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French Pages [130] Year 1976
LA CRISE DANS L'ÉGLISE ·ET Mgr LEFEBVRE
YVES CONGAR
LA CRISE . DANS L'ÉGLISE - ET Mgr LEFEBVRE ie édition augmentée
LES ÉDITIONS DU CERF 29. bd Latour-Maubourg - Paris VII• 1977
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© Les Editions du Cerf, 1976 ISBN 2-204-01115-0
ADRESSE Ce petit livre, je ne l'ai écrit que par amour pour notre Eglise et pour l'unité de sa commu nion. Il est devenu, par la force des choses, plus critique, sinon plus négatif que je le voulais. C'est la rançon du fait que j'ai pris au sérieux les refus de Mgr Lefebvre et de ses partisans, les gestes et les attitudes dont l'écho a rempli la Presse et la Ra.dio depuis huit mois. Pour moi, les séminaristes d'Ecône, les fidèles de la salle Wagram ou du Palais des sports de l.ille, sont des frères, mais qui se· trompent sur le Concile et sur la liturgie eucharistique pro mulguée par Paul VI. Les pages qui suivent sont offertes à leur réflexion, éventuellement à une discussion que je ne refuse pas. Ce qui leur est reproché n'est nullement de tenir à la foi catholique, de vouloir une dignité sacrée� des prêtres, sérieux et rigueur dans leur formation. C'est de refuser comme entachés d'erreur un Concile œcuménique et des réformes sérieuse ment mûries, approuvés par l'autorité suprême, et reçus· et appliqués dans l'ensemble de la catholicité. Des « sacrements bâtards», ceux que reçoivent chaque jour des millions de catholiques ? Des « prêtres bâ.tards», nous qui les célébrons ? Cela ne peut se souteni.r. 5
On n'en serait pas venu là, disent nombre de fidèles qui acceptent le Concile et les réformes actuelles, si tant d'innovatiom anarchiques, tant de propos aberrants, tant d'abandons ruineux ne s'étaient multipliés depuis le Concile sans attirer d'autre réaction des autorités res ponsables que des gémissements allusifs. li n'est pas permis de faire comme si les fautifs étaient seulement les autres. J� le suis aussi. Nous sommes tous solidai.res dans le drame. Ce n'est certainement. pas d'un cœur léger qu'un Mgr Lefebvre s'oppose au Pape. Ce n'est pas de gaieté de cœur que je le critique. Il professe agir .par amour de la vérité et de l'Eglise. Moi aussi. Il était impossible de tout dire, de traiter toutes les questiom, de répondre à toutes les critiques ou interrogations. Lecteur, ne vous irritez pas contre moi; ouvrez ce petit livre et lisez-le jusqu'à la fin dans l'esprit en lequel il a été écrit : il ne veut qu'aider des frères catho liques à se (re)mettre ou à demeurer lucide ment dans la pleine et joyeuse communion de l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique, Eglise d'aujourd'hui, Eglise de toujours. Pour le service et la gloire de notre Dieu qui est Père, Fils et Saint-Esprit.
fr. Yves M.-J. CoNGAR
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LES REFUS DE MGR LEFEBVRE Leurs enjeux et implications Encore Ecône et Mgr Lefebvre ? Les brû lantes questions auxquelles est affrontée l'Eglise dans le vaste monde ne sont-elles pas autrement importantes ? Et comment, à moins de l'ignorer, ne pas faire attention plutôt à ce qui naît un peu partout d'évangélique: caté chètes volontaires, groupes de prière, aide à tant de détresses ? Comment accepter que le bruit d'une désobéissance recouvre le travail fidèle et quotidien de dizaines de milliers de laïcs, de prêtres et de religieuses qui, sans haut parleurs, font exister l'Eglise au sein d'un monde intense et difficile ? Ecône n'en est pas moins important. En raison des jeunes gens qui s'y préparent à servir le Seigneur Jésus dans la prêtrise. A cause de la blessure faite à la paix de l'Eglise par la tour nure que les choses ont prises depuis le prin temps de 1974. Par le fait, enfin, que« le drame 7
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d'Ecône » répercuté et parfois orchestré par les moyens de communication, a été comme le révélateur d'une insatisfaction ou d'un malaise éprouvés par de nombreux fidèles. Les son dages valent ce qu'ils valent. Pas plus. Que donnerait un sondage portant sur l'installation d'une centrale nucléaire près d'une· grande ville, fait au lendemain d'un éventuel accident ? Sur tout si la chose se produisait pendant les vacances d'été, quand télévision, radios et jour naux ont de la place à occuper. Le sondage de l'I.F.O.P. publié, le 13 août 1976, par le Progrès de Lyon a sans doute profité d'une conjoncture particulière. Il n'en est pas moins significatif. D'après lui, 28 % de catholiques approuvent les positions de Mgr Lefebvre et 48 % de pra tiquants pensent que l'Eglise est allée trop loin. Ce sont des indications imprécises. «,Trop loin » sur quel point ? > de quoi ? A quel degré ? ! à d� degrés divers, sans donner à ce mot aucun sens pé1orat1f. (La Vie CaJholique, n° 1616, 18-23 aotlt 1976, p. 14.) _
Qù'�t-ce qui est en jeu exactement? Nous voudrions, aussi· 1oyalement et clairement qu'il nous est possible, �e dire à nos frères dans la foi. · LB REFUS DU CoNCll,E ET DB CE QUI L'A SUIVI
. De quoi s'agit-il? C'était la question que posait toujours Foch. Il ne s'agit ni du latin, ni de la soutane, ni du régime vécu au séminaire d'Ecône. Ce régime ressemble, au moins extérieurement, à celui que, avec et comme tant d'autres, j'ai vécu au séminaire des Carmes de 1921 à 1924, des années ferventes et heureuses. Pour l'esprit, ce serait autre chose, car nous étions ouverts, dans la fidélité. Mais des informations sérieuses nous font craindre qu'Ecône n'entretienne une men talité étroitement liée à un système d'Eglise forteresse et ghetto, sans ouverture soit au sens de l'historique, soit au monde tel qu'il est : ce le Concile.. Il qu'a été . � s'agit donc de l'acceptation de Vatican II, de ses seize documents 9
signés par l'ensemble de l'épiscopat catholique, approuvés et promulgués par le Saint-Père, puis des réformes, en particulier liturgiques, engagées par le Concile, élaborées à Rome ou précisées par l'autorité pastorale de -chaque pays, approuvées par le Pape. Cette acceptation est nécessaire pour vivre pleinement, effecti vement, concrètement dans la communion de l'Eglise aujourd'hui. Mgr Lefebvre et ceux qui le suivent - mais certainement pas les 28 % de catholiques qui disent approuver son action - déclarent : Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des tra ditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons, par contre, et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protes tante qui s'est manifestée clairement dans le Concile Vati can II et après le Concile dans toutes les réformes qui en sont issues (...). Cette réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée (...). Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d'adopter cette réforme et de . s'y soumettre de quelque manière que ce soit. La seule attitude de fidélité à l'Eglise et à la doctrine catholique, pour notre salut, est le refus catégorique de la réforme 1•
C'est un refus du Concile. C'est une décla ration d'adhésion à « Rome». On peut s'en 1. « Profession de foi» de Mgr Marcel Lefebvre, 21 novem bre 1974. C'est ce texte (reproduit plus loin en Appendice) qui a déterminé le Saint-Siège à agir comme il l'a fait.
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étonner quand on sait que Mgr Lefebvre a obstinément refusé l'acte de soumission que le Saint-Père lui a demandé non seulement par l'intermédiaire d'évêques et de cardinaux, mais par une première lettre personnelle du 29 juin 1975, une seconde lettre autographe du 8 septembre 1975, une troisième du 15 août 1976, enfin lors de l'audience du 11 septem bre 1976 et par la lettre du 11 octobre dont on trouvera le texte en appendice ; des exhor tations pressantes, fraternelles, affectueuses même. Mgr Lefebvre a eu lui-même, à l'adresse de Paul VI, des formules comme « ma profonde soumission au successeur de Pierre que je re nouvelle entre les mains de Votre Sainteté». On pourrait citer encore ces textes de J'accuse le Concile! (Ed. S.· Gabriel, CH 1920, Mar tigny), 1976, p. 33: « Le Souverain Pontife, Successeur de Pierre et Vicaire du Christ. Là où est le Vicaire du Christ, là est l'Eglise catholique. Là où est le Vicaire du Christ, là est l'Eglise des Apôtres·» ; p. 85 : dans la Révolution française; c'est un terme analogue, dont le démon se sert volontiers.
Au sujet de la collégialité épiscopale:. La collégialité, c'est la destruction de l'autorité person nelle ; la démocratie, c'est la destruction de l'autorité de . Dieu, de l'autorité du pape, de l'autorité des évêques. Col légialité correspond à l'égalité de la révolution de quatre• vingt-neuf.
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Au sujet du ·Décret sur l'œcuménisme et de la Déclaration sur les religions non chrétiennes Prêtez-y attention et vous verrez que cela correspond à la « fraternité :J>. On a appelé frères les hérétiques, les pro testants : frères séparés. Et voilà la fraternité. Nous y sommes bien avec l'œcuménisme; c'est la fraternité avec les communistes 2•
EN SOUS-ŒUVRE, UNE INSPIRATION POLITIQUE ?
Ce qu'on appelle l'intégrisme mais, de façon plus générale, l'opposition à ce qui est ouver ture, est toujours, en France, à arrière-fond conservateur et antidémocratique. La première édition de Vraie 'et fausse réforme dans l'Eglise (1950) avait, pp. 604-622, un Appendice sur « Mentalité "de droite" et intégrisme», que j'ai supprimé dans la réédition de 1969 pour faire un geste de paix en direction des intégristes 3• Bien des indications historiques et des analyses 2. Ces trois· citations sont extraites des conférences de Mgr Lefebvre publi� par lui : Un évêque parle. Respecti:vo ment pp. 196, 197 et cf. p. 288. Voir aussi la lettre du 17 juil let 1976 à Paul VI : texte cité infra, p. 58. On trouve des termes semblables, moins développ�, dans Mgr R. GRABBR. Athanase et l'Eglise de notre temps, tr. A. Garreau, Paris, 1973, pp. 34, 68, 74. 3. Si l'on voulait pousser plus loin l'étude, on pourrait lire J. l..ABASSB, Hommes de droite, hommes de gauche, Paris, 1947 0e ch. I); le n° 7•8 dë 1956 de la Chronique sociale de France; M. GARRIGOU-LAORANGI!, Intégrisme et national-catho licisme, in Esprit, novembre 1959, pp. S1S-543; J. MAîTRE, • Le catholicisme d'extrême•droite· et la croisade antisubversive, in Revue française de sociologie,· avril-juin 1961 ; enfin, les livres d'B. PovuT.
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gardent pourtant leur vérité. Ce qu'on nous dit nous _ de la formation de Mgr Lefebvre 4, ce que avons appris sur son action à Dakar 5, ce que nous avons entendu et su de lui au Concile 8, ses déclarations faites depuis lors, la cohérence de ses textes et de son action, tout dénonce en lui un homme de droite accordé aux positions de l'ancienne Action française. Il y a là un ensemble d'attitudes et de procédés caractéris tiques : attacher, sans se corriger jamais, une étiquette dépréciative à ses adversaires 1 amal;
4. Cf. Abbé Jean .ANzEvu1, Le drame d"Ecô� (Historique, analyse et documents), Sion, Valprint, 1976, pp. 13 ss. 5. Par exemple, il a favoris6 l'implantation de La Cité catho lique, avec la revue Verbe, annœs 1957 ss ; il poussait à parler de la propriété privée, alors qu'en Afrique elle CM surtout com munautaire. Un article paru dans La France catholique du 18-XII-1959 sous le titre Les Etats chrétiens vont-ils livrer l'Afrique noire à /'Etoile ?, parlait contre le mouvement d'indé pendance et accusait l'Islam Oe Sénégal est à 80 % musulman) d'être le fourrier du communisme. Voir J.B. CISSE, La longue poursuite d'un mirage intégriste, in Afrique Nouvelle, n ° • 1415 du 11 au 17 aoftt, pp. 12-16, et 1416, du 18 au 24 aoftt 1976, pp. 18-20. 6. Mgr Lefebvre a été un des membres actifs du « Cœtus intemationalis Patrum » qui réunissait des Pères de même tendance et préparait êventuellement des actions concertées, par exemple lors de la déposition de modi ou lors des votes. n est intervenu dans le sens de ses convictions pour critiquer la collégialité (ll-X-1963, d'un point de vue plutôt pastoral ; 10.XI-1963, sur le principe) ou la liberté religieuse (24-X-1964 ; 20-IX-1965, puis pétition pour un délai, 17-19-XI-1964). Tous ces textes ont été publiés par Mgr Lefebvre, J'accuse le Concile ! (H 1920, Martigny, 1976). 7. L'expression « messe protestante », « messe de Luther », pour le rite rénové de !'Eucharistie. Insinuation qu'il y aurait c peut-être, dans les organismes romains les plus élevés, des gens qui ont perdu la foi > (Un évêque parle, p. 200), que Mgr Bugnini serait franc.maçon... L'aurait-on alors nommé nonce ? Cette accusation lancée par l'igooblo li Borghese qui
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gamer ce qu'on déteste dans la globalité d'un terme qui fait l'objet d'une répulsion affective sans nuance 8 ; maintenir qu'on a raison, au prix parfois d'un esprit procédurier ; être convaincu qu'il existe un complot des méchants, qu'une conspiration >, disons des évêques haut-le pied. Ils sont nombreux (nous en avons per sonnellement connu deux). A.J. Macdonald et H.R.T. Brandreth leur ont consacré chacun une étude détaillée. Ce sont des hommes sans véri table diocèse, à la tête tout au plus des groupes de leurs partisans personnels, et qui vont fai sant des confirmations et des ordinations... Le professeur Fr. Heiler, sacré par un évêque jaco bite, a ainsi ordonné environ 120 pasteurs en Allemagne... Nous n'assimilons pas Mgr Lefeb vre à un «episcopus vagans ». Son cas est tout 26
à fait singulier, ses convictions et ses intentions personnelles sont d'une qualité morale incon testée. Il sait l'irrégularité canonique de ses actes. Il se justifie par le sentiment d'un devoir qui lui impose cette espèce de nécessité qui ne connaît pas de loi. Fausse nécessité, née d'un devoir mal entendu, car il . se trompe sur le Concile et l'Eglise d'après 1962-65. Nous n'avons évoqué les « episcopi vagantes » que pour illustrer, par leur contraire, la théologie de l'Eglise locale et ses règles concrètes. SUR « LA MESSE DE SAINT PIE V » Mgr Lefebvre et ceux qui le suivent ne sont pas seuls en cause. Les abbés Coache et Bar bara, Mgr Ducaud-Bourget, le Courrier de Rome qui multiplie à ce sujet les arguties juri diques, d'autres encore, ont fait leur cheval de bataille de la célébration de « la messe de saint Pie V » et du rejet, comme hérétiques, voire invalides, des rites eucharistiques rénovés du Missel publié sur l'ordre de Paul VI, en 1969. Pour Mgr Lefebvre le nouvel ordo Missae peut ne pas être hérétique, à savoir pour les prêtres qui célèbrent avec la doctrine et l'intention du concile de Trente. Mais il prête par lui-même à une croyance et une intention de ligne protes tante et démocratique et, alors, il est hérétique (Un évêque parle, pp. 228-229), car il va dans le sens de Luther (pp. 275 s.) ! Les journaux 27
du 22 juillet 1976 annonçaient que 23 associa tions locales juraient· de « défendre et de main- tenir envers et contre tout... le saint Sacrifi ce de la messe selon le rite de toujours, dit de saint Pie V ». Envers et contre les 2.550 évêques et les 400.000 prêtres qui, chaque jour, célèbrent !'Eu charistie par le monde, en communion avec « notre pape Paul » qu'ils nomment dans cette célébration ? Cela ne tient pas. Cela ne tient pas davantage au regard de la vérité historique, théologique, liturgique, cano nique, comme l'ont montré avec toute la préci sion souhaitable deux moines de Solesmes et l'abbé André Richard 10• Redisons-le d'abord : il ne s'agit ni du latin , ni d'une exclusion du canon romain qui, tel qu'il est, date de la fin du VI" siècle (saint Gré goire le Grand). Pour ma part, je célèbre tous les jours et, quand vient son tour, avec le canon romain qui figure dans le missel de Pie V ; par- fois en latin (ainsi quand je participe, à Rome, à la session de la Commission internationale de théologie). On célèbre une messe en latin cha10. D. Guy OURY, La Messe de saint Pie V à Paul VI, Solesmes, 1975 ; D. Paul NAU, Le mystère du Corps et du Sang du Seigneur. La messe d'après saint Thomas d'Aquin, son rite d'après l'histoire, Solesmes, 1976 ; A. RICHARD, Le mystère de la Messe dans le nouvel Ordo, Paris, Ed. de L'Homme nouveau, 1970. Depuis la rédaction de notre propre texte, excellent article de Mgr G. MARTIMORT, dans La Croix du 26 aoftt 1976.
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que dimanche dans vingt paroisses de Paris. Là n'est pas la question, pas plus qu'elle n'est dans le chant grégorien, dont le Saint-Père a demandé le maintien au moins dans les monastères : ce qui se fait pour notre joie spirituelle. La ques tion soulevée est historique, théologique, canonique, enfin pastorale. - Historique. Parler, comme font les 23 as sociations locales de « la messe selon le rite de toujours, dit de saint Pie V », ou, comme Mgr Lefebvre, dans son homélie du 29 juin 1976, de « rite de toujours », le ment du n ° 7 de l'lnstitutio generalis placée en tête du missel de 1969. Il a ét6 reconnu que ce texte, tout en n'étant absolu ment pas faux, n'exprimait pas assez nettement ni assez com plètement ce que l'Eglise a conscience de faire en célébrant !'Eucharistie. Le texte a �té amélioré dans l'édition promulguée le 26 mars 1970. C'est celui-là qui est valable. On ne peut rien lui reprocher. Mgr Lefebvre (Un évêque parle, pp. 201, 281) dit sommairement et sans examen que « la correction intervenue ensuite n'est nullement satisfaisante », ce qui est faUL
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propos du fr. Max Thurian, de Taizé, disant que des protestants pourraient célébrer selon le nouveau rite catholique. Ils interprètent spontanément en ce sens qu'on aurait protes tantisé la croyance de l'Eglise, sans se deman der si certains protestants au moins n'auraient pas ressourcé la leur au-delà du xvi• siècle et ne l'auraient pas, pour autant et en ce sens, catholicisée. C'est pourtant la meilleure hypo thèse· : elle devient même certitude pour qui a lu le livre publié par le même fr. Max Thurian avant le Concile, L' Eucharistie, mémorial du Seigneur, sacrifice d'action de grâce et d'inter cession (Delachaux et Niestlé, 1959). Quant à insinuer que des observateurs non catholiques auraient eu une influence également non ca tholique dans le Consilium romain où s'éla borent les réformes liturgiques, cela rencontra la négation la plus formelle de la part de tous _ • les membres dudit Consilium auxquels j'ai posé la question. Et semblablement du Bureau de Presse du Vatican, le 25 février 1976 (Doc. Cath., n ° 1701, 1 er juillet 1 976, p. 649). Que l'Eglise ait réjoui des protestants en don nant plus de place à la Parole de Dieu dans ses célébrations, cela ne peut scandaliser que ceux qui identifieraient catholicisme et antiprotes tantisme, comme il a existé des protestants, dont la race heureusement s'éteint, pour iden tifier anticatholicisme et vrai christianisme. 33
La messe de Paul VI serait démocratique et, comme telle, l'expression d'une nouvelle reli gion. L'accusation est tellement énorme que nous devons transcrire l'expression qu'en a donnée Mgr Lefebvre dans le discours de la cérémonie d'ordination du 29 juin- 1976 : Il est évident que ce rite nouveau est sous-tendu, si je puis dire, suppose une autre conception de la religion catholique, une autre religion. Ce n'est plus le prêtre qui offre le saint sacrifice de la messe, c'est l'assemblée. Or ceci est tout un programme. Désormais, c'est l'assemblée aussi qui remplace l'autorité dans l'Eglise. C'est l'assemblée épiscopale qui remplace le pouvoir des évêques. C'est le conseil presbytéral qui remplace le pouvoir de l'évêque dans le diocèse. C'est le nombre qui commande désormais dans la sainte Eglise. Et ceci est exprimé dans la messe précisément parce que l'assemblée remplace le prêtre, à tel point que maintenant beaucoup de prêtres ne veulent plus célébrer la sainte messe quand il n'y a pas d'assemblée. Tout doucement, c'est la notion protestante de la messe qui s'introduit dans la sainte Eglise. Et ceci est conforme à la mentalité de l'homme moderne, à la mentalité de l'homme moderniste, absolument conforme, car c'est l'idéal démocratique qui est fondamentalement l'idée de l'homme moderne. C'est-à-dire que le pouvoir est dans l'assemblée, l'autorité est dans les hommes, dans la masse, et non pas en Dieu (...). Cette messe n'est plus une messe hiérarchique, - c'est une messe démocratique ...
La petite part de vérité qu'on peut trouver dans ce texte au niveau de constatations (fort vagues) ou de craintes formulées, y est gâtée par un mélange avec une passion politique non critiquée et avec une interprétation théologique discutable. Laissons de côté le passage à la 34
limite et la généralisation abusive, comme si le fait que l'assemblée, /'ecclesia, constitue à son plan et à sa façon le sujet porteur de la célé bration, équivalait à nier que le pouvoir vient de Dieu. 11 ne s'agit pas ici de« pouvoir », mais de communion et de l'exercice par les fidèles de leur existence chrétienne, de leur sacerdoce de baptisés La tradition, celle du moins qui n'était ·pas inspirée par un antiprotestantisme, est ici très solide u. Bien des textes l'expriment, mais d'abord ceux de la liturgie elle-même : « Orate fratres ut meum ac vestrum sacrifi cium » ; « Nos et plebs tua sancta ». Elle tient que le sujet porteur de la célébration est l'ecclesia, la communauté chrétienne structu rée, présidée par un de ses membres ordonné. Il a reçu pour cela, dans son ordination, une participation nouvelle au Sacerdoce de JésusChrist : dans la ligne du ministère et pour le ministère, et non plus seulement dans la ligne de l'existence chrétienne personnelle (baptême). Si bien que le prêtre est à voir non seulement en référence au Christ qu'il représente et dont 18•
13. Dans mon gros livre de 1953, Jalons pour une théologie du laïcat, j'avais basé mon traitement de l'exercice par les laïcs des fonctions classiques de prêtre, roi et prophète, sur la distinction entre ces fonctions comme exercice de la dignité baptismale, et ces fonctions comme office « hiérarchique » et « pouvoir ». 14. J'en ai réuni nombre de témoignages dans une de mes deux contributions au volume La liturgie après Vatican Il (Unam Sanctam 66), Paris, 1967 ; pp. 241-282. 35
il joue à quelque degré le rôle au plan visible, sacramentel (« agit in persona Christi »), mais en référence à la communauté qu'il assemble et préside. Mgr Lefebvre ne voit que la première référence. Il l'a même, dans le discours en question, exprimée dans des termes bien criti.. quables mais sur lesquels nous ne reviendrons pas, convaincu qu'ils dépassent sa pensée réelle. Les études actuelles, très nourries de Nouveau Testament et de tradition ancienne, mettent en valeur la communauté chrétienne assemblée et le rapport qu'a le prêtre avec elle comme son et avec l'évêque du lieu. L'Eucha ristie est le sacrement de l'unité, qu'elle signifie et alimente. Sacrement du corps du Christ, elle nous accomplit comme Corps mystique (= mys térieux, spirituel, ecclésial), en nous faisant participer au corps du Christ rendu sacramen tellement présent. Aussi l'union fraternelle est-elle inséparable de l'union au Christ par le sacrement. Le critère concret de l'union frater nelle, de la communion en Eglise, c'est l'union à l'évêque local, lui-même uni aux autres évê ques et à l'évêque de Rome, centre de l'unité catholique. Célébrer !'Eucharistie hors de ces règles de communion, c'est dresser autel contre autel, selon l'expression classique chez les Pères qui avaient un sentiment si fort du lien entre Eglise et Eucharistie. Voici, par exemple, ce que l'évêque-martyr, saint Cyprien, écrivait en 251, pour prévenir _ u ne menace de schisme : De quiconque est séparé de l'Eglise, il faut se détourner, et le fuir : c'est un pervers, un pécheur, qui se condamne lui-même. Croit-il qu'il demeure uni au Christ, quand il agit contre les prêtres du Christ. quand il rompt avec son clergé et son peuple ? Il tourne ses armes contre l'Eglise. il lutte contre les ordonnances divines. Adversaire de l'autel; rebelle au sacrifice du Christ, ennemi de la foi au lieu d'y 41
rester fidèle...., il ose, au mépris des évêques et des prêtres un autre autel, articuler en termes illicites de Dieu, dresser •' une autre pnere... 10
Quand le sens d'une unité de corps social s'ajouta à celui du lien entre unité ecclésiale et . célébration eucharistique, un grand esprit, le cardinal Cajetan, celui-là même devant lequel, comme légat, Luther avait été convoqué en 1518, précisa la notion de schisme comme le refus de se comporter comme partie d'un tout, « sese gerere ut partem, esse partem unius numero populi » 11 • Le schismatique est celui qui veut penser, prier, agir, vivre en un mot, non en accord avec l'Eglise totale, comme une partie conforme au tout et à l'autorité qui préside au tout, mais selon sa propre règle et comme un être autonome. Cela est à concevoir non seulement à l'égard du tout qu'est actuel lement l'Eglise, mais égal\'ment par rapport au tout que constitue la continuité de sa vie dans -le temps, de son histoire. Mgr Lefebvre a bien écrit à l'abbé G. de Nantes, le 19 mars 1975 : « Sachez que si un évêque rompt· avec Rome, ce ne sera pas moi » (Un évêque parle, p. 273). Il entend la Rome fidèle (selon son jugement), « la Rome éter nelle >>, non la Rome de Vatican II et du missel 16. De Catholicae Ecclesiae unitate, c. 17, trad. P. de Labriolle. 17. Commentaire de la Somme, 2• 2&e, q. 39, a. 1.
de Paul VI. Mais comment prétendre avoir , raison et se comporter comme partie d'un tout quand on récuse !'Eucharistie que célèbrent 700 millions de catholiques, 400.000 prêtres, 2.550 évêques en union avec le successeur de Pierre ? Mgr Lefebvre a dit, au micro �e R.T.L., que la vraie Eglise catholique se trouve à Ecône 18• Ce seraient les autres, le Pape, nous tous, qui serions schismatiques ? C'est ce que Mgr Lefebvre affirme, par exemple, à longueur de paragraphes, dans un texte daté d'Ecône, 2 août 1976, et publié dans le Figaro du 4 août. Ou encore il dit, dans une interview donnée à l'hebdomadaire italien Europeo : « Ce n'est pas moi qui ai fait le schisme. C'est l'Eglise de Rome, l'Eglise du Concile qui s'est détachée du Christ. » Et, à Lille, le 29 août 1976 : « Nous ne sommes pas dans le schisme, nous sommes les continuateurs de l'Eglise catholique. Ce sont ceux qui font les réformes qui sont dans le schisme. » Est-ce pensable ? Cela ne demande-t...il pas reconsidération ? 18. Et, dans son sermon du 4 juillet 1976, au cours de la messe célébrée à Genève par un nouvel ordonné, l'abbé Denis Roch : « Qui sait si Ecône n'est pas ce petit David confiant en Dieu pour abattre le Goliath confiant en l'homme, qui a pénétré l'Eglise pour convertir le monde par des moyens humains ? » Dans la conférence de presse du J S septem bre 1976 : « Dans la mesure où le pape s'écarte de la foi de toujours c'est lui qui fait schisme, pas nous. » 43
Pour aller plus au fond de ce qui est en jeu, nous nous proposons de revenir sur la critique et le refus du Concile, puis de parler de la crise présente, enfin de dire quelle issue nous souhai tons au drame actuel.
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APPRÉCIATION DU CON-CILE Des réformes mises en œuvre depuis le Con cile, c'est celle de la messe et des sacrements qui est la plus critiquée et refusée. Nous en avons parlé. Il faut revenir sur les documents et les positions conciliaires également anathématisés. LA COLLÉGIALITÉ EST...ELLE UNE EXTINCTION DE L'AUTORITÉ ?
Qu'il existe un danger d'une diminution de l'exercice personnel de l'autorité du fait des conférences, commissions, centrales, aumône ries nationales, Mgr Lefebvre n'est pas seul à l'avoir signalé. Le cardinal Frings l'avait dit aussi. Que la collégialité et l'institution des synodes aient porté ombrage à l'autorité papale, il ne le semble vraiment pas. On ne voit pas non plus que les conseils presbytéraux et, là où il en existe (très peu en France), les conseils pastoraux aient porté ombrage à l'autorité de 45
l'évêque. Mais il est permis de se demander si une désobéissance publique et opiniâtre aux évêques locaux et au Pape ne porte aucune atteinte à leur autorité ? Ce qu'on met sous « collégialité >> comporte deux choses distinctes, unies seulement par la racine profonde de la communion. Le terme 21 • Des actes collégiaux, au sens strict, sont rares. Les conciles sont des événements dans la vie de l'Eglise ; ils. ne sont pas son ordinaire. Mais, comme le dit Mgr G. Philips, si le collège n'est pas toujours en acte collégial, il n'est jamais en chômage. C'est ici qu'entre en jeu la notion plus , large de « collégialité ». Comme Paul VI l'a dit au synode de 1969, la collégialité est commu nion, solidarité, coresponsabilité. Elle est la traduction, au plan des pasteurs responsables, de la communion et de la solidarité des Eglises. Ce n'est plus une question de « pouvoir », mais c'est encore et toujours une question de respon sabilité. Nul chrétjen ne peut dire : « Ai-je donc la charge de mon frère ? >> (cf. Gn 4, 9, Caïn) ; nulle Eglise ne peut dire : « Je suis riche, je ne manque de rien, je n'ai pas besoin des autres » (cf. Ap 3, 17). Oh ! grande, sainte, admirable communion de l'Eglise ! Les hommes imbus d'esprit conservateur et paternaliste (« Tout pour le peuple, rien par le peuple », disait Donoso Cortès) ont une répul21. 48
De Catholicae Ecclesiae unitate, c. S.
sion viscérale pour les mots mêmes de >, « peuple », « démocratie » - nous n'avons pas prononcé le dernier : il s'applique trop mal à l'Eglise et dans l'Eglise. C'est une réaction de tempérament et d'option politiques. Mais l'Eglise a son ordre propre, et sa nature essen tiellement communionelle est antérieure de plus de dix-sept siècles à la Révolution de 89, de dix neuf siècles à celle de 1917 22• Il ne s'agit abso lument pas de politique, • mais d'existence chrétienne en Eglise. L'ŒCUMÉNISME EST-IL UNE TRAHISON
DE LA VÉRITÉ ?
« Nous refusons un œcuménisme qui trahit notre foi et notre sainte religion, qui voudrait unir l'Eglise catholique aux erreurs du monde et aux hérésies protestantes 28• » Moi aussi. Le Concile aussi. A condition d'écrire « qui trahi rait », car le mot, au présent, exprimerait un 22. Les intégristes ont outrageusement abusé d'un mot, à vrai dire contestable, que nous avons écrit à propos du vote sur le collège au Concile, le 30 octobre 1963 : « L'Eglise a fait, pacifiquement, sa révolution d'octobre » (Le Concile au jollr le jour, Deuxième session, p. 2 1 5). On a voulu y voir une affir mation de soviétisation de l'Eglise ! Cc n'est qu'un mot d'auteur, ni très bon ni très heureux. Lui donner une autre valeur revient à lui attribuer un sens qu'il n'a jamais eu et que nous récusons sans ambiguîté. 23. Mgr Lefebvre, in Ltttre aux amis et bien/aiteur.s, n• 7 (1., octobre 1974) cit� par Anzevui, op. cit .• p. 59.
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fait. Or nous ne nions pas qu'il existe des excès, nous en avons nous-même critiqué, mais ce n'est pas l'œcuménisme du Concile. Des excès sont fatals puisque l'œcuménisme est une ouverture, un mouvement, choses qui, par nature, invitent au dépassement. Il faut donc être vigilant, mais il ne faut pas être fermé. >, dit saint Augustin dans un texte célèbre : l'univers entier est un bon critère. En se référant sans cesse à la messe de saint Pie V (1570), au catéchisme du Concile de Trente (1566), à celui de saint Pie X (1912), Mgr Lefebvre ne fixe-t-il pas la tradition dans les formules du passé, certainement saintes et valables mais qui, au plan de la formulation, ne peuvent interdire de chercher une meilleure adaptation aux besoins d'aujourd'hui ? Bien sûr, cette adaptation, l'aggiornamento, · n e doit 27. Tous trois chez Fayard, 1960 et 1963. Citons au moins le plus accessible au grand public : La Tradition et la vie de l'Eglise (coll. « Je sais - je crois »), 130 p.
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pas trahir la foi. Il est possible que ce soit le cas de telle initiative désordonnée - nous y revien drons - mais aucun argument sérieux ne per met d'affirmer cela du Concile }ui..même ni du Missel de Paul VI. • On comprend que, l'Eglise étant tradition, • transmission de ce qui a été donné une fois pour toutes - Révélation, sacrements, ministère . une fidélité catholique sincère s'attache à telle ou telle forme de cette tradition. Des tempéra.. ments amis des énoncés catégoriques, tran chants, privilégieront les formes qui répondent à ce besoin. Mais le grand fleuve de la Tradition est plus large qu'un canal rectiligne aux berges cimentées. La tradition des Pères est plus riche que celle dont le saint Concile de Trente (le curé de mon enfance employait toujours ce terme) a fixé le contenu en face de la Réforme. Le Saint-Esprit n'a pas déserté l'Eglise à partir de 1962 ou 1965 ! Soyons « catholiques » en plénitude avec, vraiment, l'Eglise de toujours, celle de Vatican II comme celle de Trente et de Nicée, celle de Paul VI comme celle de Pie V et du pape saint Marcel (t 309) ! •
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LA CRISE PRÉSENTE Elle est réelle. Nous le savions. Un abondant courrier reçu à la suite d'un article sur Ecône (La Croix du 20 août 1976), nous a· fait mieux réaliser qu'il existe un malaise assez profond dans de larges zones du laïcat fidèle. Nous ne sommes certainement pas le seul pour qui l'af faire Ecône-Lefebvre aura eu au moins ce béné fice d'une prise de conscience mieux éclairée et plus aiguë de ces aspects d'une crise à laquelle, cependant, nous avions déjà réfléchi. LE
CONCILE EN EST-IL RESPONSABLE
?
A la question posée dans cette généralité, il faut répondre résolument non. Si l'on suivait le Concile, sa Constitution Dei Verbum sur la Révélation divine, ses décrets sur la formation, ·, la vie et le ministère des prêtres, sur l'apostolat des laïcs, bref l'ensemble de ses règles, il n'y aurait pas cette crise. On nous oppose et on nous donne en exemple l'Eglise de Pologne : 62
elle serait bien fâchée d'être soupçonnée de ne pas appliquer le Concile. Mais elle n'abuse pas, comme nous, des facilités et de la liberté. Peut être étions-nous trop optimistes en faisant nos bagages de retour. Peut-être certains documents • ne répondaient-ils déjà plus à la réalité ? Mais ne devraient-ils pas être modestes -dans leurs reproches, ces parents qui, après avoir donné à leurs enfants une éducation chrétienne, ouverte, sociale, généreuse, les voient refuser le mariage religieux, ne pas faire baptiser leur bébé, suivre un itinéraire que Bernard Besret appellerait de déviance ? >... Mais ne se trompe-t-on pas d'arbre ? Sont-ce les fruits du Concile ? Ne doit-on pas, par contre, créditer celui-ci de quelques beaux résultats ? Pensons à tant de belles célébrations, à la diffusion de '- la Parole de Dieu, à la vitalité des Eglises locales, à la conscience renouvelée des respon sabilités sociales, à l'ouverture missionnaire à « ceux qui sont loin », à l'effort pour se rendre compréhensible aux hommes de ce temps... Nous ne nions cependant pas que le Concile ait eu un rôle dans ce qui est devenu la crise, et cela sous quatre aspects : . 1 ° 11 y a eu discussion. C'est le fait de tous les conciles, mais elles ont, cette fois, été ébrui\
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tées, répercutées, amplifiées. On a perdu l'idée passablement fictive d'une Eglise monolithique, assurée, ayant réponse à tout. René Rémond l'a noté : « Ce ne sont pas les positions prises par le Concile qui ont engendré la crise. C'est le fait même qu'un Concile soit tenu qui a déclenché une profonde mutation dans l'orga nisation interne de l'Eglise et dans le système de ses relations avec l'extérieur » (Vivre notre histoire, Paris, 1976, p. 144). 2 ° L'Eglise a ouvert ses portes et fenêtres. Un air nouveau a pénétré. Cela est très impor tant mais nous n'y insistons pas ici, devant y revenir un peu plus loin. 3 ° Par la franchise et l'ouverture de ses débats, le Concile a mis fin à ce qu'on peut appeler l'inconditionnalité du système. Nous entendons par « système >> un ensemble cohé rent d'enseignements codifiés, de règles d'action précisées dans une casuistique, d'organisation détaillée et très hiérarchisée, de procédés de contrôle et de surveillance, de 11.l:briques réglant le culte ; tout cela hérité de la scolastique, de ia Contre-réforme, de la restauration catholique du :xir siècle et soumis à une régulation romaine efficace. On a rapporté que Pie XII aurait dit : Je serai le dernier pape à tout main tenir. De fait, Jean XXIII, prêtre d'une piété 64
classique, a - donné de la papauté une tout autre image. Le grand brassage conciliaire, les rencontres, l'information sur bien des questions, la nécessaire poursuite d'un , « on ne prê che plus le péché, la grâce... », « on détruit la foi de nos enfants ... » De telles accusations, par leur vague et leur généralisation, nous parais saient et nous paraissent encore gravement injustes 80• De plus, il nous semblait qu'elles évitaient de reconnaître l'influence décisive, dans la crise actuelle, de la crise globale de civi lisation et de société, de même que de vraies questions et de difficultés objectives qui pèsent sur la foi des croyants. L'insistance de nos amis, le courrier reçu à la suite de notre article de la Croix ou publié dans ce journal, nous ont amené à prendre une meilleure conscience du malaise suscité chez de nombreux catholiques par certaines fantaisies discutables, le niveau des célébrations, des ser30. Exemple de généralisation : « Dix ans après sa clôture (du Concile), que reste•t-il de notre liturgie que des guenilles ? Que reste-t-il de notre théologie qu'un infâme ragoOt relevé de marxisme, de freudisme, de scientisme et de sociolo gie ? (...). Que reste-t-il de notre prédication qu'une démagogie puérile à décourager un vieux parlementaire radical-socialiste ? > (P. BRUCKBERGER, L'Aurore du 8-1-1976). Est-ce sérieux ? Non. Je pourrais citer également tel passage de J.M. PAUPERT, dans son papier Nous sommes des mislrables, Le Monde, 1-IX-1976.
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mans, de la catéchèse. Le drame de cet été entre Mgr Lefebvre d'un côté, le Pape et les évêques de l'autre, pourrait avoir le bénéfice de faire prendre plus au sérieux ce malaise ressenti par nombre de fidèles. Mgr Lefebvre leur a, en quelque sorte, donné une voix, même si sa voix ne rend pas vraiment le son de leur pensée. Tout n'est pas de la même gravité dans leurs doléances. Il semble qu'on puisse les clas ser en trois catégories. 1 ° Chez certains, c'est une allergie à tout changement. Déjà, quand Pie XII a réformé la célébration des jours saints et restauré la Vigile pascale, ils ont dit : On nous change la reli gion ! Le besoin naturel et, de soi, respectable, de chercher une sécurité dans la religion se traduit ici en aspiration à garder ses habitudes : cela tient chaud. Ou bien il peut s'agir de cho ses en elles-mêmes louables mais qui heurtent une sensibilité affective mal éclairée : tel se plaint, par exemple, qu'on cite avec éloge Mar tin Luther King, « cet hérétique ! » ou qu'une femme, tête non couverte, lise un texte à l'am bon, ou encore que des jeunes accompagnent une messe avec une batterie de jazz ... 2 ° Parmi les faits qu'on nous cite et qu'on vitupère, certains ne sont que regrettables et -' n'ont pas en eux-mêmes une vraie gravité. Soit, 73
par exemple, ce prêtre qui, avant de célébrer, donne des explications dans la nef .en col roulé ou en chemisette à manches courtes. Je ne dis pas que ce soit bien, mais il n'y a pas de quoi fouetter un page ! Nous attachons de l'impor tance, par contre, à ce que le prêtre, pour célé brer, même dans une maison privée, revête un vêtement qui signifie qu'on n'a plus devant soi seulement Monsieur X., mais un ministre du Christ et de l'Eglise. Le minimum du signe de fonction est l'étole. Autre exemple : ce prêtre, cet évêque même qui déclare sans plus : l'Eglise, aujourd'hui, n'est plus juridique, mais mystique. C'est une affirmation trop simple, qui demande en toute hypothèse explication et qui pourrait, mal interprétée, favoriser des idées fausses. 3 ° Restent les malfaçons objectivement re grettables et blâmables. Elles concernent sur tout : a) la liturgie ; b) la théologie ou la caté chèse ; c) une -certaine politisation. a) On signale une certaine anarchie liturgi que. Notre confrère, le P. Auvray, analyse cinq publications où l'on trouve en tout 103 Canons ( = Prières eucharistiques) dont l'un ou l'autre n'exprimeraient pas pleinement, dit-il, la foi de l'Eglise 31• Notre autre confrère, le P. Bruck31. D.-P. AUVRAY, Où va la messe ? in Carrefour du 14 juillet 1976, p. 4.
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berger, reprend le même reproche dans /'Au rore du 29-VII-1976 ; dans sa chronique du . 19-VIII-1 976, cela devient même 300 Canons. C'est vraiment trop. Il est vrai que, dans l'Eglise des origines, la prière eucharistique n'était pas rédigée dans un texte fixe : saint Justin, vers l'an 150, dit que le président de l'assemblée (en grec, le proestôs) « adresse des prières et actions de grâce autant qu'il le peut » 32 ; mais le P. Louis Bouyer a montré que la créativité liturgique ancienne suivait des _ modèles assez déterminés 33 • En toute hypo thèse, une Prière eucharistique doit exprimer la foi de l'Eglise et comporter, selon la tradi tion la mieux établie, une action de grâces pour les bienfaits de la création et de la rédemption, une épiclèse (invocation du Saint-Esprit), le récit de l'institution, l'anamnèse (rappel des actes rédempteurs, de la Passion à la glorifica tion du Christ). S'il s'agit de célébration paroissiale, les fidèles ont le droit d'y trouver ce qu'ils attendent, sans être surpris, et encore • moins traumatisés par une innovation indue. Plusieurs correspondants mettent particuliè rement en cause les célébrations de l'A.C.O. à la Porte de Versailles, ou, plus récente, celle des 32. Apologie l à Antonin le Pieux, 67 , S. 33. L. BouYER, L'improvisation liturgique dans l'Eglise ancienne, in La Maison-Dieu, n ° 1 1 1 ( 1972/3) ; pp. 7-19. Tout le fascicule est sur « Créativité et Liturgie ».
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apprentis J.O.C. Je ne veux pas défendre ce qui pourrait être indéfendable. Je n'ai assisté à aucune de ces célébrations. Mais je ne suis pas non plus dans la condition ouvrière. Devant telle position, telle déclaration, je me suis sou vent interdit de juger, me disant que, si j'étais dans cette situation, je ferais ou dirais proba blement de même... b) La supplique adressée au Saint-Père, le
8 août 1976, par quelques écrivains (Michel Ciry, Michel Droit. .., Gustave Thibon) dit :