La Guinée au fil de ses présidents 2343185093, 9782343185095

Ce livre est un témoignage sur les régimes politiques qui se sont succédé en Guinée de l'indépendance à nos jours.

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French Pages 324 [303] Year 2020

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La Guinée au fil de ses présidents
 2343185093, 9782343185095

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L A GUINÉE

Alfa Oumar Rafiou Barry, originaire de Daralabé, est titulaire d’une licence en économie politique et d’un DES de sciences économiques de la Faculté de droit Paris-Panthéon. Il est aussi détenteur du diplôme de l’Institut des sciences politiques de Paris. De retour en Guinée, il a servi dans plusieurs Départements ministériels avant d’être détaché auprès de l’Association internationale de la bauxite en Jamaïque. Après les Caraïbes, il sera nommé successivement ambassadeur de Guinée au Japon et aux États-Unis. Il bouclera sa longue carrière professionnelle en devenant vice-président d’Alcoa Guinée.

au fil de ses présidents

L’ouvrage comprend cinq parties, dont trois sont consacrées à la gouvernance de ces derniers, une quatrième sous forme de parenthèse évoque rapidement le régime de transition militaire du CNDD et une cinquième est destinée à la crise profonde que vit la Guinée et aux pistes possibles pouvant permettre d’en sortir.

Alfa Oumar Rafiou barry

« Ce livre est un témoignage sur les régimes politiques qui se sont succédé en Guinée de l’indépendance à nos jours. L’auteur présente une rétrospective biographique de son parcours combinée à une analyse fouillée du fonctionnement des gouvernements de Sékou Touré, de Lansana Conté et d’Alpha Condé, les trois présidents élus de la Guinée indépendante, qu’il a connus pour avoir travaillé avec deux d’entre eux et pour avoir lié une longue amitié avec le troisième depuis les bancs de l’université.

L A GUINÉE

au fil de ses présidents

Alfa Oumar Rafiou Barry

L A GUINÉE

au fil de ses présidents

Préface d’Alpha Ibrahima Sow

En couverture : Sékou Touré, Lansana Conté et Alpha Condé.

29 € ISBN : 978-2-343-18509-5

Parcours & essais

politiques

La Guinée au fil de ses présidents

Parcours et essais politiques Une collection dirigée par le Dr Ahmed Tidjane Souaré De nombreux auteurs choisissent de partager leurs expériences par des biographies, des autobiographies ou des essais politiques et administratifs, illustrant en même temps des segments entiers de la riche histoire de la Guinée. Leur vocation est de faire connaître la Guinée en se faisant connaître eux-mêmes : elle relève d’un élan de devoir de mémoire et d’une aptitude à restituer. Ces valeurs permettent de tracer les contours et de définir l’étoffe des « modèles » d’aujourd’hui et de demain, dont le pays a besoin pour la construction de son histoire. La collection « Parcours et essais politiques » est ouverte à ces auteurs, pour lesquels elle représente à la fois, une opportunité et un instrument de promotion de leurs œuvres et de valorisation de leur potentiel littéraire.

Alfa Oumar Rafiou BARRY

La Guinée au fil de ses présidents

Préface d’Alpha Ibrahima SOW

L’HARMATTAN, 2020 5-7, rue de l’École-Polytechnique – 75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-18509-5 EAN : 9782343185095

Dédicace Ce livre est dédié à : Nénan Oussou Koundou, ma grand-mère maternelle qui m’a aimé de toutes ses forces, m’a choyé et m’a protégé.

Avant-propos Je voudrais adresser mes sincères remerciements et ma reconnaissance à : - Mon père et à ma mère qui m’ont mis au monde - Mon grand-père Alpha Mamadou Bobo Sow et ma grand-mère Nénan Oussou Koundou qui m’ont recueilli alors que je n’avais que trois ans, m’ont élevé en m’entourant de beaucoup d’amour et d’affection et m’ont mis à l’école coranique et française - Mon épouse Raye Diallo qui a supporté avec patience et abnégation mes caprices et m’a soutenu contre vents et marées depuis plus de 51 ans - À mes enfants Abdoul Karim, Alpha Abdoul Gadiri, Fatoumata Binta et Alpha Saliou qui m’ont toujours entouré de leur amour et de leur support - À mes tantes maternelles Hadja Assi Sow et Hadja Dalanda Sow, à mon oncle Aguibou Sow ainsi qu’à ma tante paternelle Yayé Dienabou Dara qui m’ont reçu et hébergé avec bienveillance et générosité durant mes périples à la recherche d’une école pour poursuivre mes études - À mes grands frères Elhadj Mamadou Kolon et Lieutenant Abassi qui m’ont ouvert de nouvelles perspectives en m’octroyant un an de frais de scolarité en France - À mon neveu Abdoul Goudoussy Diallo, professeur des Universités qui m’a encouragé, m’a assisté, m’a sans cesse conseillé dans la rédaction de ce livre - À l’Ambassadeur Alpha Ibrahima Sow, à Dr Ousmane Souaré, ancien ministre, au Lieutenant-Colonel à la retraite Alimou Diallo et à tous ceux qui ont pris de leur temps pour jeter un coup d’œil sur mon travail, pour l’améliorer ou pour échanger avec moi - Il en va de même à tous mes amis d’école, de travail et de la vie.

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Préface La célébration en 2018 du 60e Anniversaire de la naissance de la République de Guinée a été une occasion ultime pour faire l’évaluation du chemin historique parcouru, d’établir le bilan des activités du pays dans tous les domaines et de réfléchir aux voies et moyens les plus aptes à répondre aux attentes pressantes du peuple. En s’inscrivant dans ce contexte, l’auteur du présent ouvrage, Oumar Rafiou Barry, apporte une contribution unique axée sur la reconstitution historique et une analyse rigoureuse, profonde des faits et des événements politiques, économiques et socioculturels ayant caractérisé l’évolution mouvementée de la Guinée. Il se fonde dans cette entreprise sur une vaste et solide expérience universitaire, professionnelle, technocratique et diplomatique acquise aux différents postes occupés et dans l’accomplissement des hautes missions d’État qui lui ont été assignées. C’est à la demande de sa maman qu’il affectionne tant et par devoir patriotique qu’il quitte la France et rentre au pays en 1965. Muni des diplômes célèbres de l’Institut d’Études politiques de Paris (Sciences Po), des Études supérieures en Sciences économiques et de la Licence en droit, il intègre le corps des Administrateurs civils guinéens. Affecté au Ministère du Développement économique alors dirigé par le puissant et inamovible ministre Ismaël Touré, il fait ses preuves de technocrate compétent et dévoué, notamment sur les questions administratives, financières, industrielles et minières. Sur cette lancée le gouvernement guinéen de la Première République confiera à Alpha Oumar Rafiou Barry des responsabilités techniques et administratives de premier plan qui culminent par sa prise de fonctions au poste de Directeur de l’Administration de l’Association Internationale de la Bauxite basée en Jamaïque. À l’issue de cette haute mission internationale, Alfa Oumar Rafiou Barry rejoint Conakry où il continue de bénéficier de la confiance des autorités de la Deuxième République de Guinée. Après avoir rejoint le Ministère des Mines et des Ressources naturelles, il est chargé du Projet initial de Dian Dian et préside la Commission d’Organisation des Journées de réflexion sur les problèmes miniers en Guinée. Il est ensuite successivement nommé par le président Lansana Conté Ambassadeur de Guinée au Japon (avril 1996) et aux États-Unis d’Amérique (mai 2002). De Washington l’Ambassadeur Barry 11

participe aux Travaux de l’Assemblée générale du Fonds Monétaire international, de la Banque mondiale et de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. Avant d’aborder le vif du sujet, Alfa Oumar Rafiou Barry débute son livre par un prologue autobiographique, qui rappelle ses origines, ses racines familiales et sociales de même que les circonstances et les conditions de son éducation et de sa formation. Cet épisode nous familiarise avec le rôle joué par ses deux parents également héritiers d’une longue et prestigieuse lignée d’érudits, de guerriers et de chefs ayant marqué l’histoire du Fouta théocratique et celle de la province de Labé de manière singulière. Il s’en suit un bilan exhaustif des régimes qui se sont succédé en Guinée sur fond de mise en relief du portrait des trois présidents élus à la tête de l’État depuis 1958. Fondée sur une analyse rigoureuse, objective et impartiale servie par des archives et des documents personnels, publics ou officiels l’auteur résiste aux déformations partisanes, flatteuses ou démagogiques pour évoquer le passé et le présent de la Guinée pour mieux envisager son avenir. Son regard et sa fine analyse psychologique des personnages respectifs des présidents Ahmed Sékou Touré, Lansana Conté et Alpha Condé sont particulièrement édifiants et instructifs. Et ne manqueront pas de constituer un élément clef de référence et de guide pour tous ceux qui cherchent à mieux s’imprégner du caractère, de la psychologie et des mobiles ou motivations politiques de ces trois premiers dirigeants de la République de Guinée. À titre d’illustration, la réflexion sur la politique controversée conduite par le président Sékou Touré durant ses vingt-six ans de règne est soumise à une critique radicale et sans complaisance. Si les aspects positifs du régime sont soulignés, la page noire de la gouvernance révolutionnaire est courageusement examinée dans ses aspects multiples. L’auteur considère que dans l’histoire de la Guinée c’est la page la plus chargée d’émotion, la page la plus douloureuse et la plus contentieuse. Il plaide en conséquence pour que les Guinéens dans leur ensemble examinent avec un sens aigu de responsabilité ce chapitre complexe et qu’ils se décident enfin d’élucider les responsabilités du leadership dans les violations massives des droits de l’homme pour éviter leur répétition à l’avenir.

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La critique portée sur les gouvernements des présidents Lansana Conté et Alpha Condé est également dénuée de complaisance. Son évaluation de l’action et de la politique menée par chaque leader ne se laisse pas conditionner par la qualité des relations personnelles qu’il a pu tisser ou entretenir avec les différents présidents. Faut-il d’ailleurs souligner que l’auteur n’a pas accepté de servir sous le président Alpha Condé en dépit de la considération, de l’estime et de l’amitié qui les lient depuis Science Po et la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris qu’ils ont fréquenté au même moment dans leur jeunesse. L’auteur écrit sa part de vérité dans cet ouvrage et nous restitue un des portraits les plus complets du personnage politique du président Alpha Condé. Tout au long de sa réflexion et de ses analyses, il cerne les aspects fondamentaux de la gouvernance et du fonctionnement des institutions nationales. À chaque étape de la marche nationale Alfa Oumar Rafiou Barry fait le point de la situation, apprécie les acquis et met en évidence les retards et les échecs enregistrés dans les domaines les plus pertinents d’activités. Le tableau synoptique brossant la situation de la Guinée à la veille du soixantenaire de l’Indépendance, assorti de propositions judicieuses pour sortir la Guinée de la crise, constitue incontestablement une référence clé pour l’État, les étudiants, les chercheurs, les historiens et la classe politique ambitionnant d’en tirer le meilleur bénéfice pour répondre aux exigences de la nation. L’établissement d’un bilan exhaustif de la gouvernance en Guinée et l’identification des principales causes de la crise permettent à notre auteur de préconiser un projet de société devant conduire à une véritable réconciliation nationale. Une réconciliation et un programme basés sur la vérité et la justice, la mise en place d’un État de droit centré sur le respect de la loi, du libre exercice des droits de l’homme et la garantie des libertés fondamentales dans le cadre de la démocratie, la séparation des pouvoirs et l’accroissement des responsabilités des femmes, des jeunes et de la société civile. Pour ce faire l’auteur lance un appel urgent pour la mise en place sur une base consensuelle de nouvelles Institutions qui s’accorderont sur les valeurs fondatrices d’une nouvelle République guinéenne. Il suggère que les forces politiques et sociales de la nation s’organisent pour initier le débat sur la refondation avant les élections présidentielles de 2020. La République de Guinée est une ardente obligation pour ses 13

fils et filles. Elle mérite en conséquence nos efforts les plus résolus et notre engagement permanent. Expression d’un message d’unité, de paix, de réconciliation et de progrès social et démocratique à cette étape charnière de l’évolution de la nation, nous nourrissons l’espoir de voir le présent ouvrage contribuer à aider les Guinéens et Guinéennes à faire la lumière sur leur douloureux passé afin de s’engager résolument, dans l’unité et la cohésion nationale, à relever les immenses défis du présent et de l’avenir. Alpha Ibrahima SOW

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Introduction Le 2 octobre 2018, la Guinée a célébré le 60e anniversaire de son indépendance. À cette occasion les Guinéens ont fait le point de la situation de leur pays et une bonne majorité d’entre eux ont estimé qu’il est en retard aussi bien dans le domaine des libertés individuelles et des droits de l’homme que dans celui des conquêtes pour le bien-être. Sur le plan social, l’école est en crise, les services de santé sont défaillants, le chômage sévit sévèrement, provoquant l’immigration massive des jeunes ; l’insécurité des personnes et des biens est hors contrôle ; 55 % des Guinéens vivent en dessous du seuil de pauvreté ; la fourniture des services sociaux de base reste largement insuffisante. Sur le plan économique, les voies de communication sont pauvres et mal entretenues, l’agriculture est déficitaire, les mines restent confinées dans l’exploitation des matières premières brutes. Pendant ce temps la guinée est classée parmi les pays les mieux dotés de la région Cette situation dramatique interpelle tous les Guinéens amoureux de leur pays pour qu’ils en recherchent les causes et proposent des solutions de sortie de crise. Pour ma part, j’ai choisi deux fils conducteurs pour mener à bien ma réflexion sur ce sujet, réflexion qui m’a conduit à la rédaction du présent livre. Le premier fil porte sur l’analyse de la gouvernance de chacun des trois Présidents qui se sont succédé à la tête de l’État depuis 1958. À ce propos je dois souligner que j’ai eu la chance de connaitre ces hautes personnalités qui m’ont fait l’honneur de me recevoir, de me parler librement, de me faire confiance jusqu’au point pour deux d’entre elles de me nommer à des hauts postes de responsabilités et pour la troisième de me proposer d’assurer des fonctions importantes auprès d’elle. Durant ces rencontres, j’ai cherché à comprendre le mode de penser de chacun de ces présidents, leur personnalité, leurs préoccupations majeures leur politique telle qu’elle est formulée. Le deuxième fil qui a conduit ma réflexion porte sur mes activités professionnelles en relation avec leurs actions sur le terrain ; il s’agit d’observer l’impact de leurs politiques sur les citoyens, les réactions de ces derniers, les attentes déçues, les conséquences pour le pays entier les blocages rencontrés, sur les conséquences de leur politique. C’est dire que finalement les deux fils vont se rencontrer, se recouper, se compléter. Il s’agit là d’une approche plutôt délicate, car publier le contenu d’un entretien privé avec un Chef d’État, formuler des jugements de valeur sur lui est 15

considéré comme tabou par beaucoup des Guinéens pour qui il est le « landho », le « manghé », le « mansa », c’est-à-dire le roi traditionnel qui est au-dessus du citoyen ordinaire. Cependant étant donné que le président est un élu censé rendre des comptes à ses concitoyens et que la vérité doit prévaloir dans l’établissement de tout diagnostic sérieux, j’ai décidé d’emprunter cette voie. Je présente par avance toutes mes excuses aux lecteurs qui ne partageraient pas ce point de vue ; qu’ils sachent alors que mon propos n’est ni d’offenser, ni de nuire, ni de vilipender. Plus haut, j’ai parlé de trois présidents, car j’ai pris le parti de ne m’intéresser qu’aux présidents élus, ce qui m’a conduit à mettre entre parenthèses le régime illégal du CNDD qui n’aura duré d’ailleurs que deux ans. Les développements du livre s’articuleront autour du Plan suivant : — Introduction — Prologue — 1ère Partie : Le Président Sékou Touré — 2èmePartie : Le Président Lansana Conté — 3e Partie : Une parenthèse entre deux républiques — 4e Partie : Le Président Alpha Condé — 5èmePartie : Que faire pour sortir la Guinée du retard accumulé ? — Conclusion générale.

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Prologue Depuis mon âge adulte, ma vie s’est confondue avec le déroulement des différents régimes politiques que la Guinée indépendante a connus ; autant dire que l’analyse de ces régimes se confond intimement avec le cours de cette partie de ma vie. Il m’a semblé que le lecteur serait probablement intéressé à connaitre, même succinctement mon enfance et mon éducation afin d’avoir une vue globale de la vie de celui qui lui parle à travers ce livre. Pour ce faire j’ai eu recours à un prologue qui a l’avantage de combler ce besoin tout en évitant de perturber ou d’alourdir les développements consacrés à l’objet du livre Naissance et origine Je suis né à Labé le 27 septembre 1933, alors que la date portée sur mes documents officiels est le 22 septembre 1937. Cette différence est liée au fait qu’au moment de passer les examens du Certificat d’Études primaires il a fallu en catastrophe me trouver une pièce d’identité officielle exigée pour la constitution de mon dossier de candidature ; un de mes oncles, chargé de cette tâche, n’ayant pas retrouvé mon acte de naissance au service d’état civil de la région de Labé, fut obligé de forger un sur lequel il choisit de porter l’âge moyen des candidats de cette année-là, alors que le début de mes études avait connu des perturbations causant des retards dans ma scolarité. Ce n’est que plus tard, lorsque j’étais déjà fonctionnaire que mon grand frère El hadj Kolon Barry en poste à la préfecture de Labé va retrouver mon vrai acte de naissance. Mon père est Alfa Abdoul Gadiri Barry, chef du canton de Sannou, le canton étant sous la colonisation, une division administrative regroupant plusieurs villages et ma mère est Hadja Binta Sow. Alfa Abdoul Gadiri appartient à la première promotion des élèves de l’école primaire de Labé ouverte en 1903 et fait partie de ce fait du groupe des premiers détenteurs du Certificat d’Études primaires au Foutah Djallon. Pour souligner l’importance de ce diplôme à l’époque, le Commandant de cercle, français de son état, s’était déplacé en personne pour aller à Daralabé, le village natal de mon père, présenter solennellement le diplôme à mon grand-père Mama Kolon Mo Dara. Après le CEP mon père fut ensuite formé au métier d’infirmier, profession qu’il exerça durant une très courte période, car il fut licencié très vite pour avoir 17

refusé, pour des considérations religieuses, de pratiquer une autopsie sur le cadavre d’un homme qui avait été assassiné. À la suite de quoi il devint secrétaire d’Alfa Mamadou Tanou chef du canton de Labé, poste où il sera en contact avec les commandants et l’administration coloniale, ce qui occasionnera l’opportunité de se faire connaitre et se faire apprécier ; ceci facilitera ultérieurement son choix comme chef de canton. Au décès d’Alfa Mamadou Tanou en mars 1929, il se présenta comme candidat pour devenir chef du canton de Labé. Face à lui il y avait une multitude de candidats de poids, notamment les chefs des cantons de Wousséguelé, de Horé Komba, le Chef du village de Sannou et d’autres. Après les premières consultations et les sondages effectués par le commandant de cercle auprès de la notabilité, il s’avéra qu’Abdoul Gadiri pointait en tête pour Labé et que le chef du village de Sannou, Mamadou Bobo Sow prenait la tête pour le canton de Sannou dont la compétition pour le choix du chef était aussi ouverte après le transfert en ce lieu du chef-lieu du canton de Horé Dimma. Une telle solution ne convenait cependant pas à ce dernier qui risquait de faire face à une crise familiale majeure en devenant le patron de son grand frère ex-chef du canton qui devenait un simple chef de village après le transfert de chef-lieu évoqué plus haut. Cette promotion pourrait en effet être interprétée comme la cause des malheurs de son frère ainé et la division de sa famille qui pourrait en résulter. Pour éviter cette catastrophe annoncée, il entreprit un double travail de lobbying et de négociations pour qu’une permutation entre lui et mon père puisse s’opérer en cas de confirmation. Il se trouve qu’entre-temps mon père avait fait un rêve suite à une consultation divine appelée « listikara » ; en effet au coucher, après avoir lu quelques versets spécifiques du Coran le croyant peut interroger Dieu sur la viabilité d’un projet qu’il entreprend. Cette nuit donc après avoir prié et lu les versets en question il rêva qu’il entendait sept coups de « tabala » et une voix qui lui disait que c’est un certain Abdoul Gadiri qui vient d’être nommé à l’est de Labé. La « tabala » est un gros tambour sur lequel on tape pour annoncer des nouvelles de grande importance. Au réveil, en tant que bon croyant, il comprit que ce serait plutôt Sannoun à l’est de Labé sa destination et pour un règne de seulement sept ans. À partir de cet instant, les négociations s’avérèrent plus faciles. Mon père accepta que l’on procédât à une permutation malgré la supériorité manifeste de Labé sur Sannoun aussi bien du point de vue de l’influence que de celui de l’importance 18

économique, sociale et culturelle. Il fut donc nommé chef du canton de Sannoun et mon futur grand-père Alfa Mamadou Bobo, chef du canton de Labé. Ainsi mon père et mon grand-père maternel furent nommés à la tête de ces deux cantons le même jour, le 11 juillet 1929. C’est en reconnaissance du geste gracieux de mon père que mon grand-père lui offrit la main de ma mère. À sa prise de fonction à Sannou, mon père entreprit de visiter les réalisations agricoles du canton. Un jour qu’il se trouvait à Sanama l’une des deux plantations qu’avait montées mon futur grand-père maternel alors chef du village, il aperçut des femmes en file indienne avec des paniers sur la tête ; on lui expliqua que la famine ambiante obligeait ces femmes à aller chercher des « pourri », tubercules vénéneux qu’il faut laisser tremper dans l’eau pendant trois jours avant de les bouillir et de les consommer, quelques fois en courant des risques mortels. C’était l’aliment de substitution courant des périodes de soudure. Immédiatement il se mit à réfléchir à des solutions susceptibles de pallier à la famine récurrente que subissait la population. Il conçut un plan basé sur le développement de la mangue, fruit versatile qui peut aussi bien être consommé cru, cuit sous forme de friture ou d’épaisse bouillie ou bien séché et conservé pour les périodes difficiles. Pour ce faire il fit recenser tous les orphelins du canton, au total 87 jeunes qu’il recruta, mit en internat, nourrit, habilla, alphabétisa, entraîna et organisa en équipes encadrées par des moniteurs agricoles pour planter et entretenir des jeunes pousses de manguiers qu’il enverra chercher à Labé et ailleurs et complètera en faisant ramasser des noix de mangue qu’il mettait sous terre pour récupérer les plants qui seront plantés le long des principales rues de Sannoun qu’il mettra à la disposition des populations. Aujourd’hui encore beaucoup sont les habitants de cette ville qui continuent à bénir mon père d’avoir définitivement mis fin à la famine dans le village et ses environs. Parallèlement à ce programme phare, il lança la culture du manioc qu’il fit vulgariser au niveau des villages grâce à l’envoi des moniteurs et des jeunes entrainés à cet effet. En reconnaissance de toutes ces actions, il fut décoré de la médaille de Chevallier du Mérite agricole. Les jeunes recrutés et entrainés seront pour la plupart recrutés plus tard dans l’armée française. Mon père mourut brusquement le 22 septembre 1936, sept ans après son couronnement, conformément aux sept coups de tabala entendus dans le rêve, sans avoir parachevé le programme qu’il ambitionnait pour 19

Sannou. Il laissa sept garçons et trois filles, à savoir dans l’ordre de naissance, Mamadou Kolon, Abassi, Boubakar, Sirifou (F), Alfa Oumar Rafiou, Amadou Tidiane, Dalanda(F), Ibrahima, Kangné Bailo (F) et Mamadou Billo. Alfa Abdoul a laissé aussi le souvenir d’un chef modeste, moderne et respectueux de ses administrés. À ce propos de nombreuses anecdotes continuent à être racontées, dont la suivante : un jour on lui rapporta qu’un de mes grands frères venait d’insulter le père d’un jeune de son âge qui était en pleurs tellement l’affront était terrible dans ce milieu et à ce moment-là ; mon père fit venir immédiatement les deux antagonistes et demanda à la victime de l’insulter lui, le père de son offenseur. Ce jugement ne pouvait pas passer aisément, car insulter le chef du canton était presque un crime de lèse-majesté. Cependant les protestations n’y firent rien, le jeune offensé insulta mon père pour clore l’incident. Mon père, originaire du village de Daralabé, à une dizaine de km à l’ouest de Labé, descend d’une lignée de personnages qui ont été intimement liés à l’histoire de la province de Labé, notamment durant la Confédération théocratique du Fouta et même au-delà. Il est le fils de Mamadou Kolon dit Mama Kolon Mo Dara chef de Daralabé, lui-même fils de Mamadou Aliou Zainoul Abidine, Mo Dara, petit-fils de Mama Billo Mo Dara et arrière-petit-fils de Thierno Moussa Tafsir (16881773) qui ont chacun commandé Daralabé et contribué à l’expansion de l’Islam. Pour ne pas nous éloigner du propos principal du livre, nous allons choisir trois d’entre eux pour illustrer l’importance du rôle joué par l’ascendance d’Alfa Abdoul Gadiri dans le Labé. Nous retiendrons à cet effet Thierno Moussa Tafsir, son fils Mama Billo Mo Dara et son arrière-petit-fils Mama Kolon. Pour parler de Thierno Moussa Tafsir, nous allons nous inspirer largement du développement que lui a consacré Thierno Mamadou Bah, fils de Thierno Aliou Bhouba Ndiyan dans son livre intitulé « Histoire du Fouta-Djallon, des origines au XXe Siècle ». Moussa Tafsir du clan des wouyaabhè de Daralabé descend de Bambaari Barry venu au Fouta où il s’installa à Bailo à l’est de Timbo et dont le premier descendant venu dans le Labé fut Hammadi Dewo Allah, père de Thierno Moussa Tafsir. Ce dernier pour parfaire ses études se rendit à Bhoundou chez Thierno Hassana Diallo. C’est dans cette école qu’il se retrouvera avec Alfa Mamadou Cellou, le futur Karamoko Alfa Mo Labé, chef de la Province et Alfa Mamadou Kolladhé, futur chef de Koin. À son retour à Daralabé, 20

Karamoko Alfa fit appel à lui pour faire partie de ses compagnons à Ley Billel sa résidence initiale ; il prospéra et acquit très vite une grande influence. Cependant un conflit sur le traitement à apporter au sort de Dian Bouzou Bah de Kompanya, chef du clan des N’Douyeebhè, soupçonné d’apostasie, entre Karamoko Alfa et lui, causa son renvoi de la Cour. En conséquence Thierno Tafsir repartit à Bhoundou pour reprendre ses études. Lorsqu’il revint à Dara, il découvrit que son territoire avait été amputé et que sa descendance avait été écartée du pouvoir. Il décida donc d’aller à Timbo vers 1750 pour introduire une plainte à cet effet. Il trouva que Karamoko Alfa Mo Timbo, l’Almamy du Fouta était atteint de démence ; il le soigna et le traitement rencontra un tel succès qu’il fut annoncé que l’Almamy rétabli allait diriger la prière du vendredi suivant. C’est dans ces circonstances qu’Ibrahima Sory Mawdho l’intérimaire de l’Almamy, très impressionné convoqua Moussa Tafsir pour s’enquérir de la plainte qu’il lui avait formulée. Il accéda immédiatement à sa demande et le renvoya auprès des autorités de Labé, accompagné d’une délégation pour non seulement lui restituer le territoire de ses ancêtres agrandi des terres amputées sur Timbi Tounni et Kolladhè, mais lui accorda aussi la charge de conseiller politique de l’Almamy pour le Labé ; cette charge sera héréditaire pour sa descendance, et ce jusqu’à la fin de la Confédération du Fouta. Cependant Karamoko Alfa Mo Timbo mourut quelque temps après sans avoir récupéré entièrement. Tafsir construisit la mosquée de Daralabé à son emplacement actuel. Il mourut en 1773 et fut remplacé par son fils Modi Billo Mo Dara. Modi Billo Mo Dara issu du mariage de Thierno Moussa Tafsir avec une fille de Modi Mamadou Dian, fils de Karamoko Alfa Mo Labé était un érudit, renommé pour ses connaissances approfondies de l’Islam ; il avait mémorisé le coran après cinq ans passés à Bhoundou. Il contribua grandement à l’extension des foyers islamiques. Il émigrera au Niokolo, situé dans le Sénégal actuel, suite à un coup attenté contre lui par Samba Ndi Houdia qui périra peu après dans un guet-apens tendu contre lui à la Cour du roi de Labé. Modi Billo resta à Niokolo et renvoya son fils ainé reprendre le pouvoir à Dara. À Niokolo il convertit les habitants à l’islam, fonda la province de Niokolo et y construisit une mosquée. Les descendants de Modi Billo dirigèrent Niokolo jusqu’en 1887 lorsque le Lieutenant Gallieni détacha la province du Diwal de Labé et l’intégra dans la colonie du Sénégal. Modi Billo eut une descendance célèbre dont trois petits-enfants qui marqueront particulièrement l’histoire du Fouta, à savoir Mama Kolon 21

Mo Dara, Alfa Oumar Rafiou Mo Dara dont je porte le nom et Patty Djeinabou. Avant d’entamer le développement sur Mama Kolon, rappelons à la suite d’El hadj Mamadou Oury Gounné dans son livre intitulé « Aperçu géographique et historique de Daralabé » ce que furent Alfa Oumar Rafiou Mo Dara et Patty Djeinabou. Le premier est un Waliou reconnu et respecté. En tant que tel, il est particulièrement aimé de Dieu, il avait la faculté de lire l’avenir et ses bénédictions étaient généralement acceptées. Il alla tout jeune à Dinguiraye pour accompagner son père Modi Saliou qui avait renoncé à la chefferie de Daralabé pour se mettre à la disposition d’Elhadj Oumar Tall. Là il émerveilla la Cour par ses connaissances avérées et brillantes en Islam ; à la demande de Cheik Oumar il rédigea un poème intitulé Tamba pour maudire un de ses ennemis les plus coriaces qu’il avait décidé d’aller combattre. Quant à Patty Djeinabou elle fut l’épouse d’Alfa Saliou, roi du Labé, elle mit au monde Alfa Ibrahima qui participa avec Almamy Oumar à la victoire contre Diankè Waly en 1867 ; Alfa Ibrahima eut trois enfants qui sont Modi Aguibou, Alfa Saliou Gadha Woundou et Alfa Yaya (1850-1912), héros national de la Guinée indépendante. Mama Kolon Mo Dara (1815-1910) pour sa part a commandé Daralabé pendant 45 ans (époque d’alternance), jusqu’en 1905, année de la destitution d’Alfa Yaya et sa déportation au Dahomey. Durant son règne il encouragea particulièrement l’agriculture ; il cultivait non seulement ses terres de Dara, mais aussi à Koundara, à Gaoual et Touroukoun dans le Télimelé. Il était connu pour être l’hôte de tout le Fouta à l’occasion des visites de l’Almamy dans le royaume, Daralabé étant la résidence officielle des Almamy lorsqu’ils visitaient le Labé ; à cette occasion venaient aussi tout ce que le Fouta comptait de notables et d’érudits. Il était connu aussi en tant que membre des 60 personnalités du Conseil qui entourait et conseillait Alfa Yaya roi de Labé. Du côté de mon ascendance matrilinéaire, Hadja Binta Sow, ma mère est la fille d’Alpha Mamadou Bobo Sow, chef du canton de Labé, qui est monté au trône après avoir dirigé le village de Sannoun entre 1924 et 1929. À Sannoun mon grand-père a aménagé et exploité les plantations de N’Gnana et de Sanama ; il a aussi réalisé des routes dont particulièrement deux routes carrossables reliant Sannoun au chef-lieu du canton qui était à l’époque Tountouroun, par l’ouest et le sud-ouest. Une fois à la tête de Labé et après qu’il eut fait ses preuves, il se porta candidat pour représenter la Moyenne Guinée au Grand Conseil de l’AOF ; il fut élu et assuma cette fonction de 1937 à 1939. Il restera 22

chef de Labé jusqu’à son décès en 1943. Son influence était telle que 10 de ses 12 filles furent mariées par les chefs de cantons de TimbiTounni, Sannou (2 chefs successifs) Koin, Kebaly, Wora, Bara, Lelouma, Bomboli, Yembering, une par le fils du chef de canton de Dalaba et la 12e par un haut fonctionnaire de l’administration coloniale. Deux des filles de son grand frère Alfa Saliou furent aussi mariées par les chefs de canton de Koubia et de Popodara. C’est pour cela qu’on a parlé de diplomatie par le mariage déployé par mon grand-père. Alfa Mamadou Bobo descend d’une lignée d’érudits et de chefs. Il est en effet l’arrière-petit-fils de Thierno Aliou Mo Wangako venu à Labé vers 1791, en mission spéciale de l’Almamy Bademba pour réinstaller au trône de Labé Modi Souleymane qui avait eu maille à partir avec la justice. Cette mission de la plus haute importance et des plus complexes demandait que l’homme chargé de la mener présentât des qualités exceptionnelles ; c’était le cas avec Thierno Aliou Mo Wangako qui, après avoir mémorisé le Coran avait fréquenté les meilleures Universités Islamiques africaines de l’époque ; il s’était spécialisé en droit islamique. C’est pour cela qu’à la fin de ses études il entra tout naturellement dans la Cour de l’Almamy où il deviendra au fil du temps un des conseillers les plus influents. C’est auréolé de toute cette renommée qu’il arriva à Labé et exécuta sa mission à la satisfaction à la fois de l’Almamy et de Modi Souleymane. Au lieu de repartir à Timbo, il s’installa dans la zone de Kollanghel-Tountouroun et se mit à enseigner et à tenir des conférences ; progressivement il s’intégra à la société locale et s’imposa par sa sagesse, ses connaissances, son attitude à toujours défendre les opprimés ; toute la région commença à se référer à lui. Au décès de Bamba Mo Toolou son hôte auquel Modi Souleymane l’avait confié, il le remplaça et ne tarda pas à élargir progressivement les territoires sous son contrôle. Il constitua un large royaume comprenant une partie ou la totalité des Sous-préfectures actuelles de Tountouroun, de Diogoma, de Pilimini, de Sannoun, Taranbali qu’il légua à sa descendance qui le dirigea jusqu’à la suppression de la chefferie en 1957. Cette épopée a été brillamment décrite dans le livre collectif intitulé « La vie et l’œuvre de Thierno Aliou Mo Wangako, Ed Universitaire. Éducation Au décès de mon père en 1936, ma mère âgée d’à peine vingt ans se remaria après avoir mis au monde mon jeune frère Mamadou Billo qu’elle portait au moment du décès de son mari. Elle se remaria avec 23

monsieur Moumini Diallo, chef de gare au chemin de fer de Guinée ; elle mit au monde un garçon, Abdoul Karim qui mourut en 1992. Elle va quitter ce dernier pour s’unir à Alfa Saliou Diallo, chef du canton de Wora avec qui elle eut un garçon du nom d’Alfa Abdoulaye qui mourut en 2012 et trois filles qui sont Fatimatou, Dalanda et Safiatou. Ma mère rendit l’âme en juillet 2003. Mon jeune frère Billo sera élevé en ma compagnie par notre grandmère maternelle Nenan Oussou Koundou, une femme de caractère et de cœur qui nous défendra contre vents et marées, qui nous aimera et sera toujours aux petits soins pour nous. Elle était tellement présente que nous n’avons jamais senti l’absence de notre maman. Elle avait un troupeau de vaches qu’elle trayait ; je n’oublierai jamais la petite calebasse pleine de lait tout chaud de M’bara l’animal le plus aimé de ma grand-mère, qu’elle m’offrait chaque matin ou le lait caillé crémeux servi avec du couscous qu’elle nous concoctait ; elle mourra en 1971. Mon grand-père n’était pas en reste, malgré ses hautes fonctions et ses lourdes responsabilités, malgré mon très jeune âge il m’emmenait partout avec lui, y compris lors de la grande tournée qu’il entama en 1939 à travers toute la Moyenne Guinée en tant que Grand Délégué alors que je n’avais que six ans. Son attachement à moi s’expliquait d‘une part par le fait que j’étais le premier petit fils qu’il voyait au monde et par l’affection toute particulière qu’il portait à ma mère d’autre part. Son entourage était tellement conscient de cet attachement que nombre d’entre eux, y compris mes oncles, passaient par moi pour solliciter quelques faveurs auprès de lui. À sa mort en 1943 j’ai dû quitter l’école et déménager avec ma grand-mère à Tountouroun, village natal de mon grand-père situé à 14 Kms de Labé où n’existait pas d’école. Il faut rappeler du reste que mon départ de l’école datait de beaucoup plus tôt, dès que j’ai été séparé de mon grand-père malade ; j’ai été littéralement déboussolé, abandonné à moi-même au milieu des grands-mères préoccupées par d’autres choses que d’école. Mon parcours dans l’enseignement primaire a été plutôt chaotique, car après Labé où j’ai entamé l’école seulement à l’âge de 8 ans pour à peine un an, je suis resté deux ans à perdre mon temps, à ruminer ma peine d’avoir perdu mon grand-père qui m’aimait tant, mais aussi à me complaire dans les gâteries de ma grand-mère ; puis je suis parti au gré de la localisation de mes oncles et tantes dans des lieux où existait une école. Je suis allé successivement à Sannoun, Yembering, Pita et Labé de nouveau, à la poursuite du temps largement perdu déjà. De façon miraculeuse j’ai passé le Certificat d’Études primaires à Pita en 1949. 24

À cause d’une fraude décelée lors du déroulement des épreuves, toute ma classe reçut comme sanction l’annulation de ses épreuves du concours d’entrée en 6e. Le Directeur de l’école de Pita, M. Pierre Brandon un Français qui était le maitre de notre classe et qui était aussi membre de la commission territoriale des examens nous avait fait faire, sans nous le laisser deviner l’essentiel des épreuves prévues pour le CEP et le concours. Tous innocents que nous étions, chaque fois qu’une épreuve déjà traitée nous était distribuée nous nous vantions à haute voix devant les surveillants qui ont dû rendre compte. Lorsque l’Inspecteur d’Académie reçut le rapport à ce sujet, en rapport avec ses chefs à Dakar et Paris, il fut décidé de maintenir aux candidats de Pita le certificat d’Études pour ceux qui étaient admis, d’annuler leurs épreuves pour le concours d’entrée en 6e et de radier le directeur du corps des enseignants aussi bien dans l’ensemble des colonies qu’en Métropole. C’était en juin 1949 ; il fallait par conséquent que je redouble. Pour ce faire je retournais à Labé où une classe spéciale venait d’être ouverte pour accueillir les détenteurs du CEP qui n’avaient pas réussi au concours des bourses. À la fin de l’année scolaire en 1950, je fus déclaré admis au Collège Classique de Conakry. Je terminais ainsi une étape de ma vie et entamais une autre. C’est la fin de mes déplacements incessants au gré du hasard. C’est le lieu d’exprimer mes remerciements et toute ma reconnaissance à mes tantes maternelles Hadja Assi Sow et Dalanda Sow, ainsi que à mon oncle maternel Aguibou Sow qui ont accepté de me recueillir, ont pris soin de moi et m’ont soutenu durant mes étapes de Sannoun, Yembering et Pita. Mes remerciements et ma profonde reconnaissance vont aussi à ma tante paternelle Yayein Djeinabou Dara, sœur de mon père et mère entre autres d’El hadj Saifoulaye Diallo, vaillant compagnon de Sékou Touré pour l’indépendance de la Guinée. Ma tante était une femme de Dieu ; une fois sur deux lorsque vous entriez dans sa case elle était en train d’égrainer son chapelet ou de prier ; sa maison était une grande case démunie de tout mobilier significatif, où se donnaient rendez-vous tous les fous, les malades, les démunis de Labé au moment du repas et était devenue une cantine gratuite de tous les miséreux de la ville. Étant donné le nombre des pensionnaires, le manger était tout juste passable et cela constituait une préoccupation pour ma tante qui se désolait pour mon alimentation. Le spectacle des pauvres qui s’alimentaient goulument, la gentillesse de ma tante, son sourire, sa disponibilité et les bénédictions qu’elle me dispensait chaque matin me 25

confortaient à tel point que je trouvais le manger acceptable, surtout que très souvent elle gardait pour moi les bons petits plats qu’on lui envoyait d’un peu partout. Sans la patience des uns et des autres, sans leur soutien matériel et moral, sans leurs encouragements constants, je n’aurais pas fait le chemin que j’ai parcouru par la suite. Le Collège Classique où je poursuivais mes études fut transféré en 1955 à Donka où se trouvait déjà le Collège Moderne. C’est de là que je suis parti continuer mes études au Lycée Marceau de Chartres en France grâce à mes deux frères ainés Koto Kolon et Koto Abass qui ont décidé de me payer une année d’internat en France en prenant le pari qu’étant donné mes résultats scolaires, je bénéficierai d’une bourse du territoire dès la 2e année de séjour en France ; c’est ce qui se produisit. Le geste de mes frères m’a ouvert un nouvel horizon, je leur dois beaucoup et je leur resterai éternellement reconnaissant pour leur courage, car il faut du courage pour donner, pour leur altruisme et la solidarité dont ils ont fait preuve à mon endroit, puisse Dieu les accueillir au paradis et donner la baraka à leur progéniture. Après le baccalauréat, je m’inscrivis à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris Panthéon, puis un peu plus tard à l’Institut d’Études politiques de Paris, couramment appelé Sciences Po. J’en sortis muni du Diplôme de Sciences Pô, venu s’ajouter à la Licence en droit et au Diplôme d’Études supérieures en Sciences économiques obtenus à la Fac de Droit. Contrairement à mes prévisions je décidais brusquement de rentrer en Guinée en 1965 à la demande insistante de ma mère qui avait besoin de soutien, elle qui avait toujours vécu dans les cours des chefs de canton, dans l’aisance et le confort et qui se retrouvait à présent âgée, malade et sans ressource. Je décidai en conséquence d’abandonner mes études et de rentrer au pays. Parcours professionnel Cette rubrique professionnelle contrairement à celles consacrées à ma naissance et à ma formation sera diluée tout naturellement dans les développements consacrés aux gouvernances successives que connaitra la Guinée et dans lesquelles elle va s’impliquer intimement. Je décidais par conséquent d’abandonner les études et de rentrer au pays pour me lancer dans la vie active comme fonctionnaire, l’État étant l’employeur presque exclusif. Après un certain ballotage lié à mon affectation initiale comme professeur d’économie à l’université de Kankan et à mes démarches pour servir plutôt dans le secteur productif, j’ai été 26

finalement intégré dans le corps des Administrateurs civils et mis à la disposition du Ministère du Développement économique dirigé par le tout puissant ministre Ismaël Touré qui m’affectera au BRES (Bureau de Recherches économiques et statistiques). À partir du BRES ma vie professionnelle va se dérouler selon le parcours suivant : - Usine de Sciage et Contreplaqués de N’Zérékoré - Usine des Carreaux de Conakry - Usine de Fria - Commissariat général de la Révolution de Conakry - Office de Bauxite de Kindia - Association Internationale de la Bauxite en Jamaïque - Ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement - Ambassade de Guinée au Japon - Ambassade de Guinée à Washington - Compagnie Alcoa Elle cheminera de ce fait le long des régimes du Président Sékou Touré, du Président Lansana Conté et du Président Alpha Conté que nous passerons en revue au fur et à mesure de leur avènement et de leurs mandatures en commençant par celui du Président Sékou Touré.

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PREMIÈRE PARTIE SOUS SÉKOU TOURÉ

CHAPITRE 1 : Qui est Sékou Touré ? Avant de parler de Sékou Touré rappelons que la République de Guinée fut proclamée le 2 octobre 1958 après son vote du Non au référendum organisé le 28 Septembre de la même année par le Général de Gaule et que son Président fut Ahmed Sékou Touré, le Viceprésident du Conseil du Territoire de la Guinée Française. Revenons à présent à l’homme qui fut le premier Président de la Guinée, à celui qui a sans doute marqué le plus ce pays dont l’héritage continue après 32 ans, à nourrir les débats les plus passionnés. Qui étaitil ? Comment l’ai-je connu ? Quels ont été nos rapports ? Quelle a été sa politique ? Quel a été l’impact de sa politique sur le devenir de la Guinée ? La Première Partie du Livre est consacrée à la réponse à ces questions. Ahmed Sékou Touré est né en janvier 1922 à Faranah où il entre à l’école primaire à l’âge de 8 ans. Il termine le cycle primaire à l’école régionale de Kissidougou après avoir décroché le Certificat d’Études primaires (CEP) en 1936. Au lieu d’être orienté à l’école Primaire secondaire (EPS) à l’instar de tous les futurs cadres locaux, il est envoyé à l’École Professionnelle Georges Poiret qui formait les ouvriers. Cette décision qu’il contesta amèrement le marqua profondément. Il sera d’ailleurs licencié de cette école en 1938 suite à la tentative d’organiser une grève de la faim. Il décida alors de se former par luimême en prenant des cours de l’Ecole Universelle, puis en suivant des cours du soir et en lisant tous les livres qui lui tombaient sous la main. Il sera d’abord embauché à la Compagnie du Niger français, puis à la Poste en 1941 où il se lança dans les luttes syndicales. Le 18 mars 1945, il créa le syndicat des PTT qu’il affilia à la CGT française. Il démissionna de la Poste après son admission au concours des cadres du Trésor en 1948. Néanmoins ses activités syndicales continuèrent et il devint le principal animateur de la grande grève de 72 jours portant sur l’application du Code de travail et notamment la semaine de 40 heures dans les colonies. Déclenchée le 21 septembre 1953 au niveau de toute l’AOF, elle s’arrêta partout au bout d’une dizaine de jours, sauf en 31

Guinée où elle continua jusqu’au 25 novembre et se termina par la signature d’un Accord. Sékou Touré en tira une grande popularité partout en Afrique. Parallèlement à ses activités syndicales, il s’impliqua activement en politique. Il participa le 18 octobre 1946 à la fondation du Rassemblement démocratique africain (RDA) à Bamako et le 14 mai 1947 à celle du Parti démocratique de Guinée (PDG), section guinéenne du RDA. En 1953 il fut élu Conseiller de Beyla ; en 1956 il fut élu Député à l’Assemblée nationale française et remporta par ailleurs largement les élections municipales locales. En application de la Loi Cadre Defferre conférant l’autonomie interne aux colonies par l’institution du Conseil Territorial qui va diriger de fait la Guinée, Il va abandonner le siège de conseiller de Beyla pour se faire élire à Conakry au compte du Conseil Territorial le 31Mars 1957. Le 5 mai de la même année le Conseil l’élit au poste de Viceprésident du Conseil de gouvernement de la Guinée française. C’est en cette qualité qu’il va conduire la Guinée à l’indépendance. Il devient le 2 octobre 1958 le premier président de la Guinée indépendante et demeurera à la tête du pays jusqu’à son décès, sur la table d’opération dans une clinique de Cleveland aux États-Unis d’Amérique le 26 mars 1984.

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CHAPITRE 2 : Mes rapports avec le Président Ahmed Sékou Touré

1. PREMIERS CONTACTS AVEC AHMED SÉKOU TOURÉ J’ai vu Sékou Touré en personne pour la première fois en 1953 à la maison de passage des commandants de cercle en mission à Conakry, maison qui était située quelque part entre la Présidence de la République et l’actuel siège de l’État-major de la Gendarmerie. J’étais élève au collège classique à quelque deux cents mètres de là. J’étais venu ce jourlà pour demander au commandant de Gaoual de bien vouloir m’offrir sur son chemin de retour une place dans sa voiture de commandement pour que je puisse aller en vacances chez mon frère qui était commis expéditionnaire auprès de lui. C’est en sortant de mon entrevue avec le commandant que j’ai vu un monsieur bien bâti, d’allure élégante à moto, arriver et demander si le commandant était présent. Le chauffeur du commandant m’a expliqué alors que c’était lui Sékou Touré dont j’avais bien sûr entendu parler. Il m’a paru simple, courtois et sûr de lui. La deuxième rencontre eut lieu en 1960, il est déjà président et ses photos avaient envahi les journaux du monde entier. J’étais quant à moi étudiant en France, venu passer mes vacances en Guinée. Un matin j’avais accompagné un ami chez M. Ben Daouda Touré alors chef du protocole de la présidence. Nous étions dans son bureau discutant allègrement lorsque la porte s’ouvrit brusquement laissant entrer le président venu demander à son collaborateur un document. Après nous avoir salués, il nous demanda de rester assis, il récupéra ledit document et sortit. Encore une fois, j’ai été frappé par sa simplicité et sa courtoisie de même que son élégance. À chacune de ces occasions, en dehors des salutations d’usage il n’y avait ni échanges ni discussions entre nous. Cela allait avoir lieu beaucoup plus tard.

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2. PREMIER ENTRETIEN AVEC AHMED SÉKOU TOURÉ Mon premier entretien direct avec le président Ahmed Sékou Touré a eu lieu en mai 1975 à la suite d’une grève sauvage survenue à l’usine de Friguia. i-

Contexte dans lequel s’est déroulé cet entretien

Avant d’aborder l’entretien proprement dit il est nécessaire de consacrer un développement suffisamment instructif sur l’histoire de l’usine de Friguia où j’ai passé quelque sept ans de ma vie, une usine symbole du gâchis que le gouvernement du PDG a causé dans certains secteurs de la vie nationale, sur l’impact de la révolution sur Friguia et la ville de Fria, sur les changements juridiques de l’usine, sur un nouveau coup d’accélérateur de la révolution intervenu en guinée et sur la grève sauvage intervenue à Friguia et qui sera au centre des entretiens prévus avec le Président. a- Ma position à Friguia Au moment des faits, j’occupais la fonction de Sous-Directeur administratif, responsable des services de l’administration, de la santé, des cités, de la formation, de la comptabilité et des transports. Avec mes collègues directeurs de la production et des services de l’entretien nous formions, sous la supervision du directeur de l’usine, le collège de direction, placé sous l’autorité d’un Administrateur délégué localisé à Paris, assisté d’un Secrétaire général et dépendant directement du Conseil d’Administration. Je suis arrivé à Fria suite à une lettre de détachement du gouvernement en date du 1er mars 1968, à la demande de la Compagnie Fria comme je le mentionnerai plus tard. Après une visite détaillée de tous les services de l’usine, je fus envoyé dès le mois d’avril en France pour une formation spécialisée en gestion et un stage en usine. Je restai d’abord à Paris où je suivis une formation rapide de 4 semaines devant être complétée après le stage en usine pour lequel je partis pour l’usine de Pechiney de Saint-Jean-de-Maurienne où je devais pendant 8 semaines suivre un stage d’ouvrier, d’agent de maitrise, de contre maitre et de chef de service. Les évènements de mai 1968 vont décider autrement, du fait de la grève qui paralysait une bonne partie de la France, je suis revenu à Paris continuer ma formation et suivre une série des séminaires avant de revenir à Fria prendre fonction en qualité de Chef du personnel, poste que je vais occuper jusqu’en 1971 quand j’ai été nommé Sous-directeur administratif en 34

remplacement de Émile Kantara qui avait été arrêté suite à la vague d’arrestations qui avaient suivi l’agression du 22 novembre1970. b- Brève histoire de Friguia L’usine de Fria est née de la Convention de base de 75 ans de durée signée sous la Loi Cadre le 5 février 1958 entre la France et un collectif d’investisseurs comprenant des Français, des Britanniques, des Américains, des Allemands et des Suisses en vue de réaliser un complexe industriel dénommé Fria/Konkouré entrant dans la stratégie de la France visant à délocaliser son industrie aéronautique hors d’Europe. Selon Ibrahima Soumah dans son livre intitulé « Avenir de l’industrie minière en Guinée » page 84 le projet initial demandait un investissement de 200 milliards de francs CFA (400 M$) pour la réalisation de : - 6.000.000T/an de bauxite - 1.500.000T/an d’alumine - 200.000T/an d’aluminium - Un barrage et une centrale de 700 MW - Un chemin de fer de 150 km - Un port spécialisé - Une route de 160 km - 50 ouvrages dont 5 ponts de 200 m sur l’immense fleuve Konkouré - Une cité moderne pour 20.000 h avec des buildings de 10 étages La 1ère tranche du projet à savoir l’usine d’alumine de 80.000 T a été mise en service le 1er janvier 1960. Suite à l’indépendance de la Guinée la phase aluminium, accompagnée du barrage hydraulique et de la centrale n’ont pas vu le jour. Malgré cette amputation du projet initial l’usine de Fria s’est avérée être très importante pour la Guinée qui allait abriter ainsi la 1ère usine d’alumine en terre africaine, une usine qui emploie 1000 travailleurs directs et 1000 autres à travers des coopératives de sous-traitants, qui étaient fiers de vivre dans une belle ville parcourue par des rues goudronnées et propres et pourvue d’eau courante et d’électricité 24/24h, d’un hôpital bien équipé et performant. Les Guinéens l’appelaient affectueusement « petit Paris ». Malgré cette importance Fria va enregistrer très vite les premières escarmouches avec le gouvernement de la Guinée indépendante. En effet dès le 20 juin 1959 son directeur général et son directeur administratif vont être expulsés de la Guinée suite à des conflits sociaux 35

répétitifs. Cette guéguerre va continuer de plus belle et nourrir des tensions à l’usine. c- L’ombre de la révolution sur Friguia Les crises seront néanmoins contenues autant bien que mal jusqu’à ce que le bateau de la révolution s’affole, suite à l’agression du 22 novembre 1970, aux arrestations qui allaient suivre et au coup d’accélérateur de la révolution. Une vague d’arrestations s’abattit sur Fria après des dénonciations faites à la radio par les premiers arrêtés. On procéda à l’arrestation pêle-mêle des cadres y compris le Secrétaire général de la compagnie, des contremaitres, des ouvriers, des africains, qui à leur tour dénoncèrent d’autres travailleurs, parmi lesquels des cadres expatriés dont l’Administrateur délégué. Ce dernier étant absent de la Guinée, l’attention va porter surtout sur le Directeur technique qui lui était sur place et assurait l’intérim du directeur de l’usine parti en congé en France ; après sa dénonciation il pouvait être arrêté à tout instant. La bourrasque répétitive qui s’abattait sur Fria était telle qu’elle n’a même pas épargné en dehors de l’usine, le Gouverneur de la ville et le Secrétaire fédéral du parti unique. Apparemment cette action rentrait dans le cadre de la déstabilisation de la compagnie dont le gouvernement voulait s’assurer le contrôle. En accompagnement de ces arrestations, il a fallu compter avec les rumeurs, les intimidations, l’hostilité des représentants de l’État, les menaces de tous ordres et surtout la torture morale. Je me souviendrai toujours de l’image de ce Directeur technique du nom Raimbaud. Il était l’exemple même de l’ingénieur compétent et très dur, du chef respecté à la démarche assurée. Il avait été dénoncé, mais n’avait encore fait l’objet d’aucune arrestation. En quelques jours il avait fondu à vue d’œil, son allure était cassée et il était à présent vouté et semblait même avoir pris de l’âge ; il marchait la tête basse, rasant les murs et évitant les regards. Cette torture morale, il la partageait avec une autre expatriée, une infirmière du nom de mademoiselle Lepage, personne effacée qui elle n’avait pas été dénoncée, mais demeurait apparemment sous la menace malgré son projet d’aller en France pour passer ses congés annuels avec ses parents et ses amis : elle avait même fixé la date de son départ. Hélas ! son dossier de demande d’autorisation de sortie du territoire était bloqué sans explication au niveau des services de l’immigration et toutes les démarches de relance s’étaient avérées vaines. Pour tout le monde y compris elle-même, ce blocage ne pouvait s’expliquer que par l’imminence de son arrestation. Comme 36

M. Raimbaud elle n’avait plus d’appétit, elle dormait mal et se trouvait dans une anxiété permanente. Pour comprendre cette anxiété mortifère, cette peur panique, il faut rappeler le fantasme qui entourait le camp Boiro, lieu de détention des « ennemis » de la révolution. C’était un lieu qui associait la torture abjecte, l’humiliation, la diète noire et toutes les maltraitances imaginables pour broyer l’homme et le réduire en loque humaine lorsqu’il n’était pas simplement assassiné. La peur d’y aller affolait toute personne encore en liberté. Il aura fallu des mois et le miracle pour que ces deux malheureux sortent des griffes de la révolution et bénéficient d’une expulsion salvatrice vers la France. C’est dans cette ambiance qu’une nuit vers 2 h du matin on frappa avec force à ma porte ; ma mère qui se trouvait en visite chez moi se leva la première et se dirigea vers la porte. En regardant à travers la baie vitrée accolée à la porte, elle s’écroula au moment où j’arrivai sur la scène en disant « ils sont venus cueillir mon petit ». Je regardai à mon tour et je vis deux personnes dont l’une portait l’uniforme d’officier de la gendarmerie. Je compris qu’effectivement on venait m’arrêter. C’est tout tremblant que j’ouvris la porte, prêt à supplier mes visiteurs de me permettre de retourner dans ma chambre pour prendre un pantalon et une chemise et avaler une poignée de sel ayant appris que le sel permettait de supporter mieux la soif qui accompagnait la diète noire censée accueillir les nouveaux prisonniers. Quel ne fut pas ma sidération lorsque je découvris devant moi mon bel oncle capitaine de gendarmerie, accompagné du Secrétaire fédéral de Fria tous deux souriants tout en s’excusant d’être venus si tard. Mon bel oncle venu rendre visite à sa nièce, ma femme qui venait tout juste de mettre au monde un garçon, ne pouvait pas se permettre de venir à Fria sans s’acquitter de ce devoir familial malgré l’heure tardive. C’est seulement en voyant ma mère gisant par terre qu’il réalisa l’ampleur de la faute qu’il venait de commettre en rendant cette visite nocturne habillée en tenue de gendarme alors que chaque cadre s’attendait à être arrêté. Il se fondit en excuses, mais le mal était fait. Ma mère mit plusieurs jours avant de récupérer de ce choc. d- Les pendus du 25 janvier 1971 Les affres de la population de Fria n’allaient pas en rester là ; un matin de janvier 1971, précisément le 25, une rumeur envahit toute la ville de Fria selon laquelle un homme était pendu sur la place publique. Effectivement, un cadavre entièrement nu était là pendu haut et court au bout d’une corde attachée à un poteau devant une foule 37

impressionnante ; la section du PDG, parti au pouvoir avait eu l’idée choquante d’organiser une danse folklorique autour de la potence. On a vu même une femme responsable politique très connue de Fria, se saisir d’un long bâton pour agiter le sexe du supplicié. Le pendu faisait partie des agresseurs du 22 novembre 1970 ou bien des personnes supposées telles et qui avaient été arrêtées et réparties dans toutes les Préfectures de Guinée pour être pendues. Ce spectacle d’un autre âge atteignit profondément les travailleurs de l’usine et toute la population de Fria. Le moral de tout un chacun était au talon. La peur, le découragement, l’impuissance et le dégout s’installèrent dans toutes les familles et la psychose saisit atrocement toute la ville. Au même moment, il y avait un ou deux pendus dans chaque chef-lieu de préfecture et huit anciens responsables dont des ministres à Conakry, en tout une centaine de personnes furent pendues sur toute l’étendue du territoire. e- Transformation du statut de Fria Devant cette situation les actionnaires de la compagnie Fria tirèrent la conclusion qu’il fallait peut-être associer le gouvernement au fonctionnement de l’usine pour calmer le jeu et ramener le calme et la sérénité. Cette fausse bonne idée des partenaires rencontrait naturellement les souhaits du Gouvernement qui cherchait à contrôler ce « nid d’espions » où l’impérialisme continuait à exercer son influence, où une colonie d’expatriés continuait à vivre, où les salaires élevés y compris des Guinéens et le mode de vie constituaient des exceptions qui dérangeaient la révolution. Il était tout simplement inacceptable de maintenir cet ilot de prospérité au milieu de la misère ambiante. C’est ainsi que des négociations furent entamées et qu’il fut décidé le 19 février 1973 de transformer la Compagnie privée Fria en société d’économie mixte dénommée Société Friguia. Dans cette nouvelle organisation le gouvernement détient 49 % des actions et les partenaires privés 51 % ; le ministre guinéen en charge des mines devient le président du conseil d’administration de la Société, un cadre guinéen du nom de Abdourahmane Bah est désigné comme Directeur général Adjoint de la Société et Cherif Mamadou directeur de l’usine. Le calcul des investisseurs allait cependant s’avérer complètement faux, car, non seulement la tension et les incertitudes n’ont pas baissé, mais aussi et surtout des profondes contradictions entre partenaires sont apparues et se sont amplifiées en revêtant quelques fois des aspects politiques. 38

Désormais en matière de gestion les considérations politiques prennent souvent le pas sur celles de l’efficacité et de la bonne gestion. C’est par exemple que très rapidement la décision d’intégrer l’ensemble du personnel des entreprises extérieures fut prise sous le prétexte que tous ceux qui concourent à la marche de l’usine devraient être sur un même pied d’égalité au point de vue traitement et conditions de travail, alors que partout dans le monde il existe à côté de chaque grande entreprise moderne sensée se concentrer sur son cœur de métier, des sous-traitants qui effectuent les travaux secondaires. Le résultat de cette décision malencontreuse a été la multiplication par 2 des effectifs et de certains postes liés aux dépenses du personnel et de ce fait un impact négatif sur le prix de revient de l’alumine produite. L’absurdité de la décision sera illustrée par le fait qu’il a fallu sans tarder reconstituer les effectifs des entreprises extérieures, les travailleurs qui venaient d’être intégrés ayant refusé d’effectuer en leur qualité d’agent de l’entreprise, les tâches qu’ils ont toujours exécutées jusqu’à ce jour. Par ailleurs, alors qu’auparavent l’embauche suivait des règles et procédures précises, y compris des entretiens psychologiques, désormais un flou total entoure le processus. Enfin, l’Etat va progressivement refiler à l’entreprise Friguia la majeure partie de ses obligations envers les citoyens de la ville Fria, fourniture d’eau et d’électricité, les services de la tenue de la voirie, ce qui naturellement se traduisit par d’autres surcouts et un nouveau bond du prix de revient. Cette ambiance malsaine continuera comme on le verra plus tard, à plomber le bon fonctionnement de l’usine et à décourager les partenaires de la Guinée. Le décalage entre le prix de revient et le prix panier auquel l’alumine est vendue aux partenaires persista malgré les palliatifs, les faux fuyants et les discours. Ce dérapage en matière de gestion et d’objectifs, accompagné des mesures révolutionnaires successives se traduiront en crise profonde qui continuera au-delà de la Première République et ne se terminera que par l’Accord de cession du 12 octobre 1998 qui marquera le retrait des partenaires de la guinée de la co-entreprise contre payement d’un Franc symbolique pour la cession de leurs parts à la guinée. Ce fut l’épilogue d’un échec annoncé. f-

Intensification de la révolution et ses conséquences

Le 16 février 1975, la Charte de la Révolution fut adoptée ; elle radicalisa la lutte contre le commerce privé, ordonna la fermeture de toutes les frontières, créa les brigades attelées de production (BAP) et les brigades motorisées de production (BMP), décréta la fermeture des 39

deux universités existant en Guinée et l’envoi des étudiants dans les campagnes. Tous les marchés, dans les villes comme dans les campagnes furent fermés, c’est ce qu’on appela Cheytan 75 qui assimilait toute personne animée par le gain, toute personne douteuse à un ennemi, un traitre, d’où le nom de Cheytan symbole du mal à l’état pur dans la religion musulmane et correspondant à Satan chez les chrétiens. Tous les Guinéens se sentent surveillés et épiés, ils évitent d’attirer l’attention sur eux. La campagne de Cheytan 75 a dépassé tout entendement, en soumettant tout un peuple à une diète programmée, sans aucune raison valable. En effet comment peut-on expliquer la fermeture de tous les marchés, l’interdiction de toute vente, même à la sauvette, alors que de nombreuses personnes ne sont pas dans les conditions de produire pour assurer leur propre alimentation. Je me rappelle avoir voyagé à l’époque, entre Fria et Labé distante de 500 kilomètres pour présenter mes condoléances suite au décès d’un de mes oncles maternels. Le long de la route, je n’ai vu personne qui vendait un poulet, une galette, un manioc, une patate ; arrivé à Labé, ma mère était très embarrassée et se demandait comment faire pour me trouver à manger. Elle avait un peu de riz, mais n’avait pas les condiments nécessaires pour préparer une sauce mangeable ; à midi elle avait dû préparer un breuvage qui était tout sauf une sauce et qui était composé de farine, de feuilles et du sel, sans viande ni poisson ; elle avait de l’argent, mais ne pouvait pas trouver de vendeur même pour des condiments les plus basiques. Le peu de condiments dont elle disposait lui, avaient été apportés de nuit, clandestinement par des sombres intermédiaires. Pourquoi transformer son peuple en cobaye au service d’une idéologie brumeuse tout droit venue des Khmers rouges. Ces mesures affectaient sérieusement la vie de tout un chacun. Il est à se demander dans ces conditions qui était Cheytan, étaient-ce ces malheureuses populations soumises à un martyre injustifié ou bien le gouvernement et le PDG qui leur imposaient de telles mesures inhumaines ? g-Une grève sauvage à Fria C’est dans cette ambiance que le 9 mai 1975 une grève étonnante éclata à Friguia pour revendiquer le réajustement des prix de l’économat. Est-il possible qu’une grève sans préavis, sans aucune fuite dans une ville aux mille rumeurs, une ville strictement quadrillée et surtout dans une atmosphère chauffée à blanc par une ambiance révolutionnaire qui avait poussé chaque Guinéen à se replier sur lui40

même, ait pu être organisée sans être connue des services de sécurité ? Est-il pensable que cette grève qui était un véritable défi au gouvernement ait pu être déclenchée et observée sans connaissance de ce gouvernement. Ne pourrait-on pas raisonnablement penser à une instrumentalisation de quelques leaders syndicalistes afin de déclencher une grève dans le but de régler quelques problèmes de la révolution ? En tout état de cause, après son déclenchement, au bout de quelques heures seulement une délégation du PDG débarqua à Fria pour tenir un meeting populaire ; le chef de délégation prit la parole pour dire entre autres que les contre-révolutionnaires tapis dans l’usine dont ils veulent saboter le bon fonctionnement, subiront les foudres de la révolution ; ils doivent être démasqués, arrêtés et remis aux autorités ; il lança un appel à tous les révolutionnaires pour qu’ils redoublent de vigilance et aiguisent leurs armes ; il réaffirma avec force que la révolution vaincra. Sur place il destitua le bureau du CUP (le syndicat) en exercice et mit en place un nouveau bureau, il ordonna l’arrestation des membres du bureau destitué qui seront transférés le soir même au sinistre camp Boiro. En quittant Fria, il laissa sur place une cohorte de policiers chargés de mener des enquêtes pour démasquer les commanditaires de la grève. Les enquêteurs après 10 jours passés à tourner en rond rentrèrent à Conakry tout penauds de n’avoir trouvé aucun commanditaire. Comme conséquences administratives de la grève, une centaine des membres du personnel, y compris des cadres supérieurs vont être retirés des effectifs de Friguia et ventilés à travers toute la Guinée. Chose étonnante, même le Secrétaire fédéral du PDG, à cause peut-être de son statut d’ancien employé de l’usine faisait partie de la vague des « déportés », il est envoyé en qualité de Secrétaire Général de la région de Boffa. Par Décret No 204 en date du 19 mai 1975 du Président Ahmed Sékou Touré, feu Yves Guichard, directeur de Friguia-Base à Conakry, et l’auteur de ce livre, alors Sous-directeur administratif de l’usine, sont nommés respectivement Directeurs de Cabinet des CGR (Commissariat général de la Révolution) de Boké et de Conakry. La coutume voulait à l’époque que dès qu’il vous arrivait un bonheur ou un malheur politique, vous alliez présenter vos respects au Responsable suprême de la Révolution pour le remercier de vous avoir nommé à un poste ou bien pour vous avoir libéré de prison. Pour ne pas déroger à la règle, dès que le Décret fut publié, mon ami Guichard obtint pour nous un rendez-vous auprès du Président. De tout blanc vêtu, trois

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jours après notre nomination, nous nous sommes donc rendus à la présidence de la république, c’était un après-midi. 3. L’ENTRETIEN PROPREMENT DIT Lorsque le gendarme de service nous annonça et que l’ordre lui fut donné de nous faire rentrer, il nous conduisit au bureau du Président qui était situé au premier étage. Le président, imperturbablement plongé dans un dossier, ne leva même pas ses yeux pour nous regarder ; nous restâmes donc debout, figés devant lui pendant 1 ou 2 minutes, un temps qui nous a semblé une éternité. Enfin il daigna poser son regard sur nous et nous invita à nous assoir. Il se mit alors à nous dévisager avec insistance ; c’est après qu’il demanda d’une voix autoritaire, oui, c’est quoi ? Yves Guichard me demanda de parler en notre nom. J’ai débité le discours suivant : Camarade responsable de la Révolution, nous sommes venus vous remercier très sincèrement de nous avoir accordé votre confiance en nous nommant Directeurs de Cabinet aux CGR de Boké et de Conakry. Il interrompit brusquement mon laïus en demandant si nous étions venus nous moquer de lui, alors qu’il vient de mettre fin à une série d’avantages dont nous bénéficions jusque-là, villas cossues entièrement meublées, voitures de service, gros salaires. Il poursuivit en nous posant des questions sur le montant de nos salaires mensuels, sur les autres avantages tels que : eau et électricité gratuites, primes de fin d’année, primes de productivité, etc. Après une véritable séance de questions/réponses dont la conclusion indiquait clairement que notre promotion administrative comportait pour nous plus d’inconvénients que d’avantages, j’ai repris la parole pour dire en substance : « oui camarade Responsable Suprême de la Révolution, vous avez sans doute raison, en venant dans la fonction publique nous perdons beaucoup d’avantages matériels, mais nous aurions pu perdre beaucoup plus ; après la grève, bien que nous n’ayons rien à voir dans ce mouvement, vous auriez pu nous faire arrêter et envoyer au camp Boiro, vous auriez pu aussi nous affecter à Koundara ou à N’Zérekoré dans des postes subalternes comme nos autres camarades mutés. Vous avez décidé de nous donner des postes de responsabilité, vous avez tenu à nous honorer et à préserver notre dignité ; nous vous en sommes reconnaissants et nous vous en remercions sincèrement. »

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Apparemment satisfait ou bien flatté par mes explications, il nous gratifia d’un sourire radieux et s’élança alors dans une longue explication en disant notamment ce qui suit : « la grève de Friguia est une grève sans préavis et qui a, apparemment été préparée par les cadres de l’usine. En effet des tracts ont été saisis, ils contiennent des courbes montrant qu’au fur et à mesure que la production augmentait, les conditions matérielles des travailleurs baissaient. Il fallait étouffer rapidement dans l’œuf ce complot contre notre peuple. C’est pour cela que j’y ai envoyé la crème de la police pour diligenter l’enquête ; malheureusement, après 10 jours d’investigations ils sont rentrés bredouilles sans explication claire et convaincante du processus qui avait conduit à la grève. Et comme il était hors de question que la révolution abdique ses responsabilités et laisse l’initiative à la contrerévolution, j’ai dû convoquer immédiatement une réunion du Comité central du parti. Après avoir expliqué ce qui s’est passé, je leur ai dit que j’avais avec moi des centaines des lettres anonymes ou en provenance des services de renseignements sur Fria ; je leur ai proposé de constituer une commission de travail chargée d’exploiter ce courrier et de constituer une liste exhaustive de toutes les personnes dont le nom reviendrait trois fois et plus dans les lettres, cette liste serait alors examinée par le Comité central pour décider de ce qu’il faut faire. À l’examen de cette liste on a réalisé que vos noms et notamment celui de Rafiou étaient revenus des dizaines fois dans les correspondances et rapports, j’ai donc proposé qu’on vous enlève tous deux de l’usine et qu’on vous ventile à travers la Guinée. Cependant certains membres du Comité central ont plaidé votre cause à tous les deux en expliquant que vous êtes des cadres brillants et honnêtes qui ne semblent pas être mêlés à des combines politiques, qu’il fallait que la révolution vous récupère et mise sur vous. J’ai accepté et c’est ainsi que j’ai pris un décret pour nommer l’un directeur de cabinet au CGR de Conakry et l’autre à Boké. À présent que vous êtes devant moi, je dois vous expliquer pourquoi ? On accuse Rafiou de tous les maux, il serait contre la révolution, il serait de mèche avec les ennemis de la révolution à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur de la Guinée, un homme très proche des expatriés. Quant à Yves il serait l’homme des blancs, hautain, très loin des travailleurs et imperméable aux idées de la révolution. Face à cette situation, j’ai décidé de vous donner une chance. Je vous ai nommés à des postes de responsabilité pour que vous soyez totalement visibles et que le peuple puisse tout le temps savoir ce que vous faites ; en plus de cela j’aurai personnellement 43

un œil sur Rafiou à Conakry et Kabassan se chargera d’Yves à Boké. À vous de jouer la balle est dans votre camp. Lorsque l’observation sera terminée, je vous reverrai ». Je dois avouer que je fus profondément choqué par ce discours, son cynisme et sa férocité qui s’adressant à des personnes innocentes, leur annonce qu’elles sont désormais sous surveillance et qu’au terme de cette filature elles pourraient être envoyées à la mort ; tous les Guinéens se savaient surveillés, avec à la clé la menace de Boiro, mais que cette confirmation vienne de la bouche du Responsable de la Révolution, cela m’a tout simplement sidéré et atterré ; je fus aussi dérangé par l’aspect théâtral de l’exposé, car je ne comprenais pas que le Président ait pu prendre tout son temps pour relater dans le détail les péripéties montées de toutes pièces à des petits fonctionnaires sur lesquels il avait droit de vie et de mort. Ce discours était-il destiné à soulager sa conscience ou à se convaincre de la pertinence du montage odieux de la grève ? Je ne le saurai jamais. C’est dans ces conditions que nous nous sommes retirés de l’entretien, effarés et incertains sur notre avenir. De là nous nous sommes rendus à Fria-Base, dans le bureau d’Yves pour tirer les premières leçons de notre entrevue avec le Président. 4. LES MOTIVATIONS RÉELLES DE LA GRÈVE Pour commencer nous avons estimé que cette grève est un montage pour pouvoir nettoyer de Friguia et de la ville de Fria toutes les personnes qui pourraient empêcher Cherif, le nouveau Directeur de l'Usine, de gérer correctement l’usine, toutes les personnes supposées hostiles au directeur de l’usine, soit pour leur indépendance d’esprit, soit pour des faits et gestes interprétés comme hostiles à lui, soit pour leur refus de suivre aveuglement et à la lettre un chef dont les liens avec le pouvoir étaient avérés, soit enfin des personnes mises en indexe par un petit groupe d’agitateurs politico-syndicalistes qui avaient accès à certains barons du régime et même au Président Sékou Touré. Il aurait été bien sûr possible de se débarrasser de tout ce petit monde par des affectations individuelles ou par petits groupes, mais cela aurait pris du temps, or la révolution ne peut pas attendre, quitte à utiliser un marteaupilon pour écraser une mouche. En 1975 quand tous les Guinéens craignaient d’être envoyés au camp Boiro, la grève était un crime tellement monstrueux que les sanctions y afférents apparaitraient mineures, même aux yeux des victimes. Les 44

stratèges du PDG n’ont jamais eu le souci de comparer le coût d’une opération à son résultat ; pour eux seul le succès immédiat, c’est-à-dire la volonté du Responsable Suprême de la Révolution comptait ; la grève nonobstant son coût humain et matériel avait l’avantage d’être une opération ponctuelle, nette et sans bavure. À la question de savoir pour quelles raisons réelles nos deux noms se sont retrouvées sur les listes évoquées par le Président, nous sommes parvenus à la conclusion que l’on en veut à Yves tout d’abord à cause de sa rigueur dans la gestion qui a fait de lui l’ennemi des chefs syndicalistes, auteurs des lettres anonymes qui passaient leur temps à demander des faveurs souvent injustifiées pour eux-mêmes et pour des travailleurs non méritants ; Cherif le directeur pour sa part ne voulait pas de lui, à cause d’une part de son indépendance d’esprit et de l’influence de sa famille où le Président avait été caché dès les premiers coups de feu lors de l’agression du 22 novembre ; ce n’est que plus tard qu’il sera transféré chez Mme Néné Gallé Bah à Dixinn un quartier plus discret ; on se rappellera aussi que pendant ce temps, son grand frère Guy, occupait une fonction importante dans les services de sécurité ; les chefs, mêmes proches du grand chef, n’aiment pas avoir de telles personnes comme collaborateurs. En ce qui me concerne, la situation était encore plus complexe, comme on le verra ci-après : À la veille du Conseil d’Administration appelé à transformer la compagnie Fria en société d’économie mixte, j’ai été convoqué par Jacques Marchandise un des hauts responsables de Pechiney en charge de l’usine venu visiter les installations de Kimbo. Il m’a confirmé que le lendemain devrait se tenir un Conseil qui va décider de l’avenir de la compagnie ; il a énuméré tous les changements attendus en matière de gouvernance de l’entreprise, notamment en ce qui concerne le poste de directeur de l’usine dont le titulaire doit être désigné par la partie B, c’est-à-dire les partenaires de la Guinée. Il me dit qu’il m’a justement appelé pour m’offrir ce poste. Il exposa alors de long en large pourquoi ce choix ; il évoqua mes performances depuis mon arrivée à Fria et le cheminement que j’ai suivi depuis lors ; il me rappela que l’Administrateur délégué avait dû déjà m’informer que dans le plan de carrière qui a été tracé pour moi il y est question de me retirer très rapidement de Fria pour me donner un complément de formation pour me verser ensuite dans le pool des cadres de Pechiney destinés à l’internationale. Après l’avoir remercié pour tous les éloges qu’il venait de faire à mon endroit, j’ai décliné l’offre non pas parce que je ne suis pas 45

intéressé, mais à cause des obstacles qu’une telle décision allait rencontrer et des conséquences sérieuses qu’elle pourrait engendrer pour moi ; je lui ai dit entre autres que selon des sources fiables le gouvernement aurait l’intention de proposer Mamadou Cherif pour ce poste, que Cherif est un beau-frère du Président Sékou Touré et que les choses étant ce qu’elles sont en Guinée, la volonté de ce dernier a toutes les chances de s’imposer bien que cette prérogative devait revenir aux partenaires de la Guinée et que surtout on risquerait de m’indexer comme l’homme des blancs dans l’usine ; j’ai insisté enfin pour terminer, sur le fait que Cherif est sorti de l’école des mines de Paris et qu’à ce titre il était plus qualifié que moi pour ce poste. Monsieur Marchandise a alors expliqué qu’ils ont passé en revue tous les aspects liés à ma candidature, que d’une part le nouveau projet de statut indique bien que c’est la partie B qui doit désigner le directeur de l’usine et non le gouvernement, que cette prérogative ne pourrait par conséquent pas être utilisée contre moi, il a d’autre part souligné qu’il est abusif de dire que les ingénieurs sont forcément les meilleurs pour diriger une usine. Il m’a rappelé que je suis aussi diplômé de Sciences Po, une école hautement appréciée en France et dans le monde et qui est renommée dans la formation des dirigeants du secteur public aussi bien que du privé. Il a ensuite indiqué que le directeur de l’usine est le chef d’une équipe qu’il dirige, qu’il anime, qu’il consulte avant de prendre une décision. Pour lui les qualités premières d’un directeur d’usine, c’est d’être simple, d’être à la portée de ses collègues sans arrogance, d’user de son expérience, de son leadership pour maintenir la cohésion du groupe c’est aussi de savoir écouter et prendre la décision la plus appropriée ; pour terminer, il souligne avec force que le directeur d’une usine appartenant à plusieurs partenaires doit être équilibré, juste et crédible. Il me rappelle enfin qu’il est lui-même issu de la Faculté et non d’une école d’ingénieurs, mais que cela n’a jamais été un handicap au sein de Pechiney. J’ai compris que mon sort était scellé, que les partenaires se méfiaient du caractère de Cherif qu’ils avaient étudié méticuleusement et que dans la nouvelle page de l’histoire de Friguia, ils voulaient que ce soit inscrit que Cherif n’était pas leur candidat et que si d’aventure les choses ne tournaient pas bien, leur responsabilité s’en trouverait dégagée. Après une bonne heure de discussions, il concéda que sans faire du forcing il allait quand même faire sa proposition. Ainsi dit, ainsi fait, mais dès que ma candidature a été annoncée au Conseil d’Administration et que les premières discussions ont été échangées, le 46

ministre Ismaël Touré qui présidait la séance a suspendu les débats et a convié Jacques Marchandise à une concertation. Cet épisode pourrait être confirmé par des cadres encore en vie qui ont participé à ce conseil d’administration. Il aurait alors prié son interlocuteur de ne pas faire échouer le Conseil, car la nomination de Cherif n’est pas négociable. Le Président Sékou Touré prendrait très mal une décision contraire. Dès qu’on m’a fait le compte-rendu du conseil, j’ai compris que mes jours à Friguia étaient comptés. Il était en effet impensable que Cherif et moi demeurions tous les deux à l’usine alors que j’avais été malgré moi le candidat malheureux de la partie B contre lui. Sous d’autres cieux, on aurait cherché un autre point de chute pour moi, mais en Guinée c’est plutôt la force et les coups fourrés qui allaient prévaloir. Les faits suivants devaient d’ailleurs rapidement me le confirmer : - Le premier fait a été la déclaration du nouveau directeur lors de la tenue de la première réunion des cadres, il a dit sans embages qu’il y a dans la salle des cadres avec lesquels il ne pourra pas travailler et que ces derniers devraient commencer déjà à faire leurs valises ; - Le 2e fait repose sur des copies des lettres adressées au chef de l’État par des agitateurs politico-syndicalistes, lettres dans lesquelles on traitait l’auteur de ce livre d’être un traitre à la révolution, le représentant du complot peulh à Fria et qui empêchait le directeur de jouer pleinement son rôle et dont le but est de le faire échouer. Ces lettres m’avaient été apportées par un agent du service SAG qui, en opérant la photocopieuse avait appuyé un bouton pour avoir une copie supplémentaire stockée dans la machine. Ces lettres contenaient aussi une liste d’indésirables qui devaient partir de l’usine aussi ; - Le 3ème fait m’a été rapporté par un ami qui se trouvait dans le bureau du Président Sékou Touré au moment où une délégation gouvernementale comprenant Cherif Mamadou faisait son compterendu de mission dans les pays arabes. À l’issue de l’entretien, le Président aurait demandé à Cherif comment ça va à l’usine ; ce dernier lui aurait répondu que tout va bien, sinon qu’un petit groupe de personnes l’empêcherait de travailler. Le Président lui aurait dit alors de lui communiquer la liste de ces personnes afin qu’il puisse les enlever immédiatement. Dès sa sortie de la Présidence l’ami en question m’a envoyé une commission me demandant de redoubler de vigilance et que probablement on allait chercher à éjecter de l’usine beaucoup de cadres. Tous ces témoignages indiquent clairement qu’il existait à l’usine des personnes dont on chercherait à se débarrasser. 47

Après cet échange sur la grève, nous sommes revenus sur les menaces qui pesaient désormais sur nous, des menaces directes, claires et explicites ; à tout instant nous pouvions être arrêtés et enfermés dans ce tristement célèbre camp Boiro, sur simple dénonciation ; tout incident à l’usine pourrait nous être imputé avec les conséquences que l’on imagine. Dans ces conditions, fallait-il rester sous une menace permanente ou fuir. Cependant la fuite n’était tout simplement pas possible, ni pour Yves Guichard ni pour moi, car nos épouses étaient encore jeunes et avaient des petits enfants avec elles ; les laisser et partir était difficilement envisageable et poserait de toute évidence des questions morales et de sécurité de taille, car elles risqueraient sans nul doute d’être arrêtées avec leurs enfants. De toute façon un départ dans l’immédiat pourrait être problématique étant donné que nous étions surveillés, aux dires même du Responsable suprême de la Révolution. Notre conclusion fut donc de rester pour le moment, de suivre la situation en réfléchissant à toutes les opportunités qui allaient s’offrir à nous. C’est dans cet état d’esprit que nous avons chacun rejoint son poste d’affectation. 5. EN POSTE AU CGR DE CONAKRY Le CGR (Commissariat Général de la Révolution) de Conakry était logé dans un immeuble à trois niveaux situé à Coronthie, en face de la Direction générale des Mines. Son personnel était constitué d’une trentaine de fonctionnaires. Sa mission était d’animer, de coordonner, de contrôler les 5 régions Administratives de Conakry, Coyah, Forécariah, Dubréka et Fria ; cette mission se superposait en partie avec celle du ministère du domaine de l’intérieur dont relèvent hiérarchiquement aussi bien le CGR que ces Régions. Le travail du CGR sera donc d’opérer au niveau de tous les services relevant d’une Région. Pour remplir cette mission, il dispose d’un cabinet constitué d’un chef de cabinet, d’un attaché de cabinet et d’un secrétariat. Il dispose par ailleurs d’un Directeur de cabinet coiffant les équipes d’inspecteurs des finances et des affaires administratives, de l’agriculture et de l’élevage, de l’enseignement, de la santé, de l’habitat et travaux publics. Ma mission consistait essentiellement à encadrer, animer et contrôler cette équipe de cadres hautement qualifiés et pétris d’expérience tels que El hadj Alkaly Touré, un vétéran des Finances, El hadj Batchily autre Inspecteur bien connu, Barry Ousmane qui avait fait ses armes 48

dans les sociétés commerciales, Pascal Condé, Lamine Diallo, Ingénieur des ponts et chaussées, etc. Le Commissaire général était Elhadj Doumbouya Bella très respecté et renommé dans les finances et la culture islamique. Il avait été ministre des Finances, gouverneur de région, ambassadeur. Cette collection des cadres de rêve dans un CGR qui tournait à vide m’a toujours suggéré l’image d’un bol très joli et savamment décoré, mais complètement vide. Le CGR était vide de contenu, car il se superposait avec d’autres entités hiérarchiquement supérieures ; ses moyens étaient nettement insuffisants, car il ne disposait que de 2 jeeps gaz Russes de service et d’une maigre dotation en carburant nettement insuffisante pour organiser régulièrement les missions. C’est dans ce cadre que j’allais évoluer pour les années à venir. El hadj Bella me faisait beaucoup confiance, c’est ainsi que lorsqu’on l’a chargé en conseil des ministres d’élaborer la nomenclature type du budget des CGR qui venaient d’être créés, il est venu me confier cette tâche de pionnier et il était sincèrement fier lorsque le projet a été adopté tel quel en conseil des ministres. Il m’amenait partout avec lui et un jour, il m’a demandé de venir avec lui à la réunion hebdomadaire du ministre du Domaine de l’intérieur avec les gouverneurs de notre zone géographique. À la fin de la réunion, le ministre du domaine Moussa Diakité lui demanda de rester ; il lui reprocha amèrement d’avoir amené à une réunion aussi stratégique un contre-révolutionnaire de mon acabit. Elhadj Bella lui aurait exprimé tout son étonnement étant donné que j’ai été envoyé chez lui par Décret du Président de la République. Le camarade Moussa Diakité lui aurait malgré tout donné l’ordre de ne plus venir avec moi chez lui désormais. Lorsque le camarade Bella me rapporta cette conversation, j’en ai été tout simplement outré et atteint psychologiquement. La gentillesse, la disponibilité de mes collaborateurs m’avaient presque fait oublier le statut de demi-liberté dont je jouissais, et voilà que ce geste me replongeait dans la réalité qui était la mienne, un monde d’anxiété meublé des questions sans réponse. Cette attitude du ministre Moussa Diakité me sera confirmée d’ailleurs par un ami, Ansoumane Camara notre chef de cabinet, un cadre honnête, scrupuleux et très attachant. Un jour il m’a confié que Moussa Diakité l’aurait mis en garde contre moi, ajoutant que j’étais le représentant de la contre-révolution à Fria.

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6. LES ÉVÉNEMENTS QUI ONT MARQUÉ MON SÉJOUR AU CGR Enseignant à l’IPGAN Afin de meubler utilement mon emploi de temps souvent vide, j’ai offert mes services à l’administration de l’IPGAN (Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser), la grande Université de Conakry pour dispenser des cours de finances publiques, c’était en 1976. Il m’a été confié la chaire de Finances publiques en 3e Année. Les étudiants ont bien apprécié mon cours et de mon côté j’en ai tiré beaucoup de satisfaction et du plaisir de pouvoir échanger avec des jeunes très curieux et désireux d’apprendre. À la fin de l’année, les étudiants m’ont unanimement demandé d’accepter de leur dispenser le cours de comptabilité publique en 4ème année. Une lettre du décanat adressée au CGR appuyait cette requête. Hélas les choses ne vont pas se passer ainsi ; un soir alors qu’il était chez le Président un de mes amis a assisté à une scène où le Président, ayant à ses côtés une étudiante de Poly dont il feuilletait le cahier de cours, demanda à l’étudiante quel était le professeur qui dispensait ce cours de finances publiques ; cette dernière donna mon nom ; le Président feuilleta longuement le cahier et le lui rendit sans commentaire. Le lendemain l’ami en question vint à mon bureau, il me raconta la scène et me conseilla d’arrêter les cours à Poly, car il est certain que le Président n’hésiterait pas à me tendre un piège en me faisant poser par cette étudiante des questions pièges qu’il aurait préparées lui-même. Me rendant à l’avis de mon ami, j’ai dû interrompre une expérience qui me tenait cependant beaucoup à cœur et qui tout compte fait m’était très utile, car elle me permettait de réchauffer mes connaissances en Finances publiques et de dialoguer avec des jeunes qui constituent l’avenir du pays. Cette petite expérience de l’IPGAN m’a édifié à propos de la reconnaissance des jeunes à l’endroit des enseignants qui les ont marqués. En effet j’ai eu les surprises les plus agréables avec les membres de cette promotion. Durant mes courses dans les services de l’administration ceux parmi eux qui me reconnaissaient me réservaient un accueil des plus respectueux et des plus amicaux. C’est ainsi qu’en 2002, venu de Washington pour régler quelques questions budgétaires de l’Ambassade, je me suis rendu au ministère des Finances où on m’a dit que le ministre Check Camara était en 50

conclave avec une demi-douzaine des ministres et que toutes les audiences étaient suspendues. Pour gagner du temps, j’ai décidé de laisser le dossier dont j’étais porteur, accompagné de ma carte de visite à la secrétaire du ministre, en lui disant que j’allais repasser le lendemain. Lorsque le dossier parvint au ministre, il a purement et simplement suspendu la réunion, et est venu me chercher, il m’a présenté comme étant son professeur des finances publiques ; il a immédiatement fait appeler un de ses collaborateurs à qui il a demandé de s’occuper immédiatement du dossier. Ce sont des gestes qui marquent pour la vie. 7. LA SITUATION PARTICULIÈRE DU FOUTA C’est aussi durant mon séjour au CGR que d’autres évènements majeurs me concernant sont intervenus, à savoir la question de la situation particulière du Fouta révélée par les discours injurieux du Président Ahmed Sékou Touré contre les Peuhls et le complot peuhl. À ce propos, au mois de février 1976, il a été annoncé la découverte d’un complot dit des Peuhls et qui visait principalement Diallo Telli le premier Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine qui sera arrêté le 19 juillet 1976. Furent arrêtés aussi les ministres Dr Barry Alpha Oumar, Dramé Alioune, Diallo Alhassane, lieutenant de l’armée, Kouyaté Lamine, capitaine de l’armée. Ce fut aussi l’occasion de montrer du doigt les Peuhls sans doute pour justifier les arrestations intervenues en leur sein et montrer la nocivité de ceux qui étaient encore en sursis et en vie. Par exemple mon patron, El hadj Bella Doumbouya qui était un compagnon inséparable de Dr Alpha Oumar et d’Alioune Drame, était visiblement surveillé et épié. Il semblait secoué et anxieux, se demandant à quand son tour pour le camp Boiro. Nous autres, qui étions déjà sous accusations, nous étions encore plus anxieux, nous demandant si les extrémistes du parti n’allaient pas tenter de faire la jonction entre la grève et le complot ; dans la rue et au cours des réunions, certains activistes nous regardaient déjà de travers et parlaient tout haut en faisant des allusions à peine voilées. C’est ainsi que les 6, 21 et 27 août 1976 au Palais du Peuple de Conakry, le Président Sékou Touré délivra trois discours mémorables portant sur la situation particulière du Fouta qui poserait de sérieux problèmes à la Révolution. Parlant des racistes 51

peulhs, après s’être excusé auprès des Peuhls qui sont restés fidèles au régime de parler d’une collectivité dont l’élément dominant est constitué de racistes ; tout en s’adressant à ce groupe de racistes le propos finit par englober tous les Peuhls, car, il dénie à tous les jeunes peuhls la possibilité de bénéficier désormais des bourses extérieures offertes par l’Etat, il décide que désormais les baptêmes et le mariage de tous les Peuhls seront présidés, contrairement à ceux des autres groupes ethniques de la Guinée, par les autorités du PRL(Pouvoir révolutionnaire local) ; ceci dit, il déroule un acte d’accusation accablant affirmant entre autres : — que les Peuhls ont humilié notre peuple avec un vote massif du OUI au référendum du 28 septembre 1958, alors que le vote pour le NON a été majoritaire partout en Guinée ; — que le Fouta a trahi alfa Gassimou roi de Labé, Alfa Yaya et Almamy Bocar Biro. Les familles peuhles avaient trahi l’Almamy du Fouta et l’avaient livré à l’ennemi commun de l’Afrique, le colonialisme français ; ceux qui avaient trahi Bocar Biro ne peuvent pas avoir des enfants ayant une conduite de dignité si ceux-ci ne se confient pas au PDG. Au Fouta toutes les défaites relèvent de la trahison des Peuhls à l’endroit de leur propre État. Les Peuhls sont des racistes forcenés sans patrie ; — que lorsque les Peuhls sont nombreux dans un service, c’est tout de suite la paralysie ; c’est alors l’occasion pour lui d’expliquer la dégradation des rues de Conakry et le bas niveau des élèves de la guinée par cette présence, ce qui sous-entend que les cadres peuhls sont des saboteurs ; — qu’à la naissance du PDG, « les Peuhls étaient menacés de nombreux travers et notamment de l’alcoolisme affirmant au passage que les bouilloires des marabouts étaient souvent remplies de vin ou de bière, que c’est le PDG qui a dénoncé le fléau du vol qui sévissait à tel point que huit personnes sur dix qui étaient détenues dans les commissariats de police, ou bien traduites devant les tribunaux étaient des Peuhls » ; — que les Peuhls « sont des traitres qui induisent en erreur les autres peuples, les peuples d’Afrique, les peuples européens, les peuples américains. Ils font plus de mal que l’impérialisme et le colonialisme. » Ces graves accusations étaient aussi accompagnées de menaces terribles, des menaces incroyables en cette deuxième moitié du XXème siècle marquée par des progrès notables en matière de liberté, 52

de démocratie et de droits de l’homme. En effet, il n’a pas hésité, parlant des racistes peuhls, à faire appel à la Guinée pour « qu’elle se mette encore debout, couteaux, marteaux et fusils en main pour les supprimer, les amener au tombeau et les ensevelir. Il ajouta à l’adresse des militants que « quiconque violera désormais les consignes de l’honneur social, de la justice sociale en se livrant à des manifestations racistes, vous avez le pouvoir, camarades militants de l’égorger sur place et nous en assumons la responsabilité devant le peuple de guinée. » En évitant soigneusement d’être plus explicite sur ce qu’il appelle manifestations racistes, il accroissait volontairement la confusion et les risques de dérapage contre des gens ordinaires. S’agissant des jeunes peuhls résidents à l’extérieur, il dit « nous n’avions pas voulu jusqu’ici les liquider, mais nous allons le faire à présent ». Pour ceux-ci la menace était plus limpide et plus directe et s’adresse à eux tous en leur qualité de résident extérieur. Ce qui est terrible, c’est que ces accusations reposaient essentiellement sur des généralisations abuses, sur des amalgames, des faits tronqués ou amplifiés. En effet, lorsqu’il parle du vote massif du OUI du Fouta au référendum du 28 septembre, le tableau suivant indiquant le résultat des votes du NON contredit ce propos : - Labé 27.000 - Mamou 455 - Conakry 993 - Nzérékoré 2153 Certes le vote du OUI à Labé a été important, mais non massif, car il n’a représenté que 23 % des votants qui étaient au nombre de 113.349. Parlant de la traitrise des Peuhls, il affirma que « le Fouta a trahi alfa Gassimou roi de Labé, Alfa Yaya et l’Almamy Bocar Biro et que ce sont ces traitres qui induisent toujours en erreur les autres peuples, les peuples d’Afrique, les peuples européens, les peuples américains quand il s’agit d’apprécier la situation guinéenne. Or la fin tragique de ces chefs a résulté non pas de complots et de trahisons, mais des luttes des camps adverses organisés pour la conquête du pouvoir ou sa conservation. Quant à Alfa Gassimou, il fut condamné et exécuté suite à un jugement régulier, pour avoir abandonné l’Almamy à la bataille de Kalissoko. Pour ce qui concerne la responsabilité des cadres peuhls dans la dégradation des rues de Conakry et du niveau insuffisant des élèves guinéens, une telle affirmation est tout simplement incroyable alors que 53

ces cadres étaient placés, les uns sous Ismaël Touré et les autres sous Mamadi Keita, deux cadres du PDG dont l’activisme révolutionnaire n’aurait jamais permis de telles fantaisies. Apparemment le président a cherché à alourdir les accusations contre les Peuhls tout en trouvant des boucs émissaires devant justifier les échecs enregistrés dans ces secteurs. S’agissant de l’alcoolisme, de la débauche et du vol qui seraient reprochés aux Peuhls, je crois pour ma part qu’ils ne sont ni plus vertueux, ni plus malhonnêtes que les autres ethnies guinéennes. À la fin du dernier discours, il répéta que la révolution était en danger et il lança un appel pour qu’à la sortie de cette réunion tous les militants du parti se lèvent comme un seul homme pour barrer la route à la contrerévolution. Durant tous ces trois discours, je me trouvais dans la salle, assis à côté de Diallo Kenda, un ami d’enfance et peuhl comme moi ; il est aisé d’imaginer dans quel état psychologique et de profonde révolte intérieure nous avons vécu ces heures qui nous ont paru des siècles. À la sortie nous étions sûrs, mon ami et moi que nous serions les premières victimes de l’appel au meurtre et que nous serions purement et simplement écrasés par la foule des participants. Quel ne fut pas mon soulagement lorsqu’un vieux soussou responsable de PRL (Pouvoir Révolutionnaire Local) qui avait l’habitude de fréquenter les réunions au CGR, s’approcha de moi et posa amicalement sa main sur mon épaule, puis me déclara, « Barry ne t’en fais pas les soussous ont compris, on ne les utilisera plus jamais pour chasser et tuer d’autres Guinéens, personne ne touchera à un cheveu d’un Peulh, restez tranquilles. » Ce geste je ne l’oublierai jamais, il m’a fait revivre et m’a ragaillardi. Conformément aux dires de ce responsable de PRL. L’hebdomadaire Jeune Afrique dans ses numéros 816 du 27 août 1976 et 827 du 12 novembre 1976 contiennent des articles pertinents à ce sujet. Le PDG demanda ensuite à tous les Peulhs nommés à leur poste par Décret d’aller à la radio pour faire une déclaration condamnant la traitrise des Peulhs, ce qui représentait une autre épreuve de torture morale, d’humiliation et un dilemme cornélien ; fallait-il se plier à cet ordre machiavélique et contre nature ou bien s’exposer à une arrestation, suivie d’un assassinat inéluctable ? L’exercice a consisté pour beaucoup d’intervenants à se livrer à un équilibrisme consistant à condamner les Peulhs dont la traitrise serait avérée de même que tout traire à la nation. 54

Sékou Touré décida aussi de supprimer toutes les bourses extérieures dont bénéficiaient les étudiants peuhls, compromettant ainsi leur avenir juste à cause de leur origine. Cette décision marqua profondément ces jeunes qui subissaient ainsi une ségrégation brutale dans leur propre pays. En réaction, les gouvernements sénégalais et ivoirien offrirent gracieusement des bourses à tous ceux parmi ces jeunes qui allaient pouvoir sortir de la Guinée. Aujourd’hui 40 ans après cet épisode on continue à se poser des questions sur les motivations de Sékou Touré qui s’est attaqué ainsi frontalement à une communauté qui représente environ 40 % de la population guinéenne, en l’accusant sans nuance des crimes les plus graves. À supposer que des personnes appartenant à cette communauté avaient commis des crimes, était-il normal d’imputer cette faute à l’ensemble de la communauté peuhle, y compris aux tout jeunes ? Était-il normal de faire un amalgame abusif pour insulter et humilier tous les Peuhls ? Était-il normal qu’un chef d’État symbole de l’unité d’un pays, garant de la sécurité de ses citoyens lance un appel solennel aux autres communautés nationales pour se débarrasser de tous les membres d’une communauté montrée du doigt ? Cela représente sans nul doute une page noire de l’histoire de la Guinée. 8. LA RÉVOLTE DES FEMMES Comme s’il s’agissait de la justice immanente se manifestant sous la forme des femmes de Conakry, un an jour pour jour après le discours haineux du 27 aout 1976, ces femmes sont venues de rouge vêtu insulter et humilier le régime de Sékou Touré. Tout est parti d’une altercation entre les marchandes du marché de Madina, dans la banlieue de Conakry et la police économique de création récente qui n’arrêtait pas de leur créer des difficultés profitant d’un meeting animé par le Président au Palais du Peuple, le 27 août 1977, elles s’étaient mobilisées massivement, chantant leur déception vis-à-vis du régime et de sa police économique. À l’entame du discours du Président, imperturbables, elles continuèrent à chanter en ignorant les slogans révolutionnaires habituels que lançait Sékou au début de ses interventions ; puis elles se levèrent dans un mouvement d’ensemble pour se diriger vers la tribune où se tenait le Président. C’est alors que les services de sécurité décidèrent de l’exfiltrer en direction de sa voiture. Dans la précipitation il oubliera son bonnet sur la table où il avait pris place. Ce fut une course poursuite entre la sécurité présidentielle qui portait pratiquement le Président à bras le 55

corps et les femmes décidées à les rattraper. C’est certainement lorsqu’elles ont raté leur proie de justesse qu’elles décidèrent le lendemain de marcher sur la Présidence de la République. Elles s’y rendirent en masse, criant à bas la police économique et accompagnées par une foule de curieux. Elles continueront leurs slogans jusqu’à ce que le président sorte au balcon du palais et crie en cœur avec elles « à bas la police économique ». Comme le 26 août 1976, j’étais encore présent au Palais du Peuple le 27 août 1977, ensuite le lendemain devant les grilles de la Présidence, car mes collègues de travail et moi avions suivi à distance les manifestants qui étaient passés devant notre bureau. Le mouvement sera suivi des manifestations partout en Guinée. Sékou Touré va effectivement s’exécuter en supprimant ladite police économique, mais il sévira sans pitié en faisant arrêter et enfermer au camp Boiro quelque 600 personnes, en majorité des femmes. Cet épisode va marquer à jamais le régime et annoncer le début du commencement de la fin. Pour revenir au CGR, disons qu’à la fin de juillet 1976 le capitaine Siaka Touré, le chef du fameux camp Boiro remplaça El hadj Bela Doumbouya. Par ailleurs le décret du 5 juin 1979 procéda au changement d’appellation des CGR qui prennent désormais le nom de ministère du Développement rural (MDR), sans que leurs compétences et attributions ne soient modifiées. Apparemment, il s’agissait d’une opération destinée à atténuer la connotation révolutionnaire des organes administratifs dans le cadre de son offensive diplomatique vers l’occident et ses voisins d’Afrique de l’Ouest. Pour corroborer cette thèse, il y a lieu de rappeler que déjà le 18 juillet 1977 Sékou Touré avait annoncé une amnistie pour les Guinéens de l’extérieur qui sont invités à venir investir au pays. Après la guerre contre les Peulhs les complots baissèrent d’intensité et furent circonscrits à des places isolées pour des questions spécifiques, le président étant surtout préoccupé à soigner son image sur le plan international. Pour revenir à l’arrivée de Siaka au CGR, ce fut un développement inattendu qui provoqua une réelle appréhension chez tous les travailleurs ; ils se demandaient comment travailler avec sérénité avec une personne crainte par tout le monde et qui pouvait arrêter n’importe qui, n’importe où. Cependant très vite les travailleurs vont découvrir en lui un homme attentionné, disponible, très respectueux et toujours prêt à aider. La porte de son bureau était ouverte à tous. Le Commandant, qu’il était devenu entretemps et que j’avais connu en tant qu’étudiant en France, manifestait beaucoup de considération à mon égard et 56

n’hésitait pas à me faire des confidences. Un jour, alors que nous revenions de mission de Forécariah dans sa Mercédès de commandement il se retourna brusquement et fixa Condé Kandas son attaché de Cabinet, assis à l’arrière à côté de moi et lui dit : « le cas de Rafiou est étonnant pour ne pas dire plus. Il a été dénoncé à deux ou trois reprises et chaque fois alors que l’ordre était donné de l’arrêter, des circonstances faisaient que l’ordre était différé et n’était finalement jamais exécuté ; cela était tellement étrange que je me suis mis à m’intéresser à lui en tant que personne pour connaitre son background et le pourquoi et comment de sa protection, de « son hidjaabou » comme disent les musulmans en parlant de la protection divine. Certains m’ont dit qu’il descend de deux grandes familles féodales réputées « soignées et protégées », de père en fils. D’autres m’ont confié qu’il aime beaucoup sa mère et s’occupe tellement d’elle qu’ils sont pratiquement toujours ensemble ; conformément à une croyance africaine largement partagée, l’amour d’une maman est une source de baraka, donc de chance et de protection divine. J’aimerais savoir ce qu’en pense Rafiou. Je lui répondis spontanément que c’est très simple et qu’il s’agit de la protection divine. Cette menace d’arrestation avortée devait m’être confirmée par Barry Aguibou dit Boup, un ancien détenu de Boiro qui m’a interpellé à haute voix alors qu’on se croisait dans le hall de l’aéroport de Labé et qu’on se voyait pour la première fois depuis sa libération ; il me demanda mon secret pour avoir échappé à Boiro où le bruit de mon arrivée imminente s’était répandu comme une trainée de poudre au moins à deux reprises. Une autre fois alors que je discutais avec le Commandant Siaka dans son bureau de la méchanceté des Guinéens, il m’a dit qu’il était ahuri par le comportement de deux de mes camarades qui n’arrêtaient pas de me charger et d’organiser des cabales contre moi. Excédé il aurait fini par leur dire de me laisser tranquille, après toutes leurs manigances pour me chasser de Fria. Cette scène m’a été confirmée elle aussi par l’un de deux camarades en personne qui m’a demandé un jour sans prêter garde l’origine de mes liens d’amitié avec Siaka qui me défend et me protège tout le temps. Le Commandant me fit aussi la surprise de venir assister au baptême de mon garçon en novembre 1978. Son comportement visà-vis de moi m’a rasséréné et m’a donné confiance durant le reste de mon séjour au MDR. Ce long développement à propos de Siaka Touré, sans soulever la question de sa culpabilité éventuelle dans les activités du Comité du Camp Boiro, avait pour objet de montrer une facette de

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l’homme telle que mes collègues du ministère et moi avons découverte et avons appréciée. 9. MON DEUXIÈME ENTRETIEN AVEC LE PRÉSIDENT SÉKOU TOURÉ Le 17 avril 1980, un matin vers 11 heures Mme Kouyaté, épouse de Capitaine Amadou Kouyaté, qui était secrétaire au MDR rentra dans mon bureau et me dit qu’elle venait de la Présidence et que le Président me demandait d’aller le voir dans l’après-midi. Une sorte de cloche se mit à sonner dans ma tête, mon observation décidée par le Responsable Suprême de la Révolution prenait-elle fin ? Quel était son verdict après 5 ans d’observation ? Quelle allait être sa décision me concernant ? Je me disais que compte tenu du fait que les soupçons qui portaient contre moi avaient baissé de tonalité, la présence de Siaka et la prévenance qu’il me témoignait pouvait en être le gage. Ne prenait-il pas la liberté d’aller en mission avec moi partout en province ? Ne se permettait-il pas de me faire des confidences sur les risques que j’avais courus dans le passé ? Bien sûr des dérapages sont fréquents dans la marche de la révolution ; des faits de dernière minute peuvent toujours tout remettre en cause, des règlements de compte entre responsables de la révolution par personnes interposées peuvent toujours influencer les appréciations du Président. Vers midi ce jour-là, dès que Mme Kouyaté eût quitté mon bureau j’allai voir le Commandant Siaka pour lui dire que j’étais convoqué par le Président et que je me proposais de rentrer à la maison pour m’habiller en conséquence. De tout blanc vêtu, je suis arrivé à la Présidence vers 16 heures. Dès que le gendarme m’eut annoncé, le Président lui ordonna de me faire monter. Le Président me salua amicalement et sans tarder il introduisit le sujet en me posant la question suivante : peux-tu me rappeler sur quelles conclusions nous nous étions quittés lors de notre dernière entrevue en mai 1975 ? - J’ai répondu qu’à l’issue de notre entretien, il avait annoncé qu’il me mettait en observation pour savoir si les accusations qui pesaient sur moi étaient fondées ou pas ; - En réponse, il dit que l’observation était effectivement terminée et qu’il s’avérait que j’étais un cadre honnête digne de confiance, qu’en conséquence une page était désormais tournée. Il ajouta qu’il voulait me confier une mission de la plus haute importance, il s’agit de diagnostiquer le fonctionnement de l’entreprise OBK qui avait été 58

conçue pour rembourser la dette guinéenne à la Russie à travers l’exportation de bauxite, mais que personne ne pouvait dire à l’heure actuelle, après cinq ans de marche, où en était-on. Ta tâche sera donc de démêler cette situation et de soumettre au gouvernement la réorganisation à mettre en place pour qu’OBK soit une entreprise performante. Il ajouta que si cette étude était convaincante il prendrait un Décret pour me nommer Directeur général de l’entreprise. Entre temps, pour couvrir ma mission et me permettre de travailler en toute légalité, il va me nommer Directeur général Adjoint. Il m’informa que le décret serait pris dans les tout prochains jours, mais qu’il ne fallait parler à personne ni de l’imminence de ce Décret, ni de l’objet de ma mission, ni du contenu de notre conversation. Après l’avoir remercié, je lui ai promis de faire mon mieux pour lui donner entière satisfaction. 10. NOMMÉ DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT D’OBK Dès que j’eus quitté le Président une question est venue me perturber l’esprit, était-il prudent de garder le secret sans en faire état au ministre Ismaël Touré le ministre de tutelle d’OBK ? La question était loin d’être saugrenue. Ismaël était réputé être féroce pour toute personne qui s’aviserait de marcher sur ses plates-bandes ; il était reconnu aussi qu’il gagnerait contre quiconque s’aviserait à se plaindre contre lui chez son frère. Après mures réflexions je décidai de me jeter à l’eau et de lui en parler ne serait-ce que de façon générale sans mentionner la partie concernant ma nomination en qualité de Directeur général au cas où ma mission serait un succès. Dès le lendemain j’ai donc été le voir et lui dire que le Président m’avait chargé d’une mission d’études à OBK et qu’à cet effet il allait prendre un Décret pour me nommer Directeur général Adjoint de l’entreprise. Je suis venu l’en informer et solliciter son soutien ; il me remercia et m’assura de son soutien. À la publication du Décret portant ma nomination au poste de Directeur général Adjoint de OBK le 19 mai 1980, c’est tout naturellement qu’il a dépêché un inspecteur du ministère des Mines pour aller me présenter à OBK. J’ai rapidement pris service et j’ai entamé mon travail. J’ai expliqué au Directeur général que je me proposais de commencer par faire un tour détaillé de l’entreprise afin de me familiariser avec les hommes et les installations. Pendant trois mois j’ai visité tous les postes de travail de l’entreprise à partir de la mine jusqu’au port. J’ai vu tous les travailleurs à leur poste, je les ai 59

écoutés parler de leurs difficultés et ai enregistré leurs suggestions pour l’amélioration des conditions de travail et du fonctionnement de l’entreprise. Ensuite, j’ai réuni pour en prendre connaissance et étudier toute la documentation existante, tous les rapports, tous les Accords et contrats ; j’ai consacré une dizaine de jours à la comptabilité, quinze jours aux différents magasins. C’est après l’analyse des documents et de mes notes que j’ai entamé la rédaction de mon rapport qui me prendra deux mois. Il faut tout d’abord rappeler que le 1er bateau chargé de la bauxite a quitté le port de Conakry en février 1975 ; après plus de 5 ans de production et d’exportation, il était facile d’analyser les conditions de fonctionnement de l’entreprise. Ma première observation a été de constater qu’OBK est un monstre à plusieurs têtes avec une multitude de pattes chétives et inappropriées. En effet cette unité de production n’avait aucun contrôle sur aucun facteur de production, ses investissements étant décidés par le Ministère du Plan, sa politique d’embauche et de salaire par le Ministère de l’Emploi et des Lois sociales et ses propres fonds gérés par la Banque Centrale. La première action devrait donc consister à le libérer des carcans de l’administration et à lui donner son autonomie sous le contrôle d’un conseil d’administration. En plus de ces chaines extérieures, à l’interne OBK était constitué de véritables féodalités représentées par les départements de la mine, du chemin de fer et du port qui avaient par rapport au DG une autonomie qui frisait l’indépendance. À ces handicaps venait s’ajouter le manque d’instruments de gestion à savoir un plan de production mensuel, trimestriel et annuel, la fixation des prix des consommables, des inventaires périodiques et un contrôle de gestion rigoureux ; à la réception des commandes, aucune valorisation des marchandises reçues n’était faite et la comptabilité était établie en nature et non en valeur. Mon rapport était fait du constat de ces insuffisances et d’une série de propositions pour y remédier aux dires des cadres du ministère chargé de l’étudier avant de le transmettre au Président, le rapport était très bon à cause de sa simplicité, de sa concision, de sa substance et de la pertinence des idées qu’il contient. C’est donc plein d’espoir que j’ai dû attendre la réaction des autorités. Pendant ce temps le Président me confiait de temps en temps des tâches ponctuelles. C’est ainsi que pour suppléer à l’absence de certains membres du Comité central du PDG, il faisait appel à d’autres cadres et moi pour m’inclure dans les délégations gouvernementales ; par exemple du 16 au 18 Avril1981, bien que n’étant pas un élu du PDG je 60

fus désigné en réunion du Comité central pour aller assister, puis remplacer le ministre Abdoulaye Touré devant aller en mission à l’extérieur, pour la supervision des opérations d’échange des signes monétaires à Forécariah. C’était exceptionnel qu’un simple technicien soit désigné pour aller remplacer au pied levé un membre du Bureau politique national. Était-ce un test ou une simple urgence liée à l’absence de quelques membres du Comité central ? 11. UNE RENCONTRE INATTENDUE ET BIEN ÉTONNANTE C’est durant cette période que j’ai rencontré un compagnon du Président Sékou Touré qui m’a tenu le langage étonnant suivant : Sékou t’admire beaucoup, il te fait confiance, il n’arrête pas de parler de toi durant nos réunions, il parle de ta compétence, de ton honnêteté. Au prochain remaniement ministériel je suis sûr qu’il te nommera ministre, puis membre du Comité central et pourquoi pas du Bureau politique national. Je connais le mode de fonctionnement de l’homme, il aime ce qui est nouveau et jeune, à l’instar des personnes qui pensent que les jeunes apportent une cure de jouvence aux plus vieux même par le simple contact et le dialogue. Hélas je sais aussi que l’homme est un psychopathe ajouta-t-il ; une fois qu’il a chéri et vénéré, il rejette et détruit sans arrière-pensée. J’ai été témoin d’une multitude de cas où, après avoir choisi un collaborateur qu’il admire, qu’il l’ait monté en flèche en lui donnant tous les gages d’attachement, il finit toujours par s’en détourner, c’est alors la déchéance qui conduit tout naturellement l’intéressé au camp Boiro. Toi si brillant et honnête je ne voudrais pas qu’un tel sort t’arrive. Je te recommande de quitter la Guinée le plus rapidement possible, c’est urgent. Abasourdi par cet entretien je me suis mis à réfléchir sur le passé ; en effet ils ne sont pas rares les jeunes cadres intellectuels qui étaient promis à un avenir brillant, qui finiront par tomber dans le piège de Sékou Touré ; qu’il s’agisse de Dr Taran, de Diallo Ibrahima, de Fofana Karim, Keita Fodeba, Baldé Oumar, Bangoura Karim, etc. Ils ont tous fait confiance à la révolution, ils ont tout donné, mais ont fini par être arrêtés, torturés et assassinés dans les prisons de la révolution. Toutes ces personnes ont comme dénominateur commun d’être des intellectuels, honnêtes, intelligents et de n’être ni des militants de la première heure, ni membres du clan familial. La parole du compagnon de l’indépendance méritait d’être prise sérieusement en compte.

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12. EN PARTANCE POUR LA JAMAÏQUE J’ai donc pris la décision ferme de partir, les seuls préalables étant de trouver comment protéger, sinon emmener avec moi ma femme et mes enfants et quelle voie sûre emprunter pour échapper à la surveillance permanente qui pesait sur tous les Guinéens. C’est pendant que ces réflexions trottaient dans ma tête qu’une lueur d’espoir inattendue se présenta à moi. Un jour que je marchais dans la rue j’ai rencontré par hasard un ami, Sall Mamadou Aliou, ingénieur géologue, un des « déportés » de Friguia comme moi, qui m’annonça après les salutations, qu’un communiqué de l’International Bauxite Association (IBA), en français l’Association Internationale de la Bauxite située en Jamaïque faisait appel à candidature pour le poste de Directeur de l’Administration que ce communiqué est affiché au ministère des Mines et que les critères mentionnés correspondent parfaitement à mon profil ; il me conseilla d’aller voir et postuler au cas où cela m’intéresserait. C’est ainsi que j’ai postulé après en avoir parlé avec le ministre Ismaël Touré qui était enthousiaste à l’idée qu’un Guinéen pourrait être choisi pour ce poste et servir d’alibi de succès pour son Département et pour lui-même. Sur recommandation du Conseil Exécutif de l’IBA le Conseil des ministres de l’organisation décida en novembre 1981 à Cambera en Australie de me recruter en qualité de Directeur de l’Administration. Le Secrétaire général de l’IBA me confirma la décision du Conseil et me soumit un projet de contrat en janvier 1982. Le ministre Ismaël Touré envoya par conséquent à la Présidence de la République un projet de Décret me détachant auprès de l’IBA. Dieu m’offrait ainsi la meilleure porte de sortie de la révolution, accompagné de toute ma famille. Cependant, il restait un dernier obstacle sur ma route, un obstacle que je n’avais pas entrevu. L’on se rappelle que lors de mon entrevue avec le Président il m’avait promis que si mon rapport sur OBK était pertinent il me nommerait au poste de Directeur général de l’entreprise. Je vais apprendre beaucoup plus tard que dès qu’il a pris connaissance du rapport il avait ordonné à ses services de lui soumettre un projet de Décret pour matérialiser sa promesse. Ainsi en janvier 1982 deux Décrets me concernant se retrouvaient sur le bureau du Président, un pour OBK et l’autre pour l’IBA. C’est pour cela que je vais devoir attendre six bons mois en me demandant pourquoi le Décret de détachement tardait à sortir. Le Président s’opposait-il à mon départ ? Allait-il purement et simplement indiquer à l’IBA que la Guinée annulait le parrainage de ma candidature pour le poste de Directeur de 62

l’Administration, ce qui rendrait caduque tout le processus, étant donné que la candidature d’un fonctionnaire de l’Association doit être présentée par son pays d’origine ? Très inquiet à l’idée de rater cette occasion, je me confiais à Siaka, devenu entre-temps ministre des Transports qui m’a conseillé de me tenir tranquille, car Ismaël a un pouvoir très grand sur son frère et que ses projets aboutissent toujours. Effectivement, sans que je ne sache comment, le Président a signé le 21 juin 1982 le Décret me détachant auprès de l’IBA. Deux semaines plus tard, accompagné de ma mère, de mon oncle maternel Elhadj Alpha Sow et de mon épouse je suis allé dire au revoir au Président Ahmed Sékou Touré. Il me réserva un accueil exceptionnellement chaleureux qui étonna plus d’un dans l’assistance. En effet c’était un dimanche, l’audience se tenait dans la salle du haut commandement pleine à craquer, où le Président fit une entrée théâtrale ; dès que son aide de camp ouvrit la porte et annonça à haute voix le Responsable suprême de la Révolution, toute l’assistance se leva comme un seul homme, se tint debout et se figea. Le Président s’arrêta devant la porte et scruta la salle dévisageant individuellement l’assistance, puis il me fixa et traversa la salle de long en large pour venir à moi et me serrer chaleureusement la main en disant à haute voix combien de fois il était heureux de me voir. Après la présentation de mes compagnons, il demanda à ma mère et à mon oncle de redoubler les bénédictions pour moi, il leur confia qu’il était fier de moi et qu’il était sûr que je représenterais dignement la Guinée. C’est sur ces mots que j’allais le quitter pour ne plus jamais le revoir. J’ai pris fonction le 22 juillet 1982. L’Association Internationale de la Bauxite, créée en 1974, avait pour objectifs le renforcement des aptitudes de négociation des pays membres en matière de mise en valeur, de traitement, de commercialisation et d’utilisation de la bauxite et de ses dérivés ; elle s’occupe aussi de l’harmonisation des décisions pour la mise en valeur de la bauxite. Pour remplir sa mission, elle effectue des études devant constituer une base d’information fiable et elle offre un forum de discussions et d’échanges pour les pays membres. 13. MON SÉJOUR À L’IBA Rappelons que l’Association Internationale de la Bauxite était composée de 11 pays membres ayant des régimes politiques très différents, parlant différentes langues et vivant des réalités culturelles différentes. Parmi eux on comptait 7 pays anglophones, 1 francophone, 63

1 hispanophone, 1 yougoslave, 1 néerlandophone. Le personnel au nombre de 32 hommes et femmes était constitué des Noirs, d’asiatiques, d’Européens et des métis. Cette véritable tour de Babel m’a offert l’opportunité de vivre une expérience humaine exceptionnelle aussi bien dans le domaine culturel, social que politique. Ces personnes travaillaient ensemble, sortaient souvent ensemble, s’invitaient les uns les autres, partageaient les mêmes joies et les mêmes peines, ils formaient une famille. Ceci m’a permis de découvrir et de comprendre, sans voyager les différentes iles des Caraïbes, l’Inde, l’Australie, la Yougoslavie et même des aspects inconnus de la Sierra Léone toute proche et du Ghana. Je suis persuadé que si l’effectif du Secrétariat était plus large l’expérience aurait été moins intense, moins proche, moins intime. En plus de cet enrichissement social et humain, l’IBA a contribué à élargir mes connaissances en matière de gestion et d’affirmation de leadership dans un milieu varié et complexe. Il m’a été possible aussi d’approfondir mes connaissances en matière d’économie de la bauxite. L’Association Internationale de Bauxite comprenait sous la direction du secrétaire général trois directions, à savoir les directions juridiques, de l’administration et des études. La direction de l’administration était chargée de : - Superviser l’élaboration du budget de l’Association - Conseiller le Secrétaire général en matière d’application des statuts du personnel et de l’accord du siège - Suivi des problèmes de personnel et de l’approvisionnement du secrétariat - L’organisation des conférences de l’Association - La supervision de la section Traduction - Les relations publiques du secrétariat C’est à Kingston le 26 mars 1984 vers 23 heures, heure locale que le téléphone sonna et que me fut annoncé à partir des États-Unis d’Amérique le décès du Président Sékou Touré. Je ne pouvais plus dormir de la nuit, assailli que j’étais par une multitude de souvenirs et des questions sur l’avenir de la Guinée. Une page importante de l’histoire de la Guinée venait de se tourner. L’une des toutes premières questions que je me posais était de cerner son personnage.

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CHAPITRE 3 : Sékou Touré, le personnage politique Il s’agit là plutôt d’un exercice difficile et complexe, car portant sur un personnage controversé qui a dirigé la Guinée d’une main de fer durant 26 ans et qui n’a pas fait que du mal ou que du bien, un personnage qui cristallise en lui à la fois une admiration populaire qui frise l’adoration et une aversion qui va jusqu’à la haine. Sa politique peut être saisie sous deux aspects bien distincts, c’est d’abord celle menée par un héros qui a guidé la Guinée à l’indépendance, par un leader populaire, simple et souriant, toujours à la portée de la population, c’est ensuite celle animée par le Responsable suprême de la Révolution qu’il est devenu et qui a construit méthodiquement un système hermétique et dictatorial, une politique impitoyable et sanguinaire, qui a fait arrêter et torturer des milliers de personnes, y compris ses amis politiques ; un homme qui était prêt à tout, y compris, à faire commettre les pires sévices pour conserver son pouvoir. Cette antinomie se retrouve aussi dans son comportement de tous les jours. Lorsque je me trouve devant Sékou Touré, tout le long de nos entretiens dans son bureau ou autour de la table à manger, j’ai découvert un homme accueillant, un homme simple et prévenant. Il écoutait attentivement ses interlocuteurs, il leur parlait avec politesse sans élever la voix. Il prenait le temps pour convaincre ses interlocuteurs. À ce propos je me souviendrai toujours de notre entretien à trois lui, Yves Guichard et moi lorsque nous sommes venus le remercier pour notre promotion. Il a pris tout son temps et a usé d’une série d’arguments pour nous convaincre de sa bonne foi. La rencontre après un début laborieux s’est terminée en effet par un exposé détaillé, argumenté sur les méthodes et les préoccupations du parti, sur sa bonne foi et la transparence des décisions bien que nous doutions du fait que les dés étaient pipés. Il nous est apparu comme un avocat habile sûr de luimême et de ses arguments, un avocat soucieux de convaincre. À table il veillait sur chacun de ses hôtes, il s’assurait que tout le monde était à l’aise, il chahutait et disait allègrement des blagues aux 65

uns et aux autres. C’est par exemple une fois que nous prenions le repas ensemble avec une Guinéenne venue d’Europe, il lui demanda en riant si elle voulait du beurre, ou de la moutarde, ou du fromage, toutes choses qui symbolisent le manger occidental et qui étaient loin de cette table où les aliments étaient exclusivement africains. Il avait un œil sur chaque assiette et demandait à ses convives de reprendre un peu plus à manger. La conversation allait bon train et n’était pas consacrée à la révolution. C’était une atmosphère bonne enfant qui contrastait avec les meetings du parti ou les réunions hebdomadaires des PRL. Ainsi Sékou Touré apparaissait à première vue comme étant un gentleman soucieux de projeter l’image d’un homme consensuel, équitable et droit, un homme au-dessus de la mêlée veillant au grain. Un autre souvenir de Sékou Touré qui m’est revenu est le visionnage de la vidéo de la réunion des Chefs d’État et de gouvernement de la Conférence islamique, où devant tout un aréopage des leaders de l’UMMA Islamique (Collectivité du monde musulman) il a développé sans complexe le plaidoyer pour la réintégration de l’Égypte au sein de l’Organisation. L’audace en tant qu’homme noir même revêtu du manteau de Président, de donner la leçon à ces rois tellement imbus de leur pouvoir sinon de leur puissance, en se fondant sur les enseignements du Coran et de l’histoire arabe m’a convaincu et ébloui. Il l’a fait et tellement bien fait que l’Égypte a été réintégrée immédiatement. C’était tout simplement mémorable. En examinant par contre la politique du PDG en matière de démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en passant en revue la gouvernance qui a prévalu en Guinée entre 1958 et 1964, on est dominé par d’autres sentiments à propos du Responsable suprême de la Révolution, lui qui régissait tout, lui auquel on rendait compte de tout, lui qui prenait les dernières décisions, même les plus banales concernant les hommes et leurs biens en Guinée. Son image de héros peut-elle rester intacte face à la dictature révolutionnaire impitoyable qu’a connue la Guinée, face à l’étouffement de la liberté et de la démocratie, face aux complots permanents et à leurs conséquences dramatiques, face aussi à la grande anxiété quotidienne vécue par le peuple, aux divisions artificiellement crées et entretenues ? La réponse est évidemment non et on peut sans exagération reprendre l’expression d’Ibrahima Baba Kaké et parler alors de Sékou Touré le tyran. C’est très difficile pour un homme qui l’a fréquenté et a discuté face à face avec lui, d’aborder cet aspect des choses, mais l’histoire ne se préoccupe pas des sentiments face à la cruauté des faits. 66

LA MISE EN PLACE D’UNE DICTATURE À cet effet, voyons quelle a été sa posture par rapport au questionnement soulevé plus haut et quel a été son cheminement pour atteindre la position qui était la sienne au moment de sa mort ? Très tôt Sékou Touré a affiché la couleur en matière de démocratie et des droits de l’homme. Alsény René Gomez a rapporté dans son livre, « La Guinée peut-elle être changée ? » À la page 111, un discours de Sékou Touré d’avril 1959 dans lequel il disait : « La liberté et la démocratie ne sont pas compatibles avec l’indépendance, pour la bonne raison que tout ce qui est fait en faveur de l’individu se fait au détriment de la société et inversement ». Avec ce discours le décor est planté, adieu la liberté d’expression, la liberté de pensée, la liberté individuelle sous toutes ses formes. On comprend dès lors pourquoi la liberté et la démocratie ont été la bête noire de la révolution, pourquoi Sékou Touré a viré à la dictature et a eu recours abondamment aux brimades et aux sévices contre l’individu, notamment les individus qui ont réussi dans la société telle que les intellectuels et les grands opérateurs économiques qui payeront les uns et les autres un lourd tribut à la révolution. C’est dans cette démarche que Sékou Touré a méthodiquement mis en place la machine de la dictature en verrouillant toutes les issues susceptibles de limiter son pouvoir. Lors du CNR de Foulaya du 19 au 28 décembre 1982 la tentative de séparer l’exécutif de la direction du parti sera très mal accueilli par lui. Il trouvera la parade à ce projet en renvoyant les débats au Congrès de Kankan où il reprendra l’initiative et se débarrassera de tous les tenants de cette réforme tels que Jean Faragué et cooptera à la place des fidèles du moment tels que Sangaré Toumany et Keita Fodéba. Il avait réalisé que si la tentative de Foulaya avait réussi, son pouvoir aurait été automatiquement limité et le cours des événements s’en serait trouvé modifié. Cette quête du pouvoir sans partage conduira Sékou Touré à chercher et à obtenir le titre de Responsable suprême de la Révolution lors du 8èm Congrès du PDG tenu en septembre/octobre 1967. Il occupera ainsi une place à part au sein des organes du Parti devenu le Parti État qu’il personnifie par ailleurs désormais. Et comme le parti selon les slogans officiels a atteint la perfection de même que celui qui l’incarne, il est en tant que personne, hors de portée de la critique. Dans ces conditions il peut désormais agir à sa guise aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine administratif sans faire l’objet de contestation ou de remise en cause. C’est dans ce cadre qu’Alsény 67

René Gomez, à la page 108 de son livre, La Guinée peut-elle être changée ? Cite Jacques Vigne, journaliste français et ami de Sékou Touré qui a rapporté les propos de ce dernier ainsi qu’il suit : « je ne peux pas me tromper. Le guide suprême de la Révolution a toujours raison. Si donc une de ses décisions ne débouche pas sur les résultats escomptés, c’est qu’il existe quelque part un ou plusieurs traitres qui ont fait capoter l’entreprise ». Phrase terrible qui traduit une mégalomanie galopante et qui fournit le portrait-robot d’un leader omnipotent et omniprésent que rien n’arrête désormais, que rien n’embarrasse et qui fait ce qu’il veut, quand il veut et où il veut sans avoir le besoin de rendre compte. Cet esprit va conduire à tous les excès, à tous les échecs et à la prévalence des complots dont il usera et abusera et dont il fera un instrument de gouvernement ; en 26 ans de règne il annoncera, selon Alsény René Gomez 25 complots. Comment ce drame a-t-il pu arriver dans un pays que rien ne prédestinait à une telle aventure et à un peuple que ni l’éducation ni la culture n’avaient préparé à des actes extrêmes et abominables ? Pour cerner ces questions et tenter d’y répondre, revenons sur la personnalité de Sékou Touré et les circonstances dans lesquelles ces évènements ont pris place. Cette machine infernale a été mise à feu par le mélange de trois ingrédients qui vont constituer un cocktail explosif et provoquer des dégâts incommensurables en Guinée. Ces ingrédients sont d’une part l’erreur commise par la France de vouloir se venger du double affront que lui aurait infligé la guinée d’abord à travers le discours prononcé par Sékou Touré lors de la visite du Général de Gaule en août 1958 à Conakry, ensuite par le vote du NON au référendum du 28 septembre alors que toutes les autres colonies d’Afrique ont choisi de voter OUI. Cette erreur a été d’avoir laissé faire ses services secrets dans leur tentative de déstabilisation du Jeune État. Cette opération a été basée sur l’erreur de penser qu’elle bénéficierait d’un large soutien des Guinéens, notamment des ex-chefs de cantons et des anciens combattants, elle fera long feu et se soldera par un piteux résultat. Le 2e ingrédient est constitué de la prédisposition de Sékou Touré à la domination de tout ce qui l’entoure et de sa victoire facile face à ces apprentis comploteurs. Il réalise très vite qu’il est possible de faire du complot à la fois une arme de destruction massive et une arme de dissuasion ; il a mis en déroute les complices de la France, il réalise qu’il peut fabriquer des complots pour anéantir ses ennemis potentiels, 68

les personnes douteuses et tous ceux qui s’agitent et lui donnent du fil à retordre. Avec cette arme terrible il lui serait possible de réaliser son rêve de leader incontesté de la Guinée, convaincu qu’il est, d’être chargé d’une mission divine. En effet Ahmed Sékou Touré présente une personnalité complexe et volontariste, il s’est formé par lui-même pour se dépasser et dépasser les autres, guidé qu’il était par le sentiment d’être une personne hors du commun. Ce sentiment lui serait venu de diverses prédictions de sa famille et d’ailleurs. C’est ainsi qu’un vieil oncle à moi qui vivait à Faranah, l’aurait rencontré un jour alors qu’il gravissait les escaliers du bureau de poste de cette ville ; il l’aurait stoppé dans sa marche, aurait pris sa main et lui aurait annoncé qu’il connaitrait un destin hors du commun. Cet oncle que beaucoup de personnes prenaient pour un prédicateur hors pair est le père entre autres de feu Bobo Barry, ancien Commandant de bord d’Air Guinée à qui il disait, alors qu’il était encore enfant qu’il gagnerait sa vie entre terre et ciel ; il était aussi père de feu Kolon Barry, banquier de son état à qui il prédisait qu’il gagnerait sa vie dans l’argent. Il paraitrait que de telles prédictions avaient été dites à Sékou Touré à maintes reprises. Ces diseurs de bonne aventure l’auraient tellement convaincu qu’il répétait souvent dans ses discours que « l’impérialisme ne connaitra jamais l’Afrique ». C’est dans cet état d’esprit qu’il a grandi et a mené ses combats. Il ne reculera devant rien pour parvenir à ses objectifs, considérant que toute contestation, toute remise en cause va à l’encontre de la volonté divine. L’ascension fulgurante qu’il a connue l’a convaincu d’aller toujours plus haut et à accéder au poste de Responsable suprême de la Révolution d’où il dominera toutes les Institutions et tous les Guinéens. En même temps Il devient de plus en plus suspicieux, il tend à être omnipotent. Le décor est ainsi planté, rien ne pourra plus l’arrêter, et le complot devint un instrument de gouvernement qu’il utilise sans fin. Pour compléter sa stratégie, et c’est le 3èmeingrédient, il choisit au sein de son entourage le plus proche et le plus stratégique ses parents et ceux de la première dame pour constituer la base de la commission d’enquête. Cette commission au lieu de jouer à l’apaisement a plutôt versé de l’huile sur le feu, les faucons favorisant la fuite en avant tandis que les autres guidés par leur égo passaient le temps à régler leurs

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comptes à travers des personnes innocentes. Les complots se multiplièrent et occupèrent désormais le paysage politique guinéen. LES COMPLOTS En dehors des complots nés des actions de déstabilisation de la France au début de l’indépendance nombreux sont ceux qui semblent être montés de toute pièce pour les besoins de la cause. Il est évident aussi que le débarquement des Portugais accompagnés des Guinéens le 22 novembre 1970 a bien été une agression contre la Guinée, même si les motivations de cette agression étaient avant tout liées à un double objectif, celui de libérer un important prisonnier militaire détenu en Guinée et à la destruction de l’état-major du PAIGC. Ils étaient bien sûr accompagnés des Guinéens du Front qu’ils avaient laissés en rade et dont la majorité sera prise et exécutée. De son côté le Gouvernement va saisir l’opportunité de cette agression pour faire un amalgame qui va lui permettre d’accuser, d’arrêter et d’exécuter des centaines des personnes dites douteuses qui étaient déjà sur la liste des futurs comploteurs. Par contre nombreux sont les complots dont la réalité est clairement contestable, des complots fabriqués et dont les motivations sont soit de dissuader ou d’éliminer un ennemi potentiel, d’empêcher la création des partis politiques concurrents au PDG, de passer un cap économique difficile, ou d’intimider un groupe pour l’empêcher d’agir. Pour attester cette thèse, on peut citer les exemples suivants : - Le complot dit des agents du colonialisme français et des intellectuels tarés en 1960 a été une réponse à l’initiative d’un groupe de jeunes cadres rentrés de la France qui ont décidé de rédiger un manifeste pour la création d’un parti le PPG (Parti Progressiste de Guinée). Arrêtés, enfermés au Camp Boiro, ils seront torturés et la plupart exécutés. Or dans cette affaire il n’a jamais été question ni de renversement du gouvernement en place ni de subversion pour déclencher des troubles dans le pays. Toute cette démarche avait été faite dans les règles de l’art et le respect de la Constitution ; Le complot des enseignants en 1961 quant à lui repose entièrement sur la publication d’un mémorandum d’ordre professionnel préparé par le syndicat des enseignants et qui présentait des propositions destinées à améliorer le fonctionnement de l’enseignement et les conditions de vie des enseignants sans aucune intention subversive. Cette démarche a pourtant été transformée en complot et a

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causé l’arrestation de nombreux cadres et élèves et leur incarcération pour des années dans les prisons du régime ; - Le complot des commerçants pour sa part est entièrement basé sur le dépôt au ministère de l’Intérieur le 11 septembre 1965 des statuts d’un nouveau parti, le PUNG (Parti de l’union nationale guinéenne) par Petit Touré, commerçant de son état. Il s’en suivra l’arrestation d’une centaine de personnes dont Petit Touré lui-même qui décédera en prison suite à une diète noire le 31 octobre 1965. Ainsi le dépôt des statuts d’un parti politique a été considéré comme un crime et les auteurs de ce crime condamnés à mort par inanition ; - Le Complot que l’on pourrait appeler celui des candidats à l’élection présidentielle quant à lui concerne des citoyens qui avaient fait acte de candidature conformément à leurs droits constitutionnels. Ils seront cependant arrêtés et enfermés ; ce sont Fofana Boubacar, Kaba Diafodé, Milimono Faya et Diallo Koumbi ; - Le complot peuhl en février 1976 quant à lui ne sera appuyé d’aucune preuve matérielle ; il reposera entièrement sur des a priori, des supputations et des dépositions arrachées sous la torture. On pense généralement que ce complot était principalement destiné à se débarrasser de Diallo Teli ancien Secrétaire général de l’OUA, subsidiairement à se venger des cadres du Fouta Djallon agissant au sein du Front de libération et aussi des articles de Siradio Diallo dans l’hebdomadaire « Jeune Afrique », tous étant hors de portée d’une arrestation éventuelle. L’exaspération de Sékou Touré contre les Peuhls en général, contre le Front de libération et Siradio Diallo en particulier, se manifestera de nouveau à travers ses discours incendiaires d’août 1976. LA TORTURE Ces complots vont constituer un drame humain profond et dévastateur et donner l’occasion à tous les abus, à toutes les atrocités et à toutes les férocités que l’homme peut commettre sur l’homme. Les personnes arrêtées sont soumises à la diète noire, aux tortures par courant électrique, aux bastonnades à mort, aux humiliations, à la mort par noyade, aux tortures psychologiques au, chantage à propos de la famille restée en liberté, bref à toutes les méthodes sataniques que l’homme a pu imaginer. On a pu se demander naïvement si ces pratiques d’un autre âge étaient connues de Sékou Touré compte tenu de ses discours 71

révolutionnaires, de l’idéologie de son parti, de son aura internationale et du charme qu’il produisait sur ses visiteurs et ses interlocuteurs. Le recoupement des assertions des différents livres écrits sur le Camp Boiro de même que le témoignage des rescapés des différents camps de la mort sont sans équivoque à ce sujet. Il semble bel et bien au courant des moindres détails, il lui arrivait même de donner un coup de main à la commission en cas de besoin. Jean Paul Alata dans son livre, Prison d’Afrique fait mention de la lettre que lui envoya Sékou Touré en prison et dont le contenu serait le suivant : « Mon cher Alata, je suis navré de ce qui t’arrive. Tu dois bien t’en douter. Je ne puis me désintéresser de ton sort. Si tu veux encore servir la révolution, aide-moi à trouver la vérité. Ne me cache rien de ce que tu as fait. Pense à ton épouse, à tes enfants et à moi-même qui voudrais si tu t’en montres digne par le courage avec lequel tu feras ton autocritique, te conserver intacte, toute mon amitié. Bien fraternellement S.T. » Dans cette lettre, pour le convaincre de dire qu’il fait partie du complot, Sékou Touré utilise à la fois l’amitié que lui voue Alata et le chantage en rappelant que sa femme qu’il aime passionnément et ses enfants peuvent être arrêtés à tout moment et conduits là où il est. Amadou Diallo l’auteur de "la mort de Diallo Teli" — Kartala 1983, pour sa part fournit copie de l’extrait de la lettre que Sékou Touré aurait envoyée à Diallo Teli et qui dit en substance ce qui suit : « Je prends Dieu comme témoin pour te garantir ma grâce. Ce testament auquel tu aspires, tu le réaliseras au milieu de ta famille. En te renouvelant ma profonde amitié, je te demande de prendre courage. Prêt pour la révolution S.T. » Il faut rappeler que Diallo Teli aurait conditionné la signature de sa déposition à la publication concomitante du testament qu’il voudrait laisser au peuple de Guinée. Dans cet extrait de lettre, Sékou Touré lui promet la grâce et la possibilité de rédiger ledit testament au milieu de sa famille, ce qui n’a pas été le cas. Ces deux lettres montrent bien qu’à l’occasion des blocages au niveau de la commission, lorsque les tortures n’ont pas pu amener les suppliciés à avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis, lorsque les 72

arguments des commissaires n’ont pas pu convaincre, on faisait recours au Président Sékou pour enlever le morceau. Il serait arrivé même que Sékou Touré utilisât le téléphone pour appuyer ses lettres ; le cas est arrivé notamment avec Alata et Teli. Même si d’aucuns devaient être tentés de remettre en cause l’existence de ces lettres ou la véracité de ces conversations téléphoniques, ils ne pourront pas prétendre que Sékou Touré était dans l’ignorance de ce qui se passait à la commission d’interrogation où cohabitaient ses proches qui ne filaient pas le parfait amour les uns pour les autres et qui pour rien au monde ne couvriraient une opération inconnue du grand chef. À Boiro et ailleurs la torture aurait été permanente, lorsque les prisonniers n’étaient pas devant la commission ou à la cabine technique, excepté ceux qui sont soumis à la diète noire, ils demeuraient dans leurs cellules exigües et malfamées d’à peine 1,50 sur 2 mètres contenant de 2 à 7 personnes selon Jean Paul Alata. Il leur était fourni trois maigres repas par jour, tout juste suffisants pour les maintenir en vie. Il arrivait souvent que la mauvaise nourriture servie déclenchât chez plusieurs d’entre eux des maladies intestinales accompagnées des crises diarrhéiques qui empestait l’atmosphère, quelques fois durant des jours, en attendant la corvée suivante, seul moment où ils bénéficiaient de l’air frais. Parlant de Sékou Touré, André Lewin qualifie Sékou Touré de « dictateur sanguinaire qui a poussé la délation, la torture et la répression jusqu’au système de gouvernement » dans son livre intitulé Sékou Touré 1922-1964 Tome 8, page 50. Ces arrestations, ces tortures ont touché de nombreuses familles Guinéennes de Basse Guinée, de Moyenne Guinée, de Haute Guinée, de la Forêt et de partout en Guinée, des familles de fonctionnaires, de commerçants, d’ouvriers, de paysans. Pour ma part elles ont emporté à jamais mon frère Lieutenant Abasse Barry de la Douane, un pilier de ma famille, un battant qui a beaucoup compté pour moi, parti à jamais du côté de Kankan sans laisser de trace. Cette perte est d’autant plus douloureuse qu’elle serait liée à ses relations amicales et familiales avec Saifoulaye Diallo, son cousin, à l’instar d’autres personnes telles que Dr Mamadou Sow Secrétaire d’État du Plan et de la Statistique, un cadre brillant et intègre qui a été le premier à offrir un diner à ma femme et moi après notre mariage, diner auquel assistait entre autres Barry Diawadou qui venait de rentrer de l’Égypte où il était Ambassadeur. Dr Sow mourra au camp Boiro ; Hadja Diallo Bobo, sœur de Saifoulaye sera aussi arrêtée au sein de l’entourage de Saifoulaye, mais sortira 73

quant à elle et va heureusement survivre ; beaucoup d’autres victimes relèvent de ce chapitre. Était-ce juste pour faire mal à Saifoulaye ou pour étoffer un dossier qui aurait été ouvert contre ce compagnon de l’indépendance qui avait sacrifié famille et amis pour participer de façon décisive, avec Dr Abdourahmane Diallo dit Vieux Doura à l’implantation du RDA au Fouta alors que cette région était en majorité derrière Barry Diawadou et Barry III. Bien que cette lutte comportât un volet particulier contre les chefs de cantons dont faisait partie son père, il n’a jamais hésité et n’a jamais plié aux railleries, à la médisance et aux pressions de tous genres pour poursuivre sa route en compagnie de ses camarades du parti. Malgré son courage, son abnégation et sa constance, Sékou Toué avait adopté une position ambigüe, pour ne pas dire hostile à son endroit depuis le CNR de Foulaya où les partisans de la séparation des pouvoirs s’étaient massivement prononcés pour qu’il prenne les reines du Parti. Depuis lors les humiliations, les crocs-en-jambe se sont multipliés et ont même conduit à des rumeurs de son arrestation. Il était cependant hasardeux d’arrêter un tel personnage très populaire au sein du parti ; Sékou Touré a dû choisir le harassement continu jusqu’à sa mort et même mort, il décida, sous la pression des instances du parti, de le faire enterrer au mausolée national, mais pas dans le mausolée où se trouvent cependant les tombes de M’Balia Camara et Hadja Mafory Bangoura autres compagnes de l’indépendance. Ce développement voulait juste illustrer comment la révolution pouvait traiter un serviteur fidèle. Ces vagues de terreur vont emporter aussi nombre de mes amis et proches, dont Barry Baba, directeur de l’usine de rechapage des pneus à qui j’avais promis avant son arrestation de donner son nom à mon fils ainé Abdoul Karim. NÉPOTISME ET RACISME Parallèlement à l’utilisation à outrance de cette machine à broyer les hommes, Sékou Touré s’est entouré de plus en plus de ses parents et de ceux de son épouse. À ce sujet André Lewin qui a bien connu la Guinée et les Guinéens de l’époque écrit à la page 136 de son Livre Sékou Touré 1922 — 1964 — 8e vol. : « Frères, beaux-frères, cousins, neveux du Président ou de la Présidente avaient presque tous des postes éminents à l’intérieur du Gouvernement ou dans la Haute Administration ». À la commission d’enquête du Camp Boiro place stratégique s’il en est, outre Ismaël Touré, petit frère du Président ; on 74

trouvait Seydou Keita, Moussa Diakité et Mamadi Keita, tous cousins ou beaux-frères de la Présidente ; ce sont les personnes qui comptent dans la commission qui ne se réunit jamais sans la présence d’un ou de deux d’entre eux. Il fait de moins en moins confiance aux autres et estime sans doute que sa famille constitue son dernier refuge, ignorant selon André Lewin qu’Ismaël Touré lui aurait envoyé en 1979, alors qu’il était ambassadeur de France en Guinée, un émissaire pour solliciter l’aide de la France pour renverser son frère. Sékou Touré continue bien sûr à faire appel aux autres ethnies pour occuper des fonctions ministérielles, mais ce sera à des postes sans importance stratégique dont le rôle était de faire croire que toute la Guinée était équitablement représentée au sein des instances gouvernementales. Même les membres du BPN qui n’étaient pas membres de la famille sont marginalisés et ne sont convoqués qu’à certaines sessions pour entériner des décisions antérieures. Lors d’une interview accordée par Jean Paul Alata à Abidjan en 1977, déclarait : « le clan familial qui entoure Sékou Touré et les sous-clans d’Ismaël, de Mamadi Keita et de Siaka Touré sont ceux qui comptent ; tous les individus qui s’agitent croyant jouer un rôle se trompent. Par la même occasion, il prédisait d’ailleurs que Lansana Béavogui allait être écarté à son tour si le régime perdurait. Cet ancrage sur sa famille va faire apparaitre aussi ses penchants racistes, notamment vis-à-vis du peuhl dans ses déclarations de 1976. Pour renchérir ce propos, Siaka Touré aurait déclaré à Amadou Diallo l’auteur de la mort de Diallo Teli ce qui suit : premièrement « depuis l’indépendance c’est le même complot qui continue et à sa base on trouve toujours les gens du Fouta Djallon, puis d’ajouter que le Président aurait déclaré que vous les Peuhls vous avez une haine contre lui… N’étant pas originaires de la Guinée, vous voulez la détruire et aller ailleurs. » Quel fantasme de la part d’un chef d’État face à une communauté dont les précurseurs sont arrivés en Guinée à partir du 2e siècle ? CYNISME ET PARANOÏA Le déroulement des complots a aussi montré une dose de cynisme accompagné de la paranoïa chez Sékou Touré ; le fait d’inviter Diallo Téli à venir diner chez lui à quelques heures seulement de son arrestation, la nécessité qu’il sentait d’écrire aux prisonniers ou de leur 75

parler au téléphone pour les convaincre d’avouer leur forfaiture, souligne un cynisme outrageant qui dépasse l’entendement et la bienséance. Il est de même lorsqu’il montre à André Lewin dans la foule des danseuses lors d’une fête du parti une femme dont il se vante d’avoir tué le mari. Son côté paranoïaque apparait pour sa part avec clarté dans cette affaire de déterrement du corps de Diallo Teli rapporté par Alsény René Gomez qui écrit : après sa liquidation dans la nuit du 1er mars 1977, Sékou Touré alla pour faire déterrer le corps de Diallo Teli en compagnie du maire de Kaporo, pour s’assurer qu’il était bel et bien mort. RELATIONS DE TOUS LES JOURS ENTRE SÉKOU TOURÉ ET LES CITOYENS GUINÉENS Après le vent de terreur qui a balayé leur pays suite à l’agression du 22 novembre 1970, les Guinéens sont habités par un triple sentiment de peur, de fatalisme et de réalisme qui les conduit tous pour diverses raisons à montrer patte blanche. Certains sont conscients que Sékou Touré ne reculerait devant rien pour défendre son régime et que pour ce faire, il disposait de tous les moyens pour sévir, mater et réduire à néant ses ennemis réels ou supposés, ce qui a provoqué en eux une peur bleue, à telle enseigne qu’un paysan entendant à la radio l’annonce du décès du Responsable suprême de la Révolution, a jeté et brisé sa radio de peur d’être piégé par cette dernière. Ces Guinéens cherchent par tous les moyens à fréquenter le chef afin de se rapprocher à lui. D’autres, les fatalistes, se disaient que c’est Dieu qui a décidé de l’arrivée de Sékou au pouvoir et que seul lui décidera de son départ ; tant que cette heure n’aura pas sonné, il faut éviter de s’offrir en martyr en récusant sa compagnie ou bien en étant indifférent. Enfin d’autres personnes que l’on pourrait appeler les réalistes, étaient eux guidées par une analyse née de l’observation de la situation sociale et politique, de l’isolement de Sékou Touré depuis qu’il était devenu le Responsable suprême de la Révolution ; en effet il était désormais seul, tout la haut, coupé de ses compagnons et n’ayant plus aucune autre étape à parcourir au sein du parti ; comme le dit un proverbe peulh « toonin laamel ko piitel », c’està-dire que la chute est promise à quiconque essaierait d’aller au-delà du sommet de l’arbre. Ils estimaient que Sékou Touré avait atteint le sommet de l’arbre il devait irrémédiablement tomber en essayant de faire le moindre geste ; ce n’était qu’une question de temps. Sur le plan 76

extérieur, son isolement l’avait amené à chercher à desserrer l’étau dans lequel il se trouvait enfermé ; les complots avaient trouvé leur limite, après 1976 ils étaient devenus sporadiques, limités dans l’espace et dans leur ampleur. En 1978-79 il va chercher à se réconcilier avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal, il libère les prisonniers occidentaux. Il ne lui est plus possible de revenir à la politique de la terreur des années 1970 ; les tenants de cette thèse pensent que Sékou a perdu de son venin et que le fréquenter ne pourrait que faciliter cette politique en le convainquant qu’il n’y a pas péril à la demeure. De son côté Sékou Touré, en comptant sur son irrésistible charme sur ses visiteurs, cherchait apparemment à séduire et à convaincre qu’il était loin d’être le dictateur sanguinaire, sans cœur et sans pitié que ses ennemis l’accusaient d’être. Il comptait sur les rencontres et les échanges avec ses visiteurs pour conquérir l’admiration de ses interlocuteurs, de leurs familles et de leurs amis et convaincre la Communauté internationale que la Guinéenne restait mobilisée derrière lui ; les portes de son palais étaient donc largement ouvertes aux visiteurs, y compris aux anciens prisonniers, aux proches de ceux qui étaient détenus à Boiro ; à l’issue des audiences il lui arrivait de retenir certains pour déjeuner avec lui. Était-ce une sorte de lâcheté et de trahison de la part des parents des victimes de fréquenter ces lieux ? S’agissait-il d’une trahison de soi de la part des victimes elles-mêmes ? Était-ce du cynisme de la part de Sékou Touré de recevoir, de regarder dans les yeux et de partager le repas avec des hommes et des femmes qui ont été torturées et humiliées en son nom ou des parents de ces derniers ou des personnes disparues ? Il y a certainement un peu de tout cela, mais aussi, et surtout le désir pour chacun des concernés d’adopter une attitude conforme à ses sentiments et à ses préoccupations. Et comme chacun croyait rouler l’autre, une complicité tacite qui arrangeait tout le monde s’est établie entre le Président et ses visiteurs au bénéfice de la nouvelle diplomatie de charme en direction de l’Occident et de ses voisins avec lesquels il voulait se rapprocher.

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CHAPITRE 4 : La Politique menée par Sékou Touré durant ses 26 ans de règne La politique d’Ahmed Sékou Touré sera analysée sous le quadruple point de la Politique intérieure et extérieure, la lutte pour le développent économique de la Guinée, la promotion sociale et culturelle. 1. POLITIQUE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE C’est certainement la sphère dans laquelle Sékou Touré s’est investi le plus et où il a pensé laisser l’impact le plus important. Il a en effet consacré beaucoup de son temps à l’élaboration de sa pensée politique et idéologique à travers ses tomes et ses nombreux discours qui seront le creuset de toute la politique qu’il appliquera aussi bien à l’intérieur de la Guinée qu’au niveau international. Dans ce domaine la lutte pour l’indépendance et la construction d’une Nation ont été sans contexte celles qui ont le plus marqué les esprits. Le Chemin de l’Indépendance L’indépendance est un rêve que chaque peuple cherche à réaliser, y compris par la force. C’est pourquoi l’accession à l’indépendance a été la revendication phare des peuples durant les 19e et 20e siècles ; les colonies françaises d’Afrique n’ont pas été en reste. Dès la fin de la 2e Guerre mondiale, cette question a été portée par les récits des tirailleurs africains sur les combats héroïques qu’ils ont livrés pour libérer la métropole à côté de leurs camarades français qui étaient leur égal sur le champ de bataille ; ils voulaient désormais la pérennisation de cette égalité à travers l’indépendance de leurs pays. D’autre part, la dissémination de l’idée d’indépendance dans les colonies fut aussi le fait des jeunes en général et des étudiants en particulier. Il leur est apparu clairement que la colonisation doit prendre fin pour rendre aux peuples colonisés leur dignité. Plusieurs événements vont contribuer à l’encrage de l’idée d’indépendance aussi bien dans les colonies qu’en métropole, à savoir entre autres la défaite de la France à Dien Bien Phu, 79

le début de la guerre d’Algérie, l’indépendance du Maroc et de la Tunisie en 1956. Sous l’impulsion des hommes politiques de gauche français, la Loi Cadre Gaston Defferre est adoptée en 1957 ; elle accorde la semi-autonomie aux territoires français d’Afrique Noire qui disposent désormais d’un exécutif et d’une Assemblée territoriale élue au suffrage universel. Cette ouverture ne va cependant pas refroidir les ardeurs des indépendantistes qui bénéficieront par ailleurs des retombées des événements politiques graves qui se déroulaient en Algérie en 1958. Les généraux français opérant en Algérie face à leur impuissance de vaincre le FLN et d’éviter l’indépendance de la colonie décident de s’associer avec les colons français, les pieds noirs, pour tenter une sédition en France. L’appel est alors lancé au Général de Gaulle pour revenir au pouvoir et sauver sa patrie. Face à cette situation trouble, le général entreprend sans tarder une réforme constitutionnelle dotant la France d’un régime présidentiel et d’un nouveau type d’association avec les colonies françaises d’Afrique Noire. S’agissant des relations avec les colonies, il leur est proposé une Communauté franco-africaine dans l’espoir de reculer l’échéance de l’indépendance des colonies ; il leur est soumis à cet effet un référendum qui est organisé dans chacun de ces pays demandant à ceux qui veulent rester dans la Communauté de voter OUI et à ceux qui choisissent l’indépendance de voter NON. Dans la campagne qu’il entreprend dans les colonies pour faire voter OUI le Général de Gaulle arrive à Conakry le 25 août 1958 ; ce fut l’occasion d’un échange de discours mémorables entre lui et Sékou Touré, discours au cours desquels chacun d’entre eux se cabra sur ses positions. Vote du NON et ses conséquences Profitant de l’offre faite aux colonies d’Afrique Noire de choisir entre rester au sein de la Communauté franco-africaine et devenir indépendant, la Guinée opta résolument pour cette dernière. Le quadrillage de la Guinée par le PDG dont Sékou Touré est devenu le Secrétaire général en 1952, de même que la mobilisation des masses et l’utilisation pertinente de toutes les ouvertures offertes par la Loi Cadre Defferre, permettront à Sékou Touré de prendre la direction du combat auquel s’associeront activement les autres partis politiques guinéens déjà engagés pour l’indépendance, tels que le BAG de Barry Diawadou et la DSG de Barry Ibrahima dit Barry III, les syndicats, les 80

mouvements étudiants, l’UGEEG et la FEANF. Cette belle unanimité va conduire à un vote massif de plus de 95 % pour le Non à la Communauté et pour le choix de l’indépendance qui sera solennellement proclamée le 2 octobre 1958. Ahmed Sékou Touré en tant que Vice-Président du gouvernement territorial sera élu Président de la République de Guinée par l’Assemblée territoriale érigée en Assemblée nationale. Suite à ce vote historique, les Guinéens et notamment leur président Ahmed Sékou Touré seront célébrés partout dans le monde. Ce dernier en tirera une aura exceptionnelle. Cet exploit amena chaque Guinéen à se considérer comme un éclaireur de tous les Africains qui aspirent à l’indépendance ; ils en retireront une fierté légitime et joueront pleinement le rôle de modèle. C’est pour cela que les intellectuels affluèrent de partout, même hors d’Afrique pour venir apporter leur solidarité et leur soutien à la Guinée indépendante. Les étudiants guinéens à l’étranger sont choyés et admirés par les autres étudiants et les jeunes. Ce sentiment de fierté et de responsabilité assumée est peut-être le cadeau le plus cher que les générations de l’époque vont emporter dans leur tombe. Malheureusement, cette fête sera de courte durée, car pointaient déjà à l’horizon les complots qui vont se succéder et se diversifier incluant des intellectuels, des paysans, des ouvriers et même des militants de première heure du PDG. Ces complots sont aussi accompagnés de la peur, des privations de toute sorte. Après l’imposition du parti unique vint l’avènement d’un homme qui se hissa au-dessus de toutes les institutions et de tous les organes et qui disposa de tous les pouvoirs. Cette dictature sera accompagnée naturellement des pénuries et des privations résultant des décisions économiques irrationnelles et mal préparées, du désespoir des Guinéens. Les carnets de ravitaillement remplacent largement les marchés dans les villes et suscitent des frustrations et de l’insatisfaction liées aux tracasseries administratives, à des petites injustices liées à tout système de ravitaillement. Il s’en suit un exode de plus de deux millions guinéens vers les pays voisins à la recherche du bonheur. L’indépendance était-elle le meilleur choix ? Le référendum sera précédé d’un débat autour de la décision que devrait prendre la Guinée face au référendum. Les réfracteurs à l’indépendance quoique fortement minoritaires estimaient que non seulement la Guinée n’était pas prête pour l’indépendance, mais encore 81

qu’elle perdrait des projets importants que la France lui destinait, se référant ainsi entre autres aux projets d’aménagement des grandes plaines de la Haute et de la Basse Guinée, au transfert de l’industrie aéronautique française en Guinée, au complexe bauxite-aluminealuminium accompagné du barrage de Konkouré. Les tenants de cette thèse ajoutaient que les Guinéens devraient s’attendre à des grandes souffrances résultant de l’impréparation et de l’isolement du pays par rapport au reste de l’Afrique. À y regarder de plus près, ces arguments ne pouvaient pas résister à l’analyse. En effet les pays africains qui vont choisir le OUI vont tous demander l’indépendance à partir de Janvier1960, tout simplement parce que l’indépendance est inaliénable et que la dignité d’un peuple ne saurait se contenter des gains matériels face à la perspective de liberté. Ces autres pays vont profiter de l’indépendance quant à eux pour réaliser des pas de géant sur le chemin du progrès et du développement. André Lewin à la page 152 de son livre Ahmed Sékou Touré (1922-1984) vol.8, page 152 rapporte une conversation qu’il a eue avec Sékou Touré ainsi qu’il suit : « Après sa visite en Côte d’Ivoire début 1979 où il n’avait pas remis les pieds depuis de longues années, il m’a dit qu’il était impressionné par la transformation du pays, notamment Abidjan et Yamoussoukro. J’ai mesuré a-t-il dit pour la première fois ce que le NON de 1958 a coûté à mon pays. Mais il a tout de suite ajouté, cependant je ne regrette rien de ce que j’ai fait ». — Le retard dont il parle n’est pas cependant la conséquence, loin s’en faut, du vote du NON en tant que tel, mais plutôt des conséquences de la mal gouvernance que la Guinée va connaitre dès le lendemain du vote du 28 septembre et qui se résume, comme il a été mentionné plus haut, à une dictature implacable qui a conduit au gâchis humain et à la misère, de même qu’une confrontation permanente avec ses voisins et d’autres pays tels que la France et l’Allemagne dont elle détient des citoyens dans ses prisons. S’agissant des projets français, une gouvernance guinéenne alerte et compétente aurait pu limiter les dégâts compte tenu du pouvoir de pression des groupes industriels privés français sur leur gouvernement en matière d’investissement direct à l’étranger. Comme il a été souligné abondamment l’option de l’indépendance choisie par la Guinée le 28 septembre 1958 était la meilleure, mais elle a été ternie par la politique du PDG.

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La construction d’un État Nation S’agissant de la construction d’un État Nation Sékou Touré a bien construit un État doté d’un hymne national, d’un drapeau, d’une organisation administrative complète allant de la base au sommet, des institutions républicaines, le tout ayant fonctionné sans discontinuer pendant 26 ans. Cette longévité cache cependant des défauts majeurs. La Guinée était gouvernée par un pouvoir central constitué par un Exécutif dirigé par un Président assisté d’un gouvernement, un Pouvoir législatif et un Pouvoir judiciaire dont les faiblesses seront exposées plus bas. Au niveau local existait un pouvoir déconcentré composé de 33 régions dirigées par des gouverneurs et de 320 arrondissements commandés par des commandants d’arrondissement, tous nommés par le pouvoir exécutif, coexistant avec un pouvoir décentralisé constitué de 2.500 PRL dirigés par des présidents élus. Avec l’avènement du Parti État, les compétences du PRL vont s’affirmer et devenir un modèle pour toutes les structures du parti au niveau de l’Arrondissement et de la Préfecture. À ces niveaux le parti a absorbé l’État sans disposer des ressources humaines compétentes et des ressources financières adéquates devant lui permettre de jouer son rôle. On peut déplorer aussi un manque de consistance et des mauvaises conditions de mise en œuvre. Les Arrondissements par exemple ne sont pas dotés des services de sécurité conséquents et les prérogatives y afférentes sont abandonnées au parti et à la milice dépourvus comme on l’a vu des moyens appropriés. Lorsqu’il y a des conflits entre les citoyens, c’est souvent le plus audacieux ou celui qui a des bras les plus longs qui s’impose ; lorsqu’on fait appel aux gendarmes ou aux policiers basés au niveau de la Préfecture, ils ne se déplacent pas faute de manque de carburant disent-ils. Au niveau central l’organisation pêche à cause d’un présidentialisme intégral qui n’est ni contrebalancé par des contre-pouvoirs ni tempéré par des critiques des médias ou de l’opinion publique. Enfin concernant les conditions de mise en place de cette organisation elles ont été caractérisées par l’improvisation, et des nominations purement partisanes, le seul critère pour le choix des responsables étant le militantisme au sein du parti ; en conséquence ils sont quelques fois à peine alphabétisés, souvent des miliciens ou tout simplement des agitateurs ou propagandistes. Malgré l’urgence qui a accompagné la mise en place de cette organisation, le gouvernement aurait pu par la suite procéder aux réajustements nécessaires, 83

notamment à l’élaboration des règles et procédures en matière de gestion administrative et à l’évaluation des responsables pour sélectionner les meilleurs en vue de les former. Au lieu de cela le pouvoir s’est contenté d’une administration qui marche à minima, une administration caractérisée par l’amateurisme, l’incompétence, la routine et l’arbitraire. Quant à la forme constitutionnelle du régime, nous avons vu comment Sékou Touré a su organiser méthodiquement un cheminement vers la dictature. Il a tout d’abord fait adopter un régime présidentialiste, mais ce régime a été très vite vidé de sa substance, de ses équilibres internes, de ses contre-pouvoirs en faveur du Pouvoir exécutif qui a dominé et réduit à néant les Pouvoirs judiciaires et législatifs et conduit au règne d’un Président omnipotent et omniprésent. Parallèlement à cette manipulation du régime présidentiel originel, il a aussi modifié les règles de fonctionnement de son parti en introduisant la notion de Responsable Suprême de la Révolution qui fait disparaitre l’idée de collégialité et introduit celle de l’homme qui se confond avec le parti et ses principes ; désormais le parti c’est lui. Désormais il peut porter l’habit du parfait dictateur et diriger la Guinée comme il l’entend. L’armée de la 1ère République Outre le drapeau et l’hymne national, Sékou Touré très tôt a mis en place une armée nationale ; mais une armée dont la caractéristique principale sera de ne pas refléter l’image de la société, car comme le souligne Kaba 41 dans son livre « un fleuve de sang et de larmes cela a bien existé dans la Guinée de Sékou Touré » au moment de la mise en place de l’armée guinéenne sur 10 militaires sept sont Malinkés. Cette armée sera aussi handicapée par les recrutements ultérieurs de jeunes délinquants dont on ne savait que faire dans les familles et la mise en place d’une milice concurrente qui a les faveurs du régime. L’armée est mal équipée, mal formée et marginalisée à cause de la peur des coups d’État qu’elle inspire. L’échec de la construction d’une Nation Un autre handicap du régime est situé au niveau de la construction d’une Nation. L’engouement résultant de l’indépendance aurait dû être le levain pour bâtir une nation forte, solidaire et prospère. Cela n’a pas été le cas, à cause comme nous l’avons vu plus haut des arrestations massives dans tous les milieux sociaux de la Guinée, les 84

emprisonnements, les assassinats qui ont fini par exaspérer les familles qui ont été touchées par ce vent de panique. En plus de ces évènements qui ont touché la Guinée dans toutes ses composantes, la guerre déclenchée spécifiquement contre les Peuhls, l’humiliation qui leur a été infligée ont contribué grandement à fragiliser le tissu social de la Nation en construction. Ces faits et dires vont constituer une bonne semence pour le racisme et l’ethnocentrisme. Politique extérieure Au plan international les objectifs de Sékou Touré nés aussi de l’idéologie du PDG étaient le soutien aux mouvements de libération nationale, la promotion de l’unité africaine et l’émancipation des peuples africains. Pour ce faire il a bâti autour de Diallo Teli une équipe de jeunes diplomates composée notamment de Achkar Marof, Mbaye chaikou Oumar et Abdoulaye Porthos Diallo resté quant à lui au ministère des Affaires étrangères à Conakry, qui vont vaillamment lutter pour imposer le point de vue de la Guinée. Malheureusement cette brillante équipe diplomatique va périr elle aussi au Camp Boiro, à l’exception de Porthos qui va en sortir vivant malgré les tortures subies. Sékou Touré participa lui-même activement aux Assemblées générales des Nations Unies où il prononça des discours mémorables qui vont donner un coup d’accélérateur à la politique des Nations Unies en matière de décolonisation, de lutte contre l’apartheid et de l’émancipation de la femme. L’influence de la Guinée a été telle que le président du Comité spécial des Nations-Unies contre l’apartheid a été Diallo Teli jusqu’à son élection à la tête de l’OUA ; il sera remplacé à ce poste par son collaborateur Achkar Maroff. D’un autre côté, la Guinéenne Jeanne Martin Cissé a été la première femme à présider le Conseil de Sécurité en 1972. Les succès de la Guinée aux Nations Unies a probablement conduit à l’indépendance plutôt que prévue des pays africains francophones qui avaient choisi de rester dans la Communauté Franco-Africaine. Dans le cadre de la lutte pour l’unité africaine la Guinée s’est aussi largement investie pour la création de l’OUA qui verra le jour le 25 mai 1963 et dont le 1er Secrétaire général sera comme indiqué plus haut le Guinéen Diallo Teli. Auparavent, dès 1958 Sékou Touré et Kwamé Nkrumah vont créer l’Union des États africains que le Mali rejoindra

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plus tard pour former l’Union Guinée-Ghana-Mali. Il sera aussi l’un des pères fondateurs de la CEDEAO et de Mano River Union. S’agissant du soutien aux mouvements de libération, la Guinée a généreusement manifesté son soutien matériel et moral. Elle a reçu et hébergé pendant des années les gouvernements du GPRA (Gouvernement provisoire de la République Algérienne), de l’OLP (Organisation pour la Libération de la Palestine), du PAIGC (Parti pour la Libération de la Guinée et du Cap Vert), de même que de nombreux autres dirigeants africains tels que Kwamé Nkrumah, Amilcar Cabral, Felix Moumié, Myriam Makeba etc. Elle a aussi envoyé sur le champ de bataille des contingents militaires qui ont versé leur sang pour défendre la noble cause de leurs frères, par exemple au Congo ex. Belge, en Angola, en Guinée Bissau. Le Président Sékou Touré a aussi personnellement joué un grand rôle dans le domaine de la médiation entre les pays en conflits, d’abord en Afrique entre le Mali et la Haute-Volta et entre le Bénin et le Togo, ensuite en tant que Vice-président de la Conférence islamique entre l’Iran et l’Irak. Au niveau du Tiers Monde il a joué un grand rôle en prenant part à toutes les manifestations et Conférences organisées par ce mouvement. Cette activité tous azimuts explique pourquoi tous les grands dirigeants du Tiers Monde de l’époque sont venus à Conakry, Tito, Chou En Lai, Castro, Che Guevara, Nasser, Nelson Mandela, Ben Bella, roi Fayçal, Kenyatta, Soekarno, Norodom Sihanouk, Bourguiba. Cette première période de la diplomatie guinéenne qu’on peut caractériser de diplomatie conquérante s’étend à peu près de 1958 à 1965. Elle sera suivie de la période que l’on peut qualifier d’éclipse diplomatique et qui s’étend grosso modo de 1965 à 1978 et qui correspond au temps durant lequel Sékou Touré a été absent des sommets de l’OUA. C’est aussi le temps de l’intensification des complots, des arrestations et des tortures en Guinée, enfin c’est le temps de nombreuses déconvenues pour Sékou Touré avec entre autres : — le renversement de ses amis Sylvanus Olympio en 1963 au Togo, Ben Bella en 1965 en Algérie, Nkrumah en février 1966 au Ghana et de Modibo Keita en 1968 — la trahison de l’OUA qui a admis à ses sommets des putschistes tels qu’Ankrah

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— l’arrestation et l’humiliation des délégations officielles guinéennes en mission officielle à l’escale de PANAM à Accra en octobre 1966 à et à celle de KLM en juin 1967 à Abidjan — la tentative de scission du Biafra soutenue par la France en 1967 — la campagne médiatique déclenchée en Europe contre le régime guinéen, notamment la demande officielle le 12 juin 1977 de la ligue internationale des Droits de l’Homme aux Nations Unies d’entreprendre une enquête officielle sur les violations des droits de l’homme en Guinée et la publication le 14 octobre 1977 par le magazine Jeune Afrique d’un dossier spécial intitulé « Guinée, le mythe et les réalités » qui recense la liste des camps de détention, les détenus et accuse Sékou Touré d’avoir fait de son pays « l’instrument de sa folie. » L’absence de Sékou Touré au sommet de l’OUA dont il est question plus haut était-elle dictée par la crainte d’être renversé s’il s’éloignait de Conakry ou bien était-ce à cause du ternissement de son image sur le plan international à cause des violations des droits de l’homme ? Toujours est-il que pendant 13 ans la Guinée n’était pas représentée par son Chef d’État aux instances de l’Organisation. Les seules actions d’éclat durant cette période ont été le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Allemagne en 1974 et la France en 1975, suivis de la libération de leurs prisonniers détenus en Guinée. Ce sera aussi le rétablissement des relations diplomatiques avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal en 1978. Après l’éclipse, la reprise sera plutôt molle, car la Guinée s’enlise dans la tentative de résoudre les deux questions qui gangrenaient l’OUA, à savoir le problème d’admission de la RASD et la question du Tchad où deux chefs de guerre s’affrontaient avec en arrière-plan la Libye. Si autrefois, précisément entre 1958-1963 il pouvait à cause de son aura résoudre aisément de telles questions, désormais il est devenu un parmi ses pairs, il est même considéré comme quelqu’un qui défend des intérêts partisans ; Sékou Touré n’impressionne plus. Le résultat de ses efforts de médiation est plutôt mitigé, si entre le Mali et la Haute Volta et entre le Togo et le Bénin les partis disent accepter la réconciliation, en fait le différend a survécu à Sékou. Cette action diplomatique a par ailleurs été accompagnée d’une certaine frustration chez les Guinéens, à cause de l’absence des cadres guinéens dans l’administration de l’ONU et de ses démembrements et aussi l’absence en Guinée des bureaux des organisations internationales.

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Loin de suggérer l’idée que cela serait le prix de l’engagement de la Guinée au service de la communauté internationale, il est plutôt question de l’insatisfaction vis-à-vis du gouvernement qui n’a rien fait pour faciliter l’entrée de ses concitoyens dans les organisations internationales de peur de fabriquer des contrerévolutionnaires ou bien tout simplement de voir se multiplier le nombre des Guinéens qui s’émanciperaient du poids de son gouvernement. S’agissant de l’hébergement des bureaux des organisations internationales à Conakry la réticence du gouvernement est dictée par la peur d’abriter des nids d’espions. Cette posture ridicule affectera la Guinée et les Guinéens qui se trouveront défavorisés par rapport à ceux des pays voisins qui eux vont largement en bénéficier et se réjouir à juste titre de voir leurs citoyens pulluler dans les bureaux des Nations Unies à New York et ailleurs et compter aussi sur de nombreux bureaux résidents pourvoyeurs d’emplois destinés à une main-d’œuvre bien rémunérée. En conclusion de ce passage, on peut dire que la diplomatie de Sékou Touré a grandement contribué à libérer les pays africains encore dépendants, à renforcer l’unité africaine à combattre l’apartheid et à faire connaitre et respecter la Guinée. Hélas les complots, les tortures et les exécutions sommaires ont infligé un coup de grâce à cette diplomatie, d’abord en ternissant l’image de Sékou Touré que beaucoup ont fini par considérer comme un dictateur, ensuite en exacerbant les conséquences désastreuses qui ont résulté de l’élimination des cadres de grande valeur, y compris des diplomates qui n’étaient plus là pour soutenir le rythme du début et apporter leur compétence avérée, des hommes qui ne seront plus là au service de la Guinée pour le futur, alors qu’ils auraient été de nos jours des personnes de référence dans le monde. Sans vouloir refaire l’histoire, on peut souligner l’ampleur de cet échec en imaginant quelle place la Guinée aurait occupée aujourd’hui dans le concert des nations si tous ces cadres n’avaient pas été arrachés précocement à la vie. Les livres d’histoire retiendront à juste titre que la Guinée a été la seule colonie française d’Afrique Noire à choisir l’indépendance dans une belle unanimité. Comme on l’a vu plus haut une place spéciale sera réservée à Sékou Touré dont le parti, le PDG avait été implanté, hélas quelques fois par la violence, sur toute l’étendue du territoire et avait montré de grandes capacités de mobilisation et d’encadrement, lui que l’expérience en tant que vice-président du conseil territorial avait 88

permis de placer ses hommes partout dans l’administration et qui va utiliser tous ces atouts pour la victoire du NON. Cela va tout naturellement avec la reconnaissance due à ses compagnons dans son parti et dans d’autres partis dont les mots d’ordre fermes pour l’indépendance n’ont pas permis aux colons de semer la zizanie comme ils ont réussi à le faire au détriment de Bakary Djibo en Haute Volta où finalement le OUI l’a emporté. Ils ont tous leur place au Panthéon guinéen qui sera érigé un jour à l’honneur de nos héros. Après la proclamation de l’indépendance, il a régné en Guinée une ambiance de fête, de joie et de fierté chez tous les Guinéens. Sur le plan extérieur la Guinée a marqué la diplomatie mondiale en combattant vaillamment pour la libération des pays encore sous domination coloniale, la fin de l’apartheid, l’unité africaine, l’organisation des peuples du Tiers Monde et l’émancipation des peuples opprimés du monde. Ce combat fera de la Guinée le lieu de rencontre de tous ceux qui luttaient contre l’oppression et le siège de nombreuses organisations de libération de leurs pays. 2. POLITIQUE ÉCONOMIQUE DE LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE Dans ce domaine l’examen sera circonscrit aux secteurs de l’agriculture, de l’industrie, des mines et de l’énergie, précédé d’un éclairage sur la monnaie guinéenne et une mention spéciale sur la compagnie Air Guinée. La Monnaie Guinéenne La monnaie a été l’un des premiers instruments de gestion économique dont s’est dotée malgré elle la guinée alors qu’il s’agit d’un outil essentiel au service d’une économie indépendante que le gouvernement se vantait de mener. Apparemment Sékou Touré a longtemps hésité avant d’adopter une monnaie nationale. En effet il a tout fait pour rester dans la zone CFA et a adressé plusieurs lettres dans ce sens au Général de Gaulle conformément à la chronologie suivante : - Le 15 octobre 1958, il a adressé une lettre sollicitant le maintien de la Guinée dans la zone CFA - Le 16 octobre, nouveau message réitérant sa demande ; la France répond par une note verbale non signée

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- Le 28 octobre 1958, envoie par la France d’un mémorandum sur l’appartenance éventuelle de la Guinée à la zone franc - Le 14 novembre 1958, lettre du Président guinéen exprimant à nouveau son souhait de voir la Guinée rester dans la zone franc - Le 29 novembre 1958, signature d’un Protocole d’Accord sur le maintien de la Guinée dans la zone franc - Le 1er mars 1960, la Guinée quitte la zone franc et crée le franc guinéen et la Banque Centrale de la République de Guinée C’est donc malgré lui que le président Sékou Touré s’est lancé dans l’aventure monétaire qui est pourtant un attribut essentiel de la souveraineté nationale et qui lui a survécu. Il reste cependant une tâche essentielle qui consistera à élargir la zone de couverture de cette monnaie pour qu’elle soit entièrement viable. La Compagnie Air Guinée Un autre outil de la politique économique que le gouvernement de la Première République a mis en place est la Compagnie Air Guinée dont le premier vol a eu lieu le 8 octobre 1960. Ce lancement aura été précédé de la formation complète du personnel pour le fonctionnement correct de la compagnie. Entre 1960 et 1984 les vols d’Air Guinée auront couvert régulièrement les principales villes de Guinée et même certaines villes de la sous-région. Air Guinée a représenté non seulement un motif de fierté pour les Guinéens heureux de disposer d’une compagnie aérienne, mais aussi un progrès pour leur confort dans leurs voyages à l’intérieur du pays dont les routes sont connues pour leur mauvaise qualité surtout en hivernage. Secteur de l’agriculture La Guinée a de réels atouts pour un développement fulgurant de son agriculture. En effet elle dispose des réseaux fluviaux denses, de vastes terres arables et bénéficie d’une pluviométrie abondante. La Première République très tôt a voulu utiliser ces atouts pour développer l’agriculture. Malheureusement, la stratégie choisie ne fut pas adaptée à la réalité du terrain et est apparue vite comme étant plutôt boiteuse. Les défauts de cette stratégie sont les suivants : — politique biaisée en faveur des citadins et au détriment des agriculteurs par la fixation des bas prix pour les produits agricoles, par l’instauration des normes consistant à prélever de force des produits agricoles et animaux contre des sommes d’argent dérisoires et revendus 90

à bas prix aux habitants des villes. Cette politique va décourager les paysans qui après avoir réduit les surfaces cultivées, vont carrément émigrer avec leurs troupeaux dans les pays voisins. La première conséquence sera l’élargissement du déficit alimentaire en Guinée et l’accroissement des importations. La deuxième sera l’utilisation à outrance des sommes perçues auprès des sociétés minières et principalement de CBG pour se nourrir au détriment des investissements productifs. — Politique basée sur l’idéologie et non pas des réalités économiques ; — Collectivisation à outrance et élimination trop brutale des habitudes ancestrales ; — Négligence des conseils des anciens, des études de faisabilité préalables, le passage par des Projets Pilotes au profit de l’improvisation et de la mobilisation politique. Je me rappelle en tant que jeune fonctionnaire dans le département du développement économique avoir été mobilisé avec l’ensemble des autres cadres du ministère pour aller cultiver du coton en août 1966 dans les plaines de Timbi Tounni (Préfecture de Pita). Le lendemain de notre arrivée, alors qu’on se rendait à la plaine un vieil homme rencontré sur le chemin me salua et me demanda l’objet de notre mission ; après ma réponse il me dit que nous étions en train de perdre notre temps, le coton ne se cultive pas en saison pluvieuse, car les graines risquent de pourrir toutes avant l’éclosion ; — Oubli des infrastructures locales, notamment les routes Cette stratégie va se traduire par des actions et des résultats insatisfaisants comme on le verra clairement dans les développements qui suivent. La collectivisation à outrance a amené le gouvernement à créer en 1979 des BAP (brigades attelées de production) et des BPM (brigades mécanisées de production) au nombre de 301 dans les 311 Arrondissements du pays c’est la Révolution verte qui a occasionné la fermeture des universités et l’envoi des étudiants dans ces structures qui avaient la prétention d’être à la fois des centres de production, des lieux de formation, des cités modernes, des modèles pour le paysannat guinéen. En 1984 ces unités de production n’étaient plus qu’un mauvais souvenir après avoir englouti des sommes énormes en achats d’équipements, de pièces de rechange, de carburant et lubrifiant, de perturbation dans les programmes des universités et des activités agricoles habituelles des paysans, bref un gaspillage sur toute la ligne. 91

La politique menée a eu pour conséquences un secteur désarticulé, un véritable recul de tous les sous-secteurs par rapport à l’héritage laissé par la colonisation. En matière alimentaire, alors que la Guinée était auto suffisante, le découragement des paysans, leur fuite vers les pays voisins ont provoqué un déséquilibre qui a nécessité le recours à l’importation du riz, importation qui a grimpé pour dépasser les 500.000 T. La facture était tellement lourde que des ruptures de stock se produisaient souvent et entrainaient des privations qui ont généré la formule populaire « en attendant le bateau » et qui signifiait que la Guinée dépendait des bateaux d’importation pour se nourrir. Cette situation déplorable va amener le pouvoir à recourir aux prélèvements obligatoires dont il a été question plus haut. Telle est en matière alimentaire ce que les Guinéens ont vécu et enduré. Avant l’indépendance la Guinée était renommée pour la qualité de ses fruits, notamment de sa mangue appelée « belle de Guinée » qui faisait la fierté et le plaisir des tables européennes. L’exportation de la banane représentait alors 700.000 Tonnes loin devant la Côte d’Ivoire et le Cameroun. En 1984, ce chiffre n’atteignait même pas 100.000 tonnes. Dans ce secteur aussi les complots, les arrestations, les déportations qui n’ont pas épargné les planteurs qu’ils soient guinéens ou expatriés allaient causer des dégâts irréparables et provoquer l’effondrement des plantations. Avant l’indépendance les forêts classées qui couvraient une grande partie du territoire de la Guinée avant l’indépendance vont disparaitre, victimes des coupes massives pour l’approvisionnement de l’usine des meubles de Sonfonia et de la scierie de Nzérékoré, de l’absence d’une politique de reboisement, de la disparition progressive du corps des gardes forestiers. Après les forêts primaires, les consommateurs se sont attaqués aux forets secondaires et aux forêts galerie, laissant à nu les cours d’eau et exposant le pays à la sécheresse. Dans ce domaine aussi l’échec du régime est patent. Comme on le voit non seulement le régime de Sékou Touré n’a pas pu développer le secteur agricole, mais encore il a liquidé tout ce que ce secteur avait acquis durant la colonisation, laissant la Guinée tributaire des importations des denrées alimentaires, orpheline de ses plantations et de ses forêts.

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Secteur de l’industrie Le Plan triennal a permis au gouvernement de la Première République de réaliser plusieurs usines de transformation telles que les usines de jus de fruits de Kankan, de Mamou, de Foulaya de Salguidia, l’usine de Tabac et allumettes, la sucrerie de Koba, des usines d’équipements telles que l’usine de meubles de Sonfonia, la briqueterie de Kobaya, l’usine des carreaux, l’usine de tôles, l’usine de rechapage de pneus, Somova, Soprociment, pour ne citer que quelques-unes très représentatives de l’ensemble. Il me sera donné l’occasion de vivre de l’intérieur l’expérience de ces unités. En effet du BRES, j’ai été nommé par Décret en date du 12 août 1966 directeur commercial de l’usine de sciage et des contreplaqués de Nzérékoré. Mon séjour dans cette entreprise n’allait pas durer, car dès mon arrivée le directeur général, un beau-frère du ministre Moussa Diakité, croyant qu’on m’avait envoyé pour le détrôner, était allé à Conakry pour entamer des démarches pour obtenir mon départ. L’usine de sciage et des contreplaqués, comme les autres unités industrielles guinéennes avaient dû être réalisées sans étude de faisabilité sérieuse ; au lieu de travailler pour le marché intérieur, elle était tournée entièrement vers le Libéria où la production était livrée à des intermédiaires douteux qui bénéficiaient d’une marge de manœuvre plutôt immense. Les madriers et les contre-plaqués étaient chargés dans des camions à essence gourmands en carburants et en lubrifiants vers Monrovia. Les pièces de rechange de l’usine, des camions et des groupes électrogènes étaient importées de Russie sans un contrôle strict sur les prix, les quantités et la qualité. Tous ces éléments alourdissaient d’année en année le prix de revient pour aboutir finalement à la faillite. Cette exploitation qui ne disposait d’aucun plan de reboisement des forêts exploitées, ressemblait à s’y méprendre à un feu de brousse qui détruisait tout sur son passage ne laissant ni foret, ni aucun revenu de substitution pour les communautés environnantes. Par Arrêté du ministre du Développement économique en date du 1er janvier 1967 j’ai été nommé Directeur général de l’usine des carreaux de Conakry. Première incohérence constatée dans ce département ministériel où Ismaël Touré régnait sans partage, je venais d’être relevé par Arrêté ministériel d’un poste où j’avais été nommé par Décret présidentiel. Sans récrimination je rejoignis mon nouveau poste en fin janvier et me mis au travail. 93

C’est durant mon passage à l’usine des carreaux que je me suis marié le 21 septembre 1967 avec Mlle Raye Diallo, étudiante fille d’Alfa Saliou Diallo chef du canton de Wora qui appartient au clan des Kaldouyaabhè descendants de Karamoko Alfa Mo Labé. Nous avons eu quatre enfants, à savoir Abdoul Karim né le 24 avril 1971, Alfa Abdoul Gadiri né le 23 novembre 1978, Fatoumata Binta née le 3 avril 1980 et Alfa Saliou né le 24 octobre 1982. L’usine des carreaux était une petite unité avec Soixantaine d’employés appartenant à une petite société française dirigée par un certain Abou Lafia qui avait aussi des intérêts dans l’hôtellerie et l’agriculture ; il exploitait l’usine en association avec l’État à travers le ministère du Développement économique. Cette unité utilisait principalement des matières premières locales. Elle exploitait en effet une carrière de granit qui entrait dans la fabrication des carreaux et n’importait que le ciment et quelques consommables. Elle a fourni l’intégralité des carreaux utilisés dans la construction du Palais du Peuple. L’exploitation marchait et donnait satisfaction à une clientèle qui augmentait progressivement. Cependant elle s’arrêta brusquement avec la découverte du complot Kaman/Fodéba en 1969, Abou Lafia étant connu comme ami de Fofana Karim et de Kaman Diaby, tous les deux impliqués dans le complot partira brusquement de Conakry, abandonnant toutes ses affaires pour échapper à une arrestation fort probable. Avant cela vers la mi-1967, alors que j’étais assis dans mon bureau je vis une voiture DS blanche qui entrait et garait sous ma fenêtre, c’était le secrétaire général de la Compagnie Fria, M. Blaise N’Diaye. Il m’annonça qu’il était à la recherche pour le compte de Fria des hauts cadres guinéens et que des amis lui avaient parlé de moi, il souhaitait vivement que j’accepte d’aller à Fria. Après avoir décrit les postes disponibles, les perspectives de formation et de carrière il m’invita si l’idée me séduit, à aller rencontrer leur psychotechnicien venu de Paris dans le cadre de ce recrutement. Je fus en effet vivement intéressé par les perspectives de formation et le défi de travailler dans un milieu multiculturel et de grande mobilité sociale. Comme mentionné plus haut, je rejoignis Fria le 1er mars 1968 après les formalités administratives d’usage. Pour conclure sur le secteur industriel guinéen, disons que les multiples usines réalisées par la Première République ont été très peu nombreuses à survivre à cette dernière. La majorité d’entre elles, 94

avaient été réalisées en dépit du bon sens et avaient été gérées contrairement aux règles élémentaires de bonne gestion. C’est par exemple s’agissant d’ENTA (usine de tabac et allumettes) qui était alors la référence, les grosses quantités de tabac utilisées étaient entièrement importées de Chine ou de Malawi alors que nombre des régions guinéennes fournissaient sous la colonisation le tabac dont l’usine française de tabac en Algérie avait besoin ; les pièces de rechange des machines étaient aussi toutes importées, ce qui explique que cette unité pouvait s’arrêter pendant des mois faute de pièces détachées ou de matières premières. Cette situation loin d’être singulière était plutôt vraie pour les autres usines qui souffraient des mêmes maux. Un autre défaut général de ces entités était que leur capacité de production dépassait largement la taille du marché national alors que les rapports de la Guinée avec ses voisins n’étaient pas toujours au beau fixe pour espérer y exporter le surplus de production. Enfin, il y a lieu de déplorer le fait que toutes ces unités industrielles avaient un encadrement et un personnel, constitué sauf exception, par des militants du parti, choisis exclusivement sur la base de leur militantisme ; ils continuaient à demeurer à la disposition du parti et étaient systématiquement mobilisés lors des manifestations populaires et des réceptions des hôtes de marque du pays ; de ce fait, leur productivité s’en trouvait grandement affectée et leurs fautes souvent absoutes au nom de la camaraderie entre militants. Et comme tout le personnel relevait de la fonction publique, toutes ces charges étaient supportées par le Trésor public et représentaient un gouffre financier devenu vite ingérable. En dehors des rares entreprises d’économie mixte telles que Salguidia, Soprociment, Soguilube, les quelques unités publiques encore en vie en 1984 ne fonctionnaient qu’à hauteur de 30 % de leurs capacités de production. Dans le Domaine des Mines La Guinée présente un potentiel exceptionnel qualifié de scandale géologique malheureusement la politique minière du gouvernement de la Première République, pour des raisons diverses, n’a pas su mettre en valeur comme il se devait ce potentiel. Il a tout d’abord compromis l’héritage reçu de la colonisation. La compagnie de dragage de Tinkisso, la société des mines de Bouré, la compagnie des mines de Siguiri ont été nationalisées en mars 1961 pour être regroupées dans la société EGD sous la gestion de l’État. Cette 95

société va marcher tant bien que mal jusqu’en 1971. La compagnie des bauxites de Kassa quant à elle sera nationalisée en 1962 et fermera en 1965. La Compagnie Minière dont la concession est signée en 1947 pour 75 ans renouvelables va produire jusqu’à 1.200.000 tonnes de minerai de fer ; elle va fermer en 1966. Des opportunités de toute première importance se sont envolées à cause de la négligence du gouvernement qui n’a pas eu conscience à l’époque de l’enjeu stratégique des questions en débat ; concernant par exemple le projet Fria on se rappelle qu’il comportait une phase aluminium de 200.000 tonnes qui nécessitait la réalisation d’un barrage et d’une centrale de 700 MW. Cet investissement de 400 millions $ avec la garantie de la France avait été compromis suite à l’indépendance de la Guinée. Cependant les multinationales minières ne l’entendaient pas de cette oreille. Elles ont donc développé un lobbying dense auprès de la Banque mondiale, le préteur et la France, le garant pour débloquer la situation. Il a été convenu qu’une simple requête de la Guinée pourrait être acceptable et pour la banque et pour le Général de Gaule au nom de la France. Jaques Marchandise un grand patron de Pechiney dont il a été question plus haut était chargé de convaincre son ami Sékou Toué de faire cette requête. Il fit plusieurs voyages sur Conakry sans succès. Dans une interview accordée à Ibrahima Soumah et rapportée dans le livre de ce dernier « L’avenir de l’Industrie minière en Guinée » page 108, parlant de son échec il dit : mais à Conakry c’était la période des grandes fêtes et aucune oreille n’était attentive tant qu’il y avait encore de l’argent laissé par les colons. Réalise-t-on ce que l’inattention ou la désinvolture du gouvernement a coûté à la Guinée à cette occasion ? À la fois l’usine d’aluminium et les barrages de Souapiti et Kaléta sur le Konkouré. Mais aussi la fragilisation de l’usine de Fria qui n’aurait pas connu les aléas qu’elle a vécus ; elle aurait livré sans concurrence son alumine dont le prix de revient aurait été amputé des coûts de transport à une fonderie in situ. Enfin dans un tout autre domaine la crise de fourniture d’électricité à la population n’aurait pas connu l’intensité qu’elle a revêtue depuis l’indépendance. Cette indifférence du gouvernement s’explique-t-elle par la réticence de recourir à la France ? Ce ne serait pas cohérent, car au même moment le gouvernement continuait ses démarches officielles et officieuses auprès du Général de Gaulles pour le rétablissement des relations diplomatiques avec la France. La raison la plus vraisemblable me 96

semble être le manque de discernement de ce qui est l’essentiel et même peut être un déficit des qualités qui font un homme d’État. Pour sa part Sékou Souaré dans son livre intitulé, « une histoire des réussites et des rendez-vous manqués » raconte les mésaventures d’une mission de l’Union soviétique venue à la demande du gouvernement guinéen en 1966 pour discuter du projet du barrage de Konkouré. Cette mission est restée 15 jours sans pouvoir rencontrer le ministre du Développement économique Ismaël Touré. On expliqua au chef de mission que le Ministre était occupé par son projet d’usine de canne à sucre à Madina Woula. Avant de partir, le chef de mission confia à ses interlocuteurs qu’à son avis la Guinée ne se rendait pas compte de l’importance du barrage de Konkouré. La Guinée réalisera plus tard l’importance de ce barrage, mais ce sera déjà trop tard pour la Première République qui après ces opportunités manquées va créer un ministère de l’Énergie et du Konkouré, sans pouvoir jusqu’à la fin sortir ledit projet des cartons. Le gouvernement a bien lancé d’autres projets dont trois verront le jour, alors que les autres ne seront que des mirages derrière lesquels il courra jusqu’à la fin de ses jours sans les voir aboutir. Ce sont, le projet Nimba Simandou démarré en 1961 qui connaitra des hauts et des bas, mais ne verra jamais le jour. Il en sera de même du chemin de fer Transguinéen qui compliquera grandement la réalisation du premier sans non plus connaitre un début d’exécution. Les projets qui ont vu le jour, ce sont Aredor, CBG et OBK S’agissant d’Aredor c’est en 1978 que le gouvernement signa avec le groupe DDI de New York des accords pour sa réalisation. Cependant ce groupe après avoir rencontré beaucoup de difficultés avec le ministre Ismaël s’est retiré du projet. Le groupe de substitution fut IDC, un groupe australien. Aredor verra le jour le 15 avril 1978, ce fut une exploitation de petite taille, les partenaires étant réticents à investir des sommes importantes d’argent en Guinée à ce moment-là. CBG pour sa part a été créé en octobre 1963. La Guinée détient 49 % des actions et ses partenaires regroupés au sein de Halco 51 %. En 1968 Halco regroupait Alcoa, Alcan, Martin Marietta, Pechiney, Vaw, Montecatini. Par décret en date en date du 31 décembre 1965 l’OFAB chargé de l’aménagement des infrastructures de CGB vit le jour ; un investissement de l’ordre de 100 millions de dollars a été réalisé pour construire un chemin de fer, un port et une cité. Il est envisagé de 97

réaliser une jetée de 300 m pour l’accostage des minéraliers de 35.000 tonnes, une citée de 4. 000 habitants, un chemin de fer de 137 km. Il est prévu dans un premier temps une production de 2 à 3 millions tonnes de bauxite métallurgique et 200.000 tonnes de bauxite calcinée. Sur cette base de 1973 date de démarrage des opérations, à 1984 CBG a versé au gouvernement guinéen un total de1.131.212.787 $ de taxes et revenus. Autant dire que CBG est un projet important malgré l’absence du volet alumine qui était prévu dans le modèle initial présenté par la Société des Bauxites du Midi, à savoir – une extraction de 1.500.000 tonnes de bauxite — une usine d’alumine de 220.000 tonnes. Malgré cette amputation, la réalisation de cette entité a été un succès notable du gouvernement, car il n’était pas évident durant cette période de mobiliser un tel financement à destination de la Guinée, malgré l’attrait irrésistible que ce projet exerçait sur les grandes compagnies minières de l’époque. Le projet OBK d’exploitation et d’exportation de bauxite quant à lui est né de l’accord signé le 27 novembre 1969 et dont l’objectif principal était de rembourser les dettes de la Guinée vis-à-vis de l’URSS à l’exploitation et l’exportation de la bauxite. Il comprenait l’ouverture d’une mine de2.500.000T à 3.000.000T de bauxite, la construction d’un chemin de fer de 100 Kilomètres, la rénovation des quais de la défunte Compagnie Minière de Conakry, la construction d’une cité. La construction fut terminée en 1974 et le 1er bateau d’exportation quitta le port de Conakry février 1975. OBK est une entreprise appartenant à 100 % à l’État guinéen. Malgré les énormes potentialités minières dont il a été fait mention plus haut, malgré la durée exceptionnellement longue des autorités de la Première République au pouvoir, le secteur minier guinéen n’a pas connu un développement très brillant, et ce malgré les prédictions formulées par les experts à la veille de l’indépendance. La première raison de cet échec s’explique par le fait que la Guinée n’a pas été en mesure ni de conserver, ni de valoriser l’héritage minier laissé par les colons dans les domaines du diamant, de l’or, de la bauxite, du minerai de fer. Toutes les exploitations qui fonctionnaient le 2 octobre 1958 vont disparaitre les unes après les autres, suite à une nationalisation ratée, à des tracasseries administratives et fiscales. Les travailleurs guinéens vont perdre leur travail, l’État va perdre des

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sources des revenus réguliers ; le seul héritage qui restera sera constitué des cités qui à leur tour vont péricliter faute d’entretien. Les nouvelles réalisations du régime se résumeront à CBG, AREDOR et OBK qui laisseront cependant aux Guinéens un arrièregout d’inachevé, car aucune n’a dépassé la phase de production des matières premières pour atteindre celle du raffinage, ce qui aurait occasionné la formation d’une main-d’œuvre plus qualifiée, des salaires plus élevés et des revenus plus conséquents pour l’État. Un autre échec patent du régime a été de s’être isolé tout ce temps dans une sorte d’exclusivité avec le trio bauxite, or et diamant, laissant de côté des ressources aussi importantes que le nickel, le chrome, le cobalt, l’uranium dont on ne connait même pas avec précision les réserves probables. Tel est le tableau peu reluisant que la Première République laissera en héritage aux Guinéens malgré son accaparement de la formule tant usitée de scandale géologique. Dans le Domaine énergétique En dépit des potentialités hydroélectriques exceptionnelles, des indices sérieux de présence de gaz et de pétrole sous le sous-sol et l’offshore guinéens, le gouvernement de la Première République n’a pas pu atteindre la phase de production ni du gaz ni du pétrole. Dans ce domaine la Compagnie Française du Pétrole a effectué en 1959 des études de stratigraphie à Mali, Pita et Télimelé. Ces études seront suivies et complétées en 1967 par une mission roumaine. La Compagnie Shell pour sa part va effectuer en 1968 des travaux offshores. Ces travaux ont permis de renforcer l’espoir de trouver du pétrole notamment au large des côtes guinéennes. Les dernières campagnes seront menées en 1977. On en restera là jusqu’en1984. On notera que si la recherche a démarré très tôt après l’indépendance, il a fallu attendre 8 ans pour la poursuivre et 10 autres années pour la continuer ensuite ; dans ces conditions il n’y avait aucune chance de voir la Première République aboutir à la production du gaz et du pétrole guinéen. Au niveau des barrages hydroélectriques, la performance a été là aussi nettement insuffisante. En effet avec un potentiel de 6.11 GW le gouvernement n’a pu réaliser que 41.7 MW en 26 ans d’existence conformément au tableau suivant :

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- Grandes Chutes colonisation - Banea - Donkea - Kinkon - Tinkisso - Total

17,6 MW ajoutés aux 10 laissés par la 5.0 MW 15.0 MW 3. 2 MW 1.5 MW 41.7 MW

À ces centrales hydroélectriques, il faut néanmoins ajouter la centrale thermique dite de Tumbo 1 de 26 MW installée en 1982. Ces centrales ont permis de couvrir à peine la fourniture électrique de Conakry, Kindia, Mamou, Dalaba, Pita, Labé, Dabola, Faranah, avec souvent des coupures importantes surtout en saison chèche. Quelques autres grandes villes telles que Kankan, Nzérékoré ont quant à elles bénéficié de groupes thermiques qui fonctionnaient à temps partiel et connaissaient des pannes récurrentes faute de carburant ou de pièces de rechange nécessaires. Autant dire que la fourniture de courant électrique ne concernait qu’une partie faible de la population guinéenne. Les villes et les campagnes guinéennes sont restées généralement dans l’obscurité sans aucune politique crédible et convainquante d’en sortir. Cette situation est le résultat d’une politique erratique et hésitante en matière de prospection et de recherche pétrolière et gazière d’une part et de l’échec à mobiliser des fonds pour construire des barrages. En 26 ans de pouvoir ce gouvernement n’a pu réaliser en moyenne que 1 MW par/an ce qui représente plutôt un piètre résultat. À cet effet on se souviendra encore une fois de la saga du Konkouré rappelée plus haut quand les Occidentaux, puis les Russes faisaient une cour assidue à la Guinée pour l’aider à réaliser cet ambitieux projet qui finalement lui filera entre les doigts par manque de sagacité, de perspicacité et de lucidité. Ainsi le gouvernement d’Ahmed Sékou Touré refilera aux générations futures les crises d’électricité et d’énergie alors qu’il aurait pu prendre des mesures appropriées pour l’annihiler. Politique dans le Domaine socioculturel Il s’agit du domaine qui est directement lié à l’homme, à sa formation, à ses soins, à ses loisirs, bref à son développement et à ses rapports avec la société dans laquelle il vit ; autant dire qu’il s’agit des 100

questions essentielles qui déterminent dans une large mesure le degré de bonheur de l’homme. Quels apports Sékou Touré et son régime ont amenés dans ce domaine et quelle part de ces apports a survécu après lui ? C’est à ces questions que les développements suivants vont répondre. Politique sociale Conformément à la doctrine du PDG qui prône l’égalité, l’émancipation et le progrès, la politique du gouvernement a brisé les structures sociales archaïques favorables aux inégalités, à l’oppression et à l’injustice. C’est sur cette base qu’il sera procédé à la suppression de la chefferie de canton, à l’encouragement des filles à aller à l’école et à choisir les filières de leur choix, à l’interdiction de la polygamie et à l’appel à tous les membres de la même famille à fréquenter les Assemblées générales du parti et à discuter librement de toutes les questions inscrites à l’ordre du jour. Ces mesures vont se traduire notamment par l’émancipation des femmes et des jeunes qui occuperont des places réservées jusqu’alors aux hommes ; on voit alors les femmes devenir des pilotes d’aéronefs, des gouverneurs, des magistrats, des ingénieurs. Les jeunes quant à eux ont pu accéder très tôt à des postes de responsabilité en devenant à moins de 30 ans ministres, ambassadeurs, directeurs des grandes entreprises. Malheureusement, ces avancées ont eu un prix, c’est le relâchement des liens familiaux, la baisse de l’autorité parentale et quelques fois même un certain encouragement à la débauche par le biais des filles du protocole qu’on mobilisait pour tenir compagnie aux délégations officielles du parti, du gouvernement et de leurs hôtes. Par ailleurs, la suppression brutale de la chefferie de canton en 1957 sans étude préalable et sans passer par une expérience à échelle réduite qui serait élargie progressivement et surtout le remplacement des chefs par des militants du Parti sans aucun critère objectif de compétence, d’expérience, de connaissance de la tradition a laissé un vide qui existe aujourd’hui encore dans certaines zones de la Guinée. Il reste entendu que beaucoup des chefs coutumiers ont exercé des exactions contre leurs subordonnés durant la colonisation ; il n’en demeure pas moins que l’institution aurait pu être réformée, sans être supprimée. Sékou Touré ne les a pas sans doute pardonnés du soutien que la majorité 101

d’entre eux avait accordé à Barry Diawadou lors des élections à la députation à l’Assemblée nationale ; il ne pouvait pas non plus prendre le risque de laisser un groupe influent présent sur toute l’étendue du territoire guinéen compromettre l’expansion de son parti, le PDG. C’est ce qui explique la brutalité de cette mesure qui est à l’antipode des solutions choisies par nombre des pays africains comme européens qui ont préféré quant à eux, réformer le système au lieu de jeter en même temps le bébé et l’eau du bain. C’est ainsi qu’au Burkina Faso par exemple le Moro Naba remplit des fonctions sociales importantes dans le domaine de conciliation, de conseil et d’arbitrage ; il représente une autorité morale respectée par tout le monde et qui fait défaut en Guinée. Même les pays développés dans lesquels cohabitent plusieurs ethnies reconnaissent une fonction aux autorités traditionnelles, c’est le cas par exemple en Belgique, en Suisse et ailleurs dans le monde. Quant aux secteurs oubliés du social on peut citer les services de santé qui n’ont pas bénéficié de la construction d’un seul hôpital du niveau de Donka ou d’Ignace Deen alors que la population a fortement augmenté durant le règne du PDG. Ce secteur a aussi grandement souffert du manque de personnel compétent, l’essentiel du staff médical étant constitué pour l’essentiel de médecins formés durant la colonisation. Du temps de la Première République, les cadres du parti et de l’administration et leurs familles se soignaient à l’hôpital Pechiney de Fria, puis après à l’hôpital de CBG à partir des années 1975. Au-delà de ces insuffisances et des ces ratés la politique sociale de la Première République sera surtout fortement marquée par les conséquences tragiques des complots, des arrestations, de la victimisation des familles des « comploteurs », la perte des repères et l’exode vers d’autres pays de plus de 2 millions de Guinéens, toutes choses qui ont endommagé sérieusement le tissu social de notre pays. Qu’en est-il dans le domaine de l’éducation et de la Formation ? Politique en matière d’Éducation et de Formation La Première République a d’emblée lancé une politique ambitieuse en matière d’éducation et de formation en créant des écoles, y compris deux universités. Malheureusement, les moyens matériels n’ont pas suivi la volonté politique et il en a résulté des classes surpeuplées et des maitres mal formés. Au-delà de cet aspect matériel, l’école a été surtout handicapée par l’envahissement de l’idéologie du parti et l’introduction de l’enseignement des langues nationales. 102

En effet en janvier 1967 la 9e Session du CNR rendit obligatoire l’enseignement en langue nationale, une décision certes légitime et logique, mais qui a souffert de n’avoir pas été précédée d’une étude de faisabilité sérieuse ni d’une expérimentation à échelle réduite avant sa généralisation. Le niveau des élèves s’en trouva profondément affecté, et ce dans toutes les disciplines, car pour comprendre les mathématiques, la physique, la grammaire ou toute autre matière il faut assimiler et maitriser des concepts de base qui appartiendraient à un fonds riche et varié traduisible dans toutes les sciences et la culture. Il eût fallu avant la mise en œuvre d’une telle décision majeure, constituer des équipes multidisciplinaires des linguistes, d’anthropologues, des sociologues, des scientifiques pour élaborer un lexique des langues nationales guinéennes et proposer une stratégie de mise en œuvre de l’enseignement des langues nationales. L’improvisation a conduit non seulement à l’échec d’une telle tentative, mais aussi au rejet pur et simple de l’enseignement des langues nationales alors que l’Afrique doit se pencher avec sérieux sur une telle politique pour espérer sortir à meilleur compte ses populations de l’obscurantisme et de l’analphabétisme. L’autre intrusion fut celle de l’idéologie dans l’éducation et la transformation des écoles en centres d’éducation révolutionnaires suite à l’adoption de la charte de la Révolution culturelle socialiste à Kankan du 29 juillet au 2 août 1968. Désormais, on privilégie l’enseignement de la politique et la formation idéologique à celui des sciences et de la culture ; le niveau des élèves baisse encore davantage et l’autorité des enseignants décline face à des élèves conscients de la préséance de la politique sur l’autorité des parents et des maitres. Un autre défaut majeur dans le domaine de la formation a été l’absence de toute formation pointue susceptible de fournir des cadres de haut niveau dont on a besoin au niveau national, dans les organisations internationales et dans les compagnies multinationales. La faiblesse de la formation technique digne de ce nom dans un pays aux potentialités énormes constitue un autre handicap ; l’exemple a pourtant été éloquemment fourni par le Centre de Formation technique de Fria qui recrutait ses apprentis à travers toute la Guinée et les formait au CAP et au brevet de technicien supérieur, puis les envoyait pour des stages, des formations ciblées, des séminaires ; ce processus permettait à la fois de disposer des ouvriers dans tous les corps de métiers et même

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des cadres maison qui pouvaient défier n’importe quel ingénieur de formation. C’est pourquoi les anciens de Fria étaient les bienvenus en Côte d’Ivoire, au Sénégal et dans tous les pays voisins. Il faut rappeler aussi que la Côte d’Ivoire avait si bien compris l’importance de la formation dans le développement d’un pays que dans les années 1970 elle consacrait quelque 40 % de son budget à l’éducation nationale ; on comprend alors la vigueur actuelle de croissance de ce pays malgré la crise profonde qu’elle a connue il y a 10 ans. Politique culturelle de la Première République Le domaine culturel a été certainement l’un des porte-drapeaux le plus visible de politique d’influence de Sékou Touré ; les ballets Africains et Djoliba, les orchestres Bembeya Jazz, Balla et ses Baladins et les Amazones de Guinée, la célèbre équipe de football Hafia Football club, le chanteur Sory Kandia Kouyaté ont émerveillé les spectateurs en Afrique, en Europe, en Amérique, en Asie et ont fait connaitre et admirer la Guinée partout dans le monde. Ils ont aussi chatouillé pendant un certain temps la fierté des Guinéens. Je me souviendrai toujours de la fierté que j’ai ressentie en assistant au spectacle offert par les Ballets Africains à Paris en 1960 alors que j’étais étudiant ; c’était tout simplement fantastique. Ce succès fulgurant a cependant été une sorte de météore dans le ciel culturel Guinéen, il a été aussi brillant qu’éphémère et a perdu de sa superbe avec la disparition de Sékou Touré. Comment expliquer ce phénomène ? Je crois qu’il faut chercher la raison du côté de la politique culturelle de la Première République qui reposait essentiellement sur le levier politique et négligeait l’élaboration d’une politique globale basée sur la recherche, l’autonomisation des groupes, leur pérennisation, leur financement à long terme. Dès la fin du gouvernement du PDG, les orchestres, les ballets, Hafia Football Club se sont sentis orphelins et se sont écroulés comme un château de cartes. Ailleurs, au Sénégal, en Côte d’Ivoire en RDC par exemple où la politique culturelle a notamment été basée sur l’encadrement, la formation, la stimulation, l’organisation et la pérennisation, les groupes culturels, même s’ils ont été moins brillants que ceux de la Guinée au départ, continuent aujourd’hui encore de plus belle leur aventure en se renouvelant et en suscitant des émules. Après ce flash sur la politique menée par Sékou Touré, voyons à présent l’héritage que les Guinéens pourraient en retirer. 104

CHAPITRE 5 : L’héritage laissé par Sékou Touré En analysant attentivement la politique menée par Ahmed Sékou Touré entre 1958 et 1984 on pourrait de façon globale regrouper l’héritage qu’il aura laissé à la guinée dans trois rubriques, à savoir : en premier lieu un sentiment de reconnaissance, en second un sentiment de frustration et de peine profonde et enfin un défi à relever. UNE GRANDE RECONNAISSANCE À SÉKOU TOURÉ Lorsqu’on évoque l’héritage de Sékou Touré beaucoup des Guinéens ressentent une grande fierté pour avoir accédé les premiers à l’indépendance en Afrique Noire, en votant NON au référendum proposé par le Général de Gaule ; ils lui en sont gré pour le rôle déterminant qu’il a joué dans ce combat pour la conquête de l’indépendance. L’indépendance En effet cet acte a été possible en grande partie grâce à l’implantation quelques fois par la force et la violence du PDG sur toute l’étendue du territoire, grâce à son organisation et à ses capacités de mobilisation. Cette victoire est due aussi et surtout à Sékou Touré en personne, lui qui a profité de son poste de vice-Président du Conseil Territorial pour placer ses hommes partout dans l’administration locale, des hommes qui suivaient ses instructions à la lettre et qui étaient fortement mobilisés pour la victoire du NON. À côté de Sékou, de son parti et de ses compagnons, il y a lieu d’associer les autres partis politiques tels que le BAG de Barry Diawadou et le PS de Barry Ibrahima dit Barry 3 de même que les syndicats des étudiants qui avaient les premiers opté pour l’indépendance et qui avaient mené une campagne conséquente pour le Non, en tenant des meetings et des réunions publiques dans ce sens aussi bien à Conakry qu’à l’intérieur du pays. Cette mobilisation générale n’a pas permis aux colons de semer la zizanie comme ils ont réussi à le faire dans d’autres colonies ou 105

finalement le OUI allait l’a emporté. Tous ont leur place dans nos cœurs et au Panthéon guinéen qui sera érigé un jour. La victoire écrasante du NON est le premier héritage que les générations futures recueilleront et célébreront dans leur mémoire, dans leurs écrits et dans leurs chansons. Les Guinéens sont heureux et fiers d’avoir montré le chemin de l’indépendance au reste de l’Afrique. Ils fêteront l’indépendance avec joie à Conakry comme partout ailleurs en Guinée et associeront à leurs réjouissances des patriotes africains, des intellectuels d’Europe, d’Amérique et des Caraïbes venus pour partager leur joie et participer à la construction de la jeune république. Contribution à la libération des pays encore dépendants et à la réalisation de l’unité africaine Ils demeurent fiers aussi du fait que leur pays ait contribué matériellement, politiquement et moralement et de façon éclatante à la libération des pays africains demeurés encore sous le joug colonial, qu’il ait pris part à la lutte contre l’apartheid et ait participé activement à la réalisation de l’unité africaine. Arbres plantés sur les lieux saints de l’islam Toujours au niveau sentimental ils sont flattés aussi que leur gouvernement ait planté sur les lieux saints de l’islam des arbres qui donnent aujourd’hui de l’ombre aux fidèles en provenance du monde entier. L’héritage matériel En dehors de cet héritage d’ordre sentimental, le gouvernement de la Première République a laissé plusieurs réalisations qui sont passées à la postérité. C’est le cas notamment de la monnaie guinéenne, de l’armée, de la compagnie Air Guinée. S’agissant de la monnaie, on a vu qu’elle s’est imposée littéralement à Sékou Touré malgré lui, mais qu’elle a tenu et qu’elle est restée un acquis appréciable malgré certaines insuffisances qui demandent à être corrigées. Pour ce qui est de la compagnie Air Guinée, elle a rendu des services immenses à la population guinéenne en lui facilitant les déplacements dans des conditions confortables dans toutes les régions de la Guinée et même à l’extérieur du pays ; elle survivra à la révolution et ne disparaitra que sous la 2e République. L’armée pour sa part, malgré des insuffisances 106

notables à la naissance dont il a été question plus haut, a tenu et a combattu vaillamment sur plusieurs fronts pour soutenir les combattants de la liberté ; elle aura cependant besoin d’être réformée pour être une vraie armée républicaine. Deux autres symboles de la Première République dont les Guinéens sont fiers sont le Palais du Peuple et la mosquée Fayçal, qui sont restés fonctionnels après la disparition de Sékou Touré. Le premier a été pendant longtemps le seul lieu équipé de Conakry qui pouvait recevoir plus d’un millier de personnes pour un meeting ou des conférences ; il abrite depuis son ouverture l’Assemblée nationale et il offre d’autres facilités telles que bureaux, salles de banquets et de réunions, etc. La mosquée quant à elle a été et reste la plus grande mosquée de la sousrégion. Tels sont les actes et les réalisations qui peuvent être classés parmi l’héritage que Sékou Touré aura laissé aux Guinéens. Hélas lorsque l’on regarde du côté de l’héritage sombre constitué par les frustrations, les échecs, les pleurs et les larmes la liste est plus longue et beaucoup plus éloquente. LES FRUSTRATIONS, LES ÉCHECS, LES LARMES ET LES PLEURS LAISSÉS PAR SÉKOU TOURÉ Le règne de la dictature Dès le lendemain de la proclamation de l’indépendance et des célébrations qui en ont suivi, le régime de la Première République perdit progressivement l’attrait qu’il exerçait sur la population suite à la perte progressive des libertés fondamentales, à la disparition de la démocratie et de la bonne gouvernance. On assiste alors à l’instauration du parti unique et l’affaiblissement des Institutions appelées à jouer un rôle de contre-poids face à l’exécutif, toutes choses tendant à favoriser l’instauration de la dictature et le recours aux complots comme instrument normal de gouvernement. Les complots vont alors se succéder emportant comme il a été signalé déjà pèle mêle des enseignants, des commerçants, des paysans, des ouvriers, des étudiants, des cadres de l’administration et du parti, des hommes comme des femmes ; aucune couche de la population n’est épargnée. Les victimes sont arrêtées, torturées et quelques fois assassinées sans qu’on ait pu jusqu’à présent établir avec certitude ceux qui étaient coupables ou innocents, sans qu’on ait pu émettre un 107

jugement politique sur la peine de mort en cette fin du XXe siècle alors que les idées en matière de droits de l’homme ont évolué partout dans le monde. Rares sont les familles qui n’ont pas payé leur tribut de larmes et des pleurs à la révolution. Le camp Boiro dans la mémoire collective va devenir le symbole de la torture, des sévices, de la diète noire et de la mort. Ces douleurs vont constituer un héritage que la guinée va porter ; il s’agit des torts que la politique de Sékou Touré a causés aux Guinéens et dont il était conscient vers la fin de sa vie ; je n’en veux pour preuve que les confidences de Dr d’Amato, médecin expatrié de Fria venu le consulter. André Lewin dans son livre, « Sékou Touré 1922-1984 » Tome 8, page 165, rapporte que lorsque ce médecin aurait annoncé à Sékou Touré un diagnostic assez pessimiste ce dernier lui demanda s’il pourra vivre assez longtemps pour réparer les tors qu’il a faits à son peuple. Il n’a malheureusement pas pu vivre suffisamment longtemps pour réparer ses torts. Il revient par conséquent aux Guinéens d’établir ces torts et de définir les conditions les plus appropriées pour les réparer. Le régime présidentiel escamoté Un autre héritage moins dramatique, mais plus pernicieux laissé par Sékou Touré et dont il sera plus difficile de se débarrasser entièrement, c’est le régime dit présidentiel, adopté par la Première République, mais qui n’avait de régime présidentiel que de noms, car une fois ce régime adopté, sa Constitution a été purement et simplement mise de côté pour faire place à une autocratie qui ne reconnait ni libertés et droits de l’homme, ni équilibre des pouvoirs, ni élections justes et transparentes, ni aucune caractéristique d’un régime présidentiel classique. Avec une telle manipulation, l’exécutif prend tout et gère le pays comme il entend ; il conduit immanquablement si non à la dictature tout au moins à l’autoritarisme, au pouvoir personnel et à la mal gouvernance. Malheureusement une telle formule tout en étant défavorable au développement et aux progrès d’un pays risque d’être attractive pour les régimes à venir, à cause de sa commodité pour les gouvernants, de l’absence de contrôle réel et de toute contrainte institutionnelle, ainsi que de l’énormité des moyens dont ils disposent et de la possibilité de rester éternellement au pouvoir.

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L’affaiblissement du tissu social Un autre héritage négatif dans le domaine politique c’est l’affaiblissement de la Nation et la fragilisation du tissu social. Les discours injurieux de Sékou Touré d’août 1976 contre les Peuhls, l’appel à tous les militants du parti de les liquider, était un coup porté à la Nation tendant à menacer de mort une partie importante de sa composante. N’eût été la sagesse des Guinéens et notamment des habitants de la Basse Guinée, on aurait assisté à un nettoyage ethnique, avec les conséquences que l’on imagine. Malgré ce sursaut de sagesse il n’en demeure pas moins qu’un grand mal a été causé par ces discours, une partie de la nation ayant été indexée et humiliée, ce qui s’est traduit par la fragilisation du tissu social et la semence d’une graine porteuse les germes de racisme et de haine. Une Nation, c’est d’abord une communauté de destin, une solidarité, une protection collective et le plaisir de vivre ensemble. Ce sujet devrait nécessairement faire l’objet de toute l’attention requise afin de redonner à notre Nation la vigueur, la solidité, le dynamisme et l’engagement nécessaires pour aller de l’avant. La mal gouvernance de la Première République La mal gouvernance dont il a été question plus haut et qui résulte principalement du non-respect de la Loi, de l’absence de contrôle des dirigeants a conduit à toutes les formes de gâchis et d’aventures ; c’est ainsi que l’idéologie dans laquelle les objectifs politiques précédant le respect de l’homme a fait appel à une imagination délirante et sans contrôle qui a amené cette gouvernance à se fourvoyer dans des aventures hasardeuses dont le peuple de guinée va payer les frais ; c’est le cas des FAPA qui, sans étude préalable ni expérimentation à plus petite échelle a concerné d’emblée 300 fermes à travers tout le pays avec l’ambitieux programme de réaliser à la fois des fermes modèles, des habitats modernes, des centres d’éducation révolutionnaires. Le tout s’est traduit par un fiasco humain, matériel et financier qui n’a laissé que le souvenir amer d’un gaspillage coupable. La campagne de Cheytan 75 est une autre expérimentation hasardeuse sur l’homme des idées folles interdisant le commerce, fermant les marchés et précipitant la population dans une famine programmée. Toutes ces aventures se sont traduites par la destruction de l’agriculture guinéenne, le recours aux prélèvements obligatoires consistant à extorquer les paysans de leurs biens au bénéfice des gens 109

de la ville, l’exode massif de ces paysans et le recours intense à l’importation des biens les plus essentiels faute d’avoir pu maintenir l’autosuffisance alimentaire que la Guinée connaissait avant l’indépendance. Une autre dimension du tort causé à l’agriculture guinéenne a été la disparition des plantations autrefois florissantes, avec leurs fruits succulents, renommés dans le monde entier, ainsi que des forets et de tout le couvert végétal, avec comme conséquences la menace de désertification, l’assèchement des cours d’eau et la prévalence des feux de brousse. La politique industrielle et minière de la Première République a été un autre exemple patent d’échec dans le domaine économique. Le gouvernement avait monté avec des pays amis plusieurs usines à Conakry et à l’intérieur du pays ; cependant ces usines étaient pour la plupart mal conçues, mal réalisées et mal gérées ; elles vont presque toutes disparaitre avant la fin du régime et ne laisser que le souvenir amer d’un gaspillage financier énorme et d’un espoir déçu. Dans ce domaine aussi l’héritage est à la fois couteux et inutilisable. Quant aux mines le tableau n’est guère meilleur. Le gouvernement n’a pu ni conserver ni améliorer l’héritage laissé par les colons. Il a procédé à la nationalisation précipitée de certaines de ces sociétés minières et au découragement de celles qui avaient été épargnées de la nationalisation par des réglementations administratives et fiscales arbitraires et mesquines. Ces nationalisations seront toutes suivies assez rapidement par la fermeture définitive des unités en question. En ce qui concerne l’ouverture de nouvelles exploitations comme il a été rappelé plus haut, elles sont au nombre de trois en 26 ans de règne, à savoir la CBG, l’OBK et AREDOR. Elles se caractérisent toutes trois par le fait de ne produire que des matières premières, sans jamais avoir atteint le niveau des produits raffinés, avec une valeur ajoutée moindre pour la guinée. L’autre handicap du gouvernement dans ce domaine a été d’être toujours resté confiné à la production de la bauxite, de l’or et du diamant, sans jamais arriver à intéresser les investisseurs à ses projets d’exploitation du fer ou bien à l’exploration, à la recherche et à l’exploitation des substances telles que le cobalt, le zinc, l’uranium, ce qui constitue un manque à gagner sérieux pour le pays. Compte tenu de la richesse légendaire du sous-sol guinéen, ce constat montre bien que

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le gouvernement n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités et n’a pas montré la voie à suivre aux générations d’après. Dans le secteur de l’énergie, le gouvernement outre le fait de n’avoir pas pu mener à bien les programmes d’exploration et de recherche du pétrole et du gaz pour passer de la phase des indices à celle de la certification, n’a pas pu non plus mobiliser les fonds pour réaliser des barrages hydroélectriques malgré l’existence de nombreux sites favorables à des aménagements. La Première République laissera la guinée dans l’obscurité en dépit des potentialités existantes. Dans le domaine culturel autant la Guinée a brillé de 1000 feux au lendemain de l’indépendance grâce à ses orchestres, ses chanteurs, ses ballets, ses troupes artistiques, ses équipes de football telles que Afia 76, autant elle a déçu du fait de la disparition instantanée de toutes ces étoiles avec la fin de la Première République. Ce phénomène est le résultat de l’absence d’une politique culturelle pérenne, bien pensée, bien organisée pour le présent et l’avenir. En effet durant toute cette période le gouvernement a mis l’accent sur la mobilisation et l’émulation politique tout en négligeant la réflexion sur la recherche, sur l’organisation, le financement à moyen et long termes et la pérennisation des groupes par rapport aux structures du parti. Ces groupes étaient tenus à bout de bras par le parti, ils ont disparu dès que ce dernier a disparu. Échec de la politique sociale En matière sociale la Première République a surtout mis l’accent sur l’émancipation des femmes et des jeunes. Ce fut un succès, car les femmes s’émancipèrent du joug familial, elles fréquentèrent l’école et eurent accès à toutes les fonctions ; les jeunes pour leur part brisèrent les tabous pour accéder aux places qui jusqu’alors étaient réservées aux plus âgés. Cependant ce mouvement se traduisit aussi par quelques dérapages tels que le relâchement des mœurs, l’affaiblissement de l’autorité parentale et la perte des repères. En ce qui concerne l’école et la formation, la politique et l’idéologie prirent très rapidement le dessus sur la formation technique, la formation générale et la culture ; l’autorité des maitres céda partout du terrain à celle des responsables élus du parti. Sur le plan pédagogique, on déplora aussi l’introduction de l’enseignement des langues nationales sans une préparation suffisante, ce qui se traduisit par la baisse du niveau des élèves et la mise en cause infondée de l’enseignement des langues nationales en dépit de sa pertinence. À cette 111

réalité intangible vint s’ajouter une série des difficultés que sont l’insuffisance des salles de classe, le niveau très bas des formateurs. À la mort de Sékou Touré, il était largement admis que le niveau des élèves guinéens était très bas et qu’il était urgent d’y remédier ; à ce constat déplorable, il faut ajouter le refus du gouvernement de faciliter aux Guinéens l’accès à la formation de haut niveau, sans doute par peur de voir ces cadres échapper au contrôle du parti. À l’heure actuelle, la Guinée est négativement impactée par cette politique restrictive, car elle ne dispose presque pas des fonctionnaires internationaux de haut niveau dans les organisations internationales, à l’instar du Sénégal, du Mali, de la Mauritanie par exemple. Ce manque est d’ailleurs ressenti au niveau national aussi. Avec l’enracinement du PDG dans le paysage sociopolitique de la Guinée et l’enrôlement de tous les guinéens jeunes et vieux en son sein on eût cru que ce parti aurait survécu à Sékou Touré. Il n’en fut rien comme il a été souligné à maintes reprises le PDG a été l’instrument privilégié de Sékou Touré dans ses combats politiques. Il était si bien organisé qu’il était permis de penser qu’il survivrait à son secrétaire général. Il était actif dans le plus petit village du pays, il tenait chaque vendredi ses assemblées générales sur toute l’étendue du territoire ; il avait finalement absorbé l’État ; tous les députés, les ministres, les élus locaux provenaient de ses rangs. Après la mort de Sékou Touré, toute cette organisation va s’effondrer comme un château de cartes. Aujourd’hui il n’a ni député, ni maire, ni aucun élu à quelque niveau que ce soit. Lors des élections présidentielles de 2010, j’ai été une fois saisi de nostalgie lorsque j’ai rencontré du côté d’Enta un squelettique cortège du PDG qui circulait dans l’indifférence totale des passants. Cet état de fait n’est cependant pas étonnant, car nombre de partis uniques ont disparu après la mort de leur créateur et la disparition concomitante de la peur qui obligeait les gens à adhérer au parti du pouvoir. Le PCP au Ghana est un exemple éloquent de ce phénomène. Une autre difficulté de ces partis est l’absence de préparation à la concurrence à l’heure du multipartisme et la réticence de leurs animateurs aux changements, prisonniers qu’ils sont de l’idéologie qu’ils ont héritée et à laquelle ils sont attachés comme une âme en peine. Pour survivre, ces partis feraient mieux d’observer le monde et de comprendre qu’un parti évolue avec le temps et la société dans lesquels il évolue, il doit coller aux besoins des citoyens et de la société.

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Après l’examen de la personnalité d’Ahmed Sékou Touré, après le passage en revue de sa politique et l’esquisse de l’héritage qu’il aura laissé à la postérité, il est désormais possible d’examiner la place qu’il faudra lui réserver dans l’histoire de la Guinée. Cet exercice est cependant une gageure, tant le personnage est difficile à cerner, tant les opinions sur lui demeurent tranchées. C’est justement à ce défi que les lignes suivantes vont être consacrées. Un défi à relever En dépit de la lutte qu’il a menée pour l’indépendance de son pays et de ses actions d’éclat en faveur de la libération des colonies encore sous le joug colonial et pour l’unité africaine, actions qui ont permis d’inscrire le nom de la Guinée sur les radars du monde, Sékou Touré figurera parmi les dictateurs du XXe siècle, à cause des exactions, des tortures, des assassinats politiques et des souffrances qu’ont connues les Guinéens. Depuis sa disparition, les Guinéens n’ont malheureusement pas pu ouvrir cette page douloureuse de leur histoire, alors qu’il s’agit de la page la plus contentieuse, la page la plus chargée d’émotion, la page qui a fait le plus de victimes en Guinée. L’EXAMEN DE LA PAGE NOIRE DE LA GOUVERNANCE DE SÉKOU TOURÉ CONSTITUE UN DÉFI POUR LE PEUPLE DE GUINÉE Il y a nécessité d’ouvrir cette page pour l’analyser et tirer les leçons en vue de situer effectivement les responsabilités par rapport à ce drame et d’éviter à l’avenir de tomber à nouveau dans une situation similaire. Au lieu de cette démarche responsable, les Guinéens se sont contentés d’affirmer des positions dans lesquelles on voit Sékou Touré tout en blanc ou bien tout en noir sans aucune nuance. C’est ainsi que les militants du PDG, jeunes et vieux dénient toutes les accusations portées contre le régime de la Première République, minimisent le nombre de personnes arrêtées, enfermées et exécutées, soutiennent que toutes les victimes ont bel et bien pris part à des complots contre le régime et que leurs condamnations sont de ce fait parfaitement justifiées. Ils militent pour que Sékou Touré et ses compagnons soient réhabilités et élevés au rang de héros de la Nation. Pour renforcer leur poids et démultiplier l’efficacité de leurs actions, ils ont eu recours à la mobilisation déguisée de l’ethnie du Président Sékou 113

Touré à laquelle ils suggèrent l’idée que toute atteinte à la mémoire de l’ancien Président serait un procès malveillant contre lui et contre son ethnie d’origine. Le faisant, ils enfourchent un cheval qui a déjà fait ses preuves en Guinée ces derniers temps où beaucoup de leaders politiques manipulent leur ethnie pour bénéficier de leurs votes et de leur protection en cas de besoin, quitte à affaiblir la démocratie et à mettre en cause la crédibilité des Institutions Politiques. La levée de boucliers parmi certains leaders de la Basse Guinée contre les propos du Président Alpha Condé vis-à-vis de la 2e République lors de son séjour en Chine du 26 octobre au 4 novembre 2016. Ils ont considéré ces propos comme étant une insulte faite au Général Lansana Conté dont ils jurent de défendre la mémoire et les actions. À l’opposé de ce groupe des partisans de Sékou Touré se retrouvent toutes les personnes qui ont connu les geôles du régime du PDG, tous ceux qui ont subi des tortures physiques et morales dans les prisons, les familles de ceux qui ont péri en détention et qui demeurent aujourd’hui encore enfuis dans des fosses communes anonymes ; avec eux on compte aussi les familles qui ont été spoliées de leurs biens, ceux qui estiment que la mémoire de leurs êtres chers a été salie, il y a aussi les activistes des droits de l’homme et tous ceux qui à travers le monde luttent pour la Vérité, la Justice et l’État de droit. Enfin il y a lieu de signaler que ce groupe est soutenu de facto par la communauté internationale qui exerce une pression morale sur la Guinée en s’abstenant de rendre des hommages à leur ancien président, de lui accorder une quelconque reconnaissance, une quelconque décoration, un quelconque parrainage, contrairement à Mandela, N’Nkrumah, Houphouët, Senghor et autres pères de l’indépendance. Tous ceux-ci exigent que la vérité soit dite, que les coupables répondent de leurs actes, que les victimes soient réhabilitées et rétablies dans leurs droits. À cause de ces divisions apparemment irréconciliables le dossier sur la gouvernance de Sékou Touré, notamment sur les atrocités commises sous son règne, est resté désespérément fermé, provoquant une crispation sociale évidente, une profonde frustration de tous ceux qui attendent que justice soit rendue et aussi et surtout un fort sentiment d’assister impuissants à la négation collective des valeurs de démocratie, de justice, d’équité. Il est temps, après 34 ans d’invectives et d’hostilité que les Guinéens décident enfin d’y remédier, de faire face à leur responsabilité, en analysant ce qui s’est passé, en établissant clairement la responsabilité 114

de Sékou Touré et de ses compagnons dans ces évènements et en convenant de la place qui lui revient dans l’histoire de la Guinée. Il est temps que tous les Guinéens ensemble, relèvent le défi auquel ils font face pour pouvoir écrire cette page si controversée de l’histoire qui s’est déroulée entre 1958 et 1984, afin de pouvoir enfin regarder dans la même direction. Avant d’en arriver là, commençons par examiner ce qu’a été la 2e République avec à sa tête le Général Lansana Conté.

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DEUXIÈME PARTIE SOUS LANSANA CONTÉ

CHAPITRE 1 : Qui est Lansana Conté ? À la mort de Sékou Touré le 26 Mars1984, faute pour les dirigeants du PDG de s’entendre sur celui qui devait le remplacer, l’armée prit le pouvoir le 3 avril suivant et mit à la tête de l’État le Colonel Lansana Conté. Lansana Conté est né vers 1934 dans le village de Moussaya Loumbaya dans la Préfecture de Dubreka. En 1950, il intégra l’École d’Enfants de Troupes de Bingerville en Côte d’Ivoire puis celle de Saint Louis au Sénégal avant effectuer ses classes à Kayes en République du Mali. Il s’engagea ensuite dans l’armée française et participa activement à la guerre d’Algérie en 1957 et 1958. Il rejoignit la Guinée indépendante après le 2 octobre 1958 avec le grade de Sergent. Il prit part aux guerres de libération en Angola, en Guinée Bissau et au CapVert. Il est nommé Chef d’État-major Adjoint de l’Armée de Terre en 1975 ; il est promu au grade de Colonel en 1982. C’est avec ce grade qu’il accéda au pouvoir en 1984. Il est nommé Général de Corps d’Armée en 1990. Il a été membre du Comité central du PDG. Il est à la fois marqué par son origine paysanne et sa formation militaire. Il se considère comme un chef traditionnel désigné par Dieu et n’étant redevable que de lui. Il est persuadé que les biens publics lui appartiennent, que la justice émane de lui et que les militaires sont préparés pour être des bons chefs. Ces convictions vont être renforcées par sa maladie qui va devenir chronique au fil des années et perturber profondément la fin de son règne. Après avoir rompu avec sa première femme qui a donné naissance à ses plus grands enfants, il épousera successivement Mme Henriette Conté, Hadja Kadiatou Seth Camara et Hadja Asmaou Baldé ; Madame Mamadi Touré clamera aussi ce statut. Il aura eu 16 enfants. Il est mort le 22 décembre 2008 à son domicile au Camp Samory Touré à Conakry.

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CHAPITRE 2 : Mes rapports avec Lansana Conté et son régime Comme mentionné dans la première partie du livre, je me trouvais en Jamaïque au moment de la prise du pouvoir par l’armée en Guinée. Avant de parler du nouveau régime du Général Lansana Conté et d’analyser le fonctionnement de son gouvernement qui constitue les éléments de base de cette partie du livre, il m’a semblé utile d’évoquer auparavent les conditions dans lesquelles j’ai pénétré le système de la 2e République et ai évolué jusqu’à arriver à dialoguer avec le Président. MON INSERTION DANS L’ADMINISTRATION DE LA 2ème RÉPUBLIQUE Mon contrat avec l’IBA a pris fin le 1er juillet 1988, 6 ans après mon arrivée au Secrétariat. Administrativement, j’ai dû rejoindre le Ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement qui avait remplacé le Ministère du Développement économique, mon Ministère d’origine ; à ce moment le ministère était dirigé par Dr Ousmane Sylla. Comme il se doit en pareilles circonstances, mon premier geste a été de déposer mon rapport de mission. Ce rapport, après avoir décrit le travail que j’ai effectué durant mon séjour au Secrétariat et les résultats obtenus, a analysé les difficultés auxquelles faisait face l’Association qui ne manquerait pas de fermer très rapidement ses portes si un choix stratégique n’était pas fait quant à ses objectifs. En effet, l’IBA à partir de 1984, au Xème anniversaire de sa création, était tiraillée entre deux conceptions fondamentalement opposées. Il y avait d’une part les pays qui ont obtenu la réduction des effectifs de 32 à 14 et qui cherchent encore une réduction plus draconienne et les pays qui voulaient maintenir un secrétariat ayant une certaine efficacité. Les premiers disposaient chez eux des Instituts de Bauxite hautement équipés et animés par des cadres bien formés et expérimentés qui faisaient à peu près les mêmes études que le Secrétariat de l’IBA. Ils ne voulaient ni être absents de l’IBA afin de contrôler ses activités, ni d’une IBA forte qui faisait double emploi avec leurs Institutions. Ce qu’ils souhaitaient c’était d’avoir un petit secrétariat qui collecterait des publications à 121

distribuer aux pays membres sans concurrencer leurs Instituts. Les pays qui n’ont pas d’Instituts préféreraient quant à eux avoir un secrétariat fort susceptible de mener à bien des études sérieuses et de suivre l’évolution du marché, un Secrétariat qui pourrait mettre à leur disposition des informations utiles pour la maitrise de leur industrie, un Secrétariat qui pourrait éventuellement les conseiller à l’occasion des négociations avec leurs partenaires. Ces derniers auront-ils la volonté politique de relever le défi en acceptant de faire face à un accroissement de leurs contributions au budget de l’Association ? Rien n’est moins sûr et c’est pour cela que le rapport prédisait la mort prochaine de l’Association. Le rapport dans une sa 3ème partie a fait des recommandations sur la stratégie à adopter pour le développement de l’industrie de la bauxite, de l’alumine et de l’aluminium en Guinée. L’une des recommandations basées sur la constatation que la Russie et la Chine étaient à l’époque les seules puissances désireuses ardemment de combler leurs déficits d’aluminium et à disposer de capitaux candidats à des investissements dans le secteur, sera à l’origine du projet Dian Dian. LE PROJET INITIAL DE DIAN DIAN Dr Ousmane Sylla va décider rapidement de m’envoyer à Moscou en compagnie notamment du DG d’OBK, Mamadou Sylla, pour régler quelques questions liées à cette entreprise et pour entamer des pourparlers relatifs à la réalisation d’une usine d’alumine en Guinée. Cette mission quittera Conakry le 29 octobre 1988 ; elle rencontrera notamment le ministre des Métaux non ferreux qui a marqué son accord de principe pour développer la mine de Dian Dian. Il enverra une lettre au ministre des Ressources naturelles et de l’Environnement pour confirmer le contenu des discussions de Moscou, puis proposera un échange des délégations pour poursuivre les pourparlers devant conduire à la signature d’un Accord formel. Malgré la fin imminente de l’URSS, le projet prendra rapidement forme ; le ministre des Métaux non ferreux se rendit en Guinée en visite officielle et signa avec le ministre guinéen des Ressources naturelles et de l’Environnement un Protocole d’Accord comportant plusieurs points, dont le projet Dian Dian. Ce projet comprend : - L’ouverture d’une mine d’une capacité de 10.000.000 T de bauxite/AN 122

- La construction d’une usine d’alumine de 600.000 à 800.000 T/AN - La construction dans une 2e phase d’une usine d’aluminium de 150.000 T/AN Le complexe devrait être accompagné d’un barrage hydroélectrique pour son fonctionnement et la fourniture en courant électrique des populations environnantes. En tant que chef de la délégation des experts guinéens ayant mené les négociations, je continue à penser que ce projet a souffert énormément du changement de leadership dans la politique minière de la Russie où dominent désormais les tenants de la spéculation au détriment des visionnaires soucieux de l’avenir minier à moyen et long termes de leur pays. MES AUTRES ACTIVITÉS AU SEIN DU MINISTÈRE Parallèlement à mes activités liées à Dian Dian, multiples taches me furent confiées dont notamment : - La présidence de la Commission chargée d’étudier les perspectives de la bauxite, de l’alumine et de l’aluminium en Guinée, en octobre 1988 ; - La présidence de la Commission d’organisation des journées de réflexion sur les problèmes miniers en Guinée — et des conférences de l’Association Internationale de la Bauxite en Guinée. C’est à l’occasion de ces réunions que la question de corruption m’est apparue au grand jour. En effet à l’issue de la Conférence, grâce à la gestion rigoureuse des crédits mis à la disposition de la Commission d’organisation il est resté un reliquat important d’argent que j’ai ordonné de retourner au Ministère des Finances. Mes collègues ne l’entendaient pas ainsi, expliquant que l’argent une fois sorti des caisses de l’État n’allait plus y retourner, que si cette somme n’était pas utilisée au Ministère des Ressources naturelles, elle allait être partagée par les fonctionnaires des Finances entre eux ; ils proposaient donc qu’on se la répartisse à notre niveau. C’est finalement sur injonction du ministre que j’avais saisi à ce propos que la somme fut retournée aux Finances, sans que je sois en mesure de certifier qu’elle a été finalement retournée au Trésor - membre de la Commission de Rédaction de la Loi fondamentale de 1989-1990. C’est dans ces conditions que le nouveau ministre Colonel Mohamed Traoré par une note verbale en date du 14 décembre 1989, m’a chargé 123

d’assurer les fonctions de Secrétaire général du Ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement en attendant qu’aboutisse le projet de Décret soumis au Président de la République. Ce ne fut pas chose aisée, car un ingénieur géologue qui voulait le poste pour luimême a mobilisé quelques partisans et un certain lobby pour bloquer ma nomination. Il a fallu toute la subtilité, le savoir-faire et la force de conviction du ministre Traoré pour faire comprendre au Président Conté qu’un Secrétaire général des Mines ne doit pas forcément être un ingénieur des mines ou de la géologie ; il doit avant tout être un leader, un animateur, un organisateur, la spécialisation pouvant même être quelques fois un handicap pour un tel poste. C’est seulement le 30 avril 1990 que le Décret de ma nomination a été signé. Automatiquement d’autres taches sont venues surcharger mon emploi de temps. En tant que Secrétaire général je devins membre du Conseil d’Administration et Président du Comité consultatif de CBG, membre des Conseils d’Administration d’Enelgui, de Soguirusse, de SBDT, de Dian Dian, de Somiag et Coordonnateur de la Commission de négociations pour la privatisation du secteur de l’énergie. Face à une telle surcharge, j’ai dû penser à des solutions palliatives pour mener à bien mon travail. Tout d’abord, avec l’accord du ministre j’ai coopté un cadre comme assistant chargé d’élaguer le travail du courrier du ministère, une tache mesquine et fastidieuse, consistant à lire, à analyser et établir une fiche de synthèse du contenu d’une vingtaine de parapheurs par jour à l’attention du ministre. Mon assistant était chargé de lire chaque document, d’en faire l’analyse et de proposer une ébauche de fiche, ce qui me permettait juste de vérifier, de confirmer ou d’apporter des modifications si besoin. Cette pratique m’a permis de gagner un temps précieux. Par ailleurs j’ai rendu plus systématiques les réunions techniques hebdomadaires qui m’ont permis d’être plus proche des directeurs nationaux et d’être mieux informé des problèmes du Département. Pendant tout ce temps quels ont été mes contacts avec le Président de la République ? MES PREMIÈRES RENCONTRES AVEC LANSANA CONTÉ Avant nos échanges liés à ma nomination en qualité d’ambassadeur, j’ai rencontré physiquement le Président Lansana Conté à trois reprises, une première fois à Gaoual en décembre 1990 où j’étais allé assister les Autorités locales au nom de la Commission de Rédaction de la Loi fondamentale dans l’organisation du référendum sur ladite Loi. A cette 124

occasion, le Président Conté venu pour demander à la population de voter OUI m’a été présenté par le Préfet. Il m’a salué et m’a encouragé à bien accomplir ma mission. Une seconde fois, ce fut dans la cour du Ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement où le Président était venu à la recherche du ministre Dakoum Sakho qui était malheureusement absent de son bureau ; resté dans sa voiture, il m’a envoyé chercher par un de ses gardes. Après les salutations il me demanda où se trouvait le ministre et ce fut à peu près tout. La 3e fois, il m’envoya chercher en juillet 1994 par son Secrétaire général Alpha Tanoundy Camara. Arrivé dans son bureau, il m’invita à prendre place et me posa une série de questions sur le ministère, sur la date du retour du ministre parti en mission, de même que sur la fourniture de courant électrique. Notre entretien dura quelque quinze minutes. À ma sortie de son bureau, je me suis franchement demandé quel en était l’objet, car aucune question dominante, aucune instruction n’a émergé de l’entretien. Ce n’est que quelques jours plus tard que j’aurai une réponse à cette question. En effet à l’issue d’une séance de travail avec M. Moncef le Représentant du FMI en Guinée, j’apprendrai que mon nom figurait sur la liste des ministrables pour le prochain remaniement qui aura finalement lieu le 23 août 1994. J’ai réalisé alors que le Président, à travers notre rencontre a cherché à mettre une figure derrière mon nom, à échanger quelques mots avec moi et à m’évaluer. Cette rencontre m’a confirmé qu’il veillait au grain et tenait à vérifier les recommandations qui lui étaient faites à droite et à gauche. Alseny René Gomez intermédiaire entre le Président et moi En dehors de ces rencontres, j’ai eu aussi à dialoguer avec lui par personne interposée. Un matin de novembre 1994 j’ai reçu un appel téléphonique de feu Alsény René Gomez, à l’époque ministre de l’Intérieur et de la Sécurité qui me demanda de venir le voir pour me communiquer un message du Président Conté. J’ai connu et apprécié René Gomez avant ce coup de téléphone ; je retiens de lui un cadre patriote, compétent, rigoureux et organisé. Je l’ai notamment observé à l’occasion des réunions des Secrétaires généraux des Départements ministériels qu’il organisait en sa qualité de Secrétaire général de la Présidence de la République chaque semaine, à l’identique des Conseils des ministres et qui débattaient de toutes les questions pendantes dans les Ministères. Ces rencontres étaient appréciées de tous les participants, car elles permettaient aux Secrétaires généraux des Ministères de faire connaissance, de se familiariser avec les problèmes 125

des autres Départements et offraient un canal pouvant permettre de résoudre les questions causant des interférences entre deux ou plusieurs Départements. C’est ainsi qu’à l’occasion d’une de ces réunions, j’ai exposé le cas de Friguia qui avait été condamnée à de lourdes pénalités dans un litige qui l’opposait aux syndicats ; bien qu’ayant interjeté appel elle avait vu tous ses comptes bloqués par un huissier et ce, disaiton jusqu’au payement des sommes litigieuses. Cette façon de faire illégale pouvait provoquer l’arrêt des installations de l’entreprise ; sur le champ Gomez dénonça ce scandale en téléphonant au ministre de la Justice qui ordonna immédiatement au Gouverneur de la Banque Centrale la réouverture des comptes de l’entreprise. Hélas ce forum a été vivement combattu par certains ministres qui le considéraient comme un Conseil des ministres — bis et il a dû cesser d’exister dès que René Gomez est parti de la Présidence pour prendre un poste ministériel. Après cette parenthèse, revenons à l’appel de Gomez auquel j’ai répondu dans le quart d’heure d’après, son bureau étant situé à quelque 200 mètres du mien dans le bâtiment de la Coopération internationale, face à l’immeuble Friguia. Après les salutations d’usage, il me confirma qu’il était porteur d’un message du Président pour moi et il m’a dit ce qui suit : « Ce matin je suis allé voir le Président pour lui demander à la veille de la nomination des Secrétaires généraux de bien vouloir te nommer dans mon ministère pour me permettre de voyager aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays tout en confiance en laissant aux commandes un cadre sérieux, compétent et rigoureux. Il m’a répondu qu’il se proposait de te nommer ministre lors du dernier remaniement, mais que compte tenu des équilibres à respecter il n’a pas pu le faire et que désormais il a décidé de te nommer ambassadeur. Il m’a donc chargé de te dire qu’il voudrait te nommer aux Nations Unies comme Représentant de la Guinée et qu’il voudrait avoir ton avis » sans hésiter j’ai répondu oui et à Gomez de me rappeler que je n’entendrai donc pas mon nom dans la liste des Secrétaires généraux qui sera lue ce soir à la télévision d’État. J’ai remercié à travers lui le Président pour la confiance qu’il a une fois encore placée en moi et je l’ai remercié aussi de sa confiance et de son appréciation constante. J’ai été gêné et embarrassé lorsque ma famille et mes amis n’ont pas entendu mon nom ce soir-là parmi les nouveaux Secrétaires généraux ; j’ai dû expliquer aux uns et aux autres que je devais être appelé à d’autres fonctions sans pouvoir être plus explicite. Quelques jours plus tard, le ministre Dorank Assifat qui était ministre de l’Hydraulique et de l’Énergie m’informa 126

qu’il avait demandé au Président d’accepter de me nommer Secrétaire général de son ministère, mais que ce dernier lui avait répondu qu’il ne pouvait pas accéder à sa demande, car il me réservait un autre poste. Un mois plus tard, le ministre Gomez m’appela de nouveau pour me dire cette fois-ci que les lobbyistes soussous ont eu raison du Président en lui expliquant qu’il serait dangereux de me nommer à New York, car cela se traduirait par l’alignement de trois Peulhs en Amérique du Nord, à savoir Boubacar Barry à Washington, Rafiou Barry à New York et Habib Diallo à Ottawa. Le projet initial du Président échoua et un Décret nomma dans les semaines suivantes une ressortissante de la Basse Guinée à New York. C’était un exemple patent du racisme cultivé par certains intellectuels ; il n’y avait aucun risque, aucune menace pour la Guinée d’avoir ces trois personnes diriger au même moment les Ambassades de Washington, New York et Ottawa qui étaient appelés à travailler au bénéfice de la Guinée et non du Fouta. La démarche de ces faux patriotes à courte vue était uniquement dictée par le souci de réserver ce poste à un des leurs, oubliant qu’un Ambassadeur représente sa Nation et non son ethnie. Je crois que Lansana Conté a été rendu ethnocentriste par son entourage. C’est seulement en fin décembre 1995 que le ministre Kozo Zoumanigui me convoqua pour m’informer que j’étais pressenti pour être Ambassadeur au Japon et qu’il me demandait de lui fournir mon C.V. Une fois que je l’ai remercié, il m’a dit qu’il n’en était pour rien et de m’expliquer que Tokyo était en tête de liste des ambassades à pouvoir ce jour-là et que dès le début de la séance le Président avait dit qu’il réservait ce poste pour quelqu’un et ce quelqu’un c’était moi. AMBASSADEUR DE GUINÉE Le Président avait tenu parole bien qu’il ait été dérouté de son idée de départ. Le Décret de ma nomination comme Ambassadeur au Japon sera signé le 12 avril 1996. Ce long délai résultait de la mutinerie militaire de février 1996 qui était survenue entre temps. Ce Décret n’allait pas cependant mettre fin définitivement à mes contacts avec les questions minières et le Ministère. En effet depuis un certain temps une incompréhension s’était installée entre le Gouvernement et Halco, le groupe des partenaires de la Guinée dans CBG ; le premier se plaignait amèrement d’une part du fait que CBG après plus de 30 ans de fonctionnement n’avait jamais eu à sa tête un Directeur général guinéen, il se plaignait d’autre part de la baisse constante de ses revenus depuis 127

la suspension de la Taxe spéciale imposée par la Première République. Nos partenaires de Halco pour leur part déploraient la lourdeur et l’inefficacité de l’OFAB de même que l’interférence du gouvernement dans la gestion au quotidien de CBG. Les deux partenaires avaient en conséquence décidé de mener des négociations destinées à améliorer le fonctionnement de l’entreprise commune et de me désigner comme facilitateur dans cette négociation. Pendant trois ans j’ai dû, parallèlement à ma fonction d’Ambassadeur m’acquitter de cette tâche à la satisfaction des deux parties en faisant le périple une fois par mois entre Tokyo et Pittsburgh aux USA. Revenant à ma fonction d’Ambassadeur, il faut souligner qu’avant de rejoindre Tokyo je fus reçu en audience en compagnie des autres Ambassadeurs désignés par le Président Conté dans son bureau au camp Samory Touré où il était installé depuis la destruction de ses bureaux au Palais des Nations lors de la mutinerie. À cette occasion il nous donna les instructions d’usage ; il nous demanda notamment de respecter les Lois des pays hôtes, de défendre les intérêts de la Guinée et d’être à tout instant un exemple. Je partis à Tokyo sans ma famille en juillet pour faire face à une situation matérielle très difficile marquée par des crédits insuffisants et l’indisponibilité d’une résidence depuis le départ de mon prédécesseur. J’ai dû donc rester à l’hôtel en attendant que mes collaborateurs identifient un bâtiment approprié. Malgré ce début difficile, il a fallu prendre le train en marche en faisant face à une multitude des questions. Dans ce cadre, presque sans argent nous avons dû organiser le séjour à Tokyo de Madame Kadiatou Seth Camara épouse du Chef de l’État, accompagnée d’une forte délégation ; nous avons reçu ensuite le ministre des Affaires étrangères Zainoul Abidine Sanoussy pour lequel nous avons offert un diner auquel ont assisté le Premier Responsable de l’Afrique au Ministère japonais des Affaires étrangères et plusieurs Ambassadeurs Africains ; nous avons reçu ensuite notre compatriote M. Lansana Kouyaté Secrétaire exécutif de la CDEAO, invité par le Gouvernement Japonais, en l’honneur duquel nous avons organisé un diner auquel étaient conviés tous les Ambassadeurs de l’Afrique de l’Ouest. De nombreuses autres visites des ministres et des fonctionnaires ont ponctué mon séjour au Japon dans le cadre du renforcement des relations entre la Guinée et le Japon. Il y a lieu aussi de mentionner la tenue des TICAD (conférences de Tokyo sur le développement en Afrique), en 1997,1999 et 2001 qui rassemblent des responsables politiques de haut niveau dont des Chefs d’État et qui ont 128

fortement mobilisé notre Ambassade. Au Japon les Ambassadeurs Africains ont toujours pris des initiatives importantes pour faire connaitre l’Afrique et souligner sa présence ; l’Ambassade de Guinée n’a jamais fait défaut dans la préparation et la mise en œuvre de ces initiatives. Durant mon séjour au Japon j’ai été reçu à deux reprises par le Président Conté, une première fois en 2000 à Kuala Lumpur en Malaisie où il effectuait une escale en route pour le Pakistan, puis à Conakry en Janvier 2002. À l’occasion de cette dernière entrevue, j’avais reçu un message de la ministre des Affaires étrangères me demandant de venir rencontrer le Président. Arrivé à Conakry je me suis rendu au Ministère où la ministre Mme Mahawa Camara m’a confirmé que la convocation venait du Président et qu’elle en ignorait l’objet. Je me suis rendu donc à la Présidence, précisément au bureau du Directeur du Protocole qui m’a invité à me rendre dans la salle d’attente et qu’il allait m’annoncer. J’y ai attendu de 1OH à 13 h sans avoir été appelé. C’est seulement à cette heure-là qu’un jeune militaire de passage devant la porte est venu s’enquérir de ma si longue attente ; après lui avoir expliqué qui j’étais et pourquoi j’étais là, il m’a demandé de lui donner 5 minutes, il est sorti en protestant contre le Directeur du Protocole qui n’osait même pas aller taper à la porte du Président pour lui rappeler ses rendez-vous. Il est revenu presqu’immédiatement et m’a demandé de venir avec lui ; le Président n’était pas dans son bureau, il se faisait couper les cheveux dans une petite salle attenante. Lorsque le Président m’a vu, il a demandé à son coiffeur et au militaire de nous excuser. Après les salutations, il m’a présenté ses excuses pour m’avoir fait attendre tout ce temps par la faute de son Directeur du Protocole qui ne m’avait pas annoncé ; ensuite après m’avoir posé des questions sur le fonctionnement de l’Ambassade au Japon, il m’a dit ce qui suit : « Je t’ai demandé de venir en consultation pour te nommer à Washington où la situation est vraiment mauvaise ; la résidence aussi bien que la chancellerie sont dans un état de délabrement avancé à telle enseigne que les voisins de la résidence ont adressé une pétition demandant au Département d’État de les débarrasser des senteurs provenant de la résidence de Guinée et que nos compatriotes résidents à Washington sont en train de se concerter pour aller passer un coup de peinture à la chancellerie. C’est une honte d’autant plus humiliante que Washington est actuellement la vitrine du monde. J’ai pensé que tu serais capable d’y mettre de l’ordre. Quelle est ton opinion ? » 129

Je lui ai répondu que ce serait un honneur pour moi et que j’accepterais volontiers le poste si je suis assuré de trouver auprès de lui le soutien nécessaire à mon action de redressement. Il a repris pour conclure « Je te promets toute mon aide et assistance, je signerai le Décret de ta nomination dès que le Ministère des Affaires étrangères aura terminé ses consultations d’usage, tu peux rentrer à Tokyo pour te préparer » Le Décret me nommant Ambassadeur de Guinée à Washington ne sera publié que le 2 mai 2002. Par la suite j’ai compris que le ministre Lounceny Fall, à l’époque représentant de la Guinée aux Nations-Unies était à l’origine de mon identification comme candidat au poste de Washington. À ce propos, je rappelle qu’il a été aussi celui qui a suggéré et soutenu la nomination de mon ami Elhadj Thierno Mamadou Cellou à Rome, agissant cette fois-ci en sa qualité de ministre des Affaires étrangères ; je souligne ces faits, car il est exceptionnel de voir un cadre guinéen soutenir la promotion d’un compatriote qui ne lui soit lié ni par intérêt ni par des liens de famille. Ce coup de chapeau devait lui être adressé. J’ai quitté Tokyo le 2 juillet 2002 pour rejoindre mon nouveau poste. Je suis finalement parti du Japon avec deux regrets, c’est d’abord celui de n’avoir pas pu présenter mes lettres de créance dans les autres pays de la zone et c’est ensuite celui de n’avoir pas pu liquider les dettes de l’Ambassade, à cause des crédits insuffisants presqu’entièrement absorbés par les loyers de la chancellerie et de la résidence et à cause aussi des contraintes liées aux visites de nombreux hôtes de marque. Ces questions ainsi que d’autres, liées aux handicaps, que connaissent les Ambassades guinéennes dans leur ensemble feront l’objet d’un développement spécifique après la partie consacrée à ma mission aux États-Unis. En arrivant à Washington où encore une fois je suis descendu à l’hôtel, cette fois-ci avec ma famille, ma première préoccupation a été de restaurer la résidence et la chancellerie. Lorsque j’ai visité les bâtiments pour la première fois, j’ai été écœuré au vrai sens du terme, surtout lorsque je suis arrivé à la résidence ; j’ai vu des toilettes bouchées, des tuyaux qui renvoyaient une eau sale sur le sol, des rideaux crasseux, des cancrelats qui roulaient par terre, du mobilier cassé, bref un spectacle digne des films d’horreur. La chancellerie, loin d’atteindre ce stade de décrépitude se trouvait aussi dans un état pitoyable, escaliers en bois branlants, terrasse intérieure où manquaient de nombreuses lattes de bois et où personne n’osait plus s’aventurer de peur de s’effondrer à même le sol, les murs intérieurs et extérieurs 130

décrépits sur lesquels la peinture n’était plus qu’un lointain souvenir, le tout inspirant une misère profonde. Ce qui était encore plus choquant au-delà de toute cette désolation c’était que ces bâtiments de grande classe étaient tous les deux situés dans les quartiers chics de Washington. En effet la résidence se trouve dans le voisinage de la demeure du Vice-président des États-Unis à l’orée de la forêt de Washington, quant à la chancellerie elle était à quelques pas du célèbre hôtel Washington Hilton où se tiennent de nombreux évènements importants présidés par le Président des États-Unis tels que le petit déjeuner de prières organisé annuellement par le Congrès avec des invités venant du monde entier et le diner annuel des correspondants de presse de la maison blanche. C’est dans cet hôtel qu’eut lieu la tentative d’assassinat contre Ronald Reagan en 1981. Ces bâtiments avaient été acquis du temps de Diallo Teli et faisaient la fierté de tous les Guinéens. Dans le cadre de la sensibilisation des responsables guinéens sur cette situation catastrophique qu’il faut redresser, j’avais invité une délégation ministérielle guinéenne en séjour dans la Capitale fédérale à venir visiter les bâtiments avant le début des travaux ; la visite de la résidence s’arrêta à peine commencée, certains membres de la délégation ayant eu la nausée à la porte de l’immeuble. Pour exécuter les travaux, j’ai dû d’abord faire appel à un architecte pour proposer un plan de réhabilitation et évaluer le coût des travaux, puis il a été procédé à un appel d’offre restreint auquel trois entreprises ont répondu, enfin une commission composée des cadres de l’Ambassade ont choisi la plus crédible et la plus intéressante. Muni de ce dossier ainsi que des factures pro forma pour l’équipement des bâtiments, pour trois véhicules dont un de commandement et d’un bail de quinze mois pour une villa devant servir de résidence pendant les travaux, je me suis rendu à Conakry où j’ai rencontré successivement le Président Conté, les ministres des Affaires étrangères, des Finances et des Mines pour présenter mon dossier. Conscient des problèmes de trésorerie que connaissait la Guinée, j’avais réfléchi à un plan de financement simple, mais qui demanderait le soutien de beaucoup de monde, il s’agissait d’impliquer Halco notre partenaire dans CBG, qui jouerait le rôle de trésorier en procédant directement à tous les payements par déduction sur les taxes dues au gouvernement, l’Ambassadeur restant l’ordonnateur délégué. Le schéma comme par enchantement fut accepté et immédiatement mis en œuvre. Au bout de quinze mois les bâtiments étaient remis à neuf et parfaitement bien équipés, ils devinrent à nouveau la fierté de toute la colonie guinéenne. 131

Si cette opération a bien réussi, c’est grâce à la volonté politique du Président Lansana Conté, au soutien ferme et engagé du ministre des Finances Cheik Camara, à la confiance des officiels de Halco et surtout à l’implication intelligente et exigeante des cadres de l’Ambassade. En plus de cette opération spectaculaire, l’Ambassade s’est appliquée à renforcer les liens de la Guinée avec les États-Unis, par des échanges suivis avec le Sous-secrétaire d’État aux affaires africaines et avec le fonctionnaire en charge de la Guinée au Département d’État, ainsi que des Sénateurs de la sous-commission pour l’Afrique et des lobbyistes. L’Ambassade s’est aussi mise à la disposition des délégations guinéennes en mission aux États-Unis pour les assister, les accompagner et les conseiller, c’est ainsi que l’Ambassadeur a accompagné le ministre des Affaires étrangères Lounseny Fall lors de ses rencontres avec le Secrétaire d’État Colin Powell au moment où la Guinée présidait le Conseil de Sécurité des Nations Unies, pour parler de la guerre en Irak. À cette occasion, le Général Powell a organisé un déjeuner à trois entre lui, le ministre et moi dans sa salle à manger au Département d’État. L’Ambassade a aussi été aux côtés du Premier ministre Lamine Sidimé accompagné d’une trentaine d’hommes d’affaires guinéens au Forum US/Afrique en 2004 et a eu l’honneur de leur offrir un diner officiel dans un hôtel de la place. En 2005, l’Ambassade a aussi suivi la visite de travail du Premier ministre Cellou Dalein Diallo auprès de la Conseillère en Sécurité du Président Bush, du Secrétaire d’État et de nombre des responsables américains, du FMI et de la Banque ; les exposés du Premier ministre, selon les dires mêmes de ses interlocuteurs étaient clairs, instructifs et convaincants. L’Ambassade a offert en l’honneur de la délégation du Chef du gouvernement à sa résidence, un diner officiel auquel a assisté le Sous-secrétaire d’État aux Affaires africaines ainsi que d’autres responsables américains. Une autre visiteuse de marque a été Hadja Asmaou Baldé, épouse du Chef de l’État qui se rendait fréquemment à Washington en visite privée et dont je dois louer la modestie, et les bonnes manières. En alternance avec ces visites des chefs de gouvernement, d’autres missions gouvernementales ont meublé les activités de la Mission diplomatique. L’Ambassade a par ailleurs pris une part active aux travaux des Assemblées générales du FMI et de la Banque Mondiale 2002, 2003, 2004 et 2005. Elle s’est impliquée aussi dans toutes les actions menées par les Ambassadeurs Africains pour faire connaitre leur continent.

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Toujours dans la perspective de faire connaitre la Guinée, l’Ambassade avait pu entreprendre et mener à bien l’élaboration d’un fascicule en Français et Anglais sur les données politiques, économiques, sociales et culturelles de la Guinée. Ce document était destiné à être distribué et à être posté sur la page WEB de l’Ambassade qui avait été créée entre temps. Une autre action utile de l’Ambassade a été l’obtention d’un financement des cours d’anglais pour tout le personnel qui en avait besoin et ce grâce à la bienveillance de Halco. Parallèlement à toutes ces actions l’Ambassade s’était attelée à rapprocher les Guinéens entre eux et l’Ambassade. Les partis politiques avaient fini par opposer les Guinéens vivants aux États-Unis entre eux et à rendre certains parmi eux hostiles à l’Ambassade et aux diplomates guinéens ; l’équipe de l’Ambassade s’est vaillamment engagée dans une action patiente pour recoller les morceaux ; mes collaborateurs et moi y avons travaillé d’arrachepied et sommes arrivés à mettre en place un bureau de l’association des Guinéens de toutes les tendances ; les étapes suivantes devaient conduire à la généralisation de ce modèle et la mise en place d’un bureau de coordination au niveau des États-Unis. LA DIPLOMATIE GUINÉENNE EN QUESTION Bien qu’étant entré comme par effraction en diplomatie, après presque dix ans passés dans les fonctions d’ambassadeur, il me semble tout à fait opportun de promener un œil profane dans les coins et recoins de notre diplomatie en vue de diagnostiquer ce qui ne va pas et proposer des solutions aux maux qui l’assaillent. Dans cette perspective ce qui m’a marqué en premier lieu, c’est la pléthore du nombre d’Ambassades guinéennes à travers le monde, dont 40 % en Afrique ; en effet, il est difficile de comprendre comment un pays classé 182e sur 188 pays du classement selon l’indice de développement humain du PNUD en 2015 ait pu continuer à nourrir l’ambition d’entretenir quarante Ambassades, quelques fois dans des pays dont on se demande l’intérêt réel qu’ils représentent pour la Guinée, tels que la Serbie, la Malaisie, etc. L’explication la plus plausible est qu’avec le temps la Guinée en voulant faire plaisir à beaucoup de pays amis, a continué à ouvrir à tour de bras des missions diplomatiques sans avoir eu le courage de fermer quelques anciennes, avec pour résultat l’octroi des moyens insuffisants pour assurer leur bon fonctionnement. Il faudrait cesser de privilégier la quantité au détriment de la qualité et décider résolument de réduire 133

le nombre des Ambassades en fonction des possibilités financières de la Guinée. Je crois pour ma part que ce nombre pourrait se situer entre 17 et 20, couvrant chacune plusieurs pays, suppléés par un réseau de consuls honoraires et dotés des moyens humains et financiers suffisants. Cette diminution du nombre des Ambassades devrait être accompagnée d’une politique d’acquisition des bâtiments pour héberger ses missions diplomatiques sans recourir à la location. J’ai personnellement eu à diriger à la fois une Ambassade locatrice de sa chancellerie et de sa résidence et une autre propriétaire de ses bâtiments. L’expérience est loin d’être la même, dans un cas outre le fait de dépenser des folles sommes, on vit dans une anxiété permanente de ne pas recevoir à temps les crédits attendus et de courir le risque d’être expulsé et exposé à la risée publique ; dans l’autre cas, on est confortable et fier de vivre chez soi. Un autre défi à relever se situe au niveau des crédits de fonctionnement des Ambassades, insuffisants pour toutes et de surcroit arbitrairement répartis. Il y a quelques années les Ambassades avaient été classées en 3 zones, A, B et C en fonction de la cherté de vie et du nombre des pays couverts par l’Ambassade. Au fil du temps ce classement a été manipulé, les critères perturbés, la logique du système battue en brèche. C’est ainsi que dans la zone A se retrouvent des capitales telles que Luanda supposée être aussi chère que Tokyo ou Genève ; dans la zone B on trouve pêle-mêle New York, Malabo, Téhéran, Paris. La manipulation a été poussée si loin que dans la même zone de classement Londres ne reçoit que 52 % des crédits alloués à Moscou et que Tokyo en dépit de son classement dans la zone No1 ne reçoit que 51,8 % des crédits de fonctionnement de Riad. Ces distorsions s’expliquent essentiellement par le système dit de l’ascenseur par lequel l’Ambassade qui est en connivence avec ses correspondants au niveau du Département renvoie à ces derniers une partie des montants reçus. Cette pratique qui est un détournement au grand jour devrait être purement et simplement démantelée avant toute révision des crédits des Ambassades. Une autre difficulté des Ambassades Guinéennes est liée à la question des ressources humaines ; généralement le personnel est mal formé aussi bien dans le domaine diplomatique que dans celui des Langues. Beaucoup de diplomates sont incapables de rédiger une note verbale, d’écrire un rapport ou de parler couramment la langue du pays où ils sont affectés. Ils se retrouvent dans des postes à l’étranger souvent choisis sur une base subjective. Très souvent les diplomates en partance 134

pour un poste dans une Ambassade sont tenus de porter sur la liste des membres de leur famille des noms des fils ou neveux des responsables du Ministère ou de leurs alliés afin de pouvoir aller étudier à l’extérieur. Dans ce domaine aussi il faut souligner que les diplomates guinéens sont mal payés ; les salaires et indemnités ne peuvent pas couvrir correctement leurs dépenses de nourriture, de logement, de transport et de soins, ce qui les oblige à recourir quelques fois à des moyens peu orthodoxes ou à prendre des risques pour habiter dans des quartiers peu sûrs ou à prendre des maisons insalubres à cause des loyers modérés ; quelques fois ils sont amenés à accumuler des arriérés de loyer au risque de se voir expulsés et de faire la une des journaux. L’aspect le plus sensible de cette fragilité se trouve au niveau des soins médicaux, lorsqu’ils sont incapables de faire face à ce poste de dépense, même en cas de maladie de leurs enfants, à moins qu’ils ne trichent en obtenant des assurances fictives ou en se prévalant indûment d’un statut qui n’est pas le leur. Cette question devrait interpeler le gouvernement pour une revalorisation de leurs revenus et pour qu’ils soient couverts par des assurances maladie correctes. En plus de cet exercice salutaire, il faut aussi penser à la formation systématique des diplomates, surtout dans le domaine de diplomatie et des langues. L’école nationale d’administration en gestation pourrait apporter une solution à cette question, mais comme on connait les aléas qui accompagnent généralement les projets en Guinée, il serait important que le gouvernement envisage des solutions alternatives en faveur de ses diplomates. Après la diplomatie que j’ai quittée en mars 2006, j’ai signé un contrat à durée indéterminée avec Alcoa en avril de la même année en qualité de Vice-président Alcoa Guinée. MON TRAVAIL À ALCOA Alcoa est l’une des plus grandes compagnies productrices d’aluminium, d’alumine et des dérivées dans le monde. Elle employait dans les années 2011 97.000 travailleurs répartis dans 34 pays avec un revenu annuel de 30.7 Milliards de dollars par An. Alcoa est présente en Guinée depuis 1963 à travers sa participation dans CBG (Compagnie des bauxites de Guinée) dont elle assure la gestion au nom de ses partenaires de Halco formé de Alcoa, Alcan et Datco qui contrôlent 51 % du capital de l’entreprise contre 49 % pour le gouvernement 135

guinéen ; avant le lancement du projet de son expansion en 2015, CBG produisait 13 millions de tonnes de bauxite calcinée pour l’exportation. Elle a en outre lancé en 2003 avec Alcan le projet AARG (Alcoa-Alcan Refinery Guinea) pour la construction d’une raffinerie d’alumine de 1,5 million de tonnes de capacité initiale, extensible à 4,5 millions de tonnes à Kabata dans la préfecture de Boké. En tant que Vice-président j’étais notamment chargé de diriger le bureau d’Alcoa Guinée, d’assurer les relations avec le gouvernement, de promouvoir le projet de raffinerie, de maintenir un dialogue permanent avec les autorités locales et les populations vivant dans la zone du projet. J’étais aussi chargé de coordonner les activités d’Alcoa en Guinée. S’agissant de ces activités il faut souligner qu’Alcoa à travers sa Fondation a dépensé de 2001 à 2007 plus de 2.500.000 dollars américains en Guinée dans la lutte contre le paludisme, la nutrition et les soins de base dans 16 écoles primaires, la réhabilitation des vieilles carrières, l’assainissement de la ville, l’achat d’une radio pour Boké et l’assistance de l’Institut Supérieur des Mines. J’ai décidé néanmoins de mettre fin à mon contrat en mars 2011 compte tenu des délais successifs enregistrés par le projet qui initialement devait voir le jour en 2010. La crise mondiale de 2008 née de celle des subprimes aux États-Unis a certainement impacté tous les projets en gestation, mais n’a jamais expliqué la mise entre parenthèses d’un projet, surtout dans le domaine de l’industrie de l’aluminium dont l’avenir est plutôt brillant à cause de ses qualités intrinsèques avérées, à cause de son prix relatif, de sa qualité de pouvoir être recyclé, sa malléabilité, sa non-corrosivité, sa légèreté, sa durabilité, sa haute conductivité. Sa demande était supposée passer de 37 millions de tonnes en 2008 à 70 millions en 2018. Après le tassement de la crise, j’ai vite compris que le projet ne figurait plus dans les priorités de la compagnie et qu’en restant je devenais un complice objectif d’une duperie organisée à l’encontre de la Guinée bien que le nouveau code minier guinéen ait pu jouer un rôle dans cette attitude. Étant donné ma place au sein d’Alcoa d’une part et de hautes responsabilités que j’avais assumées en Guinée, ma conscience ne me l’aurait pas pardonné. Je suis donc parti malgré les nombreux avantages que j’abandonnais. C’est l’occasion de souligner la folie qui est en train de sévir dans les pays les plus avancés où les boursicoteurs sont en train de prendre le pas sur les stratèges ; autrement comment expliquer que l’on sacrifie la vision à long terme au bénéfice de l’instantané, que l’on 136

néglige un pays tel que la Guinée avec ses immenses réserves de bauxite sans penser à l’avenir, alors que la technologie de fabrication de l’aluminium reste de nos jours encore inchangée ; c’est à mon avis juste suicidaire de la part d’une multinationale dont le cœur de métier reste l’aluminium. Cette évolution est liée au changement des mentalités qui privilégie la bourse au détriment de la vision à long terme. C’est la posture des nouveaux dirigeants des multinationales qui ont remplacé les visionnaires d’antan, intervenue en matière de gestion où les dirigeants emblématiques sont remplacés par des fonctionnaires. Ce qui les préoccupe c’est moins le devenir de la compagnie dans vingt ou trente ans que l’argent que les actionnaires et eux-mêmes vont empocher à la fin de l’année et aussi l’image que retient d’eux les publications spécialisées. Sur ce point les vues d’Alcoa et de Rio Tinto coïncident. Ils sont en train de faire la part belle aux Chinois qui eux donnent l’impression de penser à plus loin. Fermons à présent la parenthèse de mon passage dans la diplomatie et à Alcoa et intéressonsnous à présent à la politique pratiquée par le Président Lansana Conté sur le terrain.

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CHAPITRE 3 : La politique menée par Lansana Conté A. DANS LE DOMAINE POLITIQUE 1. POLITIQUE INTÉRIEURE La politique que mena Lansana Conté dès sa prise du pouvoir reposa sur deux volets, à savoir le démantèlement de la machine de la révolution et la mise en place d’un État de Droit. Le démantèlement de la machine révolutionnaire Sa première tâche a donc été de détruire tout « l’arsenal révolutionnaire » que Sékou Touré avait construit pendant 26 ans. Il arrêta les membres de l’ancien gouvernement et ceux de la famille de Sékou Touré, il suspendit le PDG ainsi que toutes les Institutions de la Première République. Par ce geste, il libera les Guinéens de toutes les contraintes imposées par l’ancien parti unique, à savoir les assemblées hebdomadaires obligatoires pour les citoyens de tout sexe et de tout âge, l’autocensure, le respect religieux envers le parti, ses dirigeants et ses principes. Il supprima la milice populaire qui agissait dans l’impunité au nom du parti qu’il intégra dans l’armée. Il fit ouvrir les portes des prisons et libera tous les prisonniers politiques encore en vie. Il procéda aussi à l’ouverture des frontières et accueillit à bras ouverts les exilés. Il ordonna la levée de tous les barrages routiers qui constituaient un véritable calvaire pour les voyageurs à travers tout le pays. Il décida de changer le nom du pays en faisant remplacer l’appellation République populaire révolutionnaire de Guinée par celle de République de Guinée. Ces symboles et ces actes ont insufflé un vent de liberté partout en Guinée et ont ramené l’espoir dans les cœurs des Guinéens.

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La marche vers l’État de droit Le 1er octobre 1988, il mit en place la Commission de rédaction de la Loi fondamentale destinée à rédiger une Constitution d’essence démocratique qui sera adoptée par référendum le 23 décembre 1990. La nouvelle Constitution contient des avancées notables telles que le multipartisme, la limitation du nombre des mandats présidentiels à deux, de 5 ans chacun ; il prévoit aussi la limitation de l’âge des candidats à la présidence qui doivent avoir entre 40 et 70 ans. Au sein de la Commission après de longues discussions il avait été retenu que le nombre des partis serait limité à deux, celui qui serait au pouvoir et le second à l’opposition, dans le but d’empêcher l’apparition des partis basés sur l’ethnie. Les partis qui existaient alors avaient protesté de façon véhémente et avaient exigé le multipartisme intégral. Le projet de Constitution sera adopté par les Guinéens à une très large majorité. En février 1991, le CMRN est dissout et il est créé le CTRN formé de cadres civils et militaires expérimentés et aguerris ; il est chargé d’assurer le rôle d’Organe législatif transitoire qui votera en un an 12 Lois organiques sur la Presse, les Élections, l’Assemblée nationale, la Cour Suprême. Du parti unique la Guinée passe à 46 partis agréés, au seul journal existant en Guinée viennent s’ajouter une cinquantaine de publications. Ainsi la Guinée avait ouvert la route de la liberté d’expression, la liberté de penser, de la liberté de choisir, bref de la démocratie. Le 2 juin 1991 sont organisées les élections des conseils de quartiers de Conakry qui ont enregistré beaucoup d’irrégularités et n’ont pas permis de proclamer les résultats officiels. Le 9 juin 1991, ce sera le tour des communales dont les élections ont connu aussi de graves irrégularités qui ont provoqué des incidents suivis de morts et blessés à Kissidougou, à Guékédou et Fria. En décembre 1993 se tiennent les élections présidentielles plurielles, accompagnées d’incidents violents à N’Zérékoré. Les résultats sont proclamés le 4 janvier 1994 et le Général Conté est déclaré vainqueur avec 50,9 %, après l’annulation des votes de Kankan et Siguiri par la Cour Suprême. Ces élections sont contestées par l’opposition. Les élections législatives quant à elles prennent place le 11 juin 1995 ; le PUP le parti du président obtient 71 députés sur 114, le RPG 19 députés. Le 14 décembre 1998, des élections présidentielles se tiennent de nouveau et le président Conté est proclamé une fois encore vainqueur. Le 21 décembre 2003, ont lieu de nouvelles élections présidentielles boycottées par les principaux partis de l’opposition ; seul un illustre inconnu fera face au candidat Conté. 140

Comme on le voit du fait de l’absence de l’une des composantes essentielles de l’État de Droit, à savoir des élections transparentes, justes, équitables et acceptables par tout le monde tout le mécanisme est compromis ; il perd toute crédibilité et toute légitimité. Tous ces faits ont contribué à transformer le régime en une autocratie qui roule pour le bénéfice exclusif de son chef et de ses alliés. L’échec de la marche vers l’État de droit Avec la mise à mort de la démocratie, le recours à l’arbitraire et l’autoritarisme, la généralisation de la corruption prennent place. Ainsi le régime de la Deuxième République s’éloignait définitivement du régime présidentiel dont il était censé se référer et de sa Constitution. Elle se rappelle alors aux bons souvenirs de la Première République en recourant à son tour au régime présidentiel escamoté. Cependant avant d’examiner cette dérive, intéressons-nous à ce qu’on a appelé le coup Diarra qui contribuera à accélérer le phénomène. Tentative de coup d’État de Diarra Traoré Avant le coup proprement dit, il faut se rappeler que lors du remaniement ministériel du 18 décembre 1984, le poste de Premier inistre qu’occupait le Colonel Diarra fut supprimé, que des militaires proches à lui tels que les capitaines Youssouf Diallo, ministre des Tavaux Publics, Ahmadou Kouyaté, ministre des P.T.T, Baourou Condé, ministre du Plan et des Statistiques furent exclus du gouvernement. C’est dans ce contexte de tension et de dissensions qu’intervient le 4 juillet 1985 une déclaration de Colonel Diarra Traoré annonçant la destitution du Président Lansana Conté qui se trouvait à Lomé pour un sommet de la CEDEAO. Comme conséquence de cette annonce, 72 officiers et sous-officiers, tous originaires de la Haute Guinée furent arrêtés, torturés et quelques fois humiliés, les biens de leurs proches furent saccagés ; on assista à une chasse à tous ceux qui étaient ou supposés être du complot. Comme en échos à cette vindicte, lors de son discours au Palais du Peuple 6 juillet 1985, Lansana Conté dira au nom de ses partisans « WO FATARA », c’est-à-dire qu’ils ont bien fait, sous-entendu qu’il les supporte et qu’il ne regrette pas les exactions menées ; il ajoutera à l’adresse des organisations des droits de l’homme de se dépêcher pour intervenir, car demain ce sera trop tard. On assistera en effet dès le 7 juillet à l’exécution extra judiciaire des militaires arrêtés, ainsi que des dizaines de civils, dont des membres de 141

la famille du Président Sékou Touré. Ces évènements marqueront à jamais le régime de Lansana Conté qui va s’engluer dans le parti pris, la violence et les règlements de compte ; ce qui poussera l’ethnie malinké à s’organiser pour se venger et laver ces atrocités et l’humiliation subies. Cette question fait partie sans aucun doute des contentieux dont est parsemée l’histoire de la Guinée. Ces évènements seront accompagnés d’autres dérives par rapport à la démocratie telle que la modification des règles préétablies. Modification unilatérale des Règles du Jeu démocratique prévues dans la Constitution La modification de la Constitution de 1990 est arrivée par le truchement du référendum du 11 novembre 2001 ; la durée du mandat présidentiel est désormais de 7 ans renouvelable et non plus 5 ans renouvelable une seule fois et l’âge du candidat doit être de 40 ans au moins, sans limite d’âge maximum. Ainsi on a glissé vers une présidence à vie, sans limites d’âge et de nombre de mandats. Il est apparu clairement que l’alternance, une des conditions de la démocratie ne pourrait plus advenir par les urnes durant la 2e République avec les conséquences que l’on verra plus loin. Au non-respect des règles de la démocratie, la personnalisation à outrance du pouvoir est venue accentuer la dérive que prenait la gouvernance du Général Conté. Personnalisation à outrance du Pouvoir La personnalisation progressive du régime du Président Conté fut aussi une des causes de son échec. Alors que le pouvoir avait été pris par un collectif organisé en CMRN (comité militaire de redressement national) sous l’égide duquel le pays était censé être dirigé, cet organe est purement et simplement supprimé ; ce coup de force est intervenu après la suppression du poste de Premier ministre le 18 décembre 1984. À la suite de la disparition du CMRN il a été créé le CTRN organe législatif transitoire, plus qualifié, plus diversifié, mais moins influent que le premier qui lui, avait participé à la prise du pouvoir en compagnie de Lansana Conté et dont les membres étaient à ce titre plus à même de lui dire certaines vérités, de s’opposer à certaines de ses décisions et qui par conséquent étaient susceptibles de limiter son pouvoir personnel. Désormais le Général Conté reste seul maitre à bord, il fait ce qu’il veut comme il veut sans aucun contre poids, sans aucune contestation, il est laissé en tête à tête avec des profiteurs, des manipulateurs 142

professionnels sans foi ni loi et dont le seul objectif est de s’enrichir et de former une barrière autour du chef, favorisant la corruption. Une corruption généralisée La corruption qui s’abat sur la Guinée est un phénomène calamiteux, car elle contourne toutes les règles, échappe à tous les interdits et gangrène les rouages de l’État. Une fois que le Général a cédé à la pression de ses nouveaux compagnons, il se lance résolument dans la danse ; on l’a vu se faire conduire à la Banque Centrale ou à la Direction nationale de la Douane et ordonner qu’on lui apportât des sacs d’argent. La presse nationale et internationale a abondamment parlé aussi de la saga qui a entouré l’octroi au BSRG de Benny Steinmetz des blocs 1 et 2 de Simandou, la montagne aux fabuleuses réserves de minerais de fer et la corruption évaluée à des millions de dollars qui en a suivi, impliquant entre autres Madame Mamadie Touré, sa prétendue quatrième épouse. Une autre manifestation de la corruption révélée par la presse c’est la dette abyssale des commerçants vis-à-vis de l’État dans l’opération des fonds de contrepartie japonais, chinois et Koweitiens de plus de 26 Milliards de GNF ; c’est aussi le résultat des audits qui ont révélé des manquants de plus de 46 Millions de dollars dont 14 au niveau de la Banque Centrale ; tous ces faits ne provoqueront aucune sanction. La corruption en se généralisant est devenue un sport national. Tous les secteurs sont accusés d’avoir été touchés, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de la justice, de l’administration générale. En Guinée il est généralement admis qu’il est possible d’obtenir n’importe quel document, n’importe quel diplôme, n’importe quelle attestation contre de l’argent, tout étant devenu vénal. Dans une telle situation où tout est faussé, où tout peut s’avérer faux, il est vain de parler de développement, il est vain d’espérer un flux des investissements privés qui ont besoin d’avoir une protection à toute épreuve contre le faux, contre la concurrence déloyale. Utilisation fantaisiste des moyens de l’État Un cadre de la Banque Centrale que les gens ont surnommé Aldjanna Fodé à cause de ses largesses sur le dos de la Banque, s’étant improvisé « Parrain du PUP », le parti du Président sans avoir jamais été élu à une fonction officielle de ce parti, le Président a mis à sa disposition son hélicoptère de commandement pour sillonner la Guinée et faire la campagne en faveur de ce parti. L’utilisation illégale de ce 143

moyen d’État, la distribution massive d’argent puisé sans aucun contrôle des caisses de la BCRG ont indisposé plus d’un Guinéen, car cela est apparu à leurs yeux comme étant un détournement à trois dimensions couvrant à la fois un vol d’argent, une usurpation de fonction et l’utilisation illégale des moyens mis à la disposition du Chef de l’État. Ce fut un symbole éloquent de la décadence de l’État. Le Trafic de Drogue Une excroissance de la corruption est venue rendre la situation encore plus compliquée, il s’agit du trafic de la drogue qui sévit et se répand à vue d’œil à travers les constructions de luxe qui poussent comme des champignons et la prolifération des vols nocturnes des petits avions de la drogue à l’aéroport de Conakry. À cet effet, après une campagne de dénonciations par la presse et la société civile, le 4 septembre 2008 aussi bien le gouverneur de Boké, le Maire de la Commune Urbaine, le Commissaire de police, le Commandant du Camp Militaire sont arrêtés et inculpés pour avoir autorisé l’atterrissage d’un aéronef transportant de la drogue. D’autres révélations faites par le capitaine Dadis Camara et son régime souligneront l’ampleur phénoménale du fléau. Un autre signe d’abandon de la démocratie est le recours systématique à la force. Le recours systématique à la force On assiste en effet progressivement à une certaine prévalence des méthodes fortes au détriment du dialogue et de l’apaisement. L’exemple le plus éloquent de cette tendance est constitué par les répressions sanglantes des mouvements populaires de juin 2006 et de janvier et février 2007 et qui auraient fait plus de 200 morts et des milliers blessés, répressions qui n’ont fait l’objet d’aucune investigation, ni d’aucune poursuite contre ceux qui ont commis ces crimes. Le Déguerpissement de Kaporo Rails Un autre exemple de brutalité est illustré par l’expulsion spectaculaire des occupants du quartier Kaporo Rail dans la banlieue de Conakry le 23 Mars 1998, opération qui s’est soldée par une dizaine de morts, une centaine de blessés, l’arrestation du maire de la Commune, des conseillers communaux, des députés de l’UNR dont le Président du parti ainsi que des députés du RPG. Kaporo Rail était constitué des 144

domaines réservés de l’Etat qui avaient été occupés progressivement par des illégaux qui avaient bénéficié de la complicité des fonctionnaires pour obtenir des permis d’occupation, des permis de construction, des branchements d’eau et d’électricité au vu et au su de tout le monde. Ils furent chassés manu militari et leurs biens détruits sans avoir bénéficié depuis lors d’aucune compensation. Bientôt 20 ans après cette opération beaucoup parmi les déguerpis errent sans avoir pu reloger leurs familles, alors que l’Etat n’a toujours pas occupé ces domaines contrairement au prétexte qui avait été avancé à l’époque par les autorités. Nombreux observateurs continuent de nos jours encore à juger cette action inutile, arbitraire et injuste. Parallèlement à cette dérive autocratique apparait clairement une tendance pour le Président à confondre les affaires d’État avec ses problèmes personnels. Démission de Lounceny Fall C’est ainsi que le Premier ministre Lounceny Fall rendit sa démission le 24 avril 2004 à partir de Paris où il se trouvait en mission, justement à cause d’un parti pris du Président en faveur d’un de ses amis homme d’affaires et de l’humiliation qu’il avait subie à cette occasion. En effet quelques jours avant sa démission, il aurait été confronté à ce dernier qui aurait porté plainte contre lui à cause des mesures de rigueur prises par le gouvernement et qui le viseraient personnellement. En effet sur sa lettre de démission il se plaint « des blocages de plus en plus nombreux dans l’application des mesures initiées par le gouvernement ». Allant plus loin, dans une interview accordée à New York le 11 mars 2009 au journal en ligne Aminata.com, il déclare, parlant des raisons de sa démission : « dès lors que j’ai essayé de mettre ma main sur certains dossiers ou certains secteurs qui intéressent certains de ses amis, c’est là où le problème a commencé ». Il explique ensuite que les exonérations abusives des marchandises entrant au port de Conakry atteignent 70 %, que la BCRG (Banque Centrale de la République de Guinée) est devenue la vache laitière pour certaines personnes qui sur des bons volants pouvaient retirer des montants colossaux. Le Président donna raison à son ami contre le gouvernement qui voulait mettre fin aux abus et passes droits dont il bénéficiait et prononça des mots très durs contre son Premier ministre qu’il désavoua. Il ordonna ensuite aux motards du cortège de ce dernier de se mettre au service de son ami pour le ramener chez lui. Humilié et bafoué le

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Premier ministre dut rentrer à la maison sans escorte. Il profita de sa première mission en dehors du pays pour rendre sa démission. Malheureusement ce cas ne fut pas isolé ; Chérif Bah, gouverneur de la BCRG subit le même désaveu, la même humiliation face au même ami du Président. Il s’agissait justement des bons volants dont parle Lounceny Fall et dont avaient usé et abusé cet homme d’affaires et son acolyte qui n’était autre que Aldjanna Fodé dont il a été question plus haut, vice-gouverneur de la Banque. Il perdra finalement son poste pour avoir résisté à cet homme. Libération intempestive de son ami homme d’affaires Toujours en faveur de son ami homme d’affaires, le président Conté va commettre une autre action d’éclat. En septembre 2006 il se rendit en personne à la prison centrale de Conakry pour libérer ce dernier et son complice qui y étaient détenus pour détournement ; il est venu et a proclamé haut et fort « la justice c’est moi » Cet acte va provoquer un mécontentement général suivi des manifestations de rue avec des pancartes réclamant une hausse des salaires et la lutte contre la corruption. Arrestation d’Alpha Condé à la frontière Une autre action de force a été la capture à la frontière Guinéoivoirienne d’Alpha Condé, leader du parti d’opposition le RPG, député, candidat aux élections présidentielles du 14 décembre 1998 dont le résultat n’était même pas encore proclamé ; il est reconduit à Conakry, il est enfermé et jugé sans qu’ait été levée son immunité. Cette histoire contribuera grandement à entamer l’image de la démocratie guinéenne tout en conférant à Alpha Condé celle d’un combattant de la liberté persécutée par un régime autoritaire. Déclaration de l’État de Siège La déclaration de l’État de siège le 12 février 2007 est un autre témoignage du recours excessif à la force. Suite à la nomination surprise d’Eugène Camara ancien ministre, au poste de Premier ministre alors que les syndicats et la société civile avaient prévenu qu’ils n’accepteraient pas la nomination à ce poste d’un ancien membre du gouvernement. Comme conséquence de ce bras de fer, des manifestations embrasèrent aussi tôt toute la Guinée. En réponse à cette situation, le Président prit un Décret en date du 12 février 2007 146

proclamant l’État de siège pour la période allant du lundi 12 février au vendredi 23 février. Il demandera ensuite à l’Assemblée nationale une prorogation de l’État de siège ; cette dernière refusa la demande bien qu’elle était contrôlée par une majorité du PUP, parti du Président Lansana Conté. L’État de siège qui a imposé pendant 12 jours des privations, des restrictions dans les moindres mouvements des citoyens. CONSÉQUENCES DE L’ÉCHEC DE LA CONSTRUCTION D’UN ÉTAT DE DROIT L’échec de la politique libérale et démocratique va remettre en cause tout changement politique par les urnes et ouvrir une autre voie aux aventuristes et aux perturbateurs qui cherchent à remettre en cause l’ordre établi par divers moyens comme on va le voir ci-après : Attentat contre le Président Conté L’attaque du convoi du Président Lansana Conté a eu lieu le 19 janvier 2005 en pleine journée dans la banlieue de Conakry alors qu’il revenait de son village situé à une centaine de kilomètres. Il en sortira indemne, mais perdra une partie de ses gardes ; les assaillants n’ont jamais été arrêtés. Cette attaque prouve que l’opposition à Lansana Conté est devenue viscérale et pourrait conduire désormais à son élimination physique. Grèves à répétition S’agissant des grèves ponctuées de manifestations populaires réprimées dans le sang, elles se succèdent les unes après les autres et deviennent incontrôlables. Désormais les syndicalistes ont décidé de mélanger allégrement revendications catégorielles et problèmes politiques et institutionnels. En mai 1991, ce sera la grève des enseignants suivie d’une marche populaire impressionnante entre Madina et le Palais des Nations, siège de la Présidence. Les grévistes obtiendront une augmentation de 100 % des salaires des fonctionnaires. Le 28 février 2006, une grève est lancée pour réclamer l’amélioration des conditions de vie. Elle se termine par la signature d’un accord le 3 mars 2006.

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En juin 2006, il y aura une nouvelle grève suivie des manifestations à Conakry et dans beaucoup de villes de l’intérieur dont Labé et N’Zérékoré, causant la mort d’une dizaine de personnes. Comme si l’action s’accélérait, suite à la libération forcée par le Président de Mamadou Sylla et de Fodé Soumah accusés de complicité de détournements de deniers publics et d’émission des chèques sans provision, et compte tenu aussi de la non-application du protocole d’accord qui avait mis fin à la grève de juin 2006, les syndicats CNTGUSTG ont lancé le 2 janvier 2007un mot d’ordre de grève illimitée à compter du 10 janvier 2007. Ces grèves ont été suivies de grandes manifestations de rue sur l’ensemble du territoire, amenant le gouvernement à décréter l’État de siège. Ces troubles se seraient soldés selon la coalition pour la CPI lors d’une conférence de presse tenue le 21 janvier 2019 en commémoration des massacres du 21 janvier 2007 de 186 morts, 1188 blessés et 28 viols et des dégâts matériels importants. Le Président va plier en acceptant de céder une partie de ses prérogatives en nommant un Premier ministre Chef de gouvernement qui lui sera présenté par les syndicats et la société civile, il accepte aussi de dissoudre le gouvernement. Le président nomme à ce nouveau poste Eugène Camara, un ministre sortant du gouvernement. Cet acte mit en ébullition toute la guinée. Le président sortira affaibli de cette épreuve en attendant d’autres défis qui l’affaibliront encore davantage ; ce sont les attaques rebelles aux frontières, les mutineries à répétitions dans les casernes, les confrontations entre militaires et policiers. Attaques rebelles aux frontières Depuis quelques années les pays voisins de la Guinée, la Sierra Léone et le Liberia avaient été occupés par des régimes voyous qui faisaient subir à leurs peuples des exactions ainsi que des supplices à toute personne jugée douteuse à qui on impose des sanctions moyenâgeuses telles que l’amputation des membres supérieurs ou inférieurs des accusés. Lansana Conté a été l’un des premiers à démasquer et à dénoncer ces régimes et leur commandant en chef Charles Taylor. Est-ce pour cette raison que ces aventuriers ont décidé d’envahir la Guinée, est-ce plutôt à la suite d’une entente avec des hommes politiques guinéens voulant se débarrasser du Président Conté ? En tout état de cause, en septembre 1999 deux attaques rebelles eurent lieu dans la préfecture de Macenta ; elles furent toutes deux repoussées avec succès. En septembre 2000, ce fut le tour des frontières 148

sud et sud-ouest dans les préfectures de Kindia et de Forécariah, de faire l’objet d’attaques rebelles, elles aussi furent repoussées. Encore une fois quel était l’objet de ces attaques ? Étaient-elles destinées à régler des comptes au nom de Charles Taylor ? Étaient-elles plutôt une tentative de répandre la politique de Charles « la Terreur » ? Étaient-elles liées à la politique interne ? Jusqu’à présent ces questions n’ont pas été élucidées. Ce qui est sûr par contre, c’est que la Guinée a su mobiliser sa population et a infligé une leçon éclatante aux agresseurs. Il faut cependant regretter les grosses pertes en vies humaines et matérielles subies par la Guinée, y compris le Commandant de la zone, le Colonel Panival Bangoura. Les dépenses énormes, imprévues et urgentes occasionnées par l’achat des armes et munitions et l’entretien des hommes au combat ont provoqué des dérapages des dépenses publiques et causé un déséquilibre des comptes publics. Les mutineries dans les casernes Les 2 et 3 février 1996, les militaires du camp Alpha Yaya sous le prétexte de non-payement des primes qui leur seraient dues pour leur mission au Liberia et en Sierra Léone dans le cadre de l’ECOMOG, la force d’intervention de la CEDEAO, se sont rebellés et ont décidé de marcher sur Kaloum le quartier où siège le gouvernement, en tirant en l’air et quelques fois au hasard. Au quartier de Coronthie situé sur leur passage il eut quelques dégâts et des victimes collatérales. Arrivés à leur lieu de destination, ils tirèrent sur le Palais des Nations où se trouvait le Président. Ils vont finalement l’obliger à aller avec eux au camp Alpha Yaya où était déjà retenu le ministre de la Défense nationale. Heureusement pour le Président Conté, ses partisans avaient entre-temps pu renverser la tendance ; dès son arrivée il fut libéré et reconduit à son domicile au Camp Samory Touré. Le 2 mai 2007, d’autres mutineries éclatent dans les garnisons de Conakry et de N’Zérékoré. Le 26 mai 2008, des fusillades ont lieu dans plusieurs garnisons de Conakry et de l’intérieur du pays, des attaques des magasins sont signalées. Les revendications portent sur des arriérées de solde, la libération des militaires arrêtés lors des mutineries de 2007. Ils exigent et obtiennent aussi le limogeage du ministre de la Défense. Le 28 mai 2008, ils s’attaquent aux domiciles de certains généraux et pillent tout leur contenu.

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Le 30 mai 2008, ils exigent et obtiennent la radiation de tous les généraux de l’armée guinéenne. Le même jour ils obtiennent le payement de la première tranche des arriérées. Ces révoltes montrent à suffisance que le Général Conté avait perdu la main et que désormais les militaires faisaient ce qu’ils voulaient et obtenaient d’office toutes leurs exigences ; le Général Conté n’avait plus l’aura qu’il eut par exemple en 1996 lorsque ses partisans se sont opposés à ceux qui voulaient perpétrer un coup d’État contre lui. Ces évènements révèlent aussi au grand jour le clivage profond entre les hommes de troupe et la hiérarchie militaire. La demande de radiation de tous les généraux pourrait revêtir l’un des deux aspects ou les deux à savoir, régler des comptes à ces derniers accusés d’avoir détourné leurs primes et leurs ravitaillements ou alors se débarrasser des gens qui pourraient gêner l’accession au pouvoir de jeunes officiers plus proches de la base dans la bataille déjà engagée pour la prise du pouvoir après Conté. Ces événements montrent aussi une culture répandue de l’indiscipline au sein de l’armée. Ces multiples épreuves ajoutées à la mal gouvernance vont conduire à l’effondrement de l’économie et à la baisse tragique du niveau de vie des Guinéens ; les hôpitaux fonctionnent mal, le manque d’hygiène provoque des épidémies récurrentes de paludisme, de choléra et de typhoïde, les écoles fonctionnent mal aussi, le mal vivre conduit à la délinquance et à l’aventure. Fodé Tounkara et Yaguine keita âgés de 15 ans, dans la quête du bonheur, vont s’engouffrer dans le train — avant de l’avion de Sabena en partance pour Bruxelles. L’accumulation de tous ces facteurs d’affaiblissement amplifiée par la maladie du Chef d’État va conduire à la déliquescence pure et simple de l’État. IMPACTS DE LA MALADIE DU PRÉSIDENT SUR LE FONCTIONNEMENT DE L’ÉTAT Selon toute vraisemblance le général Conté a dû être malade depuis de nombreuses années souffrant à la fois de diabète et de leucémie, ce qui l’aurait conduit au Maroc, en Suisse, à Cuba et peut être dans d’autres pays à la recherche des soins médicaux. À plusieurs reprises on a parlé de sa fin prochaine, mais il a surmonté tous les pronostics et a vécu longtemps après grâce à Dieu, à sa force physique et à son courage. Cependant au fil des années on a vu sa force décroitre, les crises et les comas diabétiques se multiplier. En août 2003 je me rappelle l’avoir vu descendre de voiture, aidé par deux gardes pour 150

monter péniblement les cinq marches d’escalier devant mener à l’ascenseur du Petit Palais où se trouvaient ses bureaux ; c’était pénible de le voir porté ainsi à bras d’homme alors qu’en décembre 2002 seulement il m’avait paru en bonne forme. Trois mois plus tard, il votera dans sa voiture où l’urne lui fut apportée. Cette situation va se traduire par une grande confusion dans les attributions institutionnelles au sein de l’État. En octobre 2008, il ne pourra pas assister aux festivités marquant le 50e anniversaire de l’indépendance de la Guinée malgré la présence de beaucoup de Chefs d’État venus répondre à son invitation. Sa condition physique et mentale va conduire rapidement à la déliquescence de l’État, à l’immixtion de la famille et de l’entourage direct du Président dans la prise des décisions de tous les jours, une confusion des genres dans l’utilisation des moyens de commandement, la valse des vrais faux Décrets, un débordement des syndicats, l’affrontement de l’armée et de la police, la prédominance de l’armée dans la vie de la Nation, la dégradation avancée des conditions de vie des Guinéens. Confusion des attributions constitutionnelles Alors que conformément à l’article 40 de la Constitution, le Président de la République nomme à tous les postes civils et militaires, la pression des syndicats, de la société civile et de la rue, va amener Lansana Conté à prendre un Décret en date du 31 décembre 2007 dont l’Article 6 donne certaines de ses attributions et non des moindres au Premier ministre-chef du gouvernement. Au plus fort de la crise le Général Kerfala Camara, Chef d’Étatmajor des armées prit sur lui d’inviter les chefs des syndicats à le rencontrer au camp Samory Touré alors qu’apparemment il n’avait eu aucun mandat du Chef suprême des armées pour le faire. Le Président, informé de cette rencontre, viendra menacer d’arrestation le Général Camara ; il était tellement exaspéré de les voir réunis qu’il perdit ses nerfs et piqua une crise devant tout le monde, ce qui provoqua la dispersion de la réunion qui se terminera en queue de poisson. Dans le même chapitre le Président de l’Assemblée nationale Abou Somparé donnera lecture dans la salle du Conseil des ministres d’un communiqué du Président de la République en l’absence de ce dernier, brisant du même coup la règle de la séparation des pouvoirs.

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Immixtion de la Famille et de l’Entourage direct du Président dans ses prises de décisions Les membres de la famille du Président et ses collaborateurs directs sont soupçonnés d’être intervenus à plusieurs reprises pour lui faire prendre des décisions importantes alors qu’il n’était pas conscient. On parle notamment de la cabale qui a eu raison du Premier ministre Sidya Touré qui va partir du gouvernement le 12 mars 1999 après que les ministres réputés être proches de lui, en l’occurrence Moussa Sampil et Ousmane Kaba avaient été déjà remerciés en octobre 1997. Quant à Cellou Dalein Diallo, il fut nommé Premier ministre le 9 décembre 2004. Le 4 avril 2006, il fit signer par le Président Conté un Décret remaniant le gouvernement. Le lendemain 5 avril 2006 un autre Décret annula celui de la veille et révoqua le Premier ministre pour faute lourde. Cette situation rocambolesque résultait de la conjonction de la santé défaillante du Président devenu faible face aux pressions et de l’action d’une cabale partie de l’éviction des ministres liés à la Présidence et qui ont bénéficié du support des proches du Chef de l’État. Dr Ahmed Tidiane Souaré dans son livre intitulé « À mon tour de parler », Éd. L’Harmattan écrira à propos de cet épisode « le pouvoir pris en otage est mis à genoux par une poignée de fonctionnaires exposant le pays à la menace d’un éclatement. » Lansana Kouyaté subira à son tour les mêmes mésaventures. Nommé Premier ministre Chef du gouvernement avec une lettre de mission le 26 février 2007, le Président, sous la pression de son entourage, va escamoter progressivement les attributions du Premier ministre en annulant ses décisions, en licenciant un de ses ministres sans le consulter et finalement en mettant fin à ses fonctions le 20 mai 2008. La Guerre des chefs au Palais L’autre témoignage du pourrissement de l’État est représenté par la guerre des chefs à la Présidence. Profitant des crises fréquentes du Président, ses collaborateurs ont réalisé qu’ils pouvaient en profiter pour s’octroyer des avantages ou bien régler des comptes entre eux ou avec le monde extérieur. De façon cynique ils se mirent à scruter les moments d’inconscience ou de demi-veille du malade pour imiter sa signature ou faire signer des décrets, d’où l’épisode de la valse des Décrets qui se superposent ou se contredisent :

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Le 1er août 2008 Décret nommant Alpha Ibrahima Keira au poste de ministre Secrétaire général de la Présidence en remplacement de Sam Mamady. - Le 3 août 2008 Décret élevant Sam Mamady au rang de ministre d’État chargé des Activités présidentielles - Le 4 août 2008 destituant Idrissa Thiam, Directeur du Protocole d’État pour faute lourde et mettant Sam à la disposition de la Fonction publique. Un autre facteur de désagrégation de l’État est aussi le débordement des syndicats. -

Débordement des syndicats Les développements consacrés aux grèves et aux manifestations populaires ont montré de façon éloquente que les syndicalistes sont allégrement sortis du cadre des revendications corporatistes pour envahir la sphère politique et ajouter à la confusion. Lors d’une émission de l’Invité du jeudi de la RTG en avril 2008, le Secrétaire général de l’USTG, Ibrahima Fofana n’hésitera pas à reconnaitre que l’avis de grève de janvier 2007 était politique. Ils ont en effet pu imposer le renvoi de l’ensemble d’un gouvernement normalement constitué, la nomination d’un Premier ministre qui sera le Chef du gouvernement, ce qui n’était pas prévu dans la Constitution et ils ont même pu imposer en faveur de ce dernier des attributions propres au Chef de l’État. Aux journées d’initiation et de dialogue, Hadja Rabiatou Sera Diallo, Secrétaire général de la CNTG, va demander que « la maladie du Général Lansana Conté et ses conséquences sur la marche du pays soient débattues clairement pendant les assises afin de constater la vacance du pouvoir. » Un autre groupe qui a pris part à la destruction de l’État, c’est bien une partie des militaires. La part prise par les militaires dans la destruction de l’État Nous avons vu plus haut combien leurs actions ont contribué à affaiblir l’État en forçant sous la menace des armes le payement de leurs primes, la libération de leurs camarades arrêtés à l’occasion des mutineries précédentes, en exigeant le renvoi du ministre de la Défense nationale, la radiation de tous les généraux guinéens. Parallèlement à ces exigences ils se sont livrés à la destruction et au pillage des domiciles privés. 153

En matière de délitement de l’État, des militaires ont là aussi joué leur partition en organisant notamment une action punitive contre la police pour se saisir, parait-il, d’un stock de drogue qui serait détenu par cette dernière, en maintenant des troubles pendant plusieurs jours dans les rues de la capitale et en perturbant profondément le programme des vols d’avion en direction et en partance de Conakry. Ils sont même accusés d’avoir pris une part active au coup de grâce qui a mis fin au régime. Il semblerait en effet que, soit immédiatement avant, soit immédiatement après le décès du Président Conté, la Première Dame, Madame Henriette Conté aurait convoqué un groupe de jeunes militaires qui formeront l’ossature du futur CNDD, pour leur communiquer un message de son mari mourant, leur demandant de prendre leur responsabilité en se saisissant des rênes du pouvoir. Intox ou réalité ? Toujours est-il que le groupe en question avait apparemment eu la primeur de la nouvelle du décès du Président par rapport à Abou Somparé, Président de l’Assemblée nationale, successeur désigné par la Constitution et par rapport au Premier ministre Ahmed Tidiane Souaré. Dans son livre « A mon tour de parler » L’Harmattan, page 145, l’ancien Premier ministre indique qu’il a été informé de la mort du Président Conté par le Président de l’Assemblée nationale à 21 h 30 ; convoqué à cette entrevue, le Professeur Amara Cissé qui était au chevet du malade leur aurait déclaré que le Président a rendu l’âme à 18 h ce lundi 22 décembre 2008. Que s’est-il passé durant ces 3 h et demie ? Qui a bloqué cette information ? En faveur de qui ? Dans les pages suivantes l’auteur nous explique que finalement ont pris part à cette réunion outre les précités, le ministre de la Défense nationale, le Chef d’État-major général, les Chefs d’État majors particuliers, d’autres haut gradés de l’armée et des conseillers de la Présidence et de Primature, ce qui n’a pas empêché un officier supérieur attaché à la Présidence, de faire irruption dans la salle, de déplorer amèrement la tenue de cette réunion, de faire état du mécontentement de la Première Dame et de collecter les minutes des discours prononcés. Tout cela tend à souligner le rôle qu’a pu jouer la Première Dame sous l’instigation du Général Conté avant sa mort dans le processus de remise du pouvoir à l’armée. Cette volonté délibérée du Président Conté de barrer la route aux civils, s’explique-t-elle par la méfiance naturelle du militaire de carrière vis-à-vis des civils, voire sa sous-estimation des qualités des civils en matière de commandement ou bien la crainte d’une remise en cause de son héritage par un gouvernement civil qui le remplacerait ? Probablement les deux. 154

2. POLITIQUE EXTÉRIEURE En comparaison avec cette activité bouillonnante du Président Conté en matière de politique intérieure, il faut regretter son inaction dans le domaine diplomatique ; on peut en effet compter le nombre des Conférences internationales auxquelles il a pris part durant sa mandature, les initiatives qu’il a eu à prendre, les pays qu’il a eu à visiter ou le nombre d’hôtes de marque qu’il a reçus à Conakry. Ce désintérêt s’est manifesté aussi dans la gestion de sa diplomatie, du fait du nombre pléthorique des missions diplomatiques, des crédits de fonctionnement insuffisants, mal répartis et en partie détournés. Cette longue absence de la Guinée sur la scène internationale explique la disparition à un moment donné de notre pays des radars diplomatiques du monde. Beaucoup de Guinéens ont eu la fâcheuse expérience de se voir poser la question de savoir s’ils sont de la Guinée Bissau une fois qu’ils ont répondu à un interlocuteur qu’ils sont originaires de la Guinée. En plus de ce désagrément psychologique compte tenu du fait que la Guinée avait été connue, louée ou honnie dans le monde entier, notre absence avait grandement nui à nos intérêts nationaux, même au niveau de l’aide au développement et à l’arrivée des touristes en Guinée par exemple, alors que les réformes libérales entamées par le Général Conté auraient pu être un catalyseur pour attirer beaucoup de monde. Qu’en est-il du volet économique et social de la politique du Général Conté ? 3. LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE À l’instar de sa politique intérieure, la politique économique et sociale du Général Conté connait les mêmes courbes d’abord ascendantes, indiquant des succès fulgurants, puis descendants, signalant des reculs notables qui se terminent par une faillite. Le discours-programme du 22 décembre 1985 marqua la rupture d’avec l’ancien régime en annonçant d’emblée l’abandon de la voie socialiste. En conséquence, l’État se retira de toutes les activités de production et de vente, il ferma les banques publiques et les sociétés d’État et encouragea l’initiative privée. Il entama des discussions avec les Institutions de Breton Wood et entreprit une profonde réforme monétaire en veillant à l’établissement d’une parité plus juste du franc guinéen avec les grandes monnaies internationales. Il publia un Plan intérimaire de deux ans. 155

Liquidation des entreprises industrielles publiques Le bilan des entreprises industrielles publiques était si catastrophique que le gouvernement Conté a décidé de s’en débarrasser pour soulager le Trésor public et repartir du bon pied. Malheureusement cette liquidation s’est passée dans des conditions douteuses qui ont entaché la pertinence de cette décision. Par ailleurs les repreneurs qui avaient remporté les appels d’offres dans ces conditions n’ont pas été en mesure de redresser ces entités et l’opération a été une double perte pour la Guinée. Politique minière Dans la perspective d’attirer les investisseurs, le gouvernement procéda à la publication du Code des investissements en 1990, du code des activités économiques en 1992 et du Code minier en 1995. Le résultat ne se fit pas attendre, les multinationales les plus importantes telles que d’Anglo Gold, de Gapco Crew gold, Rio Tinto, BHP/Billiton, Alcoa et d’Alcan affluèrent en Guinée et lancèrent la promotion des grands projets suivants : - Raffinerie d’alumine de Sangaredi de 3 millions de Tonnes de capacité – animée par BHP Billiton, Dubai Mubadala - Raffinerie de Kabata de 1,5 million de Tonnes par Alcoa et Alcan - Projet Dian Dian de 1,2 million de Tonnes, par Ruski Alumini - Projet SBDT de 4 millions de Tonnes de bauxite par l’Iran - SMFG/Nimba de 20 millions de Tonnes de minerai de fer - SAG pour l’exploitation de l’or primaire de Siguiri - Semafo, pour la production d’or primaire, etc. Pour des raisons liées à la nouvelle stratégie des autorités qui vont remplacer le Général Conté, seuls les projets ci-dessous qui avaient été réalisés sous lui verront le jour, ce sont : - La SAG qui produit de l’or à Siguiri conformément à une Convention signée en 1986 qui octroie 15 % des parts du capital au gouvernement guinéen et 85 % à Anglo Gold Ashanti. La capacité de production est de 10 tonnes d’or par an - La SMD, opérant dans les confins de Dinguiraye et de Siguiri dont la capacité de production a été portée à 3,5 tonnes d’or par an en 2004. Elle est exploitée conjointement par Guinor avec 85 % et le gouvernement guinéen 15 %

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La SEMAFO en exploitation depuis 2002 est contrôlée à 85 % par Sémafo et 15 % par l’État guinéen ; elle a une capacité de production de 1, 5 tonnes d’or par an.

Politique énergétique Sur le plan de l’énergie, le gouvernement va réaliser les installations suivantes : i- Dans le domaine hydroélectrique . 1986-89, le barrage de Banéa avec une capacité de 5 MW . 1996-1999, Garafiri d’une capacité de 75 MW, soit une capacité totale de 80 MW iiDans le thermique, . Tombo 2, installé en 1990 d’une capacité de 20,2 MW . Tombo 4, construit en 1997 d’une capac.de 5 MW . Tombo 3, monté en 1999 d’une capacité de 45 MW . Tombo 5, construit en 2005 d’une capacité de 32,2 MW Soit un total de 107 MW Ainsi la 2e République aura doublé les réalisations faites par la 1ère République dans le domaine du thermique et quadruplé celui de l’hydraulique, sans pour autant combler le déficit abyssal que connait la Guinée en matière de fourniture d’électricité. Politique agricole Dès la prise du pouvoir par l’armée le gouvernement du Général Lansana Conté a pris le contrepied de la politique agricole de la Première République qui avait introduit une étatisation à outrance, le contrôle des prix agricoles au bénéfice des citadins et l’institution des fournitures obligatoires imposées aux paysans en denrées alimentaires et en bétail en faveur des villes. Il va supprimer la fourniture obligatoire et imposer la liberté des prix, il va ouvrir les portes de la Guinée et accueillir à bras ouverts les paysans et les éleveurs qui avaient fui la révolution. Il va mettre fin aux actions de production et de commercialisation de l’Etat sur le terrain. Il va rendre la liberté totale aux paysans de cultiver ce qu’ils veulent et de commercialiser leur production comme ils veulent et là où ils veulent. Le libéralisme ira si loin qu’il négligera et abandonnera tout ce qui recèle un léger parfum étatique telles que les fermes d’expérimentation de Famoila, de Ditinn, de Tolo, etc. qui étaient des centres de recherche, de vulgarisation et de dissémination des bonnes pratiques et qui sont indispensables dans un 157

pays où les paysans manquent de moyens, de connaissances techniques modernes et de référence. Ce même libéralisme débridé apparaitra vite comme un abandon des paysans et de l’agriculture à cause du manque de moyens criards du monde rural, du manque d’encadrement et de l’absence d’écoles agricoles pour suppléer le manque de connaissances des intéressés. Autant le Général Conté était un paysan dans l’âme et un cultivateur convaincu et pratiquant, autant il n’a pas su mettre en œuvre une politique cohérente et globale tendant à aider et à soutenir le monde paysan alors qu’il était bien placé, compte tenu de son expérience pratique, pour savoir ce qui devait être fait. Il a certes pu impulser une augmentation sensible de l’importation des semences améliorées et des engrais et faire procéder à quelques aménagements hydrauliques, mais sa politique est restée en deçà de ce qu’il aurait pu faire ; le déficit alimentaire a continué comme durant la révolution et les importations de riz ont continué de plus belle. Politique dans le Domaine des Infrastructures Une autre série des réalisations de Lansana Conté se trouve au niveau des infrastructures routières, scolaires et administratives ; alors que ni la colonisation, ni la Première République n’avaient pu nous débarrasser des vieux bacs qui permettaient le franchissement de nos grands fleuves, il va arriver à réhabiliter, à goudronner les routes Conakry — Boké et Kankan — Kouré Malé avec des ouvrages de franchissement sur la Fatala et Dielibakoro qui font la fierté de tout un chacun. Dans ce domaine il y a lieu de se souvenir aussi des lycées construits sous Lansana Conté et dont les bâtiments à l’architecture particulière meublent nombre de nos écoles et aussi l’Université Général Lansana Conté dont le campus accueille quelque 15.000 étudiants. On pourrait ajouter à cette liste le Palais qui abrite la Présidence de la République et l’Hôpital de Kipé, l’Aéroport international de Gbessia rénové et modernisé dont les installations rivalisent favorablement avec celles des aéroports les plus modernes de la sous-région.

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CHAPITRE 4 : Lansana Conté, le personnage politique Lansana Conté fut un personnage politique atypique, il est né et a grandi dans le monde rural et il a été formé par l’armée. Cette double influence fera de lui un homme dont les pieds sont trempés dans la tradition, lui qui conservera toujours ses habitudes alimentaires ne mangeant qu’africain même lors des périples lointains où il voyage, accompagné de sa cuisinière habituelle et des condiments en provenance de sa Guinée natale. Il a très vite aménagé une grande plantation à Gbantama à 70 Kilomètres de Conakry et a cultivé plusieurs champs de riz autour de Wawa son village natal. Il a à l’époque fait montre d’une bonne disposition d’honnêteté en proclamant que lui et ses compagnons sont venus pauvres au pouvoir et que ceux parmi eux qui deviendraient riches devraient être considérés comme des voleurs. Il a aussi de tout temps fait preuve de beaucoup de courage, aussi bien dans les champs de combat, sous les bombes des mutins en 1996 qui ne l’empêcheront pas d’accorder une interview à RFI alors que l’on entendait le bruit assourdissant des armes ; devant la maladie il fera preuve du même courage. Il a continué à l’époque comme si de rien n’était à jouer aux dames avec ses amis et à regarder des films notamment des films de guerre. Il demeurait simple et ordinaire parmi ses parents du village. Il était imbu de la culture traditionnelle ; en matière de chefferie, il était convaincu d’être le « Mangué », propriétaire des hommes et de leurs biens et ne percevait pas la différence entre ses biens propres et ceux de l’État. On ne s’étonnera donc pas outre mesure qu’il aille se servir lui-même de l’argent dont il a besoin à la Banque Centrale ou à la Douane, sans se soumettre aux procédures habituelles des dépenses publiques. De la même façon la scène irréaliste entre lui et les commerçants débiteurs vis-à-vis du Trésor auxquels il réclame l’argent qui lui est dû. C’est aussi dans le même état d’esprit qu’il se rend à la Sureté de Conakry pour libérer des amis à lui en proclamant haut et fort que la justice c’est lui. 159

De par son vécu dans l’armée, il est convaincu de la nécessité de la discipline, de l’obéissance et de l’ascendant du chef sur la troupe. Il est plus porté sur l’action que sur la parole. Il est persuadé que les leaders politiques sont des usurpateurs qui lui font perdre du temps. Il refusera la médiation du Président Abdoulaye Wade du Sénégal venu lui proposer d’établir le dialogue avec son opposition. Une fois, il menaça de donner une fessée à ses opposants. Tout cela témoigne d’un grand décalage entre Conté et son temps, entre lui et les aspirations de son peuple. Son caractère né en grande partie de sa double éducation va subir quelques modifications, à l’épreuve du pouvoir et sous l’influence de sa maladie. Ces changements interviendront à partir de l’année 1991, année marquée par la dissolution du CMRN annonciatrice de son isolement progressif et par la mobilisation impressionnante qui a clôturé la grève des enseignants et qui annonce la nouvelle nature des relations entre le pouvoir et les syndicats. Avant 1991, c’est le naturel qui dominait chez lui, il s’agissait essentiellement d’un homme calme, voire taiseux, timide, modeste et conscient de ses défauts. Ce caractère explique pourquoi ses compagnons du CMRN ont dû lui forcer la main pour qu’il acceptât d’être Président. C’est à cette époque aussi qu’il engagea les services d’une sorte de précepteur que les journalistes ont appelés le marabout blanc de Lansana Conté et qui semble-t-il était chargé de l’aider à améliorer son expression en Français et de connaitre les règles de base en matière de gestion et de commandement. Il y a lieu de souligner d’ailleurs que cette opération a été couronnée de succès, car son expression en Français avait connu une nette amélioration. Évoquant cette période, un de ses conseillers m’a confié que quelque temps avant l’arrivée de l’Ambassadeur de France auquel il avait accordé une audience, il lui demanda de l’aider pour améliorer sa posture et les points de discussion à aborder avec ce diplomate. Après 1991, il s’agit désormais d’un homme tout puissant qui a confiance en lui-même et dont le caractère a changé sur plusieurs points. Son ton est devenu plus cassant même vulgaire et brutal, y compris vis-à-vis des hôtes étrangers. C’est ainsi qu’à Charles Jocelyn ministre français de la Coopération qui lui demandait la date du procès d’Alpha Condé, l’opposant politique arrêté, il répondra de façon abrupte « vous m’emmerdez avec cette histoire ». Parlant en langue nationale Soussou à un ministre qui assistait à l’entretien qu’il avait accordé à Madeleine Albright Secrétaire d’Etat Américain, il traitera cette dernière de P. qui voudrait lui faire changer d’avis. Il se replia 160

progressivement sur lui-même, entouré de ses proches et des groupes de lobbyistes qui finiront, sa maladie aidant, par lui dicter ses décisions en matière de gouvernance. Cet entourage est essentiellement constitué de ses épouses et de leurs familles qui chacune de son côté va lutter pour imposer ses hommes et soutenir leurs hommes d’affaires. Il comprend aussi ses proches collaborateurs évoluant à la Présidence de la République et le CRA (comité de réflexion et d’action) constitué de certains cadres Soussous dont l’ambition officielle serait de défendre les intérêts des habitants de la Basse Guinée, mais qui en réalité forment un syndicat chargé d’influencer les choix du Président en faveur de leurs associés. On parlera alors d’un homme sous influence pris en otage par ce groupe qui le conduira à s’habituer à l’argent, à fermer les yeux sur les trafiquants de drogue et à avoir des jugements biaisés dans l’appréciation des hommes.

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CHAPITRE 5 : Bilan laissé par Lansana Conté Durant ses 24 ans de pouvoir, Lansana Conté a posé des actes dont certains auront un impact positif sur la Guinée aussi bien sur le plan politique que dans le domaine socio-économique. Cet impact constitue l’héritage qu’il aura légué à la postérité et qui se présente comme suit UN HÉRITAGE DIVERS ET SIGNIFICATIF Sur le plan politique, on gardera de lui le souvenir de l’homme qui aura démantelé la machine révolutionnaire, ouvert les prisons, accueilli les exilés et redonné la liberté de la parole aux Guinéens. Pour soutenir cette politique, il a fait préparer et adopter la Constitution de 1990, appelée Loi fondamentale qui a jeté les bases de la liberté individuelle et du respect des droits de l’homme, ouvert la voie au multipartisme et à la pluralité médiatique. À la suite de cette étape décisive, il a fait adopter par le CTRN, l’Organe législatif transitoire, les Lois organiques donnant naissance aux Institutions Républicaines telles que le statut de la presse, les Élections, l’Assemblée nationale, la Cour Suprême, etc. Ceci permettra, tel que mentionné plus haut, l’émergence de plus de 46 partis politiques alors que la Guinée n’en comptait qu’un seul depuis les premières heures de l’indépendance. Plus de 50 journaux vont voir le jour, des radios et des télévisions privées, des journaux en ligne vont venir briser le monopole de la RTG. Cinq opérateurs de Télécommunications, à savoir Sotelgui, Intercel, Areeba, Orange et Cellcom vont mettre fin à l’isolement de la Guinée. Ceci a permis qu’aujourd’hui on soit en mesure de joindre téléphoniquement n’importe où sur le territoire national, que toutes les catégories sociales, y compris les petits élèves disposent d’un téléphone qu’ils utilisent à volonté. Le gouvernement a su se saisir de l’explosion du marché de la téléphonie mobile pour briser le monopole de Sotelgui, la société publique d’alors et de susciter la concurrence. Se rappelle-t-on encore que la puce de Sotelgui a coûté en 1995 jusqu’à un million de GNF et que malgré ce prix exorbitant les puces s’obtenaient à travers des 163

dotations arbitraires faites par le Ministère de la Communication pour le compte de la Société. L’ouverture à la concurrence fera sauter cette pratique bureaucratique et permettre aussi à la Guinée de prendre pied dans l’ère du numérique. Le gouvernement a couvert le pays de nombreux collèges et lycées aux bâtiments d’un style très caractéristique, il a ouvert le campus universitaire le plus vaste du pays, l’Université Général Lansana Conté. Le gouvernement a goudronné les routes Conakry-Boké et Kankan Kouremalé avec des ouvrages de franchissement sur la Fatala et sur Diebakoro qui ne pouvaient être traversés que par des bacs hérités de la colonisation. Grâce aux codes que le régime de Conté a fait élaborer, toutes les multinationales mondiales opérant dans le secteur des mines se sont retrouvées en Guinée et ont lancé des projets ambitieux. C’est dans ce cadre que la SAG, SMD et SEMAFO ont signé leurs Conventions d’Établissement et se sont installées. Conté a aussi laissé en héritage les centrales hydroélectriques de Banéa et de Garafiri de 5 et 75 MW. En rouvrant les frontières fermées depuis le lendemain de l’indépendance, il a permis le retour en Guinée des exilés politiques qui avaient fui les arrestations et les complots, ainsi que de nombreux paysans et leurs troupeaux partis avec leurs troupeaux pour échapper aux exactions et au système des fournitures obligatoires. Un autre héritage de tout premier plan a été aussi celui d’avoir transmis aux générations futures un territoire maintenu dans son intégralité malgré l’assaut répété des hordes rebelles venues de la Sierra Leone et du Liberia. HÉRITAGE TERNI MALGRÉ TOUT PAR DES TÂCHES NOIRES Malgré cet héritage marquant qui prendra une place de choix dans les livres d’histoire de la Guinée, il faudra aussi faire état d’une page moins glorieuse qui peut se résumer ainsi qu’il suit. Il s’agit tout d’abord du refus de la 2e République malgré ses promesses réitérées, de publier le Livre blanc sur le régime de Sékou Touré qui aurait permis aux Guinéens de faire l’économie des tensions qu’ils ont continué à vivre alors que le temps est en train d’estomper les preuves et les souvenirs. Des rédacteurs de ce document affirment que ce document existe bel et bien et qu’il aurait été remis au Général Conté 164

qui l’aurait sorti du circuit. Certaines personnes pensent qu’au cours de la collecte des données un document qui impliquerait directement le Général dans le travail de la Commission d’enquête du Camp Boiro et que de ce fait, il aurait jugé plus prudent d’arrêter tout net le processus devant conduire à cette publication. D’autres personnes attribuent cette prudence de Conté à sa nature tolérante. Il s’agit ensuite de l’adoption du référendum du11 novembre 2001 qui a amendé profondément la Constitution de 1990 en instaurant de fait une présidence à vie antinomique à la démocratie. Autant, tout à fait au début, le Général Conté était méfiant et réticent vis à vie du pouvoir, autant son entourage avait fini par l’influencer en lui faisant découvrir les délices du pouvoir. On pourrait se rappeler à ce propos que lorsque lui et ses compagnons ont pris le pouvoir en avril 1984 et lorsqu’il lui a été demandé d’assurer la fonction de Président de la République, étant donné qu’il était le plus ancien dans le grade le plus élevé, il a fallu le prier et insister pour qu’il acceptât. C’était un homme simple qui demandait dans ses discours au peuple de les surveiller lui et ses compagnons. La transformation du Général vis-à-vis du pouvoir et de l’argent est typique des menaces qui planent sur les gouvernants africains, généralement très attentifs à la famille et à l’entourage. Désormais, le souci principal de Lansana Conté, en dépit de la maladie, des attentats et des envahissements extérieurs, est de garder le pouvoir. Ce geste aura porté en tout cas un double coup de massue à la démocratie en manipulant la Constitution, après avoir manipulé les élections. Il aura brisé un tabou dont ses successeurs et leurs alliés pourraient s’inspirer en invoquant un précédant. Une autre tâche dans l’héritage de Conté c’est l’exécution extra judiciaire du Colonel Diarra, de ses compagnons et de ceux de Sékou Touré qui aura contribué à effacer le travail fait par Conté pour remettre la Guinée sur les rails de la démocratie et de l’État de droit. Rien ne pouvait empêcher que tous les suspects fussent arrêtés et traduits en justice. Rien ne pouvait justifier cet amalgame consistant à étendre à toute une communauté la faute commise par un ou plusieurs de ses membres. Rien ne pouvait justifier cette humiliation dégradante d’un père de famille, notamment une personne qui avait assumé de hautes fonctions de l’État, car on humilie à la fois un être humain et le pays qu’on a juré de défendre. Les massacres de 2006 et 2007 constituent un autre crime qui a terni la gouvernance de Lansana Conté. Ces tueries sont intervenues suite aux manifestations de masse qui ont envahi toutes les rues de la Guinée. 165

Elles n’ont jamais fait l’objet d’enquête, de poursuites et de condamnation des assassins. Elles constituent un autre exemple de la politique d’impunité qui sévit aujourd’hui encore en Guinée. Ces tueries de masse héritées de la Première République vont aussi faire partie de l’héritage de la Seconde. Il est à craindre qu’il soit ainsi tant que les Guinéens n’auront pas décidé de regarder et d’analyser leur passé, pour dénoncer collectivement les tares qu’ils ont vécues et examiner les voies et moyens pour les prévenir à l’avenir. Dans les développements antérieurs une large partie a été consacrée à la corruption, à son explosion durant la Présidence de Lansana Conté ainsi qu’à ses méfaits sur le développement économique et social du pays. Fort malheureusement, le phénomène a survécu au vieux général et sera transmis à la Transition qui lui donnera une dimension jamais égalée. Une autre critique généralement faite à l’encontre de la Présidence du Général Conté est l’éclipse diplomatique qu’a connue la Guinée durant la 2ème République. C’est la période durant laquelle le Chef de l’État s’est fait rare dans les réunions internationales, d’abord en raison de sa maladie et aussi parce qu’il a dû penser au fond de lui-même que ces fora sont juste une occasion de perdre son temps. Ce point de vue sur ces rencontres ferait fi d’autres aspects moins évidents et qui ont pourtant leur importance, c’est le contact et les échanges entre participants en dehors des réunions officielles et qui sont essentielles pour se connaitre et s’apprécier et renforcer du coup les relations officielles entre pays. Ce passage à vide aura été le contraire de la brillance et de la célébrité que la Guinée a connue pendant un certain temps durant le règne de Sékou Touré. Telle est la page noire de l’héritage que le président Conté aura laissé à la Guinée. À côté de ces deux aspects de son héritage qui sont classés soit positif ou négatif, il demeure des points de son héritage qui continuent à soulever des points d’interrogation ou carrément des controverses ; il s’agit des conditions de réalisation des privatisations des entreprises laissées par la Première République. Une privatisation qui pose problème Comme il a été rappelé plus haut la quasi-totalité des entreprises laissées par la Première République étaient en 1984, soit complètement à l’arrêt, soit fonctionnaient au ralenti à cause de leur conception originelle erronée ou des difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en pièces détachées. Elles constituaient par conséquent un 166

fardeau dont il fallait se débarrasser au plus vite. Si en conséquence la nécessité de liquider ces entreprises ne faisait aucun doute, la mise en œuvre de la liquidation a péché par un certain nombre de manquements ; il s’agit tout d’abord du manque de concurrence ouverte entre les candidats repreneurs, du déficit de crédibilité de beaucoup de ceux qui ont remporté les marchés et enfin des doutes quant à la moralité qui a entouré les transactions. La plupart des entités concernées sont aujourd’hui des amas de ferrailles envahis par la rouille et dont la reprise nécessiterait une nouvelle conception et une reprise de fond en comble de l’idée même du projet en question. Démantèlement des rails du chemin de fer Conakry-Kankan S’agissant du démantèlement des rails du chemin de fer ConakryKankan, il faut rappeler que cette voie longue de 602 kilomètres est à l’abandon depuis le lendemain de l’indépendance de la Guinée à cause du manque d’entretien de la voie et de la vétusté des engins demeurés sans renouvellement depuis des années. Face à cette situation des groupes de personnes sur ordre d’intouchables commanditaires se sont mis à démanteler les rails en plein jour et dans l’indifférence générale et de les exporter. Cette opération est le symbole de la déliquescence de l’État et de l’indiscipline généralisée qui sévit désormais en Guinée Par ailleurs, deux dossiers relevant de la politique de Lansana Conté ont soulevé des questions et des controverses qui mériteraient d’être revisitées pour essayer de rétablir la vérité. Il s’agit de la vente de l’usine de Friguia, du retrait des blocs 1 et 2 du mont Simandou et leur attribution à la compagnie BSGR (Benny Steinmetz Group Ressources). Vente controversée de l’usine de Friguia Dès 2000 RUSAL avait proposé une alliance stratégique dans le secteur de la bauxite. Dans ce cadre elle va organiser en 2001 une visite d’État à Moscou pour le Président Conté et une alliance stratégique sera scellée à l’issue de cette visite dont entre autres la modernisation et l’expansion de l’usine de Friguia de 0,7 million de tonnes d’alumine à 1,4 million de tonnes pour un investissement de 650 millions de dollars. En Décembre 2003 un protocole d’accord est signé par le Directeur du cabinet particulier de la Présidence de la République chargé des Grands Projets autorisant la privatisation de Friguia en faveur de RUSAL et qui fixait les prix de cession des actifs de Friguia et de la participation de 167

l’État de 15 % dans ACG à 19 millions de dollars US et 3 millions dollars US. Le 30 mars 2006, un Décret du Président de la République autorisa le désengagement de l’Etat guinéen de Friguia et de ACG en faveur de RUSAL aux conditions du Protocole ci-dessus et son offre cidessous. Les cabinets White & Case et Hatch avaient estimé la valeur marchande de l’usine à 257 millions de dollars US, compte non tenu du risque pays qui était très élevé à l’époque. Face à cette évaluation, les offres suivantes furent enregistrées - La Compagnie grecque 3 PL en association avec CATIC et CHALCO a offert 150 millions de dollars américains et la promesse de réaliser le barrage de Souapiti, de construire une fonderie d’aluminium et d’aménager un port minéralier à Boffa - Offre d’un groupe sud-africain pour 110 millions de dollars US - Offre de Barclays Bank de 105 millions de dollars US - RUSAL pour sa part fit une offre de paiement de 27,5 millions de dollars constitués de 3 millions représentant les 15 % du capital détenu par l’État dans AGC, 19 millions pour les actifs de Friguia, et 5,5 millions en remboursement d’une dette du Trésor guinéen. À cette somme viendraient s’ajouter le remboursement de la dette à long terme d’AGC/FRIGUIA de 105 millions de dollars US et la promesse d’investir 670 millions de dollars US. La commission d’évaluation des offres soumit un rapport recommandant le choix de l’offre de RUSAL. De ce petit rappel historique, on pourrait tirer les conclusions suivantes : - Contrairement à une légende bien répandue, le Général Lansana Conté a bien été à l’épicentre de cette opération conformément aux faits suivants ; suite à son invitation officielle à Moscou, il a conclu une Alliance stratégique qui cite nommément Friguia comme faisant partie de cette Alliance et dont l’expansion est expressément mentionnée ; le protocole d’Accord sur la cession de Friguia a été signé par son directeur de cabinet chargé des Grands Projets et non par un quelconque ministre ; le Décret du 30 avril 2006 autorisant le désengagement de l’État de Friguia et de CGC existe bel et bien. - Une autre légende, est celle qui avance le prix total de vente de l’usine à 27,5 millions de dollars, ou quelques fois même 20 millions, en omettant de tenir compte de l’engagement du 168

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concessionnaire de payer les dettes de Friguia qui se chiffraient à 105 millions de dollars de même que des promesses d’investissement de 670 millions de dollars. En rectifiant cette omission, on se retrouve avec des montants tout à fait acceptables au regard de l’évaluation rappelée plus haut Le manquement flagrant de RUSAL face à ses engagements dans le Protocole d’Accord signé avec la Guinée, à savoir une promesse ferme d’investir en vue de viabiliser l’usine et de la rendre à nouveau compétitive en accroissant sa capacité de production La légèreté des Autorités guinéennes qui ne se sont jamais souciées de compléter le Protocole d’Accord du 5 décembre 2003 par une Convention en bonne et due forme et d’avoir pris le Décret du 30 mars 2006 sans l’existence préalable d’une telle Convention.

La vérité sur la Cession des blocs 1 et 2 de Simandou Rio Tinto est venue en Guinée depuis 1997. Il a bénéficié de quatre permis de recherche d’une superficie totale de 1460 km2. Trois ans plus tard, il était tenu conformément au Code minier de rétrocéder la moitié de la superficie initiale et deux ans plus tard, c’est à dire en 2002, la moitié de la superficie restante. Au lieu de cela, Rio demanda au département chargé des mines et obtint de conserver les 738 km2 ; Rio poussa même ses avantages jusqu’à bénéficier d’une Convention de base. Un décret en date du 28 juillet 2008 annula purement et simplement la Convention octroyée dans des conditions plutôt bizarres et retira à Rio les blocs 1 et 2. Il est admis que Dame Mamadi Touré, la soi-disant 4e épouse du Chef de l’État a été la marraine de BSGR dans ses démarches dans les labyrinthes du pouvoir et l’octroi de ces blocs sans appel d’offre public. Cependant si les actes de corruption n’ont jamais fait l’objet de doute, comme on le verra dans les développements à venir dans la seconde partie du livre, il est par contre contestable d’établir un lien direct de cause à effet entre le retrait des blocs 1 et 2 et leur attribution dans des conditions opaques à BSGR, compte tenu des manquements répétés de Rio face à ses obligations légales et le manque de transparence qui lui a permis de conserver des superficies qu’elle aurait dû rétrocéder. Le Général Conté va rendre l’âme comme on l’a vu plus haut le 22 décembre 2008 et va être remplacé par une junte militaire dirigée par le Capitaine Moussa Dadis Camara. 169

TROISIÈME PARTIE UNE PARENTHÈSE ENTRE DEUX RÉPUBLIQUES

Bien qu’ayant pris le parti de ne pas réserver au régime du CNDD un développement comparable à celui consacré aux trois autres régimes légitimés par le vote populaire, il m’a semblé néanmoins nécessaire d’ouvrir une parenthèse pour mentionner ce que je retiens de ce régime qui fait quand même partie de l’histoire guinéenne Le régime du CNDD a été court et de surcroit divisé en deux périodes d’un an chacune, dirigé respectivement par le Capitaine Dadis et le Général Sekouba Konaté, deux séquences dont les objectifs aussi bien que les méthodes de gouvernement ne me permettaient pas de me livrer à une analyse cohérente et pertinente. L’impact de cet épisode sur l’histoire de la Guinée est plutôt limité en comparaison avec celui des Présidences de Sékou Touré, de Lansana Conté et d’Alpha Condé. Malgré cette mise au point, j’ai décidé pour ne pas complètement occulter deux années de l’histoire de la Guinée, d’ouvrir une parenthèse destinée à présenter une synthèse de mes souvenirs de cette période. Dès le début de ma réflexion, j’ai indiqué que mes rapports avec chaque Président me serviraient de ressort pour l’analyse de la politique menée par chacun d’entre eux. Mes contacts avec Dadis ont été presque inexistants ; je me suis retrouvé dans la même salle que lui à seulement deux reprises, au Palais du Peuple le 6 juin 2009 où étaient convoqués les représentants des Compagnies Minières et ceux des sociétés téléphoniques, réunion au cours de laquelle il a lancé un ultimatum exigeant de ces derniers de fournir dans les 24 h leur plan de contribution financière pour résoudre la pénurie d’eau et d’électricité, faute de quoi de plier bagage. Il ne recevra aucun plan et aucune compagnie concernée ne pliera ses bagages. Une autre fois il avait de façon impromptue convoqué le Président d’Alcoa, société responsable de la gestion de CBG, pour venir rendre compte de la marche de cette dernière ; cela devait se situer en novembre de la même année au Camp Alpha Yaya Diallo. À l’arrivée de la délégation d’Alcoa, il y avait dans la salle outre le Premier ministre et le ministre en charge des mines un certain nombre de cadres opportunistes à la recherche de promotion. Le Capitaine apparemment très remonté, attaqua la gestion de CBG et se plaignit amèrement d’Alcoa qui ne semble pas jouer le jeu. En réponse, le Vice-président d’Alcoa qui avait répondu à la convocation reprit point par point les griefs soulevés par le Capitaine et conclut en disant qu’à la minute il est prêt à porter à la connaissance du Conseil d’Administration qu’Alcoa se décharge désormais de la gestion de CBG. Lorsque le Capitaine reprit la parole, il présenta ses excuses et 173

renouvela toute la confiance à Alcoa. Il souligna que ce sont des démagogues, des chercheurs de places qui sont en train de le pousser, mais que dès qu’il s’aviserait à leur confier CBG, ils conduiraient l’entreprise à la faillite. Pour conclure, il invita la délégation à prendre une photo de souvenir avec lui et demanda au Premier ministre de raccompagner en personne le Vice-président à l’aéroport. J’ai été profondément choqué par ses vociférations, ses incohérences, ses contradictions et ses voltes faces. Les objectifs et préoccupations des animateurs du CNDD ont été dans une première période de consolider et de légaliser leur pouvoir en organisant des élections présidentielles auxquelles ils présenteraient le candidat Dadis Camara. Ce rêve sera brisé suite aux massacres du 28 septembre 2009 suivis de la tentative d’assassinat sur le Capitaine Dadis Camara par son aide de camp Aboubacar Toumba Diakité le 3 décembre 2009. Dadis sera évacué pour des soins médicaux au Maroc ; une fois rétabli, il sera déporté à Ouagadougou, avec la complicité de la France, des États-Unis, du Maroc, du Burkina Faso et des Nations Unies ; il sera alors remplacé à la tête du CNDD et du gouvernement par son 2e Vice-président le Général Sékouba Konaté, jusque-là ministre de la Défense nationale. Désormais l’objectif du CNDD change et devient les préparatifs des élections devant mettre fin au régime militaire. Dans ce cadre, successivement les faits et actes suivants vont intervenir - Discours solennel de Sékouba Konaté le 23 décembre 2009 annonçant la feuille de route de la transition - Décret fixant la date des élections présidentielles au 27 juin 2010 - Ordonnance du 8 février 2010 instaurant le Conseil National de la Transition (organe législatif transitoire) qui sera présidé par Rabiatou Sera Diallo, un leader syndicaliste - Décret de nomination du Gouvernement de 34 membres dirigé par Jean Marie Doré le chef d’un parti politique - 15 Novembre 2010, annonce des résultats définitifs des élections Ceci étant, quel jugement pourrait-on porter sur cette parenthèse qu’a connue la Guinée ?

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PLACE DU CNDD DANS L’HISTOIRE DE LA GUINÉE Les deux années passées par le CNDD au pouvoir ont fait couler le sang et ont été marquées par des exactions et un recul des droits de l’homme. En effet le 28 septembre 2009 une manifestation pacifique des partis politiques pour dissuader le Capitaine Moussa Dadis Camara de se présenter à l’élection présidentielle qu’il se proposait d’organiser s’est transformée en un bain de sang suite à l’intervention de la garde présidentielle, de la gendarmerie, d’autres corps d’armée et des miliciens. L’intervention se serait traduite, selon la FIDH par 157 morts, 89 disparus, 1400 blessés, 109 femmes violées à ciel ouvert. Des juges ont été désignés pour instruire le dossier. Cependant en ce mois de mai 2017 je suis plutôt sceptique quant à la pertinence d’une telle solution, car je ne crois pas qu’il existe une volonté politique à la hauteur de l’enjeu, je ne crois pas qu’il existe des moyens financiers et matériels conséquents, je ne crois pas que les magistrats chargés du dossier auront toute la liberté d’esprit et d’action requises pour mener à bien leur mission, surtout compte tenu de la puissance et de l’influence des personnes mises en cause. Je pense que la CPI à La Haye aurait été mieux indiquée pour s’occuper de ce travail de bout en bout et de le boucler à temps. Autrement notre retard en matière de procès potentiels accumulés depuis la Première République risque de s’alourdir et de compliquer davantage notre travail dans ce domaine. S’agissant des folles dépenses faites par le CNDD un audit mené par la Cour des comptes française, indique qu’en deux ans celles-ci ont dépassé l’ensemble des dépenses effectuées pendant cinquante ans par les régimes précédents. Pour ce qui est de la tentative de dilapidation des ressources nationales le CNDD et des partenaires chinois ont créé le consortium ADC comprenant China Sonangol et CIF (42,5 % chacune) et la Guinée 15 % à qui il est accordé l’exclusivité d’exploitation dans les domaines des mines, de l’agriculture, du transport aérien. Heureusement pour la Guinée le temps fera défaut au CNDD pour concrétiser cet Accord. Il faut néanmoins signaler qu’une corruption de grande échelle est intervenue dans cette affaire, car l’ancien ministre Mamoudou Thiam qui à l’époque était en charge des mines et qui était au cœur de cette affaire, vient d’être condamné par un tribunal de New York le 25 août 2017 à 7 ans de prison ferme pour avoir bénéficié de 8,5 millions de dollars américains dans la transaction. Qu’en est-il de ses complices restés en Guinée ? La justice guinéenne va-t-elle agir à son tour ? À 175

moins que des révélations plus précises entrainant d’autres développements interviennent, je doute fort que les autorités guinéennes prennent l’initiative de s’intéresser à ce dossier. Le CNDD laissera par ailleurs un arrière-goût de frustration pour une large partie de la population s’agissant du déroulement des élections présidentielles, d’abord en matière de reports successifs. C’est ainsi que si le 1er tour des élections présidentielles a eu lieu le 27 juin 2010, le 2èmetour ne prendra place que le 24 octobre 2010, alors qu’il aurait dû se tenir 14 jours après le 1ertour. Ensuite il s’est abstenu de mener des enquêtes sur l’incident de l’eau empoisonnée que l’UFDG aurait préparée à destination des militants du RPG/Arc-en-ciel ainsi que des exactions commises contre des citoyens innocents, suivies d’une chasse à l’homme organisée dans plusieurs préfectures. Enfin il est soupçonné d’avoir manipulé la CENI pour fausser le résultat des élections du premier comme du 2e tour ; il est notamment accusé au premier tour d’avoir interverti l’ordre des candidats arrivés en 2e et 3e positions en vue de favoriser un certain candidat ; concernant le second tour, outre le fait d’avoir fermé les yeux sur le délai anormalement long qui s’est déroulé entre les deux tours, il aurait fait distribuer du riz à la population au nom d’un candidat. Plus grave il serait resté sourd aux plaintes selon lesquelles le président de la CENI en personne serait venu emporter avec lui les P.V. de la circonscription de Ratoma. Ces accusations difficilement vérifiables ne constituent qu’un témoignage à verser dans le dossier de l’histoire de la Guinée que les historiens pourraient examiner un jour. Ceci dit il n’y a donc aucun regret pour les Guinéens de tourner la page du CNDD et d’ouvrir celle de la présidence d’Alpha Condé qui sera développée dans les pages suivantes.

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QUATRIÈME PARTIE SOUS ALPHA CONDÉ

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CHAPITRE 1 : Qui est Alpha Condé ? Alpha Condé est né le 4 mars 1938 à Boké. Il fit ses études primaires à l’école primaire du centre à Conakry et une partie de ses études secondaires au Séminaire de Dixinn où il obtient le brevet élémentaire ; il alla ensuite en France à l’âge de 15 ans et s’inscrivit au Lycée Gambetta de Toulouse ; il transférera ensuite à Louviers, puis au Lycée Turgot à Paris qui le prépara au Bac. Il s’inscrira ensuite à la Sorbonne en licence de sociologie et passera avec succès le concours d’entrée à l’Institut d’Études politiques de Paris (Sciences Po.). Il obtiendra successivement le Diplôme de Sciences Po. dans la section services publics, puis le DES et le Doctorat d’État en droit public. Il sera Chargé de Cours de droit public à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris Panthéon. Il enseignera aussi à l’École des PTT. Il cesse d’enseigner en 1977 pour prendre le poste de Responsable Afrique de la compagnie Sucre et Denrées de Bolloré. Après, il créera Africonsult, un bureau de conseil dans les domaines économique, social et politique. Très vite il se lança dans le syndicalisme étudiant, à la fois à l’Association des Étudiants Guinéens en France (AEGF), qu’à la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), puis il militera au Syndicat national de l’Enseignement supérieur (SENESUP). Il présida la FEANF entre 1967 et 1975. Du syndicalisme il passera à la politique. Il crée en 1977 le MND (Mouvement national démocratique), en compagnie d’Alpha Ibrahima Sow, Bayo Kalifa et d’autres camarades. Ils rentrent successivement dans la lutte clandestine, semi-clandestine puis légale à partir de 1991. Le MND devient l’UJP (Unité, Justice, Patrie) ; puis ce sera le RPG (Rassemblement des Patriotes Guinéens) qui deviendra Rassemblement du Peuple de Guinée. Dans le cadre des complots de la Première République, il est condamné à mort par contumace en janvier 1971 en même temps que Charles Diané, Siradiou Diallo et Baba Kaké autres dirigeants non soumis résidant en France. 179

Il rentra en Guinée après l’instauration du multipartisme et tint son premier meeting le 17 mai 1991 ; cette réunion sera interrompue par la police, qui le poursuivit jusqu’à l’Ambassade du Sénégal d’où il sera exfiltré en direction du Sénégal. Il prit néanmoins part à l’élection présidentielle de décembre 1993 qui sera remportée par le Général Lansana Conté au premier tour avec un score de 50,9 %, suite à l’annulation des votes de Kankan et de Siguiri par la Cour Suprême. Ce résultat fut largement contesté. Alpha va néanmoins prendre part aux élections législatives du 11 juin 1995 qui enregistrent notamment l’élection de 71 députés pour le PUP et 19 pour le RPG. Il se présenta de nouveau à l’élection présidentielle du 14 décembre 1998 dont le Général Conté sera proclamé vainqueur. Avant même la publication des résultats Alpha Condé fut arrêté à Pinet à la frontière guinéo-ivoirienne et sera transféré à Conakry sans qu’ait été levé son immunité parlementaire. Son jugement ne débutera que le 12 avril 2000, 17 mois plus tard. Il est accusé d’emploi illégal de forces armées, d’atteinte à la sureté de l’État, de coups et blessures sur un agent de la force publique. Son procès après avoir connu de nombreux reports durera 5 mois ; il sera condamné à 5 ans de prison fermes le 11 septembre 2000. Il sera soutenu entre autres par le Président Chirac, Madeleine Albright Secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique, ainsi que d’autres hautes personnalités et de nombreux anonymes. Il sera libéré le 18 mai 2001 après avoir bénéficié de la grâce présidentielle. Après la fermeture de la parenthèse ouverte par Dadis Camara et ses compagnons du CNDD suite à la pression de la Communauté internationale, des élections présidentielles furent organisées le 27 juin 2010 et Alpha Condé y prit part. Il obtint 18 % de voix et se qualifia en face de Cellou Dalein Diallo qui lui totalisa 44 %. Au 2e tour qui eut lieu le 7 novembre 2010, Alpha Condé fut déclaré vainqueur le 15 novembre avec 52,52 %. Il est investi le 21 décembre 2010 et devint le 3e Président élu de la République de Guinée, en présence de 13 Chefs d’État et de nombreuses autres délégations de haut niveau. À l’issue de ce premier mandat, il se présenta à l’élection présidentielle d’octobre 2015 qu’il remporta dès le 1er tour avec 57,85 % des voix. En janvier 2017, il est élu Président en exercice de l’Union Africaine, ce qui lui permit de s’impliquer pendant un an dans les diverses questions africaines et de projeter la Guinée au-devant de scène africaine et mondiale ; on en veut comme preuve sa visite officielle en France les 11 et 12 avril 2017, deux jours durant lesquels les médias 180

internationaux ont parlé abondamment de la Guinée ; il en est de même du défilé des Présidents africains à Conakry depuis le début de son mandat et de son implication dans la recherche des solutions aux multiples crises africaines. Il s’est successivement marié à Mina Koné en 1973, à Mama Kanny Diallo en 1998 et à Diené Kaba en 2010. Il a un fils, du nom de Mohamed Alpha Condé. Il a publié entre autres : - Guinée, Albanie d’Afrique ou Néo-Colonie Américaine Éd. Git-le Cœur 1072 - Entretiens avec Jean Bothorel, Ce que je veux pour la Guinée Ed.Picollec 2010 - Brochures : . Pour que l’esprit ne meurt pas août 1985 . Quel Avenir pour la Guinée ? Mai 1984 Comment ai-je connu Alpha Condé et quels sont les rapports que j’ai tissés avec lui. C’est à ces questions que le chapitre suivant va répondre.

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CHAPITRE 2 : Mes rapports avec Alpha Condé J’ai connu Alpha Condé durant les années 60 alors que nous étions tous les deux étudiants à Paris. Nous avons fréquenté au même moment la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Paris Panthéon et l’Institut d’Études politiques (Sciences Po.), Rue Saint-Guillaume, nous avons assisté aux mêmes réunions de l’Association des Étudiants Guinéens en France et de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France, nous avons participé ensemble à des manifestations organisées à l’occasion de l’arrestation et de l’assassinat de Patrice Lumumba et celles portant sur le complot des enseignants en Guinée. Souvent il lui arrivait aussi de me rencontrer aux cafés Relais Odéon et Danton dans le 5e et 6e Arrondissement de Paris, des moments où nous échangions sur la situation du pays, sur la stratégie à adopter lors des réunions des différentes organisations étudiantes, notamment au moment où il a pris des responsabilités dans les exécutifs des différentes associations d’étudiants. C’est de cette période que date le sobriquet de « marabout » qu’il m’a affublé sous le prétexte que mes conseils et avis lui avaient été toujours éclairants et très utiles dans ses prises de position. Une sympathie réciproque et l’amitié nous unirent désormais. À l’époque il m’a paru être ouvert, convivial et engagé, animé d’un nationalisme sincère ; il était toujours prêt à aller vers les autres ; il brisait souvent les blocs et les barrières que représentaient la région d’origine, la camaraderie de classe, pour s’inviter et se faire apprécier pour la fraicheur de son propos, son engagement pour la cause africaine et pour son entregent ; il donnait l’image d’un patriote africain en rapport avec les hommes et femmes de gauche ; on dit aussi de lui qu’il était très large surtout lorsqu’il travaillait avec la compagnie « Sucre et Denrées » de Bolloré ; il aurait en effet aidé et supporté nombre de Guinéens notamment du côté d’Abidjan. Son militantisme et son ouverture d’esprit lui avaient attiré de nombreux amis guinéens, africains, français et d’autres nationalités. J’ai dû pour ma part, comme indiqué plus haut, quitter la France à l’été 1965 pour rentrer en Guinée. Je ne reverrai Alpha qu’après le 183

décès de Sékou Touré et l’avènement de la démocratie. Avant d’être élu Président de la République, il m’a rendu visite à l’occasion de mon retour de la Mecque en 1995 et de mon côté je suis allé chez lui à Mafanco, juste avant mon départ pour l’Ambassade en 1997. Ces rapports vont s’intensifier lorsqu’il va accéder au pouvoir. En effet de 2011 à 2016 nous avons échangé une cinquantaine de coups de téléphones et des SMS et avons déjeuné ensemble à deux reprises ; ces échanges vont décroitre fortement en 2016, pour s’interrompre en 2017, à cause peut-être d’une certaine déception d’Alpha vis-à-vis de moi et d’un manque d’explications approfondies entre deux amis. C’est pour cela que je suis tenu de profiter de cet ouvrage pour donner ma part de vérité sur ces relations en baisse constante. Très tôt après son installation à la Présidence, alors qu’il travaillait et vivait encore dans sa résidence privée à Kipé, il m’a appelé au téléphone et m’a demandé de venir le voir ; au jour et à l’heure convenus, après les salutations d’usage et mes félicitations, il m’a dit qu’il m’avait appelé pour recueillir mes conseils au tout début de son mandat en me rappelant que je fus son « marabout » en France. Tout flatté et honoré que j’étais, j’ai proposé que pour cette première rencontre, nous choisissions les deux questions qui me paraissaient être les plus urgentes à régler, à savoir la réconciliation nationale et la question du code minier. — S’agissant de la Réconciliation nationale, j’ai dit qu’à mon avis c’était le tout premier problème dont le nouveau Président de la République devrait se saisir afin d’éviter une crise majeure à la Nation. J’ai rappelé que la Guinée a connu dans le passé des crises qui ont laissé des traces, mais n’ont jamais fait l’objet d’un examen collectif avec à la clé des leçons en vue de les éviter à l’avenir. Ces crises ont laissé des frustrations et des divisions profondes au sein de la population. Par ailleurs, des politiciens en mal de programme ont attisé les sentiments ethniques qui vont contribuer à distendre les bonnes relations qui existaient si heureusement entre les différentes communautés composant la Nation, à telle enseigne qu’on a assisté dans certaines préfectures à une véritable chasse à l’homme des citoyens guinéens appartenant à d’autres groupes ethniques. Si de telles folies se sont calmées, il y a des risques que les communautés se replient sur ellesmêmes, renforçant la méfiance entre des personnes qui jusque-là vivaient en parfaite harmonie et qui déjà se regardent en chiens de faïence. Nous sommes au bord de l’implosion et nous devons nous mobiliser pour arrêter la dérive. C’est pour cela que je lui ai proposé de 184

mettre en place une Commission Vérité, Justice et Réconciliation à l’instar de l’Afrique du Sud et de nombreux autres pays. Après m’avoir écouté attentivement, il m’a répondu qu’il ne voudrait pas se lancer dans une telle aventure ; la Guinée représente un cas particulier où on risque de soulever une tempête difficilement maitrisable si cette question venait à l’ordre du jour. Mes arguments n’ont pas pu le convaincre. — Pour ce qui est du Code minier dont il venait de lancer le chantier, je lui ai dit que quatre projets d’usines d’alumine et deux d’exploitation du minerai de fer pour un investissement de plus de 25 milliards de dollars américains étaient en cours et que trois au moins des ces projets ont bouclé leurs études de faisabilité et sont prêts à lancer les travaux sur le terrain s’ils sont assurés de conserver le bénéfice des conventions déjà signées et ratifiées avec la Guinée ; je lui proposai en conséquence de respecter ces conventions, de choisir les 3 ou 4 projets dont les études de faisabilité sont les plus avancées et de convoquer les PDG de ces sociétés, pour s’entretenir d’homme à homme avec chacun d’entre eux en vue de leur proposer un marché consistant à leur garantir une exemption du nouveau code minier contre leur engagement d’être sur le terrain dans les 6 mois à venir ; une telle offre serait étendue à tous les projets qui seraient à même de commencer le montage de leur installation avant le 31 décembre 2011. Avec une telle démarche, on serait assuré d’avoir dans les six ou douze mois des dizaines de milliers de travailleurs sur les chantiers, d’assister à l’afflux massif des milliers de diplômés sans emploi qui peuplent actuellement les cafés et les rues de nos villes. Les salaires perçus par tout ce monde boosteraient le commerce et soulageraient des entreprises telles que celles de l’eau et de l’électricité qui verraient une amélioration de leur rentabilité financière. Il m’a répondu que la révision du code minier et la revue des contrats et conventions miniers sont des mesures phares de son programme de candidat et qu’ils s’appliqueront à toutes les sociétés opérant en Guinée. J’ai déploré une telle prise de position qui va immanquablement se traduire par l’évanouissement du jour au lendemain des dits projets sans aucun candidat repreneur à leur place ; j’ai souligné aussi que la rétroactivité du nouveau code minier par rapport à des conventions signées par un pays risquerait de ternir l’image de ce pays qui pourrait être accusé de ne pas tenir sa parole et ses engagements, avec comme conséquence l’éloignement de tout investisseur désireux d’entreprendre des projets d’envergure incorporant une certaine valeur ajoutée de notre main-d’œuvre 185

locale dans le produit à exporter ; dans les dix années à venir notre pays pourrait ne voir que des investisseurs désireux d’exploiter et exporter nos matières premières brutes sans aucune transformation, ce qui se traduirait par un manque à gagner financier et technologique et l’accroissement du chômage. J’ai déploré par ailleurs que le futur code soit motivé plus par le nationalisme et le populisme que par des considérations économiques et stratégiques, car acheter cash 20 % des actions des sociétés et contribuer au financement de 51 % des infrastructures ne me semble ni pertinent, ni efficace de la part d’un pays pauvre, ces montants pouvant être utilisés à financer des écoles, des hôpitaux et des routes dont les populations ont cruellement besoin. C’est en tout cas une erreur de penser que le contrôle d’une société est forcément lié au taux de participation à son capital ; l’État a des moyens permettant d’imposer une gestion transparente des compagnies opérant dans son pays et de contrôler efficacement le respect des conventions qui le lient à ces compagnies ; tout est fonction de l’organisation mise en place, de la compétence et de l’honnêteté des cadres désignés à cet effet. Avant de nous quitter, il m’a exprimé le désir sincère de travailler avec moi ; j’ai répondu que malheureusement l’âge commençait à peser sur moi, que je me sentais souvent fatigué et que c’est entre autres la raison pour laquelle je venais de mettre fin à mon contrat avec Alcoa. J’ai ajouté que par contre je serais toujours prêt, en qualité de personne ressource, à le rencontrer chaque fois qu’il désirerait, pour échanger et lui donner mes avis sur les différentes questions qu’il voudrait bien me soumettre. Il m’a dit qu’il ne croyait pas à mes arguments et qu’il espère que je vais réfléchir et revenir à de meilleurs sentiments. Je ne comprenais sincèrement pas qu’un camarade d’école, un ami de surcroit, même président de la République, adopte une telle posture vis-à-vis de quelqu’un avec lequel on souhaite vraiment travailler. C’est dire que l’argument d’âge que je venais de lui opposer n’était qu’un argument parmi d’autres. Ensuite beaucoup plus tard, vers le mois d’octobre 2012 le Président Condé m’a appelé au téléphone à partir de l’Arabie Saoudite où il se trouvait pour prendre de mes nouvelles. Il voulait savoir où est-ce que je me trouvais et qu’est-ce que j’y faisais. J’ai répondu que je me trouvais chez moi à Daralabé, aidant les communautés à résoudre les problèmes du quotidien et de façon plus formelle à la supervision des travaux de notre mosquée en reconstruction ; il s’est demandé alors si je ne pouvais pas faire plus pour la Nation. Il a promis qu’à mon retour 186

à Conakry il me verrait pour déterminer dans quelle mesure il accompagnerait mon village dans ses efforts de reconstruction de sa mosquée. Ce fut encore pour moi l’occasion de constater que notre approche de la vie était profondément différente. Après avoir discuté un certain temps avec lui, il a passé le téléphone à son conseiller Nassirou Diallo qui voyageait avec lui. À notre retour tous les deux à Conakry nous nous sommes effectivement vus et avons discuté des sujets très variés. Quant à la question de mosquée il l’a plutôt abordée en termes de chahut en me disant que si je lui garantissais le vote de mon village à l’occasion des prochaines Élections législatives, il ferait quelque chose pour notre mosquée. C’est ainsi que cette question fut enterrée. Plus tard il m’a demandé de venir le voir, il voulait me proposer le poste d’Ambassadeur de la Guinée au Maroc. Il m’a dit à ce sujet qu’il voulait faire de ce pays un pivot des relations diplomatiques de la Guinée et qu’il cherchait à cet effet un homme d’expérience et très sérieux sur qui on peut compter. J’ai repris les mêmes arguments d’âge et de fatigue pour décliner l’offre. Il a insisté pour dire qu’à Rabat je serai soumis à moins de pression, que mon emploi de temps serait plus souple et qu’en acceptant je lui rendrais un grand service. Nos discussions ont été tellement serrées qu’à un moment donné il a menacé de me mettre devant un fait accompli en prenant un Décret malgré mon refus. Je lui ai dit que je ne souhaiterais pas contredire publiquement un acte du Président de la République et qu’il devait renoncer à un tel acte. Il a fallu l’intervention d’un de ses amis de sciences Pô français, présent à la rencontre et dont il a été abondamment question dans les médias dans un passé récent, pour ramener le calme. Une nuit, en octobre 2014, je crois, le Président Apha Condé m’a appelé vers 22 h 30 et entama une longue discussion avec moi sur ma famille et mes enfants en particulier, ceux qui sont à l’extérieur, ceux qui sont avec moi ici en Guinée. Je lui ai indiqué que le second et la 3e sont aux États-Unis d’Amérique ; quant à l’ainé il se trouve au village où il tient un petit magasin d’alimentation et le plus jeune muni d’un Master en Business Administration de l’Université de Maryland est avec moi. Il m’a demandé de lui apporter le C.V. de ce dernier à l’occasion de notre prochaine rencontre. Cet entretien prendra place le 30 octobre 2014 lors d’un déjeuner en tête à tête et nous avons discuté des questions suivantes : - La maladie à virus Ebola - La réconciliation nationale 187

Concernant Ebola je me suis réjoui que la maladie soit sur le point d’être vaincue, j’ai vivement félicité son gouvernement et tous ceux qui ont pris part au combat pour éradiquer cette pandémie. J’ai suggéré que la guinée fasse de cette maladie une opportunité pour réhabiliter ses services de santé afin d’éviter la récurrence d’une telle calamité à l’avenir. Pour ce faire le pays doit s’approprier cette initiative et éviter d’être noyé sous la pluie des contributions extérieures qui ne sont pas toujours adaptées aux besoins locaux. À cet effet la meilleure manière consisterait à commencer par élaborer un Plan de réhabilitation des services de santé. Pour éviter une interférence entre la gestion du quotidien et la stratégie à élaborer, je proposais que l’élaboration de ce Plan soit confiée à un expert guinéen de haut niveau, ayant accumulé une expérience avérée des services de santé et qui relèverait de la Présidence de la République. Ledit plan devrait être caractérisé par un vrai engagement de l’État de changer les choses en multipliant par deux le budget consacré à la santé et en adoptant comme ressort de ce plan les valeurs que sont : la mobilité du personnel de toutes les catégories, le mérite en matière de promotion et la discipline à tous les niveaux. Le plan devrait aussi faire preuve de réalisme, de cohérence et de consistance en montrant les objectifs visés annuellement, le coût correspondant, avec une indication claire de la contribution du gouvernement et la part attendue des bailleurs de fonds ainsi que des résultats escomptés. Une telle approche transparente, responsable et cohérente garantirait une participation massive de la communauté internationale pour son financement. Sans prêter suffisamment attention à mon exposé, le Président m’a informé que le gouvernement avait déjà élaboré un Plan en la matière et il a demandé qu’on lui apportât ce document de même que les croquis des hôpitaux régionaux prévus à cet effet. J’ai été immédiatement frappé par le gigantisme de ce plan et le coût énorme que sa réalisation demanderait. J’ai compris alors que l’on passerait à côté de l’objectif recherché et qu’il s’agirait une fois encore d’un plan mort-né, car aucun bailleur ne mettra son argent dans une telle aventure financière. Et comme il fallait s’y attendre, ce plan ne mobilisera que 30 % des fonds demandés, à savoir 812 millions de dollars sur 2,9 milliards sollicités. Il est certain qu’un plan élaboré par un technicien aguerri éviterait de tomber dans le piège des commissions interministérielles au sein desquelles chaque membre cherche à obtenir le maximum pour son secteur sans tenir compte de ce qui est raisonnable et pertinent.

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Quant à la question de la réconciliation nationale j’ai exprimé ma joie à propos de l’évolution de la position du président en la matière ; lors de notre première rencontre, il était très réticent d’ouvrir un débat en la matière ; entre temps il a mis en place une Commission provisoire de Réflexion sur la Réconciliation nationale. Je l’en ai vivement félicité ; j’ai néanmoins déploré le silence de cette Commission qui travaille depuis plus de quatre ans alors qu’on ne connait ni sa feuille de route ni les étapes déjà parcourues ; elle donne l’impression de travailler en vase clos et en secret. Il m’a répondu que la Commission a beaucoup avancé et qu’il me proposait d’ailleurs d’en faire partie au même titre que les professeurs Tamsir Niane et Kobelé Keita qui y sont déjà. À la réflexion j’ai dû décliner l’offre à cause du manque de transparence de la Commission et aussi du fait que le travail selon le président était pratiquement bouclé et je risquais par conséquent d’être l’ouvrier de la 25e heure. À la fin du repas et après épuisement de l’ordre du jour convenu, il a exprimé ses ressentiments à mon endroit aussi bien qu’à celui des autres cadres et amis peulhs avec lesquels il a vécu en France. Il ne comprend pas le fait qu’aucun parmi nous n’ait eu le courage de se lever et de le défendre face aux attaques et affirmations selon lesquelles il serait un anti peulh ; il s’est aussi plaint que j’aie décliné toutes les offres de collaboration qu’il m’a faites depuis qu’il est au pouvoir. J’ai commencé par lui rappeler la visite à la présidence de la république de l’ensemble des notables des préfectures du Fouta, venus pour exprimer publiquement leurs frustrations devant la marginalisation de leurs fils dans l’administration guinéenne depuis son arrivée à la tête de l’État ; ils ont soutenu que les Décrets du président ignorent systématiquement les cadres peulhs, si non lorsqu’il s’agit de les chasser des postes qu’ils occupent, à telle enseigne qu’ils sont devenus plutôt rares au sein les secrétaires généraux des ministères, des directeurs nationaux, des chefs de cabinets et autres. Plus tard, dans le cadre des consultations pour la réconciliation nationale, une mission dirigée par le Premier Imam de la mosquée Fayçal, s’est rendue à Labé pour rencontrer les mêmes notables de la moyenne Guinée, qui reprendront les mêmes doléances. Voudrait-il que je prenne la parole pour apporter un démenti à ces déclarations, pour contester les faits évoqués ? À cette question il répondit brusquement qu’il n’est obligé qu’envers ceux qui ont mouillé la chemise pour faciliter sa venue au pouvoir et de citer entre autres François Hollande et Trump qui ont privilégié dans leurs nominations les hommes et les femmes de leur 189

parti et de leur entourage. En réaction à cette déclaration, j’ai souligné que comparaison n’est pas raison, une vielle démocratie de plusieurs centaines d’années où la nation s’est incrustée dans les habitudes et les comportements de tous les, ne peut pas être gérée comme une jeune nation qui est en cours de construction et qui a besoin de toutes les forces vives du pays. Recourir uniquement à telle ou telle ethnie qui aurait voté massivement pour le président ou aux seuls membres de son parti n’est ni raisonnable ni acceptable alors que tout le monde paye les impôts et taxes, que la Constitution proclame l’égalité de tous les citoyens. Il m’a alors accusé de soutenir ceux qui ont mis la Guinée à genoux, ce que j’ai rejeté, car non seulement le comportement de quelques personnes indélicates ne saurait être imputé à toute la communauté dont ils sont issus, mais, encore de nombreuses personnes qui ont failli dans le passé en matière gestion constituent à l’heure actuelle, le cercle le plus proche du chef d’État. Exaspéré il a fini par me dire qu’il peut se passer des cadres peulhs pour développer leur région. J’ai aussitôt contesté le bienfondé de cette déclaration venant de la bouche d’un président de la République qui a besoin de toutes les forces de la nation pour mener à bien un développement harmonieux, durable et inclusif. Concernant les raisons de mon refus de travailler avec lui, je dois tout d’abord avouer que c’est à peine que je reconnais aujourd’hui le « Alpha » que j’ai connu autrefois, le « Alpha » militant, combattant de toutes les causes justes, indépendant et équitable vis-à-vis de tout le monde ; le « Alpha » d’aujourd’hui ne me semble pas libre de ses actes et de ses choix. J’ai sincèrement l’impression qu’il est un otage de son parti et de sa communauté. Deux exemples entre beaucoup d’autres m’ont renforcé dans ma croyance ; tout d’abord à l’occasion d’une discussion antérieure, nous avions parlé d’une dame qui fut ministre sous Lansana Conté qu’il a voulu nommer, mais n’a pas pu en raison de l’hostilité du bureau politique du RPG/ARC-EN-CIEL ; ensuite l’affaire Moussa Keita, démis du poste de directeur général de Sotelgui par Décret, et qui a été rétabli dans ses fonctions dès l’intervention spectaculaire de la Coordination du Mandingue. Cette double tutelle qui travaille exclusivement en faveur des leurs et au détriment des autres guinéens, affecte négativement toutes les personnes qui ne sont pas membres de ce parti et de ce cercle. Il est difficile pour moi dans ces conditions de travailler avec lui, sauf, juste pour faire semblant et pour bénéficier de quelques avantages matériels et sociaux. Or ce serait une 190

trahison vis-à-vis d’un ami avec lequel j’ai partagé des souvenirs passionnants. À ce propos, au fur et à mesure de nos échanges, j’ai réalisé que nos valeurs n’étaient plus les mêmes, aussi bien en matière de philosophie politique, qu’en matières de gestion des affaires publiques. En effet, sous sa volonté d’Alpha Condé, le code minier guinéen a octroyé à l’État en plus des 30 % du capital à titre gratuit, la possibilité d’achat des 40 % du capital restants ; il a en outre offert à l’État la possibilité d’investir jusqu’à 50 % des infrastructures des entreprises. Outre le fait que ces sommes énormes d’argent auraient mieux servi dans un pays pauvre en quête de routes praticables, d’écoles, de centres de santé, d’eau courante et d’électricité, mais encore elles risquent de perturber la gestion des dites entreprises dont la responsabilité s’en trouve largement diluée et le développement compromis. C’est ainsi que pour les retards enregistrés dans le développement du projet Simandou et qui vont causer finalement son échec, la Guinée est pointée du doigt pour n’avoir pas pu mobiliser à temps sa côte — part d’investissements pour la réalisation du chemin de fer. Je suis sûr pour ma part que si le président Condé a opté pour l’interventionnisme à outrance de l’État, c’est principalement pour pouvoir chanter dans une démarche purement populiste qu’en guinée le patron c’est l’État et de se donner l’impression d’être puissant. Alors que le président milite pour le tout État, je reste pour ma part, convaincu que ce dernier, après avoir conçu des impôts et taxes qui ne tuent pas l’impôt, met en place un système strict de contrôle de ses revenus, sans étouffer les entreprises privées qui opèrent dans le pays. Cette divergence de vues dans le domaine économique qui est pourtant au centre de toute gouvernance, est une autre raison pour laquelle j’ai décliné les offres du président me semble irrémédiable et une source inévitable de conflits, si jamais nous devions travailler ensemble. Enfin la méthode de choix et de la gestion des hommes par le président Alpha Condé constituent un autre obstacle majeur à notre collaboration. J’ai été amené à conclure que le président choisit les hommes en fonction de ses rapports personnels avec eux, de l’appartenance à un même parti et des liens de parenté et non de la compétence avérée des candidats et des performances attendues de chacun d’entre eux ; n’as-t-il pas plus besoin des béni oui que des contradicteurs ? Une telle posture conduit malheureusement à une administration unijambiste, animée par de nombreux corrompus qui ne

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risquent pas de subir les sanctions méritées. Je ne souhaiterais définitivement pas faire partie d’une telle cour À ce propos beaucoup de mes amis n’ont pas hésité à me traiter de maudit lorsqu’ils ont appris mon refus de travailler avec le président Alpha ; ils ont estimé que je devrais accepter l’offre, bénéficier des multiples avantages sociaux et matériels et faire ce que le président veut que je fasse. Telle n’étant pas ma conception de la dignité, surtout à l’égard d’un ami, mon renoncement à ces offres m’a semblé être la meilleure attitude ; les mêmes personnes m’ont accusé alors d’être incohérent, en refusant de travailler avec Alpha alors que j’ai consacré plusieurs dizaines de mes années au service des présidents Sékou Touré et Lansana Conté qui ne sont pourtant pas réputés être des anges ; le disant ils oublient tout simplement que l’offre du président Condé était hautement politique et qu’elle était basée sur une amitié datant des bancs de l’école et qui censée reposer sur des valeurs morales, des principes et une même vision du monde, censés guider nos relations. Une fois que ces données manquent à l’appel, il faut tout simplement renoncer à une relation formelle inscrite dans la durée qui risquerait autrement de se terminer dans la frustration Les passages précédents qui résument mes relations avec le Président Alpha Condé me permettent à présent de m’intéresser à son personnage, pour déceler son caractère, ses habitudes et ses hobbys, en vue de comprendre mieux sa politique

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CHAPITRE III : Alpha Condé, le personnage politique À première vue, Alpha Condé apparait comme étant un homme simple, accueillant et séduisant ; sa simplicité est accentuée par un attachement sincère au passé, à ses amis et aux souvenirs partagés le tout dominé par l’amour de la politique. UN POLITICIEN PUR ET DUR Alpha Condé peut être considéré comme un politicien pur et dur et même comme un politicien professionnel, car il n’a pas de répit, jour et nuit il fait la politique. Il donne l’impression de vivre pour la politique, d’agir pour la politique et de se comporter de tout temps en homme politique. Chez lui tout, y compris l’amitié, la famille et les loisirs ordinaires sont soumis à la politique. On ne peut pas l’imaginer discutant avec un visiteur de la pluie et du beau temps pendant une demi-heure sans aucune interférence de la politique ; on ne peut pas non plus l’imaginer passer un mois de vacances sans qu’il ne consacre de longues heures à son sport favori qu’est la politique. Cette prééminence de la politique sur toute autre chose explique dans une large mesure son faible vis-à-vis de son parti le RPG/Arc-En-Ciel et de ses partisans qu’il aime et protège. L’attachement de Alpha Condé à son parti déteint directement sur les cadres, les militants et sympathisants du RPG dont il se sépare difficilement une fois qu’il les a choisis ; nombreux parmi eux, sont ceux qui passent directement du statut de ministres à celui de membres du cabinet de la Présidence de la République, ce qui se traduit par une pléthore de conseillers dont le nombre impressionnant ne devrait se retrouver nulle part ailleurs dans le monde. Une autre forme de cet attachement se manifeste par la réticence à sanctionner ses alliés en cas de faute ; il se contente généralement de dénoncer et de menacer sans passer à l’action ; lorsque finalement il agit, à la première occasion il remet l’intéressé en scelle. Le cas le plus 193

récent est celui de l’ex-ministre de l’Enseignement préuniversitaire, qui après avoir été démis de son poste suite à des manifestations populaires qui ont fait plusieurs morts en juillet 2016, a été de nouveau nommé ministre dès le 23 août 2017. Tout cet attachement et sa protection sont néanmoins conditionnés à la domination qu’il exerce sur ses collaborateurs. Un grand complexe de supériorité Ce dernier trait de caractère est mis en exergue par un article d’Abdoulaye Condé, Fondateur de la Nouvelle Tribune dans le Journal l’Observateur intitulé « Alpha Condé, l’Auto flagellation » dont je cite ci-dessous quelques passages très instructifs. « Depuis toujours il s’estime largement au-dessus de tous les leaders des partis guinéens et de la plupart des hommes politiques africains. » Ce complexe de supériorité ancré en Alpha Condé crée chez lui un optimisme exagéré qui l’amène à commettre souvent des erreurs de jugement et d’appréciation. C’est ainsi, toujours selon Abdoulaye Condé que lors d’une réunion du FRAD il aurait affirmé être à même de remporter seul les 38 communes de la Guinée. Il affirmera aussi au début de son mandat que dans les deux ans à venir il n’y aura plus aucun leader politique de l’opposition en Guinée. C’est dans cet esprit qu’il ne ménage ni son temps, ni son argent, ni ses promesses pour essayer de débaucher les militants et cadres des partis adverses ; il a certes obtenu des résultats notables en s’attachant les services d’une dizaine de leaders et plusieurs cadres des partis de l’opposition ; cependant il est encore loin de ses peines, car on remarque que l’opposition malgré son érosion bénéficie du retour en son sein de certains leaders qui l’avaient quittée et qu’elle conserve son mordant et ses capacités de nuisance. Une « corruption » au grand jour Un des moyens utilisés par le Président Condé pour élargir son influence politique est ce qu’il faut bien appeler la corruption à grande échelle dont je vais donner quelques exemples ; à la veille des dernières élections présidentielles, il décida brusquement sans aucune étude préalable et en urgence d’équiper les 33 Préfectures et les 304 Souspréfectures des lampadaires solaires pour un investissement de 104.252.410 $, alors qu’une telle dépense n’était pas prévue dans le budget de l’État ; d’ailleurs la quasi-totalité de ces lampadaires a rendu 194

l’âme à cause probablement du non-respect des cahiers de charge ou de la mauvaise qualité de la marchandise. Après cette opération de grande envergure, le Président a visité en hélicoptères la majorité de ces entités administratives, accompagné des sacs d’argent qu’il distribuait à tour de bras, prétendait-il pour aider les communautés visitées à monter des projets ; les populations concernées ont bien compris l’objet de cette distribution impromptue, car dès que l’hélicoptère décollait elles se partageaient lesdites sommes quelquefois au prix des bagarres épiques sans critère de répartition. Cet argent qui n’était ni prédestiné à un tel usage ni consacré à des projets collectifs précis faisait plutôt penser à une opération de pêche aux voix. En plus de ces actions plutôt spectaculaires il y a d’autres plus discrètes au bénéfice des visiteurs anonymes du Palais, des intermédiaires, des hommes influents évoluant dans les différents secteurs de la vie nationale qui, croit-on, sortent de ces entrevues munis de paquets d’argent. Il y a eu aussi une distribution inattendue des voitures aux imams de la capitale, sans doute pour acheter leur conscience et leurs sermons. L’exemple venant du haut et l’imitation du bas, cette pratique ne pourra certainement pas servir de bon exemple dans une démocratie qui se cherche. Un optimiste à toute épreuve Il a été fait allusion plus haut à l’optimisme d’Alpha Condé en matière politique ; cet optimisme se retrouve aussi en matière d’économie et dans le domaine social ; en effet au début de sa mandature, il n’a pas hésité à prédire qu’en cinq ans il ferait rattraper à la Guinée le retard qu’elle a connu depuis cinquante ans et que son pays atteindrait l’autosuffisance alimentaire dans les trois ans à venir. Le disant, faisait-il plutôt preuve d’ignorance des lois économiques de base, compte tenu du fait qu’il parlait d’une agriculture archaïque sans aménagements hydro agricoles, sans engrais suffisant, sans agriculteurs formés et bien encadrés ou bien cherchait-il seulement à séduire ses compatriotes ? Apparemment cette dernière interprétation serait la bonne, car la gageure continue tout le long de sa présidence. Ces promesses qui tardent à se réaliser conduisent quelques fois à des réactions de mécontentement qui peuvent être violentes telles qu’à Mandiana durant ce mois de septembre 2018 où on a enregistré un mort parmi les manifestants.

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Un homme aux courroux mal maitrisés Le Président Alpha Condé, malgré sa bonhomie trompeuse, est connu aussi pour ses courroux mal maitrisés et ses déclarations intempestives. C’est ainsi qu’à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du Forum des Étudiants le 1er juin 2017, il a mal accueilli le chahut des jeunes qui scandaient le mot tablettes pour lui rappeler la promesse qu’il leur avait faite de donner à chaque étudiant une tablette ; il est rentré dans une colère noire et les a traités de mal éduqués, d’impolis, en présence du corps diplomatique au complet, de tous les invités venus des pays amis. Avant cet incident, à Kindia à l’occasion de la remise officielle des équipements de pédologie offerts à la Guinée, en présence encore une fois du corps diplomatique, des Agences de coopération et de nombreux experts guinéens et étrangers, il a interrompu le discours de sa ministre de l’agriculture en la traitant à trois reprises de têtue sans tenir compte de sa qualité de femme et de membre du gouvernement. Ceci étant, la catégorie socioprofessionnelle qui subit le plus les foudres présidentielles en public sont les journalistes à l’occasion des conférences de presse ; ceux qui s’avisent à poser des questions embarrassantes ou indésirables s’exposent à l’humiliation, à des remarques désobligeantes lorsqu’ils ne sont pas traités d’impolis, de sourds ou accusés de raconter des « conneries ». Ses collaborateurs à ce qu’il parait n’échapperaient pas à cette dérive à ses moments de colère ; quelle que soit leur position hiérarchique, ils essuieraient aussi ses cris, ses insultes et ses récriminations. Un homme réticent à déléguer Alpha Condé est un Président qui aime s’occuper de tout, qui téléphonerait aussi bien à ses ministres, aux Secrétaires généraux des ministères, qu’aux simples cadres pour s’enquérir de l’état d’avancement d’un dossier qui lui tient à cœur. Il lui arriverait souvent de donner directement des instructions sans passer par ses ministres. Il reçoit des appels téléphoniques et des messages téléphoniques de toutvenant auxquels il répond généralement. De telles pratiques pourraient provenir probablement du manque d’expérience en matière d’organisation et des pratiques administratives, mais aussi certainement d’un manque de confiance en ses collaborateurs. Il gagnerait pourtant à s’occuper des questions stratégiques et déléguer les autres et aussi accepter que l’on filtre ses communications.

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Sa politique sera fortement impactée par son caractère et sa personnalité telle que décrite plus haut et aussi par la stratégie que nous allons décrire à présent.

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CHAPITRE IV : La stratégie qui sous-tend la politique d’Alpha Condé Alpha Condé contrairement à ses deux prédécesseurs à la tête de la Guinée a méticuleusement préparé la conquête du pouvoir et les conditions de son exercice. S’agissant aussi bien de Sékou Touré que de Lansana Conté on peut dire que le sort leur est tombé sur la tête en devenant Présidents ; Sékou a été un lutteur syndicaliste tout d’abord, politique ensuite, mais il n’a pas pensé qu’il serait le président d’un pays qui était encore sous le joug colonial ; quant à Conté sa désignation comme Président lui fut imposée par ses compagnons du CMRN, alors que Alpha Condé a rêvé très tôt de commander la Guinée et il s’est préparé en conséquence en élaborant une stratégie dans ce sens. Cette stratégie a consisté tout d’abord à définir les voies et moyens aptes à soutenir son ambition. À cet effet, il a choisi trois axes d’actions, à savoir constituer un trésor de guerre qu’il faudra renforcer au fur et à mesure de l’action, s’assurer de solides alliances internationales et ancrer sa politique sur la philosophie politique de Sékou Touré qu’il admire au fond de lui-même, quoiqu’il dise et qui a profondément marqué la Guinée et les Guinéens. LE RÔLE DE L’ARGENT DANS LA STRATÉGIE D’ALPHA CONDÉ Alpha Condé connait l’importance de l’argent dans les élections, notamment en Guinée où l’État ne fournit pas des allocations aux différents candidats et où chacun doit supporter sa campagne électorale et financer la participation de ses cadres aux différents niveaux du processus électoral. C’est pour cela que la constitution de son trésor de guerre a commencé très tôt. À cause de son carnet d’adresses dans le milieu des anciens cadres de la FEANF qui commençaient à accéder au pouvoir dans leurs pays respectifs, la compagnie Sucres et Denrées de Bolloré a réalisé l’atout qu’il pourrait représenter dans les milieux politiques en Afrique ; elle l’a donc coopté dans sa structure africaine 199

en qualité de consultant chargé des relations publiques. Alpha va arriver en effet à donner un coup de pouce décisif aux activités de la compagnie ; il en tirera d’importantes sommes d’argent. Les sommes engrangées seront telles qu’elles auraient provoqué des tensions profondes entre lui et ses compagnons de lutte qui soutenaient que son travail chez Sucres et Denrées était une mission qu’il effectuait au nom de leur parti politique le MND auprès de leurs anciens camarades de la FEANF et que l’argent engrangé était leur argent à tous. Alpha ne l’entendait pas ainsi, il garda l’argent pour lui seul et il continua allègrement sa pêche à l’argent ; cela lui permettra de couvrir ses activités, y compris celles menées à distance ; il fut par exemple soupçonné d’avoir financé un candidat lors des conciliabules intervenus entre 2006 et 2007 en Guinée pour le choix d’un Premier ministre et la mise en place du gouvernement de consensus. D’autres accusations de financement d’actions plus graves que je n’évoquerai pas faute de preuve ont été portées aussi contre lui. Une autre source non négligeable des revenus d’Alpha Condé se trouverait au niveau des gouvernements africains amis, convaincus de la justesse de sa lutte ; on pourrait évoquer dans ce cadre comme bienfaiteurs la République du Congo Brazzaville, le Burkina Faso, l’Angola. Les médias ont évoqué en outre le nom des compagnies désireuses de s’implanter en Guinée comme faisant partie des sources d’où il aurait tiré des sommes colossales d’argent ; on se rappellera à ce sujet l’affaire Samuel Mébiane arrêté le 16 août 2016 par le FBI dans le cadre d’une enquête d’allégation de corruption ; il était accusé entre autres d’avoir joué l’intermédiaire entre Palladino et le candidat Alpha Condé qui aurait bénéficié d’un prêt de 25 millions de dollars en échange de promesse d’une concession minière. Ébruitée par le Financial Times, l’affaire aurait été réglée immédiatement suite au remboursement de cette somme sans qu’on ait été informé ni de l’utilisation de la somme reçue, ni de l’origine de la somme qui a servi au remboursement. Le même Mébiane aurait offert à Alpha Condé une Mercédès classe S et loué un avion pour lui en 2011. Des prêts plus importants seront accordés à la Guinée dès après l’accession du Président Alpha Condé au pouvoir, à savoir 150 millions de dollars en provenance de l’Angola et 15 millions de dollars de la République du Congo ; à propos de ces montants, les médias et les partis politiques de l’opposition se sont interrogés sans jamais obtenir de réponse sur leur utilisation. Ces prêts d’un gouvernement à un autre, 200

tout en ne revêtant pas le caractère obscur de celui de Palladino, soulèvent néanmoins des interrogations sur la transparence de ces opérations, notamment sur les conditions du prêt et de son remboursement, sur l’examen et l’approbation du Parlement et enfin sur la mention effective de ces prêts dans le budget national, ce qui ne semble pas être le cas, étant donné les complaintes des partis de l’opposition. Il en est de même d’ailleurs des 700 millions de dollars de l’Accord transitionnel dont une partie aurait servi au financement du barrage de Kaleta alors que l’usage de la plus grande fraction de la somme reste toujours inexpliqué. Le même flou entoure aujourd’hui encore les 60 millions de dollars de pénalités versés par Areeba. LES ALLIANCES TISSÉES PAR ALPHA CONDÉ Alpha Condé en dépit de ses discours nationalistes, est conscient des rapports de forces qui caractérisent les relations internationales du moment et de la nécessité de s’appuyer sur des alliés plus forts que soi pour pouvoir aller de l’avant sans encombre. Aussi bien pour son accession au pouvoir que pour l’exercice de ses fonctions il a eu recours à des alliances qu’il a méticuleusement élaborées. Rapports entre le Président Condé, la françafrique et le parti socialiste français Dans un premier temps sa rampe de lancement a été constituée principalement par le parti socialiste français, ses amis de l’Internationale socialiste et la nébuleuse françafrique dont les principaux acteurs ont été entre autres, lors des élections présidentielles « son frère jumeau », comme il l’appelle affectueusement, Bernard Kouchner, alors ministre français des Affaires étrangères qui a été l’avocat d’Alpha dans le gouvernement de Sarkozy dont le support ne lui était pas acquis. Sans pouvoir porter une accusation formelle contre eux, on peut souligner l’influence qu’ils sont accusés d’avoir eue sur les organisateurs de l’élection ; par ailleurs les menaces intempestives proférées par la procureure de la CPI sur le candidat malheureux de l’élection, indiquent clairement que son communiqué était dicté par une puissance étrangère et fort probablement la France, pour éviter toute contestation ; les révélations faites en octobre 2017 par le journal d’investigations Mediapart sur les machinations de la CPI et de la 201

France à propos du transfèrement de Laurent Gbagbo à La Haye constituent un témoignage éloquent de l’instrumentalisation de cette Cour par l’Occident. S’agissant de l’appui du parti socialiste à sa présidence, le Président Alpha n’a pas hésité à déclarer publiquement que depuis l’accession de François Hollande à la Présidence de la République française, il pouvait désormais dormir sur ses deux oreilles. En clair, cela signifie qu’il pouvait désormais compter sur l’appui total du gouvernement français grâce à son ami François de l’Internationale socialiste. C’est le 1er cercle de ses alliances où figurent aussi ses amis tels que Bernard Kouchner et Vincent Bolloré, son ami de 40 ans selon ses propres termes. L’intervention supposée du premier auprès des Autorités de la Transition pour reculer la date de la tenue du deuxième tour de l’élection présidentielle en 2010 aurait été déterminante et aurait permis au candidat Alpha de se « préparer » et de renverser la tendance du premier tour. Quant au second, il lui aurait facilité l’accès aux services de l’Agence de Communication Havas dont il détient une partie du capital pour soigner son image et sa communication durant la campagne électorale ; il semblerait que c’est en rétribution de ce service que dès le 8 mars 2011 le Président élu a annulé le contrat de gestion du port de Conakry attribué depuis 2008 à Necotrans pour une durée de 25 ans ; en plus il ordonnera la confiscation des engins et équipements de ce dernier et son déguerpissement manu militari du port ; dès le surlendemain il prendra un Décret pour attribuer la gestion du port à Bolloré. Suite à cette rupture de contrat, Necotrans va saisir la Cour Arbitrale de la Chambre de Commerce international de Paris et le CIRDI. Dans le cadre de cette affaire, Bolloré a été mis en examen pour corruption d’agents publics étrangers en lien avec l’attribution de la gestion des ports de Conakry et de Lomé. Selon les éléments du dossier, il aurait facturé à 100.000 euros les prestations de l’Agence Havas pour ses services au candidat Alpha Condé alors que ces services valaient 800.000 euros. Par ailleurs il aurait payé pour le compte de ce candidat 80.000 euros au journaliste Jean Bothorel pour l’édition du livre/interview que ce dernier avait réalisé à la veille des élections, sans mentionner les affiches, les médias training et autres offensives médiatiques conçus et réalisés par Bolloré à travers l’Agence Havas. À l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la Liberté de la Presse le 3 mai 2018, le Président Condé a annoncé qu’il allait porter plainte en France pour « dénonciation calomnieuse », quand et contre qui ? L’avenir nous le dira. Cette affaire rappelle étrangement le dossier 202

Palladino mentionné plus haut. Ces affaires, tout en confirmant les nombreuses rumeurs de corruption dont on parle de temps en temps en Guinée rejaillissent sur l’image du pays et de son Président. Rapports du Président Condé, avec Georges Soros et Tony Blair Le 2e cercle sera constitué de Georges Soros, le richissime homme d’affaires américain d’origine hongroise et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blaire. Probablement tous les deux ont pu être convaincus de mettre leur talent au service du Président guinéen. L’essentiel du contenu des lignes suivantes a été puisé dans les sources de Guineenews. Soros est réputé pour être un des plus grands spéculateurs du monde à travers le Soros Fund Management LLC. Il est réputé pour son audace et ses coups de poker. En 1992, il obligera la banque d’Angleterre à dévaluer la livre sterling et à encaisser un profit de plus de 1 milliard de dollars dans l’opération. Avec la fortune qu’il a amassée au fil des années, il s’est vite intéressé à la politique et a ainsi largement financé les candidats, notamment démocrates aussi bien à l’occasion des élections présidentielles que sénatoriales. Le faisant, il a tissé des relations qui lui ont permis de s’assurer le soutien de ces élus dans ses activités, mais aussi d’influencer la politique étrangère des États-Unis envers certains pays. Selon Guineenews, « entre 2001 et 2010 il aurait dépensé 32,5 millions de dollars à travers le Groupe 527 pour influencer la politique des États-Unis dans différents domaines. Quant aux dépenses spécifiques de lobbying international en vue d’influencer la politique étrangère des États-Unis, elles s’élèveraient à environ 13 millions. » Un tel allié ne pouvait être que bénéfique pour le Président Alpha Condé dont il a pu soigner l’image et accroitre la crédibilité dans l’opinion internationale en l’aidant à sortir des situations délicates dans lesquelles il pourrait se fourvoyer telle que l’affaire Palladino évoquée plus haut ; ce dossier fut en effet porté à l’attention du Congrès américain qui l’a purement et simplement ignoré, de même d’ailleurs que le FMI qui ne s’en est pas intéressé, et cette grâce pense-t-on aux bons soins de Soros soutenu par d’éminentes personnalités et d’Institutions respectables telles que l’ONG Revenue Watch Institute. En connivence avec Tony Blaire, il a aussi recruté des firmes de relations publiques chargées d’améliorer l’image du Président. Ainsi s’il a effectivement bénéficié personnellement des actions de ses deux nouveaux alliés, il en est autrement de son pays ; Georges Soros en venant en Guinée amenait avec lui deux cadeaux, à savoir 203

OSIWA son ONG et une promesse formelle de résoudre les difficultés d’approvisionnement en fourniture d’électricité avec une équipe déjà ciblée de Canadiens. Cependant OSIWA très active dans le domaine de la démocratie, des droits de l’homme et de la gouvernance apparait plus comme un faire-valoir compte tenu de son immense fortune que comme un cadeau particulier à la Guinée ; quant à ses promesses en matière d’électricité, elles n’ont tout simplement pas connu de lendemain. Par ailleurs, n’étant ni un spécialiste des questions minières ni un investisseur à la quête d’un permis d’exploration, il est permis de penser que ses motivations en venant en Guinée n’étaient ni de s’impliquer directement dans les activités minières ni d’aider le pays de quelque manière que ce soit. On peut raisonnablement penser que son objectif était purement personnel ; il cherchait d’une part à devenir un conseiller écouté du Président Condé afin d’influencer ses décisions, il cherchait d’autre part à déstabiliser les multinationales minières évoluant en Guinée pour se venger de leur arrogance et de leur mépris tout en visant en particulier à chasser Benny Steinmetz son vieil ennemi qu’il a déjà combattu en Russie et en Roumanie. Son arme pour parvenir à ses fins sera d’infiltrer ses conseillers dans la Commission de Revue des Contrats et Conventions et le comité d’Elaboration du Nouveau Code minier afin d’imposer ses idées et d’influencer la politique minière du Gouvernement, devenant du coup un des détenteurs des clés d’accès au secteur en cas de besoin dans le futur. À travers la revue des contrats et le nouveau code minier, il aura contribué à embarquer le Président dans deux actions certes populaires, mais économiquement catastrophiques et sans lendemain. Tout d’abord la Commission de Revue des Contrats et des Conventions, outre le fait qu’elle ait coûté très cher avec la mobilisation de 13 cabinets d’avocats dont la facture a été de 12 millions de dollars, elle a de surcroit accompli un travail fait à moitié et contestable, deux sociétés en activité, Rusal et North Gold ayant refusé de se soumettre à l’exercice et une troisième ayant bénéficié hors Commission des exceptions à l’application du nouveau code minier ; la confusion a été telle que le ministre des Mines et de la Géologie a ordonné l’arrêt des travaux de la Commission en février 2016 sans qu’elle ait bouclé son travail. Quant au code minier, il a connu des amendements en moins d’un an après son adoption et continue aujourd’hui encore à susciter des doutes et de nombreux points d’interrogation. Au-delà de tous ces méfaits il a contribué à ruiner la crédibilité de la Guinée qui a assisté impuissante 204

au départ de tous les grands miniers du monde qui ont tous suspendu sine die leurs projets en Guinée. Quant aux relations de la Guinée avec Benny Steinmetz, Soros a aidé le Président à choisir l’option la plus onéreuse alors que la Guinée aurait mis fin aux activités de celui qui était devenu indésirable tout en encaissant de grosses sommes au titre des pénalités pour corruption. Faute de cela Benny Steinmetz a saisi le CIRDI (Centre International de Règlement des Différends relatifs aux Investissements) basé à Washington pour réclamer des dommages et intérêts. Outre le fait que l’issue de cette bataille couteuse pour le contribuable guinéen reste incertaine, il faudra aussi déplorer la perte colossale que représente la réhabilitation du chemin de fer ConakryKankan évalué à 2 milliards de dollars, financé par BSGR et dont les travaux avaient déjà commencé. Ces prévisions pessimistes sont malheureusement devenues réalité, avec la signature, le 26 février 2019 d’un Accord à l’amiable avec BSGR qui va en outre bénéficier de la concession de Zogota dont le minerai sera évacué à travers le Libéria. Le deuxième conseiller du Président Alpha Condé, Tony Blair, a aussi joué un grand rôle dans la promotion de l’image du Président et de sa crédibilité sur le plan international ; il a promis aussi de vendre la destination Guinée aux investisseurs. A-t-il joué un rôle dans la consolidation des rapports avec Mubadala ou Deripaska de Rusal dont il est aussi le conseiller ? On ne saurait l’affirmer avec certitude bien qu’il parle et négocie avec les uns et les autres tout en leur apportant son assistance. Ce qui est sûr par contre c’est qu’il a signé fin 2011 un partenariat formel avec la Guinée à travers AGI (African Government Initiative) pour conseiller la bonne gouvernance. Selon l’hebdomadaire britannique Sunday Telegraph, une partie des relations d’AIG avec le gouvernement relève de la charité, une autre des affaires. À cet effet la chef de la mission de cette structure en Guinée Shruti Mehrotra aurait été placée à un moment donné auprès du Président pour gérer son agenda ; on raconte même qu’elle détenait ses téléphones pour filtrer et mettre de l’ordre dans ses appels. Espérons qu’il ne s’agit là que des propos malveillants ; cependant même le fait d’accepter la présence d’une inconnue chargée d’apprendre à gérer son emploi de temps au Président est insultant et dangereux s’agissant d’affaires d’État. Avec le marabout blanc de Lansana Conté, le schéma était différent et plus glorieux. Dans la même veine, le bruit a couru que le gouvernement Youla a été inspiré au Président par Tonny Blair, surtout dans sa branche économique ; en tout cas comme par hasard tous les ministres chargés 205

des questions économiques, y compris leur chef sont venus comme par coïncidence de GAC le grand projet miner contrôlé par Mubadala dont l’ancien Premier Britannique est le conseiller et de AIG qu’il a personnellement mis en place en Guinée. Toutes ces questions et supputations indiquent que si Blair est bien apprécié par le Président Condé, il n’en est pas de même chez beaucoup de Guinéens pour lesquels son jeu serait plutôt trouble. Les changements politiques en France et aux États-Unis vont amener le Président Condé à revoir sa stratégie en créant un 3e cercle d’amis. Il faut se rappeler en effet qu’en France son ami François Hollande a renoncé à se présenter aux élections présidentielles à cause de son impopularité dans les sondages et qu’il a été remplacé par Emmanuel Macron qui proclame n’être ni de gauche ni de droite et sur qui il pourrait être illusoire de compter ; pendant ce temps le parti socialiste, le parti de ses amis a été laminé au Palais Bourbon et ne compterait plus que 10 % de ses effectifs antérieurs de députés. Aux États-Unis d’Amérique, le nouveau Président Donald Trump a décidé de se concentrer sur l’Amérique avec son fameux slogan d’« America first » ; il est en outre loin d’être un ami de Soros pour éventuellement être influencé par ce dernier. C’est apparemment pourquoi le Président Condé a jeté son dévolu sur deux éminentes personnalités Vladimir Poutine et Xi-Jinping, Présidents de deux grands pays dont l’avis compte sur le plan international et qui pourraient lui apporter leur soutien et leur protection en cas de besoin. Il sait aussi qu’en contrepartie, la Guinée pourrait leur être d’une grande utilité aussi bien pour leur approvisionnement vital en bauxite que pour la place probable qu’elle pourrait jouer dans leur stratégie géopolitique globale, un pays de surcroit connu où ils ont déjà réalisé de nombreuses actions et où ils n’ont pas besoin d’adaptation et d’apprentissage. Voyons comment ces intérêts sont appelés à s’entremêler et à s’impacter les uns sur les autres. Renforcement des rapports avec la Chine S’agissant tout d’abord de la Chine, rappelons que la Guinée a été le premier pays africain à la reconnaitre officiellement en tant qu’État souverain et indépendant et à établir des liens diplomatiques avec elle ; la Guinée a aussi parrainé l’admission de la Chine aux Nations Unies le 25 octobre 1971 au détriment de Taïwan. Les rapports entre les deux pays aussi bien sur le plan politique, diplomatique, économique que socioculturel ont connu un développement dense et soutenu. Dès septembre 1960, le Président Sékou Touré effectua une visite officielle 206

en Chine, visite au cours de laquelle un Traité d’Amitié pour 10 ans a été signé ; Chou En Laï pour sa part se rendit en Guinée à la tête d’une importante délégation en janvier 1964 ; le Général Lansana Conté effectuera lui aussi une visite d’État en Chine en 1986 et le Président Alpha Condé en septembre 2011, en novembre 2015 et en septembre 2017. Ces relations intenses se traduiront par la réalisation par la Chine en Guinée de nombreuses infrastructures, des usines et la fourniture des biens et des services, y compris l’impression de la monnaie guinéenne. Parmi ses réalisations durant la Première République on peut citer entre autres le Palais du Peuple en 1967, l’Entreprise Nationale des Tabacs et d’Allumettes (Enta) en 1969, le barrage hydroélectrique de Kinkon et de Tinkisso respectivement en 1966 et en 1974, l’usine de thé de Macenta. Durant la 2ème République la Chine a notamment construit le Palais Présidentiel entre 1996 et 1998, le Stade de Nongo, l’Hôpital Sino-guinéen de Kipé, la maison de la Radio de Koloma. À partir de 2011 l’action chinoise en Guinée se fera à travers des groupes privés, et ce au détriment de l’Aide publique au développement qui était constituée de dons et de prêts accordés par le Gouvernement chinois. C’est ainsi que des investissements importants ont été réalisés dans le domaine des logements de luxe, dans l’hôtellerie et dans l’énergie. Après la construction du barrage de Kaleta d’une capacité de 240 MW et d’un coût de 500 millions de dollars avec China International Water Energy (CIWE), le gouvernement guinéen a signé avec la même compagnie l’aménagement du barrage de Souapiti d’une puissance de 515 MW pour un investissement de 1,5 milliard de dollars. D’autres compagnies chinoises ont réalisé un hôtel 5 étoiles à Kaloum et des appartements de luxe de Plaza Diamond et des 2 Tours jumelles de Weily Kakimbo de 25 étages chacune. De tels investissements sont d’ailleurs effectués un peu partout en Afrique ; ils proviennent des sommes énormes d’argent générées par l’économie chinoise et qui ont besoin de trouver des placements sûrs dans le monde ; et comme l’Afrique apparait comme étant la partie du monde la plus prometteuse en termes de croissance dans le futur, ces sommes se répandent à une vive allure dans tout le continent. C’est ainsi que les investissements chinois en Afrique ont été multipliés par 50 en seulement 20 ans et ont atteint 85 milliards au 2e trimestre de 2014. Cependant ces opérations tout en étant importantes en terme de rentabilité à terme n’occultent pas l’importance stratégique

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des investissements destinés aux mines et qui concernent directement le futur de ce colosse de l’économie mondiale. En effet, la Chine est passée d’une production d’aluminium de 16 millions de tonnes en 2010 à 31 millions de tonnes en 2016, soit 53 % de la production mondiale, autant dire qu’elle est devenue tout simplement un vorace en matière de consommation de bauxite. Selon le bureau américain « United States Geological Survey », en 2016 la Chine a produit 65 millions de tonnes de bauxite et a importé d’autres 70 millions de tonnes. Pendant ce temps, ses réserves totales de bauxite ne sont actuellement que de 980 millions de tonnes et couvrent à peine 7 ans de ses besoins. La Chine est par conséquent tenue de disposer de sources d’approvisionnement garanties au moment où ses fournisseurs traditionnels, l’Indonésie et la Malaisie, ont décidé d’arrêter l’exportation de bauxite brute afin d’accroitre sa valeur ajoutée. C’est pour cela que la Guinée est apparue comme une alternative sérieuse surtout au vu des conditions incroyablement favorables accordées dans des conditions qui ont fait l’objet de nombreuses critiques, à la société chinoise SMB installée à Boké en 2014. C’est dans cette ambiance que le gouvernement guinéen a signé le 6 septembre 2017 avec la Chine un Accord de prêt pour le financement des infrastructures pour un montant de 20 milliards de dollars entre 2017 et 2036. Les projets ainsi visés sont une raffinerie d’alumine China Power Investment et deux mines de bauxite pour l’Aluminium Corp. of China et China Henan International Corp. Group, la construction de quatre universités régionales, du Parlement guinéen, de la route Coyah-Mamou-Dabola, de l’interconnexion de la Haute Guinée, de la réhabilitation de la voirie de Conakry. Ce prêt sera remboursé à partir des impôts et taxes dus à la Guinée par les entreprises chinoises impliquées dans l’Accord. Cet Accord n’a pas été encore publié et il suscite par conséquent une multitude des questions et d’appréhensions, sur l’existence d’études de faisabilité bancables des projets guinéens, sur des éléments pertinents des futures conventions des compagnies minières chinoises notamment en matière de volumes de ressources bauxitiques des différentes carrières projetées, du rythme de production, des taux d’imposition, du respect de l’environnement, de la gestion de ces carrières, y compris la question des ressources humaines et du niveau d’implication des cadres guinéens. Étant donné que face à toutes ces questions la réponse risque d’être négative, on peut prédire que la mise en œuvre de cet Accord risque de prendre du temps à moins qu’on ne décide d’aller de l’avant comme avec SMB et de 208

passer à l’exploitation des carrières sans s’embarrasser des exigences de la Loi et des intérêts du peuple de Guinée. Au-delà de ces questions de contingence il demeure évident que les intérêts du Président Chinois, tenu d’assurer impérativement l’approvisionnement de ses usines en bauxite et ceux du Président Guinéen désireux d’avoir un allié de poids et disposant d’un levier financier très peu regardant sur la gouvernance des partenaires, coïncident parfaitement et justifient cet Accord qui sera appliqué vaille que vaille, totalement ou partiellement. Cette coïncidence d’intérêts et les relations du passé ne devraient cependant pas nous leurrer sur la signification de ces relations pour la Chine qui considère la Guinée comme un partenaire commercial utile et même indispensable, et non un ami à privilégier en tout lieu et à tout moment ; pour ce géant économique, ses intérêts de la Chine priment toujours sur ses amitiés. C’est pour cela que la réaction de dépit du Président Condé suite à la tournée du Président Xi-Jinping qui n’a pas inclus la Guinée dans son périple africain de juillet 2018 n’était pas le bienvenu et ne produira aucun effet. Il faut d’ailleurs rappeler que cette tournée n’était pas la première ; les deux premières en 2013 et 2015 n’avaient pas non plus inclus la Guinée. Comme leur Président, les Guinéens pourraient ne pas comprendre que leur pays ne récolte pas en termes de reconnaissance et de privilège les fruits de l’amitié Sino-guinéenne du passé alors que des pays tels que le Sénégal et la Côte d’Ivoire qui avaient choisi de privilégier les relations avec Taiwan malgré l’hostilité affichée de la République Populaire de Chine, aient été choisis pour cette visite. Encore une fois la stratégie du Géant asiatique est basée sur une vision dynamique et à long terme de ce que leurs différents partenaires pourraient représenter dans les enjeux diplomatiques à venir ; il est notamment question de ce que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Rwanda signifient en termes d’influence, de crédibilité et de potentialités de croissance ; on est alors dans le domaine de géostratégie et non dans celui des considérations mercantiles ou des souvenirs nostalgiques. La Guinée doit accepter cette évidence du moment en matière des relations internationales pour ne pas tomber dans des frustrations stériles ; elle devra aussi et surtout aller à l’essentiel dans le domaine des relations internationales en adoptant une politique diplomatique cohérente, lisible, animée par des hommes compétents, honnêtes et crédibles.

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Le Retour en force de la Russie en Guinée S’agissant de la Russie, elle aussi est présente en Guinée depuis les premiers jours de l’indépendance et elle a apporté son soutien sans faille à la jeune République ; elle a apporté son aide à la construction des universités, à l’équipement des laboratoires ; elle a fourni des professeurs et offert des bourses à de nombreux jeunes guinéens ; elle a contribué à l’équipement de l’armée, à la fourniture des avions, y compris des avions de combat, elle a formé des cadres militaires. Au point de vue des réalisations, rappelons que c’est la Russie qui a construit entre autres le stade du 28 septembre, l’autoroute Fidel Castro Ruz, les usines de jus de fruit de Mamou et de Kankan, l’Usine de sciage et de contreplaqués de N’Zérékoré. Dans le secteur des mines, la Russie est présente depuis les années 60, à travers des équipes successives de géologues qui ont mené des travaux exemplaires, des travaux qui ont permis une meilleure connaissance du sous-sol guinéen. Aussi glorieuses qu’aient été ces relations cependant, la Guinée a procédé à l’expulsion en 1961 de l’Ambassadeur de l’URSS Daniel Slod accusé d’interférence dans la grève des enseignants. Il aura fallu la visite à Conakry d’Anastase Mikoyan vice-premier ministre Russe pour que la situation se normalise. En 1974 la Russie et la Guinée ont décidé de l’ouverture de la mine de bauxite de Débélé exploitée par OBK pour pouvoir rembourser la dette colossale de la Guinée résultant des importations des biens et services en provenance du premier. À partir des années 90, l’URSS se disloque et laisse la place à la Fédération de Russie où le parti communiste a perdu de son ascendant ; en Guinée aussi des changements importants sont intervenus depuis 1984, le libéralisme économique ayant pris le pas sur le dirigisme et le règne du parti unique. Cette double évolution va jouer sur la forme et le contenu de la coopération des deux pays ; les considérations économiques de rentabilité et de profit prennent le pas sur celles de la solidarité politique, les relations d’affaires supplantent l’Aide publique au Développement et les prêts d’État à État, les compagnies privées deviennent les instruments privilégiés de ces relations. En conséquence la Russie se retire progressivement des secteurs de l’éducation, de la défense pour se concentrer sur les mines par l’intermédiaire de Rusal une multinationale comparable à Alcoa, Rio Tinto, etc. C’est ainsi que dès 2003, Rusal prend le contrôle de la raffinerie d’alumine de Friguia d’une capacité de 600.000 tonnes. Cet opérateur a cependant montré des faiblesses au fil du temps ; il faut en effet 210

déplorer le fait que Rusal n’ait pas toujours tenu parole dans ses engagements contractuels avec le gouvernement guinéen. C’est ainsi que le Protocole d’Accord signé entre le Directeur du Cabinet particulier du Président de la République et qui a conduit à la prise du Décret du 30 mars 2006 autorisant le désengagement de l’État guinéen de Friguia en faveur de Rusal, contenait une clause spéciale par laquelle cette dernière s’engageait à effectuer un investissement de 670 millions de dollars pour augmenter la capacité de production de l’usine ; or rien n’en a été et ce manquement explique dans une large mesure les difficultés techniques qui vont suivre. Par ailleurs, son arrogance va l’amener le 4 avril 2012 à fermer unilatéralement l’usine à la suite d’une grève sauvage du personnel, sans consultation avec le gouvernement sans en informer les travailleurs ; cette fermeture se fera en catastrophe sans même la précaution technique d’usage dans les industries à feu continu et en laissant tout bonnement les travailleurs sur le carreau sans salaire et sans aucun règlement lié à une séparation. C’est seulement deux ans après que les travailleurs ont commencé à recevoir individuellement de leur employeur une somme forfaitaire de 1 million de francs guinéens par mois. L’État versera pour sa part à deux reprises une somme de 1 million de francs guinéens par travailleur, apparemment pour acheter leur patience. Les choses vont en rester là jusqu’en novembre 2016, au démarrage des travaux de restauration de l’usine entrepris par Rusal. La société chargée des travaux, Sinta Prestations, offrira alors à chaque travailleur un CDD avec un salaire qui varie de 6.000 à 13.800 francs guinéens par heure travaillée. Peuton imaginer que dans un pays normal, doté des lois de travail, un investisseur décide de façon cavalière, de fermer une usine sans procéder au règlement de ses travailleurs, sans les mettre formellement en congé ou les licencier en leur donnant leur dû après de nombreuses années de présence dans l’entreprise ? Peut-on imaginer que devant une telle situation l’Etat ait juste croisé les bras et laissé faire ? Autre manquement de la part de Rusal, c’est la remise en cause récurrente des accords conclus ; le 27 juillet 2011 bien qu’elle ait signé avec le gouvernement un Accord qui conditionnait la reprise de Friguia à la confirmation de la cession de la concession de Dian Dian, avec en annexe un plan de production pour l’ouverture d’une mine de 12 millions de tonnes de bauxite et une usine de 2,4 millions de tonnes d’alumine ; dès décembre 2012, Rusal propose et obtient du même gouvernement une modification profonde de l’Annexe 11 de la Convention de Dian Dian ratifiée depuis une dizaine d’années et exige 211

que cette Annexe soit soumise à ratification par l’Assemblée nationale avec les changements suivants : . Le renvoi de la réalisation de la raffinerie à plus tard sans qu’aucune date n’ait été précisée . La quantité de bauxite à produire passe de 12 à 3 millions de tonnes . Dian Dian est autorisé à abandonner la réalisation d’un chemin de fer et d’un port prévus dans la Convention et à utiliser les infrastructures de CBG . Une dérogation à la fiscalité du Code minier est accordée à ce projet Pour résumer disons que pour échapper à la rigueur de la Commission de Revue des Contrats, Rusal en janvier 2011 obtient que l’on conditionne la reprise de Friguia à la confirmation de la Convention de Dian Dian et pas plus tard qu’en décembre 2012 elle exige et impose la modification profonde de cette Convention par le truchement de son Annexe11. Et comme si cela ne suffisait pas, en février 2013, comme on le verra plus loin Rusal poussera plus loin encore son avantage pour modifier à nouveau cette fameuse Annexe afin de rejeter aux calendes grecques la réalisation du Projet Dian Dian avec de profondes modifications en sa faveur. Comment expliquer cette danse de cha-chacha permettant à Rusal de toujours parvenir à ses fins, même les plus inacceptables sinon que cette société dispose en Guinée des clés spéciales lui permettant d’ouvrir les portes les plus hermétiquement fermées. Que le gouvernement tout le long de cet imbroglio ait suivi les désidératas de Rusal me semble moins étonnant que l’option qu’il a choisi de privilégier la relance d’une usine malade qui sera rafistolée à quelques dizaines de millions de dollars sans aucune garantie pour l’avenir, au détriment d’un projet censé apporter à l’économie guinéenne une raffinerie d’alumine de 2,4 millions de tonnes flambant neuf. La raison de ce choix me semble être purement politique compte tenu des pressions de la population de Fria et de la perspective des élections à venir. Bien que je sois sentimentalement lié à Fria où j’ai passé sept ans de ma vie, je crois qu’il aurait été plus pertinent de rechercher une solution plus pérenne, même si cette solution devrait prendre un temps plus long, en reprenant Friguia au compte de la Guinée après son abandon par Rusal et en lançant à l’internationale un projet bauxite-alumine-aluminium suite à la réalisation prochaine du barrage de Souapiti qui fournirait du courant électrique pour la branche aluminium. Dans cette option Rusal serait mise une fois encore face à ses responsabilités pour la réalisation du projet Dian Dian derrière 212

lequel elle a couru depuis des années, en espérant que cette fois-ci elle s’acquitterait correctement de ses engagements. Après cette mise au point rappelons que les va-et-vient de Rusal, avaient fini par indisposer l’opinion publique guinéenne et même le gouvernement et avaient provoqué des décisions et des démarches jusque-là inimaginables, à savoir entre autres, l’application des recommandations du rapport d’audit d’Alex Steward qui lui imputait 836 millions de dollars de dettes, l’annulation pure et simple par le Tribunal de Première Instance de Kaloum de la vente de Friguia, la citation de Rusal à comparaitre devant la Cour Arbitrale de la Chambre de Commerce international de Paris. Bien que certaines de ces décisions avaient été prises durant la Transition militaire, il était nécessaire d’effacer ce souvenir, de repartir du bon pied et de réparer le navire russo-guinéen, tout en conservant à Rusal la position spéciale qui est la sienne en Guinée ; c’est ce qui explique en partie la visite le 14 février 2013 de Sergei Lavrov, Ministre Russe des Affaires étrangères accompagné de Déripaska le patron de Rusal. Je dis en partie, car cette mission devait marquer aussi un renouveau des relations guinéo-russes voulues par les Présidents Poutine et Condé, chacun dans l’optique de sa propre stratégie géopolitique. En effet, Vladimir Poutine rêve de redonner à la Russie sa puissance d’antan en redevenant membre du club très restreint des décideurs ultimes du monde. Il a affiché cette volonté en menant des actions d’éclat et en établissant de nombreuses alliances à travers le monde ; il a ainsi pu maintenir au pouvoir en Syrie le Président Asad malgré la réticence des grandes puissances ; il a annexé la Crimée sans que l’Europe et l’Amérique n’aient pu faire quelque chose ; il a pu établir des relations politiques et militaires avec le Général Aftar l’un des hommes incontournables de la crise libyenne ; il a été accusé d’avoir interféré dans les dernières élections présidentielles aux États-Unis en faveur du candidat républicain alors qu’une enquête est en cours autour d’une collusion supposée entre la Russie et l’équipe de Trump ; il vient enfin durant ce mois de décembre 2017 de faire lever par le Conseil de Sécurité de l’ONU l’embargo d’armes qui frappait la République Centre Africaine et de signer avec le gouvernement de ce pays un contrat d’armement dont la livraison a déjà commencé. Allant plus loin elle y dispose désormais d’une mission militaire bien équipée et qui apparemment renferme en son sein des conseillers, y compris la garde rapprochée du président. Dans ce cadre il a dû réaliser qu’il serait 213

intéressant pour sa stratégie de revenir en Guinée, pays d’Afrique de l’Ouest située à quelques encablures de l’Europe occidentale, pour réoccuper la place qui était la sienne avant la dislocation de l’Empire russe. De son côté Alpha Condé serait heureux de pouvoir compter sur un leader audacieux et opiniâtre de la trempe de Vladimir Poutine qui pourrait défendre ses points de vue et sa politique en cas de besoin. L’autre aspect de la mission de Lavrov consistait aussi à baliser le chemin devant conduire à une telle alliance. D’ores et déjà il va pouvoir signer à Conakry un Protocole d’Accord qui donne satisfaction sur toute la ligne à Rusal et qui porte sur les points suivants : . Abandon de la dette de 836 millions de dollars . Amendement de nouveau de l’Annexe 11 de la Convention de Dian Dian qui délie Rusal de ses engagements contractuels . Promesse de reprise de Friguia Cette péripétie sera suivie par la visite du Président Alpha Condé et d’une délégation du Parlement guinéen qui venait adopter en procédure d’urgence, malgré le vote négatif des députés de l’opposition, la ratification du nouvel amendement de l’Annexe 11 Cette visite s’est traduite par un Accord signé en septembre 2017 qui prévoit : . La construction de quatre hôpitaux universitaires dans les quatre régions de la Guinée . La réalisation d’une raffinerie d’alumine à Dian Dian qui n’est que la confirmation d’un vieil Accord . La construction de 6 garnisons militaires et de 3 écoles de formation d’officiers supérieurs . L’équipement et la formation d’officiers de la marine . La construction d’un camp de la marine Ainsi comme on le voit la Russie reprend après plusieurs années sa coopération avec la Guinée au niveau de l’enseignement supérieur, de l’armée et de la santé, ce qui constitue le prélude à des relations renforcées. Si l’intérêt personnel des deux Présidents est ainsi préservé on peut se demander qu’en est-t-il de celui des deux pays ? Du côté de notre partenaire, Rusal a bien tiré son épingle du jeu et stratégiquement parlant l’implication des Russes dans les secteurs de l’éducation et de l’armée constituent une percée décisive en sa faveur. Du côté de la Guinée en dépit des larges avantages accordés à Rusal, elle pourrait aussi trouver son compte si l’Accord devait se matérialiser dans son intégralité. 214

Cependant, nonobstant la fin de la guerre froide, ces rapprochements accompagnés des discours anti-impérialistes du président Condé pourraient jeter un froid entre ce dernier et l’Occident et provoquer quelques crocs-en-jambe de la part des Européens et des Américains. Après l’argent et les alliances à l’extérieur, on peut à présent aborder la 3e dimension de la stratégie d’Alpha Condé qui va emprunter comme élément de base de sa politique la philosophie politique de Sékou Touré. INFLUENCE DE L’IDÉOLOGIE ET DE LA POLITIQUE DE SÉKOU TOURÉ SUR ALPHA CONDÉ Le premier Président de la Guinée indépendante semble bien être le modèle politique d’Alpha Condé, et ce en dépit de ses écrits et de ses affirmations. Il a été condamné à mort par contumace par le régime de Sékou Touré ; il a écrit Guinée, « Albanie d’Afrique ou Néo colonie Américaine », un pamphlet accusateur contre Sékou et son régime, mais aussi de nombreux articles et des interventions dans des meetings contre lui. Dans les années 60 et 70, il a été de tous les combats pour dénoncer le gouvernement de Conakry. C’était l’air du temps pour les intellectuels et notamment les étudiants, de dénoncer la dictature, les arrestations arbitraires, les assassinats qui se déroulaient à Conakry ; il ne pouvait pas en tant que dirigeant animé d’une grande ambition se permettre d’émettre une voie divergente. Dès qu’il est revenu en Guinée et que parmi ses alliés du moment il a senti une réelle nostalgie de Sékou Touré, il s’est débarrassé du masque d’emprunt pour laisser entrevoir ses sentiments réels et surtout son admiration pour le Premier Président de la Guinée. Pour commencer, il a déclaré publiquement « qu’il reprendrait la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée » ; il utilisera ensuite le slogan « Guinée is back » sous-entendu que la Guinée après avoir disparu des radars de la Communauté internationale suite à la mort de Sékou Touré, revenait grâce à lui Alpha Condé. Ces paroles vont être corroborées par certains de ses gestes et de ses postures qui vont s’inspirer constamment de Sékou tout en s’abstenant néanmoins de le nommer. Bien qu’une période d’une quarantaine d’années sépare leur règne et en dépit de tous les changements intervenus dans le monde suite à la disparition du camp socialiste, au triomphe du libéralisme économique, à l’avènement du multipartisme et de la démocratie, le Président Condé ne manque jamais l’occasion d’emprunter la rhétorique d’Ahmed Sékou Touré. En effet, il parle souvent de l’occident avec lequel il faut couper le cordon 215

ombilical, il lie le retard de la Guinée à la colonisation française. Il dénonce sans arrêt les forces rétrogrades que sont les cadres corrompus et ses adversaires politiques qui sont la cause d’échec de son gouvernement. Il fait des promesses mirobolantes sans lendemain. Sa réticence à mettre en place une Commission Justice, Paix et Réconciliation pourrait être en partie dictée par le souci de ne pas égratigner son modèle et ses partisans. Il est par ailleurs remarquable que les deux Présidents aient aussi en partage la phobie de la séparation des pouvoirs que Sékou Touré a réduite à néant et qu’Alpha Condé a vidé de sa subsistance, la haine que l’un et l’autre vouent à leurs opposants ; pour l’un ils ne sont que des traitres ennemis de la nation, pour l’autre des ennemis du progrès de la Guinée dont il faut se débarrasser d’une façon ou d’une autre. Ils ont aussi en partage la méfiance vis-à-vis des médias, exclusivement publics et sous ordre du temps de Sékou Touré, ensuite diversifiés par l’apparition des organes de presse privés ; Alpha Condé va conserver l’exclusivité des médias publics à son gouvernement, excepté durant les élections, et maintiendra la différence de traitement entre les médias d’État et ceux du privé qui se plaignent d’être marginalisés et même victimes d’arbitraire. Une autre similitude se situe au niveau du rôle de l’État en matière d’économie. Tous les deux privilégient l’État providence qui est impliqué dans la production des biens, qui emploie, distribue et transporte. On se souvient des FAPA, des magasins généraux, des banques et Sociétés d’assurance d’État avant 1984. Le Président Condé dès sa prise de pouvoir a quant à lui interdit aux paysans la vente de leur riz au marché et ouvert des magasins pour acheter l’intégralité de leur production. À Conakry il a interdit les transactions domaniales entre les citoyens, tout revendeur de terrain devant le faire au gouvernement ; il a par ailleurs décrété la réhabilitation des usines de la Première République, alors qu’à la mort de Sékou Touré à peine 30 % d’entre elles marchaient encore grâce à des lourdes subventions du Trésor public ; il devra, malgré son intime conviction très rapidement abandonner ces idées révolutionnaires face à la réticence des citoyens Une autre ressemblance des deux hommes, c’est le recours à tout propos de la force comme outils pour résoudre les questions les plus simples et les plus banales. Tous les deux mettent aussi plutôt l’accent sur la politique extérieure au détriment des actions intérieures et ils passent beaucoup de temps à voyager, sauf durant la période qui s’étend entre 1970 et 1978 pour 216

Sékou Touré, compte tenu d’une campagne internationale intense contre son régime. Le débat pour ou contre les voyages incessants des chefs d’État est loin d’être clos, certains estimant que ces voyages permettent de faire connaitre le pays et d’y emmener des investisseurs, d’autres soutenants que ces voyages lorsqu’ils sont fréquents se font finalement au détriment des populations laissées à leur sort ; on a vu des chefs entamer des voyages ou bien les continuer alors qu’il y a des incidents graves ou des catastrophes qui se produisaient dans leur pays, montrant ainsi une insensibilité inacceptable face à la souffrance de ceux qui l’ont élu. Je pense quant à moi qu’il y a un certain équilibre à respecter, car voyager trop souvent pourrait éloigner le chef des préoccupations quotidiennes de ses concitoyens, rester confiné au pays pourrait se traduire par un isolement du pays. Une autre preuve de la proximité d’Alpha Condé avec son modèle c’est le poids que les caciques du PDG ont pris au fur et à mesure dans les arcanes de la Présidence Conté, notamment dans la prise des décisions majeures et l’attitude du Président en général. Cette situation pourrait s’expliquer par la nostalgie de Sékou Touré qui prévaut aujourd’hui encore dans les fiefs électoraux d’Alpha Condé et aussi par la présence notable des anciens cadres de la Première République, notamment dans les services de sécurité actuels. Cette influence marquée de Sékou Touré sur Alpha Condé va impacter profondément comme on le verra dans les lignes qui suivent la politique de ce dernier.

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CHAPITRE V : La Gouvernance du Président Alpha Condé La gouvernance d’un pays s’illustre à travers le respect des Lois et des Institutions de ce pays ainsi que des pratiques mises en place pour mobiliser de façon optimale des citoyens égaux en droit et en devoir, bénéficiaires d’une bonne sécurité pour eux-mêmes et leurs biens ; cette gouvernance porte aussi sur l’organisation et le soutien des entreprises opérant dans le pays, en vue de satisfaire les besoins de la population dans le domaine de l’alimentation, de l’éducation, de la santé et des loisirs, pour le présent et l’avenir ; on parlera de bonne ou de mauvaise gouvernance en fonction du niveau atteint dans la réalisation de ces objectifs. Le présent chapitre se propose d’examiner dans ce cadre le type de gouvernance observé par le Président Alpha Condé dans le domaine politique, économique et socioculturel.

A. DANS LE DOMAINE POLITIQUE POLITIQUE INTÉRIEURE Dans le domaine politique, examinons l’attitude et les pratiques du Président Alpha Condé en matière de respect de la Loi, de la Constitution et des droits de l’homme, de même que les conditions d’organisation des élections. Le Président Alpha Condé face au respect de la Constitution Concernant le respect de la Loi et de la Constitution, on constate que le Président a souvent eu tendance à prendre quelques libertés face à ces questions pourtant fondamentales. - Lors de ses prestations de serment qui ont précédé chacune de ses mandatures en 2010 et 2015, il a juré de respecter la Constitution et de la faire respecter. Or, non seulement il n’a pas respecté certaines obligations auxquelles est soumis le Président de la République, mais aussi il s’est abstenu de défendre la Constitution lorsqu’elle a été violée. En effet, alors que l’Article 45 de la Constitution dit que « le Président 219

de la République est au-dessus des partis politiques », il est aujourd’hui encore le président de son parti le RPG/ARC-EN — Ciel dont il préside quelquefois les Assemblées générales et les réunions du Bureau Politique national. Le 5 mars 2016, il n’a pas hésité à aller présenter ses excuses aux militants du parti qui se plaignaient de ne pas recevoir la part du gâteau qui leur est due en matière des retombées matérielles du pouvoir, une revendication qui souligne toute l’équivoque résultant de la présence du Chef de l’État à la tête du parti. Cette anomalie qui perdure depuis sept ans aurait dû être relevée par la Cour Constitutionnelle en vue d’une correction appropriée. En Côte d’Ivoire Alassane Ouattara en prévision de son accession programmée à la tête de son parti avait introduit un amendement de la Constitution devant permettre ce cumul ; il renoncera finalement à cette perspective, mais aura montré quand même le souci qu’il avait de respecter la Constitution. - Alors que l’Article 36 de la Constitution stipule en son aliéna er 1 : « qu’après la cérémonie d’investiture et à la fin de son mandat, dans un délai de quarante-huit (48) heures, le Président de la République remet solennellement au Président de la Cour Constitutionnelle la déclaration écrite sur l’honneur de ses biens. Les ministres avant leur entrée en fonction et à la fin de celle-ci déposent à la Cour Constitutionnelle la déclaration sur l’honneur de leurs biens. La déclaration initiale et celle de la fin de mandat ou des fonctions sont publiées au Journal officiel. La polémique autour de ces déclarations continue de nos jours encore aussi bien en ce qui concerne le président que ses ministres. - Un autre manquement au respect de la Constitution concerne son Article 10 qui stipule que « tous les citoyens ont le droit de manifester et de cortège » ; cette exigence n’a malheureusement été respectée qu’épisodiquement comme on le verra plus loin. - En plus de ces violations directes de la Constitution, le Président de la République s’est abstenu à plusieurs occasions de défendre cette même Constitution lorsqu’elle était attaquée par des citoyens, alors que l’Article 35 précise dans le texte du serment que devra prononcer le Président de la République élu à l’occasion de sa prestation inaugurale, ce qui suit : « moi Président de la République élu conformément aux Lois, je jure devant le Peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution, des Lois et des décisions de justice, de défendre les

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Institutions Constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale ». L’Article 89 de la Constitution stipule « que le Gouvernement est tenu de fournir à l’Assemblée nationale toutes explications qui lui seraient demandées sur sa gestion et sur ses activités », or une ministre de la République lors d’une séance de questions et réponses à l’Assemblée nationale le 18 avril 2017 a refusé de fournir des explications sur les contrats de gré à gré conclus par son Département. Malgré les suppliques et les discussions qui ont suivi, elle est restée sur sa position de refus. Apparemment, les choses en sont restées là et la ministre en question n’a subi aucune sanction. L’Article 4 de la Constitution dit pour sa part que la Loi punit quiconque par un acte de discrimination raciale, ethnique, religieuse, par un acte de propagande régionaliste, ou par tout autre acte, porte atteinte à l’unité nationale, à la sécurité de l‘État, à l’intégrité territoriale de la République ou au fonctionnement démocratique des Institutions. On a cependant entendu un personnage dépourvu de tout mandat électif, de toute fonction officielle, dénier publiquement à tout citoyen en provenance d’autres régions du pays de se mêler des affaires de sa Région, la Basse Guinée comme s’il s’adressait à des étrangers venus en Guinée ; ces déclarations faites en présence de nombreux officiels et qui mettaient directement en cause l’unité nationale n’ont fait l’objet d’aucun rappel à l’ordre ni de poursuites comme il se devait. De la même manière lors d’une réunion publique en 2011 à Guéckédou, le Préfet de cette localité a déclaré que « les Peulhs et les Forestiers sont des tortues, pour qu’ils sortent la tête, il faut leur chauffer le c… » Une telle insulte à deux communautés importantes de la Guinée est restée impunie malgré le choc, l’humiliation et le sentiment de rejet ressenti par les populations concernées ; le Préfet est resté Préfet et il a continué sans entrave sa carrière administrative. Sa hiérarchie et notamment le Président de la République garant de l’unité nationale n’aurait-il pas dû réagir ? Autre interrogation, alors que le Président Alpha Condé est à son poste depuis plus de 7 ans, la Guinée reste toujours dépourvue de la Haute Cour de Justice, un chainon important de l’État démocratique destiné en particulier à sanctionner l’Exécutif en cas de faute grave. En effet conformément à l’Article 118 « LA Haute Cour de Justice est compétente pour juger les actes accomplis dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions.

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Comment se fait-il qu’une telle Institution destinée à empêcher que le Pouvoir exécutif n’évolue sans contrôle et ne verse dans l’arbitraire, ait tardé à voir le jour ? C’est tout d’abord à cause du silence de la Constitution qui n’a pas formellement prévu de délai pour sa mise en place comme cela a été le cas pour la Cour Constitutionnelle et la Cour des comptes. Il faut en second lieu constater que le Président de la République n’a pas inscrit cette action dans ses priorités. Pourtant la Haute Cour de Justice est essentielle dans la survie de la démocratie. Compte tenu des manquements constatés plus haut, manquements qui vont contribuer grandement à l’affaiblissement dans l’esprit des Guinéens du respect quasi religieux que la Constitution devait revêtir et ouvrir par la même occasion la porte à d’éventuels tripatouillages fatals à la Loi fondamentale et à la stabilité de la Guinée. Ce qui est plus troublant c’est la coïncidence de cette tendance permissive face à l’application de la Constitution et des discours en cours dans certains milieux où la légitimité de la Constitution est tout simplement mise en cause, sous le prétexte qu’elle aurait été élaborée par une Assemblée non élue et qu’elle n’aurait jamais été soumise à un référendum pour la validation populaire. N’eût été la gravité des conséquences que pourrait engendrer un tel discours, il aurait juste mérité un haussement d’épaules, du fait que cette légitimité est remise en cause après sept ans de bons et loyaux services, ayant notamment permis d’élire non seulement un Président de la République à deux reprises, mais aussi une Assemblée nationale encore en place et des conseillers municipaux. Autant dire qu’il est plus qu’urgent de procéder à la mise en place de la Haute Cour de Justice qui pourrait permettre d’arrêter à temps toute dérive constitutionnelle. Toujours concernant les Institutions prévues dans la Constitution, il est regrettable que celles qui ont vu le jour aient, soit soulevé des critiques qui ont largement entamé leur crédibilité, soit connu des crises majeures. Les critiques en question portent essentiellement sur la proximité des Présidents de ces Institutions avec le Chef de l’État. En effet la Présidente de la Haute Autorité de la Communication n’est autre que la Directrice de communication du candidat Alpha Condé aux élections présidentielles. Le Président de la Cour des comptes pour sa part est l’ancien ministre des Finances, ordonnateur du budget national pendant ces trois dernières années ; beaucoup d’observateurs ont estimé qu’il était indécent de lui confier le contrôle de ces comptes et même des comptes précédents durant la mandature du Président Condé, car avant de devenir ministre des Finances, il avait assumé sans 222

discontinuité les fonctions de Directeur du budget, puis de ministre du Budget. S’agissant des crises au sein des Institutions, il faut noter que les commissaires de la CENI, après des mois de tension ont finalement voté le départ de leur Président au profit d’un membre de la cabale, à l’origine de la crise. À la Haute Autorité de la Communication le conflit entre la Présidente et un membre de son organisation a été tranché par les tribunaux. À l’Institution Nationale indépendante des Droits Humains, l’Assemblée générale appelée à renouveler son bureau exécutif s’est déroulée sous la présidence du Conseiller du Président de la République chargé des Institutions ; cette Assemblé a élu un Président qui avait auparavant quitté cette organisation, pour rejoindre la Cour Constitutionnelle, bien qu’il ne remplissait pas les conditions d’âge requis ; il revenait à présent sans aucune procédure, sans aucun nouveau mandat, se proclamer de nouveau membre de l’Institution et candidat à sa présidence après que le tirage au sort l’ait éjecté de la Cour Constitutionnelle. Alors que des critiques fusaient de partout à propos de l’irrégularité de l’élection, le Président de la République a tout bonnement signé, deux jours après un Décret le confirmant comme président de l’INIDH. Quel est ce pays où on peut à sa guise sortir d’une Institution, puis revenir incognito, sans susciter un phénomène de rejet ou un rappel à l’ordre ? Au niveau de la Cour Constitutionnelle, on a assisté à une série de crises opposant le Président de cette Institution à ses collègues ; ce fut d’abord à l’occasion du renouvellement du premier tiers des conseillers ; sept conseillers ont soutenu à l’occasion que le Président devait faire partie de ce tirage, alors que la Constitution indique clairement qu’il est élu pour neuf ans. Cette crise semble être très grave pour l’avenir, car comment peut-on expliquer que les magistrats chargés d’examiner les contentieux électoraux complexes et sensibles trébuchent sur l’interprétation de leur mode de renouvellement ? Une autre crise en septembre 2018 a conduit à la destitution illégale du Président par ses pairs et l’élection d’un nouveau Président. Cette foisci encore, huit conseillers se sont donné des pouvoirs qu’ils n’avaient pas et ont choisi une procédure illégale pour commettre leur forfaiture. Ces crises ont révélé une multitude de failles qui ont enlevé toute crédibilité à cette Institution ; il est apparu d’une part que les conseillers manquaient de maitrise dans l’interprétation de la Constitution alors qu’il s’agit là de leur mission première, ensuite que certains parmi eux

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ne remplissaient même pas la condition d’âge pour être membre de la Cour et étaient de ce fait des illégaux. La Cour Constitutionnelle qui était censée être la clé de voûte de la démocratie guinéenne a perdu sa crédibilité et risque d’être plus un objet de doute que de confiance. En effet quel candidat perdant à une élection accepterait le verdict d’une telle Cour. Comment en est-on arrivé là ? S’agit-il de l’incompétence des magistrats membres ? De la manifestation d’ambitions mal contenues de personnes dont la sélection a reposé plus sur l’accointance et le parti pris que sur la qualification, l’expérience et la rigueur et qui se disent chacun dans son for intérieur qu’ils peuvent aller toujours plus haut quitte à bousculer les supérieurs et à ne leur faire aucun cadeau ? Ou bien des opérations de manipulation en vue de déstabiliser l’Institution et du même coup son premier responsable ? Quelle que soit l’interprétation choisie, le mal est fait et s’apparente à un crime contre la Guinée, crime où l’intérêt personnel a primé sur celui de la Nation et qui pourrait se traduire par des conséquences graves. Ce rapide survol du fonctionnement des Institutions Républicaines conduit à la conclusion que dans l’état actuel de leur fonctionnement ces Institutions ne sont pas en mesure de remplir correctement leur mission. Après l’examen de l’attitude du gouvernement face au respect de la Constitution, on pourrait à présent se tourner vers sa politique en matière des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Le Président Alpha Condé et Le Respect des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales Les Articles 5, 6, 7, 8, 9 et 10 de la Constitution définissent le caractère sacré de la personne humaine et de sa dignité, la liberté de croire, de penser et de professer sa foi religieuse, d’exprimer ses opinions politiques et philosophiques, de bénéficier de la garantie de l’égalité des êtres humains devant la Loi, de n’être arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu d’une loi antérieure aux faits reprochés, le droit de tous les citoyens de manifester et de cortège. Pour notre propos et dans un souci de synthèse, nous avons choisi de concentrer notre développement sur les droits de manifester, d’être informé, d’être protégés comme illustrations de la politique du gouvernement du Président Alpha Condé en matière de respect de la Loi et du Droit. - Le droit de manifester a été sans nul doute celui qui a posé le plus de problèmes en Guinée entre 2010 et 2017. Au début de novembre 2018, les partis de l’opposition politiques ont comptabilisé pour cette 224

période un total de 100 morts et de nombreux blessés tombés lors de leurs manifestations. Les marches qui ont ponctué la grève des enseignants en février 2017 quant à elles ont enregistré 8 personnes tuées et 50 blessés et celles qui ont accompagné la grève des mêmes enseignants entre le 13 novembre et le 11 décembre 2017, ont connu pour leur part 2 morts. Les interventions des forces de l’ordre à Dalakpaye le 4 mai 2016 ont causé 25 morts ; une autre intervention nocturne à Zogota en juillet 2016, fera pour sa part un nombre indéterminé de morts, de blessés et des maisons incendiées. Toutes ces tueries des citoyens guinéens souvent innocents, dont le bilan est loin d’être exhaustif, n’ont fait l’objet d’aucune enquête, d’aucune arrestation, d’aucun emprisonnement des coupables des tueries. Il s’agit là de la manifestation évidente de l’impunité dont jouissent les forces de l’ordre et de l’encouragement tacite à perpétrer d’autres crimes et à contribuer en même temps à enraciner davantage la culture de l’impunité dans le pays. - Concernant le droit à la justice, il s’agit du fondement et de la condition sine qua non de l’application et de la promotion de tous les autres droits de l’homme, car sans justice point de garantie pour jouir de ces droits. Malheureusement, malgré tous les efforts faits par le gouvernement pour équiper les palais de justice, pour qualifier les magistrats et améliorer leurs conditions de vie et de travail, la Justice continue à être mal perçue par l’opinion publique ; elle est jugée incompétente et surtout corrompue. Dans son billet publié dans le journal Indépendant No 1234 du 23 février 2017 Walaoudou Bilivogui affirme : « dans ma Guinée d’aujourd’hui la justice est si partiale que le citoyen non nanti a peu de chance de gagner un procès. Ce que lui confirme un magistrat qui lui disait un jour, nous autres juges mangeons dans les deux mains, celle du plaignant et celle de l’accusé. Dans ce cas me dis-je c’est le plus offrant qui remporte le procès ». Cette perception largement partagée chez les Guinéens pourrait expliquer la répétition des vindictes populaires et des jugements extra judiciaires. À ce propos Mamady Kaba, ancien président de l’Institut National indépendant des Droits de l’Homme (INIDH) fera remarquer avec juste raison dans le journal indépendant du 30 mars 2017 que « si vous n’offrez pas la justice à la population, elle se l’offrira elle-même ». L’un des derniers exemples de la justice populaire est fourni par N’Zérékoré où trois voleurs d’un sac de riz ont été lynchés par la population en janvier 2017.

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En plus de ces règlements de compte d’un autre âge auxquels il faut mettre fin, notre justice est appelée à un rendez-vous historique qui pourrait lui donner ses lettres de noblesse ou lui coller un stigmate pour les années à venir, il s’agit du procès des massacres du 28 septembre 2009 ayant entrainé plus de 150 morts, des milliers de blessés et le viol en plein air de nombreuses femmes. Le ministre de la Justice a annoncé la clôture du dossier le 28 septembre 2017 et la prise de l’ordonnance de renvoi le 29 décembre 2017. Malgré cette avancée notable après 8 ans d’instruction, des doutes sont encore permis sur la capacité de la justice guinéenne à mener à bien un procès aussi lourd et complexe. En effet, il demeure permis de se poser des questions sur la volonté politique du gouvernement à accompagner la justice à bon port. En effet dans un discours prononcé le 25 octobre 2016 à l’île de Kassa le Président Alpha Condé aurait demandé aux Blancs d’abandonner l’Affaire du 28 septembre, sousentendu que ce dossier est surtout supporté et soutenu par l’occident oubliant que les victimes sont guinéennes et qu’elles attendent réparation. Par ailleurs dans une interview à Jeune Afrique, répondant à un journaliste qui l’interrogeait sur ce procès, il a répondu tout de go que les préoccupations des Guinéens c’est d’abord l’eau et l’électricité. Certes l’eau et l’électricité continuent de préoccuper sans pour autant étayer la soif de justice des victimes, de leur famille et de toutes les personnes éprises de justice. L’autre source d’inquiétude demeure le fait que plusieurs cadres mis en examen dans l’affaire continuent encore à occuper des fonctions importantes au sein du Gouvernement et des Agences gouvernementales et le fait aussi que ces personnalités jouissent d’une réelle influence dans l’opinion et dans l’armée ; deux d’entre elles viennent d’ailleurs à la dernière minute d’être lavées de toutes les charges qui pesaient sur elles, à la surprise des avocats de la partie civile. Il semblerait aussi que le crime du 28 septembre vient d’être requalifié par la justice guinéenne qui aurait abandonné le qualificatif de crime contre l’humanité à la faveur de crime ordinaire. L’avenir nous dira si ces inquiétudes étaient fondées. - Quant au droit à la protection des citoyens et de leurs biens, il s’agit d’une urgence réelle compte tenu de la situation d’insécurité généralisée dans le pays, attaques des domiciles, vols à main armée, prolifération des coupeurs de route, kidnappings. En novembre 2016, une dizaine de bandits fortement armés sont venus attaquer la résidence du Préfet de Coyah ; après avoir neutralisé la garde de nuit, ils ont blessé 226

le Préfet et ont emporté tout ce qui était facilement transportable ; cette attaque du domicile du premier représentant de l’État dans la localité, de même que la disparition sans trace de ces bandits a montré avec éloquence la vulnérabilité de tous les Guinéens qui vivent dans l’anxiété permanente et la peur. Il en est de même des cas d’enlèvements d’opérateurs économiques ou des membres de leurs familles. Au-delà de cette menace permanente née de la fragilité évidente de l’État, on est en droit de craindre l’apparition en Guinée d’autres types de banditisme plus pernicieux, connecté celui-là à des réseaux plus globaux qui pourraient s’attaquer non seulement à nos biens, mais aussi à nos valeurs, à nos croyances et à notre raison de vivre ; il est plus qu’urgent que les autorités combattent avec détermination le mal actuel en vue de prévenir le cauchemar qui vient juste d’être évoqué. - Pour ce qui est du droit d’être informé, il y a lieu de noter que des progrès importants ont été réalisés en Guinée dans ce domaine ; comme il a déjà été souligné, nous devons rendre grâce au Général Conté qui a libéralisé les ondes, les publications et tous les moyens de communication. Durant la Transition la Loi sur la dépénalisation des délits de presse des médias a été l’autre étape majeure dont ont bénéficié les médias et par ricochet leurs lecteurs. Face ce droit vital à la démocratie, Alpha Condé a hérité à la fois de cet acquis brillant, mais aussi hélas d’une pratique moins glorieuse qu’il a fait sienne, consistant à dénier à l’opposition, à l’exception des rares périodes électorales, l’accès aux médias publics pourtant financés et entretenus par l’argent du contribuable. En dehors de cette entorse grave à la Loi, le Président Condé a maintenu depuis son arrivée au pouvoir des rapports plutôt ambigus et équivoques avec les médias privés. On se souvient de l’acharnement heureusement vain qu’il a déployé pour faire partir de la Guinée Bah Mouctar, le correspondant de RFI. Et pourtant il n’hésite pas à évoquer souvent avec reconnaissance le rôle positif et déterminant que les journalistes ont joué pour le soutenir dans sa lutte d’opposant, notamment durant le temps de son incarcération. Il est aussi conscient du rôle prééminent de la presse en démocratie, de sa capacité à mettre à la lumière un leader politique et aussi des nuisances qu’elle pourrait causer à un homme politique qui a de grandes ambitions. Il sait par conséquent qu’il a besoin des journalistes et qu’il aurait tort de se heurter à eux sans raison valable ; c’est pour cela qu’il les invite à diner, il les convie même à prendre part à ses visites officielles à l’extérieur, il offre aussi à certains d’entre eux de façon tout à fait illégale des 227

enveloppes d’argent. Lorsqu’il est fâché, il n’hésite pas aussi à les tancer et même à les menacer. À l’occasion des Assises de l’Union de la Presse francophone le 25 novembre 2017, il n’a pas hésité à déclarer devant 330 de leurs coreligionnaires que les journalistes guinéens « manquent de professionnalismes » ; il avait aussi profité de l’occasion pour menacer de fermeture toute radio qui ferait passer un communiqué d’Aboubacar Soumah, le meneur d’une grève qui était en cours dans l’enseignement. Le 3 mai 2018, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse, il n’a pas hésité à s’en prendre aux journalistes qui n’ont pas selon lui défendu la Guinée pour empêcher que son classement 2018 chez « Reporteurs sans frontières » régresse au 104e rang ; il a attribué cette contre-performance aux journalistes qui ont donné une mauvaise image de la Guinée et a annoncé que la réponse à la question de savoir qui a contribué à salir la Guinée est un préalable à toute assistance de l’État à la presse ; rien n’y a fait, en 2019 la Guinée est passée à la 107e place sans que les menaces n’aient pu faire quelque chose. Son aversion de la critique même bien fondée, sa volonté de tout dominer, de tout contrôler, le conduit tout simplement de l’amitié à l’hostilité, n’hésitant pas alors à s’en prendre à ses amis de la veille pour les critiquer et leur lancer des menaces. Une telle attitude qui souffle le chaud et le froid fait penser à cet insecte bien connu de chez nous et que les peuhls appellent « ngata woutta » qui vous mord puis souffle du froid sur la morsure qu’il vous a administrée, vous laissant un sentiment d’inconfort, de fragilité et d’appréhension, un sentiment qui pourrait être celui que ressentent les journalistes après de tels épisodes. En fait ce qu’il aurait souhaité c’était d’avoir des griots chantant sa gloire et l’exemplarité de sa politique tout en masquant les couacs constatés sur le terrain. Cette relation en dents de scie avec la presse continuera à l’avenir à nous livrer ses péripéties sans grandes conséquences tout compte fait pour le journalisme en Guinée, car je doute fort que le Président aille au bout de ses invectives et remette en cause les Lois existantes. Après la revue de l’observance de la Loi et des droits de l’homme, quelle va être la politique du Président Alpha Condé dans le domaine de l’organisation de l’État ? L’organisation des élections Depuis 2010, la Guinée semble être prise en otage par la problématique des élections ; elle a été en permanence le théâtre des 228

luttes politiciennes, des manifestations de rue suivies des violences, des discours haineux et des invectives ; elle a donné l’impression d’avoir mis les problèmes de développement entre parenthèses pour se consacrer en permanence à la politique. Dans cette logique les élections ont connu des reports incessants et injustifiés ; c’est ainsi que les élections locales prévues en 2010 ne seront organisées que le 4 février 2018 ; les élections législatives prévues immédiatement après les présidentielle en 2010 n’ont eu lieu que le 28 septembre 2013 ; elles ont donné 78 députés à la mouvance présidentielle, dont 53 pour le RPG/Arc-en Ciel le parti du président et 51 députés à l’opposition. Les élections présidentielles d’octobre 2015 ont donné quant à elles 57 % des suffrages au président sortant qui sera élu au premier tour. Les élections législatives de même que les présidentielles feront l’objet de vives contestations ; des manifestations de rues entrainant des morts d’hommes iront crescendo pour culminer à la marche de septembre 2016 qui enregistrera selon les observateurs un million de marcheurs ; ce qui entrainera la reprise du dialogue intermittent noué entre le gouvernement, la mouvance et l’opposition depuis 2010 et qui va aboutir en octobre 2016 à un accord portant non seulement sur la date de la tenue des élections locales, mais aussi sur les conditions d’organisation des élections. Cet accord qui rappelons-le impliquait aussi bien le gouvernement, la mouvance et l’opposition et qui ne peut donc pas être accusé de parti pris a été un véritable révélateur des maux qui entravent le système électoral guinéen ; il a notamment mis le doigt sur les faiblesses de l’organisation et a préconisé des solutions pour y remédier ; à ce propos il a énuméré pèle mêle le manque de sincérité du fichier électoral qui a besoin d’un nettoyage, l’accès inégal des candidats aux médias d’État, l’utilisation abusive des moyens de l’État, le manque de neutralité des agents de l’État, la nécessité de reformer la CENI et d’identifier les auteurs des crimes et exactions commis à l’occasion des manifestations politiques. Une autre pomme de discorde a concerné tout le long les manœuvres douteuses de la CENI autour du recensement électoral, de la carte électorale définissant le nombre et la localisation des bureaux de vote dont le nombre a augmenté entre 2010 et 2013 de 120 % à Kankan et de 101 % à Siguiri, deux fiefs du parti du Président, alors que cette progression n’était que de 12 % à Labé, 0,7 % à Koubia, deux circonscriptions favorables à l’opposition ; ces manœuvres porteraient aussi sur le taux des votants par rapport à la population, taux qui a connu une augmentation défiant toute logique démographique et sociologique, 229

en passant de 40 % en 2010 à 55 % en 2016 et même à 64 % dans les zones réputées acquises au gouvernement, alors que ce taux se situe à 35 % en moyenne dans la sous-région, phénomène traduisant l’ampleur de l’enrôlement abusif des électeurs même parmi les mineurs ; une autre méthode de tricherie se situerait au niveau des opérations de vote et porterait sur le taux des votants qui a été en moyenne de 40 % au niveau national et 65 % dans les fiefs du parti du président avec même des pics de 96 % à Mandiana, reflétant un bourrage systématique des urnes. Les élections locales ont finalement eu lieu le 4 février 2018 dans 342 circonscriptions électorales et pour 7000 candidats ; cependant le processus devant mener aux résultats définitifs n’est toujours pas à son terme en mai 2019. Comme les élections précédentes, celles-ci ont été dénoncées par tous les partis excepté le RPG/Arc-En Ciel. Les mêmes maux produisant les mêmes effets, l’opposition a organisé des manifestations qui ont été suivies de 15 morts selon Amnesty International. Ces confrontations macabres risquent de continuer tant que les Guinéens ne reviendront pas à la Loi, que le vote des citoyens ne sera pas respecté, que la fraude ne sera pas bannie et que le système électoral ne sera pas transparent et crédible pour enfin sortir le pays de la crise électorale permanente qu’il vit depuis huit ans. Les élections sincères, justes et transparentes confèrent au peuple un levier lui permettant de choisir ses dirigeants, de les contrôler et de les sanctionner. L’absence persistante de telles élections est sans nul doute l’une des causes du retard de notre pays. Or les résultats biaisés, la triche et le vol ne sont pas une fatalité et doivent être combattues, car autrement elles pourraient nous conduire une fois encore à des troubles, à des protestations, à des morts, à l’instabilité et pourquoi pas une fois encore à la dictature et à la régression. Pour sortir de cette spirale infernale il faut que la société civile, notamment les jeunes, sans distinction de race, d’ethnie, de croyance, comprennent qu’il ne saurait y avoir de miracle, ou bien la Guinée continue de vivre ce jeu de « qui perd gagne » avec à la clé les mêmes crises, la même stagnation suivie de l’instabilité et de la fragilisation du tissu social, ou bien ces forces nouvelles majoritaires dans le pays décident de bâtir et d’imposer un consensus électoral qui réconciliera la Nation avec elle-même et facilitera le déclenchement du processus de réconciliation nationale.

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Politique étrangère du Président Alpha Condé En 2010, à l’arrivée du nouveau Président au pouvoir, la Guinée avait réellement besoin de retrouver sa visibilité d’antan qui avait disparu à telle enseigne qu’on la confondait souvent à la Guinée Bissau qu’elle avait pourtant grandement contribué à soutenir dans sa lutte pour l’indépendance. Le Général Conté n’aimait pas se déplacer, il n’aimait pas non plus les grandes rencontres internationales où la Guinée était représentée par des ministres ou des cadres des départements ministériels ; il préférait aller dans ses champs ou simplement au village. Alpha Condé au contraire est apparu comme un amoureux des déplacements et des fora internationaux, il n’a jamais raté l’Assemblée générale des Nations Unies et est vite devenu l’un des habitués du Forum de Davos ; on lui a reproché d’être toujours entre deux avions et de privilégier la politique extérieure par rapport aux questions domestiques. Ses déplacements en Chine et en Russie ont cependant été couronnés par des Accords économiques importants. À la réunion des bailleurs de fonds à Paris la Guinée a recueilli une promesse de financement de 21 milliards de dollars pour un besoin exprimé de 14milliards. Il reste entendu cependant qu’il ne s’agit là que des promesses ; rappelons à ce propos que le Mali avait eu en 2016 des promesses de 12 milliards sur 8 demandés, mais qui ne sont toujours pas déboursés en 2018. Sa visite officielle chez son ami Hollande en France en avril 2017 a été une nouvelle occasion pour faire parler de la Guinée à travers le monde ; ses discours quelques fois provocateurs comme du temps de la FEANF ont souvent suscité la controverse et par ricochet inspiré des articles de journaux sur la Guinée. Son élection à la Présidence tournante de l’Union africaine cette même année a été le point culminant de l’exposition de la Guinée à travers le monde. Un autre aspect de sa politique étrangère a été ses médiations, d’abord en Gambie où il a été le principal négociateur pour le départ de Yaya Jamay du pouvoir, tout en ayant bénéficié largement cependant de la présence de l’armée sénégalaise, de la pression de son gouvernement en plus de celle du Nigeria. La médiation en Guinée-Bissau quant à elle a pris beaucoup plus de temps à cause dit-on de son manque de neutralité en faveur du PAIGC. Quant au conflit interne au Togo, il a dû avoir besoin du doublage de son collègue du Ghana. Etonnement, il a même eu à proposer sa médiation dans le conflit qui opposait l’Arabie Saoudite au Qatar comme si la Guinée disposait d’assez de pouvoirs d’attraction et de 231

pression vis-à-vis des deux belligérants pour espérer les convaincre. Des succès notables ont été enregistrés à l’UA durant son mandat, succès qui même s’ils n’ont pas été initiés par lui ont quand même bénéficié de son support déterminant ; il s’agit notamment du retour du Maroc après 32 ans d’absence, du financement du budget de l’organisation qui a dépendu jusqu’à présent à 70 % de l’aide étrangère, de l’amélioration de la gouvernance en adoptant le système de la troïka pour supporter les actions de la présidence tournante. Tout cela a permis à la Guinée de prendre enfin la tête de l’Organisation, après avoir pris activement à sa création en 1963. À observer attentivement la diplomatie guinéenne depuis l’accession du Président Alpha Condé à la Magistrature suprême, on constate qu’elle a reposé, surtout depuis le départ de François Fall, sur les épaules du Président devenu « one man show » qui est au four et au moulin et s’occupe de tout voyageant souvent seul sans les diplomates du ministère ; pour le rétablissement des relations diplomatiques avec Israël, il a préféré envoyer à Paris à la rencontre de la délégation israélienne son Directeur de Cabinet non accompagné des fonctionnaires du ministère ou bien de ceux de la mission diplomatique. Les diplomates racontent une anecdote qui veut que la ministre des Affaires étrangères, venue à la Présidence s’enquérir de l’heure du départ du Président pour un sommet de la CEDEAO, s’est vu indiquer une heure fausse à laquelle elle se rendit à l’aéroport alors que l’avion présidentiel avait décollé une heure auparavant, signe qu’il n’avait aucune considération ni pour sa ministre, ni pour le ministère en tant que tel. Au lieu d’ailleurs de s’intéresser à ce ministère en vue de procéder à des réformes pour y apporter sa touche personnelle, il a laissé les choses en l’état se contentant d’ouvrir de nouvelles ambassades, sans tenir compte des capacités financières du pays, avec comme conséquence des crédits de fonctionnement insuffisants et qui de surcroit arrivent souvent en retard dans les missions diplomatiques. Autant dire que les succès diplomatiques éventuels de la Guinée sont les succès exclusifs du Président et ne devraient malheureusement pas lui survivre, car ils ne sont pratiquement jamais actés par des dossiers techniquement bien ficelés ; conséquence première de cette pratique qualifiée d’amateurisme des affaires, la désignation des cadres guinéens à des postes à l’international n’arrive jamais, car de telles désignations se préparent à des niveaux inférieurs et sur la base de réciprocité et non au niveau des Présidents où on ne s’occupe pas des détails.

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POLITIQUE ÉCONOMIQUE DU PRÉSIDENT CONDÉ Le budget étant l’ensemble des comptes prévisionnels annuels des ressources et des charges de l’État, selon le Petit Larousse, il représente la synthèse de la politique que le gouvernement entend mettre en œuvre durant l’année 2017. De ce fait il est tout à fait naturel de débuter l’examen de la politique économique du gouvernement par l’analyse de ce budget Analyse d’un Extrait du Budget 2017 de la Guinée Total des dépenses : Défense nationale : Sécurité Agriculture Justice Primature Présidence Administrat. Terr Santé Éducation

16.704 milliards de FG 1.564,442 milliards (9,36 %) 396.442 milliards (2, 37 %) 449,541 milliards (3,68 %) 97,888 milliards (0,6 %) 77,602 milliards (0,5 %) 356, 325 milliards (2,13 %) 366 milliards (2,19 %) 1.332 milliards (7,91 %) 1.688 (10,10 %)

Ce budget appelle les observations suivantes : a) L’Agriculture qui fait vivre 80 % des Guinéens ne reçoit que 3,68 % du budget de l’État. Ce pourcentage est respectivement de 15,1 % pour le Mali, 12 % pour le Burkina Faso et 14 % pour le Sénégal. Cette situation misérable explique comme nous le verrons plus tard les faiblesses de la politique du gouvernement dans ce domaine b) L’Éducation, censée préparer l’avenir, bénéficie pour sa part de 10 % ; compte tenu des obligations légales de l’État dans ce domaine et de l’insatisfaction des Guinéens en matière d’éducation, ce chiffre est nettement insuffisant c) La santé engrange 7,9 % du budget. Ce chiffre qui a certes doublé après la crise d’Ebola est encore loin de combler le retard de la Guinée dans ce secteur d) Une autre aberration de ce budget est le montant alloué à la Présidence de la République qui est de 2,13 %, presque égal à celui de toute l’Administration du Territoire et qui se trouve même être nettement supérieur au budget de la Justice ; il totalise à lui tout seul plus de 356 milliards de fg, soit environ 1 milliard de francs guinéens par jour. Dans un pays où 55 % de la population vit au-dessous du seuil 233

de la pauvreté extrême et gagne moins de 1 $ par jour, un pays où le SMIG (salaire interprofessionnel garanti) est encore inférieur à 450.000 FG par mois. Les budgets de fonctionnement, y compris celui de la présidence se traduisent sur le terrain par un gaspillage inouï symbolisé par une débauche de véhicules 4x4 de luxe sur des routes dégradées, la distribution gratuite sans contrôle de ce type de véhicules ou des enveloppes d’argent à des personnes n’ayant pas droit. Comme toujours en matière de gaspillage on assiste à des scènes frisant la provocation, c’est le cas de certains hauts fonctionnaires qui à l’occasion de l’organisation des fêtes tournantes de l’indépendance à Kankan en janvier 2018 n’ont pas hésité à emprunter l’avion entre Conakry et Bamako, puis de continuer par la route Bamako — Kankan par des véhicules venus spécialement les chercher de Conakry, en vue tout juste d’éviter les mauvaises routes dont l’état calamiteux relève pourtant de la responsabilité de leur gouvernement. De tels gaspillages dans un pays où des secteurs vitaux sont négligés témoignent sans aucun doute de la mauvaise gouvernance. Ce sentiment va être amplifié par le phénomène de la corruption. Autant dire que ce budget est loin d’être un budget de développement, tous les départements qui s’occupent de l’avenir étant insuffisamment dotés. Le domaine économique en dehors des préoccupations des Guinéens pour le renforcement de la démocratie et de la bonne gouvernance, est certainement le défi pour lequel le nouveau Président était attendu, à cause du chômage endémique, de l’expansion de la pauvreté, du déficit en matière de fourniture des services sociaux de base, du besoin de bienêtre social. Sans nul doute, c’est aussi le sujet sur lequel il s’est investi le plus depuis son accession au pouvoir. Étant donné cependant l’ampleur du sujet on retiendra les domaines les plus emblématiques de son mandat, à savoir la politique énergétique, les infrastructures, l’agriculture et les mines. LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE En matière de courant électrique À cause du retard accumulé en matière de fourniture de courant électrique, à cause aussi des manifestations récurrentes de la population à l’occasion des coupures fréquentes du courant électrique, l’électrification est devenue très tôt la préoccupation principale du 234

nouveau président. Il réalisa aussi et surtout que l’électricité est devenue un enjeu majeur pour les élections futures. Il sortit rapidement des cartons les projets de barrages hydroélectriques qui étaient en souffrance dans les tiroirs et fit établir un programme d’achat ou de location des groupes thermiques. Dans un premier temps, il avait compté sur son ami Georges Soros qui lors d’une conférence de presse tenue en 2011 à la Case de Bellevue où il était hébergé, annonçait l’arrivée prochaine en Guinée d’une équipe de techniciens canadiens et la fin dans les six mois à venir des ennuis de la Guinée en matière de fourniture d’électricité. Accroissement à grande vitesse de la puissance énergétique de la Guinée La promesse de Soros n’ayant pas été honorée, le président Condé se tournera vers la Chine pour conclure le 13 août 2011 un contrat de gré à gré avec China Water and Electricity (CIWE) pour la réalisation du barrage hydroélectrique de Kaleta d’une capacité de 240 MW. Le financement d’un montant total de 500 millions de dollars sera couvert à hauteur de 25 % par le gouvernement guinéen et de 75 % par son partenaire. Ce barrage a été opérationnel en 2015. La Guinée signera ensuite un autre contrat de gré à gré avec CIWE pour la construction du barrage hydroélectrique de Souapiti d’une capacité de 450 MW et d’un coût de 1,567 milliard de dollars sur financement du partenaire. D’autres projets de barrages vont aussi être lancés, il s’agit d’Amaria d’une capacité de 300 MW et de Koukoutamba de 293 MW, de Fomi d’une centaine de MW. Avec ces différents projets, le parc l’hydraulique devrait atteindre 1.100.000 MW en l’an 2020. Ce rythme infernal sera malheureusement accompagné de vives critiques et d’insatisfaction quant aux conditions de leur réalisation. Les barrages thermiques ont pour leur part connu pratiquement le même rythme d’expansion. Avant même la fin des travaux de construction des barrages hydroélectriques, pressé par les manifestations populaires répétitives pour l’obtention du courant électrique, le gouvernement va recourir à la location de groupes thermiques avec Agreko une entreprise de location des groupes pour un montant de 11 millions de dollars dans des conditions plutôt défavorables, la consommation du carburant et lubrifiant étant à la charge du gouvernement ; il va aussi acquérir d’autres groupes thermiques, à savoir : 235

- Tombo 5 d’une capacité de - Kaloum 1 - Kaloum 2 - Kipé - Soit un total de

32,40 MW 25, 20 MW 25, 98 MW 51, 92 MW 135,00 MW

Conditions défavorables de réalisation des installations Ces installations ont fait l’objet des critiques et de nombreux points d’interrogation. Pourquoi ces lourds investissements ont tous été réalisés sur la base du gré à gré alors que la Loi sur la passation des marchés interdit formellement de telles transactions qui favorisent la corruption, nuisent à la qualité des ouvrages réalisés, appauvrissent l’État et entravent le transfert de la technologie et du savoir-faire ? Étonnamment la même entreprise CIWE a bénéficié, comme il a été souligné plus haut, dans une opacité totale des contrats de construction et du barrage de Kaléta et de celui de Souapiti pour une enveloppe totale de 2 milliards de dollars. La banque mondiale constatant pour sa part le coût excessif de réalisation du barrage de Souapiti estimé à 1 milliard et demi, avait proposé à la Guinée le montage d’un prêt concessionnel de 1 milliard de dollars. De surcroit d’autres critiques ont relevé le fait que ces contrats n’auraient pas fait l’objet de débats au parlement, amoindrissant du coût la sincérité des opérations. Une autre remarque de taille a été le délai très court de réalisation de Kaleta qui n’a été que de cinq ans environ au lieu des huit à dix ans normalement pour un barrage classique ; il a même été inauguré avant la fin des travaux le 28 septembre 2015, alors que la tenue des élections présidentielles était prévue pour le 25 octobre 2015 ; une telle coïncidence pourrait être recherchée pour Souapiti et les autres. Or une exécution express dictée par des considérations électoralistes pourrait jouer sur la qualité à long terme des ouvrages qui seront réalisés. Au niveau des groupes thermiques aussi les mauvaises conditions d’acquisition n’ont pas manqué non plus ; l’exemple le plus frappant a été révélé à propos de ce qui a été appelé l’affaire Asperbrass dans laquelle, un appel d’offres international pour la fourniture d’un groupe thermique de 100 MW était en cours, lorsque l’opération a été brusquement interrompue devant la perspective de voir une entreprise 236

Turque dont l’offre était de 78 millions de dollars enlever le marché. L’adjudicataire de ce marché sera finalement Asperbrass, un fournisseur brésilien qui aurait des liens au sommet de l’État ; cette décision interviendra bien que l’offre de ce dernier était de 144 millions de dollars, soit 46 % plus cher que celle de son concurrent. Après un retard de deux ans pour la livraison de ce groupe, le contrat avec Asperbrass a été purement et simplement interrompu, alors que ce dernier avait déjà reçu un payement de 105 millions de dollars. D’autres acquisitions de groupes thermiques et d’équipements électriques vont aussi révéler quelques interrogations. Mentionnons entre autres l’installation à la veille des élections législatives, de 32.000 lampadaires dans 33 Préfectures et 304 Sous-préfectures pour un coût total de 104.252.410 $ auquel il y a lieu d’ajouter un budget d’entretien de 26 Millions de $ qui a été attribué à Jiangsu International. Hélas ces investissements qui avaient été bien accueillis par les populations vont s’avérer n’être qu’une arnaque, car à l’heure actuelle moins de 10 % de ces lampadaires fonctionnent encore, à cause du non-respect des cahiers de charge de ce marché de gré à gré exécuté apparemment sans contrôle véritable, l’objectif des autorités étant à l’époque d’impressionner les votants pour bénéficier de leur vote. Les sommes consacrées à l’entretien se révéleront quant à elles être un détournement pur et simple étant donné qu’il est hors de question d’entretenir une installation destinée à rendre l’âme au bout de quelques mois. Une gestion abracadabrante de la société de distribution du courant électrique Dès l’arrivée du Président Alpha Conté au pouvoir. Il a nommé à la tête de cette entreprise un comptable militant du RPG dont le principal souci était de faire la chasse à tous ceux qui n’étaient pas de son bord politique et de recruter à la place des militants engagés au détriment de la compétence technique et de l’intégrité. Les résultats ne se sont pas fait attendre aussi bien pour les performances techniques que financières ; les coupures de courant électrique sont devenues plus fréquentes et les manifestations populaires plus bruyantes et même violentes. Il a fallu remplacer en catastrophe le directeur militant par un technocrate mieux préparé et réputé pour son intégrité. Cependant, ce dernier devra très rapidement faire face à la cabale des employés militants du parti du Président et de la direction de ce parti dans la défense des incompétents et des voleurs. Pour contourner cette 237

difficulté, le gouvernement va signer, sous la contrainte des partenaires au développement, un contrat de gestion avec Veolia, une société française qui rencontrera d’autres types de difficultés, telles que des faits accomplis en matière de gestion et des interférences répétées de la tutelle. C’est par exemple avec le gouvernement que les fournisseurs privés de l’électricité signent les contrats, y compris le prix de cession du KWh sans que le gestionnaire ne puisse influer sur les clauses de ces contrats. C’est aussi le gouvernement qui est en charge d’acheter du carburant et lubrifiant pour ces fournisseurs. C’est enfin le gouvernement qui fixe le prix de cession du courant produit au public, par Arrêté du ministre en charge de l’énergie. Il faut rappeler à ce propos trois cas emblématiques de cette pratique. Le groupe thermique de 100 MW dont il a été question déjà a finalement échu à AON, une société mauritanienne dont les dirigeants auraient des liens avec le pouvoir et qui n’aurait déboursé que 20.000 $ pour la remise en état du groupe ; il aurait ensuite signé avec le gouvernement un contrat de fourniture d’électricité à l’EDG, contrat dans lequel l’État prend en charge le carburant consommé par le groupe. Existe-t-il un contrat de location de ce groupe ou un acte de vente ? Nul ne le sait, car les rapports entre l’État et AON baignent dans l’obscurité la plus totale. Une opération du même genre va être faite en faveur d’un homme d’affaires américano-guinéen à qui sera attribué Tombo 3 un vieux groupe thermique afin qu’il le réhabilite et l’exploite pour vendre le courant produit à EDG dans des conditions restées secrètes ; non seulement cela, mais encore cette première opération couvrait une autre plus scabreuse qui consistait à lui céder en même temps que Tombo 3 un autre groupe Tombo 5 qui venait d’être remis à neuf sur fonds publics afin de faire croire à l’opinion que ce dernier groupe avait été réhabilité au même titre que le premier au compte de l’investisseur privé. Cette supercherie aurait marché, n’eût été la vigilance du syndicat de l’entreprise. Étonnamment le bénéficiaire de Tombo 3 peine à mener à bien la réhabilitation du groupe à tel point qu’il serait amené à faire de la récupération en utilisant les vieilles pièces enlevées de Tombo 5. Une autre affaire du même genre va impliquer un autre homme d’affaires américano-guinéen à qui il a été attribué un groupe de 50 MW issu du parc de K Énergie dans des conditions aussi obscures que celles des contrats évoqués plus haut. En parlant de mauvaise gestion, il est aussi question de la démultiplication des sources des décisions dans l’entreprise ; la première revenant au gouvernement qui fixe à la fois le prix de vente 238

du kilowatt de courant aux consommateurs, le choix souvent subjectif des fournisseurs d’électricité à l’EDG, le prix d’achat du courant électrique à ces fournisseurs ; la deuxième source de décisions appartenant aux fournisseurs, qui décident en toute indépendance de la quantité de courant à livrer et du planning de livraison ; enfin le gérant qui assure le reste des décisions, toutes moins stratégiques que les premières. Le résultat, c’est qu’EDG au lieu d’être un instrument d’accumulation financière, roule à perte et a besoin d’une subvention de l’État pour pouvoir vendre au prix imposé. Face à l’accroissement inouï de la dette publique en faveur de ce secteur, il faut nécessairement procéder à sa restructuration en profondeur pour qu’il puisse générer les moyens pour amortir cette dette qui, autrement, risquerait d’être transférée aux générations futures tout en augmentant toujours plus pour répondre au développement lié à l’accroissement de la population. Pour ce faire il est indispensable qu’EDG dispose de son autonomie de gestion, du contrôle total de son patrimoine, du choix de ses fournisseurs et qu’il soit soumis à un plan des objectifs à remplir vis-àvis de l’État qui devrait se cantonner dans son rôle de maitre d’ouvrage. Au lieu de voir ses difficultés s’aplanir du fait de l’entrée en scène des Chinois, la gestion de EDG risque de se compliquer davantage et de conduire à une véritable crise ; en effet le coût exorbitant des barrages a naturellement conduit à un prix de revient du kWh en hausse ; il semblerait selon ceux qui ont eu accès au contrat liant le gouvernement à CIWE que le prix de cession du courant à EDG se situerait à 40 ct/US alors que le prix de vente du kWh à la clientèle ne serait que de 10.5 ct/US. Un futur plein d’incertitude pour le secteur d’électricité en Guinée Cette incertitude est liée à un certain nombre de facteurs, qui sont les suivants : La Guinée malgré un potentiel significatif en fleuves aménageables en barrages, son exposition très large au soleil, aux vents et aux marées, présente un gros déficit en matière de fourniture d’électricité ; en effet le taux de couverture de la population n’est que de 18 %, comparé à une moyenne de 37 % en Afrique. EDG la société de distribution du courant électrique vit dans un déficit structurel permanent. Selon les dires d’un ancien ministre de l’énergie, alors que le coût de production de l’entreprise était de 3.900 fg le kilowatt, le prix de vente à la clientèle était fixé 239

arbitrairement à 900 fg ; une note officielle du ministère des Finances en date du mois de mai 2019 parle pour sa part de 1400 francs pour le prix de revient et 700 francs pour le prix de vente à la clientèle. Les autorités craignant des réactions populaires contre toute augmentation de prix ont recours à des subventions de plus en plus élevées qui sont passées par exemple de 491milliards de francs guinéens en 2017 à 1061 milliards en 2018. À cette réalité il faut ajouter le fait que seuls 40 % des clients de l’entreprise s’acquittent régulièrement du payement de leurs factures ; autant dire que le déséquilibre de l’entreprise résulte de beaucoup de facteurs qui ne sont pas prêts de disparaitre et qui s’aggravent même tous les jours, la politique du gouvernement cherchant par tous les moyens à fournir des sources d’enrichissement sans cause à des alliés au détriment de EDG. Une autre cause d’incertitude est liée à l’ambigüité des rapports commerciaux établis entre la guinée et son partenaire chinois. L’énergie produite est vendue à EGD à un prix convenu entre le gouvernement et CWE à travers la société de gestion de Kaleta. Dans un tel schéma, il demeure une série de questions pratiques qui soulignent la complexité de la situation. - Le barrage construit et exploité par le partenaire chinois, comme mentionné plus haut vend sa production à EDG ou à des pays étrangers. Se pose alors la question de propriété de ce barrage. Appartient-il en propre à la guinée, ou bien cette appartenance est purement virtuelle, étant donné que le gouvernement guinéen ne peut le mettre en location ou en disposer, aussi longtemps que la dette qui a permis sa construction n’est pas remboursée. On pourrait évoquer la formule BOT si le délai de rétention de l’ouvrage était mentionné clairement ; or dans le cas présent le retour de l’ouvrage à la guinée est déterminé par l’échéance de la dette qui n’est pas connue. Cela ressemble au cas où une personne prête une somme d’argent à un ami, utilise cette somme pour acheter une voiture qu’il met lui-même en exploitation et verse comme convenu, un montant d’argent à l’épouse du premier pour faire face aux dépenses domestiques. En attendant que le prêteur recouvre la somme prêtée, est-ce qu’on peut dire que la voiture appartient à son ami ? Virtuellement oui, car c’est ce qui est écrit sur l’accord signé entre les deux, mais dans les faits non, car il s’agit d’un bien en gage qui restera tel pour la durée du prêt. - Cette situation risque d’être encore plus compliquée lorsque cette formule va s’appliquer à tous les barrages construits par les

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Chinois pour servir de gage à des montants qui représentent la moitié du PIB actuel. - Pour amortir cette dette colossale, on comptait en partie sur les recettes qui proviendraient des contrats que la Guinée espérait signer avec les pays voisins ; or il faut signaler que le coût de production du KWh de nos barrages est en train de rattraper celui du KWh produit par les centrales thermiques, ce qui remettrait en cause cette perspective. - La dette qui a servi à réaliser ces barrages, ne risquerait-elle pas d’augmenter sérieusement s’il s’avérait nécessaire d’entreprendre des grands travaux pour réparer les barrages ou l’adapter aux évolutions techniques ? Autre complication qui déciderait de l’opportunité de ces travaux et de leur montant ? - Le fonctionnement de la société de gestion de Kaleta au sein de laquelle il y aurait des participations croisées entre le gouvernement, CIWE et Souapiti, ne va-t-il pas compliquer davantage une situation déjà inextricable ? Comment sortir le secteur électrique guinéen du naufrage Les développements précédents sur la politique énergétique de la Guinée, ressemblent à s’y méprendre à un bateau en naufrage où on ne sait plus quelle commande actionner pour retrouver la maitrise du navire ; des dettes de plus en plus importantes tendent à dépasser les capacités de remboursement du pays sans que l’on sache comment désintéresser nos créanciers ; le taux de couverture électrique du pays reste désespérément bas et laisse la majorité des Guinéens de plus en plus exigeants dans l’obscurité alors que les investissements consacrés au secteur semblent se diriger vers un gouffre sans fond. Comment en sortir ? Abandonner le tout hydraulique Pour au moins deux raisons, la Guinée devrait remettre en cause la priorité accordée au tout hydraulique compte tenu du coût exorbitant des barrages alors que la dette de la Guinée est en train de dépasser les possibilités de remboursement de ses dettes et compte tenu aussi des ravages que la construction des barrages produit sur l’environnement. Elle devrait profiter de ses potentialités en sources d’énergie pour se tourner vers les éoliennes, le solaire et autres pour diversifier ses sources d’énergie et préserver son environnement.

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Octroyer à EDG une véritable autonomie de gestion Le gouvernement devrait renoncer à toute implication dans la gestion de EDG et permettre qu’elle fonctionne comme une société normale dirigée par une direction autonome et un conseil d’administration responsable dont on attendra des résultats nets et clairs Casser peut-être le monopole que constitue EDG. Du fait que l’entreprise EDG existe depuis 1958, elle a accumulé des compétences bien établies et une solide expérience ; elle a en même temps connu des mauvaises habitudes dont elle devrait nécessairement se débarrasser. Pour ce faire, elle a besoin d’être confrontée à la concurrence. C’est pour cela que la réforme envisagée devrait inclure à la fin du monopole dont jouit EDG et l’ouverture à la concurrence aussi bien au niveau de la fourniture du courant au grand public que la construction des centrales génératrices du courant, l’espoir d’élargir le taux de couverture du marché d’électricité est à ce prix. Dans ce cadre elle pourrait utiliser la formule du BOT véritable pour attirer les investisseurs. En matière de fourniture d’eau En matière de fourniture d’eau aussi, la demande est loin d’être satisfaite, à cause du retard accumulé dans les investissements et de la gestion catastrophique de la société nationale de l’eau qui manque de transparence et qui suscite de temps en temps des accusations de détournements et de corruption. Le résultat de cette situation est que la majorité des habitants de Conakry ne reçoivent leur portion congrue d’eau qu’épisodiquement et souvent sous forme d’eau boueuse, sans que cela ne ralentisse le dépôt des factures ou ne se traduise par une baisse de leur montant. S’agissant des habitants de l’intérieur de la Guinée, sauf dans quelques villes qui utilisent leurs robinets, l’adduction d’eau n’existe simplement pas. Qu’en est-il de la politique en matière de développement des infrastructures ? LE DÉVELOPPEMENT DES INFRASTRUCTURES SOUS LA PRÉSIDENCE D’ALPHA CONDÉ La politique du Président Condé en matière infrastructurelle peut être analysée à travers les quatre domaines suivants : 242

- La construction des bâtiments et autres infrastructures administratives sous financement public - Les réalisations des compagnies chinoises - La construction des routes interurbaines - L’entretien routier La construction des bâtiments et infrastructures administratifs À l’instar de feu Président Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire, le Président Condé dès son accession à la présidence a décidé d’organiser les fêtes de l’indépendance nationale à tour de rôle dans les différentes régions du pays en vue d’obliger l’État de construire les infrastructures administratives de base à l’occasion de ces cérémonies. Ainsi ces fêtes ont été déjà organisées à Boké, à N’Zérékoré, Mamou et Kankan et ont permis de construire des bâtiments non seulement au chef-lieu de la région, mais encore dans les préfectures. Cette opération a permis de reconstruire une partie des bâtiments détruits lors des manifestations populaires de 2006 et 2007. Hélas ces chantiers ont généralement connu des aléas qui ont pour noms corruption et gaspillages des ressources publiques ; en effet le choix des adjudicataires a reposé souvent sur le copinage et les considérations politiques au lieu d’être basé sur des critères de compétence, d’expérience et des prix relatifs. En conséquence, beaucoup d’ouvrages ont péché par leur mauvaise qualité lorsqu’ils ne sont pas tout simplement restés inachevés. À ce sujet on pourrait citer un tout petit chantier symbolique de ce phénomène ; il s’agit de la construction de l’Arc de triomphe à la sortie de Pita en direction de Labé. Un jour un entrepreneur qui avait un chantier dans mon village a été convoqué d’urgence à Conakry où il lui a été offert la construction du dit arc de triomphe. Ses interlocuteurs membres du parti RPG-ARCEN – CIEL, le parti du Président, lui ont dit qu’ils n’étaient pas du corps des BTP et lui offraient ce marché sous la forme de partage. Ils lui ont versé l’avance convenue et il est parti à Pita. Il a entamé les travaux, mais a dû abandonner le chantier après avoir réalisé les échafaudages faute de paiement des échéances suivantes. Les populations environnantes ont commencé après un an d’immobilisme à piller le chantier abandonné et ne laisser sur place qu’une carcasse informelle. Ce cas est malheureusement loin d’être isolé, notamment à Boké.

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Les chantiers chinois La Guinée a largement bénéficié du flot des capitaux chinois qui se sont déversés sur l’Afrique depuis une dizaine d’années. En Guinée, outre la construction des barrages hydroélectriques, les compagnies chinoises se sont investies essentiellement dans l’hôtellerie ; on peut citer entre autres les hôtels Kaloum, la cité Plaza Diamond, les Tours jumelles de Weilly and Duck de 25 étages associant hôtel et bureaux. Ces réalisations présentent le double inconvénient d’être exclusivement des hôtels de luxe s’adressant à une clientèle riche et aussi, d’être concentrées toutes dans la capitale. Elles donnent l’impression de n’avoir obéi qu’au choix exclusif des investisseurs, faute d’un plan de tourisme préétabli dans lequel ces hôtels seraient venus se loger de façon rationnelle ; elles souffrent aussi de l’absence apparente d’une quelconque suggestion liée aux préoccupations des Guinéens et à leur vision du futur. Il serait urgent que la Guinée dispose le plus rapidement possible d’un plan de développement touristique afin d’endiguer au plus vite cette pagaille qui ne dit pas son nom. La Construction et la réhabilitation des routes nationales Parmi les rares routes lancées par le gouvernement depuis 2011, deux sont particulièrement emblématiques de l’approche de ce gouvernement en matière de gestion de la chose publique alors même qu’il est en face des questions les plus urgentes et les plus importantes. Il s’agit de la réalisation des routes de Kankan/Kissidougou et Kankan/Mandiana, deux fiefs du parti au pouvoir et qui auraient dû par conséquent symboliser le savoir-faire et la réussite parfaite, afin de susciter un engagement politique accru des populations locales. Or il n’en a rien été, car au lieu de recourir à un appel d’offres international pour identifier les meilleures entreprises des TP et les moins chères, le gouvernement a préféré les marchés de gré à gré avec des sociétés dirigées par des personnalités qui lui étaient proches. Ces entreprises, outre le fait qu’elles ont bénéficié des garanties et des prêts des banques guinéennes, ont opéré dans le flou le plus total et ont bénéficié des conditions les plus larges. Il a été rapporté par exemple que la route Kankan/Kissidougou a été facturée à 1,5 million d’euros le kilomètre alors que dans la même zone la route Kissidougou/Guéckédou réalisée sur appel d’offres ouvert du FED, le kilomètre aurait été facturé à 500.000 Euros. De surcroit tous les deux chantiers sont à l’arrêt sans 244

que l’on sache le montant des sommes encaissées, le reste à percevoir et quand les travaux vont reprendre. Durant le mois d’avril 2018, les populations de Mandiana ont manifesté à plusieurs reprises pour protester contre l’arrêt des travaux de la route Kankan/Mandiana et l’abandon du goudronnage de la voie urbaine. Un flou total règne à ce sujet, flou qui n’aurait pas existé si les adjudications avaient résulté d’un appel d’offres en bonne et due forme. Une autre route qui revêt une importance particulière est la route Coyah-Mamou-Dabola, prévue dans le cadre du prêt de 20 milliards de dollars accordé à la Guinée par la Chine. Cette route longue de 365 kms et qui parcourt la Basse, la Moyenne et la Haute Guinée, devrait couter 357 millions d’Euros, soit 978 euros le kilomètre. Les travaux de la route ont été lancés par le Président Alpha Condé le 19 avril 2018 et seront réalisés par l’entreprise chinoise CRBC ; il ne s’agit pas d’une autoroute comme précédemment annoncé, mais d’une route de sept mètres de large avec un tracé amélioré. Elle est la bienvenue, car elle constitue une artère essentielle pour l’économie de la Guinée et même pour les échanges guinéo-maliens ; cependant le projet en tant que tel appelle des observations et des critiques. Comme évoqué auparavant lors de la présentation du prêt chinois, la question des études de faisabilité des projets guinéens est revenue au premier plan des préoccupations légitimes des observateurs quant aux conditions de leur mise en œuvre. Intervenant dans une émission interactive d’une radio de la place un haut responsable de la présidence de la République a reconnu que l’étude de faisabilité de la route sera faite par l’entreprise chargée de travaux de construction, ouvrant ainsi un conflit d’intérêts et la possibilité de surcoûts incontrôlables pour l’État. Interrogé par les journalistes sur les raisons d’une telle anomalie, il a affirmé qu’il n’existait pas en Guinée un cabinet d’études capable de mener à bien de telles études. Aussi choquant que cela puisse paraitre après 60 ans d’indépendance, y compris 8 ans de présidence Condé, il faut se rendre à l’évidence et accepter l’inacceptable et chercher à parer à cette insuffisance qui coûte très cher au pays. Pour se donner bonne conscience, ce responsable a indiqué qu’un cabinet international va contrôler les études menées par les Chinois. Quant à la question de savoir pourquoi la Guinée n’avait pas plutôt engagé ce cabinet pour faire l’étude et non pas l’étude de l’étude, il a répondu que cela aurait coûté 10 millions de dollars au contribuable guinéen.

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Il reste à savoir si ce montant ne s’avérerait pas finalement inférieur au surcoût de la facture finale que le pays risque d’enregistrer, sans mentionner par ailleurs les inconvénients liés à des conflits potentiels qui risquent de surgir entre le cabinet de contrôle et l’adjudicataire du marché. De surcroit on peut s’étonner de la précipitation avec laquelle ces travaux ont été lancés ; en effet le même responsable de la Présidence de la République a dévoilé que seule l’étude de faisabilité des 5 premiers kilomètres a été réalisée et que celle concernant les 95 kilomètres ne sera disponible que dans 15 jours. Ne pouvait-on pas patienter et attendre de disposer de l’intégralité de l’étude de faisabilité pour entamer les travaux ? L’indisponibilité du contrat de même que celle de l’arrangement global du prêt n’ayant pas fait l’objet de publication ni de débats au niveau de l’Assemblée nationale, il faut se contenter à l’heure actuelle d’hypothèses. C’est ainsi qu’on est dans l’ignorance totale à propos des mines qui ont été retenues pour faire face au remboursement du prêt ; une étude de faisabilité sur l’exploitation de ces mines a-t-elle été faite ? Quelles vont être leur capacité de production, leur teneur en bauxite, leur rythme d’exploitation, les taxes qu’elles devront payer à l’État, le prix de cession de la tonne de bauxite, les effectifs, y compris des nationaux qu’elles vont employer et surtout les conventions y afférentes ? Ce serait une folie de confier ces études au partenaire chinois, non pas parce qu’on douterait de leur moralité, mais parce que c’est la pratique internationale qui le dicte et aussi ce serait un chèque en blanc qu’on leur signerait alors qu’en affaire il n’y a pas de saints ; les partenaires doivent se donner les moyens de se contrôler réciproquement ; aucune justification, aucun désir de satisfaire une promesse de campagne, aucun souci de combler un manque pour le peuple, ne saurait absoudre un dirigeant qui se précipiterait à accorder un blanc-seing à un partenaire sur des ressources qui appartiennent non seulement aux populations actuelles, mais aussi aux générations futures. Quelle que soit sa bonne foi, il pourrait être accusé de complicité de dilapidation du bien public et de détournement. Les dirigeants d’un pays ne devraient pas se fier à l’indulgence du Parlement et de la Justice du moment, la reddition des comptes reste une épée de Damoclès suspendue sur leur tête, c’est pour cela que la facilité d’obtention des prêts chinois ne saurait les pousser à emprunter des raccourcis semés d’embuches. Il faut toujours recourir à des bureaux d’études indépendants et mondialement reconnus.

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L’Entretien routier L’entretien routier constitue sans nul doute le talon d’Achille de la politique des infrastructures du gouvernement Alpha Condé. Il est arrivé un moment en 2017 où les routes guinéennes en ville comme en rase campagne sont parties en lambeaux, causant des soucis réels aux automobilistes en termes de temps perdu sur les routes et des frais de réparations de leurs voitures. En août 2017, parti de Labé, situé à 400 km de la capitale à 6 h du matin, je ne suis rentré à Conakry qu’à 20 h, alors qu’en temps normal ce trajet s’effectuait en 6 h de temps. Même à Conakry ville, les rues offraient le spectacle d’une ville sinistrée marquée par de trous béants que les habitants appelaient des nids d’éléphants. La dégradation des voies, le nombre croissant des voitures, l’indiscipline des conducteurs et la maladresse des agents de la circulation s’étaient combinés pour provoquer des embouteillages énormes partout et tout le temps dans la ville. Cette situation qui avait existé avec moins d’ampleur dans le passé avait empiré au fil du temps sans qu’on ait pris garde, faute de crédits significatifs, avec l’effet de la corruption, le manque de compétence, d’anticipation et de planification. Le carrefour de Matoto dans l’est de la capitale cristallise ces méfaits et symbolise les défauts de la politique d’entretien de ce gouvernement ; en effet l’aménagement de ce carrefour prévu pour durer deux mois était toujours en cours après huit mois de travaux marqués par des interruptions, des changements d’approches techniques passant du goudron au béton et d’organisation du travail. En dehors de ce cas, on doit se réjouir de l’amélioration générale de la situation. Il faut espérer que l’expérience douloureuse de ce passé servira à l’avenir pour faire preuve d’anticipation tout en luttant contre la corruption. LA POLITIQUE MINIÈRE DU PRÉSIDENT ALPHA CONDÉ Les mines constituent un secteur vital pour la Guinée ; elles représentent en effet plus de 80 % des recettes d’exportation du pays, plus de 30 % des recettes publiques et plus de 20 % du PIB. C’est pourquoi la politique minière menée par le gouvernement pourrait être un des indicateurs pouvant permettre de juger de la bonne gouvernance du Président Alpha Condé.

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Une stratégie dévastatrice La stratégie qui a été la sienne dans ce domaine pourrait être qualifiée à la fois de destructrice et de régressive, car elle a contribué d’une part à chasser les plus grosses compagnies minières du monde de la Guinée et elle a d’autre part privilégié la production de la bauxite au détriment de celle de l’alumine. En effet le Président Condé dès 2011 a décidé d’adopter un nouveau code minier et de procéder à la révision des contrats et conventions existants. Comme mentionné plus haut, l’influence de Georges Soros qui a introduit ses conseillers dans les équipes chargées de faire le travail a dû être déterminante. Le code adopté est caractérisé essentiellement par une volonté d’étatisation à outrance des entreprises opérant en Guinée et l’imposition d’une cascade de taxes se traduisant par une oblitération marquée de leur compétitivité ; malgré une révision précipitée de ce code à peine deux mois après son adoption, il présente aujourd’hui encore le handicap que représentent les éléments suivants : - Participation de l’État au capital des entreprises de 45 %, dont 15 % d’actions gratuites ; - Réservation à l’État des 33 % de blocage ; - Participation au capital des infrastructures à hauteur de 51 %, infrastructures qui reviennent à l’État après amortissement et/ou au bout de 20 ans ; - Possibilité pour l’Etat de transporter et de commercialiser une partie de la production. De ce fait, il apparait clairement que l’État contrôle de fait la gestion des entreprises, au risque d’interférer sérieusement sur les décisions courantes de gestion tout en insufflant un certain parfum politique. Il est à se demander si, dans ces conditions, un investisseur, en dehors de ceux qui creusent de la terre pour la revendre en l’état, pourrait engager des sommes d’argent importantes pour un projet coûteux et à long terme. Parallèlement à ces probables effets négatifs, la révision des conventions va ajouter sa dose de venin destructeur des investisseurs. En effet le Comité technique de révision des Titres et Conventions (CTRTCM), mis en place le 29 juin 2011 et soutenu par 13 Cabinets d’avocats qui vont coûter 12 millions de dollars et aussi par des agents fournis gratuitement par Georges Soros. Sa mission était de corriger les déséquilibres que pourrait recéler toute Convention vis-à-vis de la Guinée et d’accroitre les revenus de cette dernière. La remise en cause 248

unilatérale des accords ratifiés par le Parlement remettait en cause la parole donnée par la Guinée alors que le gouvernement, au lieu de s’en prendre à tout le monde et en même temps, pouvait entamer des négociations en bonne et due forme avec les seules sociétés dont les Conventions posaient problème. Cette perte évidente de crédibilité va être amplifiée par les conditions fantaisistes dans lesquelles cette opération s’est déroulée. Non seulement deux sociétés, Rusal et Nord Gold en l’occurrence, ont refusé de se soumettre à l’exercice, mais encore Rio Tinto et Rusal dans le cadre du projet de Simandou Sud et de Dian Dian ont bénéficié d’un traitement de faveur en obtenant que leur Convention soit examinée en dehors du Comité. Enfin, autre signe de légèreté, le ministre en charge des mines a écrit le 16 février 2016 au Comité pour mettre fin à la revue sans justification et sans qu’un bilan de l’opération n’ait été établi. Tout cela se traduira par la perte sèche, ou au mieux l’altération profonde des conventions relatives à 6 projets d’envergure, dont 5 d’usines d’alumine. Il s’agit de : - De GAC pour un investissement initial de 4.5 milliards de dollars et dont le volet alumine est pratiquement abandonné - Dian Dian pour un investissement de 4 milliards de dollars, dont le volet alumine est renvoyé sine die - Alcoa-Rio Tinto, pour un investissement de 1 milliard de dollars - SBDT (Iran) pour un investissement prévu de 4 milliards de dollars - Simandou minerais de fer pour un investissement prévu de 20 milliards de dollars - Euro — Nimba, minerais de fer pour un investissement prévu de 2.4 milliards de dollars. C’est donc au total environ 35 milliards de dollars qui sont partis en fumée. Il faut se rendre à l’évidence, que les faits relatés ci-haut ont sacrifié cet investissement massif, de même que les emplois correspondants, sans espoir qu’ils reviennent un jour, tout au moins tant que le code actuel et la politique de deux poids deux mesures à l’endroit des investisseurs vont prévaloir. L’expression « manger son blé en herbe » pourrait parfaitement s’appliquer à cette situation. Soit par incompétence, soit par souci de retenir coute que coute les investisseurs restés encore en Guinée, soit par intérêt inavoué, le gouvernement a accepté de délier de leurs engagements liés au volet alumine de leurs contrats au moins deux des sociétés qui étaient tenues de produire à la fois de la bauxite et de l’alumine et qui désormais se replient sur la bauxite en renvoyant aux calendes grecques la réalisation 249

des raffineries initialement prévues ; c’est le cas aussi bien de Rusal que de GAC. En effet on se rappelle que le projet GAC comportait deux composantes, à savoir l’ouverture d’une mine de production de 10 millions de tonnes de bauxite par an et la construction d’une raffinerie d’une capacité de 3.3 millions de tonnes d’alumine. On ne sait comment et pourquoi le gouvernement a accepté et même parrainé la conclusion d’un contrat d’achat de bauxite à long terme entre Mubadala la maison mère de GAC et CBG pour l’approvisionnement de la raffinerie dans le Golf venu pour supplanter la raffinerie de Sangaredi qui ferait double emploi avec la première. Sous quelles conditions et quelles motivations ce recul a pu intervenir ? Le deuxième exemple de repli est fourni par la révision de l’Annexe 11 de la Convention de Dian Dian intervenue en décembre 2012 et qui prévoit, comme mentionné plus haut les modifications suivantes : - Le volume de production de bauxite passe de 12 millions de tonnes à 3 millions ; - La réalisation de la raffinerie d’alumine de 2.4 millions de tonnes est renvoyée sine die ; - Dian Dian est délié de son obligation de construire un chemin de fer et un port en eau profonde et est autorisé à utiliser les infrastructures de CBG. Tout cela montre clairement que le gouvernement a abandonné pratiquement tous les volets alumine qu’il a hérités de la 2e République pour se contenter désormais de la production de bauxite brute n’ayant subi aucune transformation ; c’est le cas de la SMB comme on va voir ci-dessous : La SMB est un consortium constitué de China Hongkiao (premier producteur mondial d’aluminium), Winning shjpping, Yantai Port Group, shondong Wei Quiao et des opérateurs locaux tels que UMS et Assok. Il est dit aussi que le gouvernement participe à hauteur de 10 % du capital. Installé en 2014, il a démarré ses opérations en 2015 et a produit en 2016 quelque 30 millions de tonnes de bauxite ; il envisage d’atteindre à terme 80 millions de tonnes. Cette unité bousculée par ses clients s’est lancée en catastrophe dans la production avant même que sa convention n’ait été présentée devant l’Assemblée nationale ; en mai 2018 elle ne l’a toujours pas fait, et ce en dépit des lois de la République et du code minier en matière d’établissement et de respect de l’environnement, protégée qu’elle est par les autorités à tous les niveaux ; les médias ont interprété cette situation comme le résultat 250

d’une possible corruption à grande échelle. Cet exemple va malheureusement inspirer d’autres nouvelles compagnies minières qui vont profiter de l’aubaine d’un pays qui ferme les yeux sur l’application de ses lois et permet que l’on exploite intensivement ses ressources minières sans la moindre transformation, que l’on pollue impunément l’atmosphère et les rivières pour satisfaire les besoins urgents de ses clients en bauxite. SMB est le prototype des sociétés qui vont se multiplier à Boké et ailleurs pour répondre à la demande galopante des raffineries d’alumine chinoises. À l’instar de la SMD, ces unités vont se contenter de l’ouverture des mines de bauxite dont les équipements sommaires se résument aux engins de carrière et aux barques de transbordement de la bauxite vers les bateaux stationnés en haute mer, les camions de transport étant pour leur part loués avec des fournisseurs locaux. Elles emploient une main-d’œuvre limitée, mal payée, sans qualification et sans formation. Les villages traversés par les camions vivent en permanence sous une nuée de poussière accompagnée des bruits assourdissants de moteurs et de Klaxons ; durant la saison pluvieuse la boue remplace la poussière, envahit et salit habitations et habitants. Les opérateurs de ces mines ne respectent ni l’environnement, ni les champs de culture, ni les rivières, ni les populations environnantes ; ils emportent la terre ne laissant derrière eux que des trous béants, la désolation et les maladies respiratoires. Lorsqu’on aura ajouté à ce tableau infernal, un revenu du gouvernement d’à peine 4 dollars la tonne on réalise aisément les limites d’une telle exploitation et la vanité de ceux qui se répandent dans les médias pour se réjouir de la 3e place que la Guinée vient d’occuper au sein des producteurs de bauxite dans le monde. Deux éminents économistes parisiens, les professeurs Christian de Boissieu et Patrice Geoffroy ont remis au Président Alpha Condé lors de sa visite d’État en France en 2011 un mémorandum critique sur les méfaits de ces types d’exploitation et leur limite dans la recherche d’un développement durable. Ils y ont notamment déploré le manque de transparence des conditions de leur établissement, de leur fonctionnement et de l’exploitation de la bauxite, de même que l’absence en Guinée d’institutions publiques sensées les encadrer ; ils déplorent aussi l’absence de transfert de technologie et de connaissance qu’ils auraient dû induire. Autant dire que les miettes que la Guinée tire de ces exploitions se traduisent par une misère plus grande, une frustration des populations et le sentiment d’assister au bradage effréné 251

de son sous-sol qui se traduit par l’exportation sans contrepartie d’une fraction de sa main d’œuvre qui aurait pu valoriser sur place cette bauxite brute exportée. Le résultat est que tout en assurant un bénéfice limité aux générations actuelles, elle sacrifie les générations futures dont les richesses fondent à vue d’œil. Il ne faudrait pas que la Guinée soit moins intelligente que des pays tels que l’Indonésie et la Malaisie qui ont renoncé, comme mentionné plus haut, à l’exportation de la bauxite brute. Une mesure palliative immédiate pour freiner ce phénomène pourrait être la création d’un Fonds souverain, préconisé par les deux économistes, destiné à investir dans des projets destinés à préserver le futur. Une mesure complémentaire pourrait être la prise d’une décision publique et solennelle imposant à tout investisseur dans ce secteur de transformer sur place tout ou partie de la bauxite concédée. SMD vient de signer le 26 novembre 2018 trois Conventions d’une valeur de trois milliards de dollars avec le gouvernement, pour la réalisation d’un chemin de fer de 135 km, d’une raffinerie d’alumine pouvant atteindre la capacité de 1 million de tonnes par an et un projet agricole. En contrepartie SMD recevra de nouveaux permis miniers dans la préfecture de Télimelé. Ces Conventions sont-elles génuines et destinées à introduire une nouvelle dimension de SMD, sont-elles seulement destinées à étouffer les nombreuses critiques formulées de toutes parts contre SMD et tous les projets similaires, sont-elles destinées plutôt à justifier l’acquisition de nouveaux permis miniers ? L’avenir nous le dira, mais il est quand même permis de rester sceptique étant donné l’exemple fourni par les Conventions de Dian Dian et GAC qui malgré leur pleine validité sont purement et simplement mises de côté, avec les obligations qu’elles comportaient. A cet effet on pourrait aussi rappeler le cas de China Power Investment qui avait présenté en toute pompe, lors du Symposium des Mines en 2011 la maquette d’une raffinerie d’alumine modulaire de 4 à 10 millions de tonnes dont on n’entend plus parler. L’Assemblée nationale vient de ratifier en ce mois de mai 2018 une Convention avec la compagnie chinoise TBA qui s’établira à Santou, dans la préfecture de Télimélé pour : - L’ouverture d’une mine de 10 millions de tonnes de bauxite ; - la réalisation d’une raffinerie d’alumine de 1 million de tonnes d’alumine et ; - D’une fonderie d’aluminium de 200.000 tonnes.

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Selon cette Convention la mine sera opérationnelle en juin 2019, la raffinerie en juin 2021 et la fonderie 7 ans et demie à partir de la date d’entrée en vigueur de la Convention. Le gouvernement devrait être très vigilant sur le respect de ce chronogramme, car TBA pourrait oublier sa Convention à l’instar de GAC ou de Rusal à Dian Dian et s’en tenir à la phase de bauxite dont rappelons-le une fois encore la Chine a grandement besoin. La crainte est d’autant plus fondée que TBA a signé par ailleurs avec la Guinée un contrat pour la construction du barrage hydroélectrique d’Amaria et qu’il y a lieu de se méfier des entreprises « à tout faire » dans un domaine aussi spécifique que l’exploitation minière ; il faut se méfier aussi des investisseurs qui entament plusieurs actions avec lesquelles elles pourraient jouer pour finalement faire ce qu’elles veulent et comme elles veulent. Face à cette situation pleine d’insatisfaction et d’interrogations, la politique minière du Président Condé a connu une autre déconvenue de taille qui est l’effondrement du projet du siècle. L’effondrement du Projet du Siècle La compagnie Rio Tinto comme indiqué plus haut est arrivée en Guinée en 1997 et a bénéficié de 4 permis de recherche couvrant les blocs 1,2, 3 et 4 au mont Nimba. Elle va perdre, suite au Décret en date du 28 juillet 2008, dans des conditions diversement appréciées, les blocs 1 et 2 qui seront attribués à BSGR. Elle entamera alors nolens volens le projet d’exploitation de minerai de fer de Simandou Sud, en association avec la SFI et Chinalco. Rapidement le projet prend de l’ampleur en devenant pour la Guinée le projet du siècle. La fiche signalétique du projet se présente ainsi qu’il suit : - Capacité de production, 100 millions de tonnes par an ; - Coût total de la construction, 22 milliards US $, comprenant 6,14 pour la mine, 7,45 pour le chemin de fer, 4,6 pour le port et 3,5 pour les coûts historiques ; - Longueur du chemin de fer, 643 km ; - Durée de la construction, 5 ans ; - Prix de référence, 65 $/tonne ; - Étude de faisabilité bancable déposée le 16 mai 2016. Il s’agit par conséquent d’un projet majeur situé sur une montagne dont les réserves, y compris sa partie nord, sont de 1 milliard de tonnes de minerai d’une teneur de 65 Fe et qui est adossé, du fait de la présence de Chinalco, sur un marché chinois en forte expansion. 253

Malgré ces atouts le projet va échouer du fait principalement de l’ambition démesurée de ses deux partenaires majeurs, Rio Tinto et le gouvernement, au détriment du Projet en tant que tel. En effet dès le départ les deux auront des agendas personnels divergents et même contradictoires. Rio n’a pas digéré le retrait des blocs 1 et 2 attribués à BSGR ; il luttera par tous les moyens pour renverser cette décision, d’abord auprès du Capitaine Moussa Dadis Camara qu’il invitera avec insistance à Londres en laissant entendre qu’il pourrait contribuer de façon significative à résoudre la pénurie d’électricité et d’eau à laquelle le régime de ce dernier faisait face avec acuité. C’est ainsi qu’après une réunion tenue à la salle des congrès au Palais du Peuple le 6 juin 2009, réunion au cours de laquelle le Chef de la Junte a menacé les sociétés minières et de téléphonie à travers leurs représentants, ces derniers ont eu une séance de travail avec le Premier ministre dans la salle du 28 septembre pour échanger sur les dispositions pratiques pour l’application des mesures imposées par le Capitaine ; lors de cette rencontre, le Directeur général de Simfer a confirmé ladite invitation. Après l’élection du Président Condé, Rio Tinto poursuivra sa lutte en utilisant plusieurs personnes, y compris dit-on Georges Soros, ennemi juré de Benny Steinmetz le patron de BSGR et Tonny Blair. La lutte acharnée contre Benny Steinmetz aura eu raison de ce dernier et par ricochet à la Guinée qui a dû renoncer à la réhabilitation du chemin de fer Conakry-Kankan entamé par BSGR d’une valeur de 2 milliards de Dollars et aussi faire face à des poursuites judiciaires, sans pour autant profiter à Rio Tinto. Le temps consacré à cette lutte acharnée représentera malheureusement du temps perdu pour le projet. L’autre point de l’agenda personnel de Rio est le stratagème qu’il a conçu pour échapper au carcan que représenterait le Code minier ; sa démarche consistera à obtenir des exemptions tout en échappant à la rigueur du Comité de Revue des Titres et Conventions. Il parviendra à ses fins à travers l’Accord transactionnel, qui demandera aussi beaucoup de temps et provoquera des secousses comme on le verra plus loin. Ce temps perdu et les palabres interminables se feront une fois encore au détriment du Projet. Quant au gouvernement, son principal agenda a porté sur la volonté, conformément au Code minier, de financer les 35 % supplémentaires du capital et les 51 % des infrastructures et de mobiliser les fonds correspondants qui avoisinent les 10 milliards de Dollars, les infrastructures absorbant à elles seules plus de 6 milliards. Dans sa naïveté, propre aux personnes inexpérimentées dans les affaires, le 254

gouvernement était persuadé que lever un tel montant n’était qu’une formalité banale s’agissant d’un pays comme la Guinée connue pour la richesse de son sous-sol ; il était d’autant plus certain de cela que de nombreux démarcheurs internationaux le lui auraient assuré, la main sur le cœur. Il a misé successivement sur AIOG, puis sur Banco BGT Pactual, banque d’affaires brésilienne ; il n’a pu obtenir que des promesses et des contre-propositions d’implication dans la structure du Projet. L’attente de la concrétisation des promesses va se traduire par des reports successifs de la mise en place du plan financier des infrastructures, retardant par la même occasion le lancement des travaux. L’autre objectif du gouvernement a été sa volonté d’insérer dans la structure du Projet ses hommes ; c’est par exemple qu’il a tenu à ce que toute décision d’investissement soit soumise à l’accord de Soguipami, provoquant des débats, des suspicions et une tension au sein des équipes de travail. Une autre cause d’échec a sans nul doute été les défaillances des différents représentants du gouvernement dans la délivrance régulière des autorisations administratives et autres services publics. La lettre de Graham Davidson le Directeur général de Simfer en date du 25 février 2012 est emblématique à ce sujet ; elle critique une Administration incapable, vieillie et corrompue. Cette situation a probablement été provoquée par les tâtonnements du gouvernement face aux différentes questions liées au Projet et aussi à l’inexpérience ou l’incompétence de ses représentants. Ces tâtonnements, ces va-et-vient résultent de la part prise par le Président de la République dans les négociations dont il était en fait le chef négociateur. Par ailleurs, le conflit ouvert entre le gouvernement et Taylor de Jonch désigné par la Banque Mondiale pour donner des avis sur le Projet constitue un témoignage des tensions existant entre les protagonistes, notamment au sein du Comité de pilotage des investissements où les différentes résolutions adoptées reflètent cette opposition, retardant en même temps le déroulement normal du Projet. Un autre facteur qui a profondément perturbé le cours du Projet a été l’Accord transactionnel d’avril 2011 signé entre le gouvernement et Rio Tinto, suite à l’entrée de Chinalco dans le Projet suivi du payement d’un droit d’entrée de 2 milliards de Dollars. Le gouvernement a réclamé et obtenu de Rio une ristourne de 700 millions de Dollars sur cette transaction. Malheureusement, le document signé s’avérera n’être que la concrétisation d’une avance sur impôts qui comportera par ailleurs 255

des clauses de réduction des taux d’imposition par rapport au Code minier et aussi et surtout des cadeaux d’impôts d’une ampleur exceptionnelle ; par exemple le taux général d’impôt passe de 35 % à 30 % et une exemption fiscale pour 8 ans à compter du 1er exercice bénéficiaire, pour les bénéfices et les dividendes. Le gouvernement s’en est senti floué et frustré après la découverte de la supercherie et la confiance entre partenaires s’en est trouvée entamée. En fait Rio a tout simplement bénéficié de l’incompétence et de la légèreté des négociateurs guinéens. Un autre élément dévastateur de ce deal est le versement de 10 millions de Dollars à un intermédiaire, ami supposé du Président. Ce geste a non seulement jeté un discrédit sur le Projet et ses promoteurs, mais aussi entrainé le licenciement des deux premiers responsables de Rio pour fait de corruption. Venue s’ajouter à tous ces facteurs négatifs, la courbe des prix de la tonne de minerai de fer en passant de 187 $/T en 2011 à 35 $/T en 2015 a donné le coût de grâce au Projet, tout investissement dans le secteur devenant tout simplement hasardeux pour les années à venir. Ainsi un Projet qui avait tous les atouts pour réussir fera les frais d’un mélange d’incompétence, d’inexpérience, de gourmandise chez les promoteurs qui traineront les pieds au moment où le marché était favorable dans l’espoir de gagner plus et ne se réveilleront de leur rêve que lorsqu’il sera trop tard. Après que Rio ait renoncé au développement de ce projet, le gouvernement s’emploiera à convaincre Chinalco de prendre la relève et de poursuivre le projet. Dans ce cadre il encouragera Rio Tinto et Chinalco à signer un Accord sur les conditions de transfert de la totalité des parts du premier au second à travers Simfer Jersey. Cependant le 29 octobre 2018, la négociation entre les deux a été interrompue et l’Accord provisoire a pris fin. La Guinée doit par conséquent chercher un autre partenaire. Autant dire que l’exploitation de Simandou Sud ne se fera pas dans les 10 à 15 ans à venir. LA POLITIQUE AGRICOLE DU PRÉSIDENT ALPHA CONDÉ Le secteur de l’Agriculture est sans nul doute celui qui devrait être le plus important en Guinée, à cause de la disponibilité des terres abondantes qui ne demandent qu’à être mises en valeur, du pourcentage de la population qui y vit et du caractère renouvelable des ressources qui y sont. En effet il offre l’activité à 80 % de la population guinéenne

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et 57 % des ruraux en tirent leurs redevenus bien qu’il ne contribue que pour 14 % Produit intérieur brut (PIB). Au début de son mandat, le Président Condé avait promis d’amener la Guinée à l’autosuffisance alimentaire en 3 ans. Cette promesse impromptue ne pouvait naturellement pas se réaliser compte tenu de l’état vétuste de l’agriculture guinéenne que Mohamed Béavogui, alors Directeur du Partenariat et Mobilisation des Ressources au FIDA résumait dans une interview accordée au Journal Indépendant No 004 du 20 septembre 2012 ; il disait notamment que la Guinée n’utilise que 20 à 25 % de ses terres arables, que seulement 9 % de ses terres irrigables sont irriguées, que la consommation d’engrais n’est que de 5 kg à l’ha alors que la moyenne mondiale est de 90 kg. Il aurait pu ajouter aussi que le taux d’alphabétisation des paysans était des plus faibles en Guinée, ce qui constitue un handicap sérieux pour l’utilisation des engrais et des semences. C’est pour toutes ces raisons que l’importation de riz a continuée de plus belle pour atteindre 516.059 tonnes en 2012, surtout que les aménagements des terres entre 2014 et 2017 n’ont été que de 7.248 ha et que l’agriculture n’a bénéficié que de 3,68 % du budget national en 2017. Autant dire que le secteur est très handicapé et devrait bénéficier de toutes les attentions. La stratégie de développement de l’agriculture qui a reposé principalement sur la distribution des semences et des engrais, sans aménagement hydro agricole significatif, sans formation et encadrement permanents des paysans ne pouvait pas réussir. Bien que l’aménagement et la formation ne puissent pas être réalisés en 8 ans, on aurait pu néanmoins s’attendre à l’adoption d’un plan qui symboliserait cette volonté politique ; ce plan indiquerait le calendrier des mesures que compte prendre le gouvernement pour réaliser cet objectif. Étant donné le taux d’analphabétisme très élevé chez les paysans, le 2e volet le plus important de la politique de l’agriculture devrait être la formation des paysans et leur encadrement permanent À côté de cette politique en faveur des cultures vivrières, le gouvernement aurait dû adopter une politique tendant à réveiller les cultures d’exportation. Le Président Condé a été bien inspiré de lancer la promotion de l’anacarde bien que ce produit connaisse une crise mondiale. Il a eu raison de le faire, car c’est un produit adapté à nos terres, facilement cultivables et qui a de l’avenir. Il suffira d’organiser et d’encadrer la filière. Au-delà de l’anacarde le gouvernement aurait dû s’atteler à réhabiliter la filière fruits, à savoir la mangue, la banane, l’ananas qui ont fait la fierté de la Guinée et le plaisir des 257

consommateurs en Europe. Pour cela le gouvernement devrait entreprendre une étude de marché et une étude de faisabilité pour déterminer les voies et moyens pour relancer la filière afin de déterminer le rôle des acteurs, celui de l’État et des investisseurs désireux de s’associer avec des partenaires locaux pour mener à bien cette nouvelle aventure. Compte tenu de tout ce qui précède, une politique dynamique de l’agriculture pourrait reposer sur ce qui suit : - L’accélération du rythme d’aménagement des terres - Le choix très strict des semences et des engrais afin d’éviter les déconvenues enregistrées en 2017 du fait de la mauvaise qualité des semences de pommes de terre en Moyenne Guinée - La réhabilitation de la mangue, de la banane, de l’ananas dont la qualité a fait la fierté de la Guinée et qui pourrait être relancée à travers des partenariats internationaux suscités, soutenus et encouragés par l’État. - La création à terme dans chaque préfecture d’une école d’agriculture - La réhabilitation des centres d’expérimentation qui existaient sous la Première République - L’intensification de l’encadrement des paysans Il reste entendu que ces actions ne pourront pas être réalisées en même temps et qu’elles nécessiteront l’élaboration d’un plan qui définirait les priorités, le chronogramme de réalisation et dégagerait les moyens appropriés pour y parvenir. Un tel plan est indispensable si on veut redonner à l’agriculture ses lettres de noblesse. L’agriculture devrait en toute logique bénéficier d’un meilleur traitement si la Guinée aspire à un développement durable et inclusif ; le développement du pays se fera à partir de l’agriculture ou ne se fera pas, étant donné l’abondance des ressources disponibles, la taille de la population qui en dépend et des progrès techniques que le monde a enregistrés dans ce domaine et qu’on pourrait s’approprier aisément. LA POLITIQUE SOCIALE ET CULTURELLE D’ALPHA CONDÉ La politique sociale et culturelle concerne à la fois la société en tant que telle, ses citoyens au point de vue de leur santé, leur formation, leur bien-être, leurs loisirs, leur sécurité, mais aussi les formes d’expression des membres de la société à travers les arts, la culture, les croyances. 258

Les deux faces de cette politique s’entremêlent et s’impactent l’une sur l’autre. La politique sociale Étant donné l’ampleur du sujet, on retiendra de la politique sociale les questions liées à l’école, à la santé, au cadre de vie et à deux phénomènes de sociétés que sont le trafic de drogue et la lutte contre la corruption. La politique de l’école L’éducation absorbe actuellement 10,10 % du total du budget, c’est déjà remarquable par rapport aux années passées, mais toujours insuffisant alors que 20 % des enfants en âge d’aller à l’école ne fréquentent pas les salles de classe, et ce malgré la loi qui rend obligatoire l’école pour les enfants âgés de 6 à 16 ans. Il faut noter à cet effet qu’en ville on compte en moyenne 120 élèves pour un enseignant et 60 élèves dans les zones rurales. Autant dire que la politique de formation des jeunes est une catastrophe alors qu’ils sont censés être l’avenir du pays. Pour mesurer l’ampleur de notre retard en matière des dépenses d’éducation, on retiendra qu’en marge de la réunion du Partenariat mondial pour l’Éducation tenue à Dakar le 2 février 2017 il a été signalé que le Sénégal consacre ¼ de son budget à l’éducation. On pourrait aussi se rappeler, comme cela a déjà été signalé que durant les années 60 la Côte d’Ivoire affectait 40 % de son budget à l’éducation pour débloquer le système. Il est certain d’ailleurs que le Président Alpha Condé est convaincu de cette nécessité ; en effet dans un discours devant les militants de son parti au stade de Coléah le 19 mai 1991, il affirmait que « l’enseignement doit être la priorité des priorités ; nous devons y consacrer entre 25 % et 30 % du Budget ». Soulignons que depuis l’indépendance la politique consacrée à l’école n’a pas donné satisfaction aux Guinéens. Durant la Première République, la controverse a porté notamment sur l’enseignement des langues nationales et l’introduction de la politique à l’école. La deuxième République a concentré ses efforts sur la réintroduction du français, la construction des salles de classe et la formation des maitres. Quant à la politique du Président Alpha Condé, elle a plutôt suivi le chemin tracé par le gouvernement du Général Conté sans prendre des initiatives particulières. Elle a surtout porté son attention sur la 259

promotion et autres avantages accordés aux chefs syndicalistes les plus en vue. C’est ainsi que certains se sont retrouvés au Conseil économique et social ou bien nommés par Décret comme directeurs préfectoraux de l’enseignement ou bien à d’autres postes administratifs. Par ailleurs des rumeurs persistantes ont accompagné chaque fin de grève, faisant état d’enveloppes qui auraient été remises aux négociateurs pour acheter leur indulgence. C’est ainsi que les grèves sont devenues plus rares et l’application des accords plus incertain. Cette pratique a fini par créer une distorsion entre les travailleurs à la base et les chefs syndicalistes en qui ils ont perdu confiance, avec comme conséquence l’apparition d’une nouvelle classe de dirigeants plus soucieux de l’intérêt des travailleurs. La venue à la surface d’un Aboubacar Soumah et de ses camarades du SLEECG est la manifestation éloquente de ce phénomène qui malheureusement n’a été perçu ni par le gouvernement ni par les vieux leaders syndicalistes. La grève des enseignants de décembre 2017 et de Février-Mars 2018 va être la traduction de ce changement de paradigme dans les relations entre le gouvernement et les chefs syndicalistes. En effet si le gouvernement a essayé comme par le passé d’user de l’arme bien connue de diviser pour régner, de l’intimidation et même parait-il de la distribution des enveloppes d’argent pour déstabiliser ses nouveaux interlocuteurs, cette pratique s’est avérée inopérante ; les vieux syndicalistes pour leur part vont vilipender les nouveaux dirigeants en les accusant d’être des usurpateurs de fonctions, des voleurs avec effraction, des bandits. Cependant cette alchimie ne va pas prendre, car les vieilles méthodes de négociation qui convenaient bien aux deux interlocuteurs n’étaient plus payantes. La grève suspendue en décembre 2017 et reprise le 12 février 2018 ne s’arrêtera que le 13 mars 2018 après la signature d’un accord qui consacre l’acceptation de l’intégralité des points de revendications du syndicat à l’exception de la demande de fixation du salaire de base des enseignants à 8 millions de francs. Ce résultat tout en étant accueilli avec joie par les Guinéens, leur a laissé néanmoins un arrière-goût amer, car ils ne comprennent pas pourquoi ces négociations ont trainé en longueur alors que les enfants continuaient à perdre leurs cours à l’école, que des manifestations de rue se multipliaient causant des morts et des dégâts matériels importants, le gouvernement refusant de satisfaire les revendications des syndicats sous le prétexte d’être soumis au programme du FMI, pendant que les dépenses ostentatoires et les gaspillages de l’Exécutif s’étalent au grand jour. Dans leur grande 260

majorité, les Guinéens ont imputé cette situation à l’implication du Chef de l’État comme chef négociateur de fait, à la mauvaise évaluation des rapports de force entre ces jeunes syndicalistes et le gouvernement, à une obstination maladive du gouvernement caractéristique des vieilles personnes. Les enseignants sont satisfaits, enthousiastes et optimistes pour ce qui est de l’avenir. Mais cette joie n’a pas duré, car dès la rentrée des classes la revendication des 8 millions de francs est revenue à l’ordre du jour et la grève a repris de plus belle. Il est clair que ces négociations parcellaires, quel qu’en soit le résultat n’apporteront jamais un calme durable à l’école qui est malade et qui requiert des solutions globales. La situation de l’école est bien connue et se caractérise notamment par des classes pléthoriques, des équipements rudimentaires, des maitres mal formés, mal payés et ne bénéficiant d’aucune considération sociale. L’édifice qui symbolise l’école guinéenne doit être repensé de fond en comble pour en faire la priorité des priorités des Guinéens. Les économistes, les sociologues et les simples observateurs, lorsqu’ils examinent le développement des pays asiatiques et de la Côte d’Ivoire conviennent de la nécessité de faire de l’éducation la priorité des pays en développement. En Guinée on pourrait aussi tenter cette expérience en accordant la priorité absolue à l’éducation pendant une période de 10 ans. Une telle opération devrait débuter par une évaluation profonde et systématique de l’école guinéenne, aussi bien sur le plan des ressources humaines que matérielles, y compris des programmes. Cet exercice conduirait à l’élaboration d’un plan destiné à reconstruire l’école, allant de l’élaboration de nouveaux programmes, à la sélection des enseignants, à leur formation, à l’accroissement substantiel de leurs salaires et à l’équipement adéquat des écoles. Sans forcément atteindre le pourcentage de 40 % du budget à l’instar de la Cote d’Ivoire des années 60, on pourrait multiplier le pourcentage actuel par trois, ce qui situerait la Guinée un peu au-dessus du Sénégal qui rappelons-le est de 25 %, avec cependant une situation moins dramatique. Cette révolution est incontournable ; l’initiative prise au niveau de l’enseignement supérieur tendant à ouvrir les Grandes Écoles aux bacheliers guinéens par exemple, malgré son côté attrayant et le bénéfice qu’une minorité pourrait en tirer, ressemble à s’y méprendre à un entrepreneur qui décide de renforcer les étages supérieurs d’un bâtiment tout en conservant intacts le soubassement et le rez-dechaussée bâtis pour un immeuble moins lourd. Encore une fois, on doit

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tout reprendre en ayant une vision globale du système éducatif que l’on désire. Politique de Santé En ce qui concerne la santé il faut rappeler que selon le rapport 2013 du FMI le taux de mortalité maternelle et infantile en Guinée est de 980/100.000 naissances, le taux de mortalité infantile de 91/1000 et que 31 % des enfants souffrent de malnutrition. Si Conakry la capitale compte 20 % de la population guinéenne, elle retient 48 % des médecins, 51 % des sages-femmes et 39 % des infirmiers du pays. Ainsi l’insuffisance des ressources se trouve accompagnée d’une mauvaise répartition du peu qui existe. Malgré la douloureuse expérience de la maladie d’Ebola qui a surpris la Guinée avec un système de santé délabré, démuni et presque à l’abandon, les Guinéens continuent à patauger et à tourner en rond, alors que le gouvernement refuse d’affecter au secteur un pourcentage suffisant du budget national, après avoir été incapable de faire de cette pandémie une opportunité de mobilisation de la communauté internationale pour financer la réhabilitation du secteur de santé ; cet échec est principalement dû au fait de n’avoir pas présenté un Plan cohérent, accompagné d’études de faisabilité détaillées et convaincantes ; au lieu d’une telle approche, le plan présenté a été une collection de projets issus de compromis entre délégués ministériels au sein de la commission chargée de préparer le projet guinéen, convaincus qu’ils obtiendront tout ce qu’ils demanderaient ; le résultat a été un catalogue de projets ambitieux, avec comme symbole quatre hôpitaux des régions caractérisés par le luxe et le coût exorbitant tout en étant inadaptés à notre situation sociopolitique, à nos capacités d’absorption des capitaux et surtout à nos facultés de gestion ; ceci a finalement donné l’impression d’une tentative d’arnaque tendant à embarquer nos partenaires dans un projet qui nous dépasse à tous points de vue. En tout cas la guinée n’a pu mobiliser que 28 % des sommes demandées. LA GESTION DU CADRE DE VIE Pour ce qui est du cadre de vie, c’est à dire l’espace dans lequel les Guinéens respirent, mangent, se déplacent tous les jours et qui a un impact direct sur leur confort, leur santé, le bonheur de vivre et de jouir pleinement de la vie. Ce cadre qui leur est offert par la nature est tous 262

les jours battu en brèche et pollué suite aux activités quotidiennes irresponsables de l’homme ; les forêts sont détruites, les têtes de sources naturelles sont obstruées et saccagées, les voitures empoisonnent par les rejets de gaz, l’harmonie des villes est compromise par une occupation anarchique et des constructions sauvages. Face à cette agression sauvage multiple et complexe du monde dans lequel nous vivons, les pouvoirs publics dans chaque pays ont une responsabilité très grande pour assurer une vie supportable à sa population. Devant l’ampleur de cette responsabilité et la faillite de certains États à faire face à cette mission même dans sa dimension la plus réduite, la plus circonscrite et la plus immédiate est une autre manifestation de la mauvaise gouvernance. Pour illustrer une telle faillite, on pourrait choisir l’envahissement irrémédiable de Conakry par les ordures. Appelée autrefois la perle de l’Afrique occidentale, Conakry est devenue en effet une poubelle à ciel ouvert. Les rues, les places publiques, les écoles et même les hôpitaux sont envahis par des ordures qui y trainent pendant des semaines sans que personne ne s’en inquiète. Les populations respirent une odeur nauséabonde, les mouches envahissent le pain et autres aliments vendus en plein air au risque de propager les maladies infectieuses. Ces immondices pestilentielles ont même été accompagnées d’un drame suite à l’éboulement de la décharge de Dar Es Salam un quartier populaire de Conakry, sous la poussée des pluies le 21 août 2017, causant plus de 10 morts. Cette catastrophe n’a surpris que ceux qui ne voulaient rien voir ; en effet en 1998, tous les riverains de la décharge avaient reçu des dédommagements pour leur permettre de quitter le voisinage de cette montagne d’ordures qui pouvait à tout instant se mettre en mouvement et engloutir tout sur son passage et un domaine avait été dégagé à Kagbelé à une trentaine de kilomètres de Conakry pour abriter la nouvelle décharge. Hélas ! ce domaine fut détourné de cet objectif et il fut divisé en parcelles qui ont été attribuées aux membres des Organes de la Transition ; quant aux habitants de Dar Es Salam, ils encaissèrent l’argent de dédommagement et restèrent sur place ; une fois encore l’indiscipline, la corruption, l’impunité et le laissez-faire vont prévaloir. Il est à se demander quand cette montagne va être enfin démantelée avant de tuer à nouveau et quand Conakry va avoir une décharge. S’agissant du ramassage des ordures de tous les jours, le gouvernement continue à tâtonner, les populations continuent allégrement à déverser leurs poubelles à la sauvette et à salir Conakry 263

jour après jour, exposant la capitale à la risée des visiteurs et ses habitants au désagrément et aux maladies. La confusion continue à régner au sommet ; pour une affaire de gros sous la responsabilité du ramassage des ordures passe tantôt au Ministère de l’Administration du Territoire, tantôt au Gouvernorat ou aux Communes. On vient de créer une Agence Nationale d’Assainissement et de Salubrité. Cette Agence pourrait encadrer les Mairies, les conseiller et les assister tout en laissant la maitrise d’œuvre, disposant des moyens adéquats aux Maires élus. LE TRAFIC DE DROGUE Après le coup de tonnerre lancé par le capitaine Dadis Camara contre les trafiquants de drogue et l’éparpillement des barons à travers le monde, il semble bien que le fléau ait repris son cours aujourd’hui de plus belle ; les petits avions ont repris leurs vols de nuit, les buildings de haut standing poussent de nouveau çà et là. Le rapport d’un diplomate américain, David E Brown pour le compte de l’Institut des Études stratégiques intitulé « Les Défis du Trafic de drogue à la Gouvernance démocratique et de la Sécurité en Afrique de l’Ouest », publié en mai 2013 prédit que la Guinée pourrait être le prochain NarcoEtat du monde après la Guinée-Bissau. Il signale notamment que les réseaux latino-américains sont déjà établis en Guinée. Il recommande que la Communauté internationale travaille urgemment avec le régime Condé pour inverser la mainmise des trafiquants sur l’État. Le rapport souligne la forte probabilité que le blanchiment de l’argent de la drogue soit une source de financement des organisations telles que Hezbollah, Aqmi, An sardine, Boko Haram, etc. Les revenus tirés de la drogue sont blanchis par divers moyens, l’immobilier, les entreprises de pêche et les opérations minières locales. Dans ce rapport les accusations portées contre la Guinée sont particulièrement graves et précises, quand il indique que ce pays serait le prochain Narco — État, que les réseaux latino-américains sont déjà en Guinée, que les trafiquants de drogue ont mis la main sur l’État et que la Guinée est une plaque tournante du trafic et du financement du terrorisme et des organisations jihadistes. Ces accusations sont d’autant plus préoccupantes qu’elles sont publiées par un Institut respectable et bien connu à travers le monde et que l’auteur du rapport est un diplomate qui engage la crédibilité du Département d’État et du gouvernement américain. Le sérieux des informations devrait inciter le gouvernement 264

à se réveiller pour juguler ce fléau qui menace à la fois la crédibilité, la sécurité, la stabilité et le futur de la Guinée. De récentes informations sur le blanchiment d’argent font état de l’arrestation à Dakar d’un homme d’affaires libanais résident en Guinée et qui aurait été livré aux Américains et qui serait lié aux réseaux terroristes ; cet homme aurait investi dans l’immobilier à Conakry, il aurait notamment construit le Grand Marché de Conakry et un nombre important d’immeubles au large de Camayenne. Un autre fléau à combattre c’est la corruption telle qu’on va le voir ci-dessous. La lutte contre la corruption En 2016 si le budget consacré à la lutte contre la corruption en Guinée était estimé à 500.OOO $, ce chiffre était de 2.000.000 $ en Côte d’Ivoire, 2.000.000 $, au Liberia, 2.070.000 $, au Sénégal. En plus de cette insuffisance notoire des moyens, il faut regretter que ce soit seulement en 2017 que la Loi sur la lutte contre la corruption a vu le jour en Guinée alors que le pays à plusieurs reprises a été épinglé par les médias. Le phénomène de corruption a fait l’objet d’un long développement aux Chapitre III, Paragraphe II et Chapitre IV, Paragraphe I ci-dessus où il a été question des distributions d’argent ou bien d’opérations qui ont manqué de transparence et occasionné de suspicions. Quant à la corruption de tous les jours elle est présente partout en Guinée, à l’école où les parents d’élèves sont régulièrement mis à contribution pour envoyer de l’argent pour des actions qui n’existent pas, à l’hôpital public où les sommes d’argent encaissées ne font l’objet d’aucun reçu de versement, où le malade achète non seulement les médicaments, mais aussi les gants, les seringues, les bandes de pansements et les compresses sous prétexte que le gouvernement ne leur fournit rien, sur les routes où les policiers en toute impunité rackettent les conducteurs au vu et au su de tout le monde. S’agissant de la corruption des bandits à col blanc, elle est encore plus nocive, car elle décourage les investisseurs, entrave la concurrence, contribue à gonfler artificiellement les factures de l’État et à favoriser la mauvaise exécution des chantiers publics qui sont parfois carrément stoppés en cours d’exécution. Le Rapport 2018 Tranparency international sur la perception de la corruption dans le monde corrobore cette situation en classant la Guinée 138e sur 180. Or la corruption est décidément un mal difficilement extirpable qui empêche tout développement d’un pays ; c’est pour cela qu’elle doit être combattue sans relâche avec la dernière énergie. 265

En guise de conclusion de ce développement consacré à la politique sociale, il n’est pas inutile de revenir sur la photographie des dérives sociales qui ont pour noms corruption, consommation de la drogue, banditisme débridé, délinquance sauvage, insécurité généralisée. Si l’ampleur de ce phénomène est en partie liée au chômage des jeunes ou bien à l’ambigüité de la lutte menée par les services de sécurité et la justice, il est fort probable qu’elle ait été renforcée aussi par la perte de nos valeurs traditionnelles et le mimétisme acquis à travers les réseaux sociaux sur internet. La politique Culturelle L’État des Lieux La culture est l’ensemble des expressions artistiques, intellectuelles, sportives, religieuses qui caractérisent une société. Cette expression se manifeste en Guinée sous forme de chants, de danses, d’écrits sous toutes les formes, de contes et légendes. Nous avons vu la politique suivie par les Première et Deuxième Républiques dans le domaine de la culture. Quelle a été celle du Président Alpha Condé ? À l’instar de la Deuxième République, les orchestres, les membres des ballets, les chanteurs, les sportifs ne sont plus des fonctionnaires d’État payés par le trésor public. Le gouvernement n’intervient que pour soutenir les équipes sportives nationales dans leur préparation et leur participation aux compétitions internationales. Désormais en Guinée, les équipes sportives, les orchestres sont pris en charge ou sponsorisés par des privés. Tout cela est normal dans un régime dit libéral ; ce qui l’est moins c’est l’absence d’initiatives de l’Etat pour la création d’un environnement favorable au développement de la culture guinéenne, alors qu’il n’existe pas de maisons de la culture, qu’il n’existe aucune école de théâtre, que des terrains viables de football, de baskets et autres sports font défaut à l’intérieur du pays, de même que des librairies et des bibliothèques ; autres handicaps de la Guinée, c’est le manque criard de compétitions dans les différents domaines de la culture ou des festivals internationaux ; on se demande par exemple comment la Guinée a perdu au bénéfice de l’Afrique du Sud le Festival international de la Kora qu’elle avait pourtant initié. En matière de culture le seul coup d’éclat notable que la Guinée a réussi a été en 2017 l’événement intitulé « Conakry Capitale mondiale du Livre ». Il est à espérer que cette rencontre va booster l’écriture, la

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lecture et la multiplication des bibliothèques après la réalisation de la Bibliothèque Nationale. Malgré les différents manquements de l’Etat, il est heureux de noter que le génie des écrivains, des chanteurs, des artistes de tout-venant, ayant leurs pieds profondément plongés dans l’héritage traditionnel continue de tenir haut le drapeau guinéen. À ce propos, sans être exhaustif, on pourrait citer entre autres Thierno Monenembo, Sékouba Bambino, Soul’Bangs, Sia Tolno, les Espoirs de Koronthy, Fodé Baro, qui font honneur à leur pays. Ces artistes, ces auteurs pourraient être mis à contribution dans la lutte contre la délinquance et le banditisme dont il a été question plus haut. L’utilisation de la Culture pour combattre les maux sociaux L’influence de ces artistes est telle en Afrique et ailleurs qu’ils pourraient prendre part à une lutte organisée et planifiée déclenchée contre la délinquance juvénile. Pour ce faire le gouvernement pourrait mettre en place une commission d’évaluation composée des écrivains et artistes ci-haut mentionnés des éducateurs, des sociologues, des parents d’élèves en vue tout d’abord de faire un état des lieux afin de mesurer l’ampleur des dégâts. Ensuite la commission proposerait une stratégie pour enrayer le phénomène. Il s’agira d’une lutte longue, couteuse et complexe qui concernerait aussi bien les programmes des écoles à propos du renforcement et de l’adaptation continue de l’instruction civique, des montages des pièces de théâtre, des clips, des concours littéraires, des chansons, des caricatures, des dessins animés dont l’objectif serait d’informer, d’éduquer et de prévenir les jeunes afin qu’ils ne tombent pas dans le piège consistant à faire de la tradition un refuge toujours rétrograde alors que la culture véhiculée à travers internet serait à tous points de vue la meilleure. La finalité sera d’aider les jeunes à choisir en toute connaissance, à n’imiter de l’Occident que ce qui est bon et à ne conserver de la tradition que ce qui est meilleur. Un tel recours à la culture ne saurait en rien entamer le rôle éminent que devraient jouer les services de sécurité et la justice face aux bandits et aux barons de la drogue qui n’ont pour valeur que l’argent et n’ont absolument aucun souci du devenir de ce pays.

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CHAPITRE VI : L’héritage que pourrait laisser Alpha Condé Des trois Chefs d’État passés en revue, l’héritage d’Alpha Condé est le plus difficile à évaluer et apprécier en comparaison avec celui des deux premiers, étant donné que Sékou Touré et Lansana Conté ont passé respectivement 26 et 24 années à la tête de l’État alors qu’Alpha Condé lui, au moment où ces lignes sont écrites n’aura accompli que huit ans de pouvoir. Cependant en se plaçant sur le plan de la qualité des travaux accomplis, des conditions de leur réalisation et leur utilité, une tentative de comparaison pourrait être bénéfique. La revue les œuvres utiles et durables laissées par chacun d’eux à la postérité ou à contrario les difficultés dans lesquelles certaines des leurs actions vont conduire fort probablement les Guinéens dans le futur pourrait s’avérer indispensable pour la poursuite de notre route vers le progrès. À l’exemple du bilan dressé pour les deux premiers, examinons successivement les réalisations mémorables, puis les actions moins glorieuses que le Président Alpha Condé aura pu léguer aux Guinéens à la fin de sa Présidence.

A. LES ACTIONS POSITIVES RÉALISÉES SOUS LA PRÉSIDENCE D’ALPHA CONDÉ SUR LE PLAN INTERNATIONAL En accédant en 2017 à la Présidence tournante de l’Union africaine, le Président Condé aura réintroduit sur l’écran des radars de la diplomatie africaine le nom de la Guinée qui avait disparu depuis la fin de la Première République. Il a pu de ce fait parler au nom de l’Afrique, présider des Conférences internationales. Il a pu par la même occasion honorer son célèbre slogan de « Guinea is back » Dans la même perspective, il a entamé des médiations dans plusieurs conflits au nom de l’UA, de la CEDEAO ou de son pays. Il a pu ainsi 269

avec l’appui de la CEDEAO, du Sénégal et du Nigeria, négocier le départ en exil de Yaya Jamey Président de la Gambie qui voulait s’accrocher au pouvoir ; il continue vaille que vaille à trouver en Guinée Bissau une solution à la longue crise née entre le Président de ce pays avec les députés ; il est engagé avec le Président du Ghana dans les discussions pour résoudre la crise constitutionnelle du Togo entre le Président et les partis de l’opposition. Il faut aussi mentionner le retour du Maroc dans l’UA après 32 ans d’absence et l’adoption d’une taxe sur les importations africaines pour financer de façon autonome le fonctionnement de l’Organisation Pan Africaine ; bien que l’on ne puisse pas lui attribuer la paternité de ces deux décisions, on doit lui reconnaitre un rôle actif pour l’occurrence de ces deux évènements. Fini le temps où on confondait la République de Guinée avec la Guinée Bissau ; désormais la Guinée parle, se fait entendre et se fait écouter. Nous lui en serons reconnaissants pour la fierté qu’il nous aura redonnée. Résultats en matière de construction des infrastructures Dans le domaine des Infrastructures hydroélectriques, il a obtenu de bons résultats, quoique les conditions de réalisation de ses ouvrages aient fait l’objet de beaucoup de critiques. Énumérons néanmoins ces Infrastructures dont les Guinéens pourront se glorifier — Les Centrales hydroélectriques bâties et terminées, ajoutées à celles en projets avancés vont totaliser une capacité totale de 1.283 MW ; ce qui permettra de réduire le déficit des grandes villes de la Guinée en fourniture de courant électrique — Les Hôtels construits par les compagnies chinoises ont envahi les rues de la capitale et ont comblé le manque dont souffraient les touristes et les organisateurs des conférences internationales et des colloques. Un hôtel de la célèbre chaine Sheraton est venu s’ajouter à la liste des réalisations chinoises — Les bâtiments et infrastructures administratifs construits ou reconstruits à l’occasion de l’organisation des fêtes tournantes de l’indépendance à l’intérieur du pays, ont changé la physionomie des villes où ces fêtes ont eu lieu — Le gouvernement a aussi entrepris la réhabilitation de l’hôpital Donka ; cet hôpital construit juste avant l’indépendance était devenu vétuste et peu fonctionnel ; les travaux ont débuté il y a deux ans et vont se terminer sous peu et donner naissance à un complexe dont les Guinéens seront fiers 270

Conakry, Capitale mondiale du Livre — Il a fait abriter en 2017 l’évènement « Conakry, Capitale mondiale du Livre » qui a suscité la venue sur la scène littéraire d’un grand nombre de nouveaux écrivains, l’inauguration de la Bibliothèque Nationale et l’apparition, par-ci par-là des salles de lecture dans Conakry Au revers de cette page brillante de la gouvernance d’Alpha Condé il faut malheureusement faire état de ce qui pourrait être un héritage moins glorieux et très préoccupant pour l’avenir de la Guinée.

B. ACTIONS PLUTÔT NÉGATIVES QUE POURRAIT LAISSER LA PRÉSIDENCE D’ALPHA CONDÉ Cet héritage moins glorieux concerne le non-respect de la Constitution, la mise en place des Institutions Républicaines instables et faibles, l’organisation d’élections peu crédibles, la négligence de la question de réconciliation nationale, l’insécurité généralisée, l’enracinement de la corruption, l’échec de la gestion du cadre de vie de Conakry, la politique de l’école à la dérive, la politique minière en recul, l’échec du projet Simandou, la gestion floue du secteur de l’électricité, la gestion hasardeuse du prêt chinois de 20 Milliards de Dollars et aussi et surtout l’introduction de la politique partisane comme élément de gouvernance du pays Une Constitution affaiblie La Constitution qui est la colonne vertébrale du contrat social que les Guinéens se sont donné contient les règles fondamentales régissant le fonctionnement de l’État. C’est pour cela que tout Président élu est tenu de prêter serment sur ce document fondamental en jurant de le respecter, de le faire respecter et de le défendre. Or, le Président Condé risque de laisser en héritage une Constitution à minima dans laquelle chacun se soumettra aux Articles de son choix et ignorera les autres, une Constitution affaiblie et adaptable aux besoins du moment qui aura perdu son absoluité. En effet, comme mentionné plus haut, nombreux sont les Articles de la Constitution En plus de ces passe-droits, comme rappelé plus haut le président Alpha s’est à plusieurs reprises abstenu de défendre la Constitution malgré son serment solennel de le faire. Ces transgressions sous forme 271

de discours publics, ont remis en cause les Articles de la Constitution relatifs à l’unité nationale, discours qui n’ont jamais été relevés et condamnés. D’autres attaques contre la Constitution ont concerné des articles de journaux qui ont carrément mis en cause la légitimité de la Constitution faute d’avoir été adoptée par référendum ; bien qu’elle ait servi de base à l’élection du Président de la République à deux reprises et aux élections législatives et communales. Ces articles non plus n’ont fait l’objet d’aucune condamnation officielle alors que par ricochet ils mettaient en cause aussi la légitimité du Président, des députés et des hauts fonctionnaires nommés par Décrets. Ces passe-droits et ces propos illégaux affaiblissent à coup sûr la Constitution en accentuant son caractère tout à fait relatif et en encourageant tous ceux qui seraient tentés de la bafouer et de la remettre en cause. C’est pour cela qu’ils interpellent le Président de la République, le garant de la Constitution. Ces manquements à la Loi sont malheureusement accompagnés des Institutions Républicaines plutôt boiteuses et manquant de crédibilité. Des Institutions Républicaines instables et décrédibilisées Une autre tare majeure de la Présidence Condé concerne les Institutions Républicaines dont les défauts sont la conséquence de plusieurs facteurs que sont entre autres la proximité des dirigeants de ces Institutions avec le Chef de l’État. Le choix non basé sur des critères de compétence, d’honnêteté, d’expérience, de rigueur et d’indépendance a deux conséquences directes, celle d’enlever toute crédibilité à l’Institution et celle de lui conférer une instabilité chronique du fait que d’autres conseillers membres de ces Institutions ont aussi bénéficié dans leur choix des mêmes faiblesses se considèrent l’égal de leur chef qu’ils chercheront à déstabiliser pour le remplacer. Il a été déploré aussi le fait que l’Exécutif avait tendance à manipuler les Institutions et à tirer les ficelles ainsi qu’il a été décrit plus haut à propos de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains. C’est ainsi qu’on a assisté au sein de nombre des Institutions à des multiples conflits ouverts dont l’un s’est terminé devant le juge et un autre par l’éviction pure et simple du Chef. Une Institution et non des moindres, car il s’agit de la Cour Constitutionnelle, a continué à vivre cette ambiance délétère à tel point que son président après avoir été absent à la séance de prestation de serment des nouveaux juges à la Présidence de la République, a été purement et simplement destitué le 28 septembre 2018 par sept conseillers ; cette décision était tout à fait 272

illégale, étant donné que la Cour Suprême était seule habilitée à prendre une telle décision pour les motifs de parjure et de crime. Plus choquant, c’est que quatre des sept conseillers ayant pris part à ce coup d’État constitutionnel sont des illégaux, n’ayant pas l’âge légal requis de quarante-cinq ans pour entrer à la Cour ; encore plus choquant, c’est que le Président de la République a pris le 4 octobre un Décret pour entériner ce putsch rendant la Cour Constitutionnelle encore moins crédible et moins consensuelle. Outre cet acte illégal et la présence des conseillers qui ont triché sur leur âge pour entrer à la Cour, le Guinéen Lambda s’interroge sur la compétence réelle des conseillers de la Cour à cause de leurs divergences sur l’interprétation de la Constitution à propos de leur renouvellement partiel et à cause de la voie choisie pour destituer leur Président. Aussi pourrait-on se demander si ces magistrats sont aptes à dire le droit dans des situations plus complexes de contentieux électoral. De façon plus large, on est en droit d’émettre des doutes sur la capacité des Institutions, de toutes les Institutions à jouer le rôle de chiens de garde de la démocratie et de l’État de Droit. Fort malheureusement, comme on va le voir à présent des élections peu crédibles ont souvent accompagné ces Institutions faibles. Des Élections critiquées Depuis 2010, l’organisation des élections a été la pomme de discorde principale de la société guinéenne, les élections sont reportées d’année en année, les élections législatives sont organisées trois ans après la date prévue, les élections communales prévues en 2014 n’auront lieu qu’en Février 2018 et leur achèvement n’a pas encore été atteint, neuf mois après la fermeture des urnes. Par ailleurs la CENI fait l’objet des critiques les plus acerbes, il lui est reproché de manipuler les résultats, d’admettre un fichier électoral surchargé de fictif, y compris des mineurs et des morts, de mener des opérations électorales continuellement contestées. Cette situation provoque souvent des manifestations suivies des violences et des morts et divise encore plus les Guinéens ; la Guinée est loin des élections libres et transparentes et continue de suivre la voie laissée par la Deuxième République en matière électorale.

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Une Réconciliation nationale tombée dans l’oubli Étant donné l’histoire mouvementée et ensanglantée de la Guinée nombreux sont les Guinéens qui espéraient que le Président Condé allait prendre la question de réconciliation nationale à bras le corps pour permettre au pays de se réconcilier avec son histoire ; l’espoir était d’autant plus fondé que le Président avait mis en place une Commission provisoire de Réflexion sur la Réconciliation ; hélas les choses en sont restées là et il est fort probable que cette question ne fera pas partie des actions positives de sa présidence. Une Insécurité généralisée Le problème de l’insécurité des citoyens et de leurs biens risque aussi de ne pas être résolu de si tôt ; les bandits s’attaquent aux voyageurs sur les routes, s’en prennent aux citoyens dans leurs magasins et dans leurs maisons, enlèvent contre payement des rançons, des opérateurs économiques et des membres de leurs familles. Le plus inquiétant dans ce chapitre c’est que les bandits s’en prennent même à des résidences officielles gardées par les forces de sécurité qu’ils vident de leur contenu, blessent les occupants et s’évanouissent dans la nature. Dans ce domaine aussi il est peu probable que le gouvernement du Président Condé puisse renverser la situation durant son mandat. Une corruption endémique Il faut reconnaitre que la corruption n’a pas commencé en Guinée avec l’avènement du Président Alpha Condé au pouvoir. Dans la deuxième partie de ce livre, on a évoqué le spectacle des sacs d’argent sortant de la BCRG et de la douane, de la libération intempestive des hommes arrêtés pour fait de corruption, etc. Mais ce qui est nouveau, c’est que la corruption est devenue aujourd’hui plus banale, plus globale et multiforme ; elle affaiblit l’économie en prenant des proportions astronomiques, elle fragilise le corps social en envahissant la sphère politique. En effet sans remonter aux fameuses affaires Palladino, Sable Mining, Bolloré, François Polge de Combret, les contrats de gré à gré taxés de surfacturer les travaux de construction des routes et des barrages hydroélectriques sont devenus monnaie courante, mais surtout que les travaux de deux contrats les plus emblématiques Kankan/Kissidougou et Kankan/Mandiana sont restés inachevés malgré les paiements déjà effectués.

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Par ailleurs, le transfert des politiciens, d’un parti à un autre, notamment en direction du parti présidentiel, probablement contre payement, rappelle les transactions du « mercato » pour les footballeurs professionnels où il n’y a que l’argent qui compte. Et comme l’exemple vient de là-haut et l’imitation de la base, la corruption a gangréné tous les secteurs en Guinée ; aussi bien les services de santé, les services de sécurité, l’école que l’administration générale ont été atteints par le phénomène. Aujourd’hui la Guinée fait penser à un corps malade, infecté par la corruption et qui a besoin d’être dératisé à la Jerry Rolling du Ghana des années 90. Conakry devenue une poubelle à ciel ouvert Malgré les multiples gesticulations des autorités, Conakry la capitale est devenue une poubelle qui a envahi tous les quartiers, y compris les routes, répandant ses odeurs nauséabondes et indisposant tout le monde notamment les promeneurs, les conducteurs des véhicules ; les ordures de Conakry ont même tué des citoyens, le gouvernement est toujours à la recherche d’une solution à ce problème. La gestion des ordures a été successivement confiée au gouvernorat de la ville, au Ministère de l’Administration du Territoire, à l’Armée, à une Agence d’Assainissement créée à cet effet, rien n’y fait ; il a même été fait appel à l’investissement humain des citoyens, la question reste entière. Le nœud de l’affaire pourrait se situer au niveau du nerf de la guerre qu’est l’argent et que chacun des protagonistes tiendrait à contrôler. La Guinée est sur le point d’installer des maires élus, quoi de plus normal que de laisser ces derniers s’occuper de la propreté du territoire où ils ont été investis d’un mandat ? Une école à la dérive Le Président Alpha Conté a hérité d’une école en panne ; à la fin de son mandat, il laissera une école à la dérive marquée par des résultats médiocres aux examens, des grèves récurrentes et un mécontentement général. Après une année scolaire 2018 qui a failli être blanche. Dès la rentrée scolaire le 3 octobre 2019 le syndicat a relancé son mot d’ordre de grève ; il y aura bientôt trois mois que les écoles publiques du pays sont fermées. Pendant ce temps le gouvernement cherche à gagner du temps tout en tirant la ficelle pour mettre en scelle un syndicat concurrent qui pourrait être plus compréhensif, tout en utilisant la force contre les grévistes. L’école est malade, très malade même, mais cela 275

ne préoccupe personne, on s’occupe du quotidien et des questions politiciennes au risque d’assister à l’aggravation de l’état du malade si l’année 2019 était consacrée à ces questions de contingence sans perspective pour l’avenir. Une politique minière rétrograde Si au moment de l’arrivée du Président Alpha Condé au pouvoir six projets, dont cinq d’usines d’alumine, étaient dans la phase d’études de faisabilité ; à l’heure actuelle trois sont abandonnés et deux sont renvoyés sine die. Cette débâcle est le résultat de deux phénomènes, à savoir le dépit des investisseurs face aux conséquences du code minier de 2011 qui ne leur permettrait pas selon eux d’amortir dans un temps raisonnable de gros investissements. La deuxième cause est le laissezfaire affiché par le gouvernement qui a accepté, on ne sait pourquoi de délier ses partenaires en place de leurs engagements contractuels de réaliser le volet alumine de leurs projets. C’est pour cela que les seuls investisseurs présents actuellement à Boké sont ceux qui se contentent de ramasser de la bauxite brute en évitant soigneusement de construire des infrastructures économiques ou sociales ; on les soupçonne de promettre de passer dans le futur à l’alumine juste pour faire passer la pilule du tout bauxites devant l’opinion guinéenne qui commence à s’impatienter compte tenu des « arrangements » obtenus par leurs prédécesseurs pour abandonner le volet alumine de leurs conventions. Ainsi on peut dire que le gouvernement s’est résolument engagé vers le tout Bauxite, ce qui représente une politique de régression par rapport à la situation qu’il a héritée de la 2e République. Coresponsabilité de l’État et de Rio dans l’échec du projet du Siècle Le projet de Simandou Sud qui portait le financement le plus important de la Guinée indépendante a lamentablement échoué malgré ses atouts, par la faute de ses deux principaux partenaires que sont le gouvernement et Rio Tinto tel qu’il a été rappelé plus haut. Après que Rio ait jeté l’éponge, le gouvernement a cherché et obtenu que Chinalco s’engage à reprendre le leadership du projet, mais cette relance a été remise en cause par la dénonciation le 20 octobre 2018 de l’Accord qu’avaient paraphé Rio Tinto et Chinalco, renvoyant aux calendes grecques tout espoir de voir le démarrage de l’exploitation de la mine de Simandou Sud. 276

Mauvaise Gestion du Secteur de l’électricité Il a déjà été fait mention des contrats de gré à gré pour la réalisation des barrages hydroélectriques et des doutes qui ont entouré leur exécution. Il a aussi été fait mention du flou qui a entouré les conditions d’octroi et d’exploitation à des personnes privées des groupes thermiques appartenant à l’État, tout en soulignant les conditions difficiles dans lesquelles ces arrangements mettent EDG, la société en charge de gérer le courant électrique en Guinée. Il a été notamment souligné que l’État a signé en dehors de la société de distribution des contrats qui garantissent à ses partenaires la fourniture gratuite au compte du gouvernement du carburant nécessaire à l’exploitation des groupes et il leur a été garanti aussi un prix de vente à EDG du Kilowatt de courant, ce qui les met hors de tout risque de gestion, assurés qu’ils sont de réaliser toujours des bénéfices sur le dos de leur client, autant dire qu’il s’agit en fait d’un revenu assuré à ces derniers, sous quelles conditions, nul ne le sait. Les contraintes imposées à EDG sont accentuées par le fait que cette entreprise est tenue de vendre à sa clientèle un prix imposé ne tenant nullement compte du prix de revient du kilowatt produit. Le résultat de tout ce mécanisme est l’augmentation au quotidien des subventions que le gouvernement est obligé de verser, évitant ainsi la vérité des prix pouvant provoquer des révoltes populaires. En fin de compte l’État perd de l’argent aussi bien au niveau des constructions des barrages, qu’au niveau de l’exploitation des groupes thermiques et dans la subvention versée à EDG, alors que les dettes contractées pour le développement du secteur auront atteint au plus bas 50 % du PIB. On aurait espéré que l’accumulation de capital, du fait d’une gestion rationnelle et transparente eût contribué ne seraitce que modestement à l’amortissement de cette dette abyssale au lieu de la laisser aux générations futures. Introduction de l’esprit partisan dans la gouvernance du pays Très tôt au début du premier quinquennat du Président Condé, lors d’un débat du Conseil de Cabinet de la Présidence, est apparue la question de l’inclusion des cadres non membres du parti RPG dans la gouvernance du président Condé ; un conseiller et non des moindres rappela que seuls ceux qui ont « mouillé la chemise » dans la lutte pour la conquête du pouvoir devaient bénéficier des recrutements et à des postes de responsabilité ; le Président s’abstint de tout commentaire, mais le ton était donné. On se rappellera à ce propos, la confirmation de 277

ce point de vue lors d’un entretien avec l’auteur de ce livre ; c’est dire que cette croyance fait intégralement partie de la politique du nouveau président et qu’elle contribuera à diviser les Guinéens. Or, des telles pratiques vont à l’encontre des dispositions de la Constitution du pays qui, en son Article 8 stipule que nul ne peut être privilégié ou désavantagé en raison de son sexe, de sa naissance, de sa race, de son ethnie, de sa langue, de sa croyance et de ses opinions politiques, philosophiques ou religieuses. Cette politique partisane a continué de plus belle avec la généralisation des recrutements et des promotions sur la base de l’appartenance au parti et à ses alliés ; les exemples suivants sans être exhaustifs montrent la gravité du phénomène : - Le Président a décidé, sans aucune consultation préalable, d’affecter de façon définitive, la charge des principales Institutions du pays à des ressortissants de telle ou telle Région, sans tenir compte ni des compétences individuelles des intéressés, ni du mérite particulier de ces régions par rapport aux autres ; - Durant la dernière grève des enseignants en avril 2018, la presse a fait état du recrutement dans l’enseignement de 90 personnes sur une base purement ethnique ; il semblerait que cette pratique serait devenue la règle ; - En juin 2018, un candidat à la Primature a été obligé de diluer son parti au sein du RPG, le parti du Président et d’y adhérer publiquement avant d’être nommé au poste de Premier Ministre, la carte de membre du parti devenant de ce fait l’une des deux clés pour ouvrir les portes de l’administration guinéenne ; à ce propos on doit se rappeler une fois encore les propos du tout nouveau président qui prédisait que dans deux ans il n’y aurait plus de parti d’opposition dans son pays. Se dirige-t-on vers le parti unique ? Ces cas constituent encore une fois une violation de la Constitution, notamment en son Préambule qui parle d’édifier dans l’unité et la cohésion nationale un État de Droit…, et qui garantit en son Article 154 le pluralisme politique et syndical. Cette politique d’exclusion outre le fait de fouler au pied la Constitution, contribue aussi à menacer l’Unité nationale et à diviser les Guinéens ; le Président Lansana Conté, malgré la prééminence de son parti le PUP n’a jamais opéré une telle exclusion des personnes n’appartenant pas à ce parti ou à son ethnie. Cette politique a par ailleurs un effet désastreux sur le développement du pays étant donné que le militantisme et l’appartenance à l’ethnie priment sur la compétence et 278

l’expérience ; les deux derniers ministres de l’Éducation nationale constituent des cas symptomatiques de cette dérive, étant tous les deux à peine lettrés, alors qu’ils étaient appelés à diriger un département symbole s’il en est de la connaissance et du savoir. Cette politique favorise aussi l’expansion de la corruption du fait que les personnes nommées à des postes sont des intouchables protégées par le système. Tel est l’héritage provisoire que le Président Alpha Condé aura légué à la Guinée, l’héritage définitif ne pouvant être établi que le 22 décembre 2O20 lorsqu’il aura accompli son 2e mandat ; pourra-t-il entre temps apporter des changements notables à ce tableau ? C’est fort peu probable compte tenu du temps qui reste et de la tendance générale de sa politique. À présent que l’examen de la gouvernance des trois présidents a été bouclé, il est possible de passer à la 5e Partie du livre consacré d’une part à une synthèse des bilans de ces présidents sous forme des retards accumulés par la guinée, d’autre part aux causes des dits retards et aux voies d’en sortir.

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CINQUIÈME PARTIE QUE FAIRE POUR SORTIR LA GUINÉE DU RETARD ACCUMULÉ DEPUIS L’INDÉPENDANCE ?

Cette 5ème partie du livre, après avoir présenté dans un premier chapitre le tableau synoptique des retards de la Guinée aussi bien en matière politique, économique, sociale et culturelle, examinera dans un deuxième chapitre les causes fondamentales de ce retard, puis, proposera des voies et moyens d’en sortir dans le chapitre trois

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CHAPITRE 1 : Tableau synoptique de la situation de la Guinée à la veille de son 60ème Anniversaire À la veille du 60ème Anniversaire de leur pays, les Guinéens ont très peu de sujets de satisfaction à propos de leurs conditions de vie, de leur espoir déçu, de leur scepticisme quant à l’avenir. Leur joie et leur fierté résultent toutes des sentiments nés de l’indépendance de leur pays et des premiers actes posés par le nouvel Etat en 1958. 1. LA JOIE ET LA FIERTÉ DES GUINÉENS i- expression de ce bonheur En effet les Guinéens dans leur écrasante majorité restent fiers aujourd’hui encore d’appartenir à un pays qui a montré la voie menant à l’indépendance et à la dignité à toutes les colonies françaises d’Afrique Noire. Ils restent fiers aussi que ce pays ait apporté une aide décisive aux mouvements de libération des territoires restés sous le joug colonial ; ils restent fiers enfin d’appartenir à un pays qui a été un des pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine. En dehors de cette fierté, et de la joie qui en résulte, les Guinéens vivent dans la frustration née du paradoxe de vivre malheureux dans un pays potentiellement riche, de vivre claustrés dans un monde ouvert, de vivre dans l’inégalité et l’injustice. Il existe en effet un décalage aberrent entre les conditions de vie misérables des Guinéens et l’ampleur de la gamme des richesses naturelles abondantes dont dispose leur pays et dont nous exposons cidessous un petit échantillon. ii- Les richesses de la Guinée -

De 7 milliards d’hectares de terres cultivables Des fleuves qui arrosent toute l’Afrique de l’Ouest, des pluies abondantes, d’où elle tire son nom de château d’eau d’Afrique de l’Ouest — De vastes richesses en faune et flore 285

— Des réserves suivantes en minéraux • 20 milliards de tonnes de bauxite. • 10 milliards de minerais de fer • 300 tonnes d’or • 10 millions de carats de diamants, ainsi que d’autres minéraux stratégiques tels nickel, cobalt, chrome, uranium, gaz et pétrole. 2. LES MALHEURS DE LA GUINÉE Malgré ces richesses la Guinée a continué à vivre dans le sousdéveloppement, la misère, le déficit de liberté, les exactions de tous genres et les frustrations, situation qui sera examinée en détail dans le développement consacré ci-dessous à la mal gouvernance

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CHAPITRE 2 : Principales causes de la crise endémique guinéenne La première cause de la grande misère et des frustrations des Guinéens en question est selon moi la mal gouvernance du pays, mal gouvernance née elle-même d’un système politique pernicieux qui continue à étrangler le pays depuis l’indépendance, et ce, en dépit des changements intervenus aussi bien au niveau des Institutions, des républiques que des présidents

A. LE SYSTÈME POLITIQUE PERNICIEUX QUI SÉVIT EN GUINÉE Au lendemain de l’indépendance, la Guinée s’est dotée d’une Constitution basée sur le régime présidentiel français ; hélas ce n’était là qu’un jeu, car le régime présidentiel par essence est un régime démocratiquement avancé qui repose sur la liberté, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; il repose aussi sur la séparation des pouvoirs, la démocratie et l’État de droit. Profitant de la mobilisation en faveur du NON, au Référendum du Général de Gaulle en septembre 1958, Sékou Touré avait eu l’intelligente machiavélique de former un gouvernement d’union nationale et de mobiliser tout le pays sous l’égide d’une union sacrée. L’option pour le régime présidentiel et la proclamation de l’union nationale pour un pays qui se préparait à rentrer dans la révolution, était au mieux une posture qui voudrait associer révolution et démocratie et au pire une tricherie grotesque cherchant à trouver un maquillage à dictature alors que le régime n’était pas encore solidement installé. Il va en profiter pour imposer le PDG comme le seul parti pouvant exister en Guinée ; il en fera un instrument pour renforcer son pouvoir personnel, éliminer ses opposants, réduire à néant les contre — pouvoirs institutionnels, afin de pouvoir devenir le Responsable suprême de la Révolution. Désormais il décide de tout, tout seul, ne rend compte à personne et ne se trompe jamais ; tous ceux qui lui portent ombrage sont déclarés comploteurs. 287

La guinée connaitra 25 complots qui ont affaibli tous les secteurs de la Nation, n’eût été ce régime présidentiel trafiqué qui a permis à Sékou Touré de nommer à tous les postes, y compris à ceux chargés théoriquement de le contrôler, il n’aurait sans doute pas pu suivre sa route vers la dictature. Un régime d’horreur affublé des Institutions démocratiques fictives et non fonctionnelles, voilà le double visage qu’a présenté la Guinée pendant 26 ans ; s’il a organisé des élections auxquelles ne se présentaient d’ailleurs que les candidats du parti, s’il s’est servi des tribunaux révolutionnaires eux-mêmes composés des militants et non des magistrats, exceptés ceux qui étaient issus des rangs du PDG, c’était tout juste pour faire semblant. Ce monstre à deux têtes qu’était devenu la Guinée risque malheureusement de tenter les gouvernements guinéens à venir. Or un tel système ne se préoccupe ni du développement économique ni du confort des citoyens, sa tâche première étant sa propre défense. À l’instar de la Première république, aussi bien la Deuxième que la Troisième république vont à leur tour adopter des régimes présidentiels tronqués ; ils mettent de côté les Constitutions et agissent comme bon leur semble. Leurs Exécutifs mettent sous leur contrôle le législatif, le judiciaire ainsi que les autres Institutions de contre-pouvoir. Ils confisquent progressivement la liberté des citoyens en limitant les libertés fondamentales, ils organisent des élections qui leur permettent de toujours gagner, ils confèrent une dimension monopolistique à leur parti politique et organisent autour du président un cercle actif constitué des membres du parti, de la famille du président et de son ethnie. À cause des privilèges accordés notamment à ce groupe et aux électeurs du président, une fissure va se produire au sein de la société, au détriment de l’unité nationale. Du fait du non-respect de la Loi et de la proéminence de l’Exécutif, ce dernier mène la politique qu’il veut sans aucun contrôle du législatif, du judiciaire et des autres contre-pouvoirs, il conduit une gestion partisane et arbitraire. Les nominations dans l’Administration se font en faveur des partisans, sans que cela ne soit justifié par la compétence ou l’expérience, entrainant de facto la médiocrité dans tous les secteurs et la baisse à vue d’œil de la qualité des services attendus de la part de l’État. Les successeurs de Sékou Touré, sans atteindre le stade de sa dictature utiliseront les mêmes techniques, les mêmes pratiques et les mêmes hommes pour gagner à tous les coups les élections, afin de soumettre le législatif, le judiciaire et toutes les Institutions Intermédiaires sous la coupe de l’Exécutif. Ils imposent 288

progressivement leur parti politique qui aura l’ambition de devenir le parti unique auquel tous les Guinéens devraient adhérer. Ils rêvent de s’éterniser au pouvoir ; l’un va changer la Constitution pour rester au pouvoir jusqu’à son décès en 2008, l’autre sera soupçonné par l’opposition de vouloir modifier la Constitution pour faire un troisième mandat. Parmi les trois présidents qui ont été à la tête du pays depuis 1958, Sékou Touré était un self-made-man nourri à la source du marxisme et qui s’est imposé à travers les luttes syndicales et politiques, Lansana Conté était un officier de l’armée qui s’est illustré dans les champs des batailles et que rien ne prédestinait à la magistrature suprême, Alpha Condé est un universitaire qui a longtemps combattu à travers le syndicalisme étudiant et la politique, ces trois hommes que rien ne saurait rapprocher ont cependant eu des postures assez semblables ; au lieu d’être des symboles et des garants de la Nation, ils sont vite apparus comme des chefs des clans, combattus par les uns et défendus par les autres, passant le plus beau de leur temps à défendre leurs partisans en fermant les yeux sur la corruption qui prend de plus en plus de l’ampleur et à défendre vaille que vaille leur pouvoir. En conséquence, les ressources publiques au lieu d’être exclusivement consacrées au bienêtre de la population prennent d’autres destinations au détriment du développement de l’ensemble. De telles pratiques ne pouvaient pas à l’évidence favoriser le développement harmonieux et durable de la Guinée et constituent sans nul doute l’une des causes de son retard dans tous les domaines. Alors que rien, ni dans leur personnalité, ni dans leur formation, ni dans leur parcours, rien ne saurait les rapprocher, en fin de compte, ils ont adopté la même politique autoritaire, la même attitude hostile vis-à-vis des libertés fondamentales, la même réticence concernant le partage du pouvoir et l’alternance ; c’est pour quoi, à observer de près, ils ont eu à mener des politiques qui tout en étant différentes dans la forme, sont demeurées identiques dans l’esprit et dans les objectifs. Il est plus qu’étonnant que des personnes aussi dissemblables aient pu revêtir assez aisément les habits de ce système trafiqué pour mener des politiques aussi semblables, excepté l’utilisation des complots comme outil de gouvernement. L’attachement des présidents successifs à un tel système s’explique par plusieurs raisons ; c’est d’abord le sentiment de puissance qui les anime du fait qu’ils disposent de tous les pouvoirs qu’ils utilisent à volonté, qu’ils sont le chef suprême des armées qu’ils n’hésitent pas utiliser pour maintenir l’ordre et mater d’éventuelles rébellions ; c’est 289

aussi le sentiment d’invincibilité qu’ils ressentent face à des concurrents démunis et dans un système électoral piégé ; c’est enfin le sentiment d’impunité en ayant sous leur contrôle aussi bien le judiciaire, le législatif que les autres contre-pouvoirs ; ce dernier sentiment est aussi renforcé par l’appartenance à un groupe solidaire, complice et puissant qu’ils ont laissé se développer et s’institutionnaliser, à savoir la famille, le parti et l’ethnie qui renforcent chez le président l’illusion d’invincibilité. Ce groupe bien que non reconnu par la Constitution a pris une dimension et une importance démesurées qui lui confèrent un pouvoir et une influence illimités auprès des présidents ; outre le fait qu’il contribue à faire et défaire les ministres et autres hauts fonctionnaires, il dicte aussi au président sa politique et ses choix les plus stratégiques ; une telle organisation est tellement nocive qu’elle transforme littéralement le président en matière de gouvernance, de posture politique, à telle enseigne qu’on a du mal à le reconnaitre aussi bien par rapport à son programme politique initial, à ses valeurs affichées du début, à ses convictions politiques, après seulement quelques années au pouvoir. Ce groupe devient au fur et à mesure tout puissant et tout tourné vers la défense de ses intérêts au détriment de ceux de la nation. Le piétinement de la Loi et des Institutions, le parti pris et l’injustice, la brutalité assumée, le règne de la corruption l’arrogance des dirigeants engendre tout naturellement la mal gouvernance.

B. LA MAL GOUVERNANCE Née principalement de ce système politique autodidacte, la mal gouvernance est l’ensemble des politiques gouvernementales allant à l’encontre de l’épanouissement de la population et du développement inclusif et durable d’un pays. Elle est menée par un gouvernement qui privilégie la force par rapport au dialogue, quitte à provoquer des frustrations et l’instabilité. À partir des développements précédents, notamment de l’héritage laissé par les différents présidents on pourrait choisir, au risque de nous répéter, quelques exemples typiques de la mal gouvernance en Guinée. Prévalence des violences d’État Durant les 60 ans passés, les violences d’État contre les populations n’ont jamais cessé et n’ont jamais fait l’objet d’investigations et de 290

poursuites contre les meurtriers. Qu’on le veuille ou non, ces exactions constituent des coups de boutoir contre l’unité nationale et une négation grave de la démocratie ; elles ont constitué aussi un frein au combat que la Guinée mène pour le développement et pour le progrès. Une démocratie bafouée Depuis 60 ans, les Guinéens vivent une démocratie bafouée dans laquelle chaque Président qui arrive s’arrange pour organiser des élections qui lui assurent la victoire dans toutes les Assemblées élues du pays afin de pouvoir disposer ainsi des Assemblées captives ; les uns après les autres s’arrangent pour mettre la justice sous leurs ordres : ils mettent en place des Institutions Républicaines inopérantes ; devenant vite tout puissants et contrôlant tout, ils arrivent à maitriser tout et à mater toute contestation. Tout naturellement il en a résulté la mauvaise gouvernance, incapable d’assurer le minimum à leur peuple, à savoir la sécurité de leur personne et de leurs biens, la garantie de l’autosuffisance alimentaire, l’assurance d’un cadre de vie adéquat, des soins de base et une éducation solide pour les enfants. La culture est restée le parent pauvre en Guinée Malgré un passé glorieux dans le domaine culturel, la Guinée ne dispose à l’heure actuelle ni d’un Palais de la Culture, ni de suffisamment d’aires de jeux, ni d’un seul Théâtre. Les jeunes pour s’entrainer au football utilisent les carrefours des routes urbaines qu’ils transforment en terrains de compétition, en prenant souvent le risque d’être renversés par des véhicules imprudents ; les plages sont transformées en poubelles où le voisinage se débarrasse des ordures ménagères. On a l’impression que les gouvernements successifs qui ont régné en Guinée, à l’exception notoire de celui de la Première République, ne sont intéressés ni par la culture ni par le sport à tel point que les matches du championnat national de football se déroulent tous à Conakry, obligeant les équipes de l’intérieur du pays qui ne disposent pas de terrains de jeux locaux viables, de faire le déplacement dans la capitale à l’occasion de chaque rencontre du championnat. Les retards de la Guinée dans le domaine social La Guinée, indépendante depuis 60 ans, ne dispose pas d’un hôpital de référence, les deux seuls hôpitaux laissés par la France n’ayant jamais été renforcés par d’autres unités malgré l’accroissement 291

important de la population ; la coopération chinoise a bien construit un hôpital moderne de taille moyenne, mais les Guinéens continuent à connaitre de sérieuses difficultés de soins et tous ceux parmi eux qui ont des moyens, vont se soigner au Sénégal, au Maroc, en Tunisie ou en Europe. Cette insuffisance des moyens et le manque de politique appropriée a conduit aussi à une situation déplorable en matière d’éducation, de santé et d’emploi. Sur le plan de la santé le rapport du FMI No 13 de mars 2013 souligne qu’en Guinée, la mortalité maternelle et infantile a atteint 980 /100.000, la mortalité infantile 91 /1000. Au niveau de la scolarisation et de la formation, la Guinée est nettement derrière ses voisins africains ; selon les déclarations d’Albert Zeufac, chef économiste de la Banque Mondiale, lors du Forum sur les Finances publiques en 2017, seuls 46 % des enfants guinéens âgés de 14 à 25 ans sont alphabétisés contre 70 % en moyenne pour la sousrégion. Dans les écoles un enseignant est en charge de 60 élèves dans les zones rurales et 120 élèves dans les zones urbaines. Les défaillances en matière de fourniture d’eau et d’électricité La fourniture d’eau et d’électricité reste défaillante même dans la capitale, alors qu’une telle pénurie est moins aiguë dans des pays désertiques voisins qui n’ont ni les nombreux fleuves existants en Guinée ni une multitude de sites aménageables en barrages hydroélectriques. Négligence en matière de renforcement de l’unité nationale Dans son combat pour bâtir une Nation, la Guinée a toujours envoyé des messages contradictoires ; alors qu’ils continuent tous les jours de chanter les louanges des héros de la Nation, Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo, Dinah Salifou, NZébelé Togba, depuis 60 ans des actes sont commis qui contredisent la volonté sincère de bâtir le vivre ensemble symbolisé par la Nation ; des insultes gratuites ont été régulièrement proférées contre des communautés composant la Nation, des discours fréquents remettent en cause l’unité nationale, des actes quotidiens mettent en cause l’égalité des citoyens devant l’État ; de surcroit les différents Présidents qui ont dirigé le pays depuis 1958 ont eu tendance, à des degrés divers, à favoriser dans leurs décisions de tous les jours les citoyens de leur région d’origine ou bien des militants de leur parti politique, oubliant les Articles pertinents des différentes Constitutions qu’a connues le pays, à propos de l’égalité de tous les 292

citoyens devant l’État, de l’égalité de leur traitement sans tenir compte de leur origine, de leur couleur de peau ou de leur appartenance politique ; tout en se référant constamment à la Nation, les responsables du pays continuent à piétiner ses fondements ; en dépit des incidents et des violences ayant marqué l’histoire de la Guinée et des complots qu’a connus la Première République, malgré la multiplication des discours haineux, les Autorités successives n’ont pas pu organiser la réconciliation nationale pourtant indispensable pour qu’on reparte du bon pied. L’agriculture parente pauvre des gouvernements guinéens Alors que l’agriculture devrait être le secteur prioritaire du gouvernement, étant donné les grandes superficies cultivables disponibles, et aussi la proportion de plus de 80 % de la population qui y vit. Cependant comme il a déjà été mentionné plus haut le montant du budget national destiné à ce secteur est tout simplement ridicule, les aménagements hydro-agricoles presque inexistants, l’encadrement technique faible alors que la grande majorité des paysans ne sont pas alphabétisés. En conséquence l’agriculture ne produisant que 14 % du PIB et l’État est obligée d’importer 75 % de ses besoins de consommation. Ainsi la guinée a progressivement perdu l’autosuffisante alimentaire dont elle jouissait avant l’indépendance. Cette situation a provoqué l’accroissement de la migration clandestine et l’approfondissement de la pauvreté qui s’est située en 2015 à 55.3 % de la population. Abandon des forêts et des plantations Cet échec a été accompagné par l’abandon des plantations des fruits qui faisaient la fierté de la Guinée d’antan et contribuaient à la richesse d’une frange importante de la population. Quant à la destruction des forêts qui couvraient abondamment la Guinée dans ses différentes parties elle s’est poursuivie allégrement, avec comme conséquences la désertification progressive du pays et une menace réelle à la survie des grands fleuves qui ont fait de la Guinée le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest et dont les têtes de source n’ont pas bénéficié des reboisements réguliers dont elles avaient besoin.

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Valorisation insuffisante des ressources naturelles Les gouvernements successifs de la Guinée indépendante ont été incapables de mettre en valeur les ressources du pays et de bénéficier comme il se doit des revenus correspondants. Dans les mines, les différents gouvernements se sont contentés de l’exploitation et de l’exportation de la bauxite brute sans aucune transformation ; ces exploitations réalisées grâce des investissements sommaires, qui font fi d’un système de protection de l’habitat des populations riveraines contre la poussière en saison sèche et la boue en hivernage ; ils font fi des moyens appropriés pour soigner les maladies qui pourraient en résulter. Les taxes versées au gouvernement sont tellement faibles qu’elles ne permettent, elles non plus ni d’améliorer les conditions de vie des riverains des mines, ni de constituer des fonds destinés aux générations futures. Face aux richesses fabuleuses dont il est question plus haut, il est triste de noter qu’après 60 ans d’indépendance la Guinée n’a pu que partiellement exploiter ces potentialités et les valoriser ; depuis 1958 aucune raffinerie d’un quelconque minerai n’a pu voir le jour, à l’exception notoire de Friguia dont la construction a démarré avant l’indépendance. Les gouvernements successifs se sont contentés de l’exploitation et de l’exportation des matières brutes sans aucune transformation et sans apport d’une quelconque valeur ajoutée. De surcroit ils se sont cantonnés dans l’exploitation de la bauxite, de l’or et du diamant, sans avoir pu mettre en valeur les autres minéraux. C’est cette incapacité de valoriser ces produits et d’étendre la gamme des produits exploités qui explique que la Guinée n’ait pas pu bénéficier suffisamment de ses mines pour sortir ses citoyens de la misère ; ceci a conduit de plus en plus des jeunes qui ne trouvent pas non plus de travail de tenter l’aventure qui se termine souvent hélas dans les goulags libyens ou au fond de la méditerranée. L’échec dans le développement des ressources naturelles s’explique par le manque de vision des décideurs, l’ouverture à la corruption de nombre d’entre eux, l’absence de stratégie à moyen et long termes, leur incapacité à mobiliser les investisseurs pour développer les infrastructures du pays, améliorer les écoles et les centres médicaux. C’est ainsi qu’en dehors de la route Dubreka — Boffa — Boké avec la traversée de la Fatala et la route Kankan-Siguiri — Dielibakoro, heureusement, avec le remplacement sur ces deux axes des bacs hérités de la colonisation, les nouvelles routes ouvertes par la Guinée après l’indépendance sont restées rares et souvent inachevées ; ceci n’a pas permis le développement optimum des échanges interrégionaux à l’intérieur de la Guinée et internationaux 294

avec les pays voisins qui manquent cruellement. Cette malheureuse situation est éloquemment corroborée par les indices suivants : Des indices témoins de la mal gouvernance — l’Indice de Développement Humain, publié par le PNUD ; il s’agit d’un indice composite qui porte sur la santé, l’éducation, l’espérance de vie de la population d’un pays. En 2016 les performances de la Guinée classée 49e /54 pays africains, c’est-à-dire qu’elle ne dépassait que 4 pays, y compris ceux qui ont été affectés par des guerres civiles telles que le Tchad, la Somalie, le Soudan du Sud. — L’indice de Liberté économique qui porte sur les conditions d’accueil et d’établissement des opérateurs économiques dans le pays, les facilités qui leur sont accordées et les contraintes auxquelles ils sont soumis ; cet indice est publié par Heritage Foundation et le Wall Street Journal et il fournit le classement des pays en fonction de leur attractivité pour les investissements directs. Dans ce classement la Guinée occupe la 49e sur les 54 pays africains classés et 169e /180 dans le monde. — L’indice de gouvernance des Ressources naturelles publié par NRII (l’Institut de Gouvernance des Ressources naturelles) la Guinée est classée 20 /28 pays africains en 2017. Ce fait est d’autant plus désolant que ce pays est réputé pour la richesse de son sous-sol, mal exploité et mal géré même en comparaison avec ses voisins africains. — Indice de Gouvernance Mo Ibrahim publié par l’Institut du même nom qui a élaboré une grille complète des critères sur la gouvernance en Afrique et en a tiré un tableau annuel des performances obtenues par chaque pays. L’attributaire du prix, du reste très alléchant, est le Chef d’État dont la politique aura permis à son pays d’atteindre un niveau donné de performances dans l’année. Le tableau permet aussi de classer les pays africains par ordre de mérite. Ainsi, l’indépendance au lieu d’avoir apporté aux Guinéens plus de bien-être, plus de confort et de satisfaction dans leur quotidien s’est révélé être un boulet aussi bien en matière de démocratie, de formation scolaire, de soins de santé, de sécurité, de qualité de vie ; il faut souligner néanmoins que l’indépendance n’est pas en cause, car en comparant les Guinéens avec leurs frères vivant dans les pays voisins qui ont accédé à l’indépendance à partir de 1960, on peut noter que ces derniers semblent être plus satisfaits de leur sort, plus épanouis et plus fiers de leur pays.

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Tous ces éléments, fruits de la mal gouvernance ont eu des conséquences directes sur l’avenir du pays ainsi qu’on va voir

C. CONSÉQUENCES DE LA MAL GOUVERNANCE a— L’accroissement de l’insécurité La première conséquence de la mal gouvernance c’est l’augmentation de l’insécurité des Guinéens et de leurs biens. Cette insécurité repose tout d’abord sur le non-respect de la séparation des pouvoirs et l’affaiblissement concomitant de la judice qui n’est jamais intervenue pour élucider les centaines des morts disparus durant les manifestations publiques, qui ne s’est jamais saisi des dossiers des détournements d’argent public. À cette réalité il faut ajouter au niveau des forces de défense et de sécurité l’opacité qui entoure leur recrutement et qui ne présente ni la garantie que ce sont les meilleurs candidats qui sont retenus, ni leurs motivations : il faut aussi regretter la qualité de leurs équipements, leur manque de formation et le flou qui entoure la gestion des budgets qui leur sont attribués, sous le prétexte d’un prétendu secret défense. Tous ces facteurs contribuent à rendre les Guinéens plus sceptiques, ce qui réduit encore plus inefficaces ceux qui sont sensés nous défendre, tout cela à cause de la mal gouvernance b — L’affaiblissement du tissus social Plusieurs événements intervenus en Guinée depuis l’indépendance ont sérieusement affecté le tissu social de la Nation et menacé le vivre ensemble. Durant la Première République, les complots qui ont marqué l’histoire de la 1ère République ont aussi profondément nui à l’évolution normale de la Guinée, à la mobilisation de ses citoyens pour un développement durable et pour le progrès ; ils ont traumatisé la société guinéenne, chaque famille, chaque catégorie socioprofessionnelle, jeunes et vieux, hommes et femmes, ayant été directement ou indirectement touchés par cette bourrasque sanglante. Cela a été un moment où des familles ont été brisées, où la morale a été foulée au pied, où la peur a saisi les Guinéens ; les membres d’une même famille, les collègues de travail, les voisins dans le quartier se sont dénoncés devant le comité révolutionnaire, quelques fois pour un simple règlement de compte ; cette ambiance a continué à prévaloir, émoussant la confiance qui devrait exister entre les citoyens d’un même pays, faute de n’avoir pas été débattue publiquement pour permettre de séparer la 296

vérité du mensonge sur ce qui s’est réellement passé ; or les tenants et aboutissants des complots représentent aujourd’hui encore une plaie béante ouverte sur les flancs des Guinéens et continue à les hanter. Ces évènements ont retardé la guinée et entravé grandement sa marche en avant. D’autres manquements aux droits humains ont été illustrés par les discours injurieux du président Sékou à l’endroit de la communauté peulh qui s’est sentie humiliée et atteinte dans sa dignité ; ce fut ensuite la privation à l’accès des bourses d’études extérieures de ses enfants, alors que tous les autres jeunes de leur âge continuaient à en jouir. Durant la Deuxième République, le gouvernement du Général Conté quant à lui a lourdement pêché dans la gestion du dossier relatif au complot Diarra en créant un amalgame entre les prétendus comploteurs et toute la communauté malinké qui a été pourchassée, pillée, humiliée et soumise à des condamnations extra judiciaires ; ce furent des évènements qui niaient tout simplement les fondations de la Nation. Le gouvernement de la transition pour sa part a fermé les yeux sur les affrontements et la chasse à l’homme entre les Malinkés et les peuhls en 2010, à l’occasion des élections présidentielles ; les membres de ces deux communautés ont ainsi foulé au pied les principes fondateurs de la Nation et la solidarité tissée depuis plus de cent ans, sans intervention des Autorités. À ces faits douloureux, on ajoutera les affrontements entre les communautés un peu partout et notamment en Forêt. Les élections contestées, le non-respect de la Loi, l’arbitraire, l’injustice et la politique partisane ont fini par créer deux types de Guinéens, ceux qui soutiennent le gouvernement quoiqu’il arrive et ceux qui se considèrent exclus de la Nation. Il faut nécessairement que la guinée se penche sur ce problème si elle ne veut pas vivre l’expérience actuelle du Mali où, en plus du « règne » des djihadistes sur une partie du pays, ce sont des communautés qui ont toujours vécu dans l’harmonie qui se mettent à s’affronter. c- Deux coups d’État en 20 ans Les frustrations résultant de la mal gouvernance, les mauvais résultats économiques et sociaux et aussi et surtout l’absence des règles établies et respectées de la transition démocratique ont occasionné deux coups d’État en Guinée en 1984 et 2008. Le premier est intervenu suite à la crise de succession du Président Sékou Touré au sein des organes dirigeants du PDG ; cette crise résultait de l’absence des règles constitutionnelles pour succéder au chef et qui a aiguisé la lutte des égos au sein du Bureau politique. Le coup d’État de 2008 quant à lui serait 297

intervenu selon Ahmed Tidiane dans son livre « À mon tour de parler » chez L’Harmattan initié et encouragé par le Général Lansana Conté, sur son lit de mort, alors qu’il existait bel et bien dans la Constitution des procédures pour remplacer le président. Ces interruptions brutales du fonctionnement courant de l’Etat ne feront qu’amplifier les conséquences de la mal gouvernance L’énumération des conséquences de la mal gouvernance que la Guinée vit depuis l’indépendance prouve s’il en était besoin que pour la sortir de la situation dans laquelle elle se trouve, les changements de gouvernements ou de constitutions ne suffiront pas et qu’il faudrait procéder à une rupture par rapport au passé, ainsi qu’il suit

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CHAPITRE 3 : Comment sortir de la crise guinéenne ? A. UN PROJET DE SOCIÉTÉ FAVORABLE À L’ÉPANOUISSEMENT DE LA GUINÉE Pour sortir de cette situation calamiteuse les Guinéens, il faudrait qu’ils conviennent d’un Projet de Société consensuel, cristallisant leurs attentes et leurs rêves dans le domaine du vivre ensemble, de même que les garde-fous contre les dérives dictatoriales et la perte des libertés, ce projet devant servir de matrice aux Institutions à mettre en place. Un tel schéma devrait pouvoir les mobiliser, les guider et être leur référentiel pour les années à venir. Il devrait être sous — tendu par des valeurs communes et des principes acceptés par tout un chacun ; il devrait aussi baigner dans un environnement débarrassé des effets des contentieux qui ont marqué l’histoire de la Guinée, à travers la mise en place d’une Commission Vérité, Justice et Réconciliation qui permettrait à tous les Guinéens de regarder désormais dans la même direction ; il pourrait par ailleurs, compte tenu de la composition socioculturelle de la Guinée, comporter la possibilité d’accorder une certaine autonomie aux quatre Régions Naturelles. Il faudrait enfin que ce Projet de Société repose sur une légitimité résultant d’un débat public et d’un consensus général.

B. CONSTRUIRE UN MODÈLE DE SOCIÉTÉ SOUS-TENDU PAR DES VALEURS UNIVERSELLES Le Projet de Société préconisé ci-haut devrait comporter entre autres les valeurs ci-après. Il devrait conduire à un État de droit dans lequel prévaudrait la Loi, le libre exercice des droits de l’homme et la garantie des libertés fondamentales, le citoyen jouissant notamment de la liberté de penser, de croire, de manifester, de s’exprimer. Ce serait un État où la démocratie prévaut, où, des élections pluralistes, transparentes, justes et crédibles et marquées par l’alternance se tiennent de façon régulière. Ce serait aussi un État dans lequel existerait la séparation des Pouvoirs 299

exécutif, judiciaire et législatif parfaitement équilibrés, aucun pouvoir ne dominant les autres et n’échappant à leur contrôle. C’est enfin un État où existerait la bonne gouvernance, marquée par l’égalité des citoyens devant l’État, la sécurité des personnes et de leurs biens, un État où la lutte contre la corruption, l’impunité, la prolifération de la drogue serait menée sans relâche, où la fourniture des soins de base serait assurée, une bonne éducation et des services sociaux de base seraient assurés, de même qu’un cadre de vie sain et agréable. Cette bonne gouvernance requerrait en outre la bonne gestion des ressources nationales, une bonne politique d’exploitation des mines et de l’agriculture et la protection de l’environnement. Afin d’assurer l’égalité des citoyens devant l’Etat il serait créé d’une part une Agence Autonome chargée du recrutement et de la gestion des fonctionnaires, il serait d’autre part institué l’approbation préalable de l’Assemblée nationale pour toute nomination à des postes de haut niveau. D’autre nouveautés très salutaires consisteraient à donner aux femmes une part de responsabilité égale à leur pourcentage dans la société, instaurer un Service civique de douze mois pour tous jeunes, garçons et filles pour faciliter leur brassage. Ce modèle de société devrait aussi se distinguer dans le domaine de soutien aux médias et l’octroi de l’autonomie à la presse publique. Pour tenir compte de la diversité socioculturelle prévalant en Guinée, on pourrait donner une certaine autonomie aux quatre régions Naturelles du pays afin de suppléer aux insuffisances de plus en plus notables du pouvoir central en matière de sécurité, de santé et d’éducation et de créer une émulation entre les Régions. Parallèlement à cette mesure, on pourrait créer, en plus de la chambre des députés, un Sénat où siégeraient entre autres les représentants de ces entités, ouvrant ainsi une gestion plus inclusive des affaires de la Nation. Pour revêtir toute la légitimité requise, ce modèle de société devrait être débattu par l’ensemble des forces vives à l’occasion d’une Conférence nationale souveraine.

C. LES PRÉALABLES AU CHOIX DU RÉGIME À BATIR Avant de se lancer dans le choix d’un régime adapté au Projet de Société, il est indispensable, comme il a été souligné plus haut, d’une part de liquider le contentieux historique qu’elle traine avec elle en organisant une Réconciliation nationale ; il est d’autre part nécessaire 300

que les Guinéens se mettent d’accord sur les valeurs qui pourraient constituer la base de leur nouvelle société. Voyons ci-après comment organiser ces deux exigences 1. LA RÉCONCILIATION NATIONALE Depuis l’indépendance de la Guinée les violences d’État, l’injustice et le parti pris des dirigeants en faveur de leurs clans, les confrontations meurtrières entre des communautés dans l’indifférence ou quelques fois avec la complicité des gouvernements, les violences ont fini par convaincre le citoyen guinéen que la Nation est une notion vide de sens et sans réel impact sur sa vie de tous les jours. Cette frustration a été amplifiée chez certains Guinéens par les événements malheureux qui ont accompagné les élections présidentielles de 2010 lorsque les militants de deux partis politiques se sont confrontés, se sont pourchassés, se sont entretués sous l’œil indifférent du gouvernement de la Transition. Les tueries et les exactions continuant de plus belle, on est alors passé à la phase de la chasse à l’homme consistant pour chaque communauté à expulser de sa zone les militants du parti adverse vivant jusque-là en bonne harmonie avec la population autochtone. Cet emballement qui est la négation même de la Nation a continué et s’est transformé en nettoyage ethnique portant sur l’ensemble des personnes appartenant à la même ethnie que le leader du camp opposé, toujours dans l’indifférence des autorités transitoires. C’est dans ces conditions que les élections vont intervenir et que les résultats seront proclamés, heureusement sans contestation de la part du perdant. Cependant, l’hostilité entre les deux ethnies a demeuré sans que les nouvelles autorités n’aient entrepris aucune mesure tendant à rassurer l’autre camp qui s’est de ce fait senti marginalisé et exclu. À cette situation particulière sont venues s’ajouter pour l’ensemble des Communautés des frustrations nées d’une part du constat que tous les Présidents qui se sont succédé à la tête de l’État, malgré les discours affirmant le contraire, ont plutôt eu la fâcheuse tendance à favoriser les cadres de leur ethnie et à organiser des fraudes électorales pour s’éterniser au pouvoir ; d’autre part, elles gardent le souvenir vivace des êtres chers tués lors des manifestations pacifiques ou bien lors des confrontations entre communautés. Ces Communautés sont aussi choquées de l’absence de la justice, de la vénalité des juges et de l’impunité généralisée. Ces sentiments d’être abandonné et floué, ajoutés aux contentieux antérieurs non encore liquidés, a abouti à une 301

situation où toutes les communautés se sont repliées sur elles-mêmes et ont mis leur propre ethnie au pinacle et au centre de ses préoccupations. Cette posture doit nécessairement être inversée si on veut préserver la Nation héritée de nos devanciers et destinée à être transmise intacte aux générations futures. Pour ma part, la Guinée représente un bien trop précieux pour que je reste indifférent face à des telles déviances qui pourraient conduire à sa dislocation ; elle m’a donné beaucoup dans ma vie, elle a assuré ma formation tout le long de mes études, depuis le primaire jusqu’à l’enseignement supérieur, en passant par le secondaire, elle m’a honoré en me confiant à plusieurs reprises de hauts postes de responsabilité. Hormis ce traitement de faveur qu’elle m’a réservé, la Guinée est en soi un pays attachant et aimable, un pays gâté par la nature et exceptionnellement bien doté, disposant d’un sous-sol riche, de paysages splendides et variés, des fleuves qui arrosent toute l’Afrique de l’Ouest, des montagnes, des savanes et des forêts, des populations dynamiques et intelligentes, bref un pays attractif sous le charme duquel on peut facilement tomber et que l’on aime tout naturellement ; je n’en veux comme preuve que les investissements énormes que la France se proposait d’y réaliser aussi bien dans la métallurgie aéronautique, dans les barrages hydroélectriques, dans l’agriculture, le tourisme. Ce serait dommage qu’un tel pays sombre du fait de la bêtise humaine. C’est conscient de cette nécessité que dès 2011 j’ai publié dans le journal le Lynx un long article dans lequel je soulignais ma préoccupation face aux forces centrifuges qui s’exerçaient sur la Guinée et qui pouvaient conduire à sa destruction et je proposais la mise en place d’une Commission Vérité Justice et Réconciliation pour procéder à une lecture collective et critique de notre histoire, pour déceler ses forces et ses faiblesses et convenir de la voie à suivre pour préserver le vivre ensemble. Quelque temps après, toujours en 2011, j’ai évoqué cette question avec le nouveau Chef d’État, le Président Alpha Condé. En octobre 2014 j’ai discuté à nouveau avec lui de cette même question. Entre ma première et ma deuxième rencontre avec le Président, j’ai enregistré une évolution notable dans son attitude face à cette question ; en effet si au début de 2011, il était opposé au déclenchement d’un tel mécanisme, le 15 août 2011, il a mis en place une Commission de Réflexion sur la Réconciliation nationale. Hélas ! cette Commission mettra trois ans et deux mois avant de remettre au Président le fruit de ses réflexions le 20 juin 2015 ; lors d’une interview accordée à des médias français le 27 septembre 2018 le 302

Président de la République a annoncé qu’il a déposé à l’Assemblée nationale un projet de Loi créant une Commission Vérité, Justice et Réconciliation. Il était grand temps, car s’il a fallu plus de sept ans aux Guinéens pour espérer voir enfin la mise en place de cette Commission, il aura fallu moins de vingt mois depuis le départ de Yaya Jammeh pour que la Gambie installe sa Commission le 15 octobre 2018. Malgré ces lenteurs enregistrées devant une question aussi urgente, espérons que cette fois-ci les choses iront de l’avant et que le processus de réconciliation pourra enfin commencer. 2. IDENTIFICATION DES VALEURS FONDATRICES DE LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE a- Sacraliser le respect de la Constitution, de la Nation, de l’hymne, du drapeau national b- Reconnaitre les pères fondateurs de la Guinée et ériger un panthéon où leurs restes vont reposer c- Élaborer la liste des martyrs de la Nation dont les noms seront donnés aux rues, places, monuments, etc. d- Garantir la jouissance des libertés fondamentales e- Réaffirmer la laïcité de l’État f- Quel que soit le régime qui sera adopté, faire de la justice l’arbitre indépendant de la Nation en la dégageant de la tutelle de fait de l’Exécutif par la modification du processus de nomination des juges et la garantie de leur inamovibilité 3. CONSENSUS GOUVERNANCE

SUR

LES

BASES

D’UNE

BONNE

a— Donner aux femmes les droits correspondants à leur pourcentage dans la société b — reconnaitre les candidatures indépendantes à toutes les élections c- Pourchasser et punir la corruption d- S’assurer que les Forces de Défense et de Sécurité reflètent la structure de la société guinéenne, en corrigeant progressivement les recrutements subjectifs qui sont intervenus depuis l’indépendance e — octroyer une autonomie effective à la Banque Centrale pour rendre plus efficace la gestion financière du pays, à l’instar des pays dotés d’une monnaie crédible

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f — renforcer la neutralité de l’État par la création de trois Agences Publiques Autonomes pour recruter et gérer la carrière des fonctionnaires, pour organiser les examens du baccalauréat et pour gérer le service des bourses. g— Instituer une procédure transparente, impliquant l’Assemblée nationale dans les nominations à de Hautes Fonctions d’État h — Exiger des membres du gouvernement ainsi que des Hauts Fonctionnaires de démissionner de leurs partis politiques et de garder leur neutralité durant tout leur mandat i- Donner une autonomie réelle à chacune des quatre régions Naturelles composant la Guinée pour qu’elles gèrent leur devenir dans les domaines que le Pouvoir central pourrait leur déléguer, notamment dans les domaines de la sécurité locale, de l’enseignement secondaire, etc. j— Instaurer un Service civique national de 12 mois pour les jeunes filles et les jeunes garçons âgés de 18 ans pour faciliter le brassage des jeunes et renforcer l’idée d’appartenance à la même Nation k — renforcer la promotion et la protection des médias, en réorganisant la HAC pour la rendre plus indépendante par rapport à l’Exécutif, en rendant les médias d’État plus indépendants vis-à-vis du pouvoir et en soutenant les médias aussi bien privés que publics plus forts en rendant plus indépendant le processus d’octroi de leur budget pour les premiers et de la subvention annuelle pour les seconds l- Mettre un accent tout particulier sur la protection de l’environnement compte tenu des menaces qui pèsent sur l’avenir de l’humanité Ces idées pourraient être formellement mentionnées dans la Nouvelle Constitution afin de protéger la démocratie, d’instituer la bonne gouvernance et d’accroitre l’inclusion de toutes les Régions dans le fonctionnement de l’État

D. LE CHOIX DU RÉGIME PROPREMENT DIT Tout le long des pages précédentes, il a été question des méfaits du Régime présidentiel trafiqué, de sa responsabilité dans le retard que la Guinée a connu. Faudrait-il malgré tout conserver ce type de régime en procédant à des amendements liés à son fonctionnement, ou bien choisir une autre forme de gouvernement ? C’est à ces questions que les pages suivantes seront consacrées.

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1. Revue de quelques régimes types Dans la recherche d’un régime porteur des valeurs de liberté, de démocratie, d’égalité entre les citoyens comme souhaité plus haut, on pourrait passer en revue les quelques formes de gouvernements cidessous afin de déterminer les qualités et les défauts des uns et des autres a — le Régime présidentiel actuel Le régime « présidentiel trafiqué » en vigueur comme il a été rappelé plus haut a été la principale cause des malheurs de la Guinée ; il a en effet favorisé la dictature, l’absence d’alternance démocratique, la mal gouvernance, les différentes frustrations nées de la violence gratuite et les coups d’État. Dans ces conditions, il ne serait que pure folie de la part des Guinéens de vouloir continuer avec un tel régime. Il leur reste bien sûr la possibilité d’adopter un régime présidentiel amendé. b-Régime présidentiel amendé i le système présidentiel au lieu de comporter un seul homme à la tête de l’État pourrait en compter deux, à savoir le président et un viceprésident élus sur un même bulletin, qu’on appelle généralement un ticket. Une telle formule repose sur l’exigence que ce couple provienne de deux ethnies et de deux régions différentes et est destinée à éviter la domination d’une ethnie ou d’une région, tout en empêchant le règne personnel qui a prévalu en Guinée depuis 1958. Cependant, à regarder les pays où ce système existe, Nigeria, USA, par exemple, on remarquera qu’il s’agit des Fédérations ou des confédérations où les États fédérés ont un pouvoir réel qui leur permet de résister à toute tentative aventuriste de l’État fédéral. Un tel contrepoids est le gage de la sagesse du couple présidentiel. Qu’en serait-il dans le cas d’un État unitaire ? Ne risque-t-on pas de se retrouver avec des personnes tentées de bloquer le système en confisquant le pouvoir ou bien en montant des combines en anticipation des futures élections ? On doit toujours se poser la question de savoir si un pouvoir excessif ne constitue pas une tentation d’accroitre encore plus ce pouvoir ou de le confisquer pour le détenteur de ce pouvoir, et ce quel que soit le type de régime présidentiel. ii-La Présidence tournante est une autre forme du Système présidentiel amendé, consistant à élire à la fonction suprême, dans un ordre donné, pour une durée convenue et à tour de rôle, un représentant de chacune des quatre Régions du pays. Cette démarche a un double objectif, assurer le partage équitable du pouvoir entre les Régions et empêcher qu’une personne ne confisque le pouvoir à son profit et à 305

celui de sa Région. Les incidents qui se sont déroulés récemment aux iles Comores montrent les limites d’une telle formule ; suite au coup d’État constitutionnel que le Président des Comores a opéré en juillet 2018 par l’entremise d’un référendum qui a prorogé la durée de son mandat en faussant ainsi le système de rotation entre les élus des trois îles ; cet acte a provoqué l’insurrection d’un groupe armé qui a pris en otage le quartier de la Medina dans l’Ile d’Anjouan, qui a provoqué trois morts. Après le retour du calme, la cause aura été entendue, la présidence tournante aura vécu. Cette formule ne devrait pas par conséquent inspirer les Guinéens. iii- Le Régime parlementaire Le Régime parlementaire est le système de gouvernement dans lequel l’Assemblée nationale élit un Président de la République et un Chef de gouvernement. Le premier devant jouer le rôle de symbole de l’unité nationale, de garant de la Constitution, de la continuité, de la stabilité de l’Etat, d’arbitre et de conciliateur au-dessus des querelles politiques ; le second devant assurer les fonctions de Chef gouvernement, chargé de conduire, sous le contrôle de l’Assemblée nationale, la politique du pays. Pour tenir compte du caractère multiethnique de la Guinée, on pourrait instituer auprès de l’Assemblée nationale un Sénat qui comprendrait outre les représentants des Régions, des élus désignés par les groupes socioéconomiques du pays, de même que des représentants de la société civile. Un tel régime a l’avantage de redonner la souveraineté au peuple en mettant les députés élus au suffrage universel au cœur du système, alors que sous le régime présidentiel le pouvoir était concentré dans les mains d’un seul homme qui agissait seul sans partage. Le Régime parlementaire permet aussi de choisir des Institutions fortes au détriment des hommes forts ; désormais le Pouvoir exécutif ne peut dominer ni l’Assemblée nationale ni le Pouvoir judiciaire qui ensemble le mettent sous leur contrôle. Il permet enfin d’amoindrir les affrontements violents et meurtriers sur une bonne partie de la Guinée, l’usage abusif des moyens de l’État dans les campagnes électorales, l’implication des agents publics dans le processus de vote, le recours systématique à la corruption en matière politique. Il est possible que des incidents surviennent localement dans certains endroits, mais il est tout à fait raisonnable de penser qu’ils seront limités, contrôlables et de faible intensité. Un débat existe entre les constitutionnalistes autour des avantages et des inconvénients respectifs des Régimes présidentiels et parlementaires, les uns considérant que le premier serait le garant de la 306

stabilité, de la continuité et même de l’attrait des investissements, alors que le Régime parlementaire favoriserait l’instabilité, les crises politiques récurrentes et le recul du pays ; les autres insistant sur la garantie que le régime parlementaire apporterait à la démocratie et la liberté. Outre l’excès contenu dans chacun des arguments qui considèrent qu’un homme fort rassure et attire les investissements pour un développement continu, ou bien qu’un modèle de Régime parlementaire est parfait et irréprochable, il faut insister sur le fait qu’un Régime politique quel qu’il soit, présente toujours quelques inconvénients et des insuffisances, dont les conséquences peuvent cependant être limitées grâce à l’habilité des rédacteurs de la Constitution. Le choix d’un type de régime politique devrait en fin de compte reposer d’une part sur le niveau de développement socioéconomique du pays et d’autre part sur les besoins le plus forts ressentis en matière de gouvernance à un moment donné par la population. Compte tenu de l’échec du « régime présidentiel » depuis 1958, le rêve le plus ardent des Guinéens est de reconquérir leur liberté pour bâtir leur avenir en ne se fiant pas à un homme providentiel. Que l’on ne se méprenne pas cependant, ce point de vue est tout à fait personnel à l’auteur de cet ouvrage, mais conforme au Projet de Société dont il a été question plus haut ; au moment du choix définitif, il appartiendra au peuple guinéen de faire son choix à la suite des débats ouverts qui pourraient être organisés à cet effet.

E. QUEL NOUVEAU RÉGIME POLITIQUE POUR LA GUINÉE ? Depuis 2010, de nombreux écrits ont fait état de la situation de blocage que connait la Guinée depuis son indépendance et ont envisagé des solutions pour en sortir. Le présent livre, à son tour a répété le même exercice, dans l’espoir que les réflexions et les propositions qu’il contient serviront à nourrir des débats ouverts, susceptibles de conduire à des changements bénéfiques pour le peuple de Guinée. Il est donc nécessaire de faire précéder tout processus de changement par un débat national.

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F. RÔLE QUE POURRAIT JOUER LA SOCIÉTÉ CIVILE DANS L’ORGANISATION DU DÉBAT NATIONAL Il est clair que ni le gouvernement ni l’Assemblée nationale ne vont sponsoriser un tel débat, car ils pourraient penser qu’en le faisant ils auront contribué à scier la branche sur laquelle ils sont assis, alors que les changements proposés ne les visent pas en tant que personnes, mais plutôt cherchent à sortir le pays de l’impasse qui perdure depuis 60 ans. Le seul espoir de voir ces écrits sortir des salons pour être sur la place publique repose sur l’entregent et l’engagement citoyen de la société civile. En effet c’est la frange de la population qui, comme partout ailleurs dans le monde, apparait comme la plus consciente de la société, car la mieux formée et aussi la plus engagée en matière de luttes sociopolitiques ; elle n’est en général pas guidée, par une idéologie ; elle est principalement motivée par la conscience de la nécessité d’être en phase avec les besoins de son peuple. Elle a tout à gagner dans les changements positifs qui s’opèrent dans la société où elle vit, elle ne devrait pas avoir peur de ces changements qu’elle appelle de ses vœux. Par ailleurs sa composante principale étant la jeunesse, elle réunit de facto la majorité de la population en son sein et son expression sous certaines conditions revêt la légitimité populaire. PROCESSUS DEVANT CONDUIRE LES DÉBATS Compte tenu de ce qui précède, la conscience patriotique pourrait amener la société civile à lancer une plate-forme pour la refondation de la Guinée (PRG) qui pourrait prendre l’initiative d’organiser un tel débat. Pour ce faire elle pourrait emprunter le processus suivant : 1- Rassembler tous les écrits portant sur le sujet, inviter les auteurs de ces écrits de même que quelques intellectuels renommés pour leurs connaissances des sujets de gouvernance, pour leur expérience et le respect qu’ils inspirent, des professeurs de Droit, d’histoire, de sociologie, de philosophie, les hommes des médias, des politiciens pour partager leur analyse et leurs conclusions sur ces ouvrages 2- À partir de ces rencontres, chercher un consensus à propos des rubriques suivantes : Du diagnostic de la situation sociopolitique et économique que connait la Guinée après 60 d’indépendance, 308

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Des causes de cette situation, Des solutions pour en sortir, Du choix de la nouvelle forme constitutionnelle à adopter

3- Élargir le partage de ces conclusions à travers des meetings et des conférences-débats dans les universités à Conakry et hors de la capitale, au niveau des différents groupes sociopolitiques et économiques et des médias 4- populariser ces conclusions au niveau de toutes les Institutions de la République, au niveau des Ambassades, des Organisations internationales, etc. 5- Une fois obtenu un certain niveau de consensus sur l’essentiel, envisager la convocation d’une Conférence nationale composée de toutes les forces vives de la Nation pour conférer la légitimité indispensable à tout changement envisagé, notamment en matière d’adoption d’un nouveau régime de gouvernement, de lancement de la réconciliation nationale, de l’organisation de la transition. Il reste entendu que pour exiger une nouvelle constitution il faut qu’il ait une rupture de l’ordre constitutionnel en vigueur ou une contestation sérieuse des Institutions en place ; les débats préconisés pourraient justement provoquer une prise de conscience de la grande majorité des Guinéens sur l’inadaptation des Institutions et la nécessité de les changer Au lendemain du 60e Anniversaire de l’indépendance de la Guinée et à la veille des élections présidentielles de 2020, notre pays vit une étape charnière de son histoire qui pourrait être propice à un tel brassage d’idées ; en effet en 2020 tout débat politique sera opportun, et du côté du pouvoir et de celui de l’opposition ; par ailleurs tous les candidats à la présidentielle se trouveraient obligés de se prononcer sur le thème de refondation, ce qui donnerait une nouvelle dimension au débat ; passé cette période, la démarche pourrait s’avérer plus compliquée face à un régime nouvellement installé et sûr de lui. C’est dire que 2019 et 2020 ouvriront une fenêtre d’opportunité pour lancer le débat sur la refondation de la Guinée.

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Conclusion générale Au terme de l’examen et de l’analyse de la situation générale qui prévaut en Guinée en 2019, on est amené à conclure que ce pays est et reste sous-développé aussi bien sur le plan politique, économique, social que culturel. En effet, les libertés individuelles et les droits humains continuent à être bafoués, les manifestations publiques sont souvent interdites et les contrevenants sont matraqués, gazés et quelques fois assassinés, sans espoir que les auteurs de ces exactions ne puissent jamais être punis. Les élections sont souvent critiquées et donnent lieu à des contestations, quelques fois violentes. Les citoyens ne sont pas égaux devant l’État, les membres du parti présidentiel, les membres du clan présidentiel et de son ethnie occupent une place de choix dans la Nation, favorisant la division du pays et la montée de l’ethnocentrisme. L’exploitation des Mines, depuis l’indépendance la Guinée est restée à la phase de l’exploitation et d’exportation des matières premières brutes sans aucune plus-value nationale, la seule raffinerie du pays a été héritée de la colonisation ; quant à l’agriculture qui occupe 80 % de la population, elle n’a pas eu le traitement qu’elle aurait mérité, son encadrement est resté insuffisant, l’assistance qui lui est apportée est dérisoire et les aménagements hydro-agricoles sont insignifiants. Le niveau de vie des populations guinéennes est resté dramatiquement bas par rapport à celui dont jouissent les populations des pays frères voisins alors que le même niveau prévalait à la veille de l’indépendance. Si la Guinée était autosuffisante en matière alimentaire en1958, aujourd’hui elle importe l’essentiel de son alimentation. Si la Guinée s’appelait autrefois la perle de l’Afrique, à cause de la beauté de ses paysages, de ses villes et de leur propreté, de nos jours sa capitale est envahie par des ordures dont on n’arrive pas à se débarrasser. L’insécurité dans les habitations, sur les routes, dans les magasins, en ville et à la campagne est devenue endémique. Les infrastructures sont insuffisantes et le peu qui existent sont mal entretenues. Sur le plan social le sous-emploi des jeunes n’a pas pu être éradiqué et la délinquance juvénile a pris de l’ampleur. Ce tableau noir est la conséquence cumulée des complots permanents de la Première République, des coups d’État militaires de 311

1984 et de 2008 et surtout par la mal gouvernance qui a été elle-même la conséquence du système politique qui a prévalu tout le long des 60 ans d’indépendance. Cette gouvernance censée reposer sur le régime présidentiel s’en est juste servi comme alibi et habit d’apparat, pour adopter une méthode de gouvernance autocratique ignorant la Loi et reposant sur la violence. Malgré les changements assez fréquents des Constitutions, malgré l’accession au pouvoir de trois hommes aussi dissemblables que Ahmed Sékou Touré, Lansana Conté et Alpha Condé, les pratiques gouvernementales sont restées les mêmes, en dépit des variations dans la forme ; chacun des présidents a, soit ignoré la séparation des pouvoirs, soit les a réduits à leur plus simple expression ; chacun des présidents a porté atteinte à sa manière à la liberté individuelle des citoyens, et de même aux libertés fondamentales, chacun des présidents a organisé des élections sur mesure, chacun des présidents du fait de ces dispositions, a instauré un régime autoritaire au sein duquel il va devenir progressivement tout puissant, hors de contrôle et indéboulonnable. Ces pratiques arbitraires éloignent de plus en plus ces gouvernances du régime présidentiel dont ils réclament la paternité. La Guinée par la force des choses, tout en usant des hommes nouveaux et des nouvelles Constitutions reste toujours sous-développée et toujours misérable. Nous devons nous convaincre que les élections risquent de ne pas servir à grand-chose si les nouveaux présidents élus cherchaient à chausser les chaussures de leurs prédécesseurs en mettant de côté la Constitution par laquelle ils ont été élus ; une telle hypothèse n’est malheureusement pas invraisemblable, car le système décrit plus haut est aussi attirant qu’un aimant pour un président de la République ; il lui permet de se placer au-dessus de tout le monde, y compris les Institutions de la république, de disposer de grands moyens pour soumettre tous les contre-pouvoirs, de mater toute résistance à son autorité, de modifier la Constitution à sa guise pour rester au pouvoir aussi longtemps qu’il voudra, encouragé par son entourage saprophyte et égoïste. Autant dire que la Guinée pour sortir de sa misère actuelle devrait passer par une rupture avec le passé en refondant ses Institutions en vue d’instaurer la démocratie et l’État de droit dans toute leur plénitude.

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Bibliographie Ahmed Tidiane Souaré : À mon tour de parler, L’Harmattan, 2011. Alpha Condé : Le Temps des Défis de l’histoire, les éditions Continentales, 2012. Alpha Condé : Guinée, Albanie ou Néo-Colonie Américaine — Les Éditions git-Le-Cœur. Alpha Condé : Entretien avec Jean Bothorel — Ce que je veux pour la Guinée, Pricollec, 2010. Alpha Ousmane Barry : Les Racines du mal guinéen, Karthala. Alpha Abdoulaye Diallo : La Vérité du Ministre- Calman Levy Alseny René Gomez : La Guinée peut-elle être changée ?, L’Hamattan, 2010. Alseny René Gomez : Camp Boiro, parler ou périr, L’Harmattan, 2007. André Lewin : Le Destin tragique d’un grand Africain, Jeune Afrique. André Lewin : Ahmed Sékou Touré (1922-1984), Président de la Guinée, L’Harmattan, 2009. Ansoumane Doré : Économie et Société en République de Guinée, Chevove Bayadine. Alata Jean Paul : Prisons d’Afrique, Le Seuil. Mohamed Saliou Camara : Le Pouvoir politique en Guinée sous Sékou Touré, L’Harmattan, 2007. Chaffard (Georges) : Les Carnets Secrets de la décolonisation, Calman Levy. Djibril Tamsir (Niane) : La République de Guinée, Société africaine D’Édition et de Communication. M. Oury Gounné Barry : Aperçu géographique et historique sur Daralabé La vie et l’œuvre de Thierno Aliou Mo Wangako-Livre Collectif signé par Alpha Oumar Rafiou Barry, Alpha Kollanghel Sow, Alpha Oumar Sow, Alpha Ibrahima Sow, M. Saliou Sow, Th. Oumar Touré — Édit. Universitaire Pascal Airault, Jean Pierre BAT, FrançAfrique, Opérations Secrètes et affaires d’État, Tallandier, 2016. Ibrahima Baba Kaké : Sékou Touré, le héros et le tyran, Jaguar Éditions. 313

Ibrahima Soumah : l’Avenir de l’industrie minière en Guinée, L’Harmattan 2007. Jacques Larue : Fria en Guinée, Première Usine d’alumine en terre africaine, Karthalla, 2000. Sidiki Kobelé (Keita) : Qui a organisé l’agression du 22 novembre contre la Guinée Kaba 41 (Camara) : Dans la Guinée de Sékou Touré, cela a bien eu lieu, L’Harmattan 1998. Koumanthio Zeinab : Le fils du roi de Guémé et autres légendes du Fouta, L’Harmattan, 2004. Nadine Barry : Chroniques de Guinée — Essai sur la Guinée des années 90 Roland Pré : L’avenir de la Guinée française, Éditions Guinée. Sékou Souaré : Une histoire de réussites et de rendez-vous manqués, L’Harmattan 2015. Sow (Loppé) : La Guinée de Sékou Touré à Lansana Conté — Continuité ou rupture Suret Canale (Jean) : La République de Guinée, Éditions sociales Thierno Bah : Mon Combat pour la Guinée, Karthala 2000. Thierno Mamadou Bah : Histoire du Fouta Djallon, des origines au XXe siècle

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Table des matières

Dédicace ..................................................................................................... 7 Avant -propos ............................................................................................ 9 Préface ..................................................................................................... 11 Introduction............................................................................................. 15 Prologue ................................................................................................... 17 PREMIÈRE PARTIE SOUS SÉKOU TOURÉ .............................................................................. 29 CHAPITRE 1 : Qui est Sékou Touré ? ................................................. 31 CHAPITRE 2 : Mes rapports avec le Président Ahmed Sékou Touré ........................................................................................................ 33 1. Premiers contacts avec Ahmed Sékou Touré................................ 33 2. Premier entretien avec Ahmed Sékou Touré ................................ 34 3. L’entretien proprement dit ............................................................ 42 4. Les motivations réelles de la grève ............................................... 44 5. En Poste au CGR de Conakry ....................................................... 48 6. Les événements qui ont marqué mon séjour au CGR ................... 50 7. La situation particulière du Fouta ................................................. 51 8. La révolte des femmes .................................................................. 55 9. Mon deuxième entretien avec le Président Sékou Touré .............. 58 10. Nommé Directeur Général Adjoint d’OBK ................................ 59 11. Une rencontre inattendue et bien étonnante ................................ 61 12. En partance pour la Jamaïque ..................................................... 62 13. Mon séjour À l’IBA .................................................................... 63 CHAPITRE 3 : Sékou Touré, le personnage politique ....................... 65 La mise en place d’une dictature ...................................................... 67 Les complots ..................................................................................... 70 La torture .......................................................................................... 71 Népotisme et Racisme ...................................................................... 74 Cynisme et Paranoïa ......................................................................... 75 Relations de tous les jours entre Sékou Touré et les citoyens guinéens..................................................................... 76 CHAPITRE 4 : La Politique menée par Sékou Touré durant ses 26 ans de règne .................................................................................. 79 1. Politique inérieure et extérieure .................................................... 79 2. Politique Économique de la Première République ....................... 89

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CHAPITRE 5 : L’héritage laissé par Sékou Touré ........................... 105 Une grande Reconnaissance à Sékou Touré ................................... 105 Les Frustrations, les échecs, les Larmes et les Pleurs laissés par Sékou Touré .............................................................................. 107 L’Examen de la Page noire de la Gouvernance de Sékou Touré constitue un défi pour le peuple de Guinée .......... 113 DEUXIÈME PARTIE Sous Lansana Conté ................................................................................. 117 CHAPITRE 1 : Qui est Lansana Conté ? ........................................... 119 CHAPITRE 2 : Mes rapports avec Lansana Conté et son régime .. 121 Mon insertion dans l’administration de la 2Ème République .......... 121 Le Projet initial de DIAN DIAN ..................................................... 122 Mes autres activitÉs au sein du Ministère....................................... 123 Mes premières rencontres avec Lansana Conté .............................. 124 Ambassadeur de Guinée ................................................................. 127 La diplomatie Guinéenne en question............................................. 133 Mon travail à ALCOA .................................................................... 135 CHAPITRE 3 : La politique menée par Lansana Conté .................. 139 A. DANS LE DOMAINE POLITIQUE ............................................. 139 1. Politique Intérieure ..................................................................... 139 conséquences de l’échec de la construction d’un État de droit ....... 147 impacts de la maladie du prÉsident sur le fonctionnement de l’État ........................................................................................... 150 2. Politique Extérieure .................................................................... 155 3. LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE ...................... 155 CHAPITRE 4 : Lansana Conté, le personnage politique ................. 159 CHAPITRE 5 : Bilan laissé par Lansana Conté ................................ 163 Un Héritage divers et significatif .................................................... 163 Héritage terni malgré tout par des tâches noires ............................. 164 TROISIEME PARTIE UNE PARENTHESE ENTRE DEUX REPUBLIQUES ....................... 171 Place du CNDD dans l’histoire de la GuinÉe ................................ 175 QUATRIÈME PARTIE SOUS ALPHA CONDÉ............................................................................ 177 CHAPITRE 1 : Qui est Alpha Condé ? .............................................. 179 CHAPITRE 2 : Mes rapports avec Alpha Condé .............................. 183 CHAPITRE 3 : Alpha Condé, le personnage politique ..................... 193

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Un politicien pur et dur ................................................................... 193 CHAPITRE 4 : La stratégie qui sous-tend la politique d’Alpha Condé ...................................................................................... 199 LE ROLE DE L’ARGENT DANS LA STRATÉGIE D’ALPHA CONDÉ........................................................................................... 199 LES ALLIANCES TISSÉES PAR ALPHA CONDÉ .................... 201 INFLUENCE DE l’IDÉOLOGIE ET DE LA POLITIQUE DE SÉKOU TOURÉ SUR ALPHA CONDÉ ....................................... 215 CHAPITRE V : La Gouvernance du Président Alpha Condé.......... 219 A. DANS LE DOMAINE POLITIQUE ............................................. 219 Politique Intérieure ......................................................................... 219 POLITIQUE ÉCONOMIQUE DU PRÉSIDENT CONDÉ ............ 233 La Politique Énergétique ................................................................ 234 Le Développement des Infrastructures sous la Présidence d’Alpha Condé .............................................................................................. 242 La politique miniÉre du Président Alpha Condé ............................ 247 La Politique Agricole du Président Alpha Condé ........................... 256 La politique Sociale et culturelle d’Alpha Condé ........................... 258 La Gestion Du Cadre de vie ............................................................ 262 Le Trafic de Drogue ........................................................................ 264 CHAPITRE VI : L’héritage que pourrait laisser Alpha Condé ....... 269 A. Les actions positives réalisées sous la Présidence d’Alpha Condé 269 Sur le Plan International ................................................................. 269 B. Actions plutôt négatives que pourrait laisser la Présidence d’Alpha Condé .................................................................................................. 271 CINQUIEME PARTIE QUE FAIRE POUR SORTIR LA GUINEE DU RETARD ACCUMULE DEPUIS L’INDEPENDANCE ? ..................................... 281 CHAPITRE 1 : Tableau synoptique de la situation de la Guinée à la veille de son 60ème Anniversaire .................................................... 285 1. La joie et la fierté des Guinéens .................................................. 285 2. Les malheurs de la Guinée .......................................................... 286 CHAPITRE 2 : Principales causes de la crise endémique guinéenne ............................................................................................... 287 A. Le système politique pernicieux qui sévit en Guinée..................... 287 B. La mal gouvernance ....................................................................... 290 C. Conséquences de la mal gouvernance ............................................ 296 CHAPITRE 3 : Comment sortir de la crise guinéenne ? .................. 299 A. Un projet de société favorable à l’Épanouissement de la Guinée .. 299 B. Construire un modèle de société sous-tendu par des valeurs universelles ......................................................................................... 299 C. LES PRÉALABLES AU CHOIX DU RÉGIME À BATIR .......... 300

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1. La réconciliation nationale.......................................................... 301 2. Identification des valeurs fondatrices de la Nouvelle République ...................................................................................... 303 3. Consensus sur les bases d’une bonne gouvernance .................... 303 D. LE CHOIX DU RÉGIME PROPREMENT DIT ........................... 304 E. QUEL NOUVEAU RÉGIME POLITIQUE POUR LA GUINÉE ? .................................................................................... 307 F. ROLE QUE POURRAIT JOUER LA SOCIÉTÉ CIVILE DANS L’ORGANISATION DU DÉBAT NATIONAL .................... 308 PROCESSUS DEVANT CONDUIRE LES DÉBATS .................. 308 Conclusion Générale ............................................................................. 311 Bibliographie ......................................................................................... 313

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GUINÉE CONAKRY AUX ÉDITIONS L'HARMATTAN Dernières parutions SUR LES PAS DU PRÉSIDENT AHMED SÉKOU TOURÉ Modo Sory Barry Préface d'Ahmadou Tidjane Traoré Cet ouvrage est un témoignage de l'auteur qui passe en revue son parcours scolaire et universitaire et ses premières activités de journaliste. Il retrace ensuite ses lointains souvenirs sur les pas du président Ahmed Sékou Touré comme journaliste-reporter sur les questions internationales. Il évoque aussi ses propres missions en tant qu'inspecteur politique à la Permanence nationale du parti, les voyages du président en France, son adieu à l'esplanade du Palais du Peuple, juste avant sa mort et l'après-Sékou Touré. (Coll. Harmattan Guinée, 318 p., 25 euros) ISBN : 978-2-343-18013-7, EAN EBOOK : 9782140131509

NATHALIE OU LE GRAND PARDON Roman Michel Haba Nathalie ou le grand pardon est le récit des mésaventures d'une femme qui menait une vie paisible dans son foyer avec son mari et leurs trois enfants. Mais un amour de jeunesse, Grégoire Néma, réussit à briser son foyer, malgré l'intervention de ses parents et de ses beaux-frères. À Paris, où elle rejoint Grégoire Néma, son aventure tourne au drame. Et c'est manu militari qu'elle est embarquée de force et ramenée à Conakry. Elle tente alors tout pour réintégrer le foyer conjugal... (Coll. Harmattan Guinée, 98 p., 11 euros) ISBN : 978-2-343-18015-1, EAN EBOOK : 9782140131615

L'ANNEAU À RÉTABLIR Pour une valorisation des savoirs locaux Baba Diané Cet ouvrage plonge profondément dans les us et coutumes des sociétés traditionnelles africaines regorgeant de plusieurs valeurs, au nombre desquelles la solidarité, le droit d'aînesse, la charité, la bonne éducation parentale et l'amour du travail. Les thématiques abordées dans ce livre décryptent ces vertus : les valeurs de l'éducation traditionnelle, les attributs de l'étranger, les vertus du conte, la pratique des bonnes moeurs... (Coll. Harmattan Guinée, 176 p., 18 euros) ISBN : 978-2-343-18147-9, EAN EBOOK : 9782140131004

CONFIDENCES D'ENFANTS Roman Mamoudou Kabala Kaba Kabiné Phénomène de société, le petit écran est venu bousculer les classiques salles de cinéma avec l'avantage aussi bien de sa gratuité que de sa retransmission en langue nationale. Koudani Amoh en fut l'un des premiers possesseurs. Dès lors, tous les soirs l'essentiel de Korialen se retrouvait à son domicile. Un soir se joue un drame, il sera particulièrement marqué par l'irascibilité de Bintou Madi, l'infinie sagesse de Fodé Kaba Laye et le fatidique sort de deux amis qui, nés de deux ménages différents, ont rejoint l'au-delà, exactement comme des frères siamois. (Coll. Harmattan Guinée, 88 p., 10 euros) ISBN : 978-2-343-18014-4, EAN EBOOK : 9782140130410

LA SOUFFRANCE DE ROUYIBATA Roman Ibrahima II Barry En se réveillant ce matin du 28 septembre 2009, Rouyibata était dans une jubilation presque enfantine. Et c'est avec un empressement fébrile qu'elle se prépara, sortit du domicile et s'embarqua pour le Stade du 28 Septembre. Près de deux heures après son entrée dans l'enceinte, elle gardait encore l'espoir et l'enthousiasme qui l'habitaient à son réveil. Mais, subitement, elle vit des hommes, des femmes, des jeunes filles et des jeunes garçons tomber autour d'elle. Elle se mit alors à courir pour s'extirper de l'arène mortifère. Dans sa fuite, Rouyibata fut happée par un « tourbillon de clous » qui la souleva, la fit virevolter avant de la laisser choir dans un gouffre aux limites imprécises. Elle va s'efforcer d'en sortir. Y parviendra-t-elle ? (Coll. Écrire l'Afrique, 240 p., 22,5 euros) ISBN : 978-2-343-18129-5, EAN EBOOK : 9782140130625

LE COUP D'ÉTAT MANQUÉ DU COLONEL DIARRA TRAORÉ Guinée le 4 juillet 1985 Damaro parle Amadou Damaro Camara Dans ce livre, Amadou Damaro Camara raconte les événements du 4 juillet 1985 ou le coup d'État manqué du colonel Diarra Traoré, ancien Premier ministre sous le président Lansana Conté. Cet événement, d'une grande sensibilité ethnique et politique en Guinée, est resté sans procès et avec des conclusions pleines de préjugés. Amadou Damaro Camara est l'une des rares personnes en vie susceptibles de rétablir la vérité concernant plusieurs aspects de cet événement. Il tente de fournir de la matière sur un pan important de l'histoire de la Guinée aux historiens, afin qu'ils se penchent sur le sujet de façon plus scientifique, et par devoir de mémoire envers la nouvelle génération. (Coll. Harmattan Guinée, 218 p., 20 euros) ISBN : 978-2-343-18075-5, EAN EBOOK : 9782140130465

LA DAME DE FER Roman Kadiata Kaba Orpheline et mère célibataire, Élisabeth a dû se battre contre vents et marées pour se faire une place dans ce monde essentiellement dominé par les hommes. Partie de rien, elle est devenue la patronne du village à force de courage et de détermination. À la tête des plus grandes terres cultivables de Dalawaya, Élisabeth gère son patrimoine avec dextérité et maestria. Les retrouvailles avec Jack Solano, son amour d'enfance qui aujourd'hui est devenu son pire ennemi, vont bouleverser sa vie. Des secrets enfouis seront déterrés, des révélations lui seront faites. Saura-t-elle y faire face et pourra-t-elle effacer Jack définitivement de son coeur ? (Coll. Harmattan Guinée, 118 p., 12 euros) ISBN : 978-2-343-18016-8, EAN EBOOK : 9782140129124

LA GOUVERNANCE LOCALE EN AFRIQUE Expérience de la République de Guinée Alhassane Conde La décentralisation prônée en Guinée le 22 décembre 1985 a favorisé l'implication, la participation et la responsabilisation des populations dans le processus de développement qui les concerne. Elle est avant tout un moyen, une voie incontournable pour atteindre des objectifs de développement dont la finalité reste l'amélioration du niveau des services de proximité aux populations. Elle oblige l'État à redéfinir son rôle, appelle une réforme, une refondation, prenant en compte un élément central : l'existence de pouvoirs locaux. (Coll. Harmattan Guinée, 150 p., 16 euros) ISBN : 978-2-343-17638-3, EAN EBOOK : 9782140128042

DU SANG ET DES LARMES Roman Mohamed Condé Les parents, amis, médecins et autres guérisseurs tradipraticiens ont mené un combat acharné pour sauver la vie du jeune Sima, atteint d'un cancer du sang, une pathologie jugée presque incurable. L'avenir de cet enfant surdoué sera fortement influencé par l'annonce de la découverte de corps de migrants clandestins guinéens dans la Méditerranée. Il décide de donner un sens à sa vie en se consacrant à la construction d'une Guinée moderne et démocratique. (Coll. Harmattan Guinée, 158 p., 15 euros) ISBN : 978-2-343-18073-1, EAN EBOOK : 9782140128141

LE SOFA DE L'OMBRE Mohamed Condé Dans les années 1870, la région du Toron et ses environs sont secoués par des guerres fratricides. Des villages entiers sont saccagés et incendiés. Parmi les cadavres un nouveau-né est découvert par Banfa, un guerrier venu d'un village voisin. Il confie son éducation à Sira, sa première épouse. Le récit relate une histoire de vie et de mort dans un environnement socioculturel conflictuel où se côtoient la logique islamique et la métaphysique de la philosophie traditionnelle africaine. Ce roman est une photographie de l'histoire très agitée de la région du Toron, noyau de l'Empire du Wassoulou, à l'aube de la pénétration coloniale. (Coll. Harmattan Guinée, 174 p., 17 euros) ISBN : 978-2-343-17834-9, EAN EBOOK : 9782140127601

EN QUÊTE D'EXCELLENCE Mes souvenirs de Guinée et d'ailleurs Kémoko Touré "Les privations que j'ai vécues à un âge où la plupart de mes camarades n'avaient d'autre préoccupation que la poursuite de leurs études m'ont certes endurci mais l'éloignement prématuré et durable des miens m'a, dans le même temps, à certains égards, fragilisé, rendu peut-être trop méfiant et porté à une certaine solitude. Je ne suis pas un héros, j'ai simplement eu le courage de faire face aux difficultés que j'avais moi-même choisi d'affronter." (Coll. Harmattan Guinée, 310 p., 25 euros) ISBN : 978-2-343-17917-9, EAN EBOOK : 9782140127113

LA RÉFORME DU SECTEUR DE SÉCURITÉ Un enjeu démocratique en Guinée Joseph Aristide Kadouno Au regard du désordre provoqué par les Forces de défense et de sécurité et la nécessité d'assainir l'administration publique, l'État guinéen a enclenché une réforme générale de son administration. Celle du secteur de la sécurité notamment, des forces de défense et de sécurité et de la justice, au coeur de ce processus, s'est démarquée par sa réussite. Ce livre rappelle ce contexte, les motivations et les acquis de cette réforme du secteur de la sécurité. Il évoque les attentes des populations guinéennes qui renouent avec les FDS et replacent progressivement leur confiance dans les institutions judiciaires de leur pays. (Coll. Harmattan Guinée, 200 p., 20,5 euros) ISBN : 978-2-343-16651-3, EAN EBOOK : 9782140125263

LE "YOMBOU". LES PÉRIPÉTIES DE L'HISTOIRE POLITIQUE D'UNE MONARCHIE COUTUMIÈRE EN PAYS KISSI De la fin du XVIIè siècle à l'époque de la Révolution Mohamed Bouêdouno Après deux siècles de troubles et d'assujettissement qui marquèrent la région forestière, Gbéngbédou émerge et se constitue en une monarchie de type coutumier. Il s'impose alors comme l'une des forces politiques et militaires émergentes du pays Kissi dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Mais dans une

cohabitation forcée avec le colonisateur, l'exceptionnel destin de la monarchie est alors brutalement stoppé dans son évolution. L'épisode d'une « Révolution » impitoyable consacra le drame vécu par ce peuple et marquera le couronnement d'une époque, la fin d'une épopée et la chute d'une dynastie. (Coll. Harmattan Guinée, 290 p., 29 euros) ISBN : 978-2-343-17588-1, EAN EBOOK : 9782140124334

L'EGYPTE AU NOIR Les tribulations d'un Guinéen au Caire Thierno Youla Sylla Préface d'Anne-Marie Moulin Quel regard porte l'Egypte, "mère du monde", du haut de ses Pyramides sur le continent africain auquel elle prétend appartenir ? Thierno Youla Sylla, venu de sa Guinée natale, relate le regard des Egyptiens posé sur lui et sur le continent qu'il en vient à incarner. Il raconte les différentes rencontres qui ont bouleversé sa vie tout en observant d'un oeil perçant les grandes transformations qu'a connues la société égyptienne, de l'an 2000, date de son arrivée en Egypte, à nos jours. (260 p., 26 euros) ISBN : 978-2-343-17814-1, EAN EBOOK : 9782140124938

GUIDE PRATIQUE DU MAIRE ET DES CONSEILLERS COMMUNAUX ET RÉGIONAUX Alhassane Conde La décentralisation est le choix fait par le gouvernement de la République de Guinée à travers l'historique discours-programme du président Lansana Conté le 22 décembre 1985. Elle permet la participation des populations au processus de développement. La décentralisation ce n'est pas moins d'Etat, c'est un autre rapport entre l'Etat et les collectivités locales d'une part, et le niveau supérieur d'autre part. Ce guide a pour but de faciliter pour les élus une lecture simple des textes de loi et de rendre accessible l'administration communale. (Coll. Harmattan Guinée, 90 p., 12 euros) ISBN : 978-2-343-17463-1, EAN EBOOK : 9782140124617

TECHNIQUE DE L'APPRENTISSAGE Tout pour réussir son cycle universitaire Sadjo Tounkara Voici les thèmes évoqués dans ce livre, qui permettront aux étudiants de réussir leur cycle universitaire : le style d'apprentissage ; la motivation ; l'organisation personnelle ; la stratégie d'apprentissage ; la mémorisation ; l'apprentissage à l'ère numérique ; le projet professionnel. (Coll. Harmattan Guinée, 94 p., 12 euros) ISBN : 978-2-343-17618-5, EAN EBOOK : 9782140124624

TOUS LES SECRETS DE NOS COEURS Au-delà des apparences Tissou Touré Dois-je vraiment tout dire ? Dois-je aller au fond des choses pour qu'on me comprenne ? Aller au fond des choses pour livrer tout ? Suis-je la seule à vivre ce tourment ou est-ce le seul attribut de nous filles et fils de ? Sans connaître les secrets de vos coeurs, moi je viens quand même tenter de vous conter mon histoire. Avant tout "je suis une fille de...". Les Impliqués (178 p., 17 euros) ISBN : 978-2-343-17805-9, EAN EBOOK : 9782140122903

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Achevé d'imprimer par Corlet Numéric, Z.A. Charles Tellier, 14110 Condé-en-Normandie N° d'Imprimeur : 163524 - Dépôt légal : janvier 2020 - Imprimé en France

L A GUINÉE

Alfa Oumar Rafiou Barry, originaire de Daralabé, est titulaire d’une licence en économie politique et d’un DES de sciences économiques de la Faculté de droit Paris-Panthéon. Il est aussi détenteur du diplôme de l’Institut des sciences politiques de Paris. De retour en Guinée, il a servi dans plusieurs Départements ministériels avant d’être détaché auprès de l’Association internationale de la bauxite en Jamaïque. Après les Caraïbes, il sera nommé successivement ambassadeur de Guinée au Japon et aux États-Unis. Il bouclera sa longue carrière professionnelle en devenant vice-président d’Alcoa Guinée.

au fil de ses présidents

L’ouvrage comprend cinq parties, dont trois sont consacrées à la gouvernance de ces derniers, une quatrième sous forme de parenthèse évoque rapidement le régime de transition militaire du CNDD et une cinquième est destinée à la crise profonde que vit la Guinée et aux pistes possibles pouvant permettre d’en sortir.

Alfa Oumar Rafiou barry

« Ce livre est un témoignage sur les régimes politiques qui se sont succédé en Guinée de l’indépendance à nos jours. L’auteur présente une rétrospective biographique de son parcours combinée à une analyse fouillée du fonctionnement des gouvernements de Sékou Touré, de Lansana Conté et d’Alpha Condé, les trois présidents élus de la Guinée indépendante, qu’il a connus pour avoir travaillé avec deux d’entre eux et pour avoir lié une longue amitié avec le troisième depuis les bancs de l’université.

L A GUINÉE

au fil de ses présidents

Alfa Oumar Rafiou Barry

L A GUINÉE

au fil de ses présidents

Préface d’Alpha Ibrahima Sow

En couverture : Sékou Touré, Lansana Conté et Alpha Condé.

29 € ISBN : 978-2-343-18509-5

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