seipsis cum gratia Dei, post experientiam omnium legum, se ab illis legalibus abstraxerunt) propter regnum celorum (id est propter Euangelium perfectorum). Qui potest capere capiat ».

De infirmitate modernorum Quicquid dixit apostolus ad Galathas fundamentaliter: « Quanto tempore heres paruulus est, nichil differt a seruo et cetera », totum refertur ad presentem populum speculariter. Ibi intelligitur redemptio facta per Ihesum Christum se uoluntarie subicientem legi seruili, ut inde redimerentur infirmi in adoptionem filiorum. Et hic intelligitur facta per quemlibet uirum perfectum se uoluntarie obligantem legi ecclesiastice ad regimen animarum, ut inde redimantur presentes infirmi ad Euangelium perfectorum. De condescensione perfectorum ad maiores infirmos Vt scandalum maiusque periculum euitetur, misericorditer dispensatur per summum pontificem in matrimoniis regum aliorumque nobilium iuxta mundum. Et est magis euitatio mali futuri quam acquisitio ueri boni. Negatio autem huiusmodi dispensationis in matrimoniis pauperum et aliorum ignobilium est reductio eorum ab infirmitate legis ad Euangelium perfectorum. Illa dispensatio est consolatio infirmorum ad tempus dando eis ut uolunt, ne indignatione se perimant. Hec autem rigiditas dispensandi est acrior medicina releuans citius egros ab egritudine ad salutem, ne in stercoribus pereant. Nobiles mundi adhuc infirmitate tenentur, donec recognoscant nobiles Christi (id est populum christianum) perfectam acquisisse salutem. Tunc sine graui labore paulatim illi debiles cum fortibus adiungentur. Vera sanitas et fortitudo est in Euangelio libertatis; uera infirmitas et hebitudo est in lege seruitutis. Oportet enim semper seruilia precedere libertatem. Regnum mundi est 1

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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marier charnellement, et il est encore indispensable qu’elle soit observée sur ce point dans l’Église des faibles, pour éviter que quelqu’un ne tombe dans le péché de la chair. Mais l’Évangile soigne les faibles pour qu’ils quittent la loi qu’ils observent et montent vers l’Évangile de la liberté. Pourtant « tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux à qui cela est donné. [fol. 18v°] Il y a en effet des eunuques (c’est-à-dire s’abstenant de relations charnelles) qui sont nés ainsi du sein (de la loi des esclaves1, non au moyen d’une autorité humaine mais de la seule grâce de Dieu); il y a des eunuques (c’est-à-dire des hommes eux aussi continents) qui le sont devenus par l’action des hommes (c’est-à-dire avec l’aide d’une autorité humaine, la grâce de Dieu étant aussi à l’œuvre); et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels (c’est-à-dire qui, avec la grâce de Dieu et après avoir fait l’expérience de toutes les lois, se sont d’eux-mêmes détournés de ces obligations2) à cause du royaume des cieux (c’est-à-dire à cause de l’Évangile des parfaits). Que celui qui peut comprendre, comprenne »3. La faiblesse de nos contemporains Tout ce que dit l’apôtre aux Galates sur un plan fondamental: « Aussi longtemps qu’il est un enfant, l’héritier ne diffère en rien d’un esclave etc.»4, se rapporte entièrement au peuple actuel sur un plan manifeste. Là, il s’agit de la rédemption accomplie par Jésus-Christ se soumettant de son plein gré à la loi des esclaves, pour qu’ainsi les faibles soient rachetés et reçoivent l’adoption filiale5. Et ici, il s’agit de celle qui a été accomplie par n’importe quel homme parfait s’attachant de son plein gré à la loi de l’Église pour gouverner les âmes, pour qu’ainsi les faibles d’aujourd’hui soient rachetés et connaissent l’Évangile des parfaits. Les parfaits se mettent au niveau des faibles les meilleurs Afin d’éviter des difficultés et des impasses assez nombreuses, des dispenses6 sont accordées avec miséricorde par le souverain pontife pour les mariages des rois et des autres nobles selon le monde. Il s’agit plus d’éviter un mal à venir que d’obtenir un bien réel. Or le refus des dispenses de ce genre pour les mariages des pauvres et autres gens de basse naissance les amène de la faiblesse de la loi à l’Évangile des parfaits. Cette dispense représente momentanément un réconfort pour les faibles, en leur donnant ce qu’ils veulent, pour qu’ils ne se tuent pas en

1 Opicinus substitue l’expression « de la loi des esclaves » à celle de « de leur mère » (matris). 2 Opicinus se met dans cette dernière catégorie. 3 Mt 19, 11-12. 4 Ga 4, 1. 5 Voir Ga 4, 5. 6 À partir du XIIIe siècle, les dispenses ne sont plus délivrées que par le pape et ne concernent que de grands personnages. Car les autorités ecclésiastiques n’ont pas d’autre choix que d’octroyer parcimonieusement des dispenses ou de prononcer l’annulation du mariage, au grand dam du principe de l’indissolubilité.

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FOL.

18v°

infima seruitus; regnum celorum (id est perfectio christiana) est summa libertas. Ibi necessaria sunt corruptibilia arma; hic autem nulla corruptio reperitur nisi in personis mortalibus. Si considerauero meam personam, uideo me corruptioni subiectum; si considerauero populum christianum presentem, uideo me in eo a corruptibilibus liberum. Quod de me dico, de quolibet christiano dico.

DE

SPECVLO EXEMPLARI

Infirmitas Christi pro nobis assumpta significauit nobis populum christianum sub infirmitate absconditum. Et surgens in fortitudine et uirtute Dei populus christianus significat etiam nobis Christum in uirtute et fortitudine sua a mortuis surrexisse. Assumamus ergo duo specula: unum apponatur ante faciem hominis et aliud post occipitium hominis, ita tamen ut unum uideat aliud homine non obstante. Homo aspiciat primo speculum posterius quod reflexiue refulget in speculo anteriori, ut nequiens homo uidere speculum posterius in se uideat saltem illud in anteriori. Et in illo speculo intra speculum comode potest uidere in maiori luce diei omnia posteriora sua, scilicet uerticem, occipitium, collum (id est posteriora colli) et scapulas et forte usque ad renes. Hec expertus sum in meipso. Sicut igitur posteriora hominis per speculum posterius refulgent in speculo anteriori, ita Christus infirmus et mortuus quasi in posterioribus suis tantum apparens significauit nobis infirmum et quasi mortuum nuncusque populum christianum. Amoto speculo posteriori, homo sine obstaculo uidebit faciem suam in speculo anteriori; sic amota affectione mortalium, possumus contemplari in populo christiano perfecto et immortali Dominum nostrum Ihesum Christum, Deum et hominem immortalem, quasi faciem hominis in speculo refulgere. Si amoueatur homo de medio speculorum, nichil apparebit in speculis; ita si non habeatur in medio fundamentum fidei quod est Ihesus Christus Deus et homo, nichil apparebit in speculis: id est solus per ymaginationem animalem uidebitur homo simplex sine deitate crucifixus et mortuus, et hic populus qui dicitur christianus per apparentiam carnis non uidebitur dissimilis ceteris infidelibus. Sicut homo in medio speculorum facit uirtutem uidendi posteriora sua in speculo, ita fides de Domino nostro Ihesu Christo facit nos conferre mortalia nostra in se www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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se trouvant indignes. Mais la sévérité dans les dispenses représente une thérapeutique plus énergique, qui rend plus rapidement la santé à ceux qui sont malades, pour éviter qu’ils ne meurent dans les excréments. Les nobles de ce monde sont encore prisonniers de la faiblesse, tant qu’ils ne reconnaissent pas que la noblesse du Christ (c’est-à-dire le peuple chrétien) a obtenu la santé parfaite. Alors, sans faire de gros efforts, ces faibles rejoindront peu à peu les forts. La véritable santé et la véritable force se trouvent dans l’Évangile de la liberté; la véritable maladie et la véritable faiblesse se trouvent dans la loi de la servitude. En effet, il faut toujours que la servitude précède la liberté. Le royaume du monde, c’est la servitude la plus humble; le royaume des cieux (c’est-à-dire la perfection chrétienne), c’est la liberté la plus élevée. Là, les armes corruptibles sont indispensables; mais ici on ne trouve aucune corruption, sauf chez les personnes mortelles. Si je regarde ma personne, je constate que je suis soumis à la corruption; si je regarde le peuple chrétien actuel, je constate qu’en lui je suis délivré de ce qui est corruptible. Ce que je dis pour moi, je le dis pour tous les chrétiens. UN

MIROIR EXEMPLAIRE1

La faiblesse que le Christ a endossée pour nous nous montrait le peuple chrétien caché derrière la faiblesse. Et se levant dans la force et la puissance de Dieu, le peuple chrétien nous montre aussi le Christ qui s’est levé d’entre les morts dans sa puissance et sa force. Prenons donc deux miroirs: mettons-en un devant le visage d’un homme et l’autre derrière sa tête, de façon cependant que ces miroirs soient en vis-à-vis sans que l’homme ne fasse obstacle. L’homme doit d’abord regarder le miroir de derrière dont le reflet brille dans le miroir de devant, si bien que, si l’homme ne peut pas voir le miroir de derrière directement, il le voit au moins dans le miroir de devant. Et dans ce miroir à l’intérieur du miroir, il peut facilement voir au grand jour tout ce qui est derrière lui, à savoir le sommet de la tête, l’occiput, le cou (c’est-à-dire le derrière du cou), les épaules et peut-être jusqu’aux reins. J’en ai fait moi-même l’expérience. Par conséquent, de même que ce qui est derrière l’homme se reflète dans le miroir de devant à l’aide du miroir de derrière, de même le Christ faible et mort, comme s’il se manifestait seulement dans ce qui est derrière, nous a montré le peuple chrétien faible et pour ainsi dire mort jusqu’à aujourd’hui. Une fois le miroir de derrière enlevé, l’homme verra son visage dans le miroir de devant sans être gêné; de même, une fois que nous avons abandonné notre attachement à ce qui est mortel, nous pouvons contempler notre Seigneur JésusChrist, Dieu et homme immortel, qui resplendit dans le peuple chrétien parfait et immortel, comme le visage de l’homme dans le miroir. Si l’homme s’écarte du centre des miroirs, on ne verra rien dans les miroirs; de même, s’il n’y a pas au centre le fondement de la foi qu’est Jésus-Christ, Dieu et homme, rien n’apparaîtra dans les miroirs; c’est-à-dire qu’avec l’imagination animale, on ne verra qu’un homme ordinaire, dépourvu de divinité, crucifié et mort, et ce peuple qu’on appelle chrétien, du fait de son apparence charnelle, ne paraîtra pas différent des autres qui 1 Encore une fois, à partir d’un exemple banal (un miroir), Opicinus va démontrer sa divinité.

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FOL.

18v°-19

cum mortalibus huius populi Dei absconditi. Et sicut amoto speculo posteriori facies hominis fulget in speculo, ita non consideratis mortalibus nostris contemplari possumus Ihesum Christum in pectore populi christiani. Actum idibus augusti, die sancte Radegundis regine Francorum, cui fere in omnibus assimilata est sancta Helisabeth supradicta.

De natura et gratia Deus noster Ihesus Christus mediator Dei et hominum est Creator et creatura per ineffabilem unionem. Naturaliter autem simplex substantia Dei est Creator non creatura; angelica uero et humana natura est creatura non Creator. Saluis tamen illis naturis distinctis ab inuicem, sola gratia Incarnationis dominice facit naturas creatas unitas esse nature creanti, scilicet angelos ante secula et homines in fine seculorum, electis utrisque ex predestinatione diuina, iam iudicatis reprobis ex utrisque. Semper erit distinctio naturarum Creatoris et creaturarum in seipsis et semper erit unio naturarum per gratiam Dei. Additum anno perfectionis, V kalendas iunii, octaua Ascensionis. 1

[fol. 19] DE

CARITATE PRESENTI

Sola caritas facit ex pluribus unum, id est de pluribus personis mortalibus unum incorruptibilem et immortalem populum christianum. Sumamus exemplum: ego et proximus ex uinculo caritatis facti sumus ex duobus mortalibus unus immortalis. Semper adest mortalitas personarum et semper uiget immortalitas unius qui sumus. Moriente persona, unitas semper uiuit. Siue persone diutius uiuant siue moriantur, unitas caritatis conseruat eternum esse in uera beatitudine. Si autem contingat me a caritate recedere sine apparentia signi et proximum semper in caritate persistere, tunc ex parte mea perditum est unum immortale et beatificum; ex parte uero proximi semper seruatur unitas immortalis. Ego redigor in puluerem multiplicis uoluntatis que iam nichilum reputatur, et ille conseruatus in unicam et inconuertibilem uoluntatem, in populo christiano quasi unico uiro perfecto diuinitus computatur.

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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sont infidèles. De même que l’homme placé au centre des miroirs donne la possibilité de voir ce qui est derrière lui dans le miroir, de même la foi qui vient de notre Seigneur Jésus-Christ nous permet de mettre notre condition mortelle en lui, avec la condition mortelle de ce peuple de Dieu caché. Et de même qu’une fois le miroir de derrière enlevé, le visage de l’homme apparaît dans le miroir, de même, notre condition mortelle n’étant pas prise en compte, nous pouvons contempler JésusChrist dans la poitrine du peuple chrétien. Fait le jour des ides d’août [13 août 1337], le jour [de la fête] de sainte Radegonde, reine de France1, à qui ressemble presque en tous points sainte Elisabeth citée plus haut. La nature et la grâce Notre Dieu Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, est Créateur et créature par une union ineffable. Mais, du point de vue de la nature, seule la substance divine est Créateur et non créature; alors que les natures de l’ange et de l’homme sont créatures et non Créateur. En préservant cependant la différence entre l’une et l’autre de ces natures, c’est la seule grâce de l’Incarnation du Seigneur qui permet que les natures créées soient unies à l’essence qui crée, à savoir les anges avant les siècles et les hommes à la fin des siècles, les uns et les autres étant élus du fait de la prédestination divine, les réprouvés des deux camps étant déjà condamnés. Il y aura toujours une différence profonde entre les natures profondes du Créateur et des créatures, et il y aura toujours une union des natures par la grâce de Dieu. Ajouté l’année de la perfection, le 5 des calendes de juin, en l’octave de l’Ascension [28 mai 1338]. [fol. 19] LA

CHARITÉ AUJOURD’HUI

A elle seule, la charité réalise l’unité à partir de la pluralité, c’est-à-dire réunit plusieurs personnes mortelles en un seul peuple chrétien incorruptible et immortel. Prenons un exemple: mon prochain et moi, qui sommes deux personnes mortelles, nous devenons une seule personne immortelle grâce au lien de la charité. Le caractère mortel des personnes est toujours présent et l’immortalité de la personne unique que nous sommes ne cesse de s’épanouir. Lorsque la personne meurt, l’unité reste toujours vivante. Que les personnes vivent assez longtemps ou qu’elles meurent, l’unité de la charité garde son caractère éternel dans la véritable béatitude. Mais s’il m’arrive de m’éloigner de la charité sans manifestation apparente et que mon proche demeure toujours dans la charité, alors, en ce qui me concerne, ce qui est un, immortel et bienheureux est anéanti; alors que, du côté de mon prochain, l’unité immortelle est toujours conservée. Moi, je retourne à la poussière de la volonté multiple qui est déjà considérée comme sans valeur, et lui qui est resté dans la volonté unique et immuable, il est compté par la volonté divine dans le peuple chrétien, c’est-à-dire l’homme extraordinaire et parfait. 1 Née en 518, fille du roi de Thuringe, Radegonde épousa le roi des Francs Clotaire Ier en 538. Mais scandalisée par les crimes qui souillaient la famille royale, elle dut quitter la cour et fonda l’abbaye de Sainte-Croix à Poitiers, où elle vécut trente ans jusqu’à sa mort (587).

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FOL.

19

SCHÉMA A

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19.

Exemplum de flexibili uirgula ad rectitudinem rectus ordo nature reprobanda est; a dextris benedictio maledicta uita mediocris eligenda est; a sinistris maledictio benedicta MARE PONTICVM TERRA ANTHIOCHIE TERRA SANCTA nature corruptio uiolenta Opulentia concupita per superflua nimia labitur. Concupiscentia alieni facit hominem declinare a medio. incuruatio uitiosa directio naturalis inflexio uirtuosa unica uirgula uiolentia naturalis Paupertas uoluntaria per necessaria uenit ad medium. Abdicatio proprii facit hominem redire ad medium. Si uirgula uitiose deflexa reducatur tantum ad medium, nunquam ibi firmabitur, sed de facili reuertetur ad uitium. 20. Si uirgula uitiose deflexa reflectatur in partem aduersam, cum fuerit ibi aliquantulum alligata, deinde relaxata reuertetur ad medium. DE

MEDICINA COMPETENTI INFIRMO

Homo nutritus in uitiis nunquam potest reduci ad medium, nisi primo eligat statum contrarium uitio quo totus ligabatur, non subito ad tantum rigorem, ne pre timore et terrore tantis ponderis penitentie frangeretur, sed suaui assuefactione paulatim ad ardua sine graui labore (sicut uirgula, si cum furore traheretur ab incuruatione ad partem contrariam, de facili frangeretur, nisi paulatim et cum suauitate traheretur illuc). Verbi gratia. Tyrannus paratus ad conuersionem non posset inflecti subito ad partem contrariam, nisi paulatim primo restituendo aliena de die in diem. Deinde de iusto proprio et licito, siquid sibi superesset, uiuendum esset sibi, dando parrochie debitos census annuos, sicut facit www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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SCHÉMA A Première apparition du dessin dans le manuscrit: ce schéma simple représente une ligne droite terminée par une sorte de fleur, dont s’écartent à la base deux courbes infléchies de la même manière d’un côté et de l’autre. Il symbolise la vie du juste milieu, qui s’oppose à la fois à la richesse et à la trop grande pauvreté. Les éléments géographiques indiqués en font une sorte de carte moralisée qui évoque les différentes étapes de l’histoire d’Opicinus.

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20.

LA

Exemple de la branche souple qui tend vers la ligne droite la verticale conforme à la loi de la nature elle doit être rejetée; à droite la bénédiction maudite la vie du juste milieu elle doit être choisie; à gauche, la malédiction bénie LE PONT-EUXIN1 LA RÉGION D’ANTIOCHE LA TERRE SAINTE2 la corruption de la nature par la violence La richesse convoitée se laisse aller dans l’excès du superflu. La convoitise du bien d’autrui entraîne l’homme loin du juste milieu. le fléchissement dû au péché la direction naturelle le fléchissement dû à la vertu la branche unique la violence naturelle La pauvreté volontaire vient nécessairement vers le juste milieu. Le renoncement à ses biens personnels ramène l’homme vers le juste milieu. Si la branche fléchie par le péché est seulement ramenée vers le juste milieu, elle n’y sera jamais fixée mais reviendra facilement au péché. Si la branche fléchie par le péché est incurvée en arrière en sens contraire, qu’elle est forcée d’y rester quelque peu et qu’on la relâche, elle reviendra ensuite vers le juste milieu.

THÉRAPEUTIQUE QUI CONVIENT AU FAIBLE

L’homme nourri dans les péchés ne peut jamais revenir vers le juste milieu, à moins qu’il ne choisisse d’abord la condition opposée au péché par lequel il était complètement ligoté; sans aller instantanément vers une si grande austérité, pour éviter d’être découragé en raison de la crainte et de l’angoisse qu’il éprouve pour une pénitence aussi lourde, mais en s’habituant doucement et progressivement à ce qui est difficile, sans effort pénible (comme la branche qui, si on la faisait aller brusquement en sens contraire de sa courbe, se briserait facilement, Ou mer Noire. Opicinus ne peut s’empêcher de spatialiser. Antioche est en effet à peu près équidistante du Pont-Euxin et de Jérusalem. 1 2

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FOL.

19-19v°

quilibet christianus. Ne autem ab huiusmodi uita mediocri ad primum uitium laberetur, paulatim uoluntarie humiliandus est in pauperum uita. Cum autem fuerit uere probatus in humilium uita, habens perfectionem reducendus est ad uitam mediocrem. Quod de rapine uitio dictum est, de quolibet alio uitio dici potest. Actum uigilia Assumptionis sancte Marie Virginis.

De proprietatibus cordis maris, et pectoris et uentris Europe Sicut cor maris habet a dextris agitationem uentorum in mari inter Regium et Messanam, ut audio, quasi pulmonem cuius tamen impulsu plus accenditur cor feruentibus ollis igne perpetuo, ita pectus Europe habet quasi pulmonem ab Arelate cuius molendina mouentur a uento, preualentibus uentis usque Lugdunum, quasi cor a quo prouenit luctus usque Viennam (id est metum ignis gehenne qui a uulgaribus appellatur ignis sancti Antonii). A montibus fluminum discretiuis Ebredunensis prouincie usque ad Aquensem prouinciam, intelligitur iecur uel epar distillans lac et sanguinem purum a grossitie fecis. A montibus discretiuis Ebredunensis prouincie a Mediolanensi prouincia, intelligitur stomachus cuius feces in Lombardiam descendunt, ubi pro quolibet stercore fiunt certamina tota die. Efficacia iecoris demonstratur in renibus, ubi separantur ab inuicem Rodanus sanguinis mixti cum aqua et Ticinus urine clarissime descendentis usque ad turbinem Padi. A renibus usque ad dorsa, progreditur fluuius Reni, quasi penetralium purgatiuus. Hec omnia parabole sunt, nisi a sapientibus declarentur ad sensum. Additum anno perfectionis, XIII kalendas maii, in octaua Pasche.

[fol. 19v°] DE

TRANSLATIONE

ROMANE

CVRIE AD TESTIMONIVM NON AD REM

Sicut Anthiochia est circa medium habitabilis mundi, et sicut Roma est circa medium dimidii mundi, ita presens Auinio est circa medium lingue latine, id est littere Latinorum. In toto mundo non inuenitur tale et tantum testimonium Assumptionis sancte Marie Virginis quale et quantum habet Auinio pectoralis. Siquis ratiocinetur ad oculum, ibi reperiet uisibile argumentum. In pectore totius Europe, requies reperitur quesita in omnibus. Creator enim omnium requiescit in tabernaculo pectoris huius; habitat in Iacob et hereditatur in Israel; et in electis suis mittit radices amoris. Intrans enim in castellum (quasi Marcus translatus www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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à moins qu’on ne la tire progressivement et doucement dans cette direction). Par la grâce du Verbe. On ne peut faire pencher instantanément du côté opposé un tyran disposé à se convertir: il doit le faire progressivement, d’abord en restituant ce qui est à autrui jour après jour. Puis il devrait vivre sur ses biens personnels justes et légitimes, s’il lui en reste suffisamment, en donnant à la paroisse les redevances dues annuellement, comme le fait chaque chrétien. Et pour éviter qu’en menant cette vie du juste milieu il ne retombe dans le péché, il doit s’abaisser progressivement et de son plein gré à mener la vie des pauvres. Et lorsqu’il aura vraiment fait ses preuves en menant la vie des humbles, ayant acquis la perfection, il doit revenir à la vie du juste milieu. Ce qui est dit du péché que constitue le vol, s’applique à n’importe quel autre péché. Fait la veille de l’Assomption de la sainte Vierge Marie [14 août 1337]. Les caractéristiques du cœur de la mer, de la poitrine et du ventre de l’Europe A droite du cœur de la mer1, il y a des vents qui soufflent fort dans le détroit séparant Reggio2 de Messine, à ce que j’ai entendu dire: on dirait un poumon dont le mouvement embrase cependant davantage le cœur pour les marmites où brûle le feu éternel3. De même, la poitrine de l’Europe possède une sorte de poumon qui commence en Arles, dont les moulins tournent grâce au vent, les vents étant dominants jusqu’à Lyon: on dirait un cœur en proie au chagrin s’étendant jusqu’à Vienne (c’est-à-dire jusqu’à la crainte du feu de la géhenne qu’on appelle communément feu de saint Antoine4). Entre les montagnes qui séparent les fleuves de la province d’Embrun, en allant jusqu’à la province d’Aix, il s’agit du foie5 qui fait le tri entre le lait et le sang purs et les résidus grossiers. À partir des montagnes qui séparent la province d’Embrun de la province de Milan, il s’agit de l’estomac dont les résidus descendent en Lombardie, où des combats se produisent à longueur de journée pour chaque déjection. L’efficience du foie se voit dans les reins, où se différencient l’un de l’autre le Rhône, dont le sang est mélangé à de l’eau, et le Tessin, dont l’urine très claire descend jusqu’au tourbillon du Pô. Entre les reins et le dos, s’écoulent les eaux du Rhin, qui pour ainsi dire purge l’intérieur. Tous ces propos relèvent de l’allégorie, à moins que les sages n’en montrent le sens. Ajouté l’année de la perfection, le 13 des calendes de mai, dans l’octave de Pâques [19 avril 1338]. [fol. 19v°] LE

TRANSFERT DE LA CURIE ROMAINE: UN TÉMOIGNAGE ET NON UNE RÉALITÉ

De même qu’Antioche se trouve à peu près au centre du monde habité, et que Rome se trouve à peu près au centre du demi-monde6, de même Avignon se trouve

C’est-à-dire de la Sicile. Reggio: ville de Calabre. 3 Allusion à l’Etna. 4 Appelé aussi « mal des ardents », le « feu saint Antoine » correspond à l’ergotisme (une intoxication par l’ergot de seigle provoquant des troubles nerveux, psychiques et vasculaires). 5 Opicinus donne le nom latin (jecur) et le nom grec (t’ ƒpar) pour le même mot: foie. 6 C’est-à-dire de l’Europe. 1 2

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FOL.

19v°

Venetias uentris Italie) per sanctam Martham excipitur in hanc domum que est Auinio pectoralis. Eadem quidem fuit confessio Petri et Marthe de Christo. Per Petrum: « Tu es Christus, filius Dei uiui »; et per Martham: « Ego credidi quia tu es Christus, filius Dei uiui, qui in hunc mundum uenisti ». Per confessionem Petri Roma fundatur; per confessionem Marthe Auinio renouatur. Prefigurauerunt enim Romam transferendam in Auinionem. Nunc misterium reuelatur: Vrbs tibialis dicitur « Roma », Auinio pectoralis dicitur « Amor ». Retrogressio litterarum facit de nomine « Roma » nomen « Amor »; et de nomine « Amor » facit nomen « Roma ». Vbi est Auinio, hospitium pectoris reperitur quod preparauit Martha Domino uenienti. Ostium meridianum semper apertum nemini clauditur. Venientibus de mari, de loco abhominationis, offertur ara latitudinis que dicitur Arelate (sic enim ethimologice dici potest). Panduntur huius pectoris ostia cipressina, que non sine misterio Deus produxit per mare ab ostia Tiberina ad Prouinciam pectoralem, meritis sancti Egidii. Neminem respuit Auinio pectoralis. Hospitium huius pectoris habet in se ministerium Marthe; habet iuxta pedes hospitis huius loci contemplationem Marie in territorio Aquensi; in cena huius cenaculi non deficit Lazarus, sancte Massilie primus pastor. Hec omnia ad oculum per descriptiones ymaginum demonstrantur. Actum uigilia Assumptionis sancte Marie Virginis domine nostre.

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aujourd’hui à peu près au centre des parlers latins (c’est-à-dire de la culture latine). On ne peut trouver dans le monde entier un témoignage aussi beau et aussi grand de l’Assomption de la sainte Vierge Marie que celui dont dispose l’Avignon de la poitrine. Si quelqu’un raisonne d’après ce qu’il voit, il trouvera là une preuve visible. Dans la poitrine de l’Europe tout entière, on trouve le repos recherché en toutes choses. En effet, le Créateur de toutes choses se repose dans la tente / le tabernacle de cette poitrine; il habite chez Jacob et a pour héritier Israël; et il envoie les sources de l’amour chez ses élus. En effet, en entrant dans un village (tel Marc transféré à Venise, dans le ventre de l’Italie), il est accueilli par sainte Marthe dans cette maison1 qui représente l’Avignon de la poitrine. C’est sans aucun doute la même profession de foi que Pierre et Marthe firent au sujet du Christ. Pierre: « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant »2; et Marthe: « Oui, je crois que tu es le Christ, le fils du Dieu vivant, qui viens dans ce monde »3. La profession de foi de Pierre a permis la fondation de Rome; la profession de foi de Marthe a permis la renaissance d’Avignon. En effet, elles annonçaient que Rome devait être transférée à Avignon. À présent le mystère est dévoilé: la Ville de la jambe s’appelle « Rome/Roma », l’Avignon de la poitrine s’appelle « Amour/Amor ». Avec les lettres de « Rome/Roma » mises à l’envers, on obtient le mot « Amour/Amor »; et avec le mot « Amour/Amor », on obtient le mot « Rome/Roma »4. Là où se trouve Avignon, on trouve le logement de la poitrine que Marthe a préparé pour la venue du Seigneur. La porte du midi, toujours ouverte, n’est fermée à personne. Pour ceux qui arrivent de la mer, du lieu de l’abomination, se présente l’autel de la largesse: on l’appelle Arles (en effet, selon l’étymologie, on peut l’appeler ainsi). Les portes de cyprès de cette poitrine sont grandes ouvertes, elles que Dieu – n’est-ce pas un mystère? – a fait venir par la mer entre l’embouchure du Tibre et la Provence de la poitrine, grâce aux mérites de saint Gilles5. L’Avignon de la poitrine ne rejette personne. Dans le logement de cette poitrine, on trouve le service de Marthe6; aux pieds de l’hôte de ce lieu, la contemplation de Marie7 sur le territoire d’Aix; et Lazare est également présent au repas de cette salle à manger / ce cénacle8, lui qui fut le premier évêque de Marseille9. Tout cela est exposé aux regards par les dessins des images. Fait la veille de l’Assomption de la sainte Vierge Marie, notre maîtresse [14 août 1337].

Voir Lc 10, 38. Mt 16, 16. Voir aussi Mc 8, 29 et Lc 9, 20. 3 Jn 11, 27. 4 ROMA-AMOR et inversement. 5 Le pape ayant fait don à saint Gilles (VIIIe siècle) de deux portes sculptées pour son abbaye, ce dernier les jeta dans le Tibre; elles flottèrent jusqu’à la mer, remontèrent le petit Rhône et arrivèrent sur le lieu de la future abbaye en même temps que l’ermite. Voir la Légende dorée, t. 2, p. 171. Voir fol. 38 et 57v°. 6 Sainte Marthe passait pour avoir débarrassé Tarascon du monstre de la tarasque: voir la Légende dorée, t. 2, pp. 21-22. Voir V 5. 7 Voir Lc 10, 39. Confusion médiévale entre Marie-Madeleine, Marie de Béthanie et la pécheresse anonyme (qui entra chez Simon le Pharisien pour parfumer les pieds de Jésus): voir la Légende dorée, t. 1, p. 456 et ss. 8 Voir Jn 12, 1 et ss. 9 Opicinus s’identifie à la fois à Marthe, à Marie et à Lazare. 1 2

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FOL.

19v°

id est Auinio id est Vrbs Retrogrado fit A M O R ueteri de nomine R O M A. ego id est commutor (subaudi de alio in aliud) Pro pretio R O M E(A) nobile pectus E(A) M O R1.

De afflictione propria Hoc actum est die Assumptionis sancte Marie Virginis, anno renouationis; me existente in amaritudine anime mee et corporis, non habente quod scriberem; qua nocte sanctissima, anno Domini MCCCXXXIIII°, uideram in sompnis beatam Virginem Mariam solam sedentem in terra cum filio in gremio, tristem conuersam ad meridiem uel ad Affricum et conquerentem de quadam amaritudine – nescio si mirre uel alterius rei amare a partibus aquilonis. Hoc addere recordatus sum die Exaltationis sancte Crucis. De natura et corruptione Sicut Deus creauit celum et terram et mare, ita fecit in homine bonam naturam tam anime (quasi celum) quam corporis (quasi terram) et malitiam hominis potentialiter (quasi mare); ut per exercitium bone nature et per gratiam Dei contra malitiam meritum augeatur.

DE

MEDICINALIBVS SACRAMENTIS

Sacerdos ante altare sumpturus sacrosanctum misterium eucharistie sic dicit: « Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum (id est hospitium huius parrochie quam suscepi, cuius nomine me offero conspectui tuo), sed tantum dic uerbo (uirtutis tue) et sanabitur anima mea (id est infirmitas anime mee cum anima populi mei, ut sanata anima populi mei anima mea sanetur cum illa, quorum infirmitates ego suscepi nomine tuo) ». Descendi enim a pectore perfectorum ad uentrem fragilium. Auinio pectoralis perfectos significat; Papia uero uentralis fragiles prefigurat uel aliud. « Sanabitur puer meus »; id est persona mea mortalis sanabitur in populo perfectorum. « Corpus uel sanguis Domini nostri Ihesu Christi custodiat animam meam (id est animam populi mei cum qua una est anima mea, non natura sed gratia) in uitam eternam (hic inceptam in populo perfectorum, consumandam in eterno gaudio inennarrabilium premiorum) ».

Les majuscules des quatre mots sur lesquels joue Opicinus sont plus grandes et plus épaisses que le reste du texte. 1

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c’est-à-dire Avignon c’est-à-dire la Ville A l’envers, on obtient A M O U R, à partir de l’ancien nom R O M E. moi c’est-à-dire le changeur (d’une chose [en une autre) Valant le prix de R O M E, la poitrine remarquable, c’est l’A M O U R.

Un état d’affliction personnel Ceci a été fait le jour de l’Assomption de la sainte Vierge Marie, l’année du renouvellement [15 août 1337]; j’étais alors en proie à l’amertume dans mon âme et mon corps, ne sachant pas ce que j’écrirais; c’est en cette nuit très sainte, l’année du Seigneur 1334, que j’ai vu en songe la bienheureuse Vierge Marie, seule, assise à terre, avec son fils sur les genoux, tristement tournée vers le sud ou vers l’Africain, et se plaignant d’une certaine amertume1 – je ne sais si c’était celle de la myrrhe ou celle d’une autre chose amère venue des régions du nord2. J’ai pensé à ajouter ces mots le jour de l’Exaltation de la sainte Croix [14 septembre 1337]. La nature et la corruption De même que Dieu a créé le ciel, la terre et la mer, de même il a donné à l’homme une constitution solide, aussi bien pour son âme (autant dire le ciel) que pour son corps (autant dire la terre), et il a fait la malice virtuelle de l’homme (autant dire la mer). Ainsi, en développant sa nature vertueuse et avec la grâce de Dieu, l’homme fait grandir les talents qui sont à l’opposé de la malice. LES

SACREMENTS QUI SERVENT DE REMÈDES

Quand le prêtre est devant l’autel, sur le point de recevoir le mystère sacré de l’eucharistie, il prononce ces mots: « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit (c’est-à-dire dans le logement de cette paroisse dont j’ai reçu la charge et au nom de laquelle je me présente devant toi), mais dis seulement une parole (émanant de ta puissance) et mon âme sera guérie (c’est-à-dire la faiblesse de mon âme et de l’âme de mon peuple, afin que, l’âme de mon peuple étant guérie, mon âme soit guérie avec elle – ces âmes dont moi, j’assume la faiblesse en ton nom) »3. En effet, j’ai quitté la poitrine des parfaits pour gagner le ventre des faibles. L’Avignon de la poitrine indique les parfaits, alors que la Pavie du

Voir GUY ROUX, Opicinus, prêtre, pape…, p. 42. Allusion à la myrrhe et à l’aloès apportés par Nicodème pour l’ensevelissement du Christ (Jn 19, 39): voir fol. 22r°-v°. Il s’agit aussi d’une allusion au parfum versé par MarieMadeleine sur Jésus: voir fol. 20 et 22v°. En 1334, Opicinus pensait à sa mort; il s’agit donc ici de l’évocation d’une Pieta, qui se superpose à l’image glorieuse de l’Assomption, et fait passer Opicinus de la Vierge Marie au Christ. 3 Paroles prononcées par le célébrant avant la communion. Voir Mt 8, 8 et Lc 7, 6-7. 1 2

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DE

FOL.

19v°-20

CONCORDANTIA EVANGELIORVM

Ne dubium habeatur in euangeliis de nomine Marie Magdalene, ubicumque fuerit inuenta ardens ex presentia Christi – excepta eius solitudine ad monumentum Domini cum nomine et cognomine mulieris – sola sine aliis feminis simplex « mulier » sine nomine nominatur. Vt puta, in conuiuio conuersionis sue ante infirmitatem, mortem et suscitationem Lazari fratris sui, incepit apertionem alabaustri unguenti non tamen totaliter effusi ad pedes Domini secundum Lucam VII°; in cena congratulationis sue post suscitationem Lazari, post maiorem effusionem VI

[fol. 20] unguenti non tamen adhuc totaliter ad pedes Domini secundum Iohannem XII°; in eadem cena amplius effudit unguentum in caput Domini iuxta Matheum XXVI°, donec iuxta Marcum XV° fracto alabaustro totum unguentum effunderet in caput Domini; et in hiis omnibus preter quam, quod traditur iuxta Iohannem XII°, de unctione pedum Domini in consortio Marthe, simplex « mulier » nominatur propter silentium de aliis feminis. Vbicumque uero reperitur Martha, soror eius sine cognomine « Maria » uocatur, ut inter sorores sit discretio nominum in personis, ut puta de Domino excepto in domum castelli per Martham secundum Lucam X° et de resuscitatione Lazari fratris earum (Iohannis XI°) ac in congratulatione, cene effuso unguento super pedes Domini iuxta Iohannem XII° Lazaro nominato. Vbicumque autem inuenitur ista Maria cum aliis eiusdem nominis, additur cognomen « Magdalene », ut identitas nominis ex cognomine discernatur secundum omnes euangelistas. Actum anno renouationis, XVII kalendas septembris.

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ventre annonce les faibles ou autre chose. « Et mon enfant sera guéri »1; c’est-àdire que ma personne mortelle sera guérie au sein du peuple des parfaits. « Que le corps ou le sang de notre Seigneur Jésus-Christ garde mon âme (c’est-à-dire l’âme de mon peuple avec laquelle mon âme ne fait qu’un, non par nature mais par grâce) pour la vie éternelle (commencée ici-bas dans le peuple des parfaits et devant s’achever dans la joie éternelle des récompenses indicibles) »2. LA

CONCORDANCE DES ÉVANGILES

Les évangiles sont sans ambiguïté quant au nom porté par Marie-Madeleine: partout où on la trouve toute brûlante du fait de la présence du Christ – sauf quand, seule au tombeau du Seigneur, elle est appelée par son nom et son surnom3 – comme elle n’est pas en compagnie d’autres femmes, on l’appelle simplement « une femme », sans lui donner de nom. C’est le cas dans les exemples qui suivent: lors du repas où elle opéra sa conversion, avant la maladie, la mort et la résurrection de son frère Lazare, elle se mit à ouvrir un vase contenant du parfum, sans cependant le répandre entièrement, en étant aux pieds du Seigneur (Luc 7)4; au cours du repas de remerciements qui suivit la résurrection de Lazare, après avoir répandu une grande partie VI [fol. 20] du parfum, mais pas encore la totalité, en étant aux pieds du Seigneur (Jean 12)5; lors du même repas, elle répandit davantage de parfum sur la tête du Seigneur (Matthieu 26)6, et elle alla jusqu’à briser le vase pour répandre tout le parfum sur la tête du Seigneur (Marc 15)7; et dans toutes ces situations, excepté l’onction des pieds du Seigneur où sa sœur Marthe était présente, et que rapporte Jean (12), on l’appelle simplement « une femme », car on ne mentionne pas d’autres femmes. Mais partout où l’on trouve Marthe, on appelle sa sœur « Marie » sans lui donner de surnom, pour que l’on puisse distinguer les sœurs par leurs noms personnels: par exemple, lorsque Marthe reçoit le Seigneur dans la maison d’un village (Luc 10)8, lors de la résurrection de leur frère Lazare (Jean 11)9, et lors du repas de remerciements où le parfum fut répandu sur les pieds du Seigneur (Jean 12) et où Lazare est cité. Mais partout où l’on trouve cette Marie avec d’autres femmes portant le même nom, on ajoute le surnom de « Madeleine », pour que, du fait

Mt 8, 8 et Lc 7, 7. Paroles prononcées par le célébrant au moment de la communion. 3 Voir Mt 28, 1 et Mc 16, 1. 4 Voir la pécheresse pardonnée: Lc 7, 37-38. 5 Voir l’onction de Béthanie: Jn 12, 3. Marie y est nommément citée, comme le dit luimême Opicinus quelques lignes plus loin. 6 Voir Mt 26, 6-7. 7 Voir Mc 14, 3. La mention du chapitre 15 au lieu de 14 est expliquée par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 430-431. 8 Voir Lc 10, 38. 9 Voir Jn 11, 1 et ss 1 2

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CONSONANTIA

FOL.

20

EVANGELISTARVM DE NOMINE

MARIE MAGDALENE

Ecce sola sine aliis feminis « mulier » sine nomine ponitur; cum sorore sua Martha, « Maria » sine cognomine nominatur; inter alias autem mulieres ad differentiam nominis proprii cognomine « Magdalene » uocatur. Que in die conuersionis sue, cepit effundere alabaustrum unguenti super pedes Domini; die congratulationis sue de resuscitatione Lazari, amplius effudit alabaustrum unguenti super pedes Domini; in eadem die et hora adhuc copiosius effudit alabaustrum unguenti super caput Domini; deinde fracto alabaustro totum effudit unguentum super caput Domini. De prima effusione unguenti, intra se cogitat Phariseus (Luce VII°); de secunda murmurat proditor Iudas (Iohannis XII°); de tertia autem discipuli indignantur (Mathei XXVI°); de quarta uero quidam ex eis cogitant indigne intra se usque ad fremitum (Marci XV°). In primo humilitas uituli uincit ypocrisim; in secundo subtilitas aquile cor hominis iudicat; in tertio homo homines noscit; in quarto uero ex fremitu leo feras. In prima effusione dicitur «alabaustrum unguenti » simpliciter; in secunda dicitur « libra unguenti nardi pistici pretiosi »; in tertia « alabaustrum unguenti pretiosi »; in quarta « alabaustrum unguenti nardi spicati pretiosi ». Vt autem gradatim uideamus: primo secundum Lucam (VII°) dicitur « unguentum » simpliciter; secundum Matheum (XXVI°) « unguentum pretiosum »; secundum Iohannem (XII°) « unguentum nardi pistici pretiosi »; secundum Marcum (XV°), quasi similiter sicut secundum Iohannem, posito « spicato » pro « pistico ». Vbi ponitur simplex « unguentum », nullum de eo pretium nominatur; ubi additur « pretiosum », multo pretio estimatur sine taxatione pretii; ubi uero additur « nardus pisticus », « CCC denariis » estimatur; ubi autem post « nardum » additur « spicatus », « plus quam CCC denariis » compensatur. Qui ponit pretium unguenti sine taxatione taxat pretium proditoris. Ecce peccatrix mulier sine nomine « lacrimis rigat pedes Domini »; Maria gratior facta sine cognomine « sedet secus pedes Domini »; pro suscitatione Lazari se prosternit Maria ad pedes Domini; et pro congratulatione Maria iterum ungit pedes Domini; et a pedibus Domini accedit ad caput adhuc mulier sine nomine; in Passione autem et Resurrectione Domini, Maria ab aliis eiusdem nominis cognomine « Magdalene » discernitur. Mulier sine nomine a causa peccati conuertitur ad opus iustitie demulcentis Dominum a pedibus usque ad caput; opus iustitie mulieris dicitur libra unguenti Marie sine cognomine et sine peccato; posito www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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de l’homonymie portant sur le nom, elle puisse être distinguée par son surnom (tous les évangélistes)1. Fait l’année du renouvellement, le 17 des calendes de septembre [16 août 1337]. L’UNANIMITÉ

DES ÉVANGÉLISTES AU SUJET DU NOM DE

MARIE-MADELEINE2

Ainsi, quand elle n’est pas en compagnie d’autres femmes, on la présente comme « une femme », sans lui donner de nom; quand elle est avec sa sœur Marthe, on l’appelle « Marie », sans lui donner de surnom; et quand elle se trouve au milieu d’autres femmes, on lui donne le surnom de « Madeleine » pour faire la différence avec son prénom. C’est elle qui, le jour de sa conversion, se mit à répandre un vase d’albâtre contenant du parfum sur les pieds du Seigneur3; le jour des remerciements pour la résurrection de Lazare, elle répandit plus largement le vase d’albâtre contenant du parfum sur les pieds du Seigneur4; le même jour et au même instant, elle répandit encore plus généreusement le vase d’albâtre contenant du parfum sur la tête du Seigneur5; enfin, le vase d’albâtre étant brisé, elle répandit tout le parfum sur la tête du Seigneur6. Lorsqu’elle répand le parfum la première fois, le pharisien médite en luimême (Luc 7)7; la deuxième fois, Judas le traître murmure (Jean 12)8; la troisième fois, les disciples s’indignent (Matthieu 26)9; et la quatrième fois, il y en a qui méditent en eux-mêmes, indignés au point de protester (Marc 15)10. La première fois, l’humilité du veau triomphe de l’hypocrisie; la deuxième fois, la finesse de l’aigle juge le cœur de l’homme; la troisième fois, l’homme apprend à connaître les hommes; et la quatrième fois, le lion reconnaît les bêtes sauvages à leur grondement11. La première fois que le parfum est répandu, il est question d’un « vase d’albâtre contenant du parfum »12, sans plus; la deuxième fois, il est question d’une « livre d’un parfum de nard pur de grand prix »13; la troisième fois, d’un « vase d’albâtre contenant un parfum de grand prix »14; la quatrième, d’un « vase d’albâtre contenant un nard pur de grand prix »15.

1 Voir Mt 27, 56 et 61; 28, 1; Mc 15, 40 et 47; 16, 1 et 9; Lc 8, 2; 24, 10; Jn 19, 25; 20, 1 et 18. 2 Paragraphe commenté par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 429-436. 3 Voir Lc 7, 38. 4 Voir Jn 12, 3. 5 Voir Mt 26, 7. 6 Voir Mc 14, 3. 7 Voir Lc 7, 38. 8 Voir Jn 12, 4-5. 9 Voir Mt 26, 8-9. 10 Voir Mc 14, 4-5. 11 Dans chacune des quatre parties de la phrase, se trouve un animal évangélique en rapport avec un des évangélistes cités au début du paragraphe; il représente le Bien triomphant du Mal. 12 Lc 7, 37. 13 Jn 12, 3. 14 Mt 26, 7. 15 Mc 14, 3.

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FOL.

20

autem cognomine suo nominatur pena peccati sui per duos testes, uidelicet secundum Lucam (VIII°) statim post conuersionem illius et secundum Marcum (XVI°) in die Resurrectionis dominice. Est enim pena peccati illi remissa: VII ab ea demoniorum eiectio. Mulier sine nomine se recognoscit egressam de causa peccati; Maria sine cognomine eleuatur ad inuisibilia optime partis sine recordatione peccati; Maria Magdalene munita uirtutibus liberatur ab omni pena peccati. Horum fuit figura translatio sua de terra Iudee ad Prouinciam Gallie. Et hoc quo ad primum sed quo ad tertium fuit predicatio eius ad gentes conuertibiles omni die; quo ad secundum fuit electio solitudinis angelice uite. Melius ergo est dicere ipsam in partibus istis primo fuisse sine nomine in aduentu, secundo Mariam Magdalene in predicationis progressu, tertio Mariam sine cognomine in ineffabili diuinorum excessu. Et hoc tertium fuit maius adiutorium Marthe sororis sue quam si ambe simul actualiter laborassent. Illa Maria imitabatur Moysem et ista Martha prosequebatur Iosue.

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Mais voyons les choses de manière progressive: d’abord chez Luc (7), il est question d’un « parfum », sans plus; chez Matthieu (26), d’un « parfum de grand prix »; chez Jean (12), d’un « parfum de nard pur de grand prix »; chez Marc (15), l’expression est presque la même que chez Jean, le mot « spicato » (pur) remplaçant le mot « pistico ». Lorsqu’on parle d’un « parfum », sans plus, il n’est pas question de son prix1; lorsqu’on ajoute qu’il est « de grand prix », on estime qu’il a beaucoup de prix, mais ce prix n’est pas évalué2; mais là où on ajoute « de nard pur », il est estimé à « 300 deniers »3; et là où, après « le nard », on ajoute «spicatus », on calcule qu’il vaut « plus de 300 deniers »4. Celui qui dit que le parfum a du prix sans en donner le montant, donne le montant du prix du traître. Voici que la femme pécheresse dépourvue de nom « arrose avec ses larmes les pieds du Seigneur »5; Marie, plutôt reconnaissante mais dépourvue de surnom, « s’asseoit aux pieds du Seigneur »6; pour la résurrection de Lazare, Marie se prosterne aux pieds du Seigneur7; et, pour remercier, Marie à nouveau met du parfum sur les pieds du Seigneur8; quand, partant des pieds du Seigneur, elle en arrive à sa tête, il s’agit encore d’une femme dépourvue de nom9; mais lors de la Passion et de la Résurrection du Seigneur, Marie est distinguée des autres femmes portant le même nom par le surnom de « Madeleine »10. La femme dépourvue de nom se convertit en quittant son péché originel pour l’œuvre de justice qui consiste à caresser le Seigneur des pieds jusqu’à la tête; cette œuvre de justice de la femme est qualifiée de livre de parfum de Marie sans surnom et sans péché; et lorsqu’on lui donne un surnom, le châtiment pour son péché est cité par deux témoins, à savoir Luc (8), aussitôt après qu’elle se soit convertie11, et Marc (16), le jour de la Résurrection du Seigneur12. En effet, le châtiment pour son péché dont elle a été délivrée, ce sont les sept démons que le Seigneur a chassés d’elle. La femme dépourvue de nom reconnaît qu’elle a renoncé à son péché originel; Marie dépourvue de surnom est élevée aux choses invisibles de la meilleure part13, sans que son péché soit rappelé; Marie-Madeleine, fortifiée par les vertus, est délivrée de tous les châtiments liés à son péché. Son transfert de la terre de Judée à la Provence de Gaule a symbolisé l’ensemble de ce parcours. Et c’est là que, dans la première situation14 et aussi dans la troisiè-

Lc 7, 37. Mt 26, 7. 3 Jn 12, 5. 4 Mc 14, 5. 5 Lc 7, 38. 6 Lc 10, 39. 7 Voir Jn 11, 32. 8 Voir Jn 12, 3. 9 Voir Mt 26, 6-7 et Mc 14, 3. 10 Voir Mt 27, 56 et 61; 28, 1; Mc 15, 40 et 47; 16, 1; Lc 24, 10; Jn 19, 25; 20, 1 et 18. 11 Voir Lc 8, 2. 12 Voir Mc 16, 1 et 9. 13 Voir Lc 10, 42. 14 Voir Mt 19, 1 et Mc 10, 1; ou bien Jn 3, 22. Il s’agit du passage de Jésus de Galilée en Judée. Pour Opicinus, cela désigne son départ de l’Italie pour Avignon. 1 2

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DE

FOL.

20-20v°

TRANSLATIONIBVS FESTORVM ET QVARE

Quattuor festa sanctorum translata sunt a tempore circa Pascha ad aliud tempus, ne hec occuparent dominicam Passionem et Resurrectionem. Prima decollatio sancti Iohannis Baptiste ad finem mensis augusti, ad medium signi Virginis, in testimonium mulieris dantis occasionem mortis huius iusti. Signum quidem Virginis attribuitur uentri. Et ut sanctificaretur uenter Europe qui dicitur Lombardia, translate sunt reliquie huius sancti a pedibus Africe ad uentrem Europe. Opponuntur enim Pisces Virgini quemadmodum pedes uentri; sicut Augustinus transiens a seculo in medio Virginis (id est uentris) translatus est in medio signi Piscium, ad medium medium piscem planitiei uentris Italie, cuius uentris umbilicus Papia uocatur. Virgineus uenter ab umbilico deorsum cum pisce efficitur forma syrenis decipientis nauigantes per medium pelagi Lombardie. Medium igitur uentris huius est Ianua usque ad Modoeciam Mediolanensis diocesis, ut semper conseruetur sanctificatio uentris nostri. Prophetauit quidam uir Dei ut, quamdiu Lombardi honorificarent sanctum Iohannem Baptistam, pace gauderent; qui nunc operibus iniquitatis uentrem nostrum discrepunt ad obprobrium huius sancti. Nunc fere sunt VI anni ex quo decollatio sancti Iohannis Baptiste me transtulit ad uentrem Affrice continentis iuxta lumbos Libie. Et hoc dico in uniuersali Auinione, ubi didici continentiam uentris ex meritis huius sancti in medio IIIIor [fol. 20v°] animalium. Fui enim sanctificatus in sacerdotem ab utero matris mee que dicitur Lombardia. Adhuc eram in utero tam loci quam littere in etate annorum XXIIIIor. Nunc sancta Auinio pectoralis me peperit ad intelligentiam Spiritus. Testimonium huius rei fuit sanctificatio Ieremie ad sacerdotium figurale; cuius maius testimonium habuit sanctificatio Iohannis Baptiste ex tribu Leui de genere sacerdotali; nunc sanctificatio ordinis mei ab utero habet testimonium compresbiterorum fratrum meorum constitutorum super infirmos. Secunda festiuitas sancti Iacobi Zebedei a diebus Azimorum ad diem translationis sue a terra Iudee in Hispaniam, quam superstes uisitauerat predicando, ut eadem sit festiuitas principalis et translatio eius VIII° kalendas augusti. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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me1, elle a prêché à longueur de journée à l’adresse des païens susceptibles de se convertir; et c’est là que, dans la deuxième situation, elle a choisi la solitude de la vie angélique2. Il vaut mieux dire qu’elle-même, en premier lieu, est arrivée dans ces régions sans avoir de nom; qu’en deuxième, elle a été MarieMadeleine en développant sa prédication; et qu’en troisième, elle a été Marie dépourvue de surnom dans une extase divine ineffable. Et dans cette troisième étape, Marthe, la sœur de Marie, l’a plus aidée que si toutes les deux travaillaient activement en même temps. Cette Marie-là imitait Moïse et cette Marthe-ci accompagnait Josué3. LES

TRANSFERTS DE FÊTES ET LES RAISONS QUI LES EXPLIQUENT4

Quatre fêtes de saints ont été transférées des environs de Pâques à une autre date, afin de ne pas gêner la Passion et la Résurrection du Seigneur. Pour la première, il s’agit de la décollation de saint Jean-Baptiste, transférée à la fin du mois d’août5 ou environ, au milieu du signe de la Vierge, en témoignage de la femme6 qui a causé la mort de ce juste. Le signe de la Vierge revient assurément au ventre. Et pour que le ventre de l’Europe qu’on appelle Lombardie soit sanctifié, les reliques de ce saint sont transférées des pieds de l’Afrique au ventre de l’Europe. En effet, les Poissons sont à l’opposé de la Vierge7, comme les pieds sont à l’opposé du ventre; ainsi Augustin quittant le monde au milieu de la Vierge8 (c’est-à-dire du ventre), a été transféré au milieu du signe des Poissons, au milieu ou aux alentours du poisson occupant le milieu de la plaine du ventre italien, ventre dont l’ombilic s’appelle Pavie. Entre l’ombilic du ventre de la vierge et le bas du poisson, on obtient les contours de la sirène qui trompe les navigateurs9 passant par le milieu de la mer de Lombardie. Donc, la partie centrale de ce ventre s’étend entre Gênes et Modoecia10, dans le diocèse de Milan, afin que la sanctification de notre ventre soit toujours respectée. Un homme de Dieu prophétisait que les Lombards jouiraient de la paix aussi longtemps qu’ils honoreraient saint JeanBaptiste, eux qui aujourd’hui s’affrontent dans notre ventre avec des œuvres d’iniquité qui déshonorent ce saint. Aujourd’hui, cela fait presque 6 ans que la décollation de saint Jean-Baptiste m’a fait passer dans le ventre de l’Afrique qui jouxte les organes génitaux de Libye. Et je parle ici de l’universelle Avignon, là où

1 Voir Jn 11, 7. Opicinus s’identifie à Jésus comme à Marie-Madeleine. Ici il parle de son séjour à Avignon. 2 Allusion aux années d’errance et de pauvreté d’Opicinus entre Pavie et Avignon. 3 Josué fut le successeur de Moïse. Opicinus s’identifie à Marie, Marthe, Moïse et Josué. 4 Paragraphe commenté par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 437-444. 5 29 août. 6 Il s’agit de Salomé qui obtint de son beau-père Hérode la tête de Jean-Baptiste. Voir Mt 14, 5-12; et Mc 6, 17-29. 7 Car respectivement 6e et 12e signes du zodiaque. 8 Saint Augustin est fêté le 28 août. 9 Allusion à Ulysse. 10 Modoecia: bourg de la région de Monza, avec une église dédiée à saint JeanBaptiste.

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FOL.

20v°

Tertia sollempnitas sancti Petri ad Vincula, ne imperium figurale usurparet sibi honorem imperii naturalis. Sicut enim Cesar Augustus coniecerat Antonium in uincula ad honorem mensis augusti, sic multo fortius spirituale imperium Petri apostoli, uicarii Ihesu Christi, tam in temporalibus quam in spiritualibus, nomine Domini nostri, cuncta subiecit, subicit et subiciet sub pedibus suis. Deus enim tradidit sibi omnia regna mundi, sine cuius obedientia etiam corporali nemo potest saluari. Multi autem simplices Lombardi erronee opinantur Petrum clauigerum in celis tantum existere non in terra. Quarta est dies natalis sancti Iacobi Alphei, qui primum ex ictu per plures annos claudicauerat in ingressu alias in incessu, qui tandem circa dies Azimorum, ex precipitio, lapidatione et ictu fustis fullonis interiit. Translata est autem memoria huius diei ad kalendas maii, in societate Philippi coapostoli sui, licet non fuerint eodem loco nec tempore simul passi. Nostra Papia habet duas ecclesias nomine sancti Iacobi apostoli, unam intus et aliam foris. Et licet indifferenter utraque dicatur nomine alterutrius Iacobi sine discretione, nos tamen extrinsecam positam in agro fullonum attribuimus Iacobo Alphei, intrinsecam autem positam in uico qui dicitur forus magnus siue Roma uetus asscribimus Iacobo Zebedei; qui Iacobus et Iohannes filii Zebedei dicuntur secundum Marcum « Boanerges », id est « filii tonitrui », quasi filii Rome; Roma enim interpretatur tonitruum. Ecce alius Iacob maior in Roma ueteri nostre Papie, sicut alius Iacobus minor in agro fullonum. Actum in octaua sancti Laurentii, tunc dominica X post Pentecostes.

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j’ai appris la continence du ventre grâce aux mérites de ce saint, placé que je suis au milieu des 4 [fol. 20v°] animaux1. En effet, j’ai été sanctifié dans le sacerdoce dès le sein de ma mère qu’on appelle la Lombardie. J’étais encore dans le sein, tant sur le plan géographique que sur le plan de la lettre, en cette 24e année de mon existence. Aujourd’hui, la sainte Avignon de la poitrine m’a fait naître à l’intelligence de l’Esprit. La sanctification de Jérémie en vue du sacerdoce symbolique2 l’annonçait; la sanctification de JeanBaptiste, descendant de la tribu de Lévi, issu de la lignée sacerdotale, l’annonçait davantage; aujourd’hui, mes collègues prêtres établis au-dessus des faibles se portent garants de la sanctification de mon ordre dès le sein [de ma mère]. La deuxième fête est celle de saint Jacques, fils de Zébédée, déplacée de la fête des Azymes3 au jour où il est passé de Judée en Espagne, pays où il est resté et qu’il a parcouru en prêchant4, si bien que sa fête principale et le jour de sa translation tombent le même jour, le 8 des calendes d’août [25 juillet]. La troisième fête solennelle est celle de saint Pierre aux Liens5, afin d’éviter que le pouvoir fictif ne s’arroge les honneurs qui reviennent au pouvoir naturel. En effet, de même que l’empereur Auguste a jeté Antoine dans les fers pour honorer le mois d’août6, de même, c’est avec beaucoup plus d’énergie que le pouvoir spirituel de l’apôtre Pierre, vicaire de Jésus-Christ, aussi bien dans le domaine temporel que dans le domaine spirituel, au nom de notre Seigneur, a mis, met et mettra toutes choses sous son autorité. En effet, Dieu lui a confié tous les royaumes du monde et celui qui ne lui obéit pas, y compris corporellement, ne peut pas être sauvé. Or beaucoup de Lombards naïfs pensent à tort que Pierre, le porteur de clefs, vit seulement dans les cieux et non sur terre. Pour la quatrième, il s’agit de l’anniversaire de la naissance de saint Jacques, fils d’Alphée, qui, d’abord, à la suite d’une blessure, avait boité pendant plusieurs années dans sa marche ou sa démarche, et qui, finalement, aux alentours de la fête des Azymes, mourut des suites d’une chute, d’une lapidation et d’un coup de bâton porté par un foulon7. La mémoire de ce jour fut alors transférée aux calendes de mai [1er mai], en association avec Philippe, apôtre comme lui, bien qu’ils n’aient pas souffert ensemble, au même endroit ni au même moment. Notre ville de Pavie possède deux églises au nom de l’apôtre saint Jacques, une à l’intérieur et l’autre à l’extérieur des murs. Et bien que l’une et l’autre soient appelées indif-

C’est-à-dire des livrées des cardinaux: voir fol. 46 et 77v°, ainsi que V 27. Voir Jr 1, 5. 3 Fête de sept jours dont le premier jour coïncidait avec celui de la Pâque à partir du VIIe siècle avant J.C. 4 Opicinus s’identifie à saint Jacques le Majeur qui passait pour avoir évangélisé l’Espagne, mais c’est à Valence qu’il a prêché. 5 1er août. 6 Après sa victoire sur Antoine à Actium (31 av. J.C.) et sa conquête de l’Égypte, Octave (futur empereur Auguste) célébra à Rome un triple triomphe (13-15 août 29 av. J.C.). 7 Confusion faite par Opicinus avec Jacques le Mineur. Selon la tradition, Jacques le Mineur, premier évêque de Jérusalem, subit le martyre en 62: il fut d’abord précipité du haut du pinacle du Temple, mais cette chute ne le tua pas; il fut alors lapidé et un foulon l’acheva en lui assénant sur la tête un coup de bâton. Voir la Légende dorée, t. 1, pp. 335-336. 1 2

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DE

FOL.

20v°

PREEMINENTIA SPIRITVALIS IMPERII

Si Lombardi maxime Papienses essent homines rationales, haberent super se imperium lucis (id est imperium sacerdotale). Sed quia nesciunt deserere uitia bestiarum sine ratione, ideo egent imperio tenebrarum (id est leonis imperio super feras). Actum die predicta. Nunquam cessabunt discordie Lombardie nisi auferatur de medio causa discordie, que est adinuentio differentiarum generis a genere. Vnus dicit: « Ego sum de progenie tali et tali, amicus huius partis »; et alius dicit: « Ego sum de sanguine tali et tali, fidelis alterius partis ». Hee sunt quedam blasphemie aduersus Deum et conculcationes populi christiani. Quicumque noluerit derelinquere illas miserias que sunt stultitie bestiales, nunquam habebit partem in populo christiano. Quicumque dogmatizare presumpserit aduersus preeminentiam spiritualis imperii (id est contra omnem potestatem Domini nostri Ihesu Christi in spiritualibus et temporalibus habentis plenum dominium animarum et corporum), ex nunc pronuntiatus est membrum diaboli; qui per ministros suos conatur per uiolentiam littere superextollere uel saltem adequare figurale imperium imperio naturali, noctem diei et tenebras luci. Luminare maius super diebus est pontificale imperium in clero perfecto cuncta sciente; luminare minus super noctibus est rectoris imperium in gente ignara (id est in laicali parrochia infirmorum); huius rectoris imperium figuratum fuit per imperium Cesaris. Quicumque de plebe hac arroganter negauerit se infirmum, contempta obedientia patris sui, iam prouocat supra se imperium Cesaris, eo quod gladius Cesaris non habet tangere nisi abnegantes baptismum, sicut hunc qui non uerbo sed opere abnegat Christi baptismum. Qui uero confessus fuerit se infirmum liber est a imperio Cesaris et subditus est imperio sacerdotis. Pontificale autem imperium, si in populo perfectorum reperit quemquam infirmum, adiudicet eum sub imperio rectoris parrochie cum populo infirmorum. Sicut enim Christus corporaliter fuit obediens patri sui usque ad mortem, ita nemo potest intrare in gloriam Christi nisi per obedientiam corporalem in omnibus patri suo spirituali. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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féremment du nom de l’un ou de l’autre Jacques sans distinction, nous, nous attribuons cependant à Jacques, fils d’Alphée, celle qui est placée à l’extérieur, dans le quartier des foulons, et nous affectons à Jacques, fils de Zébédée, celle qui est placée à l’intérieur, dans le quartier qu’on appelle la grand-place ou la vieille Rome1; car Jacques et Jean, fils de Zébédée, sont appelés chez Marc « Boanergés », c’est-à-dire « fils du tonnerre »2, pour ainsi dire fils de Rome; en effet, Rome veut dire tonnerre3. Ainsi nous avons un Jacques, le Majeur, dans la vieille Rome de notre Pavie, et l’autre, Jacques le Mineur, dans le quartier des foulons. Fait dans l’octave de saint Laurent, le 10e dimanche après la Pentecôte [dimanche 17 août 1337]. LA

PRIMAUTÉ DU POUVOIR SPIRITUEL

Si les Lombards, surtout les habitants de Pavie, étaient des hommes raisonnables, ils se soumettraient au pouvoir de la lumière (c’est-à-dire au pouvoir sacerdotal). Mais comme ils ne savent pas renoncer aux grossièretés des bêtes car ils sont dépourvus de raison, ils ont besoin du pouvoir des ténèbres (c’est-à-dire du pouvoir du lion sur les bêtes sauvages). Fait le jour indiqué plus haut. Les querelles ne cesseront jamais en Lombardie si l’on n’extirpe pas l’origine de la désunion, à savoir les spéculations sur ce qui distingue une lignée d’une autre. L’un dit: « Moi, j’appartiens à telle et telle lignée, et je suis un ami de tel parti »; et l’autre dit: « Moi, j’appartiens à telle et telle parenté, et je suis un fidèle de l’autre parti ». Ces propos sont des blasphèmes contre Dieu et foulent aux pieds le peuple chrétien. Quiconque refuse de renoncer à ces discours lamentables qui sont des sottises bonnes pour les bêtes, ne fera jamais partie du peuple chrétien. Quiconque a l’audace d’établir une doctrine qui va à l’encontre de la primauté du pouvoir spirituel (c’est-à-dire qui s’oppose à la toute-puissance de notre Seigneur Jésus-Christ, lequel dispose, sur le plan spirituel et sur le plan temporel, du pouvoir absolu sur les âmes et les corps), est dès maintenant considéré comme un membre du diable; or ce dernier tente, par l’intermédiaire de ses exécutants et en transgressant la lettre, d’élever le pouvoir fictif/symbolique au-dessus du pouvoir naturel, la nuit au-dessus du jour et les ténèbres au-dessus de la lumière – ou au moins de les rendre égaux. Le grand luminaire du jour4, c’est le pouvoir pontifical que détient le clergé parfait qui sait tout. Le petit luminaire de la nuit5, c’est le pouvoir que détient le curé sur son peuple ignorant (c’est-à-dire sur la paroisse laïque des faibles); le pouvoir de ce curé a été représenté par le pouvoir de César. Quiconque parmi ces ouailles nie avec arrogance qu’il est fai-

1 Ces deux églises de Pavie dédiées à saint Jacques sont citées dans le De laudibus. L’association à la « vieille Rome » favorise l’identification d’Opicinus à Jacques. 2 Mc 3, 17. 3 Voir fol. 68. 4 C’est-à-dire le Soleil (qui figure sur plusieurs dessins du Vaticanus). 5 C’est-à-dire la Lune (qui figure sur plusieurs dessins du Vaticanus).

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FOL.

20v°-21

De laudibus uniuersalis Ecclesie sine respectu persone Ex nunc prout ex tunc denuntio maledictos qui confidentes in homine laudabunt opus persone, dicentes uel dicturi: « Bene declarata est talis conclusio, talis sententia et talis passus sacre Scripture per Opicinum qui scripsit hec ». Examinet unusquisque primum in conscientia sua unamquamque sententiam huius operis et iuxta donum sibi concessum a Spiritu ueritatis pronuntiet de corde suo quicquid sentit in hoc. Et si libere sine timore persone uel mundi correxerit uel reprobauerit aut suppleuerit seu plus declarauerit aliquam sententiam huius operis, ex nunc prout extunc discipulus laudo magistrum non intuitu persone sed uniuersalis Ecclesie. Opera enim in portis publice prolationis ab omnibus laudabunt Ecclesiam non personam. Nunquam habui maius desiderium addiscendi quam nunc. Etiam si despectior pauper protulerit clariorem sententiam ex mera caritate et conscientia ueritatis, eligo ipsum mihi magistrum ad uicem. Additum anno perfectionis, II idus februarii.

[fol. 21] DE

SANCTIFICATIONE BEATE

MARIE VIRGINIS

1 Sancta Maria, uirgo perpetua, ab initio uiuificationis anime sue in utero matris sue sanctificata, in tantum habuit sopitum et ligatum fomitem omnis peccati ut pre habundantia gratie nunquam peccauerit in ullo modo peccandi, libero tamen arbitrio permanente, a tempore prime discretionis usque ad Incarnationem Verbi; alioquin non habuisset de die in diem crescentiam meritorum. Et in hoc habuit in se rem et significationem cuiuscumque persone se recognoscentis membrum corporis Christi ac per consequens populi christiani per fidem formatam in ipso. Cuius rei respectu nullum peccatum fit ibi; respectu uero huius persone mortalis in se cuius infirmitate grauatur, iustus uel iusta septies cadit in die saltem uenialiter, ut se recognoscat infirmum; qua recognitione fortius

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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ble, en méprisant l’obéissance due à son père, appelle déjà sur lui le pouvoir de César, parce que le glaive de César ne doit frapper que ceux qui renient leur baptême, ainsi que celui qui renie le baptême du Christ non par des paroles mais par des actes. En revanche, celui qui reconnaît qu’il est faible, est affranchi du glaive de César et assujetti au pouvoir du prêtre. Quant au pouvoir pontifical, s’il découvre une personne faible dans le peuple des parfaits, il doit décréter qu’elle dépend du pouvoir du curé de paroisse avec le peuple des faibles. En effet, de même que le Christ a été corporellement obéissant à son père jusqu’à la mort, de même personne ne peut entrer dans la gloire du Christ si ce n’est par l’obéissance corporelle à son père spirituel en toutes choses. L’éloge de l’Église universelle, sans tenir compte de la personne Aujourd’hui comme hier, je déclare maudits ceux qui, mettant leur confiance en l’homme, feront l’éloge d’une œuvre personnelle, en disant ou en étant prêts à dire: « Telle conclusion, telle opinion et tel passage de l’Écriture sainte, sont judicieusement présentés par Opicinus qui a écrit ces propos ». Chacun doit d’abord apprécier dans sa conscience chacune des opinions de cette œuvre et, selon le don qui lui a été accordé par l’Esprit de vérité1, dire avec son cœur tout ce qu’il en pense. Et si librement, sans crainte d’une personne ni du monde, il corrige, rejette ou complète une opinion émise dans cette œuvre, ou bien surenchérit sur elle, aujourd’hui comme hier, moi le disciple, je lui rends hommage comme à un maître, en ne considérant pas la personne mais l’Église universelle. En effet, les œuvres qui sont sur le point d’être montrées en public par tout le monde rendront hommage à l’Église et non à une personne. Je n’ai jamais eu de plus grand désir d’apprendre que maintenant. Même si un pauvre assez méprisable présente une opinion plus lumineuse, du fait de sa charité authentique et de sa connaissance intérieure de la vérité, je le choisis pour que, prenant ma place, il soit mon maître2. Fait l’année de la perfection, le 2 des ides de février [12 février 1338]. [fol. 21] LA

SANCTIFICATION DE LA BIENHEUREUSE

VIERGE MARIE

Chez sainte Marie, la vierge éternelle, sanctifiée depuis que son âme a commencé à être insufflée dans le sein de sa mère, le ferment de tout péché était tellement anesthésié et entravé qu’en raison de l’abondance de la grâce, elle n’a jamais commis de péché en aucune sorte, en conservant néanmoins son libre arbitre, entre l’âge du premier discernement et l’Incarnation du Verbe; sinon, ses mérites n’auraient pas grandi de jour en jour. Et en cela, elle a mené la conduite authentique et donné l’exemple de toute personne qui se reconnaît membre du corps du Christ et par conséquent du peuple chrétien, grâce à la foi qui a pris forme en elle. Si l’on tient compte de cette authenticité, aucun péché ne peut être commis; mais, si l’on tient compte de cette personne mortelle intérieure dont la faiblesse l’accable, l’homme ou la femme juste se laisse aller sept fois par jour3 1 2 3

Voir Jn 14, 17; 15, 26; 16, 13; et 1 Jn 4, 6. Dans ce paragraphe, Opicinus étale sa fausse modestie. Voir Mt 18, 21-22 et Lc 17, 4.

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FOL.

21

sumat uirtutes, ut unde infirmitas noscitur inde uirtus maior accrescat. Et huiusmodi infirmitatis rem aut significationem nunquam in se habuit Virgo Maria. Habuit enim in se semper rem et significationem cuiuslibet membri Christi, cuius respectu nemo perfectus etiam uenialiter peccat. Rem uero aut significationem persone peccantis saltem uenialiter septies in die nunquam habuit in se Virgo Maria. Ab Incarnatione autem Verbi usque in eternum fuit in ea totaliter extinctus fomes peccati, ut deinceps impeccabilis esset. Fuerat enim ante Incarnationem Verbi potentialiter peccabilis, sed propter habundantiam gratie Dei nunquam uoluit actualiter (id est primo motu peccandi ex sola cogitatione) esse peccabilis. Post Incarnationem autem Verbi, habuit deinceps in se rem impeccabilitatis, ex quo habebat in se realiter corporale principium totius Ecclesie. Deinde ipsa de se dedit testimonium et significationem uniuersali Ecclesie speculari que semper impeccabilis est, sicut et ipsa semper deinceps impeccabilis fuit. In primo quidem statu significauit personam uiri uel mulieris perfecte non peccabilis respectu sui ad Christum et ad populum christianum. In secundo uero statu significat presentem Ecclesiam specularem impeccabilem esse. Christus ex parte qua erat homo mortalis et infirmus, exprimebat in se omnem infirmitatem humanam quam ex nobis et pro nobis assumpserat in seipso. Et hanc infirmitatem beata Virgo Maria habebat in se naturaliter, sicut Christus eam habebat in se uoluntarie, qui uoluntarie se incarnauit pro nobis. Et in hoc uoluntarie Christus homo mortalis in se et Virgo Maria mater eius mortalis in se biberunt simul eundem calicem Passionis; ita tamen ut Christus hec pateretur pro nobis et pro ipsa nobiscum, et ipsa hec pateretur in ipso filio suo mortali pro nobis. Iam ipsa a die sanctificationis sue redempta fuerat secundum spem, donec ipsa nobiscum realiter redimeretur. Et ideo ne si transisset a seculo ante redemptionem factam dilata fuisset a gloria, uoluit Deus ipsam superuiuere donec fuissent de Christo misteria consumata. Existente igitur Domino nostro Ihesu Christo solo redemptore non redempto, illa fuit diuerso respectu corredemptrix et corredempta. Ex parte enim qua dedit corpus humanum Domino nostro, fuit nostra quodammodo corredemptrix cum Christo; ex parte uero qua humani generis est, fuit per Christum corredempta nobiscum. Christus potest dici proprie sine alia persona humana solus redemptor, immo non potest aliter dici catholice. Mater autem eius non potest dici nostra redemptrix sine illo. Hec omnia suppono correctioni sancte matris uniuersalis Ecclesie, ne ulla in me remaneat cecitas ignorantie uel erroris. Illa enim lux testimonialis habet in se uerum et inaccessibile lumen.

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à des péchés au moins véniels, si bien qu’il/elle reconnaît qu’il est faible; et cette reconnaissance lui permet d’acquérir plus énergiquement les vertus, si bien que là où une faiblesse se manifeste, de là s’élève une vertu plus admirable. Quant à la Vierge Marie, elle n’a jamais vécu réellement ni donné l’exemple d’une telle faiblesse. En effet, elle a toujours mené la conduite authentique et donné l’exemple de tout membre du Christ; et par égard pour celui-ci, aucun parfait ne commet de péchés, même véniels. Et la Vierge Marie n’a jamais mené la vie ni donné l’exemple de la personne qui commet sept fois par jour des péchés, même véniels. Et depuis l’Incarnation du Verbe et pour l’éternité, le ferment du péché a entièrement disparu en elle, si bien qu’elle a été par la suite impeccable1. En effet, avant l’Incarnation du Verbe, elle était virtuellement susceptible de pécher, mais en raison de l’abondance de la grâce de Dieu, elle n’a jamais voulu le faire concrètement (c’est-à-dire en commençant par avoir l’intention de pécher, seulement en pensée). Et après l’Incarnation du Verbe, elle a continué à mener une vie impeccable, et ainsi elle a réellement détenu la source de l’Église tout entière sur le plan corporel. Ensuite, elle a donné d’elle-même son témoignage et son exemple à l’Église universelle du miroir qui ne cesse d’être impeccable, et elle-même n’a cessé par la suite d’être impeccable. Dans la première situation, elle a sans aucun doute indiqué la personne de l’homme ou de la femme parfaite, qui ne peut pas pécher par égard pour le Christ et le peuple chrétien. Mais dans la deuxième situation, elle indique que l’Église actuelle du miroir est impeccable. Le Christ, dans la mesure où il était un homme mortel et faible, représentait toute la faiblesse humaine, qu’il avait assumée intérieurement à cause de nous et pour nous. Et chez la bienheureuse Vierge Marie, cette faiblesse était naturelle, de même que chez le Christ, elle était délibérée, car il s’est incarné pour nous délibérément. Et ainsi c’est délibérément que le Christ, homme ayant la condition mortelle, et la Vierge Marie, mère de celui qui avait la condition mortelle, ont bu en même temps le même calice de la Passion; de façon néanmoins que le Christ endure ces souffrances pour nous et pour elle avec nous, et qu’elle, elle les endure pour nous dans ce fils mortel qui est le sien. Elle-même avait déjà l’espérance d’être rachetée depuis le jour de sa sanctification, en attendant d’être rachetée effectivement avec nous. Et c’est pourquoi, pour éviter que, si elle avait quitté ce monde avant que la rédemption ne se réalise, elle ne soit privée de la gloire, Dieu a voulu qu’elle reste vivante jusqu’à ce que les mystères relatifs au Christ aient été accomplis. Par conséquent, notre Seigneur Jésus-Christ étant le seul à être rédempteur et non racheté, elle a été à divers égards corédemptrice2 et corachetée. En effet, dans la mesure où elle a donné un corps d’homme à notre Seigneur, elle a été d’une certaine façon notre corédemptrice avec le Christ; en revanche, dans la mesure où elle appartient au genre humain, elle a été corachetée par le Christ avec nous. On peut dire que le Christ est à proprement parler le seul rédempteur, sans participation d’un autre être humain, ou plutôt on ne peut 1 Au sens théologique: incapable de pécher. Allusion au débat médiéval entre les partisans et les détracteurs de l’Immaculée Conception de Marie. Voir fol. 41v°. 2 En qualifiant Marie de « corédemptrice » Opicinus utilise un terme très en avance pour son époque (qui ne se généralisera qu’au XVIIe siècle).

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FOL.

DIFFERENTIA

21-21v°

INTER FIDEM ET FIDEM

Siquis dixerit: « Christus fidelis » aut « Deus fidelis absque ulla iniquitate », intelligitur quasi amicus fidelis ad amicum aut dominus fidelis ad seruum, ut semper sit Deus fidelis in omnibus que promisit. Non uidetur mihi in aliquo contrarium fidei, quatinus secundum hominem fidelitas hominis ad hominem ratiocinando nos doceat intelligere Deum fidelem ad homines. Si autem distinguatur fides a fide, clarius uidebitur testimonium speculare. Fides naturalis est credere rei credibili iuxta naturam: ut puta animal animali eiusdem speciei mutuo credit (id est fidele est aut fideliter agit). Similiter animal animali diuerse speciei in aliquibus, sicut canis credit (id est fidelis est) homini, eo quod canis se recognoscit nutritus ab homine; et homo credit cani, eo quod homo probauerit canem egisse fideliter erga se. Eodem modo homo homini credit (id est fidelis est) mutuo ut, sicut potest dici: « Homo credit cani bona domus sue in nocte contra latrones et fures », ita possit dici: « Amicus amico credit tantam quantitatem pecunie aut alicuius alterius rei pretiose ». Credere autem est alterius inuisibili intentioni fidem accomodare. Et in hoc possum dicere: « Credo tibi (id est intentioni tue quam non uideo) ». Quasi simili modo Deus agit ad hominem, qui tamen Deus nouit et uidet quamlibet intentionem hominis. Et ut homo probetur utrum sit fidelis an infidelis, cuius omnem finalem intentionem nouit Deus, largissime Deus dat homini affluentiam rerum aut bonorum corporalium uel temporalium uel spiritualium, quasi munificus creditor debitori fideli. Si ergo ego debitor tantorum donorum non habuero intentionem ad Dominum creditorem sed tantum ad dona credita mihi, [fol. 21v°] quasi peruertens testimonia unius Dei in multiplices deos, iudicor infidelis. Habeo enim affectionem meam ad corporalia bona ex quibus facio mihi deos; ad temporalia bona, ex quibus similiter facio mihi deos; et ad spiritualia bona etiam diuine scientie, ex quibus facio mihi deos. Si enim intelligere uellem ista bona corporalia, temporalia et spiritualia esse testimonia inuisibilis Dei dantis hec omnia, sepositis omnibus hiis, totus transferrer in Deum per omne et supra omne desiderium et affectum. Sed quia implicatus sum ex affectione ad huiusmodi bona, abstractus a Deo quem ista significauerant mihi, ideo non uerbo 1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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207

parler autrement pour être dans l’orthodoxie; en revanche, on ne peut dire que sa mère est notre rédemptrice sans qu’il y ait participé. Je soumets tout cela pour révision à la sainte mère qu’est l’Église universelle, afin qu’aucun aveuglement lié à l’ignorance ou à l’erreur ne demeure en moi. En effet, cette lumière du témoignage porte en elle la lumière véritable et inaccessible. IL

Y A FOI ET FOI

Si l’on dit: « le Christ fidèle » ou « le Dieu fidèle sans la moindre iniquité », on parle pour ainsi dire d’un ami fidèle envers son ami ou d’un maître fidèle envers son serviteur, si bien que Dieu ne cesse d’être fidèle dans tout ce qu’il a promis. Je ne vois là rien qui soit contraire à la foi, dans la mesure où, chez l’homme [Matthieu], la fidélité de l’homme envers l’homme nous apprend, grâce au raisonnement, à comprendre que Dieu est fidèle envers les hommes1. Mais si on fait la distinction entre foi et foi, un témoignage visible sera plus éclairant. La confiance naturelle consiste à se fier à une réalité sûre selon la nature: par exemple, un animal se fie à un animal de la même espèce et réciproquement (c’est-àdire qu’il lui fait confiance ou qu’il agit avec confiance). De même, un animal se fie à un animal d’une autre espèce dans certaines situations, comme le chien qui se fie à l’homme (c’est-à-dire lui fait confiance), parce que le chien sait qu’il est nourri par l’homme; et l’homme se fie au chien, parce que l’homme sait par expérience que le chien se montre fidèle envers lui. De la même manière, l’homme se fie à l’homme (c’est-à-dire lui fait confiance) et réciproquement, si bien que, de même qu’il peut dire: « Un homme confie à son chien pendant la nuit les biens de sa maison, pour les défendre contre les brigands et les voleurs », il peut dire: « Un ami confie à son ami une telle quantité d’argent ou quelque chose d’autre qui a du prix ». Or croire consiste à adapter sa confiance aux intentions invisibles de l’autre. Et en cela je peux dire: « Je crois en toi (c’est-à-dire à tes intentions que je ne vois pas) ». C’est d’une manière presque analogue que Dieu se comporte avec l’homme, Dieu qui pourtant connaît et voit toutes les intentions de l’homme. Et afin que l’homme prouve qu’il est fidèle ou infidèle – alors que Dieu connaît tous ses objectifs ultimes – Dieu donne amplement à l’homme une abondance d’objets ou de biens corporels, temporels ou spirituels, tel un créancier généreux à son débiteur fidèle. Par conséquent, si moi qui suis redevable de si grands dons, je ne mets pas mes objectifs dans le Seigneur qui me les a confiés, mais seulement dans les biens qu’il m’a confiés [fol. 21v°], c’est-à-dire en dénaturant ce témoignage du Dieu unique pour en faire de multiples dieux, je suis considéré comme infidèle. En effet, je suis attaché aux biens corporels, dont je fais mes dieux; aux biens temporels, dont je fais également mes dieux; et aux biens spirituels, même s’il concernent la connaissance de Dieu, dont je fais mes dieux. En effet, si je voulais comprendre que ces biens corporels, temporels et spirituels témoignent du Dieu invisible qui donne tout cela, me séparant de tous ces biens, je me donnerais entièrement à Dieu, avec tout mon espoir et tout mon cœur et 1

Voir la parabole des talents: Mt 25, 14-30.

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FOL.

21v°

sed corde dico de Deo: « Credo non in Deum sed Deo » (subaudi qui dat mihi omnia bona ista), sicut carnalis amicus ad amicum dicit in corde: « Diligo te non propter te sed propter tua ». Nam si omnia ista referrem in Deum qui est omnium finis, tunc possem dicere: « Credo in Deum ». Secundum regulam grammatice prepositio « in », cum deseruit casui accusatiuo, intelligit finem. Et sic dicendo: « Credo in Deum », intelligitur: « Spero in Deum et omnem amorem meum firmo in Deum ». Ecce quod fides naturalis indifferens potest per infideles peruerti ad fidem carnalem et per ueros fideles potest conuerti ad fidem spiritualem. Est autem fides spiritualis credere in Deum finaliter, qui est nobis res inuisibilis ab omnibus diligenda. Tunc apposito coram nobis uiuifico templo Dei (id est populo christiano), Christus in medio huius templi est nobis Deus fidelis, qui in se nunquam fuit fidelis (id est uidens deitatem per fidem, quod nefas est dicere). In nobis autem per specularem Ecclesiam est Deus fidelis, faciens totum istud templum testimonium Dei fidele, dans nobis mandata fidelia, ut in hoc speculo sit Christus testis fidelis in celo in conspectu Dei; qui tamen in se in utraque natura nunquam eguit fide, sed in nobis fidelis ostenditur; alioquin Christus erronee diuideretur in duas personas, scilicet in Deum uidentem se per speciem et in hominem uidentem Deum per fidem, quod inimicum est catholice fidei.

RATIO

VERITATIS DE QVOLIBET

Vera correctio omnium incredulorum et a fide deuiantium atque rebellium Ecclesie Dei – absque verbis minacibus siue blandis, sine terribilibus sententiis, sine actibus uiolentis, sine corruptibilibus armis et sine doctrina ueritatis abscondite non ostense – est sola ratio ueritatis ostense que habet gladium bis acutum attingentem ad diuisionem omnis falsi a uero. Ratio ueritatis in oculis omnium preualet supra omnem uiolentiam correctiuam et supra omnia corruptibilia arma et supra omnes sententias terribiles. Ratio ueritatis est lucidior Sole. Ratio ueritatis obstruit omne os loquentium iniqua. Ratio ueritatis effugat omnes errores. Ratio ueritatis detegit omnem mendacium, a cuius lumine nemo ualet aufugere. Veritas simpliciter dicta non semper uincit mendacia nisi ostendatur ratio ueritatis. Ratio ueritatis nobis declarat Ecclesiam specularem. Qui noluerit uidere rationem ueritatis ignorans ignorabitur. Soli autem articuli fidei sigillate credentur simpliciter.

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plus encore. Mais comme je suis compromis par mon attachement à ces biens, détourné de Dieu que ces biens m’avaient montré, je dis de Dieu, non en paroles mais dans mon cœur: « Je ne crois pas en Dieu mais je compte sur Dieu » (sousentendu qui me donne tous ces biens), de même qu’un ami charnel dit dans son cœur à son ami: « Je t’aime, non pour toi mais pour tes biens ». Car si je remettais tout cela en Dieu qui est la finalité de tout, je pourrais alors dire: « Je crois en Dieu ». D’après la règle grammaticale, la préposition « en », lorsqu’elle disparaît devant l’accusatif, indique le terme final. Et ainsi, en disant: « Je crois en Dieu », cela veut dire: « J’espère en Dieu et je mets toute la force de mon amour en Dieu ». C’est ainsi que la foi naturelle indifférenciée peut être dénaturée par les infidèles qui en font une foi charnelle et peut être transformée par les vrais fidèles qui en font une foi spirituelle. Or la foi spirituelle consiste à croire en Dieu comme une finalité, lui qui est pour nous la réalité invisible que tous doivent aimer. Alors le temple de Dieu qui vivifie (c’est-à-dire le peuple chrétien) étant placé sous nos yeux, le Christ qui se trouve au milieu de ce temple est notre Dieu fidèle1, lui qui n’a jamais eu foi en lui (c’est-à-dire qui n’a jamais vu la divinité par la foi, ce qui représente un propos sacrilège). Mais c’est pour nous, en passant par l’Église du miroir, qu’il est le Dieu fidèle, faisant de ce temple tout entier le témoignage confiant de Dieu et nous donnant des commandements sûrs, si bien que, dans ce miroir, il est le Christ, le témoin fidèle au ciel sous le regard de Dieu; lui qui pourtant, ayant les deux natures en lui, n’a jamais eu besoin de la foi, mais qui montre qu’il nous fait confiance; sinon le Christ serait divisé par erreur en deux personnes: un Dieu qui se voit lui-même par la contemplation, et un homme qui voit Dieu par la foi – ce qui est contraire à la foi catholique. L’APPROCHE

RATIONNELLE DE LA VÉRITÉ À TOUT PROPOS

Pour amender de manière décisive l’ensemble des infidèles et de ceux dont la foi dévie, ainsi que tous ceux qui contestent l’Église de Dieu – sans recourir aux paroles menaçantes ou flatteuses, ni aux sentences effrayantes, ni aux gestes violents, ni aux armes corruptibles, ni à l’enseignement d’une vérité secrète et non publique – il suffit de mettre en évidence l‘approche rationnelle de la vérité qui a un glaive acéré à double tranchant2, capable de séparer entièrement le faux du vrai. L’approche rationnelle de la vérité offerte à tous est plus forte que l’ensemble des punitions brutales, des armes corruptibles et des sentences effrayantes. L’approche rationnelle de la vérité est plus lumineuse que le Soleil. L’approche rationnelle de la vérité fait taire tous ceux qui tiennent des propos malveillants. L’approche rationnelle de la vérité chasse toutes les erreurs. L’approche rationnelle de la vérité met à nu tous les mensonges, et personne ne peut échapper à sa lumière. La vérité exprimée simplement ne triomphe pas toujours des mensonges, sauf si l’approche rationnelle de la vérité est démontrée. L’approche rationnelle de la vérité nous indique l’Église du miroir. Celui qui refuse de connaître

Opicinus est à la fois le temple, le peuple chrétien, le Christ et le Dieu fidèle. Voir Ap 1, 16. Voir aussi le bâton de Pythagore que tient le diable méditerranéen dans les cartes du Vaticanus. 1 2

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210

DE

FOL.

21v°-22

SENTENTIIS ECCLESIASTICIS

Sententia sacramentalis in uniuersitate sine acceptione persone iustificat populum christianum in uirtute obedientie sicut sententia interdicti. Qui autem noluerit obedire – sicut maior pars Papiensium laicorum ex parte sua nunquam seruauit tempore meo sententiam interdicti, sepeliendo mortuos suos in cimiteriis cum sollempnitate qua possunt sine clericis – iam ligatus est in corpore uniuersitatis carnalium hominum. Et ideo sententia excommunicationis non promulgatur in uniuersum sed potius in personas etiam sine nomine speciali in plurimis. Quicumque ex hiis excommunicatis seruauerit obedientiam toto posse in animo contrito iam connumeratus est inter membra spiritualis Ecclesie apud Deum; apud autem sacramentalem Ecclesiam non habet locum nisi primo fuerit absolutus. Actum XV kalendas septembris. DE

DISPOSITIONE PARROCHIE

Rector parrochie, ex parte qua siquos clericos habet quasi sub se, dicitur esse prelatus. Ex parte autem qua laicos regit, dicitur simplex rector. Si aspexerimus primam tabulam ecclesistice ierarchie, imperator secularis sub papa a sinistris resecat crimina carnis notoria ut, sicut crimen separauerat membrum a corpore populi christiani, sic ministerium gladii materialis in actu iustitie sepe restituat membrum ad corpus populi christiani – siue superuiuat illata sibi pena iustitie, siue moriatur extremo supplicio propter amorem iustitie ad quam suscipiendam in carne se disponit, ut spiritus suus saluetur in gremio corporis ecclesiastice maiestatis. Facto autem ministerio potestatis, reuersus imperator seu rex aut comes uel miles ad dexteram non locis sed moribus, ex parte qua persona est, sit subditus [fol. 22] sub simplici rectore ecclesie in cuius parrochia domicilium habet, ut in omnibus ecclesiasticus ordo seruetur. Si autem hic laicus, qui fuerat in ministerio potestatis fidelis et prudens, sit nunc in omni spirituali uirtute perfectus, derelicto ministerio iustitie carnis in quouis habitu sit, tunc licite potest computari in ordine perfectorum.

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l’approche rationnelle de la vérité, restant dans l’ignorance, restera ignoré. Et seuls les articles de la foi scellée seront crus dans leur simplicité. LES

SENTENCES DE L’ÉGLISE

La sentence du sacrement concernant la communauté, sans tenir compte de la personne, justifie le peuple chrétien dans sa qualité essentielle d’obéissance; de même pour la sentence de l’interdit. Et celui qui refuse d’obéir – c’est le cas de la plupart des laïcs de Pavie qui n’ont, pour leur part, jamais observé la sentence de l’interdit à l’époque où je m’y trouvais, en enterrant leurs morts au cimetière aussi solennellement que possible en l’absence de prêtres – est déjà rattaché au corps de la communauté des hommes charnels. Et c’est pourquoi la sentence de l’excommunication n’est pas publiée de manière générale, mais plutôt pour des personnes1, même si elles ne sont pas désignées nommément mais comme appartenant à un groupe. Quiconque parmi ces personnes excommuniées observe l’obéissance en faisant tout son possible avec un cœur contrit, est déjà compté parmi les membres de l’Eglise spirituelle auprès de Dieu; mais il n’a pas sa place dans l’Église sacramentelle, à moins d’avoir d’abord reçu l’absolution. Fait le 15 des calendes de septembre [18 août 1337]. LA

POSITION DE LA PAROISSE

Par rapport aux quelques clercs qui lui sont soi-disant inférieurs, le curé de paroisse est qualifié de prélat. Mais par rapport aux laïcs qu’il gouverne, il est qualifié de simple curé. Si nous considérons le premier tableau de la hiérarchie ecclésiastique2, l’empereur séculier, placé sous le pape à gauche, doit mettre fin aux crimes de chair avérés; ainsi, de même que le crime avait détaché un membre du corps du peuple chrétien, de même le ministère du glaive matériel, en faisant justice, redonne souvent un membre au corps du peuple chrétien – soit qu’il survive au châtiment judiciaire qui lui a été appliqué3, soit qu’il meure dans les derniers supplices par amour pour la justice qu’il se prépare à accueillir dans sa chair, afin que son esprit soit sauvé sur les genoux de la majesté du corps de l’Église. Mais une fois ce pouvoir exercé, l’empereur, le roi, le comte ou le chevalier, revenu à droite, non pas en termes de géographie mais de morale, doit se soumettre, en ce qui concerne sa personne, [fol. 22] au simple curé d’église dans la paroisse duquel il habite, afin que la règle ecclésiastique soit observée en tout. Mais si ce laïc qui s’était montré honnête et sage en exerçant le pouvoir est aujourd’hui parfait dans toutes les qualités spirituelles, une fois qu’il a quitté le ministère de la justice charnelle, quelles que soient les dispositions où il se trouve, il peut alors être compté légitimement dans l’ordre des parfaits.

1 2 3

Allusion à l’excommunication d’Opicinus par l’évêque de Pavie. Voir fol. 4. Allusion au jugement de Dieu.

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212

EXPROBRATIO

FOL.

SAPIENTIE

DEI

22

ADVERSVS PRVDENTIAM MVNDI

Ego uera philosophia, te Boetium prosequor exulem in Papia, ubi uestes iustitie quas texueram manibus meis (id est ministerio sacerdotum in regimine plebium) ad contegenda decentius membra mea, nunc a prophana multitudine ex multiplici partialitate scinduntur. Pugnant enim aduersus me quottidie quidam Perypathetici sapientes mundani, qui prauis et impiis consiliis suis Templum et patrimonium meum contaminant et usurpant. Stoici per singulas porticus iuxta parrochiales ecclesias me subsanant. Et Epicureum uulgus per suas libidines uoracitatis et gule cum ebrietate, presertim circa cathedralem ecclesiam, usque ad ydolatrie saltus intra ecclesias, immixtis diabolicis cantilenis cum diuinis officiis, me crucifigit et perimit. Quid aliud deficit nisi ut hec uenefica ciuitas plena homicidiis in momento mergatur? Hec est maledictio illius Papie per sanctum Syrum sub nomine Aquilegie, donec destructa maledicta Papia appareat benedicta noua Papia. Hoc dico ad testimonium uniuersalis Papie. Dicat ergo qui sedet in throno: « Ecce noua facio omnia », ut innouet uniuersalis uniuersalem papa Papiam. Ad sanctissimum benedictum respondeat populus uniuersus: « Fiat, fiat ».

De testimonio personali ad rem Paulo ante quam legatio fieret a pectore thesaurorum ad humerum liberorum, uidi quemdam fidelem, quasi baiulum clauis domus Dauid in humero suo, Clauari Ianuensis diocesis oriundum, uenientem immediate uel mediate, non ex casu sed ex dispensatione diuina, a sinistro humero libertatis ad curandum humerum similiter sinistrum cum brachio fidelissimi coqui nostri; quod actum est solo Domino annuente. Quid ista significent, iudicetur.

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LES

REPROCHES ADRESSÉS PAR LA SAGESSE DE

DIEU

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À LA SAGESSE DU MONDE

Moi, la véritable philosophie, je t’accompagne, toi Boèce qui es en exil à Pavie1, là où les vêtements de la justice que j’avais tissés de mes mains (c’est-à-dire avec le ministère des prêtres qui gouvernent leurs ouailles) pour couvrir plus convenablement les parties de mon corps, sont aujourd’hui déchirés en de multiples petits morceaux par la multitude impie. En effet, certains Péripatéticiens2, les sages de ce monde, s’acharnent chaque jour contre moi3, eux qui souillent et s’approprient mon Temple et mon patrimoine avec leurs conseils pervers et impies. Les Stoïciens4 se moquent de moi sous chacun des portiques situés à côté des églises paroissiales. Et la masse des Épicuriens5 me crucifie et me tue, avec sa voracité et sa gourmandise effrénées ainsi que son ivrognerie, surtout autour de l’église-cathédrale; ils vont jusqu’à faire des sauts à l’intérieur des églises comme les idolâtres, en introduisant des chansons diaboliques dans les offices divins. Quoi d’autre? Cette ville maléfique, remplie de meurtres, doit être engloutie en un instant. Voilà la malédiction lancée par saint Syr sur Pavie prenant le nom d’Aquilée6, jusqu’à ce que, la Pavie maudite étant détruite, la nouvelle Pavie apparaisse, celle qui est bénie. Je dis cela pour témoigner de l’universelle Pavie. Que celui qui siège sur le trône dise donc: « Voici que je fais toutes choses nouvelles »7, afin que le pape universel renouvelle l’universelle Pavie. Et que le peuple tout entier réponde au très saint béni: « Oui, que cela soit fait »8. Témoignage personnel en faveur de la réalité Peu de temps avant qu’un légat9 ne soit envoyé de la poitrine qui contient les trésors vers l’épaule des hommes libres10, j’ai vu un fidèle semblable à celui qui porte la clef de la maison de David sur son épaule11, originaire de Chiavari dans le diocèse de Gênes, quitter l’épaule gauche de la liberté, directement ou indirectement, non par hasard mais du fait d’un ordre divin, pour soigner l’épaule, gauche elle aussi, ainsi que le bras de notre très fidèle cuisinier; ce qui s’est fait avec la permission de Dieu seul. Ce que cela signifie, qu’on en juge.

Voir V 16 (notamment). Disciples d’Aristote. 3 L’ensemble du paragraphe exprime des idées persécutives. 4 Disciples de Zénon, Chrysippe, Sénèque, Epictète et Marc-Aurèle. Voir Ac 17, 18. Voir V 16, note 10. 5 Disciples d’Épicure. Voir Ac 17, 18. Voir V 16, note 10. Voir Boèce, Consolation, livre I, 6, p. 51. 6 Aquilée, à 120 kms au nord-est de Venise, fut détruite par Attila en 452; ses habitants fondèrent Venise. Voir V 10, note 24. 7 Ap 21, 5. 8 Voir Lc 1, 38. 9 Les légats (envoyés du pape) retrouvent un vaste champ d’action avec la papauté d’Avignon. 10 C’est-à-dire de Provence en Normandie. 11 Voir Is 22, 22. 1 2

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214

DE

FOL.

22

APPARITIONE COMETE

A decima die iulii fere usque ad finem illius mensis, uidi cometam pusillam facientem rectam uiam paulatim quottidie transeuntem etiam iuxta polum septentrionalem, non obstante sibi giro Arcturi, licet uelocitas huius giri in qualibet hora quasi per uiolentiam uerteret rectitudinem uie huius comete uersus quodlibet clima mundi; nec ipsa cometa uertebat rectam comam suam quo tenderet, sed ipsam extendebat potius ad sinistram. Credo autem hanc cometam apparuisse per aliquos dies ante decimam diem iulii et etiam finetenus ultra mensem usque ad perfectionem unius mensis. Ecce indicium dissipationis giri Arcturi, sicut Dominus predixerat ad Iob. 1

COMPARATIO

SINAGOGE CVM MATERIALI ECCLESIA

Sicut Christi doctrina sanctificat sinagogam, ita christianitas parrochialis sanctificat materialem ecclesiam. Sinagoga sine Christi presentia inutilis est; materialis ecclesia sine populo christiano sterilis est. Sinagoga iudaica cum barbaro fremitu hebraice littere sine intellectu significat materialem ecclesiam cum notulis canticorum et predicatione uerborum sine uirtute et spiritu. Hoc dico fieri in nostra Papia. Non enim indiget significatione uel testimonio sinagoge cuius retinet rem. CONSONANTIA

EVANGELISTARVM

Argenteus tempore Ihesu Christi secundum quosdam dicitur ualuisse decem denariis, ut quilibet denarius quasi decennarius sit decima pars illius argentei; ex quo coniectatur Iudam proditorem adimplesse desiderium suum uendentem Christum (id est V(u)nctum) pro tanto pretio quanto appretiabatur unguentum (scilicet XXX argenteis estimatis CCC denariis), ut eodem pretio compensaretur unguentum et V(u)nctus. Secundum alios fertur argenteus idem quod et denarius, ut pretium XXX argenteorum (id est denariorum) esset pars decima trecentorum; eo quod dicitur Iudam solitum esse de oblatis Domino et discipulis eius semper furtiue decimas sustulisse, quasi nunc estimantem Dominum V(u)nctum unguenti decimam esse. Que opinio uerior sit per Ecclesiam iudicetur. Ista Christi unctio per Mariam fuit quedam preuentio sepulture. Obscura prolatio iuxta Iohannem: « Sine illam, ut in die sepulture mee seruet illud ». Tecta probatio secundum Matheum: « Mittens enim hec unguentum hoc in corpus meum, ad sepeliendum me fecit ». 1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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L’ARRIVÉE D’UNE

215

COMÈTE

Entre les environs du 10 juillet et la fin de ce mois, j’ai vu une toute petite comète tracer peu à peu sa route en ligne droite chaque jour, en passant même à côté de l’extrémité du septentrion, sans que l’ellipse décrite par Arcturus1 la gêne, bien que la rapidité de cette ellipse à chaque instant, comme si elle s’emportait, modifie la route en ligne droite de cette comète dans la direction de n’importe quelle région du monde; et cette comète ne tournait pas sa chevelure droit dans la direction où elle allait, mais l’allongeait plutôt vers la gauche. Or je crois que cette comète est apparue quelques jours avant le 10 juillet, et qu’elle a persisté jusqu’à son terme au-delà du mois, jusqu’à ce qu’un mois ou environ se soit écoulé. Voilà la trace du relâchement de l’ellipse d’Arcturus, ainsi que le Seigneur l’avait prédit à Job2. COMPARAISON

ENTRE UNE SYNAGOGUE ET UN BÂTIMENT D’ÉGLISE

De même que l’enseignement du Christ sanctifie la synagogue, de même la chrétienté de la paroisse sanctifie le bâtiment d’église. La synagogue en l’absence du Christ ne sert à rien; et le bâtiment d’église sans le peuple chrétien est improductif. La synagogue juive où l’on entend le murmure de la barbarie des mots hébreux dépourvus de sens indique le bâtiment d’église où l’on entend les accents dérisoires des cantiques et les sermons dépourvus de valeur et d’intelligence. Je le dis, cela arrive dans notre ville de Pavie. En effet, elle n’a pas besoin de l’exemple ni du témoignage de la synagogue, dont elle garde le contenu. L’UNANIMITÉ

DES ÉVANGÉLISTES

A l’époque de Jésus-Christ, certains disaient qu’une pièce d’argent valait dix deniers, si bien que chaque denier, telle une dizaine, représentait la dixième partie de cette pièce d’argent; c’est pourquoi on suppose que Judas le traître a réalisé son ambition en vendant le Christ (c’est-à-dire l’Oint/oint3) pour un prix aussi élevé que le prix qui avait été donné au parfum4 (à savoir 30 pièces d’argent5 estimées 300 deniers), si bien que le parfum et l’Oint/oint valaient le même prix. Pour d’autres, dit-on, la pièce d’argent était identique au denier, si bien qu’un prix de 300 pièces d’argent (c’est-à-dire de deniers) correspondait à la dixième part de 300; c’est la raison pour laquelle Judas, à ce qu’on raconte, avait l’habitude de dérober, toujours en cachette, le dixième des offrandes destinées au

1 Il s’agit de la principale étoile de la constellation du Bouvier, très brillante (orange). Arcturus désigne soit l’étoile seule, soit la constellation. 2 Voir Jb 38, 31. La traduction parle d’Orion. 3 Opicinus s’attribue cette appellation parce qu’il se prend pour le Christ (cristü", en grec, signifie: oint) et a reçu le maximum d’onctions dans sa vie (baptême, confirmation, sacerdoce, extrême-onction). L’onction signifie le don de l’Esprit Saint. Voir fol. 41v° et V 2, note 18. 4 Voir Jn 12, 5 (et Mc 14, 5). Voir plus haut, à propos de Marie-Madeleine: fol. 20. 5 Voir Mt 26, 15 et 27, 3.

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FOL.

22-22v°

Maior declaratio iuxta Marcum: « Quod habuit hoc1, fecit: preuenit ungere corpus meum in sepulturam ». [fol. 22v°] Ista fuit preuentio sepulture apud Christum qui omnia presciebat. Nesciens autem Maria hanc fuisse preuentionem, sed ungens Christum uiuentem (quem mortuum non potuit ungere), solo Domino presciente, propter deuotionem fecit hoc opus. Et ideo postea putans se uncturam Dominum mortuum, parauit aromata cum aliis mulieribus secundum Marcum et Lucas, quamuis juxta Matheum et Iohannem nulla paraueret aromata nec unguenta, cum secundum Iohannem Dominum mortuum aromatibus unxerit Nicodemus. Actum XIIII° kalendas septembris.

DE

DISPOSITIONE MEMBRORVM

ECCLESIE

Episcopus representat ex se corpus Ecclesie, ciuitatis et diocesis sue. Cuius brachium est maior prelatio clericorum post se; manus est quelibet rectoria parrochialis; quilibet digitus est persona quelibet laicalis. Si ergo episcopus exemerit quempiam laicum a iurisditione rectoris et immediate susceperit illum gubernare, factus est sui corporis deformator, similis Affrice que sine manu et brachio mediantibus (quasi non existentibus) facit ex corpore digitum dependere. Si ille digitus habeat dignitatem secundum seculum (comitalem, marchionalem, regalem aut imperialem), ex parte qua persona est, digitus tantum est qui rationabiliter deberet dependere de manu, sicut manus de brachio et brachium de corpore. Ex parte autem qua dignitas secularis seu mundana est, dici potest huius corporis quedam munitio a sinistris, quasi gladius in uagina et clipeus ad defensionem huius corporis (id est sancte matris Ecclesie); a dextris autem, non locis sed moribus uariatis, est simplex persona mortalis, sicut quelibet alia persona mortalis sub regimine rectoris parrochie, nisi ex quibusdam casibus reseruatis ad maiores prelatos. Rector parrochie, ex parte qua persona mortalis est, indiget confessore (scilicet maiore suo aut alio quem eligendi in confessorem habet licentiam a maiore). A simplici clerico usque ad seruum seruorum Dei, sumus omnes persone mortales indigentes ad uicem seu ad horam debito confessore. 1

Au lieu de: hec.

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Seigneur et à ses disciples1, comme si aujourd’hui il pensait que le Seigneur Oint/oint vaut le dixième du parfum. Que l’Église décide quelle est l’opinion la plus exacte. Cette onction faite par Marie au Christ était une façon d’anticiper l’ensevelissement. Une déclaration obscure chez Jean: « Laisse-la, c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum »2. Une démonstration mystérieuse chez Matthieu: « Si elle a répandu ce parfum sur mon corps, c’est pour m’ensevelir qu’elle l’a fait »3. Un message plus clair chez Marc: « Elle a fait ce qui était en son pouvoir: d’avance elle a parfumé mon corps pour l’ensevelissement »4. [fol. 22v°] Il s’agissait d’anticiper l’ensevelissement chez le Christ qui savait tout ce qui allait arriver. Or Marie, qui ignorait qu’il s’agissait d’une anticipation, mais qui fit une onction au Christ vivant (ce qu’elle n’a pas pu faire quand il était mort), comme le Seigneur était le seul à savoir ce qui allait arriver, a fait ce geste par piété. Et c’est pourquoi ensuite, pensant qu’elle allait oindre le Seigneur mort, elle a, d’après Marc5 et Luc6, préparé des aromates avec d’autres femmes; mais, selon Matthieu et Jean, elle n’a préparé ni aromates ni parfum: d’après Jean, c’est Nicodème qui a oint le Seigneur mort avec des aromates7. Fait le 14 des calendes de septembre [19 août 1337]. L’EMPLACEMENT

DES PARTIES DU CORPS DE L’ÉGLISE

L’évêque personnifie le corps de son Église, de sa ville et de son diocèse. Son bras, c’est l’élite des clercs qui lui sont subordonnés; sa main, c’est n’importe quelle cure paroissiale; et n’importe lequel de ses doigts, c’est n’importe quelle personne laïque. Donc, si l’évêque enlève quelque laïc à la juridiction de son curé et entreprend de lui donner directement des ordres, il devient celui qui rend son corps difforme, comme l’Afrique dont le corps a un doigt qui lui est rattaché8, sans main ni bras intermédiaires (comme si elle n’en avait pas). Si ce doigt possède une fonction dans le monde (celle de comte, de marquis, de roi ou d’empereur), pour la personne à qui il appartient, ce n’est qu’un doigt qui devrait raisonnablement être attaché à la main, comme la main l’est au bras et le bras au corps. Mais pour la fonction exercée dans le siècle ou le monde, on peut dire qu’il s’agit d’une protection pour ce corps sur sa gauche, tels une épée

Voir Jn 12, 6. Jn 12, 7. 3 Mt 26, 12. 4 Mc 14, 8. 5 Voir Mc 16, 1. 6 Voir Lc 23, 56 et 24, 1. 7 Voir Jn 19, 39-40: Nicodème accompagne Joseph d’Arimathie et apporte « un mélange de myrrhe et d’aloès »; tous deux mettent des « aromates » sur le corps de Jésus. Chez Mt (27, 57 et ss), il n’est question que de Joseph d’Arimathie; ni myrrhe, ni aloès, ni aromates ne sont mentionnés. 8 Voir tous les dessins de l’Afrique du Vaticanus. 1 2

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218

DE

FOL.

OMNI ADINVENTIONE SCIENTIE

DEI

22v°

SVPPONENDA APPROBATIONI

ECCLESIE

Quicumque toto corde et tota intentione proposuerit omnem adinuentionem diuine scientie producende in lucem, supponere correctioni, emendationi, approbationi et protectioni uniuersalis, catholice atque Romane Ecclesie – cuius habet testimonium totum summus pontifex rite et canonice promotus cum catholicis consiliariis suis (et ita ad effectum cogitata produxerit) – ex illa adinuentione scientie nulla notari potest infamia. Quia siqua macula reperta fuerit in opere suo et exinde proiecta, in nullo nocebit ei; si uero opus suum repertum fuerit incorruptum, non ipse sed Ecclesia laudem habebit, ne ipse singulari gloria corrumpatur; alioquin si confisus fuerit sensu proprio tantum sine approbatione Ecclesi, aut per articulum heresis denotatum aut per falsam calumpniam sibi iuste obiectam, de facili potest corporis et anime ac nominis sui periculo subiacere. Actum XIII kalendas septembris.

DE

SIGNIS MENSIVM

Ecce Leo augusti stomacho dat pocula musti: Leo est stomachus omnium uorax. Virgine septembris saturantur uiscera uentris: Virgo est uenter luxurie comes. DE

OPERIBVS MORTVIS ET VIVIS

Si temporalium et spiritualium diues refecero pauperum uentres tantum non mentes, helemosine mee corporales inter opera mortua reputantur. Paui enim sterilem que non parit, id est uniuersitatem carnalium pauperum que in nullo proficit fide. Et uidue non bene feci, id est uniuersitatem eorumdem spiritualium pauperum futurorum uera fame et siti spiritualis iustitie mori permisi. Qui uero fuerit diues temporalium tantum sine spiritualibus, reficiens pauperes corporaliter tantum, iam habet mercedem apud Deum. Quare? Quia ex magna caritate hic diues www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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dans son fourreau1 et un bouclier pour défendre ce corps (c’est-à-dire la sainte mère qu’est l’Eglise); et à droite, non du fait d’une géographie mais d’une morale différente, il s’agit d’une simple personne mortelle qui se trouve, comme tout autre personne mortelle, assujettie au gouvernement du curé de la paroisse, excepté pour certains cas réservés aux prélats supérieurs. Dans la mesure où il est une personne mortelle, le curé de paroisse a besoin d’un confesseur (c’està-dire de son supérieur, ou d’un autre prêtre que son supérieur l’a autorisé à choisir comme confesseur). Du simple clerc jusqu’au serviteur des serviteurs de Dieu, nous sommes tous des personnes mortelles, qui avons besoin à tour de rôle ou ponctuellement du confesseur requis. TOUTE DÉCOUVERTE DANS LA CONNAISSANCE DE DIEU DOIT ÊTRE SOUMISE À L’APPROBATION DE L’ÉGLISE

Quiconque propose avec tout son cœur et toute son attention que tout ce qu’il trouve pour mettre en lumière la connaissance de Dieu soit exposé à des rectifications, à des amendements, à l’approbation et à la bénédiction de l’Église universelle, catholique et romaine – dont le souverain pontife se porte entièrement garant, lui qui a obtenu cette promotion de manière régulière et canonique, comme ses conseillers légitimes (et ainsi il aura obtenu la réalisation de ses desseins) – cette découverte sur la connaissance (divine) ne peut en rien être considérée comme déshonorante. Car si l’on trouve quelque erreur dans son travail et qu’on l’en retranche, cela ne le compromettra aucunement; et si l’on trouve son travail sans défaut, ce n’est pas lui mais l’Église qui recevra les éloges, si bien que lui-même ne sera pas appâté par une gloire exceptionnelle; autrement, s’il ne s’en remet qu’à ses sentiments personnels, sans que l’Église lui donne son approbation, il peut facilement mettre en danger son corps et son âme ainsi que son nom, soit du fait d’un article à connotation hérétique, soit du fait d’une fausse accusation qui lui est reprochée à juste titre. Fait le 13 des calendes de septembre [20 août 1337]. LES

SIGNES (DU ZODIAQUE) CORRESPONDANT AUX MOIS

Voici le Lion d’août qui donne à l’estomac des coupes de vin doux: le Lion, c’est l’estomac qui engloutit tout. Les Vierges de septembre se repaissent des entrailles du ventre: la Vierge, c’est le ventre qui s’adonne aux excès. LES

ŒUVRES ÉPHÉMÈRES ET LES OEUVRES DURABLES

Si mes richesses en biens temporels et spirituels ne me permettent que de redonner des forces aux ventres des pauvres et non à leurs esprits, mes aumônes matérielles seront comptées au nombre des œuvres qui disparaissent. En effet, j’ai eu peur de la stérile qui n’enfante pas2, c’est-à-dire de la communauté des

1 2

Voir V 14. Voir Jb 24, 21 (cette phrase ne figure pas dans les traductions en français de la Vulgate).

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220

FOL.

22v°-23

satisfecit pauperum necessitatibus, quicquid sciuit et potuit. Si enim potiora agere potuisset, maiora istis fecisset. Ego autem ex amore naturali carnalia pauperibus ministraui, que sunt uiliora bona licet de necessitate preuia; et propter arrogantiam meam nolui eis spiritualia ministrare, que sunt incomparabiliter bona ualde pretiosora. Et ideo mercedem habeo apud homines non apud Deum.

De iudicio personali 1 Cum cepissem infirmari corpore circa principium mensis aprilis, anno Domini MCCCXXXIIII°, narrauit mihi famulus meus de quadam muliere latronissa in uiis capiente equites per frenum cum adulatoriis uerbis, donec adueniens latro improuise cecideret equitem. Cuius tandem femine manus iniecta in frenum fuit per quemdam equitem amputata; et in delicto deprehensa fuit adiudicata extremo supplicio. Hoc fuit in partibus predicti famuli sicut dicebat, cui paulo ante recitaueram habitus nimium excessiuos mulierum patrie mee. Post aliquos dies factus premortuus perdidi totaliter dexteram manum meam, nisi Dominus restituisset uigorem manus in parte in qua adhuc remanent cicatrices. Additum anno perfectionis, VI idus martii, feria III secunde ebdomadarie XLe. [fol. 23] Si Auenica sit nomen patrium sicut Auinionensis, tunc improprie sumo nomen patrium pro proprio nomine sicut Auinio, ut nomen communius significet Martham communem in ministerio. Si autem Auenica sit nomen proprium ciuitatis sicut Auinio, tunc hec est propria et recta locutio. Additum II nonas septembris.

DE

NOMINIBVS HVIVS VRBIS

Ista ciuitas pectoralis fide fundata per Martham duplex nomen habet, scilicet dicta Auenica et Auinio. Auenica est Martha; Auinio est Maria. Vbi est enim maior sollicitudo presentis curie Romane, ibi est subtilior inquisitio celestis sapientie. Auenica sollicita circa plurima agitata gallos pascit auena; Auinio requiescens circa unum intenta congregat aues celi. Auenica ab « auena »; Auinio est « auium unio ». Auenica 1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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221

pauvres charnels qui ne fait aucun progrès dans la foi. Et je n’ai pas fait de bien à la veuve1; c’est-à-dire j’ai accepté que la communauté de ces mêmes pauvres spirituels à venir succombe à la véritable faim et à la véritable soif de justice spirituelle. Or celui qui est riche seulement sur le plan temporel et non sur le plan spirituel, en redonnant des forces aux pauvres uniquement sur le plan matériel, a déjà sa récompense auprès de Dieu2. Pourquoi? Parce que ce riche a pourvu aux besoins des pauvres avec une grande charité, dans la mesure de ses connaissances et de ses moyens. En effet, s’il avait pu agir mieux, il aurait fait plus pour eux. Quant à moi, du fait de mon inclination naturelle, j’ai fourni aux pauvres des biens charnels qui sont sans grande valeur, même s’ils font face aux besoins; et à cause de mon orgueil, je n’ai pas voulu leur fournir des biens spirituels qui sont incomparablement plus précieux. Et c’est pourquoi j’ai ma récompense auprès des hommes, et non auprès de Dieu. Opinion personnelle Alors que je commençais à être physiquement malade vers le début du mois d’avril, en l’an du Seigneur 1334, un de mes serviteurs me raconta l’histoire d’une voleuse de grands chemins: elle arrêtait les cavaliers par les rênes en usant de mots enjôleurs, jusqu’à ce que son compère arrivant à l’improviste tue le cavalier. Finalement un cavalier coupa la main avec laquelle la femme avait saisi les rênes; et la femme, prise en flagrant délit, fut condamnée au châtiment suprême. Cela se passa dans le pays du serviteur indiqué plus haut, selon ses dires, alors que peu auparavant je lui avais parlé de mémoire des comportements trop provocants des femmes de mon pays. Après quelques jours, m’étant retrouvé aux portes de la mort, j’aurais complètement perdu l’usage de ma main droite3 si le Seigneur ne m’avait redonné de la force à un endroit de ma main où je porte encore des traces. Ajouté l’année de la perfection, le 6 des ides de mars, le mardi de la deuxième semaine de Carême [mardi 10 mars 1338]. [fol. 23] Si Avenica est un nom de famille comme Avignonnais, je porte alors de façon inappropriée mon nom de famille à la place de mon nom propre, comme Avignon, si bien que c’est un nom assez courant qui désigne la Marthe4 familière assurant le service. Mais si Avenica est un nom que l’on donne à une ville comme Avignon, alors il s’agit d’une expression appropriée et juste. Ajouté le 2 des nones de septembre [4 septembre 1337] LES

NOMS DE CETTE VILLE

Cette ville de la poitrine, créée par la foi grâce à Marthe, porte deux noms: Avenica5 et Avignon. Avenica, c’est Marthe; Avignon, c’est Marie. En effet, là où

Idem. Voir Mt 6, 1. 3 Opicinus assimile sa propre histoire de voleur touché par une soi-disant hémiplégie en 1334 à celle de la voleuse de grands chemins. 4 Avenica correspond à Marthe: voir V 5. 5 Première mention (chronologique) de ce surnom donné par Opicinus à Avignon. 1 2

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222

FOL.

23

satagens circa frequens ministerium gallos ex quibus libertas processerat nutrit auena, id est quodam genere annone spinose et pilose, que non est aliud nisi littera laboriosa et pecunia ponderosa. Sic enim interpretatur cor huius pectoris translatum in cor maris. Sicilia, id est laboriosa uel ponderosa, producit innumerabiles siclos argenti et auri (siclos, inquam, quasi Siculos). Stat autem Auenica et dicit ad hospitem pectoris sui: « Domine, non est tibi cure quod soror mea (Auinio) reliquit me solam ministrare (temporalia tua) ? Dic ergo illi ut me adiuuet ». Hospes ad hospitam: « (Auenica, Auenica,) sollicita es (in Romane curie multiplicibus curis) et turbaris erga plurima (pertractanda ad respondendum cuilibet uenienti ad curiam meam); porro unum est necessarium (quod significant tibi VI ciuitates finientes in unum, quarum septima Auinio, id est spiritualium auium unio). Optimam partem elegit que non auferetur ab ea ». VNDE VERSVS: Gallos in cena quid Auenica pascis auena? Ecce Martha instat circa spinas et pilos auene. Vnio nunc auium postulat introitum. Ecce Maria ingreditur ad medullam auene.

DE

YMAGINATIONE HVMANA

Sicut ymaginatio mea reputat pepones, quos nos in ydiomate nostro melones uocamus, prouocationem ad uomitum (et ideo ipsos abhominor, qui tamen ut arbitror sunt confortatiui sumentium ipsos), ita ymaginatio bestialis reputat nichil esse quod aliquid est (scilicet spiritualia existentia non apparentia) et ymaginatur aliquid esse quod nichil est (scilicet corporalia apparentia non existentia). Auenio uel Auenica nichil est; uirtus autem quam illa significat aliquid est. TESTIMONIVM

SANCTIFICATIONIS

ECCLESIE

CORPORALIS IN

SPIRITV

Durante signo Virginis (id est uentris) aduenerunt sancti Syrus et Yuentius a sinistro femore Aquilegie ad umbilicum uentris Papie, que respectu filie in uentre Europe est quasi sanctificatio uirginis uulue. Et hoc fuit post natiuitatem sancte Marie Virginis (II idus septembris). Adhuc umbilicalis Papia omni anno, in die conceptionis sancte Marie Virginis – VI idus decembris), cuius nullam ex hoc memoriam facit – propter uigiliam tamen depositionis sancti Syri episcopi sui, ex deportatione et oblatione cereorum magnorum cum magna sollempnitate ante www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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se trouvent les soucis les plus importants de l’actuelle curie romaine, là aussi se trouvent les recherches les plus approfondies sur la sagesse céleste. Avenica, qui se soucie et s’agite pour beaucoup de choses, nourrit les coqs avec de l’avoine; Avignon, qui se repose et ne s’occupe que d’une seule chose, rassemble les oiseaux du ciel. Avenica tire son nom d’« avoine »; Avignon représente « l’union des oiseaux ». Avenica, absorbée par les multiples soins du service, nourrit les coqs d’où provenait la liberté avec de l’avoine, c’est-à-dire avec un certain genre de denrée épineuse et poilue, qui n’est rien d’autre que la lettre laborieuse et l’argent pesant. C’est, en effet, ce que veut dire le cœur de cette poitrine transféré dans le cœur de la mer. C’est en Sicile, laquelle est laborieuse1 et pesante, que sont frappés un très grand nombre de sicles2 d’argent et d’or (sicles, oui, comme Siciliens). Or Avenica se tient debout et dit à l’hôte de sa poitrine: « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur (Avignon) me laisse faire toute seule le service (de tes biens temporels)? Dis-lui donc de m’aider »3. L’hôte répond à l’hôtesse: « (Avenica, Avenica), tu t’inquiètes (à propos des multiples soucis de la curie romaine) et tu t’agites pour beaucoup de choses (dont il faut s’occuper pour répondre à tous ceux qui viennent à ma cour); pourtant il en faut peu, une seule même (ce que te montrent les six villes qui donnent à l’unité sa perfection4 – la septième étant Avignon, c’est-à-dire l’union des oiseaux spirituels). Elle a choisi la meilleure part; elle ne lui sera pas enlevée »5. D’OÙ LES VERS SUIVANTS: Quoi donc, Avenica, tu nourris les coqs pour le dîner / la cène avec de l’avoine? Voici Marthe debout près des épines et des poils de l’avoine. À présent l’union des oiseaux demande à entrer. Voici Marie qui pénètre dans la moelle de l’avoine. L’ILLUSION

HUMAINE

De même que j’estime de manière imaginaire que les pastèques, que dans notre dialecte nous appelons « melons », font vomir (c’est pourquoi je les ai en horreur, alors que je crois qu’elles donnent des forces à ceux qui les consomment), de même, de manière imaginaire, les bêtes estiment que ce qui est vrai est irréel (à savoir les biens spirituels qui existent sans qu’on les voie) et s’imaginent que ce qui est sans valeur est vrai (à savoir les biens matériels qui se voient, mais n’ont pas d’existence réelle). Avignon ou Avenica sont sans valeur; mais la qualité essentielle indiquée par la première est réelle. TÉMOIGNAGE

DE LA SANCTIFICATION DE L’ÉGLISE CORPORELLE DANS L’ESPRIT

À l’époque du signe de la Vierge (c’est-à-dire du ventre), saint Syr et Saint Yvent arrivèrent de la cuisse gauche d’Aquilée à l’ombilic du ventre de Pavie;

1 2 3 4 5

Voir fol. 35; V 9, note 19; V 10, note 33; V 14, note 17; V 15, note 35; et fol. 83v°. Monnaie ancienne en argent (ayant cours notamment en Israël). Lc 10, 40. Voir fol. 77v°. Lc 10, 41-42.

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224

FOL.

23

uesperas, quasi sanctificat, id est sanctificatum significat umbilicum. Ecce quod ipsa ignoranter celebrat sanctificationem cum conceptione noue specularis Ecclesie adhuc in utero ueteris matris sue. Ignorat enim misterium, cuius rei uirtutem uniuersalis Papia declarat. Celebratur autem depositio sancti Syri (V idus decembris).

COLLATIO LOMBARDIE

CVM PRESENTI

PROVINCIA

VSQVE AD CONSIDERATIONEM

VNIVERSALEM

Panis Prouincie pectoralis fermentatur ex uento; panis autem Lombardie uentralis fermentatur ex inuolutione pannorum. Nec est mirum cum infirmitas uentris exigat multos pannos, quasi puerulus pannis inuoluendus, et fortitudo pectoris exigat Spiritum (id est uentum), quasi uir Spiritu fortitudinis confortandus. Vinea pectoralis quanto magis putatur usque ad truncum, tanto plus fructificat; uinea autem uentralis exigit minorem putationem. Ecce sensus: maior circuncisio pectoris fortium plurimum fructum affert; minor circuncisio uentris fragilium facit plus crescere fructum. Omnia quecumque scripta sunt secundum uarias dispositiones orbis terrarum ad doctrinam nostram scripta sunt. Similiter quecumque scripta sunt iuxta uariationes temporum transactorum, ut reperiuntur in cronicis, ad nostram informationem scripta sunt, ut per patientiam et consolationem Scripturarum spem habeamus. Habemus enim ante oculos nostros in genere omnia loca et tempora in unum collecta, ut inde in nobis spirituale iudicium addiscamus, ante quam improuide super nos adueniat generale Iudicium omnis carnis. Iam transiit annus expectationis. Factum est iudicium Antichristi qui destructus est cum operibus suis. Non deficit aliud nisi ut interioribus oculis qualibet hora sollicite uigilemus, ne inueniamur in ignauia dormientes. De uera credentia serui ad dominum Sicut seruus primo facit credentiam de gustu ferculi uel poculi ministrandi domino suo, ita unusquisque seruus christianitatis primo debet probare opus suum per seipsum ante quam presentetur populo christiano qui est dominus suus, nequid ex hoc fiat scandalum morum uel fidei populo christiano. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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celle-ci, par rapport à sa fille située dans le ventre de l’Europe, sanctifie pour ainsi dire la vulve de la vierge. Et cela s’est passé après la nativité de la sainte Vierge Marie1, le 2 des ides de septembre [12 septembre]. Chaque année encore, le jour de la conception de la sainte Vierge Marie – le 6 des ides de décembre [8 décembre], dont elle ne fait jamais mémoire – la Pavie ombilicale, comme il s’agit néanmoins de la veille de la mort de saint Syr, son évêque2, avec le transport et l’offrande de grands cierges en grande solennité avant les vêpres, a l’air de solenniser (c’est-à-dire qu’elle indique) l’ombilic sanctifié. C’est ainsi que, sans le savoir, elle-même célèbre en même temps la sanctification et la conception de la nouvelle Église du miroir se trouvant encore dans le sein de sa vieille mère. En effet, elle ne connaît pas le mystère sur la vérité dont l’universelle Pavie montre clairement la qualité essentielle. Or on fête solennellement la mort de saint Syr le 5 des ides de décembre [9 décembre]. COMPARAISON

DE LA

LOMBARDIE

AVEC L’ACTUELLE

PROVENCE;

LES CONSIDÉRATIONS

UNIVERSELLES QUI EN DÉCOULENT

Le vent fait lever le pain de la Provence de la poitrine; et les pans d’étoffes qui le couvrent font lever le pain de la Lombardie du ventre. Il n’est pas étonnant que le ventre faible ait besoin de beaucoup d’étoffes, comme un tout petit enfant qu’il faut emmailloter, et que la poitrine vigoureuse ait besoin de l’Esprit (c’està-dire du vent), comme un homme qui doit être réconforté par l’Esprit de force. La vigne de la poitrine donne d’autant plus de fruits qu’elle est davantage taillée au ras des souches; en revanche, la vigne du ventre a moins besoin d’être émondée. Voici pourquoi: la grande taille en rond de la poitrine des forts apporte un grand nombre de fruits; la petite taille en rond du ventre des faibles permet une meilleure croissance des fruits. Tout ce qui est écrit concernant les variétés géographiques de l’orbe terrestre est écrit pour nous instruire. De même, tout ce qui est écrit concernant les péripéties des temps passés, ainsi qu’on le trouve dans les chroniques, est écrit pour nous éclairer, afin que, grâce à l’endurance et au réconfort que nous apportent les Écritures, nous gardions l’espérance. En effet, nous avons sous les yeux toutes les catégories de lieux et de temps rassemblées en un seul homme, si bien qu’ainsi nous découvrons en nous le jugement spirituel, avant que le Jugement général de toute chair n’arrive sur nous à l’improviste. Déjà, l’année de l’attente est passée. Le jugement de l’Antichrist a eu lieu: il a été anéanti avec ses œuvres. La seule chose qui manque, c’est que nos yeux intérieurs veillent attentivement à tout moment, afin que l’on ne nous trouve pas en train de dormir sans rien faire3. La véritable confiance du serviteur envers son maître De même que le serviteur commence par donner confiance en goûtant le plateau ou la coupe qu’il doit servir à son maître, de même tout serviteur de la chré1 2 3

8 septembre. Saint Syr, premier évêque de Pavie, était fêté le 9 décembre. Voir Mc 14, 35-37 (plus Mt 24, 42 et 25, 13; Lc 12, 38-40).

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226

FOL.

23-23v°

De substantia et titulo ecclesiastice dignitatis Lombardia naturalis habet unitum pacifice titulum porte sue cum substantia, quasi Ianuam coniunctam Venetiis; id est sancta uniuersalis Ecclesia habet ecclesiasticam dignitatem christianitati coniunctam. Per Venetias enim intelligitur christianitas et per Ianuam intelligitur ecclesiastica dignitas. Lombardia autem partialis, diuisa per minores Europam et Affricam, dat titulum porte sue pectori Affrice sine substantia; id est carnalis Ecclesia dat ecclesiasticam dignitatem glorie personali cum suis sine christianitate spirituali. Et substantia porte sine titulo remanet sterilis; id est christianitas sine ecclesiastica dignitate in miseriis perseuerat. Additum anno perfectionis, IIII idus aprilis, die Parasceues in nocte. Marci (XV) super Venetiis et Ianua: « Erat autem hora tertia et crucifixerunt eum ». Ecce substantia uel causa sine titulo (id est christianitas sine honore, quasi Venetie derelicte). Deinde. Et erat titulus cause eius scriptus: « Rex iudeorum ». Ecce titulus sine causa (id est dignitas sine christianitate, quasi Ianua fugitiua ad magnam Affricam matrem suam).

[fol. 23v°] RATIO

PERSONALIS IN TESTIMONIVM VNIVERSI

Cum surrexissem a sompno perpetuo mutus letargoque percussus et in dextera factus inutilis, anno Domini MCCCXXXIIII°, de mense aprilis, et ignorans quod agerem, proposuissem in animo meo iterum reuerti ad diuitias Affricanas non locis sed moribus, iam quasi cepto incessu, allisi pollicem Regium Calabri pedis mei contra Siciliam, quasi pedem in lapidem, iterum temptaturus Dominum Deum meum. Et hoc factum fuit circa medium mensis maii. Vnde adhuc habeo in testimonium perpetuum pollicis pedis dextri rigorem ex eo. Ignorans autem misterium, nesciui seruare diuinitus interdictum. Rursus immiscui me in officio pristino per plures menses continuos, usque ad annum expectationis. Ex quo infirmitas perpetua me coegit conuertere opus seruile in opus dominicum, ut nulli diei etiam festo deberem parcere. Et quanto infirmior eram in opere pristino, tanto me fortiorem reperi in opere Domini. Durante anno expectationis iterum opus faciebam utrumque, licet primum tantum in parte. Anno autem retributionis paulatim dimisi primum officium, donec totaliter illud omitterem. Nunc anno renouationis, siue uelim siue nolim, me reputo liberum ab operibus seruitutis, translatum totaliter ad opera Domini. Actum XII kalendas septembris. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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tienté doit commencer par vérifier son travail par lui-même, avant de le présenter au peuple chrétien qui est son maître, afin de ne pas causer de problèmes de morale ou de foi au peuple chrétien. La substance et le titre du prestige ecclésiastique Dans la Lombardie naturelle, le titre et la substance de la porte sont unis dans la paix, comme Gênes est liée à Venise; c’est-à-dire que le prestige ecclésiastique de la sainte Eglise universelle est lié à la chrétienté. En effet, Venise représente la chrétienté et Gênes représente le prestige ecclésiastique. Or la Lombardie sectorisée, divisée en petite Europe et petite Afrique1, donne le nom de sa porte à la poitrine de l’Afrique2, mais sans la substance; c’est-à-dire que l’Église charnelle donne le prestige ecclésiastique à la gloire personnelle avec ce qui lui appartient, sans la chrétienté spirituelle. Et la substance de la porte, en l’absence de titre, reste stérile; c’est-àdire que la chrétienté dépourvue du prestige ecclésiastique continue à vivre dans les malheurs. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des ides d’avril, le jour de la Parascève3, de nuit [10 avril 1338]. Marc (chapitre 15), à propos de Gênes et de Venise: « C’était la troisième heure quand ils le crucifièrent »4. Voilà une substance ou une cause dépourvue de titre (c’est-à-dire la chrétienté dépourvue d’honneurs, autant dire Venise abandonnée). Poursuivons. Et il y avait un titre inscrit pour sa cause: « Le roi des juifs ». Voici un titre dépourvu de motif (c’est-à-dire le prestige sans la chrétienté, autant dire Gênes s’enfuyant vers la grande Afrique, sa mère). [fol. 23v°] UN

RAISONNEMENT PERSONNEL À PORTÉE UNIVERSELLE

Alors que je me réveillais d’un sommeil éternel, muet, frappé de léthargie et privé de l’usage de ma main droite, en l’an du Seigneur 1334, au mois d’avril5, et que, ne sachant quoi faire, je me proposais de revenir à nouveau vers les richesses de l’Afrique, non pas en termes de géographie mais de morale, ayant alors à peine commencé à marcher, j’ai percuté la Sicile avec Reggio de Calabre, qui est le pouce de mon pied, comme un pied se cogne à une pierre, étant à nouveau sur le point de mettre à l’épreuve le Seigneur mon Dieu. Et cela s’est passé vers le milieu du mois de mai. Il m’en reste encore une raideur dans le pouce du pied droit, en guise de témoignage éternel. Or, ignorant le mystère, je n’ai pas tenu compte de ce qui m’était défendu, grâce à une inspiration divine. Derechef, je me suis investi dans mon office antérieur pendant plusieurs mois de suite, jusqu’à l’année de l’attente [1335]. De ce fait, mon infirmité permanente m’a obligé

Voir V 6. C’est-à-dire Gênes: voir V 34, note 36. 3 Parascève ou Préparation: veille du sabbat dans la religion juive, au cours de laquelle on devait tout préparer pour la fête (voir Mt 27, 62; Mc 15, 42; Lc 23, 54; Jn 19, 14, 31 et 42). Pour Opicinus, il s’agit donc du Vendredi saint. 4 Mc 15, 25. 5 Voir GUY ROUX, Opicinus, prêtre, pape…, pp. 38-39. 1 2

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228

FOL.

DE

LOCIS ET TRANSLATIONE DOCTORVM

23v°

Corpus sancti Augustini translatum de Affrica in Sardiniam, transferendum in Lombardiam, iam prefigurebat post bella pacem Italie affuturam. Translatum de Sardinia Ianuam, si nunc fieret, reperiretur translatum ad Ianuam Affricanam, ac si esset in Affrica Ianuensi. Deinde translatum ad Casellas territorii Terdonensis, nunc reperiretur translatum in Sardiniam uel Corsicam Lombardie; inter quam Sardiniam et Corsicam Terdona partialis describitur. Deinde translatum de Casellis Sardinie uel Corsice in Papiam, nunc reperitur translatum Papiam uenalem (quasi Venetias Papienses), ac si aquila doctoralis et euangelicus leo simul quiescerent, sicut prope inuicem sunt Aquilegia aquile et Castella leonis. Si autem Papia conuertatur a partialitate ad pacem, tunc inuenietur in loco debito naturali, scilicet in umbilico non medio Lombardie sed uentris Europe. Et sicut leo et aquila animalia discretiua precedunt in preliis pacem, ita ad custodiam umbilici Mediolani et Papie, non multo distant ab inuicem leo Ambrosius et aquila Augustinus, ut post agitationes multiplices preliorum possideatur pacifice uenter noster. Ecce loca duorum doctorum; de aliis duobus doctoribus uideamus. Quamuis enim ualde distent ab inuicem ex longitudine temporum, omnium primus Ieronimus et nouissimus Gregorius sunt tamen similes homini et boui animalibus coniunctiuis, ut sinistra tibia Dalmatina transferetur ad tibiam dexteram Romanam. Nunc ambo doctores Rome quiescunt, quasi tibia Dalmatina coniuncta cum crure Romano; sicut ab initio Paulus apostolus predicans Euangelium ad Iherusalem per circuitum usque ad Illiricum (quasi sinistram tibiam), passione coniunctus cum Petro apostolo, presignauit coniunctionem mirabilem tibiarum (alias columpnarum), ut pes sinister Grece Boetie1 supponatur coniunctim pedi dextro Calabrie Latinorum et habeant ambo pedes eundem ducatum Apulie cum Athenis – ne ducatus Venetiarum per medium pedum iterum reuertatur ad pedes Egypti a quibus uerus Moyses nos abduxit.

1

On attendrait: Beotie. Opicinus fait un jeu de mots relatif à Boèce.

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229

à passer d’une œuvre servile à l’œuvre du Seigneur, si bien que je ne devais jamais me ménager, même les jours de fête. Et plus j’étais faible dans mon œuvre antérieure, plus je me sentais fort dans l’œuvre du Seigneur. Pendant l’année de l’attente, j’ai à nouveau travaillé à chacune de ces deux œuvres, mais seulement en partie pour la première. Et l’année de la récompense [1336], j’ai peu à peu délaissé mon office initial, jusqu’à y renoncer complètement. A présent, en l’année du renouvellement [1337], que je le veuille ou non, je m’estime délivré des travaux de la servitude et entièrement confié aux travaux du Seigneur. Fait le 12 des calendes de septembre [21 août 1337]. LES

LIEUX DE TRANSLATION DES DOCTEURS1

Le corps de saint Augustin, transféré d’Afrique en Sardaigne et devant être transféré en Lombardie, préfigurait dès lors la paix qui doit se faire en Lombardie après les guerres. S’il arrivait maintenant qu’il soit transféré de Sardaigne à Gênes, il se trouverait transféré dans la Gênes africaine, pour ainsi dire dans l’Afrique génoise. Si ensuite il était transféré à Casale2, dans la région de Tortona, il se trouverait aujourd’hui transféré dans la Sardaigne ou la Corse de Lombardie; et entre cette Corse et cette Sardaigne, la Tortona des partis est indiquée3. Transféré ensuite de Casale de Sardaigne ou de Corse à Pavie, on le trouve aujourd’hui transféré dans la Pavie vénale (pour ainsi dire la Venise de Pavie), comme si l’aigle doctoral et le lion évangélique se reposaient ensemble (de même que l’on trouve l’Aquilée de l’aigle et les Châteaux [de Venise] du lion à peu de distance l’une des autres). Mais si Pavie passe des factions à la paix, dans ce cas, on le trouvera dans l’emplacement naturel qui convient, à savoir dans l’ombilic, au milieu non pas de la Lombardie mais du ventre de l’Europe. Et de même que le lion et l’aigle, animaux dotés de discernement, vont au devant de la paix dans les combats, de même, pour garder l’ombilic de Milan et de Pavie, le lion Ambroise et l’aigle Augustin4 ne sont pas très éloignés l’un de l’autre, afin qu’après l’intense effervescence des combats, l’occupation de notre ventre soit paisible. Voici où se trouvent ces deux docteurs; voyons ce qu’il en est des deux autres. En effet, quoiqu’ils soient très éloignés l’un de l’autre dans le temps, Jérôme, le premier de tous, et Grégoire, le tout dernier, sont cependant les homologues de l’homme et du bœuf, animaux qui unissent, si bien que la jambe gauche de Dalmatie est transférée à la jambe droite de Rome. Aujourd’hui, ces deux docteurs reposent à Rome, comme si la jambe de Dalmatie ne faisait qu’un avec la jambe de Rome; pareillement, dès le début, l’apôtre Paul prêchant l’Évangile à Jérusalem, grâce à un détour jusqu’en Illyrie5 (pour ainsi dire la jambe gauche), uni à l’apôtre Pierre

1 Augustin est enterré à Pavie (église Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or), Ambroise à Milan (basilique Saint-Ambroise), Jérôme à Rome (basilique Sainte-Marie-Majeure) et Grégoire à Rome (basilique Saint-Pierre). 2 Casale: bourgade au nord-ouest de Tortona. 3 Voir V 34. Opicinus élucubre à partir des superpositions de cartes. 4 L’aigle et Augustin représentent deux des identifications préférées d’Opicinus. 5 D’après une ancienne tradition, saint Paul serait allé jusqu’en Illyrie.

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230

DE

FOL.

23v°

GRATIA ET LIBERO ARBITRIO

Quicumque maiorem diligentiam adhibuerit ad obsequium populi christiani maiorem gratiam inueniet in oculis Domini Dei nostri. Et ideo nemo ualet murmurare aduersus aliquem proximum suum dicendo: « Quare hic habet maiorem gratiam a Domino quam ego? ». Gratia preueniens uoluntatem facit uoluntatem magis accendi ad agenda placita Domino; et cooperatur gratia uoluntati, ut gratia amplior augeatur. In omnibus misericordia semper preuenit uoluntatem que faciens hominem uelle, si fuerit in actu uolendi uel si nondum habuerit actum uolendi (sicut est infans baptizatus). Ipsa misericordia dans ei habitum bone uoluntatis uere dicitur gratia gratis data, que sola saluat hominem nondum potentem uelle. Applicans autem se gratie Dei humana uoluntas que est propositum bene agendi, dicitur bona uoluntas, in qua et cui gratia cooperans dicitur gratia gratum faciens. 1

Differentia inter animam et animam Anima mea (id est anima personalis) nunquam potest saluari; anima nostra (id est anima populi christiani), etiam si nemo christianus opere appareret, nunquam potest dampnari. Anima nostra bene fundata uere potest dici: « Anima mea – non personalis, absit – sed anima mei qui sum uniuersalis populus christianus ». Actum in octaua Assumptionis sancte Marie Virginis. Discretio personalis ab uniuerso Si dixero de aliqua persona: « Iste est dominus meus », tunc relatiue intelligor seruus eius uendens libertatem meam persone mortali. Si uero intellexero speculariter illum dominum uniuersum populum christianum, tunc non mentior me sciens seruum populi christiani qui uere potest uocari « Nobiscum Deum » secundum hebraicam interpretationem. « Qui habet aures audiendi audiat ». Actum die predicta.

1

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231

par la passion1, a indiqué d’avance l’union admirable des jambes (autrement dit des colonnes), pour que le pied gauche de la Boétie [de Boèce] de Grèce soit étroitement rapproché du pied droit de la Calabre des Latins, et qu’ils aient tous deux comme pieds le même duché d’Apulie2 avec Athènes – ceci pour éviter que le duché de Venise3 ne retourne à nouveau, en passant entre les pieds, vers les pieds de l’Égypte dont le vrai Moïse nous a détournés. LA

GRÂCE ET LE LIBRE ARBITRE4

Quiconque aura apporté plus de soin à faire la volonté du peuple chrétien, obtiendra davantage grâce aux yeux du Seigneur notre Dieu. Et c’est pourquoi personne n’est en mesure de murmurer contre un de ses proches en disant: « Pourquoi celui-ci reçoit-t-il plus de faveurs du Seigneur que moi? ». La grâce, en précédant la volonté, permet à la volonté d’être plus ardente à faire ce qui plaît à Dieu; et la grâce collabore avec la volonté, si bien que la grâce est décuplée. En toutes choses, la miséricorde ne cesse de précéder la volonté: elle permet à l’homme d’utiliser sa volonté, qu’il agisse sous l’effet de sa volonté ou qu’il ne dispose pas encore de l’exercice de sa volonté (comme c’est le cas pour le petit enfant baptisé). La miséricorde elle-même, en lui donnant l’aptitude à la bonne volonté, est réellement qualifiée de grâce donnée gratuitement: elle seule sauve l’homme qui ne peut pas encore utiliser sa volonté. Et en se consacrant à la grâce de Dieu, la volonté humaine qui est une intention de bien agir est qualifiée de bonne volonté; au sein de celle-ci, la grâce qui collabore avec elle est qualifiée de grâce qui rend grâce. Il y a âme et âme5 Mon âme (c’est-à-dire mon âme personnelle) ne peut jamais être sauvée; notre âme (c’est-à-dire l’âme du peuple chrétien), même si personne ne donne l’impression d’être chrétien par ses œuvres, ne peut jamais être damnée. Notre âme fermement établie peut réellement dire: « Mon âme – non pas celle qui m’est personnelle, il s’en faut – mais celle qui m’appartient, à moi qui suis le peuple chrétien universel ». Fait dans l’octave de l’Assomption de la sainte Vierge Marie. Distinction entre l’individu et l’universalité Si je dis de quelqu’un: « Il s’agit de mon maître », on dit alors de moi que je me prends pour son serviteur et que je vends ma liberté à une personne mortelle. En revanche, si je comprends clairement que ce maître est le peuple chrétien universel, alors je n’altère pas la vérité en me considérant comme le serviteur du 1 Allusion au martyre de Pierre et de Paul, qui les rapproche du Christ souffrant sa Passion, ce qui permet à Opicinus une identification globale. 2 Ou Pouille. 3 Venise était gouvernée par un doge (dux). 4 Titre d’un ouvrage de saint Augustin et d’un livre de saint Bernard. Le difficile conflit entre la grâce divine et la libre volonté humaine a traversé tout le Moyen Âge. Voir l’additum du fol. 50v°. 5 Voir fol. 10.

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232

FOL.

23v°-24

Ratio adorandi ad orientem gentiliter et ad occidentem iudaice Spiritualis iudeus adorat ad occidentem; id est rector ecclesie excolit plebem suam quasi seruus dominam suam, non quasi tyrannus opprimens familiam suam similitudine maris, sed quasi uir se faciens seruum uxoris sue ut domine; que plebs sancta habet in se Christum infantem secundum mensuram fidei plus et minus. Et ideo spiritualis iudeus adorat ab Asia in Europam (id est in suo regimine plebem suam), non ut uniuersitatem carnalem sed Ecclesiam uirginem matrem Dei per fidem. Versa uice gens fidelis adorat ad orientem; id est plebs reueretur uultum Ecclesie non persone. Persona rectoris representat ex se perfectum populum christianum habentem in se Christum perfectum; et ideo in eleuatione corporis et sanguinis Domini uertit tergum suum ad plebem, ut plebs adoret Christum [VII]1 non personam mortalem. Additum anno perfectionis, XI kalendas iunii. Iudei Auinionenses infideles adorant ad orientem in signum eorum conuersionis future. [fol. 24] COLLATIO

ELEMENTORVM ET

IIII

ANIMALIVM CVM PROPRIETATIBVS

HOMINIS

Vir (id est homo) caput (id est principium infantie); ima leo (id est finem quasi pedes Ascensionis); neutrum (id est nec principium neque finem) dea (id est aquila quasi Deus); bos dat utrumque (id est principium infantie et finem Ascensionis). Sicut non potest esse resurrectio nisi a mortuis, ita nec ascensio nisi ab imis. Spiritus (id est homo spiritualis) en carnem (id est hominem animalem) discernit (id est a se diuidit), mors (id est homo mortalis) rationem (id est hominem rationalem). Ignis (id est homo spiritualis) aquam (id est hominem animalem) mutat (id est conuertit); terram (id est hominem mortalem) circunfluit (id est circumscribit) aer (id est homo rationalis). Sicut terra de aqua quasi creatur et aqua de terra producitur, ita mortale de sensibili etiam uegetabili nascitur et uegetabile de mortali producitur; et sicut aqua in aerem uertitur et aer in ignem, ita homo animalis in hominem rationalem conuertitur et homo rationalis in hominem spiritualem perficitur.

1

Le numéro du cahier est inséré dans l’additum.

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233

peuple chrétien qui peut vraiment être appelé « Dieu avec nous »1 (selon la traduction de l’hébreu). « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende! ». Fait le jour indiqué plus haut. Pourquoi on se prosterne en direction de l’est chez les laïcs et de l’ouest chez les juifs Le juif spirituel se prosterne en direction de l’ouest; ce qui veut dire que le curé d’église respecte son peuple comme un serviteur sa maîtresse, non comme un tyran qui accable son entourage à la manière de la mer, mais comme un mari se faisant le serviteur de sa femme considérée comme sa maîtresse; et le Christ petit enfant se trouve toujours dans ce saint peuple (plus ou moins, en proportion de la foi). Et c’est pourquoi le juif spirituel se prosterne depuis l’Asie en direction de l’Europe (c’est-àdire de son peuple qu’il gouverne), considérée non pas comme une communauté charnelle mais comme l’Église vierge, mère de Dieu grâce à la foi. Inversement, le peuple fidèle se prosterne en direction de l’est; ce qui veut dire que les ouailles vénèrent le visage de l’Église et non la personne. La personne du curé représente par elle-même le peuple chrétien parfait en qui se trouve le Christ parfait; et c’est pourquoi, lors de l’élévation du corps et du sang du Seigneur, il tourne le dos au peuple, si bien que le peuple adore le Christ [VII] et non la personne mortelle. Ajouté l’année de la perfection, le 11 des calendes de juin [22 mai 1338]. Les juifs infidèles d’Avignon se prosternent en direction de l’est pour indiquer leur conversion à venir. [fol. 24] CORRESPONDANCES

ENTRE LES ÉLÉMENTS ET LES

4

ANIMAUX, D’UNE PART, LES

CARACTÉRISTIQUES PROPRES À L’HOMME, D’AUTRE PART

L’homme (c’est-à-dire l’espèce humaine) indique la tête (c’est-à-dire le début de la petite enfance2); le lion indique les extrémités inférieures (c’est-à-dire la fin, pour ainsi dire les pieds de l’Ascension)3; la déesse (c’est-à-dire l’aigle, quasiment Dieu) n’indique ni l’un ni l’autre (c’est-à-dire ni le début ni la fin)4; le bœuf indique l’un et l’autre (c’est-à-dire le début de la petite enfance5 et la fin de l’Ascension6). De même qu’il ne peut y avoir de résurrection si ce n’est d’entre les morts7, de même il ne peut y avoir d’ascension si ce n’est à partir des extrémités inférieures. Voici que l’esprit (c’est-à-dire l’homme spirituel) retranche (c’est-à-dire sépare de lui) la chair (c’est-à-dire l’homme animal), et la mort (c’est-à-dire l’homme mortel) l’intelligence (c’est-à-dire l’homme raisonnable)8. C’est-à-dire Emmanuel: voir Mt 1, 23 et Is 7, 14. Voir V 27, note 46. Voir Mt 1 et 2. 3 Voir Mc 16, 19. 4 En effet, l’évangéliste Jean ne mentionne ni l’enfance de Jésus, ni son Ascension. 5 Voir Lc 1 et 2. 6 Voir Lc 24, 51. 7 Expression que l’on trouve dans les évangiles et surtout dans les lettres de saint Paul. 8 La distinction entre homo animalis et homo spiritualis date de saint Paul (1 Co 2, 1415). Elle est reprise et développée au Moyen Age: par exemple, pour Guillaume de SaintThierry dans sa Lettre d’Or, l’état animal est propre aux commençants, l’état raisonnable aux progressants, l’état spirituel aux parfaits. 1 2

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234

FOL.

ASSIMILATIO EVROPE

24

COMPLEXIONI HVMANI CORPORIS

Sicut pectus humanum habet hanelitum continuum per pulmonem, ita Prouincia pectoralis uentis assiduis uel fere continuis agitatur; et sicut uenter humanus motu, sonitu et rugitu turbatur, ita Lombardia uentralis coruscationibus, fulminibus, tonitruis, grandinibus et tempestatibus, fere qualibet estate concutitur. Et quemadmodum uenter sepe tremescit ad tactum, ita semel uel pluries Papia uentralis per terre motum contremuit noctu, me dormiente tempore pueritie mee, sicut post euigilationem audiui ab aliis. Conferatur ergo in omnibus Europa cum complexione humani corporis et per sapientes ista spiritualiter exponantur.

DE

VIRTVTE DISCRETIONIS IN OMNIBVS

Virtus discretionis est mater omnium uirtutum, quam plerique medullitus ignorantes possidere securius arbitrantur. Discretio omnium cogitationum, locutionum et actuum, si uera noscatur et continue habeatur, ceteras uirtutes conseruat. Visio pulchritudinis mundi, sicut humanitus decoratur ex fabricis meniorum, uanitate decipitur. Et uisio turpitudinis mundi, sicut naturaliter factus est ex dispositione terre et maris, ueritate docetur. Pulchritudo artificialis ignorantes testimonium rei fallit sub specie rei. Eadem pulchritudo artificialis cognoscentes testimonium rei ducit ad rem. Deus enim sanctificat pulchritudinem meniorum et artium, ut infirmi ascendentes per pulchritudinem artificialem ad pulchritudinem naturalem querere sciant artificem omnium Deum. Concupiscentia autem hominis deturpat et inficit pulchritudinem artificialem, ut ambitiosi et cupidi figentes pedem in ea semper desiderent illum decorem augere, ne procedant ulterius. Est enim in eis ymago perpetua quam etiam arbitrantur se adepturos post uitam presentem. Sed turpitudo ymaginis mundi quanto plus consideratur ab intelligentibus, tanto maior naturalis pulchritudo pensatur. Consideratio huiusmodi tur1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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235

Le feu (c’est-à-dire l’homme spirituel) change (c’est-à-dire transforme) l’eau (c’est-à-dire l’homme animal); l’air (c’est-à-dire l’homme raisonnable) cerne (c’està-dire entoure) la terre (c’est-à-dire l’homme mortel). De même que la terre est pour ainsi dire créée à partir de l’eau et que l’eau sort de la terre, de même ce qui est mortel vient de ce qui est tangible1, y compris de ce qui est vivant, et ce qui est vivant sort de ce qui est mortel; et de même que l’eau se change en air et l’air en feu, de même l’homme animal devient un homme raisonnable et l’homme raisonnable trouve sa perfection dans l’homme spirituel. RESSEMBLANCE

ENTRE L’EUROPE ET LA CONSTITUTION DU CORPS HUMAIN

De même que la poitrine de l’homme respire en permanence grâce aux poumons, de même la Provence de la poitrine est battue par des vents soutenus ou presque incessants2; et de même que le ventre de l’homme est troublé par des remous, des bruits et des grondements, de même la Lombardie du ventre connaît presque chaque été les turbulences liées aux éclairs, à la foudre, aux coups de tonnerre, à la grêle et aux orages. Et de même que le ventre se met souvent à trembler quand on le touche, de même il est arrivé une ou plusieurs fois que la Pavie du ventre commence à vibrer la nuit sous l’effet d’un tremblement de terre, alors que j’étais enfant et dormais, ainsi que je l’ai entendu dire par d’autres à mon réveil. Par conséquent, l’Europe doit être comparée en tout à la constitution du corps humain, et les sages doivent expliquer cela sur le plan spirituel. LA

VERTU DE DISCERNEMENT EN TOUTES CHOSES3

La vertu de discernement est la mère de toutes les vertus, elle que la plupart des gens qui sont totalement ignorants estiment trop sereinement détenir. Le discernement appliqué à toutes les pensées, les paroles et les actions, si on en a réellement la capacité et qu’il est exercé en permanence, entretient les autres vertus. Considérer que le monde est beau, en raison des palais que l’homme y construit pour l’agrémenter, correspond à une futilité trompeuse. Et considérer que le monde est immoral, en raison de la géographie naturelle des terres et des mers, fait connaître la vérité. La beauté créée par l’art trompe ceux qui méconnaissent le témoignage de la vérité qui n’en prend que l’aspect. La même beauté créée par l’art conduit à la vérité ceux qui savent qu’elle en est un témoignage. En effet, Dieu sanctifie la beauté des palais et des œuvres d’art, afin que les faibles, en allant vers la beauté naturelle à l’aide de la beauté créée par l’art, sachent chercher Dieu, l’artisan de toutes choses. Mais la convoitise humaine défigure et souille la beauté créée par l’art, si bien que les hommes intrigants et avides, en y prenant racine, désirent toujours accroître cette richesse et ne vont pas plus loin. En effet, il y a en eux une image permanente, qu’ils pensent même acquérir après

1 2 3

Voir V 17. Voir l’additum du fol. 19. L’ensemble du paragraphe est construit sur des oppositions manichéennes.

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236

FOL.

24-24v°

pitudinis est nobis delectabilis pulchritudo: ista pulchritudo turpissima iudicatur a nobis turpitudo pulcherrima, ut fugiente a nobis omni concupiscentia eius maius desiderium accendatur ad inquirendum artificem. Ecce consideratio discretiua. Similiter iudicium discretiuum. Aliud sum « ego » et aliud sumus « nos »: « ego » nichil sum et « nos » aliquid sumus. Anima « mea » odio habeatur et anima « nostra » pre ceteris diligatur. Aliud est persona et aliud est uniuersitas: uniuersitas, inquam, rationalis et spiritualis, non carnalis nec animalis. Persona mortalis non potest esse nisi seruilis; uniuersitas autem sancta et incorruptibilis non potest esse nisi dominans post uerum Deum. Sancta uniuersitas reducta per gratiam in unam ymaginem specularem potest uti numero singulari hoc modo: « Ego disposita ab eterno potentialiter ante secula, nunc actualiter reuelata et domina mundi facta, precipio tibi, o persona mortalis, ut facias hoc. Ego domus Domini et uiuificum templum Dei, diligo animam meam unitam cum Deo per fidem formatam et odio habeo iniquitatem. Tu autem, uniuersitas carnalis, mea aduersatrix, prostibulum Sathane, odio habes animam tuam futuram si uoluisses ex pluribus unam, et diligis iniquitatem propter affectionem anime personalis. Sicut enim dilectio anime uniuersitatis odio habet iniquitatem proprie uoluntatis, ita per contrarium amor anime proprie, que est iniquitas maxima, odio habet animam uniuersitatis. Ego Iherusalem dilecta a Domino, ciuitas sancta, iudico te Babilonem habentem sedem diaboli ». Adhibeatur discretio in loquendo. Aliud est gens sancta (id est fidelis laicalitas iam perfecta cum clero) et aliud est gens ydolatra (id est uniuersitas carnalis ex clero et populo semper diligens et adorans ydola pectoris sui, scilicet quicquid affectualiter ymaginatur radicitus). Aliud est loqui de regno celorum patrie future, quod debemus simpliciter credere nec curiosius inquirere, et aliud est tractare [fol. 24v°] regnum celorum presentis Ecclesie, quod possumus et tenemur per euidentes rationes ostendere et illud semper augere. Aliud est nobilitas mundi et aliud est nobilitas christiana. Nomen proprium cuiuscumque persone potest applicari ad corruptibile genus mundi (tunc illud nomen surreptitium reatu furti conuincitur) uel potest iuste conseruari ad nobile christianum (tunc iusta eius proprietas possidetur). Verbi causa. Si dixero cum intentione: « Ego, Opicinus uel Opizo, sum de tali genere », tunc pronomen « ego » (ab ega, quod est capra) natum sub signo Capricornii, cuius caput gens Longobarda cum longa barba more caprarum excoluit, aufert a domino suo nomen christianum quod Dominus seruo fideli tradiderat in baptismo. « Ego » pronomen natum est sub tempore, in die malitie maledicte, de corruptibili genere mundi. Opicinus autem regeneratus est hodie de incorruptibili genere Christi et Ecclesie, sub quo subiectus est ille perfidus et nequam seruus dictus « ego ». Tunc Dominus noster abstulit ab illo pronomen « ego » et tradidit seruo fideli, qui est ab interioribus filius eius per adoptionem et ab exterioribus seruus eius fidelis. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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la vie présente. Mais les hommes intelligents observent d’autant plus la laideur de l’image du monde qu’ils apprécient la beauté naturelle. Observer cette laideur est pour nous un plaisir agréable: nous prenons cette beauté très laide pour une laideur très belle, si bien que, débarrassés de toute convoitise à son sujet, nous sommes animés par un plus grand désir d’en chercher l’artisan. Voici une observation faisant preuve de discernement. Voici un autre jugement faisant preuve de discernement: je suis « moi » est une chose, nous sommes « nous » en est une autre. « Moi », je ne suis rien, et « nous », nous avons de la valeur. « Mon » âme doit être détestée, et « notre » âme doit être aimée plus que tout. La personne est une chose, la communauté en est une autre: la communauté, oui, raisonnable et spirituelle, et non charnelle ou animale. La personne mortelle ne peut être qu’esclave; et la communauté sainte et incorruptible ne peut qu’être la maîtresse après le vrai Dieu. La sainte communauté ramenée par la grâce à une seule image visible peut utiliser le nombre singulier de cette manière: « Moi qui ai été mise en place depuis toujours, virtuellement avant les siècles, aujourd’hui réellement manifestée et devenue la maîtresse du monde, je te fais, ô personne mortelle, les recommandations suivantes. Moi, la maison du Seigneur et le temple vivifiant de Dieu, j’aime mon âme unie à Dieu grâce à la foi qui a pris forme, et je déteste l’iniquité. Toi, en revanche, communauté charnelle, mon adversaire, la courtisane de Satan, tu détestes ton âme à venir – pour le cas où tu aurais voulu qu’elle soit une à partir de plusieurs – et tu aimes l’iniquité parce que tu t’attaches à l’âme personnelle. En effet, de même que l’amour pour l’âme de la communauté déteste l’iniquité de la volonté personnelle, de même, à l’opposé, l’amour pour l’âme personnelle, qui est l’iniquité extrême, déteste l’âme de la communauté. Moi, Jérusalem, aimée du Seigneur, la cité sainte, j’estime que toi, Babylone, tu abrites le siège du diable ». Appliquons le discernement aux paroles. La nation sainte (c’est-à-dire la communauté des laïcs fidèles, désormais parfaite avec le clergé) est une chose, et la nation idolâtre (c’est-à-dire la communauté charnelle issue du clergé et du peuple, qui ne cesse d’aimer et d’adorer les idoles de son cœur, à savoir tous les fantasmes profonds relatifs à ses attachements) en est une autre. Parler du royaume des cieux de la patrie à venir, que nous avons à croire simplement et non à rechercher avec trop de curiosité, est une chose; traiter [fol. 24v°] du royaume des cieux de l’Église actuelle, que nous pouvons et devons présenter avec des explications claires et ne cesser de faire grandir, en est une autre. La noblesse du monde est une chose et la noblesse chrétienne en est une autre. Le nom marquant l’individualité de chaque personne peut être attribué à la lignée du monde corruptible (ce nom secret est alors confondu par l’accusation de vol1), ou bien il peut être légitimement réservé au chrétien incomparable (dans ce cas, en détenir la propriété est légitime). A cause du Verbe. Si je dis délibérément: « Moi, Opicinus ou Opizo2, j’appartiens à telle lignée », dans ce cas, le pronom « moi » (« ego » vient de « ega », c’est-à-dire la chèvre)3, né sous le signe du Voir V 25, notes 10 et 23. Voir 1 P 4, 14-16. Pour Opizo, voir aussi fol. 32; V 14, note 3; et fol. 80. 3 La chèvre se dit capra en latin et ai z^ , aégo" en grec. Un peu plus loin (fol. 25), Opicinus assimile ega et « la barbe du diable ». 1 2

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238

FOL.

24v°

Accepto itaque pronomine « ego » ab illo per Dominum qui seruo suo fideli nomen imposuit Opicini, licite possum dicere: « Ego, Opicinus, sum seruus fidelis totius Ecclesie que me genuit in baptismo. Vniuersitas sacerdotalis est misticus pater meus et Ecclesia uniuersalis est mater mea, qui ambo parentes in uno corpore per uirtutem ueri Dei habitantis in eis me genuerunt ad uitam. In qua autem ecclesia materiali et per quam personam mortalem baptizatus sim, non est curandum quasi de genitalibus illorum parentum meorum. Ad me pertinet ubique laudare nobilitatem uniuersalis Ecclesie matris mee, cuius genitalia non sunt multum laudanda nec etiam uituperanda. Maledicatur ergo perfidus seruus meus, nisi totaliter seruiat mihi, et maledicatur cum eo tota sua corruptibilis parentela ». Si dixero: « Ego, Opicinus, ad uos », tunc intelligitur seruus ad dominum; si uero dixero: « Nos, Opicinus facimus istud opus », tunc intelligitur dominus per seruum suum facere istud. A die baptismi fui factus seruus huius domini potentialiter et actualiter in occulto. Promotus autem ad ordines sacros, assumo testimonium et significationem illius seruitutis in publico, quam susceperam in baptismo seruandam occulte. Ordo sacerdotalis est dominus meus, significans ex seipso nobile1 christianum cui publice seruio, sicut eidem seruit occulte quelibet fidelis persona in habitu laicali. Si dicatur: « Ego, Opicinus, presbiter » uel « Ego, Iohannes, episcopus » uel « Ego, B(b)enedictus, papa », tunc intelligitur seruus loqui quem reuerendum facit ordo uel dignitas domini sui. Si uero dicatur: « Nos, B(b)enedictus, papa », tunc intelligitur dominus qui est papa loqui per seruum suum qui dicitur B(b)enedictus. Si autem dicatur: « Nos, presbiter uel episcopus siue papa », tunc intelligitur dominus loqui sine seruo. Persona commatris, quasi nomine materialis ecclesie baptismalis, significat commaternitatem uniuersalis Ecclesie, que est uera commater (id est simul mater cum matre carnali propter misericordiam infirmorum). Similiter persona compatris, quasi nomine sacerdotis baptiste mortalis, significat compaternitatem uniuersalis sacerdotii, qui est uerus compater (id est simul pater cum patre carnali propter misericordiam infirmorum). Cum autem infirmi fuerint perfecti, tunc qui reliquerit domum (id est corruptibile genus suum) et parentes, fratres, uxorem et filios carnales cum prediis suis propter regnum Dei, recipiet multo plura nunc in hoc tempore (scilicet predictas domos, parentes, fratres et cetera spiritualiter, cum persecutionibus carnis et sanguinis aduersus se « et in seculo uenturo uitam eternam »): Marci X et Luce XVIII). Ita tamen ut persona laicalis hiis carnalibus utatur quasi non utatur, non exigat debitum carnis sed reddat inuite; relinquat omnia predicta affectualiter non actualiter; tunc adimplebit legem Euangelii. Si autem fuerit persona

1

On attendrait: nobilem.

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239

Capricorne, dont le peuple lombard a orné la tête d’une longue barbe comme en portent les chèvres, enlève à son maître le nom de chrétien que le Seigneur avait confié à son serviteur fidèle lors du baptême. Le pronom « moi » est né à une époque donnée, un jour de malice maudite, issu de la lignée du monde corruptible. Mais Opicinus est aujourd’hui régénéré à partir de la lignée incorruptible du Christ et de l’Église, et ce serviteur perfide et mauvais appelé « moi » lui est assujetti. Dans ce cas, notre Seigneur lui a enlevé le pronom « moi » et l’a confié au serviteur fidèle, qui est son fils par adoption intérieurement et son serviteur fidèle extérieurement. C’est pourquoi, après avoir reçu le pronom « moi » de celui-là grâce au Seigneur qui a décerné à son serviteur fidèle le nom d’Opicinus, j’ai le droit de dire: « Moi, Opicinus, je suis le serviteur fidèle de l’Église tout entière qui m’a fait naître lors de mon baptême. La communauté sacerdotale est mon père mystique et l’Église universelle est ma mère; ces deux parents, réunis en un seul corps grâce à la puissance du Dieu qui habite en eux, m’ont fait naître à la vie. Quant au bâtiment d’église où j’ai été baptisé et à la personne mortelle qui m’a baptisé, il ne faut pas s’en préoccuper, comme s’il s’agissait de leurs organes génitaux, à eux qui sont mes parents. Il m’incombe de faire partout l’éloge de la noblesse de l’Église universelle, ma mère, dont les organes génitaux ne méritent pas plus d’éloges copieux que de critiques virulentes. Que mon serviteur perfide soit donc maudit, à moins qu’il ne se mette entièrement à mon service, et que toute sa parenté corruptible soit maudite avec lui ». Si je dis: « Moi, Opicinus, je m’adresse à vous », il s’agit du serviteur qui s’adresse à son maître; mais si je dis « Nous, Opicinus, nous réalisons cette œuvre », il s’agit du maître qui agit avec l’aide de son serviteur. Depuis le jour de mon baptême, je suis devenu en secret le serviteur de ce maître, sur le plan virtuel comme en réalité. Et ayant été élevé aux saints ordres, j’apporte le témoignage et je donne l’exemple publiquement de cette servitude que j’avais reçue à mon baptême secrètement. L’ordre sacerdotal est mon maître: il représente explicitement le chrétien exemplaire dont je suis le serviteur connu, de même que toute personne fidèle qui se comporte en laïc en est le serviteur secret. Si l’on dit « Moi, Opicinus, prêtre », ou « Moi, Jean, évêque », ou « Moi, Benoît / le béni, pape », il s’agit alors du serviteur qui parle, lui que le rang ou la fonction de son maître permet d’honorer. Mais si l’on dit: « Nous, Benoît / le béni, pape », on comprend alors que le maître, qui est le pape, parle à travers son serviteur qui s’appelle Benoît / le béni. Et si l’on dit: « Nous, prêtre ou évêque ou pape », alors on comprend que le maître parle sans son serviteur1. La personne de la mère associée, c’est-à-dire portant le nom du bâtiment d’église qui sert au baptême, indique la maternité associée de l’Église universelle, qui est la véritable mère associée (c’est-à-dire mère en même temps que la mère charnelle, en raison de la miséricorde pour les faibles). De même, la personne du père associé, c’est-à-dire portant le nom du prêtre mortel qui baptise, indique la paternité associée du sacerdoce universel, qui est le véritable père associé (c’est-

1 Le but de cette démonstration tortueuse est de montrer qu’Opicinus mérite la place du pape et qu’il est Dieu. Voir V 25.

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240

FOL.

24v°

ecclesiastica, relinquat illa etiam actualiter, ut habeat significationem et testimonium euidens perfectionis sue et illius laici iam perfecti. Siquis uero putauerit peruenisse ad perfectionem populi christiani et nondum oderit parentes suos, uxorem, filios, fratres et sorores carnales, adhuc etiam animam propriam personalem, non potest adnumerari in ordine perfectorum (Luce XV). Adhuc indiget commaternitate matris nostre spiritualis Ecclesie cum matre sua carnali (id est progenie mundi) propter misericordiam concessam infirmis super quibus preficitur Paulus apostolus (id est unusquique rector parrochie). Actum anno renouationis, VIIII° kalendas septembris, die sancti Bartholomei apostoli, tunc dominica XI post Pentecostes; et die sequenti, consumatum est. Aliquando consueuit Papie circa festum sancti Bartholomei uindemia inchoari in campania iuxta ciuitatem. Hoc autem significat tempus discretionis: id est carnis a spiritu uel carnalium a spiritualibus et econuerso spiritualium a carnalibus, quasi corticis uuarum a uino et quasi pellis hominis a carne, in similitudine pecudis excoriate; ad testimonium discretionis que est mater omnium uirtutum. Hodie, VIII° kalendas septembris, habetur testimonium sancti Ludouici, regis Francorum (id est liberorum), qui ab exterioribus in habitu laice seruitutis ad rem publicam conseruandam regali dominio, ab interioribus habebat ecclesiasticam libertatem cum perfectione cleri ad seruitutem diuinam, utens corruptibili regno quasi non utens. Hac die compulsus sum facere commemorationem alterius Ludouici, episcopi Tholosani, propinqui illius non tam carne quam eadem fidei perfectione, qui actualiter corruptibile regnum despiciens propter desiderium incorruptibilis regni superne Iherusalem contemplatiue, non relicto ministerio seruilis Sicilie laboriose actiue, significauit ex se utramque uitam illius regis laici Ludouici. Ecce ecclesiasticus Ludouicus euidens testimonium perhibet uite occulte alterius Ludouici. Et eadem est sanctitatis perfectio utriusque.

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à-dire père en même temps que le père charnel, en raison de la miséricorde pour les faibles). Or, lorsque les faibles seront parfaits, celui qui aura laissé sa maison (c’est-à-dire sa lignée corruptible) et ses parents, ses frères, sa femme et ses fils charnels, avec leurs biens respectifs, à cause du royaume de Dieu, recevra alors dès le temps présent bien davantage (c’est-à-dire les maisons, parents, frères etc. en question sur un plan spirituel, avec les persécutions de la chair et du sang contre eux « et, dans les temps à venir, la vie éternelle »): Marc 10 et Luc 181. De façon cependant que la personne laïque utilise ce qui est charnel comme si elle ne l’utilisait pas: elle ne doit pas réclamer le devoir charnel, mais elle doit le rendre contre son gré; elle doit renoncer sentimentalement et non concrètement à tout ce qui est indiqué plus haut; dans ce cas, elle accomplira la loi de l’Évangile. Et s’il s’agit d’une personne ecclésiastique, elle doit y renoncer même concrètement, afin de donner un exemple et d’apporter un témoignage patents de sa perfection et de celle de ce laïc qui est déjà parfait. En revanche, si quelqu’un pense être parvenu à la perfection du peuple chrétien et ne déteste pas encore ses parents, sa femme, ses fils, ses frères et ses sœurs charnels, et bien plus encore son âme individuelle et personnelle, il ne peut être ajouté au nombre de ceux qui ont le rang de parfaits (Luc 15)2. Il a encore besoin de la maternité associée de notre mère l’Église spirituelle avec sa mère charnelle (c’est-à-dire la lignée du monde), en raison de la miséricorde accordée aux faibles à la tête desquels se trouve l’apôtre Paul (c’est-à-dire chaque curé de paroisse). Fait l’année du renouvellement, le 9 des calendes de septembre, le jour [de la fête] de saint Barthélemy, apôtre, le 11e dimanche après la Pentecôte [dimanche 24 août 1337]; et achevé le jour suivant [25 août 1337]. Il arrivait couramment à Pavie que l’on commençât les vendanges dans les champs périurbains aux environs de la Saint-Barthélemy. Ce qui indique le moment pour détacher3: la chair de l’esprit, ou ce qui est charnel de ce qui est spirituel, et inversement ce qui est spirituel de ce qui est charnel, comme on détache les peaux de raisins de la pulpe et la peau de l’homme de sa chair (telle une bête que l’on écorche); pour témoigner du discernement qui est la mère de toutes les vertus. Aujourd’hui, le 8 des calendes de septembre [25 août 1337], nous disposons du témoignage de saint Louis4, roi des Francs (c’est-à-dire des hommes libres), qui, se comportant au-dehors en laïc astreint à la servitude pour maintenir les affaires publiques sous le pouvoir royal, détenait au-dedans la liberté propre aux ecclésiastiques ainsi que la perfection propre au clergé pour servir Dieu, se servant de la royauté corruptible comme s’il ne s’en servait pas. Ce jour-là, je dois sans faute rappeler le souvenir de l’autre Louis, évêque de Toulouse5, proche du premier non pas tant par la chair que par la même perfection dans la foi:

Voir Mc 10, 29-30 et Lc 18, 29-30. Voir la parabole du fils prodigue: Lc 15, 11-32. 3 Opicinus passe à un autre sens de discretio. 4 Saint Louis, roi de France (1226-1270) est fêté le 25 août. 5 Il s’agit de Louis de Toulouse (1274-1297), fils de Charles II d’Anjou (roi de Naples) et petit-neveu de saint Louis. Entré chez les Frères mineurs, il mourut six mois après avoir accepté contre son gré le siège épiscopal de Toulouse. Fêté le 19 août. 1 2

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242

FOL.

[fol. 25] DE

MARI

EGEO

VEL

25

GRECIE

Mare Egeum (ab « ega » quod est capra) est barba caprina, immo barba diaboli. Et ideo tempore Socratis philosophi cecidit lapis in similitudine capre in mare Egeum (id est in mare caprinum). Nunc fere omnes insule huius barbe, id est insule Cethim, per Turchos inuaduntur. DE

FVNDAMENTO ET EDIFICIO CHRISTIANITATIS SECVNDVM LOCA ET TEMPORA

Christianitas alicubi particularis indiget scientia fundamentali (scilicet apud fideles regenerandos in populum christianum); et ibi utendum est linguis fidelium catholicorum ad iaciendum fundamentum fidei nostre in illorum infidelium pectoribus tenebrosis. Christianitas alicubi similiter particularis indiget scientia speculari (scilicet apud plurimos Papienses conuertendos ab edificiis ydolorum supra catholicum fundamentum quod habent, ad edificium diuine ymaginis Ecclesie specularis supra fundamentum predictum); et ibi utendum est non amplius linguis fidelium sed opere sapientium. Christianitas autem uniuersalis, ubique dispersa localiter et in unum collecta per fidem et uinculum caritatis, paulatim creuit ab initio usque nunc per experientiam omnis boni et mali; que nunc deinceps non potest amplius crescere per experientiam supradictam. Experta est enim omne bonum diuine notitie secundum capacitatem humanam in hoc seculo; et experta est omne malum humane malitie genite per inuisibilem hostem antiquum quam christianitas passa est. Nunc potest ipsa per gratiam Dei reprobare malum et eligere bonum. Christianitas regeneranda ab infidelitate ad fidem aliquando habuit in pectore suo fundamentaliter Christum infantem uel puerum – licet enim Christus semper fuerit in se perfectus – ut populus ille rudis cresceret in Christo, non Christus in illo. Christus tamen dignatus est in pectore illius populi infantiam sumere, ut crescente populo ad fidem, Christus in illo crescere uideretur. Et ideo ad Affricam nomine illius populi rudis dictum est in Spiritu nomine Augustini: « Cresce, Affrica (id est aucta per spem) et manducabis me per apprehensionem quottidianam fidei mee iuxta mensuram capacitatis tue. Nec tu me mutabis in te sicut cibum carnis tue, id est sicut me ymaginaris carnaliter; sed tu mutaberis in me, www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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méprisant indiscutablement la royauté corruptible, car il désirait le royaume incorruptible de la Jérusalem d’en haut adonnée à la contemplation, sans abandonner le service de la Sicile esclave, travailleuse et active, il a donné de luimême l’exemple des deux formes de vie menées par ce roi laïc que fut Louis. Ainsi le Louis ecclésiastique fournit un témoignage patent de la vie cachée de l’autre Louis. Et l’on trouve la même perfection dans la sainteté chez l’un et chez l’autre1. [fol. 25] LA

MER

ÉGÉE

OU DE

GRÈCE

La mer Égée (de « ega » qui veut dire la chèvre2) est une barbe de chèvre, ou plutôt la barbe du diable3. Et c’est pourquoi, au temps du philosophe Socrate, une pierre ressemblant à une chèvre est tombée dans la mer Égée4 (c’est-à-dire dans la mer de la chèvre). Aujourd’hui, presque toutes les îles de cette barbe (c’est-à-dire les îles des Kittim5) sont envahies par les Turcs. LES

FONDATIONS ET L’ÉDIFICE DE LA CHRÉTIENTÉ SELON LES LIEUX ET LES ÉPOQUES

Tantôt la chrétienté individuelle a besoin de connaissances de base: c’est le cas pour les fidèles qui doivent être régénérés dans le peuple chrétien; et tantôt elle doit emprunter le langage des fidèles catholiques pour jeter les fondations de notre foi dans les cœurs en proie aux ténèbres de ces infidèles. Tantôt la chrétienté individuelle elle aussi a besoin de connaissances visibles: c’est le cas pour les très nombreux habitants de Pavie qui doivent quitter les idoles qu’ils ont édifiées sur les fondations authentiques qu’ils détiennent, pour se tourner vers l’édification de l’image divine de l’Église du miroir sur les fondations en question; et tantôt elle n’emprunte plus le langage des fidèles, mais les œuvres des sages. Or la chrétienté universelle, répandue géographiquement partout et réunie dans l’unité par la foi et le lien de la charité, a grandi peu à peu depuis les débuts jusqu’à aujourd’hui en faisant l’expérience complète du bien et du mal; et aujourd’hui, elle ne peut plus continuer à grandir en faisant l’expérience en question. En effet, elle a expérimenté tout le bien de la connaissance de Dieu en utilisant les possibilités humaines de ce temps; et elle a expérimenté tout le mal de la malice humaine engendrée par l’ennemi invisible ancien dont la chrétienté a été victime. Aujourd’hui, elle peut elle-même, grâce à Dieu, rejeter le mal et choisir le bien. La chrétienté qui doit être régénérée en abandonnant l’infidélité pour la foi, a parfois porté fondamentalement dans sa poitrine le Christ bébé ou enfant – même si, en effet, le Christ est toujours demeuré en elle dans sa perfection – afin que ce peuple mal dégrossi grandisse dans le Christ et non le Christ en lui. Cependant le Christ a trouvé bon de vivre sa petite enfance dans la poitrine de ce

Opicinus s’identifie aux deux Louis. Il s’agit d’Opicinus, né sous le signe du Capricorne. 3 Voir les dessins de la mer diabolique. 4 Allusion à la légende selon laquelle Egée, roi d’Athènes, croyant son fils Thésée dévoré par le Minotaure, se jeta dans la mer qui porte son nom. 5 Ancien nom de Chypre. 1 2

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FOL.

25

sicut ego sum spiritualis in corpore ». Pluries autem hec Affrica grauida Christo fuit per heresiarchas priuata fundamento fidei nostre. Hec omnia acta erga infideles fundamentaliter fuerunt in figura similium commissorum Papie speculariter, que super catholicum fundamentum aliquando ceperat edificare ymaginem specularis Ecclesie in pectore suo, presertim parrochia mea. Cum enim iam incepisset edificari in ymaginem populi christiani adhuc infantis uel pueri in pectore suo, pluries ex seductione alienigenarum destruxit ymaginem puerilem et in loco sui edificauit ymagines ydolorum supra tamen catholicum fundamentum. Non enim indiget per Dei gratiam noua impositione fundamenti sed tantummodo edificio speculari, postquam ydola illa fuerint destructa in pectore suo. Vnde beatus Ludouicus, rex Francorum, qui hodie transiuit a seculo, cum esset Cartagine, orauit pro populo dicens: « Esto, Domine, plebi tue sanctificator et custos ». Hoc autem fuit figura Cartaginis Papiensis cuius parrochia dicitur ecclesia Sancte Marie Capelle, ut ibi huius rei significatio impleatur. Ecce quod christianitas particularis apud infideles potest crescere scientia fundamentali in breui tempore, Domino faciente. Similiter christianitas particularis apud Papiam (que utrum sit particularis an uniuersalis Papia nescio, Deus scit) potest crescere scientia speculari in breui per gratiam Dei et meritum fundamenti. Christianitas autem uniuersalis nunquam potuit destrui sed paulatim crescere cepit presupposito fundamento et speculo, in omni experientia boni et mali, inter persecutiones, infestationes et tribulationes, per infantiam prime scientie ad uisibilia ydola gentium confundenda; per pueritiam aliquantulum ualidioris scientie ad omnes hereses destruendas; per adolescentiam et iuuentutem adhuc subtilioris scientie ad omnia carnalia uitia superanda; nunc in senectute et senio omnis scientie ad spiritus discernendos, ut sciatur omne spirituale iudicium. Scit enim discernere intentiones cordium per indicia operum. Quale ydolum habeat in se homo, talia opera facit: ymaginari illecebras carnis est fabricare supra fundamentum fidei ydola transitoria; ymaginari probitates seculi est formare ydolia permanentia; ponere autem spem et fiduciam personalem in omni scientia celestium, terrestrium et infernorum, et singulariter gloriari, est preparare sedem diaboli. Super hiis omnibus sola christianitas uniuersalis habet iudicium omnium spirituum immundorum expellendorum ab humanis pectoribus, ut destructis omnibus ydolis suis sedes Domini preparetur.

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peuple, afin que, le peuple grandissant dans la foi, le Christ donne l’impression de grandir en lui. Et c’est ce qui est dit dans l’Esprit, au nom d’Augustin, à l’Afrique qui désigne ce peuple mal dégrossi: « Grandis, Afrique (c’est-à-dire développe en toi l’espérance), et tu me mangeras en absorbant quotidiennement ma foi, dans la mesure de tes possibilités. Et ce n’est pas toi qui me transformeras en nourriture pour ta chair, ainsi que tu le crois charnellement; mais c’est toi qui deviendras moi, dans la mesure où c’est moi qui vis spirituellement dans ton corps ». Or, à plusieurs reprises, les hérésiarques ont privé cette Afrique remplie/enceinte du Christ des fondations de notre foi. Tout ce qui a été fait fondamentalement à l’égard des infidèles a préfiguré les mêmes entreprises réalisées ouvertement à Pavie, laquelle avait parfois commencé à établir l’image de l’Église du miroir dans son cœur sur les fondations authentiques, surtout dans ma paroisse. En effet, alors qu’elle avait déjà commencé à être édifiée en image du peuple chrétien encore bébé ou enfant dans son cœur, elle a à plusieurs reprises détruit l’image de l’enfant du fait des séductions étrangères et établi à sa place des images d’idoles, en gardant néanmoins les fondations authentiques. En effet, elle n’avait pas besoin, grâce à Dieu, de la mise en place de nouvelles fondations, mais seulement d’une construction visible, après que ces idoles aient été détruites dans son cœur. Voilà pourquoi le bienheureux Louis, roi de France, qui quitta le monde en ce jour, alors qu’il se trouvait à Carthage1, pria pour le peuple en disant: « Sois, Seigneur, le sanctificateur et le gardien de ton peuple ». Or il s’agissait d’une allusion à la Carthage de Pavie dont la paroisse est appelée l’église de Sainte-Marie-La-Chapelle2, afin que les implications de cette réalité y soient accomplies. C’est ainsi que les connaissances fondamentales peuvent rapidement faire grandir la chrétienté individuelle chez les infidèles, avec l’action du Seigneur. De même, les connaissances visibles peuvent rapidement faire grandir la chrétienté individuelle à Pavie (je ne sais s’il s’agit de la Pavie individuelle ou universelle, mais Dieu le sait), grâce à Dieu et aux qualités des fondations. Mais la chrétienté universelle n’a jamais pu être anéantie, mais elle commence peu à peu à grandir sur les fondations et l’image préétablies, en faisant l’expérience complète du bien et du mal, au milieu des persécutions, des attaques et des tourments: avec les connaissances élémentaires de la petite enfance, pour confondre les idoles visibles des païens; avec les connaissances un peu plus substantielles de l’enfance, pour détruire toutes les hérésies; avec les connaissances encore plus raffinées de l’adolescence et de la jeunesse, pour anéantir tous les vices charnels; et aujourd’hui, où la vieillesse et le grand âge détiennent l’ensemble des connaissances, pour discerner les esprits, afin de faire connaître le jugement spirituel tout entier. En effet, elle sait juger les sentiments des cœurs3 grâce aux signes fournis par les œuvres. Telle est l’idole que l’homme a en lui, telles sont les œuvres qu’il réalise:

Plus exactement devant Tunis (1270). Paroisse de Pavie citée dans le De laudibus, où Opicinus est nommé fin 1323 (voir P 20). Voir V 28, note 28; V 29, note 36; V 30, note 14. 3 Voir He 4, 12. 1 2

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246

FOL.

RATIONES

25v°

DE REGNO DOMINICO CORPORALI

Queratur si Christus in presenti Ecclesia regnet spiritualiter tantum an corporaliter. Si dicatur spiritualiter tantum regnare, tunc uana est fides nostra de Resurrectione dominica. « Dic ergo nobis, Domine Ihesu: qualiter regnas in nobis? ». Et Dominus ad nos: « Vbi enim sunt duo uel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio illorum ». Et iterum: « Et ecce ego uobiscum sum omnibus diebus usque ad consumationem seculi ». [fol. 25v°] « Declara nobis si corporaliter regnas in nobis ». Et Dominus ad nos: « Vbicumque fuerit corpus (id est corporaliter regnum Christi), illuc congregabuntur et aquile ». Si per aquilas intelliguntur anime, tunc distinguatur aut sunt ligate adhuc in carne aut carne exute. Anime autem exute supra corpus (id est supra humanitatem Christi) diuinitate fruuntur cum angelis. Ergo anime adhuc carni ligate congregantur spiritualiter in unicam sponsam Christi, que est unica anima presentis Ecclesie in amplexu corporis (id est humanitatis Christi). Si autem per aquilas intelliguntur angeli, tunc possumus dicere: « Angeli ascendunt ad fruitionem et ad assistentiam beatissime Trinitatis, et descendunt supra Filium hominis (id est ad ministerium presentis Ecclesie specularis, ubi regnat humanitas Christi in utraque tamen natura) ». Actum VIII kalendas septembris. 1

RATIONES

REGNI DOMINICI CORPORALIS

Si ergo Christus spiritualiter tantum regnat in nobis, ut heretici garriunt, et in patria corporaliter, tunc corpora nostra nullam spem resurrectionis habent nec edificium facere possunt. Quid enim facit spiritualis diuinitas sine corpore ad corpora nostra terrestria? Ergo dirupta est generatio corporalis Ihesu Christi ab hominibus et in uanum corpora baptizantur. Superius Christi non inferius humanitas cum diuinitate et inferius eius diuinitas sine humanitate, quod nefas est 2

1 2

Dessin d’une main dans la marge de gauche. Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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imaginer les attraits de la chair équivaut à bâtir des idoles éphémères sur les fondations de la foi; imaginer les vertus du monde équivaut à façonner des idoles permanentes; et mettre son espoir et sa confiance personnelle dans la connaissance complète des cieux, de la terre et des enfers, et se glorifier de manière exceptionnelle, équivaut à préparer le séjour du diable. Sur tout cela, la chrétienté universelle est seule à pouvoir juger tous les esprits impurs qu’il faut chasser du cœur des hommes, afin que, toutes les idoles étant anéanties, le séjour du Seigneur soit préparé. EXPLICATIONS

SUR LE RÈGNE CORPOREL DU

SEIGNEUR

Essayons de voir si le Christ règne dans l’Église actuelle seulement sur le plan spirituel ou bien sur le plan corporel. Si l’on dit que son règne est seulement spirituel, dans ce cas, notre foi en la Résurrection du Seigneur est vaine1. « Dis-nous donc, Seigneur Jésus: comment règnes-tu sur nous? ». Et le Seigneur nous répond: « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux »2. Et une seconde fois: « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde »3. [fol. 25v°] « Fais-nous voir si tu règnes corporellement sur nous ». Et le Seigneur nous répond: « Où que soit le corps (c’est-àdire le règne corporel du Christ), là se rassembleront les aigles »4. Si les aigles représentent les âmes, il faut alors faire la différence entre celles qui sont encore attachées dans la chair et celles qui sont libérées de la chair. Or les âmes qui sont libérées, se trouvant au-dessus du corps (c’est-à-dire au-dessus de l’humanité du Christ), jouissent de Dieu avec les anges. Par conséquent, les âmes encore attachées par la chair sont rassemblées spirituellement dans l’unique épouse du Christ, soit l’âme unique de l’Église actuelle que le corps (c’est-à-dire l’humanité du Christ) étreint. Mais si les aigles représentent les anges, nous pouvons alors dire: « Les anges montent pour goûter la très bienheureuse Trinité et se tenir près d’elle, et ils descendent au-dessus du Fils de l’homme5 (c’est-à-dire pour servir l’Église du miroir actuelle où règne l’humanité du Christ, mais avec ses deux natures) ». Fait le 8 des calendes de septembre [25 août 1337]. DÉMONSTRATION

DU RÈGNE CORPOREL DU

SEIGNEUR

Par conséquent, si le Christ règne seulement sur le plan spirituel en nous, comme les boniments des hérétiques le prétendent, et sur le plan corporel dans la patrie, nos corps n’ont alors aucune espérance de la résurrection et ne peuvent pas faire de construction. En effet, que fait une divinité spirituelle dépourvue de corps pour nos corps terrestres? C’est donc que la descendance corporelle de

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Voir 1 Co 15, 17. Mt 18, 20. Mt 28, 20. Mt 24, 28 et Lc 17, 37. Voir Jn 1, 51.

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248

FOL.

25v°

cogitare. Credamus itaque firmiter Christum corporaliter regnare in nobis in utraque natura, ut nos simus regnum ipsius spirituale et corporale. Si sumus tantum spirituale regnum eius, ubi est domus Domini corporaliter dedicata? Et si sumus tantum corporale regnum eius, ubi est spiritualis diuinitas domum istam sanctificans? Dicamus ergo cum omni fiducia: « Deus et homo in una persona spiritualiter et corporaliter regnat in nobis; idem Deus et homo regnat in patria futura ». Vt sciamus per fidem Christum in nobis ad uiaticum nostrum et Christum in patria quo transferendi nos sumus. Christus regnat in patria corporaliter, ut credamus anda esse ibidem corpora nostra cum corpore suo post resurrectionem nostram in carne; credamus et animas nostras esse beatificandas in gloria cum anima Christi post transitum nostrum a corruptibili carne. Beatificatio animarum sanctarum fit quottidie in transitu uniuscuiusque fidelis. Glorificatio corporum electorum fiet in die nouissima. Anime perfectorum exute a carne unite cum anima Christi per gratiam eleuantur ad fruitionem diuinitatis Verbi. Corporale principium regni Domini nostri in nobis fuit in beatissima Virgine Maria, ut realiter et corporaliter habuerit Deum in se; et eundem Deum similiter realiter et corporaliter presentem Ecclesiam habere in se significet nobis ex se Virgo Maria. Eadem res est in pectoris presentis Ecclesie que sub uisibilibus signis in altari conficitur; ita tamen ut fiat quottidie illud sacrificium propter infirmos (id est propter nequeuntes intelligere illam rem esse simul et semel et in patria sempiterna et in presenti Ecclesia). Et ideo, presupposita semper ibi desiderabili re, reliqua facta ibidem circa illud (scilicet separatio sanguinis a corpore et actus eleuationis primum corporis deinde sanguinis) significant dominicam Passionem, ut infirmi presentes agnoscant memoriter dominicam Passionem, quam ipse pro nobis semel assumpsit, quam nos imitari debemus, cuius fuerunt martires (id est testes in carne) qui nos predecesserunt. Nam martirium illorum in carne significant1 martirium nostrum in spiritu, id est testimonium passionis eorum in carne significant2 testimonium nostre passionis in spiritu, sicut penitentia corporalis quorumdam penitentum3 significat penitentiam nostram in spiritu, quam illi similiter habent in spiritu. Omnis actus apparens in corpore siue ad bonum siue ad malum significat occulta cuiuslibet animi, primum persone illa agentis, deinde cuiuslibet alterius sine actu; sicut insignia pontificalia significant sanctas uirtutes uniuersalis Ecclesie cum populo christiano, et crimina carnis cuiuslibet peccatoris in publico significant occulta peccata radicalia, primum

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On attendrait: significat. Idem. On attendrait: penitentium.

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Jésus-Christ a été abattue par les hommes et c’est en vain que leurs corps sont baptisés. Il est sacrilège de penser que l’humanité du Christ est en haut (et non en bas) avec sa divinité, et que sa divinité se trouve en bas sans son humanité. C’est pourquoi nous devons croire fermement que le Christ règne corporellement en nous avec ses deux natures, si bien que c’est nous qui sommes son règne spirituel et corporel. Si nous sommes seulement son règne spirituel, où est la demeure du Seigneur consacrée corporellement? Et si nous sommes seulement son règne corporel, où est la divinité spirituelle qui sanctifie cette demeure? Disons donc en toute confiance: « Dieu et homme en une seule personne, Il règne en nous à la fois sur le plan spirituel et sur le plan corporel; c’est encore Lui, Dieu et homme, qui règne dans la patrie à venir ». Ainsi nous savons par la foi que le Christ habite en nous pour être notre viatique et qu’il habite dans la patrie où nous devons passer. Le Christ règne corporellement dans la patrie, si bien que nous croyons que c’est là-même que nos corps doivent être glorifiés avec son corps après notre résurrection dans la chair, et que nous croyons également que nos âmes connaîtront la béatitude dans la gloire avec l’âme du Christ, lorsque nous aurons quitté la chair corruptible. Chaque jour, lorsqu’un fidèle meurt, c’est une âme sainte qui entre dans la béatitude. Quant à l’entrée dans la gloire des corps élus, elle arrivera le dernier jour. Les âmes des parfaits libérées de la chair et unies à l’âme du Christ sont élevées par la grâce à la jouissance de la divinité du Verbe. La source corporelle du règne de notre Seigneur en nous s’est trouvée chez la très sainte Vierge Marie1, si bien qu’elle a porté Dieu en elle de manière authentique et corporelle; et la Vierge Marie doit nous montrer d’elle-même que ce même Dieu porte en Lui l’Église actuelle de manière aussi authentique et corporelle. C’est la même réalité, établie dans la poitrine de l’Église actuelle, qui est célébrée à l’autel derrière les signes visibles; de façon cependant que ce sacrifice ait lieu chaque jour à cause des faibles (c’est-à-dire à cause de ceux qui ne sont pas capables de comprendre que cette réalité se trouve en même temps et une fois pour toutes dans la patrie éternelle et dans l’Église actuelle). Et c’est pourquoi, la réalité désirable étant toujours préétablie ici, les autres gestes accomplis à ce sujet au même endroit (à savoir la distinction entre le corps et le sang, et le geste d’élévation d’abord du corps, puis du sang) indiquent la Passion du Seigneur, si bien que les faibles d’aujourd’hui reconnaissent la Passion du Seigneur commémorée – celle qu’il a lui-même vécue pour nous une fois pour toutes, que nous devons imiter et dont nos prédécesseurs ont été les martyrs (c’est-à-dire les témoins incarnés). Car leur martyre physique indique notre martyre spirituel, c’est-à-dire que les marques physiques de leur passion2 indiquent les marques de notre passion spirituelle3, de même que la pénitence corporelle de certains pénitents indique notre pénitence spirituelle – et ceux-là l’éprouvent aussi spirituellement. Tout geste réalisé par le corps de manière visible, que ce soit pour le bien ou pour le mal, indique ce qui est caché dans n’importe quelle âme, d’abord de la personne qui réalise ce geste, puis de n’importe quelle autre qui 1 2 3

Voir fol. 21. Allusion aux stigmates du Christ. Opicinus assimile sa bouffée délirante à la Passion du Christ.

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250

FOL.

25v°-26

illius publici peccatoris, deinde cuiuslibet alterius apparentis sine peccato (id est ypocrite sub specie sanctitatis, cuius ypocrisis per apparens peccatum alterius iudicatur).

RATIONES

DE CLAVIBVS ET ECCLESIASTICIS SVFFRAGIIS ANIMARVM

Premissa semper in omnibus approbatione sancte matris Ecclesie ne in aliquo deuiem a catholicis sententiis eius, secundum opinionem meam affero quemlibet transeuntem a seculo adhuc infirmum ecclesiasticis suffragiis indigere, quibus non indiget homo perfectus. Est autem fidelis infirmus qui in omnibus obediens proprio sacerdoti cum uirtute caritatis aliqua affectione seculi implicatur. Et ideo omnes recommendationes anime in extremis et exequie funeris ac ecclesiastica suffragia mortuorum sunt instituta propter infirmos non propter perfectos, non ut infirmus preseruetur a purgatorio peccatorum et illesus transferatur sine aliqua pena ad gloriam perfectorum – quod esset contra diuinam iustitiam – sed ut misericorditer defendatur ab irreuocabilibus penis inferni et in purgatorio aduiuetur propter ineffabilem Dei misericordiam. Purgatorium autem [fol. 26] habet, ut loquar secundum hominem, et terribiles penas uicinas inferno et refrigerium lucis et pacis proximum paradiso. Pene posite sunt ad iustam emendationem cuiuslibet culpe et refrigerium preparatum est in suffragiis misericordis Ecclesie. Preualet enim munificentia clauium presentis Ecclesie ad maius refrigerium illis quibus eorum gratia facta est: qui dum uiuerent fuerunt parati ad omnem obedientiam sacerdotis, ne sub specie exemptionis sibi facte per summum pontificem contempserint obedientiam proprii sacerdotis. Tunc intollerabilis error clauium ex parte sumentium erit eis maius iudicium. Largitas enim huiusmodi clauium et suffragium sumentium operatur et ceteris obedientiam proprii sacerdotis significat, quemadmodum plenitudo remissionum et indulgentiarum digne sumentibus implet effectum significans ceteris uirtutem obedientie; alioquin per inobedientes nolentes intelligere eneruatur ecclesiastica disciplina. Verbi gratia. Summus pontifex – non persona papalis sed dignitas impeccabilis – large concedit mihi absolutionem plenam et indulgentias magnas uisitanti talia loca cum aliis, ut habeam inde inuisibilis rei effectum et ueram significationem ad alios. Si fuero inde uere perfectus, non pecco sed meritum habeo propter uirtutem obedientie quam inde melius disco. Si autem ex hiis priuilegiis magis superbiens, confidens me plus dilectum a Deo et eius uicario quam ceteri diligantur, faciens me absolui plenarie et 1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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ne fait rien; de même, les insignes pontificaux indiquent les saintes vertus de l’Église universelle unie au peuple chrétien; et les crimes de chair notoires de n’importe quel pécheur indiquent les péchés secrets enracinés, d’abord ceux de ce pécheur connu, puis ceux de tout autre qui semble dépourvu de péché (c’est-àdire de l’hypocrite qui prend le masque de la sainteté, et dont l’hypocrisie s’apprécie avec le soi-disant péché d’un autre). EXPLICATIONS

SUR LES CLEFS1 ET LES SUFFRAGES DE L’ÉGLISE POUR LES ÂMES

L’approbation de la sainte mère l’Église étant toujours annoncée d’avance en tout, afin que je ne m’écarte en rien de ses opinions orthodoxes, je soutiens qu’à mon avis, tous ceux qui quittent le monde encore faibles ont besoin des suffrages de l’Église, alors que le parfait n’en a pas besoin. Or il s’agit d’un fidèle faible qui, obéissant en tout à son curé avec la vertu de charité, est empêtré dans un certain attachement au monde. Et c’est pourquoi toutes les recommandations de l’âme à la dernière extrémité et les funérailles, ainsi que les suffrages de l’Église pour les morts, ont été mis sur pied à cause des faibles et non à cause des parfaits, non pas pour que le faible soit exempté du purgatoire des péchés et passe indemne à la gloire des parfaits sans aucun châtiment – ce qui serait contraire à la justice divine – mais pour qu’il soit protégé avec miséricorde contre les châtiments définitifs de l’enfer et qu’il continue à vivre au purgatoire à l’aide de la miséricorde ineffable de Dieu. Or le purgatoire [fol. 26] possède, pour parler comme l’homme [Matthieu], à la fois les châtiments effrayants comparables à ceux de l’enfer et le bonheur éternel donné par la lumière et la paix qui ressemble à celui du paradis. Les châtiments sont établis pour punir équitablement toute faute et le bonheur éternel est préparé dans les suffrages de l’Église miséricordieuse. En effet, la générosité des clefs de l’Église actuelle procure un plus grand bonheur éternel à ceux qui en ont reçu la grâce: ceux-ci, tant qu’ils étaient vivants, étaient disposés à obéir entièrement au prêtre, pour éviter que, sous le prétexte de l’exemption reçue du souverain pontife, ils ne méprisent l’obéissance à leur curé. C’est alors que les erreurs insupportables commises avec les clefs par ceux qui se les attribuent leur vaudra un jugement plus lourd. En effet, la libéralité de ces clefs et de ceux qui ont en charge un suffrage est efficace et indique aux autres l’obéissance à leur curé, de même que les remises de peines et indulgences plénières produisent leur plein effet chez ceux qui les reçoivent honnêtement, en indiquant aux autres la vertu de l’obéissance; sinon, l’enseignement de l’Église est amoindri par les désobéissants qui ne veulent pas comprendre. Grâce au Verbe. Le souverain pontife – je ne parle pas de la personne du pape, mais de la fonction impeccable2 – m’accorde avec largesse l’absolution plénière et de grandes

1 Le mot « clefs » présente deux acceptions possibles: 1) les deux clefs de saint Pierre, qui représentent l’autorité du pape sur l’Église et sur le monde ainsi que son pouvoir de gérer les bienfaits de la Résurrection; depuis le XIIIe siècle, elles ornent les bannières, les monnaies, les bâtiments et les armes du pape. 2) le ministère de la confession. 2 Voir fol. 21: la Vierge Marie impeccable.

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FOL.

26

uisitans loca indulgentiarum – quorum priuilegiorum gratiam multi obtinere non possunt – tunc factus sum in scandalum plurimorum: multi liuore tabescunt; quidam quoquomodo satagunt similia obtinere siue per fas siue per nefas; pars maxima ceterorum, derelictis propriis sacerdotibus, nulla obedientia obseruata, concurrunt cum fatua deuotione ad uisitanda loca indulgentiarum etiam longinquiora aut ad obtinendas plenas absolutiones omnium peccatorum in genere sine casu aliquo speciali; ex quibus et consimilibus nullus animarum fructus apparet sed magis subuersio. Hoc protestor in conspectu totius Ecclesie, quod illa priuilegia siue personalia siue localia per tempora retroacta operata sunt salutem fidelium animarum ut, nondum preualente tanta humana malitia quanta nunc regnat, sancta simplicitas hominum instrueretur ad omnes uirtutes presertim ad obedientiam; nunc regnante malitia ultra quam ualeat cogitari, quid ex priuilegiis illis proueniat per sanctam matrem nostram uniuersalem Ecclesiam iudicetur. Nunc prosequamur premissa. Abiecta omni affectione carnali, unusquisque sacerdos maxime constitutus in regimine animarum nullam maiorem pompositatem faciat in exequiis funeralibus alicuius persone amice uel propinque sue carnali quam minimi pauperis ex parrochia sua. Hoc dico ex parte presbiteri, licet amici carnales illius defuncti iniquissimo modo aliter faciant; nulla equitas fit ab eis. Pauper enim sine amicis carnalibus pauperrime sepelitur; diues autem cum multitudine populi pompose reconditur. Sacerdos autem perfectus sine acceptione persone, sine speciali mercede, ita faciat mentionem anime pauperis illius defuncti sicut anime illius diuitis, si tamen fuerit uere fidelis. Ita recommendet animam non attinentis sibi in carne sicut persone etiam carne sibi coniuncte. Et hoc fiat in suffragiis animarum. In presentia infirmorum presbiter potest celebrare pro animabus patris et matris sue, ut det exemplum infirmis obedientie, qui nondum potentes Euangelium assequi instruuntur moysaica lege (scilicet decalogi mandatorum a quibus liberi sunt uiri perfecti). Heu miser cum essem cecus et pauper, adhuc affectione carnali detentus, magis mouebar ad celebrandum pro anima illius quam pro anima alterius. Me mouebat ad hoc et corruptibilis merces et carnis affectio. Plus recordabar de anima persone mihi coniuncte quam de anima persone remote, magis de retributore mercedis quam de anima pauperis nullam dantis. Nunc tarde perpendens causam iniquitatis parrochie ex me procedentem, in conspectu totius Ecclesie ueniam supplex imploro. Recommendatio anime in extremis, quam nunquam feci Papie propter obstaculum interdicti, intelligatur hoc modo. Anima huius infirmi non tam carne quam uirtutibus a suppliciis liberetur (non intelligatur a suppliciis purgatorii sed inferni). Recipiatur per angelos et omnes sanctos et sanctas Dei (subaudi ad suffragia presentis Ecclesie) per orationes sanctorum conseruantium presentem Ecclesiam cum Christo, que potest www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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indulgences1 si je fréquente de tels lieux [de pèlerinage] et d’autres, afin que je montre l’efficacité de l’invisible et que je donne un véritable exemple aux autres. Il en découle que, si je suis réellement parfait, je ne pèche pas, mais je suis méritant, car je me perfectionne ainsi dans la vertu d’obéissance. En revanche, si je tire un orgueil accru de ces faveurs, si je crois que je suis aimé de Dieu et de son vicaire plus que les autres ne sont aimés, si je me fais donner l’absolution plénière et me rends dans les lieux des indulgences – alors que beaucoup ne peuvent pas obtenir la grâce que constituent ces faveurs – je deviens alors cause d’indignation pour la plupart des gens: beaucoup se consument d’envie; certains se démènent pour obtenir les mêmes avantages par tous les moyens, licites ou illicites; la plupart des autres, abandonnant leurs curés et ne respectant plus aucune obéissance, accourent tous avec une dévotion extravagante pour fréquenter les lieux où l’on obtient des indulgences, même s’ils sont assez éloignés, ou pour obtenir des absolutions plénières de tous leurs péchés en général, sans aucune occasion spéciale; ce qui provoque, avec d’autres faits semblables, l’absence de fruit visible dans les âmes, et au contraire un plus grand naufrage. Voici ce que j’affirme en présence de l’Église tout entière: ces faveurs, qu’elles concernent les personnes ou les lieux, ont procuré le salut aux âmes des fidèles dans les temps reculés, si bien que, comme le règne de la malice humaine n’était pas aussi triomphant qu’aujourd’hui, la sainte simplicité des hommes était formée à toutes les vertus, surtout à l’obéissance; aujourd’hui où le règne de la malice dépasse ce que l’on peut imaginer, notre sainte mère l’Église universelle doit apprécier les résultats de ces faveurs. Continuons maintenant ce qui a été déjà dit. Tout attachement charnel étant banni, aucun prêtre principalement chargé du gouvernement des âmes ne doit célébrer les funérailles d’un de ses amis ou de ses proches charnels avec plus de solennité que celles du plus petit pauvre de sa paroisse. Je dis cela pour le prêtre, même si les amis charnels du défunt en question agissent autrement par des moyens très malhonnêtes; ils ne montrent aucune honnêteté. En effet, le pauvre qui n’a pas d’amis charnels est enseveli très pauvrement; alors que le riche est enterré avec solennité en présence d’une foule de gens. Or le prêtre parfait doit évoquer l’âme de ce pauvre défunt comme l’âme du riche en question, à condition qu’il ait été vraiment fidèle, sans tenir compte de la personne et sans rémunération particulière. Il doit recommander l’âme de celui qui n’a pas de liens charnels avec lui comme celle de la personne qui lui est unie charnellement. Et il doit en être de même pour les suffrages des âmes. En présence des faibles, le prêtre peut dire une messe pour les âmes de son père et de sa mère, afin de donner l’exemple de l’obéissance aux faibles qui, ne pouvant pas encore suivre l’Évangile, sont instruits pas la loi de Moïse (à savoir celle des dix commandements dont les hommes parfaits sont affranchis). Hélas, misérable que je suis, lorsque 1 Par la pratique des indulgences, l’Église remettait des de peines temporelles correspondant à des péchés pardonnés, moyennant prières et aumônes; on distingue l’indulgence plénière (rémission totale) et l’indulgence partielle (expiation seulement diminuée). Cette pratique était déjà devenue à l’époque d’Opicinus un véritable commerce destiné à remplir les caisses pontificales.

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FOL.

26-26v°

appellari sancta ciuitas Iherusalem et paradisus fidelis, alibi autem paradisus facialis. Inter dilationem purgatoriam anima huius exuta interim delectetur in humanitate Christi, donec bene purgata transferatur a fide ad speciem ubi ioculantur anime perfectorum. Adiuuetur anima ista per Petrum claui-[fol. 26v°]-gerum (subaudi cuius ministerium operatur in presenti Ecclesia per suffragia sacerdotum cum plebibus suis), ut citius anima ista purgetur et transferatur ad speciem. Ingrediatur anima ista in locum tabernaculi admirabilis Ecclesie infirmorum usque ad domum Dei uiuentium perfectorum, quemadmodum specularis Europa habet in uentre Papiam (id est admirabilem infirmorum) et in pectore curiam celestem que est Auinio perfectorum. Hoc dico in testimonium non ad rem. Suscipiat animam istam sinus Abrahe, Ysaach et Iacob (id est uniuersitas sacerdotalis presentis Ecclesie) ad refrigerium lucis et pacis, donec mundus finiatur (id est donec huius anime omnis macula mundialis siue mundana citius expietur). In sinu huiusmodi suffragiorum eterna requies inchoatur que in patria consumatur. In die autem Iudicii generalis non erit amplius sinus patriarcharum qui nunc est propter presentes infirmos, cum tunc apparente ordine perfectorum nulla fuerit ibi infirmitas ullius uirtutis, sed omnes perfecti transferentur ad gloriam et submergentur imperii in tormenta. Papia uentralis significat purgatorium animarum tanto tempore interdictarum a facie Ihesu Christi, que tota die et nocte purgantur per bestias infernales que sunt ministeria diuine iustitie. Que Papia per papalia suffragia paulatim ascendit ad sinum Abrahe, qui est sinus Prouincie in quo Massilie Lazarus requiescit; immo sinus Abrahe (id est benignitas papalis) descendit ad colligendas animas Papienses (id est fideles obedientie domini pape). Hec dicta sunt testimonialiter et significatiue. Amodo nulla fiat mentio de Papia nec de Prouincia sed de solo populo christiano. De infirmis in purgatorio, sic legitur in canone: « Memento etiam, Domine, famulorum famularumque tuarum (subaudi infirmorum) qui nos precesserunt cum signo fidei et dormiunt in sompno pacis (subaudi certissime spei) ». Certissima spes eterne salutis eis future est quidam sompnus pacis propter securitatem suam ab eternis suppliciis que euaserunt. Propter autem intollerabilem cruciatum quem patiuntur ad abluenda peccata, nullus sompnus pacis est eis. Hinc est quod subditur: « Ipsis, Domine, et omnibus in Christo quiescentibus (propter euasionem eterne pene), locum refrigerii lucis et pacis ut indulgeas deprecamur ». Locus refrigerii est presens Ecclesia cuius suffragia sunt refrigerium pene, lux ueritatis et pax in Christo. Quanto enim eis plus fulget radius ueritatis, tanto plus eisdem hinc refrigeratur acerbitas pene et inde crescit pax Christi. Actum VII° kalendas septembris; ad quam diem compulsiue retractum est officium de sancto Bernardo abbate, ac si ascenderemus ad www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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j’étais aveugle et pauvre, encore retenu par des attachements charnels, j’étais enclin à dire une messe pour l’âme de l’un plus que pour l’âme de l’autre. Les rémunérations corruptibles aussi bien que les attachements charnels m’inclinaient à agir ainsi. Je me souvenais plus de l’âme d’une personne qui m’était liée que de l’âme d’une personne éloignée, plus de celui qui me donnait un salaire que de l’âme du pauvre qui ne me donnait rien. Aujourd’hui, appréciant tardivement les raisons des irrégularités que j’ai commises dans ma paroisse, j’implore en suppliant le pardon en présence de l’Église tout entière. La recommandation de l’âme à la dernière extrémité, que je n’ai jamais pratiquée à Pavie parce que l’interdit s’y opposait, doit être comprise comme suit. L’âme de celui qui est faible, non pas tant dans la chair que dans les vertus, doit être délivrée des supplices (il ne s’agit pas des supplices du purgatoire, mais de ceux de l’enfer). Elle doit être reçue par les anges et l’ensemble des saints et des saintes de Dieu (sous-entendu: pour les suffrages de l’Église actuelle), grâce aux prières des saints qui maintiennent l’Église actuelle unie au Christ – elle qu’on peut appeler la sainte cité de Jérusalem et le paradis de la foi, et ailleurs le paradis face à face. Pendant cette période intermédiaire du purgatoire, son âme libérée de la chair doit s’épanouir pendant quelque temps dans l’humanité du Christ, jusqu’à ce que, parfaitement purifiée, elle passe de la foi à la contemplation, là où les âmes des parfaits se réjouissent. Cette âme doit être aidée par Pierre, le porteur [fol. 26v°] de clefs (sous-entendu: dont le ministère agit dans l’Église actuelle, grâce aux suffrages des prêtres ainsi que de leurs ouailles), afin que l’âme en question soit plus vite purifiée et transférée à la contemplation. Cette âme doit entrer là ou se trouve le tabernacle de l’Église admirable des faibles et aller jusqu’à la maison du Dieu des parfaits vivants, de même que l’Europe visible a dans le ventre Pavie (c’est-à-dire l’admirable parmi les faibles) et dans la poitrine la cour céleste, autrement dit l’Avignon des parfaits1. Je dis cela en guise de témoignage et non par intérêt. Que le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (c’està-dire la communauté sacerdotale de l’Église actuelle) accueille cette âme en vue du bonheur éternel de la lumière et de la paix, jusqu’à ce que c’en soit fini du monde (c’est-à-dire jusqu’à ce que toutes les fautes humaines ou charnelles de cette âme soient assez vite expiées). C’est dans le sein de ces suffrages que commence le repos éternel qui s’achève dans la patrie. Et au jour du Jugement général, il n’y aura plus de sein des patriarches comme maintenant à cause des faibles d’aujourd’hui, puisque, à ce moment-là, l’ordre des parfaits se dévoilant, on n’y trouvera de faiblesse pour aucune vertu, mais que tous les parfaits passeront à la gloire et que les empires seront engloutis dans les tortures. La Pavie du ventre indique le purgatoire des âmes exclues pendant si longtemps de la face de Jésus-Christ, et qui, jour et nuit, sont purifiées par les bêtes infernales que sont les services de la justice divine2. Et cette Pavie, grâce aux suffrages du pape, monte peu à peu vers le sein d’Abraham, c’est-à-dire le sein de la Provence dans lequel Lazare repose à Marseille; ou plutôt c’est le sein d’Abraham

1 2

Cette phrase résume bien la géographie opicinienne associée au délire mystique. Opicinus attaque la Rote!

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FOL.

26v°

montem Libani ut sursum queramus ueram scientiam et sapientiam que hic inueniri non potest; et ideo de die in diem in scientia spirituali proficimus per exercitium inquirendi. Expellatur ergo Sathanas de uetula nostra Papia, qui cum cachino confessus est isti sancto Bernardo se uidisse faciem Ihesu Christi in gloria paradisi; quod intelligo de isto paradiso fideli et meritorio, qui ante secula ab eterno fuit potentialiter preparatus, nunc actualiter reuelatus a die Passionis et Resurrectionis dominice – sine quo paradiso fideli non possumus peruenire ad paradisum facialem.

De profectu et perfectione scientie Vnusquisque perfectus adhuc uiuens in carne, liber ab omnibus affectionibus seculi, siue sit persona ecclesiastica siue laicalis, de die in diem crescit in agnitione ueritatis. Crescente enim notitia ueritatis crescit et caritas Dei et proximi, quamdiu fuerit in hoc speculo meritorio. Siquis autem in eadem uirtute caritatis cum aliqua affectione carnis uel seculi transierit a seculo in ultima tamen bona uoluntate – que nunquam deinceps in contrarium deflectetur nec potest deflecti post mortem – adhuc iudicatur infirmus. Affectio enim carnis uel seculi est quedam obnubilatio ueritatis et amica mendacii; que obnubilatio ueritatis in alia uita est maxima acerbitas pene in purgatorio dilatorio. Quamdiu namque perseuerat in illo obnubilatio ueritatis, tamdiu instat acerbitas pene. Et ideo per suffragia presentis Ecclesie que sine acceptione persone www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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(c’est-à-dire le pape dans sa bonté) qui descend pour réunir les âmes de Pavie (c’est-à-dire ceux qui obéissent fidèlement au seigneur pape). Ces propos sont tenus en guise de témoignage et d’explication. Dorénavant, que l’on ne parle plus de Pavie ou de la Provence, mais seulement du peuple chrétien. Voici ce qu’on lit dans le canon [de la messe] à propos des faibles qui sont au purgatoire: « Souviens-toi aussi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes (c’est-à-dire des faibles) qui sont partis avant nous, marqués du sceau de la foi, et qui dorment du sommeil de la paix (sous-entendu d’une espérance pleine d’assurance) »1. L’espérance pleine d’assurance de leur salut éternel à venir, c’est un certain sommeil de la paix, parce qu’ils sont sûrs d’échapper aux supplices éternels. En revanche, en raison des tortures insupportables qu’ils endurent pour effacer leurs péchés, il ne dorment pas du tout du sommeil de la paix. C’est pourquoi il est dit ensuite: «À ceux-là, Seigneur, et à tous ceux qui reposent dans le Christ (car ils échappent au châtiment éternel), accorde, nous t’en prions, le séjour du bonheur éternel, de la lumière et de la paix ». Le séjour du bonheur éternel, c’est l’Église actuelle, dont les suffrages obtiennent un châtiment allégé, la lumière de la vérité et la paix dans le Christ. En effet, plus le rayon de la vérité les éclaire, plus la sévérité du châtiment s’en trouve allégée et plus la paix du Christ s’en trouve étendue. Fait le 7 des calendes de septembre [26 août 1337]; en ce jour, on doit impérativement revenir à l’office de saint Bernard, abbé2, comme si nous gravissions les monts du Liban pour chercher en haut les vraies connaissance et sagesse qu’il est impossible de trouver ici; et c’est pourquoi, jour après jour, nous approfondissons notre connaissance spirituelle, grâce aux recherches auxquelles nous nous adonnons. Il faut donc que Satan soit chassé de notre Pavie vieillotte, lui qui a avoué dans un éclat de rire à saint Bernard cité plus haut qu’il avait vu la face de Jésus-Christ dans la gloire du paradis3; je comprends qu’il s’agit de ce paradis de la foi et des mérites que voilà, qui a été préparé virtuellement avant le monde de toute éternité, et qui est maintenant réellement dévoilé depuis le jour de la Passion et de la Résurrection du Seigneur – ce paradis de la foi sans lequel nous ne pouvons parvenir au paradis du face à face. Les progrès et la perfection de la connaissance Chaque parfait vivant encore incarné, libéré de tous les attachements du monde, qu’il s’agisse d’un ecclésiastique ou d’un laïc, grandit jour après jour dans la compréhension de la vérité. En effet, lorsque sa connaissance de la vérité grandit, son amour pour Dieu et son prochain grandit aussi, tant qu’il se trouve dans ce miroir des mérites. En revanche, celui qui, tout en possédant cette vertu de charité, quitte ce monde avec quelque attachement pour la chair ou le monde, même si ses dernières volontés étaient bonnes – elles qui ne sont jamais ensuite infléchies en sens contraire et ne peuvent l’être après la mort – est encore considéré comme

1 2 3

Paroles prononcées par le prêtre dans le passage qui suit la consécration. Saint Bernard (1090-1153), abbé de Clairvaux. Voir la Légende dorée, t. 2, p. 120.

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FOL.

26v°-27

adiuuat omnes animas infirmorum, illi anime illucescit radius ueritatis et per consequens mitigatur illa pena. Crescente illi notitia ueritatis crescit et caritas, sicut fit homini adhuc uiuenti et tendenti ad perfectionem, crescente caritate per scientiam et crescente scientia per amorem. Ille enim infirmus defunctus et iste proficiens ad perfectionem in hac uita sunt ambo detenti in hac presenti Ecclesia speculari et meritoria. Ambo sunt sub altari humanitatis dominice cuius diuinitatem ambo uident per fidem. Et ideo eis est Christus Deus fidelis, sicut est alibi facialis. Siquis uero decesserit in aliquo inobediens proprio sacerdoti sub specie obedientie ad alium non proprium ex acceptione persone, diligens magis alienum quam proprium, ad huiusmodi signum iudico ipsum esse dampnatum et exclusum a suffragiis uniuersalis Ecclesie, licet a carnalibus carnaliter adiuuetur in uanum. Non enim pertinet ad ipsum iudicare proprium sacerdotem. Sola obedientia ad proprium patrem uerum non carnalem sed spiritualem saluat hominum morientem.

De humilitate et eleuatione mentis in Deum Anime decollatorum sunt anime uiuentium in carne et anime dilatorum in purgatorio que sunt decollate, id est nullam habentes affectionem proprii comodi uel honoris, quasi nullum proprium caput habentes nisi Christum. Qui autem dilexerit animam propriam et oderit animam sanctam uniuersalem, quasi eleuans caput suum (id est intendens omnia ad gloriam suam), iam iudicatus est membrum diaboli [fol. 27] habentis VII capita (id est uniuersa uitia habentium multiplices uoluntates, uolente uno istud et alio uolente illud, quorum uarietas uoluntatum intendit semper ab altero in se gloriam singularem). Fideles autem licet infirmi, cum apparuerit redemptio sua per specularem Ecclesiam liberandi a temptationum laqueis infinitis uel quasi infinitis, tunc eleuabunt capita sua (id est exhilarabunt mentes suas quibus fuerant decollati). Decollatio capitis est humiliatio mentis ab omni desiderio glorie personalis. Restitutio et eleuatio capitis est exaltatio mentis ad gaudium glorie populi christiani semper omnia intendentis in Deum.

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faible. En effet, l’attachement pour la chair ou le monde est une certaine forme d’occultation de la vérité et une amie du mensonge; et cette occultation de la vérité se traduit dans l’autre vie par un châtiment d’une sévérité extrême dans le purgatoire intermédiaire. Le fait est que, tant que cette occultation de la vérité se maintient chez lui, le châtiment qu’il reçoit est sévère. Et c’est pourquoi, grâce aux suffrages de l’Église actuelle qui continue à aider toutes les âmes des faibles sans tenir compte des personnes, le rayon de la vérité se met à briller sur cette âme et, par conséquent, le châtiment en question est adouci. Lorsque la connaissance de la vérité grandit en lui, la charité grandit aussi, comme il arrive à l’homme encore vivant et qui recherche la perfection: la charité grandit grâce à la connaissance et la connaissance grandit grâce à la charité. En effet, ce faible défunt et celui qui avance vers la perfection dans cette vie sont tous deux retenus dans cette Église actuelle du miroir et des mérites. Ils se trouvent tous deux sous l’autel de l’humanité du Seigneur dont ils voient tous deux la divinité par la foi. Et c’est pourquoi le Christ est pour eux le Dieu de la foi, de même qu’il est ailleurs le Dieu du face à face. En revanche, si quelqu’un meurt en n’obéissant pas sur quelque point à son curé et en prétendant obéir à un autre prêtre par choix personnel, en préférant l’autre à celui qui lui appartient en propre, j’estime, devant une manifestation de ce genre, qu’il est condamné et exclu des suffrages de l’Église universelle, bien qu’il soit inutilement aidé charnellement par ses amis charnels. En effet, il ne lui appartient pas de juger son curé. Seule l’obéissance à son véritable père, non pas charnel mais spirituel, sauve l’homme au moment de la mort. L’esprit qui s’humilie et s’élève jusqu’à Dieu Les âmes des décapités1 sont les âmes de ceux qui vivent incarnés et les âmes de ceux qui sont passés au purgatoire: elles sont décapitées parce qu’elles n’éprouvent aucun attachement pour les avantages et les honneurs personnels, comme si elles n’avaient pas d’autre tête que le Christ. En revanche, celui qui aime son âme personnelle et déteste la sainte âme universelle, comme s’il levait la tête (c’est-à-dire cherchait en tout sa gloire), est désormais considéré comme un membre du diable [fol. 27] qui a sept têtes2 (à savoir l’ensemble des péchés de ceux dont les volontés sont multiformes, l’un exigeant ceci et l’autre exigeant cela: cette variété des volontés cherche toujours à prendre à l’autre la gloire exceptionnelle). Or les fidèles, bien que faibles, lorsque la rédemption les libérant des pièges sans fin ou presque sans fin des tentations se manifestera grâce à l’Église du miroir, lèveront alors leurs têtes3 (c’est-à-dire épanouiront les pensées dont ils avaient été décapités). La tête décapitée, c’est l’esprit humilié qui fuit tout désir de gloire personnelle. La tête rétablie et levée, c’est l’esprit transporté de joie pour la gloire du peuple chrétien qui ne cesse de chercher Dieu en toutes choses.

1 2 3

Voir Ap. 20, 4. Voir la Bête de l’Apocalypse: 13, 1 et 17, 3. Voir Lc 21, 28.

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FOL.

CONSIDERATIO

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SPECVLARIS IN VNIVERSO

« Ad te, Eugenium, papam III, nunc Benedictum XII, ordinis nostri, ego Bernardus. Considera personam tuam assumptam ad ministerium uniuersalis Ecclesie. Considera sub te homines infirmos inter bestias seuientes. Considera circa te angelos lucis inter angelos tenebrarum. Angeli lucis descendunt ad homines liberandos de medio bestiarum; ascendunt sursum ad perfectorum Ecclesiam ordinandam. Angeli tenebrarum sub specie lucis descendunt ad homines seducendos; student ascendere sursum per spiritualem nequitiam ad celestia obtinenda. Subtus te infirmitas plebium hinc per pseudo prophetas et falsos apostolos se transfigurantes in angelos lucis seducitur et hinc per iniquorum tyrannidem conculcatur. Circa te ambitio cleri quouis ingenio, quolibet studio et quacumque adinuentione noue scientie per ypocrisim satagit ad sublimia promouere. Considera supra te matrem nostram sanctam Iherusalem ab omnibus molestiis liberam, que est presens Ecclesia perfectorum, que tota disponitur per angelicas ierarchias. Illa est uirgo mundissima sine macula absque ruga, in carne preter carnem uiuens, in mundo sine mundo regnans – sine discretione etatis et sexus, conditionis et status, professionis et ordinis – in qua nullius peccati contagium reperitur. Ista specularis Ecclesia ab inferioribus concertatur inter opinionem et fidem; a superioribus autem diuersimode consideratur per intellectum et fidem. Ab inferioribus quidem hinc opinionibus uariis sepe suspenditur et inde auctoritatibus fidei confirmatur. A superioribus uero respectu inferiorum ratione intellectuali et intellectu rationali sine ullo scrupulo declaratur; respectu uero inuisibilium future patrie sempiterne sub signaculo fidei reseruatur. Fides inferior est fides sacramentalis que simpliciter creditur ab infirmis; que fides inferior non habet locum in superiori Ecclesia perfectorum cuius uisibilis ratio intelligitur a perfectis. Fides superior est fides inuisibilium future patrie que ab omnibus hic uiuentibus creditur; que a perfectis tot rationibus intellecta potest dici intelligibilis fides que nullo modo falli potest. Vnde per considerationem huius speculi Deus intelligitur (id est firmiter creditur); per uisibilem rationem effectus causarum intelligitur sine dubio causa causarum; per Trinitatem specularem intelligitur Trinitas fundamentalis; per misticum Christum intelligitur uerus Christus. Ecce nullo modo intelligi potest eterna patria nisi per medium Ecclesie specularis. Consideratio specularis Ecclesie per uisibilem rationem est contemplatio eterne beatitudinis per inuisibilem fidem. Consideratio eiusdem ecclesiastice ierarchie est intelligentia angelice ierarchie: consideratio presentis Ecclesie specularis facit nos intelligere (id est firmiter credere) inuisibiles ordines angelorum et omnium sanctorum et sanctarum Dei inuisibilis patrie sempiter1

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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REGARD

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SUR LE MIROIR DANS SON ENSEMBLE1

«À toi, Eugène III2, pape, qui es aujourd’hui Benoît XII, de notre ordre3, moi, Bernard4. Regarde ta personne, choisie pour le ministère de l’Église universelle. Regarde les hommes faibles qui sont sous ton autorité: ils sont au milieu des bêtes en furie. Regarde les anges de lumière qui t’entourent: ils sont au milieu des anges des ténèbres. Les anges de lumière descendent pour délivrer les hommes des bêtes; ils remontent pour organiser l’Église des parfaits. Les anges des ténèbres descendent, déguisés en anges de lumière5, pour séduire les hommes; ils essayent de se hisser vers le haut, à l’aide du dérèglement spirituel, pour s’emparer des biens célestes. À tes pieds, les foules faibles sont, d’un côté, séduites par les pseudo prophètes6 et les faux apôtres déguisés en anges de lumière, et, d’un autre côté, opprimées par la tyrannie des méchants. Autour de toi, le clergé ambitieux se démène hypocritement pour être élevé aux honneurs suprêmes, avec tout le talent, tout le zèle et toutes les découvertes de la connaissance à la mode que l’on voudra. Regarde au-dessus de toi notre mère, la sainte Jérusalem, délivrée de tous les tracas: c’est elle l’Église actuelle des parfaits, qui est entièrement organisée par la hiérarchie des anges. C’est elle la vierge très pure, sans souillure ni ride, vivant dans la chair tout en échappant à la chair, régnant sur le monde sans être du monde – sans distinction d’âge ou de sexe, de condition ou de position sociale, de profession ou d’ordre religieux – et dans laquelle on ne trouve de contamination par aucun péché. En bas, cette Église du miroir fait l’objet de querelles entre le jugement et la foi; mais en haut, elle est regardée de diverses manières grâce à l’intelligence et la foi. En bas, certes, d’un côté elle est souvent tenue dans l’incertitude de jugements variés et, d’un autre côté, elle est garantie par la tradition relative à la foi. En revanche, en haut par rapport au bas, elle est annoncée sans aucune inquiétude par le raisonnement intellectuel et l’intelligence rationnelle; mais en ce qui concerne les choses invisibles de la patrie éternelle à venir, elle est maintenue sous le sceau de la foi. La foi d’en bas, c’est la foi des sacrements: les faibles y croient avec simplicité; cette foi d’en bas n’a pas sa place dans l’Église des parfaits d’en haut, dont l’argumentation visible est saisie par les parfaits. La foi d’en haut, c’est la foi dans l’invisible de la patrie à venir: tous ceux qui vivent ici-bas y croient; comprise avec des arguments si nombreux par les parfaits, on peut la qualifier de foi intelligible qui ne peut faire erreur en aucune manière. De ce fait, c’est en regardant ce miroir que l’on comprend Dieu (c’est-àdire qu’on y croit fermement); c’est avec les arguments visibles que constituent

1 Vaste tableau visionnaire de la société humaine et de la société céleste, où Opicinus est omniprésent tout en montrant des idées persécutives et manichéennes. 2 Eugène III, pape de 1145 à 1153. 3 C’est-à-dire de l’ordre cistercien (auquel appartenaient à la fois Eugène III, saint Bernard et Benoît XII). 4 Opicinus s’inspire librement du De consideratione ad Eugenium papam tertium libri quinque de saint Bernard. 5 Voir 2 Co 11, 14. 6 Voir Mt 7, 15; 24, 11 et 24; Mc 13, 22; Lc 6, 26; 2 P 2, 1; 1 Jn 4, 1; Ap 2, 20; 16, 13; 19, 20 et 20, 10.

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FOL.

27-27v°

ne istam disponere, regere et conseruare. Officia angelorum, archangelorum et uirtutum (id est nuntiorum, summorum nuntiorum et signa facientium) non sunt necessaria in alia patria sed in ista. Similiter ordines potestatum, principatuum et dominationum (id est tenebras coercentium, prelationes statuentium et preeminentiam ueri imperii demonstrantium) in hac Ecclesia non in alia requiruntur. Porro dignitates thronorum, cherubin et seraphin (id est cum tranquillitate iudicantium, scientia omnes implentium et totam Ecclesiam igne caritatis incendentium) hic inchoantur et alibi consumuntur: seraphin facit istam cum illa patria continuari et disponit nos ad partem optimam eligendam que non auferetur a nobis; ceteri ordines infra seraphin sunt administratorii uite actiue; solus autem seraphin uitam contemplatiuam amplectitur (id est facit nos illam amplecti). Ecce quod omnes spiritus Dei gubernant et regunt presentem Ecclesiam meritoriam in qua ipsi ab initio meruerunt et ex qua omnes tenebras spiritualis nequitie proiecerunt; quo facto statim illi eternam beatitudinem introierunt et demones in exteriores tenebras sunt retrusi. Adhuc illi qui iam meruerant in se dispositi sunt ad ordines disponentes uitam humanam, ut amplius in hominibus mereantur; [fol. 27v°] et angeli Sathane qui iam meruerant penam in se promissi sunt ad exercitium hominum ut amplius in hominibus torqueantur. Et sicut bonus angelus in custodia hominis – si homo per ipsum proficiat siue homo per suam malitiam ab angelo corruat – non perdit maius meritum suum, ita malus angelus ad exercitium hominis – si homo consentiat ipsi siue homo per gratiam Dei a laqueis diaboli liberetur – non fraudatur maiori supplicio suo. Ecce quod angelus qui ab initio in hoc speculo meritorio meruerat in se nunc amplius hic meretur in homine; et diabolus qui ab initio ab hoc speculo corruerat et penam meruerat in se nunc amplius meretur penam in homine. Deus disponit angelicos ordines ad ordinandam uitam humanam; et Deus permittit iusto iudicio diabolices angelos, archangelos, uirtutes, potestates, principatus, dominationes usque ad Sathanam principem demonum per humanam malitiam similem istis totam Ecclesiam agitare. Nunc uenit hora ut omnis diabolica ierarchia, que nichilum potest agere nisi per humanam malitiam, etiam usurpantem spirituale imperium super populum christianum, totaliter spolietur et ad nichilum redigatur ». Ecce exemplum de meipso. Dixi in corde meo diabolo suggerente: « Discam Domino concedente omnem scientiam: totam philosophiam (naturalem, moralem et rationalem), scientiam utriusque iuris et totius sacre theologie catholice et orthodoxe tradite a sanctis doctoribus nostris. Ero gratiosus in oculis Domini Dei nostri et amabilis cunctis hominibus. Promouear rite et canonice secundum Deum et ad honorem totius Ecclesie ad ecclesiasticas dignitates usque ad summum pontificatum nemine contradicente, communi concordia. Tunc toto posse persequens omnes rebelles www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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les effets des causes que l’on comprend indubitablement la cause des causes; c’est au moyen de la Trinité du miroir que l’on comprend la Trinité fondamentale; c’est par le Christ mystique/secret que l’on comprend le véritable Christ. Ainsi on ne peut comprendre en aucune manière la patrie éternelle sinon par l’intermédiaire de l’Église du miroir. Regarder l’Église du miroir avec des arguments visibles, c’est contempler la béatitude éternelle avec la foi invisible. Regarder la même hiérarchie de l’Église, c’est comprendre la hiérarchie des anges: regarder l’Église du miroir actuelle nous fait comprendre (c’est-à-dire croire fermement) que les ordres invisibles des anges et de tous les saints et saintes de Dieu de la patrie invisible éternelle l’organisent, la dirigent et la gardent. Les fonctions des anges, des archanges et des vertus (c’est-à-dire des messagers, des messagers suprêmes et de ceux qui donnent des signes) ne sont pas nécessaires dans l’autre patrie, mais dans celle-ci. De même, les ordres des puissances, des principautés et des dominations1 (c’est-à-dire de ceux qui refoulent les ténèbres, de ceux qui placent les prélats et de ceux qui montrent la primauté du véritable pouvoir) sont recherchés dans cette Eglise et non dans l’autre. En outre, les fonctions des trônes, des chérubins et des séraphins (c’est-à-dire de ceux qui jugent avec sérénité, de ceux qui comblent tous les hommes en connaissances et de ceux qui enflamment l’Église tout entière du feu de la charité) commencent ici et s’achèvent ailleurs: le séraphin assure la continuité entre cette patrie et l’autre et nous prépare à choisir la meilleure part, celle qui ne nous sera pas enlevée2; les autres ordres, inférieurs au séraphin, coordonnent la vie active3; et seul le séraphin embrasse la vie contemplative (c’est-à-dire nous la fait embrasser). C’est ainsi que tous les esprits de Dieu4 dirigent et guident l’Église actuelle des mérites; ils y ont été eux-mêmes méritants dès le début et ils en ont chassé toutes les ténèbres du dérèglement spirituel; après quoi, ils sont aussitôt entrés dans la béatitude éternelle, et les démons ont été repoussés dans les ténèbres extérieures. C’est également ceux qui avaient déjà été personnellement méritants qui sont regroupés en ordres qui organisent la vie humaine, si bien qu’ils sont davantage méritants chez les hommes; [fol. 27v°] et les anges de Satan, qui avaient déjà mérité personnellement le châtiment, sont envoyés pour tracasser les hommes, si bien qu’ils sont davantage torturés chez les hommes. Et de même que le bon ange gardien de l’homme – que l’homme se perfectionne grâce à lui, ou qu’il se détache de cet ange à cause de sa malice – ne perd pas pour autant ses mérites, de même, le mauvais ange qui tracasse l’homme – que l’homme lui cède, ou qu’il soit délivré par la grâce de Dieu des pièges du diable – n’est pas pour autant soustrait à son supplice. C’est ainsi 1 Voir Col 1, 16. A l’époque, la hiérarchie céleste des anges est structurée de manière triadique, c’est-à-dire en trois ordres comprenant chacun trois types de créatures spirituelles: le premier ordre est formé des séraphins, des chérubins et des trônes; le deuxième comprend les dominations, les vertus et les puissances; le troisième regroupe les principautés, les archanges et les anges. Dante comme saint Thomas d’Aquin se conforment ponctuellement à cette nomenclature héritée du Pseudo-Denys. Le classement d’Opicinus est légèrement différent. 2 Voir Lc 10, 42. Allusion à Marie. 3 Allusion à Marthe. 4 Voir Ap 4, 5.

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27v°

Ecclesie, diligam munifice et magnifice pertractabo omnes diligentes Ecclesiam Dei et reuerentes nostram dignitatem et nostrum honorem, qui tenemus uices Dei in terris. Et prouocabo omnes reges et principes mundi ad reuerentiam nostram et ad eternam memoriam nostri nominis. Renouabo totam Ecclesiam nouis constitutionibus, gratioribus moribus et pulchrioribus edificiis ad honorem Dei et ad bonam perpetuam famam nostram ». Omnis intentio radicalis huiusmodi cogitationum semper refertur ad personale iudicium et ad gloriam singularem, quasi nemine existente super terram simili mihi qui factus sum omnium iudex et a nemine ualeo iudicari. Ista cogitatio eadem est illius magni cherub qui se putans sedere in cathedra Dei in deliciis paradisi fidelis, ignorans tamen paradisum glorie facialis, plenitudine scientie sue glorians sic dixit: « In celum conscendam, super astra celi exaltabo solium meum, sedebo in monte testamenti (id est specularis Ecclesie), in lateribus aquilonis (cuius signaculum monarchie monstrat archam Noe, ad quam usurpandam toto studio currunt naues Tharsis, id est omnes ambientes dignitatem papatus). Ascendam super altitudinem nubium et similis ero Altissimo ». Non deficit aliud nisi quod diuina sententia aduersus me instar fulminis proferatur, ut subito Lucifer oriens mane conuertatur in Hesperum uespertinum, immo angelus lucis in angelum tenebrarum. Ecce quod ambitio personalis totam Ecclesiam ex parte sui peruertit in perfidam Babilonem, que non regitur uel non seducitur nisi per principatus et potestates tenebrarum harum spiritualis nequitie in celestibus. Dominus autem papa incorruptibilis et immortalis, unicus papa non plures, unicus uicarius Dei sine acceptione persone, absque carnali iudicio, per canonicam successionem a Petro apostolo usque ad nouissimum B(b)enedictum, nunquam peccauit nec potest peccare; eo quod per ipsum exhibetur et representatur tota presens Ecclesia specularis, que impeccabilis est, in qua refulgent non solum angelice ierarchie sed etiam uirtutes omnium sanctorum et sanctarum Dei. In hac enim presentialiter fulget obedientia fidei patriarcharum per obedientiam plebium ad rectores. Rutilant hic preconia prophetarum per expositores sacre Scripture. Nam propheta (id est procul fans) per misticas allegorias longinquas a re significat nobis inuisibilem rem propinquam. Apostoli super gentes sunt rectores ecclesiastici super plebes. Sicut enim patriarche et prophete significauerunt apostolos, ita prelati et sancti religiosi significant hos rectores. Martires testes Christi testificantur presentem populum christianum. Fidei confessores christianitatis opera confitentur. Virgines mentis et corporis exhibent totam hanc Ecclesiam perpetuam uirginem esse. Reliquus chorus sanctorum opere predicat istam Ecclesiam multiplicem et innumerabilem in personis et unicam simplicem per uinculum caritatis. Ecce quod nunquam possumus eternam patriam contemplari nisi per considerationem huius medie specularis www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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que l’ange, qui avait été dès le début personnellement méritant dans ce miroir des mérites, est aujourd’hui ici-bas davantage méritant chez l’homme; et le diable qui s’était détaché de cette image dès le début1 et qui avait personnellement mérité le châtiment, mérite aujourd’hui ici-bas davantage de châtiments chez l’homme. Dieu dispose les ordres angéliques pour régler la vie humaine; et Dieu permet par un juste jugement que les anges, archanges, vertus, puissances, principautés et dominations diaboliques, y compris Satan, prince des démons2, harcèlent l’Église tout entière avec la malice humaine qu’ils personnifient. Maintenant l’heure est venue où toute la hiérarchie diabolique, qui ne peut rien faire sans l’aide de la malice humaine, même en usurpant le pouvoir spirituel sur le peuple chrétien, est complètement dépouillée et réduite à néant ». Voici un exemple qui me concerne. J’ai dit dans mon cœur sur la suggestion du diable: « J’apprendrai avec la permission de Dieu l’ensemble du savoir: la philosophie tout entière (naturelle et morale et logique), les connaissances relatives aux deux droits et l’ensemble de la sainte théologie catholique et conforme au dogme, confiée par nos saints docteurs. Je trouverai grâce aux yeux de notre Seigneur Dieu et je serai digne d’être aimé par tous les hommes. Je serai élevé aux fonctions ecclésiastiques d’une manière régulière et canonique, en suivant Dieu et pour la gloire de l’Église tout entière, jusqu’au souverain pontificat, sans que personne ne s’y oppose et dans l’harmonie générale. Alors, pourchassant autant qu’il me sera possible tous ceux qui se rebellent contre l’Église, j’aimerai avec générosité et j’administrerai avec majesté tous ceux qui aiment l’Église de Dieu et qui respectent notre fonction et nos honneurs, nous qui sommes les lieutenants de Dieu sur terre. Et j’obligerai tous les rois et les princes de la terre à nous respecter et à faire éternellement mémoire de notre nom. Je rénoverai l’Église tout entière par de nouvelles institutions, des coutumes plus agréables et des constructions plus belles, pour la gloire de Dieu et pour notre bonne réputation éternelle ». Tout projet fondamental lié à des réflexions de ce genre concerne toujours le jugement personnel et la gloire exceptionnelle, comme s’il n’y avait sur terre personne de pareil à moi, qui suis devenu le juge de tous et ne peux être jugé par personne. Ces réflexions sont aussi celles du grand chérubin en question qui, se croyant assis sur le siège de Dieu, au milieu des délices du paradis de la foi, méconnaissant pourtant le paradis de la gloire du face à face et se vantant d’être rempli de connaissances, s’exprime ainsi: « J’escaladerai les cieux; au-dessus des étoiles du ciel, j’élèverai mon trône; je siégerai sur la montagne de l’Assemblée/du testament (c’est-à-dire de l’Église du miroir), aux confins du septentrion (dont le sceau de la monarchie indique l’arche de Noé: les vaisseaux de Tarsis3, c’est-à-

1 D’après les Pères de l’Église, le diable a été créé bon et c’est l’orgueil qui a provoqué sa chute et celle des mauvais anges. Ces anges déchus hantent le monde et tourmentent les hommes. 2 Opicinus crée une hiérarchie infernale sur le modèle de la hiérarchie céleste. « Satan » désigne ici Benoît XII. 3 Voir 1 R 22, 49; Ps 48, 7; Is 2, 16 et 23, 1. Tarsis représentait pour les peuples de la Bible l’extrémité occidentale du monde connu.

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27v°-28

Ecclesie; alioquin qui aliter fecerit iam iudicatus est effractor fidei signate et maiestatis diuine temerarius perscrutator; in quo scrutinio sepe opinio intellectus erronee reputatur. In consideratione autem speculi VIII

[fol. 28] nunquam intellectus decipitur, sicut multi errauerunt in articulis fidei sigillate propter contemptum obedientie huius specularis Ecclesie, que semper parata est ad responsionem de quolibet pertinente ad fidem et spem per rationes uisibiles ueritatis. Ecce cognita ista sancta Iherusalem habente in pectore suo uerum Deum – que respectu inferiorum ciuitas dici potest celestis et respectu superiorum inuisibilium urbs terrestris – a nobis discernitur Babilon aduersatrix istius, habens in se sedem diaboli cuius membra sunt omnes carnales (usque ad ypocrisim cleri celestium), in quibus consistit et radicatur omnis potentia huius corporis Antichristi. Non est potestas super www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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dire tous ceux qui briguent la fonction de pape, se précipitent pour s’en emparer, en y mettant toute leur ardeur). Je monterai au sommet des nuages et je serai semblable au Très-Haut »1. Il ne manque plus que la sentence divine soit proférée contre moi telle la foudre, à savoir que Lucifer qui se lève le matin se change soudainement en Hespérus du soir2, ou plutôt l’ange de lumière en ange des ténèbres. C’est ainsi que l’ambition personnelle dénature toute l’Église, en ce qui la concerne, pour en faire une Babylone perfide, qui n’est dirigée ou attirée que par les principautés et les puissances de ces ténèbres du dérèglement spirituel dans les cieux. Mais le seigneur pape incorruptible et immortel, le pape unique (il n’y en a pas plusieurs), le vicaire unique de Dieu, en l’absence de préférence personnelle et sans jugement charnel, grâce à l’héritage canonique qui va de l’apôtre Pierre jusqu’au dernier Benoît/béni, n’a jamais péché et ne peut pas pécher; car c’est lui qui permet à l’Église du miroir actuelle tout entière d’être montrée et mise sous les yeux, elle qui est impeccable et dans laquelle resplendissent non seulement la hiérarchie des anges, mais aussi les vertus de tous les saints et saintes de Dieu. En effet, c’est en elle en personne que l’obéissance des foules envers leurs curés fait briller l’obéissance à la foi des patriarches. C’est ici que les exégètes de l’Écriture sainte font resplendir les prédictions des prophètes. Car le prophète (c’est-à-dire celui qui parle de loin), nous indique l’invisible qui est tout près, grâce à des allégories secrètes qui en sont éloignées. Les apôtres placés audessus des nations, ce sont les curés de l’Église placés au-dessus des foules. En effet, de même que les patriarches et les prophètes ont annoncé les apôtres, de même les prélats et les saints moines indiquent ces curés. Les martyrs témoins du Christ prennent à témoin le peuple chrétien actuel. Les confesseurs de la foi révèlent les œuvres de la chrétienté. Les vierges d’esprit et de corps montrent que cette Église tout entière est vierge à jamais. Le reste du chœur des saints annonce par ses œuvres que cette Église est multiple et innombrable dans les personnes, et qu’elle est seule et unique grâce au lien de la charité. C’est ainsi que nous ne pouvons jamais contempler la patrie éternelle autrement qu’en regardant cette Église intermédiaire du miroir; sinon, celui qui agit autrement est déjà pris pour le destructeur de la foi authentique et le fouineur indiscret de la majesté divine: or quand on fouine, le point de vue de l’intelligence est souvent considéré comme erroné. En revanche, quand on regarde le miroir, VIII [fol. 28] l’intelligence n’est jamais égarée; de même, beaucoup se sont perdus dans les articles de la foi authentique, parce qu’ils ont méprisé l’obéissance à cette Église du miroir, qui est toujours prête à s’expliquer sur tout ce qui concerne la foi et l’espérance avec les arguments visibles de la vérité. C’est ainsi qu’une fois connue cette sainte Jérusalem3 portant le vrai Dieu dans sa poitrine – elle qui, vue d’en bas, peut être appelée la cité céleste et, vue Is 14, 13-14 (c’est le roi de Babylone qui parle; les Pères de l’Église y voient aussi le prince des démons). 2 Lucifer Vénus est l’étoile du matin, Hespérus l’étoile du soir. 3 Il s’agit d’Avignon. 1

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terram que huic ualeat comparari, eo quod membra carnium eius per unanimem concordiam semper ad malum ex innumerabili multitudine roborant istud corpus. Verbi causa. Interrogetur unusquisque de partiali populo Lombardorum: « Quare concurris cum istis ad fauorem et auxilium illius tyranni? ». Respondebit iste: « Vt si mortem euadam in bello, propter gratiam huiusmodi domini assequar aliquid comodum personale (id est ut aliquid honoris uel glorie persona mea inde lucretur). Si autem in prelio moriar, sit saltem pro nomine illius domini ultimus honor mihi ». Ecce quod omnes in carnali uoluntate concordes habent singillatim in animo concupiscentiam personalem. Aliqui eorum habent carnalem amorem ad dominum illum; nonnulli diligentes partem contrariam propter timorem mundanum complacere conantur isti domino quem partialiter odio habent, ut eius indignationem euadant. Isti omnes respectiue sunt membra inferiora huius nefandissimi corporis, que significant occultam fortitudinem membrorum huiusmodi corporis, que sub specie firmamenti totius Ecclesie per ypocrisim suam ad intentionem glorie singularis muniunt sedem diaboli qui est caput huius corporis, per illum qui gloriabitur se habere pre ceteris maiorem scientiam omnium rerum. Ex opposito, si queratur a quopiam de fideli populo christiano quare seipsum exercet, ex pura conscientia respondebit se omnia facere ad obsequium totius Ecclesie (id est populi christiani), ut finaliter placeat Domino nostro Ihesu Christo. Ecce quod omnes ueri fideles per uarietates operum et uirtutum finaliter complacere conantur Domino nostro in unica caritate, ut tandem appareat maior fortitudo et decor corporis Ihesu Christi quam fallax gratia et uana pulchritudo corporis Antichristi. Quodlibet membrum reprobi corporis dicit cum affectione se esse de sanguine talis et talis domus. Si fuerit reprobus pauper uel ignobilis, diligit magis sanguinem talis domus quam progeniem alterius domus; plus amat personam talem et talem quam personam talis alterius. Si fuerit reprobus diues, semper affectat aut genus suum nobilitare pre ceteris aut pecunia frui plus quam populo christiano. Hii omnes indifferenter sunt membra diaboli. Quodlibet autem membrum corporis Christi opere confitetur se esse de sanguine Ihesu Christi. Actum anno renouationis, inter uigiliam et diem festum sancti Augustini doctoris eximii, qui meritis suis me ad altiora suspendit, ut per ipsum tota Ecclesia irrigetur fluminibus aque uiue fluentibus de uentre fidelis Europe, in quo uentre corporaliter requiescit. Iam uisio adimpletur quam uiderat sanctus Bernardus, ut etiam bestie uel iumenta possint istis fluminibus saciari.

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d’en haut où se trouve l’invisible, la ville terrestre – nous découvrons Babylone, son adversaire, portant en elle le siège du diable dont les membres sont tous les hommes charnels (y compris l’hypocrisie du clergé des cieux), chez qui se constitue et s’enracine toute la puissance de ce corps de l’Antichrist. Ce n’est pas le pouvoir sur la terre qui peut lui être opposé, car ses membres charnels, provenant d’une foule innombrable, ne cessent de fortifier ce corps en s’entendant à l’unanimité pour faire le mal. A cause du Verbe. Qu’on interroge chacun des partisans du peuple lombard: « Pourquoi cours-tu avec eux pour encourager et aider ce tyran? ». Il répondra: « Parce que, si j’échappais à la mort pendant la guerre, la reconnaissance de ce seigneur me vaudrait un profit personnel (c’est-à-dire que ma personne y gagnerait quelque chose en honneurs et en gloire). Mais si je mourais au combat, ce serait au moins pour moi un dernier honneur que de le faire au nom de ce seigneur ». C’est ainsi que tous ceux qui ont en commun des désirs charnels nourrissent chacun dans leur cœur une convoitise personnelle. Certains d’entre eux éprouvent un amour charnel pour ce maître; d’autres, qui préfèrent le parti opposé, essayent par crainte du monde de plaire à ce seigneur qu’ils détestent dans leur parti, afin d’échapper à sa colère. Tous sont respectivement les membres inférieurs de ce corps très impie: ils indiquent la force cachée des membres de ce corps; en feignant de consolider l’Église tout entière avec leur hypocrisie tendue vers la gloire exceptionnelle, ils fortifient le siège du diable qui est la tête de ce corps, à cause de celui-là qui se vantera de posséder de plus grandes connaissances que les autres sur tout. Inversement, si on demande à celui qui appartient au peuple chrétien fidèle pourquoi il travaille sans relâche, il répondra avec une conscience pure qu’il agit en tout pour faire la volonté de l’Église tout entière (c’est-à-dire du peuple chrétien), afin de plaire en fin de compte à notre Seigneur Jésus-Christ. C’est ainsi que tous les vrais fidèles, grâce à des œuvres et des vertus différentes, essaient en fin de compte de plaire à notre Seigneur au sein d’une charité unique, pour qu’à la fin, la force et la splendeur du corps de Jésus-Christ se révèlent plus élevées que le charme perfide et la beauté trompeuse du corps de l’Antichrist. Chaque membre du corps réprouvé dit avec passion qu’il appartient au sang de telle et telle famille. S’il s’agit d’un réprouvé pauvre ou de basse naissance, il préfère le sang de telle famille à la lignée d’une autre famille; il aime plus telle et telle personne que la personne de tel autre. S’il s’agit d’un réprouvé riche, il ne cesse de chercher soit à ennoblir sa lignée avant les autres, soit à jouir de sa fortune plus que du peuple chrétien. Tous sont indistinctement des membres du diable. En revanche, chaque membre du corps du Christ révèle par ses oeuvres qu’il est du sang de Jésus-Christ. Fait l’année du renouvellement, entre la veille et le jour de la fête de saint Augustin [entre le 27 et le 28 août 1337], le docteur éminent dont les mérites m’ont soutenu pour aller plus haut, si bien que, grâce à lui, l’Église tout entière est arrosée par les fleuves d’eau vive qui coulent du ventre de l’Europe fidèle – ventre dans lequel il repose corporellement. Désormais la vision que saint Bernard a contemplée est complète, si bien que même les animaux et les bêtes de somme peuvent s’abreuver à ces fleuves.

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270

FOL.

COLLATIO

MEMBRORVM

EVROPE

28

AD QVAMLIBET PERSONAM

Omnes mores uel uitia aut consuetudines Hispanie capitalis uel Francie humeralis uel Prouincie pectoralis uel Alemanie tergalis uel Lombardie uentralis, cum reliquis membris nobilibus uel ignobilibus huius Europe usque ad fimbrias Bulgarie, cum omnibus fidelibus insulis, nichil sunt sed significant mores uel uitia cuiuslibet hominis singillatim, ut secundum bonos mores et uitia sua sciat se singularem in uniuersis et uniuersalem in singulis. Si se senserit uirtuosum in aliquo, iudicet se uniuersalem in singulis, ac si diceret: « Credo me esse talem qualem est talis et talis et talis ». Si uero se senserit uitiosum in aliquo, iudicet se singularem in uniuersis, ac si diceret in sua conscientia: « Iudico me inter ceteros peccatorem ». Et sic erit uerus mensurator totius Europe in se, ut sciat reprobare malum persone sue et eligere bonum uniuersalis Ecclesie. Affrica enim notat personam; Europa uero figurat Ecclesiam. Omne uitium asscribatur persone non aliene sed sue; omnis autem uirtus attribuatur Ecclesie. 1

De iusto iudicio reuertendi unde homo prodierat Cum appropinquarem ad mortem corporalem anno Domini MCCCXXXIIII° de mense aprilis, constitui sepeliri apud Fratres predicatores Auinionenses. Nunc apertis oculis meis iudico me tunc rectum fecisse iudicium ignoranter, uidelicet ut reuerterer ad uentrem matris mee unde prodieram – ad uentrem inquam occeani, inter portam originis et stomachum mortis in plaga occidentali magne Auinionis. Et ideo post aliquos dies me conualescente, alius socius noster loco mei fuit ibi sepultus. Additum anno perfectionis, II idus februarii. De ueris amicis christianitatis aduersus rebellionem Ecclesie Siquis fuerit aduersarius meus secundum hominem per tempora retroacta, iudico eum secundum Deum uerum amicum meum fuisse. Quare? Quia persecutus est solam personam meam quam odio habeo sicut ipse, ne mancipium meum preualeret aduersus me qui sum populus christianus dominus eius. Ceteros autem socios officii nostri diligentes me iudico ueros similiter christianitatis amicos – non persone mee, absit – sed populi christiani. Nunc subiciens personam meam sub me utrisque regracior, tam illis qui subiecerunt aduersarium meum sub me – qui factus fuerat mecum in utero – quam illis qui sustentauerunt, educauerunt et extulerunt me qui sum populus christianus.

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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COMPARAISON

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ENTRE LES PARTIES DU CORPS DE L’EUROPE ET N’IMPORTE QUEL INDIVIDU

Tout ce qui est morale, dépravation ou usages de l’Espagne de la tête, de la France de l’épaule, de la Provence de la poitrine, de l’Allemagne du dos ou de la Lombardie du ventre, en y ajoutant les autres parties du corps connues ou inconnues de cette Europe jusqu’aux confins de la Bulgarie, ainsi que toutes les îles fidèles, ne sont rien, mais indiquent la morale ou la dépravation de tout homme pris individuellement, si bien que, en fonction de sa bonne conduite et de sa dépravation, il comprend qu’il est seul dans l’ensemble et universel en chacun. S’il s’estime vertueux dans un domaine, il doit se considérer comme universel en chacun, comme s’il disait dans sa conscience: « Je crois que je suis comme untel, untel et untel ». En revanche, s’il s’estime dépravé dans un domaine, il doit se considérer comme seul dans l’ensemble, comme s’il disait dans sa conscience: « Je me prends pour un pécheur parmi les autres ». Et ainsi, il aura la mesure réelle de l’Europe tout entière en lui, afin de savoir rejeter le mal de sa personne et choisir le bien de l’Église universelle. En effet, l’Afrique représente la personne, alors que l’Europe incarne l’Église. Tout vice doit être mis au compte de la personne, non celle d’un autre mais la sienne; mais toute vertu doit être attribuée à l’Église. Une bonne décision pour un homme: celle de repartir là d’où il était venu Alors que j’étais aux portes de la mort physiologique, au mois d’avril de l’année du Seigneur 1334, j’ai décidé d’être enterré chez les Frères prêcheurs d’Avignon. A présent que mes yeux se sont ouverts, j’estime que j’ai pris à ce moment-là une bonne décision sans le savoir, c’est-à-dire de repartir dans le ventre de ma mère d’où j’étais venu – oui, dans le ventre de l’océan, entre la porte de la naissance et l’estomac de la mort, dans la région occidentale de la grande Avignon1. Et c’est pourquoi quelques jours après, alors que je reprenais des forces, un autre de nos compagnons a été enterré là-bas à ma place. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des ides de février [12 février 1338]. Les vrais amis de la chrétienté opposés à la révolte contre l’Église Si quelqu’un a été mon adversaire selon l’homme [Matthieu]2 dans les temps passés, j’estime que, selon Dieu, il a été mon véritable ami. Pourquoi? Parce qu’il n’a fait la guerre qu’à ma personne, que je déteste comme lui, pour éviter que mon esclave ne triomphe de moi qui suis le peuple chrétien, son maître. Et j’estime que les autres collègues de notre office qui m’aiment sont eux aussi de véritables amis de la chrétienté – non de ma personne, il s’en faut – mais du peuple chrétien. Mettant aujourd’hui ma personne dans ma dépendance, je remercie les uns et les autres, aussi bien les premiers qui ont mis mon adversaire dans ma dépendance – lui qui avait été formé avec moi dans le sein – que les seconds qui m’ont nourri, instruit et élevé, moi qui suis le peuple chrétien.

1 C’est-à-dire entre Gênes et l’estomac de la tarasque du « petit monde » de V 6. Le couvent des Frères prêcheurs se trouvait en effet dans le quartier occidental d’Avignon. 2 Voir Mt 5, 25.

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272

FOL.

28-28v°

Additum XIII kalendas aprilis, feria VI tertie ebdomadarie XLe. Hac hora tertia recepto nouo socio ad officium nostrum per osculum pacis, recordatus sum de persona mea olim recepta sine osculo pacis, ut simus in uno uinculo caritatis contra aduersarium meum, ut sit semper mancipium meum fidele. [fol. 28v°] QVESTIO

DE REGVLA SANCTI

AVGVSTINI

Ab aliquibus dubitatur si sanctus Augustinus statuerit regulam uite sue nomine Heremitarum an nomine canonicorum regularium. Ad hec mihi uidetur clara responsio, nisi opposita uisibilis ratio demonstretur quod nulla auctoritate historie uel scripture apparet sanctum Augustinum primo statuisse ordinem Heremitarum. In nulla scriptura antiqua reperio hunc ordinem nominari; per totum decretum uetus et nouum, per totas decretales per Gregorium papam VIIII editas, non inuenitur memoria huius ordinis, nisi in iure nouo canonico sexti uel septimi aut utriusque. Cum enim primo insurrexissent noui ordines Mendicantium (Predicatorum et Minorum), non solum ad hereses destruendas sed etiam ad superfluitates bonorum Ecclesie asscriptorum persone non uerbo sed opere arguendas, post aliquod tempus apparuerunt alii duo similiter ordines sanctissime similis paupertatis, Heremitarum et Carmelitarum, ut adiunctis caritatiue binis cum binis ultima sancta quaternitas impleretur. Prima enim ante aduentum Domini fuit quaternitas prophetarum maiorum: Ysaie, Ieremie, Ezechiel et Daniel. Post aduentum Domini fuit secunda quaternitas euangelistarum: Mathei, Marci, Luce et Iohannis. Tertia quaternitas patriarcharum orientalis Ecclesie, scilicet Iherosolomitani, Anthiocheni, Alexandrini, qui fuerint statuti sub eodem tempore; deinde tempore longinquo ab illis Constantinopolitani, ut ostenderetur conuersio superborum in humiles. Primus enim patriarchatus statutus est contra primum regem Assiriorum, secundus contra nouissimum Romanorum, tertius contra secundum Cartaginensium, et quartus contra tertium Grecorum. Vt autem Ecclesia super conuersionem infidelium procederet a dextera in sinistram, statuit postea nouissimum esse primum Constantinopolitanum, secundum Anthiochenum, tertium Iherosolimitanum et quartum Alexandrinum. Hoc recordatus sum anno perfectionis, III kalendas maii, ut iste tres quaternitates cum tribus sequentibus numero VI quaternitates sint computatione XXIIIIor seniores (id est modernum sacerdotale collegium circa maiestatem Ecclesie specularis). Quarta quaternitas doctorium principalium: Ieronimi presbiteri cardinalis, Augustini episcopi, Ambrosii archiepiscopi et Gregorii pape; et hoc ratione gradualium dignitatum. Ratione uero temporis, primus www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Ajouté le 13 des calendes d’avril, la 6e férie de la troisième semaine de Carême [vendredi 20 mars 1338]. En cette troisième heure où un nouveau collègue était accueilli à notre office avec le baiser de paix, je me suis rappelé que ma personne avait été autrefois accueillie sans baiser de paix, si bien que nous sommes unis par le seul lien de la charité contre mon adversaire et que celui-ci ne cesse d’être mon esclave fidèle. [fol. 28v°] PROBLÈME

RELATIF À LA RÈGLE DE SAINT

AUGUSTIN

Certains se demandent si saint Augustin a établi sa règle de vie à l’intention des Ermites ou à l’intention des chanoines réguliers. A mon sens, la réponse à cette question est claire, à moins qu’un argument contradictoire évident ne montre1 qu’un texte historique ou littéraire faisant autorité n’atteste que saint Augustin a d’abord fondé l’ordre des Ermites. Je ne trouve cet ordre mentionné dans aucun texte ancien; si l’on parcourt l’ensemble des décrets, anciens et nouveaux, et des décrétales promulgués par le pape Grégoire IX, on ne trouve pas trace de cet ordre, sauf dans le récent droit canon2 (livres VI, VII, ou les deux). En effet, alors que, parmi les nouveaux ordres mendiants, les Prêcheurs et les Mineurs ont été les premiers à se développer, non seulement pour détruire les hérésies mais aussi pour dénoncer, non en paroles mais en actes, la surabondance des biens d’Église attribués individuellement, quelque temps après, deux autres ordres similaires sont nés, eux aussi consacrés à la même très sainte pauvreté, les Ermites et les Carmes3, afin que l’association des binômes aux binômes par la charité permette la réalisation de la sainte quaternité finale. En effet, avant l’avènement du Seigneur, la première quaternité a été celle des grands prophètes: Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et Daniel. Après l’avènement du Seigneur, il y a eu la deuxième quaternité, celle des évangélistes: Matthieu, Marc, Luc et Jean. La troisième quaternité concerne les patriarches de l’Église orientale: à savoir ceux de Jérusalem, d’Antioche, d’Alexandrie, qui ont été établis à la même époque, puis, à une époque éloignée des premiers, celui de Constantinople4, si bien qu’on a

Construction compliquée avec accumulation de négations (nisi, opposita, nulla) qui s’opposent aux termes positifs (visibilis, demonstretur, apparet). 2 Les décrétales sont des actes pontificaux à valeur jurisprudentielle, promulguées à la suite d’une demande. Les décrets sont des décisions générales prises à l’initiative même du pape. Le jus novum désigne la compilation des décrétales ordonnés par Grégoire IX à Raymond de Peñafort: le Liber extra Decretum ou X (1234). 3 Les ordres mendiants ont été fondés et/ou organisés dans la première moitié du XIIIe siècle: les Prêcheurs ont été fondés par saint Dominique et les Mineurs par saint François au début du XIIIe siècle; les Ermites de saint Augustin (appelés aussi Augustins) ont été organisés par le pape Alexandre IV en 1256; et les Carmes (ordre des frères de la bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel fondé en Orient en 1185 par un croisé) ont été rattachés à la famille des Mendiants par le pape Innocent IV en 1247. 4 Opicinus indique que les premières communautés chrétiennes se sont organisées à Jérusalem, Antioche et Alexandrie au Ier siècle, celle de Constantinople au IVe siècle. Historiquement, c’est au VIe siècle que l’Église est officiellement divisée en cinq patriarcats: Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. 1

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FOL.

28v°

Ieronimus, secundus Ambrosius, tertius Augustinus – licet fuerint quasi contemporanei – et quartus longinquus ab hiis est Gregorius. Ratione autem gradualis doctrine, historia pertinet ad Ieronimum, allegoria ad Ambrosium, tropologia ad Gregorium et anagogia ad Augustinum. Quinta quaternitas regularum claustralium habentium propria in communi: Basilii, Augustini, Benedicti et Francisci (qui illam proprietatem reiecit a se et tradidit ordinibus sancte Clare et penitentum1 utriusque ordinis). Sexta et nouissima quaternitas ordinum Mendicantium est: Predicatorum sub regula sancti Augustini, Minorum sub regula sancti Francisci, Heremitarum sub regula eiusdem sancti Augustini et Carmelitarum sub qua regula nescio. Redeamus ergo ad opinionem de ordine Heremitarum. Cum aliquis religiosus claustralis scribitur iuxta stilum Romane curie, si fuerit immediate de quauis regula supradicta, sic appellatur « talis frater N. uel soror N., ordinis sancti Basilii » uel « canonicus ordinis sancti Augustini » uel « monachus ordinis sancti Benedicti » uel « frater penitens ordinis sancti Francisci ». Si enim canonicus regularis esset mediate sub regula sancti Augustini, sicut dicitur de multis ordinibus claustralibus collateralibus et fundatis sub quauis regula istarum mediate, tunc iuxta stilum predictum diceretur simpliciter « canonicus ordinis regularis » (sicut dicitur « ordinis Premonstratensis ») sine nominatione « ordinis sancti Augustini », qui tamen intelligitur sicut mihi uidetur, sicut etiam dicitur « frater N., ordinis Cisterciensis » uel « Cluniacensis » uel « Vallis umbrose » uel « Humiliatorum », sine nominatione « ordinis sancti Benedicti » qui semper in istis intelligitur. Nunquam tamen inuenitur canonicus huiusmodi aliter scriptus nisi immediate ordinis sancti Augustini secundum traditionem antiquam a temporibus retroactis. Quilibet autem ordinis Mendicantium appellatur simpliciter « ordinis Predicatorum », « Minorum » et « Carmelitarum »; Heremitis autem facit Ecclesia additionem « sancti Augustini », ut uideantur differre a solitariis heremitis qui adhuc nominantur ubique. Si enim hic ordo Heremitarum esset principaliter et immediate sub regula sancti Augustini, tunc simpliciter Ecclesia diceret sic: « frater N., ordinis sancti Augustini » uel melius « N., ordinis Augustinensis » – quod nunquam concedit heremitis Ecclesia per inusitatum uocabulum. Si obiciatur quare Fratres minores non appellantur « ordinis sancti Francisci » a quo statuti sunt, respondeo: « Vbicumque nominatur ‘ordinis sancti Basilii’ uel ‘sancti Benedicti’ uel ‘sancti Augustini’ uel ‘sancti Francisci’, semper intelligitur de regula claustralium habentium in communi aut penitentium habentium licite proprium; quam tamen regulam sanctus Franciscus abiecit, licet uocetur

1

On attendrait: penitentium.

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vu les orgueilleux devenir humbles. En effet, le premier patriarcat a été fondé pour s’opposer au premier roi des Assyriens, le deuxième pour s’opposer au dernier roi des Romains, le troisième pour s’opposer au deuxième roi des Carthaginois, et le quatrième pour s’opposer au troisième roi des Grecs. Et pour que l’Église aille de droite à gauche pendant la conversion des infidèles, elle a ensuite décidé que le dernier, celui de Constantinople, était le premier1, le deuxième celui d’Antioche, le troisième celui de Jérusalem, et le quatrième celui d’Alexandrie. Je me suis rappelé cela en l’année de la perfection, le 3 des calendes de mai [29 avril 1338], si bien que ces trois quaternités ajoutées aux trois suivantes donnent un nombre de six quaternités permettant de faire le compte des 24 vieillards2 (c’està-dire du collège sacerdotal actuel qui entoure la majesté de l’Église du miroir). La quatrième quaternité a été celle des principaux docteurs: Jérôme, prêtre cardinal, Augustin, évêque, Ambroise, archevêque, et Grégoire, pape; et ceci, en fonction de la hiérarchie des fonctions. En revanche, en fonction de l’époque, le premier a été Jérôme, le deuxième Ambroise, le troisième Augustin – bien qu’ils aient vécu presque en même temps – et le quatrième, bien après, Grégoire. Et en fonction de la classification des méthodes, l’histoire appartient à Jérôme, l’allégorie à Ambroise, la tropologie à Grégoire et l’anagogie à Augustin3. La cinquième quaternité a été celle des réguliers cloîtrés possédant des biens propres en commun: Basile, Augustin, Benoît et François; ce dernier a refusé ces possessions pour lui et les a remises aux ordres de sainte Claire et des pénitents des deux ordres. La sixième et dernière quaternité est celle des ordres mendiants: les Prêcheurs, qui observent la règle de saint Augustin4, les Mineurs, la règle de saint François5, les Ermites, la règle du même saint Augustin, et les Carmes, la règle de je ne sais qui. Revenons donc à la question concernant l’ordre des Ermites. Lorsqu’un religieux cloîtré est mentionné en fonction de la terminologie de la curie romaine, s’il observe directement l’une des règles indiquées ci-dessus, il est désigné comme suit: « Un(e)tel(le), frère N. ou sœur N., de l’ordre de saint Basile » ou « chanoine de l’ordre de saint Augustin6» ou « moine de l’ordre de saint Benoît » ou « frère pénitent de l’ordre de saint François ». En effet, si le chanoine régulier observait indirectement la règle de saint Augustin, comme c’est le cas pour de nombreux ordres cloîtrés annexes, fondés en s’inspirant de l’une des règles en question, la terminologie indiquée plus haut le qualifierait alors simplement « chanoine d’un ordre régulier » (comme on dit: « de l’ordre de Prémontré7»), sans mentionner Voir Mt 19, 30 et 20, 16; Mc 10, 31; Lc 13, 30. Voir les 24 vieillards de l’Apocalypse: 4, 4 et ss. 3 On distingue quatre sens dans l’éxégèse biblique: le sens littéral, le sens tropologique (ou moral), le sens typologique (ou allégorique), et le sens anagogique. Voir fol. 55v° et V 17, notes 1-4. 4 Saint Dominique, fondateur des Prêcheurs, était chanoine régulier augustin au départ. 5 Saint François est nommé dans les cinquième et sixième quaternités. 6 Les chanoines réguliers de saint Augustin existent depuis le Xe siècle. 7 Prémontré: monastère fondé en 1121 par Norbert de Xanten. Aisne, ar. Laon, c. Coucy-le-Château-Auffrique. 1 2

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FOL.

28v°-29

nomine suo, et se restrinxit ordini Mendicantium. Non sic autem fecit sanctus Augustinus sed per alium modum uiuendi, licet ambo fuerint in statu perfectorum in eisdem uirtutibus. Semper enim obseruauit usque ad finem regulam sub sanctis apostolis constitutam, habens in communi iuxta regulas claustralium. Statuit quidem in Affrice partibus [fol. 29] originis sue monasterium clericorum (id est canonicorum regularium secundum apostolicam regulam supradictam), quod non uidetur congruere ordini Heremitarum mendicantium; nec unquam auditum fuit nec lectum hunc ordinem Heremitarum a partibus Affrice prouenisse. Et si forte sanctus Augustinus statuerit hunc ordinem in partibus Tuscie (quod mihi certum non est), non credendum est tamen ipsum primo sumpsisse huiusmodi habitum artiorem, deinde transisse ad regulam laxiorem, nisi forte primo fuerit solitarius heremita ad edomationem carnis, deinde factus perfectior transiuerit ad regulam communis conuersationis propter caritatis feruorem. A quo forte traxit exemplum sanctus Benedictus qui fecit similiter. Similiter sanctus Franciscus post solitudinem uite progressus est cum zelo et feruore caritatis ad conuersationem humanam more uescendi de quolibet, cum testimonio tamen altissime paupertatis quam habebat in spiritu. Tempore puerilis Ecclesie, uiri sancti proficiebant in solitudine uel heremitica uita, nil possidentes proprium nec in communi. Facti autem perfecti, progrediebantur ad uitam communem, sicut Ieronimus, Antonius et Benedictus; et sic forte Augustinus fuit prius heremita quam canonicus regularis. Senectute uero moderna, siquis in ordine paupertatis uir perfectus transierit similiter ab ordine Heremitarum sancti Augustini ad canonicos regulares, non peccat in se sed erit non bonum exemplum infirmis. Ergo procedamus ad hunc sanctum ordinem Heremitarum quem diligo cum ceteris sanctis ordinibus. Nunquam audiui nominari fratres Augustinenses nisi postquam transiui ad Gallias. Hic ordo per totam Lombardiam, presertim Papie ubi quiescit corporaliter sanctissimus Augustinus, nunquam appellatur aliter nisi simplex ‘ordo Heremitarum’ uel ‘Heremitanorum’ iuxta uulgare ». Exemplum. Vnde cum quidam semel frater eiusdem ordinis de partibus Neapolitanis aduenisset Papiam, quesiuit a Papiensibus ubi commorarentur fratres sancti Augustini – intelligendo de fratribus ordinis sui; qui aliter intelligentes duxerunt illum ad monasterium Sancti Petri in Celo Aureo canonicorum ordinis sancti Augustini. Qui uidens se quasi delusum, reductus est ad ecclesiam Sancte Mustiole fratrum ordinis Heremitarum. Hec recitauit quasi iocose in predicatione coram populo in presentia mea: « Ecce, inquit, quanta differentia est inter illud ditissimum monasterium et istam pauperrimam domum nostram. Putabam enim me inuenisse nobilissimam domum nostram uidendo illam a longe et prope, qua reperi me fraudatum ». Nondum enim tunc fiebat mentio de traditione illius loci fratribus huius ordinis. Nunc audiui eos adimplesse desiderium suum, quod plawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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« de l’ordre de saint Augustin »; ce dernier est néanmoins sous-entendu, à mon avis, dans la mesure où l’on dit aussi « frère N., de l’ordre de Cîteaux1», « de Cluny2», « de Vallombreuse3» ou « des Humiliés4», sans mentionner « de l’ordre de saint Benoît », lequel est toujours sous-entendu dans ces appellations. Cependant on ne trouve jamais un chanoine de ce genre mentionné autrement s’il n’appartient pas directement à l’ordre de saint Augustin, selon la tradition ancienne en vigueur depuis les temps reculés. Et tous ceux qui appartiennent à l’ordre des Mendiants sont simplement mentionnés comme étant « de l’ordre des Prêcheurs », « des Mineurs » et « des Carmes »; mais pour les Ermites, l’Église ajoute la mention « de saint Augustin », pour les distinguer clairement des ermites solitaires qu’on appelle encore ainsi partout. En effet, si cet ordre des Ermites observait fondamentalement et directement la règle de saint Augustin, l’Église dirait alors simplement: « frère N., de l’ordre de saint Augustin », ou mieux « N., de l’ordre d’Augustin » – appellation que l’Église ne donne jamais aux Ermites, car elle n’a pas cours. Si l’on me demande pourquoi l’on ne dit pas pour les Frères mineurs qu’ils sont « de l’ordre de saint François », leur fondateur, je réponds: « Partout où figure la mention ‘de l’ordre de saint Basile’, ‘de saint Benoît’, ‘de saint Augustin’ ou ‘de saint François’, il s’agit toujours de la règle des cloîtrés ayant des biens en commun ou des pénitents ayant des biens personnels autorisés; or c’est cette règle que saint François a récusée, bien qu’elle porte son nom, et elle s’est donc limitée à l’ordre des Mendiants. Quant à saint Augustin, il ne s’est pas comporté ainsi, mais il a vécu d’une autre manière, même si tous deux sont parvenus à la condition des parfaits en pratiquant les mêmes vertus. En effet, il n’a cessé d’observer jusqu’à la fin la règle créée au temps des saints apôtres, avec des possessions en commun conformément aux règles des cloîtrés. Il est vrai qu’il a fondé en pays africain [fol. 29] où il était né un monastère de clercs (c’est-à-dire de chanoines réguliers observant la règle apostolique indiquée plus haut), qui n’a apparemment pas de rapport avec l’ordre des Ermites mendiants; et on n’a jamais entendu dire ou lu que cet ordre des Ermites était né en pays africain. Et si par hasard saint Augustin a fondé cet ordre sur le territoire toscan5 (ce dont je ne suis pas sûr), on ne doit pas croire pour autant qu’il a commencé par adopter un tel mode de vie plutôt strict, avant de passer à une règle plus souple; à moins que peut-être il n’ait d’abord été un ermite solitaire pour dompter sa chair et qu’ensuite, ayant avancé sur le chemin de la perfection, il ne soit passé à la règle de la vie communautaire, à cause de sa charité ardente. Saint Benoît en

1 2

Cîteaux: monastère fondé en 1098 par Robert de Molesmes. Côte-d’Or. Cluny: monastère fondé en 910 par Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine. Saône-et-

Loire. 3 Vallombreuse: monastère fondé au XIe siècle (à 25 km à l’est de Florence) par Jean Gualbert. 4 En 1201, Innocent III organise les Humiliés en trois ordres gouvernés par un chapitre général commun: clercs (chanoines et soeurs), laïcs continents et gens mariés. Dès le milieu du XIIIe siècle, le mouvement se cléricalise: le premier ordre absorbe peu à peu le second, le troisième s’étiole. 5 Allusion aux débuts de la fondation des Ermites de saint Augustin: en 1243, le pape Innocent IV réunit en une seule communauté mendiante les ermites de Toscane.

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FOL.

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cet mihi ad honorem beatissimi Augustini, qui patronus et pater est non solum eorum sed etiam ordinum reliquorum cum claustralibus regulis. Sed ne detur occasio inuidendi, nulla fiat nouitas in Papia de additione nominis Heremitarum « sancti Augustini », nec nominetur « ordo Augustinensis », sed simpliciter « Heremite ». Hoc non dico iubendo sed caritatiue rogando, ne fiat insolita gloria personalis in sancto nec principalior honor localis in ordine, sed omnis antiqua traditio conseruetur. Conseruetur semper primus honor ordinis canonicorum sancti Augustini ad honorem exemptionis eorum erga sanctam Romanam Ecclesiam. Tractent et illi canonici istos fratres cum caritate fraterna per mutuam preuentionem honoris alterutrius, sicut in ecclesia Sancti Ambrosii Mediolanensi, ut arbitror, monachi ordinis sancti Benedicti et canonici seculares caritatiue se tractant alterutrum: canonici seculares sic deferunt religiosis ut ultimo matutinas et primo celebrent missas, sicut partim conspexi et partim audiui; et monachi primo celebrant matutinas et ultimo missas. In ecclesia autem monasterii Sancti Petri in Celo Aureo Papiensi audiui sic deferre canonicos regulares Fratribus heremitis ut, canonici omisso officio suo, simul celebrent officium secundum Romanam Ecclesiam cum fratribus illis. Hec sunt indicia caritatis ut ciuitas Papiensis habeant1 inde bonum exemplum. Horum fratrum cum illis canonicis fuit mediator, ut loquar secundum carnem, patruus meus (id est frater quondam patris mei carnalis). Et illos benigne suscepit illuc abbas huius monasterii, cognatus quondam auunculi mei (id est fratris mee matris carnalis). Nunc totaliter detur obliuioni illa consanguinitas mundi, ne impediatur nostra consanguinitas Ihesu Christi, ut cum sanctis fratribus illis spiritualibus per eandem religionem intrinsecam a Deo merear numerari. Actum die sancti Augustini predicti. Vt per tantum doctorem uita heremitica christianitatis occulte transeat ad lucem uniuersalis Ecclesie, que est in omnibus regularis et uite mediocris. Ideo isti in uentre terrestri appellantur simpliciter « Heremite »; et in pectore celesti, quasi celum aureum de Francia in Papiam translatum, per totam Franciam et Prouinciam « Augustinenses » uocantur quasi canonici regulares. Additum anno reuelationis, III nonas februarii.

1

On attendrait: « habeat ».

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a peut-être tiré exemple en se comportant de la même façon. Saint François, lui aussi, après une vie de solitude, s’est tourné avec une charité fervente et ardente vers la compagnie des hommes, en adoptant un genre de vie où il mangeait de tout, tout en donnant le témoignage de sa très haute pauvreté spirituelle1. Quand l’Église était dans l’enfance, les saints hommes se perfectionnaient en menant une vie solitaire ou érémitique, en ne possédant rien en propre ni en commun. Et devenus parfaits, ils se tournaient vers la vie communautaire, tels Jérôme, Antoine et Benoît2; et c’est ainsi qu’Augustin a peut-être été ermite avant d’être chanoine régulier. En revanche, au temps de la vieillesse actuelle, si un homme parfait qui suit la règle de la pauvreté quitte lui aussi l’ordre des Ermites de saint Augustin pour les chanoines réguliers, il ne commet pas de péché, mais il ne sera pas un bon exemple pour les faibles. Nous devons donc cheminer vers ce saint ordre des Ermites, que j’aime comme les autres saints ordres. Je n’ai jamais entendu parler des frères d’Augustin si ce n’est après être passé en Gaule. Dans l’ensemble de la Lombardie, notamment à Pavie où repose le corps du très saint Augustin, cet ordre n’est jamais appelé autrement que ‘l’ordre des Ermites’ (ou ‘des Ermitains’, en langue vulgaire), sans façons ». Un exemple. C’est pourquoi, un jour, un frère de ce même ordre, en provenance de la région de Naples, arrivant à Pavie, demanda aux habitants de Pavie où demeuraient les frères de saint Augustin: il voulait parler des frères de son ordre; les habitants, ayant compris la question différemment, le conduisirent au monastère de Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or, des chanoines de l’ordre de saint Augustin. Le frère, voyant qu’il y avait eu erreur, fut ramené à l’église de SainteMustiole, des frères de l’ordre des Ermites3. Il prononça alors ces mots pour plaisanter, en prêchant devant le peuple en ma présence: « Voici, dit-il, quelle grande différence il y a entre ce monastère très riche et cette maison très pauvre qui est la nôtre. En effet, je pensais avoir atteint notre très honorable maison en la voyant de loin et de près, et je m’y suis trouvé l’objet d’une méprise ». En effet, il n’était pas encore question de donner ce lieu aux frères de cet ordre. Maintenant j’ai entendu dire qu’ils avaient réalisé leur souhait, ce qui me réjouit pour la gloire du très bienheureux Augustin, qui est un patron et un père non seulement pour eux, mais aussi pour les autres ordres qui observent des règles pour cloîtrés. Mais pour éviter de susciter des jalousies, il ne faut introduire aucun changement à Pavie en ajoutant au nom des Ermites « de saint Augustin », et il ne faut pas dire « l’ordre d’Augustin », mais seulement « les Ermites ». Je ne parle pas en donnant des ordres mais en demandant avec charité, afin que le saint ne connaisse pas de gloire personnelle inhabituelle et que l’ordre ne connaisse pas une notoriété locale plus marquée, mais pour que toute la tra1 L’ensemble de ce passage montre qu’Opicinus s’identifie à la fois à saint Augustin et à saint François. On y retrouve la question de la pauvreté (sur le plan théorique, et par rapport à l’expérience personnelle du prêtre, quand il était entre Pavie et Avignon). 2 C’est-à-dire saint Jérôme, saint Antoine le Grand et saint Benoît de Nursie (vers 480 – vers 547), qui ont vécu une partie de leur vie dans la solitude. Le dernier est le père du monachisme occidental (règle bénédictine) 3 Ce monastère de Pavie est cité dans le De laudibus. Sainte Mustiole, fêtée le 3 juillet, fut martyrisée sous Aurélien en même temps que le diacre Irénée.

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DE

FOL.

SPECVLARI

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ECCLESIA

Corpus cuiuscumque persone corrumpitur; corpus autem populi christiani nunquam corrumpetur. Primum corpus est domus terrestris et fragilis; secundum uero corpus est domus celestis non manufacta existens in celis (id est in hiis celestibus hominibus). Que respectu inferiorum est domus celestis; respectu uero superiorum est domus quasi terrestris, non tamen corruptibilis sed quiescens in spe donec glorificetur in patria. Anima personalis, si habeat affectionem ad corpus proprium, perdita est cum corruptibili corpore. Actum die sancti Augustini in nocte sequenti de scripturis superioribus. 1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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dition ancienne soit respectée. Il ne faut pas cesser de maintenir la renommée prédominante de l’ordre des chanoines de saint Augustin, afin d’honorer leur exemption à l’égard de la sainte Église romaine. Ces chanoines-là doivent aussi se conduire avec ces frères-ci avec une charité fraternelle, en préservant la renommée respective des uns et des autres, comme à l’église de Saint-Ambroise de Milan, où, j’en suis persuadé, les moines de l’ordre de saint Benoît et les chanoines séculiers se conduisent les uns les autres avec charité: ainsi les chanoines séculiers laissent les religieux dire les matines en dernier et les messes en premier (je l’ai en partie constaté, en partie entendu dire); et les moines disent les matines en premier et les messes en dernier. Et dans l’église du monastère de SaintPierre-au-Ciel-d’Or à Pavie, à ce que j’ai entendu dire, les chanoines réguliers sont d’accord avec les Frères ermites pour renoncer à leur office et le dire en même temps que ces frères, en suivant l’usage de l’Église romaine. Voilà des preuves de charité permettant à la ville de Pavie de disposer d’un bon exemple. Celui qui fit l’intermédiaire entre ces frères et ces chanoines était mon oncle paternel (c’est-à-dire le frère de mon père charnel défunt), pour parler selon la chair. Et l’abbé de ce monastère qui les accueillit là avec bonté était apparenté à mon oncle maternel défunt (c’est-à-dire au frère de ma mère charnelle). Aujourd’hui, il faut complètement oublier cette consanguinité du monde, pour ne pas entraver notre consanguinité avec Jésus-Christ, afin que je mérite d’être compté par Dieu au nombre de ces saints frères spirituels dont je partage la piété profonde. Fait le jour susdit [de la fête] de saint Augustin déjà cité [28 août 1337]. Pour que, grâce à un docteur si éminent, la vie érémitique de la chrétienté cachée passe à la lumière de l’Église universelle, qui suit la règle en tout et qui mène la vie du juste milieu. C’est pourquoi ceux qui sont dans le ventre du monde sont simplement dénommés « Ermites »; et dans la poitrine céleste, comme si le ciel d’or était passé de France à Pavie, dans l’ensemble de la France et de la Provence, ils sont appelés « Augustins », c’est-à-dire chanoines réguliers. Ajouté l’année de la révélation, le 3 des nones de février [3 février 1339]. L’ÉGLISE

DU MIROIR

Le corps de toute personne est corrompu; mais le corps du peuple chrétien ne sera jamais corrompu. Le premier corps est une maison terrestre et périssable; mais le second corps est une demeure céleste, qui n’a pas été faite de main d’homme et qui se trouve dans les cieux (c’est-à-dire chez ces hommes célestes). Vue d’en bas, il s’agit d’une demeure céleste; alors que, vue d’en haut, il s’agit d’une demeure presque terrestre, mais qui n’est pas corruptible et qui se tient tranquille dans l’espérance avant d’être glorifiée dans la patrie. L’âme personnelle, si elle est attachée au corps personnel, est perdue avec le corps voué à la corruption. Les écrits du haut datent de la fête de saint Augustin [28 août 1337], dans la nuit qui a suivi.

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FOL.

29

MÉDAILLON

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Monasterium Sancti Petri in Celo Aureo Papiensi, cuius abbas mitratus est quasi episcopus; ubi ambo in uno Spiritu colligantur. Iohannes Baptista decollatus Augustinus episcopus Ypponensis huc translatus occidens septentrio oriens auster heremetice uite cultor institutor apostolice uite Ecce pacificatio Lombardie ubi Iohannes sine capite glorie personalis accedit ad Augustinum doctorem Ecclesie, ab Affrica Ianue ad Europam Papie, ab austro uite austere ad septentrionem uite mediocris. Non enim decet Papiam accedere Ianuam (id est papam ad suum minorem); nec debet reuerti Europa ad Affricam, nec habitus lucis ad habitum tenebrarum, nec septentrio ad austrum (id est nec mediocritas ad austeritatem). Abiciatur squaliditas heremi et resumatur mediocritas regularis. Ciuitas Auinionensis, ubi unus ab Affrica episcopi Tusculanensis ad alium in Europam Auinionensis Ecclesie sub episcopo suo accedit. Additum anno reuoluto qui est annus perfectionis, eadem die sancti Augustini, de ymaginibus et scripturis. Christus hodie predicauit, qui per hominem aperit ora mutorum, qui olim predicabat per infirma signorum. Amodo abeant signa et loquantur opera muta. Que sint signa et muta, iudicetur per fratres. Hodie sancti Hermetis, quasi per sincopam heremite.

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MÉDAILLON Ce petit dessin coincé en bas de la page à droite est postérieur au jet d’ensemble. Il représente le couple sponsal Jean-Baptiste/Augustin inscrit dans un double cercle portant les points cardinaux et surmonté d’une mitre. Les notes qui l’accompagnent synthétisent la pensée opicinienne.

1.

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Le monastère de Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or à Pavie, dont l’abbé porte une mitre comme un évêque; là où l’un et l’autre sont réunis dans un seul Esprit1. Jean-Baptiste décapité Augustin, évêque d’Hippone, transféré ici2 l’ouest le nord l’est le sud l’adepte de la vie érémitique le fondateur de la vie apostolique Voici la pacification de la Lombardie, où Jean, dépourvu de la tête de la gloire personnelle, rejoint Augustin, docteur de l’Église, en allant de l’Afrique de Gênes à l’Europe de Pavie, de la vie austère menée au sud à la vie du juste milieu menée au nord. En effet, il ne convient pas que Pavie s’approche de Gênes (c’est-à-dire le pape de son inférieur); et l’Europe ne doit pas revenir vers l’Afrique, ni les comportements lumineux vers les comportements ténébreux, ni le nord vers le sud (c’est-à-dire le juste milieu vers l’austérité). Il faut rejeter la sécheresse de la solitude et reprendre comme règle la vie du juste milieu3. La ville d’Avignon, où l’un venant de l’Afrique de l’évêque de Tusculum4 rejoint l’autre dans l’Europe de l’Église d’Avignon soumise à son évêque. La médaillon et les notes ont été ajoutées l’année en cours, qui est l’année de la perfection, encore le jour [de la fête] de saint Augustin [28 août 1338]. Aujourd’hui le Christ a prêché, lui qui a ouvert la bouche des muets grâce à un homme et qui prêchait autrefois en s’aidant de la faiblesse des signes. Dorénavant, les signes doivent disparaître et les œuvres mystérieuses s’exprimer. Que nos frères apprécient ce que sont les signes et les secrets. Aujourd’hui c’est la fête de saint Hermès5 (pour ainsi dire l’ermite, si l’on enlève une syllabe).

Saint Jean-Baptiste et saint Augustin, deux des identifications préférées d’Opicinus, représentent un seul évêque, celui de Pavie, auquel Opicinus s’identifie aussi. 2 Les reliques de saint Augustin se trouvent dans le monastère de Saint-Pierre-auCiel-d’Or. 3 Résumé éloquent de l’itinéraire d’Opicinus (de la pauvreté de Jean-Baptiste à la vie du juste milieu d’Augustin). Il y superpose des notions géographiques et l’opposition lumière/ténèbres, et il place le pape au sommet! 4 Tusculum: dans le Latium. 5 Saint Hermès: martyr mort vers 120 avec ses compagnons. Mémoire le 28 août. 1

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FOL.

29v°

[fol. 29v°] Si autem anima personalis se conuerterit ad animam uniuersalem (id est anima mea odio habenda conuersa fuerit in animam nostram ab omnibus diligendam), tunc salua est in corpore populi christiani quod nunquam dissipabitur neque corrumpetur, eo quod in illo uiuifico templo in perpetuum regnat Deus. Anima cuiuslibet perfecti ex nunc transit per mores et uirtutes a corruptibili domo corporis sui ad domum incorruptibilem non manufactam conseruatam in celis (id est in celestibus uiris). A corpore proprio anima propria transit ad corpus uniuersitatis cum anima uniuersa. Hoc facit unusquisque perfectus in hoc seculo quod fecisse sibi monstratur post suum transitum naturalem in alia uita; quod in generali Iudicio reuelabitur in oculis omnis carnis. Tunc ibi uidebitur electos in hac uita transisse a corpore ad corpus, a personali ad uniuersale (intelligatur semper uniuersale diuinum in quo corporaliter diuinitas habitat, non uniuersale carnalium in quo diabolus regnat). Tunc ibi cernetur reprobos in hac uita nunquam uoluisse transire a corpore proprio, quorum uniuersitas cum corpore suo (id est corpus uniuersitatis carnalium) precipitabitur in eterna supplicia. Corpus autem specularis Ecclesie transferetur ad speciem eterne beatitudinis. Domus fundamentalis est corpus Christi glorificatum in patria; domus autem specularis est corpus incorruptibile populi christiani; corrumpuntur uero corpora personarum. Nunc speculariter contemplamur per intelligibilem fidem in pectore huius Ecclesie Christum in forma humana, quem per uisibile corpus cognoscimus hominem et per intelligibilem fidem credimus uerum Deum. Ecce quod non potest firmiter credi et totis affectibus adorari inuisibilis Deus nisi per uisibilem hominem apparentem, ut adoretur in humanitate diuinitas. Ecce quod de necessitate oportuit Deum incarnari, ut qui adorabant simulacra muta in similitudine corruptibilium ymaginum, sicut nunc faciunt gentes Lombarde, conuerterentur ad cultum incorruptibilis ymaginis Dei et hominis, sicut facit quilibet christianus adorans uerum Deum in incorruptibili templo suo. Preterea cum anima hominis non possit depingi in ymagine uisibili, placuit uero Deo post se glorificare in carne beatissimam Virginem Mariam matrem suam, que rationabiliter et intelligibiliter quasi ymaginarie potest depingi in pectore huius Ecclesie sedens a dexteris Filii sui ipsumque complectens, que habens rem in se ex seipsa significat animam uniuersalem huius Ecclesie unitam cum Deo per gratiam; ut sicut inuisibilis Deus potest depingi in ymagine carnis, ita inuisibilis anima hominis possit depingi in ymagine carnis; quam animam nomine uniuersitatis (id est totius huius Ecclesie) significat beata Virgo Maria glorificata in carne. Mater et Filius habentes rem in se significant animam et Deum qui uisibiliter depinguntur. Vbicumque describitur ista uirgo significans animas a dextris Ihesu Christi, testificatur animas perfectorum in intelligibili fide. Vbicumque uero describitur a sinistris habens Christum a dextris, significat animas infirmorum adhuc in modico lumine fidei. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 29v°] Mais si l’âme personnelle se tourne vers l’âme universelle (c’est-à-dire si mon âme que je dois détester se tourne vers notre âme qui doit être aimée de tous), elle est alors sauvée dans le corps du peuple chrétien qui ne sera jamais dispersé ni corrompu, car Dieu règne éternellement dans ce temple qui vivifie. L’âme de chaque parfait passe dès maintenant, grâce à sa morale et à ses vertus, de la demeure corruptible de son corps à la demeure incorruptible, qui n’est pas faite de main d’homme et qui est gardée dans les cieux (c’est-à-dire chez les hommes célestes). L’âme personnelle passe de son corps personnel au corps de l’universalité comme de l’âme universelle. Chaque parfait fait dans ce monde ce qu’on lui montre qu’il a fait après son passage naturel dans l’autre vie, et qui sera dévoilé aux yeux de toute chair lors du Jugement général. On verra alors que les élus sont passés dans cette vie d’un corps à un autre, de leur corps personnel au corps universel (il s’agit toujours du corps universel divin où la divinité habite corporellement, et non du corps universel des hommes charnels sur lequel règne le diable). On s’apercevra alors que les réprouvés n’ont jamais voulu quitter dans cette vie leur corps personnel; leur communauté ainsi que son corps (c’est-à-dire le corps de la communauté des hommes charnels) sera précipitée dans les supplices éternels. En revanche, le corps de l’Église du miroir passera à la vision de la béatitude éternelle. La demeure fondamentale, c’est le corps du Christ glorifié dans la patrie, et la demeure du miroir, c’est le corps incorruptible du peuple chrétien; mais les corps des personnes sont corrompus. Pour l’instant, nous contemplons dans un miroir, grâce à la foi intelligible, le Christ sous forme humaine dans la poitrine de cette Église, lui dont nous savons qu’il est un homme grâce à son corps visible et croyons qu’il est le vrai Dieu grâce à la foi intelligible. C’est ainsi que l’on ne peut croire fermement au Dieu invisible et l’adorer avec toute sa sensibilité que grâce à ce qu’un homme visible révèle, si bien que la divinité est adorée dans l’humanité. C’est ainsi qu’il a fallu nécessairement que Dieu s’incarne, afin que ceux qui adoraient des statues muettes semblables aux images corruptibles, comme le font aujourd’hui les païens lombards, se convertissent au culte de l’image incorruptible de celui qui est Dieu et homme, comme le fait chaque chrétien en adorant le vrai Dieu dans son temple incorruptible. De plus, puisque l’âme de l’homme ne peut être représentée dans une image visible, il a plu au vrai Dieu de glorifier après lui dans la chair la très bienheureuse Vierge Marie sa mère, qui peut être représentée de manière rationnelle et intelligible, comme en imagination, dans la poitrine de cette Église, assise à la droite de son Fils et le serrant dans ses bras; elle qui, menant une vie intérieure authentique, donne elle-même l’exemple de l’âme universelle de cette Église réunie à Dieu par la grâce; si bien que, de même que le Dieu invisible peut être représenté dans une image charnelle, de même l’âme invisible de l’homme peut être représentée dans une image charnelle; et c’est la bienheureuse Vierge Marie glorifiée dans la chair qui fait connaître cette âme au nom de l’universalité (c’est-à-dire de cette Église tout entière). La mère et le Fils, menant une vie intérieure authentique, indiquent l’âme et Dieu qui sont visiblement représentés. Partout où est dessinée cette vierge qui indique les âmes à droite de Jésus-Christ, elle signale les âmes des parfaits dans la foi intelligible. Mais partout où elle est dessinée à gauche, ayant le Christ à sa droite, elle indique les âmes des faibles se trouvant encore dans la petite lumière de la foi. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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FOL.

29v°

Actum inter festum sancti Augustini et diem decollationis sancti Iohannis Baptiste. De infirmitate et perfectione Ante aduentum Domini apud iudeos tanta infirmitas fidei preualebat ut lex eorum cogeret et uetaret nequis carnis continentiam perpetuam obseruaret, ne sexus infirmior maiori obprobrio subiaceret. Vnde nulli mulieri licebat uirginitatis perpetue uotum emittere, ne inolesceret uitium carnis sed ex sobole carnis per fidem iudeorum populus cresceret, donec de celo redemptio adueniret. Viri autem perfectiores sicut Helias, Ieremias, Iohannes Baptista aut aliquis ex prophetis aliis, perpetuam continentiam obseruabant. Sanctissima uero Maria sanctificata ab utero ab infantia perfectionem arripuit; que dum uirtutibus cresceret per incrementum etatis, ne per inobedientiam legis scandalum suscitaret, noluit uotum uirginitatis emittere, sed ad perfectionem seruandam proposuit animo suo in consumatione coniugii nunquam debitum carnis exigere sed exactam inuite debitum non negare; in qua redditione in nullo perfectio minoratur, quatinus exacta legitime sobolem nascituram ex parte sui seruitio Dei offeret et non exacta per uirginitatem perpetuam in abscondito Altissimo Deo placeret – qui eam ab apparentis sterilitatis obprobrio sua uirtute defenderet. Deus autem in utroque ipsam mirabiliter exaudiuit, ut ineffabiliter genitrix fieret et nichilominus semper uirgo persisteret. Vnde uiro legitime desponsata sine aliqua contradictione sua ante traductionem, cum sibi Incarnatio Domini nuntiaretur ab angelo, sic ab ipso quesiuit: « Quomodo fiet istud, quoniam uirum non cognosco (id est animo meo proposui nunquam uirum exigere nec ipse me nuncusque exegit, cum nondum sim traducta)? ». Ecce propositum non exigendi ex parte uirginis desponsate, in quo proposito cum plenitudine fidei Filium Dei concepit in suum sine semine uiri. 1

De uirtute caritatis uirginis Marie et presentis Ecclesie De cuius uirtutis merito placuit Deo sancta Maria ad quam cantamus: « Sola sine exemplo placuisti femina Christo »? Non uirginitate carnis, que uera uirtus non est sed signum uirtutis que ab extrinseco dici potest uirtus moralis (loquor ad perfectos); de qua non possumus dicere: « Sola sine exemplo uirginitatis in carne placuisti femina Christo », eo quod ipsam multa uirginitatis huiusmodi exempla precesserant, sicut supra tetigimus; 1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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Fait entre la fête de saint Augustin et le jour de la décollation de saint JeanBaptiste [entre le 28 et le 29 août 1337]. La faiblesse et la perfection Avant l’avènement du Seigneur, la foi qui régnait chez les juifs était si faible que, d’après les obligations et les interdits de leur loi, personne n’observait une continence charnelle permanente, si bien que le sexe plus faible n’était pas contraint à un plus grand déshonneur. De ce fait, aucune femme n’avait le droit de faire vœu de virginité perpétuelle, non pas pour qu’elle développe son vice charnel, mais pour que la postérité de la chair permette au peuple de grandir grâce à la foi des juifs, en attendant que la rédemption vienne du ciel. Mais les hommes plus avancés dans la perfection, tels Élie, Jérémie, Jean-Baptiste ou un des autres prophètes, observaient une continence permanente. En revanche, la très sainte Vierge Marie, sanctifiée depuis le sein, découvrit la perfection dès sa petite enfance; et, pendant qu’elle développait ses vertus tout en croissant en âge, pour éviter de créer des problèmes en désobéissant à la loi, elle refusa de faire vœu de virginité, mais pour conserver sa perfection, elle décida dans son cœur que, lors de la consommation du mariage, elle ne réclamerait jamais le devoir charnel, mais que, si on le lui réclamait contre son gré, elle ne le refuserait pas; et ce consentement ne diminue en rien sa perfection, dans la mesure où, si on le lui réclamait légitimement, elle offrirait, pour sa part, au service de Dieu la descendance qui en serait issue, et où, si on ne le lui demandait pas, sa virginité perpétuelle plairait dans le secret au Dieu Très-Haut – Lui qui la protégeait par sa puissance de la honte d’une soi-disant stérilité. Or Dieu l’exauça merveilleusement sur les deux plans, si bien qu’elle devint mère de manière ineffable et qu’elle n’en resta pas moins toujours vierge. De ce fait, fiancée légalement à un homme sans la moindre restriction de sa part avant de lui être donnée [en mariage], quand l’Incarnation du Seigneur lui fut annoncée par un ange, elle lui demanda: « Comment cela arrivera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme (c’est-à-dire puisque j’ai décidé dans mon cœur de ne jamais solliciter mon futur époux et que lui-même ne m’a jamais sollicitée jusqu’à aujourd’hui, car je ne suis pas encore mariée)? »1. Voici que la vierge fiancée a décidé de ne rien demander personnellement, et qu’avec cette décision pleine de foi, elle a conçu le Fils de Dieu personnellement, sans la semence de son mari. La vertu de charité de la Vierge Marie et de l’Église actuelle Par les mérites de quelle vertu sainte Marie a-t-elle plu à Dieu, elle pour qui nous chantons: « Femme à nulle autre pareille, tu as plu au Christ »? Ce n’est pas par la virginité charnelle, qui n’est pas vraiment une vertu, mais qui indique une vertu qui, vue de l’extérieur, peut être qualifiée de qualité morale (je m’adresse aux parfaits); elle ne nous permet pas de dire: « Femme à nulle autre pareille, par ta virginité charnelle tu as plu au Christ », parce que beaucoup d’exemples d’une telle vir-

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Lc 1, 34.

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288

FOL.

29v°-30

alioquin rediremus ad P(p)lacentiam uentris Italie. Que fuit ergo placidior uirtus eius? Sola ymaginatio caritatis plenissime, ante quam nullum huiusmodi ymaginationis exemplum precesserat. Ymaginabatur enim mente sua Christum Dei Filium, uerum Deum et uerum hominem, deinde animam uniuersalem cum Christo Deo ligatam. Et qualis erat ymaginatio tante uirginis, talis facta fuit in se Incarnatio Verbi Dei; cuius rei misterium nobis nouissimis reuelatur. Ecce ymaginatio presentis Ecclesie format in se Christum corporaliter habitantem, cum quo uniuersalis anima colligatur. Additum anno perfectionis, VIIII° kalendas februarii. [fol. 30] Vir autem eius ipsam reperiens concepisse ante traductionem proposuit eam occulte dimittere et per consequens non eam cognoscere; ecce propositum non exigendi ex parte uiri. Qui premonitus ab angelo, notificato sibi misterio, ipsam uxorem accepit, traduxit et in proposito persistit. Ecce amborum propositum in testimonium perfectorum ut, sicut ex uirginitate concipitur Christus, sic per obseruantiam Euangelii ab unoquoque perficiatur populus christianus. Ecce testimonium conceptionis Christi, primo ad uirginem matrem: « Ecce concipies in utero et paries filium et cetera. Et Filius Altissimi uocabitur. (Tu es mater eius sine uiro et Altissimus Deus est pater eius sine femina) ». Deinde ad uirginis sponsum: « Quod enim in ea natum est, de Spiritu Sancto est. Pariet autem filium et uocabis nomen eius Ihesum. (Filius est enim uirginis sponse tue, cuius pater mortalis nemo putari poterit nisi tu) ». Ecce euangelica obseruantia in occulto, in testimonium laicorum promiscui sexus. De perfectis autem assumentibus in se testimonium infirmorum, habetur exemplum Zacharie et Helisabeth coniugum qui, cum processissent in diebus suis continentie lege, iam in occulto Euangelium obseruabant sub specie iudaice legis. Vt autem per obedientiam descenderent ad infirmos (id est ad opera infirmitatis), ait angelus ad Zachariam: « Ne timeas, Zacharia, (subaudi accedere ad infirmitates) quoniam exaudita est oratio tua (ut per infirmitates tuas roborentur infirmi); et uxor tua Helisabeth pariet tibi filium ». Posito pronomine « tibi » intelligitur semen uiri, sicut ad Ioseph « pariet autem filium », tacito pronomine « tibi », intelligitur sine semine uiri. Ecce mutua exactio et redditio debiti carnis per Zachariam et Helisabeth obedientia suadente nec etiam perfectionem infregit, ut speculariter et exemplariter discerent uiri perfecti in necessitatibus descendere ad uisitandas parrochias infirmorum.

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ginité l’avaient précédée, comme nous en avons traité plus haut; sinon nous reviendrions au désir de plaire / à Plaisance du ventre de l’Italie. Par conséquent, quelle vertu si agréable avait-elle? C’était simplement sa vision de la charité dans toute sa plénitude, qu’auparavant aucune vision comparable n’avait précédée. En effet, elle voyait mentalement le Christ, Fils de Dieu, vrai Dieu et vrai homme, puis l’âme universelle unie au Christ. Et telle était la vision d’une vierge si remarquable, telle a été l’Incarnation du Verbe de Dieu en elle; et le mystère de cette réalité est révélé à nous les derniers. C’est ainsi que l’imagination de l’Église actuelle façonne en elle le Christ qui y demeure corporellement et avec lequel l’âme universelle est réunie. Fait l’année de la perfection, le 9 des calendes de février [24 janvier 1338]. [fol. 30] Et son mari, trouvant qu’elle avait conçu avant le mariage, décida de la répudier en secret et, par conséquent, de ne pas la connaître; c’est ainsi que le mari décide de ne pas réclamer. Et averti par l’ange, le mystère lui ayant été notifié, il l’accepta pour femme, l’épousa et persista dans sa décision1. Ainsi leur décision à tous deux témoigne des parfaits, afin que, comme le Christ qui a été conçu dans la virginité, chacun fasse lui aussi progresser le peuple chrétien en observant l’Évangile. Voici l’affirmation de la conception du Christ, d’abord pour sa mère vierge: « Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils etc. Et il sera appelé Fils du Très-Haut. (Tu es sa mère sans avoir connu ton mari; et le Dieu Très-Haut est son père sans avoir connu de femme) »2. Ensuite pour le mari de la vierge: « Car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint; elle enfantera un fils et tu l’appelleras du nom de Jésus. (En effet, il est le fils de ton épouse vierge; or personne d’autre que toi ne pourra en être considéré comme le père mortel) »3. Voici l’Évangile observé en secret, en témoignage pour les laïcs, quel que soit leur sexe. Quant aux parfaits qui se chargent de témoigner pour les faibles, nous disposons de l’exemple donné par les époux Zacharie et Élisabeth, eux qui, puisqu’ils vieillissaient en observant la loi de la continence, observaient déjà l’Évangile en secret en feignant d’observer la loi judaïque4. Or, pour qu’ils se rapprochent des faibles (c’est-à-dire des œuvres de la faiblesse) grâce à leur obéissance, l’ange dit à Zacharie: « Ne crains pas, Zacharie, (sous-entendu de tomber dans les faiblesses), car ta supplication a été exaucée (afin que les faibles soient fortifiés par tes faiblesses); ta femme Elisabeth enfantera un fils pour toi »5. Le pronom « pour toi » indique la semence du mari, alors qu’il a été dit à Joseph « elle enfantera un fils », le pronom « pour toi » étant omis, c’est-à-dire sans la semence du mari. Ainsi la demande et l’acceptation du devoir charnel entre Zacharie et Élisabeth, avec l’obéissance pour conseillère, n’ont même pas amoindri leur perfection, afin que les hommes parfaits apprennent visiblement et parfaitement à venir fréquenter les paroisses des faibles, lorsque cela est nécessaire.

1 2 3 4 5

Voir Mt 1, 9-25. Lc 1, 31-32. Mt 1, 20-21. Voir Lc 1, 7. Lc 1, 13.

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DE

FOL.

30

IVDICIO PERSONALI

Speculariter ad exemplum de meipso. Corruptibiles parentes genuerunt Herodem occisorem Iohannis. Anno Domini MCCLXXXXVI°, existentibus simul in eadem die Annuntiatione et Resurrectione dominica propter reuerentiam tante diei, dilata est ad noctem uel diem sequentem (scilicet VII° kalendas aprilis) Herodis conceptio, qui natus est VIIII° kalendas ianuarii. Preuentus est enim ad ortum per duos dies, ne temerarius usurpator alieni dominii Christi originem transsiliret. Papa et Papia ambo uniuersales implentes orbem terrarum – non persona papalis nec Papia particularis, sed sanctissimus papa, unicus, incorruptibilis et immortalis uicarius Dei in terris, habens totius orbis habenas, et Papia sanctissima que nichil aliud est nisi uniuersalis Ecclesia, uirgo perpetua et omnium fidelium mater – genuerunt ad obsequium Christi (id est populi christiani) nouum Iohannem Baptistam sanctificatum in sacerdotium ab utero Lombardie. Anno autem MCCCXXXIIII°, facta cena principibus Galilee (id est fidelibus sociis nostris de Gallia Transalpina respectu Rome), in die conceptionis quasi natalis Herodis, tunc Sabbato sancto cuius ieiunio prandium fit pro cena, gaudebat Herodes qui post aliquos dies decollauit Iohannem (id est humiliauit personam fidelem seruilem ad populum christianum), ne sibi assumeret gloriam personalem, ac si diceret: « Ego sum Christus », sicut faciunt multi tempore isto. Crescat ergo Christus (id est multiplicetur populus christianus) et decrescat Iohannes (id est euanescat gloria personalis). In fine autem illius anni circa finem fuit facta uindicta de illo Herode. Cum enim putaret ad maiora sublimia prouehi, paulo ante diem natalis sui – qua die solitus est facere cenam principibus Galilee annuatim sicut in die conceptionis sue – Domino disponente, electus est ad summum pontificatum (id est in administrationem ecclesiastice maiestatis) Benedictus XIIus, seruus seruorum Dei, et ille Herodes defraudatus est desiderio suo, ac si exilio proscriptus esset Lugduni Gallie (quasi Galilee: eadem est interpretatio Galilee et Gallie). Actum die decollationis sancti Iohannis Baptiste, circa finem A(a)ugusti (id est augentis noctes die decrescente), ut dies (id est fama Iohannis) decrescat et crescat obliuio quasi nox. Et ideo dies ista posita est inter Augustinum et Adauctum significantes augmentum populi christiani, sicut Iohannes significat diminutionem et obliuionem fame et glorie cuiuslibet persone, etiam si sit sancta sine peccato. Hac die uel nocte precedente2, anno Domini MCCCXXXI°, me transtuli ad Affrice lumbos quasi precinctos zona pellicea in latere meridiano magne Auinionis; in quo loco lumborum nunc usque demoratus sum. Nunc hac nocte prece1

1 2

Dessin d’une main dans la marge de gauche. Expression soulignée par Opicinus.

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OPINION

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PERSONNELLE

Prenons un exemple concret me concernant. Des parents corruptibles ont engendré Hérode, le meurtrier de Jean[-Baptiste]. En l’an du Seigneur 1296, alors que l’Annonciation et la Résurrection du Seigneur se situaient le même jour, par respect pour ce jour si remarquable, la conception d’Hérode a été différée à la nuit ou au jour suivant (à savoir le 7 des calendes d’avril1), sachant qu’Hérode est né le 9 des calendes de janvier2. En effet, il a avancé sa naissance de deux jours, pour éviter que l’usurpateur présomptueux du pouvoir de l’autre ne dépasse la naissance du Christ. Le pape et Pavie, tous deux universels et remplissant l’orbe terrestre – non pas la personne du pape ni l’individuelle Pavie, mais le très saint pape, l’exceptionnel, incorruptible et immortel vicaire de Dieu sur terre, qui pilote l’orbe tout entier, et la très sainte Pavie qui n’est autre que l’Église universelle, la vierge perpétuelle et la mère de tous les fidèles – ont engendré pour faire allégeance au Christ (c’est-à-dire au peuple chrétien) un nouveau Jean-Baptiste, sanctifié dans le sacerdoce dès le sein de la Lombardie3. Et l’an du Seigneur 1334, une fois le dîner pris avec les chefs de Galilée (c’est-à-dire nos fidèles alliés de Gaule transalpine, vus de Rome), le jour de la conception (c’està-dire de l’anniversaire) d’Hérode, qui correspondait au Samedi saint4 où le déjeuner remplace le dîner en raison du jeûne, Hérode était content, lui qui quelques jours après ordonna la décollation de Jean5 (c’est-à-dire abaissa la personne fidèle esclave vers le peuple chrétien), pour éviter qu’il ne s’attribue la gloire personnelle, comme s’il disait: « C’est moi le Christ », comme beaucoup le font ces temps-ci. Il faut donc que le Christ croisse (c’est-à-dire que le peuple chrétien prolifère) et que Jean décroisse6 (c’est-à-dire que la gloire personnelle disparaisse). Et à la fin de cette année, vers la fin, le même Hérode fut l’objet d’une vengeance. En effet, alors qu’il pensait accéder aux honneurs suprêmes, peu de temps avant son anniversaire – jour où il avait coutume de prendre le dîner avec les chefs de Galilée, comme le jour de sa conception – sur décision de Dieu, ce fut Benoît XII, le serviteur des serviteurs de Dieu, qui fut élu au souverain pontificat7 (c’est-à-dire au gouvernement de la majesté de l’Église), et Hérode qui fut frustré de ce qu’il espérait, comme s’il avait été exilé à Lyon8 en Gaule (c’est-à-dire en Galilée: Galilée et Gaule ont la même signification). Fait le jour de la décollation de saint Jean-Baptiste [29 août 1337], vers la

26 mars. 24 décembre (jour de la naissance d’Opicinus). 3 Opicinus s’identifie à la fois à Hérode et à Jean-Baptiste. 4 En 1334, le Samedi saint correspondait au 26 mars. Opicinus fait donc un amalgame délirant entre la Semaine sainte de l’année de sa naissance (1296) et celle de l’année de sa maladie (1334). 5 Voir Mt 14, 1-12 et Mc 6, 14-29. 6 Voir Jn 3, 30. 7 Il s’agit de l’élection de Benoît XII: 20 décembre 1334. Nous retrouvons ici le versant persécutif du délire d’Opicinus, avec ce dernier identifié à Hérode. 8 Hérode Antipas fut exilé en 39 à Lugdunum Convenarum (sans doute SaintBertrand-de-Comminges et non pas Lyon, comme l’avance Opicinus). 1 2

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292

FOL.

30

dente factum per puerum simplicem inueni in coopertorio lectuli testimonium uersipellis quem interpretatur Herodes.

De testimoniis localibus Sicut quodam tempore, nocte sancti Antonii maioris, primo hospitatus fui in pectore Affrice Lombardie, loco qui dicitur Ponsdecimus territorii Ianuensis, ita alio tempore, eadem nocte sancti Antonii predicti, primum iacui et residentiam feci in pectore eiusdem Affrice Papiensis que dicitur ecclesia Sancte Marie Capelle. Nunc iudico pectus predicte Affrice Auinionensis habere ecclesiam Sancti Antonii sepedicti. Quare matrix carnalis Europe naturalis que uocatur Papia regionis Ligurie sacramentaliter est ligata, nisi ut Filius hominis (id est nouus populus christianus) a Deo electus nuper conceptus colligetur intra matricem, donec fuerit fetus maturus? Ne ante debitum terminum partus abiciatur per uiolentiam abortiuus. Additum anno perfectionis, VII idus martii, tunc feria II secunde ebdomadarie XLe. Sicut canis nostra ligata tota die et nocte ad horam esuriei lamentabiliter latrat et dissoluta mansuescit sub manibus dissoluentis, sic cum fuerit sub Adam Eua (id est sub papa Papia), sacramentalibus uinculis castigata et a uinculis absoluta, erit obediens melius quam fuisset alio modo. Spiritualiter: cum christianitas carnalis fuerit tenebris ignorantie domita et ad rationes fidei illuminata, erit Deo propinquior quam fuisset alio modo.

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fin d’Auguste/août (c’est-à-dire de celui qui augmente les nuits alors que le jour diminue), afin que le jour (c’est-à-dire la réputation de Jean) décroisse et que l’oubli croisse comme la nuit. Et c’est pourquoi ce jour est placé entre Augustin et Adaucte1, qui indiquent la croissance du peuple chrétien, de même que Jean indique la diminution et l’oubli de la réputation et de la gloire de toute personne, même si elle est sainte et sans péché. Ce jour ou la nuit qui a précédé2, en l’an du Seigneur 1331, je suis passé aux parties génitales de l’Afrique qui sont comme entourés d’une ceinture en peau3 sur le côté méridional de la grande Avignon; et je suis resté jusqu’à aujourd’hui à cet endroit des parties génitales. Aujourd’hui, en cette nuit précédant les faits, grâce à un simple enfant, j’ai trouvé sous la couverture du lit le témoignage du protéiforme4 que représente Hérode. Témoignages géographiques De même qu’à une époque, la nuit de saint Antoine le Grand5, j’ai été pour la première fois accueilli dans la poitrine de l’Afrique de Lombardie6, à l’endroit appelé Ponsdecimus dans le territoire de Gênes7, de même, à une autre époque, toujours la nuit de saint Antoine déjà cité, j’ai séjourné pour la première fois et j’ai encore élu domicile dans la poitrine de cette même Afrique de Pavie, qu’on appelle l’église de Sainte-Marie-La-Chapelle8. Aujourd’hui, je constate que la poitrine de l’Afrique d’Avignon citée plus haut possède une église dédiée à saint Antoine9 dont on parle souvent. Pourquoi la matrice charnelle de l’Europe naturelle appelée Pavie, en pays ligure, est-elle interdite de sacrements, si ce n’est pour que le Fils de l’homme (c’est-àdire le nouveau peuple chrétien) choisi par Dieu, récemment conçu, fasse son unité à l’intérieur de la matrice, jusqu’à ce que le fœtus soit prêt? Pour éviter que l’enfant ne soit expulsé avant le terme dû, contraint à être mort-né. Ajouté l’année de la perfection, le 7 des ides de mars, la 2e férie de la deuxième semaine de Carême [lundi 9 mars 1338]. De même que notre chienne attachée nuit et jour aboie plaintivement quand elle a faim, et, une fois détachée, se calme sous les caresses de celui qui la détache, de même, comme Ève soumise à Adam (c’est-à-dire Pavie soumise au pape) a été punie par un interdit sacramentel, puis délivrée de cet interdit, elle sera plus obéissante qu’elle ne l’aurait été autrement. Traduisons sur le plan spirituel: comme la

Félix et Adaucte, martyrs (vers 304), étaient fêtés le 30 août. Adaucte veut dire: ajouté. Soit le 28 août, fête de saint Augustin. 3 Allusion à la fois à la ceinture de Jean-Baptiste (voir Mt 3, 4 et Mc 1, 6) et au fait que la « grande Avignon » se trouve dans la matrice de la grande Europe enceinte (voir V 6). 4 Il peut s’agir du diable: voir plus loin, fol. 34. 5 17 janvier. 6 C’est-à-dire la « petite » Afrique de V 6 (ou de V 33), appelée plus bas « Afrique d’Avignon ». 7 Voir P 20, 18 janvier 1316. Jeu de mots pons/pontifex. 8 Janvier 1324: voir P 20. 9 Église proche du logement d’Opicinus à Avignon. Voir fol. 57v°. 1

2

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[fol. 30v°] DE

FOL.

30v°

TESTIMONIO PERSONALI

Ego Iohannes Baptista indicaui uobis digito meo presentiam Christi quem « oportet crescere, me autem minui »: id est ego quecumque persona fidelis – siue propheta siue apostolus siue martir siue confessor siue uirgo siue continens siue quicumque sanctus uel sancta dormiens in Domino siue uiuens in carne – per gratiam mihi datam ex uirtutibus et sanctitate uite significaui et significo uobis gloriam et uirtutes huius presentis populi christiani qui est specularis Ecclesia, quem uel quam oportet crescere et multiplicari, me autem minui et non amplius nominari. Iste semper regnauit licet occulte ab initio seculi usque nunc, ut regnum eius amodo reueletur; ego autem hodie uideor aliquid esse et cras nichil ero. Iste habet in se Verbum uite quod manet in eternum; ego autem vox transitoria in nichilum redigor. Iste uera res est habens in se causam causarum; ego autem sum sola significatio rei. Quicumque auerit me isto neglecto, omnem contumeliam imputo mihi factam; quicumque uero toto posse honorificauerit istum non uerbo sed opere et ueritate, reputo mihi eternam memoriam nominis mei – saluo semper fundamento qui est Ihesus Christus, quem presentialiter demonstrauit Iohannes. Idem Iohannes significat quemlibet sanctum uel sanctam testificantem primo Christum, deinde populum christianum in quo corporaliter habitat Christus. Si glorificetur hec uniuersitas sacerdotalis adhuc uiuens in seculo, proculdubio glorificatur chorus apostolorum cum patribus et prophetis in celo. Si glorificetur presens Ecclesia uniuersalis, pro cetero glorificantur omnes sancti et sancte Dei regnantes in patria. Si ista contempnatur per opera iniquitatis contraria equitati, despicitur tota illa superna ciuitas sempiterna. Omnis glorificatio huius Ecclesie redundat in Deum et omnis contemptus huius Ecclesie per inobedientiam filiorum ad patres (id est plebium ad rectores) reputatur magna blasphemia contra Deum. Hec denuntio toti Ecclesie, ne in die Iudicii de manibus meis sanguis innoxius requiratur.

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chrétienté charnelle a été terrassée par les ténèbres de l’ignorance, puis éclairée pour cheminer rationnellement dans la foi, elle sera plus proche de Dieu qu’elle ne l’aurait été autrement. [fol. 30v°] TÉMOIGNAGE

PERSONNEL

Moi, Jean-Baptiste, je vous ai montré du doigt la présence du Christ « qui doit grandir, alors que moi je dois diminuer »1; ce qui veut dire que moi qui suis n’importe quelle personne fidèle – qu’il s’agisse d’un prophète, d’un apôtre, d’un martyr, d’un confesseur, d’une vierge, d’une personne chaste, ou encore de n’importe quel saint ou sainte endormi dans le Seigneur ou vivant incarné2 – à l’aide de la grâce qui m’a été donnée, à partir des vertus et de la sainteté de ma vie, je vous ai indiqué et je vous indique la gloire et les vertus de ce peuple chrétien actuel qu’est l’Église du miroir: ils doivent croître et se multiplier, alors que moi je dois décroître et ne plus être mentionné. Lui, il a toujours régné, bien qu’en secret, depuis le début des temps jusqu’à aujourd’hui, si bien que son règne est dorénavant dévoilé; alors que moi, aujourd’hui, j’ai l’air de quelque chose et demain je ne serai rien. En lui, se trouve le Verbe de vie qui dure éternellement; alors que moi, la voix de passage3, je serai réduit à néant. Lui, il est la réalité indiscutable qui contient la cause des causes; alors que moi, je ne fais qu’annoncer cette réalité. Quiconque me rend gloire après l’avoir délaissé, je lui attribue l’ensemble des affronts que je subis; en revanche, quiconque l’honore autant qu’il peut, non pas en paroles mais en actes et en vérité, je considère qu’il fait éternellement mémoire à mon nom – en préservant toujours le fondement qu’est JésusChrist, que Jean a désigné en personne4. Jean indique aussi chaque saint ou sainte qui rend témoignage d’abord au Christ, ensuite au peuple chrétien dans lequel le Christ habite corporellement. Si on exalte cette communauté sacerdotale vivant encore dans le monde, on exalte sans aucun doute le chœur des apôtres ainsi que les pères et les prophètes dans les cieux. Si on exalte l’Église universelle actuelle, on exalte en conséquence tous les saints et les saintes de Dieu qui règnent dans la patrie. Si des agissements injustes contraires à la justice la déprécient, c’est la cité éternelle d’en haut tout entière qui est déconsidérée. Toutes les félicitations adressées à cette Église rejaillissent sur Dieu; et tout le mépris pour cette Église, causé par la désobéissance des fils envers les pères (c’est-à-dire des ouailles envers leurs curés), passe pour de graves blasphèmes dirigés contre Dieu. Je porte cela à la connaissance de l’Église tout entière, pour éviter qu’au jour du Jugement, on ne recherche sur mes mains un sang innocent.

Jn 3, 30. Élargissement et identification d’Opicinus à l’ensemble des fidèles vivants et morts. 3 Voir Mt 3, 3; Mc 1, 3; Lc 3, 4. D’après Is 40, 3. 4 Voir Mt 3, 11-12; Mc 1, 7-8; Lc 3, 16-17. Opicinus s’identifie à la fois à Jean-Baptiste et au Christ. 1 2

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DE

FOL.

30v°

QVALITATE DOCENTIS ET DOCTVRI

Quotiens ego afficior nobilitate mundana cupiens sanguinem proprium exaltare, sum muliebriter eneruatus in feminam menstruatam, in testimonium corruptibilis sanguinis nobilitatis mundane procedentis de uase turpitudinis mulieris. Caueat unusquisque uir ne accedat ad mulierem menstruatam; id est homo perfectus non ueniat ad docendum me infectum huiusmodi sanguine, nequeuntem spiritualia capere; alioquin doctor laborat in uanum, sicut uir cum tali uxore donec mulier fuerit munda (id est fuerim habilis ad spiritualia capienda per obliuionem illius miserie). 1

DE

TEMPTATIONE MVLTIPLICI IN ISTIS TEMPORIBVS

Pluries me docuit sanctus Antonius maior pugnare contra demones in similitudine bestiarum; et utinam doctrinam eius retinere sciuissem! Primo me duxit, anno Domini MCCCXVI°, in die festo suo, ad sanctam I(i)anuam paradisi in qua nulla discordia reperitur. Vidi enim in suburbiis urbis abscisos pedes et manus infirmorum morbo ignis sancti Antonii, quasi pedes Egypti uel Affrice naturalis cum manibus Affrice magne Auinionis, qui melius intrauerunt in uitam eternam claudi et manci quam integri missi in I(i)anuam gehennalem. Sed heu me reperi aduenisse cum cruentis bestiis domus mee odio habentis populum christianum, quarum una pars erat mecum et alia iam precesserat et altera sequebatur, que conuenientes in unum aduersus me una die me proiecerunt non locis sed moribus a I(i)anua Paradisi ad I(i)anuam barbarie uel potius infernalem, ubi uidi testimonialiter magnam quantitatem Sarracenorum, nesciens si Affrica translata fuisset in Ianuam Europe, sicut aliqui asserebant, per uim uentorum, an Ianua transfretasset in Affricam non locis sed moribus, quod uerius iudico; illesa tamen manente Ianua naturali que neminem recipit nisi christianos, in qua nemo appellatur nisi de genere christiano, nemo scribitur in libro gentilium, sed omnes scribuntur in libro nobilium Ihesu Christi. Ego autem ualde afflictus fui et obsessus per inimicos meos apparentes domesticos meos (nulla est enim maior inimicitia mihi quam domesticum genus meum), qui me submerserunt intra ianuas (id est portas) inferni. Cum enim meditarer in lege diuina procedendo tam per Ianuam sanctam quam per circumstantias Ianue, sepe interrumperunt ocium meum persone mihi coniuncte, me implicantes eterno labore usque ad presens officium in curis et sollicitudinibus Romane curie. Ista obsidio mea quam Ianue cepi pati fuit in me uera et realis obsidio, cuius rei figuram audiui post me factam fuisse Ianue. Illa namque quinquennalis obsidio Ianue fuit huius 1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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LA

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CONDITION DU MAÎTRE ET DU FUTUR MAÎTRE

Chaque fois que j’éprouve de l’inclination pour la noblesse du monde en rêvant d’encenser mon sang personnel, je ressemble à une femme affaiblie qui a ses menstrues, en témoignage du sang corruptible de la noblesse du monde qui sort du vase/vagin infâme de la femme. Tout homme doit se garder de fréquenter une femme qui a ses menstrues1; c’est-à-dire qu’un homme parfait ne doit pas venir m’instruire quand je suis imprégné de ce sang et incapable d’appréhender ce qui est spirituel; sinon le maître travaille pour rien, comme c’est le cas pour le mari avec l’épouse en question tant que la femme n’est pas pure (c’est-à-dire tant que je ne suis pas capable d’appréhender ce qui est spirituel en oubliant cette infortune). LES

TENTATIONS INNOMBRABLES EN CE TEMPS-LÀ

Saint Antoine le Grand m’a appris plusieurs fois à lutter contre les démons2 comme s’il s’agissait de bêtes; et puissé-je avoir su retenir ses leçons! Pour commencer, il m’emmena, en l’an du Seigneur 1316, le jour de sa fête [17 janvier] à Gênes3, la sainte porte du paradis4 où l’on ne trouve aucun conflit. En effet, j’ai vu dans les faubourgs de la ville les pieds et les mains mutilés de malades atteints par le feu de saint Antoine, c’est-à-dire les pieds de l’Égypte ou de l’Afrique naturelle, ainsi que les mains de l’Afrique de la grande Avignon – mieux vaut pour eux entrer boiteux et manchots dans la vie éternelle que d’être jetés entiers dans Gênes, la porte de l’enfer5. Mais malheureusement pour moi, j’ai compris que j’étais venu avec les bêtes sanguinaires de ma famille qui déteste le peuple chrétien6; certaines se trouvaient avec moi, d’autres m’avaient déjà précédé et d’autres me suivaient; et tous ayant fait bloc contre moi m’ont exclu en un seul jour, non pas en termes de géographie mais de morale, de Gênes, la porte du paradis, vers Gênes, la porte de la barbarie ou plutôt de l’enfer, où j’ai vu de manière indiscutable un grand nombre de Sarrasins, sans savoir si l’Afrique était passée dans la Gênes d’Europe, comme certains l’affirmaient, grâce à la force des vents, ou si Gênes avait fait la traversée vers l’Afrique, non pas en termes de géographie mais de morale, ce que je pense plus exact; la Gênes naturelle demeurant néanmoins indemne, elle qui n’accueille que les chrétiens, chez laquelle personne n’est appelé autrement que membre de la famille chrétienne, où personne n’est inscrit dans le livre des païens, mais où tous sont inscrits dans le livre des nobles de Jésus-

Interdiction courante à l’époque. Saint Antoine d’Égypte (vers 251 – 356), père et modèle de tous moines, vécut d’abord en anachorète. D’après son biographe, saint Athanase, il a maintes fois éprouvé les coups des démons. Il a donc mis au point un ensemble d’exercices ascétiques pour résister aux tentations du diable: voir ses Lettres et Apophtegmes. 3 Allusion au séjour d’Opicinus à Gênes (1316-1318). 4 Voir fol. 10. 5 Voir Mt 18, 8, et Mc 9, 43-44. 6 Cette phrase inaugure tout un discours à tonalité persécutive, mais qui montre aussi que son séjour à Gênes a représenté pour Opicinus un tournant. 1 2

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FOL.

30v°-31

rei testimonium, significatio et figura, que nichil fuit et est; mea autem obsidio [fol. 31] aliquid est. Illa enim obsidio fuit quedam commotio bestiarum de tali progenie aduersus talem progeniem, quasi extrinseca contra intrinsecam; que progenies mundi, licet appareant in seipsas diuise (ab extrinseco contra intrinsecum et econuerso ab intrinseco aduersus extrinsecum), sunt tamen in inuicem diabolica partialitate concordes. Aduersus quid? Aduersus christianitatem delendam, que nunquam uiolari potuit intra I(i)anuam naturalem. Vipera tortuosa semper est medicinalis populi christiani, sed uipera Canistralis me prostrauit ad mortem. Omnes bestie Papie uenalis concordes sunt cum bestiis illis. Loquuntur enim quasi magnalia tante discordie que tamen in ueritate sunt nichil: apparentia fumi in nichilum euanescit. Dicit quelibet bestia Papiensis quasi magne nouitatis indicia, que sunt quedam uerba uentosa: « Ecce tot milia siue tot centenaria siue tot uexilla equitum et peditum stipendiariorum accesserunt aduersus tot alios aduersarios nostros, qui obsessi sunt in tali ciuitate uel in tali castro, uel occisi sunt in tali campo in tanta quantitate »; ac si diceret: « Papia meretricula per libidinem suam uicit Mediolanum uirile, sicut accidit aliquando ». Ad quem loquitur bestia huiusmodi bestialia uerba nisi ad alias bestias intentas ad talia, que tamen in carnali uoluntate concordes cum aliis bestiis iudicantur in intentione finali? Nemo rationalis accedit ad talia audienda. Quasi contraria uerba refert in medium alia bestia aduersatrix apparens. Ecce guelfus preualet et superat gibellinum; quod non est aliud dicere nisi Sathanas Sathanam eicit et in seipsum diuisus est; quod tamen mendacium est. Quomodo stabit regnum Sathane, quia erronee arbitrantur nonnulli pharisaico more, se reputantes liberos a partialitatum uolutabro, dominum papam (Christum) in guelfo (Beelzebub) eicere demonia gibellina? Et tamen hii pharisei se simulantes a partialitatibus segregari habent in se sedem diaboli, qui fingentes ignem extinguere plus accendunt. Omne regnum in seipsum diuisum desolabitur; id est omnis affectio proprii sanguinis diuisa ab amore sanguinis Ihesu Christi redigetur in nichilum. Et domus nobilitatis mundane in utraque diaboli partialitate simul conueniens supra domum uniuersalis Ecclesie non poterit stare sed cadet in fine. Sathanas autem istius guelfe partis, licet insurgere uideatur in Sathanam partis alterius gibelline, in fine tamen uidebitur Sathanam cum Sathana conuenisse. Regnum enim huius duplicis Sathane semper maneret habens in pace que possidet, nisi populus christianus fortior illo superueniens uinceret illud auferens uniuersa arma in quibus illud confidit. Arma quidem huiusmodi diabolica habent in testimonium contra se depictas ymagines omnium bestiarum, uolucrum immundarum, draconum, arborum, castellorum, Solis, Lune, stellarum et omnis militie celi. Aliqua depicta sunt transuersaliter uel diametraliter uel in longum, per zonas strictas uel latas, et innumerabilia huiusmodi arma. Si habuero affectionem ad sanguinem talis domus habentis in www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Christ. Quant à moi, j’ai été grandement tourmenté et accablé par les ennemis que se révélaient être les gens de mon pays (en effet, je n’ai pas de pires ennemis que les familles des gens de mon pays), eux qui m’ont plongé au fond des portes (c’est-à-dire des entrées) de l’enfer. En effet, alors que je méditais sur la loi divine en déambulant aussi bien dans la sainte Gênes que dans les alentours de Gênes, des personnes qui m’étaient liées ont souvent dérangé ma tranquillité en m’impliquant par des travaux permanents – y compris dans mon office actuel – dans les tracas et les soucis de la cour de Rome. Ce siège que j’ai commencé à endurer à Gênes a été pour moi un siège authentique et réel; et j’ai entendu dire qu’il s’est manifesté à Gênes après m’avoir concerné. Et de fait, ce siège dont Gênes a été l’objet pendant cinq ans1 a été une preuve, une représentation et une manifestation de cet événement, mais quant à lui, il n’a été et n’est que bagatelle; alors que le siège dont j’ai été l’objet [fol. 31] est grave. En effet, ce siège a pris la forme d’attaques entre bêtes de telle lignée contre telle autre lignée, pour ainsi dire entre celle du dehors et celle du dedans; et ces lignées du monde, bien qu’elles donnent l’impression d’être en proie aux divisions (entre l’extérieur et l’intérieur, et inversement, entre l’intérieur et l’extérieur) sont néanmoins de connivence entre elles dans le clan du diable. Contre quoi? Contre la chrétienté qu’elles cherchent à détruire, elle à qui on n’a jamais pu faire violence à l’intérieur de Gênes, la porte naturelle. La vipère tortueuse est toujours un remède pour le peuple chrétien, mais la vipère des Canistris m’a mis dans une prostration2 mortelle. Toutes les bêtes de la vénale Pavie sont complices de ces bêtes. En effet, elles discourent sur les soi-disant coups de théâtre de cette querelle si violente, qui ne sont pourtant en réalité que bagatelle: l’écran de la fumée s’évanouit et il n’en reste rien. Chaque bête de Pavie parle des soi-disant signes d’un grand changement, mais ce ne sont que des paroles creuses: « Voici que tant de milliers ou tant de centaines ou tant d’escadrons de cavaliers et de fantassins mercenaires ont marché contre tant d’autres de nos adversaires, qui ont été assiégés dans telle ville ou dans tel château, ou bien qui ont été tués dans telle place en tel nombre »; comme si elle disait: « Pavie, la femme de mauvaise vie, a vaincu la virile Milan par sa dépravation, comme cela arrive parfois ». A qui une bête de ce genre adresse-t-elle des mots propres aux bêtes, sinon à d’autres bêtes ayant les mêmes objectifs, et qui néanmoins, de connivence avec d’autres bêtes dans leur volonté charnelle, sont jugées sur leurs objectifs ultimes? Aucun homme raisonnable ne s’approche pour écouter de tels propos. Ce sont des paroles quasiment contradictoires que rapporte dans l’intervalle une autre bête qui passe pour être une adversaire. Voici que le guelfe surpasse et domine le gibelin; autant dire que Satan a chassé Satan et est en proie aux divisions internes – ce qui représente pourtant une contrevérité. Comment la royauté de Satan se maintiendra-t-elle, puisque certains, se conduisant en pharisiens et se croyant dégagés du bourbier des factions, pensent à tort que le seigneur pape (le Christ) qui habite le guelfe (Belzébuth) a chassé les démons gibelins? Et pourtant, c’est chez ces pharisiens affectant d’être éloignés des factions que le diable élit domicile, eux qui, en fei1 2

Voir fol. 81. Voir V 2, note 67; et fol. 31v°.

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300

FOL.

31-31v°

armis suis ymaginem leonis uel draconis aut aquile siue cuiuslibet alterius ydoli seu sculptilis, tunc in ueritate conuincor me ydola adorare. Nam pro amore illius ydoli quod pre ceteris placet mihi, paratus sum omnia mea usque ad corpus et sanguinem persone mee totum expendere. Non sum ergo alius nisi gentilis ydolatra persequens christianos. Abnegaui baptismum et facio alios abnegare, ut omissis operibus christianitatis conuertantur toto affectu ad ydola adoranda. Habeo enim in pectore et in corde meo scripta arma illius domus. Habeo in memoria mea scriptam aquilam pro amore illius partis uel flores aureos cum rastris pro amore alterius partis. Deletus sum de libro christianorum qui est liber uite celestis, et scriptus sum in libro gentilium hominum qui est liber inferni et mortis. Factus homo gentilis non possum adorare nisi ydola, quamuis simulem me audire missas et horas et adorare corpus Christi et suscipere sacramenta; cor autem meum nescit recedere ab ydolis meis. Videor esse christianus et tamen sum irrisor christianorum et uitupero Ecclesiam Dei. Minus enim esset malum mihi conuersari cum infidelibus transmarinis quam me immiscere cum fidelibus christianis. Nemo suspicetur de aliquo alio iudicio nisi de iudicio Opicini qui scripsit hec, qui se facit uocari uel cognominari de ydolis C(c)anistrorum; cum quibus canistris offeruntur sacrificia ydolis supradictis. Ex parte enim mea non illorum per affectionem meam de qualibet progenie placida mihi facio, formo et fabrico mihi ymagines ydolorum. Omne ydolum significat aliquid et nichil est. Si intellexero ydola ista aliquid significare (id est honorem populi christiani) et fecero illud bonum, tunc non est mihi peccatum depingere arma generis mei, similiter cuilibet alteri arma sua; eo quod intelligens ymagines istas significare bonum et comodum totius Ecclesie specularis et faciens illud bonum, intelligo consequenter illas ymagines nichil esse. Si autem intellexero has ymagines cum progenie sua aliquid magnum esse, faciens de qualitate substantiam immo de corruptione naturam, ydolatra iudicor, negligo christianitatem que est uera substantia et natura, et adoro illam progeniem que non est aliud nisi qualitas transitoria siue corruptio destructiua nature. Nam substantia permanet et qualitas transit; natura persistit et corruptio semper rodit. Nequis glorietur de progenie simili sanctitati – ut puta de stirpe christianorum, que est una de corruptibilibus generibus mundi sicut alia Papiensium – huiusmodi stirps, nisi conuertatur cum reliquis corruptibilibus sanguinibus mundi ad incorruptibilem populum christianum, [fol. 31v°] cum ydolis computatur. Huiusmodi ydola de armis cuiuslibet stirpis depicta in ecclesiis super tumulos mortuorum significant eadem ydola que habeo scripta in templo pectoris mei. Videor adorare Deum uerum cum sanctis suis ex actu exteriori et in corde meo adoro illa ydola que radicaliter amo. Hec dico me fecisse potentialiter, si uoluissem totaliter sequi uoluntatem meam; actualiter autem iam ceperam illa agere, nisi Dominus per aduersa me ablactasset ab illis putridis uberibus Babilonis. Ecce qualem me www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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gnant d’éteindre le feu, l’attisent. Tout ce royaume en proie aux divisions internes sera déserté; c’est-à-dire que tout attachement à son sang personnel séparé de l’amour du sang de Jésus-Christ sera réduit à néant. Et la famille de la noblesse du monde, pactisant au même moment dans les deux factions du diable, ne pourra garder l’avantage sur la famille de l’Église universelle, mais finira par tomber. Et le Satan de ce parti guelfe, bien qu’il feigne de se dresser contre le Satan du parti gibelin d’en face, se révélera pourtant à la fin être Satan qui pactise avec Satan. En effet, la royauté de ce double Satan resterait toujours en possession pacifique de ses biens, si le peuple chrétien plus courageux qu’elle, tombant sur elle, n’en triomphait, en enlevant l’ensemble des armes1 auxquelles elle se fie. Certes, les armes diaboliques de ce genre ont en témoignage contre elles les images peintes de toutes les bêtes, des oiseaux impurs, des dragons, des arbres, des châteaux, du Soleil, de la Lune, des étoiles et de toute la milice du ciel. Certaines sont peintes en biais, dans le diamètre ou dans la longueur, au moyen de bandes restreintes ou étendues et d’innombrables armes de ce genre. Si j’éprouve de l’attachement pour le sang de telle famille portant sur ses armes l’image d’un lion, d’un dragon ou d’un aigle, ou toute autre idole ou statue, je suis alors convaincu en vérité que j’adore des idoles. Car, pour l’amour de cette idole qui me plaît en priorité, je suis prêt à investir tout ce que j’ai, y compris l’intégralité du corps et du sang de ma personne. Autant dire, par conséquent, que je suis un païen idolâtre qui persécute les chrétiens2. J’ai renié mon baptême et j’en ai poussé d’autres à le renier, si bien que, délaissant les œuvres de la chrétienté, ils se tournent avec passion vers l’adoration des idoles. En effet, les armes de cette famille sont gravées sur ma poitrine comme dans mon cœur. J’ai en mémoire l’aigle gravé pour l’amour d’un parti, ou les fleurs dorées avec des bêches gravées pour l’amour de l’autre parti. J’ai été effacé du livre des chrétiens, qui est le livre de la vie céleste3; et j’ai été inscrit dans le livre des créatures païennes, qui est le livre de l’enfer et de la mort. Devenu un païen, je ne peux adorer que des idoles, même si je fais semblant d’écouter les messes et les heures canoniales, d’adorer le corps du Christ et de recevoir les sacrements; mais mon cœur n’est pas capable de renoncer à mes idoles. Je passe pour un chrétien, et pourtant je me moque des chrétiens et je critique l’Église de Dieu. En effet, il me serait moins difficile de vivre avec les infidèles d’outre-mer que de me mêler aux chrétiens fidèles. Personne ne doit supposer un autre jugement, quel qu’il soit, que le jugement d’Opicinus qui a écrit ces lignes, lui dont le nom ou le surnom est issu des idoles des Canistris/corbeilles: c’est avec ces corbeilles que des sacrifices sont offerts aux idoles mentionnées plus haut. Car c’est de mon fait, et non du leur, que mon attachement à toute lignée qui m’est agréable me permet de faire, de créer et de fabriquer pour moi des images d’idoles. Chaque idole désigne quelque chose et n’est rien. Si je reconnais que ces idoles désignent quelque chose (c’est-à-dire la gloire du peuple chrétien) et que je le fais bien, ce n’est pas alors un péché pour moi que

1 2 3

Les « armes » désignent ici les armoiries. Voir Ac 9, 4-5. Voir Ap 3, 5; 20, 12 et 14.

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FOL.

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habui in temptationibus illis in quibus sanctus me sociauit Antonius, ne totaliter essem absortus in inferis. Anno Domini MCCCXXIIII°, in nocte sancti Antonii, cepi primo residentiam facere in ecclesia parrochiali sita in magna Papia, in illo loco vel circa illum locum ubi est I(i)anua barbarie seu Ianua Affricana, quasi assumptus ad Cartaginensem parrochiam gubernandam. Adhuc obsessus fui ibi per uiperam Canistralem, cuius fuit figura obsidio Ianuensis. Ianue fuit sola obsidio figuralis que nichil est, sicut obsidio Ypponensis temporibus Augustini; cuius obsidionis fuit in me ueritas rei. Illa enim obsidio per multitudinem armatorum significat ueram obsidionem corruptibilis sanguinis aduersus sanguinem Ihesu Christi. Progenies uiperarum sepe et quasi continue interrupit ocia mea ad meditanda salubria super regimina animarum. Illa Cartago, parrochia Papiensis, interpretatur meditationem uel scrutationem, ut reuelata per Spiritum in Cartagineis quasi cartarum libris exciperem, sicut docuerat Augustinum puer excipiens guttas maris in modicam fossam, ac si infunderet omnem abissum intra pectus Affrice naturalis. Sed heu iam eneruabar ad affectionem carnis et sanguinis domus mee. Videbam quoque oculis meis pueros et puellas quos baptizaueram a parentibus suis ydolorum demoniis imolari. Ecce quod nutriti ab infantia in uitiis gentium usque ad senium non possunt deserere ydola. Cecus ego nesciebam illos reducere ad uerum lumen; aliquando modicum lumen fidei mee extinguebatur a tenebris horum. Et sicut nesciui seruare doctrinam sancti Antonii contra uisibiles demones Ianue barbarie, sic nec in parrochia magne Papie. Anno Domini MCCCXXVIII, die sancti Antonii, fuit meritis eius ceca illuminata. Qua die, sicut postea audiui, fuerat Rome Bauarus coronatus, qui ignorans miraculum fecit uillam illius femine igne cremari ipso anno. Anno Domini MCCCXXXII, die sancti Antonii, fuit presentata domino pape littera dominorum de Fuscho pro mea defensione. Huius memoria, anno reuelationis, eadem die sancti Antonii. Anno Domini MCCCXXXIIII°, in die sancti Antonii, idem sanctus Antonius fecit me ascendere papale palatium ad mandatum patris nostri Abrahe, ut Ysaach obedientiam imitarer ac in tertia temptatione probarer. Promittens ergo erga socios nostros cum eis obedientiam usque ad mortem, assumpsi laborem cum ipsis nobis impositum de scribendo et rescribendo quottidie illam disputabilem questionem de uisione Dei que mota fuit per Spiritum Sanctum ad dominum papam, ut de pectore meo omne dubium in futurum omnino diuinitus tolleretur; quod per gratiam Dei factum est. Interim affectio mea carnalis cepit cogitare et procurare de aliis pluribus uel uno beneficio ecclesiastico impetrandis. Ad quid? Ad exaltationem carnis et sanguinis. Et sic deuiaui a doctrina sancti Antonii qui ter me fecit temptatione probari. Nec ego sciui defendere et cauere ab insidiis demonum. A die itaque sancti Antonii usque ad dimidium mensem februarii uel circa, per Dei gratiam cum aliis nostris obedienwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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de peindre les armes de ma famille, comme pour tout autre qui peint les siennes; car en reconnaissant que ces images désignent un bien et un avantage pour l’Église du miroir tout entière, et en le faisant bien, je comprends par conséquent que ces images ne sont rien. Mais si je reconnais que ces images ainsi que leur lignée ont une valeur importante, en tirant la substance de la qualité ou plutôt la nature de la corruption, je suis considéré comme un idolâtre, je délaisse la chrétienté qui est la substance et la nature véritable, et j’adore cette lignée qui n’est rien d’autre qu’un attribut éphémère ou une corruption qui détruit la nature. Car la substance demeure et l’attribut passe; la nature subsiste et la corruption ne cesse de ronger. Pour éviter que quelqu’un ne se glorifie d’une lignée qui feint la sainteté – par exemple, la famille des chrétiens dont l’unité provient des lignées corruptibles du monde, comme celle des habitants de Pavie – une telle famille est mise au nombre des idoles, à moins qu’elle ne se tourne avec les autres parentés corruptibles du monde vers le peuple chrétien incorruptible.[fol. 31v°] Ces idoles provenant des armes de chaque famille, représentées dans les églises sur les tombeaux des morts, indiquent ces mêmes idoles que je trouve gravées dans le temple de mon cœur. Mes agissements extérieurs laissent penser que j’adore le vrai Dieu ainsi que ses saints, et j’adore dans mon cœur ces idoles que j’aime profondément. Je parle de ce que j’aurais fait virtuellement si j’avais voulu pleinement écouter ma volonté; et j’aurais déjà commencé à agir ainsi dans les faits, si le Seigneur, en m’envoyant des malheurs, ne m’avait pas sevré des seins pourris de Babylone. Voilà quelle fut cette tentation, parmi celles auxquelles saint Antoine m’a associé, pour éviter que je ne sois complètement englouti dans les bas-fonds. En l’an du Seigneur 1324, la nuit [de la fête] de saint Antoine, j’ai d’abord entrepris d’élire domicile dans une église paroissiale située dans la grande Pavie, à l’endroit ou vers l’endroit où se trouve la porte/Gênes de la barbarie ou la Gênes africaine, comme si j’avais été chargé de diriger la paroisse de Carthage. Là encore j’ai été assiégé par la vipère des Canistris, ce que le siège de Gênes a montré. A Gênes, il s’agissait seulement d’un siège matériel, sans aucune valeur, comme le siège d’Hippone à l’époque d’Augustin; mais j’en ai vécu intérieurement la réalité authentique. En effet, ce siège mené par une foule d’hommes en armes indique le véritable siège du sang corruptible s’opposant au sang de Jésus-Christ. La lignée des vipères a souvent et pour ainsi dire sans arrêt dérangé la tranquillité qui me permettait de réfléchir à ce qui est salutaire au gouvernement des âmes. Cette Carthage, paroisse de Pavie, veut dire la méditation ou la recherche, afin que je prenne ce qui m’a été révélé par l’Esprit pour le mettre dans les livres de Carthage (contenant pour ainsi dire des cartes/chartes), ainsi que l’enfant qui retirait les gouttes de la mer pour les mettre dans un petit trou l’avait montré à Augustin1, comme s’il déversait tout l’abîme à l’intérieur de la poitrine de l’Afrique naturelle. Mais malheureusement je m’étais déjà abaissé à m’attacher à la chair et au sang de ma famille. Je voyais également de mes propres yeux que les petits garçons et petites filles que j’avais baptisés étaient sacrifiés par leurs

1 Opicinus éprouve une phobie pour les trous, surtout les petits; on peut parler de « délire orificiel ».

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FOL.

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tiam nostri patris impleui; iusto autem iudicio non potui carnale desiderium meum implere. Vt uero appareret testimonium obedientie quam promiseram, post Pascha sequens terribili infirmitate prostratus fui per plures dies abstactus ad bellum agonizandi inter mortem et uitam, cuius rei nunc usque in me testimonium perseuerat. Actum III° kalendas septembris.

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parents aux démons des idoles. C’est ainsi que ceux qui sont entretenus depuis l’enfance dans la dépravation des païens, et qui y demeurent jusqu’à un âge avancé, sont incapables de renoncer à leurs idoles. Et moi l’aveugle, je ne savais pas les ramener à la véritable lumière; parfois, la petite lumière de ma foi était éteinte par leurs ténèbres. Et je ne savais pas retenir les leçons de saint Antoine pour lutter contre les démons visibles de la Gênes de la barbarie; même chose dans la paroisse de la grande Pavie. L’an du Seigneur 1328, le jour [de la fête] de saint Antoine, une femme aveugle vit la lumière grâce à ses mérites. Ce jour-là, comme je l’ai entendu dire après, le Bavarois1 a été couronné à Rome, et, n’étant pas au courant du miracle cité, il fit détruire par le feu le domaine de cette femme la même année2. L’an du Seigneur 1332, le jour [de la fête] de saint Antoine, la lettre des seigneurs de Fusch prenant ma défense fut présentée au seigneur pape. Ces souvenirs me sont revenus l’année de la révélation, le jour[de la fête] de saint Antoine également [17 janvier 1339]. L’an du Seigneur 1334, le jour de la fête de saint Antoine, c’est le même saint Antoine qui me fit aller au palais pontifical3, sur l’ordre de notre père Abraham, pour imiter l’obéissance d’Isaac et être soumis à ma troisième tentation4. Promettant donc l’obéissance jusqu’à la mort envers nos collègues et en même temps qu’eux, j’ai effectué le travail qui nous avait été prescrit, à eux et à nous: copier et recopier chaque jour cette affaire controversée de la vision de Dieu que l’Esprit Saint avait fait naître chez le seigneur pape5, pour que toutes les incertitudes concernant l’avenir disparaissent totalement de mon cœur par l’effet de la volonté divine; ce qui est arrivé, grâce à Dieu. Dans l’intervalle, je me suis mis, avec mes sentiments charnels, à réfléchir et à étudier comment obtenir plusieurs bénéfices ecclésiastiques ou au moins un. Avec quel but? Celui d’exalter la chair et le sang. Et ainsi je me suis détourné des leçons de saint Antoine qui, pour la troisième fois, m’avait soumis à la tentation. Je ne savais, quant à moi, repousser ni éviter les embûches des démons. C’est pourquoi entre le jour de la fête de saint Antoine et le milieu du mois de février ou à peu près, grâce à Dieu, j’ai satisfait avec nos autres collègues à l’obéissance envers notre père; mais, par un juste jugement, je n’ai pu satisfaire ma convoitise charnelle. Néanmoins, pour que le témoignage de l’obéissance que j’avais promise soit manifeste, j’ai été prostré

1 C’est-à-dire Louis IV de Bavière, qui se fit couronner à Rome le 17 janvier 1328 par des évêques rebelles à Jean XXII. 2 Allusion à l’excommunication d’Opicinus et à son départ de Pavie en 1328? 3 Voir P 20, 17 janvier 1334. 4 Voir les trois tentations du Christ: Mt 4, 1-11; Mc 1, 12-13; Luc 4, 1-13. Opicinus s’identifie donc à la fois à saint Antoine et au Christ pour les tentations personnelles dont il parle. 5 Il s’agit de la controverse théologique sur la vision béatifique qui marqua les dernières années du pontificat de Jean XXII. En 1331, le pape avait déclaré que les âmes des justes ne jouissent pas de la vision directe de Dieu avant la résurrection des morts; elles sont placées « sous l’autel » (voir Ap 6, 9), où elles sont consolées et protégées par l’humanité du Christ; après le Jugement dernier, elles seront « sur l’autel » et pourront contempler en toute béatitude l’essence divine. Cette opinion personnelle déclencha une tempête et fut contredite par Benoît XII.

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FOL.

T

signum sancti Antonii

DE

31v°

T sancti Francisci

CONFORTATIONE CORDIS VNIVERSALIS

mercationis patrum meorum carnalium

ECCLESIE

Ecce signum thau impressum super frontes gementium et dolentium: frontes, inquam, non capitis significabilis sed interioris pectoris significandi. Caput enim exterius cum sensibus suis significat mentem interiorem cum sensibus rationis et intellectus, ac si Hispania capitalis significaret Prouinciam pectoralem, cuius presens Auinio possidet omnem sapientiam Dei et totam prudentiam mundi. Multitudo enim sapientum est sanitas orbis terrarum. Nam sicut in homine tempore magni timoris totus sanguis recurrit ad cor, ita timore uicinii Iudicii recurrendum est undique ad pectus Europe, ubi curia Rome celestis confortat et roborat totum corpus. A maioribus prelatis recursus huiusmodi fiat localiter ad generale concilium congregandum; a simplicibus autem fiat moraliter ad apprehendendam citius disciplinam. Vt localis mutatio prelatorum significet moralem mutationem simplicium, quatinus unusquisque conuertatur ad cor. VIIII

De iudiciis Lombardie Europa quasi magna Gallia a Francia usque Lombardiam inclusiue est quasi gallus castratus. Ideo non sine misterio, cum sanctus Franciscus ascendisset semel a partibus Spoletanis ad Alexandriam Lombardie (id est a femore siue coxa galli castrati ad os piscis Italie) et in hospitio cuiusdam inuitatus cum illo manducaret caponem, tradidit coxam caponis pauperi mendicanti; que ne redundaret in uerecundiam isti sancto, miraculose conuersa est in piscem. Ecce conuersio coxe caponis in piscem, cuius spiritualis expositio sapientibus relinquatur ut detur occasio habundandi. Additum anno perfectionis, II idus februarii.

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pendant plusieurs jours après la fête de Pâques suivante par une terrible maladie, privé de sens, luttant à l’agonie entre la mort et la vie1; et le témoignage de cet événement est toujours présent en moi. Fait le 3 des calendes de septembre [30 août 1337].

T La croix de saint Antoine3 LE

T de saint François2

du trafic de mes pères charnels4

RÉCONFORT DU CŒUR DE L’ÉGLISE UNIVERSELLE

Voici la croix5 gravée sur le front de ceux qui gémissent et qui sont affligés: le front, dis-je, non de la tête qui indique, mais de la poitrine intérieure qui doit être indiquée. En effet, la tête extérieure avec ses sens indique l’esprit intérieur associé aux sens de la raison et de l’intelligence, comme si l’Espagne de la tête indiquait la Provence de la poitrine où l’actuelle Avignon possède toute la sagesse de Dieu et la prévoyance entière du monde. En effet, la foule des sages, c’est la bonne santé de l’orbe terrestre. Car, de même que chez l’homme qui éprouve une grande peur, tout le sang reflue vers le cœur, de même, par peur du Jugement proche, il faut vite regagner de partout la poitrine de l’Europe, où la cour céleste de Rome réconforte et fortifie le corps tout entier. Pour les grands prélats, un tel retour doit être géographique, afin de réunir un concile général; et pour les simples gens, il doit être moral, afin de retenir plus vite l’enseignement. Ainsi les déplacements géographiques des prélats indiquent les transformations morales des simples gens, dans la mesure où chacun se tourne vers le cœur. VIIII Opinions sur la Lombardie L’Europe, c’est-à-dire la grande Gaule allant de la France jusqu’à la Lombardie incluse, ressemble à un coq castré. C’est pourquoi, non sans mystère, alors que saint François se rendait un jour de la région de Spolète à Alexandrie en Lombardie (c’est-à-dire de la cuisse ou de la hanche du coq castré à la bouche du poisson d’Italie) et qu’il mangeait un chapon avec un hôte qui l’avait invité, il donna la cuisse du chapon à un pauvre qui mendiait; or celle-ci fut changée miraculeusement en

Voir Guy Roux, Opicinus, prêtre, pape…, pp. 38-39. Allusion aux stigmates qui conformèrent saint François au Christ crucifié entre 1224 et sa mort. Car la forme de l’instrument de supplice qu’est la croix pouvait avoir la forme d’un T majuscule (ou tau grec), dans l’Empire romain comme dans le monde juif. 3 On représente souvent saint Antoine avec une croix en forme de T et un porc. 4 Cette expression est développée au fol. 32. 5 Voir Ez 9, 4 (la lettre tau avait dans l’alphabet ancien la forme d’une croix). Dans les dessins d’Opicinus, on trouve en Afrique du nord tantôt une croix (V 6 et V 7), tantôt un tau (V 13). Voir fol. 32. 1 2

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FOL.

32

[fol. 32] Discretio uerborum a testimonio rei ad rem Omnis locutio de negociis seculi et de actis et agendis in aliqua parte mundi significat aliquid (scilicet gloriam et honorem populi christiani); que locutio ex parte sui nichil est. Si ergo intellexero illa uerba per me uel per alios prolata significare aliquid boni esse pertinentis ad populum christianum et per consequens illa uerba nichil esse ex se, tunc intendens ad verbi uirtutem iudicor homo uerax. Si autem putauero illa uerba simpliciter aliquid esse ex se, tunc delectans in illis sicut sonant ad litteram iudicor homo mendax, desero ueritatem et uerbi uirtutem, et delector in fabulis que nichil sunt. Quicquid loquitur homo, siue intelligat siue non intelligat illa que loquitur, si spiritualiter exponatur, ueritas est. Nemo enim potest loqui a seipso nisi per Spiritum ueritatis. Si putauerit homo illa uerba sicut sonant aliquid esse, mendax est; si autem spiritualiter exponantur, ueracia iudicantur. Hec expertus sum ego in meipso ex quolibet loquente. In prima auditione loquentis ego nesciens iudicare quod illa uerba significent ad rem spiritualiter, carnaliter iudico uel uera uel falsa. Si autem examinauero illa uerba per rationem et intellectum, etiam si sint mendacia, inuenio illa significare illud quod habemus pre manibus ad tractandum de honore populi christiani, et consequenter illa uerba ueracia esse. Ecce quod nichil potest proferri, siue uerum siue falsum, sine aliqua significatione rei. Si contra conscientiam locutus fuero mendacium, culpa mendacii reuertitur super me mendacem; uirtus autem ueritatis quam mendacium illud significat commendat honore populum christianum. Si uero ex pura conscientia dixero falsitatem, tunc illa falsitas nemini nocet nisi habenti culpam mendacii; ueritas autem quam falsitas illa significat commendat totam Ecclesiam. Ecce quod falsitas semper significat ueritatem; ueritas autem nunquam significat falsitatem. Similiter nichil fit in mundo quod non significet aliquid; nil super terram sine causa. Ego Opicinus seruus populi christiani, nescio quod faciat Dominus meus Ihesus Christus; mihi autem amico Ihesu Christi qui sum uniuersitas sacerdotalis, Christus amicus meus omnia nota fecit.

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poisson, pour ne pas mettre dans l’embarras le saint en question1. Voici la cuisse du chapon changée en poisson: l’explication spirituelle doit en être laissée aux sages pour qu’ils aient une occasion de s’épancher. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des ides de février [12 février 1338]. [fol. 32] La différence entre les termes qui montrent le réel et ce réel Toutes les expressions relatives aux affaires d’ici-bas, et aux actions présentes et à venir dans chaque région du monde, indiquent quelque chose (à savoir la gloire et les honneurs du peuple chrétien): ces expressions n’ont pas de valeur intrinsèque. Donc, si je comprends que ces mots prononcés par moi ou par d’autres montrent en partie le bien appartenant au peuple chrétien et que, de ce fait, ces mots n’ont aucune valeur par eux-mêmes, dans ce cas, en cherchant la qualité essentielle du mot, je passe pour un homme sincère. Mais si je pense que ces mots ont simplement une valeur en eux-mêmes, dans ce cas, en jouant avec leur acception littérale, je passe pour un homme menteur, je renonce à la vérité et au caractère essentiel du mot, et je joue avec des chimères inexistantes. Toutes les paroles de l’homme, qu’il comprenne ou non ce qu’il dit, si elles sont expliquées spirituellement, sont vraies. En effet, personne ne peut parler de lui-même, si ce n’est à l’aide de l’Esprit de vérité. Si un homme considère que ces mots ont de la valeur dans leur acception littérale, il s’agit d’un menteur; mais s’ils sont expliqués spirituellement, ils passent pour véridiques. Je l’ai personnellement expérimenté avec tous ceux qui parlent. Quand j’écoute quelqu’un parler pour la première fois, ne sachant pas, quant à moi, apprécier ce que ce discours indique réellement sur le plan spirituel, je le considère charnellement soit comme exact, soit comme inexact. Mais si j’approfondis ce discours avec ma raison et mon intelligence, même s’il s’agit de mensonges, je trouve qu’ils indiquent ce que nous avons à notre disposition pour travailler à la gloire du peuple chrétien, et que, par conséquent, ces mots sont véridiques. C’est ainsi que l’on ne peut rien dire, que ce soit exact ou inexact, sans indiquer de quelque manière la vérité. Si je dis un mensonge préjudiciable à ma conscience, la faute du mensonge retombe sur le menteur que je suis; mais la qualité essentielle véritable que ce mensonge laisse entendre rehausse la gloire du peuple chrétien. En revanche, si je dis une contrevérité avec une conscience pure, ce mensonge ne porte alors tort qu’à celui qui a commis une faute en mentant; et la vérité que cette contrevérité laisse entendre met en valeur l’Église tout entière. C’est ainsi que la contrevérité ne cesse d’indiquer la vérité, alors que la vérité n’indique jamais la contrevérité. De même, rien n’arrive dans le monde sans indiquer quelque chose; rien sur la terre, sans raison. Moi, Opicinus, serviteur du peuple chrétien, je ne sais pas ce que fait mon Seigneur Jésus-Christ; mais à moi, l’ami de Jésus-Christ, qui suis la communauté sacerdotale, le Christ mon ami me fait tout connaître.

1

Voir la Légende dorée, t. 2, p. 263.

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Ratio de ydolis gentium Siquis uoluerit scire qualis sit cultus habentis in pectore ymagines ydolorum, uadat in Lombardiam ubi conspiciet ueritatem. Ecce aliquis toto conamine studet complacere tali tyranno et generi domus eius, expendendo bona sua et personam usque ad sanguinem et mortem propter amorem partis illius tyranni. Iam de seipso facit sacrificium et holocaustum quasi in odorem suauitatis (id est in memoriam perpetuam probitatis istius), ut semper dicatur de ipso: « Iste fuit bonus homo partis qui amore huius domini se exposuit morti ». Ecce quali deo fecit sacrificium de seipso. Qualis arbor, tales fructus; qualis intentio, tales actus. Nemo uadat ad inquirendam et sciendam ydolatriam gentium ab antiquo, cum nunc maior ydolatria regnet quam tunc. Tunc enim christianitas iustificabatur in sanguine Ihesu Christi; nunc autem corruptibili sanguine maculatur. Tunc ex martiribus Christi fiebat uerum sacrificium Deo uiuenti; nunc ex negantibus baptismum uictima imolatur demoniis. Preterea super omnia hec habeo testimonium maioris ydolatrie demonum in meipso. Ymago bestie quam adoro, eo quod habet spiritum loquendi in me, precepit mihi ut non possim uiuere nisi habeam in fronte caracterem ambitionis (similiter in manu dextera quam significat manus Cartaginis caracterem scribens in cartis), ne sine huiusmodi signo possim emere uel uendere mutuo gloriam personalem. Quomodo ego et amici mei carnales possumus uerbis euangelicis credere, qui gloriam ab inuicem accipimus et gloriam que a solo est Deo non querimus? Ecce ego ex ypocrisi mea habens gratiam in oculis domini pape, immo in oculis Ihesu Christi ex parte sua non mea (qui a gratia sua non repellebat Iudam ypocritam proditorem, nisi malitia sua repulisset ipsum a gratia Dei), factus mercator iniquitatis, uolens uendere et emere gloriam, dirigo oculos meos ad aliquem simplicem illaqueandum per caracterem meum hoc modo sub specie supplicandi: « Supplicat Sanctitatem uestram fidelis uester et humilis Opicinus uel Opizo et cetera. Quatinus sibi in personam deuoti uestri et amici sui precipui nomine N. – de progenie N., de ciuitate Papiensi uel diocesi, aut talis ciuitatis N. diocesis – nobilis et potentis, cuius proba progenies semper pugnauit strenue et fideliter pro sancta Romana Ecclesia, qui iuuenis speciosus, nobilis genere, nobilior moribus, fulgens uirtutibus, coram Deo et hominibus gratiosus, subtilis ingenio, eruditus scientia liberalium artium utriusque iuris et sacre theologie, de tali beneficio ualente secundum taxationem annuatim florenos tot decennaria uel centenaria aut millenaria, uel de tali ecclesiastica dignitate, cum clericis (iuxta stilum curie), dignemini prouidere de gratia speciali. Et reliqua (iuxta stilum) ». Si huiusmodi petitio exaudiatur, nulla culpa imputatur domino pape, cum persona fidelis qui est seruus seruorum Dei faciat quod debet. Credere enim debet me esse ueracem. [fol. 32v°] Ego autem falsis adulationibus meis, www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Démonstration relative aux idoles des païens Si quelqu’un veut savoir comment se conduit celui qui porte des images d’idoles dans son cœur, qu’il aille en Lombardie et il y découvrira la vérité. En voici un qui essaie de toutes ses forces de plaire à tel tyran et à la lignée de sa famille, en investissant tous ses biens et sa personne jusqu’à l’effusion de sang et la mort1, en raison de l’amour qu’il porte au parti de ce tyran. Il s’offre déjà en sacrifice et en holocauste2, comme s’il était en odeur d’amabilité3 (c’est-à-dire toujours prêt à rappeler les vertus de ce tyran), si bien que l’on ne cesse de dire à son sujet: « Il s’agissait d’un bon partisan, qui s’est exposé à la mort par amour pour son maître ». Voilà de quelle espèce est le dieu auquel il a fait le sacrifice de lui-même. Tel l’arbre, tels les fruits; tels les objectifs, tels les actes. Que personne n’aille chercher et connaître l’idolâtrie des païens depuis les temps anciens, puisque l’idolâtrie qui règne aujourd’hui est plus grande qu’en ces temps-là. En effet, en ces temps-là, la chrétienté était justifiée dans le sang de Jésus-Christ, alors qu’aujourd’hui elle est souillée par le sang corruptible. En ces temps-là, le véritable sacrifice au Dieu vivant provenait des martyrs du Christ; aujourd’hui, ceux qui renient leur baptême immolent une victime aux démons. En outre et par dessus tout, je dispose du témoignage de la grande idolâtrie des démons qui m’habitent. L’image de la bête que j’adore, parce qu’elle a l’ingéniosité de parler en moi, m’a averti que je ne pourrais vivre que si je portais sur le front la marque4 de l’ambition (comme dans la main droite que représente la main de Carthage qui inscrit une marque sur les cartes), si bien que je ne pourrais, sans une croix de ce genre, acheter ou vendre réciproquement la gloire personnelle. Comment, mes amis charnels et moi, pouvons-nous croire aux paroles de l’Évangile, alors que nous admettons la gloire entre nous et que nous ne recherchons pas la gloire qui vient de Dieu seul? C’est ainsi que moi, trouvant grâce du fait de mon hypocrisie aux yeux du seigneur pape, ou plutôt aux yeux de Jésus-Christ, de son fait et non du mien (lui qui, grâce à sa bienveillance, n’aurait pas exclu Judas, le traître hypocrite, si celui-ci, du fait de sa malice, ne s’était pas lui-même exclu de la bienveillance divine), devenu marchand d’iniquité, désirant vendre et acheter la gloire, je pose mon regard sur quelque nigaud susceptible de se faire prendre au piège avec cette marque, en affectant de supplier comme suit: « Votre fidèle et humble Opicinus ou Opizo supplie votre Sainteté etc.5, pour que, en faveur de la personne de votre dévoué et de son excellent ami, N. – appartenant à la lignée N., à la ville ou au diocèse de Pavie, ou à telle cité du diocèse N. – noble et puissant, dont la famille loyale n’a cessé de se battre ardemment et fidèlement pour la sainte Église romaine, lui qui est un beau jeune homme, noble par ses origines et plus encore par sa morale, rayonnant de vertu, en faveur devant Dieu et les hommes, d’une intelligence perspicace, versé dans la connaissance des arts libéraux, des

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Allusion à la mort du père et du frère d’Opicinus. Pastiche de Mc 12, 33. Pastiche de l’odeur de sainteté. Voir Ap 19, 20 et 20, 4. Pastiche des suppliques déposées à la cour pontificale.

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qui sum hamus diaboli sub esca dulcedinis ad animas simplicium capiendas, facio filium gehenne duplo quam sim. Ille quidem apparens magister in artibus, qui nondum nouit se esse discipulum, habet solam scientiam coloratam; qui nunquam expertus est uitam et mores maturitatis, nescit uirtutem scientie, ignorat spiritum iudicandi. Quomodo ergo potest ad sacros ordines prouehi, lumen Ecclesie fieri aut, quod absonum est, ad cathedram promoueri, qui adhuc habet lac doctrine rudis in ore quod suscepit ab uberibus littere matris sue? Qualiter ualet et nouit infantes lactare, qui nondum est a puerilibus moribus ablactatus? Nondum expertus est senii grauitatem, sensuum interiorum canitiem nec probationem longeuam, quarum summam uirtutum sola dat gratia sed non etas. Deus enim considerat promotiones morales gradusque spiritualis scientie, non longeuitatem annorum. Melius sepe nouit rusticus idiota sine litteris uirtutem scientie litteralis quam qui putat uirtutes in litteris inuenire. Littera indicat homini ut in seipso querat uirtutem scientie, ad cuius pulchritudinem littere plerumque uir fatuus nimis attendens obliuiscitur quo tendebat. Expositio sacre Scripture etiam spiritualiter, nisi sciens exponere transeat a corruptibili littera ad sensus hominis interioris, quasi uidentem excecat. Mores industrie naturalis scientiam litteralem exuperant. Si ad plebem sermociner dicens: « Homo quidam descendebat ab Iherusalem in Iericho » (id est prolapsus est a Dei uisione pacifica ad propriam cecitatem), tunc de subtili intelligentia spiritus efferar populari fauore. Si autem uolucris pica de usu locutionis edocta protulerit eadem uerba, tunc in nullo differo uir sermocinator ab auicula irrationali. Eadem laus exigitur ab utroque. Plebs simplicium uocibus pasta non docta potest indifferenter dicere: « Nos tam a uolucri quam ab homine spiritualia uerba suscepimus ». Ecce, ut prosequamur superiora, ego impetrator et ille promotus ad corruptibilem gratiam inuicem gloriam uendimus. Ego laudaui ipsum, ut ad sublimia exaltatus gloriosus appareat et omnes eius amici me beatificent et extollant. Nos mutui mercatores talis mercedis merces augemus. In finali uero Iudicio quid et quantum inde lucrati fuerimus in medium proferemus. Vitium symonie est quedam significatio huius peccati. Quis est magis submersus in terris more talparum: ego in ecclesiasticis exaltatus an simplex agricola excolens agros terrarum? Deus non homo iudicat et cui uoluerit sua iudicia reuelare. Iudicium meum non alterius reuelatum est mihi, ne peccarem ulterius in peccato quod ceperam. Promotus ad magna, ymaginans futura quasi presentia, ac si essem ad multo maiora prouectus, iam ab assiduis sollicitudinibus perurgebar. Vnde recolligam redditus meos de tali beneficio? Quomodo defendam talem castellum uel uillam pertinentem ad ecclesiam meam? Qualiter gubernabo familiam meam cum omnibus prouisionibus necessariis domui mee? Quali occasione adhuc potero dignitatem talis ecclesie impetrare, ad maiorem honorem meum et generis mei et ad honorificenwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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deux droits et de la sainte théologie, vous jugiez digne de lui accorder par grâce spéciale, avec les clercs (selon la terminologie de la curie), tel bénéfice rapportant d’après les estimations tant de dizaines, de centaines ou de milliers de florins par an, ou telle fonction ecclésiastique. Etc. (selon la terminologie) ». Si une demande de ce genre est exaucée, le seigneur pape n’est pas fautif, puisque la personne fidèle qui est le serviteur des serviteurs de Dieu fait ce qu’elle doit. En effet, il doit croire que je suis sincère. [fol. 32v°] Mais moi qui, avec mes flatteries perfides, suis l’hameçon du diable derrière l’appât de la douceur pour attraper les âmes des naïfs, je deviens le fils de la géhenne deux fois plus que je ne le suis. De fait, celui-ci qui, feignant d’être maître dans les arts, n’a pas encore appris qu’il était un disciple, possède seulement des connaissances qui donnent le change: il n’a jamais expérimenté la vie et la morale de l’âge mûr, ne connaît pas la valeur de la connaissance, ignore la finesse du jugement. Comment peut-il donc être promu aux saints ordres, devenir la lumière de l’Église et, ce qui est absurde, être élevé à un siège épiscopal1, lui qui a encore dans la bouche le lait de l’enseignement grossier qu’il a tété aux seins de la lettre, sa mère? Comment peut-il et a-til été en mesure d’allaiter les petits enfants, lui qui n’est pas encore sevré des pratiques de l’enfance? Il n’a pas encore fait l’expérience du sérieux du grand âge, de l’ancienneté des sens intérieurs2 ni des argumentations éprouvées; or c’est la grâce et non l’âge qui donne leur apogée à ces vertus. En effet, Dieu regarde l’amélioration morale et les progrès des connaissances spirituelles, et non le nombre des années. Un campagnard ignorant dépourvu de culture a souvent mieux compris le caractère essentiel des connaissances littérales que celui qui croit trouver les vertus dans la culture. La lettre indique à l’homme qu’il doit chercher en lui-même la valeur de la connaissance, alors qu’en général l’homme insensé, en prêtant trop d’attention à la beauté de cette lettre, oublie ses objectifs. Si l’explication de la sainte Écriture, même sur le plan spirituel, ne passe pas de la lettre corruptible aux sens de l’homme intérieur en sachant donner des explications, c’est comme si elle aveuglait celui qui y voit. La morale liée à l’activité naturelle surpasse les connaissances littérales. Si je faisais un sermon à la foule en ces termes: « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho »3 (c’est-à-dire glissa de la vision paisible de Dieu à la cécité personnelle), cette compréhension spirituelle subtile me vaudrait alors les faveurs populaires. Mais si l’oiseau qu’est la pie, à laquelle on a appris à parler, prononce les mêmes paroles, alors, moi l’homme qui fais des sermons, je ne diffère en rien d’un petit oiseau dépourvu de raison. L’un et l’autre ont droit aux mêmes compliments. La foule des simples gens, nourrie par les sons, dépourvue d’instruction, peut dire indifféremment: « Nous avons entendu des propos spirituels tenus par l’oiseau comme par l’homme ». Ainsi, pour continuer les propos que j’ai tenus plus haut, moi qui cherche des faveurs corruptibles et lui qui les a eues en promotion, nous négocions la gloire 1 Opicinus vise non seulement Benoît XII, mais aussi sans doute l’évêque de Pavie qui l’a excommunié (d’autant plus que le mot de « simonie » est cité à la fin du paragraphe). 2 Saint Thomas d’Aquin, par exemple, admet que l’homme possède cinq sens intérieurs en plus des cinq sens externes. Voir fol. 39v°; V 10, notes 7 et 34; V 18, note 5. 3 Lc 10, 30.

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tiam nepotum meorum cum omnibus amicis meis? Et sic nunquam poteram ab hiis anxietatibus uel una hora quiescere. Semper ad concupiscibilia inhiabam. Ille autem agricola fideliter seruiens illis quorum sunt agri, sine sollicitudine seculi ex sua simplicitate potest spiritualia meditari, semper obseruans obedientiam sacerdotis. Ego uero in intricabili laberinto libenter immersus, nullam de animabus plebium mearum facio mentionem; ad quarum regimen conduco mercede quempiam simplicem sacerdotem, qui modicis stipendiis contentus in Ecclesia militat et administratione laborat. Ego autem deuorans reliqua bona ecclesiarum tanquam inutilis truncus in ociis uaco. Dignior est ille sacerdos sublimibus quam sim ego. Actum anno renouationis, II kalendas septembris, tunc dominica XIIª post Pentecostes.

Comparatio corporis personalis ad corpus Europe Qua die bene conuenit historia Iob cum euangelio de homine spoliato, uulnerato et semiuiuo relicto, quasi descendente ab Iherusalem curie pectoralis in Iericho (id est Lunam Italie, que destructa est inter uentrem Lombardie et femur dextrum Tuscie, sicut monasterium Iericho apud Papiam ut audio). Europa mutilata significat hominem semiuiuum relictum quasi Iob; Affrica irrisoria significat sacerdotem uel leuitam sine compassione transeuntem; Asia uero similis arbori significat Samaritanum descendentem et misericordia motum super illum infirmum. Maiorem circuncisionem exigit pectoralis uinea quam uentralis. Ego infirmus ex corpore meo testificor dispositionem Europe. Vmbilicus www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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entre nous. Moi, j’ai fait son éloge, afin qu’élevé aux plus hautes charges, il donne l’impression d’être brillant, et que tous ses amis me favorisent et m’exaltent. Nous, qui sommes tous deux marchands, nous augmentons le profit de ce commerce. Mais lors du Jugement final, nous exposerons publiquement la nature et le montant du profit que nous en aurons tiré. Le péché de simonie représente une certaine indication de cette faute. Qui est davantage englouti dans le monde à la façon des taupes: moi qui suis haut placé dans la hiérarchie de l’Église ou un simple paysan cultivant avec soin les terres de ses champs? C’est Dieu et non l’homme qui juge, et celui à qui il aura bien voulu révéler ses jugements1. C’est mon jugement et non celui d’un autre qui m’a été révélé, afin que je ne continue pas à commettre le péché que j’avais commencé à commettre. Élevé à de hautes charges, rêvant de l’avenir comme s’il s’agissait du présent (comme si j’étais nommé à des charges beaucoup plus importantes), j’étais dès lors continuellement tracassé par des soucis: Comment m’y prendrai-je pour toucher les revenus provenant de tel bénéfice? Comment défendrai-je tel château ou tel domaine relevant de mon église? De quelle manière estce que j’administrerai mes serviteurs en veillant à tous les approvisionnements nécessaires à ma maisonnée? Dans quelles conditions pourrai-je encore obtenir une fonction pour telle église, pour étendre ma gloire et celle de ma parenté, et pour honorer ma postérité ainsi que tous mes amis? Et ainsi je ne pouvais jamais me libérer, ne serait-ce qu’une heure, de ces inquiétudes. Je ne cessais de convoiter des biens désirables. Or ce paysan servant fidèlement ceux auxquels les champs appartiennent, sans souci du monde, peut s’adonner à des réflexions spirituelles du fait de sa candeur, en respectant toujours l’obéissance au prêtre. En revanche, moi qui suis volontairement plongé dans un labyrinthe inextricable, je ne fais aucune mention des âmes de mes ouailles; et je prends pour les diriger, moyennant salaire, quelque simple prêtre qui, se contentant d’appointements modestes, sert dans l’église et travaille à sa gestion. Quant à moi, en engloutissant les biens des églises qui restent, telle une souche inutile, je passe mon temps à ne rien faire. Le prêtre en question mérite davantage les charges élevées que je ne les mérite. Fait l’année du renouvellement, le 2 des calendes de septembre, c’est-à-dire le 12e dimanche après la Pentecôte [dimanche 31 août 1337]. Comparaison du corps humain avec le corps de l’Europe En ce jour, l’histoire de Job s’accorde bien avec l’Évangile de l’homme dépouillé, blessé et laissé à moitié mort2, comme s’il descendait de Jérusalem, qui occupe la cour de la poitrine, à Jéricho (c’est-à-dire à Luna3 en Italie, qui a été détruite, entre le ventre de la Lombardie et la cuisse droite de la Toscane, comme le monastère de Jéricho à Pavie, à ce que j’ai entendu dire). L’Europe estro-

Voir Mt 11, 27 et Lc 10, 22. Voir Lc 10, 30 (parabole du bon Samaritain): évangile lu le 12e dimanche de Pentecôte. 3 Il s’agit du port de Luna, sur la Riviera de Gênes (aujourd’hui La Spezia). 1 2

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mee Papie (id est uentris mei) aliquantulum profundior quasi foramen assimilatur Venetie Castellane. Condensitas pilorum colli mei est copia uinearum Wasconie. Similiter spissitudo pilorum pectoris mei significat uineas circa partes Prouincie. Pili uentris mei sunt uinee Lombar-[fol. 33]-die. Crura mea pilosa sunt orientalis Italia et Dalmatia cum Sclauonia, ut arbitror, habundantes in uineis. Tergum autem meum nullos uel modicos pilos habet, id est Germania raras uel nullas possidet uineas. Brachium meum sinistrum pilosum subuenit tergo Germanie, nequeunte brachio dextero sic comode subuenire propter infirmitatem dextere partis corporis mei. Et ideo non sine causa tota pars dextera corporis mei per litora maris meridiani, a uertice Hispanie usque ad plantam Calabrie, habundat tam uineis quam oliuis, ut ubi in me est maior infirmitas, plenius infundatur uineum et oleum. Quorum expositio sapientibus relinquatur. Cum autem conualuero factus dominus corporis mei Europe, populus christianus reuelabitur dominus totius Europe. Hora qua scribebam in ista linea de dominio corporis mei, casu accidit mihi offerri et legere pactiones Soldani Sarracenorum cum christianis pacifice de restitutione Terre sancte, de quibus nunquam prius audiueram, quas uidi inscriptas anno Domini MCCCXXX°, die VIIIIª nouembris; quo anno et circa quam diem traditus fuerat domino pape libellus « De preeminentia spiritualis imperii ». Quid ista significent uideantur. Terra sancta est ista fidelis Europa quam dimittet liberam Affrica infidelis; id est populum christianum dimittet cuiuslibet hominis fiducia personalis. Tunc dicetur ab omnibus: « Beatus es, popule Dei, quia conuersus es ab Affrica in Europam non locis sed moribus ». Nunc Soldanus fidelis iuste detinet carcere personam meam (id est quemdam famulum meum) seruilem solitam obsequi mihi nomine Martham modo captiuam cum societate eiusdem nominis, ne me interiorem Mariam abstrahat a spiritualibus ociis; hoc tamen fuit ad tempus. Qui habet aures audiendi audiat et rationalis intelligat. Alligatio manipuli sinistre manui est refrenatio manus Germanie, ne furore precipiti eximat gladium de uagina. Cui autem reuelatum est, dextrum brachium Deus nouit. Hec addita sunt kalendis septembris. Ecce kalendis septembris fere completus est VIIus annus remissionis quam Soldanus promiserat populo christiano, ut non differat september a septimo. Vbicumque posuimus secundum hominem casu tale aliquid accidisse, intelligatur secundum Deum hoc actum esse ex dispensatione diuina, nequis existimet fortunam humanam diuino iudicio preualere.

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piée1 représente l’homme laissé à moitié mort comme Job; l’Afrique moqueuse représente le prêtre ou le lévite passant leur chemin sans compassion2; mais l’Asie semblable à un arbre représente le Samaritain arrivant et pris de pitié pour ce malade3. La vigne de la poitrine demande une taille plus importante que celle du ventre. Moi qui suis faible, je montre la géographie de l’Europe à partir de mon corps. L’ombilic de Pavie qui m’appartient (c’est-à-dire de mon ventre), un petit peu plus profond, tel un trou, reproduit les Châteaux de Venise. Les poils touffus de mon cou, ce sont les vignes pullulant en Gascogne. De même, les poils épais que j’ai sur la poitrine indiquent les vignes qui se trouvent du côté du pays de Provence. Les poils de mon ventre, ce sont les vignes de Lombar-[fol. 33]-die. Mes jambes velues, ce sont l’Italie orientale, la Dalmatie ainsi que la Slavonie, riches en vignes, à ce que je crois. Mais mon dos n’a pas ou peu de poils; c’est-à-dire que la Germanie a peu ou pas de vignes. Mon bras gauche velu prête main forte au dos de la Germanie, mon bras droit n’étant pas capable de lui prêter main forte de manière aussi adéquate, à cause de l’infirmité de la partie droite de mon corps. Et c’est pourquoi, non sans raison, toute la partie droite de mon corps, en passant par les côtes de la mer du sud, entre le sommet de la tête de l’Espagne et la plante des pieds de la Calabre, regorge tant en vignes qu’en oliviers, si bien que le vin et l’huile abondent davantage là où mon infirmité est plus marquée. L’explication spirituelle de ces propos doit être laissée aux sages. Mais lorsque j’aurai repris des forces, devenu maître de l’Europe, mon corps, le peuple chrétien, se révèlera comme le maître de toute l’Europe. Au moment où j’écrivais ces lignes sur la toute-puissance de mon corps, il arriva par hasard que l’on me montra et que je lus les traités de paix passés entre le Soudan des Sarrasins et les chrétiens au sujet de la restitution de la Terre sainte, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant et dont j’ai constaté qu’ils avaient été rédigés en l’année du Seigneur 1330, le 9 novembre; or c’est cette année-là et aux environs de ce jour-là que le libelle « La prééminence du pouvoir spirituel » avait été remis au seigneur pape4. Que l’on examine ce que cela veut dire. La Terre sainte est cette Europe fidèle que l’Afrique infidèle laissera partir libre; c’est-à-dire que la bonne foi personnelle de chaque homme laissera libre le peuple chrétien. Alors, tous diront: « Tu es heureux5, peuple de Dieu, car tu t’es tourné de l’Afrique vers l’Europe, non pas en termes de géographie mais de morale ». Aujourd’hui, le Soudan fidèle détient légitimement incarcérée ma personne (c’est-à-dire un de mes serviteurs) esclave, habituée à se plier à ma volonté, du nom de Marthe, ainsi prisonnière, avec ceux qui lui sont associés par le nom, afin de ne pas m’éloigner, moi la Marie intérieure, des passe-temps spirituels; cependant cela est arrivé momentanément. Celui qui a des oreilles, qu’il entende, et celui qui est doué de raison, qu’il comprenne. Le manipule attaché à la main gauche6 permet de maîtriser la main de la

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Voir fol. 35v°, V 25… Voir Lc 10, 31-32. Voir Lc 10, 33. Voir P 20, septembre 1330. Voir Mt 16, 17. Manipule: ornement liturgique porté autrefois au bras gauche par le célébrant.

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De operibus Christi et actibus Antichristi Omnes persone promiscui sexus, cuiuslibet etatis, cuiuscumque professionis et status, qui carnaliter cognominantur comites de Lomello, ciues Papienses induentes tamen Dominum nostrum Ihesum Christum corporaliter in baptismo, nullam habuerunt unquam discordiam cum aliquo christiano. Similiter omnes persone promiscui sexus, cuiuscumque etatis, professionis et status, qui cognominantur carnaliter de progenie Beccarie, ciues Papienses baptizati tamen corporaliter in Domino nostro Ihesu Christo, transeuntes cum illis in eodem spiritu caritatis a corruptibili sanguine mundi ad incorruptibilem sanguinem Ihesu Christi, nullam unquam habuerunt discordiam cum aliquo christiano. Eodem modo omnes alie persone Papienses et diocesis sine discretione predicta baptizate in Christo nunquam habuerunt discordiam inuicem nec cum aliquo alio christiano, facti unum corpus, una anima et una uoluntas in Domino. Quis ergo proiecit discordiam inter eos factos captiuos in dispersionem, nisi inuisibilis inimicus humani generis inuidens istorum concordie? Arripuit enim diabolus una manu quedam corruptibilia arma que per suam astutiam adinuenit, que cognoscibili signo dicuntur arma comitum de Lomello, quibus associauit quedam alia arma similiter adinuenta adherentia primis armis (sicut arma Canistralia cum multis aliis armis) ad munitionem et fortitudinem huius partis. Idem diabolus cum alia manu leuauit arma illorum de Beccaria, quibus adherent quedam alia arma ad maius robur alterius partis. Nunc arma diabolica unius partis habentia odium alteri parti dicunt aliam partem esse diabolum. Similiter arma alterius partis inuidentia illi parti dicunt illam Sathanam esse. Ecce quod ab utraque parte alterutro modo diabolus iudicatur, qui tamen nunquam diuidi potuit in seipsum. Si Sathanas consurgit in Sathanam, quomodo regnum Sathane stare potest? Vnus idemque diabolus est, qui per similitudines partium satagit christianum populum deuorare. Habet enim fiduciam quam Iordanis influat in os eius. Sub partialitate huiusmodi principali, ad fauorem, auxilium et consilium uniuscuiusque partis earum, surgit progenies in progeniem, sanguis in sanguinem, ad faciendum sacrificium Sathane qui sanguinibus delectatur. Sanguis qui conatur nobilior appellari facit ex se www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Germanie, pour éviter qu’emportée par la colère, elle ne retire l’épée du fourreau. Celui auquel le bras droit est révélé, Dieu le connaît. Ces propos ont été ajoutés le jour des calendes de septembre [1er septembre 1337]. Voici qu’aux calendes de septembre, cela fait 7 ans que le Soudan a promis au peuple chrétien le pardon, si bien qu’il n’y a pas de différence entre septembre et sept. Partout où nous montrons, en nous conduisant en hommes, que telle chose est arrivée par hasard, cela veut dire pour Dieu qu’il s’agit d’un effet de la volonté divine, afin que personne ne pense que les contingences humaines l’emportent sur le jugement divin. Les œuvres du Christ et les agissements de l’Antichrist Toutes les personnes – sans tenir compte de leur sexe, quel que soit leur âge, quelles que soient leur profession et leur condition sociale – que l’on qualifie charnellement de comtes de Lomello1, citoyens de Pavie revêtant cependant notre Seigneur Jésus-Christ corporellement dans le baptême, n’ont jamais entretenu la moindre querelle avec un chrétien. De même, toutes les personnes – sans tenir compte de leur sexe, quels que soient leur âge, leur profession et leur condition sociale – que l’on qualifie charnellement de lignée de Beccaria2, citoyens de Pavie néanmoins baptisés corporellement en notre Seigneur Jésus-Christ, passant en compagnie des premiers et dans le même esprit de charité, du sang corruptible du monde au sang incorruptible de Jésus-Christ, n’ont jamais entretenu la moindre querelle avec un chrétien. De la même manière, toutes les autres personnes de Pavie et du diocèse, sans tenir compte des distinctions déjà indiquées, baptisées dans le Christ, n’ont jamais entretenu de querelle entre elles ou avec un autre chrétien, car ils étaient devenus un seul corps, une seule âme et une seule volonté dans le Seigneur. Qui donc a semé la zizanie entre eux et les a attirés dans la ruine, si ce n’est l’ennemi invisible du genre humain, jaloux de leur entente? En effet, le diable s’est emparé avec une main de certaines des armées corruptibles qu’il a dénichées avec sa fourberie, qu’on appelle les armées des comtes de Lomello3, du fait de leur emblème distinctif; il leur a adjoint certaines autres armées, après les avoir dénichées elles aussi, qui ont apporté leur soutien aux premières armées (telles les armées des Canistris4 ainsi que beaucoup d’autres armées), afin de fortifier et de renforcer ce parti. Le diable a aussi levé avec l’autre main les armées du camp des Beccaria, auxquelles d’autres armées ont apporté leur soutien, afin d’affermir davantage l’autre parti. Aujourd’hui, les armées diaboliques d’un parti qui en veulent à l’autre parti prétendent que l’autre parti est le diable. Les armées de l’autre parti qui sont jaloux de ce parti prétendent à leur tour que ce dernier est Satan. Voici que chaque parti est considéré par l’autre comme le diable et réciproquement, alors que ce dernier n’a jamais pu connaître de division interne. Si Satan se déchaîne contre Satan, comment le

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Lomello: village situé près de Pavie, où Opicinus est né. C’est-à-dire le parti gibelin (les Beccaria de Pavie étant alliés aux Visconti). C’est-à-dire le parti guelfe. C’est-à-dire la famille des Canistris, traditionnellement associée aux guelfes.

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FOL.

33-33v°

maiorem honorem diabolo. Munitus ergo diabolus ab utraque parte tot et tantis armis cuiuslibet domus (sub diuersis ymaginibus bestiarum, uolatilium, reptilium, sculptilium, arborum, florum, cum multis aliis uariis modis), nemine resistente sibi, toto studio seuit ad extinguendum totaliter populum christianum (scilicet quaslibet personas predictas corporaliter baptizatas in Christo). Ille ymagines cuiuslibet stirpis que depinguntur in clipeis sunt quedam scuta fusilia ad maius robur corporis huius diaboli, ut fortius regnet corporaliter, cuius maxime potestati nemo audet resistere. Vt qui ante aduentum Domini per se subiciebat genus humanum sub se, nunc perdita propria potestate, ex sugge-[fol. 33v°]-stione sua et consensu uoluntatis humane que est christianitati contraria, gignat et suscitet humanam malitiam ad corporale indumentum ipsius, per quam possit tenacius corporaliter principari. Ecce quod materiales ecclesie christiane facte sunt similes sinagogis in quibus diuinum officium conuersum est in iudaicum ritum, cuius auctores se uoluntarie tradunt huiusmodi Antichristo, ut per circuncisionem carnis (id est per segregationem religionis a gentibus) fortificet carnium membra ex robore ossium cleri sui (id est suorum heredum) – a clero quod est hereditas siue fors. Ecce qualia sunt ossa eius, quales sunt oculi eius, qui quasi palpebre diluculi sunt consiliarii deceptiui: abstrahentes plebes et populos a rectoribus propriis ad adulteria sua sub specie salubris consilii animarum; consulentes et simplicibus clericis ad promotiones illicitas et ignaras sub ymagine ueri regiminis ecclesiarum per apparentiam peritorum legis diuine, ut Ecclesia subuertatur. Qualia sunt uera sanctorum miracula, que ex parte sumentium sunt signa fallacia spiritualium deceptiua, ut fortius indurentur in carne. Ecce qualis flamma de ore consiliariorum egreditur, qualis sternutatio de pectore huius monstri progreditur, ut splendor ignis appareat (id est qualis cogitationum intentio ypocrisim sanctitatis eructuet). De naribus discretiuis sanguinis a sanguine et persone a persona, procedit fumus glorie personalis, sicut olle succense atque feruentes per flammigeram affectionem in carnes. Alitus huius ypocrite, sub specie pacis faciende inter gentem et gentem, facit magis ardere prunas discordie Lombardorum. Ratiocinemur speculariter. Dominus Deus noster habitans in pectore specularis Ecclesie manum suam claudit et aperit. Claudit iusto iudicio permittens humanam regnare malitiam, ad maius exercitium prelii filiorum Dei aduersus heredes diaboli expugnantes filios Dei. Aperit misericorditer iubens et statuens Ecclesiam dirigi ut deposito regno malitie maior inde iustitia reueletur. Tunc egredietur sancta christianitas Papiensis de oppressione armorum diaboli de qualibet eorum progenie, ut hii facti liberi de seruitute pristina faciant ultionem de aduersariis suis. Arma quidem uniuscuiusque generis sui conuertent in obsequium suum qui sunt populus christianus, ut qui de progenie sua carnali faciebant fortitudinem Sathane, faciant nunc refugium pauperum non habentium ista arma. Et sic arma diaboli www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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règne de Satan peut-il se maintenir? Il s’agit d’un seul et même diable, qui s’agite en utilisant les analogies entre les partis pour engloutir le peuple chrétien. En effet, il possède la confiance que le Jourdain fait couler dans sa bouche1. Sous couvert de cette partition de base, pour favoriser, aider et encourager chacun de ces partis, une lignée se lève contre une lignée, un sang contre un sang, afin de faire un sacrifice à Satan qui se régale avec le sang. Le sang qui essaie d’être appelé le plus noble rend personnellement de plus grands honneurs au diable. Par conséquent, le diable, protégé d’un côté comme de l’autre par les milices si nombreuses et si importantes de chaque famille (derrière des images multiformes de bêtes, d’oiseaux, de reptiles, de statues, d’arbres, de fleurs, avec beaucoup d’autres expressions variées), personne ne lui tenant tête, s’acharne de toutes ses forces à exterminer entièrement le peuple chrétien (à savoir toutes les personnes indiquées plus haut, baptisées corporellement dans le Christ).2 Ces images propres à chaque famille, qui sont peintes sur les écus, sont des sortes de rangées de boucliers, pour renforcer davantage le corps de ce diable, si bien que son règne corporel est plus puissant; et personne n’ose tenir tête à son pouvoir très étendu. En conséquence de quoi, alors qu’il imposait de lui-même son autorité au genre humain avant l’avènement du Seigneur, ayant aujourd’hui perdu ce pouvoir personnel, c’est sur ses sug-[fol. 33v°]-gestions et avec l’assentiment de la volonté humaine qui est préjudiciable à la chrétienté, qu’il engendre et fait lever la malice humaine pour recouvrir son corps, car elle lui permet d’être plus opiniâtre dans sa domination corporelle. C’est ainsi que les bâtiments des églises chrétiennes deviennent semblables à des synagogues3: l’office divin y est travesti en un rite judaïque et ses exécutants se livrent de leur plein gré à cet Antichrist, si bien qu’au moyen de la circoncision de la chair (c’est-à-dire en éloignant les païens des pratiques religieuses), il fortifie ses membres charnels issus de la charpente solide de son clergé (c’est-à-dire de ses héritiers) – de clergé qui représente l’héritage ou le sort4. Voici en ce qui concerne ses os et ses yeux, eux qui, telles les paupières de l’aurore, sont des conseillers perfides: ils enlèvent les ouailles et les peuples à leurs curés en vue de leurs trahisons/adultères, en feignant de donner des conseils salutaires à leurs âmes; ils s’occupent aussi des simples clercs qui visent des promotions illégales et obscures donnant l’illusion d’un véritable gouvernement des églises, en se faisant passer pour des connaisseurs de la loi divine, si bien que l’Église est renversée. Voici en ce qui concerne les vrais miracles des saints: pour ceux qui les admettent, il s’agit de signes trompeurs qui les induisent en erreur sur les choses spirituelles, si bien qu’ils sont encore plus endurcis dans la chair. Voici en ce qui concerne la flamme qui jaillit de la bouche des [mauvais] conseillers, et l’éternuement qui sort de la poitrine de ce monstre, si bien qu’on dirait l’éclat du feu (c’est-à-dire voici à quoi ressemblent les arrière-pensées qui vomissent une sainteté hypocrite). Les naseaux qui différencient un sang d’un Voir par exemple V 25 (la tête du diable est placée sous l’Asie mineure). À partir d’ici, Opicinus s’inspire de la description de Léviathan: voir Jb 40, 25-32 et 41, 1-26. 3 Voir fol. 8. 4 C’est le sens du mot ¿ klh´ ro" en grec. 1 2

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conuertentur in arma corporis Ihesu Christi; copia diuitum supplebit inopiam pauperum, donec corpus Ihesu Christi appareat indumento iustitie decoratum. Tanta erit in christiano populo equitas sine discretione diuitis et pauperis ut nulla ibi deinceps reperiatur iniquitas. Et sicut nequam Papia partium adinuentrix prouocabat exemplo suo reliquas ciuitates ad similia facienda, sic post modum erit sancta fidelisque Papia exemplum et speculum conuersionis earum. Erat enim aduersatrix domini pape; nunc erit obediens domino pape. Nunc uenit hora omnium miserendi, ut sicut Dominus miserebitur omnibus, ita unusquisque misereatur et indulgeat proximo suo, ante quam fiat Iudicium generale sine misericordia.

DE OPERIBVS ANTICHRISTI PER TOTAM LOMBARDIAM ET DE EIVS FVTVRO IVDICIO Piscis uentris Italie scriptus in planitie, montibus circumclusus preter orientem Adriatici maris unde ascendit in terram, ante aduentum Longobardorum quadrifarie diuidebatur ad escam fidelium populorum. Supra dorsum huius piscis ab oriente marchie Triuisine per latera aquilonis usque ad occidentem uallis Augustane, duo retia tendebantur ad eius capturam que dicebantur retia prima et retia secunda. Caput piscis cum aliqua parte corporis diuiditur in duas partes: scilicet maiorem partem cum cerebro usque ad modicum dorsi que Liguria dicebatur, minorem partem esce in ore eius que nunc dicitur Monsferratus, cum gutture usque ad modicum uentris que uocabatur cum illo monticulo sola planities Alpium Cutiarum, exceptis montibus huius regionis circumdantibus piscem. Reliqua pars corporis eius usque ad mare predictum diuiditur similiter in duas partes, scilicet maiorem partem dorsi et corporis et dimidie caude que appellabatur Venetia, minorem partem reliquam uenwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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autre, une personne d’une autre, crachent la fumée de la gloire personnelle, comme un chaudron qui bout sur le feu, avec une inclination brûlante pour les chairs/viandes. Le souffle de cet hypocrite, en feignant de mettre la paix entre une famille et une autre, attise les charbons des querelles entre Lombards. Examinons les choses clairement. Dieu, notre Seigneur, qui demeure dans la poitrine de l’Église du miroir, ferme et ouvre sa main. Il la ferme par un juste jugement en permettant à la malice humaine de régner, pour durcir le combat opposant les fils de Dieu aux héritiers du diable qui défient les fils de Dieu. Il l’ouvre avec miséricorde en ordonnant et décidant que l’Église soit dirigée de façon que, une fois le règne de la malice renversé, la justice soit d’autant mieux manifestée. Alors la chrétienté de Pavie abandonnera la dictature des armées du diable issues de chacune de leurs lignées, pour que ceux qui se trouveront libérés de l’ancienne servitude tirent vengeance de leurs adversaires. Certes, les armées de chaque famille se tourneront pour lui faire allégeance, eux qui représentent le peuple chrétien, pour que ceux qui faisaient la force de Satan avec leur lignée charnelle assurent à présent la protection des pauvres qui n’ont pas ces armées. Et ainsi les armées du diable deviendront les armées du corps de Jésus-Christ; l’opulence des riches palliera le dénuement des pauvres, jusqu’à ce que le corps de Jésus-Christ se manifeste, paré du vêtement de la justice. Il y aura une telle équité dans le peuple chrétien, sans différence entre riche et pauvre, qu’on n’y trouvera plus ensuite aucune iniquité. Et de même que la Pavie dévoyée, qui fabriquait des partis, appelait les autres villes à suivre son exemple en agissant pareillement, de même par la suite la sainte et fidèle Pavie sera le modèle et l’image de leur conversion. En effet, elle était l’adversaire du seigneur pape; à présent, elle obéira au seigneur pape. Aujourd’hui arrive le moment de la miséricorde pour tous: de même que le Seigneur sera miséricordieux pour tous, chacun doit lui aussi être miséricordieux et indulgent envers son prochain, avant que ne survienne le Jugement général dépourvu de miséricorde. LES ŒUVRES DE L’ANTICHRIST RÉPANDUES DANS TOUTE LA LOMBARDIE ET SON JUGEMENT À VENIR

Le poisson du ventre de l’Italie1 inscrit dans la plaine, entouré par les montagnes, excepté, à l’est, la mer Adriatique d’où il monte sur terre, était divisé en quatre parties avant l’arrivée des Lombards, pour nourrir les peuples fidèles. Audessus du dos de ce poisson, entre la marche de Trévise à l’est et le val d’Aoste à l’ouest, en passant par les côtés du nord, deux filets étaient tendus pour l’attraper, qu’on appelait les premiers et les seconds filets2. La tête du poisson ainsi qu’une partie du corps est divisée en deux régions: la grande région, comprenant la tête et allant jusqu’au début du dos, s’appelait Ligurie; le petit pays correspondant à la nourriture qui est dans sa bouche (appelée aujourd’hui Montferrat), comprenant la gorge et allant jusqu’au début du ventre – y compris le mont en

Voir fol. 12v° et 20. Voir fol. 40 v° (en grec, ¿ Bülo" signifie: le filet), V 31 (note 18) et V 33. Il s’agit des filets du diable (voir 1 Tm 3, 7 et 2 Tm 2, 26). 1 2

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FOL.

33v°-34

tris et alie dimidie caude que nominabatur Emilia. Postmodum per barbam et alam diabolici maris uocate sunt gentes Longobarde, quasi longe barbe a partibus aquilonis ad lumbos et uentrem Europe; a quibus lumbis nunc Lombardi dicuntur, quasi Lumbardi a lumbari, qui uentrem cum pisce preter extremitatem caude piscis nominant Lombardiam. Nunc diabolicum mare, ex consensu uoluntatis eorum, impregnauit hunc uentrem [fol. 34] Europe, cuius fetus in die partus uidebitur qualis erit. Cuius rei testimonium fuit piscis monstruosus allatus ad Vrbem ueterem tempore Martini pape IIII; quod secuta est sectio mulierum pregnantium. Cum enim beatus Ambrosius archiepiscopus Mediolanensis lamentaretur de morte improuisa Valentiniani imperatoris adhuc cathecumini, dicens: « Ventrem meum doleo, uentrem meum doleo », fuit quoddam triste presagium presentis doloris. Tempore quidem illo deletis heresibus possidebat nobiliorem, superiorem et forte maiorem partem huius uentris Mediolanum magna metropolis et abinde deinceps, scilicet totam Liguriam etiam nec exemptam Papiam preter Cumas, ut arbitror de illo tunc sicut est nunc; similiter Alpes Cutias, non exempta ab eo Ianua nec aliis ciuitatibus regionis illius; de Venetia uero tres ciuitates; de Emilia nullam, ut opinor. Reliquam uero partem uentris inferiorem diuidunt inter se ab aquilone Aquilegia et ab austro Rauenna, exceptis quibusdam ciuitatibus patrimonialibus et exemptis. Nunc a Mediolano eximitur umbilicalis Papia; similiter Ianua fit metropolis super quasdam traditas sibi. Cum fuerit immaculatus et solidus iste uenter, tunc umbilicus Papie cum reliquis ciuitatibus huius uentris possidetur tantummodo, et inhabitatur per populum christianum habentem arma cuiuslibet sanguinis huius mundi conuersa in obsequium suum et in honorem Ecclesie Dei. Tempore uero moderno, apparentibus uteri fetibus, populus christianus inde contempnitur et fugatur. Minores Europa et Affrica cum parte Asie genite de semine diabolici maris adhuc in utero matris per diabolica arma ab inuicem uidentur diuisa. Papia cum ceteris, christianitate deleta, iam conuersa est immo peruersa, nulla facta mutatione locali ab umbilico matris in genitalia filie (Actum kalendis septembris usque « ad genitalia filie » inclusive), scilicet minoris Europe. Cetere ciuitates sine mutatione de uentre materno sic conuertuntur: Mediolanum in tergum huius filie, Laude in nates, Placentia in sinistram tibiam uel iuxta, regio Venetie in inferiora uestium usque ad fimbrias et inferius et ulterius – ad cuius ciuitates minus mare medium harum duarum filiarum unius matris alas expandit. Ianua similiter de uentre materno in pectus alterius filie (scilicet minoris Affrice); ciuitates Riparie Ianuensis a pectore huius filie sursum; relique ciuitates uentris magne Europe partim in minus mare, partim in terram siue in corpus minoris Europe, et partim in truncum Asie generatum in hoc uentre. Ecce quod in isto uentre gignitur alius dimidius mundus a Perside usque ad occeanum occidentis. Ecce quantas angustias et pressuras maior Europa patitur in www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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question – s’appelait la plaine déserte des Alpes Cottiennes, à l’exception des montagnes de ce pays qui entourent le poisson. Le reste de son corps, en allant jusqu’à la mer indiquée plus haut, est également divisé en deux régions: la grande région comprenant le dos, le corps, et la moitié de la queue, s’appelait la Vénétie; la petite région comprenant le reste du ventre et l’autre moitié de la queue avait pour nom Émilie. Par la suite, les peuples lombards ont reçu le nom de la barbe et de l’aile de la mer diabolique, comme s’il s’agissait de longues barbes allant des régions du nord aux parties génitales et au ventre de l’Europe; et ces parties génitales donnent leur nom actuel aux Lombards (c’est-à-dire que Lombards vient de ceinture)1, eux qui appellent Lombardie le ventre contenant le poisson, excepté l’extrémité de la queue du poisson. Aujourd’hui, leurs volontés complices ont permis à la mer diabolique de féconder ce ventre [fol. 34] de l’Europe; on verra de quelle nature est son rejeton au jour de l’accouchement. Comme précédent à cette affaire, il y a eu le poisson dangereux apporté à la vieille Ville [Rome] au temps du pape Martin IV2; le massacre des femmes enceintes en a été la conséquence. En effet, lorsque le bienheureux Ambroise, archevêque de Milan, pleurait la mort soudaine de l’empereur Valentinien3 encore catéchumène, en disant: « J’ai mal au ventre, j’ai mal au ventre », il s’agissait d’un avant-goût funeste des souffrances actuelles. C’est un fait qu’en ce temps-là, les hérésies étant anéanties, Milan, importante métropole qui le resta ensuite, possédait la région de ce ventre la plus belle, la plus puissante et sans doute la plus étendue, à savoir ce qui suit: toute la Ligurie, y compris Pavie qui n’était pas indépendante, et hormis Côme (pour laquelle je crois que la situation en ce temps-là était la même qu’aujourd’hui); puis les Alpes Cottiennes, sans omettre Gênes ni les autres villes de cette région; et trois villes en Vénétie, mais aucune en Émilie, à ce que je crois. Quant au morceau inférieur du poisson qui reste, ce sont Aquilée au nord et Ravenne au sud qui se le partagent, à l’exception de certaines villes patrimoniales et indépendantes. Aujourd’hui, la Pavie ombilicale est indépendante par rapport à Milan; Gênes devient elle aussi une métropole ayant autorité sur certaines villes qui lui ont été données. Lorsque ce ventre sera immaculé et ferme, l’ombilic de Pavie ainsi que les autres villes de ce ventre ne seront alors possédés et habités que par le peuple chrétien: les armées de chaque famille de ce monde se seront converties pour lui faire allégeance et pour honorer l’Église de Dieu. Or par les temps qui courent, les rejetons de la matrice se manifestant, le peuple chrétien se trouve méprisé et mis en fuite. La petite Europe et la petite Afrique ainsi qu’une partie de l’Asie, engendrées par la semence de la mer diabolique et se trouvant encore dans le sein de leur mère4, apparaissent divisées entre elles par les armées diaboliques. Pavie et les autres, la chrétienté étant anéantie, sont désormais déplacées ou plutôt dérangées, car il n’y pas eu de modification

Jeu de mots Lo(u)mbardi/lumbis/lumbari. Martin IV (1281-1285) appréciait particulièrement les anguilles du lac Bolsenna servies avec un Vernaccia; ces anguilles auraient causé sa mort. Dante le place dans son Purgatoire, condamné à un jeûne éternel. 3 Valentinien II (383-393) mourut à l’âge de 20 ans, dans des conditions suspectes. 4 Voir V 6. 1 2

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utero suo, in quo habetur diabolicum minus mare quasi mediator filiarum huius uentris. Sathanas est simulans se diuisum in se, qui in minori Affrica insidiatur ut draco sub fuco partis Ecclesie; idem diabolus in minori Europa furit ut leo sub nomine partis Imperii, qui partialitate biformis in qualibet ciuitate suum ministerium operatur. Adhuc sagacior uersipellis in eadem ciuitate ad maiorem uertiginem seducendi sepe transformatur a dracone in leonem et a leone in draconem, sicut ostenditur per ymagines partium Mediolani tergalis. Ymago leonis attribuitur illis de Turre per generis lineam principalem, et ymago draconis in similitudine uipere asscribitur uicecomitibus; quorum ymagines uarie actu significant reliquis ciuitatibus easdem partes intricabiles haberi in ipsis. Dominus autem noster Ihesus Christus uidens a pectore maioris Europe diabolum semper parare omnem rebellionem aduersum se, hinc per draconis astutias quasi adulatorias preces ex compositione uerborum, inde per leonis iras ad manifestas molestias, ut iudex noster magis inclinet ad fauores alterius (cuius fauoribus diabolus amplius exaltetur), quatinus quoquomodo lex pectoralis superetur a lege uentrali, per uicarium suum seruum seruorum Dei persecutus est primo iras leonis nullam habentem affectionem ad complacentiam serpentinam sub specie tamen placendi; et hoc secundum apparentiam humani iudicii, ut se ostenderet iratum iratis et placidum placidis, ne ab infirmis putaretur de ipso sinistra suspicio si aliter se monstrasset. Ypocrita uero in similitudine Affrice naturalis et maioris et inuidentis Europe in pectore suo detrahit Ihesu Christo (id est domino pape sicut Christo), ita dicens: « Ego, per gratiam Dei, sum ab huiusmodi partialitatibus liber. Nulli intendo partialiter complacere, sed toto posse meo pacificabo ambas partes ad inuicem. Hic autem in gladio et armis instigat partem Ecclesie aduersus partem Imperii; quo accendente discordiam in furorem maiorem christianitas iam deletur. Ego quidem facturus concordiam inter partes habebo gloriam et non ille ». Hucusque uerba ypocrite. Cum autem apparuerit perfectio populi pectoralis, iudex noster per uicarium suum cum senatoribus terre (id est cum uniuersitate sacerdotali), « non (amplius) secundum uisionem oculorum iudicabit (crimina carnis), neque secundum auditum aurium arguet (uerba mendacium, sicut nunc usque fecit ad complacentiam infirmorum et ad increpationem rapacium qui molestabant infirmos – non sic deinceps). Sed iudicabit in iustitia pauperes (christianos adequandos diuitibus); et arguet in equitate pro mansuetis terre (totius Ecclesie specularis); et percutiet terram (partis Imperii, non corruptibilibus armis nec terribilibus sententiis, sed) uirga (iudicii) oris sui, et spiritu labiorum suorum (subtilioris iudicii radicalis) interficiet impium (partis Ecclesie). Et erit iustitia (laicalis) cingulum lumborum (Italie, ne lex uentralis preualeat aduersus Spiritum); et fides (ecclesiastica erit) cinctorium renum (Germanie, ut lex pectoralis conseruet imperio uentrem nostrum, non imperio Cesaris sed imperio sacerdotis) ». www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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géographique entre l’ombilic de la mère et les parties sexuelles de la fille (Fait le jour des calendes de septembre [1er septembre 1337], jusques et y compris « parties sexuelles de la fille »), c’est-à-dire de la petite Europe1. Les autres villes qui n’ont pas connu cette modification du ventre maternel sont déplacées comme suit: Milan, sur le dos de cette fille; Lodi, sur les fesses; Plaisance, sur la jambe gauche ou aux environs; la région de Venise, sur le bas des vêtements jusqu’aux extrémités, et encore plus bas et au-delà; et c’est vers ces villes que la petite mer située entre ces deux filles de la même mère étend ses ailes. De même, Gênes passe du ventre maternel à la poitrine de l’autre fille (à savoir de la petite Afrique); les villes de la Riviera de Gênes, de la poitrine de cette fille vers le haut; les autres villes du ventre de la grande Europe se retrouvent en partie sur la petite mer, en partie sur la terre ou sur le corps de la petite Europe, et en partie sur le fragment d’Asie engendré dans ce ventre. Voici qu’un autre demi-monde est conçu dans ce ventre: il part de la Perse et s’étend jusqu’à l’océan à l’ouest. Voilà les troubles et les contraintes dont la grande Europe souffre dans sa matrice, elle qui contient la petite mer diabolique comme intermédiaire entre les filles de ce ventre. Satan fait mine de se diviser en lui-même2, lui qui est embusqué comme un dragon dans la petite Afrique, sous le déguisement du parti de l’Église; c’est encore le diable qui s’emporte comme un lion dans la petite Europe, en empruntant le nom du parti de l’Empire; son appartenance partisane présentant deux visages, il oeuvre à ses intérêts dans chaque ville. C’est toujours ce protéiforme plutôt habile qui, dans la même ville, pour se griser davantage dans la séduction, se métamorphose souvent de dragon en lion et de lion en dragon, comme cela se voit sur les emblèmes des partis de la Milan du dos. Ceux de la Tour s’attribuent l’emblème du lion par hérédité en ligne directe; les vicomtes3 s’attribuent l’emblème du dragon qui ressemble à la vipère; et ces emblèmes différents indiquent dans les faits aux autres villes qu’il y a le même enchevêtrement de partis chez elles. Mais notre Seigneur Jésus-Christ voit depuis la poitrine de la grande Europe que le diable ne cesse de préparer un soulèvement total contre lui (d’un côté, avec les ruses du dragon, c’est-à-dire des litanies flatteuses qui ne sont qu’agencement de paroles, de l’autre côté, avec les colères du lion qui provoquent des malheurs patents), si bien que notre juge tend à favoriser l’autre (celui dont les faveurs glorifient davantage le diable); dans la mesure où, en tout état de cause, la loi de la poitrine est dominée par la loi du ventre, par l’intermédiaire de son vicaire, le serviteur des serviteurs de Dieu, il a donc d’abord soutenu les colères du lion qui n’a aucun goût pour le désir de plaire du serpent, bien qu’il feigne la séduction – ce en quoi il se conforme aux apparences du jugement humain, si bien qu’il se montre en colère à ceux qui sont en colère et doux à ceux qui sont doux, pour éviter qu’un soupçon fâcheux ne vienne à l’esprit des faibles s’il s’était montré autrement. En revanche, l’hypocrite, qui ressemble à l’Afrique naturelle et à la grande Europe jalouse, diffame dans son cœur Jésus-Christ (c’est-à-dire le 1 Après l’identification de la Lombardie au poisson, Opicinus passe à la superposition des petite et grande Europe et des coïncidences géographiques qui en résultent: voir V 34. 2 Voir Mc 3, 26. 3 C’est-à-dire les Visconti.

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34-34v°

Tunc utriusque partis iudicium super ypocritam reuertetur et sola christianitas libera semper erit. Caueat Ecclesia ab insidiosis pactionibus Soldani Sarracenorum, qui significat nobis omnem ypocritam huius terre. Ista est uere Terra sancta; illa uero terra Iudee est tantum significatiua istius.

DE

DESCRIPTIONE MVNDI ET VITIIS

LOMBARDIE

[fol. 34v°] Mundi sunt IIII: mundus miserie infirmorum dicitur iste mundus; mundus Ecclesie perfectorum ab infirmis ignaris dicitur alius mundus paradisi; mundus glorie terrenorum a cecis putatur mundus pacis; mundus ypocrisis quasi mundorum a nemine scitur, qui tamen per ignorantes uere dicitur mundus inferni. Primus mundus significat purgatorium adhuc quasi in mundo; secundus eternam patriam sine mundo; tertius demones infernales; quartus uero solum infernum cuius abissus non habet fundum. Additum III nonas septembris. Tota machina mundi intra superius et uolubile celum est quoddam ouum diuersimode tamen. Aliquibus quidem est utile ouum, aliquibus autem noxium ouum. Vtile ouum est populo infirmorum electorum tamen propter obedientiam. Qui populus adhuc intra locum et tempus propter infirmitatem suam est similis pullo galline adhuc intra ouum; quod diligentissime fouet Ecclesia uniuersalis libera a conclusione loci et www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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seigneur pape comme le Christ), en parlant ainsi: « Moi, par la grâce de Dieu, je suis indépendant de ce genre de factions. Je ne cherche à plaire à personne de manière partisane, mais je ferai tout mon possible pour mettre la paix entre les deux partis. Or en voici un qui, avec son épée et ses armées, excite le parti de l’Église contre le parti de l’Empire; et comme ce dernier attise la querelle qui tourne à la fureur guerrière, la chrétienté est désormais anéantie. C’est moi, oui, qui suis prêt à rétablir l’entente entre les partis, qui serai glorifié et non lui ». Jusqu’ici, il s’agissait des paroles de l’hypocrite. Mais lorsque la perfection du peuple de la poitrine se manifestera, notre juge1, par l’intermédiaire de son vicaire associé aux sénateurs du monde (c’est-à-dire à la communauté sacerdotale), « ne jugera (plus les crimes de chair) sur l’apparence, et ne démontrera pas (les paroles des menteurs) sur le ouï-dire (comme il l’a fait jusqu’à aujourd’hui pour plaire aux faibles et pour réprimander les bandits qui maltraitaient les faibles; il ne l’a plus fait ensuite). Mais il jugera avec justice les pauvres (chrétiens qui doivent être au niveau des riches); il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays (de l’Église du miroir tout entière); il frappera le pays (du parti de l’Empire, non pas avec des armes corruptibles ou des sentences effrayantes, mais) avec la baguette (du jugement) qui sort de sa bouche; et du souffle de ses lèvres (prononçant un jugement fondamental plus pertinent), il fera mourir l’impie (du parti de l’Église). La justice (laïque) sera la ceinture des reins / des parties génitales (de l’Italie, pour éviter que la loi du ventre ne triomphe de l’Esprit); et la fidélité (de l’Église sera) la ceinture des reins (de la Germanie, pour que la loi de la poitrine garde notre ventre au pouvoir, non pas au pouvoir de César mais au pouvoir du prêtre) »2. Alors le jugement des deux partis retombera sur l’hypocrite et seule, la chrétienté sera toujours libre. L’Église doit se garder des conventions perfides du Soudan des Sarrasins, qui symbolise pour nous tout hypocrite de ce monde. C’est ici que se trouve la véritable Terre sainte; la terre de Judée là-bas n’en est qu’une indication. DESCRIPTION

DU MONDE ET DES VICES DE LA

LOMBARDIE

[fol. 34v°] Il y a 4 mondes: le monde où les faibles sont malheureux est appelé le monde d’ici-bas; le monde de l’Église des parfaits est qualifié par les faibles incultes d’autre monde, celui du paradis; le monde de la gloire des choses terrestres passe auprès des aveugles pour le monde de la paix; le monde de l’hypocrisie, c’est-à-dire des mondanités, n’est connu de personne, et c’est pourtant celui que les ignorants appellent à juste titre le monde de l’enfer. Le premier monde indique le purgatoire qui est encore quasiment dans le monde; le deuxième, la patrie éternelle sans lien avec le monde; le troisième, les démons des enfers; et le quatrième, l’enfer seul, dont l’abîme n’a pas de fond. Ajouté le 3 des nones de septembre [3 septembre 1337]. Le monde tout entier, disposé ingénieusement à l’intérieur du ciel supérieur

1 Il s’agit du « rejeton sorti de la souche de Jessé » (Is 11, 1) qui s’exprime ensuite; autant dire Opicinus. 2 Is 11, 3-5.

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330

FOL.

34v°

temporis (quasi supra et extra uolubile celum), quasi gallina fouens ouum donec pullus egrediatur ab ouo. Cum maturus est pullus, frangitur testa oui et egreditur pullus et abicitur ouum; id est cum perfectus est populus, liberatur ab angustiis loci et temporis et despicit totum mundum: non est enim amplius sub loco et tempore, sed est in latitudine libertatis cum Ecclesia perfectorum. Noxium ouum est uniuersitali1 carnalium hominum reproborum propter inobedientiam et contemptum Ecclesie. Que uniuersitas intra locum et tempus, propter affectionem suam quam habet ad mundum, est similis basilisco galli sine gallina adhuc intra ouum quod concepit et peperit solus gallus; qui gallus non est aliud nisi gloria personalis ypocrite segregati a ceteris sine Ecclesie caritate, quasi gallus sine gallina, qui putans se supra et extra uolubile celum, suis falsis consiliis fouet ouum, donec basiliscus nascatur hora qua nescit. In die Iudicii discernetur quale sit illud animal et quis genuit ipsum. De hiis habemus speculariter documentum ad nostrum exemplum: Gallia pectoralis in statu libertatis significat illam ueram gallinam; Lombardia uentralis que est Gallia Cisalpina significat aliud ouum, in quo pullus galline fouetur intra discordiarum angustias et pressuras, donec nascatur ad latitudinem libertatis et ad concordiam pacis; Affrica magna se reputans liberam significat illum ypocritam (quasi gallum), in cuius sinu uel pectore basiliscus fouetur. Quem basiliscum sanctus Syrus, episcopus Ianuensis, expulit a puteo Ianue naturalis usque ad pectus Ianue barbarie, ut ypocrita habeat sicut cupit. Etiam si ypocrita de partibus aquilonis, orientis uel occidentis nunquam audiuerit neque uiderit Ianuam aut Affricam, iudicatus est tamen in Ianua barbarie, ubi omnis ypocrita iudicatur. In Ianua uero naturali (id est in Ianua Lombardie), pacifica et pudica, nullus unquam reperitur ypocrita nec peccator. Similiter Lombardia naturalis que est uirgineus uenter sine pollutione peccati, significans sanctam Ecclesiam que est mater nostra et uirgo perpetua, nullum in se reperit peccatorem; in qua nullam partem habet alia adultera meretrix Lombardia. Siquis infectus crimine carnis, etiam si nunquam uiderit nec audierit nominari Lombardiam, iudicatus est tamen in Lombardia nefanda non locis sed uitiis. Hoc dico nequis glorietur et dicat: « Nunquam fui nec ero in Affrica nec in Lombardia, sed sum in locis nobilioribus mundi sine peccato ». Quia, si ypocrita est, non oportet eum accedere in Affricam, ubi iam iudicatus est cum infidelibus Affricanis; si est publicanus impenitens, non expedit sibi ire in Lombardiam matrem omnis discordie, ubi iam iudicatus est cum latronibus publicanis; ubi Papia uentralis habundans naturaliter omnibus cibis et potibus incentiuis luxurie, fruitur uoluptuose quolibet tempore, nulla obstante discordia, inter ceteras delicias quodam pigmenta-

1

On attendrait: universitati.

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et sphérique, est une sorte d’œuf1 qu’on peut voir de diverses manières. Pour certains, il s’agit assurément d’un œuf bénéfique, mais pour d’autres, d’un œuf dangereux. Il s’agit d’un œuf bénéfique pour le peuple des faibles qui sont néanmoins élus en raison de leur obéissance. Ce peuple, encore inscrit dans l’espace et le temps en raison de sa faiblesse, est semblable au petit de la poule se trouvant encore à l’intérieur de l’œuf: il est couvé avec un très grand soin par l’Église universelle, libérée de la tutelle de l’espace et du temps (comme si elle se trouvait au-dessus et au-delà du ciel sphérique), telle une poule qui couve son œuf jusqu’à ce que le poussin sorte de l’œuf. Lorsque le poussin a atteint le développement voulu, la coquille de l’œuf se brise, le poussin sort et quitte l’œuf: cela veut dire que lorsque le peuple est parfait, il est délivré des contraintes de l’espace et du temps, et il dédaigne ce monde, car il n’est plus soumis à l’espace et au temps, mais il évolue dans l’immensité de la liberté avec l’Église des parfaits. L’œuf est dangereux pour la communauté des hommes charnels, réprouvés à cause de leur désobéissance et de leur mépris pour l’Église. Cette communauté, inscrite dans l’espace et le temps en raison de l’attachement qu’elle éprouve pour le monde, est semblable au basilic2 du coq sans poule, se trouvant encore à l’intérieur de l’œuf que le coq, à lui seul, a conçu et engendré; et ce coq n’est rien d’autre que la gloire personnelle de l’hypocrite isolé des autres, privé de la charité de l’Église, tel un coq sans poule qui, se croyant au-dessus et au-delà du ciel sphérique, couve l’œuf avec ses conseils trompeurs, jusqu’à ce que le basilic naisse à l’heure qu’il ignore. Au jour du Jugement, on découvrira quel est cet animal et qui l’a engendré. Nous disposons à ce sujet d’une explication visible qui est pour nous un modèle: la Gaule de la poitrine, de condition libre, représente vraiment la poule dont il a été question; la Lombardie du ventre, autrement dit la Gaule cisalpine, représente un autre œuf où le petit de la poule est couvé au milieu des troubles et des contraintes liées aux querelles, jusqu’à ce qu’il naisse pour trouver l’immensité de la liberté et l’entente pacifique; la grande Afrique, qui se croit libre, représente l’hypocrite dont il a été question (quasiment un coq), dans le sein ou la poitrine duquel le basilic est couvé. C’est ce basilic que saint Syr, évêque de Gênes, chassa du puits de la Gênes naturelle pour l’envoyer vers la poitrine de la Gênes de la barbarie, afin que l’hypocrite en dispose comme il le désire. Même si l’hypocrite, venu des régions du nord, de l’est ou de l’ouest, n’a jamais entendu parler de Gênes ou de l’Afrique et ne les a jamais vues, il est néanmoins considéré comme habitant la Gênes de la barbarie, là où tous les hypocrites sont jugés. En revanche, dans la Gênes naturelle (c’est-à-dire dans la Gênes de Lombardie), pacifique et chaste, on ne trouve jamais aucun hypocrite ni pécheur. De même, on ne rencontre aucun pécheur dans la Lombardie naturelle, autrement dit le ventre virginal dépourvu de la pollution du péché, qui représente

1 Au XIIe siècle, Honoré d’Autun, dans son Imago mundi, compare le cosmos à un œuf (le ciel étant représenté par la coquille, l’éther par le blanc, l’air troublé par le jaune et la Terre par le germe). La Terre est considérée comme sphérique, au milieu d’un monde lui aussi sphérique. 2 Le basilic passait pour un monstre fabuleux, roi des serpents, issu d’un oeuf pondu par un coq dans sa septième année, et couvé par un crapaud. Il vivait au fond des puits, qu’il empoisonnait. On le considérait comme un attribut du diable (avec le lion, le dragon et l’aspic).

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FOL.

34v°

rio genere quod dicitur piperata, confecta ex pipere, zinzibre, croco, cinamomo et consimilibus speciebus ad incitationem libidinis infirmorum, quo possent uti perfecti sine temptatione carnali. Similiter usus est ibi leguminum pre ceteris partibus mundi, quorum nimius usus ex uicinitate uentris ad lumbos solet luxuriam incitare, adeo ut plerumque ille umbilicus maternus de facili conuertatur in genitalia filie. Non enim est Papia in medio Lombardie, nequis me putet errare, sed est in medio uentris Europe. Sed medium Lombardie, ut audio, est inter Cremonam et Laude, quas solas fertur partem in montibus non habere. Cloace subterranee Papienses significant absconditam turpitudinem meritricis; cloace similiter Ianuenses magis abscondite significant occulta cordis ypocrite. Sicut nunquam uidi regionem Venetie nec etiam Padum infra Placentiam, sed magis Emiliam usque Bononiam mensuraui, ita licet de mercatoribus sim creatus, nunquam tamen me recolo mercatorem fuisse. Scio enim simpliciter emere, nichil autem didici uendere, quasi expertus Emiliam non Venetiam; istud a sapientibus exponatur. Hec uia mercationis iuxta personale iudicium mihi significat omne malum, sed secundum honorem Ecclesie perhibet testimonium omnis boni. Finalis Bononia ubi terminum fixi testificatur finaliter bona omnia.

DE

DESCRIPTIONE IVDICII

Si fuero ad maiora promotus, apparebit coram me magna multitudo nepotum carnalium, quos nunquam cognoueram, qui assiduis infestationibus me inuocabunt « patruum » uel « auunculum » (id est uulgariter « barba, barba », gallice autem « oncle », quasi uncum uel unculum hami pendentis in barba ad animas capiendas).1 1

Dessin d’un hameçon.

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la sainte Église, notre mère et vierge à jamais; et l’autre Lombardie, la courtisane adultère, n’en fait aucunement partie. Si quelqu’un est souillé par un crime charnel, même s’il n’a jamais vu ni entendu parler de la Lombardie, il est cependant considéré comme habitant la Lombardie scélérate, non pas en termes de géographie mais de dépravation. Je tiens ces propos pour que personne ne se glorifie et dise: « Jamais je n’ai vécu ni ne vivrai en Afrique ni en Lombardie, mais je vis sans pécher dans des endroits de la terre plus distingués ». En effet, s’il s’agit d’un hypocrite, il ne faut pas qu’il approche de l’Afrique où il est déjà condamné avec les infidèles africains; s’il s’agit d’un publicain qui ne se repent pas, il n’a pas intérêt à aller en Lombardie, la mère de toutes les querelles, où il est déjà condamné avec les publicains voleurs. C’est là que la Pavie du ventre, qui regorge naturellement de toutes les nourritures et les boissons incitant à la débauche, savoure avec plaisir en tout temps, sans que les querelles ne soient une entrave, parmi d’autres délices, une certaine espèce de boisson forte qu’on appelle la poivrée, fabriquée à partir de poivre, de gingembre, de safran, de cannelle et d’autres composants semblables qui stimulent la sensualité des faibles; les parfaits peuvent en boire sans éprouver de tentation charnelle. De même, on consomme ici beaucoup plus de légumineuses que dans le reste des pays du monde; leur usage excessif incite habituellement à la débauche, en raison de la proximité du ventre et des organes génitaux, si bien que cet ombilic maternel se tourne en général facilement vers les parties génitales de la fille. En effet, Pavie ne se trouve pas au centre de la Lombardie, afin que personne ne pense que je suis dans l’erreur, mais elle se trouve au centre du ventre de l’Europe. Mais le centre de la Lombardie, à ce que j’ai entendu dire, se trouve entre Crémone et Lodi, dont on raconte qu’elles sont les seules villes à ne pas se trouver en région montagneuse. Les égouts de Pavie symbolisent l’infamie cachée de la courtisane; de même, les égouts de Gênes, qu’on cache davantage, symbolisent ce qui est dissimulé dans le cœur de l’hypocrite. De même que je n’ai jamais vu le territoire de la Vénétie, pas plus que le Pô au sud de Plaisance, mais que j’ai plutôt arpenté l’Émilie jusqu’à Bologne, de même, bien que j’aie été engendré par des marchands, je n’ai jamais ressassé le fait d’avoir été marchand. En effet, je sais facilement acheter, mais je n’ai jamais appris à vendre, comme si je connaissais l’Émilie et non la Vénétie; que cela soit expliqué par les sages. Cette voie du commerce, si l’on s’attache à une opinion personnelle, indique à mes yeux tout le mal; mais, si l’on considère la gloire de l’Église, elle porte témoignage de tout le bien. Bologne, qui se trouve à l’extrémité où j’ai fixé la frontière, témoigne en fin de compte de tous les biens. DESCRIPTION

DU

JUGEMENT

Si je suis élevé à de plus hautes charges, la foule imposante de mes neveux charnels se présentera devant moi, eux que je n’ai jamais rencontrés; en me harcelant sans arrêt, ils m’appelleront « oncle paternel » ou « oncle maternel » (c’està-dire en langage commun « barba, barba »1, mais en gaulois « oncle », c’est-à-dire 1

Le terme barba signifie « oncle paternel » à l’époque.

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FOL.

35

Ecce oncle cum barba, de quo habeo memoriale testimonium Aramoni super Rodanum. Vtinam ad capiendam tarascam ueniamus ad barbam a nepotibus inuocandam: « Barba, barba ». Quod [fol. 35] non erit aliud nisi inuocatio maris diabolici Longobardi seu Longobarbi in testimonium contra me. Ero et eis in testimonium aduersus eos in die Iudicii: malitia enim mea propter affectionem carnalem quam nunc habeo ad ipsos ostendetur tunc eis multo terribilior et horribilior quam significet illud mare. Tunc dicetur eisdem: « Ecce barba uester quem appellabatis patruum, patronum et patrem. Ite maledicti cum ipso in ignem eternum ». Et sic in momento fiet eternum Iudicium, ubi nulla unquam misericordia poterit inueniri. Quomodo ergo possum deinceps meos oculos claudere die noctuque ab aspectu tanti Iudicii iam uicini? Qualiter ualeo in pristinis desideriis meis illicitis spem apponere et in stercoribus dormire, ne amodo uigilanter obseruem de die in diem et de hora in horam quo momento adueniat improuisus iudex noster, sicut fur in mea nocte continua sine die? Nox enim mea continua est ignorantia affectata, negligens querere scientiam tanti Iudicii. Iam proiectus est et destructus Antichristus ab Ecclesia perfectorum. Restat ablactatio puerorum (id est spiritualis prouectio infirmorum). Instat modicum tempus penitentie peccatorum, cuius temporis finis certitudinem non habemus. Solliciti simus super infirmis non carne sed uirtutibus, ne si solliciti fuerimus in curis seculi, ueniat super nos repentina illa inopinata dies Iudicii tanquam laqueus improuisus.

TESTIMONIA

CREATVRARVM

Diebus istis uidi onagrum fugientem de domo domini sui in hospitium nostrum, cuius nunquam prius speciem uideram; quem audiui postmodum liberum factum esse solutis ab eo uinculis seruitutis per dominum suum, ne audiret clamorem uel uocem ulterius exactoris. Exactio quidem grauissima est exigere ab ipso omnem laborem, cum fuerit alligatus habenis, chamo, subsellio, cingulis per uentrem, arcu sub cauda et ungulis ferro clauatis, que omnia sunt uincula seruitutis cum deportatione onerum in dorso et etiam ascensoris in clunem. Nunc liber ab istis, mauult esse onager quasi asellus. Quid ista significent declarentur per alios sapientes. « Quis dimisit onagrum suum liberum, et uincula eius quis soluit? Cui dedi in solitudine domum et reliqua » (Iob XXXVIIII°), ut sit quasi solitarius per mores in medio multitudinis ciuitatis.

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335

le crochet ou le petit crochet de l’hameçon1 fixé sur la barbe / l’oncle pour attraper les âmes). Voilà l’oncle avec la barbe, pour lequel je dispose d’Aramon2 sur le Rhône comme preuve remarquable. Pourvu que, pour attraper la tarasque, nous venions vers le « barba » / l’oncle que les neveux appellent: « Barba, barba ». Ce qui [fol. 35] ne sera rien d’autre que d’invoquer la mer diabolique lombarde ou à la longue barbe, en témoignage contre moi. Et moi aussi, je serai là pour eux, pour témoigner contre eux, le jour du Jugement: en effet, ma malice, due l’attachement charnel que j’éprouve aujourd’hui pour eux, se manifestera alors à eux avec beaucoup plus d’épouvante et d’effroi que ce qu’exprime cette mer. Alors, il leur sera dit: « Voici votre ‘barba’, que vous appeliez oncle, maître et père. Allez, maudits, avec lui dans le feu éternel3». Et ainsi le Jugement éternel arrivera en un instant, là où l’on ne pourra jamais trouver aucune miséricorde. Comment donc puis-je ensuite fermer les yeux jour et nuit, à l’idée d’un Jugement si important et désormais proche? De quelle manière suis-je capable de fonder mes espoirs sur mes anciennes prétentions illégitimes et de dormir sur les excréments, au point que dorénavant je ne guette pas attentivement, de jour en jour et d’heure en heure, l’instant où notre juge arrivera à l’improviste, tel un voleur4 dans ma nuit perpétuelle sans jour? En effet, ma nuit perpétuelle est celle de la prétendue ignorance, si je ne me soucie pas de chercher à connaître un tel Jugement. Désormais, l’Antichrist a été exclu et éliminé de l’Église des parfaits. Il n’y a plus qu’à sevrer les enfants (c’est-à-dire à élever spirituellement les faibles). Il ne reste que peu de temps aux pécheurs pour faire pénitence, et nous ne savons pas avec certitude quand s’achèvera ce temps. Nous devons nous préoccuper des faibles, non par la chair mais par les vertus, pour éviter que, si nous ne nous sommes pas préoccupés des soucis du monde, ce jour inopiné du Jugement n’arrive sur nous soudainement, tel un piège imprévu. TÉMOIGNAGE

DES CRÉATURES

Ces jours-ci, j’ai vu un onagre qui, s’échappant de la maison de son maître, approchait de notre logement, alors que je n’avais jamais vu ce spectacle auparavant; et j’ai entendu dire par la suite que c’est son maître qui lui avait rendu la liberté en le détachant des liens de la servitude, pour qu’il n’entende plus le cri ou la voix de l’ânier / de l’exacteur5. Il est vrai que c’est une exigence très pesante que d’exiger de lui tous ces efforts, alors qu’il est attaché avec des rênes, une muselière, une selle, des sangles autour du ventre, un arc sous la queue et des sabots ferrés avec des clous – c’est-à-dire les liens de la servitude, auxquels s’ajoutent le

Voir Jb 40, 25: l’hameçon utilisé pour attraper Léviathan. Aramon: Gard, arr. Nîmes. À rapprocher d’Aaron, frère de Moïse et premier grandprêtre d’Israël (voir Ps 133, 2). 3 Voir Mt 25, 41: parole adressée lors du Jugement dernier par le Christ à ceux qui ne l’ont pas suivi. 4 Voir Mt 24, 43 (et ss) et Lc 12, 39 (et 17, 22 et ss). 5 Voir Jb 3, 18 et 39, 7. Voir plus haut les nombreuses mentions de « la voix de l’exacteur ». 1 2

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FOL.

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Testimonia uisibilia ad opera manifesta Tota die possumus uidere bestiolam cuiusdam speciei quam nos uulgariter scuriolum appellamus inclusum in tornatili cauea, qui uolens ascendere prepediente uertigine cauee numquam peruenire potest ad finem; qui motu suo facit apparere moueri per duas humanas ymagines sculptas et extra caueam stantes, que magis mouentur ab ipso. Adhuc maius testimonium rei: cauea uolubilis est intricabilis laberintus qui potest describi in mari et terra inter Affricam et Europam; belua curiosa est Sicilia que interpretatur « laboriosa », similis cordi maris in medio huiusmodi laberinti; humane ymagines sunt Affrica et Europa. Res significata: belua uel Sicilia est persona mea anxia et curiosa tota die in curis et sollicitudinibus et laboribus Romane curie. Ad quid? Vt ad aliquem honorem possim ascendere. Tota die laboro et nunquam proficio. Cauea uel laberintus est strepitus negociorum alienorum que amore pecunie et alicuius complacentia libenter assumo. Humane statue uel artificialiter sculpte uel diuinitus deformate sunt ambe partes uel litigantes uel paciscentes uel inuicem mercantes aut mutuo comodantes; inter quas partes aut sum illius uel istius procurator seu aduocatus, aut sum mediator ambarum. Et sicut belua uidetur moueri cum cauea a statuis illis, non illa istas mouere, ita uideor ad huiusmodi uertiginem actuum ab illis partibus incitari, quas tamen ego ad maiorem motum et strepitum facio animari ex dilationibus lucratiuis. Sum uere scuriolus, id est animal curiosum. Cor enim meum simile cordi maris in medio laberinti tota die noctuque laborat per uagos circuitus cogitandi ad mendacia adinuenienda. Sicut Sicilia interpretatur « laboriosa », ita laberintus uere dicitur « labor intus ». 1

De duplici intentione Totum istud factum est furtiue uel furtim diebus istis ne, siquis istud perpenderet, iudicaret me latronem uel furem et perderem hunc honorem. Actum IIII° nonas septembris. Due sunt hic intentiones furtiue, in quarum medio proponitur gloria huius thesauri reperti per assiduum studium exercendi. Vnaqueque harum intentionum in me conatur ab 1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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transport des charges sur le dos et même du cavalier sur la croupe. Maintenant qu’il en est libéré, l’onagre préfère être comme un ânon. Que ce symbole soit déchiffré par d’autres sages. « Qui a lâché l’onagre en liberté, délié la corde de l’âne sauvage? A lui, j’ai donné la solitude pour demeure etc.» (Job XXXVIIII)1, si bien qu’il se conduit comme un solitaire au milieu des foules urbaines. Témoignages visibles pour des oeuvres indiscutables Chaque jour, nous pouvons voir une petite bête du genre que nous appelons communément écureuil, enfermée dans une cage tournante et qui, cherchant à monter, gênée par les rotations de la cage, ne peut parvenir à ses fins; ses mouvements donnent l’impression de faire bouger deux figurines humaines placées à l’extérieur de la cage, mais elles bougent davantage de son fait à elle. Il s’agit encore d’un plus grand témoignage de la réalité: la cage-girouette, c’est le labyrinthe inextricable qui peut être dessiné sur mer et sur terre entre l’Afrique et l’Europe; la bête curieuse, c’est la Sicile qui veut dire « laborieuse », semblable au cœur de la mer au milieu de ce labyrinthe; les figures humaines, ce sont l’Afrique et l’Europe. La réalité symbolisée est la suivante: la bête ou la Sicile, c’est ma personne qui se préoccupe et s’inquiète à longueur de journée des soucis, des tracas et des tâches de la curie romaine. Avec quel objectif? Celui de pouvoir m’élever, afin d’obtenir quelque charge. Je me donne de la peine à longueur de journée et jamais je n’avance. La cage ou le labyrinthe, c’est le fracas des affaires d’autrui dont je m’occupe volontiers, par amour de l’argent et pour plaire. Les figurines humaines, qu’elles soient sculptées avec art ou façonnées par une inspiration divine, ce sont les deux partis qui se chamaillent, se réconcilient, font du commerce entre eux ou se donnent des faveurs mutuelles; et entre ces partis, tantôt je suis le défenseur ou l’avocat de l’un ou de l’autre, tantôt je sers de médiateur entre les deux. Et, de même que la bête semble être mue avec la cage par ces figurines, et non le contraire, de même je donne l’impression que ce sont ces partis qui m’entraînent dans ce tourbillon d’activités, alors que c’est moi qui les pousse à amplifier leur agitation et leur vacarme, pour en tirer plus de profit. Je suis vraiment un écureuil, c’est-à-dire un animal curieux/inquiet. En effet, mon cœur, qui ressemble au cœur de la mer au milieu du labyrinthe, s’efforce à longueur de journée et de nuit de trouver des mensonges avec des pensées qui tournent en rond. De même que la Sicile veut dire « laborieuse », de même le labyrinthe signifie vraiment « le labeur intérieur ». Les deux sortes d’intentions2 J’ai écrit toutes ces lignes ces jours-ci, comme un voleur ou en secret, pour éviter que, si quelqu’un les étudie avec soin, il ne me considère comme un bandit ou un voleur, et que je ne perde cette charge. Fait le 4 des nones de septembre Jb 39, 5-6. Le mot intentio est polysémique au Moyen Âge. À partir du XIIe-XIIIe siècle, il présente six acceptions: attention, but, vouloir-dire, ressemblance, concept, simulacre. À cette singularité du lexique scolastique, s’ajoute le vocabulaire technique de l’optique: vision. 1 2

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FOL.

35-35v°

alterutra gloriam istam furari. Vna est intentio personalis sine aliquo alio extra se; alia est intentio uniuersalis sine acceptione persone. Cui istarum debeatur ista gloria de uultu Domini iudicetur et equitas uideatur. Prima intentio nequam furtiua furatur hanc gloriam, quam dat isti soli persone non alteri; alia intentio fidelis furtiua furatur eandem gloriam ab illa, quam gloriam per seruum fidelem mittit quasi pro dono uniuersali Ecclesie non persone. Inuocat prima intentio instar actoris iudicem nostrum de medio; citatur et alia in similitudine rei citati. Proponitur in iudicio restitutio spoliati; restituitur spoliatus possessioni. Hinc inde probationibus uariis allegatis iudex profert sententiam: aufertur possessio glorie ab illa persona cui tanquam domine prima intentio famulatur (si enim diceretur [fol. 35v°] illam intentionem dominari persone, esset loqui contra naturam). Datur possessio glorie uniuersali Ecclesie cuius est uera et iusta proprietas; cuius Ecclesie est semper amica altera intentio uniuersalis; cuius probatur seruus fidelis qui scripsit hec. Et sicut illa nequam intentio famulatur persone, persona seruit diabolo propter furtum glorie singularis – quem circumdant et roborant multa coherentia carnium membra – sic per oppositum fidelis intentio amicatur Ecclesie. Ecclesia sine acceptione persone ordinat omnes uere fideles ad ministerium operum Ihesu Christi, cui tribuunt omnem honorem et gloriam quam furati fuerunt sagaciter a persona. Iudicatur ex furto persona cum membris diaboli; collaudantur ex furto serui fideles ad honorem totius Ecclesie. Intentio personalis erit persone perpetua cruciatrix; intentio uniuersalis erit Ecclesie semper in beatitudine collaudatrix. Et qui sunt Dei omnipotentis famuli temporales erunt eius filii, heredes et amici perpetui. In exitu Israel de sub pedibus Affrice cum rapina uasorum pretiosorum ad Terram sanctam supra uerticem Sathane conquassandum, figurata fuit fidelis rapina omnis glorie a persona transferende per Israel (id est per personas fideles) ad uniuersalem Ecclesiam. Christus infans fuit translatus per fugam a facie regis Herodis et latuit sub pedibus eius, donec ypocrita moreretur. Nam Affrica personam significat, que nunc per ypocrisim suam et auaritiam glorie sue « sternit sibi aurum quasi lutum » cum Alexandrinis diuitiis et Egyptiaca Babilone sub pedibus suis; que bibens purissimam aquam maris iuxta Hispaniam pedibus suis turbat flumen Gyon, qui est Nilus Egypti. Bonum est nostram Europam uulneratam et mutilatam de brachio dextro intrare in uitam eternam, quam illam Affricam sanam et integram omnibus membris suis mitti in gehennam, que iam ex nunc a uertice usque ad plantas per longitudinem posteriorem eterno incendio concrematur. Hanc assimilauit sibi monialis Sabinensis uel Sabina, continens carne et garrula lingua, que post mortem apparuit semiusta (IIII° Dialogorum, capitulo 1). Nostra autem

1

Opicinus a laissé un blanc.

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[2 septembre 1337]. Il y a ici deux intentions cachées, et au milieu d’elles se présente la gloire de ce trésor découvert en s’adonnant continuellement à l’étude. Chacune de ces intentions qui m’habitent essaie de dérober la gloire en question à l’autre et réciproquement. L’une est l’intention personnelle, qui exclut quoi que ce soit d’autre; l’autre est la volonté universelle, qui ne tient pas compte de la personne. A laquelle des deux la gloire en question est-elle due? Que le visage du Seigneur en décide et que la justice se manifeste. La première intention, dévoyée et cachée, vole cette gloire et la donne à cette seule personne, non à une autre; la seconde intention, fidèle et secrète, dépossède la première de cette même gloire, et elle délègue cette gloire, par l’intermédiaire de son serviteur fidèle, à l’Église universelle et non à une personne, c’est-à-dire lui en fait don. La première intention, à l’instar d’un acteur, convoque notre juge; l’autre est également convoquée, elle qui correspond à l’accusé cité en justice. L’indemnisation de la partie dépouillée est proposée lors du procès; la partie dépouillée recouvre ses biens. Diverses preuves ayant été produites des deux côtés, le juge prononce sa sentence1: la jouissance de la gloire est enlevée à cette personne que la première intention servait comme une maîtresse (en effet, si l’on disait [fol. 35v°] que cette intention est la maîtresse de la personne, ce serait parler contre nature). La jouissance de la gloire est donnée à l’Église universelle, dont elle est la propriété réelle et légitime; et cette Église a toujours pour amie l’autre intention, celle qui est universelle; et son serviteur fidèle, celui qui a écrit ces lignes, est approuvé. Et, de même que cette intention dévoyée sert la personne, et que la personne, parce qu’elle vole la gloire exceptionnelle, est esclave du diable – lequel se trouve entouré et affermi par de nombreux membres charnels soudés entre eux – de même, à l’inverse, l’intention fidèle agit en amie de l’Église. L’Église, qui ne tient pas compte de la personne, ordonne tous les vrais fidèles au ministère des œuvres de Jésus-Christ, auquel ils donnent tous les honneurs et toute la gloire qu’ils ont dérobés à la personne en manoeuvrant. La personne est jugée pour vol avec les membres du diable; les serviteurs fidèles sont comblés de louanges pour leur larçin, afin de glorifier l’Église tout entière. L’intention personnelle tourmentera éternellement la personne; l’intention universelle ne cessera de combler l’Église de louanges dans la béatitude. Et ceux qui sont les serviteurs temporels du Dieu tout-puissant seront à jamais ses fils, ses héritiers et ses amis. Lorsqu’Israël s’échappa de la domination de l’Afrique en enlevant des vases précieux2 pour aller vers la Terre sainte, au-dessus du sommet de la tête de Satan qui doit être fracassée3, cela voulait dire qu’Israël (c’est-à-dire les personnes fidèles) doit livrer à l’Église universelle toute la gloire soustraite à juste titre à la personne. Le Christ petit enfant a été emmené loin de la vue d’Hérode dans la fuite, et il s’est caché sous sa domination jusqu’à la mort de l’hypocrite4. Car l’Afrique représente la personne, elle qui aujourd’hui, avec son hypocrisie et son désir de gloire, « répand l’or

Cette évocation embrouillée correspond au procès d’Opicinus. Voir Ex 3, 21-22; 11, 2; et 12, 35-36. 3 Voir les cartes du Vaticanus: la tête de la mer diabolique est au sud de l’Asie mineure. 4 Voir Mt 2, 13-15. Allusion à la fuite d’Opicinus lors de son excommunication par l’évêque de Pavie. 1 2

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FOL.

35v°

Europa tacens et patiens terga sua clamide uel pallio tegit ab aquilonibus gelidis et anteriora denudat ad meridiem Solis. Affrica non est aliud nisi persona mea si meam sequi uoluero uoluntatem; Europa uero similis pauperi est uniuersalis Ecclesia. Iusto iudicio sum ita percussus in lingua ut, si coactus fuero loqui uulgariter uel litteraliter, uix possim proferre tria uerba sine barbarismo, inepto et rustico modo loquendi usque ad scandalum audientis; nisi Spiritus Sanctus me faciat recte loqui, qui aperuit os mutum subiugalis iumenti. Si fuero Affrica, opprimam euangelicum leonem sub pede meo sinistro foueboque uiperam domus mee in sinu. Existens autem Europa, conculcabo sub eodem pede progeniem Canistralem transferamque leonem ad custodiam uentris mei.

De diuersis moribus labiorum Nobilitas pectoralis humiliter mutuo loquitur, a nobili usque ad ignobilem et a diuite usque ad pauperem. Hoc dico in pluribus non totaliter isto modo: « Vos, domine. Vos, domina » (id est: « Vous, signer. Vous, dona »). Que locutio significat non personam sed uniuersitatem, ac si diceretur: « Vos, domine popule christiane. Vos, domina Ecclesia uniuersalis ». Et non solum inter equales fit hoc, sed etiam sepe a diuite nobili ad ignobilem pauperem. Humilitas tibialis a dextris, ut arbitror, non semper nec totaliter sed in pluribus sepius nobiliter mutuo loquitur inter pares hoc modo et quasi litteraliter in uulgari: « Tu, uir, nomine N. Et tu, mulier, nomine N.», raro uoce plurali. Que locutio significat non Ecclesiam sed personam, quasi fratrem ad fratrem et sororem ad sororem, ut unusquisque et unaqueque se cognoscat singulariter esse personam non populum. Si autem addatur ad nobilem diuitem: « Tu, domine N.» et « Tu, domina N.», tunc unaqueque persona se sciat dominum et dominam corporis proprii. Hoc intelligatur ratione anime ad corpus, non ratione coniugii ubi alterutri traditur dominium corporis sui ad mutuum usum, durante infirmitate exigentis. Rusticitas uero uentralis, mater confusionis, hoc modo confundit www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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comme s’il s’agissait d’argile »1, avec les richesses d’Alexandrie et la Babylone d’Égypte sous sa domination; elle qui, en buvant l’eau très pure de la mer qui longe l’Espagne, trouble avec ses pieds le fleuve Gyon, c’est-à-dire le Nil d’Égypte2. Il est bon que notre Europe blessée et estropiée du bras droit entre dans la vie éternelle, et que cette Afrique bien portante et dont tous les membres sont intacts soit jetée dans la géhenne, elle qui est déjà, dès aujourd’hui et pour les temps à venir, réduite en cendres dans le feu éternel, depuis le haut de la tête jusqu’à la plante des pieds. Une moniale sabinienne ou sabine a connu le même sort: continente dans sa chair et bavarde dans son langage, elle apparut après sa mort à moitié brûlée (Dialogues, livre 4, chapitre)3. Mais notre Europe, muette et endurante, protège son dos des vents du nord glacés avec une chlamyde ou un pallium, et dévoile au Soleil du sud ce qu’elle a devant4. L’Afrique n’est rien d’autre que ma personne, si je décide de suivre ma volonté; en revanche, l’Europe semblable à un pauvre, c’est l’Église universelle. C’est par un juste jugement que j’ai été tellement éprouvé dans mon élocution que, si je suis obligé d’utiliser un langage courant ou savant, je pourrais à peine prononcer trois mots sans faire un barbarisme, ma manière de parler étant incohérente et fruste au point qu’elle pose problème à celui qui m’écoute; sauf si l’Esprit Saint me fait parler correctement, lui qui a ouvert la bouche muette d’une ânesse bâtée5. Si je suis l’Afrique, j’écraserai le lion évangélique sous mon pied gauche et je réchaufferai la vipère de ma famille dans mon sein. Mais si je deviens l’Europe, je foulerai sous ce même pied la lignée des Canistris et j’emmènerai le lion pour garder mon ventre. Les diverses façons de parler Les habitants de la poitrine qui ont des sentiments élevés se parlent entre eux avec humilité, en allant du noble jusqu’à celui qui est de basse naissance et du riche jusqu’au pauvre. Je m’exprime ainsi dans la plupart des cas (mais pas tous): « Vous seigneur. Vous, maîtresse » (c’est-à-dire: « Vous, signer. Vous, dona »). Cette expression ne désigne pas la personne mais la communauté, comme si l’on disait: « Vous, seigneur, le peuple chrétien. Vous, maîtresse, l’Église universelle ». Et cela se passe ainsi non seulement entre gens de rang égal, mais aussi fréquemment lorsqu’un noble riche s’adresse à un non noble pauvre. Les habitants humbles de la jambe située à droite, à ce que je crois, se parlent entre eux avec noblesse d’âme quand ils sont entre pairs (pas toujours ni dans tous les cas, mais dans la plupart des cas, assez souvent), dans un langage courant comme s’il était savant, de la façon suivante: « Toi, homme, qui a pour nom N. Et toi, femme, qui a pour nom N.», avec des mots qui sont rarement au pluriel. Cette expression désigne non pas l’Église mais la personne, comme un frère s’adressant Jb 41, 21 (dans la Vulgate). Voir V 25, note 17. 3 Grégoire le Grand, Dialogues, livre 4, chapitre LI (dans Migne, Patrologia Latina, tome 77, p. 412-413). 4 Voir notamment V 9. 5 Voir l’ânesse de Balaam: Nb 22, 21-30. 1 2

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FOL.

35v°

labia sua. Si fuerint simul duo uiri ceteris paribus potentia sola distantes, potentior cum superbia sic alloquitur infirmiorem et timidum: « Tu N., de tali progenie », quasi dominus ad seruum. Infirmior autem cum timore mundano sic affatur potentem: « Vos, domine N., de tali genere », quasi seruus ad dominum. Eodem modo inter mulieres ceteris paribus, una ad aliam: « Tu N., uxor uel filia talis et talis »; et ista ad illam: « Vos, domina N.», simpliciter sine alia additione. Ad maiores autem pre ceteris sic: « Vos, domine » uel « Vos, domina », sine addito nomine. Omnis persona assumens per istum modum pronomen plurale significat ad testimonium contra se uniuersitatem carnalium hominum; cetere autem singillatim sub pronomine singulari per illud uitium significant seruos et ancillas peccati. Huiusmodi correlatio seruitutis ad carnale dominium in Papia habet significationem a Ianua, que est similis Affrice subicienti sub pedibus suis populum Dei perpetua seruitute. Actum III° nonas septembris.

DE

VITIIS

LOMBARDIE

Inuolutio intestinorum in uentre significat uolubilia prelia Lombardie, que sunt potius prelia intestina inter ciues et ciues cuiuslibet ciuitatis. Iusto iudicio iurat Prouincia « per uentrem Dei » qui nunc factus est uenter diaboli. Hoc dico speculariter, saluo fundamento. Illi autem uentrales iurant et periurant « corpus Dei » ad eorum iudicium, ut reliquum corpus Europe fiat corpus diuinum Ecclesie et illi fiant corpus diaboli, quasi diabolus corporalis. Actum eadem nocte sequenti. Intestina inuoluta, cum fuerint euiscerata, sunt similia filis disuolutis que apud nos uulgariter uocantur acie fili ex lino uel lane. Et ideo inter IIIIor uirtutum ymagines, ymago Iustitie posita est in porta occidentali ueteris muri Papie, in similitudine uiri habentis in collo huiusmodi aciam; quali nomine uocant Gallici litteram h, in testimonium acie uiscerum Lombardie ab azulinis usque ad azones.

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à son frère et une sœur à sa sœur, afin que chacun et chacune conviennent individuellement qu’il/elle est une personne et non un peuple. Mais si l’on ajoutait à l’adresse du noble riche: « Toi, seigneur N.» et « Toi, maîtresse N.», chaque personne se prendrait alors pour le seigneur ou la maîtresse de son propre corps. Cela concerne les rapports de l’âme et du corps, et non le mariage, où le corps dont on est propriétaire est livré au partenaire pour une consommation réciproque, tant que dure la faiblesse de celui qui réclame [le devoir charnel]. En revanche, les habitants du ventre, mère de la confusion, qui ont des sentiments grossiers, embrouillent leur langage de la façon suivante: si deux hommes de rang égal se rencontrent, en différant seulement par la puissance (alors qu’ils sont égaux pour le reste), le plus puissant s’adresse avec orgueil au plus doux qui est également craintif, de la façon suivante: « Toi, N., de telle lignée », tel un maître s’adressant à son serviteur. Et le plus faible répond avec la crainte du monde à celui qui est autoritaire: « Vous, seigneur N., de telle maison », tel un serviteur s’adressant à son maître. De la même manière, entre des femmes qui sont égales pour le reste, l’une dit à l’autre: « Toi, N, femme ou fille d’untel et unetelle »; et la seconde dit à la première: « Vous, maîtresse N.», simplement, sans rien ajouter. En revanche, à des personnes de rang plus élevé que les autres, on dit: « Vous, seigneur » ou « Vous, maîtresse », sans nom en plus. Toute personne qui reçoit de cette manière un pronom au pluriel indique en témoignage contre elle la communauté des hommes charnels; alors que les autres, appelées individuellement par un pronom au singulier, indiquent en commettant cette faute les serviteurs et les servantes du péché. Une liaison de ce genre entre servitude et pouvoir charnel à Pavie est indiquée par Gênes, qui ressemble à l’Afrique mettant sous sa domination le peuple de Dieu en perpétuelle servitude. Fait le 3 des nones de septembre [3 septembre 1337]. LA

DÉPRAVATION DE LA

LOMBARDIE

Les intestins enroulés dans le ventre symbolisent les combats qui se déroulent en Lombardie: il s’agit plutôt de guerres intestines entre citoyens de chaque ville. C’est à juste titre que la Provence jure « par le ventre de Dieu », qui est devenu aujourd’hui le ventre du diable. Je tiens ces propos ouvertement, en préservant ce qui est fondamental. Mais ceux qui habitent le ventre jurent et se parjurent « par le corps du Christ » pour se juger eux-mêmes, si bien que le reste du corps de l’Europe devient le corps divin de l’Église et qu’eux deviennent le corps du diable, c’est-à-dire le diable en chair et en os. Fait à la même date, la nuit suivante. Les intestins enroulés, lorsqu’ils ont été nettoyés, ressemblent à des fils déroulés, que l’on qualifie communément chez nous de fil à coudre, en lin ou en laine. Et c’est pourquoi, parmi les quatre images des vertus1, l’image de la Justice a été placée à la porte occidentale du vieux mur de Pavie, à la ressemblance de l’homme ayant autour du cou ce fil à coudre2; et c’est ce nom que les Gaulois donnent à la

Les quatre vertus sont: Justice, Tempérance, Force et Prudence. Voir V 28 et V 29. Il s’agit de la statue romaine située à la porte occidentale de l’ancien rempart de Pavie et appelée « muet avec un fil autour du cou ». Voir aussi V 28 et V 29. 1 2

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344

FOL.

35v°-36

1 Non est ista ymago Iustitie Papiensis, sed littera h iuxta Gallicam prolationem, quasi aza sine asperitate z. Additum die sancti Martini, pape et martiris. X

[fol. 36] COMPARATIO

PERSONALIS AD CORPVS

EVROPE

VEL TOTIVS MVNDI

Dolor reumatis nunc in iunctura manus mee sinistre, adeo ut non possim eam inflectere comode super humerum meum sinistrum, significat ut audiui Alemaniam esse ligatam ne super Franciam eleuetur. Illa manus sinistra compellitur reponere gladium in uaginam, potius autem tenere frenum ad refrenandum uentrale iumentum Italie. Lumbar lumborum uentrem pregnantem minori mundo fetuum geminorum cum trunco Asie, propter uelocem cursum Tigris et Eufrates2 inter uentrem et lumbos, finaliter computrescit. Cum enim statua intelligibilis totum habitabilem mundum impleret, lumbar lumborum circa flumina supradicta fortitudine seruabatur, quod nunc in Lombardia corrumpitur; id est cingulum lumborum per corruptionem iustitie euidenter dirumpitur. Et ideo propter gracilitatem lumborum meorum uix ualeo lumbar circa lumbos firmum tenere. Si autem plus restrinxero lumbar, ualde cruciat lumbos meos. Hec acciderunt mihi ad tempus. Sicut magna statua intelligibilis inter uentrem et lumbos habuerat, sicut habet turrem Babel ex lateribus terre coctis, ita Europa inter lumbos et uentrem habet opida et castra turrigera ex lateribus terre coctis, in signum eorum superbie ascendentis. Lombardia accedens ad ignem appositum ante faciem suam est similis Affrice habenti ad terga ignem eternum, ut sit utrobique combusta. Gallia apponens ignem post terga similatur Europe que terga post frigora ignibus temperat.

DE ECCLESIA

SPECVLARI

Sicut nascente uero lumine, Octauianus Cesar Augustus asscribebat sibi dominium mundi ad exactionem ubique tributorum et censuum, cui tamen Dominus omnium se uoluntarie cum humilitate subdebat, ita nunc usque, ut audiui, tacente Lomello Octabianum in utroque subiectum Lomello (scilicet mediate uel immediate in animabus et decimis sicut arbitror) uult sibi decimas detinere. Nunc uersa uice sicut 1 2

Dessin d’un grand H, dont la barre horizontale est constituée de fils enroulés. On attendrait: Eufrate.

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lettre h, en témoignage du fil à coudre des entrailles de la Lombardie, depuis l’absence de vêtements de lin jusqu’à l’absence de ceintures1. Il ne s’agit pas ici de l’image de la Justice de Pavie, mais de la lettre h, pour parler comme les Gaulois, comme « aza » sans la rugosité du z. Ajouté le jour [de la fête] de saint Martin, pape et martyr [12 novembre 1337]. X [fol. 36] COMPARAISON ENTRE MA CONSTITUTION ET LE CORPS DE L’EUROPE OU CELUI DU MONDE ENTIER2

La douleur rhumatismale que je ressens aujourd’hui à l’articulation de ma main gauche, au point que je ne peux facilement la fléchir sur mon bras gauche, indique, comme je l’ai entendu dire, que l’Allemagne est attachée pour éviter qu’elle ne soit élevée au-dessus de la France. Cette main gauche est obligée de remettre le glaive dans le fourreau, ou plus exactement de tenir le frein pour réfréner la bête de somme du ventre de l’Italie. La ceinture des organes génitaux finit par infecter la matrice enceinte du petit monde des foetus jumeaux ainsi que d’un fragment de l’Asie2, à cause du cours rapide du Tigre et de l’Euphrate entre le ventre et les organes génitaux. En effet, lorsque la statue brillante remplissait la totalité du monde habitable4, la ceinture des organes génitaux qui entourait les fleuves cités plus haut était maintenue par la force, elle qui, aujourd’hui, est affaiblie en Lombardie; autant dire que la justice corrompue anéantit indiscutablement le ceinturon des organes génitaux. Et c’est pourquoi, en raison de la fragilité de mes organes génitaux, j’ai du mal à supporter une ceinture très ajustée autour de mes organes génitaux. Et si je serre davantage la ceinture, elle me fait très mal aux organes génitaux. Cela m’est arrivé momentanément. De même que la grande statue brillante avait entre le ventre et les organes génitaux, et qu’elle a toujours, la tour de Babel faite de briques cuites5, de même l’Europe possède, entre les organes génitaux et le ventre, des places fortes et des châteaux garnis de tours faites de briques cuites, ce qui montre que leur orgueil augmente. La Lombardie s’approchant de la chaleur placée devant elle est semblable à l’Afrique ayant dans le dos le feu éternel, si bien qu’elle est brûlée des deux côtés. La Gaule mettant la chaleur dans son dos ressemble à l’Europe qui réchauffe son dos avec la chaleur après les froids. L’ÉGLISE

DU MIROIR

De même que, lors de la naissance de la véritable lumière6, l’empereur Octavien Auguste7 s’attribuait le pouvoir sur la terre pour exiger partout des tri-

La traduction des néologismes d’Opicinus est seulement vraisemblable. Projection géographique classique chez Opicinus. 3 Voir V 6. 4 Voir Dn 2, 31-45. Voir V 14: la statue du Christ en partie dissimulée. 5 Voir Gn 11, 1-9. 6 Voir Jn 1, 9. 7 Allusion à l’empereur Auguste (mort en 14), contemporain de la naissance du Christ. 1 2

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FOL.

36

Lomellum (id est eius principalis ecclesia) ab Octabiano exigit iura sua, ita uniuersalis Ecclesia in qua habitat uerum lumen potest exigere omnes decimas mundi ab Octauiano Augusto Cesare usque nunc. Que ita ualet dicere: « Ego uniuersalis Ecclesia exigo omnes decimas quibus minus indigent caput meum et manus (id est dignitas prelatorum et ministeria simplicium sacerdotum). Manus enim mee plus habent recipere, minus autem sibi retinere, nisi, cum fiunt officia pedum ut pedes mei calciati sint (id est iidem presbiteri in medio gentium, id est plebium), euangelizantes eis de Euangelio uiuant. Cum autem assumunt officia manuum ad induendum corpus meum parum retinendo sibi, omnia expendunt ad decorem corporis mei, ut membra mea inferiora (id est pauperes mei) honorificentur pre ceteris, quatinus membrorum infirmitas membrorum fortitudini adequetur ». Ego, Opicinus, non ratione maledicte originis sed benedicte regenerationis sacrosancti baptismi, sumo patrocinium pro Lomello. Non enim sum lumen nec lux, sed cum omnibus compresbiteris meis totius mundi perhibeo testimonium de uero lumine quod habitat in pectore uniuersalis Ecclesie. Non enim progenies sed sola quedam occasio me compulit nasci in loco Lomelli; quod est nobilissimum et antiquissimum castrum Ligurie, quasi simile opido propter pluritatem ecclesiarum; quod Papiensis diocesis ab occidento significat modicum lumen fidei, propter ueri Solis occasum in hac hora nouissima uespertina; quod olim fuit, ut puto, a « lumine » dictum Lomellum et a « Papia » mirabile, ut exponatur « Papiense Lomellum », id est admirabile lumen. De uera scientia ex modica scientia litterarum 1 A nemine fiat exemplaris rescriptio horum operum nostrorum, ne infantia pristina suscitetur, sed unusquisque iuxta donum sibi datum studeat sumpta occasione ex hiis amplius habundare, donec breuiloquio multa misteria concludantur. Vera theologia tempore isto addiscitur ex principio modice scientie litterarum, ne litterarum ebrietas hominem mergat in spiritualem ignorantiam, que semper rotatur uertigine disputandi, cuius assiduitate plerumque intelligibilis fides extinguitur. Modica uero scientia littere introducit hominem ad legem conscientie, que hominem docet ad omnia ubi nullum remanet dubium questionis. Euitetur allegatio auctoritatum, que solis infantibus necessaria est ad simplicem fidem, non uiris perfectis habentibus fidei rationem. 2 Ticinus naturaliter urit, eo quod est est urina Europe profluens a renibus que cum Padi stercoribus emittitur in secessum. Ideo Padus, quasi stercus procedens a stomacho, agros impinguat; Ticinus autem, quasi urina procedens a renibus, terras adurit.

1 2

Dessin d’une main dans la marge de gauche. Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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buts et des impôts, lui à qui pourtant le Seigneur de toutes choses s’est soumis délibérément avec humilité1, de même, jusqu’à aujourd’hui, à ce que j’ai entendu dire, alors que Lomello se tait, Octabiano2 subordonné à Lomello dans les deux cas (à savoir indirectement ou directement pour les âmes et pour les dîmes, à ce que je crois), veut se réserver les dîmes. Aujourd’hui, à l’inverse, de même que Lomello (c’est-à-dire sa première église) réclame ses droits à Octabiano, de même l’Église universelle, dans laquelle demeure la véritable lumière3, peut réclamer toutes les dîmes de la terre à l’empereur Octavien Auguste jusqu’à aujourd’hui. Car elle est en mesure de parler ainsi: « Moi, l’Église universelle, je réclame toutes les dîmes dont ma tête et mes mains (c’est-à-dire les charges des prélats et les ministères des simples prêtres) n’ont guère besoin. En effet, mes mains ont beaucoup à recevoir, mais peu à garder pour elles, sauf si, lorsqu’elles deviennent les fonctions des pieds pour que mes pieds soient chaussés (c’est-à-dire ces mêmes prêtres au milieu des nations, c’est-à-dire des foules), elles vivent de l’Évangile en les évangélisant. Et lorsqu’elles assument les fonctions des mains pour couvrir mon corps en gardant peu pour elles, elles dépensent tout pour orner mon corps, si bien que les parties humbles de mon corps (c’est-à-dire mes pauvres) sont honorées avant les autres, dans la mesure où les membres faibles valent les membres forts ». Moi, Opicinus, en raison non de ma naissance maudite mais de ma renaissance bénie due au très saint baptême, je m’attribue la protection de Lomello. En effet, je ne suis pas la lumière émanée ni la lumière source4, mais avec tous mes collègues prêtres du monde entier, je rends témoignage à la lumière véritable5 qui habite dans la poitrine de l’Église universelle. Car ce n’est pas ma lignée mais une simple coïncidence qui m’a entraîné à naître à Lomello; à cet endroit se trouve un château de Ligurie très connu et très ancien, presque semblable à une place forte du fait du grand nombre d’églises; situé à l’ouest du diocèse de Pavie, ce lieu indique la petite lumière de la foi, car le Soleil véritable s’y couche en cette dernière heure du soir; il fut autrefois, à mon avis, appelé Lomello à partir de « lumière », et merveilleux à partir de « Pavie »6, si bien qu’on dit: « Lomello de Pavie », c’est-à-dire la lumière admirable. La véritable connaissance issue d’une connaissance livresque limitée. Que personne ne fasse de copie écrite de nos oeuvres que voici, pour éviter que la petite enfance d’autrefois ne se ranime; mais que chacun, selon le don qu’il a reçu, saisissant l’opportunité qu’elles représentent, s’applique à donner plus de fruits, tant que de nombreux mystères n’ont pas trouvé rapidement leur épilogue. La véritable théologie, par les temps qui courent, s’apprend dans les rudiments d’une Voir Mt 22, 15-22; Mc 12, 13-17; et Lc 20, 20-26. Voir fol. 80: lieu situé près de Lomello. Opicinus joue sur l’homonymie Octavien/Octabiano pour parler de lui. 3 C’est-à-dire Opicinus (jeu de mots Lomello/lumen). 4 La distinction lumen/lux est un lieu commun hérité d’Isidore de Séville. Voir V 25, note 13. 5 Voir Jn 1, 7. 6 Voir P 20, note 26: Opicinus fait un rapprochement étymologique entre « Pavie » et « pape », qui sert ses prétentions mégalomaniaques, et il le juge « merveilleux ». Voir fol. 43v°, 51v°, 57, 64v° et 80. 1 2

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FOL.

36-36v°

Additum anno perfectionis, die natiuitatis sancti Iohannis Baptiste, in nocte, cuius meritis spero uentrem Italie sanctificari ad pacem eternam.

DIFFERENTIA

INTER VIOLENTIAM NATVRALEM ET VIOLENTIAM VITIOSAM

Quemadmodum Christus sine ulla uiolentia abstulit a diabolo potentiam dominandi humano generi, per humilitatem, mansuetudinem et ueram iustitiam – cui nullam potest obicere diabolus iniuriam sibi factam propter euidentiam rationis – ita nuncusque populus christianus, immo Christus in eo, per tollerantiam, patientiam et longanimitatem, aufert omne dominium a persona, sine aliqua uiolentia facta persone sed per argumenta euidentia in quibus patescit manifestissima ratio ueritatis, ne ulla persona deinceps presumat dominari populo Dei, nisi obstinata persona oculis clausis per ignorantiam affectatam nunquam uelit desistere ab huiusmodi principatu. Accipiat ergo dominium unusquisque super corruptibilem sanguinem et carnalem progeniem domus sue, et nullam personam christianam siue diuitem siue pauperem debeat tangere. Saluet et foueat omnes personas christianas que dicuntur carnaliter de progenie domus sue, et protegere debeat eas cum toto populo christiano. Illam autem solam progeniem debeat iudicare, sicut alie progenies mundi carnales iudicande sunt. Maledicantur ergo progenies mundi et sola christianitas benedicatur. Vbi est ergo uiolentia uirtuosa ad rapiendum regnum celorum? Violentia uirtuosa est toto corde resistere primo carnalibus desideriis in se ipso, deinde resistere carnalibus affectionibus amicabilibus domus sue, deinde christianitatem diligere. Violentia olim fidelium contra infideles cum corruptibilibus armis fuit quedam uiolentia figuralis que facta propter fidem perfici-[fol. 36 v°]-ebat christianos infirmos et fuit significatiua presentis interioris uiolentie. Nunc preualente malitia super terram, si iterum suscitaretur illa uiolentia figuralis aduersus infideles, in nullo proficeret, sed conquisita terra infidelium unusquisque diceret: « Ego, rex talis regionis, conquisiui ab infidelibus www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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connaissance livresque limitée, pour éviter que l’ivresse de la culture ne plonge l’homme dans l’ignorance spirituelle: celle-ci ne cesse de tourner en rond dans un tourbillon de discussions, et sa pratique régulière étouffe généralement la foi intelligible. En revanche, une connaissance limitée de la lettre inculque à l’homme la loi de la conscience, qui instruit l’homme sur tout: aucun sujet n’y demeure plus obscur. Il faut se dispenser de citer les textes faisant autorité, dont seuls les petits enfants ont besoin pour leur foi simple, et non les hommes parfaits qui connaissent le caractère rationnel de la foi. Le Tessin est naturellement desséchant, car il s’agit de l’urine de l’Europe s’écoulant des reins, qui est expulsée en même temps que les excréments du Pô, par une voie séparée. C’est pourquoi le Pô, c’est-à-dire un excrément arrivant de l’estomac, engraisse les champs; alors que le Tessin, c’est-à-dire l’urine arrivant des reins, assèche les terres. Ajouté l’année de la perfection, le jour de la nativité de saint Jean-Baptiste [24 juin 1338], dans la nuit; j’espère que, grâce aux mérites de ce saint, le ventre de l’Italie est sanctifié pour la paix éternelle. DISTINCTION

ENTRE LA VIOLENCE NATURELLE ET LA VIOLENCE PERVERSE

De même que le Christ, sans aucune violence, a enlevé au diable le pouvoir de commander au genre humain, grâce à son humilité, à sa douceur et à sa véritable justice – lui à qui le diable ne peut reprocher de lui avoir porté le moindre tort, pour des raisons évidentes – de même jusqu’à aujourd’hui, le peuple chrétien ou plutôt le Christ qui est en lui, grâce à son endurance, à sa patience et à sa longanimité, enlève toute autorité à la personne, sans la moindre violence faite à la personne, mais avec des arguments indiscutables où le caractère rationnel de la vérité se manifeste de manière tout à fait éclatante, afin que personne n’ait ensuite l’audace de commander au peuple chrétien – à moins qu’une personne têtue, dont l’ignorance de commande ferme les yeux, ne veuille jamais renoncer à cette suprématie. Chacun doit donc admettre une autorité sur le sang corruptible et la lignée charnelle de sa famille, et ne doit porter la main sur aucune personne chrétienne, qu’elle soit riche ou pauvre. Il doit garder et entretenir toutes les personnes chrétiennes dont on dit qu’elles appartiennent à sa lignée familiale sur le plan charnel, et il doit être tenu de les protéger avec tout le peuple chrétien. Mais il ne doit pas être obligé de juger cette seule lignée, car les autres lignées charnelles du monde doivent être elles aussi jugées. Par conséquent, les lignées du monde méritent la malédiction et la chrétienté est la seule à mériter la bénédiction. Où est donc la sainte violence1 qui cherche à s’emparer du royaume des cieux? La sainte violence consiste à résister d’abord de tout son cœur aux convoitises charnelles intérieures, puis à résister aux attachements charnels familiaux d’ordre affectif, enfin à aimer la chrétienté. La violence des fidèles d’autrefois s’opposant aux infidèles et à leurs armées corruptibles était une sorte de

1 La sainte violence est celle de l’amour (voir les épîtres de saint Paul). Mais Opicinus utilise la citation de Mt 11, 12 (ou Lc 16, 16) et en prend le contre-pied, en donnant à la violence un sens positif.

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FOL.

36v°

talem ciuitatem uel tale castrum, cuius debeo habere dominium ». Similia diceret quilibet princeps, comes, marchio siue miles, de quolibet loco quem gloriaretur conquisisse. Et sic christianitas nullum locum haberet nisi sola potentia nobilitasque mundana. Siquis ecclesiasticus uellet conuertere infideles per predicationem catholice fidei nostre, tunc aliquis infidelis pro omnibus responderet sibi, propter instantem magnam malitiam hominum: « Non credo tibi, nisi per aliquas rationes fidei tue ». Si ostenderentur infideli signa corporalia fidei nostre (de illuminatione cecorum, sanatione infirmorum, etiam suscitatione mortuorum), in presentia infidelis, ille responderet: « Nescio a quo spiritu facta sint ista signa ». Et hoc diceret propter presentem malitiam, post infinita miracula facta per tempora retroacta et ubique predicata. Nam nostri presentes infirmi christiani quasi paruuli adhuc diligunt et sequuntur infantiam pristinorum signorum contra monita Salomonis. Sola igitur euidens et uisibilis ratio ueritatis, in conscientiis nostris scripta et ab initio seculi ante oculos infirmorum uisibiliter depicta, potest cooperante gratia Spiritus Sancti infideles ad fidem nostram conuertere. Sola christianitas habet fidei rationem. Violentia naturalis morbum expellit. Violentia contra naturam morbum admittit. Sicut corporaliter, ita et spiritualiter.

DE

INFIRMITATE CARNIS ET SPIRITVS

Alia est infirmitas carnis, que exigit secundum iura nature uictum et uestitum cum aliis necessariis nature et non plus; in quibus nulla perfectio minoratur, immo sine illis destrueretur natura. Alia est infirmitas spiritus que ad euitanda carnalia uitia exigit medicinale matrimonii sacramentum cum competentia bonorum temporalium; in quibus per misericordiam Dei illa spiritualis infirmitas refouetur, donec assumpta perfectio infirmitatem spiritus derelinquat. Perfectio spiritualis significatur per Solem et infirmitas spiritualis significatur per Lunam. Oriatur ergo in diebus nostris non iustitia Cesaris sed uera iustitia sacerdotum, nec habundantia pacis Augusti sed habundantia pacis populi christiani, donec auferatur Luna (id est spiritualis infirmitas laicorum). Tunc maledictio pregnantium lege ciuili et nutrientium populos pueriles lege canonica nemini parcet, usque ad grauidationem et nutritionem sobolis carnis. Hoc dico cum apparuerit tota perfectio populi christiani. Que est causa? Quia nec erit amplius prolixitas temporis in hac uita nec in alia www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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violence extériorisée qui, engendrée par la foi, formait les chrétiens faibles [fol. 36 v°], et elle préfigurait la violence intérieure actuelle. Aujourd’hui où la malice l’emporte sur la terre, si cette violence extériorisée était à nouveau déchaînée contre les infidèles, elle n’aboutirait à rien, mais, une fois la terre des infidèles conquise, chacun dirait: « Moi, le roi de telle contrée, j’ai conquis sur les infidèles telle ville ou tel château, et je dois avoir autorité sur eux »1. Chaque prince, comte, marquis ou chevalier, tiendrait les mêmes propos au sujet de chaque endroit qu’il se vanterait d’avoir conquis. Et ainsi la chrétienté n’aurait aucune place: seuls les puissants et les nobles du monde y auraient droit. Si un homme d’Église voulait convertir les infidèles en leur prêchant notre foi catholique, un infidèle lui répondrait alors au nom de tous, en raison de la malice humaine importante qui menace: « Je ne te crois pas, à moins que tu ne me donnes certaines preuves de ta foi ». Si l’on faisait voir à un infidèle les prodiges physiques qu’opère notre foi – des aveugles qui retrouvent la vue, des malades qui recouvrent la santé, et même des morts ressuscités2 – il répondrait en présence d’un infidèle: « Je ne connais pas la divinité qui a fait ces prodiges ». Et il parlerait ainsi à cause de la malice actuelle, après que d’innombrables miracles aient eu lieu dans les temps passés et aient été annoncés partout. Car nos chrétiens faibles des temps présents, comme s’ils étaient tout-petits, aiment et s’intéressent encore à la petite enfance des prodiges d’autrefois, malgré les avertissements donnés à Salomon3. C’est donc seulement le caractère rationnel de la vérité, indiscutable et visible, inscrit dans nos consciences et représenté visiblement devant les yeux des faibles depuis le commencement des temps, qui peut, avec l’aide de la grâce de l’Esprit Saint, convertir les infidèles à notre foi. La chrétienté est seule à détenir le caractère rationnel de la foi. La violence naturelle chasse la maladie. La violence contraire à la nature laisse faire la maladie. Ce qui arrive au corps arrive aussi à l’âme. LA

FAIBLESSE DE LA CHAIR ET DE L’ESPRIT

C’est une chose que la faiblesse de la chair, qui nécessite, pour satisfaire la loi de la nature, la nourriture et le vêtement avec tout ce qui est indispensable à la santé, et pas plus: ce qui n’amoindrit en rien la perfection; ce dont l’absence, bien au contraire, détruirait la santé4. C’en est une autre que la faiblesse de l’esprit qui, pour fuir les péchés charnels, a besoin du sacrement du mariage comme remède, ainsi que des biens temporels convenables qui, grâce à la miséricorde de Dieu, permettent à cette faiblesse de l’esprit d’être revigorée, jusqu’à ce que la perfection acquise permette de renoncer à la faiblesse de l’esprit. La perfection spirituelle est indiquée par le Soleil et la faiblesse spirituelle par la Lune. Que se lève donc en notre temps, non la justice de l’empereur, mais la véri-

Allusion aux croisades, à la création des États latins etc… Voir Lc 7, 22. 3 Voir 1 R 9, 1-9; 2 Ch 7, 11-22. 4 Opicinus fait allusion à l’époque où il errait sur les routes et où les privations ont altéré sa santé. 1 2

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FOL.

36v°-37

ad competens purgatorium infirmorum. Sola exactio debiti carnis indicat infirmitatem exigentis; redditio autem non intendentis exigere ueram suam perfectionem in nullo diminuit.

DE

IVSTO IVDICIO

PAPIE

ET RELIQVE

LOMBARDIE

Vniuersalis Papia intra murum ueterem habet orificia cloacarum aperta in maiori parte supra diabolicum mare, quarum cloacarum et latrinarum omnes immunditie descendunt ab Europa in Affricam, ut omnis culpa confitentis Europe reuertatur super personam ypocrite Affrice, que cadens retrorsum iam madefacit occiput et scapulas in Ticino (Ticinum a « taceo, taces »), eo quod peccata sua ypocrita non confitetur sed tacet. Riuulus uel aqueductus nomine Cadrona defluens per ciuitatem extra murum ueterem ab utroque latere uersus meridiem: a capite orientali supra uerticem diabolici maris, imitatur cursum Tigris uel Eufrates aut Iordanis, qui omnes decurrunt ad austrum; a capite autem occidentali supra capita Europe et Affrice, fluens ad Affricum ex nomine suo indicat Cadrona cadentem Affricam in Ticinum. Sicut in uniuersali Papia fuit sacra religio propter sanctum negocium mersa, ut audio, in Cadrona, ut per caput Europe deflueret in uerticem Affrice, sic in uniuersali Auenica ille sanctus ordo conuersans in facie Affrice semper fidelis habuit in predicto negocio fidele patrocinium uultus Europe sibi fauentis. Loca notentur et uerba signentur ut misterii pateat intellectus. Defluens ergo Affrica Papiensis cum stercoribus ciuitatis per flumen ad ortum, inuenit primo caudam uel angulum ciuitatis intra quem est ecclesia sancti Marci euangeliste, cuius uicus dicitur « stercorarium » (id est uulgariter « remerdarolium »). Notetur misterium. Coniunctus deinde Ticinus clarissimus (cuius claritas significat sanctitatem ypocrite) cum Pado turbido (cuius turbo significat crudelitatem exactoris), perdit claritatem a turbine. Solus fluuius nomine Padus (quasi Pedus a radicibus Pedemontium deriuatus) secum ducit omnia crimina Lombardie (quasi stercora huius uentris) usque ad mare Adriaticum in obprobrium sancti Marci euangeliste quiescentis Venetiis Castellanis, cuius brachium maris extenditur usque ad insulam modicam nomine « Merdarium » (id est [fol. 37] « Merdayre ») – litteraliter « stercorarium » seu « sterquilinium » – ubi est terminus medius inter Adriaticum et magnum mare. Primum mare diabolicum est mare Papie, in qua concluditur fere totus mundus que www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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table justice des prêtres, non la paix fastueuse d’Auguste, mais la paix généreuse du peuple chrétien, jusqu’à ce que la Lune (c’est-à-dire la faiblesse spirituelle des laïcs) disparaisse. Alors la malédiction sur ceux qui sont remplis de la loi civile et sur ceux qui nourrissent les peuples en enfance avec la loi canonique n’épargnera personne, y compris les rejetons de la chair en gestation et en nourrice. Je parle du temps où la perfection du peuple chrétien se manifestera sans réserve. Pourquoi? Parce qu’il n’y aura plus de rallonge de temps dans cette vie ni dans l’autre pour le purgatoire qui convient aux faibles. C’est seulement la réclamation du devoir charnel qui montre la faiblesse de celui qui réclame; mais le consentement en retour de celui qui ne cherche pas à réclamer n’amoindrit en rien sa véritable perfection. UNE

OPINION PERTINENTE SUR

PAVIE

ET LE RESTE DE LA

LOMBARDIE

A l’intérieur du vieux mur de l’universelle Pavie, les ouvertures des égouts débouchent pour l’essentiel au-dessus de la mer diabolique; et tous les immondices de ces égouts et lieux d’aisances s’écoulent d’Europe en Afrique, afin que toute la faute de l’Europe qui avoue rejaillisse sur la personne de l’Afrique hypocrite qui, tombant en arrière, trempe désormais l’arrière de sa tête et ses épaules dans le Tessin1 (Tessin vient de « je me tais, tu te tais »), car l’hypocrite n’avoue pas ses péchés hypocrites mais les tait. Le petit cours d’eau ou canal appelé Cadrona2 s’écoule à travers la ville, à l’extérieur du vieux mur, en allant vers le midi d’un côté comme de l’autre: à l’est, à partir de la tête qui est au-dessus du sommet de la tête de la mer diabolique, il reproduit le cours du Tigre, de l’Euphrate ou encore du Jourdain, dont le cours descend pour tous vers le sud; et à l’ouest, à partir de la tête qui est au-dessus des têtes de l’Europe et de l’Afrique, en coulant vers l’Africain, la Cadrona3 indique par son nom l’Afrique qui tombe dans le Tessin. De même que, dans l’universelle Pavie, la sainte communauté religieuse a été plongée dans la Cadrona, à ce que j’ai entendu dire, en raison d’une sainte affaire4, afin qu’en passant par la tête de l’Europe, elle se rende dans le sommet de la tête de l’Afrique, de même, dans l’universelle Avenica, cet ordre saint vivant sur la face de l’Afrique et toujours fidèle, a eu, dans l’affaire précitée, le secours fidèle du visage de l’Europe qui lui était favorable. Il faut indiquer les lieux et déchiffrer les mots pour que l’intelligence du mystère devienne accessible. Par conséquent, l’Afrique de Pavie qui s’écoule avec les excréments5 de la ville dans le fleuve en direction du levant, trouve d’abord la queue ou l’angle de la ville à l’intérieur duquel se trouve l’église de Saint-Marc l’évangéliste, dont le quartier est appelé « le lieu des excréments » (c’est-à-dire communément « le merdier »).

Voir V 29. Voir V 29, notes 8 et 10. 3 Jeu de mots Cadrona/cadere. 4 Allusion personnelle? 5 Opicinus amalgame les évocations d’égouts et de leurs immondices et les excrétions corporelles liées à l’anthropomorphisme de ses cartes. Il leur donne une signification spirituelle (voir quelques lignes plus bas: « tous les crimes de Lombardie »). 1 2

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FOL.

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dicitur Papia uniuersalis in testimonium Babilonis. Aliud magnum mare est in mundo naturali, in quo concluduntur fere omnes ciuitates. Preterea omnes cloaces Ianue ciuitatis similiter uerguntur ad Affricum, quarum cloacarum omnia stercora descendunt in mare, quorum omnis fetor et corruptio remanet in angulo maris, inter ciuitatem et modulum classis nauium; cuius fetoris exaltatio non solum ciuitatem corrumpit, sed etiam facit obprobrium ecclesie Sancti Marci euangeliste constructe supra modulum supradictum. Ecce tria testimonia – Papie, Adriatici maris et Ianue – in contumeliam et omnem contemptum atque uituperium tanti euangeliste, et per consequens in obprobrium euangeliorum Ihesu Christi, que ita Lombardi maxime Papienses fabulas reputant, ut milies in die pro nichilo iurent et periurent euangelia Dei. Et ideo per iustum et dignum iudicium Dei in gladio adinuicem occiduntur. Aduersus enim eos instigata sunt IIIIor euangelica nomina, ut qui offendunt in euangelia tam uerbo quam opere per euangelica animalia puniantur. « Qui habet aures audiendi audiat ». Cum enim discipulus Domini percussisset in gladio seruum summi sacerdotis, noluit Dominus increpare discipulum ferientem, sed statim se conuertit ad turbam, sic dicens: « Tanquam ad latronem existis cum gladiis et lignis comprehendere me ». Hoc dixit secundum Marcum, ut tanquam leo rugiens rex bestiarum contra Lombardorum tyrannidem deseuiret sine prohibitione. Euangelicus leo non est aliud nisi uox Petri apostoli uicarii Ihesu Christi; cuius uox sententialis potest nutu suo immo nutu diuino quamlibet animam soluere et ligare. Cuius exemptionem gladii diebus istis ut speculariter loquar Dominus non prohibuit nec post actum redarguit, sed magis latrones Italie durius exprobrauit. Secundum alios uero euangelistas, Dominus uicarium suum retraxit a gladio ad preseruanda alia membra huius Europe, scilicet secundum hominem: « Conuerte gladium tuum in locum suum », ad indempnitatem ceruicis Wasconie et humerorum Francie; secundum bouem: « Sinite usque adhuc », ut Germania renum uel dorsi retrahat gladium usque ad tempus, donec Christus per Petrum iusserit ei ensem eximere; secundum autem aquilam, nominatim ad papam: « Mitte gladium tuum in uaginam », ut pectus celestis curie preseruetur semper indempne; secundum uero leonem, nulli parcatur de latronibus huius uentris. Actum anno renouationis, II nonas septembris; qua nocte precedenti, anno Domini MCCCXVI°, cum essem Ianue, uidi in sompnis, ac si essem in ecclesia Papiensi latere meridiano basilice hiemalis, quamdam reginam ualde pulcherrimam mortuam, extractam de tumulo et deosculatam a rege, proici in latrinam; nuntiataque mihi per Spiritum iam hora Iudicii generalis, quasi tertia die, regem lamentabilem et plorantem statim post reginam uiuum precipitari in eandem latrinam, me de illius horribili morte deflente. Notaui misterio annum et diem. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Remarquons le mystère. Puis, lorsque le Tessin très pur (dont la pureté symbolise la sainteté de l’hypocrite) conflue avec le Pô1 trouble (dont le caractère trouble symbolise la cruauté de l’exacteur), il perd sa pureté dans les tourbillons. Seul le fleuve appelé Pô (pour ainsi dire le Pié, qui vient du bas du Piémont) emmène avec lui tous les crimes de Lombardie (c’est-à-dire les excréments de ce ventre) jusqu’à la mer Adriatique, en déshonorant l’évangéliste saint Marc qui demeure dans la Venise des Châteaux; celle-ci présente un bras de mer qui s’allonge vers une petite île du nom de « Merdarium » (c’est-à-dire [fol. 37] « Merdier ») – littéralement « le lieu des excréments » ou « la fosse à excréments » – là ou se trouve la limite qui sépare la mer Adriatique et la grande mer. La première mer diabolique, c’est la mer de Pavie, qui contient presque le monde entier qu’on appelle l’universelle Pavie, en témoignage de Babylone. L’autre grande mer se trouve dans le monde naturel et elle contient presque toutes les villes. En outre, tous les égouts de la ville de Pavie s’inclinent eux aussi vers l’Africain, et toutes les ordures de ces égouts se répandent dans la mer; leur puanteur et leur décomposition restent dans l’angle de la mer, entre la ville et le môle de la flotte des navires; les remontées de cette puanteur non seulement empoisonnent la ville, mais elles déshonorent également l’église de Saint-Marc l’évangéliste construite sur le môle cité plus haut. Voilà trois témoignages – Pavie, la mer Adriatique et Gênes – qui montrent les affronts faits à un évangéliste si remarquable, ainsi que le mépris et le désaveu complets qu’il subit, et par conséquent le déshonneur causé aux évangiles de Jésus-Christ, que les Lombards, surtout les habitants de Pavie, prennent pour des sornettes, si bien que mille fois par jour sans raison, ils prennent à témoin les évangiles de Dieu pour jurer et se parjurer. Et c’est pourquoi, grâce à un jugement de Dieu justifié et mérité, ils se tuent les uns les autres par l’épée2. En effet, les quatre noms des évangélistes sont incités à se dresser contre eux, si bien que ceux qui sont inconvenants envers les évangiles, tant par les paroles que par les actes, sont punis par les animaux évangéliques. « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ». En effet, lorsque le disciple du Seigneur a frappé le serviteur du grand prêtre avec son glaive3, le Seigneur ne voulut pas réprimander le disciple qui avait porté le coup, mais il se tourna aussitôt vers la foule, en disant: « Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir? ». Il prononça ces mots d’après Marc4 si bien que, tel un lion rugissant, le roi des bêtes n’est pas gêné pour se déchaîner contre le despotisme des Lombards. Le lion évangélique n’est autre que la voix de l’apôtre Pierre, vicaire de Jésus-Christ; par les sentences qu’il prononce, il peut, par un signe de tête à lui ou plutôt par un signe de tête divin, absoudre et lier n’importe quelle âme5. Quant à tirer son glaive à ce moment-là, pour parler clairement, le Seigneur ne l’en a pas empêché et ne lui a pas fait de reproches après son geste; ce sont plutôt les voleurs d’Italie qu’il a

1 2 3 4 5

Le Tessin conflue avec le Pô au sud-est de Pavie. Allusion à la mort du père et du frère d’Opicinus. Voir Mc 14, 47. Mc 14, 48. Voir Mt 16, 19.

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FOL.

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1 Hac die fiunt octaue sancti Augustini qua secundum datale ponitur dies Moysi, ac si Moyses eduxisset Augustinum de tenebris gentium (id est populum infirmorum de uitiis ydolarum et carnis); die qua apprehendit manum Cartaginis Affricane de domo seruitutis Egypti, quam ad Terram sanctam huius Europe qua sumus eduxit. Huius figure misterium spero in Papiensi parrochia consumari.

De testimoniis sanctorum Sicut octaua depositionis sancti Augustini associatur cum Moyse, ita per lineam diametralem a sexto mense ad sextum erexione octaua translationis eiusdem sancti Augustini coniungitur sancto Thome de Aquino. Quid ista significent a sapientibus iudicetur. Additum anno perfectionis, II nonas martii. Eodem modo per similem lineam diametralem sancta Maria Magdalene cum sancto Ieronimo, episcopo Papiensi, a sexto mense ad sextum sancte Agnetis cum sancto Epiphanio, episcopo Papiensi, ut peccatrix monstretur conuersa in uirginem agnam, in eodem habitu capillorum pro ueste. Eadem enim Maria et Agnes est similis angelo cuius capilli sunt candidi sicut nix, ut appareant niuea uestimenta. Additum VII idus martii.

1

L’alinéa est indiqué à l’encre rouge.

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réprimandés assez sévèrement. En revanche, d’après les autres évangélistes, le Seigneur a fait retirer son glaive à son vicaire afin de protéger les autres régions de cette Europe, c’est-à-dire chez l’homme: « Rengaine ton glaive »1, pour préserver de tout dommage la nuque de Gascogne et les épaules de France; chez le bœuf: « Restez là encore maintenant »2, afin que la Germanie des reins ou du dos retienne son glaive jusqu’au moment voulu, jusqu’à ce que le Christ lui ordonne par l’intermédiaire de Pierre de dégainer; et chez l’aigle, en s’adressant au pape personnellement: « Rentre ton glaive dans son fourreau »3, afin que la poitrine de la cour céleste demeure toujours indemne; mais d’après le lion, personne n’est à l’abri des brigands de ce ventre. Fait l’année du renouvellement, le 2 des nones de septembre [4 septembre 1337]. La nuit précédente, en l’an du Seigneur 1316, alors que j’étais à Gênes, j’ai fait le songe suivant: je me trouvais dans une église de Pavie, sur le côté méridional de la basilique d’hiver, et je voyais une reine de toute beauté, morte, sortie de son tombeau et embrassée avec effusion par le roi, que l’on jetait dans une fosse d’aisances; et alors que le moment du Jugement général m’avait été annoncé par l’Esprit4, c’est-à-dire le troisième jour, le roi, gémissant et pleurant sur place près de la reine, était précipité vivant dans la même fosse d’aisances, pendant que je pleurais sa mort épouvantable. J’ai relevé l’année et le jour pour le mystère. Ce jour correspond à l’octave [de la fête] de saint Augustin où est placé, d’après le calendrier, le jour [de la fête] de Moïse5: comme si Moïse avait fait sortir Augustin des ténèbres des païens (c’est-à-dire du peuple des faibles se livrant aux péchés de l’idolâtrie et de la chair); c’est en ce jour qu’il a pris la main de la Carthage africaine pour la sortir du pays d’esclavage qu’était l’Égypte, et qu’il l’a conduite vers la Terre sainte de cette Europe où nous sommes. J’ai bon espoir que le secret de cette image soit accompli dans la paroisse de Pavie. Preuves données par les saints De même que l’octave de la mort de saint Augustin est associée à Moïse, de même, en prenant le diamètre qui part de juillet, en comptant six mois et en allant droit / par érection, l’octave de la translation du même saint Augustin coïncide avec saint Thomas d’Aquin6. Que les sages apprécient ce que cela veut dire. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des nones de mars [6 mars 1338]. En passant encore par ce même diamètre, on trouve sainte Marie Madeleine associée à saint Jérôme, évêque de Pavie7, et en partant de juillet et en comptant six

Mt 26, 52. Lc 22, 51. 3 Jn 18, 11. 4 Voir P 20, 3 septembre 1316: « J’eus dans mon sommeil la révélation du Jugement dernier ». 5 Fête de saint Augustin: 28 août; octave: 4 septembre, qui correspond aussi à la fête de Moïse. Opicinus tire parti de cette coïncidence pour s’identifier aux deux personnages. 6 7 mars: voir V 2, note 27. 7 22 juillet: voir V 2, note 32. Jérôme, évêque de Pavie (778-787) était fêté le 19 juillet. Opicinus distend un peu les dates pour trouver les coïncidences qui l’arrangent. 1 2

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DE

FOL.

IVSTO IVDICIO ET VERA IVSTITIA

37-37v°

LOMBARDIE

Adhuc de gladio IIII animalium uideamus. Ratione materialis gladii, usus gladii interdicitur discipulo Christi sine nomine secundum hominem euangelicum, ne extendatur super ceruicem, humeros et tibiam dextram Europe, quo Salernum fertur hic euangelista translatus in corpore. Similiter Petro uetatur secundum aquilam, ne persona percutiat pectus Europe, ubi Auinio Ephesina spiritualiter possidet aquilam huc translatam. Cuilibet legitime potestati terrene per papam precipitur ut differat gladium in uagina, secundum bouem, ne gladius a cuspide Grecie usque ad capulum Germanie super femur nisi in necessitatibus eximatur, in cuius cuspide bos quiescit. Vox autem summi pontificis que rugit ut leo neminem uetat a gladio super uiolatores lumborum et uentris, ut qui preuaricantur lege Cesaris gladio Cesaris puniantur; in cuius introitu uentris excolitur leo, ut utatur gladio denudato per brachium diabolici maris. Vt autem IIIIor animalia cum animalibus sub eisdem nominibus conferantur, per Lombardie iustitiam homo manum a gladio temperauit, bos mitius egit, aquila ad spiritualia promota est, leo uero quamdiu uixit exercuit gladium. Hec omnia hucusque in figura fuerunt; deinceps omnia figuralia paulatim pretereant donec ablatis omnibus umbris omnia fiant in lucem. Non exerceatur gladius Cesaris in populo christiano. Lex autem moysaica (id est lex canonica) in tempore uigeat super uentrem (id est super omnes parrochias infirmorum). Sola uero lex diuina seruetur in pectore perfectorum, ut clerus perfectus dominus mundi diuidat omnia temporalia bona populo laicorum per equam iustitiam et, sine ulla indigentia uictus et uestitus cum omnibus necessariis, semper obseruet apostolicam regulam secundum hominem [fol. 37v°] interiorem, donec infirmi adequentur perfectis. Sicut enim natura exterior docet animalia bruta, sic natura interior instruit hominem, non econuerso. Exemplariter. Natura exterior erudit homines rudes ut perfectis obediant, sicut animalia homini. Natura interior illuminat uiros perfectos ut sint amicabiles Christo, sicut angeli inuisibili Deo. Cum pacificatus fuerit uenter noster qui dicitur Lombardia – significans omnes uentrales in mundo, non tam uentris ingluuie quam omnis pecunie inhiatu, usque ad ambitionem ecclesiasticam de dignitate papatus – tunc sublata causa peccati, uiri perfecti hora uescendi descendent a pectore non locis sed actibus ad uentrem Italie tanquam ad grande cenaculum. Vbique per mundum est pectus et uenter. In electis quidem conuersus uidebitur www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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mois, on trouve sainte Agnès1 associée à saint Épiphane, évêque de Pavie, si bien que la pécheresse se montre transformée en agnelle vierge, avec ses cheveux pour vêtement2. En effet, Marie qui est aussi Agnès est semblable à un ange dont les cheveux sont d’une blancheur éclatante comme la neige3, si bien que ses vêtements semblent blancs comme neige. Ajouté le 7 des ides de mars [9 mars 1338]. UNE

OPINION JUSTIFIÉE ET LA VÉRITABLE JUSTICE DE LA

LOMBARDIE

Revenons au glaive chez les quatre animaux. C’est parce qu’il s’agit d’un glaive temporel qu’il est interdit au disciple du Christ qui n’est pas nommé de s’en servir, d’après l’homme évangélique4, si bien qu’il n’est pas dégainé au-dessus de la nuque, des épaules et de la jambe droite de l’Europe, où l’on rapporte que le corps de cet évangéliste fut transféré à Salerne5. Pierre est aussi arrêté, d’après l’aigle6, pour éviter qu’une personne ne frappe la poitrine de l’Europe, là où l’Avignon d’Éphèse possède spirituellement l’aigle qui s’y est rendu7. Le pape demande à chaque autorité légitime du monde de remettre le glaive dans son fourreau, d’après le boeuf8, pour éviter que le glaive ne soit tiré, sauf nécessité absolue, entre l’extrémité de la Grèce et la garde d’épée de la Germanie au-dessus de la cuisse; car c’est sur cette extrémité que le bœuf repose9. Mais la voix du grand prêtre qui rugit comme un lion10 n’empêche personne de lever son glaive sur les profanateurs des organes génitaux et du ventre, si bien que ceux qui transgressent la loi de César sont punis par le glaive de César; or c’est dans l’entrée de ce ventre que le lion est vénéré11, si bien qu’il utilise une épée nue avec le bras de la mer diabolique. Et pour que les quatre animaux ainsi que les animaux qui dépendent de leurs noms soient rassemblés, grâce à la justice de la Lombardie, l’homme a maîtrisé sa main pour qu’elle ne touche pas le glaive, le bœuf s’est conduit plus calmement et l’aigle a été élevé aux réalités spirituelles, alors que le lion a manié son épée aussi longtemps qu’il a vécu. Tout cela a eu lieu de manière symbolique jusqu’à aujourd’hui; ensuite, tout ce qui est symbolique disparaît peu à peu jusqu’à ce que, une fois toutes les obscurités disparues, tout soit mis en lumière. Il ne faut pas se servir du glaive de César chez le peuple chrétien. Mais il faut que la loi de Moïse (c’est-à-dire la loi canonique) détienne pour un 21 janvier: voir V 2, note 26. À cette date, on fête aussi saint Épiphane, évêque de Pavie (467-497). 2 Voir V 5. Opicinus amalgame Marie-Madeleine et Agnès, et s’identifie aux deux. 3 Allusion à la « blancheur de neige » de la Transfiguration (voir fol. 9v°). 4 Voir Mt 26, 51-52. 5 Les reliques de saint Matthieu se trouvent à Salerne. 6 Voir Jn 18, 10-11. 7 D’après certaines sources, Jean aurait fini sa vie à Éphèse. Opicinus s’identifie donc à Jean. 8 Voir Lc 22, 49-51. 9 D’après une légende, Luc serait mort à Patras. 10 Voir Mc 14, 47. 11 C’est-à-dire à Venise. Tout le début de ce paragraphe permet à Opicinus de jouer sur les évangélistes et les lieux de leurs reliques. 1

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uenter in pectus; in reprobis autem pectus in uentrem. Pectus cum Deo et uenter cum ydolis. Venter itaque obediens pectori quasi cenaculum infirmorum perfectos suscipiens, tanquam filius patrem, habet in porta leonem ut domus securior obseruetur, et habet intra portas canem fidelem. Sicut enim in celo astrifero canis comitatur Leonem, sic in regione Venetie non multum distant ab inuicem canis et leo. Verbere canis leo terretur, rugitu leonis fere quiescunt a fremitu. Nam canum « catelli edunt de micis que cadunt de mensa dominorum suorum »: ecce perfectorum conuiuium cum infirmis, secundum sententiam hominis descendentis (id est Mathei XV). « Catelli sub mensa comedunt de micis puerorum »: ecce communio filiorum cum patribus, iuxta stilum leonis fidelis (id est Marci VII). Ego sum leo nomine frendens. Ego sum canis cognomine canis tribus. Cuius es tribus ? Non stirpis de C(c)anibus quorum est maior nobilitas, sed dapiferi C(c)alathorum qui nullum respuunt ferculum. In portis sum leo discernens ex naribus respuibilem escam, in cenaculo canis odore secernens eligibilem escam. Facio enim primum credentiam dominis meis, nequis noxio cibo fallatur erronee. Nares enim non errant sed ora, quemadmodum animalium nares prius diiudicant cibum quam os sumat. Non sic nares Affrice ante portam occeani que nesciunt nisi personam discernere a persona. Sepe mutatio uestimenti hominis primo aspectu facit canem errare; approprians autem canis, olfatu discernit statim si sit sibi domesticus an ignotus. Tempore uentris pacificati non pace mundana sed pace diuina habetur ibi pre ceteris mutua preuentio nominum ad alterutrius uerum honorem inter Ianuam et Venetiam Castellanam. Illa quidem que dicitur Ianua uere uidetur Venetia, propter negocia mercatorum alibi mercantium et ibi uendentium, ut dicatur a « uenditione » Venetia. Ab antiquo etiam erat Ianue opidum quasi castellum in rupe. Vnde adhuc ibi habetur ecclesia Sancte Marie de Castello, quam existens in curia semel cogitaueram impetrare: ecce uere Venetia Castellana. Illa uero que hoc nomine appellatur bene apparet I(i)anua uentris Europe, que ut audio fundata in mari nullam habet similitudinem castelli nec castri. Tunc hee adinuicem preuenientes honorem, dantes alterutri nomen suum, dant bonum exemplum hominibus ut mutuo se honorent, dantes honorem et gloriam Ecclesie non persone. Adhuc habent eundem arcum, Ianua circa caudam diabolici maris et Venetia circa lumbos Europe, quem arcum arripit manus dextra diaboli. Cum enim presens Papia partialis me fecisset similiter partialem, accedens Ianuam naturalem pacificam, iam oblitus fui totaliter illas diabolicas partes, donec altera Ianua partialis me compulit redire Papiam, ubi fui iterum non actu sed magis affectu partialitate fedatus. Primo fueram de parte guelforum, secundo de parte corticalis Ecclesie; et sic in animo fui spiritualis Ecclesie persecutor. Propter ignorantiam autem meam, consecutus sum misericordiam Dei, factus licet indignus apostowww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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temps le pouvoir sur le ventre (c’est-à-dire sur toutes les paroisses des faibles). En revanche, seule la loi divine doit être observée dans la poitrine des parfaits, afin que le clergé parfait, maître du monde, répartisse tous les biens temporels entre le peuple des laïcs avec une justice équitable et, sans jamais manquer de nourriture et de vêtements ainsi que de tout ce qui est indispensable, ne cesse d’observer la règle apostolique en suivant l’homme [fol. 37v°] intérieur, jusqu’à ce que les faibles égalent les parfaits. En effet, de même que c’est leur constitution extérieure qui donne de l’expérience aux bêtes brutes, de même c’est sa constitution intérieure qui forme l’homme, et non l’inverse. Cela saute aux yeux. Leur constitution extérieure dégrossit les hommes grossiers pour qu’ils obéissent aux parfaits, comme les animaux à l’homme. Leur constitution intérieure éclaire les hommes parfaits pour qu’ils soient agréables au Christ, comme les anges au Dieu invisible. Quand notre ventre appelé Lombardie sera pacifié – lui qui représente tous ceux qui dépendent du ventre sur la terre, non pas tant par la gloutonnerie de leur ventre que par leur avidité pour toute richesse, y compris l’ambition ecclésiastique pour la fonction pontificale – c’est alors que, une fois supprimées toutes les occasions de pécher, les hommes parfaits quitteront la poitrine à l’heure du repas, non pas en termes de géographie mais de comportements, pour aller vers le ventre de l’Italie, comme s’il s’agissait d’une grande salle à manger / cénacle1. On trouve partout à travers le monde la poitrine et le ventre. C’est un fait que chez les élus, le ventre donnera l’impression d’être transformé en poitrine; et chez les réprouvés, la poitrine donnera l’impression d’être transformée en ventre. La poitrine est avec Dieu et le ventre avec les idoles. C’est pourquoi le ventre qui obéit à la poitrine, c’est-à-dire une salle à manger/un cénacle de faibles accueillant les parfaits (tel un fils son père), dispose à sa porte d’un lion – si bien que la maison est gardée de manière plus sûre – et, à l’intérieur des portes, d’un chien fidèle. En effet, de même que le chien accompagne le Lion dans le ciel des astres2, de même la distance n’est pas grande entre le chien et le lion3 dans la région de Vénétie. Le lion est effrayé par les aboiements du chien4; les bêtes sauvages restent à distance du grondement, lorsque le lion rugit. Car « les petits (des chiens) mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres »: voici le repas des parfaits avec les faibles, d’après les paroles de l’homme qui descend (Matthieu 15)5. « Les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants »: voici la communion des fils et des pères, selon l’expression du lion fidèle (Marc 7)6. Moi, je suis le lion qui grince des 1 Le cénacle représente la salle à manger où Jésus réunit ses disciples pour la Cène, et où les disciples reçurent l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte. 2 La « canicule » (petite chienne) correspond à l’étoile Sirius, qui, au début de l’été, se lève et se couche avec le Soleil, approximativement sous le signe du Lion (22 juillet – 23 août). Opicinus fait un jeu de mots cénacle/canicule. 3 Allusion à Chioggia de Venise. Opicinus utilise et manipule tour à tour et à la fois les distinctions poitrine/ventre et parfaits/faibles, l’astronomie, la géographie et les allusions au Nouveau Testament. 4 Latrantes: ceux qui aboient (allusion au Latran). Voir fol. 1a. 5 Mt 15, 27. 6 Mc 7, 28.

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lus gentium (id est rector parrochie laicalis), inter nouissimos apostolos computatus. Dignitas prelatorum significat apostolatum nostri simplicium. Cum enim essem cecus, confitebar tantum uitia carnis; peccata uero radicalia – que sunt diligere personam propriam, et preferre talem personam tali persone, et magis amare sanguinem talis et talis domus amicabilis domus mee quam populum christianum, et plus animam meam quam animam uniuersalis Ecclesie – nullomodo confiteri sciebam; et sic erat mea uana confessio. Abusus sum V talentis a Domino mihi concessis: quicquid enim uidebam, audiebam, odorabam, tangebam et gustabam, peruertebam in ymagines ydolarum in pectore meo. Omnia illa concupiscibilia mundi per ymaginationem continuam, ratione priuata, erant mihi quasi dii. Cum uiderer adorare Deum et talem et talem sanctum uel sanctam ut exaudiretur petitio mea, in ueritate non adorabam Deum uerum, sed potius rem petitam; non est uera oratio de aliqua re preter Deum et populum christianum. Si non petiero Ihesum Christum et salutem totius populi christiani cum opere, sed petiero magis prosperitatem corporis mei uel talis et talis persone aut sanguinis talis domus, tunc uana est oratio mea. Si exauditus fuero de huiusmodi re petita, tunc ymago bestie cui inuisi-[fol. 38]-bilis draco dedit spiritum loquendi in pectore meo (id est mea ymaginatio bestialis cui suggestio diaboli dat talia cogitare in corde meo), beneficium ueri Dei mihi dati ut totus ex hoc conuerterer ad Deum per ingratitudinem meam peruertit in signa fallacia, quia carnaliter orans sum carnaliter exauditus; et factus carnalior quam fuerim prius, minus recognosco Deum. Ecce quod ex falso miraculo sum excecatus. Falsum miraculum est peruetere uirtutem miraculi in carnem miraculi. Oblatio ymaginis ceree uel alicuius alterius materie significat ymaginem ydoli pectoris mei. Si enim haberem in pectore meo ymaginem Dei et populi christiani, sicut habet quilibet christianus, tunc oblatio huius ymaginis de cera uel de alia materia in testimonium boni significaret ymaginem sanctam pectoris mei. Et per recognitionem beneficii mihi facti per Deum, magis accensus amore diuino de die in diem, proficerem in agnitione ymaginis sue et omnia sua mihi miracula uera essent. Cum enim aliqua persona fidelis et sancta orat pro prosperitate alterius persone etiam in temporalibus, apud Deum semper meretur, quia propter uirtutem sancte ymaginis pectoris sui semper intendit illam personam pro qua orat proficere uirtutibus apud Deum, et ut recognoscat pro beneficio temporali Deum omnipotentem maiora daturum in patria sempiterna, si toto corde dilexerit Deum et populum christianum sine acceptione persone. Ego autem propter affectionem carnalem, abusus sum V sensibus corporis mei; abusus sum et duobus talentis, scilicet intellectu et operatione. Nolui enim intelligere ut bene agerem. Abusus sum uno talento, scilicet subtilitate ingenii mei, ut quicquid possem adinuenire subtilis scientie ex ingenio meo, totum peruerterem ad gloriam meam et sanguinem domus mee. Celeste talentum www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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dents avec son nom1. Moi, je suis le chien dont le surnom vient de la famille du chien2. À quelle famille appartiens-tu? Non pas à la lignée des C(c)hiens dont la noblesse est plus grande, mais au majordome des C(c)orbeilles3 qui ne refusent aucun mets. À la porte, je suis le lion dont le museau distingue la nourriture bonne à jeter; à la salle à manger, je suis le chien qui reconnaît à l’odeur la nourriture bonne à garder. En effet, je fais d’abord confiance à mes maîtres, pour éviter que quelqu’un ne soit induit en erreur par un aliment dangereux. En effet, ce n’est pas le museau qui se trompe mais la bouche, dans la mesure où les museaux des animaux commencent par choisir la nourriture que la bouche prend. Il n’en est pas ainsi pour le nez de l’Afrique placé devant la porte de l’océan, qui sait seulement distinguer une personne d’une autre. Ce sont souvent les variations du vêtement de l’homme qui, au début, font hésiter le chien; mais en s’y adaptant, le chien distingue aussitôt à l’odorat s’il s’agit d’un familier ou d’un inconnu. Quand le ventre est pacifié, non par la paix du monde mais par la paix de Dieu, on y constate avant tout une courtoisie réciproque entre Gênes et la Venise des Châteaux au sujet de leurs noms4, si bien que chacune des deux honore sincèrement l’autre. De toute évidence, celle qu’on appelle Gênes donne vraiment l’impression d’être Venise, en raison des négociants qui achètent là et qui vendent ici, si bien que Venise tire son nom de « vente ». Depuis les temps anciens, il y avait aussi à Gênes une place forte, c’est-à-dire un château sur un rocher. C’est pourquoi on y trouve encore aujourd’hui l’église Sainte-Marie-du-Château, pour laquelle j’ai pensé une fois à postuler quand j’étais à la curie: c’est elle la véritable Venise des Châteaux. Mais celle à qui on donne ce nom a bien l’air d’être Gênes, la porte du ventre de l’Europe, elle qui, à ce que j’entends dire, bâtie sur la mer, ne ressemble en rien à un château ou à une forteresse. Ainsi ces deux villes, en ayant la courtoisie de s’honorer entre elles, puisqu’elles se donnent réciproquement leur nom, donnent un bon exemple aux hommes pour qu’ils se respectent entre eux, en donnant honneurs et gloire à l’Église et non à la personne. Elles possèdent aussi le même objet circulaire: Gênes, vers la queue de la mer diabolique, et Venise, vers les organes génitaux de l’Europe; et la main droite du diable tient cet objet cylindrique. En effet, puisque l’actuelle Pavie des partis a fait aussi de moi un homme de parti, en arrivant dans la Gênes naturelle en paix, j’ai aussitôt complètement oublié ces partis diaboliques, jusqu’à ce que l’autre Gênes, celle des partis, m’oblige à retourner à Pavie, là où j’ai été à nouveau déshonoré, non par mes comC’est-à-dire qui bégaie. Voir V 5, note 7; fol. 72; V 22, note 23; fol. 86v°. Rapprochement Canistris/canis. Les identifications d’Opicinus sont ici explicites. 3 Calathi et canistra signifient: les corbeilles. 4 Le thème de l’interchangeabilité de Gênes et de Venise est cher à Opicinus et reflète, sur le plan psychologique, le désir de syntonie lié à son état hypomaniaque. On remarque qu’il s’agit des deux lieux d’accouchement de l’Europe opicinienne enceinte (par les voies naturelles à Venise, par césarienne à Gênes), reliés sur certains dessins par une ceinture ou une sangle. Sur le plan historique, on peut y voir un écho de l’âpre rivalité commerciale que se livraient les deux villes au XIVe siècle. Voir fol. 72; les addita des fol. 6v°, 23, 40, 59, 63v°, 72, 72v°, 75v° et 83; V 27, note 14. 1 2

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inuolui in sudario (id est in sudoribus et laboribus cogitandi mendacia); miseram meam intentionem inuolui ut a nemine iudicarer; hanc inuolutionem abscondi in terra ut diligens terram ditarer terrenis. Et ideo una die ad iudicium euocatus priuatus sum omnibus donis quibus fueram iam preuentus, nisi Dominus per misericordiam suam me renouasset interius ad alia peragenda. Actum nonis septembris, ad quam diem compulsiue retractum est officium de sancto Egidio abbate, quasi ostiario pectoris huius Europe. Transuectio enim ostiorum a Roma tibiali per mare diuinitus ad Prouinciam pectoralem fuit quedam figura presentis translationis Romane curie, ut omnes conuertamur ad cor. Hac die, anno Domini MCCCXVI°, fuit coronatus sanctissimus pater felicis recordationis dominus Iohannes papa XXIIus, uere a Deo constitutus ostiarius pectorum humanorum, sine cuius obedientia nemo potest regnum celorum presentis Ecclesie multo fortius nec future patrie adipisci.

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portements, mais plutôt par mes attachements partisans1. J’ai appartenu en premier au parti des guelfes, en second au parti de l’Église superficielle; et ainsi j’ai été dans mon cœur le persécuteur de l’Église spirituelle. Mais en raison de mon ignorance, j’ai obtenu la miséricorde de Dieu; bien que je sois devenu indigne d’être l’apôtre des nations (c’est-à-dire curé d’une paroisse laïque), j’ai été compté au nombre des derniers apôtres2. La fonction des prélats indique notre apostolat auprès des gens simples. En effet, lorsque j’étais aveugle, j’avouais seulement les péchés de la chair; mais les péchés fondamentaux (c’est-à-dire aimer une personne en particulier, préférer telle personne à telle autre, avoir plus d’affection pour le sang de telle et telle famille agréable à ma famille que pour le peuple chrétien, et plus pour mon âme que pour l’âme de l’Église universelle), je ne savais en aucune manière les avouer; et de ce fait, ma confession ne servait à rien. J’ai abusé des 5 talents que le Seigneur m’avait confiés3: en effet, tout ce que je voyais, entendais, sentais, touchais et goûtais, je le transformais en images d’idoles dans mon cœur. Toutes ces réalités désirables du monde que je ne cessais d’imaginer, ma raison ayant disparu, étaient pour moi comme des dieux. Lorsque j’avais l’air d’adorer Dieu et tel et tel saint ou sainte pour qu’ils exaucent ma demande, en vérité je n’adorais pas le vrai Dieu, mais plutôt ce que je demandais; la prière n’est pas authentique si elle ne concerne pas Dieu et le peuple chrétien. Si je ne désire pas Jésus-Christ et le salut de tout le peuple chrétien avec ses oeuvres, mais que je demande plutôt le bien-être pour mon corps ou celui de telle ou telle personne, ou encore pour le sang de telle famille, dans ces conditions, ma prière ne sert à rien. Si je suis exaucé pour ce que j’ai demandé, alors l’image de la bête à qui le dragon [fol. 38] invisible a donné l’inspiration pour parler dans mon coeur (c’est-à-dire mon imagination bestiale à laquelle le diable suggère d’avoir ces pensées dans mon cœur) change le cadeau du vrai Dieu qui m’a été donné pour que je puisse me tourner tout entier vers Dieu, à cause de mon ingratitude, en phénomène trompeur, puisque, priant charnellement, je suis exaucé charnellement; et devenu plus charnel que je n’étais auparavant, j’ai moins de reconnaissance pour Dieu. C’est ainsi qu’un faux miracle me rend aveugle. Le faux miracle consiste à changer la puissance du miracle en prodige matériel. L’offrande d’une statue, qu’elle soit faite en cire ou dans un autre matériau quel qu’il soit, indique l’image de l’idole qui est dans mon cœur. En effet, si j’avais dans le cœur l’image de Dieu et du peuple chrétien, comme c’est le cas chez tout chrétien, dans ce cas, cette statue donnée en offrande, faite en cire ou dans un autre matériau, pour témoigner d’un bienfait, indiquerait l’image sainte que j’ai dans le cœur. Et grâce à ma reconnaissance pour le cadeau qui m’est accordé par Dieu, davantage embrasé par l’amour divin de jour en jour, je progresserais dans la connaissance de son image et tout ce qui lui appartient constituerait pour moi un véritable miracle. En effet, lorsque n’importe quelle personne fidèle et sainte prie pour le

1 Allusion à l’exil d’Opicinus à Gênes, suivi de son retour à Pavie, et aux ennuis qu’il a alors connus. 2 Allusion à saint Paul. 3 Voir la parabole des talents: Mt 25, 14 et ss. Ici les « talents » correspondent aux cinq sens.

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TESTIMONIO PERSONALI AD REM

Ecce casus positiuus de impossibili pro possibili, assumpto necessario pro contingenti. Omnes anime adhuc in carne uiuentes sunt propter malitiam reprobate. Sola autem anima mea salua est hoc modo: ego per uirtutem caritatis odio habeo animam meam propriam et diligo quemlibet proximum sicut meipsum in Deo et propter Deum; et diligo post amorem divinum totis iuribus animam presentis Ecclesie, quam ex parte mea formo ex desiderio meo uniuersalem specularem Ecclesiam; et transformo et transfero animam meam in animam uniuersalem huius Ecclesie. Tunc examinatione diuina non mea presentatur coram Deo presens Ecclesia in qua corporaliter habitat; que a reliquis potentialiter tantum a me uero actualiter fabricatur; in qua reperio animam meam uniuersalem, quam odio habueram personalem. Quod de meipso dico, de unoquoque alio homine dico. Si autem me ostendero, immo si cogiwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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bien-être d’une autre personne, même sur le plan matériel, elle ne cesse d’être méritante auprès de Dieu; car, grâce à la puissance de la sainte image qu’elle a dans le cœur, elle ne cesse de vouloir que cette personne pour laquelle elle prie progresse dans les vertus auprès de Dieu, et de chercher à ce qu’elle reconnaisse que, à la place d’un cadeau temporel, le Dieu tout-puissant est prêt à lui donner bien davantage dans la patrie éternelle, si elle aime Dieu et le peuple chrétien de tout son cœur, sans tenir compte de la personne. Mais moi, en raison de mes attachements charnels, j’ai abusé de mes 5 sens corporels; j’ai également abusé de deux talents, à savoir l’intelligence et le travail. En effet, je n’ai pas voulu apprendre à agir correctement. J’ai abusé d’un seul talent, à savoir la finesse de mon génie, si bien que toutes les connaissances raffinées que mon génie me faisait découvrir, je les dénaturais complètement en les tournant vers ma gloire et vers le sang de ma famille. J’ai enveloppé le talent céleste dans un suaire (c’est-àdire dans les sueurs et les labeurs relatifs à mes projets de mensonges); j’ai dissimulé mes mauvaises intentions, afin de n’être jugé par personne; j’ai caché cette dissimulation dans le monde, si bien qu’en aimant le monde, j’ai trouvé des richesses dans les mondanités1. Et c’est pourquoi, convoqué à un procès2, j’aurais été dépouillé en un seul jour de tous les dons dont j’avais déjà été l’objet attentionné, si le Seigneur, par sa miséricorde, ne m’avait renouvelé intérieurement pour accomplir d’autres oeuvres. Fait le jour des nones de septembre [5 septembre 1337]; en ce jour, on doit impérativement revenir à l’office de l’abbé saint Gilles3, c’est-à-dire du portier de la poitrine de cette Europe. En effet, le transport par mer des portes entre la Rome de la jambe et la Provence de la poitrine grâce à la volonté divine a préfiguré d’une certaine manière le transfert actuel de la curie romaine, afin que nous nous tournions tous vers le cœur. En ce jour, l’année du Seigneur 1316, le très saint père d’heureuse mémoire, le seigneur pape Jean XII, a été couronné4 et établi réellement par Dieu comme portier des cœurs humains; et celui qui ne lui obéit pas5 ne peut pas atteindre le royaume des cieux de l’Église actuelle et encore moins celui de la patrie à venir. TÉMOIGNAGE

PERSONNEL D’UNE SITUATION RÉELLE

Voici un cas inattendu, concernant l’impossible à la place du possible, en prenant ce qui relève de la fatalité à la place de ce qui relève du hasard. Toutes les âmes qui vivent encore incarnées sont réprouvées à cause de leur malice. Et seule mon âme est sauvée, de la manière suivante: moi, grâce à la vertu de charité, je déteste mon âme personnelle et j’aime mon prochain quel qu’il soit comme moi-

1 La phrase en latin permet d’associer l’enveloppement dans un suaire que l’on met au tombeau (dans la terre). 2 Énième allusion au procès dont Opicinus a été l’objet à Avignon. 3 Fêté le 1er septembre. 4 Jean XXII a en effet été couronné pape le 5 septembre 1316. Opicinus se trouvait alors à Gênes. 5 Opicinus s’identifie à Jean XXII.

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tauero caput, ducem et principem illius uniuersitatis me reputans nobilius membrum ceteris membris, in ueritate sum iudicatus caput totius corporis Antichristi. Signum est enim in me caritatem perditam esse; perditis illis perdor cum eis. Debeo enim ex parte mea non solum me ostendere, sed etiam in ueritate cogitare et putare me seruum totius illius uniuersitatis, ut toto posse studeam me illi populo tanquam seruum domino complacere. Et si etiam nemo ex eis saluetur propter malitiam suam, ego tamen propter caritatem, nimium dolens de perditione illorum, credo me per Dei gratiam ex caritate saluari. Ecce casus quasi possibilis quem proculdubio impossibilem credo.

De infidelitate rectoris ecclesie Ianua barbarie intingens manum suam Cartaginis in perapside Christi cum ipso habet in pectore suo loculos spinulente pecunie; ad testimonium dico contra meipsum. Si patrimonium Crucifixi tradidero carni et sanguini domus mee, non ero dissimilis Iude proditori. Eadem enim Cartaginea manus barbarie Lombarde est manus mee parrochie Papiensis. Additum est hoc in die sancti Martini, pape et martiris, II idus nouembris.

Testimonia Lombardie Aliud est titulus Ianue et aliud est substantia Ianue. Titulus Ianue sine indicio Ianue est in meridie uentris nostri; substantia autem seu indicium Ianue est Venetia, porta propaginis nostre per quam nascimur omnes. Pacificatur ergo titulus Ianue cum substantia nominis sui, ut ualeat dici Ianua Veneta uel Venetia Ianuensis, ne ualeat gloriari pectus barbarie Lombarde aduersus portam propaginis dicens: « Non sum princeps Lombardie nec contaminor immunditiis eius ». Tempore enim discordie Ianua secedit in Affricam non locis sed moribus; similiter Papia Venetias, ut ualeat dici Papia uenalis, quatinus ipsa fatua sine sale discat prudentiam salis secundum euangelium leoninum Venetiis (capitulo VIIII°): « Habete in uobis salem et pacem habete inter uos », quasi matrix cum

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même1, en Dieu et à cause de Dieu; et après mon amour pour Dieu, j’aime l’âme de l’Église actuelle avec tous ses pouvoirs, elle à qui, en ce qui me concerne, je donne la forme de l’Église universelle du miroir que je désire; et je transforme et transfère mon âme dans l’âme universelle de cette Église. Lors d’une appréciation faite par Dieu et non par moi, l’Église actuelle où Dieu demeure corporellement est mise en sa présence; elle qui est façonnée par les autres de manière seulement virtuelle, mais par moi de manière réelle; elle en qui je trouve mon âme universelle, âme que je détestais quand elle était personnelle. Ce que je dis me concernant, je le dis pour tout autre homme. Mais si je me mets en avant, ou plutôt si pense être le supérieur, le guide et le chef de cette communauté, en me prenant pour un membre plus remarquable que les autres, en vérité je suis désormais considéré comme la tête du corps tout entier de l’Antichrist. En effet, cela veut dire que la charité s’est altérée en moi; ceux-ci étant perdus, je suis perdu avec eux. En effet, je dois, pour ma part, non seulement me montrer, mais aussi en vérité penser et croire que je suis le serviteur de l’ensemble de cette communauté, afin de m’employer avec tous mes moyens à plaire à ce peuple comme un serviteur à son seigneur. Et même si aucun d’entre eux n’est sauvé à cause de sa malice, moi cependant, grâce à ma charité, extrêmement affligé par leur perte, je crois que je suis sauvé par la grâce de Dieu, du fait de la charité. Voici un cas presque possible, que j’estime sans nul doute impossible. L’infidélité d’un curé de paroisse La Gênes de la barbarie qui trempe sa main de Carthage dans le nimbe du Christ en se joignant à lui2 a dans sa poitrine des cassettes où l’argent a des épines; je dis cela en témoignage contre moi-même. Si je livre le patrimoine du Crucifié à la chair et au sang de ma famille, je ne serai pas différent de Judas le traître. En effet, cette même main carthaginoise de la barbarie lombarde, c’est la main de ma paroisse de Pavie3. Cela a été ajouté le jour de [la fête de] saint Martin, pape et martyr, le 2 des ides de novembre [12 novembre 1337]. Témoignages concernant la Lombardie Le titre de Gênes est une chose et la substance de Gênes en est une autre. Le titre de Gênes sans l’appellation de Gênes se trouve au sud de notre ventre; mais la substance ou l’appellation de Gênes, c’est Venise, la porte de notre race, par laquelle nous naissons tous. Le titre de Gênes est donc réconcilié avec la substance de son nom, si bien qu’elle peut être qualifiée de Gênes vénète ou de Venise génoise, afin d’éviter que la poitrine de la barbarie lombarde ne puisse se glorifier en se dressant contre la porte de la race, en disant: « Ce n’est pas moi qui dirige l’Italie, pas plus que je ne suis souillée par ses immondices ». En effet, au temps des querelles, Gênes

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Voir Lv 19, 18; Mt 22, 39; Mc 12, 31 et 33; Lc 10, 27. Voir V 14. Voir par exemple V 28 (Sainte-Marie-La-Chapelle).

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FOL.

38-38v°

uulua. Gallina enim citius parit ouum cum immittitur ibi sal, sicut dicitur uulgo. Additum anno perfectionis, VIII idus februarii.

[fol. 38v°] DE

OPERIBVS

ANTICHRISTI

Diffinitio Antichristi: Antichristus est quedam uniuersitas carnalium hominum, genita ex adulterio Verbi pseudo prophete sub specie catholice fidei et strupro parrochie laicalis olim monialiter dedicate in corporale seruitium Ihesu Christi. Nam dedicatio materialis ecclesie significat corporalem dedicationem parrochie uirginalis. Nunc soboles eius habet in se omnem uirtutem diaboli docentis illud uas in quo habitat corporaliter ad omnem malitiam adinueniendam. Ecce descriptio corporis eius. « Quis reuelabit faciem indumenti eius (quo induit omnes credentes mendaciis suis)? Et in medium oris eius quis intrabit (id est ad cogitationes pectoris sui)? Portas uultus eius quis aperiet (id est intentionem ypocrite per signa operum) », quis indicabit nisi solus Deus et cui uoluerit reuelare? Manifestum est autem sui corporis indumentum, cuius opera manifesta intima cordis reuelant. Si quis ecclesiasticus ueniens ad me me subiciat questioni: « Quem me esse dicis, qui pluries predicaui plebibus alienis? », iam ex nunc respondeo sibi me illum credere et putare fidelem et bonum qui forte ex iusta legitima causa canonice missus hoc fecit quod salua conscientia omittere non ualebat. Non enim sum iudex uisibilium angelorum: habent iudicem suum super se. Ego autem habeo iudicium bestiarum non hominum; quanto minus et angelorum? Iudex enim angelorum est iudex et hominum. Denuntio bestiarum iudicium iudici angelorum. Reuelo sibi penam peccati, ad quem solum pertinet inquirere unde procedat causa peccati. Ostendo sibi foramen et ostium Templi; illi incumbit officium illuc intrandi. Iam apparet extrinsecus formido dentium per girum tyrannidis; scuta fusilia unitatis cuiuslibet sanguinis; sternutatio glorie resplendentis ex profundatibus pectoris; oculi tenebrarum consilii; os eructuans flammas ad animas ex ceci amoris inspirationibus subitis cupiendas; nares discretiue iudicii personalis; alitus prunarum incensor ad suscitandas discordias sub specie pacis; collum fortitudinis tyrannorum ad sustentationem capitis consiliarii sui. Nulla ratio ueritatis a corde precipitur, cuius membra carnium coherentia sibi nullas ecclesiasticas sententias timent, que sententie nichilum reputantur. Abissus diuini iudicii estimatur ab ipsis se nescire. Sub isto totius scientie quasi Solis auriga, sunt radii Solis, eo quod scientiam retinens et discipulos tenuis littere radiis imbuens, ne unquam discipulus ualeat adequari magistro, putat se solum sublimem ceteros infimos illuwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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part en Afrique, non pas en termes de géographie mais de morale; Pavie fait de même à Venise, si bien qu’on peut la qualifier de Pavie vénale, dans la mesure où cette insensée dépourvue de sel doit apprendre la sagesse du sel, d’après l’évangile du lion qui est à Venise (chapitre 9): « Ayez du sel en vous-mêmes et vivez en paix les uns avec les autres »1, autant dire la matrice unie à vulve. En effet, la poule pond plus vite son œuf quand on lui donne du sel, à ce que disent les gens. Fait l’année de la perfection, le 8 des ides de février [6 février 1338]. [fol. 38v°] LES

ŒUVRES DE L’ANTICHRIST

Définissons l’Antichrist: il s’agit d’une certaine communauté d’hommes charnels, engendré par l’altération de la Parole par un pseudo prophète feignant une foi orthodoxe et par le déshonneur d’une paroisse laïque autrefois consacrée comme moniale au service corporel de Jésus-Christ. Car la consécration du bâtiment d’église indique la consécration corporelle de la paroisse virginale. À présent son rejeton a en lui toute la puissance du diable, lequel exhibe ce vase/instrument où il habite corporellement pour inventer toute la malice. Décrivons son corps. « Qui dévoilera l’aspect de son vêtement (par lequel il revêt tous les croyants de ses mensonges)? Et au milieu de sa bouche (c’est-à-dire dans les pensées de son cœur), qui entrera? Qui ouvrira les battants de sa gueule (c’està-dire les intentions de l’hypocrite révélées par ses œuvres) »2, qui les dénoncera, si ce n’est Dieu et celui à qui il a voulu le révéler? Or le vêtement de son corps se voit, lui dont les œuvres visibles révèlent le fond du cœur. Si un homme d’Église, venant me voir, me pose la question suivante: « Qui déclares-tu que je suis, moi qui ai prêché à plusieurs reprises aux ouailles d’autrui? », je lui réponds aussitôt que je crois et pense qu’il est loyal et sérieux, lui qui, peut-être envoyé canoniquement en raison d’une affaire honnête et légitime, a fait ce que, en bonne conscience, il ne pouvait négliger. En effet, je ne suis pas le juge des anges visibles: ils ont leur juge au-dessus d’eux. Quant à moi, je dispose du jugement sur les bêtes, non sur les hommes; et encore moins sur les anges aussi? En effet, le juge des anges est aussi celui des hommes. Je porte le jugement sur les bêtes à la connaissance du juge des anges. Je lui apprends la punition du péché, lui à qui, seul, il revient d’examiner d’où provient la cause du péché. Je lui montre le trou et l’entrée du Temple3; mais il lui incombe d’y entrer.4 On voit désormais au-dehors la terreur des dents qui font régner la tyrannie; les rangées de boucliers unissant chaque famille; l’éternuement de la gloire qui éblouit, partant des profondeurs de la poitrine; les yeux du conseil des ténèbres; la bouche vomissant des flammes pour attraper les âmes, en se laissant entraîner par les inclinations soudaines

1 Mc 9, 49. Voir un peu avant: « tous seront salés par le feu » (9, 50); c’est-à-dire purifiés de manière énergique pour être agréables à Dieu (c’est ce qui est arrivé à Opicinus, selon lui). 2 Jb 41, 4-5, à propos de Léviathan. 3 Voir Ez 8, 7 et 16. 4 A partir d’ici et jusqu’à la fin du paragraphe, Opicinus s’inspire de la description de Léviathan (Jb 41).

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FOL.

38v°

strare. Omne sublime uidens nunquam humilia dignatur aspicere. Neminem timet ut eius apparens summa potestas ab omnibus timeatur. Ipse est rex super omnes filios superbie, quorum uniuersitas tot capita habet quot multiplices uoluntates que una concordia carnis gerunt VII in se capita uitiorum. Septenarius enim numerus uniuersitatem significat.

DE

CONSILIIS DECEPTIVIS

Sicut medicus infidelis ad maius lucrum pecunie extorquendum medicinis fictitiis sepe producit in longum infirmitatem egroti, sic nonnulli habentes multam scientiam ad dilatandam et producendam gloriam nominis sui tanta obscuritate intelligentie spiritus proferunt uerba misterii intelligibilibus plebibus – per fucatam facundiam et complacentiam prolaxi sermonis, immo adulterium Verbi Dei – ut auditores plerumque minus sciant quam prius. Et enim adulatorum fauores gloriam loquentis extollunt et desiderantium scire misterium semper ignorantia perseuerat. Circulus anni sterilis transit sermonumque uarietas per ambages populorum simplicium auribus in uacuum perstrepit. Nunquam proficere potest infantia plebium quarum inanis simplicitas nescit a puerilibus ablactari. Veniamus ad consilia deceptiua persone. Aliquis cupidus glorie laudat et predicat puero ante annos discretionis districte religionis ingressum. Qui formans in pectore suo ymaginem (id est ymaginationem) religionis sibi laudate, per instigationem flammigeram spiritus indiscreti absque ulla deliberatione propositi statim implet effectum. Qui post pro1

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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d’un attachement aveugle; les naseaux aptes à distinguer le jugement personnel; le souffle qui met le feu aux braises pour allumer des querelles en feignant la paix; le cou où campe la force des tyrans pour soutenir la tête de son mentor. Son coeur n’enseigne aucun caractère rationnel de la vérité, lui dont les membres charnels qui font bloc avec lui ne craignent aucune des sentences ecclésiastiques, sentences qu’ils considèrent comme sans valeur. Ils pensent eux-mêmes ignorer l’abîme du jugement divin1. Derrière celui qui guide l’ensemble du savoir (c’està-dire du Soleil), ils sont les rayons du Soleil; car, confisquant le savoir et inculquant à ses disciples les rayons faibles de la lettre, si bien qu’un disciple ne peut jamais égaler le maître, il pense que, seul à être transcendant, il éclaire les autres qui sont insignifiants. Voyant tout ce qui est élevé, il ne trouve jamais bon de regarder ce qui est terre à terre. Il ne craint personne, si bien que son pouvoir apparemment souverain est craint par tous. Lui-même règne sur tous les fils de l’orgueil, dont la communauté a autant de têtes que de volontés multiples, lesquelles, par leur entente charnelle exclusive, portent en elles les 7 têtes des vices. En effet, un nombre composé de sept indique l’universalité. LES

CONSEILS TROMPEURS

De même qu’un médecin malhonnête, pour obtenir un gain financier plus important, prolonge souvent la maladie d’un patient avec des remèdes fantaisistes, de même certains qui disposent d’un grand savoir, pour étendre et cultiver la gloire de leur nom, exposent le langage du mystère à leurs ouailles perspicaces avec un tel manque de clarté dans l’interprétation spirituelle – en s’exprimant de manière déguisée et en se complaisant dans des sermons interminables, ou plutôt en altérant la Parole de Dieu – que leurs auditeurs en savent généralement moins qu’avant. Et en effet, les flagorneurs complaisants encensent la gloire de l’orateur et l’ignorance de ceux qui souhaitent connaître le mystère persiste toujours. Le cycle d’une année2 se déroule en vain et ces divers sermons, avec leurs obscurités, ne trouvent aucun écho auprès des foules de simples gens qui les écoutent. Les ouailles qui sont dans la petite enfance ne peuvent jamais progresser, car leur simplicité bornée ne sait pas se sevrer de ce qui est enfantin. Venons-en aux conseils trompeurs d’une personne. Un homme avide de gloire vante et conseille à un jeune garçon l’entrée dans un monastère austère avant l’âge de discrétion. L’enfant, formant dans son cœur une image (c’est-à-dire une représentation) de la communauté religieuse qui lui est vantée, avec l’excitation enflammée de son esprit inapte au discernement et sans discuter en rien cette proposition, la met aussitôt à exécution. Or, après une longue épreuve dépendant de sa constitution physique et morale et des différentes donations qu’il reçoit pour vivre, il préfèrerait assez souvent mourir plutôt que vivre. Ce qui est dit pour un jeune garçon vaut également pour une jeune fille entraînée elle aussi à entrer dans un monastère. Et si aucun des deux n’observe la règle conforme aux statuts de l’ordre, il en résulte pour eux un préjudice plus important.

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Voir Ps 36, 7. Ou cercle: voir V 2.

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FOL.

38v°-39

bationem diutinam iuxta complexionem corporis et anime diuersamque donationem uiuendi sepius mallet mori quam uiuere. Quod dictum est de puero intelligitur de puella similiter seducta ad religionis ingressum. Et si neutrius regula obseruetur iuxta statuta ordinis, fit eis amplius detrimentum. Quispiam lucris secularibus inhians coniugii mediator adeo cuiquam adolescentulo adulatur, laudans pulchritudinem, generositatem, mores diuitiasque puelle, ut iuuenis non diutius sustinens flammas amoris in pectore deliberationis inducias interrumpat. Eodem modo uirgo ex iuuenis laudibus probitatis illecta festinat ad nuptias. Transactis itaque post aliquot [fol. 39] dies noue letitie thalami fesceninis, percurrit et aduenit tempus lugendi. Reperiuntur in inuicem disgruitas morum, fortune diuersitas, impar conditio et intollerantia corporis utriusque. Ymago pulchritudinis et impressio concupiti decoris alterutra remouetur a pectore, amorque mutatur in odium. Maledicitur mediator et dicunt: « Vtinam nunquam fuisset dies inanis letitie nuptiarum! Penitentia ductus uel ducta maluissem aut solutioni uacare aut religione uinciri ». Ecce quam magna deceptio animarum simplicium in sacris obseruationibus non expertis, maior seductio coniugum ad molestias carnis de conditionibus prius incognitis, maxima reliquorum fallacia de instigatione iuuenum clericorum ad ordines sacros et ad ecclesiasticas dignitates, ante probationem longeuam de uirtute regiminis – absit quod iudicem secundum etates. Plerumque maior est uirtus maturitatis et discretionis in iuuene quam in sene iuxta uarietates donorum. Vera uirtutum canities magis est in mente quam carne. Spiritus est qui uiuificat, caro non prodest quicquam. Pluris fuit uirtus pontificalis in iuuene Ludouico quam cana maturitas secundum carnem sine uirtutibus in quolibet clerico qui, deserere nesciens uitia adolescentie sue, sepe penitens est se sacros ordines suscepisse. Adhuc quod deterius est, derelinquit parrochiam pauperem quam libenter susceperat magis spe corruptibilium prouentuum quam amore salubris consilii animarum, quemadmodum fatuus laicus ducit uxorem nomine dotis non prolis. Mulier Papiensis ultra debitum exigit illicitos sumptus ad ornatus capitis sui et uestium auro, argento, margaritis sericisque retortis, ut maritus qui de dote gaudebat spe sua fraudatus in habitu pauperiori remaneat: significatio est parrochie bona et debita ecclesiastica detinentis et rectoris parrochie paupertate degentis. Itaque consilia deceptiua sunt consilia uiolenta. Si enim uerus consiliarius prius experiretur, per probationem diutinam et liberam confessionem intentionis querentis consilium, que et qualis esset dispositio corporalis et spiritualis illius proponeretque sibi eligibilem uel respuibilem optionem sine ullis adulationibus, nec etiam confideret tantum consilio suo nisi adhiberet secum aliorum consilia maturorum, tunc istud iudicaretur laudabile maturumque consilium; alioquin esset consilium uiolentum, eo quod querens consilium, habens www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Un homme qui négocie des mariages en aspirant à des profits temporels manipule à tel point un jouvenceau, en louant la beauté, la bonté, la moralité et les richesses d’une jeune fille, que le jeune homme, ne retenant pas plus longtemps l’amour brûlant qu’il a dans le cœur, supprime le délai de réflexion. De la même manière, la jeune vierge, séduite par les compliments du jeune homme sur sa vertu, hâte le mariage. C’est pourquoi, une fois envolées, après quelques [fol. 39] jours d’allégresse insoupçonnée, les chansons fescennines1 de l’hyménée, le temps des pleurs arrive en courant. Ils découvrent qu’il y a entre eux incompatibilité morale, écart de fortune, inégalité de condition sociale et manque d’affinités physiques respectives. Le rêve de beauté et la sensation de délicatesse désirable qu’ils partageaient s’effacent de leur coeur, et l’amour tourne à la haine. Maudissant le négociateur, ils disent: « Si seulement cette joyeuse journée des noces inutile n’avait jamais eu lieu! Acculé(e) que je suis aux regrets, j’aurais préféré ou bien avoir la possibilité de me dégager, ou bien entrer dans un monastère contraint et forcé ». C’est ainsi que l’on mystifie gravement des âmes simples au sujet des saintes observances qui n’ont pas été expérimentées, que l’on attire plus gravement encore des époux dans des difficultés charnelles avec des situations qui leur étaient inconnues auparavant, que l’on induit très gravement en erreur les autres en poussant les jeunes clercs vers les saints ordres et les fonctions ecclésiastiques avant qu’ils aient longuement expérimenté les spécificités du gouvernement [des âmes] – il s’en faut que je juge en fonction de l’âge. En général, les qualités d’honnêteté et de discernement sont plus grandes chez un homme jeune que chez un homme âgé, en fonction de la diversité des dons. L’ancienneté réelle des vertus se trouve dans l’esprit plus que dans la chair. C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien. Il y avait plus de qualités pontificales chez le jeune Louis2 qu’il n’y a de maturité due aux cheveux blancs, quand elle est charnelle et dépourvue de vertus, chez n’importe quel clerc qui, ne sachant pas renoncer aux péchés de son adolescence, regrette souvent d’avoir reçu les saints ordres. Pire encore, il abandonne la paroisse pauvre dont il s’était chargé de plein gré, plus par attente de revenus corruptibles que par désir de conseiller les âmes sur leur salut, comme le laïc insensé qui prend une épouse pour la dot et non pour les enfants. La femme de Pavie réclame, en plus du devoir [charnel], des dépenses injustifiées pour parer sa tête et ses vêtements avec de l’or, de l’argent, des perles et des vêtements de soie à plis, si bien que son mari qui se réjouissait de sa dot, lésé dans ses attentes, se retrouve dans une condition plus pauvre: ce qui symbolise une paroisse confisquant les biens et les redevances ecclésiastiques, et un curé de paroisse vivant dans la pauvreté. C’est pourquoi les conseils trompeurs sont des conseils abusifs. En effet, si le conseiller, étant sincère, faisait d’abord l’expérience de la nature et de la qualité des dispositions physiques et spirituelles de celui qui demande conseil, en observant longuement et en dis-

Les chansons fescennines étaient des chansons obscènes chantées pour les mariages, les moissons ou les vendanges (voir Catulle). 2 Saint Louis ou Louis de Toulouse (voir fol. 24v°)? L’allusion au souverain pontificat indique l’identification d’Opicinus à Louis. 1

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FOL.

39-39v°

adhuc instabile cor et mobilem uoluntatem, cuilibet consiliario frequenter innititur et inheret sicut cecus se committit ceco ductori. Actum VIII idus septembris.

DE

GRADIBVS PROMOTIONVM AD VIRTVTES VEL VITIA

Ostendatur ad oculum ratio ueritatis cuicumque querenti uel mendicanti consilium, aut nescienti se regere sine consilio, a maiore usque ad minorem, secundum legem nature scriptam in conscientiis nostris, cuius scriptura uisibiliter demonstrata legetur ab omnibus; a cuius lectione nemo se subtrahere poterit nec ullatenus excusari. Tunc sopitis omnibus uerbis adulationum, minarum, terrorum et fallacie sub specie ueritatis, abiectisque corruptibilibus armis cum tota uiolentia sua, dormiente deinceps uertigine disputandi, assumpto spiritu mansuetudinis et tranquillitatis iudicio cum modicis uerbis uel nullis, non erit amplius consilium uiolentum, quod solet naturam tam spiritualem quam corporalem sine deliberatione corrumpere. Erit autem istud maturum consilium et in omnibus discretiuum. Expertus sum in meipso tres gradus prosperitatis et aduersitatis: primum prosperitatis corporalium in persona, temporalium exigendorum in domo et spiritualium ad decorem in regno. Hec confessus sum in « libro confessionis », ante quam horum totalis aduersitas me deiceret. Quorum iusta priuatio operata est in me omnia per mirabilem conuersionem in melius. Sola experientia utrorumque docet scientiam. Homo enim per corporalia in persona circa monosticum regimen primi gradus, per temporalia domus circa economicum rei familiaris secundi gradus, et per spiritualia uirtutum et morum in regno erga politicum rei publice tertii gradus, sepe prouehitur plerumque deicitur. Et sic per uarias uicissitudines ad omnem experientiam exercetur: monosticum personale significat legem nature docentem unumquemque qualiter debeat regere semetipsum exemplo persone monastice uel ecclesiastice, sine cura alterius anime; economicum domus significat legem Ecclesie, qua debet rector parrochie regere plebem suam, imitando Moysem famulum Dei non filium, ut sit quasi medicus infirmorum; politicum regni significat legem gratie, qua fulget prelatus Ecclesie, quasi lux super candelabrum uel ciuitas supra montem [fol. 39 v°] posita, imitans non amplius Moyse famulum temporalem sed Dominum nostrum Ihesum Christum, Dei Filium sempiternum. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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cernant avec franchise ses intentions, et qu’il lui proposait une décision à prendre ou à laisser sans le flatter en aucune manière, et si au moins il ne faisait pas seulement confiance aux conseils qu’il donne, mais faisait aussi appel aux conseils d’autres personnes d’expérience, ces conseils seraient alors considérés comme dignes d’éloges et sûrs; sinon il s’agit de conseils abusifs, parce que celui qui demande conseil, ayant encore un cœur indécis et des sentiments instables, se fie fréquemment au premier conseiller venu et s’agrippe à lui comme un aveugle qui s’en remet à un aveugle pour le conduire. Fait le 8 des ides de septembre [6 septembre 1337]. LES

ÉTAPES DE LA PROGRESSION DANS LES VERTUS OU LES VICES

Il faut présenter le caractère rationnel de la vérité aux yeux de tous ceux qui sollicitent ou implorent un conseil, ou qui ne savent pas s’orienter sans conseils, du plus grand jusqu’au plus petit, en suivant la loi naturelle qui est inscrite dans nos consciences et dont la teneur exposée au grand jour sera lue par tous; et personne ne pourra se soustraire à cette lecture ni trouver la moindre excuse. Alors, une fois disparus tous les propos flatteurs, menaçants, effrayants et trompeurs qui prennent le masque de la vérité, une fois abandonnées toutes les armes corruptibles et toute la violence qui va avec, puis une fois terminé le tourbillon des discussions, une fois adoptées la bienveillance d’esprit et les opinions apaisantes, associées à peu ou pas de paroles, il n’y aura plus de conseil mensonger pour corrompre quotidiennement la santé aussi bien spirituelle que corporelle, en l’absence de réflexion. Et il s’agira d’un conseil sûr et faisant preuve de discernement en tout. J’ai moi-même expérimenté trois degrés dans le bonheur et le malheur: en premier, le bonheur des biens physiques personnels, des biens matériels nécessaires à la famille et des biens spirituels qui conviennent à la monarchie1. J’en ai fait état dans un « livre sur la confession », avant qu’un malheur absolu ne m’en dépossède2. Et leur perte justifiée a tout régénéré en moi, grâce à une conversion admirable. Seule cette double expérience donne des leçons. En effet, l’homme progresse souvent ainsi: avec les bienfaits physiques personnels pour une gouverne indépendante3 (première étape), avec les biens temporels de sa famille pour la gestion économique du patrimoine familial (deuxième étape), et avec les biens spirituels des vertus et de la morale propres à la monarchie pour la gestion politique de la chose publique (troisième degré); et il en est généralement dépossédé. Et ainsi, à travers diverses vicissitudes, il est entraîné à toutes les expériences: la gouverne indépendante indique la loi naturelle apprenant à chacun comment il doit se conduire lui-même, en suivant l’exemple d’un moine ou d’un homme

1 Ces trois étapes vont être développées plusieurs fois dans les pages qui suivent, sous des formes différentes. 2 Opicinus fait allusion à sa maladie de 1334. Le terme deiciret est choisi à dessein pour montrer l’action divine. 3 En grec, monüstico" signifie: qui comprend un seul rang, un seul vers. Jeu de mots avec monasticos (« monastique »).

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FOL.

39v°

1 Ecce gradatim homo prouehitur temporaliter a persona per domum ad regnum. 2 Sacramentaliter ab ordine simplici sine cura per regimen animarum ad prelationem Ecclesie. 3 Spiritualiter a consideratione sui ipsius, per discretum iudicium et suorum defectuum et aliorum uirtutum, usque ad doctrinam Ecclesie non tam uoce quam opere sanctitatis. 4 Prima promotio gradualis in temporalibus est tantum figura non res. 5 Secunda promotio sacramentalis habet figuram et rem. 6 Tertia promotio spiritualis est tantum res sine figura. 7 Et hec ultima promotio uerior est, ut homo sit primum incipiens a seipso, deinde proficiens ex aliorum exemplis, tandem sit non supra homines nec infra homines, sed cum hominibus unus homo, quatinus consideratio propria sui ipsius semper reuertatur ad se, immo nunquam recedat a propriis intra se propter alia extra se. Ecce promotio hominis a discipulatu usque ad magistratum, ut persona christiana fiat populus christianus. Quomodo potest unica persona fieri populus? Sola caritas facit hoc: etiam si propter humanam malitiam nullus esset in mundo populus christianus, unica persona propter caritatem eximiam ad omnes homines esset in se ex parte sui populus christianus (id est uniuersalis Ecclesia in qua illa persona saluatur non alibi). Si autem in hac persona deficiat caritas, tunc promotio spiritualis per gradus peruertitur in promotionem diabolici Antichristi iuxta gradus senarii numeri uentris sui: mensis quintilis in stomacho (id est iulius in Leone) significat V sensus corporis, quibus addita concupiscentia glorie singularis (quasi sextus sensus) significatur per mensem sextilem in uentre (id est augustum in Virgine). Virgo per V litteras scripta significat V sensus uirginales et integros. Venter autem per VI litteras significat sensus corruptos propter concupiscentiam glorie proprie. Tunc huiusmodi homo adhuc existens in cogitatione solitaria propter corruptionem sensuum interiorum in se habet primum gradum senarii, quem significat Affrica habens circa pectus locum qui dicitur Sextus, ut habetur in historia sancti Cipriani episcopi Cartaginensis. Itaque homo seductus per inuisibilem hostem est similis Affrice habenti uentrem in pectore. Huiusmodi homo inde promotus ad economicum regimen domus (id est parrochie) sub specie sanctitatis, seducens animas falso consilio adeptus

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L’alinéa est indiqué à l’encre rouge. Idem. Idem. Idem. Idem. Idem. Idem.

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d’Église, sans se soucier de l’âme d’autrui; la gestion économique familiale indique la loi de l’Église avec laquelle le curé de paroisse doit gouverner ses ouailles, en imitant Moïse, le serviteur de Dieu et non le fils, si bien qu’il est pour ainsi dire le médecin des faibles; la gestion politique de la monarchie indique la loi de la grâce, par laquelle le prélat de l’Église brille, telle une lumière sur un candélabre ou une ville sur une montagne1, [fol. 39v°] en n’imitant plus Moïse, le serviteur éphémère, mais notre Seigneur Jésus-Christ, le Fils éternel de Dieu2. Ainsi l’homme évolue par étapes: sur le plan matériel, de la personne à la monarchie, en passant par la famille. Sur le plan des sacrements, d’une ordination simple, dépourvue de charge de curé, au commandement de l’Église, en passant par le gouvernement des âmes. Sur le plan spirituel, de l’attention portée à sa propre personne à l’omniscience de l’Église – non pas tant par la parole que par les œuvres de sainteté – en passant par le jugement qui discerne à la fois ses propres fautes et les vertus des autres. La première étape de l’élévation, celle des biens temporels, n’est qu’apparence; ce n’est pas le réel. La deuxième étape, celle des sacrements, contient à la fois l’apparence et le réel. La troisième étape, celle des biens spirituels, est seulement le réel; elle est dépourvue d’apparence. Et c’est cette dernière élévation qui est la plus authentique, si bien que l’homme se mettant d’abord en route de lui-même, puis avançant grâce à l’exemple des autres, se trouve enfin non pas supérieur aux hommes ni inférieur, mais comme un homme unique en son genre associé aux hommes, dans la mesure où l’attention qu’il porte à sa propre personne revient toujours vers lui3, ou plutôt qu’il ne renonce jamais à ce qui lui est personnel et intime à cause de ce qui l’entoure. Voilà la progression de l’homme, depuis la condition de disciple jusqu’à celle de maître, si bien que la personne chrétienne devient le peuple chrétien. Comment la personne unique peut-elle devenir un peuple? Seule la charité peut y parvenir: même si, à cause de la malice humaine, il n’y avait aucun peuple chrétien sur terre, la personne unique, en raison de sa charité extraordinaire pour tous les hommes, serait intérieurement pour sa part le peuple chrétien (c’est-àdire l’Eglise universelle, dans laquelle cette personne est sauvée et non ailleurs). Mais si la charité fait défaut à cette personne, alors sa progression spirituelle par étapes est changée en progression de l’Antichrist diabolique4 qui gravit les échelons du nombre sénaire de son ventre: le cinquième mois dans l’estomac (c’est-à-dire juillet dans le Lion5) indique les 5 sens corporels, auxquels s’ajoute le désir de gloire exceptionnelle (autant dire le sixième sens), indiqué par le sixiè-

1 Voir Mt 5, 14-15; Mc 4, 21; Lc 8, 16. Le mot « candélabre » est important chez Opicinus qui se prend pour la lumière du monde: voir V 4, note 2; V 5, note 2; V 7, note 17; V 12, note 3. 2 Le 3e cas est celui d’Opicinus aujourd’hui (d’après lui). Les paragraphes suivants reprennent cette progression. Le scribe retrace ainsi son parcours. 3 Opicinus exprime ici le système clos propre au psychotique. 4 On bascule sur le versant négatif. 5 Mois et signe du zodiaque associé.

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est secundum gradum senarii, qui est LX, sicut primus est VI. Demum in dignitate ecclesiastica sublimatus, ypocrita subuersor totius Ecclesie addit sibi tertium gradum senarii, qui est DC. Ecce uocabulum Antichristi qui per tres gradus senarii dicitur DCLXVI, ac si senarius tarascinus translatus a pectore Europe ad pectus Affrice promouetur a VI per LX ad DC (idest presens homuntio uniuersalis Papie a pectore Canistrorum Europe ad pectus parrochie Affricane). Sicut enim tarascinus genitus est a dracone Galathie, ita ego cognominatus sum a fronte cerastis predicte Galathie. Iam diu promotus sum a numero VI ad LX (id est a monostico ad economicum parrochie, cuius potui esse seductor, si actualiter hoc fecissem). Si autem promouear ad politicam dignitatem, tunc per numerum DCLXVI triplicis gradus concupiscentie uentris (id est glorie personalis) habeo uocabulum Antichristi. Non deficit mihi aliud nisi quartus gradus senarii, scilicet VIM, ut habeam in me et contra me, quasi pro me, demoniacam legionem que est VIMDCLXVI.

DE

PRINCIPIO, MEDIO ET FINE VITE HVMANE

Si homo consideraret principium et finem uite presentis in se, omnem nobilitatem generis sui acquisitam in medio nichilum reputaret. Et quia non uult recogitare principium nec finem huiusmodi, sed tantum medium prosperitatis presentis, ideo totaliter excecatur. Ianua uentris Italie que dicitur Venetie Castellane testificatur exitum et introitum hominis, ut unde progreditur et illuc reuertatur. Sicut inter signa celestia dicitur Virgo terrestris, ita dicere possumus terram, primo uirginem nunc corruptam, esse uentrem exitus et introitus miseri hominis, quem uentrem Lombardia significat. Homo nascens ex utero huius terre matris uiuentium nomine Eue a pedibus desinit nasci et pedibus reuertitur illuc, ut per pedes suos significet affectiones carnales uel terrenas, ac si testimonialiter predicaret se semper habere affectiones in terra. Hic taliter nascens et moriens non est alius nisi homo noster uetus exterior, cuius est mundana nobilitas sicut stercus. Homo uero christianus regewww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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me mois dans le ventre (c’est-à-dire août dans la Vierge). La Vierge, dont le mot comprend 5 lettres1, indique les 5 sens virginaux et intacts; et le ventre avec ses 6 lettres2 indique les sens corrompus à cause du désir de gloire personnelle. Dans ce cas, un tel homme encore plongé dans une réflexion de solitaire en raison de la corruption des sens intérieurs en lui, se trouve alors au premier échelon du nombre sénaire, indiqué par l’Afrique où se trouve, aux environs de la poitrine, un lieu appelé « Sextus », ainsi qu’il est rapporté dans l’histoire de saint Cyprien, évêque de Carthage. C’est pourquoi l’homme envoûté par l’ennemi invisible est semblable à l’Afrique qui a le ventre dans la poitrine. Par conséquent, un tel homme appelé à la gestion économique d’une famille (c’est-à-dire d’une paroisse), feignant la sainteté et envoûtant les âmes par des conseils trompeurs, a atteint le deuxième échelon du nombre sénaire, à savoir 60 (le premier étant 6). Élevé pour finir à une fonction ecclésiastique, l’hypocrite destructeur de l’Église tout entière s’annexe le troisième échelon du nombre sénaire, à savoir 600. Voilà la dénomination de l’Antichrist: 6663, en passant par les trois échelons du nombre sénaire; comme si le nombre sénaire de la tarasque, passé de la poitrine de l’Europe à la poitrine de l’Afrique, avançait de 6 à 600 en passant par 60 (c’est-àdire comme si le pauvre petit homme de l’universelle Pavie que voici passait de la poitrine des Canistris d’Europe à la poitrine d’une paroisse africaine4). En effet, de même que la tarasque a été engendrée par le dragon de Galatie, de même, mon surnom à moi vient du visage de la céraste5 de la Galatie en question. Cela fait déjà longtemps que j’ai été élevé du nombre 6 à celui de 60, c’està-dire de la gestion indépendante à la gestion familiale d’une paroisse (dont j’aurais pu être le séducteur, si j’avais fait cela réellement). Mais si je suis élevé à une fonction politique, dans ces conditions, ayant le nombre 666 du triple échelon du désir du ventre (c’est-à-dire du désir de gloire personnelle), je porte le nom de l’Antichrist. Il ne me manque plus que le quatrième échelon du nombre sénaire, à savoir 6000, pour avoir en moi et contre moi, autant dire pour moi, la légion démoniaque, soit 66666. LE

COMMENCEMENT, LE MILIEU ET LA FIN DE L’EXISTENCE HUMAINE7

Si l’homme regardait le commencement, le milieu et la fin de l’existence humaine chez lui, il tiendrait pour nulle toute la noblesse acquise en cours de route par sa lignée. Et comme il ne veut pas penser à un tel commencement ni à une telle fin, mais seulement au bonheur présent intermédiaire, il est entièrement aveuglé. La porte du ventre de l’Italie qu’on appelle la Venise des Châteaux porte le témoignage de la sortie et du retour de l’homme misérable, à savoir qu’il En latin: virgo. En latin: venter. 3 Voir la Bête de l’Apocalypse (Ap 13, 18). Il se pourrait que ce chiffre corresponde à l’équivalent numérique de « Néron empereur » écrit en lettres hébraïques. 4 C’est-à-dire Sainte-Marie-La-Chapelle. 5 Céraste: autre nom de la vipère à cornes. 6 Voir Mc 5, 9 et 15. 7 Voir V 1. 1 2

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neratus est Christi baptismo ad uitam eternam, habens illum hominem ueterem cum pompis suis in seruum; qui homo carnalis potentialiter est Sathanas (id est diabolicus homo), si permittatur diuinitus omne suum desiderium adipisci. Et ideo in baptismo iste Sathanas (id est homo carnalis) abrenuntiatur cum omnis pompis suis. Ve iterum resumentibus habitum huius diabolici hominis! Non enim apparentia pompe sed affectio ad pompas dampnat hominem. Puer nascens cum demone, quem sanctus Benedictus miraculo liberauit, significat omnem hominem taliter nasci. Multitudo cecorum Venetiis significat omnem hominem nasci cecum, ne uideat principium neque finem generis domus sue, nisi a corde maris transferatur illuc sancta Lucia ut impetret lucem cecis, sicut et rugitus leonis aperit oculos catuli sui ceci nati. Dux Venetorum in die desponsationis maris significat puerum in actu nascendi, quasi dicentem: « Quis sum ego ? Quis sum ega ? ». Cui semel iusto iudicio, sicut audiui, improperauit XI

[fol. 40] quidam Ianuensis in testimonium contra seipsum, respondens taliter: « Tu es uulua asine, quasi ianua asinalis ». Nos omnes nascimur ex illa porta propaginis. Et ideo sanctus Marcus euangelistus transfertur ad portam, ut porta originis maledicte conuertatur in portam ecclesie baptismalis. Hinc est quod in initio euangelii sui statim conuertitur ad baptismum, in quo omnis carnalis affectio ad pompas mundanas abrenuntiatur. Sed heu nostra Papia resumit primam originem, que scripta in genitalibus minoris Europe me pluries persuasit ad habitum ueteris hominis cum actibus suis. Maledico igitur ego cum Iob illam originem, cuius « nox sit solitaria nec laude digna », que de L(l)aude testimonium habet in natibus suis prope turpitudinem suam. Latrocinium Papiense non est aliud dicere nisi ambitionem de papatu (id est desiderium dominandi super seruos Dei, quorum est seruus persona papalis). Ventilatio oculorum de lineo corporali, inuocatis suffragiis sancti Marci, significat illuminationem gentium Lombardie de coopertorio niueo uentris Europe. Vna est Ianua Venetorum et Venetia Ianuensis, in quibus utrobique habitare consueuit magna multitudo cecorum, nequis possit uidere principium originis sue. Ianua uentris matris nostre carnalis non est aliud nisi liber gentilium. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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vient de là et qu’il y revient. De même que, parmi les signes du ciel, on dit que la Vierge est un signe de terre, de même nous pouvons dire que la terre, à commencer par la vierge aujourd’hui corrompue, est le ventre d’où sort et où rentre l’homme misérable; et ce ventre est représenté par la Lombardie. L’homme en naissant du sein de cette terre, mère des vivants, appelée Ève, finit de naître par les pieds et y retourne par les pieds, si bien que, avec ses pieds, il indique ses attachements charnels ou terrestres, comme s’il annonçait preuves à l’appui qu’il a toujours des attachements dans le monde. Cet homme qui naît et meurt ainsi n’est autre que notre homme ancien extérieur1, dont la noblesse terrestre équivaut à un excrément. En revanche, l’homme chrétien est régénéré par le baptême du Christ pour la vie éternelle, ayant pour serviteur cet homme ancien avec ses séductions; et cet homme charnel, c’est virtuellement Satan (c’est-à-dire l’homme diabolique), s’il lui est permis par la volonté divine de réaliser tous ses desseins. Et c’est pourquoi au cours du baptême, on renonce à ce Satan (c’est-à-dire à l’homme charnel) et à toutes ses séductions2. Malheur encore une fois à ceux qui reprennent les penchants de cet homme diabolique! En effet, ce ne sont pas les séductions en elles-mêmes, mais l’attachement aux séductions qui condamne l’homme. L’enfant né avec un démon que saint Benoît délivra par un miracle indique que tout homme naît de cette manière. La foule des aveugles de Venise indique que tout homme naît aveugle, si bien qu’il ne voit ni le commencement ni la fin de sa lignée familiale, à moins que sainte Lucie ne soit envoyée ici depuis le cœur de la mer pour donner la lumière aux aveugles, tel le rugissement du lion qui ouvre les yeux de son lionceau né aveugle. Le doge des Vénètes en train d’épouser la mer symbolise l’enfant en train de naître, en disant: « Qui suis-je? Qui suis-je?3». Et une fois, à ce que j’ai entendu dire, XI [fol. 40] par un juste jugement, un homme de Gênes le désavoua, en témoignage contre lui-même, en répondant ces mots: « Tu es la vulve d’une ânesse, pour ainsi dire la porte asinienne »4. Nous naissons tous par cette porte de la lignée. Et c’est pourquoi l’évangéliste saint Marc est envoyé à la porte, si bien que la porte de la naissance maudite se transforme en porte d’église baptismale. C’est pourquoi, au début de son évangile, il se focalise aussitôt sur le baptême5, au cours duquel on renonce à toute inclination charnelle pour les séductions du monde. Mais hélas, notre Pavie réitère la première naissance, qui, inscrite dans les parties génitales de la petite Europe, m’a plusieurs fois entraîné vers les penchants de l’homme ancien avec ses actes. Nous maudissons donc, Job et moi, cette naissance6: « Cette nuit-là, qu’elle soit stérile, qu’elle ignore les louan-

Voir Rm 6, 6; Col 3, 9. La renonciation à Satan se faisait au cours de la cérémonie du baptême. 3 La première phrase est au masculin, la seconde au féminin. Pour ega (la chèvre), voir fol. 24v°. 4 Allusion à Benoît XII. 5 Voir le baptême de Jésus (Mc 1, 9-11). 6 Voir Jb 3, 1 et ss. 1 2

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Discretio ordinis a persona Ego et proximus a peccato conuersi a Domino premonemur ut ostendamus nos sacerdotibus. Si inter sacerdotes personam discreuero a persona, tunc similis sum nouem leprosis qui post mundationem non dignati sunt regredi ad Christum, qui de se ipso significat presentem et unicum sacerdotem sine acceptione persone. Et ideo Samaritanus mundatus a lepra regressus ad Dominum significat proximum meum, qui se corporaliter offert ad omnem obedientiam corporalem unico sacerdoti, incorruptibili et immortali, cui omnia peccata sua corporaliter et uisibiliter confitetur – non inuisibili Deo more iudaico, sed mistico Christo qui est sacerdos uisibilis rationaliter et intellectualiter apprehensus. Ego autem per meam ymaginem bestialem nescio querere sacerdotem nisi acceptione persone. Ordo sacerdotalis est unus iudex et unus pater noster et dominus super terram, habens in se Deum uerum; acceptio uero persone ymaginatur plures magistros et iudices, patres et dominos. Ordo sacerdotalis ligat et soluit; persona uero sacerdotalis ostendit hunc hominem ligatum uel solutum. Verbi gratia. Ego in foro confessionis, ex parte ordinis sacerdotalis qui non est nisi unus ordo per mundum, absoluo hunc hominem; ex parte autem persone mee sacerdotalis, ostendo hunc esse solutum. Ego ordo sacerdotalis, sum iudex; ego autem persona sacerdotalis, sum iudicis executor et seruus. Habemus exemplum in curia Romana: auditor Camere domini pape significat ordinem sacerdotalem ligantem et soluentem, quasi detinentem et relaxantem captiuos de carcere; carcerarius autem seu clauicularius carceris, executor auditoris, significat personam sacerdotalem exequentem iudicium ordinis sui qui est dominus suus. Potest enim clauicularius dicere alicui captiuo: « Ego non detineo te nec relaxo, sed dominus auditor Camere. Ille iudicialiter agit et ego exequor iudicium eius ». Christus suscitans Lazarum significat ordinem absoluentem peccatorem a uinculis mortis eterne; discipuli autem Christi ad iussum eius Lazarum suscitatum soluentes significant personas sacerdotales iudicium ordinis et misericordiam exequentes. Et ideo Dominus post se reliquit testimonium tanti ordinis unici, www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ges! »1; elle qui apporte sa caution aux louanges / à Lodi sur ses fesses, à proximité de son indignité. Le larcin de Pavie n’est rien d’autre que l’évocation de l’ambition pour la papauté (c’est-à-dire du désir de commander les serviteurs de Dieu dont la personne du pape est le serviteur). L’étincelle donnée au regard par les habits en lin, en invoquant les suffrages de saint Marc, symbolise la lumière donnée aux païens de Lombardie par la couverture neigeuse du ventre de l’Europe2. La Gênes des Vénètes et la Venise génoise constituent une seule ville, où, des deux côtés, une grande foule d’aveugles a pris l’habitude de s’établir, si bien que personne ne peut voir l’entrée de sa naissance. La porte du ventre de notre mère charnelle n’est rien d’autre que le livre des païens. Distinction entre l’ordre et la personne Un de mes proches et moi, détournés du péché par le Seigneur, sommes prévenus d’aller nous montrer aux prêtres3. Si parmi les prêtres, je préfère une personne à une autre, je suis alors semblable aux neuf lépreux qui, après avoir été purifiés, ne voulurent pas revenir vers le Christ4, lequel personnifie explicitement le prêtre actuel et unique en son genre, sans considération de personne. Et c’est pourquoi le Samaritain purifié de la lèpre et revenu vers le Seigneur5 représente mon prochain, qui se voue corporellement à une obéissance corporelle totale envers le prêtre unique en son genre, incorruptible et immortel, auquel il avoue tous ses péchés en personne et en public – non pas au Dieu invisible, à la manière juive, mais au Christ mystique/secret, qui est le prêtre visible par la raison et saisi par l’intelligence. Quant à moi, avec mon image de bête, je ne sais pas consulter un prêtre sans choisir la personne. L’ordre sacerdotal est notre juge unique, notre père et maître sur la terre unique, car il porte en lui le vrai Dieu; alors que la préférence pour la personne conçoit plusieurs maîtres et juges, pères et seigneurs. L’ordre sacerdotal lie et délie; alors que la personne du prêtre atteste que cet homme est lié ou délié. Par la grâce du Verbe. Moi, quand je suis dans le confessionnal, je donne l’absolution à cet homme de la part de l’ordre sacerdotal, qui est un ordre unique au monde; et de la part de ma personne de prêtre, j’atteste qu’il est délié. Moi, l’ordre sacerdotal, je suis le juge; et moi, la personne du prêtre, je suis l’exécutant et le serviteur du juge. Nous en avons un exemple à la curie romaine: l’auditeur de la Chambre du seigneur pape représente l’ordre sacerdotal qui lie et qui délie, comme s’il enfermait des prisonniers en prison et les relâchait; le gardien de prison ou le porte-clefs de la prison, en tant qu’exécutant de l’auditeur, représente la personne du prêtre exécutant le jugement de son ordre qui est son maître. En effet, le porte-clefs peut dire à un prisonnier: « Ce

Jb 3, 7. Voir fol. 9v°. 3 Voir Lc 17, 14. Opicinus s’inspire donc de l’évangile lu en ce 13e dimanche de Pentecôte (Lc 17, 11-19). 4 Voir Lc 17, 17. 5 Voir Lc 17, 15-19. 1 2

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non plurium ordinum; quod testimonium perseuerat nobiscum usque ad finem seculi, ad quod sic dictum est a Domino: « Tu es Petrus (id est ordo sacerdotalis seu dignitas papalis ut petra) et cetera. Et tibi dabo claues regni celorum »: ecce auctoritas sacerdotalis. Vt autem Petrus se recognosceret personam infirmam, paulo post uerba tanti misterii, sic dictum est ei: « Vade post me, Sathana; scandalum est mihi, quia non sapis ea que Dei sunt, sed ea que hominum » Alibi admonuit Petri personam: « Si peccauerit in te frater tuus et cetera ». Ecce tacita dignitate persona associatur persone propter caritatem fraternam. Et paulo infra: « Quod si non audierit eos, dic Ecclesie » (id est ordini sacerdotali seu dignitati papali, que ex seipsa significat Ecclesiam uniuersalem): ecce quod aliud est persona Petri et aliud est dignitas Petri. Et ideo paulo post sequitur: « Amen dico uobis: quecumque alligaueritis super terram et cetera ». Hoc intelligitur de personis, non excepta persona Petri, que executiue clauium tanti ordinis habent certam taxationem auctoritatis et parrochie singillatim. Potestas enim papalis, cuius habet totum testimonium Petrus, terminos parrochiarum et ministeria clauium certa limitatione dispensat. Actum VII idus septembris, tunc dominica XIIIª post Pentecostes. De errore clauium Siquis post absolutionem reperit habere in pectore suo ymaginationes quas prius habebat, secundum apparentiam operum pristinorum, potest error clauis per Ecclesiam iudicari. Non est error iste ex parte absoluentis, sed ex parte illius qui se reputat absolutus. Hec expertus sum in me ipso, qui pluries post absolutionem reperi in me primas ymaginationes habere. Non confitebar eas que latebant in me, non quia celauerim ipsas ex certa malitia, sed ex ignorantia que non permittebat me discernere ymaginationem ab ymaginatione. De modo predicandi simplicibus Papie fecunditas et Venetiarum uirginitas simul conueniunt: matrix aperta ut germinet Saluatorem; uulua signata contra manum dexteram magni latronis, ne cum semine Dei semen diaboli misceatur. Ecce simul et semel uirgo et mater Europa, id est Ecclesia in argumentum fidei de uirginitate perpetua matris Dei. Ideo audiui quod Venetiis in scolis religionum legitur sacra theologia uulgariter populo laicali, ut simplex populus uelut infans in actu nascendi ad ueram scientiam suauiter et sine corruptione nascatur intacto signaculo fidei quasi uulue. Vt Papia sine pollutione concipiat et Venetia uirginaliter pariat populum christianum. Additum de hiis duobus capitulis, anno perfectionis, die sanctorum Iohannis et Pauli.

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n’est pas moi qui t’enferme ou te relâche, mais le seigneur auditeur de la Chambre. Lui, il prononce le jugement et moi, j’exécute son jugement ». Le Christ ressuscitant Lazare1 représente l’ordre sacerdotal qui délivre par l’absolution le pécheur des liens de la mort éternelle; et les disciples du Christ qui délient sur son ordre Lazare ressuscité2 représentent les personnes des prêtres qui exécutent le jugement de l’ordre et pratiquent sa clémence. Et c’est pourquoi le Seigneur a laissé après lui le témoignage de cet ordre si remarquable et unique en son genre, et non de plusieurs ordres; ce témoignage reste avec nous jusqu’à la fin du monde3, et le Seigneur a dit à ce sujet: « Tu es Pierre (c’est-à-dire l’ordre sacerdotal ou la fonction pontificale, telle une pierre) etc.; et je te donnerai les clefs du royaume des cieux »4: voici la primauté sacerdotale. Mais pour que Pierre reconnaisse qu’il est une personne faible, peu après ces paroles si mystérieuses, il lui est dit: « Passe derrière moi, Satan! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes! »5. Ailleurs, il a averti la personne de Pierre: « Si ton frère vient à pécher contre toi etc.»6: ainsi une personne dont la fonction est cachée est réunie à une autre personne en raison de la charité fraternelle. Et un peu plus loin: « Et s’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église »7 (c’est-à-dire à l’ordre sacerdotal ou à la fonction pontificale, qui représentent explicitement l’Église universelle8). C’est ainsi que la personne de Pierre est une chose et que la fonction de Pierre en est une autre. Et c’est pourquoi, un peu plus loin, on trouve: « En vérité je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre etc.»9. Cela concerne les personnes, y compris la personne de Pierre, qui, déléguées aux clefs d’un ordre aussi remarquable, apprécient précisément et successivement les textes faisant autorité et la paroisse. En effet, le pouvoir pontifical, dont Pierre se porte entièrement garant, attribue les limites des paroisses et les ministères des clefs en les fixant avec précision. Fait le 7 des ides des septembre, jour qui correspond au 13e dimanche après la Pentecôte [dimanche 7 septembre 1337]. Les erreurs des clefs Si quelqu’un trouve, après avoir été absous, qu’il nourrit dans son cœur les fantasmes qu’il nourrissait avant, et qui se présentent comme les œuvres d’autrefois, l’Église peut estimer qu’il s’agit d’une erreur des clefs. Cette erreur ne concerne pas celui qui donne l’absolution, mais celui qui se croit absous. J’ai fait cette expérience en moi-même, car j’ai retrouvé en moi à plusieurs reprises après avoir reçu l’absolution des fantasmes antérieurs. Je n’avouais pas ceux qui étaient cachés en moi, non parce que je les avais tenu secrets en raison d’une malice résolue, mais du fait mon incapacité à savoir distinguer un fantasme d’un autre.

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Voir Jn 11, 1-44. Voir Jn 11, 44. Voir Mt 28, 20. Mt 16, 18-19. Mt 16, 23; voir aussi Mc 8, 33. Mt 18, 15 (et Lc 17, 3). Mt 18, 17. Opicinus est présent dans les trois expressions de la parenthèse. Mt 18, 18.

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VIRTVTE BAPTISMATIS ET DE PREVARICANTIBVS A BAPTISMO

Inuisibilis hostis humani generis ex parte nature sue nullum habet certum uocabulum neque nomen. Ex parte uero malitie sue, que ex effectu malitie humane dignoscitur, qua ille induitur corporaliter, uere uocatur « diabolus », quod ex hebraico interpretatur « defluens deorsum »; qui homo carnalis et uetus conceptus in iniquitatibus – eo quod ab utero habet passiuam potentiam semper preferendi propriam uolun-[fol. 40 v°]-tatem uoluntati diuine, et personam suam cum genere domus sue preponere nobili christiano – in actu nascendi defluit deorsum; cuius misera natiuitas significat predictam potentiam anime sue iam potentialiter defluentis a nobili christiano ad miserrimum genus suum. Grece autem secundum interpretationem dicitur « criminator » (id est accusator qui iam ab infantia potentialiter proximos suos accusat, donec actualiter cogitet dicens se esse ceteris meliorem quos similiter criminatur). Ecce proprium uitium hominis ueteris et carnalis. Rursum ex greco dicitur « clausus in ergastulo », eo quod peccatum huiusmodi mendacii ab initio conceptionis sue in humano corpore carceratur. Cuius ethimologia ex greco et latino sic dicitur: a « dia » quod est duo, et « bolus » quod est morsus – « dia » ex greco et « bolus » ex latino – qui minorem mundum in utero maioris Europe diuidit in duos bolos (id est in duas partes); qui homo carnalis (id est diabolus corporalis) partem similem Affrice uocat partem Ecclesie, et aliam partem similem Europe appellat partem Imperii. Dicitur et alias « Sathan » uel « Sathanas », qui interpretatur ex hebraico « transgressor » (subaudi legis nature) uel « preuaricator » (subintellige legis Ecclesie que figuraliter dicitur lex Scripture) uel « contrarius facture » (id est corruptor bone nature) uel « aduersarius plasmationi » (subaudi nobilis christiani). Vnusquisque nascitur Sathanas (id est diabolus incarnatus cum passiua potentia semper male agendi, cuius potentia monstratur in actu) cum iste homo carnalis et uetus nutritus in www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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La manière de prêcher aux gens simples La fécondité de Pavie et la virginité de Venise se rencontrent pour ne faire qu’un: la matrice ouverte pour enfanter le Sauveur; la vulve scellée en face de la main droite du grand voleur1, pour éviter que la semence du diable ne se mélange avec la semence de Dieu. Voici en même temps et une fois pour toutes la vierge et mère de l’Europe, c’est-à-dire l’Église prouvant qu’elle croit à la virginité perpétuelle de la mère de Dieu2. C’est pourquoi j’ai entendu dire qu’à Venise, dans les écoles religieuses, la sainte théologie est lue en langue vulgaire au peuple laïc, pour que le peuple simple, tel un bébé en train de naître, se forme à la vraie connaissance, doucement et sans souillure, le sceau de la foi (c’est-à-dire de la vulve) restant intact. Ainsi Pavie conçoit le peuple chrétien sans émission de sperme et Venise le met au monde en restant vierge3. Ces deux chapitres ont été ajoutés l’année de la perfection, le jour [de la fête] de saint Jean et saint Paul [26 juin 1338]. LA

PUISSANCE DU BAPTÊME; CEUX QUI RENIENT LEUR BAPTÊME4

L’ennemi invisible du genre humain ne possède, pour sa part, ni qualification ni nom. En revanche, en ce qui concerne sa malice – que l’on reconnaît aux réalisations de la malice humaine et dont il est revêtu corporellement – il est assurément appelé « le diable », ce qui veut dire en hébreu « glissant vers le bas »; lui qui, homme charnel et ancien conçu dans l’iniquité5 – parce qu’il a depuis le sein de sa mère la possibilité constante de trouver toujours sa volonté personnelle meilleure [fol. 40v°] que la volonté divine, et de préférer toujours sa personne ainsi que sa lignée familiale au bon chrétien – a glissé vers le bas en naissant6; et sa misérable naissance indique les virtualités déjà citées de son âme, qui glisse déjà virtuellement du bon chrétien à sa très misérable lignée. Et d’après la traduction en grec, on l’appelle « le calomniateur »7 (c’est-à-dire l’accusateur qui, dès l’enfance, accuse virtuellement ses proches8, jusqu’à ce qu’il le pense réellement, en disant qu’il est meilleur que tous les autres qu’il calomnie). Voilà la perversi-

1 Voir les nombreuses images du Vaticanus où le diable (le « grand voleur ») procède à des attouchements dans la région de Venise avec la main droite. Ce grand voleur est donc Opicinus simoniaque répétant les attouchements incestueux pratiqués sur sa sœur dans son enfance. 2 Dès les premières formulations de la foi, l’Église a reconnu la conception virginale de Jésus attestée par les récits évangéliques (voir Mt 1, 18-25; Lc 1, 26-38). 3 Ce fantasme de pureté, conforme à l’idéal de virginité proposé aux clercs, indique aussi l’identification d’Opicinus à Marie. 4 Dans le long paragraphe qui suit, Opicinus étudie les différentes qualifications négatives du diable, lequel équivaut à son « homme ancien charnel » (celui qui a péché); il souligne le caractère diabolique des partis guelfe et gibelin; et il réaffirme ses prétentions à la papauté contre Benoît XII l’usurpateur. 5 Voir Ps 50, 7 et P 20, année 1296. 6 Il s’agit donc d’une naissance ordinaire, qui s’oppose à la naissance par césarienne que revendique Opicinus. 7 En grec, le verbe diaba´llein signifie: calomnier. 8 Voir Ap 12, 10.

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40v°

uitiis peruenerit ad annos discretionis. Et ideo ante baptismum fit exorcismus, id est adiuratio huiusmodi Sathane (id est hominis carnalis et ueteris), ut omnino deserat dominium suum super nobile christianum quod semper affectat naturaliter (id est ex corruptione nature). Fit et cathecismus, id est noua doctrina ad animam noui hominis nascituri corporaliter, ut nunquam admittat in se uanas ymagines ydolorum (id est ymaginationes concupiscibiles cuiuslibet alieni). Natus est ergo primum spiritualiter tantum, ante quam corporaliter renascatur. Tandem in sacramento baptismi corporaliter renascitur nouus homo a corpore ueteris hominis in corpus noui hominis. Tanta est uirtus baptismi ut, si in articulo necessitatis fieret, nullo precedente exorcismo nec cathecismo, nichilominus omnia hec intelligerentur in illo et cum illo sacramento. Cum fit baptismus cum circumstantiis, dicitur homini baptizando interrogatiue: « Abrenuntias Sathane (id est homini tuo carnali)? ». Respondet: « Abrenuntio ». Iterum: « Abrenuntias pompis eius et omnibus actibus suis? ». Respondet: « Abrenuntio ». Ecce promisse fidei perpetuum iuramentum. Non enim potest inuisibilis hostis affectare pompas mundanas, nisi diabolus incarnatus. Itaque homo nouus corporaliter baptizatus in Domino nostro Ihesu Christo fit dominus perpetuus illius sui hominis ueteris qui est semper promptus ad malum. Populus enim christianus, corporaliter dedicatus Deo uero, sine ulla discordia pacifice possidet corpus suum. Caro et sanguis hominis ueteris, nati de progenie talis et talis domus, nunquam possidebit regnum Dei; caro autem sanguis hominis noui, regenerati ex aqua et Spiritu Sancto, iam possidet regnum Dei. Aqua quippe baptismi uisibilis est tantummodo uisibile signum; Verbum autem prolatum (id est Dei Filius incarnatus de Spiritu Sancto) est inuisibilis res. Aqua fluxibilis cum transitoria uoce signum est rei; homo autem interior corporaliter Deo dicatus est inuisibilis res. Cathecismus enim est anime tantum dedicatio spiritualis; baptismus uero est totius hominis dedicatio corporalis. Homo igitur corporaliter Deo dicatus tenetur Deo seruire etiam corporaliter, non omissa uocatione qua uocatus est: si sit persona laicalis, obseruet uitam et habitum laicalem; si sit persona ecclesiastica, ecclesiastice uiuat. Laicus uiuat iuxta obedientiam sacerdotis; ecclesiasticus autem uiuat secundum obseruantiam ecclesiasticam. Tunc ambo secundum hominem interiorem seruant equaliter regulam christianam. Homo carnalis et uetus nunquam sapit nisi ea que sunt hominis; homo autem christianus sapit ea que sunt Dei. Homo carnalis qui dicitur Sathanas, iterum suscitatus post baptismum, ausus est sibi per totum uentrem Europe, factus partialitate biformis ab utrinque, nomen christiani et fidelis hominis usurpare: scilicet gibellini (cuius nominis neminem scio) et guelfi (cuius nominis plures noui, qui in maiori parte sumpserunt hoc nomen in baptismo, ante quam pars Ecclesie nomen istud sumpsisset). Hora qua hoc agebatur, uidi casu canem et simiam colligatos: canis est pars Imperii et simia www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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té propre à l’homme ancien et charnel. Encore en grec, on le dit « enfermé dans un ergastule »1, parce que le péché que constitue ce mensonge est emprisonné dans le corps humain depuis le début de sa conception. Or son étymologie en grec et en latin précise qu’il vient de « dia » (qui veut dire deux) et de « bolus » (qui veut dire filet) – « dia » en grec et « bolus » en latin – lui qui divise le petit monde dans le sein de la grande Europe en deux filets, c’est-à-dire en deux parti(e)s; et cet homme charnel (c’est-à-dire le diable corporel) nomme parti de l’Église la partie qui ressemble à l’Afrique et appelle parti de l’Empire l’autre partie qui ressemble à l’Europe. Ailleurs, on lui donne aussi pour nom « Satan » ou « Satanas », ce qui veut dire en hébreu « celui qui transgresse » (sous-entendu la loi naturelle), ou « le traître » (sous-entendu à la loi de l’Église, qu’on appelle métaphoriquement la loi de l’Écriture), ou « celui qui entrave les réalisations » (c’est-à-dire celui qui corrompt la nature vertueuse) ou « l’adversaire de la création » (sous-entendu du chrétien remarquable). Un Satan naît (c’est-à-dire un diable incarné avec sa possibilité constante de toujours mal agir – possibilité qui se traduit en actes) chaque fois que cet homme charnel et ancien, nourri dans les vices, parvient à l’âge de discrétion. Et c’est pourquoi avant le baptême se situe l’exorcisme2, c’està-dire l’adjuration adressée à ce Satan (c’est-à-dire à l’homme charnel et ancien), pour qu’il renonce entièrement à son autorité sur le bon chrétien à laquelle il ne cesse d’aspirer naturellement (c’est-à-dire en corrompant la nature). Puis a lieu le catéchisme, c’est-à-dire l’enseignement nouveau adressé à l’âme de l’homme nouveau prêt à naître corporellement, pour qu’il n’introduise jamais en lui les images vaines des idoles (c’est-à-dire les représentations désirables de tout ce qui est à autrui). Par conséquent, il est d’abord né seulement sur le plan spirituel avant de renaître corporellement. Enfin, dans le sacrement du baptême, l’homme nouveau renaît corporellement: il passe du corps de l’homme ancien au corps de l’homme nouveau. La puissance du baptême est si grande que s’il était donné à l’article de la mort, aucun exorcisme ni catéchisme ne l’ayant précédé, tout ce que contiennent ces derniers n’en serait pas moins compris dans et avec ce sacrement. Lorsque le baptême a lieu avec tout son apparat, on pose la question suivante à l’homme qui doit être baptisé: « Renonces-tu à Satan (c’est-à-dire à ton homme charnel)? ». Il répond: « J’y renonce ». On lui demande une seconde fois: « Renonces-tu à ses séductions et à toutes ses oeuvres? ». Il répond: « J’y renonce ». Voici le serment éternel de la foi qui donne sa parole. En effet, l’ennemi invisible ne peut pas aspirer aux séductions du monde à moins d’être le diable incarné. C’est pourquoi l’homme nouveau baptisé corporellement en notre Seigneur Jésus-Christ devient le maître à jamais de son homme ancien en question, qui est toujours prêt à mal agir. En effet, le peuple chrétien, consacré corporellement au vrai Dieu, possède son corps à l’abri de toute querelle et en paix. La chair et le sang de l’homme ancien, issu de telle lignée et de telle famille, ne possèdera jamais le royaume de Dieu; mais la chair et le sang de l’homme nouveau, régénérés par l’eau et l’Esprit Saint, possèdent déjà le royaume de Dieu. Certes, l’eau

1 2

L’ergastule était une prison pour esclaves. À partir d’ici, Opicinus indique les principales étapes de la cérémonie du baptême.

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40v°-41

pars Ecclesie. Apud Deum non est nobilius nomen guelfi quam Petri. Idem Sathanas (id est homo carnalis) surripuit nomen Petri. Vocabulum christianum Petri uel guelfi nullam partem habet cum diabolicis partibus Lombardie, et tamen homo carnalis dicit: « Ego sum guelfus amicus Petri (id est amicus Ecclesie domini pape) ». Petrus enim apostolus testificatur Ecclesiam uniuersalem. Si Sathanas (id est homo carnalis) ausus fuit surripere nomen Petri, nemo miretur si nunc surripiat nomen guelfi. Audi, Sathana, increpet te Dominus: « Vade post me, Sathana; scandalum est mihi, quia non sapis ea que sunt Dei (sicut discipulus meus Petrus qui fideliter nomine totius christanitatis confessus est me ‘Christum Filium Dei uiui’), sed sapis ea que hominum. (Homo carnalis et uetus, qui sub nomine falso Petri ausus es me increpare secundum carnem, dicens): ‘Absit a te, Domine, non erit tibi hoc’» (subaudi: ne tu tantus uir debeas propter homines mori); quod non est intelligere aliud nisi propter amorem persone mortalis despicere populum christianum. Eodem modo idem Sathanas sub nomine guelfi dicit ad dominum papam: « Diligo magis te, papam Iohannem, quam papam Clementem ». Ecce indiuisibilis Sathanas sub nomine partis diuidit per personas unicum et indiuisibilem papam Christum, ac si diceret: « Spiritualiter genitus sum nomine Clementis [fol. 41] aut Iohannis siue Benedicti », qui sunt mortales persone, nulla facta mentione de immortali et incorruptibili papa Christo; quod non est aliud agere nisi inicere discidii furtam diabolicam in Corinthum, sicut scriptum est ad oculum omnis carnis. Vnus et idem est Sathanas et diabolus, Petrus et Iudas (id est homo carnalis sub nomine discipuli Christi). Ad Petrum quidem sic dicitur: « Vade retro me, Sathana »; de Iuda uero Scariothis: « Ex uobis unus diabolus est ». Per misericordiam autem Dei, Sathanas retrocessit et deseruit Petrum, in testimonium cuiuslibet penitentis uera contritione, ut homo carnalis et uetus, qui crucifixus fuerat in baptismo cum actibus suis, qui etiam post baptismum est ausus inuadere nouum hominem christianum, totaliter destruatur et christianus saluetur. Iusto autem iudicio Dei Sathanas introiuit in Iudam, in testimonium preuaricantium a baptismo, qui iterum resumunt habitum ueteris hominis cum actibus suis usque ad desperationem uenie obtinende, propter eorum perseuerantiam in peccatis. Vnus idemque diabolus erat in iudeis procurantibus mortem Christi et in personis uolentibus retrahere mortem Christi, sicut Iudas penitentia ductus et mulier uxor Pilati et etiam Petrus. Eodem modo idem Sathanas per partem Imperii rebellis est sanctissimo pape Christo et per partem Ecclesie fautorem se simulat pape Christo. Et sicut magis nobis profuit odium iudeorum contra Christum quam obfuerit carnalium hominum affectus in Christum, ita et nunc pars rebellis Ecclesie plus exaltabit ueram et sanctam Ecclesiam quam nocuerit in occulto pars simulantium fauere eadem Ecclesie. Et sic utrinque proiectis partialitatibus diabolicis, unus erit indissolubilis populus christianus. Omnis parwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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visible du baptême n’est qu’un signe visible; alors que le Verbe révélé (c’est-à-dire le Fils de Dieu qui a pris chair de l’Esprit Saint) est le réel invisible. L’eau versée ainsi que les paroles qui passent indiquent le réel; et l’homme intérieur consacré corporellement à Dieu est le réel invisible. En effet, le catéchisme n’est que la consécration spirituelle de l’âme; alors que le baptême est la consécration corporelle de l’homme tout entier. Par conséquent, l’homme consacré corporellement à Dieu est tenu de servir Dieu y compris corporellement, sans oublier la vocation à laquelle il est appelé: s’il s’agit d’une personne laïque, elle doit respecter les activités et comportements laïcs; s’il s’agit d’une personne ecclésiastique, elle doit agir en ecclésiastique. Le laïc doit agir en respectant l’obéissance au prêtre; alors que l’ecclésiastique doit agir en respectant l’observance ecclésiastique. Dans ces conditions, tous deux, en suivant l’homme intérieur, sont pareillement au service de la loi chrétienne. L’homme charnel et ancien ne cesse d’avoir des pensées qui ne sont autres que celles des hommes; mais l’homme chrétien a des pensées qui sont celles de Dieu1. L’homme charnel qu’on appelle Satan, à nouveau déchaîné après le baptême, a eu l’audace, lui qui appartient aux deux partis de part et d’autre, de s’arroger le nom d’homme chrétien et fidèle dans l’ensemble du ventre de l’Europe: à savoir celui de gibelin (je ne connais personne de ce nom) et celui de guelfe (j’ai connu plusieurs personnes de ce nom, qui en majorité ont pris ce nom au moment de leur baptême, avant que le parti de l’Église n’ait pris ce nom). Au moment où j’écrivais ces lignes, j’ai vu par hasard un chien et un singe femelle attachés ensemble: le chien, c’est le parti de l’Empire, et le singe femelle, c’est le parti de l’Église. Pour Dieu, il n’y a pas de nom de guelfe plus remarquable que celui de Pierre. C’est aussi Satan (c’est-à-dire l’homme charnel) qui a dérobé le nom de Pierre. Le qualificatif de chrétien donné à Pierre ou au guelfe n’a rien à voir avec les partis diaboliques de Lombardie, et pourtant l’homme charnel dit: « Moi, je suis un guelfe, ami de Pierre (c’est-à-dire ami du seigneur pape de l’Église) ». En effet, l’apôtre Pierre est le garant de l’Église universelle. Si Satan (c’est-à-dire l’homme charnel) a eu l’audace de dérober le nom de Pierre, personne ne doit s’étonner s’il dérobe aujourd’hui le nom de guelfe. Ecoute, Satan, le Seigneur qui te réprimande: « Passe derrière moi, Satan! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu (comme pour mon disciple Pierre qui a reconnu fidèlement, au nom de toute la chrétienté, que je suis ‘le Christ, le Fils du Dieu vivant’), mais celles des hommes!2 (Toi l’homme charnel et ancien qui, en usurpant le nom de Pierre, as eu l’audace de me corriger en disant): ‘Dieu t’en préserve, Seigneur! Non, cela ne t’arrivera point’3» (sous-entendu: que toi, un homme si remarquable, tu doives mourir à cause des hommes); ce qui ne signifie rien d’autre qu’un mépris pour le peuple chrétien par amour pour la personne mortelle. De la même manière, c’est encore Satan qui, prenant le nom de guelfe, dit au seigneur pape: « Je te préfère, toi le pape Jean, au pape Clément ».

Voir Mt, 16, 23 et Mc 8, 33. Mt 16, 23 et Mc 8, 33. Dans la parenthèse rajoutée par Opicinus, il y a une citation de Mt 16, 16. 3 Mt 16, 22. 1 2

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tialitas reuertetur super caput Esau et sola saluabitur christianitas Israel. Quis sit Iacob et quis Esau breuiter uideamus. Ysaach patriarcha est similis Affrice fideli. Vxor eius Rebecca assimilatur Europe pregnanti de duobus geminis: minor Affrica, que est maior quam Europa, est Esau primogenitus quem magis dilexit Ysaach propter similitudinem suam; minor Europa, minor quam Affrica, est Iacob quem plus amauit Rebecca propter similitudinem suam. Nunc ambo in uentre decertant ad inuicem sicut publice scitur: primogenitus Esau crescens ad magnitudinem Affrice, habet sub pedibus suis Iacob quasi leonculum Alexandrie et manibus amplexatur habitum suum quasi serpentem; crescens et Iacob ad quantitatem Europe, habet sub pedibus suis Esau quasi draconem et ponit in genitalibus suis habitum originis sue quasi leonem. Domino autem secundum predestinationem diligente Iacob et odio habente Esau, pater eorum quasi erronee alterutrius benedictionem aliter quam disposuisset agere permutauit. Et sic maior compellitur seruire minori. Speculariter ad exemplum. Ysaach patriarcha est Petrus apostolicus. Pregnans Rebecca est uniuersalis Ecclesia, cuius uenter tota die discerpitur. Maior Esau est pars ecclesiastica quam magis diligere uidetur apostolicus noster propter apparentiam sui fauoris. Sicut non peccauit in hoc Ysaach propter misterium, sic non peccat Petrus apostolus. Minor Iacob est pars imperialis quam plus amat uniuersalis et spiritualis Ecclesia propter maiorem profectum futurum ex rebellionibus suis, sicut docet eam Spiritus Sanctus. Maior benedictio patris nostri promittitur Esau quam sagacior Iacob preueniendo anticipat. Reuelato autem Iudicio, omnis christianitas utriusque partis erit semen benedictionis Iacob, innumerabile sicut stelle celi et arena maris, eritque eterna hereditas Israel. Omnis uero partialitas ab utrinque erit semen benedictionis Esau, immo magis in eternum hereditas maledicta. Omnis progenies carnis et sanguinis, que semper partialitatibus delectatur, erit similis Esau amplectenti dracones, qui consueuit sub pedibus suis Israel (id est christianum populum) suffocare. Et omnis societas christiana erit portio Iacob et hereditas Israel, qui omnem progeniem Esau (id est carnem et sanguinem domus sue) ponit sub pedibus suis ad eternum seruitium sui, que sibi consueuerat dominari. Maledicatur ergo omnis partialitas ab utrisque et benedicatur sancta christianitas semper ab omnibus. Per Affricam uentris Italie intelligitur pars Ecclesie seu guelfa, cuius opera reuelantur in mari; per mare uentris predicti intelligitur pars Imperii uel gibellina, cuius sunt opera manifesta. Nunc uidens diabolus utramque partem suam esse publice iudicatam, ambabus partibus proiectis in mare, conatur ponere sedem suam in pectore huius Europe que est in latere aquilonis, ut mutari faciat honorem uniuersalis Ecclesie in gloriam singularem persone. Additum anno perfectionis, V idus octobris, dominica XVII post Pentecostes. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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C’est ainsi que l’indivisible Satan, prenant le nom d’un parti, subdivise en personnes le pape unique et indivisible qu’est le Christ, comme s’il disait: « J’ai reçu la vie spirituelle au nom de Clément [fol. 41] ou de Jean ou de Benoît », qui sont des personnes mortelles, sans qu’il soit aucunement question du Christ, le pape immortel et incorruptible; ce qui n’est rien faire d’autre que de lancer la fourche diabolique de la division sur Corinthe, comme cela est inscrit aux yeux de toute chair1. C’est un seul et même personnage que Satan et le diable, que Pierre et Judas (c’est-à-dire l’homme charnel prenant le nom de disciple du Christ). Certes, il est dit à Pierre: « Passe derrière moi, Satan! », et au sujet de Judas Iscariote: « L’un d’entre vous est un démon »2. Mais, grâce à la miséricorde de Dieu, Satan a battu en retraite et a abandonné Pierre, en témoignage de tout homme qui se repent avec une vraie contrition3, si bien que l’homme ancien et charnel, qui avait été crucifié lors du baptême avec ses oeuvres, qui même après le baptême a eu l’audace de s’insinuer dans l’homme chrétien nouveau, est entièrement anéanti et le chrétien sauvé. Et c’est par un juste jugement de Dieu que Satan est entré en Judas4, en témoignage de ceux qui renient leur baptême, eux qui reprennent les penchants de l’homme ancien ainsi que ses agissements et vont jusqu’à être découragés d’obtenir le pardon, à cause de leur entêtement dans le péché. C’est un seul et même diable qui se trouvait chez les juifs préparant la mort du Christ et chez les personnes désirant empêcher la mort du Christ, tels Judas saisi par le remords5, la femme mariée à Pilate6 et même Pierre. De la même manière, c’est toujours Satan qui, à l’aide du parti de l’Empire, est en révolte contre le Christ, le très saint pape, et qui, à l’aide du parti qui soutient l’Église, se fait passer pour le Christ pape. Et de même que la haine des juifs à l’égard du Christ nous a davantage favorisés que les sentiments des hommes charnels pour le Christ ne nous ont défavorisés, de même aujourd’hui aussi le parti qui se révolte contre l’Église glorifiera davantage la véritable et sainte Église que le parti de ceux qui font semblant d’encourager cette Église ne lui portera tort en secret. Et ainsi, les factions diaboliques étant repoussées de part et d’autre, seul le peuple chrétien sera indissoluble. Toute appartenance à un parti retombera sur la tête d’Ésaü et seule la chrétienté d’Israël sera sauvée. Voyons brièvement qui sont Ésaü et Jacob. Le patriarche Isaac7 est semblable à l’Afrique fidèle. Sa femme Rébecca ressemble à l’Europe enceinte de deux jumeaux: la petite Afrique, qui est plus grande que l’Europe, c’est l’aîné Ésaü qu’Isaac préférait parce qu’ils avaient des affi-

Voir fol. 76 et V 21, notes 2 et 17. Jn 6, 70. Opicinus tire parti des finesses de l’Évangile pour cautionner sa duplicité. 3 Voir Mt 26, 75; Mc 14, 72; Lc 22, 62 4 Voir Jn 13, 27. 5 Voir Mt 27, 3. 6 Voir Mt 27, 19. 7 Pour les remarques qui suivent, voir Gn 25, 19 et ss. Avec l’histoire bien connue de Jacob et Ésaü, Opicinus continue ses identifications multiples en leur attribuant une place au sein de sa géographie délirante. Dans les lignes qui suivent, il s’identifie essentiellement à Jacob, ainsi que, plus largement, à la chrétienté et à « l’héritage éternel d’Israël ». 1 2

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Consideremus in celo, consideremus in terra. Consideremus in celo martirologium mensium et signorum (id est grandem aceruum innumerabilium testium huius rei, inter quorum cetera): iam uidemus circa medium signi Libre memoriam sancti Michaelis archangeli, qui habet testimonium populi sacerdotalis in angelica uita similis Deo, libratoris spirituum qui expugnat continue Scorpionem (id est draconem), ne transgrediens Libram uiolet Virginem uel corrumpat. Melius est Virginem sequi Leonem quam se retro conuertere ad draconem. Consideremus in terra uniuersalem Papiam, ubi circa portam uentris Europe cernitur monasterium Iosaphath (id est Domini iudicium) et parrochia Sancte Christine, quam Christus nomine suo baptizauit in mari, que significat christianitatis Ecclesiam, ut porta originis uentris conuertatur in portam noui baptismi; alioquin, si reuertamur ad originem ueterem per affectum, nisi perseueremus in christianitatis Ecclesia, nunquam Iosaphath (id est Domini iudicium) euademus. [fol. 41v°] Ecclesia Sancti Michaelis maioris posita est circa genitalia Libie Affricane, et ecclesia Sancti Michaelis de mediis barbis ante barbas diabolici maris sita est circa draconem Galathie, ut idem archangelus Michael et alliget draconem (id est corruptibilem stirpem mundi) et conseruet Affricam uirginem (id est parrochiam infirmorum). Actum die natiuitatis sancte Marie Virginis, qua die anno MCCCXXVIIII° fuerat expletus, nondum tamen transscriptus nec correctus, liber « De preeminentia spiritualis imperii ». Natiuitas sancte Marie Virginis sanctificate ab utero, saluo fundamento cuius genitrix fuit, significat sanctam originem christianitatis ex utero uentris Europe. Hora conceptionis sancte Marie, fuit facta in ea sanctificatio potentialis. In momento uero infusionis anime rationalis in ea, fuit facta sanctificatio actualis, quemadmodum in sacramentis sanctificatio elementorum sine persona sumptura eadem sacramenta est quedam sanctificatio potentialis; cum autem per ministrum sacramenta applicantur persone, tunc fit sanctificatio actualis. Infrascripta die sequenti. Hora qua erat mihi apertum ostium tante materie, egressus ad agros, uidi uineas pectorales apertas cum racemis maturis nemini transeunti negatis, quod nunquam uideram prius tam large permitti. Hoc est testimonium caritatis in pectore reuelande.

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nités; la petite Europe, plus petite que l’Afrique, c’est Jacob que Rébecca préférait parce qu’ils avaient des affinités. Aujourd’hui, tous deux se combattent l’un l’autre dans le ventre, comme on le sait officiellement: l’aîné Ésaü, s’étendant dans la grande Afrique, a sous sa domination Jacob, c’est-à-dire le petit lion d’Alexandrie, et serre dans ses mains son attribut, c’est-à-dire un serpent1; Jacob, s’étendant lui aussi dans la vaste Europe, a sous sa domination Ésaü, c’est-à-dire un dragon2, et met l’attribut de sa naissance sur ses parties génitales, c’est-à-dire un lion3. Mais comme le Seigneur, conformément à la providence, aime Jacob et déteste Ésaü, leur père a inversé, comme par erreur, la bénédiction prévue pour l’un des deux, autrement qu’il n’avait décidé de le faire4. Et ainsi le plus grand est obligé d’être le serviteur du plus petit. Ceci nous le montre clairement. Le patriarche Isaac, c’est l’apôtre Pierre. Rébecca enceinte, c’est l’Église universelle, dont le ventre est mis en pièces à longueur de journée. L’aîné Ésaü, c’est le parti de l’Église que notre apôtre paraît chérir davantage, en raison de ses soidisant marques de faveur. De même qu’Isaac n’a pas péché en cela en raison du mystère, de même l’apôtre Pierre ne pèche pas. Le cadet Jacob, c’est le parti de l’Empire que l’Église universelle et spirituelle préfère, car sa dissidence lui vaudra à l’avenir de plus grands succès: c’est ce que l’Esprit Saint lui apprend. La bénédiction principale de notre père est promise à Ésaü, mais Jacob, plus avisé, la reçoit en premier en prenant les devants. Or, une fois le Jugement dévoilé, l’ensemble de la chrétienté des deux partis sera la postérité de la bénédiction de Jacob, aussi innombrable que les étoiles du ciel et le sable de la mer5, et elle sera l’héritage éternel d’Israël. En revanche, toute appartenance partisane chez l’un et l’autre sera la postérité de la bénédiction d’Ésaü, ou plutôt l’héritage maudit pour toujours. Toute lignée de la chair et du sang, qui ne cesse de se complaire à prendre part aux factions, sera semblable à Ésaü étreignant les dragons, lui qui avait l’habitude d’étouffer Israël (c’est-à-dire le peuple chrétien) sous sa domination. Et toute la communauté chrétienne sera la part de Jacob et la succession d’Israël: elle met toute la lignée d’Ésaü (c’est-à-dire la chair et le sang de sa famille) sous son autorité, en esclavage éternel, elle qui avait l’habitude de commander. Toute appartenance à un parti doit donc être maudite par l’un et l’autre, et la sainte chrétienté doit être en permanence bénie par tous. L’Afrique du ventre de l’Italie représente le parti de l’Église ou guelfe, dont les œuvres sont dévoilées dans la mer; la mer du ventre en question représente le parti de l’Empire ou gibelin, dont les œuvres sont évidentes. Aujourd’hui le diable, voyant que l’un et l’autre partis sont jugés au grand jour, une fois ces deux partis rejetés dans la mer, essaie d’installer son siège dans la poitrine de cette Europe qui se trouve sur le flanc septentrional, afin de transformer les honneurs de l’Église universelle en gloire exceptionnelle de la personne.

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Voir le serpent représenté en Afrique du Nord dans les cartes d’Opicinus. Voir le dragon représenté en Grèce dans les cartes d’Opicinus. Le lion de Venise. Voir Gn 27, 27-29. Voir Jr 33, 22. L’expression « les étoiles du ciel » est fréquente dans la Bible.

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Ajouté l’année de la perfection, le 5 des ides d’octobre, le 17e dimanche après la Pentecôte1 [dimanche 11 octobre 1338]. Regardons le ciel, regardons la terre. Regardons dans le ciel le martyrologe des mois et des signes du zodiaque (c’est-à-dire la multitude imposante des témoins innombrables de cette réalité, parmi d’autres): nous voyons déjà, au milieu du signe de la Balance, la mémoire de l’archange saint Michel2, qui se porte garant du peuple des prêtres semblable à Dieu dans la vie angélique, lui le peseur d’âmes sur la balance qui vient continuellement à bout du Scorpion (c’està-dire du dragon), pour éviter qu’en dépassant la Balance, il ne déflore la Vierge ou la corrompe. Il vaut mieux que la Vierge suive le Lion plutôt qu’elle ne se retourne vers le dragon. Regardons sur terre l’universelle Pavie: on y distingue, aux environs de la porte du ventre de l’Europe, le monastère de Josaphat (c’està-dire le jugement de Dieu)3 et la paroisse Sainte-Christine4, que le Christ a baptisée avec son nom dans la mer et qui indique l’Église de la chrétienté, si bien que la porte de la naissance du ventre devient la porte du nouveau baptême; sinon, si nous répétons la naissance ancienne avec nos attachements, à moins que nous ne nous maintenions dans l’Église de la chrétienté, nous n’échapperons jamais à Josaphat (c’est-à-dire au jugement de Dieu). [fol. 41v°] L’église Saint-Michel-leGrand5 est placée aux alentours des parties génitales de la Libye d’Afrique, et l’église Saint-Michel-des-Barbes-du-Milieu6 est située devant la barbe de la mer diabolique, aux alentours du dragon de Galatie, si bien que c’est le même archange Michel qui enchaîne aussi le dragon (c’est-à-dire la race du monde corruptible) et garde l’Afrique (c’est-à-dire la paroisse des faibles) vierge. Fait le jour de la nativité de la sainte Vierge Marie, sanctifiée dès le sein de sa mère [8 septembre 13377]; en ce jour, en l’année 1329, j’avais terminé mon livre « Sur la primauté du pouvoir spirituel », mais je ne l’avais encore ni recopié ni corrigé. La nativité de la sainte Vierge Marie sanctifiée dès le sein de sa mère, en préservant les fondations dont elle est la mère, indique la sainte naissance de la chrétienté à partir du sein du ventre de l’Europe. Au moment où sainte Marie a été conçue, une sanctification virtuelle a été accomplie en elle. En revanche, au moment où une âme douée de raison lui a été insufflée, cette sanctification est devenue effective, de même que, dans les sacrements, la sanctification des éléments en l’absence de la personne disposée à recevoir ces mêmes sacrements est

Il s’agit en fait du 19e dimanche après la Pentecôte. Fêté le 29 septembre. 3 Voir V 28, note 17. Josaphat veut dire en hébreu: « Yahvé juge ». Plusieurs personnages portent ce nom dans l’Ancien Testament, notamment le 4e roi de Juda (870-848), célèbre pour sa piété. La vallée de Josaphat est l’appellation symbolique de l’endroit où Dieu, dans la tradition biblique, jugera les ennemis de Dieu; on l’identifia plus tard avec la vallée du Cédron. 4 Cette église de Pavie est citée dans le De laudibus. Voir fol. 68 et 75v°. 5 Cette église de Pavie est citée dans le De laudibus. Voir V 15. 6 Cette église de Pavie est citée dans le De laudibus Voir V 29, note 39. 7 Lecture: Pr 8, 22-35. Évangile: Mt 1, 1-16. Dans le Graduel, on trouve: « Entre vos bras, s’est levé le Soleil de sainteté, le Christ, notre Dieu ». 1 2

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400

FOL.

41v°

SCHÉMA B

1. Descriptio sacramentorum 2. Linee grossiores pertinentur ad episcopum, subtiliores autem ad presbiterum. Sacramenta episcopalia cum sollempni penitentia non sunt reiterabilia. Sacramenta presbiteralia sunt reiterabilia cum penitentia simplici, preter baptismum. 3. baptismus 4. confirmatio 5. eucharistia 6. penitentia 7. extrema unctio 8. ordo sacer 9. matrimonium 10. simplex 11. sollempnis 12. a presbitero 13. ab episcopo

1

DE

PREPARATIONE SACRAMENTORVM

Hec est sanctificatio sacramentorum potentialis, ut sint habilia ad personam diuersimode tamen hoc modo: sanctificatio uel benedictio aque cum circumstantiis ad baptismum, consecratio crismatis ad confirmationem uel ad aliud, celebratio sacrificii ante sumptionem, dispositio

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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une forme de sanctification virtuelle; mais lorsque les sacrements sont donnés à la personne par le ministre, la sanctification devient alors effective. J’ai écrit ce qui est plus bas le jour suivant [9 septembre 1337]. Au moment où un sujet si important commençait à se découvrir à moi, étant sorti dans les champs, j’ai vu les vignes de la poitrine dépourvues de clôtures, avec des grappes de raisin mûres qui n’étaient refusées à aucun passant; je n’avais jamais vu auparavant une telle largesse. Il s’agit d’une preuve de la charité qui doit être révélée dans la poitrine.

SCHÉMA B Deuxième schéma géométrique d’Opicinus consacré à une question essentielle pour lui: les sacrements. Il les représente à l’aide d’un double triangle, agrémenté de lignes plus ou moins épaisses selon que les sacrements sont conférés par un prêtre (c’est-à-dire lui) ou par un évêque (entre autres, l’évêque de Pavie qui l’a excommunié); c’est d’ailleurs le sacrement de pénitence qui se trouve au sommet, mais tous les sacrements ont leur importance particulière pour Opicinus, comme le montre l’ensemble du Vaticanus.

1. 2.

3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

LA

Représentation des sacrements1 Les lignes les plus épaisses concernent l’évêque et les plus fines le prêtre. Les sacrements donnés par un évêque, ainsi que la pénitence solennelle, ne sont pas renouvelables. Les sacrements donnés par un prêtre sont renouvelables, ainsi que la pénitence simple, à l’exception du baptême. le baptême la confirmation l’eucharistie la pénitence l’extrême onction les saints ordres le mariage simple solennelle [donné(e)(s)] par un prêtre [donné(e)(s)] par un évêque

PRÉPARATION DES SACREMENTS

Voici la sanctification virtuelle des sacrements, pour qu’ils soient adaptés à la personne, mais de diverses manières. Voici comment: la sanctification ou la bénédiction de l’eau avec tous les détails attenants, pour le baptême; la consécration du chrême pour la confirmation2 ou pour autre chose; la célébration du sacrifice

1 2

Voir V2 (notes 47 à 53 en particulier). Voir la croix indiquant la confirmation d’Opicinus dans P 20.

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FOL.

41v°-42

peccatricis persone per ueram contritionem ad penitentiam peragendam, benedictio olei ad unctionem extremam uel ad aliud, celebratio ordinum per episcopum ante usum ordinati, promissio matrimonii per uerba de futuro. Sunt dispositiones personarum ad sacramenta uel sacramentorum ad personas et per consequens sanctificatio potentialis. Sacramentorum autem applicatio ad personas uel personarum ad sacramenta est sanctificatio actualis. Vbi requiritur matrimonium infirmorum, requiritur inde baptismus propter sobolem carnis. Et ideo primum et nouissimum sacramenta in eadem linea hinc et inde scribuntur. Ordo sacer uoluntarius exigit necessariam confirmationem precedere in eadem linea episcopali, precedente baptismo semper in omnibus. Baptismus necessarius et matrimonium uoluntarium sepe tempore magne necessitatis possunt fieri sine presbitero: sicut cum infans uel persona adulta in articulo mortis potest baptizari a quacumque persona; et matrimonium licite potest contrahi sine benedictione presbiterali, tempore interdicti aut alterius sententie sacramentalis. Omnia sacramenta semper presupponunt baptismum precedere, preter matrimonium si non fuerit contractum contra legem moysaicam uel diuinam ab infidelibus conuertendis ad fidem. Eucharistia et extrema unctio, sacramenta necessaria in eadem linea posita, sempe reiterantur cum penitentia simplici usque ad articulum mortis; extrema unctio nunquam, nisi in infirmitate. Sicut unctio confirmationis correspondet unctioni sacerdotii in eadem linea, ita extrema unctio correspondet eucharistie que est Christus (id est Vnctus, Sanctus Sanctorum), in eadem linea. Supra hec omnia ponitur penitentia, que est pre ceteris necessaria in qualibet hora omnibus conuertendis; que excelsior scribitur, ut sit nouissimum refugium omnibus naufragis huius maris. Ritus matrimonii secundum Papiam partim est uituperabilis et partim laudabilis. Laudo enim bonam consuetudinem et uitupero corruptelam. Corruptela est contra canonica instituta contrahere matrimonium per uerba, siue de futuro siue de presenti, in presentia laicalium personarum, nesciente rectore parrochie, nisi postquam fuerit contractum, requisita benedictione facienda uel non facienda. Bona uero consuetudo est promittere per uerba de futuro, inter consanguineos utriusque partis et in presentia multitudinis laicorum militarium et popularium, plus et minus iuxta conditionem et statum contrahentium de futuro, facta cautione per tabellionem, in ampliori ecclesia supra diem; similiter de presenti in domo sponse, in presentia laicalium personarum utriusque sexus, licet nesciente rectore. Adhuc est consuetudo laudabilior neminem contrahere in gradibus secundum antiqua iura prohibitis (scilicet in VII° et inferioribus), ut magis a longe periculum deuitetur. Et ideo raro uel nunquam [fol. 42] inuenitur ibi matrimonium inhibitum esse contractum. Potest tamen esse periculum huiusmodi inter ignobiles pauperes ignorantes periculum iuris uel facti. Necessarium ergo esse uidetur www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[de l’eucharistie] avant de la recevoir; la préparation de la personne pécheresse avec une véritable contrition pour mener à bien la pénitence; la bénédiction de l’huile pour l’extrême-onction ou pour autre chose; la célébration des ordres par l’évêque avant que celui qui est ordonné n’exerce; la promesse du mariage avec les paroles de futur1. Il s’agit de préparer les personnes pour les sacrements ou les sacrements pour les personnes, et, par conséquent, c’est une sanctification virtuelle. En revanche, l’administration des sacrements à des personnes ou l’adaptation des personnes aux sacrements est une sanctification effective. Là où l’on trouve le mariage des faibles, on trouve ensuite le baptême pour les enfants de la chair. Et c’est pourquoi, en tant que premier et dernier sacrements, ils sont inscrits sur la même ligne, d’un côté et de l’autre. Les saints ordres, que l’on choisit, ont besoin d’être précédés par l’indispensable confirmation: ces sacrements sont placés sur la même ligne relevant de l’évêque, sachant que le baptême a toujours lieu avant dans tous les cas. Le baptême, qui est indispensable, et le mariage, qui est choisi, peuvent souvent, en situation de grande urgence, être célébrés en l’absence d’un prêtre: ainsi un bébé ou une personne adulte se trouvant à l’article de la mort peuvent être baptisés par n’importe qui; et un mariage peut être légalement contracté sans la bénédiction d’un prêtre, en période d’interdit ou d’une autre sentence relative aux sacrements. Le baptême est toujours supposé avoir lieu avant tous les sacrements, exception faite du mariage, s’il n’a pas été contracté en s’opposant à la loi de Moïse ou de Dieu par des infidèles devant se tourner vers la foi. L’eucharistie et l’extrême-onction, sacrements indispensables placés sur la même ligne, sont souvent renouvelés ainsi que la pénitence simple jusqu’à l’article de la mort; l’extrême-onction jamais, sauf en cas de maladie2. De même que l’onction de la confirmation correspond à l’onction du sacerdoce placée sur la même ligne, de même l’extrême-onction correspond à l’eucharistie placée sur la même ligne: celle-ci est le Christ (c’est-à-dire l’Oint, le Saint des Saints3). Au-dessus de tout cela, se trouve la pénitence qui est, plus que les autres, nécessaire à chaque instant à tous ceux qui doivent se convertir; elle est inscrite en haut, afin d’être le dernier refuge pour tous les naufragés de cette mer. Les rites du mariage qu’on observe à Pavie méritent en partie des reproches et en partie des éloges. En effet, j’admire les pratiques correctes et je blâme les dérives. La dérive consiste, contrairement aux dispositions canoniques, à contracter un mariage par des paroles de futur ou de présent, en présence de personnes laïques, sans que le curé de la paroisse soit au courant – si ce n’est après que ce mariage a été contracté – la bénédiction requise devant avoir lieu ou non. Quant à la pratique correcte, elle consiste à faire des promesses par paroles de futur, au milieu des parents de l’un et l’autre partis, et en présence d’une foule de laïcs de l’armée et du peuple, plus ou moins nombreux selon la condition et la

1 Depuis les Sentences de Pierre Lombard, on utilise les expressions verba de futuro (promesse des fiançailles) et verba de presenti (engagement du mariage). 2 Opicinus a reçu l’extrême-onction le 31 mars 1334. 3 Saint des Saints: chambre du Temple de Jérusalem, la partie la plus sacrée qui abritait l’Arche d’alliance. Voir fol. 53; V7, notes 9 et 32; fol. 66v° et 67v°.

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FOL.

42

matrimonium contrahendum notificari rectori, ut faciat denuntiationem in ecclesia bannis editis, sicut mos est iuris. Non tamen sufficeret ista denuntiatio propter presentiam sepe tantum simplicium et paucorum, nisi prefata consuetudo laudabilis seruaretur. Debitum rectoris bonum est ad examinationem coniugii ignobilium pauperum; consuetudo laicorum bona uidetur propter mediocres et plus notos.

DE

VNIVERSALI PERFECTIONE FVTVRA

Cum fuerit tota christianitas iam perfecta ad obseruationem Euangelii – non sicut sonat ad litteram sed secundum hominem interiorem – nulla facta mutatione locorum, habituum neque statuum, tunc cessante exactione debiti carnis in coniugio licito et per consequens nulla redditione fienda, manente libero arbitrio hominis, cessabit generatio sobolis carnis. Tunc omnibus baptizatis semel, non erit amplius necessarius baptismus. Omnibus semel similiter confirmatis, non erit necessaria confirmatio. Habentibus omnibus in se presentialiter et corporaliter Dominum nostrum Ihesum Christum, non erit necessaria sumptio eucharistie sacramentaliter. Similiter cessante causa peccati, cessabunt alia sacramenta, scilicet penitentia, extrema unctio et secunde nuptie. Solus autem ordo sacer cum aliis ordinibus et dignitas ordinis episcopalis seruabuntur usque ad finem. Cessante infirmitate, non exigitur medicina; solus autem medicus reseruatur, siquotiens fuerit opportunus. Omnia sacramenta sunt medicine propter infirmos non carne sed spiritu; ordo autem sacer siue presbiteralis siue episcopalis medicus est. Episcopus concludit presbiterum, non econuerso. Siquis inciderit infirmitatem exigendi debitum carnis, tunc siqua ei indulgentia concedatur propter breuitatem et incertitudinem temporis uicini Iudicii sine misericordia, statim succurrendum est ei cum medicinalibus sacramentis, donec conualuerit ad pristinam sanitatem. Licentia eius carnium diebus inhibitis est quedam licentia figuralis significans indulgentiam laicalem ad exigendum debitum carnis ad tempus durante coniugio infirmorum. Sumptio sacramentalis ueri corporis et sanguinis Domini significat ueram sumptionem eiusdem ueri corporis et sanguinis Domini spirituawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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situation sociale de ceux qui s’engagent pour l’avenir, une garantie étant donnée par un notaire, dans une église plus spacieuse avant le jour; de même pour les paroles de présent, dans la maison de l’épouse, en présence de personnes laïques des deux sexes, même si le curé n’est pas au courant. D’après une coutume encore plus digne d’éloges, personne ne doit contracter de mariage à un degré de parenté interdit par le droit ancien (à savoir le 7e et moins), pour écarter le danger au maximum. Et c’est pourquoi on ne trouve ici que rarement, voire jamais, [fol. 42] un mariage contracté alors qu’il est interdit. Ce danger peut néanmoins exister chez les pauvres de basse naissance qui ne connaissent pas ce danger, en droit comme dans les faits. Il semble donc nécessaire de signaler au curé le mariage qui doit être contracté, afin qu’il en fasse l’annonce dans l’église en publiant les bans, comme le veut la coutume légale. Néanmoins cette annonce ne suffirait pas – car l’assistance ne se compose souvent que de gens naïfs et peu nombreux – si les coutumes dignes d’éloges indiquées plus haut n’étaient pas observées. La tâche du curé est utile pour apprécier le mariage des pauvres de basse naissance; la coutume des laïcs semble bonne pour les gens de condition moyenne et pour les plus éminents. LA

PERFECTION UNIVERSELLE À VENIR

Lorsque la chrétienté tout entière aura atteint la perfection dans l’observance de l’Évangile – non dans son acception littérale, mais en suivant l’homme intérieur – sans aucun changement de lieux, de manières d’être ni de conditions sociales, dans ces conditions, la réclamation du devoir charnel dans le mariage légal prenant fin et, par conséquent, aucun consentement en retour n’ayant à se manifester, le libre arbitre de l’homme persistant, la reproduction des enfants de la chair s’éteindra. Alors, tous étant baptisés une fois pour toutes, le baptême ne sera plus indispensable. Tous étant également confirmés une fois pour toutes, la confirmation ne sera plus indispensable. Tous portant en eux notre Seigneur Jésus-Christ en personne et corporellement, il ne sera plus indispensable de recevoir le sacrement de l’eucharistie. Toute cause de péché prenant également fin, les autres sacrements disparaîtront, à savoir la pénitence, l’extrême-onction et les secondes noces. Et seuls, le saint ordre ainsi que les autres ordres, et le prestige de l’ordre épiscopal, seront maintenus jusqu’à la fin. Quand la maladie prend fin, il n’y a plus besoin de remède; et on garde seulement le médecin, pour toutes les fois où il serait utile. Tous les sacrements sont des remèdes pour les faibles, non par la chair mais par l’esprit; et l’ordre saint, qu’il concerne le prêtre ou l’évêque, est le médecin. L’évêque contient le prêtre et non l’inverse. Si quelqu’un se laisse aller à la faiblesse qui consiste à réclamer le devoir charnel, alors, même s’il bénéficie d’une certaine indulgence parce que le moment du Jugement proche sans miséricorde est brutal et indéterminé, il faut aussitôt lui porter secours avec des sacrements servant de remèdes, jusqu’à ce qu’il recouvre sa santé antérieure. L’autoriser à manger de la viande en période interdite est une sorte d’autorisation symbolique, qui indique que les laïcs ont la permission de réclamer le devoir charnel pour un temps, tant que dure le mariage des faibles. Le vrai corps et le vrai sang du Seigneur reçus en sacrement indiquent les mêmes vrai corps et vrai www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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FOL.

42-42v°

liter sine signis: illa est sumptio infirmorum, ut ex hiis intelligant inuisibilem rem; et hec est sumptio perfectorum iam habentium intelligibilem fidem, quorum intellectus rationalis nulla potest amplius opinionum uicissitudine obumbrari. Apprehensa inuisibili re, abeant cuncta signa. Apud Deum non est distantia perfectionis inter personam ecclesiasticam et laicalem. Vna fuit perfectio laicorum a sancto Constantino augusto usque ad sanctum Ludouicum regem Francorum, cum personis ecclesiasticis sancti Francisci et sancti Dominici, cum aliis sanctis religiosis. Sed ne scandalizarentur infirmi secundum apparentiam, Deus uoluit magis glorificare personas religiosas in multis miraculis quam personas seculares. Vna et eadem religio erat in illis sanctis in habitu seculari, que erat in istis sanctis in habitu regulari. Sancti seculares habebant in se inuisibilem rem absconditam cum nullo uel modico testimonio rei, ne infirmi uolentes saluari concupiuissent illorum pompas et copias apparentes (quasi putantes cum concupiscentia mundanorum se obtenturos regna celestium, quod uera spiritualisque natura non patitur). Sancti regulares habentes in se inuisibilem rem testimonium perhibebant forinsecus huius rei, ut eorum sanctitas uite esset exemplum infirmis. Et ideo sancta mater Ecclesia magis sollempnizauit hos ecclesiasticos uiros quam illos laicos confessores propter rationes predictas. Certamina sancti Ludouici aduersus infideles fuerunt quedam figure docentes infirmos ut omnes persone baptizate in Christo – que dicuntur carnaliter de progenie talis et talis domus – debeant toto animo decertare aduersus illam progeniem maledictam et infidelem et eam sibi subicere ad perpetuum seruitium suum. Tempore gentilitatis aduersus christianos, conuenientes in unum Dioclitianus et Maximianus ad christianitatem delendam quam putauerunt totaliter extinxisse, prefigurauerunt partialitates modernas similiter conuenientes in unum ad destruendum populum christianum. Ideoque in Lombardia nullum apparet christianitatis uestigium; sola autem simulacra Martis et Saturni, (id est continua bella propter timorem proprie glorie ne perdatur) excoluntur ibidem. Iulianus apostata sub colore Euangelii satagens populum christianum dominum mundi iterum subdere [fol. 42v°] servituti pristine paupertatis, prefigurauit presentem heresim Lombardie, ubi quelibet progenies mundi conatur auferre bona populi christiani ad instigationem ypocrisis, que diebus istis cepit manifeste detrahere uite Christi de dominica paupertate, qui nunc est corporaliter, temporaliter et spiritualiter Dominus mundi. Siquis aliter dixerit, conuictus est et conuincitur heresi. Reuelato iudicio Iuliani Cesaris sancto Basilio, episcopo Cesariensi Cappadocie, cuius rei euentus fuit in partibus illis, destructoque illo detractore dominice paupertatis ante faciem et frontem diabolici maris, cepit impleri prophetia Iob sic dicentis: « Ante faciem eius (scilicet humane malitie similis mari), precedet egestas », supra cuius sinciput frontis habetur testimonium apostolice pauwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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sang du Seigneur reçus spirituellement en l’absence de signes: dans le premier cas, ce sont les faibles qui les reçoivent, pour qu’ils saisissent ainsi la réalité invisible; et dans le second cas, ceux qui les reçoivent sont les parfaits possédant déjà la foi intelligible et dont l’intelligence rationnelle ne peut plus être obscurcie en rien par des idées changeantes. Une fois la réalité invisible connue, l’ensemble des signes doit disparaître. Auprès de Dieu, il n’y a pas de différence entre la perfection d’une personne ecclésiastique et celle d’une personne laïque. La perfection des laïcs n’a pas changé entre le vénérable saint Constantin1 et saint Louis, roi de France, comme celle des personnages de l’Église qu’ont été saint François et saint Dominique, et des autres saints moines2. Mais pour éviter que les faibles ne soient gênés en considérant les apparences, Dieu a voulu encenser davantage les personnages religieux que les personnes vivant dans le monde en leur faisant accomplir de nombreux miracles. C’est à une seule et même communauté religieuse qu’appartenaient ces saints-là avec leurs habits laïques et ces saints-ci avec leurs habits monastiques. Les saints vivant dans le monde détenaient cachée en eux la réalité invisible, donnant peu ou pas de témoignages du réel, pour éviter que les faibles voulant être sauvés ne désirent leurs avantages et leurs richesses visibles (c’est-à-dire qu’ils pensent qu’en désirant ce qui est futile ils obtiendraient le royaume des cieux, ce qu’un tempérament sincère et spirituel n’admet pas). Les saints moines ayant en eux la réalité invisible livraient des témoignages de cette réalité à l’extérieur, afin que la sainteté de leur vie soit un exemple pour les faibles. Et c’est pourquoi la sainte mère l’Église a fêté solennellement ces hommes d’Église plus que les laïcs confesseurs précités, pour les raisons en question. Les combats de saint Louis contre les infidèles avaient d’une certaine façon valeur symbolique, en montrant aux faibles que toutes les personnes baptisées dans le Christ – et dont on dit qu’elles appartiennent charnellement à la lignée de telle et telle famille – doivent de tout leur cœur livrer bataille à cette lignée maudite et infidèle et la mettre dans leur dépendance à jamais. A l’époque où les païens luttaient contre les chrétiens, Dioclétien et Maximien3, en faisant bloc pour détruire la chrétienté qu’ils pensaient anéantir entièrement, ont préfiguré les factions actuelles faisant bloc elles aussi pour détruire le peuple chrétien. Et c’est la raison pour laquelle, en Lombardie, on ne voit aucune trace de la chrétienté; et seules les statues de Mars et de Saturne (c’est-à-dire les guerres perpétuelles par peur de perdre la gloire personnelle) sont ici tenues en estime. Julien l’Apostat4, en s’évertuant, derrière le masque de l’Évangile, à mettre une seconde fois le peuple chrétien, maître du monde, [fol. 42v°] dans l’esclavage de la pauvreté d’avant, a préfiguré l’hérésie qui sévit actuellement en Lombardie, où chaque lignée du monde s’efforce d’enlever les biens du peuple chrétien afin d’encourager l’hypocrisie; celle-ci a commencé à l’évidence ces temps-ci à enlever à la vie du Christ ce qui concerne la pauvreté du

1 Il s’agit de l’empereur Constantin (306-337) qui, par l’édit de Milan (313), reconnut le christianisme. 2 Opicinus s’identifie à tous les personnages cités. 3 Empereurs associés de 286 à 305, ils persécutèrent le christianisme. 4 Empereur romain (361-363) qui abandonna la religion chrétienne.

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FOL.

42v°

pertatis (scilicet Antiochie que interpretatur paupertatis silentium). Paupertatem silere non est aliud dicere nisi nichil habere et omnia possidere. Nichil habere per affectionem pertinet ad personam; quales fuerunt in eadem uirtute sancti Constantinus et Franciscus habentes eandem intrinsecam libertatem. Et omnia possidere per actionem pertinet ad uniuersalem populum christianum, cuius serui fideles fuerunt illi sancti, unus in temporalibus et alter in spiritualibus. Actum V idus septembris.

DE

TRIPLICE STATV VITE HVMANE

Vitam mediocrem elegit Augustinus, sicut homo inter angelum et animal brutum. Angelus est heremetica uita, que tunc multum habundabat circa pedes Egypti que est heremus squalida. Animal brutum siue mundum siue immundum est uita laicalis. Homo est uita mediocris clericalis. Vita angelica abrenuntiat proprio mobili uel immobili etiam in communi, cuius nunc inter ordines Mendicantium indulgetur aliquid mobile in communi. Vita animalis siue mundana per indulgentiam Dei retinet proprium siue mobile siue immobile, datis primo decimis, primitiis et aliis oblationibus ad sustentationem Ecclesie (id est populi christiani). Vita humana in duas diuiditur: scilicet partim est animalis seu secularis, retento aliquo proprio proprie, sicut clericus secularis conuersatur cum infirmis sicut infirmus et quasi animal cum animali, non perdita tamen perfectione angelica secundum hominem interiorem; et hanc uitam ad testimonium periculi deuitandi deseruit Augustinus. Vita humana partim est angelica abrenuntiatio proprio conseruato mobili et immobili in communi; et hanc uitam Augustinus elegit magis declinans ad angelicam quam ad animalem, in testimonium mediocritatis, sicut Antiochia Petri apostoli testificantis apostolicam regulam: paululum a linea media uergit ad Terram sanctam pauperum et aliquantulum elongatur a montibus Armenie diuitum, iuxta istam descriptionem figure. Ecce Augustinus sequitur regulam sancti Petri apostoli; cuius rei memoriam habet monasterium Sancti Petri in Celo Aureo Papiensi.

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409

Seigneur1, lui qui est aujourd’hui le Seigneur du monde corporellement, temporellement et spirituellement. Si quelqu’un parle autrement, c’est qu’il a été et qu’il est convaincu d’hérésie. Lorsque le jugement de l’empereur Julien a été révélé à saint Basile, évêque de Césarée en Cappadoce2, jugement dont le dénouement a eu lieu dans cette contrée, cet adversaire de la pauvreté du Seigneur étant abattu devant la figure et le front de la mer diabolique3, la prophétie de Job a commencé à s’accomplir, elle qui dit: « Devant sa figure (à savoir celle de la malice humaine personnifiée par la mer), s’avance l’indigence »4; et au-dessus de la moitié supérieure de sa tête, se trouve le témoignage de la pauvreté apostolique (à savoir Antioche, qui signifie la pauvreté cachée5). Passer la pauvreté sous silence équivaut à dire qu’on n’a rien et qu’on possède tout6. Ne rien posséder comme attachements se rapporte à la personne; ainsi saint Constantin et saint François avaient en eux la même qualité essentielle, eux qui jouissaient de la même liberté intérieure. Et tout posséder en agissant se rapporte au peuple chrétien universel dont ces saints furent les serviteurs fidèles, l’un dans le domaine temporel et l’autre dans le domaine spirituel. Fait le 5 des ides de septembre [9 septembre 1337]. LES

TROIS ÉTATS DE L’EXISTENCE HUMAINE

Augustin a choisi la vie du juste milieu7, comme l’homme qui se trouve entre l’ange et la bête sauvage. L’ange, c’est la vie érémitique qui pullulait autrefois autour des pieds de l’Egypte, un désert aride. L’animal sauvage, qu’il soit raffiné ou non, c’est la vie laïque. L’homme, c’est la vie cléricale du juste milieu. La vie angélique renonce aux biens personnels, meubles ou immeubles, même en commun; mais maintenant dans les ordres mendiants, il est permis de posséder quelques biens meubles en commun. Dans la vie animale ou laïque, on conserve la possession de biens propres, meubles ou immeubles, grâce à la bienveillance divine, une fois données en premier les dîmes, les prémices et les autres offrandes pour nourrir l’Église (c’est-à-dire le peuple chrétien). L’existence humaine est divisée en deux: elle est en partie animale ou laïque, avec quelques biens personnels conservés individuellement, comme le clerc séculier qui se comporte avec les faibles comme un faible et comme un animal avec les animaux8, sans perdre pour autant la perfection angélique en suivant son homme intérieur; et c’est cette vie qu’Augustin a abandonnée, pour témoigner du danger à éviter. L’existence

1 Voir le traité « Sur la pauvreté du Seigneur », écrit par Opicinus en 1329. Voir aussi fol. 78v° (entre autres). 2 Saint Basile, archevêque de Césarée (370-379), docteur de l’Église et défenseur de la pauvreté, lutta contre les hérétiques (ariens notamment). 3 Julien est mort en 363 en combattant les Perses (soit devant le visage du diable dans les cartes d’Opicinus). Son successeur Jovien (363-364) restaura aussitôt le christianisme. 4 Voir Jb 41, 14 (à propos de Léviathan). 5 Voir schémas A et C. 6 Voir 2 Co 6, 10. 7 Voir schéma A, note 3. 8 C’est-à-dire Opicinus avant sa fuite de Pavie.

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410

FOL.

42v°

SCHÉMA C

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

Descriptio figuralis indulgentia laxior1 discretio penitentia austerior Montes Cappadocie et Armenie utriusque Anthiochia desertum Syrie, Arabie et Iudee animal uite plus diuitis homo uite mediocris angelus uite plus pauperis uita actiua rectoris cum plebe uita contemplatiua clerici cum spiritualibus uiris uita laicalis periculosior cum proprio mobili et immobili

1 Les expressions des notes 2, 3, 4, 13 (1ère partie), 14, 15 (1ère partie), 18, 36, 37, 38, 39 et 50 (1ère partie) sont écrites en lettres plus grandes et plus épaisses que le reste du texte.

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humaine est en partie un renoncement angélique à la conservation de biens propres, meubles et immeubles, détenus en commun1; et c’est cette vie qu’Augustin a choisie, en s’inclinant davantage vers la vie angélique que vers la vie animale, en témoignage du juste milieu, comme l’Antioche de l’apôtre Pierre2, garant de la règle apostolique: à partir de la ligne du milieu, elle s’incline quelque peu vers la Terre sainte des pauvres3 et s’éloigne quelque peu des montagnes de l’Arménie des riches4, conformément au dessin de ce schéma. Voici qu’Augustin suit la règle de l’apôtre saint Pierre, ce dont le monastère de Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or à Pavie garde la mémoire. SCHÉMA C Ce schéma reprend et complète le schéma A. Il se présente sous la forme de trois colonnes se divisant ensuite en quatre, sans compter les mots adjacents reliés par des pointillés. La taille des mots varie selon les lignes; les expressions en rouge sont écrites verticalement. Opicinus aborde successivement différents thèmes majeurs le concernant (notamment la question de la pauvreté), en maniant les oppositions et en spatialisant son schéma. Le Christ et Jean-Baptiste se trouvent dans la colonne de ceux qui mènent la grande pauvreté; Opicinus calque sa vie sur celle du Christ.

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

Dessin allégorique le laissez-aller le plus relâché la modération5 la mortification la plus austère les montagnes de Cappadoce et des deux Arménie6 Antioche le désert de Syrie, d’Arabie et de Judée l’animal qui mène la vie la plus nantie l’homme qui mène la vie du juste milieu l’ange qui mène la vie la plus pauvre la vie active du curé avec ses ouailles la vie contemplative du clerc avec les hommes spirituels7 la vie du laïc, plus dangereuse, avec des biens personnels, meubles et immeubles

1 Allusion à la vie errante et pauvre d’Opicinus dans les mois qui ont suivi cette fuite, jusqu’à son arrivée en Avignon. 2 Pierre a prêché à Antioche avant de le faire à Rome et a peut-être été quelque temps évêque d’Antioche (voir la Légende dorée, t. 1, p. 209); on fêtait la chaire de saint Pierre à Antioche le 22 février. Voir V 10, note 5. 3 Voir schéma A, note 7. 4 Voir schéma C, note 5. 5 C’est le mode de vie préconisé à l’époque, notamment par saint Bernard dans le De consideratione; il correspond à « la vie du juste milieu » du schéma A. Opicinus s’y est rallié après être passé par les étapes extrêmes (notes 2 et 4). 6 On retrouve la géographie: notes 5 à 7 et 25-26. 7 Les notes 11 et 12 reprennent deux étapes de l’existence d’Opicinus, selon son optique: à Pavie (avant sa fuite) et à Avignon.

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FOL.

42v°

14. uita clericalis inter utramque 15. uita religiosa tutior cum communitate alicuius mobilis sine immobili 16. homo cum ouibus 17. homo cum angelis 18. clericus 19. secularis 20. cum proprio moderato 21. regularis 22. sine proprio, cum communi mobili et immobili 23. infirmitas laicalis 24. perfectio laicalis 25. Galilea Ihesu Christi 26. Iudea Iohannis Baptiste 27. conceptio 28. Domini 29. Natiuitas 30. uita et conuersatio 31. baptismus, Passio, Resurrectio et Ascensio 32. conuersio gentium per perfectionem fidei usque ad uitam mediocrem 33. inspiratio 34. apostolorum et discipulorum Christi 35. transmigratio ad uitam mediocrem 36. uita laicorum 37. uita clericorum 38. uita claustralium 39. uita Mendicantium 40. a dextris benedictio maledicta et reprobabilis 41. a sinistris maledictio benedicta et eligibilis 42. creatura irrationalis 43. homo 44. angelus 45. carne cum spiritu 46. mortalis 47. carne et spiritu 48. immortalis 49. spiritu sine carne 50. Amor carnalis ex bestiis oritur. 51. Virtus iudicialis in homine dominatur. 52. Detractio spiritualis inter angelos reperitur. De mediocritate et extremitatibus Tempore quo uiri perfecti uidebant infirmos non actualiter sed affectualiter non procul a mediocritate degentes incedere, timentes etiam ne illi www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52.

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la vie du clerc, entre les deux la vie monastique, plus sûre, avec la détention en commun de quelques biens meubles (sans biens immeubles) l’homme associé aux moutons l’homme associé aux anges le clerc séculier avec des biens propres en quantité raisonnable régulier sans biens propres, avec des biens meubles et immeubles en commun la faiblesse des laïcs la perfection des laïcs la Galilée de Jésus-Christ la Judée de Jean-Baptiste la conception du Seigneur la Nativité la vie et le comportement le baptême, la Passion, la Résurrection et l’Ascension la conversion des païens grâce à la perfection de la foi en allant jusqu’à la vie du juste milieu le don de l’Esprit aux apôtres et aux disciples du Christ le départ pour la vie du juste milieu la vie des laïcs la vie des clercs la vie des moines cloîtrés la vie des Mendiants à droite, la bénédiction maudite qu’il faut rejeter à gauche, la malédiction bénie qu’il faut choisir la créature dépourvue de raison l’homme l’ange par la chair associée à l’esprit mortel par la chair et l’esprit immortel par l’esprit sans la chair L’amour charnel est issu des bêtes. Les qualités de jugement dominent chez l’homme. Le détachement spirituel se trouve chez les anges.

Le juste milieu et les extrêmes A l’époque où les hommes parfaits voyaient que les faibles continuaient à avancer, non pas réellement mais sentimentalement, sans cesser d’être loin du juste www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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FOL.

42v°-43

infirmi affectualiter nimis ascenderent dextram superbie, ad sinistram uite austere quasi solitudinem secedebant, ut eorum exemplo infirmi non recederent a mediocritate. Nunc autem uiri perfecti uidentes illos infirmos nullius exemplo mediocritatem seruare – sed sine timore, sine pudore, absque reuerentia, cum omni ambitione tota die ascendere dexteram glorie singularis more diaboli uel glorie personalis quod est uitium ueteris hominis – compelluntur uiri perfecti paulatim ab austeritate ad mediocritatem redire, ut et illi descendant paulatim a sua superbia ad uitam mediocrem et communem cum uiris perfectis. Et nequis alium iudicet oculo carnis, possunt esse simul tres persone in statu, professione et conditione consimiles ex apparentia; ab intrisecus autem est una mediocris, alia ambitiosa, tertia in omnibus humilis ex affectu; quas iudicat solus Deus, non homo. Additum anno perfectionis, IIII nonas iulii.

De eadem materia Augustinus ad fratres utriusque professionis ordinis sui tam absentes quam presentes: « Caritati uestre de nobis ipsis hodie sermo reddendus est; quod enim ait apostolus: ‘Spectaculum facti sumus mundo (subintellige uite animalis) et angelis (uite spiritualis) et hominibus (uite mediocris)’. [fol. 43] Qui nos amant (subaudi carnaliter), queritur quod laudent in nobis; qui autem nos oderunt (subintellige spiritualiter), quod detrahant nobis. Nos autem in utroque medio constituti, adiuuante Domino Deo nostro, et uitam nostram (subaudi mediocrem) et famam sic custodire debemus, ut non erubescant de detractoribus laudatores. Quomodo autem uiuere uelimus et quomodo Deo propicio iam uiuimus, quamuis de Scriptura sancta multa noueritis, tamen ad commemorandos uos ipsa de libro Actuum apostolorum uobis lectio recitabitur, ut uideatis ubi descripta sit forma quam desideramus implere et cetera: ‘Et nemo eorum que possidebat aliquid suum esse dicebat, sed erant illis omnia communia’»1. Huc usque uerba Augustini cum auctoritate Actuum apostolorum. Ista apostolica regula perseuerans ab apostolis usque nunc, non est alia nisi regula christiane religionis sine discretione etatum et sexuum, professionum et statuum; cuius participes sunt non solum angeli et homines, sed etiam oues et boues (id est non tantum religiosi et clerici, sed etiam laici). Hoc dico de statu et ordine perfectorum secundum hominem interiorem, cuius uirtutem et rem absconditam parum uel nichil significat uita exterior laicalis; plus aliquid illam significat uita clericalis, multo plus uita claustralium, pre omnibus autem magis uita ordinum Mendicantium. Vt nulla persona de statu perfectorum a religioso usque 1

Phrases soulignées en rouge.

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milieu, craignant même que ces faibles, du fait de leur sentiments excessifs, ne parviennent à l’orgueil qui est à droite, ils se retiraient vers la vie austère qui est à gauche, c’est-à-dire la solitude, afin qu’en suivant leur exemple, les faibles ne s’éloignent pas du juste milieu. Mais aujourd’hui où les hommes parfaits voient que ces faibles gardent le juste milieu sans l’exemple de personne – mais sans crainte, sans retenue, sans respect, avec l’ambition sans réserve et quotidienne de monter à droite, vers la gloire exceptionnelle, à la façon du diable, ou vers la gloire personnelle, c’est-à-dire la perversité de l’homme ancien – ces hommes parfaits sont peu à peu incités à revenir de l’austérité au juste milieu, afin que les autres eux aussi délaissent progressivement leur orgueil pour gagner la vie du juste milieu et ordinaire avec les hommes parfaits. Et pour éviter de juger l’autre avec les yeux de la chair, ils peuvent être les trois personnes en même temps, semblables en apparence, par l’état, la profession et la condition sociale; mais intérieurement, l’une appartient au juste milieu, l’autre est ambitieuse et la troisième nourrit des sentiments humbles en toutes choses; et c’est Dieu seul, et non l’homme, qui les juge. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des nones de juillet [4 juillet 1338]. Même sujet Augustin s’adressant aux frères de son ordre appartenant aux deux états, aussi bien absents que présents: « C’est à vous, mes chers amis, qu’il convient de faire aujourd’hui un sermon sur nous-mêmes. En effet, l’apôtre dit: ‘Nous avons été livrés en spectacle au monde (sous-entendu de la vie animale), aux anges (de la vie spirituelle) et aux hommes (de la vie du juste milieu)’1. [fol. 43] Ceux qui nous aiment (sous-entendu charnellement), on cherche ce qu’ils admirent en nous, et ceux qui nous ont détestés (sous-entendu spirituellement), en quoi ils critiquent. Et nous, qui sommes placés au milieu des uns et des autres, avec l’aide du Seigneur notre Dieu, nous devons aussi veiller sur notre vie (sous-entendu du juste milieu) et notre réputation, de telle façon que ceux qui nous admirent n’aient pas honte devant ceux qui nous critiquent. Mais comment nous voudrions vivre et comment nous vivons déjà avec la bienveillance de Dieu, quoique vous connaissiez beaucoup de choses de l’Écriture sainte, cet extrait lui-même du livre des Actes des Apôtres sera néanmoins lu à haute voix pour que vous vous le rappeliez, afin que vous regardiez où est représentée l’image que nous désirons réaliser etc.: ‘Et nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun’2». Jusqu’ici, il s’agit des paroles d’Augustin associées à la tradition des Actes des Apôtres. Cette règle apostolique qui s’est maintenue depuis l’époque des apôtres jusqu’à aujourd’hui n’est autre que la règle de la communauté religieuse chrétienne; elle ne tient compte ni de l’âge, ni du sexe, ni de la profession, ni de la condition; ceux qui la partagent sont non seulement les anges et les hommes, mais aussi les moutons et les bœufs (c’est-à-dire non seulement les clercs réguliers et séculiers, mais aussi les laïcs). Je parle de l’état et de l’ordre des parfaits qui suivent l’homme intérieur, dont l’existence laïque apparente indique peu ou pas la puissance et la

1 2

1 Co 4, 9. Ac 4, 32.

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FOL.

43

ad laicum (quasi ab angelico homine usque ad pecudem uel iumentum) aliquid affectualiter habeat, et uniuersus populus christianus omnia actualiter possideat; et sic nulla indigentia reperitur in sacra religione christiana. Vita sancti Francisci significat quamlibet personam christianam perfectam, siue laicalem siue ecclesiasticam, affectualiter nichil habere. Et status fidelissimi Constantini uel christianissimi Ludouici significat uniuersum populum christianum actualiter omnia possidere. Talis erat interius persona illius sancti laici qualis similiter erat interius persona sancti Francisci. Non enim decet perfectos ad inuicem disputare que uita illorum duorum religiosi an laici esset sanctior coram Deo. Apud autem infirmos de iure plus glorificatur uita sancti religiosi quam laici, ne periculi scandalum suscitetur. Vita solitaria uel heremitica ad testimonium personale perseuerauit usque ad finem sine ullo mobili, a Iohanne Baptista usque ad heremitas temporis Augustini. Ab illo autem tempore ceperunt uiri perfecti sicut Ieronimus et Augustinus ab illa uita solitaria peracta localiter siue inter homines siue longe ab hominibus se reducere ad uitam communem claustralem in testimonium caritatis.

Inceptio pro infirmis a perfecto sine proprio Clarius uideamus: Moyses ieiunans et uacans in monte ratione solitudinis prefigurauit Iohannem Baptistam. Iohannes uel alius solitarius, quasi angelus Deo assistens, significat quamlibet personam perfectam in quouis statu; cuius testimonium moderno tempore non uidetur, cuius tamen uirtus et res in pectore conseruatur propter presentem malitiam hominum. Profectus infirmorum cum mobilibus tantum sub duce perfecto Moyses descendens de monte, deportans populum infirmorum cum mobilibus tantum ab Egypto per uiam deserti XL annorum usque ad terram repromissionis, prefigurauit apostolicum cetum nutrientem neophites christianos ex oblatione mobilium tantum, quasi transmigraturos a terra Iudee ad gentium Galileam (id est a Terra sancta ueteri ad presentem Europam que est speculariter Terra sancta). Cetus apostolicus significat rectorem parrochie infirmorum, quasi angelum ministrantem, ut sciant infirmi sua etiam immobilia esse mobilia ratione sue peregrinationis ad patriam. Et ne rectori deficeret tanti testimonii speculum, diebus istis suscitati sunt IIIIor ordines Mendicantium aliqua mobilia tantum fere sine ullo immobili, ut significent exemplariter rectorem parrochie www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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réalité cachées; l’existence cléricale l’indique davantage, l’existence des cloîtrés beaucoup plus, et l’existence des ordres mendiants bien plus que toutes les autres. De cette manière, aucun de ceux qui appartiennent à l’état des parfaits, du moine jusqu’au laïc (c’est-à-dire de l’homme angélique jusqu’à la tête de bétail ou à la bête de somme) ne possède quoi que ce soit sentimentalement, que le peuple chrétien dans son ensemble possède tout réellement; et ainsi on ne repère aucun dénuement dans la sainte communauté religieuse chrétienne. L’existence de saint François indique que toute personne chrétienne parfaite, qu’elle soit laïque ou ecclésiastique, ne possède rien sentimentalement. Et la condition du très fidèle Constantin ou du très chrétien Louis indique que le peuple chrétien universel possède tout dans les faits. La personnalité intérieure de ce saint laïc était la même que la personnalité intérieure de saint François. En effet, il ne convient pas que les parfaits discutent entre eux pour savoir si c’est la vie du moine ou celle du laïc qui est la plus sainte devant Dieu. Mais chez les faibles, la vie du saint moine est officiellement davantage encensée que celle du laïc, pour éviter de créer des difficultés dangereuses. La vie solitaire ou érémitique destinée au témoignage personnel n’a cessé de se maintenir, sans biens meubles, depuis Jean-Baptiste jusqu’aux ermites de l’époque d’Augustin. Mais depuis cette époque, les hommes parfaits, tels Jérôme et Augustin, ont commencé à quitter cette vie solitaire effectuée géographiquement, que ce soit au milieu des hommes ou loin des hommes, pour rejoindre la vie en commun des cloîtrés et témoigner de la charité. Le parfait se met en route avant les faibles, sans biens personnels Examinons les choses plus clairement: Moïse jeûnant et restant dans la montagne a préfiguré Jean-Baptiste en raison de sa solitude; Jean ou un autre solitaire, tel un ange se tenant auprès de Dieu, représente toute personne parfaite, quelle que soit sa condition; et son témoignage n’est pas visible par les temps qui courent, mais la puissance et l’authenticité en sont préservées dans la poitrine, en raison de la malice des hommes d’aujourd’hui. La marche en avant des faibles, avec des biens instables seulement, sous la conduite du parfait Moïse descendant de la montagne, puis emmenant le peuple des faibles, avec ses biens instables1 seulement, de l’Égypte à la Terre promise en passant par le désert pendant 40 ans2, a préfiguré l’assemblée apostolique nourrissant les chrétiens néophytes seulement avec l’offrande de biens meubles, c’est-à-dire sur le point d’émigrer de la terre de Judée à la Galilée des nations (c’est-à-dire de l’ancienne Terre sainte à l’Europe d’aujourd’hui, qui est à l’évidence la Terre sainte).

Avec les mêmes mots (mobilis, immobilis), on passe de la notion de biens meubles et immeubles (appliquée à l’époque d’Opicinus) à celle de biens instables et stables (appliquée à l’évocation des temps bibliques). Voir V 7. 2 Voir le livre de l’Exode. 1

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FOL.

43-43v°

esse ducem infirmorum, habentem cum eis immobilia quasi mobilia, tantum necessaria itineri.

Status perfectorum cum immobilibus patrie Iosue introducens infirmos factos fortes in possessionem immobilem Terre sancte seu repromissionis prefigurauit cetum apostolicum cum infirmis factis perfectis dispersum in gentibus ad confirmandam regulam suam, non solum ex mobilibus sed etiam ex immobilibus offerendis ad christianitatis Ecclesiam sustentandam per suos canonice successores, ac si dispersio gentium esset in unum collecta, non locis sed fide, in sancta fideli Europa. Quilibet apostolus firmans gressus suos in ciuitate sibi data per sortem significat prelatum Ecclesie perfectorum, ut christianitas iam perfecta speculariter sciat se esse in patria speculari adhuc in enigmate respectu superioris et inuisibilis patrie sempiterne. Apostolus consumans regulam suam cum mobilibus et immobilibus in communi significat Ecclesiam perfectorum possidentem totum mundum immobilem pacifice et quiete; respectu autem translationis sue future a speculo fidei ad speciem beatitudinis, habet mobilem sibi mundum. In hac enim speculari Ecclesia partim prophetamus (id est spiritualibus expositionibus indigemus) et partim cognoscimus intelligibilem fidem sine expositione, donec prophetie (id est spirituales expositiones) euacuentur, et lingue scientium ad ignorantes cessauerint, et particulares scientie destruantur. Sola autem caritas manet in eternum. Ecce quod apostoli peregrinantes cum regula mobilium non perfecta significant rectores plebium habentes immobilia quasi mobilia propter infirmos; quorum regulam significatam per sanctos ordines Mendicantium noluit eligere Augustinus finaliter, nescio si ad tempus. Apostoli quiescentes in urbibus, consumantes regulam suam mobilium cum immobilibus per successores suos canonice, significant prelatos Ecclesie perfectorum habentium [fol. 43v°] mundum immobilem, ut moriatur mundus personis infirmis et saluetur mundus christianitati perfecte. Ex quibusdam apostolicis pauperibus nouis, quos uidi puer uel infans, unus cantando procedens coram reliquis significabat apostolos peregrinos quasi duces ouium, iuxta stilum caude leonis: « Illi autem profecti predicauerunt ubique et cetera ». Reliqui uero sedentes significabant apostolos quiescentes quasi prelatos Ecclesie, secundum euangelium caude bouis: « Et erant semper in templo et cetera ». Ecce quod leo procedit et rugit, et bos mutus post laborem quiescit. Hanc regulam perfectorum sine concupiscentia www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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L’assemblée apostolique représente le curé d’une paroisse de faibles, tel un ange exerçant son ministère, afin que les faibles sachent que même leurs biens stables sont instables, en raison de leur pèlerinage vers la patrie. Et pour éviter que la représentation d’un témoignage si remarquable ne fasse défaut au curé, ont été suscités en ces jours-là les quatre ordres de ceux qui ne mendient1 que quelques biens meubles, presque sans aucun bien immeuble, pour indiquer de manière exemplaire que le curé de paroisse est le guide des faibles, ayant comme eux des biens stables ressemblant à des biens instables, qui suffisent pour le voyage. La condition des parfaits avec les biens stables de la patrie Josué mettant les faibles devenus forts en possession stable de la Terre sainte ou promise2 a préfiguré l’assemblée apostolique associée aux faibles devenus parfaits, répandue dans les nations pour affermir sa règle, non seulement avec des biens meubles, mais aussi avec des biens immeubles qu’il convient d’offrir pour nourrir l’Église de la chrétienté à travers ses successeurs canoniques, comme si les nations dispersées étaient réunies dans l’unité, non pas géographiquement mais par la foi, dans la sainte Europe fidèle. Tout apôtre confortant ses progrès dans la ville qui lui a été donnée par le destin représente le prélat de l’Église des parfaits, si bien que la chrétienté désormais parfaite sait clairement qu’elle se trouve dans la patrie du miroir, qui est encore dans l’énigme3 par rapport à la patrie éternelle et invisible d’en haut. L’apôtre pratiquant sa règle, avec des biens meubles et immeubles possédés en commun, représente l’Église des parfaits possédant pacifiquement et tranquillement l’ensemble du monde stable; mais en comparaison de son passage à venir du miroir de la foi à la vision de la béatitude, elle dispose d’un monde instable. En effet, dans cette Église du miroir, en partie nous prophétisons (c’est-à-dire nous avons besoin d’explications spirituelles) et en partie nous possédons la foi intelligible qui se passe d’explication4, jusqu’à ce que les prophéties (c’est-à-dire les explications spirituelles) disparaissent, que les discours adressés par les savants aux ignorants prennent fin et que les connaissances particulières soient anéanties. Et seule la charité demeure éternelle. Voici que les apôtres voyageant5 avec la règle des biens instables qui n’a pas atteint sa perfection représentent les curés ayant des ouailles et possédant des biens immeubles comme s’il s’agissait de biens meubles, à cause des faibles; c’est leur règle, représentée par les saints ordres des Mendiants, qu’Augustin a finalement refusé de choisir, je ne sais si c’est momentanément. Les apôtres qui s’installent dans les villes, en pratiquant leur règle des biens instables associés aux

Allusion aux ordres mendiants. Voir le livre de Josué. Assistant de Moïse, Josué lui a succédé à la tête des tribus d’Israël pour s’implanter en Terre promise (la « conquête de Canaan »). 3 Voir 1 Co 13, 12. 4 Voir 1 Co 13, 9. 5 « Apôtres voyageurs » et « apôtres citoyens »: voir V 7, fol. 55 r°v° et 60, V 11, fol. 67 et V 15. Opicinus établit la distinction entre la mission à l’extérieur et la mission sur place. Il a connu les deux états. 1 2

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FOL.

43v°

omnia possidentium, significatam per regulas claustralium, elegit finaliter Augustinus. Ad testimonium tantum dico. Secundum autem hominem interiorem, una eademque perfectio est euangelica religiosi mendicantis, religiosi claustralis et clerici secularis usque ad simplicem laicum. Maneat igitur unusquisque in uocatione qua uocatus est, donec adueniat Dominus, ut inueniat sanctam Ecclesiam sanctis statibus et ordinibus uariis decoratam. Nequis putet sanctum Augustinum doctorem eximium magis acceptare ordinem Heremitarum quam ordinem Predicatorum, qui ambo mediate fundati sunt in regula sua, sicut probari uidetur, habemus duplex testimonium ueritatis: unum quod audiui de uisione sancti Augustini cum sancto Thoma de Aquino ordinis Predicatorum, dicentem ipsum sibi equalem fere in omnibus; quod intelligendum est testimonialiter de equalitate scientie rectorum plebium quos significat Thomas, cum scientia prelatorum quos significat Augustinus; licet depinxerim ad honorem alterutrum, in similitudine Affrice Augustinum et instar Europe Thomam. Aliud testimonium habemus quod uidi Papie de fratre Augustino bone memorie predicti ordinis Predicatorum, translato de episcopatu Zagabriensi ad episcopatum Lucerinum, qui per Spiritum primo aspectu me complexatus est quasi pater filium, ac si me nosset, qui tamen nunquam me antea uiderat, cum quo primum contuli aliquantulum de primis opusculis nostris que ipse approbauit. Propinquus quidam mihi carnalis notus eius, qui me adduxit ad notitiam eius, dixit mihi se pridie a predicto fratre religioso erronee uocari Ambrosium, qui tamen uocatur alio nomine. Hoc dico ad testimonium, ac si alter Augustinus recognouisset Ambrosium, licet in hoc tempore ecclesiasticus pater filium laicalem. Actum IIII idus septembris, non de gestis predictis sed de isto capitulo. Videatur II° utrum sit Luceria Beneuentane prouincie an Nuceria de partibus Spoletinis, ne sim notatus errore. Ille translatus a pede Vngarie ad pedem Apulie habet testimonium ciuitatule Lucerine, quasi lucerne pedibus meis, quod est Verbum Dei, ut semitis meis esset lumen, quasi Lomellum mee regenerationis. Ex hiis attribuo honorem et gloriam non persone illius neque alterius, sed sancto et uniuerso collegio prelatorum, ut eorum approbatio non uerbo sed opere sit mihi lucerna et lumen.

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biens stables à travers leurs successeurs canoniques, représentent les prélats de l’Église des parfaits possédant [fol. 43v°] un monde stable, afin que le monde meure pour les personnes faibles et que le monde soit sauvé pour la chrétienté parfaite. Parmi certains des derniers pauvres apostoliques que j’ai vus quand j’étais enfant ou petit enfant, l’un deux, marchant devant les autres en chantant, représentait les apôtres voyageurs semblables à des pasteurs de brebis, comme le dit la fin de l’évangile du lion: « Pour eux, ils s’en allèrent prêcher en tout lieu etc.»1. En revanche, les autres qui étaient à demeure représentaient les apôtres installés, tels des prélats d’Église, comme le dit la fin de l’évangile du bœuf: « Et ils étaient constamment dans le Temple etc.»2. Voici que le lion marche devant et rugit, et que le bœuf silencieux se repose après le travail. C’est cette règle des parfaits dépourvus de convoitise pour ceux qui ont tout, représentée par la règle des moines cloîtrés, qu’Augustin a finalement choisie. Je parle seulement pour témoigner. Mais d’après l’homme intérieur, c’est une seule et même perfection évangélique que l’on trouve chez le moine mendiant, chez le moine cloîtré et chez le clerc séculier, en allant jusqu’au simple laïc. Chacun doit donc rester dans la vocation à laquelle il a été appelé jusqu’à ce que le Seigneur vienne, afin qu’il trouve la sainte Église ornée par les saints états et les catégories en tous genres. Et pour éviter que l’on ne pense que saint Augustin, le docteur éminent, préfère l’ordre des Ermites à celui des Prêcheurs, qui ont été fondés tous deux directement avec sa règle, comme cela semble être reconnu, nous disposons de deux témoignages de la vérité: le premier, dont j’ai entendu parler, est une vision de saint Augustin avec saint Thomas d’Aquin de l’ordre des Prêcheurs, le premier disant au second qu’il l’égale presque en tout; ce qui doit être compris sur le plan du témoignage comme l’égalité des connaissances chez les curés ayant des ouailles, que représente saint Thomas, et chez les prélats que représente saint Augustin; et cela bien que j’aie dessiné, pour les honorer réciproquement, Augustin semblable à l’Afrique et Thomas comme l’Europe3. Nous disposons d’un autre témoignage que j’ai vu à Pavie: le frère Augustin4 de bonne mémoire, de l’ordre des Prêcheurs déjà cité, transféré de l’évêché de Zagreb à l’évêché de Lucera, poussé par l’Esprit, m’embrassa la première fois qu’il me vit5, comme un père fait avec son fils, comme s’il me connaissait, alors qu’il ne m’avait jamais vu auparavant; et c’est à lui que j’ai apporté en premier une bonne partie de nos premiers opuscules, qu’il a lui-même jugés bons. Un de mes proches charnels qu’il connaissait et qui m’a permis de le connaître, m’a dit que la veille le frère religieux en question l’avait appelé à tort Ambroise, alors qu’il porte un autre nom. Je dis cela pour témoigner, comme si un autre Augustin avait reconnu Ambroise6, c’est-à-dire en ce temps-là un père ecclésiastique son fils laïc.

Mc 16, 20. Lc 24, 53. 3 Voir V 11. 4 Il s’agit d’Augustin Kazotic, évêque de Zagreb (1303-1322), puis de Lucera (1322-1323). 5 Voir P 20, janvier 1322. 6 Allusion au baptême de saint Augustin par saint Ambroise. 1 2

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DE

FOL.

TRANSMIGRATIONE PRESENTIS

43v°

ECCLESIE

NON LOCIS SED MORIBVS

Incole heremi Arabie uel Egypti montisque Carmeli in solitaria uita nil proprium possiderunt, nec immobile neque mobile in communi. Nunc Heremite ab heremo Sabba et Arabie mundi minoris intra uentrem et femur Tuscie maioris Europe (quasi a Tuscia thus sabba), similiter Carmelite a Carmelo maioris Asie naturalis, facti ambo peregrini et acole cum aliquo mobili in communi seorsum, uno animo fidei et uirtutis procedunt obuiam Predicatoribus et Minoribus consimilis licet diuersimode paupertatis. Qui omnes quasi peregrinantes apostoli, non mutatione locali sed significatione profectus, iam transferuntur a terra Iudee facta Sodoma et Egypto, et transmigrant ad uniuersalem gentium Galileam (id est fidelem Europam), ubi apostolica regula consumatur. Europa est uera Galilea, que – non solum ab humeris minoris Britanie Gallicane usque ad lumbos Gallie Cisalpine, sed etiam a uertice portus Gallie cum regione Gallicie usque ad unguem Galathie serpentine in Grecia (quasi magna et maxima Gallia dicta) – uere Galilea potest uocari; ad quam se transmigraturum post Resurrectionem predixit Dominus apostolis suis. Eadem est enim interpretatio Galilee et Gallie. « Postquam, inquit, resurrexero, precedam uos in Galileam ». Et angelus ad mulieres: « Ite et dicite discipulis eius et Petro, quia precedet uos in Galileam ». Similiter resurgens Dominus inquit ad mulieres easdem: « Ite, nuntiate fratribus meis ut eant in Galileam, et ibi me uidebunt ». Ideo Maria Magdalene, prima nuntia Resurrectionis dominice, transmigrauit cum sorore sua Martha ad Prouinciam Gallicanam que est circa pectus huius magne Galilee. Fertur et alias duas nomine Marias hunc similiter transmigrasse. Nonne in diocesi Papiensi est quoddam monasterium monialium ordinis Vallis umbrose quod dicitur monasterium Galilee, a quo non multum longe est uillula nomine Gallia? Ecce quod Galilea est in pectore lucida et in uentre umbrosa, donec illis sedentibus in tenebris et in umbra mortis illuceat admirabile lumen, quasi Papiense Lomellum. In fine euangelii secundum Matheum dicitur « XI discipulos in Galileam abisse in www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Fait le 4 des ides de septembre [10 septembre 1337], non pas pour les événements cités plus haut mais pour ce chapitre. Que l’on voit en 2e lieu s’il s’agit de Lucera dans la province de Bénévent ou de Nuceria dans la région de Spolète, afin que je ne sois pas taxé d’erreur. Ce frère, passé du pied de la Hongrie au pied de la Pouille, dispose du témoignage apporté par la petite ville de Lucera, pour ainsi dire la lampe qui est à mes pieds, c’est-à-dire la Parole de Dieu, pour qu’elle soit « lumière sur mes chemins »1, comme la Lomello de ma renaissance. Ce qui me permet de décerner les honneurs et la gloire non à la personne de cet homme ou d’un autre, mais au saint et universel collège des prélats, afin que leur assentiment, non par les mots mais par les œuvres, soit pour moi une lampe et une lumière. L’ÉMIGRATION

DE L’ÉGLISE ACTUELLE, NON PAS EN TERMES DE GÉOGRAPHIE MAIS DE

MORALE

Les habitants du désert d’Arabie ou d’Égypte2 et du mont Carmel3 ne possédaient rien de personnel dans leur vie solitaire, et pas davantage de biens immeubles ou meubles en commun. Aujourd’hui, les Ermites originaires du désert de Saba4 et de l’Arabie du petit monde, entre le ventre et la cuisse de la Toscane de la grande Europe5 (comme si l’encens de Saba venait de Toscane), ainsi que les Carmes originaires du Carmel de la grande Asie naturelle, devenus tous voyageurs et voisins, avec quelques biens meubles en commun mis de côté, s’avancent avec un cœur uni dans la foi et la vertu à la rencontre des Prêcheurs et des Mineurs, dont la pauvreté est semblable mais multiforme. Et tous ensemble, tels des apôtres voyageurs, non par un déplacement géographique mais par des progrès significatifs, ont désormais quitté la terre de Judée devenue Sodome et l’Égypte, et émigrent vers la Galilée universelle des nations (c’est-à-dire l’Europe fidèle) où l’on pratique la règle apostolique. L’Europe est la véritable Galilée, elle qui – non seulement entre les épaules de la petite Bretagne de Gaule et les organes génitaux de la Gaule cisalpine, mais aussi entre le sommet de la tête du refuge qu’est la Gaule, y compris la région de Galice, et l’ongle de la Galatie du serpent de Grèce (soit ce qu’on appelle la grande et la très grande Gaule) – peut être réellement qualifiée de Galilée; et c’est là que le Seigneur a annoncé à ses apôtres qu’il se retirerait après sa Résurrection. En effet, Galilée et Gaule veulent dire la même chose. « Après ma Résurrection, dit-il, je vous précéderai en Galilée »6. Et l’ange en s’adressant aux femmes: « Allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée »7. De même, le Seigneur ressuscité dit à ces femmes: « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là ils me verPs 119, 105. Allusion aux premiers temps du monachisme. 3 Mont Carmel: montagne au-dessus de Haïfa, considérée comme le berceau de l’ordre des Carmes. 4 Désert de Saba: aujourd’hui le Yémen. 5 Voir le « petit monde » de V 6. 6 Mt 26, 32 et Mc 14, 28. 7 Mc 16, 7. 1 2

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FOL.

43v°

montem ubi constituerat ille Ihesus ». Vbi finaliter dixit ad eos: « Data est mihi omnis potestas in celo et in terra et cetera »; « et ecce ego uobiscum sum omnibus diebus et cetera », quod intelligendum est in pectore totius Europe quo non est excelsior mons in hac maxima Galilea, non secundum apparentiam sed secundum existentiam. Nam ualde sublimior est aquila pectoralis quam homo capitalis (id est intellectus quam ratio). Caput enim et tibia Italica flexibiliter demonstrantur (id est Hispania hominis et Roma leonis a dextris); bos autem sub pede sinistro; et aquila pectoralis animalia reliqua per intellectum excedit. Ecce Ezechiel prima descriptio in transmigratione que dicitur Galilea (id est Gallia uniuersalis), que a Constantinopoli usque ad Constantiam minoris Britanie exhibet magnam constantiam, quasi per eandem lineam rectam; que de Bizantio uetula femina in Constantinopolim uirginem iuuenem est conuersa.

Spiritualis descriptio totius Europe Caput Europe cum collo uel gutture quod largo modo uocatur Hispania, que interpretatur accinctio uel expeditio, significat uniuersalem Ecclesiam temporalibus expeditam secundum affectum et omni uirtute precinctam. A pectore sursum usque ad humeros, regnum Francie nominatum significat uniuersalem Ecclesiam regno libertatis gaudere et ab omnibus peccatis liberam esse. A pectore deorsum usque ad lumbos, terra Imperii nominata significat uniuersalem Ecclesiam esse iuris imperii Ihesu Christi habitantis in dextera pectoris eius per uicarium suum in omnibus. Sinistra eius usque ad terga uocata Germania (alias Alemania) significat uniuersalem Ecclesiam esse Christi germanam, quasi aliam manum conuersam a sinistra in dexteram. Crus dextrum appellatum naturalis Italia que interpretatur « mens excedens », que et patrimonium Ecclesie, significat uniuersalem Ecclesiam esse excessiuam in Deo et hereditatem atque patrimonium Ihesu Christi. Crus sinistrum Sclauonicum et seruile uocatum usque ad fimbrias Bulgarie et ultra significat uniuersalem Ecclesiam esse seruilem in seruitute uere iustitie conseruande. Insule purgatorie accurrentes ad collum, non collum ad illas, significant sollicitudiwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ront » 1. C’est pourquoi Marie-Madeleine, la première à annoncer la Résurrection du Seigneur2, émigra avec sa sœur Marthe dans la Provence de Gaule, aux environs de la poitrine de cette grande Galilée. Et on dit que deux autres femmes du nom de Marie ont également émigré là3. N’y a-t-il pas dans le diocèse de Pavie un monastère de moniales de l’ordre de Vallombreuse qu’on appelle le monastère de Galilée, non loin duquel se trouve un petit domaine nommé Gallia? C’est ainsi que la Galilée se trouve dans la poitrine lumineuse et dans le ventre obscur, jusqu’à ce que l’admirable lumière (c’est-àdire Lomello de Pavie) illumine ceux qui se trouvent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort4. À la fin de l’évangile de Matthieu, on dit que « les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne où Jésus leur avait donné rendez-vous »5. Là, il leur dit pour finir: « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre etc. Et voici que je suis avec vous pour toujours etc.»6; il faut comprendre qu’il se trouve dans la poitrine de l’Europe tout entière, qui possède la montagne la plus élevée de cette très grande Galilée, non d’après les apparences mais d’après la réalité. Car l’aigle de la poitrine est bien supérieur à l’homme de la tête (c’est-à-dire l’intelligence à la raison). En effet, la tête et la jambe de l’Italie font voir leur souplesse (c’est-à-dire l’Espagne de l’homme et la Rome du lion à droite); mais le bœuf [reste] sous le pied gauche; et l’aigle de la poitrine dépasse les autres animaux par l’intelligence7. Voici la première représentation d’Ézéchiel dans son exil8: on l’appelle la Galilée (c’est-à-dire la Gaule universelle); elle qui, de Constantinople à Constantia9 en petite Bretagne, montre une grande constance, en passant pour ainsi dire par la même ligne droite, et qui, à partir de Byzance, la vieille femme, est changée en une jeune vierge, Constantinople. Description spirituelle de toute l’Europe La tête de l’Europe, y compris le cou et la gorge, qu’on appelle de manière large l’Espagne – laquelle veut dire l’action de se ceindre ou de se dégager – représente l’Église universelle dégagée de ses attachements temporels et ceinte de toute sa puissance. Entre la poitrine et, en haut, les épaules, le royaume dont le nom est France indique que l’Église universelle est heureuse du royaume de la liberté et qu’elle est affranchie de tous les péchés. Entre la poitrine et, en bas, les organes génitaux, la terre qualifiée d’Empire indique que l’Église universelle appartient au pouvoir de Jésus-Christ, qui habite dans la droite de sa poitrine, par l’intermédiaire de son

Mt 28, 10. Voir Jn 20, 18. 3 Allusion à la condensation opérée par Opicinus sur le personnage de MarieMadeleine. 4 Voir Mt 4, 16 et Lc 1, 79; et Is 9, 1. 5 Mt 28, 16. 6 Mt 28, 18-20. 7 Opicinus utilise simultanément les animaux évangéliques et la géographie. 8 C’est-à-dire Opicinus en exil à Avignon. 9 Il s’agit peut-être de Coutances. 1 2

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FOL.

43v°-44

nem uniuersam. Et guttur colligatum patrimonialibus insulis significat sanctam et integram confessionem omnium peccatorum in publico. Additum anno perfectionis, XV kalendas maii, feria VIª in albis, cum legitur: « Data est mihi omnis potestas in celo et in terra ». XII

[fol. 44] Collatio Prouincie cum Lombardia Ritus Prouincie in oratione dominica inter missarum sollempnia, cum dicit: « Fiat uoluntas tua sicut in celo », subleuat altius hostiam et calicem, significans primo sanandum pectus celestium. Cum uero dicit: « et in terra », utrumque deponit, significans postmodum sanandum uentrem terrestrium. Sicut enim inter signa celestia sunt Gemini aerei uel celestes usque ad pectus gemine caritatis, ita est Virgo terrestris que dicitur uenter noster. Vbi est copia stercorum, ibi est fertilitas maior agrorum.

TESTIMONIA

MONETARVM AD REM

Sicut antiquitus in Tuscia pre ceteris nominabatur moneta lucana, ita in Lombardia moneta Papiensis, sicut habetur extra. 1 Nunc moneta mediana, cuius numerus dicitur medianus uel communiter « Papiensis », habetur media inter obolum seminummi et imperialem duplicis nummi, licet Papia faciat imperialem sicut et medianum. Si medianus qui communiter dicitur « Papiensis », minor imperiali, intelligatur de minoritate papali et maioritate imperiali, tunc error intollerabilis iudicatur. Si uero intelligatur de sola apparentia non existentia, tunc Lombardia uentralis censetur exigere supra se maius imperium quam papatum, durante sua discordia, et nos clerici pectorales habemus papam dominum medianum, ut sit noster inter Deum et homines mediator, cum sit uere uicarius Dei nostri habitantis in medio pectoris nostri.

1 Opicinus a laissé un espace au début de la ligne: avait-il l’intention de faire un petit dessin?

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vicaire en toutes choses. Sa main gauche1, qui va jusqu’au dos qu’on nomme Germanie (ou Alémannie), indique que l’Église universelle est la sœur germaine du Christ2, telle une autre main changée de gauche en droite. La jambe droite qu’on appelle l’Italie naturelle – ce qui veut dire « l’esprit entrant en extase »3 – qui est aussi le patrimoine de l’Église, indique que l’Église universelle est ravie en Dieu, et qu’elle est l’héritage et le patrimoine de Jésus-Christ. La jambe gauche, appelée slave et esclave, qui va jusqu’aux extrémités de la Bulgarie et au-delà, indique que l’Église universelle est asservie à la servitude que représente le respect de la véritable justice. Les îles du purgatoire qui accourent vers le cou, et non le cou vers elles, indiquent les tourments universels. Et la gorge attachée aux îles patrimoniales4 indique une confession sainte et entière des péchés en public. Ajouté l’année de la perfection, le 15 des calendes de mai, la 6e férie [vendredi 17 avril 1338]5, lorsque [le prêtre] en blanc lit: « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre »6. XII [fol. 44] RESSEMBLANCES

ENTRE LA

PROVENCE

ET LA

LOMBARDIE

Dans la coutume provençale, lorsqu’on dit, dans la prière adressée au Seigneur qui fait partie des moments importants de la messe: « Que ta volonté soit faite comme au ciel »7, on lève plus haut l’hostie et le calice; ce qui indique qu’il faut d’abord guérir la poitrine du ciel. Et lorsqu’on dit: « et sur la terre », on dépose les deux; ce qui veut dire qu’aussitôt après, il faut guérir le ventre de la terre. En effet, de même que, parmi les signes du ciel, il y a les Gémeaux, signes de l’air ou du ciel qui englobent la poitrine de la charité double, de même il y a la Vierge, signe de terre, qu’on appelle notre ventre. Là où le fumier est abondant, là les champs sont plus fertiles. TÉMOIGNAGES

MONÉTAIRES POUR LA VÉRITÉ

De même que dans les temps anciens, en Toscane, la monnaie de Lucques8 était frappée plus que les autres, de même en Lombardie, c’est le cas de la monnaie de Pavie, comme on le pense dans les environs. Aujourd’hui, la monnaie courante qui, une fois frappée, est appelée médian ou monnaie courante « de Pavie », est considérée comme intermédiaire9 entre

1 La main gauche de l’Europe est rarement représentée sur les cartes d’Opicinus (ex: V 6, V 14, V 25). 2 Jeu de mots Germania/germanam. 3 Voir fol. 49v°. 4 C’est-à-dire la Sardaigne et la Corse: voir V 21, note 2. 5 Vendredi après Pâques, dont l’évangile est Mt 28, 16-20. 6 Mt 28, 18. Cette citation inspire directement les propos mégalomaniaques d’Opicinus dans cet additum. 7 La formule latine du « Notre Père » est bien celle-ci. 8 Il s’agit des gros de Lucques. 9 Jeu de mots mediana/medianus/media.

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FOL.

44

Melius lucrum habemus per unum medianum (id est mezanum), qui uocatur moneta Papiensis, quam illi per unum imperiale, qui uocatur communiter moneta aliarum ciuitatum. Medianus Papiensis est papa; moneta imperialis est Cesar.

Collatio loci cum tempore Cum ordinarer presbiter in utero Lombardie, sabbato IIIIe ebdomadarie XLe, lecta est lectio Ysaie de similitudine mulieris nequeuntis « obliuisci infantem suum, ut non misereatur filio uteri sui »; quod misterium nondum intelligere poteram. Testimonia Tuscie Audio hospitale de Altopassu circa principium dextri femoris subleuati, ut nostra Europa faciat altum passum. Vt gracilitas femoris suppleatur ex patrimonialibus insulis, Pisa femoralis trahit post se primatum Sardinie cum suffragali prouincia Corsica. De diuina sapientia conuertente malum in bonum Tyrus Phenicis in uertice diabolici maris significat tyrannidem hominis, ut dicatur a Tyro tyrannus. Quanto enim est uenenum acrius huius Tyri de genere serpentino, tanto exinde trahitur tyriace melior medicina. Testimonium de caritate In capite Hispanie scribitur carbonerium, ut publice confiteatur Europa se fuisse inimicam Dei et proximi in Affrica, donec super caput suum fuissent congesti carbones igniti, in testimonium caritatis que solet inimicum conuertere in amicum (ad Romanos XII°, circa finem).

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l’obole d’une demi-drachme et l’impérial de deux drachmes, bien que Pavie fabrique l’impérial autant que le médian. Si le médian qu’on appelle couramment « de Pavie », plus petit que l’impérial, exprime l’infériorité du pape et la supériorité de l’empereur, il s’agit alors d’une erreur de jugement intolérable. En revanche, s’il indique seulement les apparences et non la réalité, dans ce cas, la Lombardie du ventre est considérée comme demandant à être soumise à un pouvoir plus grand que celui du pape1, tant que dure sa guerre civile; et nous, les clercs de la poitrine, nous avons le pape pour seigneur intermédiaire, pour qu’il soit notre médiateur2 entre Dieu et les hommes, puisqu’il est vraiment le vicaire de notre Dieu habitant au milieu de notre poitrine. Nous faisons plus de bénéfices avec un médian (c’est-à-dire un mezan), qu’on appelle la monnaie de Pavie, qu’eux avec un impérial que l’on qualifie couramment de monnaie dans les autres villes. Le médian de Pavie, c’est le pape; la monnaie impériale, c’est l’empereur. Rapprochement du lieu et du temps Quand j’ai été ordonné prêtre dans le sein de la Lombardie, le 4e samedi de la 40e semaine3, on a lu la lecture d’Isaïe sur la femme qui ne peut « oublier son petit enfant, être sans pitié pour le fils de ses entrailles »4; or je ne pouvais pas encore comprendre ce mystère. Témoignages de Toscane J’ai entendu dire que l’hôpital du Hautpas se trouve aux environs du début de la cuisse droite soulevée pour que notre Europe fasse un pas vers le haut5. Afin de compenser la maigreur de la cuisse avec les îles patrimoniales, Pise de la cuisse ramène à elle la primatie de Sardaigne ainsi que la province suffragante de Corse. La divine sagesse qui change le mal en bien Tyr en Phénicie, sur le sommet de la tête du diable, indique la tyrannie de l’homme, si bien que le mot tyran vient de Tyr. En effet, plus le poison de cette Tyr qui appartient à l’espèce du serpent est violent, meilleur est le remède de la thériaque qui en sort6. Témoignage concernant la charité Sur la tête de l’Espagne, il y a une inscription en noir7, si bien que l’Europe avoue publiquement qu’elle a été l’ennemie de Dieu et de son prochain en Afrique,

C’est -à-dire être soumise à Dieu-Opicinus. Jeu de mots medianum/mediator. Ici, Opicinus est le pape. 3 Jonglerie numérologique sur 4 et 40. 4 Is 49, 15. Opicinus s’identifie à cette femme. 5 C’est-à-dire en Italie du Nord. 6 Jeu de mots Tyrus/tyrannus/tyriace. 7 Voir V 11, note 21; fol. 77v°; V 22, note 26; et/ou d’autres expressions écrites en noir au-dessus de la tête de l’Espagne dans les cartes du Vaticanus. 1 2

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FOL.

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De personali iudicio Si ego qui sum mancipium genitale circuncisum in capite, habuero affectionem ad auream pecuniam Florentinam, tunc iudicatus sum fornicator contra naturam, inherens femori Tuscie, relicto debito uase Venetie in contumeliam cleri qui est dominus meus, cuius sum miserabilius membrum. Comparatio Papie uniuersalis ad mundum Sicut primus Constantinus augustus fuit maior patronus uniuersalis Ecclesie, ita in uniuersali Papia Constantinopolis, que est ultra terminum barbe maris, cadit circa progeniem medie barbe, ex qua processit magnus patronatus ecclesiarum Papie. Sicut olim consularitas Romana prelata pre omnibus regibus terre transiuit in nichilum, ita quondam consularitas Papiensis urbem gubernans nunc uilitas reputatur. Curator annone Romane magnus habebatur, cuius nunc nulla fit mentio; et in uniuersali Papia capella Sancti Romani minoris loco urbis Rome conuersa est in horreum uenalis annone in alimenta iumentorum, ubi uenditur spelta et auena. Collatio nominis Papie cum papa Si transferetur Romana curia in Papiam, tunc in stilo ab aduenis haberetur intelligendi confusio hoc modo: « Datum Papie [pp], kalendis ianuarii, pontificatus domini Benedicti pape [pp] XII, anno tali et tali », in nullo discernitur Papia a papa. Si autem scriberetur: « Datum Papie et cetera domini Benedicti pape », tunc discerneretur dictio distensa a dictione breuiata. Si uero ambe dictiones scriberentur distense « Papie » et « pape » – quod non consueuit facere stilus curie de dictione distensa pape – tunc per minimum iota (quod est i) discerneretur Papia a papa. Sic scribunt Papienses expensas suas: « Primo expendi in tali re s. XX pp » (id est solidos uiginti Papiensium).

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jusqu’à ce que des charbons ardents aient été amassés sur sa tête, en témoignage de la charité qui a l’habitude de changer l’ennemi en ami (épître aux Romains 12, vers la fin1). Opinion personnelle Si moi, qui suis l’esclave de naissance à la tête découpée/circoncise, je m’attache à la monnaie florentine en or, je suis alors considéré comme celui qui fait un cercle/un fornicateur contre nature en restant attaché à la cuisse de Toscane2, le dû du vase/vagin de Venise étant abandonné pour faire honte au clergé qui est mon maître et dont je suis un membre plutôt indigne. Comparaison entre l’universelle Pavie et le monde De même que le vénérable Constantin fut le premier grand protecteur de l’Église universelle, de même, dans l’universelle Pavie, Constantinople, qui se trouve au-delà du bout de la barbe de la mer, tombe aux environs de la lignée du milieu de la barbe3, d’où est issue une importante protection pour les églises de Pavie. De même que l’antique fonction de consul romain, supérieure à tous les rois de la terre, a été anéantie, de même l’ancienne fonction de consul de Pavie qui gouvernait la ville est aujourd’hui tenue pour insignifiante. Le préfet de l’annone à Rome4 était considéré comme important, alors qu’aujourd’hui on n’en parle plus; et dans l’universelle Pavie, la chapelle de Saint-Romain le Mineur5 de la ville de Rome est devenue un grenier de provisions à vendre pour nourrir les bêtes de somme (on y vend de l’épeautre et de l’avoine). Ressemblances entre les noms de Pavie et du pape Si la curie romaine était transférée à Pavie, la formule suivante serait équivoque pour se faire comprendre des étrangers: « Fait à Pavie [pp], le jour des calendes de janvier [1er janvier]6 du pontificat du seigneur Benoît XII, pape [pp], en telle année »; on ne fait aucune différence entre Pavie et pape. Alors que si l’on écrivait: « Fait à Pavie etc. du seigneur Benoît pape », on pourrait alors faire la différence entre l’expression développée et l’expression abrégée. Et si, dans les deux expressions, on écrit « Pavie » [Papia] et « pape » [papa] en les développant (mais la curie n’a pas l’habitude d’écrire en développant l’expression relative au pape), c’est alors un tout petit iota (c’est-à-dire i) qui fait la différence entre « Pavie » et « pape ». Les gens de Pavie rédigent leurs dépenses comme suit: « J’ai d’abord dépensé 20 pp (c’est-à-dire 20 sous de Pavie) pour telle chose ».

1 2 3 4 5 6

Voir Rm 12, 20-21. Voir V 22 et V 25. Voir V 29. Le préfet de l’annone avait la responsabilité du ravitaillement de Rome. Cette église est citée dans le De laudibus. Sur l’importance primordiale du 1er janvier chez Opicinus, voir fol. 75v° et V 22.

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FOL.

44-44v°

De intentionibus mentium humanarum Viri perfecti prouidentes consanguineis suis de temporalibus bonis, ut melius inde proficiant in uirtutibus, propter bonam intentionem non peccant, sed inde merentur. Ego autem propter labile uitium meum, non uideo in talibus me perfectum. Carnalis enim affectio me submergit, que in nullo tangit perfectos. Additum in octaua natiuitatis sancte Marie. De falsis consiliis et falsis miraculis Siquis ueniens ad me petierit consilium quod agendum sit de infirmitate sua carnali uel alicuius sui consanguinei uel amici aut iumenti, seu de aduersitate talis regni, ciuitatis uel castri, et ego inducam eum ad uotum faciendum tali ecclesie uel tali sancto, et Deus exaudiat eum in eo quod petit, et reddito uoto ipse nichilominus perstiterit in modica fide per euidentiam operum sicut prius, signa illa ex parte Dei et illius sancti sunt signa ueracia; ex parte autem istius persistentis in cecitate sua et ex parte mei qui illum seduxi, sunt illa signa fallacia. Sum enim unus ex illis de quibus predixerat Dominus: « Dabunt signa magna et prodigia », ita ut in errorem inducantur si fieri potest etiam electi (subaudi per falsa sua consilia). Verum enim consilium est consulere homini, ut totaliter se committat obedientie proprii sacerdotis non alterius. Additum anno perfectionis, XIII kalendas iunii, uigilia Ascensionis, in nocte. [fol. 44 v°] ab oriente Parma miliaria Papia1 ab occidente DE

XXXV

miliaria

Placentia

XXX

TESTIMONIO PERSONALI

In tota Lombardia non inueniuntur tres ciuitates immediate in eadem linea incipientes per P nisi iste. Cum enim essem promouendus in presbiterum capellanus cathedralis ecclesie Papiensis, propter occasionem scandali ciuitatis non potui ibi ordinem nec litteras obtinere. Accepto autem consilio, accepi rite et canonice sine aliqua pactione quemdam titulum Placentini diocesis (cuius tituli ecclesiam nunquam uidi nec locum), quam non post multos dies occasione magis onerum quam fructuum liberta uoluntate dimisi, precibus tamen alterius clerici uolentis eam occasione consimili acceptare. Ex huiusmodi igitur titulo obtinui litteras a uicariis episcopi Placentini ad quemcumque archiepiscopum uel episcopum ad ordinem obtinendum, ex quibus fui promotus

1 Les initiales P de Parma, Placentia et Papia sont plus grandes et plus épaisses que le reste du texte.

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433

Les intentions de l’esprit humain Les hommes parfaits qui fournissent des biens temporels à ceux qui sont de leur sang, pour leur permettre de faire davantage de progrès dans les vertus, ne commettent pas de péché car leurs intentions sont valables; ils renforcent ainsi leurs mérites. Mais moi, à cause de ma perversité inconstante, je remarque que je ne suis pas parfait en ce domaine. En effet, les attachements charnels m’accablent, alors qu’ils n’affectent en rien les parfaits. Ajouté dans l’octave de la nativité de sainte Marie [15 septembre 1337]. Les conseils trompeurs et les faux miracles Si quelqu’un vient me demander conseil sur ce qu’il doit faire pour la maladie physique dont il souffre – ou pour celle d’un de ses parents, amis ou bêtes de somme, ou pour les malheurs qui frappent tel royaume, ville ou château – moi aussi je l’amènerai à faire un vœu à telle église ou à tel saint, et que Dieu exauce sa demande, et si, une fois son vœu payé de retour, lui-même ne demeure nullement dans sa foi limitée antérieure grâce au caractère irréfutable des oeuvres accomplies, ces miracles, pour Dieu et pour le saint concerné, sont des miracles authentiques; alors que, pour celui qui demeure dans son aveuglement et pour moi qui l’ai séduit, ce sont de faux miracles. En effet, je fais partie de ceux au sujet desquels le Seigneur avait annoncé: « Ils produiront de grands signes et des prodiges »1, si bien qu’ils sont amenés par erreur à se demander s’il est encore possible qu’ils rejoignent les élus (sous-entendu avec leurs conseils trompeurs). En effet, le conseil sincère consiste à veiller à ce que l’homme s’en remette entièrement à l’obéissance envers son curé et non un autre. Fait l’année de la perfection, le 13 des calendes de juin, la veille de l’Ascension [20 mai 1338], pendant la nuit. [fol. 44v°] à l’est Parme 35000 pas2 Plaisance 30000 pas3 Pavie à l’ouest TÉMOIGNAGE

PERSONNEL

Dans toute la Lombardie, on ne trouve pas trois autres villes en-dehors de celles-ci qui commencent par P et se trouvent sur la même ligne droite. En effet, alors que j’étais chapelain de l’église-cathédrale de Pavie et devais être élevé à la fonction de prêtre, je n’ai pu, en raison des problèmes qui régnaient dans la ville, obtenir ni ordination ni lettres. Mais ayant accepté des conseils, j’ai reçu de manière régulière et canonique, sans aucun arrangement, une nomination dans le diocèse de Plaisance (nomination pour laquelle je n’ai jamais vu ni l’église ni l’emplacement), à laquelle j’ai décidé de mon plein gré de renoncer peu de temps après, car elle m’apportait plus de charges que de revenus, sur les prières, néanmoins, d’un autre clerc qui voulait la recevoir pour des raisons du même genre.

1 2 3

Mt 24, 24. Soit environ 52 km. Soit environ 44 km.

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434

FOL.

44v°

in presbiterum per episcopum Parmensem et in ecclesia cathedrali. Ecce capellanus Ecclesie Papiensis, examinatus in Ecclesia Placentina, fui ordinatus in Ecclesia Parmensi. Et sic transiui a P. per P. ad P. Omnes ordines habui in XLª, non alio tempore, scilicet IIIIor minores in temporibus ieiunii primi; reliquos autem sacros, scilicet subdiaconatum sabbato IIIIe ebdomadarie XLe, et diaconatum Sabbato sancto, et anno sequenti presbiteratum sabbato quo subdiaconatum. Ecce quod nullum ordinem sacrum habui in temporibus IIIIor ordinatis – que sunt ieiunia primi, quarti, septimi et decimi – sed in illis duobus sabbatis extraordinariis; non sine misterio facta sunt hec.

DE

VERA MODERNA DISCORDIA

Non est maior aduersatrix et rebellis Ecclesie spiritualis quam Ecclesia partialis, deinde Ecclesia corticalis. Ecclesia partialis habet leonem effundentem sanguinem christianum per concordiam partialis Imperii; Ecclesia corticalis habet draconem inficientem et corrumpentem Ecclesiam uirginalem. Primo fui fautor Ecclesie partialis, magis affectu quam actu; deinde adhesi Ecclesie corticali, que facit claudere oculos hominum a salubri consilio animarum et oculos aperire ad corruptibiles fructus. Et sic fui in duplo persecutor spiritualis Ecclesie. DE

VITIIS RVSTICANIS

Persone rustice Papienses, sicut conspexi, cum sunt in reddendis uotis uigiliarum, dormiunt in ecclesiis tota nocte, et sic nullum uotum redditum est. Cum autem habent arbitrium dormiendi, fere tota nocte uigilant in fabulis, commessationibus et impudicitiis, aut uoluntarie assumunt custodias et uigilias partiales. Et ego unus ex illis, tempore ieiuniorum, plus deuoro in uno pastu quam aliis diebus, bis uel pluries una die; ecce nullum uerum ieiunium. Ore meo adoro Deum, corde autem ydola mea; ecce nulla uera oratio. Si post tantam scientiam boni et mali reuersus fuero ad helemosinas corporales, pasco sterilem que non parit et uidue nullum facio bonum. Ad simplices pertinet facere corporales helemosinas; ad expertos autem spiritualia operari. Non enim possunt simplices tam cito ad spiritualia scandere nec debent experti ad temporalia plus redire. Actum III idus septembris.

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435

J’ai donc, du fait de cette nomination, obtenu des lettres des vicaires de l’évêque de Plaisance pour recevoir l’ordination de n’importe quel archevêque ou évêque, ce qui m’a permis d’être élevé à la fonction de prêtre par l’évêque de Parme et dans l’église-cathédrale. C’est ainsi que, chapelain de l’Église de Pavie, ayant fait mes preuves dans l’Église de Plaisance, j’ai été ordonné dans l’Église de Parme. Et je suis ainsi passé de P. à P. en passant par P.1 J’ai reçu tous les ordres pendant le Carême et non à un autre moment, c’està-dire les 4 ordres mineurs à l’époque du jeûne du premier mois2, et pour ce qui est des autres saints ordres: le sous-diaconat, le samedi de la 4e semaine de Carême3; le diaconat, le Samedi saint4; et l’année suivante, la prêtrise, le samedi où j’avais reçu le sous-diaconat5. Ainsi je n’ai reçu aucun ordre saint [majeur] lors des quatre-temps réglementaires – à savoir les jeûnes du premier, du quatrième, du septième et du dixième mois6 – mais lors de ces deux samedis exceptionnels; cela n’est pas arrivé sans mystère. LA

VÉRITABLE DÉSUNION ACTUELLE

L’Église spirituelle n’a pas pire ennemie et adversaire que l’Église partisane, puis l’Église de superficielle. L’Église partisane possède un lion qui répand le sang chrétien avec l’approbation de l’Empire partisan; l’Église superficielle possède un dragon qui souille et corrompt l’Église virginale. J’ai d’abord été un défenseur de l’Église partisane, de façon plus sentimentale qu’active; puis j’ai adhéré à l’Église superficielle, qui pense que les yeux des hommes se ferment aux conseils salutaires pour leurs âmes et s’ouvrent aux bénéfices corruptibles. Et ainsi j’ai été doublement le persécuteur de l’Église spirituelle. LA

DÉPRAVATION DES PAYSANS

Les paysans de Pavie, comme je l’ai constaté, lorsqu’ils veillent pour présenter leurs vœux, dorment dans les églises toute la nuit; et ainsi aucun vœu n’est présenté. Et alorsqu’ils ont la possibilité de dormir, ils veillent presque toute la nuit, au milieu des bavardages, des orgies et de la débauche. Ou bien ils assument de plein gré des gardes et des veilles pour un parti. Et moi qui suis l’un d’entre eux, à l’époque des jeûnes, j’engloutis davantage de nourriture en un seul repas que les autres jours, et ce, deux ou plusieurs fois par jour; ainsi il ne s’agit 1 Comme d’habitude, Opicinus utilise tout ce qui peut justifier sa destinée exceptionnelle: ici, les trois P des villes qui concernent son accession à la prêtrise. 2 Il s’agit des quatre-temps de printemps. En 1319, Pâques a eu lieu le 8 avril; le Carême a commencé le mercredi des Cendres 21 février; les quatre-temps de printemps correspondaient aux 21, 23 et 24 février. D’après P 20, Opicinus a reçu les (quatre) ordres mineurs les 2 et 3 mars 1319: il les a peut-être reçus en deux fois. 3 Samedi 24 mars 1319. Le samedi de la 4e semaine du Carême, on lisait notamment l’évangile de Jn (8, 12-20): « Je suis la lumière du monde…». 4 Samedi 7 avril 1319. 5 Samedi 15 mars 1320 (Pâques: 30 mars). Même évangile que pour le 24 mars 1319. 6 Il s’agit des quatre-temps du printemps, de l’été, de l’automne et de l’hiver.

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436

RATIONES

FOL.

44v°-45

DE REGNO CORPOREO IHESV

CHRISTI

Nulla facit reuerentiam nunc Papia aduentui patris sui Syri cum comite suo Yuentio, que in die conuersionis sue (que est hodie) illos gratanter excepit in domum suam. Nunc in testimonium sui contra se hanc diem ignorat, de qua nulla mentio nec commemoratio fit ibidem. Et ideo tertia die ab hac pronuntiatur euangelium de iudicio mundi. Hodie, anno renouationis, est feria VIª; tertia autem die dominica, est Exaltatio sancte Crucis: « Hodie Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem, mortem autem crucis ». Propter quod tertia die diuinitus exaltatur et titulus triumphalis et preeminentia nominis Ihesu Christi, quod in spirituali imperio dignoscitur refulgere. Nam spirituale imperium temporale concludit, non econuerso. Nisi enim esset reuerentia spiritualis imperii pre omnibus regnis mundi, nunquam illucesceret nobis exaltatio nominis Ihesu Christi. Tanta est unio diuinitatis et humanitatis in Christo – cum discretione tamen naturarum, uoluntatum et operationum in eo – ut ubicumque regnat spiritualiter, sine dubio intelligatur regnare corporaliter; alioquin Christus esset diuisus – quod nefas est cogitare – secundum opinionem erroneam dicentium Christum in patria regnare spiritualiter et corporaliter secundum utramque naturam (quod uerum confiteor) et in nobis regnare spiritualiter tantum, nisi adesset sacramentum altaris (quod [fol. 45] erroneum iudico). Ponamus quod cessaret sacramentum altaris propter aliquam occasionem et esset in nobis sancta congregatio fidelium perfectorum, qui forte nunquam sumpsissent sacrosanctum sacramentum eucharistie propter occasionem predictam, sicut potest esse in pluribus locis mundi, credentibus illis fidelibus firmiter omnes articulos catholice fidei, habentibus in seipsis ueram mutuam caritatem cum caritate diuina, preuia semper obedientia sacerdotis: numquid possumus asserere Christum regnare in nobis spiritualiter tantum, et non corporaliter et spiritualiter simul? Ista confessio esset heresis et erroris assertio, quod non aliud esset nisi negare Christum in carne uenisse. Opinaremus enim, quasi habentes falsum pro uero, Christum regnare in nobis spiritualiter tantum, quod non esset aliud dicere nisi Christum in nobis esse Deum tantum non hominem: asseritur diuinitas et negatur humanitas, que est maxima heresis. Nam ante www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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437

aucunement d’un véritable jeûne. Avec mes lèvres j’adore Dieu, mais avec mon cœur, mes idoles; ainsi il ne s’agit aucunement d’une vraie prière. Si après une telle connaissance du bien et du mal, je reviens aux aumônes corporelles, je nourris la stérile qui n’enfante pas et je ne fais aucun bien à la veuve1. Il appartient aux gens simples de faire des aumônes corporelles, mais aux gens expérimentés d’accomplir des œuvres spirituelles. En effet, les gens simples ne peuvent pas parvenir si vite aux biens spirituels, et les gens expérimentés ne doivent pas davantage revenir aux affaires temporelles. Fait le 3 des ides de septembre [11 septembre 1337]. EXPLICATIONS

SUR LE RÈGNE CORPOREL DE

JÉSUS-CHRIST

Aujourd’hui, Pavie ne salue aucunement la mémoire de l’arrivée de son père Syr avec son compagnon Yvent2, elle qui, le jour de sa conversion (à savoir aujourd’hui), les a reçus avec reconnaissance chez elle. Aujourd’hui, elle témoigne contre elle en négligeant ce jour mémorable dont on ne fait ici aucune mention ni commémoration. Et c’est pourquoi, le troisième jour à compter de celuici, c’est l’évangile sur le jugement du monde qui est proclamé3. Aujourd’hui, en l’année du renouvellement, nous sommes la 6e férie [vendredi]; et le troisième jour est un dimanche et correspond à l’Exaltation de la sainte Croix: « Aujourd’hui, le Christ s’est fait pour nous obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix »4. C’est pourquoi le troisième jour, on exalte de manière sublime à la fois le titre de vainqueur et la primauté du nom de Jésus-Christ; et on reconnaît le rayonnement de son pouvoir spirituel. Car le pouvoir spirituel comprend le temporel et non l’inverse. En effet, si le pouvoir spirituel n’attirait pas la considération plus que toutes les royautés de la terre, la valorisation du nom de JésusChrist ne se mettrait pas à nous éclairer. La divinité et l’humanité du Christ sont si intimement unies – en distinguant cependant en lui les natures, les volontés et les œuvres – que, partout où il règne spirituellement, cela veut dire sans hésitation qu’il règne corporellement; sinon le Christ serait divisé (ce qu’il est sacrilège de penser), comme le croient par erreur ceux qui disent que le Christ règne dans la patrie spirituellement et corporellement conformément à ses deux natures (ce que je trouve juste) et qu’il ne règne en nous que spirituellement, à moins que le sacrement de l’autel ne soit présent (ce que [fol. 45] je considère comme inexact). Supposons que le sacrement de l’autel disparaisse pour une raison quelconque et qu’il y ait en nous la sainte communauté des fidèles parfaits qui n’ont peut-être jamais reçu le très saint sacrement de l’eucharistie pour la raison indiquée plus haut5, comme cela est possible dans plusieurs endroits de la terre, sachant que ces fidèles croient fermement tous les articles de la foi catholique, ayant en eux-

Voir Jb 24, 21. Fêtée le 12 septembre. 3 Il s’agit du 14 septembre: fête de l’Exaltation de la sainte Croix (évangile: Jn 12, 3136: «… Voici pour ce monde l’heure du jugement…»). Voir V 2. 4 Ph 2, 8. Texte du graduel du 14 septembre. 5 Allusion à l’interdit dont Pavie était frappée. 1 2

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438

FOL.

45

Incarnationem Verbi fideles credentes in eum cuius Incarnationem ardentius expectabant, habebant iam Christum in se, spiritualiter in re et corporaliter in spe. Credentes uerum Deum eternum sine dubio incarnandum, iam confitebantur prophete, licet sub obscuritate uerborum, Ihesum Christum uerum Deum et uerum hominem. Post Incarnationem uero Christi, nos clarius confiteri compellimur Christum regnare in nobis spiritualiter et corporaliter, credentes Christum in nobis uerum Deum et uerum hominem, non Deum tantum sine homine, sicut heretici garriunt. Si uero nobis obiciant: « Quare institutum est sacramentum altaris, in quo uere fatemur Christum Deum et hominem in indissolubili uinculo naturarum? », responsum est alibi pluries. Iterum refero: hoc sacrosanctum sacramentum altaris institutum est propter imperfectos fideles, ut ex uisibilibus signis credant firmiter inuisibilem rem quam habent perfecti in se. Et ideo Christus in cena nouissima tradidit hoc sacramentum discipulis suis adhuc imperfectis, sicut eorum imperfectio apparuit illa nocte. Beatissima uero Virgo Maria, Dei genitrix semper perfectissima, non indigebat huiusmodi sacramento; propter quod in Passione dominica pingitur iuxta traditiones antiquas illa mater Dei ad dexteram crucis, ad quam Filius eius caput inclinauit, in qua per fidem nomine totius Ecclesie spiritualiter et corporaliter habitabat. Vbicumque est perfectio fidei, Christus corporaliter habitat, non respectu persone sed uniuersalis Ecclesie. Respiciebat autem Europam quam inhabitationem elegerat corporalem; non dico de Europa uisibili, sed de Ecclesia uniuersali quam Europa significat.

DE

VITIIS RVSTICANIS

Rusticitas Papiensis euangeliorum contemptrix minorem honorem attribuit sanctis euangelistis quam pluribus aliis minoribus sanctis; et primum sancto Matheo euangeliste, in testimonium stultitie Papiensium quam uulgariter « matitia » dicunt, eo quod euangelicam predicationem et obseruationem reputant stultam. Nam durantibus uindemiis nulli uel quasi nulli deferunt diei festiuo. Sed propter festa sua lasciuia circa Pascha paulo maiorem honorem faciunt sancto Marco euangeliste quam sancto Matheo, et licet apud Deum sit eadem perfectio sanctitatis Mathei et Marci; in testimonium tamen contra seipsos, bestie Papienses magis www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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439

mêmes la vraie charité mutuelle ainsi que l’amour divin, et qu’ils ne cessent d’être guidés par l’obéissance à leur prêtre: en quoi pouvons-nous affirmer que le Christ ne règne en nous que spirituellement, et non à la fois spirituellement et corporellement? Une telle profession de foi constituerait une hérésie et une affirmation fausse, qui reviendrait à nier que le Christ est venu dans la chair. En effet, nous estimerions, comme si nous prenions le faux pour le vrai, que le Christ ne règne en nous que spirituellement, ce qui reviendrait à dire que le Christ est en nous seulement Dieu et non homme: la divinité est affirmée et l’humanité est niée, ce qui représente l’hérésie suprême. Car avant l’Incarnation du Verbe, les fidèles qui croyaient en celui dont ils attendaient assez ardemment l’Incarnation, avaient déjà le Christ en eux, spirituellement dans les faits et corporellement dans l’espérance. Croyant sans hésitation que le véritable Dieu éternel devait être incarné, les prophètes reconnaissaient déjà, bien qu’avec des paroles obscures, que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme. Et après l’Incarnation du Christ, nous sommes enclins à reconnaître plus facilement que le Christ règne en nous spirituellement et corporellement, en croyant que le Christ est en nous vrai Dieu et vrai homme, et non pas seulement Dieu (sans l’homme), comme les boniments des hérétiques le prétendent. Et s’ils nous font l’objection suivante: « Pourquoi at-on institué le sacrement de l’autel, dans lequel nous disons que le Christ est vraiment Dieu et homme, dans le lien indissoluble des natures? », la réponse se trouve ailleurs en plusieurs endroits. Je répète: ce très saint sacrement de l’autel a été institué pour les fidèles imparfaits, pour qu’à partir des signes visibles, ils croient fermement à l’invisible que les parfaits ont en eux. Et c’est pourquoi le Christ, lors de la dernière cène, a livré ce sacrement à ses disciples encore imparfaits (c’est ainsi que leur imperfection s’est manifestée cette nuit-là1). Quant à la très sainte Vierge Marie, la mère de Dieu toujours très parfaite, elle n’avait pas besoin de ce sacrement; c’est pourquoi, dans la Passion du Seigneur, on représente, en suivant la tradition séculaire, cette mère du Christ à droite de la croix, elle vers qui son Fils a incliné la tête, elle en qui il demeurait spirituellement et corporellement par la foi, au nom de l’Église tout entière. Partout où se trouve la foi parfaite, le Christ habite corporellement, eu égard non à la personne mais à l’Église universelle. Et il tournait la tête vers l’Europe qu’il avait choisie pour demeure corporelle; je ne parle pas de l’Europe visible, mais de l’Église universelle que l’Europe représente. LA

DÉPRAVATION DES PAYSANS

Les paysans de Pavie qui méconnaissent les évangiles saluent moins la mémoire des saints évangélistes que celle de plusieurs autres saints de moindre importance; et d’abord de l’évangéliste saint Matthieu, en témoignage de la folie des gens de Pavie qu’ils appellent communément « matitia », parce qu’ils considèrent que c’est folie de prêcher et d’observer l’Évangile. En effet, à l’époque des vendanges, aucun d’eux ou presque ne prête attention au jour de la fête [de saint

1

Allusion au reniement de Pierre.

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440

FOL.

45

honorificant ymaginem bestie quam ymaginem hominis. Minus autem honorificant sanctum Lucam, quamuis in similitudine bestie sicut Marcum. Et sollempnitas maior Natiuitatis dominice uicinius festum sancti Iohannis obumbrat, sicut Sol oriens stellas obscurat. Et sic nullum euangelistam sollempniter celebrant.

DE

RADICIBVS CARITATIS ET INIQVITATIS

Omnis uirtus diaboli est in acceptione persone, sicut per oppositum omnis uirtus diuina est in dilectione spiritualis Ecclesie. Sicut enim in acceptione persone est iniquitas radicalis, ita in uniuersali Ecclesia est caritas radicalis. De iudicio personali et parabolis mundi A tempore ablactionis mee usque nunc, omnia que uideo oculis carnis parabole sunt que significant aliud. Si nesciero significationes eorum, est mihi « uanitas uanitatum et omnia uanitas ». Qualem finem habiturus sim, solus Deus nouit non homo; qualis autem fuerit finis mea, post transitum potest Ecclesia iudicare. De angelo ad hominem et homine ad angelum A pueritia mea dicebatur simpliciter hominem habere in humero angelum, scilicet bonum a dextris et malum a sinistris. Iacens Europa super latus dextrum habet retro non humerum tantum sinistrum, sed etiam ambos simul quasi coniunctos, qui Francia nominantur. Supra humeros autem habet insulam Angliam quasi Angeliam. Per humeros Europe intelligitur christianitas libera (id est franca). Per Angliam supra Franciam intelligitur angelorum custodia. Anglia ad Franciam est angelus ad hominis custodiam. Quamdiu fuerit concordia inter Angliam et Franciam, erit infectio alarum in humeris; in quo representatur Europa facta tota angelica, in similitudine angeli euolantis. Si autem fuerit discordia inter eas, erit auulsio alarum ab humeris; et tunc Europa non erit similis angelo nec habebit supra se bonum angelum, sed leonem rugientem in auribus et circueuntem et querentem quem deuoret, cui nemo fortis in fide resistet. « Qui habet aures audiat ». Additum de hiis duobus capitulis anno perfectionis, die natiuitatis sancti Iohannis Baptiste, quasi angeli ante faciem Domini exclamantis: « Audite, insule ».

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Matthieu1]. Mais avec leurs fêtes gaillardes aux alentours de Pâques, ils saluent un peu plus la mémoire de l’évangéliste saint Marc2 que celle de saint Matthieu, bien que pour Dieu la sainteté parfaite se retrouve chez Matthieu comme chez Marc; cependant, en témoignage contre eux-mêmes, les bêtes de Pavie honorent davantage une image de bête qu’une image d’homme. En revanche, ils honorent moins saint Luc3, quoiqu’il ressemble à une bête comme Marc. Et la cérémonie capitale de la Nativité assez imminente du Seigneur4 éclipse la fête de saint Jean5, de même que le Soleil qui se lève obscurcit les étoiles. Et ainsi ils ne fêtent solennellement aucun évangéliste. LES

ORIGINES DE LA CHARITÉ ET DE L’INJUSTICE

La particularité absolue du diable consiste à préférer la personne, de même qu’à l’inverse, la particularité absolue de Dieu consiste à aimer l’Église spirituelle. En effet, de même que c’est dans la préférence pour la personne que se trouve l’iniquité fondamentale, de même c’est dans l’Église universelle que se trouve la charité fondamentale. Opinion personnelle et paraboles sur le monde Depuis l’époque de mon sevrage jusqu’à aujourd’hui, tout ce que je vois6 avec les yeux de la chair, ce sont des allégories qui indiquent autre chose. Si j’ignore ce qu’elles indiquent, il s’agit pour moi de « vanité des vanités; tout est vanité »7. Le degré suprême que je suis destiné à atteindre, Dieu seul le sait et non l’homme; en revanche, ce qu’aura été ma mort, l’Église peut en juger après mon passage. De l’ange à l’homme et de l’homme à l’ange Dès mon enfance, on disait sans façons que l’homme a un ange sur chaque épaule, à savoir le bon à droite et le mauvais à gauche. Derrière l’Europe étendue sur le flanc droit, se trouvent non seulement l’épaule gauche, mais aussi les deux [épaules] pour ainsi dire inséparables qu’on appelle la France8. Et au-dessus des épaules, se trouve l’île d’Angleterre, quasiment l’Angélie9. Les épaules de l’Europe représentent la chrétienté libre (c’est-à-dire affranchie/franque). L’Angleterre située au-dessus de la France représente l’ange gardien. L’Angleterre est pour la France ce que l’ange gardien est pour l’homme. Aussi longtemps que l’entente règnera entre la France et l’Angleterre, les ailes seront posées sur les épaules; en cela, l’Europe se montre comme étant devenue entièrement angélique, semblable à un ange qui s’envole. Mais s’il y a un désaccord entre elles, les 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Fêté le 21 septembre. Fêté le 25 avril. Fêté le 18 octobre. 24 décembre pour Opicinus, 25 décembre pour le Christ. Fêté le 27 décembre. Opicinus parle au présent, comme si le passé était actuel. Qo 1, 2. Voir V 26, en bas: les deux anges. Jeu de mots Angliam/Angeliam.

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442

DE

FOL.

45v°

VIA ET PATRIA

Cum omnis scientia particularis in uinculo mutue caritatis reducta fuerit in omnem scientiam uniuersalem, tunc uniuersalis Ecclesia uno ore laudabit uniuersitatem scientium, sicut sponsa dilecta cum exultatione iubilat sponso dilecto mirabiliter uenienti, quasi sic dicens: « Ecce iste uenit saliens in montibus (uniuersalis scientie) et transsiliens colles (cuiuslibet particularis scientie) ». Siquis fixerit gradum in aliqua particulari scientia, similis est uiatori qui obliuiscens finem quo tendit per uiam in collibus eligit mansionem. Similiter ponens finalem intentionem in uniuersali scientia, assimilatur eligenti [fol. 45 v°] mansionem in montibus qui in die Iudicii adequabuntur uallibus simplicium et humilium. Sola autem caritas preparat mansionem eternam, ad quam accurrit a longe populus christianus dilectus Ecclesie « saliens in montibus et transsiliens colles ». Non enim in scientiis ponit finem intentionis sue, donec peruenerit per omnem scientiam (quasi per montes et colles) ad finalem patriam caritatis; ne deprehendatur comedere in montibus (id est scientia propria delectari), ante quam perueniat ad fructiferam uallem Ecclesie. 1

DE

VERIFICATIONE SOMPNIORVM

Mulier parrochiana mei predecessoris uidit in sompnis illum ex retibus magnam quantitatem piscium capere, quod nunc per gratiam Dei speratur in successore compleri. DE

CHRISTIANITATE ET INIQVITATE

Quid gloriaris in malitia, homo carnalis et uetus, qui potens es in iniquitate glorie singularis? « Propterea Deus destruet te in finem, euellet te et emigrabit te de tabernaculo tuo (qui ponis spem in Ecclesia corticali), et radicem tuam (id est progeniem domus tue) de terra (christianorum) uiuentium ». « Ego autem sicut oliua fructifera in domo Dei (id est christianitas fecunda in Ecclesia Dei), speraui in misericordia Dei in eternum

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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ailes se détacheront des épaules; et alors l’Europe ne ressemblera plus à un ange et elle n’aura plus au-dessus d’elle un bon ange, mais un lion qui rugit dans ses oreilles, tourne en rond et cherche ce qu’il va avaler1; et aucun croyant courageux ne lui tiendra tête. « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende! ». Ces deux paragraphes ont été ajoutés l’année de la perfection, le jour de la nativité de saint Jean-Baptiste [24 juin 1338], semblable à un ange2 s’écriant devant la face du Seigneur: «Îles, écoutez-moi »3. LE

CHEMIN ET LA PATRIE

Lorsque toutes les connaissances individuelles liées entre elles par la charité seront condensées dans la connaissance universelle tout entière, l’Église universelle fera alors la louange unanime de la communauté des savants, de même que l’épouse bien-aimée crie de joie et exulte à l’arrivée merveilleuse de son mari bien-aimé, comme si elle disait: « Voici qu’il arrive, sautant sur les montagnes (de la connaissance universelle) et bondissant sur les collines (de toutes les connaissances individuelles) »4. Si quelqu’un s’attarde dans une connaissance individuelle quelconque, il ressemble au voyageur qui, oubliant le but vers lequel il chemine, choisit de demeurer dans les collines. De même, s’il a pour objectif final d’arriver à la connaissance universelle, il est comparable à celui qui choisit [fol. 45v°] de demeurer dans les montagnes; or celles-ci, au jour du Jugement, vaudront les vallées des gens simples et humbles. En revanche, seule la charité prépare la demeure éternelle5, vers laquelle accourt de loin le peuple chrétien aimé de l’Église, « sautant sur les montagnes et bondissant sur les collines ». En effet, ce ne sont pas les connaissances qui constituent son objectif final, tant qu’il n’est pas parvenu, grâce à la connaissance tout entière (comme s’il traversait les montagnes et les collines), à la patrie ultime de la charité; pour éviter d’être surpris à manger dans les montagnes (c’est-à-dire à trouver du charme dans les connaissances personnelles), avant de parvenir à la vallée de l’Église qui donne des fruits. LA

RÉALISATION DES SONGES

Au temps de mon prédécesseur, une femme de la paroisse l’a vu en songe attraper une grande quantité de poissons dans ses filets6; ce qui, on l’espère, sera accompli aujourd’hui, grâce à Dieu, par son successeur. LA

CHRÉTIENTÉ ET L’INIQUITÉ

De quoi te vantes-tu dans ta malice, homme charnel et ancien, qui es souverain dans l’iniquité que constitue la gloire exceptionnelle? « C’est pourquoi Dieu Allusion à la tarasque. Voir la Légende dorée, t. 1, p. 405. 3 Is 49, 1. 4 Ct 2, 8. 5 Primauté classique de la charité sur le savoir. 6 Voir Mt 13, 47. Un peu plus loin (13, 52), il est question du « scribe devenu disciple du Royaume des cieux ». 1 2

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FOL.

45v°

et in seculum seculi ». De hiis euidens testimonium sum expertus, postquam factus sum uoluntarius exul.

COMPARATIO

HOMINIS AD VNIVERSALEM

ECCLESIAM

Vnusquisque consideret primo seipsum, qui reperiet in conscientia sua potentialiter omnem malitiam perpetrandam in qua se reputet singularem, que erit uniuersalis scientia omnis peccati; quicumque dilexerit hanc scientiam omnis peccati, nunquam inflectetur ad agendum peccatum. Deinde consideret extra se aliorum uirtutes et mores singillatim, ut siquam reperit uirtutem in se, se reputet uniuersalem in singulis, sicut per considerationem peccati sui proprii reputare se debet singularem in uniuersis. Ecce quod humana consideratio uniuersi in seipso et specierum extra se, tandem terminatur in se, ut consideratio incipiatur a se, et post considerationem singulorum extra se, reuertatur semper ad se. Et quemadmodum Christus Dominus primo descendit in carne solus sine uniuerso templo uiuifico ubi habitaret, ad considerandum uniuersum mundum languentem, et facta redemptione nunc considerat singula in uniuersis et uniuersa in singulis – donec reueletur in uniuerso templo uiuifico ad uniuersale Iudicium singulorum – ita faciat homo per hanc similitudinem. Sicut Christus in carne sine Ecclesia corporali descendit ad tenebras mundi, sic ratio hominis se uidens sine habitaculo caritatis descendat ad conscientiam propriam peccatorum. Ratio significat Christum, uirtus caritatis uniuersalem Ecclesiam, conscientia mundum; et peccata conscientie sunt tenebre mundi. Christus facta redemptione ascendit in celum; et ratio hominis contritis peccatis ad rectitudinem scandat. Christus in celis uniuersa considerat et singula uidet; et ratio hominis in celestibus uirtutibus declarata semper in conscientia propria probet uirtutes uniuersitatis et iudicet in seipsa omne singulare peccatum. Christus nunc habitans in templo uiuifico (id est in hac Ecclesia speculari) omne Iudicium reuelabit; et ratio hominis nunquam recedens a propria conscientia potest omne iudicium proprium aliis reuelare, ut unusquisque addiscat ex hoc exemplo iudicare seipsum, non alium extra se, habens uirtutem caritatis in omnibus habitaculum suum, sicut Christus in uniuersali Ecclesia habet habitaculum corporale. Et sicut Christus primo descendens non inueniebat ueram Ecclesiam et uiuentem ubi habitaret, quam nunc edificatam inhabitat, ita ratio hominis primum caritate carebat ubi habitaret, que nunc habens edificium caritatis reperit ueram domum. Siquis auerterit oculos suos a proprio iudicio ad alienum iudicium, statim suscitat in se accusatorem fratrum nostrorum www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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te détruira jusqu’à la fin, t’arrachera et te chassera de ta tente (toi qui mets tes espoirs dans l’Église superficielle); et il extirpera tes racines (c’est-à-dire ta lignée familiale) de la terre des (chrétiens) vivants »1. « Alors que moi, tel un olivier qui donne des fruits dans la maison de Dieu (c’est-à-dire la chrétienté féconde dans l’Église de Dieu), je compte sur la miséricorde de Dieu toujours et à jamais »2. J’ai fait par expérience à ce sujet des constatations indiscutables, après être devenu volontairement un exilé. COMPARAISON

ENTRE L’HOMME ET L’ÉGLISE UNIVERSELLE3

Chacun doit commencer par regarder en lui-même: il trouvera dans sa conscience à l’état virtuel toute la malice qu’il peut mettre en oeuvre et dans laquelle il se croit seul; elle constituera la connaissance universelle de tous les péchés; quiconque apprécie cette connaissance de tous les péchés ne sera jamais enclin à commettre un péché. Il doit ensuite regarder en-dehors de lui les vertus et la morale des autres pris individuellement, afin que, s’il trouve quelque valeur en lui, il se considère comme universel en chacun, de même que, lorsqu’il regarde ses péchés personnels, il doit se considérer comme seul au sein de l’ensemble. C’est ainsi que le regard que l’homme porte sur ce qui est universel en lui-même et sur les individus qui l’entourent, trouve son terme ultime en lui: son regard se porte d’abord sur lui et, après avoir regardé les individus autour de lui, il revient toujours à lui4. Et de même que le Seigneur Christ est d’abord descendu dans la chair seul, sans temple universel vivifiant où habiter, pour regarder le monde entier en train de dépérir, et qu’une fois la rédemption accomplie, il regarde aujourd’hui ce qui est particulier dans ce qui est général et ce qui est général dans ce qui est particulier – tant qu’il ne s’est pas manifesté dans le temple universel vivifiant pour le Jugement général des individus – de même l’homme doit agir en lui ressemblant. De même que le Christ incarné est descendu vers les ténèbres du monde sans Église corporelle, de même la raison humaine, constatant qu’elle n’a pas de demeure pour la charité, doit descendre vers la conscience personnelle de ses péchés. La raison indique le Christ, la vertu de charité l’Église universelle, et la conscience le monde; et les péchés de la conscience sont les ténèbres du monde. Le Christ, une fois la rédemption accomplie, est monté au ciel; et la raison humaine, une fois la contrition des péchés réalisée, s’élève vers la justice. Le Christ dans les cieux regarde ce qui est général et voit ce qui est particulier; et la raison humaine, exprimée dans les vertus célestes, doit toujours reconnaître dans sa conscience personnelle les vertus générales et juger en elle-même tout péché particulier. Le Christ habitant aujourd’hui dans le temple vivifiant (c’est-à-dire dans cette Église du miroir) révélera le Jugement dans sa plénitude; et la raison humaine, ne s’éloignant jamais de la conscience personnelle, peut révéler aux

Ps 52, 7. Ps 52, 10. 3 L’ensemble du paragraphe est fondé sur l’opposition général/particulier et ses variantes. 4 Affirmation qui traduit l’enfermement psychotique. 1 2

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die et nocte ante conspectum Dei; qui accusator non est alius nisi Sathanas et diabolus incarnatus (id est humana malitia ex hoste inuisibili generata). Opera Lombardie omnibus manifesta iudicari possunt a quolibet opera iniquitatis, in quorum iudicio nemo peccat, dummodo non habeatur acceptio personalis; deinde uideat unusquisque si illa peccata que precedunt iudicium significent aliquid peccatum occultum, quod in conscientia sua ualeat inueniri.

Testimonium caritatis Ecclesie Lingua occana siue litteraliter siue uulgariter loquatur in principio fere cuiuslibet clausule uel orationis (non prime sed sequentis); loquendo preponit uocabulum « ara », in testimonium caritatis (quasi Arelate, id est are latitudinis); in cuius rei signum, quotiens dies inuentionis sancte Crucis fuerit in feria VIª, datur magna indulgentia uisitantibus monasterium Sancti Petri de Monte Maiori, Arelatensis diocesis, ut in introitu pectoris cognoscamus aram latitudinis caritatis, in qua immolata fuit hostia nostre redemptionis. Additum anno perfectionis, die purificationis sancte Marie. Ecce altare aureum (id est spiritualis sapientie) ad dexteram pectoris, super quod ponimus uitulos labiorum nostrorum.

[fol. 46] DE

IVDICIO PERSONALI

Quid est quod Europa similis pauperi parat in bello fideles diuites et munitos, et Affrica similis diuiti ex opposito preparat infideles inermes et nudos contra fideles? Pauper Europa filios ditans et muniens significat sanctam Ecclesiam in se affectualiter nichil habentem et actualiter in filiis suis omnia possidentem. Per contrarium Affrica diues filios spolians et denudans significat personam ypocrite omnia habentis affectu et in sequacibus suis nichil possidentis in actu. Dicit Soldanus Egypti in persona Affrice: « Ego, dominus Iherusalem et Terre sancte, concedo omnibus christianis ut, retento mihi dominio Iherusalem, possideant Terram sanctam, depositis omnibus armis cum fortitudine urbium et castrorum »; id est: « Ego, talis et talis prelatus talis ecclesie cum omnibus iuribus et prouentibus suis, promitto omnibus amicis fidelibus meis www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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autres l’ensemble du jugement personnel, si bien que chacun utilise cet exemple pour apprendre à se juger lui-même, et non l’autre qui lui est extérieur, en ayant la vertu de charité présente en tous pour demeure, comme le Christ a sa demeure corporelle dans l’Église universelle. Et de même que le Christ, quand il est venu au début, n’a pas trouvé d’Église réelle et vivante où habiter – cette Église où, maintenant qu’elle a été édifiée, il habite – de même, la raison humaine a d’abord été privée de charité où habiter, et maintenant qu’elle possède un édifice pour la charité, elle a trouvé sa véritable maison. Si quelqu’un renonce au jugement personnel pour s’intéresser au jugement d’autrui1, il attire aussitôt sur lui celui qui accuse nos frères jour et nuit devant Dieu2; cet accusateur n’est autre que Satan et le diable incarné (c’est-à-dire la malice humaine engendrée par l’ennemi invisible). Les œuvres de la Lombardie montrées à tous peuvent être considérées par n’importe qui comme les œuvres de l’iniquité; et dans ce jugement, personne n’est pécheur, pourvu que les préférences personnelles n’interviennent pas; ensuite chacun doit voir si ces péchés antérieurs au jugement n’indiquent pas quelque péché caché qu’il peut trouver dans sa conscience. Un témoignage sur la charité de l’Église On s’exprime en langue occitane, qu’elle soit savante ou commune, au début de presque chaque citation ou oraison (pas la première, mais la suivante); en parlant on commence par dire le mot ara3, en témoignage de la charité (c’est-à-dire d’Arles, à savoir l’autel de la largesse); pour l’indiquer, chaque fois que le jour de la découverte de la sainte Croix4 tombe une 6e férie [vendredi], une grande indulgence est accordée à ceux qui rendent visite au monastère de Saint-Pierre de Montmajour5 dans le diocèse d’Arles, afin qu’à l’entrée de notre poitrine, nous reconnaissions l’autel de la largesse dans le diocèse de la charité, sur lequel la victime/hostie de notre rédemption a été immolée. Fait l’année de la perfection, le jour de la purification de sainte Marie [2 février 1338]6. Voici l’autel en or (c’est-à-dire de la sagesse spirituelle) à droite de la poitrine, sur lequel nous posons pour veaux nos lèvres7. [fol. 46] OPINION

PERSONNELLE

Que sont l’Europe qui, semblable à un pauvre, prépare à la guerre des fidèles riches et équipés, et l’Afrique, qui, semblable à un riche, dresse au contraire des infidèles sans armes et nus contre les fidèles? L’Europe pauvre enrichissant et équipant ses fils représente la sainte Église qui ne possède rien sur le plan sen-

Allusion aux démêlés judiciaires d’Opicinus. Voir Ap 12, 10. 3 Jeu de mots ara/ora(mus). 4 Fêtée le 3 mai. Voir fol. 67 et 72. 5 Montmajour: commune d’Arles. 6 Aussi appelée Chandeleur: fêtée le 2 février. 7 Voir Os 14, 3. Le prêtre embrasse l’autel. L’évangile du jour est tiré de Lc (2, 22-32); d’où les « veaux ». 1 2

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FOL.

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ecclesiastica beneficia, sopitis omnibus litigiis et iudiciis questionum ». Vna est sententia iudicialis super Soldanum Egypti et prelatum ypocritam, ita tamen ut Soldani iudicium significet iudicium huius ypocrite. Non est peccatum iudicare opera infidelis persone, nequis diceret me contradictorem iudicii. Nomen autem persone fidelis non iudico, nequis iudicare presumat personam ypocrite nominatim. Ad Soldanum Egypti: « Intentio tua uergit in malum, ut detinens dominium Iherusalem et alliciens populum christianum, inuenias illum inermem et callide subicias seruitui, quatinus iterum pharao Egypti populo Israel dominetur »; id est: « Ypocrita Ecclesie, iuxta intentionem tuam te reputas talis et talis ecclesie dominum quasi Iherusalem, ut trahens ad te similiter populum christianum inuentum singillatim personali iudicio inermem armis uirtutum, conuertas uel magis peruertas eorum personas ad seruitium corruptibilis hominis et mortalis et ab eis adoreris ut deus ». Siquis quesierit ad me: « Quis est iste ypocrita? », respondeo me neminem scire ypocritam nisi meipsum, cuius intentionem potentialiter esse promptam semper ad malum et ad gloriam singularem ab hominibus redimendam clarissime iudico. Ego existens in latere meridiano Auinionis et in medio libratarum unius clausure IIIIor animalium, habeo ab oriente testimonium claritatis et ab occidente desiderium meum impletum. « Qui habet aures audiendi audiat ». Per gratiam Dei me reputo dominum totius Affrice uel Egypti (id est corporis mei non alterius); et seruus sum totius Europe (id est uniuersalis Ecclesie). Sicut homo uetus et exterior propter amorem anime sue proprie nutrit carnem suam in illecebris huius mundi, sic homo nouus et interior propter amorem anime uniuersalis possidet carnem suam incorruptibilem et illesam. Homo uetus et carnalis non est noster sed meus; homo uero nouus et spiritualis non est meus sed noster. Nomine autem uniuersitatis carnalium hominum possum dicere: « Homo uetus est noster »; et nomine totius Ecclesie, possum dicere: « Homo nouus et interior est meus ». Si dixero: « Homo exterior est corpus tantum et homo interior est anima tantum », tunc erronee dico unam personam humanam habere in se duos homines, quod est dicere contra naturam. Sicut homo exterior uidetur esse totus homo, ita homo interior in ueritate est totus homo. Si enim sacra Scriptura intelligeret hominem interiorem esse animam tantum, tunc non esset propria locutio sed melius dicere « anima interior », non « homo interior ». Homo nouus et interior dat incorruptibilem carnem suam in sedem perpetuam humanitatis Christi, et animam suam in consortium Christi, et hominem suum ueterem et exteriorem in scabellum pedum Christi – et hoc ex parte humanitatis Christi. Ex parte uero diuinitatis Christi, incorruptibilis caro hominis interioris est scabellum Christi – non nominato homine ueteri – et anima hominis interioris est sedes Dei. Ecce quod caro ueteris hominis, que est aduersatrix hominis interioris, fit scabellum Christi hominis; et caro hominis interioris fit www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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timental chez elle et qui possède tout en réalité chez ses fils. A l’inverse, l’Afrique riche dépouillant et dénudant ses fils représente la personne de l’hypocrite qui possède tout sur le plan sentimental et qui ne possède rien en réalité chez ses compagnons. Le Soudan égyptien dit, dans le rôle de l’Afrique: « Moi, le seigneur de Jérusalem et de la Terre sainte, j’accorde à tous les chrétiens que, le pouvoir sur Jérusalem m’étant réservé, ils possèdent la Terre sainte, une fois parties toutes les troupes ainsi que les garnisons des villes et des châteaux »; c’est-à-dire: « Moi, tel et tel prélat de telle église avec tous ses droits et ses revenus, je promets à tous mes amis et fidèles des bénéfices ecclésiastiques, une fois oubliés tous les conflits et les jugements relatifs à des affaires judiciaires ». C’est la même sentence qui juge le Soudan égyptien et le prélat hypocrite, de telle manière cependant que le jugement du Soudan indique le jugement de cet hypocrite. Ce n’est pas un péché que de juger les œuvres d’une personne infidèle, pour éviter qu’on ne dise que je m’oppose au jugement. Mais je ne juge pas le nom de la personne fidèle, pour éviter qu’on n’ait l’audace de juger la personne de l’hypocrite en la désignant par son nom. Réponse au Soudan égyptien: « Tes intentions sont tournées vers le mal: détenant le pouvoir sur Jérusalem et séduisant le peuple chrétien, tu cherches à le surprendre sans armes et à le mettre perfidement en esclavage, puisque le pharaon d’Égypte commande à nouveau au peuple d’Israël »; c’est-à-dire: « Hypocrite de l’Église, conformément à tes intentions, tu te prends pour le seigneur de telle et telle église comme s’il s’agissait de Jérusalem, afin, en attirant toi aussi à toi le peuple chrétien trouvé individuellement par un jugement personnel dépourvu des armes que sont les vertus, de changer ou plutôt de pervertir leurs personnes en les asservissant à l’homme corruptible et mortel, et d’être adoré par eux comme un dieu ». Si quelqu’un me demande: « Qui est cet hypocrite? », je réponds que je ne connais personne d’hypocrite en-dehors de moi-même, dont j’estime très clairement que les intentions sont toujours virtuellement disposées à mal agir et à obtenir des hommes une gloire exceptionnelle1. Moi qui vis sur le flanc méridional d’Avignon et au milieu des livrées d’une seule enceinte des 4 animaux2, j’ai à l’est le témoignage de la clarté3 et à l’ouest mes désirs satisfaits4. « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ». Par la grâce de Dieu, je me considère comme le seigneur de l’Afrique ou de l’Égypte tout entière (c’està-dire de mon corps et non d’un autre); et je suis le serviteur de l’Europe tout entière (c’est-à-dire de l’Église universelle). De même que l’homme ancien et charnel, parce qu’il aime son âme personnelle, entretient sa chair dans les séductions de ce monde, de même l’homme nouveau et intérieur, parce qu’il aime l’âme universelle, garde sa chair incorruptible et intacte. L’homme ancien et charnel n’est pas nôtre mais mien; alors que l’homme nouveau et spirituel n’est pas mien mais nôtre. Au nom de la communauté des hommes charnels, je peux dire: « L’homme ancien est nôtre »; et au nom de l’Église tout entière, je peux dire: « L’homme nouveau et intérieur est mien ». 1 2 3 4

Virevolte d’Opicinus qui s’identifie à « l’hypocrite ». Il s’agit des cardinaux d’Avignon. Allusion à l’église Sainte-Claire d’Avignon. Allusion à l’église Saint-Didier d’Avignon. Opicinus habite entre ces deux églises.

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FOL.

46-46v°

incorruptibilis domus et sedes Christi hominis; et anima hominis interioris fit sponsa Christi hominis. Adhuc caro hominis interioris fit scabellum Christi Dei, et anima hominis interioris fit sedes Christi Dei qui est sapientia Dei. Ecce quod caro hominis noui fit scabellum, templum et sedes Dei et hominis Ihesu Christi; et anima hominis noui fit sedes et sponsa Dei et hominis Ihesu Christi. Quis est iste homo nouus et interior nisi populus christianus incorruptibilis et immortalis? Et quis est homo uetus et exterior nisi quelibet persona nata tali die et anno de tali et tali progenie mundi? Maledicatur ergo unaqueque talis persona et benedicatur in eternum populus christianus. Actum II idus septembris, die aduentus [fol. 46 v°] sanctorum Syri et Yuentii in Papiam, quam diem ignorat Papia, ut iudex eorum sicut fur improuisus adueniat super eam. Translato corpore sancti Syri ad ecclesiam cathedralem, remanente corpore sancti Yuentii (secundi successoris Syri, id est episcopi tertii) in ecclesia qua depositus fuerat nunc collegiata, dominus papa amborum ecclesias sub expectatione prebendarum diuerso tempore mihi concessit et abstulit. Concessit, inquam, ut Ecclesie seruus fidelis nomine Opicinus uirtute proficeret; et abstulit, ne aduersarius Opicini, natus die maledictionis de progenie Canistrorum, aduersus Opicinum suum dominum preualeret. Dicebat enim in corde suo ille inimicus homo iactans semina scandalorum inter semina filiorum Dei: « Cum fuero in possessione prebendarum, exaltabo nobiliter carnem et sanguinem domus mee ». Nunc iuste sua expectatione fraudatus utrinque, ne amplius me molestet, qui intendebat me totaliter suffocare, frustra conqueritur et inaniter lamentatur sic dicens in acceptione persone: « Benedicatur papa Iohannes et maledicatur nomine Benedictus. O maledicte non benedicte, ‘cur me persequeris’, qui adhuc de lite continua me conaris per aduersarium meum ab officio mihi concesso iniuste deponere? ». Ego autem Opicinus, neminem habens aduersarium nisi illum genitum de Canistris, gaudens de illius iusta uindicta, dicere possum cum Iob: « Dominus dedit, Dominus abstulit. (Sicut Domino placuit, sic factum est.) Sit nomen Domini benedictum (id est Christus summus pontifex benedictus) ». Hec suprascripta addita sunt idibus septembris.

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Si je dis: « L’homme extérieur est seulement le corps et l’homme intérieur est seulement l’âme », je dis alors en faisant erreur qu’un seul être humain a en lui deux individus: ces propos sont incompatibles avec la nature. De même que l’homme extérieur prend les apparences de l’homme entier, de même l’homme intérieur est en vérité l’homme entier. En effet, si l’Écriture sainte voulait dire que l’homme intérieur est seulement l’âme, alors il n’y aurait pas d’expression spécifique, et il vaudrait mieux dire « âme intérieure » et non « homme intérieur ». L’homme nouveau et intérieur donne sa chair incorruptible pour être la demeure permanente de l’humanité du Christ, son âme pour être associée du Christ, et son homme ancien et extérieur pour être un escabeau pour les pieds1 du Christ – et cela, en ce qui concerne l’humanité du Christ. Mais en ce qui concerne la divinité du Christ, la chair incorruptible de l’homme intérieur est l’escabeau du Christ – l’homme ancien n’étant pas mentionné – et l’âme de l’homme intérieur est la demeure de Dieu. Voici que la chair de l’homme ancien, qui est l’adversaire de l’homme intérieur, devient un marchepied pour le Christ homme; la chair de l’homme intérieur devient le séjour et la demeure incorruptible du Christ homme; et l’âme de l’homme intérieur devient l’épouse du Christ homme. En outre, la chair de l’homme intérieur devient le marchepied du Christ Dieu, et l’âme de l’homme intérieur devient la demeure du Christ Dieu qui est la sagesse de Dieu. C’est ainsi que la chair de l’homme nouveau devient le marchepied, le temple et la demeure de Jésus-Christ, Dieu et homme; et l’âme de l’homme nouveau devient la demeure et l’épouse de Jésus-Christ, Dieu et homme. Qui est cet homme nouveau et intérieur sinon le peuple chrétien incorruptible et immortel? Et qui est l’homme ancien et extérieur sinon toute personne née tel jour et telle année, de telle et telle lignée du monde? Que chacune de ces personnes soit donc maudite et que le peuple chrétien soit béni à jamais. Fait le 2 des ides de septembre [12 septembre 1337], le jour de l’arrivée [fol. 46v°] de saint Syr et saint Yvent à Pavie – un jour mémorable que Pavie néglige – afin que leur juge arrive sur elle comme un voleur à l’improviste. Une fois le corps de saint Syr transféré à l’église-cathédrale, le corps de saint Yvent (le second successeur de saint Syr, c’est-à-dire le troisième évêque) restant dans l’église où il avait été enterré et qui est aujourd’hui collégiale, le seigneur pape m’a donné et repris2 à des moments différents les églises des deux, alors que j’en attendais des prébendes. Oui, il a donné, pour que le serviteur fidèle de l’Eglise nommé Opicinus progresse dans les vertus; et il a repris, pour éviter que l’adversaire d’Opicinus, né un jour maudit de la lignée des Canistris, ne l’emporte contre son maître Opicinus. En effet, cet homme ennemi disait dans son cœur, en semant le chaos chez les descendants des fils de Dieu: « Lorsque je serai en possesssion de prébendes, je rehausserai remarquablement la chair et le sang de ma famille ». Aujourd’hui où il est doublement déçu à juste titre de son attente, pour éviter de m’importuner, lui qui voulait m’étouffer complètement, il se plaint en

1 Voir Ps 99, 5; 110, 1 et 132, 7; Is 66, 1; Mt 5, 35 et 22, 44; Mc 12, 36; Lc 20, 43; Ac 2, 35 et 7, 49; He 1, 13 et 10, 13. 2 Voir Jb 1, 21.

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452

DE

FOL.

46v°

TESTIMONIIS PROPHETARVM ET POETARVM AD PRESENS NEGOCIVM

Habeo testimonia plura super Cartaginem uniuersalis Papie quam teneor iudicare. Et primum Macrobii « De sompnio Scipionis » (nunc nomine Opizonis), ubi scribitur sic: « Ostendebat autem Cartaginem de excelso loco (ac si diceret: habentem iuxta se digitum ostensorem) et cetera. Nam etas tua cum septenos octies Solis anfractus reditusque conuerterit (id est annos LVI habuetis; glosa: qua etate pater noster Syrus obtinuit epicopatum Papie. Textus:) duoque hii numeri, quorum uterque alter altera decausa plenus habetur, circuitu naturali, summam tibi fatalem confecerint (glosa: totidem annis, id est LVI, beatus Syrus episcopus superuixit, expletis totius etatis sue CXII annis; textus:) in te unum atque in tuum nomen tota se conuertet ciuitas (glosa: hucusque datus est honor sancto Syro episcopo, nomine omnium episcoporum omnium ciuitatum, deinceps honor mihi presbitero, nomine omnium compresbiterorum meorum et rectorum omnium plebium laicarum; textus:) te senatus (glosa: prelatorum uniuersalis Ecclesie; textus:) te omnes boni (id est ceteri religiosi), te socii (id est compresbiterii tui), te Latini (id est omnes laice persone fideles) intuebuntur (glosa: ad regimen animarum. Textus:) Tu eris unus (glosa: ex comparibus tuis) in quo nitatur ciuitatis salus (glosa: quod in predecessore meo completum est, cum habuerit licitam magnam licentiam confessiones aliarum plebium audiendi et populum ciuitatis se publice uerberantem intra nostram Ecclesiam conducendi, et partim in me, cum semel fuerim ciuitatis et diocesis confessionum auditor uice episcopi. Textus:) At nunc multa (glosa: statuta iudicialia animarum) dictator rei publice (id est parrochie tue) constituas oportet (glosa: iam multa conceperam pertractare, nonnulla quoque habebas pre manibus in tractatu, nisi me preoccupasset occasio; hinc sequitur causa:) si impias propinquorum (id est carnis et sanguinis domus tue) manus effugeris1 (glosa: quorum tamen insidias euitare nesciui) ». Hucusque Macrobius.

1

Phrases soulignées en rouge.

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vain, gémit inutilement et dit en préférant la personne: « Que le pape Jean soit béni, et que le pape du nom de Benoît soit maudit. Ô, toi qui es maudit et non béni, ‘pourquoi me persécutes-tu’1, toi qui essaies encore, avec un procès sans fin, de me priver injustement, avec l’aide de mon adversaire, de l’office qui m’a été accordé? ». Mais moi, Opicinus, n’ayant d’autre adversaire que ce rejeton des Canistris et me réjouissant de sa punition justifiée, je peux dire avec Job: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. (Ce qui a plu au Seigneur, c’est ce qui se réalise.) Que le nom du Seigneur soit béni (c’est-à-dire le Christ, le souverain pontife béni) »2. Ces remarques ont été ajoutées le jour des ides de septembre [13 septembre 1337]. LES

TÉMOIGNAGES DES PROPHÈTES ET DES POÈTES AU SUJET DE LA PRÉSENTE AFFAIRE

Je dispose de plusieurs témoignages sur la Carthage de la Pavie universelle que je suis tenu de juger. Et d’abord de Macrobe « Le songe de Scipion »3 (qu’on appelle maintenant Opizo), où l’on trouve ceci d’écrit: « Et d’un lieu très élevé, il me montrait Carthage4 (comme s’il disait: ayant près de lui le doigt qui montre5) etc. En effet, quand ta vie aura achevé le cycle de huit fois sept allées et venues du Soleil sur sa courbe (c’est-à-dire que tu auras atteint l’âge de 56 ans; glose: c’est à cet âge que notre père Syr a obtenu le siège épiscopal de Pavie; texte:) et que ces deux nombres, considérés comme parfaits l’un et l’autre pour des raisons différentes, auront marqué, par la révolution naturelle du monde, l’achèvement de la somme des années fixée par le destin (glose: c’est ce même nombre d’années, à savoir 56, que le bienheureux évêque Syr a encore vécu, le nombre complet des années de son existence étant de 112; texte:) c’est vers toi seul et vers ton nom seul que la cité entière se tournera (glose: jusque là, l’honneur est revenu à l’évêque saint Syr, au nom de tous les évêques de toutes les cités, mais ensuite l’honneur me revient, à moi qui suis prêtre, au nom de tous mes collègues dans la prêtrise et des curés de toutes les ouailles laïques6. Texte:) c’est sur toi que le sénat (glose: des prélats de l’Église universelle; texte:) sur toi que tous les hommes de bien (c’est-à-dire les autres religieux), sur toi que nos alliés (c’est-à-dire tes collègues

Voir Ac 9, 4; 22, 7; et 26, 14. Jb 1, 21. 3 Voir GUY ROUX, Opicinus, prêtre, pape…, pp. 271-285; et GUY ROUX et M. LAHARIE, « Le commentaire sur Le Songe de Scipion et son influence sur l’œuvre d’Opicinus de Canistris », dans Rêves et Créativité, sous la dir. de J.P. Mathieu, Liège, 2003, p. 223-231. Dans le Commentaire au Songe de Scipion, tiré du livre VI du De Republica de Cicéron et écrit avant 386, Macrobe montre le jeune Scipion (Emilien) voyant en rêve son grand-père Scipion l’Africain: ce dernier lui montre la cité de Carthage qui sera détruite et lui prédit un destin exceptionnel. Macrobe ajoute à l’épisode onirique central une dimension mathématique et astronomique. 4 CICÉRON, De Republica, livre VI, 11. Voir MACROBE, Commentaire au Songe de Scipion, livre I, chap. IV. 5 Voir le doigt en Afrique du nord sur les cartes du Vaticanus. Dans tout le paragraphe qui suit, Opicinus se livre à une interprétation décalée du rêve de Scipion. 6 Opicinus s’identifie à Syr. Remarquons qu’il est lui-même mort vers 56 ans. 1 2

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454

FOL.

46v°

Deinde poeta Virgilius in Eneydos, de aduentu Enee a partibus Troie destructe ad Cartaginem ignoranter (id est presentis scriptoris a partibus iuxta colubrum Canistralem ad particularem parrochiam Papiensem), hiis uersibus primo in Eneydis circa finem: « Iam pater Eneas etiam Troiana iuuentus conueniunt stratoque super discumbitur ostro. Dant manibus famuli limphas cereremque canistris »1. Hucusque Virgilius. Ecce lotio manuum Affrice, parrochieque Cartagini ministerium C(c)anistrale. Deinde legatur secundo in Eneydis circa principium de serpentibus iuxta Troiam; similiter circa principium V in Eneydis de serpente circa Siciliam. Predecessor meus plus imitabatur officium secundum usum Ecclesie Romane; ego autem nescio recedere ab officio secundum usum Ecclesie Papiensis.

Comparatio mundi ad Papiam Granum est semen et (G)granata est corruptibilis progenies seminata super dextram maxillam Europe. Similiter uultus (L)lune habet dextram maxillam de Canistrali progenie deturpatam. Vultus Hispanie deturpatus stirpe (G)granate corruptibilis grani significat pectus Prouincie corrosum morsibus tarascini. Hoc dico in uniuersali Papia.

1

Idem.

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dans la prêtrise), sur toi que les Latins (c’est-à-dire toutes les personnes laïques fidèles) fixeront leurs regards (glose: pour le gouvernement des âmes; texte:) C’est sur toi seul (glose: parmi tes pairs) que reposera le salut de la cité (glose: ce qui a été achevé dans la personne de mon prédécesseur, étant donné qu’il disposait d’un grand pouvoir légitime pour entendre les confessions d’autres ouailles et pour rassembler à l’intérieur de notre Église le peuple de la cité qui se punissait publiquement, et en partie en ma personne, lorsqu’il m’est arrivé une fois d’entendre les confessions de la cité et du diocèse à la place de l’évêqu; texte:) Et maintenant, ce sont de nombreuses choses (glose: les règlements relatifs au jugement des âmes) que, en qualité de dictateur de l’État (c’est-à-dire de ta paroisse), tu dois mettre en place (glose: j’avais déjà pensé à traiter de nombreuses affaires, et toi aussi tu avais en mains un certain nombre de dossiers à régler, si les circonstances ne m’avaient accaparé; d’où suit la cause:) si chez tes proches (c’est-àdire la chair et le sang de ta famille), tu peux échapper aux mains criminelles1 (glose: eux dont pourtant je n’ai pas su éviter les pièges) »2. Jusqu’ici, c’est Macrobe qui parlait. Ensuite le poète Virgile dans l’Énéide, au sujet d’Énée qui, venant de la région de Troie détruite, arrive à Carthage sans le savoir (c’est-à-dire celui qui écrit en ce moment qui, venant de la région qui se trouve aux environs de la couleuvre des Canistris, arrive à la paroisse individuelle de Pavie). Voici les vers du livre I de l’Énéide, vers la fin: « Déjà le grand Énée, déjà les guerriers troyens pénètrent dans la salle; chacun s’étend sur des draps de pourpre. Des serviteurs donnent l’eau pour les mains et dans des corbeilles les présents de Cérès »3. Jusqu’ici, c’est Virgile qui parlait. Voici l’Afrique qui se lave les mains et le ministère des corbeilles/Canistris pour la paroisse qu’est Carthage. On doit lire ensuite, dans le second livre de l’Énéide, vers le début, ce qui concerne les serpents dans les environs de Troie4; et de même, dans le 5e livre de l’Énéide, vers le début, ce qui concerne le serpent qui entoure la Sicile5. Mon prédécesseur s’inspirait plutôt des rites de l’Église de Rome pour l’office divin; mais moi je ne sais pas renoncer à célébrer l’office divin en suivant les rites de l’Église de Pavie. Comparaison entre le monde et Pavie Le grain correspond à la semence et la grenade/Grenade6 correspond à la lignée corruptible semée sur la mâchoire droite de l’Europe. De même, le visage de Luna / la Lune a la mâchoire droite déformée par la lignée des Canistris. Le visage de l’Espagne défiguré par la race de la grenade/Grenade venue du grain Allusion au procès d’Opicinus. CICÉRON, De Republica, livre VI, 12. Voir MACROBE, Commentaire au Songe de Scipion, livre I, chap. VI. 3 VIRGILE, Énéide, livre I, v. 699-701. 4 Voir Énéide, livre II, v. 203 et ss. 5 Voir Énéide, livre V, v. 84 et ss. 6 Grenade: ville d’Espagne (située approximativement sur la mâchoire de l’Europe dans les cartes d’Opicinus). 1 2

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456

FOL.

46v°

De sanguine mundi Ochozias, Iohas et Amasias non sunt nominati in genealogia Saluatoris, in Ioseph iustum patrem suum putatiuum non uerum; eo quod nati sunt de sanguine impiissime Hiezabel, in testimonium immiscentium sanguinem christianum in sanguine mundi. De proprietatibus linguarum Cum Prouincia pectoralis dicit ad Affricam infidelem: « Nos sumus uobiscum », uulgares Prouincie ita proferunt: « Nos somas ab uos », quasi « nos sumus ab uobis ». Sicut enim prepositio « cum » denotat coniunctionem, ita prepositio « ab » significat disiunctionem, ac si uulgares Prouincie dicerent: « Nos sumus absque uobis ». Sapienter enim litterati Prouincie simulant societatem cum infidelibus, ut illi capiantur ad fidem: « Nos sumus uobiscum ». Simpliciter autem uulgares Prouincie denudant intentionem suam ad eos: « Nos somes ab uos » (id est « nos sumus absque uobis », quasi dicant: « Nolumus ducere iugum cum infidelibus, eo quod abstulitis a nobis brachium dextrum »). Lombardi autem uentrales sic dicunt ad Affricam infidelem: « Nos sumus uobiscum ». Et sicut dicunt litteraliter, ita uulgariter cum intentione nudata: « Nu somo con uu ». Dictio « con » significat coniunctionem Ianue uentris pectori Affricano. Nam cum essem in profundioribus tenebris medie noctis circuncisionis noui anni a ueteri, describente Spiritu Sancto primam tabulam ierarchie, anno Domini MCCCXXXI°, me proponente addere nomina omnium imperatorum a sinistris columpne papalis, dilapsa est ad me huiusmodi uox in sompnis: « Nolite ducere iugum cum infidelibus », propter quod omisi scribere nomina Cesaris. In eodem autem mense, feci contrarium cum intrauerim consortium nostrorum fidelium in officio Romane curie cum intentione placendi amicis meis carnalibus, ac si peruertissem fidelitatem officii in fidelitatem carnalem. Hora qua hoc agebatur, uidimus in ecclesia Auinionensi feminam dicentem se conuersam ab infidelitate Sarracenorum ad fidem nostram; cuius compotiens paupertati per signum huiusmodi, bonam spem habui de conuersione futura parrochie mee. Additum anno perfectionis, die purificationis sancte Marie.

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corruptible indique la poitrine de Provence rongée par les morsures de la tarasque. Je parle ici de l’universelle Pavie. Le sang de la terre Ochozias1, Joas2 et Amasias3 ne sont pas mentionnés dans la généalogie du Sauveur, à propos de Joseph le juste, son père adoptif et non véritable; parce qu’ils sont nés du sang de la très impie Jézabel4, en témoignage de ceux qui mêlent le sang chrétien au sang du monde. Les caractéristiques des langues Lorsque la Provence de la poitrine dit à l’Afrique infidèle: « Nous sommes avec vous », le peuple de Provence s’exprime ainsi: « Nos somas ab vos »5, c’est-à-dire « nous sommes loin de vous ». En effet, de même que la préposition « avec » indique une alliance, la préposition « loin de » indique une séparation, comme si le peuple de Provence disait: « Nous sommes sans vous ». En effet, c’est avec sagesse que les lettrés de Provence font semblant de s’associer avec les infidèles, afin de les entraîner vers la foi: « Nous sommes avec vous ». En revanche, le peuple de Pavie dévoile ses intentions à leur égard: « Nous sommes loin de vous » (c’est-à-dire « nous sommes sans vous », comme s’ils disaient: « Nous ne voulons pas former d’attelage avec les infidèles6, parce que vous nous avez enlevé le bras droit »). Quant aux Lombards du ventre, ils disent à l’Afrique infidèle: « Nous sommes avec vous ». Et de même qu’ils disent cela en langue savante, ils disent en langue vulgaire en dévoilant leurs intentions: « Nu somo con vu ». L’emploi du mot « con » indique la liaison entre la Gênes du ventre et la poitrine de l’Afrique7. Car, lorsque j’étais dans les profondeurs des ténèbres de la nuit de la circoncision intermédiaire entre l’ancien temps et le nouveau8, alors que l’Esprit Saint représentait les premiers tableaux de la hiérarchie [ecclésiastique], en l’an du Seigneur 1331, et que je me proposais d’ajouter les noms de tous les empereurs à gauche de la colonne des papes9, une voix me couvrit dans un songe en disant comme suit: « Ne formez pas d’attelage avec les infidèles »; c’est pourquoi j’ai renoncé à indiquer les noms des empereurs. Mais, le même mois, j’ai agi à l’opposé en entrant dans le collège de nos amis dans un office de la curie romaine10 avec l’intention de plaire à mes amis charnels, comme si j’avais dénaturé la fidélité pour cet office en la rendant charnelle. Au moment où cela se passait,

Fils de Jézabel. Fils d’Ochozias. 3 Fils de Joas. 4 Jézabel: épouse phénicienne d’Achab, roi d’Israël, elle resta païenne et entraîna son mari sur cette voie (voir les livres des Rois). 5 L’ensemble du paragraphe repose sur les oppositions entre le latin et le provençal. 6 Voir 2 Co 6, 14. 7 Voir V 34, note 36. 8 C’est-à-dire entre l’époque de l’homme ancien et celle de l’homme nouveau. 9 Voir fol. 4. 10 Voir P 20, décembre 1330 – janvier 1331: Opicinus devient scribe à la Pénitencerie. 1 2

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[fol. 47] DE

FOL.

IVDICIIS

47

LOMBARDIE

In testimonium contra me qui putabam celos ascendere per scalas pecunie florenorum, cassata est societas Florentina de scalis. Nunc intra portam uentris Italie audiui accessisse fidelem Florentiam ad amouendas scalas uentrales. Et erexerunt scalas gradualium canticorum tam a Bononia sanctus Dominicus quam a Padua sanctus Antonius; que ciuitates sunt pre ceteris habiles studiis pacis non guerre, usque ad caput Hispanie unde fuerunt. Ecce adimpletio uisionis de scala sancti Dominici, die uel nocte qua de seculo transiit. TESTIMONIVM

DE DIGNITATE NON AMBIENDA

Facta linea de Roma usque ad Aquilegiam, de qua ad quam per obedientiam transiit sanctus Marcus euangelista, factus prius episcopus Aquilegie quasi Alexandrie, illa linea amputat policem maris iuxta ciuitatem Gradensem, in testimonium sancti Marci qui similiter fecit, nequis presumat ambire dignitates uel ordines G(g)raduales. Cum essem quasi decennis Papie fui per aliquos menses in grammatica scolaris cuiusdam magistri habentis uocabulum boni non mali, qui debilitato police manus dextere naturaliter uel ex causa, cum duobus tantum digitis (indice et medio) bene scribebat pulchram litteram. Vidi librum Boetii immediate transscriptum – cum glosis, ymaginibus et figuris – ab originali Boetii, manu predicti magistri, sicut audiui. Non sine misterio, cum legitur euangelium in memoriam sancti Marci significantis aliud, signamus cum police frontem, os et pectus.

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nous avons vu dans une église d’Avignon une femme disant qu’elle avait quitté l’infidélité des Sarrasins pour se convertir à notre foi; devenu participant de sa pauvreté à travers ce signe, j’ai nourri fermement l’espoir que ma paroisse se convertirait à l’avenir. Fait l’année de la perfection, le jour de la purification de sainte Marie [2 février 1338]. [fol. 47] OPINIONS

SUR LA

LOMBARDIE

En témoignage contre moi qui pensais monter aux cieux avec les échelles de la monnaie des florins, la société florentine des Échelles a fait faillite. A présent j’ai entendu dire que la fidèle Florence était arrivée à l’intérieur de la porte du ventre de l’Italie pour enlever les échelles du ventre. Et autant saint Dominique depuis Bologne que saint Antoine depuis Padoue ont dressé les échelles des cantiques des degrés1; or ces villes sont plus en mesure que les autres de travailler pour la paix et non pour la guerre, en allant jusqu’à la tête de l’Espagne dont ces saints étaient originaires2. Voici l’accomplissement de la vision de l’échelle que saint Dominique a eue le jour ou la nuit où il a quitté le monde3. PREUVE

QU’IL NE FAUT PAS BRIGUER UNE FONCTION

Soit une ligne tracée entre Rome et Aquilée, par où l’évangéliste saint Marc est passé en obéissant, lui qui était devenu auparavant évêque d’Aquilée (autant dire d’Alexandrie4): cette ligne coupe le pouce de la mer aux environs de la ville de Grado5, en témoignage de saint Marc qui a fait de même, pour éviter que quelqu’un n’ait l’audace de briguer des fonctions ou des ordres à Grado / par degrés. A Pavie, quand j’avais environ 10 ans, j’ai appris pendant quelques mois la grammaire auprès d’un maître qui savait enseigner le bien et non le mal, et qui, ayant le pouce de la main droite abîmé de manière naturelle ou pour une autre raison6, traçait habilement une belle écriture avec seulement deux doigts (l’index et le médius). J’ai vu un livre de Boèce que la main de ce maître avait directement recopié – avec les gloses, les images et les figures – à partir de l’original de Boèce, à ce que j’ai entendu dire. Ce n’est pas sans mystère que lorsqu’on lit l’évangile en mémoire de saint Marc (qui indique autre chose), nous nous signons avec le pouce sur le front, la bouche et la poitrine.

On appelle « cantiques des degrés » les psaumes 119 à 132. Saint Antoine de Padoue et saint Dominique sont nés dans la Péninsule ibérique. 3 Voir la Légende dorée, t. 2, pp. 58-59. 4 Saint Marc était vénéré comme le fondateur de l’Église d’Alexandrie. 5 Grado se trouve au sud d’Aquilée. Les jeux de mots continuent: Gradensem/graduales. 6 Saint Marc passait pour s’être coupé le pouce par humilité, afin de ne pas être ordonné prêtre (voir la Légende dorée, t.1, p. 303). 1 2

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DE

FOL.

47

HVMANA MALITIA

Inimicus homo carnalis et uetus pater mendacii est similis diabolico mari, quod uel qui cum inuidia uidens minorem mundum (id est filium hominis bone nature quod est bonum semen Dei seminatum in utero Lombardie), iactat per Veneticam portam uentris in medium umbilici uel matricis huius uentris que uocatur Papia corruptibile semen simile sibi; quod diabolicum semen simile magno mari patri suo statim corrumpit et diuidit bonum semen. Diuidit, inquam, filium hominis in minores Affricam et Europam cum aliquo trunco sterilis Asie. Bonum semen formandum in filium hominis seminatum per diuinum Filium hominis, saluo in omnibus fundamento, est populus christianus seminatus per diuinum Filium hominis (id est per opera sacerdotum) in uentre parrochie cuiuscumque; diabolicum autem semen ponens scisma in populo christiano est tenax affectio corruptibilis carnis et sanguinis domus sue. DE

SPIRITVALI DISPOSITIONE

EVROPE

HOMINI COMPARATE

Quotiens patior frigus in manibus presertim in dextra, siue in estate siue in yeme, etiam si sim uestitus pelliceis, propter carentiam tamen ignis nullo modo possum calefacere manus nisi ponantur super pectus ad nudum, ubi uiget calor naturalis. In manibus est mihi maior afflictio frigoris quam in aliis membris; pedes enim calefiunt ex motu. Specularemur Europam que omnia confitetur in publico: brachium eius dextrum cum manu perditum est pre frigore iniquitatis perdita caritate. Conuersa autem ad pectus inuenit ibi ignem amoris diuini, cuius uirtute mirabili interius et nobilius brachium Domini reuelatur et restituitur sibi. Habebat enim prius in Affrica in brachio suo dextro de alienis aduersitatibus gaudium et in sinistro dolorem de aduersitatibus propriis; et econuerso gaudium de prosperitatibus propriis et dolorem de prosperitatibus alienis. Prima enim et quarta affectio habent signum inuidie erga proximum; secunda autem et tertia habent signum intentionis ad comodum in seipsum. Prima et tertia gaudii sunt una affectio; secunda uero et quarta doloris sunt similiter una affectio. Rursus habebat in pede dextro spem de fallacibus bonis futuris et in pede sinistro timorem de transitoriis malis futuris, que ambe cum superioribus sunt IIIIor affectiones fallaces. Ecce ego Europa non in auribus sed in oculis omnium hic presentium delicta mea confiteor iuxta proprietates membrorum meorum officialium. Brachium meum Prouincie, quod mihi abstulit Affrica cum illius barbari Prouinciam inuasissent, habet uanum gaudium pacis mundane; brachium meum Germanie habet dolorem de carentia temporalis imperii; pes meus Calabrie habet inanem spem transeundi ad habendam uictoriam Terre sancte; pes meus Boetie habet uanum timorem se defendendi a miserabili seruitute. Nunc Dominus per misericorwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LA

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MALICE HUMAINE

L’ennemi qu’est l’homme charnel et ancien, père du mensonge, est personnifié par la mer diabolique, elle ou lui qui, regardant avec jalousie le petit monde (c’est-à-dire le fils de l’homme de nature vertueuse qu’est la bonne semence de Dieu semée dans le sein de la Lombardie), jette en passant par la porte vénitienne du ventre, au milieu de l’ombilic ou de la matrice de ce ventre qu’on appelle Pavie, la semence corruptible qui lui ressemble; et cette semence diabolique, semblable à la grande mer qui est son père, corrompt et divise aussitôt la bonne semence. Oui, elle divise le fils de l’homme en petite Afrique et petite Europe, avec un fragment de l’Asie stérile. La bonne semence qui doit se former dans le fils de l’homme, semée par le divin Fils de l’homme, en préservant tout ce qui est fondamental, c’est le peuple chrétien semé par le divin Fils de l’homme (c’est-à-dire par les œuvres des prêtres) dans le ventre de chaque paroisse; et la semence diabolique qui introduit des divisions au sein du peuple chrétien, c’est l’attachement obstiné à la chair et au sang corruptibles de sa famille. LA

GÉOGRAPHIE SPIRITUELLE DE L’EUROPE COMPARÉE AVEC L’HOMME

Toutes les fois que j’ai froid aux mains, surtout du côté droit, que ce soit l’été ou l’hiver, même si je suis vêtu avec des fourrures, je ne peux néanmoins en aucune manière me réchauffer les mains à cause de l’absence de feu, à moins de les poser sur ma poitrine nue, là où la chaleur naturelle est importante. Mes mains souffrent plus du froid que mes autres membres; en effet, mes pieds se réchauffent en bougeant. Observons l’Europe qui avoue tout en public: son bras et sa main droits sont affaiblis1 car refroidis par l’injustice, la charité étant perdue. Mais si elle se tourne vers la poitrine, elle y trouve le feu de l’amour divin, dont la puissance merveilleuse permet que le bras du Seigneur lui soit révélé et rendu, en étant plus fort et plus remarquable. En effet, auparavant en Afrique, son bras droit se réjouissait des malheurs d’autrui et le gauche s’affligeait de ses malheurs personnels; et inversement, [son bras gauche] se réjouissait de ses succès personnels et [le droit] s’affligeait des succès d’autrui. En effet, le premier et le quatrième sentiments indiquent la jalousie à l’égard du prochain; quant au deuxième et au troisième, ils indiquent la recherche des avantages individuels. Le premier et le troisième sont un seul sentiment: la joie; mais le deuxième et le quatrième sont aussi un seul sentiment: la peine. En revanche, son pied droit espérait des biens trompeurs à venir et son pied gauche craignait des maux éphémères à venir; ces deux sentiments ajoutés à ceux qui sont plus haut représentent 4 sentiments hypocrites. Voici que moi l’Europe, j’avoue mes fautes non aux oreilles mais aux regards2 de ceux qui sont ici présents, conformément aux caractéristiques propres à mes membres serviteurs. Mon bras de Provence, que l’Afrique m’a enlevé lorsque ses barbares ont envahi la Provence, se réjouit en vain de la paix du monde; mon bras de Germanie est affligé par l’absence du pouvoir temporel; mon pied de Calabre espère inutilement traverser pour conquérir la Terre

1 2

Allusion à la soi-disant infirmité d’Opicinus. Primauté de la vue sur l’ouïe classique chez Opicinus.

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FOL.

47-47v°

diam suam me reducens ad lucem carnes meas timore suo confixit, sicut potestis aspicere manifeste. Iam pes meus sinister confixus est, ut securius ambulet supra Galathie scorHora qua scribebam, pes meus sinister confixus est; retrospexi et uidi iuxta me scorpionem in terra quasi immobile; quem perforans ferro, in oleo citius suffocaui. [fol. 47 v°]-pionem. Similiter pes meus dexter confixus est clauo, cuius acumen obtusum inferius habet castrum Cotroni, a quo calciamentum meum possum uocare coturnum (id est calceum rusticanum). Nunc affectiones mee conuerse sunt a uitiis in uirtutes. Gaudeo enim de spirituali letitia proximorum bonorum, doleo de certa malitia peruersorum, spero de conuersione multorum et timeo de periculis lapsurorum – et hec erga proximum. Erga me uero gaudeo in aduersis, doleo de prosperis seculi, spero per misericordiam Dei saluari et timeo occulta diuina iudicia. Habeo enim post pedem meum sinistrum a posterioribus meis fluuium magnum Danubium (a « Dan » quod est iudicium et « dubium », quasi omne iudicium dubium mihi).

DE

TESTIMONIO PERSONALI

Sicut in media estate dies in triplo preualet nocti, sic complexio stomachi mei requirit uinum cui, si sit bene uinosum, in triplo preualeat aqua immixta ut dici ualeat aqua uinata. In media yeme nox in triplo preualet diei, et in triplo preualeat uinum aque ut dicatur uinum limphatum. In mediis uero autumpno et uere, existentibus paribus die et nocte, fiat equalitas uini et aque. Iuxta reliqua tempora, uaria et diuersa uicissim, fiat limphatio uini plus et minus, ad nullius tamen exemplum nisi habentis complexionem consimilem. Caliditas enim uini cum calore diurno non extinguit coleram sed accendit; et frigiditas aque cum algore nocturno non consumit flegma sed nutrit. Debita autem proportio utriusque iuxta uicissitudines dierum et noctuum contemperat semper humores. Hec secundum intelligentiam spiritualem a sapientibus exponantur. Hoc tamen accidit mihi anno presenti; anno uero sequenti mutata est aliquantulum complexio stomachi mei, ad communem usum uini cum ceteris.

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463

sainte; mon pied de Boétie/Béotie craint en vain de résister à un esclavage malheureux. A présent le Seigneur, me ramenant à la lumière grâce à sa miséricorde, a percé de clous mes membres par sa crainte, ainsi que vous pouvez le voir clairement1. Désormais mon pied gauche est cloué, afin de marcher plus en sécurité sur le scorpion de Galatie. Au moment où j’écrivais, mon pied gauche a été piqué; j’ai regardé en arrière et j’ai vu près de moi un scorpion par terre, quasiment immobile; l’ayant transpercé avec un objet en fer, je l’ai assez rapidement étouffé dans l’huile2. [fol. 47v°] Mon pied droit est lui aussi percé par un clou, dont la pointe émoussée à l’intérieur détient le château de Crotone3, ce qui me permet d’appeler mon soulier cothurne4 (c’est-à-dire chaussure rustique). A présent, mes sentiments qui étaient des vices sont devenus des vertus5. En effet, je me réjouis avec une allégresse spirituelle du bonheur de mes proches, je suis affligé par la malice avérée des hommes pervers, j’espère la conversion d’un grand nombre et je crains les dangers pour ceux qui sont prêts à chuter – et cela en ce qui concerne mon prochain. Mais en ce qui me concerne, je me réjouis des malheurs et suis affligé par les plaisirs du monde, j’espère être sauvé par la miséricorde de Dieu et je crains les jugements divins secrets. En effet, j’ai derrière le pied gauche, venant des régions de derrière, le grand fleuve Danube (de « Dan » qui représente le jugement, et de « spécieux/douteux »6, c’est-à-dire tout jugement spécieux à mon égard7). TÉMOIGNAGE

PERSONNEL

De même qu’au milieu de l’été, la durée du jour est trois fois celle de la nuit, de même la constitution de mon estomac réclame du vin; s’il est bien vineux, il faut y ajouter trois mesures d’eau pour qu’on puisse parler d’eau coupée de vin. Au milieu de l’hiver, la durée de la nuit est trois fois celle du jour, et il faut ajouter trois mesures de vin pour qu’on dise que c’est du vin coupé d’eau. En revanche, au milieu de l’automne et du printemps, comme le jour et la nuit sont d’égale durée, on doit mettre autant d’eau que de vin. En fonction des autres époques, diverses et variées dans leur succession, on doit ajouter plus ou moins d’eau au vin, en ne prenant pour modèle que celui qui a la même constitution. En effet, l’échauffement provoqué par le vin ajouté à la chaleur du jour n’apaise pas la cholère8, mais l’enflamme; et la fraîcheur de l’eau ajouté au froid de la nuit n’épuise pas le flegme,

1 Allusion à la crucifixion. Voir les pieds cloués en Italie (et parfois aussi en Grèce) dans les cartes du Vaticanus. 2 Opicinus intègre un événement de la vie quotidienne à sa saga personnelle. Les scorpions d’Avignon ne sont pas dangereux; par ailleurs, le scribe a peut-être été seulement piqué par un insecte. 3 Crotone: en Calabre. 4 Cothurne: chaussure à semelle épaisse portée dans l’Antiquité par les acteurs grecs. 5 Sa crucifixion (c’est-à-dire sa maladie de 1334) a transformé Opicinus. 6 Exemple de recours à des étymologies significatives. 7 Allusion au procès d’Opicinus. 8 A l’époque, on distingue quatre humeurs dans le corps humain: la bile (ou cholère), le sang, le flegme et la mélancolie (ou atrabile). L’équilibre des humeurs assure la bonne santé; leur déséquilibre cause la maladie.

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464

DE ECCLESIA

FOL.

47v°

ORIENTALI

Inter patriarchatus orientales, primus fuit Iherosolimitanus Iacobus Alphei apostolus, secundus Antiochenus Petrus apostolus, tertius Alexandrinus Marcus euangelista; et hii tres temporibus apostolorum quos prefigurauerant tres ueteres patriarche. Demum transactis annis Domini CCC uel circa, reedificato Bizantio ueteri in Constantinopolim nouam tempore pacis Ecclesie, facta est urbs patriarchalis; in qua post aliquos annos fuit uel primus uel notabilior patriarcha Iohannes Crisostomus, quod interpretatur « aureum os » (a « crisis » quod est aurum, et « stomos » quod est os). Ecce quod Asia occupans plus quam dimidium mundum habet duos patriarchatus, scilicet primum Iherosolimitanum a sinistris et secundum Antiochenum a dextris; Affrica apparens plus domestica et coniuncta obtinuit tertium Alexandrinum in pede sinistro uel dextro; ultima uero Europa apparens siluestrior et diuisa ab aliis assecuta est quartum Constantinopolitanum in ungue cerastis. Nunc, in signum fiende nouissime prime et quasi prime nouissime, non locis tamen sed moribus, nostra fidelis Europa existens in ueritate magis domestica et Deo coniuncta per Constantinopolitanum primo preuenitur honore; deinde Asia primum a dextris habet secundum honorem Antiochenum et a sinistris tertium Iherosolimitanum honorat; ultima uero Affrica existens in ueritate siluestrior et diuisa quartum Alexandrinum tardius reueretur. In Constantinopoli multi patriarche fuerunt heretici cum sequacibus suis, eo quod linea Constantinopolitana uel iuxta, feriens ab ea super uentrem Europe, significat presentes hereses Lombardie si hereses Grecorum spiritualiter exponantur. Et ideo cum uenter purgatur a spiritualibus heresibus, omnes descendentes Constantinopolim carnales hereses iudicantur: in uentre sunt spirituales et in Constantinopoli sunt carnales. Actum idibus septembris. Effusio uiscerum Arrii fuit figura iudicii Lombardie descendentis ad Constantinopolim Grecie.

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465

mais le nourrit. En revanche, un mélange convenable des deux, adapté à la succession des jours et des nuits, ne cesse d’équilibrer les humeurs. Cela doit être expliqué par les sages en adoptant une compréhension spirituelle. Pourtant cela m’est arrivé cette année; et l’année suivante, la constitution de mon estomac s’est quelque peu modifiée, pour ma consommation courante de vin comme pour le reste. L’ÉGLISE

ORIENTALE

Parmi les patriarcats d’Orient, le premier à exister a été celui de Jérusalem avec l’apôtre Jacques d’Alphée, le deuxième, celui d’Antioche avec l’apôtre Pierre, le troisième, celui d’Alexandrie avec l’évangéliste Marc1: les trois datent de l’époque des apôtres et trois anciens patriarches les avaient préfigurés. Enfin, dans les années 300 après Jésus-Christ ou environ, l’ancienne Byzance, reconstruite en nouvelle Constantinople à l’époque de la paix de l’Église2, est devenue ville patriarcale; et c’est là que quelques années après, a vécu le patriarche le meilleur ou le plus remarquable, Jean Chrysostome3 – qu’il faut traduire par « bouche d’or » (de « chrysis » qui veut dire l’or et « stomos » qui veut dire la bouche). C’est ainsi que l’Asie, qui couvre plus de la moitié du monde, a deux patriarcats, à savoir le premier, Jérusalem, à gauche, et le second, Antioche, à droite; l’Afrique, qui semble plus apprivoisée et plus unie, a obtenu le troisième, Alexandrie, dans le pied gauche ou droit; et pour finir, l’Europe, qui semble plus sauvage et plus divisée que les autres, a acquis le quatrième, Constantinople, à l’extrémité de la céraste. Aujourd’hui, pour montrer que la dernière doit devenir la première, c’est-à-dire que la première est la dernière4 – non en termes de géographie néanmoins, mais de morale – notre Europe fidèle, qui est en vérité plus apprivoisée et plus unie à Dieu, passe devant pour les honneurs avec le patriarcat de Constantinople; ensuite, l’Asie possède en premier le deuxième rang honorifique, celui d’Antioche, à droite, et honore à gauche le troisième, celui de Jérusalem; et pour finir l’Afrique, qui est en vérité plus sauvage et plus divisée, glorifie en dernier le quatrième, celui d’Alexandrie. A Constantinople, il y a eu beaucoup de patriarches hérétiques avec leurs adeptes, parce que la ligne qui passe par Constantinople ou aux environs, et qui de là atteint le ventre de l’Europe, indique les hérésies actuelles de la Lombardie, si les hérésies des Grecs sont expliquées sur le plan spirituel. Et c’est pourquoi, lorsque le ventre est purgé des hérésies spirituelles, celles-ci, arrivant toutes à Constantinople, sont considérées comme des hérésies charnelles: dans le ventre, elles sont spirituelles, et à Constantinople, elles sont charnelles. Fait le jour des ides de septembre [13 septembre 1337]. L’éclatement des entrailles d’Arius5 a préfiguré le jugement de la Lombardie arrivant à Constantinople en Grèce. Voir l’additum du fol. 28v°. Allusion à l’édit de Milan de l’empereur Constantin. 3 Patriarche de Constantinople de 398 à 407 (mort le 14 septembre), auquel Opicinus s’identifie. 4 Voir Mt 19, 30 et Lc 13, 30. 5 Arius (v. 256-336), prêtre d’Alexandrie, fondateur de l’hérésie qui porte son nom. Il mourut, d’après les sources, d’un éclatement d’entrailles alors qu’il satisfaisait un besoin naturel. 1 2

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466

FOL.

47v°

Signum futuri Iudicii Exaltatio sancte Crucis inter Virginem abscedentem et Libram uenientem uere significat diem Iudicii, segregantis a sinistris reprobos fugientes a cruce qui habentes odio crucem diligunt magis uentrem, et a dextris electos diligentes iustitiam crucis ad quam ascendunt et odio habentes iniquitatem lumborum cum tota progenie sua quam deserunt. Virgo figurat ypocrisim et Libra iustitiam; ypocrisis iudicatur in uentre, et iustitiam prefigurat Matheus publicanus in octaua die ab hinc. De prodigalitate et auaritia Qui tempore saturitatis et copie profert diuitias suas in publico prodigus reputatur; et qui tempore famis et penurie absconderit triticum maledicetur in populo cupidus et auarus. Actum in Exaltatione sancte Crucis. De cogitationibus occultis Tanta est uarietas ymaginum in pectoribus carnalibus ut unusquisque dicat: « Hoc placitum est mihi », quod tamen displicet alteri. Bella deorum ad inuicem per ueteres gentes significabant ymaginationes carnalium modernorum que de pectoribus ab inuicem uariis prorumpunt ad opera decertandi. Additum in octaua natiuitatis sancte Marie. De figurali et reali iudicio uniuerso In ciuitate Papia uxor preualens supra uirum ad curiosos ornatus suos explendos figura est significans aliud, scilicet laicalitatem preualentem supra clerum, non solum de detentione ab ecclesiis censuum debitorum sed etiam de rapina proprietatum, quasi feminam supra uirum. Non est tamen hic finale iudicium sed est adhuc figura significans aliud, uidelicet carnalem Ecclesiam preualentem supra populum ex sanctis ecclesiasticis et secularibus christianum in uniuerso mundo, eo quod prediligit sanguinem seculi et contempnit sanguinem Ihesu Christi. Sanguis seculi in iniquitate concipitur et sanguis Christi in sacrosancto baptismate generatur. Et in hoc puto esse finale iudicium datum diuinitus summo pontifici uicario Ihesu Christi. Omne iudicium illius carnalis Papie est significatio et figura iudicii carnalis Ecclesie iudicande per dominum papam cum [XIII]1 senatoribus suis. Et sicut illa carnalis Papia est conuersa in quoddam uniuersale macellum omnium carnium, sic carnalis Ecclesia facit christianitatem esse carnalem. Additum anno perfectionis, XIIII kalendas iunii, feria IIIª Rogationum.

1

Le numéro du cahier est inséré dans l’additum.

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467

Un signe du Jugement à venir L’Exaltation de la sainte Croix, placée entre la Vierge qui s’éloigne et la Balance qui arrive, indique vraiment le jour du Jugement, qui sépare, à gauche, les réprouvés qui s’éloignent de la croix et qui, éprouvant de la haine pour la croix, préfèrent le ventre, et, à droite, les élus qui aiment la justice de la croix vers laquelle ils s’élèvent, et qui ont en horreur l’iniquité des organes génitaux ainsi que tout ce qu’elle engendre, et la fuient. La Vierge représente l’hypocrisie et la Balance la justice. L’hypocrisie est jugée dans le ventre, et le publicain Matthieu préfigure la justice le huitième jour à partir d’aujourd’hui1. La prodigalité et l’avarice Celui qui, en temps de satiété et d’abondance, montre au grand jour ses richesses, est tenu pour prodigue; et celui qui, en temps de famine et de pénurie, aura caché son blé, sera maudit dans le peuple pour sa rapacité et son avarice. Fait le jour de l’Exaltation de la sainte Croix [14 septembre 1337]. Les pensées secrètes Les images qui se trouvent dans les cœurs charnels sont si disparates que l’un dit: « Cela me plaît », alors que cela ne plaît pas à l’autre. Les guerres entre les dieux chez les païens d’autrefois annonçaient les représentations des hommes charnels d’aujourd’hui qui, à cause de leurs coeurs qui diffèrent entre eux, accourent pour livrer combat. Ajouté dans l’octave de la nativité de sainte Marie [15 septembre 1337]. Un point de vue universel, symbolique et réel Dans la ville de Pavie, une femme qui domine son mari pour qu’il la couvre de bijoux rares est une image qui indique autre chose, à savoir que les laïcs dominent le clergé, non seulement pour garder les cens dus par les églises, mais aussi pour piller les biens personnels, comme une femme qui se met sur un homme. Il ne s’agit cependant pas d’un point de vue définitif, mais encore d’une image qui indique autre chose, à savoir que l’Église charnelle domine le peuple – qui, formé des saints ecclésiastiques et laïcs, est chrétien sur la terre entière – parce qu’elle préfère le sang du monde et méprise le sang de Jésus-Christ. Le sang du monde est conçu dans l’iniquité et le sang du Christ est engendré dans le très saint sacrement du baptême. Et je pense qu’ici, il s’agit du point de vue définitif donné par une inspiration divine au souverain pontife, vicaire de Jésus-Christ. Tout jugement sur cette Pavie charnelle indique et représente le jugement sur l’Église charnelle, laquelle doit être jugée par le seigneur pape associé à [XIII] ses sénateurs. Et de même que cette Pavie charnelle est devenue un marché universel pour toutes les viandes, de même l’Église charnelle rend la chrétienté charnelle. Ajouté l’année de la perfection, le 14e jour des calendes de juin, la 3e férie des Rogations [mardi 19 mai 1338].

1

Soit le 21 septembre (huit jours après le 14), jour de la fête de saint Matthieu.

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468

[fol. 48] DE

FOL.

48

VERITATE, IVDICIO ET MENDACIO

Omnis nobilitas mundi que laudatur in bonum per sacram Scripturam est quedam figura laudabilis, donec sciamus quod illa significet. Cognita ergo uera nobilitate populi christiani, nulla fiat mentio de figura. Siquis pauper ignobilis dixerit in corde suo: « Non sum de aliqua stirpe uocatus, sed sum magis uere christianus quam nobiles mundi gloriantes in generositate sanguinis sui », iam iudicatus est cum ypocritis detractoribus proximorum. Ignobilitas hominis sepe nutrit ypocrisim, sicut nobilitas gloriam carnis exaltat. Cum dico populum christianum, soli ignobiles et pauperes mundi ymaginantur uel possunt ymaginari carnaliter me tantum dicere de seipsis: « Verus populus christianus ignorat ypocrisim pauperis nescitque gloriam diuitis, ac dedignatur respicere in personam ». « Non consideres personam pauperis, ait Dominus, nec honores uultum potentis ». Siquis obiecerit mihi: « Quare nec auctoritates allegas nec auctoritatis allegate capitulum monstras? », conscientia refert: « Non enim ueritas conscientie nec conscientia auctoritati testimonium perhibet, sed econuerso auctoritas conscientie et conscientia ueritati ». Quare? Quia ueritas simplex nihil significat aliud nisi seipsam, que tamen significatur ab omnibus creaturis. Etiam falsitas que nichil est significat ueritatem que aliquid est; ueritas autem simplex sine ulla obscuritate mendacii nulla significatione noscitur indigere. Et tu, Pilate, qui quesisti a Domino: « Quid est ueritas? », non fuisti dignus ueritatem audire; et licet corpus tuum positum sit prope Viennam in pectore caritatis, anima tamen tua radicata est in pectore totius mendacii. Corpus enim mendacii significat ueritatem iudicii; ueritas autem iudicat omne mendacium. Sicut enim mendacium ueritatem significat, ita ueritas mendacium iudicat. Cum enim peccator ueraciter confitetur omne mendacium suum, illud mendacium integra confessione euomitum significat ueritatem; que ueritas propalata uere iudicat illud mendacium.

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[fol. 48] LA

469

VÉRITÉ, LE JUGEMENT ET LE MENSONGE

Toute la noblesse du monde dont l’Écriture sainte loue les qualités est une forme de symbole digne d’éloges comme un autre, tant que nous ne savons pas ce qu’il veut dire. Par conséquent, une fois connue la véritable noblesse, celle du peuple chrétien, il ne doit plus être question de symbole. Si un pauvre d’origine modeste dit dans son cœur: « Je ne porte pas le nom d’une lignée, mais je suis vraiment meilleur chrétien que les nobles du monde qui se vantent de la richesse de leur famille », il est déjà considéré comme les hypocrites qui dénigrent leur prochain. Son origine modeste entretient souvent l’hypocrisie chez l’homme, de même que sa noblesse accroît sa vantardise charnelle. Lorsque j’évoque le peuple chrétien, seuls les hommes d’origine modeste et pauvres sur cette terre envisagent ou peuvent envisager de manière charnelle que je dis précisément à leur sujet: « Le vrai peuple chrétien ignore l’hypocrisie du pauvre et méconnaît la vantardise du riche, et même il refuse de prendre la personne en considération ». « Tu ne tiendras pas compte de la personne du pauvre, dit le Seigneur, et tu ne te laisseras pas éblouir par le puissant »1. Si l’on me fait l’objection suivante: « Pourquoi ne fais-tu pas valoir les textes faisant autorité et pourquoi n’exposes-tu pas un chapitre de ces textes? », la conscience répond: « Parce que ce n’est pas la vérité qui apporte des preuves à la conscience ni la conscience aux textes faisant autorité, mais au contraire, ce sont les textes faisant autorité qui apportent des preuves à la conscience et la conscience à la vérité ». Pourquoi? Parce que la vérité pure n’indique rien d’autre qu’elle-même, elle qui est pourtant indiquée par toutes les créatures. Même le mensonge, qui n’est rien, indique la vérité, qui est quelque chose; tandis que la vérité pure, sans la moindre obscurité due au mensonge, n’a besoin, on le sait, d’aucune indication. Et toi, Pilate, qui as demandé au Seigneur: « Qu’est-ce que la vérité? »2, tu ne méritais pas d’entendre la vérité; et, bien que ton corps ait été déposé près de Vienne3, dans la poitrine de la charité, ton âme a néanmoins pris racine dans le cœur du mensonge intégral. En effet, le mensonge incarné indique la vérité de la condamnation; tandis que la vérité condamne tous les mensonges. En effet, de même que le mensonge indique la vérité, de même la vérité condamne le mensonge. En effet, lorsque le pécheur avoue sincèrement la totalité de son mensonge, ce mensonge, une fois qu’il est rejeté par une confession irréprochable, indique la vérité4; laquelle vérité, une fois rendue publique, condamne vraiment ce mensonge.

Lv 19, 15. Jn 18, 38. 3 Procurateur de Judée de 26 à 36, Pilate avait demandé à Jésus: « Qu’est-ce que la vérité? » (Jn 18, 38), avant de le laisser crucifier. Il passait pour avoir été enterré en Provence, près de Vienne. 4 Opicinus arrive au bout de sa démonstration: alors qu’il a reçu l’absolution, il ne supporte pas d’avoir encore dû supporter un long procès. La vérité, c’est lui, et il rejette tout ce qui est erreur, trahison, injustice, autrement dit toutes les faces du mensonge auquel il a été confronté. 1 2

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470

FOL.

48-48v°

De indifferenti iudicio Licet omnis scriptura uisibilis quam scripsit Deus non homo sit creatura uisibilis et per consequens bona, tamen propter carentiam rationis est quedam uanitas significans ueritatem. Mare Mediterraneum significat corruptionem nature uel corporalis uel spiritualis in homine, que significata corruptio non est substantia nec natura. Mare ex parte qua creatum est aliqua substantia est; ex parte uero qua significat corruptionem nature, nulla substantia est. Affrica habens naturam exterius integram corporalem secundum interiora tamen significat hominis bonam naturam spiritualem peccato corruptam. Et Europa habens naturam exterius corporalem corruptam secundum interiora tamen significat hominis bonam naturam spiritualem, sanam et integram. Adhuc melius et clarius. Affrica corporaliter sana et integra significat spiritualem sanitatem et integritatem Europe. Et Europa corporaliter fragilis et corrupta significat spiritualem infirmitatem et corruptionem Affrice. Et diabolicum mare significat non naturam sed corruptionem nature uel corporalis in Europa uel spiritualis in Affrica. Nam omne extrinsecum manifestum significat interiora uel sui uel alterius; sui, inquam, semper certi et alterius semper incerti. Sicut Europa significat quemlibet hominem christianum semper ab omnibus presumendum esse sanctum et iustum, ita Affrica significat quemlibet ypocritam in occulto, quem nemo mortalis potest salua conscientia iudicare nisi solus Deus. Prima presumptio de quolibet homine christiano non potest peccare; iudicare autem aliquem esse ypocritam non potest esse sine peccato. Siquis obiciat mihi: « Quare ergo iudicasti pseudo prophetas predicasse Papie? », respondeo: « Nullius iudicaui personam nec iudico; propter manifesta autem opera laicorum in uniuerso, per consequens cogor in incertitudine personali seductores aliquos iudicare ». Siquis dixerit mihi interrogatiue: « Est ne talis et talis pseudo propheta? », respondeo: « Non pertinet mihi presumere ipsum esse, nisi fideliter predicantem bona intentione ». Ponamus exemplum. Ecce ex una parte est uniuersitas predicantium et ex alia parte est uniuersitas eorum quibus predicatum est, non ab aliis sed ab istis. In hiis predicatis est multa deceptio animarum secundum opera manifesta. De necessitate concluditur esse inter predicantes non omnes sed aliquos falsos apostolos, quorum personas singillatim Deus solus nouit non homo. Forsitan inter eos non est nisi una sola persona reprobabilis, uel fortasse una sola persona eligibilis. In utroque casu periculum esset aliquem personaliter iudicare. Si unusquisque singillatim diceret: « Numquid ego? », non responderem sibi: « Tu es » uel « tu non es ». Quia si esset [fol. 48v°] persona eligibilis, responderet sibi conscientia cum timore; si uero reprobabilis esset, iudicaret uel iudicatum nuntiaret eum ratio ueritatis. Vnde cum in Cena Domini apostoli conquirerent inter se quis esset Dominum traditurus et quererent a Domino singillawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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471

Le jugement équivoque Bien que toute chose écrite de manière visible, par Dieu et non par l’homme, soit une création visible et par conséquent bonne, néanmoins, du fait des carences de la raison, il s’agit d’une forme de tromperie qui indique la vérité. La mer Méditerranée indique l’altération de la santé physique ou spirituelle chez l’homme; et cette altération qui est indiquée n’est ni substance ni essence1. Si l’on considère qu’elle a été créée, la mer est une forme de substance; mais si l’on considère qu’elle indique l’altération de la santé, elle n’est aucunement substance. L’Afrique, dont la santé physique est apparemment intacte, indique néanmoins, d’après ce qu’elle a dans son for intérieur, la bonne santé spirituelle de l’homme corrompue par le péché. Et l’Europe, dont la santé physique est visiblement altérée2, indique néanmoins, d’après ce qu’elle a dans son for intérieur, la bonne santé spirituelle, naturelle et vertueuse de l’homme. Jusqu’ici, notre exposé est assez juste et assez clair. L’Afrique, qui est physiquement saine et intacte, indique la bonne santé et l’intégrité spirituelles de l’Europe. Et l’Europe, qui est physiquement faible et estropiée, indique la faiblesse et la corruption spirituelles de l’Afrique. Et la mer diabolique indique, non la santé, mais l’altération de la santé – physique en Europe, spirituelle en Afrique. Car tout ce qui se manifeste à l’extérieur indique ce qui se trouve à l’intérieur de soi-même ou d’un autre: oui, de soi dont on est toujours sûr, et de l’autre dont on n’est jamais sûr. De même que l’Europe représente n’importe quel chrétien, dont tout le monde doit penser qu’il est saint et juste, de même l’Afrique représente n’importe quel hypocrite tapi dans l’ombre, que n’importe quel homme mortel ne peut juger sans porter tort à sa conscience, à moins qu’il ne soit Dieu. La première supposition, relative à n’importe quel chrétien, ne peut pas représenter un péché; mais considérer quelqu’un comme un hypocrite ne peut se faire sans pécher. Si l’on me fait cette objection: « Pourquoi donc as-tu estimé que de pseudo prophètes prêchaient à Pavie? », je réponds: « Je n’ai pas jugé et ne juge pas la personne; mais en voyant les œuvres des laïcs dans leur ensemble, je suis logiquement enclin, en étant perplexe sur les personnes, à estimer qu’il y a eu quelques séducteurs ». Si l’on me pose la question suivante: « Ne s’agit-il pas de tel ou tel pseudo prophète? », je réponds: « Il ne m’appartient pas de supposer qu’il l’est spontanément, à moins qu’il ne prêche avec foi en étant muni de bonnes intentions ». Prenons un exemple. Nous avons d’un côté le groupe des prédicateurs et, de l’autre, le groupe de ceux qui écoutent la prédication faite par ceux-là et non par d’autres. Chez ceux qui écoutent la prédication, les âmes sont considérablement mystifiées, si l’on observe les œuvres produites. On en conclut nécessairement qu’il y a chez les prédicateurs certains faux apôtres (ils ne le sont pas tous); Dieu seul, et non l’homme, en connaît les personnes individuellement. Peut-être n’y a-t-il parmi eux qu’une seule personne qui mérite d’être réprouvée; peut-être bien qu’il n’y en a qu’une qui mérite d’être élue3. Dans les deux cas, il serait dangereux de juger

1 2 3

À l’époque, « nature » et « essence » sont quasiment synonymes. Voir V 25. C’est-à-dire Opicinus, qui passe habilement de la généralité à son cas personnel.

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472

FOL.

48v°

tim: « Numquid ego sum, Domine? », usque ad Iudam proditorem simili modo querentem, Christus reprobabili Iude respondit: « Non secundum mortalem quem significat leo Marcus neque secundum animalem quem figurat bos Lucas, sed secundum rationalem quem exhibet homo Matheus »; ac si ratio conscientie sibi dixisset: « Tu dixisti ». Et ideo inter euangelistas habet in testimonium contra se euangelicum hominem significantem rationale iudicium conscientie sue. Illa responsio Domini – « Tu dixisti » – significat solum rationale iudicium conscientie pectoris, quod nemo potest intelligere nisi peccator cui loquitur rationale iudicium, si ipse intelligere uelit. Potest autem inuisibilis Deus istud occultum iudicium spirituali homini indicare, secundum spiritualem quem testificatur aquila que et Iohannes, cui specialiter Dominus reuelauit hoc iudicium sic occultum. Actum in Exaltatione sancte Crucis, tunc dominica XIIIIª post Pentecostes.

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473

quelqu’un sur le plan personnel. Si chacun me disait à son tour: « Est-ce que c’est moi? », je ne lui répondrais pas: « C’est toi » ou « ce n’est pas toi ». Car s’il s’agissait [fol. 48v°] d’une personne méritant d’être élue, la conscience lui répondrait avec crainte; tandis que s’il s’agissait d’un homme méritant d’être réprouvé, le caractère rationnel de la vérité le condamnerait ou lui ferait savoir qu’il est condamné. C’est ainsi qu’à la Cène du Seigneur, lorsque les apôtres cherchaient entre eux qui livrerait le Seigneur et demandaient au Seigneur un à un: « S’agitil de moi, Seigneur? »1, jusqu’à ce que Judas le traître le demande aussi, le Christ répondit à Judas qui méritait d’être réprouvé: « Ce n’est pas en suivant [l’homme] mortel que représente le lion Marc, ni en suivant [l’homme] animal que figure le bœuf Lucas, mais en suivant [l’homme] raisonnable que montre l’homme Matthieu »; comme si le caractère rationnel de la conscience lui avait dit: « Tu l’as dit »2. Et c’est pourquoi, parmi les évangélistes, il a en témoignage contre lui l’homme évangélique qui indique le jugement rationnel de sa conscience. Cette réponse du Seigneur – « Tu l’as dit » – indique le seul jugement rationnel de la conscience du cœur, que personne ne peut comprendre en-dehors du pécheur à qui s’adresse ce jugement rationnel, et à condition que lui-même veuille comprendre. Mais le Dieu invisible peut annoncer ce jugement secret à l’homme spirituel3, en suivant l’homme spirituel qu’atteste l’aigle qu’est Jean et auquel le Seigneur a révélé en particulier ce jugement purement et simplement secret. Fait le jour de l’Exaltation de la sainte Croix, le 14e dimanche après la Pentecôte [dimanche 14 septembre 1337].

Mt 26, 22; Mc 14, 19; Lc 22, 23; et Jn 13, 22. Mt 26, 25. Voir aussi la réponse de Jésus à Pilate: « Tu le dis; je suis roi » (Jn 18, 37); Opicinus affirme ainsi subrepticement sa divinité. 3 C’est-à-dire Opicinus, identifié à l’évangéliste Jean qui rapporte la réponse de Jésus: « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper » (Judas): voir Jn 13, 26. 1 2

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TYPOGRAPHIE VATICANE

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STUDI E TESTI 448

MURIEL LAHARIE

LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS (1337 - vers 1341) Vaticanus latinus 6435 Tome 2

CITTÀ DEL VATICANO B IBLIOTECA A POSTOLICA VATICANA 2008 www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

Proprietà letteraria riservata © Biblioteca Apostolica Vaticana, 2008 ISBN 978-88-210-0838-2

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TABLE DES MATIÈRES TOME I Conventions d’édition et de traduction

. . . . . . . . . . . .

IX

Abréviations utilisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XIII

Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XV

1. Place du Vaticanus dans l’œuvre d’Opicinus et conditions de sa rédaction . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XVII

2. Histoire et état de la recherche sur le Vaticanus . . . .

XX

3. Description externe . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XXXVII

4. Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XLIII

Biographie d’Opicinus de Canistris

. . . . . . . . . . . . . .

XLVII

1. En Lombardie (1296 – 1329) . . . . . . . . . . . . . .

XLVII

2. En Avignon (1329 – vers 1353) . . . . . . . . . . . . .

XLIX

Analyse du Vaticanus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LIII

1. Le contenu général . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LIII

2. Le style « opicinien » . . . a) Caractères généraux . b) Des propos singuliers c) Des dessins atypiques

. . . .

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LVI LVI LVIII LIX

Sources et Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXIII

I. Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXIII

1. Oeuvres d’Opicinus autres que le Vaticanus . . . . . .

LXIII

2. Autres sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Manuscrites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Imprimées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXIII LXIII LXIV

II. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXV

1. Travaux portant sur le Vaticanus (exclusivement ou partiellement) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

LXV

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VI

TABLE DES MATIÈRES

2. Travaux mentionnant le Vaticanus . . . . . . . . . .

LXVII

3. Divers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Travaux d’histoire (surtout médiévale) . . . . . B. Travaux de psychiatrie, psychanalyse et psychopathologie de l’expression . . . . . . . . . . . . .

LXIX LXX LXXXIII

Liste des reproductions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LXXXVIII VATICANUS LATINUS 6435 TEXTE LATIN ET TRADUCTION

. . . . . . . . . . .

1

FRANÇAIS . . . . . . . . . . . . .

475

1. Index des noms de lieux et de personnes . . . . . . .

927

2. Index thématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

939

EN

FRANÇAIS

(première partie)

TOME II VATICANUS LATINUS 6435 TEXTE LATIN ET TRADUCTION

EN

(deuxième partie) INDEX

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VATICANUS LATINUS 6435 TEXTE LATIN

ET TRADUCTION EN

FRANÇAIS

(deuxième partie)

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476

FOL.

48v°

DESSIN V 1

1. DE

VIRTVTIBVS ET VITIIS DIVITIS ET PAVPERIS

Si diues et pauper ambo fideles christiani uiderint sibi melius esse in statu quo sunt quam in alio, tunc neuter ipsorum peccat in alterum. Diues et potens, durante presenti uniuersali malitia, non potest comode salua conscientia dimittere gubernationem rei publice. Similiter pauper uictu et uestitu contentus, timens periculum instantis malitie personalis, non ualet salubriter secundum Deum copiose ditari. Ceteris paribus in uirtute, mallet diues cum paupere humiliari quam pauper cum diuite exaltari. Et sic apud Deum humilitas mentis in diuite cum libertate conscientie pauperis compensatur. Nunc de amborum uitiis per naturales ymagines uideamus, secundum principia, media et fines.

2. Ecce falsa nobilitas carnis et sanguinis hominis ueteris et exterioris (id est cuiuslibet stirpis mundi). 3. Si uoluero claudere oculos meos a tanta scientia ueritatis, de facili potest animus meus inflecti ad persuasiones hominis ueteris mei cum consilio carnalium amicorum, ut reuertar ad fallacem gloriam mundi sub specie ecclesiastice dignitatis. Non enim dignitas saluat nec iudicat hominem, sed ambitio dignitatis condempnat personam et bona gubernatio multorum animas saluat. 4. Vna est natura mulierum diuitis et pauperis; sola inuolutio pretiosorum uelaminum facit magis appretiari unum stercus quam aliud. Ex quibus ambo uermiculi processerunt qui, si adducantur ad sanctam generationem Ecclesie, conuertuntur in unum hominem rationalem. 5. Vna est natiuitas pauperis et diuitis, sicut fuerat una conceptio utriusque. Vnde ergo maior nobilitas unius quam alterius? Nonne ambo de sanguine corruptionis?

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477

DESSIN V 11 Cette image appartient au cycle V 1 / V 2 / V 3 et présente elle-même un cycle: naissance, âge adulte et mort. Les existences du pauvre et du riche commencent et se terminent de la même façon; à l’âge adulte, ils s’adonnent tous deux au culte des idoles. L’objectif d’Opicinus est de montrer que lui-même échappe à cette destinée banale, puisqu’il est passé à « l’homme nouveau » en 1334, au point de s’identifier à Dieu lui-même.

1 – LES

2 3

4

5

VERTUS ET LES VICES DU RICHE ET DU PAUVRE

Si le riche et le pauvre, tous deux chrétiens fidèles, constatent qu’ils se trouvent mieux dans leur condition que dans une autre, alors aucun des deux n’offense l’autre. Tant que dure la malice universelle actuelle, l’homme riche et puissant ne peut pas aisément, en préservant sa conscience, renoncer au gouvernement des affaires publiques. De même l’homme pauvre, ayant assez de nourriture et de vêtements et craignant le danger que représente la malice personnelle, n’est pas en mesure de s’enrichir beaucoup, ce qui est salutaire d’après Dieu. Leur valeur étant égale par ailleurs, le riche aimerait être abaissé avec le pauvre plus que le pauvre n’aimerait être élevé avec le riche. Et ainsi, pour Dieu, l’humilité d’esprit chez le riche est contrebalancée par la liberté de conscience du pauvre. Examinons maintenant leurs vices à tous deux grâce à des images naturelles, en fonction du début, du milieu et de la fin [de l’existence]. – Voici la fausse noblesse de la chair et du sang de l’homme ancien et extérieur (c’est-à-dire de n’importe quelle lignée du monde). – Si je veux détourner mes regards d’une si grande connaissance de la vérité, mon esprit peut facilement se laisser fléchir par les suggestions de mon homme ancien ainsi que par les conseils de mes amis charnels, si bien que je reviendrai à la gloire trompeuse du monde derrière les apparences d’une fonction ecclésiastique. En effet, une fonction ne sauve ni ne condamne l’homme; mais la convoitise pour une fonction accuse la personne et un bon gouvernement sauve les âmes d’un grand nombre. – La constitution de la femme est la même, qu’elle soit riche ou pauvre; c’est seulement en fonction des vêtements précieux qui l’enveloppent que l’on trouve un fumier plus agréable qu’un autre. Toutes deux ont donné naissance à des vermisseaux qui, s’ils sont guidés vers la sainte postérité de l’Église, deviennent un seul homme raisonnable. – La naissance est la même pour le pauvre et pour le riche, comme l’avait été leur conception à tous deux. Pourquoi l’un serait-il donc plus noble que l’autre? Ne proviennent-ils pas tous deux d’un sang corrompu?

1

Dessin présenté dans Art et folie…, pp. 69-70.

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478

FOL.

48v°-49

6. Filius diuitis totus est absortus ad affectionem sculptilium mundi, ut inde plus augeat suam progeniem in honore, cuius tamen transit gloria sicut fumus. 7. Filius pauperis, propter affectionem quam habet ad ymaginem corruptibilis hominis, uult libenter uendere propriam libertatem propter miserrimam seruitutem, ut inde possit aliquem honorem transitorium adipisci. 8. Ecce quod ambo reuersi sunt a generatione baptismi ubi datur ymago diuina in pectoribus hominum. Nunc mutati sunt de homine in bestias, non ratione habituum exteriorum sed ex parte suarum interiorum ymaginum quas adorant. 9. Vna est finis uite diuitis et pauperis; quale amborum principium, talis finis. 10. Actum de ymaginibus cum scripturis XV kalendas octobris, tunc feria IIIIª ieiunii septimi; nocte sequenti et die sequenti aliqua scripta addita sunt.

[fol. 49] DESSIN V 2

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479

6 – Le fils de la femme riche est entièrement accaparé par son attachement aux statues du monde; il cherche ainsi à faire croître sa famille dans les honneurs, dont la gloire passe pourtant comme la fumée. 7 – Le fils de la femme pauvre, en raison de l’attachement qu’il porte à l’image de l’homme corruptible, souhaite de son plein gré vendre sa liberté personnelle, pour une servitude tout à fait pitoyable qui lui permettrait d’atteindre des honneurs éphémères. 8 – Voici que tous deux ont quitté la descendance du baptême qui met l’image de Dieu dans le cœur des hommes. Aujourd’hui, ils sont changés d’homme en bêtes, non pas en raison de leurs tenues extérieures, mais à cause de leurs images intérieures, qu’ils adorent. 9 – La fin de l’existence est la même pour le riche et pour le pauvre; début et fin identiques pour les deux. 10 – Les images et les textes qui les acompagnent ont été réalisés le 15 des calendes d’octobre, à savoir la 4e férie du jeûne du septième mois [mercredi 17 septembre 1337]; la nuit et le jour suivants [18 septembre], quelques notes ont été ajoutées.

[fol. 49] DESSIN V 21 On peut donner comme titre à ce diagramme: « une autre biographie d’Opicinus ». Il présente en effet une parenté évidente avec P 20 (planche dont le centre pourvu de données autobiographiques a été composé l’année précédant V 2, en 1336), en reprenant la biographie délirante d’Opicinus l’année de sa seconde naissance (1334). Cette image, qui est en fait chronologiquement la première du manuscrit, appartient au cycle V 1 / V 2 / V 3 (naissance, lumière et vérité). Elle se présente soit comme un œil, soit comme un personnage féminin dont la tête et le tronc sont compris dans un vaste cercle central comprenant trois cercles identiques et occupé par les rayons équidistants des sept sacrements. Le premier cercle extérieur à ce cercle central présente les débuts des quatre évangiles; et le deuxième est garni d’un calendrier où figurent nombre de fêtes significatives aux yeux du scribe. Un triple diamètre traverse l’ensemble de ces cercles. À l’extérieur du dernier cercle, quatre lettres majuscules bivalentes (J, V/A, J et O) délimitent des pôles. Opicinus use et abuse des jeux numérologiques que lui permettent les dates exprimées dans le calendrier romain (en privilégiant notamment 7, 8, 14, 25 et surtout 24, qui correspond à sa naissance) pour prouver sa divinité. Il insiste sur les conceptions et les naissances, en s’identifiant à tous les personnages ou groupes qui en font l’objet: le Christ, Marie, Jean-Baptiste, tous les baptisés, l’Église du miroir, le peuple chrétien, tous les prêtres… Il s’agit donc d’une autoproclamation divine, typiquement mégalomaniaque: Opicinus est bien le personnage attendu depuis les prophéties de Joachim de Flore. Les addita ajoutés les années suivantes renforcent le versant persécutif dirigé contre Benoît XII.

Ce dessin est analysé en détails par GUY ROUX dans Art et folie…, pp. 69-101. Les notes 36bis et 59bis de V 2 deviennent ici respectivement les notes 66 et 67. 1

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480

FOL.

49

1. Ecce uera nobilitas carnis et sanguinis Ihesu Christi (id est populi christiani). 2. Sicut oculus hominis nullum minimum corpus terrestre patitur ne pupilla interior obfuscetur, ita pectus Ecclesie nullum patitur peccatum cogitationis ne Christus interior inde tollatur. 3. abcdefg1 4. ianuarius 5. februarius 6. martius 7. aprilis 8. maius 9. iunius 10. iulius 11. augustus 12. september 13. october 14. nouember 15. december 16. anno Domini MCCCXXXIX 17. Ihesus Christus; XIX kalendas ianuarii2 18. Vnctus; XVII kalendas aprilis3 19. Iohannes Baptista; XVIII kalendas iulii4 20. magnum pietatis opus; XVIII kalendas octobris5 21. natiuitas sanctificans omnia per seipsam 22. regeneratio baptismatis ex aqua et Spiritu Sancto 23. natiuitas sanctificata per Spiritum Sanctum 24. generatio sanctificata per Verbum 25. Natiuitas Domini; sancti Iohannis6 euangeliste 26. Agnetis; LXXma stadii; Agnetis 27. sancti Thome de Aquino 28. Annuntiatio sancte Marie Virginis 29. sancti Marci euangeliste 1 Ces lettres sont répétées 52 fois sur le cercle, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. 2 L’initiale I (de Ihesus et de ianuarii), grande et épaisse, est commune aux deux expressions. Pour les notes 17 à 20, la deuxième expression est écrite en sens inverse de la première. 3 Les initiales V (de Vnctus) et A (d’aprilis) forment une seule lettre, grande et épaisse, commune aux deux expressions, grâce au trucage du dessin. 4 L’initiale I (de Iohannes et de iulii), grande et épaisse, est commune aux deux expressions. 5 L’initiale O d’octobris, grande et épaisse, permet de placer la lettre initiale d’Opicinus en haut du dessin. 6 Les initiales des noms des évangélistes (notes 25, 29, 36 et 37) sont un peu plus grandes et plus épaisses que le reste du texte.

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1 – Voici la véritable noblesse de la chair et du sang de Jésus-Christ (c’est-à-dire du peuple chrétien). 2 – De même que l’œil de l’homme ne supporte pas le moindre élément matériel, sinon sa pupille interne est obscurcie, de même la poitrine de l’Église ne supporte aucun péché en pensée, sinon le Christ intérieur la quitte. 3 – a [dimanche], b [lundi], c [mardi], d [mercredi], e [jeudi], f [vendredi], g [samedi] 4 – janvier 5 – février 6 – mars 7 – avril 8 – mai 9 – juin 10 – juillet 11 – août 12 – septembre 13 – octobre 14 – novembre 15 – décembre 16 – l’année du Seigneur 1339 17 – Jésus-Christ; le 19 des calendes de janvier [14 décembre] 18 – l’Oint; le 17 des calendes d’avril [16 mars] 19 – Jean-Baptiste; le 18 des calendes de juillet [14 juin] 20 – la grande œuvre de piété; le 18 des calendes d’octobre [14 septembre] 21 – la naissance qui sanctifie tout par elle-même 22 – la régénération pour ceux qui sont baptisés par l’eau et l’Esprit Saint 23 – la naissance sanctifiée par l’Esprit Saint 24 – la postérité sanctifiée par le Verbe 25 – Naissance du Seigneur [25 décembre]; saint Jean, évangéliste [27 décembre] 26 – Agnès [21 janvier]; la 70e du stade1; Agnès [28 janvier] 27 – saint Thomas d’Aquin [7 mars] 28 – Annonciation de la sainte Vierge Marie [25 mars] 29 – saint Marc, évangéliste [25 avril] 30 – Pentecôte, l’année du renouvellement [8 juin 1337] 31 – vigile de la naissance de saint Jean-Baptiste [23 juin] 32 – Marie-Madeleine [22 juillet]; Jacques, apôtre [25 juillet]; le nouveau Lazare2; Marthe [29 juillet] 33 – Lia, le premier prix; Jacob, le deuxième prix; Rachel, le troisième prix3 34 – nativité de la sainte Vierge Marie [8 septembre]

1 Cet additum est placé au 24 janvier, date de la fin heureuse du procès d’Opicinus en 1337, à mi-chemin entre les deux fêtes d’Agnès. Le 70e jour correspond au 3 avril, à l’époque où Opicinus était malade en 1334. 2 Allusion à Lazare ressuscité par Jésus dans l’Évangile (voir Jn 11), à qui Opicinus s’identifie d’autant mieux qu’il pense partager avec lui le privilège de la résurrection. 3 Lia: première épouse (et servante) de Jacob. Jacob: fils d’Isaac. Rachel: seconde épouse de Jacob.

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482

30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60.

FOL.

49

Pentecostes, anno renouationis uigilia natiuitatis sancti Iohannis Baptiste Marie Magdalene; Iacobi apostoli; Lazarus nouus; Marthe Lia primum brauium; Iacob secundum brauium; Rachel tertium brauium1 natiuitas sancte Marie Virginis Exaltatio †2 sancti Mathei euangeliste; conceptio sancti Iohannis Baptiste sancti Luce euangeliste conceptio sancte Marie Virginis « In3 principio erat Verbum et Verbum erat apud Deum et Deus erat Verbum ». usque « plenum gratie et ueritatis ». « Liber generationis Ihesu Christi filii Dauid, filii Abraham. Abraham genuit Ysaach ». usque « uirum Marie, de qua natus est Ihesus qui uocatur Christus ». « Fuit in diebus Herodis regis Iude sacerdos quidam nomine Zacharias ». usque « parare Domino plebem perfectam ». « Initium Euangelii Ihesu Christi filii Dei. Sicut scriptum est in Ysaia propheta: Ecce mitto angelum meum ante faciem tuam ». usque « tu es filius meus dilectus, in te complacui ». baptismus confirmatio eucharistia penitentia extrema unctio ordo sacer matrimonium sacramentalis Ecclesia sigillata misteriis status perfectorum uterus infirmorum quelibet persona christiana apertio intellectualis extra uentrem incorporatio baptizati in uentre Ecce IIIIor sancte natiuitates iuxta IIIIor tempora anni decorata IIIIor euangeliorum initiis. Prima sancte Marie secundum euangelium Mathei in autumpno;

Le mot brauium, commun aux trois expressions, est indiqué avec une accolade. La grande croix, reliée à Exaltatio par une droite, permet de sous-entendre: sancte Crucis. 3 Les initiales du premier mot des quatre évangiles (notes 39, 41, 43 et 45) sont plus grandes et plus épaisses que le reste du texte. 1 2

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483

35 – Exaltation [de la sainte Croix] [14 septembre] 36 – saint Matthieu, évangéliste [21 septembre]; conception de saint JeanBaptiste [24 septembre] 37 – saint Luc, évangéliste [18 octobre] 38 – conception de la sainte Vierge Marie [8 décembre] 39 – « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu »1. 40 – jusqu’à « plein de grâce et de vérité »2. 41 – « Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac »3. 42 – jusqu’à « l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus qui est appelé Christ »4. 43 – « Du temps d’Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie »5. 44 – jusqu’à « préparer au Seigneur un peuple parfait »6. 45 – « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Selon qu’il est écrit dans le prophète Isaïe: voici que j’envoie mon ange devant toi »7. 46 – jusqu’à « tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur »8. 47 – le baptême 48 – la confirmation 49 – l’eucharistie 50 – la pénitence 51 – l’extrême-onction 52 – les saints ordres 53 – le mariage 54 – l’Église sacramentelle scellée par les mystères 55 – la condition des parfaits 56 – le sein des faibles 57 – n’importe quelle personne chrétienne 58 – l’ouverture de l’intelligence à l’extérieur du ventre 59 – l’incorporation du baptisé dans le ventre 60 – Voici les 4 naissances correspondant aux 4 saisons de l’année, ornées par les commencements des 4 évangiles. La première naissance est celle de sainte Marie en automne, d’après l’évangile de Matthieu; placée le 8 septembre, elle précède la conception de JeanBaptiste, placée le 8 des calendes d’octobre [24 septembre]. La deuxième naissance est celle de tout baptisé au printemps, d’après le sens de l’évangile de Marc, avec le retour du mystère de la naissance de saint Thomas d’Aquin, entre le 7e jour de mars en partant du début [7

1 2 3 4 5 6 7 8

Jn 1,1. Jn 1, 14. Mt 1, 1-2. Mt 1, 16. Lc 1, 5. Lc 1, 17. Mc 1,1. Mc 1, 11.

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484

61.

62.

63. 64.

FOL.

49

que ab VIIIª die septembris preuenit conceptionem Iohannis VIII kalendas octobris. Secunda cuiuslibet baptizati secundum intellectum euangelii Marci in uere, recurrente misterio natalitii sancti Thome de Aquino, a VIIª die martii secundum introitum ad conceptionem Domini VIIª die martii secundum exitum. Tertia sancti Iohannis Baptiste, cuius uigilia preuenitur secundum euangelium Luce ab autumpno conceptionis in estatem originis; que uigilia VIIIª die iunii exeuntis preuenitur per Pentecostem anni presentis VIIIª die iunii introeuntis. Quarta Domini nostri Ihesu Christi ab eterna ad temporalem, secundum euangelium Iohannis in yeme; que ab VIII kalendas ianuarii ante se premisit conceptionem Marie VIIIª die decembris. Prima natiuitas sancte Marie sanctificata est ad sedem et templum Domini preparandum, que exhibet specularem Ecclesiam ante secula potentialiter preparatam, in qua nunc actualiter, spiritualiter et corporaliter diuinitas habitat. Secunda natiuitas baptismalis quam uetus circuncisio figurabat, ex qua nunc per indiuidua personarum regeneratur et nascitur populus christianus ad multiplicandam et augendam corporalem Ecclesiam. Tertia natiuitas sancti Iohannis ad preparandam uiam Domini, qui ex tribu leuitica natus significat unamquamque personam sacerdotalem, non ad dominium sed ad ministerium sacramentorum Ecclesie et ad perficiendas animas plebis sue. Quarta Natiuitas Domini descendentis ad homines perditos, in quibus nunc redemptis et adunatis in unicum corpus Ecclesie corporaliter habitat Ihesus Christus. Primum brauium est corona corruptibilis Cesaris; ultimum est gloria corporee paupertatis; medium autem est uictoria ordinis christiani. Additum anno reuelationis, VII kalendas augusti. Primum brauium est quoddam preambulum; ultimum quoddam secutorium; medium autem est honorificum uexillum pretioso sanguine rubricatum. Actum anno renouationis, inter Exaltationem sancte Crucis et octavam natiuitatis sancte Marie. Additum anno reuelationis, VIII kalendas augusti, de cursu ad brauium facto hac die per triplum. Primum brauium pallii serici uel auro texti, nomine Lie sine Iacob, nichil est. Tertium panni albi nomine Rachel sine Iacob parum ualet. Secundum autem uel medium brauium panni rubei uel scarleti nomine Iacob medii ambarum habet uictoriam. Omne medium dat honorem Iacob.

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485

mars] et la conception du Seigneur, le 7e jour de mars en partant de la fin [25 mars]. La troisième naissance est celle de Jean-Baptiste, dont la vigile est précédée, d’après l’évangile de Luc, par la période comprise entre l’automne de sa conception et l’été de sa naissance; cette vigile placée le 8e jour avant la fin de juin [23 juin] est précédée par la Pentecôte de l’année présente, placée le 8e jour après le début de juin [8 juin 1337]. La quatrième naissance est celle du Seigneur Jésus-Christ, qui va de la naissance éternelle à la naissance inscrite dans le temps, en hiver d’après l’évangile de Jean; placée le 8 des calendes de janvier [25 décembre], elle a relégué avant elle la conception de Marie, placée le 8 décembre. 61 – La première naissance, celle de sainte Marie, est sanctifiée pour préparer le siège et le temple du Seigneur; elle montre l’Église du miroir virtuellement préparée avant les siècles, et que la divinité habite réellement aujourd’hui, sur le plan spirituel et corporel. La deuxième naissance, celle du baptême, que symbolisait l’ancienne circoncision, permet aujourd’hui, du fait de l’unité des personnes, la régénération et la naissance du peuple chrétien, pour multiplier et faire grandir l’Église corporelle. La troisième naissance est celle de Jean-Baptiste, pour préparer les chemins du Seigneur, lui qui, issu de la tribu de Lévi, représente toute personne sacerdotale, non pour être le maître des sacrements de l’Église mais pour les administrer, et pour parfaire les âmes de ses ouailles. La quatrième naissance est celle de notre Seigneur descendant chez les pécheurs égarés; c’est chez eux, aujourd’hui rachetés et rassemblés dans le corps unique de l’Église, que Jésus-Christ habite corporellement. 62 – Le premier prix1, c’est la couronne impériale corruptible; le dernier, c’est la pauvreté du corps; et celui du centre, la victoire de l’ordre chrétien. Ajouté l’année de la révélation, le 7 des calendes d’août [26 juillet 1339]. Le premier prix est en quelque sorte celui qui précède; le dernier, en quelque sorte celui qui vient à la suite; et celui du centre, l’étendard glorieux, rougi par le précieux sang2. 63 – Fait l’année du renouvellement, entre l’Exaltation de la sainte Croix [14 septembre 1337] et l’octave de la nativité de Marie [15 septembre 1337]. 64 – Ajouté l’année de la révélation, le 8 des calendes d’août [25 juillet 1339], au sujet de la course au prix de la victoire faite en triple en ce jour. Le premier prix, un manteau de soie ou un tissu d’or au nom de Lia sans Jacob, n’est rien. Le troisième, une étoffe blanche au nom de Rachel sans Jacob, a peu de valeur. Mais le deuxième prix ou celui du milieu, une étoffe rouge ou écarlate, au nom de Jacob, au milieu des deux autres, remporte la victoire. Tout ce qui est au centre fait honneur à Jacob.

1 2

Voir Ph 3, 14. Il s’agit de la tunique du Christ.

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486

FOL.

49-49v°

65. Additum anno coronationis, V idus maii, de nouo Lazaro. 66. destructio Radisolis 67. prostratio mei

[fol. 49v°] DE

SPIRITVALI DISPOSITIONE ORBIS TERRARVM

Marcus euangelista, cum attingeret pedem sinistrum uel dextrum Affrice nomine Alexandriam, fracto calciamento suo dixit: « Vere expeditum est iter meum », intendens conuertere Affricam in Europam; tradiditque calciamentum effractum cuidam cerdoni ad reparandum, ut reparato calceo Alexandrie illa magna Affrica arriperet iter conuersionis uersus Europam fieretque cum ea una Ecclesia et non due. Cumque ille fidelis consutor calceorum percussisset casu manum suam cum subula, clamauit et dixit: « Vere unus est Deus » uel similia uerba; deinde curatus est. Subula secundum uulgare Papie dicitur « lesna », cuius uocabulum habet quedam insula brachii diabolici maris, que ab uno capite est acuta. Illud brachium diaboli primo separauit ab inuicem crura sancte statue nostre que uocatur Europa. Hoc dico speculariter ad exemplum. Hec a stomacho sursum habet perfectos non egentes umbratilibus signis, cum habeant in se corpus diuinum et lucem. A stomacho autem deorsum tota est signis uisibilibus obumbrata; sine quibus signis sacramentalibus et umbrosis non possunt infirmi accedere ad corpus diuinum et lucem, ubi nulla est qualitas accidentalis nec obumbratio uicissitudinis cum reiteratione signorum assidua. Sola est ibi substantialis simplicitas sine accidentibus mutatiuis. Tres substantie sunt in Christo (substantia carnis, substantia anime et substantia Dei), due nature (natura hominis et natura Dei, consubstantialis cum Patre et Spiritu Sancto) et una persona discreta a Patre et Spiritu Sancto. Quem omnes perfecti comprehendunt per intelligibilem fidem; qui respectu infirmorum sunt comprehensores, respectu uero animarum fidelium et perfectarum exutarum a carne sunt adhuc uiatores. Sunt enim in paradiso fideli et meritorio, ubi uos estis, o sustentatores totius Ecclesie; credo etiam me esse uobiscum. Ista fidelis Europa (id est specularis Ecclesia a stomacho deorsum) est tota signis umbrosa usque ad plantas – sub cuius pedis sinistri calcaneo habetur Thessalonica, que interpretatur ex hebraico « statuens umbram », donec euanescentibus omnibus umbratilibus signis tota ista uniuersalis Ecclesia fiat formosa sine ulla materia. Corpus enim spirituale et lux est forma perpetua sine materia; uisibilia autem signa sunt materia transiens sine forma. Homo enim uetus et exterior non potest quiescere nisi « in secreto calami » (id est in expositione littere etiam spiritualiter sine Verbi uirtute), in umbra signorum uisibilium sine inuisibili re « et in locis humentibus » cum infirmis, ne possint unquam deserere suas affectiones infirmas in spiritu et firmas in mollibus carnis locorum et tempowww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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65 – Ajouté l’année du couronnement, le 5 des ides de mai [11 mai 1340], au sujet du nouveau Lazare. 66 – la destruction du Radisol1 67 – la prostration de ma personne2

[fol. 49v°] LA

GÉOGRAPHIE SPIRITUELLE DE L’ORBE TERRESTRE3

Lorque l’évangéliste Marc atteignit le pied gauche ou droit de l’Afrique appelé Alexandrie4, sa chaussure étant décousue, il dit: « Vraiment, ma route a été préparée »5, en se proposant de changer l’Afrique en Europe; et il donna sa chaussure décousue à réparer à un savetier6, afin qu’une fois sa chaussure réparée à Alexandrie, cette grande Afrique s’engage sur la voie de la conversion en direction de l’Europe, et qu’ainsi elles ne forment plus qu’une seule Église et non deux. Et lorsque ce fidèle cordonnier piqua accidentellement sa main avec une alène, il poussa un cri et dit: « Vraiment, il y a un seul Dieu » ou des mots de ce genre; sur ce, il fut guéri. Dans le patois de Pavie, l’alène se dit « lesna »; or une île située dans le bras de la mer diabolique porte ce nom7, car une de ses extrémités se termine par un cap effilé. Ce bras du diable a d’abord séparé l’une de l’autre les jambes8 de notre sainte statue qu’on appelle Europe. Je dis cela pour donner un exemple évident. Celle-ci, en allant de l’estomac vers le haut9, abrite des parfaits qui n’ont pas besoin de signes obscurs, puisqu’ils ont en eux le corps divin et la lumière. En revanche, en allant de l’estomac vers le bas10, elle est totalement obscurcie par les signes visibles; et sans ces signes sacramentels et obscurs, les faibles ne peuvent pas atteindre le corps divin et la lumière, là où l’on ne trouve aucune qualité accidentelle ni obscurité continuelle associée au renouvellement constant des signes. On y trouve la seule substance dans sa pureté, sans les accidents liés au changement. Le Christ possède trois substances (la substance de la chair, la substance de l’âme et la substance de Dieu), deux natures (la nature humaine et la nature divine, consubstantielles au Père et à l’Esprit Saint), et une seule personne, différente du Père et de l’Esprit Saint. Tous les parfaits le connais-

Nom d’une grande statue équestre (appelée aussi Regisole) qui se trouvait à Pavie. Mais Opicinus y ajoute ses étymologies personnelles: radii solis (les rayons du Soleil qu’il incarne) et radix (indiquant la Calabre de Joachim de Flore). Le diamètre (non matérialisé) qui relie cette expression avec la note 67 est un diamètre négatif qui valorise, par contraste, le triple diamètre positif; il date donc vraisemblablement de 1339. Voir V 18, note 14, et V 19, note 19. 2 Allusion à la bouffée délirante du printemps 1334. Voir V 25, note 24. 3 Ce paragraphe est commenté par Guy Roux dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 446-448. 4 Dans les cartes d’Opicinus, l’Afrique pose tantôt son pied gauche (V 25), tantôt son pied droit (V 11, V 26, V 30, V 34) sur la région d’Alexandrie. 5 Voir à la fin du paragraphe (Italia = iter ad alia). 6 Voir la Légende dorée, t. 1, p. 303. 7 Allusion à Lesnos, du côté de Mykonos. 8 C’est-à-dire l’Italie et la partie occidentale de la péninsule balkanique. 9 C’est-à-dire vers la poitrine de Provence. 10 C’est-à-dire vers la Lombardie. 1

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488

FOL.

49v°

rum sibi misericorditer ad tempus concessis. Homo autem nouus et interior, qui non est anima tantum, sicut aliqui putant, sed totus et integer homo, qui est status omnium perfectorum in Christo, omnes illas miserias derelinquit. Siquis de pectore huius Europe sit adhuc infirmus, etiam si nunquam fuerit in Lombardia, computatus est tamen in utero infirmorum. Et siquis de uentre Italie sit iam perfectus, etiam si nunquam fuerit in hac Gallia Transalpina, computatus est tamen in pectore perfectorum. Ad hoc dico nequis glorietur se esse de loco nobilioris membri huius Europe nec aliquem iudicet esse in loco ignobilioris membri. Apud enim Deum non est acceptio magis huius loci quam illius. Sola ratio fidei cum intellectu mundato accedit ad Deum; quam rationem et intellectum significat presens Auinio pectoralis. Calciamentum extensum uersus Terram sanctam uocatur Italia presertim orientalis. Italia ad honorem ueteris Rome interpretatur ex hebraico « mens excedens », que secundum Latinos ab « eo-is-itum-itu » Italia nominatur, quasi « iter ad alia » (subintellige quam sint ista uisibilia). Ecce quanta nobilitas huius cruris Italie quod iuxta Latinos uult « ire ad alia » (quasi ad Terram sanctam) in testimonium rei et secundum Hebreos dicta « mens excedens » habet rem significatam (scilicet Christum in curia pectorali). Nichil est aliud dicere « iter ad alia » nisi « mens excedens » inuisibili Deo. Pes extensum ad Christum Iudee est mens inuisibilium excessiua. Ecce quod omnia membra Europe significantia aliud si conuertantur ad pectus, nullis significationibus indigebunt. Alexandria transmarina contra aures diabolici maris habuit exorcistam, scilicet leonem rugientem in auribus Sathane: « Audi, Sathana et cetera », ut habetur in exorcismo. Dicit enim in Euangelio contra aures ueteris homini surdi et muti: « Epheta », quod est: « Adaperire ». Omnis adiuratio Sathane refertur ad hominem ueterem et carnalem, ut abrenuntietur totaliter cum actibus suis et ymaginationibus suis ad concupiscibilia huius mundi. Ille homo meus exterior et carnalis natus est de progenie Canistrorum. Ego autem Opicinus dominus eius, natus de utero nostre matris Ecclesie, sum corporaliter seruus Domini nostri Ihesu Christi, missus ab eo ad obsequium corporale populi christiani. Actum in octava natiuitatis sancte Marie.

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sent grâce à la foi intelligible, eux qui, par rapport aux faibles, sont instruits grâce à leur intelligence, mais qui, par rapport aux âmes fidèles et parfaites libérées de la chair, sont encore des voyageurs. En effet, ils se trouvent dans le paradis de la foi et des mérites, là où vous demeurez, ô vous les soutiens de l’Église tout entière; et je crois que je suis aussi avec vous. Cette Europe fidèle (c’est-àdire l’Église du miroir, en allant de l’estomac vers le bas) est entièrement obscurcie par les signes, jusqu’à la plante des pieds – sous le talon de son pied gauche, se trouve Thessalonique1 (qui veut dire en hébreu: « qui met de l’ombre »), en attendant que, une fois tous ces signes obscurs disparus, cette Église universelle tout entière devienne belle et immatérielle. En effet, le corps spirituel et la lumière représentent la beauté perpétuelle immatérielle; alors que les signes visibles sont faits d’une matière éphémère, dénuée de beauté. En effet, l’homme ancien et extérieur ne peut se tenir tranquille que « dans la solitude du roseau »2 (c’està-dire dans l’explication de la lettre, y compris sur le plan spirituel, dénuée de la qualité essentielle du Verbe), dans l’obscurité des signes visibles privée de l’invisible « et dans des lieux humides »3 où il côtoie les faibles, si bien qu’ils ne peuvent jamais quitter leurs attachements, faibles sur le plan spirituel et forts pour ce qui est des plaisirs de la chair, inscrits dans l’espace et le temps, qui leur ont été concédés momentanément avec miséricorde. Mais l’homme nouveau et intérieur – qui n’est pas seulement l’âme, comme certains le pensent, mais l’homme entier et intact – qui représente la condition de l’ensemble des parfaits dans le Christ4, renonce à toutes ces tribulations. Tout homme encore faible qui appartient à la poitrine de cette Europe, même s’il ne s’est jamais trouvé en Lombardie, est cependant mis au nombre de ceux qui se trouvent dans le sein des faibles. Et tout homme déjà parfait qui appartient au ventre de l’Italie, même s’il ne s’est jamais trouvé dans cette Gaule transalpine, est cependant mis au nombre de ceux qui se trouvent dans la poitrine des parfaits. Je dis cela pour éviter que l’on ne se vante d’appartenir géographiquement à la partie du corps la plus prestigieuse de cette Europe ou que l’on ne considère que quelqu’un se trouve géographiquement dans celle qui est la moins prestigieuse. Pour Dieu, en effet, il n’y a pas d’endroit préférable à un autre. Seul le caractère rationnel de la foi associé à l’intelligence purifiée parvient à Dieu; et ce sont ce caractère rationnel et cette intelligence que représente l’actuelle Avignon de la poitrine. La chaussure qui se déploie en direction de la Terre sainte est appelée Italie, surtout à l’est5. L’Italie, qui rend honneur à l’ancienne Rome, veut dire en hébreu « l’esprit entrant en extase »; et pour les Latins, son nom vient de « eo, is-itum-itu » et signifie « le chemin vers d’autres choses » (sous-entendu que celles qui sont visibles). C’est ainsi que cette jambe de l’Italie est particulièrement prestigieuse, elle qui, d’après les Latins, veut « aller vers d’autre choses » (c’est-à-dire vers la Terre sainte) en témoignage de la réalité

1 Thessalonique: port de Macédoine (effectivement situé sous la botte gauche de l’Europe): voir V 21, notes 2 et 13; V 26, notes 11 et 39; V 28, note 15; et V 34, note 16. 2 Jb 40, 21. 3 Idem. 4 Voir V 2, note 55. 5 C’est-à-dire du côté de Pavie. De plus, l’est représente le pôle lumineux par excellence.

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DE

FOL.

DESCRIPTIONE MARIS

ADRIATICI

50

ET IVDICIIS

LOMBARDIE

Consutor calceorum nomine Anianus post sanctum Marcum in episcopatu Alexandrie immediate successit, ut constitutus in Alexandrie calceo non abesset a calceis. Cuius subula (id est Lesna insula brachii maris) uertit acumen uersus calceum Sclauonie. [fol. 50] Huius maris brachium tortuosum habet in se insulam paruam nomine Stortam quasi distortam. Et propter distortionem huius brachii habetur ibidem alia insula modica nomine Cazola, que litteraliter melius dici potest « trulla cementarii » que secundum uulgare Papie dicitur « cazola ». Adhuc propter Venetias (id est portum uenationis) ad quam extenditur brachium huius maris reperitur ibidem insula nomine Caza, que litteraliter « Venatio » potest dici. Exemplum. 1 De iudiciis uentris Europe memini me semel legisse quamdam mulierem Lombardam, dominam cuiusdam castri uel opidi tradidisse illum locum barbaris aduenis; quorum princeps se uidens obtinuisse uictoriam propter proditionem illius domine iustum iudicium fecit de illa, figans eam in palo plantato per genitalium portam claustralem, ubi miserabiliter mortua fuit. Nescio quod significet illa porta turpitudinis nisi Papiam genitalium minoris Europe ab utero matris sue. Virgines mulieris predicte, ut defenderent pudicitiam suam a barbaris, supposuerunt occulte pullos fetentes sub mammis, quorum ignorato fetore incutiebatur horror uolentibus ipsas impudice amplexari. Putabant enim eas fetentes et sic euaserunt intacte. 1

L’alinéa est indiqué à l’encre rouge.

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et qui, ayant pour nom « l’esprit entrant en extase » chez les Hébreux, possède la réalité indiquée (à savoir le Christ à la cour de la poitrine). L’appellation « le chemin vers d’autres choses » équivaut à celle de « l’esprit entrant dans l’extase » du Dieu invisible. Le pied qui se déploie vers le Christ de Judée correspond à l’esprit ravi par l’invisible. C’est ainsi que toutes les parties du corps de l’Europe qui représentent autre chose, si elles se tournent vers la poitrine, n’auront aucunement besoin d’être expliquées. Alexandrie d’outre-mer, située près des oreilles de la mer diabolique1, a abrité un exorciste, à savoir un lion qui rugissait dans les oreilles de Satan: «Écoute, Satan etc.», afin de l’exorciser. En effet, dans l’Évangile, il dit en s’adressant aux oreilles de l’homme ancien sourd et muet: « Ephpheta », c’est-à-dire: « ouvre-toi »2. Toute adjuration adressée à Satan concerne l’homme ancien et charnel, pour qu’il y renonce complètement ainsi qu’à ses oeuvres et à ses fantasmes tournés vers les séductions de ce monde. Il s’agit de mon homme extérieur et charnel, issu de la race des Canistris. Et c’est moi, Opicinus, son maître, né dans le sein de notre mère l’Église, qui suis corporellement le serviteur de notre Seigneur Jésus-Christ, envoyé par lui pour faire corporellement allégeance au peuple chrétien. Fait dans l’octave de la nativité de sainte Marie [15 septembre 1337]. DESCRIPTION

DE LA MER

ADRIATIQUE

ET OPINIONS SUR LA

LOMBARDIE3

C’est un cordonnier du nom d’Anianie4 qui fut le premier successeur de saint Marc comme évêque d’Alexandrie, si bien qu’installé dans la chaussure d’Alexandrie, les chaussures ne lui faisaient pas défaut. Et son alène (c’est-à-dire l’île de Lesnos située dans le bras de la mer) tourne son cap vers la chaussure de Slavonie5. [fol. 50] Le bras tortueux de cette mer contient une île minuscule baptisée Storta (c’est-à-dire tordue). Et à cause de l’aspect tordu de ce bras, on trouve dans les mêmes parages une autre île modeste appelée Cazola, laquelle peut littéralement s’appeler de façon plus appropriée « truelle du maçon »6, qui, dans le dialecte de Pavie, se dit « cazola ». Toujours à proximité de Venise (c’est-à-dire du port de la vénerie), vers laquelle se déploie le bras de cette mer, on trouve une île du nom de Caza, qui peut littéralement se traduire par « Chasse ». Exemple. À propos des jugements du ventre de l’Europe, je me rappelle avoir lu une fois qu’une femme lombarde, ayant autorité sur un château ou une place forte, livra cette place à des barbares étrangers. Leur chef, voyant qu’il avait obtenu la victoire grâce à la trahison de cette maîtresse, lui infligea un jugement mérité en l’empalant sur un pieu planté dans la fente vaginale des parties sexuel-

Voir V 34, note 34. Mc 7, 34. 3 Ce paragraphe est commenté par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 446-449. 4 Sur les hypothèses relatives au nom de ce personnage, voir GUY ROUX, Opicinus, prêtre, pape…, pp. 447-449. La rencontre des deux cordonniers correspond aux limbes de la légende du juif errant. 5 Slavonie: région occupée par les Slaves. 6 Am 7, 7. 1 2

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FOL.

50

Exemplum. 1 Audiui semel a quodam sicut ipse conspexerat quamdam meretricem gladium lateralem euaginatum inuolutumque lineis pannis intra claustrum impudicitie infixisse usque ad capulum et inde faciliter extraxisse. Quod nihil aliud significat nisi gladium barbarorum intra uentrem Italie presertim Papie. Exemplum. 2 Tempore guerre audiui nonnullas feminas uiatrices a predonibus captas et inquisitas ad nudum usque ad locum turpitudinis, si haberent super se pecuniam redemptionis captiuorum uel litteras explorantes. Vulua pecunie figurabat portam Veneticam diuitem auro et argento, ubi rei publice bona fideliter conseruantur; et genitalia litterarum papiri Papiam propaginis denotabant. Exemplum. 3 Quamdam uel plures non Papie sed alibi euisceratas audiui, ut inde tollerent pecuniam quam metu latronum deglutierant, donec in loco tuto uentre purgato conseruatam pecuniam totam illesam recipere potuissent. Sic uenter Italie uiolenter apertus aliquando per I(i)anuam lateralem ad meridiem fuit thesauris a Barbaris spoliatus, ubi fons sanguinis presentem cruentam discordiam figurabat. Ecce quod uentris I(i)anua naturalis sepe fit per barbaros I(i)anua uiolenta, ut inde quasi pecunia evellatur christianitas abortiva: si Venetie capiantur per Ianuam, fit de naturali ianua violenta; si uero Ianua cum Venitiis pacificatur, tunc uenter femineus parit christianam sobolem per I(i)anuam naturalem.

VNDE

PROCEDIT RADIX PECCATI

Sentiens adolescens carnem contra spiritum decertare et econuerso, non potest dici finaliter nec proprie respectu persone habere in se hominem exteriorem aduersus hominem interiorem, cum caro non sit homo nec anima sit homo, sed caro et anima perficiunt hominem naturalem; alioquin non esset congruum dicere duos homines in uno homine naturali. Nam caro et anima naturales habent in se uinculum et concordiam

1 2 3

Idem. Idem. Idem.

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les, ce qui lui infligea une mort honteuse. Je ne sais ce que représente cette fente abjecte, si ce n’est la Pavie des parties sexuelles de la petite Europe, issue du sein de sa mère. Les filles vierges de la femme en question, pour préserver leur chasteté des barbares, mirent en cachette des poussins en décomposition sous leurs seins; cette puanteur d’origine inconnue effraya ceux qui voulaient les étreindre sans retenue. En effet, ils pensèrent que c’était elles qui empestaient et ainsi elles s’échappèrent sans avoir été touchées. Exemple. Quelqu’un m’a raconté une fois qu’il avait lui-même aperçu une courtisane à qui l’on avait de manière infamante enfoncé jusqu’à la garde à l’intérieur de la porte abjecte un glaive tiré du côté du fourreau et enveloppé de langes en lin1, et à qui on l’avait retiré facilement. Ce qui ne représente rien d’autre que le glaive des barbares à l’intérieur du ventre de l’Italie, surtout à Pavie. Exemple. Au temps de la guerre, j’ai entendu dire que plusieurs femmes qui voyageaient avaient été capturées par des pillards et fouillées nues jusqu’à l’endroit infâme, pour voir si elles avaient sur elles de l’argent pour payer une rançon de prisonniers ou bien des documents d’espionnage. La vulve contenant de l’argent symbolisait la porte des Vénètes, riche en or et en argent, là où les biens de l’État sont conservés en sécurité; et les parties sexuelles contenant des documents sur papier indiquaient la Pavie qui a un rejeton. Exemple2. J’ai entendu dire, non à Pavie mais ailleurs, qu’une femme ou plusieurs avaient été éventrées pour leur voler l’argent que, par crainte des bandits, elles avaient avalé, jusqu’à ce qu’après s’être purgées en lieu sûr, elles puissent récupérer la totalité de leur argent intact. De même, le ventre de l’Italie, ouvert autrefois par la force au niveau de Gênes, la porte de côté3, en direction du sud, a été dépouillé de ses trésors par les barbares, à l’endroit où une source de sang marquait la discorde sanglante actuelle. C’est ainsi que Gênes, la porte naturelle, devient souvent, du fait des barbares, Gênes, la porte forcée4, si bien que, comme l’argent, la fausse chrétienté en est arrachée. Si Venise est prise par Gênes, elle devient naturellement une porte forcée; mais si Gênes fait la paix avec Venise, le ventre féminin accouche alors par Gênes, la porte naturelle, d’une descendance chrétienne. D’OÙ

PROVIENT L’ORIGINE DU PÉCHÉ

Pour un adolescent qui se rend compte que la chair livre bataille à l’esprit et inversement, il n’est pas possible de dire de manière définitive et juste, au vu de sa personne, qu’il y a en lui l’homme extérieur qui s’oppose à l’homme intérieur, puisque la chair n’est pas l’homme et l’âme non plus, mais que le corps et l’âme parachèvent l’homme naturel; sinon il ne serait pas correct de dire qu’un seul homme naturel comprend deux hommes. Car la chair et l’âme naturelles entretiennent une union et une harmonie naturelles; et dans cette harmonie naturel-

1 2 3 4

Cette expression s’inspire à la fois de Lc 2, 7 et d’Ez 9, 2-3. Ce paragraphe est traduit par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 404. Voir V 6, note 34. Voir V 6, note 2.

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FOL.

50-50v°

naturalem, in quorum naturali concordia nemo peccat. Caro enim seruit anime uegetabili et sensibili quarum omnium anima rationalis est domina. Anima rationalis rationalis est cum desiderat naturaliter per uirtutes esse uniuersalis in aliorum singulis animabus; alioquin non est uere anima rationalis, cuius ratio naturalis in carne conclusa est. Et ideo nonnulli arbitrantes esse naturalem discordiam inter animam et carnem, ut placerent plus Deo, ex indiscretionis errore se uoluntarie morti dederunt, separantes per se ipsos animam naturalem a carne; quod si tanta esset naturalis rebellio, nunquam futura esset concordia carnis cum anima in resurrectione nouissima. Abiciamus igitur nos errorem ueritatemque cernamus: caro et anima naturaliter faciunt unum hominem non duos.1 Non enim potest peccare caro sine anima naturali nec anima potest mereri sine carne naturali. Anima naturalis cum carne per liberum arbitrium potest peccare; similiter cum carne anima potest mereri; alioquin non fieret retributio carni sed anime tantum. Hoc dico de homine. Virtus peccati spiritualis cepit in celis per angelum et lapsus peccati carnalis cepit in terris per hominem, usque ad spirituale peccatum. Non potest esse spirituale peccatum per angelum uel hominem, nisi peccans habeat alios consimilis speciei uel consentientes uel non consentientes peccanti. Verbi gratia. Si splendidus Lucifer fuisset solus in specie angeli, non peccasset nec meruisset in ymagine speculari potentialiter preparata ab eterno; sed propter consortium speciei sue (scilicet angelorum) ipse cogitans dicendo: « Similis ero altissimo » (subintellexit « pre ceteris angelis istis »); alioquin non fuisset spirituale peccatum contra caritatem nec etiam meritum caritatis, si non cogitasset peccatum. Sed propter similem speciem angelorum, proposita [fol. 50v°] sibi primo obedientia ad ymaginem sapientie Dei, per inobedientiam prorupit ad appetitum glorie singularis. Et quia inter spiritus non est aliud cogitare nisi proferre, statim ipse cum fauentibus sibi corruit ab ymagine Dei in qua demeruit. Et reliqui angeli per obedientiam et caritatis uirtutem meruerunt habere actualiter illam ymaginem specularem per quam translati sunt ad speciem beatitudinis sempiterne. Similiter primi parentes nostri: si putassent se semper solos futuros sine filiis et aliis hominibus speciei sue, non peccassent nec meruissent in ymagine speculari. Non enim paradisus terrestris est uerus paradisus, sed significans meritorium paradisum fidelem in ipsa ymagine quam presens Ecclesia actualiter habet. Non peccassent ergo Adam et Eua si semper fuissent soli futuri, sed propter speciem suam multiplicandam et propagandam sicut promiserat eis Deus, suggerente diabolo primo propositam sibi obedientiam contempnentes et personalem gloriam appetentes, incurrerunt peccatum, primo

1 Plusieurs lignes rayées après coup par Opicinus, avec des traits horizontaux qui masquent l’écriture, suivent ce passage.

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le, personne ne commet de péché. En effet, la chair est soumise à l’âme vivante et sensible, et l’âme douée de raison est leur maîtresse à toutes. L’âme douée de raison est raisonnable lorsqu’elle désire naturellement, grâce à ses vertus, être universelle dans les âmes individuelles des autres; sinon il ne s’agit pas vraiment d’une âme douée de raison, car sa raison naturelle est prisonnière de la chair. Et c’est pourquoi certains, pensant qu’il y a une incompatibilité naturelle entre l’âme et la chair, pour plaire davantage à Dieu, du fait d’une erreur de jugement, se sont donné volontairement la mort en séparant d’eux-mêmes l’âme naturelle de la chair; or, s’il y avait une telle hostilité naturelle, on ne pourrait jamais envisager l’harmonie entre la chair et l’âme lors de la dernière résurrection. Nous devons donc rejeter l’erreur et reconnaître la vérité: la chair et l’âme composent naturellement un seul homme et non deux. En effet, la chair ne peut pécher sans l’âme naturelle, et l’âme ne peut être méritante sans la chair naturelle. L’âme naturelle associée à la chair est capable de pécher, du fait du libre-arbitre; de même, l’âme associée à la chair peut être méritante; sinon il n’y aurait pas de récompense pour la chair, mais seulement pour l’âme. Je parle ici de l’homme. L’efficience du péché spirituel a commencé dans les cieux, avec un ange1; et la chute du péché charnel a commencé sur terre, avec un homme2, en allant jusqu’au péché spirituel3. Il ne peut y avoir de péché spirituel chez un ange ou un homme, si l’auteur du péché n’est pas au milieu d’autres personnes de la même espèce que lui, qu’elles l’approuvent ou non quand il pèche. Par la grâce du Verbe. Si le brillant Lucifer avait représenté à lui seul l’espèce angélique, il n’aurait été ni pécheur ni méritant dans l’image en miroir préparée virtuellement de toute éternité; mais il l’a été à cause de son appartenance à son espèce (celle des anges), lui-même songeant à dire: « Je serai l’égal du Très-Haut »4 (sous-entendu « devant les autres anges »); sinon, s’il n’avait pas médité son péché, il n’y aurait pas eu de péché spirituel contre la charité, pas plus que de mérite dû à la charité. Mais, comme il y avait une espèce angélique qui lui était semblable, alors qu’il lui avait d’abord été proposé [fol. 50v°] d’obéir en habitant l’image de la sagesse de Dieu, en désobéissant, il a embrassé le désir de gloire exceptionnelle. Et puisque chez les esprits, penser n’est rien d’autre que faire, [Lucifer] lui-même et ceux qui l’encourageaient ont aussitôt été détachés de l’image de Dieu dont ils avaient été dignes. Quant aux autres anges, grâce à leur obéissance et à leur vertu de charité, ils ont mérité de jouir réellement de cette image du miroir qui les transporte vers la vision de la béatitude éternelle. Il en est de même pour nos premiers parents: s’ils avaient estimé qu’ils seraient toujours seuls à l’avenir, sans descendance ni compagnons de la même espèce, ils n’auraient été ni pécheurs ni méritants dans l’image du miroir. En effet, le paradis terrestre n’est pas le vrai paradis, mais il indique le paradis des mérites et de la foi se trouvant dans cette

1 Il s’agit de Lucifer. D’après les Pères de l’Église (dont saint Augustin), certains anges sont restés fidèles à Dieu et d’autres se sont rebellés (les démons). 2 C’est-à-dire Adam. 3 Voir Mc 3, 29 et Lc 12, 20. 4 Is 14, 14.

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FOL.

50v°

carnale per inobedientiam, deinde spirituale per appetitum glorie personalis contra uirtutem caritatis. Vnde in uerbo diaboli dicentis eis: « Eritis sicut dii », subintelligitur « ut ab hominibus reliquis adoremini sicut Deus propter uestram scientiam singularem ». Nunc in nobis horum peccati misterium reuelatur. Per Adam intelligitur unaqueque persona ueteris hominis et exterioris qui, factus ab utero cum diabolo unus homo, semper appetit comodum honorem et gloriam singularem uenditam sibi a ceteris hominibus; fere in nullo differt hostis antiquus ab homine ueteri; diabolus enim omnem humanam malitiam adinuenit. Per Euam significatur unaqueque progenies corruptibilis carnis et sanguinis; hinc est quod diabolus ad Euam solam nomine tamen amborum colloquebatur per numerum pluralem, ac si loqueretur ad progeniem mundi: « O uos, domina Eua (id est nobilissima stirps talis et talis domus), qui descendistis de carne et sanguine talis et talis persone, nequaquam moriemini (id est semper uiuetis ad eternam memoriam). Scit enim Deus quod in quocumque die comederitis ex eo (id est cum obtinueritis pre ceteris probitatem), aperientur oculi uestri ad omnem scientiam et eritis sicut dii, scientes bonum et malum (quod subintelligitur deceptiue bonum pro uobis et malitiam contra uos); per prudentiam boni superabitis in prudentiam omnis mali; et sic habebitis in perpetuum gloriam specialem ». Hoc totum factum est in testimonium contra meipsum et progeniem domus mee, propter apparentiam presentis scientie. Ego sum Adam (id est persona mortalis nata sine nomine, in loco tamen certo et tempore). Eua (id est progenies Canistralis potentialiter exaltanda, utinam nunquam actualiter in futuro) tunc ymaginabitur in pectore suo personam talis et tante persone hominis Papiensis, quasi formatura in corde suo ymaginem bestie mirabilis. Nam iste homo Papiensis impressus per ymaginationem diligentium eum carnaliter non est aliud nisi ymago mirabilis bestie, post quam accurret uniuersa terra ad cultum ipsius. Conferatur Europa naturalis cum Europa Papie uniuersalis: ibi reperietur tarascinus in pectore ubi habitare deberet Dominus noster Ihesus Christus, cui Martha seruiret. Siquis potens fidelis et prudens habens iurisdictionem in populo uoluerit scire quam et qualem ymaginem habeat in pectore unusquique, det eis aliquam libertatem, ita tamen ut statim a quolibet scelere retrahantur. Cognita ymagine pectoris uniuscuiusque per apparentia signa, cohibeantur ydolatre, ne affectio ydolorum prorumpat in actum. Vnusquisque fidelis christianus habet in pectore suo scriptam ymaginem Ihesu Christi ueri Dei et ueri hominis. Deinde ymaginatur cum ipso animam uniuersalem totius presentis Ecclesie. Et sic unaqueque persona christiana fidelis ex parte sua per fidem formatam habet in se totam Ecclesiam, ut sit uniuersalis in singulis, sicut per contrarium persona ypocrite est singularis in uniuersis. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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image qui est réellement celle de l’Église actuelle. Adam et Ève n’auraient donc pas péché s’ils étaient restés seuls par la suite; mais, du fait que leur espèce devait se multiplier et se reproduire comme Dieu le leur avait promis1, sur la suggestion première du diable, méprisant l’obéissance qui leur était proposée et désirant une gloire personnelle, ils ont basculé dans le péché, d’abord charnel à cause de leur désobéissance, puis spirituel à cause de leur désir de gloire personnelle s’opposant à la vertu de charité. Par conséquent, lorsque le diable leur disait « Vous serez comme des dieux »2, il sous-entendait: « si bien que vous serez adorés par les autres hommes comme Dieu, grâce à votre savoir individuel/exceptionnel ». Aujourd’hui, le mystère de leur péché est révélé en nous. Adam représente chacune des personnes de l’homme ancien et extérieur qui, devenu dès le sein un seul homme avec le diable, ne cesse de désirer les honneurs avantageux et la gloire exceptionnelle que lui négocient tous les autres hommes; l’ennemi de toujours ne diffère presque en rien de l’homme ancien; en effet, le diable a inventé toute la malice humaine. Ève symbolise chacune des lignées de la chair et du sang corruptibles; c’est pourquoi le diable s’est adressé seulement à Ève, mais au nom des deux, en utilisant le pluriel, comme s’il disait à une lignée du monde: «Ô, vous, maîtresse Ève (c’est-à-dire la famille très noble de telle et telle maison), qui descendez de la chair et du sang de telle et telle personne, vous ne mourrez jamais (c’est-à-dire vous vivrez toujours, car on se souviendra de vous à jamais). Car Dieu sait que, le jour où vous mangerez de ce fruit (c’est-à-dire lorsque vous aurez devancé les autres en vertus), vos yeux s’ouvriront à toute connaissance, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal3 (sous-entendu le bien qui vous trompe et la malice qui vous est préjudiciable); grâce à votre compétence dans le bien, vous serez les plus compétents dans le mal tout entier; et ainsi vous jouirez éternellement d’une gloire remarquable ».4 Tout cela est fait pour témoigner contre moi et contre ma lignée familiale, à cause de ce que laissent paraître les connaissances actuelles. C’est moi Adam (c’est-à-dire une personne mortelle, née sans nom, mais en un lieu et un temps précis). Ève (c’est-à-dire la lignée des Canistris qu’il faut virtuellement glorifier – pourvu que cela n’arrive jamais réellement à l’avenir!) imaginera alors dans son cœur le personnage que représente la personne si vertueuse et si remarquable de l’homme de Pavie, comme si elle était sur le point de concevoir dans son cœur l’image de la bête admirable. Car cet homme de Pavie, communiqué par l’imagination de ceux qui l’aiment charnellement, n’est autre que l’image de la bête admirable auprès de laquelle la terre entière se précipitera pour l’honorer. Rapprochons l’Europe naturelle et l’Europe de l’universelle Pavie: nous trouve-

Voir Gn 1, 22 et 28. Voir aussi la parole adressée par Dieu à Noé: Gn 8, 17; 9, 1 et 7. Gn 3, 5. 3 Voir Gn 3, 4-5. 4 Dans ce paragraphe, Opicinus évoque à la fois le péché originel d’Adam et Ève, et les anges déchus. Son objectif est de montrer que l’homme ancien, Lucifer, Adam et Ève, le diable et les lignées corruptibles sont du mauvais côté (celui où Opicinus n’est pas ou plus, puisqu’il est devenu l’homme intérieur, Dieu, l’âme universelle, les bons anges). 1 2

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DE

FOL.

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GRATIA ET LIBERO ARBITRIO

1 Vniuersalis Ecclesia habet in uentre misericordiam infirmorum et in pectore gratiam perfectorum. Siquis dixerit: « Pura conscientia uolo saluari » et fecerit opera conformia uoluntati confesse, preuia semper uirtute obedientie, tunc possumus dicere hunc misericordia Dei preuentum, que facit hunc hominum uelle. Non enim potest dicere: « Ex sola uoluntate mea cum opere possum saluari ». Non uoluntate uolentis neque operatione currentis sed de misericordia miserentis fit humana saluatio.

De predestinatione et libero arbitrio Si magis dilexero ignorantiam affectatam quam scientiam rationis de fide, iam sum ab eterno prescritus cum reprobis, descripta uoluntarie gratia Dei. Deus enim me talem fecit ex sola sua mera et libera uoluntate, ut dampnatio mei cum reprobis amplius commendet gloriam Dei. Vnde prouenit necessaria causa mee dampnationis? Et unde libertas peccandi? Necessitas dampnationis ex prouidentia diuina que ab eterno per sapientiam suam legem penarum disponit, quam nemo transgredi ualet. Qui enim fecit legem dampnationis fecit et personam dampnandam, ut ex hoc eterna iustitia refulgeret. Ecce necessitas. Vnde liberum arbitrium persone peccantis? Non ex ignorantia tollerata propter infirmitatem sciendi sed ex ignorantia affectata rationis de fide propter amorem proprie uoluntatis, ne cedat arbitrium rationi. Ecce libertas arbitrii male agendi. Per oppositum si magis dilexero scientiam rationis de fide quam ignorantiam affectatam, iam sum ab eterno predestinatus per gratiam cum electis. Ecce necessitas mee electionis a Deo, per gratiam suam facientem me uelle scientiam ratio-

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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rons la tarasque dans la poitrine où devrait demeurer notre Seigneur JésusChrist, avec Marthe à son service.1 Si un homme puissant, rempli de foi et de sagesse, et qui dispose d’un pouvoir de juridiction sur le peuple, veut savoir quelles sont la nature et la valeur de l’image que chacun a dans le cœur, il doit leur laisser une certaine liberté, de manière cependant qu’ils soient aussitôt écartés en cas de faute. Une fois connue l’image que chacun a dans le cœur grâce à son expression visible, les idolâtres doivent être emprisonnés pour éviter que leur attachement aux idoles ne déborde dans les faits. Tout fidèle chrétien porte inscrite dans son cœur l’image de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme. Après quoi, il imagine, associée à lui, l’âme universelle de toute l’Église de ce temps. Et ainsi toute personne chrétienne fidèle, en ce qui la concerne, porte en ellen grâce à la foi qui a pris forme, l’Église tout entière, si bien qu’elle est universelle en chacun, de même qu’inversement la personne de l’hypocrite est seule en tous. LA

GRÂCE ET LE LIBRE-ARBITRE

L’Église universelle a dans le ventre la miséricorde pour les faibles, et dans la poitrine la grâce pour les parfaits. Si quelqu’un dit: « Je veux être sauvé avec la conscience pure », et qu’il agit conformément à l’intention manifestée, en se laissant toujours guider par la vertu d’obéissance, nous pouvons alors dire qu’il est devancé par la miséricorde de Dieu, car elle dirige la volonté de cet homme. En effet, il ne peut pas dire: « Je peux être sauvé en agissant par ma seule volonté ». Le salut de l’homme n’est pas dû à la volonté de celui qui veut ni aux travaux de celui qui passe, mais à la miséricorde de celui qui est miséricordieux. La prédestination et le libre arbitre2 Si je préfère feindre l’ignorance plutôt que de connaître le caractère rationnel qui concerne la foi, je suis déjà de toute éternité inscrit sur la liste des réprouvés, la grâce divine s’étant exprimée de son plein gré. C’est Dieu, en effet, qui m’a fait tel, du fait de sa seule volonté, pure et libre, si bien que ma damnation en compagnie des réprouvés valorise davantage la gloire divine. Quelles sont les origines fixées d’avance de ma damnation? Et d’où provient la liberté de pécher? La damnation inévitable provient de la providence divine qui, de toute éternité, fixe à l’aide de sa sagesse une réglementation des châtiments que personne n’est en mesure de transgresser. En effet, celui qui réglemente la damnation crée aussi la personne qui peut être damnée, afin de permettre à sa justice éternelle de resplendir. Voici pour ce qui est inévitable. D’où vient le libre arbitre du pécheur? Il ne vient pas d’une ignorance compréhensible parce que due à des connaissances insuffisantes, mais d’une ignorance recherchée du caractère rationnel concernant la foi, à cause de l’amour porté à la volonté personnelle, pour éviter que l’indépendance ne s’incline devant la rai-

1 Le manichéisme d’Opicinus lui permet de contenir le bon et le mauvais en lui (la tarasque et Jésus-Christ); d’où l’expression paradoxale: « bête admirable ». 2 Opicinus veut montrer qu’il est l’Élu de Dieu de toute éternité.

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50v°-51

nis de fide et spe. Ecce libertas arbitrii mei ad suscipiendam gratiam Dei que iam peruenerat meum uelle. Concluditur ergo salutem eternam esse non uolentis cuius uoluntas naturaliter per ignorantiam mali diligit malum, neque currentis per opera bona quasi debita remuneranda sine gratia libera, sed Dei miserentis per gratiam suam que bona opera facit grata, ut propter solam gratiam a Deo susceptam infinitas ipsi gratias referamus. Additum anno perfectionis, XVII kalendas aprilis.

De iudicio uoluntatum Qualis est uoluntas hominis, tale fiet Iudicium homini, ut nulli tunc fiat iudicium uiolentum, non sicut in carnali iudicio in hac uita. Carnale iudicium iustum factum contra flagitiosi hominis uoluntatem significat sacramentale iudicium in foro confessionis, ut penitens faciat uoluntarie penitentiam sibi iniunctam contra uoluntatem pristinam quam habuerat in peccato. Ista iusta iudicia siue carnalia siue sacramentalia partim sunt uiolenta contra uoluntatem peccati, partim sunt uoluntaria propter [fol. 51] amorem iustitie punientis peccatum. Carnale iudicium publicanorum significat sacramentale iudicium infirmorum, quod significat spirituale iudicium perfectorum, ut in solo pectore semper habeant custodiam uigilem, ne in momento cogitatio peregrina Christo resistat. In personis perfectis nulli fiat ab extrinseco uiolentum iudicium, cum habeant ueram uiolentiam in pectoribus suis. Cum autem apparuerit christianitas tota uel quasi tota perfecta, adueniente Iudicio nouissimo generali, nulli fiet uiolentum iudicium sed quasi iudicium naturale cum omni tranquillitate facta resurrectione carnis. Tunc uidebitur ab omnibus in qua et quali uoluntate unusquisque transierat ab hoc seculo; que uoluntas post mortem non potest in aliud flecti. Et tunc sine uiolentia retribuetur unicuique uoluntati. Melius est nunc pati iudicium uiolentum uoluntarie quam tunc iudicari iuxta uias proprie uoluntatis inuite. Tunc quicquid concupitum fuerat extra Christum et populum christianum erit conuersum in eterna incendia; nec uoluntates cupientium ista uana poterunt aliud uelle. Semper uolent qui nunquam poterunt inuenire. Omnia uisibilia que significant aliud quam sint in nichilum redigentur; sole autem ymagines concupiscentium ista erunt eis eterna supplicia, quorum uoluntas nunquam uolet gloriam beatorum sed tantum illa que cupierant in hac uita, que nunquam poterunt adipisci. Ecce desiderium falsitatis a reprobis, deinde desiderium ueritatis ab electis. Res inuisibilis a uisibilibus significata erit merces et premium electorum qui www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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son. C’est ainsi que le libre arbitre engendre les mauvaises actions. Inversement, si je préfère connaître le caractère rationnel de la foi plutôt que de feindre l’ignorance, je suis déjà de toute éternité prédestiné par la grâce à faire partie des élus. C’est ainsi que mon élection par Dieu est inévitable, car sa grâce me fait rechercher la connaissance du caractère rationnel relatif à la foi et à l’espérance. C’est ainsi que mon libre arbitre me fait accueillir la grâce de Dieu, laquelle m’avait déjà permis de décider. En conclusion, le salut éternel ne vient donc pas de celui qui y prétend, car sa volonté aime le mal par nature à cause de sa méconnaissance du mal, ni de celui qui passe en faisant de bonnes œuvres, comme s’il s’agissait de dettes à payer sans qu’il y ait la liberté de la grâce, mais de Dieu qui fait miséricorde avec sa grâce qui rend les bonnes œuvres agréables, si bien que, uniquement pour cette grâce reçue de Dieu, nous lui rendons grâces sans fin. Ajouté l’année de la perfection, le 17 des calendes d’avril [16 mars 1338]. Le jugement des volontés Telle est la volonté de l’homme, tel sera le Jugement pour l’homme, afin qu’aucun ne soit à ce moment-là l’objet d’un jugement abusif, ce qui n’est pas le cas du jugement charnel dans cette vie1. Le jugement charnel équitable, rendu pour repousser les désirs de l’homme débauché, indique le jugement sacramentel rendu dans le confessionnal, si bien que le pénitent fait de son plein gré la pénitence qui lui a été infligée pour repousser les désirs qu’il avait manifestés auparavant dans le péché. Ces jugements équitables, qu’ils soient charnels ou sacramentels, sont en partie contraignants (pour repousser le désir de pécher) et en partie voulus (parce que [fol. 51] celui qui punit le péché aime la justice). Le jugement charnel des publicains indique le jugement sacramentel des faibles, lequel indique le jugement spirituel des parfaits, si bien qu’ils ne cessent de monter la garde dans la poitrine qui est unique, et que pas un instant une pensée étrangère ne résiste au Christ. Les parfaits ne doivent faire l’objet d’aucun jugement abusif venant de l’extérieur, alors que la violence authentique2 est dans leur cœur. En revanche, lorsque la chrétienté totalement ou presque totalement parfaite se manifestera, à l’arrivée du Jugement général dernier, il n’y aura de jugement contraignant pour personne, mais un jugement pour ainsi dire naturel, en toute confiance, la résurrection de la chair ayant eu lieu. Tout le monde verra alors avec quelles intentions chacun a quitté ce monde et quelle était leur nature, intentions que rien ne peut changer après la mort. Et c’est alors sans contrainte que chaque intention recevra sa récompense. Il vaut mieux endurer aujourd’hui un jugement abusif de son plein gré que d’être alors jugé malgré soi en fonction des dispositions personnelles de chacun3. Alors toutes les attentes extérieures au Christ et au peuple chrétien disparaîtront dans le feu éternel; car les volontés de ceux qui convoitent ces chimères ne pouvaient vouloir autre chose. Ils continueront à désirer, ceux qui n’ont jamais pu trouver. Toutes les réalités visibles qui

1 2 3

Le scribe fait allusion à son excommunication et à son procès. Voir la « sainte violence » (fol. 36v°). Encore une allusion au procès d’Opicinus.

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FOL.

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Christum cum populo christiano ymaginati fuerant in hac uita. Et tunc transfferentur ab ymagine speculari (id est ab ymaginationibus bonis et sanctis in hac uita) ad speciem beatitudinis in eterna uita, ubi nulla ymaginatio necessaria erit. Omnes enim ymagines preteribunt; sola autem beatitudo diuina fruibilis sine ymagine remanebit. Nunquam enim transissent homines ab ymagine uel ymaginatione corruptibilis hominis cum sculptilibus mundi, nisi Christus descendisset ad homines in humana natura. Quem sancti precedentes ymaginantes uenturum, et nos post ipsum ymaginantes eum fuisse nostrum redemptorem, cum eadem perfectione fidei cum illis credimus esse saluandos. Nemo potest ymaginari inuisibilem Deum nisi ymaginetur eum in forma humana; qui tante uirtutis est ut in pectore credentium firmiter in ipsum corporaliter habitare dignetur. Persona fidelis secundum hominem interiorem percipit fidem ex auditu, ymaginatur et format Christum in se usque ad opera noui hominis et interioris.

DE

SPIRITV ET LITTERA

Decalogus mandatorum ad litteram est necessarius imperfectis. A perfectis autem iudicabitur figura, umbra et significatio spiritualium mandatorum, sicut omnia sacramentalia signa sunt tantum figure et umbre, a quibus transeundum est ad corpus, ueritatem et lucem. Homo autem exterior et antiquus carnalis semper dormit in umbris, nec umquam uult transire a uisibilibus signis sacramentorum ad inuisibilem rem cuiuslibet sacramenti. Signa sacramentorum necessaria sunt infirmis; perfectis autem sufficit res inuisibilis sine signis. Actum XVI kalendas octobris.

DE

PECCATO ORIGINALI

Intelligatur semper hominem ueterem nasci diabolicum hominem potentialiter; actualiter autem fit diabolicus homo, cum perueniens ad annos discretionis percipit ex sensu, diabolo suggerente, ymaginatur et phantasticat formas agendi, donec prorumpat ad actus ueteris hominis et carnalis.

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indiquent autre chose seront réduites à néant; et, à eux seuls, les fantasmes de ceux qui les convoitent seront pour eux des supplices sans fin, puisque leur volonté ne consistera jamais à désirer la gloire des bienheureux, mais seulement ce qu’ils avaient voulu en cette vie et qu’ils n’ont jamais pu atteindre. Voilà pour les réprouvés qui convoitent des chimères; voyons maintenant les élus qui désirent la vérité. La réalité invisible indiquée par les réalités visibles sera le salaire et la récompense des élus qui avaient conçu le Christ associé au peuple chrétien dans cette vie. Et ils passeront alors de l’image du miroir (c’est-à-dire des pensées bonnes et saintes dans cette vie) à la vision de la béatitude dans la vie éternelle, là où aucune imagination ne sera nécessaire. En effet, toutes les images passeront; et seule demeurera la béatitude divine éternelle dont on peut jouir sans image. En effet, les hommes n’auraient jamais cessé d’imaginer l’homme corruptible ainsi que les statues du monde ou de fantasmer à leur sujet, si le Christ n’était descendu chez les hommes en prenant la nature humaine. Les saints qui l’ont précédé et qui ont cru qu’il viendrait, et nous qui, venant après lui, croyons qu’il a été notre rédempteur avec la même foi parfaite, nous croyons avec eux que nous devons être sauvés. Personne ne peut croire au Dieu invisible s’il ne l’imagine pas sous une forme humaine, lui dont la grandeur est si incomparable qu’il juge digne d’habiter corporellement dans la poitrine de ceux qui croient fermement en lui. Un fidèle qui suit l’homme intérieur reçoit d’abord la foi en prêtant l’oreille, imagine le Christ et lui donne forme intérieurement, et finit par agir en homme nouveau et intérieur. L’ESPRIT

ET LA LETTRE

Il est indispensable que les non parfaits observent les dix commandements à la lettre. Par les parfaits, en revanche, ils seront envisagés comme un symbole, une apparence et une image des commandements spirituels; de même, tous les signes sacramentels ne sont que des symboles et des apparences, qu’il faut quitter pour accéder au corps [divin], à la vérité et à la lumière. Mais l’homme extérieur et ancien, celui qui est charnel, s’attarde dans les apparences, et ne veut jamais passer des signes visibles que représentent les sacrements à la réalité invisible qui se trouve dans chaque sacrement. Les signes que représentent les sacrements sont indispensables aux faibles; alors que la réalité invisible qui n’a pas besoin de signes suffit aux parfaits. Fait le 16 des calendes d’octobre [16 septembre 1337]. LE

PÉCHÉ ORIGINEL

L’homme ancien, comprenons-le, naît toujours en tant qu’homme diabolique virtuel; et l’homme diabolique se manifeste réellement lorsque celui qui arrive à l’âge de discrétion apprend avec son intelligence, sur la suggestion du diable, imagine et suppose des manières d’agir, jusqu’à ce qu’il embrasse les conduites de l’homme ancien et charnel.

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FOL.

51-51v°

DESSIN V 3

1 – Actum cum ista figura XV kalendas octobris, tunc feria IIIIª ieiunii septimi. 2 – autumpnus 3 – yems 4 – uer 5 – estas 6 – Luna uariabilis per umbram et lucem uicissitudine ad plus et ad minus significat uariabilem uicissitudinem diei et noctis per uaria tempora totius anni. Et sicut de die in diem Luna a sinistra occidentis procedit ad dexteram orientis et perficit mensem, sic Sol de tempore in tempus per eandem uiam procedens perficit annum. Lux in medio tenebrarum est dies eternus et tenebre circumquaque diffuse sunt perpetua nox. 7 – Luna uariabilis est parrochia infirmorum, partim obscura per ignorantiam, partim clara per scientiam inuisibilis rei. Dies naturalis per diem et noctem est quodlibet sacramentum habens in se et noctem uisibilium signorum et diem inuisibilis rei. Dies eternus est inuisibilis res sine signis et nox eterna est uisibilia signa sine inuisibili re. Luna plena est specularis Ecclesia perfectorum; Sol immutabilis in se est presens Christus fidelis et uerus. Nox eterna est habitatio hominis ueteris nunquam recedentis a signis; dies eternus sine Sole et Luna erit Ecclesia transferenda a speculo fidei ad speciem beatitudinis. [fol. 51 v°] DE

DIFFERENTIA SAPIENTIE

DEI

ET SAPIENTIE MVNDI

Tanta est differentia inter sapientiam Dei et sapientiam mundi ut, siquis inuentus fuerit in nostra Papia studens in exercitio sapientie Dei, fiat scandalum hominum iuxta humanum iudicium. Expertus sum utriusque sapientie studium. Tantam cecitatem inueni in studio sapientie mundi ut nullius rei quesite potuerim scire principium, medium neque finem. Tantam reperi lucem in studio sapientie Dei ut mihi patuerit uniuersitatis principium, medium atque finis. Dicebatur enim mihi quottidie sapientia mundi: « Vade et stude in iure canonico, per cuius scientiam adipisceris magnum honorem persone tue et domus www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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DESSIN V 3 Ce dessin à base de cercles donne un aperçu astronomique sommaire des positions de la Lune par rapport au Soleil en fonction des saisons. Elle constitue un bon exemple des équivalences proposées par Opicinus qui lui permettent d’être omniprésent: il est la lumière, le Soleil, le jour éternel, la réalité invisible, le Christ – qui s’opposent à l’obscurité, à la nuit sans fin, à l’homme ancien. La Lune occupe une position intermédiaire entre l’obscurité et la lumière, ce qui lui donne les équivalences suivantes: paroisse des faibles, sacrements, Église du miroir. Nous retrouverons l’héliocentrisme d’Opicinus et l’ambiguïté des rapports Soleil/Lune dans plusieurs dessins: V 12, V 13, V 24…

1 – Fait avec ce dessin le 15 des calendes d’octobre, à savoir la 4e férie du jeûne du septième mois [mercredi 17 septembre 1337]. 2 – l’automne 3 – l’hiver 4 – le printemps 5 – l’été 6 – La Lune qui varie en fonction de la succession de l’obscurité et de la lumière – lesquels augmentent ou diminuent – indique l’alternance successive du jour et de la nuit au cours des différentes saisons d’une année entière. Et, de même que, jour après jour, la Lune quitte l’ouest, à gauche, pour s’avancer vers l’est, à droite, en mettant un mois entier, de même, le Soleil, saison après saison, avance par le même chemin et met une année entière1. La lumière au milieu des ténèbres, c’est le jour éternel; et les ténèbres répandues tout alentour, c’est la nuit sans fin. 7 – La Lune changeante, c’est la paroisse des faibles, en partie obscure à cause de leur ignorance, en partie lumineuse grâce à la connaissance de l’invisible. La journée normale, en passant par le jour et la nuit, c’est n’importe quel sacrement contenant à la fois la nuit des signes visibles et le jour de l’invisible. Le jour éternel, c’est l’invisible dépourvu de signes; et la nuit sans fin, ce sont les signes visibles dépourvus de l’invisible. La Lune pleine, c’est l’Église du miroir des parfaits2; le Soleil, qui est profondément immuable, c’est le Christ actuel, fidèle et vrai. La nuit éternelle, c’est la demeure de l’homme ancien qui ne s’éloigne jamais des signes; le jour éternel, sans Soleil ni Lune, ce sera l’Église qui doit passer du miroir de la foi à la vision de la béatitude3. [fol. 51v°] LA

DIFFÉRENCE ENTRE LA SAGESSE DE

DIEU

ET LA SAGESSE DU MONDE

Il y a une si grande différence entre la sagesse de Dieu et la sagesse du monde que, si l’on trouvait dans notre ville de Pavie un homme s’exerçant à la pratique de la sagesse de Dieu, cela poserait problème aux hommes, du point de vue propre à la nature humaine. J’ai expérimenté la pratique de l’une et l’autre sagesse. J’ai découvert une si grande opacité en m’adonnant à la sagesse du monde que je n’aurais pu trouver ni le début, ni le milieu, ni la fin de la moin1 2 3

Opicinus décrit le cycle lunaire et cycle solaire. La Lune pleine ressemble à un miroir. Allusion à la vision béatifique.

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FOL.

51v°

tue et omnium amicorum tuorum, quorum auxilio magnificaberis inter tuos conciues ». Statim ego miserrimus cecus obediens uoci huiusmodi sapientie, nunquam potui scire uirtutem iuris canonici attendens ad solam litteram cum glosulis suis; et factus sum magis cecus quam prius. Tunc iterum illa sapientia mundi me persuasit ut adirem ad sacram theologiam. In cuius studio uacans cepi ad solam litteram cum spiritualibus expositionibus suis attendere, cuius spiritum et uirtutem minus cognoui quam prius, factusque sum totaliter cecus. Optime sciebam, id est scire uidebar, mente tenus omnes articulos fidei a qua nunquam me reperi per Dei gratiam deuiasse. Bene sciebam exponere spiritualiter sacram Scripturam et plebibus predicare. In cuius scientie gloria me reputabam omnia sacra misteria scire, pre ceteris comparibus meis clare uidere. Que omnia recollegi in « libello confessionis », eo quod iam permutaueram lucem in tenebras, me reputans erronee quasi per ueritatem a tenebris ad lucem mirabilem accessisse. Facto tandem inopinato iudicio super me, spoliatis diuitiis meis apparentibus spiritualibus, me reperi certissime cecum fuisse, nisi radix solius fidei me saluasset. Excepta namque uirtute catholice fidei quam nunquam amisi, cum me putarem ciuem Iherusalem, apertis oculis meis ad ueram lucem quam nunquam prius cognoueram, iudicaui me filium Babilonis, que in tantum me litteris suis seduxerat ut, relicto presenti regno celorum ubi habetur nunc totius mundi dominium, me reclusissem in angulo uel in foramine magne domus in similitudine muris uel uermis. Nec est mirum cum illa pestifera sapientia mundi cum adulationibus suis me induxerit ad acceptationem illius spelunce uel anguli, quam uel quem mundana prudentia nominat nobilem ecclesiam talis ciuitatis uel talis castri. Non sic, non sic presentes apostoli Ihesu Christi, qui sine ambitione et sine affectione ex necessario debito per dispensationem diuinam acceptant, conseruant et regunt particulares ecclesias sibi commissas, habentes ueram libertatem in seipsis et edificium totius Ecclesie specularis, que est domina mundi, regina celi, decor sanctorum, gloria angelorum, comes et sponsa inseparabiliter Ihesu Christi. Ego autem non tam localiter quam affectualiter et uoluntarie sum expulsus a presenti sancta Iherusalem ad latebras Babilonis. Et nunc, per misericordiam Dei, me credo ad ueritatis notitiam sublimiter promoueri usque ad equalitatem scientie uenerabilium horum patrum. Si stulta Papia se reputans sapientem me uidisset insistere in opere sapientie Dei, me tunc iudicasset insipientem et stultum. Nunc uere sapientie iudicium postulo. Quid sic melius iudicetur: nobilior ne dignitas est abscondi in cauernis terre et in uoraginibus petrarum, an habere super omnem terram merum et liberum principatum? Ecce qualis sit sententia proferenda; a nemine reuocatur in dubium.

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dre chose recherchée. J’ai découvert une si grande clarté en m’adonnant à la sagesse de Dieu que le début, le milieu et la fin de tout se sont dévoilés à mes yeux. En effet, la sagesse du monde me disait chaque jour: « Va étudier le droit canonique. Sa connaissance te permettra d’obtenir de grands honneurs pour toi, ta famille et tous tes amis; et avec l’aide de ces derniers, tu seras tenu en estime au milieu de tes concitoyens ». Obéissant sur le champ à la voix de cette sagesse, moi l’aveugle si méprisable, je n’ai jamais pu comprendre la valeur du droit canonique car je ne m’attachais qu’à la lettre et à ses commentaires; et je suis devenu plus aveugle qu’auparavant. Alors cette sagesse du monde s’est une seconde fois adressée à moi pour me persuader de me tourner vers la sainte théologie1. Prenant le temps de m’y consacrer, j’ai commencé par m’attacher seulement à la lettre ainsi qu’à ses explications spirituelles; et j’en ai saisi la finesse et la puissance encore moins qu’avant. Et je suis devenu complètement aveugle. Je connaissais très bien (c’est-à-dire j’avais l’air de connaître), sur le plan purement intellectuel, tous les articles de la foi dont je ne me suis, à ma connaissance et grâce à Dieu, jamais écarté. Je m’y entendais pour analyser l’Écriture sainte sur le plan spirituel et pour prêcher aux foules. La gloire que me conféraient ces connaissances me faisait penser que je connaissais tous les saints mystères et que je les appréciais plus clairement que le reste de mes pairs. Et j’ai consigné tout cela dans un petit « Traité sur la confession », car j’avais déjà échangé la lumière pour les ténèbres, en pensant, du fait d’une erreur que je prenais pour la vérité, que j’avais quitté les ténèbres pour atteindre la merveilleuse lumière2. Là-dessus, un procès m’ayant été inopinément intenté et mes richesses spirituelles supposées m’ayant été enlevées, je me suis rendu compte de mon absolue cécité, si ce n’est que mon salut me viendrait assez exclusivement de la racine de ma foi. Car, hormis les qualités essentielles de la foi catholique à laquelle je n’ai jamais renoncé, alors que je me croyais citoyen de Jérusalem, mes yeux s’ouvrant sur la véritable lumière que je n’avais jamais aperçue auparavant, je me suis pris pour un fils de Babylone; elle qui m’avait tellement ébloui par sa culture qu’ayant abandonné l’actuel royaume céleste où se trouve aujourd’hui le pouvoir sur l’ensemble du monde, je me suis retrouvé enfermé dans un recoin ou dans un trou d’une vaste demeure3, comme un rat ou un ver. Il n’est pas étonnant que cette funeste sagesse du monde avec ses basses flatteries m’ait amené à accepter de vivre dans cet antre ou ce recoin, que l’esprit du monde appelle l’église prestigieuse de telle ville ou de telle place forte. Non, non, ce n’est pas ainsi que les apôtres actuels de Jésus-Christ, dépourvus d’ambition et d’attachements, à partir du minimum qui leur est dû, grâce à la prévoyance divine, reçoivent en charge, gardent et régissent les églises qui leur ont été confiées; ils portent en eux-mêmes la vraie liberté et la construction de l’Église du miroir tout entière, qui est la maîtresse du monde, la reine du ciel, la parure des saints, la gloire des anges, la compagne et l’épouse insé-

Voir P 20, octobre 1321. Voir Ac 26, 18. 3 Diatribe contre le pouvoir « babylonien » de l’Église: Opicinus exprime le versant persécutif de son délire, en se plaignant de travailler dans une officine de tribunal pontifical, au lieu de fréquenter la cour, comme au temps de Jean XXII. Pourtant il a obtenu un poste convenable, mais sa partialité, due à l’énormité de ses prétentions, fausse son jugement. 1 2

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DE

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TESTIMONIO PERSONALI

Cum essem spiritualiter cecus, facunde loquebar ad complacentiam hominum; potentialiter dico et partim actualiter. Vidi autem nonnullos corporaliter cecos laicos idiotas loquentes Verbum Dei per spiritum et uirtutem ex parte simplicium auditorum. Semel congregato populo ad predicationem religiosorum mendicantium, ut moris est, ante quam predicaturus uenisset, ascendit quidam pauper plebeius et laicus cecus corporaliter in pulpito; et nemine concedente et audiente simplici populo predicauit uulgariter et rithimice (licet in aliquibus locis apocrise) dominicam Passionem. Hoc autem totum factum est in testimonium contra meipsum: ipsius enim cecitas corporaliter significabat meam spiritualem interius cecitatem. Actum XV kalendas octobris. De fundamento et speculo Veteres prophete posuerunt omnia uisibilia mundi in parabolas et figuras, nequis peruerteret ista uisibilia in terminum rei. Verbi gratia. Rubus incombustus in medio ignis et porta orientalis semper clausa parabole sunt. Si in testimonium uirginitatis perpetue sancte Marie declarauerint fundamentum fidei nostre, ueritas est; non tamen sufficit mihi, nisi ostendatur ratio ueritatis, ut inde refulgeat intelligibilis fides, propter instantia pericula huius nouissimi temporis in quo sumus et propter humanam malitiam preualentem. Non est amplius tempus loquendi ad aures fidelium sed ad oculos rationis et intellectus, ut sensus humanus et corporalis conuertatur paulatim ad sensum hominis interioris et noui. Et sic apud fideles omnia testimonia fundamenti fidei nostre conuertantur in speculum huius Ecclesie. Firmata enim Ecclesia nostra catholica, quasi omnes uel forsitan omnes infideles sine disputationis inuolucro et uiolentia gladii de facili conuertentur. Ve qui uictoriam fidei nostre conuerterint in honorem persone corruptibilis et mortalis. Additum anno perfectionis, die purificationis sancte Marie. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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parable de Jésus-Christ. Quant à moi, non pas tellement sur le plan géographique, mais surtout sur le plan sentimental, et de mon plein gré, j’ai été exclu de la sainte Jérusalem d’aujourd’hui pour me retrouver dans les oubliettes de Babylone. Et aujourd’hui, grâce à la miséricorde divine, je crois avoir été élevé à une perception très élevée de la vérité, au point d’égaler les connaissances de ces vénérables pères. Si Pavie la folle, qui se croit sage, voyait que je m’attache à mettre en œuvre la sagesse de Dieu, elle me prendrait alors pour un insensé et un fou1. Maintenant, je réclame l’arbitrage de la vraie sagesse. Il faut juger au mieux où se trouve la fonction la plus remarquable: est-ce d’être dissimulé dans les cavités de la terre et dans les anfractuosités des rochers, ou bien d’exercer sur toute la terre une primauté pleine et sans contrôle2? Voilà quelle sentence il faut prononcer; personne ne doit la remettre en question. TÉMOIGNAGE

PERSONNEL3

Au temps de ma cécité spirituelle, je m’exprimais avec aisance, pour plaire aux gens (je parle de ce qui est probable et partiellement de ce qui est vrai). Et j’ai rencontré quelques laïcs physiquement aveugles et ignorants dire la Parole de Dieu avec finesse et talent, alors qu’ils appartenaient aux auditeurs ordinaires. Un jour, alors que le peuple s’était rassemblé pour écouter selon l’usage le sermon des moines mendiants, un pauvre bougre de laïc, aveugle de son état, monta sur l’estrade avant que n’arrive le prédicateur; et, sans que personne ne l’y ait autorisé ni ne l’écoute, il se mit à prêcher au peuple crédule la Passion du Seigneur en patois et en vers, bien que ce soit interdit en certains lieux. Or tout cela a été fait en témoignage contre moi: en effet, la cécité physique de cette homme était le signe de mon aveuglement spirituel intérieur4. Fait le 15 des calendes d’octobre [17 septembre 1337]. Les fondements et le miroir5 Les anciens prophètes ont transposé tout ce qui est visible dans le monde en allégories et en images, afin que personne ne dénature ce qui est visible pour abattre la réalité. Par la grâce du Verbe. Le buisson qui ne brûle pas alors qu’il est au milieu du feu6 et la porte orientale toujours fermée7 sont des allégories. Si, pour

1 Allusion à la folie paulinienne, qui permet à Opicinus de se placer sous le signe de la sagesse divine, « folie pour le monde ». 2 Opicinus critique le pouvoir temporel de la papauté, lui qui s’estime confiné et exilé. 3 Paragraphe présenté et traduit dans Art et folie…, pp. 107-108. 4 Opicinus compare sa cécité spirituelle antérieure et la cécité réelle de cet aveugle qui prêche la Passion du Seigneur dans le vide: il indique ainsi qu’il a vécu lui-même cette Passion en 1334 et qu’il ne l’a compris qu’après. De.plus, la date du 17 septembre correspond à la fête des stigmates de saint François, ce qui permet au scribe de s’identifier à la fois à saint François et au Christ. 5 Paragraphe présenté et traduit dans Art et folie…, pp. 108-110. 6 Ex 3, 2-3. 7 Ez 10, 19 et 40, 6 et ss; 43, 1 et ss: c’est la porte par laquelle entrait la gloire de Dieu; c’est aussi celle que franchit Jésus pour les Rameaux (Mt 21, 1; Mc 11, 1; Lc 19, 28-29).

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Differentia prophetiarum Aliud est prophetare, id est uisibilia mundi esse tantum enigmata demonstrare, alioquin impossibile esset figuras propheticas depingere; et aliud est prophetizare, id est occulta discernere, absentia quasi presentia cernere et futura predicere, quod tempore isto totaliter cessat. Additum V idus februarii. XIIII

[fol. 52] DESSIN V 4

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témoigner de la virginité perpétuelle de sainte Marie, ils ont formulé ce qui fonde notre foi, il s’agit de la vérité; mais je ne m’en contente pas, si le caractère rationnel de la foi ne m’est pas expliqué, afin qu’ainsi la foi intelligible resplendisse, car les dangers menacent en ces temps derniers où nous vivons et la malice humaine triomphe. Ce n’est plus la peine de solliciter l’oreille des fidèles; adressons-nous plutôt aux yeux de la raison et de l’intelligence1, pour que les sens conformes à la nature humaine et physiques deviennent peu à peu les sens de l’homme intérieur et nouveau. Et ainsi, pour les fidèles, toutes les preuves relatives aux fondements de notre foi deviendront le miroir de cette Église. En effet, une fois notre Église catholique raffermie, quasiment tous les infidèles ou presque se convertiront facilement, sans querelle intestine ni violence armée. Malheur à ceux qui changeraient la victoire de notre foi en culte d’une personne corruptible et mortelle. Ajouté l’année de la perfection, le jour de la purification de Marie [2 février 1338]. Les différentes prophéties2 C’est une chose d’être prophète, c’est-à-dire de montrer que ce qui est visible dans le monde n’est que mystères, faute de quoi il serait impossible de traduire les symboles prophétiques; et c’en est une autre de prophétiser, c’est-à-dire de discerner ce qui est caché, de deviner ce qui manque comme si c’était sous nos yeux, et de prédire l’avenir – ce qui ne se fait plus du tout de nos jours. Ajouté le 5 des ides de février [9 février 1338). XIIII

[fol. 52] DESSIN V 43 Ce dessin consacré à la tortue doit être analysé en même temps que V 5, qui a pour thème la tarasque: il s’agit de deux images siamoises. La tortue est présentée et décrite à la manière des naturalistes: à gauche, sa carapace vue de dessus, ainsi que la tête, les pattes et la queue au vent); à droite, la face ventrale de la tortue rétractée. Elle représente un animal mythique qui appartient aux images polyvalentes qu’affectionnent les artistes attentifs à discerner l’universel au sein de la banalité. Elle symbolise la longévité (voire l’immortalité), la solidité et le recueillement. La tortue est également considérée comme médiatrice entre ciel et terre, et dotée de pouvoirs de connaissance et de divination. Et elle correspond à une représentation fréquente de l’univers, car elle est ronde comme la voûte céleste et plate comme la terre. Opicinus s’y identifie donc facilement.

1 Opicinus cherche à nous faire admettre la validité du dessin comme moyen de visualiser l’évidence. 2 Paragraphe présenté dans Art et folie…, pp. 110-111. 3 Ce dessin est analysé en détails par GUY ROUX dans Art et folie…, pp. 103-131 (surtout pp. 113-124).

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1 – DE LITTERA NATVRALI 2 – Quoddam genus testudinis habens dorsum tegulis coopertum et uentrem cum pectore similibus tegulis communitum, iuxta uulgare Papie dicitur « gandalabra » uel « gandalaura » (producta sillaba penultima la), alibi « serpens » uel « bissa scutellaria », et alicubi « tartuta » uel « tartua » (producta sillaba tu). Secundum quosdam dicitur fabulose gallina conclusa inter pateram et scutellam, conuersa in huiusmodi animal cuius carnes habiles ad cibum humanum habent saporem quasi galline. Nunc diligentius et curiosius intuitus sum hanc testudinem quam solitus fuerim. Tegule uentris sunt XI, tegule dorsi sunt XXXVIII, que omnes sunt XLVIIII, idest septies VII, non sine misterio. Si isti quadrupedi animali addantur alii duo pedes, assimilabitur in pluribus tarascino. In tegulis huiusmodi sunt quedam sculptilia, ac si essent artificialiter facta; inter que in uentre a sinistris apparet dextera manus hominis, clausa et stricta, aperto aliquantulum police, et a dextris quasi serpens uel draco. Et sicut hoc animal testudinis species pulicibus pascitur, sicut dicitur circueundo per domum, ita tarascinus natando per Rodanum homines comedebat. Cum testudo dimittitur libera, producit extrinsecus caput, pedes et caudam; cum uero capitur, omnia membra celat. 3 – arma Achillis 4 – Homerus de bellis Troianis breuiator, super libro XVIII°: « Mox effecta refert diuinis artibus arma, Euolat et Thetis que, postquam magnus Achilles Induit in clipeum, uultus conuertit atroces. Illic ignipotens mundi celauerat artem ». 5 – curuitas dorsi 6 – planities uentris et pectoris 7 – Ecce quod littera artificialis, quam industria hominis adinuenerat per caracteres intricatas ad deceptionem simplicium, per Spiritum ueritatis conuertitur in obsequium littere naturalis quam potest et scit, si tantum uelit legere unusquisque tam indoctus quam doctus. Nunc usque uix credebam ymagines humanas et animalium aliorum naturaliter esse sculptas in multis lapidibus pretiosis; nunc ex argumentis similibus me oportet omnia credere. 8 – Ego Europa, cum haberem in pectore meo uermem rodentem, quasi tarascinum in Rodano habitantem in Nerluc (id est in nigro loco conscientie pectoris mei), eram magna peccatrix. Nunc habeo ibi ueram lucem Domini mei cui hospitium preparaui. 9 – Europa magne Papie, abiecto de pectore suo serpentem cum tegulis, habet testimonium ecclesie Sancte Tecle, quasi tegule tegentis Christum in pectore.

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1 – LA CULTURE NATURELLE 2 – Une espèce de tortue, ayant le dos entièrement recouvert d’écailles, le ven-tre et la poitrine protégés aussi par des écailles, est appelée dans le dialecte de Pavie « gandalabra »1 ou « gandalaura » (en étirant l’avant-dernière syllabe « la »); ailleurs on l’appelle « serpent » ou « bissa scutellaria » [double petite coupe], et encore ailleurs « tartuta » ou « tartua » (en étirant la syllabe « tu »)2. Certains la qualifient, d’après la légende, de poule intermédiaire entre une patère et une petite coupe, devenue cet animal dont la chair, qui se prête à la consommation humaine, a un goût de volaille. Aujourd’hui, j’ai observé cette tortue avec plus d’attention et de curiosité que d’habitude. Il y a 11 écailles sur le ventre et 38 sur le dos, ce qui fait un total de 49, c’est-à-dire sept fois 73 (non sans mystère). Si on ajoute deux autres pieds à ce quadrupède, il sera semblable en bien des points à la tarasque. Sur des écailles de ce genre, on distingue des sortes d’images gravées, comme si elles étaient faites par la main d’un artiste: sur le ventre apparaissent, à gauche, une main humaine fermée et les doigts joints, dont le pouce est légèrement écarté4, et, à droite, une sorte de serpent ou de dragon. Et de même que cet animal qu’est la tortue se nourrit de puces, à ce qui se dit un peu partout dans la maison5, de même la tarasque dévorait les gens en traversant le Rhône à la nage. Lorsqu’on laisse la tortue tranquille, elle sort la tête, ainsi que les pattes et la queue; mais si on l’attrape, elle rentre tous ses membres. 3 – les armes d’Achille6 4 – Homère, rédacteur d’une histoire de la guerre de Troie (livre 18): « Thétis emporte les armes fabriquées dans les ateliers du dieu et s’envole; et lorsque le noble Achille revêt son armure et son bouclier, leurs physionomies se transfigurent et deviennent farouches. C’est là que le maître universel du feu avait dissimulé son art ». 5 – la convexité du dos 6 – la face plane du ventre et du thorax 7 – Voilà que la culture fabriquée, que l’énergie humaine avait inventée à travers une formulation embrouillée pour induire en erreur les gens simples, se tourne, grâce à l’Esprit de vérité, pour faire allégeance à la culture spontanée7 que chacun, aussi bien l’ignorant que l’érudit, peut et sait déchiffrer, à condition de le désirer. Jusqu’à aujourd’hui, j’avais du mal à croire que des silhouettes

Jeu de mots avec « candélabre ». Tous ces qualificatifs alimentent les jongleries verbales d’Opicinus. 3 Le compte des écailles ouvre des perspectives numérologiques permettant à Opicinus de prouver sa divinité. 4 Il s’agit de la main d’Opicinus, dont la position symbolise l’illumination. 5 Allusion à « la maison » où se trouvaient les apôtres lors de la Pentecôte (Ac 2, 2) et/ou au Saint (le terme hébraïque Hékal qui le désigne est la transcription d’une locution sumérienne dont le sens est « grande maison » ou « grande salle »: voir V 7, note 27). 6 Dans le livre 18 de l’Iliade, Homère décrit les armes d’Achille. On retrouve sur son bouclier tous les éléments de l’univers opicinien: le Soleil, la Lune, les étoiles… 7 Opposition classique entre la culture innée et la culture acquise. 1 2

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De ymaginatione carnali Speculariter ad exemplum legamus, ut hec corruptibilis et artificialis littera quam scribimus naturali littere famuletur. Cum enim artificialis littera predicatur uel legitur, sepe facit simplices audientes per mentis diuersas ymagines (id est per ymaginationes uarias) laborare, ut ex hiis aliquis ymaginetur per Spiritum ueritatis inuisibilem rem et multi ymaginentur per spiritum mendacii solas uisibilium rerum parabolas predicatas. Verbi causa. Ecce me et proximo presentibus in sermone prolato catholice et fideliter per euangelicas parabolas; ego carnalis carnaliter ymaginor tantum parabolas uisibilium rerum que significantes aliud nichil sunt. Sicut cum audio de rege ituro committere bellum cum X milibus pugnatorum aduersus alium regem cum XX milibus et de pace roganda, statim ymaginor partiales discordias Lombardie et pacem mundanam ad tollendam de medio illam discordiam. Et cum dicitur subsequenter: « Qui non renuntiat omnibus que possidet, non potest meus esse discipulus », statim ymaginor uel possum ymaginari neminem posse pacificare Italiam nisi qui elegerit actualiter altissimam paupertatem. Ecce ymaginatio mea carnalis nesciens recedere ab ymaginibus uisibilium rerum. Similiter audiens nominari sanctam matrem Ecclesiam: puer ymaginatus sum quamlibet materialem ecclesiam ex lapidibus et lignis constructam; adolescens ymaginatus sum Ecclesiam partialem iuste et fideliter agere contra Imperium partiale; iuuenis ymaginatus sum corticalem Ecclesiam tantum cleri digne subicere laicos sibi; ypocrita senex ymaginatus sum esse [fol. 52 v°] ueram Ecclesiam pauperum mendicantium ostiatim non diuitum. Ecce quot intellectus erronei de nomine nostre matris Ecclesie, quam pauci Papienses intelligunt uere sicut apparet. Hec omnes sunt parabole ueritatis sed spiritualiter exponantur, in quibus sicut sonant ad litteram requiescens tandem reperi me mendacem. Nam mea ymaginatio puerilis potuit fundari super parabolis euangelicis de edificio domus uel 1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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humaines ou animales se trouvaient naturellement gravées sur nombre de pierres précieuses; aujourd’hui, devant de telles preuves, je dois tenir tout cela pour vrai. 8 – Moi l’Europe, lorsque j’avais dans la poitrine un ver qui la rongeait, telle la tarasque qui sillonne le Rhône et demeure à Nerluc1 (c’est-à-dire à l’endroit sombre de la conscience de mon cœur), j’étais une grande pécheresse. A présent, je possède ici la véritable lumière de mon Seigneur à qui j’ai préparé un lieu de séjour. 9 – L’Europe de la grande Pavie, ayant chassé de sa poitrine le serpent à écailles2, a le témoignage de l’église de Sainte-Thècle3, comme un toit protégeant le Christ dans la poitrine. L’imagination charnelle4 Choisissons des exemples concrets, afin que cet ouvrage corruptible et littéraire que nous écrivons soit au service de la culture spontanée. En effet, lorsqu’on prêche sur un texte littéraire ou qu’on le lit, les auditeurs crédules sont souvent portés à élaborer des images mentales complexes (c’est-à-dire des fantasmes complexes), si bien que l’un d’entre eux conçoit l’invisible grâce à l’Esprit de vérité et que beaucoup, à cause de l’esprit menteur, ne font que fantasmer à propos des allégories prêchées sur les réalités visibles. A cause du Verbe. Me voilà avec un ami5 en train d’écouter un sermon prononcé d’une manière conforme à la tradition et à la foi, en utilisant des paraboles de l’Évangile: moi qui suis charnel, je nourris des fantasmes purement charnels sur les allégories des réalités visibles, qui, en indiquant autre chose, n’ont aucune valeur. Ainsi, lorsque j’entends parler d’un roi prêt à partir pour la guerre avec 10000 soldats pour affronter un autre roi qui en a 20000, et qui va demander la paix6, je songe aussitôt aux querelles entre partis lombards et à la paix terrestre qu’il faudrait faire naître du cœur de cette désunion. Et quand il est dit plus loin: « Quiconque ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple »7, aussitôt je songe ou je peux songer que personne ne peut pacifier l’Italie qui n’ait réellement choisi la très grande pauvreté. Voilà mon imagination charnelle incapable de se détacher des fantasmes sur les réalités visibles. Il en est de même quand j’entends parler de notre sainte mère l’Église: lorsque j’étais enfant, j’imaginais n’importe quel bâtiment d’église, construit en pierre et en bois; adolescent, je croyais que l’Église partisane8 luttait de manière légitime et fidèle contre l’Empire partisan; jeune homme, je croyais que

1 Nerluc: forêt de la région d’Avignon. Opicinus exploite l’étymologie du mot: absence de lumière (ne-lux) et noirceur (niger). 2 Il s’agit de la tarasque de V 5. 3 Cette église de Pavie est citée dans le De laudibus. Voir V 8, note 12, fol. 67; V 28, note 23; V 29, note 51; V 30, note 12. Jeux de mots: Tecla testudo/testa/tegula/testimonium. 4 Paragraphe présenté par GUY ROUX, dans Art et folie.., p. 124. 5 C’est-à-dire Opicinus avant 1334 et Opicinus après 1334. 6 Voir Lc 14, 31-32. 7 Luc 14, 33. 8 C’est-à-dire celle des guelfes opposés aux gibelins.

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turris; similiter ymaginatio adolescentis de rege bellaturo aduersus alium regem; ymaginatio iuuenilis de honorificentia clericorum, quasi apostolorum uenientium nomine Domini nostri Ihesu Christi; ymaginatio tandem senilis de renuntiatione omnium possessorum. Proximus autem meus eadem uerba legens uel audiens per Spiritum sapientie et intellectus spiritualiter sapit et intelligit. Ad primam parabolam. Edificium domus supra firmam petram est expositio specularis supra articulos fundamentales, ut quicquid dictum est de Christo fundamentaliter ad infideles dicatur de populo christiano speculariter ad fideles. Fundamentaliter predicatur in Affrica sed speculariter in Europa. Hoc dico non tam locis quam moribus; ibi ad aures et istic ad oculos. Ad II. Rex X milium est diabolicus homo duarum partium quarum quelibet per sensus quinarios numeratur. Vna que dicitur ecclesiastica significatur per Ianuam pectoris Affrice minoris; Ianua enim per V litteras scribitur, quasi per V ianuas sensuum intra pectus. Alia pars que dicitur imperialis significatur per Papiam porte uentris minoris Europe. Minores enim Affrica et Europa sunt in utero Lombardie. Papia similiter per V litteras scribitur, quasi per V portas sensuum circa uentrem. Si huiusmodi Papia accesserit Ianuam (id est uenter unius ad pectus alterius), ubi habitat Sathanas, tunc dominus ambarum partium per duplicem quinarium superlatiui gradus (cum quinarius monadarum nullum faciat gradum, nisi per positiuum decadarum, per comparatiuum centenariorum et per superlatiuum chiliadum uel chiliadarum, id est milium augeatur) habet pro se bis quinque milia pugnatorum: id est superlatiue V sensus uentrales corrumpentes V sensus intrinsecos pectorales. Ecce quod homo uetus (id est corpus peccati) seducit orbem terrarum. Homo autem noster nouus in Christo reducit Ianuam ad Papiam, ut de duabus diabolicis partibus extrahat pro se christianitatem in duplo, quasi XX milia bellatorum fidelium aduersus illas partialitates diabolicas infideles. Tartari cum Sarracenis aduersus fideles significant gibellinos cum guelfis sub specie inimicitie conuenientes in unum aduersus Dominum et aduersus populum christianum. Cum Ianua pectoralis seducit ad se Papiam uentralem, Sathanas (id est inimicus homo carnalis) se preparat aduersus hominem nouum spiritualem, qui tandem compellitur facere pacem cum isto, ut ille carnalis et maior in eternum seruiat isti spirituali minori, donec iste multiplicetur et crescat sine numero et ille redigatur in nichilum. Ad III. Honorificentia clericorum significat honorem fiendum uniuersali Ecclesie christianorum Dei eternorum heredum. Ad IIII. Renuntiatio omnium possessorum actualiter significat renuntiationem interiorem affectualiter.

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l’Église superficielle, réservée au clergé, plaçait de manière méritée les laïcs dans sa dépendance; vieux et hypocrite, je croyais que la véritable Église était celle [fol. 52v°] des pauvres qui mendient de porte en porte, et non celle des riches1. Voilà autant d’appréciations fausses concernant le nom de notre sainte mère l’Église; et peu d’habitants de Pavie comprennent vraiment ce qu’elle veut dire. Toutes ces images sont des allégories de la vérité, mais il faut les expliquer sur le plan spirituel; car en m’arrêtant à leur signification au pied de la lettre, j’ai fini par comprendre que j’étais dans le faux. En effet, mon imagination d’enfant a pu prendre comme point de départ la parabole de l’Évangile sur la construction de la maison ou de la tour2; de même mon imagination d’adolescent, celle sur le roi partant à la guerre contre un autre roi; mon imagination de jeune homme, celle sur les honneurs dus aux clercs, c’est-à-dire aux apôtres qui viennent au nom de notre Seigneur Jésus-Christ3; enfin mon imagination de vieil homme, celle sur le renoncement à tous ses biens. Mais lorsque mon ami lit ou entend les mêmes textes, il les saisit et les comprend d’un point de vue spirituel, grâce à l’Esprit de sagesse et d’intelligence. Pour la première parabole. La construction de la maison sur une pierre solide4, c’est ce qui est exposé visiblement au-dessus des articles de foi fondamentaux; si bien que tout ce qui est exprimé de manière fondamentale à propos du Christ auprès des infidèles est exprimé de manière visible/imagée à propos du peuple chrétien auprès des fidèles. Il convient de prêcher de manière fondamentale en Afrique mais de manière visible en Europe: ce que je dis concerne moins la géographie que la morale; et je m’adresse là-bas aux oreilles et ici aux yeux. Passons à la 2e [parabole]5. Le roi aux 10000 [soldats], c’est l’homme diabolique divisé en deux partis, dont chacun est évalué avec les cinq sens. Le parti qui est, dit-on, celui de l’Église est indiqué par la Gênes de la poitrine de la petite Afrique; en effet, Gênes s’écrit avec 5 lettres, c’est-à-dire avec les 5 portes des sens qui sont dans la poitrine6. L’autre parti qui est, dit-on, celui de l’Empire, est indiqué par la Pavie de la porte du ventre de la petite Europe. En effet, il y a une petite Afrique et une petite Europe dans le sein de la Lombardie. Pavie s’écrit aussi avec 5 lettres, c’est-à-dire avec les 5 portes des sens qui se trouvent autour du ventre. Si une telle Pavie parvient à Gênes (c’est-à-dire que le ventre de la première parvient à la poitrine de la seconde), là où habite Satan, alors le maître des deux partis, en passant par le double cinq de l’échelon supérieur (en effet, le nombre cinq des unités ne permet en rien d’avancer, à moins de passer par l’échelon tangible des dizaines, par l’échelon additionnel des centaines, et par l’échelon supérieur7 des milliers 1 Opicinus retrace son propre parcours: son enfance à Lomello; son adolescence confrontée au conflit entre guelfes et gibelins; son passage par la prêtrise; son existence errante de mendiant, après avoir quitté Pavie et avant d’arriver en Avignon. 2 Lc 14, 28. 3 Lc 14, 26-27. 4 Voir Mt 16, 18: ici, il s’agit donc de la fondation de l’Église. 5 Pour tout ce paragraphe, voir notamment V 6, V 10, V 13 et V 34. 6 Voir V 10. 7 Opicinus utilise le langage grammatical (positif, comparatif, superlatif) pour désigner l’augmentation des unités par les dizaines, les centaines et les milliers.

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FOL.

52v°

DESSIN V 5

1 – Expositio animalis huiusmodi spiritualiter1: rubrica 2 – Animal sub testudine quasi lumen sub modio significat auaritiam abscondentis scientiam Dei. Cum transitura esset a seculo Martha laborantium, extincta luminaria Maria speculantium reaccendit. In testa testudinis appositum speculum uel secundum idioma Papie in gandalabra (quasi in candelabro per penultimam sillabam breuiatam) impositum: lumen speculi significat largitatem reuelantis scientiam Dei. Serpens scutellaria (quasi tarasca) de stirpe Leuiathan, munita scutis fusilibus quasi squamis, significat quamlibet personam de corruptibili carne et sanguine confidentem quasi tartutam (id est amicis Tartari tutam uel caris inferni securam). Gallina conclusa inter testudines pectoris Gallie significat christianitatem ad tempus absconditam.

1

Expression soulignée en rouge.

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ou « chiliades »1, c’est-à-dire qu’il s’accroît de 1000), dispose de deux fois cinq mille combattants: c’est-à-dire que les 5 sens supérieurs qui se trouvent sur le ventre dénaturent les 5 sens qui sont à l’intérieur de la poitrine. C’est ainsi que l’homme ancien (c’est-à-dire le corps du péché) déshonore l’orbe terrestre. Mais notre homme nouveau dans le Christ ramène Gênes vers Pavie, si bien qu’il extrait des deux partis diaboliques une double chrétienté qui lui est favorable, autant dire 20000 guerriers fidèles s’opposant à ces factions diaboliques infidèles. Les enfers associés aux Sarrasins dans la lutte contre les fidèles représentent les gibelins associés aux guelfes qui, feignant d’être ennemis, s’unissent dans la lutte contre le Seigneur et le peuple chrétien. Lorsque la Gênes de la poitrine attire à elle la Pavie du ventre, Satan (c’est-à-dire l’homme charnel ennemi) se prépare à lutter contre l’homme nouveau spirituel; mais il est finalement incité à faire la paix avec lui, si bien que celui qui est charnel et grand sera éternellement au service de celui qui est spirituel et petit, en attendant que le second se multiplie et grandisse sans compter, et que le premier soit réduit à néant2. Passons à la 3e. Les honneurs dus aux clercs indiquent qu’il faut honorer l’Église universelle des chrétiens, les héritiers éternels de Dieu. Passons à la 4e. Le renoncement réel à tous ses biens symbolise le détachement intérieur d’ordre sentimental. DESSIN V 53 Ce dessin représente la tarasque, un animal fabuleux, hexapode et griffu, couvert d’une carapace et pourvu d’une queue impressionnante, et dont la gueule hirsute laisse dépasser les jambes de sa victime. À droite, Marthe, armée de la croix, tient l’animal en laisse (ce qui est conforme à la légende et fit d’elle la sainte patronne de Tarascon); à gauche, MarieMadeleine, en contemplation. Ce monstre, qui fascine l’imagination d’Opicinus, incarne ici le camp du « mauvais »; mais l’unité finale d’Avignon-Avenica est également prévue. Les images V 4 et V 5 expriment le délire cosmique et manichéen du scribe; on y voit aussi évoluer les dialectiques de la métaphore orale et de l’enfermement propres à ce délire.

1 – Présentation de cet animal d’un point de vue spirituel4: titre5 2 – Cet animal à l’intérieur de sa carapace, comme une lumière sous le boisseau, indique l’égoïsme de celui qui cache la connaissance de Dieu. Alors que la Marthe des travailleurs a quitté ce monde, la Marie des contemplatifs rallume les lampes éteintes6. Soit un miroir placé sur les écailles de la carapace ou bien posé, pour parler comme à Pavie, sur la « gandalabra » (comme candélabre, avec abréviation de l’avant-dernière syllabe): le reflet du miroir indique la générosité de celui qui révèle la connaissance de Dieu. En grec, cßlia signifie: 1000. La fin du paragraphe exprime un grand rêve manichéen. 3 Ce dessin est analysé en détails par GUY ROUX dans Art et folie…, pp. 103-131 (surtout p. 124-131). 4 Cette expression est soulignée en rouge. 5 Les remarques qui suivent sont consacrées à la tortue plus qu’à la tarasque. Mais, à la différence de V 4, la tortue est présentée ici de manière négative (encore un exemple de perspective manichéenne); en revanche, la tarasque est toujours « mauvaise ». 6 Cette phrase correspondait à la note 3 du dessin dans Art et folie… 1 2

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FOL.

52v°

Septies VII tegule huius testudinis significant uniuersitatem carnalium hominum protegentem uniuersa uitia carnis et sanguinis. Sculptilia tegularum sunt ymagines cuiuslibet stirpis in armis certi cognominis. Pugnus in sinistro latere uentris significat iram malitie Lombardorum, et draco in dexteris astutiam eorum nequitie. Huc usque XIIII kalendas octobris. Libera testudo emittit caput, pedes et caudam. Et detenta se totam abscondit sub circumtegentibus testis. Sic actus impietatis hominis a principio per medium in fine uidetur. Cuius iniquitas deprehensa multis falsarum excusationum testimoniis se tuetur. Condensitas teste testudinis est multitudo testium false excusationis. Parua testudo serpentis pulicibus pascitur; id est tyrannidis laicalis spoliis personarum inferiorum nutritur. Magna testudo draconis alias tarascinus deuorat hominem; id est ypocrisis clericalis destruit populum christianum. Nam per pulices intelligitur unaqueque humana persona inferior; et per hominem significatur populus christianus. Auinio spiritualis in celestium curia1 Sancta religio speculantium intercedit in adiutorium laborantium. Tarasca (quasi Tartari esca, id est ypocrisis infernalis) conteritur in pectore totius Europe. Potentialiter non est alius draco terribilis nisi ille qui scripsit hec, qui frendet ut leo et insidiabitur sicut draco. Christianitas deuoratur similitudine margarite. Sancta congregatio cleri et populi laborantium operibus caritatis expugnat cum auxilio speculantium. Vrbs Auenica actualis in Romana curia Actum XIII kalendas octobris, tunc feria VI ieiunii septimi.

4– 5– 6– 7– 8– 9– 10 – 11 –

1

Les lettres des notes 4 et 10 sont plus grandes que les autres.

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Le dragon ressemblant à un bouclier (c’est-à-dire la tarasque) de la race de Léviathan, muni de ses téguments ramollis comme des écailles, représente n’importe qui plaçant sa confiance dans la chair et le sang corruptibles, à la façon de la tortue (c’est-à-dire: protégée par ses amis du Tartare ou comptant sur ses amis de l’enfer). La poule coincée entre les écailles de la poitrine de la Gaule représente la chrétienté provisoirement dissimulée. Les sept fois 7 écailles de cette carapace représentent la communauté des hommes charnels qui portent en eux la totalité des vices de la chair et du sang. Ce qui est gravé sur les écailles, ce sont les images de chaque famille au nom reconnu, avec leurs armes. Le poing sur le côté gauche du ventre symbolise la malice agressive des Lombards, et le dragon à droite, la malignité de leur inconduite. Jusqu’ici, ce texte a été écrit le 14 des calendes d’octobre [18 septembre 1337]. De la tortue laissée en liberté, sortent une tête, des pattes et une queue. Et si on la prend, elle se cache entièrement sous les écailles qui la recouvrent. C’est ainsi que se dévoilent les actions impies de l’homme, du début jusqu’à la fin en passant par le milieu1. Prise sur le fait dans son iniquité, elle se défend par une foule de témoignages à base de dépositions fallacieuses2. La densité des écailles de la carapace, c’est le grand nombre de témoins présentant de fausses dépositions. La petite carapace du serpent [de la tortue] se nourrit de puces; ce qui veut dire que les tyrans laïcs se nourrissent avec les dépouilles des gens de basse condition. La grande carapace du dragon, autrement dit de la tarasque, dévore l’homme; c’est-à-dire que l’hypocrisie du clergé anéantit le peuple chrétien. Car c’est aux puces qu’on reconnaît toute personne de basse condition, et c’est l’homme qui indique le peuple chrétien. 4 – l’Avignon spirituelle dans la cour des habitants du ciel 5 – La sainte communauté religieuse des contemplatifs soutient ceux qui travaillent. 6 – La tarasque (pour ainsi dire la nourriture du Tartare), c’est-à-dire l’hypocrisie infernale, est écrasée dans la poitrine de l’Europe tout entière. 7 – Vraisemblablement, ce dragon terrible n’est autre que l’auteur de ces lignes, lui qui grincera des dents comme un lion et tendra des pièges comme un dragon. 8 – La chrétienté est avalée comme une perle. 9 – La sainte réunion du clergé et de la masse des travailleurs triomphe grâce aux œuvres de la charité, avec le secours de ceux qui méditent. 10 – La ville d’Avenica se trouve aujourd’hui à la curie romaine. 11 – Fait le 13 des calendes d’octobre, à savoir la 6e férie du jeûne du septième mois [vendredi 19 septembre 1337].

1 Opicinus transforme le schéma temporel de l’existence humaine en schéma spatial, avec les étapes qu’il affectionne: début, milieu et fin. 2 Allusion au procès d’Opicinus.

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[fol. 53] QVALITER

FOL.

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FACTVM EST ISTVD OPVS

Post opus libelli « De preeminentia spiritualis imperii », cum adhuc essem in utero littere matris mee, motus fui Domino inspirante ad descriptionem ecclesiastice ierarchie cum libello declarationis eiusdem, cuius uirtutem et spiritum nesciebam. Sed propter festinationem nascendi ante terminum partus pluries uolui illud tradere domino pape, nisi Dominus aliter cogitationes meas disponere decreuisset. Incipiens ergo nasci anno Domini MCCCXXXIIII°, iterum renouaui tabulam ierarchie super qua paulatim correxi declarationis libellum. Et super ea et super proprietatibus euangeliorum et partim de conscientia mea adhuc ualde rudi cum modica claritate usque ad annum expectationis, aliquantulum apertis oculis meis interioribus ad discernendas ymagines terre et maris et conferendas in conscientia mea secundum libellum declarationis predicte, in peciis X papiri composui cum intellectu tamen siluestri uerborum. Eodem anno expectationis, conferens in conscientia mea proprietates euangeliorum cum tabula supradicta inter labores assiduos scriptorie Penitentiarie, infirmitate manus dextere non obstante, per minutas pecias papiri et carte plura testimonia, licet ualde siluestria uideantur, urgentibus me magnis et ualde terribilibus temptationibus intra pectus, adduxi et scripsi. Experiendo per quemlibet modum notitiam ueritatis, descriptis diuersis et uariis rotis in foliis tantum papiri, donec perfecerim huius operis primam rotam in carta de martirologio totius anni, super cuius materia et omnibus aliis supradictis innumerabiles peciolas tam papiri quam carte testimoniorum ualde siluestrium, sententialium tamen et in nullo a catholica fide deuiantium, conscientia mea dictante, iuxta iudicium meum non alienum, nisi aliquorum locorum in uniuersitatis malitia sine alicuius persone iudicio, furtiue et raptim impleui. Eodem anno expectationis et sequenti anno retributionis usque ad annum presentem renouationis, die noctuque laborans, partim in scriptoria Penitentiarie quam sum compulsus omittere, partim in hoc opere, multas alias pecias tam magnas quam paruas in papiro et cartis testimoniorum innumerabilium partim siluestrium et partim domesticorum compleui. Per hos tres annos continuos multa et quasi innumerabilia folia cartarum – tam magna maioris forme quam parua minoris peciole – diuersis et uariis modis ymaginum et rotarum super descriptione orbis terrarum et aliarum figurarum misterii in tanta uarietate experientie cuiuscumque, ut nullum opus ex hiis alteri simile uideatur inter ista diuersa, cum scripturis testimonialibus multis impleui. Nunc isto anno, a natiuitate sancti Iohannis Baptiste uel circa usque ad presens, istas papiri ultimas pecias scripsi. Factis aliquando memorialibus exceptiuis de meditationibus sacris, in quolibet ualde breui facwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 53]1 COMMENT

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A ÉTÉ RÉALISÉ CET OUVRAGE2

Après avoir écrit le traité « Sur la primauté du pouvoir spirituel »3, alors que je me trouvais encore dans le sein de la lettre de ma mère4, inspiré par le Seigneur, je fus poussé à décrire la hiérarchie de l’Église dans un traité portant ce titre, alors que j’en ignorais le caractère essentiel et l’inspiration. Mais, comme j’étais pressé de naître, enfanté avant le terme, j’ai plus d’une fois voulu le remettre au seigneur pape, si le Seigneur n’avait décidé d’orienter autrement mes projets. Commençant donc à naître en l’an du Seigneur 13345, j’ai à nouveau rectifié le tableau de la hiérarchie et j’ai ainsi peu à peu corrigé le traité portant ce titre. Et sur ce sujet comme sur celui des points forts des évangiles, en faisant partiellement appel à mes connaissances intérieures encore très rudimentaires tout en bénéficiant d’un éclairage faible jusqu’à l’année de l’attente [1335], mes yeux intérieurs s’étant entr’ouverts pour reconnaître les images de la terre et de la mer6 et les intégrer à mes connaissances intérieures conformément au traité dont le titre est indiqué plus haut, je les ai rassemblées sur 10 feuilles de papier, non sans intelligence mais en m’exprimant dans un langage primaire. Cette même année de l’attente [1335], intégrant à mes connaissances intérieures les points forts des évangiles ainsi que le tableau indiqué plus haut, au milieu des travaux incessants d’écriture à la Pénitencerie, sans être handicapé par l’infirmité de ma main droite, j’ai conçu et écrit d’assez nombreux témoignages sur de petites feuilles de papier et de parchemin, bien qu’ils puissent paraître très primaires, car j’étais accablé dans mon cœur par d’intenses et épouvantables tentations. Ayant fait de toute manière l’expérience de la vérité, après avoir dessiné des roues tournant en sens contraire et mobiles, uniquement sur des feuilles de papier, en attendant d’avoir mis au point la première roue de cette œuvre sur parchemin contenant un martyrologe de l’année entière7, j’ai rempli en cachette et dans la hâte, sur ce sujet et sur tous les autres dont j’ai parlé, une infinité de petites feuilles tant de papier que de parchemin, présentant des témoignages très primaires mais très riches d’idées, et ne s’écartant en rien de la foi catholique, sous la dictée de ma conscience, en suivant mon opinion et non celle d’autrui, sauf pour certains points concernant la malice universelle qui ne nécessitent aucun avis. Cette même année de l’attente et la suivante, celle de la récompense [1336], et jusqu’à cette année qui est celle du renouvellement [1337], travaillant jour et

1 Ce folio intermédiaire entre V 5 et V 6 est traduit et commenté par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 366-379. 2 Paragraphe essentiel où Opicinus explique à sa manière la genèse du Palatinus et du Vaticanus après sa « naissance » en 1334. 3 Opicinus ne parle pas ici du De laudibus, ouvrage courtisan lui aussi, ni surtout de l’interminable épreuve judiciaire qui commence pour lui à cette époque. 4 C’est-à-dire attaché à la lettre, comme l’homme ancien. 5 Expression capitale, qui montre bien qu’Opicinus fait coïncider sa naissance mystique avec l’expérience délirante de la Semaine sainte 1334. 6 C’est-à-dire la reconnaissance des images de la terre et de la mer qu’il avait entrevues sous forme de représentations muettes dans son épisode délirant aigu (voir P 20, note 21). 7 C’est-à-dire P 20.

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tus sum, quasi utens cocleari extrahente paulatim gutas maris huius abissi et immitente eas in modicam foueam huius libri. Deinceps detur occasio sapientibus et melius intelligentibus quam ualeam cogitare.

DE

CONSERVANDO THESAVRI IN ABSCONDITO VSQVE AD TEMPVS

Nulli adhuc reuelatum est istud opus nisi quibusdam non intelligentibus me tacente. 1

DE

INNVMERABILI MVLTITVDINE CONVERTENDA

Quamdiu fuit Abram cum Saray (id est pater excelsus cum principe propria), tamdiu extitit sterilis sobole, id est summus prelatus Ecclesie sine noui populi genere. Nunc Dominus ex ancilla, Abram ex Agar (id est uniuersalis sanctissimus papa ex particulari Papia), genuit Hismaelem, id est ex aduena exauditum, sicut uidetur ad oculum. Deinceps noster senior Abraham ex antiqua coniuge sua Sara (uel Sarra) gignet Ysaach heredem legitimum; id est sanctissimus pater multarum gentium conuersarum, tam ex repromissione quam nomine benedictus, de uniuersali Ecclesia principe nostra habebit Domino concedente nouissimum populum christianum quasi proprium filium, qui ridebit in nouissimo die. Remittatur ergo Hismael ad matrem suam Agar, ut ex parrochia sua quasi uxore suscitet agarenos; Agarenos, inquam, ex parte Agar, auie sue, uel Hismaelitas ex parte patris, ne ulterius surripiant nomen domine sue Sarre.

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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nuit, en partie aux écritures de la Pénitencerie que j’ai eu envie d’abandonner, en partie à cette œuvre, j’ai rempli beaucoup d’autres feuilles, grandes et petites, de papier et de parchemin, avec d’innombrables témoignages, sur des sujets tantôt éloignés tantôt familiers. Tout au long de ces trois ans, j’ai rempli avec une foule de textes ayant valeur de témoignages une quantité importante et pour ainsi dire considérable de feuilles de parchemin – aussi bien des grandes d’un format important que des petites aux dimensions plus modestes – avec des sortes de dessins et de roues tournant en sens contraire et mobiles, concernant la représentation de l’orbe terrestre et des autres images du mystère, dans une telle diversité d’ébauches qu’on n’y trouve aucune composition qui ressemble à une autre au milieu de cet assemblage varié. Et maintenant, cette année, depuis la nativité de saint Jean-Baptiste [24 juin] ou environ et jusqu’à aujourd’hui, j’ai écrit pour terminer les folios en papier que voici. Ayant enfin rassemblé mes souvenirs, excepté mes saintes méditations, j’ai été en tout très rapidement transformé, comme si je me servais d’une cuillère pour retirer peu à peu les gouttes d’eau de la mer qui remplit cet abîme, afin de la transvaser dans le petit trou que représente cet ouvrage. Que ce soit alors l’occasion pour les sages et les hommes plus intelligents que moi de réfléchir. LE TRÉSOR QU’IL CONVIENT DE PRÉSERVER DANS UN LIEU SECRET JUSQU’AU MOMENT FIXÉ Cet ouvrage n’a été encore dévoilé à personne1, sauf à ceux qui ne comprennent rien, tandis que moi je garde le silence. LA

MULTITUDE INNOMBRABLE QU’IL FAUT CONVERTIR

Aussi longtemps qu’Abraham vécut avec Sara (c’est-à-dire le père suprême avec son épouse princière), il apparut comme dépourvu de descendance, tel le souverain prélat de l’Église dépourvu de la postérité d’un nouveau peuple. Aujourd’hui c’est Ismaël que le Seigneur a engendré avec une servante, ou Abraham avec Agar2 (c’est-à-dire le pape très saint et universel avec l’individuelle Pavie), c’est-à-dire le fruit d’un voeu avec une étrangère, comme cela est manifeste. Notre ancêtre Abraham donnera ensuite la vie à Isaac3, l’héritier légitime, avec sa première épouse Sara (ou Sarra); c’est-à-dire que le très saint père des nombreux peuples convertis, béni tant par la promesse de la rédemption que par son nom, aura de l’Église universelle, notre régente, avec la permission du Seigneur, un très nouveau / dernier peuple chrétien, en quelque sorte un fils à lui, qui rira au dernier jour4. Qu’on rende donc Ismaël à sa mère Agar, afin que de sa paroisse comme d’une épouse, il fasse lever les Agaréens; Agaréens, oui, du fait

1 2 3 4

Opicinus attend l’heure de son avènement! Voir Gn 11. Voir Gn 17 et 21. Dans ce paragraphe, Opicinus est partout et il passe de la multitude à l’unité.

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Discretio hominis animalis a spirituali Quotiens homo meus exterior seruus meus exequitur debitum sibi commissum dicendo horas canonicas, non intromittente se in hiis homine nostro interiori, sine offensione balbutiendi bene profert omnes sillabas dictionum. Non enim potest scire quod faciat dominus eius, qui moratur et colloquitur in secretis cum maiori Domino Deo nostro. Si autem descenderit ad uidendum quod agat seruus suus, statim timidus seruus incipit balbutiendo proferre horas suas uel missas. Seruus sapit tantum ad altare panem et uinum et ea que sunt hominis. Non potest autem esse diabolicus homo, quamdiu fuerit uere obediens domino suo; qui dominus in Sanctis Sanctorum sapit uerum corpus et sanguinem Ihesu Christi et ea que sunt Dei. Seruus ministrat in litteris; dominus autem spiritu et littera epulatur. Actum XIII kalendas octobris. De uniuersali conuersione futura Sicut hactenus Papia fuit exemplum omnis prostitutionis in spiritu non in carne, licet possit carnalis prostitutio spiritualium dici, ita deinceps erit exemplum uirginitatis perpetue omnis carnis et spiritus, ut unde procedebat peccatum, oriatur et gratia. Non intelligatur uirginitas matrimonii carnis, sed uirginitas spiritualis in corpore totius Ecclesie. Sicut Iudea ignoranter dedit uiam scientie et fidei gentibus et sicut Ianua similiter ignoranter dedit uiam scientie describendi mundum Papie, ita et clerus carnalis dedit ignoranter uiam legis conscientie spiritualibus laicis. Ablato igitur uelamine legis Ecclesie a cordibus cleri carnalis, erit saluus omnis Israel (id est spiritualis populus christianus), ut Dominus omnibus misereatur uolentibus redire ad legem conscientie. Additum anno perfectionis, X kalendas iunii.

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d’Agar, leur aïeule, ou encore Ismaélites, du fait de leur père, pour éviter qu’ensuite ils n’usurpent le nom de leur maîtresse Sara. Distinction entre l’homme animal et l’homme spirituel Chaque fois que mon homme extérieur1, qui est mon serviteur2, s’acquitte du devoir qui lui incombe en disant les heures canoniques, sans que notre homme intérieur s’en mêle, il prononce correctement toutes les syllabes du texte sans être affecté par son bégaiement. En effet, il ne peut pas savoir de que fait son maître, qui reste à s’entretenir secrètement avec son Seigneur suprême, notre Dieu. Mais s’il vient voir ce que fait son serviteur, aussitôt celui-ci, intimidé, commence à bégayer en disant ses heures et ses messes. Le serviteur sait uniquement porter à l’autel le pain et le vin, et connaît seulement ce qui vient des hommes. Il ne peut toutefois s’agir d’un homme diabolique tant qu’il se montre vraiment obéissant envers son maître; lequel maître goûte dans le Saint des Saints le véritable corps et le véritable sang de Jésus-Christ, ainsi que ce qui vient de Dieu. Le serviteur remplit sa fonction en écrivant, alors que le maître se nourrit de l’esprit et de la lettre. Fait le 13 des calendes d’octobre [19 septembre 1337]. La conversion universelle à venir De même que, jusqu’à ce jour, Pavie a donné l’exemple de toutes les prostitutions, dans le domaine de l’esprit et non dans celui de la chair (bien qu’il soit permis de qualifier de charnelle la prostitution de l’esprit), de même elle sera par la suite le modèle de la virginité éternelle de la chair et de l’esprit dans leur ensemble, afin que de la source du péché naisse aussi la grâce3. Il ne s’agit pas de la virginité associée au mariage charnel, mais de la virginité spirituelle au sein du corps de l’Église tout entière. De même que la Judée a montré sans le savoir le chemin de la connaissance et de la foi aux nations, et de même que Gênes a montré sans le savoir comment s’y prendre pour dessiner l’univers de Pavie, de même le clergé charnel a donné sans le savoir la route de la loi de la conscience aux laïcs spirituels. Par conséquent, une fois le voile de la loi de l’Église retiré des cœurs du clergé charnel, tout Israël (c’està-dire le peuple chrétien spirituel) sera sauvé, afin que le Seigneur se montre miséricordieux envers tous ceux qui désirent revenir à la loi de la conscience4. Ajouté l’année de la perfection, le 10 des calendes de juin [23 mai 1338].

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C’est-à-dire l’homme animal. C’est-à-dire celui de l’homme spirituel. Voir Rm 5, 15; 5, 17; 5, 21. Tableau général de miséricorde et de réconciliation.

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53v°

[fol. 53 v°] DESSIN V 6

1 – carentia crurum occeani 2 – Ianua uentris inferni eorum qui, intrantes per ianuam Venetorum, concepti in porta Papie, exierunt per I(i)anuam uiolentam; qui, negligentes ostium contritionis in pectore et ianuam confessionis in gutture, descenderunt in profundum malorum. 3 – Vtinam omnia peccata nostra demergantur in hoc profundum ! 4 – uia a uentre naturali ad uentrem peccati 5 – uia a stomacho naturali ad stomachum penitentie 6 – uia a pectore naturali ad pectus satisfactionis 7 – uenter iudicii eorum qui peccauerunt in ianuis semel et bis ut tertio caueatur. 8 – Stomachus tarascini deuorat omnia uitia carnis. 9 – purgatorium pectus 10 – Omnes iste uie transeunt per pectus Auinionis ubi reperitur saluatio animarum. 11 – carentia capitis nisi in stomacho 12 – FENESTRE V SENSVVM 13 – PRIMA VIA REVERSIONIS AD COR 14 – TERTIA VIA SATISFACTIONIS 15 – QUARTA VIA LIBERATIONIS A PURGATORIIS PENIS AD TERRAM LIBERTATIS 16 – IANVA IIII; contritionis 17 – IANVA V; confessionis 18 – Auinio 19 – Massilia 20 – SECVNDA VIA CONFESSIONIS 21 – ubera, id est tete (quasi Thetis, mater Achillis) 22 – Buzea 23 – I(i)anua III 24 – Papia 25 – IANVA I, IANVA II 26 – Venetie www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 53v°] DESSIN V 61 Première carte anthropomorphe du manuscrit, V 6 présente une structure quaternaire. Au sein d’un réseau géométrique complexe (16 carrés et six sécantes: deux noires et quatre rouges), quatre personnages évoluent: l’Europe, sous la forme d’une belle femme nue (néanmoins bottée); l’Afrique, représentée par un ecclésiastique barbu; la tarasque, qui mord l’épaule de l’Europe; et le diable méditerranéen, affublé d’organes sexuels monstrueux, qui se livre à des attouchements dans la région de Venise. La proche naissance gémellaire de la « petite Europe » (représentant Opicinus) et de la « petite Afrique » (représentant Benoît XII)2 baignant dans un liquide amniotique rose foncé, par césarienne effectuée à Gênes de la grande Europe, est un élément fondamental du Vaticanus. Les sécantes permettent de déterminer une mélothésie océanique et une mélothésie continentale; et elles proposent des itinéraires initiatiques de repentir et de pénitence soulignant les capacités d’évolution et de conversion spirituelles de l’Europe.

1 – l’absence de jambes de l’océan3 2 – La porte des entrailles de l’enfer de ceux qui, entrant par la porte de Venise, conçus dans l’entrée de Pavie, sont sortis par Gênes, la porte forcée; et qui, passant outre le port de la contrition qui mène à la poitrine et la porte de la confession située dans la gorge, sont descendus dans les abîmes du mal.4 3 – Puissent tous nos péchés s’engloutir dans ce gouffre! 4 – le chemin qui va des entrailles naturelles aux entrailles du péché 5 – le chemin qui va de l’estomac naturel à l’estomac de la pénitence 6 – le chemin qui va de la poitrine naturelle à la poitrine qui fait amende honorable 7 – les entrailles du jugement de ceux qui ont péché dans les portes une et deux fois, afin que l’on soit sur ses gardes la troisième fois 8 – L’estomac de la tarasque5 avale tous les vices de la chair. 9 – la poitrine du purgatoire 10 – Tous ces chemins passent par la poitrine d’Avignon où se trouve le salut des âmes. 11 – l’absence de tête, sauf dans l’estomac 12 – LES FENÊTRES DES 5 SENS6 13 – LE PREMIER CHEMIN DU RETOUR AU CŒUR 14 – LE TROISIÈME CHEMIN DE L’AMENDE HONORABLE 15 – LE QUATRIÈME CHEMIN DE L’AFFRANCHISSEMENT DES PEINES DU PURGATOIRE POUR ALLER À LA TERRE DE LA LIBERTÉ7

1 Ce dessin est analysé en détails par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 381-411. Les notes 15bis, 31bis et 33bis de V 6 deviennent ici respectivement les notes 36, 31 et 33. 2 Ailleurs, ces foetus sont désignés sous le terme de « petit monde », « Afrique de Lombardie » ou « grande Avignon ». 3 La fin de cette mélothésie océanique se trouve au fol. 83v°. 4 Suivre le trajet indiqué: notes 27, 25, 16, 17. 5 Voir V 4 et V 5. De monstre fluvial, la tarasque devient un monstre maritime, comme dans la plupart des dessins suivants. Elle symbolise la damnation éternelle. 6 Allusion aux cinq portiques de la piscine de Bezatha (guérison de l’infirme de 38 ans): voir Jn 5, 2. 7 C’est-à-dire de l’Irlande, où est censé se trouver le purgatoire, à la France (jeu de mots franc/libre) où se trouve Avignon.

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FOL.

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VIA PECCATI

uirga exactoris penitentie a peccante Panormum oriens Si cor maris reducatur ad pectus Europe, tunc lapis conuertetur in panem. Spero quod cum fidelissimus uir nomine panis Panormium applicabit, habebit Sicilia testimonium conuertendi. Panormium – a « pan » (quod est « totum ») et « norma » (quod est « regula ») – transit per regulam et separat Franciam a Normandia (id est libertatem a regula). Additum die sancti Mathei, de ethimologia Panormii. Actum uigilia sancti Mathei apostoli et euangeliste, tunc sabbato ieiunii VII. Inceptum die precedenti. Si hee ymagines repleant superiora magne Lombardie, tunc femora diabolici maris habent testimonia buzale usque ad Buzeam Affrice naturalis. « Qui habet aures audiendi audiat ». Additum X kalendas octobris. Recordatus sum anno perfectionis, pridie sancti Marci euangeliste, quod die sequenti, scilicet festo suo, sunt III anni completi ex quo illa bestia leonina alleuiauit humeros meos de maximo onere domus mee. Maior Europa pregnans parit minorem Affricam per lateralem I(i)anuam uiolenter, quam sequitur minor Europa usque ad ianuas mortis eterne, nisi Dominus suscitet eas per quartam ianuam pectoralem – quasi quatriduanum Lazarum, primum Massiliensem episcopum – ut massa humani generis suscitetur a morte miserabilis instrumenti quo fuit primo concepta. Vulgariter dicitur in Papia: « Lupus immitit caudam intra ostium », ac si diceretur: « Diabolicum mare imprimit uiolenter caudam suam contra lateralem ianuam uentris nostri ». Ecce Ianua resistens Venetiis perdit nomen I(i)anue naturalis et fit I(i)anua uiolenta, ut uenter noster per uim pariat abortiuos. Parisius

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– LA PORTE 4; de la contrition – LA PORTE 5; de la confession – Avignon – Marseille – LE DEUXIÈME CHEMIN DE LA CONFESSION – les seins1, c’est-à-dire les tétons, comme Thétis, mère d’Achille – Bougie – Gênes/la porte 32 – Pavie – LA PORTE 1; LA PORTE 2 – Venise – LE CHEMIN DU PÉCHÉ – la verge de celui qui fait exécuter la pénitence à celui qui pèche3 – Panorme [Palerme] – l’est – Si le cœur de la mer est poussé vers la poitrine de l’Europe, alors la pierre sera changée en pain4. J’espère que, lorsque l’homme très fidèle au nom de pain abordera Panorme, la Sicile aura le témoignage de cette transformation. Panorme – qui vient de « pan » (c’est-à-dire « tout ») et de « norme » (c’est-à-dire « la règle ») – passe par la règle et sépare la Francie de la Normandie (c’est-àdire la liberté de la règle). Ajouté le jour [de la fête] de saint Matthieu [21 septembre 1337], au sujet de l’étymologie de Panorme. 32 – Fait la veille [de la fête] de saint Matthieu apôtre et évangéliste, le samedi du jeûne du 7e mois [samedi 20 septembre 1337]; commencé le jour précédent [19 septembre]. 33 – Si ces images remplissent le haut de la grande Lombardie, alors les cuisses de la mer diabolique ont le témoignage de la busse jusqu’à Bougie, qui se trouve dans l’Afrique naturelle. « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende! ». Ajouté le 10 des calendes d’octobre [22 septembre]. Je me suis rappelé, l’année de la perfection, la veille [de la fête] de saint Marc évangéliste [24 avril 1338], que le lendemain, jour de sa fête [25 avril], cela faisait trois années pleines que cette bête léonine avait soustrait mes épaules à ma principale charge de famille5. 34 – La grande Europe enceinte accouche de la petite Afrique dans la violence, par Gênes, la porte de côté, et la petite Europe la suit jusqu’aux portes de la

Voir la forme de la côte africaine, exploitée et accentuée par Opicinus. C’est là qu’a lieu la naissance par césarienne, par effraction de la paroi abdominale (ce qui permet au passage à Opicinus de s’identifier à César); elle est appelée « porte forcée » dans les notes 2 et 35. 3 Il s’agit de la baguette tenue par l’Afrique-Benoît XII; Opicinus fait ici allusion à la baguette avec laquelle le grand pénitencier touchait la tête des pénitents. 4 Voir Mt 4, 3 et Lc 4, 3. 5 La mère d’Opicinus est morte le 25 avril 1335. 1 2

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FOL.

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[fol. 54] DESSIN V 7

1 – Ecclesia spiritualis in habitaculum Domini Dei nostri corporaliter, in quo nullum est necessarium signum sacramenti. Hec est tota formosa inuisibili re sine materia uisibilis signi. Cuius est Terra sancta nisi patrimonium Crucifixi? Id est cuius sunt prouentus et redditus cuiuslibet ecclesie, nisi nutrimentum populi christiani? Bona Terre sancte per manus apostolorum spiritualiter ex tribu Leui, bona ecclesiarum per manus rectorum qui successerunt apostolis peregrinis. 2 – Hora qua hoc agebatur, audiebam ab exterioribus loquentes de ista materia directe uel indirecte, nescientes tamen nec uidentes quod agerem. Quod de isto articulo dico, de innumerabilibus testimoniis similibus dico. Fabula de medico qui uocabatur mors super regem Francie et dominum papam. 3 – Quamdiu parrochia mea fuerit infirma, me iudico apostolum peregrinum iudicantem ecclesistica predia esse quasi mobilia ex oblatis; cum autem fuerit perfecta parrochia, me reputabo apostolum ciuem www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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mort éternelle, à moins que Dieu ne les fasse renaître par la quatrième porte de la poitrine (comme s’était relevé le quatrième jour Lazare, premier évêque de Marseille), afin que la masse des humains renaisse de la mort de l’organe misérable où elle fut d’abord conçue. 35 – On dit communément à Pavie: « Le loup introduit sa queue à l’intérieur de l’entrée »; comme si l’on disait: « La mer diabolique enfonce violemment sa queue contre la porte de côté de notre ventre ». Voici que Gênes, s’opposant à Venise, perd le nom de Gênes, la porte naturelle et devient Gênes, la porte forcée, si bien que notre ventre accouche par la force de nouveau-nés prématurés. 36 – Paris [fol. 54] DESSIN V 7 En haut du dessin, trône un Christ assis, nimbé et stigmatisé, appelé aussi « Moïse », « l’Église spirituelle », « le pape » par Opicinus, qui condense toutes ses identifications; ce Christ domine une carte anthropomorphe. En Asie, la Terre sainte est occupée par « le château du pèlerinage » surmonté d’un diagramme où est figuré Lévi, « le saint enfant d’Israël » (autrement dit Opicinus). L’Europe féminine, qualifiée d’«Église sacramentelle », contient dans sa poitrine (Avignon) le cercle du « Saint des Saints » où Jacques d’Alphée (encore Opicinus) réunit les éléments de l’eucharistie; ce cercle est relié au Christ du haut par une droite rouge. L’Afrique correspond à l’« hypocrite » (c’est-à-dire à Benoît XII) et porte dans sa poitrine « l’Église matérielle ». Ce dessin affirme la divinité d’Opicinus et montre la primauté du cheminement spirituel sur le cheminement sacramentel. S’y ajoutent d’autres oppositions: entre « apôtres voyageurs » et « apôtres citoyens », signes matériels (les sacrements) et invisible immatériel, biens instables et biens stables… (le premier terme est en rapport avec « les faibles », le second avec les « parfaits »).

1 – L’Église spirituelle dans la demeure que le Seigneur notre Dieu habite corporellement, où aucun signe sacramentel n’est nécessaire: elle trouve sa beauté parfaite dans l’invisible, sans signe visible matériel. Qu’est-ce que la Terre sainte, sinon le patrimoine du Crucifié? Autrement dit, que sont les produits et les revenus de chaque église, sinon la nourriture du peuple chrétien? Les biens de la Terre sainte, par les soins des apôtres qui descendent spirituellement de la tribu de Lévi, et les biens des églises par les soins des curés qui ont succédé aux apôtres voyageurs. 2 – Au moment où je faisais ce dessin, j’entendais dehors des gens converser sur ce thème, directement ou indirectement, alors qu’ils ne savaient ni ne voyaient ce que je faisais1. Ce que je dis sur ce point précis, je le dis sur d’innombrables témoignages analogues. L’histoire du médecin qu’on appelait la mort sur le roi de France et le seigneur pape2. Opicinus intègre le moindre détail de la vie quotidienne à son délire. Vraisemblablement, Opicinus métabolise divers événements pour accréditer l’idée d’un « mauvais » médecin. 1 2

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habentem uiuam Ecclesiam, quasi possessionem immobilem, cum ceteris coapostolis meis. – Nos apostoli in ciuitatibus constituti, non amplius peregrini sancte Europe, possessionem immobilem possidemus; id est nos prelati spirituales spiritualem Ecclesiam possidemus corporaliter. – locus arche Noe, nostrum refugium a secundo diluuio – papa, id est quilibet prelatus Ecclesie perfectorum – anime – Deus – Sancta Sanctorum eterna – Moyses, id est quilibet rector parrochie infirmorum – puer sanctus Israel – Ysachar, Neptali, Dan, Aser, Beniamin, Effraim, Manasse, Gad, Ruben, Symeon, Zabulon, Iudas; Leui – Terra sancta – Tabernaculum in uia deserti totum umbratile signis sine inuisibili re. Solum autem semen nostre redemptionis erat in eis usque ad tempus habitantibus interim Terram sanctam peregrinationis umbratilis. – Ecce apostoli habentes fidei semen exortum ad neophitos nutriendos recipiebant mobilia bona terre tantum peregrinabilis que dicitur Terra sancta; id est rectores plebium infirmarum habent predia ecclesiarum quasi mobilia propter peregrinantes infirmos, nequis reputet hec bona quasi immobilia esse perpetua. – Ecce bona Terre sancte significant possessiones ecclesiarum; que nos rectores infirmorum debemus mobilia et transitoria reputare, sicut apostoli peregrini quorum mobilia significabant reputationem quam debemus habere. – Si sit hec minor Europa ex utero maioris Europe in nichilum redacte, tunc infra Sancta Sanctorum, in loco qui dicitur « Sancta » uersus meridiem, habetur Lomellum in signum candelabri luminarium; tunc Porta Speciosa est Papia. Nunc autem uidetur maior et naturalis Europa sicut describitur. – Actum in die sancti Mathei apostoli et euangeliste, tunc dominica XV post Pentecostes. Inceptum die precedenti, scilicet sabbato ieiunii VII, de tabernaculis uiatorum. – ascensio spiritualis – castrum peregrinum – Egyptus – Statuens umbram ut sub umbratilibus signis sit inuisibilis res. – ascensio sacramentalis – Porta Speciosa – Atrium Templi ubi fuerat spelunca latronum uendentium et ementium, quasi Venetiam et Emiliam Lombardie.

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3 – Aussi longtemps que ma paroisse est faible, je me prends pour un apôtre voyageur considérant les possessions ecclésiastiques comme des biens instables provenant de dons; mais lorsque ma paroisse sera parfaite, j’estimerai que je suis un apôtre citoyen1 partageant avec les autres apôtres qui me sont associés une Église vivante, c’est-à-dire une propriété stable2. 4 – Nous, les apôtres établis dans les cités, qui ne sommes plus les voyageurs de la sainte Europe, nous possédons une propriété stable; ce qui veut dire que nous, les prélats spirituels, nous possédons corporellement l’Église spirituelle. 5 – l’emplacement de l’arche de Noé, notre refuge contre le second déluge 6 – le pape, c’est-à-dire tout prélat de l’Église des parfaits 7 – les âmes 8 – Dieu 9 – le Saint des Saints pour l’éternité 10 – Moïse, c’est-à-dire tout curé d’une paroisse de faibles 11 – le saint enfant d’Israël 12 – Issachar, Nephtali, Dan, Aser, Benjamin, Éphraïm, Manassé, Gad, Ruben, Siméon, Zabulon, Juda3; Lévi4 13 – la Terre sainte 14 – La tente dressée sur la route du désert, entièrement obscurcie par les signes, privée de l’invisible. Et c’était seulement le germe de notre rédemption qui se trouvait en eux qui, jusqu’au temps fixé, vivaient en attendant dans la Terre sainte du pèlerinage obscur. 15 – Voici les apôtres chez qui le germe de la foi avait éclos: pour nourrir les nouveaux convertis, ils recevaient les biens instables de la Terre qui est seulement celle du pèlerinage et qu’on appelle la Terre sainte. Traduisons: les curés à la tête d’ouailles faibles possèdent des domaines ecclésiastiques presque stables, à cause des faibles qui voyagent; si bien que personne ne considère ces biens presque stables comme éternels. 16 – Voici les biens de la Terre sainte qui symbolisent les propriétés des églises; nous, les curés des faibles, nous devons les tenir pour instables et éphémères, comme faisaient les apôtres voyageurs dont les biens instables indiquaient la considération dont nous devons jouir.

Pour la distinction cives/peregrinus, voir Lv 24, 16 et 22; Nb 15, 30; et Dt 1, 16. L’opposition stable/instable qui revient sans cesse dans ce dessin a un caractère qualitatif: elle distingue la catégorie défavorable des biens périssables (« instables ») et la catégorie favorable des biens impérissables (« stables »). Ce qui permet à Opicinus de gesticuler dans l’espace. Il revient sur cette question au fol. 55r°-v°. 3 La liste des 12 tribus d’Israël de la Genèse (35, 22-26) comprend Lévi et Joseph, mais pas Manassé; et dans l’Apocalypse (7, 4-8), elle comprend aussi Lévi et Joseph, mais Nephtali est substitué à Dan. Pour Opicinus, les douze tribus d’Israël font treize avec Lévi (note 12), car Opicinus a inclus Manassé, Nephtali et Dan, et il a mis Éphraïm à la place de Joseph. L’important est donc la primauté accordée à Lévi sur les douze autres tribus (comme Jésus et les douze apôtres). 4 La tribu de Lévi représentait le plus solide bastion de la résistance du peuple hébreu à l’oppression en Égypte: Moïse et Aaron appartiennent à cette lignée. 1 2

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26 – Ecce conuersio lapidis in panem. Panormium, a « pan » (quod est « totum ») et « norma » (quod est « regula »). 27 – Sancta 28 – sanguis 29 – panis 30 – ex Iacobo benedictus 31 – uinum 32 – Sancta Sanctorum 33 – caro 34 – Hic carnaliter possidet quasi hereditatem perpetuam sanctuarium Dei. 35 – Sterilis est sine forma inuisibilis rei. 36 – Ecclesia materialis 37 – Hic erga sanctum populum christianum est pharao induratus, sed erga personam cuiuslibet iudicatur ypocrita. 38 – Ecce ypocrisis personalis despicit formam inuisibilis rei et retinet tantum materiam cum sacramentalibus signis ad iudicium contra seipsam. Sumit enim sacramentaliter Christum, spiritualiter autem nunquam. 39 – occidens 40 – Ecce immobilis possessio apostolorum presentium, donec transferatur in Asiam spiritualem non locis sed moribus. 41 – Ecclesia sacramentalis quam prefigurauerat umbratile Templum Iherusalem. Ecce nigra de materialibus signis, sed formosa de inuisibili re sine materia. Ecce sanctus mons umbrosus et condensus quem replet inuisibilis Deus. Pectus apertum in meridie uel in austro habet testimonium Spiritus Sancti super Rodanum, deinde Arelate (id est aram latitudinis caritatis). Non est mirum si hospitium nostrum habet uinum a loco Spiritus Sancti. 42 – Iacobus Alphei intra Sancta Sanctorum nomine « benedictus », non ut persona mortalis sed totius Israel (id est populi christiani immortalis). 43 – Templum spiritualium iudeorum descendentium ad dignitatem seruilem, licet appareant ascendentes ad sacramentalia Sancta Sanctorum. Sicut Templum iudaicum ascendebatur ab ortu in occasum, ita et nunc fidelis Europa (id est sacramentalis Ecclesia). Et sicut nostra materialis Ecclesia introitur ab occasu in ortum, ita spiritualiter Asia (id est spiritualis Ecclesia).

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17 – S’il s’agit de la petite Europe sortie du sein de la grande Europe réduite à néant, alors, sous le Saint des Saints, à l’endroit appelé le Saint1, on trouve Lomello tournée vers le sud, indiquant le candélabre au milieu des lampes; dans ces conditions, la Belle Porte2 se trouve à Pavie. Mais aujourd’hui l’Europe se montre aussi grande et naturelle que sur le dessin. 18 – Fait le jour [de la fête] de saint Matthieu, apôtre et évangéliste, le 15e dimanche après la Pentecôte [dimanche 21 septembre 1337]. Commencé le jour précédent, à savoir le samedi du jeûne du 7e mois [samedi 20 septembre], pour les tentes des voyageurs. 19 – le cheminement spirituel 20 – le château du pèlerinage 21 – l’Égypte 22 – mettant de l’obscurité, si bien que l’invisible se trouve derrière les signes obscurs 23 – le cheminement par les sacrements 24 – la Belle Porte 25 – Le portique du Temple où se trouvait le repaire des voleurs qui vendaient et achetaient3 (autant dire la Vénétie et l’Émilie lombardes). 26 – Voici la pierre changée en pain4. Panorme vient de « pan » (qui veut dire « le tout ») et de « norma » (qui veut dire « la règle »). 27 – le Saint5 28 – le sang 29 – le pain 30 – le béni, qui descend de Jacques6 31 – le vin 32 – le Saint des Saints 33 – la chair 34 – Cet homme possède charnellement, c’est-à-dire en héritage perpétuel, le sanctuaire de Dieu. 35 – Elle est improductive, car privée de la beauté de l’invisible. 36 – l’Église matérielle 37 – Pour le peuple chrétien, il s’agit du pharaon intraitable; mais tout le monde le considère comme un hypocrite. 38 – Voici l’hypocrisie en personne qui fait fi de la beauté de l’invisible et ne garde que l’aspect matériel des signes sacramentels, ce en quoi elle se condamne elle-même. En effet, elle prend le Christ sacramentellement, mais jamais spirituellement. 39 – l’ouest

Note 27. Note 24 (ce qui correspond à Venise). Voir Ac 3, 2. 3 Il s’agit des marchands du Temple: Mt 21, 12; Mc 11, 15; Lc 19, 45; et Jn 2, 14. 4 Voir V 6, note 31. 5 Partie centrale du Temple de Jérusalem, séparée du Saint des Saints par un vestibule. Voir He 9, 2-3. 6 Voir note 42. 1 2

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[fol. 54 v°] DE

FOL.

54v°

PERSONALI IVDICIO

Sicut Terra sancta nichil est sed significat aliquid, ita persona hominis nichil est sed significat aliquid. Si anima personalis se reputauerit nichil esse, tunc assequitur ueritatem cuius uirtus facit eam habere animam uniuersalem in qua sedet Deus; in qua uniuersali ista anima personalis efficitur aliquid, cuius corpus fit membrum Christi et populi christiani. Et sicut anima personalis conuertitur in uniuersalem, ita corpus personale factum membrum Christi habet per consequens ex parte sua corpus uniuersalis Eclesie. Ecce quanta uirtus caritatis que personam a nichilo conuertit in aliquid. Significat enim ista persona uniuersalem Ecclesiam in qua consequitur possessionem illius. Per contrarium, si anima personalis se reputauerit aliquid esse, tunc sequitur mendacium cuius uitium facit eam concupiscere gloriam singularem in qua habitat diabolus. Et sic fit non inuentionis sed perditionis occasio, cuius corpus factum membrum Sathane fit dux et caput uniuersitatis carnalium hominum que est connexio corporis reproborum.

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40 – Voilà les biens stables des apôtres d’aujourd’hui, en attendant qu’ils soient transportés dans l’Asie spirituelle, non en termes de géographie mais de morale. 41 – L’Église sacramentelle que le Temple obscur de Jérusalem avait préfigurée. La voici obscurcie par les signes matériels, mais embellie par l’invisible immatériel. Voilà la sainte montagne obscure et impénétrable que remplit le Dieu invisible1. La poitrine ouverte au midi ou au sud dispose du témoignage de l’Esprit Saint2 au-dessus du Rhône, puis d’Arles (c’est-à-dire de l’autel de la largesse de la charité). Ce n’est pas étonnant s’il y a dans notre logement du vin provenant de l’Esprit Saint. 42 – Jacques, fils d’Alphée3, à l’intérieur du Saint des Saints; on l’appelle « le béni », non pas en tant que personne mortelle, mais [en tant que béni] de tout Israël (c’est-à-dire du peuple chrétien immortel). 43 – Le Temple des juifs spirituels qui reviennent à la condition d’esclaves, bien qu’ils aient l’air de monter vers le Saint des Saints des sacrements. On pénétrait dans le Temple juif en allant de l’est, où le Soleil se lève, à l’ouest, où il se couche: il en est de même aujourd’hui dans l’Europe fidèle (c’est-à-dire dans l’Église sacramentelle). Et on entre dans nos bâtiments d’églises en allant de l’ouest vers l’est: il en est de même spirituellement en Asie (c’est-àdire dans l’Église spirituelle4).

[fol. 54v°] OPINION

PERSONNELLE

De même que la Terre sainte n’est rien mais indique quelque chose, de même la personne humaine n’est rien mais indique quelque chose. Si une âme personnelle estime qu’elle n’est rien, c’est alors qu’elle parvient à la vérité dont la grandeur lui permet de jouir de l’âme universelle où siège Dieu; et dans cette âme universelle, cette âme personnelle est efficiente, puisque son corps devient membre du Christ et du peuple chrétien. Et de même qu’une âme personnelle devient universelle, de même un corps personnel, devenu membre du Christ, jouit de ce fait, en ce qui le concerne, du corps de l’Église universelle. C’est ainsi que la qualité essentielle de la charité est si remarquable qu’elle donne de la valeur à la personne qui n’en a pas. En effet, celle-ci indique l’Église universelle dans laquelle elle parvient à connaître celle-là. A l’inverse, si une âme personnelle pense qu’elle a de la valeur, elle s’attache alors au mensonge, dont la perversité lui fait désirer la gloire exceptionnelle où réside le diable. Et ainsi il a l’occasion non de trouver mais de perdre, car son corps, devenu membre de Satan, participe à la conduite et à la direction de la communauté des hommes charnels qui assure la cohésion du corps des réprouvés.

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Voir Dn 2, 35. C’est-à-dire Pont-Saint-Esprit: Gard, ar. Nîmes. Voir fol. 64v° et V 20, note 26. Rapprochement avec Alpha (le Premier). Comme sur le dessin où l’on va vers le Christ (Opicinus) situé à l’est (note 19).

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FOL.

DISPVTATIO

54v°

HOMINIS SPIRITVALIS CVM HOMINE ANIMALI IN EADEM PERSONA

Allocutio Sathane: « Vnde habes tantam scientiam, o homo exterior? ». Responsio a meipso: « Mentiris ». « Dispergis Athenas ». Responsio: « Habeo a Deo ». « Ad quid? ». Responsio: « Ad honorem Ecclesie ». « Que et qualis Ecclesia? ». Responsio: « Vniuersalis ». « Qualiter uniuersalis? ». Responsio: « Vt placeam communitati ». « Quorum communitas? ». Responsio: « Prelatorum Ecclesie ». « Mentitus es. Respicis ad personas et per consequens in Corintho perpetras incestum, ut usurpes patris uxorem ». De obedientia corporali et spirituali Qui seruat obedientiam patris ad maiora prouehitur uel promoueri meretur; si autem obedientiam interrumperit, datur sibi explere propriam uoluntatem. Si uero seruauerit, accipit inuisibilem obedientiam in qua maiora merentur, ut liceant sibi omnia exteriora non expediunt tamen propter conscientiam infirmorum. Si natura huius perfecti exegerit uictum uel cibum pluries in die, sibi pluries satisfiat; si minus, minus; si nichil, nichil. De nichil comedendo in una die cum tota nocte, nunquam feci in sanitate carnali nec infirmitate mediocri; sed aliquando adolescentior sanus, ter uel quater aut plures in die, aliquando bis, aliquotiens semel in die, propter obedientiam ieiunandi uel in parte uel in toto. Nunc cognito quod significet ieiunium corporale, seruando per gratiam Dei spirituale ieiunium, totiens comedo in die corporaliter quotiens exigit appetitus nature, licet adhuc plures transgrediar appetitum ex uitio gule, ut sciam me spiritualem infirmum, ne super infirmos incipiam gloriari.

DE

INFIRMITATE NATVRALI ET ACCIDENTALI SECVNDVM SPIRITVM

Spiritualiter duplex est infirmitas: scilicet naturalis in anima infantis baptizati, cuius spiritualis infirmitas propter carnis obstaculum detinet rationem inclusam; et ideo per solam Dei gratiam sine actu uoluntatis et rationis saluatur. Inclusa enim ratione, inclusa est uoluntas; libera ratione, habet et liberum arbitrium. Infirmitas accidentalis quottidie generatur actualiter per uenialia peccata, que ex caritatis uirtute deletur. 1

DE

COGITATIONIBVS ET INTENTIONIBVS OPERIS PERAGENDI

Sicut uirgines coniugate ad sobolem generandam ex appetitu sensuali infringunt sigilla nature ad inuicem uiolenter, sic cogitatus et 2

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Dessin d’une main dans la marge de gauche. Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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DISCUSSION

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ENTRE L’HOMME SPIRITUEL ET L’HOMME ANIMAL D’UNE MÊME PERSONNE

Satan dit: « D’où tiens-tu de si grandes connaissances, ô homme extérieur? ». Je réponds: « Menteur ». « Tu détruis Athènes ». Réponse: « Je la tiens de Dieu ». « Que cherches-tu? ». Réponse: «À honorer l’Église ». « Quelle Église et de quel genre? ». Réponse: «[L’Église] universelle ». « Comment est-elle universelle? ». Réponse: « Je cherche à plaire à la communauté ». « La communauté de qui? ». Réponse: « Des prélats de l’Église ». « Menteur. Tu prêtes attention aux personnes et, de ce fait, tu commets un inceste à Corinthe pour t’emparer de la femme de ton père ». L’obéissance corporelle et spirituelle Celui qui reste obéissant à son père est nommé à de plus hautes charges ou les mérite; et s’il arrête d’obéir, il lui est donné d’exercer sa volonté personnelle. En revanche, s’il demeure dans l’obéissance, il reçoit l’obéissance invisible qui lui donne de plus grands mérites, si bien que tout ce qui lui serait permis en apparence ne l’intéresse pas parce qu’il connaît les faibles. Si ce parfait a besoin pour sa santé de nourriture et boisson plusieurs fois par jour, il doit se rassasier plusieurs fois; moins, s’il a besoin de moins; pas du tout, s’il n’a besoin de rien. Ne rien manger pendant un seul jour et toute la nuit suivante, je ne l’ai jamais fait lorsque j’étais en bonne santé physique ni lorsque j’étais atteint d’une maladie quelconque; mais lorsque j’étais plus jeune et en bonne santé, il m’est arrivé de manger trois ou quatre fois par jour ou plus, ou bien deux fois, ou bien une seule fois par jour, pour observer le jeûne total ou partiel. Maintenant que je sais ce que signifie le jeûne corporel1, en observant par la grâce de Dieu le jeûne spirituel, je nourris mon corps autant de fois par jour que mon appétit naturel le réclame – même s’il m’arrive encore maintenant de manger plus que je n’ai faim en péchant par gourmandise, si bien que je sais que je suis spirituellement faible et que je ne commence pas à me vanter d’être au-dessus des faibles. LA

FAIBLESSE D’ESPRIT NATURELLE ET CELLE QUI EST OCCASIONNELLE

Vue sur le plan spirituel, la faiblesse présente deux aspects: elle est naturelle dans l’âme de l’enfant baptisé, dont la faiblesse d’esprit retient la raison prisonnière, à cause d’un empêchement physique; et c’est pourquoi, par la seule grâce de Dieu, sans intervention de sa volonté ni de sa raison, il est sauvé. En effet, si sa raison est prisonnière, sa volonté l’est aussi; une fois sa raison libérée, il dispose aussi du libre arbitre. La faiblesse occasionnelle est engendrée chaque jour dans les faits par les péchés véniels; c’est la vertu de charité qui en vient à bout. LES

PENSÉES ET LES OBJECTIFS CONCERNANT LA RÉALISATION D’UNE ŒUVRE

De même que les époux vierges voulant engendrer un enfant, du fait du désir des sens, brisent leurs sceaux naturels respectifs avec brutalité, de même la pen-

1 Allusion au jeûne pratiqué par Opicinus pendant le Carême 1334, qui a favorisé le déclenchement de sa bouffée délirante aiguë.

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FOL.

54v°-55

uoluntas in una persona hominis, quasi duo uirgines coniugati conuenientes ad agendum aliquid opus terrestre ex libero arbitrio, confringunt sigilla mentalis silentii per uiolentiam similem. Coniugati carnales generant prolem carnis et coniugati mentales in uno homine (scilicet cogitatus quasi uir et uoluntas quasi uxor) concipiunt et generant opus seruile siue terrestre. Soboles carnis nascitur filius ire, non ex parte parentum intendentium ipsam prolem christianare, sed pena peccati ex primis parentibus. Et opus terrestre producitur opus mortuum, non ex parte intentionis agentis sed ex parte sumentium uel sumpturorum. Qui uiolenter uel post primam uiolentiam ex corrupta concipitur, per uiolentiam nascitur iure nature. Concipitur enim ex uiolata natura et nascitur per uiolentiam naturalem. Sic opus seruile concipitur per uiolentiam mentalis silentii, et in actum producitur quasi per uiolentum laborem. Omnis enim labor actualis in opere est quasi uiolator nature carnalis, eo quod caro uellet quiescere (quasi uulua) et mens uellet exonerari ex concepto (quasi grauida matrix). Filius ire per baptismum fit filius Dei. Et opus seruile productum adhuc mortuum uiuificatur per rationale iudicium. Verbi gratia. Helemosina corporalis que solam adiuuat carnem, adhuc opus mortuum iudicatur, bonum tamen propter spem uiuificationis in spiritu, sicut infans nascitur spiritualiter mortuus, bonus tamen propter spem uiuificantis baptismi. Nam helemosina corporalis uiuificatur cum conuertitur in helemosinam spiritualem. Ecce sicut filius carnis ex legitimo matrimonio iudicatur legitimus, ita helemosina corporalis ex bona intentione agentis decernitur bonus opum.

De malignis cogitationibus et intentionibus Fornicator cum fornicaria in conceptione illegitime prolis habet quasi similitudinem actus matrimonii. Spiritualiter fornicator est cogitatus malignus et fornicaria est mala uoluntas que conueniunt ad agendum opus iniquitatis infringendo signacula rationis uiolenter. Sicut enim cogitatus operis seruilis excitatur ratione nature, sic cogitatus malignus ex inuisibili [fol. 55] hoste. Et sic malignus cogitatus mendacii per diuersos circuitus laborandi erga uoluntatem humanam et per uiolentiam rationis gignit peccatum quasi struprator erga uirginem deflorandam agitationem laborans infringit sigilla et generat filium naturalem. Et sicut filius nascitur per uiolentiam naturalem, ita concepta iniquitas per uiolationem iustitie in actum producitur. Filius adulterii post baptismum potest conuerti in defensorem iustitie; et opus iniquitatis post ueram penitentiam potest commutari in omne bonum opus iustitie. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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sée et la volonté dans une seule personne humaine, tels des époux vierges s’unissant pour réaliser une oeuvre temporelle découlant du libre arbitre, brisent les sceaux de l’inaction intellectuelle avec une brutalité comparable. Les époux charnels engendrent des enfants charnels; et les époux occupant l’esprit d’un seul homme (à savoir la réflexion comme mari et la volonté comme femme) conçoivent et engendrent une œuvre servile ou temporelle. Le rejeton de la chair est à sa naissance un fils de la colère1, non pas du fait des parents qui veulent faire un chrétien de cet enfant, mais à cause du châtiment qu’ont reçu les premiers parents2 pour avoir péché. Et l’œuvre temporelle est à sa naissance une œuvre vouée à disparaître, non pas à cause du désir de son auteur, mais à cause de ceux qui se l’attribuent ou se l’attribueront. Celui qui est conçu par une femme séduite avec brutalité ou après une défloration, naît avec brutalité selon la règle naturelle. En effet, il est conçu à la suite d’une violence faite à la nature et il naît avec une violence naturelle. De même, l’œuvre servile est conçue par la violence faite à l’inaction intellectuelle, et elle est réalisée peut-on dire par des efforts violents. En effet, tout effort qui aboutit à une œuvre fait quasiment violence à la nature charnelle, parce que la chair aimerait se reposer (comme la vulve) et que l’esprit aimerait être débarrassé du produit conçu (comme la matrice enceinte). Le fils de la colère devient par le baptême un fils de Dieu. Et l’œuvre servile, réalisée jusqu’à présent pour disparaître, retrouve vie grâce au jugement de la raison. Par la grâce du Verbe. L’aide corporelle qui secourt seulement la chair est encore maintenant considérée comme une œuvre vouée à disparaître, mais utile si l’on espère qu’elle retrouvera vie dans l’esprit3; de même que l’enfant naît spirituellement voué à la mort, et qu’il est néanmoins bon parce que l’on espère que le baptême lui donnera la vie. Car l’aide corporelle retrouve vie lorsqu’elle est transformée en aide spirituelle. Ainsi, de même que le fils de la chair, né d’un mariage légitime, est tenu pour légitime, de même l’aumône corporelle, du fait des bonnes intentions de son auteur, est considérée comme une bonne oeuvre. Les pensées et les intentions malsaines La conception d’un enfant illégitime par un homme et une femme qui forniquent offre une certaine ressemblance avec l’acte conjugal. D’un point de vue spirituel, l’homme débauché, c’est le projet malsain, et la femme débauchée, c’est la volonté perverse; ils s’unissent pour faire une œuvre d’iniquité, en brisant brutalement les sceaux de la raison. En effet, de même que la pensée d’une œuvre servile est suscitée par la raison naturelle, de même la pensée malsaine l’est par l’ennemi invisible [fol. 55]. Et ainsi la pensée malsaine propre au mensonge, en passant par divers méandres qui luttent contre la volonté de l’homme et en faisant violence à la raison, engendre un péché, comme un séducteur qui, s’excitant sur

1 2 3

Voir Ep 2, 3. Adam et Ève. Ce qui lui permet d’être éternelle.

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FOL.

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De opere iudicando et probando uel conuertendo Proles legitimi matrimonii posset, si Deus uellet, sanctificari per Spiritum Sanctum in utero. Et conceptio operis temporalis ex instinctu nature, ante quam producatur in actum, potest ex inspiratione diuina conuerti in opus spirituale. Filius sanctificatus ex utero nascitur sanctus. Et opus conuersum in spirituale ex mente producitur laudabile opus, quasi nascens ex uulua Papie, habens orientalem P(p)lacentiam spiritualium hominum, ex laterali L(l)aude diuina. Iam publice scitur quid est Placentia et quid Laude. Ecce opus Papie sterilis et antique, quasi uox transitoria et precurrens ante faciem sanctissimi operis uniuersalis Ecclesie.

De opere uniuersalis Ecclesie Virgo uirginum ex plenitudine gratiarum concepit filium Dei corporaliter de Spiritu Sancto sine ulla uiolentia uiri. Et uniuersalis Ecclesia que est uirgo perpetua ex multitudine spiritualium hominum concipiet opus spirituale infallibilis Verbi ex inspiratione diuina sine uiolentia cogitandi. Conceptio Verbi absconditur et meditatio spiritualium hominum ante terminum proferendi nemini reuelatur. Conceptus Christus sine uiolentia uiri, sine uiolentia nascitur. Et opus uniuersalis Ecclesie, conceptum ex sacris meditationibus sine uiolentia cogitabilis laberinti, producetur in actum sine uiolentia disputandi. Reuelata gloria Christi, fama Iohannis absconditur; et ostenso opere uniuersalis Ecclesie, nichilum reputabitur opus particularis Papie. VNDE

PROCEDIT CARNALIS YMAGINATIO

Qualis est ymago in pectore predicantis, talis ymago ab auditoribus sepe concipitur sed non semper: quia aliquando ab habente ymaginem bestialem ex affectione carnali simplex auditor ymaginem Dei per spiritum concipit; et aliquotiens ab habente ymaginem Dei obstinatus auditor non potest concipere nisi ymaginem bestialem. Vtriusque expertus sum in meipso, cum quandoque fuerim auditor et aliquando predicator: utrobique habens ymaginem bestie, uel ab habente ymaginem Dei concepi ymaginem bestie, uel habens ymaginem bestie fortassis in aliquibus audientibus plantaui ymaginem Dei. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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une vierge pour la déflorer, brise les sceaux / déchire l’hymen et engendre un fils naturel. Et de même qu’un enfant naît avec la brutalité due à la nature, de même l’iniquité conçue par la violation de la justice se traduit en actes1. L’enfant de l’adultère, une fois baptisé, peut devenir un défenseur de la justice; et l’œuvre de l’iniquité, après une pénitence authentique, peut devenir une œuvre de justice absolue. L’œuvre qu’il faut juger, et soit approuver soit modifier Les enfants issus d’un mariage légitime pourraient, si Dieu le voulait, être sanctifiés par l’Esprit Saint dans le sein [de leur mère]. Et la conception d’une oeuvre temporelle du fait d’une impulsion naturelle, avant qu’elle ne soit pleinement réalisée, peut devenir une œuvre spirituelle grâce au souffle de Dieu. L’enfant sanctifié dès le sein naît saint; et l’œuvre rendue spirituelle par l’action de l’intelligence donne une oeuvre digne de louanges, comme si elle sortait de la vulve de Pavie, en ayant à l’est la Plaisance des hommes spirituels / le souci de plaire aux hommes spirituels, à proximité de Lodi / des louanges de Dieu. Tout le monde sait désormais ce que sont Plaisance et Lodi. Voici l’œuvre de la Pavie stérile et âgée2, telle la voix qui passe3 et qui accourt devant la face de l’œuvre très sainte de l’Église universelle. L’œuvre de l’Église universelle4 Le Fils de Dieu a été conçu physiquement de l’Esprit Saint par la vierge d’entre les vierges, pleine de grâces, sans qu’un homme lui fasse la moindre violence. Et l’œuvre spirituelle du Verbe infaillible sera conçue de la multitude des hommes spirituels par l’Église universelle, qui est la vierge éternelle, grâce au souffle de Dieu, sans violence faite à la pensée. La conception du Verbe est cachée et les projets des hommes spirituels ne sont révélés à personne avant le moment fixé pour les faire connaître. Le Christ, conçu sans la brutalité d’un homme, naît sans brutalité; et l’œuvre de l’Église universelle, conçue par de saintes pensées, sans un labyrinthe de pensées agitées, sera pleinement réalisée sans discussions agressives. Une fois la gloire du Christ révélée, la renommée de Jean disparaît; et une fois l’œuvre de l’Église universelle manifestée, l’œuvre de l’individuelle Pavie ne comptera plus pour rien. L’origine de l’imagination charnelle Telle est l’image dans le cœur du prédicateur, telle est l’image qu’il fait naître – souvent, mais pas toujours – chez ses auditeurs: car il arrive que celui qui porte

1 Opicinus condense sa naissance « dans l’iniquité » et la soi-disant erreur judiciaire dont il a été victime. 2 Voir l’exemple de Sara. 3 Allusion à Jean-Baptiste. 4 Le paragraphe qui suit parle de l’œuvre d’Opicinus, comparée au Christ conçu par l’Esprit et sans violence.

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1

FOL.

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De uirtute ymaginis et similitudinis Dei

Siquis putauerit et opinione sua seduxerit simplicem baptizatum, ut baptizatus habilis discretioni ex illius opinione existimet se habere in se ymaginem et similitudinem Dei cuius uirtutem ignorat, ille deceptor istius est similis erroneis prophetis Athenarum de quibus ait Boetius « De philosophia consolatione » libro quinto, in uersibus IIIIe prose: « Quondam Porticus attulit obscuros nimium senes, qui sensus et ymagines e corporibus extimis credant mentibus imprimi »2. Hec in Boetio. Existimant enim solum sacramentum baptismi in adultis operari salutem, per habitum ymaginis et similitudinis Dei, sine actu mentali. Quid est actus mentalis huiusmodi? Actualis ymaginatio Christi et christianitatis. Vnde Boetius, post aliquos uersus: « Cum uel lux oculos ferit uel uox auribus instrepit, tum mentis uigor excitus quas intus species tenet ad motus similes uocans notis applicat exteris introrsumque reconditis formis miscet ymagines »3. Hucusque Boetius. Ecce quod habitus specierum intrinsecorum que sunt ymago et similitudo Dei, ex uirtute mentis agentis, producitur in actum extrinsecarum ymaginum que sunt Christus et christianitas. Et sic formatur ymaginatio et assimilatio Christi et christianitatis in mente humana. Additum anno perfectionis, XII kalendas nouembris.

DE

ORDINATIONE PRESENTIS

ECCLESIE

Viri perfecti ex uirtute caritatis descendunt a culmine ciuium apostolorum in habitu peregrini apostoli ad infirmos: id est ab Ecclesia perfectorum immobiliter omnia possidentium sine affectione terrena descendunt ad parrochias infirmorum, ut unusquisque perfectus se faciat peregrinum cum peregrinis et infirmum cum infirmis, reputans

Dessin d’une main dans la marge de gauche. Opicinus indique les vers à la suite (par manque de place?), mais en respectant les majuscules du début de chaque vers. 3 Idem. 1 2

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en lui une image de bête due à ses attachements charnels fasse naître l’image de Dieu chez un auditeur ingénu, grâce à l’Esprit; et dans certains cas, celui qui porte en lui l’image de Dieu ne parvient à faire naître qu’une image de bête chez un auditeur buté. J’ai fait moi-même l’expérience des deux situations, tantôt comme auditeur, tantôt comme prédicateur, en ayant en moi une image de bête dans les deux cas: soit que celui qui portait en lui l’image de Dieu n’ait fait naître chez moi qu’une image de bête, soit que, alors que je portais en moi une image de bête, j’ai peutêtre implanté l’image de Dieu chez certains de mes auditeurs. La grandeur de l’image de Dieu et de la ressemblance avec Dieu1 Si un homme pense et convertit à ses convictions un baptisé ingénu, si bien que ce baptisé apte au discernement, à cause des convictions de cet homme, considère qu’il a en lui l’image de Dieu et la ressemblance avec lui, alors qu’il en ignore la grandeur, ce menteur ressemble aux faux prophètes d’Athènes dont parle Boèce au cinquième chapitre de « La consolation de la philosophie », dans le 4e poème: « Jadis le Portique nous donna des vieillards, ô combien obscurs! Capables de croire que des images sensibles échappées de la surface des corps, se gravaient dans les âmes »2. Voilà ce qu’il y a chez Boèce. En effet, ils estiment que le sacrement du baptême suffit à produire le salut chez les adultes, grâce à la présence de l’image de Dieu et de la ressemblance avec lui, sans opération mentale. Quelle est cette opération mentale? Elle consiste à se représenter réellement le Christ et la chrétienté. C’est pourquoi Boèce ajoute, quelques vers après: « Quand la lumière frappe les yeux ou qu’un cri résonne aux oreilles, alors la vigueur de l’âme se ranime, incite les images qu’elle possède à l’intérieur, à de semblables mouvements, les adapte aux marques reçues de l’extérieur et associe ces images aux formes dissimulées à l’intérieur »3. Jusqu’ici c’est Boèce qui parle. C’est ainsi que la présence des visions intérieures que sont l’image de Dieu et la ressemblance avec lui, grâce à la puissance de l’intelligence à l’œuvre, réalise pleinement les images extérieures que sont le Christ et la chrétienté. Et ainsi se forment dans l’esprit humain l’image du Christ et de la chrétienté, et la similitude avec eux. Ajouté l’année de la perfection, le 12 des calendes de novembre [21 octobre 1338]. L’ORGANISATION

DE L’ÉGLISE ACTUELLE

Les hommes parfaits, grâce à la vertu de charité, quittent les hauteurs où se trouvent les apôtres citoyens se comportant comme des apôtres voyageurs pour aller vers les faibles: c’est-à-dire qu’ils quittent l’Église des parfaits qui possèdent tout de manière stable, sans attachement terrestre, pour aller vers les paroisses des faibles, si bien que chaque parfait se fait voyageur avec les voyageurs et faible avec les faibles, en considérant comme eux tous les biens de l’Église comme

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Voir Gn 1, 26 et 5, 1; Jc 3, 9. BOÈCE, Consolation, livre V, 8, p. 205. BOÈCE, Consolation, livre V, 8, p. 206.

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FOL.

55-55v°

cum eis omnia bona Ecclesie quasi mobilia deputata in usum per uiam. Que est ergo possessio immobilis perfectorum nisi Ecclesia spiritualis? Et que deportatio rei mobilis peregrinorum nisi corporalis nutritio infirmorum? Iam habemus utrorumque testimonium in euangeliorum finibus. De apostolis peregrinis possidentibus mobilia tantum, quibus nos simplices rectores successimus ad nutriendos infirmos per sacramentalia signa inuisibilis rei et per corporalia nutrimenta significantia delicias animarum, ecce in cauda leonis: « Illi autem perfecti predicauerunt ubique et cetera sequentibus signis »; ut inuisibilis res precedat, licet subsequi uideatur, et signa uisibilia subsequantur, quamquam uideantur precedere. De apostolis uero ciuibus possidentibus immobiliter presentem Ecclesiam, quibus ecclesiarum principes successerunt, ecce in cauda bouis: « Et ipsi adorantes regressi sunt in Iherusalem cum gaudio magno; et erant semper in templo, laudentes et benedicentes Deum ». Quid autem sit uiuificum templum Dei et quis habitat in eo, habetur testimonium in fine hominis sine fine: « Et ecce ego (ecce habitator templi), uobiscum sum (ecce uiuificum templum Dei) omnibus diebus usque ad consumationem seculi ». De discretione uero peregrinorum a ciuibus, testimonium perhibet terminus aquile sine termino Dei: « Sic eum uolo manere donec ueniam (ecce status ciuium perfectorum in hac speculari Ecclesia), quid ad te? Tu me sequere ». Ecce uia peregrinorum propter infirmos. Adhuc peregrinatur Petrus apostolus iudaizans moysaica lege, ut infirmi cito festinent ad patriam. Illi uero cum magis infestantur ut procedant, tanto tardius ambulant; immo miserabilius [fol. 55v°] redeunt in Egyptum. Fugiunt Sarram et imitantur Agar, despiciunt liberam matrem nostram Iherusalem quam habemus in pectore et sequuntur iudaicas sinagogas. Magis diligunt materiales ecclesias cum sacramentalibus signis quam spiritualem Ecclesiam cum inuisibili re. Materialis Ecclesia per concupiscentiam facit in pectore ambientis ymaginem bestialem cum sculptibilibus Babilonis. Non est ergo mirum si Petrus iudaizare cogatur, id est continue addere canonicas sanctiones super sanctiones. Crescente canonica uel magis moysaica lege, preuaricatio crescit. Frustra laborat noster Moyses famulus peregrinus. Cum enim putauerit familiam sibi commissam in antea processisse, reperit eam magis retrogradi. Nam cum idem legislator peruigil Gregorius papa VIIIIus ad reformationem Pentatheuci (id est librorum V Decretalium) uigilasset, magisque preuaricatio cresceret, additus est liber VIus Iosue per Bonifacium papam VIII. Non sufficit nisi addatur et septimus Clementis pape V, quasi intitulatus nomine Iudicum. Et sic Eptaticus habemus expletum. Quid amplius agendum est? Nunquam perueniet ad perfectionem heres et hereditas Israel. In uanum gestatur hereditarius titulus aut nomen militie clericalis. Consulat Paulus Petro, non ut filius patri sed potius frater fratri, non ut subditus prelato sed ut amicus amico. Iam populus Israel obtinet Terram Sanctam; diuise sunt singulis www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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instables et destinés à servir au long de la route. Quelle est donc la possession stable des parfaits, si ce n’est l’Église spirituelle? Et quels sont les objets instables que transportent les voyageurs, si ce n’est de quoi nourrir corporellement les faibles? La fin des évangiles nous fournit déjà des témoignages sur ces deux questions. Au sujet des apôtres voyageurs ne possédant que des biens instables, et auxquels les simples curés que nous sommes avons succédé pour nourrir les faibles, avec les sacrements qui sont les signes de l’invisible et avec les nourritures corporelles qui indiquent les délices des âmes, voilà ce qu’on trouve dans la queue du lion: « Quant à [ces parfaits], ils s’en allèrent prêcher en tout lieu etc. par les signes qui l’accompagnaient »1; si bien que l’invisible précède, bien qu’il ait l’air de venir après, et que les signes visibles viennent après, bien qu’ils aient l’air de précéder. Et au sujet des apôtres citoyens possédant de manière stable l’Église de ce temps, et auxquels la hiérarchie ecclésiastique a succédé, voilà ce qu’on peut lire dans la queue du bœuf: « Pour eux, s’étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie, et ils étaient constamment dans le temple à louer et bénir Dieu »2. Mais quel est le temple de Dieu vivifiant et qui l’habite? On trouve un texte qui rend témoignage à ce sujet à la fin de l’homme éternel3: « Et voici que moi (voici celui qui habite le temple), je suis avec vous (je suis le temple vivifiant de Dieu) pour toujours jusqu’à la fin du monde »4. Et pour distinguer les voyageurs des citoyens, la fin5 de l’aigle du Dieu immortel contient un texte qui rend témoignage: « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne (voilà la condition de citoyen parfait dans cette Église du miroir), que t’importe? Toi, suis-moi »6. Voilà le chemin que prennent les voyageurs à cause des faibles. Maintenant encore l’apôtre Pierre voyage comme un juif qui suit la loi de Moïse, afin que les faibles se hâtent de rejoindre la patrie. Mais plus on presse ces derniers d’avancer, plus ils traînent; plus grave, [fol. 55v°] ils retournent en Égypte7. Ils se détournent de Sara et imitent Agar, ils délaissent Jérusalem, notre mère libre qui habite en nos cœurs, et ils fréquentent les synagogues juives. Ils préfèrent les bâtiments d’églises et les signes sacramentels qui vont avec, plutôt que l’Église spirituelle et l’invisible qui va avec. L’Église matérielle suscite dans le cœur de celui qui est avide, du fait de sa convoitise, une image de bête associée aux statues de Babylone. Il n’est donc pas étonnant que Pierre soit obligé de se comporter en juif, c’est-à-dire d’ajouter sans arrêt des sanctions canoniques aux sanctions existantes. Lorsque la loi canonique, ou plutôt celle de Moïse, se développe, les manquements à la loi divine se multiplient. C’est en vain que Moïse, notre ministre voyageur, se donne de la peine. En effet, alors qu’il pensait que la maisonnée qui lui avait été confiée avait auparavant avancé, il s’est rendu compte

Mc 16, 20. Lc 24, 52-53. 3 Matthieu, auquel Opicinus s’identifie. 4 Mt 28, 20. 5 Opicinus utilise divers mots évoquant la fin: cauda, fines, terminus. 6 Jn 21, 22. 7 C’est-à-dire que les laïcs (« les juifs ») retombent dans la servitude de leur mauvaise conduite (idolâtrie). 1 2

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tribubus portiones. Tribus Leui (hucusque X kalendas octobris) de decimis, primitiis et oblationibus uiuit, id est fidelissimus clerus dans honorem tituli sui dominice hereditati, ut sanctus populus Israel (id est christianus) pacifice uiuat, de stipendiis ecclesiasticis est contentus. Sed ex Leui processit iniquitas qui1 conatur bona Israel iure hereditario detinere. Iusto autem iudicio gentes uniuersalis Papie populum Israel cum tribu leuitica spoliarunt. Quis est ergo populus Israelis? Non pauperum plebeiorum, non diuitum superborum nec mediocrium popularium, sed indifferenter uniuersalis populus christianus. Nunc ut omnis discordia gentium cum proditione iudaica aduersus Israel furorem exagitans facilius conticescat, diuidatur ius canonicum in medullam et corticem: medullam comedat Ecclesia perfectorum, cortice nutriatur parrochia infirmorum. Temporalia Terre sancte per manus leuitice tribus, non per manus alicuius alterius tribus, reliquis tribubus diuidantur; id est mobilia reputata per manus tantum apostolorum peregrinorum neophitis distribuantur unicuique prout opus est. Clarius exponatur. Bona ecclesiarum ex oblationibus acquisita per manus rectorum plebium dispensentur. Non diuites laicalis parrochie spolientur nec pauperes plebis ditentur, sed populus christianus totis iuribus honoretur, indumento iustitie uestiatur et in eo omnis refulgeat equitas nec ulla reperiatur iniquitas. Ius ciuile similiter diuidatur in corticem et medullam: cortex gentibus relinquatur et medulla sit cibus christiane parrochie laicalis. Cortex gentium sit gladius Cesaris; cortex parrochie sit gladius Moyse. Imperiales sententie super gentes incredulas incutiant timorem mundanum; papales sententie super parrochias infirmorum ingerant timorem seruilem. Adhuc ius diuinum (id est sacre theologie scientia) diuidatur in corticem et medullam: cortex littere cum spiritualibus expositionibus suis sit cibus demonum qui nec Deum timent nec hominem reuerentur; medulla (id est allegorica expositio iuris ciuilis) sit ordinatio, limitatio et dispensatio cuiuslibet parrochie laicalis; medulla (id est tropologica declaratio iuris canonici) sit eleuatio, reuelatio et exaltatio totius Ecclesie specularis, ubi proficientibus a timore seruili offeratur timor initialis. Quanto enim infirmi plus appropinquant timori initiali, ut sciant quod significent papales sententie, tanto magis elongantur a cortice iuris canonici ingerentis timorem seruilem. Timor seruilis sine initiali nullam habet perfectionem et per consequens nullam salutem. Timor seruilis cum initiali reducit infirmos per uiam purgatoriam siue in hac uita siue in futura. Verbi causa. Timor seruilis sine initiali ymaginatur carnaliter papales sententias esse tantummodo quasdam minas uel blanditias corruptibilis hominis et mortalis, ut euadat infernum et acquirat paradisum, nulla uere caritatis habita mentione. Vera caritas est agere proxi-

1

On attendrait: que.

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qu’elle avait plutôt reculé. Car alors que le même législateur attentif qu’est le pape Grégoire IX avait veillé à ce que le Pentateuque (c’est-à-dire les 5 livres des Décrétales1) soit amendé et que les manquements à la loi divine s’étaient encore multipliés, le pape Boniface VIII a fait ajouter un sixième livre, celui de Josué2. Mais il a encore fallu que le pape Clément V fasse ajouter un septième livre, dont le nom fait penser au livre des Juges3. Et c’est ainsi que nous disposons de l’Heptateuque en entier. Que faire de plus? Jamais l’héritier ni l’héritage d’Israël n’atteindront la perfection. C’est en vain que l’on porte le titre d’héritier ou le nom de milice cléricale. Paul s’occupe de Pierre, non comme un fils de son père, mais plutôt comme un frère de son frère; non comme un inférieur de son supérieur ecclésiastique, mais comme un ami de son ami. Le peuple d’Israël est déjà en possession de la Terre Sainte; les parts en ont été distribuées à chacune des tribus. La tribu de Lévi (jusqu’ici, fait le 10 des calendes d’octobre [22 septembre 1337]) vit des dîmes, des prémices et des offrandes; c’est-à-dire que le clergé très fidèle, en donnant la gloire de son nom à l’héritage du Seigneur pour que le saint peuple d’Israël (c’est-à-dire chrétien) vive en paix, se satisfait des contributions de l’Église. Mais Lévi a commis une iniquité en essayant d’occuper les biens d’Israël par droit héréditaire. Et c’est par un juste jugement que les nations de l’universelle Pavie ont dépouillé le peuple d’Israël, dont la tribu de Lévi. Qu’est-ce donc que le peuple d’Israël? Ce n’est ni celui des pauvres de condition inférieure, ni celui des riches pleins d’orgueil, ni celui des foules intermédiaires, mais le peuple chrétien universel indifférencié. Maintenant, pour que cessent plus facilement toutes les querelles entre les peuples, ainsi que la trahison des juifs à l’égard d’Israël qui exacerbe la violence, il faut partager le droit canonique en pulpe et en écorce4: l’Église des parfaits doit manger la pulpe et la paroisse des faibles doit se nourrir de l’écorce. Les biens temporels de la Terre sainte doivent être attribués aux tribus qui restent, par les soins de la tribu de Lévi et non par les soins de n’importe quelle autre tribu; c’est-à-dire que les biens jugés instables doivent être distribués aux nouveaux convertis par les soins exclusifs des apôtres voyageurs, à chacun selon ses besoins. Soyons plus clairs. Les biens des églises obtenus par les offrandes doivent être distribués par les soins des curés qui ont des ouailles. Les riches d’une paroisse laïque ne doivent pas être dépouillés, ni le pauvre peuple enrichi; mais le peuple chrétien doit être respecté dans tous ses droits et revêtu du manteau de la justice; en lui toute l’équité doit resplendir et la moin-

1 Il s’agit des Décrétales de Grégoire IX (1227-1241), qui avait chargé en 1234 le dominicain Raymond de Penafort de fondre les collections canoniques précédentes. Ces Décrétales sont divisées en cinq livres, assimilés par Opicinus aux cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) que les juifs appellent la Torah (la Loi). 2 Boniface VIII (1294-1303). Auteur du 6e livre des Décrétales qui recueille son expérience de juriste, et qu’Opicinus assimile au 6e livre de la Bible (Josué). 3 Clément V (1305-1314), auteur des Clémentines, recueil juridique prenant place dans la collection des Décrétales, et qu’Opicinus assimile au 7e livre de la Bible (Juges) en jouant sur le mot clementia. 4 Autre façon de distinguer l’extérieur et l’intérieur (ou l’apparence et la vérité), que l’on va retrouver plus loin pour le droit civil et pour la théologie.

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FOL.

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mum erga proximum de eo quod potest et scit siue temporaliter siue corporaliter siue spiritualiter, preuia semper obedientia patris spiritualis; et est signum timoris initialis; quis ergo potest inde saluari, Deus nouit. Cortex scientie Dei est gladius inuisibilis Dei non hominis, quem significat immo pretendit et exhibet omnis sententia iuris canonici per summum pontificem editi propter infirmos, cuius preuaricatores habent accusatorem in die Iudicii non Christum sed Moysem. Ad iudeos autem carnales se saluari putantes ex obseruantia moysaice legis, Iohannis V: « Nolite putare quia ergo accusaturus sim uos apud Patrem. Est qui accuset uos Moyses, in quo uos speratis. Si enim crederetis Moysi (id est si uelletis spiritualiter intelligere legem canonicam), crederetis forsitan et mihi (id est intelligeretis inuisibilem legem diuinam scriptam potentialiter in conscientiis uestris sine uisibilibus litteris); de me enim ille scripsit (id est canonica lex significat legem Christi). Si autem illius litteris non creditis, quomodo uerbis meis credetis? (Nam preuaricatio uestri Israel, XV

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dre iniquité doit disparaître. De même, il faut partager le droit civil en écorce et en pulpe: l’écorce doit être laissée aux laïcs et la pulpe doit être la nourriture de la paroisse chrétienne séculière. Que l’écorce des laïcs soit le glaive de César; que l’écorce de la paroisse soit le glaive de Moïse. Les sentences impériales doivent inspirer au peuple sans foi la crainte du monde; les sentences pontificales doivent imposer aux paroisses des faibles la crainte servile1. On doit encore partager le droit divin (c’est-à-dire la sainte théologie) en écorce et en pulpe: l’écorce de la lettre ainsi que ses explications spirituelles doivent être la nourriture des démons qui ne craignent pas Dieu et n’ont pas d’égards pour l’homme; la pulpe (c’est-àdire l’analyse allégorique du droit civil) doit organiser, réglementer et gérer n’importe quelle paroisse séculière; la pulpe (c’est-à-dire la présentation tropologique du droit canonique) doit élever, révéler et exalter2 l’Église du miroir tout entière, là où la crainte fondamentale3 est proposée à ceux qui s’éloignent de la crainte servile. En effet, plus les faibles s’approchent de la crainte fondamentale pour savoir ce que signifient les sentences pontificales, plus ils s’éloignent de l’écorce du droit canonique qui impose la crainte servile. La crainte servile dépourvue de la crainte fondamentale n’aboutit nullement à la perfection, ni par conséquent au salut. La crainte servile associée à la crainte fondamentale fait passer les faibles par le chemin du purgatoire, que ce soit dans cette vie ou dans celle à venir. A cause du Verbe. La crainte servile dépourvue de la crainte fondamentale suppose charnellement que les sentences pontificales sont seulement des formes de menaces ou de flatteries pour l’homme corruptible et mortel, afin qu’il échappe à l’enfer et obtienne le paradis, sans qu’il soit en rien question de la véritable charité. La véritable charité, c’est d’agir à l’égard de son prochain comme on peut et comme on sait le faire, que ce soit sur le plan matériel, physique ou spirituel, en étant toujours guidé par l’obéissance due à son père spirituel; et c’est là le signe de la crainte fondamentale; par conséquent, celui qui peut ainsi être sauvé, Dieu le connaît. L’écorce de la sagesse de Dieu, c’est le glaive du Dieu invisible, non de l’homme: elle est annoncée, ou plutôt mise en avant et montrée par toutes les sentences de droit canonique promulguées par le souverain pontife à cause des faibles; ceux qui les transgressent ont pour accusateur, au jour du Jugement, non pas le Christ, mais Moïse. Et à l’intention des juifs charnels qui pensent être sauvés parce qu’ils observent la loi de Moïse, [il est dit dans] Jean (5): « Ne pensez pas que je vous accuserai auprès du Père. Votre accusateur, c’est Moïse, en qui vous avez mis votre espoir. Car si vous aviez confiance en Moïse (c’est-à-dire si vous vouliez comprendre la loi canonique sur le plan spirituel), vous me croiriez aussi (c’est-à-dire vous comprendriez la loi divine invisible inscrite virtuellement dans vos consciences, sans texte visible), car c’est de moi qu’il a écrit (c’est-à-dire que la loi canonique indique la loi du Christ). Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles? (Car la trahison envers vous d’Israël, XV

Voir Rm 8, 15. Le mot exaltatio est celui utilisé pour l’Exaltation de la Sainte croix (14 septembre). 3 Ou crainte de Dieu: voir Dt 5, 29 et 6, 2; Pr; Ps; Is 33, 6; 2 Cor 5, 11 et 7, 11… 1 2

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FOL.

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[fol. 56] qui gentilem ydolatriam sequitur et contempnit obedientiam uestram, significat maiorem preuaricationem uestram quam facitis erga me quam ille faciat erga uos) ». Israel enim diuisus a Iuda est populus laicalis separatus a clero. Medulla igitur diuine scientie est ignea lex (id est uirtus uiuifice caritatis). Vnde proiecto foras timore seruili, initialis perficitur et efficitur filialis et sanctus in seculum seculi. DISCRETIO

DIGNITATIS A PERSONA MORTALI

Moyses legislator est seruus seruorum Dei ad seruiendum infirmis ex canonicis institutis. Misticus autem Christus est dominus papa, caput exterius totius Ecclesie specularis non indigentis legibus positiuis. Seruus seruorum Dei non manet in domo in eternum; dominus autem papa cum toto corpore suo factus est domus et manens in domo in eternum. 1

DE

SIGNIS ET RE

Circuncisio non est ex Moyse sed ex patribus; id est sacra religio non est instituta ex canonico iure sed ex institutis spiritualium patrum, secundum exemplar legis diuine scripte in conscientiis suis. Circuncisio corporalis per expressam renuntiationem omnium possessorum significat spiritualem circuncisionem cordium perfectorum affectualiter a terrenis, quam illi spirituales patres didicerant in Scripturis. Sed quia non poterant illam ueram circuncisionem reuelare fragilibus nisi cum signis, ideo statuerunt regulas testimoniales ad doctrinam fragilium. Moyses dedit circuncisionem spiritualibus uerisque iudeis patribus et prophetis; id est legislator Ecclesie approbat et confirmat regulas adinuentas per patres spirituales predicantes infirmis, non tam uoce quam uita. DE

GENERATIONE CARNALI ET SPIRITVALI

Corpus humanum gignitur in terra ubi est descripta ymago diabolici maris et fit diabolicus homo per animam sensualem. Corpus christianum regeneratur in celis super quos sunt aque celestes, ubi speculatur ymaginem Dei per animam rationalem. Illa anima sensualis incarcerat rationem nunquam morituram et anima rationalis subicit sibi sensualem.

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[fol. 56] qui adopte l’idolâtrie des païens et délaisse l’obéissance qui vous est due, indique votre trahison à mon égard, plus grave que celle d’Israël à votre égard) »1. En effet, la scission entre Israël et Juda équivaut à séparer le peuple laïc du clergé. Par conséquent, la pulpe de la connaissance de Dieu, c’est la loi de feu2 (c’est-à-dire la puissance de la charité vivifiante). Donc, une fois la crainte servile rejetée dehors, la crainte fondamentale touche à la perfection, et devient filiale et sainte3 pour les siècles des siècles. DISTINCTION

ENTRE LA FONCTION ET LA PERSONNE MORTELLE

Moïse le législateur est le serviteur des serviteurs de Dieu qui cherche à servir les faibles en respectant les principes canoniques. Quant au Christ mystique/secret, il est le seigneur pape, la tête éminente de toute l’Église du miroir, qui se passe des lois établies. Le serviteur des serviteurs de Dieu ne reste pas dans la maison pour l’éternité; mais le seigneur pape et son corps tout entier est devenu la maison et celui qui demeure pour l’éternité. LES

SIGNES ET LE RÉEL

La circoncision ne vient pas de Moïse mais des anciens; c’est-à-dire que la sainte communauté religieuse n’a pas été fondée d’après le droit canonique mais d’après les prescriptions des pères spirituels, en suivant le modèle de la loi divine inscrite dans leurs consciences. La circoncision corporelle, qui passe par le renoncement explicite à tous les biens, indique la circoncision spirituelle des parfaits qui retranchent sentimentalement de leurs coeurs4 ce qui est terrestre; ces pères spirituels l’avaient apprise dans les Écritures. Mais comme ils ne pouvaient révéler cette véritable circoncision aux faibles autrement qu’en en utilisant des signes, ils ont établi des règles ayant valeur de témoignage pour instruire les faibles. Moïse a apporté la circoncision spirituelle aux pères, et aux prophètes juifs spirituels et justes; c’est-à-dire que le législateur de l’Église approuve et confirme les règles conçues par les pères spirituels qui prêchent aux faibles, moins en parlant qu’en vivant. LA

REPRODUCTION CHARNELLE ET LA REPRODUCTION SPIRITUELLE

Le corps humain est engendré sur la terre où est représentée l’image de la mer diabolique et où il devient un homme diabolique avec son âme livrée à ses instincts. Le corps chrétien est régénéré dans les cieux que dominent les eaux célestes, là où il contemple l’image de Dieu grâce à son âme douée de raison. Cette âme livrée à ses instincts retient prisonnière la raison qui ne mourra jamais; et l’âme douée de raison met sous sa dépendance celle qui est livrée à ses instincts.

1 Jn 5, 45-47: Moïse annonçait Jésus; son témoignage chargera ceux qui n’accueillent pas Jésus. 2 Voir Dt 33, 2 (expression rajoutée): in dextera ejus ignea lex. 3 Voir 1 Jn 4, 18. En théologie, la crainte servile s’oppose à la crainte filiale. 4 Voir Dt 10, 16.

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BONA PRESVMPTIONE CVIVSLIBET PROXIMI

Si in toto mundo non esset persona eligibilis nisi una post me, debeo presumere unamquamque personam christianam illam eligibilem esse, etiam si sit peccator apparens; quanto fortius ex multitudine electorum debemus quemlibet iudicare esse membrum Ecclesie. DE

IVSTA HELEMOSINA FACIENDA

Ego mediocris et proximus mihi diues uidemus pauperem temporalia mendicare. Diues propter sanctam intentionem non uult illi pauperi helemosinam dare, eo quod iam expertus est multos pauperes spiritualiter deperisse, qui non inuenientes spirituales pastores de spiritualibus helemosinis coguntur saltem ex helemosinis corporalibus bestialiter uiuere. Et si iste diues haberet aliquam spiritualem scientiam, libenter ministraret isti pauperi spiritualem helemosinam non mortuam sed uiuentem, non deficiens ei in temporalibus. Sed si dederit tantum helemosinam temporalem sine spirituali, reputat se fecisse pauperem de carnali carnaliorem. Ego autem mediocris in temporalibus et in spiritualibus diues, ex nequam intentione facio huic pauperi helemosinam temporalem, ut exinde glorier super diuitem impium apparentem, dicens in corde meo: « Iste diues habundans in multis permittit pauperem deperire et ego ex paucis que habeo facio helemosinam pauperi ». De spiritualibus autem helemosinis faciendis nullam cogito mentionem. Cum ergo apparuerit dies Iudicii, hic nunc diues apparens iudicabitur Lazarus mendicans spiritualia, qui cupiebat spiritualium micas ad saturandum se et compauperes suos spirituales; et ego iudicabor impiissimus diues, qui quottidie epulabar solus de spirituali scientia cuius nullam ueram helemosinam faciebam. De statu cuiuscumque uocationis non mutando Siquis transierit ab habitu religionis ad regimen laice plebis non tam habitus quam morum mutatione, habet testimonium contra se cerastem Grecorum (id est prudentiam gentium) ex resumptione prepucii. Et siquis transierit a regimine laice plebis ad exteriorem habitum religionis, habet testimonium contra se colubrum iudeorum (id est solas significationes non rem) ex additione circuncisionis superflue. Additum V nonas octobris.

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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UN

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PRÉJUGÉ FAVORABLE POUR CHACUN DE NOS PROCHAINS

S’il n’y avait dans le monde qu’une personne méritant d’être élue après moi, je dois supposer que toute personne chrétienne est celle qui mérite d’être élue, même si elle prend l’apparence d’un pécheur. À plus forte raison, nous devons considérer que le premier venu de la foule des élus est un membre de l’Église. L’AUMÔNE

CONVENABLE

Moi qui ai des revenus modestes et mon voisin qui est riche, nous voyons un pauvre mendier des biens en nature. Le riche ne veut pas donner d’aumône à ce pauvre pour de bonnes raisons: en effet, il sait par expérience que de nombreux pauvres s’étiolent sur le plan spirituel parce que, ne trouvant pas de pasteurs spirituels pour des aumônes spirituelles, ils sont contraints de vivre simplement comme des bêtes avec des aumônes en nature. Et si ce riche avait tant soit peu de connaissances spirituelles, il offrirait volontiers à ce pauvre une aumône spirituelle, non pas périssable mais vivante, sans lui faire défaut sur le plan matériel. Mais s’il lui donne seulement une aumône en nature et pas d’aumône spirituelle, il estime qu’il a rendu ce pauvre charnel encore plus charnel. Mais moi, qui suis démuni sur le plan temporel et riche sur le plan spirituel, je fais à ce pauvre une aumône en nature pour de mauvaises raisons: je cherche ainsi à m’élever au-dessus du riche qui a l’air de manquer à ses devoirs sacrés, en disant dans mon cœur: « Ce riche qui est dans l’abondance laisse ce pauvre dépérir, et moi, à partir du peu que je possède, je fais une aumône à ce pauvre ». Mais je ne pense pas du tout à signaler qu’il faut faire des aumônes spirituelles. Par conséquent, lorsque le jour du Jugement se manifestera, celui qui a aujourd’hui l’air d’être riche sera considéré comme Lazare1 en train de mendier des biens spirituels (or ce dernier désirait des miettes de biens spirituels pour se rassasier, lui ainsi que ses compagnons dans la pauvreté spirituelle2); et moi, je serai considéré comme le riche qui a manqué à tous ses devoirs sacrés, car me je suis chaque jour nourri en solitaire de mes connaissances spirituelles et je n’en ai fait aucune aumône effective. Il ne faut pas changer de condition, quelle qu’elle soit Si quelqu’un passe d’un mode de vie monastique à la direction d’ouailles laïques, en changeant moins son mode de vie que sa morale, il a en témoignage contre lui la vipère des Grecs3 (c’est-à-dire la sagesse populaire), à cause du rétablissement du prépuce / du fait que l’immoralité recommence. Et si quelqu’un passe de la direction d’ouailles laïques à un mode de vie apparemment monastique, il a en témoignage contre lui la couleuvre des juifs4 (c’est-à-dire seulement les faux-semblants et non l’authenticité), à cause d’une circoncision rajoutée en trop / du fait qu’une restriction de trop est ajoutée. Ajouté le 5 des nones d’octobre [4 octobre 1337].

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Voir la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare: Lc 16, 19-31. Allusion à la période où Opicinus mendiait avec les spirituels. Voir la vipère de Grèce sur les cartes. Voir le serpent d’Afrique sur les cartes.

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De uero uoto sine quo nullum aliud Verum uotum est cum unusquique intrat in sanctam religionem christianam per sacramentum baptismi, ut cum uenerit ad annos discretionis abrenuntiet non actualiter sed affectualiter carnem et sanguinem domus sue. Cui christiano, post professionem expressam in baptismo, relinquitur possessio, si quam habet, reddituro annuatim decimas, oblationes et primitias non cuicumque persone sed solis manibus huius sanctissime uniuersalis Ecclesie, sine cuius manuali consilio nulla potest uera helemosina fieri. Obseruante igitur christiano uotum huiusmodi, cetera uota computantur in isto; si uero non obseruauerit istud uotum, cetera uota perdita sunt. Votum enim religionis significabilis est quedam figura et significatio huius uoti. Additum anno perfectionis, II kalendas maii. Hec loquimur inter perfectos secrete ne scandalizentur infirmi. [fol. 56 v°] DE

TEMPTATIONE VISIBILI ET INVISIBILI

Inuisibiles hostes nullam possunt habere potestatem super fragiles christianos corporaliter flagellandos, nisi aliquando occulto iudicio permittente. Super perfectos autem sicut fuerunt sancti maior Antonius et nuper Franciscus, habuerunt potestatem corporalium uerberum. Qui spiritus maligni significabant presentem malitiam hominum suffocantium populum christianum, sicut energumini significabant modernos diabolicos homines. Nunc cognito quod illa significent, non indigemus ulterius illorum gestibus audiendis. Corporalia uerbera demonum significabant temptationem intrinsecam, in cuius constantia exercebantur homines ad uirtutes, sicut humana malitia iustificat populum christianum. De auditu sermonis sine uirtute spirituali Tempore minoris malitie, arioli, augures, aruspices uel diuini ex superstitionibus suis fingebant fabulas prestigari. Verbi causa. Si fuerit talis planeta in tali signo, aut si uolauerit talis auis uersus talem plagam uel garrierit tali hora, seu tale animal obuiauerit tali persone, erit bonus uel malus euentus isti persone. Hec omnia uel similia prestigia siue auguria aut obseruationes superstitiose faciebant fabulam significare aliam fabulam, ac si augur dixisset: « Volatus aquile uersus ortum significat leonis catulum nasciturum ». Eodem modo talis constellatio tali tempore erit bona: ecce fabula nullius substantie ueritatis. Significat ista constellatio nasciturum hominem fortunatum: ecce alia fabula, etiam si euenerit taliter. Natus est homo et ualde fortunatus efficitur: ad quem fructum? Ad nullum. Ergo uanitas est et fabula est. Si autem ille superstitiones spiritualiter exponantur, tunc aliquam ueritatem significant. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Le véritable engagement, dont dépendent les autres Le véritable engagement consiste pour chacun à entrer dans la sainte communauté religieuse chrétienne par le sacrement du baptême, si bien que, lorsqu’il arrive à l’âge de discrétion, il renonce à la chair et au sang de sa famille, non pas en réalité mais sur le plan sentimental. Et ce chrétien, après la profession de foi faite au baptême, conserve ses biens, s’il en a, pour être prêt à s’acquitter annuellement des dîmes, des offrandes et des prémices, dues non pas au premier venu, mais seulement à l’autorité de la très sainte Église universelle; car sans les conseils émanant de cette autorité, aucune aumône ne peut être juste. Donc, lorsque le chrétien tient un engagement de ce genre, les autres engagements y sont inclus; en revanche, s’il ne tient pas cet engagement, les autres engagements sont disqualifiés. En effet, un engagement dans une religion de signes est une forme d’allégorie et de signe de cet engagement. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des calendes de mai [30 avril 1338]. Nous parlons entre parfaits et en secret, pour éviter que les faibles ne soient scandalisés. [fol. 56v°] LES

TENTATIONS VISIBLES ET INVISIBLES

Les ennemis invisibles ne peuvent disposer d’aucun pouvoir sur les chrétiens faibles qui méritent un châtiment corporel, sauf quelquefois lorsqu’un jugement secret le permet. Mais en ce qui concerne les parfaits, comme le furent saint Antoine le Grand et saint François récemment, ils ont disposé du pouvoir de les maltraiter physiquement. Ces esprits mauvais annonçaient la malice actuelle des hommes qui oppressent le peuple chrétien, de même que les possédés1 annonçaient les hommes diaboliques d’aujourd’hui. Maintenant que nous savons ce qu’ils indiquent, nous n’avons plus besoin de ces événements mémorables. Les mauvais traitements physiques des démons indiquaient les tentations intérieures: en y résistant fermement, les hommes cultivaient les vertus; de même, la malice humaine révèle le peuple chrétien. Les paroles écoutées, alors qu’elles n’ont aucune valeur spirituelle À l’époque de la malice insignifiante, les prophètes, les augures, les haruspices ou les devins, se figuraient que leurs affabulations d’origine superstitieuse2 faisaient illusion. À cause du Verbe. Si telle planète se trouve sous tel signe du zodiaque, si tel oiseau vole vers tel pays ou gazouille à tel moment, ou bien si tel animal se trouve sur le passage de telle personne, cela portera bonheur ou malheur à la personne en question. Tout cela ou des fantaisies comparables, qu’il s’agisse de présages ou bien de l’observation superstitieuse des faits, faisaient qu’une illusion indiquait une autre illusion, comme si un augure avait dit: « Le vol d’un aigle3 en direction du lever du Soleil annonce qu’un lionceau4 va naître ». De

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La croyance à la possession démoniaque est courante au Moyen Age. La condamnation des « superstitions » est habituelle au Moyen Âge. Voir Ap 4, 7; 8, 13; 12, 14 (et l’Ancien Testament). Le lionceau est assez fréquent dans l’Ancien Testament; ici il s’agit d’Opicinus.

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Hec omnia fuerunt in figura moderne malitie. Si tunc aliqua persona uiuens uel mortua laudata fuisset de sanctitati uite, uirtutum et morum, simplices auditores edificabantur ad similem uitam. Nunc preualente malitia, nullum edificium fit in auditoribus sanctitatis alicuius persone uiuentis uel mortue. Et sic omnia testimonia ueritatis ex parte audientium peruertuntur in fabulas.

De iudicio personali Mores significant uirtutes uel uitia cordis sui ipsius, non econuerso. Hoc tamen non est semper uerum, eo quod aliquando sub specie morum bonorum latent uitia cordis, quod a nemine iudicandum est nisi a solo Deo; et aliquando sub specie morum malorum latent uirtutes, quod a quolibet presumendum est. Actum VIIII kalendas octobris. DESSIN V 8 1 2 3 4

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– RVBRICA – speculum uniuersalis Ecclesie – glorificatio Virginis Marie in carne post Christum – Hac die, VIIII kalendas octobris, tres primitie dedicantur, scilicet: glorificatio carnis sancte Marie Virginis, ut habetur in reuelationibus sancte Helisabeth; natale sancte Lini martiris, qui primus post Petrum potest papa uocari; natale sancte Tecle uirginis que prima martir post Stephanum fuit exemplum sequentium uirginum ad coronam, licet post multos agones martirii in pace quieuerit. – Glorificata creditur Virgo Maria in testimonium Ecclesie specularis, in qua facta corporeum templum spiritualiter et corporaliter Christus inhabitat. – natale sancte Tecle, uirginis et prothomartiris post Stephanum – lana – principium fidei in pectore Papiensis Europe; ratione loci, non temporis nec diei – linum – natale sancti Lini, pape primi post Petrum – principatus Ecclesie in pectore naturalis Europe; ratione Romane curie pectoralis

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même, prétendre que telle constellation sera favorable à tel moment est une élucubration dépourvue de tout contenu véritable. Prétendre que cette constellation annonce que l’enfant qui va naître sera riche: voilà une autre invention, même si cela arrive effectivement. Un homme naît et devient très riche: quel intérêt? Aucun. Il s’agit donc d’une chimère et d’une illusion. Mais si ces superstitions sont expliquées spirituellement, elles indiquent alors une forme de vérité. Tout cela préfigurait la malice actuelle. En ce temps-là, si on faisait l’éloge d’une personne, vivante ou morte, pour la sainteté de sa vie, des ses vertus et de sa morale, les auditeurs candides étaient édifiés et enclins à mener une vie semblable. Aujourd’hui où la malice l’emporte, ceux qui entendent parler de la sainteté d’une personne vivante ou morte ne sont aucunement édifiés. Et ainsi tous les témoignages de la vérité sont transformés en fadaises par ceux qui les écoutent. Opinion personnelle La morale indique les qualités ou les défauts que chacun a dans le cœur, et non l’inverse. Toutefois ce n’est pas toujours exact: parfois, les défauts du cœur se cachent derrière le masque des bonnes mœurs, ce que personne ne doit juger endehors de Dieu; et parfois les vertus se cachent derrière le masque des mœurs blâmables, et chacun doit le supposer. Fait le 9 des calendes d’octobre [23 septembre 1337]

DESSIN V 8 Ce diagramme comprend deux petits doubles cercles entourés par un grand double cercle. Les petits cercles contiennent la tête et la poitrine (où est figuré le couple sponsal) d’un personnage (féminin?). Au moyen des rapprochements choisis – d’après la date du dessin – avec sainte Marie, sainte Thècle et saint Lin (auxquels le scribe s’identifie), de sa prédilection encore ici affirmée pour les commencements et de ses allusions géographiques, Opicinus prétend être aussi le Christ, le pape et l’Église universelle.

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– TITRE – l’image de l’Église universelle – la glorification charnelle de la Vierge Marie, après celle du Christ – En ce jour, le 9 des calendes d’octobre [23 septembre 1337], trois commencements sont consacrés, à savoir: la glorification charnelle de la sainte Vierge Marie, dont sainte Élisabeth avait eu la révélation1; la naissance de saint Lin, martyr2, qui, le premier après Pierre, peut être qualifié de pape; la naissance de sainte Thècle, vierge3, qui, comme première martyre après Étienne, donna l’exemple aux vierges qui l’accompagnaient4 pour gagner la couronne, bien qu’elle repose en paix après connu la longue agonie du martyre.

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Voir la Visitation: Lc 1, 39-45. Saint Lin était fêté le 23 septembre. On faisait mémoire de sainte Thècle le 23 septembre. Allusion à sainte Ursule.

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FOL.

56v°-57

12 – Per laneam ciuitatem, ubi est maius templum pre ceteris nomine sancte Tecle (quasi tegule lanei uestimenti), significatur Ecclesia exterius aspera per rigorem iustitie et interius lenis per affluentiam pietatis. 13 – Per lineam sacerdotalem1 a Petro per Linum ad nouissimum B(b)enedictum in misterio exhibetur rector parrochie, qui in lineis pietatis sacrificans Deo pro populo misericordiam impetrat, et in laneis asperitatis exprobrans populum delinquentem bestiis imperat.

[fol. 57] COLLATIO

VETERVM CVM HIIS NOVIS ET DE MVTATIONE LINGVARVM

Per tempora retroacta, non fuit tanta necessitas discrete loquendi quanta nunc est propter instantem malitiam. Vix tunc discernebatur Ecclesia a persona in modo loquendi nec adhuc secernebatur fundamentum a speculo, cum aliqua sententia uel auctoritas sacre Scripture per spiritualem expositionem reduceretur ad Christum. Aliquando per Christum intelligebatur fidei fundamentum, aliquando Ecclesie speculum: ille est uerus Christus et iste misticus Christus. Habito igitur fundamento inter fideles quos Europa significat, declarandum est tantum Ecclesie speculum; apud autem infideles quos significat Affrica, predicandum est fidei fundamentum non speculum. Nos habuimus aures apertas nunc usque ad fidem uerborum; nunc auribus clausis ad uerba mendacii, conseruato fidei fundamento in pectore nostro, aperiamus oculos nostros intrinsecos ad rationale iudicium. Plus preualet unum testimonium ueritatis in conscientia nostra scriptum quam mille auctoritates sacre Scripture, que tamen a ueritate non discrepant. Aliquando uidetur secundum opiniones preliorum magna dissensio inter auctoritates easdem; que si reducantur ad discretionem loquendi, inter eas nulla reperietur contrarietas. Infideles claudant oculos a uanitate et aperiant

1

Entre ce mot et le suivant, Opicinus a tracé une ligne horizontale.

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5 – On pense que la Vierge Marie a été glorifiée pour témoigner de l’Église du miroir; dans celle-ci, devenue un temple incarné, le Christ habite spirituellement et corporellement. 6 – la naissance de sainte Thècle, vierge et première martyre après Étienne 7 – la laine 8 – la source de la foi dans la poitrine de l’Europe de Pavie; en tenant compte du lieu, et non de l’époque ni du jour 9 – le lin1 10 – la naissance de saint Lin, premier pape après Pierre 11 – la primauté de l’Église dans la poitrine de l’Europe naturelle2 en tenant compte de la cour de Rome de la poitrine 12 – La cité de la laine3, où se trouve une église plus grande que les autres dédiée à Sainte-Thècle (pour ainsi dire les tuiles du vêtement en laine), indique que l’Église est dure à l’extérieur, du fait de sa justice inflexible, et douce à l’intérieur, du fait de son inépuisable piété. 13 – La lignée sacerdotale qui va de Pierre au tout dernier Benoît/béni, en passant par Lin, représente mystérieusement le curé de paroisse qui, en offrant un sacrifice à Dieu dans des vêtements de lin, obtient la miséricorde pour son peuple, et qui, en reprochant au peuple ses fautes dans les vêtements de laine de l’ascétisme4, commande aux bêtes5.

[fol. 57] COMPARAISON ENTRE LES FAITS ANCIENS ET LES NOUVEAUTÉS QUE VOICI6; L’ÉVOLUTION DES LANGAGES

Dans les temps passés, il n’était pas aussi indispensable de parler avec retenue qu’aujourd’hui où la malice menace. On ne faisait alors guère de différence entre l’Église et la personne dans la façon de parler et on ne distinguait pas encore la fondation et l’image, puisque telle ou telle phrase ou texte faisant autorité de l’Écriture sainte était ramenée au Christ par une explication spirituelle. Le Christ était compris tantôt comme le fondement de la foi, tantôt comme l’image de l’Église: le premier est le Christ véritable, le deuxième est le Christ mystique/secret. Donc, comme ce fondement se trouve chez les fidèles que l’Europe représente, il convient de révéler une si remarquable image de l’Église; mais chez les infidèles que l’Afrique représente, il faut prêcher le fondement de la foi et non l’image. Quant à nous, nous avions jusqu’à aujourd’hui les oreilles ouvertes, en allant jusqu’à faire confiance aux paroles; aujourd’hui, ayant fermé nos oreilles aux paroles du mensonge et gardé le fondement de la foi dans notre poitrine, nous devons ouvrir nos yeux intérieurs à une opinion fondée sur la raison. Un Jeu de mots lana/linum. C’est-à-dire Avignon. 3 Milan (Mediolanum). 4 Allusion à Jean-Baptiste. 5 Opicinus évoque sa vie (avant Avignon): curé (à Pavie), puis mendiant pauvre sur les routes. 6 C’est-à-dire entre avant et après 1334. 1 2

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FOL.

57

aures suas ad uerba predicantium ueritatem. Illis necessarie sunt lingue fidelium; nobis autem silentium. Eligamus deinceps non locis sed moribus lineam mediam usque ad medium mundum, quasi Antiochiam, que interpretatur paupertas silentii (paupertas, inquam, id est discretio silentii, sicut paupertas spiritus, id est discretio spiritus); ne sicut stulti proferamus totum spiritum nostrum, ita simus pauperes silentio (id est discreti silentio). Tempus est enim loquendi tempusque tacendi. Ecce quod Antiochia sita circa medium tam longitudinis quam latitudinis habitabilis mundi, inter silentium terre Iuda1 et strepitum Pontici maris (id est inter ypocrisim et tyrannidem), habet in se testimonium omnis mediocritatis (id est discretionis que est mater omnium uirtutum); cui aduersatur confusio uite, ordinis et uerborum, ac si Babilon Antiochiam rebellaret. Nunc similiter conuertatur uniuersalis Papia in uniuersale Ticinum. « Ticinus » masculi generis est uocabulum fluminis; « Ticinus » autem neutri generis est nomen ciuitatis. Itaque Papia (a « pape », quod est mirum) nunc usque mirabilia loquens conuertatur in Ticinum (a « taceo, taces »), ut amodo taceat. Sicut decet mulierem tacere in ecclesia, non docere sed domi uirum interrogare, sic decet uniuersalem Papiam tacere quamdiu est in uentre maioris Europe et interrogare uirum suum mulier (id est papam Papia) ascendens ad pectus Europe. Nunc in particulari Papia habent femine corruptelam nullum seruare silentium in ecclesiis, siue inter sacra officia siue inter predicationes Verbi Dei. Et ideo digne et iuste ciuitas per multum tempus supposita est ecclesiastico interdicto; non deficit aliud sibi nisi predicationum suspensio. Nescio aliam ciuitatem in qua fiat tanta pluuiarum inundatio predicandi sicut ibi. Et tamen non reperitur ibidem nisi sterilitas ueri panis et copia tribulorum cum spinis. Pluuia aquarum habundans significat pluuiam nouitatum in uocibus. In particulari uero Auinione uideo sanctam consuetudinem mulierum que semper in ecclesiis seruant silentium. Illa enim Papia multa audit uel potest audire et nichilum boni facit. Hec autem Auinio, que respectu Papie quasi nullas habet predicationes, modica uerba audit et plura facit quam audiat: in auditu Verbi diuini imitatur Mariam; in opere uero sequitur Martham. Parcitas pluuiarum significat parcitatem uerborum. Conferatur ergo uniuersalis Papia cum uniuersali urbe Auenica et uidebimus uias utriusque iudicii. « Cor (Papiensis Europe quod nunc usque tectum est sub tegulis sancte Tecle, cum apparuerit in die Iudicii) indurabitur quasi lapis » translatus in cor maris, id est pectus Europe commutatum a carcere sanguinis Papiensis in progeniem Canistralem. Nam Siculum cor maris conuersum in carcerem communis occupat et detinet ius episcopale (id est patrimonium Crucifixi). Si ergo istud cor reducatur in pectus Affrice (id est in parro-

1

On attendrait: Iude ou Iudee.

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seul témoignage de la vérité inscrit dans notre conscience vaut bien plus que mille recommandations de l’Écriture sainte, lesquelles ne sont pourtant pas en désaccord avec la vérité. De grandes divergences entre ces mêmes textes faisant autorité se manifestent parfois, si l’on en juge d’après les positions prises dans les disputes; mais si on les ramène à des propos mesurés, on ne trouvera aucune contradiction entre eux. Les infidèles doivent détourner les yeux des chimères et ouvrir leurs oreilles aux paroles de ceux qui prêchent la vérité. Eux, ils ont besoin du discours des croyants; et nous, du silence. Choisissons ensuite, d’un point de vue non pas géographique mais moral, une ligne médiane qui aille jusqu’au milieu du monde, c’est-à-dire à Antioche, qui veut dire la pauvreté du silence1 (oui, la pauvreté, c’est-à-dire le discernement du silence, comme la pauvreté en esprit, c’est-à-dire le discernement en esprit). Pour éviter de dévoiler tout notre esprit, comme si nous étions fous, soyons pauvres dans le silence (c’est-à-dire clairvoyants dans le silence). En effet, il y a un temps pour parler et un temps pour se taire2. C’est ainsi qu’Antioche, située vers le milieu de la longueur comme de la largeur du monde habité3, entre le silence de la terre de Judée/Juda(s) et le vacarme du Pont-Euxin (c’est-à-dire entre l’hypocrisie et la tyrannie), porte en elle le témoignage du juste milieu dans son ensemble (c’est-à-dire de la modération, qui est la mère de toutes les vertus), à qui s’opposent la vie, la règle et les paroles confuses, comme si Babylone se révoltait contre Antioche. Aujourd’hui, l’universelle Pavie doit aussi devenir l’universelle Ticinum. Le mot « Tessin », au masculin, c’est le nom du fleuve; alors que « Ticinum », au neutre, c’est le nom de la ville. C’est pourquoi Pavie (dont le nom vient de « pape », ce qui est étonnant), tenant jusqu’à maintenant des propos merveilleux, doit devenir Ticinum (de « je me tais, tu te tais »), afin que désormais elle se taise. De même qu’il convient qu’une femme se taise à l’église, ne s’instruise pas mais interroge son mari à la maison4, de même il convient que l’universelle Pavie se taise aussi longtemps qu’elle se trouve dans le ventre de la grande Europe, et qu’elle interroge son mari en tant que femme (c’est-à-dire le pape en tant que Pavie), en montant vers la poitrine de l’Europe. Aujourd’hui, dans l’individuelle Pavie, les femmes sont assez dépravées pour ne jamais observer le silence à l’église, que ce soit pendant les saints offices ou pendant que l’on prêche la Parole de Dieu. Et c’est pourquoi la ville est, de manière méritée et juste, soumise à l’interdit ecclésiastique depuis une longue période; il ne lui manque que la suppression des sermons. Je ne connais pas une autre ville où l’on déborde autant sous l’avalanche des sermons. Et pourtant, ce qu’on y trouve, c’est que le véritable pain manque, alors qu’abondent les herses5 garnies d’épines / les tourments plein de soucis. L’abondance des pluies indique l’abondance des nouveautés dans les propos. En revanche, dans l’individuelle Avignon, je vois que les femmes ont la sainte habitude d’observer toujours le silence à l’église. En effet, la Pavie en question écoute ou peut écouter

1 2 3 4 5

Voir fol. 42v° et 53. Voir aussi Rm 16, 25. Voir Qo 3, 7. C’est-à-dire de l’Asie mineure. Voir 1 Co 14, 34. Le tribulum est une herse destinée à séparer le grain de la balle.

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FOL.

57-57v°

chiam Sancte Marie Capelle), tunc uidebitur si faciat pectus Europe cum insula Sicula (id est progenies Canistralis cum Siculis, quasi sicleriis). Si territorium Papiense in tantum se dilatauerit ut ab oriente terminetur in Syria, tunc predia R(r)ouoscale cadunt circa terram Iuda; et ibi uidebitur quid faciat Sicilia cum Iherusalem (quasi sicleria cum possessione predii Sancte Marie Capelle). Terra Iudee est patrimonium Crucifixi, id est possessiones Ecclesie sunt debitum nutrimentum populi christiani. Siquid ex hiis tradidero carni et sanguini domus mee, iudico me Iudam proditorem et furem, qui oblationes factas Domino furabatur et tradebat domui sue, cuius iniquitatem celi reuelabunt in die Iudicii. Si ergo Papiensis Sicilia uel cor maris se transtulerit et perseuerauerit in pectore Affrice Papiensis, « indurabitur quasi lapis et stringetur quasi malleatoris incus ». Affrica Papiensis est [fol. 57v°] similis pharaoni conculcanti sub Egyptiis pedibus suis sanctum populum Israel. Si uero indomabile cor debito iure nature reuersum fuerit ad pectus Europe similiter Papiensis, tunc uidebo in eo signum uere contritionis, ex memoria cuiusdam persone de progenie contritorum. Habens enim uocabulum Dei et hominis, decessit circa pectus Europe ex quadam confractione pectoris sui interius. Cum etiam puer habitarem in pectore huius Europe, reperi semel confractum pectus cuiusdam testudinis mee, ac si conterenda esset tarasca cum squamis et scutis munientibus corpus suum per assiduum ministerium sancte Marthe. Conuertamus oculos nostros ad Auinionem uniuersalem, ut uideamus misterium. Pectus Europe Auinionensis habet in se titulum uel quasi titulum sancti angeli quem Dominus misit seruo suo Iohanni, ubi nunc habet uictoriam angelus de dracone tarasca. Iam habet testimonium uetus Roma de translatione sua in nouam secundum mundi naturalem Europam, ut columpna Romana que uersus Terram sanctam inflectitur conuertatur in pectus quo translata sunt ostia Tiberina tempore sancti Egidii. Draco Tiberinus tempore Pelagii secundi et Gregorii primi summorum pontificum figurauit tarascam pectoris noue Rome, cuius draconis pestilentiam abstulit angelus Michael apparens VIII idus maii, additus cum sancto Victore, martiro Mediolanensi, in testimonium uictorie sue. Manus Affrice Auinionensis habet ecclesiam Sancti Antonii curiam Romanam curantis, cuius digitus obtinet gratiam discretionis spirituum. Nam, cum tempore sancti Antonii esset minor malitia quam sit modo, apparuit sibi diabolus post temptationes carnales in forma Ethiopis adolescentis uel pueri. Nunc tempore maxime malitie, uidemus eum ad oculum barbatum et senem. Testudo uenenifera celans officialia membra sua sub testis figurat ypocrisim Affricanam. Testudo salubris ad escam abscondens similiter membra sua significat nutrimentum spiritualis Europe.

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beaucoup de discours, et elle ne fait rien de bon. Mais l’Avignon que voici où, par rapport à Pavie, il n’y presque pas de sermons, écoute peu de paroles et elle agit plus qu’elle n’écoute: en écoutant la Parole divine, elle imite Marie, et en travaillant, elle suit Marthe1. La rareté des pluies indique la rareté des paroles. Il faut donc rapprocher l’universelle Pavie et l’universelle Avenica, et nous verrons les voies suivies par l’un et l’autre jugement. « Le cœur (de l’Europe de Pavie, qui est couvert jusqu’à maintenant par les tuiles de sainte Thècle2, lorsqu’il se montrera au jour du Jugement) deviendra dur comme le roc »3 transporté dans le cœur de la mer (c’est-à-dire la poitrine de l’Europe ayant quitté la prison du sang de Pavie pour devenir la lignée des Canistris). Car le cœur sicilien de la mer, devenu prison naturelle, tient et garde le droit épiscopal (c’est-à-dire le patrimoine du Crucifié). Par conséquent, si ce cœur revient dans la poitrine de l’Afrique (c’est-à-dire dans la paroisse de Sainte-Marie-La-Chapelle4), on verra dans ces conditions si la poitrine de l’Europe s’entend avec l’île de Sicile (c’est-à-dire la lignée des Canistris avec les Siciliens, quasiment les sicles5). Si le territoire de Pavie connaît une extension telle qu’il se termine à l’est en Syrie6, les domaines de R(r)oboscale7 tombent alors aux environs de la terre de Judée/Juda(s); et là on verra ce que fait la Sicile avec Jérusalem (c’est-à-dire un sicle avec la possession du domaine de Sainte-Marie-La-Chapelle). La terre de Judée est le patrimoine du Crucifié; c’est-à-dire que les possessions de l’Église sont la nourriture due au peuple chrétien Si j’en livre une part à la chair et au sang de ma maison, je me considère comme Judas, le traître et le voleur, qui volait les offrandes faites au Seigneur et les remettait à sa famille, et dont les cieux révèleront l’iniquité au jour du Jugement. Par conséquent, si la Sicile de Pavie ou le cœur de la mer passe et reste dans la poitrine de l’Afrique de Pavie, « elle deviendra dure comme le roc et résistante comme l’enclume de l’ouvrier qui frappe »8. L’Afrique de Pavie est [fol. 57v°] semblable au pharaon qui écrase sous ses pieds égyptiens le saint peuple d’Israël. Mais si le cœur rebelle revient, selon le droit naturel, à la poitrine de l’Europe, elle aussi de Pavie, j’y verrai le signe du véritable accablement / de la vraie contrition, en mémoire d’une personne de la lignée des accablés/contrits. En effet, portant à la fois le nom de Dieu et d’homme, il est mort aux alentours de la poitrine de l’Europe, parce que son cœur était intérieurement brisé. Alors qu’encore enfant, j’habitais dans la poitrine de cette Europe, j’ai trouvé un jour une tortue avec la poitrine brisée, comme si la tarasque devait être anéantie, avec les écailles et la carapace qui protègent son corps, grâce au service incessant de sainte Marthe9.

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Voir Lc 10, 38-42. Voir V 29, note 51. Jb 41, 15 (16 dans la traduction). V 30, note 14. Jeu de mots. Allusion vraisemblable à V 28. Néologisme (pornographique?) formé à partir du bois. Voir V 12, note 4. Jb 41, 15 (16 dans la traduction). Voir V 4 et V 5.

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DE

FOL.

VNIONE TOTIVS

57v°

ECCLESIE

Omnia membra Europe significant aliquid. Pectus autem habens rem significatam nullis significationibus indiget, ubi est testimonium ueritatis, alias unionis. Auinio pectoralis deferens eucharistiam infirmis in alabaustro translucido siue uitro significat idem corpus Domini iam apparere, circa quod presentes fidelium anime congregantur ut aquile. Auinio enim ethimologizatur « spiritualium auium unio » (subaudi circa dominicum corpus), nequis erronee disputare presumat Dominum regnare nobiscum spiritualiter tantum non corporaliter; alioquin esset dicere Christum nobiscum Deum tantum non hominem, aduersus catholicam fidem. Christus spiritualis est Deus et idem Christus corporalis est homo, ut liceat dici Deus humanus et homo diuinus. Et simus nos in ipso et ipse in nobis, spiritus corporalis in re et corpus spirituale in spe. Ipse quidem est spiritus corporalis in nobis secundum rem et nos corpus spirituale in ipso per spem. Nam cum oraret ad Patrem pro nobis, iam nostram preuiderat unionem futuram, in cuius testimonio rei nos sumus uniti in uinculo caritatis: « Pater sancte, inquit, serua eos in nomine tuo quos dedisti mihi, ut sint unum sicut et nos (subaudi illi per gratiam et nos per naturam) ». Papia uentralis deferens eucharistiam infirmis tam spiritu quam carne in piscide munda sub uelamine lini uel serico significat idem corpus Domini adhuc in sacramento latere, ut infirmorum deuotio augeatur www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Tournons nos regards vers l’universelle Avignon, pour contempler le mystère. La poitrine de l’Europe d’Avignon porte en elle le nom (ou pour ainsi dire le nom) du saint ange que le Seigneur envoya à son serviteur Jean, là où l’ange est aujourd’hui victorieux du dragon-tarasque1. L’ancienne Rome a désormais la preuve de son transfert dans la nouvelle [Rome], conformément à l’Europe naturelle du monde, si bien que la colonne romaine qui se penche vers la Terre sainte est transformée en poitrine, là où l’embouchure du Tibre a été transférée au temps de saint Gilles. Le dragon du Tibre, à l’époque des souverains pontifes Pélage II et Grégoire I2, préfigurait la tarasque de la poitrine de la nouvelle Rome; et l’ange Michel a chassé la corruption qu’incarnait ce dragon en apparaissant le 8 des ides de mai [8 mai3], aidé du martyr milanais saint Victor4, en témoignage de sa victoire. La main de l’Afrique d’Avignon porte l’église de Saint-Antoine, qui veille sur la curie romaine et dont le doigt possède la grâce du discernement des esprits5. Car, comme à l’époque de saint Antoine, la malice était moins répandue qu’elle ne l’est actuellement, le diable lui est apparu, après qu’il ait été tenté charnellement, sous la forme d’un adolescent ou d’un enfant éthiopien. Maintenant que la malice est très répandue, nous le voyons devant nous barbu et vieux6. La tortue non comestible, cachant ses membres serviteurs sous ses tuiles, symbolise l’hypocrisie de l’Afrique. La tortue bonne à manger, dissimulant elle aussi ses membres, représente la nourriture de l’Europe spirituelle7. L’UNION

DE L’ÉGLISE TOUT ENTIÈRE

Toutes les parties du corps de l’Europe indiquent quelque chose. Mais la poitrine, puisqu’elle abrite la réalité indiquée, n’a aucunement besoin d’être indiqué: c’est là que se trouve la preuve de la vérité, autrement dit de l’union. L’Avignon de la poitrine, en remettant l’eucharistie aux faibles dans un flacon d’albâtre8 luminescent ou transparent, indique que le même corps du Seigneur se manifeste déjà et que les âmes présentes des fidèles se rassemblent autour de lui comme des aigles9. En effet, d’après l’étymologie, Avignon veut dire l’union des oiseaux spirituels (sous-entendu: qui sont autour du corps du Seigneur), afin que personne n’ait l’audace de soutenir de manière erronée que le Seigneur règne avec nous seuAllusion aux cercles christiques représentés en Provence dans de nombreuses cartes. Pélage II, pape de 579 à 590, mort de la peste; et Grégoire le Grand, pape de 590 à 604. Le « dragon du Tibre » symbolise ici la peste dont Rome fut délivrée en 590 par une apparition de l’archange saint Michel lors d’une procession pénitentielle conduite par Grégoire. 3 Fête de l’apparition de saint Michel, archange, en 492 à Naples. 4 Fêté le 8 mai. Victor le Maure fut livré au martyre à Milan en 303. 5 Saint Antoine a expliqué comment pratiquer le discernement des esprits. 6 Allusion au diable méditerranéen. 7 La « mauvaise » tortue (c’est-à-dire la curie romaine) et la « bonne » tortue (c’est-àdire Opicinus qui prétend être le pain eucharistique) montrent le caractère manichéen du délire du scribe. 8 Allusion au flacon d’albâtre de Marie-Madeleine: voir fol. 20. 9 Voir Mt 24, 28 et Lc 17, 37 (où aquile est traduit par « vautours »). 1 2

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570

FOL.

57v°

et crescat: « Cresce, inquit Dominus, ad uterum augustalem et manducabis me ». Sicut enim Prouincia pectoralis cunctis ostendit sanctorum reliquias in testimonium perfectorum, ita Papia uentralis abscondit sanctorum reliquias ad testimonium infirmorum.

De uerbis et actis humanis a diuina uoluntate progressis Sicut homo absconditus mouet per artem simulacra ioculatoria in conspectu hominum, ut ille ymagines uideantur moueri a se ipsis, ita « Deus absconditus » mouet uirtute sua homines ad loquendum et agendum, licet appareant a seipsis moueri. Quicquid dicat uel faciat homo, debet alter uidens et audiens credere illa a Deo procedere non ab homine; a Deo, inquam, uel iussiue uel permissiue. Qui taliter iudicauerit est diuine uocis auditor non hominis. Verbi gratia. Si audiero quemquam loquentem mendacia uel uidero agentem peruersa, debeo iudicare illa mendacia uel peruersa de diuina uoluntate procedere que ueritas est, ut illius erroribus magis proficiat fides mea; ne considerem personam mendacem, sed Deum meum ueracem cui placet per illius mendacia me probare. Nemo enim in consideratione huiusmodi potest errare nec decipi. Perfectos alloquor non infirmos. Additum anno perfectionis, die sanctorum Iohannis et Pauli. Iussio Dei ad hominem est attractio uoluntatis humane ad uoluntatem diuinam, quasi traductio Affrice in Europam. Permissio Dei ad hominem est relaxatio hominis ad propriam uoluntatem, quasi commotio maris ut seuiat in Europam. Deus coercet et liberat fluctus maris (id est comprimit et relaxat malitiam hominis). Remanente semper libera uoluntate diuina, liberum arbitrium hominis quoquomodo habet meritum uel peccatum. Additum die predicta.

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lement spirituellement et non pas corporellement; ce qui reviendrait à dire que le Christ est avec nous seulement en tant que Dieu et non en tant qu’homme, ce qui est contraire à la foi catholique. Le Christ immatériel est Dieu et le même Christ incarné est homme, si bien que l’on peut dire qu’il est un Dieu humain et un homme divin. Soyons nous aussi en lui et lui en nous, esprit incarné dans la réalité et corps immatériel dans l’espérance. Lui-même est vraiment un esprit incarné en nous, si l’on regarde la réalité, et nous, nous sommes un corps immatériel en lui, grâce à l’espérance. Car lorsqu’il priait le Père pour nous, il prévoyait déjà notre union à venir; et en témoignage de cela, nous sommes unis dans le lien de la charité: « Père saint, dit-il, garde dans ton nom ceux que tu m’as donnés, pour qu’ils soient un comme nous (sous-entendu: eux par grâce et nous par nature) »1. La Pavie du ventre, en remettant l’eucharistie aux faibles, tant par l’esprit que par la chair, dans une pyxide2 précieuse, recouverte d’un voile de lin ou d’une étoffe de soie, indique que ce même corps du Christ se cache encore dans le sacrement, afin que la piété des faibles grandisse et s’étende: «Élève-toi, dit le Seigneur, vers le sein auguste, et tu me mangeras ». En effet, de même que la Provence de la poitrine montre à tous les reliques des saints en témoignage des parfaits, de même la Pavie du ventre cache les reliques des saints pour servir de témoignage aux faibles. Les mots et les gestes humains provenant de la volonté divine De même qu’un homme caché, en utilisant la technique des marionnettes, donne vie à des images amusantes devant les spectateurs, si bien que ces images donnent l’impression de s’animer d’elles-mêmes, de même « le Dieu qui se cache »3 fait bouger et agir les hommes par sa puissance, bien qu’ils donnent l’impression de le faire d’eux-mêmes. Quoi que dise ou fasse un homme, le tiers qui le voit et l’entend doit croire que cela est d’origine divine et non humaine; oui, que Dieu l’ordonne ou le permet. Celui qui juge ainsi est celui qui écoute la voix de Dieu et non de l’homme. Par la grâce du Verbe. Si j’entends quelqu’un raconter des mensonges ou si je le vois commettre des actes pervers, je dois estimer que ces mensonges ou ces actes pervers proviennent de la volonté divine qui est la vérité, afin que les égarements de cet homme me permettent de faire davantage de progrès dans la foi; afin que je ne me préoccupe pas de la personne qui ment, mais de mon Dieu qui dit la vérité et qui décide de m’éprouver avec les mensonges de cet homme. En effet, en considérant les choses ainsi, personne ne peut faire erreur ni être trompé. Je m’adresse aux parfaits et non aux faibles. Ajouté l’année de la perfection, le jour [de la fête] de saint Jean et saint Paul4 [26 juin 1338].

Jn 17, 11. Une pyxide est une custode (une autre forme de vase!). 3 Is 45, 15. Il s’agit d’Opicinus, qui se désigne plus souvent par l’expression: « Christ mystique/secret ». 4 Dans l’évangile du jour (Lc 12, 1-8), on trouve: « Il n’est rien de caché qui ne doive être mis en pleine lumière, rien de secret qui ne doive être connu ». 1 2

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572

DE

FOL.

57V°-58

YMAGINATIONE CARNALI

Circuitus predicantis nimium circa allegoricas fabulas, in quibus nunquam erit finis, dat occasionem infirmis ut de facili prolabantur ab inuisibilibus ad uisibilia deceptiua que sunt allegorice fabule (nisi spiritualiter exponantur). Siquis uero, post aliquas figuras uisibiles, statim predicauerit de inuisibili re quam illa significant, tunc auditores infirmi possunt firmari et fieri stabiles circa illam ubi habetur arra eterne beatitudinis. Vidimus enim libellum « De arra sponse » editum per Hugonem de Sancto Victore, quem fuimus compulsi per simplices transferre in uulgare Papie. Dimisi etiam librum « De stabilitate cordis humani » per eundem Hugonem, cuius ymagines quas ipse reliquit in litteris tantum cogitaueram sine exemplari describere, nisi ab hiis me exilium subtraxisset. Nunc per Dei gratiam presens descriptio comprehendit utrumque. Cum enim essem infirmus non carne sed spiritu, ignorans adhuc presens regnum celorum, cupiens meditari de regno patrie [fol. 58] sempiterne, incipiebam carnaliter ymaginari inuisibilem Deum. Ymaginatio mea faciebat Deum eternum quasi corporeum, lineis circumscriptum cum accidentibus quasi obiectis ad sensum. Aliunde uero ratio fidei mee omnia illa corporalia et accidentalia respuebat, contra quam fidei rationem nunquam locutus fui nec loqui proposueram. Et ideo credo illam fidem semper seruatam me induxisse ad hanc descriptionem specularis Ecclesie, circa quam nemo potest errare deinceps. Ad intelligentes loquor. Iam destructe sunt omnes hereses presentes, preterite et future. Actum VIII kalendas octobris, ad quam diem compulsiue retractum est officium de sancta legione Thebeorum qui, abiectis corruptibilis armis, subdiderunt corpora sua gladio Cesaris, ut passis in profundiore loco pectoris huius Europe, Rodanus pectoralis fieret rubricatus sanguine Ihesu Christi (id est populi christiani), decurrentibus sanguine et aqua ad latus dextrum apertum. Si circuiero terram et perambulauero eam ad inquirenda misteria fidei, ero similis impiis qui, derelicto pectore suo quasi curia pectorali, in circuitu ambulant quasi uagantes per mundum – hoc dico non locis sed uitiis. Nos autem existentes in pectore fidelis Europe, significamus infirmis non uerbo sed opere ut conuertantur ad pectus Ecclesie specularis. Quicumque repererit locum sanctum in quo habitat Dominus (scilicet www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Les ordres que Dieu donne à l’homme attirent la volonté humaine vers la volonté divine, comme si l’Afrique passait en Europe. L’autonomie que Dieu laisse à l’homme renvoie l’homme à sa volonté personnelle, comme si la mer était ébranlée au point de déborder en Europe. Dieu retient et libère les flots de la mer (c’est-àdire arrête et relâche la malice humaine). La volonté divine restant toujours libre, le libre-arbitre de l’homme est responsable, d’une manière ou d’une autre, des mérites et des péchés. Ajouté le jour indiqué plus haut. L’IMAGINATION

CHARNELLE

Les détours de celui qui prêche en abusant d’histoires allégoriques dont on ne verra jamais la fin donnent l’occasion aux faibles de glisser facilement de l’invisible aux mensonges visibles que sont les contes allégoriques (à moins qu’ils ne soient expliqués sur le plan spirituel). En revanche, si quelqu’un, après avoir dépeint quelques images visibles, se met aussitôt à prêcher sur la réalité invisible qu’elles indiquent, dans ces conditions, les auditeurs faibles peuvent être confortés et affermis au sujet de cette réalité qui contient les gages du bonheur éternel. En effet, nous avons regardé le traité « Sur les gages de l’épouse », écrit par Hugues de SaintVictor1, et nous avons été poussés par de simples gens à le traduire dans le dialecte de Pavie. Et j’ai renoncé au livre « La fermeté du cœur humain », de la plume du même Hugues; j’avais songé à représenter sans modèle les images que lui-même y a consignées seulement par écrit, mais l’exil m’a obligé à y renoncer. Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, les dessins que voici comprennent l’un et l’autre. En effet, lorsque j’étais faible, non par la chair mais par l’esprit, ne connaissant pas encore l’actuel royaume des cieux et voulant réfléchir au royaume de la patrie [fol. 58] éternelle, j’ai commencé à imaginer charnellement le Dieu invisible. Mon imagination donnait au Dieu éternel une forme corporelle, délimitée par des traits et pourvue d’éléments accessoires quasiment offerts à la vue. Mais par ailleurs, le caractère rationnel de ma foi repoussait toutes ces images de corps et d’accidents; et je n’ai jamais parlé ni eu l’intention de parler en m’opposant à ce caractère rationnel de la foi. Et c’est pourquoi je crois que cette foi que j’ai toujours observée m’a conduit à cette représentation de l’Église du miroir, au sujet de laquelle personne ne peut ensuite s’égarer. Je m’adresse à ceux qui comprennent. Désormais, toutes les hérésies présentes, passées et à venir sont détruites. Fait le 8 des calendes d’octobre [24 septembre 1337]; jour où l’on doit impérativement revenir à l’office de la sainte légion des Thébains2 qui, ayant jeté leurs armes corruptibles, ont soumis leurs corps au glaive de César, si bien que,

1 Hugues de Saint-Victor (1096-1141), théologien mystique qui s’efforça dans ses oeuvres de rassembler l’essentiel des sciences (qu’il s’agisse des sciences sacrées ou des sciences du trivium et du quadrivium) pour les tourner vers la contemplation de Dieu. 2 Il s’agit d’une légion de l’empereur Maximien Hercule recrutée parmi les chrétiens de la Haute Égypte qui, ayant refusé de participer à des sacrifices publics dans les Alpes, lors d’une expédition contre les Gaulois, fut exécutée vers 287: voir la Légende dorée, t. 2, pp. 218-222. Fêtée le 22 septembre.

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FOL.

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pectus uniuersitatis), potest ex legitimis causis circuire terram et mare, non relicto pectore quod inuenit. Saluo enim semper ueteri fundamento, nouo edificio insistamus ne, si super nouum fundamentum edificaremur et edificaremus, subito corrueremus. Sicut in uulua maioris Europe edificatur in mari, sic in uulua minoris Europe construitur in arena. In pectore uero maioris Europe edificatur in petra. Additum II kalendas octobris.

De afflictione carnis et spiritus Afflictio carnis significat afflictionem anime. Quid sit afflictio carnis omnibus iam patescit. Est autem anime spiritualis afflictio, cuiuslibet noxie cogitationis refrenatio. Afflictio carnis, habentibus omnibus cogitationibus libertatem, est ypocrisis uitium cognitum soli Deo. Afflictio carnis, existente anima omnibus noxiis cogitationibus libera, est uirtus perfectionis que ex lumine uite sue significat suis infirmis ut similiter faciant saltem spiritualiter. Ponamus in terminis. Actum VII kalendas octobris.

DESSIN V 9

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comme ils ont souffert à l’emplacement le plus élevé de la poitrine de cette Europe, le Rhône de la poitrine rougit du sang de Jésus-Christ (c’est-à-dire du peuple chrétien), le sang et l’eau coulant vers le côté droit ouvert1. Si je fais le tour de la terre et la parcours, à la recherche des mystères de la foi, je serai semblable aux impies qui, ayant abandonné leur poitrine (c’est-à-dire la curie de la poitrine), marchent à la ronde, c’est-à-dire errent de par le monde – je ne parle pas en termes de géographie mais de perversité. Mais nous qui nous trouvons dans la poitrine de l’Europe fidèle, nous indiquons aux faibles, non par des paroles mais par des actes, qu’ils doivent se tourner vers la poitrine de l’Église du miroir. Quiconque trouve le lieu saint où le Seigneur habite (c’est-à-dire la poitrine de l’univers), peut parcourir la terre et la mer avec de bonnes raisons, car il n’abandonne pas la poitrine qu’il a trouvée. En effet, en ne cessant de préserver les anciennes fondations, nous devons prendre pied sur la nouvelle construction, afin d’éviter que, si nous sommes édifiés ou si nous construisons sur de nouvelles fondations, nous ne nous effondrions soudainement. De même que l’on construit sur la mer dans la vulve de la grande Europe, de même on bâtit sur le sable dans la vulve de la petite Europe. En revanche, dans la poitrine de la grande Europe, on construit sur la pierre2. Ajouté le 2 des calendes d’octobre [30 septembre 1337]. Les souffrances de la chair et de l’esprit3 Les souffrances de la chair indiquent les souffrances de l’âme. Tout le monde sait déjà en quoi consistent les souffrances de la chair. Mais il existe des souffrances spirituelles pour l’âme; elles consistent à réprimer les pensées malsaines. Les souffrances de la chair pour ceux qui sont entièrement libres dans leurs pensées, c’est le vice de l’hypocrisie que Dieu est seul à connaître. Les souffrances de la chair, lorsque l’âme est affranchie de toutes les pensées malsaines, c’est la vertu de perfection qui, grâce à sa présence lumineuse, indique à ses faibles qu’ils doivent faire pareil, au moins sur le plan spirituel. Arrêtons-nous là. Fait le 7 des calendes d’octobre [25 septembre 1337].

DESSIN V 9 Deux binômes de deux cartes (avec une en renversement dans chaque binôme), soit quatre cartes anthropomorphes. L’Afrique et l’Europe sont représentées par des personnages différents. Les fonds marins (atlantiques et méditerranéens) présentent des nuances de couleurs. Il faut tenir compte des diagonales qui traversent les cartes. Opicinus retrace son itinéraire tourmenté en jouant sur les oppositions: affection charnelle / amour spirituel, corps/âme, froid/chaleur, intérieur/extérieur, étouffant/glacial, tourments/tranquillité…

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Voir Jn 19, 34. Opicinus évoque sa propre crucifixion. Voir: « Tu es Pierre, et sur cette pierre…» (Mt 16, 18). Voir V 9.

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FOL.

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oriens temperatus yems gelida septentrio gelidus uer temperatum occidens temperatus estas torrida autumpnus temperatus meridies torridus Sicilia pectoris est anima laboriosa, cuius tibia carnis est T(t)erra L(l)aboris. Tibie Cyrene sunt hereditas corporalis. Affrica pectoris est fertilitas mentis. oriens temperatus estas torrida congratulatio III1 Requies exterior significat huius interiorem. II exultatio spiritus Calor denigrat carnem non animam. Sicilia pectoris est anima ponderosa, cuius tibia carnis est T(t)erra L(l)aboris. meridies torridus uer temperatum contradictio Tibie Cyrene sunt hereditas corporalis. Affrica pectoris est augmentum doloris. occidens temperatus yems gelida compassio IIII Afflictio interior significatur per huius exteriorem. I passio Frigus tremefacit carnem cum anima. autumpnus temperatus septentrio gelidus contradictio afflictio corporum2 requies corporum requies animarum afflictio animarum Amor spiritualis elongatur ab inuicem et affectio carnalis appropinquat ad inuicem.

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Les chiffres des notes 13, 15, 24 et 26 sont plus grands et plus épais que le reste du texte. Les deux parties de l’expression sont séparées par le croisement des diagonales portant les notes 31 et 32. 1

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– l’est tempéré – l’hiver glacial – le nord glacial – le printemps tempéré – l’ouest tempéré – l’été étouffant – l’automne tempéré – le sud étouffant – La Sicile de la poitrine est une âme travailleuse1 dont la jambe charnelle est la Terra di Lavoro2 / terre du labeur. – Les jambes de Cyrène3 sont un héritage corporel. L’Afrique de la poitrine est la fécondité spirituelle. – l’est tempéré – l’été étouffant – l’action de grâces – 3 – Sa tranquillité extérieure exprime celle qui lui est intérieure. – 2 – l’allégresse spirituelle – La chaleur brûle le corps et non l’âme. – La Sicile de la poitrine est une âme pesante dont la jambe charnelle est la Terra di Lavoro / terre du labeur. – le sud étouffant – le printemps tempéré – l’opposition – Les jambes de Cyrène représentent un héritage corporel. L’Afrique de la poitrine représente l’accroissement de la souffrance. – l’ouest tempéré – l’hiver glacial – la compassion – 4 – Ses tourments intérieurs se voient à l’extérieur. – 1 – la passion – Le froid fait trembler le corps et l’âme. – l’automne tempéré – le nord glacial – l’opposition – les souffrances des corps – le repos des corps – le repos des âmes – les tourments des âmes – L’amour spirituel s’éloigne d’eux et l’attachement charnel s’approche d’eux. – Fait le jour des calendes d’octobre [1er octobre 1337]. Si c’est l’été au sud et l’hiver au nord, c’est alors l’absence totale de tiédeur qui prévaut. Si au

Allusion à Marthe. Terra di Lavoro: région du sud de l’Italie. 3 Cyrène: ville à l’ouest du delta du Nil, dans l’actuelle Lybie. Simon de Cyrène, qui porta la croix de Jésus, en était originaire. 1 2

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FOL.

58-58v°

36 – Actum kalendis octobris. Si fuerit estas in meridie et yems in septentrione, tunc omnis intemperantia dominatur. Si uero ex opposito fuerit estas in septentrione et yems in meridie, tunc omnis temperantia generatur. 37 – Ego primum cum intrassem conscientiam meam, fui in statu paupertatis inuite que dicitur passio; secundo in statu uoluntarie paupertatis non alicuius ordinis sed que dicitur exultatio spiritus; tertio in statu duplicis requiei nunc sum, que dicitur congratulatio; quarto in statu spiritualis sollicitudinis me credo futurum, que dicitur compassio proximorum. 38 – Actum II kalendas octobris, die sancti Ieronimi, presbiteri et doctoris; et hoc in nocte sequenti; et die sequenti scripture sunt facte. 39 – Affectio carnalis elongatur ab inuicem et amor spiritualis appropinquat ad inuicem. 40 – † [IHERVSALEM] 41 – † [Iherusalem] 42 – † [Iherusalem] 43 – † [IHERVSALEM] [fol. 58v°] DE OMNIBVS ILLVSIONIBVS MVNDI CONVERTENDIS AD SPECVLVM VERITATIS

Audiui quemdam cardinalem « album » in magica arte peritum, de mandato pape semel iocose contra naturam temporis secundum apparentiam produxisse uitem cum racemis maturis, et precepisse unicuique presenti ut apposito cultello super racemum non ultra precideret. Quo facto phantastica uel magica uisione cessante illisque repertis tenere cultellos super uirilia sua, se cognouerunt fuisse delusos. Quod non fuit aliud nisi significatio presentium gladiorum super genitalia inter lumbos Europe que dicitur Lombardia. Similiter de predicto uel alio mago audiui quod, cum nauigaret per mare cum aliis metuentibus impetum piratarum, precidit uirgulam uel festucam in truncos minutos, qui proiecti in mare apparuerunt in similitudine multitudinis nauium munitarum; quo hostibus effugatis, trunci reuersi sunt ad suam naturam. Pirate significant tyrannidem laicorum in similitudine diabolici maris. Naues phantastice sunt ambitiones ecclesiastice clericorum ascendentes usque ad Tharsum Cilicie seu minoris Armenie, quasi insule Cipri et Crete cum ceteris insulis in similitudine nauium, ad obtinendam archam Noe in montibus maioris Armenie (id est ad habendam monarchiam papalem per superbiam armatorum), sub specie defendendi magistrum magice artis (id est iustissimum iudicem suum). Sapientissimus iste magister et iudex, cum denudauerit magicam artem coram Deo et hominibus, erit laudabilis nec ullum imputabitur sibi peccatum. Propter obedientiam summi pontificis, optime fecit cardinalis albus ad maiorem reuelationem glorie Dei et ad discretionem ueri www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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contraire, c’est l’été au nord et l’hiver au sud, c’est alors la tiédeur générale qui en découle. – Moi, lorsque j’ai pénétré dans ma conscience, je me suis trouvé en premier dans l’état de pauvreté non choisi qu’on appelle la passion; en deuxième, dans un état de pauvreté volontaire, qui n’appartient pas à un ordre mais qu’on appelle l’allégresse spirituelle; en troisième, je me trouve aujourd’hui dans l’état du double repos (du corps et de l’âme)1 qu’on appelle l’action de grâces; en quatrième, je crois que je me trouverai dans un état de sollicitude spirituelle qu’on appelle la compassion pour ses proches2. – Fait le 2 des calendes d’octobre [30 septembre 1337]3, le jour [de la fête] de saint Jérôme, prêtre et docteur; ceci la nuit suivante; et le jour suivant, j’ai mis les notes écrites. – L’attachement charnel s’éloigne d’eux et l’amour spirituel s’approche d’eux. – † [JÉRUSALEM] – † [Jérusalem] – † [Jérusalem] – † [JÉRUSALEM]

[fol. 58v°] TOUS LES TOURS DE PASSE-PASSE DU MONDE DOIVENT ÊTRE RAMENÉS À L’IMAGE DE LA VÉRITÉ4

J’ai entendu dire qu’un certain cardinal « blanc »5, très fort dans l’art de la magie, à l’invitation du pape6 et manière de plaisanter, fit une fois apparaître, absolument hors saison, des pieds de vignes chargés de raisins mûrs; et qu’il ordonna à chacun des assistants de poser son couteau sur une grappe, mais sans aller jusqu’à la couper. Cette scène irréelle ou cette vision créée par magie ayant pris fin, ils se retrouvèrent en train de tenir leurs couteaux au-dessus de leurs organes virils et découvrirent qu’ils avaient été mystifiés7. Ce qui n’était pas autre

Notes 32 et 33. Opicinus retrace à sa façon son itinéraire. Les différentes étapes sont indiquées sur le dessin: notes 26, 15, 13 et 24. 3 Les dates de ce dessin (30 septembre – 1er octobre 1337) montrent qu’il a été fait quelques jours après les textes qui l’entourent, pour remplir la moitié de page vide en bas du fol. 58. 4 Ce chapitre est traduit et analysé par R. Salomon (« The Grape Trick », dans Culture in History. Essays in honor of Paul Rodin, New-York, 1960, pp. 531-540) et par Guy Roux (Opicinus, prêtre, pape…, pp. 413-424). 5 C’est-à-dire Benoît XII (portant l’habit blanc des cisterciens). 6 On peut s’étonner que la cour pontificale s’adonne à la pratique de la magie alors qu’elle la condamne officiellement: Opicinus critique donc ici la papauté. 7 Cette légende se retrouve au XVIe siècle chez Lercheimer, puis surtout dans le Faust de Goethe (1808), avec quelques variantes (notamment le nez au lieu des organes sexuels); or ils ne pouvaient connaître le Vaticanus. Il s’agit donc d’une histoire ancienne, sans doute issue de la littérature gréco-latine (mythes d’émasculation), qui véhicule des symboles universels (la vigne, la peur de la castration…) et dont Opicinus nous offre le premier témoignage écrit connu. 1 2

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FOL.

58v°

a falso, non habita consideratione persone sed ordinis. Nunc unus idemque magister et iudex non tamen identitate persone a minoribus ad maiora promotus. Cum denudauerit utrosque phantasticos ludos, omnis metus et sollicitudo discedet, et uana anxietas atque tristitia in risum et gaudium conuertentur, restituenturque nobis organa nostra que nuncusque fuerunt suspensa in salicibus sterilitatis super flumina Babilonis; que flumina figurantur per Tygrim et Eufratem defluentes per medium ueteris Babilonis Caldee siue per Gion secus nouam Babilonem Egypti. Nam cum reuerterer de secunda uisitatione sanctorum Lazari et Marie, appropinquans Orgonum obuiaui homini deferenti musica organa in loculo clausa1. Recogitaui postmodum me reperisse Orgonum pro organis in pectore huius Europe; media sillaba Orgoni producitur et organi breuiatur.

DE

PERFECTIONE INFIRMORVM FVTVRA

Translatus sanctus Augustinus corporaliter ab uberibus Affrice – in cuius pectore sunt omnes abissi qui ubera uberibus diabolici maris coherent (id est uulgariter Thetis, matris Achillis) – usque ad ubera minoris Affrice que dicitur Ianua, deinde ad uuluam minoris Europe que uocatur Papia, prefiguratus fuit per patriarcham Ioseph filium accrescentem, accepturum « benedictiones celi desuper (quasi pectoris Europe), et de benedictionibus abissi iacentis deorsum (quasi pectoris Affrice) et de benedictionibus uberum et uulue (quasi Ypponis Ianue et Papie) ». Ne

1

On attendrait: clauso.

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chose qu’une allusion à la présence des épées1 au-dessus des organes génitaux situés au milieu des parties sexuelles de l’Europe qu’on appelle Lombardie. J’ai également entendu rapporter de ce même magicien ou d’un autre que, durant un voyage en mer en compagnie de gens qui appréhendaient une attaque de pirates, il tailla un rameau ou une baguette de bois en menus morceaux, lesquels, jetés à l’eau, se métamorphosèrent en une flotte de bateaux de guerre; et une fois les ennemis mis en fuite, les morceaux de bois retrouvèrent leur état premier. Les pirates symbolisent la domination des laïcs, par analogie avec la mer diabolique. Les bateaux irréels représentent les ambitions ecclésiastiques des clercs qui vont jusqu’à Tarse, en Cilicie ou en petite Arménie, comme les îles de Chypre et de Crète ainsi que d’autres îles qui ressemblent à des bateaux, pour s’emparer de l’arche de Noé située dans les montagnes de la grande Arménie2 (c’est-à-dire pour posséder le gouvernement pontifical soutenu par la fierté des soldats), en feignant d’aider le maître ès-arts magiques (c’est-à-dire son juge très équitable). Ce maître très savant et aussi juge, bien qu’il ait dévoilé son savoir-faire magique devant Dieu et les hommes, sera l’objet des louanges et nul péché ne lui sera imputé. Pour avoir obéi au souverain pontife, le cardinal blanc a très bien œuvré à une plus grande révélation de la gloire de Dieu et à la distinction entre le vrai et le faux, sans tenir compte de la personne mais de son rang. Aujourd’hui, ce seul et même maître et juge, dont la personnalité est néanmoins différente, a quitté ses fonctions dérisoires pour être promu à plus hautes fonctions. Lorsqu’il aura dévoilé ces deux jeux d’illusions, toute crainte et tout souci s’en iront, l’anxiété et l’affliction inutiles se changeront en rires et en joie3, et nos organes retrouveront leur état primitif, eux qui jusqu’à présent avaient été suspendus aux saules de l’impuissance sur les eaux des fleuves de Babylone: ces fleuves sont représentés par le Tigre et l’Euphrate, dont le cours passe par le milieu de l’ancienne Babylone de Chaldée, ou par le Gion qui longe la nouvelle Babylone d’Égypte4. Car, alors que je revenais d’une seconde visite aux saints Lazare et Marie, parvenu à proximité d’Orgon5, j’ai rencontré un homme qui transportait, enfermé dans un étui, un instrument de musique à vent. J’ai réfléchi par la suite que j’avais découvert Orgon à la place de mes organes génitaux dans la poitrine de cette Europe; la deuxième syllabe d’Orgon s’allonge, alors que celle d’organe se raccourcit6. LA

PERFECTION À VENIR CHEZ LES FAIBLES

Saint Augustin quittant en personne les seins de l’Afrique – laquelle porte dans sa poitrine tous les abîmes qui relient ses seins aux seins de la mer diabo-

Les « épées » sont le symbole du pouvoir judiciaire. La distinction entre grande et petite Arménie s’inspire de MARCO POLO, Le devisement du monde (ch. XIX et XXI), éd. Ph. Ménard, t. 1, Paris, Droz, 2001, pp. 135-137. Elle est reprise dans V 12. 3 Voir Jn 16, 20. 4 Voir V 12, notes 32, 33 et 34. 5 Orgon: Bouches-du-Rhône, arr. Arles. 6 Jeux de mots à connotation sexuelle, traduisant encore la castration imaginaire d’Opicinus. 1 2

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ulla suspicio habeatur et ueniat ad personam, per Augustinum intelligitur uniuersitas rectorialis ad laicas plebes, ex quarum profectibus crescet et augebitur Ecclesia perfectorum.

DE

MINISTERIO CLAVIVM

Non sine causa additum fuit Bobium Ianue metropoli, eo quod minor Affrica nomine pectoris Ianua habet in manu bouinam Cartaginem (quasi ferream cartamclauis), cuius ianuam aperire et claudere potest clauis clauari (quasi clauicularii), nisi rapiat hanc Rapallum claudens sibi et aliis ianuam regni celorum. De uera scientia cum modicis litteris Quare facti sunt magistri theologie? Propter pueros et infirmos qui nondum nouerunt legem conscientie. Siquis homo, etiam centum annorum adhuc conscientie legem ignorat, inter pueros reputatur. Habitis enim primis articulis fidei cum modicis litteris, conseruata conscientia munda ab affectionibus mundi, potest in breui simplex homo theologie doctoribus coequari. Vna potest esse perfectio rustici et muliercule sine litteris cum sacre Scripture magistro. Non enim scientia litterarum sed caritas perficit hominem ad ueram scientiam sine litteris capiendam. Qui dicit hunc nunquam in iure nec in theologie scientia audiuisse, testimonium perhibet de Iohanne Baptista, qui ex utero matris sue non bibit uinum nec siceram. Vinum et siceram non bibere est theologiam et ius quodlibet non audire, quorum potu multi fuerunt ebrii ultra mensuram. Additum anno perfectionis, die sanctorum Iohannis et Pauli.

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lique (c’est-à-dire, pour parler franc, Thétis, mère d’Achille) – pour passer aux seins de la petite Afrique qu’on appelle Gênes1, puis à la vulve de la petite Europe qu’on nomme Pavie2, a été préfiguré par le patriarche Joseph, le plant fécond3, prêt à recevoir « les bénédictions des cieux d’en haut (c’est-à-dire de la poitrine de l’Europe), les bénédictions de l’abîme couché en bas (c’est-à-dire de la poitrine de l’Afrique) et les bénédictions des mamelles et du sein (c’est-à-dire d’Hippone située à Gênes et à Pavie) »4. Pour éviter qu’il n’y ait le moindre soupçon et qu’une personne n’en soit l’objet, Augustin représente la communauté des curés envoyés vers les foules laïques dont les progrès permettront à l’Église des parfaits de grandir et de s’étendre. LE

MINISTÈRE DES CLEFS

Ce n’est pas sans raison que Bobbio5 a été ajoutée à la métropole de Gênes, car la petite Afrique, Gênes, qui prend le nom de poitrine6, tient dans la main la Carthage du bœuf7, pour ainsi dire la c(h)arte en fer de la clef; la clef du clavaire (c’est-à-dire du porte-clefs) peut ouvrir et fermer cette porte, sauf si elle s’en empare en fermant Rapallo8 pour elle et la porte du royaume des cieux pour les autres. La véritable connaissance jointe à une culture limitée Pourquoi y a-t-il des professeurs de théologie? Pour les enfants et les faibles qui n’ont pas encore découvert la loi de la conscience. Si un homme, fût-il âgé de cent ans, ignore encore la loi de la conscience, il est compté avec les enfants. En effet, une fois qu’il a acquis les premiers articles de la foi ainsi qu’une culture limitée et qu’il a gardé sa conscience intacte, loin des attachements du monde, un brave homme peut rapidement être l’égal des docteurs en théologie. La perfection peut être la même chez le rustre et la faible femme dépourvus de culture que chez celui qui enseigne l’Écriture sainte. En effet, ce ne sont pas les connaissances livresques mais la charité qui fait avancer l’homme vers la véritable connaissance, laquelle doit être acquise sans culture. Celui qui dit que cet homme n’a jamais compris ce qu’était le droit ou la connaissance théologique apporte sa caution à Jean-Baptiste, lequel, une fois sorti du sein de sa mère, ne but ni vin ni boisson forte9. Ne boire ni vin ni boisson, c’est ne pas saisir la théologie ou le droit quel qu’il soit: il s’agit de boissons qui ont procuré une ivresse démesurée à beaucoup. Ajouté l’année de la perfection, le jour de [la fête de] saint Jean et saint Paul [26 juin 1338]. Voir V 6, note 23. Voir V 6, note 24. 3 Voir Gn 49, 22. Jeu de mots sur adcrescentem pour désigner Augustin. 4 Gn 49, 25. 5 Bobbio: au sud-sud-est de Pavie, à mi-chemin de la côte. 6 Opicinus passe de V 6 à V 34. 7 Jeu de mots. 8 Opicinus multiplie les jeux de mots à partir des noms de lieux d’Afrique (Carthage) et de Lombardie (Gênes, Bobbio, Rapallo). 9 Voir Lc 1, 15. 1 2

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FOL.

59

De comparando doctores euangelistis per similitudines et de uero pontificatu Assimilauimus Ieronimum homini euangeliste, cum uterque tractauerit sacras historias in terra Iudee; Ambrosium leoni, allegorizantibus ambobus super uentrem Italie; Gregorium boui, cum in minoribus fuerit apocrisarius directus Constantinopolim, ubi quasi socius euangeliste moralis cepit « Moralia super Iob »; Augustinum et aquile, qui speculationem eternam cepit a pectore Affricano euellens funditus omnes hereses inferioris abissi, prosecutus est pectus Europe per oculum rationis – ubi nunc sancta uniuersitas circa unum uersatur (uniuersitas, inquam, id est unius uersatio) – perfectus est in pectore Asie (id est intelligibilis statue per oculum intellectus). Siquis quesierit a persona: « Vis episcopari? », sit querenti parata responsio: « Tedet me tanto tempore tali officio [fol. 59] functum fuisse; frustra uigilaui, in uanum laboraui superintendere gregi meo ». Ab « epi » quod est super, et « scopin » quod est intendens. Reiterabilis questio: « Vis pontificari? », reiterata relatio: « Vtinam a labore quiescerem ». Iam puer prefectus fueram super pedagiis noui pontis tunc nuper constructi super Padum, inter burgum liberum siue francum et Bassignanam Papiensis diocesis. Fuit hec figura presentis pontificii mei. Residens enim in pontificatu incredule Cartaginis Papiensis, uidi non procul fieri pontem portatilem, quem transuectum in plaustris intrinseci spoliati castro nomine Summi posuerunt in transitum ad recuperandum castellum – quod et factum est ut audiui. Nondum enim intelligebam misterium; nunc adaucta scientia, creuit labor et dolor.

COLLATIO

MVNDI CVM VRBE

AVENICA

Asia naturalis habet Cesaream Cappadocie inter pennas et faciem diabolici maris, ubi sanctus Basilius misit Iuliano Cesari ordeaceos panes de paupertate sua, cui quasi iumento fenum ille remisit. Circa illum locum habet Asia Auinionensis domum helemosine pauperum que dicitur « Paniota »; quid istud significet iudicetur.

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Les liens entre docteurs et évangélistes en fonction de leurs ressemblances; le véritable pontificat Nous avons rapproché Jérôme de l’évangéliste homme, parce que l’un et l’autre ont rédigé des histoires saintes en habitant la terre de Judée1; Ambroise du lion, car tous deux ont utilisé l’allégorie en habitant sur le ventre de l’Italie; Grégoire du bœuf, parce qu’à ses débuts, il a été envoyé comme apocrisiaire à Constantinople2, là où, comme s’il s’associait à l’évangéliste moraliste, il a commencé les « Morales sur Job »; Augustin de l’aigle, car il a commencé sa contemplation éternelle en arrachant complètement de la poitrine de l’Afrique toutes les hérésies de l’abîme d’en bas, a recherché la poitrine de l’Europe en la considérant rationnellement – là où la sainte communauté est aujourd’hui tournée vers l’unité (oui, la communauté, c’est-à-dire le fait de se tourner vers l’unité3) – et se trouve parfait dans le cœur de l’Asie (c’est-à-dire de la statue qu’on peut comprendre en la considérant intelligemment). Si l’on demandait à une personne: « Désires-tu être évêque? », la réponse fuserait: « Je suis fatigué d’avoir exercé cet office aussi longtemps; [fol. 59] j’ai veillé inutilement; je me suis occupé en vain de surveiller mon peuple ». Le mot évêque vient de « epi » (qui signifie « sur ») et « scopin »4 (qui signifie « surveillant »). La question revient: « Désires-tu être pontife? »; et la répartie aussi: « Fasse le ciel que je me repose de mes peines! ». Déjà, lorsque j’étais enfant, j’avais contrôlé les péages du nouveau pont qui venait d’être construit sur le Pô, entre le bourg libre ou franc et Bassignano5, dans le diocèse de Pavie; ce qui préfigurait ma présente charge de pontife. En effet, alors que j’occupais le pontificat / que je travaillais au pont de Pavie appartenant à la mécréante Carthage, j’ai vu non loin de là arriver un pont mobile transporté sur des charrettes par des autochtones qui avaient été dépouillés du château du Sommet6 et qui en firent un passage pour reprendre la place forte – ce qui fut fait, à ce que j’ai entendu dire. En effet, je ne comprenais pas encore le mystère; maintenant que j’en sais davantage, mes peines et mes souffrances se sont intensifiées. RAPPROCHEMENT

ENTRE LE MONDE ET LA VILLE D’AVENICA

Césarée de Cappadoce se trouve en Asie naturelle, entre les ailes et le visage de la mer diabolique, là où saint Basile envoya à l’empereur Julien7 des pains

1 Jérôme vécut en Terre sainte de 385 (il avait alors 38 ans) jusqu’à sa mort (420). Il y rédigea des commentaires exégétiques et la « Vulgate ». 2 Alors que Grégoire menait une vie monastique, le pape Pélage II (579-590) l’envoya peu après son avènement comme apocrisiaire (nonce) à la cour impériale de Constantinople. 3 Jeu de mots uniuersitas/unius uersatio. 4 Opicinus utilise l’étymologie grecque: ejpß et skopeiˆn. 5 Voir P 20, année 1310. 6 Opicinus joue avec les deux parties de l’expression summus pontifex (le souverain pontife). L’ensemble du paragraphe est truffé de jeux de mots: pontificari/pontis/pontificatu… Opicinus exprime les frustrations qu’il a ressenties et ressent parce qu’il n’a pas obtenu la charge pontificale qu’il estime devoir lui revenir. 7 Julien l’Apostat, empereur de 361 à 363.

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DE

FOL.

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TESTIMONIIS MANIFESTIS IN IVDICIO PRODVCENDIS

Omnia gesta uisibilium rerum que uidi uel audiui aut legi – uel que potui uidere, audire uel legere – similiter omnia documenta facta mihi uel per inuisibilem Deum uel per uisibilem hominem aut per aliam creaturam, erunt in die Iudicii testimonia pro me uel contra me. Quod de me dico, de omnibus et singulis dico. Actum VII kalendas octobris. DE

DESCRIPTIONE ORBIS TERRARVM SPIRITVALITER EXPONENDA

In mappa maris nauigabilis secundum Ianuenses et Maioricenses, habetur certa taxatio passuum per miliaria que in lateribus huius carte. Per quodlibet punctum denotat X miliaria (scilicet in spacio inter punctum et punctum). Deinde per V spacia ipsa facit unam quadraturam oblongam, que per quinquies X computat L. Que quadrature per VII faciunt certam taxationem in longum habentem septies L, id est CCCL miliaria passuum. Habita certa descriptione maris, sine dubio intelligitur certa descriptio terre. Ista taxatio numeri CCCL facit nos conferre ueterem Iherusalem cum nostra Papia. Illa Iherusalem distans per illam certam taxationem CCCL (uel circa) tam a Babilone Caldee quam a Babilone Egypti se significat esse factam similem Babiloni. Per Iherusalem intelligo patrimonium Crucifixi in possessionibus cuiuslibet ecclesie ubi nunc crucifigitur Christus. Similiter illa Papia distans per eandem taxationem CCCL (uel circa), tam ab urbe Romana quam a ciuitate Lugduni (ubi omnia finiuntur in unum) uel a ciuitate Auinionis (ubi habetur uinculum unionis), se significat conuertendam a Babilonico uentre in pectus sancte et noue Iherusalem. Nam confusio Babilonis aduersatrix est uinculi sancte Auinionis. Per hanc certam taxationem intelligo rectitudinem linee a loco ad locum, non obstantibus montibus et fluminibus interpositis, licet Boetius secundum antiqua miliaria, cum esset exul Papie, dicat se distare a propriis quingentis fere milibus passuum in primo libro « De consolatione ». In reuersione autem ab Auinione per uiam Carpentorate, Ebreduni et Taurini usque ad Valentiam Papiensis diocesis, tempore longitudinis dierum, dietas X cum dimidia computaui; usque Papiam autem deficiebat minus quam dieta. Adhuc si uoluero melius computare de minoratione prime et ultime dietarum, ab Auinione usque ad predictam Valentiam non possunt computari nisi X diete. Certitudinem ueritatis significant mihi Ianua et Maiorica, quemadwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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d’orge1 pour [remédier à] son dénuement2; et ce dernier lui renvoya du foin3, comme à une bête de somme. Aux alentours de cet endroit, on trouve dans l’Asie d’Avignon une maison où l’on donne l’aumône aux pauvres, qui est appelée « Pignotte »4; examinons ce que cela veut dire. LES

TÉMOIGNAGES ÉVIDENTS À PRÉSENTER AU

JUGEMENT

Tout ce qui est accompli visiblement, et que j’ai vu, entendu ou lu – ou que j’ai pu voir, entendre ou lire – comme toutes les leçons qui me sont données par le Dieu invisible, par un homme visible ou par une autre créature, serviront de témoignages le jour du Jugement, en ma faveur ou contre moi. Ce que je dis à mon sujet, je le dis pour tout un chacun. Fait le 7 des calendes d’octobre [25 septembre 1337]. L’ÉVALUATION

DE L’ORBE TERRESTRE À EXPLIQUER SUR LE PLAN SPIRITUEL

Sur la carte de la mer navigable dressée par les Génois et les Majorquins, on peut évaluer le nombre exact de pas à l’aide des milles indiqués sur les côtés de cette carte. Chaque point correspond à 10 milles5 (c’est-à-dire la distance entre deux points). Après quoi, 5 de ces espaces constituent un rectangle allongé qui correspond à cinq fois 10, soit 50. Et ces rectangles, multipliés par 7, permettent de calculer avec précision une distance de sept fois 50, c’est-à-dire 350 milles divisés en pas6. Si l’on peut faire une évaluation précise sur mer, faire une évaluation précise sur terre ne pose pas de problème. Ce calcul de 350 [milles] nous permet de voir les similitudes entre l’ancienne Jérusalem et notre ville de Pavie. Séparée par cette distance estimée précisément à 350 [milles] (ou environ) de la Babylone de Chaldée comme de la Babylone d’Egypte, cette Jérusalem-là montre qu’elle est devenue semblable à Babylone. Par Jérusalem, je veux parler du patrimoine du Crucifié, qui se trouve dans les possessions de chaque église où le Christ est aujourd’hui crucifié. De la même manière, séparée par cette distance estimée précisément à 350 [milles] (ou environ) de la ville de Rome, de la cité de Lyon (où tout se ramène à l’unité) comme de la cité d’Avignon (où se trouve le lien qui fait l’union), cette Pavie-là indique qu’elle doit quitter le ventre de Babylone7 pour se tourner vers la sainte et nouvelle Jérusalem8. Car la confusion de Babylone s’oppose aux liens de la sainte Avignon. Par ce calcul précis, je veux parler d’une ligne droite allant d’un endroit à un autre, sans tenir compte des

Voir Jn 6, 9. Saint Basile (329-379), évêque de Césarée, menait une vie austère. 3 Voir Jn 6, 10 (herbe pour fenum). 4 L’aumônerie pontificale des pauvres est connue sous le nom de « Pignotte », du nom des petits pains qui étaient cuits pour les pauvres. Voir fol. 68. 5 1 mille = 1000 pas = environ 1, 5 km dans l’Antiquité; 1, 46 km à l’époque d’Opicinus. Voir fol. 60v°. 6 Soit un peu plus de 500 kms. 7 C’est-à-dire la Lombardie en proie aux factions. 8 C’est-à-dire Avignon. 1 2

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FOL.

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modum a ianuario Ianua et a maio Maiorica inter ceteros menses mensurabiles huius maris habent rationalia signa, scilicet Aquarium et Geminos in forma humana. Si autem duplex Augusta cum Cesaraugusta – ab A(a)ugusto Cesare, mense mensurabili describente orbem terrarum in origine Christi – produxerit signum Virginis in testimonium contra descriptionem presentem, dicendo me errasse, ratio ueritatis respondebit pro me. Loquere, ratio ueritatis: « Plus credo pluribus testibus uiris quam femine soli ». Existentibus enim ceteris mensium signis irrationalibus, ianuarius et maius mihi producunt in testes ueridicos Aquarium et Geminos aereos uel celestes, cum Aquarius produxerit usque ad nos I(i)anuam pectoris Affricani et Gemini caritate parati sint introire maiorem ianuam pectoris huius Europe. Cesar autem A(a)ugustus terrenus habet tantum signum Virginis, que est tota terrestris habens uitium naturale fallendi. Quinaria Ianua per V litteras significantes V sensus a ianuario honoratur, sicut Maiorica honorificat maium per V litteras tantum.

Pacificatio uentris nostri A Ianua usque Venetias per geometricam lineam terre sine respectu obstaculi montium, sunt circa CCL miliaria (id est quinquies quinquaginta), ut quelibet littera nominis Ianue sit mensura L miliariorum usque Venetias, quatinus titulus Ianue sine substantia reconcilietur substantie sine titulo. Venetia enim est uere Ianua sine titulo et Ianua habet solum titulum nominis. Si addatur Ianua quinaria Venetie septenarie, habebunt inter se duodenarium numerum apostolice benedictionis. Additum anno perfectionis, VI idus februarii, tunc dominica LXXª. Vere Ianua quinaria potest dici Pentapolis, id est Vque ciuitatum in temporalibus domina (scilicet primo sui ipsius, deinde Sagone, Nauli, Albingane et Victimilii); ut quot sunt littere Ianue, tot sint nomina ciuitatum sui et suarum, que omnes a monacho usque ad coruum in habitu religionis sub uno dominio colligantur. Nam coruus primo despiciens dominum suum Noe ad portum Veneris euolauit, ut in carne luxurie ab illo diluuio portum exigeret. Qui nunc per Dei gratiam se conuertit ad obsewww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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montagnes et des fleuves se trouvant sur la trajectoire, bien que Boèce qui compte en milles d’autrefois, lorsqu’il se trouvait en exil à Pavie, dise dans le premier livre de la « Consolation » qu’il est séparé des siens par presque cinq cent mille pas1. Or, en revenant d’Avignon par la route de Carpentras, Embrun et Turin, pour arriver à Valence située dans le diocèse de Pavie, à l’époque où les jours sont longs, j’ai compté qu’il fallait 10 journées2 et demi; après quoi, il manquait moins d’une journée pour arriver à Pavie. Si je décide de peaufiner mes calculs en raccourcissant la première et la dernière journée, on ne peut compter moins de dix journées pour aller d’Avignon à Valence. Gênes et Majorque m’indiquent la vérité avec évidence, parce que Gênes qui est tirée de janvier3 et Majorque de mai4, entre autres mois que l’on peut mesurer sur cette mer, possèdent des signes [du zodiaque] doués de raison, à savoir le Verseau et les Gémeaux qui ont une forme humaine. Mais si la double Augusta associée à Césaraugusta5 – qui sont tirés de l’empereur Auguste / d’août, mois que l’on peut mesurer et qui représente l’orbe terrestre d’où provient le Christ – mettent en avant le signe de la Vierge pour témoigner contre la représentation que voici en disant que je fais erreur, la vérité s’appuyant sur la raison répondra à ma place. Parle, vérité rationnelle. « Je fais davantage confiance à plusieurs témoins hommes qu’à une seule femme ». En effet, comme les autres mois ont des signes du zodiaque dépourvus de raison, janvier et mai me donnent comme témoins sûrs le Verseau et les Gémeaux, signes de l’air ou du ciel; puisque le Verseau a conduit jusqu’à nous Gênes, la porte de la poitrine de l’Afrique, et que les Gémeaux unis par la charité sont prêts à passer la grande porte de la poitrine de cette Europe. Mais l’empereur Auguste / d’août qui est terrien/mondain dispose seulement du signe de la Vierge, laquelle est entièrement un signe de terre / attachée à ce monde, car son défaut naturel est de mentir. Gênes, qui est quinaire6 car ses 5 lettres symbolisent les 5 sens, est honorée par janvier, de même que Majorque rend honneur à mai avec seulement 5 lettres. La pacification de notre ventre Entre Gênes et Venise, en traçant une droite géométrique sans tenir compte des obstacles que représentent les montagnes, il y a environ 250 milles7 (c’est-à-dire cinq fois cinquante), si bien que chaque lettre du nom de Gênes correspond à une distance de 50 milles pour aller à Venise, dans la mesure où le titre de Gênes dépourvu de substance fait la paix avec la substance dépourvue de titre. En effet, Venise est réellement Gênes, mais sans en avoir le titre, et Gênes ne détient que le titre du nom. Si on ajoute Gênes, qui est quinaire, à Venise, qui est septénaire, elles détiendront à elles deux le nombre douze de la bénédiction apostolique. 1 2 3 4 5 6 7

Voir BOÈCE, Consolation, livre I, 8, p. 59. D’où 1 mille = environ 1 km. Dieta veut dire: jour assigné. Voir V 31, notes 5 et 6. Voir V 31, notes 7 et 8. Voir V 31, note 11. Quinaire: qui a pour base le chiffre cinq. Soit environ 300 km.

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FOL.

59-59v°

quium prophetarum, ab Helia usque ad istum monachum benedictum confinientem Prouinciam cum Riparia Ianuensi. Meridies semper clarus non eget lucerna de capite faris. Vertens autem faciem suam Ianua ad aquilonem semper obscurum, ex illa lucerna effugat tenebras pelagi Lombardie. Additum X kalendas iunii.

[fol. 59 v°] DE

HONORE

VIRGINIS MARIE

EX TITVLIS PER

PAPIAM

Papia quinaria per V litteras scripta honorificat beatissimam Virginem Mariam pre ceteris ciuitatibus finitimis, per ecclesias in honore nominis sui quinquies V (id est XXV intra muros, exceptis similibus extra muros); ut cum fuerit tota conuersa cum uniuersali Papia ad pectus, papa cum Papia det honorem in pectore Deo cum Virgine Maria. Ecce in terminis: MR DEUS A IA PP PAPA1

DE

DOCTRINE LEGALI CONVERTANDA AD DOCTRINAM SPIRITVALEM

Si seruus genuerit prolem de libero uentre, libera proles erit. Si lex ciuilis non exposita fuerit spiritualiter, inter fabulas reputatur. Lex enim ciuilis est grauida ueritate, cuius cortex cum glosulis suis fabula est. Ecce spiritualis expositio. Si ego qui sum seruus populi christiani, suscitauero populum nouum per semen expositionis mentalis de libero uentre sacre Scripture, erit filius libere matris sue que est Ecclesia perfectorum. Si liber genuerit prolem de uentre ancille, erit soboles seruitutis; id est si populus laicalis suscitauerit populum rudem per semen expositionis spiritualis de seruili uentre legis ciuilis, erit filius Agar que est parrochia infirmorum. Si quis genuerit prolem de uentre liberte, erit soboles Les majuscules des quatre mots entrelacés sont plus grandes et plus épaisses que le reste du texte. 1

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Ajouté l’année de la perfection, le 6 des ides de février, qui correspond au dimanche de la Septuagésime [dimanche 8 février 1338]. Gênes, qui est quinaire, mérite d’être appelée la Pentapole, c’est-à-dire celle qui commande à cinq villes sur le plan temporel (à savoir d’abord elle-même, puis Savone, Nole, Albinga et Vintimille1); si bien que le nombre de lettres de Gênes est le même que celui des cités qui dépendent d’elle (y compris elle-même); elles sont toutes réunies sous la même domination, depuis le moine jusqu’au corbeau2 en habit monastique. Car le corbeau, commençant par délaisser son maître Noé3, s’est envolé vers le port de Vénus4, si bien que, plongé dans les voluptés charnelles, il demandait asile contre ce déluge. Et aujourd’hui, par la grâce de Dieu, il s’est converti pour faire la volonté des prophètes, depuis Élie jusqu’à ce moine béni qui se trouve aux confins de la Provence et de la Riviera de Gênes. Le midi toujours lumineux n’a pas besoin de lampe5 pour le responsable du blé6. En revanche, si Gênes tourne son visage vers le nord toujours sombre, cette lampe lui permet de chasser les ténèbres qui recouvrent la mer de Lombardie. Ajouté le 10 des calendes de juin [23 mai 1338]. [fol. 59v°] LES HONNEURS RENDUS À LA VIERGE MARIE PAR LES TITRES QUE LUI DONNE PAVIE Gênes, qui est quinaire puisqu’elle s’écrit avec 5 lettres, rend plus d’honneurs à la très sainte Vierge Marie que les autres villes voisines, car elle possède cinq fois 5 églises qui lui sont dédiées (c’est-à-dire 25 à l’intérieur des remparts, sans compter celles qui lui sont dédiées à l’extérieur des remparts); si bien que, lorsqu’elle se sera entièrement tournée vers la poitrine avec l’universelle Pavie, le pape associé à Pavie rendra gloire dans la poitrine à Dieu ainsi qu’à la Vierge Marie7. Voilà [ce que cela donnera] à la fin: MR DIEU A IE PV PAPE L’ENSEIGNEMENT

DE LA LOI DOIT DEVENIR UN ENSEIGNEMENT SPIRITUEL

Si un enfant est engendré par un esclave dans le sein d’une femme libre, il sera libre. Si la loi civile n’est pas expliquée sur le plan spirituel, elle passe pour des fadaises. En effet, la loi civile est remplie de vérité, mais ses commentaires superficiels sont des fadaises. Voici une explication spirituelle. Si moi, qui suis le serviteur du peuple chrétien, je fais lever un peuple nouveau du sein libre de l’Écriture sainte,

Il s’agit des évêchés suffragants de l’archevêché de Gênes. Voir Gn 8, 6. La valeur symbolique du corbeau est généralement négative. 3 Voir Gn 8, 7. 4 Il s’agit de Luna (voir fol. 32v°). 5 Voir Ap 21, 23 et 22, 5. 6 C’est-à-dire le boulanger, autrement dit Jacques Fournier devenu le pape Benoît XII. 7 Le schéma qui suit résume le paragraphe: Opicinus joue avec les lettres de Marie, Dieu, Pavie et pape – ce qui lui permet une identification globalisante. 1 2

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592

FOL.

59v°

libertina uel quasi libertus, non totaliter seruus nec totaliter liber; id est siquis suscitauerit populum proficientem ad perfectionem per semen expositionis spiritualis de uentre liberto legis canonice, erit filius adoptande que est sacramentalis Ecclesia, inter seruitutem signorum uisibilium et libertatem inuisibilis rei. Vt fiat ubique conuersio de terrenis legis ciuilis ad uisibilia sacramenta legis canonice propter pueros et infirmos, et de uisibilibus signis legis Ecclesie siue canonice ad inuisibilem rem legis diuine usque ad perfectos. Nonne ius positiuum utrumque docetur in extremis uteri seruitutis que Bononia nominatur? Et sacre theologie scientia in humero libertatis que Parisius dicitur? Nam a crure sinistro Vngarie, Sclauonie et Seruie, concurritur ad doctrinam uentris Italie in testimonium seruitutis. Tamen nunc per contrarium dicit uenter Italie qui debetur esse terra imperialis (id est terra Imperii). Non sum seruus sub imperio hominis, sed sum liber. O uentris extremitas, habes testimonium contra te ipsam; despicis enim bonorum omnium nomen. « Ego sum, dicit Dominus, uitis uera et pater meus agricola est ». Si respicias fundamentum, Verbum omnipotens, filius Dei uiui, se uenundedit quasi seruum ut a uentre conuertereris in pectus Ecclesie. Si respicias speculum, paternitas Christi (id est auctoritas sacerdotalis) se facit agricolam, ut uitis terre seruilis (id est plebs parrochialis) honorificetur ut filius. Audi Ambrosium, uentralis Bononia, de laudibus sanctorum martirum Vitalis et Agricole: « Apud Dominum bona seruitus et bona libertas equa lance appenduntur, quoniam nulla maior dignitas quam seruire Christo qui nos tali pretio estimauit ut animam suam pro nobis traderet et cetera. Sed uertit hoc Christus Dominus noster in gratiam, ut martirium serui dominus imitaretur. Vtrisque nomen actum, ut martirio designati iam ipsis uocabulis uiderentur. Ille Vitalis dictus est quasi contemptu istius uite ueram illam uitam eternam sibi acquireret. Iste Agricola, quia bonos fructus spiritualis gratie seminaret et sacri sanguinis effusione meritorum suorum omnium uirtutumque rigaret plantaria ». Hec Ambrosius. Cum V(u)italis Bononia, que clauibus ferreis clauserat monumenta doctorum suorum, produxerit de duritia littere riuos spiritualis dulcedinis, tunc Padua soror sua de regione Venetie laudabit Bononiam regionis Emilie per sanctam mutuam mercationem uendendi et emendi. Vendendi quippe gloriam personalem et emendi gloriam uniuersalem. Sapientie VII°, in honore sancti minoris Antonii: « Optaui et datus est mihi sensus. Et inuocaui et uenit in me spiritus sapientie, et preposui illam regnis et sedibus (ecce pretiosissima emptio), et diuitias nichil esse dixi in comparatione illius (ecce uilis uenditio) et cetera. Venerunt autem mihi omnia bona pariter cum illa (ecce gloria non illius particularis Bononie que nichil est, sed uniuersalis Bononia1 que aliquid

1

On attendrait: Bononie.

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grâce à la semence apportée par des explications intellectuelles, il sera le fils de sa mère libre, c’est-à-dire de l’Église des parfaits. Si un enfant est engendré par un homme libre dans le sein d’une esclave, il sera le rejeton de l’esclavage. Traduisons: si le peuple laïc fait lever un peuple grossier du sein esclave de la loi civile, avec la semence apportée par des explications spirituelles, il sera le fils d’Agar, c’est-à-dire de la paroisse des faibles. Si un rejeton est engendré dans le sein d’une affranchie, il sera affranchi ou presque, puisqu’il ne sera ni entièrement esclave ni entièrement libre. Traduisons: si quelqu’un fait lever un peuple en marche vers la perfection du sein affranchi de la loi canonique, grâce à la semence apportée par des explications spirituelles, il sera le fils de celle qui doit être adoptée, c’est-à-dire de l’Église sacramentelle, qui est à mi-chemin entre l’esclavage des signes visibles et la liberté de l’invisible. Ainsi l’on quittera partout les aspects matériels de la loi civile pour se tourner vers les sacrements visibles de la loi canonique, à cause des enfants et des faibles, et que l’on quitte les signes visibles de la loi de l’Église dite canonique pour se tourner vers la réalité invisible de la loi divine, y compris vers les parfaits. Ces deux formes de droit institutionnel ne sont-elles pas enseignées à l’extrémité de la matrice de l’esclavage appelée Bologne1? Et la connaissance de la sainte théologie, dans l’épaule de la liberté nommée Paris? Car depuis la jambe gauche de la Hongrie, du pays des Slaves et de la Serbie, on accourt pour recevoir l’enseignement du ventre de l’Italie, en témoignage de l’esclavage. Aujourd’hui pourtant, le ventre de l’Italie dit au contraire qu’il doit être terre impériale (c’est-à-dire terre d’Empire). Je ne suis pas un esclave soumis au pouvoir d’un homme, mais je suis libre. Ô, extrémité du ventre, tu portes témoignage contre toi-même, car tu rejettes ton nom de « tous les biens »2. « C’est moi, dit le Seigneur, qui suis la vigne véritable, et mon Père est le vigneron »3. Si tu regardes le fondement, le Verbe tout-puissant, le Fils du Dieu vivant, s’est vendu comme un esclave pour que tu quittes le ventre et te tournes vers la poitrine de l’Église. Si tu regardes l’image, la paternité du Christ (c’est-à-dire l’autorité sacerdotale) se fait vigneron, pour que la vigne de la terre esclave (c’est-à-dire les ouailles de la paroisse) soit honorée comme un fils. Écoute Ambroise, toi la Bologne du ventre, parler des louanges adressées aux saints martyrs Vital et Agricola4: « Pour Dieu, une servitude exemplaire et une liberté exemplaire sont pesées avec une même balance, puisqu’il n’y a pas de plus grand honneur que de servir le Christ, qui nous a évalués un tel prix qu’il a livré son esprit pour nous etc. Mais le Christ notre Seigneur a transformé cela en grâce, si bien que le maître a reproduit le martyre de l’esclave. Chez l’un et l’autre, le nom s’est traduit en actes, si bien qu’ils apparaissaient déjà appelés au martyre par ces noms. Le premier est appelé Vital comme si, en tenant la vie d’icibas pour négligeable, il avait obtenu l’authentique vie éternelle de l’au-delà; le

Bologne était réputée pour l’enseignement du droit. Jeu de mots Bononia / omnia bona. 3 Jn 15, 1. Cette phrase est à l’origine de la vogue artistique du Pressoir mystique, qui commence précisément au XIVe siècle. 4 Jeux de mots vitis/Vitalis et A(a)gricola. Saint Vital et saint Agricola furent martyrisés à Bologne sous Dioclétien (304); c’est saint Ambroise qui découvrit leurs corps quelques années plus tard. L’explication des noms des deux martyrs par l’étymologie chez saint Ambroise ne peut que satisfaire Opicinus. Voir V 34, note 51. 1 2

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FOL.

59v°

est) ». Ethimologizatur enim Bononia « bona omnia », sed ne crassa uentralis Bononia aduersus macram humeralem uel scapularem Bononiam glorietur. Quod de Bononia dico, de qualibet parrochia dico; ut cum conuersa fuerit lex ciuilis in legem canonicam, lex canonica in sacram theologiam, sacra theologia in legem diuinam sine litteris uel scripturis – quasi ancilla misera in libertam, liberta adoptata in filiam, et filia in liberam dominam matrem nostram – tunc sapiens poterit dicere: « Et ignorabam quoniam omnium bonorum mater est ». Vnde uersus: Petrus ubique pater (id est sanctissimus pater) significat uerum patrem in pectore nostro; legumque Bononia mater (id est uere legis omnium legum) dat bona omnia mater Ecclesia.

De partialitatibus Lombardie Ego uniuersalis sanctus et innocens populus christianus, uniuersalis Ecclesia et sacerdotale collegium, ab initio seculi usque nunc nunquam fui partialis. Diligo enim totum non partes. Persona autem mea mortalis, que hodie uiuit et cras morietur, semper declinabat ad partem que se uocat partem Ecclesie, que aduersatrix est mihi, nisi istam personam meam subiecissem sub me. Alia enim pars que uocatur Imperii, mihi similiter inimica, fuit iusta correctio huius mancipii mei. Pars Ecclesie falso modo uocata seducebat mancipium meum ad se; pars autem Imperii, nomine diaboli dominantis Ecclesie, iusto modo correxit et domuit mancipium meum et redire fecit ad obedientiam meam. Additum anno perfectionis, IIII kalendas maii, die sancti Vitalis, martiris Rauennatis. XVI

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second, Agricola, parce qu’il a semé les bons fruits de la grâce spirituelle et qu’en répandant le sang de la sainteté, il a arrosé les jeunes plants de l’ensemble de ses mérites et de ses vertus ». Voilà ce que dit Ambroise. Lorsque la Bologne pleine de vitalité / de Vital, qui avait enfermé derrière de lourds verrous les instructions de ses docteurs, aura tiré des ruisseaux de douceur spirituelle de la lettre inflexible, alors Padoue, sa sœur du territoire de Vénétie, fera l’éloge de Bologne qui est sur le territoire de l’Émilie, grâce à un saint commerce réciproque de ce qui doit être vendu et acheté1. Il faut vendre, bien sûr, la gloire personnelle et acheter la gloire universelle. Le 7e chapitre de la Sagesse fait honneur à saint Antoine le Mineur2: « J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai invoqué et l’esprit de sagesse m’est venu; et j’ai préféré celle-ci aux sceptres et aux trônes (voici l’achat le plus précieux), et j’ai tenu pour rien la richesse en comparaison d’elle (voici une vente méprisable) etc. Et avec elle, me sont venus tous les biens (voici la gloire, non pour cette Bologne individuelle qui ne vaut rien, mais pour l’universelle Bologne qui a du prix) »3. En effet, étymologiquement, Bologne veut dire « tous les biens », mais en évitant que la Bologne plantureuse du ventre ne se glorifie aux dépens de la fluette Boulogne4 du bras ou de l’épaule. Ce que dis pour Bologne, je le dis pour chaque paroisse; si bien que, lorsque la loi civile sera devenue la loi canonique, la loi canonique la sainte théologie, la sainte théologie la loi divine sans textes ni écrits – comme la servante misérable devient l’affranchie, l’affranchie adoptée la fille, et la fille notre mère et maîtresse libre – le sage pourra alors s’écrier: « Et j’ignorais qu’elle était la mère de tous les biens »5. D’où les vers: Pierre, le père qui est partout (c’est-à-dire le très saint père), indique le véritable père qui est dans notre poitrine; et Bologne, la mère des lois (c’est-à-dire de la véritable loi parmi toutes les lois), donne tous ses biens en tant qu’Église-mère6. Les factions lombardes Moi, le peuple chrétien universel, saint et innocent, l’Église universelle et le collège sacerdotal, depuis le commencement des temps et jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais appartenu à un parti. En effet, j’aime le tout et non les parties. Mais ma personne mortelle, qui vit aujourd’hui et mourra demain, penchait toujours vers le parti qui se nomme parti de l’Église et qui est mon adversaire, sauf si je mettais cette personne qui est mienne sous ma sujétion. En effet, l’autre parti qu’on appelle celui de l’Empire, qui m’était lui aussi hostile, a puni à juste titre mon esclave qui en était membre. Le parti de l’Église – appellation impropre – attirait mon esclave à lui; mais le parti de l’Empire, prenant le nom du diable qui commande l’Église, a puni à juste titre mon esclave et l’a ramené à mon obéissance. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des calendes de mai [28 avril 1338], le jour [de la fête] de saint Vital, martyr de Ravenne. XVI 1 2 3 4 5 6

Jeux de mots Venitia/uendere et Emilia/emere. C’est-à-dire saint Antoine de Padoue. Sg 7, 7-11. C’est-à-dire Boulogne-sur-Mer, en France. Sg 7, 12. Pierre, le véritable père, Bologne et l’Église-mère correspondent à Opicinus.

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[fol. 60] DE

FOL.

60

QVALITATE RECTORIS ECCLESIE

Vnus idemque rector parrochie potest diuersimode esse Iohannis Baptista in deserto Iudee, apostolus peregrinus in terra Galilee et apostolus ciuis in Antiochia Syrie. In primo statu elongationis a medio recte linee semper est, ratione nichil habentis affectualiter. In secundo statu appropinquationis ad medium quasi in castro peregrinorum est, ratione infirmantis cum infirmis omnia temporalia reputantis mobiliter. In tertio uero statu sessionis in medio quasi in prima cathedra sancti Petri est, ratione perfecti cum perfectis corporaliter possidentis ueram possessionem, id est perfectam uiuentem Ecclesiam immobiliter. Si ergo rediero cum tempus fuerit opportunum ad parrochiam meam, credo me esse interius nudum heremitam (sicut sunt ceteri compresbiteri mei) et exterius apostolum peregrinum ad animas mihi commissas adhuc infirmas. Apostolum autem ciuem nondum me uideo, cum nulla perfectio mee plebis appareat. Testudo portatilis domus sue significat Ecclesiam peregrinam cum tabernaculis suis. De lege ecclesiastica Lex Scripture, que ante aduentum Domini dicebatur lex moysaica, nunc translata cum sacerdotio dicitur largo modo lex canonica; stricto autem modo diuiditur in legem canonicam et legem ecclesiasticam. Lex canonica tractat de hiis que pertinent ad ecclesiastica iura ciuiliter et criminaliter defendenda communicando cum iure ciuili; lex autem ecclesiastica de sacramentalibus statuendis et de temporalibus annexis cum spiritualibus. Prima ad tutelam, secunda ad curam populi christiani adhuc pueri et infirmi, quasi pupilli defendendi et nutriendi per sollicitudinem perfectorum. Nunc spiritualis conuersio facit de Europa immobilium prediorum quasi Asiam ciuem omnium perfectorum ubi sedemus predicantes; ac si domus Predicatorum Auinionensis occidentalis esset conuersa in orientalem, cum summo pontifice consecrato aspiciente ad orientem conuersum in occidentem infirmorum. Et Asia habitans in tabernaculis mobilibus facta est quasi Europa in habitu peregrine cum infirmis. De spirituali matrimonio non mutando Cum essem exul Valentie Papiensis diocesis, fuit mihi missa temptatio ut dimissa legitima prima uxore superducerem alienam nomine dotis non prolis; accessurus in orientem, inter Placentiam et Papiam (quasi in terram Iudee uel Syrie, respectu uniuersalis territorii Papiensis occupantis fere totum mundum). Inuenta autem occasione nequeundi prelationis ecclesiam acceptare, per Dei gratia fui gauisus. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 60] À

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PROPOS DU CURÉ D’ÉGLISE

Un seul et même curé de paroisse peut être indifféremment Jean-Baptiste dans le désert de Judée, un apôtre voyageur en terre de Galilée et un apôtre citoyen à Antioche en Syrie. Dans la première condition, il est toujours éloigné du milieu de la ligne droite1, parce qu’il ne possède rien sur le plan sentimental. Dans la deuxième condition, il approche du milieu (pour ainsi dire du château du pèlerinage2), parce qu’il est faible avec les faibles en considérant tous les biens temporels comme instables. Mais dans la troisième condition, il siège au milieu, c’est-à-dire qu’il occupe la chaire principale, celle de saint Pierre, parce qu’étant parfait avec les parfaits, il possède corporellement le bien authentique, c’est-àdire l’Église parfaite qui vit dans la stabilité. Par conséquent, si je regagne ma paroisse lorsque le moment est favorable, je me prends à l’intérieur pour un ermite nu (comme le sont mes autres collègues dans la prêtrise), et à l’extérieur pour un apôtre voyageant vers les âmes qui m’ont été confiées et qui sont encore faibles. Mais je ne me considère pas encore comme un apôtre citoyen, puisque la perfection de mes ouailles n’est encore aucunement visible. La tortue qui porte sa maison symbolise l’Église qui voyage avec ses tentes/tabernacles. La loi ecclésiastique La loi de l’Écriture, qu’on appelait loi de Moïse avant l’avènement du Seigneur, aujourd’hui attachée au sacerdoce, est appelée loi canonique au sens large: mais au sens strict, elle se décompose en loi canonique et loi ecclésiastique. La loi canonique traite de ce qui concerne les droits de l’Église qu’il faut défendre au civil comme au criminel, en liaison avec le droit civil; alors que la loi ecclésiastique traite des affaires sacramentelles qu’il faut réglementer et des affaires temporelles liées aux affaires spirituelles. La première a pour objectif de protéger et la seconde de soigner le peuple chrétien encore enfant et faible, tel un pupille qui doit être défendu et nourri par les parfaits attentifs. Aujourd’hui, sa conversion spirituelle permet à l’Europe des domaines stables de devenir pour ainsi dire l’Asie citoyenne de tous les parfaits, où nous siégeons en prêchant; comme si le couvent des Prêcheurs situé à l’ouest d’Avignon se retrouvait à l’est, avec le souverain pontife consacré portant ses regards vers l’est devenu l’ouest des faibles. Et l’Asie qui habite des tentes instables / des tabernacles mobiles devient pour ainsi dire l’Europe en train de voyager avec les faibles. Le mariage spirituel qu’il ne faut pas modifier Alors que j’étais en exil à Valence, dans le diocèse de Pavie, je reçus la tentation d’abandonner ma première femme légitime pour en épouser une autre en 1 2

Voir schémas A et C. Voir V 7, note 20.

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DE

FOL.

60

QVALITATE PARROCHIE ET RECTORIS

Per sortem tribus Iuda habentis ab oriente mare Sodome et Gomorre significatur rectoria parrochialis. Rex Iuda habuit regnum totius domus Israel, nisi ex Effraim suscitatus fuisset scismaticus rex qui ydolis suis attraxisset ad se populum Israel aduersus regem Iuda; id est legitimus rector parrochie habet gubernare totam plebem sibi commissam, nisi quispiam ex plebe contra rectorem presumpserit corrumpere ceteros ad fabricanda in pectoribus suis ydola mundi. Ego mee parrochie rector ex Iuda et minister ex Leui, si derelicto populo meo rudi accessero ad aliam plebem, ero similis adherenti pueris alienis quibus abutar, ac si accederem ad orientem maris Sodomorum. Tunc terrena mobilia infirmorum ex affectione reputo immobilia, quasi possessurus in hereditate sanctuarium Dei (id est oblationes factas ad populi nutrimentum quas in me meosque conuerto). Verum sanctuarium Dei erit populus meus cum fuerit bene perfectus, quem in hereditate possidebo cum collegio perfectorum.

DE

SPIRITVALI IVDICIO

Necessitas fuit nunc usque ut omnes hereses proferrentur in lucem, donec apertis montibus Pireneis cum ferro inter pectus et uentrem tempore Scipionis, pateat uia scandentibus a uentre ad pectus. Nunc uenit hora surgentis regine austri (id est prudentissime Affrice Auinionensis) in iudicio ad condempnandam generationem errantium, que ex profunditate pectoris sui eructuabit abscondita ab initio seculi. Vbi sit profunditas pectoris Affrice presentis Auenice iam patescit. Affrica Papiensis non habet tantam sapientiam pectoris nec profundam; hec autem transiuit a capite rationis ad pectus omnis abissi. Actum VI kalendas octobris.

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secondes noces, à cause de la dot et non de la descendance; j’étais disposé à aller vers l’est, entre Plaisance et Pavie (pour ainsi dire en Judée ou en Syrie, par rapport au territoire universel de Pavie qui occupe presque le monde entier1). Mais, des circonstances fortuites m’ayant empêché d’accepter l’église, grâce à Dieu, je m’en suis réjoui. CE

QUE SONT LA PAROISSE ET LE CURÉ

Le destin de la tribu de Juda, à l’est de laquelle se trouve la mer de Sodome et Gomorrhe2, indique la fonction de curé de paroisse. Le roi de Juda3 aurait régné sur toute la maison d’Israël si Éphraïm n’avait pas suscité un roi schismatique4 qui, avec ses idoles, attirait à lui le peuple d’Israël en le dressant contre le roi de Juda. Traduisons: le curé légitime d’une paroisse dispose du gouvernement de toutes les ouailles qui lui sont confiées, à moins qu’une de celles-ci n’ait l’audace, en se dressant contre le curé, de détourner les autres pour qu’elles fabriquent les idoles du monde dans leurs cœurs. Moi, le curé de ma paroisse issu de Juda et le ministre issu de Lévi5, si j’abandonne mon peuple grossier pour aller vers d’autres ouailles, je ressemblerai à celui qui s’agrippe aux enfants des autres pour en abuser, comme si j’allais vers la mer des Sodomites à l’est. Alors je suis enclin à considérer comme stables les biens terrestres instables des faibles, comme si j’étais prêt à avoir en héritage le sanctuaire de Dieu (c’est-à-dire les offrandes faites pour nourrir le peuple, et que je détourne en les prenant pour moi et pour les miens). Le véritable sanctuaire de Dieu, ce sera mon peuple lorsqu’il sera parvenu à la perfection; je l’aurai en héritage avec le collège des parfaits. OPINION

SPIRITUELLE

Il était indispensable jusqu’à aujourd’hui que toutes les hérésies soient mises en lumière, en attendant que, les Pyrénées ayant été ouvertes avec une épée entre la poitrine et le ventre à l’époque de Scipion6, un chemin s’ouvre pour ceux qui montent du ventre vers la poitrine. Aujourd’hui vient le moment où se lève la reine du sud7 (c’est-à-dire la très sage Afrique d’Avignon) pour le jugement: elle vient condamner la génération de ceux qui s’égarent, elle qui rejettera des profondeurs de sa poitrine ce qui s’y trouve caché depuis le début du monde8. Le lieu où se trouvent les profondeurs de la poitrine de l’Afrique de la présente Avenica Voir V 28, V 29 et V 30. C’est-à-dire la mer Morte. 3 Juda et Joseph: fils de Jacob. Éphraïm: 2e fils de Joseph. 4 Jéroboam, de la tribu d’Éphraïm, a causé le schisme entre les royaumes d’Israël (nord et sud) en 931 av. J.C. 5 Lévi: 3e fils de Jacob. Voir V 7, note 12. 6 Allusion à la 2e guerre punique (entre Rome et Carthage): en 218, Hannibal traverse les Pyrénées et les Alpes, mais ne peut prendre Rome; Scipion l’Africain mettra fin à la domination carthaginoise en Espagne comme en Afrique. 7 Voir Lc 11, 31. 8 Voir Mt 13, 35 (Ps 78, 2). 1 2

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600

1

FOL.

60-60v°

De glorificatione sanctorum in presenti Ecclesia

Vnusquisque sanctus beatificatus in patria habet uirtutem suam in ista Ecclesia, ubi potest de die in diem plus glorificari usque ad consumationem seculi. Verbi gratia. Cum ista Ecclesia habens in se uirtutes et ministeria illorum sanctorum, exequitur ministerium et uirtutem Petri apostoli non tam uerbo quam opere, facit profectum anime Petri que est tota uniuersalis. Cum exequitur ministerium et uirtutem Pauli apostoli, glorificat animam Pauli. Cum exequitur ministerium et uirtutem talis sancti uel talis sancte, glorificat animam illius sancti uel sancte. Quelibet anima illorum sanctorum habens specialem uirtutem est tota uniuersalis in ista Ecclesia, non plures anime. Anima Petri habens specialem uirtutem est tota uniuersalis in Ecclesia ista. Similiter anima talis sancti uel sancte habens specialem uirtutem est tota uniuersalis in ista Ecclesia. Et sic unaqueque anima cuiuslibet sancti habens specialem uirtutem hic est tota uniuersalis hic; non plures anime sed unica anima quam ista Ecclesia habet; unica, inquam, anima, non ex parte nature sed uirtutis et gratie. Que anima cuiuslibet sancti non eget profectu in illa beatitudine sed in ista Ecclesia, donec perficiatur in omni plenitudine perfectionis. Additum anno perfectionis, VII idus iulii.

DE

DISPOSITIONE CONTRARIA HOMINIS

Deus creauit malum et bonum, tenebras et lucem; id est in homine naturali ab utero fecit hominem exteriorem ueterem et carnalem potentialiter cum anima sua concupiscibili, et hominem interiorem nouum et spiritualem similiter potentialiter cum anima sua rationali. Vna est bona natura corporalis et spiritualis in utroque, ab illo tamen potentialiter corrupta et ab isto potentialiter incorrupta. Quare fecit Deus hanc contrarietatem in homine? « Quare posuisti me contrarium tibi, ait ad Dominum Iob, et factus sum mihimet ipsi [fol. 60 v°] grauis? ». Vt homo interior per exercitium mereatur. Sanctificato autem Iohanne ab utero per priuilegium speciale, homo suus interior cum anima rationali fuit factus habitualiter dominus hominis exterioris cum anima sua concupiscibili, durante tamen potentia utriusque hominis usque ad annos discre-

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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se découvre déjà. L’Afrique de Pavie n’a pas dans son cœur une sagesse aussi étendue et aussi profonde; et celle-ci est passée de la tête où siège la raison à la poitrine qui contient tout l’abîme. Fait le 6 des calendes d’octobre [26 septembre 1337]. La glorification des saints dans l’Église actuelle Chaque saint proclamé bienheureux dans la patrie dispose de sa qualité essentielle dans l’Église d’ici-bas, où il peut de jour en jour être davantage glorifié, et ce jusqu’à la fin des temps. Par la grâce du Verbe. Lorsque l’Église d’ici-bas, qui porte en elle les vertus et les fonctions de ces saints, aspire à la fonction et à la qualité essentielle de l’apôtre Pierre, en oeuvrant plutôt qu’en parlant, elle permet à l’âme de Pierre qui est entièrement universelle de s’étendre. Lorsqu’elle aspire à la fonction et à la qualité essentielle de l’apôtre Paul, elle glorifie l’âme de Paul. Lorsqu’elle aspire à la fonction et à la qualité essentielle de tel saint ou de telle sainte, elle glorifie l’âme de ce saint ou de cette sainte. L’âme de chacun de ces saints, possédant une qualité essentielle distinctive, est entièrement universelle dans l’Église d’ici-bas: il n’y a pas plusieurs âmes. L’âme de Pierre, qui possède une qualité essentielle distinctive, est entièrement universelle dans l’Église d’ici-bas. L’âme de tel saint ou de telle sainte, qui possède une qualité essentielle distinctive, est elle aussi entièrement universelle dans l’Église d’ici-bas. Et ainsi chaque âme appartenant à un saint et possédant sur terre une qualité essentielle distinctive est entièrement universelle sur terre; il n’y a pas plusieurs âmes, mais une âme unique qui appartient à l’Église d’ici-bas; oui, une âme unique, non du fait de la nature, mais du fait de la qualité essentielle et de la grâce. Et l’âme de chaque saint n’a pas besoin de grandir dans la béatitude d’en haut, mais dans l’Église d’ici-bas, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à la plénitude de la perfection. Ajouté l’année de la perfection, le 7 des ides de juillet [9 juillet 1338]. LES

PENCHANTS CONTRADICTOIRES DE L’HOMME

Dieu a créé le mal et le bien, les ténèbres et la lumière1. Traduisons: chez l’homme naturel, il a mis, dès le sein de sa mère, un homme ancien extérieur et virtuellement charnel, avec son âme portée à la convoitise, et un homme nouveau intérieur et tout aussi virtuellement spirituel, avec son âme douée de raison. Il y a une seule bonne constitution, corporelle et spirituelle, chez les deux, mais virtuellement corrompue par le premier et virtuellement non corrompue par le second. Pourquoi Dieu a-t-il créé cette contradiction chez l’homme? « Pourquoi m’as-tu pris pour cible, dit Job au Seigneur, et pourquoi suis-je devenu [fol. 60v°] une charge à moi-même? »2. Pour que l’homme intérieur soit méritant en travaillant sans relâche. Mais chez Jean, sanctifié dès le sein de sa mère du fait d’une faveur particulière, l’homme intérieur avec son âme douée de raison est devenu par son mode de vie le maître de l’homme extérieur associé à son âme portée à

1 2

Voir Is 45, 7. Jb 7, 20.

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FOL.

60v°

tionis. Tunc homo interior factus fuit actualiter dominus hominis exterioris. Sanctificatio Iohannis ab utero prefigurauit sanctificationem cuiuslibet hominis in baptismo, cui similiter fit usque ad annos discretionis. De homine electo. Cum autem habuerit arbitrium uoluntatis et rationis, precedente gratia Dei quam figurat Iohannes et concupiscentia hominis quam suscitat et testificatur diabolus, si homo interior per auxilium gratie preualuerit aduersus exteriorem, tunc interior factus est dominus in spiritualibus uirtutibus et corporalibus honoribus actualiter cum anima sua rationali, que est anima uniuersalis per totam Ecclesiam et unita cum Deo et homine qui est Christus, cuius factus est seruus perpetuus. Homo exterior similiter in spiritualibus et corporalibus actualiter, cum anima sua concupiscibili que est anima singularis uel personalis. Donec in nouissimo homo exterior cum anima sua absorbeatur totaliter et redigatur in nichilum, et homo interior in anima et carne totaliter glorificetur in uita eterna. Et hoc fit in unoquoque homine de ordine electorum, nunc in spe, tandem in re. Ecce quod bona natura hominis in spiritualibus est actualiter incorrupta. Similiter in corporalibus est habitualiter incorrupta, ex parte interioris. Ex parte autem exterioris, eadem bona natura in spiritualibus potentialiter est corrupta peccato et in corporalibus similiter actualiter est corrupta in pena. Propter seruitutem tamen fidelem ad interiorem anima personalis, que potentialiter est corrupta peccato, non uult peccare; et corpus personale, quod actualiter est corruptum, non peccat sed patitur penas necessitatis. De homine reprobo. Si uero homo exterior per concupiscentiam suam preualuerit aduersus interiorem, tunc factus est dominus in spiritualibus et corporalibus uitiis actualiter, cum anima sua concupiscibili que est anima personalis querens gloriam suam per uniuersitatem carnalium hominum quam ipse putat Ecclesiam Dei, que anima personalis adheret diabolo ignoranter. Cuius factus est seruus homo interior in spiritualibus et corporalibus uitiis uiolenter, cum anima sua rationali que potentialiter erat et est uniuersalis non actualiter. Donec in nouissimo homo exterior cum anima sua concupiscibili resurgat in carne et totaliter crucietur eternis suppliciis. Cuius erit iudex eternus homo interior sic amissus ad inferenda supplicia carnis et anima rationalis sic neglecta ad uermem conscientie semper corrodentem animam concupiscibilem. Cuius erunt tortores demones per ymagines ydolorum cuiuslibet uitii, quas suggestiue genuerant cum consensu uoluntatis humane – que nequam uoluntas in hiis uitiis radicata nunquam poterit aliud uelle. Secundum rationis iudicium anima cruciata uolet inflectere uoluntatem in bonum; uolet, inquam, et tamen nunquam poterit uoluntatem inflectere. Et hoc fit in unoquoque homine de corpore reproborum, nunc in affectione multiplici, tandem in eternis suppliciis. Ecce quod nunc bona natura hominis in spiritualibus et corporalibus est potentialiter incorwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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la convoitise, les potentialités des deux hommes perdurant néanmoins jusqu’à l’âge de discrétion. A cet âge, l’homme intérieur est devenu réellement le maître de l’homme extérieur. La sanctification de Jean dès le sein de sa mère préfigurait la sanctification de chaque homme dans le baptême; ensuite son évolution est la même jusqu’à l’âge de discrétion. L’homme élu. Et puisque l’homme dispose de la liberté que donnent la volonté et la raison, et dans la mesure où l’ont devancé à la fois la grâce de Dieu que Jean indique et la convoitise humaine que le diable éveille et montre, si l’homme intérieur l’emporte sur l’homme extérieur avec l’aide de la grâce, l’homme intérieur devient alors dans les faits le maître dans les vertus spirituelles et les honneurs corporels, avec son âme douée de raison qui est l’âme universelle à travers l’Église tout entière, unie à Dieu et à l’homme que constituent le Christ, dont il devient le serviteur à jamais. Il en est de même dans les faits pour l’homme extérieur sur le plan spirituel et corporel, avec son âme portée à la convoitise qui est l’âme individuelle ou personnelle. En attendant qu’au dernier jour, l’homme extérieur soit englouti tout entier avec son âme et réduit à rien, et que l’homme intérieur soit glorifié tout entier, dans son âme et dans sa chair, dans la vie éternelle. Et cela arrive chez tout homme qui appartient à la catégorie des élus, aujourd’hui dans l’espérance et à la fin réellement. C’est ainsi que la bonne constitution de l’homme n’est pas corrompue réellement sur le plan spirituel. Sur le plan corporel, elle n’est pas non plus corrompue dans ses comportements, en ce qui concerne l’homme intérieur; en revanche, en ce qui concerne l’homme extérieur, cette bonne nature est virtuellement corrompue par le péché sur le plan spirituel, et sur le plan corporel, elle est également altérée dans les faits par la souffrance. Néanmoins, du fait qu’elle sert fidèlement l’homme intérieur, l’âme personnelle, qui est virtuellement corrompue par le péché, ne désire pas commettre de péché; et le corps personnel, qui est réellement corrompu, ne commet pas de péché mais endure d’inévitables souffrances1. L’homme réprouvé. En revanche, si l’homme extérieur l’emporte sur l’homme intérieur par sa convoitise, il devient alors réellement le maître dans la dépravation spirituelle et corporelle, avec son âme portée à la convoitise qui est l’âme personnelle cherchant sa gloire dans la communauté des hommes charnels qu’elle prend pour l’Église de Dieu; et cette âme personnelle s’attache au diable sans le savoir. Et l’homme intérieur devient par la force son serviteur dans la dépravation spirituelle et corporelle, avec son âme douée de raison qui était virtuellement universelle et qui ne l’est pas dans les faits. En attendant qu’au dernier jour, l’homme extérieur ressuscite physiquement avec son âme portée à la convoitise et subisse toutes les tortures des supplices éternels. Et il aura pour juges éternels à la fois l’homme intérieur, ainsi dégagé des supplices de la chair à supporter, et l’âme douée de raison, ainsi débarrassée du ver de la conscience qui ronge toujours l’âme portée à la convoitise. Et il sera tourmenté par les démons prenant la 1 Ce paragraphe sur « l’homme élu » permet à Opicinus d’aligner une grand nombre d’oppositions: homme extérieur ancien / homme intérieur nouveau; corporel/spirituel; potentiellement / dans les faits; âme personnelle / âme universelle; corrompu / non corrompu. Cet exposé général présuppose qu’Opicinus s’identifie à l’homme élu.

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FOL.

60v°

rupta, si uoluntas humana adheserit gratie Dei secundum hominem interiorem. Sed quia homo exterior dominatur, ideo in utrisque natura corrupta est. Actum V kalendas octobris.

DE

MENSVRATIONE TERRARVM ET NVMERO PASSVVM

Ab antiquo fiebat minutio passuum per maiorem numerum magis quam fiat nunc. Verbi gratia. A Papia usque Romam uel Auinionem poterant computari stadia duo milia DCCCta uel circa, sicut tempore philosophorum ueterum usque ad euangelia, ut puta ab Iherusalem Bethania per XV et Emaus per LX stadia distare dicuntur, illa ab oriente et istud ab occidente. Et post illud tempus alicubi consuetudo huiusmodi obseruata est. Postmodum per Italiam fiebant miliaria passuum plus minuta quam modo, sicut tempore Boetii dicebatur distare Papia a Roma per miliaria fere Dta et castrum Summi a Papia per VII miliaria. Nunc per Italiam fiunt maiora miliaria quam tunc, ut Papia a Roma uel ab Auinione per miliaria CCCL uel circa et castrum Summi a Papia per miliaria V; similiter ab Iherusalem Bethania secundum italicos per duo miliaria et minus de octaua parte miliarii, et Emaus per miliaria VII et dimidium. Redeamus ad partes Italie et Gallie: secundum mensuram prouincialium Gallie, Papia ab Auinione distat per leucas CXVII et minus; secundum mensuram Delphinatus, Papia ab Auinione minus quam C leucas uel minus quam LXXXta. Ecce quod crescente scientia hominis, computatio passuum breuiatur. Primo enim ex minoribus passibus computatio multiplicabatur per stadia, deinde per minora miliaria, nunc per maiora miliaria; alicubi per leucas (quarum quelibet tria miliaria continet) et alicubi per maiorem leucam IIII uel V miliaria continentem. Ecce quod homo uniuersalis ab initio seculi uelut infans per minimos passus usque ad senium huius temporis didicit facere magnos passus. Ab Auinione usque Papiam ymaginemur tantummodo quamdam domum, per cuius longitudinem ambulans homo prime etatis huius mundi poterat dicere quasi formica se ambulasse duo milia DCCCta stadia quasi passus, deinde quasi mus Dta miliaria quasi tot passus, quasi belua maior per miliaria moderna, quasi animal minus quam homo per leucas minores uel maiores; nunc quasi homo perfectus nos possumus imitari passum Europe, immo quasi dimidium passum a Boetie usque www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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forme des idoles imaginaires propres à chaque vice – et que ces démons avaient fait naître par la suggestion, avec l’accord de la volonté humaine (cette volonté dévoyée qui, enracinée dans les vices en question, ne pourra jamais rien désirer d’autre). En suivant l’opinion de la raison, l’âme torturée voudra faire pencher sa volonté vers le bien; oui, elle le voudra, mais elle ne pourra jamais infléchir sa volonté. Et cela arrive chez tout homme qui appartient au corps des réprouvés, qui ont aujourd’hui de multiples attachements et qui se retrouveront dans les supplices éternels. C’est ainsi qu’aujourd’hui la bonne constitution de l’homme est virtuellement non corrompue sur le plan spirituel et corporel, à condition que la volonté humaine s’attache à la grâce de Dieu en suivant l’homme intérieur. Mais si l’homme extérieur est le maître, la nature est corrompue sur les deux plans1. Fait le 5 des calendes d’octobre [27 septembre 1337]. LE

CALCUL DES DISTANCES TERRESTRES ET LE NOMBRE DE PAS

Autrefois, les pas étaient plus courts et il en fallait davantage pour arriver au même nombre qu’aujourd’hui. Par la grâce du Verbe. Entre Pavie et Rome ou Avignon, il fallait compter environ 2800 stades2, de même qu’à l’époque des anciens philosophes jusqu’à celle des évangiles, on disait, par exemple, que la distance entre Béthanie et Jérusalem était de 15 stades3, et entre Emmaüs et Jérusalem de 60 stades4 – la première se trouvant à l’est et la seconde à l’ouest. Après quoi, cette habitude s’est maintenue partout. Par la suite, on a utilisé en Italie des milles divisés en pas plus courts que naguère: par exemple, à l’époque de Boèce, on disait que la distance entre Pavie et Rome était de presque 500 milles, et entre le château du Sommet5 et Pavie, de 7 milles. A présent, on utilise en Italie des milles plus longs, si bien qu’entre Pavie et Rome ou Avignon, on compte environ 350 milles6, et entre Pavie et le château du Sommet, 5 milles; de même, en adoptant les milles italiens, on compte deux milles et moins d’un huitième de mille entre Jérusalem et Béthanie, et 7 milles et demi entre Jérusalem et Emmaüs7. Revenons aux régions de Gaule et d’Italie. D’après les mesures utilisées dans les provinces de Gaule, Pavie se trouve à moins de 117 lieues d’Avignon8; d’après les mesures utilisées en Dauphiné, Pavie se trouve à moins de 100 lieues ou de 80 lieues9 d’Avignon. C’est ainsi que, lorsque les connaissances humaines augmentent, le calcul des pas diminue. En effet, en partant de pas

1 Mêmes remarques que pour le paragraphe précédent, mais dans le cadre de « l’homme réprouvé ». Ces deux paragraphes représentent une explicitation opicinienne du Jugement dernier. 2 1 mille = 7 stades 1/2; 1 stade = environ 185 mètres. 2800 stades = 510 km. Voir fol. 59. 3 Voir Jn 11, 18. 15 stades = environ 3 km. 4 Voir Lc 24, 13. 60 stades = 11 km. 5 Voir fol. 59. 6 Opicinus fait ressortir le fait que Pavie est à égale distance de Rome et d’Avignon. 7 En comparant avec l’estimation évangélique, le mille d’Opicinus vaut 1, 46 km (soit sensiblement comme dans l’Antiquité). 8 Ce qui donne 1 lieue = 4, 35 km. 9 Soit 1 lieue = 5, 05 km ou 6, 4 km.

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FOL.

60v°-61

Calabriam, licet habeat Europa scriptum in dextro femore Altum Passum. Actum IIII kalendas octobris.

De numero passuum Vel aliter de miliaribus antiquis. Propter ignorantiam directorum itinerum ab illis et obliquitates uiarum, de spacio breuiori longa retardatio tunc fiebat, ut puta a Roma Papiam retorquendo uias hinc per Tusciam, inde per Marchias seu per Romandiolam, deinde per Lombardiam, sicut presumo, fere Dtis milibus passuum distat. Similiter antiquitus, propter commixtionem Ticini et Padi magis prope Papiam quam nunc, de ciuitate ad castrum Summi ex retortione itineris VII miliaria computabantur. Additum anno perfectionis, XIIII kalendas martii.

[fol. 61] DESSIN V 10

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courts, on a d’abord calculé en stades, puis en milles courts, et maintenant en milles longs; ailleurs, on calcule en lieues (une lieue valant trois milles); et encore ailleurs, en lieues plus longues, valant 4 ou 5 milles. C’est ainsi qu’entre le début des temps où il fait de tout petits pas comme un enfant et aujourd’hui où il est très âgé, l’homme universel a appris à faire de grands pas. Imaginons qu’entre Avignon et Pavie il n’y ait qu’une maison1: l’homme se trouvant dans le premier âge de ce monde, en parcourant l’étendue, pouvait dire qu’il avait parcouru, comme une fourmi, 2800 stades ou pas; puis comme une souris, 500 milles ou autant de pas; puis, comme une grosse bête, des milles d’aujourd’hui; comme un animal plus petit que l’homme, des lieues plus ou moins grandes; et aujourd’hui en tant qu’homme parfait, nous pouvons reproduire le pas de l’Europe, ou plutôt ce qui correspond à un demi pas entre la Boétie/Béotie et la Calabre, bien que l’Europe ait sur la cuisse droite le Hautpas2 d’inscrit3. Fait le 4 des calendes d’octobre [28 septembre 1337]. Le nombre de pas Ou encore les anciens milles. Comme autrefois les gens ne connaissaient pas les trajets en ligne droite et que les chemins étaient sinueux, on mettait plus de temps pour une distance courte: par exemple, pour se rendre de Rome à Pavie, on suivait des chemins tortueux, tantôt à travers la Toscane, tantôt à travers les Marches ou la Romagne, et ensuite à travers la Lombardie, pour une distance faisant selon moi presque 500000 pas. De même autrefois, comme le confluent du Tessin et du Pô se trouvait plus près de Pavie qu’aujourd’hui, on comptait 7 milles pour aller de la ville au château du Sommet par un trajet sinueux4. Ajouté l’année de la perfection, le 14 des calendes de mars [16 février 1338]. [fol. 61] DESSIN V 10 Une double carte permet à Opicinus de développer certains de ses thèmes favoris. En haut, l’Europe et l’Afrique spirituelles, portent dans la poitrine, l’une Avignon, l’autre la bonne Gênes (les cinq sens intérieurs); les noms de lieux de l’Europe sont indiqués en rouge; la miséricorde unit Avignon et la Sicile. En bas, l’Europe et l’Afrique naturelles, portent dans la poitrine, l’une la tarasque (reliée au ver africain), l’autre la mauvaise Gênes (étapes du péché, reliées aux sens externes et au cerveau); les noms de lieux orientaux correspondant à cette carte sont indiqués en brun. La mer diabolique porte les noms des cinq sens externes reliés entre eux par des droites rouges. Opicinus joue sur la superposition des noms de lieux. Il oppose classiquement le spirituel et le charnel. Il compare les sens externes, les sens intérieurs et les étapes du péché (cinq à chaque fois). Il évoque le procès où il a été vainqueur. Et il affirme encore sa divinité.

Allusion à la Pentecôte? Voir V 4, note 2. Hôpital signalé au fol. 44. 3 Opicinus utilise l’évolution des mesures de longueur pour montrer son évolution personnelle vers l’homme « universel » et « parfait ». 4 Opicinus apporte des nuances à ses propos précédents pour expliquer les changements des mesures de longueur. 1 2

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FOL.

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1 – Actum inter V et IIII kalendas octobris, tunc dominica XVI post Pentecostes. Tunc incipitur legere liber Machabeorum, in testimonium litium clericorum que fortiora prelia quam fuerint illa incipiunt circa hanc diem. 2 – Oriens letitie. Asia naturalis. 3 – Additum VI idus nouembris, de tribus magis uenientibus ab oriente Colonie ad occidentem Bononie Iherosolimitane, per lineam uie miliariorum DCC uel circa, equitantibus quottidie fere miliaria LII per XIII dies a Natiuitate Domini ad Epiphaniam, Mediolani concordibus et unitis. Hec spiritualiter exponantur in speculo. 4 – Affrica spiritualis attrahitur misericorditer ad spiritualem Europam. Ecce uiuificum templum Dei, habens pedem dextrum radicatum et fundatum in Epheso, per quam intelligitur Auinio pectoralis. 5 – Ecce quod uenter celestis Europe deicit Babilonem Caldee in Egyptum per fideles Ianuam et Papiam cum ceteris ciuitatibus, que consueuerant construere turres superbie ex lateribus terre coctis ad similitudinem turris Babel. Crucifera Bononia et fertilis Imola edificant nouam Iherusalem, ubi bona omnia imolantur in uictimas pacificas uere pacis. Bononia Iherosolimitana facit uindictam de hiis qui habuerant potestatem ut facerent iustitiam gentium, qui nuncusque edificauerunt gynnasium in Iherosolimis sancte Bononie secundum leges nationum, et fecerunt sibi preputia, et recesserunt a testamento sancto, et uincti sunt nationibus, et uenundati sunt ut facerent malum. Roma tibialis per Petrum Antiochensem in sede Paulumque Tharsensi origine arripit et iudicat diabolicum mare incipiens ab ingenio frontis sue, cuius cerebrum uerticis rationis conquatitur et occiput memorie obturatur. 6 – IANVA1: I meditatio; II contemplatio; III discretio; IIII degustatio; V comprehensio DEI 7 – Sensus interiores colliguntur in S(s)piritu. 8 – Ex pectore caritatis effunditur cor ad omnes; MISERICORDIA2 9 – AVINIO 10 – COLONIA; tres magi orientales 11 – IANVA; PAPIA; MEDIOLANUM 12 – BABILON 3 13 – BONONIA; † Iherusalem

1 Les lettres de IANUA, plus grandes et plus épaisses que le reste du texte, sont disposées de façon espacée sur le cercle. 2 Les lettres de MISERICORDIA, plus grandes et plus épaisses que le reste du texte, sont disposées de façon espacée sur une diagonale. 3 Les lettres de BABILON sont disposées de façon espacée sur une diagonale.

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1 – Fait entre le 5 et le 4 des calendes d’octobre, soit le 16e dimanche après la Pentecôte [nuit du samedi 27 au dimanche 28 septembre 1337], où l’on commence à lire le livre des Maccabées, en témoignage des procès des clercs qui commencent ces jours-ci des combats plus rudes que ne furent les autres. 2 – l’est de l’allégresse; l’Asie naturelle 3 – Ajouté le 6 des ides de novembre [8 novembre 1337], pour ce qui est des trois rois mages allant de Cologne, à l’est, à Bologne de Jérusalem, à l’ouest, en galopant le long d’un trajet de 700 milles ou environ, à raison de presque 52 milles par jour pendant 13 jours, entre la Nativité du Seigneur [25 décembre] et l’Épiphanie [6 janvier]1, se retrouvant et se réunissant à Milan. Cela doit être exposé spirituellement dans une image. 4 – L’Afrique spirituelle est miséricordieusement2 attirée vers l’Europe spirituelle. Voilà le temple vivifiant de Dieu: il a le pied droit fixé et installé à Éphèse3, qui représente l’Avignon de la poitrine. 5 – Voici que le ventre de l’Europe céleste précipite Babylone de Chaldée en Égypte4, en passant par les fidèles Gênes et Pavie et les autres cités qui avaient l’habitude de construire les tours de l’orgueil avec des briques de terre cuite5, comme pour la tour de Babel. Bologne qui porte la croix6 et Imola7 la féconde construisent la nouvelle Jérusalem, où tous les biens / Bologne sont sacrifiés en faveur des victimes pacifiques de la véritable paix8. La Bologne de Jérusalem se venge de ceux qui avaient le pouvoir de rendre la justice aux peuples9, qui jusqu’à ce jour ont construit un gymnase dans la Jérusalem10 de la sainte Bologne en suivant les lois païennes, ont commis des impuretés, se sont éloignés du saint testament, ont été vaincus par les païens et vendus pour faire le mal. La Rome de la jambe, grâce à Pierre qui réside à Antioche et à Paul originaire de Tarse, arrête et juge la mer diabolique qui, présentant d’abord l’imagination de son cerveau antérieur11, est ébranlée dans son cerveau médian où siège la raison12, et bouchée dans son cerveau postérieur où siège la mémoire13.

1 Soit le temps de Noël, époque essentielle pour Opicinus, comprise entre sa naissance et la consécration de Benoît XII. Voir fol. 62. 2 Voir note 8. 3 Note 44. 4 Notes 12 et 24. Voir aussi V 12, notes 32, 33 et 34. 5 Voir Gn 11, 9. 6 C’est-à-dire Jérusalem: note 13. 7 Ville d’Émilie (aujourd’hui circuit). 8 Jeux de mots multiples. 9 Opicinus parle de ceux qui lui ont intenté son procès. 10 Voir 1 M 1, 14. 11 Dans la littérature médicale de l’époque, le cerveau est composé de trois ventricules: antérieur (imagination), médian (raison) et postérieur (mémoire). 12 Voir V 13, note 21. 13 La proximité de la Rome de la carte du haut et du cerveau diabolique explique les propos d’Opicinus. Il se présente ainsi comme le vainqueur de ses ennemis et du péché en général.

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14 – 15 – 16 – 17 – 18 – 19 – 20 – 21 – 22 – 23 –

24 – 25 26 27 28

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29 30 31 32

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33 –

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AQVILEGIA Tharsis ROMA Anthiochia Alexandria auditus odoratus uisus gustus Tibia dextra Italie habet patrimonium Ecclesie quasi uxoris, et sinistra habet matrimonium rectoris quasi mariti; et ideo fidele Triuisium prope Venetias fideliter querit genealogias paternas. Ecce Aquilegia et Papia sunt una et eadem Babilon maledicta a Caldea usque Egyptum; non dico de presenti Aquilegia sed antiqua. septentrio misericordie auster iudicii occidens peccatorum Hispania capitalis, que interpretatur accinctio uel expeditio ex habitu suo, figurat Europam. Phariseus sedet in Templo. Publicanus longe distat a Templo. Affrica naturalis ypocrita Europa naturalis in confessione continua, cuius peccata significat diabolicum mare. Species persicorum que dicitur « duracia », inseparabilis ab osse, prouenit a pectore Affrice quod dicitur Cartaginense T(t)unicium, ad pectus Europe ubi coniungitur Durentia cum Rodano, in testimonium cordis carnalium inconuertibilium. Sicut glandula persici huiusmodi generis non potest nisi cum labore separari a tunica circumstante, ita incredulum cor non potest deserere carnalia cogitanda, quasi sub testudine tarascinus proueniens a T(t)unicio pectorali qui in pectore Europe conteritur. Medulla glandule persici est amara et significat amaritudinem cordium conuersorum ad penitentiam. Pectus Affrice habet absconditam rem sine nominibus omni mali (ut puta Rodanum et Durentiam, Viennam et Lugdunum). Pectus autem confessionalis Europe habet in se manifesta nomina predicta sine substantia rei propter confessionis uirtutem; que nomina facta uirtutes translata sunt ad spiritualem Europam que in celestibus regnat. Sancta Martha Iherosolimitana facta Prouincialis in pectore est nunc uera comes et regina Iherusalem atque Sicilie. Interpretatur enim Iherusalem uisio pacis in pectore, sicut Rodanus uisio essentie per medium siue uisio iudicii, et Sicilia laboriosa sub pondere. Ecce tarasca confessione conteritur, qui est uermis conscientie qui a pectore Affrice carnalibus

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6 – GÊNES / LA PORTE 1) la méditation 2) la contemplation 3) la modération 4) la délectation 5) la compréhension DE DIEU 7 – Les sens intérieurs sont réunis dans l’E(e)sprit. 8 – Partant de la poitrine de la charité, le cœur se livre à tous; LA MISÉRICORDE 9 – Avignon 10 – COLOGNE; les trois rois mages d’Orient 11 – GÊNES; PAVIE; MILAN 12 – BABYLONE 13 – BOLOGNE; † Jérusalem 14 – AQUILÉE 15 – Tarse 16 – ROME 17 – Antioche 18 – Alexandrie 19 – l’ouïe 20 – l’odorat 21 – la vue 22 – le goût 23 – La jambe droite de l’Italie possède le patrimoine de l’Église comme s’il s’agissait de sa femme1, et la jambe gauche possède les biens matrimoniaux du curé comme s’il s’agissait de son mari2; c’est pourquoi la fidèle Trévise, près de Venise, cherche fidèlement les généalogies de ses aïeux. 24 – Voici qu’Aquilée et Pavie représentent une seule et même Babylone, maudite de la Chaldée jusqu’en Égypte; je ne parle pas de l’Aquilée d’aujourd’hui, mais de celle d’autrefois. 25 – le nord de la miséricorde 26 – le sud du jugement 27 – l’ouest des péchés 28 – L’Espagne de la tête, qui signifie l’action de se ceindre ou de se dégager, représente l’Europe par son aspect extérieur. 29 – Le pharisien3 siège dans le Temple. 30 – Le publicain se tient à distance du Temple. 31 – l’Afrique naturelle hypocrite 32 – l’Europe naturelle, qui ne cesse de se confesser; et la mer diabolique indique ses péchés. 33 – Une espèce de pêche, qu’on appelle « durasse » parce qu’on ne peut la peler pour détacher le fruit, est venue de la poitrine de l’Afrique qu’on appelle la Tunis/tunique de Carthage, et s’est répandue dans la poitrine de l’Europe où se trouve le confluent de la Durance et du Rhône, pour témoigner que le cœur des hommes charnels ne peut changer. De même que la chair de cette sorte de pêche ne peut être détachée que difficilement de la peau qui l’entoure, de même le cœur incrédule ne peut renoncer à ses pensées charnelles: on 1 2 3

Note 37. Note 41. Le pharisien et le publicain: voir Lc 18, 9 et ss.

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34 –

35 – 36 – 37 38 39 40 41 42 43 44

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pascebatur occulte. Affrica reassumpsit T(t)unicium quod Europa reiecerat in baptismo. Inter ingenium frontis et memoriam occipitis ratio uerticis semper uiuit, cuius sensus interiores peruertuntur in carnem. Contubernium diaboli cum uoluntate humana fit hoc modo: cogitatus malignus est quasi maritus habendus, uoluntas hominis erit uxor, quorum coniugium fiendum. Cogitatio audit; ymaginatio uidet; electio uoluntatis respuit rationem°; delectatio accipit uoluntatem per uerba de futuro; consensus autem perficit per uerba de presenti. Hec omnia fiunt in pectore, solo Deo sciente. Cum uero ad opus occultum acceditur, fit quasi copula carnis. Nunc per consuetudinem peccati sedetur in cathedra pestifere corruptele. ingenium; ratio; memoria IANVA1: cogitatio I; ymaginatio II; electio III; delectatio IIII; V consensus peccati patrimonium uxoris hec homo hic matrimonium uiri tactus cor miserorum Ephesus

1 Les lettres de IANUA, plus grandes et plus épaisses que le reste du texte, sont disposées de façon espacée sur le cercle.

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dirait la tarasque recouverte de sa carapace, venant de la Tunis/tunique de la poitrine et broyée dans la poitrine de l’Europe. À l’intérieur, la chair de cette pêche est amère, ce qui symbolise l’amertume des cœurs tournés vers la pénitence. La poitrine de l’Afrique possède une réalité cachée, mais sans les noms qui évoquent tous les malheurs (par exemple, le Rhône et la Durance, Vienne et Lyon). En revanche, la poitrine de l’Europe qui se confesse possède en elle visiblement les noms en question, mais dépourvus de substance réelle, en raison de la puissance de la confession; et ces noms devenus des vertus sont passés dans l’Europe spirituelle qui règne dans les cieux. Sainte Marthe de Jérusalem, devenue provençale dans la poitrine, est aujourd’hui la véritable compagne et reine de Jérusalem et de la Sicile. En effet, Jérusalem signifie la vision de la paix1 dans la poitrine, de même que le Rhône signifie la vision de l’essence qui passe par le centre, ou la vision du jugement; de même pour la Sicile laborieuse qui peine sous le poids. Voici la tarasque broyée par la confession: elle représente le ver de la conscience qui, partant de la poitrine de l’Afrique, se nourrissait en cachette d’hommes charnels. L’Afrique a repris Tunis / la tunique que l’Europe avait rejetée lors du baptême. 34 – Entre l’imagination du cerveau antérieur et la mémoire du cerveau postérieur, la raison du cerveau médian est toujours vivante, alors que ses sens intérieurs sont devenus charnels. Le commerce charnel du diable avec la volonté humaine se passe ainsi: la pensée malsaine, c’est comme le mari qui doit posséder, la volonté2 humaine sera la femme, et ils sont disposés à s’unir. La pensée entend; l’imagination voit; le choix fait par la volonté rejette la raison; le plaisir accueille la volonté avec les paroles de futur; et avec les paroles de présent3, le consentement trouve son aboutissement. Tout cela se passe dans la poitrine et Dieu seul le sait. Et lorsqu’on en arrive à l’acte secret, il s’agit pour ainsi dire d’une copulation. Aujourd’hui, comme il a pris l’habitude de commettre des péchés, il est assis sur la chaire de la dépravation mortifère4. 35 – l’imagination; la raison; la mémoire 36 – GÊNES / LA PORTE 1) la pensée 2) l’imagination 3) le choix 4) le plaisir 5) le consentement au péché. 37 – le patrimoine de la femme 38 – celle-ci 39 – l’être humain 40 – celui-ci 41 – les biens matrimoniaux du mari 42 – le toucher 43 – le cœur des malheureux 44 – Éphèse 1 2 3 4

Voir Ez 13, 16. Voir fol. 54v°. Paroles de futur (fiançailles) et paroles de présent (mariage): voir fol. 41v°. Allusion à la position assise de l’Afrique naturelle (« l’hypocrite » Benoît XII).

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FOL.

61v°

[fol. 61 v°] DESSIN V 11

1 – caritas uniuersalis in Deum; caritas Dei in uniuersum 2 – persona fidelis 3 – APOSTOLVS CIVIS VT THOMAS INDORVM 4 – Ecclesia perfectorum quam figurat materialis Ecclesia christianorum, in cuius pectore habitat uerus Deus. Ecclesia que est Dei ciuitas specularis adhuc inflectitur ad misericordiam conuersorum donec fuerit tota perfecta, cuius perfectionem solus Deus nouit. Adhuc aliquibus materialibus indiget, quasi uelans faciem pectoris sui; non enim est uera facies capitalis, sed magis significans ueram faciem pectoralem ubi habetur scientia omnis iudicii gemine abissi, scilicet superioris et inferioris. Quam interpretatione significat Thomas apostolus, uerus constructor Romani palatii, cuius preuius Benedictus papa XIIus construit palatium pectorale. Audiui fabulari in India esse erectum speculum sancti Thome ad testimonium huius specularis Ecclesie, que partim prophetat in enigmate (id est per sensum misticum predicat ad infirmos) et partim cognoscit (id est intelligit fidem secundum perfectos), donec fuerit tota perfecta. Iam facta est destructio Babilonis que fuerat aduersatrix sancte Auinionis. 5 – Rector parrochie, non nomine suo nec carnis et sanguinis domus sue sed nomine uniuersalis Ecclesie, offert ut angelus Domini animas plebis sue ad uiuificum templum regis. Qui rector in Affrica didicit prudentiam serpentinam et in Europa simplicitatem columbinam, ubi in foramine petre pectoralis colligitur unio columbarum. 6 – consideratio dispensatiua 7 – consideratio speculatiua www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 61 v°] DESSIN V 11 Encore deux cartes opposées. En haut, deux hommes (probablement des clercs) représentent une bonne Europe (« l’Église des parfaits » ou « l’apôtre citoyen ») et une bonne Afrique (« la personne fidèle » ou « le curé de paroisse »), portant dans la poitrine, la première un Christ et la seconde un orant; elles sont unies par la charité. En bas, une mauvaise Afrique (femme voilée qualifiée de « communauté des hommes charnels » et de « Babylone ») et une bonne Europe (jeune femme nue et bottée, qualifiée d’«Église pèlerine » ou d’« apôtre voyageur ») portant dans la poitrine, la première un cercle vide, la seconde un cercle christique entouré des premiers mots du Notre Père; de la plaie du Christ au côté, partent des droites rouges qui rejoignent un cercle double plus grand englobant l’Europe et une partie de l’Afrique, et portant le reste de la prière du Notre Père. Au centre la mer diabolique, assez réduite, est coupée par la droite unissant l’Olympe à l’Atlas. Les expressions en rouge montrent l’importance des identifications d’Opicinus aux apôtres Jacques le Majeur et Thomas, représentant la distinction voyageur/citoyen chère au scribe. On retrouve les oppositions sagesse de Dieu / sagesse du monde, Église des faibles / Église des parfaits… Les thèmes persécutifs relatifs à Benoît XII sont très présents (notamment avec les deux « cercles »). Le rayonnement du Christ du cercle d’en bas situé dans la région d’Avignon souligne l’universalité du pouvoir à laquelle prétend Opicinus. L’évocation de pays lointains (Inde, Chine) montre les connaissances géographiques du prêtre.

1 2 3 4

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l’amour universel en Dieu; l’amour de Dieu pour tous la personne fidèle L’APÔTRE CITOYEN, TEL THOMAS DES INDES L’Église des parfaits que symbolise l’Église temporelle des chrétiens, dans la poitrine de laquelle demeure le Dieu véritable. L’Église, qui est la cité visible de Dieu, se penche encore pour avoir pitié de ceux qui se convertissent, en attendant d’être entièrement parfaite – et cette perfection, Dieu seul la connaît. Il lui manque encore quelques éléments matériels, comme si elle cachait sous un voile le visage qui occupe sa poitrine; en effet, il ne s’agit pas d’un visage réel pourvu d’une tête1, mais plutôt d’une indication du véritable visage de la poitrine2 qui détient la connaissance de l’ensemble du jugement du double abîme (inférieur et supérieur). Et l’apôtre Thomas3 en indique la signification, lui le véritable constructeur du palais de Rome dont le prédécesseur Benoît XII construit le palais de la poitrine4. J’ai entendu raconter une légende selon laquelle une statue de saint Thomas a été dressée en Inde5, en témoignage de cette Église du miroir, qui en partie prophétise en énigmes

C’est-à-dire l’Espagne. C’est-à-dire le Christ du cercle d’Avignon qui incarne Opicinus. 3 Un des Douze, dont le nom signifie « jumeau ». 4 Comme Benoît XII (qui a en effet œuvré de manière décisive pour la construction du Palais des Papes d’Avignon) est toujours vivant quand Opicinus réalise ce dessin, il est clair que l’apôtre Thomas correspond à une identification du scribe, qui se prend pour le vrai constructeur de l’Église (de Rome, c’est-à-dire de l’Église universelle) et rabaisse ainsi son ennemi le pape. 5 Selon une ancienne tradition, saint Thomas aurait prêché en Inde et y serait mort martyr: voir la Légende dorée, t. 1, p. 58 et ss; et MARCO POLO, Le devisement du monde (ch. CLXXVII), éd. Ph. Ménard, t. 2, Paris, Droz, 2003, p. 444. 1 2

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8 – considerato estimatiua 9 – Cum facio considerationem estimatiuam, ego populus immortalis, per ianuam Gradualem relinquo personam meam seruum meum, quasi leonem in porta qui hodie uiuit et cras morietur; cuius loco alius restituetur ad idem ministerium. Ego autem semper sum unus et idem populus. 10 – Babilon Caldee destructa est. 11 – Terra sancta; femur sacri seminis 12 – Manus serui Abrahe subter femur (Genesis XXIIII), idest Alemanus cum iuramento domini sui 13 – Athlantis 14 – Sedes prudentie mundi, que honorificatur a mundo et stultitia reputatur a Deo. 15 – Secundum Hispaniam capitalem thomare, id est accipere; et secundum Lombardiam uentralem thomare, id est circulatim salire cum capite deorsum. 16 – Vniuersitas carnalium hominum adunata congregata dispergit. 17 – Ecclesia infirmorum cuius fuit figura iudaicum Templum, cuius uirtus in pectore fungitur sacerdotio. Tantam uirtutem habet spirituale Lugdunum ut omnia dispersa reducat in unum. 18 – Expedita Hispania usque ad curuiam Romandiole femoralis currit ut ceruus secundum habitus utrorumque. Quicquid est in capite significat rem occultam in pectore. Sicut carbonerium uerticis Hispanie significat carbonculum caritatis in pectore, qui ab intimis cadens excitauit Lugdunum, sicut etiam et Tyrus uerticis maris significat pectus maris. Cuius cor, si attribuitur Affrice, significat omne malum; si autem Europe, significat omne bonum. Hodie uidimus bonum signum (id est episcopum signantem diaconum cardinalem) a dexteris altaris scilicet a meridie, missum a Deo seruo suo Iohanni qui testimonium perhibet Verbo Dei, id est significat locum Verbi. Vidimus angelum uerba Dei signantem in profunditate pectoris Affricani, qui hodie transiuit ad profunditatem pectoris Europe Auenice. Et cum cantaretur oratio dominica, inde recessimus. Hec Ecclesia infirmorum partim clauditur sub uisibilibus signis et partim aperitur ad inuisibilem rem, quasi partim materialibus indigens et partim formosa sine materia. Ecce sapientia Dei que a mundo stultitia reputatur. 19 – initium omnis mali 20 – « Sanctificetur1 nomen tuum. Adueniat regnum tuum. Fiat uoluntas tua sicut in celo et in terra. Panem nostrum quotidianum da nobis hodie. Et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debi-

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La majuscule initiale de Sanctificetur est plus grande et plus épaisse que le reste du texte.

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(c’est-à-dire fait des sermons aux infirmes en utilisant le sens mystique/secret) et en partie a des connaissances (c’est-à-dire comprend la foi qu’observent les parfaits), en attendant d’être entièrement parfaite1. Désormais Babylone est détruite2, elle qui s’était dressée contre la sainte Avignon. – Le curé de paroisse, non pas en son nom ni au nom de la chair et du sang de sa famille, mais au nom de l’Église universelle, porte en offrandes, tel un ange de Dieu, les âmes de ses ouailles au temple vivifiant du roi. Et ce curé a appris en Afrique la prudence des serpents3, et en Europe la candeur des colombes4, là où les colombes unies se rassemblent dans le trou de la pierre de la poitrine. – la considération dispensative – la considération estimative – la considération spéculative5 – Lorsque je me livre à la réflexion estimative, moi le peuple immortel, en passant par la porte de Grado, je renonce à ma personne qui est mon serviteur, tel un lion posté à l’entrée, qui vit aujourd’hui et qui mourra demain; et un autre prendra sa place pour assumer le même ministère. Mais moi, je suis pour toujours un seul et même peuple. – Babylone de Chaldée est détruite. – la Terre sainte; la cuisse de la semence/race sainte – la main du serviteur d’Abraham sous la cuisse (Genèse 24)6, c’est-à-dire l’Aléman qui prête serment à son maître – de l’Atlas – le siège de la sagesse du monde7, que le monde tient en estime et que Dieu considère comme folie8 – Selon l’Espagne de la tête, être Thomas, c’est-à-dire recevoir; et selon la Lombardie du ventre, être Thomas, c’est-à-dire sauter en rond avec la tête en bas9. – La communauté des hommes charnels éparpille ce qui est rassemblé. – L’Église des faibles, que préfigurait le Temple juif et dont la puissance, située dans la poitrine, s’acquitte du sacerdoce. La Lyon spirituelle détient une si grande puissance qu’elle ramène à l’unité tout ce qui est dispersé.

Voir 1 Co 13, 9-12. Note 10. Voir V 10, note 12 et V 12, note 32. 3 Opicinus fait allusion à son séjour à Gênes (1316-1318). 4 Voir Mt 10, 16. 5 Notes 6, 7 et 8: voir SAINT BERNARD, De la considération, V, 4. Il s’agit des trois degrés de la connaissance de Dieu. 6 Voir Gn 24, 2 et 9: l’attouchement des organes génitaux rendait le serment infrangible. Ici la phrase concerne l’Afrique charnelle du bas du folio. 7 C’est-à-dire la papauté de Benoît XII. 8 Voir 1 Co 1. 9 Voir l’explication de GUY ROUX dans Art et folie…, pp. 201-202. Opicinus joue sur plusieurs Thomas à la fois (Thomas l’apôtre, Thomas d’Aquin, Thomas Fastolf…). 1 2

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toribus nostris. Et ne nos inducas in temptationem. Sed libera nos a malo ». – APOSTOLVS PEREGRINVS VT IACOBVS HISPANORVM – POLVS AVSTRALIS OMNES LATENS – POLVS SEPTENTRIONALIS OMNIBVS PATENS – « Pater1 noster qui es in celis ». – matrix, uirga; semen; testes et ualue – montes – Olimpi – Cum populus iudeorum antiquitus reputaret ualde longissimam uiam ab Egypto usque ad terram repromissionis, que tamen uia non est longior quam a Papia usque Romam uel Auinionem, significabat presentes infirmos uirtute. Et nunc mercatores moderni, fere pro nichilo habentes uiam longissimam ab Hispania usque ad Cambalech ultra omnem Indiam, significant presentes perfectos qui accincti et expediti terrenis quasi Hispani, secundum interpretationem et apparentiam habitus uestium modicarum, currunt non localiter sed uirtute ad mercationem regni celestis in pectore presentis Ecclesie. Nam Cartago Hispanie capitalis, que interpretatur meditatio, significat meditationem in pectore ueritatis; Cartago uero pectoris Affrice significat meditationem omnis mendacii iuxta iudicium parrochie Papiensis. – Additum, de regeneratione baptismi in uentre ubi est fluuius Adue abluentis baptismo ueterem Adam, III kalendas septembris, dominica XI post Pentecostes, anno perfectionis. – Hec Babilon mater confusionum tota est materialis sine forma. Si autem conuersa fuerit ad sanctam Iherusalem, propter experientiam iam transactam boni et mali, habebit in duplo maiorem uirtutem discretionis omnium spirituum quam simplex Ecclesia. – dilectio inimici propter Deum – dilectio amici in Deo – Ecclesia peregrina colligitur, que in dextera pectoris sui habet peregrinorum hospitium nomine Marthe. – Actum die dedicationis sancti Michaelis archangeli.

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La majuscule initiale de Pater est un peu plus grande et plus épaisse que le reste du

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18 – L’Espagne dénudée jusqu’à la courbe de la Romagne1 de la cuisse, court comme un cerf, en ayant la tenue de l’une et de l’autre. Tout ce qui se trouve dans la tête indique ce qui est caché dans la poitrine. De même que ce qui est écrit en noir au sommet de la tête indique l’escarboucle2 de la charité de la poitrine qui, en arrivant des profondeurs, a enflammé Lyon, de même également Tyr3 située au sommet de la mer indique la poitrine de la mer. Et si son cœur est attribué à l’Afrique, il symbolise tout le mal; mais s’il est attribué à l’Europe, il symbolise tout le bien. Aujourd’hui nous avons vu un signe favorable (c’est-à-dire un évêque faisant un signe à un diacre cardinal) à droite de l’autel4, autrement dit venant du sud; il a été envoyé par Dieu à son serviteur Jean qui porte témoignage au Verbe de Dieu5, c’est-à-dire désigne l’endroit où se trouve le Verbe. Nous avons vu l’ange gravant les paroles de Dieu dans les profondeurs de la poitrine africaine, et qui est aujourd’hui passé du côté des profondeurs de la poitrine de l’Avenica d’Europe. Et lorsque nous avons chanté l’oraison dominicale6, nous nous sommes éloignés de là. Cette Église des faibles est en partie enfermée derrière des signes visibles et en partie ouverte vers l’invisible; c’est-à-dire qu’en partie, elle a besoin d’éléments matériels et en partie, elle est harmonieuse dans son immatérialité. Voilà la sagesse de Dieu que le monde considère comme folie. 19 – l’origine de tout le mal7 20 – « Que ton nom soit sanctifié. Que ton règne vienne. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation. Mais délivre-nous du mal »8. 21 – L’APÔTRE VOYAGEUR, TEL JACQUES D’ESPAGNE9 22 – LE CERCLE SITUÉ AU SUD, QUI SE DISSIMULE À TOUT LE MONDE10 23 – LE CERCLE SITUÉ AU NORD, QUI SE MONTRE À TOUT LE MONDE 24 – « Notre Père, qui es aux cieux » 25 – la matrice, la verge; la semence; les testicules et les valves 26 – les montagnes 27 – de l’Olympe

La côte de la Romagne dessine en effet une courbure. L’Europe n’a que des bottes. Voir V 12, note 3 3 Voir fol. 44. La ville de Tyr (aujourd’hui Sour, au sud de Beyrouth) se trouve en effet sur la tête de la mer diabolique dans V 10 et V 11 (sans y être indiquée par Opicinus). 4 Voir Lc 1, 11: il s’agit de l’ange du Seigneur annonçant à Zacharie que sa femme Élisabeth va enfanter Jean-Baptiste. 5 Voir l’épître du 29 septembre: Ap.1, 1-5. Opicinus est à la fois Jean et Dieu. 6 La veille correspondait au 16e dimanche après la Pentecôte. 7 C’est-à-dire le détroit de Gibraltar: le péché originel est spatialisé. 8 Le début du Notre Père est dissocié de l’ensemble de la prière et se trouve à la note 24. 9 C’est-à-dire Jacques le Majeur. 10 Voir note 18: « ce qui est caché dans la poitrine ». 1 2

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[FOL. 62] DE

FOL.

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PREVIA EXAMINATIONE LOQVENDI

Qui uult alloqui proximum suum prius examinet, preponderando in conscientia sua secundum apparentiam proximi alloquendi, qualem ymaginationem potest facere ille proximus alloquendus; alioquin si precipitio loquitur, putans se edificaturum animam proximi, edificabit eum ad precipitium.

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28 – Lorsque le peuple juif calculait dans les temps anciens la route extrêmement longue qui va de l’Égypte à la Terre promise, et qui pourtant n’est pas plus longue que celle qui va de Pavie à Rome ou à Avignon1, il indiquait ceux qui sont aujourd’hui dépourvus de puissance. Et aujourd’hui les nouveaux marchands, qui considèrent comme négligeable la très longue route qui va d’Espagne à Cambaluc2 au-delà de l’Inde tout entière, indiquent les parfaits d’aujourd’hui qui, ceints et dégagés des soucis du monde comme les Espagnols, ainsi que l’expriment et le montrent leurs tenues vestimentaires modestes, se hâtent, non en termes de géographie mais de vertus, vers le commerce du royaume céleste qui se trouve dans la poitrine de l’Église actuelle. Car la Carthagène de l’Espagne de la tête3, qui exprime la méditation, indique la méditation dans la poitrine de la vérité; alors que la Carthage de la poitrine de l’Afrique indique les projets concernant l’ensemble des mensonges, d’après le jugement de la paroisse de Pavie. 29 – Ajouté, au sujet de la régénération par le baptême dans le ventre où se trouve le fleuve Adda4, qui lave par le baptême le vieil Adam5, le 3 des calendes de septembre, le 11e dimanche après la Pentecôte6, l’année de la perfection [dimanche 30 août 1338]. 30 – Cette Babylone, qui engendre les confusions, est entièrement matérielle et dépourvue d’harmonie. Mais si elle se tourne vers la sainte Jérusalem, comme elle a déjà fait l’expérience du bien et du mal, elle possèdera un pouvoir de discerner tous les esprits7 deux fois plus grand que l’Église seule. 31 – aimer un ennemi à cause de Dieu8 32 – aimer un ami en Dieu 33 – L’Église pèlerine est rassemblée, elle qui possède dans la partie droite de sa poitrine un logement pour les voyageurs au nom de Marthe. 34 – Fait le jour de la consécration de saint Michel archange [29 septembre 1337].

[fol. 62] L’EXAMEN

QUI PRÉCÈDE LE DISCOURS

Celui qui souhaite s’adresser à un de ses amis doit commencer par examiner quels fantasmes nourrit cet ami à qui il va s’adresser, en les appréciant dans sa conscience en fonction de ce que laisse voir cet ami à qui il va s’adresser; sinon, s’il parle avec précipitation, en pensant qu’il va édifier l’âme de son ami, il l’édifiera en l’envoyant dans le précipice.

Voir fol. 60v°. Cambaluc: aujourd’hui Pékin. 3 Carthagène est située au sud-est de l’Espagne, en Murcie. 4 Adda: affluent du Pô. 5 Jeu de mots Adda/Adam. Le vieil Adam correspond à l’homme ancien. 6 Il s’agit en fait du 13e dimanche après la Pentecôte. On trouve le même décalage de deux dimanches dans l’additum du fol. 41. 7 Voir 1 Co 12, 10. 8 Voir Mt 5, 44; Lc 6, 27 et 35. 1 2

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INTERPRETATIONES

FOL.

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VERBORVM DE EVANGELIIS

Interpretationes Hebreorum secundum IIIIor euangelistas. Primo secundum Matheum: « Emanuel, quod est interpretatum: nobiscum Deus » (I°). « Golgotha, quod est caluarie locus » (XXVII°). « Heli, heli, lemasabacthani? Hoc est: Deus meus, Deus meus, ut quid derelisti me? » (XXVII°). Secundum Marcum: « Boanerges, quod est filii tonitrii » (III°). « Thalitacumi, quod est interpretatum: puella, tibi dico, surge » (V°). « Corban, quod est donum » (VII°). « Epheta, quod est adaperire » (VII°). « Filius Timei Bartimeus » (X°). « Abba [Pater]» (XIIII°). « In Golgotha locum, quod est interpretatum caluarie locus » (XV°). « Heloy, heloy, lemasabacthani me? Quod est interpretatum: Deus meus, Deus meus, ut quid derelisti me? » (XV°). Secundum Lucam, nichil interpretatum est. Secundum Iohannem: « Rabbi, quod dicitur interpretatum: magister » (I°). « Inuenimus Messiam, quod est interpretatum: Christus » (I°). « Cephas, quod interpretatur: Petrus » (I°). « Rabbi scimus quia a Deo uenisti magister » (III°). « Scio quia Messias uenit qui dicitur Christus » (IIII°). « Probatica piscina que cognominatur hebraice Bethsaida » (V°). « Natatoria Siloe, quod interpretatur Missus » (VIIII°). « Lithostrotus hebraice autem Gabbatha » (XVIIII°). « Caluarie locum, hebraice Golgotha » (XVIIII°). « Rabboni, quod dicitur: magister » (XX°). Non autenticetur istud donec declaretur, approbetur uel reprobetur tabula pascalis.

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LA

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TRADUCTION DES EXPRESSIONS QUI FIGURENT DANS LES ÉVANGILES1

La traduction des expressions en hébreu chez chacun des 4 évangélistes. D’abord chez Matthieu: – « Emmanuel; ce qui veut dire: Dieu avec nous » (1).2 – « Golgotha, c’est-à-dire le lieu du crâne » (27).3 – «Éli, Éli, lama sabacthani? C’est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (27).4 Chez Marc: – « Boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre » (3).5 – « Talita koum; ce qui veut dire: fillette, je te le dis, lève-toi » (5).6 – « Korbân, c’est-à-dire offrande » (7).7 – « Ephphatha, c’est-à-dire ouvre-toi » (7).8 – « Bartimée, le fils de Timée » (10).9 – « Abba [Père]» (14).10 – « Au lieu dit Golgotha; ce qui veut dire: le lieu du crâne » (15).11 – «Éloï, Éloï, lema sabactnani? Ce qui veut dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (15).12 Chez Luc, il n’y a rien à traduire. Chez Jean: – « Rabbi, ce qui veut dire Maître » (1).13 – « Nous avons trouvé le Messie, ce qui veut dire Christ » (1).14 – « Céphas, ce qui veut dire Pierre » (1).15 – « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître » (3).16 – « Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ » (4).17 – « Près de la Probatique, une piscine qui s’appelle en hébreu Bethesda » (5).18

1 Opicinus va exploiter ces expressions pour lui-même: toute les appellations concernant Dieu / le Christ le désignent; les expressions relatives à la Passion évoquent sa propre passion de 1334; les apôtres (notamment Pierre) lui permettent d’autres identifications; les extraits de guérisons miraculeuses font allusion à sa propre « guérison ». 2 Mt 1, 23. 3 Mt 27, 33. 4 Mt 27, 46. 5 Mc 3, 17. 6 Mc 5, 41. 7 Mc 7, 11. 8 Mc 7, 34. 9 Mc 10, 46. 10 Mc 14, 36. 11 Mc 15, 22. 12 Mc 15, 34. 13 Jn 1, 38. 14 Jn 1, 41. 15 Jn 1, 42. 16 Jn 3, 2. 17 Jn 4, 25. 18 Jn 5, 2.

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DE

FOL.

ETATE

62-62v°

DOMINI

Baptizato Domino XXVIIII annorum et dierum XIII, cum esset incipiens quasi annorum XXX, in illo XXX° anno, post suum ieiunium et temptationem diaboli, ut non subito procederet sed paulatim ad manifestam predicationem, habuit tantum ministerium angelorum, ut arbitror et istud occulte. In medio autem hominum mediocrem uitam seruauit, ne ab aliquo notaretur ante publicationem suam. Anno XXXI° sequenti, paulatim discipulos traxit ad familiaritatem suam, cum quibus et matre sua et fratribus descendit Capharnaum (Iohannis II); et ascendit Iherosolimam ad diem Pasche. Deinde uenit in Iudeam terram ut baptizaret ante incarcerationem Iohannis. Anno XXXII°, regressus est Ihesus in uirtute Spiritus in Galileam et fama exiit per uniuersam regionem de illo (Luce IIII). (Hucusque actum kalendis octobris.) Post incarcerationem Iohannis. Vnde post multa miracula Christi, Iohannes uinctus in uinculis misit duos discipulos suos ad Christum (Mathei XI et Luce VII). De cuius incarceratione nullum Pascha reperitur; hinc est quod positis gestis Christi occultis post primam ascensionem Christi in Iherusalem, die Pasche ante incarcerationem Iohannis reuersus est Christus in Galileam (Iohannis IIII, deinde Iohannis V). Cum ascendisset Ihesus Iherosolimam, die festo Iudeorum non nominato qui creditur dies Pentecostes, sanato homine arido iuxta piscinam, inter cetera dixit iudeis: « Vos misistis ad [fol. 62v°] Iohannem et cetera. Ille erat lucerna ardens et lucens. Vos autem uoluistis exultare ad horam in luce eius ». Non dixit: « est lucerna », sed « erat »; nec dixit: « uultis exultare », sed « uoluistis ». Ecce iam facta incarceratione Iohannis ante diem festum predictum, si fuerit Pentecostes non nominato Pascha, uel si fuerit forte dies Pasche – circa quam fuerit incarceratus Iohannes – Christus erat in anno XXXII° etatis sue. De cuius anni gestis per Christum, Iohannes euangelista nichil uel modicum tetigit, sed ceteri euangeliste dixerunt. Facta autem secunda nominatione de Pascha (Iohannis VI), Iohannes decollatus est secundum Matheum XIIII, secundum Marcum VI et secundum Lucam VIIII. Anno autem Domini XXXIII°, facto hoc Dominus manifestius predicauit; cuius anni sequitur dies festus Scenophegia (id est Tabernaculorum) in mense septembris (Iohannis VII) et Encenia (id est dedicatio Templi) in mense decembris (Iohannis X). Et anno Domini XXXIIII°, passus est Dominus in die Pasche. Ecce ratio etatis dominice. 1

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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625

– « La piscine de Siloé, ce qui veut dire: Envoyé » (9).1 – « Le Dallage, en hébreu Gabbatha » (19).2 – « Le lieu du crâne, en hébreu Golgotha » (19).3 – « Rabbouni, ce qui veut dire: Maître » (20).4 Ce qui suit ne doit pas être officialisé, tant que la table de Pâques n’est pas tirée au clair, ratifiée ou rejetée. LES

ÂGES DE LA VIE DU

SEIGNEUR5

Le Seigneur a été baptisé à 29 ans et 13 jours6, alors qu’il entamait quasiment sa 30e année7; et alors qu’il se trouvait dans cette 30e année, après qu’il ait jeûné8 et ait été tenté par le diable9, afin de ne pas se mettre à prêcher publiquement tout d’un coup mais progressivement, il fut seulement servi par les anges10, à ce que je crois, et cela en secret. Et quand il se trouvait parmi les hommes, il observait une vie ordinaire, afin de n’être reconnu par personne avant de commencer sa vie publique11. Ensuite, dans sa 31e année, il a progressivement entraîné ses disciples à le suivre12; et avec eux et sa mère, il descendit à Capharnaüm (Jean 2)13; et il monta à Jérusalem pour la fête de la Pâque14. Ensuite il vint au pays de Judée pour y baptiser15, avant que Jean ne soit mis en prison. Lorsqu’il fut dans sa 32e année, Jésus retourna en Galilée avec la puissance de l’Esprit et une rumeur se répandit par toute la région à son sujet (Luc 4)16. (Jusqu’ici, ce texte est écrit le jour des calendes d’octobre [1er octobre 1337].) Puis vint l’incarcération de Jean17. Après que le Christ ait accompli de nombreux miracles, Jean, prisonnier de ses chaînes, envoya deux de ses disciples au Christ (Matthieu 11 et Luc 7)18. Or il n’est fait aucune mention de la Pâque à propos de son incarcération; on en déduit que, puisque les actions accomplies par le Christ après qu’il soit monté Jn 9, 7. Jn 19, 13. 3 Jn 19, 17. 4 Jn 20, 16. 5 À travers une analyse apparemment scrupuleuse de la chronologie des quatre dernières années de la vie du Christ, Opicinus va, dans une perspective d’identification complète, à la fois utiliser tout ce qui, dans les écrits des évangélistes, peut justifier ou éclairer ses prétentions à être le Christ, et greffer toutes les allusions possibles à sa propre biographie. 6 Allusion à la fête de l’Épiphanie, célébrant la manifestation du Christ aux rois mages venus l’adorer (voir V 10, note 3) et plus généralement aux peuples de la terre. Opicinus en fait une fête personnelle. 7 Voir Mt 3, 13-17; Mc 1, 9-11; Lc 3, 21-22; et Jn 1, 29-33. 8 Allusion au jeûne qui a précipité Opicinus dans sa bouffée délirante en 1334. 9 Voir Mt 4, 1-10; Mc 1, 12-13; et Lc 4, 1-13. 10 Voir Mt 4, 11; Mc 1, 13. 11 Allusion à la période où Opicinus se trouvait entre Pavie et Avignon. 12 Voir Mt 4, 18-22; Mc 1, 16-20 et Lc 5, 1-11; Jn 1, 35-51. 13 Voir Jn 2, 12. 14 Voir Jn 2, 13. 15 Voir Jn 3, 22. 16 Voir Lc 4, 14. 17 Voir Mt 11, 2 et 14, 3; Mc 6, 17; Lc 3, 19-20. 18 Voir Mt 11, 2 et Lc 7, 18-19. 1 2

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626

CONCORDIA

FOL.

VERBORVM

62v°

DOMINI

Ne ulla contradictio uideatur in verbis dominicis, omne dubium amoueatur. (Iohannis V) Dominus ad iudeos: « Si ego testimonium perhibeo de me, testimonium meum non est uerum ». Et alibi (Iohannis VIII) Dominus ad eosdem: « Et si ego testimonium perhibeo de meipso, uerum est testimonium meum ». Prima sententia pertinet ad personam mortalem sine apparentia deitatis; unde subsequitur alius est, id est persona Patris Dei eterni in quo sum alia persona, et cum quo sum unus et idem Deus qui testimonium perhibet de me (id est diuinitas mea per opera mea testificatur personam diuinam). Et sic secunda sententia ratificat primam. Hinc subditur secunde sententie: « quia scio unde ueni et quo uado ». Scilicet « ueni » non mutabilitate sed mirabili unione Deus ad hominem (id est factus sum una persona Dei et hominis, discretis tamen naturis); et « uado » (scilicet homo ad Deum, ad andam naturam humanam); descendi enim Deus humanus et ascendo homo diuinus. Hec fundamentaliter dicta sunt VI nonas octobris.

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pour la première fois à Jérusalem sont restées secrètes, ce fut le jour de la Pâque précédant l’incarcération de Jean que le Christ revint en Galilée (Jean 4, puis Jean 5)1. Lorsque Jésus est monté à Jérusalem le jour d’une fête juive qui n’est pas précisée2 et qu’on estime être la Pentecôte3, et après qu’il ait guéri un infirme près de la piscine4, il dit entre autres aux juifs: « Vous avez envoyé trouver [fol. 62v°] Jean etc. Celuilà était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu vous réjouir une heure à sa lumière »5. Il n’a pas dit: « il est la lampe », mais « il était »; et il n’a pas dit: « vous voulez vous réjouir », mais « vous avez voulu ». Ainsi, puisque Jean était déjà en prison avant la fête indiquée plus haut, si cette fête est la Pentecôte puisque la Pâque n’est pas mentionnée, à moins qu’il ne s’agisse de la Pâque – Jean ayant été mis en prison aux environs de cette fête – le Christ était dans sa 32e année. Sur ce que le Christ a fait cette année-là, l’évangéliste Jean n’a rien dit ou très peu, mais les autres évangélistes ont parlé. Mais lorsque la Pâque est mentionnée pour la seconde fois (Jean 6)6, Jean-Baptiste a été décapité, d’après Matthieu (14), Marc (6) et Luc (9)7. Et lorsque le Seigneur a été dans sa 33e année, cela fait, le Seigneur a prêché en se révélant davantage; cette année-là, se succèdent la fête des Tentes8 au mois de septembre (Jean 7)9 et celle de la Dédicace du Temple10 au mois de décembre (Jean 10)11. Et lorsque le Seigneur a été dans sa 34e année, le Seigneur a souffert sa Passion le jour de la Pâque. Voici une analyse rationnelle des âges de la vie du Seigneur. L’UNITÉ

DES PAROLES DU

SEIGNEUR

Pour éviter que la moindre contradiction n’apparaisse dans les paroles du Seigneur, chassons toutes les ambiguïtés. Le Seigneur dit aux juifs (Jean, 5): « Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n’est pas valable »12; et à

Voir Jn 4, 3 et 5, 1. Voir Jn 5, 1. 3 Il s’agit de la fête juive de la Moisson célébrée 50 jours après la Pâque; mais Opicinus fait plus certainement allusion au don eschatologique de l’Esprit Saint fait aux apôtres 50 jours après la mort du Christ (Pentecôte), en intégrant cet événement à sa propre expérience. 4 Voir Jn 5, 2-9: il s’agit de l’homme qui était infirme depuis 38 ans et auquel Opicinus s’identifie fréquemment. 5 Jn 5, 33-35. 6 Voir Jn 6, 4. 7 Voir Mt 14, 2-12; Mc 6, 14-29; et Lc 9, 7-9. 8 Opicinus donne le mot d’origine grecque et son équivalent en latin. 9 Voir Jn 7, 2. Il s’agissait d’une fête d’automne destinée à remercier Dieu pour les récoltes et les vendanges. On l’appelait « fête des Tentes » en raison des huttes de branchages sous lesquelles on campait durant la récolte et que l’on dressait à Jérusalem pendant la semaine de la fête; on y voyait aussi une commémoration de la marche au désert, lorsque les Hébreux s’abritaient sous des tentes. Or Opicinus fait plusieurs fois allusion à cette marche vers la Terre promise dans le Vaticanus (ex: V 11). 10 Opicinus donne le mot d’origine grecque et son équivalent en latin. 11 Voir Jn 10, 22. Fête célébrée en hiver pour commémorer la consécration en 164 av. J.C. de l’autel du Temple. Sur le plan liturgique, elle rappelle la fête des Tentes, durant laquelle avait eu lieu la dédicace du Temple par Salomon. 12 Jn 5, 31. 1 2

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628

FOL.

62v°

CONCORDANTIA IIIIOR

EUANGELIORVM

MATHEVS1 Infantia Domini

II

III A.D.3 XXX IIII

Liber generationis Ihesu Christi filii Dauid Cum esset desponsata mater [eius Maria Exurgens autem Ioseph a sompno Cum ergo natus esset Ihesus in [Bethleem2 Qui cum recessissent, ecce Tunc Herodes uidens quoniam Defuncto autem Herode In diebus autem illis uenit Iohannes Tunc exiebat ad eum Iherosolima Tunc uenit Ihesus a Galilea Tunc Ihesus ductus est in desertu

A F G B M N O

MARCVS Initium euangelii Ihesu Christi Fuit Iohannes in deserto Et factum est in diebus illis uenit Et statim Spiritus expulit eum Postquam autem traditus est

XXX XXXII

Voir en même temps les colonnes de Luc et Jean placées plus loin. Les citations n’étant pas placées touiours sur la même ligne, il faut sauter une ligne de temps en temps pour respecter le décalage. 3 A.D.: Anno Domini. 1 2

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629

un autre endroit (Jean, 8), il leur dit: « Bien que je me rende témoignage à moimême, mon témoignage est valable »1. La première phrase concerne la personne mortelle, sans manifestation de la divinité; par conséquent, il s’agit de quelqu’un d’autre, c’est-à-dire de la personne de Dieu le Père éternel, en qui je suis une autre personne, et avec qui je suis un seul et même Dieu2 qui me rend témoignage à moi-même (c’est-à-dire que ma divinité révèle ma personne divine à travers mes œuvres). De ce fait, la seconde phrase confirme la première. Et ce qui est dit après cette seconde phrase en découle: « parce que je sais d’où je suis venu et où je vais »3. Traduisons: « je suis venu » en tant que Dieu rejoindre l’homme, non parce que je serais sujet à la mutabilité, mais grâce à une union admirable (c’està-dire que je suis devenu une seule personne, à la fois Dieu et homme, les natures étant néanmoins distinctes); et « je vais » (c’est-à-dire en tant qu’homme, je rejoins Dieu, pour glorifier la nature humaine); car je suis descendu en étant un Dieu humain et je monte en étant un homme divin. Ces propos fondamentaux ont été écrits le 6 des nones d’octobre [2 octobre 1337]. LA

CONCORDANCE DES

4

ÉVANGILES4

MATTHIEU Enfance du Seigneur

Livre de la genèse de JésusChrist, [fils de David

2

Marie, sa mère, était fiancée Une fois réveillé, Joseph Jésus étant né à Bethléem Après leur départ, voici que Alors Hérode, voyant que Quand Hérode eut cessé de vivre

3 A.S.5 30 4

A F G B M N O

En ces jours-là arrive Jean Alors s’en allait vers lui Jérusalem Alors Jésus arrive de Galilée Alors Jésus fut emmené au désert

MARC Commencement de l’évangile de Jésus-Christ Jean fut dans le désert Et il advint qu’en ces jours-là, il vint 30 Et aussitôt l’Esprit le pousse Après que Jean eut été livré 32

1 Jn 8, 14. Opicinus va s’engouffrer dans le rapprochement des deux citations pour démontrer sa divinité. 2 Opicinus passe de la troisième à la première personne, dévoilant ainsi son délire mégalomaniaque. 3 Jn 8, 14. 4 Les concordances représentent un genre répandu à l’époque: des répertoires de concordances entre les mots, expressions ou récits bibliques regroupent les éléments par thème ou par ordre alphabétique. Le tableau de concordances présenté ici représente une explicitation des « âges de la vie du Seigneur » (fol. 62r°v°), c’est-à-dire vise à démontrer que la vie d’Opicinus est calquée sur celle du Christ. Il conviendrait de tout approfondir dans la perspective délirante d’autodivinisation du scribe. 5 A.S.: Année du Seigneur.

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630

FOL.

62v°

Tunc reliquit eum diabolus A.D. XXXII Cum autem audisset quod Iohannes Et relicta ciuitate Nazareth Ambulans autem iuxta mare

Et Et Et Et

Et circuibat Ihesus totam Galileam Et abiit opinio eius in totam Et secute sunt eum turbe multe V

Videns autem Ihesus turbas, ascendit

de VII VIII

Et factum est cum consumasset Ihesus Cum autem descendisset de monte Cum autem introisset Capharnaum Et cum uenisset Ihesus in domum Petri

VIIII

preteriens secus mare egrediuntur Caphar[naum] erat in sinagoga processit rumor eius

Et protinus egredientes Et uenit ad eum leprosus At ille egressus cepit II

Et Et Et Et

iterum intrauit Caphar[naum] uenerunt ferentes egressus est rursus ad mare cum preteriret uidit Leui

Et factum est iterum cum sabbatis III Et introiuit iterum in sinagogam

Videns autem Ihesus turbas multas

Exeuntes autem statim pharisei

Et accedens unus scriba, ait illi Alius autem de discipulis eius Et ascendente eo in nauiculam Et cum uenisset transfretum Et ascendens in nauiculam

Et Et Et Et Et

Et cum transiret inde Ihesus Hec illo loquente ad eos, ecce

Ihesus cum discipulis suis ascendens in montem ueniunt ad domum cum audissent sui scribe qui ab Iherosolimis

Et ueniunt mater eius IIII Et iterum cepit docere Actum VI nonas octobris

LVCAS Infantia Domini

B C D E H I

Fuit in diebus Herodis regis In mense autem VI° missus Exurgens autem Maria in diebus illis Elisabeth autem impletum est [tempus II Factum est autem in diebus illis [exiit Et postquam consumati sunt dies

Et postquam impleti sunt [dies P Et ut perfecerunt omnia secundum [legem Q Et cum factus esset Ihesus anno[rum XII Anno autem XV° imperii Tiberii Herodes autem tetrarcha Factum est autem cum baptizaretur Et ipse Ihesus erat incipiens Ihesus autem plenus Spiritu Sancto Et consumata omni temptatione

IOHANNES

U

III XXX IIII

II

In principio erat Verbum Iohannes testimonium perhibet Altera die uidit Iohannes Ihesum A.D. XXX Altera die iterum stabat Iohannes A.D. XXXI Et die tertio nuptie facte sunt Post hoc descendit Caphar[naum] Et prope erat Pascha iudeorum

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A.S. 32

5 7 8

9

Alors le diable le quitte Ayant appris que Jean Et laissant Nazareth Comme il cheminait sur le bord [de la mer Jésus parcourait toute la Galilée Sa renommée gagna toute Des foules nombreuses se mirent [à le suivre Voyant les foules, Jésus gravit

Comme il passait sur le bord de la mer Ils pénètrent à Caphar[naüm] Et il y avait dans la synagogue Et sa renommée se répandit Et aussitôt sortant Un lépreux vient à lui Mais lui, une fois parti, se mit à 2

Et il advint, quand Jésus eut achevé Quand il fut descendu de la [montagne Comme il était entré dans Capharnaüm Etant venu dans la maison de Pierre, 3 [Jésus Se voyant entouré de foules nombreuses, Jésus Et un scribe s’approchant lui dit Un autre de ses disciples Puis il monta dans la barque Quand il fut arrivé sur l’autre rive Et s’étant embarqué Étant sorti, Jésus Tandis qu’il leur parlait, voici que1

631

4

Il entra de nouveau à Caphar[naüm] On vient lui apporter Il sortit de nouveau au bord de la mer En passant il vit Lévi Et il advint qu’un jour de sabbat Il entra de nouveau dans une synagogue Étant sortis les pharisiens aussitôt Jésus avec ses disciples Puis il gravit la montagne Ils viennent à la maison Et les siens l’ayant appris Et les scribes qui étaient descendus [de Jérusalem Et sa mère arrive Il se mit de nouveau à enseigner2 Fait le 6 des nones d’octobre [2 octobre 1337]

LUC Enfance du Seigneur

B C D E H I U P Q

3 30 4

Il y eut, aux jours d’Hérode, roi Le 6e mois, envoyé En ces jours-là, Marie partit Quant à Elisabeth, le temps fut [accompli 2 Or il advint, en ces jours-là, que [parut Et lorsque furent accomplis les [jours Et lorsque furent accomplis les [jours Et lorsqu’ils eurent accompli tout ce qui était conforme à la loi Et lorsque Jésus eut 12 ans

L’an 15 du principat de Tibère Cependant Hérode le tétrarque Or il advint, une fois baptisé Et Jésus, lors de ses débuts Jésus, rempli d’Esprit Saint Ayant ainsi épuisé toute tentation

JEAN

Au commencement était le Verbe

2

Jean rend témoignage Le lendemain, Jean voit Jésus A.S. 30 Le lendemain, Jean se tenait encore là A.S. 31 Le troisième jour, il y eut des noces Après quoi, il descendit à Caphar[naüm] La Pâque des juifs était proche

1 Les citations de l’évangile de Mt dans cette colonne sont: 1: 1, 18 et 24. 2: 1, 13, 16 et 19. 3: 1, 5 et 13. 4: 1, 11, 12, 13, 18, 23, 24 et 25. 5: 1. 7: 28. 8: 1, 5, 14, 18, 19, 21, 23 et 28. 9: 1, 9 et 18. 2 Les citations de l’évangile de Mc dans cette colonne sont: 1: 1, 4, 9, 12, 14, 16, 21, 23, 28, 29, 40 et 45. 2: 1, 3, 13, 14 et 23. 3: 1, 6, 7, 13, 20, 21, 22 et 31. 4: 1.

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632

FOL.

XXXII

62v°-63

Et regressus est Ihesus in uirtute Et uenit Nazareth ubi erat Et descendit in Capharnaum Et in sinagoga erat homo Surgens autem de sinagoga

V

Factum est autem cum turbe irruerent Et factum est cum esset in una Perambulat autem magis Et factum est in una dierum Et post hoc exiit et uidit Factum est autem in sabbato secundo [primo Factum est autem et in alio sabbato Factum est autem in illis diebus Et cum dies factus esset Et descendens cum illis stetit Et ipse eleuatis oculis Cum autem implesset omnia uerba sua Et factum est deinceps ibat Et nuntiauerunt Iohanni Rogabat autem illum quidam Et factum esset deinceps et ipse iter

VI

VII

VIII

III IIII

V

VI

VII

Erat autem homo ex phariseis Post hec uenit Ihesus et discipuli Vt ergo cognouit Ihesus quia Post duos autem dies exiit Venit ergo iterum in Chana Post hoc erat dies festus A.D. XXXII Propterea persequebantur iudei Ihesum Post hec abiit Ihesus trans mare Subiit ergo in montem Ihesus Erat autem proximum Pascha A.D. XXXIII Ihesus ergo cum cognouisset quia uenturi Vt autem sero factum est Altera die turba que stabat Hec dixit in sinagoga docens Respondit ergo ei Symon Petrus Post hec ambulabat Ihesus in Galileam Erat autem in proximo dies festus Iam autem die festo mediante Dicebant autem1 quidam ex Iherosolimis Actum V nonas octobris

[fol. 63]

MATHEVS 2

MARCVS

Et transeunte in Ihesu secuti Egressis autem illis ecce ob[tulerit] Et circuibat Ihesus ciuitates Videns autem turbas, misertus est Et conuocatis XII discipulis

Et Et Et Et Et

V VI

talibus multis parabolis ait illis in illa die, cum sero uenerunt transfretum cum ascendisset3 Ihesus in naui egressus inde, abiit in patriam

X

Hos XII misit Ihesus

Et circuibat castella in circuitu

XI

Et factum est cum consumasset Ihesus Iohannes autem cum audisset Tunc cepit exprobrare ciuitatibus In illo tempore respondens Ihesus dixit

Et Et Et Et Et

In illo tempore abiit Ihesus sabbato

Et cum transfretassent perueniunt

XII

Et cum inde transiret uenit Ihesus autem sciens recessit inde Tunc oblatus est ei demonium habens

XIII

1 2 3 4

conuocauit XII et cepit audiuit Herodes rex XXXIII conuenientes apostoli ad Ihesum ascendentes in naui4 statim coegit discipulos

VII

Et conuenerunt ad eum pharisei Et inde surgens abiit Et iterum exiens de finibus

VIII Tunc responderunt ei quidam de scribis Adhuc eo loquente ad turbas

In illis diebus iterum cum turba Et statim ascendens nauem Et exierunt pharisei et ceperunt

In illo die exiens Ihesus de domo

Et dimittens eos iterum

Au lieu de: ergo. Voir en même temps les colonnes de Luc et Jean placées plus loin. Au lieu de: transcendisset. Au lieu de: navim.

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32

5

6

7

8

Jésus repartit avec la puissance Et il vint à Nazareth où il avait été Et il descendit à Capharnaüm Dans la synagogue il y avait un [homme Partant de la synagogue Or il advint, comme la foule serrait Et il advint, comme il était dans une Or [la nouvelle] se répandait Et il advint un jour que Après cela il sortit et vit Or il advint, lors du sabbat suivant Or il advint, un autre sabbat Or il advint en ces jours-là Lorsqu’il fit jour Descendant alors avec eux, il se tint Et lui, levant les yeux

3 4

5

633

Or il y avait parmi les pharisiens un homme Après cela, Jésus vint avec ses disciples Quand Jésus apprit que Après ces deux jours, il partit Il retourna alors à Cana Après cela, il y eut une fête A.S. 32 C’est pourquoi les juifs persécutaient Jésus 6 Après cela, Jésus traversa la mer Jésus gravit la montagne Or la Pâque était proche A.S. 33 Alors Jésus sachant qu’ils allaient venir Quand le soir fut venu Le lendemain, la foule qui se tenait Tel fut son enseignement dans une synagogue

Après qu’il eut fini toutes ses paroles Et il advint ensuite qu’il se rendit 7 [Les disciples de] Jean l’informèrent Un [pharisien] l’invita Et il advint ensuite qu’il cheminait1

Simon-Pierre lui répondit Après cela, Jésus parcourait la Galilée Or la fête était proche On était déjà au milieu de la fête Certains des gens de Jérusalem disaient2 Fait le 5 des nones d’octobre [3 octobre 1337]

MARC

[fol. 63] MATTHIEU

10 11

12

Comme Jésus s’en allait de là, le [suivirent Comme ils sortaient, voilà qu’on lui [présenta Jésus parcourait les villes À la vue des foules, il en eut pitié Ayant appelé ses douze disciples Ces Douze, Jésus les envoya en [mission Et il advint, quand Jésus eut achevé Or Jean avait entendu parler Alors il se mit à invectiver les villes

C’est par un grand nombre de paraboles Ce jour-là, le soir venu, il dit 5 6

En ce temps-là, Jésus prit la parole [et dit En ce temps-là, Jésus vint à passer, [un sabbat Parti de là, il vint 7 L’ayant su, Jésus se retira de là Alors on lui présenta un démoniaque 8

13

Alors quelques-uns des scribes lui dirent Comme il parlait encore aux foules En ce jour-là, Jésus sortit de la maison

Ils arrivèrent sur l’autre rive Comme Jésus montait dans la barque Étant sorti de là, il se rend dans sa patrie Il parcourait les villages à la ronde Il appelle à lui les Douze et il se mit Le roi Hérode entendit parler de lui 33 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus Ils partirent donc dans la barque Et aussitôt il obligea ses disciples Ayant achevé la traversée, ils touchèrent Les pharisiens se rassemblent auprès de lui Partant de là, il s’en alla S’en retournant du territoire En ces jours-là, comme la foule à nouveau Et aussitôt montant dans la barque Les pharisiens sortirent et se mirent Et les laissant là à nouveau

1 Les citations de l’évangile de Lc dans cette colonne sont: 1: 5, 26, 39 et 57. 2: 1, 21, 22, 39 et 42. 3: 1, 19, 21 et 23. 4: 1, 13, 14, 16, 31, 33 et 38. 5: 1, 12, 15, 17 et 27. 6: 1, 6, 12, 13, 17 et 20. 7: 1, 11, 18 et 36. 8, 1. 2 Les citations de l’évangile de Jn dans cette colonne sont: 1: 1, 15, 29 et 35. 2: 1, 12 et 13. 3: 1 et 22. 4: 1, 43 et 46. 5: 1 et 16. 6: 1, 3, 4, 15, 16, 22, 59 et 68. 7: 1, 2, 14 et 25.

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634

A.D. XIV XXXIII

XV

XVI

FOL.

Hec omnia locutus est Ihesus in para[bolis Et factum est cum consumasset Et ueniens in patriam suam Illo in tempore audiuit Herodes Quid cum audisset Ihesus secessit Vespere autem facto solus erat Et cum transfretassent Tunc accesserunt ad eum ab Iheroso[limis Et egressus inde Ihesus secessit Et cum transisset inde Ihesus uenit Ihesus autem conuocatis discipulis Et accesserunt ad eum pharisei Et cum uenissent discipuli eius Venit autem Ihesus in partes Cesaree Tunc Ihesus dixit discipulis suis: [« Siquis uult »

XVII

Et post dies VI assumpsit Conuersantibus autem eis in Galilea Et cum uenisset Caphar[naum]

XVIII XIX A.D. de XX XXXIIII XXI

In illa hora accesserunt discipuli Et factum est cum consumasset Ihesus Et ascendens Ihesus Iherosolimam Et egredientibus illis ab Ierico Et cum appropinquassent Iherosolimis Et cum intrasset Iherosolimam Et intrauit Ihesus in Templum Dei Et accesserunt ad eum ceci Videntes autem principes Et relictis illis abiit Mane autem reuertens Et cum uenisset in Templum

de XXII XXIII XXIIII XXVI

Tunc abeuntes pharisei Tunc Ihesus locutus est ad turbas Et egressus Ihesus de Templo Et factum est cum consumasset Ihesus Tunc congregati sunt principes Cum autem esset Ihesus in Bethania Tunc abiit unus de XII Prima autem die Azimorum Et edentibus illis dixit: « Amen »

63 Et ueniunt Bethsaidam

IX

X

XI

Et ingressus est Ihesus et discipuli Et conuocata turba cum discipulis Et post dies VI assumpsit Et ueniens ad discipulos Et respondens unus de turba dixit Et inde profecti pretergrediebantur Et uenerunt Capharnaum Respondit illi Iohannes dicens Et inde exurgens Ihesus uenit Et cum egressus esset in uiam Erant autem in uia ascendentes Et Et Et Et

assumens iterum XII XXXIIII accedunt ad eum Iacobus ueniunt Hierico cum appropinquarent Iherosolimam

Et Et Et Et

introiuit Iherosolimam in Templum alia die cum exirent ueniunt Iherosolimam et cum cum uespera facta esset

Et ueniunt rursus Iherosolimam de XII Et mittunt ad eum quosdam Et dicebat eis in doctrina Et sedens Ihesus contra gazophilacium XIII Et cum egrederetur de Templo XIIII Erat autem Pascha et Azima Et cum esset Bethanie Et Iudas Scariothis Et primo die Azimorum Et discumbentibus eis At illi ceperunt contristari Et manducantibus illis, accepit Et accepto calice gratias Et ymno dicto exierunt Et ueniunt in predium cui nomen Et adhuc eo loquente uenit Adolescens autem quidam sequebatur Et adduxerunt Ihesum ad summum Rursus summus sacerdos Et ceperunt quidam conspuere eum Et cum esset Petrus in atrio Rursus autem cum uidisset illum Et post pusillum rursus qui Actum V nonas octobris

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A.S. 33 14

15

16

17

18 19 A.S. 34 20 21

22 23 24 26

Tout cela, Jésus le dit aux foules [en paraboles Et il advint, quand il eut achevé Et s’étant rendu dans sa patrie En ce temps-là, Hérode entendit parler L’ayant appris, Jésus se retira Le soir venu, il était seul Ayant achevé la traversée Alors s’approchèrent de lui, venant [de Jérusalem En sortant de là, Jésus se retira Étant parti de là, Jésus vint Jésus, cependant, appela à lui ses [disciples Les pharisiens s’approchèrent de lui Et comme ils venaient, ses disciples Arrivé dans la région de Césarée Alors Jésus dit à ses disciples: [« Si quelqu’un veut » Six jours après, Jésus prend avec lui Comme ils se trouvaient réunis en [Galilée Comme ils étaient venus à Caphar [naüm] À ce moment les disciples s’approchèrent Et il advint quand Jésus eut achevé Devant monter à Jérusalem, Jésus Comme ils sortaient de Jéricho Comme ils approchaient de Jérusalem

635

Ils arrivent à Bethsaïde

9

Jésus s’en alla avec ses disciples Appelant à lui la foule et ses disciples Six jours après, il prend avec lui En rejoignant les disciples Quelqu’un de la foule lui dit Étant sortis de là, ils faisaient route Ils vinrent à Capharnaüm Jean lui répondit

10 Partant de là, Jésus vient Il se mettait en route Ils étaient sur la route qui monte Prenant de nouveau les Douze Jacques avance vers lui Ils arrivent à Jéricho 11 Quand ils approchent de Jérusalem

34

Il entra à Jérusalem dans le Temple Le lendemain, comme ils étaient sortis Ils arrivent à Jérusalem et comme Le soir venu Ils viennent de nouveau à Jérusalem 12 Ils lui envoient alors quelques-uns Il leur disait dans son enseignement S’étant assis face au Trésor 13 Comme il s’en allait hors du Temple

Quand il entra dans Jérusalem 14 La Pâque et les Azymes étaient Puis Jésus entra dans le Temple de Dieu Comme il se trouvait à Béthanie Des aveugles s’approchèrent de lui Et Judas Iscariote Mais les grands [prêtres] voyant Le premier jour des Azymes Et les laissant, il sortit Et tandis qu’ils étaient à table Comme il rentrait [en ville] de bon matin Ils devinrent tout tristes Il était entré dans le Temple Et tandis qu’ils mangeaient, il prit Puis, prenant une coupe, [il rendit] grâces Alors les pharisiens allèrent Après le chant des psaumes, ils partirent Alors Jésus s’adressa aux foules Ils parvinrent à un domaine du nom Comme Jésus sortait du Temple Et aussitôt, comme il parlait encore, survient Et il advint, quand Jésus eut achevé Un jeune homme le suivait Alors les grands [prêtres] s’assemblèrent Ils emmenèrent Jésus chez le grand [prêtre] Comme Jésus se trouvait à Béthanie De nouveau, le grand prêtre Alors l’un des Douze sortit Et quelques-uns se mirent à cracher [sur lui] Le premier jour des Azymes Comme Pierre était dans la cour L’ayant encore vu, elle recommença Or, tandis qu’ils mangeaient, il dit: Peu après, à leur tour, ceux qui2 1 [« Amen » Fait le 5 des nones d’octobre [3 octobre 1337]

1 Les citations de l’évangile de Mt dans cette colonne sont: 8: 27, 32, 35 et 36. 10: 1 et 5. 11: 1, 2, 20 et 25. 12: 1, 9, 15, 22, 38 et 46. 13: 1, 34, 53 et 54. 14: 1, 13, 15 et 34. 15: 1, 21, 29 et 32. 16: 1, 5, 13 et 24. 17: 1, 22 et 24. 18, 1. 19, 1. 20: 17 et 29. 21: 1, 10 , 12, 14, 15, 17, 18 et 23. 22, 15. 23, 1. 24, 1. 26: 1, 3, 6, 14, 17 et 21. 2 Les citations de l’évangile de Mc dans cette colonne sont: 4: 33 et 35. 5: 1 et 21. 6: 1, 6. 7, 14, 30, 32, 45 et 53. 7: 1, 24 et 31. 8: 1, 10, 11, 13, 22, 27 et 34. 9: 2, 14, 17, 30, 33 et 38. 10: 1, 17, 32 (2 fois), 35 et 46. 11: 1, 11, 12, 15, 19 et 27. 12, 13. 12: 38 et 41. 13, 1. 14: 1, 3, 10, 12, 18, 19, 22, 23, 26, 32, 43, 51, 53, 61, 65, 66, 69 et 70.

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636 [fol. 63]

IX XXXIII

X

XI

FOL.

63

LVCAS

IOHANNES

Cum autem turba plurima conueniret Venerunt autem ad illum mater Factum est autem in una dierum, et ipse Et nauigauerunt autem ad regionem Ipse autem ascendens nauem Et ecce uenit uir cuius nomen

Clamabat ergo docens in Templo Querebant ergo eum apprehendere De turba autem multi crediderunt Audierunt pharisei turbam Dixerunt ergo iudei ad semetipsos In nouissimo autem die

Conuocatis autem XII apostolis Audiuit autem Herodes Et reuersi apostoli narrauerunt Et assumptis illis secessit Et factum est cum solus esset Dicebat autem ad omnes Factum est autem post hec uerba fere Factum est autem in sequenti die Omnibusque mirantibus in omnibus Intrauit autem cogitatio Respondens autem Iohannes dixit Factum est autem dum complerentur Factum autem ambulantibus illis Ait autem ad alterum: « Sequere » Et ait alter: « Sequar te, Domine » Post hec autem designauit Dominus Reuersi sunt autem LXXII In ipsa hora exultauit Et conuersus ad discipulos Et ecce quidam legisperitus Factum est autem dum irent et ipse Et factum est cum esset in loco Et ait ad illos: « Quis uestrum » Et erat eiiciens demonium Et alii temptantes signum

VIII

IX de X

XI

XII

XIII

Venerunt ergo ministri ad Ihesus autem perrexit in montem Iterum ergo locutus est eis Hec illo loquente multi crediderunt Et preteriens uidit hominem Et audierunt ex phariseis Hoc prouerbium dixit illis Ihesus Dissensio iterum facta est inter Facta sunt autem Encenia Querebant ergo eum apprehendere Erat autem quidam languens A.D. XXXIIII Collegerunt ergo pontifices Ihesus ergo iam non in palam Proximum autem erat Pascha

Ihesus ergo ante VI dies Pasche Cognouit ergo turba multa In crastinum autem turba Testimonium ergo perhibebat Pharisei ergo dixerunt ad semetipsos Erant autem gentiles quidam Hec locutus est Ihesus et abiit Ihesus autem clamauit et dixit Ante die autem festum Pasche

XXXIIII

Factum est autem cum hec diceret Turbis autem concurrentibus cepit Et cum loqueretur, rogauit illum Respondens autem quidam ex legis Cum hec ad illos diceret

Postquam ergo lauit pedes eorum Cum hec dixisset Ihesus, turbatus est Aspiciebant ergo ad inuicem Erat ergo recumbens unus ex

XII

Multis autem turbis circumstantibus

Cum ergo exisset dicit Ihesus

Ait autem quidam ei de turba Dixit autem similitudinem ad illos Dixitque ad discipulos suos

XIII

Ait autem ei Petrus: « Domine ad » Dicebat autem ad turbas Aderant autem quidam ipso in tempore

XIIII

de XVI Dicunt ei discipuli eius de XVII Hec locutus est Ihesus et subleuatis XVIII

Dicebat autem hanc similitudinem Erat autem docens in sinagoga Dicebat ergo: « Cui simile est regnum » Et ibat per ciuitates et castella Ait autem illi quidam: « Domine si »

XIIII

In ipsa die accesserunt quidam Et factum est cum intraret in Hec cum audisset quidam de simul Ibant autem turbe multe cum eo

Dicit ei Symon Petrus: « Domine » Et ait discipulis suis « Surgite, eamus hinc »

Hec cum dixisset Ihesus egressus est Sciebat autem et Iudas Ihesus itaque sciens omnia Cohors ergo et tribunus Sequebatur autem Ihesum Symon

Dicit ergo Petro ancilla Pontifex ergo Ihesum de discipulis Hec autem cum dixisset unus

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[fol. 63] LUC

9 33

10

11

34

12

13

14

Comme une foule nombreuse se [rassemblait Sa mère vint le trouver Or il advint, un jour, que Ils abordèrent au pays Et lui, étant monté en barque Et voici qu’arriva un homme du nom de Ayant convoqué les Douze Or Hérode apprit A leur retour les apôtres racontèrent Les prenant alors avec lui, il se retira Et il advint, comme il était seul Et il disait à tous Or il advint après ces paroles environ Or il advint, le jour suivant Comme tous étaient étonnés de tout Une pensée leur vint à l’esprit Jean prit la parole et dit Or il advint, comme s’accomplissait Et tandis qu’ils faisaient route Il dit à un autre: « Suis-moi » Un autre encore dit: « Je te suivrai, [Seigneur » Après cela, le Seigneur désigna Les soixante-douze revinrent A cette heure même, il tressaillit de joie Puis se tournant vers ses disciples Et voici qu’un légiste Comme ils faisaient route, il Et il advint, comme il était quelque part Il leur dit encore: « Si l’un de vous » Il expulsait un démon D’autres, pour le mettre à l’épreuve, un [signe Or il advint, comme il parlait ainsi Comme les foules se pressaient en [masse, il se mit à Tandis qu’il parlait, [un pharisien] [l’invite Prenant alors la parole, un des légistes Quand il eut dit cela Et une foule nombreuse s’étant rassem[blée Quelqu’un de la foule lui dit Il leur dit alors une parabole Puis il dit à ses disciples Pierre dit alors: « Seigneur, pour » Il disait encore aux foules En ce même temps survinrent des gens Il disait encore la parabole que voici Or il enseignait dans une synagogue Il dit encore: «À quoi le Royaume res[ semble-t-il » Et il cheminait par villes et villages Quelqu’un lui dit: « Seigneur, si » À cette heure même s’approchèrent [quelques Et il advint, comme il était venu chez À ces mots, l’un [des convives] lui dit Des foules nombreuses faisaient route [avec lui

637

JEAN Alors enseignant dans le Temple [Jésus] s’écria Ils cherchaient alors à le saisir Dans la foule, beaucoup crurent Les pharisiens entendirent la foule Les juifs se dirent entre eux Le dernier jour Les gardes revinrent donc trouver 8 Quant à Jésus, il alla au mont [des Oliviers] De nouveau, il leur adressa la parole Comme il disait cela, beaucoup crurent 9 En passant, il vit un homme Des pharisiens l’entendirent 10 Jésus leur tint ce discours mystérieux Il y eut de nouveau scission parmi Il y eut alors la fête de la Dédicace Ils cherchaient donc à le saisir 11 Il y avait un malade A.S. 34 Les grands prêtres réunirent alors Aussi Jésus ne [circula] plus en public Or la Pâque était proche

12 Six jours avant la Pâque, Jésus La grande foule [des juifs] apprit Le lendemain, la foule [La foule] rendait témoignage Alors les pharisiens se dirent entre eux Il y avait là quelques Grecs Ainsi parla Jésus et s’en allant Jésus a dit, il l’a clamé 13 Avant la fête de la Pâque Quand il leur eut lavé les pieds Ayant dit cela, Jésus fut troublé Ils se regardaient les uns les autres L’un d’eux était à table Quand il fut sorti, Jésus dit Simon-Pierre lui dit: « Seigneur » 14 Et il dit à ses disciples « Levez-vous, partons d’ici » 16 Ses disciples lui disent 17 Ainsi parla Jésus, et levant 18 Ayant dit cela, Jésus s’en alla Or Judas connaissait Alors Jésus, sachant tout Alors la cohorte, le tribun Or Simon-Pierre suivait Jésus La servante dit à Pierre Le grand prêtre [interrogea] Jésus sur ses disciples À ces mots, l’un [des gardes]

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638

FOL.

XV de XVI XVII

de XVIII

63-63v°

Erant autem appropinquantes ei Audiebant autem omnia hec Et ad discipulos suos ait Et dixerunt apostoli Domino: « Adauge » Et factum est dum iret in Iherusalem Interrogatus autem a phariseis Et ait ad discipulos suos

Et misit eum Annas ligatum Erat autem Symon Petrus Dicit unus ex seruis pontificis Addunt ergo Ihesum ad Caypham Exiuit ergo Pilatus ad eos

Dixit autem et ad quosdam qui in se Afferebant autem ad illum et Et interrogauit eum quidam

Introiuit ergo iterum Pilatus Et cum hoc dixisset iterum exiuit Est autem consuetudo uobis

Responderunt et dixerunt ei

Actum die sancti Francisci

[fol. 63v°]

Cenantibus autem eis accepit Ihesus Et accipiens calicem gratias Et ymno dicto exierunt Tunc uenit Ihesus cum illis in uillam Adhuc ipso loquente, ecce Iudas At illi tenentes Ihesum Et2 princeps sacerdotum ait Tunc expuerunt in faciem eius Petrus uero sedebat foris Exeunte autem illo ianuam Et post pusillum accesserunt

XXVII

Mane autem facto, consilium Tunc uidens Iudas qui eum Ihesus autem stetit ante presidem Et cum accusaretur a principibus Tunc dicit illi Pilatus: « Non audis » Per diem autem sollempnem Sedente autem illo pro tribunali Principes autem sacerdotum Videns autem Pilatus quia nichil

1 2 3

MARCVS

MATHEVS 1 XV

XVI3

Et confestim, mane consilium Et interrogauit eum Pilatus Et accusabant eum summi Pilatus autem rursum Per diem autem festum dimittere Pontifices autem concitauerunt Pilatus autem uolens populo Et angariauerunt pretereuntem Et hora nona exclamauit Et cum iam sero esset factum Maria autem Magdalene et Maria

Et cum transisset sabbatum, Maria Et respicientes uiderunt Et introeuntes in monumentum At ille exeuntes fugerunt Surgens autem mane prima Post hec autem duobus ex hiis Nouissime recumbentibus illis XI Et Dominus quidem Ihesus postquam Illi autem profecti, predicauerunt

Voir en même temps les colonnes de Luc et Jean placées plus loin. Il manque: surgens. Le chapitre XVI commence en réalité à la ligne suivante

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15 16 17

Cependant s’approchaient de lui [Les pharisiens] entendaient tout cela Puis il dit à ses disciples Les apôtres dirent au Seigneur: [« Augmente » Et il advint, comme il se rendait à [Jérusalem Les pharisiens lui ayant demandé Il dit encore aux disciples Il dit encore à l’adresse de certains qui se On lui présentait aussi [les tout-petits] Un [notable] l’interrogea2

18

639

Anne l’envoya alors, toujours lié Or Simon-Pierre se tenait [là] Un des serviteurs du grand prêtre dit Alors ils mènent Jésus chez Caïphe1 Pilate sortit donc les voir

Ils lui répondirent Alors Pilate entra de nouveau Et, sur ces mots, il sortit de nouveau Mais c’est pour vous une coutume3 Fait le jour [de la fête] de saint François [4 octobre 1337]

[fol. 63v°] MATTHIEU Or, tandis qu’ils mangeaient, Jésus prit Puis, prenant une coupe, [il rendit] grâces Après le chant des psaumes Alors Jésus parvient avec eux à un [domaine Comme il parlait encore, voici Judas Ceux qui avaient arrêté Jésus Et [se levant] le grand prêtre dit Alors ils lui crachèrent au visage Cependant Pierre était assis dehors Comme il s’était retiré vers le porche Peu après s’approchèrent 27

Le matin étant arrivé, un conseil Alors Judas, qui [l’avait livré], voyant Jésus fut amené en présence du gou[verneur Puis, tandis qu’il était accusé par les [[grands [prêtres] Alors Pilate lui dit: « N’entends-tu pas » À chaque fête Or, tandis qu’il siégeait au tribunal Cependant les grands prêtres

MARC 15 Et aussitôt, le matin, un conseil Pilate l’interrogea Et les grands [prêtres] l’accusaient Pilate de nouveau A chaque fête, il [avait l’habitude de] relâcher Cependant les grands prêtres excitèrent Pilate, alors, voulant [contenter] la foule Et ils requièrent [Simon] qui passait par là Et à la neuvième heure, [Jésus] clama Déjà le soir était venu 16 Or Marie de Magdala et Marie Quand le sabbat fut passé, Marie Et ayant levé les yeux, elles virent Étant entrées dans le tombeau Elles sortirent et s’enfuirent Ressuscité le matin, le premier Après cela, à deux d’entre eux Enfin, aux Onze eux-mêmes à table Or le Seigneur Jésus, après Pour eux, ils s’en allèrent prêcher4

La Vulgate dit: a Caïpha, c’est-à-dire « de chez Caïphe ». Les citations de l’évangile de Lc dans cette colonne sont: 8: 4, 19, 22, 26, 37 et 41. 9: 1, 7, 10 (2 fois), 18, 23, 28, 37, 43, 46, 49, 51, 57, 59 et 61. 10: 1, 17, 21, 23, 25 et 38. 11: 1, 5, 14, 16, 27, 29, 37, 45 et 53. 12: 1, 13, 16, 22, 41, 54. 13: 1, 6, 10, 18, 22, 23 et 31. 14: 1, 15 et 25. 15: 1. 16, 14. 17: 1, 5, 11, 20 et 22. 18: 9, 15 et 18. 3 Les citations de l’évangile de Jn dans cette colonne sont: 7: 28, 30, 31, 32, 35, 37 et 45. 8: 1, 12 et 30. 9: 1 et 40. 10: 6, 19, 22 et 39. 11: 1, 47, 54 et 55. 12: 1, 9, 12, 17, 19, 20, 36 et 44. 13: 1, 12, 21, 22, 23, 31 et 36. 14: 31. 16: 29. 17, 1. 18: 1, 2, 4, 12, 15, 17, 19, 22, 24, 25, 26, 28, 29, 30, 33, 38 et 39. 4 Les citations de l’évangile de Mc dans cette colonne sont: 15: 1, 2, 3, 4, 6, 11, 15, 21, 34, 42 et 47. 16: 1, 4, 5, 8, 9, 12, 14, 19 et 20. 1 2

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640

FOL.

63v°

Tunc dimisit illis Barrabas Exeuntes autem inuenerunt Et circa horam nonam clamauit Cum sero autem factum esset Erat autem ibi Maria Magdalene Altera autem die que est post Parasce[uem

XXVIII

Vespere autem sabbati que lucescit Et ecce terremotus factus est Respondens autem angelus dixit Et exierunt cito de monumento Et ecce Ihesus occurrit illis Que cum abissent, ecce quidam XI autem discipuli abierunt Et accedens Ihesus locutus est

Dispositio Lombardie spiritualiter Rugitus leonis in uulua Italie uox est clamantis in deserto Iudee. Vnum est leo et uox Venetiarum et Ianue uentris nostri. Ianua sine Venetiis est ianua uiolenta; et Venetia sine Ianua est sterilis uulua. Societas autem ambarum est ianua naturalis et fertilis, precedente tamen semine fidei in matrice Papia non pontificaliter sed regaliter. Additum II nonas octobris, de sancte Fidis quasi fidei, cuius nullam habet memoriam hec Papia, sed Ianua iuxta et extra portam Vaccarum.

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641

Voyant alors qu’il [n’aboutissait à] rien, [Pilate Alors il leur relâcha Barrabas En sortant, ils trouvèrent Et vers la neuvième heure [Jésus] clama Le soir venu Or il y avait là Marie-Madeleine Le lendemain, c’est-à-dire après la [Préparation Après le jour du sabbat, comme [le jour] commençait à poindre

28

Et voilà qu’il se fit un tremblement de [terre Mais l’ange prit la parole et dit Quittant vite le tombeau Et voici que Jésus vint à leur rencontre Tandis qu’elles s’en allaient, voici que [quelques Quant aux onze disciples, ils se rendirent S’avançant, Jésus dit ces paroles1

Géographie spirituelle de la Lombardie Le rugissement du lion dans la vulve de l’Italie2, c’est la voix de celui qui crie dans le désert3 de Judée. Ce sont les mêmes, le lion et la voix de Venise et de Gênes situées dans notre ventre4. Gênes sans Venise est une porte forcée5; et Venise sans Gênes est une vulve stérile. En revanche, l’association des deux donne une porte naturelle et fertile, si néanmoins la semence de la foi a été déposée auparavant dans la matrice qu’est Pavie, non pas à la manière d’un pape mais à la manière d’un roi6. Ajouté le 2 des nones d’octobre [6 octobre], au sujet de sainte Foy1, pour ainsi dire de la foi dont cette Pavie ne se souvient plus, alors que Gênes s’en souvient à côté et à l’extérieur de la porte des Vaches.

Les citations de l’évangile de Mt dans cette colonne sont: 26: 26, 27, 30, 36, 47, 57, 62, 67, 69, 71 et 73. 27: 1, 3, 11, 12, 13, 15, 19, 20. 24, 26, 32, 46, 57, 61 et 62. 28: 1, 2, 5, 8, 9, 11, 16 et 18. 2 C’est-à-dire Marc à Venise. 3 C’est-à-dire de Jean-Baptiste: voir Is 40, 3 et Jn 1, 23. 4 Assimilation de Marc et de Jean-Baptiste, de Gênes et de Venise. 5 Voir V 6: naissance du « petit monde » par césarienne. 6 La « semence de la foi » est déposée par Opicinus qui s’oppose au « pape » (Benoît XII) pour se proclamer « roi » (des cieux). 1

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642

FOL.

[fol. 63v°]

LVCAS

XIX

Assumpsit autem Ihesus XII Factum est autem cum appropinquaret Et ingressus perambulabat Hec illis audientibus adiciens Et factum est cum appropinquasset Et Et Et Et

XX

XXI

XXII

63v°

XXXIIII

IOHANNES XIX

quidam phariseorum de turbis ut appropinquauit, uidens ingressus in Templum cepit erat docens quotidie in

Et factum est in una dierum Et obseruantes miserunt Audiente autem omni populo, dixit

Respiciens autem uidit eos Et quibusdam dicentibus de Templo Erat autem diebus docens in Appropinquabat autem dies Intrauit autem Sathanas in Venit autem dies Azimorum Et ait illis: « Desiderio » Et accepto calice gratias Et accepto pane gratias Similiter et calicem postquam cenauit Facta est autem et contentio inter Ait autem Dominus Symoni Et egressus ibat secundum Et cum peruenisset ad locum, dixit Adhuc eo loquente, ecce turba

XX

XXI

Clamauerunt rursum omnes Tunc ergo apprehendit Pilatus Exiit iterum Pilatus foras Cum ergo audisset Pilatus hunc Pilatus ergo cum audisset hos Tunc ergo tradidit eis illum Susceperunt autem Ihesum et Stabant autem iuxta crucem Postea sciens Ihesus quia omnia Cum ergo accepisset Ihesus acetum Iudei ergo quoniam Parasceue erat Post hec autem rogauit Pilatum Vna autem sabbati, Maria Magdalene

Et uidit lapidem sublatum Cucurrit ergo et uenit ad Symonem Maria autem stabat ad Hec cum dixisset, conuersa est retrorsum Cum esset ergo sero die illo Thomas autem unus ex XII Et post dies VIII iterum erant Postea manifestauit se iterum Hoc iam tertio manifestatus est Cum ergo prandissent, dicit Symoni Sunt autem et alia multa que

Comprehendentes autem eum Accenso autem igne in medio Quem cum uidisset ancilla quedam Et post pusillum alius uidens Et interuallo facto quasi hore unius Et uiri qui tenebant eum Et ut factus est dies, conuenerunt

XXIII

Et surgens omnis multitudo Ceperunt autem accusare illum Pilatus autem interrogauit eum

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[fol. 63v°] LUC

34

Prenant avec lui les Douze, Jésus Or il advint, comme il approchait Entré [dans Jéricho], il la traversait Comme les gens écoutaient cela, il [ajouta Et il advint qu’en approchant

19

Quelques pharisiens de la foule Quand il fut proche, à la vue Puis, entré dans le Temple, il se mit Il était journellement à enseigner dans Et il advint, un jour Ils se mirent alors aux aguets et envoyè[rent Comme tout le peuple écoutait, il dit

20

21

Levant les yeux, il vit [les riches] Comme certains disaient du Temple Pendant le jour, il enseignait dans Le jour [des Azymes] approchait Or Satan entra dans Vint le jour des Azymes Et il leur dit: «[J’ai désiré] ardemment » Puis, ayant reçu une coupe, [il rendit] [grâces Puis, prenant du pain, [il rendit] grâces Il fit de même pour la coupe après le [repas Il s’éleva aussi entre [eux] une contes[tation Le Seigneur dit à Simon Il sortit et se rendit, comme [de cou[tume] Parvenu en ce lieu, il dit Tandis qu’il parlait encore, voici une [foule L’ayant donc saisi Comme ils avaient allumé du feu au [milieu Une servante le vit Peu après, un autre [le] voyant Environ une heure plus tard Les hommes qui le gardaient Et quand il fit jour, s’assemblèrent Puis toute l’assemblée se leva Ils se mirent alors à l’accuser Pilate l’interrogea

22

23

643

JEAN Alors ils vociférèrent de nouveau 19 Pilate prit alors [Jésus] De nouveau, Pilate sortit dehors Lorsque Pilate entendit cette [parole] Pilate, entendant ces [paroles] Alors il le leur livra Ils prirent donc Jésus et Or, près de la croix se tenaient Après quoi, Jésus, sachant que tout Quand Jésus eut pris le vinaigre Comme c’était la Préparation, les Juifs Après cela, [Joseph] demanda à Pilate 20 Le premier jour de la semaine, MarieMadeleine Elle aperçoit la pierre enlevée Elle court alors et vient trouver Simon Marie se tenait près du [tombeau] Ayant dit cela, elle se retourna Le soir, ce même jour Or Thomas, l’un des Douze Huit jours après, ils étaient de nouveau 21 Après cela, [Jésus] se manifesta de nouveau Ce fut la troisième fois qu’il se manifesta Quand ils eurent déjeuné, il dit à Simon Il y a encore bien d’autres choses que2

Sainte Foy: jeune vierge d’Agen martyrisée au IIIe s.; sa châsse d’or à Conques est célèbre. Jeu de mots Foy/foi. 2 Les citations de l’évangile de Jn dans cette colonne sont: 18, 40. 19: 1, 4, 8, 13, 16 (deux fois), 25, 28, 30, 31 et 38. 20: 1 (deux fois), 2, 11, 14, 19, 24 et 26. 21: 1, 14, 15 et 25. 1

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644

FOL.

63v°-64

At illi inualescebant dicentes Pilatus audiens Galileam Necesse autem habebat dimittere Exclamauit autem simul uniuersa Et Pilatus adiudicauit Et cum ducerent eum Sequebatur autem illum multa Ihesus autem dicebat: « Pater » Et dixit illi Ihesus: « Amen dico » Et clamans uoce magna Et ecce uir nomine Ioseph Subsecute autem mulieres que Vna autem sabbati ualde diluculo Et inuenerunt lapidem reuolutum Et factum est, dum mente consternate Et regresse a monumento Petrus autem surgens cucurrit Et ecce duo ex illis ibant Dum hec autem loquuntur, Ihesus Adhuc autem illis non credentibus Tunc aperuit illis sensum ut Eduxit autem eos foras in Et factum est, dum benedicet illos Et ipsi adorantes regressi sunt Et erant semper in Templo

XXIIII

Actum III nonas octobris, tunc dominica XVIIª post Pentecostes, cum die noctuque factum sit istud, hac die; relique uero due pagine per triduum precedentes noctu tantum, eo quod in die uoluntarie sum coactus seruire apparenti infirmo de scripturis infirmis, quasi elementis egenis. Hec autem sunt euangelia perfectorum.

XVII

[fol. 64]1 Iohannes secundum ordinem naturalem loquendi per rectitudinem I

Iohannes testimonium perhibet de ipso Altera die uidit Iohannes Ihesum uenientem ad se Altera die iterum stabat Iohannes II Post hoc descendit in Capharnaum ipse et mater eius Et prope erat Pascha Iudeorum et ascendit Iherosolimam Cum autem esset Iherosolimis in Pascha in die festo, multi III Post hec uenit Ihesus et discipuli eius in Iudeam terram Nondum enim missus fuerat in carcerem Iohannes IIII Vt ergo cognouit Ihesus quia audierunt pharisei Cum ergo uenisset in Galileam, exceperunt illum Galilei

Anno Domini XXX° XXXI°

XXXII°

1

Voir en même temps la colonne de Matthieu à la page suivante.

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24

645

Mais eux d’insister en disant Pilate entendant parler de la Galilée On avait l’habitude de relâcher Mais ils se mirent à pousser des cris ensemble Et Pilate prononça Quand ils l’emmenèrent Une grande [foule] le suivait Et Jésus disait: « Père » Et Jésus lui dit: « En vérité » Et jetant un grand cri Et voici un homme nommé Joseph Cependant les femmes l’avaient suivi Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore Elles trouvèrent la pierre roulée Et il advint, comme elles [demeuraient] perplexes À leur retour du tombeau Pierre cependant partit et courut Et voici que deux d’entre eux faisaient route Tandis qu’ils disaient cela, Jésus Et comme ils ne croyaient pas encore Alors il leur ouvrit l’esprit Puis il les emmena jusque vers Et il advint, comme il les bénissait Pour eux, s’étant prosternés devant lui, ils retournèrent Et ils étaient constamment dans le Temple1

Fait le 3 des nones d’octobre, c’est-à-dire le 17e dimanche après la Pentecôte [dimanche 5 octobre 1337], où cette page a été écrite de jour et de nuit; les deux pages précédentes ont été écrites seulement la nuit, au cours des trois jours précédents, car, dans la journée, je suis obligé de mon plein gré d’être au service d’un personnage qui se montre veule, pour écrire des textes inconsistants, c’est-à-dire un b-a-ba simpliste. Ici, en revanche, il s’agit des évangiles des parfaits. XVII

[fol. 64] Jean parle en respectant un plan chronologique, sans digressions.

A. D. 30 31

32

1 Jean lui rend témoignage Le lendemain, Jean voit Jésus venir vers lui Le lendemain, Jean se tenait là de nouveau 2 Après quoi, il descendit à Capharnaüm, lui, ainsi que sa mère Et la Pâque des Juifs était proche et [Jésus] monta à Jérusalem Comme il était à Jérusalem durant la fête de la Pâque, beaucoup 3 Après cela, Jésus vint avec ses disciples au pays de Judée Jean, en effet, n’avait pas encore été jeté en prison 4 Quand Jésus apprit que les pharisiens avaient entendu dire Quand donc il vint en Galilée, les Galiléens l’accueillirent

1 Les citations de l’évangile de Lc dans cette colonne sont: 18: 31 et 35. 19: 1, 11, 29, 39, 41, 45 et 47. 20: 1, 20 et 45. 21: 1, 5 et 37. 22: 1, 3, 7, 15, 17, 19, 20, 24, 31, 39, 40, 47, 54, 55, 56, 58, 59, 63 et 66. 23: 1, 2, 3, 5, 6, 17, 18, 24, 26, 27, 34, 43, 46, 50 et 55. 24: 1, 2, 4, 9, 12, 13, 36, 41, 45, 50, 51, 52 et 53..

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646

FOL.

64

V Post hec erat dies festus iudeorum, et ascendit Ihesus « Vos misistis ad Iohannem et testimonium perhibuit ueritati » XXXIII° VI Post hec abiit Ihesus trans mare Galilee quod est Tiberiadis VII Post hec ambulabat Ihesus in Galileam Erat autem in proximo dies festum iudeorum Scenophegia Iam autem die festo mediante, ascendit Ihesus in Templum Querebant ergo eum apprehendere et nemo misit in illum manus VIII Hoc autem dicebant temptantes eum, ut possent accusare eum X Facta sunt autem Encenia in Iherosolimis et yems erat Et abiit iterum trans Iordanem in eum locum ubi erat Iohannes XXXIIII° XI Collegerunt ergo pontifices et pharisei concilium XII Ihesus ergo ante VI dies Pasche uenit Bethaniam In crastinum autem turba multa que uenerat ad diem Hec locutus est Ihesus; et abiit et abscondit se ab eis Dilexerunt enim gloriam hominum magis quam gloriam Dei XIII Ante diem autem festum Pasche, sciens Ihesus quia uenit hora Dicit ei Symon Petrus: « Domine, quo uadis? » XIIII « Surgite, eamus hinc ». XV « Ego sum uitis uera » XVI « Ecce uenit hora et iam uenit ut dispergamini unusquisque » XVII « Pater, uenit hora, clarifica filium tuum » XVIII Hec cum dixisset, Ihesus egressus est cum discipulis suis Adducunt ergo Ihesum ad Caypham in pretorium XVIIII Tunc ergo apprehendit Pilatus Ihesum et flagellauit Exiit ergo Ihesus portans spineam coronam et purpureum Pilatus ergo cum audisset hos sermones, adduxit foras Ihesum et sedit

[fol. 64] Matheus iuxta ordinem artificialem scribendi per preoccupationem III In diebus autem illis uenit Iohannes Baptista Tunc uenit Ihesus a Galilea in Iordanem ad Iohannem

A B

XXI Et cum intrasset Iherosolimam, commota est uniuersa ciuitas Et accesserunt ad eum ceci et claudi in Templo, et sanauit eos

A B

IIII Cum autem audisset quod Iohannes traditus esset, secessit in Galileam XXI Et cum uenisset in Templum, accesserunt ad eum docentem principes « Baptismum Iohannis unde erat ? E celo an ex hominibus? » XIIII Quid cum audisset Ihesus, secessit inde in nauicula in locum desertum XXI « Venit autem ad uos Iohannes in uia iustitie et non credidistis ei » Et querentes eum tenere, timuerunt turbas XXII « Magister, scimus quia uerax es et uiam Dei doces »

A B

A B

hucusque II nonas octobris

XVIIII Et uenit in fines Iudee trans Iordanem A XXVI Tunc congregati sunt principes sacerdotum et seniores populi Cum autem esset Ihesus in Bethania in domo Symonis leprosi B XXI Et cum appropinquassent Iherosolimis et uenissent Bethfage ad montem XXIII Tunc Ihesus locutus est ad turbas et ad discipulos suos, dicens: « Super cathedram » XXIIII Et egressus Ihesus de Templo, ibat. Et accesserunt ad eum A XXVI Prima autem die Azimorum accesserunt discipuli ad Ihesum « Et si omnes scandalizati fuerint in te, ego nunquam scandalizabor » D

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34

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5 Après cela, il y eut une fête des juifs et Jésus monta [à Jérusalem] « Vous avez envoyé trouver Jean et il a rendu témoignage à la vérité » 6 Après cela, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade 7 Après cela, Jésus parcourait la Galilée Or la fête juive des Tentes était proche On était déjà au milieu de la fête quand Jésus monta au Temple Ils cherchaient alors à le saisir, mais personne ne porta la main sur lui 8 Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser 10 Il y eut alors la fête de la Dédicace à Jérusalem. C’était l’hiver De nouveau il s’en alla au-delà du Jourdain, au lieu où était Jean 11 Les grands prêtres et les pharisiens réunirent alors un conseil 12 Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie Or le lendemain, la foule nombreuse venue pour la fête Ainsi parla Jésus et, s’en allant, il se déroba à leur vue Car ils aimèrent la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu 13 Or, avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue Simon-Pierre lui dit: « Seigneur, où vas-tu? » 14 « Levez-vous, partons d’ici ». 15 « Je suis la vigne véritable » 16 « Voici venir l’heure, et elle est venue, où vous serez dispersés chacun de votre côté » 17 « Père, l’heure est venue, glorifie ton fils » 18 Ayant dit cela, Jésus s’en alla avec ses disciples Alors ils mènent Jésus de chez Caïphe au prétoire 19 Pilate prit alors Jésus et le fit flageller Jésus sortit donc dehors, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre Pilate, entendant ces paroles, amena Jésus dehors et le fit asseoir1

[fol. 64] Matthieu écrit en suivant un plan élaboré, lié à ses réflexions. 3 En ces jours-là arrive Jean le Baptiste Alors Jésus arrive de la Galilée au Jourdain, vers Jean 21 Quand il entra dans Jérusalem, toute la ville fut agitée Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui s’approchèrent de lui dans le Temple et il les guérit 4 Ayant appris que Jean avait été livré, il se retira en Galilée 21 Et il était entré dans le Temple et il enseignait quand les [grands] prêtres s’approchèrent « Le baptême de Jean, d’où était-il? De Dieu ou des hommes? » 14 L’ayant appris, Jésus se retira en barque dans un lieu désert

A B A B

A B

21 « En effet, Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui » A Mais, tout en cherchant à l’arrêter, ils eurent peur des foules B 22 « Maître, nous savons que tu es véridique et que tu enseignes jusqu’ici le 2 des la voie de Dieu » nones d’octobre2 19 Et il vint dans le territoire de la Judée, au-delà du Jourdain A 26 Alors les grands prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent Comme Jésus se trouvait à Béthanie, chez Simon le lépreux B 21 Quand ils approchèrent de Jérusalem et arrivèrent en vue de Bethphagé, au mont 23 Alors Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples en disant: « Sur la chaire » 24 Comme Jésus sortait du Temple et s’en allait, s’approchèrent de lui A 26 Le premier jour des Azymes, les disciples s’approchèrent de Jésus « Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais » D

1 Les citations de l’évangile de Jn dans cette colonne sont: 1: 15, 29 et 35; 2, 12, 13 et 23. 3: 22 et 24. 4: 1 et 45; 5, 1 et 33. 6, 1. 7: 1, 2, 14 et 30. 8, 6. 10: 22 et 40. 11, 47. 12: 1, 12, 36 et 43. 13: 1 et 36. 14, 31. 16, 32. 17, 1. 18: 1 et 28. 19: 1, 5 et 13. 2 6 octobre 1337.

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648

FOL.

64

Et hymno dicto, exierunt in montem Oliueti « Omnes uos scandalum patiemini in me, in ista nocte » « Mi pater, si possibile est, transeat a me calix iste » Tunc uenit Ihesus cum eis in uillam que dicitur Gethsemani At illi tenentes Ihesum, duxerunt ad Caypham principem XXVII Tunc dimisit illis Barrabam; Ihesum uero flagellatum tradidit

B C F E G B

hucusque nonis octobris

Sedente autem illo pro tribunali, misit ad illum uxor eius, dicens

DE

A

PROPRIETATIBVS EVANGELIORVM

Iohannes procedit secundum ordinem naturalem, dicendo per huiusmodi uerba: « post hec » (subaudi precedentia rei geste), similiter « altera die » (subaudi post precedentia alterius temporis) uel « in crastinum » (subaudi post pridie). Concludit etiam gesta per: « facta sunt » tali loco, et per ergo quamlibet sententiam concludendo. Matheus autem secundum ordinem artificialem procedit per huiusmodi uerba: « in diebus illis » uel « in illo tempore » aut « tunc » (id est illo tempore) sine apparentia ordinis naturalis. Quem prosequuntur Marcus per copulam et ad connexionem uerborum non temporis, similiter Lucas per: « factum est » in quodam loco uel tempore, sine determinatione loci et temporis. Ecce Matheus utitur preoccupationem narrandi, sicut posuimus numerum capitulorum uel alphabetum. Iohannes solus in ordine suo, quasi aquila imperialis in omnibus. Imperium spirituale concludit sub se temporale, non econuerso. Preeminentia Asie reperit medullam in Libano. Monarchia papalis significat solum Deum. Asia spiritualis trahit ad se Europam et Affricam.

Matheum prosequuntur Marcus et Lucas, quasi homo socialis cum leone et boue. Legislator est homo, Cesar est leo et Augustus est bos. Idem homo per pedes et Europam edificat et Affricam transfert. Imperator Cesar Augustus significat sacerdotis imperium. Asia est imperialis, Europa Cesarea et Affrica augustalis.

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Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers « Vous tous, vous allez succomber à cause de moi, cette nuit même » « Mon père, si c’est possible, que cette coupe passe loin de moi » Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani Ceux qui avaient arrêté Jésus l’emmenèrent chez Caïphe, le grand G B 27 Alors il leur relâcha Barrabas et fit flageller Jésus Or, tandis qu’il siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire2

LES

649 B C F E

jusqu’ici aux nones d’octobre1 A

SPÉCIFICITÉS DES ÉVANGILES

La démarche de Jean respecte l’ordre chronologique, lorsqu’il utilise ces formules: « après cela »3 (sous-entendu: ce qui a précédé un événement), ou bien « le jour suivant »4 (sous-entendu: après ce qui s’est passé le jour précédent), ou encore « le lendemain » (sous-entendu: après la veille). Il englobe les événements en disant: « il y eut » en tel lieu5, et il termine donc avec n’importe quelle phrase. La démarche de Matthieu, en revanche, suit un plan élaboré, avec ce genre de formules: « en ces jours-là »6 ou « en ce temps-là »7 ou « alors »8 (c’est-à-dire ce temps qui ne présente pas de déroulement chronologique). Il est imité par Marc, qui utilise des liaisons et des enchaînements pour les mots et non pour les dates, ainsi que par Luc qui dit: « il advint »9 en n’importe quel lieu et moment, sans préciser le lieu ni le moment. C’est ainsi que Matthieu fait son récit en réfléchissant, comme nous l’avons indiqué en numérotant les chapitres et l’alphabet.

Jean est le seul à suivre son ordre, tel un aigle impérial en toutes choses. Le pouvoir spirituel inclut le temporel [sous sa domination et non l’inverse. La primauté de l’Asie trouve son origine [au Liban. La monarchie pontificale indique [Dieu seul. L’Asie spirituelle attire à elle l’Europe [et l’Afrique.

Marc et Luc imitent Matthieu, tel l’homme allié au lion et au bœuf. Le législateur10 est l’homme, César le [lion et Auguste le bœuf. C’est le même homme qui, avec ses [pieds, édifie l’Europe [et transporte l’Afrique. L’empereur César Auguste indique le [pouvoir du prêtre. L’Asie appartient à l’empereur, [l’Europe à César [et l’Afrique à Auguste.

7 octobre 1337. Les citations de l’évangile de Mt dans cette colonne sont: 3: 1 et 13. 21: 10 et 14. 4, 12. 21: 23 et 25; 14, 13. 21: 32 et 46. 22, 16. 19, 1. 26: 3 et 6. 21, 1. 23, 1. 24, 1. 26: 17, 33, 30, 31, 39, 36 et 57. 27: 26 et 19. 3 Voir Jn 3, 22; 5, 1; 6, 1; 7, 1; 11, 7; 19, 38. 4 Voir Jn 1, 29; 1, 35; 1, 43; 6, 22; 12, 12. 5 Voir Jn 1, 3; 1, 28; 10, 22; 19, 36. 6 Cette expression ne figure pas sous la forme in diebus illis chez Mt (mais chez Mc et Lc), mais sous la forme in illis diebus (Mt 24, 19) Et on trouve chez Mt (et chez Jn): in illo die (en ce jour-là): voir Mt 13, 1 et 22, 23. 7 Voir Mt 11, 25; 12, 1; 14, 1. 8 Très fréquent chez Mt (ainsi que chez Lc et Jn). 9 Voir Lc 1, 59; 5, 17; 13, 19; 17, 26; 17, 28; 20, 1. 10 C’est-à-dire Moïse. 1 2

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650

FOL.

64-64v°

Aquila singularis est simplicitas Dei.

Homo ad Dei ymaginem et similitudinem est Trinitas specularis, quasi discretio personarum.

Aquila in Christo est Deus humanus.

Homo in Deo est homo diuinus et una persona ex tribus. Per Asiam, Europam et Affricam significantur tres in Christo substantie, scilicet uerbum, anima et caro.

Aquila et homo sunt in Christo due nature, scilicet Dei et hominis.

DE

DIE NOTABILI

Actum VIII idus octobris, die dedicationis ecclesie Auinionensis et captionis ciuitatis Papiensis. Ecce gaudium pectoris et iudicium uentris. Circa quam diem anno captionis, regulas grammaticales quarum primum principium per prima elementa perceperam a Matheo uel a discipulis eius, obtinuit Marcus ex casu, ut audiui, quas primo negaueram uendere sibi; qui tandem sobole sterilis obiens figurauit meam sterilitatem, ne ulterius immergerer in uterum litteralem. [fol. 64v°] DE

SPIRITV ET LITTERA

Loqui de uisibilibus que sunt significatiue inuisibilium est parabolas sumere. Qui loquitur de terrenis sine intellectu spirituali est similis Affrice confabulanti ad aurem Europe. Affrica Lombardie a monacho usque ad coruum est similis phariseo qui Europam Lombardam conuertit in uniuersitatem carnalium hominum. Ve qui, derelicta scientia ueritatis secundum conscientiam, dormiunt et quiescunt sub aliena scientia deceptiua.

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L’aigle exceptionnel, c’est Dieu qui [est un.

L’aigle dans le Christ, c’est le [Dieu humain. L’aigle et l’homme, ce sont les deux [natures qu’il y a chez le [Christ, à savoir divine et [humaine.

UN

651

L’homme qui est à l’image et à la [ressemblance de Dieu, [c’est la Trinité du miroir, [c’est-à-dire des personnes [différentes. L’homme qui est en Dieu, c’est l’homme [divin et une personne [sur trois. L’Asie, l’Europe et l’Afrique, ce sont les [trois substances du [Christ, à savoir le Verbe, [l’âme et la chair.1

JOUR REMARQUABLE

Fait le 8 des ides d’octobre [8 octobre 1337], le jour de la consécration de l’église d’Avignon2 et de la prise de la ville de Pavie3. Voici la joie pour la poitrine et le jugement pour le ventre. C’est aux environs de ce jour-là que, l’année où [Pavie] est tombée, Marc a acquis par hasard, à ce que j’ai entendu dire, les règles de grammaire dont je m’étais procuré les tout-débuts, à l’aide des premières lettres de l’alphabet, chez Matthieu ou ses disciples, et que j’avais d’abord refusé de lui céder4; lui qui, étant finalement mort dépourvu de descendance, a préfiguré mon impuissance, afin d’éviter que je ne sois englouti plus tard dans la matrice de la lettre. [fol. 64v°] L’ESPRIT

ET LA LETTRE

Parler du visible qui indique l’invisible, c’est préférer les allégories. Celui qui traite des sujets du monde sans intelligence spirituelle est semblable à l’Afrique qui fait la causette à l’oreille de l’Europe5. L’Afrique de Lombardie, du moine jusqu’au corbeau6, est semblable au pharisien qui change l’Europe lombarde en une

1 Ce paragraphe, où la partie gauche concerne Dieu et la partie droite l’homme, et où la progression se fait par accumulation d’équivalences, résume bien le délire mégalomaniaque et globalisant d’Opicinus: il est à la fois les évangélistes (notamment Jean) représentés par les animaux qui leur sont associés; Moïse, César et Auguste (donc le pouvoir terrestre sous toutes ses formes); l’Asie, l’Europe et l’Afrique (surtout l’Asie qui est « spirituelle »); le pouvoir pontifical et le pouvoir sacerdotal; Dieu dans son unité et sa Trinité (notamment le Christ, avec ses deux natures et ses trois substances). 2 Notre-Dame des Doms aurait été consacrée le 8 octobre 1111 par Rostaing II. 3 8 octobre 1315. 4 Voir P 20: en 1307, Opicinus commence à apprendre la grammaire à Lomello; en 1312, il a un autre maître de grammaire; en 1316 (à Gênes), il travaille pour un professeur de grammaire. 5 Voir les cartes du Vaticanus. 6 Voir l’additum du fol. 59.

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652

FOL.

64v°

De testimonio locali Ego spiritualiter instructus in cubiculo Auinionensi – quasi in cela uinaria ab oriente et occidente ut patet, et a septentrione sicut presumo – heri die sanctorum Sergii et Bachi habui a meridie uasa uini usque ad effusionem, ut simus Bachi spiritualis amore feruentes. A nulla parte ualebam exire nisi per Bachum uel adductum uel uectum a partibus Sancti Spiritus. De transmigratione Babilonis non locis sed moribus Campus Babilonis in uentre superioris Europe, habundans legumine quo Daniel cum sociis uescebatur, est presens Lombardia cuius seminibus conficiebatur panis ad uictum Ezechielis in Gallia cisalpina, que interpretatur transmigratio uel translatio. Hoc dico per misticum sensum usque ad oculum rationis. DE

MEDICINA SPIRITVALI

Particularis Papia comprehendit uniuersalem non locis sed uitiis. Affrica Papiensis male constructa in pectore de omni ymagine bestiali (id est de omni ymaginatione male agendi), ut bestia habens in manu et pectore Tunicialem serpentem, dicit in corde suo: « Non egeo medicis ». Nec tamen uult aspicere in pectore suo progeniem medicalem. Cum enim essem simplex semiclericus in pectore Affrice Lombarde que dicitur Ianua, dixit mihi prophetice quidam, tam stirpe quam arte medicus Papiensis, me futurum religiosum uacantem ociis ut pregnantem et pinguem. Nunc rector pectoris eiusdem Affrice Papiensis, habeo eundem parrochianum non scienter sed ignoranter prophetam, et prophetiam in me fuisse completam.

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communauté d’hommes charnels1. Malheur à ceux qui, délaissant la connaissance de la vérité conforme à leur conscience, restent assoupis et inactifs en s’abritant derrière la connaissance trompeuse d’autrui. Témoignage local Moi qui ai reçu un enseignement spirituel dans ma chambre à coucher d’Avignon – pour ainsi dire un cellier à vin à l’est et à l’ouest, comme cela se voit, ainsi qu’au nord, à ce que je crois – j’ai vu hier, jour de la fête de saint Serge et saint Bacchus2, des tonneaux de vin qui étaient renversés au sud, si bien que nous étions débordants d’amour pour le Bacchus spirituel. Je ne pouvais sortir autrement qu’en passant par Bacchus, qui est amené ou transporté depuis le pays de l’Esprit Saint3. L’exil de Babylone, non pas géographique mais moral La plaine de Babylone située dans le ventre de l’Europe supérieure4, ayant en abondance les légumes dont Daniel et ses compagnons se nourrissaient5, c’est l’actuelle Lombardie dont les semences permettaient de faire du pain pour alimenter Ézéchiel6 en Gaule cisalpine; ce qu’il faut comprendre comme un exil ou un transfert. Je donne à mes paroles un sens mystérieux, jusqu’à ce que la raison se les représente. LA

MÉDECINE SPIRITUELLE

L’individuelle Pavie comprend l’universelle Pavie, non pas en termes de géographie mais de dépravation. L’Afrique de Pavie, édifiée pernicieusement dans le coeur à partir de chaque image de bête (c’est-à-dire à partir de chaque fantasme de mauvaise action), telle une bête qui a dans la main et la poitrine le serpent tunisien, dit dans son cœur: « Je n’ai pas besoin de médecin ». Et pourtant elle ne veut pas regarder la lignée de médecins qu’elle a dans la poitrine. En effet, lorsque je me trouvais dans la poitrine de l’Afrique lombarde qu’on appelle Gênes en étant seulement à moitié clerc, un médecin de Pavie, aussi bien par la famille que par le métier, m’a dit en prophétisant que je serais un moine passant son temps à ne rien faire, telle une femme enceinte et grasse. Aujourd’hui où je suis le curé de la poitrine de cette même Afrique de Pavie, cet homme, qui a prophétisé non pas en connaissance de cause mais sans le savoir, est mon paroissien et sa prophétie s’est accomplie en moi.

Voir V 11, note 16. 7 octobre. 3 Ce paragraphe fait allusion au penchant d’Opicinus pour la boisson; ici il amalgame ivresse due au vin et ivresse spirituelle. 4 Voir V 10, note 12. 5 Voir Dn 1, 12 et 16. 6 Opicinus s’identifie à Ézéchiel. 1 2

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DE

FOL.

64v°

SPIRITVALI TEMPTATIONE

Si inuisibilis hostis uiderit quemquam habilem in spiritualibus, non temptat ipsum de uitio contrario illi uirtuti, eo quod homo huiusmodi habet quasi naturaliter odium ad illum uitium; sed sub specie illius uirtutis quam diligit subtiliter fallitur, cum non adhibita uirtute discretionis paulatim elongatur a medio ad extrema. Verbi causa. Habeo zelum domus Dei, sed non secundum scientiam: tunc omnimoda uersatione cogitationum propulsor de quacumque persona quam continue suspicor opinionem habere contrariam mee sententie, ne per consequentes sim fraudatus gloria mee scientie. Adhuc subtilius odio habeo gloriam personalem: de quolibet suspicor ne sequatur uitium glorie singularis et per consequens timeo ne contempnatur uirtus quam habeo. Nisi adhibeatur discretio cogitandi, semper exoritur primum et ultimum uitium glorie singularis. Sola autem discretio non persone sed uitii singularis a uirtutibus uniuersitatis generat caritatem. Ecce discretio genitrix caritatis et emula singularitatis est quasi Asia mater Europe et domina Affrice.

DE

MEDIO VIRTVTVM ET EXTREMITATE VITIORVM

Qualis est dispositio hominis, talis est temptatio circa ipsum. Sic expertus sum in meipso. Tanta est uarietas temptationis ut semper hominem conetur auferre – per concupiscentiam propriam, potentialiter generatam in homine et actualiter producendam ab homine – a medio omnium uirtutum ad extrema omnium uitiorum – Verbi gratia; a uirtute caritatis, nunc ad amicitiam personalem, nunc ad amorem uniuersitatis carnalis uel terrene (sicut fit in Lombardia presertim Papie); similiter a uirtute largitatis, nunc ad prodigalitatem, nunc ad auaritiam; a uirtute mediocris uite, nunc ad nimis austeram uitam ultram mensuram, nunc ad effrenatam luxuriam; super omnia a uirtute christianitatis ad diabolicas partialitates – nunc ad istam, nunc ad illam – que ambe sunt aduersatrices populi christiani. DE

DIE NOTABILI IVDICII FIGVRALIS

Actum VIII idus octobris, die sanctarum Pelagiarum, cum anno Domini MCCCXV°, hac die, Papia aduersatrix illarum sanctarum fuerit inuoluta a pelago in pelagiis. Hac die, secundum datale, est commemoratio sancti Symeonis iusti et timorati, associati cum dedicatione Auinionensis ecclesie, ac si Spiritu uenisset ad templum huius curie pectoralis ad suscipiendum Christum in ulnis, qui inter cetera prophetauit de Christo sic dicens: « Ecce positus est hic in ruinam (durorum, quasi Durantiam) et in resurrectionem multorum in Israel (quasi Sorgiam a surgo, surgis); et in signum (Rodani pectoralis qui hebraice interpretatur www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LA

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TENTATION SPIRITUELLE

Si l’ennemi invisible voit un homme ayant certaines dispositions spirituelles, il ne le tente pas avec un vice opposé à cette vertu, car un tel homme éprouve une aversion quasiment innée pour ce vice; mais il est habilement trompé par les faux-semblants de cette qualité qu’il aime, lorsqu’il quitte peu à peu le juste milieu1 pour aller vers les extrêmes, en ne pratiquant pas la vertu de modération. À cause du Verbe. Je brûle d’ardeur pour la maison de Dieu, sauf quand je tiens compte de mon savoir: je suis alors perturbé par des tourbillons de pensées en tous genres, à propos de chaque personne que je soupçonne sans cesse d’avoir une opinion s’opposant à ma manière de voir, pour éviter, par conséquent, d’être volé de la gloire que je tire de mon savoir. Je déteste encore plus nettement la gloire personnelle: je suspecte le premier venu de briguer le péché qu’est la gloire exceptionnelle, et par conséquent je crains que ma valeur ne soit rabaissée. Si l’on n’use pas de modération dans sa réflexion, le vice que représente la gloire exceptionnelle se manifeste toujours au début et à la fin. Or c’est seulement en faisant la différence entre un vice particulier (non une personne) et les vertus de la communauté que l’on produit la charité. C’est ainsi que la modération, qui produit la charité et qui est l’adversaire de l’excentricité, ressemble à l’Asie qui est mère de l’Europe et maîtresse de l’Afrique. LE JUSTE MILIEU OÙ SE TROUVENT LES VERTUS ET LES EXTRÉMITÉS OÙ SE TROUVENT LES VICES Telles sont les inclinations d’un homme, telle est la tentation qui rôde autour de lui. Voici l’expérience que j’en ai fait personnellement. La tentation est tellement multiforme qu’elle essaie toujours – à l’aide de la convoitise personnelle, qui est virtuellement engendrée chez l’homme et que l’homme peut exprimer concrètement – d’entraîner l’homme à quitter le juste milieu où se trouvent toutes les vertus pour aller vers les extrêmes où se trouvent tous les vices – par la grâce du Verbe; à quitter la sainte charité pour s’adonner tantôt à une amitié personnelle, tantôt à l’amour de la communauté charnelle ou mondaine (comme cela arrive en Lombardie et surtout à Pavie); à quitter également la générosité idéale pour s’adonner tantôt à la prodigalité, tantôt à l’avarice; à quitter la vie du juste milieu idéale pour mener tantôt une vie extrêmement et démesurément austère, tantôt une débauche effrénée; pire que tout, à quitter l’excellence de la chrétienté pour s’engager dans les factions diaboliques – tantôt l’une, tantôt l’autre – qui sont toutes les deux les adversaires du peuple chrétien. UN

JOUR REMARQUABLE POUR UN JUGEMENT SYMBOLIQUE

Fait le 8 des ides d’octobre [8 octobre 1337], le jour de la fête des saintes Pélagie2; ce jour-là, en 1315, Pavie, l’adversaire de ces saintes, a été noyée sous des flots de Voir schémas A et C. Pélagie d’Antioche (fêtée le 9 juin), jeune fille de 15 ans, martyre vers 311: voyant s’approcher les soldats qui venaient l’arrêter, elle se donna la mort pour garder sa virginité. D’après une légende, Pélagie d’Antioche était une actrice qui se convertit à Antioche, puis se déguisa en garçon pour aller en pèlerinage à Jérusalem où elle vécut dans la pénitence (voir la Légende dorée, t. 2, pp. 266-268): on fêtait cette Pélagie la Pénitente le 8 octobre. Opicinus parle des deux. Voir aussi le pape Pélage II mentionné au fol. 4. 1 2

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656

FOL.

64v°

« uisio », subintellige Dei per fidem credentium, uel « discidium », subaudi incredulorum de tanto misterio) cui contradicetur (ecce contradictio cogitationum quasi Durentie et Sorgie, aque ductuum defluentium cancellatim). Et (tu Maria, quasi Papia, Electa) tuam ipsius animam (id est populi christiani) pertransibit gladius (discretiuus), ut reueletur ex multis cordibus cogitationes1 (secundum hoc speculare iudicium) ». Ecce iudicium hodiernum particularis Papie; fuit quedam figura ueri Iudicii uniuersalis Papie. Papia que ethimologice naturaliter habet mirabile nomen – a « pape », quod est mirum – per uiolentiam suam facit interpretationem uiolentam nominis sui: Papia, id est « parum pia ». Que hora qua hoc agebam aliquantulum me turbauit propter superuenientes. Additum VII idus octobris.

De fundamentis huius scientie Fundamentum fidei habetur ex canone totius sacre Scripture et articulis fidei simbolorum. Fundamentum rationum de fide est ex cronicis temporum et descriptionis maris et terre. In hiis duobus fundamentis fidei et rationum de fide consistit scientia presens in genere, cuius species ceteris relinquantur, ut genus per species melius declaretur. Scientibus enim datur occasio, nequis negligens languescat in ocio. Additum anno perfectionis, IX kalendas iunii, dominica post Ascensionem. Superficies terre intra biuium Rodani iuxta mare est similis cuspidi lancee fixe in apertione lateris Crucifixi; quam lanceam Antiochie inuenit quidam rusticus huius Prouincie. Huius recordatus sum X kalendas nouembris, die sancti Longini martiris qui latus Domini aperuit.

1

Citation soulignée en rouge.

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sang pourpre. Ce jour-là, d’après le calendrier, on fait mémoire de saint Siméon, l’homme juste et pieux1 qui est associé à la consécration de l’église d’Avignon, comme s’il venait, poussé par l’Esprit, au temple2 de cette curie de la poitrine pour recevoir le Christ dans ses bras3; lui qui, entre autres, a prononcé ces paroles prophétiques au sujet du Christ: « Voici celui qui doit amener la chute (des endurcis, quasiment la Durance) et le relèvement d’un grand nombre en Israël (quasiment la Sorgue4, de « surgo, surgis »: je me relève); il doit être un signe (du Rhône de la poitrine, lequel, en hébreu, veut dire soit « la vision », sous-entendu de Dieu grâce à la foi des croyants, soit « la division », sous-entendu de ceux qui ne croient pas à un si grand mystère) en butte à la contradiction (voici la contradiction des pensées, pour ainsi dire de la Durance et de la Sorgue dont les eaux qui coulent forment un treillis5). Et (toi, Marie, c’est-à-dire Pavie, l’Élue) ton âme (c’est-à-dire celle du peuple chrétien) sera transpercée par une épée (tranchante), afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs (en suivant ce jugement visible) »6. Voici le jugement rendu aujourd’hui pour l’individuelle Pavie: il annonçait en quelque sorte le véritable Jugement pour l’universelle Pavie. Pavie qui, d’après l’étymologie, porte naturellement un nom merveilleux – puisqu’il vient de « pape », ce qui est étonnant – donne aussi à son nom une acception dégradante due à ses transgressions: Pavie, c’est-à-dire « manquant de piété » – acception qui, au moment où j’écrivais ces lignes, m’a un peu troublé à cause des gens qui arrivaient7. Ajouté le 7 des ides d’octobre [9 octobre 1337]. Les fondements de la connaissance que voici Le fondement de la foi est issu des livres canoniques de l’Écriture sainte dans son ensemble et des articles de foi des Symboles8. Le fondement des argumentations relatives à la foi provient des récits du passé et des dessins de la terre et de la mer9. La connaissance du temps présent se trouve dans ces deux fondements, celui de la foi et celui des argumentations relatives à la foi, pour ce qui est du genre; quant aux espèces, elles doivent être laissées aux autres, afin que le genre soit valorisé par l’espèce. Car voilà l’occasion pour les savants d’éviter que les insouciants ne languissent dans l’oisiveté.

Voir Lc 2, 25. Saint Siméon le Vieillard était en effet fêté le 8 octobre. Voir Lc 2, 27. 3 Voir Lc 2, 28. 4 La Sorgue est un affluent de la Durance. 5 Treillis: à rapprocher des corbeilles de Canistris. 6 Lc 2, 34-35 (extrait de la « prophétie de Siméon »). L’utilisation délirante de la phrase évangélique par Opicinus montre son identification au Christ, à Marie, à Pavie et au peuple chrétien. On remarque aussi les mentions géographiques concernant la région provençale, avec un recours classique aux jeux de mots. 7 Notation sur la vie quotidienne intervenant brusquement. 8 Soit les résumés des vérités essentielles de la religion (Symbole de NicéeConstantinople, Symbole des apôtres, symbole de saint Athanase). 9 C’est-à-dire la biographie d’Opicinus et ses dessins géographiques. 1 2

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FOL.

[fol. 65] DE

65

PROPHETIA AD REM

Semel in pectore Papiensis Europe, cum communicassem infirmum de eucharistia, dixit infirmus se esse curatum optima cena. Ecce figura presentis uere nouissime cene. De Prouincia et lingua occana et Lombardia Pectus Europe a dextris a stomacho usque ad collum uulgarizans – uel quasi Roma translata ad pectus gallice romanizans – nomen Domini « Signer, Signer » significat pectoralia, quasi celestia signa manifeste contritionis. Iam apertus est pectus ad meridiem Arelate, cuius profunditas est Lugdunum (id est uerus luctus unius non plurium). Pectus autem Affrice nunquam conteritur ad penitentiam, cuius oculi tantum extrinseci non intrinseci proferunt lacrimas. 1 Ecce iudei corporalia signa petunt (id est ecclesiastici carnales sacramentalia signa non rem). Et Greci sapientiam terre querunt (id est gentes Lombarde alienum ui querunt, quasi Papienses uiqueriam). Ecce scandalum iudeorum et stultitia gentium. Sola autem christianitas habet realiter ueram sapientiam et uirtutem; que pauper non censu, non tantum affectu sed spiritu, habet in pectore suo regnum celorum. Quod dico de gentibus Lombardis, ne gloriarentur ceteri super eas, intelligatur de uitiis carnalium hominum totius mundi, sine discretione ecclesiasticorum et gentium. Actum die predicta.

1

L’alinéa est indiqué à l’encre rouge.

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Ajouté l’année de la perfection, le 9 des calendes de juin, le dimanche qui suit l’Ascension [dimanche 24 mai 1338]. L’étendue de terre qui se trouve à l’intérieur du delta du Rhône, en bordure de la mer, ressemble à la pointe de la lance enfoncée dans le côté ouvert du Crucifié1; c’est un rustre habitant cette Provence qui a trouvé cette lance à Antioche2. Ce souvenir m’est revenu le 10 des calendes de novembre [23 octobre 1338], le jour [de la fête] de saint Longin, martyr, celui qui ouvrit le côté du Christ3. [fol. 65] DE

LA PROPHÉTIE À SA RÉALISATION

Une fois, alors que je me trouvais dans la poitrine de l’Europe de Pavie et que je discutais avec un faible de l’eucharistie, le faible raconta qu’il avait été guéri lors d’un excellent repas/cène. Il s’agissait d’une préfiguration du véritable dernier repas/cène qui a lieu ces temps-ci. La Provence, la langue occitane et la Lombardie Dans la langue vernaculaire parlée dans la partie droite de la poitrine de l’Europe, entre l’estomac et le cou – autant dire la langue romane parlée par les Gaulois à Rome transférée vers la poitrine – on appelle le Seigneur « Signer, Signer »; ce qui indique les signes4 indiscutables de la contrition authentique dans la poitrine (c’est-à-dire dans le ciel). Désormais, la poitrine est ouverte au sud à Arles et elle s’étend jusqu’à Lyon (qui veut dire la véritable douleur d’un seul et non de plusieurs). En revanche, la poitrine de l’Afrique n’est jamais accablée par le repentir, car elle verse des larmes seulement avec ses yeux extérieurs et non avec ses yeux intérieurs. Voici que les juifs demandent des signes corporels; c’est-à-dire que les ecclésiastiques charnels demandent des signes sacramentels et non la réalité. Et les Grecs cherchent la sagesse du monde; c’est-à-dire que les païens lombards cherchent à obtenir ce qui est autrui par la force, comme si les gens de Pavie cherchaient à obtenir une viguerie5. Voilà le scandale des juifs et la folie des paiens6. Or seule la chrétienté possède réellement la véritable sagesse et la véritable excellence; et ce n’est pas en étant fortuné, non seulement affectivement mais spirituellement, que le pauvre les possède dans sa poitrine qui est le royaume des cieux. Ce que je dis pour les païens lombards, afin d’éviter que les autres ne se glorifient à leurs dépens, doit s’appliquer aux péchés des hommes charnels du monde entier, sans distinction entre ecclésiastiques et laïcs. Fait le jour indiqué plus haut.

Voir Jn 19, 34. Allusion à la découverte de la Sainte Lance à Antioche en 1098. 3 Saint Longin, qui avait transpercé d’un coup de lance le corps de Jésus crucifié (Jn 19, 34), serait mort martyr en Cappadoce (voir la Légende dorée, t. 1, pp. 234-235); le centurion qui reconnut la divinité du Christ (voir Mt 27, 54) s’appelle aussi Longin. Voir V 22, note 28. 4 Jeu de mots Signer/signa/significat. 5 Jeu de mots ui querunt / uiqueriam. 6 Voir 1 Co 1, 23. 1 2

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DE

FOL.

65

YMAGINATIONE SPIRITVALI ET CARNALI

Ymaginatio intellectualis de inuisibili re recipit in se similitudinem Dei humani qui est Christus – potentialiter tamen ante annos discretionis, cum in sola gratia Dei quiescat. Ymaginatio uero rationalis de uisibili populo christiano format in se ymaginem hominis diuini, qui est populus christianus. Prima ymaginatio intellectualis in actu credendi recepit fundamentum fidei. Secunda autem ymaginatio rationalis format in se speculum caritatis usque ad opera spiritualia. Ymaginatio uero carnalis format primo in se ymaginem corruptibilis hominis, deinde ymagines omnium ydolorum, cum sculptilibus ligni et lapidis, per concupiscentiam propriam, dicens in corde suo: « Vtinam possem acquirere talem domum, tale castellum uel talem ciuitatem, et edificare ad placitum uoluntatis mee ». Ecce gloriatio in simulacris suis. Tandem ymaginatur personam propriam exaltandam, ad eternam memoriam nominis sui. Prima est ymaginatio puerilis ad ydolum personale, secunda mediocris ad sculptilia mundi, tertia uero tota diabolica ad gloriam singularem.

Spiritualis dispositio mundi Affrica muliebris non solum reuelat opera iniquitatis, sed etiam predicat actualiter Sodomorum peccatum, quasi Buzeam inter ubera sua et ubera diabolici maris uel Thetis, quasi femina contra feminam. Europa uero uirilis non agit peccatum sed patitur penam peccati quod contraxerat in Affrica et omnia confitetur ad oculum. Confitetur enim se murmurasse in pectore contra Deum quamdiu fuerat in Affrica, per pectorale testimonium Murmuroni ultra Carpentorate. Similiter cum Affrica Lombardie conuersa fuerit in Europam Lombardam, tunc confitebitur actualiter se contempnere omnem gloriam mundi quam concupierat in habitu Affricano. « Non curo, inquiet, de ambitione papali, quasi Papia quam reputo inter lumbos, nec L(l)aude humana quam retroieci ad posteriora natium, nec P(p)lacentia mundi quam deposui ad sinistram pedis seruilis ».

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L’IMAGINATION

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SPIRITUELLE ET L’IMAGINATION CHARNELLE1

Imaginer intellectuellement l’invisible, c’est recevoir intérieurement la ressemblance avec le Dieu humain qu’est le Christ – virtuellement, néanmoins, avant l’âge de discrétion, alors que l’imagination s’abandonne à la seule grâce de Dieu. Mais imaginer rationnellement le peuple chrétien, c’est élaborer intérieurement l’image de l’homme divin qu’est le peuple chrétien. La première, l’imagination intellectuelle, reçoit le fondement de la foi en posant un acte de foi. Et la seconde, l’imagination rationnelle, élabore intérieurement une image de la charité en allant jusqu’aux œuvres spirituelles. En revanche, l’imagination charnelle élabore intérieurement d’abord l’image de l’homme corruptible, puis les images de toutes les idoles ainsi que des statues en bois et en pierre, avec l’aide de la convoitise personnelle, en disant dans son cœur: « Fasse le ciel que je puisse me procurer telle maison, tel château ou telle ville, et construire selon mon bon plaisir! ». Voilà comment on se glorifie de faux-semblants. Pour finir, elle imagine une personne en particulier qu’il convient de magnifier, afin que l’on se souvienne de son nom à jamais. La première imagination est bonne pour les enfants, car elle s’attache à une idole personnalisée; la seconde est dangereuse, car elle s’attache aux statues du monde; et la troisième est entièrement diabolique, car elle s’attache à la gloire exceptionnelle. La géographie spirituelle du monde L’Afrique féminine non seulement révèle les œuvres de l’iniquité, mais également prône dans les faits le péché des Sodomites, c’est-à-dire Bougie située entre ses seins et les seins de la mer diabolique ou de Thétis2, comme une femme contre une femme. En revanche, l’Europe masculine ne commet pas de péché, mais elle supporte le châtiment du péché dont elle s’est chargée en Afrique et elle avoue tout en public. En effet, elle avoue qu’elle a murmuré dans sa poitrine contre Dieu3 aussi longtemps qu’elle s’est trouvée en Afrique, comme en témoigne Mormoiron4, située dans la poitrine au-delà de Carpentras. De même, lorsque l’Afrique de Lombardie sera devenue l’Europe lombarde, elle avouera alors réellement qu’elle méprise toute la gloire mondaine qu’elle avait convoitée lorsqu’elle était dans sa tenue africaine. « Cela ne m’intéresse pas, dira-t-elle, de convoiter la papauté (c’est-à-dire Pavie, que j’estime située au milieu des parties génitales), ni de louer les hommes (Lodi, que j’ai mise derrière, en bas des fesses), ni de plaire au monde (Plaisance, que j’ai placée à gauche du pied servile) »5.

1 La première, qu’elle soit intellectuelle ou rationnelle, est bonne puisqu’elle se représente Opicinus (« Dieu humain » ou homme divin »); la seconde est mauvaise. 2 Voir V 6, note 22; la côte africaine est dessinée en forme de poitrine et les « seins » de la mer diabolique s’y insèrent. D’où l’allusion à l’homosexualité féminine, et à l’homosexualité en général (sodomie). 3 Voir les « murmures » du peuple d’Israël contre Dieu, ou contre Moïse et Aaron, lors du départ d’Égypte pour la Terre promise (Ex et Nb). 4 Mormoiron: Vaucluse, ar. Carpentras. 5 Voir V 34, notes 23, 19 et 18.

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DE

FOL.

65-65v°

INFIRMITATE ET PERFECTIONE

Nondum ascendit Christus ad Patrem a pectore infirmorum. Hoc dico de meipso ante quam haberem paternam scientiam perfectorum, sicut me docet ultima missa pristini status mei, cuius euangelium legitur feria Vª post Pascha, quod secundum Ambrosianos in Pascha. De illuminatione conscientiarum Illuminatio librorum ex arte quam pauper didici I(i)anue barbarie, significat illuminationem conscientiarum. Liber enim est conscientia cuiuslibet scripture boni uel mali. Ibi didici scire quod esset conscientia, per auditum usque ad introitum cordis mei. De finali Iudicio Finalis intentio uoluntatis uniuscuiusque demonstrabitur ad oculum carnis in die Iudicii. Tunc sine interrogatione uocali unaqueque conscientia omnibus manifesta, quasi interrogata coram omnibus, respondebit non uoce ad aures sed ostentione ad oculos carnis, ut etiam si fas sit dicere, animal irrationale sciat legere illam scripturam: « Ecce quod finaliter uolui et uolo, nec aliud possum uelle. Ecce quod significat ymaginatio mea finalis ». Respondebit totus mundus qui in momento transibit in nichilum, sic dicens non uoce sed ostentione: « Ymaginatio tue uoluntatis erit eterna. Ego autem transitorius mundus uado ad nichilum. Ymaginatio tua nunquam aliud uolet nisi me cum concupiscentiis meis; et ego nunquam [fol. 65v°] inueniar ad satisfaciendum concupiscentie tue. Et sic erit in te tortio sempiterna ». Ecce dilectio uanitatis que falsitas est et adducit hominem ad perditionem eternam. Ex opposito, conscientia uniuscuiusque electi omnibus manifesta ostendet se finaliter dilexisse Christum et populum christianum, cuius ymaginatio transferetur ad rem finaliter concupitam. Ecce ymaginatio electi monstrabitur ymaginatio ueritatis, cum obtinuerit quod uolebat et uult. Et ymaginatio reprobi reuelabitur ymaginatio uanitatis, cum nunquam obtinuerit quod uolebat et uult et nunquam aliud uolet. Quale desiderium suum, talis est deus suus, quem nunc excolit in occulto, qui tunc erit suus tortor eternus. Electus autem nunc toto affectu excolit sanctam ymaginem et similitudinem Dei et populi christiani, ad quam factus et redemptus est, quam habet impressam et scriptam in pectore suo; que cum translata fuerit ad speciem beatitudinis, erit premium sempiternum. Quomodo ergo poterit compati electus reprobo in die Iudicii, cum homo rationalis non posset compati porco in ceni uolutabro se uoluenti? Natura non 1

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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LA

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FAIBLESSE ET LA PERFECTION

Le Christ n’a pas encore quitté la poitrine des faibles pour monter vers le Père1. Je parle de moi avant que je n’aie reçu la connaissance des parfaits qui appartient au Père, ainsi que me le montre la dernière messe correspondant à ma condition d’autrefois: l’évangile en est lu la 5e férie après Pâques [jeudi de Pâques]2 et, selon les disciples d’Ambroise, le jour de Pâques. La lumière apportée aux consciences J’ai appris l’art de l’enluminure des livres quand j’habitais Gênes, la porte de la barbarie, en étant pauvre; il symbolise la lumière apportée aux consciences. En effet, la conscience est libre d’adopter comme elle veut le bien ou le mal. C’est là que j’ai appris à connaître ma conscience, grâce à ce que j’écoutais et qui pénétrait dans mon cœur. Le Jugement final Les intentions finales que chaque volonté nourrit seront montrées au regard de toute chair le jour du Jugement. Alors, sans que l’on ait besoin de poser de question, chaque conscience dévoilée à tous, c’est-à-dire interrogée devant tous, répondra, non par la voix qui s’adresse aux oreilles, mais en se présentant aux yeux de la chair, afin que, si l’on peut oser cette expression, même un animal dépourvu de raison puisse lire ce qui s’y trouve écrit: « Voilà, en fin de compte, ce que j’ai désiré et ce que je désire, et je ne peux désirer autre chose. Voilà ce que mes derniers fantasmes veulent dire ». Le monde entier, qui passera en un instant dans le néant, répondra, non pas oralement mais en se montrant: « Les fantasmes de ta volonté dureront éternellement. Or moi, le monde qui passe, je m’en vais au néant. Ton imagination ne désirera jamais rien d’autre que moi et les convoitises que je suscite; et moi, je ne parviendrai jamais [fol. 65v°] à satisfaire ta convoitise. Et ainsi tu connaîtras des tourments sans fin ». Voici l’attachement aux illusions qui sont fourberie et amènent l’homme à la perdition éternelle. Inversement, la conscience de chaque élu, dévoilée à tous, montrera qu’elle a aimé le Christ et le peuple chrétien jusqu’à la fin, et son imagination sera transportée vers la réalité désirée ardemment jusqu’à la fin. Voici que l’imagination de l’élu sera désignée comme étant l’imagination authentique, puisqu’elle aura obtenu ce qu’elle désirait et désire, et qu’elle ne désirera jamais rien d’autre. Quant à l’imagination du réprouvé, elle apparaîtra comme une imagination illusoire, puisqu’elle n’aura jamais obtenu ce qu’elle désirait et désire, et qu’elle ne désirera jamais autre chose. Tels sont ses souhaits, tel est son dieu, celui qu’elle vénère en cachette aujourd’hui et qui deviendra son bourreau éternel. En revanche, l’élu vénère aujourd’hui de tout son cœur l’image et la ressemblance saintes avec Dieu et avec le peuple chrétien, pour lesquelles il a été créé et racheté, qui sont imprimées et inscrites dans sa poitrine, et qui, une fois passées à la vision de la béatitude, seront sa récompense éternelle. Comment donc l’élu pourra-t-il s’apitoyer sur le réprouvé au jour du Jugement, puisque l’homme 1 2

Voir Jn 20, 17. C’est le jour où Opicinus est tombé malade en 1334. Évangile de ce jour: Jn 20, 11-18.

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FOL.

65v°

patitur hominem compati bestie; homo agit nunc iuxta rationale iudicium et bestia sequitur cursum nature. Quanto fortius tunc fiet, cum apparuerit discretio uoluntatum radicitus! Voluntas rationalis uidebitur in uno quiescere et uoluntas hominis animalis dispersa uagari. Voluntas rationalis uolat ad celum et uoluntas animalis se uoluit in terra, cuius uolutabra uoluptatum conuertentur in luctum cum auferetur libertas uolendi quasi uolandi. Verbum « uolo-uis » indifferenter assumptum deriuat ex se uerbum « uolo-uolas » propter electos et uerbum « uoluouoluis » propter reprobos. Adhuc indifferenter a uerbo « uoluo-uoluis » deriuatur uultus humanus, qui in diuersa uoluitur et mutatur secundum apparentiam uoluntatum. Vbi autem et quam eligat uoluntatem, iudicat Deus non homo, donec omne Iudicium reueletur. Tunc uidebitur uoluntas rationalis discreta a uolubili uultu ad immutabilem faciem desiderabilis uoluntatis: et uoluntas animalis uolubilis circa uuluam (id est circa corruptibilem progeniem domus sue), quasi uultus uulturis a longe presentiens cadauer ex odore. Nam immutabilis Sol non habet uultum sed faciem; id est status perfectorum non habet reflexionem ad preces, sed rationale iudicium cuicumque petenti iustitiam. Et uolubilis Luna non habet faciem sed uultum; id est rector parrochie infirmorum habet ad tempus non semper flexibilem misericordiam ad infirmos. Tempus compassionis et misericordie nunc est; in die autem Iudicii, nulla compassio.

DISPOSITIO

SPIRITVALIS

AVENICE

VRBIS

Pectus Affrice Auinionensis profundius habet in se omnia desideria anime sue, non tamen longe a memoria sancti Desiderii; Europa autem Auinionensis habet in renibus multo maiores diuitias retroiectas. DE

REGNO DOMINICO CORPORALI ET MEDICINA INFIRMORVM ET VITIIS GENTIVM

Inuisibilis res omnium sacramentorum est Christus in pectore specularis Ecclesie que in Scripturis dicitur Syon, in qua habitat Christus, non spiritualiter tantum ut aliqui arbitrantur erronee, sed spiritualiter et corporaliter. Quem uir perfectus de statu perfectorum habens in se sine uisibilibus signis ministrat infirmis sub sacramentalibus signis; alioquin esset erroneum dicere corporalia signa esse corpus Domini et inuisibilem rem esse tantummodo Deum; tunc sequeretur in Ecclesia speculari presenti Christum, qui est inuisibilis res sine uisibilibus signis, esse Deum non hominem, quod nefas est dicere. Dicamus ergo catholice, www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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doué de raison ne peut s’apitoyer sur le porc qui se vautre dans un bourbier plein de fange? Il n’est pas conforme à la nature que l’homme s’apitoie sur la bête: l’homme se comporte aujourd’hui en suivant des décisions fondées sur la raison, alors que la bête suit son itinéraire naturel. Cela aura encore plus de force, lorsque les différences entre les volontés se manifesteront jusqu’à la racine! On verra la volonté fondée sur la raison se tenir calmement dans l’unité et la volonté de l’homme animal errer dans la dispersion. La volonté fondée sur la raison s’envole vers le ciel et la volonté animale se vautre dans le monde, dont les bourbiers de plaisirs seront changés en douleurs lorsque la possibilité de vouloir (pour ainsi dire de voler) sera supprimée. Le verbe « je veux-tu veux » (« volo-vis »), pris de manière indifférenciée, a pour dérivés le verbe « je vole-tu voles » (« volo-volas ») pour les élus et « je me vautre-tu te vautres » (« volvo-volvis ») pour les réprouvés. C’est encore de manière indifférenciée que le visage humain dérive du verbe « je change – tu changes » (« volvo-volvis »), lui qui connaît des changements et des nuances contradictoires reflétant la volonté qui se manifeste. Mais le lieu et le contenu de la volonté qu’il choisit, c’est Dieu qui en juge et non l’homme, jusqu’à ce que le Jugement soit révélé dans sa plénitude. On verra alors la volonté fondée sur la raison quitter la face changeante pour aller vers le visage immuable de la volonté désirable1; et on verra la volonté animale tourner autour de la vulve (c’est-à-dire autour de la lignée de sa famille corruptible), tel le visage du vautour qui sent de loin l’odeur du cadavre. Car le Soleil immuable n’a pas une face mais un visage; c’est-à-dire que la condition des parfaits ne se penche pas vers les prières, mais vers le jugement fondé sur la raison de quiconque demande justice. Et la Lune changeante n’a pas un visage mais une face; c’est-à-dire que le curé d’une paroisse de faibles se penche, pour un temps et non pour toujours, avec miséricorde vers les faibles. Le temps de la compassion et de la miséricorde est pour aujourd’hui; mais au jour du Jugement, il n’y aura plus de compassion. LA

GÉOGRAPHIE SPIRITUELLE DE LA VILLE D’AVENICA

La poitrine de l’Afrique d’Avignon possède assez profondément en elle tous les désirs de son âme, non loin cependant du souvenir de saint Didier; et l’Europe d’Avignon a dans ses reins des richesses beaucoup plus grandes et qui ont été jetées en arrière. LE

RÈGNE CORPOREL DU

SEIGNEUR,

LA MÉDECINE DES FAIBLES ET LES VICES DES LAÏCS2

La réalité invisible de tous les sacrements, c’est le Christ situé dans la poitrine de l’Église du miroir qu’on appelle Sion dans les Écritures, que le Christ habi-

Allusion à la Lune et au Soleil: voir plus loin dans le paragraphe. Ce paragraphe concentre des thèmes déjà développés auparavant par Opicinus: la réalité invisible et les signes visibles que constituent les sacrements; le Christ présent spirituellement et corporellement à Avignon; les parfaits et les faibles; l’âme universelle; le baptême; le cœur de chair et le cœur de pierre; la gloire personnelle; l’Afrique et l’Europe; le serpent de Tunis et la tarasque; les faux prophètes; le ventre et la poitrine (la Lombardie et la Provence); la lettre et l’esprit sans la lettre… 1 2

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FOL.

65v°-66

nomine uniuersalis Ecclesie, Christum habitare in nobis spiritualiter et corporaliter, Deum et hominem. Cuius susceptio a perfectis dicitur sumptio spiritualis sine sacramentalibus signis; omnis enim spiritualitas Ihesu Christi comprehendit in se corporalitatem non econuerso. Susceptio autem eius ab infirmis uel a perfecto uiro nomine infirmorum dicitur sumptio sacramentalis sub uisibilibus signis. Nisi enim esset infirmitas plebium, quarum infirmitatem similiter nuncusque ego passus sum, non esset necessaria sumptio ordinis sacramentalis. Sed quia adhuc durat infirmitas plebium, donec consecute fuerint fortitudinem perfectorum, ideo uiri perfecti uoluntarie non coacte debent suscipere ordines sacramentales in adiutorium infirmorum – quos ordines iam prius spiritualiter habent secundum hominem interiorem. Quid est homo noster interior nisi Christus cum uniuerso populo christiano presenti, non spiritualiter tantum sed spiritualiter et corporaliter? Vnusquisque enim uerus christianus habet hanc sanctam ymaginem scriptam in pectore suo; que ymago est homo noster interior, non anima tantum cum Deo, ut aliqui putant, sed anima uniuersalis in carne incorruptibili; que caro Deo dicata per sacramentum baptismi, licet personaliter moriatur in oculis carnis, in conspectu tamen Dei uiuit, sicut sanctorum corpora semper uiuunt donec corporum resurrectio reueletur. Ecce quod presens Ecclesia habet cor carneum (id est Christum [fol. 66] in carne), ut ubi fuerit corpus (id est Christus Deus et homo), illic congregentur et aquile (id est anime christiane in carne preter carnem uiuentes). Sola autem gloria personalis, que carnis uirginitate confidens se putat habere consortium angelorum cum Christo, habet lapideum cor sine mollitie caritatis et est similis Affrice habenti lumbos restrictos et pectus lasciuum, super quod graditur serpens Tunicii. Ex opposito, presens Ecclesia assimilatur Europe habenti lumbos lasciuos et pectus restrictum, ne ibi locum habeat tarascinus (id est uermis conscientie corrosiue). Multi enim sunt decepti per pseudo prophetas qui, putantes ex eorum doctrina se habere ymaginem et similitudinem Dei susceptam, quasi confidentes in illis, nunquam ymaginantur de Christo nec de populo christiano, sed fabricant in pectoribus suis ydola mundi. Inflatio uentris Europe facit inflari pectus Affrice, id est operibus Lombardie gloriantur pseudo prophete. Nos autem catholici pectorales Europe super miserias huius uentris habemus Lugdunum (id est luctum); cupientes uentrem nostrum curare ab huiusmodi morbo, ut destructo pectore Affrice ipsa nobiscum suscipiat pectus nouum, ne ipsa ulterius glorietur in uentre sed nobiscum glorietur in pectore. Habet enim gloriam uentris in pectore et nos gloriam pectoris super uentrem. Qui sequitur litteram, diligit uentrem suum; et qui super litteram cum expositionibus suis diligit spiritum sine litteris, excolit pectus suum.

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te non seulement sur le plan spirituel, comme certains le pensent par erreur, mais sur le plan spirituel et sur le plan corporel. Et l’homme parfait appartenant à la condition des parfaits, en qui il se trouve sans signes visibles, est le serviteur des faibles sous le couvert des signes sacramentels; sinon ce serait une erreur de dire que les signes corporels représentent le corps du Seigneur et que seule la réalité invisible est Dieu; il s’ensuivrait alors que, dans l’Église du miroir actuelle, le Christ, qui est l’invisible dépourvu de signes visibles, est Dieu et non homme, ce qui est un propos sacrilège. Disons donc en respectant le dogme, au nom de l’Église universelle, que le Christ habite en nous à la fois sur le plan spirituel et sur le plan corporel, Dieu et homme. Et lorsqu’il est reçu par les parfaits, on parle d’accueil spirituel, sans signes sacramentels; en effet, tout ce qui est spirituel en Jésus-Christ contient ce qui est corporel et non l’inverse. Et lorsqu’il est reçu par les faibles ou par un homme parfait au nom des faibles, on parle d’accueil sacramentel sous le couvert des signes visibles. En effet, s’il n’y avait pas la faiblesse des ouailles, faiblesse dont j’ai souffert moi aussi jusqu’à aujourd’hui, il ne serait pas nécessaire de recevoir les ordres qui donnent les sacrements. Mais puisque la faiblesse des ouailles subsiste encore, en attendant qu’elles accèdent à la force des parfaits, les hommes parfaits doivent, de bon gré et non par la force, recevoir les ordres qui donnent les sacrements pour aider les faibles – ces ordres qu’ils possèdent déjà auparavant sur le plan spirituel en suivant l’homme intérieur. Qui est notre homme intérieur sinon le Christ associé au peuple chrétien actuel dans son ensemble, non seulement sur le plan spirituel, mais sur le plan spirituel et sur le plan corporel? En effet, chaque chrétien authentique possède cette sainte image inscrite dans son cœur; et cette image, c’est notre homme intérieur, non seulement l’âme unie à Dieu, comme certains le croient, mais l’âme universelle dans sa chair incorruptible; et cette chair consacrée à Dieu par le sacrement du baptême, même si elle meurt physiquement aux yeux de la chair, est cependant toujours vivante sous le regard de Dieu, comme les corps des saints qui sont toujours vivants tant que la résurrection des corps ne se manifeste pas. C’est ainsi que l’Église des temps présents a un cœur de chair1 (à savoir le Christ [fol. 66] incarné), si bien que, là où il y a un corps (c’est-à-dire le Christ Dieu et homme), là aussi se rassemblent les aigles2 (c’est-à-dire les âmes chrétiennes incarnées, vivant indépendamment de la chair). Et seule la gloire personnelle qui, en se fiant à la virginité de la chair, croit appartenir à la communauté des anges unie au Christ, a un cœur de pierre dépourvu de la douceur de la charité: elle ressemble à l’Afrique qui a les organes génitaux chastes3 et la poitrine lascive, et sur laquelle s’avance le serpent de Tunis. Inversement, l’Église actuelle est semblable à l’Europe qui a les parties génitales lascives et la poitrine chaste, pour éviter que la tarasque (c’est-à-dire le ver de la conscience qui ronge) ne s’y installe. En effet, beaucoup de gens sont trompés par de faux prophètes qui, pensant qu’ils ont reçu l’image et la ressemblance de Dieu avec leur enseignement, c’est-à-dire se fiant à eux-mêmes, n’ima-

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Voir Ez 11, 19 et 36, 26. Voir Mt 24, 28 et Lc 17, 37. Voir fol. 86v°.

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668

FOL.

66

De triplici imperio Ecclesia specularis habet in pectore suo spirituale imperium super angelos malos separandos a bonis per executionem mistici capitis sui regentis omnia membra sua. Sacramentale imperium Ecclesia habet in uentre qui dicitur terra Imperii super bestias iudicandas, separando edos ab ouibus per executionem manuum regentium plebes suas (quasi uiscera uentris sui). Figurale imperium Ecclesia habet extra corpus suum super bestias iudicatas per gladium Cesaris, ne aliqua bestia tangat montem. Oues enim sub sacramentali imperio conuertuntur in homines; bestie autem crudeles cohibentur sub imperio figurali. Imperium spirituale pertinet ad uniuersalem Ecclesiam cuius incorruptibilis dignitas uocatur papalis, iudicans spiritualia in celestibus. Imperium sacramentale pertinet ad sacerdotalem personam, a seruo seruorum Dei usque ad simplicem seruum Dei, iudicantem et separantem sacramentaliter negantes baptismum per inobedientiam sacerdotis a ueris christianis per corporalem obedientiam Ihesu Christi uel uicarii sui. Imperium figurale pertinet ad fidelem Cesarem habentem ministerium exequendi iudicium carnis et sanguinis, non Christi sed mundi (id est non populi christiani sed carnalium hominum qui per inobedientiam sacerdotis apostatant a baptismo). « Non habemus, inquunt, regem nisi Cesarem »; de Christo autem « nolumus hunc regnare super nos ». Nam fideliter agens Vespasianus Cesar cum Tito prefigurauit presens iudicium, sicut predixerat Dominus.

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ginent jamais le Christ ni le peuple chrétien, mais fabriquent dans leurs coeurs les idoles du monde. Le gonflement du ventre de l’Europe fait gonfler la poitrine de l’Afrique; c’est-à-dire que les faux prophètes se vantent des œuvres de la Lombardie. Mais nous, les hommes respectueux du dogme qui habitons la poitrine de l’Europe, nous disposons de Lyon (c’est-à-dire du deuil) au-dessus des malheurs de ce ventre; et nous souhaitons guérir notre ventre d’une maladie de ce genre, afin qu’une fois la poitrine de l’Afrique anéantie, celle-ci reçoive avec nous la nouvelle poitrine, pour qu’elle ne se vante plus dès lors dans le ventre, mais pour qu’elle rayonne avec nous dans la poitrine. Car elle a la gloire du ventre dans la poitrine, et nous la gloire de la poitrine qui commande au ventre. Celui qui suit la lettre, aime son ventre; et celui qui, dépassant la lettre et ses explications, aime l’esprit sans la lettre, honore sa poitrine. Les trois pouvoirs1 L’Église du miroir possède dans sa poitrine le pouvoir spirituel sur les mauvais anges qu’il faut séparer des bons: il est exercé par son chef mystique/secret, qui dirige tous ses membres. L’Église possède dans le ventre appelé terre de l’Empire le pouvoir sacramentel sur les bêtes qu’il faut juger, en faisant le tri entre les boucs et les brebis2: il est exercé par l’autorité de ceux qui dirigent ses ouailles (pour ainsi dire les entrailles de son ventre). Et le pouvoir fictif/symbolique, l’Église le possède à l’extérieur de son corps, sur les bêtes jugées par le glaive de César, afin qu’aucune bête n’atteigne la montagne. En effet, les brebis qui dépendent du pouvoir sacramentel deviennent des hommes, alors que les bêtes cruelles sont retenues dans la dépendance du pouvoir établi. Le pouvoir spirituel appartient à l’Église universelle, dont la charge incorruptible est appelée papauté: c’est elle qui juge les affaires spirituelles chez les habitants du ciel. Le pouvoir sacramentel appartient à la personne du prêtre, depuis le serviteur des serviteurs de Dieu jusqu’au simple serviteur de Dieu: c’est lui qui, avec les sacrements, juge et fait le tri entre ceux qui renient leur baptême en désobéissant au prêtre et les chrétiens authentiques qui obéissent corporellement à Jésus-Christ ou à son représentant. Le pouvoir fictif/symbolique appartient à l’empereur fidèle qui a pour fonction d’exécuter le jugement de la chair et du sang, non celui du Christ mais celui du monde (c’est-à-dire non celui du peuple chrétien, mais celui des hommes charnels qui abandonnent leur baptême en désobéissant au prêtre). « Nous n’avons pas, disent-ils, d’autre roi que César »; et pour ce qui est du Christ, « nous refusons qu’il règne sur nous »3. Car en se comportant fidèlement, l’empereur Vespasien associé à Titus4 a préfiguré le jugement actuel, ainsi que le Seigneur l’avait prédit. 1 Voir notamment les colonnes du fol. 4. Opicinus est à la tête de chacun de ces trois pouvoirs: en tant que pape, en tant que prêtre et en tant qu’empereur. L’allusion à Vespasien et Titus est là pour faire diversion. 2 Voir Mt 25, 32: l’expression est inversée. 3 Lc 19, 14. 4 D’après Flavius Josèphe, Vespasien (empereur de 69 à 79) avait confié à son fils Titus le soin de réduire la révolte juive; Titus s’empara de Jérusalem (70); le Temple fut incendié et une partie du Trésor sacré transféré à Rome. Les chrétiens n’auraient pas participé à cette révolte juive.

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FOL.

66

De sacramento baptismi 1 Collatio fundamenti cum speculo. Passio Domini est exorcismus et crucifixio hominis ueteris cum actibus suis. Sepultura Domini est cathecismus et instructio anime noue, ne sequatur hominem ueterem cum concupiscentiis suis. Resurrectio Domini est baptismus et regeneratio corporalis post Spiritum dedicatum. Actum die sancti Dionisii cum sociis suis.

SPIRITVALIS

DESCRIPTIO ARCHE QVASI CORPORALITER

Fidelis Europa (id est specularis Ecclesia) assimilatur arche Noe, cuius summitas est spiritualiter Auinio pectoralis ubi habitat Dominus quasi Noe, uxores et filii, cum auium unione ante ostium laterale. Auinionis uocabulum et monarchia papalis, quasi unus cubitus in supremo, eandem significationem important. Additum anno perfectionis, X kalendas nouembris. Inferius uel in circuitu membra inferiora dignitate sunt caput exterius et humeri usque ad stomachum, in quibus habitant reges comitesque regales seu imperiales, ut puta Sabaudiensis, Delphinus et Prouincialis, usque ad principes terre quasi mitia animalia. Adhuc inferius est uenter Italie sine Cesare, sine rege, ubi habitant animalia immitia et serpentes. Inferius sunt crura, quorum dextrum Italie orientalis est apothecaria omnium uictualium et sinistrum separatum a dextro, mediante modica insula nomine Merdayre (id est stercore), est Sclauonia et Seruia usque ad fimbrias Bulgarie, tota seruilis quasi stercoraria. Sed ne illa tibia subdatur obprobrio, gloriante pectore super illam, multi de illa tibia sinistra possunt esse pectorales, non locis sed moribus, exemplo sancte Helisabeth illarum partium oriunde, etiam religiosissimi uiri uirtutibus adornati fratris Augustini, ordinis Predicatorum, quem transeuntem a tibia sinistra ad dexteram, anno Domini MCCCXXII°, hodierna die, allocutus fui, (qui transiturus erat per eandem tibiam sinistram minoris mundi que dicitur Placentia, que pridie fuerat capta). Similiter multi pectorales possunt esse de tibia illa seruili, non locis sed actibus, exemplo mei pectoralis tam presentis prouinciarum P(p)rouincie quam Papie, qui anno Domini MCCCXXVIIII°, hac eadem die, fui summum pontificem allocutus; et tamen nuncusque propter miseriam meam fui submersus in operibus seruitutis non Dei sed mundi. Actum VI idus octobris.

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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Le sacrement du baptême Ressemblances entre les fondations et l’image/le miroir. La Passion du Seigneur est un exorcisme: la crucifixion de l’homme ancien avec ses oeuvres. L’ensevelissement du Seigneur est un catéchisme: l’instruction de l’âme nouvelle, afin qu’elle ne suive plus l’homme ancien avec ses convoitises. La Résurrection du Seigneur est un baptême: la régénération du corps après le don de l’Esprit. Fait le jour [de la fête] de saint Denis et de ses compagnons [9 octobre 1337]. DESCRIPTION

SPIRITUELLE (AUTANT DIRE CORPORELLE) DE L’ARCHE

L’Europe fidèle (c’est-à-dire l’Église du miroir) est semblable à l’arche de Noé: son point culminant sur le plan spirituel, c’est l’Avignon de la poitrine où demeure le Seigneur, tels Noé, les femmes et les enfants, avec l’union des oiseaux devant la porte de côté. Le vocable d’Avignon et la monarchie pontificale, tel un coude unique placé au sommet1, revêtent la même signification. Ajouté l’année de la perfection, le 10 des calendes de novembre [23 octobre 1338]. Plus bas ou sur le pourtour, se trouvent les parties du corps aux fonctions moins prestigieuses: la tête à l’extérieur, et la région située entre les épaules et l’estomac, où habitent des rois et des comtes dépendant du roi ou de l’empereur, par exemple ceux de Savoie, de Dauphiné et de Provence, y compris l’aristocratie terrienne (c’est-à-dire les animaux paisibles). Encore plus bas, on trouve le ventre de l’Italie, qui n’a ni empereur ni roi, où habitent les animaux féroces et les serpents. Plus bas, se trouvent les jambes, dont la droite – c’est-à-dire l’Italie de l’est – emmagasine toutes les victuailles, et la gauche, distincte de la droite, avec la petite île appelée Merdaire2 (c’est-à-dire excrément) au milieu – c’est-à-dire la Slavonie et à la Serbie jusqu’aux limites de la Bulgarie – est entièrement esclave (autant dire immonde). Mais, pour éviter que cette jambe ne soit déshonorée, comme la poitrine qui connaît la gloire la domine, un grand nombre de ceux qui appartiennent à cette jambe gauche peuvent également appartenir à la poitrine, non en termes de géographie, mais de morale: ainsi sainte Élisabeth, originaire de ces régions, ou encore l’homme très pieux et paré de vertus qu’est le frère Augustin, de l’ordre des Prêcheurs, à qui j’ai parlé alors qu’il passait de la jambe gauche à la jambe droite en l’an du Seigneur 13223, le jour où nous sommes (il s’apprêtait à passer par cette jambe droite du petit monde qu’on appelle Plaisance, laquelle avait été prise la veille). De même, un grand nombre de ceux qui appartiennent à la poitrine peuvent également appartenir à cette jambe esclave, non en termes de géographie mais par leurs agissements: ainsi moi-même, j’appartiens aussi bien à la poitrine de l’actuelle Provence, la province des provinces, qu’à celle de Pavie, moi qui, en 1329, le même jour qu’aujourd’hui, ai parlé au souverain pontife4; et pourtant jusqu’à présent, en raison de l’adversité qui m’accable, j’ai été englouti dans des tâches serviles, non celles de Dieu, mais celles du monde. Fait le 6 des ides d’octobre [10 octobre 1337]. 1 2 3 4

Voir Voir Voir Voir

V 18. fol. 36v°. P 20, note 17 et plus haut, fol. 43v°: il s’agit du 8 octobre 1322. P 20, note 17 (voir Art et folie…, p. 214): 10 octobre 1329.

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FOL.

66-66v°

Spiritualis descriptio Iherusalem Hec fidelis Europa (id est presens Ecclesia) assimilatur sancte noue Iherusalem descendenti de celo, in cuius medio pectoris habitant uerus rex Iherusalem et sacerdotes celestis curie, ubi regnat spirituale Romanum imperium Ihesu Christi, quasi magistrale tonitruum, per organicum caput suum, uicarium cordis sui. In cuius circuitu habitant nobiles ciues et prophete, a capite Hispanie usque ad stomachum comitatuum imperialium, non generositate mundana sed nobilitate uirtutum. A uentre autem [fol. 66v°] deorsum usque ad Bulgariam in fimbria, habitat uulgus in mechanicis artibus, ab artibus Iustiniani et Ypocratis usque ad munditiam cloacarum; in quibus artibus seruilibus nulla est uere liberalis. De uocabulo cloacarum (que per uniuersalem Papiam conclusam in particulari, ac si super naturam minor contineat maiorem in se, de Europa in Affricam defluunt), habetur abusus loquendi: « clauice » pro « cloacis ». Nec mirum cum diuina sapientia de abusu loquendi faciat ueritatem dicendi, eo quod utimur ad uicem ministerio clauicarum quasi munditia cloacarum, cum sacramentalibus clauibus conscientiarum cloacas referemus. SPIRITVALIS

DESCRIPTIO

TEMPLI

Similiter iudaico Templo assimilatur Europa, habens ab oriente ianuam speciosam nomine Venetiam Castellanam, intra quam habetur atrium uentris primo immundorum deinde mundorum. Superius circa iecur separans flumina a fluminibus, a Prouincia pectorali Lombardiam uentralem, sacerdotes ministrant. Ante et circa pectus sunt Sancta candelabrorum et panum. In pectore autem sunt Sancta Sanctorum, intra que semel introiit summus pontifex Ihesus Christus ad dedicandam presentialiter Auinionensem Ecclesiam. Et ideo omnia que dicuntur iuxta traditiones antiquas sine dubio sunt credenda. Nisi enim mihi Dominus hec reuelare dignatus fuisset, semper in dubio istud et similia credebam. Nonne caritas omnia credit quam significat Auinio pectoralis? Habet enim in se intelligibilem fidem que nunquam potest in dubium reuocari.

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Description spirituelle de Jérusalem Cette Europe fidèle (à savoir l’Église actuelle) est semblable à la sainte Jérusalem nouvelle qui descend du ciel1; le vieux roi de Jérusalem et les prêtres de la curie céleste habitent au milieu de sa poitrine, là où règne le pouvoir spirituel romain de Jésus-Christ, tel le tonnerre du maître2, par l’intermédiaire de son chef organique, le vicaire de son cœur. Aux alentours, vivent les citoyens et les prophètes remarquables, non du fait de leur notoriété dans le monde mais de la noblesse de leurs vertus, entre la tête de l’Espagne et l’estomac des comtés de l’Empire. Et entre le ventre [fol. 66v°], en bas, et la Bulgarie, à l’extrémité, vivent les peuples qui s’adonnent aux arts mécaniques, depuis les arts de Justinien3 et d’Hippocrate4 jusqu’au nettoyage des égouts; et parmi ces arts serviles, aucun n’est réellement libre/libéral. À propos du mot « égouts », lesquels s’écoulent de l’Europe vers l’Afrique en traversant l’universelle Pavie incluse dans l’individuelle Pavie (comme si, de manière surnaturelle, la petite contenait la grande en elle5), l’expression est impropre: « clavice » (les petites clefs) au lieu de « cloace » (les égouts). Il n’est pas étonnant que la sagesse divine ait recours à une expression impropre pour dire la vérité, puisque nous avons recours à notre tour au service des petites clefs (pour ainsi dire au nettoyage des égouts) lorsque nous remettons les cloaques de nos consciences aux clefs des sacrements6. DESCRIPTION

SPIRITUELLE DU

TEMPLE7

De même, l’Europe est semblable au Temple des juifs8: elle possède une belle porte à l’est, qui a pour nom Venise des Châteaux et à l’intérieur de laquelle se trouve le porche du ventre, d’abord pour les impuretés, puis pour ce qui est pur. Plus haut, autour du foie qui sépare les fleuves les uns des autres et la Lombardie du ventre de la Provence de la poitrine, les prêtres remplissent leur ministère. Devant et autour de la poitrine, se trouve le Saint des candélabres et des pains. Et dans la poitrine, se trouve le Saint des Saints, à l’intérieur duquel le souverain pontife Jésus-Christ est entré une fois pour toutes, pour consacrer par sa présence l’Église d’Avignon. Et c’est pourquoi tout ce qui est dit d’après les textes anciens faisant autorité doit être tenu pour vrai sans hésitation. En effet, si le Seigneur ne m’avait pas jugé digne de me le révéler, je le tiendrais encore pour vrai avec hésitation, ainsi que d’autres choses semblables. Est-ce que la charité ne tient pas pour vrai tout ce qu’indique l’Avignon de la poitrine? En effet, elle a en elle la foi intelligible qui ne peut jamais être mise en doute.

Voir Ap 3, 12; 21, 2; et 21, 10. Le tonnerre: voir fol. 68. 3 Droit et architecture. 4 Médecine et chirurgie. 5 Voir V 28, V 29 et V 30. 6 Jeux de mots: clavice/cloace. 7 Opicinus s’inspire d’Ez 40 à 48 et d’He 8 et 9. 8 Donc l’Europe fidèle = l’Église du miroir = l’arche de Noé = l’Église actuelle = la sainte nouvelle Jérusalem = le Temple. 1 2

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DE

FOL.

66v°

CONFVSIONE LINGVARVM

Confusio labiorum significat confusionem uoluntatum. Cum autem cessauerit confusio uoluntatum, cessabit et confusio labiorum. DE

VMBILICO

EVROPE

Sicut papa habet testimonium unius hominis immortalis, sicut Papia est umbilicus et matrix totius Europe, ad concipiendum filium hominis (id est populum christianum), usque Venetias que est uulua nascentium. Vbicumque dicitur ad Ezechielem: « fili hominis », intelligitur populus christianus, cuius nomine sumitur unusquisque rector parrochie in speculatorem domus Israel. Hoc dico speculariter; fundamentaliter autem intelligitur Christus. De Trinitate deifica et Trinitate speculari Iohannis XIIII°: « Siquis diligit me, sermonem meum seruabit et Pater meus diliget eum, et ad eum ueniemus et mansionem apud eum faciemus ». Ecce quod in pectore fidelis Europe (id est specularis Ecclesie) habitat per fidem formatam Trinitas fundamentalis, que est causa causarum, que a nemine potest depingi nisi in specie hominis qui est Christus (una persona de tribus), que dat causarum effectum toti Ecclesie, ubi refulget Trinitas specularis (scilicet paternitas sacerdotalis, filiatio popularis et spiritualis caritas indissolubilis). Sicut inuisibilis Deus non potest depingi nisi in forma humana, ita inuisibilis hostis noster non potest depingi nisi in ymagine humane malitie. De necessitate extrema A « pan » quod est totum, dicitur « panis » et « pannus », id est uictus et uestitus quorum est nostra extrema necessitas corporalis. DE

EXPECTATIONE MATVRA AD INTELLECTVM HABENDVM

Qui concipit Spiritum ueritatis non debet cogitare neque premeditari de aliqua specie ueritatis, ne spiritus mendacii immisceatur et ne fiat uiolentia abortiua; sed sola oratione mentali expectet tempus exauditionis de huiusmodi intellectu, similitudine seminis paulatim crescentis sine humana industria. Ecce Marci IIII°, super uentrem uel agrum Italie: « Sic est regnum Dei, quemadmodum si homo iaciat sementem in terram, et dormiat et exurgat nocte et die, et semen germinet et increscat dum nescit ille. Vltro enim terra fructificat, primum herbam, deinde spicam, deinde plenum frumentum in spicam. Et cum ex se produxerit fructus, statim mittit falcem, quoniam adest messis ». Hec omnia figuraliter facta sunt in Lombardia usque ad falcem. Nunc matura est messis, mature sunt botri. Non deficit aliud nisi exemptio falcis, sicut prouerbialiter et iocose puer a pueris audiebam. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LA

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CONFUSION DES LANGAGES

Le langage embrouillé indique l’égarement des volontés. Mais lorsque l’égarement des volontés cessera, le langage cessera d’être embrouillé. L’OMBILIC

DE L’EUROPE

De même que le pape dispose du témoignage de l’homme immortel sans pareil, de même Pavie représente l’ombilic et la matrice de l’Europe tout entière, pour concevoir le fils d’homme (c’est-à-dire le peuple chrétien), jusqu’à Venise qui est la vulve où l’on vient au monde. Partout où il est dit à Ézéchiel: « fils d’homme »1, il s’agit du peuple chrétien, au nom duquel chaque curé de paroisse est pris comme éclaireur de la maison d’Israël. Je dis cela en images; mais, fondamentalement, il s’agit du Christ2. La Trinité divine et la Trinité visible Jean 14: « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui, et nous ferons une demeure chez lui »3. C’est ainsi que la Trinité fondamentale siège dans la poitrine de l’Europe fidèle (c’est-à-dire de l’Église du miroir), grâce à la foi qui a pris forme; elle qui est la cause des causes, qui ne peut être représentée par personne si ce n’est avec la morphologie de l’homme qu’est le Christ (une seule personne sur trois), qui donne leur effet aux causes pour l’Église tout entière, et où resplendit la Trinité du miroir/visible (à savoir les prêtres pour le Père, le peuple pour le Fils, et la charité indissoluble pour l’Esprit). De même que le Dieu invisible ne peut être représenté que sous une forme humaine, de même notre ennemi invisible ne peut être représenté qu’avec un portrait de la malice humaine. Les besoins vitaux En partant du mot « pan » qui veut dire « tout »4, on peut dire « panis » (le pain) et « pannus » (le pan d’étoffe), autrement dit la nourriture et le vêtement dont notre corps a un besoin vital. DE L’ATTENTE

QUI MÛRIT POUR OBTENIR L’INTELLIGENCE

Celui qui accueille l’Esprit de vérité ne doit pas penser ni réfléchir à l’avance à la forme que peut prendre la vérité, pour éviter que l’esprit de mensonge ne s’introduise en lui et que la violence qui fait avorter ne se manifeste; mais il doit attendre par la seule oraison mentale le moment où il sera exaucé d’avoir eu cette sagacité, à la ressemblance de la semence qui croît peu à peu, sans intervention

Voir Ez (très fréquent). Opicinus est à la fois « l’homme immortel sans pareil », « le fils de l’homme », « le peuple chrétien », «Ézéchiel », « le curé éclaireur de la maison d’Israël » et « le Christ ». La naissance se fait à Venise. 3 Jn 14, 23. 4 En grec (paˆn). 1 2

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FOL.

66v°-67

Actum VI idus octobris; qua die, anno Domini MCCCXXVIIII°, osculatus fui uestigia domini pape, nomine Ihesu Christi, sicut testimonium perhibui, illi querenti a me.

De scientia et caritate Quare Prouincia uocat rubeum uinum « claretum », cum melius sit dicere de uino albo « claretum »? Ratio est impromptu. Per uinum intelligitur caritas christiana, que simul et semel est rubra et clara (id est desiderio ardens et cognitione clarescens); que quanto plus amat, tanto plus noscit; et quanto plus noscit, tanto plus amat. Cuius rei testimonium habet cubiculum nostrum inter uinarias celas circumdatum, cuius hospitium habet ab oriente et occidente uersa uice claritatem desiderii et desiderium claritatis (id est scientiam amoris et amorem scientie). Amor autem superatis omnia imponit terminum omnis scientie. Scientia finem habet; amor uero interminabilis est. Quamdiu igitur nos sumus in uia peregrinationis, instar Europe que nunquam comode sedet sed ambulat, non possumus habere perfectam scientiam specularem. Adhuc maiora scientes nostri ma-[fol. 67]-iores, ad similitudinem superioris Europe conuerse in Asiam non localiter sed uirtute, sunt uiatores ad patriam sempiternam qui, respectu nostri qui sumus quasi inferior Europa, sunt comprehensores et ciues. Europa inferior semper est uiatrix per uiam scientie, exemplo mei qui surgens ab opere ambulo circumquaque per domum. Europa superior, respectu nostri qui sumus inferiores peregrini, partim est comprehendens scientiam intelligibilis fidei et ciuis amoris, partim est uiatrix per uiam maioris scientie ad eternam patriam. Patria sempiterna, ubi sunt anime sanctorum a carne exute – quorum corpora in pace sepulta in conspectu Domini uiuunt, licet uideantur ad tempus dormire – habet finem omnis scientie, nec est amplius uiatrix sed ciuis perpetua comprehendens eternum amorem, donec resumat tunicam immortalem. Que tunica tam uiuorum quam mortuorum sortis electorum semper est immortalis in conspectu Dei; et ex nunc est indumentum et domus Domini nostri Ihesu Christi, in qua corporaliter habitat per ymaginem et similitudinem specularem in enigmate.

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humaine. Ainsi parle Marc (4) à propos du ventre ou du champ qu’est l’Italie: « Il en est du royaume de Dieu comme d’un homme qui aurait jeté du grain en terre: qu’il dorme et qu’il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse, il ne sait comment. D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, puis plein de blé dans l’épi. Et quand le fruit s’y prête (de lui-même), aussitôt il y met la faucille, parce que la moisson est à point »1. Tout cela s’est passé concrètement en Lombardie, y compris la faux. A présent, la moisson est à point, les grappes de raisin sont à point. Il ne manque plus que la faux les enlève, comme je l’entendais dire enfant par les enfants, sur le ton d’un proverbe et d’une plaisanterie. Fait le 6 des ides d’octobre [10 octobre 1337]; ce jour-là, l’an du Seigneur 1329, j’ai baisé les pieds du seigneur pape2, au nom de Jésus-Christ, comme j’en ai eu la preuve; c’est lui qui me l’a demandé. Les connaissances et la charité Pourquoi la Provence appelle-t-elle le vin rouge « clairet », alors que c’est le vin blanc qu’il vaudrait mieux appeler « clairet »? Les raisons n’en sont pas nettes. Le vin représente la charité chrétienne3, qui est en même temps et une fois pour toutes rouge et claire (c’est-à-dire brûlante d’ardeur et brillante de connaissances); or, plus elle aime, plus elle a de connaissances; et plus elle a de connaissances, plus elle aime. Pour en témoigner, notre chambre est entourée de celliers à vin, et le logement où elle se trouve est situé respectivement à l’est et à l’ouest de la clarté du désir et du désir de la clarté4 (c’est-à-dire de la connaissance de l’amour et de l’amour de la connaissance). Or l’amour impose les limites de toute la connaissance à ceux qui sont au-dessus de tout. La connaissance a des limites, alors que l’amour est sans fin. Par conséquent, tant que nous sommes sur la route du pèlerinage, telle l’Europe qui n’est jamais bien installée mais qui va et vient, nous ne pouvons avoir la connaissance parfaite du miroir. Nos plus illustres savants [fol. 67] cheminent encore vers la patrie éternelle, telle l’Europe d’en haut changée en Asie, non en termes de géographie mais de sainteté; mais, par rapport à nous, qui sommes pour ainsi dire l’Europe d’en bas, ils sont instruits et citoyens. L’Europe d’en bas est toujours en voyage sur le chemin de la connaissance: j’en donne l’exemple, moi qui, me levant de mon travail, vais et viens à travers la maison tout à l’entour. L’Europe d’en haut, par rapport à nous qui sommes les pèlerins d’en bas, en partie embrasse la connaissance relative à la foi intelligible et à l’amour citoyen, et en partie marche vers la patrie éternelle5, en prenant la route d’une plus grande connaissance. La patrie sans fin, où se trouvent les âmes des saints libérées de la chair – alors que leurs corps enterrés dans la paix vivent sous le regard de Dieu, bien qu’ils semblent momentanément dormir – abrite la finalité de toute la connaissance; elle n’est plus une voyageuse,

Mc 4, 26-29. Voir P 20. Opicinus compare ce contact avec le pape qu’il espérait ardemment avec la plante qui donne du fruit sans intervention humaine. 3 Opicinus, porté sur la boisson, « sans compter la référence au vin consacré). 4 Allusion aux églises Saint-Didier et Sainte-Claire d’Avignon. 5 Voir He 11, 13-14. 1 2

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DE

FOL.

SPIRITVALI YMAGINE

CHRISTI

67

ET HOSPITIO EIVS

Cum essem puer, infirmus spiritu et uirtute, nutritus uberibus Papiensis Europe, primo per auditum cogitaui Christum Deum et hominem, deinde per uisum ymaginatus sum sine uisu ymaginem Ihesu Christi sicut depingitur. Nunc translatus sum ad ad1 ubera Affrice similiter Papiensis, ubi dicitur esse inter reliquias de lacte uirginis Marie. Nos Papienses habitantes sanctorum reliquias sub altaribus conditas et nemini demonstrandas possumus credere eas magis auditu quam uisu, ne amouentes altaria uiolemus dedicationes ad inquirendas reliquias. Nulla dedicatio ecclesiarum nuntiatur in populo et per consequens propter ignorantiam huiusmodi festa a nemine feriantur. Ad propositum reuertamur. Cum ymaginarer simpliciter ymaginem Ihesu Christi, nesciebam ymaginari indumentum et hospitium eius (scilicet presentem populum christianum). Et sic ex parte mea habebam ipsum nudum sine ueste et hospitem peregrinum sine hospitio. Nunc sancta Auinio pectoralis, totaliter hospitalis per ministerium sancte Marthe hospite Christi, me docuit scire quod sit uerum indumentum et uerum hospitium Ihesu Christi, ut per me suppleretur effectus tanti misterii in parrochia Papiensi quod Christus incepit presentialiter dedicando Auinionensem Ecclesiam. Nesciebam enim qua die esset dedicatio Sancte Marie Capelle, nisi eam in libris antiquioribus reperissem. Ecce misterium: qua die est inuentio sancte Crucis, dedicatio est illius ecclesie. Quare? Vt pectus Affrice Papiensis inflatum gloria uentris conuerteretur ad gloriam crucis. Pectus Affrice Papiensis non multum profundius est parrochia illus ecclesie; cuius profunditas pectoris relinquitur aliis duabus parrochiis ad meridiem. Et ideo missus sum de transmigratione Babilonis magne Papie ad populum meum rudem non ignote lingue nec profundi sermonis.

1

Répétition d’Opicinus.

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mais une citoyenne permanente qui embrasse l’amour éternel, en attendant de revêtir la tunique de l’immortalité. Cette tunique des vivants comme des morts dont le destin est d’être élus est toujours immortelle sous le regard de Dieu; et elle représente dès à présent le vêtement et la demeure de notre Seigneur JésusChrist, puisqu’il habite en elle corporellement, grâce à l’image et à la ressemblance du miroir dans l’énigme1. L’IMAGE

SPIRITUELLE DU

CHRIST

ET SA DEMEURE

Lorsque j’étais enfant, avec une intelligence et une valeur insuffisantes, nourri aux seins de l’Europe de Pavie, je me suis d’abord représenté le Christ Dieu et homme par l’ouïe, ensuite j’ai découvert, grâce à une vision et non avec les yeux2, l’image de Jésus-Christ telle qu’on la représente. Aujourd’hui, je suis passé aux seins de l’Afrique de la même Pavie, là où l’on dit qu’il y a du lait de la Vierge Marie parmi les reliques. Nous qui habitons Pavie, nous pouvons tenir pour vraies les reliques des saints qui sont cachées sous les autels et qu’il ne faut montrer à personne, plus par l’ouïe que par la vue, afin d’éviter, en cherchant à découvrir les reliques, qu’en déplaçant les autels, nous ne profanions les consécrations. Aucune consécration d’église n’est annoncée au peuple et, par conséquent, du fait de cette ignorance, personne ne célèbre de telles fêtes. Revenons au sujet traité. Comme je me représentais simplement l’image de Jésus-Christ, je n’étais pas en mesure de me représenter son vêtement et sa demeure (à savoir le peuple chrétien actuel). Et ainsi, pour ma part, je le croyais nu, dépourvu de vêtement et comme un voyageur pèlerin, sans domicile. Aujourd’hui, la sainte Avignon de la poitrine, tout à fait hospitalière grâce au service de sainte Marthe qui donna l’hospitalité au Christ, m’a appris à connaître le véritable vêtement et la véritable demeure de Jésus-Christ, si bien que c’est moi qui parachève dans la paroisse de Pavie la réalisation du si grand mystère que le Christ a inauguré en personne en consacrant l’Église d’Avignon3. Car je n’aurais jamais su quel jour avait eu lieu la consécration de Sainte-Marie-La-Chapelle, si je ne l’avais pas découverte dans de vieux livres. Voilà le mystère: c’est le jour de la découverte de la sainte Croix que cette église a été consacrée. Pourquoi? Pour que la poitrine de l’Afrique de Pavie, gonflée par la vantardise du ventre, se tourne vers la croix glorieuse. La poitrine de l’Afrique de Pavie n’est pas beaucoup plus étendue que la paroisse de cette église4; et l’étendue de cette poitrine est laissée aux deux autres paroisses qui se trouvent au sud. Et c’est pourquoi je suis envoyé, du fait de l’exil de la Babylone de la grande Pavie, vers mon peuple grossier qui ne parle pas une langue inconnue et n’a pas une conversation subtile.

Voir 1 Co 13, 12. Voir P 20, année 1302. 3 Voir fol. 64 et fol. 67v°. 4 Sur V 28, V 29 et V 30, la paroisse Sainte-Marie-La-Chapelle est dans la poitrine de l’Afrique. 1 2

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680

DE

FOL.

MORIBVS

67-67v°

PAPIE

Quicquid dixit sancta philosophia ad Boetium exulem in Papia, totum uideo in me esse completum iuxta misticum sensum demonstratum ad oculum. Didici enim magnam partem scientie in Athenis uniuersalis Papie, ubi fuit primo fundata, ut fertur, ubi nunc est domus fratrum Predicatorum. Reliqua omittamus ad presens ut ad alia festinemus. Papia particularis, ambitiosa de dominio laicali super populum christianum, continet in se intra ueterem murum uniuersalem Papiam, semper ambitiosam de dignitate papali. Ecce quod super naturam minor est continens quam contenta. COLLATIO PROVINCIE

CVM ALIQVA PARTE

PAPIE

Conferatur prouincia prouinciarum, que est Europe Prouincia pectoralis, cum eiusdem pectoris progenie Canistrali. Illa uniuersalis Papie, hec autem particularis Papie. Cum enim particularis Papia continet uniuersalem Papiam, tunc nichil differre uidetur Prouincia Gallie a progenie domus mee. Sicut Prouincia pluribus circumstantibus prouinciis sociatur, ita progenies mea pluribus stirpibus hinc inde coniungitur. Circa enim illud pectus Papiensis Europe, inter ceteras est progenies Salomonis, ac si diceretur de collegio sacerdotum Romane curie. Ecce plus quam Salomon est hic, id est sapientia sacerdotum. Iam diu destructa est pauperrima porticus Salomonis, adherens modico templo huius pectoris quod dicitur ecclesia sancte Tecle, quasi tegule sancte tegentis Christum in pectore usque ad tempus, cuius eucharistia nunquam sub clauibus clauditur. Et ideo non sine misterio in illa capella pauperrima pectorali percepi puer uel infans principium fidei per auditum et uisum ymaginis Crucifixi, per documentum simplicis mulieris erga me, non in publico similitudine magistrali. Quam fidem catholicam fortius roborauit frater illius in pueritia mea, non specialiter ad me sed in genere docendo scolares grammaticam. Ecce quod plus ualet simplex doctrina pedagogi in puerum ad fundamentum fidei quam predicatio magistrorum ad iuuenes et adultos. Ad propositum redeamus. Circa illam parrochiam pectoralem est progenies patronorum nomine huius sancte. Est et ibidem et circa ficulnearum progenies secundum Prouincialium ydioma, quarum nuncusque fecunditas fuit sequiturque sterilitas, ut ab arbore fici sumamus parabolam in signum uicini Iudicii. Tanta est propinquitas ficorum cum calathis ante huiusmodi [fol. 67v°] templum Domini ut ficus repleant calathos. Que utrum sint bone an male a sapientibus iudicentur (Ieremie XXIIII°). Rursus progenies domus mee semper commorans circa pectus Europe Papiensis, quotiens egreditur Lombardiam, nescit reperire quietem nisi in pectore naturalis Europe, ubi est Auinio pectoralis, non solum ego sed etiam aliqui per tempora retroacta, a tempore domini www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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LA

MORALE DE

681

PAVIE

Quoi qu’ait dit la sainte philosophie à Boèce en exil à Pavie1, je constate que tout s’accomplit en moi, conformément au sens mystique/secret exposé aux regards. En effet, j’ai appris une grande partie de mes connaissances à Athènes de l’universelle Pavie, là où elle a été d’abord fondée à ce qu’on rapporte (à l’emplacement de l’actuelle maison des Frères prêcheurs). Laissons le reste pour l’instant, afin de nous hâter vers autre chose. L’individuelle Pavie, qui brigue le commandement temporel sur le peuple chrétien, contient à l’intérieur de son vieux mur l’universelle Pavie, qui ne cesse de briguer la charge pontificale. C’est ainsi que, de manière surnaturelle, le contenant est plus petit que le contenu2. RAPPROCHEMENT

ENTRE LA

PROVENCE

ET UN COIN DE

PAVIE

Comparons la province des provinces, c’est-à-dire la Provence de la poitrine de l’Europe, et la lignée des Canistris de cette même poitrine. La première est l’universelle Pavie, et la seconde l’individuelle Pavie. En effet, puisque l’individuelle Pavie contient l’universelle Pavie3, la Provence de Gaule ne diffère en rien de ma lignée familiale. De même que la Provence est réunie à plusieurs provinces qui l’entourent, de même ma lignée a des liens avec plusieurs familles à droite et à gauche. En effet, autour de cette poitrine de l’Europe de Pavie, se trouve entre autres la lignée des Salomon, comme s’il était question du collège des prêtres de la curie romaine. Voici qu’il y a ici plus que Salomon, à savoir la sagesse des prêtres4. Voilà déjà longtemps que le très modeste portique de Salomon5 a été détruit; il jouxtait la petite église de cette poitrine qu’on appelle Sainte-Thècle6, telles les tuiles de la sainte qui abrite7 le Christ dans sa poitrine jusqu’au temps fixé (lui dont l’eucharistie n’est jamais enfermée à clef). Et c’est pourquoi, non sans mystère, c’est dans cette très modeste chapelle de la poitrine que, enfant ou bébé, j’ai appris les rudiments de la foi, en entendant parler de l’image du Crucifié et grâce à une vision8, grâce aux leçons qu’une simple femme m’a données et non grâce à celles qui sont données en public par les maîtres. Et son frère a davantage renforcé cette foi catholique pendant mon enfance, non en s’adressant à moi en particulier, mais en apprenant la grammaire9 aux écoliers en général. C’est ainsi que la simple formation donnée par un pédagogue à un enfant sur les fondations de la foi vaut mieux que les prédications des maîtres adressées aux jeu-

Voir V 16. Voir fol. 66v°. 3 Quand il y a superposition de la carte de l’Europe et du plan de Pavie. « L’universelle Pavie » a donc (au moins) deux acceptions différentes pour Opicinus. 4 Voir Mt 12, 42 et Lc 11, 31. 5 Il s’agit d’une colonnade couverte située à l’est du Temple, où Jésus circulait pour enseigner. 6 Voir V 30, note 12. 7 Jeu de mots Tecle/tegule/tegentis. 8 Voir P 20, année 1302. 9 Voir P 20, année 1307 etc. 1 2

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FOL.

67v°

Clementis pape V usque nunc. Nam circa illud tempus, crescente aduersitate domus mee, quidam dixit ad me nos accessuros ad istam Prouinciam, me ignorante an essemus tunc in pectore Papiensis Europe. Similiter in die captionis Papie, idem quendam predonem barbarum theutonicum suppliciter et simpliciter uocauit uulgariter: « O signer ». Ecce quod facit lingua Prouincialis per Papiensem qui nunquam in Prouincia fuerat, ad barbarum ualde remotum ab huiusmodi lingua, cum neuter fuerit huius lingue? Fuit enim presagium misterii reuelandi, ut presens Romana curia iudicet meam progeniem uniuersalis Papie, que non est aliud nisi « desolationis abhominatio stans ubi non debet ». In cuius rei testimonium, uidi anno expectationis super altare Ecclesie Auinionensis ymaginem ceream muli uel asini habentis protensam uirgam suam. Nam in toto mundo non est aliud nobilius Templum Dei quam istud Auenice pectoralis, quod situm in montem quasi Sancta Sanctorum semel introiens summus pontifex Ihesus Christus presentialiter dedicauit. Similiter precedentibus annis, uidi supra maius altare sancte Marthe illam memorialem ymaginem tarascini; qua inde remota, me tamen ignorante misterium, semel submissa uoce primo diluculo missam celebraui in festo sancte Marthe, in eodem altari. Nunc tarde cognoui misterium mei doloris, ut incipiatur Iudicium a domo Dei. Cum pectus Affricanus semper peccans, non confitens culpam suam, conuersum fuerit in pectus Europe omnia confitentis, hoc sanctissimum pectus Europe habebit in se uel circa se testimonium Case Dei (id est domus Dei Claromontensis diocesis). Ecce mons claritatis mirabilis super uerticem montium sub signo albedinis uel candoris summi pontificis benedicti.

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nes gens et aux adultes. Revenons au sujet traité. Autour de cette paroisse de la poitrine, se trouve la lignée des protecteurs du nom de cette sainte. Au même endroit et autour, on trouve aussi la lignée des figuiers1, selon l’idiome provençal, qui ont été fertiles jusqu’à aujourd’hui et qui sont aujourd’hui stériles, si bien que nous tirons une parabole de l’arbre qui produit la figue, en signe du Jugement proche. Les figues sont si près des paniers devant le temple du Seigneur [fol. 67v°] que les figues remplissent les paniers2. Que les sages jugent si elles sont bonnes ou mauvaises (Jérémie 24)3. Inversement, comme ma lignée familiale demeure toujours aux alentours de la poitrine de l’Europe de Pavie, chaque fois qu’elle quitte la Lombardie, elle ne peut trouver le repos que dans la poitrine de l’Europe naturelle, là où se trouve l’Avignon de la poitrine; il ne s’agit pas seulement de moi, mais aussi de certains hommes des temps passés, depuis l’époque du pape Clément V jusqu’à aujourd’hui4. Car à peu près à cette époque, alors que les malheurs de ma famille augmentaient, quelqu’un m’a dit que nous viendrions dans cette Provence; or j’ignorais que nous nous trouvions alors dans la poitrine de l’Europe de Pavie. De même, le jour où Pavie fut prise, la même personne s’est adressée à un pillard germanique grossier avec humilité et naïveté en lui disant en langue vulgaire: « O, signer ». Voilà ce que donne le dialecte provençal chez un habitant de Pavie qui ne s’était jamais trouvé en Provence, adressé à un barbare tout à fait étranger à un tel dialecte, alors que ni l’un ni l’autre ne connaissaient ce dialecte! Car il s’agissait d’une prédiction relative au mystère devant être révélé, afin que l’actuelle curie romaine juge ma lignée située dans l’universelle Pavie et qui n’est autre que « l’abomination de la désolation installée là où elle ne doit pas être »5. En témoignage de quoi, j’ai vu, l’année de l’attente [1335], sur l’autel d’une église d’Avignon, l’image en cire d’un mulet ou d’un âne avec la verge en érection. En effet, il n’y a pas, dans le monde entier, de Temple de Dieu plus remarquable que celui de l’Avenica de la poitrine; placé sur un rocher, tel le Saint des Saints, c’est lui que le souverain pontife Jésus-Christ, en y entrant une fois pour toutes, a consacré en personne. De même, les années passées, j’ai vu sur le grand autel de sainte Marthe cette image qui rappelle la tarasque6; et alors qu’on l’avait retirée de là et que j’ignorais le mystère, il m’est arrivé une fois de célébrer une messe basse au point du jour à ce même autel, le jour de la fête de sainte Marthe. À présent, j’ai pris tardivement connaissance du mystère concernant mes souffrances, si bien que le Jugement venant de la maison de Dieu peut commencer. Lorsque la poitrine de l’Afrique, qui commet toujours des péchés et n’avoue pas ses fautes, sera devenue la poitrine de l’Europe qui avoue tout, cette très sainte poitrine

Tout le passage qui suit s’inspire de Jr 24. Voir V 31, note 18. 3 Voir Jr 24, 1-8. 4 Allusion aux papes d’Avignon dont le premier fut Clément V (1305-1314) et dont Opicinus estime être le successeur. 5 Mc 13, 14 (et Mt 24, 15): d’après Dn 9, 27. 6 Voir V 4 et surtout V 5. 1 2

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DE

FOL.

67v°

HELEMOSINIS CORPORALIBVS ET ACTIBVS

LOMBARDIE

Cum pauperes pectorales ultra uel circa Lugdunum siue ulterioris Burgundie oriundi descendunt ad uentrem Italie mendicantes ostiatim, se conformantes pauperibus lingue nostre, sic dicunt singillatim ad ostium: « Pro amore Dei (uel alicuius sancti), facite unam caritatem isti pauperi ». Non dicunt: « helemosinam », sicut Vltramontani, sed « caritatem ». Bene reperiunt helemosinas corporales, ut Lombardia uentralis sciat tantum pascere uentres non mentes. De uera autem caritate nulla fit mentio. Nam pauperes pectorales non querunt helemosinas uentris, sed caritatem Dei et proximi. Et ideo reuertentes carnaliter pasti, per gelidas et niueas Alpes contrarias feruide caritati, cum fuerint in cacumine montium, conuertentes facies suas ad uentrem Italie, sic ualefaciunt in ydiomate suo ut audio dici: « O Lombardia la fola, a qante puytan ie ai dit ‘Madona’, pour mon pan qerre », id est: « O fatua Lombardia, quot meretrices uocaui ‘dominas’, propter questum panis mei ». Et hiis dictis subleuatis uestibus posteriora nuda illis ostendunt. Nam Senonenses inter pectus et humeros descendentes ad uentrem, edificauerunt illas ciuitates uentrales, que nunquam sciuerunt construere pectorales nec humerales. Audiui semel Cremonenses Lombardos Cesari nuntiatos sine brachis incedere, qui in presentia eius, palliis subleuatis ad terga, brachas sericas ostenderunt. Sicut Cremona, ut audio, est circa medium Lombardie, sic Papia est umbilicus uentris Europe, circa branchiam piscis planitiei. Que Papia quinaria, cum a principio fidei mendicaret pastorem uentris sui, accepit in patrem et uirum beatissimum Syrum, quem ferunt nonnulli fuisse puerum deferentem post Christum « V panes ordeaceos et duos pisces », quibus ipsa Papia cum finitimis fuit ciuitatibus saturata. Nunc sibi in hac nouissima fame sunt reseruata fragmenta, additis cophinis duodenario numero benedicti conferendo pectus Papiensis Europe, ubi est cophinus cum pectore naturalis Europe, ubi quiescit duodenarius numerus. Sicut circa Rodanum Papiensem inuenitur ignobilior cophinus panis, ita circa Rodum Papiensem uini nobilior butigella. Ecce attinentia panis et uini. Cetere progenies Papienses undique concurrant ad spirituale conuiuium huius iudicii, usque ad canes et porcos inter quos sunt aliqui solo nomine christiani. Si malitia maris aliquantulum creuerit ultra murum ueterem Papie, tunc recte conueniunt in eodem loco mea progenies cum ista Prouincia; si uero decreuerit malitia maris aliquantulum intra murum et plus, tunc illa progenies transfertur superius, inter collum et humeros, ubi aliquanwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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de l’Europe aura en elle ou autour d’elle le témoignage de la Chaise-Dieu1 (c’està-dire la maison de Dieu du diocèse de Clermont). Voici la montagne de la clarté2 merveilleuse dominant les autres montagnes et placée sous le signe de la blancheur ou de la candeur3 du souverain pontife béni. LES

AUMÔNES MATÉRIELLES ET CE QUI SE PASSE EN

LOMBARDIE

Lorsque les pauvres de la poitrine habitant au-delà ou aux alentours de Lyon, ou bien originaires de la Bourgogne qui est au-delà, descendent vers le ventre de l’Italie en mendiant de porte en porte, ils adoptent la langue des pauvres de chez nous en disant à la porte: « Pour l’amour de Dieu (ou de tel saint), faites la charité à un pauvre ». Ils ne disent pas: « l’aumône », comme ceux qui habitent au-delà des Alpes, mais « la charité ». Ils obtiennent facilement des aumônes matérielles, si bien que la Lombardie du ventre sait nourrir seulement les corps et non les esprits. Mais il n’est aucunement question de la véritable charité. Car les pauvres de la poitrine ne recherchent pas les aumônes pour leur ventre, mais la charité faite à Dieu et au prochain. Et c’est pourquoi, une fois nourris charnellement, ils repartent à travers les Alpes glacées et neigeuses (à l’opposé de la charité brûlante), et lorsqu’ils se trouvent au sommet des montagnes, ils se retournent pour être en face du ventre de l’Italie et ils lui disent adieu dans leur dialecte par ces mots, à ce que j’ai entendu dire: « O Lombardia la fola, a qante puytan je ai dit ‘madona’, pour mon pan qerre »; c’est-à-dire: « O, folle Lombardie, à combien de putains j’ai dit ‘Madame’ pour mendier mon pain! ». Et cela dit, ils soulèvent leurs vêtements et exhibent leurs derrières nus. De fait, les habitants de Sens située entre la poitrine et les bras, en descendant dans le ventre, ont édifié ces villes du ventre qu’ils n’ont jamais su dans la poitrine ou les bras. J’ai entendu parler une fois de Lombards de Crémone dont on avait signalé à l’empereur qu’ils allaient sans braies et qui, en sa présence, ayant soulevé leurs manteaux jusqu’à hauteur du dos, exhibèrent leurs braies en soie. De même que Crémone, à ce qu’on me dit, se trouve vers le centre de la Lombardie, de même Pavie est l’ombilic du ventre de l’Europe, aux alentours des branchies du poisson de la plaine4. Et cette Pavie quinaire, comme elle implorait un pasteur pour son ventre depuis qu’elle avait embrassé la foi, reçut le bienheureux Syr comme père et comme époux; or certains rapportent qu’il était l’enfant qui apporta au Christ « 5 pains d’orge et deux poissons »5 qui permirent à Pavie ellemême ainsi qu’aux villes voisines d’être nourries à satiété. Aujourd’hui, alors que règne la dernière famine, des morceaux ont été mis de côté pour elle, des couffins6

1 La Chaise-Dieu: abbaye fondée au milieu du XIe siècle par Robert de Turlande. Dédiée à saint Vital et saint Agricola, elle était placée directement sous le pouvoir du pape. 2 Jeu de mots Claromontis / mons claritatis. 3 Nouvelle allusion à la Transfiguration: voir fol. 9v°. 4 Voir fol. 20 et 33v°. 5 Jn 6, 9. Pour l’ensemble du récit de la multiplication des pains, voir Mt 14, 13-21; Mc 6, 32-44; Lc 9, 10-17; et Jn 6, 1-13. Opicinus s’identifie à la fois à Syr, à l’enfant et au Christ. 6 Cophini panis = canistri.

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FOL.

67v°

do corruptibiles uermes pauperem Iob acrius comederunt. (Hucusque V idus octobris.) Cum enim mamille mee corrupte essent ad litteram, ego Papiensis Europa nomine Opicinus circa mamillam sinistram reperi medicum, qui super ponens emplastrum reliquit intactas; a dextris autem ueniens alius medicus ad dextram mamillam secuit ambas.

Collatio Prouincie cum quadam parte Papie Cum semel nauigarem per Rodanum cum mulieribus Lombardis, ascendendo a Bellicadro ad Auinionem, quidam nauta pauper, uel ignoranter uel propter inopiam uestium, ostendebat nobis uirilia sua, cuius rei misterium iam apparet in mari ultra Arelate. Quid plura? Nunquam uel fere nunquam uidi aliena uirilia adultorum nisi in domo propria Papiensi. Diffinitio iniquitatis et equitatis Quid est iniquitas? Iniquitas est diligere carnem et sanguinem sui et suorum plus quam carnem et sanguinem christianum. Hec est radicalis iniquitas in qua unusquisque concipitur, que in baptismo abicitur, que a prauis post baptismum resumitur. Homo carnalis non intelligit ista uerba nisi carnaliter, ut « uendat que possidet et det pauperibus »; in cuius intellectu sententie multi errauerunt ex indiscretione sua; cuius uerbi sententiam declarauimus alibi. Quid est equitas? Equitas est diligere carnem et sanguinem christianum plus quam carnem et sanguinem sui et suorum. Homo spiritualis intelligit ista spiritualiter, ut eorum que licite possidet abiciat affectum et retineat actum, conseruando seipsum et suos ad sancte christianitatis obsequium. Hec est uirtus equitatis et iustitie christiane. Additum anno perfectionis, X kalendas iunii. Audiui diebus istis quod dominus cum quo moror aliquid patitur in scapulis. Quid hoc significet uideatur. Additum IIII nonas iulii. XVIII

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ayant été apportés: il y en avait douze1 – le nombre du béni qui doit être attribué à la poitrine de l’Europe de Pavie, là où se trouvent le couffin ainsi que la poitrine de l’Europe naturelle, là où le nombre douze réside en paix. De même qu’aux alentours du Rhône de Pavie, on trouve un couffin de pain assez peu connu, de même aux environs de la Rhodes de Pavie2, on trouve une bouteille de vin assez connue3. Ainsi le pain et le vin sont voisins4. Les autres lignées de Pavie accourent de tous côtés pour le festin spirituel de ce jugement, y compris les chiens et les porcs parmi lesquels certains ne sont chrétiens que de nom. Si la malice de la mer s’étend quelque peu au-delà du vieux mur de Pavie, ma lignée ainsi que cette Provence se rejoignent exactement au même point; en revanche, si la malice de la mer se retire quelque peu à l’intérieur du mur et davantage, cette lignée passe alors en haut, entre le cou et les bras5, là où un jour les vers corruptibles ont assez vivement dévoré le pauvre Job. (Jusqu’ici, ce texte a été écrit le 5 des ides d’octobre [11 octobre 1337].) En effet, lorsque mes seins se trouvaient littéralement corrompus, moi l’Europe de Pavie dont le nom est Opicinus, j’ai trouvé un médecin du côté de mon sein gauche qui a posé un emplâtre dessus et les a laissé entiers; mais venant de la droite, un autre médecin, approchant de mon sein droit, a coupé les deux. Rapprochement entre la Provence et un coin de Pavie Un jour où je remontais le Rhône en bateau, entre Beaucaire et Avignon, en compagnie de femmes lombardes, un pauvre matelot, qu’il ait agi par ignorance ou parce qu’il manquait de vêtements, nous montra ses parties viriles; or le secret de cette réalité se voit déjà dans la mer au-delà d’Arles6. Que dire de plus? Je n’ai jamais, ou presque jamais, vu les parties viriles d’un autre homme si ce n’est chez moi, à Pavie. Définitions de l’iniquité et de l’équité Qu’est-ce que l’iniquité? L’iniquité consiste à aimer sa chair et son sang et ceux des siens plus que la chair et le sang chrétiens. Voilà l’iniquité fondamentale dans laquelle chacun est conçu; lors du baptême, cette iniquité est chassée, mais après le baptême, elle est à nouveau adoptée par les hommes dépravés. L’homme charnel ne comprend ces mots que de façon charnelle, si bien qu’il « vend ce qu’il possède et le donne aux pauvres »7: beaucoup ont interprété ces propos de manière erronée, par manque de discernement; or nous avons donné ailleurs notre opinion sur ces propos. Qu’est-ce que l’équité? L’équité consiste à aimer la chair et le sang chrétiens

Voir Jn 6, 13. Voir V 21, notes 2 et 9. 3 Allusion aux Butigella, famille de Pavie. 4 Allusion à l’eucharistie. 5 Voir la Grèce (Canistrum) de V 28, V 29 et V 30, entre le cou et le bras de la mer diabolique. 6 Voir la verge énorme représentée dans certains dessins au sud de la Provence: V 6, V 10, V 14 etc. 7 Voir la parabole du jeune homme riche: Mt 19, 21; Mc 10, 21; et Lc 18, 22. 1 2

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[fol. 68] DE

FOL.

VNIVERSALI

ECCLESIA

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ET IVDICIO PERSONALI

Sicut in humano corpore omnia membra obediunt capiti per cordis imperium, ita in corpore uniuersalis Ecclesie quilibet christianus membrum Ecclesie obedit sacerdoti, qui est caput ecclesie sub imperio Ihesu Christi habitantis in pectore. Adhuc in corpore humano solum membrum concupiscentie non obedit imperio cordis, capite exequente; ita in corpore Ecclesie singularitas personalis querens que sua sunt, non que Ihesu Christi habitantis in pectore, despicit cetera membra. Ecce Affrica que est uilius membrum Europe amputatum a corpore sic dicit ex propria uoluntate: « Ego sum maior et melior quam Europa ». Respondeatur eidem: « Tu es uulua asine aut asini uirga protensa; augmentato nomine gloriaris, cum amici tui carnales tibi applaudunt. Et sicut quanto sepius tangitur membrum concupiscentie, tanto rigidius erigitur et inflatur aduersus corpus domini sui, ita quanto adulationibus deliniris, tanto ex inani gloria extolleris aduersus corpus spiritualis Ecclesie ». Si Europa accesserit in Affricam (id est corpus obedierit membro concupiscentie), fornicatio perpetratur; si Affrica accesserit in Europam (id est membrum concupiscentie obedierit corpori), legitimum matrimonium copulatur; si uero utraque manserit in loco suo, uirginitas uel castitas commendatur. Ego uniuersaliter Papiensis, nutritus carnaliter in Europa, transiui a pectore eius ad pectus Affrice (id est a progenie domus mee ad parrochiam Sancte Marie Capelle), ad regimen eius. Si hoc egi nomine carnis et sanguinis mei, iam iudicatus sum fornicator et adulter. Si hoc egi nomine uniuersalis Ecclesie, reputatus sum legitime coniugatus, ut illa parrochia partis sinistre conuertatur in Iosaphath partis dextre, non loco nec habitu sed uirtute obedientie, quasi uxoris ad uirum, in testimonium castitatis perpetue, ad nutrimentum Christi (id est populi christiani), quasi Sancte Christine iuxta Iosaphath. Et sic erit electa cum ouibus; in primo autem statu, ego non rector sed adulter capelle cum edis filiis capre iam iudicatus sum. Ventorum perflatio in Prouincia Gallicana significat inflantem scientiam abhominabilis membri adherentis pectori huius Europe, quod membrum non est aliud nisi persona mea uniuersalis Papie concluse in particulari Papia. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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plus que sa chair et son sang et ceux des siens. L’homme spirituel comprend ces mots de façon spirituelle, si bien qu’il évite de s’attacher à ce qu’il détient de manière juste et il continue à agir, en maintenant lui-même et les siens dans l’allégeance à la sainte chrétienté. Voilà la valeur de l’équité et de la justice chrétiennes. Ajouté l’année de la perfection, le 10 des calendes de juin [23 mai 1338]. J’ai entendu dire ces jours-ci que le seigneur chez qui j’habite a mal aux épaules1. Il faut examiner ce que cela veut dire. Ajouté le 4 des nones de juillet [4 juillet 1338]. XVIII [fol. 68] L’ÉGLISE

UNIVERSELLE ET UNE OPINION PERSONNELLE

De même que, dans le corps humain, toutes les parties sont soumises à la tête en passant par l’autorité du cœur, de même, dans le corps de l’Église universelle, chaque membre chrétien de l’Église obéit au prêtre gouvernant une église sous l’autorité de Jésus-Christ qui demeure dans la poitrine. Toujours dans le corps humain, le membre de la concupiscence est le seul à ne pas obéir au pouvoir du cœur, et la tête suit; de même, dans le corps de l’Église, l’individualisme propre à chacun, en cherchant son intérêt et non l’intérêt de Jésus-Christ qui demeure dans la poitrine, tient en mépris les autres membres. C’est ainsi que l’Afrique, qui est la partie la plus indigne de l’Europe, coupée du corps, s’exprime ainsi de son propre chef: « Moi, je suis plus grande et plus intéressante que l’Europe ». Qu’on lui réponde: « Tu es une vulve d’ânesse ou une verge d’âne en érection; tu te vantes de l’accroissement de tes titres, parce que tes amis charnels t’acclament. Et de même que, plus le membre de la concupiscence est l’objet d’attouchements fréquents, plus son érection est rigide et plus il grossit contre le corps de son maître, de même, plus tu es séduite par les flatteries, plus la vaine gloire te dresse contre le corps de l’Église spirituelle ». Si l’Europe se retrouve en Afrique (c’est-à-dire si le corps obéit au membre de la concupiscence), la fornication est commise; si l’Afrique arrive en Europe (c’est-à-dire si le membre de la concupiscence obéit au corps), un mariage légitime les unit; mais si l’une et l’autre restent chez elles, la virginité ou la chasteté sont mises en valeur. Moi, l’homme de Pavie universel, nourri charnellement en Europe, je suis passé de sa poitrine à la poitrine de l’Afrique (c’est-à-dire de la lignée de ma famille à la paroisse Sainte-Marie-La-Chapelle)2, pour la gouverner. Si je l’ai fait au nom de ma chair et de mon sang, je suis déjà tenu pour fornicateur et adultère; si je l’ai fait au nom de l’Église universelle, je suis considéré comme marié de manière légitime, si bien que cette paroisse de la partie gauche devient Josaphat de la partie droite, non sur le plan de la géographie ou des comportements, mais par la vertu de l’obéissance, semblable à celle d’une femme envers son mari, en témoignage de la chasteté perpétuelle, afin de nourrir le Christ (c’est-à-dire le peuple chrétien), quasiment Sainte-Christine près de Josaphat3. Et ainsi elle sera élue avec

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Voir les nombreux dessins du Vaticanus où la tarasque mord l’épaule de l’Europe. Voir V 28, note 28; V 29, note 36; V 30, note 14. Voir V 28, note 17.

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Habitus Affrice naturaliter clausus est habitus muliebris; habitus autem Europe naturaliter scissus est habitus uirilis.

De testimonio personali Quid facit pectoralis Narbona ad pectus Papiensis Europe, reperi testimonium in hac Auinione. Cum enim secundo uenissem ad curiam pauper, reperi in quodam hospitio clericum Narbonensem uel diocesis fidelem, qui me adduxit ad notitiam cum quibusdam helemosinariis uenerabilium patrum cardinalium, in testimonium uniuersalis Papie misericordis future. Ecce Narbona (quasi Neruona) mirabiliter comprehendit neruos testiculorum Leuiathan ualde perplexos, cum Paulus, per Paulum excecatis oculis Barieu trabe ciprina, descendit ad eius testiculos amputandos. De testimonio personali Cum essem puer septennis uel circa, in scolis Bugelle Vercellensis diocesis, tam terribile tonitruum intonuit ut quasi mortuus in terram prosternerer. Tunc accurrens ad me quidam scolaris uel familiaris magistri quesiuit a me quid accidisset mihi. Tunc ego respondi cum stupore: « Fuit tonitruum tam grande! ». Et ille putauit iuxta nostrum uulgare de nomine « grande » me dicere fractam esse tibiam (id est gambam), intelligens « gamba » pro « grande ». Nunc intelligo ueritatis misterium, cum Roma tibie (id est tonitruum grande) sit fractio tibie propter fluuium Tiberim transuersalem. Quicquid enim factus est in Roma ueteri tibiali totum refertur ad presentem nouam curiam pectoralem, cuius pectus per Rodanum est contritum a profunditate Lugduni usque ad meridiem Arelate (id est a profundo lacrimabilis luctus usque ad aram latitudinis caritatis). Postquam territus fui ex illo tonitruo – quod audiui magnam lesionem fecisse animalis et arboris in partibus illis, sicut pluries accidit in partibus Lombardie – exinde durante pueritia usque adolescentiam, semper ab aspectu fulguris audituque tonitrui oculos et aures claudebam. Nunc per quot annos continuos perstiti in Prouincia pectoris, non fuit tanta tempestas fulgurum, tonitruorum et grandinum, quanta fit singulis annis uel fere quolibet anno in Lombardia uentris. Nec mirum cum in humano corpore omnis perturbatio pectoris descendat ad uentrem, in signum sanitatis Europe que omnia peccata publice confitatur. Non sic www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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les brebis; alors que dans le premier cas de figure, c’est moi, non en tant que curé mais en tant qu’adultère de la petite chèvre1, qui suis déjà mis au rang des boucs, les fils de la chèvre2. Les vents qui soufflent dans la Provence de Gaule représentent les connaissances qui enflent dans l’abominable membre accroché à la poitrine de cette Europe3; et ce membre ne représente rien d’autre que ma personne de l’universelle Pavie, enfermée dans l’individuelle Pavie. Le vêtement de l’Afrique, naturellement enveloppé, c’est le vêtement féminin; et le vêtement de l’Europe, naturellement dégagé, c’est le vêtement masculin. Témoignage personnel Ce que fait la Narbonne de la poitrine pour la poitrine de l’Europe de Pavie, j’en ai trouvé le témoignage dans cette Avignon. En effet, alors que je suis arrivé à la curie pour la seconde fois en étant dans la misère4, j’ai trouvé dans un logement un clerc de Narbonne ou un fidèle de ce diocèse qui m’a fait connaître certains donateurs5 parmi les respectables pères cardinaux, en témoignage de la compatissante universelle Pavie à venir. Ainsi Narbonne (pour ainsi dire Nervone) contient de manière merveilleuse les testicules6 très embrouillés7 de Léviathan8: en effet, [Serge] Paul9, lorsque Paul [Saul] aveugla les yeux de Bar-Jésus avec une poutre10 en cuivre, alla lui couper les testicules11. Témoignage personnel Lorsque j’étais enfant, âgé de sept ans ou environ, à l’école à Biella12 dans le diocèse de Verceil, le tonnerre se mit à gronder13 de manière si effrayante que je restai couché à terre, comme mort. Courant alors vers moi, un élève ou un serviteur du maître me demanda ce qui m’était arrivé. Et moi de répondre, frappé de stupeur: « Il y a eu un si grand coup de tonnerre! ». Et lui, en entendant le mot « grande » de notre dialecte, crut que je m’étais cassé le tibia (c’est-à-dire la jambe), car il avait compris « gambe » au lieu de « grande ». Aujourd’hui je com-

Jeu de mots Capelle/capelle. Voir Mt 25, 32-33. 3 Encore la verge énorme. Le trop-plein de connaissances est assimilé à l’érection. 4 Voir P 20: fin septembre 1329. 5 Voir fol. 59. 6 Jeu de mots Narbona/Nervona/nervos. Comme d’habitude, Opicinus exploite les événements de la vie quotidienne pour conforter son délire. 7 Voir Jb 40, 17 (à propos de Béhémoth). 8 Voir Jb 40, 25-32 et 41, 1 et ss. 9 Allusion à saint Paul de Narbonne (IIIe siècle) qu’une légende ultérieure a identifié avec le proconsul romain Serge Paul, mentionné dans les Actes des Apôtres (13, 4-12). 10 Voir Mt 7, 1-5. 11 Voir Dt 23, 2. 12 Voir P 20, année 1304. Jeu de mots sur Bugella. 13 Le grondement du tonnerre (ou l’orage) indique une intervention divine dans la Bible (voir en particulier l’Apocalypse). C’est le sens que lui donne ici Opicinus. 1 2

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Affrica Hismaelitarum, que iniquitates suas celat in sinu, cuius tamen sunt opera manifesta.

De testimonio personali Tempore quo fuerat rapta gallina aurea cum pullis atque reperta de mense iunii, uolens domino pape tradere primam tabulam ecclesiastice ierarchie, me putabam attingere quasi operis finem in patria. Et dominus papa per consanguineum suum Petrum de uia mihi respondit: « Nolle recipere ». Et hoc dixit instinctu Spiritus Sancti, ne opus de uia me faceret deuiare de patria. Actum IIII idus octobris, tunc dominica XVIIIª post Pentecostes.

De testimonio personali et locali Pectus Cartaginis magne Auinionis habet fideles Florentinos uenditoresque cartarum. Que autem sit cecitas floris et carte, interrogetur Papia, sicut audiui Nemausi. Additum idibus octobris. De uera pulchritudine Christi et matris nunc amissa Nonnulli carnaliter opinantur Christum et matrem eius habuisse per excellentiam pre omnibus speciem carnis, cuius auditu simplices exardescunt complacere ad inuicem per pulchritudinem carnis, uiri specie fortitudinis et femine specie decoris. Non enim Christi et matris eius pulchritudo fuit tanta quantam estimant, sicut nobis indicant eorum ymagines, scilicet Christi quam audiui et matris eius quam uidi, sed sola fides diligentium eos est uera pulchritudo. Vnde illud: specie tua et pulchritudine tua intelligitur de ista speculari Ecclesia. Similiter simplices audientes horribilem mortem Christi pre ceteris in persona et matris eius lamentationes terribiwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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prends le secret de la révélation: Rome de la jambe (c’est-à-dire le grand coup de tonnerre) correspond à la fracture de la jambe, puisque le fleuve Tibre la traverse. En effet, tout ce qui se passe dans la vieille Rome de la jambe est entièrement attribué à la nouvelle et actuelle curie de la poitrine, dont la poitrine est recouverte par le Rhône, entre la grande Lyon et Arles au sud (c’est-à-dire entre l’abîme du chagrin éploré et l’autel de la largesse de la charité). Après que j’aie été effrayé par cet orage – dont j’ai entendu dire qu’il avait causé de grands dommages au bétail et aux arbres dans cette région, comme cela est arrivé plusieurs fois dans cette contrée de Lombardie – à partir de là, pendant mon enfance et mon adolescence, j’ai toujours fermé les yeux et les oreilles à la vue de la foudre et en entendant le tonnerre. Maintenant que je réside dans la Provence de la poitrine depuis tant d’années, je n’ai jamais assisté à des orages accompagnés de foudre, de coups de tonnerre et de grêle, aussi violents que ceux qui ont lieu chaque année ou presque dans la Lombardie du ventre. Il n’est pas étonnant que, dans le corps humain, tout ce qui trouble la poitrine descende vers le ventre: cela traduit la bonne santé de l’Europe qui avoue tous ses péchés en public. Ce n’est pas le cas pour l’Afrique des Ismaélites1, qui cache ses méfaits dans son sein, alors que ses œuvres sont patentes. Témoignage personnel À l’époque où la poule en or fut enlevée avec ses poussins2, puis retrouvée au mois de juin, voulant remettre au seigneur pape un premier tableau de la hiérarchie ecclésiastique, je pensais que j’étais sur le point de finir mes travaux sur la patrie. Et le seigneur pape me répondit, par l’intermédiaire de son parent Pierre, au sujet du chemin: « Ne le prends pas ». Or il a dit ces mots en étant poussé par l’Esprit Saint, pour éviter que l’œuvre relative au chemin ne me fasse m’écarter3 de la patrie. Fait le 4 des ides d’octobre, qui correspond au 18e dimanche après la Pentecôte [dimanche 12 octobre 1337]. Témoignage concernant les personnes et les lieux La poitrine de la Carthage de la grande Avignon possède de fidèles Florentins et vendeurs de parchemin. Mais demandons à Pavie en quoi consiste la cécité relative à la fleur et au parchemin, comme je l’ai entendu dire à Nîmes. Ajouté le jour des ides d’octobre [15 octobre 1337]. La véritable beauté, aujourd’hui perdue, du Christ et de sa mère, Quelques-uns nourrissent l’opinion charnelle selon laquelle le Christ et sa mère avaient une apparence charnelle supérieure à toutes les autres; en les écoutant, les

C’est-à-dire des Musulmans (descendants d’Ismaël). Image de Jérusalem: voir Mt 23, 37 et Lc 13, 34. Dans les textes liturgiques du 18e dimanche après la Pentecôte, le psaume 121, utilisé au chant d’entrée et au graduel, était un de ceux que les juifs chantaient en montant vers Jérusalem. Ici Opicinus s’identifie à Jérusalem. 3 Jeu de mots de uia/deuiare. 1 2

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les super unigenitum, magis accenduntur ad affectionem carnis et sanguinis domus sue, ut ex hoc exemplo plus compatiantur carnalibus membris suis, cum tamen uehementia doloris Christi et matris referretur a longe ad modernum dolorem christianitatis extincte, cuius nullum apparet uestigium super terram. Hec loquimur inter perfectos. Additum anno perfectionis, II kalendas maii.

[fol. 68v°] DESSIN V 12

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gens simples espèrent ardemment se plaire les uns aux autres grâce à leur beauté charnelle, les hommes en montrant leur force, les femmes en montrant leurs parures. De fait, le Christ et sa mère n’ont pas été aussi beaux que ces gens le croient: c’est ce que nous montrent leurs images, à savoir celle du Christ dont j’ai entendu parler et celle de sa mère que j’ai vue1; et c’est seulement la foi de ceux qui les aiment qui est la beauté authentique. Concluons: ton apparence et ta beauté sont celles de cette Église du miroir. De la même manière, les gens simples qui entendent dire que la mort du Christ fut plus affreuse pour lui que pour les autres, et que les lamentations de sa mère sur son Fils unique furent effrayantes, sont plus disposés à s’attacher à la chair et au sang de leur famille, si bien qu’à partir de ce modèle, ils s’apitoient davantage sur leurs membres charnels. Pourtant les souffrances intenses du Christ et de sa mère ont été transposées depuis longtemps sur les souffrances actuelles de la chrétienté anéantie, dont aucune trace ne se voit sur la terre. Nous parlons entre parfaits. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des calendes de mai [30 avril 1338].

[fol. 68v°] DESSIN V 122 Dessin complexe comprenant deux cartes opposées. En haut, une tiare et un panier surplombent une Europe et une Afrique masculines et tonsurées (dont les portraits identiques se retrouvent agrandis et complets dans V 13), en partie dissimulées sous la mer diabolique: les noms de lieux en brun correspondent à la carte du haut, les noms de lieux en rouge à la carte du bas; et Opicinus tire parti de cette superposition. L’Europe du haut est qualifiée de « pasteur légitime de l’Église »; il s’agit d’Opicinus qui revendique la priorité sur l’Afrique, où un moine ambitieux incarne « la personne au singulier / individualiste ». L’Arménie et Babylone, correspondant respectivement aux vertus et aux vices, occupent un espace géographique significatif. Une énorme verge est située en Méditerranée au sud de la Provence En bas, l’Europe et l’Afrique, toutes deux féminines, sont représentées avec un changement d’échelle. L’Europe (ou «Église spirituelle »), vue quasiment de face, est nue et bottée: à la botte italienne classique, s’ajoute la botte grecque sous le talon duquel est figuré Canistrum. L’Afrique (ou «Église superficielle »), vue de profil, est habillée. Chacune porte sur la poitrine un diagramme avec neuf circonférences concentriques représentant les orbes planétaires, accompagnés des mois pour l’Europe et des signes du zodiaque pour l’Afrique. La poitrine de l’Europe (région d’Avignon) échappe à la corruption, alors que la poitrine de l’Afrique est corrompue. Les considérations sur l’immobilité ou la mobilité du firmament (et la course naturelle et paisible, ou au contraire rapide et désordonnée des planètes qui en dépend) ont pour objectif de montrer que l’Europe spirituelle (Opicinus) correspond au firmament stable qui permet la naissance de l’homme nouveau (encore Opicinus); les vertus, la tranquillité intérieure et la vérité y sont associées. À l’opposé, l’Afrique superficielle (Benoît XII) correspond au firmament instable qui engendre l’homme ancien; les vices, l’agitation intérieure et le mensonge en sont les corollaires.

Voir P 20: vision du 15 août 1334. Ce dessin est partiellement traduit et analysé par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 279-280. 1 2

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1 – Affrica (id est singularis persona) est uilius membrum concupiscentie hominis, quod per ambitionem infixum in isto uasculo ligneo fornicatur, etiam si nunquam obtineat. 2 – prima dissensio in celo de monarchia 3 – Lignum arche Noe in quo omnis ambitio fornicatur. Ecce uasculum Canistrale. Carbonculus in cacumine est lucerna super candelabrum. Ego autem abscondam sub isto modio lumen. 4 – Cum uocarer ad prelationem Ecclesie, uolebat domus mea me fieri archipresbiterum, quasi immittere in archiuo presbiterum, quod non esset aliud nisi ignobile membrum quod ego sum fornicari contra naturam in ligno quercus uel roboris, relicta uxore legitima. Quercula aliena dicitur « rouoscala ». 5 – VII littere utriusque Armenie sunt arma uirtutum1. Armenia interpretatur montis auulsio, id est omnis superbie destructio. 6 – ARMENIA2 7 – MAIOR 8 – MINOR 9 – legitimus pastor Ecclesie 10 – Tharsis interpretatur dissipatio speculare, quasi persecutio Syon (id est specularis Ecclesie), quod figuratum fuit in Saulo Tharsensi. Ecce quod presentis curie pectus contritum separat Cyprum a Tharsis, quasi conterens naues Tharsis. Peruersio Armenie in Affricam Agarenam, repulsa Sicilia, consumatur in clero secundum misticum sensum. 11 – Ambitio clericalis ascendit. 12 – ANTHIOCHIA 13 – THARSIS 14 – Parisius 15 – Auinio; CIPRVM 16 – Papia 17 – Roma 18 – ALEXANDRIA 19 – Sapere non est aliud nisi saporem spiritus scire. Et sapere ultra mensuram non est aliud nisi carnem et litteram scire. Nam facti amentes de nimia scientia littere significant ueros stultos in spiritualibus. 20 – CONSTANTINOPOLIS 21 – CANISTRVM 22 – Terra corrupta ueteris hominis; Luna, Mercurius, Venus, Sol, Mars, Iupiter, Saturnus; Aries, Taurus, Gemini, Cancer, Leo, Virgo, Libra, Scorpio, Sagittarius, Capricornus, Aquarius, Pisces.

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Les lettres de cette phrase sont plus grandes que le reste du texte. Les grandes lettres du mot ARMENIA sont disposées le long d’une diagonale.

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1 – L’Afrique (c’est-à-dire la personne au singulier / individualiste) représente le membre plutôt indigne de la concupiscence de l’homme; enfoncé à cause de son désir dans ce petit vase en bois, il fornique, même s’il ne parvient jamais à ses fins. 2 – la première querelle dans le ciel au sujet de la royauté1 3 – Le bois de l’arche de Noé, dans lequel le désir tout entier fornique. Voici le petit vase des Canistris2. L’escarboucle qui se trouve au sommet, c’est la lampe sur le candélabre. Et moi, je cacherai la lumière sous ce boisseau3. 4 – Quand je fus appelé à devenir un dignitaire de l’Église, ma famille voulait que je devienne archiprêtre, c’est-à-dire que je sois envoyé comme prêtre dans les archives4 / la magistrature, autrement dit que le membre infâme que je suis fornique contre nature dans le bois du chêne ou du rouvre, après avoir délaissé ma femme légitime. Ailleurs, un petit chêne étranger se dit « roboscale ». 5 – Les sept lettres de chacune des deux Arménie sont les armes des vertus. Arménie veut dire le détachement de la montagne, c’est-à-dire l’anéantissement de tout orgueil. 6 – L’ARMÉNIE5 7 – LA GRANDE 8 – LA PETITE 9 – le pasteur légitime de l’Eglise 10 – Tarse veut dire la destruction visible, comme la persécution de Sion (c’est-àdire de l’Église du miroir) que Saul de Tarse a préfigurée6. C’est ainsi que la poitrine broyée de l’actuelle curie sépare Chypre de Tarse7, comme si elle broyait les navires de Tarse8. La transformation de l’Arménie en Afrique d’Agar, la Sicile étant repoussée, s’accomplit dans le clergé, selon le sens mystique/secret. 11 – L’ambition du clergé monte. 12 – ANTIOCHE 13 – TARSE 14 – Paris 15 – Avignon; CHYPRE 16 – Pavie 17 – Rome

1 C’est-à-dire le combat entre la papauté de Benoît XII et Opicinus de Canistris. Voir aussi V 34. 2 Cette expression désigne à la fois la tiare située à gauche et le panier (Canistris) situé à gauche; Opicinus lie son nom à la papauté. 3 Voir Mt 5, 15; Mc 4, 21; et Lc 11, 13. 4 Jeu de mots archipresbiterum/archivo. 5 Les lettres d’ARMENIA sont situées entre la tiare pontificale et la région d’Avignon. C’est en Arménie qu’est censée se trouver l’arche de Noé. 6 Allusion à saint Paul qui persécutait les chrétiens avant Damas sous le nom de Saul. 7 Sur la carte, la région entre Chypre et Tarse correspond à la région d’Avignon submergée par le front de la mer diabolique. 8 Pour Tarsis.

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Firmamentum uelociter currit; occidens firmamenti; oriens firmamenti. Secundum Aristotelem cuius est communis opinio, semper est Sol medius planetarum, quem inferior Venus semper precedit, siue ut Lucifer iuxta cursum firmamenti (quem Luciferum quiescente firmamento habet Europa in se), siue ut Hesperus aliquando iuxta cursum planetarum (quem Hesperum firmamento currente habet Affrica in se). Europa uidet Luciferum in meridie; Affrica habet Hesperum nondum ortum, orto iam Sole. Europa est spiritualis Ecclesia que per fidem intelligit quasi meridie ueritatem; et Affrica est corticalis Ecclesia que excecata in litteris nullam intelligit ueritatem. Littera nigra scripta de atramento significat atram caliginem cecitatis, quasi umbram et calamum ubi dormit Leuiathan. Terra incorrupta hominis noui; Luna, Mercurius, Venus, Sol, Mars, Iupiter, Saturnus; ianuarius, februarius, martius, aprilis, maius, iunius, iulius, augustus, september, october, nouember, december. Firmamentum quiescit; oriens planetarum; occidens planetarum. PORTA; Rauenna Velocitas firmamenti conuersi in formidinem celi facit uiolentiam cursui planetarum, ut etiam aliqui aliquando uelocius currunt quam firmamentum, sicut nauis descendit uelocius quam cursus fluminis. Ecce error planetarum. Quiescente firmamento, planete suauiter et plane faciunt cursum naturalem ab occasu in ortum: ecce ordo planetarum. Primum de errore: uiolentia firmamenti contra planetas facit hominem ueterem quasi uiolenter concipi et nasci ad concursum omnis malitie. Ex opposito quies firmamenti sine uiolentia planetarum facit hominem nouum quasi naturaliter concipi et nasci ad connexionem omnium uirtutum. Primus cum dolore, secundus cum gaudio. Primus de tali et tali progenie, secundus dicitur christianus filius matris Ecclesie semper uirginis. Speculariter ad exemplum. Velocitas firmamenti uiolat cursus planetarum, id est uelox rotatio cogitationum uirtutes conuertit in uitia. Quies firmamenti non molestat planetas, id est quiescentibus cogitationibus roborantur uirtutes. Ecce stabilitas cordis humani de quo oritur ueritas, sicut de uolubilitate cordis humani mendacium generatur. Europa corpore mouetur et ambulat et corde quiescit; Affrica uero corpore quiescit et sedet et mente uagatur.

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18 – ALEXANDRIE 19 – Être sage n’est pas autre chose que connaître la saveur de l’esprit; et avoir une sagesse démesurée n’est pas autre chose que connaître la chair et la lettre. Car ceux qui délirent parce qu’ils connaissent trop la lettre indiquent ceux qui sont vraiment fous dans le domaine spirituel. 20 – CONSTANTINOPLE 21 – CANISTRUM1 22 – La Terre corruptible de l’homme ancien; la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne; Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau, Poissons. Le firmament court rapidement; l’ouest du firmament; l’est du firmament. 23 – D’après Aristote, dont l’opinion est courante, le Soleil se trouve toujours au milieu des planètes2 et Vénus, située plus bas, le précède toujours, que ce soit sous la forme de Lucifer qui suit la course du firmament (et qui se trouve en Europe, lorsque le firmament est immobile), ou sous la forme d’Hespérus qui suit parfois la course des planètes (et qui se trouve en Afrique, lorsque le firmament court)3. L’Europe voit Lucifer au sud; en Afrique, Hespérus n’est pas encore levé lorsque le Soleil se lève. L’Europe est l’Église spirituelle qui comprend la vérité grâce à la foi comme s’il était midi; et l’Afrique est l’Église superficielle qui, aveuglée par sa culture, ne comprend aucune vérité. La lettre noire écrite à l’encre4 indique le nuage sombre de la cécité, tels l’obscurité et les roseaux où dort Léviathan5. 24 – La Terre incorruptible de l’homme nouveau; la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne; janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre. Le firmament est immobile6; l’est des planètes; l’ouest des planètes. 25 – LA PORTE7; Ravenne 26 – La rapidité du firmament devenue terreur céleste cause l’emportement de la course des planètes, si bien que parfois certaines courent plus vite que le firmament lui-même, comme un bateau qui descend plus vite que le courant du fleuve. Tel est l’égarement des planètes. 27 – Quand le firmament est immobile, les planètes accomplissent leur course naturelle, paisiblement et de bout en bout, du couchant au levant: tel est le bon

1 Il s’agit du cap Kanastreo, en Chalcidique, au bout de la première péninsule occidentale (à 120 km au sud-est de Salonique). On y fêtait saint Nicolas de Kanistron, patron de la Grèce et des marins. Canistrum symbolise l’homme ancien d’Opicinus. 2 Voir MACROBE, Commentaire au Songe de Scipion, où la cosmologie est assez sommaire. Voir aussi V 13 et V 14. Mais ce qui intéresse Opicinus, c’est le Soleil auquel il s’identifie (héliocentrisme). 3 Vénus est visible tantôt dès le coucher du Soleil, tantôt avant son lever 4 Note 31. 5 Voir Jb 40, 21. 6 La stabilité est caractéristique de l’empyrée (voir fol. 74); elle correspond à l’incorruptibilité propre à la perfection. Au contraire, l’instabilité (voir note 22) traduit l’imperfection par ses mouvements et changements. 7 C’est-à-dire l’entrée du ventre de la Lombardie (Venise).

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28 – Fabula prouerbialis muliebris: Christus infans fugiens a facie Herodis maledixit capillate que ipsum recipere noluit, et benedixit uberate que sub uberibus ipsum abscondit precibus matris sue. 29 – Actum inter IIII et III idus octobris. 30 – Mutauimus Achaiam in florenum anno perfectionis, die decollationis sancti Iohannis Baptiste, cuius ymago ibi ostenditur, si conuertatur florenus in aliud latus. Additum anno perfectionis, III idus decembris, de nomine porta, cui si tollatur r (quod est Ferraria), erit Veneta pota cuius potu multi potantur. Construere edificia in sanguine menstruato Venetiis non est aliud nisi me conuertere bona Ecclesie in carnem et sanguinem domus mee. 31 – littera tortuosa 32 – BABILON1 33 – MAIOR (CALDEE) 34 – MINOR (EGYPTI) 35 – † IHERUSALEM 36 – VII littere utriusque Babilonis sunt confusio uitiorum2. Babilon interpretatur confusio, id est indiscretio uitiorum contra uirtutes.

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Les grandes lettres du mot BABILON sont disposées le long d’une diagonale. Les lettres de cette phrase sont plus grandes que le reste du texte.

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ordre des planètes. Parlons d’abord de l’égarement: l’emportement du firmament contre les planètes permet la conception et la naissance de l’homme ancien, pour ainsi dire par la violence, pour concentrer toute la malice. Inversement, l’immobilité du firmament, sans contrainte imposée aux planètes, permet la conception et la naissance de l’homme nouveau, pour ainsi dire naturellement, pour réunir toutes les vertus. Le premier arrive dans les souffrances; le second, dans la joie. Le premier appartient à telle et telle lignée; le second est dit chrétien, fils de sa mère l’Église, toujours vierge. L’exemple est clair. La rapidité du firmament perturbe la course des planètes; autrement dit le tourbillon rapide des pensées transforme les vertus en vices. L’immobilité du firmament ne trouble pas les planètes; autrement dit, les vertus sont fortifiées par des pensées fermes. Ainsi c’est de l’équilibre du cœur humain que la vérité est issue, tout comme c’est de l’agitation du cœur humain que sort le mensonge. L’Europe bouge et se déplace physiquement, et reste calme dans son cœur; alors que l’Afrique a le corps immobile et assis, et que son esprit divague. – Un conte de bonne femme ayant valeur de proverbe: lorsque le Christ nouveau-né fuyait Hérode, il a maudit la femme aux longs cheveux qui ne voulait pas l’accueillir, et il a béni la femme féconde qui l’a caché sous sa poitrine, à la demande de sa mère. – Fait entre le 4 et le 3 des ides d’octobre [entre le 12 et le 13 octobre 1337]. – Nous avons remplacé l’Achaïe par un florin l’année de la perfection, le jour de la décollation de saint Jean-Baptiste [29 août 1338]; si l’on retourne le florin, l’image de ce saint apparaît. Ajouté l’année de la perfection, le 3 des ides de décembre [11 décembre 1338], en ce qui concerne le nom de « porta ». Si on enlève le r (c’est-à-dire Ferrare1) à ce mot, on obtient la Venise ivre2; or beaucoup s’enivrent avec cette boisson. Construire des bâtiments sur le sang des menstrues à Venise n’est rien d’autre que transformer les biens de l’Église en chair et en sang de ma famille. – la lettre tortueuse3 – BABYLONE – LA GRANDE (DE CHALDÉE) – LA PETITE (D’ÉGYPTE) – † JÉRUSALEM – Les sept lettres de chacune des deux Babylone expriment le désordre des péchés. Babylone veut dire la confusion, c’est-à-dire le manque de discernement entre les vices et les vertus.

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Ferrare est à environ 70 kms au sud de Venise. Jeu de mots porta/pota. C’est-à-dire le serpent.

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[fol. 69] DESSIN V 13

1 – Actum III idus octobris, nocte sequenti et die sequenti. Si fuerit hec Europa minoris mundi qui dicitur Lombardia, tunc inter Papiam lumbarem et Vercellas humerales uel tergales, in circulo pectorali erit castrum nomine P(p)alestrum; quod significet iudicetur. Si uero fuerit hec Europa maioris mundi, tunc in circulo pectoris ab humeris usque ad uentrem est Gallia, que interpretatur rota uel rotatio; in cuius pectore est intelligentia galli et in uisceribus sapientia hominis. 2 – Additum anno coronationis, XVII kalendas aprilis, feria Vª secunde ebdomadarie XLe, de nonis, idibus et kalendis mensium. Si mensis habeat IIII nonas tantum, tunc IIII none inchoantur Venetiis iuxta Foroiulii regionem et procedunt per Venetiam et Emiliam regiones usque ad flumen Adue; tunc Adua quasi Idua incipit numerare idus usque in Prouinciam; sed circa Rodanum incipitur numerus kalendarum procedens diminutiue usque ad os Hispanie. Si uero mensis habeat VI nonas, tunc none procedunt a Venetiis usque Papiam. None sunt nundine; idus sunt separationes nundinarum; kalende sunt uoces oris Hispanie usque ad curiam Romanam Prouincialem. 3 – Ianua pectoris Affricani de mundo minori habet in se intellectum immersum in terra ad exquirendam prudentiam terre, sicut ex opposito pectus Europe maioris mundi habet in se dona Spiritus Sancti circa incorruptibilem terram, que per fidem Verbi eterni est humanitas Christi non sine diuinitate. 4 – Macrobius, « De sompnio Scipionis »: « Quid hic, inquam, quis est qui complet aures meas tantus et tam dulcis sonus? Hic est, inquit, ille qui interuallis disiunctus imparibus, sed tamen pro rata partium distinctus, impulsu et motu ipsorum orbium efficitur et acuta cum grauibus temperans uarios equawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 69] DESSIN V 131 La carte est présentée à l’envers, au-dessous de notes écrites. Elle est surplombée par deux diagrammes cosmographiques présentant les orbes décrits par les planètes selon que le Soleil est au milieu d’elles (diagramme de gauche, correspondant à l’Europe) ou qu’il se trouve juste au-dessus de la Lune (diagramme de droite, correspondant à l’Afrique). L’Europe et l’Afrique sont les mêmes personnages masculins que dans V 12. L’Europe représente Opicinus (« le plus âgé »); elle porte dans la poitrine un diagramme présentant au centre « la Terre incorruptible », où figurent les planètes, les dons de l’Esprit Saint et les mois; sa bouche émet des paroles qui correspondent aux calendes, nones et ides du calendrier romain. L’Afrique correspond au « plus jeune »; elle porte dans la poitrine un diagramme présentant au centre « la Terre corruptible », qui contient les planètes et les signes du zodiaque; chaque planète est reliée à une partie du corps significative. Les considérations cosmologiques présentées, adoptant différents points de vue, permettent surtout à Opicinus de s’affirmer comme le Soleil, c’est-à-dire le Seigneur, et à déconsidérer l’Afrique corrompue symbolisant Benoît XII.

1 – Fait le 3 des ides d’octobre [13 octobre 1337], ainsi que la nuit et le jour suivants. Si cette Europe appartient au petit monde qu’on appelle Lombardie, on trouvera alors, entre la Pavie des organes génitaux et la Verceil des épaules ou du dos2, dans le cercle de la poitrine, un château du nom de P(p)alestre3; et on doit apprécier ce que cela signifie. Mais si cette Europe appartient au grand monde, on trouve alors dans le cercle de la poitrine, entre les épaules et le ventre, la Gaule4, elle qui exprime la roue ou la rotation5; on trouve dans sa poitrine l’intelligence du coq, et dans ses entrailles la sagesse de l’homme6. 2 – Ajouté l’année du couronnement, le 17 des calendes d’avril, la 5e férie de la deuxième semaine de Carême [jeudi 16 mars 1340], au sujet des nones, des ides et des calendes des mois7. Si le mois comprend seulement quatre jours avant les nones8, dans ces conditions, les quatre nones se mettent en route à Venise, à côté de la région du Frioul, et s’avancent à travers les régions de la Vénétie et de l’Émilie jusqu’au fleuve Adda; c’est alors que l’Adda (pour ainsi dire Idua9)

1 Ce dessin est partiellement traduit et analysé par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 280-283. 2 Voir V 34: Verceil n’est pas indiquée, mais sa projection correspond en effet aux épaules ou au dos de l’Europe. Le cercle comprenant Pavie et Verceil se trouve alors sur V 13, mais sans indication des lieux. 3 En grec, la palestre (hJ palaßstra) désigne le lieu où on s’exerce à la lutte: ici, à Avignon, entre Benoît XII et Opicinus. On note aussi les allitérations Palestine/palais. 4 Ce cercle est le même que le précédent. 5 Voir les diverses acceptions possibles de rota et rotatio chez Opicinus: la roue (de l’écureuil, de la Fortune…), la Rote, ce qui tourne (les pensées…). 6 Voir la note 5. Opicinus parle de lui. 7 Voir la note 12 pour tout ce paragraphe. 8 C’est le cas pour janvier, février, avril, juin, août, septembre, novembre et décembre. 9 Jeu de mots Adua/Idua/idus.

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biliter concentus efficit ». 5 – Iob XXXVIII°: « Quis posuit in uisceribus hominis sapientiam, uel quis dedit gallo intelligentiam? Quis enarrauit celorum rationem et concentum celi quis dormire faciet? ». 6 – ecce orologium uel horologium pectorale 7 – Luna, Mercurius, Hesperus Venus, Sol, Mars, Iupiter, Saturnus. Hoc decet Europam; secundum opinionem communem. 8 – Luna, Sol, Mercurius, Venus Lucifer, Mars, Iupiter, Saturnus. Hoc competit Affrice; secundum opinionem Platonis. 9 – Cogitationes iunioris in pectore sunt quasi musice lire rotationes sonantes in auribus; quod instrumentum magis conuenit cecis quam uidentibus. Quales sunt notule pectoris, talia sunt organa uocis et operis. 10 – Cogitationes senioris in pectore non mouentur, in quo omnes uirtutes maturescunt et confortantur. Amodo adulatoria uerba non introeunt in aures summi pastoris Ecclesie, cuius sunt quasi aures asini ad liram. Manente stabili firmamento celi, annus fit una dies naturalis continua; tunc Sol occidit ab oriente martii et oritur in occidente septembris, ut feruida estas per noctem continuam temperetur; et procedente Sole a septembri occidentali ad martium orientalem, yems gelida per diem continuam similiter temperetur. Ista spiritualiter exponantur, alioquin quiescemus in fabulis. Omnis planeta uelocius reuertens ad ortum quam Sol est inferior Sole, et qui tardius Sole est superior illo; qui autem aliter fecerit erroneus iudicatur. Et ideo, existente Sole naturaliter medio planetarum, Hesperus uespertinus uelocior Sole est naturaliter Solis precursor ad orientem, et Lucifer matutinus tardior Sole est erronee Solis successor. 11 – Quicumque firmiter crediderit Christum resurrexisse a mortuis, iam habet Christum in humanitate et diuinitate sedentem in pectore suo, sicut habet uniuersalis Ecclesia. Ad Romanos X capitulo: « Finis enim legis Christus, ad iustitiam omni credenti ». Vsque « saluus eris ». 12 – kalende, II, III, IIII, V, VI, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIIII, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX; idus, II, III, IIII, V, VI, VII, VIII; none, II, III, IIII, V, VI; idus, II, III, IIII, V, VI, VII, VIII; none, II, III, IIII. 13 – Terra INCORRVPTA; INTELLECTUS, SAPIENTIA, CONSILIUM, PIETAS, FORTITUDO, SCIENTIA, TIMOR; Luna, Sol, Mercurius, Venus, Mars, Iupiter, Saturnus; ianuarius, februarius, martius, aprilis, maius, iunius, iulius, augustus, september, october, nouember, december. Firmamentum quiescit; oriens planetarum; occidens planetarum. 14 – CORRVPTA Terra; INTELLECTUS; Luna, Sol, Mercurius, Venus, Mars, Iupiter, Saturnus; Aries, Taurus, Gemini, Cancer, Leo, Virgo, Libra, www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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commence à compter les ides jusqu’en Provence; mais aux environs du Rhône, commence le compte les calendes, qui va en diminuant jusqu’à la bouche de l’Espagne. En revanche, si le mois comprend six jours avant les nones1, les nones s’étendent alors entre Venise et Pavie. Les nones, ce sont les marchés; les ides délimitent les marchés2; les calendes, ce sont les voix qui sortent de la bouche de l’Espagne3 et qui vont jusqu’à la curie romaine de Provence. Dans la Gênes de la poitrine africaine appartenant au petit monde, l’intelligence se trouve enfouie dans la terre4, afin de découvrir la sagesse du monde; et inversement, dans la poitrine de l’Europe du grand monde, les dons de l’Esprit Saint se trouvent aux alentours de la Terre incorruptible5, eux qui, grâce à la foi dans le Verbe éternel, représentent l’humanité du Christ non dépourvue de sa divinité. Macrobe, « Commentaire sur le songe de Scipion »: « Qu’entends-je, dis-je, quels sont ces bruits puissants et doux qui remplissent mes oreilles? Vous entendez, me répondit-il, l’harmonie qui, formée d’intervalles inégaux, mais calculés selon de justes proportions, résulte de l’impulsion et du mouvement des sphères elles-mêmes et qui, combinant habilement les aigus et les graves, produit des accords variés avec régularité »6. Job 38: « Qui a mis la sagesse dans le cœur de l’homme et qui a donné l’intelligence au coq? Qui est assez expert pour compter les nuages et qui fera taire le concert des cieux? »7. Voici les cercles cosmiques / l’horloge de la poitrine La Lune, Mercure, Hespérus Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Ce qui correspond à l’Europe; d’après l’opinion courante8. La Lune, le Soleil, Mercure, Vénus Lucifer, Mars, Jupiter, Saturne. Ce qui s’applique à l’Afrique; d’après l’opinion de Platon9. Les pensées que le plus jeune10 a dans sa poitrine11 sont comme la musique d’une lyre dont les vibrations tournent dans les oreilles; cet instrument

C’est le cas pour mars, mai, juillet et octobre. Les « nones » et les « ides « sont situées en Émilie et Vénétie avec lesquelles Opicinus fait des jeux de mots. 3 Le mot « calendes » se trouve sur la bouche de l’Espagne. 4 Voir note 14. 5 Voir note 13. 6 MACROBE, Commentaire au Songe de Scipion, livre II, chapitre II. Allusion à la musique des sphères. 7 Jb 38, 36-37. 8 Le Soleil est au milieu des planètes: c’est l’opinion d’Aristote exprimée dans V 12, note 23. Vénus est qualifiée d’Hespérus. Comme Opicinus se prend pour le Soleil, cette opinion lui convient et correspond à l’Europe. 9 Vénus Lucifer précède le Soleil: c’est l’opinion de Platon. Opicinus est détrôné: cette opinion correspond à l’Afrique. 10 Il s’agit de l’Afrique représentée sous la note par un jeune clerc tonsuré (Opicinus avant 1334 ou Benoît XII, c’est-à-dire l’homme ancien qui est instable); voir V 12, note 27. 11 Note 14. 1 2

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Scorpio, Sagittarius, Capricornus, Aquarius, Pisces. Firmamentum uelociter currit; oriens firmamenti; occidens firmamenti. Secundum Platonem et Ciceronem quos imitatur Macrobius super « sompnio Scipionis », quorum opinio rationabilior mihi uidetur, semper est Sol immediate supra Lunam, quem Solem Venus superior mediante Mercurio semper associat. Qui Hesperus errabundus per cursum planetarum precedit Solem ad ortum, et Lucifer naturalis secundum circuitum firmamenti precedit Solem ad occasum. Nam Hesperus apparens in uespere festinare uidetur ad orientem firmamenti, et Lucifer apparens mane tardius currit ad orientem firmamenti. Nunc in pectore Affrice uelocitas firmamenti facit errare planetas, et in pectore Europe quies firmamenti finit planetas facere cursum suum. Omnibus compensatis reuersus sum ad communem opinionem de Sole medio planetarum. Pacificat enim Saturnum supremum cum infima Luna, mediante die dominica, feriam secundam cum sabbato. Qui Sol superior Venere habet eam naturaliter Hesperum promptiorem respicientem retrorsum ad ortum, et erroneum Luciferum tardiorem et respicientem occasum. Et ideo naturalis Europa non a Lucifero errabundo sed ab Hespero naturali Hesperia nominatur. Opinio Platonis mihi uidetur erronea de Sole immediate supra Lunam, quam prius imitari uidebar. Quia si ita esset, tunc Venus media planetarum uideretur expulisse de medio Solem, quasi seruus dominum suum; cui esset Lucifer tardior naturalis et Hesperus contra naturam uelocior errabundus ex indiscreta uirtute. Foroiulii Venetia Emilia

– – – – RATIO – clauis scientie

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convient mieux aux aveugles qu’aux voyants. Telles sont les petites notes du cœur, tels sont les instruments du discours et de l’action. – Les pensées que le plus âgé1 a dans sa poitrine2 ne sont pas agitées, car en lui toutes les vertus mûrissent et se renforcent. Dorénavant les mots flatteurs n’entrent plus dans les oreilles du pasteur souverain de l’Église3, pas plus que n’entre dans les oreilles d’un âne la musique d’une lyre. Lorsque le firmament du ciel demeure stable, l’année devient un seul jour sans fin de manière naturelle; dans ce cas, le Soleil se couche à l’est en mars et se lève à l’ouest en septembre, si bien que l’été torride est régularisé par la nuit sans fin; et lorsque le Soleil avance de septembre à l’ouest à mars à l’est, l’hiver glacial est lui aussi régularisé par le jour sans fin. Ces propos doivent être expliqués sur le plan spirituel, sinon nous en resterions à des contes de bonnes femmes. Toute planète4 qui revient à son lever plus vite que le Soleil est plus basse que le Soleil, et celle qui revient plus lentement est plus haute que lui; et celle qui agit autrement est considérée comme étant dans l’errance. C’est pourquoi, puisque le Soleil se trouve de manière naturelle au milieu des planètes, Hespérus du soir, qui va plus vite que le Soleil, devance de manière naturelle le Soleil à l’est, et Lucifer du matin, qui va plus lentement que le Soleil, suit le Soleil en étant dans l’errance. – Celui qui croit fermement que le Christ est ressuscité d’entre les morts a déjà le Christ qui demeure dans sa poitrine, dans son humanité et dans sa divinité; il en est de même pour l’Église universelle. Epître aux Romains (chapitre 10): « Car la fin de la loi, c’est le Christ, pour la justification de tout homme qui croit », jusqu’à « tu seras sauvé »5. – calendes, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19; ides, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8; nones, 2, 3, 4, 5, 6; ides, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, nones, 2, 3, 4. – La Terre INCORRUPTIBLE; INTELLIGENCE6, SAGESSE, CONSEIL, PIÉTÉ, FORCE, CONNAISSANCE, CRAINTE7; la Lune, le Soleil8, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne; janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre. Le firmament est immobile; l’est des planètes; l’ouest des planètes. – La Terre CORRUPTIBLE; L’INTELLIGENCE; la Lune, le Soleil, Mercure, Vénus,

1 Il s’agit de l’Europe représentée sous la note (Opicinus depuis sa transformation spirituelle, c’est-à-dire l’homme nouveau qui a remplacé l’homme ancien et qui est stable). 2 Note 13 (région d’Avignon). 3 Voir V 12, note 9. 4 Le mot latin planeta est issu du mot grec correspondant (planhJth") qui signifie: « errant ». Ce qui conditionne en partie les commentaires d’Opicinus dans cette note et plus loin. 5 Rm 10, 4-9. 6 « Le titre d’intelligence du monde a été donné au Soleil par Cicéron » (MACROBE, Commentaire au Songe de Scipion, livre I, chap. XX). Les notes 13 et 14 sont à rapprocher de V 12, notes 24 et 22. 7 Il s’agit des sept dons de l’Esprit Saint. 8 Le Soleil n’est pas placé au milieu des planètes, mais juste au-dessus de la Lune, ce qui correspond à l’opinion de Platon, Cicéron et Macrobe (voir note 15).

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Mars, Jupiter, Saturne1; Bélier, Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne, Verseau, Poissons. Le firmament court rapidement; l’est du firmament; l’ouest du firmament. – Pour Platon et Cicéron, dont Macrobe s’inspire dans le « Commentaire sur le songe de Scipion »2 et dont l’opinion me semble plus judicieuse, le Soleil se trouve toujours juste au-dessus de la Lune, et Vénus, située plus haut, est toujours solidaire du Soleil, avec Mercure interposé3. Quant à Hespérus, qui vagabonde au milieu de la course des planètes, il précède le Soleil à son lever, tandis que Lucifer, qui suit par nature la course des planètes, précède le Soleil à son coucher. Car Hespérus, apparaissant le soir, semble se dépêcher vers l’est du firmament, et Lucifer, qui se montre le matin, court plus lentement vers l’est du firmament. Aujourd’hui, dans la poitrine de l’Afrique, la rapidité du firmament cause l’errance des planètes, et, dans la poitrine de l’Europe, l’immobilité du firmament permet aux planètes de faire leur course jusqu’au bout. – Tout compte fait, j’en reviens à l’opinion courante qui met le Soleil au milieu des planètes. En effet, il établit la paix entre Saturne, qui est le plus haut, et la Lune, qui est la plus basse, et, le jour du Seigneur [dimanche] s’interposant, entre la deuxième férie [lundi] et le samedi4. Et le Soleil, qui est plus élevé que Vénus, la voit qui regarde logiquement Hespérus, plus rapide, en arrière vers son lever, et Lucifer dans l’errance, plus lent, vers son coucher. Et c’est pourquoi l’Europe naturelle est appelée Hespérie5, nom qui ne vient pas de Lucifer dans l’errance, mais d’Hespérus au naturel. – L’opinion de Platon, dont m’a vu précédemment m’autoriser, selon laquelle le Soleil se trouverait juste au-dessus de la Lune, me paraît entachée d’erreur. Car s’il en était ainsi, on verrait alors Vénus, au milieu des planètes, chasser le Soleil du milieu, comme un esclave son maître6; Lucifer serait par nature plus lent que lui, et Hespérus, paradoxalement plus rapide, vagabonderait, du fait de son absence de discernement. – le Frioul – la Vénétie – l’Émilie – LA RAISON – la clef de la connaissance7

1 De chaque planète part une ligne droite; sont ainsi reliés la Lune et le cerveau médian (la raison), le Soleil et le centre de la poitrine (l’intelligence), Mercure et le doigt de l’Afrique (le toucher), Vénus et l’œil (la vue), Mars et le nez (l’odorat), Jupiter et la bouche (le goût), Saturne et l’oreille (l’ouïe). 2 Voir MACROBE, Commentaire au Songe de Scipion, livre I, chapitre XIX. Voir aussi livre I, chap. XIV à XX et livre II. 3 Voir notes 13 et 14. 4 Nouvelle spatialisation du temps. Le Soleil est assimilé au dimanche, « jour du Seigneur »; Opicinus est présent dans les deux. 5 Hespérie: nom donné à l’Italie par les Grecs et à l’Espagne par les Romains. 6 Voir V 14, note 20. 7 C’est-à-dire le Tau (voir fol. 31v°). Voir Lc 11, 52.

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[fol. 69v°] DESSIN V 14

1 – Seruilis Ecclesia circa materialia preparanda, que dicitur Agar. 2 – Spiritualis Ecclesia sine materialibus tota formosa, quam uniuersitas sacerdotalis portat in humeris, quasi ouem erroneam, ad spirituales delicias non locis sed moribus. 3 – In uno uerbo consistit iudicium inter Christum et Antichristum. Quicumque dixerit uel cogitauerit: « Illa persona que fecit hoc opus est sancta pre ceteris », iam suscitat Antichristum ante quem nemo fuit nec erit post ipsum. Si uero dixerit: « Sancta uniuersalis Ecclesia fecit hoc opus », tunc glorificat Christum. Qui enim respicit ad personam facit de misero calamo unum deum uel adorat prepucium asini. Nam iuxta uulgare Papie presbiter Opicinus dicitur « pre Vpicin » (quasi prepucium) uel presbiter Opizo « pre Opiço ». Si hee inferiores ymagines sint minoris mundi, tunc Terra sancta et Egyptus sunt in principio Tuscie, ubi nomina hominum propria auferunt sibi sillabas capitales, ut Philippus dicitur « lippus » et consimilia, ad exemplum decapitandi gloriam personalem; et hoc optime faciunt. 4 – Europa ascendens ab algore tergali ad calorem tergalem Gallicos imitatur ad ignem. Et per oppositum Affrica ascendens a calore tergali ad frigus tergale et ponens meridiem ante faciem suam quasi ignem imitatur Lombardos. Europa uero superior, quasi Maria Magdalene, aperit pectus suum ad septentrionem. 5 – uniuersitas sacerdotalis 6 – Auinio specularis, quasi Maria 7 – ab Armenia armus 8 – archa Noe 9 – ARMENIA1 1

Les grandes lettres du mot ARMENIA sont disposées le long d’une diagonale.

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[fol. 69v°] DESSIN V 141 Il s’agit d’un dessin très élaboré. Au centre, le Christ nimbé, qualifié de « communauté sacerdotale » et dont on ne voit que la tête et le bas des jambes, porte une Europe féminine sur son épaule: il s’agit de « l’Église spirituelle », face à laquelle l’Afrique, elle aussi féminine (et voilée), représente « l’Église servile ». En bas, une carte renversée comporte une Europe et une Afrique masculines (toujours les mêmes têtes que dans V 12 et V 13, mais l’Europe n’est pas tonsurée et l’Afrique est voilée); l’Europe porte des armes (épée, ceinturon), tandis que la tarasque lui mord l’épaule; le ver tunisien serpente au nord de l’Afrique. Le diable méditerranéen, dominé par la figure christique, sépare l’Europe et l’Afrique du bas, s’étendant jusqu’aux bords de la Terre sainte: il est muni de ses attributs classiques et porte de longues oreilles. Opicinus l’assimile à « la statue de Vénus » dressée par Hélie Adrien, autant dire Benoît XII. Manipulant la géographie, l’astronomie et les étymologies, Opicinus montre sa supériorité divine sur la malice diabolique.

1 – L’Église servile, occupée à des tâches matérielles, et qu’on appelle Agar. 2 – L’Église spirituelle, toute belle car immatérielle, que la communauté sacerdotale2 porte sur ses épaules, telle une brebis égarée3, pour l’amener vers les voluptés spirituelles, non en termes de géographie mais de morale. 3 – Il suffit d’une parole pour faire la différence entre le Christ et l’Antichrist. Celui qui dit ou pense: « La personne qui a composé cette oeuvre est plus sainte que les autres », fait déjà lever l’Antichrist, qui n’a eu personne avant lui et n’aura personne après lui. Mais s’il dit: « La sainte Église universelle a composé cette œuvre », il rend alors gloire au Christ. En effet, celui qui considère la personne fait un dieu d’un piètre roseau ou adore le prépuce d’un âne. Car dans le dialecte de Pavie, le prêtre Opicinus se dit « pre Upicin » (autant dire « prépuce »), ou bien le prêtre Opizo « pre Opiço ». Si ces images du bas appartiennent au petit monde, la Terre sainte et l’Égypte se trouvent alors à l’entrée de la Toscane4, région où l’on enlève la première syllabe aux prénoms des hommes (ainsi Philippe se dit « lippe »), entre autres choses, afin de montrer qu’il faut décapiter la gloire personnelle; et ils font cela parfaitement. 4 – L’Europe, qui va de la froidure du dos à la chaleur du dos, fait comme les Gaulois qui cherchent le feu. Et inversement, l’Afrique, qui va de la chaleur du dos à la froidure du dos, et qui met le sud devant elle comme s’il s’agissait d’un feu, fait comme les Lombards. En revanche, l’Europe d’en haut, telle Marie-Madeleine5, découvre sa poitrine vers le nord.

1 Ce dessin est partiellement traduit et analysé par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 283-284. 2 Note 5. 3 Voir Mt 18, 12-14 et Lc 15, 3-7. 4 Voir V 34. 5 Note 6.

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10 – statua Veneris, id est Luciferi 11 – Hanc statuam Veneris plantauit Helius Adrianus, in obprobrium dominice crucis Veneris sancti qui dicitur Parasceue. 12 – Ecce Christophorus (quasi Christi maternus uel mater) et Christina (quasi Christi soror) et Iacobus Zebedei (quasi alius Christi frater). Et hii sunt in eadem die secundum usum Papiensem. Christophorus est rector, quasi portitor parrochie, Christina est christianitas tota, et Iacobus prelatus Ecclesie uniuersalis. 13 – Sancta uniuersalis Auinio tota confessionalis habet in superficie lutum et stercora. Vniuersalis autem Papia sicut et Ianua habet immunditias occultas sub cocleis et latrinis; ita tamen quod Papia habet immunditias subtus et supra occultas et publicas, et Ianua tota mundata in superficie cum scopis habet subtus omnem immunditiam. Vulgare prouerbium dicitur in Papia: « Adhuc clerici occultabunt coronas suas que dicuntur clericate de stercore bouis ». Per caput intelligitur pectus mentis; et per stercus bouis (quasi serpentem Tunicii uel Cartaginis) intelligitur tunica carnis et sanguinis proprii generis uel carta corruptibilis littere que me nuncusque cecauit. Ecce a Constantinopoli in latere pectoris statue intelligibilis usque ad Aquas Mortuas in simili latere pectoris Europe, mortificatio crucis nomine sancti Luce. Nam olim Constantinopolim translati fuerunt Lucas et crux tempore Constantini. 14 – Oriente uero Sole in pectore gentium conuersarum (quasi in medio planetarum), uenter inferior habuit olim Lunam non multum longe a Venere, que dicitur portus Veneris, mediante Mercurio mercatorum Italie. Ecce ratio planetarum: primum de Venere falsa, proiecta de medio Terre que dicitur Terra Sancta (quasi de medio planetarum, dampnata opinione Platonis); deinde de Venere uera, monstrata in uentre qui dicitur Lombardia (inferior pectore, ut sit Venus inferior Sole). Sol enim est dies, quasi Dia que est ciuitas pectoralis; pectus est quasi medium fidelis Europe. Ecce Sol medius planetarum, approbata opinione communi. Spiritualis expositio horum sapientibus relinquatur. 15 – Actum II idus octobris, die sancti Calixti pape et martiris. Ecce saxum alligatum collo sancti Calixti, me tunc ignorante uacationem Cataniensem quam in crastino sciui. « Qui habet aures audiendi audiat ». 16 – penitentia gentium (id est laicorum) 17 – Auenica laboriosa ut Martha 18 – proiectio Veneris Hesperi, a quo Hesperia 19 – lingue iudeorum (id est carnalium clericorum) 20 – Secundum opinionem Platonis de Sole immediate supra Lunam et occupante Venere medium planetarum loco Solis, multi errauerunt spiritualiter, preferentes personam propriam Ihesu Christo (id est www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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5 – la communauté sacerdotale 6 – l’Avignon visible, c’est-à-dire Marie 7 – l’épaule vient d’Arménie1 8 – l’arche de Noé2 9 – L’ARMÉNIE3 10 – la statue de Vénus, c’est-à-dire de Lucifer 11 – Hélie Adrien4 a dressé cette statue de Vénus pour déshonorer la croix du Seigneur du Vendredi saint appelé Parascève [veille du sabbat]. 12 – Voici Christophe (c’est-à-dire celui qui a été une mère pour le Christ)5, Christine (c’est-à-dire la sœur du Christ)6 et Jacques, fils de Zébédée (c’està-dire un autre frère du Christ)7. Ils sont fêtés le même jour, d’après la coutume de Pavie. Christophe est le curé (c’est-à-dire le porteur) de la paroisse, Christine, la communauté religieuse chrétienne tout entière, et l’apôtre Jacques, le prélat de l’Église universelle. 13 – La sainte et universelle Avignon, qui reconnaît toutes ses fautes, est couverte de boue et d’excréments en surface. Et l’universelle Pavie tout comme Gênes cachent leurs ordures sous des trappes et des lieux d’aisances; sachant cependant qu’à Pavie, les ordures sont à la fois dessous et dessus, cachées et étalées, tandis qu’à Gênes, qui est entièrement nettoyée en surface par des balais, toutes les ordures se trouvent en dessous. D’après un dicton courant à Pavie, « les clercs cacheront encore leurs tonsures qu’on appelle cléricales, issues de la fiente de bœuf ». La tête représente la poitrine de la pensée8; et la fiente de bœuf (c’est-à-dire le serpent de Tunis ou de Carthage) représente la tunique de chair et de sang de la lignée personnelle, ou bien les écrits / la carte de la lettre corruptible qui m’ont aveuglé jusqu’à aujourd’hui. C’est ainsi que la destruction de la croix au nom de saint Luc9 se fait entre Constantinople, sur le bord de la poitrine de la statue visible, et AiguesMortes, sur le même bord de la poitrine de l’Europe. Car c’est à Constantinople que furent autrefois, à l’époque de Constantin, transférées les reliques de Luc10 et de la croix. 14 – Or, le Soleil se levant dans la poitrine des païens convertis (c’est-à-dire au milieu des planètes), il y a eu autrefois dans le ventre du bas une Lune assez proche de Vénus et qu’on appelle le port de Vénus11, avec l’entremise du

Jeu de mots armus/Armenia. Elle correspond à la Sicile de la carte du haut, mais jouxte l’Arménie de la carte du bas. 3 Présentée comme sur V 12. 4 C’est-à-dire l’empereur Hadrien (117-138). 5 Saint Christophe, fêté le 25 juillet. D’après la légende, il aurait porté le Christ enfant. 6 Fêtée le 24 juillet. 7 Fêté le 25 juillet. 8 Sur le dessin, la tête du Christ correspond en partie à la poitrine d’Avignon. 9 Or Luc a pour attribut le bœuf. 10 Les reliques de saint Luc furent transférées à Constantinople en 357. 11 C’est-à-dire Luna. Opicinus spatialise la position des planètes sur la carte de l’Europe, et reprend la discussion sur celle qui se trouve au milieu: le Soleil ou la Lune? 1 2

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populo christiano), quasi preponentes Venerem Soli. Et sicut Adrianus in loco crucis dominice (quasi Solis) statuit Venerem in medio Terre (quasi in medio planetarum), retinente sibi nomen Helii (id est Solis), ita nonnulli occupant Terram sanctam (id est fructus et redditus ecclesiarum) nomine personali. Existente Venere in Iherusalem, non multum longe ab Iherico (id est a Luna), Venus et Luna expellunt inde Heliopolim que interpretatur Solis ciuitas in Egyptum (id est sanctum populum Dei sub pedibus pharaonis).

[fol. 70] DE

CVLTV ECCLESIASTICO MVTATO IN YDOLATRIAM

Presens Aaron, absente Moyse (id est persona serui seruorum Dei), abscondita dignitate papali, compellitur uitulum aureum fabricare. Non enim Aaron sed populus inde peccat.

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Mercure des marchands d’Italie. Voici l’ordre des planètes: en premier la fausse Vénus, expulsée du milieu du monde qu’on nomme Terre sainte (pour ainsi dire du milieu des planètes, en désavouant l’opinion de Platon); ensuite la vraie Vénus, apparue dans le ventre qu’on nomme Lombardie (celle-ci est plus basse que la poitrine, si bien que Vénus est plus basse que le Soleil1). En effet, le Soleil est le jour, pour ainsi dire Die, ville de la poitrine; la poitrine est donc pour ainsi dire le centre de l’Europe fidèle. Voici le Soleil au milieu des planètes, en adhérant à l’opinion courante. L’explication spirituelle de tout cela doit être laissée aux sages. – Fait le 2 des ides d’octobre [14 octobre 1337], le jour [de la fête] de saint Calixte, pape et martyr2. Voici la pierre attachée au cou de saint Calixte, alors que j’ignorais la dispense accordée à Catane et que je l’ai apprise le lendemain. « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ». – la pénitence des nations (c’est-à-dire des laïcs)3 – Avenica, laborieuse comme Marthe4 – Vénus Hespérus étend [son nom] à l’Hespérie5 – les façons de parler des juifs (c’est-à-dire des clercs charnels) – En adoptant l’opinion de Platon selon laquelle le Soleil se trouve juste au-dessus de la Lune et Vénus est placée au milieu des planètes à la place du Soleil, beaucoup de gens se sont fourvoyés sur le plan spirituel, en préférant leur propre personne à Jésus-Christ (c’est-à-dire au peuple chrétien), comme s’ils mettaient Vénus avant le Soleil. Et de même qu’Adrien a mis la statue de Vénus à la place de la croix du Seigneur (c’est-à-dire du Soleil), au milieu des terres (c’est-à-dire au milieu des planètes), en gardant pour lui le nom d’Hélie (c’est-à-dire du Soleil)6, de même certains prennent possession de la Terre sainte (c’est-à-dire des produits et des revenus de l’Église) en leur nom propre. Si Vénus se trouve à Jérusalem, non loin de Jéricho (c’est-à-dire de Luna), Vénus et Luna en chassent Héliopolis, qui veut dire la ville du Soleil en Égypte (c’est-à-dire le saint peuple de Dieu sous la domination du pharaon).

[fol. 70] LE

CULTE DE L’ÉGLISE TRANSFORMÉ EN IDOLÂTRIE

L’actuel Aaron, en l’absence de Moïse (c’est-à-dire de la personne du serviteur des serviteurs de Dieu), la fonction pontificale étant dissimulée, est poussé à fabriquer un veau d’or7. En effet, ce n’est pas Aaron, mais le peuple qui, à partir de là, pèche.

Démonstration astronomique à partir de constatations géographiques. Calixte Ier, pape de 217 à 222. Il aurait été martyrisé et aurait péri noyé dans un puits: voir la Légende dorée, t. 2, pp. 279-280. 3 Phrase située sur la carte dans la région où l’on pensait à l’époque que se trouvait le purgatoire. 4 Complément de la note 6. 5 Voir V 13, note 16. 6 Le Soleil se dit ¿ h{lio" en grec. D’où Hélie Adrien = le faux Soleil = Benoît XII. Donc le Soleil = Jésus-Christ = le peuple chrétien = Opicinus; et Vénus = la personne = Hélie (Adrien) = Benoît XII. 7 Voir Ex 32. 1 2

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De dispositione spirituali ex corporali Vbi est pes Calabrie, ibi est cor Sicilie; id est ubi est affectio mea, ibi est et cor meum. Non enim est maior uicinitas duarum metropolum, sicut arbitror, quam Regii ad Messanam (id est extremitatis policis ad cor maris). Deinde in profunditate pectoris huius Europe, ut audio, est uicinitas duarum metropolum Vienne et Lugduni. DE

STVDIO PERSEVERANTIE

Si Papia uentralis cucurrerit per stadium linee orientalis usque ad montes Armenie, ibi reperiet coronam corruptibilem. Si uero cucurrerit per stadium linee occidentalis usque Lugdunum, ibi reperiet coronam incorruptibilem que post pectoris uerum luctum recuperabit carbonculum caritatis. DE

IVDICIO PERSONALI ET

ECCLESIA

CORTICALI

Caput diabolici maris habet potentias suas destructas, que a corde maris solebant ascendere usque ad uerticem Terre sancte. Memoria enim sua ab Alexandria Egypti usque ad Ascalonam et Iherusalem obtenebratur; ingenium suum a Tharso usque ad Antiochiam et Damascum Syrie hebetatur; et ratio cerebri sui a Sydone et Tiro usque ad Iherusalem lapide conquassatur. Malitia igitur hominis similis mari nulla est substantia sed accidentalis corruptio bone substantie. Quicquid enim lauatur in mari corrumpitur, scabies autem humana inde siccatur. Natura corrupta est Affrica, in cuius pectore corruptio habitat. Potest enim Affrica illi resistere quamdiu dominatur in pectore, sed ea nolente resistere, nascitur et crescit humana malitia, cuius potestati terribili nemo potest resistere cum minis, blanditiis, corruptibilibus armis sacramentalibusque sententiis; sed sola humilitas, patientia et tollerantia christianitatis sine resistentia destruit illam malitiam, que nullam potestatem deinde habebit super Europam. Que est bona substantia sine corruptione intrinseca; patitur tamen ad tempus miserias uentris ad necessaria exigenda, ut eius discordia mitigetur, ne amplius suscitet malitiam contra pectus in quo habitat Dominus. Omnis enim Lex consumatur in ipso. Nunquam saluabitur Affrica nisi fiat Europa, non locis sed moribus. Nam quamdiu persistit in iudicio personali, focina uel roncina pectoris sui fabricat uasa ire preparata ad interitum. Reuolutio enim cogitationum suarum occipitis sui memoriam excitat et frontis ingenium acuit, contempto iudicio rationis. Mendacia igitur sua decipiunt eam ex indiscretione loquendi, non ore sed corde. Nescit enim quod sit ira Agni, fortitudo mulieris et robur aque, licet loquendo uideatur intelligere ista. Nemo potest uere intelligere ista, nisi in se habeat ista; alioquin littera quolibet modo spiritualiter exposita excecat legentem. Sola conscientia cum lima rationalis iudicii, www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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La géographie spirituelle qui découle de celle du corps Là où se trouve le pied de la Calabre, là aussi se trouve le cœur de la Sicile; traduisons: là où se trouvent mes sentiments, là aussi se trouve mon cœur. En effet, il n’y a pas, à mon avis, de métropoles plus proches l’une de l’autre que Reggio et Messine (c’est-à-dire l’extrémité du pouce et le cœur de la mer). Par ailleurs, dans l’étendue qu’occupe la poitrine de cette Europe, se trouvent, à ce que j’ai entendu dire, deux métropoles proches l’une de l’autre, Vienne et Lyon. CULTIVER

LA PERSÉVÉRANCE

Si la Pavie du ventre fait la course du stade en direction de l’est, jusqu’aux montagnes d’Arménie, elle y trouvera la couronne corruptible1. Mais si elle fait la course du stade en direction de l’ouest, jusqu’à Lyon, elle y trouvera la couronne incorruptible qui, après le véritable deuil de la poitrine, reprendra l’escarboucle de la charité2. UNE

OPINION PERSONNELLE ET L’ÉGLISE SUPERFICIELLE

Les virtualités de la tête de la mer diabolique sont anéanties, alors qu’elles avaient coutume de monter entre le cœur de la mer et le sommet de la Terre sainte. En effet, sa mémoire, entre Alexandrie d’Egypte, d’une part, Ascalon et Jérusalem, d’autre part, est obscurcie; son intelligence, entre Tarse, d’une part, Antioche et Damas en Syrie, d’autre part, est émoussée; et la raison de son cerveau médian, entre Sidon et Tyr, d’une part, et Jérusalem, d’autre part, est démolie par une pierre3. Par conséquent, la malice humaine personnifiée par la mer n’est aucunement substance, mais corruption accidentelle d’une bonne substance. En effet, tout ce qui est trempé dans la mer est corrompu, et c’est ainsi que les désirs de l’homme s’épuisent. L’espèce corrompue, c’est l’Afrique, car la corruption siège dans sa poitrine4. En effet, l’Afrique peut lui résister aussi longtemps qu’elle fait la loi dans la poitrine, mais, lorsqu’elle refuse de résister, la malice humaine s’éveille et grandit, et personne ne peut résister à son pouvoir effrayant qui s’accompagne de menaces, de flatteries, d’armes corruptibles et de sentences relatives aux sacrements5; seules l’humilité, la patience et l’endurance de la chrétienté qui n’oppose pas de résistance, anéantissent cette malice qui n’aura plus par la suite aucun pouvoir sur l’Europe. C’est celle-ci la bonne substance dépourvue de corruption interne; néanmoins, elle souffre momentanément des malheurs du ventre afin d’obtenir ce qui est indispensable, à savoir que ses divisions s’apaisent et ne fassent pas lever une malice plus importante contre la poitrine où demeure le Seigneur. En effet, toute la Loi est accomplie en

C’est-à-dire l’arche de Noé. Voir V 12, note 3 et V 25 note 3. 3 Voir V 10, notes 5 et 35. Mais ici les différentes parties du cerveau et leurs caractéristiques sont transférées sur la tête de la mer diabolique en Terre sainte. 4 Voir les cercles correspondant aux notes 22 de V 12 et 14 de V 13. 5 Allusion aux ennemis d’Opicinus, notamment lors de son procès. 1 2

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duce Spiritu ueritatis, intelligit sacra misteria Scripturarum, quam nulla uariabilis opinio potest auellere ab intelligibili fide. Qui autem non habet intelligibilem fidem de qualibet auctoritate Scripture scropulo commouetur. Verbi gratia. Ira Agni uidetur habere contradictionem in se et tamen nulla est contradictio. Dicit Affrica: « Ira Agni est terribile iudicium mansuetudinis Christi ». Opus autem Affrice contrarium uerbis istis ostendat eam non intelligere id quod dicit. Sedens enim in cathedra Moysi (id est canonice uel ecclesiastice legis), conculcat populum Dei sub pedibus pharaonis. Imponit in humero Europe minorem Britaniam, que tamen digito suo non uult mouere ponderosam Siciliam. Sedet enim in monte Athlantis; id est querit requiem in uirtute peccati usque ad septimum Clementinum, et sic sedet in montibus VII. Que miserabilis corticalis Ecclesia, ad se attrahens summum pontificem, iam alligat collo suo anchoram Clementinam, quasi maiorem Britaniam collo Wasconie. Nulla fiat mentio de Anglia nec Wasconia, sed tantummodo fiat iudicium inter tantum pastorem Ecclesie uniuersalis et corticalem Ecclesiam, nequam ancillam que adhuc conatur inflectere Petrum apostolum ad abnegationem discipulatus sui a Christo. Ecce quanta iniquitas Affricana. Impia enim diues secedit ad austrum incendii, que tamen in torrida plaga se munit et farcit multiplici et superflua tunica (a Tunicio deriuata). Et pauper Europa calciata tantum tegit pallio terga sua contra gelidum aquilonem, et pectus et uentrem denudat ad Solem.

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Lui1. Et l’Afrique ne sera jamais sauvée si elle ne devient pas l’Europe, non en termes de géographie mais de morale. Car tant qu’elle s’obstine dans son jugement personnel, la varlope ou le rabot de sa poitrine fabriquent des vases de colère prêts à détruire2. En effet, le tournoiement des pensées excite la mémoire de son cerveau postérieur et stimule l’intelligence de son cerveau antérieur, alors que le jugement de sa raison n’est pas pris en considération. Par conséquent, ses mensonges la prennent au piège, du fait qu’elle manque de discernement dans ses paroles, non dans la bouche mais dans le cœur. En effet, elle ignore ce que seraient la colère de l’Agneau3, la force de la femme et l’énergie de l’eau, même si ses paroles laissent penser qu’elle les comprend. Personne ne peut réellement les comprendre s’il ne les a pas en lui; sinon la lettre expliquée sur le plan spirituel, quelle que soit la manière utilisée, aveugle celui qui la lit. Seule la conscience affinée par le jugement de la raison, sous la conduite de l’Esprit de vérité, comprend les mystères sacrés des Écritures, et aucune pensée inconstante ne peut la détacher de la foi intelligible. Or celui qui n’a pas la foi intelligible éprouve de l’inquiétude à propos de chaque texte faisant autorité de l’Écriture. Par la grâce du Verbe. La colère de l’Agneau semble comporter une antinomie interne, et pourtant il n’y a aucune antinomie. L’Afrique dit: « La colère de l’Agneau, c’est le jugement terrible rendu par la douceur du Christ ». Mais les œuvres de l’Afrique, qui sont en contradiction avec ces paroles, doivent montrer qu’elle ne comprend pas ce qu’elle dit. En effet, siégeant sur la chaire de Moïse (c’est-à-dire de la loi canonique ou ecclésiastique), elle écrase le peuple de Dieu sous la domination du pharaon4. Elle plante la petite Bretagne sur l’épaule de l’Europe, elle qui pourtant ne veut pas bouger la Sicile pesante avec son doigt. Car elle siège sur la montagne de l’Atlas5; autrement dit, elle cherche à s’en remettre au pouvoir du péché, y compris le septième, celui de Clément6, et ainsi elle siège sur 7 montagnes. Et cette misérable Église superficielle, en attirant à elle le souverain pontife, lui attache déjà au cou l’ancre de Clément7, c’est-à-dire qu’elle attache la GrandeBretagne au cou de la Gascogne. On ne doit faire aucune allusion à l’Angleterre ni à la Gascogne, mais on doit seulement faire la différence entre le pasteur si remarquable8 de l’Église universelle et l’Église superficielle, la servante dévoyée qui essaie encore de pousser l’apôtre Pierre à renier sa condition de disciple du Christ9. Voici quelle est la grande iniquité de l’Afrique. En effet, cette impie qui est riche se retire vers le sud brûlant, et pourtant elle met et revêt une tunique

Voir Mc 24, 44 etc. Voir Rm 9, 22. 3 Voir Ap 6, 16. 4 Voir V 14, fin de la note 20. 5 Voir V 11, note 13. 6 Le septième des péchés capitaux est la luxure, souvent attribuée par ses détracteurs à Benoît XII (qui serait appelé ici « Clément », parce que pape d’Avignon). 7 Clément Ier, pape (88-97) et peut-être martyr: il aurait été jeté dans la mer avec une ancre au cou. 8 Voir V 12, note 9 et V 13, note 10. 9 Voir Mt 26, 69-71; Mc 14, 66-69; Lc 22, 56-58; et Jn 18, 17. 1 2

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DE

FOL.

70-70v°

NATVRALI DOCTRINA

Quicquid dicat homo ad me, debeo intelligere non illum sed Christum loquentem ad me per huiusmodi instrumentum. Christus enim tota die loquitur ad me per quamlibet creaturam uisibilem, ut etiam animalia bruta non uerbo sed actu me doceant; docet etiam me omnis dispositio corporalis sub celo. Quomodo ergo potero excusari a tanto iudice ueniente? Corruptibilis littera me inducit ad uisibiles creaturas; uisibiles creature me docent scire populum christianum, qui est specularis Ecclesia; specularis Ecclesia me facit intelligere patriam sempiternam. Qui fuerit uere fidelis in minimo testimonio corruptibilis littere merebitur maiorem credentiam de scientia creature uisibilis, quod est magnum testimonium rei, medium tamen. Et qui fuerit fidelis in hoc magno testimonio creature, [fol. 70v°] magis credetur sibi maius testimonium inuisibilis rei per uisibilem Ecclesiam specularem, que est maius testimonium immediatum ad eternam patriam – non testimonii sed inuisibilis rei, immo uisibilis rei ab hiis que illa in eternitate fruuntur, licet sit adhuc inuisibilis nobis. Nemo enim potest illam eternam mereri beatitudinem nisi per istam specularem Ecclesiam, que nunc testimonium Christi confirmatum in nobis erit nobis eterna hereditas. Non corruptibilis littera nec uisibilis creatura, sed tantummodo populus christanus erit in eternum hereditas nostra. Actum idibus octobris.

DISPOSITIO EVROPE Vbicumque reperitur domus saltus, intelligitur peregrina Europa que in femore dextro habet uocabulum Alti passus. DE AFFRICA

ET

EVROPA

Si Affrica habuerit mitram in capite, habet serpentem in pectore; Europa uero mitrata habet in capite coronam spineam. Omnia enim celestia signa a meridie cum planetis transeunt semper super Affricam, non super Europam. Illa enim Affrica tota signata habet uisibilia signa tantum, non inuisibilem rem; Europa autem habet inuisibilem rem, non uisibilia signa; nequis desperet neque extollatur. Multi habent in se omnia signa mali, tam loco quam apparentia uitiorum, qui tamen electi sunt; et multi habent in se omnia signa boni, tam loco quam apparentia morum, qui tamen reprobi sunt; alioquin erraremus in iudicio personawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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(qui vient de Tunis) à nombreux plis et superflue, dans la zone torride. Et l’Europe, qui est pauvre et n’a que ses chaussures, protège son dos avec un manteau/pallium contre le froid venu du nord, et offre au Soleil sa poitrine et son ventre nus. LES

LEÇONS DONNÉES PAR LA NATURE

Quoi que me dise un être humain, je dois comprendre que ce n’est pas lui, mais le Christ qui s’adresse à moi en utilisant ce genre de procédé. En effet, le Christ s’adresse à moi toute la journée à travers toutes les créatures visibles, si bien que même les bêtes brutes me donnent des leçons, non pas en parlant mais en agissant; et tout ce qui a été placé pour exister sous le ciel me donne aussi des leçons. Comment donc le juge qui va venir pourrait-il me trouver des excuses? La lettre corruptible me conduit vers les créatures visibles; les créatures visibles m’apprennent à connaître le peuple chrétien, c’est-à-dire l’Église du miroir; et l’Église du miroir me fait comprendre la patrie sans fin. Celui qui fera vraiment confiance au moindre des arguments1 contenus dans la lettre corruptible, sera digne d’ajouter davantage foi à ce qu’il apprend d’une créature visible; il s’agit d’un grand témoignage de la vérité, mais indirect. Et celui qui fera vraiment confiance à ce témoignage important que représente une créature [fol. 70v°] ajoutera davantage foi à la révélation plus importante de l’invisible donnée par l’Église du miroir, qui est un témoignage plus important, direct celui-là, en faveur de la patrie éternelle – non pas une preuve de preuve, mais une preuve de l’invisible, ou plutôt de la réalité visible par ceux qui en jouissent dans l’éternité de l’au-delà, bien qu’elle soit encore invisible pour nous. En effet, personne ne peut mériter la béatitude éternelle de l’au-delà, sans passer par l’Église du miroir d’ici-bas qui, donnant aujourd’hui la preuve assurée que le Christ est en nous, deviendra notre héritage éternel. Ce n’est ni la lettre corruptible, ni la créature visible, mais seulement le peuple chrétien qui sera notre héritage à jamais. Fait le jour des ides d’octobre [15 octobre 1337]. LA

GÉOGRAPHIE DE L’EUROPE

Partout où l’on trouve la maison du saut2, il s’agit de l’Europe voyageuse qui a dans la cuisse un lieu appelé Hautpas. L’AFRIQUE

ET L’EUROPE

Si l’Afrique porte une mitre sur la tête, elle porte un serpent dans sa poitrine; en revanche, l’Europe mitrée3 porte sur la tête une couronne d’épines4. En effet, tous les signes du ciel qui arrivent du sud avec les planètes passent toujours au-dessus de l’Afrique et non au-dessus de l’Europe. En effet, cette Afrique, entiè-

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Voir Lc 16, 10. « Sauter »: voir V 11, note 15. Voir V 12 et V 21, où la tiare pontificale est dessinée juste au-dessus de l’Espagne. Car elle représente le Christ-Opicinus.

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FOL.

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li. Siquis conuersus fuerit ab Affrica in Europam – non localiter neque mutatione extrinseci habitus sed sola affectione intrinseca – et reuersus ad Affricam – non ad uomitum uitiorum sed ad recogitationem eorum que cogitauerat antea – compensando sapientiam Dei et mundi per collationem alterutram, possidebit duplicem sapientiam meliorem quam si nunquam habuisset experientiam mundane prudentie; ita tamen ut exterius se conformet prudentibus mundi, non concupiscentia mundi sed conuersatione humana, donec tota mundana prudentia destruatur et sapientia Dei, que nunc usque in misterio latuerat, reueletur. Tunc qui habuit tale donum erit angelus habens clauem abissi, qua aperiente librum conscientie cuiuscumque, fetor intollerabilis exalabit. Pectus Affrice est liber fornax et puteus mortis et inferni; et pectus Europe est liber et fons salutis et uite.

DE

PERSONALIBVS MORIBVS

Nunquam moui pedem ad inquirendam dispositionem mundi; illud autem quod uidi, me ignorante misterium, ex alia occasione me urgente necessitate conspexi. Cum enim uacarem in littera, in quolibet dubio de regimine animarum, doctiores me diligentius consulebam, sicut posui in « libello confessionis » quem nondum alicui reuelaui; nisi, cum illum perficerem, simplicitas mea me induxisset ad legendum illum cuidam cohospiti, non presenti sed alii, in Auinionensi hospitio. Nunc uocatus ad reddendam rationem uillicationis mihi commisse domino meo, post multas cogitationes, uidens me non posse fodere rigidam litteram ad enucleandum intelligentie spiritum, nec sine uerecundia mendicare a multis magistris quorum mores ignoro, ad maiorem scientiam acquirendam compellor colligere spiritum meum ad scientiam naturalem, qua docetur quilibet homo ex aspectu nature conscientiam conformantis. Tales sunt mores mei: mane (id est in prandio) comedo sicut lupus, et uespere (id est in cena) parcius uescor. Hoc fuit in isto anno, non in anno sequenti, de modo comedendi. In nocte post cenam, aliquantulum uigilo. Vigilia matutina, surgo ad horam matutinalem; deinde, si nondum appareat clara dies, paululum requiesco in lectulo; quottidie autem post prandium quietius dormio, quod nunquam feceram ante uicesimum secundum annum uel forte uix unquam. Hec consuetudo secundum experientiam www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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rement marquée de signes, détient seulement des signes visibles et non l’invisible; et l’Europe détient l’invisible et non des signes visibles; si bien que personne ne désespère ou ne se vante. Beaucoup de personnes portent en elles tous les signes du mal, aussi bien sur le plan géographique1 que par leur perversité notoire, et elles appartiennent néanmoins aux élus; et beaucoup de personnes portent en elles tous les signes du bien, tant sur le plan géographique que par leur moralité notoire, et elles appartiennent néanmoins aux réprouvés; sinon nous nous égarerions dans le jugement personnel. Si quelqu’un passe d’Afrique en Europe – non pas sur le plan géographique ni en changeant de comportement extérieur, mais seulement par ses sentiments intérieurs – puis revient en Afrique – non pour chasser la perversité, mais pour retrouver ses pensées antérieures – en équilibrant la sagesse de Dieu et celle du monde au moyen d’une comparaison réciproque, il détiendra une double sagesse plus valable que s’il n’avait jamais expérimenté la sagesse du monde; de telle manière cependant qu’il se soumette en apparence aux sages de ce monde, non par la convoitise matérielle mais par la fréquentation des hommes, en attendant que toute la sagesse du monde soit anéantie et que la sagesse de Dieu, qui était mystérieusement cachée jusqu’à présent, soit révélée. Alors celui qui a reçu un tel don sera l’ange qui détient la clef de l’abîme2; et lorsque celle-ci ouvrira le livre de chaque conscience, une puanteur insupportable se dégagera. La poitrine de l’Afrique, c’est le livre de la fournaise3, ainsi que le puits de la mort et de l’enfer; et la poitrine de l’Europe, c’est le livre et la fontaine du salut et de la vie4. LE

GENRE DE VIE PERSONNEL

Je n’ai jamais bougé le pied pour chercher à découvrir la géographie de la terre; mais ce que j’ai vu, alors que j’ignorais le mystère et parce que j’étais poussé par la nécessité dans d’autres circonstances, je l’ai regardé. En effet, lorsque je me consacrais à la lettre, en éprouvant des hésitations ordinaires concernant le gouvernement des âmes, j’ai consulté assez sérieueusement des personnes plus savantes que moi, ainsi que je l’ai expliqué dans un petit « traité sur la confession » que je n’ai encore montré à personne, à une exception près: lorsque j’étais en train de le terminer, ma confiance m’a incité à le lire à celui qui partageait mon logement à Avignon (non pas celui qui le partage actuellement, mais un autre). Aujourd’hui, appelé à rendre des comptes à mon maître pour la gestion de l’exploitation qui m’a été confiée, après avoir beaucoup réfléchi, constatant que je ne peux percer la lettre inflexible pour en extraire l’esprit d’intelligence ni mendier sans retenue auprès de nombreux maîtres dont j’ignore la morale, je suis obligé, pour acquérir un plus grand savoir, de ramener mon esprit au savoir naturel, qui instruit tout homme voyant la nature façonner sa conscience. Mes habitudes sont les suivantes: le matin (c’est-à-dire au déjeuner), je mange comme un loup, et le soir (c’est-à-dire au dîner), je me nourris

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Opicinus spatialise le bien et le mal (le premier en Europe, le second en Afrique). Voir Ap 9, 1et 11; 20, 1. L’ange correspond à Opicinus. Voir Ap 9, 2. Voir Ap 3, 5; 7, 17; 13, 8; 17, 8; 20, 15; 21, 27.

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meam confortat naturam; si autem aliter fecero, natura turbatur. Primum expono et cetera ad presens omitto. Nunc usque mane ignorantie mee inutiliter deuoraui oblationes Templi Iherusalem tribus Beniamin (id est prouentus Ecclesie) intuitu personali; et uespere scientie mee, a cenis abstineo gule mee, ne amplius Aragonica gula mea appetat Siculum lapidem conuerti in panem, diabolo suggerente, ut neglecto populo christiano promouear a monte Iherusalem usque ad archam Noe (id est a pompis mundanis usque ad pinaculum monarchie). Adhuc subtilius iudicium: mane uoraui magnam scientiam, aliis esurientibus me uidente; nunc in nouissimo uespere paratus sum spolia mea diuidere. Cum enim essem puer in scolis uille originis mee, audiebam cantari cantilenas seculares in testimonium contra meipsum, et inter ceteras de thesauro abscondito ad nichilum profuturo; similiter de semine lini seminato: quando orietur, crescet, florebit et maturescet? Nunc thesauris apertis, retia sunt parata. Nostra uero Papia ab umbilico matris usque ad genitalia filie tota die cantabat uarias cantilenas luxurie secularis, omni turpitudine nominata. Hec omnia iam patescunt ad oculum. Actum XVII kalendas nouembris, post sequentes ymagines.

De moribus personalibus Nemo iudicet mores alterius, cum unusquisque perfectus, propter fidem saluatam in omnibus, non peccet in moribus nature sue, etiam si appareant uitia. Quia si aliter faceret, esset contra naturam. Homo autem carnalis iudicat alios iuxta ymaginationem sue nature, ut alii faciant sicut ipse in specie probitatis. Additum kalendis decembris. De legibus positiuis et in specie probitatis lege conscientie Nonnulli conantur subicere legem conscientie legi positiue uel magis carnali. Ecce casus. Ego iudex secularis in criminalibus iudicandis, uideo solus sine alio teste quemdam facere maleficium reum mortis. Coram me producitur alius accusatus de illo maleficio sub pluribus testibus. Secundum apparentiam istum debeo iudicare; iuxta conscientiam autem certam ex huiusmodi delicto hunc reputo innocentem. Quero consilium quod agendi. Dicunt consiliarii: « Allegatis et probatis innitendum est ». Conscientia uero dictat ne hic innocens iudicetur nec maleficus accusetur www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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plus légèrement. J’ai observé ces pratiques alimentaires cette année et non celle d’après. La nuit, après le dîner, je veille quelque temps. À l’heure de matines, je me lève à une heure matinale; puis, si le jour n’est pas encore vraiment levé, je reste un peu au lit; et tous les jours, après le déjeuner, je fais une assez longue sieste – cela ne m’est jamais arrivé avant ma vingt-deuxième année1, à moins que ce ne soit presque jamais. D’après l’expérience que j’en ai, ces règles fortifient la santé; d’ailleurs, si je fais autrement, ma santé est altérée. Je commence par expliquer et je laisse le reste pour l’instant. Étant jusqu’à présent au matin de mon ignorance, j’ai englouti inutilement les offrandes faites au Temple de Jérusalem par la tribu de Benjamin (c’està-dire les revenus de l’Église) en considérant ma personne; et au soir de mes connaissances, je m’abstiens de nourrir mon estomac, pour éviter que ma gorge aragonaise ne désire davantage la pierre sicilienne changée en pain, sur la suggestion du diable, si bien que, ayant délaissé le peuple chrétien, une promotion me ferait passer de la montagne de Jérusalem à l’arche de Noé (c’est-à-dire des fastes du monde au faîte de la monarchie). Un point de vue encore plus subtil: le matin, j’ai englouti de grandes connaissances, alors que je voyais que les autres avaient faim; maintenant que nous arrivons au dernier soir, je suis prêt à partager mon butin. En effet, lorsque j’étais enfant et allais à l’école dans ma ville natale, j’entendais chanter des chansons profanes en guise de témoignages dirigés contre moi-même, et, entre autres, celle qui parle du trésor caché qui ne servira à rien; ou encore de la semence de lin qui a été semée: quand lèvera-t-elle, grandira-t-elle, fleurira-t-elle et arrivera-t-elle à maturité? Maintenant que les trésors ont été trouvés, les filets sont prêts. Mais notre ville de Pavie, entre l’ombilic de la mère et les parties génitales de la fille, chantait chaque jour des chansons paillardes en tout genre, avec des propos tout à fait obscènes. Tout cela se découvre désormais à nos yeux. Fait le 17 des calendes de novembre [16 octobre 1337], après les images qui suivent. Le genre de vie personnel Personne ne doit condamner le genre de vie d’autrui, dans la mesure où aucun parfait, en raison de la foi qui se maintient en tous, ne commet de péché en vivant conformément à sa constitution, même si des imperfections se manifestent. Car s’il agissait autrement, cela serait contraire à la nature. Mais l’homme charnel condamne les autres d’après la conception qu’il a de sa santé, si bien que les autres font comme lui qui feint l’honnêteté. Ajouté le jour des calendes de décembre [1er décembre 1337]. Les lois établies et la loi de la conscience qui feint l’honnêteté2 Certains essaient de soumettre la loi de la conscience à la loi établie ou plutôt charnelle. Voici un cas. Me voici juge séculier m’occupant d’affaires criminelles: je

1 Soit en 1318: Opicinus revient de Gênes à Pavie et devient chapelain de l’églisecathédrale. 2 Les cas qui suivent, bien que présentés par Opicinus comme hypothétiques, se réfèrent à sa propre expérience de la justice pour montrer les difficultés et l’inanité de tout jugement.

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per me, cum non possim simul et semel esse accusator uel testis et iudex. Si acquieuero illorum consiliis, non sum Pilato dissimilis qui sciebat iudeos Ihesum per inuidiam accusare (Mathei XXVII°, Marci XV°). Alius casus. Ego iudex spiritualis in confessionibus audiendis, uideo sine alio teste quempiam maleficium perpetrare. Ille iurisdictionis mee uenit ad confessionem. Confitetur mihi – non ut homini sed ut Deo – peccata humana, preter maleficium predictum; interrogatus maleficium negat. Nunquam accidit similis casus coram me, cuius ualeam recordari; sed si accideret, ignoro quod agam. Non possum illum asstringere penitentie de maleficio non confesso. Non possum salua conscientia ipsum absoluere a ceteris peccatis sine illo celato. Salua sententia Ecclesie, melius mihi uidetur ipsum sine absolutione dimittere, ne lex conscientie alteri legi succumbat. Additum anno perfectionis, XIII kalendas iunii, uigilia Ascensionis, hora qua uidi processionem fieri.

[fol. 71] DESSIN V 15

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vois, seul et sans autre témoin, quelqu’un commettre un crime méritant la mort. Une autre accusé m’est présenté pour ce crime, avec plusieurs témoins à charge. Si je me fie aux apparences, c’est celui-là que je dois juger; et si je m’en remets à ma conscience qui a des certitudes sur ce forfait, je le considère comme innocent. Je demande conseil sur la conduite à tenir. Les bailleurs de conscience me disent: « Il faut s’appuyer sur des justifications et des preuves ». Mais ma conscience me dicte de ne pas condamner cet homme innocent et de ne pas l’accuser d’être un criminel, car je ne peux être en même temps et une fois pour toutes l’accusateur ou le témoin et le juge. Si je m’en tiens à leurs conseils, je ne suis pas différent de Pilate qui savait que les juifs accusaient Jésus par jalousie (Matthieu 27 et Marc 15)1. Prenons un autre cas2. Me voici juge spirituel devant entendre des confessions: je vois, sans autre témoin, quelqu’un commettre une faute. Ce dernier, qui appartient à ma juridiction, vient se confesser. Il me confesse ses péchés – à moi considéré non comme un homme mais comme Dieu – excepté la faute en question; si je l’interroge, il nie avoir commis une faute. Un tel cas ne s’est jamais produit en ma présence, dont je sois en mesure de me souvenir; mais si cela arrivait, je ne sais pas ce que je ferais. Je ne peux pas le contraindre à la pénitence pour une faute qu’il n’a pas avouée. Je ne peux en respectant ma conscience lui donner l’absolution pour ses autres péchés sans tenir compte de celui qu’il a caché. En respectant l’opinion de l’Église, il me paraît préférable de le laisser repartir sans absolution, afin d’éviter que la loi de la conscience ne cède à une autre loi. Ajouté l’année de la perfection, le 13 des calendes de juin, qui correspond à la veille de l’Ascension [mercredi 20 mai 1338], à l’heure où j’ai vu arriver une procession.

[fol. 71] DESSIN V 15 À nouveau deux cartes (dont une renversée), placées dans un ensemble très vaste: la Scythie au nord, l’Inde à l’est, l’Éthiopie au sud, l’Espagne à l’ouest – soit en gros les limites du monde connu à l’époque d’Opicinus. De plus, la carte de Lombardie (noms de lieux en rouge) est superposée aux deux cartes de base (noms de lieux en brun). En haut, l’Europe masculine, qualifiée de « Thomas, apôtre citoyen », porte dans sa poitrine le cercle d’Avignon avec le couple sponsal; elle fait face à une Afrique féminine correspondant à Marthe. La Sicile ou arche de Noé est reliée à la grotte de Sainte-Baume en Provence; et une droite assortie de notes relatives à la Résurrection part des cimetières des corps chrétiens pour rejoindre Ticinum [Pavie]. En bas, une autre Europe masculine, qualifiée de « Jacques, apôtre voyageur », et ressemblant à celle de V 14 en bas, porte dans sa poitrine le cercle d’Avenica avec

Voir Mt 27, 18 et Mc 15, 10. Ce cas est traduit et commenté par GUY ROUX dans Art et folie…, pp. 203-204. Platon utilisait déjà ce procédé de présentation dans le Théététe. 1 2

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1 – Statera attingens ab Armenia usque ad terram Iudee habet in dextris Siculum cor uel archam Noe (id est animam ponderosam), et a sinistris corpora christiana. Hoc fit speculariter in presenti Ecclesia non futura. Sicilia est cor maris, id est anima christiana in carne peccati. 2 – ministerium Marthe 3 – requies prelatorum; Thomas apostolus ciuis 4 – Ecce assistentia angelorum; speculariter dico propter perfectos. 5 – Furce apud Bononiam sunt similes iustitie Trapesonde. Additum anno reuelationis, VII kalendas februarii. Cum pertica furce haurit aquam de puteo cum situla marine usque ad Renum Bononie, suspenditur aqua furtiua quasi mare per gulam. Ecce filius suspendentis aquas. Additum IIII kalendas februarii. 6 – Cum hospitarer in ista spelunca, die quieui et nocte afflictus fui. 7 – meridies Affrice Ethiopia 8 – Nescio si Affrica habundet in lapide attractiuo qui dicitur magnes. 9 – Vt ferrum magnes, sic agnos attrahit Agnes. 10 – Cum puer et adolescens essem cupidus sacre Scripture, fastidio habens aliarum artium litteras, ecclesia Sancte Agnetis uniuersalis Papie me attrahebat ad se, ut sine magistro uisibili in sacra Scriptura studerem. Bene correspondet per senarium mensem Agnes Marie Magdalene et secundo Agnes Marthe sorori; ita tamen ut prima sit sedens ad dexteram Agni et alia cum uirginibus transiens habeat Agnum in dextris. Prima dicit: « Dextera eius amplexabitur me »; et alia dicit: « Leua eius sub capite meo ». 11 – ocium Marie 12 – occidens Europe Hispania, id est accinctio uel expeditio 13 – labor rectorum; Iacobus apostolus peregrinus 14 – Si fuerit iste minor mundus, erit sola Lombardia commixta cum maiori mundo. Et tunc misterium Michaelis archangeli in hoc speculo reuelatur, quod factum est iuxta Sipontum Apulie. Ecce Taurinum (quasi taurus) supra uerticem montis Britanie minoris de mundo maiori. Ecce ecclesia Michaelis, quasi spelunca precauata. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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le couple sponsal. Elle fait face à une Afrique féminine, interprétation féminisée de celle qui figure en bas de V 14, et correspondant à Marie. La Sicile est reliée à Tarascon; et une droite concernant saint Michel relie le dragon et Pavie. Au milieu, la mer diabolique (laissant apparaître la main de l’Europe d’une carte immergée) et la balance de l’archange saint Michel sont placées entre les deux régions du mont Gargano en Italie. En effet, ce dessin est essentiellement consacré à saint Michel, auquel Opicinus s’identifie; secondairement à MarieMadeleine (grotte de Sainte-Baume) et à la tarasque. On y retrouve aussi les oppositions classiques Marthe travailleuse / Marie qui ne fait rien, citoyen/voyageur, Avignon/Avenica… 1 – À droite de la balance1 qui s’étend entre l’Arménie et le pays de Judée2, se trouvent le cœur sicilien ou l’arche de Noé3 (c’est-à-dire l’âme pesante) et, à gauche, les corps chrétiens4. Cela se voit dans l’Église d’aujourd’hui, non dans celle à venir. La Sicile est le cœur de la mer, c’est-à-dire l’âme chrétienne dans le corps du péché. 2 – le service de Marthe 3 – l’immobilité des prélats; Thomas, apôtre citoyen5 4 – Voici l’aide apportée par les anges6; je parle en images pour les parfaits. 5 – Les fourches qui se trouvent à Bologne ressemblent à la justice de Trébizonde7. Ajouté l’année de la révélation, le 7 des calendes de février [26 janvier 1339]. Alors que la perche de la fourche tire l’eau du puits avec un seau d’eau de mer pour l’amener jusqu’au petit Rhin8 de Bologne, l’eau cachée est suspendue en l’air, comme la mer qui passe à travers une gorge. Voici le fils de celui qui suspend les eaux en l’air9. Ajouté le 4 des calendes de février [29 janvier 1339]. 6 – Lorsque j’ai été accueilli dans cette grotte10, j’avais l’esprit calme pendant la journée et j’étais torturé pendant la nuit. 7 – Au sud de l’Afrique, l’Éthiopie. 8 – J’ignore si l’Afrique possède en abondance les pierres qui attirent et qu’on appelle des aimants. 9 – Comme l’aimant qui attire le fer, Agnès11 attire les agneaux12.

Saint Michel a également la charge de peser les âmes. L’Arménie n’est pas indiquée: il faut la projeter comme sur V 14 (ou V 12). 3 Voir notes 24 et 25. Voir aussi V 14. 4 Voir note 30. 5 Voir V 11, note 3. 6 Voir V 26. 7 Trébizonde: port de Turquie sur la mer Noire. 8 Rivière d’Italie sur le territoire de Bologne. 9 Voir Jb 12, 15 et 26, 8; ou encore le passage de la mer Rouge (Ex 14). Opicinus se désigne donc comme le fils de Dieu. 10 Voir notes 17 et 22. 11 Sainte Agnès (morte vers 350), martyre et patronne de la chasteté. Voir V 2, note 26. 12 Jeu de mots agnos/Agnes, d’autant plus que l’art représente souvent Agnès avec un agneau. 1 2

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TAVRINVM Ecce ministeria angelorum propter infirmos. Cum hospitarer in loco Tarasconi, nocte quieui et die afflictus fui. Omnis actus draconum laudat Deum, id est omnis progenies mundi commendat iustitiam; sola autem humana uoluntas ex nequitia sua irritat Deum et ignorat iustitiam. Lucas in signo Scorpionis translatus est alio tempore ad ungulam draconis, ne inimicus homo inflecteret signum Libre. aquilo utriusque Sithie sanctus Michael; sanctus Michael Auinio spelunca quietis ponderosa1 Maria archa Noe pondus BONONIA Prima dedicatio Michaelis in medio signi Libre, id est trapexita librator. « Surgam diluculo »; « Surge, gloria mea ». cimiteria ecclesiarum corpora christiana IANVA sanctus Michael; sanctus Michael Tarasconum hospitii Auenica laboriosa2 Martha Sicilia; cor Papia; PAPIA archangelus contra draconem draco contra archangelum corpora corruptibilia stirpis mundi oriens Asie India, id est nutus dilucidus uel concessio illuminans Actum XVII° kalendas nouembris, die sancti Michaelis in Periculo Maris; qua die dicitur dedicatio ecclesie Sancti Michaelis maioris Papiensis. Ab hac tertia die est signum Scorpionis siue draconis, aduersus quem Michael pugnat cum angelis suis. Trapesonda Ticinum in anima in anima

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Entre ce mot et le suivant, Opicinus a tracé une ligne. Idem.

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10 – Lorsque j’étais enfant et adolescent, passionné par l’Écriture sainte et rechignant à apprendre les autres arts, l’église Sainte-Agnès de l’universelle Pavie m’attirait à elle, si bien que j’étudiais l’Écriture sainte sans maître visible. Agnès correspond parfaitement à Marie-Madeleine, avec un écart de six mois1, et la seconde fois Agnès à Marthe2, la sœur de Marie; de manière néanmoins que la première soit assise à droite de l’Agneau, et que l’autre, passant au-delà avec les vierges, ait l’Agneau à sa droite. La première dit: « Son bras droit m’étreindra »; et l’autre dit: « Son bras gauche est sous ma tête »3. 11 – l’inaction de Marie 12 – A l’ouest de l’Europe, l’Espagne, c’est-à-dire l’action de se ceindre et d’être dégagé. 13 – les tâches des curés; Jacques, apôtre voyageur4 14 – S’il s’agit du petit monde, la Lombardie sera la seule à être mélangée avec le grand monde. Et dans ce cas, le secret de l’archange Michel est révélé sur cette image: c’est ce qui se passe près de Siponte5 en Apulie. Voici Turin (c’est-à-dire le taureau / la tarasque)6 dominant les monts de la petite Bretagne qui appartient au grand monde. Voici l’église de Michel, telle une grotte qui a été creusée. 15 – TURIN 16 – Voici les services rendus par les anges, pour les faibles. 17 – Lorsque j’ai été accueilli à Tarascon, j’avais l’esprit calme pendant la nuit et j’étais torturé pendant la journée. 18 – Tous les agissements des dragons glorifient Dieu, c’est-à-dire que toutes les lignées de la terre exaltent la justice; et ce sont seulement les désirs de l’homme issus de son dérèglement qui indisposent Dieu et méprisent la justice. Luc, sous le signe du Scorpion, est transféré à un autre moment sous la griffe du dragon, pour éviter qu’un homme malveillant ne fasse ployer le signe de la Balance. 19 – Au nord, se trouvent les deux Scythie7. 20 – saint Michel; saint Michel 21 – Avignon 22 – la grotte de la tranquillité 23 – Marie qui est pesante 24 – l’arche de Noé 25 – le poids 26 – BOLOGNE 21 janvier et 22 juillet. Voir V 2. 28 janvier et 29 juillet. Voir V 2. 3 Ct 2, 6 et 8, 3. 4 Voir V 11, note 21. 5 Un culte important était rendu à saint Michel à Siponte (Pouilles), sur le mont Gargano (San Angelo), à la suite d’une intervention miraculeuse du saint (il apparut trois fois à l’évêque de Siponte entre 490 et 493, et renouvela son apparition au VIIIe siècle). Sur les deux Italie, la carte s’arrête précisément à la limite des Pouilles. 6 Note 15. 7 Scythie: région de Russie habitée par les Scythes. 1 2

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FOL.

71v°

[fol. 71v°] DESSIN V 16

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27 – La première consécration de Michel au milieu du signe de la Balance1; c’està-dire le changeur qui met en équilibre sur la balance. 28 – « Je me lèverai au point du jour »2; « Lève-toi, ma gloire »3. 29 – les cimetières des églises 30 – les corps chrétiens 31 – GÊNES 32 – saint Michel; saint Michel 33 – les logements de Tarascon 34 – Avenica 35 – Marthe, la travailleuse 36 – la Sicile; le cœur 37 – Pavie; PAVIE 38 – l’archange contre le dragon 39 – le dragon contre l’archange 40 – les corps voués à la corruption de l’engeance terrestre4 41 – à l’est de l’Asie, l’Inde, c’est-à-dire le signe qui paraît ou le don qui éclaire 42 – Fait le 17 des calendes de novembre [16 octobre 1337], le jour [de la fête] de saint Michel au Péril de la Mer; en ce jour a lieu la dédicace de l’église majeure de Saint-Michel à Pavie. Trois jours après, commence le signe du Scorpion ou du dragon contre lequel Michel lutte avec ses anges5. 43 – Trébizonde6 44 – Ticinum [Pavie] 44 – dans l’âme. 45 – dans l’âme

[fol. 71v°] DESSIN V 16 Encore une double carte, dont une renversée, mais avec une présentation originale. En haut, un personnage debout, au visage lunaire, qualifié de « véritable philosophie qui console Boèce », porte sur sa poitrine un couple sponsal et sur la moitié inférieure de son vêtement une carte: l’« ancienne et universelle Pavie ». En bas, on retrouve la carte classique, avec une Europe masculine représentant Boèce et une Afrique féminine avec chevelure soignée et bijoux, incarnant les muses courtisanes. Les citations de Boèce et les déclarations d’Opicinus montrent une identification étroite du second au premier.

29 septembre. Voir Ex 8, 16; plus la Résurrection (Lc 24, 1). Le mot diluculo est présent dans d’autres passages de la Bible. 3 Voir Ps 57, 9. 4 C’est-à-dire le dragon de Grèce (qui ressemble ici au serpent tunisien) et qui représente la lignée des Canistris. 5 L’archange saint Michel est considéré comme un esprit plus élevé que les archanges Raphaël et Gabriel. Il est montré luttant contre le dragon infernal (Ap 12, 7). 6 Jeu de mots trapexita/Trapesonda. 1 2

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734

FOL.

71v°

1 – Iam nostra Papia habet ab oriente Placentie (ubi est oriens placitus) uirum super se de progenie fulguris coruscantis. Non dico de persona quam nunquam cognoui, sed immortali et incorruptibili iudice uniuersalis Papie. 2 – uera philosophia consolatrix Boetii 3 – Inuocatio nominis Domini super hanc uiuentem Ecclesiam est christianitas dicta a Christo. Quicumque recesserit ab amore huius uirginis mulieris ad amicitiam personalem, iam iudicatus est blasphemus nominis Ihesu Christi. 4 – oriens firmamenti a uita 5 – occidens planetarum in uita 6 – conscientiarum libella 7 – sceptrum imperii 8 – Multi sunt qui ignorantes specularem Ecclesiam de sancta philosophia carnaliter intelligunt philosophiam mundanam, que tota asscribitur illis meretriculis Affricanis. 9 – PRIMI LIBRI PRIMA PROSA BOETII. PHILOSOPHIA AD MVSAS POETICAS: « Quis has scenicas meretriculas ad hunc egrum permisit accedere, que dolores eius non modo nullis remediis fouerent, uerum dulcibus insuper alerent uenenis ? et cetera. Sed abite potius, Sirenes, usque in exitium dulces, meisque musis curandum sanandumque relinquite ». 10 – Stoici; Epicuri 11 – PRIMI LIBRI IIª PROSA. AD BOETIVM PHILOSOPHIA: « Tu ne ille es qui nostro quondam lacte nutritus, nostris educatus alimentis in uirilis animi robur euaseras? At qui talia contuleramus arma que nisi prior abiecisses inuicta te firmitate tuerentur. Agnoscis ne me? Quid taces? Pudore an stupore siluisti? Mallem pudore, sed te, ut uideo, stupor oppressit ». 12 – uetus uniuersalisque Papia 13 – PRIMI LIBRI IIIª PROSA. AD PHILOSOPHIAM BOETIVS: « Quid tu in has nostri exilii solitudines, o omnium magistra uirtutum, supero cardine delapsa uenisti? An tu ut quoque mecum rea falsis criminationibus agiteris? ». 14 – ecce scientia litteralis sine spiritu et uirtute 15 – muse poetice 16 – Seuerinus Boetius 17 – occidens firmamenti in morte; oriens planetarum a morte. 18 – Quicquid accidit Boetio accidit Opicino. Boetius exulauit a ueteri Roma Papiam. Nunc per Dei gratiam reuocatur a Papia ad nouam Romam. 19 – Actum et inceptum XVII° kalendas nouembris, et consumatum in die sancti Luce euangeliste, qui euangelium scripsit in partibus Achaie et Boetie1 uerus philosophus. XVIIII 1

Au lieu de Beotie.

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1 – Désormais notre ville de Pavie possède, à l’est de Plaisance (là où se trouve le beau Soleil levant), un homme qui la domine et qui appartient à la lignée de la foudre qui étincelle. Je ne parle pas de l’individu que je n’ai jamais connu, mais du juge immortel et incorruptible de l’universelle Pavie. 2 – la vraie philosophie, qui console Boèce 3 – Donner le nom du Seigneur à cette Église vivante, c’est l’appeler chrétienté, qui vient de Christ. Quiconque a renoncé à l’amour envers cette femme vierge pour s’attacher à une personne est désormais considéré comme un blasphémateur du nom de Jésus-Christ. 4 – l’est du firmament vient de la vie 5 – l’ouest des planètes dans la vie 6 – la petite balance / le petit livre des consciences1 7 – le sceptre du pouvoir 8 – Nombreux sont ceux qui, méprisant l’Église du miroir, utilisent la sainte philosophie pour concevoir charnellement la philosophie du monde, qui est entièrement attribuée à ces courtisanes africaines. 9 – PREMIÈRE CITATION DU PREMIER LIVRE DE BOÈCE. LA PHILOSOPHIE S’ADRESSE AUX MUSES DE LA POÉSIE2: « Qui a autorisé ces petites putes de scène à approcher ce malade? Non contentes d’être incapables de remédier à ces souffrances, elles seraient bien capables de les prolonger, avec leurs poisons douceâtres! etc. Éloignez-vous donc, Sirènes aux chants meurtriers et laissez mes propres muses le soigner et le guérir »3. 10 – les Stoïciens; les Épicuriens4 11 – 2E CITATION DU PREMIER LIVRE. LA PHILOSOPHIE S’ADRESSE À BOÈCE: « Est-ce bien toi qui t’étais nourri de notre lait? de notre pain? qui y avais puisé une force d’âme toute virile? Nous t’avions pourtant fourni toutes les armes nécessaires! Tu ne t’en serais pas défait de ta propre initiative qu’elles pouvaient te protéger: leur solidité était à toute épreuve! Me reconnais-tu? Pourquoi ne réponds-tu pas? Est-ce la honte ou l’hébétude qui est cause de ton silence? Je préférerais la première explication, mais à ce que je vois, c’est bien l’hébétude qui te paralyse »5. 12 – l’ancienne et universelle Pavie6 13 – 3E CITATION DU PREMIER LIVRE. BOÈCE S’ADRESSE À LA PHILOSOPHIE: « Mais que fais-tu ici dans le désert de mon exil, ô maîtresse de toutes les vertus? Pourquoi être descendue des tes cimes célestes? Serait-ce pour partager avec moi les persécutions de la calomnie? »7. 14 – Voilà le savoir littéral, dépourvu d’intelligence et de puissance.

Voir fol. 70v°. Voir note 15. 3 BOÈCE, Consolation, livre I, 2, pp. 47-48. 4 Voir Ac 17, 18. Ils sont rejetés dans l’Océan Atlantique. Opicinus dévalorise ainsi la philosophie du monde pour valoriser la sainte philosophie. Voir fol. 22. 5 BOÈCE, Consolation, livre I, 4, p. 49. 6 Pavie correspond donc à l’ensemble de la carte, comme dans V 28, V 29 et V 30. 7 BOÈCE, Consolation, livre I, 6, p. 51. 1 2

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[fol. 72] DE

FOL.

72

TESTIMONIO PERSONALI ET LOCALI

Circa femur sinistrum Italie sunt duo patriarchatus, scilicet Aquilegiensis et Gradensis. Et quia inter patriarchatus orientales et principales, solus Alexandrinus iuxta librum prouincialem non habet nominationem alicuius suffraganee sue, ideo Castella Venetiarum que est sacramentaliter sub Gradense, translata est, non sacramentaliter sed spiritualiter tantum, in patriarchatum Alexandrinum, cuius spiritualiter simili modo esse debet soror et filia ciuitas Ianua, ut unita cum illa sit I(i)anua naturalis. Alioquin in I(i)anua uiolenta hiis sic dispositis, femur sinistrum Europe cum ianua naturali habens semen sacre fidei, attribuit patriarchatui Aquilegie patriarcham Abraham, Grade Ysaach et Castelle Venetiarum Iacob, cuius neruus femoris inter Venetias et Gradam emarcuit. Qui inter ceteros filios suos habet et filiam Dinam nomine Ianuam; que diebus istis egressa ad uidendas Affrice mulieres, rapta est a Sichem, filio Emor Euehi, principis Affricani; qua uiolenter oppressa conglutinata est anima eius cum ea. Nunc patriarcha Ysaach, factus quasi patriarcha Iacob, transiuit ad Ianuam Dinam nomine eius, sicut pater et uir, ut illa abstracta de manibus Euehorum conuertatur ad I(i)anuam naturalem. Ad hoc dico ad testimonium mei, pro et contra. Cum enim adolescens essem in domo paterna, audiui dici quod Dina fidelis quam noui timebat conuersari in domo mea, ne alius Sichem opprimerem eam, que erat uel est clauda et manca non mente sed carne (illud enim creditur et istud apparet). Nunc transiui non ad illam sed aliam que est Affrica Papiensis, ut illam per pectus extraham ab oppressione predonum.

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15 16 17 18

– les muses de la poésie – Séverin Boèce1 – l’ouest du firmament dans la mort; l’est du firmament vient de la mort – Tout ce qui est arrivé à Boèce arrive à Opicinus. Boèce a été chassé de l’ancienne Rome et envoyé en exil à Pavie. Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, il est rappelé pour quitter Pavie et gagner la nouvelle Rome2. 19 – Ce travail a été commencé le 17 des calendes de novembre [16 octobre 1337] et achevé le jour [de la fête] de l’évangéliste saint Luc [18 octobre 1337], qui a écrit son évangile dans les régions d’Achaïe et de Boétie/Béotie3, en vrai philosophe. XVIIII [fol. 72] TÉMOIGNAGE

PERSONNEL ET LOCAL

Il y a deux patriarcats aux environs de la cuisse gauche de l’Italie: celui d’Aquilée et celui de Grado. Et comme, parmi les principaux patriarcats d’Orient, celui d’Alexandrie est le seul, d’après le livre provincial, à ne pas disposer d’un suffragant désigné, les Châteaux de Venise, qui dépendent de Grado sur le plan sacramentel, sont passés dans le patriarcat d’Alexandrie, non sur le plan sacramentel mais seulement sur le plan spirituel; et la ville de Gênes doit en être elle aussi la sœur et la fille sur le plan spirituel, afin qu’unie avec celle-là, elle soit Gênes, la porte naturelle. Car si ceux-ci se trouvent placés à Gênes, la porte forcée, la cuisse gauche de l’Europe, qui détient avec la porte naturelle la semence de la sainte foi, affecte le patriarche Abraham au patriarcat d’Aquilée, Isaac à Grado et Jacob aux Châteaux de Venise (la force que ce dernier avait dans la cuisse, entre Venise et Grado, s’est estompée). Jacob a plusieurs enfants, dont une fille appelée Dina4, autant dire Gênes5; comme elle était sortie en ce temps-là pour voir les femmes africaines, elle fut enlevée par Sichem, fils de Hamor, prince hivvite africain; il lui fit violence par la contrainte, puis son cœur s’attacha étroitement à elle6. Aujourd’hui c’est le patriarche Isaac, devenu pour ainsi dire le patriarche Jacob, qui est allé voir Dina-Gênes qui porte son nom, en tant que père et en tant qu’époux, afin qu’enlevée aux mains des Hivvites7, elle se tourne vers Gênes, la porte naturelle. Je dis cela en guise de témoignage, à la fois pour et contre moi. En effet, lorsque j’étais adolescent et vivais chez mon père, j’ai entendu dire que la fidèle Dina que je connaissais craignait de vivre chez moi, de peur que, tel un autre Sichem, je ne la brime, alors qu’elle était boiteuse et man-

Fêté le 23 octobre, quelques jours après la réalisation de ce dessin. Le destin de Boèce, mort en exil, est repris et dépassé par Opicinus qui siège à Avignon. 3 D’après le manuscrit Corbeiensis du Prologue de Luc (Ve siècle), Luc avait écrit son évangile en Achaïe et il mourut à 84 ans en Béotie. 4 Dina: fille de Jacob et Lia. Voir Gn 30, 21. 5 Voir Diano Castello, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Gênes. On y voit encore une chapelle médiévale. 6 Voir Gn 34, 1-3. 7 Voir Gn 34, 26. 1 2

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FOL.

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De testimoniis personalibus et localibus et figurali iudicio Audiui quemdam patriarcham Iacob scismaticum tempore antipape conuersari Papie, ut Papia cognosceret se Venetiis similem, non similitudine morum sed membri feminei. Illa enim est membrum maternum maioris Europe; hec autem membrum filie minoris Europe. Quem olim Venetie patriarcham debemus credere conuertendum uel forte conuersum ad catholicam unitatem, sicut conuersus fuit antipapa ad catholicum et fidelem, cuius sepulture depositio memoratur hodierna die. Nichil aliud antipapa significat nisi Antichristum. Vnus est enim Christus et papa; aduersarius namque meus, conceptus et factus in utero mecum, et natus in die maledictionis originis Antichristi, quotiens ambit et cogitat dignitatem papalem, iam iudicatus est Antichristus. Vniuersalis Auinio habet ante ecclesiam Sancti Petri femora et lumbos Europe, ubi obuiauit mihi Aquilegiensis patriarcha fidelis accedens ad Aquilegie sedem; de quorum lumborum medio membrum iudaicum amputauit iudex Auinionensis de progenie crucis, hora qua fueram positus in possessionem presentis officii. Si uniuersalis Auinio impleuerit tantummodo partem Europe ab Hispania usque Calabriam et minorem Affrice partem, tunc ecclesia Sancti Petri erit circa pectus Europe, quod occupauerat illud membrum maris diabolici, quod iudeum significat, sicut Europa significat christianam meretricem. Si conferatur cum Auinione Papia, iudeus uel membrum iudei significat meam personam de progenie Canistrali, a pectore ad pectus. De habitu sacerdotali Cum intraturus essem in possessionem presentis officii, deposui habitum Affricanum, id est clausum sine scissura et sine gironis, ut uulgariter loquar, eo quod Affrica non apparet girabilis sed extensa; interius tamen contrarium habet. Et assumpsi habitum Europe existentis girabilis, non interius sed exterius, et sine clausura. Ita tamen ut presbiter nunquam egressus fuerim domum sine tabardo; nisi semel in hac curia, associans quemdam religiosum usque domum ordinis sui cum aliquibus familiaribus nostris, me non putante in tantum egredi domum sine tabardo; nisi per parrochiam meam Papie cum superpellicio quod dicimus cottam albam uel lineam. Cum enim predicarem in principio ad parrochiam meam, extendebam manum meam dexteram ad sinistram tabardi. Nunc perpendo uitium Affrice ponentis manum suam cum digito iuxta Tabarcam quasi tabardum. Valentie autem predicabam cum superpellicio uel in sacris uestibus inter missarum sollempnia, sicut quater in anno in parrochia mea. Nunc indui duas togas, unam Europe et alteram Affrice. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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chote, non pas intellectuellement mais physiquement (en effet, cela est tenu pour vrai et ceci se voit). A présent, je suis allée voir non celle-là, mais l’autre qui est l’Afrique de Pavie, afin de l’enlever à la violence des pillards, grâce à la poitrine. Témoignages relatifs aux personnes et aux lieux, et opinion symbolique J’ai entendu dire qu’un patriarche schismatique nommé Jacob vivait à Pavie au temps de l’antipape, si bien que Pavie se savait semblable à Venise, la ressemblance ne tenant pas à la morale mais au sexe féminin. En effet, celle-là, c’est le sexe de la mère qu’est la grande Europe, et celle-ci, c’est le sexe de la fille qu’est la petite Europe. Et nous sommes tenus de croire que ce patriarche de Venise doit rallier ou a peut-être rallié l’unité catholique, de même que l’antipape a rallié le pape catholique et fidèle dont la mise au tombeau est commémorée aujourd’hui. L’antipape ne désigne rien d’autre que l’Antichrist. En effet, le Christ et le pape sont un; et de fait, chaque fois que mon adversaire, conçu et façonné avec moi dans le sein de ma mère, et né le jour maudit de la naissance de l’Antichrist, brigue et convoite la fonction de pape, il est déjà considéré comme l’Antichrist. L’universelle Avignon a les cuisses et les organes génitaux de l’Europe placés devant l’église Saint-Pierre2, là où le fidèle patriarche d’Aquilée est venu à ma rencontre en arrivant au siège d’Aquilée; et c’est à partir du milieu de ces organes génitaux que le juge d’Avignon appartenant à la lignée de la croix a coupé le sexe juif, au moment où j’ai été mis en possession de mon office actuel3. Si l’universelle Avignon ne remplit que la région située entre l’Espagne et la Calabre ainsi qu’une petite partie de l’Afrique, l’église Saint-Pierre se trouve alors aux alentours de la poitrine de l’Europe que ce membre de la mer diabolique avait occupée; il représente le juif, de même que l’Europe représente la courtisane chrétienne. Si Pavie est réunie à Avignon, le juif ou le sexe du juif représente ma personne de la lignée des Canistris, d’une poitrine à l’autre4. Les habits du prêtre Lorsque j’étais sur le point d’entrer en possession de mon office actuel, j’ai renoncé à l’habit africain, qui est fermé, dépourvu de fentes et de plis, pour parler un langage courant, car l’Afrique n’a pas une apparence sinueuse, mais étirée, alors qu’intérieurement, c’est le contraire. Et j’ai adopté l’habit de l’Europe – laquelle se présente comme sinueuse, non pas intérieurement mais extérieurement – qui n’est pas fermé. Néanmoins, comme je suis prêtre, je ne suis jamais sorti de chez moi sans tabard5; sauf une fois où, appartenant à cette curie, j’ai raccompagné un religieux jusqu’à la maison de son ordre avec quelques-uns de nos serviteurs, sans me rendre compte que j’allais dans cette maison sans porter

1 Le texte est écrit un vendredi: Opicinus s’identifie une fois de plus à la fois au pape et au Christ. 2 L’église Saint-Pierre se trouve au centre d’Avignon, non loin de la Juiverie. 3 4 janvier 1331. 4 Ce paragraphe obscur montre les thèmes à la fois persécutifs, géographiques et sexuels du délire opicinien. 5 Tabard: vêtement ample mis sur les autres.

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FOL.

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Ecce strictura scripture, quasi gironum uestimenti Europe, me ignorante quod agerem.1 Ecce latitudo scripture, quasi sine gironis uestimenti simplicitas Affricani.2

De abreuiatione Verbi Domini Venit hora ut utar uirtute nominis mei quod dicitur « frendens », id est breuians uerbum dominicum et consumans super domum Israel in hoc nouissimo tempore, secundum stilum Marci euangeliste et doctoris Ambrosii, qui pre ceteris placet mihi. DE

TESTIMONIO PERSONALI ET LOCALI

Cum semel uisitarem indulgentias Sancti Petri de Monte Maiori prope Arelate, die inuentionis sancte Crucis, cum uxore iudicis Auinionensis de progenie crucis (qua die est dedicatio ecclesie mee), et secundo uenissem ad locum Vallis uiridis, cum illa mihi propinqua secundum carnem, reperimus ibi maximam quantitatem Hispanorum et aliorum Occidentalium, qui nocte replentes totam uillam in nullo occupauerunt lectos hospitii, adeo ut solus quiescerem in lectulo. Nec est mirum cum capitalis Hispania se pectori conformaret. Nos enim sumus in pectore et illi in capite. Caput habet custodis officium et pectus Christi hospitium.

Differentia caritatis, amoris, dilectionis et amicitie Omnis dictio cum appositione « di » iuxta grammaticam significat rei distantiam, sicut « dimitto » (id est « distantia mitto ») et « differo » (id est « distantia fero ») et « diligo » (id est « distantia lego »). Asia igitur (id est totius perfectionis Ecclesia) est caritas Dei; que ad Europam habet amorem amici in Deum, licet uideatur magis ab Asia separata; et ad Affricam habet dilectionem inimici propter Deum, licet uideatur ipsi coniuncta. Ecce caritas Dei ad hominem, amor amici in Deum et inimici dilectio propter Deum. Ecce differentia uocabulorum amoris. Amicitia autem magis pertinet ad naturam. 1 Cette expression figure perpendiculairement au paragraphe précédent, dans la marge de gauche, les lignes de ce paragraphe étant en effet assez serrées dans la partie gauche. 2 Cette expression figure perpendiculairement au même paragraphe, dans la marge de droite, les lignes de ce paragraphe étant en effet assez espacées dans la partie droite.

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de tabard; et sauf dans ma paroisse de Pavie, quand je portais un surplis que nous appelons cotte blanche ou en lin. En effet, quand je prêchais dans ma paroisse au début, je posais ma main droite sur le tabard, à gauche. Aujourd’hui, j’évalue la perversité de l’Afrique qui met la main avec le doigt près de Tabarca1 (pour ainsi dire du tabard)2. Et à Valence, je prêchais avec un surplis ou avec les habits consacrés que requièrent les messes solennelles, et cela quatre fois par an dans ma paroisse. Aujourd’hui, j’ai revêtu deux toges: celle de l’Europe et celle de l’Afrique3. Voici que mon écriture est ramassée, comme s’il s’agissait des plis du vêtement de l’Europe, et alors que j’ignorais ce que je faisais. Voici que mon écriture est ample, comme s’il s’agissait de la sobriété de [Scipion?] l’Africain, dont le vêtement est dépourvu de plis. L’abréviation du nom du Seigneur Le moment est venu où j’utilise le caractère essentiel de mon nom qui se dit « qui grince des dents », c’est-à-dire qui abrège le nom du Seigneur et l’accomplit sur la maison d’Israël4 en ces temps qui sont les derniers, en adoptant les formules de l’évangéliste Marc et du docteur Ambroise, que je trouve meilleures que les autres. TÉMOIGNAGE

PERSONNEL ET LOCAL

Comme je m’étais rendu un jour à Saint-Pierre de Montmajour, à côté d’Arles, où l’on donne des indulgences, le jour de la découverte de la sainte Croix, avec la femme du juge d’Avignon appartenant à la lignée de la croix – ce jour étant aussi celui de la consécration de mon église – et que j’étais venu la seconde fois à Vauvert5, avec celle qui m’est proche sur le plan charnel, nous avons trouvé une foule d’Espagnols et d’autres visiteurs venus de l’ouest qui, passant la nuit à se promener en ville, n’ont pas du tout occupé leurs lits d’auberge, si bien que j’étais seul à me reposer dans mon petit lit. Il n’est pas étonnant que l’Espagne de la tête doive se mettre en accord avec la poitrine. En effet, nous, nous nous trouvons dans la poitrine, alors qu’eux, ils se trouvent dans la tête. La tête a une fonction de gardienne et la poitrine donne l’hospitalité au Christ. Différences entre la charité, l’amour, l’affection et l’amitié Tout mot qui contient le préfixe « di »6 indique, conformément à la grammaire, qu’on éloigne quelque chose: ainsi « dimitto » (c’est-à-dire « j’envoie au loin »), « differo » (c’est-à-dire « je remets à plus tard ») et « diligo » (c’est-à-dire « je choisis de loin/ je préfère »). Ce qui fait que l’Asie (c’est-à-dire l’Église qui contient la perfection dans sa totalité) est la charité de Dieu; elle éprouve pour l’Europe

1 Tabarca: sur la côte tunisienne, aux environs du doigt qu’Opicinus attribue à l’Afrique sur ses cartes. 2 Jeu de mots. 3 Opicinus est partout. 4 Voir Is 10, 23 et Rm 9, 28. 5 Vauvert: Gard, ar. Nîmes. 6 Di est un préfixe divin pour Opicinus.

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FOL.

72-72v°

De pauperibus adequandis ad inuicem Ab humero uestiali ubi fiunt panni lane delicate, descendunt pauperes uestiti quasi reges et regine, mendicantes uictum usque ad pectus ubi pascuntur. Cum autem descendunt ad uentrem in habitu regio, non inueniunt uictum nisi in Ianua sine Venetiis, quasi titulo porte sine substantia porte. Per Ianuam sine Venetiis, intelligitur exponendo spiritualiter sancta mater Ecclesia habens solum titulum dignitatis sine substantia. Substantia dignitatis est christianitas derelicta que bestialiter pascitur a titulo suo. Pauperes autem uentrales non indigent uictu cuius copiam habent, sed uestimenta mendicant. Sola ergo curia pectoralis potest pauperes uentrales pauperibus humeralibus adequare. Additum anno perfectionis, XVII kalendas iunii. [fol. 72v°] DE

TESTIMONIO PERSONALI ET PVERILIBVS LVDIS

Ecce reuelatio corruptibilis pomi in pectore in quo puer ludebam cum pueris, qui ludus dicitur « pomum absconditum », ubi est uicus qui dicitur « mons Ioci ». Si conferatur naturalis Europa cum uniuersali Papia, similiter reperietur mons Iouis et Ioci. DE

TESTIMONIO PERSONALI

Vltima die anno expectationis, cum accessissem ad cenam natalis Herodis, non recordans originis aduersarii mei, quesiuit a me auditor uenerabilis patris episcopi Albanensis si haberem aduersarium. Cui retuli ignoranter me aduersarium ignorare, quem paulo ante summus pontifex a uana expectatione suspenderat.

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l’amour qu’on porte à un ami en Dieu, bien que l’Europe semble plutôt détachée de l’Asie; et elle éprouve pour l’Afrique l’affection qu’on porte à un ennemi à cause de Dieu, bien qu’elle semble lui être unie. Voilà la charité de Dieu pour l’homme, l’amour pour l’ami en Dieu et l’affection pour l’ennemi à cause de Dieu1. Voilà les différences entre les mots relatifs à l’amour. Quant à l’amitié, elle dépend plutôt de la personnalité. Tous les pauvres doivent être égaux entre eux Quittant l’épaule2 vestimentaire où l’on trouve des étoffes de laine raffinée, les pauvres descendent, vêtus comme des rois ou des reines, en mendiant leur nourriture, vers la poitrine où ils sont nourris. Et lorsqu’ils descendent vers le ventre dans leur habit royal, ils ne trouvent pas de nourriture, excepté à Gênes sans Venise (c’est-à-dire le titre de la porte sans la substance de la porte). Gênes sans Venise représente, en ayant recours à des explications d’ordre spirituel, notre sainte mère l’Église ayant seulement le titre de sa fonction, sans la substance. La substance de cette fonction, c’est la chrétienté abandonnée, qui est mangée sauvagement par son titre. Et les pauvres du ventre ne manquent pas de nourriture, car ils en ont en abondance, mais ils mendient des vêtements. C’est donc seulement la curie de la poitrine qui peut rendre égaux les pauvres du ventre et les pauvres de l’épaule. Ajouté l’année de la perfection, le 17 des calendes de juin [16 mai 1338]. [fol. 72v°] TÉMOIGNAGE

PERSONNEL SUR LES JEUX D’ENFANTS

Voici la révélation de la pomme corruptible3, dans la poitrine où je jouais, enfant, avec les autres enfants: il s’agit du jeu appelé « la pomme/paume cachée »4, là où se trouve le quartier appelé « la montagne du Jeu ». Si l’Europe naturelle est réunie à l’universelle Pavie, on trouvera que la montagne de Jupiter5 et celle du Jeu sont identiques. TÉMOIGNAGE

PERSONNEL

Le dernier jour de l’année de l’attente6, alors que j’arrivais pour le repas (de l’anniversaire) de la naissance d’Hérode, ne me rappelant pas la naissance de mon adversaire, l’auditeur du vénérable père évêque d’Albano me demanda si j’avais un ennemi. Et je lui répondis innocemment que je ne me connaissais pas

Voir Mt 5, 44 et Lc 6, 27. C’est-à-dire le nord-ouest du royaume de France sur les cartes d’Opicinus. 3 Allusion à la pomme défendue mangée par Adam et Ève, cause du péché originel (voir Gn 3, 1-6). 4 Opicinus a l’air de parler du jeu de la paume, très en vogue au Moyen Âge. Mais son jeu de mots lui permet surtout de faire un rapprochement entre la pomme du péché originel et les relations incestueuses qu’il a eues avec sa soeur quand il était enfant. 5 C’est-à-dire l’Olympe (voir V 11, note 27). 6 Soit le 24 décembre 1335, puisqu’Opicinus s’identifie à Hérode (voir fol. 30). Par conséquent, Opicinus suit le style de Noël pour le commencement de l’année. 1 2

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FOL.

72v°

De testimoniis omnis stultitie iuxta mundum Homo carnalis et uetus cuius miserabile membrum uulgariter dicitur « uetus », semper mirabilia loquitur quorum nescit principia neque finem. Cuius membri inherentia pectori huius Europe sicut serpentis pectori Affrice (id est persone erga progeniem) Christum expellit a pectore. Nam ante quam femine Papienses ostenderent ubera sua ita publice sicut nunc faciunt, audiui quod quidam religiosus ipsas redarguens sic dicebat sine uerecundia: « Ostendite pectora et suscipite uetera ». Ecce quod pectus Europe Papiensis habet ante se monasterium uetus uirginum honestarum; et nisi sancta Honorata auferret obprobrium nostrum, iam essemus similes Sodome et Gomorre. Similiter nostra Affrica Papiensis habet in pectore memoriam eiusdem sancte Honorate de Tortis, ut inde pellatur obprobrium colubri tortuosi. Adhuc Papie dicitur puerile prouerbium, ac si diceret masculus ad feminam: « Si uis pomum, ostende conum ». Iuxta litteram, dicere « conum » est quoddam insigne in capite, et iuxta uulgare, dicere « conum » est uulua. Vnum enim est pomum et conum: pomum in dextera manu diaboli et conum inter lumbos Europe, si consideremus Venetias; cuius uulue similitudinem Affrica habet in capite, quod significat ipsam huiusmodi habere in pectore. De scientia climatum mundi Cum essem puer in Vercellensi diocesi aspiciens occidentem, ymaginabar erronee uersus occidentem esse Papiam; similiter cum essem Papie, errore putabam Vercellas esse in oriente. Si respiciam firmamentum, erroneum est; si planetas considerem, ueritas est. Cum autem perueni ad annos discretionis, habens multorum scientiam ex auditu et modicam uisu, siquis quesisset a me: « Vbi est talis prouincia? », statim extendebam digitum ad partem illam cuius nunc reperi ueritatem. Multi autem habentes ad alia maiorem scientiam, cum interrogantur de aliqua regione, digitum suum extendunt erronee. Vt si in isto loco Prouincie interrogentur ubi est Lombardia, se conuertunt ad aliam partem ubi non est, que tamen est in oriente; similiter de qualibet regione. Qui autem habuerit istam nostram scientiam, ubicumque fuerit, sine scriptura et sine cogitatione potest scire in tali et tali parte uel plaga est talis et talis prouincia. Ista scientia gratis et sine mercede corruptibili publice cuilibet ostendatur.

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d’ennemi, alors que peu de temps auparavant, le souverain pontife m’avait détourné d’une vaine attente1. Preuves de toute la folie du monde L’homme charnel et ancien, dont le membre honteux est appelé vulgairement « bite »2, raconte toujours des histoires bizarres dont il ne connaît ni le début ni la fin. Et le fait que ce sexe adhère à la poitrine de cette Europe, comme le serpent à la poitrine de l’Afrique (c’est-à-dire la personne à sa lignée), chasse le Christ de la poitrine. Car avant que les femmes de Pavie ne montrent leurs seins ouvertement comme elles le font maintenant, j’ai entendu dire qu’un moine qui les blâmait leur dit sans retenue: « Montrez vos poitrines et levez vos bites ». C’est ainsi que la poitrine de l’Europe de Pavie a devant elle le vieux monastère3 des vierges honnêtes; et si sainte Honorée4 ne supprimait pas notre déshonneur, nous serions désormais semblables à Sodome et Gomorrhe. De même, notre Afrique de Pavie porte dans la poitrine le souvenir de la même sainte Honorée de Tortis, si bien que le déshonneur lié à la couleuvre tortueuse5 en est rejeté. Encore aujourd’hui, il existe un dicton propre aux enfants à Pavie, comme si un homme disait à une femme: « Si tu veux la pomme/la paume, montre le cône/con6». Littéralement parlant, le mot « cône » indique la décoration placée sur la tête7, et familièrement parlant, le mot « con » indique la vulve. Or la paume et le con sont une seule et même chose: la paume dans la main droite du diable et le con au milieu des organes génitaux de l’Europe, si nous regardons Venise; et l’Afrique porte sur la tête quelque chose qui ressemble à cette vulve, ce qui indique qu’elle en a une de ce genre dans la poitrine. La connaissance des pays du monde Lorsque j’étais enfant, si j’étais dans le diocèse de Verceil et regardais à l’ouest, je croyais par erreur que Pavie se trouvait du côté de l’ouest; de même, si j’étais à Pavie, je pensais par erreur que Verceil se trouvait à l’est. Si je regarde le firmament, je suis dans l’erreur; si j’observe les planètes, je suis dans le vrai. Et quand je suis parvenu à l’âge de discrétion, comme j’avais beaucoup de connaissances acquises par ouï-dire et peu par expérience visuelle, si l’on me demandait: « Où se trouve telle province? », je tendais aussitôt le doigt vers cette contrée8 dont j’ai trouvé aujourd’hui la vérité. Or beaucoup de personnes qui ont de plus grandes connaissances sur d’autres sujets, si on les interroge sur l’emplacement d’une région, tendent le doigt en se trompant. De ce fait, si, alors qu’ils se trouvent

Voir P 20, 18 décembre 1335. « L’ennemi » est bien Benoît XII. Jeu de mots sur vetus. 3 Voir V 28, note 22 et V 29, note 31. 4 Sainte Honorée, morte vers 500, était la sœur de saint Epiphane, évêque de Pavie; fêtée le 11 janvier. Voir V 28, note 29, et V 29, note 6. 5 Voir le serpent représenté en Afrique du nord. Jeu de mots Tortis/tortuosi. 6 Voir V 25, note 23. 7 Il s’agit de la tiare. Voir V 21 et V 25. 8 C’est-à-dire la région d’Avignon. 1 2

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DE

FOL.

COMMVNIONE VNIVERSALIS

72v°

ECCLESIE

Si comedens aliquod animal uoluero cuilibet complacere, me comedente unum membrum, potest de illo alius inuidere; si autem dedero illud ei et comedero aliud, potest et alius similiter inuidere de illo quod comedo; et sic in infinitum de quolibet membro. Quare ergo? Eo quod una et eadem res non potest simul et semel omnibus et singulis tradi; et sic nunquam inuidia potest cessare. Si dedero tali regi pedem Europe uel tibiam et alteri uentrem, unus inuidet alteri. Conuertamur ergo primum ad infirmos, ut ex sacra communione eucharistie ubi est ueraciter Ihesus Christus Deus et homo, discant simul et semel singillatim sumere totum Christum non partem. Deinde perficiantur in speculari Ecclesia cuius qui habet partem, habet et totam, immo qui est minimum membrum eius, iam habet et est totum corpus Ecclesie. Vnusquisque enim perfectus habet in se totum corpus Ecclesie, in qua habitat uerus Deus per intelligibilem fidem. Quanto melius cum specularis Ecclesia transferetur ad speciem ! Iam habemus ex nunc arram beatitudinis, ubi cessat omnis inuidia, nobis habentibus communem scientiam. Actum XVI kalendas nouembris. De fide mundana et spirituali Siquis quesierit a me: « Quomodo scis talem et talem prouinciam ? », respondeo: « ex auditu »; alioquin perdita est fides. Nonne quilibet incredulus infidelis firmiter credit se esse natum ex tali uiro et tali femina, quod non potest scire nisi ex auditu? Ita sine dubio credit. Sancta igitur caritas quam figurat Auinio omnia credit. Actum eadem die uel nocte. De desiderio electorum ad reuelationem scientie Multi sunt qui habent rationem clarissimam ueritatis in conscientia sua de lege nature per gratiam Dei cum euidentissimis argumentis. Sed uidentes alios esurire et sitire iustitiam, nec potentes inuenire per quem modum possint illos docere de lege nature quam habent in conscientia scriptam, nimia caritate interius inardescunt que non inuenit aditum exeundi. Cum autem apparuerit uniuersalis scientia ad docendum indoctos, tunc prorumpet incendium caritatis exterius circumquaque; per cuius ignem iudicabitur iste mundus, spiritualiter tamen ante quam fiat iudicium omnis carnis. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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dans cette Provence, on leur demande où est la Lombardie, ils se tournent du côté où elle n’est pas, car elle est à l’est; même chose pour quelque région que ce soit. Mais celui qui possède ces connaissances qui sont les nôtres, où qu’il se trouve, peut savoir, sans recours à un texte ni à la réflexion, que telle ou telle province se trouve dans telle ou telle contrée ou pays. Il faut que ces connaissances gratuites et dépourvues d’un salaire corruptible soient montrées à tous au grand jour1. LA

COMMUNION DE L’ÉGLISE UNIVERSELLE

Si, quand je mange de la viande, je veux faire plaisir au premier venu, un autre peut avoir envie du morceau que je mange; et si je lui donne ce morceau et que j’en mange un autre, il se peut encore qu’une autre personne ait également envie de ce que je mange; et ainsi de suite, pour chaque morceau. Pourquoi donc? Parce qu’une seule et même chose ne peut à la fois et une fois pour toutes être donnée à tous et à chacun en particulier; et ainsi la jalousie peut être sans limites. Si je donne le pied ou la jambe de l’Europe à tel roi, et le ventre à tel autre, l’un peut être jaloux de l’autre. Nous devons donc d’abord nous tourner vers les faibles pour que, avec la sainte communion de l’eucharistie où JésusChrist Dieu et homme demeure véritablement, ils apprennent à la fois et une fois pour toutes à recevoir individuellement le Christ tout entier et non en partie. Ils doivent ensuite se perfectionner dans l’Église du miroir, car celui qui la possède en partie la possède aussi tout entière, ou plutôt celui qui en est le plus petit membre possède déjà et est le corps tout entier de l’Église. En effet, chaque parfait porte en lui le corps tout entier de l’Église, dans laquelle le vrai Dieu habite par la foi intelligible. Et combien davantage, quand l’Église du miroir passera au face à face! Nous disposons déjà dès maintenant des gages de la béatitude où toute jalousie prend fin, puisque nous possédons une connaissance en commun. Fait le 16 des calendes de novembre [17 octobre 1337]. La foi du monde et celle de l’esprit Si l’on me demande: « Comment connais-tu telle et telle province? », je réponds: « par ouï-dire »; sinon la foi est absente. Est-ce que n’importe quel infidèle incroyant ne croit pas avec certitude qu’il est né de tel homme et de telle femme, alors qu’il ne le sait que par ouï-dire? Il le croit sans hésitation. Par conséquent, la sainte charité que représente Avignon ajoute foi à tout. Fait le même jour ou la nuit. Le désir qui porte les élus vers la révélation de leurs connaissances Ils sont nombreux ceux qui ont dans leur conscience une approche rationnelle très claire de la vérité concernant la loi naturelle, par la grâce de Dieu et avec des preuves tout à fait dignes de foi. Mais lorsqu’ils en voient d’autres avoir faim et soif de justice2 et qu’ils ne peuvent trouver comment leur enseigner cette

1 2

Opicinus affirme qu’il connaît intuitivement la géographie mieux que personne au monde. Voir Mt 5, 6 (et Lc 6, 21).

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FOL.

72v°-73

De sanctis confessionibus Lombardie futuris Si Papia confessa fuerit toto corde se fuisse illam de qua predixerat Dominus ad Iob (XL°): « Virtus eius in lumbis eius et fortitudo illius in umbilico uentris eius », non ex luxuria carnis sed peruersione sapientie Dei in sapientiam mundi, tunc populus sacerdotalis iudex suus respondebit ei nomine Salomonis in Canticis (VII°): « Vmbilicus tuus crater tornatilis, nunquam indigens poculis; uenter tuus sicut aceruus tritici, uallatus liliis », ut sis testimonium uirginitatis Ecclesie. Videmus enim oculis nostris iuuenes seculares habentes opes in zonis spirituales circa pectus quod uocatur Auinio curialis, et temporales diuitias circa lumbos quorum bursa ditissima opibus lumbaris nominatur Venetia castitatis; ut pectus eorum habeat spiritualium fructum non usum, et bursa lumborum possideat temporalium usum non fructum. Similiter titulus burse sine substantia confitens se fuisse segregatum a bursa ex furto, conciliatus est titulus burse cum bursa, ut uocetur deinceps Ianua Venetorum et Venetia Ianuensium. Additum anno perfectionis, IIII kalendas maii. [fol. 73] DE

AVARITIA PRESENTIS SCIENTIE ET FINALI IVDICIO

Nonnulli habentes magnam scientiam nolunt eam ostendere illis qui indigent ea, nisi per pretium uel mercedem corruptibilis auri et argenti aut honoris transitorii et glorie personalis; qui iam iudicati sunt in conspectu diuino de crimine furti et peccato rapine. Quod iam scriptum est ab initio seculi in oculis omnis carnis. In die namque Iudicii satisfiet cuilibet uoluntati sine ulla uiolentia alicuius uoluntatis; et unaqueque uoluntas non poterit aliud uelle quam id in quo eius propositum est fundatum; tunc unaqueque uoluntas habebit desiderabilem fructum. Voluntas enim electorum, una non multiplex, in uniuersali caritate fundata, obtinebit propter amorem Dei et populi christiani fructum desiderabilis ueritatis. Et uoluntas reproborum, non una sed multiplex, usque ad gloriam singularem, propter amorem proprium obtinebit fructum desiderabilis apparentie, in quo fructu solam inueniet falsitatem. Tunc nequam uoluntas non potens aliud uelle et nunquam obtinens id quod uult, stimulante semper uerme conscientie, iudice ratione cruciabitur in eternum, in anima et in carne. Id est cupiens uanitatem, uanitatem pro mercede recipiet que nichilum erit; cuius ymaginatio concupita erit perpetuus cruciatus. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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loi naturelle qui est inscrite dans leur conscience, ils sont intérieurement enflammés par une charité débordante qui ne trouve pas d’issue. Néanmoins, lorsque la connaissance universelle se manifestera pour instruire les ignorants, l’incendie de la charité embrasera alors l’extérieur tout à l’entour; et c’est par ce feu que le monde d’ici-bas sera jugé, sur le plan spirituel néanmoins tant que le jugement de toute chair n’est pas arrivé. Les saintes confessions à venir de la Lombardie Si Pavie confesse de tout son cœur qu’elle a été celle dont le Seigneur avait prédit à Job (40): « Sa force réside dans ses reins / organes génitaux1 et sa vigueur, dans le nombril de son ventre »2, et ce non pas en raison des intempérances de la chair, mais de la transformation de la sagesse de Dieu en sagesse du monde, le peuple sacerdotal, son juge, lui répondra alors, tel Salomon dans les Cantiques (7): « Ton nombril forme une coupe où les vins ne manquent pas; ton ventre, un monceau de froment, environné de lis »3, si bien que tu es le témoignage de la virginité de l’Église. En effet, nous avons sous les yeux des jeunes gens du monde avec des richesses spirituelles dans leurs ceintures, du côté de la poitrine qu’on appelle l’Avignon de la curie, et des biens matériels du côté des organes génitaux, où les bourses qui regorgent de richesses génitales sont appelées la Venise de la chasteté; si bien que leur poitrine possède les fruits des biens spirituels et non leur utilisation, et que les bourses de leurs organes sexuels détiennent l’utilisation des richesses temporelles et non les fruits. De la même manière, si le titre de bourse dépourvu de substance avoue qu’il a été détaché de la bourse par un vol, le titre de la bourse est réuni à la bourse, si bien qu’ensuite on l’appelle la Gênes des Vénètes et la Venise des Génois. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des calendes de mai [28 avril 1338]. [fol. 73] L’AVARICE

POUR LES CONNAISSANCES PRÉSENTES ET LE

JUGEMENT

FINAL

Alors qu’ils possèdent de grandes connaissances, certains refusent d’en faire part à ceux qui en ont besoin, à moins que ce ne soit pour une récompense, ou bien pour un salaire fait d’or et d’argent corruptibles ou d’honneurs éphémères et de gloire personnelle; ils sont déjà condamnés aux yeux de Dieu pour leur délit de vol et leur péché d’escroquerie. Et cela est déjà écrit depuis le début des temps à la vue de toute chair. Car c’est un fait qu’au jour du Jugement, chaque volonté sera payée de retour, sans qu’il soit fait de tort à aucune volonté; et chaque volonté ne pourra vouloir autre chose que ce sur quoi ses intentions sont fondées; et chaque volonté recevra alors le fruit qu’elle a désiré4. En effet, la volonté des élus, qui est une et non multiple, fondée sur la charité universelle, obtiendra le fruit de la vérité qu’elle désirait, en raison de son amour pour Dieu et pour le peuple chrétien. Et la volonté des réprouvés, qui n’est pas une mais multiple, et qui com-

1 Opicinus utilise la signification de lumbi qui n’est pas celle des traductions bibliques, mais celle qui est omniprésente dans le Vaticanus. 2 Jb 40, 11. 3 Ct 7, 3. 4 Voir fol. 65r°v°.

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DE

FOL.

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AQVILIS ET MILVIS

Nunquam uel uix unquam uidi aquilas in Papia uentrali, sed plures in Auinione pectorali, quasi in Rupe prerupta pectoris lapidei iam aperti. Ad litteram loquor, spiritualiter autem, ut aquile congregentur ubi corporaliter habitat Dominus, non nomine serui sed Domini omnium spiritualium et temporalium cum corporalibus. Similiter ad litteram, Papia miluis multis habundat ad rapinam pullorum; Auinio autem nullis uel paucis.

DE

PERSONALI IVDICIO

Si Affrica singularis persona dixerit ad Europam: « Nos imperamus tibi ut facias tale quid », iam mentita est cum persona nomine suo, sicut intendit, sibi usurpet loquelam pluralem. Europa autem tota uniuersalis potest ad Affricam dicere nomine uniuersitatis: « Nos imperamus tibi ut facias tale quid »; et sic nunquam mentitur. DE

VNIVERSALI

ECCLESIA

OMNIA POSSIDENTE

Terra sancta orientalis debetur filie principis rupine; id est omnis possessio mundi debetur speculari Ecclesie que a Rupe Prouincie pectoralis uere uocatur rupina filia principis et regis eterni. Qui autem aliter dixerit reputabitur fabulator. Actum die sancti Luce euangeliste. DE

SPIRITVALI HELEMOSINA DISPERGENDA PAVPERIBVS SPIRITV

Conferendo meipsum cum spirituali paupertate multorum compresbiterorum meorum, qui sunt uel possunt esse habiles ad tantam et forte maiorem scientiam capiendam, nisi per me remaneat, maximum debitum me compellit thesauros presentes dispergere iuxta mandatum summi pontificis, cum omnes thesauri aliorum cordium fuerint in medium ab unoquoque prolati.

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prend la gloire exceptionnelle, obtiendra, en raison de son amour pour ellemême, le fruit des faux-semblants qu’elle désirait, et elle ne trouvera dans ce fruit que le mensonge. Alors la volonté dévoyée, ne pouvant obtenir autre chose et n’obtenant jamais ce qu’elle veut, sans cesse tourmentée par le ver de la conscience, avec la raison pour juge, sera éternellement torturée dans son âme et dans sa chair. Traduisons: en convoitant ce qui est futile, elle recevra ce qui est futile comme salaire, autant dire rien; et ce qu’elle a convoité en imagination deviendra une torture sans fin. LES

AIGLES ET LES MILANS1

Je n’ai jamais ou presque jamais vu d’aigles dans la Pavie du ventre, mais j’en ai vu un grand nombre dans l’Avignon de la poitrine, c’est-à-dire sur le Rocher2 escarpé d’une poitrine en pierre déjà ouverte. Je parle littéralement mais aussi spirituellement, pour que les aigles se rassemblent là où le Seigneur habite corporellement, non au nom du serviteur mais au nom du Seigneur de tout ce qui est spirituel et temporel ainsi que de ce qui est corporel. De même, au pied de la lettre, Pavie possède en abondance de nombreux milans qui volent les poussins3, alors qu’Avignon n’en a aucun ou très peu. OPINION

PERSONNELLE

Si l’Afrique, en tant que personne au singulier, dit à l’Europe: « Nous t’ordonnons de faire ceci », elle a déjà menti, puisque la personne qui porte son nom, comme elle le prétend, parle de manière abusive au pluriel. Mais l’Europe, qui est tout entière universelle, peut dire à l’Afrique au nom de la communauté: « Nous t’ordonnons de faire ceci », sans jamais mentir. L’ÉGLISE

UNIVERSELLE POSSÈDE TOUT

La Terre sainte d’Orient revient à la fille du prince de la roche. Traduisons: toutes les possessions du monde reviennent à l’Église du miroir qui, en partant du Rocher de la Provence de la poitrine, mérite vraiment le nom de rupine/falaise4, la fille du prince et du roi éternel. Et celui qui parlera autrement passera pour menteur. Fait le jour [de la fête] de saint Luc, évangéliste [18 octobre 1337]. L’AUMÔNE

SPIRITUELLE QU’IL CONVIENT DE DISTRIBUER AUX PAUVRES EN ESPRIT

En m’adonnant moi-même à la pauvreté spirituelle que pratiquent beaucoup de mes collègues prêtres, qui sont ou qui peuvent être aptes à posséder un savoir

Le milan est un oiseau de proie comme l’aigle. Le Rocher: un des noms que l’Écriture applique à Yahvé (car il invoque la solidité, l’appui inébranlable et donc la protection, la sécurité, la fidélité): voir l’Ancien Testament, en particulier les textes poétiques et prophétiques. Ici « le Rocher » désigne Opicinus. 3 C’est-à-dire les enfants de l’Église. 4 Jeu de mots rupe/rupina. 1 2

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De spirituali imperio Preeminentia spiritualis imperii principaliter dependet ab incorruptibili dignitate papali, que ex uirtute diuina habitante in se omnia membra disponit. Sacramentale autem imperium exercetur a seruo seruorum Dei, usque ad quemlibet seruum Dei sacramentaliter ordinatum; qui omnes sunt persone corruptibiles et mortales. DE

EXPECTATIONE MATVRA AD INTELLECTVM HABENDVM

Verbum Dei plantatum in pectore nostro ex inspiratione diuina suauiter expectetur ad tempus, ne ante tempus euulsum arescat, sed crescat suauiter per tempora et tempus et dimidium temporis. Hoc non intelligatur ad litteram sed spiritualiter exponatur. Omnis enim dispositio naturalis ex suaui expectatione firmatur, sicut uegetabiles plante et animalia bruta cum homine rationali. Actum XIII kalendas nouembris, circa quam diem – ut opinor – expleti sunt tres anni cum dimidio a die qua priuatus sum pristinis sensibus.

De testimoniis personalibus Cum dominus cum quo commoror infirmaretur estate anni retributionis, ex fidelibus animalibus homo et leo transierunt ante cubiculum meum ad uisitandum infirmum, a cuius lateribus bos et aquila iam migrarant. Additum die predicta. Hodie predictus cohospes ex digna retributione hominem uisitauit infirmum. De studio uere scientie Exercitium huius operis non est aliud nisi diligens et sollicitum studium ad ueram scientiam capiendam. Siquis dixerit mihi: « Quando erit finis huius operis? », interroget quemcumque studentem: « Quando erit terminus studii eius? », et tunc ambo studentes faciemus eandem responsionem querenti: « Solus Deus nouit finem huiusmodi studii nostri ». Postquam didici multa ex opere studii uel studio operis, apertis mihi oculis rationis et intellectus, nunquam habui maius desiderium addiscendi a doctioribus quam nunc. Cum enim essem cecus, aliquando putabam me esse magistrum in multis; nunc apertis interioribus oculis meis, compellor esse discipulus aliorum. Additum kalendis decembris. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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si étendu et peut-être plus étendu – à condition que je ne le fasse pas stagner – un devoir impérieux me pousse à distribuer les trésors dont je dispose aujourd’hui, en obéissant à l’ordre du souverain pontife, puisque chacun a apporté au milieu tous les trésors des autres cœurs. Le pouvoir spirituel La primauté du pouvoir spirituel découle pour l’essentiel de la fonction incorruptible de la papauté, qui agence tous ses éléments grâce à la puissance divine qui habite en elle. Et le pouvoir sacramentel est exercé par le serviteur des serviteurs de Dieu, y compris n’importe quel serviteur de Dieu qui a reçu le sacrement de l’ordre; or il s’agit dans tous les cas de personnes corruptibles et mortelles. L’ATTENTE

POUR OBTENIR L’INTELLIGENCE VIENT À MATURITÉ

Le Verbe de Dieu, semé dans notre poitrine par le souffle divin, doit faire l’objet d’une douce attente jusqu’au temps fixé, pour éviter qu’il ne se dessèche si on l’arrache prématurément, pour qu’au contraire, il grandisse doucement à travers des temps, un temps et la moitié d’un temps1. Cela ne doit pas être compris au pied de la lettre, mais faire l’objet d’explications spirituelles. En effet, tout ce qui relève d’une organisation naturelle est fortifié par une douce attente: il en est ainsi pour les plantes et les bêtes brutes ainsi que pour l’homme doué de raison. Fait le 13 des calendes de novembre [20 octobre 1337]; aujourd’hui, à mon avis, cela fait environ trois ans et demi que j’ai été sevré de mes dispositions d’esprit antérieures2. Témoignages concernant des personnes Lorsque le seigneur chez qui j’habite a été malade pendant l’été de l’année de la récompense [1336], parmi les animaux fidèles, l’homme et le lion sont passés devant ma chambre pour rendre visite au malade, alors que le bœuf et l’aigle avaient déjà quitté son entourage. Ajouté le jour susdit. Aujourd’hui le seigneur en question, à la suite d’un juste retour des choses, a rendu visite à l’homme qui est malade. La recherche du véritable savoir La réalisation de cette oeuvre n’est rien d’autre qu’une quête consciencieuse et soigneuse pour acquérir la véritable connaissance. Si l’on me dit: « Quand finirastu cette oeuvre? », et si l’on pose à quelqu’un qui cherche la question suivante: « Quand arrêteras-tu cette recherche? », nous ferons alors la même réponse à celui qui nous interroge, puisque nous cherchons tous les deux: « Dieu seul sait quand

1 Voir Ap 12, 14 et Dn 7, 25 (où il s’agit des 3 ans 1/2 qui correspondent à la persécution du peuple juif par Antiochus Epiphane). Sur un plan symbolique, il s’agit de la durée type des calamités permises par Dieu. Voir fol. 74. 2 Opicinus assimile ainsi la période qui s’est écoulée depuis son entrée dans la psychose (avril 1334) à un temps biblique.

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FOL.

73-73v°

De sententiis Ecclesie super Lombardiam Iob XXXVIII°: « Circumdedi illud terminis meis (subaudi legum mearum, ne malitia Longobarda transiret Bononiam meam). Et posui uectem (Ferrarie mee, ab infimo usque ad summum Montem Ferratum) et ostia (id est sacramentales sententias per legatum uicarii mei, ut ostiis clausis malitia uelleretur. Ecce quod ostium et quod uellendum supra). Quis conclusit ostiis mare (id est Lombardiam malitiam uentris mei), quando erumpebat (ad opera), quasi de uulua procedens1 (id est de partibus cunii ab angulo Lombardie)? ». Additum anno perfectionis, XVII kalendas iunii. Vbicumque consideratur caput maris esse deorsum et pedes eius sursum, intelligitur Lombardia uel solum territorium Papiense aut sola ciuitas Papiensis; ubi uero habetur per contrarium, intelligitur mundus naturalis uel sola Auinio.

[fol. 73v°] DESSIN V 17

1

Citation soulignée en rouge.

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finira notre recherche ». Après que j’aie beaucoup appris en menant ma recherche ou en réfléchissant sur mon œuvre, les yeux de ma raison et de mon intelligence s’étant ouverts, je n’ai jamais éprouvé de plus grand désir d’apprendre auprès de gens plus savants que maintenant. En effet, lorsque j’étais aveugle, il m’arrivait de me considérer comme un maître dans de nombreux domaines; maintenant que mes yeux intérieurs se sont ouverts, je suis incité à être le disciple des autres. Ajouté le jour des calendes de décembre [1er décembre 1337]. Les propos de l’Église sur la Lombardie Job (38): « J’ai entouré [la mer] avec mes limites (sous-entendu celles de mes lois), pour éviter que la malice lombarde ne dépasse ma ville de Bologne; et j’ai placé un verrou à ma ville de Ferrare, entre le point le plus bas et le sommet du Montferrat, et des portes1 (c’est-à-dire des arrêts relatifs aux sacrements, par l’intermédiaire du légat de mon vicaire), afin qu’une fois les portes fermées, la malice soit extirpée. Voici en quoi consistent les portes et ce qui doit être extirpé (voir plus haut). « Qui a enfermé dans des portes la mer (c’est-à-dire la malice lombarde de mon ventre), quand elle se précipitait pour agir, comme si elle sortait de la vulve (c’est-à-dire des régions du coin/con issu de l’angle que fait la Lombardie)?2. Ajouté l’année de la perfection, le 17 des calendes de juin [16 mai 1338]. Partout où l’on voit que la tête de la mer se trouve en bas et ses pieds en haut, il s’agit de la Lombardie, ou bien seulement du territoire de Pavie, ou bien seulement de la ville de Pavie; mais partout où c’est l’inverse, il s’agit du monde naturel ou bien seulement d’Avignon.

[fol. 73v°] DESSIN V 17 Le dessin comprend plusieurs parties apparemment très différentes. En haut, à gauche, des considérations et des citations sur les quatre évangélistes donnent la primauté à Jean. En haut, au milieu, une grande tiare inclut un rectangle où s’inscrivent des vases et des cercles sur fond vert, avec des mots en rouge ou en brun selon leur importance; l’histoire de la création y est retracée, inspirée de la Genèse; l’arche de Noé, de couleur beige, est la demeure du Christ-Opicinus. Les commentaires situés à droite mettent aussi en valeur Opicinus en tant qu’« homme unique » équivalant au Soleil. En bas, une carte renversée présente les parties du monde connu de manière anthropomorphe comme d’habitude: – L’Afrique féminine a un visage brun (avec des joues rose foncé et une barbe noire), une main et des pieds bruns; le serpent tunisien est orangé. Elle représente « l’« infidélité ». – L’Europe féminine a des cheveux et un manteau bruns, avec les clous des bottes de couleur presque noire; le dragon grec orangé est écrasé par le talon de la jambe gauche. Elle représente « la foi », et porte dans sa poitrine Dieu (avec ses deux natures), l’homme et l’éternité; autant dire Opicinus. – L’Asie Mineure est du même vert que le fond du rectangle de la tiare, ce qui unit les deux parties du dessin et montre que la tiare correspond au monde asiatique (incluant l’arche de Noé située en Arménie). 1 2

Jb 38, 10. Jb, 38, 5. La mention de la vulve est particulièrement opportune pour Opicinus.

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756

FOL.

73v°

1 – Matheus historicus fundat fidem ad litteram; nomine Marci, Luce et Iohannis. 2 – Marcus allegoricus omnia recitata reducit ad misticum sensum, ne quiesceremus in littera; et hoc nomine Mathei, Luce et Iohannis. 3 – Lucas tropologicus de litteris illis mores componit ad nutriendos infirmos; nomine Mathei, Marci et Iohannis. 4 – Iohannes anagogicus totum conuertit ad inuisibilem rem; nomine Mathei, Marci et Luce. 5 – Ecce quod unusquisque facit pro ceteris. Verbi gratia. Matheus facit ex se IIIIor euangelia esse ueraciter historialia, nequis diceret: « Istud est historiale et aliud non ». 6 – Similiter Marcus illorum uisibilia infra Deum intelligit aliud significare, alioquin conuerterentur in fabulas sine sensu. 7 – Lucas utitur uisibilibus illis ad uirtutes morales, ne totaliter littera contempnetur ab infirmis. 8 – Iohannes omnia uisibilia IIIIor euangeliorum transscendit usque ad inuisibilia contemplanda, ut a perfectis omnia uisibilia contempnantur. 9 – De primo Mathei II: « Siscitabatur ab eis ubi Christus nasceretur. At illi dixerunt eis: ‘in Bethleem Iude’». 10 – De secundo Marci IIII: « Seorsum autem discipulis suis disserebat omnia ». 11 – De tertio Luce IIII: « Et uenit Nazareth ubi erat nutritus ». 12 – De quarto Iohannis XVI: « Ecce nunc palam loqueris et prouerbium nullum dicis ». 13 – discretiui; Marcus ad uentrem; fidelium; Iohannes ad pectus; ut uentrales ascendant ad pectus. 14 – GENVS 15 – GENERALISSIMVM 16 – PRIMA DIES: substantia 17 – incorporea 18 – corporea 19 – SECUNDA DIES: corpus 20 – simplex 21 – compositum 22 – TERTIA DIES: corpus compositum 23 – uegetabile 24 – non uegetabile 25 – QUARTA DIES: corpus uegetabile 26 – sensibile www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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La mer diabolique n’est pas colorée. Globalement, ce dessin a pour but de montrer qu’Opicinus occupe l’espace et le temps, c’est-à-dire qu’il est bien le Dieu éternel. Il s’articule aussi sur des oppositions: visible/invisible, foi/infidélité, poitrine/organes génitaux, début/fin…

1 – Matthieu, qui fait œuvre d’historien, établit la foi de manière littérale sur la lettre; au nom de Marc, Luc et Jean. 2 – Marc, qui a recours à l’allégorie, ramène tous les récits à leur signification cachée/mystique, pour éviter que nous ne nous en remettions à la lettre; et ce, au nom de Matthieu, Marc et Jean. 3 – Luc, qui a recours à la tropologie, établit la morale issue de ces textes pour nourrir les faibles; au nom de Matthieu, Marc et Luc. 4 – Jean, qui a recours à l’anagogie, tourne tout vers l’invisible; au nom de Matthieu, Marc et Luc. 5 – Voilà ce que chacun fait pour les autres. Par la grâce du Verbe. Matthieu donne une authenticité historique aux 4 évangiles, afin que personne ne dise: « Celui-ci est historique et cet autre ne l’est pas ». 6 – De même, Marc comprend que leurs réalités visibles subordonnées à Dieu indiquent autre chose, sinon elles deviendraient des chimères dépourvues de sens. 7 – Luc tire parti de ces réalités visibles pour aller vers les vertus morales, afin d’éviter que la lettre ne soit entièrement délaissée par les faibles. 8 – Jean passe de l’ensemble des réalités visibles des quatre évangiles à la contemplation de l’invisible, afin que l’ensemble des réalités visibles soit méprisé par les parfaits. 9 – Premièrement chez Matthieu (2): «[Hérode] s’enquérait auprès d’eux [les grands prêtres et les scribes] du lieu où devait naître le Christ. À Bethléem de Judée, lui dirent-ils »1. 10 – Deuxièmement, chez Marc (4): « Mais, en particulier, il [Jésus] expliquait tout à ses disciples »2. 11 – Troisièmement, chez Luc (4): « Et [Jésus] vint à Nazareth où il avait été élevé »3. 12 – Quatrièmement, chez Jean (16): « Voici que maintenant tu parles en clair et sans paraboles! »4. 13 – ceux qui séparent; Marc vers le ventre; des fidèles; Jean vers la poitrine; afin que les habitants du ventre montent vers la poitrine 14 – LE GENRE 15 – SUPRÊME5 16 – LE PREMIER JOUR: la substance 17 – immatérielle

Mt 2, 4-5. Mc 4, 34. 3 Lc 4, 16. 4 Jn 16, 29. 5 Les genres et espèces représentaient à l’époque un des thèmes privilégiés de la querelle des universaux opposant nominalistes et réalistes. 1 2

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27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45

FOL.

– – – – – – – – – – – – – – – – – – –

73v°

insensibile QUINTA DIES:

animal rationale irrationale SEXTA DIES: homo spiritualis animalis INDIVIDVA1

NOE; IHESUS filius hominis Maria uirgo mater Ioseph sponsus OSTIVM ARCHE SEPTIMA DIES:

HOMINES SPIRITUALES DIFFERENTIE GENERUM2 DIFFERENTIE SPECIERUM3 SPECIES SPECIALISSIMA SPECIES SVBALTERNE4 GENERA SVBALTERNA5

Prima dies creationis de luce attribuitur substantie. Secunda de firmamento attribuitur corpori. Tertia de segregatione aquarum et productione planetarum attribuitur corpori composito. Quarta de luminaribus celi et temporum dispositione attribuitur corpori uegetabili, quod sine tempore et influentia superiorum non potest naturaliter esse, licet factum fuerit die precedente. Quinta de piscibus et uolatilibus attribuitur animali. Sexta de animalibus terre et homine, reputatis istis cum illis, S(s)oli homini attribuitur. Septima requiei conformatur persone. Ecce principia totius philosophie. Ecce arbor et linea fidei nostre. Ecce archa Noe, cuius ostium laterale Christus reserauit ad uitam. Hec omnia mistice referuntur ad redemptionis nostre misterium, sine quo hec omnia uana sunt. 46 – coniunctiui; Matheus ad lumbos; infidelium; Lucas ad pectus; ut pectorales descendant ad lumbos. 47 – infidelitas

Les quatre syllabes détachées du mot sont étirées sur une ligne horizontale. L’expression est étirée le long d’une verticale, les syllabes étant reliées entre elles par une ligne. 3 Idem. 4 L’expression est étirée le long d’une verticale. 5 Idem. 1 2

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– matérielle – LE DEUXIÈME JOUR: le corps – simple – composé – LE TROISIÈME JOUR: le corps composé – végétal – non végétal – LE QUATRIÈME JOUR: l’être vivant – possédant des sens – privé de sens – LE CINQUIÈME JOUR: l’animal – doué de raison – non doué de raison – LE SIXIÈME JOUR: l’homme – spirituel – animal – CE QUI EST INDIVISIBLE – L’ENTRÉE DE L’ARCHE DE NOÉ; JÉSUS, fils de l’homme – LE SEPTIÈME JOUR: Marie, vierge et mère – Joseph, son époux – LES HOMMES SPIRITUELS – LES CARACTÈRES DISTINCTIFS DES GENRES – LES CARACTÈRES DISTINCTIFS DES ESPÈCES – L’ESPÈCE – LA PLUS REMARQUABLE – LES ESPÈCES INFÉRIEURES – LES GENRES INFÉRIEURS – Le premier jour de la création1, après la lumière, se rapporte à la substance. Le deuxième jour, après le firmament, se rapporte au corps. Le troisième jour, après la séparation des eaux et la formation des planètes, se rapporte au corps composé. Le quatrième jour, après les luminaires du ciel et l’organisation du temps2, se rapporte à la végétation; car, privée du temps et de l’action des luminaires, elle ne peut vivre normalement, même si elle a été créée la veille3. Le cinquième jour, après les poissons et les oiseaux, se rapporte à l’animal. Le sixième jour, après les animaux de la terre et les hommes, les uns et les autres étant comptés ensemble, se rapporte à l’homme unique / à l’homme-Soleil4. Le septième jour, celui du repos, est adapté à la personne. Voici les bases de toute la philosophie. Voici l’arbre et l’axe de notre foi.

Voir Gn 1, 1 et ss. C’est-à-dire l’alternance du jour et de la nuit. 3 La végétation est créée au troisième jour. 4 C’est-à-dire Opicinus, qui joue sur les deux possibilités de traduction du mot S(s)oli. 1 2

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760

FOL.

73v°-74

48 – fides 49 – DEVS, finis, HOMO, principium; ANIMA, VERBVM, CARO; CHRISTUS 50 – Actum in die sancti Luce euangeliste, tunc die sabbati completiui.

[fol. 74] DE

TESTIMONIO PERSONALI

Cum adhuc essem cecus, ante quam haberem presens officium, dominus Iohannes papa XXIIus dixit me esse philosophum, sicut mihi relatum fuit; et hoc post receptionem libelli « De paupertate Christi », ante quam recepisset librum « De preeminentia spiritualis imperii ». DE

INTERPRETATIONE

SICILIE

Sicilia duplici interpretatione uocata sic se habet uicissim. Quotiens enim sum in meditatione suspensus, mens mea quasi Sicilia ponderosa quiescit in pectore huius Prouincie, eo quod cor meum tunc nulla leuitate uagatur imitaturque Mariam. Quotiens autem sum in sollicitudine proximorum intentus, mens mea quasi Sicilia laborosa fluctuat in pectore maris, eo quod cor meum tunc nulla quiete tenetur et sequitur Martham. DE

EXEMPLO EXERCENDI

Sicut mundus ex informi chaos productus in formam nullum locum uacuum habet sine misterio exercendo, ita homo debet toto posse ocium euitare, ne tempus sibi concessum transeat in uanum. DE

VERO IVRAMENTO

Iuramentum quod feci domino pape in manibus maioris penitentiarii significat uerius iuramentum quod feci in manibus Domini nostri Ihesu Christi in die baptismi. Summus pontifex Christi uicarius habitat in pectore totius Europe, sicut patet ad oculum. Et Christus habitat in pectore specularis Ecclesie per rationem et intellectum.

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46 47 48 49 50

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Voici l’arche de Noé; le Christ en a ouvert l’entrée latérale1 pour aller vers la vie. Tous ces propos hermétiques/mystiques concernent le mystère de notre rédemption; sinon, il s’agit de futilités. – ceux qui unissent; Matthieu vers les organes génitaux; des infidèles; Luc vers la poitrine; afin que ceux de la poitrine descendent vers les organes génitaux. – l’infidélité – la foi – DIEU, la fin, L’HOMME, le début; L’ÂME, LE VERBE, LA CHAIR; LE CHRIST2 – Fait le jour [de la fête] de saint Luc, évangéliste, le samedi qui achève [la semaine] [samedi 18 octobre 1337].

[fol. 74] TÉMOIGNAGE

PERSONNEL

Quand j’étais encore aveugle et avant que je n’obtienne mon office actuel, le seigneur pape Jean XXII a dit que j’étais un philosophe, ainsi qu’on me l’a rapporté; cela s’est passé après qu’il ait reçu le traité « Sur la pauvreté du Christ » et avant qu’il ne reçoive le livre « Sur la primauté du pouvoir spirituel ». CE

QUE VEUT DIRE LA

SICILE

La Sicile est nommée de deux manières différentes qui alternent de la façon suivante. En effet, chaque fois que je suis en proie à mes réflexions, mon esprit, telle la Sicile pesante3, reste immobile dans la poitrine de cette Provence; car mon cœur ne se perd pas dans les frivolités et il imite Marie. Mais chaque fois que je suis concentré sur les soucis que me donnent mes proches, mon esprit, telle la Sicile laborieuse4, s’agite dans le cœur de la mer; car mon cœur ne peut alors trouver de repos et il imite Marthe. L’EXEMPLE

À CULTIVER

De même que le monde ayant pris forme à partir du chaos informe ne contient aucun lieu vide dépourvu de secret à apprendre, de même il faut que l’homme fasse tout son possible pour fuir l’oisiveté, afin que le temps qui lui a été confié ne passe pas inutilement. LE

VÉRITABLE SERMENT

Le serment que j’ai prêté au seigneur pape, entre les mains du grand pénitencier5, indique le serment plus fondamental que j’ai prêté entre les mains de notre Seigneur Jésus-Christ, le jour de mon baptême. Le souverain pontife, vicaire du Christ, habite dans la poitrine de l’Europe tout entière, comme cela saute Allusion probable à Gênes et donc à la naissance par césarienne de V 6. Ce double cercle concentre la tendance à la globalisation d’Opicinus. 3 Voir V 15, note 23. 4 Voir V 15, note 35. 5 Il s’agit de Gaucelme de Jean jusqu’en 1330. Le serment était prêté par les scribes lorsqu’ils prenaient leur charge. 1 2

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DE

FOL.

DIGNITATE

74

EVROPE

Ecce Dauid nomine huius Ecclesie sic dicit: « Audiam non aure corporea sed intelligibili fide quod loquatur in me Dominus Deus, quoniam loquetur pacem in plebem suam ». Qualiter autem Dominus loquitur in pectore nostro (non meo) sic dicit: « Cogito cogitationes pacis et non afflictionis » (id est: « Facio Ecclesiam talia cogitare, in cuius pectore habito »). DE

SACRAMENTO ETERNO

Presentia sacramenta ex parte signorum et multiplicis sacramenti sunt temporalia non eterna; inuisibilis autem res unica et non plures est sacramentum Verbi incarnati, quod est sacramentum eternum. Habitat enim ex uirtute deitatis sue simul et semel et in patria sempiterna, ubi nemo meretur et ubi sanctorum anime cum angelis supra humanitatem Christi diuinitate fruuntur, et in hac Ecclesia speculari, ubi omnes fideles merentur et ubi anime nostre sub Christi humanitate fouentur; ad quam etiam quottidie appropinquant anime imperfectorum exute et in purgatorio dilate et adiute per Ecclesie huius suffragia. Nescio autem aliud celum empireum uel cristallinum nisi istud paradisum fidelem et meritorium. Si uero Ecclesia aliter credit et ego credo cum illa; si ista retractauerit et ego retracto. Actum in die sancti Luce euangeliste. De casu terrribili ad testimonium huius rei Tertia die post hanc, interfui in consistorio inferiori, in quo loco nunquam fueram prius. Vbi fuit facta quedam absolutio quorumdam reuertentium de adhesione Bauari, assumpta parabola per summum pontificem de magna misericordia patris ad filium reuertentem de regione longinqua, similiter de penitentia Dauid. Quo facto, nobis egredientibus et ante ostium consistorii expectantibus, cepi cogitare de Papia adhuc conuertenda ad summum pastorem, sicut eam pridie descripseram infantem in utero (et hoc in sequenti pagina factum fuerat, relicta ista pagina semiuacua). Cumque similiter cogitarem misterium Babilonis quam alibi descripseram in uentre Italie, in momento cogitationis huiusmodi ceciderunt ligna et lapides cum artificibus et super artifices in constructione palatii (uel testudinis) antemuralis domini pape, ex quibus aliqui sunt extincti. Petita et obtenta absolutione papali quam similiter obtinueram, que – ut audiui postmodum – facta est in me; a qua die nuncusque transierunt tempora et tempus et dimidium temporis. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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aux yeux. Et le Christ habite dans le cœur de l’Église du miroir par la raison et l’intelligence. LA

FONCTION DE L’EUROPE

Voici David qui s’exprime ainsi au nom de l’Église: « Que j’entende, non avec une oreille humaine mais avec la foi intelligible, ce que dit en moi le Seigneur Dieu, puisque ce qu’il dira, c’est la paix pour son peuple »1. Mais lorsque le Seigneur parle dans notre poitrine (et non la mienne), il s’exprime ainsi: « Les desseins que je forme sont des desseins de paix et non de malheur » (c’est-à-dire: « Je permets que l’Église ait ces desseins, car j’habite dans sa poitrine »)2. LE

SACREMENT ÉTERNEL

Aujourd’hui, les sacrements sont donnés pour un temps et non pour toujours, si l’on considère les signes et la variété des sacrements; mais la réalité invisible, unique et non plurielle, c’est le sacrement du Verbe incarné, c’est-à-dire le sacrement éternel. En effet, du fait de la grandeur de sa divinité, elle séjourne en même temps et une fois pour toutes à la fois dans la patrie éternelle, où personne n’est méritant et où les âmes des saints ainsi que les anges jouissent de la divinité du Christ au-dessus de son humanité, et dans l’Église du miroir d’ici-bas, où tous les fidèles sont méritants et où nos âmes sont blotties sous l’humanité du Christ; et c’est de cette Église que s’approchent chaque jour les âmes libérées de la chair des non parfaits, en attente au purgatoire et soutenues par les suffrages de l’Église d’ici-bas. Or je ne connais pas d’autre ciel empyrée3 et cristallin que ce paradis de la foi et des mérites. Néanmoins, si l’opinion de l’Église est différente, je pense moi aussi comme elle; et si elle renonce à cette opinion, j’y renonce moi aussi. Fait le jour [de la fête] de saint Luc, évangéliste [18 octobre 1337]. Un accident effroyable qui témoigne de cette réalité Trois jours après cette date4, je me trouvais dans la salle inférieure du consistoire , lieu où je n’avais jamais mis les pieds auparavant; on y donna l’absolution à d’anciens partisans du Bavarois6 qui l’avaient quitté, le souverain pontife ayant choisi la parabole sur la grande miséricorde d’un père pour son fils revenant d’un pays lointain7, ainsi que la pénitence de David8. Après quoi, alors que nous sor5

Voir Ps 85, 9. Voir Jr 29, 11. 3 Le ciel empyrée, situé au-delà du ciel cristallin, est immobile; s’y trouvent Dieu, les anges, les saints et les élus. Il contient la lumière la plus pure de l’univers. 4 Soit le 20 octobre 1337. 5 Consistoire: assemblée générale des cardinaux sous la direction du pape. 6 Il s’agit de Louis de Bavière, élu en 1314. Il s’oppose violemment au pape Jean XXII qui l’excommunie en 1324. Louis descend alors en Italie, fait élire un antipape (Nicolas V) et se fait couronner empereur à Rome (1328). Il est destitué en 1346. 7 Allusion à la parabole du fils prodigue: voir Lc 15, 11-32. 8 Allusion aux reproches faits par Nathan à David pour son union adultère avec Bethsabée: voir 2 S 12, 13. 1 2

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764

FOL.

DE BABILONE

74

EVERSA

VII littere Babilonis, a maiori Caldee usque ad minorem Egypti per DCCta miliaria passuum uel circa, significant umbram turris Babel per VII miliaria, ut simpliciter fertur: si hoc mane uel uespere, nullum est murum; si supra diem in yeme, modicum est murum; si supra diem estate, aliquid est murum. Quomodo ergo fiat testimonium est Papie uel particularis uel uniuersalis, ab umbilico Europe maioris mundi usque ad genitalia Europe minoris mundi; ut Papia maioris mundi attribuatur Babiloni Caldee et Papia minoris mundi asscribatur Babiloni Egypti. Quam utrobique Papiam sub nomine Aquilegie Syrus a principio prophetice maledixit. Quam Papiam turrigeram non materialibus sed spiritualibus turribus multi edificant, ut a presenti diluuio ignis ex superbia non humilitate saluetur. Et ideo iusto dignoque iudicio edificatores eiusdem ex opinione multiplici de una eademque uerbi materia labia linguasque confundunt. Que turris nebulosa quasi inclita in regnis Caldee in momento subuertitur sicut Sodoma et Gomorra.

DE

COMMVTATIONE PROPHETIARVM

Venit hora cessandi ab omni uaticinio de futuris, cum solum finale Iudicium expectetur. Sed ignoratis occultis presentibus in persona, de presentibus manifestis cum collatione preteritorum, uniuersaliter iuxta uniuscuiusque iudicium prophetetur. Actum XIII kalendas nouembris.

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765

tions et attendions devant l’entrée du consistoire, j’ai commencé à penser à Pavie qui devait encore se tourner vers le souverain pasteur, ainsi que je l’avais représentée la veille: un bébé dans l’utérus1 (c’est ce que j’ai fait à la page suivante, car cette page était restée à moitié vide). Et alors que je pensais également au secret de la Babylone que j’ai représentée ailleurs dans le ventre de l’Italie2, au moment précis où j’avais ces pensées, des planches et des pierres sont tombées, entraînant avec elles des ouvriers, et tombant aussi sur les ouvriers qui construisaient le rempart du palais (ou de la tortue) du seigneur pape; parmi eux, certains sont morts. Une absolution pontificale ayant été demandée et obtenue3, je l’ai obtenue moi aussi: elle m’était destinée, à ce que j’ai entendu dire par la suite; depuis ce jour jusqu’à aujourd’hui, des temps, un temps et la moitié d’un temps se sont écoulés. BABYLONE

DÉTRUITE

Les 7 lettres de Babylone, entre la grande de Chaldée et la petite d’Égypte, soit une distance de 700 milles divisés en pas (ou environ), indiquent l’ombre que fait la tour de Babel sur 7 milles, d’après ce que l’on dit familièrement: lorsque c’est le matin ou le soir, on ne voit pas du tout la muraille; lorsque le jour est haut en hiver, la muraille est basse; lorsque le jour est haut en été, la muraille est d’une certaine importance. Par conséquent, la manière dont les choses se passent témoigne de Pavie, qu’il s’agisse de l’individuelle Pavie ou de l’universelle Pavie, entre l’ombilic de l’Europe du grand monde et les parties génitales de l’Europe du petit monde; si bien que la Pavie du grand monde est attribuée à la Babylone de Chaldée, et que la Pavie du petit monde est décernée à la Babylone d’Égypte. Or c’est cette double Pavie ayant pris le nom d’Aquilée que Syr a maudite dès le début en prophétisant. Et c’est cette Pavie garnie de tours – non pas matérielles, mais spirituelles – que beaucoup de gens construisent, afin qu’elle soit sauvée du déluge de feu actuel dû à son orgueil et non à son humilité. Et c’est pourquoi, c’est par un jugement juste et mérité que ses constructeurs, du fait de leurs croyances variées, confondent les langues et les langages à partir d’un seul et même discours de base4. Et cette tour brumeuse, soi-disant illustre dans les royaumes de Chaldée, est anéantie en un instant, telles Sodome et Gomorrhe. LES

MODIFICATIONS DES PROPHÉTIES

Le moment est venu où l’on doit arrêter toute prédiction sur l’avenir, puisque c’est seulement le Jugement final que l’on doit attendre. Mais comme ce qui est actuellement ignoré se trouve caché dans une personne, on doit prophétiser de manière universelle, selon l’avis de chacun, en comparant ce qui se voit aujourd’hui avec les événements passés. Fait le 13 des calendes de novembre [20 octobre 1337]. 1 2 3 4

Voir V 18 (dessin réalisé le 19 octobre 1337). Voir V 10 et V 20. Comme en avril 1329 (voir P 20). Voir Gn 11, 9.

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766

FOL.

74-74v°

De sidere Veneris Lucifer mane prospectans occasum transacta recogitat. Et Hesperus uespere aspirans ad ortum, ex collatione presentium cum preteritis, futura preponderat. Ecce prenuntia Venus circumspectans est bifrons. Actum eadem die. De significatione et re significata et maiestate sancte christianitatis Sancti religiosi habent ab extrinseco significationem regule christiane, quam significationem non habemus. Rem autem significatam que est christiana religio, habemus cum eis. Melius est enim confidere in re significata quam significatione. Vbi habitat Christus? Non in populo temporalium diuitum, non in turba pauperum plebeiorum, non in clero seculari, non in regula speciali. Sed habitat in pectore christianitatis, que nuncusque ab oculo carnis latuit in sepulcris inter mortuos reputata, cuius spiritualis maiestas in corpore sine carne, ab oriente usque ad occidentem attingit, et aquilonem et austrum amplectitur. Additum anno perfectionis, IIII kalendas maii.

[fol. 74 v°] DESSIN V 18

1 – Actum XIIII kalendas nouembris, tunc dominica XVIIIIª post Pentecostes. Additum de cunilio anno perfectionis, XII kalendas maii. 2 – Babilon maledicta, quam figurauerant femine Longobarde ante quam intrassent Italiam. 3 – Ego uiuifica domus Dei, in qua inuocatum est nomen eius, sum a Christo christianitas dicta.

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L’étoile de Vénus Lucifer, qui voit le matin le coucher du Soleil, médite sur le passé. Et Hespérus, qui approche le soir du lever du Soleil, en comparant le passé et le présent, penche vers le futur. C’est ainsi que Vénus, la messagère attentive, a un double visage1. Fait le même jour. Les signes, la réalité indiquée et la majesté de la sainte chrétienté Les saints moines portent extérieurement les signes de l’observance chrétienne; or nous ne portons pas ces signes. Mais la réalité indiquée, c’est-à-dire la communauté religieuse chrétienne, nous la détenons avec eux. En effet, il vaut mieux faire confiance à la réalité représentée plutôt qu’aux signes. Où demeure le Christ? Ce n’est ni dans le monde des riches en biens temporels, ni dans la foule des pauvres du commun des mortels, ni dans le clergé séculier, ni dans un ordre particulier. Mais il demeure dans la poitrine de la chrétienté, qui était jusqu’à présent cachée dans les tombeaux, loin des yeux de la chair et comptée parmi les morts, et dont la majesté spirituelle, dans un corps dépourvu de chair, s’étend de l’est à l’ouest, et embrasse à la fois le nord et le sud. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des calendes de mai [29 avril 1338].

[fol. 74v°] DESSIN V 18 Carte simple mettant en valeur une Europe christique qualifiée de « chrétienté »: l’Espagne est occupée par un diagramme où le visage du Christ (en lettres rouges) auréolé est entouré par les dons de l’Esprit Saint, les planètes et les jours de la semaine (en rouge eux aussi); la Provence est occupée par un autre diagramme où un Christ assis, stigmatisé et bénissant est entouré par sept villes épiscopales (en rouge), les planètes et la position respective de ces dernières. L’Europe pose sa main gauche sur le bébé dont elle est enceinte. Elle incarne les rêves de toute-puissance d’Opicinus: dominer l’espace et le temps. L’Afrique, féminine et chevelue, porte dans sa poitrine un cercle dont émerge seulement le ver (rose foncé). Elle incarne Babylone, l’enfer et la religion musulmane. Les longues notes qui occupent la demi page du bas explicitent le dessin, en revenant notamment sur la prééminence du Soleil-Opicinus.

1 – Fait le 14 des calendes de novembre, soit le 19e dimanche après la Pentecôte [dimanche 19 octobre 1337]. Ajouté, au sujet du lapin, l’année de la perfection, le 12 des calendes de mai [20 avril 1338]. 2 – Babylone la maudite, qu’incarnaient les femmes lombardes2 avant qu’elles ne viennent en Italie. 3 – Moi, la maison de Dieu qui vivifie et dans laquelle on invoque son nom, je m’appelle la chrétienté, issue du Christ. 1 2

Comme Janus ou Opicinus. Voir Babylone en Lombardie dans V 10 et V 20.

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4 – CRISTVS1: consilium, robur, intellectus, sapientia, timor, utilis pieta, scientia; Sol, Luna, Mars, Mercurius, Iupiter, Venus, Saturnus; DIES DOMINICA, FERIA II, FERIA III, FERIA IIII, FERIA V, FERIA VI, SABBATVM. 5 – Iacta cogitatum tuum in Domino et « ipse te enutriet »; id est noli cogitare quid et quomodo sis locuturus, si tantum diligis ueritatem. Spiritus enim ueritatis habitantis in te loquetur pro te (id est cogitabit in te et nutriet sensus tuos interiores). Homo enim tuus interior et nouus semper est habendus pre oculis in omnibus exequendis que preceperit tibi. Vnde poetria nouella circa principium: « Siquis habet fundare domum, non currit ad actum. Impetuosa manus intrinseca linea cordis premetitur opus. Seriemque sub ordine recto interior prescribit homo: totamque figurat ante manus cordis quam corporis; et status eius est prius archetipus quam sensilis ». Ipsa poesis spectet in hoc speculo, que sit lex danda poetis. Et Dauid in Psalmo: « Nisi Dominus edificauerit domum, in uanum laborauerunt qui edificant eam ». Ecce cor carneum in pectore huius Ecclesie. 6 – Ymago Prudentie in corde basilice estiualis Papiensis in septentrione, instar lugentis, significat Christum in Lugduno spirituali. 7 – LVGDVNVM, EBREDVNVM, VIRDVNVM, SEDVNVM, AVGVSTVDVNVM, AVINIO2, LAVDVNVM; Sol, Luna, Mars, Mercurius, Iupiter, Venus, Saturnus; medius, omnibus inferior, superior, inferior, superior, inferior, superior omnibus. 8 – Cum muliercule Papienses accedunt in occidentem ad memoriam sancti sepulcri dominici gloriosi, quem Dominum positum in signum populorum gentes deprecantur, ex errore seducte se conuertentes ad sinistram meridianam, adorant hoc sepulcrum inferni ubi putant esse uerum Christi sepulcrum, ante quam intrent ad sanctum memoriale sepulcri dominici. Harum abusio significat aliud. Adorant enim manum Cartaginis ignoranter (id est personam cuiuslibet scribe legis), sicut Sarraceni adorant manum dextram Mahometh et meridie. Nunc uenter meus (id est anima mea tota) conuertitur ad dominum suum. 9 – Ianua 10 – Papia 11 – Clauatio pedis significat firmationem affectus in Christo. 12 – spelunca cunilii 13 – Quale uocabulum habet hoc animal tali nomine uocatur spelunca. Foramen illud uocatur cuniculus uel cuniculum, id est subterranea cloaca per quam emittitur aqua. 1 Les sept lettres du mot CRISTUS, disposées de façon espacée sur le cercle, constituent en même temps les initiales des dons de l’Esprit Saint. 2 Ce mot est écrit en lettres plus grandes que le reste du texte.

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4 – LE CHRIST: conseil, force, intelligence, sagesse1, crainte, piété utile, connaissance; le Soleil, la Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne; DIMANCHE, 2e FÉRIE [LUNDI], 3e FÉRIE [MARDI], 4e FÉRIE [MERCREDI], 5e FÉRIE [JEUDI], 6e FÉRIE [VENDREDI], SAMEDI. 5 – Mets tes pensées dans le Seigneur et « lui-même te nourrira »2; traduisons: n’essaie pas de penser à ce que tu vas dire et de quelle manière, si tu n’aimes que la vérité. En effet, l’Esprit de vérité qui demeure en toi parlera pour toi (c’est-à-dire qu’il pensera en toi et qu’il nourrira tes sens intérieurs3). Car ton homme intérieur et nouveau doit toujours avoir à l’esprit, au moment d’agir, ce qu’il t’a recommandé. Voici donc la dernière en date des poétesses qui s’exprime sur la mise en œuvre: « Si quelqu’un a une maison à bâtir, il ne se presse pas pour agir. La main pleine d’ardeur esquisse le plan de l’œuvre avec un tracé intérieur, celui du cœur. Et l’homme intérieur organise à l’avance le développement avec une méthode judicieuse: la main du cœur la représente en entier avant celle du corps; et il s’agit d’un modèle de base avant d’être une réalité tangible ». Cette poésie elle-même doit concerner cette image, elle qui représente une loi à donner aux poètes. Et David dit dans un psaume: « Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que peinent les bâtisseurs »4. Voici le cœur de chair qui se trouve dans la poitrine de cette Église5. 6 – L’image de la Prudence, dans le cœur de la basilique d’été de Pavie située au nord, comme si elle se lamentait6, indique le Christ dans la Lyon spirituelle7. 7 – LYON8, EMBRUN, VERDUN, SION, AUTUN, AVIGNON, LAON9; le Soleil, la Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne; au milieu, plus bas que tout, plus haut, plus bas, plus haut, plus bas, plus haut que tout. 8 – Lorsque les femmes de Pavie arrivent à l’ouest pour visiter le saint sépulcre renommé du Seigneur10 (ce Seigneur dressé comme un signal pour les peu-

1 Dans chacune des trois énumérations qui suivent, les premiers termes vont ensemble (ex: sagesse, le Soleil, dimanche), les deuxièmes aussi etc. – comme dans le cercle du dessin. 2 Voir Ps 55, 23. 3 Sens intérieurs: voir fol. 32v° et 39v°; V 10, notes 7 et 34. 4 Ps 127, 1. 5 Voir note 7. 6 Allusion à la statue de la Prudence, dans la cathédrale de Pavie, dans une attitude mélancolique: il s’agissait d’une représentation du dieu Attis. Voir V 28, note 20 et V 29, note 35. 7 Jeu de mots lugentis/Lugdunum. 8 Dans chacune des trois énumérations qui suivent, les premiers termes sont apparemment associés (ex: Lyon, le Soleil, au milieu), les deuxièmes aussi etc. – comme dans le cercle du dessin. Mais on se rend compte qu’il faut faire pivoter les cercles pour obtenir les véritables correspondances. 9 Lyon et Embrun étaient sièges d’archevêchés, les autres villes étaient sièges d’évêchés. Sion, en Suisse proche, est vraisemblablement choisie pour son homonymie avec la montagne de Sion qui représente Jérusalem. 10 Opicinus amalgame des citations d’Is 11, 10 et de Mt 28, 1, Mc 16, 1 et Lc 24, 1. Il s’agit du monastère du Saint-Sépulcre, dans les environs de Pavie (voir De laudibus).

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14 – Cum ambulat Europa peregrinabilis, ambulat et Christus in medio candelabrorum, id est VII donorum Spiritus Sancti, que primo in habitu sunt simpliciter dona gratis data, deinde in actu fiunt uirtutes gratum facientes, primo interius ex desiderio exercendi, deinde exterius in exercitio; quibus exercentibus augentur et dona. Ecce Christus sedet in celis huius Ecclesie (id est in donis celestibus, quasi celis VII planetarum). Non errat lingua Prouincie cum profert: « Pater noster ki es in sellis » (quas nos dicimus « scanna »). Ecce quod celi sunt selle uel scanna spiritualia que sunt sedes Dei, quas figurat Sedunum positum circa locum debitum, tam in sede quam ubi naturaliter situm est, sicuti arbitror. Similiter Auinio sita est loco debito, que per Rodanum spiritualem potest directe ingredi latus Christi. Cetere uero ciuitates amote de locis propriis ornant celos. Lugdunum nomine Solis dat centrum pectoris locum Christo. Semper est enim Sol medius planetarum, qui uenit non ministrari sed ministrare omnibus creaturis, contra opininionem Platonis qui, deposito Sole, dat Veneri medium locum. Siue enim Lucifer tardior Solem sequatur, siue Hesperus promptior Solem precedat, secundum uiam planetarum ab occasu in ortum semper iudicatur erroneus; eo quod simplices semper aspicientes ad cursum firmamenti ab ortu in occasum putant per contrarium Luciferum uelociorem precedere Solem et Hesperum pigriorem subsequi Solem. Si autem Venus non erraret precedendo uel subsequendo, tunc esset magis fixa cum Sole quam Mercurius quem nunquam uidi. Assimilemus ergo Sedunum Mercurio et Auinionem Veneri (scilicet Lucifero), et urbem eandem Auenicam Hespero, ut ab oriente Lucifer sit Maria et ab occidente sit Hesperus Martha. Assimilemus et harum ciuitatum duas metropoles duobus magnis luminaribus celi, scilicet Lugdunum Soli et Ebredunum Lune. Ex quibus est ratio: primo de Sole Lugduni, qui recte feriens in Papiam facit radium Solis (cuius simulacrum deauratum dicitur Radisol). Deinde de Luna Ebreduni; que ciuitas, si esset in debito loco et conferretur hec pars maioris mundi cum parte minoris mundi que dicitur Lombardia, tunc minor mundus haberet locum Lomellum iuxta locum Ebreduni maioris mundi. Lomellum est enim minus luminare et Ebredunum (quasi Ebron, ex interpretatione hebraica) est coniugium Lune cum Sole et est uisio sempiterna Lune in Solem. 15 – Nemo potest uiuere sine cibo (id est aliqua delectatione). Nunc usque Papia pasta nouitatibus uocum, nullum percipiens cibum Verbi Dei, tota die ieiuna uadit mendicando aliquem cibum, ut possit se pascere corruptibilibus opibus uel honoribus uel potentia uel gloria uel uoluptate, qui sunt stercorarii cibi more porcino. Cum autem conuersa fuerit, quasi infans ab utero ad ubera matris sue, tunc sentiet super mel et fauum Verbi Dei dulcedinem, et predicationum auditio transibit ut fumus. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ples, les nations l’implorent), induites en erreur, se tournant vers la main gauche qui est au sud1, elles adorent ce sépulcre infernal2 où elles croient que se trouve le véritable tombeau du Christ, avant d’entrer dans le saint monument du sépulcre du Seigneur. Leur méprise indique autre chose: en effet, elles adorent sans le savoir la main de Carthage (c’est-à-dire la personne de n’importe quel scribe de la loi), comme les Sarrasins qui adorent la main droite de Mahomet qui est aussi au sud. Aujourd’hui mon ventre (c’est-à-dire mon âme tout entière) se tourne vers son maître. 9 – Gênes 10 – Pavie 11 – Le clou fixé au pied indique la solidité des sentiments passionnés pour le Christ. 12 – le terrier du lapin 13 – Cet animal est appelé du nom qui sert à désigner une grotte3. Ce trou est appelé galerie ou tuyau souterrain, c’est-à-dire l’égout souterrain qui permet de rejeter les eaux. 14 – Lorsque l’Europe voyageuse déambule, le Christ déambule lui aussi au milieu des candélabres, c’est-à-dire des 7 dons de l’Esprit Saint4, qui sont d’abord des dons virtuels, accordés simplement et gratuitement, et qui deviennent ensuite des vertus effectives se déployant agréablement, d’abord intérieurement, par le désir de les mettre en oeuvre, puis extérieurement, en les mettant en œuvre; et, pour ceux qui les mettent en oeuvre, les dons augmentent encore. Voici le Christ qui siège dans les cieux de cette Église (c’est-à-dire dans les dons célestes, autant dire les cieux des 7 planètes5). La langue provençale ne commet pas d’erreur, lorsqu’elle déclare: « Notre Père qui es aux selles » (ce que nous appelons des bancs). Voici que les cieux sont des selles6 ou des bancs spirituels, les sièges de Dieu que Sion matérialise7: placée aux environs de l’endroit qui convient, aussi bien dans le siège8 que dans son site9 naturel, à mon avis. De même, Avignon est placée à l’endroit qui convient, elle qui peut, en suivant le cours du Rhône spirituel, entrer tout droit dans le flanc du Christ. Quant aux autres villes, éloignées de leur emplacement approprié, elles décorent les cieux. Lyon, prenant le nom du Soleil, installe le Christ au centre de la poitrine. En effet, le Soleil, qui se trouve toujours au milieu des planètes, vient servir toutes les créatures et non être servi10, contrairement à

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C’est-à-dire la main de Carthage (à gauche quand on regarde le dessin). C’est-à-dire le cercle de la poitrine de l’Afrique, d’où sort le ver tunisien. Voir V 15, note 6. Voir note 4. Idem. Jeu de mots entre le latin et le provençal. Ce qui suit est un commentaire de la note 7. C’est-à-dire le siège du Christ sur le dessin. Jeu de mots Sedunum/sede/situ. Voir Mt 20, 28.

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l’opinion de Platon qui, renonçant au Soleil, donne la place centrale à Vénus1. En effet, qu’il s’agisse de Lucifer, plus lent, qui suit le Soleil, ou d’Hespérus, plus rapide, qui précède le Soleil, [Vénus] en suivant le chemin des planètes du coucher au lever, est toujours considérée comme étant dans l’errance; car les gens simples, qui observent toujours la course du firmament du lever au coucher, pensent au contraire que Lucifer, plus pressé, précède le Soleil, et qu’Hespérus, plus indolent, suit le Soleil. Or, si Vénus ne s’égarait pas en précédant ou en suivant le Soleil, elle serait alors plus liée au Soleil que Mercure que je n’ai jamais vu. Mettons donc sur le même plan Sion et Mercure, Avignon et Vénus (à savoir Lucifer), et cette même ville d’Avenica et Hespérus, si bien qu’à l’est, Lucifer est Marie, et qu’à l’ouest, Hespérus est Marthe2. Mettons également sur le même plan les deux métropoles qu’il y a dans ces cités et les grands luminaires du ciel, à savoir Lyon et le Soleil, d’une part, Embrun et la Lune, d’autre part. Voici pourquoi: d’abord il y a le Soleil de Lyon qui, frappant Pavie en ligne droite, envoie sur elle (dont la statue dorée de Pavie est appelée Radisol) un rayon de Soleil; Ensuite il y a la Lune d’Embrun; si cette cité se trouvait à l’endroit voulu, et que cette région du grand monde soit réunie à la région du petit monde qu’on appelle Lombardie, le lieu dit Lomello se trouverait alors dans le petit monde à côté d’Embrun dans le grand monde. En effet, Lomello, c’est le luminaire inférieur, et Embrun (pour ainsi dire Hébron3 en hébreu), c’est l’union de la Lune et du Soleil, et la contemplation sans fin du Soleil par la Lune. 15 – Personne ne peut vivre sans manger (c’est-à-dire sans quelques plaisirs). Jusqu’à aujourd’hui, Pavie, qui se repaît de discours inédits et n’accueille pas du tout la nourriture du Verbe de Dieu, marche ça et là à longueur de journée, à jeun et mendiant quelque nourriture, afin de pouvoir se repaître de ce qui est corruptible: richesses, honneurs, puissance, gloire ou plaisirs – soit les nourritures excrémentielles bonnes pour les porcs. Mais lorsqu’elle se sera convertie, tel un petit enfant allant du ventre aux seins de sa mère, elle goûtera alors la douceur du Verbe de Dieu plus que le miel et le suc des rayons4, et les sermons qu’elle écoute passeront comme la fumée.

Voir les dessins précédents V 12, V 13, V 14. On retrouve les couples connus: Lucifer et Hespérus, Avignon et Avenica, Marie et Marthe. Le premier terme représente Opicinus: Lucifer, Avignon, Marie, l’est. 3 Hébron: à 40 km de Jérusalem, cette ville est très souvent citée dans l’Ancien Testament. Jeu de mots avec Embrun. 4 Voir Ps 19, 11 (ainsi que Ct 5, 1; et Lc 24, 42: expression rajoutée dans la Vulgate). 1 2

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[fol. 75] DESSIN V 19

1 – Ex circulo planetarum, qui fuerit propinquior firmamento plus tardat cursum suum propter uehementem uirtutem firmamenti, sicut Saturnus; et qui fuerit remotior a firmamento expeditius perficit cursum suum, sicut Luna. Tanta est uelocitas firmamenti ut etiam V planetas diuersimode plus compellat aliquando precedere ab oriente in occidentem quam seipsum; sicut nauis (quasi planeta) ex impetu fluminis (quasi firmamenti) uelocius defluit quam flumen. Sol autem et Luna nunquam errant ob hoc: hec secundum naturalem scientiam uera sunt, sed nisi spiritualiter exponantur, fabule sunt. Sol et Luna (id est intellectus et ratio) non possunt errare; reliqui uero planete (id est V sensus corporis) de facili possunt errare. 2 – Statua Veneris descendat de terra Iudee et cedat Soli domino suo, non Helie Adriano qui est Sol fictitius sed Soli Domino pape Christo. Humilietur Venus non solum sub Sole sed etiam sub Luna iuxta misticum sensum, ut portus Veneris restrictus in Libia Lombardie in spiritualibus sit subiectus non sub Ianua sed sub Luna, ne inebrietur uino Vernacie in quo est luxuria (id est spiritualis libido scientie litteralis). Hec omnia spiritualiter exponantur. 3 – occidens firmamenti 4 – oriens planetarum 5 – auster 6 – uia planetarum super Terram 7 – occidens planetarum 8 – oriens firmamenti 9 – uia planetarum sub Terra 10 – aquilo 11 – luna per mensem et minus 12 – Mercurius cum Sole uel circa 13 – Venus cum Sole, uel ante uel post 14 – Sol per annum et minus quadrante 15 – Mars per duos annos et circa 16 – Iupiter per XII annos et circa 17 – Saturnus per XXX annos et circa www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 75] DESSIN V 19 Le diagramme est constitué de huit cercles emboîtés: en partant du centre, les sept premiers indiquent le temps de révolution de chaque planète; le dernier présente les signes du zodiaque. Les citations qui les entourent reviennent sur le déplacement des planètes déjà envisagé par Opicinus dans V 12, V 13 et V 14. Les relations établies entre les sept planètes et les cinq sens (auxquels s’ajoutent l’intelligence et la raison), les sept dons de l’Esprit Saint et les sept ordres de l’Église, permettent au scribe d’affirmer la primauté du Soleil (auquel il s’identifie) et, plus généralement, de remplir le temps et l’espace.

1 – Du fait de la révolution des planètes, celle qui est la plus près du firmament ralentit davantage sa course1, en raison du caractère fougueux du firmament: c’est le cas de Saturne; et celle qui est la plus éloignée du firmament termine sa course plus facilement: c’est le cas de la Lune. La rapidité du firmament est telle qu’il lui arrive de forcer les 5 planètes à le précéder de l’orient à l’occident, selon des modalités variées: ainsi le bateau (c’est-à-dire la planète) descend plus vite que le fleuve (c’est-à-dire le firmament), en raison de l’emportement du fleuve2. Mais le Soleil et la Lune ne s’égarent jamais: en effet, selon les connaissances naturelles, ces astres ont une existence réelle, mais il s’agit de chimères s’ils ne font pas l’objet d’explications spirituelles. Le Soleil et la Lune (c’est-à-dire l’intelligence et la raison) ne peuvent être dans l’errance / se tromper; alors que les autres planètes (c’est-à-dire les 5 sens corporels) peuvent aisément dans l’errance / se tromper. 2 – Il faut que la statue de Vénus quitte la Judée, et qu’elle s’incline devant son seigneur, non pas Hélie Adrien3 qui est un faux Soleil, mais le Soleil, c’est-àdire le Seigneur Christ et pape. Il faut que Vénus plie sous l’autorité non seulement du Soleil, mais aussi de la Lune, d’après le sens mystique/secret, afin que le port de Vénus4, une fois ramené dans la Libye de Lombardie, soit soumis sur le plan spirituel non pas à Gênes mais à Luna, pour éviter qu’il ne s’enivre avec le vin de Vernaccia qui mène à l’intempérance (c’est-à-dire à la volupté spirituelle que donne la connaissance de la lettre). Tout ceci doit faire l’objet d’explications spirituelles. 3 – l’ouest du firmament 4 – l’est des planètes 5 – le sud 6 – la route des planètes au-dessus de la Terre 7 – l’ouest des planètes 8 – l’est du firmament 9 – la route des planètes au-dessous de la Terre 10 – le nord

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Voir Voir Voir Voir

V V V V

12, 12, 14, 14,

V 13 et V 14. note 26. note 11. note 14; fol. 32v°, 59 et 86 v°.

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18 – Aries, Pisces, Aquarius, Capricornus, Sagittarius, Scorpio, Libra, Virgo, Leo, Cancer, Gemini, Taurus 19 – DE LVMINE VENERIS Potest nobis obicere Plato. Cum Sol ministret lucem ceteris planetis cum omnibus sideribus firmamenti, quomodo potest lucere Venus ex propinquitate Solis si sit inferior Sole (sicut Luna inferior non potest lucere tempore propinquitatis)? Similiter de Mercurio, sicut de Venere. Responsio talis uidetur: sola Luna terrestris non potest lucere nisi ex parte quam respicit Sol; relique autem stelle sunt sic translucide, sicuti arbitror, ut radius Solis faciat Venerem undique relucere; similiter Mercurium in maiori propinquitate lucere, sicut audiui. 20 – DE COGITATIONIBVS VOLVBILIBVS Velocitas firmamenti contra planetas significat impetum rotarum cogitationum contra dona Spiritus Sancti in baptismo collata. Illa uelocitas facit errare planetas et hec cogitationum uolubilitas conuertit uirtutes in uitia. Vie autem planetarum per ordinem significant suauem profectum uirtutum ex donis. 21 – De VII ordinibvs ecclesiasticis Sacramentaliter Saturnus timoris est ordo ostiariatus, Iupiter scientie est lectoratus, Mars fortitudinis est exorcistatus; deinde ab inferioribus ad medium, Luna intellectus est acolitatus. Deinde de comitibus Solis: Mercurius consilii est subdiaconatus, Venus pietatis est diaconatus (quasi lucifer euangelii); medius autem omnium Sol sapientie est presbiteratus. 22 – Actum XIII kalendas nouembris.

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– la Lune pendant moins d’un mois1 – Mercure avec le Soleil ou à peu près2 – Vénus avec le Soleil, soit avant, soit après3 – le Soleil pendant un an et moins d’un quart de journée4 – Mars pendant environ deux ans – Jupiter pendant environ 12 ans – Saturne pendant environ 30 ans – Bélier, Poissons, Verseau, Capricorne, Sagittaire, Scorpion, Balance, Vierge, Lion, Cancer, Taureau, Gémeaux. – LA LUMIÈRE DE VÉNUS Nous pouvons faire objection à Platon. Puisque le Soleil prodigue la lumière aux autres planètes ainsi qu’à tous les astres du firmament, comment Vénus peut-elle briller grâce à la proximité du Soleil si elle se trouve plus bas que le Soleil (de même que la Lune qui est plus bas ne peut pas briller au moment où elle en est proche)? Et la situation de Mercure est la même que celle de Vénus. La réponse semble être la suivante: livrée à elle-même, la Lune terrestre ne peut briller que du côté que le Soleil regarde; mais les autres étoiles sont si translucides, à mon avis, que le rayon du Soleil / Radisol fait resplendir Vénus en tous lieux; de même, il fait briller Mercure au moment où il est le plus proche, ainsi que je l’ai entendu dire. – LES PENSÉES INCONSTANTES La rapidité du firmament qui contrarie les planètes symbolise la rotation impétueuse des pensées qui contrarie les dons de l’Esprit Saint apportés au baptême. Cette rapidité entraîne l’errance des planètes et ce tourbillon des pensées change les vertus en vices5. Mais lorsque les planètes font route en bon ordre, elles symbolisent les vertus qui font d’agréables progrès à partir des dons reçus. – Les sept ordres ecclésiastiques6 Sur le plan sacramentel, Saturne associé à la crainte7, c’est l’ordre des portiers; Jupiter associé à la connaissance, c’est l’ordre des lecteurs; Mars associé à la force, c’est l’ordre des exorcistes; et enfin, en partant du bas et allant vers le centre, la Lune associée à l’intelligence, c’est l’ordre des acolytes. Ensuite il y a les planètes qui accompagnent le Soleil: Mercure associé au conseil, c’est l’ordre des sous-diacres; Vénus associée à la piété, c’est l’ordre des diacres (pour ainsi dire celui qui apporte la lumière de l’Évangile); et, placé au milieu de tous, le Soleil associé à la sagesse, c’est l’ordre des prêtres. – Fait le 13 des calendes de novembre [20 octobre 1337].

Durée de révolution de la Lune autour de la Terre. Pour Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, Opicinus donne la durée de révolution de la planète autour du Soleil. 3 C’est-à-dire Hespérus et Lucifer. 4 Durée de révolution de la Terre autour du Soleil. 5 Voir V 12, note 27. 6 Ordres mineurs: portier, lecteur, acolyte, exorciste. Ordres majeurs: sous-diacre, diacre, prêtre. 7 Chaque planète est associée à un don de l’Esprit Saint. 1 2

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De temptationibus personalibus retroactis Fundamentaliter in persona Christus semel mortuus est et resurrexit, nec amplius moritur. Simili modo speculariter in corpore Ecclesie Christus semel mortuus est homini ueteri et resurrexit in homine nouo, nec amplius moritur in peccato. In persona uero christiana que sum, Christus semel mortuus est homini meo ueteri per exorcismum et cathecismum, et resurrexit in nouo homine per baptismum; sed pluries iterum crucifixus est et mortuus in meo peccato. Cum beatissima Virgo Maria plangeret dominicam Passionem persone mortalis, plangebat ut mater mortalis, compassione naturali de filio, nequis suspicaretur eam aliter esse quam matrem. Vt sicut susceperat Christus in se omnes necessitates humane miserie, sic mater eius, exceptis conceptione et partu, omnes alios maternos dolores et sollicitudines pateretur. Misterio autem [fol. 75v°] redemptionis Ecclesie specularis presentis quam plurimum congaudebat in spiritu. Magis uero tristabatur super mea reiteratione peccati. Preuidebat enim a longe hanc nouissimam diem et considerabat dolores et angustias umbilici, in cuius matrice carnali concipitur homo nouissimus, filius hominis primi Adam, in iniquitatibus genitus et nutritus. Secundus autem Adam, Eue obedientis maritus (id est papa Papie, immo Christus Ecclesie uerus sponsus) me huiusmodi hominem ueterem et carnalem regenerauit in hominem nouum et spiritualem. Sed heu proh dolor, pluries reiteraui uias meas ad habitum ueteris hominis, oblitus nominis christiani et recordatus generis huius mundi. Et ideo Virgo Maria plus plangebat miserias meas, quibus sepius crucifixi et crucifigere non cessaui Filium Dei et suum, quam lamentaretur super morte filii sui. Dolor enim matris in filium est angustia naturalis; dolor uero eius in me est angustia rationalis. Cum enim nascitur filius, capite precedente et pedibus tardentibus in uentre, quasi catulus cecus, significat ex cecitate ignorantiam affectatam de principio originis sue. Non uult enim scire unde processerit genus suum, sed tantum presentia nobilitatis aspiciens, semper inhiat ad futura, ut de nobili fiat nobilior iuxta mundum. Et ideo ex tardatione pedum in utero significatur carnalis affectio semper ad progeniem domus sue. Cum enim cepissem compilare « Lamentationes Dei genitricis Marie », adhuc ignorans misterium, quasi ex casu accessi ad monasterium Sancti Sepulcri, cum cuius abbatie contuli illas. Nunc tarde cognoui super illam memoriam ab occidente Papie per rectam lineam ferire Lugdunum (quasi luctum super unigenitum, id est super filium hominis in medio uentris Italie, cuius in iniquitate conceptio est « principium uiarum Dei »). Et ideo in descriptione ymaginum mundi, nescio incipere nisi primum a capite Affrice, inter quod caput et caput Europe descriptum est « principium uiarum Dei », quasi procedens de uulua maris occeani. Habui enim quadam nocte uisionem cum essem Papie, quod ab occidente territorii Papiensis magis a parte solstitii yemawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Les tentations personnelles passées1 Fondamentalement, c’est en chair et en os que le Christ est mort et ressuscité une fois pour toutes, et qu’il ne meurt plus2. De même, manifestement, c’est dans le corps de l’Église que le Christ est mort une fois pour toutes à l’homme ancien, qu’il est ressuscité en homme nouveau et qu’il ne meurt plus dans le péché. En revanche, dans la personne chrétienne que je suis, le Christ est mort une fois pour toutes à mon homme ancien, grâce à l’exorcisme et au catéchisme, et il est ressuscité en homme nouveau, grâce au baptême; mais il a été à plusieurs reprises à nouveau crucifié et est à nouveau mort dans mon péché. Lorsque la très sainte Vierge Marie pleurait sur la Passion du Seigneur en tant que personne mortelle, elle pleurait en tant que mère mortelle, par compassion naturelle pour son fils. Ainsi personne ne se doutait qu’elle était autre chose qu’une mère; de ce fait, de même que le Christ avait pris sur lui toutes les misères humaines obligatoires, de même, sauf pour la conception et l’accouchement, sa mère a enduré toutes les autres souffrances et tous les autres soucis des mères. Et elle se réjouissait en esprit le plus possible du mystère [fol. 75v°] de la rédemption de l’Église actuelle du miroir. Et elle était davantage attristée par mes rechutes dans le péché. En effet, elle prévoyait depuis longtemps ce dernier jour et elle prêtait attention aux souffrances et aux contractions de l’ombilic contenant la matrice charnelle où l’homme très nouveau / dernier-né est conçu, le fils du premier homme Adam, engendré et nourri dans les iniquités. Et le second Adam, le mari de l’obéissante Ève (c’est-à-dire le pape de Pavie ou plutôt le Christ, le véritable époux de l’Église) a transformé spirituellement cet homme ancien et charnel que j’étais en homme nouveau et spirituel. Mais, hélas, ô douleur! j’ai repris plusieurs fois les chemins menant aux comportements de l’homme ancien, en oubliant mon nom de chrétien et en me souvenant de la lignée de ce monde. Et c’est pourquoi la Vierge Marie pleurait davantage sur mes malheurs, par lesquels trop souvent j’ai crucifié et n’ai cessé de crucifier le Fils de Dieu qui est aussi le sien, qu’elle ne se lamentait sur la mort de son fils. En effet, le chagrin d’une mère pour son fils représente une inquiétude naturelle, alors que son chagrin pour moi représente une inquiétude rationnelle. En effet, lorsqu’un fils naît, la tête la première et les pieds à la traîne3 dans le ventre, tel un lionceau aveugle, il montre avec sa cécité son ignorance feinte sur les origines de sa naissance. Car il ne veut pas savoir d’où sa parenté est issue, mais en regardant seulement la situation présente qu’est la noblesse, il aspire toujours à l’avenir, afin de devenir encore plus noble selon le monde. Et c’est pourquoi le retard de ses pieds dans l’utérus indique son attachement charnel constant pour sa lignée familiale. En effet, 1 Dans ce paragraphe, Opicinus multiplie les identifications importantes: le Christ, l’homme nouveau, la Vierge Marie, le second Adam, le pape de Pavie, l’époux de l’Église; il évoque sa naissance et sa conception naturelles; puis il décrit diverses visions qui montrent son évolution pathologique (dont sa rivalité avec Benoît XII) et l’élaboration des cartes qui en découle. 2 Voir Rm 6, 10; 1 Th 4, 14; 1 P 3, 18; 2 Cor 5, 15. 3 Ou encore en retard, c’est-à-dire le soir (l’ouest indiquant l’obscurité). Cette naissance naturelle s’oppose à la naissance par césarienne de V 6.

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FOL.

75v°

lis, multitudo demonum se eleuans a terris in aera, uersus me euolans, super me et circa me fudit magnam grandinum tempestatem, quam tandem illesus euasi. Nam pluries uidi in sompnis per uaria monstra ymagines demonum a pueritia nuncusque, a quibus me semper eripuit Dominus, me ignorante tamen archanum misterii. Anno autem expectationis, kalendis ianuarii quam eligo diem meam, nocte circa auroram habui triplex sompnium: primo me adiisse cum domino cohospite meo domum religionis ubi dies conuersa fuit in noctem; secundo post euigilationem obdormiens, uidi arbores floridas; tertio uero iterum dormiens, uidi me indui quasi habitu dignitatis, scilicet capa clausa. Qui post multam experientiam, uidi hec omnia in me esse completa: primum uidelicet sompnium illius anni expectationis per temptationes multiplices in occulto, non tam in sompnis qui in nichilum transierunt quam cogitationibus que me diutius molestarunt; secundum anno retributionis, partim in temptationibus subtilioribus et partim intelligentiis floridis que inter temptationes me letificauerunt; tertium autem presenti anno renouationis, cessantibus non tantum totaliter sed in parte temptationibus et serenata conscientia preuio intellectu, quo me sentio per Dei gratiam habitum suscepisse iustitie quem presentes patres uenerabiles susceperunt. Nam predicto anno expectationis, nocte VI idus ianuarii, cuius mane futuro erat summus pontifex consecrandus uel coronandus, uidi in sompnis gallinam pullos adultos sub alas colligere. Post aliquos dies Dominus aperire mihi dignatus est intellectum preuia ratione paulatim ad discernendas ymagines Affrice, Europe et maris. Et abinde usque ad medium mensis februarii (id est purgatorii uel id circa), qua die fuit Christi consumata temptatio (uidelicet XLª die ab epiphania baptismi), perpessus sum tam terribiles temptationes in solis cogitationibus sine ulla apparentia spiritus, ut nemo carnalis infirmus possit illas intelligere. De qualibet perplexitate omnium dubiorum – non fidei quam nunquam me uideo perdidisse directe, sed cuiuslibet male suspicionis uidelicet unde ueniat Antichristus (et primum de propinquitate carnis et sanguinis, me inducente inuisibili hoste ad inspectionem signorum tam celestium quam terrestrium) – qui tandem diuina uirtute abinde repulsus, neminem Antichristum reperi nisi meipsum, ante quam scirem discernere ymagines colubri et cerastis. Adhuc per totum illum annum temptationibus non cessantibus, quasi accensus zelo iustitie contra machinantes astutias Antichristi futuri, semper suspicabar de altero, usurpans alienum iudicium proprio derelicto. Anno retributionis sequenti, crescente scientia crescebat et dolor. Abscedentibus enim a me affectionibus seculi, sola remanebat in me subtilior temptatio de gloria singulari, non cessante iudicio alieno. Anno autem renouationis quo sumus, nuncusque ualde subtilior temptatio me probauit, ut gloria singulari despecta, quemlibet iudicarem non facientem similia; unde semper exoriebatur singularis glorie uitium recidiuum, quod est uitium www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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lorsque j’avais commencé à réunir les « Lamentations de Marie, mère de Dieu », étant encore dans l’ignorance du mystère, je suis arrivé comme par hasard au monastère du Saint-Sépulcre1 et je les ai confrontées avec cette abbaye. Aujourd’hui j’ai tardivement su, en passant par une ligne droite partant de l’ouest de Pavie au-dessus de ce monument, atteindre Lyon (pour ainsi dire le deuil sur le fils unique, c’est-à-dire sur le fils de l’homme qui se trouve au milieu du ventre de l’Italie et dont la conception dans l’iniquité représente « l’origine des chemins de Dieu »2). Et c’est pourquoi, en dessinant ces images du monde, je n’ai su par où commencer si ce n’est d’abord par la tête de l’Afrique; entre cette tête et la tête de l’Europe, est représentée « l’origine des chemins de Dieu », comme si elle provenait de la vulve de l’océan3. En effet, j’ai eu une vision une nuit, alors que je me trouvais à Pavie: à l’ouest de la région de Pavie plutôt que du côté du solstice d’hiver, une foule de démons quitta le sol pour s’élever dans les airs et, volant dans ma direction, me submergea et m’entoura comme une grande tempête de grêle; j’arrivai enfin à leur échapper sans dommages. Car j’ai vu à plusieurs reprises en songe, entre autres prodiges, des fantômes de démons, et ce depuis mon enfance jusqu’à aujourd’hui; le Seigneur m’en a toujours délivré, alors que j’ignorais le secret du mystère. Et l’année de l’attente [1335], le jour des calendes de janvier [1er janvier] que je choisis comme étant un jour qui m’est propre, j’ai eu trois songes pendant la nuit, aux environs de l’aurore: dans le premier, je me rendais avec le seigneur qui me donne l’hospitalité dans la maison d’une communauté religieuse où le jour avait été changé en nuit; dans le deuxième, alors que je m’étais profondément rendormi après m’être réveillé, j’ai vu des arbres en fleurs; mais dans le troisième, alors que je m’étais à nouveau rendormi, je me suis vu revêtu d’une sorte d’habit de fonction, à savoir une cape fermée4. Et après avoir connu de nombreuses expériences, j’ai constaté que tout cela s’était accompli en moi: pour le premier songe, qui concernait l’année de l’attente en question [1335], avec de multiples tentations secrètes, qui se sont manifestées moins dans les songes qui s’évanouissent que dans des pensées qui m’ont perturbé assez longtemps; pour le deuxième, qui concernait l’année de la récompense [1336], en partie avec des tentations plus dangereuses et en partie avec une floraison de connaissances qui m’ont rendu joyeux au milieu des tentations; et pour le troisième, qui concernait l’année du renouvellement où nous nous trouvons [1337], du fait que les tentations, non seulement permanentes mais occasionnelles, ont cessé, et que ma conscience est apaisée par l’intelligence qui la guide et qui me permet de comprendre que, par la grâce de Dieu, j’ai endossé l’habit de justice5 que nos vénérables pères actuels ont endossé. Car, en l’année de l’attente en question, la nuit du 6 des ides de janvier [8 janvier 1335] qui précédait le matin où le souverain pontife devait être consacré ou couronné6, j’ai vu en songe

Voir V 18, note 8. Jb 40, 19. 3 Soit le détroit de Gibraltar. Voir V 25, note 23 et fol. 83v°. 4 Il s’agit d’un vêtement propre au pape. 5 C’est-à-dire l’habit pontifical. 6 C’est-à-dire le jour où Benoît XII fut consacré, alors qu’Opicinus estimait que le trône pontifical devait lui revenir. 1 2

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782

FOL.

75v°

omnium uitiorum, primum et ultimum. Prima fuit carnalis temptatio de carne et sanguine; secunda temporalis de singulari scientia, quasi de principiis omnium rerum; tertia spiritualis de nequitia spiritualium in celestibus. Prima est de turpitudine maris seducentis pectus et gulam Europe, ad lapidem Siculum conuertendum in panem; secunda de pectore auaritie Affricane; tertia de capite maris contra pectus intelligibilis statue Asiane. Nunc reperto pectore caritatis, omnis temptatio cessat. Actum XII kalendas nouembris.

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une poule qui rassemblait sous ses ailes ses poussins déjà grands1. Quelques jours après, le Seigneur a consenti à ouvrir peu à peu mon intelligence, guidée par la raison, pour qu’elle découvre les images de l’Afrique, de l’Europe et de la mer. À partir de ce jour et jusqu’au milieu du mois de février (c’est-à-dire du purgatoire ou de ses environs2), le jour où la tentation du Christ a pris fin (c’est-àdire 40 jours après l’épiphanie du baptême3 [21 février]4), j’ai enduré des tentations si effrayantes, seulement dans mes pensées et sans aucune vraisemblance spirituelle, qu’aucun faible charnel ne serait en mesure de les comprendre. Quant à tous les ennuis liés à l’ensemble de ces incertitudes – et qui ne concernaient pas la foi, que je n’ai jamais directement perdue, je le constate, mais toutes les conjectures malsaines relatives aux origines de l’Antichrist (et d’abord au sujet de la parenté de la chair et du sang, l’ennemi invisible m’incitant à examiner les signes, ceux du ciel comme ceux de la terre) – étant pour finir écarté de là par la puissance divine, j’ai découvert qu’il n’y avait pas d’Antichrist en-dehors de moimême, avant que je ne sache reconnaître les images du serpent et de la vipère. Les tentations n’ayant pas encore cessé pendant toute cette année, comme si j’étais enflammé par l’ardeur de la justice à l’encontre de ceux qui manigancent les chausse-trappes du futur Antichrist, je soupçonnais toujours autrui, en me permettant abusivement de juger autrui et en négligeant de le faire pour moi. L’année suivante, celle de la récompense [1336], mes connaissances s’accroissant, mes souffrances se sont également accrues. En effet, en renonçant à mes attachements mondains, il n’est resté en moi qu’une tentation assez dangereuse concernant la gloire exceptionnelle, sans que je cesse de juger d’autrui. Mais en l’année du renouvellement où nous nous trouvons [1337], une tentation bien plus dangereuse m’a éprouvé jusqu’à aujourd’hui, à savoir qu’ayant délaissé la gloire exceptionnelle, je condamnais tous ceux qui ne faisaient pas pareil; il en découlait toujours une rechute du péché de gloire exceptionnelle, qui est le péché des péchés, le premier et le dernier de tous. La première tentation était charnelle: elle concernait la chair et le sang; la deuxième était temporelle: elle concernait les connaissances individuelles, pour ainsi dire le commencement de toutes choses; la troisième était d’ordre spirituel: elle concernait le dérèglement des choses spirituelles dans les cieux. La première vient de la mer infâme qui attire la poitrine et la gorge de l’Europe pour changer la pierre sicilienne en pain; la deuxième vient de la poitrine de l’Afrique avare; la troisième vient de la tête de la mer qui se trouve sur la poitrine de la statue brillante d’Asie5. Maintenant que j’ai trouvé la poitrine de la charité, toutes mes tentations prennent fin. Fait le 12 des calendes de novembre [21 octobre 1337]6.

Voir Mt 23, 37. Exemple de spatialisation du temps. 3 Baptême du Seigneur: 13 janvier. Voir Mt 3, 13-17; Mc 1, 9-11; et Lc 3, 21-22. 4 Sur les tentations du Christ au désert, voir Mt 4, 1-11; Mc 1, 12-13; et Lc 4, 1-13. 5 Voir V 14: la tête de la mer diabolique est contre la poitrine du Christ. 6 Jour où on faisait mémoire de saint Hilarion, ainsi que de sainte Ursule et de ses compagnes. 1 2

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FOL.

75v°-76

De dignitate que debet esse seruilis et christianitate que debet esse libera Ianua capit Venetias. Vtinam Venetie caperent Ianuam. Parabola est; clarius exponatur. Titulus capit substantiam, quasi nichil capit aliquid. Vtinam substantia caperet titulum, quasi aliquid caperet nichil. Adhuc obscurum est mihi nisi ueniatur ad rem. Ecclesiastica dignitas facit christianitatem captiuam. Vtinam christianitas libera sibi subiceret dignitates. Ecce uenter Italie habet figuram, sed curia pectoralis habet tanti iudicii rem et causam. Additum anno perfectionis, XIII kalendas iunii, uigilia Ascensionis dominice. Si mundus colligatur Papie, tunc Cartago fit Sancta Maria Capella (quasi titulus capellanie siue capelli sine substantia) et Venetie fiunt Sancta Christina iuxta Iosaphath (quasi substantia sine titulo). Cum autem [XX]1 fuerit dies Iudicii, a dextris erit Christina ouium (id est christianitas derelicta) et a sinistris mea capella edorum (id est gloria titulorum).

[fol. 76] 2 DE

QVALITATE PARROCHIE

Quid facerem nunc in parrochia mea? Auditis confessionibus plebis singillatim, si iniungerem penitentiam super peccato transgressionis legis Ecclesie de hiis que non pertinent ad reparationem legis, peccato peccatum augerem; si secundum legis statuta, tunc darem maioris preuaricationis materiam. Verbi causa. Si uiro confitenti fuisse in exercitu gentium contra gentes, iniunxero penitentiam – post promissam restitutionem alienorum, si qua abstulerit – de ieiunando tot diebus uel dicendo totiens orationem dominicam aut largiendo tot helemosinas pauperibus, nichil faciet hec medicina contra huiusmodi morbum. Si uero precepero sibi auctoritate qua fungor, ut de cetero abstineat ab huiusmodi exercitibus interdictis, dabo sibi occasionem agendi deterius, cum aliquotiens compellatur parere tyrannis. Similiter mulieri confitenti trangressam legem Ecclesie – propter uiri timorem uel potius propter corruptelam communem de contempnendo mandata uniuersalis Ecclesie et per consequens monita sacerdotis: si iniunxero tantum predictas orationes, helimosinas uel ieiunia, nichil ualebunt ad factum; si asstrinxero eam legibus obseruandis, tunc fiet maior transgressio. Simili modo puero uel puelle, si iussero ut patri et matri obediat, ut tenetur, tunc ibit post illos per uiam gentium, plantantibus illis in pectore pueri uel puelle ydola mundi; si autem istum uel istam abstraxero ante debitum tempus ab uberibus matris, ipsum uel ipsam occidam.

1 2

Le numéro du cahier est inséré dans l’additum. Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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La fonction qui doit être esclave et la chrétienté qui doit être libre Gênes s’empare de Venise. Pourvu que Venise s’empare de Gênes! Il s’agit d’une allégorie qu’il convient d’énoncer de manière plus explicite. Le titre s’empare la substance, comme si rien s’emparait quelque chose. Pourvu que la substance s’empare du titre, c’est-à-dire que quelque chose s’empare de rien! Je trouve cela encore peu intelligible, à moins que l’on n’en vienne à ce qui est tangible. La fonction ecclésiastique rend la chrétienté prisonnière. Pourvu que la chrétienté libre mette les fonctions sous son autorité. Ainsi le ventre de l’Italie possède l’image, mais la curie de la poitrine possède la réalité et la finalité d’un tel jugement. Fait l’année de la perfection, le 13 des calendes de juin, la veille de l’Ascension du Seigneur [20 mai 1338]. Si le monde est rassemblé à Pavie, Carthage devient alors Sainte-Marie-LaChapelle (comme un titre de chapellenie ou de chapelle dépourvu de substance) et Venise devient Sainte-Christine près de Josaphat1 (comme une substance dépourvue de titre). Mais quand [XX] arrivera le jour du Jugement, la Christine des brebis (c’est-à-dire la chrétienté abandonnée) se trouvera à droite et ma chapelle de boucs (c’est-à-dire la gloire due aux titres) se trouvera à gauche2. [fol. 76] À

PROPOS DE LA PAROISSE

Que ferais-je aujourd’hui dans ma paroisse? Après avoir écouté les confessions de mes ouailles l’une après l’autre, si j’imposais une pénitence pour un péché correspondant à une infraction à la loi de l’Église, pour ce qui ne concerne pas la réparation légale, j’ajouterais un second péché au premier; si j’observais les prescriptions légales, j’occasionnerais alors une plus grande transgression. A cause du Verbe.3 Soit un homme qui avoue avoir participé à l’expédition d’une lignée dressée contre une autre: si je lui impose comme pénitence – après qu’il ait promis de restituer les biens d’autrui, s’il en a enlevé – de jeûner pendant tant de jours, ou de réciter l’oraison dominicale tant de fois, ou d’accorder généreusement tant d’aumônes aux pauvres, c’est une médecine qui n’agira en rien contre ce genre de maladie. Mais si je lui prescris, avec les pouvoirs dont je dispose, de renoncer dorénavant à ces expéditions illégales, je lui donnerai l’occasion de commettre des actions plus graves, puisqu’il sera parfois obligé d’obéir à des tyrans. De même pour une femme qui avoue avoir enfreint la loi de l’Église – que ce soit par crainte de son mari, ou plutôt en raison du dérèglement courant qui consiste à faire fi des commandements de l’Église universelle et, par conséquent, des conseils du prêtre: si je lui impose seulement les prières, les aumônes et les jeûnes déjà mentionnés, cela ne donnera aucun résultat; si je l’astreins à observer les lois, cela aboutira alors à une

Voir V 28, note 17. Voir Mt 25, 33. 3 Voir traduction et commentaire du paragraphe qui suit dans Art et folie…, p. 198. Ce paragraphe confus concerne la « faute » d’Opicinus, celle qui l’a obligé à quitter Pavie après avoir été excommunié par l’évêque: il accumule des cas de figure qui traduisent son scepticisme sur les pénitences infligées. Il évoque en même temps des aspects de sa problématique personnelle: les expéditions des guelfes, ses problèmes avec ses parents… 1 2

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FOL.

76

Quod de me ipso dico, de omnibus compresbiteris meis fratribus ordinis nostri dico.

DE

SPIRITVALI RAPINA

Rapina laicalis significat rapinam scientie clericalis, cum quis accipiens a Deo donum scientie ut large distribuat ipsam cuicumque petenti, non uult eam ostendere alicui sine precibus uel pretio glorie personalis. Inter Athenas et Corinthum inicitur furca diaboli, id est inter dispersionem scientie et spiritualem rem publicam conseruandam et augendam furtum committitur. Nunquam intelligit homo carnalis quod sit dicere res publica nisi carnaliter, sicut gentes intelligunt.

De uera scientia naturali et falsa doctrina Quare mulier non est sic habilis ad scientiam littere sicut et uir? Ne amplius Eua fructu scientie supplantetur. Scientiam autem legis nature tantam habere potest quantam uir habet uel potest habere. Multi sunt predicantes uel consulentes ad litteram gentibus nostris more iudaico similibus uerbis: « Pugnate pro patria. Accingimini, filii potentes, et estote parati pugnare in prelio, quoniam melius est nobis mori in bello quam uidere mala gentis nostre ». Si hec uel similia uerba primo proferantur ad litteram, siue exponantur postea spiritualiter siue non exponantur, facto fulcimento ymaginum ydolorum (id est firmata ymaginatione carnali presentium auditorum), augetur blasphemia nominis christiani non uerbo sed opere. Iam blasphematur domus Domini super quam inuocari deberet nomen eius (id est a Christo christianitas sancta).

De principiis cuiuscumque scientie et qualiter possunt haberi Si circuissem terram et perambulassem eam ad inquirendas proprietates terrarum, nunquam reperissem principia presentis scientie usque ad terminos terre. Ignoratis enim principiis, ignorantur et fines. Non enim species accedit ad genus; genus autem speciem comprehendit. Melius enim discernit homo in altitudine inferiorem latitudinem spacii circumquaque quam uermiculus uel belua perambulans illud spacium. Ita et nos existentes in corde terre (id est specularis Ecclesie, cuius cor altius est quam organicum caput eius), melius iudicamus longitudinem et latitudinem terre cum omnibus temporibus retroactis, quam circueuntes terram in uanum. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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infraction plus grave. De la même manière, si j’ordonne à un jeune garçon ou à une jeune fille d’obéir à son père et à sa mère comme il convient, il/elle les suivra alors sur le chemin que prennent les païens, les parents semant les idoles du monde dans le cœur du jeune garçon ou de la jeune fille; mais si je l’arrache prématurément aux seins de sa mère, je causerai sa perte. Ce que je dis pour moi, je le dis pour tous mes collègues et frères dans la prêtrise qui appartiennent à notre ordre. L’ESCROQUERIE

SPIRITUELLE

L’escroquerie pratiquée par les laïcs indique le détournement du savoir par les clercs, lorsque l’un d’eux, recevant de Dieu le don de connaissance pour partager généreusement celle-ci avec tous ceux qui le demandent, refuse de la révéler à quelqu’un sans se faire prier ou sans être récompensé par la gloire personnelle. La fourche du diable est placée entre Athènes et Corinthe1; c’est-à-dire que le larcin se situe entre la diffusion du savoir, d’une part, le maintien et le développement du gouvernement spirituel, d’autre part. L’homme charnel ne comprend jamais que l’on parle du gouvernement autrement que de manière charnelle, comme le font les païens. La connaissance réelle de la nature et les enseignements erronés Pourquoi la femme n’est-elle pas aussi apte que l’homme à connaître la lettre? Pour qu’Ève ne soit plus piégée par le fruit de la connaissance2. Mais elle peut avoir une connaissance de la loi de la nature aussi grande que celle que l’homme a ou peut avoir. Ils sont nombreux à prêcher à notre parenté ou à s’occuper d’elle pour qu’elle aille vers la lettre, selon la coutume judaïque, avec des paroles comme celles-ci: « Battez-vous pour votre patrie. Armez-vous, fils puissants, et soyez prêts à livrer bataille, car il est mieux pour nous de mourir à la guerre plutôt que de voir les malheurs de notre lignée ». Si ces paroles ou d’autres du même genre sont d’abord prononcées au pied de la lettre, qu’elles soient ensuite expliquées sur le plan spirituel ou qu’elles ne le soient pas, par l’encouragement donné aux images des idoles (c’est-à-dire par le renfort apporté à l’imagination charnelle de ceux qui sont là et entendent), l’outrage fait au nom de chrétien est aggravé, non en mots mais en actes. On outrage désormais la maison du Seigneur, alors que le nom du Seigneur3 (c’est-à-dire la sainte chrétienté qui tient son nom du Christ) devrait être invoqué sur elle. La source de toute connaissance et les moyens de l’acquérir Si je faisais le tour du monde et le parcourais pour y trouver les particularités des pays, je ne trouverais jamais la source de la connaissance actuelle, même en allant au bout du monde. En effet, lorsqu’on ne connaît pas le commencement, on ne connaît pas non plus la fin. Car ce n’est pas l’espèce qui s’étend au genre, mais c’est le genre qui comprend l’espèce. En effet, l’homme placé sur une

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Voir V 21, note 2. Voir Gn 2, 9 et 17. C’est-à-dire celui d’Opicinus. Voir V 16, note 3; V 22, note 23; fol. 86, dernier additum.

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De spirituali imperio Qui fuerit humilior omnibus, longanimis, patiens et expectans, habet melius totum mundum sibi subiectum, exemplo Domini nostri Ihesu Christi qui ab initio regnum mundi promeruit, habuit et mutauit hiis diebus in melius; cuius nomine nuncusque functus sum imperio mundi, non sacramentaliter (quod non potui exequi in parrochia mihi commissa) sed spiritualiter super aduersarium meum factum mecum in utero, quem per gratiam Dei imperio suo priuaui; et iudicaui totum mundum. Nunc summo pontifici uicario Christi habenti tam spiritualiter quam sacramentaliter uniuersale imperium mundi trado meam scientiam ut, postquam approbauerit eam, supplicante me sibi per amorem spiritualis uereque iustitie, ipsam dispergat infirmis cum maiori scientia perfectorum et non aliter, ne aduersarius meus iterum suscitetur ad gloriam personalem. Actum XII kalendas nouembris, die sanctarum XI milium uirginum, que nunc paterne benedictionis duodenarium supplementum expectant. Anno sequenti, in primis uesperis in capella domini pape, de illis uirginibus uidimus in choro numerum XII clericorum non plurium.

De rationali iudicio mundi Sicut intrantibus domum ignotam cane et homine, canis ex olfactu uadit inquirendo particularia domus per terram et homo rectus ex aspectu rationali totam domum in uniuerso considerat, ita intrantibus mundum ignotum me qui sum immortalis populus christianus et persona mea mortali (quasi bestia), bestia mea ex concupiscentia naturali uadit ymaginando quamlibet terram et quemcumque locum mundi per particularia, et ego rationalis populus christianus sine concupiscentia in uniuerso considero totum mundum. Illa enim bestia est famula mundi; ego autem sum dominus mundi. Additum anno perfectionis, IIII kalendas martii, tunc feria V post feria IIII cinerum.

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hauteur a un meilleur aperçu des dimensions de l’espace situé en bas et de ce qui l’entoure que le vermisseau ou le gros animal qui parcourt cet espace. De même, nous qui nous trouvons au cœur du monde (c’est-à-dire de l’Église du miroir, dont le cœur est placé plus haut que la tête organique1), nous apprécions mieux la longueur et la largeur du monde, ainsi que toutes les époques passées, que ceux qui font le tour du monde inutilement. Le pouvoir spirituel Celui qui est le plus humble de tous, qui fait preuve de longanimité et de patience, et qui sait attendre, est celui qui détient la meilleure autorité sur le monde entier, à l’exemple de notre Seigneur Jésus-Christ qui a mérité la royauté du monde depuis le début, qui l’a obtenue et qui l’a améliorée ces temps-ci; c’est en prenant son nom que j’ai assumé jusqu’à aujourd’hui le pouvoir sur le monde, non sur le plan des sacrements, car je ne pouvais exercer ce pouvoir dans la paroisse qui m’était confiée, mais sur le plan spirituel, sur mon adversaire conçu avec moi dans le sein de ma mère, à qui, par la grâce de Dieu, j’ai enlevé son pouvoir; et j’ai jugé le monde entier. Aujourd’hui c’est au souverain pontife, vicaire du Christ, détenant le pouvoir universel sur le monde, tant sur le plan spirituel que sur le plan des sacrements, que je livre ma connaissance, afin que, après l’avoir approuvée, puisque je l’implore par amour pour la justice spirituelle et véritable, il la distribue aux faibles, en même temps que la connaissance supérieure des parfaits et non autrement, pour éviter que mon adversaire ne soit à nouveau entraîné vers la gloire personnelle. Fait le 12 des calendes de novembre [21 octobre 1337], le jour de la fête des 11000 vierges2 qui attendent aujourd’hui en plus le nombre douze de la bénédiction du Père. L’année suivante [1338], aux premières vêpres dans la chapelle du seigneur pape, nous avons vu dans le chœur 12 clercs, pas davantage, qui évoquaient ces vierges. Opinion sensée sur le monde Lorsqu’un chien et un homme entrent dans une maison inconnue, le chien avance en flairant pour repérer les détails de la maison qui se trouvent au ras du sol, et l’homme va tout droit en jetant des coups d’œil sensés et observe toute la maison dans son ensemble. De même, lorsque moi, qui suis le peuple chrétien immortel, et ma personne mortelle (c’est-à-dire la bête qui est en moi), nous entrons dans un monde inconnu, la bête qui est en moi avance avec une convoitise liée à sa nature en imaginant tous les pays et les endroits du monde en fonction des détails, et moi, le peuple chrétien doué de raison et dépourvu de convoitise, je considère le monde entier dans son ensemble. En effet, cette bête est la servante du monde, alors que moi, je suis le maître du monde. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des calendes de mars, c’est-à-dire la 5e férie qui suit le mercredi des Cendres [jeudi 26 février 1338].

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C’est-à-dire celle de Benoît XII. Il s’agit de sainte Ursule et de ses compagnes.

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[fol. 76v°] DESSIN V 20

1 – Qui intendit proprium comodum et gloriam personalem, cogitans aliquid agere, iam relaxat habenas mendacii; qui in die Iudicii iudicabitur homo mendax. Qui uero intendit comodum commune et gloriam populi christiani non suam, cogitans aliquid agere, iam ducitur Spiritu ueritatis; qui tunc iudicabitur homo uerax. 2 – Sinagoga iudaica habet in se limbum; id est seruilis Ecclesia habet in se desiderantes ueram scientiam. 3 – Apostolicum templum ad tempus confunditur; id est uniuersitas sacerdotalis ex scandalis perturbatur. 4 – Ecce mors deuorat tantummodo uestimentum, non corpus (id est solam carnem persone mortalis, non corpus populi christiani). 5 – occidens mortis 6 – TAVRINVM 7 – Paradisi fidelis I(i)anua reseratur. 8 – Prouincia 9 – Auinio 10 – LOMELLVM 11 – Ianua 12 – BABILON1 13 – Papia 14 – Sabaudia; MORTARIVM 15 – PAPIA 16 – Aquilegia 17 – MEDIOLANVM 18 – Omnis ignorantia effugatur. 1 Les lettres, grandes et épaisses, du mot BABILON sont disposées le long d’une diagonale.

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[fol. 76v°] DESSIN V 20 Deux cartes à 180° entourées de notes, avec un changement d’échelle entre la carte du haut et celle du bas. En haut, l’Europe masculine, mordue à l’épaule par la tarasque, représente « le temple apostolique » (c’est-à-dire Opicinus); les noms de lieux sont indiqués en brun; un Christ en croix (encore Opicinus), d’où sortent plusieurs droites significatives, est placé dans la région d’Avignon. L’Afrique qui lui fait face, féminine, représente l’Église servile; mais elle a dans la poitrine le cercle de la « bonne » Gênes, où le Christ est associé à saint JeanBaptiste. La superposition de la carte de Lombardie (noms de lieux en rouge) et de l’Asie de la carte du bas permet à Opicinus de jouer. En bas, l’Europe féminine représente « la chrétienté universelle »; elle a dans sa poitrine un enfant nimbé relié au Christ de l’Europe d’en haut. L’Afrique féminine représente « la communauté des hommes charnels »; de sa poitrine sort le ver tunisien relié au dragon grec. L’ensemble du dessin est fondé sur des oppositions en général déjà connues. Les addita apportent des éléments originaux.

1 – Celui qui vise un avantage pour lui et la gloire personnelle en faisant quelque projet, lâche déjà la bride au mensonge; et il sera considéré comme un menteur au jour du Jugement. En revanche, celui qui vise l’intérêt général et la gloire du peuple chrétien, non la sienne, en faisant quelque projet, est déjà guidé par l’Esprit de vérité; et il sera alors considéré comme un homme sincère. 2 – Il y a un champ circulaire1 dans la synagogue juive; c’est-à-dire qu’il y a des hommes qui aspirent à la vraie connaissance dans l’Église servile. 3 – Le temple apostolique est momentanément renversé; c’est-à-dire que la communauté des prêtres est troublée par des esclandres. 4 – Voici que la mort dévore seulement le vêtement, non le corps (c’est-à-dire seulement la chair de la personne mortelle, non le corps du peuple chrétien). 5 – la mort est à l’ouest 6 – TURIN 7 – Gênes, la porte du paradis de la foi, est ouverte. 8 – la Provence 9 – Avignon 10 – LOMELLO 11 – Gênes 12 – BABYLONE 13 – Pavie 14 – la Savoie; MORTARA2 15 – PAVIE 16 – Aquilée 17 – MILAN

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Voir le cercle en Afrique (contenant les notes 19 et 20). Mortara: ville au nord-ouest de Pavie. Par ailleurs, mortarium désigne le vase à

piler. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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IANVA anima precursoris Domini Galata Actum inter XII et XI kalendas nouembris. Additum est de duplici Galata, anno perfectionis, V idus ianuarii. Recordatus sum anime precursoris in limbo, die decollationis sue. Si fuerit hec Europa Lombarda, habet a sinistris M(m)ortarii crucem ordinis sancti Augustini, habentem Ianue aliquos prioratus qui sunt in Affrica Lombardie. Si uero fuerit naturalis Europa, aliter uideatur. Quid faciat cum armis Sabaudie progenies crucis a dextera ad sinistram. « Qui habet aures audiendi audiat ». Fauore huius stirpis sumpsi crucis officium (scilicet scriptorie Penitentiarie), propter beneficium lucratiuum; nunc derelicto officio propter infirmitatem, uiuo beneficio illius prouentus per caritatem sociorum nostrorum. Additum in Ebdomada maiori. Iudas proditor, id est uniuersitas carnalium hominum Ecclesia gentium, id est christianitas uniuersalis Ego Ecclesia, habeo interiores mamillas meas integras, quarum sinistra uocatur Lugdunum (id est fructus penitentie), dextera uero dicitur Arelate (id est ara latitudinis que caritas est); in quarum medio habeo habitaculum Sancti Spiritus super Rodanum. Additum anno perfectionis, III nonas septembris. oriens uite Pectus inferni ex propria malitia contorquetur. Ianua Lugdunum Papia Galata Pectus fragilium roboratur. IHERVSALEM

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– L’ignorance est entièrement chassée. – GÊNES – l’âme du précurseur du Seigneur1 – le Galate2 – Fait entre le 12 et le 11 des calendes de novembre [entre le 21 et le 22 octobre 1337]. Les deux Galates ont été ajoutés l’année de la perfection, le 5 des ides de janvier [9 janvier 1338]. Je me suis souvenu que l’âme du précurseur était dans le champ circulaire, le jour de sa décollation [29 août 1338]. – S’il s’agit de l’Europe lombarde, on y trouve, à gauche de Mortara / du vase, la croix de l’ordre de saint Augustin3, lequel possède à Gênes quelques prieurés situés dans l’Afrique de Lombardie. Mais s’il s’agit de l’Europe naturelle, elle doit être regardée autrement. Ce que la lignée de la croix ferait avec les armes de la Savoie, en allant de la gauche à la droite. « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ». Par sympathie pour cette engeance, je me suis chargé de l’office de la croix (c’est-à-dire de l’écritoire de la Pénitencerie4), car il s’agissait d’un bénéfice avantageux; aujourd’hui, ayant renoncé à cet office en raison de mon infirmité, je vis des avantages de cette rente grâce à la charité de nos associés. Ajouté dans la grande Semaine [sainte]. – Judas le traître, c’est-à-dire la communauté des hommes charnels – l’Église des nations, c’est-à-dire la chrétienté universelle – Chez moi l’Église, les seins intérieurs sont intacts: le gauche s’appelle Lyon (c’est-à-dire le fruit de la pénitence), alors que le droit a pour nom Arles (c’està-dire l’autel de la largesse qui représente la charité); et entre les deux, je possède la demeure de l’Esprit Saint au-dessus du Rhône. Ajouté l’année de la perfection, le 3 des nones de septembre [3 septembre 1338]. – la vie est à l’est – La poitrine de l’enfer fait des contorsions, à cause de la malice individuelle. – Gênes – Lyon – Pavie – le Galate – La poitrine des faibles est fortifiée. – JÉRUSALEM

C’est-à-dire de Jean-Baptiste. Voir la note 22. Habitant de la Galatie (région de Turquie centrale). Saint Paul a écrit (vers 54-56) une lettre aux Galates du Nord qu’il avait lui-même évangélisés, pour les mettre en garde contre les judaïsants. 3 C’est-à-dire la croix du Christ (appelé ici Augustin, une des identifications préférées d’Opicinus). 4 Cette équivalence montre bien l’identification d’Opicinus au Christ. 1 2

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[fol. 77] DESSIN V 21

1 – Dampnatio seductricis et seducte. Ecce gigantes gemunt sub aquis. Ecce Symon Cyrenensis portitor crucis Christi 2 – Actum XI kalendas nouembris. Die sequenti addita est archa Noe. Ecce insula Cipri iuxta Franciam; Rodum in Rodano; Crete Papie uentralis secundum prophetam Cretensium; Achaia iuxta Romam; Sicilia prope Vngariam; relique due patrimoniales insule non longe a furca Corinthi. Canistrum ingerens timorem Thessalonice et excecans draconem coniungitur serpenti Cartaginis. Ambe Britanie possident Terram sanctam (id est pre ceteris habundant ecclesiarum prouentibus). www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 77] DESSIN V 211 Superposition de deux cartes anthropomorphes inversées, avec pour diagonale les deux bottes italiennes. Le dessin met en valeur un diable méditerranéen bicolore qui occupe la place centrale: en effet, la carte du bas (fond blanc; noms de lieux écrits à l’encre rouge) laisse apparaître dans l’espace maritime qui lui est attenant une seconde carte, immergée sous la première (fond rose foncé pour les terres; fond brun pour les mers; noms de lieux écrits à l’encre brune). Sur la carte émergée du bas, l’Europe est féminine; elle représente l’«Église libérée du séducteur ». Elle porte sur la tête une tiare/arche de Noé; dans sa poitrine, le Christ stigmatisé d’Avignon (autrement dit Opicinus); en Italie du nord, des organes sexuels; et en Grèce, le dragon. L’Afrique qui lui fait face est un moine barbu qui incarne « le séducteur de l’Église »; un ver sort de sa poitrine et rejoint la côte tunisienne. Sur la carte immergée du haut, on voit seulement une partie de l’Espagne et du personnage africain qui lui fait face (correspondant respectivement à la « séduite » et à la « séductrice »), une partie de la France, l’Italie du nord, une partie de la Grèce et de l’Asie mineure, et le bas du vêtement africain. Les deux diables méditerranéens s’enchevêtrent: en ressort notamment l’importance de la barbe et de la main qui pratique des attouchements. De plus, il faut tenir compte des droites matérialisées (la croix rouge du haut du dessin), de celles qui ne le sont pas (unissant les deux Constantinople, les deux Jérusalem, les deux Canistrum…) et des angles ainsi obtenus. Il s’agit de cartes moralisées qui nous promènent de la mort des géants à la renaissance de l’homme nouveau (Opicinus) dans l’eau du baptême et la résurrection, en passant par l’écrasement du dragon grec allié au serpent tunisien (symboles de l’homme ancien). Le scribe joue sur les superpositions des deux cartes pour mettre en valeur des rapprochements géographiques signifiants, ainsi que sur les assonances que permettent les mots qu’il utilise et les lieux qu’il cite, pour opposer le bien et le mal, prouver et valoriser l’histoire de son salut. Les nombreux ports méditerranéens qu’il indique lui permettent de reprendre les voyages apostoliques de saint Paul en leur donnant un sens initiatique personnel. Plusieurs addita apportent une connotation génitale supplémentaire. 1 – La condamnation de la femme séductrice et de la femme séduite. Voici les géants qui gémissent sous les eaux2. Voici Simon de Cyrène, celui qui porte la croix du Christ3.

1 Ce dessin est analysé en détails par GUY ROUX dans Art et folie…, pp. 133-167. Les notes 2bis, 3bis, 9bis, 14bis, 25bis (et ter), 27bis, 31bis et 35bis deviennent ici respectivement les notes 2, 3, 9, 52, 55, 27, 54 et 53. 2 Allusion aux géants grecs et bibliques. 3 Voir Mt 27, 32; Mc 15, 21; et Lc 23, 26. Cette allusion montre l’importance de la croix dans l’histoire d’Opicinus, en particulier le jour où l’additum a été écrit.

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Additum anno perfectionis, IIII kalendas aprilis, dominica de Passione, misterium crucis patriarchalium ciuitatum. Additum anno perfectionis, IIII nonas iulii, membrum uirile quod potest esse uel in uentre mulieris uel super uentrem masculi cum testiculis que uocantur Venetie. Additum III kalendas septembris, de osculo pacis inter matricem et uirgam. Papia est matrix feminea et Mediolanum est uirga uirilis in uentre mulieris. Venetie sunt testes et uulua. Verona cum Mediolano est ueretrum, quasi Marci leonis. ANTHIOCHIA IHERVSALEM CIPRVS Parisius ALEXANDRIA Auinio; RODVS EPHESVS CONSTANTINOPOLIS CANISTRVM THESSALONICA VNGARIA NIGER PONS ATHENE CORINTHVS Roma CRETE Papia Venetie Ianua Vngaria SICILIA ROMA VENETIE matrix; uirga; PAPIA IANVA CORSICA SARDINIA Canistrum CARTAGO Constantinopolis BUZEA AVINIO homo interior aditus eternitatis PARISIVS

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2 – Fait le 11 des calendes de novembre [22 octobre 1337]. Le lendemain [23 octobre 1337], l’arche de Noé a été ajoutée1. Voici l’île de Chypre à proximité de la France; Rhodes, sur le Rhône; la Crète, dans le ventre de Pavie, selon le prophète des Crétois; l’Achaïe, à côté de Rome; la Sicile, près de la Hongrie; il reste les deux îles patrimoniales2, non loin de la fourche de Corinthe3. Canistrum4, faisant peur à Thessalonique et rendant aveugle le dragon5, s’unit au serpent de Carthage. Les deux Bretagne possèdent ensemble la Terre sainte (c’est-à-dire abondent plus que les autres en revenus ecclésiastiques). Le mystère de la croix des villes patriarcales6 a été ajouté l’année de la perfection, le 4 des calendes d’avril, le dimanche de la Passion [dimanche 29 mars 1338], 3 – Le membre viril qui peut se trouver soit dans le ventre de la femme, soit audessus du ventre masculin, avec les testicules qu’on appelle Venise, a été ajouté l’année de la perfection, le 4 des nones de juillet [4 juillet 1338]. Le baiser de paix entre la matrice et la verge a été ajouté le 3 des calendes de septembre [29 août 1338]. Pavie est la matrice féminine et Milan la verge virile dans le ventre de la femme. Venise, ce sont les testicules et la vulve. Vérone avec Milan, ce sont les parties sexuelles, à savoir celles de Marc. 4 – ANTIOCHE 5 – JÉRUSALEM 6 – CHYPRE 7 – Paris 8 – ALEXANDRIE 9 – Avignon; RHODES 10 – ÉPHÈSE 11 – CONSTANTINOPLE 12 – CANISTRUM 13 – THESSALONIQUE 14 – LA HONGRIE 15 – NÈGREPONT 16 – ATHÈNES 17 – CORINTHE 18 – Rome 19 – LA CRÈTE 20 – Pavie 21 – Venise 22 – Gênes

Il s’agit de la tiare dessinée en bas, à l’envers, dans la région arménienne. C’est-à-dire la Sardaigne et la Corse (notes 29 et 30). 3 Corinthe: note 55. Pour la « fourche de Corinthe », voir fol. 76. 4 Voir V 12, note 21. Les deux Canistrum (notes 12 et 31) sont écrasés par la botte grecque. 5 Allusion à la cécité spirituelle de l’homme ancien. 6 Il s’agit des quatre patriarcats d’Orient: Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople (notes 4, 5, 8 et 11). Voir fol. 28v° et 47v°. 1 2

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Anthiochia Armenia maior Iherusalem ANGLIA SCOTHIA HIBERNIA Quam cito homo baptizatus est, regeneratus est in corpus spirituale cuius iam facta est resurrectio carnis secundum predestinationem diuinam, aut membri de corpore electorum (si perseuerauerit in gratia) aut membri de corpore reproborum (si resumpto habitu ueteri perseuerauerit). Non deficit aliud nisi ut utrorumque resurrectio reueletur in nobis, que ab eterno facta est coram Deo. Hoc signum significat inuisibilem rem que habetur in pectore. Ecclesia libera a seductore seductor Ecclesie Additio Greci draconis cum serpente Tunicii est superfluitas tunicarum. Ecce quod ab eterno preparata est ista domus Domini coram Deo. Nobis autem nouissimis hominum hec eadem preparatur et reuelatur. Prima uetera abierunt cum tempore ad perditionem eternam; hec autem nouissima sine tempore in beatitudinis eternitate fundantur. Manus dextera huius mancipii fere arida facta est; manus autem dextera hominis nostri interioris uniti cum Deo fecit hec omnia. Qui habuerit oculos tantum carnis non spiritus respiciet tantum ad hominem ueterem, cuius brachium dextrum extensum ad portam Venetie iam arefactum est. Qui autem habuerit oculos spirituales reperiet brachium Domini reuelatum et extensum super Auinionem. Hec omnia dicimus secundum intelligibilem fidem quam omnia uisibilia ista significant. Iam uisibilia signa sumpta pro re submersa sunt in profundum maris; et eadem signa in usum suscepta ad inueniendam inuisibilem rem eternum perficiunt sacramentum. Ecce de necessitate resurrectio Christi et hominum, alioquin ista uisibilia facta essent in uanum. Buzea Ephesus Thessalonica Athene; Corinthus

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– la Hongrie – LA SICILE – ROME – VENISE – la matrice; la verge; PAVIE – GÊNES – LA CORSE – LA SARDAIGNE – Canistrum – CARTHAGE – Constantinople – BOUGIE – AVIGNON – l’homme intérieur1 – l’accès à l’éternité2 – PARIS – Antioche – la grande Arménie3 – Jérusalem – L’ANGLETERRE – L’ÉCOSSE – L’IRLANDE – Dès que l’homme est baptisé, il est régénéré dans le corps spirituel, dont la résurrection charnelle s’est déjà produite selon la prédestination divine, soit comme membre du corps des élus (s’il a persévéré dans la voie de la grâce), soit comme membre du corps des réprouvés (s’il a persévéré dans la reprise de ses anciennes habitudes). Ne manque plus que la résurrection des uns et des autres se révèle en nous, elle qui, de toute éternité, est faite en présence de Dieu. – Cet attribut4 représente l’invisible qui se tient dans la poitrine. – l’Église libérée de son séducteur – le séducteur de l’Église – Ajouter le dragon grec au serpent tunisien, c’est déborder de tuniques. – Voilà que cette demeure du Seigneur a été préparée depuis toujours en présence de Dieu. Et pour nous, les derniers-nés des hommes / les hommes tout nouveaux, c’est celle-là même qui est préparée et dévoilée. Les réalités antérieures s’en sont allées avec le temps vers la damnation éternelle, alors que celles d’aujourd’hui, toutes nouvelles / dernières, sont établies hors du temps dans la béatitude éternelle. – La main droite de cet esclave s’est presque desséchée, alors que la main droite de notre homme intérieur uni à Dieu a fait tout cela. Celui qui n’a que les 1

C’est-à-dire l’homme nouveau intérieur, par opposition à l’homme ancien exté-

rieur. 2 3 4

Placé à Avignon, Opicinus se désigne comme celui qui permet d’accéder à l’éternité. A proximité de l’arche de Noé / la tiare. C’est-à-dire la tiare.

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77-77v°

FIDE ET FIDEI RATIONE

Tempore isto nulla reuelatio creditur, nisi ostendatur ratio ueritatis ad oculum, que sit ueritas naturalis ab eterno fundata. Si dicatur homini ueteri et carnali: « Crede hoc », fingit se credere; in corde autem sola uisibilia credit, non alia (uisibilia, inquam, non actu sed habitu). Credit enim se filium talis uiri et talis mulieris, qui sunt parentes sui uisibiles; memoriter autem non uidit se generatum ab eis; et sic habet fidem carnalem non spiritualem. Ecce qualis confessio mei carnalis. Nos autem Spiritum Christi habentes, complectimur inuisibilia per intelligibilem fidem. Siquis obiecerit nobis quod, ubi habetur ratio fidei, meritum non habetur, responsum est: « Fides meritoria est nostra ex speculo fidei, omni ratione firmata, nos disponens ad patriam speciei, non ulla ratione humana sed simplici fide. Ad istam enim habemus fidem apertam, ad aliam uero suspiramus per fidem signatam ».

DE

TESTIMONIIS LOCALIBVS

Christus et anima nostra est homo noster interior, unus non plures: unus, inquam, non natura sed gratia. Huius rei testimonium perhibent ille VI ciuitates finientes in unum cum VIIª unionis. Nulla enim ex eis laudo nec uitupero, sed ad testimonium pectorale illas assumo. Cognito ergo quod ille significent, nulla fiat mentio de eisdem.

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yeux de la chair, et non ceux de l’esprit, ne verra que l’homme ancien dont le bras droit, tendu vers la porte de Venise, est déjà desséché. Mais celui qui est doté des yeux de l’esprit reconnaîtra le bras du Seigneur dévoilé et étendu au-dessus d’Avignon1. Nous disons tout cela selon la foi intelligible que représentent ces réalités visibles. Déjà, les signes visibles pris pour la réalité ont été engloutis dans les profondeurs marines; et ces mêmes signes utilisés pour découvrir l’invisible parachèvent le sacrement éternel. Voici que la résurrection du Christ et des hommes est inéluctable; sinon ces signes visibles auraient été faits en vain. – Bougie – Éphèse – Thessalonique – Athènes; Corinthe

[fol. 77v°] LA

FOI ET LE CARACTÈRE RATIONNEL DE LA FOI

À l’époque où nous vivons, on n’ajoute foi à aucune révélation, à moins que le caractère rationnel de la vérité ne soit mis sous les yeux, autant dire la vérité naturelle établie depuis toujours. Si l’on dit à l’homme ancien et charnel: « Crois cela », il fait semblant d’y croire; mais dans son cœur, il ne fait confiance qu’à ce qui est apparent, c’est tout (oui, ce qui est apparent, non dans les agissements, mais dans les dispositions). En effet, il se croit le fils de tel homme et de telle femme, qui sont apparemment ses parents; mais il n’a pas constaté pour s’en souvenir qu’il a été engendré par eux; il possède donc une foi charnelle et non spirituelle. Voici ce que reconnaît mon être charnel. Mais nous qui possédons l’Esprit du Christ, nous connaissons l’invisible grâce à la foi intelligible. Si l’on nous objecte que, là où la foi présente un caractère rationnel, il n’y a pas de mérite, nous répondons: « La foi méritante qui est la nôtre vient du miroir de la foi, une fois la raison fortifiée; elle nous prépare à la patrie du face à face, sans la moindre raison humaine mais seulement avec la foi. En effet, notre foi est manifeste pour la patrie d’ici-bas, mais nous soupirons après l’autre patrie, grâce à la foi des signes ». TÉMOIGNAGES

CONCERNANT DES LIEUX

Le Christ et notre âme, c’est notre homme intérieur, un et non multiple: un, oui, non par nature mais par grâce. Pour en apporter une démonstration, ces six villes parviennent à l’unité en s’associant à la 7e, celle de l’union2. En effet, je ne vante ni ne critique aucune d’entre elles, mais je les utilise pour rendre témoignage à la poitrine. Par conséquent, une fois que nous saurons ce que ces villes veulent dire, il ne faut plus parler d’elles.

1 2

Voir notes 35-36. C’est-à-dire Avignon. Voir V 18, note 7.

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802

FOL.

DE AFFRICA

ET

77v°

EVROPA

Europa in actu confessionis ostendit cor suum habere in pectore maris (id est in amaritudine lacrimarum); Affrica uero semper abscondit cor suum et aperit os suum ad inania uerba. Actum X kalendas nouembris. DE

QVALITATE ORDINIS SACRI

Nobilius est esse christianum quam esse sacerdotem. Quare? Quia ordo sacerdotalis significat spirituale sacerdotium christiani. Christianus enim est liber in Christo; sacerdos autem est seruus nobilis christiani, non secundum carnem sed secundum fidem. Christianus enim membrum est Christi et per consequens habet totum Christum, cuiusmodi rem sacerdos sacramentalis significat. Et ideo ordo sacerdotalis habet uocabulum serui Dei usque ad seruum seruorum Dei. Qui habet pondus maius regiminis, habet grauius onus seruitii. Presbiter enim simplex significat ex signis sacerdotalibus plebem suam esse nobilem christianam. Episcopus autem ex insignis pontificalibus significat et quod sit ordo presbiteratus et quod sit nobilitas christiana. Super omnia uero summus pontifex ex pluribus signis papalibus significat omnia predicta. Qui habet ergo plures significationes abscondite gratie in pectore christianitatis, maius habet onus seruitii et per consequens nobilius regnum Christi. Qui habet in grauioribus Christo seruire, habet ex feruentiori caritate christiani populi regno gaudere. Regnante spiritualiter populo christiano, gaudet uehementius seruus eius (scilicet quicumque sacerdos). Facto totaliter libero populo christiano et in omni uirtute perfecto, quilibet seruus eius non est amplius seruus, sed unus Rex et Dominus factus cum illo. De uniuersali expositione spiritualiter omnium actuum Vnusquisque exponat spiritualiter uitam suam secundum memoriam eorum que gessit. Similiter exponat quod significet genus suum cum omnibus actibus suis. Simili modo omnia sompnia sua que poterit ad mentem reducere. Et omnia conferat cum conscientia sua. Tunc omnibus discussis, si repererit ex huiusmodi collatione uel mendacii uel fidei ueritatem, obtinebit per gratiam Dei donum iudicii sue persone non aliene, exemplo mei ipsius. Consilium enim manuum mearum me docuit omnia iudicare que scripta sunt in conscientia mea.

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L’AFRIQUE

803

ET L’EUROPE

L’Europe en train d’avouer montre qu’elle a son cœur dans la poitrine de la mer (c’est-à-dire dans l’amertume des larmes), alors que l’Afrique dissimule son cœur et ouvre la bouche pour dire de vaines paroles. Fait le 10 des calendes de novembre [23 octobre 1337] À

PROPOS DE L’ORDRE SAINT

Il est préférable d’être chrétien plutôt que prêtre. Pourquoi? Parce que l’ordre sacerdotal indique le sacerdoce spirituel du chrétien. En effet, le chrétien est libre dans le Christ, alors que le prêtre est le serviteur du chrétien incomparable, non pas selon la chair mais selon la foi. Car le chrétien est un membre du Christ et, par conséquent, il a en lui le Christ tout entier; c’est ce que le prêtre indique en donnant les sacrements. Et c’est pourquoi l’ordre sacerdotal est appelé serviteur de Dieu, y compris le serviteur des serviteurs de Dieu. Celui qui assume un gouvernement plus important a une charge de service plus lourde. En effet, le simple prêtre indique, avec les attributs sacerdotaux, que ses ouailles sont des chrétiens remarquables. L’évêque exprime, avec les insignes pontificaux, à la fois ce que doit être l’ordre de la prêtrise et ce que doit être la noblesse chrétienne. Mais, au-dessus de tout cela, le souverain pontife exprime, avec les multiples attributs de la condition de pape, tout ce qui vient d’être dit. Donc celui qui détient les nombreuses manifestations de la grâce cachée dans la poitrine de la chrétienté a une charge de service plus lourde, et par conséquent, une royauté du Christ plus remarquable. Celui qui doit servir le Christ dans les affaires plus sérieuses, doit se réjouir de régner sur le peuple chrétien grâce à sa charité plus ardente. Le peuple chrétien détenant la royauté spirituelle, son serviteur (c’est-à-dire chaque prêtre) s’en réjouit plus vivement. Une fois le peuple chrétien devenu entièrement libre et parfait dans toutes les vertus, chacun de ses serviteurs n’est plus un serviteur1, mais devient un seul Roi et Seigneur avec lui2. L’analyse universelle de tout ce que l’on fait d’un point de vue spirituel Chacun doit analyser sa vie sur le plan spirituel, d’après les souvenirs qu’il a de ses actions passées. Il doit également analyser ce que symbolise sa lignée avec toutes ses oeuvres. Et de la même manière, pour tous les rêves qui pourront lui revenir à l’esprit. Et qu’il confronte tout cela avec sa conscience. Lorsqu’il aura tout examiné, s’il trouve dans une telle confrontation le bienfondé du mensonge ou de la foi, il obtiendra alors, par la grâce de Dieu, le don de juger sa propre personne (et non une autre), comme c’est le cas pour moimême. En effet, l’habileté de mes mains3 m’a appris à juger tout ce qui est inscrit dans ma conscience.

1 2 3

Voir Jn 15, 14 et ss. Rêve d’harmonie universelle dont Opicinus est le centre. C’est-à-dire la faculté de dessiner (qu’Opicinus considère comme un don divin).

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804

DE

FOL.

77v°

CARITATE

Carbonerium scriptum in uertice Hispanie significat monarchie carbonculum, id est caritatis incendium ardens in pectore, donec tota ueritas annuntietur in concilio multo, non per personam sed per uniuersalem Ecclesiam. Actum VIII kalendas nouembris. Consumatio et reuelatio omnium occultorum Non est parabola nec fabula, que ab initio seculi abscondita, in hoc speculo non manifesteretur. De testimoniis personalibus Nunquam uidi fieri mappas maris nec curaui uidere fieri, eo quod ignorantia mea non permittebat me talia scire. Solus autem Deus aperuit mihi intellectum ut ad exemplar alterius illam1 transcriberem, nemine me docente, ignorante me tamen presens misterium nisi postquam a terribili infirmitate conualui, usque ad annum expectationis. Quo anno, paulo ante subtracto summo pontifice IIIIor de senioribus populi migrauerunt, ut incepto iudicio a sanctuario Dei iusti principes terre subtraherentur a nobis; et ne nos in desperatione remaneremus, plures ex eis supersunt nobiscum. Anno sequenti retributionis, tres ex illis decesserunt post primos, ut circa duos annos post summum pastorem principes VII obierint. Ex quibus anno expectationis ab austro hospitii nostri aquila, et anno retributionis a septentrione bos fidelia animalia decesserunt. Nunc ab occidente usque septentrionem homo et ab oriente leo superstites hospitium nostrum communiunt. De officio nostro plures circa predicta tempora similiter sunt defuncti. Actum VII kalendas nouembris. Ratio indulgentiarum Venetiis et de graduali scientia Hodie anno perfectionis, XIII kalendas iunii, uigilia Ascensionis dominice, audiui sicut pluries audieram magnas esse indulgentias die dominice Ascensionis Venetiis; qua die legitur cauda leonis (id est ultima lectio euangelii secundum Marcum). Vt nos infirmi ascendamus post Christum: ascendamus, inquam, a sensibus ad intellectum; ascendamus non localiter sed uirtute per I(i)anuam G(g)radualem (quasi Venetias) philosophando gradatim. Nemo potest ascendere ad sapientiam pectoralem huius celestis curie, nisi primo relinquat non carnaliter sed affectualiter personam suam in porta, quasi leonem suum Venetiis cum misteriis sigillatis. Euolet autem Auenicam sicut auis, ubi misteria reuelantur. 1

On attendrait: illud ou illum.

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LA

805

CHARITÉ

La note écrite en noir au sommet de la tête de l’Espagne indique l’escarboucle1 de la monarchie, c’est-à-dire le feu de la charité qui embrase la poitrine, en attendant que la vérité tout entière soit annoncée dans une nombreuse assemblée, non par une personne mais par l’Église universelle. Fait le 8 des calendes de novembre [25 octobre 1337]. Accomplissement et révélation de tout ce qui est caché Il ne s’agit ni d’une allégorie ni d’une légende qui, cachée depuis le début des temps, ne devrait pas être montrée dans ce miroir/cette image. Témoignages concernant des personnes Je n’ai jamais vu dessiner des cartes de la mer et je ne m’en suis jamais soucié, parce que mon ignorance ne me permettait pas de connaître de telles choses. Et c’est Dieu seul qui a ouvert mon intelligence pour que, prenant l’original d’un autre, je le recopie ici, sans que personne me l’apprenne; cependant j’ai ignoré le mystère en question tant que je n’ai pas été remis de ma terrible maladie, c’està-dire jusqu’à l’année de l’attente [1335]2. Cette année-là, peu de temps avant que le souverain pontife ne nous quitte, 4 des anciens du peuple sont partis, si bien que, du fait d’un jugement provenant du sanctuaire de Dieu, des princes intègres de ce monde nous ont quittés; mais pour éviter que nous ne demeurions accablés, plusieurs d’entre eux ont survécu parmi nous. L’année suivante, celle de la récompense [1336], trois d’entre eux sont encore morts; si bien qu’en l’espace d’environ deux ans, 7 princes sont morts après le souverain pontife3. Parmi eux, des animaux de la foi: l’année de l’attente [1335], est mort l’aigle qui vivait au sud de notre logement, et, l’année de la récompense [1336], le bœuf qui vivait au nord. Aujourd’hui, les survivants – l’homme, entre l’ouest et le nord, et le lion à l’est – renforcent notre logement4. Et en ce qui concerne notre office, pendant la période indiquée, plusieurs personnes sont également décédées. Fait le 7 des calendes de novembre [26 octobre 1337]. Les raisons des indulgences à Venise et la connaissance progressive Aujourd’hui, en l’année de la perfection, le 13 des calendes de juin, la veille de l’Ascension du Seigneur [20 mai 1338], j’ai entendu dire, comme cela avait été le cas à plusieurs reprises, qu’on donnait de grandes indulgences à Venise le jour de l’Ascension du Seigneur; or ce jour-là, on lit la queue du lion (c’est-à-dire le dernier passage de l’évangile selon Marc5). Afin que nous les faibles, nous nous élevions à

Voir V 12, note 3 et V 25, note 3. Opicinus évoque les lendemains de sa bouffée délirante aiguë et la genèse de ses cartes. 3 Opicinus rapproche le nombre sept de la mort de Jean XXII, pour y voir un signe. 4 Voir R. SALOMON, « A newly discovered manuscript of Opicinus de Canistris », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1953, 16, p. 56: les « animaux de la foi » sont les cardinaux Giovanni Orsini, Luca Fieschi, Matteo Orsini et Napoléon Orsini. Voir V 27. 5 Mc 16, 14-20. 1 2

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806

FOL.

78

[fol. 78] DESSIN V 22

1 – A1: II kalendas ianuarii, octaua dies ueteris hominis et ultima dies ueteris anni. 2 – A2: kalendis ianuarii. Fundamentaliter circuncisio Domini (quasi corona prepucii); speculariter regeneratio hominis ubi imponitur nomen proprium sibi. Cum enim homo baptizatur, circunciditur a ueteri homine in nouum hominem per testimonium anni noui; et quamdiu fuerit in habitu laicali, hanc spiritualem circuncisionem 1 2

Ce A majuscule est plus grand et plus épais que le reste du texte. Idem.

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la suite du Christ: oui, que nous quittions les sens pour l’intelligence; que nous nous élevions – non pas géographiquement mais qualitativement – en passant par la porte / Gênes des degrés / de Grado (autant dire Venise), en agissant progressivement en philosophes. Personne ne peut s’élever vers la sagesse de la poitrine de cette curie céleste, s’il ne dépose pas d’abord sa personne à la porte, non sur le plan charnel mais sur le plan affectif, autant dire son lion à Venise avec les mystères scellés. Et qu’il s’envole tel un oiseau vers Avenica, là où les mystères sont révélés.

[fol. 78] DESSIN V 22 Selon le même procédé que dans V 21, une carte aux mers bicolores est présentée à l’envers; les notes supérieures valorisent ainsi les calendes de janvier (1er janvier), jour de la Circoncision du Seigneur. La carte renversée inclut encore la superposition d’une carte émergée (fond blanc; noms de lieux en rouge) et une carte immergée (fond rose foncé pour les terres; fond brun pour les mers; noms de lieux en brun), avec les visages de l’Espagne comme diagonale. L’échelle choisie par Opicinus est donc plus petite que d’habitude. Dans la carte émergée, l’Europe occidentale (l’Espagne, l’Italie, la Sicile et la partie occidentale de la Grèce) masculine, qui a les yeux fermés, représente « la sainte chrétienté ». Elle est nue et ses bottes sont cloutées. L’élément le plus original est le développement d’organes sexuels disproportionnés dans la région vénitienne: Opicinus représente le prépuce circoncis de la verge principale (dont les testicules sont des femmes). Le mot EUROPA est astucieusement réparti entre Pavie, Rome et Avignon, qui forment un triangle visible. En face, l’Afrique est présentée de manière habituelle; on note cependant les détails de la tête cornue du ver près de Carthage. La carte immergée montre des fragments de l’Europe: une partie de l’Espagne sous la botte italienne de la carte du dessus, dont le visage aux yeux clos est qualifié de « communauté des hommes charnels »; la Provence et une partie de l’Italie du nord; la botte italienne cloutée; la Sicile; la région africaine de Tunis. Les éléments maritimes, en haut et en bas, ne permettent pas d’apercevoir le diable habituel. Comme à l’accoutumée, Opicinus exploite les coïncidences géographiques nées de la superposition des deux cartes. Il oppose à nouveau la damnation et le salut, en partant notamment de son nom: Opicinus, homme ancien charnel bien que prêtre (comme le montre la verge de la région vénitienne), a connu la Résurrection qui fait de lui le Christ. Partant des liturgies du début de l’année (Circoncision du Seigneur et fête du Saint Nom de Jésus), le scribe démontre sa divinité.

1 – A: le 2 des calendes de janvier [31 décembre], le huitième jour de l’homme ancien1 et le dernier jour de l’année ancienne. 2 – A: le jour des calendes de janvier [1er janvier]. Sur un plan fondamental, il s’agit de la Circoncision du Seigneur (c’est-à-dire de la couronne du prépuce); sur un plan manifeste, il s’agit de la renaissance de l’homme, lorsqu’un nom personnel lui est attribué. En effet, lorsque l’homme est baptisé, il est

1 Par rapport au 24 décembre, date de naissance d’Opicinus. Voir plus haut: « le premier janvier que je choisis comme étant un jour qui m’est propre » (fol. 75v°). De plus, cette date est à mi-chemin entre le 24 décembre et le 8 janvier (couronnement de Benoît XII).

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FOL.

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abscondit. Cum autem assumpserit caracterem clericalem (quasi coronam prepucii), tunc ostendit circuncisionem suam in carne, in testimonium spiritualis circuncisionis abscondite. Additum de nomine « Europa » – data sillaba « eu » Auinioni, « ro » Rome et « pa » Papie – anno perfectionis, VII kalendas aprilis. Qua die, anno Domini MCCLXXXXVI, conceptus fuit primogenitus Eue nostre. Sillaba « eu » attribuitur Asie propter Iohannem in spiritu, « ro » Europe cuius habet dominium, « pa » Affrice ex translatione sancti Augustini. Dormiente Domino, uigilat seruus insertus porte uentris Italie. Quis est ergo uerior dux huius corporis: seruus pendens an Domini caput? Ecce quod reuolutio corporis Europe patitur in dextra maxilla illusiones lumborum, id est Lombardorum qui conuersi sunt in semen infidelis G(g)ranate deturpantis maxillam. Ad nichilum uadit hec uniuersitas carnalium hominum. signaculum circuncisionis sub testibus Opicinus1 minister Ecclesie admirabile commercium AQVILEGIA matrimonium sacerdotale patrimonium Ecclesie MARCHIE II, RO, ROMA; amor III, PA, PAPIA I, EVa, AVINIO; aue Auinio Britania CARTAGO PARISIUS BRITANIA Tunicium Parisius iuxta Tunicium, in testimonium sancti Ludouici regis, ut mors occeani deuoret tantum Britanicam tunicam. Vbi imponitur nomen Ihesu, ibi imponitur cuilibet christiano nomen proprium, non tantum in illa die sed in qualibet die. Sed ut darem exemplum infirmis, in illa die fui spiritualiter circuncisus; quam circuncisionem laicus ego spiritualiter abscondi et clericus sacramentaliter manifesto. Sum enim quedam corruptibilis littera; christianitas autem est res ad inuisibilem rem. Non est breuior lectio Euangelii toto anno quam die circuncisionis dominice, in testi-

1 La lettre initiale O, située sur la tête du petit personnage, est plus grande et plus épaisse que le reste du texte.

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circoncis pour passer de l’homme ancien à l’homme nouveau, grâce au témoignage de l’année qui commence; et aussi longtemps qu’il se trouve dans la condition laïque, il dissimule cette circoncision spirituelle. Et lorsqu’il adopte la marque cléricale (c’est-à-dire la couronne du prépuce), il montre alors sa circoncision dans la chair, en témoignage de sa circoncision spirituelle cachée. – Le nom « Europe » a été ajouté l’année de la perfection, le 7 des calendes d’avril [26 mars 1338]: la syllabe « eu » étant donnée à Avignon, « ro » à Rome et « pa » à Pavie. C’est ce jour-là qu’en l’année du Seigneur 1296, a été conçu le fils aîné de notre Ève. La syllabe « eu » est attribuée à l’Asie en raison de Jean inspiré, la syllabe « ro » à l’Europe dont il a la propriété, et la syllabe « pa » à l’Afrique du fait de la translation de saint Augustin. – Pendant que le Seigneur dort1, son serviteur veille2, posté à la porte du ventre de l’Italie3. Qui est donc le maître le plus incontestable de ce corps: le serviteur qui pend ou la tête du Seigneur? Voici que le corps de l’Europe en évolution endure dans la mâchoire droite les tromperies des organes génitaux, c’est-à-dire des Lombards qui sont devenus la semence de la G(g)renade infidèle qui défigure la mâchoire4. – Cette communauté d’hommes charnels marche vers le néant. – la marque de la circoncision, sous les testicules – Opicinus, ministre de l’Église – un rapport merveilleux – AQUILÉE – les biens maternels du prêtre – le patrimoine de l’Église – LES MARCHES – 2, RO, ROME; l’amour5 – 3, PA, PAVIE – 1, EVe, AVIGNON; salut – Avignon – la Bretagne – CARTHAGE – PARIS – LA BRETAGNE – Tunis – Paris à côté de Tunis, en témoignage du roi saint Louis6, afin que la mort venue de l’océan engloutisse seulement la tunique bretonne.

Voir note 26. Voir Ct 5, 2 et Pr 8, 34. Opicinus est à la fois le Seigneur et le serviteur. 3 Il s’agit d’Opicinus placé sur la verge vénitienne. 4 La Lombardie de la carte émergée se trouve en effet sur la mâchoire de l’Espagne située dessous (dans la carte immergée), approximativement à l’emplacement de Grenade, musulmane à l’époque. 5 Pour le jeu de mots Roma/amor, voir le petit schéma fol. 19v°. 6 Saint Louis est mort lors de la 8e croisade dirigée sur Tunis. 1 2

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monium nominis mei frendentis ad breuiandos dies antique malitie et ad reuelandam diem eternitatis. Homo meus uetus et carnalis sepultus est in inferno. Coniunctio Tunicii cum Britania est uestimentum largiri pauperi nudo. Sancta christianitas requiescit et dormit. Cecidit templum et reedificabitur. lamentatio uniuscuiusque parrochie Actum X kalendas nouembris, die sancti Longini martiris secundum usum Papiensem, qui primo miles secularis aperuit lancea latus Domini. Fundamentaliter mortuo Christo facta fuit redemptio animarum, etiam si non fuisset latus eius apertum; sed ad reuelationem tanti misterii factum est istud. Speculariter mortua christianitate a corde hominum, facta est regeneratio carnis secundum predestinationem diuinam, etiam si non esset facta reuelatio huius scientie; sed factum est istud ad preuisionem Iudicii generalis. Et sicut sanctus Longinus Domino lanceato fuit illuminatus ad fidem, ita facta ista apertione scientie, ego a longe uocatus (quasi Longinus) sentio oculos meos interiores apertos. Audiui corpus sancti Longini excoli Mantue, ac si manus dextera Affrice, aperiens latus Europe cum lancea, conuersa esset in manum sinistram Europe super uentrem Italie ubi est Mantua (id est manus tua).

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23 – Quand on attribue son nom à Jésus1, on attribue aussi un nom personnel à chaque chrétien, non seulement ce jour-là, mais chaque jour. Mais pour donner l’exemple aux faibles, j’ai reçu ce jour-là la circoncision spirituelle; et cette circoncision, je l’ai cachée spirituellement en tant que laïc, et je la fais voir avec les sacrements en tant que clerc. En effet, je suis une sorte de lettre corruptible2, alors que la chrétienté est une réalité destinée à l’invisible. Il n’y a pas d’évangile plus court à lire de toute l’année que celui de la Circoncision du Seigneur3, en témoignage de mon nom qui grince des dents pour abréger les jours de la malice ancienne et pour révéler le jour de l’éternité. 24 – Mon homme ancien et charnel a été enseveli dans les bas-fonds. 25 – Réunir Tunis à la Bretagne4, c’est donner généreusement un vêtement à un pauvre qui est nu5. 26 – La sainte chrétienté se repose et dort. Le temple est abattu et sera reconstruit6. 27 – les lamentations de chaque paroisse 28 – Fait le 10 des calendes de novembre [23 octobre 1337], le jour [de la fête] de saint Longin, martyr, selon la coutume de Pavie, qui, ayant d’abord appartenu à la milice du monde, ouvrit le côté du Christ avec sa lance. Sur un plan fondamental, une fois le Christ mort, la rédemption des âmes a été réalisée, et cela même si son côté n’avait pas été ouvert; mais cet événement a eu lieu pour révéler un si grand mystère. Sur un plan manifeste, la chrétienté ayant disparu du cœur des hommes, la régénération de la chair a eu lieu selon la prédestination divine, et cela même si cette connaissance n’avaient pas été révélée; mais cette révélation a eu lieu en prévision du Jugement général. Et de même que saint Longin a reçu la lumière de la foi du Seigneur qu’il avait transpercé avec sa lance, de même, une fois cette connaissance découverte, moi qui suis appelé de loin7 (pour ainsi dire Longin), je m’aperçois que mes yeux intérieurs sont ouverts. J’ai entendu dire que le corps de saint Longin est vénéré à Mantoue8, comme si la main droite de l’Afrique, en ouvrant le flanc de l’Europe avec une lance, devenait la main gauche de l’Europe sur le ventre de l’Italie où se trouve Mantoue (c’est-à-dire ta main)9.

1 Le dimanche placé après la Circoncision du Seigneur (ou le 2 janvier) correspondait à la fête du Saint Nom de Jésus; on y lisait le même évangile qu’à la Circoncision. Opicinus estime donc qu’après avoir reçu la circoncision spirituelle, il a reçu le nom de Jésus. 2 La lettre O (voir note 7). 3 Lc 2, 21. 4 Voir notes 20 et 21. 5 Voir Mt 25, 38. 6 Voir Jn 2, 19. 7 Opicinus fait un jeu de mots (longe/Longinus) pour s’identifier à Longin. 8 Saint Longin passait pour l’évangélisateur de Mantoue; il s’agissait en fait d’authentifier une relique du sang coulé du côté du Christ, conservée dans la basilique SaintAndré. 9 Jeu de mots Mantua / manus tua.

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FOL.

78v°

[fol. 78v°] DESSIN V 23

1 2 3 4 DE

– – – –

Virgo Maria Ihesus Christus Ioseph, sponsus Maria Actum X kalendas nouembris

PAVPERTATE DOMINICA ET EIVS ADAPTATIONE AD NOSTRAM

Fundamentaliter Virgo Maria, mater Dei, desponsata Ioseph, in uita plebeia secundum exteriora; secundum autem interiora in uita angelica. In nullo enim differebant a ceteribus uiuentibus uita mediocri, sicut habetur per testimonium quadruplicis Euangelii. Primo de obedentia Ihesu Christi a pueritia usque ad etatem perfectam sub disciplina plebeiorum parentum, Luce II: « Et descendit cum eis et uenit Nazareth et erat subditus eis ». De qualitate artis plebeie ipsorum, Mathei XIII: « Nonne hic est fabri filius? ». De habita eadem arte a Christo, cuius conuersatio fuerat in uiuendo mediocris et communis, testificantibus uicinis suis, sicut sonat ad litteram Marci VI: « Nonne iste est faber, filius Marie, frater Iacobi et Ioseph et Iude et Symonis? Nonne et sorores eius hic nobiscum sunt ? ». De habitu mediocri Christi inter turbas plebeias qui in nullo differebat ab illis, testificante Iohanne Baptista, Iohannis I: « Ego baptizo in aqua; medius autem uestrum stetit quem uos non scitis; ipse est qui post me uenturus est, qui ante me factus est, cuius ego non sum dignus ut soluam eius corrigiam calciamenti »; ecce de calciamento Christi iuxta litteram ad carnales. De baptismo Christi inter turbas populares a nemine disgregati, Luce III: « Factum est autem cum baptizaretur omnis populus, et Ihesu baptizato et orante apertum est celum ». De uestimentis autem et escis, ut omne dubium tollatur de medio, Iohannes sic aiebat ad turbas (subaudi mediocri uita uiuentes), non ad superfluos diuites nec ad pauperes mendicantes (Luce III): « Qui habet duas tunicas det non habenti, et qui habet escas similiter faciat ». De uestimentis Christi, Iohannis XVIIII: « Milites ergo cum crucifixissent eum, acceperunt uestimenta » (ecce pluralitas uestium) eius (non aliena sed Christi). « Et fecerunt IIIIor partes, unicuique militi partem et tuniwww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 78v°] DESSIN V 23 Ce dessin présente les parents de Jésus et l’Enfant Jésus. Les trois personnages portent une auréole jaune clair. Marie, au visage grave (presque masculin) est assise et donne le sein à l’Enfant Jésus en partie dissimulé dans l’ample vêtement maternel. Joseph le charpentier, au visage christique, tape avec son marteau sur un clou (on pense aux bottes cloutées de l’Europe). Aucune note explicative directe; mais les paragraphes suivants comme l’ensemble du manuscrit montrent qu’Opicinus s’identifie aux trois personnages à la fois. 1 2 3 4 LA

– la Vierge Marie – Jésus-Christ – Joseph, l’époux de Marie – Fait le 10 des calendes de novembre [23 octobre 1337]. PAUVRETÉ DU

SEIGNEUR

ET SA CONFORMITÉ AVEC LA NÔTRE1

Sur le plan fondamental, la Vierge Marie, mère de Dieu, fiancée à Joseph, menait une vie ordinaire en apparence et angélique en secret. En effet, ils ne se distinguaient en rien des autres qui menaient une vie banale, ainsi qu’en témoignent les quatre évangélistes. D’abord pour l’obéissance de Jésus-Christ, qui fut soumis à l’éducation de parents comme tout le monde, entre l’enfance et l’âge parfait, voir Luc (2): « Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth; et il leur était soumis »2. Pour leur vie ordinaire d’artisans, voir Matthieu (13): « Celui-là n’est-il pas le fils du charpentier? »2. Pour la même condition d’artisan chez le Christ, dont le comportement quotidien était banal et commun, comme l’ont attesté ceux qui le côtoyaient et comme Marc (6) le dit littéralement: « Celui-là n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joseph, de Jude et de Simon? Et ses sœurs ne sontelles pas ici chez nous? »4. Pour l’attitude banale du Christ au milieu des foules ordinaires, qui ne se distinguait en rien de la leur, ce dont témoigne Jean-Baptiste, voir Jean (1): « Moi, je baptise dans l’eau. Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, celui qui vient derrière moi, dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sandale »5; voici qu’il est question de la sandale du Christ, littéralement parlant pour les hommes charnels. Pour le baptême du Christ, au

1 Allusion au traité écrit par Opicinus sur ce sujet en 1329. Le scribe va chercher à montrer que son propre parcours et celui de Jésus se confondent: enfance et adolescence anonymes au sein d’une famille nombreuse, préparant un destin hors du commun; vie matérielle modeste, parfois même austère; passage par le calvaire. 2 Lc 2, 51. 3 Mt 13, 55. 4 Mc 6, 3. 5 Jn 1, 26-27. Il importe de noter que « derrière moi » se dit “pßsw dans la version grecque de l’évangile de Jean; or cet adverbe présente une consonance proche de celle d’Opicinus.

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FOL.

78v°

cam »1. De escis Christi, cui ex hiis detraxerant pharisei, sic dicitur Luce VII et Mathei XI: « Venit filius hominis manducans et bibens et dicitis: Ecce homo deuorator et bibens uinum ». Vnde ergo solutio questionis huiusmodi? Iam alibi responsum est, iterum referamus. Quicquid exigit humana natura sine carnis afflictione et sine corporis uoluptate, una est tantum tunica et una esca. Quicquid uero superfluum est cum duabus escis et tunicis numeratur. Christus igitur secundum exteriora a principio usque ad ostensionem doctrine seruauit in omnibus uitam mediocrem; et secundum interiora a natiuitate sua usque ad patibulum crucis semper habuit stigmata paupertatis. Ostendens autem doctrinam suam, partim assumpsit uitam strictiorem, incedens discalciatus et helemosinis uiuens, ut infirmi addiscerent elongari a dextera pompe et ab appetitu dominii (quasi desiderio monarchie papalis quam significat archa Noe); et partim retinuit uitam mediocrem in uestimentis et escis, ut perfecti appropinquantes ad mediam lineam recte uiuendi semper compaterentur infirmis (id est laborantibus concupiscentia oculorum). In dextris enim describitur monarchia in montibus Armenie, a uentre Papie usque ad apicem Christi pape; et in sinistris est crux in terra Iudee. Quicumque igitur non localiter sed affectu deseruerit crucem sinistre et accesserit ad apicem dextere, iam perdit utrumque, scilicet crucis honorem et ueri apicis dignitatem; qui uero semper in interioribus tenuerit crucem,

De temptatione persone Hora qua hec agebantur, uenit a Papia temptatio utriusque negocii huiusmodi ex improuiso ad me, cum essem in infima linea: ut transferrer a pectore Affrice Papiensis ad lumbos Libie Affricane, et aliunde ut serpenti Tunicii adderetur uestis Europe et diues pauperem denudaret.

1

Citation soulignée en rouge.

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milieu de la foule du peuple où il ne se différenciait de personne, voir Luc (3): « Or il advint, une fois que tout le peuple eut été baptisé et au moment où Jésus, baptisé lui aussi, se trouvait en prière, que le ciel s’ouvrit »1. Quant aux vêtements et à la nourriture, afin d’écarter toutes les ambiguïtés, Jean[-Baptiste] parlait ainsi aux foules (sous-entendu à ceux qui menaient une vie banale), et non à ceux qui débordaient de richesses ou aux pauvres qui mendiaient (Luc 3): « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même »2. Quant aux vêtements du Christ, voir Jean (19): « Lorsque les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements (voici ses vêtements au pluriel, non ceux d’un autre, mais ceux du Christ) et firent 4 parts, une part pour chaque soldat et la tunique »3. Quant à la nourriture du Christ, pour laquelle les pharisiens le critiquaient, on trouve dans Luc (7) et Matthieu (11) les paroles suivantes: « Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites: Voilà un glouton et un ivrogne »4. Comment peut-on donc résoudre ce genre de problème? La réponse se trouve déjà ailleurs5, répétons-la une seconde fois. Tout ce dont a besoin la constitution humaine dégagée des tourments de la chair et des plaisirs du corps, c’est une seule tunique et une seule ration de nourriture. Mais tout ce qui est en plus est compté avec deux rations et deux tuniques. Par conséquent, le Christ, depuis sa venue au monde jusqu’à la manifestation publique de son enseignement, a mené apparemment une vie banale en tous points; et en secret, depuis sa naissance jusqu’au gibet de la croix, il n’a cessé de porter les marques de la pauvreté. Et lorsqu’il a rendu son enseignement public, d’un côté, il a mené une vie plus austère, en marchant sans sandales et en vivant d’aumônes, afin que les faibles apprennent à s’écarter du luxe qui est à droite et de l’appétit de pouvoir (c’est-à-dire de l’ambition pour la monarchie pontificale que symbolise l’arche de Noé); et d’un autre côté, il a continué à mener une vie banale dans son vêtement et sa nourriture, afin que les parfaits, en approchant de la ligne du juste milieu où l’on mène une vie droite, prennent toujours part aux souffrances des faibles (c’est-à-dire de ceux qui sont tourmentés par la convoitise des yeux). En effet, c’est à droite qu’est représentée la monarchie, dans les montagnes d’Arménie, entre le ventre de Pavie et la tiare du seigneur pape; et c’est à gauche que se trouve la croix, sur la terre de Judée. Par conséquent, tout homme qui renonce à la croix de la gauche et s’approche de la tiare de la droite, non sur le plan géographique mais sur le plan sentimental, perd désormais l’une et l’autre (à savoir la gloire de la croix et la fonction de la véritable tiare); mais celui qui ne cesse de garder la croix au fond de son coeur, Une tentation personnelle Au moment où cela se passait, une tentation concernant ces deux affaires arriva de Pavie et me tomba dessus à l’improviste, alors que je me trouvais à la derniè1 2 3 4 5

Lc 3, 21. Luc 3, 11. Voir fol. 1a. Jn 19, 23. Lc 7, 34 et Mt 11, 19. Allusion discrète au penchant d’Opicinus pour la boisson. Voir fol. 1a; schémas A et C.

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FOL.

79

[fol. 79] iam utrumque promeretur honorem. Speculariter per Virginem Mariam intelligitur unaqueque parrochia, et per Ioseph rector et minister Ecclesie, et per puerum Ihesum infantia populi christiani (non etate sed spiritu et uirtute), uiuentibus istis uita mediocri. Filius et mater in etate perfecta glorificantur in carne; et uniuersalis Ecclesia et populus perfectorum antur ex immortalitate corporea. Ioseph senior corporaliter moritur et persona mortalis uniuscuiusque rectoris post functionem officii a seculo transit. Triplex habeo testimonium huius rei, non pro me tantum sed pro compresbiteris meis ecclesiarum rectoribus, de illa die qua legitur euangelium de desponsatione Marie Ioseph et eius traductione. Primum iudicii contra aduersarium meum, cuius est illa dies maledicta natiuitas sed non mea, iuxta uerba misse illius diei. Ad introitum: « Hodie scietis quia1 ueniet Dominus et saluabit nos » (per « hodie » intelligitur specularis Ecclesia que non subiacet tempori, in qua non habet partem homo ille carnalis qui sub tempore est conclusus); « et mane uidebitis gloriam eius » (per « mane » intelligitur beatitudinis species quam nunquam uidebitur ille aduersarius meus). Oratio: « Deus qui nos redemptionis nostre annua exle et cetera; uenturum quoque iudicem securi uideamus ». Hec sola dies habet orationem Iudicii, ut unusquisque discat iudicare seruum suum non alienum, sicut ego meum teneor iudicare. Ad Romanos principium epistole: « Paulus, seruus Ihesu Christi uocatus apostolus, segregatus in Euangelium Dei, quod ante promiserat per prophetas suos in Scripturis sanctis, de Filio suo qui factus est ei ex semine Dauid secundum carnem »; et nos ex semine Ihesu Christi secundum fidem, aduersus illum ueterem hominem qui ex semine iniquitatis. Ego enim cum illo et ille mecum facti sumus in utero Lombardie, cuius umbilicus et matrix (non sacramentalis nec spiritualis sed carnalis siue terrestris) uocatur Papia. De me enim coniuncto cum illo prophetauit Dauid: « Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum et in peccatis meis concepit me mater mea ». De me uero segregato ab illo predixit Paulus apostolus: « Cum autem placuit ei qui me segregauit de utero matris mee et cetera, continuo non acquieui carni et sanguini (subaudi corruptibilis domus mee) ». Ad preposita redeamus. Si uigilia natiuitatis dominice uenerit in die dominica, dicetur « alleluia »; crastina die delebitur iniquitas terre: ecce deletio Antichristi, qui natus est ante Christum per unam diem. Et regnabit super nos « Saluator mundi », aduersus quem dicit ille nequam seruus cum adherentibus sibi: « Nolumus hunc regnare super nos ».

1

Au lieu de: quod.

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re ligne: que je passe de la poitrine de l’Afrique de Pavie aux organes génitaux de la Libye africaine, et, par ailleurs, que le vêtement de l’Europe soit donné en plus au serpent de Tunis et que la riche dépouille la pauvre. [fol. 79] mérite dès lors la gloire de l’une et de l’autre. Sur le plan manifeste, la Vierge Marie représente chaque paroisse, Joseph, le curé et ministre de l’Eglise, et l’Enfant Jésus, la petite enfance du peuple chrétien (non par l’âge, mais par l’intelligence et le talent), sachant qu’ils menaient tous une existence banale. Le Fils et sa mère, ayant atteint l’âge parfait, sont glorifiés dans leur chair; de même, l’Église universelle et le peuple des parfaits sont glorifiés du fait de l’immortalité de leur corps. Joseph âgé meurt corporellement, et la personne mortelle de chaque curé quitte ce monde après avoir rempli son office. Je dispose pour cela d’un triple témoignage, non seulement pour moi mais pour mes collègues prêtres qui sont curés de paroisse, en ce jour où est lu l’évangile concernant les fiançailles de Marie avec Joseph et la confiance de celui-ci1. Le premier vient de la condamnation de mon adversaire, dont ce jour représente la naissance maudite (et non la mienne), d’après les paroles prononcées à la messe de ce jour2. Pour l’introït: « Aujourd’hui, vous saurez pourquoi le Seigneur va venir et nous sauvera »3 (« aujourd’hui » désigne l’Église du miroir qui n’est pas soumise au temps, dans laquelle cet homme charnel inclus dans le temps n’a pas de place); « et au matin, vous le verrez paraître dans sa gloire »4 (le « matin » désigne la vision de la béatitude, que mon adversaire en question ne contemplera jamais). Oraison: « Seigneur, vous nous donnez chaque année la joie d’attendre notre rédemption etc.; accordez-nous de pouvoir encore le regarder sans inquiétude, quand il reviendra pour nous juger »5. C’est le seul jour qui comporte une oraison sur le Jugement, afin que chacun apprenne à juger son serviteur et non celui d’un autre, comme moi-même je suis tenu de juger le mien. Début de l’épître aux Romains: « C’est moi Paul, esclave du Christ Jésus, appelé pour être apôtre et choisi pour diffuser la Bonne Nouvelle, que déjà il annonçait à l’avance par ses prophètes dans les saintes Écritures, et qui concerne son Fils; ce Fils est dans sa chair un descendant de David »6; et nous, nous sommes descendants de Jésus-Christ dans la foi, contre cet homme ancien conçu dans l’iniquité. En effet, moi avec lui et lui avec moi, nous avons été conçus dans le sein de la Lombardie, dont l’ombilic et la matrice (non pas sacramentels ni spirituels, mais charnels ou temporels) ont pour nom Pavie. Car c’est en parlant de moi uni à cet homme ancien que David a prophétisé: « Car voilà que j’ai été conçu dans les iniquités et que ma mère m’a conçu dans le péché »7. Et c’est en parlant de

1 Évangile du 24 décembre (vigile de la Nativité et jour de la naissance d’Opicinus): Mt 1, 18-21. 2 Pour la liturgie du 24 décembre, voir GUY ROUX, Opicinus, prêtre, pape…, pp. 115-116. 3 Introït du 24 décembre: Ex 16, 6. 4 Ex 16, 7. 5 Collecte du 24 décembre. 6 Rm 1, 1-3. 7 Ps 51, 7.

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FOL.

79

Secundum testimonium illius diei est cum confirmatus fui ad presentem parrochiam, ac si mihi diceretur: « Ioseph, fili Dauid, noli timere accipere Mariam coniugem tuam », secundum euangelium eiusdem diei. Tertium testimonium illius diei anno precedenti habueram, me ignorante ad illius coniugium euocandum, cum nocte illa in uisione me uiderim in similitudine uirginis mulieris nutrientis filium meum uberibus meis in medio mulierum, me admirante quomodo potuissem filium parere. Experfactus autem a sompno, per plures dies et annos cogitaui super illius misterii sacramentum, quod uix unquam potui intelligere nisi modo. Quicquid factum est circa me totum refertur in testimonium omnium aliorum, ut constituti super ecclesias peregrinas obseruemus regulam beate Marie Virginis et Ioseph. Imitemur Ioseph in arte fabrili, ut exerceamus nosmet ipsos in operibus bonis edificatiuis nostri et nostrarum plebium; imitemur et Mariam in officio matris ad nutriendam infantiam plebis nostre ex incorruptibili lacte (id est salubri doctrina). Actum VIIII kalendas nouembris de suprascriptis.

DESSIN V 241

1

Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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moi dissocié de lui que l’apôtre Paul a prédit: « Mais quand il a plu à Celui qui, dès le sein de ma mère, m’a mis à part etc., je n’ai pas adhéré indéfiniment à la chair et au sang (sous-entendu de ma famille corruptible) »1. Revenons au sujet en question. Si la veille de la naissance du Seigneur correspond à un dimanche, on dira « alléluia »; le lendemain, l’iniquité du monde sera anéantie: voilà l’anéantissement de l’Antichrist qui est né un seul jour avant le Christ. Et régnera sur nous « le Sauveur du monde »2, à l’encontre duquel ce serviteur mauvais3 et ses partisans disent: « Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous »4. Le deuxième témoignage du jour en question correspond à la confirmation que j’ai reçue pour ma paroisse actuelle, comme si l’on m’avait dit, en suivant l’évangile de ce jour: « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme »5. Le troisième témoignage du jour en question, je l’ai eu l’année dernière, alors que je ne savais pas me prévaloir du mariage de celui-là [Joseph], lorsque je me suis vu cette nuit-là, au cours d’une vision, semblable à une femme vierge nourrissant mon fils au sein au milieu des femmes, en admirant comment j’avais pu obéir à mon fils. Et une fois réveillé de ce songe, j’ai réfléchi pendant plusieurs jours et plusieurs années au caractère sacré de ce mystère que j’avais eu du mal à comprendre sauf sur l’instant. Ce qui se passe autour de moi concerne entièrement le témoignage de tous les autres, si bien qu’ayant reçu autorité sur des églises voyageuses, nous observons la règle de la bienheureuse Vierge Marie et de Joseph: nous imitons Joseph dans son activité de charpentier, de façon à pratiquer nous-mêmes la construction de bons ouvrages, pour nous et nos ouailles; nous imitons aussi Marie dans sa fonction de mère, pour nourrir la petite enfance de nos ouailles avec un lait incorruptible (c’est-à-dire un enseignement sain). Les écrits ci-dessus ont été faits le 9 des calendes de novembre [24 octobre 1337].

DESSIN V 246 Placé en bas de page, ce diagramme est en fait un satellite de V 25; il est d’ailleurs contemporain de la fin de V 25. Il présente neuf cercles emboîtés qui combinent les lettres fractionnées d’OPICINUS (le O et le S étant écrits en rouge pour faire OS: « la bouche », comme dans V 25) avec les planètes (un trait rouge relie chaque lettre, sauf le S, à une planète), les jours de la semaine (en rouge) et certains grands événements bibliques; les mots « consonnes » et « voyelles » (en rouge) sont disposés sur une verticale. Au centre, un Christ (Opicinus) assis portant les stigmates et ouvrant les bras. En bas, à l’envers, un prêtre orant (Opicinus). En prétendant faire avec ce dessin « une couronne pour notre Seigneur », Opicinus

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Ga 1, 15. Jn 4, 42 et 1 Jn 4, 14. Voir Mt 18, 32. Voir Lc 19, 27. Évangile du 24 décembre: Mt 1, 20. Ce dessin est analysé en détails par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 287-301.

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FOL.

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creatio; DIES DOMINICA; O diluuium; FERIA II; P circuncisio; FERIA III; I regnum; FERIA IIII; C transmigratio; FERIA V; I redemptio; FERIA VI; N requies; SABBATVM; V resurrectio; OCTAVA; S Sol Mars Mercurius Iupiter Venus Saturnus Luna CONSONANTES VOCALES

Terra « Loquere, Domine, quia audit seruus tuus ». Actum hoc opus VIII kalendas nouembris. Vocales nominis mei trado Soli, Marti, Ioui et Saturno, qui sunt superiores planete; consonantes autem Lune, Mercurio, Veneri et incorruptibili Terre, qui sunt inferiores planete cum Terra. Expletis etatibus seculi ab Adam usque ad nouissimam diem octauam, transcursis VIII lustris mee etatis, facio de nomine meo circuitum et coronam Domino nostro. Quod de me ad litteram facere dico, de ceteris christianis spiritualiter facere dico. Deleta iniquitate Terre, preparata est nobis incorruptibilis Terra. Qui habet adhuc concupiscentiam mundi non potest uidere nisi corruptibilem Terram; qui uero fuerit ab omni concupiscentia liber et mundus iam possidet incorruptibilem Terram. Nemo potest uenire ad Deum patrem nisi per Christum; nemo potest uenire ad Christum nisi per misticum Christum (id est per uiam obedientie ad proprium sacerdotem, non alium).

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s’autodivinise; il est le Christ qui domine l’espace et le temps, qui fait passer de la Terre corruptible à la Terre incorruptible.

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– la création; DIMANCHE; O1 – le déluge; LUNDI; P – la circoncision, MARDI; I – le règne; MERCREDI; C – l’exil2; JEUDI; I – la rédemption; VENDREDI; N – le repos; SAMEDI; V – la résurrection; LE HUITIÈME (JOUR); S3 – le Soleil – Mars – Mercure – Jupiter – Vénus – Saturne – la Lune – LES CONSONNES4 – LES VOYELLES5 – la Terre – « Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute »6. – Ce travail a été fait le 8 des calendes de novembre [25 octobre 1337]. – Je donne les voyelles de mon nom au Soleil, à Mars, à Jupiter et à Saturne, qui représentent les astres supérieurs; et les consonnes à la Lune, à Mercure, à Vénus et à la Terre incorruptible, qui représentent, avec la Terre, les astres inférieurs. Les temps se trouvant accomplis depuis Adam jusqu’au huitième jour qui est le dernier, moi qui ai vécu 8 lustres7, je fais de mon nom une orbite et une couronne pour notre Seigneur. Ce que je dis de faire pour moi à la lettre8, je dis de le faire spirituellement pour les autres chrétiens. Une fois anéantie l’iniquité terrestre, la Terre incorruptible est préparée pour nous.

1 La lettre O est reliée au Soleil, lequel est placé au milieu des planètes. Comme dans V 12, V 13 et V 14, Opicinus montre la primauté du Soleil auquel il s’identifie. 2 La « création » (avec Adam), le « déluge » (avec Noé), la « circoncision » (avec Moïse), « le règne » (avec Joseph), et « l’exil » (avec la quête de la Terre promise) représentent les événements de l’Ancien testament sur lesquels Opicinus peut calquer certains événements de sa propre vie antérieure à 1334; « la rédemption » (Vendredi saint), « le repos » (Samedi saint) et « la résurrection » (Pâques) concernent à la fois le Christ et le nouvel Opicinus. 3 S est la seule lettre reliée au côté du Christ. Ce « huitième jour » permet à Opicinus d’être l’Alpha et l’Omega; c’est aussi le jour de la Circoncision de Jésus. On retrouve la confrontation du 7 (nombre de jours de la semaine) et du 8 (nombre de lettres dans Opicinus). 4 Le mot est placé sur les astres inférieurs. 5 Le mot est placé sur les astres supérieurs. 6 1 S 3, 9. 7 Un lustre valant cinq ans, le total est de 40 ans (soit l’âge d’Opicinus lorsqu’il écrit le Vaticanus). Opicinus évoque aussi la périodisation joachimite (âge des parfaits). Voir fol. 80. 8 C’est-à-dire en utilisant le O.

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FOL.

79v°

[fol. 79v°] DESSIN V 25

1 – Ecce largitas maiestatis nomen persone diuidit inter omnes, sicut Christus corpus et sanguinem suum. 2 – Siquis fuerit papa post presentem consecratum anno expectationis, erit ad decorem huius Ecclesie. Necessarie est autem semper esse papam sacramentalem, etiam si christianitas fuerit tota perfecta, nequando scisma aliquod oriatur sugerente diabolo, donec Dominus noster adueniat ad Iudicium. In testimonium cuiuslibet christiani, ex prima et nouissima littera nominis mei, facio tali modo: OS1 Domini Ihesu Christi.

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Ce mot est écrit en lettres plus grandes et plus épaisses que le reste du texte.

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Celui qui est encore en proie aux convoitises du monde ne peut voir que la Terre corruptible1; alors que celui qui est délivré de toute convoitise et pur possède déjà la Terre incorruptible. Personne ne peut venir à Dieu le Père s’il ne passe par le Christ; personne ne peut venir au Christ s’il ne passe par le Christ mystique/secret (c’est-à-dire en prenant le chemin de l’obéissance à son curé2 et non à un autre).

[fol. 79v°] DESSIN V 253 En haut, un personnage androgyne assis en majesté porte une tiare (à l’intérieur de laquelle le nom de Benoît XII est indiqué) surmontée de « l’escarboucle de la charité » (petit rond rouge); un cercle portant le nom d’OPICINUS (dont le O et le S, écrits en rouge, permettent de représenter « la bouche du Seigneur ») entoure la tête; le cercle du couple sponsal occupe la poitrine et quatre droites issues des animaux évangéliques convergent en son centre. Des notes écrites en haut explicitent le sens de ce personnage pontifical opicinien. Au milieu de la page, quatre petits poèmes astucieusement disposés, les fleuves du paradis terrestre, les animaux évangéliques, saint Pierre et saint Paul, assurent la transition avec la carte du bas. En bas, une carte renversée à l’allure un peu inhabituelle. L’Europe masculine (avec les yeux fermés) est mordue par la tarasque et des flèches venant du sud l’atteignent à trois endroits (ses blessures sont matérialisées par les fleuves indiqués en rouge); elle incarne « la déconfiture du T(t)emple du Seigneur » (c’est-à-dire les humiliations et les problèmes rencontrés autrefois par Opicinus, qui ont débouché sur son entrée dans la psychose chronique en 1334). En face, l’Afrique féminine, casquée et armée, incarne « toutes les familles corruptibles du monde » et attaque l’Europe; elle porte dans la poitrine le cercle OPICINUS qui constitue « la bouche de l’enfer ». Le diable méditerranéen est classique. Ce dessin occupe une place centrale dans le Vaticanus, car il représente une synthèse réussie du destin d’Opicinus tel qu’il le conçoit (en allant de l’ouest à l’est, le prêtre connaît le calvaire puis le triomphe absolu) et du délire qui lui est lié: mégalomanie à portée cosmique, comportant notamment des fantasmes d’omnipotence divine et d’héliocentrisme; prétentions à la papauté et donc jalousie démesurée à l’égard de Benoît XII; projection du corps sur la carte; vision manichéenne de lui-même, du monde et de l’histoire; allusions scatologiques et obscènes…

1 – Voici la majesté généreuse qui partage entre tous son nom personnel4, comme le fait le Christ avec son corps et son sang. 2 – S’il vient un pape pour succéder au pontife actuel, lequel a été consacré l’année de l’attente [1335], il le sera pour l’honneur de cette Église. Il faut toujours qu’il y ait un pape sacramentel, même si la chrétienté atteint une plei-

Opposition « Terre corruptible » / « Terre incorruptible »: voir V 12 et V 13. Celui qui est figuré en bas du dessin. 3 Ce dessin est analysé en détails par Guy Roux dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 303363. Les notes 10bis, 16bis, 23bis, 24bis, 28bis et 28ter deviennent ici respectivement les notes 34, 35, 23, 24, 36 et 37. 4 C’est-à-dire Opicinus qui fractionne les huit lettres de son nom et se prend pour le Christ. 1 2

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FOL.

79v°

Quod imposuit mihi in die circuncisionis sue, significans similiter fieri cuilibet baptizato. Vbi enim impositum est nomen Ihesu, imponitur uocabulum christianum. Rigor circuncisionis ex petra significat rigorem legis Ecclesie Petri apostoli; et suauitas baptismalis ex aqua est unctionis pectoralis mirabile sacramentum. 3 – carbonculus caritatis 4 – SACERDOTALE MINISTERIVM 5 – paradisus terrestris 6 – BENEDICTVS PAPA XII 7 – o P I C I N V s1 Domini Ihesu Christi 8 – fluuius Phison 9 – SPIRITVALE IMPERIVM 10 – Papa presens sacramentalis in toto est etiam papa spiritualis, sicut presumo. Vnaqueque enim persona uere fidelis a die baptismi dat nomen suum huic speculari Ecclesie. Habet enim iam nomen suum in celis huius Ecclesie et sic habet spiritualem papatum. Et sicut omnes christiani dederunt nomina sua in celis, ita et ego nouissimus omnium habens cum eis eundem spiritualem papatum. Sicut enim habemus unum sacramentalem papatum super nos, non plures, ita et spiritualem unum papatum habemus intra nos, non plures. Partim non in toto sum papa sacramentalis super parrochiam meam; et in toto sicut ceteri christiani me credo esse papam spiritualem super aduersarium meum, qui furatus nomen meum cum uniuersitate carnalium hominum uocauit nomina sua in terris suis. 11 – IN PRIMA PARTE POETRIE NOVELLE 12 – DEPOSITIO PROPRII NOMINIS 13 – Suntque tui quales talem decuere. Relucent et circumlucent papam quasi sidera Solem. Tu solus mundo quasi Sol, illi quasi stelle, Roma quasi celum. Me transtulit Anglia Romam. Tanquam de terris ad celum transtulit, ad uos a tenebris uelut lucem lux publica mundi. 14 – Tigris; Eufrates 15 – Tharsis2 Paulus 16 – Anthiochie Petrus 17 – Gion 18 – Imperialis apex cui seruit poplite flexo, Roma caput mundi, cuius prudentia Remus. Totius imperii qui plenus nectare dulci musarum redoles, conditus aromate morum.

1 2

Les lettres d’OPICINVS sont disposées en cercle; le OS du bas est mis en valeur. Ce mot est séparé du suivant par une ligne.

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ne perfection, pour éviter l’apparition de quelque schisme à l’instigation du diable, jusqu’à ce que notre Seigneur revienne pour le Jugement. Pour porter témoignage à chaque chrétien, à partir de la première et de la dernière lettre1 de mon prénom, j’obtiens comme suit: « LA BOUCHE du Seigneur Jésus-Christ »2; ce qui m’a été attribué le jour de sa circoncision3 et indique aussi ce qui arrive à chaque fidèle baptisé. En effet, là où le nom de Jésus est attribué, c’est là que le vocable de chrétien est attribué. La sévérité de la circoncision venue de la pierre indique la rigueur de la loi de l’Église de l’apôtre Pierre; et la douceur du baptême par l’eau, c’est le sacrement étonnant de l’onction de la poitrine. – l’escarboucle de la charité – LE MINISTÈRE SACERDOTAL – le paradis terrestre4 – LE PAPE BENOÎT XII – O P I C I N U S, [LA BOUCHE] du Seigneur Jésus-Christ – le fleuve Phison5 – LE POUVOIR SPIRITUEL6 – Le pape actuel, parfaitement sacramentel, est aussi le pape spirituel, comme je le suppose. En effet, toute personne vraiment fidèle depuis le jour de son baptême donne son nom à cette Église en miroir. Car elle a déjà son nom dans les cieux de cette Église, et ainsi elle jouit de la papauté spirituelle7. Et de même que tous les chrétiens ont donné leurs noms dans les cieux, de même, moi aussi8, le très nouveau / dernier de tous, je jouis avec eux de la même papauté spirituelle. En effet, de la même manière que nous avons audessus de nous une seule papauté sacramentelle et non plusieurs, de même avons-nous une seule papauté spirituelle en nous et non plusieurs. C’est partiellement et non totalement que je suis le pape sacramentel au-dessus de ma paroisse; et c’est totalement, comme les autres chrétiens, que je me considère comme le pape spirituel au-dessus de mon adversaire qui, après le vol de mon nom, accompli avec la complicité de la communauté des hommes charnels, les a nommés sur ses terres.

Autrement dit l’Alpha et l’Omega. Voir note 7. 3 Voir V 22. 4 Opicinus accrédite la localisation géographique du paradis à l’est, avec ses quatre fleuves (notes 8, 14 et 17). Donc la carte se prolonge vers le haut et le personnage en majesté d’Opicinus se situe à l’est, tel le Soleil levant et Dieu lui-même. Il y a aussi une allusion au royaume du Prêtre Jean (que l’on situait en Inde), d’autant plus qu’au fol. 80, Opicinus compare son nom et celui de Johannes. 5 Fleuve du paradis correspondant actuellement au Gange. 6 Voir fol. 4. Les notes 4 et 9 désignent les différentes étapes de la mission d’Opicinus. 7 C’est celle que revendique Opicinus, car elle est supérieure à la « papauté sacramentelle » de Benoît XII. 8 Exemple de passage de la multitude à l’unité. 1 2

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FOL.

79v°

19 – DEDICATIO PROPRIE STIRPIS 20 – Vnde tuo lateri clipei uel tela uel enses? Femineum uulgus gestus dedisce uiriles. Gestis ut gestus respondeat exue parmam. Et galee conum decuit te uoluere pensa et uacuare colum; cur ergo uel unde superbis? Pone seram lingue timeas increscere uerbis. Maxillis dabo frena tuis et uincula collo. Iniciam reddamque breui te tempore seruam. 21 – IN VLTIMA PARTE POETRIE NOVELLE 22 – Ecce auaritia personalis omnes adducit ad honorem nominis sui, ut caro et sanguis humane malitie ab omnibus defendatur. 23 – Ecce uirga Cretensis (id est quelibet corruptibilis progenies mundi), quasi mulier armata que arripiens sagittam Herculis iactat eam ad coronam celestem (id est mitram pontificalem), pro cuius ambitione totum templum Domini ponit in scismata uel scissuras. Iam surripit nomen meum furtiue cuius furtum abscondit in pectore. Ecce prima et nouissima littera nominis mei quod putat rapuisse a me, ad testimonium contra seipsum et omnium carnalium hominum1, tali modo describitur: OS2 inferni cum habitatione diaboli. Parma est scutum, id est planeta sacerdotalis Parme suscepta in qua mea progenies fornicatur coronamque Cesaream conuertit in conum. Si uulua occeani fuerit in minori mundo, est cunium Pedemontium et Anglia est bugella Canapitii. Si uulua occeani fuerit in Papia, est porta Pertusi, et Anglia est porta Marenca uel circa. 24 – Ecce prostratio T(t)empli dominici, cuius flumina conuertuntur in sanguinem corruptibilem. Ecce quot scissure, quanta dispersio membrorum et ossium. Vbi sunt plurima uulnera, ibi est uini et olei copia, preter uulnera brachii sinistri ubi deficit medicina, nisi proueniat aliunde. Formatio uultus occeani, anno tranquillitatis, media nocte festi sancti Augustini. 25 – Actum inter VIIII et VIII kalendas nouembris. 26 – Crete – a « cresco, crescis » – est uirga uentralis, quam potest Venetia reducere ad debitum locum suum transeundo ad eam super Nigrum Pontem. Si autem derelinquatur, crescet in Affricam ultra mensuram, secundum fabulam quam audiui. Retinet tamen Venetia attritos testiculos. Marcus enim interpretatur « attritus » uel « defricatus ». Cretenses autem prophetati sunt « semper mendaces, male bestie, uentres pigri » (ad Titum I).

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On attendrait: « omnes carnales homines ». Ce mot est écrit en lettres plus grandes et plus épaisses que le reste du texte.

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11 – DÉBUT DU PASSAGE DE LA DERNIÈRE EN DATE DES POÉTESSES 12 – LE SACRIFICE DU NOM PERSONNEL 13 – Quels que soient les tiens, ils se sont montrés à ta hauteur1. Ils renvoient et rayonnent leur lumière sur le pape, comme font les étoiles sur le Soleil. Toi, unique dans l’univers comme le Soleil2, eux comme les étoiles, Rome comme le ciel. L’Angleterre m’a transporté à Rome. De même qu’elle m’a fait passer de la terre au ciel, la lumière source authentique du monde m’a fait passer, moi qui suis lumière émanée, des ténèbres à vous. 14 – le Tigre; l’Euphrate 15 – Paul de Tarse 16 – Pierre d’Antioche 17 – le Gion3 18 – La couronne impériale revient à celui que sert, le genou fléchi, Rome, tête du monde, dont la sagesse est Rémus4. Toi à qui appartient la toute-puissance, c’est le nard suave des muses que tu exhales, car tu as été créé/assaisonné par les aromates des bonnes moeurs. 19 – LA CONSÉCRATION DE L’ENGEANCE PERSONNELLE 20 – D’où viennent les armes de jet ou les épées qui se trouvent de part et d’autre de ton bouclier?5 Oublie les attitudes viriles pour les gestes féminins. Afin que ton comportement corresponde à la tradition, débarrasse-toi du petit bouclier. Et le cône de ton casque t’a bien été utile pour rouler ce qui t’est précieux et vider le tamis; quelle est la cause et l’explication de ton orgueil? Verrouille ta langue, de peur d’enfler en paroles. Je placerai un mors à tes mâchoires et des chaînes à ton cou. Je t’affronterai et te réduirai sous peu en esclavage. 21 – FIN DU PASSAGE DE LA DERNIÈRE EN DATE DES POÉTESSES 22 – Voici que la cupidité personnelle les conduit tous à glorifier leur nom, si bien que la chair et le sang de la malice humaine sont soutenus par tous. 23 – Voici le rameau crétois, c’est-à-dire toute descendance du monde corruptible, comme cette femme en armes6 qui, empoignant une flèche d’Hercule, la lance sur la couronne céleste (c’est-à-dire la mitre pontificale7), pour l’ambition de laquelle elle installe entièrement le temple du Seigneur dans les schismes et les divisions. Déjà elle a dérobé mon nom en cachette, et ce qu’elle a volé, elle le dissimule dans sa poitrine. Voici que la première et la dernière lettre de mon nom qu’elle pense m’avoir pris, en témoignage contre elle et tous les hommes charnels, donnent l’expression suivante: « LA BOUCHE de l’enfer », associée à la demeure du diable.

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Voir note 19. On retrouve l’association Sol/solus. Fleuve du Paradis correspondant au Nil. Allusion au couple Romulus-Rémus. La question s’adresse à l’Afrique. C’est-à-dire l’Afrique du bas. Voir la mitre placée en Bretagne, au bout de la flèche.

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O P I C I N V S1 inferni Hispalis Auinio Lugdunum Papia Roma Venetie Papa stupor mundi. Si dixero papa nocenti, acephalum nomen tribuam tibi; si caput addam, hostis erit nomen metri tibi uult similari. Nec nomen metro, nec uult tua maxima uirtus. Claudi mensura, nichil est quo metiar illam; transit mensuras hominum. Sed diuide nomen. Diuide sic nomen « in », prefer et adde nocenti: efficiturque comes metri. Sic et tua uirtus: Pluribus equatur diuisa, sed integra nulli. 35 – † [Iherusalem] 36 – Burdigala 37 – Parisius XXI

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Les lettres d’OPICINVS sont disposées en cercle; le OS du bas est mis en valeur.

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La parme est un petit bouclier rond, c’est-à-dire la planète sacerdotale de Parme / la parme1 levée, dans laquelle ma famille fait une courbe / fornique et change la couronne impériale en cône/con. Si la vulve de l’océan3 se trouve dans le petit monde, elle correspond à l’anus du Piémont, et l’Angleterre à la petite bouche du Canapex. Mais si la vulve de l’océan se trouve à Pavie, elle correspond à la porte Pertuse, et l’Angleterre à la porte Marenca3 ou aux environs de celle-ci. – Voici la déconfiture4 du T(t)emple du Seigneur5 dont les fleuves se changent en sang corruptible. Voici les nombreuses déchirures, l’écrasement important des membres et des os. Là où se trouvent le plus grand nombre de blessures, là même abondent le vin et l’huile6, sauf en ce qui concerne les blessures du bras gauche pour lesquelles les remèdes font défaut, à moins qu’ils ne viennent d’ailleurs. Le dessin du visage de l’océan7 date de l’année de la sérénité, au milieu de la nuit (de la fête) de saint Augustin [28 août 1341]. – Fait entre le 9 et le 8 des calendes de novembre [24-25 octobre 1337] – La Crète – de « je grossis, tu grossis » – est la verge ventrale que Venise peut ramener à sa place normale8 en la faisant traverser jusqu’à elle au dessus du Nègrepont9. Laissée à elle-même, elle s’étend de manière démesurée jusqu’en Afrique, d’après une légende que j’ai entendue. Cependant Venise conserve les testicules épuisés. En effet, Marc veut dire « usé » ou « épuisé ». Quant aux Crétois, une prophétie les qualifie de « perpétuels menteurs, méchantes bêtes, ventres paresseux » (Tite 1)10. – O P I C I N V S, [LA BOUCHE] de l’enfer – Séville – Avignon – Lyon – Pavie – Rome – Venise – Le pape est la honte du monde. Si je parle pour le pape qui est malfaisant, je t’attribuerai un nom dépourvu de tête; si je lui ajoute une tête, ton nom

Il s’agit du bouclier de l’Afrique. Voir fol. 72v° et 83v°. Il s’agit du détroit de Gibraltar, par où l’enfer accouche du diable méditerranéen. 3 Voir V 29, notes 18 et 20. 4 Prostratio: voir V 2, note 67. 5 Allusion à la destruction du Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor en 587 av. J.C.: voir 2R 24, 13 et 25, 9; Jr 33, 21. Opicinus l’assimile à ses malheurs passés en général et à sa maladie de 1334 en particulier. 6 Allusion aux richesses des régions d’Europe occidentale et surtout à la parabole du bon Samaritain qui panse les plaies de l’homme blessé en y versant de l’huile et du vin (Lc 10, 34). Opicinus s’identifie donc aussi à cet homme soigné par le bon Samaritain. 7 C’est-à-dire le visage de la tarasque. 8 Voir la flèche qui va de la Crète à Venise. 9 Nègrepont: île appelée aujourd’hui Eubée. 10 Tt 1, 12. 1 2

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[FOL. 80] DE

FOL.

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TESTIMONIIS ALLEGORICIS HVIVS REI

Tempore nostro fuit oliua inferenda ficulnee, sed utriusque remansit sterilitas in Papia. Arbor enim Asie plantata secus decursus aquarum, deficientibus irriguis aquis sterilis perstitit, sicut prophetatum fuerat de futuro iudice aridi ligni. Hoc loquor ad carnem et sanguinem cum propinquitate sua. Spiritualis descriptio mundi Existente mundo adhuc in chaos informi et indisgregabili yle, apparuit triplex anima tali modo, scilicet uegetabilis Asie, sensualis Europe et rationalis Affrice. Talis apparentia fuit. Producto autem mundo in formam, ueritas aliter est. Homo intellectualis et spiritualis est Asia, quam habent perfecti presentes non localiter sed uirtute. Homo rationalis est Europa, quam possident christiani tam locis quam fide. Homo animalis est Affrica, quam habitant apostate christiani non locis sed uitiis. Nam filii Agar apparentes christicole et ecclesiastici uiri tota die confabulantur ad inuicem de prudentia terre usque ad aures Europe. Nunquam enim uult Affrica ueritatem respicere, sed oculos suos conuertit ad P(p)lacentiam – non uentris Italie quam dudum seduxit, sed uultus Hispanie quam trahit ad se. Non enim miratur (quasi Papia mirabilis) de uoragine uentris; habet autem fiduciam deuorandi uultum Hispanie. Per uultum Hispanie intelligitur pectus Prouincie (id est Romane curie). Nam diu iam possidet P(p)lacentiam uentris ut placeat sibi ipsi; conatur autem habere P(p)lacentiam faciei, ut hominibus placeat et non Deo. Vultus enim Europe naturaliter semper respicit ueritatem siue fidei siue mendacii, in quo respectu nemo potest errare. Vultus autem Affrice semper aduertitur in obliquum nec uult conscientiam suam discernere. Sed Europa, coram qua positum est peccatum quod contraxerat in Affrica, sentit in conscientia sua Christum.

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sera l’ennemi de la mesure à laquelle il souhaite te confiner. Or ni ton nom, ni ton excellence ne désirent être mesurés à cette aune. La dimension du vers boiteux, il n’est rien qui me permette d’en évaluer la métrique; elle dépasse la dimension humaine. Mais scinde ton nom; détache de même de ton nom le « in »1; mets-le en évidence et ajoute-le à celui du pape malfaisant: il devient le compagnon de la mesure-type. Et il en est de même pour ton mérite: divisé, il égale celui du plus grand nombre; entier, nul ne l’égale. 35 – † [Jérusalem] 36 – Bordeaux 37 – Paris XXI

[fol. 80]2 TÉMOIGNAGES

SYMBOLIQUES DE CETTE AFFAIRE

Une olive devait être greffée sur un figuier ces temps-ci3, mais la stérilité de chacun d’eux est demeurée à Pavie. En effet, l’arbre d’Asie planté au bord des eaux, comme il y avait pénurie d’eau pour l’irriguer, est resté improductif, conformément à la prophétie sur le juge à venir pour le bois sec. Je dis cela pour la chair et le sang, et pour tout ce qui y touche. Description du monde d’un point de vue spirituel4 Le monde se trouvant encore dans un chaos informe et dans l’indifférenciation de la matière, l’âme est apparue sous une triple forme: pleine de vitalité en Asie, livrée à son instinct en Europe et raisonnable en Afrique. C’est ainsi qu’elle s’est montrée. Mais le monde ayant pris forme, la vérité est différente. L’homme intellectuel et spirituel, c’est l’Asie que les parfaits d’aujourd’hui possèdent, non géographiquement mais qualitativement. L’homme raisonnable, c’est l’Europe que les chrétiens possèdent, tant par la géographie que par la foi. L’homme animal, c’est l’Afrique qu’habitent les chrétiens apostats, non par la géographie mais par la perversité5. Car les fils d’Agar, soi-disant adorateurs du Christ et hommes d’Église, discutent à longueur de journée entre eux sur la sagesse de la terre, jusqu’aux oreilles de l’Europe. En effet, l’Afrique ne se résoud jamais à regarder la vérité, mais elle tourne les yeux sur Plaisance / la séduction6 – non pas celle du ventre de l’Italie qu’elle a récemment attirée à elle, mais celle7 du visage de l’Espagne qu’elle attire à elle. En effet, le gouffre des entrailles ne suscite pas l’admiration (pour ainsi dire l’admirable / la merveilleuse Pavie); or il a le toupet de Ce qui donne: « opicus » (« le rustre »). Folio traduit et commenté par GUY ROUX dans Opicinus, prêtre, pape…, p. 349-359. 3 Voir Rm 11, 16 et ss. Le figuier symbolise une Église inapte à fructifier. 4 Paragraphe traduit dans Art et folie…, p. 134. 5 Opicinus présente sa hiérarchie géographico-morale: l’Asie en premier, puis l’Europe, et en dernier l’Afrique. 6 Jeu de mots Placentia/placentia. 7 Plaisance en Espagne (au sud-ouest de Salamanque), opposée ici à Plaisance en Italie. 1 2

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FOL.

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De qualitate presbiteri Audiui a nonnullis Grecos nominare presbiteros « papas ». Ad litteram falsum est; spiritualiter autem uerum est; ut unusquisque perfectus in ordine presbiteratus significet spiritualem papatum, nomine non suo sed populi christiani. Sacramentaliter enim habemus unum papam non plures; spiritualiter autem unusquisque christianus uirtute perfectus habet in se spiritualem papatum non plures sed unum, ut uniuersalis christianitas habeat in pectore suo unum papatum (id est spirituale imperium supra uitia spiritualia). Et ideo, sicut faciunt ceteri sacerdotes ad parrochias suas infirmas, me facio similiter spiritualem imperatorem in toto, licet sacramentalem in parte super parrochiam meam infirmam, magis tamen incredulam quam infirmam. Si autem adhuc detineor affectione carnis et sanguinis, non possum me dicere papam uirilem, sed magis sum mulier menstruata (quasi papissa siue Papia). Dicebar enim puer in scolis a quibusdam puerulus femininus, in testimonium presentis mei papatus, si tanquam uir effeminatus uoluero mee parrochie dominari. Nam muliebritas mea fuit prefigurata per feminam papam que faciebat se uocari Iohannem papam VIII. Tot enim litteris scribitur nomen meum quamdiu sum paruulus; uirile autem nomen meum scribitur per litteras V « Iohes »; quidem computata littera h per VIII litteras scribitur sic « Iohannes ». Quamdiu enim sum in pectore perfectorum, uocor paruulus octonarius « Opicinus », ubi accipio spirituale imperium; descendens uero ad uentrem fragilium cum suscepto Imperio, habeo nomen uirile quod dicitur quinarius « Opizo ». Octauianus enim Cesar Augustus descriptor orbis terrarum, nascente uero Domino et Imperatore nostro, prefigurauit octonarium nomen meum, quasi Octabianum prope Lomellum. Nunc appropinquante octaua etate, Octauianus a uero lumine conuenitur ad reddendam rationem de Cesareis censibus uel tributis, quasi Octabianum de decimis a Lomello. Per mensem decembrem originis Christi decime figurantur; decime enim debentur parrochiarum rectoribus ad nutriendam christianam infantiam, quas nunc usque in pluribus impiissima illa Papia negauit. Sed ne uidear contradictor libelli « De laudibus Papie », ubi helemosine www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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ronger le visage de l’Espagne1. Le visage de l’Espagne désigne la poitrine de la Provence (c’est-à-dire de la curie romaine). Car il y a très longtemps qu’elle détient la Plaisance/séduction du ventre pour se faire plaisir; et elle entreprend de s’approprier la Plaisance/séduction du visage, pour plaire aux hommes et non à Dieu2. Le visage de l’Europe, en effet, regarde toujours de manière naturelle le bien-fondé, soit de la foi, soit du mensonge; et en portant ce regard, personne ne peut se tromper. Quant au visage de l’Afrique, il se tourne toujours de travers et ne veut pas examiner sa conscience. Mais l’Europe, devant laquelle est placée la faute qu’elle a commise en Afrique, se rend compte de la présence du Christ dans sa conscience. À propos du prêtre J’ai entendu dire à plusieurs reprises que les Grecs appelaient leurs prêtres « papes »3. Pris au pied de la lettre, c’est faux; mais spirituellement parlant, c’est exact; si bien que chaque parfait ordonné prêtre indique la papauté spirituelle4, non en son nom mais au nom du peuple chrétien. En termes de dogme, en effet, nous avons un seul pape et non plusieurs; mais spirituellement parlant, chaque chrétien parfait par ses mérites porte en lui la papauté spirituelle, non pas plusieurs mais une seule, si bien que la chrétienté universelle possède dans sa poitrine une seule papauté (c’est-à-dire le pouvoir spirituel surclassant les tares spirituelles). Et c’est pourquoi, comme le font les autres prêtres pour leurs paroisses faibles, je m’institue détenteur du pouvoir spirituel absolu, bien qu’il demeure partiellement sacramentel sur ma paroisse faible – d’ailleurs plus incrédule que faible. Mais si je suis encore retenu par les inclinations de la chair et du sang, je ne puis me prétendre prêtre masculin, mais je suis plutôt une femme salie par ses règles (pour ainsi dire une papesse ou encore Pavie). En effet, lorsque j’étais enfant, on disait de moi à l’école que j’étais un gamin efféminé, en présage de ma papauté actuelle, comme si je commandais à ma paroisse en homme efféminé5. Car ma nature féminine a été préfigurée par la femme pape qui se faisait appeler le pape Jean VIII6. En effet, mon nom s’écrit avec le même nombre de lettres aussi longtemps que je suis tout petit; mais mon nom d’homme s’écrit avec les 5 lettres de « Johes »7; et si l’on développe la lettre h, il s’écrit avec les 8 lettres de « Johannes ». Car tant que je me trouve dans la poitrine des parfaits, on me nomme le tout petit « Opicinus » octonaire, là où je tiens le pouvoir spirituel; en revanche, en descendant vers le ventre des vulnérables qui est aux mains de l’Empire, je possède un nom masculin quinaire, à savoir « Opizo ». En effet, l’empereur Auguste Octavien8 dépeignant l’orbe terrestre à l’époque où naissait notre

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Voir V 22 (Espagne immergée). Voir Rm 8, 8; Ep 6, 6; Col 3, 22. C’est-à-dire popes. C’est-à-dire Opicinus (voir V 25, note 10). Opicinus explique sa bisexualité (imaginaire, mais importante dans son délire). La papesse Jeanne (qui aurait vécu au IXe siècle) n’a en fait jamais existé. Johes est l’abréviation paléographique correspondant à Johannes (= Jean). C’est-à-dire l’empereur Auguste (27 av. J.C. – 17 ap. J.C.).

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Papiensium commendantur, laudo eas, sed in isto non laudo nisi se totaliter subiciant obedientie sacerdotum. Nam habentes enim rationale iudicium, pascunt pauperum uentres non mentes, ut pauperes pectorales descendentes ad uentrem de hominibus in bestias conuertantur.

De sacramento et re inuisibili Affrica apparens integra corpore de facili ad sacros ordines promouetur. Europa uero apparens corpore uitiata usque ad lapidem angularem ab edificantibus reprobatur, ne fungatur sacerdotio. Et hoc de iure canonico; de iure autem diuino, habens in pectore scriptum sacerdotem eternum, promota diuinitus ad spirituale sacerdotium et libera facta a seruitute peccati, non indiget amplius sacramentali sacerdotio, nisi propter infirmos et fragiles uentris sui. Quicumque enim fuerit fragilis in uirtute, etiam si nunquam fuerit in Lombardia, iam reputatus est cum fragilibus uentris nostri. De ymaginatione carnali Ymaginatio carnis et sanguinis domus proprie est quasi suscitatio tarascini in pectore huius Ecclesie de dracone Grecorum, ut serpens a calcaneo mulieris iterum ascendat ad pectus Europe, sicut ascendit in Affrice pectus. Tunica ueteris hominis deuoratur ab ore mortis Britanice. Sed ratio capitis uelut Hispania non uoratur a morte. Additum die sancti Martini. De scientia ueritatis et ignorantia affectata Sicut ymaginatio ueritatis que generat caritatem est hospitium domus et templum Dei uiuentis, ita ignorantia affectata que ymaginatur inania est habitaculum inuisibilis hostis. Additum anno perfectionis, V idus februarii.

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vrai Seigneur et Maître, a préfiguré mon nom octonaire, qui ressemble à Octabiano près de Lomello. Maintenant que le huitième âge approche / que mon huitième lustre s’accomplit, Octavien est rejoint par la vraie lumière pour rendre compte des taxes et des tributs payés à l’empereur, à savoir Octabiano pour les dîmes de Lomello. Le mois de décembre de la naissance du Christ indique les dîmes; en effet, les dîmes sont dues aux curés des paroisses pour nourrir la petite enfance de la chrétienté – ces dîmes que jusqu’à présent cette très sacrilège Pavie a refusé d’acquitter à maintes reprises. Mais, pour éviter de paraître en contradiction avec le traité «Éloge de Pavie », dans lequel les aumônes des habitants de Pavie sont magnifiées, j’en fais l’éloge, mais je n’y fais pas leur éloge s’ils ne s’abandonnent pas complètement à l’obéissance aux prêtres1. Car, sous l’emprise de leur jugement rationnel, ils nourrissent les ventres des pauvres et non leurs esprits, si bien que les pauvres de la poitrine descendant vers le ventre sont changés d’hommes en bêtes. Le sacrement et l’invisible L’Afrique, dont le corps est apparemment intact, accède facilement aux saints ordres. En revanche, l’Europe, dont le corps est visiblement corrompu jusqu’à la pierre d’angle, est rejetée par les bâtisseurs2, pour éviter qu’elle n’assume le sacerdoce. Et cela d’après le droit canonique; mais d’après le droit divin, ayant dans sa poitrine le scribe comme prêtre éternel / le prêtre éternel gravé3, étant élevée au sacerdoce spirituel par la volonté de Dieu et s’étant affranchie de la servitude du péché, elle n’a plus besoin d’un sacerdoce sacramentel, si ce n’est à cause des faibles et des vulnérables de son ventre. Car quiconque se montre défaillant en mérite, même s’il n’a jamais mis les pieds en Lombardie, est déjà classé parmi les vulnérables de notre ventre. L’imagination charnelle S’imaginer la chair et le sang de sa famille personnelle équivaut à faire lever la tarasque dans la poitrine de cette Église à partir du dragon grec, de telle sorte que le serpent monte une seconde fois du talon de la femme jusqu’à la poitrine de l’Europe, comme il l’a fait dans la poitrine de l’Afrique. La tunique de l’homme ancien est avalée par la bouche de la mort britannique. Mais la raison qui siège dans la tête, telle l’Espagne, n’est pas avalée par la mort. Ajouté le jour [de la fête] de saint Martin [11 ou 12 novembre 1337]. La connaissance de la vérité et l’ignorance feinte De même que la vision de la vérité qui engendre la charité est la maison de l’accueil des hôtes et le temple du Dieu vivant, de même l’ignorance feinte qui fantasme sur ce qui est vain est la demeure de l’ennemi invisible. Ajouté l’année de la perfection, le 5 des ides de février [9 février 1338]. 1 2 3

Opicinus tente d’expliquer ses contradictions. Voir Ps 118, 22. Opicinus joue sur l’ambiguïté du mot « scriptum ». Voir fol. 81v°.

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[fol. 80v°] DE

FOL.

80v°

TEMPTATIONIBVS MVLTIPLICIBVS IAM TRANSACTIS CVM

PERPLEXITATIBVS SVIS

Quantas temptationes perpessus sum, quantas perplexitates conscientie cruciabiles mente portaui postquam factus sum presbiter, uix potest intelligere homo nisi passus fuerit talia. Et quanto sepius reiterabam confessionem, tanto grauius cruciabar ex eis, nunquam ualente conscientia ad alia commutari, non ex presentibus tunc sed transactis, non peccatis ex iure diuino nec articulis contra fidem nec criminibus carnis uel spiritus (que per confessionem assiduam euomita conscientiam serenabant); sed ex quibusdam perplexitatibus legis canonice que contra rigidos rigidior facta, sicut iudicium exigit, multos flexibiles ad obedientiam ex rigore suo magis indurat. Non enim in hoc peccat Ecclesia nec legislator princeps Ecclesie, sed sola indiscretio sacramentalis Ecclesie a membris ad caput. Nam cum in ordine presbiteratus aliquo tempore conscientiam meam illesam seruassem, iterum reuersus ad audiendas decretales quas iam inceperam audire ante ordines sumptos, circa tempus huius mensis quo Scorpio regnans consueuit aculeo caude percutere homines, cepi conscientiam meam discutere iuxta si in aliquo offendissem legem canonicam, ac si Christus eam statuisset per uicarium suum, sicut ueritas est, et ita credebam et credo, nec unquam aliter credidi, sicut confiteor Domino nostro et Christo eius. In sumptione enim et ministerio sacramentorum, tanta est necessitas circumstantie rituum ut, siquid omittatur ex eis, rite et canonice suppleatur. Verecundia erat mihi talia confiteri que nulla uerecundia me subtrahebat a confessione huiusmodi. Tanta erat curiositas conscientie mee ut quodlibet certum mihi conuerteretur in dubium. Verbi gratia. Mihi uidebatur ab aliquibus episcopis nominari collatio clauium in collationem ordinis presbiteratus. Ymaginabar et aliunde illud omissum in me cum pluribus ordinatis ignotis per alium episcopum. Adhuc fortius ymaginabar ut, si illud omissum fuisset, non esset ordo perfectus, aut ad conficiendam eucharistiam aut ad aliquem absoluendum. Alia maior fatuitas me faciebat ymaginari aliquid esse omissum in forma uerborum huiusmodi ordinis conferendi. Non habebam illud totaliter certum nec totaliter dubium, sed in huiusmodi hesitatione, aliquando iudicium rationis faciebat me illud credere certum esse, aliquando ymaginatio fatua illud certum conuertebat in dubium, me non omittente propter hoc debita et licita sacramenta, in quorum celebratione sepe conuertebar in dubium an potuissem rite corpus et sanguinem Christi conficere aut aliquem a peccatis absoluere. Credebam enim firmiter sicut nunc credo omnia sacramenta, sed sola tantum huiusmodi temptatio me ponebat in dubium facti (non fidei). Tandem habito consilio plurium magistrorum singillatim in foro confessionis uel alibi et inspecto libro pontificali, uix acquiescere potui certitudini facti. Tempore procedente, collecta memoria me adduxit in dubium usque ad certum de iniectione manuum in clewww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 80v°] LES

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TENTATIONS MULTIPLES QUE J’AI CONNUES DANS LE PASSÉ ET LES TRACAS

QUI LES ONT ACCOMPAGNÉES1

Combien grandes ont été les tentations que j’ai endurées, combien grands les embarras de conscience cruels pour l’esprit que j’ai supportés après que je sois devenu prêtre, un homme peut difficilement les comprendre s’il n’a pas connu pareilles souffrances. Et plus souvent je renouvelais mes confessions, plus durement j’étais tourmenté par ces tentations, ma conscience n’étant jamais en mesure de s’intéresser à autre chose, en raison d’événements non pas présents à ce moment-là mais passés: ni péchés d’après la loi divine, ni articles contraires à la foi, ni crimes de chair ou d’esprit (lesquels, une fois qu’on s’en était déchargé par l’intermédiaire de confessions assidues, rendaient la conscience sereine); mais embarras relatifs à la loi canonique, laquelle, devenue plus sévère à l’encontre des insoumis, ce qui est logique, donne plus d’assurance aux nombreux hommes qui se soumettent à l’obéissance, du fait de sa vigueur2. Car en l’occurrence, ce n’est pas l’Église qui commet un péché, ni le législateur, prince de l’Église, mais le seul manque de discernement de l’Église sacramentelle, des membres jusqu’à la tête. En effet, alors qu’ordonné prêtre, j’avais gardé ma conscience intacte un certain temps, étant revenu une seconde fois écouter les décrétales que j’avais déjà commencé à écouter avant d’avoir reçu les ordres3, vers l’époque du mois où le Scorpion qui règne4 a pris l’habitude de frapper les hommes avec l’aiguillon de sa queue, j’ai commencé à examiner ma conscience5 pour voir si j’avais porté atteinte à la loi canonique en quelque chose, comme si le Christ l’avait établie par l’intermédiaire de son vicaire – ce qui est vrai: c’est ce que je croyais et que je crois, et je n’ai jamais cru autrement, ainsi que je le confesse à notre Seigneur et à son Christ. En effet, lorsqu’on reçoit et qu’on administre les sacrements, les obligations liées aux détails des rites sont telles que, si l’on commet un oubli dans ce domaine, il faut le pallier de manière régulière et canonique. J’étais confus de le reconnaître, et pourtant aucun respect humain ne me détournait d’un tel aveu. Ma conscience était si scrupuleuse que je transformais chaque certitude en doute.

1 Voir Art et folie…, pp. 196-201, 204, 208 et 216, où plusieurs passages de ce folio sont traduits et commentés. Dans ce paragraphe confus, Opicinus évoque d’abord les années 1321-1324 (c’est-à-dire après son ordination), pendant lesquelles il a été en proie à de graves troubles obsessionnels en raison d’une infraction au droit canon qu’il n’explique pas clairement, mais qui l’a torturé et amené à multiplier les confessions sans retrouver pour autant la paix. Sur le plan pathologique, il s’agit d’une « folie du doute ». Quant aux bases réelles de ces obsessions, elles concernent à la fois la jeunesse d’Opicinus aux prises avec les gibelins, les circonstances douteuses de son ordination et les manoeuvres simoniaques qui entraînent son excommunication par l’évêque de Pavie; or c’est cette accumulation de difficultés et d’erreurs qui est à l’origine de sa psychose. Il atteste ensuite de problèmes obsessionnels du même ordre lorsqu’il s’est trouvé à Avignon, dus au procès qui lui est intenté précisément à cause de son passé délictueux. On peut d’ailleurs penser que les angoisses récentes télescopent les anciennes dans son récit. 2 Opicinus épuise les sens du mot rigidus. 3 Voir P 20, année 1319. 4 Scorpion: du 18 octobre au 16 novembre. 5 Voir P 20, année 1321.

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FOL.

80v°

ricos, citra tamen sanguinis effusionem, sicut pueris et adolescentibus accidit. Habita absolutione (quasi declaratione non incurrisse sententiam canonis), non poterat conscientia mea quiescere, donec huc ueniens absolutionem habui generalem. Deinde per aliquos dies, cum non haberem notitiam presentis officii nostri, fui in dubio si super irregularitate fuisset mecum dispensatum per penitentiarios sedis apostolice, sicut in ueritate possunt. Relique autem perplexitates alibi scripte sunt. Addo tamen si durante obliuione absolutionis de iniectione predicta, fuerit canonica collatio uel electio et confirmatio presentis parrochie. Ponamus in terminis. Ecce aliquis habet beneficium ecclesiasticum, qui tempore procedenti, ut conscientia sua conseruetur illesa, uisitat apostolicam sedem et ad cautelam obtinet litteras officii nostri de generalibus sententiis. Aliquo tempore memoria sua reducit ad se aliquam sententiam canonis quam incurrerat ante quam presens beneficium obtinuisset; non recordans autem huiusmodi sententie, beneficium acceptauit – quod non fecisset, si fuisset illius sententie recordatus. Si rigor canonici iuris ipsum reddit indignum, tunc maximum scandalum prouenit inde; quia habens testimonium boni nominis, nemine obiciente sibi excessus sententiam, nec habens conscientiam alicuius sententie cum acceptauit ecclesiam, si petierit ab episcopo adhuc de nouo ad eandem ecclesiam confirmari, forsitan episcopus nolet ipsum confirmare; et tunc hic qui habuerat bonum testimonium reputabitur maior peccator quam sit, cum huiusmodi sententia apud Deum nullum reputetur peccatum (uel quasi nullum propter ignorantiam excusantem). Super hoc prouideat uel declaret sedes apostolica, ut misericorditer obuietur tantis periculis animarum, alioquin huiusmodi dubium multos obligat perplexitati predicte. Nam tempore perplexitatis in ordine, uiolata ecclesia cathedrali, celebrabam propter deuotionem in quodam monasterio monialium; nunc discerno inter illud monasterium progeniem meam, perplexos neruos testiculorum Leuiathan in uniuersali Papia. Actum VII kalendas nouembris, tunc dominica XX post Pentecostes.

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Par la grâce du Verbe. Il me semblait que la collation des clefs1 était mentionnée par certains évêques lorsqu’ils conféraient l’ordre de la prêtrise. Par ailleurs, j’imaginais aussi que cela avait été oublié pour moi, ainsi que pour plusieurs prêtres ordonnés sans le savoir par un autre évêque. J’imaginais, de manière encore plus grave, que, si cet oubli avait eu lieu, l’ordre était incomplet, que ce soit pour célébrer l’eucharistie ou pour donner l’absolution. Une autre folie plus grande me faisait imaginer un oubli dans les formules utilisées lors de la collation d’un tel ordre. Je ne tenais pas pour cela pour entièrement certain, ni pour entièrement improbable, mais soumis ces hésitations, tantôt le jugement de ma raison me faisait croire que c’était certain, tantôt ma folle imagination transformait cette certitude en improbabilité; je ne négligeais pas pour autant les sacrements obligatoires et autorisés, mais en les célébrant, il m’arrivait souvent de douter que je sois apte à consacrer de manière rituelle le corps et le sang du Christ, ou bien à absoudre quelqu’un de ses péchés. En effet, je croyais fermement, comme j’y crois aujourd’hui, à tous les sacrements; c’est seulement cette tentation qui me faisait douter des gestes (et non de la foi). Enfin, ayant pris successivement conseil auprès de plusieurs maîtres, dans le confessionnal ou ailleurs, et ayant regardé attentivement le livre des papes2, j’ai été en mesure d’accepter le caractère inattaquable des faits. Le temps passant, mes souvenirs rassemblés m’ont amené à mettre en cause, au point d’en être sûr, des pressions exercées sur des clercs, sans aller cependant jusqu’à l’effusion de sang, comme il arrive aux enfants et aux adolescents3. Ayant reçu l’absolution (c’est-à-dire ayant été officiellement informé que je n’avais pas enfreint un décret du droit canon), ma conscience ne pouvait trouver le repos jusqu’à ce que, en arrivant ici, je reçoive l’absolution générale4. Ensuite, pendant quelques temps, alors qu’on ne m’avait pas fait savoir que j’obtiendrais notre office actuel, j’ai été pris de doutes en me demandant si les dispositions prises à mon égard par les pénitenciers du siège apostolique n’étaient pas entachées d’irrégularité, comme cela peut réellement arriver. Quant aux embarras qui restent, il en question ailleurs5. J’ajoute cependant [que je me demandais], à l’époque où j’avais oublié l’absolution concernant les pressions déjà citées, si la collation ou l’élection et la confirmation concernant ma présente paroisse étaient canoniques. Terminons-en. Voici quelqu’un qui détient un bénéfice ecclésiastique et qui, le temps passant, pour garder sa conscience intacte, se rend au siège apostolique et obtient, par précaution, des lettres de notre office relatives aux règlements généraux. Au bout d’un certain temps, sa mémoire lui rappelle un certain décret du droit canon qu’il avait enfreint avant d’obtenir le bénéfice actuel; or, ne se souvenant pas d’un décret de ce genre, il a accepté le bénéfice – ce qu’il n’aurait pas fait s’il s’était souvenu de ce décret. Si la sévérité du droit canonique le

C’est-à-dire le ministère de la confession. Il s’agit du célèbre Liber pontificalis romain, constitué d’un noyau primitif écrit au VIe siècle, puis continué jusqu’au XVe siècle. 3 Voir P 20, année 1314. Il s’agit d’une réminiscence de l’époque des conflits entre guelfes et gibelins. 4 Voir P 20, année 1329. 5 Voir fol. 75r°v° et fol. 80v°-81. 1 2

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FOL.

80v°

De corresponsionibus festorum ad festa per senarios menses ex obiecto Nouum officium eucharistie, si esset Pascha supremum die sancti Marci euangeliste, esset supremum in die natiuitatis sancti Iohannis Baptiste, correspondentis Natiuitati dominice per lineam diametralem transeuntem per centrum circuli annualis. Tunc officium eucharistie corresponderet Natiuitati dominice sub eadem prefatione missarum, ut utrobique fiat incarnati Verbi memoria. Transitus ab eucharistia ad Natiuitatem Domini significat Patrem ad Filium (id est rectoris1 ad populum); persona enim Iohannis Baptiste ex tribu Leui est persona sacerdotis conficientis eucharistiam, ut conuertantur corda patrum in filios. Transitus a Natiuitate Domini ad eucharistiam significat Filium ad Patrem (id est populum ad rectorem), ut incredibiles conuertantur ad prudentiam iustorum. Per similem lineam, si fuerit eadem die conceptio et Resurrectio Domini, tunc feria IIª in albis correspondet diei sancte Cleophe discipuli Domini, a VII kalendas aprilis ad VII kalendas octobris. Si fuerit Resurrectio Domini IX kalendas aprilis, correspondet glorificatio Christi glorificationi matris sue IX kalendas octobris. Additum anno perfectionis, IX kalendas iunii, dominica post Ascensionem.

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On attendrait: rectorem.

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rend indigne [de ce bénéfice], il en découle un problème très sérieux; en effet, disposant de la garantie d’un nom honorable, comme personne ne l’accuse d’avoir commis un abus, et n’ayant pas connaissance d’un quelconque décret lorsqu’il a accepté l’église, s’il demande encore à être confirmé à nouveau par l’évêque pour cette même église, l’évêque ne voudra peut-être pas le faire; et dans ce cas, celui qui avait disposé d’une garantie honorable passera pour plus grand pécheur qu’il ne l’est, puisque ce décret n’est en rien considéré comme un péché auprès de Dieu (ou presque en rien, car l’ignorance constitue une excuse1). Sur cela, il faut que le siège apostolique soit prévoyant ou clair, afin de prévenir avec miséricorde de si grands dangers pour les âmes; sinon ces incertitudes plongent beaucoup d’hommes dans les embarras déjà indiqués. Car à l’époque où j’avais des difficultés pour mon ordination, l’église-cathédrale étant déshonorée, j’ai célébré la messe en raison de ma piété dans un monastère de moniales; aujourd’hui, je distingue ma progéniture au sein de ce monastère, l’organe viril emmêlé des testicules de Léviathan2 dans l’universelle Pavie. Fait le 7 des calendes de novembre, le 20e dimanche après la Pentecôte [dimanche 26 octobre 1337]. Les fêtes distantes de six mois dont les thèmes concordent3 Si Pâques a pour date ultime le jour de la fête de saint Marc évangéliste4, le nouvel office de l’eucharistie5 a pour date ultime le jour de la naissance de saint Jean-Baptiste6, laquelle correspond à la Nativité du Seigneur, grâce au diamètre qui passe par le centre du cercle de l’année7. Dans ce cas, l’office de l’eucharistie correspondrait à la Nativité du Seigneur, avec la même préface pour les messes, à savoir que, des deux côtés, on doit faire mémoire du Verbe incarné. Passer de l’eucharistie à la Nativité du Seigneur indique que le Père va vers le Fils (c’est-à-dire le curé vers ses ouailles); en effet, la personne de Jean-Baptiste, de la tribu de Lévi, est la personne du prêtre qui célèbre l’eucharistie, afin que les cœurs des pères se tournent vers leurs fils8. Et passer de la Nativité du Seigneur à l’eucharistie indique que le Fils va vers le Père (c’est-à-dire le peuple vers son curé), afin que les infidèles se tournent vers la sagesse des justes9. Si en passant par le même diamètre, la conception et la Résurrection du Seigneur tombent le même jour, la 2e férie [lundi] en blanc10 correspond à la fête de

1 C’est l’argument principal d’Opicinus dans toutes les situations où il se trouve compromis: il ne savait pas qu’il agissait mal ou bien il a oublié! Pourtant il éprouve un fort sentiment de culpabilité qui va à l’encontre de cette soi-disant ingénuité… 2 Phrase traduite et commentée par GUY ROUX, dans Opicinus, prêtre, pape…, pp. 263-264. 3 Opicinus est présent à chacune de ces fêtes, par le biais d’identifications multiples. 4 Le 25 avril, où l’on fête saint Marc, correspond à la dernière date possible pour la fête mobile qu’est Pâques. 5 Fête-Dieu: 59 jours après Pâques. Instituée au XIIIe siècle. 6 24 juin. 7 Voir V 2. 8 Voir Lc 1, 17. 9 Idem. 10 C’est-à-dire le lundi de Pâques, où les vêtements liturgiques sont blancs.

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FOL.

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SCANDALIS EVITANDIS

Ecce quispiam clericus, facta integra confessione omnium peccatorum suorum que potest memoria colligere, et conscientia serenata post absolutionem et satisfactionem, rite et canonice promouetur ad omnes ordines et ad beneficium ecclesiasticum uel dignitatem usque ad episcopatum, sine ulla pactione et alio uitio uel excessu. Post aliquid tempus, occurrit sibi memoria de aliqua sententia canonis quam incurrerat ante confessionem predictam; de qua sententia nemo potest sibi obicere. Et si fuisset recordatus huiusmodi sententie, nunquam acceptasset ecclesiam ante debitam absolutionem. Nunc recordatus sententie, accedit ad penitentiarios apostolice sedis, absoluitur, consulit quod debeat agere: si possit salua conscientia retinere predictam ecclesiam (quam obtinuerat sine aliquo uitio) an debeat illam demittere faciens se de nouo ad illam confirmari. Si sibi consulitur de retinendo legitime sine scrupulo conscientie, tunc amotum est huiusmodi dubium. Si uero consulitur sibi ut illam dimittat, faciens se iterum ad eam de nouo reassumi, tunc primo publicat conscientiam suam in Romana curia ad litteras obtinendas ex quibus iam a pluribus habetur suspectus, qui antea ubique habebatur sine suspicione. Accedens cum litteris ad eum qui potest ei iterum ecclesiam illam conferre, iam subicitur questioni, quia forte ille promotor aliqua affectione contraria isti non uult hoc facere sine examinatione iudicii. Ecce quod forum confessionis secrete conuertitur in forum iudicii manifesti. Scandala suscitantur et bonum testimonium nominis denigratur. Si enim illa sententia canonis fuisset ab initio manifesta, tunc aliud esset, quia non posset fieri sine foro iudicii per uiam iuris; uel si habuisset ecclesie uitiosum ingressum. Sed quia omnibus existentibus pacificis sibi tam in conscientia quam iudicio, legitimum habet ingressum, mihi uidetur – salua semper sententia sancte Romane et uniuersalis Ecclesie – ut quoquomodo Ecclesia spirituale iudicium imitetur, cum Dominus noster misericors omnia deleat peccata integerrime confitentis, etiam si peccatoris obliuio alicuius delicti memoriam auferat. Et sic tempore acceptationis ecclesie cum bona intentione et testimonio boni nominis, ab hiis qui deforis sunt sine crimine iudicatur. Memoria autem delicti post factum confessione deleti non potest impedire acceptationem ecclesie iam peractam – et hoc apud Deum, quanto fortius apud Ecclesiam in foro confessionis secrete, in qua debet non iudicium sed misericordiam imitari? www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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saint Cléophas, disciple du Seigneur1, en allant du 7 des calendes d’avril [26 mars]2 au 7 des calendes d’octobre [25 septembre]. Si la Résurrection du Seigneur tombe le 9 des calendes d’avril [24 mars], la glorification du Christ correspond à la glorification de sa mère le 9 des calendes d’octobre [23 septembre]. Ajouté l’année de la perfection, le 9 des calendes de juin, le dimanche après l’Ascension [dimanche 24 mai 1338] [fol. 81] LES

PROBLÈMES À ÉVITER3

Voici un clerc qui, ayant confessé intégralement tous les péchés que sa mémoire peut réunir, et la conscience en paix après avoir reçu l’absolution et fait pénitence, est nommé de manière régulière et canonique à tous les ordres et à un bénéfice ou à une fonction ecclésiastique (y compris l’épiscopat), sans avoir passé de marché, et sans autre irrégularité ou abus. Au bout d’un certain temps, lui revient à la mémoire un certain décret du droit canon qu’il avait enfreint avant la confession citée plus haut; et personne ne peut lui faire de reproches à propos de ce décret. S’il s’était souvenu d’un tel décret, il n’aurait jamais accepté l’église avant d’avoir reçu l’absolution requise. Maintenant qu’il se souvient du décret, il va voir les pénitenciers du siège apostolique, reçoit l’absolution et demande ce qu’il doit faire: peut-il, sans porter tort à sa conscience, conserver l’église déjà citée (qu’il avait obtenue sans la moindre irrégularité), ou doit-il y renoncer, en se faisant à nouveau confirmer pour cette église? Si on lui conseille de la conserver légalement sans souci pour sa conscience, dans ce cas, les hésitations de ce genre sont éliminées. En revanche, si on lui conseille de renoncer à cette église, en s’y faisant une seconde fois à nouveau réinstaller4, il commence par faire connaître sa bonne conscience à la curie romaine afin d’obtenir des lettres, lesquelles le rendent suspect aux yeux de plusieurs personnes, lui qui auparavant n’était nulle part considéré comme suspect. Allant voir avec ces lettres celui qui peut lui attribuer cette église une seconde fois, il est alors soumis à des questions, peut-être parce que celui qui pourrait lui donner cette promotion, mû par un quelconque sentiment défavorable, ne veut pas le faire sans considérer le procès. Voilà que le confessionnal où le jugement est secret devient le tribunal où le jugement est proclamé. Des problèmes en découlent et la garantie du nom honorable est discréditée. En effet, si cet arrêt du droit canon avait été montré à tous dès le début, les choses se seraient alors passées différemment, car cela ne pourrait arriver en l’absence de tribunal et en respectant la démarche juridique, ou bien si son accession à l’église avait été entachée d’irrégularité. Mais puisque, tout s’étant passé harmonieusement, aussi bien dans sa conscience que dans le jugement, son accession est légale, je crois – en préservant toujours les décrets de

Cléophas, fêté le 25 septembre était un des disciples d’Emmaüs. Le 25 mars correspond à Pâques et à l’Annonciation en 1285 (année de naissance de Benoît XII) et 1296 (année de naissance d’Opicinus), à Pâques en 1334. 3 Plaidoyer d’Opicinus concernant les irrégularités qu’il a commises ou « oubliées ». 4 « Une seconde fois, à nouveau, réinstaller »: Opicinus insiste à dessein. 1 2

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IVDICIO PERSONALI

Loquor ad infirmos in uia perfectionis. Vnusquisque faciat sicut ego. Iudicium enim sumo super aduersarium meum de omnibus suis moribus uitiosis, cuius mores indicant interiora sua. Quales sunt eius mores apparentes, tales sunt defectus eius latentes. Vna mecum sint omnes qui illum nouerunt, ut ego et illi ipsum aduersarium meum unanimiter iudicemus. Et siquis melius me nouerit mores eius, conferat mecum. Et nisi ipsum refrenassem, ad omne precipitium me mersisset. Ego autem habens Christum in pectore meo, sum dominus eius. Quod de me ipso dico, de omnibus mei similibus dico, ut nos profectiui festinemus ad statum et ordinem perfectorum. Comparatio sententiarum, id est significatio unius ad alteram Omnis sacramentalis sententia particularis Papie est quedam significatio spiritualis sententie uniuersalis Papie. COLLATIO

VETERVM GESTORVM CVM NOVIS

Si conferantur Grecia et Troia cum Europa et Affrica, omnia eorum gesta in speculo uidebuntur. Troia enim in infima et extrema parte radicis arboris Asiane, est similis Affrice ad quam uenit profugus et errabundus Eneas Troianus. Et Grecia ultime partis Europe assimilatur toti Europe. Et sicut Grecia transfretauit in multitudinem nauium super Troiam, ita Europa transfretat passim ad Affricam. Et sicut Grecia Troiam uicit, ita Europa Affricam superabit. Hoc dico non mutatione locali, sed conuersione morali. Obsidio enim Grecie circa Troiam fuit quedam significatio I(i)anue naturalis obsidentis I(i)anuam barbarie. Illa fuit obsidio decennalis et ista fuit obsidio quinquennalis. Duo serpentes transfretantes et aggredientes Laocoontem, sacerdotem Troianum facientem sacrificium tauri, significauerunt progenies uiperarum obsidentes et aggredientes I(i)anuam barbarie (quasi taurinam Cartaginem). Progenies uiperarum significat iustitiam christianam facientem uindictam de qualibet stirpe carnis et sanguinis huius mundi. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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la sainte Église romaine et universelle – que l’Église doit s’inspirer du jugement spirituel d’une manière ou d’une autre, sachant que notre Seigneur dans sa miséricorde délie tous les péchés de celui qui les confesse tout à fait intégralement, même si l’inattention du pécheur supprime le souvenir d’un certain délit1. Et ainsi, au moment où il reçoit l’église avec de bonnes intentions et avec la garantie d’un nom honorable, il est considéré comme ne commettant pas d’infraction par ceux qui sont à l’extérieur. Et le souvenir du délit effacé par la confession survenant après ne peut empêcher la réception de l’église déjà réalisée – et cela pour Dieu, et à plus forte raison pour l’Eglise, dans le confessionnal où le jugement est secret et pour lequel elle doit reproduire non la condamnation mais la miséricorde. OPINION

PERSONNELLE

Je m’adresse aux faibles qui sont sur le chemin de la perfection. Que tous fassent comme moi2. En effet, je rends un jugement sur mon adversaire pour ses comportements dépravés, comportements qui montrent ce qu’il a au fond du coeur. Tels sont ses comportements visibles, telles sont ses imperfections cachées. Que tous ceux qui le connaissent s’unissent à moi, pour qu’eux et moi, nous condamnions unanimement mon adversaire lui-même. Et si quelqu’un connaît ses comportements mieux que moi, qu’il m’en fasse part. Et si je ne l’avais pas maîtrisé, il m’aurait englouti dans l’abîme tout entier. Or moi qui porte le Christ dans mon cœur / ma poitrine, je suis son maître. Ce que je dis pour moi, je le dis pour tous ceux qui me ressemblent, afin qu’après nous être mis en route, nous pressions le pas vers la condition et l’ordre des parfaits. Similitude des sentences, l’une indiquant l’autre Toute sentence sacramentelle concernant l’individuelle Pavie exprime d’une certaine façon une sentence spirituelle concernant l’universelle Pavie. RESSEMBLANCES

ENTRE LES FAITS NOUVEAUX ET ANCIENS3

Si la Grèce et Troie sont rapprochées de l’Europe et de l’Afrique, on y verra dans un miroir tout ce qui s’y est passé. En effet, Troie, dans la région exiguë et extrême de la souche de l’arbre d’Asie, est semblable à l’Afrique où est arrivé Énée le Troyen, dans sa fuite et son errance. Et la Grèce, qui appartient à la région d’Europe la plus lointaine, est comparable à l’Europe tout entière. Et de même que la Grèce a traversé la mer sur une foule de bateaux pour aller à Troie, de même l’Europe traverse la mer de toutes parts pour se rendre en Afrique. Et de même que la Grèce a vaincu Troie, de même l’Europe triomphera de l’Afrique. Je ne parle pas d’un changement géographique, mais d’un revirement moral. En effet, le siège de la Grèce autour de Troie a annoncé d’une certaine façon le siège de Gênes, la porte

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Nouvelle excuse typiquement opicinienne. Opicinus se pose en modèle (absolu). Opicinus spatialise son histoire personnelle et y projette des événements littéraires.

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FOL.

81-81v°

De iudicio carnis et sanguinis Iudicium Dei incipit a mancipio genitali uniuersalis Papie, a pectore stirpis sue usque ad Iosaphath lumborum Papiensis Europe. Additum die sancti Martini. De meritis Ecclesie specularis et premiis patrie sempiterne Christus uerus Deus et uerus homo una persona est in duabus naturis distinctis. Diuina eius natura est ueritas, bonitas et sapientia; humana autem eius natura est Deus uerax, uerus, fidelis, bonus et sapiens. Adhuc idem Christus Deus et homo est ueritas, bonitas et sapientia; spiritualis autem populus christianus est uerax, fidelis, bonus, sapiens et iustus, iustificatus per Christum et iustificans populum infirmorum in Christo. Idem uerus Christus et angeli eius et anime sanctorum exute merentur nobiscum in hac speculari Ecclesia, quamdiu durauerit iste mundus. Idem uerus Christus simul et semel cum angelis suis et animabus sanctorum in eterna beatitudine habent inenarrabilia premia ubi nullum meritum fit. Si ista credit uniuersalis Ecclesia, et ego credo. Additum anno perfectionis, IIII nonas martii, tunc feria IIIIª IIIIor temporum ieiunii primi. 1

[fol. 81v°] COLLATIO

POETARVM AD PSEVDO PROPHETAS

Veteres poete intendentes ad gloriam personalem claras sententias absconderunt sub barbaris uerbis, ut pre ceteris ad maiorem reuerentiam haberentur, in testimonium pseudo modernorum prophetarum qui similiter faciunt, ut rudes nequeuntes intelligere uerba misterii transferantur ad ipsos. Ecce quot nominibus dicitur Troia uel Pergama. Troiani enim per illos poetas dicuntur Troes, Illiaci uel Iliaci, Friges uel Frigii, Dardani, Teucri et aliis multis modis. Similiter Greci uocantur Graii, Pelasgi, Danai, Mirmidones, Argolici, Achiui, Argi uel Argiui, Miceni et aliis modis diuersis. Simili modo notabilem uirum multiplici nomine nuncupabant. Philosophi etiam de modica sententia magnam uerborum apparentiam faciebant in testimonium predictorum.

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Dessin d’une main dans la marge de gauche.

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de la barbarie, par Gênes, la porte naturelle. Le premier siège a duré dix ans et le second a duré cinq ans. Les deux serpents qui traversaient la mer et attaquaient Laocoon, le prêtre troyen faisant le sacrifice d’un taureau, annonçaient la famille des vipères1 assiégeant et attaquant Gênes, la porte de la barbarie (c’est-à-dire la Carthage taurine). La famille des vipères montre la justice chrétienne qui tire vengeance de toute lignée appartenant à la chair et au sang de ce monde. Le jugement de la chair et du sang Le jugement de Dieu part de l’esclave génital de l’universelle Pavie, entre la poitrine de sa lignée et Josaphat des organes génitaux de l’Europe de Pavie2. Ajouté le jour[de la fête] de saint Martin [11 ou 12 novembre 1337]. Les mérites de l’Église du miroir et les récompenses de la patrie éternelle Le Christ, vrai Dieu et vrai homme, représente une seule personne avec deux natures différentes. Sa nature divine est vérité, bonté et sagesse; et sa nature humaine, c’est le Dieu sûr, vrai, fidèle, bon et sage. C’est encore le même Christ, Dieu et homme, qui est vérité, bonté et sagesse; et le peuple chrétien spirituel est sûr, fidèle, bon, sage et juste, lui qui est justifié par le Christ et qui justifie le peuple des faibles dans le Christ. Ce même Christ véritable, ses anges et les âmes des saints libérées de la chair, sont méritants avec nous dans cette Église du miroir, aussi longtemps que ce monde se maintiendra. En même temps et une fois pour toutes, ce même Christ véritable, avec ses anges et les âmes des saints, obtient des récompenses ineffables dans la béatitude éternelle où il n’y a plus aucun mérite. Si l’Église universelle croit cela, je le crois aussi. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des nones de mars, qui correspond à la 4e férie du premier jeûne des quatre-temps [mercredi 4 mars 1338]3. [fol. 81v°] RESSEMBLANCES

ENTRE LES POÈTES ET LES PSEUDO PROPHÈTES

Les poètes d’autrefois, en recherchant la gloire personnelle, ont dissimulé des idées claires derrière des mots compliqués, afin d’obtenir plus de considération que les autres; ce qui annonçait les pseudo prophètes d’aujourd’hui qui agissent de la même façon, si bien que les gens mal dégrossis, n’étant pas en mesure de comprendre les mots du mystère, les appliquent à eux-mêmes. C’est ainsi que Troie ou Pergame sont désignés par de nombreux termes. En effet, ces poètes appellent les Troyens: Troens, Illiaques4 ou Iliaques, Phrygens ou Phrygiens, Dardaniens, fils de Teucer, et de nombreuses autres manières. De même, ils nomment les Grecs: Grées, Pélasges, Dardaniens, fils de Danaüs, Myrmidons, habitants d’Argolide, Achéens, Argens ou Argiens, Mycéniens, et de diverses autres C’est-à-dire les Visconti. Voir V 28, note 17. « L’esclave génital » correspond à la verge que le diable tient dans la main. 3 C’est-à-dire le mercredi de la première semaine de Carême (quatre-temps de printemps). 4 C’est-à-dire fils d’Ilion. 1 2

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DE

FOL.

81v°

VNIVERSALI OBEDIENTIA

Domus sanctarum religionum Minorum, Heremitarum et Carmelitarum Auinionensium, respiciunt uersus solstitium estiualem, ad particularem Papiam, ut illa obediat sancte Auinioni et uenter terre Imperii sit subiectus pectori D(d)omini imperantis. Omnes ecclesie Papienses respiciunt inter equinoctia et solstitium yemale, ut ille ascendant ad superiorem Europam, conuersam in Indiam Asie, in cuius dextera pectoris est Auinio libertatis. Ecce quod Papia Auinioni respondet ut utrobique sit subdita imperanti, donec transferatur ad consortium Domini: Papia cum papa, sicut Maria cum Deo et Ecclesia cum Christo. DE

NVLLO RESPECTV PERSONE

Ego sum sola significatio presentis populi christiani. Cognita ergo re significata, nulla fiat mentio de significatione huiusmodi. Quicumque glorificauerit me solum uel cum amicis meis carnalibus, erit blasphemus populi christiani, immo detractor et aduersarius Ihesu Christi. Et quicumque glorificauerit populum christianum non uerbo sed opere, sine respectu pauperis uel potentis, reputo fratrem et amicum in Domino. DE

IVDICIO PERSONALI ET LOCALI

Cum ignis accensus fuisset anno Domini MCCCXXXIIII°, nocte paschali, inter Angliam et Hiberniam magne Auinionis, cuius uicus dicitur maior Fustaria, de quo incendio uix duo seniores socii nostri officii euaserunt, uiso mane quodam homine combusto et contracto instar Europe, quinta die sequenti fui infirmitate arreptus, que de die in diem accrescens me fere prostrauit ad mortem, cuius nuncusque reliquie remanserunt. Actum VI kalendas nouembris.

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manières. Ils désignaient pareillement le héros par différents noms. Même les philosophes exprimaient par de longs discours un point de vue sans importance, ce qui annonçait les pseudo prophètes en question. L’OBÉISSANCE

UNIVERSELLE

Les maisons des saintes communautés religieuses des Mineurs, des Ermites et des Carmes d’Avignon1 sont orientées vers le solstice d’été2, vers l’individuelle Pavie, afin que celle-ci obéisse à la sainte Avignon et que le ventre de la terre de l’Empire soit soumis à la poitrine du S(s)eigneur qui détient le pouvoir. Toutes les églises de Pavie sont orientées entre les équinoxes et le solstice d’hiver3, afin de monter vers l’Europe du haut, devenue l’Inde d’Asie4, dont la poitrine, à droite, abrite l’Avignon de la liberté. C’est ainsi que Pavie est en accord avec Avignon, afin que, de part et d’autre, elle soit soumise à celui qui détient le pouvoir, jusqu’à ce qu’elle devienne partie prenante du Seigneur: Pavie avec le pape, comme Marie avec Dieu et l’Église avec le Christ5. NE

PAS TENIR COMPTE DE LA PERSONNE

C’est moi seul qui indique le peuple chrétien actuel. Par conséquent, une fois que la réalité indiquée sera connue, il ne faut plus parler de cette indication. Quiconque me rend honneur, à moi seul ou avec mes amis charnels, insultera le peuple chrétien, ou plutôt dénigrera Jésus-Christ et sera son adversaire. Et quiconque rend honneur au peuple chrétien, non en paroles mais en actes, sans tenir compte du pauvre ou du puissant, je le considère comme un frère et un ami dans le Seigneur. OPINION

PERSONNELLE ET GÉOGRAPHIQUE

Un incendie s’est déclaré, en l’année du Seigneur 1334, la nuit de Pâques6, entre l’Angleterre et l’Irlande de la grande Avignon, dont un quartier est appelé la grande Fustaria; et de ce brasier, deux collègues âgés de notre office se sont échappés difficilement; j’ai vu le matin un homme consumé et rapetissé comme l’Europe7; et cinq jours après8, j’ai été frappé par une maladie qui, s’aggravant jour après jour, m’a terrassé au point que j’ai failli mourir, et dont les séquelles ont subsisté jusqu’à aujourd’hui9. Fait le 6 des calendes de novembre [27 octobre 1337].

Ces trois monastères se trouvent dans le quartier nord-est d’Avignon. C’est-à-dire le sud. 3 C’est-à-dire l’est, l’ouest et le nord. 4 Au sens spirituel (plus le paradis terrestre). 5 Voir le petit dessin du fol. 59v°. 6 Entre le 26 et le 27 mars 1334. 7 Image d’Opicinus malade. 8 31 mars 1334: le jeudi de Pâques où Opicinus est tombé malade. 9 Voir GUY ROUX, Opicinus, prêtre, pape…, pp. 36-37. Opicinus opère des rapprochements entre des événements réels de la vie quotidienne, qu’il considère comme des présages, et le déclenchement de sa maladie de 1334. 1 2

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FOL.

81v°

De uniuersitate carnalium ex personis Siqua persona dixerit in corde suo: « Ego sum aliquid magis quam talis et talis », iam facta est Affrica. Siqua alia persona similiter dixerit, iam colligata est Affrice, non uoluntate sed uitio; quod uitium est eadem nequitia uoluntatis. Similiter alia persona ligata eodem uitio colligata est Affrice. Et sic in infinitum multiplex uoluntas multiplicium personarum uno eodemque uitio nequitie uoluntatis multiplicat Affricam. Que dicitur uniuersitas carnalium hominum, quorum caput interius est diabolus pectoralis, munitus propinquioribus sibi ambientibus in celestibus principari; cui corpori reproborum iam prolata est sententia ab initio seculi.

De uniuersali Ecclesia ex personis Siquis dixerit in corde suo, uoce et opere: « Ego sum presens populus christianus uel Ecclesia specularis », iam factus est Europa. Siquis alius eadem dixerit et fecerit toto posse, iam colligatus est Europe in eadem uoluntate; quod est uinculum caritatis et perfectio legis. Similiter alius in eadem uoluntate ligatus iam est colligatus Europe. Et sic in infinitum multiplicatio amicorum eadem uirtute caritatis auget Europam. Que dicitur Ecclesia uniuersalis, cuius interius caput est Christus in pectore scriptus, cui propinquior est qui fuerit humilior; que specularis Ecclesia ante secula procreata est a Christo electa. De cogitationibus confitendis Quicumque proposuerit in animo suo minimam cogitationem abscondere ne ipsam confiteatur, iam incipit irretiri laqueis occulti mendacii. Si confessus fuerit cogitationem huiusmodi, non sit contentus de uno confessore, nisi eum experiatur esse discretum. DE

QVALITATE DEFENSIONIS CATHOLICE FIDEI

Siquis fuerit in heresi publica deprehensus, non ita subito puniatur sed sub custodia reseruetur; et ostendatur sibi sine furore et cum spiritu mansuetudinis, non solum multiplex auctoritas fidei, sed etiam euidens ratio ueritatis. Et sic potest ad rectitudinem sane fidei non ex uiolentia sed ratione reduci. Non enim fides nostra catholica gladio uel disputatione, sed plana ratione defenditur. Omnis opinio uariabilis presentetur summo pontifici, qui Christum et Ecclesiam representat. Qui enim contempserit eius approbationi submitti, confidens propria opinione sub specie catholice fidei, iam uidetur mendaciis irretitus. Actum die sanctorum apostolorum Symonis et Iude, ut uindictum faciant tam de Symone mago emptore quam de Iuda Scarioth spirituawww.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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La communauté des hommes charnels: les personnes Si une personne dit dans son cœur: « Moi, je vaux mieux qu’untel et untel », elle devient alors l’Afrique1. Si une autre personne s’exprime de la même façon, elle est alors rattachée à l’Afrique, non par la volonté mais par la perversité; or cette perversité est en même temps dérèglement de la volonté. De même, une autre personne, assujettie à la même perversité, est rattachée à l’Afrique. Et ainsi jusqu’à l’infini, la multiplication des volontés de multiples personnes unies dans le même vice qu’est le dérèglement de la volonté accroît l’Afrique. On appelle celle-ci la communauté des hommes charnels: ils ont pour chef interne le diable de la poitrine, protégé par ceux qui sont les plus proches de lui et qui ont pour ambition de régner sur les habitants des cieux; et la sentence visant ce corps des réprouvés a déjà été prononcée depuis le début des temps. L’Église universelle: les personnes Si quelqu’un2 dit dans son cœur, oralement et en actes: « Moi, je suis le peuple chrétien actuel ou l’Église du miroir », il devient alors l’Europe. Si n’importe qui d’autre prononce les mêmes mots et fait tout son possible en ce sens, il est alors réuni à l’Europe au sein de la même volonté, c’est-à-dire le lien de la charité et la perfection de la loi. Un autre homme, uni lui aussi par la même volonté, est alors réuni à l’Europe. Et ainsi jusqu’à l’infini, la multiplication des amis, reliés par la même vertu qu’est la charité, fait grandir l’Europe. On appelle celleci l’Église universelle: elle a pour chef interne le Christ scribe/gravé dans la poitrine, dont on est d’autant plus proche qu’on est plus humble; et cette Église du miroir, créée avant le début des temps, a été élue par le Christ. Les pensées qu’il faut avouer Quiconque se propose de cacher la plus petite pensée, pour éviter de l’avouer, commence aussitôt à être pris dans les pièges du mensonge par omission. S’il avoue une telle pensée, il ne doit pas se contenter d’un seul confesseur, à moins qu’il ne sache par expérience que ce dernier est plein de discernement. 3

EN

QUOI CONSISTE LA DÉFENSE DE LA FOI CATHOLIQUE

Si quelqu’un est pris en flagrant délit d’hérésie manifeste, il ne faut pas le châtier tout de suite, mais veiller sur lui; et il faut lui montrer, sans colère et avec un esprit de douceur, non seulement la tradition de la foi dans ses multiples aspects, mais également le caractère rationnel évident de la vérité. Et il peut être ainsi ramené à la ligne droite d’une foi saine, non par la violence mais par la per4

Qui symbolise le péché. Tout ce qui se rapporte à l’Europe est au masculin (en latin), alors qu’au paragraphe précédent, tout ce qui se rapporte à l’Afrique est au féminin: Opicinus expose sa pensée manichéenne. 3 Paragraphe traduit et commenté dans Art et folie…, p. 209. 4 Ibidem, p. 208. 1 2

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FOL.

81v°-82

lium uenditore, qui sunt in similitudine ueneniferorum serpentium, qui uenientes per uias tam Venetie (id est uenditionis) quam Emilie (id est emptionis), circa P(p)lacentiam hominum conueniunt in unum, ad confundendam uniuersalem Papiam. « Qui habet aures audiendi audiat » et qui habet oculos uidendi consideret.

[fol. 82] DESSIN V 26

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Incuruantur femora mulieri (id est generi Canistrali). aduena rector nouus fructus terre Ecclesie parrochia aliena Primo seducitur per serpentem (id est per pseudo prophetam). Anthiochia

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suasion. En effet, notre foi catholique ne se défend pas avec le glaive ou les disputes, mais avec des explications claires. Toute opinion différente doit être présentée au souverain pontife, qui représente le Christ et l’Église. En effet, celui qui néglige de se soumettre à son consentement, en faisant confiance à son opinion personnelle qui prend l’apparence de la foi catholique, est alors visiblement pris dans les pièges du mensonge. 1 Fait le jour [de la fête] des saints apôtres Simon et Jude [28 octobre 1337], afin qu’ils châtient aussi bien Simon le Magicien, qui achète les biens spirituels, que Judas Iscariote, qui les vend: ils sont semblables à des serpents venimeux qui, arrivant par les chemins tant de la Vénétie (c’est-à-dire de la vente) que de l’Émilie (c’est-à-dire de l’achat), se rencontrent autour de Plaisance / tombent d’accord au sujet du désir de plaire aux hommes, afin de confondre l’universelle Pavie. « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende », et celui qui a des yeux pour voir, qu’il regarde.

[fol. 82] DESSIN V 262 Un des dessins les plus ardus du Vaticanus: deux cartes opposées sur fond blanc, auxquelles correspondent deux cartes immergées représentant une mosaïque de couleurs (orangé, brun, rose foncé); car, de surcroît, la carte émergée du bas est accolée à une carte immergée identique en miroir. Les noms de lieux (en brun) correspondent, en haut à la carte immergée, en bas à la carte émergée; ils sont d’ailleurs vraisemblablement plus tardifs que le dessin d’ensemble. La carte émergée du haut est inversée (pour être correctement lue, il faudrait la regarder par transparence ou bien à l’aide d’un miroir); l’Europe masculine et l’Afrique féminine sont munies de leurs attributs habituels. Les deux Turquie des cartes émergées permettent à Opicinus de représenter « le vêtement de l’Église » (ou tunique du Christ-Opicinus). La carte émergée du bas est entièrement bonne: l’Europe représente « l’homme spirituel » et l’Afrique « l’ange de lumière ». La carte immergée qui la double est entièrement mauvaise: l’Europe incarne « l’homme charnel » et l’Afrique « l’ange des ténèbres ». Deux lignes rouges (l’une horizontale, l’autre verticale) complètent le dessin de manière ésotérique. Ce dessin est une nouvelle déclinaison des oppositions manichéennes chères à Opicinus, de sa nature angélique et spirituelle, de son hostilité à Benoît XII et de son penchant à la grivoiserie. 1 – Les cuisses sont pliées sous la femme (c’est-à-dire la lignée des Canistris)3. 2 – le nouveau curé étranger

1 2 3

Ibidem, p. 201. Dessin partiellement présenté par Guy Roux dans Opicinus, prêtre, pape…, p. 249-250. Voir la position de l’Afrique qui représente donc la lignée des Canistris.

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Iherusalem Constantinopolis Alexandria Canistrum Thessalonica clayna1 spartiuentum blada Roma Venetie Papia Ianua Auinio Me agente hoc, ualde molestauerunt musce circumuolantes et sciniphes uel culices. Membrum concupiscentie – quod quanto plus tangitur, tanto magis erigitur et inflatur preter uoluntatem hominis cuius est membrum – significat singularem personam que adulationibus tacta erigitur, et inflatur aduersus Ecclesiam que uult aliud quam persona. Et corpus humanum figurat Ecclesiam. Et sicut illud miserum membrum plerumque submergit totum hominem in concupiscentiam carnis, ita sepe una persona totam conturbat Ecclesiam. ascensio contra ordinem iuris diuini Actum inter uigiliam et diem festum sanctorum apostolorum Symonis et Iude. Hac nocte, adhuc me ignorante misterium huius rei, uisa in sompnis prosperitate domus mee, dictum est mihi ab eis ut usque ad senium me reputarem in uia discendi non docendi. Et cum irem per uiam superiorem, dixit ante me Spiritus Sanctus: « Ne accedas ulterius ». Error olim dicentium homines conuerti in angelos bonos uel malos. Iuxta litteram heresis est, cum nulla species possit conuerti in alteram speciem. Spiritualiter autem in hoc speculo ueritas est, cum nulla heresis, nulla fabula, nulla parabola ualeat reperiri que in hoc speculo saltem in parte aliquam non pariat ueritatem. Ambo ceciderunt in foueam. Ecce uestimentum Ecclesie mixtum in sanguine. Salubre consilium angelici hominis aufert concupiscentiam ab homine carnali. angelus lucis (id est homo consiliarius recte uie) colluctatio

1 Ce mot et les deux suivants (notes 13 et 14) sont placés le long d’une ligne qui relie l’Europe et l’Afrique.

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– les fruits de la terre de l’Église1 – la paroisse d’un autre – Elle est d’abord séduite par le serpent (c’est-à-dire par le pseudo-prophète2). – Antioche3 – Jérusalem – Constantinople – Alexandrie – Canistrum – Thessalonique – le manteau grec4 – ce qui est semé aux quatre vents[?]5 – les blés – Rome – Venise – Pavie – Gênes – Avignon – Alors que je faisais ce dessin, les mouches et les cousins ou moustiques qui volaient autour de moi m’ont beaucoup importuné. – Le membre de la concupiscence – qui, plus il est caressé, plus il s’érige et grossit indépendamment de la volonté de l’homme dont il est le membre – indique la personne au singulier / individualiste qui, sensible aux flatteries, se dresse et grossit contre l’Église qui désire autre chose que la personne. Et le corps humain symbolise l’Église. Et de même que ce misérable membre fait en général sombrer l’homme tout entier dans la concupiscence de la chair, de même il suffit souvent d’une seule personne pour troubler l’Église tout entière. – la montée contraire à l’harmonie du droit divin – Fait entre la veille et le jour de la fête des saints apôtres Simon et Jude [entre le 27 et le 28 octobre 1337]. Cette nuit-là, alors que j’ignorais encore le mystère concernant cette réalité, ayant vu en songe la réussite de ma famille, il me fut dit par eux que je serais considéré jusqu’à ma vieillesse comme étant sur le chemin où l’on apprend et non sur celui où l’on enseigne. Et comme je prenais le chemin du haut, l’Esprit Saint qui me devançait me dit: « Ne va pas plus loin ».6 – On disait autrefois par erreur que les hommes deviennent des anges bons ou mauvais. Littéralement parlant, il s’agit d’une opinion hérétique, puisqu’on ne peut pas transformer une espèce en une autre. Mais spirituellement par-

C’est-à-dire de la Terre sainte de la carte du bas. Le pseudo prophète est assimilé au serpent qui a tenté Adam et Ève. 3 De la notre 6 à 11, et de la note 15 à 19, les noms de lieux correspondent à la carte immergée. 4 Les expressions des notes 12, 13, 14, 35 et 41 sont disposées le long des deux lignes rouges du dessin. 5 Ce terme est sans doute formé à partir de spartum (= la sparte) et ventum (= le vent). 6 Cette phrase montre une expérience onirique hallucinatoire chez Opicinus. 1 2

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82-82v°

homo spiritualis homo carnalis angelus tenebrarum (id est homo consiliarius praue uie) Deceptiuum consilium diabolici hominis infert concupiscentiam in homine spirituali. Si sit hec magna Lombardia, tunc Anglia Lombardie in ore huius pseudo prophete Dulcini est bugella (quasi bucella intincta et tradita ori Iude). Additum anno perfectionis, XIII kalendas nouembris. Parisius aqua frigida1 Auinio Papia Roma Thessalonica Canistrum de monaire Anthiochia Iherusalem Alexandria

[fol. 82 v°] DE

SPIRITVALI IMPERIO

Nemo potest assequi spirituale imperium nisi primo sit in ordine Mendicantium iunior, deinde in regula claustralium senior, in gradu sacerdotali maturior, tandem in dignitate papali discretior. Et sic habet spirituale imperium super motus et uitia aduersarii sui, qui factus est secum in utero. Et hii gradus possunt haberi a quolibet christiano secundum hominem nouum et interiorem, sine discretione etatis et sexus, professionis et status, sine ulla mutatione exterioris uictus et habitus, loci et temporis.

1 Cette expression et celle de la note 41 sont placées le long d’une ligne qui relie l’Asie mineure et la Provence.

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lant, cela est vrai dans cette image1, puisqu’on ne serait pas en mesure de trouver la moindre contre-vérité, affabulation ou allégorie qui ne génèrerait pas quelque vérité dans cette image, au moins en partie. – Ils sont tombés tous les deux dans le trou2. Voilà le vêtement de l’Eglise trempé dans le sang3. – Les bons conseils de l’homme angélique arrachent l’homme charnel à sa concupiscence. – l’ange de lumière (c’est-à-dire l’homme qui guide sur le droit chemin) – l’affrontement corps à corps – l’homme spirituel – l’homme charnel – l’ange des ténèbres (c’est-à-dire l’homme qui guide sur le mauvais chemin) – Les conseils trompeurs de l’homme diabolique suscitent la concupiscence chez l’homme spirituel. – S’il s’agit de la grande Lombardie, l’Angleterre de Lombardie qui est sur les lèvres de ce pseudo prophète que fut Dolcino4, est alors une petite bouche (pour ainsi dire la bouchée trempée et donnée à la bouche de Judas5). Ajouté l’année de la perfection, le 13 des calendes de novembre [20 octobre 1338]. – Paris – l’eau fraîche – Avignon – Pavie – Rome – Thessalonique – Canistrum – au sujet du meunier6 – Antioche – Jérusalem – Alexandrie

[82v°] LE

POUVOIR SPIRITUEL

Personne ne peut parvenir au pouvoir spirituel s’il ne commence pas par appartenir à l’ordre des mendiants quand il est jeune; s’il ne suit pas la règle des cloîtrés quand il est plus âgé; s’il n’atteint pas l’échelon de la prêtrise quand il est d’âge mûr; enfin s’il n’occupe pas la fonction de pape quand il agit avec discernement7. Et ainsi il détient le pouvoir spirituel au-dessus de l’agitation et de la per-

C’est-à-dire le dessin d’Opicinus. Voir Mt 15, 14 et Lc 6, 39. 3 C’est-à-dire la tunique du Christ-Opicinus crucifié, qui se trouve dans la partie centrale du dessin. 4 Il s’agit de Dolcino de Novare, chef de la secte des « Apostoliques », brûlé vif en 1307. 5 Voir Jn 13, 26. 6 Allusion à Benoît XII. 7 Il s’agit d’un rappel du parcours d’Opicinus (réel et imaginaire). 1 2

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De testimoniis localibus et personalibus Primo fui capellanus ecclesie Papiensis, cuius capellania est a meridie uber dextrum – hoc dico basilice estiualis que est principalior yemali; deinde in ecclesie Sancti Iohannis in burgo Papiensi ubere similiter dextro. Nunc habeo sine alio beneficio parrochiam inter ubera Affrice Papiensis. Translatus autem ad pectus naturalis Europe, per plures annos celebraui quasi continue in ecclesie Auinionensi ubere similiter dextro, cui seruiebat quidam pauper et fidelis religiosus nomine Vber, ubi nunc requiescit sanctissimus pater noster. Et ego quasi continue celebro circa lumbos Affrice Auinionensis. DE

PREDESTINATIONE ET DIE IVDICII

1 Apud Deum omnia sunt ab eterno producta; apud uero nos per tempora producuntur. Sic etiam dies Iudicii apud Deum per predestinationem est facta. In cuius respectu omnes anime sanctorum a carne exute iam uident se incorruptibili carne uestitas; et sic in eis et in nostris electis per predestinationem iam resurrectio carnis est facta. Respectu uero uniuscuiusque anime – siue ex illis, siue ex istis – considerantis seipsam, adhuc resurrectionem carnis omnes anime electorum expectant, sicut angeli in consideratione diuina sunt immutabiles et in sue nature respectu sunt uersa uice mutabiles. Angeli enim et anime in speculatione diuina sunt patrie ciues perpetui; in consideratione uero sue nature, ad quod ministerium dispositi sunt, sunt custodes huius specularis Ecclesie. Ibi enim est perpetua merces, ubi nullum est meritum nec demeritum. Istic autem nobiscum merentur assidue ad mercedem augendam. Quomodo ergo intelligitur illud Marci XIII° de ignorantia diei Iudicii – « De die autem illa uel hora nemo scit, neque angeli celorum, neque Filius, nisi Pater » – si nos adhuc in tenebris per rimas tenue lucis iam Iudicii uicinitatem perpendimus? Similiter Mathei XXIIII°: « De die autem illa et hora nemo scit, neque angeli celorum, nisi Pater solus ». Et testimonium Luce Actuum Apostolorum I° sic ait: « Non est uestrum scire tempora uel momenta que Pater posuit in sua potestate ». Si consideremus proprietates animalium, omnis questio declaratur in speculo. Verbi gratia.

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versité de son adversaire, qui a été conçu avec lui dans le sein (de sa mère). Et ces étapes sont à la portée de tout chrétien qui se conforme à l’homme nouveau et intérieur, sans distinction d’âge ni de sexe, de métier ni de condition sociale, et sans le moindre changement manifeste relatif à la nourriture ou au vêtement, au lieu ou à l’époque. Témoignages concernant les lieux et les personnes J’ai d’abord été chapelain d’une église de Pavie, dont la chapellenie, au sud, est le sein droit – je parle de la basilique d’été qui est plus importante que celle d’hiver1; ensuite, j’ai été chapelain de l’église Saint-Jean dans le bourg de Pavie2, encore le sein droit. Aujourd’hui, je ne possède pas d’autre bénéfice qu’une paroisse entre les seins de l’Afrique de Pavie3. Et lorsque je suis passé à la poitrine de l’Europe naturelle, j’ai célébré la messe pendant plusieurs années, pour ainsi dire sans interruption, dans une église d’Avignon située elle aussi dans le sein droit, que desservait un religieux pauvre et fidèle appelé « Hubert »4, à l’endroit où repose aujourd’hui notre très saint père. Quant à moi, je célèbre la messe pour ainsi dire sans interruption du côté des parties génitales de l’Afrique d’Avignon. LA

PRÉDESTINATION ET LE JOUR DU

JUGEMENT

Auprès de Dieu, tout a été créé de toute éternité; en revanche, chez nous, tout est inscrit dans le temps. Ainsi même le jour du Jugement auprès de Dieu a fait l’objet d’une prédestination. C’est dans cette optique que toutes les âmes des saints libérées de la chair se voient déjà revêtues de la chair incorruptible; et ainsi la résurrection de la chair a déjà eu lieu par prédestination, dans ces âmes comme dans les nôtres qui sont élues. Mais dans l’optique de chacune de ces âmes (qu’elle appartienne à celles-là ou à celles-ci) qui s’analyse elle-même, toutes les âmes des élus attendent encore la résurrection de la chair; à l’instar des anges qui, aux yeux de Dieu, sont dotés de l’immutabilité, mais qui, eu égard à leur nature, sont réciproquement aptes à la mutabilité. En effet, les anges et les âmes qui contemplent Dieu sont les citoyens éternels de la patrie; mais si l’on considère leur nature, le ministère où ils ont été placés, ils sont les gardiens de cette Église du miroir. En effet, là-haut se trouve la récompense perpétuelle, où il n’y a ni mérite ni absence de mérite; et ici-bas, ils sont continuellement méritants avec nous, afin de faire grandir la récompense. Par conséquent, comment comprendre ce passage de Marc (14), sur l’ignorance du jour du Jugement: « Quant au jour et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils; personne que le Père »5, si nous, qui sommes encore dans les ténèbres, nous apprécions déjà l’imminence du Jugement à travers les lueurs d’une faible

Voir V 18 (note 6) et V 28 (note 33). Voir P 20, 21 octobre 1323. 3 C’est-à-dire Sainte-Marie-La-Chapelle: voir V 28 (note 28), V 29 (note 36) et V 30 (note 14). 4 Jeu de mots Uber/uber. 5 Mc 13, 32. Il conviendrait de chercher les raisons de « l’erreur » d’Opicinus. 1 2

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FOL.

82v°

Leo Marcus (id est humana mortalitas) non potest iudicare futura, sic inquiens: « De die illa uel hora nemo scit (subaudi mortalis), neque angeli in celo (subaudi huius specularis Ecclesie), neque Filius (id est eadem specularis Ecclesia que est filia patrie sempiterne, quasi Filius Patris eterni), nisi Pater (subintellige fundamentaliter Deus eternus, qui cum Filio et Spiritu Sancto per fidem inhabitat in pectore huius Ecclesie, sicut per speciem in beatitudine future patrie) ». Homo Matheus (id est humana ratio) probabiliter non potest iudicare futura, sic dicens: « De die illa et hora nemo scit (subintellige etiam rationalis), neque angeli celorum (subaudi in conuersatione celestium hominum), nisi Pater solus (qui potest hec omnia homini reuelare) ». Hinc est quod subinfert bos Lucas in Actibus Apostolorum: « Non est uestrum (qui adhuc estis homines animales quasi boues, non habentes sensus interiores exercitatos in spiritualibus capiendis; non est uestrum, inquam) scire tempora uel momenta que Pater (eternus, non sine Filio et Spiritu Sancto fundamentaliter intellectus) posuit in sua potestate (subintellige reuelandi cui uoluerit reuelare) ». Hora qua ista scribebam Spiritu ministrante, homines cum strepitu colloquebantur ad inuicem ante faciem meam uel prope me, ignorantes quod agerem nec querentes scire quod scriberem. Et ego ob hoc nec in momento subtraxi manum a calamo, immo continuaui scripturam. Similiter magnam partem harum scripturarum aliquando die et aliquando nocte inter strepitus scripsi, nunquam clausis fenestris et ostiis in die nisi in nocte. Ceptam materiam prosequamur. Iohannis XV°: « Iam non dicam uos seruos, quia seruus nescit quid faciat dominus eius (ac si diceret per similitudinem: nec leo nec bos neque homo scit quid faciat aquila; id est nec homo mortalis nec homo animalis nec etiam rationalis potest scire quid faciat inuisibilis Deus, qui potest facere homines spirituales; id est Deus homines deos de nouo creare, sicut aquila aquilas generare. Hinc subsequitur:) Vos autem dixi amicos, quia omnia quecumque (ego homo minor et inferior Deo) audiui a Patre meo (cum quo sum coequaliter unus Deus) nota feci uobis ».

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lumière? De même, chez Matthieu (24): « Quant au jour et à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, seulement le Père »1. Il y a aussi le témoignage de Luc, dans les Actes des Apôtres (1), qui est le suivant: « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa seule autorité »2. Si nous considérons les caractéristiques des animaux [évangéliques], l’affaire entière y est dévoilée de manière imagée. Par la grâce du Verbe. Le lion Marc (c’est-à-dire la condition humaine mortelle) n’est pas en mesure de connaître l’avenir, lorsqu’il dit: « Quant au jour et à l’heure, personne (sousentendu de mortel) ne les connaît, ni les anges dans le ciel (sous-entendu de cette Église du miroir), ni le Fils (c’est-à-dire cette même Eglise du miroir, qui est la fille de la patrie sans fin, autant dire le Fils du Père éternel); personne que le Père (sous-entendu le Dieu fondamentalement éternel, qui, avec le Fils et l’Esprit Saint, demeure grâce à la foi dans la poitrine de cette Église, et qu’on peut également contempler dans la béatitude de la patrie à venir) ». L’homme Matthieu (c’est-à-dire la raison humaine) n’est probablement pas en mesure de connaître l’avenir, lorsqu’il s’exprime ainsi: « Quant au jour et à l’heure, personne (sous-entendu: même s’il est doué de raison) ne les connaît, ni les anges des cieux (sous-entendu: qui vivent en compagnie des hommes célestes), seulement le Père (qui peut révéler tout cela à un homme) ». C’est pourquoi le bœuf Luc précise dans les Actes des Apôtres: « Il ne vous appartient pas (à vous qui êtes encore des hommes animaux, pour ainsi dire des bœufs, n’ayant pas les sens intérieurs exercés à saisir les réalités spirituelles; non, il ne vous appartient pas) de connaître les temps et les moments que le Père (éternel et qui ne peut être fondamentalement compris sans le Fils et l’Esprit Saint) a fixés de sa seule autorité (sous-entendu: pour les révéler à qui il a voulu les révéler) ». Au moment où j’écrivais ces mots avec l’aide de l’Esprit, des gens discutaient bruyamment sous mon nez ou à côté de moi: ils ignoraient ce que je faisais et ne cherchaient pas à savoir ce que j’écrivais. Et moi, pour cette raison, je n’ai pas retiré immédiatement la main de mon roseau, bien au contraire j’ai continué à écrire. De même, j’ai rédigé une grande partie de ces écrits, tantôt le jour, tantôt la nuit, au milieu du bruit, car les fenêtres et les portes ne sont jamais fermées dans la journée, mais seulement la nuit. Poursuivons le sujet commencé. Jean (15): « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître (comme s’il disait, par analogie: ni le lion, ni le bœuf, ni l’homme ne savent ce que fait l’aigle; c’est-à-dire que ni l’homme mortel, ni l’homme animal, ni même l’homme raisonnable ne peuvent savoir ce que fait le Dieu invisible, lui qui peut créer des hommes spirituels; c’est-à-dire que Dieu peut de nouveau créer des hommes-dieux, comme l’aigle peut engendrer des aigles. D’où la suite:) Mais je vous appelle amis, parce que tout ce que (moi, l’homme plus

1 Mt 24, 36. Il manque « ni le Fils » (conformément à certains manuscrits grecs d’origine), car Opicinus, se prenant pour le Fils, estime connaître l’avenir. 2 Ac 1, 7.

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DE

FOL.

82v°-83

FALSIS CALVMPNIS PROXIMORVM IN ALTERVTRVM

Tanta malitia hominis in hoc nouissimo tempore creuit, ut frater fratrem obseruet siquid uerbum ab ore alterutrius procedat dans materiam accusandi, sicut nos alterutrum sumus experti. Per falsam enim calumpniam sepe confunditur consideratio ueritatis. Plus preualet tempore isto unum mendacium sub falsis testibus audiendis quam plura testimonia ueritatis uisibilibus argumentis. Vnus innocens de ecclesiastica sede deponitur, ubi alius fraudulentus intruditur. Vbi est ergo lex? Vbi iustitia? Vbi limitatio iuris? De littera et spiritu et de infirmitate et uirtute Vua acerba est lex ciuilis seu gentium, uua matura est littera seruilis Ecclesie, cuius prima distillatio separat mustum turbidum sacramentorum Ecclesie a corticibus iudiciorum legis canonice; secunda distillatio separat purum uinum expositionis sacre Scripture a fecibus littere sine sensu; tertia distillatio separat florem uini a uino grossiori (id est spiritum et uirtutem sine litteris a spiritualibus expositionibus sine uirtute). Hanc triplicem distillationem facit manus Affrice Lombardie que dicitur Ianua (id est seruilis Ecclesia que dicitur Agar per mundum diffusa), que subtilius uinum uendit aliis et grossius retinet sibi. Nemo ascendat ad pectus curie pape nisi primo nutriatur in uentre Papie; id est nemo sumatur in Ecclesia perfectorum nisi primo proficiat in parrochia infirmorum. Hoc dico non locis sed moribus. Additum anno perfectionis, IIII nonas martii.

[fol. 83] TESTIMONIVM

PERSONALE AD EXEMPLVM

Audiui quod quidam de propinquitate mea fuit semel requisitus ut faceret responsionem diabolo isto modo. Transiens enim quidam uiator secus fontem non multo procul ab urbe Papie et bibens ex illo, audiuit uocem diaboli sibi dicentis ut excitaret predictum ad quedam responsa. Quibus auditis atque relatis, ille intellectu discretus statim in presentia nuntii sine uisu Scripture sub uestimento responsa rescripsit. Nuntius autem accepto mandato cum litteris sigillatis reuersus ad fontem, proiectis litteris in fontem et instar ponderis submersis protinus in profundum, audiuit crebras multitudinis uoces dicentes: « Nimium scit Gualfredus. Nimium scit Gualfredus »; sic enim uocabatur. Ad ceptum propositum redeamus. Illa fuit figura, nunc reuelatio ueritatis. Scriptor occultus est innocentia presentis Ecclesie, que archana misteria Dei dilucidauit www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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petit que Dieu et inférieur à lui) j’ai entendu de mon Père (avec lequel je suis un seul Dieu, dans l’égalité), je vous l’ai fait connaître »1. LES

DÉLATIONS ENTRE PROCHES

La malice humaine s’est tellement développée en ces temps qui sont les derniers que le frère surveille son frère et réciproquement, pour voir si un mot sort de sa bouche qui servirait de prétexte pour l’accuser: nous l’avons vérifié entre nous. En effet, l’examen de la vérité est souvent troublé par une accusation perfide. Par les temps qui courent, un seul mensonge, défendu par de faux témoins que l’on écoute, a bien plus de valeur que plusieurs témoignages de la vérité, assortis de preuves visibles. Un innocent isolé est dépouillé d’un siège ecclésiastique, où un autre, un imposteur, est intronisé. Où donc est la Loi? Où est la justice? Où s’arrête le droit2? La lettre et l’esprit; l’inconsistance et la valeur C’est un raisin amer que la loi civile ou du monde; c’est un raisin mûr que la lettre de l’Église esclave. Sa première distillation sépare le moût trouble des sacrements de l’Église de l’écorce des jugements de la loi canonique; la deuxième distillation sépare le vin pur de l’explication de l’Écriture sainte de la lie de la lettre dépourvue de signification; la troisième distillation sépare la fleur du vin du vin épais (c’est-à-dire la finesse et le talent dépourvus de connaissances des explications spirituelles dépourvues de valeur). Cette triple distillation est opérée par la main de l’Afrique de Lombardie qu’on appelle Gênes3 (c’est-à-dire l’Église esclave qu’on appelle Agar, dispersée à travers le monde), elle qui vend aux autres le vin le plus fin et garde pour elle celui qui est le plus épais4. Personne ne doit monter vers la poitrine de la curie du pape sans avoir été d’abord nourri dans le ventre de Pavie; c’est-à-dire personne ne doit être accepté dans l’Église des parfaits sans avoir d’abord grandi dans la paroisse des faibles. Je ne parle pas en termes de géographie, mais de morale. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des nones de mars [4 mars 1338]5. [fol. 83] TÉMOIGNAGE

PERSONNEL AYANT VALEUR D’EXEMPLE

J’ai entendu dire qu’il arriva à quelqu’un de mon entourage d’être contraint de répondre au diable de la façon suivante. Un voyageur passant près d’une fontaine située non loin de la ville de Pavie, et s’y désaltérant, entendit la voix du diable lui dire qu’il allait le pousser à faire certaines réponses. Ayant entendu et rapporté cela, cet homme, doté d’une intelligence remarquable, écrivit aussitôt les réponses en présence d’un envoyé, en dissimulant l’Écriture sainte sous son vêteJn 15, 15. Opicinus amalgame l’accusation pour simonie qui a entraîné son procès et l’élection de Benoît XII comme pape alors qu’il estime que la papauté devait lui revenir. 3 Voir V 31, note 5. 4 La comparaison montre l’intérêt d’Opicinus pour tout ce qui touche au vin. 5 Soit le mercredi des Cendres. 1 2

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FOL.

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occulte. Nuntius litterarum est presens seruus Ecclesie. Aque fontis sunt populi multi. Voces multitudinis sunt multiplices humane malitie ex diabolo genite, que per ueram sapientiam huius Ecclesie confundentur et redigentur in nichilum.

DESSIN V 27

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occidens septentrio oriens auster episcopus Sabinensis ex presbitero, uel presbiter cardinalis tertius1 sanctorum Iohannis et Pauli Sancte Marie in uia lata diaconus cardinalis Neapo leo2 Sancti Adriani diaconus cardinalis Sancti Theodori diaconus cardinalis Hospitium liberum in medio libratarum habet testimonium Emanuel, qui interpretatur « nobiscum Deus » (id est presens incorruptibilis populus christianus, cuius sum familiaris et seruus), non persone

1 2

La transcription de ce mot n’est pas certaine. La dernière partie du mot est séparée du début par une ligne ondulée.

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ment. Or l’envoyé, une fois la mission honorée, étant revenu à la fontaine avec les lettres scellées et ayant jeté ces lettres dans la fontaine, où elles coulèrent immédiatement au fond comme une masse, entendit les voix étouffées d’une multitude qui disaient: « Gualfred en sait trop; Gualfred en sait trop »; car c’est ainsi qu’il s’appelait. Revenons au sujet abordé. Il s’agissait d’une allégorie; maintenant, il s’agit de révéler la vérité. Le scribe inconnu, c’est l’innocence de l’Église d’aujourd’hui1, qui a secrètement fait la lumière sur les mystères cachés de Dieu. L’envoyé portant les lettres, c’est l’actuel serviteur de l’Église2. L’eau de la fontaine, c’est la foule des peuples. Les voix de la multitude, ce sont les méchancetés humaines multiformes que le diable engendre; elle seront confondues par la véritable sagesse de cette Église et réduites à néant.

DESSIN V 27 Diagramme original encadré par les animaux évangéliques, qui correspondent à la fois aux points cardinaux et aux cardinaux de la cour d’Avignon contemporains d’Opicinus. Le cercle intérieur est occupé par un Christ-Opicinus assis et montrant ses mains percées et son côté ouvert en rouge. Il porte le médaillon du couple sponsal sur la poitrine et un petit prêtre entre ses genoux (encore Opicinus). Des lignes se croisent au centre (indiqué en rouge) du couple sponsal; celles qui passent par les mains du Christ sont rouges. Les trois cercles suivants sont occupés respectivement par les lettres d’EMMANUEL; par un calendrier présentant les dimanches de l’année, les mois (en rouge) et les signes du zodiaque; et par des citations significatives des évangélistes (dont chacun est placé sur un autre calendrier). Opicinus utilise la topographie d’Avignon (notamment l’emplacement des livrées des cardinaux par rapport à son logement) et la chronologie précise concernant la mort de certains cardinaux dont les noms évoquent les animaux évangéliques, pour se projeter dans l’espace et le temps en général, tel le Christ ressuscité qu’il est devenu.

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– l’ouest – le nord – l’est – le sud – évêque de Sabine après avoir été prêtre, ou bien cardinal prêtre descendant[?] des saints Jean et Paul3 – cardinal diacre de Sainte-Marie dans la grande rue – Napo Léon / le lion – cardinal diacre de Saint-Adrien – cardinal diacre de Saint-Théodore – Le logement libre au milieu des livrées4 est attesté par Emmanuel, qui veut

Il est probable que l’histoire racontée est en rapport avec le procès d’Opicinus. Opicinus est donc à la fois le scribe, l’innocent accusé à tort et porteur du message divin, et l’envoyé. 3 Pour les cardinaux cités dans les notes 5, 6, 7-8 et 9, voir fol. 77v°. 4 Projection géographique: Opicinus (identifié au Christ) habite au milieu des livrées des cardinaux. 1 2

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mortalis que ob reuerentiam Domini nostri reiecit a se litteram capitalem, cuius sum conseruus et frater in tanto Domino. ecclesia Sancti Desiderii monasterium Sancte Clare Tanta est consonantia stili euangeliorum hominis et bouis ut in pluribus combinentur; et ideo bos a dextris hominis collocatur et presens homo fraterno nomine decoratus nunc commoratur ubi moratus fuerat bos. Quid esset dicere « frater Matheus », nisi esset relatio fratris ad Lucam? Nomen Luce ad dexteram est solus titulus; ymago autem bouis inferius est substantia Luce, quasi Ianua Venetiarum respectu. Additum anno perfectionis, die sancti Luce euangeliste. Hoc animal decessit anno retributionis, pridie kalendas februarii, in cuius hospitium mense transacto intrauit animal homo. Solum animal homo habet religionis angelice predicabilem habitum. Reliqua autem animalia habuerunt et habent diuersi coloris habitum secularem cum Christo et christianitate. Istud animal decessit anno expectationis, pridie sancti Augustini; quo anno, die sancti Georgii, uidi noctu domum eius incensam et uestimenta redacta in cinerem, adhuc pendentia perticis quasi intacta; et tertia die mater mea transiuit a seculo, ut audiui postmodum. « Confiteor (X° sancti Luce1) tibi, pater Domine celi et terre, quia (XI° sancti Mathei) abscondisti hec a sapientibus et prudentibus, et reuelasti ea paruulis ». « Deum nemo uidit unquam; unigenitus (I° sancti Iohannis) Filius qui est sinu patris ipse enarrauit ». « Bene (XII° sancti Marci), magister, in ueritate dixisti quia unus est Deus et non est alius preter eum; et ut diligatur ex toto corde et ex toto intellectu et ex tota anima et ex tota fortitudine, et diligere proximum tanquam seipsum, maius esse omnibus holocaustomatibus et sacrificiis ». « Domine, si in tempore hoc restitues regnum Israel? » (ACTVVM APOSTOLORVM CAPITVLO PRIMO). a2

– – IANUARIVS – Aquarius – FEBRUARIVS

1 Dans les notes 17 à 20, les références des évangélistes sont enchâssées dans la phrase citée, de manière perpendiculaire. En effet, chaque évangéliste est placé sur le calendrier (décalé de six mois et tournant en sens inverse de celui qui porte les mois et les signes du zodiaque), à l’endroit correspondant à sa fête: 21 septembre pour Matthieu, 25 avril pour Marc, 18 octobre pour Luc, 27 décembre pour Jean. 2 Ce a est répété 53 fois sur le cercle, dont une fois en rouge.

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dire « Dieu avec nous » (c’est-à-dire l’actuel peuple chrétien incorruptible, dont je suis l’ami et le serviteur), et non la personne mortelle qui, par respect pour notre Seigneur, a jeté loin d’elle sa lettre majuscule1, et dont je suis le compagnon de servitude et le frère dans le Seigneur qui est si grand. – l’église Saint-Didier – le monastère Sainte-Claire2 – La concordance des expressions des évangiles de l’homme et du bœuf est si importante qu’ils peuvent être associés à de nombreuses reprises; et c’est pour cela que le bœuf est placé à droite de l’homme et que l’homme actuel, revêtu du nom de frère, demeure maintenant là où le bœuf avait séjourné. – Que voudrait dire « frère Matthieu », s’il n’avait une relation fraternelle avec Luc? Le nom que porte Luc à droite n’est qu’un titre; mais l’image du bœuf placée plus bas, c’est la substance de Luc, comme Gênes par rapport à Venise. Ajouté l’année de la perfection, le jour [de la fête] de saint Luc évangéliste [18 octobre 1338]. – Cet animal est mort l’année de la récompense, la veille des calendes de février [31 janvier 1336]; c’est dans son logement que l’homme animal est entré il y a un mois. L’homme animal est le seul à avoir la tenue digne d’éloges de la communauté religieuse des anges. Mais les autres animaux ont eu et ont encore une tenue de différentes couleurs, avec le Christ et la chrétienté. – Cet animal est mort l’année de l’attente, la veille [de la fête] de saint Augustin [27 août 1335]. C’est l’année où, le jour [de la fête] de saint Georges [23 avril], j’ai vu de nuit sa maison en flammes: les habits étaient réduits en cendres, sauf ceux qui étaient pendus à des perches et qui étaient presqu’intacts. Trois jours après, ma mère a quitté ce monde3, d’après ce qu’on m’a dit peu après. – « Je te bénis (saint Luc, 104), Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir (saint Mathieu, 11) caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits »5. – « Nul n’a jamais vu Dieu; le Fils unique (saint Jean, 1), qui est dans le sein du père, lui, nous l’a révélé »6. – « Fort bien (saint Marc, 12), maître, tu as eu raison de dire que Dieu est unique et qu’il n’y en a pas d’autre que Lui: l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soimême, vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices »7. – « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas restaurer la royauté en Israël? » (ACTES DES APÔTRES, CHAPITRE PREMIER)8.

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Voir V 25. Opicinus habitait entre Saint-Didier et Sainte-Claire: voir fol. 46, 65v° et 66v°. Voir V 6, note 33. Voir Lc 10, 21, où l’expression est comparable à Mt 11, 25. Mt 11, 25. Jn 1, 18. Mc 12, 32-33. Ac 1, 6. Toutes les citations parlent d’Opicinus.

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83-83v°

Pisces MARTIVS

Aries APRILIS

Taurus MAIVS

Gemini IVNIVS

Cancer IVLIVS

Leo AVGVSTVS

Virgo SEPTEMBER

Libra OCTOBER

Scorpio NOVEMBER

Sagittarius DECEMBER

Capricornus E M A N V E L1 Actum cum supradictis scripturis IIII kalendas nouembris.

[fol. 83 v°] DESCRIPTIO

ORBIS TERRARVM

Asia in similitudine arboris est tota materialis et capax cuiuslibet forme, secundum industriam architecti uel sapientis artificis. Europa in similitudine animalis indifferentis partim est materialis, que adhibita ratione formantis potest formari in hominem uel in animal brutum. Affrica uero in similitudine hominis potest de facili plus formari in hominem, non in aliud animal, secundum liniamenta membrorum et uestium. Similiter Mediterraneum mare non potest formari in aliud nisi in diabolicum mare. Occeanum autem mare a Scotia usque ad uerticem Affrice sic potest formari a pectore usque ad lumbos, eo quod caret capite et cruribus; cuius pectus occupant insule purgatorie, scilicet Hibernia et Anglia. Vbi enim est maior copia ecclesiasticorum prouentuum in

1

Les grandes lettres d’EMANVEL sont disposées sur le premier cercle qui entoure le

Christ. www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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– a [dimanche]1. – JANVIER – Verseau – FÉVRIER – Poissons – MARS – Bélier – AVRIL – Taureau – MAI – Gémeaux – JUIN – Cancer – JUILLET – Lion – AOÛT – Vierge – SEPTEMBRE – Balance – OCTOBRE – Scorpion – NOVEMBRE – Sagittaire – DÉCEMBRE – Capricorne –EMMANUEL – Fait, ainsi que les notes indiquées au-dessus, le 4 des calendes de novembre [29 octobre 1337]2.

[fol. 83v°] DESCRIPTION

DE L’ORBE TERRESTRE3

L’Asie, qui ressemble à un arbre, est entièrement de l’ordre de l’essence et se prête à toutes les formes que requiert l’activité d’un architecte ou d’un artiste savant. L’Europe, qui ressemble à un être vivant indéterminé, est en partie de l’ordre de l’essence, elle qui, selon le raisonnement de celui qui lui donne forme, peut prendre une forme humaine ou celle d’un être vivant dénué de raison. Quant à l’Afrique, qui ressemble à un être humain, elle peut plus facilement prendre une forme humaine et non celle d’un autre être vivant, en suivant les contours des parties du corps et des vêtements. De même, la Méditerranée ne peut prendre d’autre forme que celle de

1 Ce calendrier correspond, comme celui de V 2, à une année où la lettre dominicale est A (dimanche pour commencer et pour finir l’année). A noter la particularité du dernier dimanche (31 décembre), où le a est incomplet (voir V 22, notes 1 et 2; et folio 83 v°). 2 Soit le surlendemain de la fête du Christ-Roi (dimanche 27 octobre 1337).

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FOL.

83v°

argento et auro, ibi est acrius purgatorium cum tormento. Ab insulis illis usque Hispaniam, Britanicum mare est stomachus instar mortis que omnia deuorat ore suo. Secundum latitudinem Hispanie est uenter occeani; et inter Hispaniam Europe et Mauritaniam Affrice est uulua occeani, de qua procedit mare Mediterraneum. Mare autem Rubrum uel Indicum et mare Caspium ceteris relinquantur qui habent scientiam plage orientalis. Insule uero Mediterranei maris possunt formari ad similitudines nauium uel membrorum humani corporis dispersorum aut ossium seu uiscerum uel informes relinqui.

De diffinitiua conclusione Vbicumque reperitur littera O, intelligitur diffinitiua conclusio cuiuslibet questionis. Nam ab angulari prima littera A2 cepit prima occasio disputandi per intricabiles angulos qui in se ipsos multiplicant isto modo: ratio, uisus, gustus, odoratus, tactus, auditus3. Nisi enim esset sextus angulus rationis respondens odoratui, sicut gustus auditui et tactus uisui, nunquam esset terminus disputandi hoc modo: odoratus, uisus, gustus, tactus, auditus4. Licet inter animalia reperiatur aliquid preualere in auditu, aliquid in uisu, aliquid in gustu et aliquid in tactu, communiter tamen omnia animalia bruta que possunt V sensibus uti preualent odoratu, quem primum obiciunt ad obiectum rei eligibilis uel respuibilis; cui quasi immediate respondet ratio hominis, que superat omnes sensus corporeos. Nam prima littera angularis a primo puncto in duas lineas hinc inde producitur L. Si isti tres anguli multiplicentur in V per productionem linearum, iam perdita ratione principii suboritur laberintus. Si autem multiplicentur in VI, tunc habetur sextus punctus uel angulus qui corporales despicit sensus. Cum enim corporalibus utitur ratio hominis, per senangulum uariatur. Sed ne ponat terminum suum in isto senangulo, sicut Affrica habens in pectore locum « Sexti » eligit sedem suam in terris, transsiliat ratio a senangulo uariabili ad circulum perfectionis, in quo nullus est angulus latebrarum, nulla est absconsio sordium, immo nullum subterfugium cordium. Quo circulo utitur pectus Europe, que semper in actu ambulandi nullam eligit sedem in terris. Sicut circulus ferreus quasi hamus lorice applicatur naribus porci, ne

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Ce O majuscule est plus grand et plus épais que le reste du texte. Ce A majuscule est plus grand et plus épais que le reste du texte. La raison et les cinq sens sont indiqués sur les angles d’une étoile à six branches. Les cinq sens sont indiqués sur les angles d’une étoile à cinq branches.

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la mer diabolique. Et l’océan, entre l’Ecosse et le haut de l’Afrique, peut ainsi prendre la forme d’un corps allant de la poitrine aux organes génitaux, mais dépourvu de tête et de jambes1; les îles du purgatoire, c’est-à-dire l’Irlande et l’Angleterre, occupent sa poitrine. En effet, là où pullulent en majorité les revenus de l’Église en argent et en or, là aussi se trouve le purgatoire plutôt sévère et les tourments qui vont avec. Entre ces îles et l’Espagne, la mer de Bretagne est l’estomac, telle la mort qui avale tout par la bouche. A la hauteur de l’Espagne, se trouve le ventre de l’océan; et entre l’Espagne de l’Europe et la Mauritanie de l’Afrique, se trouve la vulve de l’océan d’où sort la mer Méditerranée. Quant à la mer Rouge ou Indienne et à la mer Caspienne, laissons-les à ceux qui connaissent les régions orientales. En revanche, les îles de la Méditerranée peuvent prendre une forme semblable à celle des bateaux2, à des parties du corps humain jetées çà et là, à des os ou encore à des viscères, à moins qu’elles n’aient aucune forme particulière. La solution définitive Partout où l’on trouve la lettre O3, il s’agit de la solution définitive à tous les problèmes. Car avec la première lettre, le A, qui a une forme angulaire, s’amorce la première controverse possible, avec les angles intercalés qui se reproduisent un à un de la façon suivante: la raison, la vue, le goût, l’odorat, le toucher, l’ouïe4. En effet, s’il n’y avait pas le sixième angle, celui de la raison, pour correspondre à l’odorat, comme le goût à l’ouïe et le toucher à la vue, on n’en finirait pas de discuter de l’ordre suivant: l’odorat, la vue, le goût, le toucher, l’ouïe. Même si, parmi les animaux, on en trouve un chez qui l’ouïe prime, un autre pour qui c’est la vue, un autre le goût, et un autre le toucher, néanmoins chez toutes les bêtes brutes qui peuvent disposer de leurs 5 sens, l’odorat prime généralement: elles commencent par l’utiliser face à un objet rencontré, pour voir s’il mérite d’être choisi ou d’être rejeté; et c’est à l’odorat que la raison humaine correspond directement, elle qui domine tous les sens corporels. Car la première lettre, qui a une forme angulaire, se dédouble à partir du point de base pour donner: L. Si les trois angles obtenus se démultiplient en 5 grâce à la création de lignes, la perte de la raison initiale fait naître un problème inextricable / labyrinthe. Mais s’ils se démultiplient en 6, on obtient alors un sixième point ou angle qui regarde d’en haut les sens corporels. En effet, lorsque la raison humaine utilise ce qui est corporel, elle varie en passant par le sénangle. Mais pour éviter qu’elle ne trouve sa fin dans ce sénangle – comme l’Afrique qui, ayant dans la poitrine un lieu appelé « Sextus »5, choisit de siéger dans le monde – la raison doit bondir hors du sénangle changeant pour atteindre le cercle de la perfection, où il n’y a aucun recoin caché, aucune souillure dissimulée, ou plutôt aucune ruse dans les cœurs. C’est ce cercle qu’utilise la poitrine Voir V 6, notes 1 et 11. L’ensemble du paragraphe correspond à V 6. Voir fol. 58v°; voir aussi la forme donnée par Opicinus aux îles méditerranéennes dans ses cartes. 3 C’est-à-dire la majuscule d’Opicinus. 4 Voir V 10 et V 13. 5 Voir fol. 39v°. 1 2

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suffodiens terram ingerat lesionem, ita presens circulus simplex totius perfectionis signaculum mei aduersarii naribus applicatur, ne sicut aper siluester et bestia singularis exterminet uineam uentris nostri translatam a pectore Affrice uel Egypti.

De testimoniis personalibus et localibus Nequis gloriam nominis christiani transfferat in personam, habeo duplex testimonium, uidelicet uultus diuini ad bonum agendum translati et hominis diuitis ad uocabulum libertatis. Cum enim diabolicum mare crescit ab intimis usque et ultra muros ueteris ciuitatis Papie, tunc parrochia mea paulatim transfertur in mare et parrochia domus mee descendit ad diuitem terram Imperii. Si uero decreuerit illud mare infra ueteres muros, tunc parrochia mea colligitur intra pectus Cartaginis et parrochia stirpis mee conscendit ad collum et humerum libertatis. Ecce laboriosa progenie non obstante, facies specularis in bonum opus conuertitur exemplo Marie, et opulentum I(i)mperium ad obsequium liberum transmutatur testimonio Marthe. 1

De adequatione uniuersalis Ecclesie Ceteris paribus bonum opus misericordie debet primum incipere a domesticis suis secundum fidem, deinde per subalternationes2 specierum et generum usque ad generalissimum genus; scilicet a fratre in fratrem ex consanguinitate nature, deinde a rectore ad pauperes plebis sue. Cum autem parrochia fuerit adequata per ordinem uere iustitie, tunc parrochia parrochie per manus episcopi libenter subueniat. Adequata ciuitate et diocesi, ciuitas ciuitati succurrat. Adequata prouincia, regio regioni subueniat. Adequata Europa adiuuet Affricam, cum fuerit facta fidelis. Adequatis tam spiritualiter quam temporaliter Europa et Affrica, ab eis Asie succurratur. Tunc erit in omnibus uniuersalis Ecclesia adequata. Actum III kalendas nouembris. De uirtute compassionis Si uir rectus uiderit feminam miseriis laborantem etiam ignotam, ymaginatur ex compassione illam non ut personam mortalem sed ut beatam Virginem Mariam usque ad uniuersalem Ecclesiam, ad quam tota affectione sine concupiscentia condescendit, quasi arbor Asie ab alto deflexa super Europam iacentem in stercore. Similiter si mulier recta uiderit 1 2

Dessin d’une main dans la marge de gauche. Contraction pour: subalternas nationes.

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de l’Europe, elle qui, étant toujours en train d’aller et venir, ne choisit aucun siège en ce monde. De même qu’un anneau en fer est mis sur le groin du porc, comme un crochet sur une cuirasse, afin d’éviter qu’en fouillant le sol, il ne se cause une blessure, de même le simple cercle que voilà, celui de la perfection dans son ensemble, est mis en tant que marque distinctive sur le nez de mon adversaire, afin d’éviter que, tel un sanglier sauvage et une bête solitaire1, il ne ravage la vigne de notre ventre venue de la poitrine de l’Afrique ou de l’Égypte. Témoignages concernant les personnes et les lieux Pour éviter que quelqu’un ne transfère la gloire du nom chrétien sur une personne, je dispose d’un double témoignage: celui du visage divin déplacé pour faire le bien et celui de l’homme riche [déplacé] vers le mot de liberté. En effet, lorsque la mer diabolique s’étend entre ses profondeurs et les murs de la vieille cité de Pavie et au-delà2, ma paroisse passe alors peu à peu dans la mer et la paroisse de ma famille descend vers la terre riche de l’Empire / du pouvoir. En revanche, si cette mer se retire en deçà des vieux murs3, ma paroisse se trouve alors réunie à l’intérieur de la poitrine de Carthage, et la paroisse de ma parenté monte vers le cou et l’épaule de la liberté. C’est ainsi que, sans que la lignée laborieuse ne s’y oppose, la face visible devient une bonne oeuvre, à l’exemple de Marie, et que l’Empire / le pouvoir fortuné est transformé en libre soumission, comme en témoigne Marthe. L’unification de l’Église universelle Toutes choses étant égales, la bonne œuvre de miséricorde doit d’abord commencer par les membres de sa famille en fonction de leur fidélité, puis passer par les catégories subalternes des espèces et des genres pour aller jusqu’au genre suprême4; c’est-à-dire aller d’un frère vers son frère du fait de la parenté naturelle, puis du curé vers ses pauvres ouailles. Et une fois la paroisse unifiée grâce à la règle de la véritable justice, cette paroisse doit alors secourir de bon cœur une autre paroisse, par les soins de l’évêque. Une fois la cité et le diocèse unifiés, cette cité doit épauler une autre cité. Une fois la province unifiée, cette contrée doit soutenir une autre contrée. Une fois l’Europe unifiée, elle doit aider l’Afrique, lorsqu’elle sera devenue fidèle. Une fois l’Europe et l’Afrique unifiées, aussi bien sur le plan spirituel que sur le plan temporel, elles doivent porter secours à l’Asie. Alors l’Église universelle sera en tous points unifiée. Fait le 3 des calendes de novembre [30 octobre 1337]. La puissance de la compassion Si un homme honnête voit une femme peiner dans les malheurs, même s’il ne la connaît pas, sa compassion la lui fait voir non comme une personne mortelle mais comme la Vierge Marie pleine de grâces, et de là comme l’Église universelle; et

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Le « solitaire » désigne le sanglier (qui vient de singularis). Voir V 29 et V 30. Voir V 28. Voir V 17, note 15.

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uirum laborantem erumpnis etiam ignotum, ymaginatur ex compassione illum non ut personam mortalem sed ut Christum usque ad populum christianum, ad quem tota affectione sine concupiscentia condescendit, quasi Asia super Europam. Affrica autem non habet similitudinem compatientis. Ecce quod sancta compassio mulieris in uirum ignotum imitatur animam occurrentem Christo et populo christiano. Et compassio uiri in mulierem ignotam imitatur Spiritum ardentem amore occurrentem matri Dei, perpetue uirgini et Ecclesie uniuersali. Sicut Virgo Maria est corporale principium uniuersalis Ecclesie, ita Christus est conditor, reparator et habitator populi christiani, templi sui perpetui. Additum anno perfectionis, IIII kalendas martii, tunc feria V post caput ieiunii. XXII

[fol. 84] DESSIN V 28

1 – Tempore minoris malitie Papiensis non excedentis muros ueteris ciuitatis, publica fiebat confessio peccatorum, tam operum meretricis quam cogitationum nubentis et uirginis. Ecce meretrix Papiensis habet in uentre uicum qui dicitur Moneta. Cum enim transferretur corpus sancte Honorate uirginis monialis per parrochiam Sancti Nicolai in Moneta et per uicum Monete preteriens, non potuit inde moueri ulterius donec fuisset honorificentius www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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il se penche vers elle avec tout son coeur et sans concupiscence, tel l’arbre d’Asie dont le sommet est incliné au-dessus de l’Europe étendue dans les excréments. De même, si une femme honnête voit un homme peiner dans les épreuves, même si elle ne le connaît pas, sa compassion le lui fait voir non comme une personne mortelle, mais comme le Christ, et de là comme le peuple chrétien; et elle se penche vers lui avec tout son cœur et sans concupiscence, telle l’Asie au-dessus de l’Europe. Mais l’Afrique n’éprouve pas de compassion semblable. C’est ainsi que la femme pleine de sainte compassion pour l’homme qu’elle ne connaît pas imite l’âme allant au-devant du Christ et du peuple chrétien. Et l’homme plein de compassion pour la femme qu’il ne connaît pas imite l’Esprit brûlant d’amour allant au-devant de la mère de Dieu, vierge pour toujours, et de l’Église universelle. De même que la Vierge Marie est la source corporelle de l’Église universelle, de même le Christ est celui qui fonde, qui fait revivre et qui habite le peuple chrétien, son temple éternel. Ajouté l’année de la perfection, le 4 des calendes de mars, soit la 5e férie suivant le début du jeûne [jeudi 26 février 1338]1. XXII

[fol. 84] DESSIN V 28 Voici le premier des trois dessins (V 28, V 29 et V 30) où Opicinus surimpose le plan de Pavie2 (noms de lieux en brun) à la carte de base (noms de lieux en rouge); il joue des coïncidences topographiques ainsi obtenues. Le dessin est encadré par les points cardinaux et par des notes (souvent postérieures). Le plan de Pavie est incliné d’environ 15° et divisé en 80 jugera (rectangles de 80 mètres de côté). Opicinus représente l’ancien rempart (en bas, en rouge). On trouve l’indication des quatre statues des vertus cardinales et de diverses églises de la ville (dont la cathédrale et la paroisse Sainte-Marie-La-Chapelle). Une petite maison aux contours indiqués en rouge délimite le territoire de la paroisse Sainte-Marie-La-Chapelle. La carte (inversée) est dominée par une mer diabolique rose foncé particulièrement obscène. L’Europe féminine, portant des bijoux et mordue à l’épaule par la tarasque, fait face à une Afrique féminine elle aussi parée, dont la poitrine sécrète le ver tunisien. Des oiseaux ont été rajoutés postérieurement par Opicinus: un faucon en Europe, une pie et des cygnes en Afrique. En-dehors de ses renseignements très précis sur la topographie de Pavie, de la mention d’événements vécus par Opicinus à Pavie et de ses aspects érotiques, le dessin aborde des thèmes soit classiques (oppositions charnel/spirituel et Europe/Afrique), soit originaux (la chasse au faucon…). Ce dessin doit être comparé aux deux suivants.

1 – A l’époque où la malice était restreinte à Pavie (elle ne dépassait pas les murs de la vieille cité3), la confession des péchés se faisait en public, aussi bien

C’est-à-dire le jeudi après les Cendres. Les renseignements sur la topographie de Pavie fournis par V 28, V 29 et V 30 sont présentés par P. TOZZI, dans Opicino e Pavia, Pavie, Libreria d’Arte Cardano, 1990, p. 52 et 56. 3 C’est-à-dire que le diable est contenu dans les jugera. 1 2

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coopertum, in testimonium operiendi obprobrium mulierum; et translatum est ad monasterium uetus ad operiendum obprobrium uirorum. Cuius sancte titulus est intra terminos parrochie mee. Corpus autem requieuerat prius in ecclesia Sancti Vincentii que appellatur nomine sancti Epiphanii, episcopi Papiensis et fratris illius sancte uirginis. Additum de ignobili membro in manu diaboli anno renouationis, XV kalendas februarii. Additum de pica et cigno iuxta belliculorum insignia in parrochia Sancte Marie Capelle, ubi pica sciens loqui predicat cignis suis uel magis anseribus non habentibus intellectum. Additum, inquam, anno perfectionis, IIII idus octobris. Nequis suspicetur hanc ciuitatem esse carnaliter meretricem, dico ipsam honestissimam esse secundum carnem; sed utinam non esset deterior meretrice carnali, eo quod tota plena est spirituali adulterio, cum unaqueque legitima uxor, derelicto proprio uiro, adhereat alienigene seductori (id est unaqueque parrochia, contempto rectore proprio, accedit ad alienigenam predicantem). Et ideo digne et iuste immediate post prandium accedit ad audiendum Verbum Dei factum carnale. Et ego factus similis illi cum essem Valentie, pluries immediate predicaui post prandium. Additum die sancte Lucie. Accepi hunc laterem cordis duri ut in ipso describam obsidionem Iherusalem, cuius obsidionis figura fuit in Ianua. Hic minorata malitia. Temperantia procedit ulterius ad torridam plagam, Iustitia ultra Hiberniam, Fortitudo in mari Indico et Prudentia intra Corsicam et Sardiniam. Fit ergo de mari Occeano indumentum iustitie fidelis Europe; de torrida plaga fit temperantia medicine cuiuscumque parrochie; de mari Indico fit castrum fortitudinis totius Ecclesie; et de mari Mediterraneo fit decor prudentie prudentissime Affrice, in testimonium pueri colligentis mare intra modicam fossam, id est omnem abissum intra pectoralem memoriam. Vbicumque ponitur Yppon, intelligitur Augustinus augusti; et in eodem loco, respectu magne Papie, ponitur maii Maiolus, deinde paulo inferius martii Martianus; qui omnes eisdem mensibus celebrantur. Additum die sancti Nicolai. Hec uia a manu Cartaginis deorsum exercet usurariam prauitatem. Siue in hac Papia, siue in uniuersali Lombardia, siue in mundo naturali fuerim intra uel iuxta testiculos Leuiathan, reperi stirpem ficulneee. Vtinam faceret sic pectus Affrice Papiensis, sicut pectus Europe confitentis progeniem cloacarum seu uulgariter clauicarum. Additum III idus decembris. occidens Iustitia

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pour les œuvres de la courtisane que pour les pensées de l’épouse et de la vierge. Voici la courtisane de Pavie qui a dans le ventre un quartier qu’on appelle Moneta1. En effet, lorsqu’on fit la translation du corps de sainte Honorée, moniale vierge, en passant par la paroisse Saint-Nicolas2, sise dans le quartier de Moneta, et par le quartier de Moneta qui la côtoie, il ne put être déplacé plus loin avant d’être recouvert de façon plus convenable, pour montrer qu’il faut dissimuler l’ignominie des femmes; et il a été porté au monastère ancien3 pour dissimuler l’ignominie des hommes. Le titre de cette sainte4 se trouve à l’intérieur des limites de ma paroisse5. Mais auparavant son corps reposait dans l’église Saint-Vincent à qui l’on donne le nom de saint Épiphane6, évêque de Pavie et frère de cette sainte vierge. Le membre obscène dans la main du diable7 a été ajouté l’année de la révélation, le 15 des calendes de février [18 janvier 1339]. La pie et le cygne à côté des indications des petits soldats8 dans la paroisse de Sainte-Marie-La-Chapelle (où la pie sachant parler prêche à ses cygnes, ou plutôt aux oies dépourvues d’intelligence) ont été ajoutés. Oui, cet ajout date de l’année de la perfection, le 4 des ides d’octobre [12 octobre 1338]. Pour éviter qu’on ne soupçonne cette cité d’être une courtisane sur le plan charnel, je dis qu’elle est très honorable selon la chair; mais fasse le ciel qu’elle ne soit pas pire qu’une courtisane charnelle, car elle est entièrement pleine d’un adultère spirituel, puisque chaque femme légitime, une fois son propre mari abandonné, s’attache à un séducteur étranger (c’est-à-dire puisque chaque paroisse, une fois son curé repoussé, va voir un prédicateur étranger). Et c’est pourquoi elle vient, de manière méritée et juste, aussitôt après le repas, écouter le Verbe de Dieu fait chair. Et moi qui suis devenu semblable à lui lorsque j’étais à Valence, j’ai prêché à plusieurs reprises aussitôt après le repas. Ajouté le jour [de la fête] de sainte Lucie [13 décembre 1337]. J’ai choisi ce côté du cœur dur pour y indiquer le siège de Jérusalem9; un symbole de ce siège a eu lieu à Gênes10. Ici se trouve la malice restreinte. La Tempérance s’avance plus loin vers la zone torride, la Justice au-delà de l’Irlande, la Force dans la mer Indienne, et la

Note 18. Voir aussi note 11 et V 30, note 1. Note 16. Cette paroisse est située sur le bras diabolique de la mer. 3 Note 22. Ce monastère est situé sur la verge du diable. 4 Note 29 (à côté de Sainte-Marie-La-Chapelle). 5 Voir la petite maison dessinée autour de la paroisse d’Opicinus. 6 Cette église de Pavie – ainsi que les paroisses et monastères indiqués dans les notes 16, 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 33 et 34 – sont cités dans le De laudibus. 7 Cette particularité se retrouve dans V 29 et V 34. Voir GUY ROUX, Opicinus, prêtre, pape…, pp. 266-268. 8 Il s’agit des familles pavesanes des Torti et des Medici (notes 30 et 31). Voir R.G. SALOMON, « Aftermath to Opicinus de Canistris », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1962, 25, p. 146. 9 Allusion au siège de Jérusalem par Nabuchodonosor (588-587 avant J.C.). 10 Voir fol. 30v°-31. 1 2

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10 – Ecce brachium maris, destructis domibus Beccarie, conuocat aues et bestias ad ignobiles carnes magni macelli (presertim signa falconum de belliculis qui libenter currunt ad pugnum hominis ostendentis carnes a longe. Additum XVI kalendas octobris, anno reuelationis). Additum anno reuelationis, IIII kalendas februarii. Cum essem semel in Iosaphath Papiensi circa partes Bauarie naturalis, audiui primo « Bauarum » nominari quem antea audiebam nominari tantum « Ludouicum de Bauaria ». 11 – Cum semel cepissem scribere dona diuinitus mihi data, uidi in sompnis me esse in uico uel iuxta uicum Monete, ubi erat et est magna platea ex destructione domorum. Et uidi in sompnis uirgam asini protensam et pendentem ab altis, quasi factam ex feno. Expergefactus autem ignorans presens misterium, cepi cogitare illud esse factum ne gloriarer spiritualibus donis nomine personali. Recolo me adolescentem commorantem Thessalonice Papiensi ex simplicitate mea fecisse rithimos uulgares de operibus Antichristi. 12 – oriens 13 – Fortitudo 14 – MARE INDICVM 15 – THESSALONICA 16 – Sancti Nicolai 17 – Iosaphath 18 – Moneta 19 – commune palatium 20 – Prudentia 21 – atrium ecclesie 22 – monasterium uetus 23 – Sancte Tecle 24 – YPPON 25 – Sancti Maioli 26 – Sancti Martiani 27 – Sancte Marie 28 – Sancte Marie Capelle 29 – Sancte Honorate 30 – Torti 31 – Medici 32 – PAPIA 33 – cathedralis ecclesia 34 – Sancti Petri ad Vincula 35 – auster 36 – Temperantia 37 – PLAGA TORRIDA 38 – septentrio www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Prudence entre la Corse et la Sardaigne1. C’est donc de l’océan qu’arrive le vêtement de justice de l’Europe fidèle; de la zone torride, la tempérance qui soigne chaque paroisse; de la mer Indienne, le château de la force de l’Église tout entière; et de la mer Méditerranée, les ornements de la prudence de la très prudente Afrique, en témoignage de l’enfant enfermant la mer à l’intérieur d’un trou minuscule (c’est-à-dire tout l’abîme à l’intérieur de la mémoire de la poitrine). Partout où on indique Hippone2, il s’agit d’Augustin d’août3; et c’est au même endroit que, si l’on prend en compte la grande Pavie, on indique Maieul4 de mai, et, un peu plus bas, Martien5 de mars; car tous ces saints ont leur fête pendant le mois dont ils portent le nom. Ajouté le jour [de la fête] de saint Nicolas [6 décembre 1337]. – Ce chemin qui descend de la main de Carthage commet le péché d’usure. – Que ce soit dans cette Pavie, dans la Lombardie universelle ou dans le monde naturel, que j’aie été à l’intérieur ou à côté des testicules de Léviathan, j’ai trouvé la race du figuier. Puisse la poitrine de l’Afrique de Pavie faire comme la poitrine de l’Europe qui reconnaît une lignée d’égouts ou, dans le langage courant, de petites clefs6. Ajouté le 3 des ides de décembre [11 décembre 1337]. – l’ouest – la Justice – Voici que le bras de la mer7, une fois anéanties les familles des Beccaria, appelle les oiseaux et les bêtes sur les organes sexuels infâmes du grand marché (notamment les figures des faucons envoyés par les petits soldats et qui se précipitent avec plaisir sur le poing de l’homme leur montrant les organes sexuels de loin: ajouté le 16 des calendes d’octobre, l’année de la révélation [16 septembre 1339]). Ajouté l’année de la révélation, le 4 des calendes de février [29 janvier 1339]. Un jour où je me trouvais à Josaphat de Pavie, aux environs de la région de la Bavière naturelle, j’ai entendu pour la première fois appeler « Bavarois » celui qu’auparavant j’avais entendu appeler seulement « Louis de Bavière ». – Un jour où je m’étais mis à noter par écrit les dons que la volonté divine m’a donnés, je me suis vu en songe dans le quartier de Moneta ou aux environs, là où il y avait et où il y a encore une grande place obtenue en détruisant des maisons. Et j’ai vu en songe la verge d’un âne en érection8 suspendue en hau-

1 Grâce à la superposition des deux cartes, les statues des vertus cardinales se trouvent placées aux quatre coins du monde. 2 Hippone: ville dont saint Augustin fut évêque. Note 24. 3 C’est-à-dire d’Opicinus, qui joue sur l’homonymie des mois et de certains des saints qui y ont leur fête: août et Auguste, mai et Maieul, mars et Marcien. 4 Saint Maieul, abbé de Cluny de 965 à 994, fêté le 11 mai. Note 25. 5 Soit saint Marcien, évêque mort en 120, fêté le 6 mars; soit Pierre, Marcien etc., martyrs romains, fêtés le 26 mars. Note 26. 6 Jeu de mots cloacarum/clavicarum. Voir fol. 66v°. 7 L’ensemble de la note concerne le bras du diable méditerranéen dont la main porte des organes génitaux. 8 Voir fol. 67v° et 68. Voir la verge dans la main du diable sur le dessin.

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39 – Actum III kalendas nouembris, die sancti Crispini episcopi Papiensis, in nocte. 40 – Mors deuorat uestimentum Europe non corpus (id est carnem, quasi tunicam personalem, non corpus Ecclesie). Corpus enim persone moritur; corpus autem Ecclesie sanatis uulneribus nunquam corrumpitur, cuius anima nunquam derelinquitur in inferno; corpus uero Affrice (id est uniuersitatis carnalium hominum) semper corrumpitur et nunquam consumitur in morte perpetua. Mors enim naturalis a tergo furatur et deuorat uestimentum non animam; mors autem spiritualis in pectore furatur et deuorat animam ante quam carnem. Quare? Quia Affrica diues animam suam amat que in fine perdetur, et pauper Europa animam suam odit quam inueniet in populo christiano. Scriptum in festo Omnium Sanctorum et nocte sequenti.

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teur, comme faite avec du foin1. Et une fois réveillé, comme j’ignorais le présent mystère, je me suis mis à penser que cela était arrivé pour éviter que je ne tire gloire de mes dons spirituels en mon nom personnel. Je me revois adolescent, quand j’habitais le quartier de Thessalonique à Pavie, et que ma candeur me permettait de composer des poèmes en langue vulgaire sur les œuvres de l’Antichrist. – l’est – la Force – LA MER INDIENNE – THESSALONIQUE – Saint-Nicolas – Josaphat – Moneta – le palais public – la Prudence – la place de l’église – l’ancien monastère2 – Sainte-Thècle – HIPPONE – Saint-Maieul – Saint-Martien – Notre-Dame – Sainte-Marie-La-Chapelle – Sainte-Honorée3 – Torti – Medici – PAVIE – l’église-cathédrale – Saint-Pierre-aux-Liens – le sud – la Tempérance4 – LA ZONE TORRIDE5 – le nord

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Voir V 29, fin de la note 24. Le mot uetus, qui veut dire aussi « bite » (voir fol. 72v°), est justement placé sur la

verge. 3 Église Sainte-Honorée de Tortis. Avec l’église Sainte-Marie de Tortis, elles sont placées près du ver « tortueux ». 4 La Tempérance, la Justice (note 9), la Force (note 13) et la Prudence (note 20) représentent les quatre statues des vertus cardinales sur lesquelles la ville de Pavie a été fondée. En-dehors de la Prudence, située au milieu de la basilique d’été de la cathédrale, les autres statues étaient situées sur des portes du premier mur intérieur (voir V 29, notes 49, 14, 52 et 35). 5 C’est-à-dire au-delà du sud (note 35). Les mots en rouge (sauf Pavie) correspondent aux endroits où sont situées les statues des vertus cardinales.

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FOL.

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[fol. 84v°] DESSIN V 29

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oriens; secundus murus monasterium extra portam archa Noe Sancti Epiphanii domus ingenii Papiensis Ab […] honore translata fuit sancta Honorata, soror huius sancti. Tempore maioris malitie Papiensis excedentis muros ueteris ciuitatis, absconduntur peccata que tamen celari non possunt. Ecce pes dexter Europe habet memoriam sancte Lucie, quasi lucernam pedibus suis in medio tenebrarum. Additum est die sancte Helisabeth, de archa Noe et domo ingenii. Queratur nomen et cognomen quondam prepositi Sancti Epiphanii. Cum accederem quottidie ad artem scribendi per alam huiusmodi, reperiebam quemdam fatuum colligentem festucas et queque uilissima; nunc discerno misterium.

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39 – Fait le 3 des calendes de novembre [30 octobre 1337], le jour [de la fête] de saint Crispin, évêque de Pavie1, pendant la nuit. 40 – La mort2 engloutit le vêtement de l’Europe et non son corps (à savoir sa chair, pour ainsi dire la tunique personnelle, et non le corps de l’Église). En effet, le corps de la personne meurt; et le corps de l’Église, ses blessures étant guéries3, n’est jamais corrompu, et son âme n’est jamais abandonnée en enfer; en revanche, le corps de l’Afrique (c’est-à-dire la communauté des hommes charnels) est toujours corrompu et ne cesse d’être consumé dans la mort éternelle. En effet, la mort naturelle attrape par derrière, elle avale le vêtement et non l’âme; et la mort spirituelle attrape dans la poitrine et avale l’âme avant la chair. Pourquoi? Parce que l’Afrique riche aime son âme, qui sera finalement perdue, et que l’Europe pauvre a de l’aversion pour son âme qu’elle trouvera dans le peuple chrétien. Écrit à la Toussaint [1er novembre 1337] et la nuit suivante.

[fol. 84v°] DESSIN V 29 Dessin présentant de nombreux points communs avec le précédent: superposition d’une carte du bassin méditerranéen à l’envers (avec prédominance de la figure rose foncé d’un diable aux organes sexuels démesurés) et du plan quadrillé de Pavie; indication des points cardinaux et des statues des vertus cardinales de Pavie; contours de la paroisse Sainte-Marie-La-Chapelle; tarasque océanique… Mais on note la présence des trois enceintes de Pavie (en rouge), du Tessin et des deux branches du canal Cadrona (en vert), ainsi que de deux ponts au sud. L’échelle choisie par Opicinus étant légèrement différente, le diable déborde la ville, la petite maison de la paroisse Sainte-Marie-La-Chapelle remonte vers le nord, et les coïncidences obtenues par la superposition du plan et de la carte changent. Les noms de lieux indiqués en rouge (carte de base) ou en brun (Pavie) ne sont d’ailleurs pas les mêmes. Les considérations écrites ont des thèmes variés.

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l’est; le deuxième mur le monastère au-delà de la porte4 l’arche de Noé Saint-Épiphane la maison du talent de Pavie À partir de […] l’honneur, sainte Honorée, sœur de ce saint, fut transférée5. À l’époque où la malice est étendue (elle dépasse les murs de la vieille cité)6, les péchés sont dissimulés; pourtant ils ne peuvent être tenus secrets.

Il s’agirait de saint Crispin (II), évêque de Pavie de 521 à 541. C’est-à-dire la tarasque. 3 Voir V 25 (Europe du bas). 4 Ce monastère de Pavie – ainsi que les paroisses et monastères indiqués dans les notes 4, 12, 13, 25, 27, 32, 33, 36, 37, 38, 39, 40, 47, 48 et 51 – sont cités dans le De laudibus. 5 Voir V 28, note 1. 6 C’est-à-dire lorsque le diable dépasse les limites des murs de la ville. 1 2

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FOL.

84v°

aque ductus nomine Cadrona septentrio aque ductus nomine Cadrona aqua fossarum Omnium Sanctorum domus ordinis Humiliatorum Sancti Gregorii Iustitia; PARISIVS primus murus secundus murus tertius murus porta Marenca occidens porta Pertusi pratum camini fluuius Ticinus Ecce margarite auribus mulieris. Sicut insule purgatorie dant censum Romane Ecclesie, ita capelle Sancti Gregorii Anglie Papiensis et Sancti Patritii elongati ab Hibernia Papiensi sunt subiecte monasterio senatoris. Additum anno perfectionis, II kalendas februarii. Ecce caminus thermarum cecidit super capita mulierum. Vbi sit insurrectio gentis contra gentem, quasi femine contra feminam, nullum locum uir habet; id est inter discordiam laicalem nullus clerus pacificus reperitur, quia aut effeminatur aut inde repellitur. Cum uirga infigitur uitreo isti camino ardenti, ex modico flatu uas uitreum generatur, cuius materia feno conficitur ante quam uitro. monasterium Sancte Marie montis Oliueti Audiui ymaginem gigantis terribilem cum gladio euaginato noctu apparuisse fratri aui mei in pectore huius Papiensis Europe, ex narratione cognate sue; similiter ab alio se uidisse ibidem quasi similem ymaginem. Actum in uigilia et die festo Omnium Sanctorum, quorum nomine domus ordinis Humiliatorum translata est intro, in loco Spartitorie ubi aqueductus diuiditur. Si sit iste mundus naturalis conferendo sancta, domus mei patris carnalis est circa ciuitatem Foroiuliensem. Si sit magna Lombardia, Forum Iulii uel domus mea est circa Bassignanam Papiensis diocesis. Additum anno perfectionis, idibus decembris. Ecce quod parrochia mea attingit a manu Affrice usque Siciliam que est cor maris, cuius reliquam partem habet parrochia Sancti Petri ad Vincula, qui potest corda hominum ligare et soluere. auster monasterium uetus monasterium senatoris matrix ecclesia

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Voici que le pied droit de l’Europe porte le souvenir de sainte Lucie1, telle une lampe à ses pieds au milieu des ténèbres. L’addition concernant l’arche de Noé et la maison du talent date du jour [de la fête] de sainte Élisabeth [19 novembre 1337]. Que l’on cherche le nom et le surnom de l’ancien prévôt de Saint-Épiphane. Alors que je parvenais chaque jour à maîtriser l’écriture en passant par une aide/protection de ce genre, il m’est arrivé de trouver un fou en train d’attacher des brins de paille et autres choses dépourvues de valeur; aujourd’hui, je distingue le mystère. – le canal appelé Cadrona – le nord – le canal appelé Cadrona – l’eau des fossés – la maison de Tous les Saints de l’ordre des Humiliés – Saint-Grégoire – la Justice; PARIS2 – le premier mur – le deuxième mur – le troisième mur – la porte Marenca – l’ouest – la porte Pertuse – le pré du cours d’eau3 – le fleuve Tessin – Voici les perles4 sur les oreilles de la femme. De même que les îles du purgatoire versent un cens à l’Église romaine, de même la chapelle de Saint-Grégoire5, de l’Angleterre de Pavie, et celle de Saint-Patrick6, à distance de l’Irlande de Pavie, dépendent du monastère du sénateur7. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des calendes de février [31 janvier 1338]. Voici que le cours du ruisseau est tombé sur les têtes des femmes. – Là où une famille s’oppose à une famille, comme une femme contre une femme, il n’y a pas de place pour un homme; traduisons: dans un différend entre laïcs, on ne trouve pas de clergé pour faire la paix, car soit il se féminise, soit il est repoussé. Lorsqu’une verge/baguette est fixée à du verre, avec ce feu/chemin ardent, un vase en verre/transparent8 est produit à partir d’un souffle léger; son matériau est constitué de foin avant d’être constitué de verre. – le monastère de Notre-Dame du mont des Oliviers

Note 37. Comme dans V 28, les mots en rouge (sauf Rome) correspondent aux endroits où sont situées les statues des vertus cardinales. 3 Il est situé près du confluent entre le Tessin, le canal de Cadrona et les fossés. 4 Note 47. 5 Note 13. Allusion à l’effort missionnaire de Grégoire Ier en Angleterre. 6 Note 48. Saint Patrick est l’apôtre de l’Irlande (390-461). 7 Note 32. 8 Sens donné dans l’Apocalypse. 1 2

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FOL.

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ROMA PONCIA; Prudentia Sancte Marie Capelle Sancte Lucie Sancti Romani medie barbe Sancti Dalmatii ALEXANDRIA Per hanc Papiam que gubernatur per progeniem carnis macelli uulgariter « Becarie », intelligitur uniuersalis Papia que se uocari facit christianitatem; et tamen facta est tota carnalis, non habens partem uniuersalis Ecclesie. Ecce uirtus Temperantie in torrida plaga a tergo Affrice, Fortitudo in Alexandria Egypti, Iustitia in Parisius Francie et Prudentia in insula Poncia ante Romam. Additum nonis decembris, die sancti Dalmatii martiris qui monente angelo reuelauit et abstulit occultam ydolatriam Papiensem, de faucibus huius ymaginis. Additum anno reuelationis, IIII idus augusti, de uirga et anima in brachio maris. Aliquando sompniaui me duo ad I(i)udicium per illum locum, in uinculis peccatorum patrum meorum. Additum XII kalendas septembris, de canistro rupto ad colligenda stercora maris. ydolum zeli prouocationis Sancte Margarite Sancti Patritii Temperantia

– – – – – TORRIDA PLAGA – Sancte Tecle – Fortitudo

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26 – J’ai entendu dire que le frère de mon grand-père avait eu une apparition nocturne dans la poitrine de cette Europe de Pavie: il s’agissait du spectre effrayant d’un géant qui avait dégainé son épée; ceci d’après le récit d’une de ses parentes. De même, un autre a prétendu avoir vu au même endroit un spectre quasiment semblable. 27 – Fait le jour et la veille de la Toussaint [1er novembre et 31 octobre 1337]; la maison de tous les saints de l’ordre des Humiliés a été transférée à l’intérieur1, à l’endroit qu’on appelle « Spartitoria » et où le canal est subdivisé. 28 – Si ce monde est le monde naturel en parlant de ce qui est sacré, la maison de mon père charnel se trouve aux alentours de la cité du Frioul. S’il s’agit de la grande Lombardie, le Frioul comme ma maison se trouvent aux alentours de Bassignano, dans le diocèse de Pavie. Ajouté l’année de la perfection, le jour des ides de décembre [13 décembre 1338]. 29 – Voici que ma paroisse2 touche à la Sicile, qui est le cœur de la mer, par la main de l’Afrique; la partie qui reste est occupée par la paroisse de SaintPierre-aux-Liens3, le saint qui peut lier ou libérer les cœurs des hommes. 30 – le sud 31 – l’ancien monastère 32 – le monastère du sénateur 33 – l’église-matrice4 34 – ROME 35 – PONZA5; la Prudence 36 – Sainte-Marie-La-Chapelle 37 – Sainte-Lucie 38 – Saint-Romain 39 – les barbes du milieu 40 – Saint-Dalmace 41 – ALEXANDRIE 42 – Cette Pavie gouvernée par la lignée de la viande du marché appelée communément « Beccaria » représente l’universelle Pavie qui se donne le nom de chrétienté, alors qu’elle est entièrement charnelle car elle ne fait pas partie de l’Église universelle. Voici que la vertu de Tempérance se trouve dans la zone torride, dans le dos de l’Afrique; la Force à Alexandrie, en Égypte; la Justice à Paris, en France; et la Prudence dans l’île de Ponza, en face de Rome. 43 – Ajouté, au sujet des passages5 de cette image, le jour des nones de décembre [5 décembre 1337], jour [de la fête] de saint Dalmace, martyr7, qui, averti par un ange, dévoila l’idolâtrie cachée de Pavie et l’extirpa.

Note 12. C’est-à-dire la petite maison entourant la note 36. 3 Voir V 28, note 34. 4 C’est-à-dire la cathédrale. 5 Ponza: île située au sud-est de Rome. 6 C’est-à-dire au sujet des deux ponts au sud. 7 Saint Dalmace, mort en 304. Ayant prêché en Gaule et en Italie septentrionale, il devint évêque de Pavie en 303 et fut martyrisé un an plus tard. 1 2

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FOL.

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[fol. 85] DE CRVCIFIXIONE CHRISTI SPIRITVALITER ET CONSIDERATIONE HVMILIVM Ratio ueritatis est Christus et intelligentia cause causarum est Verbum Dei, qui nunc ab initio seculi crucifigitur a nolentibus acquiescere ueritati in cogitationibus prauis, ante quam appareat in Iudicio qui ante peccatum Ade colendus erat. Inuolutio enim cogitationum est corona spinea Christi in capite, id est in pectore; per caput enim semper intelligitur pectus. Qui habet experientiam huiusmodi habet et iudicium (id est scientiam iudicandi). Nunc expiatis sordibus peccatorum Papie, remanent cicatrices diabolici maris. Si considerentur sublimia – siue locorum, siue ciuitatum, siue ecclesiarum, siue personarum – nunquam uel raro ueritas specularis habetur; siue uero considerentur humilia et contemptibilia et infirma – siue locorum, siue ciuitatum, siue ecclesiarum, siue personarum – specularis ueritas enitescit. Et ideo superbia mundi nunquam nisi de sublimibus loquens et cogitans, nunquam reperiet ueritatem. Maius enim testimonium ueritatis habet loquela rustici uel muliercule simplicis quam facunda locutio sublimia predicantis. Simplex uir mitigat superbiam mulieris, id est humilis clerus inflectit arrogantiam gentis (id est laicalitatis).

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44 – Ajouté, au sujet de la verge et l’âme1 dans le bras de la mer, l’année de la révélation, le 4 des ides d’août [10 août 1339]. Un jour j’ai rêvé que j’étais deux pour le procès/Jugement dans cet endroit, dans les liens des péchés de mes pères. 45 – Ajouté, au sujet de la corbeille percée pour ramasser les excréments de la mer, le 12 des calendes de septembre [21 août 1339]. 46 – l’image de l’ardeur du défi 47 – Sainte-Marguerite 48 – Saint-Patrick 49 – la Tempérance 50 – LA ZONE TORRIDE 51 – Sainte-Thècle 52 – la Force [fol. 85] LA

CRUCIFIXION DU

CHRIST

ENVISAGÉE SUR LE PLAN SPIRITUEL ET L’ATTENTION

PORTÉE AUX HUMBLES

Ce qui démontre la vérité, c’est le Christ, et la connaissance de la cause des causes, c’est le Verbe de Dieu, qui, aujourd’hui et depuis le commencement des temps, est crucifié par ceux qui refusent de faire confiance à la vérité en demeurant dans leurs pensées perverses, avant que n’apparaisse lors du Jugement celui qui devait être honoré avant le péché d’Adam. En effet, le tourbillon des pensées, c’est la couronne d’épines que le Christ a sur la tête, c’est-à-dire dans la poitrine; car la tête désigne toujours la poitrine. Celui qui a fait cette constatation dispose aussi de la faculté de juger (c’est-à-dire des connaissances permettant de juger). Maintenant, la souillure des péchés de Pavie étant lavée, les cicatrices de la mer diabolique demeurent. Aux yeux de ce qui est élevé – qu’il s’agisse d’endroits, de villes, d’églises ou de personnes – la vérité n’est jamais tenue pour évidente ou rarement; en revanche, aux yeux de ce qui est humble, méprisable et faible – qu’il s’agisse d’endroits, de villes, d’églises ou de personnes – la vérité commence manifestement à briller. Et c’est pourquoi le monde plein d’orgueil, ne faisant allusion et ne pensant qu’à ce qui est remarquable, ne trouvera jamais la vérité. En effet, les paroles d’un rustre ou d’une femme simple témoignent davantage de la vérité que le discours éloquent de celui qui prêche remarquablement. L’homme simple adoucit la suffisance de la femme, c’est-à-dire que le clergé humble calme la prétention du peuple (c’est-à-dire des laïcs).

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Un petit personnage est lové dans le bras de la mer diabolique.

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FOL.

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DESSIN V 30 1 – Additum est XII kalendas decembris de signe Florentie cadente in uico Monete huius magne Papie. Siquis concupierit illud signum Florentie, iam iudicatus est huius uirginis floride deflorator. 2 – Si uelum sancte Agathe opponatur porte Pertusi, igneum mare extinguitur. Additum anno reuelationis, die sancte Agnetis secundo. 3 – Vbi est monasterium sancte Agathe, quasi tabula capitis, est memoria sancti Michaelis uulgariter Michelini, quasi pueri ponentis tabulam ad caput Agathe. Nescio aliam ciuitatem que, die et loco sancte Agathe, per pueros faciat scribi titulum marmoree tabule cum legitur Euangelium, nisi ciuitas ista papalis (id est Papia). Superbia mea nolebat respicere uiles ecclesias et nichil apparentes, que tamen significant maius absconditum; sed magis mirabatur nobiles ecclesias, que tamen parum uel nichil significant. Ecce duo tituli sancte Agathe comprehendunt totam Europam Papiensem a capite usque ad caudam. 4 – Exprobratio Marie Magdalene ad principem Prouincie, ut pauperes receptarer, fuit figura eiusdem Prouincie Papiensis que est parrochia Sancte Tecle, ut surgerem a latere coniugis mee (id est uipere Canistralis) et regerem pauperem populum christianum. Additum III idus decembris. 5 – Actum kalendis nouembris cum istis scripturis. 6 – Idem seruus Domini Dei nostri in etate perfecta crucifixus est in pectore Affrice Papiensis. Ecce iuxta dispositionem tabernaculi in uia deserti, Dan natus est ab aquilone decembris, qui ex ingenio suo potest si uelit omnem scientiam addiscere. Nunc ponens suam intentionem in Domino nostro crucifixo, conuersus est de Antichristo in uerum nuntium ante Christum, ut possit iudicare sicut alia tribus Israel et dicere: « Salutare tuum expectabo, Domine », eo quod anno expectationis diu transacto, se cepit ostendere seruum Christi. Melior est ymaginatio de uisis quam de auditis. Nam sepius auditus transit in obliuionem; uisus uero nunquam uel raro. 7 – Ecce nomine Ihesu Christi et populi christiani seruus fidelis nutritus est fide primo sine litteris inter ubera Europe Papiensis. Cum enim esset puer, sepe ibat Romam Papiensem ad emendam annonam auene pro equis nutriendis in pectore domus sue, prefigurans Romanam curiam transferendam ad Auenicam urbem. Si illa insula posita super matrem et post terga fuerit Anglia Lombardie, tunc potest ad litteram iuxta memoriam suam dicere: « Sicut ablactatus super matrem suam, ita retributio in anima mea » (subaudi in insula purgatoria ubi fuerit primum purgatorium domus sue, ubi ante aliquos annos fuerat ablactatus). Nunc illa insula dicitur Papiensis www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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DESSIN V 30 Le dessin est constitué comme V 28 et V 29 d’une carte anthropomorphe de la Méditerranée à l’envers et du plan de Pavie quadrillé qui lui est superposé (avec une échelle intermédiaire entre celle de V 28 et celle de V 29). Mais il est simplifié: pas de couleur ni d’organes sexuels pour la mer diabolique, pas de tarasque, pas de noms de lieux en rouge pour la carte de base, peu de noms de lieux en brun pour le plan de Pavie. L’Europe, aux traits féminins encadrés par une plaque, correspond à sainte Agathe – Opicinus; un petit enfant nimbé occupe la Provence; les quatre églises indiquées ont une importance majeure pour Opicinus. En face, l’Afrique masculine (ecclésiastique tonsuré) représente « le serviteur fidèle » (encore Opicinus); le polygone de la paroisse Sainte-MarieLa-Chapelle, aux contours rouges, est placé dans une position intermédiaire par rapport aux deux précédentes. Des commentaires, encore une fois assez diffus et émaillés de jeux de mots, émergent des renseignements sur le passé d’Opicinus et l’importance de la double Agathe opicinienne qui contient le monde entier.

1 – L’emblème de Florence1 tombant dans le quartier de Moneta de cette grande Pavie2 a été ajouté le 12 des calendes de décembre [20 novembre 1337]. Si quelqu’un convoite cet emblème de Florence, il est désormais considéré comme celui qui déflore cette vierge florissante. 2 – Si le voile de sainte Agathe3 est placé devant la porte Pertuse4, le feu de la mer s’éteint. Ajouté l’année de la révélation, le jour de la [fête] d’Agnès pour la seconde fois [28 janvier 1339]. 3 – Là où se trouve le monastère de Sainte-Agathe, tel un plateau pour la tête5, on se souvient de saint Michel6, appelé communément Michelin, c’est-à-dire l’enfant posant le plateau sur la tête d’Agathe. Je ne connais pas d’autre ville endehors de cette ville pontificale (c’est-à-dire Pavie) où, le jour de la fête de cette sainte7 et à l’endroit où elle se trouve8, on fasse écrire par les enfants le titre du tableau en marbre au moment de la lecture de l’évangile9. Mon orgueil m’empêchait de regarder les églises insignifiantes et dépourvues d’allure, alors qu’elles montrent ce qui est le plus caché; et il me faisait admirer davantage les églises renommées, alors qu’elles montrent peu, voire rien.

C’est-à-dire le florin. Voir V 12, note 30. Voir note 13. Le florin est placé à Florence sur la carte de l’Europe. 3 Sainte Agathe est une des quatre vierges martyres vénérées par l’Église (avec Lucie, Agnès et Cécile). Née en Sicile, elle fut martyrisée vers 251 pour avoir défendu sa chasteté par fidélité au Christ (elle eut les seins coupés). Elle aurait miraculeusement préservé plusieurs fois Catane des éruptions de l’Etna. L’art la représente tenant dans la main un plateau avec ses seins coupés. Dans ce dessin V 30, le thème des seins est omniprésent. 4 Voir V 29, note 20. 5 Voir note 9. 6 Voir note 10. 7 5 février. 8 Voir note 11. 9 Évangile: Mt 19, 3-12. 1 2

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cum reliquo mundo. Ecce quod minima Papia continet totum mundum in se. Nec est mirum cum matrix uteri mulieris contineat in se minorem mundum (id est filium hominis); matrix est enim minima pars uiscerum mulieris que totum continet filium hominis. – Tempore Benedicti pape XI, oriundi Treuisii iuxta genitalia naturalis Europe, puer inter feminas conuersabar. Tempore Clementis pape V, oriundi colli Wasconie, adolescens collum subdebam iugo obedientie parentum carnalium, quorum parrochia tempore minoris malitie extenditur usque ad collum. Tempore Iohannis pape XXII, oriundi partium uberis sinistri Europe, iuuenis ante tempus euolaui a pectore ad pectus. Nunc tempore Benedicti pape XII, oriundi partium uberis dextri Europe, senior perdidi ubera matris mee carnalis. Primus est leo, secundus est bos, quos nunquam uidi; tertius est aquila, quartus est homo, quos uidi. Addita scriptura II nonas nouembris, in anniuersario aue mee que ex morbo cancerino in mamilla decessit tempore Clementis pape V. – ecce marmorea tabula capitalis – Sancti Michaelis – Sancte Agathe – Sancte Tecle – Moneta – Sancte Marie Capelle – Sancte Agathe.

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Voici que les deux titres de sainte Agathe1 embrassent l’Europe tout entière, de la tête à la queue2. Lorsque Marie-Madeleine reprochait au gouverneur de la Provence que je suis d’accueillir les pauvres, elle préfigurait cette même Provence de Pavie (qui est la paroisse de Sainte-Thècle3), me reprochant de sortir du flanc de ma femme (c’està-dire de la vipère des Canistris) et de gouverner le pauvre peuple chrétien. Ajouté le 3 des ides de décembre [11 décembre 1337]. Fait le jour des calendes de novembre [1er novembre 1337], ainsi que ces notes. Le même serviteur du Seigneur notre Dieu, arrivé à l’âge parfait, a été crucifié dans la poitrine de l’Afrique de Pavie. Voici que, près de la tente placée sur le chemin du désert4, Dan est né de l’aquilon de décembre, lui qui, du fait de son talent, peut, s’il le souhaite, apprendre toutes les connaissances. Aujourd’hui, en portant son attention sur notre Seigneur crucifié, il est transformé d’Antichrist en véritable messager qui précède le Christ5, afin de pouvoir juger comme le reste les tribus d’Israël et dire: « En ton salut, j’espère, ô Yahvé! »6; en effet, comme l’année de l’attente [1335] était passée depuis longtemps, il a commencé à se présenter comme le serviteur du Christ. La vue est meilleure que l’ouïe pour nourrir l’imagination. Car il arrive assez souvent que ce que l’on a entendu dire tombe dans l’oubli, alors que, pour ce que l’on a vu, cela n’arrive jamais ou rarement. Voici qu’au nom de Jésus-Christ et du peuple chrétien, le serviteur fidèle a d’abord été nourri par la foi dépourvue de culture entre les seins de l’Europe de Pavie. En effet, lorsqu’il était enfant, il allait souvent à Rome de Pavie pour acheter des provisions d’avoine destinées à nourrir les chevaux se trouvant dans la poitrine de sa famille: ce qui préfigurait le transfert de la curie romaine vers la ville d’Avenica7. Si cette île, posée sur la mère et dans son dos8, est l’Angleterre de la Lombardie, il peut alors dire littéralement, d’après ses souvenirs: « Comme un petit enfant sevré contre sa mère, comme un petit enfant, telle est mon âme en moi »9 (sous-entendu dans l’île du purgatoire, où se trouvait le premier purgatoire de sa famille, où il a été sevré quelques années auparavant). Aujourd’hui on dit que cette île appartient à Pavie, ainsi que le reste du monde. C’est ainsi que la minuscule Pavie embrasse le monde entier. Et il ne faut pas s’étonner si la matrice du ventre de la femme contient le petit monde (c’est-à-dire le fils de l’homme); en effet, la matrice est la plus

1 Notes 11 et 15. Voir le De laudibus qui mentionne en effet deux églises dédiées à sainte Agathe à l’intérieur des remparts de Pavie. 2 Opicinus peut ainsi contenir toute l’Europe dans Pavie (voir note 7). 3 Note 12. 4 Voir Jos 8, 15 et 2 S 2, 24. 5 C’est-à-dire que le mauvais Opicinus devient Jean-Baptiste, puis le Christ. 6 Gn 49, 18. 7 Jeu de mots Avenica-avena. 8 C’est-à-dire les Îles Britanniques. 9 Ps 131, 2.

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[fol. 85v°] DESSIN V 31

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petite partie des entrailles de la femme, elle qui contient le fils de l’homme tout entier. – Au temps du pape Benoît XI, originaire de Trévise1, à côté des parties sexuelles de l’Europe naturelle, j’étais enfant et je vivais au milieu des femmes. Au temps du pape Clément V, originaire du cou de Gascogne2, j’étais adolescent et je soumettais mon cou au joug de l’obéissance de mes parents charnels, dont la paroisse, au temps de la malice insignifiante, s’étend jusqu’au cou. Au temps du pape Jean XXII, originaire des régions du sein gauche de l’Europe3, j’étais un jeune homme et je volais prématurément d’un cœur à l’autre. Aujourd’hui, alors que règne le pape Benoît XII, originaire des régions du sein droit de l’Europe4, je suis vieux et j’ai perdu les seins de ma mère charnelle. Le premier [pape] est le lion, le deuxième est le bœuf: je ne les ai jamais vus. Le troisième est l’aigle, le quatrième est l’homme: je les ai vus. Ces notes ont été ajoutées le 2 des nones de novembre [4 novembre 1337]; ce jour correspond à l’anniversaire de ma grand-mère, qui est morte au temps du pape Clément V d’un cancer au sein. – Voici le plateau en marbre de la tête – Saint-Michel5 – Sainte-Agathe – Sainte-Thècle – Moneta – Sainte-Marie-La-Chapelle – Sainte-Agathe

[fol. 85v°] DESSIN V 31 Dessin de facture originale. En haut, un homme debout versant de l’eau et créant les mers; un couple sponsal assis et réuni par le cercle rouge de l’amour qui est relié à Rome et au reste du monde; une femme tenant le compas du Dieu créateur. Explicitement, il s’agit des trois parties du monde connu, associés à des mois et à des signes du zodiaque (nouvel exemple de la spatialisation du temps); mais Opicinus est en fait omniprésent chez tous. Ces personnages surplombent et sont reliés à une carte à l’envers dont on voit surtout l’Afrique masculine (un moine encapuchonné représentant Benoît XII). L’Europe, en revanche, est en grande partie dissimulée derrière deux cercles quadrillés de lignes rouges et vertes correspondant à la Lombardie superposée de manière originale à l’Europe (voir V 33); elle représente Opicinus qui sera reconnu à sa juste valeur lorsque les deux partis « diaboliques » (gibelins et guelfes) auront disparu. La mer est vert sombre.

Benoît XI, né à Trévise, pape de 1303 à 1304. Opicinus avait alors entre 7 et 8 ans. Clément V, né en Gironde, pape de 1305 à 1314. Opicinus avait alors entre 8 et 18 ans. 3 Jean XXII, né à Cahors, pape de 1316 à 1334. Opicinus avait alors entre 19 et 38 ans. 4 Benoît XII, né à Saverdun (Ariège), pape de 1334 à 1342. Opicinus avait alors 38 ans et plus. 5 Cette église – ainsi que celles qui sont indiquées dans les notes 11, 12, 14 et 15 – sont citées dans le De laudibus. 1 2

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AFFRICA; Aquarius ASIA; Gemini EVROPA; Virgo amor1; Roma Ianua ciuitas; MANVS FEMINEA ianuarius uel Ianus Maiorica insula maius uel madius Cesaraugusta ciuitas augustus uel sextilis; MANVS VIRILIS Ecce Ianua (a Iano) et Maiorica (a maio) pacificaturi ad inuicem, ex simplici eorum prudentia adinuenerunt istam iudicialem scientiam. Cesaraugusta (a Cesare Augusto nomine Octauiano) cum instrumento sextili diebus istis descripsit orbem terrarum, cum manu sinistra que dicitur Alemania. Transactis annis XXXVIII et incepto XXXVIIII° anno etatis mee, anno autem expectationis et domini Benedicti pape XII anno primo, et anno XXX° ab asscriptione militie clericalis, aperti sunt mihi celi (id est ratio et intellectus ad intelligenda misteria hec). Nunc anno renouationis et predicti domini pape anno III°, actum est istud inter kalendas et IIII nonas nouembris, tunc dominica XXI post Pentecostes, incepto libro Ezechiel prophete. Ecce ratio quare non possum deducere compassum sextilem nisi cum manu sinistra nomine mulieris (id est parrochie laicalis). Vir autem aquarius nomine cleri operatur manu dextra. Vbique tamen manus dextra in temporalibus debilis et in spiritualibus fortis habet nomen femineum; et manus sinistra in temporalibus fortis et in spiritualibus debilis habet nomen uirile. Hoc dico de meipso habente testimonium uniuersalis Ecclesie. Ecce iudaicus clerus seruus pontificis se facit uocari Malcum (id est regem consilii), cuius amputata est auricula dextra gladio Petri (id est littera iuris canonici). Cum autem conuersus fuerit in Europam, tunc erit eius auricula restituta. Si queratur ab Affrica cur non curat de anima sua rationali sed de sola anima sensuali, ita respondebit: « Commisi animam meam in manibus multorum capellanorum et clericorum cum pluribus eccle-

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Ce mot est séparé du suivant par une ligne verticale.

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En utilisant des glissements de sexe, des jeux de mots, les ressources de la géographie et les virtualités du double, Opicinus se présente à la fois comme la victime d’un procès injuste dont l’origine est lombarde; comme celui qui a reçu une illumination divine pour dessiner des cartes; comme un opposant au pouvoir factice de Benoît XII; et comme le Créateur qui occupe le passé, le présent et l’avenir.

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– L’AFRIQUE; le Verseau – L’ASIE; les Gémeaux – L’EUROPE; la Vierge – l’amour; Rome1 – la ville de Gênes; LA MAIN FÉMININE/CHÉTIVE – janvier ou Janus – l’île de Majorque – mai2 – la ville de Césaraugusta – août ou le sixième mois; LA MAIN MASCULINE/ROBUSTE – Voici que Gênes (qui vient de Janus) et Majorque (qui vient de mai) sont disposées à faire la paix entre elles; grâce à leur simple sagesse, elles ont découvert cette connaissance du jugement. Césaraugusta (qui vient de César Auguste appelé Octavien) a représenté ces jours-ci l’orbe terrestre, avec l’instrument d’août3 et avec sa main gauche qu’on appelle Alémanie. 12 – Ayant vécu 38 ans et commencé la 39e année de mon existence, en l’année de l’attente [1335] – la première année du pontificat du seigneur Benoît XII et la 30e année depuis mon entrée dans la milice du clergé – les cieux (c’est-àdire la raison et l’intelligence pour comprendre ces mystères) se sont ouverts4 à moi. Aujourd’hui, en l’année du renouvellement, qui est la 3e du pontificat indiqué plus haut, j’ai fait ceci entre les calendes [1er novembre] et le 4 des nones de novembre, le 21e dimanche après la Pentecôte [dimanche 2 novembre 1337], où l’on lit le début du livre du prophète Ézéchiel. 13 – Voici pourquoi je ne peux faire marcher le compas d’août autrement qu’avec la main gauche qui a un nom de femme (c’est-à-dire de paroisse temporelle). L’homme-Verseau qui a le nom de clergé travaille de la main droite. Pourtant c’est partout que la main droite, faible dans les choses temporelles et forte dans les choses spirituelles, est qualifiée de féminine/chétive, et que la main gauche, forte dans les choses temporelles et faible dans les choses spirituelles, est qualifiée de masculine/forte. Je dis cela pour moi qui dispose du témoignage de l’Église universelle.

Voir fol. 19v°. Maius et madius ont le même sens 3 C’est-à-dire le compas du Dieu créateur ou le sextant (même étymologie que sextilis) qui permet de mesurer la hauteur des astres. 4 Voir Ez 1, 1 et Mt 3, 16. Opicinus évoque la découverte de son talent à faire des cartes alors qu’il était devenu psychotique: il l’interprète comme étant une révélation d’origine surnaturelle. 1 2

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siis et capellis quas condidi et dotaui; et multas helemosinas alias feci. De quibus confidens, non habeo aliud cogitare nisi de consolatione persone mee, et sic habebo presens gaudium et futurum ». Ecce quanta deceptio animarum. Nemo tamen resistat huic potentissime Africe, sed iuxta libitum suum faciat cursum suum. Conceditur Affrice propter pusillanimitatem fidei sue ut tollat sacculum quasi Corinthum (id est beneficium ecclesiasticum), similiter et peram iuxta Constantinopolim (id est patrimonium domus sue). Europa uero non habens sacculum neque peram (id est nec beneficium neque patrimonium) uendat tunicam suam (id est despiciat carnem persone sue) et emat presentem gladium diuini iudicii (id est totum studium suum conuertat ad presens misterium declarandum). Ecce nubes quasi tentorium super cardines maris. Ecce nubes in uestimentum maris et caligo quasi panni infantie obuolute (subaudi minoris malitie hominis); nunc adulta malitia ultra mensuram amoueantur ista perizomata maledicta, ut omne absconditum producatur ad lucem. Ecce duo calathi pleni ficubus bonis et malis. Ecce duo retia plena piscibus bonis et malis. Aquarius Affrica accingit lumbos suos sicut uir. Virgo Europa genitalia femine monstrat. Gemini Asie habent intra se Thomam apostolum, qui interpretatur geminus uel abissus. Ecce quot fila sunt uestium maris, tot sunt laquei canonice legis tempore isto, que tamen fuerunt sancte et iuste correctiones infantium. Amotis igitur perizomatibus istis, uidebitur quis affectus carne et sanguine domus sue esse ligatus horribilibus uinculis circa collum; quorum affectio ignorata erit conuersa in scientiam doloris continui, quod erit eis salubre purgatorium in hac uita. Didici hanc artem descriptoriam non ab homine neque per hominem, sed per Spiritum Ihesu Christi. Omnia iudicia facta domui mei uel mihi et personis mihi coniunctis iuxta considerationem speculi de necessitate fuerunt; que nullomodo euitari potuerant, secundum certa signa preterita que post factum declarata sunt mihi. De futuris autem omne iudicium Deo relinquatur, sicut de presentibus uoluntatibus humanis occultis.

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14 – Voici que le clergé juif, serviteur du grand prêtre, se fait appeler Malchus (c’est-à-dire le chef de l’assemblée), lui qui se fit couper l’oreille droite par l’épée de Pierre1 (c’est-à-dire par la lettre du droit canon). Mais lorsqu’il se sera tourné vers l’Europe, son oreille lui sera alors rendue. 15 – Si l’on demande à l’Afrique pour quelle raison elle ne prend pas soin de son âme rationnelle, mais seulement de son âme émotionnelle, elle répondra comme suit: « J’ai confié mon âme, ainsi que plusieurs églises et chapelles que j’ai fondées et dotées, aux soins de nombreux chapelains et clercs; j’ai également fait beaucoup d’autres d’aumônes. Comme cela me donne confiance, je n’ai plus d’autre préoccupation que de protéger ma personne, et je connaîtrai ainsi la joie, maintenant et dans l’avenir ». Voici à quel point on trompe les âmes. Néanmoins, personne ne doit tenir tête à cette Afrique toute-puissante, mais chacun doit mener son parcours à son gré. 16 – Du fait de la pusillanimité de sa foi, l’Afrique a reçu le droit de porter un petit sac comme Corinthe (c’est-à-dire un bénéfice ecclésiastique), de même qu’une besace à côté de Constantinople (c’est-à-dire un patrimoine pour sa famille). En revanche, l’Europe, qui ne possède ni petit sac ni besace (c’est-àdire ni bénéfice ni patrimoine), doit vendre sa tunique (c’est-à-dire faire fi de la chair de sa personne) et acheter le présent glaive du jugement divin (c’està-dire appliquer toute son énergie à la proclamation du présent mystère). 17 – Voici les nuages, telle une tente au-dessus des points cardinaux de la mer. Voici les nuages pour couvrir la mer et le brouillard, telles des bribes de l’enfance dissimulée (sous-entendu de la malice insignifiante de l’homme); aujourd’hui, la malice ayant grandi de manière démesurée, ces ceintures2 maudites doivent être enlevées, afin que tout ce qui est caché soit mis en lumière. 18 – Voici deux paniers pleins de figues, bonnes et mauvaises3. Voici deux filets4 pleins de poissons, bons et mauvais. 19 – Le Verseau-Afrique se ceint les organes génitaux comme un homme. La Vierge-Europe montre les parties génitales de la femme. Les Gémeaux de l’Asie ont entre eux l’apôtre Thomas, qui veut dire le jumeau ou l’abîme. Voici qu’il y a autant de fils dans les vêtements de la mer que de lacets dans la loi canonique par les temps qui courent; pourtant ils ont corrigé les enfants de manière sainte et juste. Par conséquent, une fois ces ceintures enlevées, celui qui est attaché à la chair et au sang de sa famille apparaîtra comme enchaîné par des attaches hideuses autour du cou; l’inclination méconnue pour cellesci deviendra connaissance d’une souffrance sans fin, et ce sera pour elles un purgatoire salutaire en cette vie. 20 – J’ai appris cet art du dessin non d’un homme ou grâce à un homme, mais parce que Jésus-Christ me l’a révélé. Tous les jugements prononcés sur ma famille, ou sur moi et les personnes Voir Jn 18, 10-11. Voir fol. 37. C’est-à-dire les deux cercles du dessin qui cachent l’Europe. 3 Voir Jr 24, 1-3 et ss. 4 Voir fol. 33v° et 40v°. Il s’agit donc du diable qui a engendré les deux partis qui divisent la Lombardie. 1 2

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fidelis Europa cum omnibus filiis suis a dextris disrupta martirio (id est testimonio sanguinis christiani) a sinistris integra confessione castita- […] M A T H E V S1 september « Liber generationis »2 MAGISTRI; sine fine; glorificationis3 I O H A N N E S4 october « In principio erat » populus; persona animalis I, mortalis II, rationalis III, spiritualis IIII CONIVNCTIVI, DISCRETIVI; cum principio, sine principio

1 Le M de MATHEVS est aussi celui de MARCVS. Les noms des quatre évangélistes (notes 4, 8, 12 et 16), écrits en très grandes lettres, sont disposés en cercle. 2 Les initiales du premier mot des quatre évangiles (notes 6, 10, 14 et 18) sont un peu plus grandes et plus épaisses que le reste du texte. 3 Les deux premiers mots sont superposés; le troisième leur est perpendiculaire. 4 Le I de IOHANNES est aussi le L de LVCAS, grâce au trucage du dessin.

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de ma parenté, étaient indispensables si l’on observe l’image/le miroir; pourtant, ils n’auraient pu être évités en aucune manière, d’après les signes incontestables du passé qui, après les événements, m’ont été révélés. Mais en ce qui concerne l’avenir, tout jugement doit être laissé à Dieu; de même pour les intentions humaines actuellement cachées.

[fol. 86] DESSIN V 32 Encore un dessin original et très élaboré. Un personnage debout, dont ne voit que le haut de la tête et le bas de la robe, est dissimulé par un grand plateau dominé par quatre diagrammes: dans chacun d’eux, le cercle extérieur porte le nom d’un évangéliste, le cercle intérieur présente l’animal qui lui est associé et le début de l’évangile correspondant; les centres (en rouge) sont reliés entre eux. Au milieu des quatre diagrammes, un petit personnage nimbé est lui-même en partie dissimulé sous un rectangle portant une double croix. Sur les bords externes du plateau, des mentions concernant la géographie, le corps humain, les mois. En bas du dessin, une succession de lettres assorties de chiffres est reliée par un lacis complexe aux noms des quatre évangélistes placés côte à côte sur une même ligne. Dans ce dessin, Opicinus accumule les associations importantes: les trois parties du monde connu, les quatre grands pays d’Europe, les quatre évangélistes, les chiffres et les lettres… Il fait de même pour un certain nombre d’oppositions: haut et bas, extérieur et intérieur, peuple et personne, avec/sans fin/commencement… Ce qui dénote sa conception globalisante du monde. Cette astucieuse construction met aussi en valeur « O FILI»; il s’agit en fait d’un autoportrait d’Opicinus, « l’Europe fidèle avec tous ses fils », mais aussi le fils de l’homme et le peuple chrétien. Le O est la lettre parfaite, celle d’Opicinus.

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– l’Europe fidèle avec tous ses fils – à droite, brisée par le martyre (c’est-à-dire le témoignage du sang chrétien) – à gauche, intacte grâce à la reconnaissance […] chasteté […]. –MATTHIEU – septembre1 – « Livre de la genèse »2 – LES MAÎTRES; sans fin; de la glorification –JEAN – octobre – « Au commencement était »3 – le peuple; la personne animal(e) 1, mortel(le) 2, raisonnable 3, spirituel(le) 44 QUI UNISSENT, QUI SÉPARENT5; avec un commencement, sans commencement F, I, L, S; †

1 Les quatre mois mentionnés par Opicinus (notes 5, 9, 13, et 17) sont associés à des nombres. 2 Mt 1, 1. 3 Jn 1, 1. 4 Voir note 29. 5 Voir fol. 23v°.

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F, I, L, I;

†1 ARCVS sextilis « Initium euangelii » DISCIPVLI; cum fine; ascensionis2 L V C A S quintilis « Fuit in diebus » ITALIA CRVRIS DEXTRI CVM VENTRE HISPANIA COLLI CVM CAPITE GALLIA HVMERORVM CVM PECTORE GERMANIA RENVM CVM SINISTRO CRVRE MARTIRES suppletiui; infimorum ex summis3 CONFESSORES suppletiui; exteriorum ex interioribus4 Actum inter IIII et III nonas nouembris, tunc in commemoratione mortuorum propter occupationem dominice precedentis. 26 – NUMERVS CANONIS CONCORDANTIE, VT QVELIBET LITTERA DEBITA NOMI-

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M

NIBVS TOT EVANGELISTARVM SIT SIGNATA SIGNO CANONIS COMPETENTIS

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VII

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X

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X

X

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A. C. E. H. I. L. M. N. O. R. S. T. V.5 28 – MATHEVS. MARCVS. LVCAS. IOHANNES.6 29 – Populus christianus in uentre Ecclesie, quasi infans in utero matris, euangelica fide fundatur. Euangelium enim Luce inceptum per f, Marci per i, Mathei per l et Iohannis per i faciunt sibi nomen « fili », ac si mater ad filium diceret: « O fili ». Et ideo ultima littera « fili » transit per litteram o, que est littera perfectionis et aduerbium uocandi et magistra uocalium. Ecce filius hominis (id est populus christianus): inter bouem et leonem, ex parte persone, est homo animalis, inter leonem et hominem est homo mortalis; ex parte uero qua populus est, inter hominem et aquilam est homo rationalis, et inter aquilam et bouem est homo spiritualis.

1 Tous ces mots sont disposés soit à l’extérieur, soit dans le carré intérieur du petit personnage central. 2 Les deux premiers mots sont superposés; le troisième leur est perpendiculaire. 3 idem 4 idem 5 Ces majuscules sont grandes et épaisses. 6 Les noms des quatre évangélistes sont écrits en grandes lettres.

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–MARC – le sixième mois [août] – « Commencement de l’Évangile »1 – LES DISCIPLES; avec une fin; de l’ascension –LUC – le cinquième mois [juillet] – « Il y eut, aux jours »2 – L’ITALIE DE LA JAMBE DROITE, AVEC LE VENTRE3 – L’ESPAGNE DU COU, AVEC LA TÊTE – LA GAULE DES ÉPAULES, AVEC LA POITRINE – LA GERMANIE DES REINS, AVEC LA JAMBE GAUCHE – LES MARTYRS supplémentaires; en allant du haut vers le bas – LES CONFESSEURS supplémentaires; en allant de l’extérieur à l’intérieur – Fait entre le 4 et le 3 des nones de novembre [2 et 3 novembre 1337], où l’on fait mémoire des morts, en raison du thème du dimanche précédent4. 26 – LE CHIFFRE DU CANON DE LA CONCORDANCE, AFIN QUE CHAQUE LETTRE RÉSERVÉE AUX NOMS DE TELS ÉVANGÉLISTES SOIT MARQUÉE DU SIGNE DU CANON QUI CONVIENT5

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A. C. E. H. I. L. M. N. O. R. S. T. V. 28 – MATTHIEU. MARC. LUC. JEAN.6 29 – Le peuple chrétien dans le ventre de l’Eglise, tel un enfant dans le sein de sa mère, est fondé sur la foi de l’Évangile. En effet, l’évangile de Luc commence par la lettre F, celui de Marc par la lettre I, celui de Matthieu par la lettre L, et celui de Jean par la lettre I7; ce qui donne le mot « fili », comme si une mère disait à son fils: « O, fils ». Et c’est pour cette raison que la dernière lettre de « fili » passe par la lettre O8, qui est la lettre de la perfection, la particule vocative et la principale voyelle9. Voici le fils de l’homme (c’est-àdire le peuple chrétien): si l’on tient compte de sa personne, entre le bœuf et le lion, il est l’homme animal, et entre le lion et l’homme, il est l’homme mortel; mais dans la mesure où il est le peuple, entre l’homme et l’aigle, il est l’homme raisonnable, et entre l’aigle et le bœuf, il est l’homme spirituel.

Mc 1, 1. Lc 1, 5. 3 Pour chaque pays, Opicinus indique la partie du corps qui lui correspond sur la carte anthropomorphe. 4 Il s’agit du dimanche 27 octobre, fête du Christ-Roi: en s’immolant par la Croix, le Christ-Opicinus a réuni tous ceux que le péché avait séparés en un seul Royaume. 5 Voir les concordances des évangiles fol. 64 et ss. 6 Les lettres de cette ligne sont reliées aux lettres identiques de la ligne précédente. 7 Commentaire des cercles des évangélistes. 8 C’est-à-dire le O de « JOHANNES». 9 C’est-à-dire que le O d’Opicinus contient et domine tout. 1 2

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[fol. 86v°] […]

86v°

SVPERANTE MAIOREM MALITIAM ET CORRECTIONE MINORIS

[…] percutiat uerticem maris ubi fortitudo consistit, sed feriat pedes uel tibias ubi consistit infirmitas. Id est nemo redarguat malitiam potentium sed malitiam infirmorum; sicut uolens capere leonem per caput, uel occidit leonem – quod rare potest accidere – uel occiditur a leone – quod sepe contigit; et capiens leonem per pedes ex pedica siue laqueo pedum potest illum domare et suo obsequio subiugare; unde cato. Cede locum lesus, fortune cede potenti. Ledere qui potuit, poterit prodesse aliquando. Ecce cum conuersa fuerit fortitudo maris, accipiet eam sancta Iherusalem in seruum sempiternum, et omnis humana malitia conuertetur in obsequium populi christiani. Ecce quod lapis abscisus de monte sine manibus, percutiens diabolicam statuam maris in pedibus, conuertit eam in Europam fidelem. Fundamentaliter Christus, facta redemptione nostra, misit primum lapidem siue petram nomine Petrum ad pedem Calabrie, ubi primum predicauit, ut audio, ante quam ascenderet ad tibiam Rome; qui nunc Petrus discalcians dictus calciamentum illud quod uersus Ydumeam extenditur mirabili modo dissoluit. De mundana prudentia Tantam prudentiam terre consequitur I(i)anua barbarie ut filii sui septennes sit1 prudentiores moribus et gestibus corporis quam sint maiores iuuenes Papie uenalis. Affrica Lombardie que dicitur Riparia Ianuensis restringit lumbos suos et uentrem a nimiis escis et potibus, ne portus Veneris reuertatur in Libiam et dilatatur pectus suum quod dicitur I(i)anua Tunicialis pluribus tunicis pretiosis. Induitur enim purpureis uestibus, sericis et auro textis cum omni lapide pretioso; et tota facta est aurea, cuius auree opes conuertuntur in spinulas compunctiuas. Papia uero uenalis modicis uestibus contentatur, eo quod toti luxurie relaxatur; cuius exemplo tota Europa Lombarda uenditis tunicis suis dilatat uentrem suum ingluuie, dominante lumborum libidine. Actum III nonas nouembris.

TESTIMONIA

LOCALIA

Licet per aliquos annos fuerim Ianue, nunquam tamen ibi nec alibi uidi nec gustaui uinum Vernacie, nisi postquam sum in Libia inter lumbos Affrice Auinionensis, ac si essem in lumbis eiusdem Affrice Lombardie (id est in oriente Riparie Ianuensis, non multo longe a portu Veneris); nec est mirum, cum omnis uera dulcedo procedat a pectore caritatis, ubi nunc

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On attendrait: sint.

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[fol. 86v°] […]

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QUI L’EMPORTE SUR LA MALICE ÉTENDUE ET LA PUNITION DE LA MALICE

INSIGNIFIANTE

[…] (ne doit) frapper le sommet de la mer, à l’endroit où la force s’établit, mais heurter les pieds ou les jambes où la faiblesse s’établit. Traduisons: personne ne doit rabaisser la malice des puissants mais celle des faibles; tel celui qui, cherchant à attraper un lion par la tête, soit tue le lion – cas exceptionnel – soit est tué par le lion – cas fréquent; et en attrapant le lion par les pieds, grâce aux liens ou aux chaînes qu’il lui met aux pieds, il peut le dompter et le mettre à son service: d’où le chat. Cède ta place, toi à qui on a porté tort, incline-toi devant celui qui est puissant par la fortune. Celui qui a été en mesure de porter tort sera parfois en mesure de rendre service. Ainsi, lorsque la force de la mer se sera convertie, la sainte Jérusalem la prendra pour qu’elle la serve à jamais, et toute la malice humaine sera transformée pour faire la volonté du peuple chrétien1. Voici que la roche détachée de la montagne sans intervention manuelle, en frappant la statue de la mer diabolique sur les pieds, la transforme en Europe fidèle. Sur le plan fondamental, une fois notre rédemption accomplie, le Christ a envoyé la première roche ou pierre du nom de Pierre vers le pied de la Calabre2, là où il a commencé à prêcher, à ce que j’ai entendu dire, avant de monter vers la jambe de Rome3; lequel Pierre, aujourd’hui déchaussé, enlève merveilleusement cette chaussure qui s’étend vers l’Idumée4. La sagesse du monde Gênes / la porte de la barbarie atteint un tel degré de sagesse mondaine que ses enfants de sept ans montrent plus de sagesse dans leur morale et leurs actes que les jeunes gens plus âgés de la Pavie vénale. L’Afrique de Lombardie qu’on appelle la Riviera de Gênes retient ses parties génitales et son ventre contre les excès de nourriture et de boisson, afin d’éviter que le port de Vénus ne se retourne vers la Libye et que sa poitrine, qu’on appelle Gênes / la porte de Tunis, ne soit gonflée par le nombre des tuniques précieuses. En effet, elle est couverte de vêtements de pourpre, d’étoffes de soie et de tissus dorés, ainsi que de pierres précieuses en tous genres; et elle est faite entièrement en or, et ses richesses en or sont transformées en épines piquantes. En revanche, la Pavie vénale se contente de vêtements modestes, car elle est débarrassée de tout ce qui est luxe; et à son exemple, l’Europe lombarde tout entière, ayant vendu ses tuniques, gonfle son ventre par gloutonnerie, sous l’emprise du désir des parties génitales. Fait le 3 des nones de novembre [3 novembre 1337]. TÉMOIGNAGES

CONCERNANT LES LIEUX

Bien que je sois resté à Gênes quelques années, je n’y ai cependant jamais, ni là ni ailleurs, vu ni goûté de vin de Vernaccia5, excepté après m’être trouvé en

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Vision idyllique d’harmonie universelle. Allusion à Joachim de Flore. C’est à Rome que saint Pierre est mort martyr. Idumée: contrée de Palestine. Voir V 19, note 2.

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FOL.

86v°

residet curia pectoralis. Nunquam enim potest fieri pax uentralis nisi procedat a pectore. Benedictio pertinet ad nomen domini pape et claritas ad signaculum eius, ut si Papia se conuertat per stadium occidentale ultra memoriam Sancti Sepulcri, sicut audio, ad dexteram pectoris huius Europe, reperiat brauium paterne benedictionis; cui dicere poterit sacerdotale iudicium: « Venite, benedicti Patris mei, percipite regnum pectoris nostri ». Hoc dico speculariter, ante quam fiat extremum Iudicium.

DE

IVDICIO PERSONALI

Nunc factum est iudicium mundi minoris, id est hominis ueteri et carnalis facti mecum in utero, qui est « principium uiarum Dei », quem similiter iudicauerunt ceteri in seipsis cum actibus eius, ante quam fiat Iudicium mundi maioris. Iam habemus ante ostium huius pectoris duas insulas, ex quibus Minorica minorem mundum significat et Maiorica maiorem mundum significat, ut si fuerint electi, intrent ostium pectoris, et si fuerint reprobi, descendant ad portam occeani. Maiorica est similis camisie pueri quem a Ticini naufragio liberauit sanctus Maiolus, ut Maiolus Maioricam liberaret; que camisia in testimonium huius rei reseruatur in ecclesia Sancti Maioli, intra terminos parrochie mee, ubi etiam reseruatur uestis sancti Maioli, ut illa parrochia sciat se habere intra se tunicium Papiense, ubi est furnariorum progenies. Actum II nonas nouembris. DE

PROPRIETATIBVS LABIORVM EX LITTERIS

Maior pars propriorum nominum latinorum ex homine finiuntur in « us », quod ex hebraico interpretatur consilium uel festinans, in testimonium Europe latine que in similitudine festinantis habet in se consilium pectorale. Nomina uero Grecorum in pluribus finiuntur in « os », quod apud Hebreos quasi « osa » interpretatur saluatio siue spes. Et apud Latinos est os uel Domini ratione Ecclesie, uel inferni ex parte persone. Cum enim os Domini loquitur, siquis intellexerit loquentem Ecclesiam, laudat Deum; et si intellexerit tantum personam loquentem, iam adorat diabolum.

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Libye, au milieu des parties génitales de l’Afrique d’Avignon, comme si je me trouvais au milieu des parties génitales de cette même Afrique de Lombardie (c’est-à-dire à l’est de la Riviera de Gênes, pas très loin du port de Vénus1); et cela n’est pas étonnant, puisque toute véritable douceur émane de la poitrine de la charité, où demeure aujourd’hui la curie de la poitrine. En effet, la paix du ventre ne peut se faire que si elle émane de la poitrine. La bénédiction appartient au nom du seigneur pape et sa clarté le désigne, si bien que, si Pavie se tournait vers la droite de cette Europe, en passant par le stade de l’ouest et en allant au-delà de la mémoire du Saint-Sépulcre2, comme je l’entends dire, elle trouverait le prix de la bénédiction paternelle; et le jugement sacerdotal pourrait lui dire: « Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui est dans notre poitrine ». Je dis cela ouvertement, avant que le Jugement dernier n’arrive. OPINION

PERSONNELLE

C’est aujourd’hui qu’est prononcé le jugement du petit monde, c’est-à-dire de l’homme ancien et charnel conçu avec moi dans le sein: il est « l’origine des chemins de Dieu »3, et les autres l’ont pareillement condamné en eux-mêmes avec ses oeuvres, avant que n’arrive le Jugement du grand monde. Nous avons désormais, devant l’entrée de cette poitrine, deux îles – Minorque, qui indique le petit monde, et Majorque, qui indique le grand monde – si bien que, s’il s’agit d’élus, ils franchissent l’entrée de la poitrine, et s’il s’agit de réprouvés, ils descendent vers la porte de l’océan. Majorque ressemble à la chemise de l’enfant que saint Maieul4 sauva d’une noyade dans le Tessin, si bien que Maieul délivre Majorque; et en témoignage de cet événement, cette chemise est conservée dans l’église Saint-Maieul5, à l’intérieur des limites de ma paroisse, là où est aussi conservé le vêtement de saint Maieul, si bien que cette paroisse sait qu’elle a chez elle la tunique de Pavie, là où se trouve la lignée des boulangers6. Fait le 2 des nones de novembre [4 novembre 1337]. LES

CARACTÉRISTIQUES DES LANGAGES EN FONCTION DES DÉSINENCES

La majorité des noms propres latins se terminent en « us » au masculin, ce qui, en hébreu, veut dire le conseil ou celui qui se hâte, en témoignage de l’Europe qui parle latin et qui, à l’image de celui qui se hâte, a en elle le conseil de la poitrine. Quant aux noms grecs, ils se terminent le plus souvent en « os », ce qui chez les Hébreux, tel le mot « osa », veut dire le salut ou l’espoir. Et chez ceux qui parlent latin, il s’agit de la bouche du Seigneur en considérant l’Église, ou bien de l’enfer si l’on tient compte de la personne7. En effet, lorsque la bouche du

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Allusion au mont de Vénus. Allusion au monastère du Saint-Sépulcre: voir V 18, note 8 et fol. 75v°. Voir fol. 75v°. Saint Maïeul a fondé un monastère clunisien à Pavie. Voir V 28, note 25. Allusion à Benoît XII (Jacques Fournier). Voir V 25.

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DE

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OPERIS CVSTODIA ET SIGILLO

Manus eius qui fecit hec in cophino seruierunt. Cophinus rationabiliter intellectus est uasculum Canistrale; apud uero uulgares Papie, intelligitur capsia maior quasi scriniolus sub cuius claue hec omnia sigillaui. Quocumque modo intelligatur cophinus, siue persona uiminei uasis siue capsia tabularum, non parit errorem. Actum nonis nouembris. De testimonio personali et locali Venter Italie intumescens minatur se magnalia pariturum, qui diebus istis peperit minimum murem. Veni enim secundo a uentre ad pectus cum leonculo euangelistarum de progenie beluarum. Additum die sequenti. De abreuiatione Verbi Dei et purgatorio presentium animarum Quanto appropinquatur lingue frendentis, tanto reperitur frendor cantandi, ubi frenduntur notule ecclesiastici cantus, et tanto plus displicent mihi, donec minutio notularum mutetur in minutionem Verbi dominici. Hoc dico in testimonium nominis mei. Anime uentris Italie sub monumento littere suspenduntur, eo quod nos sumus supra Arelate, (id est supra altare maioris scientie Dei) et ille sub altari; et hoc speculariter. Fundamentaliter autem nos et illi infirmi adhuc sumus sub altari humanitatis dominice, donec ista specularis Ecclesia et enigmatica transferatur ad speciem. In capite libri scriptum est de me, id est « kalendis ianuarii »; fundamentaliter de impositione nominis Ihesu, speculariter autem de impositione nominis christiani cuius testimonium habeo, mutato A primi hominis in O1 nouissimi hominis (id est presentis populi christiani). Additum die sancti Martini; et nunc sum coniunctus cum sancta Martina.

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Le A et le O sont plus grands et plus épais que le reste du texte.

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Seigneur parle, si quelqu’un comprend que c’est l’Église qui parle, il loue Dieu; et s’il comprend que c’est seulement une personne qui parle, il adore déjà le diable. LA

GARDE ET LE SCEAU DE L’ŒUVRE

Les mains de celui qui a réalisé cette œuvre ont servi dans la corbeille. Exactement parlant, la corbeille représente le petit vase des Canistris; en revanche, pour le commun des mortels de Pavie, il s’agit de la grande boîte, c’est-à-dire de l’écrin fermé à clef dans lequel j’ai scellé cette œuvre tout entière. Quelle que soit l’interprétation que l’on donne à la corbeille, qu’il s’agisse de la personne du vase en osier ou de la boîte contenant les textes, elle n’est pas source d’erreur. Fait le jour des nones de novembre [5 novembre 1337]. Témoignage personnel et géographique Le ventre de l’Italie qui grossit menace de donner naissance à des merveilles, alors que récemment il a accouché d’un tout petit mur. En effet, je suis allé une seconde fois du ventre à la poitrine, avec le lionceau des évangélistes qui appartient à la lignée des bêtes. Ajouté le jour suivant [6 novembre 1337]. L’abréviation du nom de Dieu1 et le purgatoire des âmes aujourd’hui Plus on s’approche du parler qui grince des dents2, plus on trouve le grincement dans les chants, là où les notes du chant d’Église grincent; et davantage j’en suis mécontent, tant que le raccourcissement des notes ne devient pas le raccourcissement du nom du Seigneur3. Je dis cela en témoignage de mon nom. Les âmes du ventre de l’Italie sont retenues sous le monument de la lettre, car nous nous trouvons au-dessus d’Arles (c’est-à-dire au-dessus de l’autel de la grande connaissance de Dieu), et elles au-dessous de cet autel; et cela de manière visible4. Mais, d’un point de vue fondamental, ces faibles et nous, nous nous trouvons encore sous l’autel de l’humanité du Seigneur, tant que cette Église du miroir et dans l’énigme n’est pas passée au face à face. En tête du livre, il est écrit à mon sujet: « calendes de janvier »5; sur le plan fondamental, il s’agit de l’octroi du nom de Jésus, mais d’un point de vue visible, il s’agit de l’octroi du nom chrétien6 dont je témoigne – le A du premier homme étant devenu le O du dernier homme (c’est-à-dire du peuple chrétien actuel)7. Ajouté le jour [de la fête] de saint Martin [11 ou 12 novembre 1337]; et maintenant je suis uni à sainte Martine8.

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Voir fol. 72. Voir fol. 37v°et 72; et V 22, note 23. Opicinus superpose son bégaiement et la composition de son prénom. Aperçu géographique: l’Italie est au sud d’Arles, et Arles est au sud d’Avignon. Voir V 22. Voir V 22, note 23 et V 25, note 2. Opicinus est à la fois le dernier homme et le peuple chrétien. Exemple de double.

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[fol. 87] DESSIN V 33

1 – Verior est auditio Verbi interioris quam uocis exterioris, et debet auditor huiusmodi statim esse factor operis ne obliuio oriatur. Nichil est comedere nisi diligere; qui comedit corpus et sanguinem Domini diligit Christum et populum christianum; id est, ut melius dicam, qui diligit Christum et populum christianum iam manducat in se corpus et sanguinem Ihesu Christi, etiam si nunquam sacramentaliter sumat eucharistiam. Cum essem in desperatione aliquid obtinendi in hac curia et proposuissem iterum reuisere Lombardiam, anno Domini MCCCXXX°, circa mensem septembris et octobris, licet sub expectatione obtinuissem duo beneficia, sompniaui quadam nocte uolare a luce ad nebulas ualde condempsas; nunc discerno lucem pectoris et nebulas uentris. Ianua panes factos inter duo ferramenta « nebulas » uocat, quos nos « oblatas » uulgariter appellamus. Ecce nebule uentris nostri sub quibus pectus nostrum intelligit corpus Christi. 2 – Ecce quod in pectore Gallie presertim […] a reliquiis sanctorum usque ad eucharistiam […] Et hoc significat presentes animas perfectorum quibus […] ad oculum que uentralibus bestiis parabolice proferuntur. Nunquam enim sensi dulcedinem Verbi interioris sine exteriori magistro, nisi in isto pectore perfectorum. Et quamdiu fui in uentre, mendicans plures magistros et nullam perfectionem scientie habens, omnia sentiebam amara; ueritatem querebam et inueniam mendacia. Panis huius pectoris sub uelamine fermentatus ex uento significat ablationem uelaminis a pectore huius arche celestis. Sapidior et melius coctus est mihi panis Prouincie quam panis Lombardus. Virgines moniales huius pectoris deferunt anulos et www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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[fol. 87] DESSIN V 33 Ce dessin représente une synthèse réussie du délire opicinien; il se compose d’une carte inscrite dans un cercle, entourée de notes et représentant une partie de l’Europe occidentale (l’Espagne sous les traits d’un visage féminin à la chevelure ornée, et inscrite dans un cadre comme dans V 30, la France et l’Italie) et seulement la côte septentrionale de l’Afrique. Elle est surtout centrée sur la Provence (« la poitrine ») et la Lombardie (« le ventre » avec ses « nuages »). En Provence un double cercle porte un couple sponsal uni par le cercle rouge de la charité et à contenu globalisant. En Lombardie, les « petites » Europe et Afrique dont la grande Europe est enceinte sont en partie dissimulées sous deux cercles quadrillés (comme dans V 31) et superposées à la carte de base, avec sept noms de villes écrits en rouge; on remarque que la petite Afrique comprend la partie manquante de la grande. Les commentaires sont essentiellement axés sur l’opposition suivante: d’une part, la Lombardie où Opicinus a passé sa jeunesse, pays habité par des « bêtes » mangeant une nourriture amère, plein d’obscurité et de mensonges; d’autre part, la région d’Avignon où Opicinus est devenu le Dieu de lumière et de vérité, le pain eucharistique qui nourrit les « parfaits ». L’Europe vierge représentant le Christ-Opicinus vainqueur du mensonge repousse l’Afrique courtisane de l’hypocrite Benoît XII.

1 – Il est plus sûr d’écouter le Verbe intérieur que la voix extérieure, et un tel auditeur doit aussitôt agir sous peine d’oublier. Manger n’est rien d’autre qu’aimer; celui qui mange le corps et le sang du Seigneur aime le Christ et le peuple chrétien: autrement dit, en m’exprimant mieux, celui qui aime le Christ et le peuple chrétien mâche alors en lui le corps et le sang de JésusChrist, même s’il ne reçoit jamais le sacrement de l’eucharistie. Alors que je désespérais d’obtenir quelque chose dans cette curie et que je me proposais de revenir en Lombardie pour la seconde fois, en l’an du Seigneur 1330, vers les mois de septembre et d’octobre, et bien que j’aie nourri l’espérance d’obtenir deux bénéfices, j’ai rêvé une certaine nuit que je volais depuis la lumière jusqu’à des nuages très épais; aujourd’hui je distingue la lumière de la poitrine et les nuages du ventre1. A Gênes, on appelle « nuages » les pains confectionnés entre deux plaques de fer, et nous, nous les appelons communément « offrandes/hosties ». Voilà les nuages de notre ventre, sous lesquels notre poitrine reconnaît le corps du Christ. 2 – Voici que, dans la poitrine de la Gaule, plus particulièrement […], depuis les reliques des saints jusqu’à l’eucharistie […]. Et cela indique les âmes des parfaits d’aujourd’hui auxquelles […] à l’œil qui sont présentées de manière allégorique aux bêtes du ventre. En effet, je n’ai jamais éprouvé la douceur2 du Verbe intérieur en l’absence de maître extérieur, sauf dans cette poitrine des parfaits. Et aussi longtemps que je me suis trouvé dans le ventre, mendiant auprès de différents maîtres et ayant des connaissance imparfaites, je trouvais tout amer; je cherchais la vérité et je trouvais le mensonge. Le pain

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C’est-à-dire les deux cercles quadrillés recouvrant la Lombardie. Voir Ap 10, 9-10. Pour l’opposition doux/amer, voir aussi Is 5, 20.

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duplicia uela in nullo differentes a matribus abbatissis, eo quod hic filii uel filie spiritualibus parentibus adequantur scientiam. Filie autem uentrales subduntur discipline parentum et laice mulieres huius Prouincie ferunt in pectore pretiosum […], a « monos » (quod est « unum »), in signaculo unitatis. Christus regnat REGNO LIBERTATIS. coniuges ECCLESIA; CHRISTVS sola in terra MARIA; DEVS in celo TEMPORALIS, parentes, ETERNVS VERBI DEI1 solus Christus imperat I(I)MPERIO GERMANITATIS. fratres PAPIA; PAPA Christus uincit VICTORIA SERVITVTIS. TAVRINVM, IANVA, MEDIOLANVM, PAPIA, BONONIA, COMVM, PERGAMA [Sicut] propter plenitudinem sanctitatis in pectore, ista edificatur ex publicanis et meretricibus in uirginem perpetuam tam carne quam mente, ita per oppositum propter nequitiam uoluntatis ypocrisis, illa aduersatrix edificatur ex ypocritis et uirginibus fatuis in meretricem occultam sub specie sanctitatis. Additum anno perfectionis, II nonas februarii. Ecce quod in uentre Italie presertim Papie omnia operiuntur a reliquiis sanctorum usque ad eucharistiam sub uelamine deferendam ad infirmos. Reliquie sanctorum sub altaribus Papie et nulli ostense significant presentes animas Papienses sub altari humanitatis dominice; quarum sacramentale et ecclesiasticum interdictum significat spirituale interdictum ab auditione Verbi interioris. Similiter panis sub uelamine fermentatus significat predicationem allegoricam rectis misteriis, ne bestiis sancta tradantur. Habent enim euangelistam Marcum et doctorem Ambrosium instar leonis super bestias […]. Venter pregnantis libentius comedit acerba et acria quam […]. Hora qua hoc agebatur, necesse habui operire quodam folio papiri uentrem mulieris propter superuentionem Lombardi presbiteri simplicis, ne scandalizaretur ob hoc. Nunquam excessi uelamen huius uentris (scilicet a meridie Ianuam et a septentrione Mediolanum et ab oriente Bononiam), donec ab occidente Taurini ascendi a uentre ad pectus. Affrica enim Lombarda (quasi filia Affrice naturalis)

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Cette expression est perpendiculaire aux précédentes.

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de cette poitrine couvert d’un voile1, que le vent fait lever, indique qu’on enlève le voile à la poitrine de cette arche céleste2. Pour moi, le pain de Provence a plus de goût et il est mieux cuit que le pain de Lombardie. Les moniales vierges de cette poitrine portent des anneaux et des voiles doubles, ne différant ainsi en rien des mères abbesses, car ici les fils et les filles ont un savoir équivalent à celui de leurs parents spirituels. Mais les filles du ventre sont soumises à l’éducation de leurs parents, et les femmes laïques de cette Provence portent sur la poitrine un précieux […] – de « monos »3 (c’està-dire « un »), en signe d’unité. – Le Christ exerce la royauté SUR LE ROYAUME DE LA LIBERTÉ4. – les époux – L’ÉGLISE; LE CHRIST – seule – sur terre, MARIE; DIEU, dans le ciel TEMPORELLE; parents; ÉTERNEL DU VERBE DE DIEU – seul – Le Christ exerce le pouvoir DE LA FRATERNITÉ / SUR L’EMPIRE DES GERMAINS. – les frères – PAVIE; LE PAPE – Le Christ est vainqueur EN TRIOMPHANT DE L’ESCLAVAGE / EN L’EMPORTANT SUR LES SLAVES. – TURIN, GÊNES, MILAN, PAVIE, BOLOGNE, CÔME, PERGAME5 – [De même que], en raison de la sainteté qui remplit sa poitrine, celle-ci qui appartient aux femmes publiques et aux courtisanes sera établie comme vierge perpétuelle, tant par la chair que par l’esprit, de même, à l’opposé, en raison du dérèglement de sa volonté liée à son hypocrisie, cette rivale-là qui appartient aux hypocrites et aux vierges folles sera établie comme courtisane cachée qui feint la sainteté. Ajouté l’année de la perfection, le 2 des nones de février [2 février 1338]. – Voilà que dans le ventre de l’Italie, plus particulièrement à Pavie, tout est couvert, depuis les reliques des saints jusqu’à l’eucharistie qu’on doit donner enveloppée aux faibles. Les reliques des saints placées sous les autels de Pavie, et qu’on ne montre à personne, indiquent les âmes se trouvant à Pavie placées sous l’autel de l’humanité du Seigneur; et l’interdit sacramentel et ecclésiastique6 dont elles sont frappées indique l’interdit spirituel qui empêche d’écouter le Verbe intérieur. De même, le pain levé enveloppé indique la

C’est-à-dire l’eucharistie. À Avignon, d’après Opicinus, tout est exposé à la lumière, puisqu’il s’y trouve. C’est pourquoi il indique ensuite que la Provence et notamment Avignon ont trouvé leur unité. 3 Terme grec (müno"). 4 C’est-à-dire la France. Les notes 3, 9 et 12 sont à double sens: général et géographique. 5 C’est-à-dire Bergame. 6 Allusion à l’interdit frappant Pavie. 1 2

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FOL.

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habet a uiduis usque ad uirgines moniales fere omnes feminas anulatas, de quibus nullam consuetudinem habet minor Europa in utero matris, nisi de nuptis et quibusdam monialibus abbatissis. Que sole abbatisse deferunt anulos et uelum album sub nigro; relique uero moniales non deferunt anulos nec uelum album sub nigro. Hec omnia spiritualiter exponantur per alios, cum nos ad alia festinemus. 17 – Actum III nonas nouembris. Additum die sequenti […]. 18 – Ecce Affrica, id est carnalis Ecclesia, se dicit uocari Romanam Ecclesiam, ut omnes sibi quasi regine celi faciant reuerentiam per placentas, a placentia faciei usque ad Placentiam uentris nostri. Et tamen mentitur, cum nostra Europa sit uerius Romana Ecclesia corporalis in spiritu quam ista carnalis. Additum istud uerbum anno perfectionis, in conuersione sancti Pauli.

[fol. 87v°] DESSIN V 34

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prédication allégorique sur les vrais mystères, pour éviter que ce qui est sacré ne soit livré aux bêtes. En effet, ils ont l’évangéliste Marc et le docteur Ambroise, comme un lion qui commande aux bêtes […]. Le ventre de la femme enceinte mange plus volontiers ce qui est amer et âpre que […]. 16 – Au moment où j’écrivais ces lignes, j’ai été obligé de recouvrir avec une feuille de papier le ventre de la femme, à cause de l’arrivée d’un simple prêtre lombard, pour éviter qu’il ne soit choqué. Je n’ai jamais quitté le voile de ce ventre (à savoir Gênes au sud, Milan au nord, et Bologne à l’est) avant de monter du ventre vers la poitrine, en partant de Turin à l’ouest. En effet, dans l’Afrique de Lombardie, c’est-à-dire la fille de l’Afrique naturelle, presque toutes les femmes, depuis les veuves jusqu’aux moniales vierges, portent un anneau, alors que cet usage n’est pas observé par la petite Europe dans le sein de sa mère, excepté pour les femmes mariées et certaines abbesses de monastères. Ces abbesses sont les seules à porter des anneaux et un voile blanc sous le noir; quant aux autres moniales, elles ne portent pas d’anneaux ni de voile blanc sous le noir. Tout cela doit être expliqué sur le plan spirituel par d’autres, afin que nous nous dépêchions de faire autre chose. 17 – Fait le 3 des nones de novembre [3 novembre 1337]. Ajouté le jour suivant […]. 18 – Voici que l’Afrique, c’est-à-dire l’Église charnelle, prétend s’appeler l’Église romaine, si bien que tous lui témoignent leur respect, comme si elle était la reine du ciel, avec des gâteaux sacrés / choses plaisantes1, depuis la séduction du visage jusqu’à la Plaisance de notre ventre2. Et pourtant elle ment, puisque c’est notre Europe qui est authentiquement l’Église romaine dotée d’un corps spirituel, plus que l’autre qui est charnelle. J’ai ajouté ces paroles l’année de la perfection, le jour de la conversion de saint Paul [25 janvier 1338]3.

[fol. 87v°] DESSIN V 34 Malgré quelques lignes manquantes, ce dernier dessin synthétise le délire d’Opicinus tout en lui apportant des éléments nouveaux. Du personnage debout qui constitue l’arrière-plan et qui n’est autre qu’Opicinus, on ne voit que le visage encerclé (lunaire), la main et le bas de la robe; l’arche de Noé et l’Enfant Jésus se trouvent de part et d’autre du visage; sur la poitrine, le couple sponsal Marie-Jésus dans un double cercle. Le reste du personnage est dissimulé par une carte inversée, mettant donc en valeur la figure diabolique méditerranéenne (rose foncé), qui représente aussi bien Satan que Pompée et le clergé attaché au faste; on retrouve sa barbe, ses oreilles de porc et ses attributs sexuels obscènes.

Le mot placentas fait allusion à l’accouchement. On note aussi l’allitération Placentia/placenta. 2 Voir V 34, note 18 (tenir compte des cartes superposées). 3 Lecture: Ac 9, 1-22 (conversion de Paul à Damas); évangile: Mt 19, 27-29. 1

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1 – Secunda figura certaminis uicino secundo aduentu Domini fit in maxima Lombardia per litteras rubras scripta. Ecce Pompeius facit contumeliam templo Dei, ponens os suum in celum pectoris nostri. Additum anno reuelationis, die sancte Marthe, de corpore et anima dampnatorum in brachio maris. In cuius rei signum, Papia cremat paleas extra ostium quando cadauer deducitur ad sepulcrum. Corpus humanum et palea idem sunt. 2 – Ecce Sathanas qui ponit discordiam inter personas coniunctas tam affinitate quam consanguinitate; post multas discordias, uicino primo aduentu Domini, fecit discordiam inter Pompeium generorum et Cesarem socerorum. Nam Cesar, obtento corpore usque ad lumbos Europe, primum inuasit dextrum femur usque ad tibiam; deinde calcaneum dextri pedis processit et ad pectus Europe usque ad guttur; tandem finitis preliis sub calcaneo pedis sinistri, substrauit sub pedibus suis (quasi Affrice pharaonis) caput Pompeii generi sui. Hec fuit prima figura certaminis in uniuerso orbe terrarum per litteras nigras scripto. 3 – archa Noe 4 – BONONIA 5 – Anthiochia 6 – Iherusalem 7 – Pompeius, id est pompositas clericalis. 8 – Egyptus 9 – Alexandria 10 – PARMA 11 – MANTVA 12 – Ephesus 13 – Cesar 14 – Canistrum 15 – CREMONA 16 – Thessalonica 17 – Thessalia 18 – PLACENTIA www.torrossa.com - For non-commercial use by authorised users only. License restrictions apply.

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Opicinus superpose la Lombardie (noms de lieux écrits en rouge) et la carte continentale (noms de lieux écrits en brun). L’Europe masculine est une figure à la fois christique, impériale et opicinienne. L’Afrique qui lui parle à l’oreille, également masculine, représente César, Benoît XII et les laïcs enclins à l’orgueil. L’une et l’autre portent leurs attributs habituels: bottes de l’Europe, dragon grec, serpent tunisien. Le scribe utilise les superpositions des deux cartes pour rapprocher la lutte entre César et Pompée des conflits lombards fratricides et pour obtenir des coïncidences signifiantes (notamment en Terre sainte). Il s’affirme encore une fois comme le maître du temps et de l’histoire, le détenteur légitime du trône pontifical que détient l’imposteur Benoît XII, le « peuple des parfaits », le Christ vainqueur dans le conflit universel qui l’oppose aux forces du Mal sous toutes ses formes, le « temple de Dieu » et le Christ revenant à la fin des temps.

1 – La seconde représentation du combat, lors du second avènement du Seigneur qui est proche1, a lieu dans la grande Lombardie dont les noms sont écrits en rouge. Voici Pompée qui outrage le temple de Dieu, en posant sa bouche sur le ciel de notre poitrine2. Le corps et l’âme3 des damnés dans le bras de la mer ont été ajoutés l’année de la révélation, le jour [de la fête] de sainte Marthe [29 juillet 1339]. Pour exprimer cette réalité, Pavie brûle des balles de paille à l’extérieur de l’entrée quand le cadavre est mis au tombeau. Le corps humain et la paille sont la même chose. 2 – Voici Satan qui sème la discorde entre les personnes liées aussi bien par l’affection que par la parenté; après de nombreuses querelles, à une date proche du premier avènement du Seigneur4, il a provoqué la rupture entre le Pompée des gendres et le César des beaux-pères5. Car César, après avoir déployé son corps jusqu’aux parties génitales de l’Europe, a commencé par envahir la cuisse droite, en allant jusqu’à la jambe; ensuite il a également avancé le talon du pied droit vers la poitrine de l’Europe, en allant jusqu’à la gorge; et pour finir, les batailles qui se déroulaient sous le talon du pied gauche étant terminées, il a soumis à son autorité (en quelque sorte au pharaon de l’Afrique) la tête de Pompée, son gendre6. Il s’agissait de la première représentation du combat qui se déroule sur l’orbe terrestre universel dont les noms sont écrits en noir. 3 – l’arche de Noé7 1 Opicinus parle à la fois du passé (il est devenu le Christ en 1334) et de l’avenir (Jugement dernier). 2 En effet, la bouche du diable désigné comme étant Pompée (note 7) touche la poitrine du personnage au visage lunaire qui est à l’arrière-plan de l’ensemble et qui est donc Opicinus. Pompée est aussi Benoît XII qui embrasse l’autel quand il célèbre la messe. 3 Voir V 29, note 44. 4 Allusion à la naissance de Jésus-Christ. 5 Pompée avait épousé Julia, la fille de César. Il y a aussi un jeu de mots generorum/socerorum au lieu de generum/specierum. 6 Évocation des campagnes de César en Occident entre 58 et 48 av. J.C. en fonction de la géographie opicinienne: conquête de la Gaule, passage du Rubicon, lutte contre les troupes pompéiennes en Espagne et en Grèce (victoire de Pharsale), exil de Pompée en Égypte (où le pharaon le fait assassiner). Opicinus les considère comme une anticipation des luttes entre guelfes et gibelins en Lombardie. Il condamne donc à la fois César et Pompée. 7 La tiare est bien placée en Arménie.

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LAVDE Brundusium Roma Ariminum PAPIA MEDIOLANVM Papia Cisalpina Transalpina diuisio LOMELLVM Massilia VALENTIA G A L L I A1 TERDONA ALEXANDRIA insula asinaria IANVA ASTE Ilerda Valentia ALBA Hispalis sibilans sicut ad omne quod est corona Cesarea TAVRINVM Cesar socer Pompeii id est superbia laicalis Tribulatio m(M)ale spine parit triticum isti Europe. Quoddam genus hereticorum aliquando fuit, qui heretici dicebantur Ophite, id est serpentis cultores. Nunc quicumque coluerit nomen meum cum progenie mea, iam iudicatus est cum Ophitis. Ve illis qui adorant ymaginem huius bestie et qui accipiunt caracterem nominis eius. 50 – Auree diuitie conuertuntur in spinulas Affrice. 51 – Actum II nonas nouembris, die sanctorum Vitalis et Agricole passorum Bononie; ex quibus Vitalis uidit in spiritu presentem coronam sumendam, quod in nobis completur. Hodie est dies anniuersaria Hispalis que mihi aurem formauit, que abstinens ab esu aurium porcinarum nunc indulgentiam huius mihi

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Les lettres du mot GALLIA s’étendent de la Bretagne à la Vénétie.

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– BOLOGNE – Antioche1 – Jérusalem2 – Pompée, c’est-à-dire l’ostentation du clergé – l’Égypte – Alexandrie – PARME – MANTOUE3 – Éphèse – César4 – Canistrum – CRÉMONE – Thessalonique – la Thessalie5 – PLAISANCE – LODI – Brindisi – Rome – Rimini – PAVIE – MILAN – Pavie – la [Gaule] Cisalpine – la [Gaule] Transalpine6 – la dissension – LOMELLO – Marseille – VALENCE – la GAULE – TORTONA – ALEXANDRIE – l’île de l’âne7 – GÊNES – ASTI – Ilerda8

Située à l’intérieur du cercle du couple sponsal. Située sur la robe de l’Enfant Jésus. 3 Le jeu de mots Mantua / manus tua (voir V 22, note 28) explique la main qui est dessinée un peu au-dessus de Mantoue. 4 S’agit-il de l’enfant assis sur le dragon grec, à côté de Canistrum, ou du dragon grec? 5 Région de Grèce où a eu lieu la victoire de Pharsale (48 av. J.C.). 6 Cisalpine, Transalpine: noms des provinces de Gaule au temps de César et Pompée. 7 C’est-à-dire la Sardaigne (l’âne étant Benoît XII). 8 Ilerda: ville de la Tarraconnaise. 1 2

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concedit. Preualentibus auribus meis ad litteram, oculi claudebantur durante infantia; nunc etate perfecta et oculis apertis, aures porcine uorantur ut bestialis auditus fiat humanus. Addite sunt iste scripture die sequenti. Mors deuorat tunicam personalem, intacto corpore populi christiani. Affrica autem (id est uniuersitas carnalis), tota tunicata personalibus tunicis, iam [terretur?] et non consumitur in eternum […] aurem Sibilie […] Ilerde fauore Pompeii uulga- […] papelardoni. Sed Sanctus Vin- […] habet forte […] unita cum Massilia naturali usque ad Valentiam naturalem cum Aste partiali […] a Sancto Victore Massilie usque Sanctum Vincentium Valentie, ut unus Victor et Vincentius cum sancta ualentia (id est fortitudine). Vniuersitas sacerdotalis in regimine animarum habet uerum imperium, quorum1 nomine suscepi coronam Cesaris Frederici secundi, cuius […] fuerat usque ad aduentum dominici precursoris. Europa per solam […] uincit omnem malitiam. Si de nomine P(p)arme mutetur littera r in l, tunc palma […] nominatur, cuius nomine propugnationem […] eam fecerat Fredericus IIus Cesar. Nunc in huius pectore fit certamen christiani populi infirmorum aduersus carnem et sanguinem domus sue. Istud diabolicum mare Lombardum totum est fluctuosum et spinosum in transitu a […] spinoso per m(M)alas spinas usque ad spinulas Ianue barbarie cum loculis segregatis. Nunc in huius pectore fit certamen populi perfectorum aduersus principes et potestates, aduersus mundi rectores tenebrarum harum, contra spiritualia nequitie in celestibus. Cum semel accederem Bononiam ad ordines assumendos, habui inter Placentiam et Parmam obstaculum uie propter inundationem aquarum. Si fuerit hec uniuersalis Papia, tunc circa calcaneum pedis sinistri Europe est memoria domus domine ciuitatis que orta est de progenie equitum bouis, cum qua ante captionem Papie morabar. […]. XXIII

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On attendrait: cuius.

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– Valence – ALBA – Séville – tenant des propos sibyllins – comme vers tout ce qui existe – la couronne impériale – TURIN1 – César, le beau-père de Pompée – c’est-à-dire l’orgueil des laïcs – Les malheurs de la mauvaise épine / de Malaspina procurent du froment à cette Europe. – Il y avait à une certaine époque une espèce d’hérétiques qu’on appelait Ophites, c’est-à-dire les adorateurs du serpent2. Aujourd’hui, celui qui honore mon nom ainsi que ma lignée, est déjà condamné avec les Ophites. Malheur à ceux qui adorent l’image de cette bête et qui acceptent la marque de son nom. – Les richesses en or deviennent de petites épines pour l’Afrique. – Fait le 2 des nones de novembre [4 novembre 1337], le jour [de la fête] de saint Vital et de saint Agricola, qui ont souffert la passion à Bologne3; Vital a vu en esprit la présente couronne4 qu’il faut prendre, ce qui s’accomplit en nous. Aujourd’hui, c’est le jour anniversaire de Séville5 qui m’a formé l’oreille, et qui, refusant la nourriture des oreilles de porc6, m’accorde aujourd’hui la bienveillance de celle-ci7. Comme mes oreilles avaient l’avantage, littéralement parlant, mes yeux ont été fermés tout le temps de ma petite enfance; maintenant que je suis à l’âge parfait et que mes yeux sont ouverts, les oreilles de porc sont englouties afin que l’ouïe bestiale devienne humaine. Ces textes ont été ajoutés le jour suivant [5 novembre 1337]. – La mort engloutit la tunique personnelle, le corps du peuple chrétien restant intact. Et l’Afrique (c’est-à-dire la communauté charnelle), entièrement vêtue de tuniques personnelles, est désormais [effrayée?] et n’est pas consumée pour l’éternité […] l’oreille de la sibylle […] Ilerda en faveur de Pompée [communément] […] de l’hypocrite8. Mais Saint-Vin[cent] […] possède par hasard […] unie à la Marseille naturelle, jusqu’à la Valence naturelle ainsi

Turin (Taurinum) explique l’aspect bovin de la tarasque située à cet endroit. Les Ophites (IIe siècle) ne croyaient pas à l’humanité de Jésus; ils pensaient que l’âme, emprisonnée dans le corps, ne pouvait être sauvée que par la gnose; ils vouaient un culte au serpent (oJ —fi", en grec), symbole de spiritualité et de sagesse. Pour Opicinus, le serpent = le diable = l’homme ancien. 3 Bologne est justement placée en bas du visage d’Opicinus (note 4). 4 Voir note 44. 5 Note 41 près de l’oreille de l’Europe; l’Europe représente donc bien Opicinus. 6 Allusion au diable, qui est affublé d’oreilles de porc dans les dessins V 14 et V 15. 7 C’est-à-dire de l’Europe du bas. 8 Papelardonus vient de l’anciens français paper (manger gloutonnement); il s’agit donc du glouton, et par extension, de l’hypocrite (Benoît XII). Or ce mot contient « pape ». 1 2

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qu’Asti la partisane […] depuis Saint-Victor de Marseille jusqu’à SaintVincent de Valence; ainsi il s’agit d’un seul Victor et Vincent, avec un saint courage (c’est-à-dire la force). – La communauté des prêtres détient le véritable pouvoir dans le gouvernement des âmes, et en leur nom j’ai reçu la couronne de l’empereur Frédéric II1, dont […] avait été jusqu’à l’arrivée du précurseur du Seigneur. L’Europe, grâce à sa seule […] vient à bout de l’ensemble de la malice. Si, pour le nom de P(p)arme2, la lettre r devient l, elle est alors appelée palme […]; c’est en son nom que l’empereur Frédéric II a organisé la défense […]. – Aujourd’hui, c’est dans la poitrine de celle-ci que se déroule le combat du peuple chrétien des faibles contre la chair et le sang de sa lignée. – Cette mer diabolique de Lombardie est entièrement remplie d’agitation et d’épines sur la route qui va de […] épineux, en passant par les mauvaises épines / Malaspina et en allant jusqu’aux petites épines de la Gênes de la barbarie et de ses cassettes. – Aujourd’hui, c’est dans la poitrine de celle-ci que se déroule le combat du peuple des parfaits contre les princes et les pouvoirs, contre les curés du monde des ténèbres d’ici-bas, contre les aspects spirituels du dérèglement chez les habitants des cieux. Un jour, alors que j’arrivais à Bologne pour recevoir les ordres, j’ai rencontré un obstacle sur ma route entre Plaisance et Parme, à cause des inondations3. S’il s’agit ici de l’universelle Pavie, on trouve alors aux alentours du talon du pied gauche de l’Europe le souvenir de la ville de la famille de la maîtresse issue de la lignée des chevaliers du bœuf, chez qui j’habitais avant la prise de Pavie. – […]. XXIII

1 Voir note 44. Opicinus s’identifie donc à Frédéric II, empereur de 1220 à 1250, qui lutta contre la papauté (lutte du Sacerdoce et de l’Empire); pour les joachimites, cet empereur est l’Antéchrist. 2 Voir V 25, note 23. 3 Voir fol. 9v°. Entre Plaisance et Parme (notes 18 et 10), se trouvent le dragon grec et le petit personnage assis dessus.

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INDEX

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INDEX DES NOMS DE LIEUX ET DE PERSONNES Aaron: 122, 123, 335, 535, 661, 714, 715. Abraham: LV, 101, 255, 305, 483, 525, 617, 737. Achaïe: 701, 737, 797. Achille: 513, 531, 583. Adam: 293, 495, 497, 543, 618, 621, 743, 778, 779, 820, 821, 855, 889. Adda: 621, 703. Adéodat: 37. Adriatique (mer): 323, 355. Adrien V: 37. Aelius Pertinax: 39. Afrique: XLII, LI, LX, 7, 9, 11, 13, 19, 21, 25, 27, 29, 59, 83, 91, 97, 103, 105, 107, 121, 161, 171, 197, 217, 227, 229, 245, 271, 283, 293, 297, 303, 307, 317, 325, 327, 331, 333, 337, 339, 341, 343, 345, 353, 363, 371, 381, 391, 395, 397, 399, 421, 429, 447, 449, 453, 455, 457, 461, 465, 471, 487, 517, 529, 531, 533, 557, 563, 567, 569, 573, 575, 577, 581, 583, 585, 589, 599, 601, 607, 609, 611, 613, 615, 617, 619, 621, 649, 651, 653, 655, 659, 661, 665, 667, 669, 673, 679, 683, 689, 691, 693, 695, 697, 699, 701, 703, 705, 709, 711, 717, 719, 721, 723, 727, 729, 733, 739, 741, 743, 745, 751, 755, 767, 771, 781, 783, 791, 793, 795, 803, 807, 809, 811, 817, 823, 827, 829, 831, 833, 835, 845, 851, 853, 854, 859, 863, 869, 871, 873, 875, 879, 883, 887, 891, 893, 895, 897, 899, 905, 907, 911, 915, 917, 921. Agapet II: 37. Agar: 168, 171, 525, 527, 549, 593, 697, 711, 831, 863. Agathe (ste): 891, 893. Agathon: 37. Agnès (ste): 359, 481, 729, 731, 891. Agricola (st): 593, 595, 685, 921. Aix: 185, 187. Alba: 107, 921. Albinga: 591.

Alexandre IV: 37, 273. Alexandre (le Grand): 37. Alexandrie (Égypte): 9, 273, 275, 341, 397, 459, 465, 487, 491, 611, 699, 717, 737, 797, 855, 857, 887, 919. Alexandrie (Italie): 99, 107, 307. Allemagne: 271, 345. Alpes: 25, 573, 599, 684, 685. Alpes Cottiennes: 27, 107, 325. Ambroise (st): 83, 229, 275, 281, 325, 421, 585, 593, 595, 663, 741, 915. Anastase II: 37. Anastase IV: 37. Angleterre: 27, 441, 719, 799, 827, 829, 849, 857, 871, 885, 893. Anicet: 37. Antéros: 37. Antioche: 9, 183, 185, 273, 275, 409, 411, 465, 565, 597, 609, 611, 655, 659, 697, 717, 797, 799, 827, 855, 857. Antonin (le Pieux): 37. Antoine (st) le Grand: 185, 279, 293, 297, 303, 305, 307, 559, 569. Antoine (st) de Padoue: 11, 13, 127, 459, 595. Aoste (val d’): 99, 323. Apollinaire (st): 9. Aquilée: 213, 223, 229, 325, 459, 611, 737, 739, 765, 791, 809. Arabie: 411, 423. Aramon: 335. Arcadius: 37. Aristote: 213, 699, 705. Arius: 465. Arles: 35, 185, 187, 447, 539, 581, 659, 693, 741, 793, 909. Arménie: LXI, 59, 125, 411, 581, 695, 697, 713, 717, 729, 755, 815, 917. Arnulf: 37. Ascalon: 717. Aser: 535. Asie: LV, 45, 105, 121, 125, 168, 233, 317, 321, 325, 327, 339, 345, 423, 461, 465,

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INDEX

533, 539, 565, 585, 587, 597, 609, 649, 651, 655, 677, 733, 741, 743, 755, 791, 795, 809, 831, 845, 849, 856, 869, 873, 875, 897, 899. Asti: 107, 919, 923. Athènes: 231, 243, 541, 547, 681, 787, 797, 801. Atlas: 615, 617. Auguste (Octavien): 39, 99, 101, 199, 293, 345, 347, 353, 589, 649, 651, 833, 835, 860, 879, 897. Augustin (st): XLIV, XLV, LV, 35, 47, 83, 151, 197, 229, 231, 245, 269, 273, 275, 277, 279, 281, 283, 287, 293, 303, 357, 409, 411, 415, 417, 419, 421, 495, 581, 583, 585, 671, 793, 809, 829, 867, 879. Augustin (Kazotic): 421. Aurélien: 37. Autun: 769. Avenica: LIX, 221, 223, 353, 519, 521, 567, 599, 619, 683, 715, 727, 729, 733, 773, 807, 893. Avignon: XV, XVII, XXII, XXX, XXXVI-XXXVII, XLVII, XLIX, L, LV, LIX, LX, 9, 11, 21, 35, 37, 51, 65, 67, 95, 103, 105, 121, 185, 187, 189, 195, 197, 199, 213, 221, 223, 233, 255, 267, 271, 279, 283, 293, 297, 307, 359, 367, 411, 425, 449, 459, 463, 489, 515, 517, 519, 521, 529, 531, 533, 563, 565, 567, 569, 587, 589, 597, 599, 605, 607, 609, 611, 615, 617, 625, 653, 657, 665, 671, 673, 677, 679, 683, 687, 691, 693, 695, 697, 703, 707, 713, 719, 723, 727, 729, 731, 737, 739, 741, 745, 747, 749, 751, 755, 769, 771, 773, 791, 795, 797, 799, 801, 807, 809, 829, 837, 849, 855, 857, 859, 865, 907, 909, 911, 913. Babylone: 9, 91, 135, 237, 267, 269, 303, 341, 355, 507, 509, 549, 565, 581, 587, 609, 611, 615, 617, 621, 653, 679, 695, 701, 765, 767, 791.

Bacchus: 653. Barrabas: 641, 649. Barthélemy (st): 241. Basile (st): 275, 277, 409, 585, 587. Bassignano: 77, 887. Beccaria: 318, 319, 879, 887. Benjamin: 535, 725. Benoît (st): 163, 275, 277, 279, 281. Benoît XI: 895. Benoît XII: XIX, L- LII, LVI, 11, 37, 47, 69, 91, 103, 107, 119, 161, 261, 265, 291, 305, 313, 383, 389, 431, 479, 529, 531, 533, 579, 591, 609, 613, 615, 617, 641, 695, 697, 703, 705, 711, 715, 719, 745, 779, 781, 789, 807, 823, 825, 843, 853, 857, 863, 895, 897, 907, 911, 917, 919, 921. Béotie: 463, 607, 737. Bérenger IV: 37. Bergame: 913. Bernard (st): 231, 257, 261, 269, 411. Béthanie: 187, 191, 605, 635, 647. Bethléem: 629, 757. Bethsaïde: 635. Biella: XLVII. Bobbio:107, 583. Boèce, LV, LXI, 27, 45, 213, 228, 231, 459, 547, 589, 605, 681, 733, 735, 737. Bologne: 97, 99, 107, 121, 333, 459, 593, 595, 609, 611, 729, 731, 755, 913, 915, 919, 921, 923, 1048, 1059 Boniface VIII: 37, 551. Bordeaux: 831. Bougie: 531, 661, 799, 801. Boulogne: 595. Bourgogne: 685. Brescia: 99, 101. Bretagne, 423, 425, 719, 731, 797, 809, 827, 871, 918. Brindisi: 919 Bulgarie:270, 271, 424, 427, 670, 671, 673. Byzance: voir Constantinople. Cadrona (Pavie): 353, 883, 885. Caïphe: 639, 647, 649.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

Calabre, 185, 227, 231, 317, 461, 463, 487, 607, 717, 739. Caligula: 37. Calixte II: 39, 715. Cambaluc: 621. Cana: 633. Canistrum: 19, 687, 695, 699, 795, 797, 799, 855, 857, 916, 919. Capharnaüm: 625, 631, 633, 635, 645. Carmes: 273, 275, 277, 423, 849. Carpentras: 589, 661. Carthage: 245, 303, 311, 357, 369, 381, 453, 455, 583, 585, 599, 611, 621, 693, 713, 771, 785, 797, 799, 807, 809, 847, 873, 879. Carus: 37. Caspienne (mer): 871. Célestin V: 37. César (Jules): 37, 39, 41, 531, 917, 919, 921. Césarée: 409, 585, 587, 635. Cilicie: 581. Chaldée:581, 587, 609, 611, 617, 701, 765. Chambre, camérier (Avignon): XLIX, 57, 385, 387. Charles III: 39. Chypre: 77, 243, 581, 697, 797. Christine (ste): 396, 689, 713, 785. Christophe (st): 41, 713. Christophe (pape): 41. Cîteaux: 277. Claire (ste): 99, 171, 275. Claude II: 37. Clément I (st): 719. Clément V: 37, 551, 683, 895. Clément VI: LII, 37, 39. Cléophas (st): 843. Clet: 37. Crémone: 333, 685. Cluny: 277, 879. Cologne: 609, 611. Côme: 325, 913. Commode: 37. Conon: 37. Conrad II: 37.

929

Constantin (le Grand): 37, 407, 409, 417, 431, 465, 713. Constantin II: 37. Constantin VI: 37. Constantinople: 125, 273, 275, 425, 431, 465, 585, 657, 699, 713, 795, 797, 799, 855, 899. Corinthe: 395, 541, 797, 801, 899. Corneille: 37. Corse: 107, 229, 427, 429, 797, 799, 879. Crémone: 333, 685, 919. Crète: 581, 797, 829. Crispin (st): 883. Cyrène: 577, 795. Dalmace (st): 887, 1064, 1068. Damas: 81, 697, 717, 915. Damase: 37. Dan: 118, 119, 462, 463, 534, 535, 890, 893. Daniel: 97, 273, 653. Dante: 263, 325. Danube: 25, 119, 463. Dauphiné: 605, 671. David: 133, 147, 213, 483, 629, 763, 769, 817, 819. Dèce: 37. Denys: 37. Deusdedit: 37. Die: 11, 715, 794. Dina: 737. Dioclétien: 37. Dolcino: 857. Dominique (st): 97, 99, 121, 127, 163, 273, 275, 407, 459. Domitien : 37. Donat(st): 119. Donus: 37. Durance: 25, 611, 613, 657. Écosse: 799. Égée (mer): 243. Égypte: 103, 123, 199, 231, 297, 341, 357, 417, 423, 449, 535, 537, 573, 611, 621, 661, 701, 711, 715, 765, 873, 887, 917, 919.

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930

INDEX

Eleuthère: 39. Élie: 287, 591. Élisabeth (ste): 175, 671, 885. Élisabeth (femme de Zacharie): 289, 561, 619. Embrun: 185, 589, 769, 773. Émilie: 107, 325, 333, 537, 595, 609, 703, 705, 709, 853. Emmaüs: 605, 843. Énée: 455, 845. Éphèse: 359, 613, 797, 801, 919. Éphraïm: 535, 599. Épiphane (st): 359. Ermites: 99, 273, 275, 277, 279, 281, 421, 423, 849. Ésaü:11, 395, 397. Espagne: XLII, LX, 13, 23, 77, 97, 107, 199, 271, 307, 317, 341, 425, 429, 455, 459, 599, 611, 615, 617, 619, 621, 673, 705, 709, 721, 727, 731, 739, 741, 767, 795, 805, 807, 809, 831, 833, 835, 871, 903, 911, 917. Éthiopie: 727, 729. Étienne (st): 89, 97, 561, 563. Etienne IX: 39. Eugène III: 39, 261. Euphrate: 345, 353, 581, 827. Europe: XXXII, XLII, LI, LV, LIX, LX, 7, 9, 11, 18, 19, 21, 23, 25, 29, 35, 59, 95, 97, 98, 101, 105, 107, 119, 121, 161, 171, 185, 187, 196, 197, 225, 227, 229, 233, 235, 255, 269, 271, 283, 293, 297, 307, 315, 317, 325, 327, 333, 337, 341, 343, 345, 349, 353, 357, 359, 363, 367, 381, 383, 389, 391, 393, 395, 397, 399, 417, 419, , 423, 425, 427, 429, 439, 441, 443, 447, 449, 455, 461, 465, 471, 487, 489, 491, 493, 497, 515, 517, 521, 529, 531, 533, 535, 537, 539, 563, 565, 567, 569, 573, 575, 581, 583, 585, 589, 597, 607, 609, 611, 613, 615, 617, 619, 649, 651, 653, 655, 659, 661, 665, 667, 669, 671, 673, 675, 677, 679, 681, 683, 685, 687, 689, 691, 693, 695, 699, 701,

703, 705, 706, 707, 709, 711, 713, 715, 717, 719, 721, 723, 727, 729, 731, 733, 737, 739, 741, 743, 745, 747, 751, 755, 761, 765, 767, 771, 781, 783, 791, 793, 795, 803, 807, 809, 811, 813, 817, 823, 829, 831, 833, 835, 845, 847, 849, 851, 853, 858, 859, 869, 871, 873, 875, 879, 883, 885, 887, 891, 893, 895, 897, 899, 901, 905, 907, 911, 915, 917, 921, 923. Eusèbe: 39. Eutychien: 39. Evariste: 37. Ève: 293, 383, 497, 543, 743, 779, 787, 809, 855. Ézéchiel: LV, 273, 425, 653, 675, 897. Fabien: 39. Félix III: 41. Félix IV: 39. Ferrare: 701, 755. Florence: 277, 459, 891. Florianus: 37. Formose: 39. Foy (ste): 641, 643. France: XXXVII, LX, 105, 241, 271, 281, 307, 345, 357, 407, 441, 529, 533, 595, 743, 795, 887, 911, 913. François d’Assise (st): LV, 7, 121, 273, 275, 277, 279, 307, 407, 417, 509, 559, 639. Frédéric II: 37, 923. Frioul: 703, 709, 887.

245, 425, 797, 163, 409,

Gad: 535. Gaïus: 39. Galatie: 381, 399, 423, 463, 793. Galba: 37. Galère: 39. Galilée: 195, 291, 413, 417, 423, 425, 597, 625, 627, 629, 631, 633, 635, 645, 647. Gallus: 37. Gascogne: 77, 107, 317, 357, 719.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

Gaule: 11, 195, 279, 291, 307, 331, 345, 423, 425, 489, 521, 605, 653, 681, 691, 887, 903, 911, 917, 919. Gênes: XLVII, XLVIII, 27, 65, 67, 103, 107, 197, 213, 227, 229, 271, 283, 297, 299, 303, 305, 315, 325, 327, 331, 333, 343, 355, 357, 363, 365, 367, 369, 383, 385, 457, 493, 517, 519, 527, 529, 531, 533, 583, 589, 591, 607, 609, 611, 613, 617, 641, 651, 653, 663, 705, 713, 725, 733, 737, 743, 749, 761, 771, 775, 785, 791, 793, 797, 799, 807, 845, 847, 855, 867, 897, 905, 907, 911, 913, 915, 919, 923. Germanie: 11, 19, 107, 317, 319, 326, 329, 357, 359, 427, 461, 903. Galvano Fiamma: XXV. Gélase II: 39. Gilles (st): 187, 569. Gion: 581, 827. Gomorrhe: 745, 765. Gordien: 37. Gratien: 39. Grado: 459, 617, 737, 807. Grèce: LX, 231, 359, 397, 423, 463, 465, 557, 687, 699, 733, 795, 807, 845, 917, 919. Grégoire Ier (st): 885. Grégoire IX, 273, 551. Grégoire X: 39. Grenade: 455, 809. Hadrien (Hélie Adrien): 713, 715. Hébron: 773. Henri VI: 39. Héraclius: 37. Hercule: 827. Hermès (st): 283. Hérode: 197, 291, 293, 339, 483, 629, 631, 633, 635, 637, 701, 743, 757. Hespérie: 709. Hilaire: 39. Hildegarde de Bingen: XXIV. Hippone, 83, 283, 303, 583, 879, 881. Homère: 513.

931

Hongrie: 175, 423, 593, 797, 799. Honoré d’Autun: 331. Honorée (ste): 745, 877, 883. Honorius: 39. Honorius III: 121. Honorius IV: 39. Horsmidas: 39. Hugues de Saint-Victor: 573. Humiliés: 99, 277, 885, 887. Hygin: 41. Inde: 615, 621, 727, 733, 825, 849. Indienne (mer): 871, 877, 879, 881. Innocent VI: XLV, LII, 39. Irlande: 27, 529, 799, 849, 871, 877, 885. Isaac: 255, 305, 395, 397, 481, 483, 737. Isaïe: 133, 273, 429, 483. Isidore de Séville: 347. Ismaël: 525, 693. Israël: 119, 187, 223, 335, 339, 395, 397, 419, 449, 457, 527, 533, 535, 539, 551, 553, 555, 567, 599, 657, 661, 675, 867, 893. Issachar: 535. Italie: XXXV, XLII, XLVII, XLIX, LX, 10, 11, 13, 37, 82, 83, 94, 96, 97, 99, 100, 107, 126, 127, 186, 187, 195, 196, 228, 288, 289, 306, 307, 314, 315, 317, 322, 326, 329, 344, 345, 348, 349, 354, 355, 358, 361, 369, 380, 381, 394, 397, 425, 427, 429, 458, 459, 463, 487, 488, 489, 492, 493, 515, 577, 584, 585, 593, 605, 611, 671, 677, 685, 709, 715, 729, 731, 737, 763, 767, 781, 785, 795, 807, 811, 831, 887, 903, 908, 909, 911, 913. Jacques le Mineur (st): 199, 201. Jacques le Majeur (st): 199, 615, 619. Jacob: 11, 119, 147, 187, 255, 395, 397, 481, 485, 599, 737, 739. Jean (st): XLV, LV, LVIII, 51, 143, 191, 193, 195, 197, 201, 217, 273, 359, 389,

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932

INDEX

473, 553, 571, 583, 623, 625, 627, 628, 629, 631-633, 635, 637, 638, 643, 645, 649, 651, 675, 755, 757, 813, 815, 861, 865-867, 893, 901, 903. Jean Cabassole: XLIX-L. Jean Chrysostome: 465. Jean XXII: XLIX, L, LVI, 39, 119, 305, 367, 507, 761, 763, 805, 895. Jean-Baptiste (st): XIX, XLIII-XLV, LV, 95, 197, 199, 283, 287, 291, 293, 295, 349, 411, 413, 417, 443, 479, 481, 483, 485, 525, 545, 563, 583, 597, 601, 603, 619, 627, 641, 647, 701, 791, 793, 813, 815, 841, 893. Jeanne (papesse): 833. Jérémie: 199, 273, 287, 683. Jéricho: 313, 315, 635, 643, 715. Jérôme (st): XLIV, 83, 229, 275, 279, 417, 579, 585. Jérôme (st), évêque de Pavie: 9, 357. Jérusalem: 5, 9, 27, 121, 183, 199, 229, 237, 243, 255, 261, 273, 275, 313, 315, 403, 449, 465, 507, 509, 537, 539, 549, 567, 579, 587, 605, 609, 611, 613, 621, 625, 627, 629, 631, 633, 635, 639, 645, 647, 655, 669, 673, 693, 701, 715, 717, 725, 769, 773, 793, 795, 797, 799, 829, 831, 855, 857, 877, 905. Joachim de Flore: 487, 905. Job, 83, 89, 91, 315, 317, 337, 383, 409, 453, 585, 601, 687, 705, 749, 755. Josaphat (Avignon): 399, 689, 847, 879, 881. Joseph (patriarche): 535, 583, 599, 821. Joseph (époux de Marie): 289, 457, 629, 759, 813, 817, 819. Joseph d’Arimathie: 217, 643, 645. Josué: 197, 419, 551. Jourdain: 121, 321, 353, 647. Jovien: 39. Juda: 399, 555, 565, 567, 599. Judas: 7, 159, 161, 193, 215, 311, 369, 395, 473, 567, 635, 637, 639, 793, 853. Jude (st): 813, 853, 855.

Judée: 79, 81, 105, 195, 199, 329, 411, 413, 417, 423, 469, 483, 491, 527, 565, 567, 597, 599, 625, 641, 645, 647, 757, 775, 815. Jules: 39. Julien (l’Apostat): 39, 407, 409, 585. Jupiter: 699, 705, 707, 709, 769, 777, 821. Justin II: 39. Justinien: 39, 73. Landon: 39. Laocoon: 847. Laon: 769. Laurent (st): 149, 151, 201. Lazare (st): 77, 187, 191, 193, 195, 255, 387, 481, 487, 533, 581. Léon Ier: 41. Léon IV: 39. Léon IX: 39. Lévi: 199, 485, 533, 535, 551, 599, 631, 841. Léviathan: 321, 335, 371, 409, 521, 879. Lia: 481, 485, 737. Liban: 121, 257, 649. Libère: 39. Libye: 197, 399, 775, 817, 905, 907. Ligurie: 107, 127, 293, 323, 325, 347. Lin (st): 39, 561, 563. Liutprand: 107. Lodi: 327, 333, 385, 545, 661, 919. Lombardie: XLVII, XLIX, LX, 97, 99, 103, 105, 107, 127, 137, 185, 197, 199, 201, 225, 227, 229, 235, 271, 279, 283, 291, 293, 307, 311, 315, 325, 327, 331, 333, 343, 345, 353, 355, 359, 361, 369, 383, 385, 393, 407, 427, 429, 433, 447, 461, 465, 487, 489, 517, 529, 531, 581, 583, 587, 591, 607, 617, 641, 651, 653, 655, 659, 661, 665, 669, 673, 677, 683, 685, 693, 699, 703, 715, 727, 731, 747, 749, 755, 767, 773, 775, 791, 792, 793, 809, 817, 835, 857, 863, 879, 887, 893, 895, 899, 905, 907, 911, 913, 915, 917, 923.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

Lombards, LVI, 3, 11, 23, 107, 127, 197, 199, 201, 323, 325, 355, 457, 521, 685, 711, 809. Lomello: XLVII, 319, 347, 423, 425, 517, 537, 651, 773, 791, 835, 919. Longin (st): 659, 811. Lothaire III: 39. Louis (st): LV, 241, 243, 245, 375, 407, 417, 809. Louis III: 39. Louis IV de Bavière: 305, 763, 879. Louis de Toulouse: 241, 243, 375. Luc (st): 51, 191, 193, 195, 241, 273, 305, 359, 483, 485, 515, 623, 625, 627, 628, 631, 632, 637, 643, 638, 649, 713, 731, 737, 751, 757, 761, 763, 813, 815, 861, 866, 867, 903. Lucera: 421, 423. Lucie (ste): 383, 877, 891. Lucius III: 39. Lucques: 427. Luna: 315, 455, 591, 713, 715, 775. Lune: 201, 301, 351, 353, 455, 505, 513, 665, 699, 703, 705, 707, 709, 713, 715, 769, 773, 775, 777, 821. Lyon: 185, 291, 587, 613, 617, 619, 659, 669, 685, 693, 717, 769, 771, 773, 781, 793, 829. Macrobe: 453, 455, 705, 707, 709. Mahomet: 771. Maieul (st): 879, 907. Majorque: 107, 589, 897, 907. Malaspina: 27, 107, 921, 923. Malchus: 899. Manassé: 535. Mantoue: 811, 919. Marc (st): 41, 51, 187, 191, 193, 195, 201, 213, 217, 227, 241, 273, 353, 355, 361, 383, 385, 441, 459, 473, 481, 483, 487, 491, 531, 623, 627, 629, 633, 639, 641, 649, 651, 677, 727, 741, 757, 797, 813, 829, 841, 859, 861, 866, 867, 903, 915. Marc (pape): 39. Marc Antoine: 37, 39. Marcel: 39.

933

Marcellin: 39. Marches: 809. Marie-Madeleine (ste): LV, 15, 17, 187, 191, 193, 195, 197, 215, 357, 359, 425, 481, 569, 639, 641, 711, 893. Marie (ste), mère de Jésus: XVII, XXXIX, L, LV, 99, 147, 149, 185, 187, 189, 203, 205, 225, 231, 249, 251, 273, 285, 287, 389, 399, 433, 439, 447, 459, 467, 479, 481, 483, 485, 491, 511, 561, 563, 591, 631, 657, 759, 779, 781, 813, 817, 819, 849, 873, 915. Mario Sanudo: XXIV, XXV. Martianus: 39. Martin (st): 345, 369, 835, 847, 909. Martin alias Macrin: 39. Martin IV: 39, 325. Marseille: 3, 77, 95, 255, 531, 533, 919, 921, 923. Marthe (ste): 35, 57, 187, 191, 193, 197, 221, 223, 263, 317, 425, 481, 499, 519, 577, 613, 621, 679, 683, 727, 729, 733, 761, 773, 873, 917. Matthieu (st): 51, 95, 143, 191, 193, 195, 207, 217, 251, 271, 273, 359, 361, 425, 439, 441, 467, 473, 483, 531, 537, 549, 623, 625, 627, 629, 633, 639, 644, 647, 649, 651, 727, 757, 761, 815, 861, 866, 867, 901, 903. Maurice: 39. Maximin: 39. Méditerranée (mer): XLII, LVI, 471, 695, 869, 871, 879, 891. Melchiade: 39. Mercure: 699, 705, 707, 709, 715, 769, 773, 777, 821. Mendiants: 167, 273, 277, 413, 419. Messine: 185, 717. Michel (st): 131, 399, 569, 621, 729, 731, 733. Michel de Grèce: 39. Milan: XLVIII, LIX, 83, 107, 135, 185, 197, 229, 281, 299, 325, 327, 407, 465, 563, 569, 609, 611, 791, 797, 913, 915, 919.

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934 Mineurs: 273, 275, 277, 423, 849. Moïse: LV, 171, 175, 197, 231, 335, 357, 359, 379, 403, 417, 533, 535, 549, 553, 555, 597, 649, 651, 661, 719, 821. Moneta (Avignon): 877, 879, 881, 895. Montferrat: 127, 323, 755. Montmajour: 447, 741. Mortara: 791, 793. Morte (mer): 121, 599. Mustiole (ste): 279.

INDEX

253, 419, 611, 891,

Naples: 163, 241, 279, 569. Narbonne: 691. Nazareth: 631, 633, 757, 813. Nègrepont: 797, 829. Nephtali: 535. Nerluc: 512, 515. Néron: 33, 39, 381. Nerva: 39. Nicéphore de Grèce: 39. Nicolas IV: 39. Noé: XLII, 9, 27, 125, 265, 497, 535, 581, 671, 673, 697, 717, 725, 727, 731, 755, 761, 795, 797, 799, 815, 821, 883, 885, 915. Nole: 591. Notre-Dame-des-Doms (Avignon): 35, 651. Octabiano: 347, 835. Orgon: 581. Otton IV: 39. Padoue: 11, 13, 459, 595. Palerme: 531. Parme: XLVIII, 433, 435, 829, 919, 923. Paris: 533, 581, 593, 615, 697, 797, 799, 809, 831, 857, 885, 887. Pascal II: 39. Patrick (st): 27, 885. Paul (st): XLV, LV, 79, 81, 121, 229, 231, 233, 241, 349, 365, 389, 551, 579, 583, 601, 609, 691, 697, 793, 795, 817, 819, 823, 827, 915.

Paul (pape): 39. Pavie: XVII, XVIII, XXII, XXVI, XXVIII, XXXIII, XXXVII, XLVII, XLVIII, L, LIV, LV, LIX, LX, 3, 5, 7, 9, 11, 21, 27, 28, 29, 45, 47, 51, 53, 65, 67, 71, 75, 77, 79, 95, 107, 127, 133, 135, 137, 141, 157, 161, 163, 165, 169, 171, 189, 197, 199, 201, 211, 213, 215, 223, 225, 229, 235, 241, 243, 245, 255, 257, 279, 281, 283, 291, 293, 299, 303, 305, 311, 313, 315, 317, 319, 323, 325, 333, 339, 343, 345, 347, 353, 355, 357, 359, 363, 365, 371, 375, 381, 383, 385, 389, 399, 401, 403, 409, 411, 421, 425, 427, 429, 431, 433, 435, 437, 439, 441, 451, 453, 455, 457, 459, 461, 467, 471, 487, 489, 491, 493, 497, 505, 509, 513, 515, 517, 519, 525, 527, 529, 531, 533, 537, 545, 551, 563, 565, 567, 571, 573, 583, 585, 587, 589, 591, 597, 599, 601, 605, 607, 609, 611, 621, 625, 641, 651, 653, 655, 657, 659, 661, 671, 673, 675, 679, 681, 683, 685, 687, 689, 691, 693, 697, 703, 705, 711, 713, 717, 725, 727, 729, 731, 733, 735, 737, 739, 741, 743, 745, 749, 751, 755, 765, 769, 771, 773, 779, 781, 785, 791, 793, 797, 799, 807, 809, 811, 815, 817, 829, 831, 833, 835, 837, 841, 845, 847, 849, 853, 855, 857, 859, 863, 873, 875, 877, 879, 881, 883, 885, 887, 889, 891, 893, 905, 907, 909, 913, 917, 919, 923. Pélage II: 39, 569, 585, 655. Pélagie (ste): 655. Pénitencerie, pénitencier (Avignon): XV, XX, XXIX, XXXVII, XLIII, LLII, 127, 457, 523, 525, 531. Pergame: 713. Perse: 107, 327. Phénicie: 429. Philippe II: 39. Phison: 824.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

Phokas: 39. Pie: 39. Pierre (st): LV, 7, 9, 39, 41, 67, 79, 81, 121, 153, 169, 187, 199, 229, 231, 251, 255, 267, 355, 357, 359, 387, 393, 395, 397, 411, 423, 439, 447, 465, 549, 551, 561, 563, 575, 595, 597, 601, 609, 623, 631, 633, 635, 637, 639, 645, 647, 693, 719, 739, 741, 823, 825, 827, 879, 905. Pierre Bersuire: XXXII, XXXV. Pierre Vesconte: XXV. Pierre Lombard: 403. Pignotte (Avignon): XLIX, 587. Pilate: 468, 469, 473, 639, 641, 643, 645, 647, 727. Pise: 429. Plaisance: 289, 327, 333, 433, 435, 545, 599, 661, 671, 735, 831, 833, 853, 915, 919, 923. Platon: 705, 707, 709, 715, 727, 773, 777. Pô: 25, 77, 107, 119, 185, 333, 349, 355, 585, 607, 621. Pompée: 915, 917, 919, 921. Pont-Euxin (mer Noire): 183, 565, 729. Pont-Saint-Esprit: 539. Pontien: 39. Ponza: 887. Prêcheurs: 99, 273, 275, 277, 421, 423, 597, 671. Probus: 39. Provence: 67, 83, 97, 105, 127, 129, 139, 187, 195, 213, 225, 235, 255, 257, 271, 281, 307, 317, 343, 367, 425, 457, 461, 469, 487, 569, 571, 591, 659, 665, 671, 673, 677, 681, 683, 687, 691, 693, 695, 705, 727, 747, 751, 761, 767, 791, 807, 833, 856, 891, 893, 911, 913. Pythagore: 209. Pyrénées: 599. Rachel: 481, 485. Radegonde (ste): 181. Radisol (Pavie):770, 773, 777.

935

Rapallo: 67, 583. Ravenne: 9, 325, 595, 699. Rébecca: 395, 397. Reggio: 185, 227, 717. Rémus: 827. Rhin: 25, 185. Rhodes: 687, 797. Rhône: XLIX, LVI, 11, 25, 35, 119, 185, 187, 335, 513, 515, 539, 575, 581, 611, 613, 657, 659, 687, 693, 705, 771, 793, 797. Rimini: 919. Riviera: 107, 315, 327, 591, 905, 907. Romain: 39. Rome: XXXVII, 3, 83, 99, 107, 121, 185, 187, 199, 201, 229, 273, 291, 299, 305, 307, 325, 367, 411, 425, 431, 455, 459, 489, 563, 569, 587, 599, 605, 607, 609, 611, 615, 621, 659, 669, 693, 697, 737, 763, 797, 799, 807, 809, 827, 829, 855, 857, 885, 887, 893, 895, 905, 919. Romulus: 827. Rote (Avignon): XIX, XLVII, XLVIII, LI, 255, 703. Rouge (mer): 729, 871. Ruben: 535. Sabinien: 41. Saint des Saints (Jérusalem): 403, 527, 533, 535, 537, 539, 673, 683. Saint-Dalmace (Pavie): 887. Saint-Didier (Avignon): 449, 677, 867. Sainte-Agathe (Pavie): 891, 895. Sainte-Agnès (Pavie): 731. Sainte-Christine (Pavie): 399, 689, 785. Sainte-Claire (Avignon): 449, 677, 867. Sainte-Honorée (Pavie): 881. Sainte-Lucie (Pavie): 887. Sainte-Marguerite (Pavie): 889. Sainte-Marie-la-Chapelle (Pavie): XLVIII, XLIX, 369, 381, 567, 679, 689, 859, 875, 877, 881, 883, 887, 895. Saint-Épiphane (Pavie): 883, 885. Sainte-Thècle (Pavie): 563, 881, 889, 895. Saint-Grégoire (Pavie): 885.

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936

INDEX

Saint-Jean (Pavie): 859. Saint-Maieul (Pavie): 881, 907. Saint-Martien (Pavie) 881. Saint-Michel (Pavie): 399, 733. Saint-Nicolas (Pavie) 881. Saint-Patrick (Pavie): 889. Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or (Pavie): 47, 229, 279, 281, 283, 411. Saint-Pierre-aux-Liens (Pavie) 881, 887. Saint-Romain (Pavie): 431, 887. Saint-Sépulcre (Pavie): 769, 907. Saint-Vincent (Pavie): 877. Sara: 525, 527, 545, 549. Sardaigne: 107, 229, 427, 429, 797, 799, 919. Saturne: 407, 699, 705, 707, 709, 769, 775, 777, 821. Savoie: 671, 791, 793. Savone: 591. Scipion Émilien: 453, 455, 699, 705, 707, 709. Scipion l’Africain: 453, 599, 741. Scythie: 727, 731. Serbie: 593, 671. Sergius IV: 41. Sévère: 39. Séverin: 41. Séville: 347, 829, 921. Sichem: 737. Sicile: 107, 185, 223, 227, 243, 337, 531, 567, 577, 607, 613, 697, 713, 717, 719, 727, 729, 733, 761, 797, 799, 807, 887, 891. Sidon: 717. Silvère: 41. Siméon (tribu): 535. Siméon (st): 657. Simon (st): 813, 853, 855. Simon le Magicien: 33, 159, 161. Simplice: 41. Sion (Jérusalem): 145, 665, 697. Sion (Suisse): 769, 771, 773. Siponte: 731. Sirice: 41. Sisinnius: 41. Sixte III: 39.

Slavonie: 317, 491, 671. Sodome:423, 598, 599, 745, 765. Soleil: 99, 201, 209, 301, 341, 347, 351, 361, 373, 399, 441, 453, 487, 505, 513, 539, 559, 665, 699, 703, 705, 707, 709, 713, 715, 721, 735, 755, 767, 769, 771, 773, 775, 777, 821, 825, 827. Sorgue: 657. Soter: 39. Spolète: 307, 423. Sylvestre III: 39. Symmaque: 41. Syr (st): 213, 223, 225, 331, 437, 451, 453, 685, 765. Syrie: 410, 411, 596, 597, 599, 716, 717. Tacite: 39. Tarascon: 187, 519, 729, 731, 733. Tarse: 581, 609, 611, 697, 717, 827. Tatars: 125. Télesphore: 41. Terra di Lavoro: 577. Temple (Jérusalem): 199, 213, 403, 421, 537, 539, 611, 617, 627, 635, 637, 643, 647, 669, 673, 681, 683, 725, 829. Terre sainte: LXI, 27, 59, 61, 183, 317, 329, 339, 357, 411, 417, 419, 449, 489, 533, 535, 539, 551, 569, 585, 617, 711, 715, 717, 751, 797, 855, 917. Tessin: 21, 25, 185, 349, 353, 355, 565, 607, 883, 885, 907. Thècle (ste): 561, 563. Théodose III: 39. Thessalonique: 489, 797, 801, 855, 857, 881, 919. Thétis: 513, 531, 583. Thomas (st): 119, 615, 617, 643, 727, 729, 899. Thomas d’Aquin (st): 263, 313, 357, 421, 481, 483, 617. Tibère III: 39. Tibériade: 647. Tibre: 187, 569, 693.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

Tigre: 345, 353, 581, 827. Titus: 38, 39, 669. Tortona: 919. Toscane: 97, 277, 315, 423, 427, 429, 607. Trajan: 39. Trébizonde: 729. Trévise: 323, 611, 895. Troie: 454, 455, 513, 845, 847. Tunis: 7, 245, 611, 613, 665, 667, 713, 721, 807, 809, 811, 817, 905. Turcs: 243. Turin: 29, 37, 105, 107, 127, 589, 731, 791, 913, 915, 921. Turquie: 125, 729, 793, 853. Tusculum: 283. Tyr: 429, 619, 717. Urbain IV: 41. Valence: XVII, XLIX, 77, 91, 95, 129, 199, 589, 597, 741, 877, 923. Valens: 41. Valentin: 41. Valentinien: 41, 325. Valérien: 41, 149. Vallombreuse: 277, 425. Vénétie: 107, 325, 333, 361, 537, 703, 705, 709, 853, 918. Venise: 41, 65, 67, 127, 135, 187, 227, 229, 231, 317, 327, 355,

127, 921,

595, 213, 359,

937

361, 363, 369, 371, 381, 383, 385, 389, 397, 431, 491, 493, 529, 531, 533, 537, 589, 611, 641, 673, 675, 699, 701, 703, 705, 737, 739, 743, 745, 749, 785, 797, 799, 801, 805, 807, 829, 855, 867. Verdun: 769. Vénus (planète): 267, 699, 705, 707, 709, 713, 715, 767, 769, 773, 775, 777, 821. Verceil: 691, 703, 745. Vernaccia: 325, 775. Vespasien: 39, 669. Victor III: 41. Vienne: 11, 185, 469, 613, 716, 717. Vigile: 41. Virgile: 455. Visconti: 319, 327, 847. Vital (st): 593, 595, 685, 921. Vitalien: 41. Yvent (st): 223, 451. Zabulon: 535. Zacharie (pape): 41. Zacharie (père de Jean-Baptiste): 288, 289, 483, 619. Zagreb: 421. Zébédée: 17, 199, 201, 713. Zénon: 41. Zéphyrin: 41. Zosime: 41.

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INDEX THÉMATIQUE accouchement: 61, 63, 127, 325, 363, 779, 915. âge de discrétion: 113, 373, 391, 503, 559, 603, 661, 745. A(a)gneau: 719, 729, 731. aigle(s): 193, 229, 233, 247, 751, 301, 357, 359, 425, 473, 549, 585, 649, 651, 751, 753, 805, 861, 895, 903. âne: 55, 337, 683, 689, 707, 711, 879, 919. ange(s): 3, 31, 83, 91, 99, 115, 117, 121, 123, 131, 145, 147, 149, 157, 159, 165, 181, 247, 255, 261, 263, 265, 267, 287, 289, 359, 361, 371, 409, 411, 413, 415, 417, 419, 423, 441, 443, 483, 495, 497, 507, 569, 617, 619, 641, 667, 669, 723, 731, 763, 847, 853, 855, 857, 859, 861, 867, 887. Annonciation: 291, 481, 843. anthropomorphisme, anthropomorphe(s): XXII, XXIV, XXV, XXVII, XLII, LV, LIX, LX, 7, 353, 529, 533, 575, 755, 795, 891, 903. antipape: 738, 739, 763. Apocalypse: 5, 151, 259, 275, 381, 535, 691, 885. archange(s): 263, 265,399, 569, 621, 729, 731, 733. arche: XLII, 9, 27, 97, 125, 265, 534, 535, 581, 670, 671, 673, 696, 697, 713, 717, 725, 727, 729, 731, 755, 761, 795, 797, 799, 815, 883, 885, 910, 913, 915, 917. art brut: 1029, 1031. art singulier: 1029. Ascension: 35, 143, 181, 233, 413, 433, 659, 727, 785, 805, 843, 1045. Assomption: 185, 187, 189, 231. aumône(s): 53, 159, 169, 219, 253, 437, 543, 557, 559, 587, 685, 785, 815, 835, 899. autobiographie, autobiographique: XVIII, XIX, XXII, XXIII, XXV, XXXV, XL, LI, LIII.

aveugle: 15, 35, 43, 45, 51, 53, 95, 111, 129, 255, 305, 329, 351, 365, 373, 377, 383, 385, 507, 509, 635, 647, 707, 719, 755, 761, 779, 797. baptême: LIII, 29, 55, 75, 77, 89, 95, 111, 113, 141, 145, 147, 203, 215, 239, 301, 311, 319, 347, 383, 391, 393, 395, 399, 401, 403, 405, 413, 421, 467, 479, 483, 485, 543, 547, 559, 603, 613, 621, 647, 665, 667, 669, 671, 687, 761, 777, 779, 795, 813, 825. basilic: 331. bégaiement, bègue: XXXIV, 527, 909. bouche: 69, 71, 75, 77, 87, 91, 105, 109, 127, 163, 167, 169, 283, 307, 313, 321, 323, 329, 341, 363, 371, 459, 465, 703, 705, 709, 719, 803, 819, 823, 829, 835, 857, 863, 871, 907, 917. bouffée délirante: XVIII, L, LIV, 47, 103, 143, 249, 487, 541, 625, 805. calendrier(s): XIX, XLIV, LVII, 357, 479, 657, 703, 865, 866, 869. candélabre: 379, 513, 519, 537, 697. cardinal, cardinaux: 161, 275, 199, 449, 579, 581, 619, 691, 763, 805, 865. Carême: XLIV, XLV, L, 83, 105, 121, 221, 273, 293, 435, 541, 703, 847. carte(s): XXII, XXIV-XXVII, XXI, XXXII, XXXV, XXXI, XXXVI, XLII, XLVIII, LV, LVII, LIX-LXI, 7, 19, 23, 105, 183, 209, 229, 303, 311, 339, 353, 397, 409, 427, 429, 453, 455, 463, 487, 522, 529, 533, , 557, 569, 575, 586, 587, 607, 609, 615, 651, 681, 692, 695, 697, 703, 711, 713, 715, 727, 729, 731, 733, 735, 741, 743, 755, 779, 791, 795, 805, 807, 809, 823, 825, 853, 855, 871, 875, 879, 883, 891, 895, 897, 903, 911, 915, 917.

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INDEX

cartographe, cartographie, cartographique(s): XIX, XXI, XXIV, XXVIII, XXXI, XXXII, XXXIV, XXXV, XLVIII, LX. ceinture(s): 99, 293, 325, 329, 345, 363, 749, 899. cercle(s): XXX, XXXIV, XLII, LV, LIX, 283, 373, 431, 479, 480, 505, 533, 561, 569, 608, 612, 615, 703, 705, 717, 727, 755, 761, 767, 768, 769, 771, 775, 791, 819, 823, 824, 828, 841, 865, 866, 868, 871, 873, 895, 899, 900, 901, 903, 911, 915, 919. cerveau: 607, 609, 613, 709, 717, 719. césarienne: 37, 363, 389, 529, 531, 641, 761, 779. chanoine(s): 35, 163, 273, 275, 277, 279, 281. charité: LV, 15, 29, 43, 105, 133, 135, 145, 165, 181, 203, 221, 243, 251, 257, 259, 263, 267, 269, 273, 277, 279, 281, 287, 289, 319, 331, 367, 369, 379, 387, 401, 417, 419, 427, 429, 431, 439, 441, 443, 445, 447, 461, 469, 495, 497, 521, 539, 541, 547, 553, 555, 571, 583, 589, 611, 615, 619, 655, 661, 667, 673, 675, 677, 685, 693, 741, 743, 747, 749, 783, 793, 803, 805, 823, 825, 835, 851, 907, 911. chérubin(s): 9, 31, 263, 265. chien(s): LVIII, LIX, 85, 207, 361, 363, 393, 687, 789. chienne: 293, 361. Circoncision: 807, 811, 821. circoncision: 15, 81, 113, 171, 321, 457, 485, 555, 557, 809, 811, 821, 825. comète: 215. concupiscence: 17, 689, 697, 855, 857, 875. confession(s): XLIX, 21, 25, 109, 111, 117, 251, 365, 377, 427, 455, 469, 507, 529, 531, 613, 723, 727, 749, 785, 837, 839, 843, 845, 875. confirmation: 141, 215, 401, 403, 405, 483, 819, 839.

onsistoire: 763, 765. corbeille(s): LVIII, 301, 363, 455, 657, 889, 909. couronne: 15, 75, 485, 561, 647, 717, 721, 807, 809, 819, 821, 827, 829, 889, 921, 923. créativité: XV, XIX, XXIX, XXXIV, XXXV, LXII. croix: LXI, 7, 31, 67, 69, 143, 307, 311, 401, 437, 439, 467, 482, 519, 553, 577, 643, 679, 713, 715, 739, 741, 791, 793, 795, 797, 815, 901. curé: LV, 7, 29, 49, 55, 57, 71, 77, 79, 81, 89, 137, 145, 155, 159, 161, 165, 167, 171, 173, 201, 203, 211, 217, 219, 233, 241, 251, 253, 259, 267, 295, 321,365, 369, 375, 379, 403, 405, 411, 419, 421, 433, 453, 533, 535, 549, 551, 563, 583, 597, 599, 611, 615, 617, 653, 665, 675, 691, 713, , 731, 817, 835, 841, 853, 873, 877, 923. délirant, délire: XIX, XX, XXI, XXII, XXIX, XXXI, XXXII, XXXIII, XXXIX, XLIII, XLVI, XLVII, L-LVI, LIX-LXI, 37, 255, 291, 303, 507, 519, 523, 533, 569, 629, 651, 691, 739, 823, 833, 911, 915. dépressif: XVIII. double: LIX, 59, 209, 283, 301, 377, 401, 427, 513, 517, 519, 561, 579, 589, 607, 615, 723, 733, 761, 765, 767, 853, 873, 891, 897, 901, 909, 911, 913, 915. dragon: LVI, 19, 43, 105, 121, 131, 301, 327, 331, 365, 381, 397, 399, 435, 513, 521, 569, 729, 731, 733, 755, 791, 795, 799, 835, 917, 919, 923. droit canon: 23, 55, 837, 839, 843, 899. droit civil: L, 23, 73, 551, 553, 597. Écriture sainte: XLVIII, LVIII, 33, 35, 117, 123, 203, 267, 415, 451, 469, 507, 563, 565, 583, 591, 657, 731, 863.

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

empereur: XLVII, 33, 41, 55, 73, 101, 149, 199, 211, 217, 325, 345, 347, 351, 381, 407, 409, 429, 465, 573, 585, 589, 649, 669, 671, 685, 713, 763, 833, 835, 923. enfer: XLVIII, 103, 149, 151, 251, 255, 297, 299, 301, 329, 521, 529, 553, 723, 767, 793, 823, 827, 829, 883, 907. enluminure(s): XVIII, XXIX, XLVIII, 663. érotisme, érotique: XX, 875. ermite(s): 187, 277, 279, 281, 283, 417, 597. eucharistie: 31, 64, 65, 140, 141, 188, 189, 401, 402, 403, 404, 405, 436, 437, 483, 533, 569, 571, 659, 681, 687, 746, 747, 839, 840, 841, 911, 913. Exaltation de la sainte Croix: XXXIX, 189, 437, 467, 473, 485. excommunication: XVIII, XLVIII, 33, 71, 81, 211, 305, 339, 501, 837. extase: 81, 145, 151, 197, 427, 489, 491. extrême-onction: L, 13, 215, 403, 405, 483. géographie, géographique(s): XXV, XXX-XXXII, XXV, XXXVI, XXXIX, XLII, LIII-LV, LX, 7, 13, 21, 27, 59, 61, 77, 101, 103, 105, 145, 183, 199, 211, 219, 225, 227, 235, 255, 283, 293, 297, 307, 317, 327, 333, 345, 361, 371, 395, 411, 423, 425, 465, 509, 517, 539, 561, 565, 575, 621, 653, 661, 671, 677, 689, 695, 711, 715, 717, 719, 723, 739, 747, 795, 807, 815, 825, 845, 831, 863, 865, 897, 901, 909, 913, 917. géométrie, géométrique(s): XXXIX, XLII, LIX, LX, 73, 401, 529, 589. gibelin(s): XLVII, 299, 301, 319, 389, 393, 397, 515, 517, 519, 837, 839, 895, 917. grammaire: 73, 459, 651, 741. guelfe(s): XLVII, 298, 299, 301, 319,

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365, 389, 393, 397, 515, 517, 519, 785, 839, 895, 917. hallucinations: XXXVI, L. héliocentrisme: 505, 699, 823. hémiplégie: 221. hérésie(s), hérétique(s): XLIX, L, 65, 77, 93, 141, 149, 219, 245, 247, 273, 325, 407, 409, 439, 465, 573, 585, 599, 851, 855, 921. hostie(s): 31, 99, 427, 447, 911. hypocrisie, hypocrite: 25, 91, 161, 193, 251, 269, 311, 321, 323, 327, 329, 331, 333, 339, 353, 355, 371, 381, 407, 449, 467, 469, 471, 499, 517, 521, 533, 537, 565, 569, 575, 611, 613, 911, 913, 921. hypomaniaque: XIX, XLIII, 23, 363. idolâtrie, idolâtres: LVI, 3, 7, 213, 311, 357, 499, 549, 555, 887. imagination: LVI, LIX, LXI, 17, 19, 25, 135, 179, 285, 289, 365, 497, 503, 515, 517, 519, 545, 573, 609, 613, 661, 663, 751, 787, 835, 839, 893. individualisme, individualiste: LXII, 689, 695, 697, 855. infirmité: L, 227, 317, 461, 523, 793. jeu(x) de mots: LX, 7, 161, 228, 347, 361, 459, 583, 585, 657, 705, 743, 809, 811, 917, 891, 897, 919. jeûne: L, 97, 291, 325, 435, 437, 479, 505, 521, 531, 537, 541, 625, 847, 875. Jugement (dernier): LVII, 19, 23, 27, 43, 47, 57, 65, 117, 121, 135, 151, 153, 225, 255, 285, 295, 305, 307, 315, 323, 331, 335, 357, 397, 405, 443, 445, 467, 501, 553, 557, 567, 587, 605, 657, 663, 665, 683, 749, 765, 785, 791, 811, 817, 825, 859, 889, 907, 917. juifs: 79, 101, 137, 139, 227, 233, 287, 395, 539, 549, 551, 553, 555, 627, 631, 633, 637, 647, 659, 693, 715, 727.

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INDEX

laïcs: 15, 17, 25, 51, 55, 71, 81, 123, 165, 167, 171, 175, 211, 233, 237, 277, 289, 353, 361, 393, 403, 405, 407, 413, 415, 467, 471, 509, 517, 521, 527, 549, 553, 581, 659, 715, 787, 885, 889, 917, 921. lait: 83, 167, 185, 313, 679, 735, 819. libre arbitre: 405, 499, 501, 541, 543. lion: 43, 67, 85, 193, 201, 229, 233, 301, 327, 331, 341, 355, 357, 359, 361, 363, 371, 383, 397, 421, 425, 435, 443, 473, 491, 521, 549, 585, 617, 641, 649, 753, 805, 807, 861, 865, 895, 903, 905, 915. manichéisme: LVI, 83, 499. mariage: 173, 175, 177, 287, 289, 343, 351, 375, 401, 403, 405, 483, 527, 543, 545, 597, 613, 689, 819. médecine: XXIX, XXX, XLVII, 785. mégalomanie: XIX, LIII, LIX, LX, 823. mélothésie: 529. mémoire: XXVI, XXXI, 23, 67, 99, 199, 221, 225, 265, 295, 301, 367, 399, 411, 421, 437, 439, 441, 459, 561, 567, 609, 613, 657, 717, 719, 783, 839, 841, 843, 879, 903, 907. messe(s): 7, 91, 155, 253, 255, 257, 281, 301, 427, 527, 663, 683, 741, 817, 841, 859, 917. microcosme: XXX, LIV, LVII, LXII. miracle(s): 41, 155, 159, 163, 305, 321, 351, 365, 383, 407, 433, 625. miroir: LIV, LV, LX, 3, 5, 25, 27, 31, 45, 51, 57, 65, 75, 77, 79, 115, 117, 123, 145, 147, 155, 165, 179, 181, 205, 209, 225, 243, 245, 247, 259, 261, 263, 265, 267, 275, 285, 295, 303, 323, 329, 369, 419, 445, 479, 485, 489, 495, 503, 505, 507, 511, 519, 549, 553, 555, 563, 573, 575, 615, 651, 665, 667, 669, 671, 673, 675, 677, 679, 695, 697, 721, 735, 747, 751, 763, 779, 789, 801, 805, 817, 825, 845, 847, 851, 853, 859, 861, 900, 909.

mitre: 283, 721, 827. musique: 73, 581, 705, 707, 1047. mystique(s): XX, XXIV, XXVII, XXVIII, XXXIV, XXXVI, L, LXII, LXIII, 3, 5, 175, 761, 239, 255, 263, 385, 523, 555, 563, 571, 573, 593, 617, 681, 697, 757, 775, 823, Noël (Nativité du Seigneur): XLIII, XLIV, 609, 743, 841. obéissance: 53, 55, 79, 111, 113, 115, 157, 163, 165, 167, 169, 203, 211, 251, 253, 259, 267, 289, 305, 315, 331, 385, 393, 433, 439, 495, 497, 499, 541, 553, 555, 595, 689, 813, 823, 835, 837, 895. ordination: 379, 433, 435, 837, 841. pain: 7, 29, 31, 75, 225, 527, 531, 537, 565, 569, 619, 643, 653, 675, 685, 687, 725, 735, 783, 911, 913. pallium: 7, 341, 721. papauté: XIX, XLVI, 1047, 1055, 67, 107, 213, 385, 389, 509, 579, 617, 661, 669, 697, 753, 823, 825, 833, 863, 923. Pâques: XLV, L, 185, 197, 307, 427, 435, 441, 625, 663, 821, 841, 843, 849. paradis: 65, 103, 115, 149, 151, 251, 255, 257, 265, 297, 329, 489, 495, 553, 763, 791, 823, 825, 849. paraphrène, paraphrénie: XV, XVI, XIX, XXIX, XXXIII, LI. Passion: LXI, 103, 133, 195, 197, 205, 231, 249, 257, 413, 439, 509, 623, 627, 671, 779, 797. pauvreté: XLIX, 7, 9, 95, 127, 143, 165, 183, 197, 273, 279, 283, 375, 407, 409, 411, 423, 459, 485, 515, 557, 565, 579, 751, 761, 815. pèlerinage: 163, 253, 419, 533, 535, 537, 655, 677. pénitence: 27, 71, 99, 141, 155, 183, 249, 335, 401, 403, 405, 483, 501,

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LE JOURNAL SINGULIER D’OPICINUS DE CANISTRIS

529, 531, 545, 613, 655, 715, 727, 763, 785, 793, 843. Pentecôte, 33, 89, 91, 201, 241, 315, 361, 385, 387, 399, 473, 481, 485, 513, 537. philosophe, philosophie: XLIX, 22, 25, 31, 45, 72, 73, 213, 243, 265, 547, 681, 733, 735, 737, 758, 759, 761. poésie, poème(s): 547 737, 769, 823, 881. poisson: 127, 197, 307, 309, 323, 325, 327, 685. porc: 165, 307, 665, 873, 915, 921. poule: 11, 169, 331, 371, 513, 521, 693, 783. prédicateur, prédication: XXVIII, XLVIII, 11, 63, 95, 167, 197, 471, 509, 545, 547, 877, 915. procès: XVIII, XIX, XLIII, XLVIII, L, LI, 57, 79, 131, 339, 367, 453, 455, 463, 469, 481, 501, 507, 521, 607, 609, 717, 837, 843, 863, 865, 889, 897. psychanalyste: XXIII, XXXII. psychiatre, psychiatrie, psychiatrique(s): XV, XVI, XXI, XXII, XXIII, XXXIII, LI. psychopathologie de l’expression: XV, XXXI. psychose, psychotique: XVI, XVIII-XX, XXII-XXIX, XXXI, XXXVII, XLIII, XLVII, L-LII, LIV, LV, LVII, LXI, LXII, 379, 445, 753, 823, 837, 897. purgatoire, 27, 61, 175, 251, 255, 257, 259, 329, 353, 427, 529, 553, 715, 763, 783, 871, 885, 893, 899, 909. quadrivium: 73, 573. quaternité: 273, 275. Résurrection: 99, 143, 195, 197, 247, 251, 257, 291, 413, 423, 425, 671, 727, 733, 807, 841, 843. sacrement(s): XLVIII, LXI, 5, 11, 13, 31, 33, 67, 71, 75, 77, 89, 91, 93, 95, 111,

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113, 141, 211, 261, 293, 301, 351, 379, 391, 399, 401, 403, 405, 437, 439, 467, 479, 485, 503, 505, 533, 537, 539, 547, 549, 559, 571, 593, 665, 667, 669, 671, 753, 755, 763, 789, 801, 811, 825, 835, 837, 839, 863, 911. sainteté: XXVIII, 3, 115, 159, 243, 251, 295, 303, 311, 321, 355, 379, 381, 399, 407, 441, 561, 595, 677. schizophrène, schizophrénie, schizophrénique: XXIII, XXVI, XXX, XXXII, XXXIII, XXXV. scribe: XV, XVIII, XX, XXIII-XXVI, XXIX, XXX, XXXII, XXXIII, XXXV-XXXVII, XL-XLIII, XLV, LLXII, 37, 54, 57, 63, 91, 103, 122, 379, 443, 457, 463, 479, 501, 509, 519, 561, 569, 615, 629, 630, 631, 768, 771, 775, 795, 807, 813, 835, 851, 865, 917. séraphin: 31, 263. sermon(s): LIII, 215, 313, 373, 415, 509, 515, 567, 617, 773. serpent(s): LXVI, 47, 69, 73, 85, 161, 327, 331, 397, 423, 429, 455, 513, 515, 521, 557, 653, 665, 667, 671, 701, 713, 721, 733, 745, 755, 783, 795, 797, 799, 817, 835, 847, 853, 855, 917, 921. simonie, simoniaque(s): XLVIII, 33, 63, 87, 159, 313, 315, 389, 837, 863. songe(s): 189, 357, 443, 453, 457, 515, 705, 709, 781, 819, 855, 879. stigmates: 103, 143, 249, 307, 509, 819. symbole(s): LVII, LIX, 9, 25, 83, 149, 157, 167, 337, 469, 503, 511, 579, 581, 657, 795, 877, 921. synagogue(s): 79, 215, 549, 631, 633, 637, 791. tarasque: XXII, LVI, LX, 105, 187, 271, 335, 381, 443, 457, 499, 511, 513, 515, 519, 521, 529, 567, 569, 607, 613, 665, 667, 689, 711, 729, 731, 791, 823, 829, 835, 875, 883, 891, 921.

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INDEX

taureau: 731, 847. tentation(s): 43, 47, 53, 149, 259, 297, 303, 305, 333, 523, 559, 597, 619, 631, 655, 779, 781, 783, 815, 837, 839. théologie, théologique(s): XXVII, XLVIII, 11, 47, 73, 205, 265, 305, 313, 347, 389, 551, 553, 555, 583, 593, 595. tiare: 75, 695, 697, 721, 745, 755, 795, 797, 799, 815, 823, 917. tortue: 511, 513, 519, 521, 567, 569, 597, 765. Transfiguration: 97, 99, 359, 685. trivium: 73, 573. tunique(s): 7, 79, 485, 611, 613, 679, 713, 719, 799, 809, 815, 835, 853, 857, 883, 899, 905, 907, 921. vase: L, 31, 63, 103, 135, 159, 191, 193, 297, 371, 431, 571, 697, 791, 793, 885, 909. veau(x): 193, 447, 715.

Vendredi saint: 227, 713, 821. ver: 87, 423, 507, 515, 603, 607, 613, 667, 711, 751, 767, 771, 791, 795, 807, 875, 881. virginité: LVIII, 3, 13, 15, 159, 287, 289, 389, 511, 527, 655, 667, 689, 749. vin: 7, 31, 49, 135, 219, 317, 463, 465, 527, 537, 539, 583, 653, 677, 687, 775, 829, 863, 905. vipère: 299, 303, 327, 341, 381, 557, 783, 893. vision(s): XXVII, XXVIII, XXXII, L, 97, 145, 147, 269, 285, 289, 305, 313, 337, 419, 421, 459, 495, 503, 505, 547, 579, 613, 657, 663, 679, 695, 779, 781, 817, 819, 823, 835. vision béatifique: 145, 305, 505. zodiaque: XIX, 101, 197, 379, 399, 559, 589, 695, 703, 775, 865, 866, 895. zone torride: 721, 879, 881, 889.

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TYPOGRAPHIE VATICANE

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