La pendaison d’Angélique : l’histoire de l’esclavage au Canada et l’incendie de Montréal 9782761923521

Dans la soirée du samedi 10 avril 1734, Montréal brûle. L'esclave Marie-Joseph-Angélique est traduite devant la

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La pendaison d’Angélique : l’histoire de l’esclavage au Canada et l’incendie de Montréal
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Afua Cooper mm

L'histoire de l'esclavage au Canada et de l'incendie de Montréal

La pendaison LES EDITIONS DE

L’HOMME ■

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La pendaison

d'Angélique Thomas J. Baiatibrac,, TRcNT UNIVFPqitv

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Cooper, Afua • Pour la France et les autres pays :

La pendaison d’Angélique

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Traduction de : The Hanging of Angélique.

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02-07 © 2006, Afua Cooper © 2006, George Elliott Clarke (préface)

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© 2007, Les Éditions de l’Homme, une division du Groupe Sogides inc., filiale du Groupe Livre Québécor Média inc. (Montréal, Québec)

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The Canada Council for che Arts L’ouvrage original a été publié par HarperCollins Publishers Ltd

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sous le titre The Hanging of Angélique

accordée à notre programme de publication.

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activités d’édition.

La pendaison

d'Angélique Traduit de l'anglais par André Couture

LES EDITIONS DE

L’HOMME

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Rapport de l’exécution du 21 juin 1734. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centre de Montréal.

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Intitulé du procès : rapport envoyé au Conseil supérieur le 11 août 1734. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centre de Montréal.

Montréal à l’époque d’Angélique

au conseil d’administration. François Poulin de Francheville et Ignace Gamelin fils sont aussi des partenaires dans l’impor¬ tation de marchandises de l’Acadie, des Antilles et de la France. Bourgeois plein d initiative, Gamelin construit plusieurs navires pour ses entreprises commerciales. Jacques César est à la fois son conducteur, son garde du corps et son fidèle servi¬ teur. Il semble que les deux propriétaires aient encouragé cette liaison entre Angélique et César. Eustache survit à peine un mois. On ne donne aucune rai¬ son pour expliquer cette mort subite22. Mais Angélique est féconde. Au mois de mai 1732, elle donne naissance à des jumeaux, baptisés Louis et Marie-Françoise. Louis meurt au bout de deux jours, tandis que Marie-Lrançoise survit jusqu’en octobre23. Si Francheville croyait augmenter son contingent d’esclaves en achetant Angélique, il est certes déçu. Les enfants d’Angélique et de César ne leur appartiennent pas ; ils appartiennent plutôt au propriétaire de la mère, en 1 occurrence Francheville, comme le prévoit la loi dans toutes les sociétés du Nouveau Monde. Dès la conception, une mère esclave perd tous ses droits sur son enfant. Puisque les Blancs possèdent les esclaves noires, ils ont la main haute sur tout ce qui en sort et ils ont donc des droits sur tout enfant qu’elles engendrent. César est-il le seul à partager la couche d’Angélique ? Sur le baptistaire de son dernier enfant mort en octobre 1732, le père est «inconnu». C’est assez étrange, étant donné qu’il s’agit d’une jumelle dont le frère a pour père Jacques César. Il faut dire, cependant, que les propriétaires déclarent le lien entre la mère et l’enfant, mais pas nécessairement celui entre le père et l’enfant. Le père n’a aucune importance. Or, il est possible que l’enfant ait été un mulâtre, conçu par un Blanc, vraisembla¬ blement Lrancheville lui-même. On aurait alors brouillé les pistes en ne donnant pas tous les détails. La mention « de père inconnu » sur l’extrait de baptême d’un enfant esclave sert

22.

Sépulture d’Eustache, fils de Marie-Joseph-Angélique, le 12 février 1731, Registre de la cure, Archives de Notre-Dame de Montréal.

23.

Baptistaires de Louis et de Marie-Françoise, le 26 mai 1732 ; certificats de décès de Louis et de Marie-Françoise, les 17 mai et 23 octobre 1732, Registre de la cure, Archives de Notre-Dame de Montréal.

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La pendaison d’Angélique

souvent à cacher le fait que le père est un Blanc, habituelle¬ ment le propriétaire de la mère24. Souvent, ce propriétaire a déjà une femme légitime qui rejette sa rage sur la mère esclave. Dans Vivre, aimer et mourir en Nouvelle-France, André Lachance affirme que la naissance est affaire de femmes dans la colonie. Pendant le travail qui précède l’accouchement, la femme enceinte est amenée et installée chez sa mère. Des parentes et même des voisines viennent en aide à la sage-femme. Ces der¬ nières donnent leur appui moral et psychologique, et prodi¬ guent des encouragements à la femme en douleurs. Elles y vont également d’une aide physique puisqu’elles tiennent la femme, lui donnent des massages et posent des cataplasmes sur diffé¬ rentes parties de son corps. Ainsi entourée de parentes et d’amies, la femme accouche avec moins de difficultés. Les hommes ne sont pas admis dans la salle de délivrance, mais un prêtre se tient tout près au cas où il devrait baptiser l’enfant qui serait en danger de mort. Dans cette atmosphère, une femme (blanche) accouche en sachant que son mari et elle posséderont, aimeront, nourriront et élèveront leur enfant. En somme, malgré les dangers entourant la délivrance et la douleur endurée par la mère, la naissance d’un enfant est une occasion de réjouissances25. s

A titre d’esclave noire en Nouvelle-France, Angélique estelle en droit de s’attendre à un environnement semblable à celui que décrit Lachance ? Des universitaires parlent d’un «réseau d’esclaves noires2(5» qui vient à la rescousse des esclaves, surtout au moment de la grossesse, de l’accouche¬ ment et de la convalescence après la naissance. La sage-femme noire est un rouage central de la communauté parce qu’en plus de ses talents et de ses tâches, elle est également une guéris¬ seuse et une soignante qui connaît bien la santé des femmes.

24.

Voir Marcel Trudel, L'Esclavage au Canada français, op. cit., p. 262; Marcel Trudel, Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, LaSalle, Hurtubise HMH, 1990, p. 114; Kenneth Donovan, op. cit., p. 20-21.

25.

André Lachance, Vivre, aimer et mourir en Nouvelle-France, Montréal, Libre

26.

Deborah Gray White, Ar’n’t I a Woman ? Female Slaves in the Plantation South,

Expression, 2000, p. 26-27.

New York, W. W. Norton, 1985, p. 119-141. Voir aussi Bernard Moitt,

op. cit., p. 168.

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Montréal à l’époque d’Angélique

Bien qu’une sage-femme s’occupe de la naissance des enfants d Angélique, nous ne savons pas si ses accouchements sont une affaire communautaire de femmes. Mme de Francheville y assiste sans doute, tout comme Marie-Manon, l’esclave des voi¬ sins Bérey. Mais est-ce que d’autres femmes de la communauté viennent la soutenir dans cette période éprouvante ? Elle n’a ni mère ni d’autres proches parentes pour s’occuper d’elle. Elle accouche très loin de celles qui pourraient l’aimer. Et, même si d’autres esclaves sont présentes, l’atmosphère ne ressemble en rien à celle qui règne lorsqu’une Blanche accouche. Angélique est une esclave noire. Elle est certes consciente que son corps sert à la reproduction de futurs travailleurs esclaves et quelle n’a aucun droit sur ses enfants. La triste réalité de son état d’esclave ajoute sûrement aux douleurs et à l’intensité de l’accouchement. Lorsqu’une esclave tombe enceinte, les tensions, les cruautés et les contradictions inhérentes à son état sont énormes. Une femme ralentit au fur et à mesure de sa grossesse ; souvent, sa santé vacille. C’est une période où elle se sent des plus vulnéra¬ bles et où elle a besoin de beaucoup d’attention, à la fois pour elle et pour le fœtus. Les esclaves enceintes ne jouissent pas de tels petits soins. Leurs propriétaires s’attendent à autant de tra¬ vail de leur part, qu’elles soient physiquement ou mentale¬ ment en mesure de répondre à leurs moindres désirs. Si une esclave enceinte doit travailler avec la même intensité qu’en temps normal, il est bien clair que sa santé et celle du fœtus sont à risque27. Pendant ses grossesses, sur qui Angélique peut-elle comp¬ ter ? À mesure que ses grossesses avancent, les Francheville diminuent-ils sa charge de travail ? Se nourrit-elle davantage ? Qui s’occupe d’elle et de ses enfants après la naissance ? Com¬ bien de temps après l’accouchement reprend-elle le collier ? Reçoit-elle des soins médicaux appropriés avant, pendant et après ses grossesses ? Et, quand elle retourne au travail, qui garde les enfants ? On ne peut répondre à ces questions de façon précise. Toutefois, des recherches auprès d’autres sociétés d’es¬ claves nous révèlent que les esclaves enceintes et les mères qui

27. Dorothy Roberts, op. rit., p. 33-40.

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La pendaison d’Angélique

allaitent doivent vaquer à leurs occupations normales en dépit des exigences de la grossesse et de la maternité. Les esclaves reprennent le chemin du travail deux ou trois semaines après avoir accouché. Elles reçoivent souvent des coups de fouet si elles ne terminent pas leurs tâches en raison de la garde des enfants. Après tout, c’est le propriétaire qui détermine le genre de soins à prodiguer aux femmes enceintes et à celles qui allai¬ tent. Selon toute vraisemblance, les soins que reçoivent ces femmes sont médiocres28. En Nouvelle-France, le taux de mortalité chez les Blancs est assez élevé; chez les Noirs c’est encore plus dramatique. À l’évidence, la très brève espérance de vie des Noirs résulte des conditions pénibles de leur esclavage. Durant le régime français, les esclaves noirs meurent en moyenne à l’âge de vingtcinq ans. Peu se rendent jusqu’à la cinquantaine29. Les nouveau-nés d’Angélique meurent rapidement, sans doute à cause du manque de soins, de la nourriture insuffisante, des maladies, des carences que vivent les enfants noirs pendant leur esclavage. Angélique elle-même travaille probablement trop et se nourrit mal. Ces facteurs diminuent nettement ses chances de donner naissance à des enfants en santé^0. L’histoire de la reproduction chez les esclaves noires nous montre que l’esclavage est d’ordre sexuel tout aussi bien que racial. En raison des «désavantages» liés au genre, auxquels elles font face, les femmes subissent l’esclavage très diffé¬ remment des hommes. Et, parce que les Blancs soumettent et oppriment les Noirs, les femmes noires ne vivent pas leur féminité de la même façon que les femmes blanches. Au Nouveau Monde, tout au long du xvme siècle, le rôle principal de la femme blanche, c’est la maternité, tandis que pour la femme noire, c’est le travail (la majorité des femmes noires du Nouveau Monde sont d’ailleurs des travailleuses esclaves). Ces deux visions opposées de la condition féminine rabaissent le rôle des Noires et valorisent celui des Blanches, 28.

Ibid.

29.

Marcel Trudel, L'Esclavage au Canada français, op. cit., p. 178-185. Voir aussi Ovide-Michel-Hengard Lapalice, op. cit., p. 153.

30.

En Amérique du Sud, « le taux de mortalité infantile chez les esclaves est deux fois plus élevé que chez les Blancs en 1850 », nous dit Dorothy Roberts, op. cit., p. 36.

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Montréal à l’époque d’Angélique

quelle que soit leur condition sociale. Les Blanches gardent leurs enfants, alors que les Noires, comme Angélique, ne jouissent pas de ce luxe. Les Blanches bénéficient de la protection légale et patriarcale, tandis que les Noires, vulnérables, subissent toutes sortes de cruautés31. Nous ne connaîtrons jamais la réaction d’Angélique à la mort de ses enfants. En est-elle attristée ? Ou est-elle soulagée parce que ses enfants ne connaîtront jamais la dure vie de l’esclavage ? Si Angélique entretient l’idée d’échapper à l’esclavage, il est évident que la présence de ses enfants constitue un empê¬ chement à passer à l’acte. La plupart des fugitifs esclaves, en Amérique et aux Antilles, sont des hommes ; environ seize pour cent sont des femmes. Ces dernières n’agissent pas parce quelles ont de jeunes enfants, ce qui rend la fuite très difficile32. L’esclavage, c’est violent, alors les hommes et les femmes esclaves réagissent parfois violemment à leur état. Afin de reprendre le contrôle de leur corps et d’épargner une vie d’en¬ fer à leurs enfants, certaines femmes ont recours à l’avortement ou à 1 infanticide. Aujourd’hui, on ne sait pas si ces compor¬ tements étaient fréquents au Canada. Il n’y a pas non plus de moyen de savoir si les enfants d’Angélique sont tous décédés de cause naturelle. On sait toutefois qu’Eustache, son premier enfant, était tellement malade à la naissance que la sage-femme a senti le besoin de le baptiser sur-le-champ. Angélique rêve peut-être à l’époque d’avoir sa propre famille. Un rêve sans lendemain. En tant qu’esclave, elle n’a aucun droit sur ses enfants. Par contre, les enfants esclaves sont beaucoup plus liés à leur mère qu’à leur père. En effet, le sys¬ tème de l’esclavage marginalise les pères en donnant aux enfants la condition des mères et en retirant l’autorité pater¬ nelle aux pères. Bien que les enfants puissent être arrachés à leurs mères et vendus, ces dernières restent les principales pourvoyeuses, ce qui cimente les liens physiques et émotionnels entre elles et leurs enfants. 31. 32.

Ibid, p. 39. Deborah Gray White, op. cit., p. 70. Voir aussi : Adrienne Shadd, « And the Lord Seem to Say “Go” : Women and the Underground Railroad Movement », dans Peggy Bristow etalii, We’re RootedHere andThey Can'tPull Us Up: Essays in African Canadian Women’s History, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p. 42-43 ; Bernard Moitt, op. cit., p. 133-139-

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La

pendaison d’Angélique

Francheville se sert-il d’Angélique comme « reproductrice » ? Force-t-il Jacques César à la mettre enceinte ? Qu’importe ! La situation devient rapidement intenable parce qu’Angélique nourrit d’autres projets. Au début de 1733, la relation entre César et Angélique bat de l’aile. Claude Thibault, ancien soldat devenu engage , entre en scène. Il obtient un contrat de trois ans comme travailleur au service des Francheville et attire l’attention de l’esclave. Thibault est originaire de la Franche-Comté, à la frontière de la Suisse, une région qui en arrache économiquement et qui voit la majorité de ses jeunes hommes se joindre à l’armée afin de conjurer la souffrance et la famine. Des Francs-Comtois se retrouvent donc éparpillés partout dans l’Empire français outre-mer, en train de com¬ battre pour imposer la pax gallica**. La Franche-Comté est importante aux yeux de Francheville pour une autre raison : la région compte de très nombreux mineurs. C’est là que lui et, plus tard, ses associés recruteront la plupart des travailleurs des forges du Saint-Maurice. On a perdu beaucoup de documents au sujet de l’armée française au Canada. On ne sait donc pas à quel régiment appar¬ tient alors Thibault. Habituellement, les soldats font partie de l’armée coloniale pour une période de trois à cinq ans, après quoi ils sont démobilisés. Par contre, leur mandat est prolongé si la colonie est en état de guerre. A leur démobilisation, plu¬ sieurs options s’offrent aux soldats, surtout aux officiers. Ils peuvent retourner en France, ce que plusieurs font d’ailleurs, ils peuvent rester dans l’armée ou encore demeurer dans la colo¬ nie et y prendre racine. Le ministre de la Marine les encourage à demeurer dans la colonie et, pour rendre la chose plus attrayante, il leur donne parfois des terres. Certains soldats, qui proviennent de la classe ouvrière, signent des contrats à long terme comme journaliers : ils deviennent ainsi des enga¬ gés*. On les appelle les « trente-six mois », étant donné que les contrats durent habituellement trois ans. L’arrivée de Thibault dans la maison des Francheville cause tout un émoi. Si Angélique n’a pas encore mis fin à sa relation

* **

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En français et en italique dans le texte. (NDT) En latin et en italique dans le texte. (NDT)

Montréal à l’époque d’Angélique

avec César, elle le fait en voyant Thibault. Ils deviennent amou¬ reux. En fait, Angélique a peut-être connu Thibault alors qu’il était soldat. Montréal possède une garnison permanente et Thibault y a sans doute été stationné. Il a peut-être également séjourné à 1 Hôtel-Dieu, situé en face du domicile des Francheville. Il semble qu Angélique se soit liée d’amitié avec certains soldats en convalescence. Le soir de 1 incendie fati¬ dique, elle aurait bavarde avec le soldat Latreille devant les portes de l’hôpital. Thibault se révèle un travailleur intraitable qui n’a pas l’in¬ tention de plier devant ses employeurs. Il ronge son frein devant les Francheville, tout en essayant de se libérer de son contrat afin de retourner en France. Il trouve dans Angélique quelqu’un qui partage sa soif de liberté. Ils décident de préparer leur fuite. L esclave tombe peut-être vraiment amoureuse de Thibault, mais lui, il lui offre en plus une façon de s’en sortir, ce que ne peut faire Jacques César. Thibault est un homme, un Blanc, un Français. Si Angélique s’enfuit avec lui, il peut passer pour son maître. De plus, en sa qualité d’ancien soldat, il connaît bien le territoire autour des frontières. Cette connaissance des lieux facilitera leur fuite et évitera qu’ils se perdent dans la forêt. Bref, si Angélique est amoureuse du Français, elle a, quoi qu’il en soit, des raisons plus pratiques de s’engager dans une relation avec lui. Au cours de la première moitié de 1733, l’univers mental et émotionnel d’Angélique chavire. Elle a donné naissance à trois enfants et les a tous vus mourir. Elle a quitté Jacques César, son amant esclave, et s’est engagée dans une liaison avec Thibault. Elle est maintenant à l’aube d’un nouveau départ. Pendant ce temps, Francheville continue de vaquer à ses activités. Il envoie des hommes quérir des fourrures, reçoit des subventions royales pour ses forges et planifie son avenir. Or, en novembre 1733, il tombe malade et meurt. Sa mort marque un point tournant dans la vie d’Angélique. Son maître à peine enterré, elle demande à sa maîtresse la per¬ mission de partir. Exige-t-elle son élargissement parce que son maître le lui a promis avant sa mort ? A tout hasard, Mme de Francheville rejette la demande de l’esclave. La rage monte au

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La pendaison d’Angélique

cœur d’Angélique. Incapable de reprendre sa propre vie en main, elle se déchaîne contre sa maîtresse. Elle maudit la veuve, la traite de salope et de putain, lui désobéit et contrevient sans cesse à son autorité33. Au Nouveau Monde, des propriétaires d’esclaves et des surveillants se plaignent souvent des paroles de femmes esclaves, qui sont réputées effrontées, insolentes et grossières envers leurs supérieurs. Elles ont leur franc-parler et répli¬ quent du tac au tac. Ce stéréotype de l’esclave rebelle doit être mis en contexte. Soumises à des travaux difficiles, à la vio¬ lence et à la torture psychologique pendant toute leur vie, les femmes esclaves répondent à leurs oppresseurs comme un moyen de défense3^. Selon un commandant britannique de l’île de Trinidad, les esclaves féminines s’attirent des punitions plus souvent que les hommes parce quelles utilisent avec une terrible efficacité « 1’instrument offensif et défensif le plus redoutable qui soit, leur langue35 ». Certains surveillants fouettent leurs esclaves parce qu’ils sont incapables de venir à bout de leurs «grandes langues ». L’esclave Angélique a la « langue bien pendue ». Du vivant de Francheville, sa femme fouette régulièrement la jeune Noire. Francheville le fait peut-être lui aussi. De plus, il lui fait peutêtre subir des agressions sexuelles. Angélique contre-attaque en se servant de sa langue. Elle maudit sa maîtresse et les tra¬ vailleurs blancs de la maison. Elle oriente également sa rage vers les Français en général. Selon elle, ce sont des gens sans valeur et des chiens qui méritent le bûcher. Angélique déclare la guerre à sa maîtresse. Elle s’adresse à Mme de Francheville comme si elles étaient des égales, ce qu’elles ne sont manifestement pas. Sa maîtresse a le contrôle de sa vie et de son corps : elle peut en faire ce que bon lui semble. C’est ce contrôle de son destin qu’Angélique tente de briser avec ses paroles et ses gestes.

168

33.

Voir la transcription du procès d’Angélique, du 11 avril au 21 juin 1734, Registre criminel IV, BAnQ-Q.

34.

Jenny Sharpe, Gbosts ofSlavery: A Literary Archeology of Black Women’s Lives, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2003, p. 141.

35.

Lucille Mathurin, The Rebel Woman in the British West Indies during Slavery, Kingston (Jamaïque), Institute of Jamaica, 1975, p. 13.

Montréal à l’époque d’Angélique

Le jour où elle décide de passer à l’action, elle se sent pleine de ressources. Avec 1 aide de Thibault, elle planifie sa fuite. Et, de fait, elle s’enfuit. On la retrouve, mais elle ne manifeste aucun signe de repentir. À son retour chez les Francheville, elle continue d’être « hostile » envers sa maîtresse. Elle va jus¬ qu’à la menacer de mort. Le matin de l’incendie fatidique, une confrontation éclate entre les deux femmes. Frustrée, Mme de Francheville quitte la maison et va assister à la messe. Après la mort de Francheville, Angélique apparaît donc comme une esclave rebelle. Nous ne savons pas si elle a été « docile » auparavant. Mais la tension monte entre la maîtresse et Angélique, peut-être en raison de l’utilisation de son corps et des abus dont elle est victime. Thérèse de Francheville est peut-être jalouse parce que son mari couchait avec l’esclave. Devant le tribunal, Angélique avoue que sa maîtresse ne la bat presque plus depuis la mort de son mari. Est-ce parce que le sieur de Francheville n’est plus là pour dormir avec son esclave et faire ainsi affront à sa femme ? Angélique était peut-être effrontée avant la mort de Francheville, mais la transcription du procès laisse entendre qu’après la mort de son maître, elle devient « intolérable ». Tou¬ tefois, ce document est bien court. Comme il s’agit d’un texte sur le procès, il ne dit pas grand-chose sur la vie d’Angélique avant 1734. Est-ce possible qu’Angélique ait été une « femme passive » avant la mort de son maître et quelle soit soudaine¬ ment devenue une « esclave incontrôlable » ? Il est plus pro¬ bable qu elle ait été déjà rebelle avant le décès de Francheville et que les choses se soient détériorées à la disparition du maître. Toujours est-il qu’Angélique réclame sa libération à sa maî¬ tresse. Lorsque cette dernière lui oppose un refus catégorique, l’esclave la maudit. En se servant de sa langue, elle montre quelle ne la craint plus, criant haut et fort quelle a repris le contrôle de son âme. En se libérant mentalement de son esclavage, Angélique gagne son émancipation ultime. Par ses gestes de rébellion, elle fait comprendre clairement à Thérèse de Francheville quelle est sans doute la maîtresse, mais quelle ne la maîtrise pas, elle, l’esclave.

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Chapitre 6

PREMIER INCENDIE, PREMIÈRE ESCAPADE J/ oël approche.

Quelques semaines se sont écoulées

L depuis la mort du sieur de Francheville. Angélique demande son conge à Mme de Francheville. Par ce geste, elle manifeste son intention de quitter Montréal... et l’esclavage. Sa maîtresse le sait bien. Qu’est-ce qui pousse l’esclave à réclamer sa liberté ? Francheville lui a peut-être promis de la libérer «dans un avenir prochain», mais il décède avant d’honorer sa promesse. Par son ton assuré, Angélique semble convaincue qu’il est temps d’agir. Certains indices révèlent que le contrat de Claude Thibault, travailleur au service de Mme de Francheville, vient à échéance et qu’il a aussi fait connaître son intention de quitter le Canada. Thibault et Angélique sont amoureux, et Angélique désire s’éloi¬ gner de la colonie en sa compagnie. Mais dire qu’il s’agit là du seul motif qui guide Angélique dans sa fuite n’est pas juste. Elle aspire à être libre par elle-même, comme on le verra au procès. Donc, Mme de Francheville n’acquiesce pas à la demande de son esclave. Furieuse, Angélique instaure un régime de terreur dans la maisonnée. Elle réplique à sa propriétaire, la menace

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En français et en italique dans le texte. (NDT)

La pendaison d’Angélique

de la tuer en la « faisant rôtir». Elle se querelle avec les autres domestiques, menace également de les « brûler » et rend la vie dure à sa consœur Marie-Louise Poirier, au point où cette der¬ nière quitte son emploi. Incapable de se défendre ou de venir en aide à Marie-Louise, Mme de Francheville promet à cette dernière de vendre Angélique au printemps afin quelle puisse reprendre son travail. L’esclave et sa propriétaire se livrent une guerre psychologique et chacune attend son heure. Mme de Francheville a la main haute, du moins le croit-elle. Claude Thibault n’est pas en reste. Lui aussi rend la vie dif¬ ficile à son employeur. Tout comme Angélique, il est désobéis¬ sant et insolent. Mme de Francheville n’en vient pas à bout. Le nouvel an se pointe, et la tension entre Angélique et sa propriétaire ne se dément pas. Mme de Francheville entreprend des démarches pour vendre son esclave à François-Etienne Cugnet, fonctionnaire et entrepreneur. Elle la cède en échange de 270 kilogrammes de poudre à canon. Cugnet doit en plus payer le déplacement d’Angélique vers la capitale. La tension ne fait qu’augmenter quand Angélique apprend qu’elle a été vendue. Elle conteste cette vente : «Madame, ne me vendez pas s’il vous plaît, supplie-t-elle. Je vais bien me comporter. Je vais tout faire pour vous faire plaisir. Ne m’envoyez surtout pas. » « Vous êtes impolie et agressive, lui répond sa maîtresse Vous mettez la maisonnée sens dessus dessous. Vous vous querellez avec les autres domestiques. Vous êtes méchante et malicieuse. Je ne veux plus vous voir ici. » Thérèse de Francheville s’organise pour assurer sa sécurité et sa protection. Comme elle craint de se retrouver seule dans la maison avec ses «ennemis», elle prie sa nièce, Marguerite de Couagne, de venir s’installer chez elle. Dans les premiers jours de février, les craintes de Mme de Francheville atteignent un som¬ met. Elle fait sortir Angélique et Thibault de la maison. Elle est certaine que, pour donner suite à ses menaces, Angélique n’hé¬ sitera pas à l’incendier avec la maison. Elle envoie le couple vivre chez son beau-frère et associé, Alexis Lemoine dit Monière. Monière, qui débute dans le commerce des fourrures en tant que voyageur, s’est hissé progressivement dans la hiérarchie et s’est retrouvé marchand de moyenne importance. À ce titre, il 172

Premier incendie, première escapade

crée des partenariats avec de grands marchands afin d’appro¬ visionner les postes de traite de l’intérieur du pays. Il tient aussi une boutique à Montréal et alimente les soldats du roi et les gradés militaires. Il est marié à Marie-Josephte de Couagne, sœur de Thérèse et marraine d’Angélique. Thérèse de Francheville demande à Monière d’embaucher Thibault et de garder Angélique jusqu’à la fonte des neiges, soit au moment où les bateaux de pêche pourront redescendre le Saint-Laurent. Elle pourra alors mettre Angélique sur l’un de ces bateaux pour l’envoyer à Cugnet, à Québec. Angélique découvre la façon dont sa maîtresse veut dispo¬ ser d’elle. Elle se déchaîne contre Mme de Francheville et lui dit qu’elle la «fera brûler». Il semble évident que Mme de Francheville a perdu le contrôle d’Angélique et de certains domestiques. Il n’y a rien pour corroborer cela. Cependant, lorsque Francheville vivait, il régnait un certain calme, même superficiel, dans la maison¬ née. Francheville, qui représentait « l’autorité patriarcale » en tant que maître de la maison, était en mesure de faire respec¬ ter la paix et observer les règles de politesse et d’obéissance entre les esclaves-domestiques et le maître. Angélique sait très bien ce qui se passera en déménageant chez Monière. On l’a placée chez ce dernier par mesure de pré¬ caution, et elle prendra le chemin de Québec dès que le temps s’y prêtera. Mme de Francheville cherche ainsi à séparer les deux amants. Au procès, il est mis en preuve qu’Angélique a « menacé » Thibault, lui disant en termes non équivoques de ne pas s’engager à travailler pour Monière, car cela le retien¬ drait chez ce dernier et l’empêcherait de s’enfuir avec elle quand elle le déciderait. Les domestiques de Monière sont au courant que l’esclave a été vendue. L’un d’eux, Jacques Jalleteau, lui révèle quelle sera envoyée dans la capitale de la colonie, puis qu’on la dépor¬ tera dans les Antilles. Angélique entend parler de cette vente de toutes parts et elle n’a pas envie d’être une proie facile. Douze heures à peine après leur entrée chez Monière, Thibault et elle passent aux actes. Ils arrivent chez Monière dans la soirée du samedi. Aux petites heures du dimanche matin, de la fumée se dégage des chambres où ils ont dormi. Les domestiques

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La

pendaison d’Angélique

découvrent le lit d’Angélique en feu. La couverture de Thibault est également en flammes. Les nouveaux arrivés et les domes¬ tiques réussissent à maîtriser l’incendie. Angélique supplie Catherine Custeau, l’une des domestiques de Monière, de ne pas parler de cet incident. Mais Monière a senti la fumée. Il se lève et fait le tour de la maison. Tout étant en ordre, il retourne se coucher. Plus tard, Custeau affirmera à son employeur que « la négresse les a presque fait rôtir » cette nuit-là. Le lendemain soir, Angélique et Thibault disparaissent. Ils espèrent couvrir leur fuite avec cet incendie. Lors de son témoi¬ gnage, Jalleteau affirmera qu’avant leur fuite, Thibault lui a dit qu’il s’en allait à Québec et qu’Angélique, elle, se rendait en Europe. Cette fuite n’est pas un coup de tête. Le couple l’a bien pla¬ nifiée, avant même que Mme de Francheville les envoie chez Monière. De fait (sans doute au mois de janvier), Thérèse de Francheville se rend à Longue-Pointe. Thibault et Angélique décident presque de s’enfuir, mais ils préfèrent attendre son retour afin que Thibault touche le salaire qu’elle lui doit. Depuis longtemps, le couple a résolu de s’enfuir. Les deux amants attendent tout simplement que le fleuve gèle pour s’exé¬ cuter. Un peu plus tôt, avant qu’on les envoie vivre chez Monière, Thibault a caché du pain dans une grange près de Longueuil sur la rive sud, en prévision de leur escapade. Lors¬ qu’on les dirige vers Monière, ils se disent qu’il est l’heure d’agir. Déterminés à se rendre dans un port de la NouvelleAngleterre, Angélique et Thibault s’enfuient de la maison de Monière. Pour réussir, ils doivent traverser le Saint-Laurent et se diriger vers le sud. Nous sommes alors au milieu de l’hiver et le fleuve est bien gelé. Les fugitifs traversent le fleuve, vraisemblablement là où se trouvera Terre des hommes". Ils parviennent à Longueuil et, de là, s’en vont vers Chambly sur la rivière Richelieu, pour se rendre jusqu’à sa source, le lac Champlain. À partir de cet endroit, ils pourront atteindre un port du Maine, du New Hampshire, du Massachusetts ou, fort probablement, de New York. Les voyageurs, les commerçants de fourrures et les militaires prennent beaucoup ce corridor du

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Premier incendie, première escapade

lac Champlain et de la rivière Richelieu. Il s’agit de l’une des principales routes qui vont de Montréal à Albany et en Nouvelle-Angleterre. Une fois dans un port de la NouvelleAngleterre ou de New York, Angélique espère pouvoir mon¬ ter à bord d’un navire et se diriger vers le Portugal. A 1 époque, Longueuil est à quelque quarante kilomètres de Montréal, tandis que Chambly est à environ quatre-vingts kilomètres. Le couple doit donc franchir près de cent kilomè¬ tres après son départ de Montréal. Étant donné le climat, ce n est pas une mince affaire. Ce périple ardu ne fait que démon¬ trer leur détermination à vouloir échapper à leur isolement. On peut sans doute se demander pourquoi ils n’optent pas pour Québec, capitale de la colonie et principal débouché de la navigation sur l’Atlantique. C’est simple: le fleuve est gelé et il n’y a pas de navigation. De plus, Cugnet, le nouveau propriétaire d’Angélique, demeure à Québec. Il ne serait pas prudent de s’y aventurer puisque le couple risque d’être découvert et intercepté. Il est plus logique que les fuyards bravent la forêt hivernale pour atteindre un port au sud. Selon toute vraisemblance, Angélique entretient des relations dans les colonies anglaises, puisqu’elle y a vécu avant son arrivée à Montréal. Elle entend s’en servir une fois rendue dans la région. Entre-temps, à Montréal, les autorités diffusent la fuite d’Angélique et de Thibault. Ils déclenchent une chasse à l’homme pour les capturer. Des policiers passent la campagne au peigne fin. Deux semaines plus tard, ils mettent le grap¬ pin sur les fugitifs à Chambly. Ils les arrêtent et les ramè¬ nent à Montréal. Thibault est jeté en prison. Étonnamment, Angélique est renvoyée à sa maîtresse. Le travailleur agricole Louis Langlois dit Traversy fait remarquer à Angélique que ce n’est pas « une bonne chose » de s’enfuir et quelle devra mieux se comporter, car sa maîtresse la vendra. Angélique rétorque sans sourciller : « La neige va fondre, la terre sera découverte et il n’y aura plus de traces de pas. » Cette réponse indique bien qu’elle envisage de s’enfuir à nouveau, mais quelle patientera jusqu’à la fin de *

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La pendaison d’Angélique

l’hiver parce qu’il n’y aura plus de neige pour la trahir. Elle attend également que Thibault sorte de prison. Par sa fuite, Angélique dit haut et fort à sa maîtresse (et à la société blanche en général) quelle est indomptable. Les esca¬ pades d’esclaves déconcertent les Blancs parce qu’elles désta¬ bilisent l’« ordre naturel » qu’ils ont mis en place : les Blancs, en haut ; les Noirs, en bas. Ces fuites opposent un démenti au mythe perpétué par les Blancs et selon lequel les esclaves sont heureux de leur sort et sont bien traités. Quand Angélique s’affranchit, elle prend le maquis et coupe les liens qui l’ont jusque-là définie comme un bien meuble. Elle n’est pas une esclave heureuse et bien traitée. Elle est une esclave noire enragée qui tente de secouer, voire de briser, le collier invi¬ sible autour de son cou, ainsi que les menottes et les chaînes fermées à clef autour de ses membres. Par sa fuite, Angélique porte son combat contre l’esclavage à un autre niveau. Auparavant, elle ripostait à sa maîtresse et lui désobéissait. Mais ce n’était pas suffisant. En s’enfuyant, elle démontre quelle est sérieuse à propos de son émancipation et qu’elle est décidée à saper le système de l’esclavage. v

A cause de leur condition de marginaux et de miséreux, les esclaves font souvent figure « d’ennemis à l’intérieur de la mai¬ son» des maîtres. On ne peut pas s’y fier. Leurs propriétaires ont une peur morbide d’eux. Les lignes suivantes de John Hope Franklin et de Loren Schwemnger, deux spécialistes de la résis¬ tance des esclaves, pourraient fort bien décrire Angélique : « À l’occasion, les esclaves refusent de travailler, réclament des concessions, n’écoutent pas les ordres, menacent les Blancs et, de temps à autre, ont des réactions violentes. Des confronta¬ tions verbales et physiques éclatent régulièrement, sans égard au moment et à l’endroit où cela se produit1. » Si Francheville a bel et bien promis à l’esclave de l’affran¬ chir et que sa femme le lui refuse, Angélique est bien déter¬ minée à reprendre sa liberté et fait savoir quelle agira coûte que coûte. Par sa fuite, elle montre à sa maîtresse qu’elle fait fi de son autorité. Aussi, déteste-elle furieusement cette

1.

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John Hope Franklin et Loren Schweninger, The Runaway Slave: Rebels on the Plantation, New York, Oxford University Press, 1999, p. 6.

Premier incendie, première escapade

dernière. D’ailleurs, sa haine est tellement forte quelle songe à la tuer et l’exprime même publiquement. S il subsiste des doutes à propos de la relation entre Thibault et Angélique, ils disparaissent pendant l’empri¬ sonnement du Français. En effet, Angélique lui rend visite en prison et lui apporte de la nourriture jusqu’à ce que Mme de Francheville découvre le pot aux roses et lui enjoigne de cesser tout cela. Angélique fait la sourde oreille et continue de visiter son amant et de lui apporter des vivres. Elle se déchaîne. L’incarcération de Thibault n’empêche donc pas les amants de se rencontrer et de mettre au point leur prochaine fuite. V

A l’époque, Montréal est une société très attentive aux classes et aux conditions sociales. Et Angélique sape l’autorité de sa maîtresse devant tout le monde, plus particulièrement devant les travailleurs de Francheville. Ces derniers sont sur¬ pris qu’elle s’en tire aussi facilement. Elle s’est enfuie et elle a sans doute mis le feu au domicile de Monière. Et pourtant, elle revient chez sa maîtresse sans qu’elle soit fouettée ou jetée en prison. Au contraire, Mme de Francheville la récom¬ pense presque en la rapatriant chez elle. Les domestiques réflé¬ chissent sur cet événement incompréhensible. Ils préviennent Angélique de se bien comporter, sinon sa maîtresse la vendra. En réponse à cela, Angélique affirme que sa maîtresse est une « bonne femme », mais que, si elle la vend, elle en «paiera le prix ». Or, Mme de Francheville a déjà vendu Angélique — c’est ce qui explique l’accueil paisible fait à l’esclave. Thibault sort de prison le 8 avril, après cinq semaines d’in¬ carcération. Angélique et lui revoient leur projet. Le jour même de sa libération, Thibault se rend chez Mme de Francheville pour lui réclamer son salaire et ses effets personnels. Cette dernière lui passe un savon en lui disant « de ne plus jamais remettre les pieds dans sa maison». Et, comme pour le tour¬ menter davantage, elle lui annonce, dans le feu de la colère, qu’elle a vendu Angélique. Thibault fait très certainement savoir à Angélique que la vente est chose faite. Nous sommes en avril, ce qui signifie que les glaces fondent sur le fleuve et que les bateaux et les canots navigueront bientôt en direction de Québec. Les deux réalisent soudain qu’Angélique sera 177

La pendaison d’Angélique

bientôt à bord de l’une de ces embarcations. Ils savent sans doute que la vente de l’esclave sonne la fin de leur union et du rêve d’Angélique de retourner au Portugal.

En 1734, la Franche-Comté, d’où vient Claude Thibault, n’est encore qu’une jeune province de la France. D’abord par¬ tie du Saint Empire romain germanique, elle passe dans le giron de l’Allemagne à la dissolution du Saint Empire. Au cours du xvif siècle, Louis XIV l’annexe à la France à la suite de l’une de ses campagnes militaires. Les Francs-Comtois sont des gens farouchement indépendants et ils s’opposent à l’au¬ torité et à la domination françaises. Comme résultat de cette annexion, plusieurs jeunes Francs-Comtois sont appelés sous les drapeaux français. L’armée impériale française est très métissée; elle comprend non seulement des Français, mais aussi des Allemands, des Flamands, des Italiens et des Espagnols, notamment. Ces gens se retrouvent sous le para¬ pluie militaire de la France à cause de la grande influence française, en Europe et ailleurs. De fait, sous Louis XIV, la France est le premier pays à lever une armée permanente. L’une des rumeurs qui circulent à propos des soldats outre¬ mer répand l’idée qu’ils ne reviennent jamais en France. Il y a un peu de vérité là-dedans. Pour ce qui est du Canada, en tout cas, la Couronne encourage les soldats à s’installer au Nouveau Monde. Toutefois, Claude Thibault est parmi les soldats qui veulent faire la preuve qu’il s’agit là d’un men¬ songe. Comme Franc-Comtois, il rechigne sans doute à l’idée d’être appelé sous les drapeaux de la France, et encore plus de se retrouver engagé*. Il déteste le Canada et le contrat qui le lie. Il ne songe qu’à quitter ce misérable pays. S’il est amou¬ reux de Marie-Joseph-Angélique et qu’il a l’intention de vivre en toute liberté avec elle, alors il est impératif qu’il s’éloigne de Montréal. En tant qu’ancien soldat, il connaît les routes commer¬ ciales et militaires à l’intérieur du pays. C’est lui qui organise

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Premier incendie, première escapade

la fuite. Il choisit le corridor du lac Champlain et de la rivière Richelieu. Le long de cette route, plusieurs forts s’élèvent dont ceux de Chambly et de Saint-Jean. Thibault a sans doute été stationné à l’un d’eux et connaît la topographie des lieux. La fuite d Angélique et de Claude Thibault est le fruit d’une collaboration entre deux types de travailleurs : une esclave et un engagé. Au début de la colonie, il n’est pas rare de voir s’en¬ fuir des gens de ces groupes. Des bulletins et des notes en pro¬ venance des colonies anglaises des Caroline, du Maryland, et de la Barbade annoncent régulièrement la fuite d’esclaves en compagnie de domestiques engagés. De même, le Quebec Gazette / Gazette de Quebec (sic) et le Montreal Gazette font état de la fuite conjointe de ces deux types de travailleurs. L’esca¬ pade d Angélique et de Thibault a lieu sous le régime français. Il y a tout lieu de croire que d’autres, comme eux, ont tenté le coup. Nous savons aussi qu’esclaves et engagés travaillent sou¬ vent ensemble à miner leurs employeurs et le système. Par exemple, en 1735, à Montréal, un esclave africain du nom de Jean-Baptiste Thomas est mis aux arrêts en même temps que trois engagés. Thomas et ses amis blancs ont l’habitude de voler et de receler des marchandises. Il est traduit devant la justice. Reconnu coupable, il est condamné à la pendaison2. Les domestiques et les esclaves qui unissent leurs forces se considèrent comme des travailleurs opprimés ayant un ennemi commun, leurs propriétaires ou leurs employeurs. C’est la ser¬ vitude qui tisse ce lien entre eux. D’une certaine manière, les esclaves et les domestiques ont plus en commun que le domes¬ tique blanc avec son employeur. Les Blancs qui sont au pou¬ voir craignent ces liens entre esclaves noirs et engagés blancs. Ils tentent de les briser par tous les moyens, y compris la loi. Les Blancs puissants s’imaginent que, si les plus margi¬ nalisés se mettent à résister et à se rebeller, l’élite perdra alors sa mainmise sur la société et son contrôle des basses classes. Des partenariats entre travailleurs esclaves noirs et domestiques blancs marqueront la mort de l’élite. Si ces tra¬ vailleurs mettent de côté leurs « différences raciales » et qu’ils

2.

Pour le compte rendu de la cause de Jean-Baptiste Thomas, voir Archives coloniales, série Cl la, vol. 64, 1735, BAC.

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La pendaison d’Angélique

découvrent leur oppression économique et sociale commune, il s’ensuivra une véritable révolution. Mme de Francheville sait bien qu’Angélique est beaucoup plus faible seule qu’avec son compagnon Thibault. De même, Thibault est probablement plus faible sans Angélique. Cependant, Thérèse de Francheville en conclut qu’Angélique est la plus vulnérable des deux. Et elle a bien raison. Son engagé est lié par un contrat, qui vient bientôt à échéance. C’est un homme blanc, un Français, qui aura toutes les occasions de prendre du galon à la fin de son contrat. Angélique n’a pas cette chance. Mme de Francheville veut séparer les deux com¬ parses parce que, ensemble, ils s’encouragent mutuellement pour saper son autorité et préparer leur fuite. Pour Angélique et Thibault, les questions de rang et de condition passent avant la race. En plus, ils sont amoureux et liés par la passion. Ils appuient chacun leur objectif de fuir le Canada. Angélique veut retourner au Portugal, Thibault en France. On se demande comment ils pourront vivre ensemble étant donné que leurs destinations ultimes sont opposées. Angélique semble y avoir réfléchi. En effet, lors du procès, Jacques Jalleteau déclare qu’Angélique lui a dit, pendant quelle se trouvait chez Monière, quelle visiterait la Franche-Comté, en route vers l’Espagne.

Mme de Francheville vend donc Angélique à FrançoisEtienne Cugnet, ami et associé. Comme nous l’avons déjà mentionné, Cugnet est membre du premier conseil d’admi¬ nistration des forges du Saint-Maurice, fondées par son mari. v

A la mort de Francheville, le conseil est réorganisé. Cugnet garde son poste et achète même d’autres parts. La société se nomme désormais Cugnet et compagnie. Il devient ainsi l’un des personnages les plus importants de la colonie. Avocat né en France, il fait partie du Conseil supérieur en 1730. Trois ans plus tard, il est nommé premier conseiller. En outre, il dirige le Domaine d’Occident qui gère les ressources de la pêche, de la chasse et des forêts. En sa qualité de représentant du roi, il a la tâche de louer des terres sur lesquelles se 180

Premier incendie, première escapade

trouvent ces ressources et de prélever des taxes au nom de la Couronne. Cugnet commerce avec les marchands et les traiteurs des Pays-d en-Haut , ainsi qu avec ceux des Antilles. Comme Francheville, il est associé aux plus hautes instances commer¬ ciales et administratives du monde atlantique français. Lentente prévoit que Cugnet vendra Angélique aux Antilles. C est très plausible, compte tenu de ses relations et parce que les Antilles sont l’une des principales sources d’esclaves pour le Canada. Par exemple, Mathieu Léveillé, le bourreau du Canada à cette époque, est un esclave qui provient de la Martinique. Par ailleurs, Cugnet lui-même possède plusieurs esclaves africains. Comme le marquis de Beauharnois, gou¬ verneur général, est propriétaire de plantations où travaillent des esclaves noirs à Saint-Domingue (future Haïti), le com¬ merce des esclaves entre le Canada et les Antilles ne s’en trouve que renforcé. Déplacer des esclaves rebelles et indisciplinés d’un endroit à l’autre, à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières de l’em¬ pire, est l’un des stratagèmes utilisés par les propriétaires d’es¬ claves afin d’étouffer leur caractère et de briser leur résistance. Lorsqu’un esclave partis déclenche une mutinerie à la garnison de Niagara, on ne l’exécute pas, comme c’est la coutume pour un tel délit, on l’envoie plutôt parmi les esclaves des Antilles. En 1741, à New York, plusieurs esclaves accusés de conspira¬ tion évitent ainsi la potence. On les éparpille dans des endroits aussi éloignés que le Portugal et Terre-Neuve* 3. Mme de Francheville n’a plus d’ascendant sur Angélique et elle vit dans la peur. Son mari parti, elle ne peut compter sur personne pour maîtriser l’esclave turbulente. Mais elle ne pense même plus à faire appel à un parent ou à des amis après la débâcle chez Monière. La tentative d’évasion d’Angélique lui confirme que la seule solution, c’est de vendre l’esclave. C’est ce quelle fait... à Cugnet. Ce dernier ajoute l’insulte à

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

3.

Thomas J. Davis, A Rumor of Revoit: The "Great Negro Plot" in Colonial New York, New York, The Free Press, 1985, p. 225.

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La pendaison d’Angélique

l’injure en projetant de la revendre à l’extérieur de la colonie. Angélique ne veut pas du tout que cela se produise. Sa capture après une première fuite ne fait qu’attiser son intention de s’échapper à nouveau. Elle ne reculera pas. Elle est engagée dans un combat contre Thérèse de Francheville et la société blanche. Mais l’issue de ce combat ne sera connue qu’une fois que la poussière et les cendres seront retombées.

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Chapitre 7

L’INCENDIE D’AVRIL /

e samedi 10 avril 1734, Thérèse de Francheville revient de la messe de midi. Un vent glacial souffle de

l’ouest. Malgré cela, la glace fondante et la boue annoncent que le printemps est aux portes. L’hiver n’a pas été facile pour Mme de Francheville. Son mari étant mort depuis le mois de novembre précédent, elle doit désormais composer non seu¬ lement avec la perte d’un époux, mais aussi avec les intrigues de son esclave Angélique et de son engagé Claude Thibault, qui l’ont tourmentée tout au long de l’hiver. L’église Notre-Dame, sise sur la rue du même nom, est à quelques portes du domicile des Francheville, rue SaintPaul. Thérèse marche lentement vers chez elle, ses pas étant ralentis par la gadoue. Qu’importe ! Elle sera bientôt à la maison. Selon toute vraisemblance, elle songe à Angélique, qui est revenue dans sa maison. L’esclave n’a pas changé d’un iota. Elle est toujours aussi rebelle et impolie, elle se querelle avec sa maî¬ tresse et ne cesse de « parler contre les Français ». Plus tôt, avant quelle parte pour aller à la messe, Mme de Francheville a eu un échange violent avec son esclave, qui a encore menacé d’incen¬ dier sa maison avec elle au milieu. Angélique est restée seule à la maison avec trois enfants : la nièce de Thérèse, Marguerite de

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Couagne, et deux de ses amies, Charlotte Trottier Desrivières*, âgée de dix ans, ainsi qu’Amable Lemoine dit** Monière, âgée de cinq ans. Marguerite vit avec Thérèse depuis quelque temps, Mme de Francheville ayant confié à Gamelin fils quelle avait peur de rester seule avec Angélique. Après son départ pour 1 église, Thibault se présente à la maison à son insu et discute avec Angélique dans la cuisine. Il quitte peu après. De retour de la messe, Thérèse se rend chez sa voisine, Mme Duvivier [Anne Dejordy, épouse de Louis-Hector Lefourmer Duvivier}, pour parler de choses et d’autres. Pendant ce temps, Angélique fait une course chez les Bérey et s arrête pour jaser avec leur esclave Marie-Manon. Mmes de Francheville et Duvivier se racontent des histoires et rient à gorge déployée. Angélique déclare à sa comparse que sa maî¬ tresse ne rira plus bientôt, car elle ne pourra pas dormir dans sa maison la nuit suivante. La nuit tombe. Les cloches de 1 eglise annoncent les vêpres. Le crépuscule pourpre et indigo enveloppe la ville. Il y a chan¬ gement de garde aux portes des fortifications. À l’intérieur des maisons, certains citoyens mangent et se reposent après une journée de travail. Bientôt, ils iront se coucher. D’autres plus pieux, vont prier à 1 eglise. Mme de Francheville fait patrie de ce dernier groupe. A l’Hôtel-Dieu, les religieuses font une pause, vont manger, prient et se reposent pour la soirée. La ville est paisible. Mais le calme ne dure pas. Soudain, quelqu’un crie: «Au 1 ,U k.U ! » Marêuerite César, dont la maison est à côté de 1 Hotel-Dieu, entend ces cris et regarde par la fenêtre. Elle voit nge ique sortir en trombe de la maison des Francheville et urler : « Au feu ! Au feu ! » Les enfants font de même. Le sieur adisson, voisin immédiat des Francheville, entend lui aussi les cris et regarde à sa porte. À son grand étonnement, il voit Angélique qui vient vers lui en hurlant : « Au feu ! » Il se rend avec elle à la mawn des Francheville, et réuss.t à prendre deux seaux d'eau au passage. Il voit la fumée qui sort du grenier et

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En français et en italique dans le texte. (NDT)

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L’incendie d’avril

décide d aller dans cette direction. Radisson remarque que le feu vient du plafond, sous le toit. Pour s’y rendre, il a besoin d’une échelle. Il en demande une à Angélique. Elle lui répond qu’il n’y en a pas dans la maison. Le feu se propage si rapi¬ dement sur le toit que Radisson craint pour la sécurité de sa propre maison. Il abandonne celle des Francheville et court pour essayer d’épargner ce qu’il peut. La cloche de l’église paroissiale sonne l’alarme. La nouvelle parvient à la garnison. Bientôt, les soldats donnent l’alerte à coups de tambour. En entendant la nouvelle, Josué Dubois Berthelot de Beaucours, gouverneur local, met sur pied une escouade pour combattre l’incendie. En peu de temps, des soldats et des citoyens font des pieds et des mains pour éteindre les flammes. La ville entière est sur un pied d’alerte. Radisson a eu une bonne idée en se rendant chez lui. En effet, les flammes qui dévorent la maison de Mme de Francheville se propagent maintenant chez lui et aux domiciles d’autres voi¬ sins de la me Saint-Paul. Puis, l’incendie se transforme en enfer, traverse la rue du côté de l’Hôtel-Dieu et anéantit de nom¬ breux édifices sur son passage. Le toit au-dessus des chambres de l’hôpital s’effondre. Lorsque sonne l’alarme, les religieuses sont au couvent en train de se reposer. Elles ramassent tout ce qui leur tombe sous la main. À son tour, le couvent prend feu ; les religieuses, qui réussissent à s’enfuir, se rassemblent dans le jardin extérieur. Le feu poursuit sa course dans la rue SaintPaul et dans quelques petites rues transversales. Il s’attaque ensuite à des maisons de la rue Notre-Dame. La loi exige que tous les citoyens bien constitués se présen¬ tent sur la scène d’un incendie et aident à le combattre dès qu’ils entendent sonner l’alarme, c’est-à-dire le son des cloches ou le battement des tambours. Ils doivent se présenter avec des échelles, des haches et des seaux. C’est ce que font plusieurs citoyens, surtout ceux du secteur ouest de la ville, où le feu est menaçant. Au début, ils combattent l’incendie. Toutefois, leurs craintes augmentent à mesure que les flammes se propagent. Ils sont peut-être braves, mais ils ne sont pas insensés. Les inté¬ rêts personnels prennent le dessus. Comme Radisson, plusieurs personnes abandonnent la partie et retournent chez elles pour sauver leurs biens personnels.

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La pendaison d’Angélique

La moitié des maisons de la basse-ville sont construites en pierre, mais les autres sont en bois. Et presque tous les édifices sont surmontés d’un toit en bardeaux de bois, ce qui est presque la norme alors. De plus, on utilise beaucoup les planches de bois. Seuls les édifices gouvernementaux et quelques bâtiments religieux ont un toit résistant au feu, fait de tuiles en pierre, en fer-blanc ou en ardoise. Les bardeaux de bois sont un véri¬ table risque d incendie puisqu ils permettent la propagation rapide des flammes d une maison a 1 autre. Au cours des décen¬ nies précédentes, les autorités ont émis des ordonnances pour en interdire 1 utilisation, mais les habitants locaux en font fi. Les bardeaux de bois sont moins chers et plus fa-ciles à obte¬ nir que ceux en fer-blanc et en ardoise. Même en 1775, le bureaucrate François-Joseph Cugnet, fils de François-Étienne, tentera de mettre en vigueur la réglementation au sujet de la prévention des incendies. Il soulignera que, lors d’un incen¬ die, les bardeaux en feu volent d un endroit à l’autre et propa¬ gent les flammes1. En 1796, Elizabeth Simcoe sera témoin d’un incendie à Québec et mettra la propagation du feu sur le compte des bardeaux. « Comme les maisons sont recouvertes de bardeaux, l’église et certaines maisons brûlent rapidement. Les bardeaux, en raison de leur légèreté, sont emportés par le vent qui souffle fort [.. .]2 » Pour ce qui est de l’incendie de 1734 à Montréal, les bar¬ deaux enflammés font des ravages. Les éléments se moquent des efforts des braves gens, surtout des soldats, qui tentent d’éteindre les flammes. Un vent d’ouest très fort fait virevol¬ ter les bardeaux et les flammes sur les édifices encore épargnés, ce qui fait augmenter la vitesse du feu, qui gagne en intensité. Il se balade d’une maison à l’autre. La boue, la gadoue et la neige fondante rendent les rues impraticables et ralentissent les mouvements des soldats. Le combat contre les incendies se fait de façon rudimentaire : les gens puisent de l’eau dans le Saint-Laurent ou dans les puits de leurs cours, puis se passent les seaux de main à main. Cette méthode ne vient pas à bout

186

L

David-Thiery Ruddei, Québec, 1765-1832 : l’évolution d’une ville coloniale, rtawâ, Musee canadien des civilisations, coll. Mercure, Histoire, 1991,

2.

Ibid, p. 233.

L’incendie d’avril

de 1 incendie galopant. Moins de trois heures après l’appari¬ tion de la fumée sur le toit de Mme de Francheville, quarantesix édifices, y compris l’Hôtel-Dieu, gisent sous les ruines fumantes. Le secteur marchand presque au complet, surtout le long de la rue Saint-Paul, n’est plus. Ce quartier est le cœur de Montréal. Il fait battre la région au rythme financier et commercial ; c’est aussi la partie la plus populeuse et la plus grouillante de la ville. L’espace est rare, et les édifices sont collés les uns sur les autres. Rue Saint-Paul, « le mur long-plan de ces maisons est généralement parallèle à la me, à l’alignement de celle-ci, ce qui laisse dans la cour arrière un espace pouvant être utilisé à des fins commerciales, artisanales ou domestiques^ ». Il n’est pas étonnant que le feu se propage aussi rapidement. Il épargne cependant la partie est de la ville, où se trouvent « les plus grands terrains, mais avec peu d’édifices ». C’est à cet endroit que demeurent les riches dirigeants gouvernementaux et militaires. Ils habitent de spacieux manoirs entourés de jardins majestueux. Heureu¬ sement, la partie ouest échappe également à l’incendie. C’est là que résident, dans des maisons de bois, les artisans pauvres et les autres membres de la classe laborieuse. Plusieurs éminents marchands montréalais font à la fois le commerce des fourrures et la vente en gros. À cette période, à Montréal, comme dans plusieurs autres villes coloniales, les marchands construisent leurs maisons en ayant en tête leur famille et leur commerce. Le lieu de travail n’est pas séparé de celui de la résidence. C’est pourquoi une maison typique de marchand contient le logement, des entrepôts, un grenier et une boutique. Au deuxième niveau se trouvent la cuisine, la salle à manger, le salon et les chambres. Au troisième niveau, soit le grenier, il y a aussi des chambres à coucher. On entre¬ pose les céréales et d’autres marchandises au grenier. Le soussol sert d’entrepôt, de boutique et de logement. A cause de ce regroupement sous un même toit, l’incendie fait perdre aux marchands montréalais presque tous leurs biens meubles, leurs effets personnels et leurs marchandises. 3.

Phyllis Lambert «La maison et son environnement», dans Phyllis Lambert et Alan Stewart, éd., Montréal, ville fortifiée au xvuf siècle, Montréal, Centre canadien d’architecture, 1992, p. 69.

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La pendaison d’Angélique

De plus, le feu dévaste l’Hôtel-Dieu, qui s’élève directe¬ ment en face de la maison Francheville. Les chambres des patients et la résidence des religieuses sont entièrement dé¬ truites. Seuls sont épargnés quelques matelas, un peu de linge de maison et quelques médicaments pour l’apothicaire4. Même si certains pavillons de l’hôpital sont en pierre, la plupart des bâtiments périphériques sont en bois. Tous sont cependant recouverts de bardeaux de bois et ils tombent l’un après l’autre sous les flammes. Les religieuses, qui se sont réfugiées sur leur propre terrain, couchent à la belle étoile dans le jardin des pauvres et dans la cour, tout comme plusieurs victimes de la conflagration. C’est le deuxieme incendie qui détruit 1 Hôtel-Dieu en treize ans. Les rénovations entreprises après l’incendie de 1721 ne sont même pas terminées lorsque celui de 1734 éclate. Fort heu¬ reusement, il n’y a pas de victime lors de ce dernier feu. Le bilan aurait pu être beaucoup plus dévastateur, n’eût été la pré¬ sence des soldats. Pendant que les citoyens apeurés courent à gauche et a droite pour sauver leurs maisons et leurs biens, les soldats, eux, s’affairent à circonscrire les flammes. Le feu est le pire cauchemar des villes coloniales : les gens peuvent périr, leurs propriétés et leurs biens peuvent s’envo¬ ler en un instant. Et puis, reconstruire coûte cher. Les gou¬ vernements coloniaux recherchent sans cesse l’argent nécessaire à la reconstruction. Étant donné les épreuves qu’engendrent les incendies, les autorités sont sans pitié pour les incendiaires. D ailleurs, 1 incendie criminel est un délit punissable de mort. ^ Certaines victimes de l’incendie, dont Mme de Francheville, réussissent à récupérer quelques effets personnels. Bien que 1 hôpital lui-même disparaisse, les flammes ne touchent pas à la cour privée des religieuses, au jardin des pauvres, à la petite chapelle consacrée à la Vierge Marie et à quelques bâtiments périphériques. Ces lieux servent donc d’abri aux victimes. Ironiquement, Angélique et Thibault aident à transporter quelques biens de Thérèse de Francheville dans le jardin des pauvres. Pendant qu’ils s’affairent, cette dernière

4'

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Le.ttre 4e Beauhamois et de Hocquart à Maurepas, le 9 octobre 1734 Archives coloniales, série Cl la, vol. 61, p. 134, BAC.

L’incendie d’avril

apostrophe Angélique : « Vous avez mis le feu, je sais que vous l’avez fait. » Angélique répond: «Madame, même si je suis méchante à l’occasion, je ne suis pas assez tordue pour com¬ mettre un tel geste. » Mais, Thérèse de Francheville ne lâche pas prise. Elle continue à haranguer Angélique, l’accusant d’avoir mis le feu. L’esclave ne cesse de clamer son innocence. Quelques biens récupérés en mains, plusieurs personnes qui ont perdu leurs maisons se réunissent pour passer la nuit dans la cour de l’hôpital, car elles n’ont nulle part où aller. D’autres, plus chanceuses, ont trouvé des parents ou des amis prêts à les héberger jusqu’à la reconstruction de leurs maisons. Les Bérey s’installent avec la famille de François de Cannes de Falaise ; Thérèse se rend chez le sieur Tremon ; Marguerite César demeure chez le baron de Longueuil. Quelques religieuses de l’Ffôtel-Dieu vont vivre à la ferme qui appartient à la commu¬ nauté des frères Charon, dans la banlieue nord. Même avant que les soldats réussissent à contenir les flammes, des citoyens se réunissent dans la cour de l’hôpital et cherchent un responsable. Il ne fait pas de doute dans leur esprit que c’est l’œuvre d’un incendiaire. Et ils croient connaître son identité. Selon eux, l’incendiaire n’est nulle autre que MarieJoseph-Angélique, l’esclave de Thérèse de Francheville. Angélique, qui se trouve parmi eux, entend cette accusa¬ tion. Le jardinier de l’hôpital, Louis Bellefeuille dit* La Ruine, lui déclare que tout le monde prétend qu’elle a mis le feu. Angélique lui rétorque qu’elle « n’est pas si stupide ». Si l’es¬ clave croit que les accusations vont s’éteindre, elle a tort. En effet, les réfugiés du jardin n’ont pas fini de la montrer du doigt que le bruit de tambours se fait entendre. C’est un sol¬ dat qui, par ce geste, annonce qu’une proclamation doit suivre. François Roy, le crieur public, accompagne le soldat. Il s’apprête à livrer une nouvelle urgente. D’une voix forte et claire, il lance que Marie-Joseph-Angélique, la « négresse de Madame Francheville » a mis le feu à la ville. Après cette annonce à donner des frissons, un chirurgien de l’armée aborde Angélique en lui disant que tout le monde sait quelle est la responsable. Angélique rejette cette accusation, en réaffirmant En français et en italique dans le texte. (NDT)

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La pendaison d’Angélique

avec aplomb quelle n’est pas assez sotte pour mettre le feu à sa propre maison. Un quidam fait circuler une bouteille de sirop et de brandy. Tout le monde, y compris Angélique, en prend une gorgée. Des sulpiciens et des récollets apportent de la nourriture. Tous partagent ce goûter, même les religieuses. Bientôt, en dépit de la tristesse et du choc, les réfugiés tombent de fatigue, leurs paupières se ferment presque d’elles-mêmes. Ils s’apprêtent à s’endormir sous les couvertures apportées par les religieuses. Angélique trouve un coin dans la chapelle et s’enroule dans une couverture verte qu elle a obtenue des religieuses. Que fait donc Thibault pendant tout ce temps ? Eh bien, pendant que le feu fait rage, il aide Angélique à transporter des biens de Mme de Francheville jusqu’au jardin. Par la suite, il s assoit et regarde les flammes autour de lui. Lorsque La Ruine lui demande pourquoi il ne lance pas des seaux d’eau comme tout le monde, il répond calmement qu’il a eu une dure journée, qu il est très fatigué et affamé. Plusieurs citoyens croient qu’Angélique est la principale suspecte. En répondant ainsi a La Ruine, Claude Thibault devient le deuxième sus¬ pect. Au moment où Roy fait sa proclamation, Thibault est disparu dans la nature. Angélique est-elle inquiète ? En tout cas, elle ne le montre pas. Elle se mele à la foule, partage du sirop et du brandy avec les gens. Et pourtant, au moment où elle se couche pour la nuit, elle entend uniquement la voix de François Roy qui la déclare coupable et la condamne. Elle a certes raison de se préoccuper. La nuit coule, puis 1 aube se lève. La basse-ville* est en ruine. Les réfugiés ont dormi dans la cour de l’hôpital brûlé, leurs corps sont imprimes de 1 odeur de fumée des couvertures. Ceux qui ont réussi à dormir se lèvent sans doute en espérant que ce qui s est passé la veille n est rien d’autre qu’un mauvais rêve. Mais, en ouvrant bien les yeux et en voyant les édifices en fumee, ils comprennent la triste réalité. Ils ont tout perdu et, pendant quelque temps, leur vie sera sens dessus dessous.

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

L’incendie d’avril

Ils sont convaincus aussi qu’Angélique a bel et bien mis le feu. François Roy, le crieur public, n’a-t-il pas annoncé la nou¬ velle la veille ? L’incendiaire a dormi avec eux dans la cour. Elle a partagé nourriture et boisson, tout en niant son implication dans cette affaire. L’arrivée de l’aube ne calme pas les craintes d’Angélique. Elle sait que bientôt des membres de la maréchaussée vien¬ dront la chercher. Elle le sait, mais elle ne peut pas s’enfuir. A quoi bon ? Lorsqu’elle s’est évadée en février dernier, ne Font-ils pas traquée et retrouvée ? A ce moment-là, son seul crime était de s’être enfuie. Or, maintenant, il s’agit d’un incen¬ die criminel. Si elle prenait la clé des champs, elle aurait à ses trousses les forces conjointes de la police, de l’armée et de la milice. Et ils la trouveraient, sans l’ombre d’un doute. Une Noire qui essaie de se cacher dans un environnement blanc hostile, c’est une mission impossible. Immobilisée par la peur et peut-être même résignée, elle ne bouge pas de la chapelle de la Vierge Marie. Avant même que l’aube disparaisse, les policiers entrepren¬ nent leur enquête. Ils savent que le feu a commencé sur le toit de la maison de Mme de Francheville, plus précisément au gre¬ nier. Les céréales y sont habituellement entreposées et, curieu¬ sement, c’est aussi là que se trouve la chambre d’Angélique. Les policiers se rendent chez le sieur Tremon pour y inter¬ roger Mme de Francheville. Elle leur dit quelle soupçonne Angélique d’avoir mis le feu, fait sa déposition et la signe. La police interroge d’autres résidants, qui montrent Angélique du doigt. Plus tard dans la matinée, des agents se rendent dans la cour de l’hôpital à la recherche d’Angélique. Ils la trouvent dans la chapelle, la mettent aux arrêts et l’accompagnent jus¬ qu’à la prison municipale. Les policiers recherchent également Thibault, mais ils ne le trouvent pas. Ils émettent un mandat d’arrêt pour sa capture et son arrestation. Pourquoi Angélique est-elle restée dans le jardin des pauvres ? Tout simplement parce que les portes de la ville étaient closes et bien surveillées par la police et la milice. Elle n’aurait pas pu s’évader même si elle l’avait voulu. Elle reste aussi parce quelle sait que Thibault l’a trahie en s’enfuyant sans elle. De fait, peu de temps après avoir transporté les

La

pendaison d’Angélique

meubles de Mme de Francheville à l’hôpital et après avoir soupé, Claude Thibault s’est volatilisé. *

Un historien a décrit l’incendie de 1734 comme le crime le plus spectaculaire jamais commis au Canada5. En disant cela, il présume qu’il s’agit d’un incendie criminel et qu’Angélique est la coupable. Pierre Raimbault et le tribunal de Montréal sont certes de cet avis. Cependant, ils croient que Thibault doit assumer une grande part de responsabilité. Mais, puisque Thibault est introuvable, Raimbault doit s’en remettre à ce qu’il a devant lui. Angélique est la principale suspecte, tandis que Thibault est considéré comme son complice. L’esclave est emprisonnée en cette journée du 11 avril. Le lendemain, le procès débute sous la direction de Pierre Raimbault, juge du district de Montréal, et de François Foucher, procureur du roi.

5.

Raymond Boyer, Les Crimes et les châtiments au Canada français du xvif au siècle, Montréal, Le Cercle du livre de France, coll. L’Encyclopédie du Canada français, 1966, p. 132. XXe

192

Chapitre 8

DES LENDEMAINS QUI DÉCHANTENT E lendemain matin, la basse-ville est un vaste désert de

ruines noircies. Un épais nuage de fumée se balance dans l’air. Les gens passent les débris au crible afin d’évaluer l’étendue des dommages causés à leur vie et à leur gagne-pain. Maisons, meubles, papiers, biens et effets, valant des milliers de livres, se sont tous envolés en fumée. Toutefois, il y a une lumière au bout du tunnel : on ne déplore aucune perte de vie. Tout comme les citoyens ordinaires, les représentants du gouvernement et de l’Église évaluent les dommages. Josué Dubois Berthelot de Beaucours, gouverneur de Montréal, fait part de l’incendie et de ses conséquences à ses supérieurs dans la capitale. Plus tard, les deux principaux dirigeants de la colo¬ nie, le gouverneur Charles de Beauharnois et l’intendant Gilles Hocquart, rencontrent le Conseil supérieur afin de dis¬ cuter de ce sujet urgent. Ils décident de dépêcher GaspardJoseph Chaussegros de Léry, ingénieur du roi, pour analyser la catastrophe, en faire rapport et livrer ses recommandations. Entre-temps, le gouverneur et l’intendant donnent la per¬ mission à leurs représentants montréalais de s’adresser au Trésor afin d’aider les victimes et de payer les dommages. Habituellement, les magasins du roi sont remplis de

La pendaison d’Angélique

marchandises destinées aux soldats, mais en temps de crise, ces provisions servent à répondre aux besoins des citoyens ordinaires. Dès après l’incendie, les autorités distribuent des couvertures, de la farine, de la farine de maïs, du blé, de la viande séchée, des pantalons, des manteaux, de la vaisselle, des casseroles et d’autres ustensiles de cuisine. Tous ces articles, évalués à plus de 3000 livres, sont distribués au bon vouloir du roi, mais ce n’est pas suffisant pour répondre aux besoins des gens. Comme c’est le printemps et que des navires en partance pour la France vont bientôt quitter le port de Québec, Beauharnois et Hocquart prennent la plume et écrivent à Maurepas, ministre de la Marine de France, pour lui raconter l’incident tragique. Cette lettre, écrite en mai, est disparue des archives coloniales. Cependant, en octobre, les deux hommes envoient une lettre encore plus détaillée par le dernier navire à quitter le port cette année-là. Le gouverneur et l’intendant y décrivent dans le détail la destruction causée par le feu et soulignent que la communauté marchande et l’Hôtel-Dieu ont été les plus durement touchés. M. Hocquart a eu l’honneur de vous informer le 6 mai dernier par la voie de l’île Royale de l’incendie arrivé à Montréal le 10 avril précédent et que vers les 7 heures du soir le feu ayant pris à la couverture de la maison de la veuve Francheville située sur le bord du fleuve, gagna si promptement les maisons voi¬ sines malgré les secours que l’on put y apporter, qu’en moins de 3 heures, il y en eut 46 de consumées dont l’Hôtel-Dieu. La plupart de ces maisons appartenaient aux meilleurs négo¬ ciants ; ils ont perdu presque rous leurs meubles, effets et marchandises. Le sieur [Pierre de} Lestage qui était le plus riche négociant de la colonie passe pour avoir perdu 200 000 livres. [De même pour] la veuve Francheville, les sieurs Bérey [des Essars], [Volant de] Radisson, [Jean-Baptiste Saint-Ours} Deschaillons, [Louis-Thomas Chabert de] Joncaire, [Paul d’Ailleboust de] Périgny, [Ignace] Gamelin fils, [Simon] Guillory et autres [.. J1. 1.

Lettre de Beauharnois et de Hocquart à Maurepas, le 9 octobre 1734, Archives coloniales, série Cl la, vol. 61, f. 131-133, BAC.

Des lendemains qui déchantent

Ces énormes pertes pour des marchands importants, entre autres, sont un dur coup pour le commerce de Montréal, élé¬ ment vital de la société. Mais, le choc le plus dévastateur pour la ville, ses habitants et les gens des environs est sans contredit la destruction de 1 Hôtel-Dieu. L histoire de cet hôpital est intimement liée à celle de Montréal. Comme nous l’avons mentionné précédem¬ ment, la ville a été fondée en 1642 par des membres de la Société de Notre-Dame. Parmi eux, l’irréductible Jeanne Mance. Aujourd’hui, on la reconnaît à juste titre comme l’une des fondatrices et des pionnières de Montréal. Elle a contribué au développement de la ville en mettant sur pied son premier hôpital, 1 Hôtel-Dieu, en 1644. Après un court séjour à Montréal, Jeanne Mance est retournée en France pour solli¬ citer des fonds pour l’hôpital auprès de Jérôme Le Royer de La Dauversière, l’un des premiers défenseurs de la colonie montréalaise. Elle est revenue avec trois infirmières, les pre¬ mières employées de l’hôpital. L’Hôtel-Dieu a grandi au même rythme que la ville. Au moment de l’incendie de 1734, le personnel infirmier compte quarante personnes, incluant six assistants. Il y a aussi, bien sûr, un chirurgien. L’Hôtel-Dieu est à la fois un hôpital et un cou¬ vent. Les religieuses infirmières se nomment les Hospitalières de Saint-Joseph, vu que leur principal appui provient d’une institution du même nom à La Flèche en France. À partir de l’époque de Jeanne Mance, l’hôpital ne cesse de croître non seulement en taille, mais aussi en influence. Les religieuses de Montréal sont sous l’autorité des Sulpiciens. L’Hôtel-Dieu luimême n’est qu’à un jet de pierre du séminaire des Sulpiciens, rue Notre-Dame. A la fois hôpital public et militaire, l’Hôtel-Dieu offre des services essentiels à toute la région. Puisque Montréal abrite la plus grande garnison de la colonie, constamment en état de guerre ou sur le point de l’être, on ne peut surestimer l’impor¬ tance de cet hôpital. Il est essentiel de soigner les soldats bles¬ sés ou malades. Cependant, l’Hôtel-Dieu est là pour tout le monde : soldats, particuliers, aristocrates et esclaves. Il est le cœur de Montréal et il est sans doute plus vital pour la ville que l’Eglise elle-même.

195

La pendaison d’Angélique

Et pourtant, malgré l’excellent travail des religieuses infir¬ mières auprès de la communauté, l’hôpital est victime d’une « tragique histoire de destruction2 ». Un premier incendie survient en 1695. L’hôpital est reconstruit. En 1721, le feu réclame à nouveau son dû. Nouvelle reconstruction. Treize ans plus tard, soit en 1734, les flammes ravagent encore une fois l’Hôtel-Dieu. Les religieuses se retrouvent une troisième fois sans toit et la ville, sans hôpital. Ce n’est pas fini. En 1805, le feu réduira à nouveau l’hôpital en cendres. L’Hôtel-Dieu est une institution autonome. Des murs l’en¬ tourent, et un jardin au centre de la cour est à l’usage exclusif des religieuses cloîtrées, qui s’y détendent, font de la contem¬ plation et cultivent des herbes médicinales. L’hôpital contient des salles pour hommes, pour femmes et pour esclaves. On y trouve également une boulangerie, un dispensaire, une blan¬ chisserie, une cordonnerie, une petite chapelle dédiée à la Vierge Marie, un jardin et une cour pour les pauvres, ainsi que plusieurs autres bâtiments. Des liens de sang, de mariage et d’affaires unissent les Hospitalières à la société montréalaise. Plusieurs religieuses infirmières sont originaires des plus hauts échelons de la société et sont liées à d’éminentes familles de militaires, de magistrats et de commerçants. Par exemple, au moment de l’incendie de 1734, Suzanne de Couagne, sœur de Thérèse, est l’une des religieuses de l’Hôtel-Dieu. La mère supérieure, sœur Françoise Gaudé, est une parente de la famille de Couagne. De son vivant, le sieur de Francheville prête de l’argent aux religieuses. Jacques Testard de Montigny, qui accueille des religieuses dans sa vaste maison après l’incendie, a deux filles qui sont infirmières à l’Hôtel-Dieu. Lors de la Conquête de 1760, sœur de Ramezay, héritière de la célèbre famille Ramezay, est la supérieure de la succursale québécoise de l’Hôtel-Dieu. Enfin, Thérèse de Francheville vit ses dernières heures à l’hôpital. Pour plusieurs jeunes filles issues de familles riches et aris¬ tocratiques, entrer au couvent est une solution de rechange au mariage. Lorsque ces jeunes filles prononcent leurs vœux, elles apportent par le fait même leur dot à l’Eglise. Par ce geste,

2.

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Kathleen Jenkins, op. cit., p. 110.

Des lendemains qui déchantent

elles disent quelles sont les épouses du Christ. Elles sont néan¬ moins des travailleuses. Elles dirigent des hôpitaux, étudient 1 art et la science de la médecine et de la pharmacologie, inves¬ tissent dans 1 immobilier et gèrent des entreprises, louent leurs terres et fabriquent des objets, qu elles vendent aux gens de l’endroit et aux visiteurs. Le 10 avril 1734, lorsqu’elles entendent les appels au feu, les religieuses essaient de se sauver elles-mêmes et leur pro¬ priété. Or, l’hôpital est situé directement en face de la maison des Francheville, et il est bientôt la proie des flammes. Sœur Marie-Anne-Véronique Cuillerier, historienne de l’Hôtel-Dieu du xvme siècle, nous livre un témoignage personnel de l’im¬ pact de 1 incendie de 1734. Elle nous dit que, dès l’arrivée des flammes, le toit de l’hôpital et du couvent s’effondre. Les reli¬ gieuses sortent des bâtiments en flammes et se réfugient dans le jardin des pauvres avec les autres victimes. D’après sœur Cuillerier, les pertes sont énormes : les meubles, le linge de la sacristie, les articles à vendre (dont les revenus servent aux soins des pauvres et des religieuses) et les réserves, le registre des gens qui prennent le voile ou font leurs vœux, tout est détruit par le feu. Toutefois, les vases sacrés sont saufs. Elle ajoute que la destruction de la pharmacie représente une lourde perte. Mais, de bonnes nouvelles pointent à l’horizon. Comme le note la chroniqueuse, les religieuses réussissent à soutirer les vases sacrés du feu et, par miracle, la chapelle de la Vierge Marie échappe aux flammes. Quelques religieuses s’y réfugient. Parmi celles-ci, certaines sont témoin pour une troisième fois d’un incendie qui anéantit leur cher hôpital. Constatant le chaos qui règne autour d’elles et se souvenant des événements passés, les religieuses entrevoient un sombre avenir. Elles fondent en larmes. La désolation les tenaille tellement quelles sont inca¬ pables de manger la nourriture apportée par des sulpiciens. Les religieuses et leurs patients passent deux jours au milieu des ruines. Mère Gaudé fait tout ce quelle peut pour soulager les victimes, religieuses ou réfugiés. « Que peut-elle faire ? Elle n’a rien à donner », se lamente sœur Cuillerier. Son récit nous dit que les nuits sont froides (n’oublions pas que nous sommes au début du printemps) et que la boue, créée par la neige fon¬ dante, monte jusqu’aux genoux. Les religieuses mettent au

La pendaison d’Angélique

point un plan d’action. Des religieuses conduisent les patients les plus malades à leur ferme Saint-Joseph, sise au nord de Montréal. Un deuxième groupe dirige d’autres patients vers la ferme des frères Charon. Enfin, les autres restent sur place dans les ruines de l’hôpital et du couventL Les Sulpiciens entrent en jeu à ce moment-là. Agissant au nom du gouvernement, Mgr Louis Normant, vicaire, loue une grande maison (la plus grande de Montréal, en réalité) du sieur Jacques Testard de Montigny. Elle est assez spacieuse pour loger les trois groupes de religieuses éparpillées. Pour de Montigny, venir en aide à la communauté de l’Hôtel-Dieu est une affaire personnelle. En effet, deux de ses filles, Marguerite et MarieJosephe, sont membres de la communauté. Les Sulpiciens louent également une maison en face du domicile de Montigny afin d’y héberger les patients. Les religieuses sont réunies à la mai¬ son de Testard de Montigny le 20 mai, plus de cinq semaines après l’incendie. Le domaine de Montigny est situé dans le vaste secteur est de la ville, près de la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours. Ce voisinage de la chapelle est une bénédiction pour les religieuses, des cloîtrées. Elles peuvent ainsi marcher pour assis¬ ter à la messe sans se mêler aux gens de l’extérieur de la com¬ munauté. Elles construisent un passage couvert qui relie la maison à la chapelle, ce qui leur permet de se déplacer à l’abri des yeux inquisiteurs du public. Les lettres de Beauharnois et de Hocquart nous livrent d’autres renseignements à propos de l’impact du feu sur l’Hôtel-Dieu. Ces deux dirigeants connaissent la valeur de cet hôpital pour la communauté. Ils savent qu’il est indispen¬ sable à la ville et, surtout, à l’institution militaire. Ainsi, ils écrivent à Maurepas : L’Hôtel-Dieu de Montréal a eu besoin de toutes nos attentions dans la situation où l’accident du feu l’a mis. M. Hocquart a eu l’honneur de vous informer par la même lettre du 6 mai

3.

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Pour une description vivante des événements, voir Ghislaine Legendre, éd., «Relation de sœur Cuillerier, 1725-1747 », dans Écrits du Canada français, vol. 42.

Des lendemains qui déchantent

dernier que tous les batiments tant des religieuses que des pauvres avaient été consumes. Elles n ont sauvé que quelques matelas, très peu de linge, et quelques médicaments de leur apothicairie. Le dénuement où elles se sont trouvées, et la nécessité d un hôpital a Montreal ou se trouve le plus grand nombre des troupes nous ont déterminé sous votre bon plaisir à placer les religieuses dans la maison du sieur de Montigny près de la chapelle de Notre-Dame-de-Bonsecours, et les malades dans la maison voisine où ils sont secourus comme ils étaient précédemment à 1 Hotel-Dieu. Nous nous sommes fait fort de votre approbation pour le loyer de ces deux maisons, que nous avons réglé à 750 livres pour le tout jusqua ce que l’hôpital puisse être rétabli4.

Le gouverneur et l’intendant parlent aussi de l’état de pau¬ vreté des religieuses infirmières et de leur incapacité à rebâtir l’hôpital :

Nous avons examiné les divers moyens de parvenir au rétablis¬ sement de l’Hôtel-Dieu, et après avoir pris connaissance de l’état où se trouvent les affaires temporelles de cette commu¬ nauté et des charges quelle a à supporter, nous avons l’hon¬ neur, Monseigneur, de vous adresser un mémoire auquel sont joints différents états tant des revenus de la communauté que de l’hôpital, de leurs dertes actives et passives, et de ce qui a été brûlé ou perdu dans l’incendie. Vous verrez, Monseigneur, par ces états que les revenus de cette maison ne permettent même pas aux religieuses de tenter leur rétablissement. Nous avons donc eu recours à la charité des peuples de cette colonie et principalement de ceux du gouvernement de Montréal qui affectionnent plus particulièrement cette communauté5.

Les deux hommes font valoir leur point. Il est absolument nécessaire, disent-ils, de reconstmire l’hôpital, et le seul moyen viable d’y parvenir, c’est avec l’argent du roi.

4.

Lettre de Beauharnois et de Hocquart à Maurepas, le 9 octobre 1734, op. cit., f. 133-134.

5.

Ibid., f. 135.

199

La pendaison d’Angélique

La plupart à la vérité ont déjà contribué à cette œuvre. Les habitants des campagnes [...} leur ont fourni une partie des bois de charpente nécessaires pour la couverture de leur bâti¬ ment. Elles ont trouvé aussi quelque petit secours chez les per¬ sonnes les plus aisées, un peu de blé, et, de la part des ouvriers de Montréal, quelques journées données gratuitement. Tous ces secours peuvent monter jusqu’à présent à environ 3000 livres, une somme bien modique pour commencer l’ou¬ vrage si nous n’avions pris sur nous de leur faire avancer par le trésorier de la Marine la somme de 5000 livres qui ont été employées pour des planches, des madriers, la couverture, les journées d’ouvriers et autres travaux pour cet hôpital. Et, sur l’espérance qu elles ont dans vos bontés, elles ont commencé dès cet été à faire rétablir une partie des murs, faire asseoir des poutres, et couvrir une partie du bâtiment pour le garantir de l’injure du temps pendant l’hiver, et c’est tout ce quelles ont pu faire cette année. Elles ne seront pas en état d’en entreprendre davantage, si vous n’avez la bonté, Monseigneur, de leur obte¬ nir de sa Majesté un secours convenable6.

Beauharnois et Hocquart demandent ensuite plus d’aide financière à Maurepas. Ils lui rappellent qu’à l’occasion du pré¬ cédent incendie de Montréal, il a été généreux dans l’effort de reconstruction, versant une somme de 18 000 livres pour un incendie qui n’a pas fait autant de dommages que le dernier7. Enfin, il y a la question des fortifications. Au moment de l’incendie, le mur entourant Montréal est toujours en construc¬ tion. La Couronne met à contribution toutes les forces du pays — ressources humaines, corvées et taxes élevées — pour pour¬ suivre et terminer ces fortifications. Si les citoyens veulent se protéger, ils doivent puiser au fond de leurs poches et payer. Avant l’incendie, le sieur Raimbault, lieutenant général en matières civile et pénale, a mis au point les rôles d’évaluation. Collectivement, les habitants doivent 5000 livres en impôt pour les fortifications. Toutefois, l’incendie vient brouiller les cartes, et les dirigeants doivent reconsidérer la façon de taxer. Tout

6. 7.

200

Ibid., f. 135-136. Ibid., f. 136.

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d abord, 1 incendie a freiné les travaux sur le mur. Ensuite, il devient évident que les propriétaires de maisons et d’édifices, victimes des flammes, sont incapables de payer leur part. Ils doivent 1000livres, mais les dirigeants, connaissant leur détresse, les dispensent de leurs obligations. Quelles que soient leurs ressources à ce moment-là, les victimes doivent les investir dans la reconstruction de leurs maisons et de leurs commerces. L’intendant et le gouverneur n’ont d’autres choix que d’accep¬ ter le statu quo et d’espérer que le solde de 4000 livres soit réglé par les autres citoyens et les communautés8. En guise de réponse à la demande de Beauharnois et de Hocquart, Maurepas accorde une subvention de 1000 livres à la communauté de l’Hôtel-Dieu, plus 1500 livres par année jusqu’à la fin des travaux de reconstruction. Petit à petit, l’Hôtel-Dieu reprend forme de sorte que, dix-huit mois plus tard, religieuses et patients peuvent mettre les pieds dans un nouvel hôpital. Mais il y aura encore du travail à faire jusqu’en 1743.

L’incendie frappe les gens de plusieurs autres façons. Les archives des Francheville s’envolent en fumée. Certaines auraient sans doute été utiles aux futurs historiens. Sœur Cuillerier mentionne que d’importants documents de l’Hôtel-Dieu ont disparu dans le brasier. Beauharnois et Hocquart joignent à leur missive des demandes de la part de trois braves victimes. Le sieur JeanBaptiste Saint-Ours Deschaillons, un officier à la retraite, a perdu deux de ses maisons dans le brasier. Il vit à Québec, mais il a loué ses maisons de Montréal pour arrondir ses fins de mois. L’intendant et le gouverneur prient Maurepas de venir en aide financièrement à Saint-Ours Deschaillons, puisqu’il doit subvenir aux besoins de sa famille. De même, Mme Marie-Charlotte de Ramezay, veuve de l’ancien gouverneur de Montréal, Claude de Ramezay, a perdu sa maison de la rue Notre-Dame. Marie-Charlotte de

8.

Ibid, f. 137.

201

La pendaison d’Angélique

Ramezay passera à l’histoire parce quelle exploite plusieurs commerces et qu elle ne s’est pas remariée après la mort de son mari. Elle mène ses affaires en « indomptable veuve ». En tant que victime de l’incendie, elle fait appel également à Maurepas. « Elle a tout perdu », écrivent Beauharnois et Hocquart. Ils rap¬ pellent à Maurepas que l’époux de Mme de Ramezay a long¬ temps été un serviteur consciencieux et loyal du roi, en sa qua¬ lité de gouverneur de Montréal. Charles-René Gaudron de Chevremont, notaire royal, est la troisième personne à solliciter de l’aide. Il a perdu ses meubles et tous ses effets personnels lors de la conflagration. C’est lui qui sera l’adjoint du juge au procès d’Angélique. Autre conséquence à long terme : cet incendie suscite la mise en place de nouvelles règles de prévention plus efficaces. Les cendres ne sont pas aussitôt refroidies que l’ingénieur royal de Léry entreprend une enquête sur la situation. De Léry est res¬ ponsable de la défense de Montréal, c’est-à-dire qu’il doit en relever les déficiences et faire des recommandations. C’est lui qui a conçu le mur de pierre qui encercle partiellement la ville. Il a une impression de déjà-vu en enquêtant sur l’incendie de 1734. En effet, c’est lui qui a mené l’enquête après l’incen¬ die de 1721 et qui a fait des recommandations pour renforcer la prévention. A ce moment-là, l’intendant Michel Bégon tra¬ duit ses recommandations en ordonnance afin que la ville soit mieux préparée advenant une nouvelle catastrophe : [...} l’une des principales causes du grand nombre de maisons qui y ont été incendiées le 19 du mois passé est la difficulté qu’il y a eu d’avoir le nombre de seaux nécessaires pour éteindre le feu, de haches pour l’arrêter en abattant les maisons, quoique les règlements de police enjoignent aux bourgeois et habitants de courir au feu aussitôt que le tocsin sonne et d’y porter chacun une hache et un seau. Que les propriétaires des mai¬ sons sont obligés par les mêmes règlements d’avoir une échelle en bon état sur les toits de leurs maisons et une dans leur cour de la hauteur du rez-de-chaussée au toit et de faire ramoner au moins une fois chaque mois leurs cheminées9. 9.

202

Ordonnances, 1684-1760, TL4, S35, Bégon, Michel, Ordonnance sur la pré¬ vention et le combat des incendies, 8 juillet 1721, BAnQ-M.

Des lendemains qui déchantent

De plus, 1 ordonnance stipule que toute nouvelle maison doit être construite en pierre et que les bâtiments récents, dont 11 faut refaire le toit, doivent être recouverts de bardeaux en ardoise. L enquête de 1734 révèle pourquoi la ville a brûlé aussi faci¬ lement. Ce sont les bardeaux qui posent problème. Les mai¬ sons, particulièrement celles du cœur de la ville, sont collées les unes aux autres. Grâce aux représentations de Léry, l’inten¬ dant émet une nouvelle ordonnance à propos de la prévention des incendies, ordonnance qui touche à tous les aspects de la prévention, de l’entretien des cheminées à la brigade contre les incendies. Cette ordonnance prévoit la fabrication de 280 seaux, dont 80 en cuir et le reste en bois. Il faut aussi pro¬ duire 100 haches et une même quantité de pelles. En outre, il faut usiner 24 crochets de fer reliés à des chaînes et de cordes devant servir à faire sauter les chevrons. En outre, il faut 12 longues échelles et 12 béliers... Tous ces instruments, mar¬ qués de la fleur de lis, doivent être entreposés au poste de garde, chez les Sulpiciens, les Récollets et les Jésuites... Le ramonage des cheminées devient obligatoire, et chaque cheminée doit être pourvue d’une échelle pour qu’on puisse la rejoindre. Le grenier de chaque maison doit contenir deux béliers assez longs pour atteindre la faîtière. Le lieutenant général dressera une liste de charpentiers, de maçons et de couvreurs qui travaille¬ ront en deux équipes sous la direction d’un contremaître10. Malgré la précision de l’ordonnance, les autorités jugent nécessaire de prescrire que les citoyens achètent eux-mêmes les seaux et les haches qu’ils doivent apporter sur les lieux d’un incendie. À défaut de quoi, ils devront payer une amende de cinquante livres et les marchandises* 11. Beauharnois et Hocquart annoncent à Maurepas que la nouvelle ordonnance contient des dispositions qui n’apparaissent pas dans les règle¬ ments précédents. Enfin, ils rassurent le ministre en lui disant que la nouvelle ordonnance sera appliquée à la lettre12. Ces mesures ont certes porté leurs fruits parce que Montréal

10.

Robert Prévost, op. rit., p. 149-150.

11.

Ibid, p. 150.

12.

Lettre de Beauharnois et de Hocquart à Maurepas, le 9 octobre 1734, op. rit.

203

La pendaison d’Angélique

ne connaîtra pas d’autres incendies majeurs avant le régime anglais, sauf celui de la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours. Mais les changements tardent à venir. Dans les jours sui¬ vant l’incendie de 1734, des citoyens furieux et sous le choc exigent réparation pour la misère et les malheurs qui les affli¬ gent. En effet, l’incendie d’avril a dévasté la ville et « a plongé dans la misère13 » presque tous les commerçants, les mar¬ chands, les religieuses, les veuves, les travailleurs et les soldats, qui doivent repartir à zéro. Ils trouveront une oreille attentive. Le bras de la justice royale a une longue portée : quiconque est responsable du crime le paiera cher14.

13.

R. E., «Une cause célèbre au xvme siècle: la troisième conflagration à Montréal, le procès, la condamnation et la mort d’une négresse incendiaire en 1734 », dans Le Canada, les 22 et 23 octobre 1917.

14.

La nouvelle de l’incendie se propage non seulement dans la colonie et en France, mais aussi dans les colonies anglaises du Sud. Les colons de New York, de la Pennsylvanie et de la Nouvelle-Angleterre découvrent le terrible incendie. L’une de sources d’information, ce sont les Indiens qui traversent allègrement les fron¬ tières de la Nouvelle-Angleterre et des colonies anglaises, comme en fait foi l’extrait suivant d’une lettre parue dans un journal de Philadelphie: «Nous apprenons, par la voix d’indiens venus de là récemment, qu’il y a environ trois semaines, la moitié de la ville de Montréal a été détruite par le feu, y compris le couvent et plusieurs maisons de marchands bien connus. » Voir « Extrait d une lettre d Albany, datée du 17 avril », dans American Weekly Mercuty de Philadelphie, du 18 au 25 avril 1734. (L’incendie a éclaté une semaine avant la parution de l’article et non « trois semaines plus tôt ».)

204

Chapitre 9

LE PROCÈS ans leur longue missive À Maurepas,

Beauharnois et

Hocquart expriment leur opinion sur l’auteur de l’in¬ cendie, opinion que tous partagent. « Cet accident est arrivé par la méchanceté d’une esclave négresse appartenant à la veuve de Francheville qui, par quelque mécontentement de sa maî¬ tresse, mit le feu de propos délibéré dans les greniers de sa maison {.. .f1 » C’est ainsi que cela devient une « réalité » his¬ torique : Marie-Joseph-Angélique a mis le feu à Montréal en 1734. Au cours des deux siècles et demi qui suivront, his¬ toriens, auteurs de fiction, journalistes et autres commenta¬ teurs feront écho aux paroles du gouverneur en déclarant Angélique coupable d’incendie criminel. A l’époque, les res¬ ponsables de la justice pénale dans la juridiction de Montréal partagent également cette idée de Beauharnois et de Hocquart. Cependant, ce serait une parodie de la justice royale si une per¬ sonne accusée était reconnue coupable et condamnée sans qu’il y ait procès. Les policiers tirent donc Angélique du jardin de l’HôtelDieu et la conduisent à la prison municipale, une prison qui a subi d’importants changements au cours des ans. En 1708,

1.

Lettre de Beauharnois et de Hocquart à Maurepas, le 9 octobre 17 34, op. cit., f. 133.

La pendaison d’Angélique

il n’y avait que deux cellules. En 1720, on y a ajouté un palais de justice et deux pièces pour le geôlier. En 1730, l’intendant ordonne la construction d’un mur autour de la prison en guise de protection. Malgré ces ajouts, la prison n’est pas destinée aux longues peines. Personne n’y languit des mois ou des années durant. Les exécutions ont lieu presque immédiatement après le prononcé de la sentence. Pendaisons, coups de fouet et autres formes de punitions publiques ont lieu sur le marché (aujourd’hui la place Royale). Si quelqu’un est condamné à une longue peine, il ne la purge pas dans la prison ; il devient plutôt esclave sur les galères royales. Les prisons du xvme siècle ne sont pas des lieux de tout repos. Elles ont été créées pour semer la terreur dans le cœur des malfaiteurs. Les cellules sont exiguës, humides, sombres et sales. Elles sont aussi infestées de vermine. La faim fait par¬ tie du menu quotidien, car une croûte de pain rassis et un pot d’eau rance tiennent lieu de repas. Voilà le genre de prison dans laquelle on jette Angélique. Sa cellule est étroite, mais assez longue pour accueillir le corps allongé d’une personne adulte. Son lit est un tas de paille. Il n’y a pas de fenêtres, et une solide porte en bois la retient à l’intérieur. Ses repas comprennent les traditionnels pots d’eau et croûtes de pain. Angélique passe la journée du 11 avril dans sa cellule pendant que les autorités mettent au point son procès. C est François Foucher.procureur du roi , qui présente la cause. Débarqué au Canada en 1722, Foucher a d’abord été secrétaire de 1 intendant Michel Bégon, puis, en 1727, il a été nommé pro¬ cureur du roi* à Montréal. En cette qualité, il supervise depuis les enquêtes en matière criminelle et dépose les poursuites. Il ne perd pas de temps dans l’affaire d’Angélique. Le matin du 11 avril, il demande a Pierre Raimbault, lieutenant gouverneur en matières civile et criminelle ainsi que juge à Montréal, d’entreprendre son enquête. Il est curieux de noter que, dans sa requête, Foucher laisse sous-entendre qu’Angélique est coupable. Foucher y dit que, selon 1 « opinion publique », Angélique a mis le feu et a tenté de s’enfuir de Montréal en compagnie de Claude Thibault. Il déclare également qu’Angélique a souvent menacé *

206

En français et en italique dans le texte. (NDT)

Le procès

de brûler Mme de Francheville et même la ville de Montréal tout entière, que le jour de l’incendie, elle a affirmé que sa maîtresse et ses voisins ne dormiraient pas dans leurs mai¬ sons cette nuit-là et, enfin, quelle a mis le feu au grenier des Francheville. Foucher ajoute : En considération de ceci, Monsieur, veuillez permettre audit procureur du roi de recueillir des renseignements, et de faire arrêter et conduire aux prisons royales de cette ville ladite négresse, de même que ledit Thibault (attendu que suivant le bruit commun il s’est trouvé avec ladite négresse la nuit der¬ nière), pour être interrogés par vous, Monsieur, et que lesdits interrogatoires et renseignements soient communiqués à quiconque en aura besoin2.

Les déclarations de Foucher nous indiquent qu’il a déjà fait enquête et qu’il a obtenu des renseignements à propos des allées et venues d’Angélique. Même avant le début du procès, Foucher recueille des preuves contre Angélique. Raimbault permet à Foucher de faire emprisonner Angélique et d’assigner les témoins. Foucher émet des assignations et collige les dépo¬ sitions. Il ordonne également aux policiers d’entreprendre une chasse à l’homme contre Claude Thibault. La procédure contre Angélique dure du 11 avril, moment où elle est arrêtée, jusqu’au 21 juin, jour de sa pendaison. L’en¬ quête et les interrogatoires ont lieu du 12 avril au 4 juin, alors que le juge condamne Angélique à la peine de mort. Foucher interjette appel devant le Conseil supérieur à Québec qui main¬ tient cette décision. Angélique revient à Montréal. Du 15 au 21 juin, elle subit d’autres interrogatoires. On la torture, puis on l’exécute. Le système judiciaire français est de nature inquisitoriale et, par conséquent, inamicale. Un prévenu est présumé coupable et il doit faire la preuve de son innocence. Louis XIV ayant 2.

Procédure criminelle contre Marie Joseph Angélique négresse, incendiaire, 1734, TL4 SI, 4136, juridiction royale de Montréal, requête du procureur du roi pour l’arrestation d’Angélique et de Claude Thibault, 11 avril 1734, f. 1, BAnQ-M.

207

La pendaison d’Angélique

interdit aux avocats de pratiquer en Nouvelle-France, chaque inculpé est obligé de se défendre seul. Il n’a pas droit à un pro¬ cès juste ni à un procès devant jury. Les procès se déroulent devant un tribunal composé du juge, du procureur du roï' et du greffier*, qui transcrit les témoignages des témoins et de l’ac¬ cusé ainsi que les questions du juge. Le notaire royal fait éga¬ lement partie du tribunal. Il aide à préparer la cause et donne des avis juridiques. À Montréal, les procès se déroulent au palais de justice ou à la prison, où se trouve un petit palais de justice. Parfois, les procès vont d’un endroit à l’autre. En Nouvelle-France, les procès criminels sont instruits à la suite d’une enquête minutieuse du procureur. Les témoins sont appelés à la barre où ils livrent leurs témoignages devant le procureur du roi' et le juge, puis l’inculpé répond aux questions. Lors de l’interrogatoire, l’accusé subit un barrage de questions. Il doit y répondre rapidement, sinon il sera présumé coupable. On a dit des juges français qu’ils bombardaient les « prison¬ niers de questions tellement malveillantes qu’on aurait cru à la première étape vers la torture* 3 ». Si le procureur juge qu’il faut enquêter davantage, il fait défiler d’autres témoins et rap¬ pelle l’inculpé. Ce dernier aspect est loin d’être facile : les ques¬ tions pleuvent sur l’accusé que l’on cherche à « briser ». Si cela est nécessaire, le procureur peut rappeler des témoins clés afin de vérifier s’ils s’en tiennent toujours à leurs premiers témoignages. À l’étape suivante, soit la confrontation, l’in¬ culpé et chaque témoin se font face. Le témoin répète devant l’accusé ce qu’il a dit précédemment au juge. Au cours de ces confrontations, 1 inculpé tente de discréditer le témoin en niant son témoignage ou en le défiant afin, espère-t-il, de faire la preuve de son innocence4. Les membres du tribunal écoutent ces échanges que transcrit le greffier. Puis, l’accusé et les témoins peuvent modifier leurs témoignages. Si le procureur nourrit encore quelque doute, il peut faire subir un contreinterrogatoire à l’accusé.

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

3.

Douglas Hay, « The Meaning of Criminal Law in Quebec, 1764-1774 », dans

4.

Louis A. Knafla, éd., Crime and Criminal Justice in Europe and Canada, Waterloo (Ontario), Wilfrid Laurier University Press, 2e édition, 1985, p. 77. André Lachance, op. cit., p. 21-22.

Le procès

En Nouvelle-France, la torture fait partie intégrante de tout procès criminel, surtout si la poursuite soupçonne l’accusé de cacher des renseignements importants. La torture est un sys¬ tème à deux vitesses. Il y a tout d’abord la question ordinaire , un seul supplice destiné a inciter 1 inculpé à passer aux aveux. C est du moins ce qu’espère le procureur. Si cela ne fonctionne pas, on passe alors a la question extraordinaire^, qui comprend des supplices plus intenses et douloureux, habituellement pra¬ tiqués par le bourreau. La plupart du temps, l’accusé ne résiste pas à la question extraordinaire . Le procès d’Angélique se déroule entièrement sur ce modèle. Les acteurs clés sont non seulement Foucher et Raimbault, mais aussi Claude-Cyprien-Jacques Porlier, greffier, et quatre notaires, soit Jean-Baptiste Adhémar dit Saint-Martin, Nicolas-Auguste Guillet de Chaumont, Charles-René Gaudron de Chevremont et François-Michel Lepailleur de Laferté, qui agissent en tant que conseillers juridiques. Gaudron de Chevremont, qui est juge à sa seigneurie de l’île Jésus, en banlieue de Montréal, est également l’adjoint du juge dans le procès d’Angélique. Deux bonnes douzaines de témoins défilent devant le tribunal, dont Thérèse de Couagne de Francheville, sa maîtresse ; ses voisins Marguerite César, Alexis Lemoine dit Monière, Étienne Volant de Radisson et Jeanne Nafrechoux de Bérey ; les domestiques Catherine Custeau et Marie-Françoise Thomelet ; l’esclave Marie-Manon; et trois filles, Marguerite de Couagne, Charlotte Trottier Desrivières et Amable Lemoine dit* Monière. Beaucoup d’autres personnages participent au procès. Men¬ tionnons : le crieur public qui, le soir de l’incendie, se promène par les rues en annonçant que le feu a été déclenché par « la négresse de Mme de Francheville » (c’est lui qui annoncera le verdict de culpabilité plusieurs semaines plus tard) ; les poli¬ ciers coloniaux qui ont arrêté Angélique et ont recherché les témoins ; le huissier et le geôlier ; le gouverneur, l’intendant et les membres du Conseil supérieur; et, enfin, le tortionnaire et bourreau royal, Mathieu Léveillé. Bien évidemment, MarieJoseph-Angélique en est le personnage principal. De plus, elle

En français et en italique dans le texte. (NDT)

209

La pendaison d’Angélique

doit assumer sa propre défense. Elle est l’esclave qui a une « vision bizarre de la liberté5 » et qui a pris les moyens pour se libérer elle-même. Mais elle a failli à la tâche. Le matin du 12 avril, le geôlier transporte Angélique au palais de justice, sis à quelques pâtés de maisons de la prison. La table est mise pour le procès le plus spectaculaire du xvme siècle au Canada. Le tribunal de Montréal traite des matières civiles et criminelles pour la ville et ses environs. Au moment du procès d’Angélique, Pierre Raimbault est juge depuis sept ans. C’est un éminent personnage des milieux judi¬ ciaire et politique de Montréal, voire de la Nouvelle-France. En tant que juge, l’une de ses principales tâches est d’aider le procureur à étayer la preuve et à préparer la poursuite. Né à Montréal en 1671, Raimbault est devenu marchandébéniste à l’âge de vingt ans. Il a entrepris une carrière juri¬ dique comme notaire en 1697, pour devenir notaire royal deux ans plus tard. Au cours de sa carrière, il a été tour à tour procureur du roi, subdélégué de l’intendant, puis lieutenant général, civil et criminel de police, commerce et navigation au tribunal de Montréal, à partir de 1720, un poste qu’il occu¬ pera jusqu’à sa mort6. Le procès d’Angélique est le plus remarquable que le juge Raimbault ou les notaires aient présidé. Au xvme siècle, l’in¬ cendie criminel est un crime capital, cela veut dire qu’il peut entraîner la peine de mort. Si on ne lui impose pas la peine de mort, le prévenu peut s’attendre à un châtiment extrême, à l’emprisonnement à long terme ou à l’exil. Les autorités n’ont vraiment pas l’intention d’exiler Angélique. La première étape du procès consiste à examiner et à inter¬ roger la prévenue. C’est précisément ce que fait Raimbault en cet après-midi du 12 avril. En vue de faire la preuve de la culpabilité d’Angélique, le tribunal n’a besoin que du témoignage de deux soi-disant témoins impartiaux et de la confession de l’accusée. Cependant, Raimbault fait défiler plus de deux témoins. En réalité, ce sont deux douzaines de témoins qui font des dépositions, et Raimbault les voit trois fois chacun. Tous, sauf un, sont défavorables à Angélique. 5. 6.

William Riddell, «Notes on the Slave in Nouvelle-France», op. cit., p. 330. Voir Robert Lahaise, Dictionnaire biographique du Canada en ligne, www.biographi.ca.

Le procès

Revenons a cet après-midi du 12 avril 1734 et voyons ce que le greffier écrit d’entrée de jeu:

Nous, Pierre Raimbault, conseiller du roi, lieutenant général civil et criminel au siège de la juridiction royale de Montréal, nous étant transporte a la chambre de la geôle des prisons royales de cette ville, avons fait amener devant nous, la négresse de la demoiselle de Francheville, nommée Angélique, en vertu de notre ordonnance d hier à la requête du procureur du roi. Après avoir prêté serment de dire la vérité, elle a été interrogée par nous ensuite à propos de son nom, surnom, âge, qualité et domicile, elle a dit se nommer Marie Joseph, âgée de vingtneuf ans, née au Portugal et qui a été vendue à un Flamand qui 1 a vendue à feu sieur de Francheville, il y a environ neuf ans, où elle a toujours demeuré depuis7.

Pendant l’interrogatoire, Raimbault souligne qu’Angélique a tenté d’échapper à son esclavage précédemment, et cela, en compagnie de Claude Thibault, son amant et collègue de tra¬ vail chez les Francheville. Le greffier note : « Elle a dit qu’il n’y a pas plus de six semaines, elle s’en est allée avec ledit Thibault, prénommé Claude, et qu’ils étaient à trente lieues d’ici en route vers la Nouvelle-Angleterre et de là dans son pays du Portugal8. » Raimbault a bien fait ses devoirs. Les cendres à peine refroi¬ dies, il sait qu’Angélique a menacé de faire brûler Mme de Francheville si elle ne lui donnait pas son conge". Les premiers échanges entre Raimbault et Angélique ressemblent à ce qui suit9.

Raimbault

: N’avez-vous pas menacé la veuve du sieur de

Francheville de la faire brûler si elle refusait votre congé ? 7. 8.

Procédure criminelle contre [...], premier interrogatoire d'Angélique, 12 avril 1734, f. 1-2, BAnQ-M. Ibid. ,{.2.

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

9-

Dialogue conçu par fauteur Afua Cooper, à partir du document « Procédure criminelle contre Marie Joseph Angélique négresse, incendiaire, 1734, TL4 SI, 4136, juridiction royale de Montréal, premier interrogatoire d’Angélique, 12 avril 1734», f. 3-6, BAnQ-M.

211

La pendaison d’Angélique

Angélique : Non. Raimbault: Le jour de l’incendie, avez-vous dit à la partis du sieur de Bérey que sa maîtresse et elle ne coucheraient pas à la maison ?

Angélique: Non. J’aurais été possédée du diable si je l’avais fait.

Raimbault : Avez-vous dit à une personne qui vous accusait de tant de pertes et du présent incendie qu’elle n’avait encore rien vu, parce que le reste de la ville allait brûler ?

Angélique: Non.

Au contraire,

la

demoiselle

veuve

Francheville me faisant des reproches et m’accusant de l’incen¬ die, je lui ai dit : « Madame, même si je suis méchante, je ne suis pas assez malheureuse pour commettre un tel geste. »

Raimbault : Lorsque le feu est apparu sur le toit de la veuve Francheville, avez-vous empêché une des filles du sieur Desrivières de crier et d’avertir les gens, en la tirant par son tablier alors qu’elle voulait aller le dire à la veuve Francheville ?

Angélique : La petite fille jouait avec la demoiselle de Couagne [Marguerite], et je voulais les empêcher de courir dans la boue et les forcer à s’asseoir sur le pas de la porte.

Raimbault : Avant que le feu apparaisse sur le toit de la mai¬ son du sieur de Francheville, avez-vous porté à boire et à man¬ ger aux pigeons ?

Angélique : Oui, c’est vrai que j’ai porté à boire et à manger aux pigeons, mais je n’y suis pas allée seule. La demoiselle veuve de Francheville m’y accompagnait.

Raimbault : Après le dîner, êtes-vous montée au grenier où se trouvaient les pigeons ? Angélique : Non, pas du tout. Raimbault: La nuit de l’incendie, aviez-vous une couverture verte sur vous ?

Angélique: Oui. Avec ce premier interrogatoire, Raimbault dévoile ce qui lui semble être les principaux éléments dans la poursuite contre Angélique : Marie-Manon, l’esclave amérindienne du sieur de Bérey, a entendu Angélique dire que sa maîtresse ne dormirait pas dans sa maison le soir du 10 avril. Quelqu’un d’autre l’a entendue dire quelle ferait «brûler» sa maîtresse. 212

Le procès

Elle a même tenté d’empêcher la petite Desrivières de prévenir les gens de l’incendie. De toute evidence, Raimbault croit qu Angélique a mis le feu. C est une esclave récalcitrante qui a menacé sa maîtresse de la faire brûler et elle s’est même vantée à une amie esclave de ce qu elle préparait. Elle est montée sur le toit pour nourrir les pigeons et elle a pu déclencher l’incendie à ce moment-là. Enfin, elle a interdit à un témoin oculaire de parler de l’incendie aux autres. Il y a beaucoup de trous dans le portrait que tente de brosser Raimbault, mais il y a aussi des signes inquiétants dans plusieurs réponses d’Angélique. Lorsqu on lui relit ses réponses, Angélique déclare quelles sont justes et elle ne déroge pas de son témoignage. Quand on lui demande de signer le document, elle dit quelle ne peut écrire. Le juge Raimbault, Foucher et Porlier paraphent donc le document. Le lendemain, le juge et le procureur ajoutent : «Vu 1 interrogatoire ci-dessus, je requiers que ladite négresse soit interrogée de nouveau et cependant écrouée [.. .}10 » Dans les jours suivants, Raimbault émet des assignations à plusieurs résidants, leur enjoignant de se présenter comme témoins au procès d’Angélique. Le 14 avril, Étienne Volant de Radisson, colonel de la milice de la ville et cousin germain de François Poulin de Francheville, est le premier à se pré¬ senter à la barre. Radisson, qui demeure à côté des Francheville, a perdu sa maison et loge chez un voisin. Il raconte que, vers 19 heures le 10 avril, le soir de l’incendie, Angélique s’est présentée à lui et lui a dit qu’un incendie avait éclaté à sa maison. «J’ai aus¬ sitôt pris deux seaux pleins d’eau et je les ai apportés. Je suis monté avec ladite négresse jusqu’au grenier. J’ai vu le feu allumé sur le plancher des entraits, contre une cloison du colombier, sous le faîte de ladite maison. Ladite négresse a crié : “Ah ! mon Dieu, le feu est partout.” Elle est descendue. Ne voyant pas d’échelle pour monter audit petit grenier, je me suis retiré pour aller sauver ma maison {.. J* 11 » 10. 11.

Procédure criminelle contre [..commentaires du procureur du roi et du juge à la suite du premier interrogatoire, 13 avril 1734, f. 6-7. BAnQ-M. Procédure criminelle contre {...], déposition d’Étienne Volant de Radisson, 14 avril 1734, f. 2-3, BAnQ-M.

213

La pendaison d’Angélique

Radisson termine son témoignage en disant : « Depuis, j’ai ouï-dire, par la dame de Bérey, que sa servante lui avait dit que ladite négresse avait déclaré, quelques heures aupa¬ ravant, que le feu était pris. En parlant de ladite demoiselle de Francheville, sa maîtresse, qui jasait avec Mme Duvivier [Anne Dejordy, épouse de Louis-Hector Lefournier Duvivier], elle a déclaré : “Cette chienne-là* ne rira pas tantôt, car elle ne couchera pas dans sa maison. » Le témoignage de Radisson place Angélique sur la scène du crime, prouvant ainsi qu elle était la première à savoir qu’il y avait un incendie. Radisson répète en outre la décla¬ ration de Marie-Manon, voulant qu’Angélique ait affirmé que sa maîtresse « ne dormirait pas dans sa maison » ce soirlà. Presque tous les témoins reprennent cette affirmation, qui devient rapidement un «fait avéré». Puis, c’est au tour de Thérèse de Couagne de Francheville. Raimbault inscrit quelle a trente-six ans, quelle est la veuve de François Poulin de Francheville et que, depuis l’incendie, elle habite chez le sieur Alexis Lemoine dit Monière, qui est à la fois un ami, un parent et un associé. Il semble qu’elle ait quitté le domicile du sieur Tremon pour demeurer chez Monière. La veuve confirme qu’Angélique est bien son esclave. Au début, elle dit ne pas savoir vraiment qui a mis le feu à sa maison ni les circonstances entourant la visite d’Angélique au grenier. Mme de Francheville raconte que le matin du 10 avril, elle est montée au grenier avec Angélique, mais qu’il n’y avait pas de flammes à ce moment-là. Elle a quitté pour assister à la messe du midi et Angélique est restée à la maison. Elle ajoute que, la veille de l’incendie, Claude Thibault est venu chez elle, lui réclamant de l’argent pour le travail exécuté avant sa première escapade avec Angélique. La veuve a dit alors à Thibault, de façon très imprudente, quelle avait vendu Angélique, qu’elle ne voulait plus l’avoir à son service et que lui-même ne devait plus remettre les pieds dans sa maison. Elle avoue avoir revu

214

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

12.

Procédure criminelle contre {...], déposition d'Étienne Volant de Radisson, 14 avril 1734, f. 3, BAnQ-M.

Le procès

Thibault dans le jardin de l’hôpital, le soir de l’incendie, en train de transporter des objets qui avaient échappé aux flammes. Elle conclut son témoignage en affirmant que la négresse a bel et bien déclenché 1 incendie parce qu’il n’y avait pas de feu dans le foyer. Le témoignage de Mme de Francheville jette un nouvel éclairage sur cette affaire. Thibault devient un informateur et Angélique a une bonne raison pour agir. Lorsque Thibault s’est rendu au domicile des Francheville, le matin du 9 avril, il sortait tout juste de prison. Il y était depuis le début du mois de mars, après sa capture en compagnie d’Angélique. Mme de Francheville croit que Thibault a dévoilé à Angélique qu elle avait été vendue et que cette dernière a mis le feu en guise de vengeance. La prochaine personne à la barre des témoins est la nièce de Mme de Francheville, Marguerite de Couagne, âgée de dix ans, fille du sieur de Couagne, capitaine dans l’armée et ingénieur royal. Marguerite, qui fréquente l’école dirigée par la Congrégation de Notre-Dame, répète ce que les autres ont dit avant elle. Elle a entendu dire qu’Angélique avait déclaré à Marie-Manon que Mme de Francheville ne dormirait pas dans sa maison le soir fatidique. Elle ajoute qu elle a vu Thibault et Angélique dans la cuisine de sa tante, trois ou quatre fois avant l’apparition des flammes. Puis, Marie-Manon, esclave du sieur de Bérey, prend la parole. C’est un témoin important, compte tenu des menaces qu’Angélique a répétées devant elle. Le greffier note : [... ] Très peu de temps avant que les flammes apparaissent à la maison du feu sieur de Francheville, la déposante était assise à la porte de la maison du sieur de Bérey, voisine de celle du sieur de Francheville. La négresse est venue la chatouiller pour la faire rire. Elle lui a dit qu elle n’était pas d’humeur à rire. La négresse est rentrée chez Mme de Francheville et en est ressor¬ tie aussitôt. Elle est revenue vers la déposante et lui a dit: « Tu ne veux donc pas rire ? Mme de Francheville rit bien avec Mme Duvivier, mais elle ne sera pas longtemps dans sa maison, car elle n’y couchera pas. » Angélique l’a quitté, mais, peu de temps après, elle est réapparue en regardant de bas et haut, 215

La

pendaison d’Angélique

puis dans la direction du toit des Francheville. Ensuite, Angélique a fait rentrer les filles Couagne et Desrivières. Un quart d’heure plus tard, quelqu’un a crié au feu. En sortant de la cuisine des Bérey, la déposante s’est rendu compte que le pigeonnier de la maison de Francheville était la proie des flammes. Toute pâle, Angélique a crié: «Au feu! » La dépo¬ sante s’est alors tournée vers le sieur de Bérey et lui a raconté ce qu’Angélique lui avait dit à propos de Mme de Francheville qui ne dormirait pas dans sa maison. Elle comprend mainte¬ nant le sens des paroles de l’esclave15. Témoin suivant : Charlotte Trottier Desrivières, âgée de dix ans et camarade de jeux de Marguerite de Couagne. Elle dit quelle était en train de jouer dans la cour des Francheville lors¬ qu’elle a entendu quelqu’un monter par l’escalier, puis Angélique arriver dans la cuisine. Amable Lemoine dit Monière, âgée de cinq ans, affirme de son côté que c’est Angélique qui est montée par l’escalier. Lorsque le feu s’est déclaré, les trois enfants sortaient dans la rue, mais Angélique leur a demandées de rentrer à la maison. Le témoignage de Charlotte Trottier Desrivières est le der¬ nier de cette journée. Le 15 avril, soit le lendemain, JacquesHippolyte LeBer de Senneville, un jeune homme de quinze ans, est le premier à faire une déposition. Son père, Jacques LeBer de Senneville, est lieutenant et adjudant-major. J acq ues - H i ppoly te ne dit rien de nouveau. Par contre, le témoi¬ gnage de Marguerite César, qui suit, est d’une importance capitale. Environ une demi-heure ou trois quarts d’heure avant que le feu paraisse au toit de la maison de la demoiselle Francheville, dit-elle, j’étais appuyée contre la fenêtre donnant sur la me, et j’ai vu la négresse devant la maison de sa maîtresse. Elle était comme une personne inquiète et regardait de part et d’autre. Elle s’est arrêtée fort longtemps, le visage tourné de mon côté.

13. *

216

Procédure criminelle contre [...], déposition de Marie-Manon, 14 avril 1734, f. 8-9, BAnQ-M. En français et en italique dans le texte. (NDT)

Le

procès

Je 1 ai vue entrer ensuite dans la maison. Elle en est sortie peu de temps après. Une fois sortie, elle s’est remise à regarder lon¬ guement de mon côté, puis du côté du carrefour de l’hôpital. Fatiguée de la voir ainsi, je voulais savoir pourquoi elle se tenait ainsi aussi longtemps. La connaissant comme une personne toujours en mouvement et ne demeurant jamais en place, je suis sortie dans la rue pour voir ce quelle cherchait. Fatiguée et ne voyant rien d un bout à 1 autre de la rue qui aurait attiré ainsi son regard, je suis rentrée dans ma maison pour me repo¬ ser, me sentant indisposée. Et, à peine étais-je assise que l’on a crié au feu. Je sais que cette négresse est méchante [.. .]14 Le procès se poursuit avec le témoignage de Jeanne Tailhandier dit Labaume, une autre voisine. Elle avoue ne pas pouvoir dire grand-chose, étant donné quelle n’a pas vu Angélique allumer le feu. Mais elle dit tout de même que dès qu elle a aperçu les flammes, elle a cru qu’Angéhque en était la responsable et en a parlé au sieur Radisson. Les enfants lui avaient dit à deux ou trois reprises qu’Angélique avait menacé sa maîtresse de la brûler et de lui couper la gorge. L’ancienne servante de Mme de Francheville, Marie-Louise Poirier, lui avait avoué après son départ qu’Angélique lui avait confié quelle retournerait dans son pays natal un jour et que, s’il y avait des Français, elle les ferait périr15. Marie-Louise Poirier témoigne ensuite. Elle avoue ne pas avoir grand-chose à dire, elle non plus, mais elle soupçonne Angélique. Elle a quitté le domicile des Francheville, environ huit jours avant 1 incendie, Angélique l’ayant menacée parce quelle avait tenté de l’empêcher de boire du brandy et de sortir sans permission. Mme de Francheville lui a dit alors quelle reviendrait bientôt, car, le printemps venu, elle aurait vendu Angélique. La propriétaire a ajouté qu’Angélique lui avait affirmé à plusieurs reprises : « Si je retourne un jour dans mon pays et qu’il y a des Blancs, je les ferai brûler comme des

14.

Procédure criminelle contre [...}, déposition de Marguerite César dite Lagardelette, 15 avril 1734, f. 13-14, BAnQ-M.

15.

Procédure criminelle contre [...}, déposition de Jeanne Tailhandier dite Labaume, 15 avril 1734, f. 15, BAnQ-M.

217

La pendaison d’Angélique

chiens, parce qu’ils ne valent rien. » Marie-Louise Poirier ter¬ mine son témoignage en disant que, le jour où Angélique et Thibault se sont enfuis l’hiver précédent, l’esclave a dérobé trois peaux de chevreuil à sa maîtresse11^. En lisant ces témoignages de Labaume et de Poirier, on a la nette impression qu’Angélique avait une véritable hantise du feu et des incendies. Elle a menacé de brûler sa maîtresse et tous les Français si elle en trouvait au Portugal. Ces deux témoins insinuent qu’Angélique a concrétisé ces menaces en incendiant la maison de sa maîtresse, un incendie qui s’est répandu et a détruit une partie du sud de la ville. D’autres témoins, comme Marie-Josèphe Bizet, font des dépositions, mais n’ajoutent rien de nouveau. Toutefois, Jean-Joseph Boudard dit Laflamendière, médecin de l’armée, apporte un nouvel éclairage. Il affirme avoir entendu le crieur public annoncer la nouvelle de l’incendie et dire qu’Angélique, l’esclave de Mme de Francheville, en était la coupable. Il déclare que, la fameuse nuit de l’incendie, il s’est réfugié dans le jardin de l’hôpital et qu’il a tenté de rassem¬ bler des meubles et d’autres effets. Il y a vu Angélique en train de boire en compagnie de deux hommes qu’il ne connaissait pas. Alors qu’il s’approchait, elle lui a dit quelle était en train de boire du sirop et non pas de l’alcool. Il est allé raconter ce qu’il avait vu aux religieuses, qui lui ont ordonné de ramener Angélique. Il s’est rendu au lieu dit et a constaté que les deux hommes n’y étaient plus. Il a ramené Angélique vers l’endroit où se trouvaient les religieuses pour la nuit. Angélique s’en est allée une quinzaine de minutes plus tard et s’est assise sur un matelas de paille dans la cour17. Dernier témoin de la journée : Françoise Geoffrion, une veuve qui travaille comme domestique pour un certain Barbel de la rue Notre-Dame. Elle dit que, vers treize heures l’aprèsmidi de l’incendie, elle se dirigeait vers l’hôpital lorsqu’elle a rencontré Angélique. Elle a demandé à cette dernière si elle voulait bien marcher avec elle et si elle travaillait toujours pour 16. 17.

218

Procédure criminelle contre [...}, déposition de Marie-Louise Poirier dit Lafleur, 15 avril 1734, f. 17, BAnQ-M. Procédure criminelle contre [...}, déposition de Jean-Joseph Boudard dit Laflamendière, 15 avril 1734, f. 20-21, BAnQ-M.

Le

procès

Mme de Francheville. Angélique lui a répondu quelle n’avait pas le temps de faire une promenade et quelle n’en avait plus pour longtemps chez Mme de Francheville18. Qu en est-il de Claude Thibault, le présumé complice et amant d Angélique ? On le soupçonne d’avoir épaulé Angélique, mais, depuis le lendemain matin de l’incendie, on ne le trouve nulle part. Le tribunal aimerait bien l’entendre. Le 19 avril, le bureau du gouverneur émet un mandat pour sa capture et son arrestation. Le 1

mai, de nouveaux témoins font leur apparition. Louis

Langlois dit* * Traversy, un travailleur sur la ferme de Mme de Francheville dans le quartier Saint-Michel, est le premier à se présenter à la barre. Traversy affirme que, huit ou neuf jours après la capture d Angélique (soit lors de sa première escapade), il était dans la cuisine de la maison de Mme de Francheville. Il a dit à Angélique quelle était méchante, quelle n’aurait pas dû s’enfuir et quelle devrait faire gaffe, car sa propriétaire la vendrait. Angélique lui a répondu: «Au diable la putain, si elle me vend, elle le paiera cher. » Traversy a voulu connaître ses intentions. Angélique lui a répliqué : « Nous ne disons pas ce que nous avons envie de faire. La neige s’en ira, la terre se découvrira et les pistes ne paraîtront plus. » Traversy ajoute qu Angélique avait 1 air d être en furie quand elle a prononcé ces phrases19. Ces commentaires d’Angélique se rapportent à leur fuite envisagée. Ce sont ses pistes et celles de Thibault qui les ont trahis et ont permis leur capture. Par ses propos, elle laisse entendre que cela ne se produira pas la prochaine fois. Si le témoignage de Traversy est véridique, il est donc clair qu’Angélique avait commencé à planifier sa prochaine fuite dès après sa capture. Marie-Françoise Thomelet, épouse de Traversy, témoigne également. Elle affirme avoir incité Angélique à être une bonne chrétienne et lui avoir dit que, si elle n’écoutait pas 18.

Procédure criminelle contre [...}, déposition de Françoise Geoffrion, 15 avril 1734, f. 22, BAnQ-M.

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

19.

Procédure criminelle contre [...}, addition d’information de Louis Langlois dit Traversy, 1er mai, 1734, f. 3, BAnQ-M.

219

La pendaison d’Angélique

sa maîtresse, cette dernière la vendrait. Angélique lui a répondu que si Mme de Francheville la vendait, elle en paie¬ rait le prix, quelle la ferait brûler. Lorsque Marie-Françoise a mentionné qu’on allait la pendre si elle agissait ainsi, Angélique s’est mise à rire et a rétorqué que cela ne l’inquiétait pas du tout. Quelques jours après le retour d’Angélique dans la maisonnée des Francheville, MarieFrançoise lui a demandé si sa maîtresse l’avait battue pour la punir de cette fuite. Angélique lui a avoué que non

.

Après ces témoignages de Traversy et de son épouse, Raimbault et ses adjoints croient sans doute qu’Angélique est une méchante \ une très mauvaise personne. Il est évident qu’ils ne cherchent pas d’autres suspects, hormis Claude Thibault. Dans leur esprit, Angélique est la seule à avoir un mobile solide. Ils soupçonnent qu’elle s’est acoquinée avec Thibault et qu’ils ont mis le feu ensemble. Thibault n’est pas là, mais ils détiennent Angélique. Il ne leur vient même pas à l’esprit qu’une autre personne pourrait être responsable. Le tribunal ajourne la procédure. Le 3 mai, en après-midi, les travaux reprennent. Raimbault interroge l’accusée, Porlier transcrit les questions et les réponses pour la postérité21. Pourquoi étiez-vous si déterminés, vous et

Raimbault:

Thibault, à incendier la maison de votre maîtresse ? Angélique : Je n’ai jamais parlé à Thibault ni à quiconque au sujet de la perpétration d’un tel acte. Raimbault

: N’est-il pas vrai que ledit Thibault, en guise de

vengeance pour avoir été emprisonné pour votre fuite vers la Nouvelle-Angleterre, vous a incitée à mettre le feu au grenier de ladite Mme de Francheville ? Angélique

: Non.

Raimbault

: A quelle heure êtes-vous montée au grenier avec

V

du charbon et à quel endroit avez-vous mis le feu ? 20. * 21.

220

Procédure criminelle contre {...], addition d’information de Marie-Françoise Thomelet, 1er mai, 1734, f. 4-5, BAnQ-M. En français et en italique dans le texte. (NDT) Dialogue conçu par l’auteur Afua Cooper, à partir du document « Procédure criminelle contre Marie Joseph Angélique négresse, incendiaire, 1734, TL4 SI, 4136, juridiction royale de Montréal, deuxième interrogatoire d’Angélique, le 3 mai 1734», f. 1-13, BAnQ-M.

Le procès

. Je n ai jamais monté de charbon au grenier. J’y

Angélique

suis allée une seule fois, le matin, et Madame m’accompa¬ gnait. Je ne sais pas à quel endroit du grenier le feu a éclaté. Raimbault

. N est-il pas vrai que vous avez été surprise

lorsque vous êtes montée au grenier avec sieur Radisson ? Angélique:

Oui, j’étais surprise de découvrir un incendie au

grenier, parce qu il n y avait du feu que dans les foyers de la maison. Raimbault

: Expliquez-nous pourquoi vous avez dit au sieur

Radisson qu il n y avait pas d échelle lorsqu’il a essayé de mon¬ ter au grenier pour jeter de l’eau sur le feu. Angélique

: Je ne lui ai jamais parlé de cela. Il y avait un esca¬

lier et des échelles pour se rendre jusqu’au pigeonnier. Quand il a demandé une échelle, c’était pour monter à une fenêtre pour voir s’il n’y avait pas quelqu’un dans la chambre, étant donné qu’il ne pouvait plus grimper par l’escalier. Raimbault tente de faire avouer à Angélique qu elle est réel¬ lement allée au grenier, le soir de l’incendie, et quelle a dit à Marie-Manon que Mme de Francheville ne dormirait pas dans sa maison ce soir-là. Angélique nie toutes ces allégations.

Raimbault

: Est-ce que Thibault ne vous a pas annoncé que

votre maîtresse vous avait vendue ? Angélique

: Non, mais j’ai entendu de la bouche du valet de

Monsieur le commissaire qu’on m’enverrait dans les Antilles parce que j’avais voulu m’enfuir en Nouvelle-Angleterre avec Thibault. Environ dix ou douze jours avant l’incendie, Madame m’a dit qu’elle avait écrit au commissaire pour me vendre. Elle lui a écrit que j’étais trop méchante, quelle ne voulait plus rien savoir de moi, que je me querellais sans cesse avec sa servante et que je créais le désordre dans la maison. J’ai dit à Madame que je ne voulais pas la quitter et quelle n’avait qu’à renvoyer sa servante Marie-Louise Poirier. Ce serait bien ainsi et elle serait contente de moi. C’est ce qui a poussé Mme de Francheville à envoyer Marie-Louise travailler ailleurs et à la rappeler après mon départ. Cette réponse poignante et bien sentie d’Angélique est révé¬ latrice. Elle ne veut pas qu’on la revende une fois de plus. Elle

221

La pendaison d’Angélique

sait désormais qu’on la destine aux Antilles, et elle a entendu parler des horreurs de l’esclavage sur ce territoire. En outre, elle ne veut pas partager ses tâches domestiques avec d’autres travailleuses. Elle soutient quelle est en mesure de tout faire seule. Cela nous indique que, si elle veut quitter le Canada, ce n’est certes pas pour se rendre dans les Antilles. Elle veut retourner au Portugal, à ses conditions. Raimbault

: Votre maîtresse ne vous a-t-elle pas réprimandée

le jour de l’incendie, et ne vous êtes-vous pas rendue à la cui¬ sine pour broyer du noir ? Angélique

: Non, Madame était rarement à la maison.

Raimbault:

N’est-il pas vrai qu’avant le début de l’incendie,

vous êtes allée voir la parus du sieur de Bérey et que vous lui avez déclaré : « Mme de Francheville rit bien en ce moment, mais elle n’habitera plus sa maison longtemps et elle ne couchera pas là» ? Et, n’avez-vous pas dit à Marguerite de Couagne et à Charlotte Desrivières, qui jouaient dehors, d’entrer dans la maison ? Angélique:

Je voulais quelles rentrent parce quelles jouaient

dans la me, pleine de boue, et que Marguerite en avait les pieds couverts. : Pourquoi êtes-vous allée dans la rue, trois ou

Raimbault

quatre fois, pour regarder en direction du toit, n’ayant aucune raison pour ce faire ? Angélique

: Je suis allée dans la rue

à

plusieurs reprises, mais

je n’ai jamais regardé en direction du toit, je n’avais aucune raison de le faire. Raimbault,

tentant une autre piste : N’est-ce pas parce que

votre maîtresse vous avait réprimandée sévèrement, et que vous avez menacé de la brûler et de lui couper la gorge, à plusieurs reprises ? Angélique

: Je ne l’ai jamais menacée de cette façon.

Raimbault

: N’avez-vous pas affirmé qu’une fois dans votre

pays, vous feriez périr et brûler comme des chiens tous les Français qui s’y trouveraient ? Et n’avez-vous pas dit cela parce que vous étiez enragée à cause des terribles traitements que votre maîtresse vous infligeait ? Angélique

: Lorsque ma maîtresse me maltraitait parfois - et

c’était rare — je me fâchais et je quittais la maison. Mais, je n’ai 222

Le procès

jamais rien dit qui ressemble à ce que vous me demandez. : Combien de temps avant l’incendie votre maî¬

Raimbault

tresse vous a-t-elle maltraitée ? . Elle ne m a pas maltraitée depuis la mort de son

Angélique

mari. : N est-il pas vrai que vous avez apporté du char¬

R-Aimbault

bon au grenier, causant ainsi la conflagration ? : Non, je n’ai absolument pas mis le feu.

Angélique

Raimbault :

Ne vous êtes-vous pas querellée avec Marie-Louise

Poirier, la servante de Mme de Francheville, parce quelle vous empêchait de boire du brandy, et n’est-ce pas pour cette rai¬ son qu’elle a quitté sa maîtresse ? : Non, je buvais seulement lorsque l’assistant du

Angélique

magasin m’en donnait, tout comme le faisait Marie-Louise. : N’avez-vous pas volé trois peaux de chevreuil et

Raimbault

d autres objets à votre maîtresse, au moment où vous vous êtes enfuie vers la Nouvelle-Angleterre avec Thibault ? Angélique

: Non, je n’ai rien volé. Thibault non plus.

Raimbault

: Quelques jours avant l’incendie, n’avez-vous pas

rencontré Thibault et ne lui avez-vous pas parlé à plusieurs reprises ? Et même la nuit et le lendemain de l’incendie, ne lui avez-vous pas parlé, de même que le jour de votre arrestation où l’on vous a mise en prison ? : Je ne lui ai parlé que deux fois avant l’incendie,

Angélique

lorsqu’il est venu chercher sa paie chez Mme de Francheville et le jour de l’incendie alors qu’il me donnait un coup de main. Je l’ai vu environ une demi-heure dans la cour de l’Hôtel-Dieu. Il est parti avant qu’on m’arrête. Raimbault:

N’est-il pas vrai que, le jour de l’incendie, vous

avez dit à Françoise Geoffrion que vous ne vivriez plus long¬ temps chez la veuve Francheville ? Angélique

: Je n’ai jamais dit cela.

Raimbault

: Traversy vous a-t-il dit de bien vous tenir, sinon

Mme de Francheville vous vendrait ? N’avez-vous pas répondu : « Au diable la putain, si elle me vend, elle en paiera le prix » ? Enfin, lorsqu’il vous a demandé ce que vous aviez l’intention de faire, lui avez-vous affirmé que vous ne diriez rien ? Angélique

: Je n’ai rien dit de tel et je n’en ai jamais eu

l’intention.

223

La pendaison d’Angélique

Raimbault

: N’avez-vous pas dit à quelqu’un que, si votre maî¬

tresse vous vendait, vous la brûleriez ? Angélique:

Je n’ai jamais dit cela, et je n’ai jamais eu 1 idée

de faire cela. Le greffier relit le témoignage d’Angélique. Elle déclare que ses réponses reflètent la vérité et qu’elle s’en tient à son témoi¬ gnage. L’interrogatoire terminé, on la remet entre les mains du geôlier et la renvoie en prison. Angélique se languit en cellule pendant cinq autres jour¬ nées. Non satisfait des témoignages qu’il a entendus, Pierre Raimbault veut d’autres renseignements. Le 6 mai, il demande à Alexis Lemoine dit* Monière de se présenter devant le tribunal. Ce dernier déclare que, le jour précédant la fuite d’Angélique et de Thibault, Mme de Francheville lui a demandé d’accepter l’esclave dans sa maison jusqu’au printemps parce quelle « avait mauvais caractère ». Monière a accepté. Mme de Francheville lui a demandé en outre de loger et d’engager Thibault. Pendant la nuit, la fumée l’a réveillé et il a inspecté la maison à l’aide d’une lanterne, mais n’a rien trouvé. Le len¬ demain matin, sa domestique lui a raconté que le feu avait éclaté dans le lit de paille d’Angélique, qui avait laissé traîner de nom¬ breux éclats de bois sur le plancher de sa chambre. Elle avait allumé ces éclats. Lorsque le bruit s’est fait entendre, elle avait essayé d’étouffer le feu à l’aide de son matelas. Le lit de Thibault avait pris feu la même nuit. Le lendemain, les deux complices se sont enfuis. Catherine Custeau, une domestique de Monière, jette un nouvel éclairage sur l’incendie survenu dans la maison de son maître. Elle affirme être passée devant la chambre d’Angélique et avoir vu la couverture en feu. Elle a lancé de l’eau, et Angélique lui a demandé de ne rien dire. Une demi-heure plus tard, Monière s’est levé parce qu’il avait senti la fumée. Il n’a rien découvert, et Catherine Custeau a gardé le secret de ce qui s’était passé. Le lendemain matin, elle a avoué aux autres domestiques qu’ils avaient failli être « rôtis par la négresse ».

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

Le procès

Jacques Jalleteau, un autre employé de Monière, fait égale¬ ment une déposition. Il rapporte qu’il dormait lorsque le feu s est déclare. Il s est levé et a vu Thibault près du four en train d éteindre le feu. Ce même soir, Thibault était parti et lui avait dit qu il s en allait à Québec. Ignace Gamelin fils, un ami et associé des Francheville, vient ensuite. Il confirme que Mme de Francheville a fait des démar¬ ches pour vendre Angélique à Cugnet. Elle lui a dit «quelle avait l’intention d’envoyer Angélique à Québec, sur le premier bateau de pêche, une proposition faite par Cugnet, qui accep¬ tait de verser 600livres pour la negresse». Gamelin ajoute que M

de Francheville lui a confié qu elle n’osait plus dormir dans

sa maison parce quelle craignait les agissements d’Angélique. Enfin, la veuve lui a déclaré que, le jour de l’incendie, elle n’avait pas quitté la maison, sauf pour assister à la messe, qu’Angélique n avait jamais été une bonne esclave et que Marie-Louise Poirier était partie à cause d’Angélique. Dernier témoin du jour, Jeanne Nafrechoux de Bérey, propriétaire de Marie-Manon. Elle répète l’histoire bien connue, selon laquelle Angélique aurait affirmé que Mme de Francheville ne rirait pas longtemps, car elle ne dormirait pas dans sa maison. Marie-Manon lui aurait également dit qu’Angélique avait essayé d’empêcher les filles de sonner l’alarme, que l’esclave avait traversé la me, regardant à gauche et à droite, et avait fixé le toit de la maison des Francheville. Les témoignages incriminants se multiplient. Monière, Custeau et Jalleteau disent tous que le soir où Angélique et Thibault sont venus chez eux, un feu a éclaté. Même s’ils n’af¬ firment pas que les deux sont responsables, le fait que le feu a éclaté dans leurs chambres tourne immédiatement les soupçons vers le couple. En outre, Mme de Francheville a dit quelle crai¬ gnait pour sa vie avec Angélique dans sa maison. Était-elle convaincue qu’Angélique la brûlerait vraiment ? Raimbault essaie d’incriminer Angélique et Thibault. Sa position n’est pas à toute épreuve, mais, dans l’esprit de tous les habitants de Montréal, le couple est coupable d’incendie criminel. Après avoir entendu dix-neuf témoins, Raimbault fait subir un contre-interrogatoire à Angélique, le 6 mai, cette fois-ci à la prison municipale.

225

La pendaison d’Angélique

Raimbault

: Est-ce que les flammes qui ont causé 1 incendie

du 10 avril ont débuté dans le toit du grenier de Mme de Francheville ? Angélique : Je ne sais pas si la maison a pris feu de 1 intérieur, mais, lorsque des gens ont crié au feu, je suis sortie et j ai vu le toit en flammes. Angélique a remarqué alors que le feu avait démarré du côté du toit dans la direction de la cheminée du sieur Radisson. Raimbault

: Où étiez-vous lorsque le sieur Radisson s’est pré¬

senté pour arroser le feu ? Je ne sais pas qui est monté le premier. Tout ce

Angélique:

que je sais, c’est que quelqu’un est monté là-haut et a demandé de l’eau. À ce moment-là, j'étais dans la rue. Raimbault

: Avant de vous enfuir de la maison de Mme de

Francheville l’hiver dernier, n’avez-vous pas dit, comme vous le répétez depuis, que vous feriez brûler Mme de Francheville et le sieur Monière à cause de leurs réprimandes et des mau¬ vais traitements qu’ils vous ont fait subir ? Angélique

: Non, je n’ai pas dit cela, ni avant, ni après.

Raimbault

: N’est-il pas vrai que, la veille du dimanche où

vous vous êtes enfuie en compagnie de Thibault, dans le but de vous rendre en Nouvelle-Angleterre, vous avez mis le feu à votre couverture dans votre chambre chez Monière, et que Thibault a fait de même ? Angélique

: Ma couverture a pris feu parce qu’elle a frôlé la

fournaise. Raimbault: Vous

ne dites pas la vérité en niant avoir

mis le feu intentionnellement à vos lits en ce samedi soir. Parce que le lendemain, vous vous êtes enfuis ensemble et qu’on vous a retrouvés dans les forêts denses derrière Châteauguay. Angélique

: L’incendie a eu heu le vendredi soir, et nous avons

quitté le dimanche soir à sept heures et demie. Raimbault:

Dites-moi où êtes-vous allés après avoir quitté la

maison de Monière et combien de temps y êtes-vous restés avant de vous diriger vers la Nouvelle-Angleterre ? Angélique

: Nous n’avons habité dans aucune maison. Nous

avons traversé tout de suite le fleuve et nous nous sommes 226

Le procès

rendus à Longueuil. Puis, nous sommes allés à une maison de ferme. Thibault y avait caché six miches de pain. De cet endroit, nous avons repris la route vers Chambly, puis nous nous sommes engouffrés dans la forêt, où nous avons passé la nuit et une partie de la journée suivante. Nous sommes restés une semaine dans la forêt. Quand nous n’y étions pas, nous courions. Nous ne sommes pas entrés dans une maison. Raimbault

: Depuis quand avez-vous planifié de quitter cette

ville pour vous rendre en Nouvelle-Angleterre ? Angélique

: Nous y avons pensé lorsque Mme de Francheville

se trouvait à Longue-Pointe. Nous attendions que le fleuve gele devant la ville pour traverser sur la glace. Nous avons attendu huit jours avant que Thibault reçoive son salaire de Mme de Francheville. Thibault a amassé du pain pour le périple. Il a décidé de partir même si Mme de Francheville ne 1 avait pas payé. Nous sommes partis le dimanche soir. Angélique modifie donc son témoignage. Lors de sa pre¬ mière comparution, elle avait dit que Radisson avait été le premier à vouloir aider à éteindre l’incendie. Lors du contreinterrogatoire, elle prétend qu’elle ne sait pas qui a été le pre¬ mier à entrer dans la maison. À ce moment-là, son histoire ne tient pas la route aux yeux du tribunal. Elle dit également que Thibault et elle planifiaient leur évasion bien avant le feu chez Monière. Le couple s’est enfui au milieu de février. Mais, de fait, il avait planifié son évasion bien avant que Mme de Francheville les envoie demeurer chez Monière. Montréal étant une île, il fallait traverser le Saint-Laurent. Le couple a donc attendu que le fleuve gèle pour traverser sur la rive sud. Il semble qu'Angélique ait songé à fuir parce quelle craignait d’être vendue. À un moment donné, lorsque sa maîtresse lui a fait part de son intention de la vendre parce quelle était une ser¬ vante incorrigible, Angélique l’a priée de ne pas le faire et lui a promis de bien se comporter. Or, Angélique n’avait aucune confiance en sa maîtresse. C’est alors quelle a imaginé son plan. Lors de sa déposition, Jalleteau a mentionné qu’Angélique et Thibault lui avaient dit qu’ils prévoyaient retourner en Europe. Angélique ne nie pas cela au procès, comme elle

227

La pendaison d’Angélique

ne nie pas que le couple cherchait à se rendre en NouvelleAngleterre pour y monter sur un bateau à destination de l’Europe. L’après-midi du 12 mai, Raimbault entame les confron¬ tations. Lors de ces sessions, l’accusée peut remettre en cause les témoignages. Les confrontations permettent aussi aux deux parties de modifier leurs témoignages. C’est une rare occasion pour un prisonnier de faire la preuve de son inno¬ cence. Raimbault accompagne Marie-Manon à la prison pour confronter son témoignage aux propos d’Angélique. Le juge lit le témoignage de Marie-Manon à la prisonnière, qui dément tout ce qui est allégué. Marie-Manon continue d af¬ firmer qu’elle dit la vérité. Angélique rétorque : « Vous êtes une misérable menteuse et une vile personne. » Le matin du 14 mai, Raimbault confronte Angélique et Marguerite César, celle-là même qui dit avoir vu Angélique jeter un coup d’œil d’un bout à l’autre de la rue Saint-Paul et fixer le toit de sa maîtresse. Angélique ne nie pas ces allégations, mais elle répond que c’était sa tâche normale de regarder d’un côté et de l’autre de la rue. Le soir, Raimbault arrive avec Françoise Geoffrion, qui a avoué avoir vu Angélique marchant sur les berges du fleuve ; cette dernière lui avait alors dit qu’elle n’en avait plus pour longtemps chez sa maîtresse. Angélique répond qu’il n’y a rien de travers dans les déclarations de Geoffrion. « Ma maî¬ tresse venait de m’avouer qu’elle m’avait vendue et qu’elle avait écrit à l’intendant à ce propos. Je pouvais donc dire ce que j’ai dit à Geoffrion. » Le lendemain, Raimbault fait appel à un nouveau témoin : Louis Bellefeuille dit La Ruine, un employé du jardin des pauvres de l’Hôtel-Dieu. Voyons ce que Porlier écrit22 : Au début de l’incendie, [La Ruine] est descendu dans le caveau de l’église et, voyant Thibault en train de manger, lui a manifesté sa surprise de le voir ainsi manger pendant que le feu sévissait

* 22.

En français et en italique dans le texte. (NDT) Procédure criminelle contre [...}, juridiction royale de Montréal, addition d’in¬ formation de Louis Bellefeuille dit La Ruine, 15 mai 1734, f. 1-3, BAnQ-M.

Le procès

partout. Thibault lui a répondu qu’il était fatigué et épuisé, et qu il n avait pas mangé de la journée. Il a alors quitté Thibault pour récupérer les effets de l’hôpital {...} L’hôpital en cendres, il est retourné au jardin. Un homme, qui travaillait pour le sieur d Auteuil, est arrivé avec une bouteille de boisson, qu’il a partagée avec tout le monde. Tous ont bu, on en a même donné à la négresse, qui a ensuite offert du sirop dans un contenant. La Ruine se tourne vers Angélique et lui dit : « Les gens pré¬ tendent que c’est toi qui as mis le feu. » Elle lui répond : « Vous me croyez assez stupide pour déclencher l’incendie de ma mai¬ son! » La Ruine ajoute qu’il a vu Thibault et Angélique en train de déménager des meubles et d’autres effets appartenant à Mme de Francheville, qui était également présente dans le jardin de l’hôpital. Plus tard, Raimbault convoque Marie-Louise Poirier, l’an¬ cienne domestique de Mme de Francheville. Il lit le témoi¬ gnage de Marie-Louise à la prisonnière, qui le dénie une fois de plus. Angélique affirme quelle savait que Mme de Francheville avait dit quelle reprendrait Marie-Louise une fois qu elle

serait vendue.

Marie-Louise accuse également

Angélique d’avoir volé des peaux de chevreuil appartenant à Mme de Francheville, lorsque le couple s’est enfui l’hiver pré¬ cédent. Angélique réfute carrément cela. Elle dit quelle a acheté les fourrures de la servante de Monière pour la somme de six francs en argent. Elle prétend quelle avait cet argent lorsqu’elle est arrivée de la Nouvelle-Angleterre après que Nichus Block, son maître flamand, l’eut vendue au sieur de Francheville. De même, elle rejette l’assertion selon laquelle elle ferait brûler tous les Blancs comme des chiens si jamais elle retournait dans son pays d’origine. Cependant, elle recon¬ naît quelle a avoué à Poirier que les Français ne valaient pas grand-chose23. Les confrontations se poursuivent avec Louis Langlois dit* * Traversy. Angélique soutient que tout ce quelle a dit à 23.

Procédure criminelle contre £...], j uridiction royale de Montréal, confronta¬ tion entre Marie-Louise Poirier dit Lafleur et Angélique, 15 mai 1734, f. 1-4, BAnQ-M.

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

229

La pendaison d’Angélique

Traversy, c’est qu elle devrait attendre qu il n y ait plus de neige avant de s’enfuir. Elle nie avoir traité sa maîtresse de « putain ». Cependant, Traversy persiste et signe, jusqu’à ce qu’Angélique finisse par dire : « Mon pauvre Traversy, vous vous trompez. » Mais ce n’est pas fini. Marie-Françoise Thomelet revient devant le tribunal. Elle répète qu’au retour d’Angélique après sa tentative de fuite, elle a dit à l’esclave de se bien comporter sinon sa maîtresse la vendrait. Angélique lui aurait dit alors quelle ferait brûler ou rôtir Mme de Francheville. Selon MarieFrançoise, la négresse s’est mise à rire et à sauter, puis elle s’est étendue par terre lorsqu’elle lui a rappelé quelle serait pen¬ due. Angélique nie tout et ajoute que Thomelet est vicieuse, quelle ne dit pas la vérité. Dans les jours suivants, Raimbault convoque d’autres témoins pour en savoir davantage, mais ils disent tous qu’ils n’ont rien à ajouter ni à retrancher de leurs témoignages. Si Raimbault espère qu’Angélique passera aux aveux, il en est quitte pour une déception. Parce qu’elle refuse d’avouer, il est obligé d’étirer le procès, faisant appel à de nouveaux témoins et revoyant les témoignages des précédents, jusqu’à ce qu’il ait suffisamment d’éléments pour faire la preuve de sa culpabilité. Pendant ce temps, Thibault est toujours en cavale. Or, le tribunal juge qu’il est un rouage essentiel de cette affaire. Le 25 mai, Raimbault se rend sur la place du marché, accompa¬ gné du crieur public François Roy, et annonce que Thibault doit se présenter devant le tribunal dans les huit jours et qu’il a émis un mandat d’arrêt contre lui. D’autres confrontations ont lieu. À six heures du matin, le 27 mai, Angélique fait face à Charlotte Trottier Desrivières, puis à Étienne Volant de Radisson. Elle réfute l’accusation de la jeune Desrivières et change son témoignage lorsque celui de Radisson lui est lu. Le greffier Porlier écrit : « À la suite de sa déposition, l’accusée déclare que ce n’est pas elle qui a averti Radisson de l’incendie, et quelle n’est pas montée dans l’es¬ calier, ni au grenier, avec lui ou avec qui que ce soit. » À 7 heures du matin, Amable Monière, qui est âgée de cinq ans à peine, est appelée pour sa confrontation avec Angélique. Amable répète son histoire. Angélique rétorque : « Ma petite 230

Le procès

Amable, viens près de moi et dis-moi qui t’a poussée à dire cela. Je vais te donner un bonbon. » Plus tard au cours de la matinée, Raimbault reprend le contre-interrogatoire d’Angélique24.

Raimbault

. Lorsqu on vous a conduite

à

la prison, vous avez

demandé où était Thibault. Pourquoi ? Angélique

: C était sans but précis. Je l’ai demandé parce que

je croyais qu’il était encore en prison. J’ai appris d’un soldat au cachot que Thibault était venu chercher ses hardes le jour après mon arrestation. Raimbault

: Quelle sorte de conversation avez-vous eue avec

Thibault lorsqu’il est venu chercher ses effets personnels et qu’a-t-il apporté pour vous nourrir ? Angélique

: Je ne lui ai pas parlé et il ne m’a rien apporté à

manger. J’ai tout simplement pris une tranche de pain que la fille du concierge a donnée à la sentinelle pour moi. Raimbault

: Auparavant, vous avez dit que le feu avait débuté

3li grenier et qu il n y avait pas de feu dans le foyer. Puis, vous avez affirmé ne pas savoir si le feu avait commencé à l’extérieur ou à l’intérieur de la maison. Angélique

: Je ne peux pas dire s’il a commencé à l’intérieur ou

à 1 extérieur. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il n’y avait pas de feu dans les foyers parce qu’il y avait seulement trois bûches à moitié calcinées dans l’un et des cendres dans l’autre. Raimbault

: N’avez-vous pas averti le sieur Radisson qu’il y

avait un incendie et que vous ne pouviez pas monter par 1 escalier avec lui qui portait deux seaux ? Angélique

: Je ne suis pas allée chez le sieur Radisson et je ne

suis pas montée avec lui dans l’escalier ni au grenier. Ou bien Angélique est confuse, ou bien elle ne se souvient pas de son témoignage précédent. En effet, le 3 mai, elle a

24.

Dialogue conçu par l’auteur Afua Cooper, à partir du document « Procédure criminelle contre Marie Joseph Angélique négresse, incendiaire, 1734, TL4 SI, 4136, juridiction royale de Montréal, premier interrogatoire d’Angélique sur la sellette en présence des conseillers Adhémar dit Saint-Martin, Gaudron de Chevremont, Guillet de Chaumont et Lepailleur de Laferté, 27 mai 1734», f. 1-11, BAnQ-M.

231

La pendaison d’Angélique

avoué qu’elle s’était rendue chez Radisson pour lui annoncer qu’il y avait un incendie dans la maison des Francheville. La surprenant en flagrant délit de mensonge ou dans un état d es¬ prit très confus, Raimbault en remet. Raimbault

: Vous déguisez la vérité. Le 3 mai, vous avez admis

que le sieur Radisson était monté dans l’escalier avec vous et qu’il tenait deux seaux d’eau. Angélique

: Je ne sais pas si le sieur Radisson est monté dans

l’escalier, et je n’ai vu personne monter dans cet escalier. J’ai seulement entendu qu’on demandait de l’eau. Il est bien évident qu’Angélique est confuse et désorientée. On l’interroge presque quotidiennement et elle est dans un état perpétuel d’anxiété. Elle est confinée

à

une cellule froide

et humide, vit de pain et d’eau, et ne bénéficie d’aucun sou¬ tien moral. Thibault, son amant et confident, est disparu. Elle passe ses journées er ses nuits dans un environnement hostile, au milieu de gens dont le seul but est de la déclarée incendiaire. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que ses réponses

à

Raimbault soient contradictoires. Il est com¬

préhensible quelle mente consciemment : elle tente de sauver sa vie. Cependant, ses contradictions sautent de plus en plus aux yeux du tribunal. Raimbault :

Où étiez-vous au moment où la maison a pris feu ?

Angélique

: J’étais sur le pas de la porte et je parlais

à

un

certain Latreille, debout devant l’entrée de l’Hôtel-Dieu, de l’autre côté de la rue. Je n’ai pas traversé la rue avant que Latreille crie au feu. Raimbault

: N’avez-vous pas prié la servante de Monière de ne

rien dire à son maître lorsque le feu a éclaté dans sa maison, la veille de votre fuite ? Angélique:

C’est vrai. J’ai demandé

à

la servante de ne rien

dire par crainte que Monière ne se fâche parce qu’il s’est levé en sentant la fumée et qu’il est monté avec son fils qui tenait une lanterne. Raimbault :

Le feu n’a-t-il pas pris dans la chambre de Thibault,

en cette même soirée ?

232

Le procès

: Il n

Angélique

y

a pas eu de feu en bas jusqu’au moment



le

sieur Monière a fait son inspection et est retourné se coucher. Raimbault

: Pourquoi avez-vous empêcher Thibault de tra¬

vailler pour le commissaire en le menaçant ? . Thibault et moi avions convenu de nous enfuir

Angélique

ensemble. S il s’était engagé à travailler pour quelqu’un, j’au¬ rais quitté quand même, mais seule. Je voulais partir parce que plusieurs personnes m’avaient dit que Mme de Francheville m avait vendue dans les Antilles. Raimbault:

Pourquoi avez-vous dit précédemment que les pe¬

tites hiles ne jouaient pas dans la cour de la veuve Francheville, et pourquoi déclarez-vous le contraire aujourd’hui ? Angélique : Je ne les ai pas vues là, mais, puisqu’elles le disent, je le crois. C’était sans doute au moment où je jasais avec Marie, la punis. Raimbault

. Savez-vous ou se trouve Thibault maintenant ?

Angélique

: Je ne le sais pas. J’ai cru qu’il était encore dans la

ville jusqu à présent. Je ne sais pas où il se trouve. Raimbault : Pourquoi Thibault s’est-il enfui ? Vous a-t-il dit qu il s’en allait à Châteauguay ? Angélique:

Je ne sais rien. Thibault ne m’a pas dit s’il allait

à Châteauguay ou quelque part ailleurs. Raimbault

: Combien de fois Thibault est-il allé chez la veuve

Francheville le jour de l’incendie ? Angélique : Il n’est pas venu du tout. Raimbault :

Thibault vous a-t-il dit que la veuve lui avait déclaré

quelle vous avait vendue ? Et la veuve ne souhaitait-elle pas que Thibault ne remette plus les pieds dans sa maison ? : Thibault ne m’a pas parlé du tout. C’est Madame

Angélique

elle-même qui me l’a dit. Raimbault

: Pourquoi êtes-vous allée dans la rue, avez-vous

regardé d’un côté et de l’autre, puis vers le toit, pendant que les petites filles jouaient dans la cour ? Angélique

: Je faisais comme je fais toujours, et les petites filles

jouaient dans la rue. Raimbault clôt le contre-interrogatoire. Il apparaît claire¬ ment qu’Angélique est une femme déterminée et pleine de cran, voire manipulatrice. Raimbault tente de démontrer

233

La pendaison d’Angélique

qu elle a manipulé Thibault. Lorsqu il lui a demandé pour¬ quoi elle a « empêché » Thibault de travailler pour Monière en le «menaçant», elle ne nie rien. Au contraire, elle explique calmement pourquoi. En s’engageant, Thibault n aurait pas été libre de s’enfuir. Elle serait partie quand même, mais seule. Une semaine plus tard, soit le 4 juin, Mme de Francheville se rend à la prison pour une confrontation entre elle et Angélique. Porlier note ce qui suit : L’accusée a déclaré quelle a beaucoup de reproches à adresser au témoin et quelle lui en voudra toute sa vie parce que, pen¬ dant toute la soirée, elle s’est occupée d’elle, qui n’a pourtant pas hésité à l’accuser d’avoir provoqué l’incendie. Après avoir entendu tout le témoignage du témoin, l’accusée dit qu elle n’est pas montée au grenier le jour de l’incendie, sauf le matin en compagnie de sa maîtresse, qu elle n a pas vu Thibault la veille et que la veuve de Francheville s’était rendue à LonguePointe huit jours plus tôt. La veuve a déclaré que son témoignage était vrai, que la négresse avait apporté de la nourriture à Thibault, sept ou huit jours avant sa sortie de prison, et qu’ensuite, la négresse avait réussi à faire sortir Poirier de la maison. Lorsqu elle s est rendu compte qu’Angélique apportait de la nourriture à Thibault, elle le lui a reproché et lui a interdit d’en apporter d’autre25. Plus tard dans l’avant-midi, Angélique subit un nouveau contre-interrogatoire. Raimbault met l’accent sur la présence de Thibault dans la maison le jour de l’incendie. Il affirme qu’Angélique ment en disant que Thibault n’est pas allé à la résidence des Francheville le jour de l’incendie ni même la veille. Angélique continue d’affirmer que Thibault est venu à la maison sept ou huit jours avant l’incendie. Raimbault rétorque que c’est impossible puisque Thibault est sorti de prison le 8 avril en soirée et qu’il n’a pu se rendre chez les Francheville que le soir même, ou le matin du 9 ou du 10 avril.

25.

234

Procédure criminelle contre {..juridiction royale de Montréal, confrontation entre Thérèse de Couagne et Angélique, 4 juin 1734, f. 3-4, BAnQ-M.

Le procès

Pour étayer ses affirmations, Raimbault fait sortir les regis¬ tres de la prison. En effet, Thibault a été incarcéré le 5 mars et a quitté la prison le 8 avril. D’aucune façon aurait-il pu se retrouver au domicile des Francheville huit jours avant l’in¬ cendie, comme le prétend Angélique. Raimbault dévoile ainsi un nouveau mensonge d’Angélique. À midi, Pierre Raimbault est prêt à rendre son jugement. Il a fait défiler vingt-quatre témoins au cours d’un procès qui a duré près de deux mois. À plusieurs reprises, il a dit de cette affaire quelle était «inhabituelle», «extraordinaire», « remarquable ». Tous ceux qui ont été appelés à témoigner se connaissent les uns les autres et connaissent Angélique. Des maîtres, des serviteurs, des esclaves, des soldats, des épouses, des veuves, des maris, des enfants et des marchands ont témoi¬ gné. Et, après deux mois d’un procès épuisant, le tribunal est en mesure de livrer son verdict. Raimbault est sans doute épuisé, de même qu Angélique. Elle est restée étonnamment calme tout au long des interrogatoires. Elle a récusé certains témoins, a parlé en toute franchise, a changé sa version à quel¬ ques reprises et s’est même montrée manipulatrice. Bien quelle ait manifestement tenté de protéger Thibault, il est devenu évident qu ils étaient complices. Tous deux sont des serviteurs incontrôlables qui ont comploté et préparé leur fuite. Le soir de 1 incendie, bien que le tout Montréal les ait vus ensemble en train de déménager des meubles de Mme de Francheville dans la cour de l’hôpital, Angélique maintient quelle n’a pas vu Thibault. Elle le protège tout comme elle tente de sauver sa peau. Croit-elle faire ainsi pencher la balance en sa faveur et pouvoir s’enfuir de Montréal en compagnie de son amant ? Le 4 juin, Angélique attend le verdict dans sa cellule. Ses tentatives de se libérer de l’esclavage se sont terminées de façon ignominieuse. Quelle que soit la décision de Raimbault, on la tient déjà pour une incendiaire. Mais le fait quelle a confessé en vouloir éternellement à sa maîtresse ne joue certes pas en sa faveur. Raimbault a mis au point une affaire qui repose sur 1 apeu-près, les insinuations, les ouï-dire et la mauvaise répu¬ tation d’Angélique. Et, pourtant, il suit des pratiques légales, bien établies et reconnues. Le fait qu’Angélique soit une esclave

235

La pendaison d’Angélique

n’annonce rien de bon pour elle. Elle fait partie du plus bas échelon de la société de la Nouvelle-France. C est une Noire, une étrangère et, par conséquent, l’ultime marginale. Montréal cherche un bouc émissaire et Angélique répond parfaitement à la description. Le 4 juin est un jour décisif. Angélique va apprendre si elle vivra ou mourra. Au moment où le juge royal, le procureur et les notaires délibèrent, Angélique est assise dans sa cellule et fait appel à Dieu et a tous les saints, surtout à ceux dont elle porte les noms, Marie et Joseph.

236

Chapitre

10

LE VERDICT x^iN du procès.

Raimbault juge qu’il a suffisamment de

preuves pour en arriver à une conclusion. Les interro¬ gatoires de la matinée du 4 juin sont donc les derniers. Le tribunal a fait appel à au moins vingt-quatre témoins. Même si personne n a vraiment vis* Angélique mettre le feu, la plupart déclarent qu’elle est la seule en mesure de l’avoir fait. Un enfant de dix ans l’a « entendue » monter au grenier. Une voisine l’a vue en train de regarder d’un bout à l’autre de la rue et de fixer le toit juste avant qu’il s’enflamme. L’esclave du sieur de Bérey prétend que, le soir de l’incendie, Angélique lui a affirmé que Mme de Francheville ne dormirait pas dans sa maison ce soir-là. Trois domestiques disent qu’Angélique a menacé de brûler sa maîtresse et de lui couper la gorge. Monière et ses servantes déclarent soupçonner Angélique et Thibault d’avoir tenté d’incendier leur maison en février. Mme de Francheville reconnaît qu’Angélique l’a menacée en effet de la faire brûler si elle ne lui accordait pas son congé**. Une autre domestique dit qu’Angélique lui a parlé de son désir d’aller en France et quelle avait l’intention de s’y rendre coûte que coûte. Radisson affirme qu’Angélique a refusé de

*

En italique dans le texte. (NDT)

**

En français et en italique dans le texte. (NDT)

La pendaison d’Angélique

lui trouver une échelle lorsqu’il a tenté d’éteindre l’incendie à la maison des Francheville. Mais, la preuve la plus accablante arrive sans doute de la bouche de la jeune Amable Lemoine dit* Monière qui dévoile que, le jour de l’incendie, Angélique est allée au grenier avec une pelle remplie de charbon. Pierre Raimbault croit qu’il a bien mené l’enquête. Il a entendu suffisamment de témoignages. Un incendie s’est déclaré sur le toit de la maison de Thérèse de Francheville. Avant son déclenchement, des voisins ont vu ou entendu Angélique se comporter de façon étrange. C’est elle qui a annoncé l’incendie à ses voisins. Sa maîtresse a dit qu il n y avait pas de feu dans les foyers ce jour-là, même si Angélique a prétendu qu’il y avait quelques bûches à moitié calcinées dans l’un et des cendres dans l’autre. Le juge est convaincu qu’Angélique est l’incendiaire, pous¬ sée par des sentiments de vengeance et de haine envers sa maî¬ tresse parce quelle l’a vendue. Il est certain d’avoir une cause très solide contre Angélique. Vers la fin de la matinée du 4 juin, le tribunal est prêt à pro¬ noncer le verdict et la sentence. Les membres du tribunal se rassemblent dans la salle d’audience* de la prison. Raimbault demande aux notaires de rendre leur décision. En tant que premier notaire et adjoint du juge, Charles-René Gaudron de Chevremont est le premier à parler. Après avoir mûrement examiné toute la procédure contre l’ac¬ cusée, je trouve ladite accusée coupable d’avoir mis le feu à la maison de la demoiselle veuve Francheville, ce qui a causé l’in¬ cendie d’une partie de la ville. En guise de punition, je juge quelle doit être condamnée à faire amende honorable, à avoir la main coupée et à être jetée vive au feu, dans l’endroit le plus approprié de cette ville, après avoir subi la question ordinaire et extraordinaire* afin de connaître son complice, et que le

jugement du nommé Thibault soit différé jusqu’à ce que ladite accusée ait subi la question* 1.

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

1.

Procédure criminelle contre

opinion juridique de Charles-René

Gaudron de Chevremont, conseiller et juge, le 4 juin 1734, BAnQ-M.

238

Le verdict

Chevremont a un intérêt personnel dans l’affaire Angélique. La maison qu’il loue a été rasée et, même s’il a réussi à sauver ses documents, il a perdu tous ses meubles. De toute évidence, il n est pas le plus objectif des adjoints du juge. Il crie sans doute vengeance en son for intérieur. Les trois autres notaires, Jean-Baptiste Adhémar dit SaintMartin, François-Michel Lepailleur de Laferté et NicolasAuguste Guillet de Chaumont, sont tous du même avis. Leurs commentaires reprennent en gros les mots de Chevremont. Le tribunal déclare donc Angélique coupable d’avoir allumé le feu au domicile de sa maîtresse et, partant, d’avoir provo¬ qué 1 incendie de la ville. Le châtiment imposé doit être à la mesure du crime commis par Angélique. Le tribunal a le choix des supplices et des tortures à lui infliger : la brûler vive, l’ébouillanter, l’écarteler, l’accrocher à un cheval en course, 1 empaler, 1 arroser d huile ou de goudron chaud ou la pendre sur un gibet. Ce sont là des moyens communément infligés aux pauvres et aux esclaves dans les pays d’Europe et dans les sociétés sous leur botte. Le châtiment retenu par le tribunal démontre que les juges considèrent le crime comme ignoble. La condamnée et sa mémoire doivent disparaître de la carte, soutiennent-ils. Dans le catholicisme de l’époque, le fait d’être brûlé vif anéantit toutes vos chances d’être racheté et d’entrer au paradis, ce qui vous condamne à errer éternellement en enfer. Marginalisée de son vivant, Angélique ne peut franchir les portes du paradis. Le geôlier conduit Angélique de sa cellule à la salle d’au¬ dience . Raimbault lui demande de s’asseoir sur le « banc du repentir», d’enlever ses chaussures et son foulard. En sa qua¬ lité de juge, il est de son devoir de lui lire formellement le ver¬ dict et la sentence. Il se dit d’accord avec les notaires et, d’un ton sentencieux, il condamne Angélique à la mort. Tout bien considéré, nous avons déclaré l’accusée MarieJoseph-Angélique, suffisamment coupable d’avoir mis le feu à la maison de la demoiselle Francheville, ce qui a causé l’incendie d’une partie de la ville. En guise de punition pour

En français et en italique dans le texte. (NDT)

239

La pendaison d’Angélique

ce crime, nous l’avons condamnée à faire amende honorable, nue sauf pour une chemise, la corde au cou, tenant dans ses mains une torche ardente de deux livres, devant l’entrée prin¬ cipale et la porte de l’église paroissiale de cette ville où elle sera conduite par l’exécuteur de la haute justice dans un tombereau servant à enlever les immondices, le mot incendiaire inscrit devant et derrière. Et là, tête nue et à genoux, elle doit décla¬ rer qu’elle a malicieusement mis le feu et causé l’incendie dont elle se repent et demander pardon au roi et à la justice ; sa main coupée sera plantée sur un poteau devant ladite église. Par la suite, elle sera amenée par ledit exécuteur dans le même tom¬ bereau sur la place publique pour y être attachée à un poteau avec une chaîne de fer et brûlée vive, son corps réduit en cendres, jetées au vent. Ses biens saisis et confisqués par le roi, ladite accusée aura préalablement été soumise à la question ordi¬ naire et extraordinaire* pour connaître ses complices. En ce qui concerne ledit Thibault, nous avons ordonné qu’en regard des dépositions des témoins, on interroge Thibault, afin qu’une fois ladite négresse soumise à la question* et son inter¬ rogatoire communiqué au procureur du roi, nous puissions aller de l’avant avec l’accusation par contumace. Fait et donné à Montréal en ladite chambre par Nous, lieu¬ tenant général susdit, assisté de maîtres Jean Baptiste Adhémar, Nicolas-Auguste Guillet de Chaumont, René Gaudron de Chevremont et François Lepailleur, notaires royaux et prati¬ ciens en ce procès, qui ont signé avec nous le présent jugement le quatre juin mil sept cent trente-quatre en avant-midi* 2. Raimbault, les quatre notaires, ainsi que le greffier ClaudeCyprien-Jacques Porlier contresignent les documents. Porlier ne rapporte pas, bien sûr, l’état d’esprit d’Angélique. Cependant, nous pouvons nous imaginer qu’elle est certes secouée à l’annonce du jugement. Est-ce que ses cris trans¬ percent les murs du palais de justice ? Ou, au contraire, s’enferme-t-elle dans un profond mutisme ?

240

*

En français et en italique dans le texte. (NDT)

2.

Procédure criminelle contre sentence définitive du juge et de ses quatre conseillers, 4 juin 1734, f. 11-13, BAnQ-M.

Le verdict

La sentence qu on lui impose vient directement des idées médiévales européennes à propos des crimes et des châtiments. Angélique écope du genre de punition qui attend les incen¬ diaires et les sorcières : l’ablation de la main droite, la mort au bûcher et l’éparpillement des cendres aux quatre vents. Ces cendres dispersées sont une insulte qui s’ajoute à l’injure. Cela veut non seulement dire que l’on refuse des funérailles et un enterrement à la condamnée, mais aussi que son âme, en agonie et au désespoir, errera éternellement sur terre. Jeanne d’Arc, que ses ennemies qualifiaient de sorcière, a été brûlée au bûcher. Des millions d’Européens, accusés d’un quelconque crime capital (mais surtout de sorcellerie et d’hé¬ résie), ont aussi fini sur le bûcher. Pour d’autres, ce sont les mains qui ont été rôties. Quel que soit leur degré de sévérité, les lois françaises ont traverse jusqu’en Nouvelle-France. Habituellement, 1 execution a heu le jour même du pro¬ noncé de la sentence, mais cela ne se passe pas ainsi pour Angélique. Le procureur du roi*, François Foucher, empêche les juges de passer a 1 acte en interjetant appel. En effet, après avoir lu la sentence écrite par les autres, Foucher fait savoir qu il soumettra cette sentence au Conseil supérieur. L historien E.-Z. Massicotte s’étonne de ce geste de Foucher. Après tout, n est-ce pas lui qui, à titre de procureur du roi, a amassé la preuve contre Angélique avec beaucoup de diligence et de détermination ? Rappelons que Foucher ne fait rien d autre que de s acquitter de sa tâche, en juriste consciencieux qu il est. En effet, la Coutume de Paris accorde aux condam¬ nés le droit d’en appeler. Qu en est-il de Claude Thibault ? Lors de son témoignage, Louis Bellefeuille dit* La Ruine affirme que, pendant que le feu faisait rage, Thibault était assis calmement et prenait un repas. Il refusait de combattre l’incendie parce qu’il avait eu une dure journée et qu’il était fatigué. Le juge Raimbault, par contre, croit que Thibault a encouragé l’esclave dans son dessein. Cela fait de lui l’instigateur et un complice. Le tri¬ bunal veut pousser Angélique à donner le nom de Thibault comme son complice, étant donné qu’en Nouvelle-France, En français et en italique dans le texte. (NDT)

241

La pendaison d’Angélique

« il y a un parti pris juridique selon lequel la femme est irres¬ ponsable par nature et est dominée par les hommes3 ». Cette idée fait en sorte que « les femmes qui participent à des crimes sont considérées comme moins coupables que leurs partenaires mâles, qu’on soupçonne d’être les vrais responsables de leurs égarements4 ». En plus d etre femme, Angélique est une esclave, et les esclaves sont réputés irresponsables, enfantins, dépravés et irrationnels. Pour couronner le tout, c’est une Noire. Et, d’après le discours ambiant dans les sociétés occidentales, tous les Noirs (qui sont des esclaves pour la plupart) partagent la même « nature » que les esclaves : ils sont incapables de planifier de grands projets et de les mener à bonne fin. Le tribunal pense qu’Angélique, en tant que femme noire esclave, n’a pu agir seule, qu’il y avait un cerveau derrière l’incendie, et que ce cerveau est nul autre que Claude Thibault, un Blanc. Sa race, son sexe et sa condition font de Thibault le parfait cou¬ pable. Enfin, le tribunal croit Thibault responsable, en raison de sa liaison amoureuse avec l’esclave. Durant le procès d’Angélique, on a ordonné à Thibault de se présenter devant le tribunal. Ce qu’il n’a pas fait. Plus tard, on a émis un mandat pour son arres¬ tation et sa capture. Mais on ne l’a pas trouvé. Il est donc accusé d’outrage au tribunal et il est reconnu coupable par contumace. Thibault s’est retrouvé libre, mais Angélique n’a pas eu autant de veine. Le verdict et la sentence prononcés contre Angélique ne sont pas une surprise. L’accusée a pour seule défense cette phrase : «Je ne l’ai pas fait. » Et personne ne la croit. Plusieurs familles ont été chassées de leurs maisons par le feu, et elles ont perdu leurs meubles ainsi que leurs effets personnels. Le gouverne¬ ment doit puiser des milliers de livres dans ses coffres pour payer les dommages causés par l’incendie. Il s’agit sans doute de la plus importante cause criminelle que le juge Raimbault ait présidé et il ne veut pas que l’on dise qu’il a été tendre à l’endroit de l’accusée. Tout le monde - du gouverneur au juge,

242

3.

Peter N. Moogk, La Nouvelle-France: The Making of French Canada — A Cultural Flistory, East Lansing, Michigan State University Press, 2000, p. 64.

4.

Ibid.

Le verdict

jusqu aux soldats et aux citoyens - crie vengeance. Quelqu’un doit payer. Angélique ne peut pas s’en sortir. Il faut dire aussi quelle n’a rien fait pour se faire aimer. Elle s’est querellée avec sa maîtresse et lui a demandé de la libérer de ses chaînes. Elle a chassé une servante de la mai¬ son et a quitté le domicile sans permission, quand bon lui semblait. Elle entretenait une liaison avec Claude Thibault et elle planifiait de s’enfuir avec lui vers la Nouvelle-Angleterre et 1 Europe. Et elle a presque réussi. Angélique était une esclave qui ne se conduisait pas comme une esclave. Même si elle était de condition servile, elle n’était pas une esclave dans sa tête5. Angélique a vécu comme si elle n’était redevable à aucune autorité. Et personne, fût-il libre ou aristocrate, ne pouvait prétendre ne relever d’aucune autorité. Dans une société patriarcale et hiérarchisée comme la Nouvelle-France, il y avait toujours un supérieur auquel il fallait se plier. Les esclaves et les domestiques obéissaient aux maîtres, les enfants aux parents, surtout aux pères, les épouses aux maris. Et tout le monde respectait les lois de l’Église et de l’État. « Tout le monde, sauf le roi, répond à un supérieur quelque part sur terre, et quiconque prétend le contraire est une menace à l’ordre social6. » Dans l’esprit du juge Raimbault, Angélique a défié sa maî¬ tresse, dont elle a ignoré l’autorité et celle de la société. En réalité, elle s est moquee de 1 autorité tout court. Comme résul¬ tat, elle est devenue hors de contrôle et elle représente une menace pour la société. Il faut la remettre dans le bon chemin, il faut la discipliner. Le préambule de la Coutume de Paris, qui en fait la loi de la France et de la Nouvelle-France, dit que 1 ordonnance « assure le repos public et contient par la crainte des châtiments ceux qui ne sont pas retenus par la considé¬ ration de leur devoir7 ». Angélique fait maintenant face à l’ultime châtiment parce quelle n’a pas su se contrôler.

5.

Cette idée (à savoir que les propriétaires peuvent posséder des esclaves et contrôler leur corps mais non pas leur esprit) nous vient de Thomas J. Davis, op. rit., p. 1-2.

6.

Ibid., p. 59-

7.

Louis XIV, Ordonnance criminelle du mois d’août 1670.

243

La pendaison d’Angélique

Mais il y a un autre pas à franchir avant de dire que justice a été faite. C’est la loi qui l’exige. L’accusée doit être conduite à Québec pour interjeter appel. Raimbault accepte la requête de Foucher et il envoie immédiatement Angélique et son dos¬ sier à Québec, sous surveillance, pour y rencontrer les juges du Conseil supérieur.

244

Chapitre 11

L’APPEL ET LE JUGEMENT FINAL I

e Conseil supérieur entend l’appel le

12

juin.

C’est

dire qu Angélique et ses accompagnateurs ont mis une semaine, ou même moins, pour faire le trajet de Montréal à Québec. Le temps est chaud, le Saint-Laurent coule librement et le voyage s est déroulé promptement. En plus d être la capitale coloniale et, par conséquent, le siège du gouvernement, Québec est la ville la plus grande et la plus populeuse de la Nouvelle-France. Elle a essaimé autour d un cap escarpé qui surplombe le Saint-Laurent. La hauteville, qui se change en vaste plaine, est sise à environ quatrevingt-dix mètres de hauteur. C’est le centre administratif de la colonie. Le gouverneur y vit dans un château, tout comme la plupart des membres du Conseil supérieur, bureaucrates et autres employés de la Couronne. Les communautés religieuses (qui possèdent la plupart des terres inutilisées de la hauteville) logent également dans cette partie de la ville. Là encore, on retrouve l’épiscopat, le séminaire, les Récollets, les Jésuites, les Ursulines et les Augustines. Ces dernières ont fondé l’Hôtel-Dieu de Québec, quelles dirigent. Les princi¬ paux marchands, et les plus riches, sont installés dans la hauteville, de même que de Léry, l’ingénieur du roi. Ce secteur de

La pendaison d’Angélique

la capitale a sa bonne part de travailleurs, de domestiques et de pauvres. En bas du cap, la basse-ville longe le fleuve. C est le cœur financier de la colonie. Le port et les chantiers navals du roi y sont installés. Tous les navires de haute mer entreprennent et terminent leurs périples là. Bien sûr, c est aussi là que 1 on peut trouver des quais, des boutiques, des entrepôts, des boulange¬ ries, des boucheries et des ateliers de toutes sortes. La basseville est la principale demeure des marchands qui régissent différents aspects de la vie du secteur. Pehr Kalm, botaniste suédois qui visitera Québec en 1749, racontera que les mar¬ chands de la basse-ville construisent de belles et solides maisons de trois étages en pierre1. La basse-ville compte de nombreux habitants et grouille d activités. C est un quartier de travailleurs, d’artisans, de domestiques et de résidents de passage, tels les capitaines et les marins. Des chemins en pente raide unissent les deux quartiers, de sorte que les habitants peuvent aller d’un secteur à l’autre. L’intendant, deuxième personnage le plus important de la colonie, ne vit ni dans la basse-ville ni dans la haute-ville. Il habite le quartier du palais* *, sis à la limite ouest des deux sec¬ teurs. Il est bordé par le quartier Saint-Roch et s’étire le long des berges de la rivière Saint-Charles, un affluent du SaintLaurent. Le quartier du palais abrite aussi plusieurs chantiers navals, entrepôts et petits bassins. Des notaires, des fonction¬ naires ainsi que des artisans et des domestiques y élisent rési¬ dence. C’est dans ce secteur que s’élève le palais de l’intendant (qui donne son nom au quartier), un complexe indépendant extraordinaire qui comprend non seulement la résidence de l’intendant, mais aussi la salle d’audience du Conseil supérieur, le palais de justice , la prison, une chapelle, les magasins du roi et l’armurerie. Aujourd’hui, les restes de ce complexe dorment dans une région bordée par la me Vallière, la côte de la Potasse et la me Saint-Vallière Ouest.

1.

*

246

Yvon Desloges, Une ville de locataires : Québec au xvuf siècle, Ottawa, Lieux his¬ toriques nationaux, Service des parcs, Environnement Canada, 1991, p- 68. On y trouve une description détaillée des differents quartiers de Québec à cette époque, p. 53-60. En français et en italique dans le texte. (NDT)

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

Comme les deux autres sièges gouvernementaux, soit TroisRivières et Montréal, Québec a son tribunal inférieur, appelé la prévôté . On y trouve aussi un tribunal maritime (destiné aux sujets et au commerce maritimes), ainsi qu’un tribunal ecclesiastique. En 1734, Québec compte quelque 6000 habi¬ tants, divisés selon la classe, la race et le rang, tout comme à Montréal. Peu avant le 12 juin, une embarcation, avec Angélique à bord, a terminé son voyage à l’embouchure de la rivière SaintCharles. Aidée par ses gardiens, la prisonnière, chaînes aux mains et aux pieds, a débarqué et s’est rendue immédiatement à la prison du palais de l’intendant. Le matin du 12 juin, on escorte Angélique à la salle d’au¬ dience du Conseil supérieur pour faire face aux juges. Le Conseil supérieur, le plus haut tribunal du pays, a été mis sur pied en 1663, au moment où le Canada est devenu colonie royale. Ses fonctions sont triples : il promulgue, interprète et publie les lois et les ordonnances ; il agit à titre de tribunal de première instance, il entend les appels des tribunaux inférieurs en matières civile et criminelle. C’est surtout cette dernière fonction qui le fait connaître du public. Ses décisions peuvent annuler celles de tous les autres tribunaux. Les citoyens peuvent contourner la prévôté" et s’adresser directement au Conseil. Avant 1703 (alors qu’il portait le nom de Conseil souverain), le Conseil supérieur n avait que sept conseillers ordinaires ; il s en est ajouté cinq cette année-là. Le premier conseiller est le doyen de ce groupe. Siègent également au Conseil : le gouver¬ neur, 1 intendant, 1 évêque, le procureur général, le greffier en chef ou commis, le prévôt de la maréchaussée, plusieurs huis¬ siers, le responsable de la marine (à partir de 1733), auxquels s ajouteront quatre juges associés en 1742. Tous les membres ont droit de parole et de vote, à part l’évêque, les huissiers et le greffier. C’est le roi qui nomme les conseillers, sur recommandation du ministre de la Marine. Ce sont généralement des hommes qui ont «de longs états de service auprès du roi, quelques notions de jurisprudence et qui sont conformistes en matière En français et en italique dans le texte. (NDT)

247

La pendaison d’Angélique

religieuse2 ». Ceux qui ont des antécédents dans 1 armee, 1 ad ministration ou la justice, sont les plus favorisés. Il y a, bien sûr, des exceptions. Ainsi, Michel Sarrazin, un chirurgien, a été nommé en raison de sa compétence médicale ; il possède toutefois aussi une certaine expérience militaire : il a agi comme médecin dans l’armée et a assisté à plusieurs batailles. Par contre, certains membres doivent avoir une connais¬ sance approfondie de la loi, plus particulièrement de la Coutume de Paris. C’est le cas du procureur général. Ceux qui occupent ce poste sont des avocats de carrière qui ont été membres du Parlement de Paris et d autres PuvlawiÉnts français et qui sont venus au Canada au service du roi. Certains conseillers sont également avocats. Enfin, l’intendant fait habi¬ tuellement partie de la vieille noblesse française et il a une cer¬ taine formation juridique. L’appartenance au Conseil dépend du conformisme religieux du membre. Un conseiller doit non seulement faire partie de l’Église catholique romaine, mais il doit aussi assister à la messe et bien se conduire publiquement pendant son mandat. Avant d’accepter un membre, on mène une enquête sur ses convictions religieuses. S’il réussit à l’examen (peu échouent), on lui remet un certificat de bonne conduite. Le candidat doit être âgé de vingt-deux ans ou plus. Au début du xvme siècle, les conseillers sont nommés à vie, bien que le roi puisse mettre fin à un mandat quand il le juge à propos. La grande majorité des conseillers proviennent de la noblesse ou de familles éminentes. Ils sont presque tous nés en France. La bureaucratie royale est réservée aux fils de l’élite, qui y bâtissent leur carrière et y nourrissent leurs ambitions. Les Canadiens, même talentueux, sont exclus du Conseil supé¬ rieur et des hauts échelons du pouvoir, une situation qui persistera jusqu’à la fin, ou presque, du régime français. Comme plusieurs autres fonctionnaires, les juges du haut tribunal sont mal payés. Par exemple, le premier conseiller et le procureur général touchent 500livres par année, et un

2.

Raymond Cahall, The Sovereign Council ofNew France: A Study in Canadian Constitutional History, New York, Columbia University Press, 1915, p. 130.

*

248

En français et en italique dans le texte. (NDT)

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

conseiller ordinaire, 350livres. (Ces salaires seront revus à la hausse au cours des années 1750.) En raison du peu d’argent qu ils font, les conseillers doivent se trouver d’autres occupa¬ tions rémunératrices. Certains, comme le responsable de la Marine, occupent des postes importants et reçoivent de bons salaires ; plusieurs sont marchands, chefs de milice, petits commerçants, seigneurs ou notaires. Néanmoins, ce que les conseillers perdent en salaire, ils le gagnent en pouvoir, en privilège, en honneur, en condition sociale et en dignité. Siéger au Conseil est une fonction exal¬ tante. Les conseillers sont les principaux législateurs et inter¬ prètes des lois en Nouvelle-France, ce qui en fait les juges suprêmes de la loi. Lorsqu ils entendent des appels ou des pour¬ suites, leurs jugements influent sur le quotidien des colons qui se présentent devant eux. Et, en leur qualité de hauts digni¬ taires, ils assistent aux cérémonies religieuses, tout juste à la suite du gouverneur et de l’intendant, occupent des bancs derrière ces deux membres et communient immédiatement après eux. L’intendant, à titre de président du Conseil, décide du moment des assemblées. Il convoque les conseillers et déter¬ mine le quorum (cinq, pour les affaires criminelles). Il est rare que les douze conseillers soient présents lors d’une session du Conseil. Habituellement, la presence de sept juges suffit à entendre les causes. Les conseillers ont droit de vote, tout comme l’intendant, le gouverneur, le procureur, le responsable de la Marine et le prévôt de la maréchaussée. Il y a de quarante à cinquante réunions par année; elles ont lieu un samedi. C est une « assemblée extraordinaire » de conseillers qui se présente pour entendre l’appel d’Angélique. L’incendie de Montréal a secoué la colonie, et la réputation d’Angélique n est plus à faire. On sent l’importance de cette affaire en raison du nombre de juges présents. Sans compter l’évêque, le gouverneur, l’intendant et deux greffiers, onze conseillers sont sur place. Il y a, entre autres, le juge du tribunal de la prévôté, Pierre André de Leigne, et le juge de la maréchaussée, Charles-Paul Denys de Saint-Simon. Bien que les archives n’en disent mot, Pierre Raimbault et François Foucher sont sans doute présents.

249

La pendaison d’Angélique

Le membre le plus important de cette auguste assemblée, c’est le gouverneur, le marquis Charles de Beauharnois. Ne en 1671, il est le descendant d’une grande famille d’adminis¬ trateurs français. L’ascension des Beauharnois vers le succès se cimente autour de mariages avec des membres des illustres et distinguées familles de Colbert et de Phélypeaux, qui ont donné à la France pas moins de quatre grands ministres de la Marine, les plus puissants serviteurs du roi. Mais, même avant ces mariages, les Beauharnois trônaient aux plus hauts éche¬ lons des serviteurs du roi. Ils occupaient des postes dans la magistrature et dans l’armée. Or, après la nomination de leur cousin, Jérôme Phélypeaux, comte de Pontchartrain, au poste de ministre de la Marine en 1699, les Beauharnois entrent dans l’amirauté à titre d’administrateurs. Grâce à leurs relations, ils se forgent d’impressionnantes carrières au service de la colonie. La famille Beauharnois donnera à la Nouvelle-France trois intendants et deux gouverneurs généraux. Le père du marquis de Beauharnois, François, était avocat au Parlement* d’Orléans. Jeune homme, le marquis se joint à la marine et participe à plusieurs guerres livrées par Louis XTV sur le continent européen et outre-mer. En 1703, à l’occasion d’une de ces aventures militaires, Beauharnois s arrête au Canada pour y visiter son frère aîné François, alors intendant de la colonie. En 1716, la fortune du marquis s’élève grâce à son mariage à une riche veuve, Renée Pays. Par ce mariage, il acquiert des biens évalués à 60000 livres. Cet héritage comprend, entre autres, des plantations alimentées par des esclaves noirs à SaintDomingue. Beauharnois gère ces plantations à distance et il en retire des revenus substantiels. C’est Maurepas, ministre de la Marine et cousin de Charles de Beauharnois, qui le nomme au poste de gouverneur géné¬ ral du Canada en 1726. Le marquis occupera ce poste au cours des vingt et une années suivantes. Ancien militaire de profession, Beauharnois a comme prin¬ cipal objectif la défense du Canada contre les Anglais et plu¬ sieurs groupes d’Amérindiens. Il consolide les forts sis dans

En français et en italique dans le texte. (NDT)

250

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

1 Ouest et sur les Grands Lacs, entreprend la construction des fortifications de Québec et termine le mur entourant Montréal. Il livre une guerre aux Renards, les dissémine et les réduit à 1 esclavage. Il mène également la guerre aux Sioux et aux Anglais. À titre d administrateur, il promulgue plusieurs lois et décrets. La fonction de Beauharnois au sein du Conseil est discrète, mais très utile. En sa qualité de gouverneur, c’est le person¬ nage le plus puissant de la colonie et, partant, du Conseil. À titre de commandant de 1 armée, il est en mesure de se servir de ses soldats pour faire passer ses désirs auprès du Conseil, comme bon lui semble. Ses opinions ont du poids et, qui plus est, il a 1 oreille du roi. Les conseillers, ou ceux qui aspirent à le devenir, font mieux de se ranger de son côté, car il peut faire ou défaire une carrière avec une seule recommandation à la Couronne. Autre membre de la noblesse, l’intendant Gilles Hocquart est né en 1665. Il est issu du milieu de la bureaucratie finan¬ cière et de la magistrature. Comme Beauharnois, il est associé à des gens qui ont beaucoup de pouvoir et d’influence auprès du roi. Son père, Jean-Hyacinthe, a été intendant de Toulon et du Havre. La famille de Hocquart a commencé à préparer sa carrière dans le monde des affaires alors qu’il n’avait que huit ans. A cet âge, il est entré au service de la marine à Rochefort où il a acquis une expérience précieuse. Entre 1721 et 1729, il a été l’administrateur en chef de cette ville. Grâce à son expérience, à ses talents de financier et à ses rela¬ tions, Hocquart est nommé commissaire ordonnateur et inten¬ dant intérimaire du Canada, en 1729. Deux ans plus tard, il devient intendant. Beauharnois et lui ont de solides liens d amitié. Ils réussissent à gérer la colonie sans trop de frictions. Au moment de l’appel d’Angélique, Hocquart est inten¬ dant depuis trois ans et il s apprête à remplir un nouveau man¬ dat de quatorze ans. Les historiens le considèrent comme l’un des intendants les plus talentueux de la Nouvelle-France. Hocquart s’intéresse à l’essor industriel, agricole et commer¬ cial du Canada. Il parraine la mise sur pied des forges du SaintMaurice, fait la promotion de l’industrie textile naissante et introduit de nouvelles variétés de céréales dans la colonie. Il

La pendaison d’Angélique

transforme les chantiers navals de Québec et fait construire des navires de haute mer. En outre, c est un partisan des échangés commerciaux avec les Antilles. Son œuvre la plus durable est sans doute la construction de routes entre Québec et Montréal et entre le lac Champlain et Montréal. Hocquart aide les citoyens à se remettre sur pied après l’in¬ cendie en puisant généreusement des subventions dans le Trésor public. Nous savons qu’il a peu de sympathie pour Angélique. Plusieurs mois après l’incendie, il la traitera de scé¬ lérate dans une lettre adressée à Maurepas3. Bien que le gouverneur détienne le pouvoir ultime au sein du Conseil, l’intendant en est tout de même le président. Comme nous l’avons déjà dit, c’est lui qui décide du moment des assemblées et qui détermine le quorum. Lorsqu il y a un appel, c’est lui qui convoque les conseillers. De fait, l’intendant exerce sans doute plus d’influence sur les conseillers que l’évêque ou le gouverneur. Il est plus près des conseillers qui, en retour, essaient de l’impressionner et de gagner sa faveur. C’est lui qui rédige et promulgue les décrets. Au sujet des relations entre les conseillers et l’inten¬ dant, Raymond Cahall, un expert du Conseil, écrit : « Sur le plan de l’administration, l’intendant et les conseillers sont très près, étant donné que la plupart des ordonnances qui régissent le gouvernement de la Nouvelle-France sont faites en collaboration4. » Le rôle de l’évêque au sein du Conseil n’est pas très clair. A un certain moment, il est aussi puissant que le gouverneur. Mais l’Église perd sa suprématie au profit de l’État et, à par¬ tir de 1688, l’évêque devient un simple membre honoraire du Conseil. Comme il n’a plus d’influence, il tente de passer par les clercs et des amis qui sont des conseillers. Néan¬ moins, l’évêque jouit encore du privilège de siéger à la direc¬ V

tion du Conseil. Pierre-Herman Dosquet, évêque de Québec, n’est pas pré¬ sent lors de l’audience d’Angélique ; il est en train de régler

252

3.

Lettre de Beauharnois et de Hocquart à Maurepas, le 9 octobre 1734,

4.

Archives coloniales, série Cl la, f. 131-139, BAC. Raymond Cahall, op. rit., p. 150.

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

des affaires en France. C’est sans doute Eustache Chartier de Lotbinière, son vicaire général, qui le représente et qui siège à sa place. Les archives mentionnent que Chartier fait partie de l’assemblée. Autre membre important, le premier conseiller. C’est celui qui revendique la plus longue participation au Conseil. Son principal rôle exige qu il mène les enquêtes des causes, deve¬ nant ainsi le juge rapporteur du Conseil. François-Etienne Cugnet occupe ce poste au moment où Angélique se présente devant le tribunal. Est-il conscient qu’il nage en plein conflit d’intérêts dans cette affaire ? En tout cas, il ne le mentionne pas. Cugnet, c’est cet homme à qui Mme de Francheville a vendu Angélique en échange de 270 kilo¬ grammes de poudre a canon. La vente ne s’est pas matérialisée à cause de 1 incendie, ce qui lui a fait perdre une esclave. Cherche-t-il à se venger ? Cugnet a accédé au Conseil en 1730 et a pris du galon rapi¬ dement. En moins de trois ans, il s’est retrouvé premier conseiller. C est assez inhabituel de voir un jeune comme Cugnet occuper un poste destiné en principe à des gens plus âgés. Il faut dire que l’homme est un avocat diplômé en France et qu il a pratiqué le droit au Parlement* de Paris avant de tra¬ verser au Canada. Sa formation juridique lui a sûrement été fort utile. Cugnet détient beaucoup de pouvoir depuis qu’il est directeur du Domaine d Occident. Il est bien branché sur les élites coloniales et a beaucoup d’influence sur elles. Il est non seulement bien appuyé par le gouverneur Beauharnois et l’intendant Hocquart, mais aussi par leur supérieur, le comte de Maurepas, ministre de la Marine. Plus tôt, Hocquart et Beauharnois avaient recommandé à Maurepas de consentir un prêt de 10 000 livres à François Poulin de Francheville et à son conseil, dont faisait partie Cugnet, pour l’achat des forges du Saint-Maurice. Or, en ce mois de juin 1734, le premier conseiller Cugnet doit décider du sort d’Angélique. De nos jours, Cugnet devrait se retirer de la cause. Les avocats de la défense feraient valoir qu’en tant qu’acheteur d’Angélique et associé de sa propriétaire, il est en conflit En français et en italique dans le texte. (NDT)

253

La pendaison d’Angélique

d’intérêts. À l’époque, le Conseil prévoit une telle éventua¬ lité. Un accusé peut refuser d’être jugé par le Conseil s’il estime que l’un des membres est hostile. Cependant, pour ce faire, l’accusé doit être un Blanc libre, et non pas un « nonêtre » comme Angélique. C’est Louis-Guillaume Verrier qui siège à titre de procu¬ reur général lors de l’appel d’Angélique. Ayant étudié le droit, il fait partie d’une longue tradition juridique. Avant d arriver au Canada, Verrier pratiquait, lui aussi, le droit au Parlement de Paris. Lorsque le poste de procureur général s’est libéré, Maurepas l’a envoyé au Canada. Verrier met les pieds au Canada en septembre 1728 et il sera le procureur en chef du roi pour les trente années suivantes. Verrier sera le premier à donner des cours de droit en Amérique du Nord. Il commen¬ cera en 1736 à Québec et poursuivra jusqu’à sa mort en 1758. En sa qualité de procureur général, Verrier doit être bien versé dans le droit français. Il doit aussi connaître à fond les décrets du haut tribunal canadien. Lorsqu’une cause arrive devant le Conseil, le premier conseiller lui présente l’affaire et ils en discutent. C’est lui qui mène le Conseil tout au long de la procédure. Lorsqu’il y a appel, il renseigne le Conseil sur la façon de fonctionner selon les balises de la Coutume de Paris. Enfin, c’est lui qui étudie les documents et dépose les pour¬ suites. Le procureur général interprète la loi, tire des conclu¬ sions et propose des solutions. En fait, il « amène le Conseil à appuyer ses conclusions et ses propositions5 ». Quant au conseiller Jean-Victor Varin de LaMarre, il a débarqué au Canada en 1729, au même moment que Hocquart et, tout comme lui, il a pris du galon rapidement. Appuyé par Hocquart, il devient vite contrôleur de la Marine. Ce poste lui donne la responsabilité des finances de l’Etat. Il est nommé au Conseil supérieur en 1733 et y demeurera pendant seize ans. Grâce à ces nominations, Varin se joint à l’élite financière, politique et judiciaire de la colonie. Il connaît une brillante carrière de contrôleur, de commissaire ordonnateur et de

*

j.

254

En français et en italique dans le texte. (NDT) Raymond Cahall, op. cit., p. 155.

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

subdélégué de 1 intendant. À 1 époque d’Angélique, il est on ne peut plus célèbre et puissant. Mais Varin a une faiblesse : il aime trop 1 argent. Dans les derniers jours de l'ancien régime*, il sera impliqué dans 1 Affaire du Canada", une affaire d’abus et de malversations. Il retournera en France pour se refaire une santé, mais son passé le rattrapera. «Accusé d’avoir “pendant une partie du temps qu il a fait les fonctions de commissaire ordonnateur à Montréal, toléré, favorisé et commis des abus, malversations, prévarications et infidélités quant à l’appro¬ visionnement des magasins du roi en marchandises”, Varin [sera] arrêté en rapport avec l’Affaire du Canada, et empri¬ sonné à la Bastille au cours du mois de décembre 1761 [...] Le 10 décembre 1763, il [sera] reconnu coupable des accusa¬ tions portées contre lui et condamné au bannissement à per¬ pétuité du royaume de France [...] et à la restitution au roi de 800 000 livres* 6. » Sept ans plus tard, le roi lui permettra de s’installer en France, où il décédera dans les années 1780. Michel Sarrazin a accédé au Conseil en 1707 et y demeu¬ rera jusqu a sa mort, en septembre 1734. Né en France en 1659, il n a pas suivi le cheminement typique pour arriver au Conseil. Il n’est pas juriste et n’a aucune expérience de l’ad¬ ministration coloniale. Comme nous l’avons vu, Sarrazin est médecin. C’est d’ailleurs à titre de chirurgien-major des troupes qu’il est venu au Canada en 1685. Il a participé aux batailles contre les Iroquois des Pays-d’en-Haut. Fasciné par la faune et la flore canadiennes, Sarrazin est un ardent naturaliste, botaniste et zoologiste, et consacre ses temps libres à sa passion. Il envoie régulièrement des spécimens de plantes et de la vie animale du Canada en France. Membre cor¬ respondant de l’Académie royale des sciences de Paris, il publie des articles sur la faune et la flore canadiennes. Il ne néglige pas sa carrière médicale pour autant. En effet, il crée de nombreux médicaments et combat plusieurs épidémies dans la colonie sans en être atteint. Ses supérieurs n’ont que de bons mots pour son travail de médecin. Sarrazin est un membre expérimenté du Conseil et, à sa mort, il en sera le garde des sceaux. *

En français et en italique dans le texte. (NDT)

6.

André Lachance, Dictionnaire www. biographi .ca/fr

biographique

du

Canada

en

ligne,

255

La pendaison d’Angélique

Charles Guillimin descend d’une famille noble de Bretagne. Lorsqu’il s’est présenté au Canada, il était jeune, mais avait suf¬ fisamment d’argent pour investir dans les pêcheries du SaintLaurent et dans le commerce de gros. La chance lui a souri, de sorte qu’il est devenu l’un des plus riches marchands de la colonie. Il s’est lancé aussi dans la construction navale ; il a construit au moins sept navires de haute mer à Québec. De plus, il a bâti des maisons, acquis des magasins et fait carrière dans la milice. Alors que le gouvernement se trouvait à court d’argent, Guillimin lui a consenti un prêt de 40 000 livres. En reconnais¬ sance de ses efforts envers la colonie, il est nommé conseiller du Conseil en 1721. Toutefois, il mourra presque dans la dèche en 1739, à la suite de nombreux revers de fortune. Le greffier, ou secrétaire, est un membre clé du Conseil. Il s’agit habituellement d’un notaire, qui connaît donc très bien les lois. À l’instar de plusieurs autres dirigeants coloniaux, François Daine se consacre à ses fonctions administratives, accu¬ mulant les postes pour augmenter ses revenus. Le parcours de Daine ressemble à celui de la plupart de gens qui gravissent les échelons de la bureaucratie à l’époque. En 1715, il a exercé la fonction d’écrivain du roi à Trois-Rivières. En 1721, nou¬ veau marié, il s’est installé à Québec. Un an plus tard, il est nommé greffier en chef du Conseil supérieur, supervisant le travail de plusieurs commis greffiers. Durant sa carrière en Nouvelle-France, il occupera de nombreuses charges, dont celles de lieutenant général civil et criminel de la prévôté de Québec, de contrôleur de la Compagnie des Indes occiden¬ tales, de directeur du Domaine du roi et de subdélégué de l’in¬ tendant. Il est le greffier en chef du Conseil lorsque Angélique s’y présente pour son appel. Au lendemain de la défaite de 1760, Daine se fera le porte-parole des habitants de Québec. On lui demandera de rester pour agir comme juge selon les lois françaises. Daine ne sera pas compromis dans Y Affaire du Canada . Au contraire, le gouvernement français louera son honnêteté. Il retournera en France en 1764, lorsqu’il deviendra évident que les Anglais sont les nouveaux maîtres du Canada* 7. * 7.

256

En français et en italique dans le texte. (NDT) Voir Jacques Mathieu, Dictionnaire biographique du Canada en ligne, www.biographi.ca/fr

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

Jean-Claude Louet est notaire royal de l’Amirauté de Québec. Compte tenu de son importance comme greffier, il assiste à 1 audience d Angélique. Il est cosignataire des documents, avec Daine. Enfin, des huissiers, des gardiens et des policiers siègent au Conseil, sans oublier le tortionnaire et exécuteur royal. Que serait la justice sans la présence de celui qui doit exécuter les décisions des tribunaux ? Le bourreau est indispensable au Conseil, et pour¬ tant le gouvernement a de la difficulté à en trouver parce qu’il s agit d’une fonction méprisée par le public. Personne ne veut de cette tâche. On a souvent recours à des condamnés pour cela. Ils n’ont qu’une alternative: accepter ou être pendu. Habituel¬ lement, les gens choisissent la première option. En 1733, le poste de bourreau étant libre, le gouverneur Beauharnois a obtenu de la Martinique un esclave meurtrier du nom de Mathieu Léveillé pour occuper le poste de bour¬ reau et de tortionnaire. Léveillé a tué un confrère esclave en Martinique et il a échappé ainsi à la potence. Nommé par le Conseil supérieur, Léveillé est un esclave au service du roi. Il vit à Québec, mais il souffre du froid et de la solitude dans son nouveau pays. Les autorités canadiennes font venir une esclave, Angélique-Denise, pour réconforter Léveillé et partager sa couche. Gravement perturbé, physiquement et psychologiquement, il ne s’adaptera jamais au Canada. Il suc¬ combera à une pneumonie à l’Hôtel-Dieu de Québec, en 1736. Après sa mort, le gouvernement vendra Angélique-Denise à un marchand local. C’est Léveillé, esclave noir et bourreau, qui mettra la corde au cou d’Angélique, esclave noire. En mettant les pieds dans la salle d’audience, MarieJoseph-Angélique a tous ces gens devant les yeux. Ils sont installés dans un ordre reflétant la hiérarchie, le rang et la condition de chacun. Les juges sont assis autour d’une longue table rectangulaire. À la tête, le gouverneur, qui est entouré de l’évêque (ou de son représentant) à sa droite et de l’intendant à sa gauche. Les conseillers, à partir du plus ancien, sont placés d’un côté ou de l’autre. Enfin, le procureur général et le greffier sont au pied de la table. La prisonnière se tient debout face aux trois plus importants représentants et à quelques juges. 257

La pendaison d’Angélique

Nous ne savons pas si Léveillé est présent à ce moment là. On ne le mentionne pas dans les documents. En fait, il n’est pas un conseiller, mais plutôt un instrument nécessaire pour exécuter les « hautes œuvres » de la justice. Le Conseil est l’autorité judiciaire suprême du pays. Il peut faire preuve de clémence lorsqu on lui soumet une affaire qui attire la peine de mort. Parfois, il modifie des jugements des tribunaux inférieurs, qu’il juge trop durs. Angélique espère sans doute que ce sera son cas. La voici debout, esclave noire, seule et marginalisée, face aux hommes les plus puissants de la colonie. Tout les sépare d elle : la race, le sexe, la condition et le travail. Certains, tels Cugnet et Hocquart, ont déjà leur idée bien arrêtée à son sujet. Le Conseil est composé de Blancs, des colons, des dirigeants, des impérialistes, des propriétaires d’esclaves et des colonisateurs. Ces hommes ont tous des opinions bien senties à propos des Noirs et des esclaves africains. Beauharnois, Cugnet et Varin sont mêlés au commerce atlantique des biens et des esclaves. Le gouverneur Beauharnois, qui gère des plantations alimentées par des esclaves dans les Antilles, a fait venir Léveillé de la Martinique et il possède vingt-sept esclaves à Québec. Quant à Cugnet et à Varin, ce sont des négociants et des hommes d’affaires qui commercent dans les Antilles. Ils ont une connais¬ sance intime des plantations et du commerce des esclaves. Les juges du Conseil supérieur sont des hommes qui mépri¬ sent les classes inférieures, qui rossent leurs subordonnés, qui possèdent des esclaves, qui réduisent des nations à l’esclavage et qui marchandent la chair humaine. On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils démontrent beaucoup de clémence à l’égard d’une esclave noire qui a incendié des propriétés. Un monde sépare donc Angélique et les juges. Chacun de ces hommes revendique une vie longue et distinguée. Leur ascendance est connue ; dans le cas de Hocquart, elle remonte au XIIe siècle. Angélique, elle, est une esclave*, une personne qui n’a pas de famille, ni d’ascendance, non plus que de sang bleu. Son nom apparaît dans les archives uniquement à cause du spectaculaire incendie qu’elle a déclenché. En français et en italique dans le texte. (NDT)

258

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

Québec est une petite ville, de même que sa bureaucra¬ tie. Tout le monde se connaît. Les membres de l’élite, y compris les juges du Conseil, sont tous intimement reliés par les mariages et les affaires. Le conseiller Nicolas Lanoullier a épousé la fille du juge Pierre André de Leigne. L’intendant Hocquart, président du Conseil, a créé, guidé et appuyé un petit groupe de conseillers qui gèrent les finances de la colonie. Font partie de ce groupe, entre autres : Thomas-Jacques Taschereau, agent des trésoriers généraux de la Marine, Jean-Victor Varin, commissaire ordonnateur, François Foucault, magasinier du roi à Québec, et François-Étienne Cugnet, directeur du Domaine d’Occident. Ces hommes forment le cœur des protégés de Hocquart au sein du Conseil supérieur. Par exemple, Taschereau investit dans les forges de Cugnet, tandis que Foucault et Varin en sont des associés. Liés par le sang, les affaires et les valeurs, ces juges consti¬ tuent un redoutable mur dressé devant Angélique. Le jugement qu’ils s’apprêtent à rendre ne peut qu’être redoutable.

Nous sommes le samedi 12 juin. Il est 10 heures, et la basseville bourdonne d’activités. Les navires amarrés, les marins et les équipages débarqués, des travailleurs s’affairent à transpor¬ ter des marchandises dans des entrepôts et des magasins. Les gens font leur magasinage pour la prochaine semaine. Des mal¬ faiteurs de la rue s embêtent et essaient de voler les visiteurs non méfiants. Quelques mots courent sur toutes les lèvres: «Angélique, la célèbre négresse qui a mis le feu à Montréal, fait maintenant face à la justice. » Certains, l’haleine puant l’alcool, parlent de la «maudite négresse ». En leur for intérieur, des esclaves - et il y en a plu¬ sieurs - souhaitent qu’Angélique soit libérée. Leurs maîtres les dévisagent. Ils craignent qu’ils ne songent à se venger et qu’ils ne soient assez méchants pour imiter la « misérable négresse » et les faire rôtir dans leurs lits. V

A quoi pense Mathieu Léveillé ? Une tâche odieuse l’at¬ tend. Sa conscience le tourmente-t-il, sachant qu’il devra probablement tuer une semblable ? Ou songe-t-il qu’il s’agit

259

La pendaison d’Angélique

seulement d’un travail à faire et que ce sont en réalité le Conseil et le gouvernement qui tuent 1 accusée ? Verrier demande à Angélique de s’asseoir sur le siège de la question. Les autres juges et lui-même l’interrogent. Elle leur répète ce quelle a déjà dit chaque jour à Raimbault, à Foucher et aux notaires depuis presque deux mois. Non, ditelle, elle n’a pas mis le feu et n’a pas de complice. Verrier ne la croit pas et il la renvoie dans une salle attenante. Il com¬ mence les délibérations et explique les règles de droit aux conseillers. Il fait part de sa conclusion : Angélique est cou¬ pable et mérite la mort. Hocquart compte les votes. Les juges se disent d’accord. Daine et Louet rapportent les délibérations, la décision des juges et le verdict du tribunal. Angélique est condamnée : [...] en guise de réparation pour l’incendie commis par elle et autres cas mentionnés au procès, à faire amende honorable, nue sous sa chemise, une corde au cou, et tenant dans ses mains un flambeau allumé et pesant deux livres, devant la porte prin¬ cipale et l’entrée de l’église paroissiale de la ville de Montréal, où elle sera conduite par l’exécuteur de la haute justice. Et là, à genoux, elle déclarera à voix haute et intelligible qu’elle a méchamment commis ledit incendie dont elle se repent. Elle demandera pardon à Dieu, au Roi et à la justice. Cela fait, elle sera conduite à la place publique de ladite ville de Montréal pour y être pendue et étranglée jusqu’à ce que mort s’ensuive, sur une potence construite à cet effet. Ensuite, son corps sera mis sur un bûcher pour y être consumé, les cendres seront jetées au vent, ses biens seront confisqués au nom du Roi. Ladite Marie-Joseph-Angélique aura préalablement subi la question ordinaire et extraordinaire pour savoir de sa bouche le nom de ses complices. [...} Il est ordonné que le présent arrêt en ce qui concerne seulement la condamnation de ladite Marie-Joseph-Angelique soit lu, publié et affiché aux endroits habituels dans les trois villes de Québec, Montréal et TroisRivières 8.

[...}8

Procédure criminelle sentence du Conseil supérieur contre MarieJoseph-Angélique, négresse, pour crime d'incendie à Montréal, 12 juin 1734, f. 25-26, BAnQ-Q.

260

L APPEL ET LE JUGEMENT FINAL

Tout comme le tribunal de Montréal, le Conseil supérieur identifie Claude Thibault comme suspect et exige qu’il soit arrêté pour subir son procès. Le Conseil demande que l’on fasse de nouvelles recherches pour mettre la main sur Thibault9. Ll Conseil maintient la sentence de mort, à quelques détails près. C est sans doute Verrier qui recommande de retirer les aspects les plus cruels du châtiment. Angélique n’aura pas la main coupée et elle ne sera pas brûlée vive, comme l’avait décrété le tribunal de Montréal. Ce sont probablement ces aspects qui ont poussé Foucher à interjeter appel. En tant qu avocat, il sait que le plus haut tribunal modifie souvent des sentences sinistres rendues par les tribunaux d’une ins¬ tance inférieure. Le jugement rédigé, Cugnet et Daine vont le lire à Angélique qui attend dans une salle attenante. C’est le bout du chemin pour Angélique. Sa cause a été entendue par deux tribunaux, et elle a perdu. L’État a déployé tout son arsenal judiciaire contre elle. Elle n’avait aucune chance de s’en sortir. Lorsqu on prononce la sentence, Angélique s’effondre vrai¬ semblablement au sol. Ou peut-être reste-t-elle de glace. Nous ne le saurons jamais, car Daine et Louet ne rapportent pas ses états dame pour la postérité. Puisqu elle vient de Montréal, la sentence n’est pas mise à exécution le jour même, comme c’est le cas d’habitude. Enchaî¬ née et entourée de gardiens, Angélique retourne vers le quai. Elle monte à bord du canot en route vers Montréal. Mathieu Léveillé fait partie du groupe. Il a un travail à faire.

9-

Ibid., f. 25.

261

.

'

Chapitre 12

L’EXÉCUTION ^

^

ETOUR À la case départ.

Angélique a perdu en appel

et revient à Montréal pour y mourir. Le juge Pierre

Raimbault fixe la date de l’exécution au 21 juin. Dans les jours qui suivent le retour d’Angélique, les juges et les adjoints se préparent à interroger la condamnée pour une dernière fois. Cet interrogatoire a lieu le matin même de la pendaison. Angélique continue de clamer son innocence. Le juge fait donc appel à Mathieu Léveillé, le « maître des hautes oeuvres ». Ce dernier enfile les brodequins sur les jambes d’Angélique, il frappe sur ses jambes et brise ses os à l’aide d’un marteau. Angélique craque sous les coups répétés du tortionnaire. Elle avoue encore qu elle a agi seule. Le juge n’est pas entièrement satisfait parce qu’Angélique refuse de dénoncer Claude Thibault comme complice. Angélique reconnaît sa culpabilité, mais cela ne change pas grand-chose puisque, avec ou sans aveu, elle n’échappera pas à la pendaison. Le sulpicien Navetier lui administre les der¬ niers sacrements et Léveillé la transporte dans une charrette à ordures qui se rend jusqu’à la porte de l’église Notre-Dame où Angélique doit faire amende honorable. Le charpentier royal, attaché à la maréchaussée, a construit le gibet en plein milieu de la zone sinistrée, vraisemblablement devant les ruines de la maison de sa maîtresse. Il a également apporté des fagots et

La pendaison d’Angélique

bâti un immense bûcher. Habituellement, les exécutions ont lieu sur la place du marché, à 1 angle de la rue SaintPaul et de la place Royale. Mais les autorités cherchent à punir Angélique de façon exemplaire en lui faisant voir son œuvre au moment de sa mort. Alors que le soleil est à son zénith, le cœur de l’esclave fait un tour pendant quelle revoit sa vie et pense à sa dernière jour¬ née sur terre. À mesure qu’Angélique gravit l’escalier vers son destin, son ancienne vie au Portugal défile devant elle. Puis, c’est la traversée sur l’océan Atlantique infini et turbulent. Sa servitude auprès de Nichus Block. Ses neuf années tumul¬ tueuses au service de François Poulin de Francheville et de sa femme à Montréal. Sa relation avec Jacques César. La naissance et la mort de ses enfants. La mort de Francheville. L’incendie de la maison de sa maîtresse, qui détruit une partie de la ville. La disparition de Thibault. Sa propre arrestation. Le procès. Le verdict. La sentence. Léveillé en train de lui mettre les bro¬ dequins*. Sa mort qui approche. Elle songe peut-être à l’ironie de la situation. Un esclave qui tue une esclave : l’un est condamné à être l’exécuteur royal, l’autre est condamnée à mort. Nous sommes un lundi, jour où les gens ne travaillent pas. Tout le monde est donc présent au spectacle de la pendaison pour y observer de près la Noire qui a incendié leur ville. Elle passe devant les gens, la tête nue, les jambes ensanglantées, le corps vêtu de l’habit du condamné. Angélique jette un coup d’œil sur ces gens qui sont venus assister à son exécution. En entendant les murmures qui cir¬ culent, son esprit retourne au Portugal. Elle entend peut-être des chants traditionnels de perte et de désir, de mort et de cha¬ grin. Des chants interprétés par ceux qu’on appellera plus tard les chanteurs de fado et qui se sont inspirés des esclaves afri¬ cains et des maures noirs pleurant leur exil et leur esclavage. Elle entend peut-être l’écho de leurs voix rauques sur les vagues écumeuses de la côte est du Canada et du golfe Saint-Laurent, ses voix qui voyagent avec le vent en amont du grand fleuve et qui passent au-dessus des eaux poissonneuses à Tadoussac,

En italique dans le texte. (NDT)

264

L’exécution

devant les falaises de Québec, devant Trois-Rivières, pour arriver enfin à Montréal. Ces voix, transportées par le vent, qui glissent jusqu à 1 escravo (esclave en portugais). Angélique pleure sûrement. v

A son baptême, Angélique a reçu les prénoms de la Vierge Marie, patronne de Montréal, et de Joseph, son époux. Ces deux saints sont les protecteurs des enfants, des pauvres et des néces¬ siteux. Au moment de sa mort, Angélique se tourne peut-être vers eux pour de 1 aide et du réconfort. En tant que guérisseurs des âmes tourmentées et raccommodeurs des cœurs brisés, ils 1 accompagnent sans doute au moment où elle monte l’escalier du sinistre gibet et lorsque Léveillé lui passe la corde au cou. Ils 1 enveloppent peut-être de leur divinité lorsque son cou se brise et que son esprit quitte son corps. Angélique découvre enfin dans la mort la liberté qu elle a toujours recherchée. Ainsi s achève la vie d Angélique. Porlier décrit ses dernières heures. Il parle du jugement, des derniers sacrements, de la remise d’Angélique aux mains de l’exécuteur des hautes œuvres, de 1 amende honorable, de la pendaison, du bûcher et des cendres dispersées aux quatre vents* 1.

* 1.

En italique dans le texte. (NDT) Conseil supérieur, Jugements et délibérations, TPI, S28, P17230, rapport de l’exécution, 21 juin 1734, BAnQ-Q.

265

.



01

-

Chapitre 13

ANGÉLIQUE, L’INCENDIAIRE (37 J ous

ceux qui ont parlé de l incendie

— de Beauharnois

et Hocquart en 1734 à Lorena Gale et à l’historien Allan Greer dans les années 1990 - ont soutenu qu’Angélique avait mis le feu au domicile de sa maîtresse. En effet, la plupart des témoins qui se sont présentés à la barre croyaient à la culpabi¬ lité de l’esclave. À son crédit, Mme de Francheville a déclaré : «Je ne peux pas dire avec certitude quelle ait mis le feu, mais je pense que oui. » Cependant, Angélique a été reconnue cou¬ pable et condamnée à partir de oui-dire et de soupçons. En his¬ toire, on parle d’elle comme de « l’esclave qui a mis le feu à Montréal ». Or, a-t-elle été accusée injustement ? Je crois que non. Angélique avait une bonne raison d’agir: la vengeance. Non seulement sa maîtresse refusait-elle de la libé¬ rer, mais elle l’a vendue en plus. Ajoutons à cela qu’Angélique était une esclave maltraitée qui avait tendance à riposter. Elle détestait les Français de façon générale et souhaitait les voir tous morts. Ses intentions étaient très claires lorsqu’elle s’est enfuie en février et quelle a tenté de brûler la maison du sieur Monière. Elle était une esclave, mais elle n’avait aucun respect pour sa maîtresse et sa société de Blancs, quelle détestait toutes deux.

La

pendaison d’Angélique

En son for intérieur, elle échappait au contrôle de ceux qui détenaient l’autorité sur elle. Voici ce qui est arrive, selon moi. Reportons-nous une fois de plus à l’hiver 1734. Après avoir appris qu’on l’avait vendue, Angélique prépare son évasion et songe au feu pour dissimu¬ ler ses traces. La première tentative à la maison de Monière a échoué, mais elle tient mordicus à s’enfuir et à mettre le feu. Pendant que Thibault est emprisonné, Angélique lui rend visite et ils complotent ensemble. Thibault sort de prison le 8 avril. Il se dirige chez les Francheville, réclame son dû et ses effets personnels, puis il s’en va. Toutefois, il continue de rendre visite à Angélique lorsque Mme de Francheville est absente. Le soir du 10 avril, l’esclave met des charbons ardents sous les traverses du toit, ce qui déclenche 1 incendie. Puis, elle sort dans la rue et se met à marcher de long en large, fixant l’endroit d où, croit-elle, sortiront les flammes. C est à ce moment que Marguerite César observe son comporte¬ ment étrange. Alors qu’Angélique regarde vers le toit, de la fumée en sort. Elle sait quelle a réussi son coup. Et pourtant, elle crie au feu, parce qu’après tout, elle doit bien faire preuve d’une bonne conduite. Les enfants sortent de la maison et l’une d’elles, Marguerite de Couagne, veut aller avertir sa tante, qui est partie à la messe. Angélique l’en empêche. Bientôt, le feu consume le toit et s’étend partout. Thibault arrive de nulle part. En compagnie d’Angélique, il commence à déplacer quelques effets de Mme de Francheville vers le jardin des pauvres de l’hôpital, en face de la maison en flammes. Et ils restent là. À ce moment-là, le feu s’est propagé aux maisons et aux édifices avoisinants, y compris aux bâti¬ ments de l’hôpital. Le jardin regorge de réfugiés. Des récollets et des sulpiciens apportent de la nourriture. Thibault prend un repas en même temps que tout le monde. Une fois rassasié, il refuse de combattre l’incendie. Thibault et Angélique auraient dû s’enfuir à ce momentlà, mais ils ne le font pas. Pourquoi donc? Tout simplement parce que le crieur public déambule déjà dans les rues de la ville en annonçant qu’Angélique a mis le feu. Tous

268

Angélique, l’incendiaire

montrent Angélique du doigt. Par mesure de précaution, les portes de la ville sont fermées et sous surveillance. Angélique constitue une gêne pour Thibault. Si on les voit ensemble, on les arrêtera très certainement. Ils se querellent sans doute pen¬ dant le court laps de temps où ils sont dans le jardin. Mais, ce qui est sûr, c est que Thibault part sans Angélique. Sa peur a raison de lui. Il connaît les soldats qui surveillent les portes et sans doute réussit-il a les convaincre de le laisser passer. En outre, s’il a travaillé aux fortifications, il sait que le mur n’est pas terminé et qu’il existe des ouvertures où il peut s’enfuir. Une fois rendu aux confins de la ville, disparaître se révèle un jeu d’enfant. C’est précisément ce qu’il fait. On ne rattrape pas Thibault. Pendant deux ans, les autori¬ tés coloniales sont à sa recherche et le déclarent coupable par contumace. Mais, tout cela est en vain. Il est disparu sans lais¬ ser de trace. Or, ce n est pas le projet qu’Angélique et lui ont conçu. Il l’a trahie. Angélique a mis le feu pour camoufler leurs traces. Craignant les conséquences d’un tel geste, Thibault a abandonné l’esclave. Si la plupart des historiens d’aujourd’hui s’entendent sur la culpabilité d’Angélique, ils divergent quant à son mobile. Cependant, il est communément admis que l’esclave a mis le feu parce quelle voulait s’enfuir avec son amant blanc, Claude Thibault. Cette hypothèse voulant quelle ait été amoureuse de Thibault gagne du terrain depuis Marcel Trudel, spécia¬ liste de l’esclavage en Nouvelle-France. Dans un ouvrage publié en I960, l’historien avance cette idée qui est reprise par Raymond Boyer en 19661. Trente ans plus tard, Robert Prévost écrit qu’Angélique a mis le feu à la maison de sa maî¬ tresse, espérant ainsi détourner l’attention de sa maîtresse et s’enfuir avec son amant2. En mettant l’accent sur l’amour comme premier mobile d’Angélique, ces historiens effacent non seulement la force quelle déploie pour acquérir sa liberté, mais ils occultent la violence

1.

2.

Marcel Trudel, L'Esclavage au Canada français, op. cit., p. 226-227. Trudel reprend cet ouvrage sous le titre Deux siècles d’esclavage au Québec, suivi du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français, Montréal, Hurtubise HMH, 2004. Raymond Boyer, op. cit., p. 132. Robert Prévost, op. cit., p. 166.

269

La pendaison d’Angélique

inhérente à l’esclavage. Pour eux, Angélique ne s enfuit pas parce qu elle trouve son esclavage humiliant, affreux et suffocant, elle fuit tout simplement parce quelle est «amoureuse». Si nous poussions ce raisonnement plus avant, nous pourrions conclure que l’esclavage n’est pas une si mauvaise chose, en fin de compte. Je crois que cette thèse émise par ces auteurs parle davantage de leur malaise devant la race, le sexe et les relations de pouvoir inhérentes à l’esclavage. Les Blancs exercent un pouvoir presque illimité sur la vie des esclaves noirs. Cette relation inégale entre Blancs et Noirs est une particularité, quotidienne et institutionnalisée, de l’esclavage. Et c’est ce qui a façonné les relations raciales dans le Canada d’aujourd’hui. Trudel et ses semblables sont tous des historiens québécois contemporains. C’est sans doute ce qui explique que l’on exa¬ mine (publiquement) la question de la race sous le seul angle des relations entre Français et Anglais. Ces historiens refusent de voir dans Angélique une femme en furie qui désire briser ses chaînes non pas pour Thibault, mais au nom de l’esclavage lui-même. Pourtant, ceux qui sont les plus près de l’événement n’ac¬ cordent pas d’intention amoureuse à Angélique. Par exemple, Beauharnois et Hocquart, dans une lettre adressée à Maurepas, soulignent qu’Angélique a entretenu une relation avec Thibault, mais ils ne retiennent même pas ce fait comme un mobile secondaire. Ils mentionnent clairement que l’esclave était encline à se venger. L’accident, écrivent-ils, a eu lieu à cause de la méchanceté de la négresse esclave, qui appartient à la veuve Francheville et qui, mécontente de sa maîtresse, a déli¬ bérément mis le feu3. Les années passent, et les historiens de Montréal et de l’esclavage continuent de mettre le mobile de la vengeance au premier plan. En 1917, un commentateur, qui signe R. E., suppose qu’Angélique fuit parce qu’elle veut retourner au Portugal4. À la même époque, Ovide-Michel-EIengard

3. 4.

Lettre de Beauharnois et de Hocquart à Maurepas, le 9 octobre 1734, Archives coloniales, série Clla, vol. 61, f. 131-139, BAC. R. E., «Une cause célèbre au xvme siècle: la troisième conflagration à Montréal... », op. cit.

270

Angélique, l’incendiaire

Lapalice, abordant le sujet des esclaves noirs, met les gestes d’Angélique au compte de la vengeance5. De même, en 1925, dans le journal La Patrie, Angélique est décrite comme une esclave vindicative6. Et j abonde dans ce sens. Sans doute est-elle amoureuse de Thibault, mais ce n est pas ce qui la pousse d’abord à mettre le feu. L arrivée de Thibault dans sa vie ne fait que coïncider avec ses desseins. Elle se rend bien compte qu’en se liguant avec lui, ses chances de succès sont plus grandes que si elle agit seule. Lors de leur première fuite, c’est Thibault qui cache des miches de pain dans une grange de Longueuil. C’est lui qui connaît la topographie. Il est important qu’ils suivent la bonne piste vers la Nouvelle-Angleterre pour ne pas se perdre dans la forêt. Et Angélique a de l’emprise sur Thibault. Lorsque Mme de Francheville les envoie vivre chez Monière, elle signe un contrat qui fait de Thibault un engagé de ce dernier. Sans passer par quatre chemins, Angélique dit à Thibault qu’il ne peut pas travailler pour Monière parce qu’il ne sera pas libre de partir. Elle ajoute quelle peut fort bien s’enfuir seule, car son désir est assez ardent, mais quelle ne veut pas le faire. Elle ne connaît pas aussi bien l’environnement que son amant. Et elle sait qu une Noire circulant seule attire les soupçons. À la fin, Thibault, par instinct de conservation, laisse à Angélique le soin de faire face à son destin toute seule. Quel qu’ait été son amour pour elle, il le bannit de son esprit devant la peur maladive qu’il ressent en pensant à la corde du bour¬ reau autour de son cou. Thibault a sans doute pu regagner la Nouvelle-Angleterre ou New York, puis se rendre en Europe. Ou encore, il est peut-être resté dans une colonie anglaise, à l’abri des autorités françaises. Ainsi, le 21 juin, quand Angélique craque sous la torture et avoue quelle a effectivement mis le feu à l’aide d’un petit poêle, elle dit la vérité. De même, lorsqu’elle déclare avoir agi seule. Elle a vraiment mis des charbons ardents sous le toit de la maison de sa propriétaire, son cœur battant joyeusement et

5.

Ovide-Michel-Hengard Lapalice, «Les Esclaves noirs à Montréal sous l’an¬ cien régime », op. cit.

6.

« La justice sous l’ancien régime », dans La Patrie, livraison du 11 avril 1925.

271

La pendaison d’Angélique

nerveusement. Elle a décidé de prendre sa destinée en main en rasant la maison de son esclavage. Esclave noire venue du Portugal, dont le corps est une marchandise passant des mains d’un maître blanc à f autre, d un port à 1 autre, pour 1 amour de Mammon, esclave dont le nom a changé plusieurs fois au cours de sa courte vie, dont le corps a accusé les coups de fouet de Mme de Francheville et a peut-être été agressé par le sieur de Francheville, Angélique pourra enfin savourer sa vengeance. Elle va les faire rôtir, brûler, griller. Elle va leur faire ce qu’ils lui ont fait subir toute sa vie durant. Avec détermi¬ nation, elle souffle sur les charbons sous les traverses du toit et ils s’enflamment.

272

Épilogue U ne voix réduite au silence, mais qui se fait de nouveau entendre Comment exhumer le passé des Noirs, un passé enfoui dans l’esclavage ? Comment recouvrer l’histoire d’Angélique, cachée dans l’obscurité ? Pour y parvenir, les transcriptions de son pro¬ cès se révèlent les documents les plus sûrs. Le procès lui-même a eu heu au tribunal de la juridiction de Montréal, tandis que l’appel a été entendu devant le plus haut tribunal du Québec d alors. En plus de décrire le procès, ces transcriptions nous racontent 1 histoire de sa vie, surtout de sa vie au Canada. Étant donné la date éloignée du procès, soit 1734, j’affirme sans crainte de me tromper qu’il s’agit là du premier récit d’esclave d’Amérique du Nord. L’histoire d’un esclave, c’est souvent le récit de la vie et des aventures d’un ancien esclave, raconté la plupart du temps alors qu’il est libre, soit comme affranchi, soit comme fugi¬ tif. Selon les universitaires, le premier récit d’esclave reconnu remonte à 1760. Or, l’histoire d’Angélique, elle, a été consi¬ gnée en 1734, soit vingt-six ans avant la parution de cet ouvrage.

v

A partir du xvme siècle et jusqu’au xixe siècle, des Noirs des États-Unis, de 1 Europe et du Canada, dont la majorité sont

La pendaison d’Angélique

d’anciens esclaves, écrivent leurs biographies. Ces auteurs pro¬ duisent ainsi des centaines de textes entre 1760 et 1860. En fait, ce sont

à

la fois des biographies et des pamphlets

contre l’esclavagisme. Ils commencent

à

peu près toujours par

«Je suis né esclave», puis ils abordent dans le détail 1 escla¬ vage du protagoniste : l’horreur, la misère, les tribulations, les fuites, les évasions vers la liberté, ainsi que la vie libre (surtout consacrée

à

l’abolitionnisme). Mais ces récits poursuivent un

objectif résolument politique: l’anti-esclavagisme. Ces auteurs noirs profitent de leurs écrits pour attaquer et condamner l’institution de l’esclavage et en prôner la fin. Plusieurs de ces récits sont parrainés par des sociétés abolitionnistes et servent

à

l’époque d’armes de propagande anti-esclavagiste.

Ces textes sont tout

à

la fois des histoires d’esclavage et de

salut, d’ignorance et d’instruction. L’ignorance est associée

à

l’esclavage parce que l’on interdit aux esclaves de lire, d’écrire et d’acquérir toute forme de connaissance. La liberté se marie à

l’instruction, parce que les anciens esclaves, une fois libérés,

ne sont plus des analphabètes et peuvent alors compiler, écrire ou relater leurs histoires. Souvent, ces écrits prolongent la parole des anciens esclaves. En effet, avant de pouvoir écrire leurs histoires, ils les ont racontées oralement

à

des auditoires.

En tant que genre littéraire, le récit d’esclave atteint son apogée au milieu du

XIXe

siècle grâce aux écrits de William

Wells Brown, de Frederick Douglass, de Henry Bibb, de Harriet Jacobs, de James Pennington et de Mary Prince, notamment. Leurs biographies deviennent des best-sellers nationaux et internationaux. Elles font l’objet de nombreuses éditions et sont publiées dans plusieurs langues européennes. Or, ces récits du xixe siècle ont des ancêtres au xvme siècle. En 1760, Briton Hammon lance en effet le mouvement des autobiographies de Noirs en publiant The Narrative of the U ncommon Sufferings and Surprising Deliverance of B riton Hammon, A Negro Manservant to General Winslow1. C’est le récit pas¬ sionnant de son naufrage au large des côtes de la Floride, de sa capture par des Amérindiens, de ses séjours en Martinique,

1.

Ce récit de Briton Hammon est reproduit dans Dorothy Porter, éd., Early Negro Writing, 1760-1837, Baltimore, Black Classic Press, 1995, p. 522-528.

274

Une voix réduite au silence...

à Saint-Domingue et en Jamaïque, jusqu’à sa rédemption et à sa remise subséquente à son maître. Bien que ce texte ne soit pas polémique, il constitue tout de même un phare de la litté¬ rature noire naissante. Les spécialistes le considèrent comme le premier récit d esclave publié. En quelques années, d’autres autobiographes noirs, des deux côtés de l’Atlantique, s’attellent à 1 écriture de leurs histoires. En 1770, le Nigérian James Albert Ukawsaw Gronniosaw publie l’histoire de sa vie, depuis sa capture en Afrique, sa tra¬ versée du Passage du Milieu et sa période d’esclavage dans les Antilles et en Angleterre, jusqu’à la conquête de sa liberté en Angleterre et à sa conversion au christianisme2. En 1785, John Marrant, un loyaliste noir, présente Narrative of the Lord’s Wonderful Dealing with John Marrant. Chrétien évangélique, Marrant est capturé par les Cherokees de la Caroline, mais il réussit a convertir au christianisme le chef, sa fille et plusieurs membres de la tribu. Son influence auprès de ces Amérindiens lui valent d’être libéré. Par la suite, il entre au service de la marine britannique à titre de musicien. Après avoir participé à la guerre de l’Indépendance américaine, il reprend ses pré¬ dications en Grande-Bretagne et plus tard en Nouvelle- Écosse, où il fonde des églises. Il retourne enfin en Grande-Bretagne pour y publier son autobiographie. Deux mois plus tard, un autre habitant de l’Atlantique Noir, Ottobah Cugoano, fait paraître Thoughts and Sentiments on the Evil and Wicked Traffic of the Slavery and Commerce ofthe Human Species. Cugoano, un Fanti de la Côte-de-l’Or (ancien nom du Ghana), espère que son texte sensibilisera les autorités britan¬ niques à propos de la plaie du commerce des esclaves et de l’es¬ clavage et que celles-ci aboliront ces deux pratiques. Cugoano est lui-même un survivant du Passage du Milieu. Il parle donc d’expérience au sujet des souffrances endurées par les Africains lors de leurs traversées vers le Nouveau Monde. Olaudah Equiano est un ami de Cugoano et, tout comme lui, un abolitionniste. Après avoir connu une vie remplie 2.

Le récit de Gronniosaw de même que ceux de Marrant, de Cugoano, d'Equiano et de Jea sont reproduits dans Henry Louis Gates Jr. et William L. Andrews, éd., Pioneers of the Black Atlantic: Five Slave Narratives from the Enlightment. 1772-1815, Washington, D.C., Civitas, 1998.

275

La

pendaison d’Angélique

d’aventures et de merveilles, il publie un livre en 1789- Le récit relate la capture d’un jeune Nigérian, son esclavage dans les Antilles et son achat par un officier de la marine britannique, qui lui fait faire le tour du monde. De fait, Equiano a participé à des expéditions au pôle Sud et combattu en Turquie. Il est dans le camp du général Whlfe lors de la prise du Canada en 1760. Ayant repris sa liberté, il épouse une Britannique, se consacre à l’abolitionnisme et devient un leader de la communauté noire. Son livre, intitulé The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano or Gustavus Vassa, tbe African, Written by Himself, donne le ton aux récits d’esclaves du xixe siècle. Autobiographe de la même époque, John Jea, également un Nigérian et un esclave en Nouvelle-Angleterre, participe à la guerre de l’Indépendance américaine, puis il devient pré¬ dicateur en France et aux États-Unis. Il se retirera ensuite en Angleterre. Ce qui distingue particulièrement Jea, c’est qu’il est l’un des premiers «objecteurs de conscience». En effet, pendant qu’il est en France, la guerre de l’Indépendance amé¬ ricaine éclate. Le consul américain lui ordonne de se joindre à la marine du côté des Américains. Jea refuse, alléguant qu’il n’a pas à faire la guerre à la Grande-Bretagne étant donné qu’il n’est pas américain, mais bien africain. Devant ce refus, le consul le fait incarcérer. En 1796, pendant qu’il fait ses études au collège métho¬ diste d’Angleterre, Boston King rédige Memoirs of the Life of Boston King, A Black Preachef’, qui paraîtront en 1798. King parle des grands moments historiques de son époque. Ainsi, pendant que la guerre de l’Indépendance fait rage autour de lui, il s’échappe de sa plantation en Caroline du Sud et se joint aux forces armées loyalistes. La Couronne perd la guerre, et, comme lui, des milliers de loyalistes, blancs et noirs, se dépla¬ cent vers la Nouvelle-Écosse et d’autres territoires canadiens. King et ses confrères loyalistes noirs trouvent la vie difficile en Nouvelle-Écosse. Ils y sont victimes de discrimination. La Couronne les a abandonnés, en dépit de leurs loyaux services 3.

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Un moment, on a cm le récit de King disparu à tout jamais, mais on l’a re¬ trouvé aux Archives de la Nouvelle-Écosse. On peut le lire dans Ruth Whitehead et Carmelita Robertson, éd., The Life of Boston King, Black Loyalist, Minister and Master Carpenter, Halifax, Nova Scotia Muséum, 2002.

Une voix réduite au silence...

pendant la guerre. Démoralisé, King décide alors de quitter le Canada, et même le continent nord-américain, pour se rendre en Sierra Leone où les Britanniques établissent une nouvelle colonie. La conversion religieuse constitue la trame principale de ces récits. La plupart des auteurs tiennent leur conversion au chris¬ tianisme pour un point tournant de leur vie et ils en parlent abondamment. Toutefois, ces narrateurs sont de fervents activistes de 1 anti-esclavagisme, en plus d’être de «pieux croisés ». Dans leurs textes, Equiano, Jea et Cugoano, en par¬ ticulier, condamnent 1 esclavagisme et le commerce des esclaves. Ainsi, Equiano écrit que l’Europe devra répondre à Dieu pour les souffrances quelle a fait subir aux Africains. Cugoano, lui, se sert de son ouvrage dans son combat contre l’esclavage de ses frères africains. En Europe et en Amérique, d’autres Africains publient des ouvrages autobiographiques qui ne sont pas nécessairement à saveur littéraire. Il s’agit de mémoires de maîtrise et de thèses de doctorat, de traités, de lettres, de recueils de poésie et de sermons. En 1773, Phillis Wheatley, poétesse et esclave de Boston, fait paraître un recueil qui connaît un vif succès des deux côtés de l’Atlantique. D’éminents intellectuels de 1 Europe et de l’Amérique louent son œuvre. Parmi les autres écrivains noirs de cette période, mentionnons: Jacobus Capitein, un Afro-Néerlandais libre, qui écrit sa thèse ; le Ghanéen Anton Wilhelm Amo, qui décroche un doctorat en philosophie de 1 Université de Halle en Allemagne; Francis Williams, un Métis de la Jamaïque, qui étudie à l’Université Cambridge et publie des livres ; et Ignatius Sancho, un AfroBritannique, qui publie sa correspondance avec... lui-même. Ces gestes remettent en question tous les partis pris idéo¬ logiques et philosophiques que l’Occident entretient à l’égard des Noirs à l’époque. Ce n’est pas par hasard que la tradition littéraire des Noirs prend son envol pendant le siècle des Lumières en Europe. Cette période, qui met à l’avant-scène les concepts de libéralisme et de progrès, s’articule autour des notions de 1 égalité des droits, de l’autonomie et de la liberté des hommes. C’est pendant ce siècle que l’Europe accède à l’ère « moderne». Et pourtant, comme le soutient

277

La pendaison d’Angélique

l’intellectuel américain Cornel West, l’esclavage des Noirs et le commerce des esclaves « constituent les origines ignobles de la modernité occidentale et les fondations criminelles de la démocratie américaine. C est la face cachee des Lumières, une réalité que le flambeau de la raison naturelle n’éclaire pas ». West ajoute que la modernité européenne, ses succès et sa richesse « se fondent sur la terreur et les horreurs que vivaient les esclaves africains lors de leur passage vers le Nouveau Monde et dans ce monde4 5 ». Les penseurs des Lumières, de 1 Écossais David Hume et de l’Américain Thomas Jefferson, jusqu’aux Allemands Friedrich Hegel et Emmanuel Kant, justifient l’esclavage des Noirs par la prémisse voulant que les Africains ne soient pas des êtres dotés de raison (selon les hypothèses de René Descartes). Ils tiennent pour preuve que les Noirs n’écrivent pas et qu’ils n’ont pas créé de littérature. Cet argument sous-tend l’idée que les Africains n’ont pas de raison parce qu’ils sont des êtres « inférieurs » et, partant, des sujets destinés à l’esclavage. Aux États-Unis, cette idée fait son chemin au

XIXe

siècle - surtout

entre 1830 et 1860 — grâce à la théorie du « bien positif» de l’esclavage pour les Africains. Les auteurs noirs d’alors comprennent très bien les inci¬ dences des déclarations racistes des intellectuels et des écri¬ vains blancs. En prenant la plume pour raconter leurs propres histoires, ils contestent les idées et les stéréotypes raciaux répandus. Ils veulent influencer le discours des Blancs sur les Noirs et la question de l’esclavage, et se forger une nouvelle identité, individuelle et collective. En se mettant à penser, à enregistrer et à s’organiser, l’ancien esclave devient un humain à part entière, un être pensant, un «homme», et même un « homme de lettres ». Voilà pourquoi il est si important que ces auteurs ajoutent « écrit* par lui (ou elle) » dans le titre de leur ouvrage. Ce petit bout de phrase sert à prouver au monde, surtout aux diffamateurs des Noirs, que les esclaves noirs sont

4.

Cornel West, « The Ignoble Paradox of Western Modernity », dans Madeline Burnside et Rosemarie Robotham, éd., Spirits of the Passage: the Transatlantic Slave Trade, New York, Simon and Schuster, 1998, p. 8.

5. *

278

Ibid., p. 9.

En italique dans le texte. (NDT)

Une voix réduite au silence...

des êtres pensants aptes à exprimer leurs propres idées et à les coucher eux-mêmes sur papier. À l’époque, tous les écrits des Noirs, même ceux que 1 on prétend être « apolitiques », sont des actes politiques. Par 1 écriture, les auteurs, anciens esclaves, s’approprient leur voix pour raconter leurs histoires. En agissant ainsi, ils se font les experts de cette façon de dire. Mais, tous ces livres ne sont pas nécessairement écrits par d’anciens esclaves. Plusieurs d’entre eux se confient plutôt à un sténographe ou à un scribe, qui tra¬ duit leur pensée. Les histoires de Briton Hammon, de Mary Prince, de John Anderson de même que celles de Benjamin Drew sont toutes écrites par des scribes^. Les narrateurs ont recours à cette façon de faire non pas parce qu’ils sont illettrés (même si c est parfois le cas), mais plutôt parce que la lecture et l’écriture sont deux aptitudes distinctes à l’époque. Mary Prince peut lire, mais elle n est pas certaine de pouvoir écrire. John Anderson, lui, peut lire et écrire. De même, plusieurs narra¬ teurs de 1 ouvrage de Drew, intitulé Narratives, sont des gens instruits capables de lire et d’écrire. Cependant, la nature de 1 ouvrage étant subordonnée à l’objectif des organismes par¬ rains et aux moyens financiers de ces derniers, les auteurs racontent leurs histoires à un scribe. Au moment de produire son récit, Mary Prince habite chez Thomas Pringle, un abolitionniste de Londres. Ses proprié¬ taires 1 ayant sérieusement agressée, puis abandonnée dans les rues londoniennes, Pringle est venu à son secours. L’écrivaine anti-esclavagiste Susanna Strickland demeure chez Pringle à ce moment-là. Ce dernier lui demande d’enregistrer le récit de Prince. Et c est ainsi qu elle en vient à lui confier son his¬ toire. Le livre de Mary Prince devient un best-seller, et Susanna Strickland épouse le major John Moodie. Peu de temps après leur mariage, les Moodie s installent au Canada, où Susanna deviendra l’une des auteurs fondateurs de l’histoire littéraire canadienne.

6.

Moira Ferguson, éd., The History of Mary Prince, a West Indian Slave, Related hy Herself\ Ann Arbor, University of Michigan Press, 1997 ; Harper Twelvetrees, éd., The Story. ofthe Life of John Anderson, London, W. Tweedie, 1863 ; Benjamin Drew, The Narratives of Fugitive Slaves in Canada, Cleveland (Ohio), John P. Jewett, 1856 (réimprimé en 2000 chez Prospéra Books).

279

La pendaison d’Angélique

Les récits racontés par d’anciens esclaves à des scribes ont la même portée que ceux écrits par les anciens esclaves euxmêmes. Ils impriment leur voix. Par ce moyen, les auteurs espè¬ rent rejoindre un plus grand auditoire. Chaque fois que ces écrivains noirs publient des textes ou montent sur une scène pour en faire la lecture, ils diffusent de nouvelles connais¬ sances pour contrer le discours des Blancs à propos des Noirs. Le fait que les abolitionnistes noirs et esclaves sont issus d un environnement oppressif et qu’ils subisssent le racisme, indi¬ viduel ou systémique, infuse une puissante autorité à leurs écrits et à leurs discours. Pendant plus de deux siècles, d’autres ont parlé en leur nom et fabriqué ainsi des discours douteux et accablants à leur sujet, des discours qui non seu¬ lement niaient leur humanité, mais les laissaient aussi dans l’ombre. En écrivant, en relatant et en publiant leurs autobio¬ graphies, ces anciens esclaves auteurs reprennent leur droit à la parole, à leur humanité et à leur moi incarné.

On sait peu de chose sur la tradition des récits d’esclaves au Canada. C’est par conséquent un sujet à peine étudié. On parle souvent de Boston King et de John Marrant, deux écrivains « noirs des Lumières » qui ont publié leur biographie, mais ce ne sont pas des narrateurs canadiens. Au début des années 1850, Benjamin Drew, un abolitionniste quaker de Boston, visite l’Ouest canadien et consigne les récits de plus de trois cents Noirs. Certains, telle Harriet Tubman, ont échappé à l’escla¬ vage, alors que d’autres sont nés libres. L’une des plus vieilles femmes qu’il interroge, Sophia Pooley, vit au Canada depuis la guerre de l’Indépendance américaine. Pour donner un aperçu de son âge, Pooley déclare : «Je crois que je suis la première fille de couleur qui a été transportée au Canada. » Durant la «période de crise» aux États-Unis, soit de 1830 à 1860, l’esclavage est contesté par les abolitionnistes, les esclaves fuyards et les révolutionnaires, et une pléthore de récits d’esclaves voient le jour. Plusieurs des auteurs se sont

En italique dans le texte. (NDT)

280

Une voix réduite au silence...

réfugiés au Canada pour y commencer une nouvelle vie et y élever une famille. On retrouve parmi eux Henry Bibb, Jermain Loguen, Josiah Henson et Samuel Ringgold Ward. Par exemple, en 1830, Henson fuit sa situation d’esclave au Maryland et migre au Canada, ou il restera jusqu’à sa mort en 1883. Il raconte son histoire dans The Life ofJosiah Henson, Formerly a Slave, Now an Inhahitant of Canada, paru en 1849. Il devient alors célèbre mondialement en tant que l’Oncle Tom, ce prototype du « vieux mâle esclave » du roman La Case de l'oncle Tom. L’auteur de ce roman controversé, l’Américaine Harriet Beecher Stowe, s’est en effet inspirée de Henson pour créer son personnage. De son côté, Henry Bibb, qui s’enfuit du Kentucky et s installe au Canada en 1850, lance le premier jour¬ nal noir, The Voice of the Fugitive, dans lequel il publie de nom¬ breux récits d’esclaves. Auparavant, soit en 1849, Bibb a fait paraître sa biographie, intitulée The Life and Adventures of Henry Bibb: An American Slave. Les célèbres fugitifs Henson, Ward et Bibb deviendront tous d’éminents leaders noirs au Canada. Enfin, Jim Henson, venu refaire sa vie dans le Haut-Canada, publiera sa biographie en 1889 sous le titre de Broken Shacklef. Ces œuvres sont des documents sur la vie, l’histoire et la culture des Noirs. Et ils revêtent une importance capitale, étant donné que, jusqu’à tout récemment, les personnes de descen¬ dance africaine ont été, au pire, invisibles, au mieux, margi¬ nalisées dans l’histoire de l’Amérique du Nord. Et cela est encore plus vrai au Canada qu’aux États-Unis. L’historienne Maureen Elgersman propose que l’on reconnaisse les annonces publicitaires de journaux, les factures et les contrats signés entre les propriétaires et les esclaves, comme des documents historiques authentiques faisant la preuve de la présence des Noirs au Canada, voire comme des éléments de récits7 8. Vu qu’un des projets de la présente génération de chroniqueurs noirs vise à faire sortir les marginaux de l’obscurité historique, la démarche d’Elgersman est très sensée. À la manière des

7.

Paru sous le pseudonyme de Glenelg, ce livre, épuisé depuis longtemps, avait été réputé perdu à jamais. Or, l’historien Peter Meyler l’a retrouvé et repro¬ duit dans Broken Shackles: Old Man Henson from Slavery to Freedom, Toronto, Natural Heritage Press, 2001.

8.

Maureen Eigersman, op. cit., chapitre 2.

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La pendaison d’Angélique

archéologues, nous devons creuser et déterrer ces sources qui racontent les histoires inconnues des Afro-Canadiens. J’ajou¬ terais que les testaments et les archives judiciaires, même incomplètes, sont d’autres outils pour faire revivre les esclaves noirs. En 1760, à la suite de la guerre de Sept Ans, l’Angleterre a arraché le Canada à la France. Conséquence: des journaux sont entrés dans la colonie. Les propriétaires d esclaves, tant français qu’anglais, ont utilisé les annonces publicitaires des journaux pour faire connaître l’histoire de leurs «propriétés». Par exemple, en juillet 1779, le journal Quebec Gazette / Gazette de Quebec {sic) publie ce qui suit : [...} en fugue, un esclave noir, du nom d’Ishmael, âgé d’environ 35 ans, mesurant 5 pieds et 8 pouces, portant des traces de la variole, ayant de longs cheveux noirs frisés ; il a les yeux noirs, de larges épaules et un accent typique de la Nouvelle-Angleterre, où il est né; il lit assez bien l’anglais, et parle un peu le français. Il porte un vieux chapeau barbouillé de peinture blanche, une redingote et un pantalon en coton, une chemise à carreaux, une courte veste de flanelle et une paire de mocassins. Aussi brève soit-elle, cette annonce publicitaire raconte la fuite d’Ishmael, le décrit physiquement, mentionne ses habi¬ letés linguistiques et fait allusion à son voyage de la NouvelleAngleterre au Québec. Il semble qu’Ishmael soit monté au Canada en compagnie de son propriétaire au cours de la migration des loyalistes. On ignore s’il a été repris. En juillet 1795, le JJpper Canada Gazette publie cette annonce : À vendre... une jeune femme noire du nom de Chloe, âgée de 23 ans, qui sait faire la lessive, la cuisine, etc. Tout gentleman désireux de l’acheter ou de l’embaucher à l’année ou au mois doit s’adresser à Robert Franklin, au bureau du receveur général. Ces quelques lignes nous donnent un aperçu de la vie de Chloe. Nous découvrons son âge et le fait qu’elle sait faire la 282

Une voix réduite au silence...

cuisine et la lessive. Enfin, nous apprenons quelle est la pro¬ priété d’un membre de l’élite du Haut-Canada. Par le moyen de ces courts avis, nous pouvons suivre le fil de 1 histoire des Noirs, marginalisés et considérés comme de la marchandise dont on pouvait disposer facilement. Parfois, la description nous vient de tierces personnes. Par exemple, en 1793, William Vrooman a ligoté Chloe Cooley, l’a jetée dans une embarcation et l’a vendue à un Américain de l’autre côté de la rivière. Peter Martin, qui a été témoin de la scène, a rap¬ porté 1 incident à des politiciens du Haut-Canada. Les législa¬ teurs ont enregistré son témoignage. Ce geste est fort impor¬ tant, car il s’agit là d’un document tenant lieu de récit au sujet d un moment crucial de la vie d’une Noire avilie et terrorisée^. Les archives judiciaires et les transcriptions de procès constituent d autres sources riches. Sous Xancien régime* *, que ce soit en Europe ou dans les colonies, les poursuites étaient élaborées et violentes. De fait, comme les procès reposaient sur des interrogatoires costauds et que l’on arrachait des aveux par la torture, les scribes amassaient ainsi quantité de renseigne¬ ments à propos des accusés. Ils ont de la sorte constitué de véri¬ tables « biographies » des prévenus. Une grande partie de l’his¬ toire d’Angélique se retrouve dans ce genre de documents. Comme on l’a vu, le procès se déroule d’abord devant le tri¬ bunal de la juridiction de Montréal. Pierre Raimbault en est le juge, Lrançois Loucher, le procureur du roi, et ClaudeCyprien-Jacques Porlier, le greffier. Loucher prépare les témoins et présente la cause au nom de la Couronne. Raimbault inter¬ roge. Angélique répond aux questions. Porlier met tout cela par écrit. A la fin du procès, le tribunal condamne l’accusée à mort. On interjette appel et la cause se retrouve devant le Conseil supérieur à Québec. Étant donné l’importance de l’af¬ faire, deux greffiers, Lrançois Daine et Jean-Claude Louet, enre¬ gistrent l’événement. Grâce aux transcriptions de ces deux tri¬ bunaux, la vie d’Angélique peut se dérouler devant nos yeux. En effet, que sont Porlier, Daine et Louet sinon les scribes de son histoire ? 9-

Cet incident revêt beaucoup d’importance, car il est à la base de la première

*

loi anti-esclavagiste du Canada, comme nous l’avons souligné au chapitre 3. En français et en italique dans le texte. (NDT)

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Les archives du procès d’Angélique s ouvrent comme un récit d’esclave typique. Elles disent son nom, son âge, son lieu de naissance et son état d’esclave de la veuve Francheville. Tout comme dans les récits d’esclaves, Angélique se décrit d abord sommairement en quelques mots. Puis, Porlier note les inter¬ rogatoires qui lèvent le voile sur sa vie d esclave à Montréal, son sort malheureux, ses tentatives d’évasion, ses démêlés avec sa maîtresse, son insubordination, ainsi que sa haine envers les Français et les Blancs en général. L’histoire atteint son apogée avec les événements qui préludent à l’incendie, puis avec l’incendie lui-même, son arrestation, sa condamnation et son exécution sur la potence. Même si les transcriptions du procès n’ont pas été « écrites par elle-même », c’est bien elle la narratrice. En retranscrivant les paroles d’Angélique, le greffier a rédigé pour la postérité le premier récit d’esclave en Amérique du Nord. Ces docu¬ ments doivent être tenus pour la première création de la littérature noire - orale ou écrite — au Canada10. Non seulement l’histoire d’Angélique occupe-t-elle une place importante dans l’histoire littéraire, mais c’est la toute première histoire d’une esclave noire des débuts de la colo¬ nie* 11. Presque tous les «auteurs noirs des Lumières» du xvme siècle, philosophes ou narrateurs, sont des hommes. Bien qu’ils aient fait entendre une voix à la défense de l’humanité des Noirs et qu’ils aient ouvert la porte à la littérature noire, il manquait la voix d’une Noire. Il a fallu attendre jusqu’en 1773 pour entendre la voix d’une Noire, Phillis Wheatley, grâce à la publication de ses poèmes. L’absence de voix féminines noires dans les documents écrits est une conséquence directe de leur asservissement par ceux

10.

11.

George Elliott Clarke souligne la primauté de ces documents sur Angélique et il propose qu’on les lise comme un récit d’esclave. Voir Odysseys Home: Mapping African-Canadian Literature, Toronto, University of Toronto Press, 2002. Tituba, l'une des « sorcières » de Salem, était une esclave. Les archives de son procès de 1692, qui existent toujours, lui donnent une avance de quarante ans sur Angélique. Toutefois, bien que des écrivains et des conteurs l’aient présentée comme une Noire, Tituba était en réalité une Amérindienne. Voir Elaine G. Breslaw, «Titubas Confessions: The Multicultural Dimensions of the 1692 Salem Witch-Hunt » dans Jan Noël, éd.. Race and Gender in the Nor¬ thern Colonies, Toronto, Canadian Scholars’ Press, 2000, p. 119-146.

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qui se déclaraient propriétaires de leurs corps. Les interroga¬ toires et la confession d’Angélique forment donc une narra¬ tion saisissante qui brise le silence du passé, qui redonne voix aux Noires et aux Noirs et leur permet de crier haut et fort le récit de leur résistance. Lorsqu’elle s’est présentée devant les juges de la NouvelleFrance, Angélique a marqué le début d’une nouvelle tradition dans la façon de raconter la vie des Noires et des Noirs. Reven¬ diquant sa place dans 1 histoire, elle a fait la preuve que les esclaves étaient des êtres humains complexes qui pensaient, avaient des sentiments et étaient intelligents.

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Remerciements

Ce livre n aurait jamais vu le jour sans l’appui, l’engagement et 1 aide de plusieurs personnes. Tout d’abord, je veux remer¬ cier Edwin Bezzina, spécialiste de l’histoire et de la jurispru¬ dence de la France et de sa colonie, aux xvne et xvme siècles, ainsi qu Adrienne Shadd, une autorité en matière d’histoire afro-canadienne. M. Bezzina s’est montré patient et conscien¬ cieux. Je tiens à le remercier parce qu’il est allé bien au-delà de mes attentes. Aussi, je transmets mes remerciements à Adrienne Shapp pour ses encouragements attentionnés et nos discussions au cours des années. De sincères remerciements, également, à Austin Clarke, ainsi qu’à George Elliot Clarke, à Nigel Thomas et à Daniel Gay. De plus, je suis redevable à Fred Case et aux professeurs Franca Iacovetta, Seth Witherspoon, Bernard Moitt et Roslyn Terborg-Penn, qui ont relu des parties de mon manuscrit et qui m’ont donné leurs avis éclairés et leur appui afin de faire avancer la cause de l’his¬ toire des Noirs et des femmes. Natalie Zemon Davis, profes¬ seur émérite de Princeton et spécialiste reconnue de la France moderne et de l’histoire des femmes, m’a suggéré plusieurs pistes et donné son avis. Je l’en remercie. Plusieurs fois merci au père Rolland Fitalien, archiviste du Séminaire de Saint-Sulpice, pour nos discussions sur l’histoire des débuts de Montréal, pour les photocopies... et pour le thé de cinq heures ! Au cours de mes voyages de recherche au Québec, je me suis fait de nombreux amis qui ont permis au

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livre de progresser de plusieurs façons. Ma plus vive gratitude envers Pat Dillon, la juge Juanita Westmoreland Traoré, Ismael Traoré, Shirley Small et Moussa Bakayoko, ainsi qu’envers Guy et Tanya Giard. Au cours de mes recherches et de l’écriture, j’ai eu deux enfants. Plusieurs personnes nous ont aidés, mon partenaire et moi, au gardiennage des enfants pendant que je quittais pour faire de la recherche ou que j’écrivais. Pour tout cela, je dis un gros merci à la famille Segree, à Kuya Gwaan, à Joanne Atherley, à Sharon Allen, à Zeinab Warah et à ses enfants, à la famille Walker, à Khetiwe Jorman et à sa famille. Enfin, je remercie Hameed Shaqq, Gail Dexter Lord, Patrick Powell et Maisha Bucham, qui ont contribué d’une façon ou d’une autre à la réalisation de ce livre. Je m’en voudrais de ne pas souligner l’apport d’un grand historien de la Nouvelle-France, Marcel Tmdel. Avec ses recher¬ ches et ses publications sur l’esclavage au Canada, Tmdel a faci¬ lité la tâche à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des Noirs, plus particulièrement aux études sur les esclaves au Canada. Son essai intitulé LEsclavage au Canada français est un texte fon¬ dateur de l’histoire des Afro-Canadiens. Lorsque j’ai décidé de me mettre sur la piste d’Angélique, j’ai écrit au professeur Tmdel, qui m’a répondu rapidement et m’a fait d’excellentes suggestions. Son oeuvre continue à nous inspirer. Un autre gros merci à Jean Stephenson et à Elaine Genus, de la bibliothèque Robarts de l’Université de Toronto. En dernier heu, mais non le moindre, je veux souligner la dette que j’ai envers les membres de ma famille, Alpha Diallo, Habiba, Lamarana et Akil, qui n’ont pas cessé de m’appuyer, de m’aimer et de me témoigner leur patience. Ils devaient sou¬ vent partager avec Angélique mon temps et mon attention. Ils ont fini par la connaître tout autant que moi.

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B ibliographie

Archives

Archives judiciaires de Montréal. Archives judiciaires de Québec. Bibliothèque et Archives Canada: archives coloniales, correspondances. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centres de Montréal et de Québec: documents relatifs au procès, ordonnances, etc.

Livres et articles de journaux et de revues Anomyme. «La justice sous l’ancien régime», dans La Patrie, livraison

du 11 avril 1925. Atherton, William. Montreal 1534-1914, vol. 1, Montréal, S. J.

Clarke, 1914. Beaugrand-Champagne, Denyse. Le Procès de Marie-Josèphe-Angélique,

Montréal, Libre Expression, 2004. Beckles, Hilary. White Servitude and Black Slavery in Barbados 1627-

1715, Knoxville, University of Tennessee Press, 1989Bernardini, Paolo et Norman Fiering, éd. The Jews and the Expan¬

sion of Europe into the West, 1430-1800, New York, Berghahn Books, 2001. Birmingham, David. A Concise History of Portugal, Cambridge

(Royaume-Uni), Cambridge University Press, 1993. Blackburn, Robin. The Making ofNew World Slavery : From the Baroque

to the Modem, 1492-1800, London, Verso, 1997. Bosher, J. F. Business and Religion in the Age ofNew France, 1608-

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Index

A ABRAHAM, Samuel ACADIE, 13,73,83,90, 130, 145,154,161 AÇORES, 39, 40,43,45,46 ADHÉMAR dit SAINTMARTIN, Jean-Baptiste, 129, 209,231,239, 240 AFRICVILLE, 10, 11, 22 AFRIQUE CENTRALE, 48 AFRIQUE DE LEST (ou orientale), 43, 55, 160 AFRIQUE DE L’OUEST (ou occidentale), 38, 40, 43, 55, 63, 160 AFRIQUE DU NORD, 38, 39,43 AILLEBOUST DE PÉRIGNY, Paul d’, 194 ALBANY, 71, 72, 74, 75, 175, 204 ALBE, duc d’, 59 ALGARVE, 40, 48 ALLEMAGNE, 31, 45, 58, 59, 178,277 ALLEN, Lillian, 12 ALLEN, Sharon, 288 AMERICAN WEEKLY MERCURY, 126, 204 AMÉRIQUE DU NORD, 19,

66, 70, 74, 77, 101, 118, 254,273,281,284 AMÉRIQUE DU NORD BRITANNIQUE, 26, 98, 105, 106, 110 AMÉRIQUE DU SUD, 46, 66, 101, 156, 160, 164 AMHERST, Jeffrey, 89, 140 AMHERSTBURG, 99 AMO, Anton Wilhelm, 277 AMSTERDAM, 57, 58, 59, 65, 68, 69 AMY (jeune esclave noire), 100 ANDERSON, John, 279 ANDREWS, William L., 275 ANGÉLIQUE (Marie-JosephAngélique), 11, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 20,21,22, 23,24, 25,26, 27,29, 30,31,32,33, 34,35,36, 37,38,45,53,54, 55,56, 57, 58, 61,68, 69,71, 72,73,74,76, 86,95, 101, 105, 111, 113, 128, 131, 132, 137, 140, 141,143, 144, 146, 147, 148, 154, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 188, 189, 190, 191,

La pendaison d’Angélique

205,206, 207,209,210,211, 212,213,214,215,216,217,

BARBADE, La, 179 BARBEL, un certain, 218

218, 219, 220, 221, 222, 223, 224,225,226,227,228,229, 230,231,232,233,234,235,

BARON, Pierre, 118 BARROS, Joâo, 44 BAS-CANADA, 98, 109, 110 BEAUHARNOIS (Charles de

236,237,238,239, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 247, 249, 251,252,253,254,255,256, 257,258,259, 260, 261,262, 264, 265, 266, 267, 268, 269, 270, 271,272,273,283,284, 285,288 ANGÉLIQUE-DENISE

BEAUHARNOIS, fort, 120,

(esclave), 257 ANGLETERRE, 45, 54, 55, 59, 60, 63,68,72,95, 115, 275,276 ANGOLA, 48, 55 ANTIGUA, 73 ANTILLES, 14, 15, 17, 25,46, 47, 63, 64, 66, 68, 70, 73, 78, 81,82,83,91,93, 118, 127, 130,145,156,160,161,165, 173, 181,221,222,233,252,

121,136 BEAUHARNOIS, François de,

258, 275, 276 ANVERS, 57, 58, 59, 60, 61, 69 ARABIE, 43 ARGUIN, île d’, 40 ASIE, 43, 82 ATHERLEY, Joanne, 288 ATHERTON, William H., 150 ATLANTIQUE, océan, 23, 24, 37,38,39,41,42,46, 47,51, 56, 62,63,67, 68,69,73,76,

229, 241 BENGUELA, 63 BENOÎT, Joseph, 29 BÉREY DES ESSARS, François de (sieur de Bérey), 134, 163, 184, 189, 194,212,215,216, 222,237 BERNARDINI, Paolo, 58, 64,

175,264,275, 277 ATLANTIQUE NOIR, 26, 275 AUGSBOURG, 57 AUGUSTINES, 245 AUTRICHE, 54, 60, 61 B B AB Y, sieur, 139 BABY dit DUPÉRON, Jacques, 99 BAIL, Micheline, 12 BAKAYOKO, Moussa, 288 BAKER, Dorinda, 99

298

Beauharnois, marquis de Beauharnois), 71, 72, 116, 117, 118, 120, 123, 124, 126, 181, 188, 193, 194, 199, 200, 201,202,203,205,250,251, 252,253,257,258,267,270

150, 250 BEECHER STOWE, Harriet, 281 BÉGON, Michel, 81, 123, 150, 202, 206 BEHRENDT, Stephen, 77 BELGIQUE, 58, 61 BELLEFEUILLE dit LA RUINE, Louis, 189, 228,

65, 66, 67, 69 BERRI, rue, 17, 142 BERTHIAUME, Pierre, 142 BEZZINA, Edwin, 287 BIBB, Henry, 101, 274, 281 BIRCHTOWN, 105 BIRMINGHAM, David, 56, 65 BIZET, Marie-Josèphe, 218 BLACKBURN, Robin, 38, 44, 51, 58, 63, 68 BLOCK, Nichus, 38, 57, 61, 62, 69, 229, 264 BOCHART DE CHAMPIGNY, Jean de, 81 BOJADOR, cap, 40

Index

BONNE-ESPÉRANCE, cap de la, 42 BONSECOURS, rue, 34 BOOGAART, Ernst van den, 67 BOSTON, 70, 72, 73, 126, 277,280 BOUCHER DE MONTBRUN, Jean, 120 BOUDARD dit LA FLAMENDIÈRE, Jean-Joseph, 218 BOUFFANDEAU, Jean, 136 BOYAJIAN, James C., 68, 69 BOYER, Raymond, 192, 269 BRAND, Dionne, 12 BRANDEBOURG, 45 BRANT, Joseph, 99, 102 BRÉSIL, 45,51,55,56, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69 BRESLAW, Elaine G., 284 BRICAULT DE VALMUR, Louis-Frédéric, 125, 126 BRISAY, marquis de DENONVILLE, Jean-René de, 81 BRISTOW, Peggy, 165 BROWN, Craig, 119, 144 BROWN, Paul Fehmiu, 12, 13 BRUGES, 57 BRUXELLES, 60 BUCHAM, Maisha, 288 BUMSTED, J. M., 142 BURNSIDE, Madeline, 278 BUTLER, John, 99 BUTLER, Nancy, 94, 99, 107,

110 C CAHAL, Raymond, 248, 252, 254 CALVET, Pierre du, 18, 92 CAMPEAU, François, 120 CANADA, 9, 10, 11, 13, 14, 15,21,22, 23,24, 25,26, 72,73,74,75,77,78, 79, 81, 83, 84, 85, 88, 89, 90, 91,94, 97,99, 101, 104,

106, 120, 139, 178,

109, 123, 149, 180,

110, 124, 151, 181,

111, 114,116, 126, 127, 133, 152, 166, 171, 206, 210, 222,

247,248,250,251,253,254, 255,256,257, 264,270, 273, 276,277,279, 280, 281,282, 284, 288 CAO, Diogo, 42 CAP-BRETON, 73 CAPITEIN, Jacobus, 277 CAP-VERT, 40 CARAÏBES, mer des CARGUEVILLE, monsieur de, 139 CAROLINE (les deux), 82, 97, 179,275, 276 CARTIER, sir George-Étienne, 18 CASANOVA, Jacques-Donat, 147 CASE DE L’ONCLE TOM, LA, 281 CASE, Fred, 287 CASH (jeune Noire), 93 CATARAQUI (poste), 86 CÉLESTIN, Louis, 84 CÉLESTIN, Pierre, 82, 84 CÉSAR, Jacques, 160, 161, 166, 167, 264 CÉSAR, Marguerite, 134, 184, 189, 209, 216, 217, 228, 268 CHABERT DE JONCAIRE, Louis-Thomas, 194 CHACTAS (nation amérindienne), 117 CHALET, François, 86 CHAMBLY, 174, 175, 179, 227 CHAMPLAIN, lac, 74, 75, 154, 174, 175, 179, 252 CHAMPLAIN, Samuel de, 80 CHAPU, Jacques, 118 CHARBONNEAU, André, 143 CHARD, Donald F., 73 CHARLES (esclave noir), 95, 105 CHARLES V, 43, 58 CHARLEVOIX, PierreFrançois-Xavier de, 142, 146

299

La pendaison d’Angélique

CHARLY, sieur, 139 CHAUSSEGROS DE LÉRY, Gaspard-Joseph, 142, 143, 193, 202,203 CHEMIN DE FER CLANDESTIN, 23, 93 CHINE, 43, 55 CHLOE (jeune femme noire), 282 CHOMEDEY, sieur de MAISONNEUVE, Paul, 18, 141 CHOREL DE SAIT-ROMAIN, René, 134 CINQ-NATIONS, 74, 143, 152 CLARKE HINE, Darline, 50 CLARKE, Austin, 12, 287 CLEMENT, mrs., 103, 104 COACHLY (Noir libre), 100 COLBERT, Jean-Baptiste, 123 COLOMB, Christophe, 46 COMMUNE, rue de la, 18, 27 COMPAGNIE DES CENTASSOCIÉS, 80, 151, 152, 153 COMPAGNIE DES INDES OCCIDENTALES, 65, 67, 86, 87, 117, 256 CONGO, 10, 42, 48 CONGRÉGATION DE NOTRE-DAME, 142, 145, 149,215 CONRAD, Joseph, 10 CONSEIL SOUVERAIN, 152, 247 CONSEIL SUPÉRIEUR, 21, 31, 152, 180, 193, 207, 244, 245, 246, 247, 248,254, 256, 258, 261, 283 COOKE, W. J., 104 COOLEY, Chloe, 105, 106, 109,283 COOPER, Afua, 11, 13, 14, 15, 30, 211, 220, 231 CORN WALL, 98, 99 COSTE, Mathieu de, 10 CÔTE-DE-L’OR, 41, 48, 275 COUAGNE, Anne de, 139

300

COUAGNE, Louise de, 139 COUAGNE, Marie-Josephte de, 157, 173, 199 COUAGNE, Suzanne de, 196 COUAGNE, Thérèse de (Thérèse de Couagne de Francheville, Thérèse de Francheville, Mme de Francheville), 21, 24, 29, 76, 105, 111, 113, 132, 134, 135, 136, 137,138, 139, 140, 154, 157, 163,167, 168, 169,171, 172, 173, 174, 176, 177, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 187, 188, 189,190, 191, 196, 207, 209,211,212,214,215,216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 229, 230,233,234,235,237,238, 239, 253, 267, 268, 271, 272 COUILLARD, Guillaume, 80 COUTUME DE PARIS, 31, 152, 241, 243, 248, 254 CRESQUES, Abraham, 39 CRIS (nation amérindienne), 117 CRUIKSHANK, E. A., 106 CUGNET, François-Étienne, 125, 126, 129, 172, 173, 175, 180, 181, 186, 225, 253, 258, 259, 261 CUGNET, François-Joseph, 186 CUGOANO, Ottobah, 275, 277 CUILLERIER, sœur MarieAnne-Véronique, 25, 197,

199, 201 CURAÇAO, 65, 66, 67 CUREUX dit SAINTGERMAIN, Louis, 87 CUSTEAU, Catherine, 174, 209, 224, 225 CUTTEN, Josiah, 14 D DAINE, François, 256, 257, 261, 283 DAKOTA, 116

Index

DANEMARK, 45

E

DAVIS, Thomas J., 181, 243 DE C. M. SAUNDERS, A. C., 48, 51

ELGERSMAN, Maureen, 97, 156, 281

DE OLIVEIRA MARQUES, A. H., 57 DECHÊNE, Louise, 142, 143, 145 DEJORDY, Anne, 184, 214 DELAWARE, 66 DENISON, mrs., 103 DENYS DE SAINT-SIMON, Charles-Paul, 249 DESCARTES, René, 278 DESCHAILLONS, dame, 119 DESLOGES, Yvon, 246 DESRIVIÈRES, sieur, 212 DETROIT (fort), 145 DETROIT (région), 82, 98, 119 DETROIT (rivière), 83, 98 DETROIT (ville), 108 DEUX MONTAGNES, lac des, 141 DEXTER LORD, Gail, 288 DIAS, Bartolomeu, 42 DIAS DE SANTIAGO, Miguel, 69 DIAS HENRIQUES, Manuel, 69 DILLON, Pat, 288 DONOVAN, Kenneth, 73, 86, 90, 99, 104, 157,162 DOSQUET, Pierre-Herman, 252 DOUGLASS, Frederick, 274 DOUVILLE, Raymond, 147 DRESCHER, Seymour, 64, 66 DREW, Benjamin, 279, 280 DUBOIS, Joseph, 118 DUBOIS BERTHELOT DE BEAUCOURS, Josué, 185, 193 DUNDAS, Henry, 107 DUPUY, Claude-Thomas, 71, 123 DUVIVIER, Mme, 184, 214, 215

ELLIOTT, George Clarke, 284, 287 ELLIOTT, Lorris, 12 ELLIOTT, Matthew, 22, 99, 100, 101, 102, 104 ELMINA, 41, 63 EQUIANO, Olaudah, 275, 276, 277 ESPAGNE, 24, 31,43,45,46, 47, 54, 56, 58, 60, 61, 62, 63, 64, 65,68, 91, 126, 128, 180 ESSEX (comté), 83 ÉTATS-UNIS, 10, 13, 78, 85, 91, 98, 109, 156, 273, 276, 278, 280, 281 EUROPE, 21,23,40, 43,44, 45,46,47, 57,58, 60, 61,62, 64, 65,68, 69, 70,72,73,76, 82, 106, 117, 126, 148, 174, 227,239, 243,273,277,283 EUROPE DE L’OUEST, 56 EUSTACHE (enfant de MarieJoseph-Angélique), 160, 161, 165 EVORA, 46, 48 F FANEUIL, Benjamin, 72 FANEUIL, Peter, 73 FERGUSON, Moira, 279 FIERING, Norman, 58, 67, 64, 65, 66, 69 FILLES DU ROY, 80 FIRTH, Edith, 100, 101, 103 FLANDRE, 39, 54, 55, 57, 58, 60, 61, 62, 69, 159 FLEURY DE LA GORGENDIÈRE, M., 87, 88 FLORIDE, 93, 274 FOUCAULT, François, 192, 259 FOUCHER, François, 31, 192, 206, 207, 209, 213, 241, 244, 249, 260, 261,283

301

La pendaison d’Angélique

FRANCE, 31,47, 54, 58, 59, 60, 63,68,72,74,81,89,91, 99, 115, 116, 117, 120, 123, 124, 125, 127, 128, 130, 133,

107,108,109 GRAY, Robert I. D., 99, 104 GRAY WHITE, Deborah,

145,149,152, 153, 161,166, 167, 178, 180, 194, 195, 204, 237,243,248,255,256, 276,

162,165 GREEN BAY, 117, 118 GREENE, Lorenzo, 94 GREER, Allan, 267 GRISLEY, William, 106 GRONNIOSAW, James Albert

282,287 FRANCHE-COMTÉ, 166, 178,180 FRANKLIN, John Hope, 176 FRANKLIN, Robert, 282

Ukawsaw, 275 GUADELOUPE, 90 GUILLET DE CHAUMONT,

G

Nicolas-Auguste, 209, 231,

GALE, Lorena, 12, 267 GAMA, Vasco de, 42, 43 GAMBIE, 48 GAMELIN, Ignace Fils, 125, 126,127, 145,160, 161, 184, 194, 225 GANNES DE FALAISE,

239, 240 GUILLIMIN, Charles, 256 GUILLORY, Simon, 194 GUINÉE, 48 GUINÉE-BISSAU, 48 GUYON, Joseph, 134 GWAAN, Kuya, 288

François de, 189 GASPAR, David Berry, 50 GATES, Henry Louis Jr., 275 GATIEN, François-Lucien, 134 GAUDÉ, Françoise, 196, 197 GAUDÉ, Marie, 132 GAUDRON DE CHEVREMONT, CharlesRené, 29,137,202,231,238,

H HAÏTI, 9, 181 HALIFAX, 11, 22 HAMBOURG, 44 HAMMON, Briton, 274, 279 HANSE, 45 HAUT-CANADA, 13, 93, 94,

239, 240 GAY, Daniel, 287 GELDEREN, Martin van, 61 GENUS, Elaine, 288 GEOFFRION, Françoise, 218, 219, 223, 228 GERVAISE, Charles, 134 GHANA, 41,48, 275 GIARD, Guy, 288 GIARD, Tania, 288 GODARD, Jean, 125, 126 GODEFROY, monsieur, 139 GRANDE-BRETAGNE, 11, 24, 44,47, 56, 89, 90, 107, 139, 140, 275, 276 GRANDS LACS, 74, 98, 114, 115, 116, 119, 121

302

GRAVES SIMCOE, John, 106,

98, 99, 101, 106, 108, 109, 110, 281, 283 HAUTE-GUINÉE, 48 HAY, Douglas, 208 HEGEL, Friedrich, 278 HENDRICKS, Johan, 71 HENRI dit LE NAVIGATEUR, prince, 38, 39,40,41,43 HENSON, Jim HENSON, Josiah, 281 HÉRY, Charles, 138 HOCQUART (Gilles Hocquart), 124, 125, 126, 127, 188, 193, 194, 199, 200, 201, 202, 203, 205, 251, 252, 253,254,258,259, 260, 267, 270

Index

HOCQUART, Jean-Hyacinthe, 85,251 HOLLANDE, 58, 70, 72 HOMER, James, 58 HOSPITALIÈRES, 149,195,196 HÔTEL-DIEU, 18, 20, 25, 29, 35, 138, 139, 140, 142, 145, 149, 154, 167, 184, 185, 187, 188, 189, 194, 195, 196, 197, 199, 201,205,223,228,232, 245, 257 HUDSON, baie d’, 115,116, 117 HUDSON, vallée de 1’, 70, 71, 72,74,75, 154 HUME, David, 278 HUNTER, A. F., 99

JARVIS, William, 99, 100, 108 JEA, John, 275, 276, 277 JEAN V, 54, 56 JEAN, Michaëlle, 9, 11 JEFFERSON, Thomas, 278 JENKINS, Kathleen, 149, 150,196 JÉSUITES, 120, 142, 149, 203,245 JÉSUS, île, 87 JOHNSON, Albert, 12 JORMAN, Khetive, 288 JUPITER (jeune esclave noir), 100, 102, 103, 105 JUTRA, Marie, 114 K

I IACOVETTA, Franca, 287 ÎLE-DU-PRINCEÉDOUARD, 13, 83, 87, 97, 110 ILLINOIS (État), 108 ILLINOIS (tribu amérindienne), 117 INCARNATION, Marie de 1’, 22 INDE, 43, 55,91 INDÉPENDANCE AMÉRICAINE, guerre de 1’, 97, 99, 100, 106, 275, 276, 280 INDES, 44, 46 INDIANA, 108 INDIEN, océan, 42, 160 IRLANDE, 11 ISRAËL, Jonathan Irvine, 66

J JACOBS, Harriet, 274 JALLETEAU, Jacques, 173, 180, 225, 227 JAMAÏQUE, 14, 168, 275, 277 JANSON dit LAPALME, Christophe, 127 JARVIS, Hannah, 99 JARVIS, Michael, 12, 13, 14

KALM, Pehr, 246 KANT, Emmanuel, 278 KENT (comté), 83 KENYA, 43 KING, Boston, 276, 277, 280 KINGSTON, 86, 99 KIRKE, David, 80 KLOOSTER, Wim, 65, 67 KNAFLA, Louis A., 208 L

LA BRÈCHE, sieur, 125, 126, 127 LA FLÈCHE, 195 LA NOUE, dame, 139 LA PATRIE, 271 LA ROCHELLE, 72, 73, 125 LA VÉRENDRYE, Pierre de, 145 LACHANCE, André, 162, 208,255 LAGOS, 42, 44 LAHAISE, Robert, 142, 210 LAMBERT, Phyllis, 143, 187 LAMOTHE CADILLAC, Antoine de, 83 LANCTOT, Gustave, 147 LANDUIÈRE, sieur, 138 LANGLOIS DIT TRAVERSY, Louis, 175, 219, 220, 223, 229, 230

303

La pendaison d’Angélique

LANOULLIER, Nicolas, 259 LAPALICE, Ovide-MichelHengard, 82, 164, 271 LARAMÉE (esclave noir), 95 LATREILLE (soldat), 20, 35, 167, 232 LE JEUNE, Olivier, 80, 84, 95,160 LEJEUNE, Paul, 80, 84 LE MARCHAND DE LIGNERY, Constant, 119 LE MOYNE DE LONGUEUIL, Charles, 120, 150 LE PAILLEUR DE LAFERTÉ, François-Michel, 209, 231, 239 LE PAILLEUR DE LAFERTÉ, Michel, 134 LE PAPE DU LESCOÀT, JeanGabriel, 19, 157 LE ROYER DE LA DAUVERSIÈRE, Jérôme, 195 LEBER DE SENNEVILLE, Jacques, 216 LEBER DE SENNEVILLE, Jacques-Hippolyte, 216 LEBER, Pierre, 82 LECOMTE DUPRÉ, Louis, 82 LEFOURNIER DUVIVIER, Louis-Hector, 184 LEGENDRE, Ghislaine, 199 LEIGNE, Pierre André de, 249, 259 LEMOINE dit MONIÈRE, Alexis, 24, 146, 157, 172, 173, 174, 181,209,214,224, 225,226, 227,229,232,233, 267, 268 LEMOINE dit MONIÈRE, Amable, 184, 209, 216, 230, 238 LEPAGE, Louis, 86, 87 LES HÉROS (navire), 125 LESTAGE, Pierre de, 194 LÉVEILLÉ, Mathieu, 29, 31, 33, 34, 35, 36, 181, 209, 257,258,259, 261, 262, 264 LIDIUS, John Henry, 71, 72

304

LIÉNARD DE BEAUJEU, Louis, 118, 119 LISBONNE, 42, 44, 45, 48, 50, 51, 55, 56, 57, 63 LITALIEN, Rolland, 287 LOGUEN, Jermain, 281 LONGUEUIL (ville), 174, 175, 189, 227, 271 LOUET, Jean-Claude, 128, 257, 261, 283 LOUIS (enfant de MarieJoseph-Angélique), 161 LOUIS XIV, 60, 72, 80, 81, 84, 151, 152, 178, 243, 250 LOUIS XV, 123, 129, 150 LUANDA, 63 M MADAGASCAR, 79, 82, 160 MADÈRE, 39, 40, 43, 45, 46 MADRID, 60 MAINE, 174 MALI, 39 MALINDI, 43 MANCE, Jeanne, 18, 141, 195 MANNIX, Daniel R, 82 MANUEL 1er, 50, 51, 53, 54, 58 MARCHAND, un certain, 30 MARIE-FRANÇOISE (enfant de Marie-Joseph-Angélique), 161 MARIE-MANON (esclave), 163, 184, 209, 212, 214, 215, 216, 221, 225, 228 MAROC, 39, 40 MARQUES, Oliveira, 57 MARRANT, John, 275, 280 MARTIN, Peter, 106, 283 MARTINIQUE, 90, 105, 181, 257, 258,274 MARYLAND, 179, 281 MASSICOTTE, É.-Z., 24l MATHIEU, Jacques, 256 MATHURIN, Lucille, 168 MAUREPAS (Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas), 71, 123, 124, 125,

Index

126, 127, 128, 129, 136, 188, 194, 199, 200, 201, 202, 203, 205,250,252,253,254,270 MAURITANIE, 40, 41 McGILL, rue, 141 MÉDITERRANÉE, 44, 45, 82 MENDES, Isaac Franco, 69 MENDES DE MEDEIROS, Francisco, 69 MEYLER, Peter, 281 MICHIGAN (État), 83, 108 MICHIGAN, lac, 116, 117 MICHILLIMAKINAC, 117, 118, 119, 145 MILLER, Joseph C., 55 MILLY (jeune esclave noire), 100

MINAS GERAIS, 55 MINNESOTA, 108, 116 MISSISSIPPI, 116, 117, 120 MOITT, Bernard, 94, 156, 162,165,287 MONTRÉAL, 9, 14, 18, 19, 20, 22,23,29, 30,31,37,69, 71,72,74,75,76, 80, 82,86, 87,93,94,106, 111,113,115, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 124, 127, 128, 129, 131, 132, 133, 136,137,141, 142,143, 144,145,146, 147,149,150, 151, 152, 153, 154, 158, 159, 160, 167, 171, 173, 175, 178, 186,187,192, 193, 194, 195, 199, 200, 201, 203, 204, 206, 207, 208, 209,210,211,220, 225,227,245,247,249,251, 252,255,259, 260, 261,262, 264, 265,270, 273,283,284, 287 MONTREAL GAZETTE, 179 MOODIE, John, 279 MOSCOU, 44 MOUET DE LANGLADE, Augustin, 121 MURRAY, David R., 47 MURRAY, James, 91, 92, 95, 155

N NAFRECHOUX DE BÉREY, Jeanne (dame de Bérey), 209, 225 NAHON, Gérard, 58 NANTES, édit de, 72 NATIONS UNIES, 11 NAVETIER, père, 29, 34, 262 NEGRIE, Joseph, 92 NEILSON, Hubert, 81, 96 NEW AMSTERDAM, 25, 65, 66, 67, 70, 71 NEW HAMPSHIRE, 131, 174 NEW JERSEY, 66 NEW YORK, 25, 26, 37, 65, 66, 70,71,72,73,74,75,76, 81,82,85,87,93,97,99,106, 150, 151, 159, 174, 175, 181, 204 NEWPORT, 70 NIAGARA GAZETTE, 104 NIAGARA HERALD, 103, 155 NIAGARA, rivière, 86, 98, 106, 181 NISH, Cameron, 129 NOËL, Jan, 284 NOLAN, Faith, 12, 13 NORTON, Thomas Elliott, 75 NOTRE-DAME, rue, 17, 19, 34, 142, 185, 195, 201, 218 NOUVEAU MONDE, 14, 21, 23,24,25,47,48,51,52,57, 61,62, 64, 67, 68, 69, 70,72, 74, 76, 77,79, 82,86, 88,91, 161, 164, 168, 178, 275, 278 NOUVEAU-BRUNSWICK, 13, 14, 83, 94, 97, 105, 109 NOUVELLE-ANGLETERRE, 21,25,26,37,69, 70,71,72, 73,76, 80,81,85,93,94, 97, 108, 127, 150, 151, 154, 159, 174, 175,204,211,220, 221, 226, 227,228, 271,282 NOUVELLE-ÉCOSSE, 13, 14, 15,73,83,94, 97, 105, 109, 275,276 NOUVELLE-FRANCE, 12,

305

La pendaison d’Angélique

13,21,22,25,26, 37,70,71, 72,73,79, 80,81,82,83,84, 85,86, 89, 116,123,129,130, 131, 132, 135, 139, 142, 150, 157, 158, 160, 162, 164, 208, 209,210,236, 241,242,243, 245,249,250,251,252,256, 269, 285, 288 NUREMBERG, 57 O O’CALLAGHAN, Edmund B., 71 OHIO, 83, 108, 126 OJIBWÉS, 117 OLD DURHAM RO AD CEMETERY, 22 OLWELL, Robert, 50 ONTARIO, 11, 13, 14, 24, 83, 98,107 OPORTO, 42 ORACLE, 104 ORANGE, 72 P PANET, Jean-Claude, 88, 138 PAPINEAU, Joseph, 109 PAPINEAU, Louis-Joseph, 109 PARIS (ville), 89, 116, 248, 253, 254, 255 PARIS, traité de, 89, 97, 139 PASSAGE DU MILIEU, 275 PATTERSON, Orlando, 53, 159 PAYS-BAS, 24, 26, 37, 38, 44, 45,47,54,55,58,59, 60,61, 62, 63, 65,68, 69, 70, 72, 158 PAYS-D'EN-HAUT, 74, 115, 119, 181, 255 PENNINGTON, James, 274 PENNSYLVANIE, 25, 66, 71, 74,204 PERNAMBOUCO, 63, 64 PERRAULT, M. (marchand), 88 PHÉLYPEAUX, comte de PONTCHARTRAIN, Jérôme, 250 PHILADELPHIE, 126, 204

306

PHILIPPE II, 58, 59 PINGUET, Jacques, 125, 127, 137 PINS, avenue des, 18 PLACE D’ARMES, 18, 19, 142 PLACE ROYALE, 26, 206,264 POIRIER, Marie-Louise, 154, 172, 217, 218, 221, 223, 225, 229, 234 POMAINVILLEJean, 118 POOLEY, Sophia, 280 PORLIER, Claude-CyprienJacques, 30, 209, 213, 220, 228, 230, 240, 283, 284 PORTER, Dorothy, 274 PORTUGAL, 21, 23, 24, 26, 27,30, 37,38,40,41,43,44, 45,46, 47,48, 50, 51, 54, 55, 56, 57, 58,61,62,63, 64, 65, 68, 69, 70, 76, 157, 158, 159, 175, 178, 180, 181, 211, 218, 222, 264, 270, 272 POTASSE, côte de la, 246 POULIN DE FRANCHEVILLE, François (Francheville, sieur de Francheville), 21, 25, 30, 37, 69,71,73,76,111, 113,114, 115, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 134, 135, 136, 137, 145,148, 154, 157, 159, 160, 161,166,167,168,169, 171,176,194,196, 205,211, 212,213,214,215,253,264, 272 POULIN DE LAFONTAINE, Maurice, 114 POULIN, Michel, 114 POULIN, Pierre, 115, 122, 125,126,127 POWELL, Patrick, 288 POWER, Michael, 94, 99, 107,110 PRAIRIES, rivière des, 141 PREMIÈRES NATIONS, 74, 116,117

Index

PRENTICE, Alison, 155 PRENTIES, M., 95, 96 PRÉVOST, Robert, 150, 203, 269 PRINCE, île du, 43, 46 PRINCE, Mary, 274, 279 PRINGLE, Thomas, 279 PROVIDENCE, 70 PROVINCES-UNIES, 59, 60, 62,64 Q QUÉBEC (ville), 31, 74, 80, 86, 87,89,91,96,116,125,127, 128, 133, 143,146,150,151, 152,153,173, 174, 175,177, 186, 194, 201,225,244, 245, 246, 247,251,252,254,256, 257,258,259, 260, 265,273, 283 QUÉBEC (province), 9, 13, 24, 94, 97, 98, 139, 282, 287 QUEBEC GAZETTE / GAZETTE DE QUÉBEC (sic), 92, 93, 95, 96, 179, 282

R RADISSON, Pierre-Esprit, 115,121 RAIMBAULT, Catherine, 95 RAIMBAULT, J. C., 127 RAIMBAULT, Pierre, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 37, 192, 200, 206, 207,209,210,211,212, 220,221,222,224, 225,226, 227,228,230,231,232,233, 234, 235, 237, 238, 239, 240, 241,242, 243, 244, 249, 260, 262,283 RAMEZAY, Claude de, 19, 133, 150, 196, 201 RAMEZAY, Marie-Charlotte de, 196, 201 RAPLEY, Robert, 31, 33 RAUDOT, Jacques, 84, 85, 148 RÉAUME, Charles, 87

RÉCOLLETS, 142, 149, 190, 203,245 RENARDS (nation amérindienne), 117, 118, 121, 131, 136, 150,251 RICHELIEU, rivière, 74, 75, 154,174,179 RIDDELL, William, 83, 92, 94, 105, 108, 155, 159, 210 RIGAUD DE VAUDREUIL, Philippe de, 116, 117 RIGAUD DE VAUDREUIL DE CAVAGNIAL, Pierre de, 89, 140 RINGGOLD, Samuel, 281 ROBERTS, Dorothy, 97, 163, 164 ROBERTSON, Carmelita, 276 ROBOTHAM, Rosemarie, 278 RODRIGUES DE SOUZA, Jeronimo, 69 ROMA, Anne-Marie, 88 ROMA, Jean-Pierre, 87, 88 ROXBURGH, William, 96 ROY, Antoine, 143 ROY, François, 189, 190, 191, 230 ROY, Pierre-Georges, 87, 88 ROYAL, mont, 142, 154 ROYALE, île, 194 ROYAUME-UNI, 61, 77 RUDDEL, David-Thiery, 186 RUSSELL, Peter, 22, 99, 100, 101, 102, 103, 105 RUSSIE, 63 S

SAHARA, désert du, 39 SAINT JOHN, 105 SAINT-AMABLE, me, 133, 142 SAINT-CHARLES, rivière, 246, 247 SAINT-DOMINGUE, 90, 181, 250, 275 SAINTE-ANNE, rue, 142 SAINT-JEAN, île, 179 SAINT-JOSEPH, rue, 133, 142

307

La pendaison d’Angélique

SAINT-LAURENT, fleuve, 17, 21,75,98,122,126,130, 134, 141,142,143, 152,154, 157, 173,174, 186, 227,245,246, 256, 264 SAINT-MAURICE, forges du, 121, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 136, 160, 166, 180, 251, 253 SAINT-MAURICE, rivière, 114, 122, 124, 128 SAINT-OURS DESCHAILLONS, JeanBaptiste, 194,201 SAINT-PAUL, rue, 17, 18, 19, 20,35,114,133,136,138,142, 154,183,185,187,228, 264 SAINT-SULPICE, rue, 19 SAINT-VALLIÈRE OUEST, rue, 246 SAMMONS, Mark J., 94, 131, 159 SAMSON, Roch, 130 SAMUEL, Sigmund, 89 SANCHO, Ignatius, 277 SANDWICH, 99, 100 SÂO TOMÉ, 43, 45, 46 SARQUINT, Joseph, 138 SARRAZIN, Michel, 248, 255 SCADDING, Henry, 100 SCANDINAVIE, 63 SCHELDT, rivière, 60 SCHENECTADY, 75, 108 SCHWENINGER, Loren, 176 SEGREE, famille, 288 SÉNÉGAL (pays), 48 SÉNÉGAL, fleuve, 40 SÉNÉGAMBIE, 41 SEPT ANS, guerre de, 89, 90, 282 SÉVILLE, 46, 57 SHADD, Adrienne, 165, 287 SHADD, Hameed, 288 SHARPE, Jenny, 168 SHELBURNE, 105 SIERRA LEONE, 40, 41, 48, 73, 106, 277

308

SIOUX (nation amérindienne), 116, 117, 118, 121, 135,251 SIOUX, Compagnie des, 120, 121 SIOUX, fort des, 116 SMALL, Shirley, 288 SOCIÉTÉ NOTRE-DAME, 195 SONGHAÏS, 39 SONNUSAULT, dame, 138 STEPENSON, Jean, 288 STEWART, Alan, 187 STOCKHOLM, 44 STRICKLAND, Susanna, 279 STUART, John, 99 SUCCESSION D’ESPAGNE, guerre de, 54, 60, 68, 90, 115 SUÈDE, 45, 128 SULPICIENS, 19,25,29,35, 143,145,149,153,157,190, 195,199, 203,262 SUPÉRIEUR, lac, 74, 116, 117 SURINAM, 65, 66, 67

T TADOUSSAC, 264 TAILHANDIER dit LA BAUME, Jeanne, 217, 218 TALBOT, Jean-Jacques, 136 TASCHEREAU, ThomasJacques, 259 TERBORG-PENN, Roslyn, 287 TERRE-NEUVE, 181 TESTARD DE MONTIGNY, Jacques, 196, 199 TÉTREAU, Jean-Baptiste, 134 THIBAULT, Claude, 33, 166, 167, 169, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 183,184,188,190,191, 192, 206, 207, 211, 214, 215, 218, 219,220,221,223,225,226, 229,230,231,232,233,234, 235,237,238,240, 241,242, 243,261,262,264, 268,269, 271 THOMAS, Jean-Baptiste, 14, 179

Index

THOMAS, Nigel, 287 THOMELET, Marie-Françoise, 154, 209, 219, 220, 230 TITUBA, 284 TORONTO, 12, 89, 100, 108 TRAORE, Ismael, 288 TRÉBUCHET, François, 125, 126 TREMON, sieur, 189, 191, 214 TROIS-RIVIÈRES, 86, 114, 115, 123, 125, 143, 152, 153, 247, 256, 260, 165 TROTTIER DESRIVIÈRES, Charlotte, 184, 209, 216, 222,230 TRUDEL, Marcel, 14, 80, 86, 94, 97, 144, 150, 162, 164, 269, 288

WALKER, famille, 288 WALKER, James, 13, 14, 78, 99, 106 WALLONIE, 61, 70 WARAH, Zeinab, 288 WELLS BROWN, William WEST, Cornel, 278 WESTMORELAND TRAORE, Juanita (juge), 289 WESTPHALIE, traité de, 64 WHITEHEAD, Ruth, 276 WILLIAM, Francis, 277 WINKS, Robin W., 14, 81, 84, 86, 89, 98, 106, 110 WISCONSIN, 74, 108, 116 WITHERSPOON, Seth, 287 WOLFE, général, 276

U

Y

UPPER CANADA GAZETTE,

YORK (premier nom de Toronto), 100, 102 YORK GAZETTE, 102, 103,155

282 UTRECHT, traité d’, 60, 115, 116, 118, 149

W

Z V

ZENON DAVIS, Natalie, 287

VALLÉE, Jean-Baptiste, 86, 87 VALLIÈRE, rue, 246 VALLIÈRES, Henry de, 138 VARIN DE LAMARRE, JeanVictor, 254, 255, 258,259 VATICAN, 42, 45 VERRIER, Louis-Guillaume, 254, 260, 261 VERSAILLES, 116, 123 VIEIRA, père, 65 VIEUX-MONTRÉAL, 17, 18, 20, 27 VILLE-MARIE, 19, 127, 141 VIRGINIE, 97, 126 VOLANT DE RADISSON, Étienne, 134, 184, 185, 194, 209, 213, 221, 226, 227, 230, 231, 232, 237 VOYNE, Pierre, 118 VROOMAN, William, 104, 106, 108, 109, 283

309

.

'

Table des matières

Préface

.

Prologue.

q

27

Chapitre 1

La torture et la pendaison d’Angélique

.29

Chapitre 2 L’esclave venue du Portugal

.37

Chapitre 3 L’esclavage au Canada, un secret bien gardé.77 Chapitre 4 François Poulin de Francheville et Thérèse de Couagne, des bourgeois propriétaires d’esclaves .113 Chapitre 5 Montréal à l’époque d’Angélique

.l4l

Chapitre 6 Premier incendie, première escapade.171 Chapitre 7 L’incendie d’avril.183 Chapitre 8 Des lendemains qui déchantent.

193

Chapitre 9

Le procès

.205

Chapitre 10

Le verdict.237 Chapitre 11

L’appel et le jugement final

.245

Chapitre 12

L’exécution.

263

Chapitre 13

Angélique, l’incendiaire.267 Épilogue

Une voix réduite au silence, mais qui se fait de nouveau entendre.273 Remerciements

.287

Bibliographie.289 Index

297